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"La correction : notion et pratiques".

Patrick Chardenet
Maître de conférences en sciences du langage
Laboratoire de Sémiolinguistique, Didactique et Informatique
EA2281: IDIOMES (Université de Franche Comté)
Associé au SYLED/CEDISCOR (Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle)

Si l’on peut mettre en question un principe d’"erreur" pour la production langagière dans la
mesure où il s’agit d’un système qui autoconstruit un cadre de compétence linguistique, son
actualisation en langue et en discours à l’écrit ou à l’oral, est un processus potentiellement
générateur d’écarts plus ou moins considérés comme des productions fautives dans la mesure
où sont en jeu des codes, des règles, des opérations à l’émission et à la réception. Ce n’est
qu’à partir du moment où ce potentiel d’écart existe que la problématique de la correction est
posée. Celle-ci est donc inhérente à la communication sociale.

1. Notions et discours
Du moins il devrait rationnellement en être ainsi mais le discours qui émet ces conditions est
lui-même soumis à cette réalité. Les codes évoluent avec les technologies, les règles acceptent
des exceptions et les discours ordinaires et spécialisés mettent en jeu des opérations complexes
et parfois variables. Chargé d’approximations malgré les précautions dues à son contenu
scientifique, le lecteur sera amené à en corriger les éléments qui n’entrent pas immédiatement
en conformité avec son système d’inférence, ses champs lexicaux habituels, voire avec
l’articulation argumentative du thème. Il y a certainement autant de probabilités d’accepter
totalement le discours de l’autre que de vouloir en corriger tout ou partie.

Avant de parler de la correction, il convient de faire le point sur ce que recouvre cette notion et
sur son emploi dans le discours ce qui me conduit d’abord à exposer brièvement la méthode
d’analyse mise au point à l’occasion d’une recherche sur l’élaboration et la circulation de la
notion d’/évaluation/ et appliquée comme outil de formation à d’autres notions de la didactique
des langues en français et en portugais1. La notion y est considérée comme une réalisation
cognitivo-discursive qui peut apparaître sous des formes linguistiques variées 2. Objet cognitif
opératoire, c'est-à-dire reconnu comme tel dans un univers de savoir, elle est constituée par
abstraction à partir de propriétés communes à un ensemble d'objets de cet univers. C'est par un
processus de dénomination que la notion, en tant qu'élément mondain, prend une forme
linguistique (création d'un lexème)3. Dans le discours, le lexème devient vocable, c'est-à-dire
1
Chardenet, P., 1997, "Evaluer : le processus qualifiant, formation sociale, formation cognitive et discursive",
Changer, revue des Etudes canadiennes, Pontifícia Universidade Católica do Parana, Curitiba, Brésil.
Chardenet, P., 1997,"L'éducation et la notion de [marché]: exception et manipulation", conférence, Seminário
Internacional Educação 97, 21-24 octobre, Universidade Federal do Mato Grosso, Cuiaba (Brésil),
Chardenet, P. 1999,"Les notions de [langue apprise], [langue enseignée] et leur détermination", revue ENSAIO
do mestrado em Letras, Universidade Federal de Santa Maria, Brésil.
Chardenet, P., (à paraître), "A atividade nocional na elaboração e na circulação do saber ", Lingüística
em Revista, Programa de Pós-Graduação em Lingüística Aplicada da UNISINOS, São Leopoldo, Brésil.
2
La notion est notée ainsi /évaluation/. pour la distinguer du terme noté en italiques.
3
L'opération discursive de désignation peut prendre, par exemple comme référence un objet cognitif [porte] qui
devient notion en représentant la fonction générale de l’objet (²permettre ou empêcher un passage²). La question
que l'on se posera alors est de savoir si ce lexème, actualisé (vocable) par un discours dans un univers de savoir X,
peut également correspondre à la même notion dans un autre univers : "permettre ou empêcher un passage" d'un
courant électrique sera désigné par le lexème "interrupteur", dans les théories des groupes, on pourra relever
"agent facilitateur".
qu'il est actualisé par des opérations en tant qu'unité de vocabulaire, monosémique dans
l'univers de savoir considéré, alors que le terme courant est foncièrement polysémique. Mais les
univers de savoir étant perméables, ce qui est notion dans l'un, peut s'avérer non opératoire dans
un autre. Il faut alors distinguer entre les transferts notionnels (en principe opératoires en tant
qu'objets cognitifs) et un certain "nomadisme" de lexèmes entre discours spécialisés et discours
ordinaires.

La démarche vise à favoriser l’émergence d’un maillage de champs notionnels en didactique


des langues, dans le contexte heuristique plus général des sciences humaines où l’élément
constitutif central du savoir repose sur le discours et non sur le fait expérimental. Elle impose
donc de travailler sur des corpus lourds, à la recherche des termes qui représentent les notions
qui font vivre le savoir. Dans le cadre restreint de cet article, j’ai eu recours aux moteurs de
recherche en ligne qui permettent de faire surgir rapidement une masse d’énoncés incorporant
des termes sélectionnés.

L’épreuve répond toujours à une certaine curiosité due à son caractère bien plus aléatoire que la
traditionnelle accumulation individuelle de documents papier. Entre correction, correcteur et
correctionnelle, une cinquantaine d’expressions ont pu être sélectionnées et classées en six
catégories :
- une première catégorie de termes renvoyant à la justice et à ses suites (démarche
correctionnelle, politique correctionnelle, centre correctionnel), pour la plupart issus du
domaine québécois ;
- une autre caractérisant les type de correction (automatique, aléatoire, en ligne…) ;
- quatre désignant les objets de la correction :
► systèmes (développement, erreurs judiciaires, distorsions…)
► sens et capacités (auditive, visuelle, du toucher, de la dyslexie…)
► épreuves volontaire, imposées ou subies (texte, article, concours, exercice, test,
examen, lésion, geste, comportement…)
► représentations (topographique, phonétique, de distorsion d’images, syntaxique,
fautes d’ orthographe…).

Ces éléments partiels de représentation de la notion de /correction/ 4 doivent servir


d’indicateurs à une extension dans le cadre d’un élargissement d’une telle recherche. On ne
fera ici que quelques hypothèses fondées sur ces indicateurs et sur une expérience acquise
avec l’analyse de la notion d’/évaluation/ qui semble de situer au sommet dans une hiérarchie
hypernotions / hyponotions comme un terme qui a si bien réussi dans le discours qu’il s’est
appauvri dans sa capacité à représenter un acte précis5.

Il s’agirait plutôt d’une attitude déterminée par une posture normative face à des règles ou des
règlements. Que ceux-ci soient reconnus, acceptés ou non, il y a toujours un arrière-plan
auquel l’individu ou l’institution qui corrige se réfère. Sur le plan de l’analyse il faut donc
distinguer le processus correctif (son fonctionnement avec ses qualités plastiques ou rigides)
de cet arrière-plan (sa justification avec ses qualités axiologiques).

« A la suite d’une séance de correction de plus de trois heures un enfant de neuf ans est
décédé »6. On entre ici dans l’expression brutale de la norme à son niveau d’inacceptabilité :

4
Représentée ainsi pour la distinguer du terme.
5
Chardenet, P., 1999, De l’activité évaluative à l’acte d’évaluation, L’Harmattan.
6
20 minutes , 18/06/02, p.9 (www.20minutes.fr).
l’acte de contrainte physique « pour qu’il comprenne » a avoué l’adulte auteur de coups. Mais
si on ne meure pas d’une correction scolaire courante, celle-ci s’exprime bien également au
nom d’une représentation de la compréhension.

2. Pratiques et axiologie
On peut considérer que deux orientations déterminent la notion de /correction/ : ce qui ressort
des pratiques en aval et ce qui tient à l’axiologie en amont. Du côté des pratiques, ce que
j’appellerais l’activité corrective peut être considérée comme "naturelle", non pas d’essence
ontologique mais comme intervention pragmatique cherchant à modifier une situation. Par
nos actes, nous modifions la réalité et nous tentons de le faire intentionnellement (conscient
ou non, de manière explicite ou implicite). Une partie de ces actes est réalisée par le langage.
Formalisée en situation d’enseignement / apprentissage, cette activité qui vise à établir un lien
entre l’indicateur d’écart (segment fautif ou inadéquat), la norme de référence (segment
attendu) et le processus de production devient un acte spécialisé : l’acte correctif, avec les
indicateurs et relevés d’erreur et ses énoncés qui les désignent.

2.1. Peut-on sortir de la relation compétence / performance / pertinence ?


L’acte de correction suppose donc le repérage de l’écart (indicateur) et son identification
(typologie et origine). De ce point de vue dans l’enseignement des langues il est souvent fait
appel à une distinction entre erreurs de compétence et erreurs de performance en relation
aux théories sur les erreurs d’apprentissage et sur l'acquisition du langage en général. Cette
opposition est due dans un sens originel à N. Chomsky 7 pour lequel la compétence représente
la connaissance permettant à un locuteur-auditeur idéal de produire et de comprendre un
nombre infini d'énoncés, la performance étant la réalisation pratique de cette connaissance.
Mais rapidement S. P. Corder8 qui traite l'acquisition d'une langue seconde et D. W. Hymes 9
ont considéré ce point de vue linguistique comme trop restreint car si la compétence ne
concerne que la connaissance et l'aspect créatif du langage, cela signifie que l'on ne peut
étudier que ce qui est idéalement grammatical et acceptable. Ce qui rejette la production de la
parole dans un autre univers. Hymes introduit la notion de compétence de communication,
ce qui permet d'intégrer dans l’approche, des faits considérés jusqu'alors comme relevant de la
performance uniquement et de libérer le terme performance pour décrire ce qui est
effectivement produit.

Du point de vue de la didactique des langues (et de la linguistique appliquée dans le domaine
anglo-saxon), la notion théorique de locuteur-auditeur idéal dans une communauté
linguistique homogène, proposée par Chomsky, n’est jamais suffisante. L'implication de la
compétence du locuteur exige que l'on intègre des facteurs plus complexes comme les
variations interindividuelles (d'éducation, la classe sociale), les variations intra-
individuelles (le fait que l’individu ne dise pas toujours les mêmes choses de la même façon
dans une même situation), les variations intralinguistiques (certaines variétés fonctionnelles
d'une langue ont des valeurs et des utilisations différentes dans une même communauté
linguistique ), les variations interlinguistiques (la connaissance ou le contact avec d'autres
langues), l’accepatbilité sociale (les relations à l’acceptable ou l’inacceptable peuvent être
différentes entre des communautés partageant la même grammaire, ou bien évoluer à

7
Chomsky, N., A., 1965, Aspects of Theory of Syntax, Cambridge, MIT Press, 1971 pour la traduction française,
Aspects de la Théorie syntaxique, Editions du Seuil.
8
Corder, S. P., 1973, Introducing Applied Linguistics, Harmondsworth, Penguin, England.
9
Hymes, D., 1972, "On Communicative Competence", dans Pride, J.B.,, Holmes, J. (eds), Sociolinguistics,
Harmondsworth, Penguin, England. 1984 pour la traduction française, Sociolinguistique, Hatier / Crédif.
l'intérieur d'une même communauté), les usages sociaux (W. Labov 10 publie en 1966 une
étude sur les différentiels de langage des habitants de New York dans laquelle il démontre que
la perception des distinctions phonologiques de l'anglais dépend de la signification sociale que
leur attribue le locuteur). A ces recherches sur la production du langage et les réalisations dans
une langue on peut ajouter les travaux sur la réception (D. Sperber, D., Wilson11) qui
questionnent les mécanismes de la communication non plus seulement du côté de la relation
codage / décodage mais également du côté de l’inférence (demandant l’attention de
l’interlocuteur, le locuteur donne à entendre que son message est pertinent ce qui impose à
l’interlocuteur de reconnaître les conditions de la pertinence).

Ces notions qui permettent de décrire le langage, la production et la réception d’énoncés en


situation intéressent bien entendu le didacticien des langues mais elles interrogent directement
la notion d’erreur (source et production). On peut établir des certitudes d’échec de la
communication quand le code est totalement affecté (un pourcentage d’erreurs en orthographe
voisin de cent) mais cela est moins facile de déterminer à partir d’une épreuve le niveau
d’erreur qui altère la communication. D’autant moins qu’en situation de communication
authentique, la reconnaissance par les interlocuteurs de leurs compétences (conditions de
pertinence), associée à la dynamique d’inférence qu’O. Ducrot appelle notre « bonne
volonté sémantique » agit comme facteur de contournement des erreurs de code. C’est ici
qu’intervient je crois l’activité corrective qui fait que soit l’interlocuteur aidera le locuteur à
corriger les erreurs qui gênent la communication (activité corrective pro-active), soit il
corrigera pour lui-même restituant à l’énoncé son sens ou l’interprétant (activité corrective
interne). Il se produit donc ce que j’appellerais un ajustement progressif de l’écart.

2.2. Produire ou subir la correction : peut-on maîtriser l’axiologie ?


Les manifestations discursives de l’acte formel de correction ont fait l’objet de quelques
travaux12 et en amont, l’intérêt de l’analyse d’erreurs a souvent été discuté 13 entre point de
vue objectif et subjectif, c’est dire sans issue si l’on accepte pas ce double constat :
- l’écart est inhérent aux activités langagières dans la mesure où parler / écrire c’est
davantage reproduire que produire ;
- le processus de mesure de l’écart (après son repérage) n’a rien à voir avec un rapport
objectivité / subjectivité mais s’exprime (voire s’imprime) à travers des opérations
cognitivo-discursives14.
Evaluer, c’est dire car il n’y a pas d’évaluation sans discours et le repérage, l’identification et
la correction des écarts relevés reposent sur du langage où se manifeste la subjectivité
axiologique. Si l’on repère par inférence des écarts en langue et en discours à travers la non
application de règles, cela suppose que l’ensemble des règles de production, voire de
créations originales est non seulement prévu par une théorie générale de la production et de
l’inférence mais également disponible chez le correcteur qui élabore une représentation
précise du bien dit attendu et du mal dit produit dans le contexte de production.
10
Labov, W., 1966, The social stratification of English in New York City, Center for Applied Linguistics,
Washington, DC.
11
Sperber, D., Wilson, D, 1986, Relevance, Communication and cognition, ; 1989, pour la traduction française,
La pertinence, Editions de Minuit.
12
Chardenet, P., 1994, "L’évaluation à l’épreuve des discours", dans Carnets du CEDISCOR n°2, Presses de la
Sorbonne Nouvelle.
Halté, J.-F, 1984, "L’annotation des copies, variété ou base du dialogue pédagogique", dans Pratiques, n°44,
pp.61-69.
13
Berthoud, A.-C., 1987, "Les erreurs des apprenants: au panier ou sous le microscope ?", dans Les langues
modernes, °5 (81e année), pp.11-17.
14
Chardenet, P., 1999. op. cit.
De ce point de vue il est théoriquement impossible de maîtriser l’échelle axiologique. Il ne
faudrait donc pas corriger. Mais l’activité corrective faisant partie de nos capacités naturelles
à reconstruire la réalité, il serait également impossible tant du point de vue anthropologique
que de celui des responsabilités professionnelles des enseignants de faire l’impasse sur cette
pratique. Reste à s’en faire un allié au lieu de l’aliéner.

Pour en revenir à la détermination de la notion de correction, il semble donc qu’elle se


construise selon un schéma de composition organique15 de signes notionnels (propriétés
communes à l’objet cognitif opératoire) de la façon suivante :

inférer
Activité corrective
reconstruire

/correction/ Référentiel (paradigme, arrière-plan, norme)

formes produites, sens recherché


Acte de correction

formes inférées, sens attendu

Du côté de l’axiologie, l’acte de correction relève du jugement sur la nature et l’origine de


l’écart par rapport à un arrière-plan (que l’on appelle Référentiel 16 en évaluation et qui se
manifeste par les limites normatives en langue et en discours. Il tend à marquer sur une
échelle (de bien dit à mal dit ; de correct à incorrect …) la production de l’élève (sur les
copies à l’écrit et dans les échanges oraux) à l’aide des évaluatifs fournis par la langue 17. Or
sur l’échelle axiologique généralement utilisée pour marquer les productions des élèves,
certains énoncent des propriétés objectives (N fautes d’orthographe, usage inadéquat d’un
connecteur argumentatif, registre inapproprié avec la situation …) et d’autres des
"subjectivèmes" (bien dit , mal dit, correct, incorrect …) qui associent à une description un
jugement d’appréciation ou de dépréciation qui implique un système solidaire ou contractuel
entre l’évaluateur et l’évaluataire pour être accepatble du point de vue de la médiation qui
reste l’objectif de toute correction. Cela est encore plus compliqué lorsque l’appréciation /
dépréciation porte sur une propriété objectivée comme la longueur d’une production (sauf si
la consigne comporte des indications dans ce sens) : trop long ou trop court. C. Kerbrat-
Orecchioni parle de « taux de subjectivité »18 dans tel ou tel énoncé. Autrement dit on peut
chercher à évaluer le langage qui sert à évaluer la réalité. Ce qui permet de douter de la
maîtrise de l’axiologie en termes d’objectivité au simple énoncé d’un jugement correctif.

Que faire alors, entre produire et subir la correction comme sanction définitive ? Peut-être
utiliser celle-ci dans toutes ses directions qui s’attachent aussi bien à corriger la production
(puisque de toute façon aux niveaux formel et naturel elle est nécessité de l’acte
d’enseignement / apprentissage comme de l’interaction langagière) que ce qui l’a
15
Chardenet, P., op. cit 1997 et à paraître.
16
Le R majuscule vaut ici pour distinguer cette notion du référentiel utilisé en linguistique.
17
Kerbrat-Orecchioni, C., 1980, L’énonciation e la subjectivité dans le langage, A. Colin.
18
Ibid. p. 73.
déclenchée dans le plan d’enseignement (processus transfert / apprentissage, consigne). Très
rarement, le correcteur placé devant des segments problématiques longs remédie en
aménageant la suite de le relation pédagogique par une explicitation du passage de l’incorrect
au correct. Au mieux, l’énoncé correct attendu est donné en exemple, au pire l’énoncé
correctif dénonce par un jugement sanction. Au delà des conditions de correction que la
docimologie à mis en évidence depuis longtemps, c’est également le résultat d’une difficulté
à construire des hypothèses :
- sur le processus de production en fonction de l’apprentissage ;
- sur une comparaison entre l’énoncé réel problématique et l’énoncé virtuel non réalisé
mais attendu par le correcteur.
On ne peut s’arrêter ici sans revenir à l’évaluataire qui a certainement de bonnes raisons
intéressante pour l’évaluateur, pour avoir produit un tel énoncé.

3. Correction normative et cognition : l’activité évaluative comme compétence


Dès le premier paragraphe du chapitre 1 de son ouvrage Une approche communicative de
l’enseignement des langues, H.G. Widdowson19 pose la question de la validité de la correction
en tant qu’objectif central (et donc en tant que Référentiel de pour l’acte de correction). C’est
pourtant bien l’arrière-plan de l’encodage qui détermine ce que j’appellerais la posture
corrective immédiate. Donnez à un groupe d’enseignants des productions d’élèves variées
avec la seule consigne de « les corriger ». Vous verrez que sans autre indication s’élabore
mentalement une grille de correction qui prend le code pour cible précise et tend à remiser à
une phase ultérieure l’analyse corrective des opérations et des orientations de discours
(caractérisation, reformulation, modalisation, explication, argumentation …) qui semblent
moins les préoccuper que la correction orthographique et syntaxique.

Widdowson distingue entre les valeurs d’usage et les valeurs d’emploi 20 pour construire un
plan d’enseignement. La notion de /compétence/ permet de considérer que la plupart des
écarts produits par les locuteurs d'une langue 2 relèvent de la compétence, et non plus
uniquement de la performance. La compétence des locuteurs d'une langue 2 est limitée par
une maîtrise insuffisante de la langue à tous les niveaux : lexical, syntaxique, sémantique,
pragmatique et culturel. C’est là l'origine des écarts qui amène à restreindre les erreurs de
performance à celles commises durant l’interaction de communication et dont le locuteur peut
prendre conscience après les avoir produites d’autant plus que le continuum interactionnel se
charge de les corriger par une remédiation destinée à faire aboutir le contrat de
communication (qui prend en classe la forme d’un contrat pédagogique21).

Les écarts produits par un locuteur en L1 impliquent déjà de nombreux aspects du langage et
de la cognition. Un locuteur en L2 peut commettre le même type d'écarts de performance
(lapsus, erreurs de saisie au clavier de frappes, d'inattention…), mais le potentiel d’écart
relevant de la compétence est plus important et les erreurs qui en fournissent des indicateurs
seront plus nombreuses et relativement différentes. La qualité de la correction médiative en
sera d’autant plus essentielle que se pose également en enseignement / apprentissage des
langues étrangères la question de la langue d’interface. Dans le système scolaire, en général
les énoncé correctifs sont produits dans la langue de l’école et non en dans la langue cible. Il
n’en est pas de même dans les institutions hors scolaire où il est plus fréquent de voir ces
19
Widdowson, H.G., 1981, Une approche communicative de l’enseignement des langues, Hatier / Crédif, pp.11-
12.
20
Ibid . pp.23-26.
21
Filloux, J., 1974, Du contrat pédagogique, Dunod.
énoncés produits dans la langue cible, le traitement métalangagier des explications comme des
corrections étant inclus dans les objectifs du plan d’enseignement. On touche ici peut-être à
un élément clé d’un système formatif d’évaluation en langue qui chercherait à inclure
l’activité langagière évaluative comme objectif d’apprentissage.
Si l’on considère l’activité évaluative et sa composante corrective comme pratiques cognitivo-
langagières "naturelles" qui nous servent à agir sur le monde, il est probable que son
actualisation en langue constitue une compétence centrale mettant en jeu ces moyens en
langue étrangère. Si l’on intègre l’activité évaluative en tant que compétence, on peut
modifier la posture, d’une attitude normative vers une attitude cognitive. Il s’agit ainsi de
constituer des objectifs d’apprentissage qui prennent en compte les capacités à dire
l’évaluation à manier les échelles évaluatives.

Il ne s’agit donc pas de proposer une énième batterie d’activités d’évaluation sous une forme
nouvelle, géniale et forcément objective mais d’envisager une modalité différente dans la
gestion de celles que l’on utilise. Il est ainsi remarquable que depuis des années l’on parle
d’autoévaluation sans s’être penché sur la capacité des individus en général et des élèves en
particulier à comprendre ses propres actes et à formuler cette compréhension. En situation
d’apprentissage, les productions sont erronées par le fait même de la situation
d’apprentissage. La correction est donc permanente et s’inscrit dans un processus de
progrès22 auquel participent l’apprenant et l’enseignant. L’erreur est donc un facteur
moralement neutre sur le plan normatif et didactiquement révélateur sur le plan
cognitif, de la productivité de la situation d’enseignement / apprentissage.

4. La correction, de la notion aux pratiques


J’ai voulu mettre en évidence (parfois un peu rapidement) dans les parties précédentes,
l’existence au sein d’un système d’évaluation, à la fois du continuum et d’une distinction
entre l’activité corrective et les actes de correction (les seconds reposant sur la première en
tant de capacité cognitivo-discursive). C’est ainsi je pense que l’on peut analyser la formation
de la notion de /correction/.

Quant à sa circulation dans les discours, on peut dire qu’elle n’est pas mise en évidence.
Plutôt prononcée à l’égard d’un rituel professionnel. On corrige des copies, des examens alors
qu’on évalue un mémoire, une thèse semblant ainsi mettre en avant le contenu de ces derniers
plutôt que la forme qui est pourtant auscultée et qui fait l’objet d’une intervention dans chaque
soutenance. La correction semble ambivalente, visant la forme, elle serait une corvée de bas
niveau d’intervention mais inévitable. Il n’y a donc pas à chercher à dissimuler la correction
comme pratique mais à mieux la comprendre pour qu’elle ne soit pas considérée comme
l’exclusivité d’une attitude scolaire normative. Le schéma suivant propose une synthèse de
cette tentative de compréhension qui appelle bien d’autres précisions :

22
On préférera ici le terme de progrès dans le plan d’apprentissage à celui de progression qui se confond
souvent avec la répartition des objectifs dans un programme, voire un manuel et qui se situe du côté du plan
d’enseignement. Voire à cet égard la distinction faite par Borg, S., 2002, La notion de progression, Didier.
INTERACTION ¿ Quelle correction ? JUGEMENT

ACTE DE CORRECTION

ACTIVITE CORRECTIVE

Cognition REFERENTIEL Norme

INDICATEURS D’ECARTS

ERREURS

Il faudrait pour cela approfondir les questions de perception et de catégorisation qui sont à
la base de l’activité évaluative et analyser leurs relations dans les pratiques de classe avec des
actes de correction de type cognitif :
- repérage d’indicateurs d’écarts entre les segments produits et les segments attendus
par rapport à un Référentiel dynamique (non normatif) ;
- hypothèses sur leur implication dans la communication (qui peut être plus ou moins
astreinte à la forme, donc à des normes) ;
- traitement correctif (orthographie, reformulations, précisions…) dans une
perspective pragmatique.

Les écarts peuvent donc être placés sous le microscope pour reprendre la métaphore utilisée
en 1987 par A.-C. Berthoud dans une autre revue qui s’était donné comme titre "Les erreurs
des élèves : qu’en faire ?"23. Elles intéressent le chercheur et le praticien-chercheur pour
analyser ce qu’est la correction. Mais pour annoncer ce qu’elle devrait être au regard des
hypothèses qui sont faites ici, d’autres conditions sont nécessaires qui touchent plus largement
à l’interaction entre le plan d’enseignement et le plan d’apprentissage, au temps d’évaluation
intégré par opposition au temps d’évaluation externe, à la place faite à la compréhension
plutôt qu’à la sanction.

23
Les langues modernes, op. cit.

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