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Revue numismatique

Objets précieux et monnaies retrouvés dans le port de Trapani en


1270, dont 21 écus d'or de saint Louis
Louis Carolus-Barré

Résumé
Revue Numismatique, 6e série, XVIII, 1976, pp. 115-118. Louis Carolus-Barré, Objets précieux et monnaies retrouvés dans le
port de Trapani en 1270, dont 21 écus d'or de saint Louis. — De nombreux bateaux ayant fait naufrage dans le port de Trapani
(au retour de la croisade de Tunis, 1270). Charles d'Anjou, roi de Sicile, donna aussitôt les ordres pour dégager le port. Parmi
les objets précieux récupérés, on relève 21 « tournois d'or à la croix » : contrairement à l'opinion commune, le célèbre écu d'or
de saint Louis eut donc bien effectivement cours et son émission ne fut pas limitée, puisqu'on le retrouve à Trapani en aussi
grand nombre que l'augustale et le marabotin.

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Carolus-Barré Louis. Objets précieux et monnaies retrouvés dans le port de Trapani en 1270, dont 21 écus d'or de saint Louis.
In: Revue numismatique, 6e série - Tome 18, année 1976 pp. 115-118;

doi : https://doi.org/10.3406/numi.1976.1749

https://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_1976_num_6_18_1749

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Louis CAROLUS-BARRÉ

OBJETS PRÉCIEUX ET MONNAIES


RETROUVÉS DANS LE PORT DE TRAPANI,
EN 1270,
DONT 21 ECUS D'OR DE SAINT LOUIS

Revenant de l'expédition de Tunis (où saint Louis avait trouvé


la mort le 25 août 1270), la flotte des croisés fut éprouvée par une
très violente tempête. Même les bateaux qui, ayant atteint le port
de Trapani (à l'extrémité occidentale de la Sicile), se trouvaient
à l'ancre dans la rade, y furent si malmenés que la plupart
sombrèrent corps et biens, les éléments déchaînés n'ayant point
permis le débarquement1.
Quand le calme fut revenu, le port de Trapani présentait le
plus désolant spectacle, tout encombré qu'il était des débris
enchevêtrés ou épars de ces nefs grandes et petites, dont la tempête
s'était jouée « comme à la pelote », en les faisant bondir, les
retournant, les jetant les unes contre les autres, avant de les
envoyer par le fond; — encombré aussi de trop de cadavres
d'hommes et de chevaux, et de tant de choses dont les possesseurs,
bien souvent, avaient eux-mêmes disparu.
Personnellement témoin de cette catastrophe, Charles d'Anjou,
roi de Sicile, donna aussitôt les ordres pour dégager le port2. Il
ordonna en premier lieu que tout ce qu'on retrouverait
appartenant au roi de France ou aux croisés leur soit restitué et ce, en
dérogation de la coutume du royaume de Sicile, d'après laquelle

1. L. Carolus-Barré, « Aventure de mer » et naufrages en Méditerranée au milieu


du XIII* siècle [1254-1274] dans C.R.A.I., Paris, 1974, p. 612-626.
2. Nous renvoyons aux documents publiés dans / regislri délia cancelleria angioina
ricostruiti da Eiccardo Filangieri, vol. VI, Napoli, 1954, notamment p. 158, 176,
374 (nos 817, 915, 1883).
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toute épave non réclamée dans les trois jours devenait propriété
du fisc1.
Il nomma également une commission de quatre membres dont
deux chevaliers, un ecclésiastique et un notaire, Pagano da
Firenze, qu'il chargea de récupérer et inventorier toutes les épaves
non réclamées dans les trois jours ayant suivi le naufrage : les
mâts, les vergues, les cordages, les ancres, les innombrables pièces
de bois provenant des vaisseaux disloqués, le fer, et tout ce qui
peut servir à l'armement d'un navire, mais aussi les trousses ou
paquets, les ballots, les caisses et les cassettes, et bien évidemment
tous les objets de prix.
Les détenteurs irréguliers d'objets perdus devaient être contraints
à restitution.
Tout ce qui était réutilisable devait être envoyé aux arsenaux
et chantiers navals du royaume de Sicile, le reste vendu aux
enchères et le revenu versé au fisc, ainsi naturellement que les
pièces de monnaies et les objets de valeur.
Les quatre commissaires avaient la consigne de ne faire ouvrir
les trousses, ballots, caisses et cassettes, qu'en leur présence
effective, ou au moins en présence de deux d'entre eux, la liste de tous
les objets devant être transcrite dans son cartulaire (cartularium)
par le notaire Pagano da Firenze, auquel il appartenait en outre
d'établir trois expéditions identiques des inventaires ainsi dressés.
Cartulaires et inventaires, qui offriraient tant d'intérêt, semblent
bien n'avoir pas été conservés. Du moins est parvenue jusqu'à
nous une liste de monnaies et d'objets d'or et d'argent recouvrés
à la suite du naufrage de Trapani et bientôt remis à la cour royale
de Sicile2 :

1. Un certain Enrico de Armato, citoyen et marchand vénitien ayant réclamé


un sac, contenant des pièces de monnaie, qu'il avait perdu dans le naufrage, à Trapani,
Charles d'Anjou manda à ses gens « statutis super inquirendis et restituendis bonis
amissis in naufragio Trapani » de le lui restituer, s'il en avait bien fait la demande
«infra triduum» (Ibid., p. 186, n° 969).
2. Plus précisément, le roi Charles accepta que le secrelus de Sicile [Matteo
Ruffolo] pût porter dans le compte de ses recettes, l'or, l'argent et les objets provenant
du naufrage, qui lui avaient été remis par les commissaires naguère désignés « super
naufragio Trapani», et dont voici la liste (Ibid., p. 176, n° 915) :
— in primis augustales XXI ; item perperos III ; item maraboctinos XXIII ;
item luronenses aureos ad crucem XXI ; item duppam aureolám I ; item florenos
auri CXXXVII ; item in auri tarenis uncias 1 1 1 1 tar. XXII et gr. X;
— item de sterlingis argenteis libras de numero XX sol. XII et sterlingos I II I ;
item de turonensibus argenteis grossis libras de numero VII sol. II et den. VI ; item
de turonensibus parvis libras de numero CXXII et sol. XV;
— item ciathos argenteos II1I ponderis ad generále pondus unciarum XXVI et
NAUFRAGE A TRAPANI, 1270 П7
Monnaies d'or :
— 21 augustales (Italie méridionale et Sicile) ;
— 3 hyperpères (Byzance) ;
— 23 marabotins (Gastille) ;
— 21 tournois d'or à la croix (France) ;
— 1 double (Majorque) ;
— 137 florins (Florence) ;
— Or, en tarins : 4 onces, 22 tarins et 10 grains (Sicile)1.
Monnaies d'argent :
— 20 livres, 12 sous, 4 deniers ďesterlins ;
— 7 livres, 2 sous, 6 deniers de gros tournois ;
— 122 livres et 15 sous de petits tournois.
Objets :
— 4 coupes d'argent ;
— 17 cuillers d'argent brisées ;
— 2 vases d'argent doré ;
— 1 pied d'argent, provenant d'une coupe ;
— 1 calice d'argent.
le poids de chacun de ces objets étant indiqué avec précision et totalisant
73 onces et 15 tarins2.

C'est là un document précieux. L'équivalent en quelque sorte


d'un trésor fortuitement constitué lors du naufrage et dont nous
savons que les différentes pièces furent toutes englouties puis
retrouvées dans le port de Trapani, fin novembre 1270.
On y dénombre les monnaies qui avaient alors cours dans les
ports de la Méditerranée — ce qui n'est pas pour surprendre. Mais
surtout on y relève en bonne place, représenté par 21 exemplaires,
le bel écu ďor dont saint Louis avait ordonné la frappe en 1266 :
quatre ans, par conséquent, avant le drame de Trapani.
Le fait vaut bien d'être signalé. Il apporte la preuve que,
contrairement à l'opinion admise et sans cesse répétée, Vécu ďor,

tar. XIII ; item coclaria argeritea fracta XVII, ponderantia ... une. VIII et tar. XXIII ;
item nappum unum argenteum deauratum ponderantem... une. VI III et tar. XXIII ;
item nappum unum argenteum deauratum ponderantem... une. VIIII et tar. XXV ;
item pedem I argenteum ad coppam ponderantem... une. X tar. III ; item calcem
(sic) I argenteum ponderantem... une. VIII et tar. XVIII.
Le secrelus de Sicile était l'un des quatre officiers de finance du royaume ayant
obtenu leur charge en tant que fermier, après adjudication. Matteo Ruffolo, de Ravello,
sera poursuivi et pendu, après les Vêpres siciliennes, à cause de ses excès et abus
(Léon Cadier, Essai sur Г administration du royaume de Sicile sous Charles Ier et
Charles II, B.E.F.A.R., fasc. 59, Paris, 1891, p. 23-24).
1. Soit 126, 11 g. (cf. H. Kowalski, Die Augustalen Kaiser Friedrichs II, R.S.N.,
55, 1976, p. 77-150; sp. p. 94.
2. Soit 1940, 425 g.
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ici appelé «tournois d'or à la croix»1, eut effectivement cours, aussi


bien que le gros d'argent créé à la même date.
De sa très grande rareté actuelle — huit exemplaires seulement
sont connus2 — on ne doit pas conclure que son émission fut
limitée ni considérer que ce serait une sorte de jeton que le roi
« donnait en étrennes à ses grands officiers »3.
Les pièces d'or retrouvées dans le port de Trapani, à la suite du
naufrage de novembre 1270, attestent que, si le florin était alors
(et de beaucoup) la monnaie la plus courante dans le bassin
occidental de la Méditerranée, Vécu de saint Louis y circulait
également en aussi grand nombre que Yaugustale et le marabotin.

1. Les transcriptions portent bien ad crucem ; on attendrait plutôt ad scutum.


2. Sur ces huit exemplaires, trois sont conservés au Cabinet des médailles
(J. Lafaurie, Les monnaies des rois de France, Paris, 1951, p. 23, n° 197).
3. A. de Barthélémy, Les monnaies de France sous Saint Louis dans H. Wallon,
Saint Louis, Tours, 1880, p. 505.

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