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Opposition

Seris Vritra :

Tout s'est d'abord passé lentement. De grands yeux injectés de sang se sont
tournés vers moi, sondant la pénombre à la recherche de la source de l'aura
qu'ils sentaient brouiller leurs sens et s'emparer de leurs cœurs. À mesure
qu'ils me voyaient, leurs regards stupéfaits, l'un après l'autre, étaient inévita-
blement attirés vers le bas, vers l'artefact sanglant que je tenais dans ma
main droite. Les bouches s'ouvraient d'horreur, mais les mots qu'ils auraient
pu prononcer restaient bloqués dans leurs gorges serrées. Les outils glissaient
des doigts faibles et s'entrechoquaient sur le sol, oubliés, et un tremblement
parcourait la conscience collective d'un peuple mal équipé pour comprendre
ce qu'il voyait.

Dans l'œil de cette tempête d'attention, je me suis déplacée sans me précipi-


ter, le sentier rugueux crissant sous mes pieds, ma robe blanche brillait
comme un phare dans l'obscurité de la zone industrielle.

Tous les mineurs, ouvriers et fermiers que je croisais se figeaient, avant de


s'écarter rapidement devant moi. Les plus proches reculaient, mettant ins-
tinctivement de la distance entre eux et la puissance palpable qui émanait de
moi, tandis que les autres étaient attirés comme des papillons de nuit par la
flamme, oubliant leurs tâches quotidiennes alors que la curiosité et la crainte
prenaient le dessus sur leur sens de l'auto-préservation.

Une femme corpulente aux cheveux fins et au visage sali par la poussière
grise a poussé un cri de joie. Lorsque mes yeux se sont posés sur elle, les per-
sonnes les plus proches se sont empressées de reculer. Je n'ai pas souri, mais
j'ai permis un contact visuel d'une seconde, la regardant profondément, lui
assurant qu'elle avait été vue.

D'autres ne pouvaient pas cacher leur hostilité—ceux qui étaient fidèles à


Agrona ou qui croyaient à la propagande mal conçue diffusée à mon sujet—

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mais aucun d'entre eux n'avait le courage d'exprimer ses sentiments ou d'en-
traver ma progression.

Quelques-uns, les plus malins d'entre eux, se sont enfuis.

Lorsque j'ai atteint les portails du deuxième niveau, ils étaient déjà en plein
chaos. Les gardes se démenaient pour trouver leurs groupes de combat et
maintenir ce qui ressemblait à une formation. Ils se criaient dessus, personne
ne semblant vouloir accepter la responsabilité du commandement. Les res-
ponsables des Relictombs—les clercs et les agents chargés de surveiller les
portails—se tenaient à l'écart, se tordant les mains et observant nerveuse-
ment la scène.

Lorsque mon intention les a touchés, ils ont tous ralenti jusqu'à s'immobiliser.
Quelqu'un a prononcé une prière aux Vritra.

Souhaitant qu'ils m'entendent et me comprennent, j'ai réduit mon aura et je


me suis approchée pour être à portée de voix. La chose que je tenais dans ma
main s'est légèrement tordue, et je me suis arrêtée, toisant les soldats et les
gardes. La moitié d'entre eux me fixaient, leurs armes tenues nerveusement
devant eux, mais l'autre moitié ne pouvait détacher son regard de l'artefact.

L'un des agents, un homme plus âgé au crâne dégarni et à la longue mous-
tache grise, portant la robe officielle d'un employé des Relictombs, a retrouvé
son courage. Il a fait quelques pas tremblants vers moi et a levé le menton,
ses yeux évitant soigneusement ma main. « Faux Seris Vritra. » Il a marqué
une pause, déglutissant lourdement. « Vous êtes en état d'a-arrestation pour
avoir attenté aux intérêts d'Alacrya, sur ordre du Haut Souverain !» Il a termi-
né avec plus de fermeté, prenant de l'assurance au fur et à mesure qu'il
parlait.

Lorsque je lui ai souri, cette confiance s'est brisée comme des dents face à un
coup de maillet. Il a reculé, essayant de se fondre parmi les autres fonction-
naires, mais ils ont reculé eux aussi, le sacrifiant sur le bûcher de mon
attention.

Mais je n'étais pas là pour malmener ou assassiner des mages de basse nais-
sance, même ceux qui étaient trop aveugles pour voir que j'étais de leur côté.
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« Je ne suis pas venue ici pour faire couler le sang. Aucun d'entre vous ne
mourra ici, à moins que vous n'insistiez pour cela. Partez. Fuyez les Relic-
tombs et retournez chez vous pour retrouver votre Sang. »

Pourtant, je ne pouvais pas me sentir vertueuse face au choix que je leur


donnais. J'étais une Faux depuis trop longtemps pour ne pas voir le piège qu'il
y avait là-dedans. En fait, il s'agissait de choisir comment ils allaient mourir.
Soit ils restaient et me combattaient dans une lutte désespérément inégale,
soit ils s'enfuyaient et attendaient d'être traqués et exécutés par les forces
loyalistes.

Les non-combattants se sont tous enfuis en courant, comme des insectes


soudainement et inopinément exposés à la lumière. Les gardes ont échangé
des regards dépités, mais ils sont restés. Ils ont compris le choix.

Un grand homme a crié, et les soldats se sont reformés en groupes de com-


bat. Des boucliers, magiques et ordinaires, ont été levés face à moi. J'ai gardé
ma position.

Un autre cri, et les sorts ont commencé à voler, illuminant la zone sombre de
bleus, de jaunes et de rouges éclatants. Des éclairs de feu et des lames de
vent se sont heurtés à la barrière de mana qui recouvrait ma peau et ma
robe, avant d'être déviés sans dommage. Mon mana ondulait d'une ombre
crépusculaire, transformant le contour de mon corps en gris. Le feu des sorts
a ralenti, puis s'est arrêté.

J'ai laissé passer un battement de cœur, puis j'ai poussé ma main libre en
avant. Un nuage noir s'est déversé de mes paumes, se répandant sur mes
assaillants en un instant. Il les a traversés, ma magie du vide brûlant leur ma-
na.

Ils se sont tous effondrés, le contrecoup de l'expulsion brutale de tout leur


mana ayant fait perdre connaissance à la plupart d'entre eux. Quelques-uns
m'ont regardé fixement depuis le sol, gémissant ou s'étouffant. Ils s'atten-
daient à mourir.

J'ai continué à marcher en les laissant là où ils gisaient. Leur donner le choix
de la façon de mourir ne me semblait pas correct. C'est ainsi que fonctionnait
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Agrona. Ils avaient choisi de résister. Peut-être étaient-ils aveuglément loyaux
envers Agrona, mais peut-être étaient-ils simplement désespérément prison-
niers d'un système dans lequel ils étaient nés et avaient vécu chaque seconde
de leur vie. Savaient-ils seulement qu'il existait un monde en dehors des murs
trop étroits qui les enserraient ? Je me suis dit qu'ils ne pouvaient probable-
ment pas le voir.

Mais moi, je pouvais le voir. Et je pouvais aussi choisir.

Jetant un rapide coup d'œil en arrière vers le champ de mages effondrés—


effondrés, mais vivants—j'ai activé l'un des portails menant au deuxième
niveau et je l'ai franchi.

Le deuxième niveau était exactement comme je m'y attendais.

La cour contenant les portails d'ascension et de descente, qui coiffait l'extré-


mité du long boulevard qui traversait le cœur de la zone, était le théâtre
d'une activité frénétique et structurée.

Une centaine de mages, peut-être plus, encerclaient la cour, armes dégainées


et sorts actifs, délimitant les portails. Vingt autres se dépêchaient d'installer
une série d'appareils en arc de cercle devant les portails. De petits groupes de
personnes s'attardaient sur les bords de la cour, à l'extérieur du cordon, et
dans l'ombre des bâtiments les plus proches.

Les appareils étaient constitués de boîtiers métalliques ternes, teintés de


bleu, contenant de grands cristaux de mana qui avaient été soigneusement
taillés dans des bols concaves. De lourds câbles couraient de l'un à l'autre, les
reliant les uns aux autres, et finalement à un réservoir en verre rempli d'un
liquide bleu bouillonnant.

Plusieurs mages ont sursauté à mon apparition, retournant leurs armes


contre moi.

« Faux Seris Vritra !» Aboya un mage aux cheveux noirs et à la barbe bien
taillée, en claquant un salut. Les autres se sont mis au garde-à-vous et ont fait
de même.

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Je me suis débarrassée de cette formalité. « Sulla, tout s'est déroulé comme
prévu.

Le Haut mage du Hall des ascendeurs de Cargidan a hoché vigoureusement la


tête. « Oui, Faux. La résistance a été limitée. » Il a fait un signe de tête vers
quelques corps étendus à proximité. « Les combats ont été pires ailleurs, je le
sais, mais nos efforts pour mettre en place votre... peu importe ce que c'est...
n'ont pas été entravés, et c'est presque terminé. »

Un autre homme, qui ne portait ni armure ni tenu de combat mais était torse
nu, exhibant fièrement sa peau bronzée et ses formes ciselées, s'est approché
en trottinant et s'est incliné rapidement. « Timing parfait, comme prévu », dit
Djimon de Sang nommé Gwede, Haut Mage d'Itri, avec sa vivacité d'esprit
habituelle. « Toutes les plateformes de distorsion tempus de la ville ont été
détruites, comme vous l'aviez ordonné, à l'exception d'une qui est actuelle-
ment protégée par le Haut-sang Rynhorn. Les combats y sont féroces, mais ils
ne peuvent pas résister. Encore dix minutes et les corps de leurs soldats jon-
cheront le sol des Relictombs en attendant que mes Caster s'occupent de la
plateforme. »

« Les plates-formes de réception étant détruites, ce sera notre seul moyen


d'entrer et de sortir », ajouta Sulla en faisant un geste vers l'ensemble des
portails permanents qui permettaient de transiter entre le premier et le deu-
xième niveau. Je pouvais voir qu'il cherchait à s'assurer que le plan
n'aboutirait pas à nous piéger ou à nous faire déborder.

« Ce n'est pas le seul moyen », dis-je au lieu d'essayer d'apaiser l'homme.


Mon regard a suivi la ligne du boulevard central jusqu'à la lueur lointaine du
portail d'ascension primaire que je pouvais apercevoir même d'ici.

Le bruit des pas en armure qui s'approchaient m'a fait tourner la tête, surtout
à cause du léger décalage entre chaque pas. Cylrit s'inclina légèrement et les
deux ascendeurs ont reculé d'un pas, nous laissant de l'espace, les yeux rivés
sur le sol. Mon serviteur avait le visage et l'armure couverts de sang.

« Voulez-vous que je prenne cela, Faux Seris ?» Demanda-t-il, d'un ton égal.
J'étais certaine d'être la seule à avoir remarqué la crispation de sa voix et de
sa posture.
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J'ai tendu l'objet que j'avais transporté au premier niveau des Relictombs :
une tête coupée, la mâchoire figée par la rigidité cadavérique, la langue noire
et ratatinée comme une limace salée.

Cylrit n'a pas bronché en acceptant le morceau de tête qu'on lui proposait. Il
l'a levé pour plonger son regard dans les yeux morts et fixes, puis s'est dirigé
vers la batterie de mana qui alimenterait les artefacts que j'avais conçus.

Les autres mages se sont retirés, leur travail étant terminé. Tout était prêt.

Cylrit a plongé la tête dans le liquide, qui s'est immédiatement mis à briller,
puis s'est rapidement éloigné de la batterie.

Les cristaux sculptés de chaque appareil ont commencé à émettre un bour-


donnement résonnant, puis à briller d'une teinte assortie au liquide bleu, et
enfin à projeter des vagues visibles de mana dans l'air, bombardant les por-
tails d'énergie brute.

L'effet fut immédiat. Les portails chatoyants ont tressailli, leur surface subti-
lement mouvante s'est soudain animée d'ondes de choc et de stries
multicolores. Les ondulations et les vagues s'éloignaient du cadre du portail,
se heurtaient et rebondissaient dans toutes les directions à la fois à travers
tous les portails.

« Et vous êtes sûr que... » Djimon se coupa en plein milieu de la question.

Je savais que nous n'aurions pas à attendre longtemps pour avoir la preuve
que les artefacts fonctionnaient. Les ascendeurs qui nous entouraient ont
tourné leurs regards vers l'intérieur, observant. J'ai été rejoint par quelques
autres individus de haut rang—Anvald de Sang nommé Torpor, Harlow de
Haut-sang Edevane, qui étaient tous deux Hauts-mages de leurs factions res-
pectives de l'Association des ascendeurs à Aedegard et Nirmala, ainsi que le
Haut-seigneur Frost et sa petite-fille Enola—mais ils sont restés silencieux, se
contentant d'observer, d'attendre.

En quelques minutes, l'un des portails a changé. Il s'est étiré, s'est aplani
momentanément, les ondulations ont disparu, et une silhouette est apparue
à l'intérieur.
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Dragoth, dont la large carrure remplissait tout le portail, s'est mis à hurler, le
visage tendu par le bombardement de mana, mais il est reparti presque aussi
vite qu'il était apparu. Une minute s'est écoulée et il est réapparu, passant
d'un portail à l'autre si rapidement que cligner des yeux aurait signifié le rater.

Il a répété ses vaines tentatives avec chaque portail à tour de rôle, mais les
portails étaient déstabilisés par le bombardement de mana et ne mainte-
naient pas une connexion assez forte pour achever la transition. À peine
arrivé au deuxième niveau, il était déjà ramené au premier.

Il n'y avait aucun moyen de franchir les portails tant que mes artefacts res-
taient en place, renforcés par le reste du mana d'Orlaeth.

D'autres ont commencé à apparaître aussi, plusieurs à la fois dans chaque


cadre de portail. Au bout d'une minute, une ondulation parcourant la surface
de l'un des portails a traversé un homme juste au moment où il apparaissait,
écorchant la peau du côté droit de son visage. Il a disparu en un instant, et les
tentatives de franchissement des portails ont brusquement cessé.

Une acclamation s'est élevée, menée par Enola du Haut-sang.

Je suis restée près des portails un certain temps après, félicitant tous ceux qui
venaient faire leur rapport et donnant des ordres si nécessaire. La lente pro-
cession des Haut-sorciers de mes alliés de Haut-sang est arrivée lorsqu'ils ont
eu la certitude que les combats étaient terminés et que les portails étaient
désactivés, cherchant à exprimer leur gratitude avec la même poignée de
platitudes tout en demandant l'assurance que je savais en fait ce que je fai-
sais.

Finalement, on a appris que les dernières plates-formes de réception avaient


été détruites, ce qui rendait désormais impossible l'utilisation d'une distor-
sion tempus ou d'un portail dédié pour nous rejoindre. Mon plan avait été
couronné de succès.

J'ai tourné mon visage vers le ciel sans soleil, appréciant la chaleur qu'il proje-
tait sur ma peau. J'avais passé tellement de temps ces derniers mois sous
terre, dans des laboratoires ou des bunkers, que cela me faisait du bien de
me tenir sous un ciel ouvert, même s'il s'agissait d'une construction magique.
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Une poignée d'Imbuers sont restés avec l'équipement, ainsi que dix groupes
de combat pour s'assurer que personne ne tente de saboter quoi que ce soit.
Finalement, il ne restait plus que ces gardes, moi-même et un Cylrit patient
dans la cour, les ascendeurs et les Haut-sang ayant vaqué à d'autres occupa-
tions ou s'étant retirés dans leurs domaines et auberges pour faire la fête et
se reposer.

Cylrit se traînait sur sa jambe douloureuse, visiblement mal à l'aise. J'ai at-
tendu qu'il rompe le silence entre nous. « Êtes-vous certaine de cette
décision ?» Demanda-t-il finalement, la voix basse.

J'ai commencé à marcher et lui ai fait signe de me suivre. Nous avons avancé
dans la grande avenue centrale qui se poursuivait sans interruption jusqu'au
portail d'ascension primaire menant au reste des Relictombs. Les gens nous
regardaient passer depuis les vitrines des magasins et les balcons des au-
berges, incertains de ce qui se passait.

Nous n'avions pas pu nous assurer que seuls mes partisans se trouvaient dans
la zone, bien sûr. Mon peuple avait fait de son mieux, l'Association des ascen-
deurs ralentissant volontairement la circulation tandis que les Haut-sang
répandaient des rumeurs encourageant ceux qui n'étaient pas affiliés à nous
de partir, même temporairement, mais beaucoup de ceux qui vivaient dans la
zone, ceux qui servaient dans l'économie qui s'était développée autour des
ascendeurs, étaient neutres ou même ignorants de nos efforts contre Agrona.

Certains finiraient par nous être ouvertement hostiles, je le savais.

« Il y a trop de choses ici qui échappent à notre contrôle », poursuivit Cylrit,


son attention se déplaçant constamment tandis que, par habitude, il surveil-
lait les menaces potentielles. « Il y a des façons dont cela peut mal tourner
que nous n'avons même pas encore envisagées. »

« Je sais », répondis-je. Si cet argument avait été avancé par quelqu'un


d'autre, je lui aurais assuré que chaque variable avait été prise en compte,
que chaque couche du plan avait été conçue pour être infaillible, mais Cylrit
comprenait tout aussi bien que moi ce à quoi nous étions confrontés. « Peut-
être qu'avec dix ans de plus pour tout planifier, nous aurions pu perfectionner

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ce plan. Mais c'est la guerre, Cylrit. Et quand tu combats des dieux, le temps
n'est pas de ton côté. »

« Tout se résume à cela, n'est-ce pas ? Le temps... » Cylrit a fait une pause, et
je me suis arrêtée pour le regarder. « Combien de temps pouvons-nous ali-
menter l'artefact de perturbation ? Quand Caera reviendra-t-elle avec
Arthur ? Pouvons-nous tenir plus longtemps qu'il ne faudra à Agrona pour
trouver un moyen d'entrer ?»

Je ne lui ai pas rappelé ce que nous avions déjà accompli—reprendre la moi-


tié de Sehz-Clar, échapper aux armées d'Agrona, ridiculiser son Héritage de
compagnie, tuer l'un de ses souverains du clan Vritra, et maintenant lui barrer
l'accès au Relictombs elle-même—et je l'ai plutôt laissé évacuer ses craintes.

« Nous avons pris beaucoup de risques ces dernières décennies, Seris, mais
là... j'ai le sentiment que nous nous sommes mis au pied du mur sans pouvoir
en sortir. » Cylrit prit une profonde inspiration, puis ajouta : « Mes excuses. Je
ne doute pas de vous, je... »

J'ai levé la main et il s'est tu. « N'oublie pas que nous n'essayons pas de ga-
gner cette guerre. Seulement de nous opposer à un tyran. Mais je ne pense
pas que ce sera notre dernier combat. Aie confiance. »

« En Arthur ?» Demanda-t-il, ses sourcils se plissant dans la rare manifesta-


tion d'une véritable frustration.

« A l'humanité. Au destin. En moi. Fais ton choix. » J'ai souri et j'ai effleuré
son visage d'un air taquin, comme si je pouvais effacer sa mine renfrognée.
« Tout le monde a besoin de foi. Ces « dieux », les asuras, s'appuient sur elle
pour maintenir leur contrôle sur ceux qu'ils appellent les mineurs. Et les gens
en ont besoin aussi—ils ont besoin de croire en quelque chose. Si nous vou-
lons vraiment briser l'emprise d'Agrona sur eux, nous devons leur donner un
autre endroit où placer leur foi, même si ce n'est que pour une courte pé-
riode. Juste pour les faire passer dans le nouveau monde que nous essayons
de construire. »

« Et si nous mourons en essayant ?» Demanda Cylrit, l'émotion s'évacuant de


lui.
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« Alors nous mourrons de la meilleure des manières. »

Cecilia :

Où suis-je ? Me demandai-je en me dégageant de quelque chose qui bougeait


sous mon corps.

Un lit de lianes et de racines enchevêtrées se tordait sur un sol de pierre


vierge, me bousculant et me donnant des haut-le-cœur. Mes yeux se sont
écarquillés lorsque j'ai suivi le chemin des lianes : elles poussaient sur le sol,
les murs et le plafond sans début ni fin, m'encerclant complètement. Et tout
en se tortillant, elles se resserraient autour de moi.

La seule voie ouverte était celle qui allait droit devant, mais elle diminuait
d'instant en instant. J'ai commencé à me débattre au-dessus des lianes, mais
mes mains et mes pieds étaient constamment tirés vers le sol de la pièce, et à
chaque fois, les lianes s'agrippaient à moi, menaçant de m'attraper et de ne
pas me lâcher.

J'ai perdu toute notion du temps en me précipitant d'abord sur mes mains et
mes pieds, puis sur mes genoux, et enfin en rampant sur le ventre comme un
ver. Les lianes et les racines m'écrasaient, m'étouffaient, et mon cœur battait
contre ma poitrine tandis que mes poumons luttaient pour respirer, et sou-
dain, j'ai eu la certitude que j'allais mourir là, étranglé par les lianes.

Une lumière vert émeraude brillait quelque part devant moi. Désespérément,
je me suis dirigée vers elle, maintenant écrasée par un poing vert géant.
Chaque centimètre en avant me demandait tellement d'efforts et d'énergie
que j'étais sûre de ne pas y arriver. Et je n'y suis pas arrivé, en tout cas pas
loin. Une liane s'est enroulée autour de ma cheville, une autre autour de mon
bras droit, puis une liane noire couverte d'épines a atteint ma gorge.

Une main est sortie de la lumière. Sa force délicate m'a semblé familière—
comme si je me regardais dans un miroir—et je l'ai saisie avec une force dé-
sespérée.

En revanche, la main avait la force calme et imparable que j'associais à Agro-


na. Cette assurance pure et inébranlable de la confiance. Elle aurait pu
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écraser ma main, mais au lieu de cela, j'ai été tirée à travers les lianes pour
déboucher sur une parcelle d'herbe chauffée par le soleil.

La main m'a remise debout.

Lentement, par peur de regarder, mon regard a suivi le bras mince jusqu'à
l'arc gracieux d'une épaule et la peau lisse et sans marque d'un cou, à moitié
caché sous des cheveux gris argenté. Enfin, j'ai croisé les yeux turquoise.

Tessia Eralith. Mon réceptacle.

« Qu'est-ce qui se passe ?» Demandai-je, frustrée par la faiblesse de ma


propre voix. J'avais l'impression d'être une enfant pleurnicharde devant elle,
mais la femme elfe était tout à fait à l'aise dans cette clairière au cœur d'une
tempête de lianes et de racines étrangleuses. « Où sommes-nous ?»

« Dans ton esprit », répondit-elle simplement. « Tu es en train de rêver, et ton


subconscient essaie de te transmettre ce qui se passe à l'intérieur de nous. »

Une spirale vert foncé, semblable à un serpent, s'est heurtée à moi, et j'ai fait
un pas nerveux vers le centre de la clairière, devant me tenir à moins d'une
longueur de bras de Tessia pour ne pas toucher les murs en mouvement. J'ai
écarté une mèche de cheveux bruns poussiéreux de mon visage, ne sachant
pas trop quoi dire.

« C'est le Gardien de Sureau », poursuivit-elle en jetant une sorte de regard


pensif et triste autour d'elle. « Notre corps a absorbé son noyau de mana.
L'intégration... je ne savais pas. » Elle secoua la tête, émerveillée. « Lorsque
notre noyau s'est dissous, la volonté de bête du Gardien de Sureau a été libé-
rée. Tout comme moi, je suppose. » Elle a haussé les épaules, comme si ce
deuxième point ne signifiait pas grand-chose pour elle. « La volonté sans en-
trave se nourrit du mana désormais intégré à notre corps. Elle nous déchire. »

« Mon corps », martelai-je, le mot « notre » se plantant comme un poignard


dans mon esprit à chaque fois qu'elle le prononçait.

Un sourire morose s'est dessiné au bord de ses lèvres, mais je n'ai pas pu lire
l'intention qui se cachait derrière son expression. Alors même que nous par-
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lions, la clairière dans laquelle nous nous trouvions se rétrécissait. Une pulsa-
tion semblable à un lent battement de cœur les parcourait toutes les
quelques secondes, et à chaque battement, elles grandissaient.

J'ai essayé de fermer les yeux, de me concentrer, mais je n'y arrivais pas. Un
rêve, me rappelai-je. « Comment puis-je l'arrêter ?»

Il y avait un feu glacial dans les yeux de l'elfe lorsqu'elle a répondu. « Tu le


contrôles. Seulement... » Elle s'est arrêtée, observant une vrille de vigne feuil-
lue se dérouler à côté de mon visage. « Tu ne peux pas. La volonté bestiale du
Gardien de Sureau n'est pas seulement du mana que tu peux dominer. Il faut
du temps, de la concentration et un peu de chance. Nous n'avons pas le
temps. Ce corps sera mort d'ici une heure. »

J'ai grincé des dents et j'ai fait un pas vers elle d'un air menaçant. Lorsqu'elle
m'a regardée avec un amusement plein de pitié, j'ai soudain eu l'impression
d'être une enfant qui mettait son poing en boule face à un adulte. Et j'ai dé-
testé ça. « Tu mourras aussi alors », martelai-je, luttant pour conserver mes
sens et ne pas céder au désespoir. « Je ne pense pas que tu... » Les mots se
sont coincés dans ma gorge alors que je me souvenais de son combat pour
contrôler mon corps lorsque Grey m'avait attaquée à la Victoriad.

« Je ne veux pas mourir », admit-elle. Alors que les lianes pulsaient et gran-
dissaient, elle est tombée à genoux et s'est détendue, s'asseyant
confortablement parmi les plantes qui se tortillaient. Au lieu de la regarder de
haut, je me suis rendue compte que j'étais moi aussi assise, même si je
n'avais pas fait l'effort conscient de le faire. « Mais je suis prête à le faire.
Nous sommes des combattantes ennemies, Cecilia. Si nous nous rencontrions
dans des camps opposés sur le champ de bataille, je serais prêt à donner ma
vie pour te vaincre. Ici, si je peux donner ma vie pour prendre la tienne, cela
n'en vaudrait-il pas la peine ?»

« Ce n'est pas... » Commençai-je, puis m'arrêtai à nouveau, me mordillant la


lèvre alors que je luttais pour trouver mes mots.

D'un point de vue stratégique, elle avait raison. Elle n'était personne, juste le
réceptacle de ma réincarnation, alors que j'étais l'Héritage. Si elle se sacrifiait
ici pour me détruire...
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« S'il te plaît... » La suppliai-je dans un murmure rauque, en lui tendant les
mains. « On m'a volé ma vie, tout ça à cause du hasard de ma naissance,
quelque chose que je n'ai pas pu contrôler. Je n'ai jamais rien demandé de
tout cela. Je veux juste retrouver ma vie. Tu peux comprendre ça, n'est-ce
pas ?» J'ai attrapé une idée et j'ai commencé à parler plus vite. « Agrona fini-
ra par me renvoyer dans mon propre monde, moi et Nico. Toi... tu pourras
récupérer ce corps quand je serai parti ! Je te le promets. Je ferai en sorte
qu'Agrona... »

Tessia a laissé échapper un petit rire musical, puis s'est couvert la bouche et
m'a regardé avec une fusion écœurante d'hilarité et de pitié. « Regarde-moi,
tu ne vois même pas l'ironie, n'est-ce pas ?»

Je me suis redressée et j'ai lancé un regard à l'elfe. « Tu ne comprends rien. Tu


n'as aucune idée de ce que j'ai vécu. »

Ses sourcils se sont froncés alors que l'amusement de son sourire disparais-
sait pour ne laisser place qu'à de la tristesse. « Rien de ce que tu as fait,
aucune des pensées que tu as eues, n'est un secret pour moi. »

J'ai dégluti lourdement, incapable d'expliquer l'effroi soudain, froid et sans


espoir, qui enserrait ma poitrine.

« Tant de choses à propos d'Arthur ont un sens, maintenant, en sachant...


tout. » Une liane aussi épaisse que mon bras s'est enroulée autour de la taille
de Tessia comme une étreinte, et elle en a cueilli une fleur dorée qu'elle a fait
tourner entre ses doigts tout en parlant. « Sa maturité, son assurance, même
lorsqu'il était enfant... et je pensais que tu serais pareil, ayant vécu deux vies,
mais... »

Elle a croisé mon regard et l'a soutenu. « Tu es une enfant. Chétive. » J'ai
commencé à lancer une réplique, mais elle a continué à parler. « Tu n'as pas
eu deux vies. Pas même une. C'est pourquoi tu ne peux pas voir ce qu'on te
fait. Tu le sais, bien sûr. Mais tu ne vois pas. »

J'ai saisi mon mana, ne voulant rien d'autre que brûler l'âme de l'elfe de mon
esprit, mais ma magie avait disparu. J'étais sans défense, désarmée. C'était
mon pire cauchemar qui se réalisait.
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Dans mon désespoir, je n'ai pas remarqué la liane qui s'enroulait autour de
mon bras droit. Quand j'ai enfin compris ce qui se passait, j'ai reculé, mais la
liane m'a retenue. Puis elles m'ont envahie, ces vrilles d'un vert éclatant qui
s'épanouissaient en fleurs cramoisies, me bloquant les bras et les jambes,
s'enroulant autour de ma gorge....

Et Tessia se contentait de me regarder avec cette tristesse distante. Je voulais


la maudire, la supplier, mais je ne pouvais rien faire. J'étais paralysée. Le Gar-
dien de Sureau était en train d'étouffer la vie qui m'habitait, aussi bien dans
le rêve qu'en dehors. J'étais en train de mourir.

Je n'arrivais pas à y croire. Je me sentais si dépourvue de but, si vide de sens.


Au moins, ma mort sur Terre avait été mon choix. La seule façon pour moi de
prendre le contrôle. Mais ça, c'était...

Je me suis réveillée.

La pièce était sombre, et à la lumière légèrement vacillante d'une torche al-


lumée, les ombres ressemblaient à des lianes rampant le long des murs. J'ai
reculé pour les éviter, et mon corps s'est mis à brûler. J'ai haleté sous l'effet
de la douleur, et une main à la peau de marbre a caressé mes cheveux tandis
qu'un visage se profilait au-dessus de moi.

Il y avait une intensité effrayante dans la façon dont Agrona m'inspectait,


mais je ne pouvais pas comprendre l'émotion qui se cachait derrière ce re-
gard.

« Qu'est-ce... ?» Essayai-je de demander, mais ma gorge était sèche, les


muscles de mon cou encore endoloris par l'endroit où les lianes m'avaient
étranglée... sauf que ce n'était qu'un rêve. Seulement un rêve.

« Doucement, ma chère Cecil. Ton corps a eu du mal à supporter à la fois


l'Intégration et la libération de la volonté de bête, mais tu as passé le pire. »
Agrona me caressa la tête, parlant d'un ton bas et apaisant tout en me pous-
sant avec ses doigts invisibles de mana, massant mon esprit pour m'aider à
me calmer. « Ne doute pas de toi. Tu t'es merveilleusement bien débrouil-
lée. »

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Je me suis laissée bercer par son pouvoir mental comme un félin qui supplie
qu'on le caresse. Reconnaître ce fait me rendait malade, mais j'étais trop
faible et trop fatiguée pour résister. Au lieu de cela, mon regard a dérivé dans
la pièce et j'ai réalisé que nous n'étions pas seuls. Plusieurs autres mages se
tenaient autour de la table ou s'attardaient dans l'ombre. Nous étions dans
un laboratoire ou un atelier d'Imbuers quelconque, mais je ne le reconnais-
sais pas.

« Qui...où... ?» Encore une fois, mes pensées et ma voix m'ont abandonné


avant que je puisse créer une pensée complète.

Agrona a fait un signe de la main et les autres mages ont rapidement com-
mencé à se diriger vers l'unique porte. « Nous nous efforcions de préserver
ton corps pendant que tu te battais pour contrôler le mana qui était en toi. »

J'ai froncé les sourcils, essayant de me souvenir du rêve, de la sensation de


mon corps écartelé par la volonté du gardien de Sureau, de ce qu'avait dit
Tessia, mais tout commençait à se brouiller maintenant. Pourtant, je n'arrivais
pas à me débarrasser de la sensation que quelque chose n'allait pas.

« Vous me cachez quelque chose », dis-je en regardant les derniers mages


s'évanouir comme les lambeaux de mon rêve.

L'expression d'Agrona s'est adoucie et il m'a regardé comme je pensais qu'un


père était censé regarder sa fille. « Tu es désorientée, Cecil, et ce n'est pas
étonnant. Tu as besoin de temps pour te reposer et récupérer. »

Je ne pouvais pas discuter avec lui, pas maintenant, pas à ce sujet.

Quelque chose a remué à l'intérieur de moi. Je sentais sa conscience présente


juste sous la surface, observant, attendant, simultanément curieuse et sur ses
gardes. Il y avait aussi le gardien de Sureau, maintenant docile. L'esprit de
Tessia se pressait contre le mien comme une migraine naissante, mais la vo-
lonté bête restait posée lourdement dans mon estomac et me donnait envie
de vomir.

Pourquoi l'as-tu empêchée de me tuer ? Demandai-je, incertaine que l'esprit


désincarné de Tessia soit capable de répondre.
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Il y a eu une longue pause, et j'ai pensé qu'elle ne pouvait ou ne voulait peut-
être pas me répondre. Puis sa voix a retenti dans ma tête, claire et brillante
comme une cloche d'argent : « J'ai une promesse à tenir. »

J'ai avalé difficilement, mais je ne pouvais pas en rester là. Quand tu luttais
pour le contrôle, tout à l'heure, tu essayais de nous faire tuer. Où était cette
promesse à ce moment-là ?

Elle n'a pas répondu.

« Viens maintenant, on va te conduire à ta chambre », dit Agrona, ce qui m'a


fait tressaillir. J'avais presque oublié sa présence. « Ce que tu as accompli est
incroyable, un exploit qu'aucun autre mineur n'a réussi depuis très, très long-
temps. Et bientôt, tu auras l'occasion de tester à quel point tu es devenue
puissante. »

La tête douloureuse et l'estomac grondant, je me suis laissée aider à me lever


de la table, dont je n'ai réalisé que maintenant qu'elle était couverte de runes
indéchiffrables. J'ai cligné des yeux plusieurs fois et j'ai essayé de les lire à
nouveau, mais elles ne ressemblaient à rien de ce que j'avais vu auparavant.
J'ai eu la chair de poule en les regardant. Quelque chose ne va pas, pensai-je
encore. Le ton d'Agrona, les runes, le rêve...

Subtilement, j'ai aspiré une partie du mana qui restait dans la table gravée de
runes, le chargeant de garder les souvenirs de ces runes et de leur raison
d'être. Je n'avais pas de noyau pour canaliser le mana, mais je ne semblais
pas en avoir besoin.

Le mana coulait en moi aussi facilement que le sang dans mes veines. Instinc-
tivement, il infusait mes muscles, offrant à mon corps tremblant de la force.
J'en étais consciente comme jamais auparavant, comme si mes sens s'éten-
daient directement à l'atmosphère, englobant l'air, les murs, le sol, et même
la table sur laquelle je m'étais réveillée. Je ressentais tout cela comme si cela
faisait partie de moi.

Agrona a tendu le bras en souriant chaleureusement.

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Je l'ai dépassée, évitant sa main tout en enveloppant fermement mon esprit
et mes pensées de mana.

Tout comme mon bienfaiteur, les runes non déchiffrées pesaient lourdement
sur mon esprit, leur véritable intention étant également cachée sous une
façade.

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