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HISTOIRE DES

MÉDIAS
BUT 1
2022-2023
Frédéric Gai
COURS 2
AUX ORIGINES ÉTAIT
LA PRESSE
i.
Les médias et
l’opinion
Naissances d’un débat permanent
Un domaine large

■ Affronter l’histoire des médias, c’est entrer dans un domaine très large. On met un
pied dans l’histoire des idées, et dans les modalités de leurs diffusion. Elle est
dépendant de l’évolution des mentalités collectives, ce qui implique de s’interroger :
– Sur la culture des peuples et leur accès à l’information ;
– Sur les réactions du public ;
– Sur les évolutions politiques ;
– Sur les cadres économiques ;
– Sur les mutations techniques.
■ Démarrer avec la presse est donc un choix arbitraire, qui ne doit pas nier
qu’auparavant des pratiques médiatiques étaient en place.
Un problème de sources

■ Dans le domaine de la presse, les publications conservées sont très nombreuses,


que ce soit avant ou après l’industrialisation. Nous disposons donc d’un panel très
large de productions, qui offrent un panorama correct de l’activité journalistique de
l’époque.
■ Le risque, toutefois, est de « s’arrêter » à ce constat. En effet, face à cette somme
d’informations nombreuses, nous avons peu accès à la vie des structures ; les
échanges, les débats, les choix… Tout ce qui structure le discours avant sa
publication.

En somme, nous avons peu de certitudes sur le débat d’idées qui précède
la publication.
L’opinion en question

■ L’autre sujet soumis à cautions est la définition de l’opinion publique.

Il est difficile de maîtriser l’adéquation entre presse et opinion publique à


l’époque.

Même s’ils caricaturent, les sondages existent peu, et nous n’avons pas accès
aux sensibilités d’une époque.

Très rapidement se posent des problèmes d’écart entre ce qui est rapporté
par la presse et ce qui relève de la réalité. L’exemple le plus marquant est le
Première Guerre mondiale.
Le rôle structurant des médias

■ L’augmentation progressive des publications durant le XIXe siècle crée une


spécialisation, qui elle-même encadre des secteurs d’activités, tout en
accompagnant une culture de l’oisiveté qui se développe à l’aune de l’impact des
populations bourgeoises et cultivées. On constate alors l’essor de la presse :
– Féminine ;
– Jeunesse ;
– Culturelle ;
– Sportives ;
– Spécialisée.
ii.
La communication
médiatique avant
la presse
Un domaine en évolution durant plusieurs
siècles
Du signal au message

■ De tout temps, l’humanité a cherché à communiquer, y compris avant la mise en


place de l’écriture. On bornait des frontières à l’aide de signaux, on entaille un arbre
pour signaler la présence d’un ennemi ou du gibier…
■ Progressivement, on élabore des systèmes pour transmettre des messages
détaillés, en mesure de contrôler l’information, notamment en facilitant les
déplacements d’hommes ou d’animaux, porteurs de message.
– L’amélioration passe par la domestication des animaux ;
– Avant l’écriture, on sollicite la mémoires (ex : les coureurs dans le Pérou des
Incas).
La domestication de l’écrit

■ Avec les Achéménides (Perse, 550-330 av. JC), puis avec Rome, Byzance, Athènes
et le monde musulman, on constate une domination progressive de l’écrit.
■ Ce constat se fait à partir d’une forte augmentation de la correspondance
personnelle, lettres qui vont d’ailleurs de plus en plus loin, et dont la diffusion est
organisée (poste).
■ La destinée des postes est inégale, notamment en Europe. Avec la chute des
empires, les liaisons routières deviennent parfois plus dangereuses… Le système
des postes ne commence qu’à se réorganiser réellement qu’au XIIIe siècle, avant de
devenir un structure nationale.
Culture et économie

■ A la même époque (XIIIe siècle) se développe une information universelle, qui se


caractérisera par les premières sommes de connaissances livresques
(dictionnaires, encyclopédies…).
■ L’information circule notamment en Europe. Elle est stimulée par les Grandes
Découvertes, mais aussi par l’amélioration des voies de transports, qui incitent de
plus en plus à la mobilité.
■ L’appétit est double : culturel (a posteriori, on parlera d’Europe des intellectuels) et
économique.
L’imprimerie comme façonneur de
nouvelles
■ En Europe, l’invention de Johannes
Gutenberg (vers 1400-1468),
travaillée à Strasbourg dès le début
des année 1430 et lancée
définitivement en 1455 avec la
publication de la Bible à 42 lignes,
constitue une avancée majeure, qui
va constituer un accélérateur de
premier ordre.
■ Pour précision, les premiers textes
imprimés l’on été en Chine, sous la
dynastie des Tang (618-907).
Une presse d’abord non-périodique

■ A la fin du Xve et au début du XVIe siècles Lettres nouvelles de


paraissent les premiers fascicules de Milan envoyées au Roy
presse, qui n’ont pas réellement de nostre sire par
périodicité. On dénombre plusieurs monseigneur de La
« genres », notamment en France :
Trimoulle touchant la
– Les occasionnels, qui traitent prise de Ludovic…
d’informations générales ; Pierre Le Caron ?,
– Les canards, tournés du côté du fait Paris, 1500.
divers et de la sensation ; Source : Gallica.fr
– Libelles, placards, voire chansons,
qui traitent des affaires publiques.
Ce dernier domaine, notamment,
existera sur le territoire jusqu’au
XIXe siècle, au travers de la
littérature de colportage.
Le XVIIe siècle ou la naissance des
périodiques
■ Avec les almanachs, mais aussi avec les
calendriers (1448) apparaissent les
premières phénomènes de périodisation.
■ Mais il faut attendre 1605 pour voir
paraître le premier titre hebdomadaire,
Les Nouvelles récentes, à Anvers, au Pays-
Bas.
■ On distingue alors trois domaines :
– Les gazettes, qui traitent de
l’information générale, militaire,
politique et économique ;
– Les organes de culture, qui scrutent
l’actualité littéraire et théâtrale ; Journal des sçavans,
– Les organes de divertissement, avec n°1, p. 1
au cœur le fait divers. Source : Gallica.fr
La Gazette de Théophraste Renaudot

■ La Gazette est un périodique créé en


1631 avec l'appui de Richelieu par
Théophraste Renaudot, médecin de Louis
XIII.
■ Disparu en 1915, c’était un des plus
anciens journaux publiés en France.
■ Son ancêtre est le Mercure françois qui
parut de 1611 à 1648 et qui est
considérée comme la première revue
française.
■ Il traite d’information générale et est
réputé pour la précision de ses données.
■ « Officiel » (il profite d’un privilège royal, et Recueil des gazettes
parfois de billets rédigés par le roi), il de l'année 1631
connaîtra plusieurs déclinaisons. Source : Bnf
La liberté en question

■ Avec l’augmentation progressive des publications naît la question, centrale, de la liberté de la


presse. Il faut bien évidemment l’interroger à l’aune de plusieurs mouvements historiques.
– Les libelles et les placards du XVIe siècle accompagnent très largement les guerres de
Religion, la Réforme et la Contre-Réforme ;
– En France, il faut avoir une autorisation de publication (un privilège), ce qui n’empêche pas
un large presse clandestine d’exister ;
– En période de conflit ou de tension politique (comme, par exemple, après l’édit de Nantes –
1685), des pays limitrophes accueillent les contestataires, pour une réintroduction des titres.
Ainsi, la Hollande deviendra un zone arrière de l’imprimerie en Europe, notamment pour les
penseurs français.
– Dès le XVIIe siècle se pose aussi la question de l’introduction de l’argent dans les démarches
journalistiques. C’est le risque de la corruption, et donc d’une forme de désinformation
pilotée (nous sommes encore loin de la vérité des faits), mais aussi les limites, déjà ténues,
entre le contenu rédactionnel et la réclame publicitaire.

Déjà se posent les problèmes de réseaux et de complaisance.


iii.
Une évolution
mondiale
La presse en France, en Angleterre et aux
Etats-Unis dans les changements
politiques (XVIIIe siècle)
La presse, terrain de jeu des Lumières

■ Le XVIIIe siècle connaît un effet d’accélération, dépendant d’une forme de libéralisation, en France,
et de détente, suite à la fin du règne de Louis XIV (1715), mais aussi à l’aune de progrès
techniques et de développement de circuits de diffusion.
■ Tout au long du siècle, les médias écrits vont se développer : gazettes, mercures… sont ainsi
attendus des lecteurs, au même titre que les ouvrages de littérature.
■ La lecture de périodiques s’imposent dans le quotidien des élites françaises et européennes,
nouant ainsi un lien complexe avec la diffusion de la pensée des Lumières et de l’esprit
philosophique.
■ A la fin du siècle, l’expression de « quatrième pouvoir » sera ainsi répandue, mettant ainsi en doute
la force médiatique dans la préparation des grands mouvements politiques, à commencer par la
Révolution française.
■ Il ne faut pas omettre que cette histoire n’est pas linéaire et, d’un point de vue européen, la
Grande-Bretagne fait rapidement figure d’espace d’innovation sur différentes sujets : la morale, la
politique, l’économie, mais aussi la liberté d’expression. Le « continent », et ce même si la France
est la terre d’élection des Lumières, paraît « en retard ».
Le rôle du Royaume-Uni dans
l’évolution européenne
■ Le point de départ de la spécificité britannique se déroule en 1695, date à laquelle le Licensing
Act – une autorisation préalable de publication – est aboli. Il est alors possible de construire sa
propre entreprise de presse, sans autorisation politique. Naît rapidement le premier grand
quotidien: le Daily Current (1702-1735). En 1711, le Spectator parvient à publier à 3 000
exemplaires / jour.
■ Trois raisons expliquent l’avance britannique en matière de presse :
– Des luttes politiques, qui ont mené à une forme d’alternance, appelant débat, chaque parti
appelant alternativement à la liberté d’expression ;
– Un public formé au débat politique, notamment, et dans les grandes villes déjà très
alphabétisé. Les « cabinets de lecture » se développent à Londres, et on lit à voix haute les
journaux dans les cafés, indiquant une civilisation encore à la jonction de l’oral et de l’écrit.
– Des talents originaux et puissants, qui s’emparent de la presse, comme terrain d’expression
de premier ordre pour s’adresser au « peuple ». C’est le cas de deux illustres exemples :
Daniel Defoe (Robinson Crusoé, 1719) et Jonathan Swift (Voyages de Gulliver, 1726).
La France, entre élans et freins

■ Le relatif retard de la France, dans le XVIIIe siècle, tient en


plusieurs raisons :
« Tous ces papiers sont la
– D’une part, la construction politique de l’Etat, qui ne fait pâture des ignorants, la
pas encore de place au Parlement, même si des structures ressource de ceux qui
naissent progressivement dans les « territoires ». Du point veulent parler et juger sans
de vue de la presse, nous continuons à voir paraître les lire, le fléau et le dégoût de
grands titres « à privilèges » qui captent l’attention et le ceux qui travaillent. Ils n’ont
talent. jamais fait produire une
– D’autre part, nous constatons une sorte de frein culturel. bonne ligne à un bon esprit,
Les Lumières, même si leur pensée investit la presse, n’en ni empêché un mauvais
favorisent pas moins le livre pour s’exprimer. Quand ils se auteur de faire un mauvais
réunissent, ils fondent L’Encyclopédie, non un titre de ouvrage ».
presse. Sur des idées parfois similaires naît alors une
opposition de forme entre les philosophes et les gazetiers,
créant une rupture qui pourra être durable dans les Diderot, L’Encyclopédie
imaginaires collectifs.
La pensée libérale américaine

■ La presse joue un rôle fondamentale durant la guerre d’Indépendance, à l’exemple du


Boston Gazette, dont les locaux se déplacent en fonction des lignes de front (1775).
■ La liberté de la presse est un des socles de la Déclaration d’indépendance américaine
(4 juillet 1776) : « La liberté de la presse est l’un des remparts les plus puissants de la
liberté ». La Constitution de 1791 interdit même au Congrès d’adopter des lois contre la
presse. L’article est toujours en vigueur.
■ Benjamin Franklin (1706-1790), l’un des « Pères fondateurs de l’Amérique » est
d’ailleurs un hommes d’imprimerie et de presse, créateur du Pennsylvannia Gazette dès
1728.
■ La diplomatie mise en place dès 1776 entre les Etats-Unis et l’Europe permet la
diffusion de ses orientations libérales.
Presse et révolution française

■ Des hommes de presse deviennent des figures de proue de la Révolution française : Marat, Desmoulins,
Mirabeau, Brissot. Un des grands quotidiens de l’époque, Les Révolutions de Paris, appelle ouvertement
au soulèvement des peuples.
■ La production de titres explose en 1789. On dénombre alors à Paris de 140 à 190 périodiques dont 23
quotidiens. En comparaison, on dénombre pour l’année précédente 170 périodiques de langue française
dans un monde largement francophone. La révolution est aussi celle de la lecture, de l’information et de
l’opinion. De 1789 à 1793, tous les courants de pensée cohabitent , avant que la presse royaliste soit
interdite.
■ La presse installe alors trois thèmes fondateurs : le secret est détestable, notamment parce qu’il protège
des privilèges ; le soutien à la démocratie directe, notamment au travers de l’image de l’Antiquité ; la
presse doit être un acteur central de la révolution politique, notamment en lui offrant une teneur
narrative (accélération de l’Histoire).
■ Si la Révolution peut apparaître comme un mouvement collectif, voire de foules, il n’en reste pas moins
que la période interroge l’opinion publique, comme expression d’une « vague » incontrôlable, spontanée.
Il est peut-être en charge de la presse de la réguler, en lui substituant la notion d’« esprit public », qui va
miser sur l’unité et l’organisation.

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