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Préface

Jacqueline Nadel

Oui ils communiquent mal, mais nous ? Comment leur parle-t-on ? Tout le
monde le sait, l'autisme se caractérise par des difficultés de
communication… Mais la communication n'est pas un exercice solitaire :
elle se construit à deux. Il ne suffit pas d'avoir le matériel. C'est de
coproduction qu'il s'agit. Voilà le sérieux propos de ce livre à l'humour
décapant. Et d'abord avons-nous le code ? Un code de la route à suivre pour
communiquer, en quelque sorte, et qu'il faut savoir lire. Car il y a des stops,
des obligations de ralentir et des virages dangereux. Jacques Constant nous
fait une invite sérieuse sur le mode badin : regardons-nous tels que nous
(nous) conduisons devant eux, avec eux. Pour qui nous prenons-nous pour
imposer nos codes implicites comme des règles de conduite universelles ?
Qui ne les a pas sort du circuit ! Ne devons-nous pas plutôt considérer qu'il
y a des passerelles à construire entre nous et eux ? Et pour pouvoir les
construire, ne faut-il pas commencer par comprendre que d'autres codes
implicites peuvent exister ? Qui ne les a pas sort du circuit ! Mais cette fois-
ci c'est nous qui nous retrouvons dehors. Alors leur code de la route devrait
appeler chez nous un code de bonne conduite, un instrument pour décoder
et recoder, un message d'intérêt, un pas vers la langue de l'autre, sans
toutefois espérer être bilingue, même si on y aspire, car il faut bien admettre
notre handicap : on n'est pas du pays.
On n'est pas du pays. Qu'est-ce à dire ? Que leur structure de pensée diffère
de la nôtre, à supposer que nous ayons tous la même, et à supposer qu'il n'y
en ait qu'une parmi eux ? Syllogistique ? Séquentielle ? Associationiste ?
Catégorielle ? Quelle est leur structure de pensée et quelle est la nôtre ? Au
niveau cognitif, la question n'est pas réglée. Qu'est-ce d'ailleurs qu'une
structure de pensée ? Chomsky disait qu'elle se construit individuellement
avec la générativité du langage. Les neuro-imageurs font de la région
cérébrale de Broca le centre d'une « syntaxe supramodale » appliquée à la
fois au langage, à la musique et à l'action. Ces trois domaines possèdent en
effet des substrats neuronaux et des propriétés hiérarchiques similaires.
Alors comment s'organiserait la différence de structure mentale ? Ce
problème capital reste encore sans réponse.
On n'est pas du pays. Et c'est un handicap que l'on peut vouloir régler
diversement. On peut considérer qu'il faut leur faire apprendre nos règles
puisqu'elles sont universelles, leur donnant ainsi une chance de sortir de
leur isolement : qu'ils viennent donc vers nous. On peut aussi admettre
qu'ils gardent leurs codes mais à condition qu'ils respectent les nôtres
lorsqu'ils viennent chez nous : chacun chez soi. Il y a bien une troisième
voie. Jacques Constant ne nous la détaille pas. Ce n'est pas son affaire. Il
nous offre seulement les moyens d'y réfléchir. En effet, comment ne pas
comprendre, derrière la belle expression : « Nos semblables si différents »,
que l'on est confronté à une interrogation conceptuelle et éthique ? « Nos
semblables » : jusque-là, derrière cette dénomination, il y avait l'hypothèse
d'un fonctionnement mental similaire pour tous les humains. « Nos
semblables si différents » : derrière cette expression se profile une question
qui hante certains d'entre nous : où sont la légitimité et l'efficacité d'une
option basée sur l'affirmation d'une norme et une seule, qui s'appliquerait à
tous les développements et à tous les fonctionnements mentaux ?
L'universel humain est remis en question par l'autisme. Si l'on veut bien
faire ce premier pas, les autres suivront. Telle est la belle leçon de ce livre
qui se dévore comme un polar mais se médite comme un humanisme.
Introduction

« Dans son monde » La métaphore du pays


autiste

Les enfants, les adolescents, les adultes autistes, me fournissent du travail


depuis plus de quarante ans. Je ne me suis pas lassé de m'occuper d'eux
depuis ma prise de responsabilité de médecin hospitalier. Même quand ils
ne s'expriment que par leur comportement, sans paroles, il me semble
découvrir dans chaque situation de nouveaux détails qui me donnent l'espoir
de mieux les comprendre.
J'entends aussi, c'est mon métier (qui s'est transformé, depuis ma retraite de
la fonction publique, en formateur consultant), les difficultés de leurs
parents et celles des professionnels qui les accompagnent. Je cherche avec
eux les procédés les plus personnalisés possibles pour permettre que nos
semblables si différents puissent vivre un peu moins mal parmi nous.
J'ai repéré une métaphore qui revient presque invariablement dans le
discours des personnes ordinaires quand elles s'efforcent de décrire une
personne autiste : « Il vit dans son monde. » Les formules peuvent être
diverses : « Il est dans sa bulle, à l'ouest, ailleurs, à côté de ses pompes,
dans la lune. » Mais l'image d'un autre monde semble s'imposer. Je propose
de l'appeler :
« Le pays autiste »
En créant ainsi une frontière métaphorique, j'espère mieux faire comprendre
la radicalité de la différence entre la façon de fonctionner des habitants de
chaque pays et l'impérieuse nécessité, pour les gens ordinaires, de
construire des ponts entre les deux territoires.
La métaphore du pays autiste contient une double signification :
➲Le pays autiste virtuel, domaine imaginaire correspondant au
monde intérieur des personnes atteintes de ce handicap. Cette
dimension psychologique est l'objet des recherches scientifiques
contemporaines et de représentations multiples et évolutives. Tout cela
forme la base des pratiques médicales, éducatives, pédagogiques ;

➲Le pays autiste concret, phénomène sociologique dans le pays réel.


La notion d'autisme échappe alors aux dimensions scientifiques,
médicales, psychologiques et aux pratiques d'accompagnement. Elle
devient un phénomène de mode, un objet de débat médiatique et
politique. Un nombre de plus en plus important de personnes
ordinaires participe à cette nouvelle configuration culturelle apparue à
la fin du XXe siècle. Tout se passe comme si notre société de
communication développait un abcès de fixation autour du
questionnement que lui posent ces grands « dyscommunicants ».
Mes débuts de praticien hospitalier se situent dans la décennie 1970-1980.
J'appartiens à la génération de défricheurs de pistes en pays autiste
imaginaire. J'ai suivi pas mal de guides dans ces safaris virtuels et je suis
souvent revenu sur mes pas avant d'admettre la représentation moderne
commune d'un trouble neuro-développemental d'origine inconnue
s'exprimant majoritairement par des dysfonctionnements de la perception
sensorielle. D'un autre côté, l'expérience venant, j'ai été sollicité pour entrer
dans le pays autiste concret. J'ai participé aux commissions de travail des
deux premiers Plans Autismes[1] et à l'élaboration des recommandations
publiées par l'agence HAS qui m'a demandé de codiriger le groupe de
travail pour les recommandations sur le diagnostic chez l'adulte. J'ai ainsi
connu les deux versants du pays autiste : virtuel et concret.
Dans mes fonctions de médecin hospitalier responsable d'un service de
pédopsychiatrie, après un parcours classique pour ma génération, c'est-à-
dire à référence psychodynamique et abords multidimensionnels, j'ai été un
des premiers, en 1990, à spécialiser un hôpital de jour selon les principes
TEACCH. Dans les dix dernières années de ma pratique hospitalière, j'ai
exercé dans une structure médico-sociale, de type SESSAD et IME,
baptisée La Maison pour les Personnes autistes du département d'Eure et
Loir. Au cours de cette expérience, nous avons mis au point, avec l'équipe,
Le permis de se conduire en pays autiste édité sous forme de DVD par
l'association Pro Aid Autisme et l'association Autisme 28. Le succès
remporté par le DVD est à l'origine de ce livre. L'expérience de formateur
me fait constater combien les bonnes intentions des recommandations
officielles se heurtent, dans les familles comme dans les institutions, aux
difficultés de leurs mises en œuvre effectives et affectives.
Avec l'illusion anticipatrice et l'imagination qui caractérisent ma forme de
pensée ordinaire je vous invite à un voyage en pays autiste en espérant
contribuer à la diffusion d'une suffisamment bonne théorie de l'esprit autiste
et d'un positionnement des accompagnants aussi adapté que possible aux
ressources de chacun.
Chapitre 1

Le passage de la frontière

Les entrées dans le pays autiste

1.1. Les passages clandestins


On arrive en pays autiste la plupart du temps « sans le savoir », dans les
deux sens du terme : sans s'être aperçu qu'on a déjà passé la frontière et sans
avoir la connaissance des mœurs des habitants, ni la caisse à outils des
savoir-être et savoir-faire pour vivre avec eux. Je vous invite à un voyage
dans un pays imaginaire, qui est pourtant bien réel pour ceux qui l'habitent !
Imprégnez-vous de l'ambiance du pays, de cette sourde et progressive
inquiétude des parents qui découvrent que leur enfant ne se développe pas
comme les autres, de ces questionnements des professionnels qui, malgré
leurs compétences, hésitent à transformer les indices recueillis en signes
diagnostiques. Suivez tout ce cheminement et quittez les attitudes simplistes
des discours médiatiques : vous entrez dans le pays autiste et sa complexité.

Le scénario type : passage clandestin de la frontière


Un couple attend un enfant, il prépare le nid, rêve à l'avenir. La mère
accouche : joie autour du berceau !
Mais, ce bébé ne va pas se développer comme les autres. Il va très vite
quitter ses parents pour passer en pays autiste. Les parents devront le suivre
et apprendre la vie de transfrontalier malgré eux. Tout commence par un
sentiment d'étrangeté, une interrogation permanente sur les comportements
de leur bébé et sur eux-mêmes évidemment. Des séries de « pourquoi » sans
réponse assaillent les parents, et tout particulièrement la maman.
« Pourquoi mon bébé ne se détend pas quand je le prends dans mes
bras pour le câliner ? »
« Pourquoi, au contraire, est-il tout mou quand il devrait être un peu
plus tonique ? » (Il y a longtemps, le psychologue Henri Wallon parlait
du « dialogue tonique » entre la mère et l'enfant normal).
« Pourquoi détourne-t-il le regard quand je cherche ses yeux pendant
que je lui donne son biberon ? »
Les proches rassurent la mère : « Regarde comme il est beau, comme il est
calme, il ne pleure jamais, ne t'inquiète pas… » Quelques mois plus tard,
l'entourage partage les ressentis parentaux (des études ont prouvé que cette
inquiétude maternelle était un des premiers signes d'alarme, trop souvent
négligé par les professionnels de santé). Et l'interrogation continue :
« Pourquoi ne répond-il pas quand on l'appelle par son prénom ? » ; « Il est
peut-être sourd ? » ; « Il a peut-être un problème de vue ? »
Alors commence le parcours des consultations médicales. Les réponses
s'accumulent, faussement rassurantes : « Non, il n'est pas sourd, il n'est pas
aveugle, il n'a rien. » Une phrase médicale terrifiante que l'on peut traduire
par : « Il n'a rien de ce que les médecins connaissent. » Mais les parents
« sentent » bien, il n'est pas comme les autres bébés.

Avoir de l'autisme, ou être autiste ?


L'usage contemporain utilise l'expression « personnes avec autisme ». Je ne suis pas
satisfait de cette forme d'expression. J'ai choisi de suivre l'opinion d'un autiste nord-
américain, Jim Sinclair qui, s'adressant à ses parents leur dit :
« L'autisme est une manière d'être. Il n'est pas possible de séparer la
personne de l'autisme. L'autisme n'est pas quelque chose qu'une
personne a, ou une coquille dans laquelle une personne est enfermée.
Il n'y a pas d'enfant normal caché derrière l'autisme. L'autisme est
envahissant ; il teinte toute expérience, toute sensation, perception,
pensée, émotion, tout aspect de la vie. »[1]

Alors arrive l'incontournable culpabilité : « Est-ce ma faute, qu'ai-je fait de


travers ? »
L'enfant grandit. Il semble de plus en plus indifférent aux autres. Il ignore
totalement les enfants qui jouent autour de lui dans le bac à sable.
Quelquefois, il les mord. Il ne tend pas le doigt pour montrer les objets
intéressants, alors que tous les bébés utilisent ce « pointing protodéclaratif »
qui annonce l'arrivée du langage. Et lui, il ne regarde pas quand on essaie
d'orienter son intérêt vers un objet. Cette absence « d'attention conjointe »
après l'absence « d'attention mutuelle » par le croisement du regard, est
particulièrement dure à supporter pour la mère.
Les parents se mettent en quête de la meilleure solution pour leur enfant. Ils
rencontrent des professionnels d'avis différents. Ils reçoivent des conseils
contradictoires. Ils décrivent tous « un parcours du combattant » pour
obtenir un diagnostic et des propositions d'accompagnement correspondant
à ce qu'ils vivent au quotidien avec leur rejeton et à ce qu'ils lisent sur
internet.

D'autres scénarios plus ou moins clandestins


Il faut parfois attendre l'entrée en maternelle à 3 ans, voire même l'entrée au
primaire à 6 ans pour que les difficultés de l'enfant à s'insérer dans le monde
scolaire amènent à consulter.
Après 6 ou 7 ans, le passage de la frontière n'empêche pas la scolarisation
ordinaire. La Loi prévoit l'insertion scolaire des petits citoyens autistes. Les
professionnels compétents aident les familles à choisir les modalités
d'éducation et d'enseignement les mieux adaptées à chaque cas singulier.
Les commissions des MDPH[2]. sont souvent le lieu de tiraillement sur
l'orientation de l'enfant, surtout lorsque les évaluations de ses possibilités et
de ses incapacités n'ont pas été correctement effectuées.
À l'adolescence, la frontière est passée depuis longtemps mais une crainte
nouvelle apparaît : le risque de rupture dans les modalités
d'accompagnement. Vu l'état des mœurs dans le pays réel, c'est un risque à
chaque changement d'institution. Les familles doivent expliquer aux
nouvelles équipes que l'enfant avait progressé avec des images, des
techniques de communication alternative et de structuration du temps,
surtout si ces équipes ne connaissent pas encore ces techniques.
À l'âge adulte, les situations sont très variées selon le niveau de
développement des personnes :
➲ Chez les personnes déficitaires résidant en établissement, il arrive qu'on
ne se soit pas aperçu du passage de frontière :
Soit le diagnostic n'a jamais été porté et les bizarreries de
comportement sont mises sur le compte du seul déficit du
développement intellectuel et social ;
Soit le diagnostic a été porté dans l'enfance mais s'est évaporé dans une
structure résidentielle pour adultes, où les accompagnants ignorent les
spécificités de l'autisme la vie durant. Il est alors utile de reprendre une
démarche diagnostique car elle permet assez souvent de déboucher sur
des modifications dans le style des prises en charge et d'obtenir une
amélioration de la qualité de vie de ces personnes.
➲Chez les personnes sans retard mental qui entrent dans la catégorie des
syndromes d'Asperger, la plupart du temps les passages ont été clandestins.
Le bon maniement du langage, l'intelligence normale, voire supérieure,
n'ont pas été rapportés aux mécanismes autistiques qui, pourtant, sont bien
gênants pour ces personnes. Les praticiens ont repéré la souffrance, les
troubles du comportement, mais les ont classés autrement parlant de
dysharmonies psychotiques et proposant des thérapeutiques mal adaptées à
la spécificité de leurs mécanismes autistiques.

1.2. Les postes frontières officiels

Les mots et les choses


Les mots comme « autisme », « psychose », « TED », « TSA » sont des produits
culturels, des dénominations employées par les spécialistes, des consensus pour arriver
à un langage et à des représentations suffisamment communes pour que les savants du
monde entier puissent se comprendre.
Les classifications sont donc révisables et d'ailleurs révisées officiellement tous les dix
ans.
Les choses, elles, ne changent pas : il existe des enfants qui ne progressent pas comme
les autres, des personnes qui fonctionnent psychologiquement hors norme (a-normales).
Des classifications essaient de traduire les choses selon la combinaison entre les
connaissances scientifiques et les représentations sociales du moment.

Les formalités de douane


Pour délivrer le permis de résidence à vie en pays autiste, les douaniers ont
besoin de se référer à un document officiel. Bien que l'autisme ne soit plus
considéré comme une maladie depuis 1996 mais comme un handicap, c'est
tout de même à une classification des maladies que les autorités du pays
réel leur demandent de se reporter. Très précisément, ils doivent vérifier que
les signes présentés par la personne correspondent aux critères définis dans
la 10e révision de la Classification internationale des Maladies (1993)
établie par l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé).

Établir la concordance entre les comportements observés chez ces


personnes et cette liste de critères n'est pas une opération de simple
vérification. Un seul douanier ne suffit pas, même si c'est un médecin ou un
psychologue réputé.
Il faut interpréter chaque indice de comportement, lui donner une valeur de
signe, apprécier sa durée et son intensité, et voir si le nombre de signes
(notion de seuil) correspond bien à celui exigé pour porter le diagnostic.

Attention
Ces définitions consensuelles sont cliniques. Personne n'a trouvé encore aujourd'hui
(2013) de marqueurs biologiques qui viendraient signer objectivement une maladie.
Seule la subjectivité des douaniers, leur interprétation de chaque détail du
comportement, permettent le diagnostic.
Il est donc indispensable qu'ils aient une connaissance aussi grande que possible du
développement normal et des autres maladies pour pouvoir apprécier les manifestations
à leur juste valeur. En pratique, il faut aussi qu'ils connaissent les possibilités de
réponses de l'environnement au plus près du domicile des parents.
La classification des maladies mentales
Nosographie
De 1800 à 1950, les classifications étaient une affaire purement technique entre
psychiatres Au milieu du XXe siècle, un mode de classement nouveau, parti des USA,
s'est imposé à l'ensemble du monde, rompant avec la façon traditionnelle de classifier.
Les psychiatres américains ont conçu une classification qui se veut athéorique, c'est-à-
dire sans référence à un mode de pensée global préalable, et en particulier sans
référence à la métapsychologie psychanalytique qui était dominante à l'époque. En
principe, la démarche s'appuie d'une part sur les données scientifiques (publications et
statistiques) et d'autre part, sur une démarche démocratique où l'opinion des praticiens,
mais aussi celle du public, est sollicitée. L'objectif de cette méthode étant de réunir des
groupes de population suffisamment comparables pour qu'ensuite, on puisse pratiquer
des essais cliniques de médicaments ou d'autres méthodes thérapeutiques.
Sur ce principe, l'Association de Psychiatrie Américaine publie un manuel de
descriptions statistiques de maladies mentales et le révise régulièrement. Par exemple,
dans la publication du premier DSM en 1951, l'homosexualité est considérée comme
une maladie mentale dont on précise les critères. Sous l'effet des protestations des
différents mouvements gays aux États-Unis, les psychiatres modifient leur avis et dans
la publication du même DSM en 1983, l'homosexualité a disparu du champ de la
psychiatrie.
Sur la base de cette méthode, en 1980 puis en 1994 les critères des Troubles
Envahissants du Développement ont été définis selon une triade symptomatique. Des
entités cliniques ont été distinguées parmi les TED : autisme typique, TED non spécifiés,
syndrome d'Asperger, etc.
L'Organisation Mondiale de la Santé, de son côté, publie une Classification
Internationale des Maladies (CIM) qui suit en gros les descriptions américaines avec des
modifications ajoutées par certains pays. En France, la CIM 10 est la classification
exigée dans les recommandations.
Révision de mai 2013 : le DSM V
Le terme global de TSA (Troubles du Spectre Autistique) remplace celui de TED
(Troubles Envahissants du Développement). Les sous-groupes disparaissent de la
classification, et notamment le syndrome d'Asperger. Les deux premiers groupes de
symptômes (interactions sociales et communication) sont réunis en un seul : « Troubles
de la communication sociale »
Une distinction entre trois niveaux de gravité, selon l'intensité du soutien nécessaire, est
proposée. Il n'est pas possible de prévoir aujourd'hui (juin 2013) si le DSM V connaîtra
le succès mondial de son prédécesseur, le DSM IV-R et si la CIM 11 de l'OMS adoptera
ce modèle. Actuellement, en Amérique du Nord, des psychiatres critiquent le DSM V, les
associations d'Asperger protestent contre la disparition de leur syndrome et les
compagnies d'assurances s'inquiètent de l'extension du concept de TSA.

Les examens de passage


Les candidats à l'élection au diagnostic de TED/TSA passent leur examen
dans les Centres de Ressources Autisme (CRA) que le pays réel a mis en
place en 2005.
Quand ils arrivent dans ces centres officiels (et parfois l'attente a été
longue), les parents ont déjà rencontré des praticiens libéraux, des pédiatres,
des équipes de pédopsychiatrie en CMP, des neuropédiatres, des
orthophonistes, qui ont évoqué le diagnostic.
Tab. 1.1 Les objectifs des examens officiels d'entrée en pays autiste

Diagnostic médical Évaluation fonctionnelle


pour la délivrance du permis pour la construction
de séjour à vie d'un projet individualisé

• Le trépied symptomatique • Repérage du niveau


des troubles de : de développement :
– La relation – déficiences et compétences
– La communication – capacités et émergences
– Le comportement – dans tous les domaines du
• Fréquence, durée, intensité fonctionnement de la personne
des symptômes sont mesurées • Appréciation des goûts,
• Classement de la personne des intérêts, des motivations, et
dans les sous-groupes de aussi des ressources
l'ensemble TED/TSA personnelles et de l'entourage
– Autisme typique • Nécessité de répéter
– Syndrome d'Asperger les observations assez
– Autisme atypique (TED NoS : longuement dans des contextes
non spécifiés) différents (maison, école, loisirs,
– Autres formes : syndrome etc.)
de Rett, troubles désintégratifs
de l'enfance, etc.
• Examens paracliniques :
génétiques, imagerie médicale,
etc.

Les observations des parents sont indispensables au recueil


des signes par les professionnels
Tab. 1.2 Les outils du diagnostic médical et de l'évaluation fonctionnelle

Outre les observations directes des parents, des enseignants,


des neurologues, des psychiatres, des spécialistes consultés :
ORL, ophtalmo, neuropédiatres, neurologues, généticiens,
imagiers médicaux ;

Outre les consultations de spécialistes fonctionnels :


orthophonistes, psychomotriciens, enseignants, éducateurs ;

Les recommandations officielles conseillent l'emploi d'échelles


standardisées et de tests neuropsychologiques spécifiques

Pour le diagnostic médical Pour l'évaluation


fonctionnelle

A.D.I. Vineland
Autism Diagnostic Interview
de Rutter et Lelord P.E.P. / A.A.P.E.P.
Long interview semi-directif
des parents Tests neuropsychologiques du
développement cognitif
A.D.O.S.
Autism Diagnosis Observation Examens du développement du
Schedule langage et de la communication

C.A.R.S. Examens psychomoteurs


Childhood Autism Rating Scale
de Schopler

Les contrôles d'identité : quelle catégorie de TED ?


La CIM 10 distingue 8 sous-groupes, certains correspondent à des
affections précises et rares.
Trois grands sous-groupes sont utilisés le plus souvent :
L'autisme infantile typique ;
Le syndrome d'Asperger ;
L'autisme atypique (CIM 10) ou TED non spécifiés (DSM IV-R).
Nous ne détaillerons pas les signes qui permettent de distinguer les sous-
types. Ils sont largement présents dans les recommandations officielles et
dans tous les documents de vulgarisation souvent illustrés que le lecteur
pourra se procurer facilement.
Signalons seulement que dans la catégorie TED non spécifiés, se retrouvent
des tableaux cliniques très diversifiés qui font l'objet de nombreuses
discussions entre les praticiens du monde entier.

1.3. La naturalisation en pays autiste :


un processus complexe
Les textes officiels – et ils ont raison – insistent sur la nécessité d'un
diagnostic le plus précoce possible. Une information claire et complète des
parents accompagne, en principe, le démarrage d'une éducation tenant
compte des ressources et des limitations de l'enfant. La priorité de
l'accompagnement est au début mise sur la compensation des déficiences en
communication. Ce programme raisonnable se heurte à deux obstacles
principaux :
➲La difficulté technique : La pratique apprend les bienfaits de
l'hésitation. S'agit-il vraiment d'un Trouble Envahissant du
Développement ? Ou seulement d'un trouble du développement, un
retard global, un trouble du langage qui est parfois tout aussi
handicapant pour le sujet. Ou s'agit-il d'une autre pathologie associée ?
Avant 18 mois-2 ans, il est très difficile de distinguer les lignes de
partage. En analysant, a posteriori, les films de famille, des recherches
ont montré que les premiers signes ne sont pas spécifiques et que
l'inquiétude des parents qui ressentent quelque chose d'anormal est un
bon indicateur ;
➲La vitesse avec laquelle les parents peuvent entendre le
diagnostic reste un obstacle, même si l'évolution sociétale leur permet
aujourd'hui de mieux accepter ce qui reste une épreuve. Les parents
ont déjà pensé au diagnostic en regardant internet et la télévision. Ils
viennent confirmer leurs craintes et les informations ainsi acquises sur
auprès des professionnels.

Des outils de dépistage précoce des bébés à risque


autistique
➲ Le CHAT : 18-24 mois (Check-list for Autisme Toodlers), Baron Cohen, 2001.
Diana Robin (2011): MCHAT (23 questions posées aux parents reprises dans le
carnet de santé officiel)
➲ ADBB (Alarme Détresses des Bébés), A. Guedeney, France
6 items : expression du visage, contact visuel, activités corporelles, gestes d'auto
stimulation, vivacité des réactions, relations, attractivité
➲ Grille d'évitement relationnel du nourrisson – A. Carrel, France
16 items
➲ Liste des signes d'alerte de Filipec
Jeu de faire semblant, painting, jeu spontané

En France, le diagnostic est porté de plus en plus tôt par des équipes
compétentes. Des réponses adaptées sont rencontrées de plus en plus
fréquemment. Donner le diagnostic fournit aux parents le moyen de se
représenter leur épreuve.
Le diagnostic est comparable à un baptême. L'enfant, jusque-là étranger
dans sa famille, est reconnu comme habitant du pays autiste. Il entre dans
une communauté, celle des enfants atteints du même trouble que lui.
Pour continuer les améliorations qui se dessinent actuellement, et se
rapprocher de l'objectif officiel, il faut espérer que de plus en plus d'équipes
pourront partager avec les parents, dans la transparence, la démarche de
passage à travers cette frontière. Le processus diagnostique est un chemin à
parcourir ensemble : membres d'une équipe expérimentée et membres d'une
famille.
L'équipe avec ses multi-regards va proposer aux parents une représentation
de leur enfant handicapé. Elle va proposer la naturalisation en pays autiste
selon les signes qu'il présente.

Le diagnostic de TED n'est pas :


de l'ordre du vrai ou du faux ;
de l'exact ou de l'inexact.
Il est un enjeu de représentations :
de l'inouï à l'entendable ;
de l'énigme à la compréhension ;
de la compréhension à l'acceptation ;
de l'acceptation au projet d'accompagnement.

Pour aller plus loin


➲ Sur internet
Site belge : www.participate-autisme.be, « L'autisme jour après jour ».
Autisme Europe : www.autismeeurope.org, « Les personnes atteintes d'autisme :
identification, compréhension, intervention ».
Vidéo : www.youtube.com, « Le voyage de Maria ».
➲ Éditions
Brochure éditée par l'ARAPI et l'UNAPEI 2007 (121 pages), « L'autisme, où en
est-on aujourd'hui ? ».
GEORGIEFF N., Qu'est-ce que l'autisme ?, Dunod, 2008.
OUSS-RYNGAERT L. (coord.), L'enfant autiste, Éditions John Libbey, coll. « Guide
pratique de l'aidant », avec l'équipe du Centre Ressources Autisme Île de France.
Chapitre 2

Les populations en présence

2.1. Le recensement des personnes autistes


Le recensement de cette population hétérogène est en constante
augmentation dans le monde depuis 30 ans :
18,7 personnes TSA pour 10 000 habitants en 1999 ;
27,5 en 2003 ;
63,7 en 2009 ;
100 à 150 pour 10 000 en 2012 (sources E. Fombonne).
Les raisons de cette inflation sont multiples :
Le regard des cliniciens a changé ;
Leurs critères d'admission à la douane se sont élargis ;
Le diagnostic est porté beaucoup plus souvent, notamment chez les
adultes ;
Dans certains pays, les parents souhaitent obtenir ce diagnostic pour
faire entrer leur enfant dans des programmes financés ;
Cependant, certains auteurs craignent une réelle épidémie. Les acteurs
incriminés jusqu'à présent : vaccins, mercure ou autres oligo-éléments
dans l'environnement, antibiothérapie excessive, changement
climatique, mode d'alimentation, n'ont pu faire leurs preuves
scientifiques.
Mais les chercheurs cherchent…
Il faut admettre qu'à l'heure actuelle en France, mais aussi dans le monde
entier, on ne sait pas combien naissent d'enfants autistes par an, combien de
personnes autistes vivent dans les établissements spécialisés ou dans leurs
familles. Cela donne lieu à des surenchères multiples et à une
épidémiologie aux décibels.

Une population mal connue


1 TED pour 150 personnes ordinaires ?
Entre 400 000 et 600 000 TED en France ?
Forme autisme typique : 7 à 10 cas pour 10 000.
Forme autisme atypique (CIM 10) TED non spécifiés (DSM) : entre 10 et 15 cas
pour 10 000 naissances.
Syndrome d'Asperger : 2,5 pour 10 000.
Des chiffres en constante augmentation
Épidémie ?
Plutôt faiblesse du recueil épidémiologique.
Regard des cliniciens encore trop diversifié malgré les efforts de standardisation
internationale.
Influence de certains groupes de pression.
Un déséquilibre selon les sexes
4 à 5 garçons pour une fille.
Fort argument en faveur d'une origine génétique.

2.2. Les mœurs des habitants « droit du


sol »
Toutes les personnes autistes sont semblables entre elles. Elles présentent
toutes un trouble de nature neuro-développementale dont les signes sont
apparus avant 3 ans et vont durer toute la vie. Ce syndrome correspond à
leur manière d'être ; il se traduit par les symptômes observables et par la
psychopathologie sous-jacente.
Le consensus actuel simplifie la complexité de la clinique : alors que les
comportements des habitants « droit du sol » sont variés et changeants, on a
pris le parti de considérer que tous les habitants sont semblables entre eux
par le syndrome de signes cliniques qu'ils présentent, pour ajouter aussitôt
qu'ils sont aussi tous différents par leurs personnes : niveau de
développement, histoire personnelle, contexte familial.
L'état des connaissances (HAS, 2010) conseille de regrouper leurs
symptomes en trois groupes de signes, trépied syndromique que de
nombreux documents de vulgarisation illustrent.
Ils sont résumés dans le schéma suivant correspondant aux critères de la
Classification Internationale des Maladies (CIM10).

L'état officiel des connaissances se limite à cette liste de comportements


observables (partie émergée de l'iceberg) laissant le monde intérieur des
personnes TED aux hypothèses des chercheurs. Pourtant les particularités et
les spécificités du fonctionnement psychique autiste sont des réalités à
connaître pour se positionner dans leur accompagnement. Nous vous
conseillerons d'emporter dans vos bagages le portrait de « l'autiste neuro-
développemental » issu des recherches modernes (voir chapitre 5). Les
modalités de sensorialité et de perception qui font le lit du fonctionnement
de toutes ces personnes leur donnent un style, une manière d'être, une façon
de penser, de percevoir, de vivre les émotions qui se traduisent dans leurs
comportements observables. Ces altérations de la perception et du
traitement psychique des informations venues de l'environnement
caractérisent leur fonctionnement pendant toute leur vie.
Semblables par les troubles visibles et par les anomalies neuro-
développementales de leur équipement de base non directement
observables, les habitants « droit du sol » sont aussi différents entre eux.

Reprenons ces trois variables :


➲L'intensité des troubles est mesurée par les tests standardisés et les
observations cliniques où sont pris en compte le nombre de signes
présents dans la liste des symptômes, leur durée, la fréquence de leur
survenue, la force de leur expression.
➲Le niveau de développement cognitif : les habitants « droit du sol »
peuvent être intelligents et même très intelligents (voir encadré TED
SDI), mais aussi très peu développés intellectuellement. On admet
aujourd'hui (État des connaissances, méta analyses de 2003 et 2005)
que dans l'ensemble des TED, la proportion de l'association avec la
déficience intellectuelle est de 30 %. Mais on disait, il n'y a pas si
longtemps qu'elle était de 70 %. Ces chiffres dépendent de nos
instruments de mesure. Ceux-ci ont été conçus pour des personnes à
développement ordinaire à l'aise avec le langage. Il existe peu de tests
spécifiques à la pensée autiste. Il n'est pas rare que des personnes qui
apparaissent très déficitaires en résultats chiffrés aux tests de niveau,
montrent des compétences étonnantes dans le domaine où leur intérêt
est focalisé. Elles peuvent même obtenir alors des performances
supérieures à la norme. En pratique, il faudra à la fois penser que ces
personnes sont déficientes, et notamment qu'elles ne comprennent pas
nos messages verbaux, mais admettre aussi la surprise de découvrir
leurs performances dans certains domaines.

SUR LE VIF
Retard mental et performances
Il souffre d'un degré intense d'autisme (58 sur 60 à la CARS ; ADI : algorithme supérieur
au seuil pathologique), il est mutique. À l'EFI., le niveau d'autonomie est coté faible et le
retard mental est sévère. Il participe peu aux activités proposées. Dans sa famille, il est
très tyrannique, de façon ritualisée.
Il a cependant un intérêt focalisé sur les dessins animés.
La maison familiale comprend plusieurs lecteurs de DVD fonctionnant de façon quasi
continue et passant tous les DVD de Walt Disney. Quand l'un d'entre eux s'arrête, il frappe
sa mère jusqu'à ce qu'elle en remette un autre…
Au SESSAD, le lecteur de DVD tombe en panne. Nous l'envoyons en réparation. Il revient
un jour où on ne l'attendait plus. Nous n'avons pas le temps de le déballer et le posons
dans une salle de télévision en attendant de le brancher.
Spontanément, ce jeune homme de 21 ans va se glisser dans la pièce, ouvrir seul le
carton, installer le lecteur DVD, le brancher et installer ses films préférés.
Prodigieuse capacité focalisée contrastant avec son manque apparent de capacités
intellectuelles dans les actes de la vie quotidienne…

➲Leurs pathologies associées : Les personnes autistes sont plus


souvent que les populations ordinaires sujettes à l'épilepsie : 20 à 25 %
de cas selon les études. De même, les connaissances actuelles
considèrent que 30 % de l'ensemble des TED présentent des
pathologies psychiatriques associées et ce pourcentage augmenterait
encore dans les cas d'autisme typique. Cependant, les variations de
résultats sont très grandes : 45 à 86 % des cas selon les études. On
rejoint alors les difficultés historiques pour délimiter l'autisme par
rapport aux autres pathologies psychiatriques majeures, notamment la
schizophrénie. On diagnostique aussi des troubles de l'humeur
bipolaires, des troubles de l'attention et très fréquemment de
l'hyperactivité chez les enfants. Certains syndromes génétiques sont
souvent associés à un tableau clinique d'autisme, comme par exemple
l'X-Fragile.
➲Leur singularité individuelle : Le diagnostic d'autisme ne résume
pas la personne, même si elle infiltre tout son être. Les habitants
« droit du sol » comme les habitants du pays réel, diffèrent entre eux
par leur histoire personnelle, leur contexte familial, leur situation
sociale.
Un autre facteur de diversité est le parcours institutionnel qu'ont connu les
personnes autistes d'un certain âge. Sont-elles passées par l'école ordinaire,
par l'IME dès le début de l'âge scolaire, par des services uniquement
psychiatriques et à quel âge ? C'est dire l'importance de retracer leur histoire
individuelle avec l'aide de la famille et les dossiers des différents
établissements car souvent, elles ne sont pas aptes à raconter elles-mêmes
leur propre trajectoire.

SUR LE VIF
Souvenir professionnel…
À la fin d'une conférence, un homme d'une quarantaine d'années m'a posé une question.
Il a regretté que mon exposé n'ait pas suffisamment insisté sur les capacités des
personnes autistes. Je lui ai répondu que c'était mon expérience professionnelle avec
sans doute des biais de sélection qui venaient aussi de l'insuffisance des outils
d'évaluation.
Quand la salle s'est dispersée, ce monsieur est monté sur l'estrade et m'a demandé :
« Vous ai-je choqué avec ma question ? » Il a ajouté : « C'est important pour moi que vous
soyez sincère parce que je suis TED et je n'ai pas le sens social développé. Je peux vous
avoir choqué sans le vouloir car vous, vous êtes ''neurotypique'' et vous êtes sensible au
jeu social que j'ai du mal à apprécier. »
Nous avons continué cette conversation dans une salle adjacente.
Tout à coup, dans cette salle, des hauts parleurs se sont mis à grésiller (effet larsen). Le
monsieur s'est arrêté de parler et a pâli. Spontanément et sans réfléchir, je lui ai posé la
main sur l'épaule dans un geste de sympathie. Il a sursauté, s'est recroquevillé sur lui-
même et a mis en marche un appareil MP3 avec écouteurs. J'étais très gêné car je me
suis aperçu quasi immédiatement que je venais de faire spontanément un geste que je
conseille d'éviter dans toutes mes interventions de formateur.
Quand le bruit de Larsen a cessé, il a retiré ses écouteurs, s'est redressé, a repris des
couleurs et m'a dit : « Je vais vous raconter ce qui vient de se passer pour moi. Je vous
parlais et je fonctionnais quasi normalement. L'effet larsen m'a empêché de penser. Vous
aussi, vous êtes gêné par le larsen mais moi, je suis barré dans ma pensée. Quand vous
m'avez touché l'épaule j'ai perçu une agression, comme une blessure au couteau. À ce
moment-là, je me suis mis à fonctionner sur moi-même en autiste et je ne pouvais plus
dialoguer avec vous. J'ai l'habitude de ces situations. J'ai un moyen de me récupérer. J'ai
enregistré sur mon MP3 une fugue de Bach, je me la passe quand je me sens fonctionner
anormalement ; j'éprouve alors un sentiment vestibulaire de glisser comme sur des skis, je
m'apaise, ma pensée se réordonne et je peux maintenant vous parler de nouveau. »

Les personnes TED/SDI sans déficit intellectuel


Certains habitants « droit du sol » ne sont pas déficitaires, et même souvent montrent
des capacités intellectuelles surprenantes. Ce sont les Asperger qui s'appellent entre
eux les « Aspies » depuis qu'une anglaise, Amy Nelson[1], elle-même atteinte, leur a
proposé ce surnom en signe de ralliement.
Ces personnes présentent les signes observables du trépied. Elles en souffrent plus ou
moins mais elles peuvent décrire leur fonctionnement psychique sous-jacent.
Les modalités sensorielles de ces personnes existent indépendamment de leur niveau
d'intelligence.
Ils expriment tous les difficultés vécues pour reconnaître les visages, pour trier dans les
flux d'informations sensorielles ceux qui ont une signification sociale, par exemple pour
arriver à tenir un dialogue dans le brouhaha des bruits de fond d'un restaurant. Toutes
les personnes soulignent les efforts qu'elles doivent faire pour compenser ces difficultés
quand elles sont obligées de s'insérer dans le pays réel. Elles s'estiment victimes d'un
rejet social du fait de la bizarrerie de leurs comportements.
Dans notre métaphore, les témoignages de ces personnes les placent comme des
« indigènes informateurs » des mœurs du pays autiste pour les professionnels
accompagnants (voir chapitre V).

Pour aller plus loin


➲ ASPERGER H., Les psychopathes autistiques pendant l'enfance, Berlin 1944, PUF 1998
(Préface J. Constant).
➲ ATTWOOD T., Le syndrome d'Asperger et l'autisme de haut niveau, Éditions Dunod,
2003.
➲ BARTHELEMY C. et BONNET-BRILHAUT F. (dir.), L'autisme, de l'enfance à l'âge adulte,
Éditions Lavoisier, 2012.
➲ EMILY E., Autiste ? Pour nous, l'essentiel est invisible, Dunod, 2012.
➲ KANNER L., « Les troubles autistiques du contact affectif », (Trad. M. Rosenberg),
Neuropsychiatrie de l'Enfance 1990, 38.
➲ KANNER L., « Étude de l'évolution de onze enfants autistes initialement rapportée en
1943 », Psychiatrie de l'enfant – XXXVIII, 2, 1995.
➲ RUTTER M. et SCHOPLER E., L'autisme, une réévaluation des concepts et des
traitements, Éditions PUF, 1991.
Vermeulen P., Comment pense une personne autiste ?, Dunod, 2005.

2.3. Les habitants « droit du sang » :


les parents, des transfrontaliers
Quand vous êtes parent d'un enfant qui a passé la frontière, vous n'avez pas
le choix : vous êtes obligé d'apprendre très vite les mœurs du pays, de vous
adapter aux exigences de votre enfant, tout en continuant à vivre (parfois
seulement à survivre) dans le pays réel. Vous êtes des bi-nationaux à plein-
temps dans chaque pays, surtout pendant la petite enfance, insomnies
comprises.
Tous les parents doivent faire face, selon leur personnalité, leur histoire,
leurs ressources, à une situation traumatisante. Certains, et surtout certaines,
se battent contre le sort avec une énergie stupéfiante.
Les préoccupations des parents évoluent selon l'âge de leur enfant :
diagnostic dans la petite enfance, scolarisation et séparation d'avec le milieu
familial à partir de l'école maternelle, tourbillon des consultations, des
rééducations, des avis diversifiés. Les parents font l'apprentissage des
mœurs du pays en acceptant peu à peu les limitations de leur enfant et en
connaissant aussi les refus majeurs dans les capacités d'accueil et de
compréhension des institutions ordinaires ou spécialisées. Cette situation
évolue plutôt favorablement sous l'effet des campagnes de sensibilisation
actuelles… enfin les insatisfactions (justifiées) sont encore nombreuses.
➲À l'âge scolaire, les moments de scolarité ordinaire, souhaitables et
légaux, n'empêchent pas les parents d'être très absorbés par la coordination
des différents professionnels intervenant autour de leur enfant.
➲À l'âge du collège et de l'entrée dans l'adolescence, les inquiétudes qui
s'étaient un peu calmées avec les progrès de socialisation de la fin de
l'enfance, reprennent. À cette période où les hormones modifient les corps,
les troubles du comportement peuvent réapparaitre, s'aggraver, même chez
les enfants qui avaient reçu une éducation adaptée à leur fonctionnement
autistique. Des crises d'épilepsie peuvent survenir. Le manque de
coordination entre les établissements pour enfants et ceux s'adressant aux
adolescents et jeunes adultes, vient encore aggraver les soucis parentaux à
cette époque.
➲À l'âge adulte et selon le rythme de leur propre vieillissement, les parents
s'inquiètent de façon plus lancinante pour l'avenir : « Que deviendra-t-il
quand nous ne serons plus là ? » Les politiques de solidarité nationale,
certes indispensables, ne peuvent pas répondre à tous les aspects de cette
angoissante interrogation.
C'est sur ce fond que se développent les relations des parents avec les
professionnels. Ces rapports ne sont pas toujours aussi difficiles qu'on le dit
mais ils ne sont pas non plus aussi simples et transparents que ceux décrits
dans les recommandations officielles. Les attentes réciproques se mêlent
aux appréhensions. Les demandes d'aide n'excluent pas les sentiments de
rivalité. Parents et professionnels expérimentés tombent d'accord pour dire
que c'est dans la mise en commun de leurs interrogations et de leurs
hésitations que les modalités d'échanges et de réponses s'ajustent au mieux
et peuvent s'enrichir mutuellement.
Devenir parent d'autiste est une épreuve de vie qui rend plus difficile toutes
les étapes de l'éducation mais qui, paradoxalement, enrichit humainement
ceux qui arrivent à les dépasser.
Les familles résilientes qui réussissent à ne pas éclater pendant les premiers
temps de l'enfance ont dépassé leur phase d'illusion et ont finalement
accepté les limitations de leur enfant mais aussi découvert sa richesse. Ils
disent combien cet événement de vie, tragique au début, est devenu pour
eux une raison de vivre. Les parents ne croient plus à une normalité
conventionnelle mais espèrent toujours, à juste titre, des progrès
d'apprentissages et d'autonomie, une régulation de l'humeur et des
comportements, bref une vie de meilleure qualité pour leur enfant et le reste
de la famille.
Quand les parents surmontent toutes ces difficultés, ils assument aussi en
supplément, une fonction d'information et quelquefois même de formation
des professionnels. Le Professeur Éric Schopler, créateur du dispositif
TEACCH en Caroline du Nord depuis 1972, est intervenu lors d'un congrès
en 1984 où il a rendu hommage aux parents dans un texte dont je tiens à
reproduire des extraits ici[2].
Les parents enseignants (Éric Schopler)
« Ils ont été parmi les meilleurs enseignants que j'ai connus
Ils avaient suivi eux-mêmes un cours accéléré sur l'autisme pendant des jours, des
nuits, des semaines et des années…
Lorsque l'enfant ne savait exprimer son amour ou son attachement, ils ont appris à s'en
occuper sans attendre le partage.
Ils ont adapté les habitudes alimentaires de la famille pour tenir compte de ses
préférences bizarres.
Ils ont poursuivi l'apprentissage de la propreté de longues années bien au-delà du
temps nécessaire pour leurs autres enfants et ont lavé patiemment les traces de ce lent
apprentissage dans des lessives sans fin.
Ils ont appris à leurs autres enfants à protéger leurs possessions des ravages de leur
frère ou sœur handicapé…
Leurs études se poursuivaient tous les jours bien au-delà de l'heure du coucher et ils ont
consacré bien des nuits sans sommeil à la compréhension de l'autisme.
Ils m'ont appris à remettre en cause ma conception de l'évaluation et de la
psychothérapie, à évoluer de l'expression des sentiments à la résolution de problèmes.
Contrairement aux chercheurs, ces parents ne pouvaient pas laisser de côté des
questions pour lesquelles aucune méthodologie n'avait été établie.
Contrairement aux cliniciens, ils ne pouvaient pas transférer l'enfant ailleurs parce qu'ils
n'étaient pas formés pour gérer de tels problèmes.
C'est parce qu'ils ont poursuivi leurs études malgré leurs échecs, leurs frustrations et
leurs défaites qu'ils sont devenus de si bons enseignants… »

TEACCH
Treatment and education of autistic and related communication handicapped
children[3]
Programme politique pour une prise en charge financière des enfants diagnostiqués
autistes ou porteurs de troubles de la communication.
Le sigle est un jeu de mots militant : il signifie « enseigner » en anglais et indique la
priorité donnée à l'éducation par rapport aux soins psychothérapiques.

Pour aller plus loin


➲ CHAMAK B., EHRENBERG A., « The autism diagnostic expérience of french parents »,
Autism, Sage, 2011.
➲ CONSTANT J., « En pays autiste, quelles rencontres aujourd'hui entre professionnels et
parents ? », Contrastes (Revue de l'ANECAMSP), 2006.
➲ MILCENT C., « Réflexion d'un parent-professionnel, vingt ans d'apprentissage », Les
Cahiers de l'Actif N° 280-281, 1999.
➲ MISÈS R., GRAND P., Parents et Professionnels devant l'autisme, CTNERHI, 1997.
➲ PHILIP C., Autisme et parentalité, Éditions Dunod, 2009.
➲ WILLAYE E., Manuel à l'intention des parents ayant un enfant présentant de l'autisme,
ADF, 2006.

2.4. Les travailleurs immigrés :


les professionnels accompagnants
Quelles que soient leurs qualités personnelles, leur motivation oblative, leur
générosité, les professionnels débutent la plupart du temps en pays autiste
sans vraiment connaître les mœurs des habitants et les usages de la contrée.
L'image de « travailleurs immigrés » leur convient, d'autant qu'ils portent
deux valises en arrivant : dans l'une, leur idéal personnel (gagner leur vie en
s'occupant des autres et en étant utile) ; dans l'autre, leur formation de base
(celle qu'ils ont reçue dans leurs écoles). Là, on leur a d'abord appris qu'ils
appartenaient à une catégorie professionnelle : infirmier, éducateur,
moniteur-éducateur, aide médico-psychologique, aide-soignante… À ce
titre, ils ont appris à respecter des protocoles dans leurs attitudes avec des
personnes, certes handicapées, mais à fonctionnement psychique ordinaire.
Dans leurs études, on leur a parlé une seule fois d'autisme et encore, c'était
un cours donné par un psychologue ou un médecin qui a transmis des
connaissances théoriques apprises par lui-même… il y a trente ans ! Leur
idéal professionnel les pousse à tenter d'établir le contact, en utilisant le
langage. Le but étant d'aider les personnes à exprimer leur souffrance.
Toutes ces valeurs n'ont pas cours en pays autiste. Ils se trouvent
rapidement dans la situation d'une personne immigrée qui voudrait payer
dans son pays d'arrivée avec la monnaie de son pays de départ.
De plus, ils sont des travailleurs immigrés à temps partiel : 35 heures par
semaine, surtout quand ils sont débutants ou peu qualifiés. Dès qu'ils sont
formés davantage, ils passent moins de temps au contact des personnes
autistes. C'est une loi du travail en pays réel : plus on a de diplômes et
moins on est présent en première ligne !
Depuis quelques années, de plus en plus de professionnels apprennent sur le
terrain les mœurs des habitants et les nécessités du code de la route en pays
autiste. La révision des certitudes acquises leur permet de s'adapter au pays
en dépassant leur formation de base qui leur sert tout de même de repères
fondamentaux. À ce prix (et il est coûteux en énergie personnelle), ils
attachent davantage d'importance à leurs tentatives de compréhension des
personnes et à l'ajustement de leur positionnement qu'aux revendications de
leur catégorie professionnelle. Cette acclimatation au pays autiste est
différente selon les professions.
➲Dans le domaine enseignant : les lois sur l'insertion scolaire des enfants
autistes dans des classes ordinaires amènent beaucoup d'enseignants à être
transplantés, au moins temporairement, en pays autiste. Leur plainte
dominante est : « On n'est pas formé pour. » Mais ils finissent par être
« déformés par ». Ils se montrent alors capables d'admirables adaptations
pédagogiques qui ne sont pas toujours comprises par leur hiérarchie.
➲Dans le domaine éducatif et soignant : la plupart des acteurs ont des
personnalités riches mais leur accès à l'expression est très différencié. Les
psychologues, les médecins, les éducateurs spécialisés ont l'habitude de
s'exprimer et peuvent masquer par un discours truffé de références, une
assez profonde désadaptation à leurs fonctions en pays autiste. D'autres
catégories comme les AMP, les aides-soignants, les femmes de service, les
maîtresses de maison, les moniteurs-éducateurs, ont tendance à surinvestir
le quotidien en raison d'un manque d'habitude à manipuler les concepts
abstraits. Entre surinvestissement du discours et survalorisation du concret,
il y a un étroit passage à trouver où, sans mésestimer les détails matériels,
on peut chercher à se référer à des concepts généralisateurs.
➲Dans le domaine de l'encadrement : de nouveaux métiers émergent. À
partir du moment où le handicap est devenu un phénomène social,
l'importance des interventions médicales psychiatriques a diminué. Ça
tombe bien, la démographie médicale aussi ! D'anciennes fonctions ont pris
de nouvelles importances : place des nouveaux psychologues formés en
neuropsychologie développementale, notamment pour l'évaluation ;
fonction des chefs de service qui doivent associer la gestion du personnel
dans le monde du travail et la réflexion sur les modalités de prise en charge
en pays autiste.
Les ententes entre directeurs d'établissement et chefs de service éducatifs,
celles entre directions d'établissements et présidences d'associations
gestionnaires sont une des clés de la cohérence des actions engagées
individuellement. Mais, il arrive que l'on perde les clés… L'incidence
éventuellement paralysante des conflits entre catégories professionnelles
démontre a contrario les bienfaits de la cohérence. Dans tous les cas, les
qualités personnelles des responsables de services et d'établissements, leurs
capacités à supporter leurs angoissantes responsabilités, semblent des
facteurs déterminants.
➲Dans le domaine des interventions fonctionnelles : certains acteurs des
projets n'interviennent que ponctuellement : les médecins, les psychologues,
les orthophonistes, les psychomotriciens, les ergothérapeutes. Le style de
leurs interventions dépend beaucoup du cadre institutionnel dans lequel ils
exercent : soit en libéral, soit en institution sanitaire ou médico-sociale.
Leur articulation avec les métiers d'accompagnateurs de première ligne est
essentielle et la dernière recommandation sur les interventions insiste sur la
coordination de tous les acteurs. En pratique, elle est actuellement souvent
déléguée de fait aux parents et relayée avec plus ou moins de bonheur, par
les responsables d'établissements et de services.

2.5. Les autres métiers intéressés


par le pays autiste
Ils sont tellement nombreux que je ne les décrirai pas.
Il y a ceux qui interviennent en pays autiste comme les chercheurs ou les
décideurs du pays réel, et ceux qui sont attirés par le pays comme les
artistes.
Un écrivain et acteur d'origine américaine, Howard Buten, à l'origine acteur
dramatique de mime, a même monté un établissement en région parisienne
où il travaille à partir de ses capacités d'imitation et de celles des personnes
autistes.
Enfin, il y a ceux qui parlent du pays autiste : les professionnels des médias.
Il arrive qu'ils ne disent pas que des bêtises… quand ils réussissent à se
dégager des manichéismes systématiques imposés par cette forme de média.
Pour aller plus loin
➲ CONSTANT J., « Vers une culture d'accompagnement de la personne autiste après la
puberté ; un SESSAD pour adolescents » ; in Autisme, état des lieux et horizons, sous la
direction de Bernard Golse et Pierre Delion, Ères 2005.
➲ CONSTANT J., « Personnes autistes et professionnels de terrain », Pratiques en santé
mentale n°8, 2009.
➲ HOCHMANN J., Pour soigner l'enfant autiste, Odile Jacob, 1997.
➲ LAWSON W., Comprendre et accompagner la personne autiste, Dunod, 2011.
➲ PEETERS T., L'autisme, de la compréhension à l'intervention, Dunod, 1996.
➲ SARFATY J. (dir.), Autisme et secteur de psychiatrie infanto-juvénile, évolution des
pratiques, PUF, 2012.
Chapitre 3

Les rencontres entre les habitants des deux


pays

3.1. Une nécessité : vivre ensemble


La métaphore du pays autiste a ses limites. Les personnes TED/TSA vivent
dans notre pays et nous vivons avec elles. La rencontre entre nous est
incontournable. Elle n'est pas spontanée. C'est une rencontre asymétrique
qui demande du travail, des efforts et des connaissances aux deux types de
personnes.
Les personnes ordinaires voudraient amener les TED à abandonner leur
manière d'être. Elles s'accrochent à l'idée, surtout pour les enfants, qu'une
personne ordinaire se cache derrière les comportements bizarres. C'est un
mécanisme spontané qui protège l'espoir en se représentant l'autisme
comme une maladie banale, et même une maladie aiguë dont on va sortir.
On imagine un processus qui entrave, qui bloque (le thème du blocage est
très fréquent), qui enferme l'enfant dans une prison autistique. L'adulte peut
ainsi penser que grâce à lui, grâce à son amour s'il est parent, grâce à sa
compétence et son engagement s'il est professionnel, grâce à ses principes,
ses théories de référence, il va libérer l'enfant de sa prison. Ce mécanisme
réflexe, (sauvegarde de la reproduction du normal dans l'espèce humaine ?),
conduit dans une impasse ou du moins dans une illusion qui peut se
transformer en hyperstimulation désespérée désespérante ou en rejet plus ou
moins déguisé. Cette représentation spontanée est donc un obstacle pour
une rencontre. Il convient de la remplacer en cherchant les moyens de vivre
ensemble, mais dans le respect de la façon d'être de chacun.
Les personnes TED ont une manière d'être radicalement différente de
l'ordinaire. Lorna Wing[1], une psychiatre anglaise, elle-même mère d'une
personne TED, l'exprime fort bien :
« Les personnes qui sont atteintes du syndrome d'Asperger, perçoivent le monde
autrement que nous. Nous leur semblons étranges. Pourquoi ne disons-nous pas ce que
nous pensons et disons-nous tant de choses que nous ne pensons pas ? Pourquoi
faisons-nous si souvent des choses que nous ne pensons pas ? Pourquoi faisons-nous
si souvent des remarques futiles qui ne veulent rien dire ? Pourquoi montrons-nous de
l'ennui et de l'impatience lorsqu'ils nous disent tant de choses si passionnantes sur les
tableaux d'horaires par exemple ou les numéros gravés sur les colonnes de réverbères
en Angleterre, ou encore les différentes variétés de carottes ou les mouvements des
planètes ? Et comment pouvons-nous supporter de tels bombardements de sensations,
de lumière, de sons, d'odeurs ou de goûts sans hurler ? Et toutes ces hiérarchies
sociales, pourquoi ne traitons-nous pas les gens tous de la même façon ? Pourquoi
avons-nous des relations sentimentales si complexes ? Comment décoder tous ces
signaux envoyés et reçus au moindre contact avec autrui ? Et surtout, pourquoi
sommes-nous si peu logiques ?
La façon dont ils voient le monde a un sens pour eux, et peut être fascinante par
certains aspects mais elle les met en conflit avec la manière conventionnelle (qui est
celle de la majorité) de penser, de ressentir, ou de se comporter. Ils ne peuvent, ni ne
veulent changer[2]. »

Pour créer les conditions d'une authentique rencontre je crois qu'il est de
bonne méthode, pour les accompagnants, de se poser une question
préalable :

3.2. Qui est le plus handicapé des deux ?


Une situation handicapante pour l'exercice
des rôles sociaux des accompagnants
Les personnes autistes sont très inventives et très compétentes pour décaler
les personnes ordinaires de leur fonction sociale et les handicaper dans
l'exercice de leurs rôles sociaux. Reprenons les descriptions des signes du
trépied en montrant leurs effets chez les accompagnants.
➲Les troubles de réciprocité sociale et émotionnelle mettent mal à l'aise.
Impossible d'accrocher le regard, et même parfois impression de ne pas
exister quand on est comme traversé par le regard d'une personne autiste.
On se sent épié par les balayages de regards latéraux. Très souvent, par
empathie, les accompagnants ressentent dans leur propre corps le malaise
corporel des personnes qu'ils accompagnent, notamment quand elles
viennent se coller à eux de manière très gênante ou explorer sans pudeur les
parties les plus intimes de leur corps. Des sentiments de dégoût, des envies
de rejet s'imposent alors.
Les accompagnants sont en grande difficulté pour établir un contact avec
les personnes autistes. Les deux monnaies du pays réel : la relation
empathique et le langage n'ont pas cours en pays autiste.
Ces obstacles ne sont pas réservés aux professionnels qui s'occupent des
autistes déficitaires dans les établissements. Ils sont aussi spontanés chez les
élèves de collèges vis-à-vis des autistes de type Asperger qui tous ont connu
dans les cours de récréation harcèlement, moqueries, quand ce n'est pas
violences. Les personnes normales ne pardonnent pas à ceux qui ne vibrent
pas au diapason du sens social.
➲ Les troubles de la communication. Les autistes ont des problèmes de
sensorialité, les accompagnants ont des problèmes d'entendement. Les
mieux intentionnés d'entre eux découvrent à quel point ils recourent au
langage alors qu'ils savent qu'il vaudrait mieux l'éviter, et un langage saturé
en images et métaphores alors qu'ils savent que les autistes comprennent
difficilement les jeux de mots polysémiques.
L'écholalie décrite dans les livres savants embrouille particulièrement.
L'enfant répète les derniers mots prononcés, et notamment « tu » parce
qu'on vient de lui dire « tu fais ceci ou tu fais cela » et il l'emploie à la place
de « je ». Au final, c'est l'identité de l'accompagnant qui est perturbée.
La communication ne se réduisant pas au langage, ce sont les troubles du
regard, du tonus, le corps en tant qu'instrument en situation de relation avec
l'environnement qui font sens. Les accompagnants sont en peine pour
interpréter leurs gestes, leurs mimiques ou leur absence de mimiques
faciales, et d'une manière générale leur intentionnalité dans l'action On se
met à croire, à certains moments, quand on est professionnel ou parent que
ces personnes se moquent de nous et pourtant, tous les témoignages des
personnes TED sans déficit intellectuel nous disent qu'ils font beaucoup
d'efforts pour apprendre à nous parler dans la langue du pays réel.

« Chacun de nous qui réussit à fonctionner un tant soit peu dans votre société, chacun
de nous qui arrive à sortir de lui-même et qui arrive à établir le contact avec vous, opère
en territoire étranger, entre en contact avec des êtres étranges. Nous passons notre vie
entière à faire cela et après vous nous dites que nous ne sommes pas capables d'entrer
en relation ! » Jim Sinclair, 1993.

➲Les troubles des conduites peuvent se décrire aussi chez les


accompagnants : peurs, terreurs même parfois d'être agressés physiquement,
blessés, exaspération, perte de contrôle, passage à l'acte violent en réponse
aux agressions. Là encore, la situation est connue chez les déficitaires en
institution, mais il faut penser aussi aux Asperger dans les familles
ordinaires. Les parents qui ne connaissent pas encore le diagnostic,
considèrent qu'il s'agit de manifestations d'opposition. Ils s'épuisent, parfois,
pour tenter en vain de canaliser les conduites d'immuabilité, de focalisations
d'intérêt de leur progéniture et l'atmosphère familiale devient irrespirable.

Les personnes autistes sont des handicapés/handicapants.

Des risques de réactions surhandicapantes


Placées dans ces situations handicapantes, menacées dans leur identité
professionnelle ou parentale et parfois même doutant de leurs capacités
personnelles, les personnes ordinaires ont tendance à réagir avec leurs
moyens. Ces réactions portent le danger potentiel de surhandicaper les
personnes autistes.
Quand nous sommes placés dans une situation handicapante, nous (les
ordinaires) cherchons d'abord à la fuir, il y a des professionnels qui bien que
vivant quelques heures par jour avec des personnes autistes, arrivent à ne
jamais les rencontrer. Ils disent respecter les personnes TED au point de ne
pas s'en occuper !
Quand nous ne pouvons pas fuir, nous traitons la situation avec nos moyens
psychiques, par exemple l'imagination. Nous inventons des causalités même
quand nous n'avons pas de preuve ; le langage nous permet aussi l'évasion :
nous utilisons la métaphore ou l'humour pour accepter une réalité
difficilement acceptable. Nous nous leurrons nous-mêmes avec notre
affectivité, notre empathie qui nous permet de croire que nous ressentons ce
que l'autre ressent. Des réactions de prestige nous permettent aussi de
masquer notre ignorance.
Ces moyens de défense produisent des effets désastreux dans le monde des
institutions. Par exemple, « ici, on a toujours fait comme ça, il faudra bien
qu'il s'adapte » ou bien encore « moi je sais, j'ai lu, les autistes sont comme
ci et comme ça, donc j'ai raison même si l'autiste en question s'obstine à ne
pas se comporter comme ce que j'ai lu ». Tous ces procédés nous éloignent
d'une rencontre authentique avec une personne fonctionnant selon des
mécanismes autistiques.
C'est avec de tels procédés que certains auteurs comme par exemple Bruno
Bettelheim, se sont déconsidérés. Il partait pourtant d'une observation
pertinente des comportements autistiques mais il les interprétait pour les
faire entrer de force dans des grilles de lecture qui se sont avérées par la
suite sans rapport avec le fonctionnement psychologique de ces personnes.
C'était pourtant par générosité que Bettelheim se proposait de comparer
l'expérience vécue des personnes autistes (ou ce qu'il en imaginait) avec
l'expérience qu'il avait lui-même vécue dans les camps de concentration.
Cette façon de prêter aux personnes autistes ce que nous ressentons avec
nos moyens de fonctionnement ordinaires, est une erreur consternante parce
qu'elle se répète avec bonne foi, générosité, enthousiasme. Et d'ailleurs,
toute l'histoire des théories de l'autisme[3] peut se résumer à l'imagination
des praticiens qui ont voulu faire bénéficier « ces malheureux faibles
d'esprit » de toutes leurs richesses imaginatives personnelles. Mais, hélas,
les personnes autistes, surtout les adultes déficitaires, demeurent
indifférentes aux cadeaux conceptuels que les doctes personnes normales
veulent leur offrir !

Reconnaître le fossé existant…


… entre nos deux manières d'être au monde permet de ne plus prêter aux
personnes autistes le même fonctionnement que nous.
L'avantage de la pensée ordinaire résulte de l'imagination et de
l'interprétation, formidable procédé d'économie d'énergie. Nous filtrons
sans cesse les stimuli de l'environnement, il nous suffit de quelques
informations signifiantes pour donner sens à une situation sociale. Nous
glissons une grille d'interprétation entre la réalité et nous[4]. Puis nous
associons à nos expériences antérieures et tout cela spontanément et
rapidement. Nous devinons (pensée inductive) et nous nous adaptons avec
souplesse au contexte implicite.
Les personnes autistes n'interposent pas de filtre interprétatif et ne
hiérarchisent pas ou mal les stimuli de l'environnement. Elles sont
submergées par les flux divers et se fixent sur un détail sans signification
sociale (par exemple et selon leur niveau, un rayon de lumière, un objet
tournoyant, les sensations de leur corps propre ou les dates du calendrier).
Elles, ne comprennent pas l'implicite, les jeux de mots, les codes sociaux.
Leur pensée n'est que logique, déductive, sans associations spontanées
d'idées et d'affects. Tous les détails ont la même importance. La mémoire
s'en trouve surentraînée et la visualisation vient compenser le déficit en jeux
de langage.
Cette description connaît des exceptions mais retenez qu'ils ne vivent pas
dans le même espace mental que la majorité d'entre nous.

3.3. Jeter des passerelles entre


deux manières d'être
Positionnement des accompagnants
Le rôle des accompagnants ne se réduit pas à de l'aide à apporter à des
handicapés. Nous avons à réviser nos objectifs. Il ne s'agit pas de les « sortir
de l'autisme » bien que cela puisse rester notre rêve partagé avec les parents
et notre croyance dans l'avenir de la science. Les stimulations précoces et
adaptées sont certes utiles, mais les contacts sociaux ne suffisent pas à faire
advenir un fonctionnement ordinaire quand l'équipement de base (le
dispositif neuro-développemental) est défectueux. Dans l'immédiat, nous
avons à les faire devenir un peu plus autonomes (le plus possible selon leurs
potentialités), non pas pour devenir comme les autres, mais pour leur
permettre de vivre parmi les autres.
Ce but demande beaucoup d'imagination pour jeter des passerelles entre les
deux mondes. Les caractéristiques du fonctionnement ordinaire vont nous
servir. Aux accompagnants d'utiliser leur souplesse pour contourner la
rigidité des TED, leur oblativité pour dépasser leur point de vue autocentré,
leurs associations d'idées pour lutter contre leur rigidité mentale.
Attention : tout cela ne servira à rien si nous oublions qu'ils ne fonctionnent
pas comme nous ! C'est par rapport à leur façon de voir le monde qu'il nous
faut inventer des moyens pour les amener à vivre dans le nôtre.

« Accordez-moi la dignité de me rencontrer en respectant mes conditions. Reconnaissez


que nous sommes également étrangers l'un à l'autre, que ma façon d'être n'est pas
simplement une version détériorée de la vôtre. Remettez-vous en question… Travaillez
avec moi pour construire plus de passerelles entre nous. » Jim Sinclair, 1993.
Ce positionnement de l'accompagnement est résumé par Gary Mesibov, le
successeur d'Éric Schopler, dans le programme TEACCH.[5]

« Voir le monde par leurs yeux et utiliser ce point de vue pour leur apprendre à
fonctionner dans notre culture aussi indépendamment que possible. »

J'ajouterai qu'au fur et à mesure de la vie et des nécessités de socialisation le


positionnement des accompagnants se dédouble. (voir tableau ci-contre)

Tab. 3.1 Double fonction de l'accompagnement

Accompagner les Accompagner les personnes


personnes autistes vers ordinaires vers plus
plus d'autonomie en milieu de compréhension
ordinaire des personnes autistes
➲ En leur expliquant le pays ➲ En leur expliquant le pays
réel autiste
➲ En respectant : ➲ En respectant la singularité de
La singularité de chaque leurs fonctions :
personne autiste – parents
Son niveau de développement – professionnels
L'intensité des mécanismes ➲ En les aidant à modifier leurs
autistiques objectifs
➲ En leur apprenant la théorie ➲ En leur apprenant la théorie de
de l'esprit des personnes l'esprit des personnes autistes
ordinaires
➲ En les aidant à modifier leurs
➲ En les aidant à s'adapter idéaux
aux contextes : familles, et leurs habitudes
institutions

La nécessité d'un cadre institutionnel cohérent


Les passerelles entre eux et nous ont besoin d'être assurées solidement sinon
les personnes TED et leurs accompagnateurs risquent d'amères
déconvenues.
En pratique la cohérence du contexte est le garant de la qualité de
l'accompagnement. Il arrive, dans les familles comme dans les institutions,
que cette garantie s'effrite et ne protège plus rien du tout... les passerelles
s'écroulent. D'où l'importance, qui n'est pas reprise dans les
recommandations officielles, de la qualité des échanges entre les différents
acteurs autour de la personne accompagnée. Quand les institutions
dysfonctionnent, les personnes TED déficitaires dysfonctionnent aussi.
Quand les personnes TED dysfonctionnent trop fort, elles font
dysfonctionner l'institution ! C'est un point essentiel que les psychiatres
psychanalystes des générations précédentes ont bien mis en évidence.
Maintenir la cohérence institutionnelle est un travail énorme qui repose
pour beaucoup sur les responsables et encadrants des équipes. Elle nécessite
bien sûr des procédures et des règlements mais aussi des temps de réglage
très nombreux, des réunions, des possibilités d'exprimer ses contre-
attitudes, dans une atmosphère la plus dégagée possible des tensions
habituelles du monde du travail.
La situation n'est pas sans paradoxes : les personnes autistes sont repliées
sur elles et communiquent mal et ce fonctionnement oblige ceux qui les
accompagnent à s'ouvrir les uns aux autres et à mieux communiquer entre
eux. Les personnes TED sont plutôt morcelées et clivées dans leurs
perceptions et idées et elles obligent leur entourage à une cohérence dans
les établissements où elles résident, voire à un réseau fluide entre les
différentes institutions qu'elles fréquentent. Dépourvues de capacités
spontanées d'empathie, elles nous condamnent à développer nos
potentialités de compréhension. Envahies de peurs et d'angoisse elles ont
besoin de notre sérénité !

Un consensus sur la bientraitance


Les recommandations officielles traduisent un large consensus sur la
nécessité d'évaluations fonctionnelles régulières, sur la liaison entre les
résultats des évaluations et le projet personnalisé élaboré avec les parents.
Les textes réfèrent à des « interventions » énumérées dans un document
administrativo-scientifique[6]. L'accord se fait sur la pertinence d'un
démarrage le plus précoce possible et d'une continuité d'accompagnement la
vie durant, sachant qu'actuellement aucune « méthode » n'est efficace en
toute situation ni pour faire durablement disparaître les troubles.
En l'état actuel de nos ignorances personne n'a le choix :
Il n'y a pas de traitement des autismes ;
Il y a des enfants à éduquer et enseigner ;
Et des adultes à accompagner vers moins de dépendance.
Dans ces conditions la distinction entre les buts et les moyens peut éviter
des confusions.
Les buts visent une amélioration de la qualité de vie au fil du
développement et une diminution de la souffrance psychique, donc des
troubles du comportement, car la majorité des personnes autistes, surtout si
elles sont déficientes intellectuelles, s'expriment par leur comportement.
Les procédés pour atteindre ces objectifs s'imposent quelles que soient
nos croyances. Ils sont aussi faciles à énoncer que difficiles à mettre en
œuvre et à maintenir dans la réalité. Les débats dont les médias raffolent,
portant sur des « méthodes » comparées opposant la psychanalyse au
comportementalisme (les deux au singulier) sont des rideaux de fumée qui
masquent le fait que beaucoup trop de professionnels ne savent pas quoi
faire et s'abritent derrière des abords non spécifiques. Ils sont aveuglés par
les troubles du comportement et ne voient plus que cela. Ces professionnels
épuisés essaient vainement d'endiguer les manifestations critiques parfois
très nombreuses, trop handicapantes pour leur permettre de maintenir leurs
rôles sociaux.
Éric Willaye en Belgique s'est spécialisé dans les interventions de gestion
de crises pour les équipes en difficulté[7]. Il dresse une impressionnante liste
de catégories de troubles du comportement qui peuvent éprouver les
accompagnants.
Agressions : frapper, tirer les cheveux, pousser les gens, donner des
coups de pied ;
Automutilations : se frapper la tête, se donner des coups de doigt dans
l'œil, se mordre, s'arracher les cheveux ;
Autostimulations : balancements, mouvements des mains, bruits
répétitifs, balancer une ficelle, arpenter ;
Conduites de destruction : jeter des objets, casser des vitres, casser de
la vaisselle, renverser des meubles, déchirer des vêtements ;
Troubles de l'alimentation : hyper-sélectivité, vomissements, Pica,
recherche permanente de nourriture ;
Conduites antisociales : crier, se mettre en colère, s'enfuir, opposition
permanente, se déshabiller.
De tels troubles apparaissent surtout quand on ne sait pas quoi faire, parce
que dans ces cas-là, on fait justement tout ce qu'il faut, et quelquefois avec
beaucoup de générosité, pour entretenir les troubles ! L'exemple le plus
typique est celui de la sur-stimulation. En réponse à des comportements
gênants, l'éducateur se précipite, « gronde » l'enfant, « interdit » le
comportement à l'adulte qui perçoivent cette intervention comme une
stimulation sonore, colorée et finalement encourageante !
Comment sortir de ces situations répétitives et épuisantes ?
Pour éviter autant que possible les comportements gênants, il faut connaître
et admettre les modalités singulières du fonctionnement autistique, donc
analyser les comportements selon les résultats de l'évaluation fonctionnelle
et connaitre les ressources émergentes que les tests et les parents ont pu
mettre en valeur.
Ensuite, il faut créer un cadre prévisible, rassurant compréhensible par la
personne autiste selon son niveau.
Les équipes qui savent travailler dans ce cadre accompagnent l'enfant ou
l'adulte en passant par ses stratégies cognitives comportementales et en
compensant ses déficiences.
Les déficiences de communication sont les premières visées. Il va falloir
chercher le meilleur canal de substitution au langage articulé, selon le style
de chacun, ses résultats aux tests, en pensant à la communication par le
corps et l'imitation.
Le plus souvent, c'est par le canal visuel que ces personnes traitent les
informations de l'environnement.
Il existe plusieurs techniques :
le PECS (Picture Exchange Communication System, soit Système de
communication par échange d'images) technique utilisant
progressivement des photos ou des pictogrammes, des mots écrits, des
phrases ;
le Makaton mis au point par des orthophonistes australiens associe la
langue des signes simplifiée et l'oralisation ;
l'utilisation des appareils électroniques (plusieurs modèles sont
commercialisés), sur lesquels on enregistre des images parlantes.
Le développement des smartphones va probablement favoriser les recours à
ces types d'outils électroniques nomades.
Toutes ces techniques ne sont pas des thérapies. Ce sont des prothèses
visant à compenser la déficience en moyens de communication. Comme les
cannes blanches aident les malvoyants, ces procédés aident les « mal-
parlants » autistes à entrer en communication avec l'environnement. C'est
une priorité pour tous exercices ultérieurs, d'éducation, d'enseignement
d'apprentissage de socialisation. Les accompagnants rêvent d'alléger le
recours à ces artifices qui compliquent les interactions et ralentissent les
réalisations. Parfois c'est possible : avec l'habitude les personnes autistes
prennent confiance en leurs capacités de communiquer avec le monde réel.
Cependant, surtout chez les personnes déficitaires les prothèses devront
rester en place toute la vie sous peine de voir réapparaitre des crises
comportementales si les accompagnants veulent les « estomper » trop
radicalement.
La compensation des déficiences d'organisation de la pensée repose sur
la matérialisation de notions abstraites comme l'espace et le temps et la
filtration des stimuli venus de l'environnement.
Un des paradoxes de toutes les techniques éducatives comportementales
contemporaines, apparemment simples, tient au fait qu'elles amènent à
objectiver ce qui est subjectif, à matérialiser ce qui est immatériel. Par
exemple, pour rendre le temps visible, on utilise des minuteurs qui
objectivent la durée par le canal visuel ou sonore (Time-timer). On va
également essayer de rendre l'espace le plus visible possible en le
structurant, en faisant évoluer ces personnes dans un monde visible et pré-
visible, où elles seront rassurées en voyant ce qui va se passer après le
moment présent. Cet effet très rassurant repose encore sur un paradoxe : il
faudrait prévoir l'imprévu. Évidemment, c'est impossible mais il est de
constatation courante que plus l'environnement est structuré, plus les
emplois du temps sont imagés, précis, plus l'espace est signalisé, moins ces
personnes présentent de troubles du comportement, et mieux elles
comprennent ce qu'on attend d'elles.
La compensation des déficiences en interaction sociale et en réciprocité
émotionnelle va nécessiter de leur apprendre des comportements qui pour
nous sont spontanés. Tous nos scénarios sociaux les plus évidents sont en
effet difficiles à comprendre pour eux. Il faut continuellement leur
apprendre à se comporter pour partager, pour vivre avec les autres.[8] Il
faudra aussi s'adapter à leur forme de pensée en découpant les activités en
séquences successives. Paradoxalement, là encore, on va ritualiser les
activités dans l'espoir d'obtenir un peu plus de jeu spontané.
Tous ces procédés sont explicités dans les recommandations officielles mais
en oubliant de mentionner l'intensité de l'effort que cela demande aux
accompagnants. Rien n'est plus difficile, par exemple, que de remplacer le
langage par des images ou de diminuer notre expression spontanée pour
mieux faire apparaître la leur. Et pourtant, c'est à ce prix que l'on constate
une diminution des troubles du comportement et une amélioration de la
qualité de vie de ces personnes et de leurs familles.
Mais, il faut bien dire que certaines personnes autistes manquent de savoir-
vivre au point de ne rien respecter des recommandations officielles ! Elles
continuent à s'automutiler, à se démanteler dans des crises
comportementales, dépassant les limites de tolérance des accompagnants.
Dans ces cas le recours aux médicaments devient nécessaire car il faut bien
accepter que ce qui est recommandé et recommandable ne veut pas dire une
efficacité à 100 % dans l'état actuel de nos connaissances et de nos
techniques.
Je n'ai pas détaillé les « méthodes » présentes sur les marchés du pays. Elles
ont chacune de l'intérêt et elles sont à adapter selon les cas individuels,
l'opinion des parents, la formation des professionnels et l'âge de la
personne. Elles se livrent parfois de féroces concurrences.
Les équipes qui savent travailler prennent le soin de former des acteurs à
ces différentes techniques, capables de les ajuster selon les situations. Il
arrive aussi que des équipes ou des familles restent collées à une seule voie
d'approche et les aspects passionnels semblent alors prioritaires par rapport
au pragmatisme. L'attachement aux routines n'est pas l'apanage des seuls
autistes !

Pour résumé
La rencontre entre personnes ordinaires et personnes autistes :
➲ Ne se réduit pas à l'aide à apporter à des handicapés ;
➲ Est la rencontre de deux façons d'être-au-monde ;
➲ Nécessite la modification de nos représentations, des idéaux parentaux, des idéaux
professionnels et l'utilisation de techniques passant par la compréhension de la pensée
autiste ;
➲ Peut apporter aux deux : personnes autistes et personnes ordinaires.

Pour aller plus loin


➲ CONSTANT J., « Défilé de modèles en pays autiste », Pratiques en santé mentale n°3,
2008.
➲ LEAF R., MAC EACHIN J., Autisme et ABA : une pédagogie du progrès, Pearson, 2006.
➲ LAWSON W., Comprendre et accompagner la personne autiste, Dunod, 2011.
➲ MESIBOV G., « Le défi du programme TEACCH », Pro Aid Autisme, 1995.
➲ PHILLIP C., MAGEROTTE G., Adrien J.-L., Scolariser des élèves avec autisme et TED,
vers l'inclusion, Dunod, 2012
➲ SCHOPLER E., LANSING M., Reichle R.J., Stratégies éducatives de l'autisme, Masson,
1988.
➲ SCHOPLER E., Activités d'enseignement pour enfants autistes, Masson, 2000.
Chapitre 4

Le code de la route

Un outil ludique pour voyager en pays autiste

4.1. Pourquoi un code ?


Parce qu'avec un code, vous n'avez pas besoin de réfléchir, d'émettre des
opinions, de croire en des principes. Les panneaux sont là, impératifs,
obligatoires. Ils sont contraignants mais protecteurs. Derrière leur simplicité
se cache un long travail des responsables de la sécurité routière. Ils ont
étudié l'état actuel des connaissances, tenu compte des recommandations
officielles des Agences et ont écouté les témoignages des habitants « droit
du sol » sans déficit intellectuel et ils ont réussi à traduire tout cela en
panneaux de signalisation ![1]
Les manuels officiels suivent un ordre logique en commençant par l'exposé
des connaissances avant de recommander les conduites à tenir. Le plus
souvent, cependant, les accompagnants se retrouvent en pays autiste sans
avoir eu le temps de rien étudier. Je vous propose donc un ordre bizarre :
d'abord l'action, ensuite la réflexion ! Nous suivrons ainsi le chemin du
vécu de la plupart des accompagnants. En commençant à l'envers de la
logique habituelle, je veux mettre l'accent sur une évidence : « Vous n'avez
pas le choix ! » Ou plutôt, vous n'avez que le choix de vos croyances.
Comme pendant un voyage en Angleterre, vous pouvez penser tout ce que
vous voulez de la royauté britannique, de l'anglicanisme, du fonctionnement
démocratique de la Grande Bretagne, mais il faut rouler à gauche ! Si vous
ne respectez pas le code du pays, vous aurez de sérieux ennuis !
Des croyances, vous en avez, surtout si vous êtes débutants. Vous êtes
convaincus par exemple de telle ou telle origine du handicap. Peu importe !
Vous pouvez penser ce que vous voulez, il faudra passer par les lois du
fonctionnement autistique si vous voulez arriver à faire un bout de chemin
avec des personnes autistes. Comme les vaincus de l'armée romaine, il vous
faudra d'abord courber l'échine et passer sous les fourches caudines de leurs
mécanismes autistiques. Ça ne vous permettra pas de réaliser vos désirs
secrets, à savoir que les autistes ne soient plus autistes ! Ça vous permettra
de vivre avec eux et ça leur permettra de vivre avec vous, c'est déjà ça !
Rappelez-vous que les panneaux ont des formes et des couleurs qui par
elles-mêmes signifient quelque chose : les triangles sont faits pour annoncer
un danger dont la nature est indiquée par un symbole, les ronds sont rouges
pour interdire, bleus pour obliger, et barrés pour mettre fin aux interdictions
et obligations, les rectangles et les carrés indiquent et renseignent,
notamment sur la direction et l'itinéraire.

4.2. La sécurité routière en pays autiste


Avant le départ, vérifier les niveaux

Intensité Niveau Très bon


15
de l'autisme de développement Niveau
Léger
TED SDI
40 Niveau
Moyen moyen
C.A.R.S. Niveau
60 P.E.P-A.A.D.E.P
A.D.I. archaïque
Sévère VINELAND
A.D.O.S déficitaire

Savoir d'où on part : l'évaluation


En France (exception culturelle ?), la notion d'évaluation a beaucoup de mal
à s'imposer dans les familles et chez les professionnels accompagnants.
Pourtant, les recommandations officielles n'arrêtent pas de psalmodier :
« Évaluation ! Évaluation ! Évaluation ! » Malgré cela, tout se passe comme
si les personnes ordinaires tenaient davantage à leur subjectivité qu'aux
mesures objectives.
Pourtant, en cherchant à apprécier au départ ce que peut faire la personne
(et ce qu'elle ne peut pas), et surtout ce qu'elle pourrait être capable de faire
(notion d'émergence), les personnes ordinaires peuvent se donner les
moyens d'inscrire les personnes TED dans une dynamique temporelle de
développement. En effet, les personnes autistes nous entraînent dans un
univers d'immédiateté. « À chaque jour suffit sa peine ! »
Les opérations d'évaluation sont les procédés les moins mal adaptés pour se
donner et leur offrir les moyens d'échapper à l'enlisement dans la répétition
perpétuelle des mêmes comportements stériles. Les équipes compétentes ne
se contentent pas de l'évaluation initiale. Elles se donnent les moyens d'une
évaluation permanente qui porte à la fois sur les capacités et insuffisances
des personnes (évaluation fonctionnelle), mais aussi sur l'auto-évaluation
des accompagnants. Il est très souvent nécessaire de réajuster les projets
pour éviter la routine. Une atmosphère d'équipe peut être créée autour de
l'évaluation permanente[2]. L'utilisation des outils modernes d'évaluation
permet de changer son point de vue, en tenant compte de la découverte de la
plasticité cérébrale : les savants nous disent que nous nous développons
toute notre vie. On perd des cellules mais on en gagne aussi et on accroît le
nombre d'articulations (synapses) entre elles. C'est une vision réconfortante
pour les vieux dans une société où ils vivent plus longtemps qu'auparavant,
mais aussi pour l'accompagnement des personnes autistes.
La sécurité routière en pays autiste simplifie la complexité en insistant sur
deux panneaux : l'intensité des mécanismes autistiques et le niveau de
développement. (Voir tableau page suivante)
Les opérations d'évaluation sont bien plus difficiles à réaliser que nous le
laissent entendre les recommandations officielles.
Les outils standardisés sont utiles, indispensables même pour les recherches
et pour comparer des groupes de personnes semblables entre elles.
L'évaluation est une affaire trop sérieuse pour être confiée à une ou deux
catégories professionnelles : les docteurs et les psychologues. Pour évaluer
les capacités fonctionnelles des personnes on a besoin du regard de tout le
monde : d'abord celui des parents[3] qui connaissent le mieux l'enfant, et
même l'adulte au quotidien ; ensuite celui de l'orthophoniste, de l'éducatrice,
de l'enseignant, et bien sûr des psychologues avec leurs tests et des docteurs
avec leurs classifications diagnostiques.
Ce travail collectif nécessite de comparer les observations menées dans les
bureaux avec celles effectuées dans la niche écologique naturelle, à savoir
la maison familiale. Les professionnels s'acharneront à trouver quels sont
les intérêts de la personne, ses goûts, ses compétences qui ne sont pas
toujours faciles à détecter.
Intensité des mécanismes Niveau de développement
autistiques
L'intensité des mécanismes Ce panneau qui signifie
autistiques est signalée par le l'interdiction d'accès aux
panneau du danger. L'image véhicules dont la hauteur
d'une pente avec pourcentage dépasse les dimensions
plus ou moins fort a été choisie indiquées (par exemple, dans un
pour signifier que le degré passage souterrain ou sous un
d'autisme peut être plus ou pont) a été choisi pour indiquer
moins intense selon les qu'on ne peut pas forcer les
personnes. capacités de la personne.
La mesure chiffrée de l'intensité Le choix du terme « Quotient de
des mécanismes autistiques Développement » (Q.D.),
tient compte de la force des souvent exprimé en âge mental
manifestations, de leur par rapport à l'âge réel, a été
fréquence, de leur durée et de préféré à celui de Q.I. (Quotient
leur persistance. Intellectuel) dont le codage est
surchargé en capacités
langagières.

Le test C.A.R.S. (Childhood Attention : l'âge mental est très


Autism Rating Scale) a été souvent hétérogène. La
conçu par l'équipe d'Éric personne peut être incapable de
Schopler pour évaluer cette certaines performances et
intensité. Traduit par B. Roger, il étonnamment compétente dans
est largement utilisé en France des domaines restreints.
malgré ses limites
d'imprécision.
L'A.D.I. (Autism Diagnostic Le PEP (Profil Psycho Educatif)
Interview) renseigne à partir de mis au point par l'équipe d'Éric
l'interrogation des parents, et Schopler est un bon instrument
indique un seuil d'entrée dans pour évaluer les potentialités de
les TED. la personne.

L'A.D.O.S. (Autism Diagnosis L'E.F.I. (Évaluation


Observation Schedule) est de Fonctionnelle d'Intervention)
plus en plus utilisé. d'Éric Willaye est un bon
instrument pour évaluer les
personnes particulièrement
déficitaires. [4]

Quels que soient l'intensité des mécanismes autistiques et le niveau de


développement intellectuel, l'expérience montre qu'on peut trouver des
espaces de compétences ou, à défaut, d'émergences que l'on pourra
exploiter pour le projet d'accompagnement.
Maintenant, vous pouvez prendre la route :

Automobilistes ordinaires dans le pays réel, il nous arrive de perdre des


points parce que nous n'avons pas fait attention aux panneaux qui bordent la
route ! En pays autiste aussi. Il fait beau, on a envie d'aller pique-niquer et
nous voilà partis avec un groupe de jeunes autistes… mais, on a oublié de
regarder les panneaux, on a oublié qu'ils sont autistes et peut-être
lourdement déficitaires. Alors, les sorties de route sont fréquentes, les burn
out des conducteurs aussi. Le plus dur en pays autiste, c'est que les
mécanismes autistiques ne s'arrêtent jamais, même par beau temps !

Plus la personne
est déficitaire,
plus l'environnement
doit s'adapter.

Plus la personne est autiste,


plus l'environnement
doit être pré-vu
structuré
contenant

L'emploi du terme « mécanismes autistiques » a été imposé par la sécurité routière du


pays autiste. Il peut apparaître choquant car il donne l'impression de nier le côté humain
de la personne mais la sécurité routière tient à rappeler l'aspect automatique, brutal,
inéluctable rigide, répétitif, des troubles observables dans les trois registres : des
relations, de la communication et des comportements.
Trop d'accidents (dérapages, sorties de route, et même chocs frontaux) ont été
recensés en raison de l'obstination des accompagnants à imaginer que les personnes
autistes disposaient de la même souplesse et de la même facilité à associer les idées
que les personnes à fonctionnement ordinaire.

Priorité aux parents


Ce panneau traduit l'esprit
des textes officiels :
les professionnels doivent
céder le passage aux parents
qui ont la priorité sur eux.
Loi 2002-2 du 2/01/2002
rénovant l'action sociale
et médico-sociale.
Loi du 11/02/2005 pour l'égalité
des droits et des chances,
la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées.

La sécurité routière en pays autiste a constaté que le respect de ces priorités


progresse dans l'ensemble des pratiques mais qu'il tarde tout de même à
devenir un réflexe automatique dans la culture des établissements
spécialisés.
Dans les recommandations de la HAS et de l'ANESM, tout le monde est
transparent et plein de bonne volonté. Pourtant, sur le terrain, on voit encore
des acteurs qui pensent que « s'il n'avait pas des parents comme ça, je serais
un bon éducateur », ce qui est un des scénarios classiques des
professionnels de l'enfance. Globalement, les mentalités évoluent vers une
meilleure compréhension réciproque permettant une meilleure
collaboration. Mais cependant, les rapports parents-professionnels ne sont
pas dénués de conflictualité. C'est pourquoi les services officiels ont
implanté un deuxième panneau.

Ce panneau indique une route


prioritaire, celle choisie par les
parents, croisée par une route
secondaire empruntée par les
professionnels.
Quand les professionnels croisent
la route des parents, ils ne doivent
pas la couper !

Attention : ces deux panneaux donnant la priorité aux parents sont


également valables dans les accompagnements à l'âge adulte.
Au-delà des priorités légales et réglementaires ces panneaux permettent aux
professionnels de mieux connaître la personne accompagnée. Les parents,
en effet, sont les dépositaires de l'histoire de leur enfant, de son passage
dans différentes institutions, des réussites, des échecs, des réactions
habituelles, des goûts, des habitudes, y compris de tous les petits rituels qui
forment la vie quotidienne et dont l'ignorance peut déclencher de
spectaculaires crises comportementales.
Ces panneaux rappellent aux professionnels qu'ils s'inscrivent dans la suite
d'une aventure humaine singulière déjà engagée dans le cadre familial.
Tenir compte des observations des parents, des solutions déjà trouvées en
famille pour éviter les éclatements comportementaux, c'est se doter de
renseignements pour évaluer correctement la situation de la personne et
comprendre symboliquement la signification de beaucoup de ses conduites.

SUR LE VIF
Témoignage d'une mère d'un jeune adulte
J'avais appris dans un stage qu'en présentant un planning de la journée avec des images,
on obtenait une amélioration du comportement. En rentrant chez moi le soir, j'ai découpé
les images, je les ai collées pour que la journée soit visible en séquences. J'ai déposé le
carton sur sa table de nuit à gauche de son lit quand il dormait. Le matin, il l'a pris, l'a à
peine regardé et l'a jeté par terre en criant. J'étais un peu démoralisée et puis, je me suis
aperçue que si je punaisais le planning à droite de son lit sur le mur (et que je ne le posais
pas à gauche sur la table de nuit), au contraire, il le regardait avec soin en se réveillant et
effectivement, était plus calme tout au long de la journée.
Quand il est entré dans un établissement résidentiel, je l'ai dit aux éducateurs Ils n'ont pas
voulu m'écouter et ont accroché le planning à gauche parce que la chambre était déjà
organisée comme ça. Ils ont eu une crise chaque matin…
Au bout d'un mois, ils ont changé le lit de place pour qu'il y ait la possibilité de punaiser le
planning sur le mur à droite. Et retrouvant son rituel, il a pu utiliser son emploi du temps et
les crises ont cessé.

Savoir où on va
Le panneau « circulation à sens
unique » a été choisi pour
rappeler que l'évaluation
débouche sur des exercices
orientés vers l'acquisition
de la meilleure autonomie
possible, ce qui représente
souvent, surtout pour les niveaux
déficitaires, la moindre
dépendance possible.

Les textes officiels recommandent de donner aux parents des comptes


rendus écrits (bilan des évaluations), et de les informer du projet
personnalisé. C'est très bien ! Partager les opérations d'évaluation avec les
parents au sein de l'équipe qui va accompagner leur enfant, c'est encore
mieux !
Les professionnels utilisent les résultats des évaluations fonctionnelles pour
inventer des exercices visant à développer les capacités de la personne (ou à
les maintenir pour empêcher la disparition des acquisitions). Les parents ont
des priorités qui dépendent de la vie familiale et de leurs valeurs
personnelles. L'ajustement de ce que pensent pouvoir faire les
professionnels et de ce que les parents veulent obtenir, est un processus à
rechercher.

SUR LE VIF
Témoignage personnel d'un pédopsychiatre…
Je me dégageais du temps pour être présent avec la maman, quelquefois le papa (mais il
faut bien le dire, c'était le plus souvent la mère qui s'y collait), ainsi qu'avec la
psychologue, derrière une glace sans tain et nous observions directement l'enfant et
l'éducatrice qui lui faisait passer l'évaluation fonctionnelle (le plus souvent un PEP). Nous
commentions nos impressions à chaud en chuchotant car il ne fallait pas que l'enfant se
doute de notre présence. Je constatais souvent qu'après les premiers items, l'enfant
s'agitait. La structure même du test permettait d'obtenir peu à peu l'apaisement du
comportement de l'enfant car l'éducatrice n'insistait jamais sur les items sur lesquels il
échouait et il se rassurait par la réussite. La mère constatait donc les échecs et les
réussites. Nous insistions beaucoup sur les émergences, c'est-à-dire les endroits où
l'enfant paraissait intéressé sans vraiment réussir. Par exemple, un des items consistait à
appuyer sur une sonnette dans le style de celles qu'on voit dans les hôtels des westerns.
Si l'enfant portait l'objet à sa bouche ou semblait ne pas le voir, l'éducatrice faisait
disparaître l'objet pour éviter que l'enfant ne soit confronté à l'échec. Si au contraire,
l'enfant se servait de l'objet correctement, l'éducatrice le félicitait mais ne cotait pas le
résultat puisqu'il savait le faire. Il ne servait à rien de prévoir des exercices sur cette base.
En revanche, si l'enfant regardait latéralement et furtivement la sonnette, semblait, du
moins par moments, s'y intéresser, approchait et reculait la main, l'effleurait, parfois dans
un mouvement très rapide (Kanner avait appelé ça le signe du cube brûlant), alors
l'éducatrice notait une émergence. Il était possible, ensuite, en discutant avec la mère, de
voir dans quelle situation l'enfant aurait à appuyer sur des boutons. L'éducatrice pourrait
ensuite inventer des exercices pour lui apprendre à gagner en autonomie dans la vie
quotidienne.

Conduite accompagnée obligatoire

Cet autocollant doit être apposé


sur toutes les actions menées
en pays autiste.
Les personnes autistes souffrent
d'une déficience du sens social.

Les enfants ordinaires apprennent les codes sociaux, les convenances, sans
s'en rendre compte. Ils développent un sens social, ils sont sensibles aux
ambiances relationnelles et affectives, tout comme les adultes dotés d'une
bonne santé mentale.
De tout cela, les personnes autistes, quel que soit leur niveau de
développement, sont dépourvues.

« Ce dont j'ai besoin, c'est d'un manuel d'orientation pour extraterrestres (…) D'une
certaine manière, je suis très mal équipé pour survivre dans ce monde. » Jim Sinclair,
1993.

« Le plus dur pour soutenir ma thèse de philosophie n'était pas de répondre aux
questions perfides du jury pendant six heures mais d'organiser le pot après le passage
de thèse, épreuve dont je me suis abstenu. » Josef Schovanec, Je suis à l'est, Plon
Éditions, 2012.

Les choses se compliquent avec l'adolescence et la nécessaire utilisation


d'un jeu de nuances dans les codes relationnels entre personnes sexuées.
Comment aborder l'autre sexe est une question que se posent tous les
adolescents mais elle devient un casse-tête angoissant, source d'isolement
social et de phobies chez les personnes TED.
Pour aider les personnes TED à résoudre « ces équations sociales » (J.
Schovanec), les accompagnants se transforment en décodeur social et
proposent des activités spécifiques selon le niveau des personnes :
➲Chez les personnes de niveau déficitaire, il faut enseigner de manière
un peu mécanique les conduites à tenir selon les situations sociales : par
exemple dans un magasin, on entre, on dit bonjour, on attend son tour, on
demande ce qu'on vient acheter, on repart sans toucher aux autres objets,
etc.
➲Chez les personnes de bon niveau (syndrome d'Asperger), il va falloir
apprendre aussi les codes sociaux car malgré leur capacité langagière et leur
intelligence, ils comprennent difficilement le jeu relationnel, en particulier
dans les cours de récréation à l'école ou dans les situations non structurées,
par exemple attendre l'autobus scolaire, la visite d'amis des parents à la
maison, invitation à un anniversaire. Ces difficultés les rendent vulnérables.
Ce sont souvent des enfants et des adolescents harcelés par les autres,
moqués, voire violentés. Cet apprentissage des habiletés sociales, cette
éducation aux conduites relationnelles, vont être moins mécaniques que
pour les bas niveaux mais vont nécessiter beaucoup de répétitions dans des
situations de jeux de rôle. Diverses techniques sont utilisées : étude
d'images fixes, utilisation de vidéo interactives pour ces apprentissages de
scénarios sociaux.

SUR LE VIF
Autiste de 8 ans…
Il voulait « des amis ». Il clivait les différents environnements et considérait qu'on ne
pouvait pas se faire d'amis à l'école où il allait quelques matinées par semaine, ni à l'IME
où il venait les autres jours.
Ses parents ont trouvé un centre aéré en lui disant : « Là, tu pourras te faire des amis. » Il
s'est précipité sur un ou deux garçons et leur a demandé « Veux-tu devenir mon ami ? (ce
que lui avaient appris ses parents). Au garçon qui a répondu « oui », il a administré une
gifle retentissante.
Le plaisir et l'excitation d'avoir un ami s'étaient traduits par ce geste impulsif !
On voit bien toutes les conséquences du manque de sens social spontané et toute la
nécessité de chercher à comprendre la signification du comportement par rapport aux
mécanismes autistiques, et non pas par rapport au sens commun.
Il n'y avait aucune agressivité à l'endroit de l'ami qu'il recherchait, seulement un manque
de contrôle émotionnel au moment où il ne fallait pas !

Ceinture de sécurité

Dès que vous prenez la route


en pays autiste, ce voyant
lumineux clignote et vous rappelle
qu'il faut prendre des précautions
quand on est en interférence
avec une personne autiste.
Quand une personne non autiste accompagne une personne autiste, leur duo
peut se transformer facilement en duel. C'est une chose bien connue dans
les familles. L'enfant accapare assez volontiers sa maman ou sa grande sœur
et les autres membres se sentent exclus, en particulier le papa. Ils ont du
mal, comme disent les psychologues, à trianguler cette relation. Il en est de
même dans les équipes. Quand plusieurs éducatrices s'occupent d'un groupe
d'enfants autistes, il n'est pas rare qu'un des enfants « élise » une éducatrice,
la choisisse avec exclusivité, vienne se coller à son corps et semble ignorer
l'existence des autres adultes. Pour peu que cet enfant soit très difficile dans
ses comportements, les autres membres de l'équipe ne sont pas
nécessairement mécontents de l'élection de cette collègue.
Cette situation en miroir entre la famille et l'établissement rappelle qu'il faut
essayer – autant que possible – d'empêcher ces collages en duo et toujours
essayer d'ouvrir la relation comme on essaie de généraliser les centres
d'intérêt. Sinon, le duo formé tourne au duel et dans ce duel, les
mécanismes autistiques gagnent le plus souvent sur les fonctionnements
normaux.

SUR LE VIF
Témoignage d'une éducatrice…
Après ma journée de travail, je n'arrive plus à penser, j'ai la tête prise par ce gamin qui m'a
intriguée toute la journée. Je suis vidée, lessivée, je n'arrive plus à être présente pour mes
enfants. J'ai non seulement l'impression d'avoir tout donné mais qu'il m'a aussi tout pris.
C'est curieux, ça ne me faisait pas ça quand je travaillais avec des trisomiques… Ils me
fatiguaient mais ce n'était pas pareil.

SUR LE VIF
Témoignage d'une mère…
À cette époque, il prenait toute la place dans mon esprit, dans ma famille, dans ma vie, je
me sentais coupable vis-à-vis de mon mari, de son petit frère et de sa sœur. Je devenais
agressive, je n'arrivais plus à m'endormir. J'étais comme possédée par l'autisme de mon
fils.

Les mécanismes autistiques ont fréquemment quelque chose de vertigineux,


d'excessif. Ils poussent les personnes ordinaires à la limite de leurs limites !
Les répétitions sans fin, les obsessions épuisantes, les entêtements insensés,
finissent par prendre les accompagnants dans une spirale de quotidienneté
épuisante. Ils sont happés, sucés, dévorés, cannibalisés. Celles et ceux qui
s'occupent d'autistes sont occupés (et préoccupés) au plus profond de leur
propre psychisme par les effets des mécanismes autistiques. Selon leur
personnalité préalable, ils réagissent à cette invasion comme ils peuvent. En
exagérant un peu, on pourrait dire qu'il y a quelque chose de contagieux
dans le phénomène autistique.
Les textes officiels évitent toute description de ces situations conflictuelles
qui virent souvent à la violence chez les personnes TED et au rejet, à la
dépression et au burn out chez les accompagnants. Raison de plus pour que
le code en pays autiste exige d'attacher sa ceinture de sécurité.
Prendre en compte ces situations dangereuses consiste à s'imposer, en tant
que parent ou professionnel, une série d'obligations qui permet d'éviter, ou
du moins d'endiguer, les difficultés : échanges d'informations, d'impressions
dans le couple parental, avec les frères et sœurs, et dans les réunions
régulières d'ajustement dans les institutions. Ces efforts conduisent à une
réévaluation du positionnement des uns et des autres. Ils sont difficiles,
engagent les convictions des participants. C'est un domaine où
contrairement à ce que répètent les médias, les approches des
psychanalystes peuvent considérablement aider les familles et les
accompagnants.

Limitation de vitesse

Ce panneau de limitation
de vitesse indique tout
simplement qu'il faut tenir compte
du Quotient de Développement.

C'est une mesure de respect de la personne qui permet de rendre les


interventions plus efficaces. Pour obéir à ce panneau, il ne faut pas trop
tenir compte de l'âge réel qui amène parfois à oublier les capacités de la
personne et ses limitations.
La tendance naturelle des personnes ordinaires est d'aller trop vite avec les
personnes autistes. C'est pourquoi la sécurité routière en pays autiste
propose un autre panneau :

Le panneau « interdiction
de doubler » signifie qu'il ne sert
à rien d'aller plus vite que ne le
peut la personne accompagnée.

Des études expérimentales ont montré que le balayage oculaire des


personnes autistes était plus lent que celui des personnes ordinaires. Il ne
s'agit pas d'une question d'intelligence mais de traitement des informations.
Ce fonctionnement particulier nécessite que les situations soient présentées
avec une certaine lenteur et, si possible, sans surcharge en langage articulé.
Devant l'entêtement des personnes ordinaires à ne pas tenir compte de ces
panneaux fixes, la sécurité routière a mis en place des radars pédagogiques.
Les radars pédagogiques
rappellent que le décalage entre
la vitesse des personnes
normales et celle des personnes
autistes est lié à une double
limitation.
➲ Limitation due aux mécanismes autistiques : difficultés pour
hiérarchiser les informations venues de l'environnement, pour
organiser la réponse après la perception (mauvais couplage
action/perception) auxquelles s'ajoutent les troubles de la
communication.
➲ Limitation due au déficit intellectuel : à lui seul, il peut aussi
expliquer la lenteur de compréhension, d'élaboration et de réalisation
des actions demandées.

SUR LE VIF
Témoignage d'une mère…
Quand il pleut dehors et que nous devons sortir, j'ai remarqué qu'elle peut s'équiper de
façon adaptée à condition que je ne lui donne pas les consignes ensemble.
Si je lui dis, mets tes bottes, ton pull et ton anorak, elle va rester sans bouger dans
l'entrée, et même parfois elle ouvrira la porte et sortira en chaussons sous la pluie.
Si je prends le temps de dire « mets tes bottes » en lui montrant l'image et si j'attends
qu'elle les ait mises pour dire alors « mets ton pull » et répéter ensuite « avec l'anorak »,
elle s'équipe toute seule et ne sort qu'après s'être habillée correctement.
4.3. Le code de la route dans le trépied
symptomatique
A – Se conduire dans la traversée des troubles
de la relation

Une route clairement balisée

La signalisation de la route à suivre est simple, si possible


à signification unique.

➲Priorité au pré-visible : le meilleur procédé pour anticiper les


événements et diminuer la peur de l'imprévu, est de disposer la signalisation
de telle sorte qu'elle soit toujours sous le regard de la personne.
➲Anticipation : exactement comme sur la route ordinaire, l'anticipation de
ce qui va se produire permet d'éviter l'accident. En ralentissant quand je sais
que je vais rencontrer un obstacle, je prévois l'imprévu.
La signalisation cherche à compenser (au moins partiellement) les troubles
de la sensorialité qui brouillent la perception des informations venues de
l'environnement car la personne autiste ne peut pas les hiérarchiser.

Les panneaux rendent l'environnement compréhensible d'un seul


coup d'œil. Ils donnent du sens à ce qui se passe autour de la
personne .

Le début et la fin des activités sont


matérialisés par des feux tricolores
présentés en images ou en véritable
objet avec éclairage pour les niveaux
les plus bas.

Les connaissances actuelles insistent sur le risque de l'imprévu (même


minime) qui peut déclencher des crises comportementales. Un paradoxe en
découle : prévoir l'imprévu pour éviter les éclatements comportementaux.
L'expérience montre le bien-fondé de cette position, du moins en principe.
Dans la réalité, on diminue la fréquence, l'intensité, la durée des crises, mais
on ne les fait pas disparaître. Contrairement aux discours des vendeurs de
miracles, il peut survenir des crises comportementales sans que nous
puissions comprendre quel a été le facteur déclenchant.

Les obstacles sur la


route sont, autant
que possible,
anticipés par
les accompagnants
et signifiés à l'aide
de panneaux
visuellement
compréhensibles.

Les objectifs
des actions
proposées,
des exercices
de travail,
des loisirs,
sont signalés
sans ambiguïté

Dans une certaine mesure, ce codage visuel du plus d'éléments possibles


dans le monde environnant vise aussi à compenser les déficiences de
compréhension des indices sociaux.
Dans les établissements spécialisés, un effort est mené par les
accompagnants pour étiqueter les espaces, les objets. Sur les portes sont
plaquées des images qui signifient clairement l'activité prévue dans la pièce
correspondante… Selon le niveau des personnes accueillies, cet étiquetage
va jusqu'aux détails les plus évidents pour les personnes ordinaires. Par
exemple, au-dessus d'un lavabo, on apposera des images séquentielles
indiquant les différentes étapes du lavage des mains ou des dents.
Toute la question est de savoir jusqu'où il faut créer ainsi des univers
protégés. Cela dépend des panneaux qui bordent la route : triangles
indiquant l'intensité des mécanismes autistiques et ronds indiquant la
hauteur du développement intellectuel. L'objectif est d'aider les personnes à
vivre dans le pays réel. Il faut se méfier de notre envie de les voir
fonctionner comme nous. On pourra estomper les signalisations si la
personne est suffisamment rassurée mais il faudra les remettre dès que nous
la sentirons angoissée. Dans certains cas que j'appelle de « double peine »
(très haute intensité de l'autisme sur les panneaux triangulaires et très faible
hauteur du développement mental sur les panneaux ronds), l'estompage ne
sera jamais possible. Seul l'environnement toujours structuré, permettra à la
personne d'agir un peu sur le monde.
Ces approches par environnement structuré ne sont pas sans rappeler celles
que nous trouvons ordinairement pour les enfants en petite section de
maternelle.

SUR LE VIF
Parcours à vélo en pays autiste…
Un accompagnant aimait beaucoup le vélo. Il motivait les jeunes (âge 18-22 ans) pour
cette activité mais leur intensité de troubles autistiques et leur niveau de développement
rendaient les balades en groupe quasi impossibles. Après avoir lu le code de la route, il a
décidé d'anticiper l'activité. Autour d'une table, les adolescents se réunissaient,
regardaient la carte dépliée où l'itinéraire était indiqué. L'accompagnant avait collé les
photos des adolescents et la sienne sur des petits bâtons eux-mêmes liés à des petits
cyclistes en plastique. On rendait ainsi pré-visible le peloton qui allait se former et l'ordre
dans lequel il allait se mettre. Il avait également pris des photos des principaux passages :
devant Intermarché puis devant la minoterie, devant la base de loisirs, le retour avec
passage le long de l'étang et devant le parcours sportif. Ensuite, le groupe partait en
promenade mais il arrivait toujours des imprévus que ni les photos, ni le parcours
n'avaient pu indiquer : des travaux, un embouteillage lié à un camion en panne.
L'excitation du groupe montait vite, alors l'accompagnant photographiait l'incident avec un
appareil numérique. Revenu au SESSAD, il remettait les adolescents autour de la table et
de la carte. On racontait, même si on n'avait pas de langage, ce qui était arrivé avec les
petits vélos en plastique et les photos. L'accompagnant avait réussi à donner la priorité au
prévisible jusqu'à prévoir les imprévus. Les jeunes en ont alors profité pour vivre une
activité qui les a rendus plus confiants en eux-mêmes.
Passer par ses mécanismes et ses possibilités

Ce panneau de sens obligatoire


ordonne aux accompagnants
de passer par les mécanismes
autistiques et le niveau
de développement pour n'importe
quelle activité partagée avec
une personne autiste.

Accepter le sens obligatoire ne limite pas les possibilités d'action des


accompagnants. Au contraire, c'est une invitation à la créativité parce qu'il
faut inventer des exercices visant la meilleure autonomie possible en
passant obligatoirement par les mécanismes handicapants. Comme
l'architecte, le projet se construit avec des contraintes, des limitations, des
obligations. Mais cela stimule la créativité !

Le respect du sens obligatoire permet d'éviter les désillusions des


accompagnants, voire parfois les rejets quand les personnes autistes
s'entêtent à ne pas se conformer aux désirs réparateurs de leurs
accompagnants. Au lieu de s'imaginer que l'enfant ou l'adulte ne veut pas
faire, ils vont chercher comment inventer une situation qui aura
suffisamment d'intérêt pour entrer en concurrence avec les stéréotypies
répétitives qui agitent la personne.
Pas d'explications inutiles

Accompagnants : arrêtez-vous !
Arrêtez de surcharger votre message
avec des explications qui provoquent
le contraire de ce que vous voulez !

À chaque fois que vous ajoutez des informations à votre consigne, vous la
rendez plus difficile à déchiffrer. Quand vous voulez expliquer, vous
rajoutez des détails et la personne TED ne sait plus trier, hiérarchiser,
retenir l'essentiel du message.

SUR LE VIF
Vous souhaitez qu'il s'asseye sur une chaise…
Vous lui dites : « Assieds-toi sur cette chaise ». Il ne bronche pas, ne réagit pas.
Quelquefois, il vous regarde et vous pensez qu'il est interrogateur. Vous décidez
d'expliquer votre consigne : « Tu sais, il faut être assis pour pouvoir travailler avec tes
deux mains, sinon tu seras fatigué. » Il vous dit « non ». Vous pensez qu'il ne veut pas
s'asseoir mais lui n'a retenu que « fatigué » dans tout le message. Il vous dit simplement
qu'il n'est pas fatigué.
Vous vous énervez car l'heure tourne : « Je t'ai déjà dit de t'asseoir. » Toujours pas de
réaction.
Vous vous énervez davantage : « Cela fait cent fois que je te dis de t'asseoir, tu es sourd
ou quoi ! » Il vous répond encore « non » car il sait qu'il n'est pas sourd.
On peut continuer l'exemple longtemps…

Dans cet exemple, si la sécurité routière passe par là, vous allez perdre des
points ! Non seulement vous n'avez pas respecté le panneau « Stop aux
explications inutiles » mais vous avez prêté à cet enfant des intentions (il ne
veut pas s'asseoir), des interprétations relationnelles (il m'en veut, il me
refuse). Vous n'avez donc pas respecté le panneau suivant : « Sens interdit
aux interprétations projectives. »
Sens interdit aux interprétations projectives

Ce panneau est impératif.


Ne prêtez pas aux personnes
TED des intentions cachées !

Les personnes autistes ne sont pas très performantes, ni dans la


dissimulation, la ruse, le mensonge ou les manipulations relationnelles ; ni
dans l'imagination et les associations d'idées. Cela les rend désarmantes de
franchise et leur comportement est souvent plus logique que vous ne le
croyez.
S'il faut chercher pourquoi il ne vous obéit pas, pensez d'abord à sa façon de
penser : il n'a peut-être tout simplement aucun intérêt pour ce que vous lui
demandez et comme il n'a pas le sens social de la politesse, il ne voit pas
pourquoi il vous répondrait. D'autre part, souvent, il pense qu'il ne va pas
pouvoir le faire. Ce n'est pas qu'il ne veut pas, c'est qu'il ne peut pas (ou que
des expériences malheureuses précédentes lui font douter de pouvoir). Il se
demande par exemple comment entamer l'action, dans quel ordre
l'entreprendre et cela suffit à le paralyser, même si votre demande était très
simple.
Il ne fait pas ce que vous lui avez demandé ? Interdisez-vous des réflexions
du genre : « Il ne veut pas », « Il s'oppose à moi », « Il le fait exprès pour
m'ennuyer ».
Interdisez-vous aussi toutes les pistes qui vous emmènent sur le terrain des
relations, du genre : « Il s'oppose. » Tout cela vous mènera à l'impasse parce
qu'en pensant à de telles interprétations, vous oubliez qu'il fonctionne en
autiste.
Pour faire une inter-prétation, il faut être dans l'inter-subjectif avec au
moins deux personnes qui fonctionnent de façon à peu près identique dans
leur psychologie. Quand une personne à fonctionnement normal, associatif,
imaginatif, prête à une personne autiste des intentions imaginatives, des
stratégies intuitives, on est dans « le prêt », je dirais dans la « prêtation »,
mais pas dans l'inter-prétation. Il arrive qu'on puisse être dans l'inter-
subjectif avec une personne autiste mais c'est rare et cela nécessite un
environnement particulier, neutre, connu, ritualisé, rassurant.
La différence assez fondamentale entre le fonctionnement des mécanismes
autistiques et le fonctionnement psychique « normal » (les autistes
intelligents appellent notre fonctionnement : « neurotypique ») est
particulièrement bien exposée dans un petit roman écrit par Mark Haddon,
un éducateur anglais devenu écrivain. Dans un texte présenté comme si un
adolescent autiste de bon niveau en était l'auteur Le bizarre incident du
chien pendant la nuit, l'action amène ce jeune homme à déclencher toute
une série de réactions affectives et relationnelles autour de lui. Il en a
conscience, il peut les décrire mais il ne peut pas – le texte le montre très
bien – interpréter les discours, comprendre l'intentionnalité des attitudes,
entrer dans des échanges symboliques et entendre les non dits.
On considère que les autistes sont peu capables d'empathie et qu'ils ont du
mal à deviner ce que l'autre ressent ou pense. Ils n'ont pas spontanément de
« théorie de l'esprit »… de l'autre, c'est-à-dire une théorie de l'esprit
ordinaire.
En prêtant aux autistes un fonctionnement comparable au leur, les gens
ordinaires montrent de leur côté qu'ils sont dépourvus d'une théorie de
l'esprit autiste !

Comme on ne peut pas les empêcher d'interpréter et d'imaginer (c'est une


activité qui ne cesse jamais chez les personnes ordinaires puisqu'elle se
poursuit même dans les rêves), la sécurité routière du pays autiste s'est
contentée d'insister sur la nécessité de choisir la grille d'interprétation qui
réfère aux mécanismes autistiques et non au vécu personnel des
accompagnants.
Il est amusant de constater que l'activité interprétative dans la représentation
profane la plus simple est classiquement dévolue aux psychanalystes. On
peut dire que les interprétations ont été longtemps leur fonds de commerce.
Le panneau « sens interdit aux interprétations projectives » vient rappeler
toute la vanité de rechercher un sens commun derrière des comportements
en prêtant à ces personnes le même type de fonctionnement et de
motivations que ceux des personnes ordinaires.

Ne les laissez pas s'enfermer !

Cette interdiction de stationner signifie


aux accompagnants qu'ils ne doivent
pas accepter que la personne reste
enfermée dans des attitudes
répétitives et stériles .

SUR LE VIF
Il a 19 ans, il mesure 1,85 m, c'est un impressionnant zaïrois
bien charpenté…
Nous lui apprenions à prendre les autobus… Grâce à l'appui sur le visuel, à la
séquentialisation des actions, il arrivait assez bien à enchaîner les actions nécessaires
pour cette activité d'autonomisation. Mais, ces autobus, surtout aux heures où nous
l'entraînions, servaient de transport scolaire et le jeune homme fixait les collégiennes se
dirigeant assez électivement vers celles qui, à nos yeux de personnes ordinaires,
paraissaient les plus désirables… Bref, il nous semblait intéressé par les filles ! Et quoi de
plus naturel (pour nous) puisqu'il avait 19 ans et qu'il était, comme on dit, dans la force de
l'âge. Il s'approchait jusqu'à quasiment se coller à elles. Il ne parlait pas mais les fixait du
regard intensément. Cela provoquait évidemment (évidemment est ici déjà une
interprétation de neurotypiques) des réactions de la part des collégiennes, du genre « tu
veux ma photo » quand ce n'était pas un rejet plus vulgaire et plus direct « casse-toi de là
le bonobo ».
Nous avons mis du temps à nous dégager de notre interprétation spontanément
sexualisée. Il ne s'agissait pas d'un intérêt génitalisé pour les jeunes filles ! Nous nous en
sommes rendu compte quand nous avons observé le même comportement de fixation du
regard, d'attirance, d'approche, de désir de coller à l'objet… à propos des chromes de
voitures qui fascinaient le jeune avec la même intensité que les jeunes filles. Et,
finalement, nous avons compris que dans les jeunes filles (et pour cela la mère nous a
aidés par ses observations), c'était les reflets des chevelures qui intéressaient le jeune, et
non pas la personne sexuée.
Pour rester dans la perception du monde de cet adolescent, nous lui avons enseigné la
distance socialement admissible en le dotant d'un mètre en bois que nous avons scié à
60 cm pour lui signifier que c'était la distance qu'il fallait respecter. Il a pu prendre
l'autobus tout seul quelques mois plus tard, toujours attiré par les reflets des chevelures,
mais à distance supportable pour les filles normales !

Quand une personne autiste « stationne dans son autisme », cela veut dire
qu'elle s'isole, s'absorbe dans ses stéréotypies, répète sans cesse des
comportements qui ne l'aident en rien à s'intégrer dans le pays réel.
Ces comportements, souvent d'autostimulation sensorielle, lui apportent
cependant un certain apaisement et il n'est pas conseillé de les bousculer
avec trop d'énergie.
Mais, il ne faut pas non plus la laisser s'y complaire car elle sera obligée, de
toute façon, de vivre dans notre monde et donc d'abandonner les horreurs –
ou les délices, qui sait ? – du monde autistique.

« La pire maltraitance que l'on puisse faire à une personne autiste est de ne pas
l'éduquer et de la laisser croupir dans son autisme. »
Stanislas Tomkiewicz

Une erreur fréquente est de prendre pour un refus ce qui n'est qu'une panne
de starter. Il est très fréquent que les personnes TED ne sachent pas
démarrer une activité, fréquent aussi que les accompagnants croient qu'ils
refusent alors qu'un signe simple les aiderait à démarrer.

SUR LE VIF
Témoignage d'un père…
Mon fils est capable de faire beaucoup de choses. Il est vrai qu'il ne parle pas mais il sait
lire. Il est même passionné par la revue Géo et il sait plus de choses en géographie que
son grand frère dont il lit les livres scolaires. Mais souvent, il s'arrête au milieu de la
lecture et même quelquefois pendant le repas, au milieu d'un plat. Je l'ai même vu arrêter
sa cuillère entre l'assiette et sa bouche comme s'il était en panne. On lui a fait des
examens, ce ne sont pas des absences épileptiques. Sa mère le fait repartir par une petite
tape sur le coin de la table ou sur le haut de sa tête.
C'est comme s'il fallait le réinitialiser plusieurs fois par jour !

B – Se conduire dans la traversée des troubles


de la communication

Comment se comprendre symboliquement ?

Comment communiquer ?
La notion de communication
On ne peut pas ne pas communiquer disait Watzlawick, un psycholinguiste
américain de l'école de Palo Alto dans les années 1970. Les êtres humains
communiquent symboliquement. Sur l'image ci-dessus, vous voyez que si
les conducteurs des trois voitures n'ont pas en commun un code symbolique
(celui de la priorité à droite dans le pays réel), le carrossier du village voisin
risque d'avoir du travail.
Les autistes sont des êtres humains : ils communiquent. Les définitions
officielles du trépied parlent « de troubles de la communication » et
s'attardent sur le langage. Le langage articulé n'est toutefois pas le seul
médium de communication. Bien avant de savoir parler, nous
communiquons, comme tous les êtres vivants, avec notre environnement.
Par le biais de capteurs sensoriels dont nous sommes équipés, nous
recevons par nos cinq sens les flux qui nous traversent : force de pesanteur,
sons, odeurs, goût, images, touché. Nous avons la capacité, depuis tout
petit, de réunir à l'intérieur de nous ces informations entre elles, c'est ce que
les savants appellent l'inter-modalité. De plus, les études de psychologie
développementale faites sur les bébés depuis les années 1980 ont mis en
évidence un couplage perception/action. Autrement dit, nous répondons à
ces flux sensoriels par une analyse intérieure des messages et par une
organisation motrice qui, selon sa maturation, nous adapte aux flux reçus.
Quand un bébé entend la voix de sa mère, il tourne sa tête vers elle, il croise
son regard et dès qu'il peut, il sourit et se montre intéressé par ce visage
changeant.
Les observations des bébés nous prouvent que notre corps est notre premier
instrument de communication. C'est aussi le terrain où s'enracinent nos
sentiments qui s'expriment au tout début de notre vie par des variations de
tonus et de postures. La construction du corps par les bébés qui risquent de
devenir autistes ne se fait pas selon les mêmes lignes de développement, les
mêmes stratégies, que les bébés ordinaires.
Pour qu'apparaisse le langage, il faut qu'il existe une certaine conscience de
son corps et de son corps en interaction avec les autres de l'espèce, et
surtout nos mères. Tout cela se fait dans un « format » (J. Bruner) où notre
corps est porté par l'adulte (Winnicott), en organisant des spirales de
transactions (Lebovici) à la fois concrètes, imaginaires et symboliques entre
le bébé et sa mère. Ce processus est distordu dans les modalités de
maturation autistique.
Les conditions préalables à l'émergence du langage ne sont pas toujours
réunies, d'où l'importance de s'appuyer sur des mécanismes perceptivo-
moteurs d'avant le langage, par exemple l'imitation, et d'aider l'enfant à agir
dans l'espace pour construire sa personnalité. C'est pourquoi les abords des
troubles de la communication bénéficient souvent d'approches
psychomotrices, ce qui est quelquefois mal compris des parents qui veulent
à tout prix que l'enfant acquiert d'abord le langage. Sans être dogmatique, il
est nécessaire d'articuler le travail des orthophonistes et celui des
psychomotriciens pour aider à mieux communiquer.

La fonction symbolique : une histoire bien compliquée

Ce tableau
de Magritte
exprime toute la
complexité
de la fonction
symbolique
(« sémiotique »,
disait le grand
psychologue
J. Piaget)
indispensable
à une bonne
communication
humaine.

Sur ce tableau, le peintre a peint un objet. L'image de cet objet est sur la
peinture. Cette image représente une pipe et n'est pas l'objet pipe lui-même.
Pour souligner cette différence entre le signifié (l'objet pipe) et le signifiant
(le tableau de la pipe par le peintre), Magritte a ajouté une légende écrite.
Les personnes autistes ont pratiquement toutes d'importantes difficultés
pour accepter l'arbitraire du lien entre signifiant et signifié. C'est en effet un
code social et elles ont des problèmes avec les codes sociaux communs.
C'est un code que de dire une pipe s'appelle « une pipe » et non pas un
tabouret ou un escabeau. D'ailleurs, le code change quand on change de
langue et certains autistes à niveau intellectuel supérieur se focalisent sur
l'étude des langues.
Devant cette complexité, de très nombreux théoriciens se sont lancés dans
des explications intellectuelles d'un grand intérêt pour la gymnastique
neuronale de leurs lecteurs mais dont les retombées pratiques sont parfois
bien légères. De plus, l'habituelle inversion des pronoms personnels par les
enfants autistes qui utilisent très longtemps le « tu » à la place du « je », a
donné lieu à des discours interprétatifs aussi passionnants en théorie
qu'inefficaces en pratique.
Nous avons vu que les autistes sont en général peu à l'aise avec les jeux sur
le langage, les sens multiples d'un même mot, les jeux de mots. Tous ces
signes montrent leur difficulté avec la fonction symbolique.
L'outil : langage articulé

Le développement des
personnes ordinaires se fait
dans un premier temps (de la
naissance jusqu'à 2 ou 3 ans)
par des procédés non
langagiers.

Le bébé humain semble équipé pour imiter les mimiques faciales de ses
parents, pour jouer sur le tonus, les postures, les gestes afin d'entrer en
relation, de percevoir les messages de l'environnement (communication
réceptive), avant de posséder la maîtrise du langage. L'émergence de la
capacité de parler est précédée par le pointage du doigt des objets qui
l'intéressent (pointing protodéclaratif), puis peu à peu par l'acquisition des
capacités expressives, d'abord peu articulées, puis de mieux en mieux
maîtrisées sous la forme du langage articulé.
Pendant la première période du développement, l'imitation est un procédé
puissant de communication. Les travaux de Jacqueline Nadel l'ont très bien
démontré. Puis, une grande révolution s'opère autour de 2 ou 3 ans : l'enfant
acquiert un instrument nouveau : le langage articulé. C'est un moyen de
communication formidable qui lui permet de beaucoup mieux comprendre
les messages venus de l'environnement avec toutes les nuances (langage
réceptif), et peu à peu, de mieux exprimer lui-même sa volonté, sa pensée
vers l'environnement (langage expressif articulé, apprentissage de la langue
maternelle).
Des savants étudient le langage articulé : ce sont les linguistes. D'autres
étudient les relations du langage articulé avec la psychologie : ce sont les
psycholinguistes. D'autres enfin étudient les bases physiologiques du
langage : ce sont les phoniatres. Les psychologues développementalistes
étudient le développement de la communication et l'apparition du langage
articulé dans les premières années. Les orthophonistes, appelés
« logopèdes » dans certains pays francophones, s'occupent de la rééducation
des troubles du langage.
Dans tous ces domaines, les personnes autistes présentent des troubles, dans
la forme, le contenu, l'utilisation du langage et d'une manière plus générale,
des perturbations dans les modalités de la communication.
La sécurité routière en pays autiste simplifie ces problématiques
complexes

Elle propose même des slogans devant l'entêtement des accompagnants à


vouloir que les personnes autistes utilisent le langage articulé comme eux.
Ces slogans sont évidemment trop caricaturaux pour certains cas mais ils
sont pragmatiques et bien utiles dans la plupart des situations que vous
rencontrerez.
À ces slogans s'ajoute la signalisation en bordure de route qui s'impose
comme les précédentes.

La signalisation officielle

Le panneau « signaux sonores


interdits » est utilisé pour obliger
les accompagnants à ne pas
surcharger la personne autiste
d'informations sonores. Et c'est un
sacré challenge !

Les accompagnants sont des personnes ordinaires. Ils apprécient tous les
jours le bénéfice du bavardage : c'est un délice de savoir parler, de pouvoir
s'exprimer par le langage articulé. C'est le meilleur moyen pour évoquer des
présences de personnes absentes, de choses qui ne sont pas là maintenant,
des souvenirs. Cela permet à la fois d'être seul quand on se parle
intérieurement et d'être avec les autres quand on entretient un dialogue.
Cela permet de jouer sur les sens multiples des mots : sens concret et sens
imagé, et de s'en amuser beaucoup. Cela permet de mentir aussi (ce que
savent très mal faire les personnes autistes), et mentir ça permet d'être
assuré que personne ne viole son monde intérieur. Ça rassure beaucoup sur
son individualité, sa subjectivité.
Il est donc bien naturel que les personnes ordinaires aient envie de faire
profiter les personnes autistes de ce merveilleux instrument, et bien tentant
d'oublier qu'elles souffrent de Troubles Envahissants du Développement
qui, dès leur premier âge, ont perturbé les interactions et les
communications entre elles et l'environnement.
Pour rappeler aux accompagnants cette désagréable réalité, la sécurité
routière a rajouté le panneau ci-contre.
Ce panneau est un peu malicieux. Tous ceux qui connaissent les salles
d'activité d'un hôpital de jour ou d'un IME savent combien elles sont
bruyantes et surchargées de stimulations sonores. De plus, les éducateurs
formés à une certaine époque, à la fin du XXe siècle, ont appris qu'il fallait
fournir à l'enfant autiste « des bains de langage ».

Le panneau « Hôpital, silence »


exige que les accompagnants
contrôlent leurs émissions
verbales… pour en faciliter
la compréhension par les
personnes TED.

La position officielle actuelle exprimée dans les recommandations est très


exactement opposée. Elle considère que les difficultés des personnes
autistes dans le versant réceptif de la communication sont prioritairement
liées à leur déficience dans le filtrage des messages sensoriels sonores
venus de l'environnement. Les autistes sont comme les caméscopes
familiaux, ils captent tous les bruits et souvenez vous de votre surprise en
visionnant le film du mariage de votre cousine, on n'entendait que le vent
dans le micro. Les personnes autistes captent tous les sons de
l'environnement, il est donc conseillé aux accompagnants de filtrer, de
hiérarchiser les stimuli sonores pour rendre le traitement du message
langagier plus aisé.
Les accompagnants sont donc soumis à une injonction paradoxale : moins
parler pour que se développe une meilleure communication. Injonction
d'autant plus difficile à respecter que les personnes ordinaires sont vraiment
persuadées, et à juste titre, que le langage est le meilleur des moyens de
communication. C'est en diminuant le nombre de mots, en éradiquant autant
que possible la polysémie des signifiants utilisés, en faisant correspondre un
mot à une action et une seule, ou à une chose et une seule, en évitant autant
que possible les doubles sens métaphoriques, que nous pourrons mieux
nous faire comprendre.

Compenser les déficiences du langage articulé


Le panneau « direction
obligatoire à la prochaine
intersection » va nous servir
de guide : tout droit, c'est
le langage articulé ;
à l'intersection, c'est l'emploi
d'une communication
alternative où
les accompagnants vont
inventer des procédés
de compensation de
la déficience du langage
articulé.

Que de malentendus (c'est le cas de le dire !) seraient évités si les


accompagnants s'assuraient, par des procédés non verbaux, que leurs
messages langagiers sont bien compris.
On évitera les phrases trop longues, et ce n'est pas facile car il faut
démonter nos habitudes langagières pour les réemployer à la mesure de
chaque personne accompagnée. On ajoutera des gestes à la parole. Pour
demander à un enfant de s'asseoir, on montrera du doigt la chaise.

SUR LE VIF
Témoignage d'une éducatrice…
Elle est excédée. La répétition d'une séquence qui se termine par des excitations avec
flapping alors que l'enfant fait tomber exprès son crayon, a de quoi la mettre à bout…
Elle s'exclame : « Les bras m'en tombent. »
Aussitôt, l'enfant s'inquiète, se met à pleurer à chaudes larmes, et à coller au corps de
l'éducatrice en l'enlaçant. Il s'était cru responsable d'une double amputation !

Il n'est pas rare de constater d'étranges progressions qui cassent un peu nos
représentations d'un développement linéaire. Des jeunes qui savent à peine
parler, dont l'élocution est très difficile à comprendre, gênée par une
prosodie parasite, peuvent s'appuyer sur la gestuelle et comprendre les
situations. Pour d'autres, l'écriture est plus facile à utiliser que le langage.
En découpant les mots, l'écriture semble les aider à mieux se situer dans le
flux sonore permanent du langage.
➲Les techniques de communication augmentée sont utilisées
si le langage articulé existe, même de façon imparfaite
➲Les techniques de communication alternative sont utilisées si le
langage n'existe pas. On invente des procédés qui vont se substituer au
langage articulé en passant par d'autres canaux de communication : le plus
souvent visuels, parfois tactiles ou sonores. Aujourd'hui, différentes
techniques de communication alternative sont à la disposition des
accompagnants. Elles nécessitent le plus souvent, pour être maîtrisées, des
formations spécifiques en supplément au métier de base. Souvent, les
éducatrices non formées ont d'ailleurs inventé elles-mêmes des techniques
de compensation.
Tab. 4.1 Les techniques de communication alternative

➲ Technique P.E.C.S.
Picture Exchange Communication System (image et oralité)

➲ Technique Makaton
(oralité et langage des signes)

➲ Techniques utilisant des ordinateurs portables :


– Programmes d'images sur Smartphone
– Appareils type Go talk : l'appui sur les images
– Préalablement sélectionnées déclenche un message bref qui
compense la déficience en langage articulé
Ce type d'utilisation de machines électroniques et informatiques
tend à se développer.

C – Se conduire dans la traversée des comportements


autistiques
Que faire si la route devient orageuse ?

Les explosions comportementales

Le panneau intitulé « interdiction


de transport de produits explosifs
ou inflammables » rappelle
qu'à tout moment, l'équilibre
émotionnel et les conduites
comportementales des personnes
autistes peuvent éclater en crises.

Ces crises doivent d'abord être comprises. Ce ne sont pas des crises de
« colère », encore moins d'opposition. Ce sont des ruptures de régulation
émotionnelle qui mettent la personne et son entourage en grande difficulté.
On considère aujourd'hui que ces crises sont les conséquences des
changements ressentis dans la personne ou perçus dans l'environnement, qui
déséquilibrent la manière d'être de la personne.

Des troubles envahissants pour les accompagnants


Quand les personnes autistes
éclatent en crises
comportementales, il arrive que
les accompagnants soient guettés
par des sorties de route.
Il suffit parfois d'un détail pour que leur conduite se modifie du tout au tout
et qu'elles manifestent bruyamment leur malaise.
Dans ce cas, l'analyse des accidents montre la plupart du temps des facteurs
que l'on aurait pu éviter : objectifs trop grandioses, désadaptés aux moyens
personnels de l'individu et à son niveau d'autisme dont on a oublié les
mécanismes ; et surtout modification insuffisante de la position de
l'accompagnant qui peut être soit trop intrusif, soit trop indifférent.
Les parents et les accompagnants sont troublés. C'est peut-être pour cela
qu'ils baptisent ces conduites : « troubles du comportement ». Les
institutions ont vite fait de ne plus voir que les manifestations critiques. Il
arrive encore souvent, surtout chez les personnes déficitaires, qu'elles ne
soient considérées que sous l'angle de leurs troubles du comportement, de
leurs auto-mutilations, leurs cris, morsures, griffures qui effectivement, sont
difficiles à supporter pour les accompagnants. En fait, tout le monde
cherche à se protéger, alors que des modalités d'accompagnement adaptées
à la forme de pensée autiste auraient pu éviter une grande partie de ces
manifestations gênantes. On les appelle aussi « comportements problèmes »
ou « comportements défis ».
Dans ces cas, l'entourage est submergé et la sécurité routière insiste pour
des mesures préventives.

Prévenir la survenue des crises

Le panneau « risque
d'incendie » est utilisé pour
rappeler que certaines
situations perturbent le fragile
équilibre psychique intérieur
des personnes autistes.

Les personnes TED dépendent de l'environnement. Leur fonctionnement


psychique ne leur permet pas de mentaliser, de se re-présenter (processus de
symbolisation ; cf. le tableau de Magritte avec la pipe) les événements
extérieurs. Elles réagissent directement sur le mode comportemental au
moindre changement dans l'environnement.
Les études neurocognitives et développementales insistent sur les
déficiences de planification de l'action des personnes TED. Elles ont du mal
pour organiser le déroulement de leur action dans le temps. Elles ne
disposent pas (du moins spontanément car les accompagnants peuvent leur
apprendre à le faire dans des situations répétitives quotidiennes) de
fonctions exécutives performantes, et n'ont pas la possibilité de faire des
liaisons symboliques qui donneraient à leurs comportements une cohérence
organisée vers un but.
La sécurité routière, toujours pragmatique et simplificatrice, résume cette
situation des personnes autistes par un slogan que vous trouverez
fréquemment affiché au bord des routes :
Les plots en bord de route rappellent aux accompagnants qu'ils
doivent compenser par leurs actions extérieures ce que la
personne n'arrive pas à organiser par son fonctionnement de
pensée intérieur.

Les études de neuropsychologie développementale mettent l'accent sur la


déficience des fonctions exécutives et symboliques chez la plupart des
personnes TED. Pour compenser cette déficience, les accompagnants vont
tenter de matérialiser autant que possible les données abstraites de l'espace
et du temps.
Pour l'espace, nous l'avons vu, la structuration de l'environnement et sa
signalisation pré-visible peuvent compenser les déficiences en interactions
sociales. Pour le temps, et plus exactement pour la durée, la disposition du
matériel pendant les exercices peut contribuer à l'objectiver. Ainsi, Éric
Schopler structure les postes de travail de gauche à droite, propose de
déposer les exercices dans des boîtes que l'enfant ou l'adulte verra à gauche
quand elles sont à faire, au milieu quand on les fait et à droite quand elles
sont faites.
La sécurité routière en pays autiste conseille d'utiliser des appareils autres
que les montres pour matérialiser la durée.

Cet objet (Time-Timer) a été


ajouté au code de la route car la
matérialisation de la durée est
un élément rassurant, contenant
et calmant, permettant aux
personnes autistes les plus
déficitaires de mieux moduler
leur régulation émotionnelle, et
donc de prévenir, au moins en
partie, la survenue de crises
comportementales.

Pour compenser la déficience en planification de l'action, il est conseillé de


découper des activités en séquences discrètes et de les rendre visibles sur
des plannings affichés sous les yeux de la personne pendant les activités
proposées. Cette prise en compte de la pensée séquentielle est fortement
conseillée, particulièrement dans la méthode ABA (Applied Behavior
Analysis).
Le « séquentiel » ci-contre est un exemple de découpage du
temps en périodes personnalisées visibles et pré-visibles sur un
emploi du temps individuel. Ce procédé tend à se généraliser dans
les espaces où sont reçues des personnes autistes aujourd'hui. Ils
font partie de la signalisation globale de l'environnement.

On notera qu'il est nécessaire d'ajuster ces emplois du temps séquentiels au


niveau de développement des personnes. On utilisera des objets (en les
scratchant sur les emplois du temps) pour ceux qui ont le plus de difficultés
à se représenter la réalité. Puis, dans un ordre progressif, des photographies,
des dessins, et même des pictogrammes symbolisant objets personnes ou
situations, pour ceux qui ont accès à la fonction sémiotique. Dès que les
personnes ont accès à la lecture, et parfois c'est avant d'avoir la possibilité
de parler, des mots écrits sous les images, puis des listes écrites, indiqueront
la succession des actions venant compenser les déficiences dans leur
exécution.
Dans les meilleurs cas, ces outils peuvent progressivement se rétrécir
jusqu'à devenir des listes écrites sur des cartons dans les poches, mais
l'estompage complet est rarement possible. Il dépend de toute façon de
l'intensité des mécanismes autistiques.

Si la crise survient quand même

Le panneau « attention, travaux » est


utilisé dans ce cas pour rappeler aux
accompagnants qu'il n'y a pas de
solution miracle et que les crises
imposent de remettre en chantier tout
le processus d'accompagnement.

➲Identifier les facteurs déclenchants


Le plus souvent extérieurs : une modification de l'environnement.
Mais parfois intérieurs : douleurs corporelles mal localisées, d'où la
nécessité de penser d'abord à ce genre d'événement avant toute
interprétation psychologique.
Mais il peut s'agir aussi de manifestations d'angoisse, de troubles de
l'humeur, qui accompagnent si souvent les tableaux autistes.

➲Restructurer l'environnement car on croit en général qu'il est bien


structuré alors que les aléas de la vie quotidienne l'ont légèrement
désorganisé.
➲Réfléchir et poser des hypothèses en se mettant d'accord pour un
comportement de réponse cohérente, entre le père et la mère par exemple,
ou entre les membres d'une même équipe, afin d'éviter des confusions par
des réactions différentes selon les accompagnants.
➲Si l'on est complètement débordé par certaines crises comportementales
qui durent (et cela peut arriver), utiliser des grilles d'observation du
comportement pour éviter la subjectivité qui nous envahit dans ce genre de
situation.
➲En dernier recours, on peut utiliser des médicaments psychiatriques
en sachant qu'il n'existe pas de médicament efficace sur les mécanismes
autistiques eux-mêmes. Ils peuvent cependant contribuer à diminuer
l'excitation, l'agitation, à lutter contre la dépression thymique, à réguler
l'humeur.
➲Revenir aux priorités

Ce panneau annonce
le début d'une « route prioritaire
».

La priorité en cas de trouble, est d'examiner l'environnement pour trouver


en quoi il s'est modifié et de penser, comme dans le « Sur le vif » ci-après,
aux modalités de communication à employer pour que cet environnement
soit compréhensible avec les mécanismes autistiques et selon le niveau
développemental de la personne.

SUR LE VIF
Exemple d'un chantier de travaux…
C'était une bonne période. Il avait 9 ans, il était partiellement scolarisé. Il montrait de
l'appétence pour des acquisitions académiques comme la lecture, l'écriture, et développait
des centres d'intérêt socialement adaptés.
Son intensité d'autisme était importante (plus de 40 à la C.A.RS.). Son niveau de
développement le situait dans une zone légèrement inférieure aux performances obtenues
par les enfants du même âge.
Ce matin-là, en arrivant dans la salle d'activité, il s'est mis à crier, à se rouler par terre en
hurlant, la crise comportementale augmentant sans cesse malgré les diverses stimulations
des éducatrices déroutées.
Appelé en urgence, le médecin ne comprenant pas plus le comportement que les
éducatrices, décide de téléphoner à la mère pour savoir si des événements imprévus ont
eu lieu dans la famille. La réponse est négative. Il avait passé une bonne nuit, le matin
même il était calme en prenant le taxi qui l'amenait au centre.
Éducatrices, psychologue, médecin se sont mis à réfléchir et à éliminer les hypothèses
trop compliquées qui leur venaient spontanément à l'esprit. Était-il malade ? Avait-il mal
quelque part ? Était-il mécontent pour une raison psychologique que l'équipe cherchait en
vain ? Après un assez long temps d'errance dans les hypothèses, une éducatrice
remarqua que sa collègue qui était la référente du garçon était allée la veille chez le
coiffeur et se trouvait ce jour-là avec des cheveux courts alors qu'ils étaient longs
précédemment. Toute l'équipe s'enthousiasma pour cette hypothèse. Nous avions trouvé
la raison dans l'environnement, l'imprévu qui avait déclenché l'orage comportemental.
Aussitôt, le médecin d'un ton solennel, s'adressa à l'enfant pour lui dire « ton éducatrice
avait les cheveux longs, aujourd'hui elle a les cheveux courts, c'est un changement mais
tu dois l'accepter ». Ces paroles n'eurent aucun effet sur l'enfant qui continua à se rouler
en criant d'un mur à l'autre de la pièce alors que les autres enfants tentaient cahin caha de
continuer leurs activités, mais commençaient à s'agiter car tout le monde était perturbé.
Très déçue de l'absence de réaction à ce qu'elle pensait être l'explication du
comportement, l'équipe se laissait aller à la démoralisation.
Mais le travail sur un chantier de crise doit continuer. Notre analyse a dû être insuffisante.
Où nous sommes-nous trompés ? C'est alors que l'idée se fit jour : nous avions peut-être
trouvé la cause mais nous avions employé pour la rendre compréhensible à l'enfant, les
modalités du langage articulé. Certes, il parlait, il comprenait le langage, mais il était en
crise et dans ces conditions, il fonctionnait avec une priorité des mécanismes autistiques
qui lui rendait le langage articulé difficile à comprendre.
L'équipe décida alors d'employer un support visuel. Hâtivement, on dessina son
éducatrice avec des longs cheveux, le coiffeur avec de grands ciseaux sur une autre
image, puis l'éducatrice avec les cheveux courts. Comme l'enfant savait lire, on nota sous
les trois portraits ainsi rapidement griffonnés, le prénom de l'éducatrice.
Allongé sur le sol, il se roulait toujours, et pour être à sa portée, le médecin lui présenta
successivement les trois images. Il s'arrêta, les regarda pensivement puis se leva sans un
mot, calme, vint s'asseoir à sa table de travail et reprit les exercices là où il les avait
laissés la veille.
Ce panneau signale dans le code
de la route officiel : « Autres
dangers pour lesquels il n'existe
pas de panneau correspondant. »

La sécurité routière vous rappelle ainsi que le voyage en pays autiste n'est
jamais de tout repos.
Chapitre 5

Des bagages pour le voyage

Je vous conseille de vous munir de ce que l'on appelait au XIXe siècle, un


« nécessaire de voyage », petite mallette dans laquelle vous pourrez
regrouper l'essentiel :
➲POUR SE REPÉRER : des cartes : les recommandations officielles de
« bonne pratique » ;
➲POUR SAVOIR : des portraits peints selon les recherches scientifiques
contemporaines ;
➲POUR COMPRENDRE : des témoignages des personnes TED sans
déficit intellectuel, indigènes informateurs sur les mœurs du pays.

5.1. Pour se repérer : des cartes


Les recommandations de bonne pratique
Il existe deux agences, émanations du gouvernement français. L'une est
consacrée au domaine sanitaire : la HAS (Haute Autorité de Santé), l'autre
est dédiée au secteur médico-social : l'ANESM (Agence nationale de
l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et
médico-sociaux).
Ces Agences réunissent des groupes de travail et selon une méthodologie
assez lourde, recueillent les données de la littérature internationale, les avis
des représentants des différents acteurs (associations de parents, d'usagers,
de professionnels, représentants de l'administration) avant d'éditer des
recommandations dites « de bonne pratique ».
Ces recommandations constituent des cartes permettant d'orienter les
objectifs des professionnels (en accord avec les parents) de préciser les
moyens pour les atteindre après une évaluation des limites et des
possibilités des personnes et de connaître les interventions possibles.
Il est arrivé (en mars 2012) que les responsables des agences se fassent une
si haute idée de leur autorité qu'ils transforment ces cartes – utiles pour
choisir votre itinéraire – en GPS impérieux : « Faites demi-tour
immédiatement, psychanalyse non recommandée ou packing[1]
formellement déconseillé… » Alors que ces approches font l'objet d'un
désaccord d'experts qu'il aurait suffi de constater, et que rien ne justifie
scientifiquement ces ukases.
Ces péripéties ne doivent pas vous empêcher d'emporter avec vous ces
textes trop souvent oubliés dans les établissements sur un coin de bureau de
direction. Ils sont d'accès libre sur internet (sante.gouv). Les deux tableaux
ci-après donnent le plan de deux recommandations utiles pour les
accompagnants.

Janvier 2010 – ANESM


Pour un accompagnement de qualité des personnes avec autisme et autres TED

A – Proposer un accompagnement et une prise en charge personnalisés et


spécifiques
➲ Réaliser une évaluation de la situation de la personne
➲ Co-élaborer le projet personnalisé et en assurer le suivi
➲ Améliorer la qualité de vie de la personne en développant ses potentialités dans
toutes leurs dimensions
➲ Favoriser l'implication de la famille et des proches dans le respect de leur dignité et
de leurs droits
➲ Faire face aux « comportements problèmes »
B – Soutenir les professionnels dans leur démarche de bientraitance
➲ Au niveau des pratiques institutionnelles
Formation et information des professionnels
Accompagnement des professionnels
➲ Au niveau des pratiques professionnelles
Améliorer la qualité de l'accompagnement des personnes
Mener une réflexion sur les questionnements éthiques
Être attentif à la vulnérabilité de la personne face aux abus
Attirer la vigilance des personnes et des familles sur les risques de dérive liés à
certaines pratiques
Mars 2012 – HAS
Autisme et autres Troubles Envahissants du Développement
Interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées
chez l'enfant et l'adolescent
A – Associer l'enfant/adolescent et ses parents
➲ Respecter la singularité de l'enfant et de sa famille
➲ Co-élaborer le projet d'intervention avec les parents
➲ Utiliser un mode de communication alternatif
B – Évaluer régulièrement le développement de l'enfant/adolescent et son état de
santé
➲ Effectuer avec l'accord des parents une évaluation initiale du fonctionnement
➲ Réaliser au minimum une fois par an une évaluation dans les domaines du
fonctionnement, de la participation et des facteurs environnementaux
➲ Évaluation et élaboration du projet personnalisé d'intervention
C – Proposer un projet personnalisé d'intervention précoce, global et coordonné
➲ Débuter avant 4 ans et dans les trois mois suivant le diagnostic
➲ Aucune approche éducative ou thérapeutique ne peut prétendre restaurer un
fonctionnement normal ou améliorer le fonctionnement et la participation de la totalité
des enfants/adolescents avec TED

D – Encadrer les prescriptions médicamenteuses


E – Coordonner et former les différents acteurs
➲ Désigner un professionnel ou un binôme au sein de l'équipe d'intervention, chargé
d'assurer la coordination, la continuité, la complémentarité des interventions
➲ Être vigilant et préparer les périodes de situation de transition (changement d'équipe)
➲ Réaliser régulièrement tous les deux ou trois ans une formation permettant
l'actualisation des connaissances
F – Développer les travaux de recherche clinique

5.2. Pour savoir : les portraits scientifiques


de l'autiste aujourd'hui
Les textes officiels ne recommandent que les connaissances établies par la
méthode de « la médecine par les preuves ». Cette attitude semble plus
scientiste que scientifique[2]. Certes la démarche scientifique est
indispensable pour la connaissance. Elle nécessite de poser des hypothèses,
de les vérifier expérimentalement. Elle emploie des mesures rigoureuses,
des statistiques. Elle réduit la complexité pour définir ses objets d'études. La
pratique, elle, est indispensable pour la vie courante. Elle ne peut pas
réduire ses objets d'études, elle doit prendre en compte la globalité de la
personne TED et les croyances de ceux qui l'accompagnent. Elle se
construit dans l'ajustage à la singularité de chaque situation. Les deux voies
d'approche sont complémentaires. Maintenir leur écart est une nécessité
éthique. Croire que seules les découvertes de la science vont influencer nos
modalités d'accompagnement est une illusion. Cependant, les praticiens ont
besoin de se tenir informés des résultats des recherches pour métisser leurs
conceptions avec les données actuelles de la science.

« L'autiste neuro-développemental »
Dans la représentation actuelle le syndrome reste évolutif la vie durant.
Cette notion, relativement nouvelle, est tout à fait encourageante pour
s'occuper des personnes TED.[3] On se développe toute sa vie, les dendrites,
les synapses et nos mécanismes physico-chimiques suivent et témoignent de
nos apprentissages en se fixant plus ou moins dans une circuiterie neuronale
qui est le support de nos compétences de fonctionnement.
La représentation d'une trajectoire neurobiologique différente de la norme
donne une certaine unité aux aspects multiples de la clinique. C'est un
portait résultant d'une série d'événements neuro-physio-psychologiques,
survenant à différents moments du développement, interagissant entre eux.

Le portrait reste flou sur les « pourquoi »


On ne sait toujours pas exactement pourquoi certains enfants deviennent
autistes. Et pourtant on cherche de tous les côtés !
La nature neuro-développementale des troubles (affirmée par l'état des
connaissances officielles, 2010) exprime une volonté de mettre l'accent sur
l'équipement de base en opposition avec les représentations qui penchaient
pour l'influence des premières relations dans la constitution du syndrome.
Une façon, aussi, de dire que la représentation actuelle s'appuie sur les
progrès de la physique, de la chimie, de l'informatique, de l'imagerie
médicale, de la génétique moléculaire. Dans cette représentation, la
conception du développement est dynamique : les fonctions évoluent
chacune en interactions aux différents stades du développement avec les
autres, il en ressort un modèle multifactoriel probabiliste de l'origine
(l'étiopathogénie).
On admet aujourd'hui une forte composante génétique mais on a abandonné
l'idée un peu simplette de trouver un gène qui coderait toutes les variétés de
tableaux cliniques. On a en découvert des dizaines, voire des centaines dont
certains « variants » augmentent le risque d'autisme. Des questions
demeurent ouvertes : mutation génétique héréditaire avec le risque de
transmission aux générations suivantes ? Anomalies chromosomiques
survenant pendant la conception ? Infections, facteurs d'environnement
pendant la grossesse ? Il est probable que toutes ces hypothèses coexistent.
La recherche d'un éventuel « test génétique » qui serait un marqueur
biologique du syndrome, qui permettrait de dépasser la subjectivité clinique
actuelle et qui ouvrirait à la possibilité d'une détection pendant la grossesse,
suscite beaucoup d'initiatives qui ne sont pas toujours désintéressées. En
2005, l'annonce prématurée d'un test génétique de l'autisme a provoqué une
polémique[4].
Les recherches récentes (qui nécessitent de refaire des explorations
génétiques tous les cinq ans en raison des progrès techniques) s'orientent
vers les gènes impliqués dans le développement et la maturation cérébrale
précoce, d'où l'importance de la chronologie des atteintes dans le
développement du cerveau, dans son architecture (prolifération neuronale,
formation et réorganisation des synapses – plasticité cérébrale –, sélection
des dendrites). Les généticiens voudraient trouver des correspondances
entre les anomalies qu'ils constatent sous leurs microscopes et les tableaux
cliniques. On en est encore loin ! Dans l'immédiat, ils proposent aux
cliniciens de distinguer les autismes syndromiques (tableaux cliniques
d'autisme dans lesquels on retrouve une pathologie génétique associée) et
les autismes asyndromiques (chez lesquels on ne retrouve aucune origine
génétique identifiée). Ils conseillent aujourd'hui aux praticiens de
rechercher, comme ils le faisaient au XIXe siècle, des petites anomalies de
la peau, des cheveux, de la forme du corps et de l'intérieur de la bouche, qui
pourraient signer différents tableaux cliniques en rapport avec leurs
découvertes génétiques. Une consultation génétique peut clarifier certaines
des questions relatives au risque de répétition, pour les enfants suivants du
couple, et ceux des frères et sœurs.
Les recherches du côté de la morphologie du cerveau et surtout de son
développement sont, elles aussi en évolution permanente. Les anomalies du
cervelet qui ont attiré l'attention dès la fin du XXe siècle pourraient
expliquer les troubles de l'équilibre, l'angoisse de chute, les stéréotypies
giratoires, les troubles du repérage spatial, la mauvaise estimation des
distances et de la profondeur, les troubles du tonus et de la marche. Toutes
les « circuiteries cérébrales » sont explorées. Selon les moments, l'intérêt se
porte vers diverses zones du cortex (sillon temporal supérieur), ou vers les
structures sous-corticales (thalamus, amygdale, hippocampe).
Il semble acquis que les cerveaux des enfants autistes ont une vitesse de
croissance différente de celle des enfants ordinaires, par augmentation
précoce du volume cérébral liée à une multiplication anormale des cellules
au début du développement, phénomène suivi d'une décélération à la fin de
la première année. Les changements histologiques au niveau du cerveau
sont mis en rapport avec beaucoup d'anomalies comportementales :
épilepsie, déficience intellectuelle, troubles de la motricité et de l'intégration
sensori-motrice. Toutes ces études mettent en évidence des
dysfonctionnements neurobiologiques. Le problème est ensuite d'interpréter
les données, et notamment de distinguer l'autisme du retard mental, la
plupart des facteurs associés à l'autisme sont aussi associés au retard
mental.
On cherche à mettre en relation les troubles du comportement avec
d'éventuelles anomalies des équilibres métaboliques du cerveau. On a
trouvé des dérèglements qui à eux seuls pourraient suffire à expliquer
l'origine des symptômes autistiques mais qui sont peut-être aussi leurs
conséquences. Les études sont assez contradictoires. L'hypersécrétion de la
sérotonine semble le seul élément certain dans cet ensemble de données. On
peut espérer que mieux on comprendra le fonctionnement du métabolisme
du cerveau, plus on aura de chances de trouver des molécules qui, en
modifiant ce fonctionnement, normaliseront les comportements. À l'heure
actuelle, les molécules dont on dispose, ont des actions générales sur
l'anxiété, la dépression, l'agitation mais pas d'action spécifique sur les
mécanismes autistiques eux-mêmes.
Le portrait devient plus net sur les « comment »
On sait de mieux en mieux comment se construisent les personnalités TED,
comment elles pensent, perçoivent, sentent et ressentent. Grâce aux
recherches de neuropsychologie développementale et expérimentale les
données s'accumulent, les hypothèses s'affinent, rejoignant parfois les
précédentes formulations des quelques auteurs psychanalytiques qui
s'étaient exprimés d'après leurs observations de psychothérapies.
Les études cherchent à relier les comportements avec les supports
neurobiologiques sous-jacents, et à en étudier la dynamique au cours du
développement grâce à des outils d'exploration du cerveau et à une méthode
clinique expérimentale. Un biais existe cependant : la plupart des études
portent sur des personnes de type Asperger susceptibles de répondre aux
questions posées par les chercheurs.
Ainsi la clinique est disséquée en fonction : sensorialité, intégration
perceptive, régulation des émotions, cognition sociale, mémoire, capacités
d'abstraction et de symbolisation, possibilités d'attention, inhibition,
ensemble des processus cognitifs (fonctions exécutives). Les fronts de
recherches sont trop étendus pour que les praticiens puissent les connaître
tous, à moins de passer leurs nuits sur internet ou à lire des revues
spécialisées, ce qui nécessite déjà une solide formation scientifique.
Dans la conception neuro-développementale actuelle, l'accent est mis sur la
sensorialité et la perception. Le bébé autistique ne serait pas équipé (les
neurologues disent « pré-câblé ») pour traiter ses rapports à l'environnement
comme le bébé ordinaire. Avant 3 ans, le déficit qualitatif de la perception
s'associe à une perturbation du développement de la motricité qui se centre
sur une recherche d'auto sensualité au lieu de se diriger vers la coordination
et l'exécution de tâches finalisées à buts sociaux. De nombreuses études en
psychologie développementale étayées par imagerie médicale confortent
cette représentation schématisée dans le tableau ci-contre.

Le portrait de l'autiste neuro-développemental


Les recherches en psychologie développementale doivent beaucoup aux
progrès des connaissances sur les bébés dont les compétences, sous
certaines conditions d'expérimentations, ont été mis en évidence à partir de
la fin du XXe siècle. Les bébés ont l'avantage d'être des modèles de
développement vivants. De plus, comme on cherche à détecter les signes les
plus précoces possibles, observer les bébés à risque autistique est une
activité de recherche qui rejoint les préoccupations des cliniciens.
Certaines études se sont concentrées sur le regard. La plupart des signes
cliniques (évitement, balayage latéral, absence de regard focal, sélection des
détails) ont été mis en relation avec le fonctionnement neurologique du
cerveau. À travers le regard, ce sont les premières interactions qui ont été
explorées et parallèlement, la détection de l'intentionnalité d'autrui. Des
protocoles méthodologiques utilisant des machines électroniques permettant
d'observer la direction du regard (machines eyes tracking), donnent lieu à
des discussions interprétatives. L'évitement du regard est-il une
impossibilité liée à l'équipement neurologique, une stratégie d'organisation
de la perception liée à des défenses psychologiques ? En tout cas, ces
données expérimentales chez le bébé permettent d'éliminer l'hypothèse
d'une origine liée à des attitudes maternelles désadaptées.
L'autiste neuro-développemental moderne utilise singulièrement ses
modalités de perception sensorielle. Il peine à réunir entre elles les
informations venues de différents capteurs sensoriels (déficit d'inter-
modalités perceptives) et peine aussi à les unifier pour coupler son
comportement moteur (puis psychique) à sa perception[5]. Il semble qu'il
« traite » l'interprétation de sa réception sensorielle d'une façon et dans des
zones légèrement différentes du traitement des personnes témoins (travaux
de M. Zibovicius sur le sillon temporal supérieur 2002).

« Les sens chez les neurotypiques sont comme une équipe de hockey. Ils fonctionnent
ensemble. Les TED ont des sens qui sont une équipe d'élite mais qui ne se font pas de
passes. » Brigitte Harrisson

Les troubles sensoriels suggèrent l'existence d'un dysfonctionnement sous-


cortical (en rapport avec le cervelet mais aussi d'autres structures) tandis
que les altérations du langage et de la communication évoquent plutôt un
dysfonctionnement cortical. Les anomalies cérébrales peuvent être cause ou
conséquence des dysfonctionnements.
Des systèmes d'auto-compensation des déficiences de sensorialité se
mettent en place (comme par exemple l'hypermnésie, l'attachement à la
similitude, aux détails, la pensée séquentielle) au prix d'une dysrégulation
émotionnelle avec des tendances à l'excitation le plus souvent, mais parfois
aussi à l'inhibition, qui viennent perturber les comportements observables.
Pour donner envie d'aller plus loin, j'évoquerai deux équipes françaises dont
les travaux peuvent avoir des conséquences directes sur les techniques
d'accompagnement. Sachez qu'il en existe des centaines d'autres dans le
monde !
L'équipe de Bruno Gepner et Carole Tardif[6] s'est attachée à montrer que la
détection du mouvement en vision centrale, (vision de près) par des enfants
autistes, était d'autant plus problématique que le mouvement était rapide. À
partir de ces expériences, une théorie de « la malvoyance du mouvement »
est proposée et notamment, malvoyance des mouvements dans les
expressions faciales émotionnelles, d'où découleraient les troubles de la
compréhension, de l'imitation et de la relation sociale dans une grande
diversité de « cascades mal développementales ». Ces difficultés à
percevoir le monde visuel, dynamique, rapide, expliquerait la propension
des personnes autistes à se concentrer (se réfugier parfois) sur les détails
visuels immobiles et à développer des habiletés visuo-spatiales parfois
supérieures à la norme : mémoire spatiale, construction puzzles, graphisme.
Ces « désordres du traitement temporo-spatial des flux multi-sensoriels »
ont conduit cette équipe à concevoir un logiciel ralentissant de manière
synchrone les signaux visuels, les mouvements faciaux, les gestes, les
signaux auditifs, sons, voix, paroles, sans déformer la lisibilité des
mouvements ni l'intelligibilité de la voix. Ceci pourrait permettre de mieux
comprendre les mimiques faciales émotionnelles et langagières, pour les
enfants. Au-delà du protocole de recherches, dans l'accompagnement
quotidien, on retiendra que les consignes verbales seront d'autant mieux
comprises qu'elles seront présentées au ralenti.
De son côté, la psychologue développementaliste Jacqueline Nadel et son
laboratoire ont démontré qu'on attribuait une place insuffisante à la fonction
de l'imitation dans nos conceptions du développement. Un nouveau-né âgé
de vingt minutes de vie peut tirer la langue à une personne qui la lui tire.
Évidemment, il faut des conditions : le bébé doit être maintenu, bien à
l'aise, éveillé, à une certaine distance de la personne.
Pour imiter, il faut être capable d'associer la perception (ce qu'on voit, ce
qu'on entend) à l'action, ce qu'on fait en imitant. Coupler ces deux éléments,
perception et action, est une capacité spontanée chez le bébé à
développement normal. Elle a d'abord été considérée comme absente ou
déviante chez l'enfant autiste où on observe écholalie et échopraxie. Les
études de Jacqueline Nadel[7] ont démontré deux grands usages de
l'imitation : pour communiquer et pour apprendre. On sait maintenant, grâce
à ces recherches, utiliser l'imitation (système normalement transitoire de
communication préverbale), dans les interactions avec les enfants autistes.
En imitant leurs mouvements et leurs attitudes, on crée les conditions d'une
communication sans langage qui très souvent favorise les échanges et la
compréhension des situations. L'imitation permet de « parler sans mot, mais
elle permet aussi d'apprendre en regardant ce que fait l'autre, plutôt qu'en
faisant des essais/erreurs ». L'imitation pour apprendre consiste à répéter
immédiatement ce qu'on vient de faire, à s'auto-imiter, à imiter quelqu'un en
calquant ses mouvements avec un petit décalage. Le système imitatif est
dépendant du présent, sans laisser place à l'imaginaire, au futur, à l'objet
absent. Il disparaît quand le mot apparaît car le langage permet justement
tout ce que l'imitation ne permet pas. C'est donc un moyen de
communication possible avec des personnes qui ne recourent pas au
langage.
Partant de ces données, cette équipe a proposé une échelle comprenant une
évaluation de l'imitation spontanée, de l'imitation provoquée et de la
reconnaissance d'être imité. Ces travaux débouchent sur des exercices
progressifs, avec distribution du tour de parole, par exemple, qui peuvent
améliorer les capacités communication et d'apprentissage. L'imitation
semble la façon la plus efficace d'interpeller l'enfant et de le mener à
prendre des initiatives d'interactions.

Autres portraits psychologiques


« L'autiste cognitiviste »
Il est un proche cousin du neuro-développemental. Les mécanismes
autistiques y sont éclairés en cherchant l'altération des fonctions
psychologiques qui pourraient expliquer les déviations de développement.
L'école anglaise (Alan Leslie, Uta Frith, Baron Cohen) a décrit la cécité
mentale, la théorie de l'esprit, le déficit exécutif et le défaut de cohérence
centrale. Les personnes TED seraient aveugles aux états mentaux des
autres, elles ne saisiraient ni l'intention, ni les croyances, ni les savoirs, ni
les désirs, ni les pensées d'autrui. Cette « théorie de l'esprit »[8] appuyée sur
la célèbre expérience dite des « Smarties[9] » a connu un très vif succès et se
retrouve dans tous les tests mis au point pour détecter les autistes de type
Asperger. Elle a été rapprochée de la notion psychanalytique d'identification
et de la notion philosophique d'empathie, aujourd'hui très à la mode.
En 2004, la publication du livre L'autisme, une autre intelligence par le
professeur Laurent Mottron[10] au Québec, lui-même largement inspiré par
une autiste de haut niveau, Michèle Dawson, allait proposer de nouveaux
modèles psychologiques. L'accent n'est plus mis sur les déficits mais sur un
« surfonctionnement perceptif » qui expliquerait une forme hétérogène des
capacités psychologiques des TSA.

« L'autiste psychanalytique »
Le portrait est celui d'un individu aliéné dans son développement par une
orientation précoce de ses procédures psychologiques internes (les
mécanismes de défense), souffrant d'angoisses archaïques qui rendent
compte de son immuabilité, de ses rituels et de ses comportements. Une
approche de soins psychothérapiques est donc nécessaire mais,
contrairement à la caricature qui en est donnée, elle n'est pas exclusive. Les
psychanalystes modernes (regroupés dans l'association CIPPA[11] par
exemple) considèrent que le soin psychothérapique vient en complément
des abords éducatifs et pédagogiques structurés, et comportementaux. Ils ne
cherchent plus aujourd'hui l'origine des troubles dans d'éventuelles carences
inconscientes de soins maternels[12]. Les explications des auteurs
psychanalytiques dépendent de leurs écoles référentielles et sont parfois très
divergentes. Ils portent leur attention sur la progressive constitution psycho-
affective de la personnalité. Ils proposent de saisir, en faisant appel à leurs
propres ressentis, le vécu intérieur des personnes autistes. Pour mettre en
récit l'histoire du sujet ils recourent à des métaphores figurant les angoisses
archaïques : chute sans fin, angoisse de liquéfaction, de morcellement. Cette
conception prend tout son intérêt dans les récits de psychothérapies
d'enfants jeunes (« Comment aider un enfant autiste ? », Marie-Dominique
Amy, Dunod, 2004) Bien que ces recherches ne correspondent pas à la
méthodologie basée sur les preuves, elles peuvent faciliter l'abord
empathique en aidant l'enfant et ses parents. Elles ont aussi un grand intérêt
pour comprendre les contre-attitudes des accompagnants. Elles ne méritent
pas le dédain dans lequel elles sont tenues par les textes officiels.

5.3. Pour comprendre : les indigènes


informateurs
Les témoignages des indigènes
À côté des études scientifiques officiellement labélisées, vous pouvez
utiliser la méthodologie des ethnologues pour mieux comprendre les mœurs
des habitants droits du sol. Il vous faut interroger des indigènes qui sont
entrés dans le pays réglementairement. Ils ont reçu leur permis de séjour
dans la forme TED SDI (Troubles envahissants du développement sans
déficit intellectuel) auprès de professionnels qualifiés. Portées par la
tendance contemporaine qui préfère les vécus aux élaborations théoriques,
ces personnes explicitent leurs anomalies de perception et de pensée,
décrivent avec un certain exhibitionnisme leur psychopathologie intime et
donnent leur avis sur leur situation sociale. Je les appelle des indigènes
informateurs et les considère (en référence aux indiens qui aidaient la
cavalerie yankee à traquer leurs congénères) comme des éclaireurs sur la
piste de la compréhension des autres personnes TED qui ne peuvent pas
s'exprimer.
Ce point de vue n'est valable que si on admet, comme nous y invitent les
textes officiels, la notion de spectre des troubles autistiques (TSA) Les
mécanismes autistiques seraient de même nature chez les personnes
intelligentes et chez les déficitaires de niveau mental très faible.
Les premiers témoignages à partir des années 1970 ont été ceux des parents.
Depuis, les binationaux obligés continuent à faire connaître leur situation
dans le pays réel. Dans ces productions souvent critiques, toujours
émouvantes, les professionnels puiseront matière à réviser leurs éventuels
préjugés :

Témoignages des parents

➲ ALLIONNE M. et C., Autisme, donner la parole aux parents, Les Liens qui libèrent, 2013.
➲ BARRON S., BARRON J., Moi, l'enfant autiste, J'ai lu, 2007.
➲ COPELAND J., Pour l'amour d'Anne, Fleurus, 1974.
➲ DECLERCQ, Dis maman, c'est un homme ou un animal, Autisme France Diffusion,
Mougins, 2002.
➲ HERBAUDIERE D., Cathy ou l'enfance muette, Mercure de France, 1972.
➲ IDOUX-THIVET A., Écouter l'autisme, le livre d'une mère d'enfant autiste, Autrement,
Coll. « Mutations », 2009.
➲ KNODT-LENFANT, Claudin classé X chez les dinormos, Autisme France Diffusion, 2005.
➲ LEFEVRE L., Le petit prince cannibale, Actes Sud, 1990.
➲ VAUTRIN J., La vie Ripolin, Éditions Mazarine, 1986.

Depuis les dix dernières années du XXe siècle les récits autobiographiques
des personnes TED sont apparus. Ces textes irritent parfois les
professionnels : « C'est de la concurrence déloyale ! » Ces personnes
expliquent « tout l'autisme » alors que les professionnels mettent des années
à l'apprendre. Certains mettent en doute les diagnostics, d'autres adhèrent
sans recul devant le cachet « Vu à la télé » et oublient d'acquérir les
connaissances académiques de base.

Témoignages des personnes TED SDI

➲ BOUISSAC J., Qui j'aurais été ?, Autisme Alsace, 2002.


➲ GRANDIN T., Ma vie d'autiste, Odile Jacob, 1994.
➲ GRANDIN T., Penser en images, Odile Jacob, 1996.
➲ NAZEER K., Laissez entrer les idiots, Points, 2006.
➲ SCHOVANEC J., Je suis à l'est, Plon, 2012.
➲ SELLIN B., Une âme prisonnière, Robert Laffont 1994.
➲ SELLIN B., La solitude du déserteur, Robert Laffont, 1998.
➲ SINCLAIR J., « Ne nous pleurez pas », AFD, 1993.
➲ TAMMET D., Je suis né un jour bleu, Les Arènes, 2007.
➲ WILLIAMS D., Si on me touche, je n'existe plus, Robert Laffont, 1992.
➲ WILLIAMS D., Quelqu'un d'autre quelque part, Robert Laffont, 1996.

De très nombreux documents audio visuels accompagnent ces publications.


Vous les trouverez sur internet aux sites des associations de parents. Ces
témoignages contribuent à faire connaître le pays autiste. Ils font évoluer
l'opinion sur le handicap et incitent à ne plus considérer ces personnes
comme des malades. L'autisme est « une manière d'être », est leur thème
central. Les représentations sociales de l'autisme évoluent. « Être autiste
aujourd'hui n'est pas la même chose qu'être autiste il y a 50 ans »[13]. Les
personnes TED sans retard mental sont passées en quarante ans du statut de
malades à celui de handicapés puis à celui de témoins, et de celui de
témoins au statut de minorité militante et quelquefois à celui d'experts, de
spécialiste et même de pairs aidants pour certaines d'entre elles.[14]

Les TED, une nouvelle identité collective ?


Le terme d'autisme ou de Troubles Envahissants du Développement ayant été utilisé
pour qualifier aussi bien le comportement de personnes sans langage avec déficience
intellectuelle que celui de personnes avec langage et capacités cognitives (syndrome
d'Asperger, autisme de haut niveau de fonctionnement), le degré de stigmatisation s'est
progressivement atténué.
Les adultes qui se sentaient différents mais qui ne savaient pas en quoi consistait cette
différence se sont reconnus dans la description du fonctionnement autistique. Ils ont
d'abord témoigné de leur expérience en écrivant leur biographie, ils ont ensuite tenté de
changer l'image négative de l'autisme en montrant que l'originalité et la créativité des
personnes présentant des caractéristiques autistiques enrichissent la société, en
mettant l'accent sur les aspects positifs et créateurs de la neurodiversité. Ainsi, a
émergé un nouveau mouvement social articulé autour d'affiliations identitaires et
culturelles, redéfinissant l'autisme comme une différence…
Les personnes adultes qui se sont reconnues dans cette nouvelle description ont
cherché à obtenir ce diagnostic et ont commencé à se constituer en associations ou
communautés pour s'exprimer et proposer d'autres représentations de l'autisme…
remettant en cause le modèle médical et critiquant une société… qui considère les
personnes autistes comme des malades mentaux.
Une identité collective se construit et des mouvements activistes redéfinissent l'autisme
comme un autre mode de fonctionnement cognitif.
Brigitte Chamak, « Le récit de personnes autistes : une analyse socio-
anthropologique », Revue de sciences humaines et sociales n° 105, 2005

Ces témoignages ont leurs limites. Ils ont tendance à cliver l'humanité en
deux : d'un côté les TED qui seraient sans imagination ni sens social mais
avec un sentiment d'appartenir à une minorité sous-estimée dans ses
potentialités logiques, et de l'autre les normaux, les « neurotypiques »,
entravés par leur imagination et leur sens social pour comprendre les TED.
Le risque d'une dérive sectaire plane : se retrouver tous pareils, autrui exclu.
Risque qui touche aussi tous les professionnels peu enclins à ouvrir leurs
congrès à ceux qui ne partagent pas leurs convictions. Enfin sur un plan
philosophique en devenant auto-spécialistes de leur fonctionnement, les
personnes TED SDI s'inscrivent dans un paradoxe :
d'un côté, elles se proclament comme les mieux placées pour exprimer
leurs modalités de fonctionnement, ce qui les enferme dans un système
égocentré en circuit fermé qui ne peut que renforcer leur tendance au
repli autistique ;
d'un autre côté, dans ce mouvement qui les fait devenir experts d'elles-
mêmes, ces personnes réalisent le rêve socratique à l'origine de la
philosophie : se connaître soi-même.
Intérêt des témoignages pour les accompagnants
Affiner le portrait des personnes TED
Malgré ces réserves, ces témoignages peuvent aider les accompagnants à se
constituer une bonne représentation des personnes TED. Les convergences
sont frappantes avec les résultats des recherches. Certains témoignages ont
d'ailleurs été publiés dans des revues scientifiques.[15]
Trois points ressortent pratiquement de tous les témoignages :
➲Les modalités sensorielles particulières entraînant des altérations de la
perception ;
➲La priorité donnée auraisonnement logique (ou quelquefois
paralogique) et à l'absence d'ambiance psycho-affective autour de la
cognition ;
➲La nette préférence du rapport visuel avec l'environnement, plutôt
que l'évocation de l'environnement par un rapport imaginatif et langagier.

Mieux se positionner
Certaines personnes TED travaillent avec des professionnels pour des
recherches (comme Michèle Dawson au Canada), d'autres donnent des
conférences ou des cours. Leurs discours ne sont pas similaires mais ils
apportent quelques conseils techniques en supplément de l'effet affectif de
leurs témoignages. Les accompagnants peuvent en tirer profit pour mieux se
situer dans leurs missions éducatives ou pédagogiques. Leurs propos ne
sont pas dépourvus d'aspects inhabituels pour les habitants du pays réel : ils
rompent avec les codes qui nous sont naturels. Cela particulièrement dans le
domaine scolaire.
Les explications de l'enseignant, sa reprise de l'exercice sous une autre
forme (si utile à l'enfant ordinaire), sur-handicaperaient – selon ces experts
du pays autiste – l'enfant TED, car elles le gênent dans ses modalités de
traitement de l'information. La répétition qui est comme chacun sait une des
bases de la pédagogie, serait ainsi contre-indiquée pour les enfants autistes.
Répéter à un enfant autiste sous différentes formes ce qu'il n'a pas compris
reviendrait à le surcharger inutilement d'informations parasites qu'il
n'oubliera pas, et qui lui rendront plus difficile les tâches qu'il aura à
accomplir.
Selon ce point de vue de l'intérieur, il faut au contraire tendre à lui donner
accès au matériel pédagogique, le laisser le manipuler après lui avoir
montré une seule fois, sans digression verbale parasite, la tâche à accomplir.
Si l'enfant ne la réalise pas, cela ne veut pas dire qu'il ne veut pas travailler
ou qu'il n'a pas compris. L'enfant autiste est incapable de hiérarchiser, et
surtout de supprimer (d'oublier) toutes les expériences enregistrées dans sa
mémoire. Il ne peut rien y effacer. Dépourvu d'intuition il peut cependant
comprendre et apprendre par imitation et par utilisation de sa mémoire
visuelle. Il faut donc se méfier de la technique éducative la plus classique,
celle du contrôle des connaissances, des apprentissages par essai/erreur, car
à vouloir évaluer et contrôler les connaissances, on risque d'empêcher le
sujet d'exprimer ses compétences selon ses stratégies singulières. Le
fonctionnement autiste empêcherait de classer hiérarchiquement les
informations reçues, Les échecs auront donc même valeur que les réussites,
c'est pourquoi il est capital d'essayer de le mettre le plus souvent possible en
situation de réussite et de l'y encourager. Les explications ajoutées quand la
tâche n'est pas réalisée, seraient source d'informations non signifiantes et
donc de brouillage.
Il faudrait aussi, si l'on suit ces conseillers d'un nouveau type, éviter de
manier l'affectivité, l'intuition, l'imagination, et il serait nécessaire que les
personnes accompagnantes établissent des transactions logiques et
uniquement logiques entre le matériel support des apprentissages et l'enfant.
Ainsi, il serait conseillé de ne jamais se mettre en situation d'intermédiaire
relationnel entre l'enfant et la tâche qu'il a à accomplir. Plutôt que
d'expliquer une interaction qui n'est pas comprise, il conviendrait de mettre
la personne autiste devant des situations de dialogues entre deux personnes
ordinaires qu'elle observerait et qu'elle pourrait imiter, à condition que
l'accompagnant ne cherche pas à intervenir.
Cet ensemble de conseils rejoint les pratiques des enseignants et des
éducateurs expérimentés[16]. Notons enfin que la plupart des personnes
TED/SDI sont assez critiques vis-à-vis des méthodes de stimulations type
ABA auxquelles elles reprochent de trop négliger les différences
individuelles.
On ne peut que souligner l'écart qui existe entre ces conseils de travail
adapté au fonctionnement des personnes TED et les habitudes, l'idéal
professionnel, les coutumes, les références des travailleurs ordinaires du
monde de l'enfance, qu'ils soient enseignants, éducateurs, psychologues, ou
médecins. Mais, comme le remarque le président de l'association SATEDI,
[17] Monsieur Emmanuel Dubrulle, nous avons peut-être tendance

à considérer que « la personne autiste est inadaptée alors que ce sont les
activités que nous voulons partager avec elle qui ne sont pas adaptées à son
mode de perception et de fonctionnement ».

Passage aux œuvres de fiction


Les témoignages d'authentiques personnes TED sans déficit intellectuel ont
inspiré les scénaristes. C'est le cas en 1988 avec le film Rain Man qui a
connu un succès mondial et qui a contribué à diffuser une nouvelle image
de l'autisme dans le public. Ce film est une fiction. Il met sur un seul
personnage à peu près tous les traits que l'on peut repérer dans une
population de personnes TED et en cela, c'est une œuvre d'imagination. Il
n'en est pas moins un excellent moyen pour réviser le fonctionnement d'une
personne autiste. Il a d'ailleurs été inspiré en partie par une personne réelle,
Monsieur Kim Peek.

Kim PEEK (1951-2010)


Ce monsieur présentait un autisme syndromique : comportement autistique et
macrocéphalie, absence de commissure intérieure dans le cervelet et surtout agénésie
du corps calleux.
Il était capable de prodigieuses performances de mémorisation, pouvant réciter un livre
entier lu une seule fois.
Il connaissait par cœur les 12 000 livres que sa mémoire semblait enregistrer à la façon
d'un ordinateur. Il pouvait capter des partitions de symphonies qu'il entendait pour la
première fois et qu'il rejouait immédiatement au piano sans avoir jamais appris le
solfège.
Il gagnait sa vie en s'exhibant dans de véritables shows où il mettait en scène ses
capacités, notamment celle de lire deux textes différents en même temps avec chaque
œil.
Il a été exploré par de nombreuses équipes de recherche nord américaines et s'est
prêté à de nombreux programmes scientifiques sur l'étude de son fonctionnement.
Il est décédé brutalement à l'âge de 59 ans.

Je vous ai déjà conseillé un petit roman policier écrit par un éducateur


anglais, Mark Haddon, Le bizarre incident du chien pendant la nuit,
Éditions Nil, 2004. Il rend compte avec humour et alacrité du monde
perceptif et paralogique d'une personne autiste.
De plus en plus de séries télévisées intègrent des personnages porteurs de
syndrome d'Asperger. Tout se passe, comme si le « savant fou » du
XIXe siècle s'était transformé en « sachant autiste » du XXIe ! Ils sont
devenus un ingrédient de base des best-sellers, songez au personnage de
Lisbeth Salander dans Millénium[18], au Docteur House et à bien d'autres.
Les autistes sont parmi nous.
Chapitre 6

L'administration du pays

Le pays autiste pose une question politique au pays réel : que faire de ces
populations ? Où les mettre ? Comment les considérer socialement ?

6.1. Un peu d'histoire…


Le temps de l'administration coloniale sous mandat
psychiatrique
Le monde imaginaire des autistes est d'abord mis en forme par les discours
psychologiques et médicaux. Cette exploitation des richesses potentielles du
pays est justifiée, comme dans toute situation coloniale, par la philanthropie
des objectifs qui se conjugue fort bien avec des pratiques d'asservissement.
Entre 1909 et 1970, les enfants sont mis dans des lieux concentrationnaires
où ils entrent par internement psychiatrique.

SUR LE VIF
Souvenir professionnel – région parisienne 1968/1969
« La colonie de Perray Vaucluse » section V où, dans une salle immense, 60 « enfants »
(certains avaient plus de 40 ans) vivaient sur des lits, le plus souvent attachés pendant la
journée.
Je me souviens d'un garçon d'une quinzaine d'années qui frappait, griffait et mordait. Les
infirmières n'osaient plus approcher de son lit. Elles lui glissaient, en poussant une petite
table, la nourriture sans le toucher.
Le chef de service m'avait demandé de tenter une thérapeutique qui avait fait ses preuves
dans certains cas de schizophrénie adulte : la cure de Sakel. Il s'agissait de plonger le
malade dans un coma artificiel par une piqûre d'insuline à haute dose, et de le sortir de ce
coma par une intubation avec un gavage de sucre.
Les infirmières profitaient que ce garçon soit dans le coma pour s'approcher de lui, le
toucher et l'embrasser tendrement sur le front.
Et les affects sont absents des recommandations officielles !
Cette période coloniale est acceptée par l'opinion, et notamment les familles
auxquelles les médecins disent à cette époque : « Mettez-le à l'asile, il n'y a
plus rien à faire », « Oubliez le, ne venez pas le voir trop souvent ». Seuls
quelques psychanalystes s'insurgent contre cette situation et entreprennent
des psychothérapies expérimentales.
Le discours médical évolue. On se met à croire aux bienfaits de la
colonisation. On demande donc un effort supplémentaire aux indigènes, à
savoir les familles : « Confiez nous votre enfant à l'hôpital, avec l'éclairage
psychanalytique, nous interpréterons ses comportements et nous le sortirons
de l'autisme. » Il faut attendre les années 1970 aux États-Unis et les années
1980 en France pour que la déception des parents, mais aussi des
professionnels, et les données nouvelles de la psychologie
développementale, amènent le constat de l'échec de ces propositions.
L'illusion thérapeutique mise dans le traitement psychanalytique se retourne
alors en agressivité.
Aux USA, Éric Schopler un psychologue, élève de Bettelheim, rompt avec
son maître pour créer le programme TEACCH en Caroline du Nord
(décennie 1960-1970). Ivar Lovaas formé à la psychanalyse, adhère au
Behaviorisme et propose des méthodes comportementalistes qui prendront
ultérieurement le nom générique de méthodes ABA. Une forte rivalité
d'ailleurs opposera les deux hommes. Leurs points de vue vont cependant se
développer avec autant de vigueur que s'était répandue la pensée freudienne
dans les années précédentes.
La France va connaître une évolution parallèle mais en décalage. Les
pratiques de pédopsychiatrie publique ne se sont développées qu'à partir de
1970. Elles ont été alors très influencées par l'éclairage psychanalytique qui
a effectivement dynamisé les asiles et permis de transformer les conditions
sociales de l'hospitalisation, notamment par la création des hôpitaux de jour.
Dans les décennies 1970-1980 et même 1980-1990, la pédopsychiatrie se
développe beaucoup en France. Des approches multidimensionnelles
éclairées par les courants psychodynamiques dérivés de la psychanalyse
sont proposées pour aider les enfants et leurs parents. Cependant, des
dérives s'observent : mouvements antipsychiatriques, certains courants
psychanalytiques interdisant l'entrée des parents dans les institutions pour
respecter l'atmosphère de neutralité psychothérapique qui doit y régner.
L'attitude consistant à attendre l'émergence du désir en croyant alors que
l'enfant retrouverait le chemin des apprentissages, est une aubaine pour la
fainéantise de certains accompagnants. Dans ce climat, surviennent des
troubles insurrectionnels qui vont mettre fin à la période coloniale à la fin
du XXe siècle.

La France en retard dans les médias


En 1974, profitant d'une grève, le réalisateur de télévision Daniel Karlin introduit
l'autisme dans les tubes cathodiques. Dans Un autre regard sur la folie, Bettelheim qui
venait de prendre sa retraite, est présenté comme une idole.
L'autisme sort du domaine strictement psychiatrique. Le public s'intéresse, les éditeurs
aussi.
Les traductions d'auteurs psychanalytiques anglais se multiplient. Françoise Dolto va
connaître avec la description de l'échec d'une psychothérapie d'un enfant autiste Le cas
Dominique un extraordinaire succès de librairie. Maud Mannoni, dans le courant
lacanien, l'avait aussi rencontré en 1964 avec L'enfant arriéré et sa mère.
Dans le même temps, la psychanalyse disparaît pratiquement aux États-Unis au profit
de la vague des neurosciences et des méthodes comportementales. Autrement dit, les
médias ont introduit Bettelheim en France à contretemps de l'évolution des
représentations mondiales. On disait à l'époque que la France était en retard parce
qu'elle n'était pas assez conforme au modèle psychanalytique. On dit aujourd'hui qu'elle
est en retard parce que certains psychanalystes y sont restés encore attachés !

La période des luttes d'indépendance :


naissance du pays autiste
Les parents regroupés en associations importent à partir des années 1980 en
France les méthodes comportementales et les réponses prioritairement
éducatives pratiquées dans les pays anglo-saxons.
Les pédopsychiatres promettaient aux parents de « sortir leur enfant de
l'autisme ». Ce discours avait été admis pendant une quinzaine d'années.
Mais, à partir de 1980-1990, les parents ont répondu : « Vous nous avez
promis de sortir notre enfant de l'autisme, il n'en est pas sorti par vos
méthodes, alors sortez-le au moins de l'hôpital psychiatrique. »
Ce mouvement a eu tous les attributs d'une guerre de libération vis-à-vis du
mandat psychiatrique. Le pays autiste né du regroupement des parents en
associations et de la mobilisation de nombreux journalistes, a organisé un
lobbying efficace. Les slogans (encore actuels) sont : « Le traitement, c'est
l'éducation », « Les psychanalystes culpabilisent les parents », « Nos
enfants ne sont ni fous ni malades, ils ont besoin d'éducation ».
La figure de Bettelheim, qui se suicidera en 1990, a alors été utilisée
comme un repoussoir. Il est devenu le prototype du psychanalyste
culpabilisateur, un ennemi élu parmi tous les méchants psychanalystes pour
être le plus méchant d'entre eux.

L'époque post-coloniale
Comme tous les jeunes pays émergents, le pays autiste a continué à être
traversé par des secousses nombreuses. Les associations de parents se sont
multipliées et déchirées entre elles. L'apparition d'associations d'usagers est
venue quelquefois les contredire. Les rapports avec les décideurs de l'État
sont toujours houleux. En 2004 par exemple, l'association Autisme Europe
a fait condamner la France pour une insuffisance de scolarisation des
enfants autistes.
Le pays autiste débarrassé du mandat psychiatrique, est retombé rapidement
sous le joug de nouveaux colonisateurs : les Agences du pays réel. Les
décideurs politiques ont aujourd'hui la place qu'avaient hier les
psychanalystes et avant-hier les médecins aliénistes.

6.2. L'évolution des représentations


sociétales et leur traduction
dans les politiques
Changement de représentation de la maladie mentale
chronique
Une guérilla s'est développée à partir de 1975 entre parents et
professionnels autour de la notion de handicap. Les psychiatres ont mal
reçu la loi en « faveur des handicapés » promulguée à cette époque. Ils
pensaient que le statut de malade garantissait l'évolutivité des enfants car ils
considéraient d'une certaine façon l'autisme comme une maladie passagère
dont les soins psychothérapiques allaient rapidement obtenir la guérison.
Pour les parents que le quotidien domestique rendait plus humbles et
réalistes, le statut d'handicapé correspondait à l'état qu'ils observaient chez
leur enfant et leur donnaient accès à des avantages matériels compensant
l'infortune du sort.
Parallèlement, la représentation du handicap évoluait. En 1981, l'OMS
publiait la Classification Internationale du Handicap (CIH). Le trouble était
conçu comme un processus entre les plans d'expérience des déficiences, des
incapacités et du handicap social. Cette classification est aujourd'hui
abandonnée car les conceptions ont évolué, surtout aux États-Unis. Sous
l'action des associations de patients, une nouvelle notion a émergé : celle de
handicap de situation qui est venue remplacer l'ancienne notion de
handicap, conséquence d'une maladie. On est passé d'un point de vue centré
sur la personne malade à un autre centré sur l'environnement social.
Traduisant cette nouvelle conception, l'OMS a publié en 1990 une
Classification internationale du fonctionnement : CIF, dont l'utilisation est
aujourd'hui conseillée par les recommandations officielles.
Parallèlement, le paysage sociétal évolue avec la modification des liens qui
font société. Le sociologue Alain Ehrenberg [1] note l'importance de la
notion de santé mentale qui vient opérer un grand renversement en
englobant la notion de maladie mentale. Historiquement, la souffrance était
un élément de la psychose. Au début du XXIe siècle, la psychose devient un
élément de la souffrance psychique. Il en est de même pour l'autisme.
Autrement dit, la référence au pathologique est englobée dans la référence
au handicap, fragilisant la distinction entre le traitement curatif (CURE) et
le traitement palliatif (CARE). Ceci amène une attention différente au
personnage du malade chronique. Le traitement devient plus social que
médical.
Dans cette mouvance des idées, les associations de parents réclament que
l'autisme soit considéré comme un handicap et obtiennent en 1996, avec
l'appui du Député Chossy, une loi qui l'affirme légalement.
Aujourd'hui, la pathologie mentale chronique est pensée en termes de
handicap psychique. Cette évolution joue de manière importante dans les
représentations des politiques qui décident d'administrer eux-mêmes
directement le pays autiste.
Le pays autiste administré politiquement
Les préoccupations économiques sont parallèles à ces modifications de
représentations sociétales.
Dans ce contexte, l'État français, s'est doté d'une législation générale sur le
handicap et aussi d'une réglementation particulière pour le pays autiste. Le
tableau suivant résume ces mesures :

Le pays autiste est administré par le pays réel


1996 : Loi Chossy
L'autisme est légalement un handicap et non une maladie
Loi 2002-2 révisant le fonctionnement des établissements médico-sociaux
Loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées
– Cette loi remplace la loi de 1975 « en faveur des handicapés »
– Les autistes passent sous le droit commun, ils ont donc le droit à la scolarisation
normale
– Création des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées
(MDPH)
– Mise en œuvre des décisions de la Commission des Droits et de l'Autonomie
des Personnes Handicapées (C.D.A.P.H.)
2005 : Circulaire créant les Centres de Ressources Autisme (CRA)
2005 : première publication de Recommandations : pour le diagnostic précoce de
l'autisme
2008-2010 : Plan Autisme avec trois objectifs :
– Mieux connaître pour mieux former
– Mieux repérer pour mieux accompagner
– Développer les approches dans le respect des droits fondamentaux des
personnes
2010-2012 : Publication des Recommandations
2013 : Nouveau Plan Autisme
Fig. 6.1 Les recommandations officielles encadrent en principe l'activité des praticiens
Chapitre 7

Une frontière perméable

Accompagner vers le pays réel

Pour illustrer le retour vers le pays réel, je vais raconter l'histoire d'un jeune
homme autiste accompagné de 16 à 24 ans par l'équipe dont j'assurais la
responsabilité médicale de 2000 à 2008.
Ce suivi s'est déroulé dans la Maison pour les personnes autistes du
Département d'Eure et Loir, structure médico-sociale gérée par le Centre
hospitalier de Chartres. Nous avons, avec madame Claire Lucas Pointeau la
responsable administrative, décrit le dispositif (SESSAD + IME pour
jeunes autistes entre 14 et 24 ans[1]), ses moyens matériels et ses références.
C'est avec cette équipe que le code de la route en pays autiste a été mis au
point.[2]
Je vais suivre le plan des recommandations de mars 2012 pour structurer ce
récit, qui précède de dix ans les textes officiels mais en illustre l'intérêt et
les limites. L'étude de cas s'inscrira ainsi dans la philosophie
recommandable tout en illustrant les différences entre le discours de
perfection politique et le fonctionnement autistique.

7.1. Associer l'adolescent et ses parents


« L'adolescent dispose de droits, il doit être reconnu dans sa
dignité avec son histoire, sa personnalité, ses rythmes, ses
désirs propres et ses goûts, ses capacités et ses limites. »
(HAS-ANESM 2012)
Dans cette histoire le jeune a plutôt droit à l'exclusion. Il est adressé au
SESSAD sous prétexte d'une évaluation demandée par l'équipe de
l'IMPRO[3] où il a été admis depuis deux ans et où il désespère les
éducateurs par son comportement passif restant « dans son monde ». La
demande d'évaluation cache mal le rejet, « il n'est pas à sa place chez
nous ». La famille le sait et le craint d'autant plus qu'elle n'a pas d'autre
solution alternative que le domicile et qu'elle a déjà l'expérience d'une série
d'exclusions : l'école ordinaire, les classes spécialisées de l'Éducation
nationale, un passage en hôpital de jour, un premier IME, puis un
deuxième. Elle arrive donc au SESSAD méfiante et critique à l'égard des
professionnels de l'IMPRO qui, de leur côté, emploient des euphémismes
pour accuser les parents d'être responsables de l'état de leurs fils.
Le diagnostic d'autisme pourrait être déjà soupçonné sur ce seul constat
d'impuissance qu'éprouvent parents et professionnels, handicapés dans leurs
rôles sociaux par le comportement du jeune !
Si j'ai choisi cette situation, c'est qu'elle est banale Les affects et les conflits
sont là d'emblée, alors qu'ils sont complètement absents des
recommandations de bonne pratique. C'est dans ces situations que les
formations professionnelles inspirées des éclairages psycho dynamiques
peuvent avoir leur plus grande utilité. La position de neutralité bienveillante
(qui nécessite un long apprentissage) n'est-elle pas la moins nocive pour ne
pas être pris dans ce tourbillon de projections ?
Tout en recevant les discours qui nous étaient tenus nous avons d'abord
observé les signes du trépied symptomatique dans le style singulier de ce
jeune et de sa famille.
➲Les troubles de l'interaction sociale, d'intensité majeure, consistaient en
une dépendance relationnelle vitale à la personne de sa mère. À part la
respiration, rien ne pouvait entrer ni sortir de son corps sans que sa mère fût
présente physiquement à côté de lui. Hors de sa présence il ne pouvait ni
absorber de la nourriture, ni boire, ni recevoir des sons, ni écouter une voix.
De même, rien ne pouvait sortir de son corps, aucune parole, aucune
défécation ni urine, si sa mère n'était pas physiquement sous son regard.
Ces troubles existaient depuis son premier développement et leur intensité
était telle qu'une tentative de camp de vacances à partir d'un hôpital de jour
à l'âge de 8 ans s'était soldée par un retour dans sa ville natale en
hélicoptère et en occlusion intestinale.
Les parents nous décrivaient cependant un comportement « normal » à la
maison où il parlait, il lisait, se nourrissait, allait aux WC (nous avons
appris ensuite qu'il fallait tout de même que la porte reste ouverte et que la
mère ne soit pas trop loin). Il supportait mal son frère cadet avec lequel il se
« bagarrait souvent ».
Dans les séances au SESSAD son attitude gestuelle traduisait son mal-être :
voûté, longeant les murs, recroquevillé, incapable de détendre son tonus, le
jeune ne croisait pas le regard, gardant les yeux fixés sur ses chaussures,
même quand il se déplaçait. Il n'entrait en relation spontanée ni avec les
autres jeunes ni avec les éducatrices.
➲Les troubles de la communication accompagnaient cette dépendance
interactionnelle. Le jeune n'échangeait rien avec l'environnement. Je n'ai
personnellement jamais entendu le son de sa voix. Quand on essayait
d'entrer en contact verbal avec lui, il devenait actif dans des comportements
de protection, se bouchant les oreilles et faisant de larges mouvements de
négation avec la tête, toujours sans croiser le regard.
➲La restriction d'intérêts, la ritualisation (dernier groupe du trépied
symptomatique) étaient difficilement observables dans les locaux du
SESSAD. Le jeune donnait plutôt l'impression d'un évitement de toutes les
activités, et il confirmait, du moins dans les premiers mois, le discours que
tenaient les professionnels de l'IMPRO : « Il ne veut rien faire. » Il pouvait
en effet rester assis sur une chaise, se balançant doucement, semblant
indifférent à l'environnement.
Le discours des parents décrivait dans l'espace domestique des rituels, des
focalisations d'intérêt, et la tendance à l'immuabilité. À la maison, aussi, il
pouvait rester assis sur une chaise, totalement apragmatique : « dans son
monde ». Cependant leur fils « savait tout » et avait appris seul sur les livres
scolaires de son frère cadet qui était à cette époque scolarisé en classe de
troisième. Il s'intéressait particulièrement à la géographie et à la
météorologie qu'il notait journellement sur des cahiers empilés dans sa
chambre.

7.2. Évaluer régulièrement


le développement
« Compléter l'examen somatique et les observations
cliniques structurées annuelles par des observations
informelles du fonctionnement et de la participation de
l'enfant ou de l'adolescent, réalisées dans ses différents lieux
de vie, de manière continue, par les parents et par les
professionnels au cours des interventions proposées. »
(HAS-ANESM 2012)
La mère était convaincue qu'elle était la seule personne à comprendre son
fils et qu'il était inutile de l'évaluer puisqu'elle savait ce qu'il valait. Ce n'est
qu'au fil du temps, par petites bribes, en plusieurs années, que la vraie
confiance s'est établie et que nous avons recueilli suffisamment de
renseignements pour emplir les questionnaires standardisés.
Finalement, nous avons eu l'accord pour faire passer un AAPEP[4] au jeune
et nous l'avons filmé en prêtant la cassette à la famille pour la commenter
ensuite avec les deux parents. Nous avons utilisé le passage de la CARS[5]
dans notre équipe bien sûr, (résultat 51 sur 60 pour l'intensité des
mécanismes autistiques), mais aussi avec l'équipe de l'IMPRO, ce qui a été
une occasion pour les éducateurs non habitués à l'autisme d'en connaître les
signes. La psychologue a trouvé un niveau intellectuel légèrement inférieur
à la normale aux matrices de Raven mais l'inhibition du jeune a été
importante pendant la passation du test.
Au-delà des mesures confirmant les observations cliniques le travail
d'évaluation a porté autant sur les représentations des différents adultes qui
interféraient avec le jeune que sur le jeune lui-même. Les professionnels de
l'IMPRO, en particulier, le voyaient comme un débile assez sévère, refusant
– intentionnellement, selon eux – d'accepter les lois sociales de
l'établissement. Les parents le décrivaient comme un enfant très intelligent
victime de l'incompétence des enseignants et des éducateurs. Les tests
effectués au SESSAD nous montraient un déficit de langage, sans déficit de
logique et une capacité de discrimination des détails ainsi qu'une bonne
motricité fine. Ce type d'écart d'appréciation est la règle dans les processus
d'évaluation. L'importance de la pensée contextuelle et donc de
performances différentes selon les environnements s'illustrait parfaitement.
Nos efforts ont porté sur la progressive convergence des opinions des
adultes autour du jeune.
7.3. Lier évaluations et projet personnalisé
« Quel que soit l'âge (…) l'intensité et le contenu des
interventions doivent être fixés en fonction de considérations
éthiques visant à limiter les risques de sous stimulations ou
au contraire de sur stimulation de l'adolescent. Les parents
(…) ont le droit de s'opposer à ces interventions… » (HAS,
ANESM 2012)
Pendant toute la première année le jeune venait, chaque semaine, trois fois
au SESSAD, nous allions une fois sur site à l'IMPRO et les contacts avec la
famille avaient lieu une fois par mois.
L'évaluation nous fournissait – lentement – un portrait de plus en plus
visible du jeune avec l'intensité de ses troubles de la communication sociale
et sa sensibilité et sensorialité autistiques.
Dans les séances au SESSAD, notre premier objectif a été de trouver un
moyen de communiquer. La mère ne souhaitait pas que nous forcions
(c'était son terme) son fils à parler Elle était sûre que cela le rendrait
malheureux. Nous avons respecté cette volonté qui correspondait à une
connaissance plus intime que la nôtre. Puisqu'elle nous disait aussi qu'il
savait lire et écrire, nous avons proposé au jeune l'échange écrit pour tenter
de communiquer selon ses stratégies. Nous avons décidé de passer par les
claviers d'ordinateurs en l'installant dans une pièce, sans autre jeune avec lui
(filtration des stimuli). À l'aise avec le clavier, il s'est obstinément refusé à
se plier aux règles les plus élémentaires de l'orthographe, ne réagissant à
aucune de nos remarques sur ce sujet et restant sur une transcription
phonétique très personnelle. Comme il était difficile de se promener avec un
ordinateur (nous étions avant la diffusion des Smartphones sur le marché) et
notre équipe encore débutante ignorait l'utilisation des machines
informatiques qui allaient devenir plus tard un de nos moyens d'intervention
privilégiés (après la technique PECS), nous avons pensé à utiliser une
étiqueteuse qu'il ne quittait pas et avec laquelle il pouvait nous écrire
« oui » ou « non », et quelques mots simples en réponse à nos questions. Ce
mode de communication une fois établi nous avons observé une
amélioration dans sa gestuelle, un certain lâcher prise dans son tonus, qui
venaient illustrer l'importance de la boucle perception/action et l'implication
du corps dans la communication. Très vite, nous lui avons proposé de nous
aider dans des tâches de bureautique liées au fonctionnement administratif
de l'établissement. Nous voulions des exercices qui tout en l'entraînant à
mieux taper à la machine et mieux communiquer auraient une valeur
sociale.
Notre équipe se mettait au service du jeune et de sa famille sans intention
de modifier l'équilibre de leurs interactions. Nous avions cependant
explicité à la famille nos objectifs généraux : permettre au jeune de vivre le
mieux possible dans le pays réel. C'est probablement parce que nous étions
profondément respectueux de l'équilibre trouvé par sa famille que nous
avons pu établir une relation suffisamment bonne pour se connaître et se
reconnaître. J'ai personnellement souvent admiré les étonnantes adaptations
au pays autiste que les parents du jeune avaient eux-mêmes inventées sans
recourir à aucune formation académique.
La mère nous disait que le jeune, à la maison, savait très bien utiliser un
ordinateur. Nous nous étions servis de cette information pour trouver le
canal de communication au SESSAD. Cependant à l'IMPRO, nous avions
constaté que le jeune restait sans toucher les claviers à l'atelier
informatique, se balançant légèrement sur une chaise, n'écoutant aucune
instruction. Nous avons fait l'hypothèse de la sur stimulation sensorielle en
écartant une supposée opposition mentalisée. L'atelier était trop bruyant,
notamment parce que les pieds métalliques des chaises avaient perdu leurs
embouts caoutchoutés et frottaient en crissant sur le carrelage. Nous avons
proposé d'équiper le jeune d'un casque anti-bruit et demandé à la direction
de réparer les chaises. Dans ces conditions, le jeune s'est montré tout à coup
capable de performer d'une façon excellente.
Cet aménagement de l'environnement a changé son statut dans l'IMPRO. Il
est brusquement passé de débile têtu dont il n'y avait rien à tirer au statut de
personnage mystérieux aux grandes capacités cachées ! Cette modification
de représentation a aussi permis au jeune d'avoir une meilleure confiance en
lui. Nous l'avons beaucoup félicité de ses progrès de compétences sur cette
activité de l'IMPRO. Un effet que l'on peut qualifier de thérapeutique a
donc accompagné une action comportementale, s'appuyant sur les modalités
de perception du jeune.
7.4. Intervenir de manière globale
et coordonnée
« Au-delà de 4 ans, la mise en place ou la poursuite des
interventions s'effectue selon des dispositifs différents en
fonction du profil de développement de l'adolescent et de la
sévérité des symptômes. » (HAS-ANESM 2012)
Après deux ans, la mère nous a déclaré : « Mon fils va avoir 18 ans, les
élections présidentielles approchent, je vous demande de le préparer à voter
aux présidentielles. »
Nous étions en 2002, la loi de 2005 n'était donc pas encore passée, mais
nous avions inscrit dans notre projet d'établissement la priorité aux familles.
Cette demande nous a cependant embarassés. Les résultats de l'évaluation
avec les outils standardisés nous autorisaient à refuser une telle exigence :
le jeune ne parlait pas, ses activités sociales malgré quelques progrès étaient
très réduites, les tests nous montraient d'importantes déficiences dans la
compréhension des codes sociaux. Il était difficile d'espérer une
appréciation subjective d'un enjeu aussi symbolique qu'une élection
politique !
Nous avons donc décidé, après réflexions en équipe, de proposer une
attitude entièrement comportementale. Nous avons répondu à la mère que
nous pouvions tenter d'apprendre à son fils le comportement qu'il convenait
d'avoir pendant une élection. Nous ne nous sentions pas capables de l'ouvrir
à la dimension symbolique d'un choix politique. Elle nous a répondu :
« C'est cela que je vous demande, qu'il puisse voter à la Mairie, pour le
choix on en parlera en famille, de toute façon, je le connais, il a ses
opinions. »
Nous avons donc travaillé sous cette ordonnance parentale. Nous avons
organisé des exercices de vote trois fois par semaine quand il venait au
SESSAD. Le jeune s'entraînait comme pour préparer une compétition
sportive.
La secrétaire a reproduit les bulletins des candidats avec leur photographie,
la carte électorale, les listes d'émargement. Nous avons trouvé
(difficilement d'ailleurs) une urne qui nous a été prêtée pour l'occasion Nous
avons mis en scène un bureau électoral, profitant d'ailleurs des locaux dont
nous disposions, d'anciennes chambres de vieillards munies de douches à
rideaux qui ont fait office d'isoloirs. Notre psychomotricien barbu s'est ceint
d'une écharpe tricolore pour jouer le rôle du Maire, la psychologue a fait
une merveilleuse secrétaire de Mairie.
Cet entraînement a duré deux mois et il a fallu inventer des techniques pour
contourner chaque obstacle. La première difficulté a été l'enchaînement des
actions. Nous avions préparé des schémas montrant les différentes étapes du
vote mais la première fois qu'il est entré dans l'isoloir, il a tiré le rideau de la
douche puis il n'est pas ressorti. Aussitôt l'équipe s'est mise à interpréter « il
n'arrive pas à choisir, c'est trop difficile pour lui, on n'aurait pas dû se lancer
dans cet exercice, etc. ». Nous avons essayé de l'appeler bien que nous
sachions que ce n'était pas le canal verbal qu'il préférait. Il n'a pas répondu.
Je suis allé téléphoner à la maman pour lui dire que nous étions en peine
dans le projet qu'elle nous avait demandé. Il a fallu cet incident pour qu'elle
m'apprenne qu'il était fréquent que son fils s'arrête au milieu d'une action,
que cela lui arrivait même assez souvent quand il mangeait et qu'il suffisait
d'une petite tape sur la table pour qu'il redémarre : « Donnez un petit coup
sur le rideau et vous verrez qu'il va se remettre en route… » Effectivement,
le conseil a été suivi d'un effet immédiat. Nous avons ensuite observé que
l'habituation par la répétition de l'exercice lui permettait de mieux en mieux
enchaîner les différentes actions du vote.
D'importantes difficultés eurent lieu avec la signature sur la feuille
d'émargement. Nous savions que le jeune avait la phobie des crayons et il
refusait activement d'en saisir un pour signer. Nous avons donc « inventé »
une solution en sachant qu'il n'était pas possible d'utiliser un clavier
d'ordinateur pour un vote en Mairie. Nous avons fabriqué un enrobage en
pâte à modeler durcissant autour d'un stylo pour lui permettre de signer sans
toucher le manche du stylo.
Le dimanche de l'élection présidentielle, ce jeune citoyen autiste majeur a
pu remplir son devoir électoral.
Le lendemain, nous lui avons demandé au SESSAD de nous raconter son
vote. Nous l'avons installé pour cela dans sa pièce habituelle devant le
clavier d'ordinateur, sans témoin. Il a tapé le texte que je crois intéressant de
reproduire ci-après en le doublant d'une orthographe conventionnelle.
Dimanche 21 averile 2002 gé Dimanche 21 avril 2002 j'ai voté
voté
Pui ge sui ranteré dans la méri Puis je suis rentré dans la mairie
Pui gé peri lé bulletin Puis j'ai pris les bulletins
Pui ge suis ranteré dan lizoloare Puis je suis rentré dans l'isoloir
Pui gé choazi in buletin pui gé Puis j'ai choisi un bulletin puis
gelisé le buletin dan lanvelope j'ai glissé le bulletin dans
l'enveloppe
Pui ge sui resoreti de lizoloare Puis je suis ressorti de l'isoloir
Pui gé perézanté la carete Puis j'ai présenté la carte
élécetorale électorale
Pui gé gelisé lanvelope dans Puis j'ai glissé l'enveloppe dans
lurene l'urne
Pui lanvelope é tombé dans Puis l'enveloppe est tombée
lurene dans l'urne
Pui ge sui arivé o moman ou ile Puis je suis arrivé au moment où
falu sineyé il fallut signer
Pui ge peri le ceréyon du Puis j'ai pris le crayon du
sézade mé ile fu refuzé SESSAD mais il fut refusé
é selui ci a refuzé le ceréyon du Et celui-ci a refusé le crayon du
sézade di ce tou le monde doa SESSAD, dit que tout le monde
peradere le méme setilo doit prendre le même stylo
é ile falu donce sineyé avéce le Et il fallut signer avec le même
méme ceréyon ce tou le monde crayon que tout le monde
pui maman me di de sineyé é ile Puis maman me dit de signer et
falu céleme dize de continué a il fallut qu'elle me dise de
chace létere continuer à chaque lettre
é pandan se tan la in bouchon Et pendant ce temps là un
se forema bouchon se forma
pui ge resoreti de la méri Puis je ressortis de la mairie
fin fin
Cette narration est une fenêtre ouverte sur la compréhension des mœurs
autistes. Elle met en évidence une façon de penser autiste, une façon d'agir.
Le jeune n'a pas quitté les mœurs de son pays. Il nous le démontre via la
structure de son récit. Il a seulement accepté de passer la frontière pour
vivre, à sa manière, un moment dans le pays réel. Il a fait acte de citoyen
ordinaire tout en habitant toujours en pays autiste au fond de lui.
Le langage est factuel, objectivant sans méta discours (pas de pensée sur la
pensée). La subjectivité semble absente : l'enveloppe tombe dans l'urne, elle
vient remplacer le sujet de la phrase et de l'action.
Le récit est découpé en séquences qui ne s'enchaînent pas avec fluidité. La
pensée est séquentielle (« puis…, puis…, puis… »), véritable mode
d'emploi du comportement, ici auto-décrit. On pourrait presque dire que le
jeune invente la méthode ABA par ce découpage de l'action en séquences.
En opposition à cette objectivation, à cette pauvreté de mentalisation, le
récit nous a semblé témoigner (projection de notre part ?) d'une satisfaction
du jeune d'avoir réussi à dépasser ses déficiences. Toute l'ambiguïté de la
problématique autistique est ici concentrée : pas d'auteur mais un auteur
quand même !
L'orthographe phonétique traduit l'impossibilité de se plier à des lois
symboliques. C'est à nous de décoder. Le jeune, lui, n'encode pas selon le
code social commun. Quand la description nous amène, nous les personnes
ordinaires, à sourire parce que nous imaginons le contexte, « il a fallu que
ma mère me dicte chaque lettre et pendant ce temps, un bouchon se forma »
le jeune n'a aucune intention d'humour. Il décrit ce qui s'est passé ce jour-là
dans le bureau de vote… et nous entendons ce qu'il ne dit pas : le pays réel
n'est pas encore prêt à accueillir la différence !

7.5. Assurer cohérence, continuité


et complémentarité des interventions
tout au long du parcours de l'adolescent
« Formaliser le projet personnalisé d'interventions porté par
l'équipe…en cohérence et complémentarité avec le projet de
vie de l'adolescent et de ses parents. » (HAS-ANESM 2012)
Ce que porte l'équipe, dans cette histoire, c'est d'abord la reconnaissance et
le respect de la pensée autiste du jeune. C'est pourquoi le projet de l'équipe
se résume à trouver des procédés comportementaux permettant de
l'accompagner pour vivre de la façon la plus autonome possible pour lui
dans notre monde. Les parents nous ont donné un objectif précis : qu'il vote
comme un citoyen ordinaire. Le jeune ne nous a rien exprimé, ses efforts
pendant l'entrainement valaient adhésion au projet.
En se mettant au service de ces désirs les éducatrices ont tenu à ignorer le
choix électoral de ce nouveau citoyen. C'était pour elles une question de
principe. Elles lui ont bien expliqué (et avec des dessins !) qu'il devait
garder les bulletins non choisis dans ses poches et ne pas divulguer son
choix.
Je n'ai pas eu autant de scrupules et, tout en respectant le jeune, ma curiosité
m'a poussé quelques temps plus tard à demander à la mère (qui était très
satisfaite que son fils ait pu voter), si elle savait pour qui finalement il s'était
décidé. Elle m'a répondu « Je crois qu'il a voté comme toute la famille pour
le candidat vert. »
Cette année-là, (2002) le candidat vert au premier tour de la présidentielle
s'appelait Noël Mamère.
« Ma-mère », le jeu phonétique de significations s'impose. La coïncidence
entre le signifiant du candidat et la problématique du cas est remarquable…
Preuve que nous sommes « neurotypiques » : nous associons les
représentations et jouons avec les rapports signifiants/signifiés Je ne crois
pas qu'on puisse aller plus loin sauf à prêter à ce jeune autiste des
fonctionnements conscients et inconscients qui ne seraient que la projection
des nôtres. Mais la chose est tentante et certaines écoles de psychanalyse ne
s'en priveraient pas.

Cohérence et continuité tout au long du parcours


Aux élections présidentielles suivantes, cinq ans plus tard, les deux parents
étaient demandeurs de recommencer l'entraînement. Le jeune, ritualisant sa
première expérience s'est mis spontanément, le lendemain de l'élection
devant son clavier, et pour les deux tours !
Le 22 averile 2007 gé été voté a Le 22 avril 2007 j'ai voté à la
la sale esecare poure le salle Oscar pour le premier tour
peromiyé toure dé élécesiyon des élections présidentielles
perézidansiyéle
Ge sui arivé à la sale osecare Je suis arrivé à la salle Oscar
Gé peri lanvelope J'ai pris l'enveloppe
Pui ge sui ranteré dans lisoluare Puis je suis rentré dans l'isoloir
Ge me sui teronpé can gé peri le Je me suis trompé quand j'ai
buletin care o débu gé peri le pris le bulletin car au début j'ai
moucheware mé aperé can ge pris le mouchoir mais après
me sui apéresu ce sété le quand je me suis aperçu que
moucheware ge lé remi dan la c'était le mouchoir, je l'ai remis
poche é gé peri le bulletin dans la poche et j'ai pris le
bulletin
Gé peliyé le bulletin J'ai plié le bulletin
Gé mi le buletin dan lanvelope J'ai mis le bulletin dans
l'enveloppe
Gé féremé lanvelope J'ai fermé l'enveloppe
Ge sui resoreti de lizoluare Puis je suis ressorti de l'isoloir
Pui gé monteré la carete Puis j'ai montré la carte
déléctere d'électeur
Gé mi le buletin dans lurene J'ai mis le bulletin dans l'urne
Pui gé sineyé avece le setilo a e Puis j'ai signé avec le stylo à
eux
Pui ge sui resoreti de la sale Puis je suis ressorti de la salle
osecare Oscar
Le 6 mai ge sui revenu à la sale Le 6 mai je suis revenu à la
osecare poure le deziyéme toure salle Oscar pour le deuxième
dé élécesiyon perésidansiyéle tour des élections
présidentielles
Ge sui arivé a la sale osecare Je suis arrivé à la salle Oscar
Gé peri lé bulletin J'ai pris les bulletins
Gé peri lanvelope J'ai pris l'enveloppe
P i i é d li l P i j i éd l'i l i
Pui ge sui ranteré dan lisoluare Puis je suis rentré dans l'isoloir
Gé choasi in bulletin J'ai choisi un bulletin
Gé mi le buletin dan lanvelope J'ai mis le bulletin dans
l'enveloppe
Gé féremé lanvelope J'ai fermé l'enveloppe
Ge sui resoreti de lizoluar Je suis ressorti de l'isoloir
Pui gé monteré la carete Puis j'ai montré la carte
délécetere d'électeur
Gé mi le buletin dan lurene J'ai mis le bulletin dans l'urne
Pui gé sineyé avéce le setilo a e Puis j'ai signé avec le stylo à
eux
Île nété pa de la méme coulere Il n'était pas de la même couleur
ce le peremiyé toure que le premier tour
Pui ge sui resoreti de la sale Puis je suis ressorti de la salle
osecare Oscar

Ce texte témoigne d'une évolution et de l'effet de la continuité de


l'accompagnement. Les progrès en capacités d'autonomie comportementales
sont manifestes : l'anecdote du mouchoir et la capacité de gérer cet imprévu
en témoigne. Cette diminution de la dépendance au contexte, cette
amélioration de la socialisation, sont exprimées dans un récit moins
mécanique où l'emploi du « Je » montre l'émergence d'une subjectivité en
cours d'affirmation. D'autres aspects de ce récit rappellent aussi la
permanence des mécanismes autistiques : la pensée toujours séquentielle.
L'observation de détails socialement non significatifs comme le stylo
républicain qui a changé de couleur entre les deux tours est bien proche de
la focalisation d'intérêt.

Complémentarité des interventions…


Les recommandations officielles ont raison d'insister sur la nécessaire
complémentarité des interventions et sur la coordination entre
accompagnants dans une même équipe et entre institutions différentes.
Notre travail entre 16 et 24 ans au SESSAD avait pour objectif ultime le
passage du jeune de l'IMPRO à une structure pour adultes. Je n'entrerai pas
dans les détails (qui furent nombreux) pour trouver un établissement qui
conviendrait, à savoir un établissement de travail pour handicapés. Tout cela
a demandé des mois de travail coordonné avec la famille, les moniteurs, les
ouvriers et la direction de l'ESAT La difficulté majeure a été de faire
accepter par les autres travailleurs cet ouvrier hors norme qui supportait très
bien le travail mais très mal les pauses et faire admettre que la mère vienne
à midi dans la cour de l'ESAT pour le nourrir. Il a fallu aussi aménager un
espace particulier pour les temps de repos car le contact avec ses collègues
provoquait des crises comportementales.
Enfin, le jeune fut embauché. Aujourd'hui, en 2013, à 29 ans (il a cessé de
venir au SESSAD depuis ses 25 ans) il est toujours travailleur dans cet
établissement où il donne satisfaction sur la machine la plus complexe de
l'atelier, avec un casque antibruit.
Le jour où il a reçu son premier bulletin de paye il était sur le point de
quitter le SESSAD. Toujours sans un mot et sans un regard, il est venu
montrer son salaire à tous, celles et ceux qui l'avaient accompagné pendant
six ans. Ce geste nous a émus. Nous y avons vu une mise en scène de son
retour au pays réel et nous avons d'abord spontanément pensé que c'était sa
façon de nous remercier de la route que nous l'avions aidé à parcourir.
Après ce premier mouvement narcissique nous avons réfléchi plus
professionnellement. C'était plutôt à nous de le remercier ! Avec la
soixantaine d'autres jeunes autistes accompagnés pendant ces années, il
nous a appris, entre autres, le pragmatisme et l'humilité. Nous ne pouvions
pas rêver de plus beau salaire pour notre travail, à condition que les
gestionnaires ne prennent pas cette conclusion éthique au sens littéral !
Glossaire

AMP(Aide Médico-Psychologique)
Métier du médico-social après une formation dispensée en voie directe ou
en cours d'emploi en alternance sur 12 ou 24 mois. L'AMP est l'éducatrice
du quotidien ; elle assure une aide de proximité permanente dans la vie
quotidienne des enfants, adolescents et adultes en situation de handicap.
Cette catégorie professionnelle est majoritaire dans l'accompagnement en
première ligne des personnes autistes dans les structures médico-sociales,
surtout chez les adultes. (Voir p. 36, 35)
ANESM(Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des
établissements et services sociaux et médico-sociaux)
Agence créée par la Loi de financement de la Sécurité Sociale en 2007 pour
accompagner les établissements et services sociaux dans la mise en œuvre
de l'évaluation interne et externe instituée par la Loi du 2 janvier 2002. Elle
publie des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, participe
à des enquêtes et des études sur le secteur médico-social. (Voir p. 66, 117,
119)
CRA(Centres de Ressources Autismes)
Créés en 2005, ces centres ont pour mission :
L'accueil et le conseil des personnes et de leurs familles
L'aide à la réalisation des bilans d'évaluation
L'information
Le conseil et la formation pour l'ensemble des acteurs impliqués
L'animation de la recherche
Ils n'assurent pas directement les soins mais interviennent en
articulation avec les dispositifs existants, sanitaires et médico-sociaux.
Structures médico-sociales, en général associées à une structure
sanitaire de type CHU, les CRA se développent à partir de réseaux
locaux sanitaires et médico-sociaux. Ils sont fédérés dans une
organisation nationale : l'ANCRA (Association Nationale des CRA).
(Voir p. 150)
CMP(Centre Médico-Psychologique)
Faisant suite aux anciens dispensaires, ils sont le lieu d'accueil, de
coordination des actions de prévention et de diagnostic, de soins
ambulatoires (consultations en psychiatrie organisées selon la sectorisation
– Décret 1986). Ils sont à rapprocher des C.A.T.T.P. (Centres d'Accueil
Thérapeutique à Temps Partiel), organisant des ateliers thérapeutiques et
des activités de soutien, et des hôpitaux de jour (structures sanitaires
fonctionnant à temps partiel). (Voir p. 13)
ESAT (Etablissement et Service d'Aide par le Travail)
Les ESAT ont succédé aux CAT (Centre d'Aide par le Travail) après la Loi
de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées.
L'orientation se décide en CDAPH à la MDPH.
Ces établissements permettent aux personnes qui n'ont pas acquis assez
d'autonomie pour travailler en milieu ordinaire d'exercer un travail dans un
environnement protégé. (Voir p. 168)
HAS(Haute Autorité de Santé)
Autorité publique indépendante à caractère scientifique, créée par la Loi du
13 août 2004 relative à l'Assurance Maladie. Personnalité morale distincte
de celle de l'État, l'agence remplit trois missions :
Évaluation médicale et économique des produits, prestations et
technologies de santé
Recommandations de bonnes pratiques
Certification et accréditation des établissements de santé
(Voir p. [2], 66, 117, 120)
IME(Institut Médico-Educatif)
Les établissements et services spécialisés destinés aux enfants et aux
adolescents handicapés ont d'abord été mis en place par un décret de 1989
(Annexes XXIV), puis par la Loi du 2 janvier 2002 réformant l'action
sociale et la Loi du 11 février 2005 donnant accès au droit et à la
citoyenneté pour les personnes handicapées. On distinguait classiquement
les IME (Médico-Educatifs pour les enfants jusqu'à 12/14 ans) et les
I.M.Pro. (Médico-Professionnels pour les 12/14 ans - 20 ans). Depuis 2002,
on distingue :
Les SEES (Section d'Education et d'Enseignement Spécialisé)
destinées aux plus jeunes
Les SIPFP (Section d'Initiation et de Première Formation
Professionnelle) destinées aux adolescents
Ces établissements se spécialisent selon le degré et le type de handicap
pris en charge. Ils sont financés par l'Assurance Maladie après
agrément de l'Agence Régionale de Santé (ARS) dans le cadre de la
Loi du 2 janvier 2002 gérant le fonctionnement des établissements du
domaine médico-social. Les enfants ou adolescents sont orientés vers
ces structures par la MDPH (Maison Départementale pour les
Personnes Handicapées). (Voir p. [4], 27, 100, 154)
MDPH(Maison Départementale des Personnes Handicapées)
Ce guichet unique pour l'accueil et l'accompagnement des personnes
handicapées a été mis en place en 2005 à la suite de la Loi pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées. Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de la
personne sur les bases d'un projet de vie et propose un plan personnalisé de
compensation du handicap.
Une Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées
(CDAPH) assure la mise en œuvre de ces décisions sur le plan de la
compensation et de l'orientation. La CDAPH remplace l'ancienne
Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel
(COTOREP) pour les adultes et l'ancienne Commission Départementale
d'Education Spéciale (CDES) pour les enfants.
Pour les enfants, la CDA attribue les Allocation d'Education d'Enfant
Handicapé (AEEH) et organise, avec la famille, la scolarité à l'aide d'un
PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) avec inclusion en école ordinaire
ou orientation vers des établissements médico-sociaux, en liaison avec les
instituteurs référents de l'Education Nationale.
Pour les adultes, la CDA attribue l'AAH (Allocation Adulte Handicapé) et
oriente vers des professions adaptées au handicap : travail plus ou moins
protégé en milieu normal ou dans des établissements de type ESAT. Les
MDPH mettent en pratique l'évolution des politiques et des conceptions
autour du handicap. (Voir p. 8, 150)
SESSAD(Service d'Éducation Spéciale et de Soins À Domicile)
Mis en place par Décret du 27 octobre 1989, ils apportent conseils et
accompagnement, favorisent l'intégration scolaire, l'acquisition de
l'autonomie grâce à des moyens médicaux, paramédicaux, psychosociaux,
éducatifs et pédagogiques adaptés. Les interventions ont lieu dans les
différents lieux de vie et d'activité de l'enfant et de l'adolescent (domicile,
crèche, école, centre de vacances et dans les locaux du SESSAD). Chaque
SESSAD est spécialisé par type de handicap. Ils sont assez souvent
rattachés à un IME et gérés par une association gestionnaire médico-sociale.
(Voir p. [3], 153, 154, 155, 157, 160, 163, 168)
Plans Autismes
Après de larges concertations, le Gouvernement français a publié trois Plans
Autismes qui définissent les politiques de santé ciblées sur ce handicap :
1er Plan : 2005/2007
2ème Plan : 2008/2010 comportant trois volets
Mieux connaître pour mieux former : 9 mesures
Mieux repérer pour mieux accompagner : 15 mesures
Diversifier les approches dans le respect des droits fondamentaux de la
personne : 7 mesures
3ème Plan : 2013/2017
Diagnostiquer et intervenir précocement
Accompagner tout au long de la vie
Soutenir les familles
Poursuivre la recherche
Sensibiliser et former l'ensemble des acteurs
(Voir p. [1], 150)
Notes
[1] Les sigles et mots en gras sont définis dans le glossaire en fin
d'ouvrage.
Notes
[1] Jim Sinclair (1993), « Ne nous pleurez pas », www.AutismeActus.org
[2] Maison départementale des Personnes handicapées
Notes
[1] Nelson A., « Aspies for freedom » considère les personnes Asperger
comme des minorités par rapport à la majorité des personnes normales.
Leur slogan affirme que l'autisme est une manière d'être et non un handicap
et encore moins une maladie.
[2] Je dois à madame Sophie Biette, elle-même parent d'une fille autiste et
responsable associative (ancienne présidente de l'ARAPI), d'avoir découvert
ce texte et je l'en remercie.
[3] Traitement et éducation des enfants atteints d'autisme et de troubles
apparentés de la communication.
Notes
[1] Wing L., in Attwood T., Le Syndrome d'Asperger (Avant-propos),
Dunod, 2003.
[2] Sur le site Asperger Aide France, vous trouverez un amusant document
qui présente les personnes normales comme atteintes du « syndrome
neurotypique » dans la description du Manuel diagnostique et statistique
des troubles normaux.
[3] Hochmann J., Histoire de l'autisme, Odile Jacob, 2009.
[4] Renoux L., Réflexions personnelles non publiées, 2006.
[5] « Autisme : le défi du programme TEACCH », Pro Aid Autisme, 1995.
[6] Baghdadli A., Noyer M., Aussilloux C., Interventions éducatives,
pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l'autisme, ministère de la
Santé et des Solidarités, Direction générale de l'Action sociale, Paris, 2007.
[7] Willaye E. et coll., Évaluation et intervention auprès des
comportements-défis, De Boeck, 2008.
Willaye E. et coll, Interventions comportementales cliniques, se former à
l'ABA, De Boeck, 2010.
[8] Baghdadli A., Entrainement aux habilités sociales appliquées à
l'autisme, Guide pour les intervenants, Elsevier Masson, 2011.
Notes
[1] Au sein de la maison pour les personnes autistes du Département d'Eure
et Loir nous avions en charge des adolescents et jeunes adultes autistes
résidant dans différentes structures médico-sociales. Nous avons pensé
qu'un outil pédagogique ludique nous aiderait pour expliquer l'autisme à nos
collègues qui travaillaient avec ces adolescents dans des établissements non
spécialisés dans l'autisme. Le long travail des responsables de la sécurité
routière… est donc le résultat du travail de l'équipe de Chartres, avec
laquelle, au fil de nos expériences d'accompagnement d'adolescents et de
jeunes adultes, nous avons construit ce code qui a pris d'abord la forme d'un
DVD intitulé Le permis de se conduire en pays autiste, prix spécial du jury
Entretiens de Bichat 2008.
[2] Par exemple : pratique de la vidéo où les accompagnants se filment
pendant les interventions et utilisation de ces documents dans les réunions
d'ajustement ou de projet avec les parents.
[3] L'aide des parents est ici incontournable. L'examinateur en aura
toujours besoin, ne serait-ce que pour savoir quel type de récompense
utiliser pour motiver un enfant jusqu'au bout de la passation des tests.
[4] Beaucoup d'autres instruments peuvent être utilisés.
Notes
[1] Le packing est une technique d'enveloppements humides assez
ancienne qui est devenue source de polémiques dans les années 2010-2012 :
voir avis du Haut conseil de la santé publique (2010).
[2] Ainsi, la HAS publie un « État des connaissances » (janvier 2010) en
précisant dans le sous-titre « Hors mécanismes physiopathologiques,
mécanismes psychopathologiques et recherche fondamentale ». Une
invitation officielle à ne pas penser ? Elle publie, avec l'ANESM, en 2012
des recommandations qui ne tiennent pas compte du travail clinique des
équipes sanitaires qui ne publient pas dans les revues anglo-saxonnes.
[3] On a quelquefois l'impression, surtout à l'adolescence, que les jeux sont
faits, qu'il restera comme ça toute sa vie, bref que c'est foutu. On sait
aujourd'hui qu'une évolutivité, reposant sur la plasticité cérébrale, rend de
nouvelles acquisitions possibles même si les mécanismes autistiques
persistent.
[4] Jordan B., Autisme, le gène introuvable ; de la science au business, Le
Seuil, 2012
[5] Bullinger A., Le développement sensori-moteur de l'enfant et ses
avatars, un parcours de recherche, Erès, 2004
[6] « Le monde va trop vite pour l'enfant autiste », La Recherche,
Décembre 2009, n° 436.
Tardif C., Gepner B., L'autisme (3e éd.), Armand Colin, 2010.
[7] Nadel J., Imiter pour grandir, Développement du bébé et de l'adulte
avec autisme, Dunod, 2011.
[8] L'expression « théorie de l'esprit » provient des travaux de Premack sur
les chimpanzés à la fin des années 1980.
[9] Test de Sally-Ann : on montre une petite bande dessinée représentant
deux enfants Sally et Ann dans une même pièce. Sally cache un bonbon
smartie dans une boîte, et sort de la pièce. Ann reprend le bonbon et le
cache dans un panier. Sally revient dans la pièce. Le professionnel demande
à l'enfant : « Où Sally va chercher le smartie ? » Un enfant au
développement normal de 3 ans va répondre : « Dans le panier ». Il n'est pas
capable de se mettre à la place de Sally, de comprendre que Sally ne sait pas
qu'Ann a caché le bonbon autre part. Il en est de même pour la majorité des
enfants autistes. Ils n'arrivent pas à se mettre à sa place, à avoir une théorie
sur la pensée.de l'autre, à se formuler une théorie de l'esprit de l'autre.
[10] Mottron L., L'autisme une autre intelligence, diagnostic, cognition, et
support des personnes autistes sans déficience intellectuelle, Mardaga,
2004.
[11] Coordination Internationale des Psychothérapeutes et Psychanalystes
s'occupant de personnes avec Autismes
[12] Kanner décrit l'autisme infantile en 1943. En 1945, le psychanalyste
René Spitz démontre les effets désastreux des carences précoces. Les
tableaux de marasme que présentaient les enfants privés de soins ont été
rapprochés des tableaux autistiques. Cette confusion aura des conséquences
désastreuses. Elle va conduire les psychanalystes à chercher l'origine des
troubles dans des carences éventuelles de soins maternels. Comme ils ne les
trouvent pas, ils inventent une carence inconsciente et en arrivent à la thèse
de l'inconscient maternel responsable, mais non coupable, de l'émergence
de l'autisme chez l'enfant.
[13] Hacking I., Cours au Collège de France, 2004-2005.
[14] Voir à ce sujet le travail d'une d'entre elles « On ne peut pas parler de
nous sans nous ». Entretien avec Mademoiselle Stéphanie Bonnot-Briey,
propos recueillis par Constant J., L'Information Psychiatrique n°9, 2009.
[15] Bernot G., « Faire s'épanouir pleinement les spécificités TED », Revue
Enfances, 2-2001.
[16] Lenfant A.-Y., Leroy-Depierre C., Autisme : l'accès aux
apprentissages pour une pédagogie du lien, Dunod, 2011.
[17] SATEDI (Syndrome Autistique Troubles Envahissant du
Développement International), association de personnes TED (et non plus
de parents) crée en 2003.
[18] La trilogie de Stieg Larsson (2005) considérée comme « le polar de la
décennie ».
Notes
[1] Ehrenberg A. « Le grand renversement », Annales médico-
psychologiques, n° 163, 2005, pp. 364-371.
Notes
[1] « Esprit des textes, organisation des contextes, un dispositif au service
des adolescents et jeunes adultes autistes en Eure et Loir », Les cahiers de
l'Actif, décembre 2008.
[2] Avec l'aide active de madame Nadine Teyssier, secrétaire médicale.
[3] Les équipes du SESSAD interviennent auprès des personnes qui sont
parallèlement suivies dans d'autres structures scolaires ou médico-sociales.
Ce jeune avait été orienté en section SIPFP que le langage courant continue
à dénommer IMPRO (Institut médico-professionnel) selon l'ancienne
dénomination.
[4] AAPEP (Profil Psycho Éducatif pour Adolescent et Adultes), test
fonctionnel mis au point par l'équipe américaine du programme TEACCH
pour évaluer les capacités adaptative à des postes de travail ; il fait suite au
test PEP étalonné pour les enfants.
[5] CARS (Children Autistic Rating Scale), échelle de cotation d'intensité
des troubles autistiques pour enfants, utilisée aussi chez les adultes
actuellement.

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