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9782100702893
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Jacqueline Nadel
Oui ils communiquent mal, mais nous ? Comment leur parle-t-on ? Tout le
monde le sait, l'autisme se caractérise par des difficultés de
communication… Mais la communication n'est pas un exercice solitaire :
elle se construit à deux. Il ne suffit pas d'avoir le matériel. C'est de
coproduction qu'il s'agit. Voilà le sérieux propos de ce livre à l'humour
décapant. Et d'abord avons-nous le code ? Un code de la route à suivre pour
communiquer, en quelque sorte, et qu'il faut savoir lire. Car il y a des stops,
des obligations de ralentir et des virages dangereux. Jacques Constant nous
fait une invite sérieuse sur le mode badin : regardons-nous tels que nous
(nous) conduisons devant eux, avec eux. Pour qui nous prenons-nous pour
imposer nos codes implicites comme des règles de conduite universelles ?
Qui ne les a pas sort du circuit ! Ne devons-nous pas plutôt considérer qu'il
y a des passerelles à construire entre nous et eux ? Et pour pouvoir les
construire, ne faut-il pas commencer par comprendre que d'autres codes
implicites peuvent exister ? Qui ne les a pas sort du circuit ! Mais cette fois-
ci c'est nous qui nous retrouvons dehors. Alors leur code de la route devrait
appeler chez nous un code de bonne conduite, un instrument pour décoder
et recoder, un message d'intérêt, un pas vers la langue de l'autre, sans
toutefois espérer être bilingue, même si on y aspire, car il faut bien admettre
notre handicap : on n'est pas du pays.
On n'est pas du pays. Qu'est-ce à dire ? Que leur structure de pensée diffère
de la nôtre, à supposer que nous ayons tous la même, et à supposer qu'il n'y
en ait qu'une parmi eux ? Syllogistique ? Séquentielle ? Associationiste ?
Catégorielle ? Quelle est leur structure de pensée et quelle est la nôtre ? Au
niveau cognitif, la question n'est pas réglée. Qu'est-ce d'ailleurs qu'une
structure de pensée ? Chomsky disait qu'elle se construit individuellement
avec la générativité du langage. Les neuro-imageurs font de la région
cérébrale de Broca le centre d'une « syntaxe supramodale » appliquée à la
fois au langage, à la musique et à l'action. Ces trois domaines possèdent en
effet des substrats neuronaux et des propriétés hiérarchiques similaires.
Alors comment s'organiserait la différence de structure mentale ? Ce
problème capital reste encore sans réponse.
On n'est pas du pays. Et c'est un handicap que l'on peut vouloir régler
diversement. On peut considérer qu'il faut leur faire apprendre nos règles
puisqu'elles sont universelles, leur donnant ainsi une chance de sortir de
leur isolement : qu'ils viennent donc vers nous. On peut aussi admettre
qu'ils gardent leurs codes mais à condition qu'ils respectent les nôtres
lorsqu'ils viennent chez nous : chacun chez soi. Il y a bien une troisième
voie. Jacques Constant ne nous la détaille pas. Ce n'est pas son affaire. Il
nous offre seulement les moyens d'y réfléchir. En effet, comment ne pas
comprendre, derrière la belle expression : « Nos semblables si différents »,
que l'on est confronté à une interrogation conceptuelle et éthique ? « Nos
semblables » : jusque-là, derrière cette dénomination, il y avait l'hypothèse
d'un fonctionnement mental similaire pour tous les humains. « Nos
semblables si différents » : derrière cette expression se profile une question
qui hante certains d'entre nous : où sont la légitimité et l'efficacité d'une
option basée sur l'affirmation d'une norme et une seule, qui s'appliquerait à
tous les développements et à tous les fonctionnements mentaux ?
L'universel humain est remis en question par l'autisme. Si l'on veut bien
faire ce premier pas, les autres suivront. Telle est la belle leçon de ce livre
qui se dévore comme un polar mais se médite comme un humanisme.
Introduction
Le passage de la frontière
Attention
Ces définitions consensuelles sont cliniques. Personne n'a trouvé encore aujourd'hui
(2013) de marqueurs biologiques qui viendraient signer objectivement une maladie.
Seule la subjectivité des douaniers, leur interprétation de chaque détail du
comportement, permettent le diagnostic.
Il est donc indispensable qu'ils aient une connaissance aussi grande que possible du
développement normal et des autres maladies pour pouvoir apprécier les manifestations
à leur juste valeur. En pratique, il faut aussi qu'ils connaissent les possibilités de
réponses de l'environnement au plus près du domicile des parents.
La classification des maladies mentales
Nosographie
De 1800 à 1950, les classifications étaient une affaire purement technique entre
psychiatres Au milieu du XXe siècle, un mode de classement nouveau, parti des USA,
s'est imposé à l'ensemble du monde, rompant avec la façon traditionnelle de classifier.
Les psychiatres américains ont conçu une classification qui se veut athéorique, c'est-à-
dire sans référence à un mode de pensée global préalable, et en particulier sans
référence à la métapsychologie psychanalytique qui était dominante à l'époque. En
principe, la démarche s'appuie d'une part sur les données scientifiques (publications et
statistiques) et d'autre part, sur une démarche démocratique où l'opinion des praticiens,
mais aussi celle du public, est sollicitée. L'objectif de cette méthode étant de réunir des
groupes de population suffisamment comparables pour qu'ensuite, on puisse pratiquer
des essais cliniques de médicaments ou d'autres méthodes thérapeutiques.
Sur ce principe, l'Association de Psychiatrie Américaine publie un manuel de
descriptions statistiques de maladies mentales et le révise régulièrement. Par exemple,
dans la publication du premier DSM en 1951, l'homosexualité est considérée comme
une maladie mentale dont on précise les critères. Sous l'effet des protestations des
différents mouvements gays aux États-Unis, les psychiatres modifient leur avis et dans
la publication du même DSM en 1983, l'homosexualité a disparu du champ de la
psychiatrie.
Sur la base de cette méthode, en 1980 puis en 1994 les critères des Troubles
Envahissants du Développement ont été définis selon une triade symptomatique. Des
entités cliniques ont été distinguées parmi les TED : autisme typique, TED non spécifiés,
syndrome d'Asperger, etc.
L'Organisation Mondiale de la Santé, de son côté, publie une Classification
Internationale des Maladies (CIM) qui suit en gros les descriptions américaines avec des
modifications ajoutées par certains pays. En France, la CIM 10 est la classification
exigée dans les recommandations.
Révision de mai 2013 : le DSM V
Le terme global de TSA (Troubles du Spectre Autistique) remplace celui de TED
(Troubles Envahissants du Développement). Les sous-groupes disparaissent de la
classification, et notamment le syndrome d'Asperger. Les deux premiers groupes de
symptômes (interactions sociales et communication) sont réunis en un seul : « Troubles
de la communication sociale »
Une distinction entre trois niveaux de gravité, selon l'intensité du soutien nécessaire, est
proposée. Il n'est pas possible de prévoir aujourd'hui (juin 2013) si le DSM V connaîtra
le succès mondial de son prédécesseur, le DSM IV-R et si la CIM 11 de l'OMS adoptera
ce modèle. Actuellement, en Amérique du Nord, des psychiatres critiquent le DSM V, les
associations d'Asperger protestent contre la disparition de leur syndrome et les
compagnies d'assurances s'inquiètent de l'extension du concept de TSA.
A.D.I. Vineland
Autism Diagnostic Interview
de Rutter et Lelord P.E.P. / A.A.P.E.P.
Long interview semi-directif
des parents Tests neuropsychologiques du
développement cognitif
A.D.O.S.
Autism Diagnosis Observation Examens du développement du
Schedule langage et de la communication
En France, le diagnostic est porté de plus en plus tôt par des équipes
compétentes. Des réponses adaptées sont rencontrées de plus en plus
fréquemment. Donner le diagnostic fournit aux parents le moyen de se
représenter leur épreuve.
Le diagnostic est comparable à un baptême. L'enfant, jusque-là étranger
dans sa famille, est reconnu comme habitant du pays autiste. Il entre dans
une communauté, celle des enfants atteints du même trouble que lui.
Pour continuer les améliorations qui se dessinent actuellement, et se
rapprocher de l'objectif officiel, il faut espérer que de plus en plus d'équipes
pourront partager avec les parents, dans la transparence, la démarche de
passage à travers cette frontière. Le processus diagnostique est un chemin à
parcourir ensemble : membres d'une équipe expérimentée et membres d'une
famille.
L'équipe avec ses multi-regards va proposer aux parents une représentation
de leur enfant handicapé. Elle va proposer la naturalisation en pays autiste
selon les signes qu'il présente.
SUR LE VIF
Retard mental et performances
Il souffre d'un degré intense d'autisme (58 sur 60 à la CARS ; ADI : algorithme supérieur
au seuil pathologique), il est mutique. À l'EFI., le niveau d'autonomie est coté faible et le
retard mental est sévère. Il participe peu aux activités proposées. Dans sa famille, il est
très tyrannique, de façon ritualisée.
Il a cependant un intérêt focalisé sur les dessins animés.
La maison familiale comprend plusieurs lecteurs de DVD fonctionnant de façon quasi
continue et passant tous les DVD de Walt Disney. Quand l'un d'entre eux s'arrête, il frappe
sa mère jusqu'à ce qu'elle en remette un autre…
Au SESSAD, le lecteur de DVD tombe en panne. Nous l'envoyons en réparation. Il revient
un jour où on ne l'attendait plus. Nous n'avons pas le temps de le déballer et le posons
dans une salle de télévision en attendant de le brancher.
Spontanément, ce jeune homme de 21 ans va se glisser dans la pièce, ouvrir seul le
carton, installer le lecteur DVD, le brancher et installer ses films préférés.
Prodigieuse capacité focalisée contrastant avec son manque apparent de capacités
intellectuelles dans les actes de la vie quotidienne…
SUR LE VIF
Souvenir professionnel…
À la fin d'une conférence, un homme d'une quarantaine d'années m'a posé une question.
Il a regretté que mon exposé n'ait pas suffisamment insisté sur les capacités des
personnes autistes. Je lui ai répondu que c'était mon expérience professionnelle avec
sans doute des biais de sélection qui venaient aussi de l'insuffisance des outils
d'évaluation.
Quand la salle s'est dispersée, ce monsieur est monté sur l'estrade et m'a demandé :
« Vous ai-je choqué avec ma question ? » Il a ajouté : « C'est important pour moi que vous
soyez sincère parce que je suis TED et je n'ai pas le sens social développé. Je peux vous
avoir choqué sans le vouloir car vous, vous êtes ''neurotypique'' et vous êtes sensible au
jeu social que j'ai du mal à apprécier. »
Nous avons continué cette conversation dans une salle adjacente.
Tout à coup, dans cette salle, des hauts parleurs se sont mis à grésiller (effet larsen). Le
monsieur s'est arrêté de parler et a pâli. Spontanément et sans réfléchir, je lui ai posé la
main sur l'épaule dans un geste de sympathie. Il a sursauté, s'est recroquevillé sur lui-
même et a mis en marche un appareil MP3 avec écouteurs. J'étais très gêné car je me
suis aperçu quasi immédiatement que je venais de faire spontanément un geste que je
conseille d'éviter dans toutes mes interventions de formateur.
Quand le bruit de Larsen a cessé, il a retiré ses écouteurs, s'est redressé, a repris des
couleurs et m'a dit : « Je vais vous raconter ce qui vient de se passer pour moi. Je vous
parlais et je fonctionnais quasi normalement. L'effet larsen m'a empêché de penser. Vous
aussi, vous êtes gêné par le larsen mais moi, je suis barré dans ma pensée. Quand vous
m'avez touché l'épaule j'ai perçu une agression, comme une blessure au couteau. À ce
moment-là, je me suis mis à fonctionner sur moi-même en autiste et je ne pouvais plus
dialoguer avec vous. J'ai l'habitude de ces situations. J'ai un moyen de me récupérer. J'ai
enregistré sur mon MP3 une fugue de Bach, je me la passe quand je me sens fonctionner
anormalement ; j'éprouve alors un sentiment vestibulaire de glisser comme sur des skis, je
m'apaise, ma pensée se réordonne et je peux maintenant vous parler de nouveau. »
TEACCH
Treatment and education of autistic and related communication handicapped
children[3]
Programme politique pour une prise en charge financière des enfants diagnostiqués
autistes ou porteurs de troubles de la communication.
Le sigle est un jeu de mots militant : il signifie « enseigner » en anglais et indique la
priorité donnée à l'éducation par rapport aux soins psychothérapiques.
Pour créer les conditions d'une authentique rencontre je crois qu'il est de
bonne méthode, pour les accompagnants, de se poser une question
préalable :
« Chacun de nous qui réussit à fonctionner un tant soit peu dans votre société, chacun
de nous qui arrive à sortir de lui-même et qui arrive à établir le contact avec vous, opère
en territoire étranger, entre en contact avec des êtres étranges. Nous passons notre vie
entière à faire cela et après vous nous dites que nous ne sommes pas capables d'entrer
en relation ! » Jim Sinclair, 1993.
« Voir le monde par leurs yeux et utiliser ce point de vue pour leur apprendre à
fonctionner dans notre culture aussi indépendamment que possible. »
Pour résumé
La rencontre entre personnes ordinaires et personnes autistes :
➲ Ne se réduit pas à l'aide à apporter à des handicapés ;
➲ Est la rencontre de deux façons d'être-au-monde ;
➲ Nécessite la modification de nos représentations, des idéaux parentaux, des idéaux
professionnels et l'utilisation de techniques passant par la compréhension de la pensée
autiste ;
➲ Peut apporter aux deux : personnes autistes et personnes ordinaires.
Le code de la route
Plus la personne
est déficitaire,
plus l'environnement
doit s'adapter.
SUR LE VIF
Témoignage d'une mère d'un jeune adulte
J'avais appris dans un stage qu'en présentant un planning de la journée avec des images,
on obtenait une amélioration du comportement. En rentrant chez moi le soir, j'ai découpé
les images, je les ai collées pour que la journée soit visible en séquences. J'ai déposé le
carton sur sa table de nuit à gauche de son lit quand il dormait. Le matin, il l'a pris, l'a à
peine regardé et l'a jeté par terre en criant. J'étais un peu démoralisée et puis, je me suis
aperçue que si je punaisais le planning à droite de son lit sur le mur (et que je ne le posais
pas à gauche sur la table de nuit), au contraire, il le regardait avec soin en se réveillant et
effectivement, était plus calme tout au long de la journée.
Quand il est entré dans un établissement résidentiel, je l'ai dit aux éducateurs Ils n'ont pas
voulu m'écouter et ont accroché le planning à gauche parce que la chambre était déjà
organisée comme ça. Ils ont eu une crise chaque matin…
Au bout d'un mois, ils ont changé le lit de place pour qu'il y ait la possibilité de punaiser le
planning sur le mur à droite. Et retrouvant son rituel, il a pu utiliser son emploi du temps et
les crises ont cessé.
Savoir où on va
Le panneau « circulation à sens
unique » a été choisi pour
rappeler que l'évaluation
débouche sur des exercices
orientés vers l'acquisition
de la meilleure autonomie
possible, ce qui représente
souvent, surtout pour les niveaux
déficitaires, la moindre
dépendance possible.
SUR LE VIF
Témoignage personnel d'un pédopsychiatre…
Je me dégageais du temps pour être présent avec la maman, quelquefois le papa (mais il
faut bien le dire, c'était le plus souvent la mère qui s'y collait), ainsi qu'avec la
psychologue, derrière une glace sans tain et nous observions directement l'enfant et
l'éducatrice qui lui faisait passer l'évaluation fonctionnelle (le plus souvent un PEP). Nous
commentions nos impressions à chaud en chuchotant car il ne fallait pas que l'enfant se
doute de notre présence. Je constatais souvent qu'après les premiers items, l'enfant
s'agitait. La structure même du test permettait d'obtenir peu à peu l'apaisement du
comportement de l'enfant car l'éducatrice n'insistait jamais sur les items sur lesquels il
échouait et il se rassurait par la réussite. La mère constatait donc les échecs et les
réussites. Nous insistions beaucoup sur les émergences, c'est-à-dire les endroits où
l'enfant paraissait intéressé sans vraiment réussir. Par exemple, un des items consistait à
appuyer sur une sonnette dans le style de celles qu'on voit dans les hôtels des westerns.
Si l'enfant portait l'objet à sa bouche ou semblait ne pas le voir, l'éducatrice faisait
disparaître l'objet pour éviter que l'enfant ne soit confronté à l'échec. Si au contraire,
l'enfant se servait de l'objet correctement, l'éducatrice le félicitait mais ne cotait pas le
résultat puisqu'il savait le faire. Il ne servait à rien de prévoir des exercices sur cette base.
En revanche, si l'enfant regardait latéralement et furtivement la sonnette, semblait, du
moins par moments, s'y intéresser, approchait et reculait la main, l'effleurait, parfois dans
un mouvement très rapide (Kanner avait appelé ça le signe du cube brûlant), alors
l'éducatrice notait une émergence. Il était possible, ensuite, en discutant avec la mère, de
voir dans quelle situation l'enfant aurait à appuyer sur des boutons. L'éducatrice pourrait
ensuite inventer des exercices pour lui apprendre à gagner en autonomie dans la vie
quotidienne.
Les enfants ordinaires apprennent les codes sociaux, les convenances, sans
s'en rendre compte. Ils développent un sens social, ils sont sensibles aux
ambiances relationnelles et affectives, tout comme les adultes dotés d'une
bonne santé mentale.
De tout cela, les personnes autistes, quel que soit leur niveau de
développement, sont dépourvues.
« Ce dont j'ai besoin, c'est d'un manuel d'orientation pour extraterrestres (…) D'une
certaine manière, je suis très mal équipé pour survivre dans ce monde. » Jim Sinclair,
1993.
« Le plus dur pour soutenir ma thèse de philosophie n'était pas de répondre aux
questions perfides du jury pendant six heures mais d'organiser le pot après le passage
de thèse, épreuve dont je me suis abstenu. » Josef Schovanec, Je suis à l'est, Plon
Éditions, 2012.
SUR LE VIF
Autiste de 8 ans…
Il voulait « des amis ». Il clivait les différents environnements et considérait qu'on ne
pouvait pas se faire d'amis à l'école où il allait quelques matinées par semaine, ni à l'IME
où il venait les autres jours.
Ses parents ont trouvé un centre aéré en lui disant : « Là, tu pourras te faire des amis. » Il
s'est précipité sur un ou deux garçons et leur a demandé « Veux-tu devenir mon ami ? (ce
que lui avaient appris ses parents). Au garçon qui a répondu « oui », il a administré une
gifle retentissante.
Le plaisir et l'excitation d'avoir un ami s'étaient traduits par ce geste impulsif !
On voit bien toutes les conséquences du manque de sens social spontané et toute la
nécessité de chercher à comprendre la signification du comportement par rapport aux
mécanismes autistiques, et non pas par rapport au sens commun.
Il n'y avait aucune agressivité à l'endroit de l'ami qu'il recherchait, seulement un manque
de contrôle émotionnel au moment où il ne fallait pas !
Ceinture de sécurité
SUR LE VIF
Témoignage d'une éducatrice…
Après ma journée de travail, je n'arrive plus à penser, j'ai la tête prise par ce gamin qui m'a
intriguée toute la journée. Je suis vidée, lessivée, je n'arrive plus à être présente pour mes
enfants. J'ai non seulement l'impression d'avoir tout donné mais qu'il m'a aussi tout pris.
C'est curieux, ça ne me faisait pas ça quand je travaillais avec des trisomiques… Ils me
fatiguaient mais ce n'était pas pareil.
SUR LE VIF
Témoignage d'une mère…
À cette époque, il prenait toute la place dans mon esprit, dans ma famille, dans ma vie, je
me sentais coupable vis-à-vis de mon mari, de son petit frère et de sa sœur. Je devenais
agressive, je n'arrivais plus à m'endormir. J'étais comme possédée par l'autisme de mon
fils.
Limitation de vitesse
Ce panneau de limitation
de vitesse indique tout
simplement qu'il faut tenir compte
du Quotient de Développement.
Le panneau « interdiction
de doubler » signifie qu'il ne sert
à rien d'aller plus vite que ne le
peut la personne accompagnée.
SUR LE VIF
Témoignage d'une mère…
Quand il pleut dehors et que nous devons sortir, j'ai remarqué qu'elle peut s'équiper de
façon adaptée à condition que je ne lui donne pas les consignes ensemble.
Si je lui dis, mets tes bottes, ton pull et ton anorak, elle va rester sans bouger dans
l'entrée, et même parfois elle ouvrira la porte et sortira en chaussons sous la pluie.
Si je prends le temps de dire « mets tes bottes » en lui montrant l'image et si j'attends
qu'elle les ait mises pour dire alors « mets ton pull » et répéter ensuite « avec l'anorak »,
elle s'équipe toute seule et ne sort qu'après s'être habillée correctement.
4.3. Le code de la route dans le trépied
symptomatique
A – Se conduire dans la traversée des troubles
de la relation
Les objectifs
des actions
proposées,
des exercices
de travail,
des loisirs,
sont signalés
sans ambiguïté
SUR LE VIF
Parcours à vélo en pays autiste…
Un accompagnant aimait beaucoup le vélo. Il motivait les jeunes (âge 18-22 ans) pour
cette activité mais leur intensité de troubles autistiques et leur niveau de développement
rendaient les balades en groupe quasi impossibles. Après avoir lu le code de la route, il a
décidé d'anticiper l'activité. Autour d'une table, les adolescents se réunissaient,
regardaient la carte dépliée où l'itinéraire était indiqué. L'accompagnant avait collé les
photos des adolescents et la sienne sur des petits bâtons eux-mêmes liés à des petits
cyclistes en plastique. On rendait ainsi pré-visible le peloton qui allait se former et l'ordre
dans lequel il allait se mettre. Il avait également pris des photos des principaux passages :
devant Intermarché puis devant la minoterie, devant la base de loisirs, le retour avec
passage le long de l'étang et devant le parcours sportif. Ensuite, le groupe partait en
promenade mais il arrivait toujours des imprévus que ni les photos, ni le parcours
n'avaient pu indiquer : des travaux, un embouteillage lié à un camion en panne.
L'excitation du groupe montait vite, alors l'accompagnant photographiait l'incident avec un
appareil numérique. Revenu au SESSAD, il remettait les adolescents autour de la table et
de la carte. On racontait, même si on n'avait pas de langage, ce qui était arrivé avec les
petits vélos en plastique et les photos. L'accompagnant avait réussi à donner la priorité au
prévisible jusqu'à prévoir les imprévus. Les jeunes en ont alors profité pour vivre une
activité qui les a rendus plus confiants en eux-mêmes.
Passer par ses mécanismes et ses possibilités
Accompagnants : arrêtez-vous !
Arrêtez de surcharger votre message
avec des explications qui provoquent
le contraire de ce que vous voulez !
À chaque fois que vous ajoutez des informations à votre consigne, vous la
rendez plus difficile à déchiffrer. Quand vous voulez expliquer, vous
rajoutez des détails et la personne TED ne sait plus trier, hiérarchiser,
retenir l'essentiel du message.
SUR LE VIF
Vous souhaitez qu'il s'asseye sur une chaise…
Vous lui dites : « Assieds-toi sur cette chaise ». Il ne bronche pas, ne réagit pas.
Quelquefois, il vous regarde et vous pensez qu'il est interrogateur. Vous décidez
d'expliquer votre consigne : « Tu sais, il faut être assis pour pouvoir travailler avec tes
deux mains, sinon tu seras fatigué. » Il vous dit « non ». Vous pensez qu'il ne veut pas
s'asseoir mais lui n'a retenu que « fatigué » dans tout le message. Il vous dit simplement
qu'il n'est pas fatigué.
Vous vous énervez car l'heure tourne : « Je t'ai déjà dit de t'asseoir. » Toujours pas de
réaction.
Vous vous énervez davantage : « Cela fait cent fois que je te dis de t'asseoir, tu es sourd
ou quoi ! » Il vous répond encore « non » car il sait qu'il n'est pas sourd.
On peut continuer l'exemple longtemps…
Dans cet exemple, si la sécurité routière passe par là, vous allez perdre des
points ! Non seulement vous n'avez pas respecté le panneau « Stop aux
explications inutiles » mais vous avez prêté à cet enfant des intentions (il ne
veut pas s'asseoir), des interprétations relationnelles (il m'en veut, il me
refuse). Vous n'avez donc pas respecté le panneau suivant : « Sens interdit
aux interprétations projectives. »
Sens interdit aux interprétations projectives
SUR LE VIF
Il a 19 ans, il mesure 1,85 m, c'est un impressionnant zaïrois
bien charpenté…
Nous lui apprenions à prendre les autobus… Grâce à l'appui sur le visuel, à la
séquentialisation des actions, il arrivait assez bien à enchaîner les actions nécessaires
pour cette activité d'autonomisation. Mais, ces autobus, surtout aux heures où nous
l'entraînions, servaient de transport scolaire et le jeune homme fixait les collégiennes se
dirigeant assez électivement vers celles qui, à nos yeux de personnes ordinaires,
paraissaient les plus désirables… Bref, il nous semblait intéressé par les filles ! Et quoi de
plus naturel (pour nous) puisqu'il avait 19 ans et qu'il était, comme on dit, dans la force de
l'âge. Il s'approchait jusqu'à quasiment se coller à elles. Il ne parlait pas mais les fixait du
regard intensément. Cela provoquait évidemment (évidemment est ici déjà une
interprétation de neurotypiques) des réactions de la part des collégiennes, du genre « tu
veux ma photo » quand ce n'était pas un rejet plus vulgaire et plus direct « casse-toi de là
le bonobo ».
Nous avons mis du temps à nous dégager de notre interprétation spontanément
sexualisée. Il ne s'agissait pas d'un intérêt génitalisé pour les jeunes filles ! Nous nous en
sommes rendu compte quand nous avons observé le même comportement de fixation du
regard, d'attirance, d'approche, de désir de coller à l'objet… à propos des chromes de
voitures qui fascinaient le jeune avec la même intensité que les jeunes filles. Et,
finalement, nous avons compris que dans les jeunes filles (et pour cela la mère nous a
aidés par ses observations), c'était les reflets des chevelures qui intéressaient le jeune, et
non pas la personne sexuée.
Pour rester dans la perception du monde de cet adolescent, nous lui avons enseigné la
distance socialement admissible en le dotant d'un mètre en bois que nous avons scié à
60 cm pour lui signifier que c'était la distance qu'il fallait respecter. Il a pu prendre
l'autobus tout seul quelques mois plus tard, toujours attiré par les reflets des chevelures,
mais à distance supportable pour les filles normales !
Quand une personne autiste « stationne dans son autisme », cela veut dire
qu'elle s'isole, s'absorbe dans ses stéréotypies, répète sans cesse des
comportements qui ne l'aident en rien à s'intégrer dans le pays réel.
Ces comportements, souvent d'autostimulation sensorielle, lui apportent
cependant un certain apaisement et il n'est pas conseillé de les bousculer
avec trop d'énergie.
Mais, il ne faut pas non plus la laisser s'y complaire car elle sera obligée, de
toute façon, de vivre dans notre monde et donc d'abandonner les horreurs –
ou les délices, qui sait ? – du monde autistique.
« La pire maltraitance que l'on puisse faire à une personne autiste est de ne pas
l'éduquer et de la laisser croupir dans son autisme. »
Stanislas Tomkiewicz
Une erreur fréquente est de prendre pour un refus ce qui n'est qu'une panne
de starter. Il est très fréquent que les personnes TED ne sachent pas
démarrer une activité, fréquent aussi que les accompagnants croient qu'ils
refusent alors qu'un signe simple les aiderait à démarrer.
SUR LE VIF
Témoignage d'un père…
Mon fils est capable de faire beaucoup de choses. Il est vrai qu'il ne parle pas mais il sait
lire. Il est même passionné par la revue Géo et il sait plus de choses en géographie que
son grand frère dont il lit les livres scolaires. Mais souvent, il s'arrête au milieu de la
lecture et même quelquefois pendant le repas, au milieu d'un plat. Je l'ai même vu arrêter
sa cuillère entre l'assiette et sa bouche comme s'il était en panne. On lui a fait des
examens, ce ne sont pas des absences épileptiques. Sa mère le fait repartir par une petite
tape sur le coin de la table ou sur le haut de sa tête.
C'est comme s'il fallait le réinitialiser plusieurs fois par jour !
Comment communiquer ?
La notion de communication
On ne peut pas ne pas communiquer disait Watzlawick, un psycholinguiste
américain de l'école de Palo Alto dans les années 1970. Les êtres humains
communiquent symboliquement. Sur l'image ci-dessus, vous voyez que si
les conducteurs des trois voitures n'ont pas en commun un code symbolique
(celui de la priorité à droite dans le pays réel), le carrossier du village voisin
risque d'avoir du travail.
Les autistes sont des êtres humains : ils communiquent. Les définitions
officielles du trépied parlent « de troubles de la communication » et
s'attardent sur le langage. Le langage articulé n'est toutefois pas le seul
médium de communication. Bien avant de savoir parler, nous
communiquons, comme tous les êtres vivants, avec notre environnement.
Par le biais de capteurs sensoriels dont nous sommes équipés, nous
recevons par nos cinq sens les flux qui nous traversent : force de pesanteur,
sons, odeurs, goût, images, touché. Nous avons la capacité, depuis tout
petit, de réunir à l'intérieur de nous ces informations entre elles, c'est ce que
les savants appellent l'inter-modalité. De plus, les études de psychologie
développementale faites sur les bébés depuis les années 1980 ont mis en
évidence un couplage perception/action. Autrement dit, nous répondons à
ces flux sensoriels par une analyse intérieure des messages et par une
organisation motrice qui, selon sa maturation, nous adapte aux flux reçus.
Quand un bébé entend la voix de sa mère, il tourne sa tête vers elle, il croise
son regard et dès qu'il peut, il sourit et se montre intéressé par ce visage
changeant.
Les observations des bébés nous prouvent que notre corps est notre premier
instrument de communication. C'est aussi le terrain où s'enracinent nos
sentiments qui s'expriment au tout début de notre vie par des variations de
tonus et de postures. La construction du corps par les bébés qui risquent de
devenir autistes ne se fait pas selon les mêmes lignes de développement, les
mêmes stratégies, que les bébés ordinaires.
Pour qu'apparaisse le langage, il faut qu'il existe une certaine conscience de
son corps et de son corps en interaction avec les autres de l'espèce, et
surtout nos mères. Tout cela se fait dans un « format » (J. Bruner) où notre
corps est porté par l'adulte (Winnicott), en organisant des spirales de
transactions (Lebovici) à la fois concrètes, imaginaires et symboliques entre
le bébé et sa mère. Ce processus est distordu dans les modalités de
maturation autistique.
Les conditions préalables à l'émergence du langage ne sont pas toujours
réunies, d'où l'importance de s'appuyer sur des mécanismes perceptivo-
moteurs d'avant le langage, par exemple l'imitation, et d'aider l'enfant à agir
dans l'espace pour construire sa personnalité. C'est pourquoi les abords des
troubles de la communication bénéficient souvent d'approches
psychomotrices, ce qui est quelquefois mal compris des parents qui veulent
à tout prix que l'enfant acquiert d'abord le langage. Sans être dogmatique, il
est nécessaire d'articuler le travail des orthophonistes et celui des
psychomotriciens pour aider à mieux communiquer.
Ce tableau
de Magritte
exprime toute la
complexité
de la fonction
symbolique
(« sémiotique »,
disait le grand
psychologue
J. Piaget)
indispensable
à une bonne
communication
humaine.
Sur ce tableau, le peintre a peint un objet. L'image de cet objet est sur la
peinture. Cette image représente une pipe et n'est pas l'objet pipe lui-même.
Pour souligner cette différence entre le signifié (l'objet pipe) et le signifiant
(le tableau de la pipe par le peintre), Magritte a ajouté une légende écrite.
Les personnes autistes ont pratiquement toutes d'importantes difficultés
pour accepter l'arbitraire du lien entre signifiant et signifié. C'est en effet un
code social et elles ont des problèmes avec les codes sociaux communs.
C'est un code que de dire une pipe s'appelle « une pipe » et non pas un
tabouret ou un escabeau. D'ailleurs, le code change quand on change de
langue et certains autistes à niveau intellectuel supérieur se focalisent sur
l'étude des langues.
Devant cette complexité, de très nombreux théoriciens se sont lancés dans
des explications intellectuelles d'un grand intérêt pour la gymnastique
neuronale de leurs lecteurs mais dont les retombées pratiques sont parfois
bien légères. De plus, l'habituelle inversion des pronoms personnels par les
enfants autistes qui utilisent très longtemps le « tu » à la place du « je », a
donné lieu à des discours interprétatifs aussi passionnants en théorie
qu'inefficaces en pratique.
Nous avons vu que les autistes sont en général peu à l'aise avec les jeux sur
le langage, les sens multiples d'un même mot, les jeux de mots. Tous ces
signes montrent leur difficulté avec la fonction symbolique.
L'outil : langage articulé
Le développement des
personnes ordinaires se fait
dans un premier temps (de la
naissance jusqu'à 2 ou 3 ans)
par des procédés non
langagiers.
Le bébé humain semble équipé pour imiter les mimiques faciales de ses
parents, pour jouer sur le tonus, les postures, les gestes afin d'entrer en
relation, de percevoir les messages de l'environnement (communication
réceptive), avant de posséder la maîtrise du langage. L'émergence de la
capacité de parler est précédée par le pointage du doigt des objets qui
l'intéressent (pointing protodéclaratif), puis peu à peu par l'acquisition des
capacités expressives, d'abord peu articulées, puis de mieux en mieux
maîtrisées sous la forme du langage articulé.
Pendant la première période du développement, l'imitation est un procédé
puissant de communication. Les travaux de Jacqueline Nadel l'ont très bien
démontré. Puis, une grande révolution s'opère autour de 2 ou 3 ans : l'enfant
acquiert un instrument nouveau : le langage articulé. C'est un moyen de
communication formidable qui lui permet de beaucoup mieux comprendre
les messages venus de l'environnement avec toutes les nuances (langage
réceptif), et peu à peu, de mieux exprimer lui-même sa volonté, sa pensée
vers l'environnement (langage expressif articulé, apprentissage de la langue
maternelle).
Des savants étudient le langage articulé : ce sont les linguistes. D'autres
étudient les relations du langage articulé avec la psychologie : ce sont les
psycholinguistes. D'autres enfin étudient les bases physiologiques du
langage : ce sont les phoniatres. Les psychologues développementalistes
étudient le développement de la communication et l'apparition du langage
articulé dans les premières années. Les orthophonistes, appelés
« logopèdes » dans certains pays francophones, s'occupent de la rééducation
des troubles du langage.
Dans tous ces domaines, les personnes autistes présentent des troubles, dans
la forme, le contenu, l'utilisation du langage et d'une manière plus générale,
des perturbations dans les modalités de la communication.
La sécurité routière en pays autiste simplifie ces problématiques
complexes
La signalisation officielle
Les accompagnants sont des personnes ordinaires. Ils apprécient tous les
jours le bénéfice du bavardage : c'est un délice de savoir parler, de pouvoir
s'exprimer par le langage articulé. C'est le meilleur moyen pour évoquer des
présences de personnes absentes, de choses qui ne sont pas là maintenant,
des souvenirs. Cela permet à la fois d'être seul quand on se parle
intérieurement et d'être avec les autres quand on entretient un dialogue.
Cela permet de jouer sur les sens multiples des mots : sens concret et sens
imagé, et de s'en amuser beaucoup. Cela permet de mentir aussi (ce que
savent très mal faire les personnes autistes), et mentir ça permet d'être
assuré que personne ne viole son monde intérieur. Ça rassure beaucoup sur
son individualité, sa subjectivité.
Il est donc bien naturel que les personnes ordinaires aient envie de faire
profiter les personnes autistes de ce merveilleux instrument, et bien tentant
d'oublier qu'elles souffrent de Troubles Envahissants du Développement
qui, dès leur premier âge, ont perturbé les interactions et les
communications entre elles et l'environnement.
Pour rappeler aux accompagnants cette désagréable réalité, la sécurité
routière a rajouté le panneau ci-contre.
Ce panneau est un peu malicieux. Tous ceux qui connaissent les salles
d'activité d'un hôpital de jour ou d'un IME savent combien elles sont
bruyantes et surchargées de stimulations sonores. De plus, les éducateurs
formés à une certaine époque, à la fin du XXe siècle, ont appris qu'il fallait
fournir à l'enfant autiste « des bains de langage ».
SUR LE VIF
Témoignage d'une éducatrice…
Elle est excédée. La répétition d'une séquence qui se termine par des excitations avec
flapping alors que l'enfant fait tomber exprès son crayon, a de quoi la mettre à bout…
Elle s'exclame : « Les bras m'en tombent. »
Aussitôt, l'enfant s'inquiète, se met à pleurer à chaudes larmes, et à coller au corps de
l'éducatrice en l'enlaçant. Il s'était cru responsable d'une double amputation !
Il n'est pas rare de constater d'étranges progressions qui cassent un peu nos
représentations d'un développement linéaire. Des jeunes qui savent à peine
parler, dont l'élocution est très difficile à comprendre, gênée par une
prosodie parasite, peuvent s'appuyer sur la gestuelle et comprendre les
situations. Pour d'autres, l'écriture est plus facile à utiliser que le langage.
En découpant les mots, l'écriture semble les aider à mieux se situer dans le
flux sonore permanent du langage.
➲Les techniques de communication augmentée sont utilisées
si le langage articulé existe, même de façon imparfaite
➲Les techniques de communication alternative sont utilisées si le
langage n'existe pas. On invente des procédés qui vont se substituer au
langage articulé en passant par d'autres canaux de communication : le plus
souvent visuels, parfois tactiles ou sonores. Aujourd'hui, différentes
techniques de communication alternative sont à la disposition des
accompagnants. Elles nécessitent le plus souvent, pour être maîtrisées, des
formations spécifiques en supplément au métier de base. Souvent, les
éducatrices non formées ont d'ailleurs inventé elles-mêmes des techniques
de compensation.
Tab. 4.1 Les techniques de communication alternative
➲ Technique P.E.C.S.
Picture Exchange Communication System (image et oralité)
➲ Technique Makaton
(oralité et langage des signes)
Ces crises doivent d'abord être comprises. Ce ne sont pas des crises de
« colère », encore moins d'opposition. Ce sont des ruptures de régulation
émotionnelle qui mettent la personne et son entourage en grande difficulté.
On considère aujourd'hui que ces crises sont les conséquences des
changements ressentis dans la personne ou perçus dans l'environnement, qui
déséquilibrent la manière d'être de la personne.
Le panneau « risque
d'incendie » est utilisé pour
rappeler que certaines
situations perturbent le fragile
équilibre psychique intérieur
des personnes autistes.
Ce panneau annonce
le début d'une « route prioritaire
».
SUR LE VIF
Exemple d'un chantier de travaux…
C'était une bonne période. Il avait 9 ans, il était partiellement scolarisé. Il montrait de
l'appétence pour des acquisitions académiques comme la lecture, l'écriture, et développait
des centres d'intérêt socialement adaptés.
Son intensité d'autisme était importante (plus de 40 à la C.A.RS.). Son niveau de
développement le situait dans une zone légèrement inférieure aux performances obtenues
par les enfants du même âge.
Ce matin-là, en arrivant dans la salle d'activité, il s'est mis à crier, à se rouler par terre en
hurlant, la crise comportementale augmentant sans cesse malgré les diverses stimulations
des éducatrices déroutées.
Appelé en urgence, le médecin ne comprenant pas plus le comportement que les
éducatrices, décide de téléphoner à la mère pour savoir si des événements imprévus ont
eu lieu dans la famille. La réponse est négative. Il avait passé une bonne nuit, le matin
même il était calme en prenant le taxi qui l'amenait au centre.
Éducatrices, psychologue, médecin se sont mis à réfléchir et à éliminer les hypothèses
trop compliquées qui leur venaient spontanément à l'esprit. Était-il malade ? Avait-il mal
quelque part ? Était-il mécontent pour une raison psychologique que l'équipe cherchait en
vain ? Après un assez long temps d'errance dans les hypothèses, une éducatrice
remarqua que sa collègue qui était la référente du garçon était allée la veille chez le
coiffeur et se trouvait ce jour-là avec des cheveux courts alors qu'ils étaient longs
précédemment. Toute l'équipe s'enthousiasma pour cette hypothèse. Nous avions trouvé
la raison dans l'environnement, l'imprévu qui avait déclenché l'orage comportemental.
Aussitôt, le médecin d'un ton solennel, s'adressa à l'enfant pour lui dire « ton éducatrice
avait les cheveux longs, aujourd'hui elle a les cheveux courts, c'est un changement mais
tu dois l'accepter ». Ces paroles n'eurent aucun effet sur l'enfant qui continua à se rouler
en criant d'un mur à l'autre de la pièce alors que les autres enfants tentaient cahin caha de
continuer leurs activités, mais commençaient à s'agiter car tout le monde était perturbé.
Très déçue de l'absence de réaction à ce qu'elle pensait être l'explication du
comportement, l'équipe se laissait aller à la démoralisation.
Mais le travail sur un chantier de crise doit continuer. Notre analyse a dû être insuffisante.
Où nous sommes-nous trompés ? C'est alors que l'idée se fit jour : nous avions peut-être
trouvé la cause mais nous avions employé pour la rendre compréhensible à l'enfant, les
modalités du langage articulé. Certes, il parlait, il comprenait le langage, mais il était en
crise et dans ces conditions, il fonctionnait avec une priorité des mécanismes autistiques
qui lui rendait le langage articulé difficile à comprendre.
L'équipe décida alors d'employer un support visuel. Hâtivement, on dessina son
éducatrice avec des longs cheveux, le coiffeur avec de grands ciseaux sur une autre
image, puis l'éducatrice avec les cheveux courts. Comme l'enfant savait lire, on nota sous
les trois portraits ainsi rapidement griffonnés, le prénom de l'éducatrice.
Allongé sur le sol, il se roulait toujours, et pour être à sa portée, le médecin lui présenta
successivement les trois images. Il s'arrêta, les regarda pensivement puis se leva sans un
mot, calme, vint s'asseoir à sa table de travail et reprit les exercices là où il les avait
laissés la veille.
Ce panneau signale dans le code
de la route officiel : « Autres
dangers pour lesquels il n'existe
pas de panneau correspondant. »
La sécurité routière vous rappelle ainsi que le voyage en pays autiste n'est
jamais de tout repos.
Chapitre 5
« L'autiste neuro-développemental »
Dans la représentation actuelle le syndrome reste évolutif la vie durant.
Cette notion, relativement nouvelle, est tout à fait encourageante pour
s'occuper des personnes TED.[3] On se développe toute sa vie, les dendrites,
les synapses et nos mécanismes physico-chimiques suivent et témoignent de
nos apprentissages en se fixant plus ou moins dans une circuiterie neuronale
qui est le support de nos compétences de fonctionnement.
La représentation d'une trajectoire neurobiologique différente de la norme
donne une certaine unité aux aspects multiples de la clinique. C'est un
portait résultant d'une série d'événements neuro-physio-psychologiques,
survenant à différents moments du développement, interagissant entre eux.
« Les sens chez les neurotypiques sont comme une équipe de hockey. Ils fonctionnent
ensemble. Les TED ont des sens qui sont une équipe d'élite mais qui ne se font pas de
passes. » Brigitte Harrisson
« L'autiste psychanalytique »
Le portrait est celui d'un individu aliéné dans son développement par une
orientation précoce de ses procédures psychologiques internes (les
mécanismes de défense), souffrant d'angoisses archaïques qui rendent
compte de son immuabilité, de ses rituels et de ses comportements. Une
approche de soins psychothérapiques est donc nécessaire mais,
contrairement à la caricature qui en est donnée, elle n'est pas exclusive. Les
psychanalystes modernes (regroupés dans l'association CIPPA[11] par
exemple) considèrent que le soin psychothérapique vient en complément
des abords éducatifs et pédagogiques structurés, et comportementaux. Ils ne
cherchent plus aujourd'hui l'origine des troubles dans d'éventuelles carences
inconscientes de soins maternels[12]. Les explications des auteurs
psychanalytiques dépendent de leurs écoles référentielles et sont parfois très
divergentes. Ils portent leur attention sur la progressive constitution psycho-
affective de la personnalité. Ils proposent de saisir, en faisant appel à leurs
propres ressentis, le vécu intérieur des personnes autistes. Pour mettre en
récit l'histoire du sujet ils recourent à des métaphores figurant les angoisses
archaïques : chute sans fin, angoisse de liquéfaction, de morcellement. Cette
conception prend tout son intérêt dans les récits de psychothérapies
d'enfants jeunes (« Comment aider un enfant autiste ? », Marie-Dominique
Amy, Dunod, 2004) Bien que ces recherches ne correspondent pas à la
méthodologie basée sur les preuves, elles peuvent faciliter l'abord
empathique en aidant l'enfant et ses parents. Elles ont aussi un grand intérêt
pour comprendre les contre-attitudes des accompagnants. Elles ne méritent
pas le dédain dans lequel elles sont tenues par les textes officiels.
➲ ALLIONNE M. et C., Autisme, donner la parole aux parents, Les Liens qui libèrent, 2013.
➲ BARRON S., BARRON J., Moi, l'enfant autiste, J'ai lu, 2007.
➲ COPELAND J., Pour l'amour d'Anne, Fleurus, 1974.
➲ DECLERCQ, Dis maman, c'est un homme ou un animal, Autisme France Diffusion,
Mougins, 2002.
➲ HERBAUDIERE D., Cathy ou l'enfance muette, Mercure de France, 1972.
➲ IDOUX-THIVET A., Écouter l'autisme, le livre d'une mère d'enfant autiste, Autrement,
Coll. « Mutations », 2009.
➲ KNODT-LENFANT, Claudin classé X chez les dinormos, Autisme France Diffusion, 2005.
➲ LEFEVRE L., Le petit prince cannibale, Actes Sud, 1990.
➲ VAUTRIN J., La vie Ripolin, Éditions Mazarine, 1986.
Depuis les dix dernières années du XXe siècle les récits autobiographiques
des personnes TED sont apparus. Ces textes irritent parfois les
professionnels : « C'est de la concurrence déloyale ! » Ces personnes
expliquent « tout l'autisme » alors que les professionnels mettent des années
à l'apprendre. Certains mettent en doute les diagnostics, d'autres adhèrent
sans recul devant le cachet « Vu à la télé » et oublient d'acquérir les
connaissances académiques de base.
Ces témoignages ont leurs limites. Ils ont tendance à cliver l'humanité en
deux : d'un côté les TED qui seraient sans imagination ni sens social mais
avec un sentiment d'appartenir à une minorité sous-estimée dans ses
potentialités logiques, et de l'autre les normaux, les « neurotypiques »,
entravés par leur imagination et leur sens social pour comprendre les TED.
Le risque d'une dérive sectaire plane : se retrouver tous pareils, autrui exclu.
Risque qui touche aussi tous les professionnels peu enclins à ouvrir leurs
congrès à ceux qui ne partagent pas leurs convictions. Enfin sur un plan
philosophique en devenant auto-spécialistes de leur fonctionnement, les
personnes TED SDI s'inscrivent dans un paradoxe :
d'un côté, elles se proclament comme les mieux placées pour exprimer
leurs modalités de fonctionnement, ce qui les enferme dans un système
égocentré en circuit fermé qui ne peut que renforcer leur tendance au
repli autistique ;
d'un autre côté, dans ce mouvement qui les fait devenir experts d'elles-
mêmes, ces personnes réalisent le rêve socratique à l'origine de la
philosophie : se connaître soi-même.
Intérêt des témoignages pour les accompagnants
Affiner le portrait des personnes TED
Malgré ces réserves, ces témoignages peuvent aider les accompagnants à se
constituer une bonne représentation des personnes TED. Les convergences
sont frappantes avec les résultats des recherches. Certains témoignages ont
d'ailleurs été publiés dans des revues scientifiques.[15]
Trois points ressortent pratiquement de tous les témoignages :
➲Les modalités sensorielles particulières entraînant des altérations de la
perception ;
➲La priorité donnée auraisonnement logique (ou quelquefois
paralogique) et à l'absence d'ambiance psycho-affective autour de la
cognition ;
➲La nette préférence du rapport visuel avec l'environnement, plutôt
que l'évocation de l'environnement par un rapport imaginatif et langagier.
Mieux se positionner
Certaines personnes TED travaillent avec des professionnels pour des
recherches (comme Michèle Dawson au Canada), d'autres donnent des
conférences ou des cours. Leurs discours ne sont pas similaires mais ils
apportent quelques conseils techniques en supplément de l'effet affectif de
leurs témoignages. Les accompagnants peuvent en tirer profit pour mieux se
situer dans leurs missions éducatives ou pédagogiques. Leurs propos ne
sont pas dépourvus d'aspects inhabituels pour les habitants du pays réel : ils
rompent avec les codes qui nous sont naturels. Cela particulièrement dans le
domaine scolaire.
Les explications de l'enseignant, sa reprise de l'exercice sous une autre
forme (si utile à l'enfant ordinaire), sur-handicaperaient – selon ces experts
du pays autiste – l'enfant TED, car elles le gênent dans ses modalités de
traitement de l'information. La répétition qui est comme chacun sait une des
bases de la pédagogie, serait ainsi contre-indiquée pour les enfants autistes.
Répéter à un enfant autiste sous différentes formes ce qu'il n'a pas compris
reviendrait à le surcharger inutilement d'informations parasites qu'il
n'oubliera pas, et qui lui rendront plus difficile les tâches qu'il aura à
accomplir.
Selon ce point de vue de l'intérieur, il faut au contraire tendre à lui donner
accès au matériel pédagogique, le laisser le manipuler après lui avoir
montré une seule fois, sans digression verbale parasite, la tâche à accomplir.
Si l'enfant ne la réalise pas, cela ne veut pas dire qu'il ne veut pas travailler
ou qu'il n'a pas compris. L'enfant autiste est incapable de hiérarchiser, et
surtout de supprimer (d'oublier) toutes les expériences enregistrées dans sa
mémoire. Il ne peut rien y effacer. Dépourvu d'intuition il peut cependant
comprendre et apprendre par imitation et par utilisation de sa mémoire
visuelle. Il faut donc se méfier de la technique éducative la plus classique,
celle du contrôle des connaissances, des apprentissages par essai/erreur, car
à vouloir évaluer et contrôler les connaissances, on risque d'empêcher le
sujet d'exprimer ses compétences selon ses stratégies singulières. Le
fonctionnement autiste empêcherait de classer hiérarchiquement les
informations reçues, Les échecs auront donc même valeur que les réussites,
c'est pourquoi il est capital d'essayer de le mettre le plus souvent possible en
situation de réussite et de l'y encourager. Les explications ajoutées quand la
tâche n'est pas réalisée, seraient source d'informations non signifiantes et
donc de brouillage.
Il faudrait aussi, si l'on suit ces conseillers d'un nouveau type, éviter de
manier l'affectivité, l'intuition, l'imagination, et il serait nécessaire que les
personnes accompagnantes établissent des transactions logiques et
uniquement logiques entre le matériel support des apprentissages et l'enfant.
Ainsi, il serait conseillé de ne jamais se mettre en situation d'intermédiaire
relationnel entre l'enfant et la tâche qu'il a à accomplir. Plutôt que
d'expliquer une interaction qui n'est pas comprise, il conviendrait de mettre
la personne autiste devant des situations de dialogues entre deux personnes
ordinaires qu'elle observerait et qu'elle pourrait imiter, à condition que
l'accompagnant ne cherche pas à intervenir.
Cet ensemble de conseils rejoint les pratiques des enseignants et des
éducateurs expérimentés[16]. Notons enfin que la plupart des personnes
TED/SDI sont assez critiques vis-à-vis des méthodes de stimulations type
ABA auxquelles elles reprochent de trop négliger les différences
individuelles.
On ne peut que souligner l'écart qui existe entre ces conseils de travail
adapté au fonctionnement des personnes TED et les habitudes, l'idéal
professionnel, les coutumes, les références des travailleurs ordinaires du
monde de l'enfance, qu'ils soient enseignants, éducateurs, psychologues, ou
médecins. Mais, comme le remarque le président de l'association SATEDI,
[17] Monsieur Emmanuel Dubrulle, nous avons peut-être tendance
à considérer que « la personne autiste est inadaptée alors que ce sont les
activités que nous voulons partager avec elle qui ne sont pas adaptées à son
mode de perception et de fonctionnement ».
L'administration du pays
Le pays autiste pose une question politique au pays réel : que faire de ces
populations ? Où les mettre ? Comment les considérer socialement ?
SUR LE VIF
Souvenir professionnel – région parisienne 1968/1969
« La colonie de Perray Vaucluse » section V où, dans une salle immense, 60 « enfants »
(certains avaient plus de 40 ans) vivaient sur des lits, le plus souvent attachés pendant la
journée.
Je me souviens d'un garçon d'une quinzaine d'années qui frappait, griffait et mordait. Les
infirmières n'osaient plus approcher de son lit. Elles lui glissaient, en poussant une petite
table, la nourriture sans le toucher.
Le chef de service m'avait demandé de tenter une thérapeutique qui avait fait ses preuves
dans certains cas de schizophrénie adulte : la cure de Sakel. Il s'agissait de plonger le
malade dans un coma artificiel par une piqûre d'insuline à haute dose, et de le sortir de ce
coma par une intubation avec un gavage de sucre.
Les infirmières profitaient que ce garçon soit dans le coma pour s'approcher de lui, le
toucher et l'embrasser tendrement sur le front.
Et les affects sont absents des recommandations officielles !
Cette période coloniale est acceptée par l'opinion, et notamment les familles
auxquelles les médecins disent à cette époque : « Mettez-le à l'asile, il n'y a
plus rien à faire », « Oubliez le, ne venez pas le voir trop souvent ». Seuls
quelques psychanalystes s'insurgent contre cette situation et entreprennent
des psychothérapies expérimentales.
Le discours médical évolue. On se met à croire aux bienfaits de la
colonisation. On demande donc un effort supplémentaire aux indigènes, à
savoir les familles : « Confiez nous votre enfant à l'hôpital, avec l'éclairage
psychanalytique, nous interpréterons ses comportements et nous le sortirons
de l'autisme. » Il faut attendre les années 1970 aux États-Unis et les années
1980 en France pour que la déception des parents, mais aussi des
professionnels, et les données nouvelles de la psychologie
développementale, amènent le constat de l'échec de ces propositions.
L'illusion thérapeutique mise dans le traitement psychanalytique se retourne
alors en agressivité.
Aux USA, Éric Schopler un psychologue, élève de Bettelheim, rompt avec
son maître pour créer le programme TEACCH en Caroline du Nord
(décennie 1960-1970). Ivar Lovaas formé à la psychanalyse, adhère au
Behaviorisme et propose des méthodes comportementalistes qui prendront
ultérieurement le nom générique de méthodes ABA. Une forte rivalité
d'ailleurs opposera les deux hommes. Leurs points de vue vont cependant se
développer avec autant de vigueur que s'était répandue la pensée freudienne
dans les années précédentes.
La France va connaître une évolution parallèle mais en décalage. Les
pratiques de pédopsychiatrie publique ne se sont développées qu'à partir de
1970. Elles ont été alors très influencées par l'éclairage psychanalytique qui
a effectivement dynamisé les asiles et permis de transformer les conditions
sociales de l'hospitalisation, notamment par la création des hôpitaux de jour.
Dans les décennies 1970-1980 et même 1980-1990, la pédopsychiatrie se
développe beaucoup en France. Des approches multidimensionnelles
éclairées par les courants psychodynamiques dérivés de la psychanalyse
sont proposées pour aider les enfants et leurs parents. Cependant, des
dérives s'observent : mouvements antipsychiatriques, certains courants
psychanalytiques interdisant l'entrée des parents dans les institutions pour
respecter l'atmosphère de neutralité psychothérapique qui doit y régner.
L'attitude consistant à attendre l'émergence du désir en croyant alors que
l'enfant retrouverait le chemin des apprentissages, est une aubaine pour la
fainéantise de certains accompagnants. Dans ce climat, surviennent des
troubles insurrectionnels qui vont mettre fin à la période coloniale à la fin
du XXe siècle.
L'époque post-coloniale
Comme tous les jeunes pays émergents, le pays autiste a continué à être
traversé par des secousses nombreuses. Les associations de parents se sont
multipliées et déchirées entre elles. L'apparition d'associations d'usagers est
venue quelquefois les contredire. Les rapports avec les décideurs de l'État
sont toujours houleux. En 2004 par exemple, l'association Autisme Europe
a fait condamner la France pour une insuffisance de scolarisation des
enfants autistes.
Le pays autiste débarrassé du mandat psychiatrique, est retombé rapidement
sous le joug de nouveaux colonisateurs : les Agences du pays réel. Les
décideurs politiques ont aujourd'hui la place qu'avaient hier les
psychanalystes et avant-hier les médecins aliénistes.
Pour illustrer le retour vers le pays réel, je vais raconter l'histoire d'un jeune
homme autiste accompagné de 16 à 24 ans par l'équipe dont j'assurais la
responsabilité médicale de 2000 à 2008.
Ce suivi s'est déroulé dans la Maison pour les personnes autistes du
Département d'Eure et Loir, structure médico-sociale gérée par le Centre
hospitalier de Chartres. Nous avons, avec madame Claire Lucas Pointeau la
responsable administrative, décrit le dispositif (SESSAD + IME pour
jeunes autistes entre 14 et 24 ans[1]), ses moyens matériels et ses références.
C'est avec cette équipe que le code de la route en pays autiste a été mis au
point.[2]
Je vais suivre le plan des recommandations de mars 2012 pour structurer ce
récit, qui précède de dix ans les textes officiels mais en illustre l'intérêt et
les limites. L'étude de cas s'inscrira ainsi dans la philosophie
recommandable tout en illustrant les différences entre le discours de
perfection politique et le fonctionnement autistique.
AMP(Aide Médico-Psychologique)
Métier du médico-social après une formation dispensée en voie directe ou
en cours d'emploi en alternance sur 12 ou 24 mois. L'AMP est l'éducatrice
du quotidien ; elle assure une aide de proximité permanente dans la vie
quotidienne des enfants, adolescents et adultes en situation de handicap.
Cette catégorie professionnelle est majoritaire dans l'accompagnement en
première ligne des personnes autistes dans les structures médico-sociales,
surtout chez les adultes. (Voir p. 36, 35)
ANESM(Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des
établissements et services sociaux et médico-sociaux)
Agence créée par la Loi de financement de la Sécurité Sociale en 2007 pour
accompagner les établissements et services sociaux dans la mise en œuvre
de l'évaluation interne et externe instituée par la Loi du 2 janvier 2002. Elle
publie des recommandations de bonnes pratiques professionnelles, participe
à des enquêtes et des études sur le secteur médico-social. (Voir p. 66, 117,
119)
CRA(Centres de Ressources Autismes)
Créés en 2005, ces centres ont pour mission :
L'accueil et le conseil des personnes et de leurs familles
L'aide à la réalisation des bilans d'évaluation
L'information
Le conseil et la formation pour l'ensemble des acteurs impliqués
L'animation de la recherche
Ils n'assurent pas directement les soins mais interviennent en
articulation avec les dispositifs existants, sanitaires et médico-sociaux.
Structures médico-sociales, en général associées à une structure
sanitaire de type CHU, les CRA se développent à partir de réseaux
locaux sanitaires et médico-sociaux. Ils sont fédérés dans une
organisation nationale : l'ANCRA (Association Nationale des CRA).
(Voir p. 150)
CMP(Centre Médico-Psychologique)
Faisant suite aux anciens dispensaires, ils sont le lieu d'accueil, de
coordination des actions de prévention et de diagnostic, de soins
ambulatoires (consultations en psychiatrie organisées selon la sectorisation
– Décret 1986). Ils sont à rapprocher des C.A.T.T.P. (Centres d'Accueil
Thérapeutique à Temps Partiel), organisant des ateliers thérapeutiques et
des activités de soutien, et des hôpitaux de jour (structures sanitaires
fonctionnant à temps partiel). (Voir p. 13)
ESAT (Etablissement et Service d'Aide par le Travail)
Les ESAT ont succédé aux CAT (Centre d'Aide par le Travail) après la Loi
de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la
citoyenneté des personnes handicapées.
L'orientation se décide en CDAPH à la MDPH.
Ces établissements permettent aux personnes qui n'ont pas acquis assez
d'autonomie pour travailler en milieu ordinaire d'exercer un travail dans un
environnement protégé. (Voir p. 168)
HAS(Haute Autorité de Santé)
Autorité publique indépendante à caractère scientifique, créée par la Loi du
13 août 2004 relative à l'Assurance Maladie. Personnalité morale distincte
de celle de l'État, l'agence remplit trois missions :
Évaluation médicale et économique des produits, prestations et
technologies de santé
Recommandations de bonnes pratiques
Certification et accréditation des établissements de santé
(Voir p. [2], 66, 117, 120)
IME(Institut Médico-Educatif)
Les établissements et services spécialisés destinés aux enfants et aux
adolescents handicapés ont d'abord été mis en place par un décret de 1989
(Annexes XXIV), puis par la Loi du 2 janvier 2002 réformant l'action
sociale et la Loi du 11 février 2005 donnant accès au droit et à la
citoyenneté pour les personnes handicapées. On distinguait classiquement
les IME (Médico-Educatifs pour les enfants jusqu'à 12/14 ans) et les
I.M.Pro. (Médico-Professionnels pour les 12/14 ans - 20 ans). Depuis 2002,
on distingue :
Les SEES (Section d'Education et d'Enseignement Spécialisé)
destinées aux plus jeunes
Les SIPFP (Section d'Initiation et de Première Formation
Professionnelle) destinées aux adolescents
Ces établissements se spécialisent selon le degré et le type de handicap
pris en charge. Ils sont financés par l'Assurance Maladie après
agrément de l'Agence Régionale de Santé (ARS) dans le cadre de la
Loi du 2 janvier 2002 gérant le fonctionnement des établissements du
domaine médico-social. Les enfants ou adolescents sont orientés vers
ces structures par la MDPH (Maison Départementale pour les
Personnes Handicapées). (Voir p. [4], 27, 100, 154)
MDPH(Maison Départementale des Personnes Handicapées)
Ce guichet unique pour l'accueil et l'accompagnement des personnes
handicapées a été mis en place en 2005 à la suite de la Loi pour l'égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées. Une équipe pluridisciplinaire évalue les besoins de la
personne sur les bases d'un projet de vie et propose un plan personnalisé de
compensation du handicap.
Une Commission des Droits et de l'Autonomie des Personnes Handicapées
(CDAPH) assure la mise en œuvre de ces décisions sur le plan de la
compensation et de l'orientation. La CDAPH remplace l'ancienne
Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel
(COTOREP) pour les adultes et l'ancienne Commission Départementale
d'Education Spéciale (CDES) pour les enfants.
Pour les enfants, la CDA attribue les Allocation d'Education d'Enfant
Handicapé (AEEH) et organise, avec la famille, la scolarité à l'aide d'un
PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation) avec inclusion en école ordinaire
ou orientation vers des établissements médico-sociaux, en liaison avec les
instituteurs référents de l'Education Nationale.
Pour les adultes, la CDA attribue l'AAH (Allocation Adulte Handicapé) et
oriente vers des professions adaptées au handicap : travail plus ou moins
protégé en milieu normal ou dans des établissements de type ESAT. Les
MDPH mettent en pratique l'évolution des politiques et des conceptions
autour du handicap. (Voir p. 8, 150)
SESSAD(Service d'Éducation Spéciale et de Soins À Domicile)
Mis en place par Décret du 27 octobre 1989, ils apportent conseils et
accompagnement, favorisent l'intégration scolaire, l'acquisition de
l'autonomie grâce à des moyens médicaux, paramédicaux, psychosociaux,
éducatifs et pédagogiques adaptés. Les interventions ont lieu dans les
différents lieux de vie et d'activité de l'enfant et de l'adolescent (domicile,
crèche, école, centre de vacances et dans les locaux du SESSAD). Chaque
SESSAD est spécialisé par type de handicap. Ils sont assez souvent
rattachés à un IME et gérés par une association gestionnaire médico-sociale.
(Voir p. [3], 153, 154, 155, 157, 160, 163, 168)
Plans Autismes
Après de larges concertations, le Gouvernement français a publié trois Plans
Autismes qui définissent les politiques de santé ciblées sur ce handicap :
1er Plan : 2005/2007
2ème Plan : 2008/2010 comportant trois volets
Mieux connaître pour mieux former : 9 mesures
Mieux repérer pour mieux accompagner : 15 mesures
Diversifier les approches dans le respect des droits fondamentaux de la
personne : 7 mesures
3ème Plan : 2013/2017
Diagnostiquer et intervenir précocement
Accompagner tout au long de la vie
Soutenir les familles
Poursuivre la recherche
Sensibiliser et former l'ensemble des acteurs
(Voir p. [1], 150)
Notes
[1] Les sigles et mots en gras sont définis dans le glossaire en fin
d'ouvrage.
Notes
[1] Jim Sinclair (1993), « Ne nous pleurez pas », www.AutismeActus.org
[2] Maison départementale des Personnes handicapées
Notes
[1] Nelson A., « Aspies for freedom » considère les personnes Asperger
comme des minorités par rapport à la majorité des personnes normales.
Leur slogan affirme que l'autisme est une manière d'être et non un handicap
et encore moins une maladie.
[2] Je dois à madame Sophie Biette, elle-même parent d'une fille autiste et
responsable associative (ancienne présidente de l'ARAPI), d'avoir découvert
ce texte et je l'en remercie.
[3] Traitement et éducation des enfants atteints d'autisme et de troubles
apparentés de la communication.
Notes
[1] Wing L., in Attwood T., Le Syndrome d'Asperger (Avant-propos),
Dunod, 2003.
[2] Sur le site Asperger Aide France, vous trouverez un amusant document
qui présente les personnes normales comme atteintes du « syndrome
neurotypique » dans la description du Manuel diagnostique et statistique
des troubles normaux.
[3] Hochmann J., Histoire de l'autisme, Odile Jacob, 2009.
[4] Renoux L., Réflexions personnelles non publiées, 2006.
[5] « Autisme : le défi du programme TEACCH », Pro Aid Autisme, 1995.
[6] Baghdadli A., Noyer M., Aussilloux C., Interventions éducatives,
pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l'autisme, ministère de la
Santé et des Solidarités, Direction générale de l'Action sociale, Paris, 2007.
[7] Willaye E. et coll., Évaluation et intervention auprès des
comportements-défis, De Boeck, 2008.
Willaye E. et coll, Interventions comportementales cliniques, se former à
l'ABA, De Boeck, 2010.
[8] Baghdadli A., Entrainement aux habilités sociales appliquées à
l'autisme, Guide pour les intervenants, Elsevier Masson, 2011.
Notes
[1] Au sein de la maison pour les personnes autistes du Département d'Eure
et Loir nous avions en charge des adolescents et jeunes adultes autistes
résidant dans différentes structures médico-sociales. Nous avons pensé
qu'un outil pédagogique ludique nous aiderait pour expliquer l'autisme à nos
collègues qui travaillaient avec ces adolescents dans des établissements non
spécialisés dans l'autisme. Le long travail des responsables de la sécurité
routière… est donc le résultat du travail de l'équipe de Chartres, avec
laquelle, au fil de nos expériences d'accompagnement d'adolescents et de
jeunes adultes, nous avons construit ce code qui a pris d'abord la forme d'un
DVD intitulé Le permis de se conduire en pays autiste, prix spécial du jury
Entretiens de Bichat 2008.
[2] Par exemple : pratique de la vidéo où les accompagnants se filment
pendant les interventions et utilisation de ces documents dans les réunions
d'ajustement ou de projet avec les parents.
[3] L'aide des parents est ici incontournable. L'examinateur en aura
toujours besoin, ne serait-ce que pour savoir quel type de récompense
utiliser pour motiver un enfant jusqu'au bout de la passation des tests.
[4] Beaucoup d'autres instruments peuvent être utilisés.
Notes
[1] Le packing est une technique d'enveloppements humides assez
ancienne qui est devenue source de polémiques dans les années 2010-2012 :
voir avis du Haut conseil de la santé publique (2010).
[2] Ainsi, la HAS publie un « État des connaissances » (janvier 2010) en
précisant dans le sous-titre « Hors mécanismes physiopathologiques,
mécanismes psychopathologiques et recherche fondamentale ». Une
invitation officielle à ne pas penser ? Elle publie, avec l'ANESM, en 2012
des recommandations qui ne tiennent pas compte du travail clinique des
équipes sanitaires qui ne publient pas dans les revues anglo-saxonnes.
[3] On a quelquefois l'impression, surtout à l'adolescence, que les jeux sont
faits, qu'il restera comme ça toute sa vie, bref que c'est foutu. On sait
aujourd'hui qu'une évolutivité, reposant sur la plasticité cérébrale, rend de
nouvelles acquisitions possibles même si les mécanismes autistiques
persistent.
[4] Jordan B., Autisme, le gène introuvable ; de la science au business, Le
Seuil, 2012
[5] Bullinger A., Le développement sensori-moteur de l'enfant et ses
avatars, un parcours de recherche, Erès, 2004
[6] « Le monde va trop vite pour l'enfant autiste », La Recherche,
Décembre 2009, n° 436.
Tardif C., Gepner B., L'autisme (3e éd.), Armand Colin, 2010.
[7] Nadel J., Imiter pour grandir, Développement du bébé et de l'adulte
avec autisme, Dunod, 2011.
[8] L'expression « théorie de l'esprit » provient des travaux de Premack sur
les chimpanzés à la fin des années 1980.
[9] Test de Sally-Ann : on montre une petite bande dessinée représentant
deux enfants Sally et Ann dans une même pièce. Sally cache un bonbon
smartie dans une boîte, et sort de la pièce. Ann reprend le bonbon et le
cache dans un panier. Sally revient dans la pièce. Le professionnel demande
à l'enfant : « Où Sally va chercher le smartie ? » Un enfant au
développement normal de 3 ans va répondre : « Dans le panier ». Il n'est pas
capable de se mettre à la place de Sally, de comprendre que Sally ne sait pas
qu'Ann a caché le bonbon autre part. Il en est de même pour la majorité des
enfants autistes. Ils n'arrivent pas à se mettre à sa place, à avoir une théorie
sur la pensée.de l'autre, à se formuler une théorie de l'esprit de l'autre.
[10] Mottron L., L'autisme une autre intelligence, diagnostic, cognition, et
support des personnes autistes sans déficience intellectuelle, Mardaga,
2004.
[11] Coordination Internationale des Psychothérapeutes et Psychanalystes
s'occupant de personnes avec Autismes
[12] Kanner décrit l'autisme infantile en 1943. En 1945, le psychanalyste
René Spitz démontre les effets désastreux des carences précoces. Les
tableaux de marasme que présentaient les enfants privés de soins ont été
rapprochés des tableaux autistiques. Cette confusion aura des conséquences
désastreuses. Elle va conduire les psychanalystes à chercher l'origine des
troubles dans des carences éventuelles de soins maternels. Comme ils ne les
trouvent pas, ils inventent une carence inconsciente et en arrivent à la thèse
de l'inconscient maternel responsable, mais non coupable, de l'émergence
de l'autisme chez l'enfant.
[13] Hacking I., Cours au Collège de France, 2004-2005.
[14] Voir à ce sujet le travail d'une d'entre elles « On ne peut pas parler de
nous sans nous ». Entretien avec Mademoiselle Stéphanie Bonnot-Briey,
propos recueillis par Constant J., L'Information Psychiatrique n°9, 2009.
[15] Bernot G., « Faire s'épanouir pleinement les spécificités TED », Revue
Enfances, 2-2001.
[16] Lenfant A.-Y., Leroy-Depierre C., Autisme : l'accès aux
apprentissages pour une pédagogie du lien, Dunod, 2011.
[17] SATEDI (Syndrome Autistique Troubles Envahissant du
Développement International), association de personnes TED (et non plus
de parents) crée en 2003.
[18] La trilogie de Stieg Larsson (2005) considérée comme « le polar de la
décennie ».
Notes
[1] Ehrenberg A. « Le grand renversement », Annales médico-
psychologiques, n° 163, 2005, pp. 364-371.
Notes
[1] « Esprit des textes, organisation des contextes, un dispositif au service
des adolescents et jeunes adultes autistes en Eure et Loir », Les cahiers de
l'Actif, décembre 2008.
[2] Avec l'aide active de madame Nadine Teyssier, secrétaire médicale.
[3] Les équipes du SESSAD interviennent auprès des personnes qui sont
parallèlement suivies dans d'autres structures scolaires ou médico-sociales.
Ce jeune avait été orienté en section SIPFP que le langage courant continue
à dénommer IMPRO (Institut médico-professionnel) selon l'ancienne
dénomination.
[4] AAPEP (Profil Psycho Éducatif pour Adolescent et Adultes), test
fonctionnel mis au point par l'équipe américaine du programme TEACCH
pour évaluer les capacités adaptative à des postes de travail ; il fait suite au
test PEP étalonné pour les enfants.
[5] CARS (Children Autistic Rating Scale), échelle de cotation d'intensité
des troubles autistiques pour enfants, utilisée aussi chez les adultes
actuellement.