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LES ETUDES
PHILOSOPHIQUES
Le Songe de Scipion
de Cicéron et sa tradition
In memoriam |
_ Jacques Brunschwig
¥
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Les ETUDES PHILOSOPHIQUES
Revue trimestrielle
soutenue par I’Institut des sciences humaines et sociales
du cnrs et avec l’aide du CNL
Octobre 2011 — 4
IN MEMORIAM
JACQUES BRUNSCHWIG
Résumés 603
ne se borne pas a cette seule question. Ajoutons, afin de donner encore plus
de piquant a la chose, que le fort long commentaire signé de Macrobe ne res-
tituait pas l'intégralité du Songe de Scipion, mais s appuyait sur de nombreu-
ses citations choisies de ce texte et que ce n’est qu’a ses éditeurs plus tardifs
que nous devons donc de posséder aujourd'hui in extenso (du moins peut-on
lespérer) le Songe de Scipion, la majorité d’entre eux ayant pris Phabitude
de donner aussi l’intégralité de ce texte dans leurs copies. Cela montre par
ailleurs que ces pages avaient aussi été conservées indépendamment de leur
Commentaire et explique certaines divergences textuelles. D’un autre cété,
fort heureusement pour nous, Dame Fortune étant parfois clémente, nous
devons a Angelo Mai d’avoir retrouvé en 1819, dans un palimpseste de la
Librairie vaticane, l’essentiel du texte des cing premiers livres de La République
de Cicéron. On estime ainsi généralement que nous en avons « récupeéreé »
les deux tiers. Mais le « codex » du parchemin « Vaticanus lat. 5757 » ne
contient malheureusement rien du livre VI et dernier de la République de
Cicéron, a la fin duquel se trouvait le Songe de Scipion. Cela implique que
nous sommes toujours dépendants des copies médiévales de ce que nous
appellerions volontiers aujourd’hui un « fragment » de La République de
Cicéron, mais qui ne devait nullement apparaitre comme tel a ses lecteurs
@alors tant lobjet avait été « décontextualisé ».
Malgré les heurs et malheurs de cette traditio, nous devons cependant
nous estimer « bienheureux ». En effet, comme le font remarquer tous les
spécialistes modernes de la question, nous avons, depuis la découverte de
Mai, la chance inouie de pouvoir lire le Songe de Scipion dans la continuité
de la République de Cicéron et non plus a travers les commentaires de
Macrobe ou de Favonius Eulogius, lequel n’a pas connu la méme fortune
littéraire. En d’autres termes, nous autres historiens de la philosophie
sommes dorénavant libérés du prisme des lectures néoplatoniciennes ou de
celles de certains théologiens chrétiens toujours prompts 4 rechercher un
lien entre le Songe de Scipion et la Cité de Dieu d’Augustin afin d’y trouver
une exhortation a la gloire des cieux et de Dieu, que ce soit sur un mode
strictement néoplatonicien ou sur un mode plus proprement chrétien. On
lira sur ce point l'étude d’Emmanuel Bermon. A lencontre de ces lectures
néoplatoniciennes (chrétiennes ou non), l’objectivité oblige bien plutédt de
dire qu'il nous est donné a lire une exhortation & la pratique de la vertu poli-
tique, ce que Jed Atkins et moi-méme nous efforcons tous deux de montrer.
Rien, cependant, ne nous interdit de toujours voir en ces quelques Pages
un passage finement travaillé par Cicéron et doté d’une haute valeur poéti-
que. Voila qui pourrait bien expliquer que, du fond de sa prison, Boéce, qui
commence par se lamenter de navoir plus aucune responsabilité politique
et qui, tel Cicéron, ne cesse de rappeler ses hauts faits passés, ait pu en faire
usage. C’est ce que Niko Strobach entend montrer. Enfin, /ast but not least,
grace a la dorénavant possible lecture du Songe de Scipion dans la continuité
de La République, Cicéron redevient Cicéron : un sénateur et un homme de
pouvoir soucieux du « salut » de la République, fait-ce au prix de la violence.
Présentation 453
Tel est l'argument de Claudia Moatti. On laura compris, nous avons tous
ici cherché 4 « toiletter » le Songe de Scipion afin de le rendre plus lisible et
de mieux faire apprécier sa tradition. Voila qui explique qu’on nous trouvera
la ot Pon ne trouvait généralement pas (ni ne trouve souvent encore) les
lecteurs et commentateurs de ce texte décidément « hors norme ».
Quiil me soit enfin permis, afin de faciliter l’intelligence de ce qui suit,
d’apporter quelques précisions. Cicéron, qui n’a plus guére de réel pou-
voir politique et le déplore amérement, écrit ce dialogue dans ce qu’on
pourrait appeler son otium, « loisir », entre 54 et 51 av. J.-C. Il y met en
scéne Scipion Emilien, lui-méme dans son otium, ce qui est rare, durant les
trois jours des féries latines de 129 (soit peu de jours avant sa mort, dont
les circonstances exactes restent toujours obscures) et nombre de ses amis,
au premier rang desquels Lélius, l’ami fidéle d’entre les fidéles. D’ot que
le dialogue de Cicéron De amicitia ait pour réel titre Laelius. Au fur et a
mesure que le dialogue s’engage (Cicéron, |’auteur, ne cessant de justifier les
actions politiques de Cicéron, l’acteur politique) et que les amis de Scipion,
trop heureux de le trouver de « loisir », Cest-a-dire en vacances d’activité
politique, prennent place, les questions commencent 4 fuser péle-méle aussi
bien au sujet de la politique qu’au sujet de ce phénoméne quest le parhé-
lie : deux soleils viennent d’étres vus 4 Rome! Lélius interrompt plusieurs
fois et finit par ’emporter en disant, somme toute : « Ces histoires d’astres,
auxquelles personne nentend rien, pas méme Panétius, ne nous intéressent
pas ! Quon interroge donc plutét nétre sage Scipion, instruit au mieux et
homme d’expérience, sur le meilleur régime possible ! Voila qui sera vérita-
blement utile et nous évitera de vains bavardages. » Scipion Emilien, homme
d’action exceptionnel puisquila détruit Carthage, mais réputé sage, du fait
qu il avait été « formé » par Panétius et Polybe, tout comme I’avaient été aussi
son grand-pére adoptif, Scipion, le Premier Africain, et son pére biologique
Paul-Emile, accepte. II s'engage alors dans une longue discussion au sujet du
meilleur régime politique possible pour, finalement, conclure que le meilleur
mélange des régimes fut réalisé 4 Rome, mais que « tout cela a été oublié
de nos jours ». Est-ce Scipion qui parle, ou Cicéron ? Quoi quil en soit,
Scipion Emilien, auréolé de toutes les gloires qu’on pouvait alors obtenir a
Rome, ot, pour parler comme Queneau, « son triomphe fut triomphal », va,
4 la toute fin de ce dialogue, faire un aveu le replongeant vingt ans en arriére :
« J’ai fait un réve. »
Jean-Louis LABARRIERE
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LARGUMENT DU DE RE PUBLICA
ET LE SONGE DE SCIPION
1. Toutes les références textuelles renvoient 4 l’édition ocr de Powell (2006). Quand
Pordre de ocr différe du texte standard de Ziegler, on trouvera les deux références, avec
en premier celle de ocr. Toutes les traductions De re publica, sauf indication contraire,
sont adaptées de James Zetzel, Cicero: on the Commonwealth and on the Laws (Cambridge,
Castede University Press, 1999).
Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 455-469
456 Jed W. Atkins
exemple le présage des deux soleils)', Cest durant ces cinquante derniéres
années que les commentateurs se sont mis 4 examiner le rapport entre le
contenu du Songe et le reste du dialogue. Robert Coleman chercha dans
le pythagorisme le lien entre le Songe et le reste de I’ceuvre*. Son opinion
sur la question fut reprise et entérinée une vingtaine d’années plus tard par
Robert Sharples, qui, 4 son tour, suggéra que le Songe était en mesure de
résoudre la tension entre théorie et pratique introduite au début du dialogue’.
Jonathan Powell, dans un article publié il y a une dizaine d’années, soutint
que le Songe répondait 4 un but bien plus précis et plus limité : « replacé dans
son contexte... le Songe ne devrait guére apparaitre que comme un dévelop-
pement de la position de Scipion telle quelle est exprimée au tout début du
dialogue »‘. A mon sens, Coleman surévalue le pythagorisme auquel il n’est
fait que des allusions marginales, loin d’étre fondamentales pour la philoso-
phie politique du dialogue’. Les autres positions, en ancrant le lien avec le
reste de l’ceuvre dans un épisode particulier du premier livre, laissent ouverte
la question de savoir pourquoi Cicéron a choisi d’exposer dans le dernier
livre des tensions, des idées ou des thémes demeurés latents depuis le début
du dialogue. On serait plutét enclin 4 penser que ce passage grandiose, point
culminant du dialogue le plus soigneusement écrit de Cicéron, ait davantage
en commun avec le ou les arguments centraux.
Dans le présent article, j'entends contribuer a réparer ce que histoire et
les circonstances ont séparé, en soutenant que le Songe de Scipion est non
seulement une suite naturelle, mais aussi un important complément, aux
principaux arguments du de re publica. Je commencerai par afirmer que
Cicéro a recours au cadre de l’astronomie pour élaborer l'ensemble de son
enquéte sur la nature de la politique. II trouve dans cette science de la nature
quest l’astronomie une métaphore et un cadre structurant pour la science
politique. Cicéron s’étant servi de l’astronomie pour présenter son enquéte
sur la politique tout du long, il est naturel quil ait recours 4 une description
du cosmos pour délivrer son ultime legon. Néanmoins, je soutiendrai dans
un deuxiéme temps l’idée que l’imagerie du Songe est dotée d'une fonction
philosophique, en fournissant 4 Cicéron les instruments nécessaires pour
compléter une enquéte d’inspiration platonicienne portant sur la nature
humaine et la politique.
1. Cf. par exemple Max Pohlenz, « Cicero De Re Publica als Kunstwerk », Festschrift
R. Reitzenstein (Leipzig and Berlin, 1931), p. 70-105 et M. Ruch, « La composition du De re
publica » REL 26 (1948 ie 157-71.
_2. Cf Robert Coleman, « The Dream of Cicero», Proceedings of the Cambridge
Philological Society 10 (1964), p. 1-14 : « le Pythagorisme constitue un théme unificateur pour
| ensemble du traité, exemptant ainsi ce dernier aireproche de n’étre qu'une composition de
bric et de broc tout en nous donnant une indication importante sur les idéaux politiques
de Cicéron » (p. 14).
3. Cf. R. W. Sharples, « Cicero's Republic and Greek Political Thought », Polis 5.2
(1986), p. 30-50, en particulier p. 32-35.
4. J. G. FE Powell, « Second Thoughts on the Dream of Scipio », Papers of the Leeds
International Latin Seminar 9 (1996), p. 13-27.
5. Cf. aussi James E. G. Zetzel, dn the Commonwealth and Laws, p. Xxx.
Largument du De re publica et le Songe de Scipion 457
De la science physique a la science politique
1. Cf. Sharples, « Cicero’s Republic », p. 32-33 et Pierre Boyancé, Etudes sur l'humanisme
cicéronien, Bruxelles, Latomus Revue d’Etudes Latines, coll. « Latomus 121 », 1970, lequel
invite 4 replacer la controverse sur les mérites vena de la vie active et de la vie contempla-
tive dans un débat plus large entre les philosophes, au lieu d’y voir strictement une attaque
contre les Epicuriens (p. 185). Ss. er
2. Powell oublie que, si Cicéron n’a jamais douté de lutilité et de la nécessité de la
philosophie pour servir la politique, les personnages du dialogue doivent, eux, en débattre
4 nouveaux frais. Aussi la tension n’est-elle nudlement résolue d’emblée (« Dream of Scipio »,
p. 27 n. 8).
458 Jed W. Atkins
Or, son nouveau type de sphére (sphaera) incluait les mouvements du soleil, de
la lune et des cing astres que l’on nomme « planétes » ou « astres errants » (vagae), ce
qui n’aurait pu étre réalisé avec la sphére d’un seul tenant (sphaera solida). Ce quil ya
de si remarquable dans l’invention d’Archiméde, c’est qu'il a découvert le moyen de
conserver dans une seule révolution (conversio) ces courses inégales et vari¢es (inae-
quabiles et varios cursus) et leurs différents mouvements (motibus). Quand Gallus
mettait la sphére en mouvement, la lune suivait le soleil en autant de révolutions
(conversionibus) du globe de bronze qu'il faut de jours dans le ciel méme ; il en résul-
tait que la méme éclipse de soleil se produisait dans la sphére comme dans le ciel.
1. Powell, « Dream of Scipio », p. 20-24 ; voir aussi J. Jackson Barlow, « The Education
of Statesmen in Cicero's De Republica », Polity 19.3 (1987), p. 353-374. _
2. R. L. Gallagher, « Metaphor in Cicero's De Ke Publica», Classical Quarterly 51.2
(2001), p. 509-519. J deere,
3. Iter est plus loin associé a cursus en Rep. 2.30 pour décrire métaphoriquement les
révolutions des constitutions.
460 Jed W. Atkins
primaires versent aisément dans le vice opposé, si bien qu'un tyran nait dun
roi, une faction d’une aristocratie, et une foule en désordre de la démo-
cratie » (1.69). Conversio était le terme utilisé pour décrire les révolutions
des planétes dans le planétaire, et Jame Zetzel souligne, dans une note a ce
passage, quiil est « utilisé normalement dans un contexte astronomique »'.
Le nom ou la forme verbale correspondante, comme le note Gallagher, est
utilisé tout au long du Songe pour représenter les révolutions des planétes et
des astres (6.22=18, 6.23=19, 6.28=24), et tout au long des livres un et deux
pour décrire les révolutions des constitutions simples et de leurs variantes
dégénérées (1.44, 1.68, 1.69, 2.47).
Le but de la discussion dans les deux premiers livres du dialogue est
de découvrir une science de la politique qui permette de comprendre les
principes gouvernant les révolutions des constitutions, tout comme l’ont
fait les astronomes avec les mouvements des astres. C’est la ce que nous
dit Scipion en 2.45, ot il recourt 4 l’exemple historique que constitue la
dégénérescence en tyrannie de la monarchie de Tarquin le Superbe, afin de
démontrer ce principe :
Cest alors que se produira (vertetur) la révolution dont vous devez apprendre
dés le début 4 reconnaitre le mouvement naturel et le cycle (motum atque circui-
tum). Car tel est le sommet de la sagesse politique (prudentia) a laquelle toute notre
conversation (oratio) est consacrée : 4 savoir, discerner les cours (itinera) et les méan-
dres (flexus) que suivent les républiques, de maniére 4 savoir dans quelle direction
chacune (res) va glisser et & pouvoir soit en retenir, soit en empécher A l’avance le
mouvement (2.45).
1. Cest également le théme majeur de la préface du livre III o4 Cicéron, parlant en son
nom propre, loue les participants du dialogue d’ajouter a la connaissance acquise par l'étude
celle qui vient de la nature et de l’expérience politique (3.5). Il réapparait dans le Songe
ou Scipion est informé de l’extréme importance d’un gouvernement vertueux (6.20 = 16,
6.29 = 33), mais seulement aprés avoir été exhorté par deux fois 4 contempler le ciel plutét
que la terre (6.21 = 17, 6.24 = 20). Sur Pimportance de ce couple de contraires, voir Sharples,
« Cicero's Republic », p. 32-35.
2. La forme (a) apparait de la fagon la plus spectaculaire dans | éloge de la philosophie
par Scipion en 1.26-9, et dans le Songe en 6.20 lorsquest soulignée la petitesse de Rome vue
du point de vue cosmique (6.20 = 16, 6.24-29 = 20-5). La forme (b) apparait quasiment tout
au long de la discussion de la théorie constitutionnelle lorsque Scipion est invité 4 exposer les
principes destinés a expliquer non seulement la nature de la constitution romaine, mais celle
de toutes les constitutions, en tous lieux (cf. 1.64, 1.71, 2.21-2, 2.64). Sur ce contraste, voir
Zetzel, On the Commonwealth and Laws, p. XIX, XXxil. ,
3. Pour Vidéal et le non-idéal, voir 6.21 = 17, 6.27 = 23; pour le rationnel et Virra-
tionnel, voir 6.22-3 = 18-19 ; et pour ’humain et le divin, voir en particulier 6.30 = 26.
462 Jed W.Atkins
celle d’en dessous, dans la région 4 peu prés médiane, appartient au Soleil, le chef
(dux), le premier (princeps) et le gouverneur (moderator) des autres corps célestes,
lesprit (mens) et l équilibre (temperatio) de l’univers, si vaste qu'il traverse et remplit
tout de sa lumiére. Les orbites (cursus) de Vénus et de Mercure lui font escorte, et
dans la sphére inférieure la Lune accomplit sa révolution (convertitur), éclairée par
les rayons du soleil. Au-dessous, il n’y a rien qui ne soit mortel (mortale) et périssable
(caducum), 4 exception des ames dont les dieux ont fait don au genre humain ; au-
dessus de la Lune, tout est éternel (aeterna). La neuviéme sphére, au milieu, cest la
Terre ; elle est immobile et située tout en bas, et tous les corps pesants sont entrainés
vers elle de leur propre chef » (6.21=17).
Voila qui nous présente une image éclatante de l’idéal d’un ordre parfait
suivant des principes rationnels. Parce quil est gouverné par la raison, ses
cycles ont pu étre imités par le planétaire d’Archiméde. Un peu plus tét dans
cet article, nous avons vu comment la description du cycle des constitutions
par Scipion rappelait Porbite des corps célestes. La maniére dont |’Africain
dépeint ici le cosmos évoque en retour, quoique discrétement, la politique.
Le lecteur, trés subtilement, aura en téte l'usage politique de ce méme voca-
bulaire astronomique : cursus, temperatio et converto ont chacun été utilisés
lus haut pour décrire les mouvements et les conditions des constitutions
(cf. 1.44, 1.68, 1.69, 2.30, 2.47)'. Plus clairement peut-étre, il reconnaitra
dans le portrait du soleil en dux, princeps et moderator une description poli-
tique, semblable a la terminologie utilisée pour décrire le rector rei publicae’.
Comme le reléve Zetzel : « le rdle du soleil dans l'univers est analogue a
celui du rector rei publicae dans lEtat ; temperatio en particulier refléte l équi-
libre du gouvernement idéal’ ». C’est peut-étre pour faire cette analogie que
Cicéron a préféré a l’ordre platonicien l’ordre chaldéen des planétes qui place
le soleil plus prés du milieu‘.
LAfricain oppose le monde sublunaire 4 lordre rationnel, régulier et
éternel des planétes, tenues fermement dans leurs orbites par le soleil. Sur
terre, il n’y a rien d’éternel ni dimmuable. Tout est soumis a la corruption,
au devenir et au changement — 4 la seule et notable exception de I’ame qui
fut un don divin. Nous pouvons a présent formuler ’hypothése suivante
sur la raison du mouvement des constitutions : (1) tout ce qui fait partie
du sublunaire est soumis au changement et 4 la corruption, (2) les consti-
tutions font partie du sublunaire, (3) donc les constitutions sont soumi-
ses au changement et a la corruption. Cela indique aussi une dissimilitude
entre les orbites des planétes et les constitutions. Tandis que les planétes
ont pour propriété d’étre en mouvement et d’avoir une course rationnelle et
nous le voyons bien, et nous voyons que tu as introduit dans l’étude de ces
matiéres une nouvelle science (rationem) qu on ne trouve dans aucun ouvrage grec.
En effet, cet homme éminent (princeps) dont personne mest capable de surpasser les
écrits s'est donné son territoire (aream) pour y construire sa cité (civitatem) a sa guise
(arbitratu suo) ; il a peut-étre bien construit une cité excellente (praeclaram), mais
totalement étrangére a la vie et aux habitudes humaines (2.21-2).
Platon rechercha et créa une cité (civitatem) dont il faut souhaiter (optandam)
plutét quespérer la réalisation. Cette derniére était aussi petite que possible : il ne
s'agissait pas d'une cité qui ptit exister mais d’une dans laquelle on put observer les
principes de la politique (ratio rerum civilium) (2.52).
La cité de Platon était faite pour les dieux. Cicéron recherche une consti-
tution qui convienne mieux a la nature humaine.
Vhistoire et le cycle des constitutions résultent tous deux en partie
dun rejet du contréle par la raison. De maniére quelque peu paradoxale,
comprendre que le cycle des constitutions ne suit pas toujours la raison est
essentiel pour rendre compte des principes de la politique (rationes rerum civi-
lium) (cf. 2.57)'. Cependant, une fois que lon a pris conscience que le cycle
des constitutions est le résultat combiné du choix rationnel et d’événements
irrationnels/du hasard (cf. 2.22), on est en mesure d’établir quelques prin-
cipes permettant d’en prédire le cycle, pourvu que l’on puisse en identifier les
symptomes. Cela est expliqué clairement en 2.57 :
Cependant, peu de temps aprés (environ seize ans plus tard) sous le consu-
lat de Postumus Cominius et de Spurius Cassius, se produisit un événement dont
Parrivée était dans la stricte nature des choses (natura rerum ipsa) ; \e peuple, déli-
vré de la domination des rois, réclama davantage de droits. Il se peut qu'une telle
direction... C’est ainsi que cet Indien ou ce Carthaginois maitrise uniquement cette créature,
laquelle est docile et familiarisée avec les habitudes humaines ; mais ce qui se cache dans les
ames humaines, la partie de l'Ame qu’on nomme esprit, n’a pas & brider ou a maitriser une
seule créature ou une qui soit facile 4 contréler, et ce n’est pas souvent quelle vient 4 bout de
cette tache. Car il lui faut maitriser cette [béte] féroce... » Rep. 2.67).
1. Voir Walter Nicgorski, « Cicero's Focus: From the Best Regime to the Model
Statesman », Political Theory 19 (1991), p. 230-251, notamment p. 235-236.
Largument du De re publica et le Songe de Scipion 465
revendication ait été déraisonnable (in quo defuit fortasse ratio) mais la nature méme
des communautés politiques met souvent la raison en échec (vincit ipsa rerum publi-
carum natura saepe rationem). Car il ne faut pas oublier ce que j’ai dit au début : a
moins quiil y ait dans Etat un juste équilibre des droits, des devoirs et des fonctions,
laissant aux magistrats assez de pouvoir, aux conseils formés des premiers citoyens
assez d’influence, et au peuple assez de liberté (satis... libertatis in populo), cette
forme de gouvernement ne saurait étre 4 abri d'une révolution’.
Néanmoins, la constitution idéale pour Scipion est celle qui se trouve étre la
meilleure possible étant donné la nature humaine. A ce titre, elle ressemble
davantage A l’idéal d’Aristote au livre IV de la Politique ou a celui de Platon
dans les Lois qu’a la Callipolis platonicienne.
La maniére dont Cicéron oppose la meilleure cité réalisable et la meilleure
cité idéale nest pas sans rappeler semblable mise en regard chez Platon lui-
méme. Quand on lit en paralléle La République et les Lois de Platon comme
deux ceuvres complémentaires', ce qui, comme nous Papprend expressément
le De Legibus, est la maniére dont Cicéron aborde les deux oeuvres (cf. De
legibus 1.15 ; 2.15), on se trouve en face d’une situation semblable 4 celle du
De re publica. \\ existe un fossé entre Pidéal de La République et sa réalisation
dans les Lois, fossé qui résulte en partie du changement de perspective qui
nous fait passer du divin 4 Phumain’. C’est 1a une notion importante pour
Platon. La cité idéale de La République est la meilleure cité possible tandis
que la cité idéale des Lois (et il s'agit bien d'un idéal) est la meilleure possible
pour des étres humains ; autrement dit, Cest la meilleure possible dans l'état
actuel des circonstances. Du point de vue des Lois, Pidéal de La République
convient tout a fait 4 des hommes divins, qui, obéissant au gouvernement de
la raison et du bien, se soumettent au communisme et au régne des philo-
sophes. Selon cette perspective, La République « a ignoré les données de la
nature humaine, et dans le méme temps surestimé le pouvoir de la partie
rationnelle tout en sous-estimant celui de la partie irrationnelle »?.
Dans un morceau d’anthologie, l’homme est comparé a une marionnette
contrélée par le fragile et divin fil dor de la raison, mais aussi par le robuste
fil de fer des impulsions irrationnelles (Lois 644d). Il y a quelque chose de
divin et de rationnel en homme, il est vrai, mais il est également vrai que ce
dernier est sous l’emprise de quelque chose dirrationnel et de (quasi) bestial.
Si les hommes divins de La République savaient maintenir l’ordre et produire
’harmonie dans leurs ames (cf. Rep. 443d-e), pour les hommes décrits dans
les Lois, sous la contrainte du cours de histoire, cela s'avére une tache bien
plus difficile.
Nous avons ici un bon apercu de explication cicéronienne des orbites des
constitutions et, avec l’introduction de la constitution mixte, nous disposons
dune possibilité de contrebalancer ces orbites — cest le second des buts que
Scipion assigne 4 un examen scientifique de la politique (2.45). Cependant,
la constitution mixte est elle-méme fruit du devenir et donc inévitablement
vouée a se détériorer*. Existe-t-il un autre moyen de contrebalancer cette
détérioration et ce devenir ? La réponse de Scipion tient, 4 mon avis, dans le
1. Voir 443d-e : « Il lui faut, littéralement, mettre en ordre sa propre demeure, en étant
lui-méme son propre chef, mentor et ami, et en accordant en lui les trois éléments, exactement
comme les trois points sur l’échelle musicale — le plus haut, le plus bas et le médian. Et sil
s'avére qu'il existe d’autres éléments dans l’intervalle, il doit tous les combiner et fusionner
ces divers éléments en une unité parfaite, devenant maitre de lui et en harmonie avec lui-
méme » (trad. ‘Tom Griffith, Plato: the Republic, Cambridge, Cambridge University Press
d’aprés 2000, d’aprés p. 141).
Largument du De re publica et le Songe de Scipion 469
condamné a mourir et a disparaitre : son Ame (mens) est divine et éternelle!.
Son ame est le rector et moderator de son corps tout comme le dieu éternel est
le rector et moderator du cosmos et, par extension, comme le soleil est le rector
et moderator du ciel’. La preuve de l’'immortalité de ’Ame tirée du Phédre
(245c-246a) qui conclut le dialogue (6.31-32 = 27-8) est donc bien plus
qu'une petite touche littéraire. Elle permet 4 Cicéron d’introduire le divin et
le rationnel — en un mot, l’idéal — dans un monde voué sans cela 2 céder aux
forces du devenir et de la dégénérescence.
Le De re publica examine ainsi dans quelle mesure on peut dévelop-
per une science de la politique comme les Grecs I’ont fait pour les sciences
de la nature. Cicéron montre, 4 travers l’enquéte menée par Scipion et ses
compagnons, que la précision scientifique en politique est impossible a
atteindre étant donné la nature et la psychologie humaines ainsi que les pro-
cessus naturels de dégénérescence et de corruption. Par-dela ces forces avec
lesquelles la politique doit composer, le cosmos dépeint dans le Songe de
Scipion est le paradigme d'une harmonie divine, rationnelle et idéale, dont
la constitution de Rome est la réalisation empirique. II procure la vision
du bien vers lequel le politique doit diriger son regard tout en sachant que
jamais ce bien ne se verra réalisé’.
Jed W. ATKIns
Assistant Professor of Classical Studies,
Duke University
(Traduit de l'anglais par Charlotte Murgier)
1. Il suit ici le précédent platonicien des Lois X, 899b. Voir Boyancé, Etudes sur le Songe,
124-125. a
. 2. Voir Gallagher, « Metaphor » p. 516 et Boyancé », Etudes sur leSonge, p. i
3. Je tiens a remercier l'ensemble des participants pour l’enthousias me avec lequel ils ont
nourri la discussion de ma contribution lors du colloque sur Le Songe de Scipion qui s est tenu
4 la Maison Francaise d’Oxford ; ma reconnaissance va tout spécialement 4 Malcom Schofield
pour les encouragements et le soutien qu’il m’a apportes durant mon doctorat portant sur la
pensée politique de Cicéron.
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CONSERVARE REM PUBLICAM.
GUERRE ET DROIT DANS LE SONGE DE SCIPION
Somnium, 13: Sed quo sis, Africane, alacrior ad tutandam rem publicam, sic
habeto : omnibus, qui patriam conservaverint, adiuverint, auxerint, certum esse in caelo
definitum locum, ubi beati aevo sempiterno fruantur. Nihil est enim illi principi deo,
qui omnem mundum regit, quod quidem in terris fiat, acceptius quam concilia coetusque
hominum iure sociati, quae « civitates » appellantur ; harum rectores et conservatores
hine profecti huc revertuntur.
« Pour que tu sois plus empressé 8 te faire le tuteur de Etat, retiens bien ceci :
tous ceux qui ont contribué a la conservation, a la prospérité, a l’'accroissement de
leur patrie peuvent compter quils trouveront dans le ciel une place bien définie qui
leur est assignée, pour quiils y jouissent, dans le bonheur, d’une vie éternelle. Rien
de tout ce qui, du moins, se produit sur terre, n’est plus agréable 4 ce dieu supréme
qui gouverne l’univers que les réunions et associations humaines qui se sont formées
par un accord de droit et que l’on nomme cités. Ceux qui assurent leur tutelle et leur
conservation sont venus dici et y reviennent. »
Je voudrais ici m’arréter sur cette idée de conservatio qui aura une si grande
fortune dés le début de Empire. Pensons en effet a ces mots respublica conservata
qui figuraient dans linscription gravée sur un arc érigé a Rome en I’honneur
d’Auguste en 29 av. J.-C., l'année des trois triomphes'. Pensons aussi aux for-
mules ob cives servatos ou civibus servateis entourées de la couronne civique, qui
apparaissent sur des monnaies augustéennes dés 27 avant notre ére’, puis sur
des sesterces sénatoriaux en 23 av. J.-C.! ou sur les aurei de 19-18 av. J.-C.’.
Pensons enfin au titre de conservator patriae qui, dés lépoque de Tibére, est
utilisé dans les hommages publics des princes’, ou encore a celui de conservator
orbis’. Quelle est la signification exacte de ces formules ? A quels événements
font-elles référence, fin des guerres civiles ou des guerres externes ? Et quelle
est aussi cette éternité de Empire, de I’Italie, de Rome, que les sénatus-consul-
tes, les constitutions impériales appellent a préserver ?
Si Punivers est éternel, soumis 4 une course sans fin (sempiternus ; aeter-
nus), si les hommes politiques sont appelés a une vie aprés la mort, comment
conserver l’Etat quand le monde d’ici-bas est caractérisé par Pinstabilité, la
mortalité (17, 17) et que méme la mémoire des hommes, qui, pour certains
avait été un gage d’immortalité, y est soumise au temps : infra [Lunam] nihil
est nisi mortale et caducum praeter animos ?
Les Romains savaient bien que « les villes peuvent mourir », comme
lécrira un poéte du V siécle de notre ére, Rutilius Numatianus’, de méme
qu’elles ont une naissance®. Les destructions de cités, par exemple, suscitérent
une importante casuistique : l'anéantissement physique d’une ville mettait-
elle fin 4 son existence légale’ ? Pour les Grecs, il n’en était rien, comme le
montrait le cas des Platéens et de tant d’autres cités*. La question se posa
également aux Juifs au vi‘ siécle avant notre ére avec la premiére destruction
A plusieurs reprises, le de re publica revient sur cette idée qu'il faut inven-
ter une respublica qui soit diuturna (qui dure longtemps), aeterna (inscrite
dans le temps parce que créée, mais aussi éternelle), immutabilis (sans chan-
gement), perpetua (sans solution de continuité)’. Le vocabulaire employé par
Cicéron suggére en fait de distinguer deux questions différentes : celle du
changement des institutions (mutatio), qui, dans la lignée de interrogation
polybienne, pose le probleme de leur stabilité* ; et celle de la continuité de
lEtat qui renvoie a la constitutio rei publicae :comment assurer la perma-
nence de l’Etat, et quand peut-on dire quiil n’y a plus de respublica’ ? Ainsi
1. Autre exemple dans D.33.1.20 (Scaevola 18 Dig.) : une testatrice a chargé son héritier
de donner aprés sa mort un revenu aux prétres, aux gardiens et aux affranchis d’un temple ;
Cervidius Scaevola explique que le peseiiaine étant le temple, la somme devra étre attribuée
chaque année in perpetuum, ¢ est-a-dire non seulement aux personnes en fonction au moment
du testament mais 4 leurs successeurs.
jos E meee aeet E. A. Sydenham, Roman Imperial Coinage, vol. 2, Londres, 1926
p. 28 et 39; cf M. P. Charlesworth, « Providentia et Aeternitas », in Harvard Theolo eal
Review, vol. 29, 2, Apr. 1936, p. 107-132. 2
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 475
Etat (polis) reste le méme ou n’est plus le méme mais un autre ? » (III, 3,
1276 al0-b1) Ce qui le conduit a s interroger sur la définition de la polis.
Le déplacement d’une question 4 une autre (de la permanence de la cité a
sa nature) est intéressant :est-ce une maniére pour Aristote d’esquiver la
premiere ?
A titre de réponse, Aristote explique donc que la polis mest définie ni
par son territoire ni par ses hommes, mais par sa politeia, qui est son eidos.
Leidos, species en latin, est la forme substantielle de la chose, conforme
sa raison d’étre, kata ton logon, par opposition aux accidents matériels, qui
peuvent étre affectés sans lui porter atteinte'. Dans le changement de poli-
teia, Cest bien une communauté de citoyens qui se substitue A une autre,
parce que, et cest la legon qu’on peut tirer de la Métaphysique, si son eidos
change, alors son identité change (Metaph, A, 26 1024 a 6). Aristote ajoute
une précision importante : « Puisque la cité est une association et une asso-
ciation de citoyens dans une constitution, quand la forme de gouvernement
change et devient différente, on peut alors supposer que l’Etat n’est plus le
méme, exactement comme un chceur tragique différe d'un choeur comique,
bien que leurs membres soient identiques. Et, de cette maniére, nous parlons
des corps composés comme différents quand la forme de leur composition
saltére ;par exemple s’ils contiennent les mémes sons, les accords musi-
caux ne sont pas les mémes selon le mode (la composition) phrygien ou
dorien »°. Ainsi, la forme, pour une cité, comme pour toute chose composite
(synthesis, Cest Porganisation de ses éléments, donc sa structure conforme a
sa finalité. Une idée reprise dans les Topiques’ : Pessence de chaque composé
(ton suthéton é ousia), y lit-on, nest pas que c'est fait de telle ou telle chose,
mais que cest fait de telle chose agencé de telle facon.
La conception selon laquelle la forme, c’est-a-dire la structure, déter-
mine l’identité éclaire la doctrine aristotélicienne de la puissance (to kurion).
Celle-ci est pour ainsi dire la source de vie de la cité: en effet Cest le poli-
teuma, C est-a-dire le gouvernement (le kurion d'un homme, d’une classe diri-
geante ou du peuple) qui définit la politeia, la forme de la cité ; il est méme
d’une certaine facon la politeia’. Pour transcrire l’idée en latin, la politeia nest
pas un simple status, mais elle est la res (publica) elle-méme. D’ot le fait que
la stasis ne détermine pas un changement d’état, mais un changement de
nature, un renversement du monde, car elle détruit le principe de vie méme
de la cité, son principe dorganisation’.
La réflexion aristotélicienne sur la forme eut, directement ou indirec-
tement semble-t-il, une influence sur la pensée juridique romaine. A la fin
de la République, les juristes romains se saisissent en effet de ces categories
pour penser, de maniére positive et pragmatique, la permanence des identités
collectives, mais ils déplacent sensiblement le questionnement.
Selon Alfenus Varus, donc, méme en cas de changement de tous les jurés,
un tribunal resterait la méme chose (res) et le jugement identique. A Vinstar
dAristote, semble-t-il, il considére en effet quun corps dont les parties
(partes) changent conserve son identité (eadem res) si sa forme (son espéce,
species), cest-a-dire sa structure et l’adéquation 4 sa finalité, ne changent pas’.
Ce quil cherche a penser ce nest pas tant la nature d’une chose composée,
comme Aristote, que la permanence d’une entité au-dela des éléments qui
la constituent et qui, eux, peuvent changer. Aussi, pour faire comprendre
sa position, se référe-t-il avec insistance a la théorie des trois corps que les
physiciens grecs, et les Stoiciens aprés eux, avaient amplement développée’,
1. Les historiens du droit ont souvent débattu pour savoir si Alfenus s'inspirait d’Aristote
ou des stoiciens (sur la bibliographie concernant cette question, voir D. Mantovani, op. cit.).
Il est vrai que la notion de species chez Alfenus n’a peut-étre pas la méme définition que chez
Aristote, méme si le lien entre identité et species est tout a fait remarquable. On peut toutefois
aussi s interroger sur la connaissance que les Romains avaient d’Aristote 4 cette époque. Sur
ce sujet, voir en particulier P. Moraux, D’Aristote a Bessarion. Trois exposés sur [histoire de la
transmission de laristotélisme grec, Laval, 1970 ; Die Aristotelismus bei den Grieschen, 1 : die
Renaissance des Aristotelismus im 1 Jh.v. Ch., Berlin-New York, 1973 ; « Les débuts de la philo-
logie aristotélicienne », dans G. Cambiano (éd.), Storiografia e dossografia nella filosofia antica,
Turin, 1986, p. 127-147. iy :
2. Renoncant au dualisme matiére/forme, les stoiciens avaient aussi _introduit un
changement important dans la fagon de poser la question de l'unité et de lidentité. Voir
subs-
V. Goldschmidt, Le Systeme stoicien et le temps, Paris (1953), 4° €d.1989, p. 17 sq. 3 « la
tance est pour eux l’étre concret, 4 la formation duquel concourent une matiere inerte (le
substrat ou hypokeimenon, dit Wee ne et une qualité déterminante (to idids poion) », tous
deux de nature corporelle, tous deux inséparables sans Nese autant étre identiques. Cette
ualité individualisante est selon eux le « principe actif » et « pneumatique », qui permet
’établir Pidentité d’une chose a travers le temps. II reconnaissent aussi deux autres modes
(maniéres d’étre et maniéres d’étre relatives), mais ils ne se placent pas au méme niveau : ce
sont les manifestations de la substance, « des événements, tant physiques que psychiques »
(Goldschmidt, ibid.,p. 23).
478 . Claudia Moatti
1. La tripartition des corps, par exemple, aura aussi une grande fortune chez les juristes
impériaux ; voir en dernier lieu D. Mantovani, ibid.,n. 46 avec la bibliographie afférente.
2. Sex. Empiricus, adv. Math., VII, 102 = adv.Dogm.|, 102 ; voir aussi Simplicius, Sur
les catégories d-Aristote 214, 237 (sv II, 391) = A. A. Long et D. N. Sedley, Les Philosophes
hellénistiques, I. Les Stoiciens, Paris, tr. fr., 2001, p. 33 M.
. oe pace Adv. Math. IX, 78-80 ou adv.Dogm.lll, 78 sq.
. Our « Largument croissant », voir A. A. Long et D. N. 7 ; Voi
aussi D. ferenmnees eg ibid., p. 18-28. : Fe Be eat os hai or iad
5. R. Orestano, // problema delle « persone giuridiche » in diritto romano, |, Turin, 1968.
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 479
une chose dont la forme a changé (du bronze devenu statue, du raisin devenu
du vin)! ou qui s'est détériorée?, et aux conséquences de tels changements sur
sa dénomination. Un bon exemple se trouve dans un texte de Pomponius,
juriste du n° siécle, qui, se demandant « si un mélange de différentes cho-
ses interrompt l’usucapio qui s applique a chacune d’elles (rerum mixtura
facta an usucapionem cuiusque praecedentem interrumpit, quaeritur) », mon-
tre que la réponse varie selon la nature des biens et reprend la tripartition
stoicienne : « Il existe trois sortes de corps : l'un est maintenu dans l’unité
(continetur) par un seul souffle (spiritu), les Grecs lappellent henomenon, tel
un homme, une poutre, une pierre et d’autres choses semblables ; le second,
fait d’éléments joints par contact (ex contingentibus), c est-4-dire ow plusieurs
éléments forment un tout uni, est appelé sunhémmeénon, tel un batiment,
un navire, un coffre ; le troisiéme est fait de choses distantes (ex distantibus)
de telle sorte que les corps qui le composent ne se fondent pas mais sont
réunis sous un nomen unique : tel est le cas d’un peuple, d’une légion, d’un
troupeau »°. Pour chaque corps, donc, un principe constitue l’unité : pour le
premier c'est le souffle (l’équivalent du pneuma stoicien), pour le second la
jonction ; et pour le troisieme groupe, le nomen joue ce réle‘ et produit deux
effets : il crée, comme un concept, une nouvelle entité en rassemblant des
choses éparses sous un méme nom sans affecter la nature des éléments qui la
constituent ; et il donne a cette entité une signification et une existence léga-
les. Nomen ne désigne donc pas seulement le nom, mais aussi la chose ainsi
construite’, dont l’existence est dés lors indépendante de ses parties°. Reste a
voir ensuite dans quels cas juridiques, Cest l’entité qui est prise en compte,
ou les éléments qui la composent’.
1. Différentes sortes de transformations sont prises en compte : par alluvio (lidentité des
choses que la riviére draine depuis les rives et rassemble), par specificatio (transformation du
raisin en vin, d’olives en huile, du bronze en statue), etc. Le probleme juridique qui se pose
est de savoir qui a le dominium sur une chose ainsi transformée. Cf M. Madero, Tabula picta.
La peinture et l'écriture dans le droit médiéval, Paris, 2004, chap. 1.
2. D.10.4.9.3 = Ulp.24 ed. Dans ce dernier cas, dit Ulpien, la forme ayant changé,
celui qui l’a détériorée a presque détruit la substance méme de la chose (mutata forma prope
interemit substantiam rei). Sur ce texte et sa réception au Moyen Age, voir aussi M. Madero,
op. cit. p. 49 sq.
3. D.41.3.30 pr. Pomponius libro trigensimo ad Sabinum : tria autem genera sunt cor-
porum, unum quod continetur uno spiritu et grece henomenon vocatur, ut homo tignum lapis
et similia ;alterum quod ex contingentibus, hoc est pluribus inter cohaerentibus constat, quod
sunemmenon vocatur, ut aedificium navis armarium ; tertium ee ex distantibus constat, ut
corpora plura [non] soluta sed uni nomini subiecta Age 4 egio grex. (Sur le probléme que
pose le non dans non soluta, voir P. Bonfante, Corso di diritto romano, vol. 2. La propriéta I,
1926 [reprint Milan, 1966], p. 130 ; cité par M. Madero, op. cit., p. 54). aged
4. On retrouvera cette idée dans un texte ot Ulpien fait ’hypothése de la he Seen de
tous les décurions d’une cité sauf un : dans ce cas, « ifest généralement admis que la cité peut
agir ou étre actionnée en justice puisque le droit de tous se concentre sur un seul et l'univer-
salité a continué d’exister nominalement » (stet nomen universitatis) : D.3.4.7.2 = Ulp. 10 ed.
cité parE. Chevreau, art. cité n. 4, p. 225-226.
5.R. Orestano, op. cit.
6. Voir note 4.
7.En ce qui concerne le troisiéme genre, Pomponius dit précisément que l’usucapio, pas
plus que la possessio, ne s applique a l'ensemble des biens « méme si la nature de cette chose
480 Claudia Moatti
est telle quelle demeure [la méme] par l’adjonction de corps nouveaux » : Etsi ea natura eius
est, ut adiectionibus corporum maneat, non item tamen universi gregis ulla est usucapio, sed singu-
lorum animalium sicuti possessio, ita et usucapio.
1. Une glose médievale mentionne fetexte de Sénéque aux mots uno spiritu. Cf.
M. Madero, Tabula picta, 2004, p. 55. Pour un commentaire de cette attribution, voir
A. dell’Oro, Le cose collettive nel diritto romano, Milan, 1963, p. 7.
2. Epist.102, 6 — Nisi aliquid praedixero, intellegi non poterunt quae refellentur. Quid est
quod praedicere uelim ? quaedam continua corpora esse, ut hominem ; quaedam esse composita, ut
nauem, domum, omnia denique quorum diuersae partes iunctura in unum coactae sunt ; quaedam
ex distantibus, quorum adhuc membra separata sunt, tamquam exercitus, populus, senatus. Illi
enim perquos ista corpora efficiuntur iure aut officio cohaerent, natura diducti et singuli sunt.
Quid est quod etiamnune praedicere uelim ? A moins de quelques préliminaires, ma réfutation
ne serait _ comprise. Et quels préliminaires veux-je présenter ? Qu’il est des corps continus
tels que [homme ; des corps composés, comme un vaisseau, une maison, enfin tout ce qui
forme unité par Peseta de diverses parties ; des corps divisibles, aux membres séparés,
tels ies armée, un peuple, un sénat : car les membres qui constituent ces corps sont réunis
par droit ou par devoir, mais distincts et isolés par nature. Que faut-il encore que javance ?
Que, selon nous, il n’y a pas de bien oi il y a solution de continuité ; vu qu'un méme souffle
doit contenir et régir un méme bien, l’essence d’un bien unique est une.
3. Comme I'a rappelé Emmanuelle Chevreau, l'histoire de cette notion oppose deux
conceptions qui eurent une hy postérité et qu’on retrouve encore au x1x° siécle : ceux
pour qui la pensée du corps juridique n’est qu’une fiction, ce qui correspondrait A la pratique
du droit romain, et ceux pour qui elle est une réalité, ce qu'elle devint sous Pimpulsion de la
pensée juridique médiévale (p. 217-218, art. cité n. 7 p. $79),
4. Voir note 4, p. 479.
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 481
donnait une existence juridique, séparée de l’existence naturelle des parties
qui les composaient.
1. Tac., Ann 1, 9,5: non regno tamen neque dictatura, sed principis nomine constitutam
rem publicam. « Ce était ni la royauté ni la dictature, mais le nom du princeps qui avait
donné forme & la res publica », C est-a-dire qui la désignait et l'unifait.
2. Selon Suét. Div. Jul. 77, 1, César aurait dit que la res publica mown quun nom,
sans corpus ni species ; Tacite, Ann. III, 6: « Les princes meurent », aurait dit Tibére, « mais
la République est éternelle : principes mortales, rempublicam aeternam esse». Sur ces textes,
voir C. Moatti, « Res publica et droit a la fin de la République », dans MerrM, 113, 2001, 2,
p. 811-837. Voir aussi le discours d’Auguste dans Dion Cassius, Lv1, 2, sur Popposition entre
durée de |’état et mortalité des citoyens.
482 Claudia Moatti
Cicéron ne disait pas non plus la méme chose que les juristes. D’une
part, comme le montre le de legibus, ce droit, pour constituer le peuple en
Populus, doit prendre sa source dans la ratio divine : voila pourquoi Jupiter
est le conservator des cités, lui qui ne préfére rien d’autre, sur terre, que les
associations humaines fondées sur le droit, et pourquoi aussi la recompense
de ceux qui ont assuré cette continuité n’est autre que l’immortalité sur Pile
des Bienheureux, comme, chez Augustin, la récompense de la foi et du salut
apporte aux Saints un accés au monde du Bien éternel.
D’autre part, la question de la continuité du Peuple comme principe
juridique, constitué par le lien de droit et objet de droit, se double de celle,
politique, de son universalité : le Peuple est assuré de continuité parce qu'il
est universel, c’est-a-dire parce que la chose publique est la chose du peuple
tout entier. C’est pourquoi, si la res publica est gouvernée par des magistrats
légitimes, elle demeure intacte, au point qu’on peut dire quelle sidentifie
principalement a eux ; mais si elle est accaparée par un individu ou par une
faction d’individus, l’association entre les hommes est affectée de disconti-
nuité ou méme meurt — par ot Cicéron rejoint Aristote’.
LAELIUS : de rep III, 28, 40, fr. 2 : Cependant, les chatiments dont méme les
plus sots peuvent souffrir, le dénuement, l’exil, la prison, les coups, les personnes
privées y échappent souvent, en profitant de l’occasion qui s’offre a elles de mourir
rapidement ; pour les cités, au contraire, la mort, qui semble préserver du chatiment
les individus, est le chatiment par excellence (poena) ; il faut organiser la cité de telle
maniére quelle ne périsse pas (debet enim constituta sic esse civitas ut aeterna sit).
1. Avec Cicéron, et son constat que la république a péri, on est donc loin de ’'idée médié-
vale que la communauté politique ne peut pas périr (on enim potest res publica mori, comme
le dira Balde, Consilia, Il, 159, n. 3,5, f 45 v°, cité par Kantorowicz, op. cit., pvi2i9):
2. Cic., de rep 11.51 5 Tusc. 11.34.81. Ainsi Florus désigne-t-il le m® siécle avant notre ére
pi comme « le siecle des eversiones urbium »( 1, 32 1). Sur ce terme, voir Festus, s.v.excidio
urbis.
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 483
Voila pourquoi il n’y a pas de mort naturelle pour un état (nullus interitus reipublicae
naturalis), comme cest le cas pour homme, dont la mort (mors) est non seule-
ment inévitable, mais encore bien souvent souhaitable ; en revanche, la suppression
dune cité, sa destruction, sa disparition (civitas cum tollitur, deletur, extinguitur) est
quelque chose d’analogue, pour comparer les petites choses aux grandes, 4 la mort et
> .
« Cicéron parle ainsi, parce qu’il pense, avec les platoniciens, que le monde ne
périra jamais. Il est donc avéré que, suivant Cicéron, un Etat doit entreprendre la
guerre pour son salut, cest-a-dire pour subsister éternellement ici-bas, tandis que
ceux qui le composent naissent et meurent par une continuelle révolution : comme
un olivier, un laurier, ou tout autre arbre semblable, conserve toujours le méme
ombrage, malgré la chute et le renouvellement de ses feuilles. La mort, selon lui,
n'est pas un chatiment pour les particuliers, puisqu’elle les délivre souvent de tout
autre chatiment, mais elle est un chatiment pour un Etat. »!
1. XXII 6: hoc ideo dixit Cicero, quia mundum non interiturum cum Platonicis sentit.
constat ergo eum pro ea salute voluisse Seual suscipi a ciuitate, qua fit ut maneat hic ciuitas, sicut
dicit, aeterna, quamuis morientibus et nascentibus singulis. sicut perennis est opacitas oleae uel
lauri atque huiusmodi ceterarum arborum singulorum lapsu ortuque foliorum. mors quippe, ut
dicit, non hominum singulorum, sed uniuersae poena est ciuitatis, quae a poena plerumque singu-
los uindicat. Le texte se poursuit en ces termes : « Ainsi, l’on peut demander avec raison si les
Sagontins firent bien d’aimer mieux que leur cité périt que de manquer de foi aux Romains,
car les citoyens de la cité de la terre les louent de cette action. Mais je ne vois pas comment ils
ouvaient suivre cette maxime de Cicéron : quil ne faut entreprendre la guerre que pour sa
i ou son salut, Cicéron ne disant pas ce qu'il faut faire de 7 gi dans le cas ot: I’on ne
pourrait conserver I’un de ces biens sans perdre l'autre. En effet, les Sagontins ne pouvaient se
sauver sans trahir leur foi envers les Romains, ni garder cette foi sans périr, comme ils ——
en effet. Il n’en est pas de méme du salut dans la Cité de Dieu : on le conserve ou plutét on
lacquiert avec la foi et par la foi, et la perte de la foi entraine celle du salut. Crest cette pensée
d'un coeur ferme et généreux qui a fait un si grand nombre de martyrs, tandis que Romulus
nen a pu avoir un seul qui ait versé son sang pour confesser sa divinité. »
2. H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, tu. fr., 1995, p. 98.
484 Claudia Moatti
armes ? Entre l’idéal, lutopie (une cité en paix) et le réel — le conflit politique
impensable et réprimé par une lutte a mort ?
Laelius énonce une idée stoicienne : la destruction d'une cité est leffet
d'un chatiment divin (poena), et Cest aussi ce qui inspire la terreur. Dans
d’autres textes, Cicéron conteste cette idée, par exemple dans le de natura
deorum III.38-39 : « Cest Critolaos qui a détruit Corinthe », dit Cotta,
« Hasdrubal qui a détruit Carthage ; ce sont eux qui ont anéanti ces deux
joyaux de la céte maritime, et non pas quelque dieu irrité. D’aprés vous,
d’ailleurs, Dieu ne peut s’irriter [...]. — Mais il aurait pu venir en aide a
deux villes aussi grandes et aussi belles et les sauver. — II ne se soucie pas
des individus. Ce n’est pas étonnant. II ne se soucie pas non plus des cités.
Pas des cités ; il ne se soucie pas davantage des nations et des peuples. Et
sil méprise ces derniers, comment s’étonner qu'il en vienne a mépriser
le genre humain ? » A la suite de Polybe', Cotta rejette donc ici Pidée du
chatiment, et reprend les propos de Carnéade, transmis par Clitomaque,
selon lequel les dieux ne soccupent pas des affaires humaines et laissent
périr les cités’.
Dans d’autres passages du de re publica, C est encore ace type d’explication
que recourait Cicéron : ainsi soutenait-il que par leur prudentia et leur ratio,
les bons dirigeants pouvaient retarder |’évolution naturelle des institutions,
leur déclin, les changements auxquels elles sont soumises par la nature des
choses (de re publica II, 25, 45) ; inversement, disait-il ailleurs, les fautes
des hommes, leurs vitia, provoquent la mort des cités. Ainsi, les graves injus-
tices de Tarquin envers le peuple causérent une discontinuité majeure dans
Phistoire de Rome’, ou encore le mépris de Tiberius Gracchus pour le droit,
les traités, les traditions mit en péril /immortalitas rei publicae*. La cause du
mal politique, c est-a-dire de la tyrannie en tant quelle met fin 4 la chaine des
relations humaines’, est donc pour Cicéron la faute des hommes : ailleurs,
il emploie le verbe peccare, qu'il définit dans les Paradoxes, comme tanquam
1. Cf Polybe (36,17,16 ;38,3, 12-13), qui avait critiqué les individualités trop fortes
(y compris le labels : VI, 44, 1-9).
2. J. L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme, aspects idéologiques de la conquéte romaine
du monde hellénistique, de la seconde guerre de Macédoine a la guerre contre Mithridate,
BEFAR 271, Rome, 1988, p. 426 sq.
3. De rep. Il, 47. Méme chose chez Tite-Live.
4. De rep. Ill, 42: perseveravit in civibus, sociorum nominisque Latini iura neclexit ae
foedera — si consuetudo ac licentia manare coeperit latius, imperiumque nostrum ad vim a
iure traduxerit, ut qui adhuc voluntate nobis ielane terrore teneantur, etsi nobis qui id aetatis
sumus evigilatum v0 est, tamen de posteris nostris et de illa immortalitate rei publicae sollicitor,
quae poterat esse perpetua, si patriis viveretur institutis et moribus.
5. De rep. II, 30, 52 (187).
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 485
transire lineas'. Franchir la ligne est, dans la légende romuléenne, franchir
le pomerium, chez Cicéron cest sortir du politique, entendu comme le lieu
de la légalité. Et, ce qui est important, la sortie du politique et de Punité
appelle la guerre 4 outrance, l’écrasement absolu de |’adversaire. C’est cette
idée « romuléenne » qui donne au de re publica un ton si particulier.
Semper armatus
1. Le procés du consul Opimius, qui mena la répression des partisans de Caius Gracchus,
tourne autour de ce théme. Cf. Cic. De orat. II, 106 ; 132-135 : cf. aussi Part. 30, 106 : Le débat,
écrit Cicéron, portait sur la question suivante : potueritne recte salutis rei publicae causa civem
eversorem civitatis indemnatum necare. (« A-t-il pu avec raison tuer sans jugement un citoyen
destructeur de sa cité au nom du salut de la aunts 2»). Recte quia donné recht en allemand
se distingue de zus : il signifie « ce qui est droit par opposition a ce qui est tordu ». Il désigne la
conformité a la régle (regula) qui nest pas nécessairement de droit, mais qui est liée & Pidée de
juste cause. Cicéron dira lui-méme (Dom. 136) : est ius ce qui a semblé (videri) recte 4 Pun des
Pigs ou au Pontifex maximus pro collegio. Mais il y a place pour le doute. Voir sur ce texte
es sean de E Bona, La certezza del diritto nella giurisprudenza tardo-repubblicana, dans La
certezza del diritto nell esperienza giuridica romana, Padoue, CEDAM, 1987, p. 101-148.
2. Voir C. Moatti, — « De la chose publiquea la chose du peuple », C. Moatti et M. Riot
See (éds.), La République dans tous ses états, Editions Payot-rivages, Paris, 2009, p. 251-
3, D’autres interprétations existaient : cf. Val Max III.2.17 ; Plut, 77b.Gracch. 19.
4. Ainsi Brutus justifia-t-il la répression de la conjuration de Catilina et la révolution des
Ides de Mars, et, selon Asconius, avait-il affirmé a la décharge de Milon que Clodius avait été
tué pro fe fer Voir Asc.41 C. (Voir les remarques de A. Lintott, Violence in Republican
Rome, Oxtord, 1966, p. 150 sq.)
5. Cic. Nat deor. Il, 10: ut quidam imperatores etiam se ipsos dis immortalibus pro re
publica devoverent. Cf. aussi le texte cité note 2, p. 485. Seul le sacrifice méne 3 la vraie gloire,
celle éternelle qui est le propre du séjour des bienheureux ; et permet de maintenir l'état en
place. Cf. Liv. 8.2.10 ; Liv. III, 1,4; 28.8.44. Les vertueux sont ainsi comme des saints, au
service de la cause de |’Etat.
Conservare rem publicam. Guerre et droit dans le Songe de Scipion 487
de ce fait, ne sont plus soumis a ses lois. De méme, écrivait Cicéron dans le
de officiis (I, 12, 38), les lois de la guerre extérieure ne valent pas contre les
brigands ou les ennemis qui ont agi de maniére cruelle et perfide. Se dessine
ainsi un paralléle tout a fait frappant entre la théorie de la guerre juste et la
théorie de la sédition.
Le paradoxe de la défense du recte au détriment du ius se dénoue ainsi
facilement. Selon un raisonnement circulaire, Cicéron pose que la res publica,
chose du peuple, doit étre fondée sur Punité, puis en exclut ceux qui sont
suspectés d’y introduire du désordre. Ici point de justice ni de droit ; seule
compte la logique de la res publica, source, critére et objet de la légitimité
politique, une logique qui justifie la suspension des tribunaux, au nom
méme de la res publica. Par ot lon comprend aussi que la souveraineté est
une affaire de reconnaissance avant d’étre une affaire de droit.
Conclusion
parce que le séditieux se place hors de la civitas et, ce faisant, menace de mort
la res publica.
Une idée qui aura une longue postérité. Prenant la place imaginaire de
Brutus face aTarquin, ou de Cicéron contre Catilina ou Clodius, Robespierre
justifiait ainsi le régicide :
« Lorsqu une nation a été forcée de recourir au droit de l’insurrection, elle rentre
dans l’état de la nature 4 |’égard du tyran. Comment celui-ci pourrait-il invoquer le
pacte social ? II l’a anéanti : la nation peut le conserver encore, si elle le juge 4 propos,
pour ce qui concerne les rapports des citoyens entre eux ; mais l’effet de la tyrannie
et de l’insurrection, c’est de les constituer réciproquement en état de guerre. Les
tribunaux, les procédures judiciaires ne sont faits que pour les membres de la cité. »
(Discours sur le jugement de Louis XVI [1” intervention] prononcé a la tribune de la
Convention le 3 décembre 1792).
Claudia MoattTi
Université de Paris-VIII — Vincennes/University of Southern California
LA VERTU POLITIQUE:
CICERON VERSUS MACROBE
« Pour lintelligence des quatre premiers livres de cet ouvrage, il faut observer
que ce que jappelle la vertu dans la République est l'amour de la patrie, Cest-a-dire
l'amour de légalité. Ce n’est point une vertu morale, ni une vertu chrétienne, cest
la vertu politique ; et celle-ci est le ressort qui fait mouvoir le gouvernement républi-
cain, comme l’honneur est le ressort qui fait mouvoir la monarchie. J’ai donc appelé
vertu politique l'amour de la patrie et de l’égalité. »°
« Quand Sylla voulut rendre 4 Rome sa liberté, elle ne put plus la recevoir [...]
Les politiques grecs, qui vivaient dans le gouvernement populaire, ne reconnais-
saient d’autre force que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne nous parlent que
. > . > .
lois, V, 1, [Dérathé, 1973, p. 49-50)]}) afin de mieux comprendre a quel point Montesquieu,
veer avant toute chose des « régimes modérés », est tributaire de cette conception dés lors
quil est question de démocratie.
_ 1. IL mest pas interdit de relever qu Ambroise définissant la moderatio comme la vertu
qui tempére la justice la considérait pour cela méme comme la plus belle de toutes (De la
pénitence, I, 1, 1-2).
2. Cf. Versaille (1994, p. 1255).
3. Cf. Dérathé (1973, p. 3).
La vertu politique : Cicéron versus Macrobe 493
1. Ibid. p. 27. On rapprochera utilement ce passage de Rousseau, Contrat social, III, 15.
2. Cf. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1964,
. 459).
3. Cf. Discours sur l'économie politique (Selche, 1972, p. 50).
4. Le plaidoyer pro domo de la République, 1, 6-7, est, a ce sujet, assez Eloquent.
5. Cf. Avant-Propos au Discours sur la premiere décade de Tite-Live (1985, p. 33).
494 Jean-Louis Labarriére
que la réponse 4 cette question est sans équivoque: la vertu (virtus poli-
tica). Cest bien Ia ce qui explique ce si singulier hommage de Machiavel
4 Scipion l’Africain : « homme des plus rares non seulement en son temps
mais dans toute la mémoire des choses que l’on sache »'. En leffet, excessive
mansuétude? de cet homme aurait dti le conduire a sa perte s'il n’avait été
précisément ce si vaillant et si sage Scipion dont la virtz, se révélant dans le
commandement, lui permettait, comme tout prince digne de ce nom, de
« se fonder sur ce qui était sien »°. En d’autres termes, si Scipion, en tant
que conquérant, aurait dt logiquement étre ruiné par sa mansuétude, il n’en
advint pas moins que sa force d’ame le servit plutét quelle ne le desservit.
Quel plus bel hommage, donc, rendre 4 cet homme ? Mais aussi, comment
ne pas voir que Machiavel, dans sa rupture méme, sans doute douloureuse,
est encore tributaire de la virtus politica romaine ?
Cicéron, grand orateur et fier de |’étre, consul, proconsul, mais aussi exilé,
et néanmoins fier d’avoir exercé toutes ces fonctions ou subi ces avanies (c'est
tel quil se présente au début de La République), était aussi réellement versé
dans les études philosophiques (il est un peu « court » de ne le considérer
que comme un « doxographe » et de ne lui consacrer aucune valeur en tant
qu auteur). Mais, c’était aussi un auteur 4 succés, ayant toujours recherché
la « gloire littéraire » et ayant continuellement recherchée, comme si, pour
grossir les choses, sa sagesse aurait pu, voire « di», lui offrir la dictature
« sur un plateau » pour ses bons et loyaux services rendus 4 la République,
ce que le Premier Africain promet au Second tout au début du Songe (Rép.
VI, 12), 4 moins que ses ennemis « impies » ne laient abattu auparavant*.
histoire aura cruellement montré, 4 Cicéron lui-méme en premier lieu, qu'il
rétait plus, depuis l’accession au pouvoir de César, somme toute, qu'un « has
been ». Mais voila qui n’en donne que plus de poids aux premiéres pages de
sa République qui introduisent ses personnages autant que lui-méme : nous
avons ici affaire 4 des personnes profondément désireuses de s’instruire auprés
« Rien, en effet, de tout ce qui, du moins, se produit sur la terre, n’est plus agréa-
ble & ce dieu supréme, qui gouverne l’univers, que les réunions et les associations
humaines, qui se sont formées en vertu d’un accord sur le droit (iure) et que l'on
nomme cités (civitates). » (Rép. V1, 13.)
La vertu politique : Cicéron versus Macrobe 497
Autrement dit, et malgré les difficultés de Macrobe sur ce point, c'est
bien, je le redis une nouvelle fois, avant d’y revenir encore par la suite, 4 une
exhortation de la pratique de la vertu politique que nous sommes conviés,
méme si Cicéron cherche a se montrer « philosophe » en son Songe. Mais
Cicéron, aussi bien « grace 4 » son exil que « grace 4 » son otium (assez relatif
a vrai dire si l'on tient compte de son activité d’avocat durant la période de
rédaction de La République), a « pris de la hauteur » (ou du moins veut-il
nous le faire croire). D’ou cette morale de la fable :« Engagez-vous, ren-
gagez-vous, ne faiblissez jamais, mais ne le faites pas pour votre gloire per-
sonnelle et apprenez donc de moi Scipion l’Ancien/Cicéron que toutes ces
choses sont ridiculement vaines en regard de la seule immortalité qui vaille,
celle accordée aux Bienheureux de la Galaxie. »! Cicéron lui-méme croyait-il
a cela? Nous ne le saurons jamais, mais nous savons pertinemment que,
dans son esprit et son désir de gloire littéraire, qui, selon lui, pouvait aussi lui
apporter sinon un « triomphe politique », du moins une reconnaissance en
tant quhomme d’Etat, le Songe de Scipion devait rivaliser avec le Mythe d’Er.
Souvenons-nous encore que Cicéron avait aimé reprendre ce mot qu'il avait
attribué a Caton : « Deux augures ne peuvent se regarder sans rire. »?
Pour conclure ce développement, on pourrait, 4 ce stade, se demander si
Cicéron mettait en avant cette fameuse « vie mixte » (comprenez : mélant la
« vie active » et la « vie contemplative ») que Gauthier’, fort anachronique-
ment, fait-on généralement remarquer, préte 4 Aristote dans son commen-
taire de l Ethique a Nicomaque. Vanachronisme méme de cette interprétation
oblige a répondre par l’afirmative en ce qui concerne Cicéron : oui, celui-ci
a voulu se présenter autant « spéculatif » que « politique », ayant toujours
vécu ces deux vies que la tradition a nommées « contemplative », d’une part,
et « active » de l'autre, mais que Macrobe nommait plutét respectivement
« inactive » (otiosa) et « active » (negotiosa). Cicéron entendait ainsi se mon-
trer comme un digne héritier des Scipion et de Caton. Sans doute est-ce ce
qui nous vaut encore aujourd’hui ce modeéle de la « vie mixte », qui a bien
des chances de n’étre qu'un « mythe romain », ainsi qu’en témoigne encore
Macrobe dans la conclusion de son Commentaire (II, 17, 7-8).
1. Powell (1990, p. 124-125) insiste a juste titre sur cette dimension du Songe de Scipion,
mais il semble néanmoins se préter un peu trop 4 la « fable » de la vie mixte (cf. infra).
2. Cf. Cicéron, De la divination, yerae = “hes
3. Cf. Gauthier (1970, II, 2, p. 848-866 et p. 873-899).
4. Le tableau comparatif des sources de Macrobe établi par Stahl (1952, p. 34-35) a
partir des études de ses prédécesseurs (Mras, Henry, Courcelle) est aussi utile qu’éloquent.
498 Jean-Louis Labarriére
lieu sur le paralléle entre le mythe d’Er et le Songe de Scipion, ces deux mor-
ceaux d’anthologie étant compris comme révélant le sens véridique de leurs
dialogues respectifs sur la république. Macrobe mhésite pas, en effet, a parler
de secretum dans son préambule (Comm. I, 1, 9), lequel serait révélé par Er
chez Platon et par Scipion chez Cicéron, ce qui donne un tour « ésotérique »
aces deux textes, qu'il se fait fort de décrypter et d’éclaircir, du moins en ce
concerne le Songe de Scipion. Il ne fait guére de doute que Cicéron aurait été
flatté par cet éloge. II l’est moins, en revanche, quiil aurait été pleinement
satisfait de la teneur méme du Commentaire. Non pas quil lui aurait déplu
d’étre considéré comme un philosophe digne des meilleurs ou comme un
savant n’ignorant rien de ce qui constitue l’univers en son entier, mais bien
plutot parce que les 14 citations (hors celles du préambule) sur lesquelles
s'appuient Macrobe dans son commentaire laissent 4 dessein de cdté tout
ce quil y a de profondément romain chez Cicéron. Cela tient a deux fils
perpétuellement entrecroisés dans le Commentaire : la volonté de Macrobe
de se « montrer a la hauteur des commentateurs néoplatoniciens », laquelle
implique en retour de faire du Songe un des plus grands moments que la
philosophie ait jamais connus.
On peut ainsi comprendre que Macrobe soit parfois géné par la teneur
méme du Songe dont il résume le « but », okomdc en grec dit-il lui-méme, en
écrivant : « les Ames des hommes qui ont bien mérité de la République, apres
avoir quitté le corps, retournent au ciel (caelo reddi) et y jouissent dune béa-
titude éternelle » (Comm. I, 4, 1). Sil n’y a rien la que de trés vrai, car c'est
bien ce que dit Cicéron, qui lui aussi manie le langage du « retour » (vever-
tuntur, Rép. V1, 13), il n’en reste pas moins que ce qui intéresse Macrobe en
premier lieu, c’est le « retour » des ames vers leur lieu d'origine : la Galaxie.
Et cela est naturel pour un auteur affichant sa préférence pour la « vie inac-
tive » plutét que pour la « vie active », mais voila qui entraine que Macrobe
glisse réguli¢rement sur |’exhortation a la pratique de la vertu politique
que nous trouvons dans le Songe et passe totalement sous silence le fait que
Cicéron estimait les grands citoyens de Rome incomparablement supérieurs
aux philosophes grecs, du moins en matiére politique, laquelle est bien plus
Pobjet de La République que limmortalité de Ame. Reconnaissons 4 la
décharge de Macrobe qu'il ne commentait pas La République mais seulement
le Songe de Scipion, reconnaissons aussi que, dans sa conclusion générale
(Comm. II, 17), Macrobe semble faire plus de cas de la « vie active » que dans
son chapitre relatif aux vertus politiques (Comm. I, 8). Cela étant, comment
ne pas reconnaitre que cCest la singuliérement gauchir le texte de Cicéron
dont le « but » nest pas simplement de dire que les Ames de ceux qui auront
bien mérité de la patrie retourneront aussi la d’ou elles sont venues, comme
celles des philosophes nayant eu de cesse de se libérer des contraintes du
corps, mais bien plutét d’établir que rien n’est plus agréable aux dieux que
« ceux qui assurent [aux cités] d’étre leurs dirigeants (rectores) et leurs conser-
vateurs (conservatores) » (Rép. V1, 13) ? N’est-ce pas la encore une maniére,
pour Cicéron, qui soutient ailleurs que « le lien social doit étre préféré a la
La vertu politique : Cicéron versus Macrobe 499
connaissance » (Off. I, 153), d’affirmer que les Romains sont supérieurs aux
Grecs ? Il est en ce sens assez amusant de constater que, par un singulier
retournement de perspective, Macrobe finit par reconnaitre bien involon-
tairement les choses lorsque, dans sa conclusion, il dresse ce constat : « des
hommes voués 8 la seule sagesse inactive (soli enim sapientiae otio deditos),
comme la Gréce en produisit beaucoup (abunde Graecia tulit), Rome n’en a
pas connu (Roma nesciuit) » (Comm. Il, 17, 8).
Nous en prendrons la mesure en regardant d’un peu plus prés comment
Macrobe opére dans son Commentaire (I, 8) lorsque, de son choix', peut-étre
inévitable en raison de l'objet du Songe, il en vient a s'exprimer sur ce passage
de Cicéron que nous avons déja rencontré et ot ce dernier soutient, en subs-
tance, que « rien nest plus agréable au dieu supréme que ces communautés
humaines liées par le droit que l’on appelle cités » et qu’en conséquence, une
fois cette tache diment accomplie, leurs dirigeants et protecteurs retourne-
ront dans la Galaxie (Rép. VI, 13). Pour un néoplatonicien, que l’on me par-
donne l’expression, « la pilule est dure 4 avaler ». En effet, comment ne pas
se souvenir que dans son traité Des Vertus (Ennéades, I, 2, [19]) Plotin a, Cest
bien le moins que l’on puisse dire, valorisé la vertu supérieure du sage par
rapport a la vertu politique en invitant le sage « 4 s’isoler autant que possible
du corps, 4 abandonner la vie qui, au regard de la vertu politique, est celle
dun homme de bien, 4 abandonner cette vie et 4 en choisir une autre qui
est celle des dieux » (Enn., I, 2, 7, 24-28). Or, Cicéron écrit : rien west plus
agréable... Autant dire que la vertu ne saurait étre une pure connaissance ou
relever de la seule contemplation et que son lieu de prédilection est l’action
politique. Macrobe commence néanmoins son commentaire de ce passage
en disant ceci :
« Il ny a que les vertus qui fassent le bonheur, et il n’est pas d’autre chemin vers
ce qui porte ce nom : aussi ceux qui jugent que seule la pratique de la philosophie
confére les vertus proclament que seuls les philosophes sont heureux. [...] Il en
résulte que selon l’exigence abrupte d’une aussi rigide définition [des vertus cardi-
nales telles que pratiquées par le sage], les chefs d’Etat (rectores) ne sauraient ¢tre
heureux (beati). » (Comm. I, 8, 3-4.)
1. Il ne sera peut-étre pas inutile de rappeler que Macrobe n’entend pas donner un com-
mentaire « exhaustif » (non omnia verba) du Songe de Scipion (Comm. I, 9-1).
2. Rappelons que ce traité de Plotin peut se lire comme un commentaire du passage du
Théététe (176 a) ow Platon incite les hommes A se rendre, autant qu il est possible, semblables
4 Dieu, « cest-a-dire 4 devenir justes et pieux, en méme temps que prudents ».
500 Jean-Louis Labarriére
« Platon dit d’abord que la ressemblance avec Dieu consiste a fuir d’ici-bas ;
ensuite il appelle les vertus dont il parle dans La République non pas simplement
vertus, mais vertus civiles (politikas) ; enfin ailleurs il appelle toutes les vertus des
purifications (katharseis) ; tout cela fait voir qu'il admet deux genres de vertus et quil
ne met pas dans la vertu politique (politikén) la ressemblance avec Dieu » (Enn. I, 2,
3, 5-10 ; trad. Bréhier, 1960).
« Si donc loffice et leffet des vertus est de rendre heureux, et si l’on sait quiil
existe aussi des vertus politiques, les vertus politiques aussi rendent donc heureux.
Cicéron a donc raison de dire 4 propos des chefs WVEtat : “ow ils peuvent dans la
béatitude jouir de léternité ; pour montrer que le bonheur nait parfois de vertus
inactives (otiosis), parfois de vertus actives (negotiosis), il n’a pas dit que rien rétait
plus agréable au dieu supréme que les états, il a ajouté : “rien du moins de ce qui se fait
sur terre’, afin de marquer la différence entre ceux qui commencent par les choses
célestes, et les chefs d’Etat qui se ménagent un chemin vers le ciel par leurs actes
terrestres » (Comm. I, 2, 12).
Il nest pas besoin d’étre grand clerc pour voir que cet effort de concilia-
tion, qui vise a tirer Cicéron vers le néoplatonisme, tout en cherchant a unifier
les pensées de Plotin et Cicéron, revient a s’efforcer de sauver ces vertus poli-
tiques si largement méprisées par Plotin en son traité : elles aussi conduisent a
la félicité divine. Il est plus que douteux qu'une telle interprétation du « rien
nest plus agréable au Dieu supréme... » corresponde a la legon du Songe.
On peut en prendre pour preuve ce que dit Paul-Emile lorsquil apparait a
son fils Scipion Emilien. La scéne se passe immédiatement aprés que celui-ci
a recu de I’Africain sa premiére lecon, laquelle consiste donc a rappeler que
«rien nest plus agréable au Dieu supréme... » Scipion Emilien vient donc
d’apprendre que les vrais vivants sont ceux de la Galaxie et que la vie terrestre,
Cest la mort, d’ou quil s'exclame devant son pére : « Pourquoi m’attarder sur
la terre ? » (Rép. VI, 15). La réponse ne se fait pas attendre. On peut la résumer
et la gloser quelque peu comme suit : « Non. Les hommes sont les gardiens de
ce globe qu’est la terre et doivent pour accomplir cette mission retenir lame
dans la garde du corps (in custodia corporis), ce qui implique, comme vient de
le dire ’Africain, d’accepter de fonder des cités, de les diriger et de les sauve-
garder. » Redonnons maintenant la parole directement a Paul-Emile afin de
502 Jean-Louis Labarriére
mieux mesurer le pas de coté effectué par Macrobe lorsqu’il dit que Cicéron a
ménagé une place pour les « vertus inactives » :
« Toi, au contraire [de refuser cette mission], Scipion, comme ton grand-pére ici
présent, comme moi, qui t’ai engendré, pratique la justice et les devoirs de piété ; ils
sont considérables, quand il s’agit des parents et des proches ; mais ils sont les plus
grands de tous, quand il s'agit de la patrie (tum in patria maxima est) ; Cest cette
vie-la qui est la voie conduisant au ciel et dans cette reunion des hommes qui ont
déja achevé leur vie et qui, délivrés des liens du corps, habitent cette région que tu as
sous les yeux [la Voie lactée]. » (Rép. VI, 16).
Bilan-Conclusion
Tant Cicéron que Macrobe, fins lettrés, savaient trés bien ce quiils
faisaient.
Lun, Cicéron, « Romain d’entre les Romains », fait mine de s’inscrire
dans les pas de Platon afin de donner plus de « noblesse philosophique » a
sa conclusion : le Songe de Scipion entend rivaliser avec le mythe d’Er, d’od
quil mobilise de nombreux éléments destinés 4 « donner de la hauteur » A
son propos. Mais il n’en reste pas moins, tel du moins veut-il se présenter,
« superlativement romain », et Caton ou Scipion, voire Cicéron lui-méme,
prévaudront toujours sur Socrate, méme si c’était un modéle de sagesse
encore plus grand que Panétius. La conclusion du Songe est on ne peut plus
La vertu politique : Cicéron versus Macrobe 503
* Cet article a fait l'objet de premiéres présentations lors d’un colloque sur le Songe de
Scipion de Cicéron qui s’est tenu 4 la Maison francaise d’Oxford et lors d’un séminaire du
Centre for Late Antique and Medieval Studies au King’s College London. Lassistance m’y
a gratifiée dans les deux cas de remarques fort constructives et éclairantes. Je suis également
reconnaissante 4 Carlotta Dionisotti et Roland Mayer pour I’aide précieuse que mont appor-
tée leurs références et leurs commentaires.
1. A.-M. Marchetti (éd. et trad.), Commentaire au Songe de Scipion, Paris, Les Belles
Lettres, 2 vols. (2001-2003).
2. P. Henry, Plotin et !Occident : Firmicus, Maternus, Marius Victorinus, Saint Augustin
et Macrobe Louvain, Spicilegium sacrum lovaniense (1934). P. Courcelle, Les Lettres grecques
en OccidentdeMacrobe a Cassiodore, Paris, E. de Boccard (1943) et J. Flamant, Macrobe et le
néoplatonisme latin, a la fin du IV siécle, Leiden, Brill (1977).
3. W. Stahl, Commentary on the Dream of Scipio by Macrobius, New York, Columbia
University Press (1952), p. 9-10.
4. R. Sorabji (ed), Aristotle Transformed: the Ancient Commentators and their Influence,
Ithaca (NY) Cornell University Press (1990) et idem, The Philosophy of the Commentators 200
— 600 AD: a Sourcebook (2004), Ithaca (NY) Cornell University Press.
5. R. Kaster, « The Grammarian’s Authority », Classical Philology 75 (1980), p. 216-241,
idem, « Macrobius and Servius: Verecundia and the Grammarian’s Function », Harvard Studies
in Classical Philology 84 (1980), p. 219-262, et idem, Guardians ofLanguage: the Grammarian
and Society in Late Antiquity (1988), Berkeley, University of California Press.
6. J. Mansfeld, Prolegomena: Questions to be Settled before the Study ofan Author or a Text,
Leiden, Brill (1994).
7. I. Sluiter, «Commentaries and the Didactic Tradition », dans G. Most (ed),
Commentaries = Kommentare, Gottingen, Vandenhoeck und Ruprecht (1999), p. 173-205.
Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 505-519
506 Sophie Lunn-Rocklife
[...] nisi sicubi nos, sub alio ortos caelo, Latinae linguae vena non adjuvet; quod ab
his, si tamen quibusdam non numquam tempus voluntasque erit ista cognoscere, petitum
impetratumque volumus ut aequi boni consulant, si in nostro sermone nativa Romani
oris elegantia desideretur.
[...] si ce n’est dans la mesure ol, moi qui suis né sous un ciel étranger, je ne
suis guére aidé par la langue latine. Dés lors, si malgré tout il se trouve un jour des
personnes ayant le loisir et le désir de connaitre mon ceuvre, je leur demanderai, en
espérant l’obtenir, une raisonnable indulgence, au cas ot mes paroles manqueraient
de l’élégance innée 4 la langue romaine (Saturnales, 11-12).
1. Alan Cameron, « Macrobius, Avienus, and Avianus », Classical Quarterly 17, 2 (1967),
p. 385-399, notamment p. 386-387.
2. Macrobe, Commentaire, 1.4.1, 1.4.5, 1.5.3, 1.5.9, 1.6.77, 2.2.7, 2.4.8.
3. S. Gersh, Middle Platonism and Neoplatonism: the Latin Tradition, Notre Dame,
University of Notre Dame Press (1986), vol. 2, p. 504 sqq.
ie = SE a. baa so a acy pay ere jawed », dans Stephen Gersh and
- Floenen (eds.), /he Platonic [radition in the Middle Ages:
a Doxographic i
New York, De Gruyter, 2002, p. 3-30. : ce pS ag
5. Stahl, Commentary, p. 56.
6. Macrobe, Commentaire 2.8.5 et 2.15.13.
7. K. Hopkins, « Elite Mobility in the Roman Empire », Past and Present 32 (1965),
p. 12-26, p. 17-19.
__ 8. K. Hopkins, « Social Mobility in the Later Roman Empire: the Evidence of Ausonius »,
Classical Quarterly 11 (1961), p. 239-249 et Kaster, Guardians ofLanguage, p. 247-248.
Lautorité du grammairien et les récompenses de la vertu... 509
Cependant, bien qu'il soit tout afait plausible que Macrobe ait commencé
sa carriére dans l’enseignement, il se peut également quiil ait été un amateur
talentueux imitant I’ceuvre d'un professeur. Cela n’aurait pas représenté trop de
difficultés, car le savoir d'un grammaticus w était pas trés spécialisé!. Cela aurait
aussi montré que Macrobe possédait le type de compétences intellectuelles et
littéraires, cultivées par les descendants de familles nobles comme par les carrié-
ristes, afin d’obtenir de l'avancement’. Le portrait idéalisé que Macrobe dresse
du grammairien Servius dans les Saturnales et la critique de la méthodologie
grammaticale qui l’accompagne laissent penser qu’il était un homme de lettres
(litteratus) influent, critiquant de l’extérieur l'éducation grammaticale tout en
se targuant implicitement d’une autorité en matiére d’enseignement’.
Au-dela de ces questions concernant les origines de Macrobe, le probléme
de son appartenance religieuse divise également les commentateurs. Flamant
a défendu l’idée que Macrobe était un paien militant. Selon cette interpréta-
tion, le fait que Macrobe ignore dans ses écrits histoire, les textes ou les idées
du christianisme répond 4 une entreprise délibérée d’abolitio memoriae tandis
que ses Saturnales conservent, célébrent, et par 1a défendent implicitement
les pratiques et les valeurs de l’ancienne religion. Cette idée pourrait trou-
ver confirmation dans le fait que certaines des idées de Macrobe, comme la
métempsychose platonicienne (la transmigration des 4mes humaines dans les
animaux), étaient en nette rupture avec l’orthodoxie chrétienne*. On pourrait
aussi mentionner la reprise par Macrobe du mythe @Er ; il raconte en effet
qu on avait jeté le ridicule sur Er ressuscité de Platon et ses histoires sur
Pau-dela, et voit d'un ceil favorable la réaction de Cicéron, confiant sa vision
4 un narrateur plus crédible — un homme qui s’éveille du sommeil, au lieu de
sen revenir de chez les morts’. Macrobe reconnait quil est difficile de croire
en un homme ressuscité et range ce conte dans la catégorie des fables que les
philosophes utilisent pour charmer ou pour encourager le lecteur aux bonnes
actions’. Etant donné que la croyance en un Christ ressuscité, loin d’étre
considérée comme une fable par les croyants, constituait un dogme central du
christianisme, on peut y voir une maniére de la tourner en ridicule.
Il existe cependant une autre école qui refuse de voir en Macrobe un
paien militant. Cameron distingue nostalgie du passé et nostalgie du paga-
nisme et affirme quil y a peu d’éléments spécifiquement « paiens » dans
le Commentaire, en dépit du fait que Macrobe ait pu étre effectivement
1. Cameron, « Date and Identity » et idem, « Paganism and Literature in Late Fourth
Century Rome », Christianisme et formes littéraires de Ronse tardive en Occident, Genéve,
Fondation Hardt (1977), 23.
2. Synésius, Lettre 105 4 Théophile.
3. S. Cooper, Metaphysics and Morals in Marius Victorinus Commentary on the Letter to
the Ephesians, New York / Washington / Paris, de Lang (1995), et du méme auteur, Marius
Victorinus’ Commentary on Galatians, Oxford / New York, Oxford University Press (2005).
4, eet races Platonism, vol. 2, p. 422.
5. H. Chadwick, Boethius: the Consolations of Music, Logic, Th , j
Oxford, Clarendon Press (1981), p. 221-224. f : ri oo
Lautorité du grammairien et les réecompenses de la vertu... ait
dont la traduction des ceuvres néoplatoniciennes par Marius Victorinus et
la traduction et le commentaire de Platon par Calcidius sont autant d’illus-
trations. Cette tradition ne se voyait pas restreinte aux textes et 2 la culture
profanes, car la pratique chrétienne consistant 4 commenter et expliquer
les textes sacrés fut influencée ou stimulée par la pratique du commentaire
non-chrétien ou méta-chrétien. II reste naturellement peu de témoignages
concrets du mouvement inverse, c’est-a-dire de paiens lisant des textes chré-
tiens' ; méme si Macrobe avait lu certaines ceuvres néoplatoniciennes de
Victorinus, ces derniéres étaient antérieures 4 la conversion de Victorinus.
Il n’y a rien de surprenant 4 ce que Macrobe ait choisi de commenter
une ceuvre de Cicéron, étant donné que ce dernier constituait, avec Virgile,
lauteur de référence dans l'éducation grammaticale et rhétorique latine. A
l’époque, celle-ci incluait encore une éducation intellectuelle et morale com-
plete, fondée sur les classiques et commune aux chrétiens et aux paiens’.
Ainsi, tandis que Victorinus écrivait des commentaires sur Cicéron, et
Servius et Donatus sur Virgile, certains intellectuels chrétiens se consacraient
4 l’'adaptation de textes classiques a des fins chrétiennes. Ambroise de Milan a
adapté le titre, la structure et les questions morales du De Officiis de Cicéron
dans son De Officiis Ministrorum afin de produire un traité destiné en prio-
rité 4 éduquer les ecclésiastiques 4 leurs devoirs et 4 démontrer l’antériorité
et la supériorité de lEcriture sur la philosophie profane’. Augustin, dans son
De Civitate Dei, a utilisé de larges extraits du De Republica de Cicéron, texte
dans lequel est inséré le Songe de Scipion, pour défendre une nouvelle concep-
tion de la res publica ; en effet, selon Cameron, seuls les chrétiens prirent ce
texte véritablement au sérieux*. Que Macrobe ait lu ou non ces ceuvres, son
approche est avant tout celle du grammaticus. Sans chercher expressément a
reprendre Cicéron aux chrétiens, il donne du texte une exégése entiérement
profane, lisant Cicéron a travers le néoplatonisme.
A qui Macrobe destinait-il alors son commentaire ? Macrobe a dédié a
la fois ses Saturnales et son Commentaire a son fils Eustathius : il débute
son Commentaire en racontant qu Eusthatius et lui ont lu ensemble La
République de Platon et La République de Cicéron?. Il ny a aucune rai-
son de douter qu'il ait eu un fils, qui pourrait effectivement étre identifié a
Plotinus Eustathius 13, préfet de la Ville en 462°. Il se peut cependant que
la dédicace de ses ceuvres 4 Eusthatius soit une simple ruse littéraire plutét
1. E Young, « The Rhetorical Schools and their Influence on Patristic Exegesis » dans
R. Williams (ed.), Zhe Making of Orthodoxy, Cambridge / New York, Cambridge University
Press (1989), p. 182-199.
2. Cameron, « Paganism and Literature ». wy.
3. I. Davidson, Ambrose: De Officiis, Oxford / New York, Oxford University Press,
2 vols. (2002). ;
4. R. Markus, Saeculum: History and Society in the Theology of St Augustine, Cambridge,
Cambridge University Press (1970), p. 64 sqq. et 206 sqq., et Cameron, « Paganism and
Literature », 25.
5. Macrobe, Commentaire 1.1.1.
6. Martindale J. & M., Prosopography, vol. 2, p. 413.
512 Sophie Lunn-Rocklife
que le signe d’une réelle volonté d’entretenir et d’instruire son fils, vu quil
était courant que les péres dédicacent leurs ceuvres a leurs fils'. Macrobe ne
se référe spécifiquement a son fils que dans les adresses formulaires ouvrant
les livres I et II du commentaire, tandis quailleurs il glisse réguli¢rement
vers des adresses au lecteur en général. Macrobe avait probablement en vue
d’autres lecteurs, ou tout au moins un autre milieu intellectuel.
Nous avons vu que la préface des Saturnales laisse penser qu'elles ont
été écrites soit pour un public romain, soit pour ceux qui avaient une haute
opinion de leur latinité ; il est certain que Pinsistance sur le latin tout comme
les traductions de termes grecs dans cette ceuvre et dans le Commentaire
montrent que ces textes étaient destinés en priorité 4 des publics de langue
latine plutét que bilingues. Le Commentaire comporte peu d’indices permet-
tant de le situer géographiquement, et le recours aux Saturnales n'est
pas d'un
grand secours, car bien quelles se déroulent 4 Rome, il ne s’agit pas d’une
ceuvre autobiographique ;Macrobe y offre une représentation nostalgique
dun célébre cercle d’aristocrates au coeur de Empire et choisit de ne pas
sinclure dans le tableau.
Pour avoir une meilleure idée du public du Commentaire, nous devons
nous pencher sur le contexte dans lequel il a probablement été écrit et sur
Péconomie de l’ceuvre. Si, suivant lidentification de Cameron, Macrobe est
préfet du prétoire d’Italie en 430, cela le situerait, au moins pour cette
année-la, a Ravenne a la cour de l’empereur Valentinien III, alors agé de 11
ans. Le préfet du prétoire était le député de l’empereur chargé de responsabi-
lités judiciaires et financiéres ; il était entouré d’autres hauts fonctionnaires,
tels que les magistri officiorum et les quaestors, et se trouvait au contact des
préfets urbains et gouverneurs de province’ dont il avait la supervision. Méme
en refusant l’identification proposée par Cameron, les titres de clarissimus et
illustris apposés a la titulature de Macrobe dans les manuscrits de ses ceuvres
indiquent qu'il s'agissait d’un fonctionnaire impérial important ; clarissimus
était le titre réservé aux sénateurs, et illustris ne revenait qu'aux seuls déten-
teurs des plus hautes charges de Empire’. Macrobe était donc certainement
un acteur politique d’importance, frayant avec d’autres hauts fonctionnaires
impériaux, et sans doute proche de la personne méme de I’empereur. Le
public qu’on peut lui supposer pourrait expliquer que Macrobe interpréte
le Songe de Cicéron de la maniére suivante :
[...] sacras immortalium animarum sedes et caelestium arcana regionum in ipso
consummati operis fastigio locauit indicans quo his perueniendum uel potius reuertendum
sit qui rem publicam cum prudentia iustitia fortitudine ac moderatione tractauerint.
[...] ila dévoilé, a la toute fin de son ceuvre, le séjour sacré des Ames immortelles
et les secrets des cieux en indiquant le lieu ou doivent se rendre, ou plutét retour-
ner, les Ames de ceux qui ont servi la République avec prudence, justice, courage et
tempérance (1.1.8).
En insistant sur l’idée que les Ames de ceux qui servent la res publica joui-
ront d'une élévation spirituelle et de l’immortalité, Macrobe offrait aux hauts
fonctionnaires une destinée céleste dans des termes ouvertement néoplato-
niciens qui ne doivent rien aux conceptions scripturaires et théologiques de
la vie aprés la mort dans le christianisme. Cela ne signifie évidemment pas
quil entend délivrer un message délibérément « paien », mais plutdt quiil
s agit la d’une invitation a la philosophie, ouvertement « profane ». Macrobe
répete ce message tout au long de son commentaire, par exemple dans un
passage du début introduisant le skopos du texte :
Tractatis generibus et modis ad quos somnium Scipionis refertur, nunc ipsam eiusdem
somnil mentem ipsumque propositum, quem Graect skopon vocant, antequam verba ins-
piciantur, temptemus aperire et eo pertinere propositum praesentis operis adseramus, sicut
etiam in principio huius sermonis adstruximus, ut animas bene de re publica meritorum
post corpora caelo reddi et illic frui beatitatis perpetuitate nos doceat.
Aprés avoir traité des types de réves auxquels se rattache le songe de Scipion, et
avant d’examiner les termes du songe lui-méme, essayons d’en révéler le dessein
et le but, le skopos comme disent les Grecs. Nous devons une nouvelle fois affirmer,
comme nous l’avons fait en ouverture de ce discours, que le but du songe est de nous
enseigner que les Ames de ceux qui ont bien mérité de [Etat retournent au ciel apres
la mort et y jouissent d’une béatitude éternelle (1.4.1).
Si donc les vertus ont pour fonction et pour effet de rendre heureux, et side plus
on sait qu'il existe aussi des vertus politiques, alors les vertus politiques aussi rendent
les hommes heureux. Aussi Cicéron a-t-il raison d’affirmer que pour les chefs d’Etat,
il existe un lieu out ils jouiront de la béatitude pour l’éternité. Afin de montrer que
514 : Sophie Lunn-Rocklife
certains atteignent le bonheur par l’exercice des vertus du loisir, et d'autres par les
vertus pratiquées dans la vie active, il n’a pas dit dans l’absolu que rien netait plus
plaisant au dieu supréme que les Etats, mais il a ajouté cette nuance, a savoir que rien
de ce qui se passe sur terre n'est plus plaisant [...] (1.8.12).
Ista autem quae de hoc dicta sunt opitulabuntur nobis et ad illius loci disputationem
quo antipodas esse commemorat. Sed hic, inhibita continuatione tractatus, ad secundi
commentarii volumen disputationem sequentium reservemus.
Les remarques faites 4 ce propos [a savoir que tous les poids sont spontanément
attirés vers la terre] nous aideront lors de la discussion du passage oi Cicéron parle
des antipodes. Mais il sera bon d’interrompre ici le cours de notre traité et de réserver
la suite de la discussion au second livre du commentaire (1.22.13).
1. LOxford Latin Dictionary donne comme sens premier de disputare « défendre sa posi-
tion ou son point de vue (dans un discours ou un écrit, en tant que professeur, partie, etc.) »,
ce qui comporte donc une dimension éristique : on ne cherche pas tant A soupeser les points
de vue en concurrence qu’’ présenter avantageusement le sien. Le nom conserve ce sens, et
bien que l’orp commence par dire qu'il signifie « discussion », « débat », voire « controverse »,
conviendraient mieux ici ; il peut y avoir dialogue mais au fond, on cherche 3 faire valoir son
propre point de vue.
Lautorité du grammairien et les récompenses de la vertu... 515
Macrobe qualifie 4 plusieurs reprises les débats philosophiques et le
commentaire qu'il en propose de disputatio. Par exemple, il reprend divers
arguments d’Aristote contre Platon (l’idée qu'il n’existe rien qui se meuve
de soi-méme et que méme si une chose semblable existait, ce ne serait cer-
tainement pas une ame) et qualifie le débat qu'il a construit entre eux de
disputatio : Hic ille rursus obloquitur et alia de initiis disputatione confligit |...]
(« de nouveau, Aristote éléve une objection, entrant en débat avec Platon au
sujet des origines [...] », 2.16.1).
Décrivant sa propre ceuvre, Macrobe écrit : sed iam finem somnio cohibita
disputatione faciamus... (« mais il est temps de borner lA notre débat et de
mettre fin au songe », 2.17.15) et continue d’utiliser le méme verbe pour
décrire ce que Cicéron est en train de faire : at cum de motu et immortali-
tate animae disputat (« quand il débat du mouvement et de l’immortalité de
lame », 2.17.16).
Comme I’a montré Ineke Sluiter, il était courant que les commentateurs
cherchent a imiter le style caractéristique et le but de leurs textes sources,
et Macrobe, en désignant son Commentaire du nom de disputatio, semble
se faire délibérément le reflet de la pratique philosophique de Cicéron'.
Le rapport entre les deux était sans doute encore renforcé par le fait que
Cicéron inscrit disputatio dans le titre méme de ses Tusculanae Disputationes.
Dans sa description de la genése des dialogues figurant dans cet ouvrage,
Cicéron donne a disputatio le vrai sens doffensive argumentative et suggére
que son argumentation contre la position de l’interlocuteur est un moyen
d’« atteindre » la vérité, plutét que de « choisir » ses propres positions, ce
qui caractérise aussi l' approche de Macrobe lorsqu’il argumente contre les
opinions des autres’.
Outre le fait qu il utilise disputatio pour assimiler le projet de son texte
source 4 celui de son commentaire, Macrobe a trouvé d’autres biais pour
aligner le style et la méthode de son ceuvre sur ceux de Cicéron et d’autres
philosophes. II soutient qu'il est important d’établir la raison pour laquelle
Cicéron a introduit un songe dans le De Republica : |...] ne viros sapientia
praccellentes nihilque in investigatione veri nisi divinum sentire solitos aliquid
castigato operi adiecisse superfluum suspicemur. (« [...] sans quoi il se peut
que nous soyons amenés 4 croire que des hommes éminemment sages, qui
ont coutume de considérer la recherche de la vérité comme rien d’autre
que divine, ont alourdi leurs traités, par ailleurs nullement prolixes, de
quelque chose de superflu » 1.1.3). Macrobe indique ici un rapport de fond
liant prolixité et superfluité, qui implique une relation symétrique entre brié-
veté et clarté. Le couple briéveté/clarté apparait ensuite plus explicitement
comme une propriété du style cicéronien, lorsque Macrobe le défend contre
une éventuelle accusation de prolixité : In his autem tot nominibus quae de sole
dicuntur non frustra nec ad laudis pompam lasciuit oratio sed res uerae uocabulis
exprimuntur («en désignant le soleil de tant de noms multiples, Cicéron
ne se complait pas dans le verbiage, non plus qu'il ne samuse a énumerer
ces dénominations : chaque mot est doté d’une signification réelle » 1.20.1).
Plus loin, Macrobe glisse habilement entre la grandeur du soleil et le grand
nombre de choses écrites 4 ce sujet une allusion a sa propre concision : Haec
de solis magnitudine breviter de multis excerpta libavimus (« cette discussion
au sujet de la taille du soleil nest quun bref résumé des nombreuses choses
écrites a ce sujet » 1.20.32).
Ailleurs, Macrobe loue Cicéron et Plotin d’avoir dissimulé leur profon-
deur derriére leur concision :
Et quia Tullio mos est profundam rerum scientiam sub brevitate tegere verborum,
nunc quoque miro compendio tantum includit arcanum quod Plotinus, magis quam
quisquam verborum parcus, libro integro disseruit, cuius inscriptio est Quid animal,
quid homo.
Et parce que Cicéron a coutume de dissimuler sa profonde connaissance du
sujet derriére une expression concise, il présente encore avec une admirable conci-
sion une vérité profonde a laquelle Plotin, au style pourtant plus laconique que
quiconque, a consacré un traité entier intitulé Quest-ce que lanimal, quest-ce
que [homme ? (2.12.7).
1. Favonius Eulogius, Disputatio de somnio scipionis, éd. et trad. R.-E. Van Weddingen,
Bruxelles, Latomus, 27 (1957).
518 Sophie Lunn-Rocklife
retourner au ciel. Dans les phrases de conclusion, il introduit une autre rai-
son de commenter ce texte. II affirme a présent que Cicéron a inclus chacune
des trois formes de philosophie — morale, physique et logique — dans son
Songe de Scipion', et conclut : vere igitur pronuntiandum est nihil hoc opere
perfectius, quo universa philosophiae continetur integritas (« nous devons donc
déclarer qu'il n’y a rien de plus complet que cette ceuvre, qui couvre la tota-
lité de la philosophie », 2.17.17). Ce passage se fonde sur l’attribution erro-
née 4 Platon par Cicéron de la division de la philosophie en trois branches
~la morale, la physique et la logique. En déclarant que Pceuvre de Cicéron
incarne la totalité de la philosophie, Macrobe revendique implicitement un
statut similaire, voire plus élevé, pour son Commentaire, qui éclaire un texte
a la portée et l’autorité déja grandes. La tendance de Macrobe 4 faire du
Songe et de ses protagonistes des exempla a l’échelle du microcosme est aussi
repérable dans la description qu'il donne plus haut de Scipion en incarnation
de toutes les vertus’. Il est frappant que Macrobe affirme l’utilité du Songe
au motif que celui-ci comprend non seulement la philosophie physique et
logique, mais aussi la philosophie morale, car il s'agit la d’un aspect impor-
tant de l'éducation grammaticale, qui se trouve aussi fortement marqué dans
ses Saturnales’.
Si nous suivons et acceptons la datation et l’identification de Macrobe
proposées par Cameron, il devient alors possible de le situer socialement et
intellectuellement, et de replacer son ceuvre sur fond dun certain milieu.
Quil écrive réellement ou non dans le dessein d’instruire des individus
particuliers — son fils suivant ses traces en politique, d’autres dignitaires de
Empire, ou bien en effet un futur empereur (?) — le mouvement du texte est
clairement didactique. Son insistance sur le fait que les rectores qui ont bien
mérité de l’Etat gagneront l’immortalité constituait sans doute une promesse
spirituelle venant compleéter le salut céleste préché par des chrétiens qui
avaient, eux aussi, lu Cicéron a travers un prisme néoplatonicien. La popula-
rité ultérieure du texte confirme quil n’y avait 1a rien qui puisse choquer les
chrétiens, et son exposé de la philosophie naturelle sans référence aucune A la
révélation, aux Ecritures ou au Christ, fournit un précédent auquel Boéce a
promptement emboité le pas.
Tout au long de son Commentaire, Macrobe distille des allusions A la
valeur et a l'utilité de son commentaire. Il s'efforce de démontrer que son
ceuvre ne se borne pas 4 commenter Cicéron mais rivalise avec, voire sur-
passe, ce dernier en clarté et en concision lorsqu’il explique (le rendant plus
clair) le Songe de Scipion et en sélectionne des extraits (le rendant plus concis).
A Pen croire, il a choisi ce texte de Cicéron parce que celui-ci contenait tout
ce qu’il est nécessaire de savoir. Le Commentaire, cependant, va en pratique
au-dela de ce que Macrobe suggére, en opérant une sélection dans l’ceuvre
p. 216-241.
1. R. Kaster, « The Grammarian’s Authority », Classical Philology, 75 (1980),
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LE SONGE DE SCIPION
DANS LA CORRESPONDANCE
ENTRE SAINT AUGUSTIN
ET NECTARIUS DE CALAMA
(EP 90-91 ; 103-104)
pensée vienne de Cicéron. La seule question qui se pose est celle de savoir
si elle vient de Tusculanes 1, 75 ou de République VI, 14. Si la deuxiéme
branche de lalternative est vraie, Cest la seule réminiscence du Somnium
Scipionis »'. - ”
Si lon considére maintenant l’ensemble de l’ceuvre d’Augustin, jusqu a
plus ample informé, le matériau n’est guére plus abondant’. Le seul endroit ot
il soit clairement fait mention du Songe est la correspondance avec Nectarius,
qui compte quatre lettres’, et c'est dans une lettre de Nectarius lui-méme.
Nectarius‘ est un notable paien de Calama en Numidie? qui « trouve
dans sa vieillesse une occasion exceptionnelle de manifester son attachement
1. H. Hagendahl, op. cit., Il, p. 553. Sur ce texte, cf. aussi M. Testard, Saint Augustin
et Cicéron. I: Cicéron ie la formation et dans leuvre de saint ——— Paris, Etudes
Augustiniennes, 1958, p. 58 ; Id., « Saint Augustin et Cicéron. A propos d’un ouvrage récent »
[il s'agit de l’ouvrage de Hagendahl], Revue des Etudes Augustiniennes, 14/1-2, 1968, fe47-67,
Appendice (p. 65-G6) (« ... je pense que ce passage sur la uita moralis et la mors uitalis (...) se
laisserait mieux rapprocher du Laelius, 22, citant Ennius, dont j’ai proposé de reconnaitre un
écho dans Ciu. Dei, XIX, 17 (t. I, p. 290-291 ; II, p. 64) »).
2. Augustin n’est donc pour rien dans la diffusion considérable que le Songe a connue a
lépoque médiévale. En effet, « 4 en juger par le nombre de manuscrits actuellement conser-
vés, le Somnium Scipionis a été une des ceuvres les plus lues au Moyen Age ; plus gear een
il occupe la CA fplace aprés le De inventione (...), il devance méme, de plusieurs lon-
ueurs, des traités pourtant populaires comme le De officiis, le De amicitia ou le De senectute »
ic B. M. Olsen, « Quelques aspects de la diffusion du Songe de Scipion de Cicéron au Moyen
Age (1x°-xur‘) », in Studia Romana in honorem Petri Krarup septuagenraii, Odense, Odense
University Press, 1976, p. 146-153, p. 146). « Dans la grande majorité des cas (91 sur 100),
le commentaire de Macrobe se trouve combiné avec le Somnium Scipionis » (ibid., p. 150).
Cf. aussi /d., L’Etude des auteurs classiques latins aux xr-xiF siécles, Paris, 1982 ; A. M. Peden,
« Macrobius and Medieval Dream Literature », Medium Aevum, 54/1, 1985, p. 59-73.
3. Ep. 90-91, in K.-D. Daur, Sancti Aurelii Augustini, Epistulae LVI-C, CC 31A,
Turnhout, Brepols, 2005; Ep. 103-104, in A. Goldbacher, S. Aureli Augustini, Epistulae,
CSEL 34/2, Vindobonae, 1898. Traductions anglaises dans Saint Augustine, Letters 1-99,
transl., intro. and notes by R. J. Teske, Hyde Park, NY, New City Press, 1997; Letters 100-
154, 2003; E. M. Atkins et R. J. Dodaro, Augustine, Political Writings Cambridge, Cambridge
University Press, 2001, p. 1-22. Plusieurs études récentes portent sur cette correspondance :
R. Dodaro, « Augustine’s Secular City » in R. Dodaro et G. Lawless (eds.), Augustine and His
Critics, London/New York, Routledge, 2000, p. 231-259 (ils’agit d'une réponse 4 W.Connolly,
The Augustinian Imperative [Newbury Park/London/New Delhi, Sage Publications, 1993),
qui voyait dans cette correspondance J’illustration d'une politique augustinienne autorit-
aire et intolérante) ; M. Atkins, « Old Philosophy and New Power: Cicero in Fifth-Century
North Africa », in G. Clark et T. Rajak feds): Philosophy and Power in the Graeco-Roman
World, Oxford, University Press, 2002, p. 251-269; P. I. Kaufman, « Patience and/or politics:
Augustine and the Crisis at Calama, 408-409 », Vigiliae Christianae, 57/1, 2003, p. 22-35
(en référence au débat entre W. Connolly et R. Dodaro). Notre étude doit beaucoup 4
G. O'Daly, « Thinking through History :Augustine’s Method in the City of God and Its
Ciceronian Dimension », Augustinian Studies, 30/2, 1999, p. 45-57 (repris dans Platonism
Pagan and Christian. Studies in Plotinus and Augustine, Aldershot, Variorum Ashgate, 2001)
et Augustine’s City of God, A Readers’ Guide, Dae University Press, p. 25-26 (« Augustine
and Nectarius »).
4. Sur Nectarius, cf. H. Huisman, Augustinus’ Briefwisseling met Nectarius, Amsterdam,
1956. Pour une présentation succincte du personnage, cf. E. Bermon, « Nectarius »,
Dictionnaire des philosophes antiques, vol. 4, p. 615-617.
5. Sur la cité de Calama (actuelle Gudmig en Algérie), cf. C. Lepelley, Les Cités
de l'Afrique romaine au Bas-Empire, t. Il, Paris, Etudes Augustiniennes, 1981, p. 90-103
(« Calama ») he consacre plusieurs pages 4 la correspondance entre Nectarius et Augustin) ;
S. Lancel, « Calama », Augustinus-Lexikon, 1, 705-707.
Le Songe de Scipion dans la correspondance 523
a sa patrie »' en sollicitant l’intervention et la clémence d’Augustin, suite a
des actions sacriléges dont ses concitoyens s’étaient rendus coupables au mois
de juin 408°.
Dans la lettre qu'il adresse 4 Augustin, Nectarius ne dit lui-méme rien des
événements récemment survenus. II déclare sobrement que «la colonie est
tombée a cause d’une grave inconduite du peuple »’. La réponse début aotit
d’Augustin, qui était allé sur place au lendemain du drame‘, nous apprend ce qui
s'était passé. Sans doute en réaction a la loi du 15 novembre 407 d’Honorius,
« qui marquait la ferme volonté d’en finir avec les derniers signes extérieurs du
paganisme »°®, un défilé parcourut bruyamment les rues de la ville. Léglise fut
incendiée et pillée et un clerc fut mis 4 mort, sans que les autorités municipales
maient rien fait pour rétablir ordre. « Lévéque d’Hippone eut a coeur de s’oc-
cuper lui-méme de cette affaire qui s était déroulée aux portes de son diocése et
avait mis en péril l'un de ses disciples les plus chers’ » : Possidius.
Prenant donc la défense de ses concitoyens, Nectarius justifie son inter-
vention par son attachement pour sa patrie et la place sous l’égide du De re
publica de Cicéron. Comme le montre sa réponse, Augustin entre volontiers
dans une telle discussion. II se référera 4 son tour au De re publica pour justifier
la conduite qu'il entend suivre dans le réglement de cette affaire, de sorte que
cette ceuvre va constituer la « toile de fond » de toute la correspondance et que
les deux interlocuteurs vont chercher a régler un différend dordre « théolo-
gico-politique » en se réclamant chacun de l’autorité de Cicéron et de l’ensei-
gnement du Songe de Scipion’. Les trois premiéres lettres sont en deux parties :
la premiére partie se situe sur le plan moral et politique, voire religieux, et fait
appel au De re publica ; la seconde traite, a partir de 1a, des questions pratiques
relatives aux événements de Calama. Le ton de l’échange n’est pas polémique’,
« Quelle est la force de l'amour pour sa patrie, je nen dirai rien puisque tu en es
instruit. Lui seul ’emporte 4 bon droit sur l’affection que !’on porte a ses parents et
s il existait, pour les hommes de bien, une mesure et un terme au dévouement envers
elle, nous aurions bien mérité d’étre en cette occasion dispensés de ses obligations.
Mais puisque l’attachement et la gratitude pour sa cité augmentent de jour en jour,
et que plus la vie approche de son terme (fini), plus nous désirons laisser notre patrie
sauve et florissante, je me réjouis avant tout d’avoir été chargé de cette discussion
avec un homme instruit dans toutes les disciplines. »*
1. Phil. VII, 6.
2. Le texte figure parmi les testimonia ad libros de re publica de \édition Powell (test. 21,
p- 370) (avec Ep. 91, 1-3).
3. E Solmsen, « Neglected Evidence for Cicero's De re publica », Museum Helveticum,
13, 1956, p. 38-53, p. 40. On remarque une seconde occurrence de nosti dans la seconde
lettre de Nectarius (Ep. 103, 3).
4. De fait, le prologue du livre I fait allusion a I’« amour de la patrie » (Rep. I, pro.,
2 [B.] [= Non. 426, 8] [frg. non repris par Powell]) ;et dans le ae Paul-Emile dit a
Scipion : « Cultive la justice et la piéte : sib sont importants (magna) a ’égard des parents et
des proches, ils sont de la plus grande importance (maxima) a l’égard de la patrie » (Rep. VI,
20 [16 Z.]). A propos de « caritas patriae », Solmsen renvoie a De off: 1, 57 ; III, 95 ; Tusc. I,
90 ; Defin. Ill, 64.
5: pF 101.
6. rs 91, 3. Il est difficile de savoir de quelle partie de I’ceuvre est extraite cette cita-
tion et si cette parole était dite par un personnage du dialogue ou par Cicéron lui-méme. Le
fragment est placé par Ziegler en IV, 7, 7 (en raison de la suite immediate du texte d’Augustin,
qui porte sur les bonnes meeurs). Mais M. Berzins (op. cit., p. 14 sq.) considére qu il doit
étre placé dans le préambule du livre I, suivi par E. Heck (op. cit., * 144). Dans lédition
Bréguet, Ep. 91, 3 devient le premier fragment de ce préambule (et I’eloge des bonnes moeurs
[IV, 7, 7 Z.] apparait en IV, 6, 6 B.). Selon K. Biichner, la citation cadre avec le préambule du
livre I, mais Cicéron a pu reprendre la phrase en exergue du livre IV (M. Tullius De re publica,
Heidelberg, Carl Winter, 1984, p. 370).Enfin, J. Powell place Ep. 91, 1-3 parmi les fragmenta
dubia, 11 (p. 153).
526 Emmanuel Bermon
« De ce fait, nous voudrions aussi avoir quelqu’'un comme toi comme citoyen
d'une certaine patrie d’en haut (supernae cuiusdam patriae), pour laquelle un saint
amour nous fait nous exposer, dans la faible mesure qui est la nétre, a des dangers
et 4 des épreuves au milieu de ceux pour lesquels nous nous dévouons afin qu’ils
puissent la gagner, de sorte que tu estimes qu'il n’existe aucune mesure ni aucun
terme au dévouement pour la petite portion (portiuncula) <de cette patrie> qui est
en pélerinage sur cette terre, rendu d’autant meilleur que tu tacquitterais d’abord
des devoirs qui sont dus 4 une meilleure cité (He 11, 16), dans la paix éternelle de
laquelle ta joie ne trouvera aucun terme (fimem), aprés n’'avoir mis aucun terme a
ton dévouement dans les épreuves auxquelles tu tes, pour un temps, exposé pour
elle. Mais en attendant que cela arrive (...) pardonne-nous d’attrister, 4 cause de
notre patrie que nous voulons ne jamais abandonner, ta patrie que tu veux laisser
florissante. »?
Pour lors cependant, Augustin évoque les « fleurs » qui poussent dans
la patrie de Nectarius et qui ne produisent que des épines'. Il en veut pour
preuve le témoignage du De re publica de Cicéron, qui nourrit le patrio-
tisme de Nectarius. Ces livres ne font-ils pas l’éloge des vertus qui rendent
vraiment florissante une cité ?
« Regarde-les, je ten prie, et vois par quelles louanges la sobriété et la conti-
nence y sont célébrées, et, en ce qui concerne le lien conjugal, la fidélité et les
meeurs chastes, honnétes et probes? ; c’est lorsque la cité y puise ses forces que l’on
peut vraiment dire qu'elle est Horissante. Or ces mceurs sont enseignées et apprises
dans les églises qui se développent partout dans le monde, comme dans de saintes
salles de cours pour les peuples, et surtout la piété, par laquelle le Dieu vrai et
vérace est adoré, lui qui, non seulement nous ordonne d’entreprendre, mais encore
nous donne de mener a bien tout ce par quoi l’esprit humain est édifié et rendu
apte a entrer dans la société de Dieu pour habiter une cité éternelle et céleste. »°
Comme l’écrit Gerard O’Daly :« Les valeurs morales dont Cicéron s'est
fait l’avocat sont réalisées dans lEglise, et elles préparent ceux qui vivent
conformément 4 elles 4 atteindre, avec l’aide de Dieu, “un lieu dans la cité
éternelle et céleste”. »* Dans sa réponse, Nectarius saura tirer parti de la men-
tion d'un tel « lieu ».
Augustin mobilise ensuite, 4 l’appui de son opposition au culte paien,
la critique de Cicéron, au livre IV du De re publica, 4 Yencontre de limmo-
ralité des dieux et du théatre romains, dans des termes qui anticipent cette
fois la polémique de la Cité de Dieu. On peut y voir une remarquable appli-
cation de sa méthode de rétorsion, qui consiste a utiliser contre les « paiens
traditionalistes » un de leurs héros. Le témoignage des participants du De re
publica permet de condamner sans appel la « théologie civile » des paiens. En
effet, ces « hommes trés savants (illi doctissimi viri) » « proposaient d’imiter
les hommes quiils jugeaient remarquables et dignes de louanges plutét que
leurs propres dieux, pour former le caractére de la jeunesse »>,
Dans cette diatribe (due au fait que les événements de Calama tiraient
leur origine d'une manifestation religieuse), Augustin établit un lien trés net
entre la religion et les moeurs. Le culte et la piété envers le vrai Dieu produi-
sent les bonnes meceurs, tandis que la « théologie civile » des paiens produit
linconduite. Bien qu Augustin ne le dise pas ici, une telle liaison est conforme
4 la fameuse analogie formulée par Lélius, dans le troisiéme livre du De re
es Lee
. Rep. IV, 7,7 Z.; IV, 6, 6 B.; frg. 21, Powell, p. 370.
: ng Sule 2%
. G. O'Daly, Augustine’ City of God, p. 25. p
No
Oo
WX . Ep. 91, 4. On lit un peu plus loin : « Lis dans les mémes livres <de La République> et
songe avec quelle sagesse il est montré que les intrigues et les actions des comédies n’auraient
pas été accueillies avec faveur si elles n'avaient été en accord avec les mceurs de ceux qui les
accueillaient » (Ep. 91, 4). Ce texte peut etre rapproché de De civ. Dei Il, 9: « Les comédies
nauraient jamais réussi a faire applaudir au théatre leurs scenes scandaleuses si le genre de
vie en usage ne l’avait pas rendu possible » (= Rep. IV, 10, 11 Dee hV (AO MOIB a5 TVG; 20a
Powell, p. 122). Sur le méme théme, cf. aussi De civ. Dei, II, 14.
528 Emmanuel Bermon
« Cicero redivivus »
1. Rep. Il, 21, p. 106 (24, 36 Z.; II, 28, 39, frg. 1 B.) (= Cont. Tul. IV, 12, 61). Cf. aussi
Repl, 22 (25537, 2). (=) De Gio XU 21):
2.0De civeDeMeoile
3. Ce long délai ipa sgsans doute par le fait que « le 16 juin et le 13 octobre 408,
les évéques d’Afrique demandeérent a lempereur des lois plus sévéres et un renforcement plus
efficace des lois contre les paiens et contre les donatistes regis carth. can. 106). Le 15 janvier
409, Honorius promulgua un autre édit garantissant la protection des Eglises chrétiennes
et de leurs évéques » (R. Dodaro, « Eglise et Etat », p. 521-522). Nectarius attendait, semble-
t-il, de voir quelle serait Pissue de la requéte des évéques.
4. « Lycaeum » a ici le sens de « gymnase » (cf. par ex. Cicéron, De Div. 1, 8).
Le Songe de Scipion dans la correspondance 529
une profonde méditation, et dépourvu de toute doctrine propre, il s’oppose
a toutes les théses remarquables que d’autres ont inventées en chicanant
(calumniator), et il accuse tout ce qui a été soutenu de facon remarquable,
sans défendre aucune thése qui vienne de lui ; non, entigrement réveillé par
ta parole, Marcus Tullius, ancien consul, est apparu sous mes yeux. »! L éloge
de Cicéron se poursuit par une belle hypotypose : rejetant les plis de sa toge,
au moment de son arrivée en Gréce, pour s’en faire un pallium grec, Villustre
orateur cause la stupéfaction parmi les écoles grecques.
Mais c'est surtout au sujet de la patrie céleste mentionnée par Augustin
que Nectarius tient a signifier son accord, en faisant clairement allusion a
la vie céleste des hommes d’Etat méritants qui est décrite dans le Songe de
Scipion’.
Lenseignement du Songe
1. Ep. 103, 1. Ce portrait est trop général pour qu’on puisse identifier un philosophe
ui serait particuliérement visé. On a pensé a Carnéade (cf. E. Heck, op. cit., p. 46), que la
ameuse ambassade 4 Rome de 155 pour défendre Athénes rendit célébre. L’épisode est rap-
porté par Cicéron en De rep. III, 6, 9 Z. (test. ad II], 7 Powell, p. 95) ; 12, 21 Z. (test. ad Kil,
8-9 Powell) ; 19, 29 Z. (III, 15 Powell). On note que Philus fait une allusion a la calumnia de
Carnéade (« ... ut Carneadi respondeatis qui saepe optimas causas ingeni calumnia ludificari
solet » [Rep. Ill, 5, 9 Z. = Non. p. 263, 8h). La calumnia est associée 4 Carnéade (cf. Acad.
prior. Il, 14) et plus généralement aux académiciens (cf. De nat. deor. Il, 20). Le portrait
pourrait cependant aussi bien s'appliquer a Arcésilas, qui choqua ses contemporains en se
défendant avec vigueur de faire preuve d’originalité (cf. C. Lévy, Cicero Academicus. Recherches
sur les académiques et sur la philoso hie cicéronienne, Ecole francaise de Rome, 1992, p. 15-16).
Ce portrait-type du nouvel académicien par Nectarius montre moins «son ignorance des
hilosophes grecs » (Solmsen, p. 52) qu une forme de fierté d’étre romain. Lévocation qui
fuifait immédiatement suite prl’'arrivée de Cicéron en Gréce est peut-étre une « réponse »
romaine a l’ambassade de 155. Quoi qu'il en soit, Nectarius appréciait moins les Académiques
que La République ... crm
2. « Nectarius remarque que les arguments d’Augustin sont dignes de Cicéron et
il contrebalance les références a la patrie céleste en paraphrasant des passages du Songe de
Scipion » (F. Solmsen, op. cit., p. AQ. int 1h):
3. CF. Powell, test. adVI, 17 (13 Z.), p. 137.
4, « Compellere » connote l’idée de contrainte. Nectarius tient-il 4 signifier 4 son corres-
pondant que celui-ci est en position de force dans cet échange ?-
5. « Tractatus » est employé au singulier. Le terme ne désigne pas des livres de philo-
sophes, mais plutét un traitement philosophique de la notion.
530 Emmanuel Bermon
et tramitibus) ; de celle que nous ne parvenons pas 4 exprimer en parlant mais que
nous pouvons peut-étre trouver en pensant. Si donc cette cité doit étre recherchée et
aimée au premier chef, il ne faut toutefois pas, je pense, déserter la cause de celle ou
nous sommes nés et od nous avons été engendrés : c'est elle qui a répandu sur nous
cette lumiére pour notre usage, qui nous a nourris, éduqués ; et ce qui nous importe
particuliérement, dirai-je, c'est que des hommes trés savants rapportent qu apres la
mort du corps une demeure (domicilium) est préparée dans le Ciel pour les hommes
qui ont bien mérité de leur cité, de sorte qu'une promotion 4 celle den haut est
assurée 4 ces hommes qui ont bien mérité de leurs villes natales ; et ce sont surtout
ceux dont on enseigne qu’ils sauvérent leur patrie par leurs conseils ou par leurs
ceuvres qui habitent avec Dieu. »'
ee pel 2:
I, ye VI529 (23,2525).
3. CE Rep. VI, 20 (16 Z,).
4. Sur la position d’Augustin par rapport a la théologie astrale, cf. Serm. 241, 8, 8;
De haeres. 70. On connait les sarcasmes de Jér6me a |’endroit d’Aconia Fabia Paulina, parce
qu'elle avait déclaré que son défunt mari, Prétextat, était désormais « dans le palais lacté du
ciel » (Jéréme, Ep. 24, 3).
5. In somnium Scipionis, 1, 4, 1 (éd. M. Armisen-Marchetti). Cf. aussi Favonius Eulogius,
Disputatio in Somnium Scipionis, R. E. Van Weddingen (éd.), Bruxelles, 1957, p. 20: « Bide
meritis (...) lactei circuli lucida ac candens habitatio deberetur ».
6. Rep. V1, 30 (26 Z.). Laffirmation est déja exprimée en Rep. V1, 17 (13 Z.). Selon
A. Ronconi, le Songe suivrait une composition en ak autour de cette thése. Dans une telle
composition, ot les idées sont présentées symétriquement autour d’un noyau central, on aurait
la séquence suivante : A. Veille (§ 9) ; B. Le réve (9) 3 C. Apparition (10) ; D. Révélation (11) ;
E. Eloge (12) ; E Exhortation (13) ; E’. Terre et ciel (14-21) ; D’. Mépris des choses célestes
(22-25 ; C’. Lame et le corps (26-29) ; B’. Disparition (29) ; A’. Réveil (29) (Somnium
Scipionis, Firenze, Le Monnier, 1961, p. 36-37) (voir la disposition typogra hique adoptée
par P. MacKendrick, in 7he Philosophical Books of Cicero, London, Duckworth, 1989, p. 55).
Bien que ce cercle ne soit pas trés rond, ’hypothése rend compte du fait que exhortation de
PAfricain en VI, 30 (26 Z.) est le theme essentiel du Songe. 4
Le Songe de Scipion dans la correspondance 551
« Socrate, le premier, rappela la philosophie du ciel, la situa dans les cités, l’intro-
duisit méme dans les maisons (domos) et lobligea 4 chercher au sujet de la vie, des
mceurs et des choses bonnes et mauvaises. »?
« Avons-nous déja tiré au clair tout ce qui concerne nos maisons (domos nostras)
: : ; -
et notre République, puisque nous demandons ce qui se passe dans le ciel ? »
Philus répond alors que Punivers tout entier est notre maison :
« Cette maison rest pas celle qu enferment nos murs, mais bien ce monde tout
entier que les dieux nous ont donné comme demeure et comme patrie, pour que
nous |’ayons en commun avec eux. » 6
Le Dieu de Nectarius
1. J. Powell, « Second Thoughts on the Dream of Scipio », p. 19. Cf. De Leg. I, 7, 23;
De nat. deor. I, 62, 154; De fin. III, 19, 64. Cf. aussi J. E. G. Zetzel, Cicero, De Re Publica
(selections), Cambridge, Cambridge University Press, 1995, ad loc.
2. (Repay DZO(QSs 2. Z.)s
3a Rep. Vi 3326; 29:2).
4, ig VI, 20 (16, 16 Z.).
5. Ct. De Off I, 26, 90). « The greek giiros was taken over into Latin originally as a term
for the “circular course on which horses were trained” » (A. Dyck, A Commentary on Cicero,
De officiis, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996, p. 233).
6. Elle est jointe A celles de « magnus Deus » (Ep. 103, 2) et de « summus Deus »
(Ep. 103, 4).
7. EK Cumont, « Jupiter summus exsuperantissimus », Archiv fiir Religi ;
1906, p. 323-336, p. 39. : aan eS HO dr
8. E Cumont, Les Religions orientales dans le paganisme romain, Paris, Librairie orienta-
liste Paul Geuthner, 1929 (4° éd.), p. 119. Cumont ne précise pas qui est ce « on »,
9. FE Cumont, op. cit., p. 119.
Le Songe de Scipion dans la correspondance 533
répandirent la croyance que les ames des fidéles qui avaient vécu pieusement
s élevaient jusqu'aux sommets des cieux, ot une apothéose les rendait sem-
blables aux dieux lumineux »'. Selon Cumont, toujours, « le premier exposé
qui soit fait 4 Rome de ce systeme se trouve dans le Songe de Scipion (c. 3) ;
il est tout imprégné de mysticisme et d’astrolatrie »*. Cette doctrine devait
détréner peu a peu sous ’Empire toutes les autres, si bien que « lesprit reli-
gieux et mystique de l’orient s était peu 4 peu imposé A la société entiére »,
et quil « avait préparé tous les peuples a se réunir dans le sein d'une Eglise
universelle »°.
Cumont se vit reprocher une « tendance a retrouver |’Orient partout »4,
en dépit du caractére novateur et de l’érudition de ses travaux. D’autres
auteurs adopteérent aprés lui une approche différenciatrice du phénoméne
religieux en question.
Selon C. Roberts, T. Skeat et A. Nock, qui lui ont consacré une belle
étude’, le « Dieu Trés Haut » a clairement plusieurs origines®. Le terme de
« Zeus Hypsistos » est d’abord né en Gréce’. I] apparait notamment dans
la poésie et chez les tragiques, ol Zeus est dit tiprotoc, taxeptatoc et
mavumeptatos. « Ces adjectifs dénotent Zeus en tant que chef des dieux
et des hommes. »’ Comme tel, ce dieu a souvent des sanctuaires dans des
montagnes et l’on se référe a lui en tant qu'il est le dieu du Ciel. Suivant une
acception plus imprécise, « Zeus Hypsistos » et « Theos Hypsistos » étaient
tous deux utilisés en Syrie pour décrire les Baals locaux d'une région donnée,
des dieux des montagnes, pour la plupart d’entre eux’.
Un usage particulier a considérablement retenu |’attention : « Hypsistos »
était un terme commun dans les livres canoniques tardifs de l’Ancien
Testament et dans les écrits du judaisme hellénistique pour se référer au Dieu
des Juifs. Le culte adressé dans le Bosphore au « Theos Hypsistos » fut une
émanation du judaisme, dans laquelle les juifs hellénisés et les gentils qui
judaisaient trouvérent un terrain commun"®. Un tel contexte religieux a été
comparé au terreau dans lequel lislam prit racine’. « En fait », comme l’écri-
vent Roberts, Skeat et Nock, « nous sommes sur une frontiére religieuse ys
« Hypsistos était un terme en usage, assez vague pour convenir a tout dieu
considéré comme I’étre supréme. »? On peut dés lors se poser la question
suivante : « explication “de la diffusion de ce terme” ne doit-elle pas étre
cherchée dans la tendance 4 concentrer les pouvoirs dans les mains d’une
seule déité, concue comme régnant au-dessus de tout du haut d’un lieu élevé
dans le ciel ? Si tel est le cas, l’épithéte est comparable a exsuperantissimus, a
cette différence prés qu'elle acquit un usage beaucoup plus large. »*
La « tendance » A « concentrer les pouvoirs dans les mains d’une seule
déité » fut A ’ceuvre dans le monde romain. On identifie assez nettement,
au temps des Antonins et des Sévéres, un syncrétisme qui tend a établir
une monarchie divine®. A cette époque, « les Romains ont cherché a hié-
rarchiser les dieux autour d’un dieu souverain, comme le Jupiter Capitolin,
protecteur de Rome »°. Ce mouvement est attesté, 4 partir du milieu du
1° siécle, par diverses inscriptions qui contiennent des dédicaces a Jupiter
« summus exuperantissimus »’ et par des monnaies au type de IOVI EXSUP.
«Il y a plus, car la personnalité de Jupiter Capitolin va s’éclipser », comme
le note Pierre Batiffol®, au profit d'une « divinité sans nom, qui réside au
plus haut du ciel »’. Cette éclipse est perceptible chez Apulée, qui participa
en ce sens, avec tous les philosophes médio-platoniciens, a la « tendance »
que nous avons évoquée, a « concentrer les pouvoirs dans les mains d’une
seule déité, congue comme régnant au-dessus de tout ». En se référant a
Platon, le médio-platonisme apporta des fondements théoriques rigoureux
4 l’hénothéisme.
Apulée, le philosophe africain de Madaure, est la source de Nectarius.
Hormis la lettre de Nectarius 4 Augustin, le terme d’exsuperantissimus ap-
parait que dans le « corpus apuléen »'°. Ses trois occurrences! révélent que le
deus exsuperantissimus est le dieu du Timée, « pére et fabriquant de l’univers ».
Maximus sait aussi qui est appelé Baotdevc®. Dans le traité sur le Monde,
univers est concu, en référence a ce basileus, comme une « monarchie » régie
par « le dieu supréme et suréminent »”. Ce dieu « ordonne que l’ensemble de
la machine brillante et illuminée par les astres soit mis en branle »'°. C'est par
la qu'il peut étre connu de nous, lorsque notre intelligence prend en consi-
dération « les traces des ceuvres divines (divinorum operum uestigiis) »''. En
bref, dans une telle perspective, « Caeli enarrant ... », pour reprendre le céle-
bre verset biblique (Ps 18) qui a donné son titre a la monographie d’Arthur
Timée 30 b-c ; 73 a.
De Plat. 12, 205.
De Plat. 11, 204.
Phédre, 247 c.
Phédre, 246 e.
Phédre, 247 b-c.
Apol. 64 (éd. P. Vallette, Les Belles Lettres, 1971).
Cf. [Platon], Zp. Il, 312 e.
0NDR
. Apulée, De mundo, 27, § 350 (éd. J. Beaujeu, 1973).
10. De mund. 30, § 357.
11. De mund. 31, § 360.
536 Emmanuel Bermon
Cette phrase « est peut-étre la plus célebre du dialogue »*. Dans son
étude sur le « Theos agnésthos », Norden écrivit qu'on remplirait des pages
avec les citations qui en furent faites‘. De fait, elle devait étre reprise par
Fulvius Nobilior’, par Cicéron® et par les auteurs médio-platoniciens’ et les
apologétes chrétiens*®, qui s'accordaient a reconnaitre Pexistence d’un Dieu
ineffable, pére de toutes choses, dont on reconnait la providence a ses ceuvres.
C’est précisément cette phrase du Timée que Nectarius applique a la cité
céleste ou sont accueillis les hommes qui ont bien mérité de leur patrie.
Les traits essentiels du « Dieu suréminent » sont donc appliqués a la patrie
céleste : celle-ci est « céleste », en entendant par 1a qurelle est « transcendante
au monde » puisquelle ne se confond pas avec lui, et, s'atteignant par la
pensée seulement, elle demeure ineffable.
Enfin, en affirmant que la patrie céleste dont Augustin a parlé est la cité
ineffable « que toutes les lois cherchent 2 atteindre, par des voies et des che-
mins différents », Nectarius entend produire une justification discréte mais
forte du paganisme. La thése d’une pluralité de « voies » possibles pour assu-
rer son salut doit étre rapidement située dans son contexte historique.
Comme Henry Chadwick I’a rappelé, « dans l'Est de la Gréce, dans les
années 360, Thémistius avait défendu l’idée que la diversité des cultes et des
croyances est un témoignage en faveur du mystére transcendant de Dieu,
au-dela de l’intelligence, qui seul est un objet approprié d’adoration, si nous
avons d’abord reconnu combien il est inconnaissable. Thémistius fit de cet
argument le fondement d’une politique de tolérance en matiére de religion »'.
Dans le fameux « Discours V », prononcé en 364, six mois aprés la mort de
empereur Julien’, Thémistius affirme que « la voie » qui méne 4 Dieu « rest
pas unique » et que « |’émulation et l’ardeur nous viennent uniquement du
fait que nous nempruntons pas tous la méme voie. »?
Une telle attitude fut reprise par Symmaque, comme on le sait, lorsquil
plaida en 384 pour la restauration de l’autel de la Victoire au Sénat. « Comme
Thémistius, Symmaque fonde en partie son appel a la tolérance religieuse sur
Pidentité possible entre lobjet des cultes chrétiens et paiens — une identité
rendue possible 4 cause du caractére inconnaissable du Dieu supréme. »* On
lit dans la troisiéme Relatio :
« Nous demandons qu'on laisse en paix nos dieux nationaux, nos dieux indigé-
tes. Ce que tous les hommes adorent, il est juste de penser qu'il est unique. Nous
contemplons tous les mémes astres, le ciel nous est commun a tous, le méme uni-
vers nous entoure : quimporte la sagesse (prudentia) par laquelle chacun cherche la
vérité ? Un seul chemin ne suffht pas pour accéder a un si grand secret (uno itinere
non potest veniri ad tam grande secretum). »°
« En réponse ace plaidoyer, Nectarius recoit une longue lettre dans laquelle
il se voit reprocher d’avoir sollicité le texte de la premiére lettre dans un
sens impliquant des accusations imméritées. »* Ses arguments sont réfutés
un aun.
« Ceux que Tullius appelle pour ainsi dire les “philosophes consulaires”’, parce
quil fait grand cas de leur autorité, pensent que, lorsque nous avons consommé
notre dernier jour, notre ame, loin de s’éteindre, émigre ; et ils afirment que selon
ses mérites, bons ou mauvais, elle demeure (permanere) dans le bonheur ou dans le
malheur. »°
« Cela s'accorde avec les livres sacrés », dit Augustin. On ne saurait étre
plus explicite, « les conceptions de Cicéron sur la vie aprés la mort sont com-
patibles avec les croyances chrétiennes. »’ autorité de Cicéron se retourne
contre Nectarius : la mort est la fin des maux pour ceux-la seuls qui ont vécu
vertueusement, mais non pour les autres.
Ee pel 03,3:
. Ep. 104, 1, 3.
. WCE Sallustey Gat.'1;3.
eon IOS s1, 3: ime alle
MA
de. D’aprés ce passage, et un paralléle dans le Contre Julien (IV, 15, 76), Cicéron désignait
BRO
de la sorte Platon et ses disciples en tant qu'ils sont les auteurs qui ont la plus grande autorité
en philosophie. Dans les Tusculanes (1, 23, 55), il est fait mention « des philosophes de la
lébe » (plebei philosophi), qui doutent quant a eux de l’immortalité de |ame. Sur ces appel-
nae cf. M. Ruch, « “Consulares philosophi” chez Cicéron et chez saint Augustin », Revue
des Etudes Augustiniennes, 5, 1959, p. 99-102 ; J. Glucker, « “Consulares philoso hi” again »,
Revue des Etudes Augustiniennes, 11, 1965, p. 229-234. D’aprés M. Plezia, elles remonte-
raient 4 Dicéarque (« Les philosophes consulaires, politiques et plébéiens de Cicéron », Zetesis.
Mélanges E.de Strycker, Utrecht, 1973, p. 367-372). Le passage auquel Augustin se réfere a été
consilene comme un fragment de I’Hortensius (frg. 102 Miiller, non retenu par Grilli).
6. Ep. 104, 1,3.
Pe a O'Daly, Augustines City of God, p. 25.
540 Emmanuel Bermon
1. G. Watson écrit au sujet d’Augustin : « He was the last man to deliver ad hoc decisions
without a background oftheory, even ifhe did not write a specific work on penology» (« Crime
and Punishment in Augustine and the Philosophical tradition », The Maynooth Review, 8, 1983,
p. 32-42, p. 39-40). La Lettre 104 est un ‘leetextes les plus développés sur la nécessité de
punir les méfaits. Sur la punition, cf. T. Breyfogle, « Chatiment », in A. D. Fitzgerald (ed.),
Augustine through the Ages, tr. fr., p. 220-223.
2. Ila été identifié par B. R. Voss dans « Vernachlassigte Zeugnisse klassischer Literatur
bei Augustin und Hieronymus », Rheinisches Museum, 112, 1969, p. 154-166, p. 157 et figure
dans I. Garbarino, M. Tuli Ciceronis fragmenta, Milan, A. Melneeston, 1984. On lisait dans le
Protreptique d’Aristote le proverbe : « Pas de couteau dans les mains d’un enfant » (Lr) TrALdi
Maxatpav) (fragment B 4 Diiring [= Ross, frg. 3]).
By EpctO4, 257:
4. Serm. 50, 2-4.
5. H. Chadwick, « Augustine on Pagans and Christians... », pal:
6. « [Lex naturae] quae vetat ullam rem esse cuiusquam nisi eius qui tractare et uti sciat »
(Rep. I, 27).
Le Songe de Scipion dans la correspondance 541
voie universelle de la délivrance de l’Ame »! ; lorsqu’il discute avec le paien
Longinianus’ et quil lui demande avec un grand respect son sentiment « sur
Punité ou la multiplicité des voies »’ ; ou encore lorsqu’il revient, dans les
Retractations, sur cette phrase qu ila lui-méme écrite dans les Soliloques, a savoir
« il ny a pas qu'une seule voie pour parvenir 4 union avec la sagesse »*.
Dans notre lettre, Augustin se dit d’accord, aprés réflexion, avec |’affir-
mation selon laquelle « toutes les lois cherchent a atteindre, par des voies
et des chemins différents » la patrie céleste. Il l'approuve dans l’idée quelle
ne dit pas que l’on « arrive », ou que l’on « trouve » la patrie par différen-
tes voies, mais seulement qu'on y tend (appetunt). « Tu as signifié, non pas
Paboutissement, mais le désir d’aboutir. »° Or, « nous voulons tous étre heu-
reux », comme le dit la trés célébre maxime de |’Hortensius. Pourtant, celui-la
seul est heureux « qui suit la voie qui le fait non seulement aspirer mais aussi
arriver »°,
Si maintenant par « différentes voies », on entend des voies qui sont,
non pas contraires, mais différentes, comme les sont différents préceptes,
qui concourent a former la vie bonne, I’un au sujet de la chasteté, |’autre
de la patience, etc., alors en les empruntant, on aspire a arriver et on arrive.
En fait, ces voies toutes ensemble n’en font qu une. C'est ainsi que « dans
les Saintes Ecritures, on parle de la voie et des voies ». Et comme le Christ
a dit : « Je suis la voie » (Jn 14, 6), Cest en lui quil faut chercher la vérité,
de peur de s’égarer. N’est-ce pas précisément ce qui arrive 4 Nectarius ?
Restant sur un registre philosophique, Augustin montre 4 ce dernier qu'il
emprunte de mauvaises voies pour aller vers la cité céleste ou il veut habiter,
parce quil suit des principes philosophiques qui sont erronés. Nectarius
a soutenu que la mort supprime le sentiment de tous les maux et quil
vaut mieux ne pas étre puni dun méfait qu’on a commis ; Augustin le
reprend maintenant sur le second argument qu'il alléguait pour défendre
ses concitoyens :
« Si nous suivions cette voie suivant laquelle tous les péchés sont égaux, nous
nous éloignerions de la patrie de la vérité. Cette voie conforme a l’opinion de certains
philosophes n’est pas une de ces différentes voies qui conduisent au séjour céleste. »”
1. De civ. Dei, X, 32, 1. Sur Pophyre, cf. A. Smith, Porphyry’s Place in the Neoplatonic
Tradition, La Hague, Nijhoff, 1974, p. 136-9. ; Neen
2. Sur ce personnage, qui se présente comme un prétre paien et qui était tres vraisem-
blablement Flavius Macrobius Longinianianus, préfet du prétoire des Gaules, puis d’Italie,
cf. R. Goulet, « Longinianus », DPAA, IV, 2005, p. 113. Sur son échange avec Augustin, Ch
P. Mastandrea, « Il dossier Longinianus nell’epistolario di Sant Agostino », Studia Patavina,
25, 1978, p. 523-546 ; A. Solignac, « Le Bien originel chez Augustin », Nouvelle Revue théolo-
gique, 122, 2000, p. 400-415, p. 411-414.
Ep 235.
$i I, 13, 23 repris dans Retract. I, 4, 3, qui cite Jn 14, 6.
Ep.104,
4,12.
Ep. 104, 4, 12.
RY
NAWEp. 104, 4, 13.
542 Emmanuel Bermon
Introduction
1. Pour un apercu de sa vie et de ses ceuvres voir, par exemple, Walsh (1999), x1-xxx.
2. Plus de détails chez Trinkle (1977).
3. Livre V, prose 1, et en particulier livre IV, prose 6, « quanquam angusto limite temporis
(bien que nous soyons trés limités dans le temps » (trad. Vanpeteghem, 2008).
4. Cf. Cicéron, De lorateur, I, 86-88.
Couper — Coller Sue
Il sagit d'un véritable patchwork. S’il est probable que Boéce soit parvenu
a finir son livre 4 temps parce qu'il avait beaucoup de matériau traditionnel
a Pesprit, il ’est sans doute tout autant quil y soit parvenu parce qu il avait
en téte un plan convaincant qui déterminait comment organiser le matériau.
La maniére dont il a fait cela est en soi créative et lordre est ici de toute
importance. On est tenté de dire que les mauvais arguments se trouvent au
début et que ceux qui suivent deviennent meilleurs de livre en livre — ce qui
serait déja un tour remarquable pour intégrer des matériaux hétérogénes.
Mais il y a plus que cela : le patient lui-rméme change au cours de la théra-
pie. Dame Philosophie indique clairement que tout d’abord quelques tran-
quillisants seront nécessaires, puis qu'une médecine douce devra précéder la
médecine forte!. Du coup, si elle avait commencé par les pensées profondes
sur l’éternité qui seront développées au livre V, la thérapie aurait été vouée a
léchec’. Il faut cependant noter qu’au début du livre I, un argument comme
« Regarde, les autres connaissent aussi la malchance »’ est un bon argument
parce que la est a la place qui est la sienne.
1. Livre I, prose 5 ; Livre II, prose 5 ; Livre III, prose 1. Voir également Gruber (1978,
p. 148). Selon Schmid (1956), 135, qui examine a fond le contexte médical, Pidée est reprise
de Galien (Compos. medicam, Il, 590).
2. Pour le méme point de vue, voir Curley (1986, p. 220).
3. Livre I, prose 3 et 4.
4. Platon, République, X, 613e-621b.
5. Platon, Phédon, 108e-11 1c.
6. Livre IV, poéme 5.
Couper — Coller 547
esprit philosophique — mais seulement au début d’une periagogé tés psychés.
Accompagnée de gloria, la virtus elle-méme est concernée, du moins en un
sens spécifique. Voila qui implique de distinguer entre deux sens de virtus et
qui refléte une évolution de Cicéron A Boéce.
lam vero ipsa terra ita mihi parua uisa est ut me imperii nostri quo quasi punctum
elus attingimus paeniteret.
Et dés lors, la terre elleeméme me sembla si petite que j’étais humilié de ce que
notre empire nen occupat, pour ainsi dire, qu'un point. (Bréguet, 2002 ; et ainsi
pour la suite.)
Le decus n'est pas la méme chose que la gloria, du moins le verum decus ne
lest-il pas. Il n'y a aucun espoir de Pobtenir grace 4 un dossier truqué. Pour
l'homme excellent, la virtus a sa propre fagon de se rendre attractive. Que
cela produise quelque gloria parmi les hommes, ici-bas sur terre, ne compte
pas.
Cela veut-il dire que, venant de qui que ce soit, approbation soit sans
pertinence ? Cela veut-il dire aussi que, quoi qu’on fasse pour I’Empire
romain, cela est sans valeur parce que |’Empire est vraiment si petit ? Bien
Hance [= animam] tu exerce in optimis rebus. Sunt autem optimae curae de salute
patriae, quibus agitatus et exercitatus animus uelocius in hanc sedem et damum suam
perolabit.
Cette ame, exerce-la aux plus nobles activités. Les plus nobles, ce sont les soins
accordés au salut? (salus) de la patrie ; Ame (animus) qui a passé par ces luttes et cet
entrainement parviendra plus vite, dans son vol, jusqu’a la région ou nous sommes,
ot lui est réservée une demeure.
étre sur ce point la propre contribution de Cicéron et, si tel est bien le cas,
elle a pour effet de transformer la métaphysique en politique.
Macrobe
Adde quod hoc ipsum brevis habitaculi saeptum plures incolunt nationes lingua,
moribus, totius vitae ratione distantes ad quas tum difficultate itinerum tum commercii
non modo fama hominum singulorum sed ne urbium quidem pervenire queat.
Ajoute que l’enclos méme de cet habitacle étriqué est habité par un petit nombre
de peuplades qui different par la langue, les mceurs et tout leur genre de vie et qu’en
raison de la difficulté des voyages, tantét de la diversité des langues, tantét de la
rareté des échanges commerciaux, la renommée non seulement de particuliers, mais
méme de villes, ne peut parvenir jusqu’a elles. (Moreschini et Vanpeteghem, 2008 ;
et ainsi pour la suite.)
que la vérité ou la fausseté des jugements moraux est relative 4 une culture :
4 la toute fin de la Consolatio, tout est dit se dérouler sous les yeux d’un juge
omniscient. Cela étant, il peut néanmoins reconnaitre, et en faire usage, le
fait sociologique que les populations different dans leurs jugements moraux
(beaucoup d’entre elles étant cependant dans l’erreur) en fonction de leurs
cultures respectives.
Il faut encore relever que, dans sa formulation de l’argument temporel,
Boéce est plus radical que Cicéron. Comme !’auteur du psaume XC qui com-
pare la durée finie de mille ans 4 la durée finie d’une journée, Cicéron se
contente du fait qu'une période finie de gloria est assez courte en comparaison
avec la durée finie des dix mille ans d'une année astronomique. Boéce ajoute :
si dix mille ans, en tant que durée finie, ne peut étre aucunement propor-
tionnée a l’éternité, a fortiori toute période de renommée mest pas seulement
de courte, mais de zéro durée par rapport a ce 4 quoi elle devrait étre com-
parée pour que sa valeur soit estimée a sa juste mesure. D’ailleurs il n'est pas
incohérent que, dans ce passage, l’aeternitas soit définie comme interminabilis
diuturnitas. Mais nous sommes ici au livre Il: Boéce, le patient, a encore
besoin d’étre préparé a la conception atemporelle beaucoup plus abstraite de
laeternitas du livre V. Inverser lordre aurait été une incohérence.
Le second insert est la célébre anecdote si tacuisses, philosophus mansisses,
« Si tu vétais tu, tu aurais été reconnu philosophe ». Pourquoi insérer cela
ici ? A la maniére sophistiquée dont Boéce présente cette anecdote, on voit
bien quiil s’agit de la gloria. Lidée nest pas que quelqu’'un se révéle étre
ignorant une fois qu’il se met 4 parler alors qu'il serait autrement passé pour
un philosophe. C’est trés précisément inverse: A veut se faire passer
pour un philosophe auprés de B (et plus largement). B le met 4 l’épreuve
en le provoquant et en l’injuriant. A, faussement stoique, garde le silence,
comme il se doit s'il veut se montrer philosophe. Mais ensuite, A demande :
« intellegis me esse philosophum — reconnais-tu enfin que je suis un philoso-
phe ? » D’ou la savoureuse réponse de B : « Intellexeram, si tacuisses — Jallais
le reconnaitre, si tu t étais tu. » Autrement dit, pour un philosophe, aspirer
a la gloire est incompatible avec le fait d’en étre un. Lanecdote illustre par
ce biais la praestantia de la conscience tacite de la virtus de quelqu un. I] est
difficile de savoir si Cicéron aurait apprécié cette anecdote : tacher de ne pas
riposter lorsqu’on est insulté n’est pas exactement un cas paradigmatique
de la sorte de virtus que Cicéron avait 4 lesprit. Le philosophe en question
pourrait étre un philosophe chrétien', mais pas nécessairement : il n’est pas
impossible que le frére stoicien de Cicéron, Quintus (que nous connaissons
par le De divinatione), aurait aimé l’exemple.
Le cadre de linsert du Somnium se compose de l’admonition située au
début et dans la conclusion du passage en prose de ce chapitre II, 7. Les deux
passages sont difficiles, comme on peut s’y attendre au début et 4 la fin d’une
insertion. Afin de mieux cerner les choses, il sera utile de distinguer entre
Scis, inquam, ipsa minimum nobis ambitionem mortalium rerum fuisse domina-
tam ; sed materiam gerendis rebus optavimus, quo ne virtus tacita consenesceret.
‘Tu sais bien, dis-je, que la poursuite des biens mortels ne m’a pas du tout dominé,
mais que j’ai souhaité avoir l’occasion de gouverner pour que mon mérite ne vieillise
pas sans s’étre exprimé.
Atqui hoc unum est quod praestantes quidem natura mentes, sed nondum ad extre-
mam manum virtutum perfectione perductas, allicere possit, gloriae scilitet cupido et
optimorum in rem publicam fama meritorum.
Oui, la seule chose qui peut attirer les esprits éminents par nature qui n'ont pas
encore atteint le sommet dans la perfection des vertus, c’est bien le désir de la gloire
et de la renommée qu’apportent les meilleurs services rendus a |’Etat.
Quae [= cupido gloriae, etc.] quam sit exilis et totius vacua ponderis, sic considera.
Mais considére comme C est insignifiant et inconsistant.
1. Ceux qui seraient motivés par la gloria mal méritée ne seraient manifestement pas
praestantes.
2. Cf. « Wie sehr Boethius [...] vom allgemeinen rémischen Empfinden abweicht [...] » :
Scheible (1972, p. 71 et sq.). Les passages sur lesquels elle attire l’attention sont les suivants :
pace Cat. (1, 3-4; 2,93; 11, 2) ; Horace (Carm. 3, 30), Ovide (Métamorphoses 3, 7, 50 ; 3,
La fin de ce chapitre (II, 7, 21-23) est encore plus difficile que son début
parce que, en raison de la fonction différente du passage, elle ne conduit pas
4 la méme conclusion que la fin du Somnium de Cicéron :
Quid autem est quod ad praecipuos viros, de his enim sermo est, qui virtute gloriam
petunt quid inquam, est quod ad hos de fama post resolutum morte suprema corpus
attineat ? Nam si, quod nostrae rationes credi vetant, toti moriuntur homines, nulla est
omnino gloria, cum is cuius ea esse dicitur non exstet omnino. Sin vero bene sibi mens
conscia, terreno carcere resoluta, caelum libera petit, nonne omne terrenum negotium
spernat, quae se caelo fruens, terrenis gaudet exemptam °
Or quelle raison y a-t-il pour que les hommes éminents — car c’est d’eux que
je parle — qui recherchent la gloire par la vertu, quelle raison y a-t-il, dis-je, pour
quiils se sentent concernés par la renommée une fois que la mort a fini de désa-
gréger les corps ? Car si, ce que nos raisonnements nous défendent de croire, les
hommes meurent tout entiers, il n’y a pas de gloire du tout puisque celui a qui
on l’attribue ne survit pas du tout. Si au contraire l’4me bien consciente d’elle-
méme, dégagée de sa prison terrestre, gagne libre le ciel, ne mépriserait-elle pas
toute affaire terrestre, elle qui jouit du ciel et se réjouit d’étre délivrée des choses
terrestres ?
Ce conseil est cependant étroitement lié (par enim dans la phrase qui suit)
a la surestimation de la gloria chez les étres humains sur terre. Le contexte en
est le suivant : Scipion le Jeune tourne les yeux vers la terre tandis que Scipion
l’Ancien veut lui expliquer la structure du ciel. Dans la Consolatio de Boéce, il
1. Plus de détails dans O’Daly (1991, p. 145 et sq.) et dans Scheible (1972, p. 68-73).
558 Niko Strobach
Scipione: Oh stelle!
E la terra? [...]
E tanti mari
E tanti fiumi e tante selve e tante
Vastissime province, oppostt, regnt,
Popoli differenti? E il Tebro? E Roma?
Emilio: Tutto é chiuso in quel punto.
Scipione: Ah, padre amato,
Che piccolo, che vano
Che misero teatro ha ilfasto umano!"
A premiere écoute, il est un peu décevant que Mozart ait associé ce texte a
un recitativo qui nest nullement dramatique, mais il faut dire, a sa décharge,
que c’est un dialogue et qu'un argument relatif a la vanité n’est tout simple-
ment pas adapté 4 une aria ou 4 un duetto. De plus, a l’age de 16 ans, Mozart
n était sans doute pas trés sensible a de tels arguments.
Linfluence sur la philosophie du xvur‘ siécle de l’opposition entre
virtus et gloria dans le Somnium de Cicéron ne saurait toutefois étre mésesti-
mée. On la trouve chez les écrivains francais de l’époque, mais aussi dans les
Fondements de la métaphysique des meurs de Kant : la bonne volonté brillerait
comme un bijou, méme si elle n’avait aucun effet observable’. II est bien pos-
sible que le Somnium dans son ensemble ait influencé la fin de la deuxiéme
Critique, 1a ot Kant dit quil y a deux choses admirables, « le ciel étoilé au-
dessus de moi et la loi morale en moi »’. On peut, en effet, supposer sans
risque que Kant a lu le Somnium a V’école.
Pour plus de précision systématique, il serait utile de se demander si la
distinction kantienne entre hétéronomie et autonomie* est annoncée chez
Cicéron, Macrobe ou Boéce. On est tenté de dire : tandis que laspiration a
la gloria est Phétéronomie, la conscientia virtutis est Pautonomie. Toutefois,
selon Kant, les deux ne sont que deux types différents dhétéronomie. Car si
vous faites quelque chose pour vous sentir bien a ce sujet, méme si personne
d’autre ne le remarque, vous continuez a suivre votre inclination (Neigung),
4 vous sentir bien 4 propos de quelque chose. Invariablement, non seulement
Kant ne promet pas le ciel, mais il va jusqu’& me dénier la possibilité de ne
jamais déceler si j’ai vraiment agi de maniére autonome'. Or, cela est net-
tement plus radical que ce 4 quoi les auteurs anciens auraient pu « réver ».
Chez Kant, il ny a pas de conscientia virtutis immédiate parce que méme son
état de fructus virtutis porterait atteinte 4 sa valeur morale.
D’autre part, le respect de la loi (Achtung fiirs Gesetz) que Kant carac-
térise comme le seul sentiment autoproduit (selbstgewirktes Gefiihl? semble
étre un remarquable équivalent fonctionnel de la conscientia virtutis. Les deux
sont con¢us comme des facteurs internes de motivation pour I’action morale
par opposition a la motivation extérieure. Les textes de Cicéron et de Boéce
peuvent donc étre lus comme des jalons sur un long chemin, mais ils sont
pourtant eux-mémes largement plus éloignés qu’on pourrait le penser a pre-
miére vue : chez Cicéron, nous avons un mélange de motivation interne et
externe, chez Boéce, la motivation est plus clairement interne, chez Kant,
elle est tellement interne qu’on ne peut méme pas la voir de l’intérieur.
Pour Cicéron, étre « digne de la béatitude/du bonheur » (der Ghickseligkeit
wiirdig) serait trop peu. Quelque assurance de béatitude en tant que résultat
de virtus est nettement préférable. Et si Kant pose le postulat du ciel dans la
deuxiéme Critique, nest-ce pas parce que la distribution effective du bonheur
sur terre a tout simplement l’air trop absurde’, l’assurance ayant été perdue a la
suite de la premiére Critique ? Est-elle vraiment présente chez Cicéron ? Aprés
tout, le Songe de Scipion rest qu'un songe, un réve. Lensemble du Somnium
a le statut d’un texte dans la tradition des mythes de Platon et ces « récits de
songe » ne peuvent étre ici discutés. Pourtant, il ne fait aucun doute que,
méme aujourd hui, les textes de Cicéron et de Boéce fournissent un accés
fascinant pour réfléchir sur les complications de la motivation morale.
Niko STROBACH
Westfalische Wilhelms-Universitat Miinster
1) Textes et traductions
Boéce, La Consolation de philosophie, édition de Claudio Moreschini, traduction et
notes de Eric Vanpeteghem, introduction de Jean-Yves Tilliette, Paris, tcr-Le
Livre de Poche (coll. « Lettres Gothiques »), 2008.
Boethius, 7rost der Philosophie, Ubersetzt und herausgegeben von Karl Biichner mit
einer Einleitung von Friedrich Klingner, Stuttgart, 1971, Reclam.
Boethius, Trost der Philosophie, Ubersetzt und herausgegeben von Ernst Neitzke mit
einem Vorwort von Ernst Ludwig Grasmiick, Frankfurt am Main, 1997, Insel.
Cicéron, La République, texte établi et traduit par Esther Bréguet, Paris, Les Belles
Lettres (« CuF »), 2002.
2) Etudes critiques
Belsey Andrew, « Boethius and the Consolation of Philosophy, or, How to Be a
Good Philosopher », Ratio, vol. 4, 1991, n° 1, p. 1-15.
Curley Thomas F., « How to Read the Consolation of Philosophy », Interpretation — a
journal ofpolitical philosophy, 14, p. 211-263, 1986.
De Vogel Cornelia, « The Problem of Philosophy and Christian Faith in Boethius’
Consolatio », in W. Den Boer/P. G. Van der Nat et al. (eds.), Romanitas et
christianitas. Amsterdam, North-Holland (1973), p. 357-370. Cité d’apreés la
réimpression dans Fuhrmann/Gruber (eds.), (1984, p. 286-301).
Duclow Donald E, « Perspective and Therapy in Boethius's Consolation ofPhilosophy »,
Journal ofMedicine and Philosophy, vol. 4, 1979, n° 3, p. 334-343.
Fuhrmann Manfred/Gruber Joachim (eds.), Boethius, Wege der Forschung 483,
Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1984.
Gruber Joachim, Kommentar zu Boethius De Consolatione Philosophiae, Berlin/New
York, De Gruyter, 1978.
Janda Michael, Elysion. Entstehung und Entwicklung der griechischen Religion,
Innsbruck, Institut fiir Sprachen und Literaturen der Universitat Innsbruck,
2005.
Nussbaum Martha, The Therapy of Desire. Theory and Practice in Hellenistic Ethics,
Princeton, Princeton University Press, 1996.
O’Daly Gerard, The Poetry of Boethius, London, Duckworth, 1991.
Rand Edward Kennard, « On the Composition of Boethius’ Consolatio Philosophiae »,
Harvard Studies in Classical Philology, 15, 1904, p. 1-28 ; Cité d’apreés la réim-
pression dans Fuhrmann/Gruber (eds.) (1984, p. 249-277).
Scheible Helga, Die Gedichte in der Consolatio Philosophiae des Boethius, Heidelberg,
Carl Winter Universitatsverlag, O72
Schmid Wolfgang, « Philosophisches und Medizinisches in der Consolatio des
Boethius », Festschrift
ftir Bruno Snell, zam 60, Geburtstag am 18, Juni 1956
von Freunden und Schiilern iiberreicht, Miinchen, Beck, 1956, p. 113-144.
Sorabji Richard, « Is Stoic Philosophy Helpful as Psychotherapy? », in R. Sorabji (ed.),
Aristotle and after, London, Institute of Classical Studies, 1997, p. 197-210.
Trankle Hermann, « Ist die Philosophiae Consolatio des Boethius zum vorgesehenen
Abschluss gelangt? » in Vigilae Christianae 31, 1977, 148-154 ; Cité daprés la
réimpression dans Fuhrmann/Gruber (eds.) (1984, p- 311-319).
Williams Bernard, « Stoic Philosophy and the Emotions: Reply to Richard Sorabji »,
R. Sorabji (ed.), Aristotle and after, London, Institute of Classical Studies, 1997,
p. 211-214,
IN MEMORIAM
JACQUES BRUNSCHWIG
* Le texte qui suit a fait l'objet d’une conférence a la Sorbonne, le 28 avril 2011, pour
souligner le premier anniversaire de la mort de Jacques Brunschwig. Je tiens a remercier
Annick Jaulin pour son invitation 4 prononcer cette conférence.
1. Pour une premiere version de cette étude, cf. Bolton 1992.
2. Cf. Top. 17, 103a30 ; VIII 10, 160b27-28 ; RS 5, 166b33-36 et 34, 183b7-8.
3. Cf. EE I 5, 121G6b2-10; III 1, 1229a12-16; 1230a7-10; VII 1, 1235a35-b2;
VIII 1, 1246b-32-36; 2, 1247b11-15; EN III 11, 1116b3-5; IV 13, 1.127622-26; VI 13,
1144b14-21, b28-30; VII 2, 1145b21-27, b31-34; 1147b14-17; [Aristote], MM I 1,
1182a15-23; 1183b8-11; I 9, 1187a5-13; I 20, 1190b27-29; I 34, 1198a10-13; II 6,
1200b25-29.
Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 563-582
564 ; David Lefebvre
Cf., entre autres, Hambruch 1904 ; Brunschwig 1967, p. xcu-xcv1 ; Ostenfeld 1996.
Cf. Dorion 1995, p. 47-53.
Cf. infra, p. 568, 578-579 et 580.
. Si l'on s'en tient au texte d’Aristote, l’objectif poursuivi par les RS est d’analyser et de
aes
oie
neutraliser l’elenchos sg pe es et non pas de décrire Pelenchos socratique. Cet objectif est
clairement énoncé dés les premiéres lignes des RS (1, 164a20-22)
Aristote et lelenchos socratique
565
Quoi qu'il en soit, Bolton identifie « deux raisons principales pour les-
quelles la description d’Aristote n’a pas été, jusqu’a maintenant, utilisée de
facon systématique pour comprendre la méthode socratique. La premiére
est que l’on a supposé qu Aristote n’attribue pas a Socrate la pratique de la
dialectique, telle qu’elle est décrite dans les Topiques et les Réfutations sophis-
tiques, mais seulement la pratique de la peirastique, ou l’art de tester, qu Aris-
tote distingue de la dialectique' ». La réponse de Bolton consiste a rappeler
que dans la mesure oi Ia peirastique est une partie de la dialectique, Aristote
ne peut attribuer a Socrate la pratique de la peirastique sans lui attribuer, par
le fait méme, la pratique de la dialectique. Bolton préte ici le flanc & deux
objections : 1) Aristote ne peut pas refuser a Socrate la pratique de la dialec-
tique, puisque tous les hommes s’adonnent a la dialectique? et qu'un passage
de la Métaphysique (M 4, 1078b23-27), auquel Bolton ne fait pas référence,
semble confirmer que Socrate pratiquait la dialectique ; mais cela ne signifie
pas, pour autant, qu’Arisote attribue également 4 Socrate une méthode ou
une tekhné dialectique (cf. infra, p. 574-575). — 2) Contrairement a ce que
prétend Bolton’, il n'y a aucun passage ow Aristote attribue expressément
a Socrate la pratique de la peirastique. Il y a certes un passage de rs 11 ob
Aristote décrit la peirastique en des termes qui rappellent la pratique socra-
tique de l’examen (exetasis), mais outre que Socrate ny est pas mentionné
expressément, la conception de la peirastique qui est exposée dans ce passage
est a plusieurs égards non socratique (cf. infra, p. 570-575).
Nous avons de bonnes raisons de croire, malgré Bolton, qu’Aristote ne
voyait pas en Socrate un véritable dialecticien. Dans la mesure ou Aristote
se considére, 4 tort ou a raison, comme Il’inventeur de la dialectique’, il
sensuit qu il ne peut pas considérer que la pratique socratique de la dialec-
tique obéit déja 4 une méthode dont on pourrait dégager les régles. Selon
Bolton, Aristote « prétend quil est en train, non pas dinventer cette méthode,
mais de donner, pour la premiére fois, une codification descriptive des régles
en vue d’une pratique correcte d’une méthode dont l’usage était déja large-
ment répandu (RS 34, 183b15 sq.) ». Si cette affirmation est exacte, Bolton
est justifié de chercher 4 montrer qu’Aristote ne fait rien d’autre et rien de
plus que de fournir une description de la méthode de \elenchos socratique. En
effet, si Aristote parle non pas d’inventer la méthode dialectique, mais plus
modestement de mettre en lumiére les régles qui gouvernent la pratique de la
tekhné dialektiké, telle que Socrate, par exemple, la pratiquait et dont il serait,
ne reproche pas non plus 4 ses interlocuteurs d’adhérer aux endoxa qu il leur
soumet comme prémisses. Ce que Socrate désavoue, c’est l’appel a des endoxa
pour trancher une question, comme si l’adhésion d’une majorité d’hommes
4 une opinion constituait un argument et suffisait a établir la vérité de cette
opinion.
Méme si je suis prét a reconnaitre qu’ona sous-estimé l’emploi de prémisses
endoxales dans les réfutations conduites par Socrate, je suis trés réticent a
considérer que l’exigence aristotélicienne d’argumenter a partir de ce qui est
le plus endoxon puisse sinspirer de la pratique socratique. Ce que Socrate
exige de son interlocuteur, c'est en effet quil réponde en fonction de ce qu'il
pense’, et non pas en fonction des opinions les plus répandues, de sorte que
sa réponse peut formuler une opinion personnelle qui n’a rien d’une opinion
accréditée, alors que le répondant d’Aristote ne doit livrer ses opinions per-
sonnelles que dans le cadre d’un entretien peirastique ; dans les autres cas,
il peut se contenter de répondre en formulant des positions endoxales, peu
importe quelles correspondent ou non a ses propres opinions. C’est la une
divergence significative qui mincite 4 douter que les régles formulées par
Aristote sont bien celles qui régissent implicitement la pratique socratique
de la dialectique.
On ne peut pas non plus souscrire 4 l’affirmation de Bolton’ suivant
laquelle Aristote est également redevable 4 Socrate pour la description des
différents emplois de la dialectique en op. I 2. Comme Bolton ne cherche
pas a démontrer le bien-fondé de cette afhrmation, le fardeau de la preuve
lui incombe. Contentons-nous de souligner que l’emploi « gymnastique » de
la dialectique nest pas attesté avant le Parménide’ et que les emplois scien-
tifiques ou philosophiques de la dialectique — si tant est quiil y ait, dans les
Topiques ou ailleurs chez Aristote, un emploi « philosophique » de la dialec-
tique qui correspond 4 celui que le Stagirite esquisse en Zop. I 2*—s’inspirent
davantage des exigences ou des attentes de !’épistémologie aristotélicienne
que de la pratique socratique de la dialectique dans les premiers dialogues
de Platon.
Méme si Aristote ne semble pas avoir congcu le projet, dans les Topiques
et les RS, de fournir une description de l’elenchos socratique, rien ne nous
1. Cf. Crit, 49c-e, Prot. 331c-d, Gorg. 495a7-9, 500b7-9, Ménon 83d, Euthyd. 286d,
Rép. 1 346a, 349a, 3508.
2. 2010 4, p. 102 (= 1993, p. 140-141).
3. Cf. 135c-d, 136a, 136c.
4. Je renvoie le lecteur a l'étude ot Brunschwig (2000) conclut, au terme d’un examen
du passage ot Aristote expose les deux emplois scientifiques de la dialectique (op. I 2,
101a34-b4), « que les Topiques contiennent fort peu de chose, sinon absolument rien, qui
permette d’illustrer de fagon précise et concréte en quoi la dialectique “posséde une voie d’ac-
cés vers les principes de toutes les disciplines” » (p. 129).
568 David Lefebvre
1. Cf. Bolton 2010 4, p. 91 (= 1993, p. 131). Voir aussi 2010 ¢, p. 149. D 1990
p. 274 n. 24, 282) est ici en accord avec Bolton. ater
2. Bolton 2010 4, p. 92 (= 1993, p. 132).
3. Bolton 2010 6, p. 95 (= 1993, p. 134).
4. Cf. 1992, p. 43: « there are clear indications that Aristotle understands peirastic as
Socrates’ elenctic method ».
Aristote et lelenchos socratique 569
comporte peut-etre une certaine visée éthique. Aristote présente cette utilité
comme suit :
« Qu'il soit utile pour les contacts avec autrui (pbc Tus EvtEVEEc), cela s expli-
que du fait que, lorsque nous aurons dressé l’inventaire des opinions qui sont celles
de la moyenne des gens (tas t&v TOMMY ... S6EaS), nous nous adresserons A eux,
non point a partir de celles qui leur seraient étrangéres (ovK ék THV GAOTELWV),
mais a partir de celles qui leur sont propres (4AM ék TOV oike(wv Soyudtwv), quand
nous voudrons les persuader de renoncer A des affirmations qui nous paraitront
manifestement inacceptables (uetaBipatovtes & tu Gv wn} KAAMS paivwvtat Aye
nutv). » (I 2, 101a30-34 ; trad. Brunschwig.)
Bien que le terme n’apparaisse pas, cest bien de meipaotuKy qu'il est ici
question’. Dans le cadre des enteuxeis, le dialecticien doit en effet interroger
les interlocuteurs 4 partir de leurs opinions propres, ce qui correspond 4 la
premiere exigence de la peirastique (RS 2, 165b4-7). Contrairement a ce qui
est le cas dans les dialogues socratiques, l'ambition de rendre meilleurs les
participants 4 un échange dialectique n’est jamais clairement exprimée par
Aristote, et il est révélateur qu'il n’en fasse pas état au début des Topiques,
alors qu'il expose les différentes utilités de la pragmateia quil consacre 4 la
dialectique. Le texte des 7opiques dit uniquement que le dialecticien cher-
chera a persuader ses interlocuteurs « de renoncer a des affirmations qui nous
paraitront manifestement inacceptables ». Comme J. Brunschwig l’observe
dans une note’, le terme KaAd@c¢ est ambigu, puisqu’on peut lui attribuer
un sens matériel ou formel : « Dans le premier cas [scil. le sens matériel],
Aristote voudrait dire que la dialectique peut servir 4 redresser les croyan-
ces des autres, lorsquelles paraissent manifestement inacceptables ; dans le
second, qu'elle peut servir 4 écarter leurs arguments, lorsquils paraissent for-
mellement incorrects. » Si KaA@>¢ a un sens formel’, ce passage de Top. I 2
n’exprime aucune préoccupation éthique, puisque l’ceuvre de rectification
poursuivie par le dialecticien serait exclusivement WVordre logique. Méme
si on reconnait 4 KaA@<> un sens matériel’, il n’en reste pas moins que ce
passage ne posséde qu'une bien timide visée éthique. En effet, ce n’est pas
dans lintérét de l’interlocuteur qu il faut persuader ce dernier de renoncer a
ses croyances erronées, mais c’est plutdt parce que ces croyances nous (ftv,
101a34) paraissent inacceptables que nous avons a coeur, nous les question-
neurs, de les modifier.
1. Cf. Moraux 1968, p. 290 n. 3: « Il semble bien qu Aristote pense ici [scil. Top. I 2,
101a30-34] a des discussions dans lesquelles est “mise a l’épreuve” i ne 4 laquelle adhere
un interlocuteur qui croit savoir: cst l’aspect peirastique de la dialectique. » Voir aussi
Bolton 2010 ¢, p. 159.
2. 1967, p. 3n. 3. .
3. Comme c’est trés souvent le cas, selon Brunschwig (1967, p. 3 n. 3), aux livres V
et VI des Topiques.
4. En am du « parallélisme trés étroit » entre I 2, 101a30-34 et Top. VIII 11, 161430
sq., Brunschwig (1967, p. 3 n. 3) tranche en faveur du sens matériel. Voir aussi Brunschwig
2007; p.125ne1.
570 David Lefebvre
1. Le passage en italiques (= 172a23-27) correspond & l’extrait qui est cité par Bolton
(1993, p. 136 = 2010 4, p. 97). Voir aussi Bolton 2010 a, p. 49-50, oti cite le vit extrait,
et 2010 c, p. 149-150, ot il cite 172a21-27.
2. Cf., entre autres, Ps. Alex. in SE, 89.29-30 ; LeBlond 1939, p. 24 ; Aubenque 1962
p. 287 ; 1970, p. 12 ; Moreau 1968, p. 83 ; Devereux 1990, p. 274 : 24.
Aristote et lelenchos socratique 571
dans lequel Socrate nie posséder un savoir expert, les « connaissances » néces-
saires a la peirastique aristotélicienne sont des principes communs 4 tous les
domaines et qui ne ressortissent 4 aucun en particulier.
Ouvrons ici une parenthése a propos de la signification du terme Kowa
(172a29 et 32). La position la plus répandue est que ce terme désigne ici les
principes communs 4 toutes les sciences et que cest 4 partir de ces principes
communs que !’on peut mettre a l’épreuve la prétention au savoir dans un
domaine particulier. La peirastique aristotélicienne ne serait donc pas tri-
butaire de Socrate dans la mesure oti l’elenchos socratique ne fait pas appel
a de tels principes communs. Or, Bolton conteste l’assimilation des kow4é
aux principes communs! et soutient qu'il s'agit plutét d’ opinions communes,
en ce sens qu’elles sont largement répandues et accessibles a la majorité des
hommes. Bolton accorde une grande importance, pour fonder son interpré-
tation, 4 ce passage de la Rhétorique :
sujets (este 5’ €otl TOAAG pev TAIT KATA TdVTWV, 172a36-37) » et quil
est possible, a partir de ces « nombreuses choses » (tohAG = KOWWG), de
mettre a l’épreuve sur tous les sujets et de constituer une certaine méthode
(Eotw Ek TOUTWV MEpl Gdvtwv metoav LauBaveEL Kal Elva TEXVIV TLVG,
172a39-b1). Bolton contourne ce passage et l’interprétation obvie qui en
découle en arguant que l’on doit préférer au texte édité par Ross une autre
legon transmise par les manuscrits. Etant donné que Bolton ne se donne
pas la peine de mentionner expressément quelle est la lecon qu'il rejette et
celle qu'il lui préfere, et que son argumentation laisse beaucoup A désirer
sur le plan de l’acribie philologique', on doit supposer qu'il préfére tatto?
(172a36) a tavta, ce qui le conduit a retraduire ainsi ce passage : « there
are many of these [common] things in each area » (1990, py 217). Getre
traduction est 4 rejeter non seulement parce que l’on ne peut pas traduire
KATO WvtwV par « in each area », mais aussi parce que l’incise qui suit, et
que Bolton a opportunément escamotée’*, justifie la présence de la lecon
tavta>. Si Aristote prend en effet la peine de souligner que les nombreux
KOWG. ne sont cependant pas tels qu ils constituent une certaine nature et
un genre (ov tovatta 8 Hote mvow twa eivat Kai yévoc, 172437), Cest
bien parce qu’on pourrait le croire du fait quils sont identiques (tavté)
pour de nombreuses choses, a la fagon, précisément, d’un genre ou d’une
nature.
Dans son commentaire critique de l'étude de Bolton (1990), Devereux
rejette également l’identification des kowd aux principes communs’. II refuse
cependant de suivre Bolton lorsque ce dernier assimile les kowé a des « cho-
ses communément reconnues pour étre vraies » (« things commonly known
to be true », p. 279). Devereux souligne, a juste titre, que le terme Kowvov,
tel quil est employé dans les RS, désigne souvent des « common “topoi’” :
i.e. inference patterns or premises common to several sciences or disciplines.’ »
Or, si les kowd désignent des topoi qui sont communs a de nombreuses
sciences, on ne voit plus trés bien en quoi de tels topo se distinguent des
fameux principes communs que Bolton, avec l’accord de Devereux, cher-
che a bannir de ce passage. Enfin, l’affrmation d’aprés laquelle toutes les
sciences se servent des Kowd (moar yao at Téxvat YOOvtat Kal Kowotc
tow, 172a29) doit étre rapprochée d’un passage de Mét. B 2 ott Aristote fait
la méme affirmation, dans les mémes termes, 4 propos des axiomes, Cest-
a-dire des principes communs (xp@vtat yovv WS YLYVWOKOLEVOLS AdTOTS
kal Garou téxvat, B 2, 997a4-5 ; nioat yao ai dodektiKal YOGvtat Tots
d&Eumuaow, 997a10-11).
Revenons au passage de RS 11 sur la peirastique. En plus des deux objec-
tions qui ont déja été formulées (cf. supra, a et b, p. 571), il y a d’autres
raisons de douter qu’Aristote s'applique en RS 11 a décrire la pratique de
l'elenchos socratique et a en dégager les conditions de possibilité. Dans ce
long passage dont Bolton ne cite que quelques lignes (172a23-27), on reléve
en effet plusieurs éléments non socratiques :
c/ Alors que Socrate, selon le témoignage méme d’Aristote', ne s'est
jamais préoccupé que de questions morales, la peirastique, telle quelle
est concue en RS 11, porte sur toutes choses. Luniversalité de la peirastique
ne peut donc pas s'inspirer de la pratique socratique de l’elenchos.
d/ Ce qui fonde luniversalité de la peirastique, c’est l’emploi des princi-
pes communs & toutes les sciences (172a36-39). Ce n’est donc pas l’exemple
de Socrate qui permet 4 Aristote de fonder l’universalité de la peirastique sur
Pemploi des principes communs. La notion de « principe commun » est en
effet étrangére 4 Socrate, et l’elenchos socratique ne porte pas, sinon en droit,
du moins en fait, sur toutes choses.
e/ Loin de reconnaitre l’exemplarité ou la singularité de la pratique
socratique de l’elenchos, Aristote affirme au contraire, et ce, 4 trois reprises
(cf. 172a30-32 et a34), que tous les hommes sadonnent a la peirastique et a
la réfutation. Aristote affirme 4 nouveau au début de la Rhétorique’ que tous
les hommes pratiquent |’exetasis, de sorte qu il ne semble pas voir en Socrate
un pionnier ou praticien privilégié de cette forme d’enquéte sur les opinions
d’autrui.
f/ Alors que tous les hommes pratiquent sans méthode (atéxvwe, 172434)
la critique et la réfutation, le dialecticien sy adonne avec méthode (évtéxvwe,
172a35) et Cest précisément par la possession et l’exercice d’une technique
que le dialecticien se distingue du reste des hommes lorsqu’il s'adonne a la pei-
rastique (Kal 6 TEXVN OVAAOYLOTLKA MeLlpaotiKds SuarektuKdc, 172a35-36).
Si lon veut éviter que Socrate ne se perde dans la masse anonyme des
hommes qui réfutent sans méthode, faut-il supposer qu’Aristote voit en lui
cet homme d’exception, le dialecticien, qui réfute et met a l’épreuve a l’aide
de la tekhné sullogistiké ? Il ne semble pas qu’Aristote fasse 4 Socrate un tel
honneur. Il affirme en effet dans la Métaphysique que Socrate « cherchait A
faire des syllogismes » (avd oyiteoOat yap étrtet, M, 4, 1078b24), ce qui
« Our purpose was to discover a technique for reasoning about the problem
before us starting from things which are as endoxon as possible, since this is the busi-
ness of dialectic in the strict sense and of peirastic. But since, on account of its close
affinity to sophistry (ta tiv Tis GoMtotiKiis yettviaowy), it is set up so as to be able
not merely to conduct testing dialectically but also as one who knows (ws 00 Udvov
metoav Sivatot AaPetv SiarektiKs GAAG Kal ws eidwc), for this reason we not
only (ot udvov) undertook the just-mentioned aim of this study, to discover how
to obtain an argument on the basis of what is most endoxon, but also (4hAG. kat) to
discover how we can defend a position, in the course of submitting to an argument,
in the same manner. We have already given the explanation for this; for this was why
Socrates used to ask questions but not to answer them, since he confessed that he did
not know anything. » (RS 34, 183a37-b8; trad. Bolton 1993, p. Tai)
« Nous nous étions donc proposés de découvrir une certaine capacité de rai-
sonner déductivement sur tout sujet qui peut se présenter, en prenant appui sur les
prémisses les plus admises possible ; de fait, cette tache revient en propre 4 la dialecti-
que, considérée en elle-méme, ainsi qua la [183b1] critique. Mais étant donné qu’on
celui qui met a l’épreuve donne Pimpression quil est savant, ainsi que
Socrate le fait lui-méme remarquer dans l’Apologie (23a). Ce passage des RS
sinspirerait donc également de la pratique socratique'. Bolton établit un
lien étroit entre expression dia tiv tic GodtotuKfic yettviaow (183b2) et w<
eldudg : comme la peirastique est étroitement apparentée a la sophistique, celui
qui procéde a une mise 4 |’épreuve donne inévitablement Pimpression qu'il
posséde un savoir expert du sujet sur lequel portent ses interrogations. Mais
alors que le sophiste céde a la tentation de se reconnaitre ce savoir, Socrate
ne franchit jamais ce pas’.
Cette interpretation nemporte pas la conviction pour au moins trois
raisons :
a) Elle présente l'apparence de savoir (doc etc) du questionneur comme
un effet inévitable, et quelque peu facheux, de la pratique de la peirastique.
Or, loin d’étre un effet inévitable, cette apparence de savoir est quelque chose
qu Aristote attend en outre (TpooKataoKevdtetat, 183b1) de la dialectique.
Crest en effet Aristote qui prescrit au dialecticien — questionneur ou répon-
dant, nous ne le savons pas encore — de procéder « comme s'il savait ». Pour
peu que l’on sefforce de comprendre GAAG Kal we eidac¢ a la lumiére du
verbe MOCOKATAOKEVaCETAL, on s'apercoit que l’'apparence de savoir n'est pas
une conséquence qui découle inévitablement de la pratique dialectique ou
sophistique de la peirastique.
b) Bolton prend pour acquis que le terme yettviaois (183b2) signi-
fie « affinité » (affinity) ou « parenté ». Méme si le sens le plus courant de
yeltviaois est « voisinage », au sens spatial du terme’ — ce qui donne un
tout autre sens a ce passage* —, je reconnais aujourd’hui qu Aristote l’em-
ploie parfois dans le sens métaphorique de « ressemblance » et d’« affinité »’.
Etant donné que la signification du terme yettviaots est ambivalente, il ne
faut pas interpréter le passage a la lumiére de l’afirmation de la yevtviaotc
entre la sophistique et la dialectique, mais au contraire déterminer le sens de
yeitviaotc a la lumiére de la signification générale du passage oti ce terme
apparait.
c) Suivant linterprétation de Bolton, Aristote se bornerait a décrire la
méthode de l’elenchos socratique et ce qui distingue Socrate des sophistes
1. « La discussion d’Aristote réfléte une fois de plus les intuitions de Socrate. » (2010 4,
p- 107 = 1993, p. 145.)
2. Cf. 2010 4, p. 107 (= 1993, p. 145).
3. Meteor. 11 5, 363a14-15 : « Mais cette région, 4 cause de la proximité du soleil (10
ui tod Atv yetviaow), n’a pas d’eaux ni de paturages qui, en permettant la condensation,
produiraient des vents étésiens. » (trad. Louis). ion
4. Cf. Dorion 1995, p. 407-408 n. 461 : « étant donné “e la sophistique est dans les
parages (O10. Ti Tig GoptotuKTS yeitviaow), Cest-a-dire que les sophistes prennent part a
des échanges dialectiques et usent, dans leurs questions, de nombreuses pe ae déloyales, il
devient urgentissisme pour la dialectique de développer et d’a profondir le r6 e du répondant
[...] afin que le bepandenit soit en mesure de mettre en échec le questionneur éristique ». Voir
aussi Dorion 2002, p. 213-214. Mon interprétation de l’expression dua. TH Tis GOOLOTUKTIC
yeitviaow est suivie par Berti (1997, P.391 n. 30) et par Brunschwig (1999, p. 100).
5 CREE Il 5) 1232a19-23;2Po1. 19; 1256b40-1257a4.
578 David Lefebvre
malgré la parenté profonde qui les unit. Aristote nétablirait donc aucune
distinction significative entre la méthode de l’elenchos socratique et sa propre
conception de la dialectique. J’estime au contraire qu’Aristote cherche a se
démarquer de Socrate en montrant a quel point la pratique socratique de la
dialectique, pour autant qu'elle se borne au rdle du questionneur, est insuf-
fisante. Voyons cela plus en détail. Bolton fait allusion, sans y adhérer, a une
autre interprétation de ce passage : « Des interprétes récents ont soutenu que
cette phrase devrait étre lue comme contrastant l’examen dialectique strict
(ou peirastique), Cest-a-dire linterrogation, et “[le fait de répondre| comme
quelqu’un qui sait”, impliquant ainsi que le fait d’assumer la tache du répon-
dant dans un entretien dialectique strict (ou peirastique) exige la revendica-
tion d’un savoir spécialisé, ce qui est incompatible avec la position contraire
de Socrate. »' Linterprétation 4 laquelle Bolton fait référence remonte en
fait 3 G. Grote? ; elle a ensuite sombré dans l’oubli — elle semble inconnue
de tous les éditeurs et traducteurs des RS au xx‘ siécle — jusqu’a ce que je
lexhume et la défende dans mon commentaire des RS°. Bolton estime que
cette interprétation nest fondée ni sur le plan de la grammaire ni du point
de vue des manuscrits. II est exact que cette interprétation ne peut s’autoriser
d’aucun manuscrit, mais elle est parfaitement fondée du point de vue de la
grammaire et de la syntaxe.
Largument syntaxique est le principal argument en faveur de l’in-
sertion de dotvat ou bméxew apres GAAG Kal, et c'est également l’argu-
ment que J. Brunschwig développe longuement dans son article de 1999.
Contrairement 4 ce que Bolton soutient*, les lignes qui suivent 183b3
justifient linsertion de dotvat. Dans l’état actuel de ce passage, on doit
construire Ws eldw>¢ avec metpav AaPetv, ce qui n’offre aucun sens satisfai-
sant malgré la tentative récente de P. Fait de justifier l'état actuel du texte? :
ce passage signifierait que l’on doit étre en mesure de mettre a |’épreuve
non seulement d’une facon dialectique (StaAektiK@c, 183b3), mais aussi
comme si l’on savait (Wg eida¢, 183b3). Mais Aristote ne dit nulle part que
la mise a l’épreuve dialectique est insuffisante et quil faut, en conséquence,
développer la peirastique sur des bases plus assurées. Pourquoi Aristote
soutiendrait-il que le dialecticien doit mettre al’épreuve comme sil savait (oc
eidwc, b3) alors qu'il reconnait au contraire, au chapitre 11, qu'il est tout
a fait possible, pour celui qui ne sait pas (wi eidw<¢, 172a23 ; tov wh eiddta,
172a24), de procéder a une mise 4 l’épreuve ? La syntaxe de la phrase sug-
gére toutefois une autre interprétation. La phrase s’articule trés nettement
autour du couple ov wdvov ... GAG Kal, répété deux fois (b2-3 et b3-5),
et le second couple correspond trés clairement au premier, c’est-a-dire que
Conclusion
1. Il y fait trés rapidement allusion a la fin de son étude (1993, p- 152 n. 26 = 2010 4,
p. 115 n. 26) et il retient de ce passage du Sophiste que l’elenchos est un « moyen pour montrer
que certaines opinions sont incompatibles entre i », faisant ainsi impasse sur la dimen-
sion éthique et cathartique de l’elenchos.
2. Cf. Dorion 2012.
Aristote et lelenchos socratique 581
s'est plutét efforcé de redéfinir I’elenchos dans le cadre d'une dialectique qui
a renoncé a rendre les interlocuteurs meilleurs sur le plan éthique'.
Louis-André Dorion
(Université de Montréal)
Bibliographie
plausible. Bien que dans la premiére note de bas de page de l'article en ques-
tion, auteur rappelle incidemment que « “destruction” est encore audible
dans “déconstruction” », la progression de l’analyse conduit a de réels acquis.
Alors qu’au début, il s’agissait de chercher le chemin de la connaissance de
soi dans la direction d’un soi individuel et particularisé, afin de découvrir
le « soi-méme lui-méme », en deuxiéme analyse il était apparu que le « soi-
méme lui-méme », thématisé grace au paradigme optique, passait par l’abla-
tion ou abstraction du soi personnel ; « nous finissons alors par savoir ce que
nous-mémes nous pouvons bien étre (ti potesmen autoi, 129b), et par nous
connaitre nous-mémes (Aémas autous gnésometha, 132c) : non comme ame,
disons, mais comme esprit »'. Une thése critique est bien soutenue ici, puis-
que premiérement, contre l’interprétation gnoséologique traditionnelle du
précepte delphique, l’auteur entend montrer que « le parcours d’ensemble
du dialogue va de la politique a la théologie (aller et retour) ; et [que] ce par-
cours se réalise par le moyen d’une analyse “déconstructrice” du précepte del-
phique »* ; deuxiémement, il en découle une décision herméneutique plus
générale, antihumaniste et verticale, portant sur le paradigme de la vision
et le rapport de ceil avec le miroir dans lequel il se voit : ce que mon 4me
voit dans |’Ame de |’autre, par analogie avec ce que |’ceil voit dans la pupille
d'un autre ceil, ce n'est pas seulement ni essentiellement moi-méme, mais
le caractére divin de la partie intellective de l’'ame humaine, de sorte que
« celui qui la contemple se trouve engagé, par l’intermédiaire d'une relation
interhumaine (horizontale, anthropocentrique), dans une relation excen-
trée (verticale, théocentrique). La relation entre Ame et Ame reconduit ainsi,
par la découverte de ce quil y a de “meilleur et de plus divin” dans l’ame
humaine, du divin en l’Ame au Dieu lui-méme qui en est le modéle »*. A
l’évidence, il n’y a rien de destructeur dans cette déconstruction-la ; ni rien
qui ne soit, sinon avéré, du moins plausible — et parfaitement cohérent avec
les idées que Platon a développées dans d’autres dialogues. En bon platoni-
cien, Jacques Brunschwig aura manifesté ici, comme la plupart du temps (os
epi to polu, pas toujours), au cours de sa vie académique et de son existence
personnelle, une étrange et paradoxale déconstruction constructive, savant
mélange d’esprit analytique et dinterprétation juste. (La dédicace du tiré-
a-part que j'ai gardé précieusement nen est-elle pas l’indice ? Elle tient en
quatre mots : « Connaissez-moi toi-méme »).
Anissa CASTEL-BOUCHOUCHI
1. Ibid., p.81.
2. Ibid., p. 78.
3. lbid., p. 85.
594 Denis Kambouchner
par constitution, autant, considérée dans ses ceuvres, elle résiste 4 la division,
laissant seulement ouverte — avec tout ce qui l’accompagne dans le registre de
la libéralité, au plus loin de nos rivalités ordinaires et de leurs passions élec-
tives — la question jamais rituelle de savoir comment, a une ou deux généra-
tions d’écart, il sera possible d’en trouver ou d’en produire l’équivalent.
Denis KAMBOUCHNER
MEMORIES OF JACQUES
Chantilly was where we first met, Jacques and I. That was some thirty-five
years ago. It was a memorable occasion for me, and the moment has stayed
green in my mind. The moment stayed green in Jacques’ mind too. And our
two batches of vivid recollections were not only quite different (which is
unsurprising) but also perfectly incompatible. So much for oral history, and
for memories of friends.
Before we met I had read Jacques’ published papers, and I had worked
with admiration through his Budé edition of Aristotle’s Zopics. We had cor-
responded, in a scholarly manner (I recall a lively debate about the meaning
of the word modyua in the Zopics). So I had painted, as one does, an antici-
patory mental picture of what sort of a man Jacques must be. Asa rule, such
portraits are wildly untrue to their subjects — or at least, mine are. But in
the case of Jacques I got one thing absolutely right: I had imagined a man
of fastidious elegance, and I met a man of fastidious elegance. In his dress,
of course, and in his conversation; in how he wrote and in how he thought.
His English was excellent, but he wrote it with reluctance; so that my wife
and I came to translate one or two of his essays. It was a horribly difficult
task. Not that it was hard to understand what Jacques was saying — that was
always (almost always) as clear as glass. Rather, it was hard, or impossible, to
do justice in English to his style, which was subtle, polished, graceful, enli-
vened by touches of humour — in a word, elegant. How unlike the plodding
professorial language in which most of his colleagues convey their plodding
professorial thoughts. But I digress.
His elegance was immediately evident. His sense of humour, which
could be mischievous, took a little longer to discern. We were at Chantilly
for a colloquium on Stoic logic which Jacques had organized. It took place
in a chateau which had been converted into a monastery (or perhaps vice
versa). The building was dark and rather forbidding; but the grounds were
extensive, and there was a pretty lake. However that may be, I was rather
nervous; for it was the first time I had to give a paper in French. (In issuing
Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 595-601
596 Jonathan Barnes
the invitations, Jacques had said that speakers might use either their native
language or French; but that if they chose their native language, then they
must submit a text three months in advance of the colloquium in order that
it might be translated. There were — as Jacques had doubtless intended -
very few speakers who did not utter in French, or in some approximation
to French.) After my paper Jacques thanked me, and said that the paper
had been brilliant. I was delighted. Some years later I learned that « brilliant »
in French (or in Jacques’ French) functions in much the same way as
« interesting » does in English (or in my English).
The colloquium at Chantilly was a brave venture: Stoic logic was not,
at the time, a matter of passionate concern among students of ancient phi-
losophy, and of the colleagues whom Jacques had invited to speak, few
knew much about the subject. Perhaps that is why the occasion was such
a success. Not so much for the papers (though they were, I think, better
than average), but for the discussion which took place at the dinner table or
during post-prandial strolls around the lake. One of those circumambula-
tions led to the organization of another colloquium, which became the first
Symposium Hellenisticum. Jacques, it goes without saying, was a constant
symposiast; and the meeting at Chantilly was decreed to be Symposium
Hellenisticum 0.
At Chantilly, Jacques was heavily engaged in the running of the show, and
we did not have much time to chat. A year or so later, we met at another
colloquium, of a very different sort, at Thessaloniki. The conference was
a celebration of Aristotle’s 2000" birthday. All the Aristotelian world and
his wife had been invited, and all the world and his wife had accepted the
invitation. (A couple of weeks’ holiday in Greece, and all you have to do
for it is talk for twenty minutes.) The papers were far too numerous, and
far too dull; and it was tempting to cut them and to sit outside in a garden
overlooking the Aegean. So we did, often enough; and talked about Aristotle
and Chrysippus and Schubert; and about the way we tackled our work, and
what we thought we were up to.
Jacques is sometimes described as a miniaturist. Some of his published
pieces are indeed miniatures (and none the worse for that); and perhaps
his techniques were generally those of a miniaturist — at any rate, his work
invariably started out from and depended essentially upon a minute and pre-
cise scrutiny of the details of a philosophical text. But the minute and precise
scrutiny would be followed, as often as not, by the painting of a large canvas.
No doubt the edition of the Topics is the best example of the phenomenon:
it is a massive work, composed of a myriad of minute details. So too, I think,
are the best of Jacques’ longer papers — most notably, the monograph on
Stoic ontology. | wonder if the term « pointilliste » is not more apt than
« Miniaturist ».
That was how he tackled his work. What did he think he was up to?
One question which occasionally exercised him, and which we talked about
Memories ofJacques 597
We thought that we were making some progress. After four or five hours we
inclined to think that we had solved the problems. Next morning, having
slept on it, we were still so inclined. And a year or so later, Jacques suggested
that we jointly write the solution up and publish it. We did so — the French
was, of course, entirely Jacques; but the thoughts were entirely and inextrica-
bly the thoughts of the quartet.
That was one of the most exhilarating days of my intellectual life. Four
is a good number for a discussion — five is possible, and even six. But once
you approach double figures, the game changes its character. We were
four friends who esteemed one another's different talents. We worked well
together. There was collaboration, and no competition. It was arduous, and
serious. But it was never solemn. I recall, too, that at the end of each session
the pleasant and airy room would be no less pleasant but rather less airy: two
of us smoked pipes, one preferred cigarillos, and the fourth consumed an
unending caravan of Camels. 6 once again Jes beaux jours.
There is a twist in the tale. By the time he came to send the second volume
of the Jopics to the printer, Jacques had seen that our Berlin arguments were
not, after all, as cogent as we had taken them to be, and he had developed a
different account of the passage. He asked us whether we should mind if in
his notes he set out his new view and explained why he had rejected our old
one. Of course we didn’t mind — how could we have done? But I, for one,
could not help regretting that we had not been right.
From Berlin too, I remember the Magic Flute. Jacques and | saw it
together at the Staatsoper. I no longer recall who sang and played. But I do
remember that we had to get to the theatre early, and to take our seats fifteen
minutes before the curtain went up: the piece, Jacques explained, was the
glory of western music, and everything developed from the first bars of the
overture. It was a remarkable evening, for more reasons than one. Afterwards
Jacques gave me an off-print of a paper he had written on the Magic Flute
—and said that it was, of all his publications, the one he loved the best. (Some
time later, Michael Frede gave me a piece he had written on Velasquez, with
the same commentary.)
The Chalet des Anglais stands above St Gervais in the French Alps. It was
built in the 1860s by an eccentric Englishman who believed that the human
brain functioned best at 5000 feet above sea-level. The eccentric Englishman
left the chalet to his slightly less eccentric son, who was an historian and a
Fellow of Balliol. The son — E E Urquhart, or Sligger to his friends — took
parties of undergraduates to the Chalet each summer; and that pleasing
custom has continued, with pauses for two world wars, until today. For some
years I used to take a party to the Chalet. Mornings were given to private
600 Jonathan Barnes
Finally, Paris, where we often met and sometimes lunched or dined together.
Jacques — despite the lupins — was not, I think, profoundly interested in what
Memories ofJacques 601
he ate, and he drank sparingly if at all. One evening we ate in an agreeable
and friendly restaurant in the rue Lhomond. I do not recall the entrée or the
plat principal; but there was chocolate mousse on the dessert menu, which
Jacques declared to be his favourite pudding. We both ordered it. A waiter
arrived with a large bowl which he left on the table. I took a modest portion.
Ten minutes or so later, I noticed that the bowl was virtually empty, Jacques
spooning out the last scrapings. The waiter reappeared. He looked at the
empty bowl and at us, not without a certain admiration: the mousse, he said,
had been intended for six.
Our talk usually, and naturally, turned about ancient philosophy, about
the foibles of our colleagues, and about the ennuis of modern academic life.
There were occasional sorties into literature, and into music (where Jacques
was immeasurably more knowledgeable than I). But the dinner in the rue
Lhomond took place shortly after Pierre Vidal-Naquet had published the first
volume of his Mémoires, and I told Jacques how moving I had found it — in
particular its harrowing account of the années noires. He then told me about
his boyhood. The subject could not have been more sombre; but he spoke
freely, and at length. I had not before I realized quite what a vast gulf separated
his rude experience of life from my own uneventful childhood.
Some years later we lunched together in my local brasserie. Jacques
arrived, a paper carrier-bag in his hand. He showed me what was in it: the
corrected proofs of the second volume of the Zopics, which he was taking to
Les Belles Lettres. Surely, I said, he had established a new world record in the
publishing trade, volume II appearing exactly forty years after volume I; and
I asked him what he was going to do next. He replied that he had finished,
and that he was going to hang up his boots. At first I didn’t believe him (and
I certainly didn’t want to believe him); but he meant what he said, and he
said it without either embarrassment or regret. He felt — or so I seemed to
divine — that his part in the human comedy had been played.
Shortly afterwards the final curtain fell. The end was tragic, and neither
fastidious nor elegant. But my last memory of Jacques is somehow unde-
pressing. I went to visit him in hospital one morning. He was physically
reduced, and confined to a wheel-chair. But he was not living in a hospital.
It was a hotel — not a bad hotel, he confided. And he was exceptionally busy;
for the opera which he was producing was to open in Paris in a few days’
time. While we lunched in the hotel restaurant, or the hospital cafeteria, he
recounted the several problems he had had to overcome, particularly with
some of the singers, who had failed to turn up for the rehearsals. At one
point he asked me whether I had ever sung in the piece before. I confessed
that I had not. He told me not to worry: I had only a minor part — it was easy
to learn, and it would suit me well since it was a travesti role.
Jonathan BaRNES
Ceaulmont
August 2011
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RESUMES
the practice of political virtue that we assist in the Dream, which comes as
well conclude literary Republic: be a great « statesman » and you will win, for
eternity, the « City of the Fortunates », i.e. the « Galaxy ».
Abstract — The aim of this article is to investigate how Boethius (ca. 480
— 525) makes use of Scipios dream in his consolatio philosophiae. Boethius
uses a kind of cut and paste technique: a passage in Cicero’s somnium can
be identified which one definite passage in the consolatio is modeled on. The
text undergoes transformation, since its changes its function from the solemn
end of Cicero’s Republic to just another discussion of an only apparent good,
gloria, in only the second of the five books of the consolatio. Boethius decon-
textualizes, and he recontexutalizes. The message of the passage is no less
than reversed by its relocation, due to the very different political and cultural
circumstances of Boethius’ time. It is shown that, systematically, Boethius’
position on the internalisation of virtue is situated halfway between Cicero
and Kant.
Aristote, Zopiques, tome II, livres V-VIII, texte établi et traduit par Jacques Brunschwig,
Paris, cuF, 2007.
La publication de ce second tome des Topiques tant attendu est 4 saluer comme
un grand événement pour tout lecteur des Topiques en particulier, d’Aristote en
général mais aussi de Jacques Brunschwig (J. B.)'. J. B. présente son retard comme
inexcusable, le premier tome de ce traité aristotélicien datant de 1967”. Pourtant, on
peut trouver plusieurs avantages a cet écart. Comme le note J. B., la situation des
Topiques a changé : durant ces quarante ans, de nombreux travaux ont été consacrés
a cet ouvrage incontournable de la philosophie aristotélicienne’. De disgraciées, les
Topiques sont devenues choyées*, et J. B. mest évidemment pas étranger a ce regain
d’intérét pour cet ouvrage certes aride mais 4 maints égards captivant.
1. Voir les comptes-rendus de P. Chiron (Revues des études anciennes, 2008, 110(1),
272-274), D. Donnet (l’Antiquité Classique, 2008, 77, 372-373), R. Smith (Classical Review
60(01), 2010, 48-50).
2. Aristote, Topiques, t. I, livres I-rv, texte établi et traduit par Jacques Brunschwig, Paris,
Cur, 1967.
3. Aristote, Topiques, t. Il, livres v-vmi, texte établi et traduit par J. Brunschwig, Paris,
cur, 2007, p. xXxxI sqq. ei.
4. Voir les ouvrages signalés dans l’avant-propos (p. x11, note 7) et dans la Bibliographie
du tome II des 7op., op. cit., p. LVIX-LX sqq.
5. J. B. parle de « pages périmées » (Zop., t. II, op. cit., p. xi).
W. Jaeger, Aristoteles, Grundlegung einer Geschichte seiner Entwicklung,
6. Voir notamment
Berlin, 1923.
7. J. B., Top. t. Il, op. cit., p. xx.
Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 607-609
608 Juliette Lemaire
[ordre A-D] n’est pas le méme que celui annoncé dans l’introduction [ordre D-A] :>.
Cette remarque apparemment anodine confirme les hypothéses de J. B. au sujet
des relations entre prédicables inclusifs et exclusifs. Les Jop. sont Pun des traités
d’Aristote ov il est tres aisé de trouver des indices de reprises et retouches du texte
de la part d’Aristote lui-méme. A partir notamment de l’analyse des occurrences de
dokel, J. B. avance l’interprétation selon laquelle les livres sur la défnition porte les
marques d’un travail au sein de l’école platonicienne’, mais il montre aussi qu’acci-
dent et propre sont des concepts proprement aristotéliciens a |’état naissant?.
, ne 4
Pour ce qui est du texte proprement, dix-huit manuscrits ont été retenus* et
non plus dix comme en 1967’. Lapparat est désormais positif® ; le stemma n/a pas
été significativement modifié. En général, J. B. a une préférence pour les lecons de
AetB.
1. lbid., p. xxm.
2. Voir lanalyse extrémement fine et éclairante du « vocabulaire de la discussion “méta-
topique” » dans les Jopiques a propos d'une part des variations de réponse a la question « une
méme chose peut-elle appartenir 4 deux genres différents ? » et d’autre part des occurrences de
doxet (Zop. t. Il, p. Xxx-xxv1).
3. « work CR », in Top, t. I, op. cit., p. XL.
4. Les Mss A, B, V, M, C, U, D, W furent Pobjet dune collation directe pour l’édition
de 1967 (excepté M sur microfilm).
os Sane lacunaires, P et C sont abandonnés.
6. Selon les recommandations de J. Irigoin, in Régles et recommandations pour les éditions
critiques, Paris, Cur,1972. Voir cependant ye discordances entre texte imprimé et apparat
relevées par R. Smith dans son compte-rendu (cité supra).
7. Dans lan. 6 p. 151 de V3, 123a2.
8. Voir n. 2 p. 280 qui commente évdoEov en 159a39. Voir J. Barnes, « Aristotle and
the Method of Ethics », Revue internationale de philosohie, 34, (1980), p. 490-511 ; P. Fait,
« Endoxa e consenso : per la distinzione dei due concetti in Aristotele », Annali dell’Istituto
Italiano per gli Studi Storici, 15, 1998, p. 15-4 ; J.-B. Gourinat dans « Dialogue et dialectique :
la place de Ia dialectique dans l’organon d’Aristote », in Aristote : rationalités, A. Hounkes et
coie eh Tc Le Havre et Rouen, Publications des universités du Havre et de Rouen,
ps LESS.
9. Voir de J. B. « Dialectique et philosophie chez Aristote 4 nouveau », in Ontologie et
dialogue Mélanges en hommage a PR Aubenque, N. Cordero (textes réunis par), Paris, Vrin,
2000, p. 107-130.
10. Notamment par J. Barnes, in « Property in Aristotle’s Topics », Archiv fiir Geschich
der Philosophie, 52, 190, . 136-155. se! . i ¢e
11. Voir n.1 p. 207 de VI 1, 139b1.
12. Langlicisme « étre le cas » traduit parfois aussi le verbe eivat — voir par exem-
ple 163a34 sqq.
Comptes rendus 609
dans le tome I'. En dépit des avantages de cette traduction’, ce « semi-anglicisme »
Nest peut-étre pas dans tous les cas trés heureux*. Le plus gros changement selon
J. B. lui-méme se trouve dans les principes généraux de la traduction du texte d’Aris-
tote : éviter les paraphrases trop explicatives et rester au plus prés du grec sec et dense
d Aristote.
A partir du livre VI, sont abordés les lieux de la définition® : les cing parties
correspondent a des types d’erreur que peut faire le répondant. Le livre VI est donc
entiérement réfutatif ainsi que le début de VII (chap. 1-2). A partir du chapitre 3 est
abordée la question difficile du syllogisme de la définition’,
Le livre VIII pourrait faire office de conclusion par son caractére plus synthé-
tique : conseils adressés d’abord au questionneur (chap. 1-5) puis au répondant
(chap. 6-13), le chap. 14 s'adressant aux deux. Vintérét de ce livre réside dans la
mention de degrés d’endoxalité des prémisses et idée conséquente que si la thése
défendue par le répondant est la plus réputée, alors la conclusion du questionneur
sera non réputée et inversement'®. Le chap. 13 est particuliérement intéressant quant
a la compréhension de la fonction du témog qu’Aristote ne définit nulle part dans
les Top., mais que J. B. avait déja clairement exprimée en 1967"'.
Les quelques regrets mineurs exprimés dans ces lignes n’entachent pas ce grand
ouvrage a saluer par ses qualités de clarté, distinction et rigueur géniales. Nous n’avons
qu un seul véritable regret, celui-la majeur : quiil soit ’'un des derniers de J. B.
Juliette LEMAIRE
ARNAULD Antoine, Des vraies et des fausses idées, édition, présentation et notes par
Denis Moreau, Paris, Vrin, coll. « Textes cartésiens », 2011, 254 p.
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Les Etudes philosophiques, n° 4/2011, p. 611-614
612 Les Etudes philosophiques
Articles
Arana Andrew — Linfinité des nombres premiers : une étude de cas de la pureté
Bes taliban, Rte 5 8. 8k Es ss RO CR
Atkins Jed W. — Largument du De re publica et le Songe de Scipion............
Barbaras Renaud — La phénoménologie comme dynamique de la manifestation .....
Bermon Emmanuel — Le Songe de Scipion dans la correspondance entre
saint Augustin et Nectarius de Calama (Ep. 90-91 ; 103-104)..............
BERNARD Marion — Le monde comme probleme philosophique ............-+4+..
Bonnay Denis — Lobjet propre de la logique .. . 0 cs «oa 2 ann Devnssorggn
ed wae
Etude critique
Kervegan Jean-Francois — Léeffectif et le rationnel. Hegel et lesprit objectif......... 133
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En deca du sujet. Du temps dans la philosophie
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Eik6n. Liimage dans le discours
des trois Cappadociens
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La vertu politique : Cicéron versus Macrobe
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L'autorité du grammairien et les recompenses de la vertu
politique et philosophique dans le Commentaire
au Songe de Scipion par Macrobe
EMMANUEL BERMON
Le Songe de Scipion dans la correspondance entre Saint Augustin
et Nectarius de Calama (Ep. 90-91 ; 103-104)
Niko STROBACH
Couper-coller. Comment Boece fait usage du Songe de Scipion
dans sa Consolation de la philosophie
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Ouvrages recus
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