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Problématique. Quel a été, de l’affaire Dreyfus à nos jours, le rôle des médias et de l’opinion
publique dans les grandes crises politiques qui ont affecté la France ?
Plan. Tout au long de cette période, le rôle des médias et de l’opinion publique a été décisif, au sens
où il est parvenu à modifier le cours des événements à plusieurs reprises : non seulement entre
1894 et 1940, au temps de la presse écrite triomphante ; mais également entre 1940 et 1962, lors
de l’irruption de la radio ; et plus encore peut-être de 1962 à nos jours, avec l’émergence de la
télévision et d’Internet.
DEVELOPPEMENTS
[I] Entre 1894 et 1940, sous la IIIe République, âge d’or de la presse écrite, médias et opinion
publique exercent une influence directe sur la vie politique française à la faveur de deux crises :
l’affaire Dreyfus (1894-1906) et la journée du 6 février 1934.
[A] Au cours de l’affaire Dreyfus, en 1894, un innocent est condamné à tort par la justice française.
Mais, en 1899, sous la pression de la presse écrite et de l’opinion publique, le président de la
République décide de gracier Dreyfus et le pouvoir judiciaire de le réhabiliter en 1906.
[B] Au cours de la journée du 6 février 1934, le pouvoir politique cède également sous l’influence de
la presse écrite et de l’opinion. En l’occurrence, après la répression brutale d’une manifestation
d’extrême droite, le chef du gouvernement, Daladier, est contraint à la démission pour sortir le pays
de la crise.
[Transition] Sous la IIIe République, c’est donc encore la presse écrite qui fait et défait les crises.
Au cours de la période suivante, en revanche, l’opinion publique accorde une place prédominante à
un nouveau média : la radio.
[II] Entre 1940 et 1962, alors que la radio concurrence désormais la presse écrite, les médias et
l’opinion publique exercent une influence directe sur la vie politique française au cours de deux
guerres : la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) et la guerre d’Algérie (1954-1962).
[A] Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Français, cible de la propagande et de la censure
exercées par une dictature née de la défaite, passent progressivement du camp de la Collaboration
à celui de la Résistance, grâce à l’influence exercée par les journaux clandestins (Combat) et la
radio BBC (« Les Français parlent aux Français »).
[B] Au cours de la guerre d’Algérie, ce sont aussi la presse écrite et la radio qui permettent à la
France de sortir de la crise : une première fois, en 1958, lors de la crise du 13 mai ; une seconde
fois, en 1961, lors du putsch des généraux.
[Transition] Au cours de la période 1940-1962, la presse écrite et la radio jouent donc un rôle
décisif pour sortir la France des situations de crise. Au cours de la période suivante, cependant, ce
sont la télévision et Internet qui nouent et dénouent les crises.
[III] De 1962 à nos jours, en un temps où la télévision puis Internet finissent par supplanter la
presse écrite et la radio, les médias et l’opinion publique continuent d’exercer une influence directe
sur la vie politique française à la faveur de deux crises : la première, survenue en mai 1968 ; la
seconde, en avril 2002.
[A] En mai 1968, la France est en crise. Le pouvoir gaullien est contesté par la « France de gauche
» qui se met en grève et manifeste dans les rues. Pour sortir de la crise, de Gaulle s’invite à la
télévision et à la radio pour réveiller la majorité silencieuse. Le peuple de droite entend l’appel. En
juin 1968, la majorité de l’opinion publique se range derrière le général. La crise de Mai-68 est
terminée.
[B] En avril 2002, un candidat d’extrême droite (Le Pen) accède pour la première fois au 2e tour
d’une élection présidentielle. Pour sortir de cette crise, tous les médias, y compris Internet, sont
mobilisés pour inciter l’opinion publique à voter en faveur de Jacques Chirac. Celui-ci est finalement
réélu. La France, avec le soutien des médias et de l’opinion, est sortie de la crise.
CONCLUSION
Fermeture. Depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à la crise de 2002, le rôle des médias et de l’opinion
publique a toujours été décisif dans les grandes crises politiques qui ont affecté la France : quel que
soit le support privilégié, selon l’époque concernée, les médias et l’opinion se sont constamment
efforcés d’influencer le cours des événements. Faut-il s’en réjouir ?
Ouverture. La démocratie d’opinion, reposant sur les sondages publiés dans les médias, vaut-elle
mieux que la démocratie représentative, fondée sur les élections ? Le rôle des médias et de
l’opinion (via les réseaux sociaux) n’est-il pas devenu trop grand ?
La liberté de la presse apparaît en 1881 et permet le développement de la presse écrite. Les
médias, et surtout la presse d'opinion, sont désormais les relais de l'opinion publique qui se
développe mais ils l'influencent aussi en retour. La condamnation de Dreyfus pour trahison se
transforme en véritable crise politique suite à la révélation de "l'affaire" par la presse. Les médias
prennent position et l'opinion publique se divise en deux. Ce rôle dynamique que joue la presse
dans l'opinion publique française est mis entre parenthèses durant la Première Guerre mondiale, à
cause de la censure.
Durant l'entre-deux-guerres, la radio fait son apparition mais c'est encore la presse écrite qui joue
un rôle essentiel durant les crises politiques. Le 6 février 1934, les incidents qui se déroulent en
marge de la manifestation des ligues d'extrême droite provoquent une importante mobilisation de
la presse et de l'opinion publique. Ces émeutes permettent la constitution du Front populaire.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les médias sont censurés et il faut attendre la Libération
pour que la liberté de la presse soit réinstaurée. La télévision conquiert de plus en plus de place
dans la société française, mais à l'instar de la radio qui est désormais présente dans la majorité
des foyers, elle est contrôlée par l'État.
La guerre d'Algérie provoque le retour de la censure et les journaux qui contredisent la version
officielle subissent l'action répressive de l'État. Rétablie après le conflit, la liberté de la presse
suscite d'importants débats pendant le mouvement social de mai 1968 durant lequel la société
française critique le rôle trop important que joue l'État dans la diffusion des informations. Il faut
attendre 1974 et surtout 1981 pour que l'ensemble des médias jouissent d'une complète liberté.
La sphère médiatique subit de profondes transformations depuis les années 1990. La presse écrite
décline et la plus grande facilité à s'exprimer permise par Internet brouille la séparation classique
entre médias et opinion publique.
I
Médias et opinion publique dans les crises de 1880 à 1945
A
L'âge d'or de la presse écrite (1880 − 1914)
1
La liberté de la presse
Lors de l'installation de la IIIe République, les républicains au pouvoir mettent en place une
série de lois visant à garantir les libertés individuelles et collectives. La loi du 29 juillet
1881 garantit la liberté de la presse. Il est désormais possible de publier sans autorisation
préalable. Cette liberté n'est pas sans limite, elle interdit les incitations aux crimes, aux délits et
à la diffamation.
Suite aux attentats commis par les anarchistes, la liberté de la presse est réduite avec les lois
dites "scélérates" en 1893. Ces lois élargissent les délits de presse et interdisent la diffusion des
idées anarchistes.
2
L'essor de la presse écrite et de l'opinion publique
La liberté de la presse a pour conséquence une augmentation du nombre de journaux imprimés.
Cet essor de la presse s'explique aussi par l'amélioration des moyens techniques de production
et de diffusion des journaux :
Les rotatives, apparues au XIXe siècle, permettent une impression massive des journaux.
L'amélioration des transports et des moyens de communication permet aux journalistes de
se déplacer et d'avoir accès à des informations plus rapidement.
La France des débuts de la IIIe République voit alors le développement d'une opinion publique :
Les lois scolaires de Jules Ferry de 1881 − 1882 permettent à toutes les classes de la
population d'être en mesure de lire la presse écrite.
Les journaux deviennent plus accessibles grâce à la baisse de leur prix, rendue possible
par les progrès techniques.
Les caricatures, par leur aspect simplificateur et évocateur, sont fréquemment utilisées.
3
Presse populaire et presse d'opinion
Les journaux se multiplient. Ceux qui se vendent le plus font partie de la presse populaire, ils
mettent en avant les faits divers, le divertissement et le sensationnel. On trouve notamment :
Le Petit Journal, un des journaux les moins chers de la fin du XIXe siècle (5 centimes contre
15 centimes en moyenne pour les autres journaux). Le Petit Journal connaît un essor
considérable en couvrant les faits divers sensationnels. Il est imprimé à plus d'un million
d'exemplaires dans les années 1890, ce qui en fait un des journaux les plus imprimés au
monde.
Le Petit Parisien est un des principaux journaux de la IIIe République. Il est tiré à un million
d'exemplaires dans les années 1890. Il est plutôt de gauche mais conserve une position très
modérée.
La presse d'opinion touche un public moins large :
Le scandale de Panama éclate à la fin des années 1880. C'est une affaire de corruption
impliquant des parlementaires. La présence d'un financier de confession juive dans le scandale
attise les sentiments antisémites.
L'affaire Boulanger, quant à elle, éclate entre 1889 et 1891. Le général Boulanger est un
homme politique très apprécié par le peuple, au point que le gouvernement préfère le mettre à
l'écart. Soutenu par un fidèle électorat, Boulanger parvient à remporter plusieurs élections et
obtient un siège parisien le 27 janvier 1889. Il est accusé par le gouvernement de complot et
d'attentat et fuit à l'étranger avec son amante. Il se suicide en 1891.
2
L'affaire Dreyfus
Les Français sont traumatisés par la défaite humiliante lors de la guerre franco-prussienne de
1870 à la suite de laquelle la France a perdu l'Alsace-Lorraine. Les histoires d'espionnage,
inventées ou réelles, se multiplient.
L'affaire Dreyfus en est le plus flagrant exemple. C'est le journal La Libre Parole (journal
antisémite d'extrême droite dirigé par Édouard Drumont) qui révèle ce scandale et le médiatise le
1er novembre 1894.
Un officier juif, Alfred Dreyfus, est accusé d'avoir trahi la France au profit de l'Allemagne. Il
est condamné au bagne à perpétuité en décembre 1894.
À partir de 1897, l'affaire prend un nouveau tour. La culpabilité de Dreyfus est remise en
cause. Chaque jour est l'occasion de lire un nouveau rebondissement, comme s'il s'agissait d'un
feuilleton en plusieurs épisodes.
La presse et l'opinion se divisent autour de la question. Nombreux sont les journaux qui
soutiennent la culpabilité de Dreyfus, tels que La Croix et Le Petit Journal : ce sont les anti-
dreyfusards.
D'autres journaux affirment l'innocence de Dreyfus : ce sont les dreyfusards. Le 13
janvier 1898, Zolapublie dans L'Aurore un article intitulé "J'accuse...!". Ce plaidoyer en faveur
de Dreyfus est édité à plus de 200 000 exemplaires. Les personnes qui prennent position pour
Dreyfus seront qualifiées avec mépris d'"intellectuels".
Cette crise et la manière dont s'en sont emparées la presse et l'opinion publique ont des
conséquences :
La montée des tensions est amplement commentée dans les journaux et une violente campagne
médiatique est lancée contre Jean Jaurès qui défend la paix. Il meurt assassiné le 31 juillet
1914.
Le déclenchement de la guerre provoque la suspension de la liberté de la presse. Pour soutenir
l'effort de guerre, les divisions politiques doivent être étouffées et l'Union sacrée doit être
maintenue.
La censure entre en vigueur, la presse doit obtenir des autorisations avant toute publication. Les
journaux reprennent le discours officiel, ils exaltent le patriotisme et méprisent l'ennemi.
L'expression "bourrage de crâne" est utilisée pour définir cette propagande officielle.
C'est en 1915 que paraît pour la première fois Le Canard enchaîné, un journal satirique qui
cherche à maintenir par des procédés comiques une certaine liberté d'expression.
C
Médias et opinion publique de 1918 à 1945
1
Un renouvellement des médias
La fin de la Première Guerre mondiale annonce le retour de la liberté de la presse. Cette période
est marquée par une diversification et un renouvellement des médias :
Les médias jouent un rôle important dans la crise du 13 mai 1958. Des militaires favorables à
l'Algérie française s'emparent du pouvoir, c'est le putsch d'Alger. Les médias appuient
largement le retour à la tête de l'État de De Gaulle qui revient et instaure la Constitution de la Ve
République.
La censure est rétablie pendant la guerre d'Algérie. Le contrôle avant parution est rétabli, mais
certains journaux et magazines dénoncent tout de même la torture et critiquent la guerre,
comme L'Express, Le Monde, Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre ou
encore L'Humanité. Des journalistes sont alors poursuivis, les journaux sont perquisitionnés et
censurés.
Lors du putsch des généraux de 1961 à Alger, les médias sont utilisés par le pouvoir pour régler
la crise. En effet, de Gaulle apparaît à la télévision et s'adresse aux Français à la radio. Il lance un
appel à ne pas suivre les putschistes. Il diffuse en boucle son message sur les ondes de Radio
Monte-Carlo, la seule radio que l'on peut recevoir en Algérie. Les militaires français qui se
trouvent en Algérie, équipés de transistors, reçoivent son message.
Après la guerre d'Algérie, les médias restent sous le contrôle de l'État, de Gaulle les utilise
beaucoup. Il fait des conférences de presse et ses voyages sont couverts médiatiquement. Le
ministère de l'Information, dirigé par Alain Peyrefitte, remplace la RTF par l'Office
radiodiffusion-télévision française, l'ORTF, en 1964. D'un "contrôle" des médias sous la RTF,
on passe à une "tutelle" sous l'ORTF.
L'apparition des sondages d'opinion montre que les Français sont de plus en plus critiques quant
à l'influence de l'État sur les médias.
2
Mai 1968, la contestation du contrôle de l'État
La crise de mai 1968 est caractéristique de la contestation de l'opinion publique face au contrôle
des médias par l'État. Lorsque la crise éclate, l'ORTF refuse de diffuser les paroles des
responsables politiques et syndicaux. En réaction, une grève est déclenchée au sein de l'ORTF,
suivie par des journalistes et des techniciens.
Europe 1 devient un acteur du conflit. Elle donne la parole à ceux qui participent au mouvement,
comme les responsables politiques, les grévistes ou les manifestants. Elle annonce
quotidiennement les événements et se déplace sur les lieux des faits pour les couvrir.
Les étudiants placent la critique du poids de l'État dans les médias au centre de leurs
revendications et permettent l'émergence de journaux alternatifs tels que L'Enragé. Ce journal
rassemble des journalistes et des caricaturistes comme Cabu, Siné ou Wolinsky.
Mais de Gaulle reprend la main sur les médias. Ses allocutions radio-télévisées du 24 et du 30
mai 1968 contribuent à retourner une partie de l'opinion publique inquiète et lassée par le
mouvement. Deux cents journalistes de l'ORTF sont licenciés en juin 1968. Bon nombre de
journaux alternatifs, nés en 1968, disparaissent rapidement. L'Enragé cesse ainsi d'exister en
novembre 1968.
III
L'avènement de la société de la communication
A
La reconfiguration des médias
En 1974 et 1982, on observe une libéralisation des médias. À partir des années 1980, les
médias télévisés se multiplient.
En 1974, le nouveau président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, met fin à l'ORTF et
donne leur autonomie aux trois chaînes publiques télévisées. À la fin des années 1970,
les "radios pirates" ou "radios libres" sont plus nombreuses.
En 1982, Mitterrand met fin au monopole d'État sur les médias audiovisuels. Des chaînes
télévisées privées font leur apparition. Canal + et La Cinq sont créées et TF1 est privatisée en
1987.
À partir des années 1990, les chaînes thématiques apparaissent. Au début du XXIe siècle,
l'apparition de la TNT élargit l'offre télévisée.
On observe aussi un développement d'Internet à partir des années 1990. En 2013, 82 % des
ménages ont une connexion.
Ce développement des médias audiovisuels et d'Internet reconfigure le paysage médiatique
français. Le déclin de la presse écrite continue. Le nombre de lecteurs diminue, notamment
dans la presse d'opinion. Pour s'adapter, les journaux créent des sites Internet et des blogs dans
lesquels les lecteurs peuvent intervenir. La blogosphère devient influente dans la formation de
l'opinion publique.
Certains médias paraissent exclusivement sur Internet, comme Rue 89. En 2008, Edwy Plenel
crée le site Médiapart qui joue désormais un rôle essentiel en France et a permis la révélation de
plusieurs affaires politiques, comme l'affaire Cahuzac.
B
Une tyrannie de l'opinion ?
La multiplication des sondages modifie le rapport de la société aux médias et permet de relayer
le point de vue des Français. Les sondages modifient l'action politique car les hommes et femmes
politiques cherchent à adapter leurs positions aux résultats de ces sondages, ils sont attentifs à
leur cote de popularité.
Toutefois, les sondages comportent une marge d'erreur non négligeable. Ils n'ont, par exemple,
pas prévu l'arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002.
L'essor de l'expression de l'opinion publique sur Internet modifie le rapport de la société à
l'actualité. Les blogs, les réseaux sociaux et les commentaires sur les sites se multiplient et
donnent la parole à tous ceux qui le souhaitent. Les citoyens peuvent alors diffuser et interpréter
les informations et les crises. Ce nouveau rôle des citoyens dans les médias brouille la frontière
entre l'opinion publique et les médias.
La question est aussi posée de la qualité des informations diffusées. Par exemple, les théories
complotistes rencontrent une large audience et se diffusent.
Le rôle des médias dans les crises change :