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3.1 INTRODUCTION
Pour illustrer les processus de concentration, voyons tout d’abord l’exemple des gisements de
chromites dans le complexe du Bushveld en Afrique du Sud. Les chromites sont des oxydes de
fer et chrome qui constituent la principale source de métal chrome. La figure 3.1, une
photographie de veines de chromite dans la Dwars River, à l’ouest du complexe du Bushveld,
montre quelques aspects importants des gisements de chromite. Les minéraux sont disposés
en couches dont l’épaisseur peut être supérieure à un mètre, qui alternent avec des couches
composées d’autres minéraux magmatiques. La roche est un cumulat formé par la
cristallisation de minéraux magmatiques à la base de la chambre magmatique du Bushveld. Le
complexe du Bushveld lui-même (figure 3.2) est une vaste intrusion différenciée en forme
d’entonnoir, dont la partie inférieure, ultrabasique, est composée d’une alternance de
cumulats d’olivines et de pyroxènes, la partie intermédiaire, basique, est composée de
cumulats de pyroxènes et de plagioclases, et la partie supérieure, plus différenciée, est
composée de diorite et gabbro. Des descriptions plus précises sont disponibles dans les
articles de Cawthorn et collaborateurs (Cawthorn, 1996). La chromite, minéral composant le
minerai, est présente dans toute la partie inférieure, mais normalement sa concentration est
limitée à quelques pourcents. Le gisement de chromite est situé dans la portion supérieure de
la zone ultrabasique localisée dans la partie inférieure du complexe qui affleure sur toute sa
périphérie. La teneur en chrome des gisements est de l’ordre de 30-40 % Cr. A titre de
comparaison, la teneur moyenne en chrome de croûte continentale est de l’ordre de quelques
dizaines de ppm (0,000 1 %), mais le calcul d’une teneur crustale moyenne n’est pas pertinent
pour le chrome : l’essentiel du chrome est localisé dans des roches ultrabasiques dans
lesquelles les concentrations sont beaucoup plus élevées. Même si l’on considère que les
teneurs en chrome typiques des intrusions ultrabasiques sont de l’ordre de 3 000 ppm, le
facteur d’enrichissement (rapport entre la concentration dans le minerai et la concentration
de base) est de l’ordre de 100. Quel processus géologique produit de tels degrés
d’enrichissement ? Neil Irvine a apporté une explication claire dans un article publié en 1977
(Irvine, 1977). Son diagramme modifié dans la figure 3.3, montre que sous des conditions
normales, 1 à 2 % de chromite cristallise simultanément avec l’olivine. Pour qu’une couche de
chromite pure soit produite, la cristallisation de l’olivine et des autres silicates doit être
différée. Irvine a proposé deux explications pour différer la cristallisation de ces minéraux,
toutes deux illustrées dans la figure 3.4. Dans ce diagramme de phases relativement simple,
un cotectique courbe sépare les champs d’apparition de l’olivine et de la chromite. La
composition des liquides basiques et ultrabasiques normaux, comme celle du magma parent
du complexe du Bushveld, est dans le champ d’apparition de l’olivine. Dans de tels liquides,
l’olivine cristallise en premier, et la composition résiduelle du liquide évolue vers la ligne
cotectique à partir de laquelle la chromite cristallise également. La chromite et l’olivine
cristallisent alors simultanément (dans des proportions variables données par l’intersection
de la tangente au cotectique et l’angle olivine-chromite du diagramme). La proportion de
chromite est alors comprise entre 1,4 et 1,8 %, quantité observée dans les cumulats à olivine
normaux du complexe du Bushveld.
Pour que la chromite cristallise seule, la composition du liquide magmatique doit être
déplacée de l’autre côté du cotectique, à l’intérieur du champ d’apparition de la chromite.
Une première possibilité est que le magma soit contaminé par une roche de l’encaissant
siliceuse (positionné vers le pole SiO2 dans la figure 2). Le magma hybride contaminé a alors
une composition intermédiaire entre la composition du magma initiale et le pole SiO2, à un
point noté D situé dans le champ d’apparition de chromite. Lors du refroidissement du liquide
magmatique, des chromites cristallisent seules jusqu’à ce que la composition du magma
rejoigne la courbe cotectique en E. L’intervalle durant lequel la chromite cristallise seule paraît
limité, mais dans de grandes intrusions comme celle du Bushveld, les chromites formées sont
en quantité suffisante pour former une couche épaisse exploitable après leur ségrégation par
densité dans le fond de la chambre magmatique. Une seconde explication possible est liée à
la forme fortement courbée de la courbe cotectique. À cause de cette forme, lorsqu’un liquide
évolué situé dans la chambre magmatique se mélange à un liquide plus primitif qui entre dans
la chambre magmatique, la composition du liquide hybride est dans le champ de stabilité des
chromites (point G sur la figure 3.4c). Comme dans le cas du liquide contaminé par l’encaissant
siliceux, des chromites cristallisent seules dans un tel liquide hybride jusqu’à ce que sa
composition parvienne en F sur la courbe cotectique. Il est probable que les deux phénomènes
– contamination et mélange de magmas – aient eu lieu lors de la formation des chromites du
complexe du Bushveld. La ségrégation par densité des chromites dont la masse volumique (~
4600 kg/m3) est largement supérieure à celle du magma (~2800 kg/m3) explique la
concentration en couches. L’explication de la formation des gisements de chromite illustre un
principe important : le minéral d’importance économique, dans ce cas la chromite, est un
constituant « normal » de nombreuses intrusions magmatiques ultrabasiques et cristallise lors
de processus magmatiques « normaux ». Dans des circonstances ordinaires, il est présent en
faibles concentrations et les roches « normales » ne constituent pas un minerai. Pour qu’un
gisement soit formé, il faut que le processus normal de cristallisation soit perturbé et que le
minéral d’intérêt économique soit accumulé dans des concentrations bien plus importantes.
Dans le cas des gisements de chromites, la contamination ou le mélange de magma sont les
éléments perturbateurs.
3.3 LES GISEMENTS DE MAGNÉTITE ET DE PLATINOÏDES DU COMPLEXE DU BUSHVELD, FORMÉS
PAR DES PROCESSUS MAGMATIQUES ET/OU HYDROTHERMAUX