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Danielle Alexandre

Les méthodes
qui font réussir
les élèves
Mise en page : Maryse Claisse

© ESF éditeur, 2011


SAS Cognitia
20, rue d’Athènes
75009 Paris

4e édition revue et enrichie 2017

www.esf-scienceshumaines.fr

ISBN : 978-2-7101-3261-5
ISSN : 1158-4580

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a,


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et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes
citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction inté-
grale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou ses ayants droit, ou ayants cause,
est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce
soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du
Code de la propriété intellectuelle.
Sommaire

Avant-propos, Philippe Meirieu. . . . . . . . . . . . . . . . . 7


Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1 – Pour être sûr que tous les élèves apprennent . . . . . 11


1. Comment apprend-on ? Ce que l’on sait aujourd’hui. . . . 13
2. Agir sur les conceptions préalables des élèves . . . . . . . 21
3. La situation problème : un levier pour apprendre . . . . . . 29
4. Faire agir pour apprendre : un principe fondamental. . . . 34

2 – Mobiliser tous les élèves . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43


1. Peut-on se mobiliser sur ce qui n’a pas de sens ? . . . . . 47
2. Tisser le sens des activités. . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
3. Faire faire, faire dire, faire interagir, faire réfléchir . . . . . . 58
4. Projet pédagogique et démarche de projet. . . . . . . . . 62
5. Surprendre, diversifier les approches. . . . . . . . . . . . 67
6. Re-mobiliser grâce à la pédagogie du contrat. . . . . . . . 76

3 – Relever le défi de l’hétérogénéité. . . . . . . . . . . . . 79


1. L’hétérogénéité, obstacle ou atout ?. . . . . . . . . . . . . 81
2. Mettre en œuvre une pédagogie différenciée réaliste
au quotidien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
3. Le travail de groupe : un outil privilégié
de différenciation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
4. Gérer des rythmes différents. . . . . . . . . . . . . . . . . 110

3
Sommaire

4 – L’approche par compétences . . . . . . . . . . . . . . . 117


1. Compétence : un concept pas si flou qu’on ne le dit. . . . 119
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence ». . . 126

5 – Évaluer pour faire progresser . . . . . . . . . . . . . . . 137


1. L’évaluation : des avancées indéniables. . . . . . . . . . . 139
2. Bien évaluer, c’est aussi une question de posture. . . . . . 152
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer . . . . . . . . 157
4. Les élèves évaluateurs : des pistes de travail
prometteuses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

6 – Prévenir et réduire les difficultés des élèves . . . . . . 177


1. Bousculer quelques idées reçues . . . . . . . . . . . . . . 179
2. Intervenir lorsque la difficulté surgit. . . . . . . . . . . . . 183
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien
dans l’urgence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
4. Les erreurs : un irremplaçable vivier pour ajuster l’aide. . . 199
5. Des dispositifs spécifiques d’aide personnalisée. . . . . . 206

7 – L’écrit et l’oral, points cruciaux


des apprentissages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
1. L’oral et l’écrit vecteurs déterminants
des apprentissages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215
2. Développer l’oral et l’écrit réflexifs. . . . . . . . . . . . . . 223
3. La classe, une communauté discursive disciplinaire
pour réguler les pratiques langagières. . . . . . . . . . . . 228
4. Caler sa voix, une difficulté redoutable . . . . . . . . . . . 232
5. Vocabulaire, syntaxe et orthographe :
quand l’arbre cache la forêt. . . . . . . . . . . . . . . . . 235
6. Tous concernés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

4
Sommaire

8–M
 étier professeur : développer
des compétences professionnelles. . . . . . . . . . . 245
1. Le professeur, les élèves, le savoir. . . . . . . . . . . . . . 247
2. Adopter la bonne posture professionnelle :
« une petite révolution ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252
3. Comment tout faire en même temps
dans l’urgence et l’incertitude . . . . . . . . . . . . . . . . 256
4. Réfléchir sur l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266
5. Les gestes professionnels d’une autorité réfléchie . . . . . 269

Pour conclure. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275


Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
Index des notions ou concepts. . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Index des auteurs cités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

5
Avant-propos
Pour préserver
l’apprentissage de l’aléatoire
Les « méthodes pédagogiques » n’ont pas toujours bonne
presse ! Certains imaginent même qu’on pourrait enseigner
sans méthodes, et transmettre des connaissances simplement
parce qu’on les maîtrise très bien soi-même. C’est oublier que
les méthodes sont toujours là et que, visibles ou invisibles,
conscientes ou inconscientes, elles médiatisent toujours le rap-
port entre le maître et les élèves. Il nous faut des méthodes tout
simplement parce que nous ne sommes pas de purs esprits et
que nous n’entrons en relation avec les autres – en particulier
quand nous voulons leur enseigner quelque chose – qu’avec des
médiations.
La question n’est donc pas de savoir si nous devons utiliser
des méthodes, mais lesquelles. Inutile de se demander si les
« méthodes pédagogiques » sont utiles puisque, pour plagier
Pascal, « nier la pédagogie, c’est encore faire de la pédagogie » ;
c’est choisir des moyens pour transmettre qu’on renonce à
interroger, c’est se résigner à l’aléatoire.
Car tel est bien le sens de la réflexion pédagogique sur les
mé­­­tho­des telle qu’elle est développée dans cet ouvrage : faire
échapper l’acquisition des connaissances à l’aléatoire des rencon­
tres individuelles plus ou moins propices aux apprentissages.
Nul ne peut nier, en effet, que nous apprenons en dehors de
l’école, en glanant des informations ici ou là, en vivant telle
ou telle expérience, en réfléchissant à ce qui nous arrive, en

7
Avant-propos

recherchant des réponses à nos questions Et c’est heureux !


Mais l’école ne peut se satisfaire de ces rencontres, fruits du
hasard, liées à nos histoires singulières, et profondément iné-
galitaires. L’école veut permettre, selon le projet du pédagogue
tchèque du xviie siècle, Comenius, d’« enseigner tout à tous ».
Et, pour cela, elle doit organiser une mise en relation systé-
matique qui permette à chacune et à chacun d’accéder aux
connaissances. Elle doit organiser, en mettant le maximum de
chances de réussite de son côté, des situations d’apprentissage
rigoureuses.
Des « situations d’apprentissage » : l’expression a tout son
sens et donne au mot « méthode » une coloration particulière.
Il ne s’agit pas d’organiser une « transmission » au sens méca-
nique du terme, en postulant que, dès lors que les moyens sont
bien choisis, les consignes bien exécutées, les outils bien utilisés,
nul ne peut échapper à l’apprentissage. Il s’agit d’organiser les
situations les plus riches et stimulantes possibles, les mieux
accordées possibles à ce qu’on veut enseigner et aux élèves qui
doivent apprendre, les plus rigoureuses possibles pour que tout
soit en place et disponible à qui veut mobiliser sa liberté d’ap-
prendre. Il s’agit de mettre toutes les chances de son côté pour
que tous les élèves s’engagent et se mobilisent.
C’est tout le sens de ce livre : éclairer les enseignants afin qu’ils
comprennent comment faire de leur classe un espace de réussite
pour leurs élèves et donc de satisfactions professionnelles pour
eux ! Car c’est seulement avec des élèves qui réussissent qu’on
aura des enseignants heureux et avec des enseignants qui réus-
sissent qu’on aura, tout à la fois, des élèves heureux et une école
plus démocratique.

Philippe Meirieu,
Professeur à l’université
Lumière Lyon 2

8
Introduction

S’ intéresser à ce qui « marche », à ce qui fait réussir les


élèves, à ce qui a depuis longtemps fait ses preuves,
autant qu’aux pistes prometteuses issues des travaux
les plus récents, mettre à disposition ce patrimoine sous une
forme accessible à un large public, tel est le parti pris de cet
ouvrage.
Des ressources pour penser et agir
La visée est à la fois de nourrir la réflexion et d’alimenter la
pratique.
Face à la complexité de leur métier, les enseignants ne sont
pas démunis. Les recherches en sciences de l’éducation, mais
aussi les praticiens novateurs, ont permis de constituer un vivier
de ressources qui reste insuffisamment exploité. Comment, en
effet, s’y retrouver dans le foisonnement de publications qui ne
sont pas toujours de lecture aisée ? Quelle cohérence possible
tout en respectant la diversité des apports de chacun ? Quelle
transposition de la théorie à la pratique quotidienne ? L’ouvrage
prend en compte ces questions en articulant références théo-
riques et pistes concrètes. Il s’intéresse aussi bien aux grandes
théories qu’aux gestes quotidiens de l’enseignant dans sa classe.
Ni compilation de recettes ni promotion de « la bonne
méthode », ce livre déploie une palette de propositions qui ont
toutes montré leur efficacité. Chacun peut y puiser, ou s’en ins-
pirer, comme bon lui semble mais cela ne suffit pas.
L’ambition est de permettre à tous de prendre de la hauteur.
Dans le domaine éducatif, des options théoriques majeures,
des concepts clés maîtrisés, permettent de raisonner sur les
choix à effectuer dans la classe, qu’il s’agisse de la préparation

9
Introduction

et de l’organisation globale du travail ou des micro-décisions


imbriquées dans le tissu de chaque séance de cours. Les réfé-
rences théoriques sont donc systématiques et les plus larges
possibles, elles précèdent et éclairent toutes les pistes concrètes
présentées.
Des lecteurs aux attentes diverses
Huit grandes parties organisent l’ensemble pour un tour
d’horizon général des problématiques de l’enseignement et
de l’apprentissage. Mais, on peut aussi s’affranchir de la linéa-
rité de l’enchaînement des chapitres et butiner au hasard des
besoins, pour se concentrer par exemple sur les aspects les plus
récents de la recherche, une notion spécifique ou encore l’ensei-
gnement par compétences. Les notions clés ou les ouvrages qui
ont fait date sont résumés dans un langage qui vise la simplicité
et évite tout jargon non indispensable. Des encadrés jalonnent
le texte, ils font le point sur les concepts, les définitions, les
citations et sont rédigés dans le style et l’esprit utilisés pour un
dictionnaire. Un système de corrélats facilite la circulation dans
l’ouvrage. Ces notions sont aussi questionnées d’un point de
vue très pratique : quelles en sont les applications concrètes, les
modalités de mises en œuvre, les conditions de réussite ?
Des choix et des valeurs
L’auteur s’appuie autant sur une lecture attentive des publi-
cations en sciences de l’éducation que sur son expérience. Une
pratique personnelle dans le premier et le second degré, une
longue expérience dans la formation des enseignants, l’observa-
tion de classes et l’accompagnement d’équipes lancées dans des
expérimentations, ont permis d’éprouver la validité des pistes
ouvertes aussi bien par des chercheurs que par des praticiens
novateurs.
En amont, les choix sont solidement arrimés sur des valeurs :
celles d’une école républicaine visant authentiquement la réus-
site de chacun.

10
1
Pour être sûr
que tous les élèves
apprennent

L
e faible rendement de bien des pratiques pédagogiques est
lié à l’illusion qu’il suffit de dire et de bien expliquer pour
que les élèves apprennent. Une représentation dominante
de l’apprentissage reste celle qui considère qu’il suffit d’apporter
les savoirs à un sujet de bonne volonté pour que celui-ci se les
approprie. Reste alors que le maître ait du talent pour bien pré-
senter les savoirs ou expliquer avec clarté et que les élèves soient
attentifs pour que la magie opère.
Une difficulté majeure réside dans le fait que ce modèle s’im-
pose souvent à notre insu et est enkysté dans les représenta-
tions traditionnelles du métier dont l’image emblématique reste
un magister dispensant le savoir à ses élèves. Cette posture
dite « magistrale » ou « frontale » reste le réflexe professionnel
dominant.
Et pourtant, au XXe siècle, des travaux décisifs ont progressive-
ment ébranlé cette conception.

11
1. C
 omment apprend-on ?
Ce que l’on sait
aujourd’hui
O n ne peut enseigner sans se poser un minimum
de questions sur les processus à l’œuvre quand
on apprend, ni s’émanciper de préjugés ou postulats
sur la transmission des savoirs.

Transmettre ou construire des savoirs ?


Concevoir l’apprentissage comme une simple question de
transmission de savoirs présuppose que les connaissances
ont une existence autonome, indépendante du sujet qui les
acquiert, qu’elles peuvent être stockées et donc transmises.
L’apprentissage consisterait alors en une simple accumulation
de connaissances nouvelles, l’élève n’étant qu’un contenant vide
qu’il suffirait de remplir.
Ce schéma confond information et connaissances. On peut
effectivement, par simple lecture ou écoute, enregistrer dans
notre esprit, des informations ponctuelles qui ne s’y trouvaient
pas auparavant. Mais chacun peut constater la volatilité de ces
informations, elles ne deviendront en effet des connaissances
stables que si des liens s’établissent avec ce que l’on savait déjà,
selon un processus personnel d’intégration, spécifique à chacun.
Le maître délivre donc toutes sortes d’informations mais, pour
se les approprier durablement, chaque élève doit effectuer une
transformation, un « traitement » personnel que personne
d’autre ne peut faire à sa place.

13
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Information, connaissances et savoir :


une distinction utile
L’information est extérieure au sujet. On peut la stocker, la faire
circuler. Ce sont des faits, des commentaires, des opinions
présentés sous forme de mots, d’images, de sons…
La connaissance dépend du sujet et lui est personnelle. « Lorsque
l’information est reçue par une personne, celle-ci se l’approprie, la
fait sienne. L’information externe devient sa connaissance propre. »
La connaissance est quelque chose que l’on a appris, que l’on a
acquis.
Le savoir prend appui sur les connaissances pour les objectiver
et les formaliser.
Le savoir « relève d’une communauté qui a décidé
de statuer sur une connaissance pour l’ériger en savoir ».
Références :
Michel Develay, De l’apprentissage à l’enseignement, ESF éditeur, 1992, p 36
Michel Develay, Donner du sens à l’école, ESF éditeur, 1996,
pp 41-42

L’histoire du système scolaire entretient la confusion. Le fait


que depuis toujours des élèves aient réussi à apprendre malgré
un enseignement purement transmissif semble valider l’effica-
cité d’un tel modèle. Or, les bons élèves sont justement ceux
qui réussissent sans aide à reconfigurer leurs connaissances
en y intégrant de nouvelles. Quant aux autres, le système sco-
laire, jusqu’à une période récente, se contentait de les exclure
par paliers successifs, selon des modalités de sélection affichées
et ceci dès la fin du CM2 : examen d’entrée en 6e puis sélec-
tion sur dossiers, orientation selon trois filières Les nostal-
giques de cet ancien système1 gomment cet aspect essentiel :

1. Ces paliers d’orientation ou d’exclusion successifs ont été supprimés en 1975 par
la mise en place d’un tronc commun au collège. Cette réforme est connue sous le
nom de réforme Haby.

14
1. Comment apprend-on ? Ce que l’on sait aujourd’hui

les conséquences élitistes d’une conception de l’apprentissage


qui ignore complètement les processus individuels à l’œuvre et
laisse l’élève se débrouiller seul, conception incompatible avec
celle d’une école qui vise authentiquement la réussite de tous.
Le travail du maître ne se limite donc pas à délivrer des
infor­­mations et à être garant du savoir, son rôle est de créer
les conditions pour que chaque élève puisse les transformer en
connaissances.

Constructivisme
et socioconstructivisme : des modèles
théoriques pour aider à comprendre
Dans la première moitié du xxe siècle, des travaux en psycho-
logie et sociologie (Piaget, Vygotski, Wallon), parallèles à ceux
de praticiens de génie comme Freinet, convergent pour disqua-
lifier de façon définitive un modèle d’apprentissage reposant sur
la seule transmission de savoirs. Théorie et pratique pionnière
se rejoignent ainsi sur les mêmes principes fondamentaux.
Ces recherches se poursuivent et, à partir des années 1980, un
nouvel élan est donné grâce aux travaux du psychologue améri-
cain Jerome Bruner, qui fait aussi connaître ceux du Russe Lev
Vygotski, jusqu’alors méconnus. Parallèlement, les sciences de
l’éducation se développent et, grâce à leur approche pluridisci-
plinaire (psychologie, sociologie, épistémologie, neurobiologie),
elles font fructifier et foisonner les acquis. Des chercheurs
nourrissent leurs travaux d’observations de plus en plus fines
sur le terrain et ouvrent de nouvelles pistes pour une meilleure
efficacité.

15
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Ces travaux sont souvent globalement désignés par les


expressions constructivisme et socioconstructivisme.

■■ Le modèle constructiviste
Le mot constructivisme désigne un ensemble de modèles
théoriques de l’apprentissage qui considèrent que le savoir n’est
pas reçu passivement par un individu mais qu’il est « construit »
activement par chacun. Apprendre suppose des réorganisations
mentales effectuées par le sujet lui-même. Ce modèle s’oppose
donc clairement au modèle transmissif qui considère qu’ap-
prendre, c’est recevoir des informations.
Jean Piaget est une figure historique du constructivisme. Il
s’est intéressé dès la fin des années 1920 au développement
de l’intelligence chez l’enfant, mettant en évidence qu’elle se
« construit » par étapes, s’opposant ainsi fermement à toute
conception innéiste. Il a aussi avancé le concept de « schèmes »
pour expliquer comment s’effectuent nos actions.

Les schèmes d’action


Ce concept est proposé par Piaget. Un schème d’action est
une suite d’actions complètement intériorisées et reproductibles.
Chaque individu se construit progressivement par une quantité
de schèmes qui s’imbriquent et se complexifient.
Des schèmes profondément installés peuvent constituer
des obstacles, il faut alors les déstabiliser pour rendre possible
des apprentissages nouveaux.
Références :
Jean Piaget, Le Langage et la pensée chez l’enfant, Delachaux et Niestlé, 1923
Jean Piaget et Bärbel Inhelder, La psychologie de l’enfant, Que sais-je ? n° 369,
PUF, 1966
Jean Piaget, L’équilibration des structures cognitives, PUF, 1975

16
1. Comment apprend-on ? Ce que l’on sait aujourd’hui

Piaget était psychologue, mais ses travaux ont eu des retom-


bées importantes dans le domaine de la pédagogie. En effet,
à partir de ses recherches, on peut invalider un modèle péda-
gogique fondé sur la transmission des savoirs par la seule
parole, c’est-à-dire un modèle qui privilégie une présentation
abstraite des savoirs déconnectée de l’action. Ses travaux justi-
fient que l’activité effective de l’élève soit au cœur de tout acte
pédagogique.

Le développement de l’intelligence
de l’enfant selon Piaget
Jean Piaget, psychologue genevois, définit une progression en
plusieurs stades, eux-mêmes divisés en sous-stades. Chaque stade
conditionne le passage au stade suivant. Les âges sont indicatifs,
fondés sur une moyenne :
− le stade de l’intelligence sensori-motrice (de la naissance à 2 ans) ;
− le stade de l’intelligence pré-opératoire (de 2 à 6 ans) ;
− le stade des opérations concrètes ou de l’intelligence opératoire
(de 6 à 10 ans) ;
− le stade des opérations formelles (de 10 à 16 ans).
La linéarité de ce modèle est l’un des aspects les plus critiqués
de l’œuvre de Piaget, et de nombreux travaux ont depuis nuancé
ou contesté ce modèle pour montrer l’imbrication ou le tuilage
des stades.
Mais il a l’immense avantage d’attirer l’attention sur la lente
construction de l’abstraction jusqu’à l’adolescence et la façon
dont celle-ci se développe par une active et continuelle
confrontation aux objets et au monde. Il montre que l’action
est indispensable aux apprentissages.

■■ Le modèle socioconstructiviste
Le socioconstructivisme reprend l’essentiel de la conception
constructiviste des apprentissages mais montre aussi que les
autres, qu’il s’agisse des adultes ou des autres enfants, ont un
rôle médiateur essentiel dans la progression des apprentissages.

17
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Les travaux de Lev Vygotski, psychologue russe mort en


1934, n’ont été connus hors d’URSS que dans les années 1980.
Vygotski a lu les travaux de Piaget (mais Piaget, lui, n’aura
accès aux écrits de Vygotski qu’à la fin de sa vie). Mais alors que
Piaget étudie le développement de l’enfant d’un point de vue
individuel, Vygotski, lui, pointe le rôle facilitateur de l’environ-
nement social dans la progression de chacun, en insistant sur la
façon dont la pensée se construit grâce aux échanges langagiers
avec les autres, qu’il s’agisse d’adultes ou d’autres enfants.

Le modèle socioconstructiviste
de Vygotski
Lev Vygotski, psychologue russe dont les travaux datent des années
1930, insiste sur le rôle déterminant de l’environnement social sur le
développement de l’enfant. Il s’intéresse aux rapports entre langage
et pensée, montrant que les échanges langagiers avec les autres,
(les interactions langagières) favorisent la construction d’une pensée
intériorisée et réfléchie.
On lui doit aussi le concept de « zone proximale de développement »,
outil théorique qui cadre la marge de manœuvre efficace pour
le pédagogue.

Références :
Lev Vygotski, Pensée et langage, Éditions La dispute, trad revue par
Françoise Sève, 1997

Corrélat :
Zone proximale de développement (ZPD)

Jerome Bruner, psychologue américain, a, dans les années


1980, retravaillé les hypothèses de Vygotski. Il a étudié de près
comment un jeune enfant apprend grâce aux adultes, pas seule-
ment à l’école mais aussi dans la famille et il a défini le concept
clé d’étayage. En s’intéressant aux pratiques populaires du

18
1. Comment apprend-on ? Ce que l’on sait aujourd’hui

récit dans des quartiers pauvres de Baltimore, il a également


montré que le récit constitue « l’une des formes les plus univer-
selles et les plus puissantes du discours dans la communication
humaine2 ». Le récit, et donc la narrativisation, jouent un rôle
essentiel dans la façon dont l’enfant comprend progressivement
le monde mais aussi dans la manière dont son entourage l’aide
à le faire.

L’étayage selon Bruner


Jerome Bruner a défini le concept d’étayage qui désigne le rôle
de l’adulte aidant un enfant à apprendre.
Il y voit six fonctions principales :
■ L’enrôlement désigne les moyens par lesquels le tuteur s’efforce
de soutenir l’intérêt de l’enfant par rapport à la tâche.
■ L’orientation consiste à s’assurer que l’enfant ne s’écarte pas
du but assigné.
■ La réduction désigne les moyens par lesquels le tuteur simplifie
la tâche afin qu’elle soit accessible à celui qui apprend.
■ La mise en évidence des caractéristiques critiques de la tâche
consiste à attirer l’attention sur les éléments pertinents de celle-ci
tout au long de son traitement par celui qui apprend.
■ Le contrôle de la frustration vise à éviter que les difficultés
rencontrées ne conduisent à l’abandon.
■ La présentation de modèles d’action aide l’enfant à se représenter
la tâche.
Tout enseignant y reconnaîtra des gestes professionnels bien
connus.

Références :
Jerome Bruner, Car la culture donne forme à l’esprit, Esher, 1991
Jerome Bruner, Le développement de l’enfant, Savoir faire, savoir dire,
PUF, 1993

2. Jerome Bruner, Car la culture donne forme à l’esprit, Esher, 1991, p. 89.

19
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Des idées clés pour être efficace


À partir des années 1980, le développement des sciences de
l’éducation permet d’enrichir, préciser et nuancer ce champ de
réflexion. Les chercheurs ouvrent aussi de nouvelles pistes de
travail et se rapprochent de plus en plus de l’examen minu-
tieux des effets sur le terrain. Parallèlement à ces travaux théo-
riques, des enseignants intuitifs ou consciemment éclairés par
les travaux de la recherche, ont expérimenté les pistes de tra-
vail proposées ou ont transformé en propositions pédagogiques
concrètes des outils théoriques. Ils ont prouvé sur le terrain,
dans les classes, l’efficacité de leur approche. En outre, contrai-
rement à ce que peuvent parfois penser des enseignants, ces
travaux théoriques fondent le langage partagé de l’inspection
pédagogique à tous les niveaux.
Nous disposons maintenant d’un recul de plusieurs dizaines
d’années qui permet d’affirmer un certain nombre de principes :
––le savoir ne se transmet pas, chaque individu le construit de
façon singulière à partir de ce qu’il sait déjà et de ce qu’il est ;
––apprendre suppose de déstabiliser l’équilibre existant pour
accéder à un autre ;
––l’action de celui qui apprend est un levier indispensable ;
––des obstacles à franchir bien dosés favorisent l’apprentissage ;
–– apprendre passe par d’indispensables tâtonnements et erreurs ;
––on peut apprendre seul mais on apprend mieux et plus vite
grâce à la médiation de tiers.
Ce sont ces idées fortes qui sont illustrées ci-après.

20
2. Agir sur
les conceptions
préalables des élèves

L es élèves, quelles que soient leur origine et leur


histoire personnelle, n’arrivent pas en cours vierges
de tout savoir. Au contraire, ils possèdent toutes sortes
de connaissances qui peuvent être justes mais aussi
complètement ou partiellement erronées selon un
mélange singulier, propre à chacun, que l’on nomme
« représentations » ou « conceptions préalables ».

Les représentations ou conceptions


préalables des élèves
Dans le domaine pédagogique, le concept de représentation renvoie
principalement aux conceptions et aux modèles implicites ou expli-
cites auxquels chacun (adulte ou enfant) se réfère pour comprendre
un événement ou une situation.
Une représentation erronée peut être un obstacle à l’apprentissage.
Pour progresser, il faut substituer une représentation à une autre.
Selon les auteurs, on trouve le terme de « représentations »,
« conceptions préalables » ou « préconceptions ».

21
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Représentations ou conceptions
préalables : obstacles ou appuis ?
Ces conceptions préalables ont des origines très variées :
préjugés, intuitions, expériences, informations glanées au hasard,
croyances diverses ou pensée magique, raisonnements fondés sur
l’analogie ou la généralisation, parasitage lié à des confusions ou
ressemblances… Elles ne sont pas seulement issues de l’envi-
ronnement quotidien de l’élève, elles sont aussi issues de l’école,
ne serait-ce que parce que la nécessité d’établir des progressions
stabilise des savoirs provisoires. Ainsi, un jeune élève peut penser
que le résultat d’une multiplication est forcément quantitative-
ment supérieur aux données tant qu’il n’a travaillé que sur les
nombres entiers positifs ou encore que le participe passé s’ac-
corde avec le sujet tant qu’il n’a pas abordé le cas de l’auxiliaire
avoir. Comment, si ces savoirs ne sont pas déstabilisés, pourra-t-
il maîtriser la multiplication de nombres relatifs ou encore assi-
miler la complexité des accords orthographiques ?
Elles peuvent être organisées en système complexe très
stable et constituer alors de redoutables obstacles à tout
apprentissage nouveau. L’exemple de l’apprentissage des lan-
gues étrangères est assez éclairant : tant que l’on continue à
plaquer les structures de la langue maternelle sur une langue
étrangère, il n’est pas possible d’accéder à une maîtrise satis-
faisante d’une autre langue. Ainsi, apprendre l’allemand pour
un petit Français signifie abandonner un système d’expression
fondé sur le fait que la place des mots dans la phrase détermine
le sens, pour passer à un autre système où la forme du mot sera
déterminante dans la production de sens. Connaître et réviser
inlassablement les déclinaisons (« les bases ») ne résout rien
tant que ce sont les schèmes de pensée de la grammaire de la
langue maternelle qui s’imposent consciemment ou non à lui ;
tant qu’il n’est pas capable d’en convoquer d’autres.

22
2. Agir sur les conceptions préalables des élèves

Chacun mobilise ces conceptions préalables de façon plus


ou moins consciente pour donner sens à tout ce qui est en rap-
port avec le domaine de connaissances abordé ou pour résoudre
un problème nouveau. André Giordan souligne qu’« on ne peut
éviter de s’appuyer sur les conceptions en place. C’est le seul
outil dont dispose l’apprenant pour décoder la situation et les
messages3 ». Il n’y aura d’apprentissage réel que si les apports
nouveaux peuvent s’ancrer sur l’existant, ce qui suppose d’ar-
river à déstabiliser tout ce qui peut faire obstacle : schèmes de
pensée inadéquats, connaissances de tous ordres entièrement ou
partiellement erronées.
Pour qu’il y ait apprentissage véritable il faut donc déstabi-
liser l’équilibre de chacun. Il est nécessaire que ces conceptions
préalables soient bousculées, interrogées, mises à l’épreuve des
faits par l’action afin que celles qui sont erronées soient éradi-
quées et qu’un nouvel équilibre puisse s’installer.
Un incontournable de l’acte d’enseigner consiste donc à trouver
des moyens pour les atteindre et en éprouver les limites grâce à
des situations inédites qui doivent permettre de les faire évoluer.

Faire émerger les conceptions


préalables : nécessaire mais pas suffisant
Tout début de séquence d’apprentissage (qu’il s’agisse d’en-
fants ou d’adultes en formation) devrait prévoir un moment
pour que chacun puisse exprimer et confronter ses conceptions
préalables afin d’en favoriser la prise de conscience.

3. André Giordan, « Apprendre, comprendre, s’approprier le savoir », www.


andregiordan.com/articles/apprendre/appcomprendre.html

23
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

■■ Les techniques
Parmi les moyens couramment utilisés pour le faire, on peut
citer : le remue-méninges ou brain storming. Oral, il a l’avan-
tage de la spontanéité, en particulier si on laisse suffisamment
fonctionner l’association d’idées. Il faut accepter une part de
désordre si l’on veut qu’il soit efficace : s’il est trop contrôlé,
tout ne sera pas dit, la censure opérera. Le remue-méninges est
donc difficile à gérer avec un groupe trop nombreux.
D’autres techniques utilisent des supports écrits, anonymes
ou non, qui ont l’avantage de permettre à chacun de s’exprimer.
Cela peut prendre des formes très ouvertes, par exemple celles
de « bilans de savoirs », ou très contraintes comme les QCM,
récupérés puis traités et exploités par le maître ou le formateur.
L’entretien d’explicitation est un autre moyen particulière-
ment utile pour traiter les cas qui résistent et débusquer des
obstacles profondément enkystés.
Ces procédés couramment utilisés ne doivent pas faire illu-
sion. Faire émerger les conceptions préalables est souhaitable,
c’est une étape nécessaire mais en aucun cas suffisante. S’en
tenir là peut même être redoutable si cela conduit à mettre sur
le même plan les savoirs nouveaux visés, des vérités partielles
et des conceptions erronées. Le risque est alors de conforter des
savoirs faux.

Corrélat :
Bilans de savoirs, Entretien d’explicitation

■■ Déstabiliser les conceptions erronées :


une dynamique à enclencher
Il est donc indispensable de créer les conditions pour que les
représentations initiales des élèves soient non seulement expri-
mées mais aussi vraiment déstabilisées.

24
2. Agir sur les conceptions préalables des élèves

Pour « atteindre ce qui résiste4 », l’idée centrale consiste à


placer l’élève face à un problème qu’il ne peut résoudre s’il se
contente de ce qu’il sait.
Le maître doit donc prévoir un obstacle à franchir et de l’aide,
mais pas trop.
Le choix de situations d’apprentissage pertinentes est donc un
aspect essentiel du métier d’enseignant. Plusieurs concepts très
utiles éclairent les choix à effectuer et sont précisés ci-dessous.

Éloge du conflit
Le moment où un individu confronté à une tâche ou à un pro-
blème se rend compte que ce qu’il sait ne lui permet pas de
l’accomplir ou de le résoudre est le moment précieux où s’en-
clenche la déstabilisation recherchée, celle qui rend possible de
nouveaux apprentissages. C’est ce moment qui porte le nom
de conflit cognitif ou sociocognitif. La ruse du pédagogue
consiste à provoquer sciemment ce type de conflit en plaçant
les élèves devant des problèmes qu’ils ne peuvent résoudre sans
apprentissage nouveau.
L’une des applications pédagogiques importantes en est le
travail de groupe autour d’une même tâche à effectuer, moda-
lité de travail qui favorise les échanges contradictoires. Mais
ce levier pédagogique est encore sous-exploité, surtout dans
l’enseignement secondaire et particulièrement au lycée. L’idée
que le bruit est toujours nuisible dans les classes reste un frein
redoutable à la création d’espaces de réflexion authentiques.
En censurant les échanges langagiers entre élèves, en les
considérant systématiquement comme du bavardage distrac­teur,
on se prive d’un puissant outil d’apprentissage et de progrès.

4. Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, ESF éditeur, 2004, p. 48.

25
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Le conflit cognitif et le conflit


sociocognitif
Jean Piaget appelle « conflit cognitif » le moment où un individu
cherchant à résoudre seul un problème constate que les faits
résistent ou contredisent ce qu’il sait ou croit savoir. C’est ce conflit
qui enclenche la modification des schèmes d’action.
Depuis les années 1980, les théories de la construction sociale de
l’intelligence ont développé le concept de « conflit sociocognitif » qui
s’est imposé comme levier pédagogique efficace. L’accent est mis
sur le rôle d’autrui dans la construction des connaissances. C’est
grâce à l’autre (adulte ou pair), grâce aux désaccords, aux confronta-
tions d’avis différents, aux argumentaires opposés,
que chacun va pouvoir dépasser ses propres représentations
pour atteindre un niveau supérieur de connaissances.

Corrélat :
Travail de groupe

Déstabiliser et rééquilibrer :
deux principes fondamentaux
Développer de nouvelles compétences, installer de nouveaux
savoirs prend du temps et passe par la mise en activité des élèves,
cet aspect sera longuement développé plus loin. Mais le travail
pédagogique ne s’arrête pas là. Une autre étape consiste donc
à s’assurer que les cheminements individuels des élèves, que
leurs découvertes, les ont bien conduits à une réorganisation de
connaissances nouvelles selon un nouvel équilibre satisfaisant.
Ainsi se dessinent deux moments incontournables encadrant
n’importe quelle séquence d’apprentissage : au début, une
phase d’émergence et de déstabilisation des connaissances
préalables (en deux phases distinctes ou confondues) et, à la fin,

26
2. Agir sur les conceptions préalables des élèves

une phase où l’on s’assure de la stabilisation d’un nouvel


équilibre de connaissances. Jean Piaget a insisté sur cette phase
qu’il nomme « rééquilibration majorante » pour souligner que
ce nouvel équilibre constitue un progrès.
Selon l’âge des élèves et surtout en fonction de la complexité
des savoirs visés, ces phases s’étaleront dans le temps ou seront
concentrées sur une même unité de cours. Reprenons l’exemple
de l’enseignement des langues étrangères. S’il s’agit d’assimiler
le système des temps verbaux propre à une langue, il est évident
que cela prendra des mois : installer d’autres schémas que ceux
de la langue maternelle ne sera pas réglé en une fois et cela peut
s’étaler sur plusieurs années. En revanche, s’il s’agit de connais-
sances ponctuelles, l’unité de cours de 55 minutes peut être un
cadre satisfaisant.

■■ Nommer et identifier les savoirs


Stabiliser un équilibre nouveau inclut obligatoirement des
temps de formalisation collective et d’identification des connais-
sances nouvelles qui font partie de l’apprentissage et se distin-
guent nettement de toute évaluation bilan et a fortiori chiffrée.
Ce sont des moments de prise de recul réflexive pour rendre
intelligible ce que chacun vient de découvrir dans l’action.
C’est aussi ce que l’on nomme dans le jargon pédagogique
des temps d’institutionnalisation des savoirs, c’est-à-dire des
moments au cours desquels on prend le temps de nommer les
savoirs et d’identifier les nouvelles procédures. Les découvertes
individuelles y sont, en quelque sorte, validées et officialisées.
Elles changent ainsi de statut, une nouvelle connaissance est
alors étiquetée « savoir » officiel, elle devient réutilisable et
rejoint symboliquement le patrimoine de savoirs de la classe5.

5. Guy Brousseau, Théorie des situations didactiques, La Pensée Sauvage, 1998.

27
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

■■ Le rôle irremplaçable du langage


Qu’il soit écrit ou oral, le langage joue à ce stade un rôle essen-
tiel. Les maladresses langagières, les tâtonnements ou hésita-
tions sont des étapes nécessaires jusqu’à ce que chaque élève soit
capable de formuler clairement ce qu’il a compris ou retenu.
Les exemples suivants sont des techniques faciles à mettre en
œuvre et efficaces. À l’opposé d’un résumé de cours dicté par l’en-
seignant en fin d’unité d’apprentissage, la technique de « dictée à
l’adulte » peut s’avérer ici très utile : le professeur écrit au tableau
à partir des propositions des élèves une synthèse des points
essentiels à retenir. Il respecte les formulations proposées par les
élèves, les écrit, les fait discuter, les amende, jusqu’à ce qu’une
formalisation satisfaisante soit obtenue. En prenant en charge la
trace écrite, il permet aux élèves de se concentrer entièrement
sur la conceptualisation. Recopiée, voire apprise par cœur par les
élèves, s’il s’agit par exemple d’une définition, cette synthèse par-
tagée atteste symboliquement la validité des savoirs nouveaux.
Une autre technique inspirée des « bilans de savoirs »
consiste à poser une question ouverte, par exemple « Qu’avez-
vous appris ? » ou « Qu’est-il important de retenir ? ». Posé par
écrit, ce type de question favorise une mise en mots individuelle.
Ex­­ploités ensuite collectivement, ces écrits servent de base à la
formalisation collective.
Déstabiliser et rééquilibrer sont donc des préoccupations cons­
tantes pour l’enseignant. Quand certains élèves ont déjà recons-
truit au bout d’une heure un système de connaissances efficace
et cohérent, pour d’autres, rien n’a changé et des obstacles per-
durent : revenir sur les nœuds de conceptions erronées propres
à chacun reste un moyen privilégié d’assurer la réussite de tous.

Corrélats :
Aide aux élèves, Bilans de savoirs, Métacognition, Pédagogie différenciée

28
3. La situation
problème : un levier
pour apprendre

C es principes de base étant posés, la diversité


des moyens à utiliser est grande. Parmi ceux-ci,
la « situation problème » constitue une valeur sûre.

Des « situations problèmes »,


moments privilégiés de l’apprentissage
La terminologie de « situation problème » est aujourd’hui
banalisée, surtout dans l’enseignement primaire. Mais on
s’aperçoit souvent que l’usage de l’expression s’est élargi et se
confond avec un simple problème ou même une question, au
point de masquer ce qui en fait la force.
Une situation problème est une situation pour laquelle on ne
dispose pas d’emblée des moyens qui permettraient d’arriver à
une résolution, ce qui a l’immense avantage de nous confronter
aux limites de nos connaissances, nous rendant ainsi réceptifs à
des propositions que nous n’avions pas envisagées et nous pous-
sant à en inventer de nouvelles.
À l’école, le professeur prévoit des situations problèmes en
rapport avec les objectifs d’apprentissage qu’il vise. Ces situa-
tions plus ou moins complexes incluent des obstacles qui
obligent les élèves à invalider ou faire évoluer les procédures,

29
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

conscientes ou non, qui leur sont habituelles et à en imaginer


d’autres.
Une situation problème crée donc un espace pour une réflexion
encore inédite, un espace de tâtonnements qui oblige chaque
individu à mobiliser toutes les ressources disponibles. C’est un
moyen d’atteindre les préconceptions évoquées ci-dessus, d’en
éprouver les limites et de les dépasser. Sa fonction est double :
la situation problème permet à la fois de déstabiliser l’existant
et d’ouvrir les portes vers des apprentissages nouveaux.
Si la situation est bien conçue, si les difficultés à surmonter
sont bien dosées et en rapport avec les contenus d’apprentis-
sage ciblés, cela permettra aux élèves d’acquérir de nouvelles
méthodes, de construire de nouveaux raisonnements, d’acquérir
de nouvelles connaissances.

Les situations problèmes


L’expression « situation problème » est ancienne et déjà employée
par Piaget. Elle a été rendue célèbre dans les années 1980, en
particulier grâce aux travaux de Philippe Meirieu qui a développé
le concept pour qu’il devienne pédagogiquement opérationnel.
Il le définit ainsi : « Situation didactique dans laquelle il est proposé
au sujet une tâche qu’il ne peut mener à bien sans effectuer un
apprentissage précis. Cet apprentissage, qui constitue le véritable
objectif de la situation problème, s’effectue en levant l’obstacle
à la réalisation de la tâche. »
Elle suppose donc non seulement un obstacle à franchir ou un
problème à résoudre mais aussi un espace de réflexion et d’analyse
autour de l’obstacle et des moyens qui ont permis de le dépasser.
Une situation problème est un espace d’apprentissage, un moment
de réflexion, de tâtonnements et de recherches destinés à faire
émerger de nouvelles procédures, de nouveaux savoirs.

Référence :
Philippe Meirieu, Apprendre, oui mais comment ?, ESF éditeur, 1987

30
3. La situation problème : un levier pour apprendre

On confond parfois « situation problème6 » et « résolution


de problème. ». La plupart des questions et problèmes du quo-
tidien de la classe, même s’ils sont complexes, ne sont pas des
situations problèmes : ils visent l’entraînement, le réemploi,
le perfectionnement jusqu’à l’acquisition d’automatismes. De
même, les situations complexes proposées pour évaluer des
compétences demandent à l’élève de mobiliser des ressources
existantes et non d’inventer des procédures ou raisonnements
nouveaux.

Corrélats :
Accompagnement, Conflit sociocognitif, Étayage

Obstacles à franchir : faire les bons choix


Bien choisir les obstacles à franchir est un acte professionnel
important. Jean-Louis Martinand a proposé la notion d’objectif
obstacle pour insister sur l’importance du choix à effectuer.
Les obstacles rencontrés par les élèves, s’ils sont franchis-
sables, deviennent des points d’appui pour les apprentissages
nouveaux. Leur choix, leur calibrage suppose donc réflexion.
Jean-Pierre Astolfi, dans L’école pour apprendre7, souligne : « Le
problème principal pour l’enseignement, c’est bien ici de retenir,
parmi la diversité des objectifs possibles, celui qui se révélera le
plus judicieux pour une séquence, ni trop facile à atteindre ni
hors de portée des élèves. » Un obstacle fait aussi surgir un
désir : celui de le franchir. C’est donc un moment privilégié à
saisir, la sagesse populaire souligne d’ailleurs qu’on ne fait pas
boire celui qui n’a pas soif.

6. Vincent Carette, Bernard Rey, Enseigner dans le secondaire, De Boeck, 2010,


p. 27.
7. Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, ESF éditeur, 1992, p. 134.

31
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Obstacle
Point de résistance dans un apprentissage. Notion clé dans
la démarche didactique.
Des obstacles bien identifiés par l’enseignant et adaptés aux
élèves, deviennent des points d’appui pour faire progresser
les apprentissages.

Identifier la zone de progrès possible


Pour éclairer les choix de l’enseignant, pour prendre les déci-
sions les plus efficaces en phase de préparation du travail péda-
gogique, Vygotski propose le concept de « zone proximale de
développement » qui jauge et utilise la zone de progrès pos-
sible. Une situation problème bien pensée suppose de situer les
obstacles à franchir dans cette zone : trop facile, elle ne sert à
rien, trop éloignée du potentiel de développement, elle ratera
son but.
Le travail de l’enseignant doit intégrer cette notion qui situe
bien sa responsabilité : choisir en fonction du potentiel. L’une
des difficultés est de ne pas se contenter de l’intuition ou de
l’expérience. Dans la pratique, ce sont les programmes officiels
qui servent à réguler le niveau de difficulté attendu, ce qui n’est
évidemment pas satisfaisant. Les programmes ne dispensent
pas de s’interroger sur le développement réel des élèves que
l’on a en face de soi et sur les opérations mentales effectivement
mises en œuvre.

32
3. La situation problème : un levier pour apprendre

La zone proximale de développement »


ou « zone de développement potentiel »
Lev Vygotski a mis l’accent sur le rôle de l’environnement social
dans le développement du sujet. De ce point de vue, il complète les
travaux de Jean Piaget qui, parallèlement, étudiait le développement
de l’enfant.
Il définit la « zone proximale de développement », ou « zone de
développement potentiel », selon les différentes traductions,
comme la distance qui sépare les progrès dont est capable
un enfant qui travaille seul et ceux que ce même enfant peut
accomplir lorsqu’il travaille avec l’aide d’un adulte ou en
collaboration avec des pairs.

Références :
Lev Vygotski, Pensée et langage, Éditions La dispute, trad revue par
Françoise Sève, 1997

33
4. Faire agir pour
apprendre : un
principe fondamental
« Quand un enfant, dit Kant, ne met pas
en pratique une règle de grammaire,
peu importe qu’il la récite : il ne la sait pas ; et celui-là
la sait qui infailliblement l’applique, peu importe qu’il
ne la récite pas. De même, l’élève qui fait de tête la carte
d’un pays ou d’un voyage témoigne par là de la meilleure
manière, sinon de la seule, qu’il a étudié la géographie
avec fruit. Agir et faire, voilà le secret et, en même temps,
le signe de l’étude féconde. Faire agir, voilà le grand
précepte de l’enseignement. Autant vaut dire le précepte
unique, car il contient en germe tous les autres. »
Henri Marion, 18888
Comme on le voit, l’idée que l’action des élèves doit être
au cœur de l’enseignement n’est pas neuve, elle est pourtant
encore aujourd’hui innovante.
Et Philippe Perrenoud9 souligne que si « les intuitions des
fondateurs n’ont pas pris une ride, l’urgence n’est pas de les
reformuler, mais d’analyser au plus près ce qui empêche de les
réaliser, à commencer par nos propres ambivalences ». Il nous
invite donc à nous interroger sur les freins.

8. Texte intégral consultable sur www.meirieu.com/PATRIMOINE/henrimarion.pdf.


9. Philippe Perrenoud, « Rendre l’élève actif, c’est vite dit », article publié dans
Migrants formation, 1996, consultable sur www.unige.ch.

34
4. Faire agir pour apprendre : un principe fondamental

On apprend mieux, plus vite et plus durablement si l’on agit :


cette idée est consensuelle. Néanmoins, il y a loin des décla-
rations d’intention à la réalité. On se plaint beaucoup de la
passivité des élèves en classe, la réponse est pourtant dans le
constat : leur a-t-on donné l’occasion d’agir ?

On confond souvent
activité et comportement
Qu’est-ce qu’un élève actif ? Comme le soulignent Raynal
et Rieunier10, la notion d’activité est source de malentendus :
« L’activité n’est pas obligatoirement manifeste », « Les
concepts d’activité et de comportement ne sont pas syno-
nymes », « Le comportement n’est que la partie observable de
l’activité ». L’activité de l’élève ne se traduit pas forcément en
manipulations, mouvements ou paroles ; ce qui importe, c’est
qu’une activité mentale réelle soit en jeu, et celle-ci peut fort
bien être invisible. Inversement, un élève dont le corps bouge,
un élève qui bricole peut simplement être en train d’appliquer
des routines complètement automatisées.
Lorsque les pédagogues prônent l’action, il s’agit bien de l’ac-
tivité mentale, associée ou non à celle du corps. Comme le sou-
ligne André Giordan : « Une dérive importante peut exister :
on confond souvent activité et apprentissage. Apprendre des
sciences implique que l’élève ne soit pas seulement “actif ” (avec
ses mains) mais aussi “auteur” (avec sa tête) de sa démarche11. »

10. Françoise Raynal, Alain Rieunier, Pédagogie, Dictionnaire des concepts clés,
ESF éditeur, 2005, p. 15.
11. André Giordan, « La science à l’école : PISA ne dit pas l’essentiel », consultable
sur le site du café pédagogique
www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/PISA_Giordan.aspx

35
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Les activités mentales


L’expression désigne toutes « les opérations de traitement
de l’information qu’un individu peut produire consciemment
ou inconsciemment, pour apprendre, comprendre, raisonner,
prendre une décision, évaluer, résoudre un problème, agir12… ».

12

Une autre confusion consiste à confondre le point de vue de


l’enseignant et celui des élèves. Un cours très actif pour le pro-
fesseur peut avoir laissé les élèves entièrement passifs. Ainsi,
un cours de type dialogué pendant lequel l’enseignant dépense
une énergie considérable à questionner les élèves, réagir à leurs
réponses, se démener pour garder le cap de ce qu’il a prévu en
dépit des aléas, peut épuiser le professeur alors que les élèves ont
été passifs. L’activité des élèves ne se mesure pas à la dépense
d’énergie, bien au contraire : si l’on veut vraiment que les élèves
soient actifs, cela suppose que le professeur adopte la juste
posture d’accompagnement ou de lâcher prise et qu’il ne fasse
pas à la place de l’élève.
Mettre les élèves en activité est un moyen privilégié pour les
mobiliser. On trouvera plus loin sous cette rubrique des propo-
sitions concrètes.

Corrélats :
Accompagnement, Cours dialogué, Gestes professionnels, Lâcher prise

12. Françoise Raynal, Alain Rieunier, Pédagogie, Dictionnaire des concepts clés,
ESF éditeur, 2005, p. 19.

36
4. Faire agir pour apprendre : un principe fondamental

« Les méthodes actives »

On appelle méthodes actives toutes les méthodes pédago-


giques qui se fixent pour objectif de rendre celui qui apprend
vraiment acteur de ses apprentissages, afin qu’il construise ses
savoirs à travers des situations de recherche.
L’expression regroupe des pratiques diverses au sein de
courants de pensée variés. « S’il fallait retenir un dénomina-
teur commun, déclare Philippe Perrenoud, on pourrait sug-
gérer qu’une pédagogie active, c’est une pédagogie qui cherche
avant tout à rendre l’élève actif et acteur de sa formation, et réor-
ganise en conséquence, autant qu’il le faut, la relation pédago-
gique, l’espace de la classe, le métier d’enseignant et le métier
d’élève, le temps, le contrat didactique, le dialogue avec les
familles, l’évaluation. » Il insiste ainsi sur un aspect essentiel :
« Les méthodes actives sont mal nommées, car ce sont plus
que des méthodes13. » Il serait dommage de ne retenir que des
recettes de ces courants de pensée qui n’isolent pas la question
des savoirs d’une réflexion globale sur l’éducation sous-tendue
par des valeurs, une conception de l’homme, de l’école et de la
démocratie.

13. Philippe Perrenoud, « Rendre l’élève actif, c’est vite dit », 1996, article publié
dans Migrants formation, 1996, consultable sur www.unige.ch

37
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Les mouvements pédagogiques


de l’éducation nouvelle
De nombreux mouvements pédagogiques mettent en œuvre
des méthodes actives.
Créé il y a presque un siècle, le mouvement de l’éducation
nouvelle est toujours bien vivant de nos jours et de nombreux
groupes s’en réclament.

L’éducation nouvelle
L’éducation nouvelle regroupe divers courants pédagogiques qui
s’appuient sur les principes de la pédagogie active. Ces courants
ne s’intéressent pas seulement à la question des savoirs mais à
la formation et l’épanouissement global de l’individu grâce à l’école.
Historiquement, il a été fondé en 1921. Parmi les cofondateurs
figurent John Dewey, Jean Piaget, Maria Montessori, Beatrice Ensor,
Adolphe Ferrière.
On y trouve différents pédagogues qui, chacun à leur manière,
favorisent l’expérience personnelle et l’apprentissage à partir du réel ;
Freinet bien sûr mais aussi, par exemple, John Dewey, On apprend
en faisant (« Learning by doing »), ou Decroly qui préconise de partir
des centres d’intérêts des élèves.
De nos jours, le mouvement de l’éducation nouvelle est toujours bien
vivant et de nombreux groupes s’en réclament, par exemple :
AFL : Association Française pour la Lecture ;
CEMEA : Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active ;
GBEN : Groupe Belge d’Éducation Nouvelle ;
GFEN : Groupe Français d’Éducation Nouvelle ;
FIMEM : Fédération internationale des mouvements d’école moderne
Pédagogie Freinet ;
Pédagogie Montessori, Pédagogie Steiner-Waldorf…
Le GFEN, le GBEN et d’autres groupes nationaux constituent
depuis 2001 un réseau international : le LIEN (Lien international

38
4. Faire agir pour apprendre : un principe fondamental

de l’éducation nouvelle), résurgence de la Ligue internationale


pour l’éducation nouvelle créée en 1921.
Le Crap (Cercle de Recherche et d’Action Pédagogiques) édite les
Cahiers pédagogiques, revue de référence qui fait place aussi
bien aux travaux de la recherche qu’aux pratiques de terrain.

■■ Les pédagogies coopératives


Parmi les courants pédagogiques s’appuyant sur les méthodes
actives, le plus célèbre en France est sans doute celui de
Célestin Freinet. Les travaux en sciences de l’éducation ne
cessent d’y faire référence et de souligner la pertinence des
intuitions avant-gardistes de cet instituteur.
Freinet lui-même parle de « techniques Freinet » et sa créati-
vité est immense. Certaines de ces techniques sont très célèbres :
texte libre, dessin libre, correspondance scolaire, imprimerie et
journal scolaire, travail en groupe et en atelier, fichiers auto-
correctifs, méthode naturelle de lecture... Mais une technique
n’est pas séparable de la réflexion qui l’a fait naître et l’apport
fondamental de Freinet réside dans la façon dont il s’appuie sur
l’expérience concrète des élèves, quels que soient leurs acquis
antérieurs, pour leur permettre d’accéder progressivement à
des savoirs plus abstraits.

L’école moderne de Freinet


Dès 1920, Célestin Freinet, instituteur de génie, a mis en œuvre
une pédagogie qui tourne résolument le dos au modèle transmissif.
Sa pratique est clairement adossée à des valeurs démocratiques
et la classe est organisée comme un espace coopératif où chacun
contribue à des projets collectifs et peut s’exprimer librement.

39
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

Il vise selon sa propre expression « l’école du peuple ».


Il s’appuie sur l’expression libre des enfants, leur expérience
et leurs tâtonnements.
« Il s’agit de laisser les enfants émettre leurs propres hypothèses,
faire leurs propres découvertes, éventuellement constater et
admettre leurs échecs mais aussi parvenir à de belles réussites
dont ils peuvent se sentir les vrais auteurs. Les résultats ?
Une motivation très forte, une implication immédiate de chaque
enfant, qui acquiert ainsi confiance en lui et en ses possibilités
de progresser par lui-même. L’intérêt réside aussi dans le fait qu’il
est inutile d’apprendre par cœur quelque chose que l’on a découvert
par le tâtonnement expérimental ; on s’en souvient sans effort. »
Le rôle du maître est de canaliser, guider, accompagner, relancer,
voire, quand cela est nécessaire, réorienter une recherche qui
s’enlise.

Référence :
Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994, tome I ;
« Essai de psychologie sensible appliquée à l’éducation », 1943

■■ La pédagogie institutionnelle14
Elle est issue de la pédagogie Freinet et a été élaborée par
Fernand Oury, instituteur du mouvement Freinet qui a pris
son autonomie en 1962. Sur le plan pratique, on y retrouve des
aspects de la pédagogie coopérative de Freinet revisités. Sur
le plan théorique, la pédagogie institutionnelle est fortement
nourrie des travaux des psychanalystes. L’organisation et le
fonctionnement institutionnel de la classe et des lieux de parole
visent à permettre à chaque enfant de se situer parmi les autres.
L’accès à la pensée symbolique en est l’un des points d’appui.

14. Sylvain Connac, Apprendre avec les pédagogies coopératives, ESF éditeur, 2009.

40
4. Faire agir pour apprendre : un principe fondamental

Certaines techniques sont célèbres, par exemple le « Quoi de


neuf ? », espace de parole libre quotidien, ou « L’évaluation par
ceinture » qui propose un système d’évaluation affranchi des
notes. Mais elles aussi perdent de leur sens si elles sont décon-
nectées de la réflexion d’ensemble qui les a fait naître.

« La main à la pâte » :
une méthode active pour développer
l’esprit scientifique
La main à la pâte est un exemple de méthode active qui ren-
contre un vif succès et a fait ses preuves.
Lancée en 1996 par Georges Charpak – prix Nobel de phy-
sique 1992 –, Pierre Léna, Yves Quéré et l’Académie des sciences,
l’initiative a pour but de rénover l’enseignement des sciences
et de la technologie à l’école primaire en favorisant un ensei­
gnement fondé sur une démarche d’investigation scientifique.
La démarche préconisée s’appuie sur dix principes et articule
apprentissages scientifiques, maîtrise du langage et éducation à
la citoyenneté. Pour cela, les enseignants soumettent à la curio-
sité de leurs élèves des objets et des phénomènes du monde qui
les entoure, suscitant le questionnement scientifique. Celui-ci
conduit à la formulation d’hypothèses destinées à être testées
par l’expérimentation ou vérifiées par une recherche documen-
taire. Ainsi, les élèves s’approprient progressivement concepts
scientifiques et techniques opératoires et consolident leur
expression orale et écrite.
Les dix principes qui fondent la démarche sont un exemple
d’une mise en œuvre réfléchie qui peut constituer un modèle.

41
Pour être sûr que tous les élèves apprennent

La main à la pâte

La démarche pédagogique
1. Les enfants observent un objet ou un phénomène du monde
réel, proche et sensible, et expérimentent sur lui.
2. Au cours de leurs investigations, les enfants argumentent
et raisonnent, mettent en commun et discutent leurs idées et
leurs résultats, construisent leurs connaissances, une activité
purement manuelle ne suffisant pas.
3. Les activités proposées aux élèves par le maître sont
organisées en séquences en vue d’une progression des
apprentissages. Elles relèvent des programmes et laissent
une large part à l’autonomie des élèves.
4. Un volume minimum de deux heures par semaine est consacré
à un même thème pendant plusieurs semaines. Une continuité
des activités et des méthodes pédagogiques est assurée sur
l’ensemble de la scolarité.
5. Les enfants tiennent chacun un cahier d’expériences avec
leurs mots à eux.
6. L’objectif majeur est une appropriation progressive, par les
élèves, de concepts scientifiques et de techniques opératoires,
accompagnée d’une consolidation de l’expression écrite et
orale.

Le partenariat
7. Les familles et/ou le quartier sont sollicités pour le travail réalisé
en classe.
8. Localement, des partenaires scientifiques (universités, grandes
écoles) accompagnent le travail de la classe en mettant leurs
compétences à disposition.
9. Localement, les universités mettent leur expérience
pédagogique et didactique au service de l’enseignant.
10. L’enseignant peut obtenir, auprès du site Internet, des modules
à mettre en œuvre, des idées d’activités, des réponses à
ses questions. Il peut aussi participer à un travail coopératif
en dialoguant avec des collègues, des formateurs et
des scientifiques.

Source : www.lamap.fr/

42
2
Mobiliser
tous les élèves

I
ndiscutablement, l’attention des élèves est de plus en plus
volatile et il n’y a pas de raisons pour que cela s’arrange.
Dans un monde où la technologie nous rend tous connec-
tables à différents réseaux 24h sur 24, comment espérer que
les enfants échappent aux tentations auxquelles les adultes eux-
mêmes ne résistent pas ? Force est de constater que les adultes
ont bien du mal à éteindre leur téléphone portable et à différer
d’y répondre ; ils lisent leurs mails quelle que soit la situation
tandis que, par ailleurs, la télévision sert bien souvent de bruit de
fond… Comment s’indigner de comportements identiques chez
les élèves ? Inutile de compter sur un modèle de civilité qui
n’existe pas, la société évolue et il faut faire avec. Et comme le
rappelait Freinet : « L’enfant est de la même nature que nous1. »
Mais le problème de fond est ailleurs. Mobiliser tous les élèves
a toujours été une difficulté majeure du métier d’enseignant.
Si cela est sans aucun doute devenu plus difficile aujourd’hui,
l’aggravation reste, en dépit des apparences, marginale car il
n’y a guère de raison objective en effet à ce qu’un élève adhère
d’emblée aux propositions de l’école. Si cela se produit, tant
mieux. Mais si la rencontre n’a pas lieu spontanément, comment

1. Freinet a établi une liste d’invariants, l’invariant n°1 est « L’enfant est de la même
nature que nous ».

43
Mobiliser tous les élèves

s’en étonner ? Freinet le souligne ainsi : « Invariant n° 4 : nul


– l’enfant pas plus que l’adulte – n’aime être commandé d’au-
torité. Invariant n° 5 : nul n’aime s’aligner, parce que s’aligner,
c’est obéir passivement à un ordre extérieur. Invariant n° 6 : nul
n’aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce
travail ne lui déplaît pas particulièrement. C’est la contrainte qui
est paralysante. Invariant n° 7 : chacun aime choisir son travail,
même si ce choix n’est pas avantageux. »
C’est donc à l’enseignant de créer les conditions de la ren-
contre avec le savoir.
La question de l’implication personnelle des élèves se pose
depuis longtemps et l’idée qu’il faut « motiver les élèves » n’est
pas une idée neuve. Néanmoins, motiver les élèves est une très
bonne chose, mais ce n’est pas suffisant pour résoudre les diffi-
cultés liées au désengagement potentiel des élèves. Le concept
de motivation appartient au domaine psychologique et insiste sur
l’engagement affectif. Or le savoir ne relève pas seulement de ce
domaine.

Mobiliser plutôt que motiver


Mobiliser les élèves, ce n’est pas seulement les motiver, c’est,
comme l’étymologie du mot le suggère, les mettre en mouvement
et provoquer leur déplacement au sens intellectuel du terme.
Le mot contient aussi des connotations spatiales et temporelles :
il s’agit d’investir l’espace-temps de la classe et des apprentissages.
La perspective est aussi radicalement différente : parler de
« motivation » renvoie la responsabilité aux élèves alors que
les mobiliser est un défi posé à l’enseignant qui doit organiser
les conditions de leur mise en mouvement.

44
Mobiliser tous les élèves

Philippe Perrenoud2 dénonce l’illusion créée par ce mot qu’il


juge « creux » et déclare : « Je suggère une option de méthode :
tenter de se “désengluer” des images toute faites associées au
concept de motivation et essayer de trouver un autre langage et
une approche moins normative, plus constructiviste et interdisci-
plinaire. Je propose de parler du sens du travail, des savoirs, des
situations et des apprentissages scolaires. »
C’est donc la question globale de la mobilisation des élèves
qu’on abordera ici.

2. Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire, ESF éditeur, 1994,
pp. 161-162.

45
1. Peut-on se mobiliser
sur ce qui n’a pas
de sens ?

É coutons encore Freinet : « Invariant n° 8 : nul n’aime


tourner à vide, agir en robot, c’est-à-dire faire des
actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans des
mécaniques auxquelles il ne participe pas. » Ou encore
Philippe Perrenoud : « Peu d’êtres humains se résignent
volontiers au non-sens. »
La question du sens de la démarche qui consiste à aller
à l’école, y exécuter des tâches, y réussir ou y échouer
ne peut être escamotée.
On ne peut s’interroger sur la démobilisation de certains
élèves sans interroger leur rapport au savoir et au sens
de l’école.

Le rapport au savoir
Le concept de rapport au savoir est essentiel pour com-
prendre l’inégalité et la diversité d’engagement des élèves dans
les tâches scolaires. Dans les années 1960 à 1980, de nombreux
travaux ont montré la corrélation entre l’appartenance sociale
et la réussite scolaire. Ils ont souvent fait l’objet de simplifica-
tions pouvant conduire à un fatalisme scolaire. On est souvent
passé de la corrélation (ce qui signifie qu’on observe un lien) à
un rapport de cause à effet.

47
Mobiliser tous les élèves

Le rapport au savoir
Le rapport au savoir est l’ensemble organisé des relations que
chacun entretient avec tout ce qui relève du savoir et de l’acte
d’apprendre. C’est le rapport singulier que chacun a à la connais-
sance, à l’autre et au monde lorsqu’il est confronté à la nécessité
d’apprendre.
Il se construit en fonction de l’histoire de chacun dans toutes ses
dimensions : familiale, sociale, historique… Il a donc une dimension
consciente et inconsciente. Il est singulier par nature, propre à
chaque individu, et peut évoluer tout au long de la vie. Le rapport
au savoir interroge le sens de l’école et du travail qu’on y fait.

Références :
J Beillerot, A Bouillet, C Blanchard-Laville, N Mosconi, Savoirs et rapport
au savoir, Élaborations théoriques et cliniques, Éditions Universitaires, 1989
B Charlot, E Bautier, J -Y Rochex, École et savoir dans les banlieues
et ailleurs, Colin, 1992

Si la notion de rapport au savoir apparaît d’abord dans les


travaux de psychanalystes et psychosociologues (Lacan 1966,
Beillerot 1987), ce sont les travaux de l’équipe pluridisciplinaire
Escol (Bernard Charlot, Elisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex)
qui, dans les années 1990, ont développé le lien entre le rapport
au savoir et les inégalités scolaires.
Les travaux du groupe Escol nuancent et éclairent le posi-
tionnement de chaque individu par rapport à l’école et au savoir.
Ils s’interrogent sur la façon dont les élèves se mobilisent ou
non à l’école et sur les raisons qui rendent cette mobilisation
socialement différenciée.
Loin du fatalisme lié à une simplification des théories de la re--
production sociale, ce concept est venu apporter un éclairage
inédit sur l’échec et la réussite scolaires, ouvrant des voies nou-
velles pour lutter contre les inégalités à l’école, la question du
sens des tâches, du sens de l’école étant désormais posée avec force.

48
 1. Peut-on se mobiliser sur ce qui n’a pas de sens ?

Du côté des élèves, il s’agit de repérer les postures peu ou pas


efficientes, celles qui consistent à exécuter les tâches scolaires
sans autre visée que celle de répondre aux questions posées,
sans projet personnel, même à court terme.
Du côté des enseignants, cela interroge la nature des tâches
données aux élèves et la façon dont le maître aide l’élève à
en comprendre l’intérêt. Cela pointe des dérives trop techni-
cistes, purement axées sur des entraînements méthodologiques
tournant à vide, sans appui fort sur des contenus didactiques
permettant aux élèves de développer une pensée personnelle
authentique. Les activités proposées laissent-elles suffisam-
ment d’espace pour que les élèves puissent adopter une pos-
ture réflexive ? Ou, au contraire, sont-elles si encadrées qu’elles
favorisent une exécution aveugle ? Que peut faire le maître pour
que les élèves donnent un sens à ce qu’ils font ? Comment faire
évoluer le rapport au savoir ? Quels sont les gestes profession-
nels spécifiques ? Ces questions fortes trouveront des éléments
de réponse ci-dessous.
Corrélats :
Métacognition, Postures d’apprentissage, Tissage

Le métier d’élève
et la question du sens du travail
L’expression « métier d’élève » dérange, ce qui a l’avantage
d’attirer l’attention sur la façon dont l’école et les tâches qu’on
y fait peuvent ne pas avoir de sens pour les élèves. Par ail-
leurs, l’expression s’oppose à une forme de jargon réductrice,
comme le souligne Philippe Perrenoud : « La mode actuelle, qui
consiste à appeler l’élève un “apprenant”, est un abus de lan-
gage, qui réduit l’élève à ce qu’on voudrait qu’il soit. Beaucoup

49
Mobiliser tous les élèves

d’élèves n’apprennent pas, ou pas tout ce qu’on voudrait leur


faire apprendre. Pourquoi les appeler apprenants ? N’est-ce pas
la plus sûre façon de s’interdire de comprendre à quelles condi-
tions ils peuvent effectivement le devenir3 ? »

Le métier d’élève
Cette formule provocatrice a été lancée par Philippe Perrenoud pour
attirer l’attention sur la perte ou l’absence totale de sens de l’école
pour certains élèves.
Le travail scolaire n’est pas un travail comme un autre et, à l’école,
on ne s’interroge pas assez sur la façon d’aider les élèves à lui
donner un sens.
« Le métier d’élève est donc un métier du savoir qui le traite comme
une réalité simple, évidente, non problématique, dans un rapport
normatif plus qu’analytique. C’est donc dans une certaine solitude
que chacun s’efforce de comprendre, loin des normes didactiques
et des déclarations d’intention, ce qu’est le savoir, à quoi il sert,
comment on se l’approprie. »
« Il y a des élèves qui n’apprennent pas, parce qu’ils exercent leur
métier n’importe comment. » Philippe Perrenoud identifie ainsi
un profil d’élèves en échec qui « se contentent de faire les gestes
du métier, la tête ailleurs ».
« On se prive donc de l’essentiel : comprendre pourquoi la réalité
du travail le détourne souvent de sa raison d’être. »

Références :
Philippe Perrenoud, Métier d’élève et sens du travail scolaire,
ESF éditeur, 1994, p 14 et p 182

3. Philippe Perrenoud, « Métier d’élève : comment ne pas glisser de l’analyse à la


prescription ? » in UNAPEC, Le métier d’élève, pp. 15-24.

50
1. Peut-on se mobiliser sur ce qui n’a pas de sens ?

Postures d’élèves et sens des tâches


Face aux tâches scolaires, chaque élève adopte un certain
nombre de comportements plus ou moins porteurs de réussite,
des « manières d’entrer et d’habiter la tâche à accomplir et de
s’y engager4 » que l’on désigne sous le nom de postures.

Posture
En sciences de l’éducation, on nomme « posture » une façon de
répondre à une tâche et de s’y engager, un ensemble de gestes
préconstruits que l’on peut reproduire ou retrouver dans diverses
situations.
On peut donc parler de postures d’élèves et de postures
professionnelles de l’enseignant.
La capacité à changer de posture pour s’ajuster aux exigences
des tâches est un facteur de réussite. À l’opposé, une rigidité
des postures ou une palette trop restreinte est un frein, voire
une source d’échec.

Dominique Bucheton a identifié un certain nombre de pos-


tures que l’on retrouve fréquemment chez les élèves et qui ne se
valent pas. Ses travaux étudient les liens entre les postures pro-
fessionnelles des enseignants et celles adoptées par les élèves.
Ils montrent leur ajustement réciproque, ouvrant ainsi de nou-
velles pistes pour prévenir l’échec scolaire et aider les élèves en
difficulté.
Corrélat :
Étayage, Gestes professionnels, langage

4. Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture au CP, une réponse à
l’hétérogénéité des élèves, Delagrave, 2010, p. 34.

51
Mobiliser tous les élèves

Postures d’apprentissage des élèves


Chaque élève dispose d’une palette plus ou moins ouverte
de postures mobilisables pour réaliser les tâches scolairement
prescrites.
Dominique Bucheton distingue plusieurs types de postures
que l’on rencontre fréquemment chez les élèves.
■■Posture scolaire : le désir de conformité aux attentes du maître
(ou à ce qu’il croit être ses attentes), la soumission sans distance
aux consignes données, aux contraintes formelles et aux normes,
empêchent l’élève de prendre de la distance. Il exécute les tâches
sans leur donner un sens. Il a tendance à reproduire à l’identique,
à répéter.
■■Posture première : l’élève se lance dans l’action, sans réfléchir,
sans prendre en compte la totalité des consignes. Ce qui compte
avant tout pour lui, c’est l’action concrète, des résultats rapides,
issus d’un premier jet sans retour sur l’action. L’implication est forte
mais peu productive.
■■Posture réflexive ou seconde : l’élève ne se contente pas
d’exécuter les tâches scolaires, il réfléchit sur ce qu’il fait,
ce qu’il a appris, les manières de procéder.
■■Posture ludique, créative : quelle que soit la consigne, l’élève tente
de la détourner ou d’échapper aux normes imposées.
■■Posture de refus : l’élève refuse de s’engager dans les tâches
proposées. Les raisons peuvent être très variées – peur de l’échec,
désir de se protéger ou au contraire de s’affirmer…
■■Posture dogmatique : l’élève est convaincu qu’il sait déjà, qu’il a
appris ailleurs, il refuse les apprentissages et méthodes nouvelles.

Références :
Dominique Bucheton, « Le sujet et son langage écrit », in Conduites d’écriture,
CRDP de Versailles, 1997
Dominique Bucheton, « Les postures de lecture des élèves au collège »,
actes du colloque Les théories du texte, Toulouse, 1998
Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture au CP,
une réponse à l’hétérogénéité des élèves, Delagrave, 2010

52
 1. Peut-on se mobiliser sur ce qui n’a pas de sens ?

Toutes les postures interrogent le rapport au savoir et le sens


que les élèves donnent au travail scolaire. Elles sont socialement
différenciées et scolairement différenciatrices pour la réussite
scolaire. Mais elles sont dépendantes du contexte, sans déter-
minisme. Un même élève peut donc en changer, même au cours
d’une même tâche, en particulier si l’enseignant l’aide à le faire.
Elisabeth Bautier5 et Dominique Bucheton ont souligné le
rôle décisif du langage dans la construction mais aussi l’évo-
lution des postures adoptées. C’est en s’appuyant sur le lan-
gage, en créant des espaces pour réfléchir sur ce que l’on a fait,
en écrivant ou en en parlant qu’on fera évoluer des postures.
Expliquer, commenter, justifier ses choix, les communiquer à
d’autres aident l’élève à donner sens à ce qu’il fait, à modifier
son rapport aux tâches scolaires.

5. Elisabeth Bautier, Pratiques langagières, pratiques sociales, L’Harmattan, 1995.

53
2. Tisser le sens
des activités

C omment l’enseignant peut-il aider les élèves à


donner du sens au travail scolaire ? Plusieurs pistes
de travail peuvent se cumuler. Au niveau individuel et
personnalisé, comme on vient de le voir, identifier des
postures qui font obstacles et aider l’élève à en changer
constitue une première proposition. À grande échelle, en
finalisant les tâches, en s’engageant dans une démarche
de projet décrite plus loin, on facilitera l’engagement
des élèves.
Mais cela se passe aussi au quotidien, au sein de chaque
cours, par ce que Dominique Bucheton définit comme
les gestes professionnels de tissage.

Les gestes quotidiens de tissage


Ce sont des microgestes effectués par l’enseignant, tout ce
qui permet de faire des liens ou des ponts avec l’avant ou l’après
de l’activité, l’expérience des élèves, ce qu’ils savent déjà, « ce
qu’on cherche à comprendre ou à faire, pourquoi, comment ? ».
À la suite des observations détaillées de cours dont on trouvera
des analyses dans ses différents ouvrages, Dominique Bucheton
note : « Si on trouve ces gestes de reprises parfois en début de
cours, on constate qu’ils disparaissent souvent entre les tâches
comme si la succession de celles-ci suffisait à en construire le

54
2. Tisser le sens des activités

sens. Ils sont quasi oubliés en fin de cours au moment où il faut


faire l’ourlet pour que l’ouvrage ne se délite pas. Ces gestes de
tissage sont essentiels pour les élèves “décrocheurs” ou pour
les élèves “suiveurs passifs” qui “font” consciencieusement les
tâches sans en comprendre la finalité6. »

Les gestes de tissage


Dans le cadre de ses travaux sur les gestes professionnels,
Dominique Bucheton définit les gestes de tissage effectués
par l’enseignant : ce sont ceux qui donnent du sens à la situation
et aux savoirs visés.
Ces travaux sont appuyés sur des observations fines de cours.
« Ces gestes de tissage qui ouvrent et ferment une situation,
un exercice, les finalisent, les relient à un projet de savoir, occupent
un ratio moyen de 7 % des interactions. Leur insuffisance pourrait
être un vecteur de décrochage pour certains élèves. »

Références :
Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture au CP, une réponse
à l’hétérogénéité des élèves, Delagrave, 2010
Dominique Bucheton (dir ), L’agir enseignant : des gestes professionnels
ajustés, Octarès, 2009

Corrélats :
Étayage, Gestes professionnels

6. Source : www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article6467, « L’agir ensei-


gnant : des gestes professionnels ajustés ».

55
Mobiliser tous les élèves

Finaliser les tâches


pour qu’elles aient un sens
La finalisation visible des tâches est un moyen efficace de
donner du sens au travail de chacun. Il s’agit bien sûr du sens
premier du verbe finaliser, c’est-à-dire rendre visible un but, un
objectif précis à une recherche, une action.
Concrètement, au minimum, cela signifie qu’on ne lance pas
les élèves dans une activité sans indiquer une direction, sans la
relier à d’autres activités, d’autres apprentissages, qu’on aide les
élèves à se représenter le but de l’activité. Cela fait partie des
gestes de tissage précédemment évoqués.
Mais pour que cette finalité soit plus explicite encore, il
s’agira d’afficher une fonction sociale à une tâche. À titre excep-
tionnel, elle pourra être l’utilité dans la vie quotidienne (cal-
culer une surface sera utile le jour où on pose du parquet) mais
cette finalisation très réductrice conduit à trop instrumentaliser
les savoirs et ne saurait être systématique.
La finalisation est à rechercher au sein des savoirs eux-mêmes
et du groupe social de la classe. Ainsi :
––lire des poésies pour confectionner un florilège personnel ou
lire plusieurs débuts de roman pour décider de celui qu’on
choisira de lire, c’est rendre perceptible que la lecture forme
le goût ;
––préparer un énoncé de problème qui sera ensuite soumis à
d’autres élèves de la classe, c’est confronter sa puissance con-
ceptuelle à celle des autres ;
––faire un bilan de savoirs en fin de séquence, c’est prendre sa
place dans le groupe, afficher ce que l’on sait et le chemin
parcouru…

56
2. Tisser le sens des activités

À plus grande échelle, finaliser les tâches conduit à la péda-


gogie de projet développée un peu plus loin.

Corrélats :
Bilans de savoirs, Compétences, Projet pédagogique, Situation problème

57
3. Faire faire, faire dire,
faire interagir,
faire réfléchir

F aire agir les élèves est indispensable et mobilisateur.


« L’action est incontestablement un passage
obligé », déclare André Giordan, mais il ajoute :
« Malheureusement, une pédagogie de l’action seule,
reste le plus souvent stérile. […] Le monde extérieur
n’enseigne pas directement à l’individu ce qu’il est censé
apprendre7. » Il souligne ainsi le rôle irremplaçable
de l’enseignant qui organise de façon très réfléchie les
activités proposées aux élèves mais aussi des espaces
de verbalisation et de formalisation où l’action est
commentée, discutée. « Dire à haute voix ses idées
permet de les “voir” autrement ; les écrire augmente
leur cohérence et les schématiser, leur organisation. »
Encore faut-il que la mise en activité des élèves soit
réelle et que les tâches présentent un véritable intérêt.
« Peut-être faut-il se souvenir que l’indiscipline naît
de l’ennui et du faible sens du travail plutôt que d’un
refus de toute activité », rappelle Philippe Perrenoud qui
ajoute : « Organiser le travail scolaire n’a aucun rapport
avec la surveillance de travaux forcés. L’enseignant ne
peut pas tout contrôler. Sa compétence est de concevoir

7. André Giordan, « L’agir et le faire », article sur www.andregiordan.com/articles/


apprendre/agirfaire.html.

58
 3. Faire faire, faire dire, faire interagir, faire réfléchir

et de distribuer des tâches qui vont mobiliser les élèves


et les confronter à des obstacles qu’ils auront envie de
vaincre, pas d’esquiver8. »

Se confronter à des objets


Sans aucun doute, les objets à étudier ou à fabriquer sont
d’excellents tiers médiateurs vers des savoirs nouveaux.
Abondamment utilisés et exploités de façon variée à l’école
maternelle et primaire, leur place décroît au collège et encore
davantage au lycée, dans les disciplines non scientifiques.
Des objets, utilisés comme points de départ d’activités, offrent
une résistance stimulante qui favorise le tâtonnement expéri-
mental ou une pédagogie de la découverte.
Des objets à produire ou à fabriquer en fin d’activité consti-
tuent un but concret, un point fixe pour faire converger les
efforts et exprimer la créativité.
Les manipulations concrètes favorisent l’accès à l’abstraction
et à la pensée symbolique. Néanmoins, comme le soulignait
André Giordan, la seule confrontation aux objets ne suffit pas :
ce qui compte, ce n’est pas la manipulation mais l’activité men-
tale qu’elle déclenche.
Il ne faut pas confondre « action » et « concret ». Ce qui
compte, c’est que le cerveau soit aussi en activité, pas unique-
ment le corps.

8. Philippe Perrenoud, « De l’organisation du travail dépend la rencontre entre


chaque élève et le savoir », in Éducateur, n°10, 7 octobre 2005, pp. 30-33.

59
Mobiliser tous les élèves

Le tâtonnement expérimental
Le tâtonnement expérimental fait partie des méthodes de la
pédagogie Freinet. Il s’agit d’un apprentissage par essais et erreurs.
Même si certaines similitudes avec l’expérience scientifique sont
apparentes, le tâtonnement expérimental n’est ni un tâtonnement
aveugle, ni la méthode expérimentale scientifique. Célestin Freinet
le définissait comme un processus naturel d’apprentissage.

La pédagogie par la découverte ou la redécouverte


La méthode s’appuie sur des exemples, des objets, des documents.
Par une démarche inductive, les élèves aidés de l’enseignant
découvrent des lois, des concepts et des principes.
Cette méthode a l’avantage d’impliquer fortement les élèves
et de favoriser une mémorisation à long terme.

Les interactions :
à utiliser sans modération
Pour apprendre, il faut des espaces pour dire, redire, refor-
muler, questionner, confronter, s’opposer, proposer, tout ce
que l’on désigne par le mot interaction. Prendre du temps
pour laisser les élèves échanger, confronter, raboter, négocier
le mélange de savoirs vrais et faux propre à chacun d’eux est
indispensable : ce bruit-là est nécessaire.
Bien des « bavardages » sont en fait des espaces d’interaction
que les élèves dérobent malgré l’interdiction du professeur. Au
lieu de lutter indistinctement contre tous les bavardages en cou-
rant le risque d’empêcher d’utiles interactions de se faire, mieux
vaut au contraire créer des espaces d’échanges pour rendre

60
3. Faire faire, faire dire, faire interagir, faire réfléchir

possible ce bavardage utile. C’est ce que permet par exemple un


travail en binôme ou en petits groupes.

L’interaction
Au sens général, interaction signifie action réciproque.
En psychologie sociale, l’interaction désigne toute intervention,
verbale ou non, qui provoque une réaction de celui à qui elle est
destinée et qui a en retour un retentissement sur celui qui l’a initiée.
Les interactions peuvent être verbales ou non verbales (gestes,
regards, expressions…).
En pédagogie, l’interaction est constamment utilisée comme
levier d’apprentissage parce qu’elle est un moyen efficace
de déstabiliser les résistances aux savoirs nouveaux.

Corrélats :
Travail en binôme, Travail de groupe

61
4. Projet pédagogique
et démarche de projet

L a démarche de projet est une démarche pédagogique


globale qui permet de mettre en cohérence un certain
nombre de leviers pédagogiques. Travailler en projet,
c’est rendre visibles des finalités à court ou moyen terme,
ainsi, le travail scolaire prend plus facilement sens
pour les élèves. C’est aussi un moyen de mettre les élèves
en action en les confrontant à des objets de tous ordres
et en organisant des espaces pour discuter de ce qu’ils
ont fait. C’est aussi un espace de coopération où l’on peut
développer véritablement l’autonomie et des compétences
liées à la vie sociale.

Les invariants de la démarche de projet


La pédagogie de projet a d’abord été l’apanage de péda-
gogues avant-gardistes préconisant les méthodes actives. Il
s’agissait d’apprendre en faisant, « learning by doing » selon
l’expression de John Dewey qui fait partie de ces précurseurs.
C’est par exemple en réalisant un barrage sur un cours d’eau
que les élèves de Célestin Freinet apprennent les éléments de
mathématiques et de sciences nécessaires à sa réalisation. Le
maître doit alors veiller à ce que les élèves aient vu au cours
d’une année l’ensemble du programme grâce aux différents
projets.

62
4. Projet pédagogique et démarche de projet

■■ Le projet pédagogique
Pendant longtemps, l’expression « projet pédagogique »
a été réservée à des projets d’envergure, pluridisciplinaires,
à finalité sociale affichée, souvent réalisés sur une année sco-
laire entière, ces projets pouvant coexister avec des méthodes
traditionnelles.
Dans les années 1980, l’expression « projet pédagogique »
s’est banalisée parallèlement à l’élargissement de son sens.
On parle désormais plutôt de « démarche de projet » et son
domaine d’emploi n’est plus seulement celui de l’école. La même
expression peut désigner des projets de longue haleine ou des
travaux de courte durée. L’expression désigne parfois abusi-
vement de simples ruses ou procédés visant à rendre certains
apprentissages moins rébarbatifs.

Les invariants de la démarche de projet


On retrouve dans tout projet pédagogique un certain nombre
d’invariants :
− une dimension sociale : un projet confronte à de « vrais »
problèmes, ce n’est pas une situation purement scolaire ;
− une production finale ;
− un certain degré de complexité qui exige de mobiliser
des ressources variées ;
− des obstacles à franchir qui nécessitent d’acquérir des savoirs
nouveaux ;
− des choix à faire, des décisions à prendre en autonomie
par les élèves ;
− des régulations : en fonction des manques constatés
par les élèves eux-mêmes ou difficultés rencontrées ;
− une dimension coopérative.

63
Mobiliser tous les élèves

Petit ou grand,
le projet pédagogique, ça marche
La finalisation des tâches est indissociable de la notion
même de projet. Comme le souligne Philippe Perrenoud :
« Un projet confronte à de “vrais” problèmes, qui ne sont pas
des exercices scolaires mais des problèmes à résoudre et des
obstacles que le groupe doit surmonter pour arriver à ses fins.
Une démarche de projet place donc le maçon au pied du mur et
l’oblige à se mesurer à des défis qui ne sont pas organisés pour
être exactement à sa mesure, et ne se présentent pas dans les
formes du travail scolaire ordinaire9. »
Un projet prévoit une production finale. C’est un levier
important. Qu’il s’agisse d’une réalisation collective ou indi-
viduelle, sa préparation nécessite toujours collaboration et
travail d’équipe entre les élèves, mais aussi souvent la coopé-
ration entre plusieurs disciplines. Ses formes peuvent être des
plus diversifiées, ambitieuses ou très limitées, elles s’adaptent
sans difficulté à l’âge des élèves : organisation d’un coin lec-
ture, rédaction d’une affichette, préparation d’un exposé, d’un
débat, de la rencontre avec un intervenant extérieur, marquage
d’un terrain de sport… la créativité n’a guère de limites. Elles
sont un moyen de développer la créativité des élèves, d’intro-
duire une dimension artistique : réaliser une fresque, un spec-
tacle, préparer des événements poétiques pour le Printemps des
poètes, des concerts pour la Fête de la musique…

9. Philippe Perrenoud, « Apprendre à l’école à travers des projets : pourquoi ?


Comment ? », 1999, article consultable sur www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/
perrenoud/php_main/php_1999/1999_17.html

64
4. Projet pédagogique et démarche de projet

■■ Projets, compétences
et situations problèmes
La démarche de projet comme le travail par compétences
permet de mobiliser des ressources variées en situation com-
plexe. Comme les situations problèmes, elle prévoit aussi des
obstacles à franchir, destinés à déstabiliser les routines et les
équilibres existants pour déclencher le besoin d’apprentis-
sages nouveaux. Ils pourront être apportés dans le cadre même
du projet mais aussi hors du projet par le ou les enseignants
concernés. La démarche de projet constitue donc un cadre
englobant, utile et facilitateur.

■■ Une formation à l’autonomie


Mais, outre ces aspects, le travail en projet vise à développer
l’autonomie des élèves et ceci grâce à deux leviers.
D’une part, la complexité du projet exige des choix et déci-
sions qui appartiennent aux élèves. Le professeur veille bien sûr
au maintien d’un cap conforme aux contenus visés ; pour cela, il
questionne pour orienter si nécessaire mais ne dirige pas.
D’autre part, face aux difficultés rencontrées, les élèves doi-
vent proposer des régulations. Elles peuvent concerner des
savoirs manquants, ou mal maîtrisés, pour lesquels le maître
doit apporter une aide, mais il peut s’agir aussi de réajuster le
projet lui-même.
Le projet vise la responsabilisation collective des élèves : ils
doivent prendre conscience des besoins.

■■ Un travail d’équipe
Il n’y a pas de projet sans travail d’équipe. « Un projet oblige à
coopérer, donc à développer les compétences correspondantes :

65
Mobiliser tous les élèves

savoir écouter, formuler des propositions, négocier des com-


promis, prendre des décisions et s’y tenir. Mais aussi savoir offrir
ou demander de l’aide, partager ses soucis ou ses savoirs ; savoir
répartir les tâches et les coordonner ; savoir évaluer en commun
l’organisation et l’avancement du travail ; gérer ensemble des
tensions, des problèmes d’équité ou de reconnaissance, des
échecs. À cela s’ajoute un travail sur les compétences de com-
munication écrite (plan, mémos, correspondance, marches à
suivre) et orale (argumentation, animation, partage de savoirs,
etc.), comme outils fonctionnels de la coopération10. »
Le travail en projet est donc une façon d’articuler et de mettre
en cohérence plusieurs leviers favorisant les apprentissages.
Mais d’autres avantages sont tout aussi importants, comme le
souligne Philippe Perrenoud : « On dit volontiers que l’école
doit développer la citoyenneté, l’identité, la solidarité, l’estime
de soi, l’esprit critique. On se demande moins souvent dans quel
cadre ces apprentissages peuvent prendre place. Les démarches
de projets créent des dynamiques de coopération, elles exigent
une forte implication et se heurtent à de vrais obstacles. C’est
pourquoi elles confrontent aux autres et au réel “en vraie gran-
deur”, ce qui aide chacun à se construire comme personne, à se
relier aux autres aussi bien qu’à s’en différencier11. »

10. Philippe Perrenoud, ibid.


11. Ibid.

66
5. Surprendre,
diversifier
les approches

O n s’ennuie beaucoup dans les classes. Pourtant,


le métier d’enseignant est un métier créatif.
Pourquoi s’imposer des modèles rigides ou reproduire
toujours les mêmes schémas alors que l’on peut varier
les scénarios de cours ?

Le cours dialogué :
l’essentiel est-il vraiment de participer ?
Dans les années 1960, une idée s’impose en pédagogie : il faut
« faire participer les élèves » ! Dans le contexte de l’époque,
l’urgence consiste en effet à donner la parole aux élèves, c’est-à-
dire à autoriser leurs interventions. Mieux encore : s’en servir
pour faire avancer le cours. Cela conduit à un modèle dit « cours
dialogué », considéré alors comme innovant et donc officielle-
ment recommandé. Dans un contexte qui muselait les élèves,
rompre avec un monologue magistral de l’enseignant était
effectivement moderne. Ce modèle s’est peu à peu imposé à
l’école primaire et au collège, plus lentement au lycée.
Mais une confusion s’est rapidement installée puisque l’on a
souvent, un peu vite, qualifié ce modèle de « méthode active »
alors qu’il ne l’est pas vraiment.

67
Mobiliser tous les élèves

■■ Activisme langagier
Idéalement, dans un « bon » cours dialogué, le professeur
construit pas à pas les contenus du cours en posant des ques-
tions accessibles aux élèves et s’appuie sur leurs réponses pour
avancer. Au passage, il peut réajuster quelques erreurs ou points
restés mal compris. Présenté ainsi, le modèle paraît séduisant.
Dans la pratique, il présente des inconvénients majeurs du point
de vue de la mobilisation des élèves.
Tous les enseignants le savent, une sous-participation des
élèves paralyse la progression du cours et il n’est pas rare que le
cours se déroule avec l’appui de deux ou trois élèves seulement.
Que sait-on dans ces conditions de l’activité des autres ? Quant
à la sur-participation, elle conduit vite au désordre et rend inau-
dibles et illisibles les savoirs visés. Ces deux écueils sont si fré-
quents qu’ils hypothèquent lourdement ce type de cours.
En outre, les questions de l’enseignant appellent en général
des réponses courtes. Les élèves produisent rarement une
phrase complète, et encore moins plusieurs phrases. La pensée
n’a donc pas l’occasion de se développer pour exprimer la com-
plexité. Cela conduit même parfois à l’absurde et devient pour
certains élèves un jeu de devinettes qui consiste à trouver le
mot exact attendu par le professeur. Pour eux, l’essentiel est de
participer mais cette focalisation excessive sur la « participa-
tion » maximum des élèves peut se faire au détriment du sens et
du développement d’une pensée organisée.
Le tableau s’aggrave encore si l’on examine de près les
échanges entre professeur et élèves. Dans le cas de figure d’un
cours dialogué idéal, si le maître veille à solliciter tous les
élèves, chaque élève ne peut espérer intervenir plus d’une ou
deux fois. Si des élèves se manifestent plus souvent, c’est au
détriment d’autres qui ne le feront pas. La liberté de parole, qui
est l’un des atouts de cette méthode, est limitée par le nombre

68
5. Surprendre, diversifier les approches

Le cours dialogué
Dans le cours dialogué, le maître fait progresser le cours par
un jeu de questions-réponses plus ou moins préméditées. Il ajuste
les questions en fonction des réponses obtenues et prend appui sur
elles pour avancer. Il est meneur de jeu et la parole repasse toujours
par lui.
Préconisé dans les années 1960 pour rompre avec le cours
magistral, c’est un modèle de cours actuellement encore très
souvent pratiqué. Il a l’avantage de s’appuyer sur ce que les élèves
disent mais il a l’énorme inconvénient de ne pas suffisamment
mobiliser les élèves dont l’activité réelle reste très aléatoire.

des interactions possibles, sachant que plus de la moitié des


prises de parole concerne le maître. Il reste finalement bien peu
d’espace à chaque élève.
Au bout du compte, le cours dialogué est un modèle très
actif pour le maître, qui doit sans cesse jongler avec l’imprévu
des réponses, garder le fil des savoirs visés, piloter à vue, se
débrouiller avec les silences d’une classe passive ou canaliser
des interventions bouillonnantes. Sauf virtuosité exception-
nelle, si le professeur doit enchaîner plusieurs heures de cours
de ce type, il en sort épuisé .
Mais qu’en est-il des élèves ? Que sait-on de leur activité
réelle ? Deux ou trois interventions suffisent-elles à affirmer
qu’un élève a tiré profit du cours ? Et que penser des silencieux ?

■■ Faire circuler la parole


On peut considérablement faire évoluer l’efficacité d’un cours
dialogué à condition que le maître ne soit plus systématique-
ment celui qui contrôle toutes les interventions des élèves.
Nous appellerons cette variante « cours dialogué interactif ».

69
Mobiliser tous les élèves

Dans ce cas, ce n’est pas le maître qui valide ou invalide les


interventions des élèves, il les renvoie à l’ensemble de la classe
ou vers un autre élève qu’il désigne et ce sont les autres élèves
qui doivent réagir à ce qui vient d’être dit. Il laisse plusieurs
échanges s’effectuer entre les élèves avant de reprendre la
parole pour stabiliser ce qui doit l’être, faire les synthèses, rec-
tifier les erreurs Ce geste professionnel, très simple, de renvoi
de la parole vers les élèves modifie considérablement le rapport
des élèves aux questions : au lieu d’attendre tranquillement la
sanction du professeur qui détermine ce qui est juste ou non, ils
savent qu’à tout moment ils devront être en situation de réagir
publiquement à ce qui vient d’être prononcé, et qu’il faudra
vraiment réfléchir à ce qui aura été dit. L’effet est sensible sur
le maintien de l’attention et efficace quant au développement de
l’esprit critique.

La responsabilité des savoirs affichés est alors en quelque


sorte partagée entre les élèves et le maître, sans toutefois que ce
dernier renonce à son rôle d’arbitre en dernier ressort.

Des cours rythmés et variés

L’efficacité de toute méthode, aussi bonne soit-elle, peut


s’émousser si elle est unique et répétitive. Maintenir les élèves
en alerte intellectuelle suppose de les surprendre, de les étonner,
c’est aussi une question de rythme.

Pour mobiliser les élèves, il faut donc varier les modes de sol-
licitation et utiliser toute la palette des cas de figure possibles
en jouant sur toutes les ressources disponibles.

70
5. Surprendre, diversifier les approches

■■ Attention et concentration
Un premier écueil consiste à éviter un cours qui suppose
une attention continue d’un bout à l’autre. La durée maximale
d’attention continue varie en fonction de l’âge et est de toute
façon très inférieure à 55 minutes ! Prévoir des changements
de tempo permet de maintenir la qualité de la concentration, ce
qui suppose de varier les modes de sollicitation : le mode magis-
tral ou le mode dialogué interactif ont tout à fait leur place à
condition de ne pas être uniques ou envahissants, si leur durée
est contrôlée et s’ils sont prévus en alternance avec des temps
d’activités individuels, en binômes, en petits groupes.

■■ Recenser les points d’appui


André de Peretti et François Muller12 ont dressé « un inven-
taire foisonnant des points d’appui » pour l’enseignant : ils énu-
mèrent les paramètres sur lesquels chacun peut agir pour varier
les cas de figure. Cet inventaire interroge aussi bien la place et
la nature des objets utilisés en classe que celles des personnes
et les lieux d’enseignement. Sortir de temps en temps de l’es-
pace clos de la salle de classe permet de mieux en apprécier le
cadre confortable ou sécurisant lorsqu’on y revient. Modifier
l’organisation spatiale de la classe casse la routine. Proposer
des intervenants extérieurs permet d’autres approches et fait
entendre différemment la voix du professeur. Diversifier les
supports sollicite divers modes de lecture et multiplie les points
d’accroche possibles. Mais il reste indispensable de décliner une
palette personnalisée en fonction des exigences de chaque dis-
cipline, car un procédé tourne à vide s’il n’est pas appuyé sur la
didactique de la discipline à enseigner.

12. André de Peretti, François Muller, Mille et une propositions pédagogiques pour
animer son cours et innover en classe, ESF éditeur, 2008, pp. 137-146.

71
Mobiliser tous les élèves

Des écrits courts pour faire coup double


Un écrit court sur une consigne réfléchie est un excellent
moyen de mobiliser, concentrer ou reconcentrer toute une
classe, mais c’est aussi un formidable moyen de rendre les
apprentissages plus efficients.
En début de cours, quelques minutes d’écrit à partir d’une
question bien choisie donnent le temps à chaque élève de se pro-
jeter sur les contenus et le domaine disciplinaire du cours qui
commence ou de faire le point sur ce qu’il sait déjà. Un élève de
collège ou de lycée passe en 5 minutes d’un univers disciplinaire
à un autre, jusqu’à sept fois par jour. Ces intercours sont parfois
riches en perturbations en tous genres et la banalisation des
téléphones portables amplifie les interférences. Un court écrit
réflexif constitue un sas de (re)concentration efficace.
En milieu de séance, un laps de temps écrit donne à chacun
le temps de mettre en mots ou résumer ce qui vient d’être fait
ou dit, organise un espace de réflexion propice au tissage du
sens des activités et offre un espace d’entraînement langagier.
C’est en outre un bon moyen d’apaiser une classe dont l’atten-
tion est volatile.
En fin de cours, cela constitue un temps de réorganisation
tout aussi utile, une pause qui permet de stabiliser un certain
nombre d’acquis et d’éviter une fin de cours chaotique.
Le recours systématique à ces écrits courts permet d’en ritua-
liser la mise en œuvre, surtout si la question du support a été
réglée une fois pour toutes, afin d’éviter ces temps de flottement
contre-productifs pendant lesquels des élèves sont accaparés par
toutes sortes d’aspects matériels (ouvrir un classeur, chercher
une feuille, s’interroger sur les visées, « est-ce que c’est noté ? »,
etc.). À l’école primaire, des enseignants ont mis en place des

72
5. Surprendre, diversifier les approches

cahiers ou carnets spécifiques aux jolis noms de « cahier de mes


pensées, carnet de réflexion ou d’entraînement », etc. Une façon
de revisiter, en la valorisant, l’une des fonctions du cahier de
brouillon d’autrefois.
Mais si l’on veut en préserver l’efficacité, il faut aussi en varier
au maximum les modalités, la nature des situations d’écriture
proposées ainsi que les formes (listes, schémas, tableaux) qui
sont tout aussi formateurs qu’un texte. Quant à leur utilisation,
elle varie selon la nature de la question posée13, leur but est de
faciliter le travail du professeur et non de le surcharger. De tels
écrits ont pour fonction de créer un espace de réflexion, d’orga-
niser des connaissances, de faire manipuler le langage. C’est une
étape, un moment dans l’apprentissage. Il faut donc se libérer
de l’idée que tout écrit doit être évalué ou au moins validé ou
lu par l’enseignant. C’est non seulement impensable mais aussi
contre-productif. À vouloir trop évaluer ou contrôler les écrits
des élèves, on en limite la pratique, on ne leur donne pas suffi-
samment l’occasion de s’entraîner. On se prive d’un irrempla-
çable moyen de progrès.
Corrélat :
Écrits intermédiaires, langage

Bruits et silence : un duo à questionner


L’une des préoccupations envahissantes dans la pratique de
classe est souvent de contrôler la parole des élèves, et son cor-
rélat, obtenir le silence. La « bonne » parole étant la réponse per-
tinente aux sollicitations de l’enseignant ; le silence du reste de
la classe étant considéré comme un indicateur de concentration.

13. Voir aussi partie 7, p. 223, pour des pistes de travail.

73
Mobiliser tous les élèves

Or, le silence est tout autant signe de rêverie, de passivité ou


d’ennui alors qu’un travail de recherche et d’élaboration qui
s’appuie sur l’interaction en petits groupes fait du bruit, mais
c’est celui de la pensée.
Si l’on veut effectivement mettre les élèves en action, il faut
questionner le duo silence et bruits. Ménager au sein d’une
séance de 55 minutes des temps d’échanges en binôme ou en
groupe, c’est créer des espaces de réflexion nécessaires à la
verbalisation des savoirs et procédures, mais c’est aussi déli-
miter des moments où la parole est autorisée, ils permettront
de mieux faire respecter les temps de silence nécessaires à la
concentration pour d’autres activités.

Ruser pour rendre attrayants


des exercices mécaniques
La finalisation des tâches ne va pas toujours de soi. Certains
apprentissages nécessitent des batteries d’exercices répétitifs
qui sélectionnent une difficulté spécifique pour un entraînement
systématique. Ces exercices ont une utilité et il ne s’agit pas du
tout d’y renoncer : il faut juste admettre qu’ils sont peu mobili-
sateurs et chercher à les rendre attractifs. Apprendre les tables
de multiplication ou les règles d’orthographe suppose un temps
de manipulation incompressible.
Les ruses sont nombreuses pour mobiliser les élèves, comme
le souligne Yves Guégan14. S’il rappelle que la compétition
est mal vue à l’école parce qu’elle « présente le risque d’ins-
taurer des hiérarchies discriminantes entre “bons” et “mauvais

14. Yves Guégan, Les ruses éducatives, 100 stratégies pour mobiliser les élèves,
ESF éditeur, 2008, p. 55.

74
5. Surprendre, diversifier les approches

élèves” qui peuvent s’avérer désastreuses », il plaide néanmoins


pour « une compétition ludique régulée, l’affrontement “pour
de rire” qui fait oublier aux élèves qu’ils sont en train de tra-
vailler ». Il propose par exemple que la compétition soit « subti-
lement équilibrée par des situations de coopération », d’associer
challenge et travail d’équipe.
Concrètement, cela consiste par exemple à organiser des
matchs de tables de multiplication ou des challenges d’ortho-
graphe, où des équipes préparent des questions puis s’affron-
tent. Préparer questions et réponses pour l’équipe adverse est
une façon de « réviser » qui ne dit pas son nom. Assumer la
nécessaire validation des réponses en est une autre. En outre,
et c’est important, ce travail d’équipe permet aux élèves en dif-
ficulté d’être aussi à certains moments des vainqueurs ou, en
cas d’échec, de ne pas le subir comme une blessure individuelle
puisqu’on le partage avec les coéquipiers.

75
6. Re-mobiliser grâce
à la pédagogie
du contrat

I l reste que certains élèves décrochent au point


de déserter l’école, au propre comme au figuré.
Le problème, toujours complexe, de ces élèves mérite
une approche concertée et sur le long terme. Mais
le travail de l’enseignant exige une prise en charge
immédiate. La pédagogie de contrat fournit une réponse
ajustable qui peut faciliter une sortie de crise ou un
retour en classe après une période erratique.
Le contrat permet de délimiter un espace de réussite
accessible. Le terme englobe des réalités très différentes, et
c’est justement ce qui en fait la force.
Pour être efficace, le contrat suppose un ajustement au
contexte :
––des objectifs bien ciblés en rapport avec les besoins de l’élève ;
––aide et soutien des enseignants pour encourager l’élève ;
––des critères et une évaluation permettant de juger l’atteinte
des objectifs fixés.
La formalisation est essentielle : écrire le contrat oblige
l’équipe pédagogique à réfléchir aux difficultés de l’élève, aux
moyens de les dépasser, et le signer engage les deux parties.
C’est l’une des modalités parmi d’autres de la pédagogie dif-
férenciée et de l’aide personnalisée. C’est un outil souple et
modulable particulièrement adapté à des élèves qui posent de
sérieux problèmes. Un usage raisonnable et raisonné garantit

76
6. Re-mobiliser grâce à la pédagogie du contrat

son efficacité. Multiplier les contrats peut devenir difficilement


gérable et en affaiblir la portée symbolique.

La pédagogie du contrat
Le contrat lie un élève et un ou plusieurs enseignants – ou mieux
encore, l’équipe pédagogique – sur un ou des objectifs précis
et raisonnables pour une durée déterminée qui dépend de l’âge
de l’élève : quelques semaines pour les plus jeunes, un ou deux
mois pour des adolescents.

Les avantages du contrat sont nombreux :


– c’est l’outil privilégié d’un suivi transversal à plusieurs
disciplines ;
– dans une classe à effectif chargé, il permet d’assurer un suivi
rapproché pour quelques élèves fragiles, discrets ou timides
qui risquent d’être perdus de vue par l’enseignant ;
– c’est aussi un moyen de sécuriser des élèves en échec massif
dépassés par l’énormité des écarts et les progrès à accomplir.
En définissant avec eux des priorités à court terme sur des
objectifs raisonnables, on peut inverser la tendance.
Enfin, pour certains élèves qui se sont absentés pendant long-
temps, revenir à l’école est difficile, voire impossible. Un contrat
clair sur des objectifs discutés et accessibles fournit un cadre à
des élèves en rupture scolaire.

77
3
Relevé le défi
de l’hétérogénéité

L’
hétérogénéité des classes pose des problèmes pédago-
giques aux enseignants, elle est même souvent consi-
dérée comme une difficulté majeure du métier. Pourtant,
elle est étroitement liée à la nature républicaine et démocra-
tique de l’école. Si l’hétérogénéité est vécue en France comme
croissante, c’est qu’en quarante ans, on est passé d’une école
entièrement fondée sur la sélection dès la 6e à un tronc commun
jusqu’en 3e puis à une ouverture de plus en plus large aux bac-
calauréats et aux études post-bac. Assumer cette hétérogénéité
est donc un défi démocratique posé aux enseignants.
Rompre avec « l’indifférence aux différences1 », tel est bien
l’enjeu, selon la belle formule de Bourdieu.
« Nous n’avons pas le droit de faire comme si tous les enfants
d’une classe d’âge étaient semblables, leur maturité cognitive
et affective diffère autant que leur développement physique »,
déclare avec force Jeanne Moll2. L’hétérogénéité n’est pas un
accident ou un dysfonctionnement : elle est la traduction de
notre diversité. La prendre en charge est un devoir et Claparède

1. Célèbre formule de Pierre Bourdieu, « L’école conservatrice, les inégalités devant


l’école et la culture », Revue Française de Sociologie, 1966.
2. Jeanne Moll, in Jacques Lévine, Jeanne Moll, Prévenir les souffrances d’école,
ESF éditeur, 2009, p. 9.

79
Gérer l’hétérogénéité des élèves

écrivait en 1921 : « Lorsqu’un tailleur fait un vêtement, il l’ajuste


à la taille de son client et, si celui-ci est gros ou petit, il ne lui
impose pas un costume trop étroit sous prétexte que c’est la
largeur correspondant dans la règle à sa hauteur. Au contraire, le
pédagogue habille, chausse, coiffe tous les esprits de la même
façon. Il n’a que du tout fait… Pourquoi n’a-t-on pas pour l’esprit
les égards dont on entoure le corps, la tête, les pieds3 ? »

3. Claparède, L’école sur mesure, Delachaux et Niestlé, 1967, p. 37.

80
1. L’hétérogénéité,
obstacle ou atout ?

L es enseignants perçoivent souvent massivement


l’hétérogénéité comme un frein et se représentent
l’homogénéité des classes comme un idéal paradisiaque.
Ce qui est vécu comme obstacle peut-il devenir un atout ?

Le point de vue des chercheurs


Le point de vue des chercheurs est différent4. Ainsi, Slavin
(1987 pour l’enseignement primaire, 1990 pour le secondaire)
conclut, après analyse des effets des groupes de niveaux homo-
gènes, qu’on n’observe pas de gain lorsque les classes sont
homogènes. D’autres travaux, comme ceux de Kerckhoff (1986),
en Grande-Bretagne, concernant des élèves de 11 et 16 ans,
montrent que l’organisation de classes de niveau pénaliserait
les élèves faibles tandis qu’elle serait légèrement favorable aux
élèves forts. En France, les travaux de Marie Duru-Bellat et
Alain Mingat ont porté sur le suivi de 32 000 élèves issus de
212 collèges. Ils font apparaître que, quel que soit le cas de
figure, les élèves progressent plus s’ils sont dans une classe de
bon niveau, cet effet étant sensiblement plus fort pour les élèves
dont le niveau individuel est inférieur à celui de leur classe.
Ils constatent parallèlement qu’à niveau de classe équivalent,

4. Vincent Dupriez et Hugues Draelants, « Classes homogènes versus classes


hétérogènes : les apports de la recherche à l’analyse de la problématique », Revue
française de pédagogie, n° 148, juillet-août-septembre 2004.

81
Gérer l’hétérogénéité des élèves

il vaut mieux être dans une classe hétérogène qu’homogène.


D’autres études n’ont pas contredit ces résultats.
Autrement dit, tout élève a intérêt à se retrouver dans une
classe de niveau élevé pour pouvoir optimiser son potentiel
d’apprentissage et les élèves des groupes homogènes faibles
sont pénalisés, parfois même très durement. Les élèves forts
progressent davantage quand ils sont regroupés entre eux
tandis que les élèves faibles progressent moins quand ils se
retrouvent ensemble.
Tous ces travaux convergent pour souligner que, finale-
ment, l’hétérogénéité des classes n’est pas pénalisante alors
que les regroupements homogènes d’élèves faibles le sont, ce
dernier point étant évidemment le plus préoccupant puisque
contraire à l’éthique d’une école républicaine et au principe
d’égalité. Certains chercheurs vont plus loin et recommandent
l’hétérogénéité : « La constitution de classes hétérogènes est
sans doute la meilleure façon d’élever le niveau moyen de l’en-
semble des élèves, au bénéfice des plus faibles et sans pénalisa-
tion notable des plus brillants5 » (Duru-Bellat et Mingat). Par
ailleurs, l’histoire du système scolaire en France corrobore ces
travaux. L’échec des classes visant des regroupements d’élèves
de niveau scolaire faible (classes de transition, CPPN et autres )
a été massif et incontesté.

5. Marie Duru-Bellat et Alain Mingat, « La constitution de classes de niveau dans les


collèges, les effets pervers d’une pratique à visée égalisatrice », Revue française de
sociologie, xxxviii, 1997, p. 191.

82
1. L’hétérogénéité, obstacle ou atout ?

La pédagogie différenciée
comme réponse à l’hétérogénéité
Gérer l’hétérogénéité implique la mise en œuvre d’une péda-
gogie différenciée.
En France, en 1983, sous l’influence de Louis Legrand, la péda-
gogie différenciée a été officiellement proposée comme réponse
à l’hétérogénéité croissante des élèves. Mais aujourd’hui encore,
la notion reste souvent bien floue. Elle est perçue comme un
idéal inaccessible pour nombre d’enseignants qui se sentent
démunis lorsqu’il s’agit de la mettre en pratique.

Différenciation et pédagogie différenciée


Dans le langage courant, « pédagogie différenciée » ou
« différenciation pédagogique » sont deux expressions désignant
toute démarche pédagogique visant à s’ajuster aux besoins
de chaque élève.
Selon les pays, c’est l’une ou l’autre de ces deux expressions
qui s’est imposée.
En France, l’expression « pédagogie différenciée » a été proposée
en 1971 par Louis Legrand. Il en donne la définition suivante :
« un effort de diversification méthodologique susceptible de
répondre à la diversité des élèves. »
On peut considérer que tout procédé visant à prendre en charge
l’hétérogénéité des élèves relève de la pédagogie différenciée.
Les travaux de nombreux chercheurs comme Meirieu ou
Perrenoud ont contribué à approfondir ce concept
fondamental en pédagogie.

83
Gérer l’hétérogénéité des élèves

La pédagogie différenciée,
ce n’est pas compliqué
Pour dédramatiser, il faut sans doute se libérer du carcan de
l’expression « pédagogie différenciée » qui laisse penser, à tort,
qu’il s’agit d’une pédagogie exclusive avec une méthodologie
compliquée consistant à démultiplier en autant de stratégies
qu’il y a d’élèves dans la classe. Philippe Meirieu6 souligne
d’ailleurs qu’il n’est « ni possible ni souhaitable d’individua-
liser complètement le fonctionnement d’une classe » et que « la
différenciation n’est pas l’atomisation de la classe ou la dispa-
rition du cadre scolaire au profit du seul tutorat individuel ».
Nous avons souligné par ailleurs à quel point le fonctionnement
social de la classe était déclencheur d’apprentissage.
Au contraire, chaque enseignant peut aisément introduire
dans sa classe des procédés ou modalités de différenciation,
quels que soient les contenus d’apprentissage et les compé-
tences concernés. La pédagogie différenciée, c’est avant tout
une démarche qui vise à prendre en compte les besoins de tous
les élèves, qu’ils soient en réussite généralisée ou en échec
patent et, loin de passer forcément par des dispositifs sophisti-
qués, elle peut s’exercer au quotidien grâce à quelques principes
ou méthodes simples.

6. Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, ESF éditeur, 2004, p. 184.

84
2. Mettre en œuvre
une pédagogie
différenciée réaliste
au quotidien

L ’une des réponses du système scolaire à l’hétérogénéité


consiste à proposer des espaces hors du groupe de
la classe : soutien, aides individualisées ou personnalisées,
approfondissement… Les élèves sont pris à part pour
un traitement spécifique. C’est une bonne chose. Ce qui
est regrettable, c’est que cela cautionne souvent le fait
de continuer à faire la même chose pour tous et au même
rythme en classe entière. Or, comme le souligne Philippe
Perrenoud 7 : « Toute situation didactique proposée
ou imposée uniformément à un groupe d’élèves est
inévitablement inadéquate pour une partie d’entre eux. »
La pédagogie différenciée s’exerce d’abord au quotidien
dans la pratique ordinaire de la classe, ce n’est pas
une pratique extraordinaire ou exceptionnelle. Elle
s’articule avec les ressources pédagogiques disponibles :
on peut différencier grâce aux situations problèmes, à
l’enseignement par compétences, à l’évaluation formative,
à la pédagogie de projet, au travail de groupe, à la
gestion des erreurs des élèves… ou tout simplement
en combinant diverses pratiques pédagogiques dont

7. Philippe Perrenoud, La pédagogie à l’école des différences, ESF éditeur, 1995,


p. 28.

85
Gérer l’hétérogénéité des élèves

certaines sont vraiment très simples à mettre en œuvre.


« Selon la nature des tâches qu’il donne, selon la
confiance qu’il fait aux élèves, selon les mécanismes de
régulation qu’il met en place, un maître peut ou ne peut
pas différencier », fait remarquer Philippe Perrenoud.
La différenciation doit être réaliste, comme le souligne
Philippe Meirieu 8 : « Nous ne connaîtrons jamais toutes
les variables qui entrent en jeu dans un apprentissage
et, a fortiori, nous ne pourrons jamais les maîtriser
simultanément. » « Il faut donc renoncer à concevoir
la différenciation de la pédagogie comme la mise en place
mécanique d’un système éducatif où la programmation
de différentes variables conduirait à définir avec
certitude, à chaque instant, la solution unique optimale. »

Identifier et combiner
des leviers efficaces pour différencier
« La pédagogie différenciée consiste à utiliser toutes les res-
sources disponibles, à jouer sur tous les paramètres pour orga-
niser les activités de sorte que chaque élève soit constamment
ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques
les plus fécondes pour lui. » Différencier au quotidien consiste,
comme le propose Philippe Perrenoud, à repérer dans la palette
pédagogique disponible des ressources particulièrement adap-
tées. Un certain nombre de ces leviers sont cités ci-dessous.

8. Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi. Des méthodes actives à la pédagogie


différenciée, ESF éditeur, 1985, p. 126.

86
2. Mettre en œuvre une pédagogie différenciée réaliste au quotidien

Il reste à les combiner et les diversifier pour choisir la bonne


configuration au bon moment en fonction des savoirs et com-
pétences visés.

Des leviers pédagogiques


pour différencier au quotidien
Pour une pédagogie différenciée qui s’exerce au quotidien,
on peut combiner plusieurs des leviers ci-dessous.
On peut différencier grâce :
− à la configuration de la classe, son organisation ; travail en
groupes : groupes de besoin, d’apprentissage, de recherche,
de production… ; travail en binômes stables ou temporaires ;
− aux situations d’apprentissage : des situations d’apprentissage
différentes pour des objectifs ou compétences identiques ;
− à des sollicitations cognitives différentes : méthode déductive,
inductive, expérimentale, appel à la créativité…
− à la flexibilité des postures du professeur : guidage et étayage
variables d’un élève à l’autre en fonction des besoins ;
− aux tâches et aux supports : des tâches ou supports différents
visant des compétences identiques ou des tâches et supports
identiques pour des compétences différentes ;
− au traitement des erreurs des élèves ;
− à l’évaluation formative ;
− à des rythmes de travail différents : par exemple des départs
échelonnés, une durée plus courte pour faire le travail ;
− à l’anticipation : aider les élèves susceptibles de rencontrer
des difficultés avant de démarrer le travail en classe entière ;
− à la quantité : une production plus courte pour les uns,
plus ambitieuse pour les autres ou résolument différente ;
− à l’entraide entre élèves : tutorat et monitorat ;
− à des devoirs à la maison différents selon les élèves ;
− à des aides matérielles différenciées : tous les élèves ne disposent
pas des mêmes informations pour traiter les mêmes
problèmes.

87
Gérer l’hétérogénéité des élèves

Comment s’organiser ?
Un premier niveau de différenciation, facile à mettre en
œuvre, consiste à veiller à enchaîner, au sein d’un même cours
ou d’une même séquence, diverses méthodes, divers supports,
diverses démarches afin que chaque élève ait une chance de
trouver des activités qui lui conviennent. C’est ce qu’André de
Peretti appelle la différenciation successive.
Plus complexe à mettre en œuvre, la différenciation simul-
tanée développée par Philippe Meirieu vise à répondre de façon
personnalisée aux besoins des élèves. L’enseignant organise
simultanément des activités différentes pour les élèves, l’une
des modalités étant ce qu’il nomme « groupes de besoin ». Il
peut aussi moduler et adapter l’aide pour une même tâche.
Ces deux formes de différenciation sont complémentaires et
développées ci-dessous.

Différenciation successive
ou simultanée ?
La différenciation successive proposée par André de Peretti consiste
à systématiquement proposer plusieurs approches différentes des
mêmes notions en faisant varier différents paramètres (méthodes,
situations d’apprentissage, supports, démarches…) afin que chaque
élève ait le maximum de chance de rencontrer des méthodes qui lui
conviennent.
La différenciation simultanée proposée par Philippe Meirieu peut
s’exercer selon deux cas de figure :
1. Les élèves effectuent dans le même temps des activités diffé-
rentes (choisies par eux en fonction de leurs intérêts ou désignées
par l’enseignant en fonction des besoins qu’il a identifiés).

88
2. Mettre en œuvre une pédagogie différenciée réaliste au quotidien

2. Les élèves réalisent des tâches identiques mais avec


des ressources ou contraintes personnalisées.

Références
André de Peretti, Les points d’appui de l’enseignant : pour une théorie et
une pratique de la pédagogie différenciée, Institut National de Recherche
Pédagogique (INRP), 1984
Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi. Des méthodes actives
à la pédagogie différenciée, ESF éditeur, 1985

Varier systématiquement les approches


« La pédagogie différenciée est une méthodologie d’enseigne-
ment et non une pédagogie. Face à des élèves très hétérogènes,
il est indispensable de mettre en œuvre une pédagogie à la fois
variée, diversifiée, concertée et compréhensive. Il doit y avoir
une variété de réponses au moins égale à la variété des attentes,
sinon le système est élitiste. Chaque enseignant est différent dans
sa manière de faire et il reconnaît à l’autre le droit d’avoir une
méthode différente. La diversification est facteur de réussite »,
souligne André de Peretti. Il s’agit de compenser la tendance que
chaque enseignant a, consciemment ou pas, à considérer que la
méthode qui lui convient le mieux est la meilleure pour les élèves.
C’est aussi solliciter les capacités multiples de chacun pour multi-
plier les points d’accrochage possibles.

■■ Démarches inductives et déductives


Ainsi, il est nécessaire de favoriser des démarches inductives
et déductives, d’alterner des manipulations concrètes et des
exercices plus abstraits. Ceci sans négliger des activités créa-
tives qui sont souvent sous-exploitées, afin de ne pas toujours
solliciter les mêmes ressources cognitives.

89
Gérer l’hétérogénéité des élèves

Faire varier les supports interroge des modes de lecture et de


représentation du réel différents : on peut travailler successive-
ment sur des supports textuels, iconographiques de tous ordres,
des schémas, des diagrammes, des documents audios, etc.

Approches déductives et inductives


Une démarche déductive part de concepts, principes, règles, défini-
tions déjà connus pour les appliquer ou raisonner à partir d’eux.
Une démarche inductive part de faits, d’exemples, de situations
problèmes accessibles aux élèves pour les amener à dégager des
principes, des règles, des définitions, des concepts.
Les deux méthodes sont complémentaires et indissociables
dans l’apprentissage.

■■ Auditifs ou visuels ?
Par ailleurs, les apports de la gestion mentale peuvent aussi
être utiles. Certains enseignants privilégient toujours l’oral et
recourent très peu à l’écrit, ou inversement, ce qui pénalise,
selon les cas, les élèves à dominante visuelle ou auditive. Veiller
à associer continuellement oral, écrit et à ne pas oublier les
gestes et les mouvements du corps est une façon de différen-
cier les approches pour ne pas risquer de privilégier toujours la
même catégorie d’élèves.
Les travaux d’Antoine de la Garanderie sont connus sous
le nom de « Gestion mentale ». La Gestion mentale explore,
décrit et étudie les processus mentaux dans leur diversité. L’un
des aspects de ces travaux complexes a des applications pédago-
giques simples, il s’agit des évocations mentales9.

9. Antoine de la Garanderie, Les profils pédagogiques, Bayard, 1980.

90
2. Mettre en œuvre une pédagogie différenciée réaliste au quotidien

Évocations visuelles et auditives


Chacun met en place très tôt des habitudes mentales, méthodes
personnelles de traitement de l’information. Ce sont des évocations
faites spontanément, des gestes mentaux privilégiés, des enchaîne-
ments familiers.
Antoine de la Garanderie distingue :
− les évocations visuelles (présence d’images, photos, films) ;
− les évocations auditives (présence de sons, paroles,
commentaires).
Chacun peut se reconnaître assez facilement une « dominante ».

Il est important que les modes de sollicitation des élèves asso-


cient aspects visuels et auditifs pour ne pas risquer de pénaliser
des élèves dont le profil comporte une dominante marquée.

■■ Des modes d’encadrement ajustés


Différencier, c’est aussi pour l’enseignant faire varier les
postures et les formes de guidage qui leur sont corrélées : par
exemple, posture de lâcher prise pour des élèves qui sont déjà
très à l’aise, mais accompagnement plus ou moins rapproché
pour d’autres qui peinent ou se découragent.
Corrélat :
Étayage, Posture

C’est aussi jouer sur les configurations organisationnelles. Au


cours d’une même séance ou séquence, faire travailler les élèves
individuellement, en binômes, en petits groupes, et pas seule-
ment de façon collective en classe entière. Loin d’être marginal,
ce jeu sur les différents moyens de faire interagir les élèves est
un élément clé pour une différenciation réussie.
Corrélats :
Gestes professionnels, Travail de groupe

91
Gérer l’hétérogénéité des élèves

Proposer simultanément
des activités différentes

Un autre dispositif plus complexe consiste à donner en même


temps aux élèves des tâches différentes, définies selon leurs
besoins : c’est ce que Philippe Meirieu appelle la différencia-
tion simultanée.
Proposer des activités différentes aux élèves sur un objectif
identique pour toute la classe est une première configuration
possible.
Par exemple, en histoire, le professeur propose des documents
différents à étudier permettant à tous les élèves d’aborder le
même point de programme, par exemple la vie au Moyen-Âge.
Alors que les uns vont étudier plusieurs documents de natures
différentes (images, textes) qui supposent des connaissances
préalables solides, des compétences de lecture diversifiées (tex-
tuelle et iconographique) de bon niveau et, en outre, des com-
pétences de synthèse permettant de croiser des informations
issues de supports différents, d’autres se verront proposer un
seul type de documents ou un seul document plus facile d’accès
ou un seul texte moins long. Toutes ces activités concourent à
la construction des mêmes savoirs, à l’entraînement des mêmes
compétences, seule la complexité des tâches diffère. L’objectif
est le même pour tous et chacun pourra avoir un apport spé-
cifique pertinent lors de la synthèse commune. Cet exemple
illustre comment l’enseignement par compétences facilite la
différenciation.
Imaginons au contraire que l’enseignant veuille présenter les
mêmes documents à toute la classe. S’il maintient tous les docu-
ments et donne les mêmes tâches à tous, il risque de mettre des
élèves en échec. S’il opère une sélection moyenne, il privera les

92
2. Mettre en œuvre une pédagogie différenciée réaliste au quotidien

meilleurs élèves d’une stimulation à la hauteur de leurs acquis


et qui n’exclura pas l’échec de quelques-uns.
Il peut néanmoins différencier par les tâches et l’accompa-
gnement proposés. Ainsi les mêmes documents seront donnés
à tous les élèves, mais tandis que certains devront répondre à
une ou deux questions ouvertes et se débrouiller seuls, d’autres
bénéficieront d’un questionnaire pour les guider, quelques-uns
enfin bénéficieront en outre de l’attention spécifique du profes-
seur. La diversification se fait par les tâches mais, au bout du
compte, tous les élèves auront pu relever les éléments perti-
nents attendus pour construire des connaissances sur la vie au
Moyen Âge et entraîner la même compétence formulée ainsi
dans le socle commun « Lire et comprendre un document (carte
ou croquis, texte, image, graphique) : en prélevant des infor-
mations pour répondre à des questions ; en résumant les idées
principales dans un texte court ; en mettant en relation le docu-
ment avec les connaissances ».

Différencier grâce aux situations problèmes


et à l’enseignement par compétences
On l’a vu, la situation problème est nécessaire aux apprentis-
sages. Proposée à chaque élève de façon identique et exploitée
au même rythme pour tous, elle constitue un traitement
indifférencié.
Or la même situation problème fait l’objet d’une mise en
œuvre différenciée si le maître réserve son aide à ceux qui
peinent, s’il fournit des informations supplémentaires à certains
mais pas à d’autres selon un étayage ajusté. Il peut aussi pro-
poser aux plus rapides de passer au statut de tuteur temporaire
pour aider d’autres élèves ou encore leur demander une mise en

93
Gérer l’hétérogénéité des élèves

forme exigeante des résultats tandis que ceux qui ont mis plus
de temps à trouver pourront présenter leurs réponses sous une
forme moins élaborée en termes d’exhaustivité et de présenta-
tion formelle
L’autonomie totale laissée à ceux qui sont le plus à l’aise
libère du temps pour un accompagnement qui oriente les autres
élèves sans jamais pour autant résoudre la difficulté à leur place.
Qu’elle soit proposée en travail individuel ou combinée à un tra-
vail par petits groupes, une situation problème permet de gérer
des rythmes différents et d’ajuster l’aide aux besoins.
L’enseignement par compétences peut aussi être un facili-
tateur. Une compétence non validée à un moment donné peut
l’être ultérieurement. Le livret de compétences permet de
visualiser à tout moment l’état des lieux pour chaque élève,
fournissant ainsi des pistes concrètes pour une aide personna-
lisée et travailler spécifiquement des nœuds de difficultés. Une
même compétence peut aussi être travaillée au même moment
dans une classe, à partir de supports plus complexes ou plus
difficiles pour les uns, plus simples et avec un accompagnement
plus rapproché pour les autres, comme on l’a vu dans l’exemple
présenté ci-dessus.

94
3. Le travail de groupe :
un outil privilégié
de différenciation

P resque un siècle après Dewey ou Freinet, qui en


avaient proposé les bases, et trente ans après des
travaux de Meirieu qui l’ont approfondi et ont montré
à quel point il s’agissait là d’un formidable outil
pédagogique de gestion de l’hétérogénéité, le travail par
petits groupes reste encore sous-utilisé par les enseignants,
particulièrement dans les disciplines non expérimentales,
au collège et encore plus au lycée.
« De l’identique, on n’apprend rien : on se conforte
dans ses certitudes, on s’admire comme Narcisse dans
le miroir de l’autre10 », « Tout élève a besoin d’être
considéré dans sa différence et regroupé avec d’autres »,
déclare Philippe Meirieu. Les principes forts du travail
de groupe sont ainsi posés : utiliser la diversité des
élèves, s’en servir comme points de résistance et
éléments déclencheurs de pensée, de progrès. L’enjeu
est de transformer l’obstacle, c’est-à-dire l’hétérogénéité
des élèves, en levier pédagogique.

10. Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, ESF éditeur, 2004, p. 117.

95
Gérer l’hétérogénéité des élèves

Pourquoi ça marche ?

■■ Franchir des obstacles qu’on ne pouvait


dépasser seul
Chaque élève est obligé de confronter ses propositions et les
procédures dont il dispose à celles des autres. Ces échanges
contradictoires permettent de débusquer et de dépasser des
résistances mais aussi d’explorer et discuter des voies nouvelles
qu’un élève seul n’aurait pu affronter ou même concevoir.

■■ Se situer dans la zone de progrès


accessible
En outre, dans le groupe, chacun affronte des contradictions
à sa hauteur puisqu’elles émanent d’autres élèves du même âge.
Les échanges se situent donc forcément dans la zone proximale
de développement définie par Vygotski, c’est-à-dire la zone sen-
sible, celle où les progrès sont possibles. En revanche, lorsqu’un
élève dialogue avec le professeur, celui-ci peut se situer hors
de portée de l’enfant, pas seulement parce qu’il n’a pas trouvé
les mots adéquats pour expliquer, mais parce que la distance
qui sépare l’expertise du maître des tâtonnements de l’enfant
peut disqualifier d’emblée ses propos aux yeux de ce dernier. En
effet, pour certains enfants, le maître de toute façon est trop fort,
inaccessible par nature, tandis que ce que l’autre, le copain, le
semblable, a compris constitue un domaine d’emblée abordable.

Corrélat :
Zone proximale de développement

96
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

■■ Parce que la pensée se construit


dans le langage
Les échanges langagiers sont le vecteur essentiel de progrès
au moins sur trois plans.
n Chacun peut progresser à son rythme. Les plus rapides
ou inventifs voient leurs propositions discutées, ils peuvent
en identifier les zones fragiles et en éprouver la pertinence,
conforter ainsi leurs propres apprentissages tout en dévelop-
pant des compétences argumentatives. Les élèves en difficulté
explorent des pistes qu’ils n’auraient pas imaginées mais qui
deviennent accessibles parce qu’elles émanent de pairs capables
de mobiliser des ressources explicatives auxquelles un adulte
n’aurait peut-être pas pensé, dans un langage que le maître ne
se serait peut-être pas autorisé.
n Concernant les pratiques langagières, la situation d’auto-
nomie autorise un oral spontané, souvent familier et éloigné de
l’orthodoxie scientifique, qui a l’immense avantage d’être acces-
sible à tous, alors que celui du maître ou des manuels reste sou-
vent, malgré les efforts, hermétique à ceux qui socialement ne
bénéficient pas d’un environnement langagier diversifié. Mais
les vidéos de travaux de groupe montrent aussi que des élèves
en autonomie confrontés à la nécessité de produire un écrit
commun, passent beaucoup de temps à échanger à la recherche
du mot juste ou rare à leurs yeux, à en ajuster collectivement
l’usage, à l’opposé des pratiques langagières de connivence à
tendance réductrice qu’ils utilisent en privé. Certains élèves
deviennent ainsi de précieux médiateurs pour leurs pairs, non
seulement vers des savoirs nouveaux mais aussi pour déve-
lopper un rapport au langage scolairement plus efficient, l’hété-
rogénéité étant ici clairement un atout.
n La verbalisation est élaboration de savoirs nouveaux et ne se
réduit pas à l’explicitation. La nécessité de se faire comprendre

97
Gérer l’hétérogénéité des élèves

des autres, voire d’imposer son point de vue, oblige chacun à


préciser, clarifier ou étoffer sa pensée. Des opérations intel-
lectuelles complexes nécessaires à la conceptualisation sont
en jeu : énumérer, récapituler, anticiper, classer, mettre en lien
etc. L’attention conjointe focalisée sur un problème qui résiste
conduit à appréhender collectivement le réel d’une façon inédite.

■■ La juste posture du professeur


Cela ne dispense pas le maître d’un guidage adapté si néces-
saire, en particulier si le groupe ne surmonte pas seul les
difficultés. En procédant ainsi, on voit bien que l’enseignant
se donne les moyens de prendre en compte et de respecter le
rythme et l’itinéraire personnel de chacun tout en proposant
le même niveau de difficulté à tous.

■■ Un moyen mais pas une fin


Le travail de groupe est un espace de travail, d’apprentissage
autant que de mobilisation des acquis, mais il ne se suffit pas à
lui-même : il doit déboucher sur une production, un projet, une
restitution vers la classe ou un autre groupe, un espace où les
tâtonnements et décisions du groupe rencontreront un auditoire,
des lecteurs, un public capable de réagir et de discuter la perti-
nence des choix et résultats.

Comment ça marche ?
Le travail de groupe fait souvent peur aux enseignants : peur
du bruit, du désordre, de laisser des élèves complètement inac-
tifs récupérer le travail des autres, de ne pas pouvoir contrôler
les bavardages sans rapport avec le travail donné, de laisser des
jeux de pouvoir s’installer, de ne pas savoir comment l’évaluer.
Quelques modalités précises de mise en œuvre fournissent
des réponses.

98
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

■■ Bruits et désordre
En classe, le silence de l’endormissement ou de la soumis-
sion passive est plutôt ce qui devrait inquiéter les enseignants.
On s’ennuie beaucoup dans les classes et bien des problèmes
de « discipline » sont liés à la façon dont les élèves savent ou
non s’ennuyer avec discrétion. Pour assurer son autorité dans
une classe, il est primordial d’intéresser les élèves et les main-
tenir en alerte intellectuelle constamment. Or, des élèves qui
cherchent ensemble à résoudre une difficulté, cela fait du bruit :
celui de la pensée en action, un bruit qui loin d’être censuré doit
être favorisé, mais régulé pour éviter des débordements.
Recadrer fermement toute incursion ou bavardage vers des
domaines sans rapport avec le sujet est nécessaire et se fait
facilement. On peut même demander au groupe de désigner en
son sein un gardien du sujet. Cette responsabilisation est très
efficace et ludique, y compris quand elle est confiée à celui qui
risque le plus de dévier. Mais le moyen le plus sûr est de donner
une tâche intéressante et mobilisatrice.
Le niveau sonore est un autre problème. Pour éviter désordre
et décibels agressifs, le pilotage du démarrage du travail doit
être précis pour que les élèves puissent avoir « une représenta-
tion nette et désirable11 » du travail à accomplir. Il est important
de donner toutes les consignes collectives, de susciter toutes les
demandes de précisions, de vérifier leur appropriation en les fai-
sant reformuler quand la classe a encore sa configuration collec-
tive, avant qu’elle ne soit éclatée en petits groupes. La posture
magistrale et le point fixe concentrent l’attention. À l’opposé,
un professeur qui se déplace dans la classe au moment où il
donne les consignes introduit lui-même un facteur de désordre
et de bruit puisqu’il se dérobe constamment aux regards et que

11. Michel Tozzi, « Deux phases critiques », Cahiers pédagogiques, n° 356,


septembre 1997, p. 19.

99
Gérer l’hétérogénéité des élèves

les élèves doivent bouger s’ils veulent le suivre des yeux. Une
feuille de route qui récapitule les consignes par écrit, distri-
buée mais aussi projetée en permanence sur le mur de la classe,
permet de solliciter les visuels autant que les auditifs.
Une fois les élèves placés en groupes, les interventions à
l’adresse de l’ensemble de la classe sont à éviter car elles per-
turbent la concentration de chaque groupe. En cas de besoin, le
maître n’intervient qu’à voix basse de façon sélective et renvoie
vers la consigne ou vers le groupe par une question plutôt que
d’apporter la réponse.
Il faudra peut-être de temps en temps redonner le « la » si le
niveau sonore global est monté dans l’effervescence du travail.
L’enseignant lui-même doit s’efforcer de ne pas parler trop fort.
Un remue-ménage de tables est une autre source de désordre,
à réduire au minimum nécessaire et à cadrer dans un temps
très limité, avec un début et une fin clairement minutés. Faire
bouger les élèves est par ailleurs moins bruyant que de démé-
nager les meubles et l’on peut fort bien travailler à quatre sur
une même table, simplement en déplaçant deux chaises.
Mais ces problèmes ne surviennent que lors des premiers tra-
vaux de groupe. Une fois la pratique complètement banalisée
pour les élèves, l’auto-régulation sonore se fait sans problème.
Si vraiment des problèmes de discipline et de concentration per-
durent, il est raisonnable que le maître s’interroge sur la tâche
qu’il a donnée, probablement trop facile ou infaisable.

■■ Comment être sûr qu’ils travaillent tous ?


L’une des réticences majeures de bon nombre d’enseignants
au travail de groupe est liée à la crainte de ne voir que quelques
élèves travailler tandis que les autres restent passifs. Les propo-
sitions ci-dessous permettent d’éviter cet écueil.

100
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

• Définir une taille de groupe optimale


Il faut se montrer intransigeant sur la taille du groupe. Trois
ou quatre élèves constitue un bon équilibre, et il ne faut jamais
dépasser cinq car il est indispensable que chaque élève ait un
espace de parole suffisant. Au-delà, certains risquent en effet
de ne pas trouver leur place. Les raisons sont mathématiques :
dans un groupe de trois élèves, il y a trois échanges possibles ;
avec quatre élèves, on passe à six possibilités ; avec cinq élèves,
il y a dix interactions possibles : c’est beaucoup et même trop,
le risque de marginalisation de certains existe alors.

• Responsabiliser pour réguler


Responsabiliser des élèves, surtout ceux qui risquent le plus de
ne pas s’engager, est un moyen efficace de régulation : proposer
au plus perturbateur d’être gardien de la civilité et de l’équilibre
des échanges, au plus passif d’être celui qui restituera le travail
devant la classe, au rebelle d’être gardien du temps. La prise de
notes peut se faire à tour de rôle. Ce sont d’excellents moyens
d’équilibrer les groupes, de réguler en interne les jeux de pou-
voir et de faire évoluer les images parfois caricaturales ou néga-
tives de chacun. Enfin, placer un élève comme observateur et
régulateur du groupe lui offre une posture de prise de distance
réflexive (« métacognitive ») sur ce qui se joue dans le groupe,
aussi utile aux plus forts qu’aux plus faibles. Veiller à la rotation
des responsabilités évite la constitution de leaderships.
Par ailleurs, le fait que les élèves se constituent en groupe par
affinités ou selon les décisions du professeur n’a que peu d’im-
portance. Il suffit de réajuster les groupes qui ne fonctionnent
pas bien et de ne pas s’embarrasser de perfectionnisme inutile
pour les groupes qui réussissent. Dans certains cas, la fonction
assignée au travail de groupe justifiera que le professeur en
impose la composition, ce n’est finalement pas si fréquent.

101
Gérer l’hétérogénéité des élèves

• Un cadrage temporel ferme


Un autre impératif est d’exiger que le groupe achève la
tâche en classe. En effet, s’il s’agit d’une production collective,
demander que le travail soit terminé à la maison revient à coup
sûr à écarter un certain nombre d’élèves qui ne pourront pas
matériellement le faire. Il est en outre irréaliste de penser que
les élèves qui réussiront à se réunir à nouveau retrouveront la
même qualité de concentration hors du temps scolaire. Par ail-
leurs, si les élèves intègrent que la contrainte temps est incon-
tournable, ils se mettent rapidement au travail et apprennent
à s’organiser. Si le travail collectif prépare des productions
individuelles, la partie collective doit être achevée en classe.
Différer ou accorder un délai conduit à installer les élèves dans
une dilution qui va à l’opposé de la mobilisation recherchée.
Il faut donc calibrer le temps accordé aux exigences du
travail, et il vaut mieux réorienter le travail, revoir le volume
de la production attendue, le niveau d’exigence formel, scinder
le travail en plusieurs phases que de laisser le travail s’éter-
niser et admettre qu’on le terminera « plus tard ». Un travail de
groupe a un début et une fin délimités.

■■ Des tâches bien choisies


Le succès tient au choix de la tâche demandée et toute tâche
ne convient pas au travail de groupe. Cette modalité de tra-
vail s’inscrit dans la diversification pédagogique : il ne s’agit pas
de remplacer un modèle unique de cours (cours dialogué par
exemple) par un autre modèle unique et de tout faire en groupe.
La tâche doit présenter un degré de complexité tel qu’elle ne
doit pas pouvoir être réalisable par un seul élève mais nécessiter
coopération et élaboration collective, même si la production
attendue au final peut être individuelle. Une production unique
demandée au groupe et communicable de suite à la classe entière
est un excellent moyen de mobiliser efficacement chaque élève.

102
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

Des configurations nombreuses


pour les travaux de groupe
Les configurations possibles pour organiser un travail de
groupe sont nombreuses et dépendent de ses objectifs. On peut
citer12 :
n Groupe de découverte ou de recherche pour permettre
d’approfondir un aspect d’une question, sur la base d’un pro-
blème collectif posé à la classe.
n Groupe de confrontation pour organiser la confrontation de
représentations ou de points de vue initiaux différents afin de
provoquer leur dépassement.
n Groupe d’inter-évaluation : utiliser d’autres élèves comme
lecteurs du travail en cours pour faire apparaître les faiblesses
d’un travail et en faciliter le réajustement.
n Groupe d’assimilation pour laisser à des groupes le temps
de se redire avec leurs propres mots une notion qui vient d’être
présentée.
n Groupe d’entraînement mutuel pour rendre la tâche plus
facile à chaque élève grâce aux ressources collectives du groupe
et permettre à chacun de dépasser des difficultés qu’il n’aurait
pu affronter seul.
n Groupe d’aide et d’approfondissement pour permettre
la reprise d’une notion ou son approfondissement, en tenant
compte de difficultés précises constatées.

12. Voir les travaux de Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, ESF éditeur,
1992, p. 178.

103
Gérer l’hétérogénéité des élèves

Le travail en binôme :
une variante simple et efficace
Une variante très simple du travail en groupe consiste à faire
travailler deux voisins en binôme. La mise en œuvre est simple :
pas de déplacement et un temps de travail qui peut être très
court.
Le travail en binôme introduit un temps d’échanges à l’in-
térieur d’un cours, un espace de parole autorisée qui tranche
avec un moment d’écoute silencieuse. Il offre surtout un lieu de
réflexion où le plus faible pourra être épaulé par le plus fort, qui
pourra lui-même découvrir des résistances insoupçonnées grâce
aux difficultés de son voisin et ainsi conforter ses choix de façon
argumentée. Et si un élément du binôme est défaillant et laisse
son voisin travailler seul ? C’est le rôle du professeur de repérer
ces binômes déséquilibrés et de changer la configuration ou bien
de donner la parole à celui qui n’a fait qu’écouter son voisin. S’il
est capable de reformuler les propositions de son voisin, il n’a pas
totalement perdu son temps. Aurait-il mieux participé en classe
entière ? Le risque, on le voit, est quasiment nul.
Ces temps de travail en binôme sont très utiles, par exemple
pour échanger des copies et introduire un vrai lecteur qui, plus
qu’un simple correcteur, pourra dire : « Ici, je ne comprends
pas, ici, je ne suis pas d’accord. » En phase exploratoire de docu-
ments inconnus ou d’une notion nouvelle, pouvoir en parler
sécurise les élèves et favorise l’accrochage, « l’enrôlement dans
la tâche » selon l’expression de Jerome Bruner. On peut aussi
constituer des binômes d’entraide, ce qui donne l’occasion aux
élèves qui maîtrisent bien une notion de changer de posture et
de développer leurs compétences explicatives.

104
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

Les groupes de besoin


S’il est clair que des regroupements homogènes stables
d’élèves faibles sont à éviter, on peut néanmoins organiser des
groupes homogènes de façon provisoire. Encore faut-il éviter à
tout prix de le faire sur la seule base floue « faibles » ou « forts ».
Si l’on veut préserver une dynamique essentielle à la réussite,
on peut regrouper les élèves sur la base de besoins spécifiques.
C’est le principe des groupes de besoin.
L’idée de besoin est intéressante car elle fournit des cri-
tères positifs pour des regroupements temporaires d’élèves. Le
besoin n’est pas forcément un déficit. Un élève écrasé par un
échec massif peut avoir autant besoin de développer sa créa-
tivité qu’un très bon élève entièrement accaparé par les tâches
scolaires. De même, prendre confiance dans des activités orales
est un besoin pour des profils d’élèves très différents qui ne
recoupent pas les résultats scolaires.

Les groupes de besoin, groupes de


remédiation et d’approfondissement
Philippe Meirieu lance l’idée de groupes de besoin dans les années
1980 et l’oppose aux groupes de niveaux homogènes et pérennes
qui risquent d’accentuer les écarts au lieu de les réduire. Les meilleurs
élèves autant que ceux qui sont en difficulté ont des « besoins » en
termes d’apprentissage.
Les groupes de besoin sont constitués en fonction des besoins des
élèves, à un moment donné, sur des objectifs précis. Ils ne peuvent
constituer des regroupements durables.
Dans la pratique, les groupes de besoin sont souvent orientés vers
des activités :
− d’aide ou de remédiation : retour sur des apprentissages pas
ou mal consolidés ;
ou ➙

105
Gérer l’hétérogénéité des élèves

− d’approfondissement : pour des élèves ayant acquis les apprentis-


sages considérés comme prioritaires.
Ils sont souvent constitués en décloisonnant les classes grâce
à des alignements horaires prévus dans l’emploi du temps.
La notion de besoin permet des regroupements plus originaux qui
évitent de stigmatiser les bons ou les moins bons et permettent
de regrouper des élèves temporairement pour développer
des compétences spécifiques.

Dans la pratique, la mise en œuvre des groupes de besoin se


heurte à la nécessité – et à la difficulté – d’identifier en amont,
et avec pertinence, des « besoins ». Le socle commun de compé-
tences et de connaissances peut fournir de ce point de vue une aide
efficace, le livret de compétence individuel de chaque élève peut
suggérer des pistes concrètes. Mais une aide spécifique ne peut
se passer de questionner aussi la didactique de chaque discipline.
Les groupes de besoin sont par ailleurs souvent associés à des
alignements horaires permettant de décloisonner les classes. Ce
dispositif, séduisant sur la forme, s’avère souvent contraignant.
Plutôt que de s’attarder sur tel ou tel protocole de mise en
œuvre plus ou moins compliqué, c’est le concept fort de besoin
qui constitue une piste de travail efficace.

Comment évaluer un travail de groupe ?

■■ Travail de groupe et évaluation formative


L’évaluation dépend de la nature et de la fonction de l’activité.
Dans tous les cas, c’est un moment privilégié pour identifier et
entraîner les compétences en jeu à l’oral et pouvoir ensuite les

106
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

valider. Le socle commun et les programmes 2016 fournissent


des points de repères utiles.
Si le travail de groupe prend place en phase d’apprentissage, il
ne devrait pas être question d’évaluation globalisante, et a for-
tiori de note, réservée aux évaluations finales. C’est donc l’occa-
sion d’utiliser toutes les ressources de l’évaluation formative et
de ses formes non chiffrées qui peuvent également s’appliquer à
un travail de réinvestissement collectif.

■■ Évaluer grâce à la présentation des résultats


Un travail de groupe débouche sur une production. L’efficacité
de ce produit, à condition qu’il soit présenté à d’autres, constitue
une évaluation régulatrice importante et une gratification
immédiate en cas de réussite. On présente par exemple devant
la classe entière une proposition de démarche de résolution de
problème, un plan de dissertation, un projet de sortie. Si les
élèves peuvent emporter ou montrer hors de l’espace de la classe
la trace tangible de leur travail (par exemple une exposition,
un journal, une brochure, un power-point, une contribution au
site Internet de l’établissement ou au blog de la classe…), c’est
encore mieux.

■■ Partager l’évaluation
Une évaluation critériée appuyée sur le socle commun est
tout à fait faisable et il est logique de communiquer à l’avance
les critères selon lesquels les travaux seront évalués. Il est par-
ticulièrement intéressant d’établir cette liste avec les élèves afin
qu’ils aient le temps de se les approprier. C’est aussi l’occasion
d’ajuster le niveau d’exigence et de mesurer la faisabilité.
Dans la logique d’une construction collective des savoirs, il est
nécessaire que les travaux de groupes débouchent rapidement

107
Gérer l’hétérogénéité des élèves

sur une restitution devant l’ensemble de la classe. Ce moment


qui peut paraître délicat du point de vue de l’attention des élèves
peut être utilement dynamisé si l’évaluation est confiée à tour
de rôle à un autre groupe qui doit évidemment se prononcer en
fonction des critères explicités avant la mise en œuvre. Ainsi ce
temps de restitution a un double enjeu : donner l’occasion à ceux
qui présentent leur travail de le mettre en forme pour le rendre
communicable, ce qui est un premier niveau de décentration ;
mais aussi fournir au groupe qui évalue une occasion d’écoute
particulièrement attentive et d’opérer une prise de recul forma-
trice. Cette situation d’évaluation a l’avantage de faire vivre aux
élèves le difficile exercice de la « justice » et de comprendre que
tout ne se vaut pas dès que l’on se donne des critères non affectifs.
Enfin, si vraiment le professeur désire qu’une note chiffrée
soit attribuée, celle-ci peut être décidée par le groupe ou par le
professeur (ou les deux) qui fixent une note moyenne de la pres-
tation. Et pourquoi pas, si les membres du groupe ont mani-
festé un investissement très inégal, leur renvoyer le problème
de leur évaluation en autonomie. Méritent-ils tous la même
note ? Laquelle ou lesquelles ? Quelles modulations effectuer ?
L’expérience montre que laisser les élèves gérer seuls ces ques-
tions les conduit à authentiquement discuter de l’efficacité de
leur fonctionnement et à l’améliorer considérablement dans la
durée, beaucoup plus profitable que si le professeur leur avait
prodigué des conseils. Bien plus que la note elle-même, c’est le
débat argumenté au sein du groupe qui aura été utile.

■■ Évaluer le vivre ensemble ?


Outre des compétences d’ordre disciplinaire et celles propres
à l’oral, le travail de groupe permet de développer des compé-
tences de travail d’équipe et coopératif, de prendre en compte
l’autre, son avis, sa sensibilité différente, de ce point de vue, c’est
de l’éducation morale et civique en action.

108
3. Le travail de groupe : un outil privilégié de différenciation

Socle commun et évaluation


du travail d’équipe
Les compétences ci-dessous peuvent être identifiées, travaillées
pour être ensuite validées par simple observation des élèves
en travail de groupe.

Domaine 2 : Les méthodes et outils pour apprendre


Coopération et réalisation de projets
« L’élève travaille en équipe, partage des tâches, s’engage dans
un dialogue constructif, accepte la contradiction tout en défendant
son point de vue, fait preuve de diplomatie, négocie et recherche
un consensus.
Il apprend à gérer un projet, qu’il soit individuel ou collectif. Il en
planifie les tâches, en fixe les étapes et évalue l’atteinte des objectifs.
L’élève sait que la classe, l’école, l’établissement sont des lieux
de collaboration, d’entraide et de mutualisation des savoirs.
Il aide celui qui ne sait pas comme il apprend des autres […] »

Domaine 3 : la formation de la personne et du citoyen


Expression de la sensibilité et des opinions, respect des autres
« […] L’élève apprend à résoudre les conflits sans agressivité,
à éviter le recours à la violence grâce à sa maîtrise de moyens
d’expression, de communication et d’argumentation. Il respecte
les opinions et la liberté d’autrui, identifie et rejette toute forme
d’intimidation ou d’emprise. Apprenant à mettre à distance préjugés
et stéréotypes, il est capable d’apprécier les personnes qui sont
différentes de lui et de vivre avec elles. Il est capable aussi de faire
preuve d’empathie et de bienveillance.

La règle et le droit
L’élève comprend et respecte les règles communes, notamment
les règles de civilité, au sein de la classe, de l’école ou de
l’établissement, qui autorisent et contraignent à la fois et qui
engagent l’ensemble de la communauté éducative […]».

Extraits su Socle commun de compétences, de connaissances


et de culture

109
4. Gérer des rythmes
différents

S i le professeur doit systématiquement reprendre


plus lentement pour certains élèves, c’est qu’il est
allé trop vite. Doit-il pour autant ralentir le rythme
des apprentissages et sacrifier les plus rapides ? Doit-il
risquer de lasser ceux qui ont compris du premier coup ?
Que d’ennui généré dans les classes à reprendre plusieurs
fois pour quelques élèves au détriment de l’intérêt du
groupe. En vérité, « tous pareils en même temps » est,
en dépit des apparences, profondément inégalitaire.

Des départs et des arrivées échelonnés ?


Pourquoi les élèves qui ont compris du premier coup devraient-
ils différer le passage à l’action ? On peut imaginer facilement un
départ échelonné, il suffit de doser la quantité d’exercices : les
plus rapides se lancent dans les exercices dès la fin des premières
explications. D’autres ont besoin de précisions complémen-
taires ? C’est légitime, le professeur s’occupe d’eux pendant que
les autres s’exercent déjà. Tous les élèves ne feront pas la même
quantité d’exercices ? Il importe surtout que ceux-ci soient cali-
brés par rapport aux besoins, il est donc nécessaire de prévoir
des exercices plus complexes pour les plus rapides afin de pré-
server un temps suffisant d’entraînement à tous.
Ce type d’organisation convient bien aux exercices d’en-
traînement ou d’application. Il ne peut être généralisé car il

110
4. Gérer des rythmes différents

répond surtout aux difficultés liées seulement à des problèmes


de rythmes différents des enfants. Peu coûteux en termes de
préparation, il implique que l’enseignant dispose de batteries
diversifiées d’exercices. Des fiches autocorrectives sont très
utiles, le travail sur ordinateur a l’immense avantage de fournir
des gammes d’exercices autocorrectifs.
Il suppose aussi qu’on se libère d’un modèle très répandu mais
très ennuyeux : d’interminables séances de correction collec-
tives d’exercices. Faut-il vraiment corriger collectivement un
exercice que tout le monde a réussi ? Pourquoi ne pas s’appuyer
sur les élèves les plus rapides et les plus à l’aise pour superviser
la validité du travail des autres ? Le professeur n’intervient
alors que pour trancher les désaccords et du temps est ainsi
libéré pour accorder une attention particulière aux élèves en
difficulté.

Oser dispenser des élèves


de certaines activités
Mais pourquoi ne pas dispenser certains élèves des activités
pour lesquelles ils sont déjà experts ? L’enfant de cours pré-
paratoire qui lit couramment prendra un album ou un livre
pendant que d’autres travailleront les combinatoires. Ou bien
il réalisera une tâche au service de la classe : reclasser les livres
du coin lecture ou sélectionner un livre qu’il a aimé pour le pré-
senter oralement à ses camarades.

Prévoir des ateliers permanents


Mais ce même élève pourra aussi, dès qu’il en a le temps, pour-
suivre un projet personnel au long cours, par exemple raconter

111
Gérer l’hétérogénéité des élèves

par écrit une histoire et l’illustrer ou alimenter un cahier de


vie personnel ou encore travailler sur l’ordinateur à condition
qu’une tâche claire soit définie et que l’usage de l’ordinateur ne
soit pas une fin en soi.
C’est le principe des ateliers permanents, utilisés avec succès
à l’école maternelle. Des lieux y sont matériellement organisés
de façon stable dans la classe pour permettre à chaque enfant,
dès qu’il en a l’opportunité, de se livrer à différentes activités
en autonomie totale. C’est le principe des « coin lecture, coin
dessin, coin puzzle », etc.
Ce dispositif n’est guère utilisé à l’école primaire et, sauf
exception, plus du tout au collège en raison des contraintes de
locaux. Il est très rare en effet qu’une classe ou un enseignant
bénéficie d’une salle de cours attitrée.
Il est dommage de se priver de ce dispositif qui a fait ses
preuves puisqu’il fait partie de l’héritage de Freinet. Il suffit
pourtant d’en adapter les contenus au niveau des élèves.
Avec de plus grands élèves, en particulier au collège, on peut
laisser les élèves développer des projets personnels de longue

Les ateliers permanents


Le principe est issu des méthodes Freinet.
Des espaces dédiés à une activité spécifique sont organisés de
façon stable dans l’espace de la classe. Les élèves s’y rendent
en autonomie dès qu’ils le peuvent. Il s’agit d’activités proposées
par l’enseignant ou d’espaces de réalisation de projets personnels.
Ils sont utilisés avec succès à l’école maternelle et transférables
aux autres niveaux avec la même réussite.
Au collège ou au lycée, faute de lieu stable attribué à une classe
ou à un professeur, c’est l’ordinateur qui fournit le cadre où
l’élève peut retrouver le dossier en cours.

112
4. Gérer des rythmes différents

haleine (dossier de recherche sur un sujet choisi, cahier d’art


personnel, florilège poétique), ou travailler pour le groupe dans
le cadre de projets collectifs d’envergure (exposition, journal de
la classe ou du collège, alimentation du site du collège…).

Prendre aussi en charge les différences


de ces enfants qu’on dit « surdoués »…
L’expression « enfants surdoués » disparaît progressivement
du langage et c’est une bonne chose : comment enseigner si
l’on est convaincu que tout est affaire de dons, autrement dit
d’inné ? L’espace d’action de l’enseignant est justement celui de
ce qui peut s’acquérir.
L’expression plus récente d’« enfants à haut potentiel » n’en
est guère éloignée. On parle aussi d’« enfants intellectuellement
précoces » (EIP). L’embarras du langage est à la hauteur de
celui du système scolaire qui, en France, résiste à prendre en
charge comme une réalité ces enfants à besoins spécifiques.

■■ De l’excellence à l’échec
Contrairement à l’idée communément répandue, l’excellence
produit elle aussi de la souffrance scolaire, au point de fabriquer
de l’échec et de provoquer un gâchis humain et intellectuel qui,
à lui seul, devrait suffire à attirer l’attention sur l’intérêt d’une
pédagogie différenciée qui réponde aux besoins de ces enfants.
En effet, tous les témoignages d’enseignants ou de parents
confrontés au problème soulignent les souffrances aiguës de
nombre d’entre eux. Le concept de dyssynchronie éclaire le
vécu particulier lié aux décalages que certains vivent très
mal et auxquels l’école contribue fortement puisque la seule
réponse consiste à faire sauter des classes, ce qui conduit ces

113
Gérer l’hétérogénéité des élèves

élèves à une ou deux, voire parfois trois années d’avance. Des


signes contradictoires devraient pourtant alerter : des passions
exclusives sur des sujets pointus, des lecteurs insatiables, des
fulgurances brillantissimes, une avidité de connaissances, mais
aussi souvent « des enfants blessés à vif par des quolibets13 »
de leurs camarades, l’isolement et des échecs incompréhensibles
au regard du potentiel.

La dyssynchronie
Le terme de « dyssynchronie » a été introduit en 1979 par
Jean-Charles Terrassier dans son livre Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence.
La dyssynchronie décrit le vécu psycho-social particulier de
nombreux enfants intellectuellement précoces. Ces enfants
présentent fréquemment un développement affectif et une maturation
psychomotrice moins en avance que leur développement intellectuel
(dyssynchronie interne). Par ailleurs, l’école, les camarades et parfois
les parents n’attendent d’eux qu’un comportement conforme
à la norme de leur âge (dyssynchronie sociale).
Des difficultés, notamment au niveau de leur insertion scolaire
et familiale, peuvent résulter de ce développement hétérogène
et de l’incompréhension du milieu.

En France, l’échec et l’excellence sont encore traités de la


même façon : on redouble ou on saute une classe. Autrement
dit, ce n’est pas l’école qui s’adapte, c’est l’enfant que l’on fait
rentrer dans la norme.
La pédagogie différenciée s’adresse aussi bien à l’excellence
qu’à la grande difficulté et c’est un devoir de l’école publique de
prendre en charge toutes les différences.

13. Sylvianne Monnier, « Sous l’homogène, l’hétérogène », Les cahiers pédagogiques,


n° 454, juin 2007.

114
4. Gérer des rythmes différents

■■ Éviter à tout prix l’ennui destructeur


Parmi les outils évoqués précédemment, certains s’imposent
pour les enfants dits intellectuellement précoces :
––oser un rythme radicalement différent ;
––dispenser de certaines activités pour en proposer d’autres
spécifiques ;
––collaborer avec d’autres collègues pour des échanges stimu­­-
lants ;
––utiliser toutes les ressources humaines de l’établissement pour
un accompagnement personnalisé.
Pour donner du champ aux passions et aux domaines d’ex-
cellence, la pédagogie de projet fournit un espace ouvert. Ces
enfants ont souvent des difficultés relationnelles et sont fré-
quemment victimes de rejet : leur donner l’occasion de faire
profiter la classe mais aussi l’établissement entier de projets
ambitieux qu’ils auront réalisés contribue à leur intégration.
À une autre échelle, l’entraide, le monitorat ou le tutorat d’autres
élèves peuvent fournir l’occasion de mettre leur différence au
service des autres, ce qui peut les aider à trouver leur place dans
la classe et éviter le repli sur soi très souvent constaté. Enfin, le
travail de groupe, parce qu’il oblige à coopérer, développe des
compétences sociales et se révèle particulièrement utile, même
si ces enfants ne sont pas forcément séduits d’emblée. Il faudra
être vigilant sur la répartition des tâches et accompagner de
manière attentive le fonctionnement social du groupe. En outre,
la coopération peut être aussi l’occasion de développer en dou-
ceur des compétences organisationnelles et manuelles qui sont
souvent signalées comme décalées par rapport au développe-
ment conceptuel.

115
4
L’approche
par compétences

L
e socle commun de connaissances et de compétences
est, depuis 2006, adossé aux programmes de l’école pri-
maire et du collège officialisant ainsi l’enseignement par
compétences en France. Remaniée et ajustée en 2015, sa nou-
velle version entre en vigueur à la rentrée 2016. Le socle commun
est inscrit dans les missions de l’enseignant en Belgique depuis
1997 et au Québec depuis 2000. Le Parlement européen s’était
positionné en 2001 pour recommander un enseignement par
compétences. Depuis, d’autres pays, en Europe ou ailleurs, se
sont lancés.

117
1. Compétence :
un concept pas
si flou qu’on le dit

S i le concept de compétence est récent dans le domaine


des sciences de l’éducation, le mot, lui, a d’autres
emplois qu’il peut être utile de préciser pour éclairer
des interférences qui ont pu gêner son appropriation.
L’histoire du mot peut donc éclaircir quelques flottements
provoqués par sa polysémie.

Histoire du mot et du concept

■■ Les compétences et le domaine juridique


Depuis la fin du xvie siècle, le mot a une acception juridique ou
territoriale ; ainsi, un tribunal est compétent dans un domaine.
À partir du xviie siècle, le mot passe dans le langage courant,
concernant désormais aussi l’individu, et désigne selon le dic-
tionnaire Le Robert, « la connaissance approfondie, l’habileté
reconnue qui confère le droit de juger ou de décider en certaines
matières ».

■■ Compétence et performance dans le


domaine linguistique selon Noam Chomsky
À la fin des années 1950, Noam Chomsky associe et oppose
compétence et performance. La compétence linguistique, du

119
L’approche par compétences

domaine de l’universel, décrit le potentiel de chaque individu


qui peut reconnaître et produire un nombre infini d’énoncés.
En revanche, chaque individu ne produira qu’un nombre limité
de performances langagières. Cette distinction, qui est l’un des
fondements de la grammaire générative, est restée célèbre dans
le microcosme des sciences de l’éducation et a parfois conduit
à débattre de la part de l’inné et de l’acquis. Soulignons qu’elle
s’applique à un domaine particulier, la linguistique. Elle a aussi
été produite dans un contexte doublement polémique : d’une
part, elle s’oppose au behaviorisme1 très en vogue à l’époque
et qui ne s’intéressait qu’aux performances ; d’autre part, elle
s’inscrit dans un mouvement de contestation des présupposés
des grammaires traditionnelles insuffisantes pour décrire la
réalité des fonctionnements du langage. Hors de ce contexte,
l’opposition chomskyenne compétence/performance peut para-
siter la compréhension du concept de compétence en sciences
de l’éducation.

■■ Les compétences dans le monde du travail


À la fin des années 1980, la notion de compétence profession-
nelle s’impose dans le monde du travail jusqu’à concurrencer
la notion de diplôme. En 1994, les travaux de Françoise Ropé
et Lucie Tanguy2 montrent que, par le biais de la formation
professionnelle, la notion de compétence entre dans le domaine
scolaire.

1. Behaviorisme : courant en psychologie essentiellement fondé sur l’observation


du comportement visible. Il s’est développé dans la première moitié du xxe siècle
par opposition à la psychanalyse et aux approches introspectives. Il a toujours
été critiqué parce qu’il conduit à considérer l’apprentissage comme un dressage
permettant de répondre de façon conditionnée à des stimuli.
2. Françoise Ropé et Lucie Tanguy (dir.), Savoirs et compétences. De l’usage de ces
notions dans l’école et l’entreprise, L’Harmattan, 1994.

120
1. Compétence : un concept pas si flou qu’on ne le dit

■■ Les compétences dans le domaine éducatif


et scolaire
Dans les années 1990, plusieurs travaux convergents en
sciences de l’éducation élargissent le concept. Les définitions
se précisent et, après un certain nombre de tâtonnements, se
stabilisent. « Compétence » désigne aujourd’hui la mobilisation
d’un ensemble de savoirs dans l’action.

Le concept de compétence
en sciences de l’éducation
Si certaines nuances peuvent encore subsister d’une définition
à l’autre, toutes s’accordent cependant sur trois invariants qui
caractérisent aujourd’hui le concept :
––la compétence est tournée vers l’action adaptée à un contexte,
action à prendre au sens large, action manuelle tout autant
qu’action intellectuelle : « s’adapter, résoudre des problèmes
et réaliser des projets » (Romainville) ;
––la compétence met en jeu des connaissances de tous ordres :
« conceptuelles, procédurales » (Gillet), « savoirs, savoir-
faire, savoir-être et savoir-devenir » (Romainville), « con-
naissances, aptitudes (capacités) et attitudes » (Parlement
européen), « connaissances, capacités à les mettre en œuvre
et attitudes » selon le socle commun français ;
––la compétence a un champ d’application délimité plus ou
moins étendu : ce sont les « familles de situations » ou « le
contexte donné », selon Perrenoud ou Le Boterf.

121
L’approche par compétences

Compétence : les définitions


De nombreux chercheurs se sont attachés à définir le concept
de compétence.

■ Pierre Gillet
Une compétence est « un système de connaissances, conceptuelles
et procédurales, organisées en schémas opératoires et qui
permettent, à l’intérieur d’une famille de situations, l’identification
d’une tâche-problème et sa résolution par une action efficace ».
Pierre Gillet, Construire la formation : outils pour les enseignants
et les formateurs, PUF, 1991, p. 69.
■ Guy Le Boterf
« La compétence est la mobilisation ou l’activation de plusieurs
savoirs, dans une situation et un contexte donnés. »
Il n’y a de compétence que de compétence en acte. La compétence
ne peut fonctionner « à vide », en dehors de tout acte qui ne se limite
pas à l’exprimer mais qui la fait exister.
Guy Le Boterf, De la compétence, essai sur un attracteur étrange,
Éditions d’organisation, 1995.

■ Marc Romainville
« Une compétence est un ensemble intégré et fonctionnel de savoirs,
savoir-faire, savoir-être et savoir-devenir, qui permettront, face à une
catégorie de situations, de s’adapter, de résoudre des problèmes
et de réaliser des projets. »
M. Romainville, G. Bernaerdt, et al., « Réformes : à ceux
qui s’interrogent sur les compétences et leur évaluation »,
Forum pédagogie, 1998.

■ Philippe Perrenoud
« Capacité d’agir efficacement dans un type défini de situation,
capacité qui s’appuie sur des connaissances mais ne s’y réduit pas. »
Philippe Perrenoud, Construire des compétences dès l’école,
ESF éditeur, 1997.

■ Définition adoptée par le Parlement européen


« Une compétence est une combinaison de connaissances, d’aptitudes
(capacités) et d’attitudes appropriées à une situation donnée.
Les compétences clés sont celles qui fondent l’épanouissement
personnel, l’inclusion sociale, la citoyenneté active et l’emploi. »
26 septembre 2006

122
1. Compétence : un concept pas si flou qu’on ne le dit

■ Définition retenue dans le texte français du socle commun


de connaissances et compétences
« Chaque grande compétence du socle est conçue comme une
combinaison de connaissances fondamentales pour notre temps,
de capacités à les mettre en œuvre dans des situations variées
mais aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie,
comme l’ouverture aux autres, le goût pour la recherche de la vérité,
le respect de soi et d’autrui, la curiosité et la créativité. »
26 mars 2006
« Le socle commun identifie les connaissances et compétences
qui doivent être acquises à l’issue de la scolarité obligatoire.
Une compétence est l’aptitude à mobiliser ses ressources
(connaissances, capacités, attitudes) pour accomplir une tâche
ou faire face à une situation complexe ou inédite. Compétences
et connaissances ne sont ainsi pas en opposition. Leur acquisition
suppose de prendre en compte dans le processus d’apprentissage
les vécus et les représentations des élèves, pour les mettre en
perspective, enrichir et faire évoluer leur expérience du monde. »
31 mars 2015

Compétence et capacités :
vrais ou faux débats ?
Les choses se compliquent singulièrement lorsque l’on entre
dans la finesse des propositions de catégorisation avancées par
chacun, et particulièrement lorsque l’on examine les listes du
socle européen ou du socle commun de connaissances et de
compétences français.

■■ Un vocabulaire flottant
Le vocabulaire auquel on se trouve confronté est foisonnant :
capacités, aptitudes, attitudes, domaine, items… et il n’est pas
facile de s’y retrouver.

123
L’approche par compétences

Sur le fond, ce foisonnement de vocabulaire est un phéno-


mène normal. Lorsqu’un concept émerge, on assiste toujours à
un tâtonnement avant qu’une terminologie commune s’impose
et cela n’est possible que lorsque l’analyse a été suffisamment
approfondie. Loin d’être une preuve de faiblesse du concept, il
s’agit bien au contraire des traces de la pensée en action qui
essaie de pénétrer la boîte noire d’un processus. Comme le rap-
pelle G. Le Boterf 3 : « La compétence n’est pas un état. C’est
un processus. Si la compétence est un savoir-agir, comment
fonctionne celui-ci ? L’opérateur compétent est celui qui est
capable de mobiliser, de mettre en œuvre de façon efficace les
différentes fonctions d’un système où interviennent des res-
sources aussi diverses que des opérations de raisonnement, des
connaissances, des activations de la mémoire, des évaluations,
des capacités relationnelles ou des schémas comportementaux.
Cette alchimie reste encore largement une “terra incognita”. »

■■ Une démarche nouvelle


Concrètement, sur le terrain et dans l’intérêt des élèves, il
serait néanmoins dommage de jeter le bébé avec l’eau du bain
et de paralyser l’action pédagogique en attendant un consensus
sur les moindres détails. La catégorisation et la terminologie
proposées par le socle commun dans sa première version (2006)
ont soulevé beaucoup de questions. La nouvelle version (2015) a
réduit les points litigieux. Ces aléas ne doivent pas faire perdre
de vue que l’important, c’est la démarche qui tourne résolument
le dos à des pratiques exclusivement centrées sur la transmis-
sion des savoirs, pour promouvoir une pédagogie qui se pré-
occupe du transfert des connaissances dans l’action et vise à
rompre avec des jugements globalisants inefficaces pour identi-
fier de façon personnalisée points forts et fragilités des acquis.

3. De la compétence, essai sur un attracteur étrange, op. cit.

124
1. Compétence : un concept pas si flou qu’on ne le dit

Le socle commun de connaissances,


de compétences et de culture
Le « socle commun de connaissances et de compétences » a été
introduit dans la loi française en 2006. « Il présente ce que tout
élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. »
La maîtrise du socle est prise en compte pour obtenir le diplôme
national du brevet (DNB). La loi d’orientation et de programmation
pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013 a fait
évoluer sa présentation et ses contenus.
Désormais intitulé socle commun de connaissances, de compétences
et de culture, il est entré en vigueur à la rentrée 2016 et comprend
cinq grands domaines :
« 1° Les langages pour penser et communiquer 4 : ce domaine vise
l’apprentissage de la langue française, des langues étrangères et,
le cas échéant, régionales, des langages scientifiques, des langages
informatiques et des médias ainsi que des langages des arts et
du corps ;
2° Les méthodes et outils pour apprendre : ce domaine vise
un enseignement explicite des moyens d’accès à l’information
et à la documentation, des outils numériques, de la conduite de
projets individuels et collectifs ainsi que de l’organisation des
apprentissages ;
3° La formation de la personne et du citoyen : ce domaine vise
un apprentissage de la vie en société, de l’action collective et de
la citoyenneté, par une formation morale et civique respectueuse
des choix personnels et des responsabilités individuelles ;
4° Les systèmes naturels et les systèmes techniques : ce domaine
est centré sur l’approche scientifique et technique de la Terre et de
l’Univers ; il vise à développer la curiosité, le sens de l’observation,
la capacité à résoudre des problèmes ;
5° Les représentations du monde et l’activité humaine : ce domaine
est consacré à la compréhension des sociétés dans le temps et
dans l’espace, à l’interprétation de leurs productions culturelles
et à la connaissance du monde social contemporain. »
Décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 et Code de l’éducation,
art. D. 122-1.

4. Voir page 150.

125
2. « L’irrésistible
ascension
de la notion
de compétence5 »

C omment expliquer cette « irrésistible ascension »,


selon l’expression de Marc Romainville ?
Les raisons de ce succès mais aussi les principales
critiques sont passées en revue ci-dessous.

Un enseignement tourné vers l’action


La compétence, telle que définie en sciences de l’éducation,
met l’accent sur la mise en œuvre effective, en situation, de res-
sources diverses, dont évidemment une grande part de connais-
sances qui peuvent être d’origines très variées. Une compétence
est considérée acquise si elle permet la réussite d’un certain
nombre de performances dans un contexte inédit6.
C’est donc un enseignement qui s’oppose à l’accumulation
de « savoirs morts », selon l’expression de Jules Ferry, savoirs
livresques ou déconnectés de toute utilisation personnelle, qu’il
s’agisse de la vie sociale ou professionnelle ou d’ouvrir des
portes vers d’autres acquisitions. Maîtriser une compétence

5. Marc Romainville, « L’irrésistible ascension du terme “compétence” en édu­ca­


tion », Enjeux, 37/38, 1996, pp. 132-142.
6. Voir p. 169 du présent ouvrage le débat sur la notion de situation inédite.

126
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence »

permet, dans un domaine plus ou moins étendu, « une famille


de situations », selon l’expression de Philippe Perrenoud, et de
faire face à des situations nouvelles.

■■ La question du transfert des savoirs


au cœur de la pédagogie
Ce type d’enseignement vise donc à répondre à une difficulté
bien connue par tous les enseignants : la question du transfert
des savoirs. Certains élèves échouent en effet systématiquement
dès que l’on quitte des exercices de pure application et s’avè-
rent incapables de transférer les connaissances acquises dans un
autre contexte, au sein d’une même discipline et a fortiori dans
une autre matière ou hors de l’école.
De ce point de vue, l’exemple de l’orthographe est carica-
tural. Beaucoup d’élèves sont capables de réussir tous les exer-
cices d’application de type Bled7 mais continuent néanmoins,
lorsqu’ils rédigent spontanément un texte, à confondre « à »
avec accent » et « a » sans accent ou encore « é » et « er ».
Un simple examen des cahiers montre aussi que la qualité de
l’orthographe se détériore dès qu’il s’agit d’une autre discipline
que le français et encore bien davantage dans tous les écrits non
scolaires.
Évidemment, les enseignants n’ont pas attendu l’injonction
de l’enseignement des compétences pour se préoccuper du
problème du transfert des connaissances. Mais, très souvent,
la réponse apportée consiste à revenir au savoir lui-même : on
révise la règle d’orthographe, on refait des exercices d’applica-
tion, on reprend les « bases ». Et si l’on n’observe pas de progrès,
il ne faut pas s’en étonner puisque ce n’est pas la connaissance

7. Célèbre ouvrage d’orthographe qui a régné sur l’enseignement de l’orthographe


jusqu’à une période très récente. Il présentait des gammes d’exercices systémati­
ques sur des difficultés ciblées dans des groupes de mots ou des phrases.

127
L’approche par compétences

qui fait défaut mais sa mobilisation à l’impromptu dans un


contexte nouveau dont la complexité exige que d’autres savoirs
soient également activés.
Ce qui change avec l’enseignement par compétences, c’est que
l’on ne se préoccupe plus seulement de l’acquisition des connais-
sances mais de leur mobilisation dans des contextes différents.
Explicitement, la mission de l’enseignant n’est pas seulement
d’assurer la transmission des connaissances mais de se préoc-
cuper de la mise en œuvre effective.
Ainsi en orthographe, il s’agit bien sûr de continuer à étudier
les règles, à faire des exercices d’application et même des dictées
si on l’estime nécessaire, mais l’enseignement de l’orthographe
ne s’arrête pas là, il intègre officiellement l’application effective
des règles d’orthographe dans tous les cahiers et productions
écrites de toutes disciplines. Du même coup, les compétences
orthographiques ne relèvent plus du seul champ disciplinaire
du français, et leur validation peut être effectuée dans n’importe
quelle discipline.
Bien sûr, l’exemple de la maîtrise de la langue est particulière-
ment convaincant parce qu’il s’agit de compétences réellement
transversales. D’autres compétences ont un champ d’applica-
tion plus circonscrit et fortement associé à une discipline, mais
l’idée que la mission de l’enseignant ne s’arrête pas à la trans-
mission des savoirs, qu’il doit se préoccuper continuellement
de la mobilisation pertinente des savoirs dans des contextes
complexes est l’un des points clés.
Utiliser l’action comme levier pédagogique n’est pas une
nouveauté, et tous les pédagogues des méthodes actives en
témoignent. L’activité de l’élève est depuis longtemps au cœur
des méthodes efficaces d’apprentissage mais, jusqu’ici, l’accent
était surtout mis sur la nécessité de faire agir les élèves en phase
d’apprentissage. Dans l’approche par compétences, l’action est

128
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence »

aussi au cœur du processus d’évaluation : c’est la réussite d’une


tâche complexe qui permettra de valider la compétence.
Corrélats :
Méthodes actives, Situation problème

■■ De l’utile à l’utilitarisme
Néanmoins, il ne faut pas réduire la notion de mise en œuvre
active liée à l’enseignement par compétences à une mise en pra-
tique utilitaire, c’est-à-dire soumettre l’enseignement au prin-
cipe d’utilité directe dans la vie sociale ou professionnelle.
Vincent Carette et Bernard Rey8 attirent l’attention sur ce
danger. Le risque d’instrumentaliser les savoirs existe si l’on se
méprend sur ce que signifie finaliser les savoirs. En effet, l’un
des moyens de mobiliser les élèves sur les savoirs est de leur
montrer à quoi ils leur seront utiles dans la vie. À l’école pri-
maire, et aussi parfois au-delà, on recherche des situations pro-
blèmes proches de la vie quotidienne pour motiver les élèves.
Cela présente un intérêt pédagogique mais, si l’on devait se
limiter à cela – et ce n’est pas le cas, même à l’école primaire –,
les risques seraient considérables.
D’abord parce que cela conduit forcément à appauvrir le
savoir, « on risque de l’amputer de sa partie la plus significa-
tive », expliquent B. Rey et V. Carette. Ils illustrent le propos
avec l’exemple des savoirs scientifiques. « On risque dans la
présentation du savoir de mettre l’accent sur les résultats utili-
sables et de laisser de côté les preuves rationnelles et empiriques
qui les valident […]. Or cette démarche de preuves, ces expli-
cations et justifications sont, au sein du savoir, ce qui rend le
monde intelligible et ce qui conduit l’élève à élargir l’expérience

8. Vincent Carette, Bernard Rey, Enseigner dans le secondaire, De Boeck, 2010,


pp. 98-99.

129
L’approche par compétences

individuelle qu’il a du monde naturel et du monde humain. »


La confusion porte sur la notion d’utilité, tout savoir est utile à
la formation de l’esprit, ne serait-ce que parce qu’il peut servir
à en rendre possible d’autres.
Par ailleurs, qui peut prétendre décider ce qui sera utile ou
non à ces jeunes dont l’école a la responsabilité ? On risque
« d’enfermer les apprentissages des élèves dans des activités
désignées arbitrairement comme utiles ».
La finalisation du savoir dans des tâches complexes s’entend
donc au sens large, elle peut s’effectuer dans des actions très
concrètes mais ne s’y réduit pas. Philippe Perrenoud rappelle
aussi qu’« on va à l’école pour en sortir et qu’on acquiert des
connaissances pour s’en servir9 ».

Favoriser la gestion
des rythmes différents des élèves
Une autre difficulté de l’enseignement déjà évoquée consiste
à prendre en compte les rythmes différents des élèves. Tant que
l’enseignement était officiellement élitiste, c’est-à-dire que des
parcours différents s’organisaient dès le CM2, le problème des
rythmes différents des élèves était ignoré par l’institution. Des
paliers successifs, des goulets d’étranglement en fin de CM2,
en fin de 5e, voire en fin de 4e, excluaient des études générales
les élèves qui ne « suivaient » pas, selon la métaphore impi-
toyable encore couramment employée. Une autre réponse était
le redoublement. La question des écarts entre les rythmes dif-
férents des élèves s’est posée de façon explosive avec la mise

9. Philippe Perrenoud, « Travailler par compétences », Cahiers pédagogiques,


novembre 2009, p. 16.

130
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence »

en place d’un tronc commun, en 6e d’abord10, puis jusqu’en


fin de 3e. L’allongement des études fait de l’hétérogénéité des
élèves ou des étudiants une difficulté majeure à laquelle les
enseignants doivent répondre.
Si l’on raisonne en termes de programmes et de contenus, de
« bases » ou de pré-requis, si chaque professeur ne regarde que
sa discipline, son programme, les savoirs visés sans voir au-delà
des contours du niveau concerné, les écarts entre des élèves qui
ont compris du premier coup et d’autres en échec massif posent
aux enseignants des problèmes pédagogiques aigus.
Si l’on raisonne en termes de compétences, le regard s’élargit.
Les limites ne sont plus tel ou tel contenu de programme jugé
inaccessible ou non acquis, on s’intéresse plus globalement aux
compétences à l’œuvre selon un continuum qui laisse place à
des rythmes différents et ne coïncide pas avec un découpage
annuel ou purement disciplinaire. La validation institutionnelle
du socle de compétences ne prévoit que trois échéances à la fin
des cycles 2, 3 et 4 (CE2, 6e et 3e).

Respecter les cheminements individuels


La compétence n’est visible qu’à travers des performances.
La compétence est invisible, « il n’y a de compétence qu’en
acte », souligne Le Boterf. Ce sont les réussites des élèves dans
des situations variées qui permettent d’attester de la maîtrise
d’une compétence. Du même coup, peu importent les parcours
effectués du moment que cette réussite est constatée, ce qui a

10. L’entrée de tous les élèves en 6e date de 1975 et est connue sous le nom de
« réforme Haby » du nom du ministre de l’époque.

131
L’approche par compétences

l’avantage de respecter les procédures individuelles et les diffé-


rentes démarches mises en œuvre par chacun.
L’un des risques d’un enseignement trop centré sur les
méthodes est en effet d’imposer aux élèves des procédures qui
vont à l’encontre de celles déjà opérationnelles ou automatisées.
La méthode qui paraît infaillible au professeur est rarement celle
qui permettra à tous de réussir. Une planification excessive, une
décomposition minutieuse ou artificielle des opérations peut
imposer aux élèves des cheminements qui les encombrent.

Une place pour les savoirs de l’école


et hors de l’école
La proportion des savoirs enseignés à l’école ne cesse de
diminuer par rapport à tout ce qui vient hors de l’école.
Comment gérer et favoriser l’intégration de ces apports exté-
rieurs ? Comment valoriser la singularité des ressources de
chacun ? Loin d’induire « l’idée que les connaissances sont
secondaires, voire ne sont pas nécessaires », comme l’affirme
Marcel Crahay11, l’approche par compétences qui prévoit des
situations complexes face auxquelles l’élève devra mobiliser des
ressources variées permet de mettre en synergie les apports
scolaires attendus et des apports personnels singuliers propres
à chaque individu.
L’enseignement par compétences permet donc de mieux
prendre en compte et respecter la singularité de chacun.

11. Marcel Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de


compétence en éducation », op. cit., pp. 97-110.

132
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence »

Préserver le sens des apprentissages


La définition même de la notion de compétence inclut la
finalisation des savoirs acquis dans la réalisation de tâches
complexes. Cette dimension est l’une des réponses à la préoccu-
pation des enseignants de préserver le sens des apprentissages
pour certains élèves qui vivent leur scolarité comme une suc-
cession de tâches sans liens, selon un découpage étanche d’une
discipline à l’autre. Les mêmes compétences se travaillent dans
plusieurs disciplines, la validation des compétences relève, sauf
exception, de plusieurs professeurs enseignant des matières
différentes, tout cela contribue à rendre visibles des liens qui
restaient jusqu’à présent généralement implicites.

Développer l’adaptabilité
L’apprentissage et l’évaluation des compétences impliquent
que les élèves soient régulièrement confrontés à des situations
complexes et nouvelles. Dans un monde qui change de plus en
plus vite, où les savoirs scientifiques ne cessent d’évoluer selon
un rythme de plus en plus rapide, il faut être prêt à d’impré-
visibles changements et, selon la formule de Michel Serres12,
nous vivons dans un monde en mutation « incomparable » où
il faut « inventer d’inimaginables nouveautés ». L’école doit
mieux préparer à le faire.
Habituer les élèves à gérer la complexité de situations iné-
dites contribue à développer adaptabilité et réactivité, voilà
pour le positif. Néanmoins, le risque est réel – comme le

12. Michel Serres, intervention à l’Institut de France, 1er mars 2011, cité par le Café
pédagogique : www.cafepedagogique.net.

133
L’approche par compétences

souligne Marcel Crahay – de favoriser un nouvel élitisme. Il


dénonce l’interprétation abusive de la notion de complexité iné-
dite. Si celle-ci est érigée en norme et conduit à « exclure toute
activité de restitution (savoir redire, même quelque chose de
difficile ) ou d’exécution (savoir refaire, même quelque chose
de difficile ) », on risque un excès d’ambition, une inflation du
niveau d’exigences. Selon cette logique extrémiste, « un chirur-
gien, qui réussit pour la quarantième fois une transplantation
cardiaque ne fait pas preuve de compétence », or l’exemple est
biaisé puisque le contexte inédit est justement celui de chaque
patient, unique et singulier, et que la compétence réside bien
dans ce « savoir-mobiliser » à bon escient Il faut donc veiller à
une évaluation raisonnable et raisonnée des compétences.
Corrélat :
Évaluation des compétences

Abolir des frontières


Travailler par compétences permet de travailler sur les inva-
riants repérables au-delà du cloisonnement de chaque disci-
pline. Il ne s’agit pas de renoncer aux disciplines, comme les
détracteurs le laissent entendre, mais de rechercher des points
de convergence, ce qui est une démarche intellectuelle légi-
time. Tout enseignant a eu maintes fois l’occasion de vérifier
la difficulté des élèves à mobiliser dans une matière ce qu’ils
ont appris dans une autre, et tout enseignant qui a travaillé
sur des projets transdisciplinaires sait que réfléchir à une autre
discipline éclaire d’un jour nouveau certaines difficultés des
élèves. Associer plusieurs disciplines à la validation d’une même
compétence est en ce sens un progrès : cela permet à chaque
enseignant d’avoir une lisibilité sur ce que sait faire un élève

134
2. « L’irrésistible ascension de la notion de compétence »

au-delà de sa discipline autrement que par des notes ou des


moyennes qui restent opaques. Cela devrait à court ou moyen
terme éclairer bien plus efficacement les prises de décision qui
engagent l’avenir des élèves.
Au-delà des disciplines, les référentiels de compétences four-
nissent des données compréhensibles au-delà des frontières géo-
graphiques, très utiles dans un monde où l’économie contraint
à une mobilité croissante. Les détracteurs y voient une soumis-
sion de l’école aux exigences du libéralisme, mais que dire d’une
école qui ne tient pas compte de l’évolution de la société ?

L’approche par compétences


et la liberté pédagogique
L’expression « pédagogie par compétences » peut laisser
penser qu’il s’agit d’entrer dans une méthodologie spécifique,
de s’inscrire dans un système pédagogique qui a ses protocoles
et ses outils spécifiques : il n’en est rien. Philippe Perrenoud13,
qui souligne le flou d’expressions comme « travailler par compé-
tences » ou « approche par compétences », propose : « Pourquoi
ne pas dire tout simplement “travailler à développer des compé-
tences” car c’est bien de cela qu’il s’agit. »
Reformulé ainsi, on comprend mieux que chaque enseignant
est libre d’utiliser les moyens qui lui paraissent pertinents
pour développer des compétences. Mais on remarquera aussi
que la définition même de la compétence rejoint nombre de
points forts des théories d’apprentissage socioconstructivistes.
L’activité de l’élève est centrale pour assurer les apprentissages,

13. Philippe Perrenoud, « Du concept aux programmes, incohérence et précipi­


tation », Cahiers pédagogiques, n° 476, 2009, p. 16.

135
L’approche par compétences

les situations complexes nécessaires au développement des


compétences ressemblent beaucoup aux situations problèmes.
Quant à la finalisation des tâches, elle est, depuis Freinet, un
ressort pédagogique important pour mobiliser les élèves. C’est
aussi un moyen d’installer un rapport au savoir porteur de
sens. L’approche par compétences s’oppose clairement à toute
démarche purement transmissive et s’inscrit dans la logique
des acquis de la pédagogie. Ainsi, Philippe Meirieu14 a-t-il pu
déclarer avec humour : « Si la compétence n’existait pas, il fau-
drait l’inventer ! »

14. Philippe Meirieu, article « Si la compétence n’existait pas, il faudrait l’inventer »,


consultable sur le site www.meirieu.com.

136
5
Évaluer
pour faire progresser

L’
évaluation est l’un des points très sensibles du travail de
l’enseignant. Ce n’est pourtant que l’un des aspects du
métier mais c’est aussi le plus visible et souvent le seul
qui retiendra l’attention. Assumée quasiment librement par l’en-
seignant, l’évaluation focalise l’attention des élèves, des familles
et de l’ensemble de l’équipe éducative, en particulier du chef
d’établissement.
Les enjeux sont énormes. Le cursus scolaire des jeunes se joue
à partir de l’évaluation qui s’avère un redoutable instrument de
discrimination et de sélection sociale. Sur le plan individuel,
l’évaluation est source de bien des souffrances et malentendus.
On ne souligne sans doute pas assez les liens entre évaluation et
démobilisation – voire décrochage – scolaire. On occulte aussi la
façon dont l’évaluation à l’école génère de la violence.

137
1. L’évaluation : des
avancées indéniables

J usque dans les années 1970, et ce malgré des


précurseurs dont la voix reste sans écho véritable,
l’école n’évalue pas mais se contente de noter : à partir
de ces éléments chiffrés, on classe et on sélectionne,
on oriente les élèves dès le CM2 selon des parcours
différents, filières à court, moyen ou long terme.

De la notation à l’évaluation
Dans les années 1970, des travaux de recherche décisifs
ébranlent les pratiques pédagogiques centrées exclusivement
sur la notation et sur le classement des élèves. Le concept d’éva-
luation s’affirme et avec lui apparaît un nouveau regard : éva-
luer, c’est, comme le souligne André de Peretti, « faire sortir des
valeurs1 ». L’enjeu est double : valoriser l’élève et agir au nom
de valeurs humanistes pour assurer en chaque individu « le
développement du maximum de possibles2 ». C’est aussi passer
d’une culture du classement des personnes (l’élite et les cancres)
à celle de l’appréciation, non de la personne, mais de ses résul-
tats. « L’évaluation n’est ni du jugement de valeur, ni de l’éti-
quetage, ni de la catégorisation réactive, émotive, l’évaluation
est une réflexion juste sur la valeur de l’activité de l’élève et non
pas sur la valeur de l’élève », souligne Anne Jorro.

1. André de Peretti, Encyclopédie de l’évaluation, ESF éditeur, 1998, p. 474.


2. Kant, cité par André de Peretti, ibid.

139
Évaluer pour faire progresser

Mais, dans les classes, trop souvent, seul le vocabulaire a


changé : on a remplacé le mot « noter » par le mot « évaluer »
sans pour autant modifier les pratiques. La marge de progres-
sion est donc immense pour qui veut vraiment une école qui fait
réussir les élèves.

L’évaluation : définition
Évaluer, c’est attribuer une valeur à quelque chose en vue de
prendre une décision.
Jean-Marie de Ketele en propose la définition suivante :
« L’évaluation est le processus qui consiste à recueillir un ensemble
d’informations pertinentes, valides et fiables, puis à examiner
le degré d’adéquation entre cet ensemble d’informations et un
ensemble de critères choisis adéquatement en vue de fonder
la prise de décision. »
Cette définition sert souvent de référence parce que, d’une part,
elle décrit le processus et pointe les différentes étapes :
− prise d’informations ;
− interprétation des résultats en fonction d’un référentiel ;
− décision.
D’autre part, elle souligne des aspects qui restent souvent implicites,
voire inconscients :
− pertinence ;
− fiabilité ;
− validité des informations et critères.
La nature de la décision à prendre définit le type d’évaluation et
le moment où on l’effectue, on parle alors d’évaluation sommative,
certificative, formative, diagnostique (voir index).
Les modalités de l’évaluation sont diverses et certaines
peuvent se combiner entre elles, on peut pratiquer l’évaluation
critiériée, l’auto-évaluation, la co-évaluation, l’évaluation
par compétences… (voir index).

140
1. L’évaluation : des avancées indéniables

L’évaluation formative :
une pratique incontournable
Le concept d’évaluation formative apparaît dans les années
19703. Il est d’abord lié à des protocoles rigides issus des tra-
vaux de Bloom, puis prend très vite de la maturité. Grâce aux
travaux des chercheurs et à des praticiens qui l’expérimentent,
le concept s’élargit et s’émancipe de dispositifs et d’outils trop
lourds. C’est aujourd’hui un moyen indiscutable de faire pro-
gresser les élèves.

■■ L’évaluation formative, c’est avant tout


une démarche
De nos jours, l’expression « évaluation formative » désigne
toute démarche d’évaluation qui vise à aider l’élève à apprendre
et à progresser. Elle s’effectue en cours d’apprentissage et sup-
pose des phases de réajustement et de régulation en réponse
aux difficultés constatées. Étymologiquement, elle croise deux
notions : elle sert à « informer » l’élève – autant que l’ensei-
gnant – sur le degré de maîtrise des objectifs fixés mais vise
aussi à former et à éduquer. De ce point de vue, elle se diffé-
rencie clairement des évaluations sommatives ou certificatives
qui, elles, sont destinées à faire le point en fin de parcours, à
valider des acquis, à classer, à sélectionner.

■■Des formes variées


L’évaluation formative peut prendre des formes très variées.
On pense souvent à tort qu’elle se déroule selon un schéma
rigide : un test en cours d’apprentissage à partir de grilles de

3. Le néologisme est attribué à M. Scriven en 1967 : « The methodology of


evaluation », puis repris par Bloom qui l’utilise dans le champ scolaire : B.S. Bloom,
J.T. Hastings et G.F. Madaus « Handbook on Formative and Summative Evaluation
of Student Learning », McGraw Hill, 1971.

141
Évaluer pour faire progresser

critères suivi d’une phase de remédiation pour les élèves qui


n’ont pas montré une maîtrise suffisante. Ce scénario n’est qu’un
exemple parmi d’autres, les grilles de critères ne sont qu’un des
outils possibles. L’évaluation formative se définit avant tout par
son intention, au service du développement personnel optimal
de chacun, quels que soient ses acquis, son profil, sa singularité.
Philippe Perrenoud remarque ainsi : « Mieux vaudrait parler
d’observation formative davantage que d’évaluation, tant ce
dernier mot est associé à la mesure, aux classements, aux car-
nets scolaires, à l’idée d’informations codifiables, transmissibles,
comptabilisant les acquis et les lacunes. »

Les principes de l’évaluation formative

Prendre des informations en cours d’apprentissage


L’enseignant prend des informations en cours d’apprentissage
sur la façon dont les élèves progressent : collectivement et
individuellement, ponctuellement sous forme de tests ou bien
en continu. Aucun type d’information n’est à rejeter a priori :
on peut s’intéresser aux processus autant qu’aux procédures
ou aux méthodes à l’œuvre, mais aussi aux attitudes des élèves
face au travail et au sein du groupe.

Agir pour répondre aux difficultés identifiées


Parallèlement, l’enseignant agit pour permettre aux élèves de
dépasser les difficultés identifiées. L’idée qu’il s’agit forcément
d’une rétroaction reste encore la représentation dominante. Dès
1979, Linda Allal4 proposait pourtant trois types d’actions possibles :
− des régulations rétroactives qui surviennent au terme d’une
séquence d’apprentissage plus ou moins longue et assurent
un retour sur les nœuds de difficultés identifiés, les points
restés obscurs : c’est le principe de remédiation ;

4. « Stratégies d’évaluation formative : conceptions psycho-pédagogiques et mo-


dalités d’application », in Perrenoud, L’évaluation formative dans un enseignement
différencié, Lang, 1979.

142
1. L’évaluation : des avancées indéniables

− des régulations interactives sont aussi effectuées en continu, tout


au long du processus d’apprentissage, grâce aux échanges les
plus nombreux possibles avec les autres élèves et/ou le maître.
Le réajustement est alors possible immédiatement. L’un des
moyens très efficaces pour assurer ce type de régulation est
le travail en groupes hétérogènes ;
− des régulations proactives visent la consolidation ou l’approfon-
dissement différencié en fonction des itinéraires des élèves au
cours de la séquence, elles sont orientées vers le transfert des
acquis à d’autres situations, d’autres contextes.
Mais on peut aussi mettre en place une régulation anticipatrice qui
vise la prévention des difficultés au moment où l’élève doit s’engager
dans une activité nouvelle.
Référence :
Linda Allal, Jean Cardinet, « Stratégies d’évaluation formative : conceptions
psycho-pédagogiques et modalités d’application », in Perrenoud,
L’évaluation formative dans un enseignement différencié, Lang, 1979

■■ « Faire flèche de tout bois »


L’évaluation formative s’appuie sur une collecte d’informa-
tions qui est loin de se limiter à celles qui sont issues de tests
divers. L’important est de prendre des repères pour ajuster
l’aide aux élèves. Tous les types de travaux peuvent servir à
identifier des erreurs ou maladresses récurrentes, des entre-
tiens avec les élèves ou encore des remarques entendues ou des
questions posées en classe sont aussi utiles. Il s’agit, selon l’ex-
pression de Philippe Perrenoud, de « faire flèche de tout bois ».

■■ Agir sur les difficultés identifiées


L’évaluation formative ne se limite en aucun cas au constat
de difficultés, elle inclut des réponses adaptées pour les réduire.
Le plus souvent, il s’agit d’agir après coup, selon le principe
de remédiation. Un réajustement est alors proposé. Il est rare

143
Évaluer pour faire progresser

qu’une simple reprise à l’identique suffise, il est important de


proposer d’autres activités, d’autres moyens pour dépasser ce
qui fait obstacle.
Mais d’autres formes d’aide sont possibles. Ainsi, par exemple,
au lieu de faire partir toute la classe en même temps et d’orga-
niser ensuite du rattrapage pour ceux qui sont à la traîne, il
s’agit de faire prendre de l’avance aux élèves potentiellement
en danger d’échec, d’anticiper avec eux les apprentissages nou-
veaux puis d’assurer un départ ultérieur des plus rapides. Le
gain est immense puisque, comme le souligne l’adage, « mieux
vaut prévenir que guérir ». Ce type de régulation n’est, en
France, quasiment pas exploité. C’est pourtant un moyen effi-
cace de prévenir l’échec scolaire.
Enfin, l’évaluation en cours d’apprentissage permet au profes-
seur de vérifier l’efficacité des dispositifs qu’il a mis en place. Un
échec massif ne peut renvoyer aux seuls élèves ou au dispositif
d’évaluation qui serait trop exigeante. Cela interroge nécessai-
rement le travail de l’enseignant et lui permet d’effectuer les
réajustements nécessaires.

L’évaluation sommative : des malentendus


On oppose couramment évaluation sommative et évaluation
formative, ce qui peut laisser penser que l’évaluation sommative
n’est pas une bonne pratique ou que l’une exclut l’autre. Il s’agit
d’un malentendu. L’évaluation sommative a du sens chaque fois
qu’il s’agit de faire un bilan. Des temps de bilan sont utiles et
nécessaires, mais ils doivent être clairement identifiés et sur-
tout distincts des temps d’apprentissage qui, eux, s’articulent
avec l’évaluation formative.

144
1. L’évaluation : des avancées indéniables

L’un des écueils majeurs de l’évaluation tient au fait que l’éva-


luation sommative reste envahissante : on a tendance à l’uti-
liser trop tôt, trop vite, trop souvent et, comme le souligne
Jean-Pierre Astolfi : « Les fonctions d’entraîneur et d’arbitre
sont trop souvent confondues. C’est toujours celle d’entraîneur
dont le poids est minoré. On peut se demander quand les élèves
peuvent véritablement apprendre5. »

Évaluation sommative
et évaluation certificative
Est sommative toute évaluation qui vise à faire le point sur les
acquis, à dresser un bilan. Elle intervient donc forcément à l’issue
d’une séquence d’apprentissage.
Les formes privilégiées de l’évaluation sommative sont les tests en
tous genres. Le jargon scolaire a opéré une réduction qui en dit long
sur la perception de cette évaluation : ce sont les « contrôles ».
Lorsque le bilan est destiné à délivrer un diplôme ou une qualifica-
tion, cette évaluation est dite « certificative » : les examens en sont
l’exemple le plus courant.
Cette fonction certificative induit des gestes de référenciation
spécifiques (voir page 152 ce concept proposé par Anne Jorro).
Autrement dit, l’enseignant qui corrige un examen ne négocie pas
de la même façon ses exigences par rapport au référentiel que
lorsqu’il effectue une évaluation sommative dans sa propre classe.
Mais, en France, la spécificité de l’évaluation certificative
n’est pas encore véritablement intégrée dans la culture
évaluative partagée.

5. Jean-Pierre Astolfi, L’école pour apprendre, ESF éditeur, 1992, p. 64.

145
Évaluer pour faire progresser

L’évaluation diagnostique :
une prise de repères très utile
Lorsqu’un enseignant prend en charge de nouveaux élèves,
un temps d’observation est indispensable.
Toutes les activités destinées à faire le point sur les acquis et à
repérer les fragilités dans le but de mieux adapter les séquences
d’apprentissage relèvent de l’évaluation diagnostique. C’est un
moyen de rendre plus efficace le travail proposé dès le début de
l’année. C’est prendre du temps pour en gagner.
Les formes de l’évaluation diagnostique peuvent être très
variées, l’essentiel étant de ne pas détourner ces bilans de leur
fonction : repérer pour agir. Toute notation devrait donc évi-
demment être exclue ! Des systèmes de cotation alternatifs
permettent d’évaluer sans noter. Les cahiers d’évaluation natio-
naux proposés en CE2 et en 6e de 1989 à 2009 relèvent de ce
type d’évaluation, mais chaque enseignant peut imaginer bien
d’autres modalités.
L’évaluation par compétences, qui se développe en France,
devrait faciliter cette phase d’évaluation diagnostique.

Évaluation diagnostique
Évaluation intervenant au début, voire au cours d’un apprentissage
ou d’une séquence de formation, qui permet de repérer et d’identifier
les difficultés rencontrées par l’élève ou l’étudiant afin d’y apporter
des réponses pédagogiques adaptées.
Il s’agit d’une des modalités d’une démarche d’évaluation
formative, destinée à mieux ajuster les activités des élèves
aux besoins.

146
1. L’évaluation : des avancées indéniables

L’évaluation des compétences :


un levier de changement
L’évaluation des compétences n’est pas si neuve qu’on le
pense souvent.
Mai 1968 : le système d’évaluation vacille et la circulaire du
6 janvier 19696 remet en cause ses fondements : « En vérité,
ce qui importe, ce sont les progrès de l’élève par rapport à lui-même
(…). Les trois notions essentielles de notre système d’appréciation des
résultats, notions de composition7, de note, de classement doivent faire
l’objet d’une triple révision (…) la notation chiffrée de 0 à 20 peut être
abandonnée sans regret. Une échelle convenue d’appréciation, libérée
d’une minutie excessive serait moins prétentieuse (…). »
Dans les années 1990, l’évaluation par compétences se met
en place en France, au niveau CE2 et 6e8, ce sont « les cahiers
d’évaluation », puis avec les enquêtes internationales (PISA,
PIRLS). Elle fait progressivement son apparition dans les pro-
grammes de collège (1995) et de lycée (2000) jusqu’à sa géné-
ralisation en 2006 en même temps que la première version du
socle commun de connaissances et compétences.
Sur la forme comme sur le fond, des obstacles suscitent alors
un certain nombre d’incompréhensions. La terminologie com-
plexe du socle (compétences, capacités, attitudes, domaines,
items…) bouscule la trilogie « savoir, savoir-faire, savoir-être »

6. Citée par Lydie Heurdier et Antoine Prost, Les politiques de l’éducation en France,
La Documentation française, 2014, p. 239-240.
7. Jusqu’en 1969, les résultats des élèves étaient évalués par une composition unique
(un contrôle) par mois à l’école primaire, une par trimestre dans le secondaire. Les
élèves étaient classés non seulement sur leur moyenne générale mais, dans chaque
matière, sur la base de ce seul résultat. Les autres notes n’étaient que rarement
prises en compte.
8. Les premiers cahiers d’évaluation sont mis en place à la rentrée 1989. Leur visée
est diagnostique.

147
Évaluer pour faire progresser

bien ancrée dans l’habitus enseignant. En outre, des faiblesses


évidentes dans la rédaction du socle commun, des contradic-
tions inexplicables entre le socle et les programmes de 2008
– qui ne sont pas formulés en termes de compétences dans cer-
taines disciplines – ainsi que la lourdeur des documents pro-
posés ont considérablement compliqué la tâche des enseignants.
Ces difficultés ont pu occulter pour certains l’avancée pour-
tant bien réelle que constituait cette réforme en matière d’éva-
luation. Entre 2012 et 2015, des assouplissements ont été
effectués en urgence, mais surtout la réécriture en 2015 du socle
commun et des programmes a réduit nombre de contradictions.
Après quelques années de mise en œuvre dans les établis-
sements scolaires, les situations sont contrastées. Si certains
enseignants restent à l’écart de cette innovation, elle constitue
pour nombre d’équipes un levier de changement souvent spec-
taculaire. En témoignent, par exemple, les expériences de
classes sans notes qui se multiplient, les projets audacieux et
novateurs que cela suscite. Il s’avère aussi que nombre de pro-
jets pédagogiques s’en trouvent beaucoup plus lisibles, mieux
insérés dans les progressions et les programmes, les équipes
étant mieux outillées pour évaluer les acquis qui restaient aupa-
ravant souvent flous et purement intuitifs.

■■ Une évolution majeure


Pour comprendre les difficultés de mise en place, mais aussi
le potentiel, il faut mesurer que l’évaluation des compétences
constitue une évolution majeure.
En effet, officiellement, institutionnellement, l’évalua-
tion est affranchie de la note chiffrée et de la notion de
moyenne – qui écrase la singularité des profils individuels –
pour nommer explicitement points forts et points faibles de
chaque élève dans un langage partagé. Pour la première fois,

148
1. L’évaluation : des avancées indéniables

avec la validation du socle en fin de 3e, ce type d’évaluation non


chiffrée et un référentiel commun peuvent éclairer les décisions
concernant l’avenir des élèves.
L’harmonisation est également en marche, puisque l’évalua-
tion des compétences est co-assumée par plusieurs enseignants,
dans plusieurs disciplines.
Enfin, la question du transfert des acquis, c’est-à-dire la
mobilisation effective, dans l’action, de ce que l’on sait, est au
cœur de ce type d’évaluation.
L’évalua­tion des compétences implique en effet obligatoire-
ment une contextualisation : il s’agit de vérifier que l’élève est
capable de mobiliser ce qu’il sait (savoirs de tous ordres, procé-
dures…) à bon escient, dans des situations variées présentant
un minimum de complexité.
Une évaluation bien pensée s’est toujours préoccupée d’une
mise en œuvre en action. Ainsi, lorsque Célestin Freinet, au
début du xxe siècle, faisait fabriquer un journal à ses élèves, il
« contextualisait » les acquis en langue française, il aurait pu
alors, même si l’anachronisme est risqué, par simple observa-
tion, valider les compétences du domaine 1 du socle commun à
partir de la production de ses élèves ! Mais l’on sait aussi que
ce type de pratique pédagogique qui met toujours les savoirs en
action, en apprentissage comme en évaluation, est loin d’être
généralisé.
Si depuis longtemps on insiste sur l’intérêt de proposer des
situations d’apprentissage complexes (par exemple des situa-
tions problèmes), avec l’évaluation des compétences, l’accent est
maintenant mis sur l’intérêt d’imaginer des situations d’évalua-
tion complexes elles aussi et qui n’ont rien à voir avec la simple
restitution de connaissances.

149
Évaluer pour faire progresser

L’un des risques souligne Marcel Crahay9 serait alors de


confondre apprentissage et évaluation puisque les formes pour-
raient être les mêmes (ou tout au moins se ressembler). Il craint
que cela ne renforce la tendance à évaluer en permanence. Ce
serait redoutable, en effet, puisque c’est justement l’un des pro-
blèmes de l’enseignement. Il faut, selon l’expression de Philippe
Meirieu, « prendre le temps d’apprendre » et bien distinguer le
temps de l’apprentissage et celui de l’évaluation.

Évaluation et validation des compétences


du socle commun en France
La validation des compétences est un acte institutionnel officiel
et collectif placé sous la responsabilité de l’équipe pédagogique.
Depuis la rentrée 2016, les modalités sont les suivantes.
La maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences
et de culture s’appuie sur l’appréciation du niveau atteint dans
chacune des quatre composantes du domaine 1 (Les langages pour
penser et communiquer) et dans chacun des domaines 2,3, 4 et 5,
soit au total les 8 composantes suivantes :
− Comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral
et à l’écrit
− Comprendre, s’exprimer en utilisant une langue étrangère et,
le cas échéant, une langue régionale
− Comprendre, s’exprimer en utilisant les langages mathématiques,
scientifiques et informatiques
− Comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts
et du corps
− Les méthodes et outils pour apprendre
− La formation de la personne et du citoyen
− Les systèmes naturels et les systèmes techniques
− Les représentations du monde et l’activité humaine

9. Marcel Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de


compétence en éducation », op. cit., pp. 97-110.

150
1. L’évaluation : des avancées indéniables

Il existe un principe de non-compensation entre ces 8 composantes :


l’acquisition et la maîtrise de chacune ne peut être compensée par
celle d’une autre :
− Il y a trois paliers de validation à la fin des cycles 2, 3 et 4
(CE2, 6e et 3e)
− Un livret de compétences individuel suit l’élève pendant toute
la scolarité obligatoire. Avec la nouvelle version du socle, le livret
repensé devient un outil de suivi et non plus seulement de
certification en fin de cycle.
− Au quotidien, dans la classe, l’évaluation des compétences relève
de la pratique pédagogique de chaque enseignant qui est libre
de construire les outils et situations qu’il juge adéquats.
Il peut utiliser les codages de son choix pour indiquer
« le positionnement de chaque élève » qui peut être précisé
par « une note ou toute forme de restitution sous forme
alphanumérique » ou « sur une échelle à 4 niveaux, objectifs
d’apprentissage : non atteints, partiellement atteints, atteints,
dépassés. »
− Les bilans de fin de cycle prévoient 4 niveaux de réussite :
maîtrise insuffisante, maîtrise fragile, maîtrise satisfaisante,
très bonne maîtrise.
− L’évaluation d’une même compétence, d’un même domaine,
est effectuée par plusieurs enseignants de disciplines différentes,
sauf pour de rares exceptions.
− L’évaluation peut se faire par observation directe ou grâce
à des situations préparées exprès par les enseignants.

151
2. Bien évaluer,
c’est aussi une
question de posture

L e rôle d’évaluateur est souvent d’autant plus difficile


à assumer que le positionnement reste très flou pour
l’évaluateur lui-même et, a fortiori, pour les évalués.
De nombreux travaux se sont intéressés aux finalités,
procédures et outils de l’évaluation mais l’efficacité
de l’évaluation tient aussi à la posture de l’évaluateur
lui-même et l’apport spécifique d’Anne Jorro est,
sur ce dernier point, particulièrement éclairant.

Des gestes professionnels ajustés


pour bien évaluer
Anne Jorro s’est attachée à clarifier les postures de l’évalua-
teur dans les activités de formation. Ses travaux fournissent des
repères utiles aux enseignants et visent notamment à apaiser
réticences et doutes des acteurs eux-mêmes.
Parmi les cinq gestes professionnels de l’évaluateur identifiés,
les trois premiers visent à permettre à l’évaluateur d’y voir clair
lui-même, de stabiliser sa posture à partir de repères, à sortir
d’un flou préjudiciable, voire d’une improvisation dommageable.
Premièrement, il s’agit de cerner l’objet à évaluer (geste de défi-
nition de l’objet), deuxièmement de négocier par rapport à un
référentiel partagé (geste de référentialisation), troisièmement

152
2. Bien évaluer, c’est aussi une question de posture

Les gestes professionnels de l’évaluateur


Anne Jorro définit cinq gestes professionnels spécifiques de
l’évaluateur.

1. Geste de définition de l’objet


Le point de départ de l’acte évaluatif réside dans la spécification
la plus précise possible de l’objet à évaluer, ce qui permet de rendre
public l’objet en question.

2. Geste de référentialisation
Tout évaluateur doit être en mesure de se poser la question du
souhaitable par rapport à un référentiel. Il ne vise pas la perfection
mais une confrontation réaliste entre la réalité et un référentiel
d’évaluation. « Le geste de référentialisation est un geste de partage
des valeurs et des normes, il implique un travail de délibération
et de négociation. »

3. Geste d’interprétation
L’évaluateur doit interpréter en se basant sur les critères et les
indicateurs. La partie technique ne doit pas occulter les aspects
subjectifs et leur traduction par le langage qui exige une vigilance
sémantique.

4. Geste de conseil
Ces gestes regroupent ce qui peut permettre d’alerter l’évalué
et lui permettre de réguler ou réajuster son action. L’exhaustivité
est impossible, il s’agit donc pour l’évaluateur de faire des choix
réalistes en fonction du contexte. « Le conseil suppose alors
un équilibre entre le réalisable et le promouvable. »

5. Geste de communication
Il s’agit d’instaurer un dialogue autour de l’action qui a été évaluée
pour favoriser l’évolution.

Référence :
Anne Jorro, L’enseignant et l’évaluation. Des gestes évaluatifs
en questions, De Boeck Université, 2000

153
Évaluer pour faire progresser

d’assumer une part d’interprétation à partir d’indicateurs et de


critères (geste d’interprétation). Il s’agit d’expliciter les règles
du jeu mais aussi, à défaut de toujours pouvoir apporter les
bonnes réponses, de se poser les bonnes questions.
Ensuite, on insistera particulièrement sur les gestes de
conseil et de communication, d’abord parce qu’ils sont trop
souvent tout simplement absents mais aussi parce que le geste
de conseil s’oppose radicalement à la réprimande, la sanction,
l’humiliation. Il est tourné vers l’avenir, il donne des pistes à
l’évalué pour que celui-ci puisse réellement faire évoluer ce qu’il
a produit, il ne se limite pas au simple constat de ce qui a dys-
fonctionné. Quant à la nécessaire communication, Anne Jorro
souligne que « bien des évaluations restent secrètes, laissant
l’évalué sans éléments de repères10 ».

Du bon usage de la correction de copies


Les gestes de conseil et de communication ont par ailleurs
une incidence directe sur le vécu des élèves et sur la prévention
de l’échec scolaire ou la démobilisation. Ils ont aussi un lien
avec un point sensible du métier d’enseignant : la correction des
copies, qui constitue une forme redoutable d’écriture évaluative,
dévoreuse de temps pour les enseignants et source de bien des
maux pour les élèves. « Il est des heures et des jours de cor-
rection qui ne servent à personne, ce qui est mortifère pour les
enseignants comme pour les élèves », écrit Jean-Pierre Astolfi11.
Il suffit d’observer les élèves qui reçoivent une copie corrigée
pour le constater : une copie couverte d’annotations qui visent

10. Anne Jorro, in Mottier Lopez L. & Crahay M. (eds), Évaluation en tension : entre
la régulation des apprentissages et le pilotage des systèmes, De Boeck, 2009,
pp. 219-231.
11. Jean-Pierre Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF éditeur, 1997, p. 101.

154
2. Bien évaluer, c’est aussi une question de posture

le signalement exhaustif des erreurs suscite un mouvement de


recul ! Autre constat, la lecture des commentaires laisse souvent
les élèves dubitatifs : les mentions si fréquentes « manque de
rigueur » ou encore « manque de cohérence12 » sont-elles véri-
tablement opérationnelles ? L’auteur de ces remarques est-il
lui-même capable de les transformer en action ? Comment alors
espérer que les élèves puissent le faire ?
L’écriture évaluative sur les copies suppose de faire des choix :
oser ne pas tout corriger, renoncer au pointage exhaustif des
erreurs, privilégier un ou deux conseils réellement applicables.
Elle implique aussi de s’adresser au vrai destinataire, l’élève,
et donc de proscrire les formules obscures ou toute faites pour
privilégier d’authentiques conseils compréhensibles. Enfin, le
geste de conseil sera beaucoup plus efficace s’il intervient au
moment où l’élève peut encore intervenir sur son travail.
Que de temps gagné dans la correction de copies pour une
efficacité meilleure !

« L’ami critique » : une posture


d’évaluation efficace
L’enseignant est le plus souvent exclusivement perçu comme
un « contrôleur », selon l’expression d’Anne Jorro. Sans y
renoncer, car cette posture est légitime dans des situations
d’évaluation sommative, Anne Jorro définit la posture d’ami cri-
tique, particulièrement efficace dans le rapport évaluatif avec
les élèves.

12. Annotation d’autant plus inefficace qu’elle confond souvent cohérence interne
du discours et cohésion externe de l’écrit.

155
Évaluer pour faire progresser

L’ami critique : bienveillance et exigence


Anne Jorro, reprenant l’expression de Macbeath10 (1998), explicite la
posture de l’ami critique :
« L’ami critique mobilise deux attitudes : la bienveillance et
l’exigence.
La bienveillance d’un regard, d’une écoute, d’une parole, un œil
extrêmement attentif, ce qui ne veut pas dire complaisance ou
démagogie ; car l’exigence est inséparable de cette bienveillance :
rappel des critères, rappel des exigences de la tâche et compréhen-
sion des raisonnements, des processus, des stratégies mises
en œuvre par les élèves. Elle s’exprime à travers un souci constant
de développement des possibles, de valorisation du potentiel.
Professionnel de la régulation de l’action, l’ami critique prend de
la distance pour porter un regard aiguisé et bienveillant qui repose
sur des compétences précises. »
L’ami critique s’inscrit dans un « rapport de proximité-distance ».
« Ce double jeu de la bienveillance et de l’exigence renforçant le
message éducatif, fait de tensions et dans lequel l’enseignant-éva-
luateur ou le formateur-évaluateur recherchent un équilibre juste. »

Références :
L’enseignant et l’évaluation. Des gestes évaluatifs en questions, op. cit.

13. J. Macbeath, “I didn’t know he was ill: the role of the critical friend”, in L. Stoll
& J.K. Myers (éds), 1998.

156
3. Des outils
et des critères
pour mieux évaluer

L es dernières décennies ont vu de réels efforts de


rationalisation en matière d’évaluation. Néanmoins,
on questionne bien davantage les résultats de l’évaluation
que la fiabilité ou la pertinence des outils et critères
utilisés. La question est complexe.

L’évaluation objective est-elle possible ?


La question de la subjectivité de l’évaluation préoccupe sou-
vent les enseignants mais encore plus élèves et parents. André
de Peretti rappelle14 « qu’il ne s’agit pas d’évacuer la subjec-
tivité mais plutôt de faire avec » ! Il souligne que l’objectivité
est nécessaire, souhaitée, mais impossible. Tout évaluateur doit
donc viser l’objectivité mais assumer sa part de subjectivité
« prudente et réfléchie ».
La quête indispensable d’objectivité suppose l’utilisation d’ou-
tils et de critères.

14. André de Peretti, François Muller, Mille et une propositions pédagogiques, ESF
éditeur, 2008, p. 150.

157
Évaluer pour faire progresser

Critères, outils d’évaluation et


indicateurs : ce n’est pas la même chose
Un critère d’évaluation est un élément de jugement qui permet
d’apprécier ce que l’on veut évaluer, de décider ce qui est réussi
et ce qui ne l’est pas.
L’outil est un moyen utilisé pour recueillir les informations dont
on a besoin. Les outils supposent un choix raisonné car la fiabilité
de l’évaluation en dépend.
L’indicateur est ce que l’on peut réellement observer.
Ils sont souvent difficiles à déterminer et nombre d’évaluations
se passent d’indicateurs, ce qui conduit à un flou évident. Mais,
inversement, des indicateurs en nombre trop limité ou privilégiant
des détails observables au détriment de l’essentiel peuvent
fausser l’évaluation.

Ainsi, un même critère d’évaluation « correction de la langue


écrite », si fréquemment utilisé, peut reposer sur des outils
variés : un devoir en temps limité en français ou dans n’importe
quelle discipline, le cahier de brouillon. L’outil utilisé, on le voit,
risque bien de ne pas conduire aux mêmes appréciations ; nombre
d’élèves, capables de produire un texte correct dans le contexte
du cours de français, s’avèrent nettement moins performants
dès qu’il s’agit d’une autre discipline, en particulier parce qu’il
leur faut gérer en même temps d’autres connaissances, d’autres
difficultés qui font passer au second plan les préoccupations
d’ordre syntaxique, orthographique ou lexicale. Quant aux
indicateurs, les résultats seront évidemment différents si l’on
décide de retenir toutes les erreurs quelle que soit leur nature
(orthographe, syntaxe, lexique) ou, au contraire, si l’on déter-
mine des priorités pour ne retenir par exemple que celles qui
correspondent aux régularités de la langue (accord verbe sujet,
singulier pluriel) ou celles qui perturbent la compréhension.

158
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

La grille d’évaluation : un outil flexible


La grille d’évaluation est l’un des outils les plus couramment
employés, utilisable en phase d’évaluation formative en cours
d’apprentissage mais aussi pour expliciter une phase finale d’éva-
luation sommative. Les avantages sont multiples : le modèle est
flexible, facilement communicable, rapide à compléter et bien
adapté à l’évaluation par compétences. En phase d’évaluation
sommative, on peut associer un barème aux critères.
Les débuts de l’évaluation formative ont souffert d’une inflation
de grilles très lourdes qui ont pu décourager. André de Peretti15
rappelle que les critères doivent être indépendants les uns des
autres et que l’exhaustivité est à rejeter absolument. L’expérience
montre qu’il est raisonnable de ne pas dépasser cinq ou six cri-
tères. Au-delà, la masse d’informations à gérer risque de nuire à
son efficacité. En outre, l’essentiel risque de disparaître au profit
de l’accessoire. Cela oblige à trier, à déterminer des priorités, par
exemple en personnalisant les grilles en phase d’apprentissage :
la grille devient alors un outil pour une pédagogie différenciée.

L’évaluation critériée
Toute activité d’évaluation suppose des critères qui permettent
de juger de la pertinence ou de la validité de la production. Dans
la pratique, ces critères sont souvent flous, fluctuants et même
complètement inconscients.
L’évaluation critériée est une évaluation qui explicite ses critères
ce qui permet de les partager avec d’autres évaluateurs, les élèves,
les parents, l’équipe éducative…
Ceux-ci peuvent être imposés mais aussi élaborés, négociés,
discutés avec les évalués pour qu’ils puissent se les approprier.

15. Ibid., p. 159.

159
Évaluer pour faire progresser

Les notes : en finir


avec la « constante macabre »
Dans les années 1960, des travaux sur la docimologie
ébranlent définitivement le respect jusque-là accordé aux notes.
Difficile désormais de défendre sérieusement la fiabilité des
notes et cela quelles que soient les disciplines : les écarts de
notation d’un jury à un autre, d’un correcteur à un autre et,
pour un même correcteur, d’un moment à un autre, concernent
en effet tout autant les disciplines scientifiques, pourtant consi-
dérées plus objectives, que les disciplines littéraires16.
Plus récemment, au début des années 2000, André Antibi a
mis en évidence la tendance pour les enseignants à se conformer
à un modèle de répartition des notes implicite, qui consiste à
mettre un certain pourcentage de mauvaises notes, et cela quel
que soit le profil des classes. C’est ce qu’il nomme la « constante
macabre ».
Soulignons toutefois que des outils statistiques existent :
note la plus haute, la plus basse, distribution, écart-type…
faciles à utiliser à l’heure de la saisie informatique des résultats.
S’ils ne résolvent en rien les questions de fond sur l’évaluation,
ils permettent au moins d’atténuer les écarts d’un correcteur
ou d’un jury à l’autre, et aident chaque correcteur à se situer
par rapport aux autres, à repérer ses tendances et donc à les
faire évoluer. Ces outils favorisent l’harmonisation des nota-
tions mais, curieusement, ne sont utilisés que pour les grands
concours où leur utilité est appréciée. Un minimum de culture
sur la docimologie et les outils statistiques disponibles permet-
trait aux enseignants de mieux relativiser la fiabilité des notes

16. Voir Charles Hadji, L’évaluation, règle du jeu, ESF éditeur, 1989, pp. 93 et 94
pour un compte rendu plus détaillé de ces travaux.

160
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

La constante macabre
André Antibi a pointé dans un ouvrage qui a fait grand bruit en 2003
un dysfonctionnement du système scolaire. Sous la pression sociale,
les enseignants se sentent obligés inconsciemment d’attribuer
un certain nombre de notes basses pour être crédibles. C’est ce
pourcentage de mauvaises notes, que l’on observe même dans des
classes ne regroupant que de bons élèves, qu’André Antibi nomme
la « constante macabre ».
André Antibi ne stigmatise pas les enseignants, il souligne au
contraire le poids de l’habitus social qui conduit à considérer que,
dans une classe, on a généralement 1/3 de bons, 1/3 de moyens,
1/3 de faibles et la difficulté pour les enseignants à sortir de
ce schéma qui pèse le plus souvent inconsciemment sur eux.

Référence :
André Antibi, La constante macabre, Éditions Math’adore, 2003

Corrélat :
Habitus

qu’ils attribuent et éviter ainsi bien des crispations lorsque par


exemple l’orientation d’un élève est en jeu.
La question des notes reste un tabou professionnel
fort : on ne les discute pas alors que les travaux scientifiques
montrent qu’elles sont justement discutables, au sens positif
du terme, c’est-à-dire qu’une note n’a de sens que référée à
un système dont les fondements et les repères varient. Tout
se passe comme si les notes relevaient de la sphère privée de
chaque enseignant alors qu’il s’agit de la partie la plus publique
du métier.

161
Évaluer pour faire progresser

Oser supprimer les notes


La question de fond reste que les notes servent surtout à
classer, hiérarchiser, valoriser les élites, discriminer les plus
faibles. Globalisantes, elles ne permettent pas de mettre en
évidence les finesses des acquis de chacun. Elles ne sont donc
pas au service de la réduction des inégalités et du développe-
ment des talents de tous conforme au projet d’une école de la
République. Les dysfonctionnements évoqués précédemment
pourraient suffire à les condamner mais les résistances sont
fortes car la routine de la notation est fortement ancrée dans
l’habitus enseignant, l’imaginaire des élèves et des parents.
Oser supprimer les notes ne signifie en aucun cas se passer
d’évaluation. Tous les élèves ont le droit et le besoin de savoir
où ils en sont dans leurs apprentissages.
Depuis longtemps (et symboliquement depuis la rentrée 1969
qui marque la suppression des classements, compositions et
bannit toute notion de moyenne générale), la possibilité existe
de se référer à d’autres échelles dont on trouvera des exemples
ci-dessous. Depuis la rentrée 201617, les textes officiels concer-
nant le livret unique en vigueur précisent que « le positionne-
ment de chaque élève au regard des objectifs d’apprentissage
fixés se fait sur une des quatre positions suivantes : objectifs
d’apprentissage non atteints, objectifs d’apprentissage par-
tiellement atteints, objectifs d’apprentissage atteints, objectifs
d’apprentissage dépassés ». En collège, la note est réintroduite
de façon facultative, une possibilité parmi d’autres, avec ces pré-
cisions en cycle 3 : « […] ou, le cas échéant, en classe de 6e,
la note obtenue par l’élève ». En fin de 3e, c’est « la note ou
tout autre positionnement de l’élève au regard des objectifs

17. Arrêté du 31 décembre 2015 fixant le contenu du livret scolaire de l’école


élémentaire et du collège modifié par arrêté du 11 mai 2016.

162
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

d’apprentissage fixés pour la période » qui sont attendus. Une


incitation pour les équipes enseignantes à s’affranchir des notes
pour décliner l’évaluation des compétences qui constitue une
véritable voie nouvelle.
Toutes les alternatives aux échelles chiffrées visent à rendre
les progrès plus lisibles en réduisant le nombre d’échelons. Elles
résistent à tout calcul de moyenne qui masque la singularité des
compétences de chacun. Elles ont aussi l’immense avantage de
faire disparaître la notion même de zéro, non seulement humi-
liante mais aussi aberrante, notamment parce que le zéro est
encore souvent une sanction et non une évaluation.
––Les systèmes de cotation à cinq échelons ne font cepen-
dant que reproduire les échelles de notation sur 10 ou 20
(c’est le cas des TB, B, moyen, passable, faible ou encore des
lettres ABCDE, surtout si on module avec des « moins » et
des « plus »). Ils ont néanmoins l’avantage de dédramatiser
l’impact des mauvaises notes et de faire gagner du temps au
correcteur.
––Plus intéressants sont les systèmes qui rompent avec
une échelle à cinq niveaux : par exemple si l’on supprime
la lettre C dans l’échelle ABCDE ou toute référence à une
moyenne refuge. Cette contrainte aide le correcteur à se
libérer d’habitudes ou de routines pour réinterroger autre-
ment ses attentes.
––C’est par exemple le cas des ceintures de compétences
(calquées sur les couleurs des ceintures de judo), issues de la
pédagogie institutionnelle18. Cet outil à sept échelons peut
cependant devenir lourd à gérer. Mais surtout, il s’inscrit dans
une réflexion globale : le séparer de cette approche de fond,

18. Pédagogie institutionnelle : pédagogie issue du mouvement Freinet. Voir page 38,
les mouvements pédagogiques de l’éducation nouvelle.

163
Évaluer pour faire progresser

c’est prendre le risque de le dénaturer. Un outil n’a de sens


que s’il est appuyé sur une approche pédagogique raisonnée.
––Il existe aussi de nombreux systèmes de cotation ternaires
(acquis, non acquis, en voie d’acquisition). Très utiles pour
une évaluation par compétences, il est important de souligner
qu’ils peuvent ne faire que reproduire sous une forme adoucie
le schème puissant dénoncé par Antibi (voir « La constante
macabre »), celui d’une répartition en trois tiers : les bons, les
moyens, les faibles.
––Un système binaire (acquis/non acquis) est plus intéressant
parce qu’il interroge les repères inconscients des enseignants
et obligent à clarifier les critères de réussite.
––Les cibles d’évaluation, très utilisées en formation d’adultes,
sont peu exploitées à l’école ; elles permettent pourtant une
visualisation immédiate des points forts et points faibles. Les
histogrammes présentent le même avantage visuel mais sup-
posent l’usage de l’informatique.

Le portfolio : un outil qui gagnerait


à être mieux connu
Le portfolio s’avère très utile pour valider des compétences
transversales, par exemple dans le domaine 2, tout ce qui
concerne l’organisation du travail personnel, les démarches de
recherche et de traitement de l’information.
Valider une compétence ne suppose pas forcément de conce-
voir une situation spécifique pour l’évaluation, cette valida-
tion peut se faire par observation « directe » à l’occasion d’un
travail particulier qui met en jeu diverses compétences. Le
portfolio permet de réunir des productions d’élèves issues de

164
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

diverses disciplines mais aussi d’activités au CDI, ou de pro-


jets, clubs divers au sein de l’établissement ou encore de travaux
personnels.
La forme ouverte des portfolios a aussi l’avantage de favoriser
l’implication personnelle en termes d’effort de présentation ou
de mise en scène des travaux. C’est donc aussi un outil de (re)
mobilisation scolaire.

Le portfolio

Étymologie
Le terme portfolio, ou porte-folio, désignait à l’origine un carton
double, pliant, servant à renfermer des papiers. Emprunté à l’italien
puis à l’anglais, son domaine d’emploi initial est limité aux arts
où il désigne à la fois le contenant (porte-dessin, carton à dessin)
et le contenu (les travaux de l’artiste).
Il est récemment passé dans le vocabulaire de la formation des
adultes puis des enfants. Il désigne un dossier rassemblant tous
les travaux finalisés ou non dans un domaine donné. Il s’inscrit dans
une pédagogie centrée sur le développement des compétences.

Un outil de formation, d’évaluation et d’auto-évaluation


C’est un outil d’auto-évaluation pour l’élève qui peut concrètement
visualiser son évolution.
C’est un outil d’évaluation particulièrement utile pour évaluer des
compétences transversales à plusieurs disciplines puisque l’élève
peut regrouper des travaux issus de différentes disciplines ou
d’activités diverses (travaux documentaires effectués au CDI
par exemple).

C’est aussi un outil de formation


L’usage du portfolio prévoit de favoriser le commentaire par l’élève
lui-même de ses travaux, de ses tâtonnements, de ses erreurs,
des impasses… On conduit ainsi l’élève à réfléchir sur ce qu’il
fait, sur les procédures qu’il emploie, sur son parcours. L’aspect
formatif est incontestable.

165
Évaluer pour faire progresser

Des formes variées


Ses formes sont diverses : les carnets de route ou cahiers de bord
des TPE ou des sections artistiques des lycées sont l’une des
formes possibles qui développent particulièrement la partie réflexive.
Toutes les formes de dossiers sont possibles et l’outil, très flexible,
peut accueillir des productions de nature très différente.
Les versions numériques (sur Cdrom par exemple) sont
de ce point de vue très pratiques.

L’évaluation par contrat de confiance


Pour en finir avec la « constante macabre » et le gâchis que
provoquent les mauvaises notes, André Antibi propose l’évalua-
tion par contrat de confiance. Il s’agit d’un contrat concernant
la conception et la préparation des contrôles, une façon de gérer
l’évaluation et la notation en fin de séquence d’apprentissage.

L’évaluation par contrat de confiance


ou EPCC
André Antibi propose de préparer et concevoir les contrôles de
la façon suivante. C’est ce qu’il nomme « évaluation par contrat
de confiance ou EPCC ».

1re étape : annonce du programme de contrôle


Environ une semaine avant chaque contrôle, l’enseignant donne aux
élèves une liste de questions ou exercices déjà traités et corrigés
en classe. Il s’engage à donner certaines de ces questions, sans
modifications, lors du contrôle. Elles représenteront entre 12 et
16 points de la note sur 20. Le reste de la note (4 à 8 points) sera
affecté à une ou des questions hors liste.
La nature ou la complexité des questions doit empêcher toute
restitution par cœur. C’est le principe d’entraînement à partir
des annales corrigées. ➙

166
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

2e étape : séance de questions réponses pré-contrôle


Avant le contrôle, le professeur organise une séance au cours de
laquelle les élèves peuvent poser toutes les questions qu’ils désirent
pour éclaircir des points mal maîtrisés dans le programme annoncé.
Pour rendre le dispositif plus efficace, il peut organiser cette séance
en petits groupes afin que les élèves qui ont compris puissent
éclairer ceux qui ont des difficultés, le professeur n’intervenant
que pour répondre aux difficultés non résolues par le groupe.
C’est l’occasion d’utiles mises au point.

3e étape : contenu et correction de l’épreuve


André Antibi insiste sur la nécessité de ne pas compenser
l’apparente facilité accordée par un niveau d’exigence plus
grand en expression ou par une longueur de devoir excessive
qui conduirait à réintroduire une sélection ; il est normal qu’un
bon élève ait fini avant la fin du temps accordé, le contraire
serait signe d’un mauvais calibrage du devoir.

Référence :
André Antibi, L’évaluation par contrat de confiance, Paris, Nathan, 2008

Les intentions de ce type d’évaluation sont claires. Il s’agit de :


– récompenser le travail : tout élève qui a travaillé doit avoir
une bonne note ;
– rompre avec une conception de l’évaluation « piège » dans
laquelle le professeur est tout-puissant : annoncer le contenu
de l’évaluation, c’est expliciter les règles du jeu ;
– mobiliser les élèves par la réussite et ainsi lutter contre l’échec
et le décrochage scolaire.

Largement expérimenté, ce protocole a fait ses preuves et


réussi à inverser des logiques d’échec et de découragement,
surtout lorsqu’il est appliqué à l’échelle d’une équipe ou, mieux
encore, d’un établissement. Mais il suscite évidemment bien des
débats parce qu’il entre en conflit avec l’habitus scolaire.

167
Évaluer pour faire progresser

La reprise à l’identique d’un problème traité et corrigé


en cours est un point essentiel de la méthode préconisée par
André Antibi, qui réfute toute possibilité de procéder à de
« petites variations » entre l’activité annoncée et celle proposée
le jour du contrôle. Cela ne s’applique pas avec la même faci-
lité à toutes les disciplines ou à toutes les activités. Force est
de constater que certaines situations ou activités échappent à
l’application rigoureuse de ce protocole : si la préparation d’une
question pour l’épreuve orale au bac de français entre parfai-
tement dans ce cadre, il est difficile d’envisager de donner un
texte déjà travaillé pour reposer les mêmes questions de com-
préhension ou encore proposer une seconde fois le même sujet
de rédaction. Non seulement l’intérêt légitimement émoussé
risquerait de contrebalancer la motivation suscitée par la pers-
pective d’une bonne note mais, surtout, qu’aurait-on évalué ?
Certainement pas des compétences de lecture personnelle. Ces
réserves laissent néanmoins un large champ d’application pos-
sible. La part de questions « hors liste » permet d’évaluer ce qui
ne peut l’être par une pure reprise à l’identique.
L’évaluation par contrat de confiance est-elle compatible
avec l’évaluation par compétences ? Pour évaluer une com-
pétence, on insiste sur l’intérêt de vérifier que l’élève est capable
de mobiliser cette compétence dans une situation inédite. À
défaut, la question du transfert des acquis dans des situations
nouvelles qui est l’un des aspects importants de l’enseignement
par compétences risque d’être occultée.
Empiriquement, on pourrait donc considérer que seules les
questions « hors liste » permettraient de valider des compé-
tences. Cette solution, pratique sur la forme, escamote le débat
de fond.

168
3. Des outils et des critères pour mieux évaluer

M. Crahay19, qui critique vigoureusement l’approche par


compétences, pointe notamment le niveau d’exigence de leur
évaluation, qui cumule complexité et contexte inédit, ce qui
constitue à ses yeux une dérive élitiste. Il pense qu’il n’est pas
nécessaire d’évaluer les compétences dans des situations excep-
tionnelles et qu’on peut s’en tenir à vérifier que les élèves savent
gérer la complexité, mobiliser leurs ressources dans une situa-
tion complexe. Vincent Carette et Bernard Rey20, qui font le
point sur ce débat en 2010 et examinent les arguments de M.
Crahay, estiment qu’il s’agit là d’un malentendu, d’une géné-
ralisation abusive : « La complexité inédite ne s’érige pas en
norme. » Ils soulignent que l’hypothèse selon laquelle « ni les
évaluations portant sur la maîtrise des tâches automatisées, ni
les évaluations portant sur des tâches non inédites et/ou non
complexes ne seraient autorisées » est dangereuse car elle ris-
querait de faire monter le niveau d’exigence et d’entraîner rapi-
dement une hausse de l’échec scolaire.
Sur ce point, la crainte de dérive élitiste de l’évaluation rejoint
les préoccupations d’André Antibi. Il ne paraît pas aberrant de
valider des compétences sur la reproduction de situations déjà
rencontrées. L’un des points forts de la méthode proposée par
André Antibi est justement de mêler des situations déjà ren-
contrées avec d’autres, inédites, et donc de se préserver d’une
« pédagogie de l’extrême21 ».

19. M. Crahay, « Dangers, incertitudes et incomplétudes de la logique de compétence


en éducation », op. cit., pp. 97-110.
20. Vincent Carette et Bernard Rey, Savoir enseigner dans le secondaire, De Boeck,
2010, pp. 92-93.
21. L’expression est de M. Crahay et s’applique à la pédagogie par compétences.

169
4. Les élèves
évaluateurs :
des pistes de travail
prometteuses

T raditionnellement, l’évaluation est l’affaire du


professeur. Et pourtant, de nombreuses expériences
montrent qu’associer les élèves à l’évaluation est source
de progrès indiscutable. Ce type de démarche s’inscrit
dans une logique de prévention de l’échec scolaire
reposant sur une meilleure implication et
responsabilisation des élèves à toutes les étapes
de leur formation.

L’évaluation formatrice : pour une plus


grande implication des élèves
L’évaluation formatrice est une variante de l’évaluation for-
mative proposée initialement par Georgette Nunziatti. Dans la
pratique, on n’a guère appliqué les protocoles rigoureux qu’elle
proposait. En revanche, des principes essentiels issus de ses tra-
vaux ont permis de rendre l’évaluation formative beaucoup plus
efficace, en y impliquant les élèves.

170
4. Les élèves évaluateurs : des pistes de travail prometteuses

L’évaluation formatrice
L’évaluation formatrice est une variante de l’évaluation formative
issue des travaux de Georgette Nunziati. Elle proposait un protocole
rigoureux qui, dans la pratique, s’est assoupli.
L’idée clé est d’impliquer chaque élève dans le processus
d’évaluation formative pour que celle-ci ne soit pas subie.
Cela suppose :
− de favoriser l’appropriation des critères d’évaluation
par les élèves ;
− d’habituer l’élève à autogérer ses erreurs ;
− de rendre l’élève capable d’autoréguler ses apprentissages
pour qu’il puisse se construire un modèle personnel d’action.

Référence
Georgette Nunziatti, « Pour construire un dispositif d’évaluation
formatrice », Cahiers pédagogiques, n° 280, 1990

Georgette Nunziatti attire l’attention sur trois points im-


portants.
– Veiller à l’appropriation des critères d’évaluation par les
élèves permet une clarification des attentes et installe un lan-
gage partagé entre professeur et élèves. C’est la fin des anno-
tations ou appréciations, qui restent hermétiques aux élèves
ou, pire encore, sont sources de contresens.
Diverses modalités sont possibles : corriger collectivement
des copies projetées au vidéo projecteur, faire formuler les cri-
tères d’évaluation par les élèves – ce qui permet de s’assurer
que le langage ne fera pas obstacle –, laisser les élèves choisir
dans une liste de critères proposés ceux qui leur paraissent
les concerner en priorité afin de différencier les attentes en
fonction des profils singuliers de chacun.
– Habituer l’élève à autogérer ses erreurs, c’est le rendre
véritablement autonome. L’autocorrection est évidemment
l’une des modalités possibles mais elle doit s’accompagner

171
Évaluer pour faire progresser

de la confrontation avec l’évaluation du professeur sinon elle


risque de rater son but. Les résultats sont rarement signi-
ficatifs rapidement et sans doute décalés par rapport aux
objectifs affichés. L’expérience montre qu’elle permet surtout
d’installer (à condition d’être patient) le réflexe d’un retour
sur ce qu’on a fait et de repérer les élèves découragés qui vont
systématiquement estimer qu’ils ont tout raté et ceux qui sur-
estiment systématiquement leur performance, ce qui prouve
que le système d’évaluation reste opaque pour eux.
––Quant à rendre l’élève capable de réguler lui-même ses
apprentissages pour qu’il puisse se construire un modèle
personnel d’action, il s’agit là d’un objectif à long terme dont
les effets ne seront pas forcément observables immédiate-
ment. Pour y parvenir, l’entretien individuel et particulière-
ment l’entretien d’explicitation sont des outils privilégiés.

Co-évaluation :
partager ou inverser les rôles
Diverses modalités permettent de partager l’évaluation avec
les élèves.
Des enseignants peuvent co-assumer l’évaluation. C’est le cas
par exemple des TPE au lycée ou du B2I au collège. L’évaluation
des compétences du socle commun généralise cette pratique
puisque les compétences peuvent et doivent, sauf exception,
être évaluées dans plusieurs disciplines.
La co-évaluation peut aussi désigner la collaboration pro-
fesseur et élèves. Les élèves participent à l’évaluation de leurs
propres travaux ou de ceux d’autres élèves avec l’enseignant.
Enfin, plusieurs élèves peuvent aussi co-évaluer leurs propres
productions ou celles des autres.

172
4. Les élèves évaluateurs : des pistes de travail prometteuses

Cette inversion ou ce partage des rôles est particulièrement


efficace et loin d’être démagogique, à condition de respecter
quelques principes simples. Voici quelques exemples.

■■ Pour évaluer l’oral


L’évaluation de l’oral est particulièrement délicate : c’est jus-
tement une situation privilégiée pour déléguer tout ou partie
de l’évaluation aux élèves. Le premier avantage est de faciliter
l’écoute des élèves, qui deviennent ainsi de vrais destinataires
de la parole de leurs pairs. Imaginons qu’à la suite d’un travail
en petits groupes, chaque groupe rende compte de ses travaux
devant la classe. Le professeur délègue tour à tour à l’un des
autres groupes la responsabilité de l’évaluation. Une régulation
collective des évaluations aura lieu lorsque tous les groupes
auront effectué leur prestation. Cette phase est importante pour
réajuster les erreurs d’appréciation de tous ordres et compenser
les subjectivités excessives. Le professeur peut aussi partager
l’évaluation, son avis comptant par exemple pour moitié dans
l’appréciation ou la notation finale.
Mais l’intérêt majeur est de permettre aux élèves d’iden-
tifier les compétences en jeu à l’oral. S’il est facile de cerner
les aspects communicationnels (élocution, prise en compte de
l’interlocuteur etc.), tout ce qui relève des genres scolaires et
sociaux (exposé, compte rendu, débat dans ses diverses formes,
etc.) reste le plus souvent implicite.
Quant aux contenus attendus, encore faut-il savoir s’il s’agit
de mobiliser des contenus déjà maîtrisés ou d’élaborer des
savoirs nouveaux (une résolution de problème peut solliciter
l’un ou / et l’autre), ou encore de sélectionner et réorganiser des
informations sur un thème de recherche (exposé). Une grille
d’observation de compétences, préparée et complétée par les
élèves contribuera à sortir du flou.

173
Évaluer pour faire progresser

■■ Pour faire évoluer un brouillon


Faire remanier un écrit est une tâche difficile. Faire évaluer
un premier jet par un autre élève est aussi formateur pour
l’auteur que pour le correcteur. On demande par exemple à
l’élève correcteur de formuler un ou deux conseils par écrit
sur la copie, puis les élèves discutent des appréciations. Chaque
auteur reprend ensuite la production initiale en tenant compte
des commentaires avec lesquels il a néanmoins le droit de ne
pas être d’accord. C’est alors au professeur d’arbitrer. On peut
objecter que le correcteur peut être complètement démuni pour
conseiller ; le professeur peut alors guider l’élève correcteur :
quels sont les passages du texte qui ne sont pas clairs ? Quels
sont les moins et les plus intéressants ? En restituant à chaque
production scolaire un vrai lecteur naïf, on redonne du sens à
chaque écrit. Un écrit scolaire est un écrit comme un autre, et
son destinataire n’est pas seulement le professeur. Craint-on
des dérapages ? La posture de l’« ami critique »22, définie par
Anne Jorro, est ici le positionnement idéal et les élèves s’en sai-
sissent facilement23.

■■ Pour évaluer un travail de groupe


Comme pour l’oral, une grille des compétences à activer et
évaluer, construite avec les élèves et complétée par eux, rend
visible ce qui aurait pu rester implicite. En outre, assumer
ensemble l’évaluation de chacun permet de s’en approprier les
enjeux et les contraintes plus aisément.

22. Voir page 155.


23. On trouvera des exemples détaillés de ce type de pratiques dans : Pratiques
d’écriture liaison 3e 2de, CRDP de l’académie de Versailles, 2008, M. Jurado et
D. Alexandre (dir.) et Pratiques d’écriture en BTS, D. Alexandre, M. Jurado (dir.),
CRDP de l’académie de Versailles, 2012.

174
4. Les élèves évaluateurs : des pistes de travail prometteuses

Lorsque le travail de groupe débouche sur une production


collective, si le professeur estime que l’évaluation des compé-
tences ne suffit pas et juge indispensable de noter, il se peut que
la rumeur dise que l’investissement a été très inégal et que des
contestations s’élèvent : doivent-ils tous avoir la même note ou
la même appréciation ? Laisser les élèves en débattre - et sur-
tout trancher - est formateur. Ce qui importe, ce n’est évidem-
ment pas le charcutage des notes contestable sur le fond mais la
discussion qu’elle provoque au sein du groupe et les retombées
ultérieures sur l’engagement de chacun dans les tâches. L’effet
est quasiment magique pour le travail de groupe suivant.

175
6
Prévenir et réduire
les difficultés
des élèves

C
’est une urgence. Le constat est accablant, toutes les éva-
luations internationales (PISA, PIRLS, TIMSS) montrent
qu’en France, non seulement l’école ne réussit pas à
réduire le pourcentage d’élèves en difficulté mais, pire encore,
les écarts se creusent ! L’école de la République ne remplit pas
sa mission.
Comment ne pas laisser s’installer l’échec, aider efficacement
tous les élèves et particulièrement ceux qui rencontrent des dif-
ficultés ? La question est cruciale.

177
1. Bousculer quelques
idées reçues

S i l’on veut vraiment permettre aux élèves de


surmonter leurs difficultés, il faut être capable
d’identifier et de comprendre les problèmes pour
y répondre de façon adaptée. Cela suppose aussi
d’interroger l’efficacité des pratiques d’aide les plus
courantes.

Les limites d’une aide


purement quantitative
L’une des causes majeures du manque d’efficacité de nom-
breux dispositifs d’aide réside dans le fait qu’ils sont le plus
souvent purement quantitatifs, non différenciés et fondés sur la
répétition : on refait la même chose, à l’identique ou simplement
plus lentement. Comme le souligne Philippe Meirieu1 : « On
fait plus de la même chose alors que c’est autre chose qu’il fau-
drait faire, on se fixe sur le combien pour éviter de s’interroger
sur le comment. »
S’il s’agit de problèmes ponctuels, en particulier lorsque le
rythme a été trop rapide pour certains élèves, il peut arriver
qu’une simple reprise soit suffisante. Tant mieux. Mais il est
évident que cela ne répond qu’à une infime partie des difficultés

1. Apprendre… oui, mais comment, op. cit.

179
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

rencontrées. Pour apporter des réponses efficaces aux besoins


des élèves, il est nécessaire de comprendre, analyser et diversi-
fier les approches.

Aide quantitative ou changement radical


de méthode ?
Philippe Meirieu souligne qu’on confond souvent élève en difficulté
et élève en échec alors qu’il s’agit de réalités différentes qui
appellent des réponses pédagogiques différentes rappelées
ci-dessous.
L’élève en difficulté est intégré socialement dans la classe et dans
l’école mais ne parvient pas à satisfaire à toutes les exigences
scolaires. Il peut connaître des réussites partielles ou temporaires
mais on retrouve un ou plusieurs des comportements suivants :
− il manque souvent de temps, réclame des explications
complémentaires ou leur réitération ;
− il ne gère pas toutes les consignes en même temps ;
− il dissocie les savoirs qu’il est capable d’énoncer et leur mise en
œuvre en situation qu’il ne fait pas spontanément, ou inversement
(il connaît des règles mais ne les applique pas ou n’arrive pas
à verbaliser l’élément théorique qui lui a permis de répondre) ;
− attentif aux conseils, il n’arrive cependant pas toujours à les
suivre, ses interventions ou ses réponses sont souvent en
décalage avec ce qui est attendu…
L’élève en échec est en rupture avec la vie de la classe. Ses travaux
ne sont pas en phase avec les attentes : ils sont vides, incohérents
ou hors sujet. L’élève subit le temps scolaire : il a souvent fini très
vite son travail, il est peu ou pas demandeur d’explications
complémentaires et les conseils ne sont suivis d’aucun effet.
Philippe Meirieu conclut cette comparaison en soulignant que l’élève
en échec ne pourra jamais tirer parti d’une persistance des mêmes
méthodes.

Référence :
Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment, ESF éditeur, 1987,
pp 69-70

180
1. Bousculer quelques idées reçues

Anticiper l’aide au lieu d’agir après-coup


Prévenir les difficultés est un excellent moyen de les com-
battre ou, comme le dit l’adage, « mieux vaut prévenir que
guérir ». En France, à l’école, la culture de l’aide est dominée
par le principe de rétroaction décalée dans le temps. Des pistes
de travail fructueuses consistent à anticiper l’aide au lieu de la
proposer après-coup.
Bien sûr, il ne s’agit pas de stigmatiser des élèves dès le début
de l’année au seul vu de leurs résultats antérieurs et de consti-
tuer des sous-groupes de niveau2 qui n’oseraient pas dire leur
nom ! Il s’agit d’intervenir préventivement pour des élèves qui
présentent un certain type de difficultés déjà identifiées par
l’enseignant.
Si un élève manque toujours de temps, est systématiquement
en décalage avec le rythme global de la classe ou lit laborieu-
sement, pourquoi ne pas essayer d’inverser la tendance en lui
faisant prendre un peu d’avance ? On peut par exemple pro-
poser à des élèves aux compétences de lecture mal assurées, un
peu avant les autres, un texte qui servira de support à toute la
classe, non pour faire avec eux les activités prévues, mais pour
leur donner un temps supplémentaire pour s’approprier le texte.
Ou encore, avant d’aborder un contenu de programme nou-
veau, on peut organiser un travail de groupe avec quelques
élèves afin d’accorder un temps spécifique pour travailler les
conceptions préalables qui peuvent faire obstacle. On sait que
ce travail de déstabilisation des savoirs faux est indispensable,
mais on sait aussi qu’il ne suffit pas de « faire émerger les repré-
sentations » et de les discuter un moment en classe pour que

2. Les groupes de niveau homogènes sont souvent le rêve des enseignants. Dans la
pratique, on ne peut que constater leurs limites. Sur ce point, voir p. 81.

181
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

celles-ci soient définitivement ébranlées. Cela prend du temps.


Ainsi, un travail collectif à même visée, organisé pour toute la
classe, sera l’occasion pour le petit groupe qui a bénéficié de
l’aide de revenir sur ces résistances. Et si le travail précédent
a suffi, ces élèves habituellement en difficulté seront d’utiles
moteurs pour faire avancer l’ensemble de la classe : ce renverse-
ment de situation les mettra en confiance.
On peut aussi, pour des élèves qui ont du mal à entrer dans
l’abstraction, favoriser des manipulations concrètes dont
d’autres élèves n’auront pas besoin avant d’aborder des appren-
tissages nouveaux. Ou encore, sachant que l’inégalité du vocabu-
laire dont disposent les élèves est source de grandes difficultés,
on peut mobiliser avec ceux qui ont un répertoire particulière-
ment étroit le lexique en rapport avec le domaine qui sera traité
ultérieurement : c’est l’occasion de préciser le sens de certains
mots et d’en introduire d’autres, encore inconnus. Le vocabu-
laire ne s’acquiert jamais par un seul emploi : on estime que
sept emplois contextualisés sont nécessaires à une acquisition
stable. En favorisant à l’avance des réemplois plus nombreux
pour ceux dont le lexique est réduit, on contribue à réduire les
inégalités.
Une raison du succès de ce type de stratégie réside dans le
fait de donner la possibilité à ceux qui peinent d’ordinaire de
se trouver pour un temps en position forte dans le groupe. Il
s’agit de ne pas laisser s’installer la difficulté et d’intervenir
avant qu’elle ne soit avérée. De telles stratégies pédagogiques
relèvent bien sûr de la pédagogie différenciée.

182
2. Intervenir lorsque
la difficulté surgit

À l’opposé d’une culture pédagogique encore très


répandue, fondée sur la remédiation qui consiste
à organiser l’aide après-coup, une fois les difficultés
constatées, voire enkystées, l’aide efficace est proposée
au moment même où surgit la difficulté.

Médiations et médiateurs :
les passeurs de savoirs
On apprend mieux avec l’aide des autres que tout seul : c’est
le principe de la médiation. On avance plus vite dans les appren-
tissages si quelqu’un vous aide à franchir le pas que vous ne
pourriez faire seul.
La médiation désigne toutes les formes d’aide possibles en
cours d’apprentissage. Cette notion est liée au concept de zone
proximale de développement (voir index), c’est-à-dire que le
médiateur doit proposer des savoirs accessibles, situés dans la
zone de progrès possible. Jerome Bruner illustre la juste dis-
tance du médiateur par l’exemple de la maman qui, passant près
du berceau de son enfant, le voit essayer d’attraper un jouet
pourtant inaccessible. Si la maman donne le jouet à l’enfant, elle
a agi à sa place et celui-ci n’a rien appris : on peut dire qu’elle
l’a empêché d’apprendre. Si elle passe sans rien faire en négli-
geant les efforts de son enfant, elle rate une occasion de le faire

183
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

progresser. La maman bonne médiatrice rapproche l’objet sans


le donner et encourage l’enfant jusqu’à la réussite.
Ce rôle de médiateur, et la juste distance qu’il implique, est fon-
damental pour réguler l’aide à apporter aux élèves. Les adultes
autant que les autres élèves peuvent servir de médiateurs.

La médiation
En pédagogie, le mot « médiation » désigne toutes les formes d’aide
que l’on peut mettre en œuvre pour faciliter l’accès de quelqu’un
au savoir.
Le concept de médiation est un concept fondamental : il insiste
sur le rôle nécessaire des autres pour une plus grande efficacité
des apprentissages.
n Dans les années 1930, Vygotski insiste sur l’importance de
l’interaction entre celui qui apprend et d’autres personnes, adultes
ou pairs, pour faciliter l’accès à des savoirs nouveaux. Ces travaux
restent méconnus hors d’URSS jusque dans les années 1970.
n Dans les années 1970, Jerome Bruner fait connaître les travaux de
Vygotski aux États-Unis et théorise les principes d’une pédagogie de
la découverte. Il développe le concept de médiation pour désigner le
rôle de celui qui aide à apprendre. L’enseignant mais aussi les autres
élèves sont des médiateurs. Ce même concept est développé par
Bruner quand il parle d’interaction de tutelle, de tutorat ou d’étayage.
n Dans les années 1980, Reuwen Feuerstein reprend le concept de
médiation et le systématise dans le cadre de sa méthode intensive,
« le programme d’enrichissement instrumental » (le PEI), dont
certains aspects sont contestés.

Les propositions concrètes ci-dessous, tutorat ou monitorat,


reformulations, relèvent de la médiation.

184
2. Intervenir lorsque la difficulté surgit

Le tutorat ou le monitorat entre élèves :


une ressource pédagogique sous-exploitée
Inévitablement, dans une classe, quelques élèves ont compris
très vite. Ils s’ennuient à réécouter les mêmes explications, à
attendre que les autres aient fini, à subir de longues séances de
correction, à refaire maintes fois ce qu’ils avaient réussi du pre-
mier coup, ils voudraient recevoir l’autorisation de faire autre
chose. Ce potentiel peut être mis au service des autres élèves :
c’est le principe du tutorat fondé sur l’entraide entre élèves.
Dans le tutorat (ou monitorat selon certains auteurs), le béné-
fice existe aussi bien pour l’aidant que pour l’aidé.

■■ Apprendre soi-même
en apprenant aux autres
Celui qui aide a l’occasion de mettre à l’épreuve ses connais-
sances. La nécessité d’expliquer aux autres oblige à mettre en
mots la pensée et donc à la clarifier. Les résistances de celui qu’il
aide, la façon dont celui-ci pointe ce qui reste obscur pour lui,
obligent l’aidant à éradiquer le flou, à prendre conscience des
limites de ce qu’il sait.
Ce retour sur les savoirs relève de la métacognition, c’est un
moyen irremplaçable de prendre de la distance, de stabiliser ses
acquis de façon critique. En cas d’impasse, l’enseignant est là
pour intervenir. Le tutorat ne met pas complètement le profes-
seur sur la touche : il le place juste à côté, dans la posture d’ac-
compagnement (voir encadré, p. 187). Le tutorat favorise aussi
la confiance en soi et donne l’occasion au tuteur d’éprouver le
plaisir de l’inversion des rôles.

185
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

■■ Une reformulation plus accessible


Celui qui est aidé a l’occasion d’entendre des explications dans
un langage souvent plus proche du sien que celui du professeur.
Cette reformulation par un autre élève fournit un langage inter-
médiaire plus accessible qui atténue les fossés d’incompréhen-
sion liés aux problèmes de langage. Certes, ces reformulations
sont souvent peu conformes à la rigueur langagière discipli-
naire et utilisent des formes que l’enseignant ne se serait proba-
blement pas permises ou auxquelles il n’aurait pas pensé. Cette
phase sert de radeau : elle n’est pas une fin en soi mais rend
possible l’accès à des zones restées obscures. C’est au professeur
ensuite de s’assurer de formulations scientifiquement correctes.
Ce dispositif souple ne nécessite ni moyen particulier ni anti-
cipation spécifique. Il peut s’improviser en classe au moment
où se manifestent des écarts difficiles à gérer entre ceux qui
ont tout compris et ceux qui peinent. Il peut ne concerner que
quelques élèves ou s’organiser à l’échelle de la classe. On peut
pérenniser des binômes aidants/aidés qui fonctionnent particu-
lièrement bien mais, pour une meilleure prévention de l’échec et
pour éviter de stigmatiser certains élèves, il est judicieux de ne
pas toujours solliciter les mêmes élèves et d’assurer une rota-
tion des tuteurs.

186
2. Intervenir lorsque la difficulté surgit

Tutorat et monitorat

Tuteurs et tutorat : définitions


Goodlad et Hirst3 en 1990 en proposent la définition suivante :
« Le tutorat entre pairs est ce système d’enseignement au sein
duquel les apprenants s’aident les uns les autres et apprennent
en enseignant. »
C’est l’une des formes possibles de la médiation.
Le mot « tutorat » désigne, à l’école comme dans le monde
professionnel, une relation de formation entre une personne
(enfant ou adulte) en situation d’apprentissage et un tuteur plus
expérimenté chargé de l’accompagner.
Le tuteur expérimenté n’est pas forcément expert dans le domaine
concerné et n’est pas non plus censé assumer tous les aspects
de la formation.
Les modalités du tutorat sont très flexibles et concernent aussi
bien le monde de l’école que la formation professionnelle.
Le tuteur peut être un adulte : à l’école, un professeur ou un membre
de l’équipe éducative.
Le tuteur peut aussi être un pair : un autre élève ou étudiant dans
l’univers scolaire, un autre employé ou ouvrier dans une entreprise.
Certains auteurs préconisent de parler de monitorat pour une rela-
tion entre pairs pour ne pas confondre avec la relation adulte-élève.
La durée et le cadre sont très variables : de l’aide ponctuelle à un
moment donné à un dispositif institutionnalisé sur une année, voire
plusieurs années.
Le principe du tutorat est très ancien. Coménius (fin XVIe siècle)
puis Pestalozzi (fin XVIIIe) et après eux d’autres pédagogues
(Dewey, Decroly, Claparède, Freinet, Montessori…) ont proposé
des systèmes pédagogiques incluant l’entraide entre élèves.
Au XXe siècle, le psychologue américain Jerome Bruner4 a
considérablement développé la notion de tutorat en montrant
comment l’interaction de tutelle favorisait une médiation
(voir index) propice au développement des apprentissages.

3. Goodlad & B. Hirst (éds), “Explorations” in Peer Tutoring, 1990, Blackwell.


4. Jerome Bruner, Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, PUF,
1983.

187
3. Des stratégies
d’aide mobilisables
au quotidien
dans l’urgence

C omment, dans l’urgence et la complexité de la gestion


de la classe, réussir à ne pas différer l’aide aux élèves
en difficulté ? Quels gestes professionnels spécifiques
peut-on développer ? Le concept d’étayage est ici très utile

L’étayage didactique :
pour une aide ajustable à chacun
Étayer consiste, au quotidien, dans le tissu du cours, à apporter
une aide aux élèves.
Mais comment cela est-il concrètement mis en œuvre dans la
classe ? Les travaux de Dominique Bucheton et de son équipe
se sont attachés à donner une description fine des gestes pro-
fessionnels des enseignants. L’observation a permis de dégager
plusieurs points essentiels.
Un premier constat signale le faible pourcentage de gestes
d’étayage dans bien des cours, voire leur absence quasi totale !
Développer et conscientiser les gestes d’étayage constitue donc
une marge de progression importante.

188
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien dans l’urgence

■■ Typologie et flexibilité des postures


Une typologie des postures adoptées par les enseignants repère
cinq postures d’étayage qui ne se valent pas car elles ne produi­­-
sent pas les mêmes effets, en particulier selon le degré de contrôle
effectué sur l’activité des élèves5. L’étude montre aussi que la
posture des élèves est souvent corrélée à celle des enseignants.
Cette dialectique est complexe mais la comprendre permet véri-
tablement d’ajuster l’aide au plus près. Le modèle théorique des
postures de l’enseignant fournit un outil d’une incontestable
efficacité pour comprendre, conscientiser et améliorer l’exercice
quotidien du métier. L’idéal professionnel serait pour l’enseignant
d’adopter la bonne posture au bon moment et d’être capable
d’en changer en fonction des besoins des élèves et des objectifs
fixés. Une question clé est donc de trouver la juste distance.

Corrélats :
Multi-agenda, Postures d’apprentissage, Posture d’enseignement

■■ Un étayage efficace


implique une juste distance
Le nécessaire ajustement de la posture d’aide éclaire les
déceptions souvent ressenties par nombre d’enseignants très
consciencieux qui souffrent, malgré leurs efforts constants, de
ne pas parvenir à réduire les difficultés de leurs élèves.
Trop de contrôle de l’enseignant « qui veut tout corriger au
fur et à mesure sans laisser passer la moindre erreur6 » favo-
rise une « posture scolaire » des élèves qui ne cherchent que la
conformité à ce qu’ils pensent être les attentes du professeur,
ce qui les conduit à effectuer les tâches sans aucune distance.

5. Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture au CP, op.cit.


6. Ibid, p. 35.

189
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

L’étayage
Le concept d’étayage est issu des travaux du psychologue Jerome
Bruner dans les années 1970. Dans la lignée des travaux de Vygotski,
il désigne ainsi l’aide et le soutien que l’adulte apporte à l’enfant
pour favoriser ses apprentissages.
L’étayage didactique
Au début des années 2000, les travaux de Dominique Bucheton et
de son équipe ont permis, grâce à une analyse fine de séquences
de cours, de décrire dans le détail des gestes professionnels
concrètement effectués par les enseignants pour mettre les élèves
au travail. Mais ces travaux décrivent aussi les gestes « qui font
discuter les élèves sur les tâches, pour en extraire les significations,
les gestes qui permettent d’orienter, pointer les difficultés, apporter
les ressources ponctuelles nécessaires mais aussi ceux qui
permettent de faire ce que les élèves ne sont pas encore capables
de faire seuls7 ». C’est cet ensemble de gestes qui constitue
l’étayage didactique.

Ils deviennent ainsi de simples exécutants de tâches scolaires,


et ne comprennent pas forcément ce qu’ils font ou pourquoi
ils le font. Trop d’aide conduit au sur-étayage, c’est-à-dire que
l’enseignant ne laisse place à aucun tâtonnement, à aucune
erreur, les réponses sont parfois données avant que l’élève ait
eu le temps de se poser la moindre question. Finalement, en
voulant trop aider, on peut empêcher les élèves d’apprendre, à
l’image de la maman citée par Jerome Bruner, qui donne le jouet
que l’enfant n’arrive pas à attraper au lieu de l’aider à l’attraper.
Il faut savoir « lâcher prise » et accompagner8 l’élève dans ses
cheminements au lieu de le contrôler.

7. Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier d’écriture au CP, une réponse à


l’hétérogénéité des élèves, op. cit., p. 29.
8. Lâcher prise et accompagnement sont deux des cinq postures décrites dans les
travaux de Dominique Bucheton, elles sont développées p. 254

190
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien dans l’urgence

L’étai est une pièce essentielle dans la construction de tout


édifice, mais il disparaît une fois que l’ensemble est suffisam-
ment solide. Le juste étayage passe donc par un jeu constant
d’étayage et désétayage si l’on veut assurer une réelle auto-
nomie des élèves.

Étayage, désétayage, surétayage


et contre-étayage
■ L’étayage désigne l’aide.
■ Trop d’aide peut devenir contre-productif et il faut donc veiller
à supprimer les aides au bon moment : c’est le désétayage.
■ Le surétayage consiste à trop épauler les élèves, à ne pas laisser
s’effectuer les tâtonnements indispensables et donc à freiner
les apprentissages.
■ Poussé à l’extrême, le surétayage conduit à empêcher
les élèves d’apprendre : c’est le contre-étayage.

Comme le souligne Philippe Meirieu9, la dialectique étayage/


désétayage doit donc être accompagnée en permanence de ce
que nous nommons des activités de « métacognition » : le repé-
rage de ce que l’on utilise, les appuis dont on a besoin et, en
même temps, les marges d’initiative dont on peut disposer.

9. Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, ESF éditeur, 2008, p. 108.

191
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

« La métacognition, ce n’est pas


une affaire compliquée10 »
« La métacognition, ce n’est pas une affaire compliquée ! C’est
le fait d’effectuer un retour sur son propre processus d’appren-
tissage et d’interroger, de l’extérieur en quelque sorte, avec l’aide
de ses pairs, de ses maîtres et des supports culturels nécessaires,
la dynamique même du transfert de connaissances. » Comme
le souligne Philippe Meirieu, si le mot « métacognition » peut
paraître très savant, le concept, lui, est très simple.
Aider les élèves au quotidien, prévenir l’échec scolaire, c’est
ménager des moments de retours réflexifs, collectifs ou indi-
viduels sur ce que l’on a fait et comment on l’a fait. Cela passe
par des questions ouvertes : « Qu’avez-vous appris ? » ou
« Comment avez-vous fait ? » ou encore « Que retenez-vous
d’important ? ». Posées individuellement à l’écrit, ces questions
toute simples obligent chaque élève à réfléchir sur ce qu’il a fait
et lui accordent le temps nécessaire pour prendre du recul. Elles
s’inspirent des bilans de savoirs dont l’intérêt pédagogique n’est
pas seulement celui du retour sur l’action.

La métacognition
Le mot désigne toute activité, verbalisée ou non, de retour réflexif
sur l’action.
Il est acquis que la métacognition, grâce à une prise de conscience
des procédures, des méthodes ainsi que des cheminements intellec-
tuels mis en œuvre pour résoudre un problème, facilite et améliore
les apprentissages ainsi que leur transfert dans d’autres situations.
Favoriser les activités de métacognition pour les élèves
constitue donc l’un des moyens de les aider à apprendre
ou à surmonter leurs difficultés.

10. Philippe Meirieu, Frankestein pédagogue, ESF éditeur, 1993, p. 103.

192
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien dans l’urgence

D’autres moments de réflexion peuvent être organisés de


façon collective. En classe entière, ils peuvent permettre à
chaque élève d’attirer son attention sur des aspects qui lui ont
complètement échappé et d’enrichir ses outils d’analyse. C’est
aussi installer l’habitude d’une posture réflexive.
Le travail de groupe autour d’une situation problème est un
lieu privilégié pour des activités de métacognition. Elles se
font spontanément par les élèves dès que ceux-ci ont comme
consigne de confronter des stratégies différentes pour résoudre
un problème et surtout de ne retenir que celle qu’ils jugent
la meilleure, comme on le fait par exemple dans les rallyes
mathématiques. Comme l’explique Michel Grangeat11, l’élève
confronté à des conceptions différentes des siennes, « surtout
s’il est enclin à gommer les contradictions dans ses propres
représentations ou à rester figé dans ses perceptions initiales
– se trouve forcé d’admettre que certains de ses pairs ne pensent
pas comme lui à chaque instant et que d’autres n’utilisent pas les
mêmes démarches, tout en atteignant des buts identiques. Ainsi,
il est amené à s’intéresser à des stratégies qui ne lui sont pas
spontanées et c’est alors que les procédures, plus canoniques ou
classiques, apportées par l’enseignant, peuvent être plus facile-
ment appropriées ».
Pour des temps individuels, l’entretien d’explicitation déve-
loppé à la fin de ce chapitre illustre un dispositif de métacogni-
tion particulièrement efficace pour atteindre les difficultés qui
ont résisté à tout ce que le professeur a déjà essayé.
Enfin, les bilans de savoirs permettent une collecte rapide de
données pour une gestion personnalisée différée.

11. Michel Grangeat, La métacognition, une aide au travail des élèves, ESF éditeur,
1997, pp. 162-163.

193
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

Les bilans de savoirs


Dans les années 1990, l’équipe de recherche Escol, alors dirigée
par Bernard Charlot, demande à des collégiens de faire par écrit
le bilan de ce qu’ils ont appris à l’école et ailleurs. L’équipe nomme
ces bilans écrits « bilans de savoirs ».
Les matériaux recueillis complétés par des entretiens ont fourni
les supports des travaux de cette équipe sur le rapport au savoir.
Sur le terrain, des enseignants se sont saisi de l’idée pour prévoir
d’utiles temps de prise de recul. Reprenant l’idée d’une question
ouverte posée par écrit en fin de séquence d’apprentissage, par
exemple « Qu’avez-vous appris d’important au cours de cette
séquence ? », ils demandent à leurs élèves un bilan écrit de
ce qu’ils ont appris.
Pour les élèves, ces bilans de savoirs permettent d’identifier,
nommer et organiser les savoirs acquis, de mesurer le chemin
parcouru et de prendre l’habitude de faire un retour réflexif sur
ce qu’ils ont fait.
Pour les enseignants, ils fournissent d’utiles indications sur
le rapport que les élèves entretiennent avec le savoir.
Ils constituent aussi un utile outil d’évaluation et de régulation
pour un enseignement plus personnalisé.

Reformuler et faire reformuler


Il s’agit là d’un principe de base de l’action pédagogique, un
geste professionnel simple d’aide, mobilisable à tout moment.

■■ Le professeur reformule ce que vient de dire


un élève et s’en sert comme point d’appui
L’enseignant renvoie ainsi une information vers l’ensemble
de la classe, prend appui sur elle pour enchaîner lui-même ou
pour la soumettre à discussion. Il valorise ainsi la parole de cet

194
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien dans l’urgence

élève, lui prouve qu’il l’a écouté et lui fournit une autre présen-
tation de ce qu’il vient de dire.
Un autre avantage indiscutable est le travail sur le vocabulaire
et la syntaxe. En reformulant dans une syntaxe sans erreur, en
utilisant un lexique plus soutenu ou plus scientifique, le profes-
seur propose un modèle langagier plus élaboré sans stigmatiser
les approximations du premier énoncé. Utilisée systématique-
ment, la reformulation constitue un moyen de faire progresser
la flexibilité langagière12.

■■ Le professeur reformule ce que vient


de dire un élève et le soumet à discussion
Lorsqu’un élève intervient dans un cours, c’est le plus sou-
vent le professeur qui réagit, arbitre, commente, valide ou non
la proposition. Si, au contraire, le professeur reformule ce qui
vient d’être dit et le soumet à discussion pour l’ensemble de la
classe, le gain est à plusieurs niveaux :
––d’abord, il évite une perte d’information, maintient les élèves
en alerte en assurant une meilleure circulation de la parole.
Les élèves savent qu’à tout moment, ils peuvent réagir ou être
sollicités pour le faire. En effet, lorsqu’un cours se déroule
par questions-réponses passant systématiquement par le
professeur, beaucoup d’élèves se désintéressent des échanges
lorsqu’ils ne sont pas directement sollicités ou perdent quan-
tité d’informations qui ne sont tout simplement pas audibles.
Il suffit de s’installer au fond d’une classe et d’assister à un
cours pour s’en rendre compte. Un premier avantage con-
cerne donc la dynamique de la classe, la mobilisation des
élèves et la pratique de l’oral ;

12. Voir partie 7 de cet ouvrage.

195
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

––mais surtout, ce geste professionnel installe une relation au


savoir différente. Le professeur n’est plus détenteur unique
de vérité, il est celui qui organise une co-construction des
savoirs par le groupe lui-même. Chaque intervention d’élève
peut ainsi être discutée quasiment systématiquement au sein
d’une classe par un ou deux élèves avant que le professeur ne
reprenne la parole pour stabiliser sans ambiguïté ce qui est
conforme aux savoirs visés. Cette reprise claire par l’ensei-
gnant est indispensable : laisser s’enliser les échanges serait
contre-productif.

■■ Le professeur fait reformuler par un


ou des élèves ce qui vient d’être dit
Un élève n’a pas compris une consigne ou un énoncé ? Des
explications supplémentaires sont réclamées ? Une question
à laquelle le professeur a déjà répondu est posée ? Au lieu de
répondre lui-même, voire de s’impatienter à cause des redites,
il est beaucoup plus intéressant que l’enseignant demande aux
volontaires de le faire à sa place.
La reformulation par d’autres élèves fournira, comme cela a
déjà été évoqué précédemment, un marche-pied pour réduire
l’écart entre le message du livre ou du professeur et l’élève qui
n’a pas compris. Mais cela permettra aussi à l’enseignant d’éva-
luer la réception de ce qu’il a dit et de réajuster si nécessaire
avant que ne s’enkystent des malentendus ou des erreurs. Il
s’agit là d’un autre geste professionnel essentiel de prévention
de l’échec, en continu, dans l’action.

Corrélat :
Mobiliser les élèves

196
3. Des stratégies d’aide mobilisables au quotidien dans l’urgence

La reformulation

L’outil d’une écoute véritable


Carl Rogers, enseignant puis psychothérapeute, a théorisé dans les
années 1960, l’intérêt de la reformulation dans le travail d’aide psy-
chologique. Il a proposé une typologie des reformulations possibles
(reformulation reflet de sentiment, reformulation élucidation, refor-
mulation résumée, reformulation renversement rapport forme/fond,
reformulation clarification). Il s’agit dans tous les cas de manifester
sans ambiguïté à l’autre qu’on l’écoute.
L’intérêt de ces travaux dépasse de loin le cadre thérapeutique
et fournit à chacun les moyens de réfléchir aux conditions d’une
véritable écoute.

Un moyen privilégié pour s’assurer de la compréhension


« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour
le dire arrivent aisément13. » Faire reformuler est un moyen de vérifier
la compréhension.

La reformulation pour construire la pensée


Vygotski, Wallon puis Bruner ont insisté sur les liens entre
le développement de la pensée et le langage.
Dominique Bucheton14 et son équipe ont souligné le rôle important
de la reformulation, qu’elle soit écrite ou orale, pour développer
la réflexivité, pour permettre aux élèves de « se dégager de leur
expérience pour la penser15 ».
Michel Tozzi 16, qui contribue à développer les pratiques d’éveil
à la pensée philosophique dès l’école primaire, insiste sur le rôle

13. Nicolas Boileau, Art poétique, 1674.


14. Jean-Charles Chabanne, Dominique Bucheton, Parler et écrire pour penser,
apprendre et se construire ; L’écrit et l’oral réflexifs, Éducation et formation, PUF,
2002.
15. Jean-Charles Chabanne, Dominique Bucheton (dir.), Écrire en Zep, Delagrave,
2002, p. 38.
16. « La pratique de l’oral à l’école : l’importance et les enjeux pédagogiques de la
reformulation en classe », Cahiers pédagogiques, 2002, p. 50-51.
Michel Tozzi, L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, Hachette, 2001, p. 51.

197
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

des reformulations effectuées régulièrement au cours de ce type


d’activités. « L’enseignant, à travers la reformulation et la synthèse,
tisse des liens entre les différents apports personnels et le chemi-
nement collectif pour rendre intelligible le thème travaillé. En effet,
l’enfant ne pense pas de façon linéaire, il se trouve d’abord devant
“des lambeaux discontinus d’expérience17”, c’est pourquoi
sa pensée semble parfois incohérente. » Grâce à ce va et vient,
l’enfant construit progressivement sa pensée.

Un outil pour perfectionner le maniement de la langue


En reformulant ce que vient de dire un élève, le professeur fournit
un langage plus normé, des formes syntaxiques plus diversifiées,
un lexique plus scientifique : il fournit ainsi un modèle accessible.
En reformulant ce qui vient d’être dit par le professeur ou par
un autre élève, l’enfant exerce la flexibilité du langage.
La norme langagière se construit dans l’usage.

17. Henri Wallon, Les origines de la pensée chez l’enfant, PUF, 1945.

198
4. Les erreurs : un
irremplaçable vivier
pour ajuster l’aide

T ous les travaux sur le processus d’apprentissage le


soulignent : l’erreur n’est pas une faute, l’erreur est
inhérente au processus même de l’apprentissage.
Si l’on veut affiner l’aide apportée aux élèves, il est
nécessaire de se servir des erreurs des élèves pour repérer
les lieux de résistances et apporter des réponses adaptées.
Le principe, séduisant sur le fond, pose néanmoins de réels
problèmes de mise en œuvre. D’abord parce que l’analyse
des erreurs est infinie. Les travaux en didactique des
disciplines ne cessent de produire des outils de plus en plus
fins, mais comment imaginer qu’un professeur ayant en
charge plusieurs classes de trente-cinq élèves, comme c’est
le cas en lycée, puisse s’attacher à l’analyse de toutes les
erreurs faites par les élèves ! Comment imaginer qu’un
professeur d’école, qui a en charge l’enseignement de
toutes les disciplines, soit suffisamment spécialisé dans la
didactique de toutes les spécialités pour être performant
dans tous les domaines ? Par ailleurs, comme l’explique
Guy Brousseau18, les erreurs sont scotomisées19 lorsqu’on
atteint un certain niveau d’expertise, « lorsqu’un
mathématicien devient professeur, il doit soulever cette
scotomisation pour retrouver la mémoire de ses propres

18. Guy Brousseau, Théorie des situations didactiques, La Pensée Sauvage, 1998.
19. Scotomisé, vocabulaire psychanalytique : refoulé comme une réalité pénible.

199
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

erreurs » et comprendre celles des élèves, et cela n’est pas


facile.
On peut donc pragmatiquement proposer quelques pistes
de travail raisonnables.

Réduire le nombre d’erreurs


sans écraser le maître de travail

■■ Faut-il traiter toutes les erreurs ?


Non, bien sûr ! Signaler de façon exhaustive toutes les erreurs
peut même s’avérer considérablement contre-productif et être
très décourageant pour l’élève. C’est le rôle du professeur de
déterminer des priorités et de choisir de laisser certaines
erreurs invisibles ou non traitées pour permettre à l’élève de se
concentrer sur un nombre d’objectifs raisonnable.

■■ Les erreurs prioritaires


Pour orienter le travail de l’enseignant, on peut proposer de
réfléchir à des erreurs à traiter prioritairement :
––ce sont d’abord « les erreurs de bonne foi », « celles pour
lesquelles on suppose que l’élève les a produites en leur
attribuant un sens et donc qui, pour lui, sont des pensées cor-
rectes20 » ;
–– ce sont aussi, celles qui sont répandues chez un nombre im­
portant d’élèves ou celles qui ont des conséquences importantes

20. Guy Brousseau, « Les erreurs des élèves en mathématiques, Étude dans le
cadre de la théorie des situations didactiques », www.irem.ujf-grenoble.fr.

200
4. Les erreurs : un irremplaçable vivier pour ajuster l’aide

sur la suite des apprentissages. Celles-là justifient un traite-


ment collectif urgent, des activités pour toute la classe ;
––il y a aussi celles qui se reproduisent fréquemment chez un
même élève parce qu’une intervention urgente consiste à
signaler à l’élève la récurrence de la même erreur. Pour que
l’élève puisse rectifier une erreur, encore faut-il en effet qu’il
en ait conscience. Les erreurs de bonne foi sont par nature
inaccessibles à l’élève ;
––ce sont également celles pour lesquelles sont déjà disponibles
des réponses pédagogiques qui ont fait leurs preuves.
Ces différents critères permettent une intervention sans délai
mais toutes les erreurs ne seront pas prises en charge. Reste
aussi à évaluer par le professeur lui-même la part de celles qui
peuvent relever les limites de son propre enseignement (et on
peut commencer par cela).

■■ Que faire des « fautes d’inattention » ?


Comme le rappelle Guy Brousseau, toutes les erreurs ne justi-
fient pas une intervention du maître. Il estime que le traitement
d’erreurs pour lesquelles « il ne peut être établi aucun rapport
entre elles et la connaissance en construction (qu’elles soient
dues à des circonstances périphériques ou à un engagement
superficiel) […] non seulement n’apporte rien, mais encore
prend du temps et détourne le processus ». C’est ce qu’élèves et
professeurs appellent « faute d’inattention ». Mais Brousseau,
et c’est une réserve importante, précise qu’il n’est pas toujours
facile de les identifier avec certitude. La catégorie « faute d’inat-
tention » est souvent un fourre-tout commode pour élèves et
enseignants.
Dans cette catégorie, on trouve effectivement des éléments
qui n’ont rien à voir avec les savoirs en jeu. Ce sont des irrup-
tions parasites aléatoires issues de l’environnement de l’élève.

201
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

Le traitement pédagogique pertinent ne concerne pas le fond,


les connaissances elles-mêmes, et, si l’on veut agir, mieux vaut
se préoccuper du climat de la classe et de la façon de mobiliser
davantage les élèves. Mais la pratique de l’entretien d’explicita-
tion réserve bien des surprises à ce sujet, les fautes d’inatten-
tion des élèves cachent souvent des savoirs erronés dont l’élève
n’a pas du tout conscience. Effectivement, quand un élève ne
se concentre pas, c’est une procédure automatisée qui entre en
jeu : si elle est inefficace, si elle repose sur des erreurs, il faut
atteindre cet obstacle profond. Des erreurs d’inattention qui se
reproduisent méritent ainsi qu’on approfondisse (voir Entretien
d’explicitation).

■■ La régulation des erreurs


par les autres élèves
En phase d’apprentissage, toutes sortes d’erreurs résultent
des tâtonnements indispensables et ne se produiront qu’une ou
deux fois. Elles ne méritent pas un traitement public, et encore
moins un traitement collectif.
Si le professeur est le seul recours en cas d’erreurs, sa charge
de travail devient vite ingérable au détriment du rôle indis-
pensable qu’il doit avoir pour débusquer les erreurs liées aux
modèles implicites que l’élève utilise en situation de résolution
de problème.
Une régulation simple consiste à organiser des temps de tra-
vail en binôme : deux élèves échangent leurs copies ou leurs
productions, soit en cours de séance, soit avant de rendre le tra-
vail au professeur. La règle du jeu consiste à signaler les erreurs
à l’autre, qui peut tenter de les rectifier ou, en cas de désaccord
ou d’impasse, en référer à un autre élève ou à l’enseignant, qui
reste l’arbitre suprême.

202
4. Les erreurs : un irremplaçable vivier pour ajuster l’aide

Ce procédé, qui ne demande aucune anticipation particulière,


permet de faire disparaître un certain nombre d’erreurs parmi
les plus visibles, particulièrement celles liées aux connaissances
ou à la communication. L’expérience montre que lorsqu’il s’agit
d’une méthode de travail banalisée dans une classe, les résultats
sont très intéressants. Au-delà des avantages immédiats concer-
nant une amélioration toujours gratifiante des productions des
élèves, cela installe chez tous les élèves l’habitude d’opérer un
retour critique une fois le travail accompli, pas seulement pour
le travail des autres mais aussi sur leur propre travail.
Si le binôme associe deux élèves de niveaux très différents,
l’élève en difficulté bénéficiera en outre de la lecture d’un
modèle accessible. Il pourra aussi solliciter l’avis d’un troisième
élève pour l’aider dans sa tâche critique.

■■ Gérer les erreurs collectivement


et publiquement
La gestion des erreurs avec toute la classe suppose de réflé-
chir à quelques critères.
n Si l’erreur a été faite par tous les élèves, c’est évidemment
légitime mais cela renvoie alors à la façon dont l’enseignant a
abordé les contenus concernés.
n Demander aux élèves de réfléchir à des erreurs même s’ils ne
les ont pas faites se justifie si l’erreur concerne un grand nombre
d’élèves et si le professeur compte sur ceux qui ont compris
pour aider les autres à dépasser l’obstacle.
n Si l’erreur n’a été faite que par un petit nombre d’élèves, voire
un seul, le traitement collectif n’est intéressant que si cela
permet de fournir des indices, des moyens de différencier un
bon et un mauvais choix, des moyens de s’auto-évaluer réuti-
lisables dans d’autres situations. Il s’agit alors pour les uns de

203
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

remédiation et pour tous de fournir des outils pour prévenir ou


anticiper les erreurs.
La gestion des autres erreurs devrait ne concerner que ceux
qui les ont faites en petits groupes ou en particulier.

Le statut de l’erreur
« Parce que comprendre est plus important que réussir, l’école est
un lieu où l’on doit pouvoir se tromper sans risque », déclare Philippe
Meirieu ; et pourtant, un modèle pédagogique implicite encore très
prégnant fait de l’erreur une faute, un raté punissable.
Les perspectives constructivistes considèrent l’erreur comme inhé-
rente au processus même d’apprentissage, un événement normal.
Elle permet de renseigner l’enseignant sur les obstacles qui freinent
ou empêchent les apprentissages. Le rôle de l’enseignant est alors
de proposer des aides pour surmonter les obstacles identifiés.
Guy Brousseau21 souligne que l’erreur peut avoir, selon les phases
de l’apprentissage, des statuts différents dans une même classe
pour un même professeur et les mêmes élèves : « essai », « erreur »,
« échec à un exercice », « échec d’un apprentissage », « faute », et
surtout il signale : « Le statut des erreurs peut se modifier à l’insu
des acteurs. L’élève croyait pouvoir faire un essai, le professeur
le reprend comme s’il avait commis une erreur dans un exercice,
et si cette décision ignore un enseignement avéré, c’est même
une faute, voire une offense au professeur. »

21. Théorie des situations didactiques, op. cit.

204
4. Les erreurs : un irremplaçable vivier pour ajuster l’aide

Des pistes pour comprendre


les erreurs des élèves
L’erreur est souvent attribuée à un manque de connaissances
ou de concentration mais l’expérience montre que revenir sur
les connaissances ne résout qu’une partie des difficultés. Il faut
aussi atteindre les modèles implicites de résolution de pro-
blèmes utilisés par l’élève pour les modifier s’ils ne sont pas
valides.
Jean-Pierre Astolfi propose une typologie des erreurs qui
donne un certain nombre de pistes de réflexion générales.
Néanmoins, on ne peut se passer d’entrer dans l’analyse fine
proposée en didactique de chaque discipline pour comprendre
les erreurs des élèves et y remédier.

Typologie d’erreurs
selon Jean-Pierre Astolfi
« Vos erreurs m’intéressent », déclarait Jean-Pierre Astolfi en 1997
dans un ouvrage dont le titre parle de lui-même : L’erreur, un outil
pour enseigner.
Il propose une typologie qui, loin d’être exhaustive, montre une
diversité de directions dans lesquelles l’enseignant peut chercher :
− difficultés liées à la compréhension des consignes ou des
attentes ;
− erreurs liées à des conceptions erronées préexistantes qui
n’ont pas été ébranlées par les activités ou conceptions issues
d’une discipline et non pertinentes dans une autre ;
− erreurs sur les opérations intellectuelles impliquées ou sur
les démarches ;
− erreurs liées à la surcharge cognitive ou à la complexité
de l’activité.

Référence
Jean-Pierre Astolfi, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF éditeur, 1997

205
5. Des dispositifs
spécifiques d’aide
personnalisée

L es professeurs se sentent souvent démunis pour


une aide véritablement personnalisée. On trouvera
ci-dessous deux dispositifs très différents qui ont fait
leurs preuves. L’atelier dirigé s’adresse à un petit
groupe d’élèves, l’entretien d’explicitation s’effectue
en un face-à-face enseignant-élève.

L’atelier dirigé pour


un accompagnement sur mesure
L’atelier dirigé permet à l’enseignant de s’occuper d’un petit
groupe pour un accompagnement rapproché sans ralentir le
rythme des autres élèves qui, pendant ce temps-là, effectuent
en autonomie des travaux différents. L’enseignant effectue une
régulation bienveillante des interventions des élèves. Comme
tout dispositif particulier, « on ne peut l’isoler des autres pra-
tiques de la classe22 ». Il ne s’agit pas d’une recette pédago-
gique miracle mais d’un dispositif très efficace s’il s’inscrit dans
une réflexion globale sur les apprentissages et les contenus de
savoirs qu’il favorise.

22. Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture, une réponse à
l’hétérogénéité des élèves, op. cit.

206
5. Des dispositifs spécifiques d’aide personnalisée

Ateliers et atelier dirigé


Un travail en atelier est un travail par petits groupes sur des tâches
différentes.

Les ateliers Freinet


Célestin Freinet, dès le premier quart du XXe siècle, propose
une organisation en ateliers où les élèves effectuent des tâches
différentes au service d’un projet collectif.

Les ateliers à l’école primaire


À l’école primaire, et surtout en maternelle, le travail en atelier est
couramment utilisé, qu’il soit dirigé ou non par le maître. À chaque
groupe correspond une activité et souvent un type de guidage
différent.

L’atelier dirigé
Dominique Bucheton23 propose l’atelier dirigé comme moyen
d’assurer un accompagnement personnalisé : l’enseignant prend
en charge un petit groupe d’élèves pendant que le reste de la classe
mène d’autres activités.
À la différence des autres travaux de groupe, ce type d’atelier
est dirigé par l’enseignant qui régule les interventions de chacun.
Le nombre d’élèves restreint rend possible un étayage ciblé au
plus près des besoins de chacun, ce qui est la visée pédagogique
essentielle. La tâche est la même pour tous les élèves mais
chacun bénéficie des apports du groupe pour mener à bien
sa production personnelle.

23. Ibid.

207
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

L’entretien d’explicitation :
un outil privilégié de l’aide personnalisée
Que peut-on faire quand on a déjà tout essayé ? Comment
atteindre les savoirs préconstruits qui font obstacle aux
apprentissages ?
Les travaux de Pierre Vermersch, qui a théorisé la méthode
de l’entretien d’explicitation, sont depuis longtemps connus et
utilisés dans différents milieux professionnels – par les travail-
leurs sociaux ou les formateurs d’adultes – mais sont encore
largement méconnus des enseignants. Il s’agit pourtant d’un
outil précieux pour le professeur, parfaitement adapté lorsque
d’autres aides proposées à un élève n’ont pas suffi.
L’entretien d’explicitation permet à l’enseignant autant qu’à
l’élève d’entrer dans la boîte noire des opérations mentales et
procédures réellement effectuées par chacun. C’est un outil
privilégié de l’aide personnalisée, utile aussi bien au diagnostic
des difficultés qu’à leur traitement. Il est donc particulièrement
adapté au suivi individuel d’élèves en grande difficulté.

L’entretien d’explicitation
Pierre Vermersch a élaboré au milieu des années 1990 une méthodo-
logie spécifique pour un type d’entretien dont le but est de permettre
à celui qui agit de faire un retour sur ce qu’il a fait pour mettre à jour
les procédures, conscientes ou non, qu’il a mises en œuvre.

Faire verbaliser : le principe de base


Le principe est simple : il s’agit de faire verbaliser par l’élève la façon
dont il a agi pour produire telle ou telle réponse, effectuer tel ou tel
exercice. En verbalisant les procédures qu’il a utilisées, l’élève en
prend conscience et peut les réajuster si nécessaire. L’enseignant,
lui, peut identifier des nœuds de résistance insoupçonnés.

208
5. Des dispositifs spécifiques d’aide personnalisée

■■ Une méthode rigoureuse


pour un résultat assuré
La méthodologie de l’entretien d’explicitation ne doit pas
effrayer, il suffit d’en comprendre l’esprit et les présupposés
pour le mener à bien et voir des effets rapidement.

La méthodologie de l’entretien
d’explicitation
Un support scolaire indispensable
L’entretien se déroule en face à face entre un professeur et un élève,
sur un travail déjà effectué par l’élève : une copie corrigée par le
professeur qui y a repéré des lieux de résistance, des erreurs, des
hésitations… La présence d’un objet d’apprentissage déjà travaillé
par l’élève est indispensable. Toutes les questions partent de ce
support et y reviennent. Cet objet médium est un rempart contre
tout risque de « dérive » : il s’agit d’un entretien sur l’apprentissage
et non d’une incursion dans un autre domaine intime, sociologique,
socio-culturel, psychologique.

Un type de questionnement réfléchi


Il vise à atteindre le « comment » : « Comment as-tu fait ? »,
« Comment as-tu su que ? »

Une posture d’écoute


L’enseignant s’interdit de faire des suggestions à l’élève.

Référence :
L’ouvrage de Pierre Vermersch, L’entretien d’explicitation,
ESF éditeur, montre et analyse de nombreux exemples d’entretien
d’explicitation

■■ L’art du questionnement ou pourquoi


il ne faut pas poser la question pourquoi
L’un des points clés dans la conduite de l’entretien d’explici-
tation est l’art du questionnement. Pour faire court, on pourrait

209
Pour une aide efficace aux élèves en difficulté

dire que l’on évitera complètement des questions commen-


çant par « pourquoi » au profit de questions commençant par
« comment ». En effet, lorsque nous agissons, nous utilisons
toutes sortes de savoirs. Une grande partie de ces savoirs est
consciente, ils sont clairement identifiés, conceptualisés, aisé-
ment mobilisables et donc réajustables ou modifiables. Dans les
situations d’enseignement les plus courantes, l’action du profes-
seur atteint ce type de savoirs.
Lorsque des difficultés persistent, en particulier si les mêmes
erreurs se reproduisent malgré les efforts faits pour y remé-
dier, c’est qu’il existe d’autres procédures ou connaissances non
conscientes qui sont enkystées et qui font obstacle aux réajus-
tements indispensables à l’acquisition de savoirs nouveaux. Ce
sont ces procédures ou connaissances-là qu’il faut déstabiliser.
Mais, pour le faire, il faut qu’elles soient identifiées.
Face à une erreur, si l’on demande à l’élève « pourquoi » il l’a
faite ou « pourquoi » il a répondu cela, la question a de grandes
chances de rater sa cible, et ce pour plusieurs raisons :
––d’abord parce qu’elle est trop large et sollicite des domaines
variés, notamment moraux ou affectifs : « parce que je pensais
que c’était la bonne réponse, parce que j’étais stressé, parce
que je me dépêchais, parce que je croyais que c’était ça qu’il
fallait faire… », et pas seulement celui des procédures de
l’action effectivement mises en œuvre ;
––mais surtout, cette question appelle des réponses toute prêtes.
Pour y répondre, l’élève va puiser dans les savoirs conscients,
aisément mobilisables, ceux qui sont déjà clairement identi-
fiés, conceptualisés, autrement dit rien de plus que ce qui a
déjà été sollicité précédemment par les efforts du professeur
pour aider l’élève. Si l’on veut débloquer d’autres nœuds de
résistance, il faut dépasser ce premier niveau pour atteindre
d’autres procédures non conscientes.

210
5. Des dispositifs spécifiques d’aide personnalisée

La question clé est donc « comment » en rebondissant


systématiquement sur les précédentes réponses de l’élève :
« Comment as-tu fait pour répondre cela ? Comment as-tu fait
quand tu as vu que tu ne savais pas ? Comment fais-tu quand tu
réponds au hasard ? »
Un autre point clé consiste à ne pas se contenter d’une pre-
mière réponse, de termes généraux ou vagues, mais à relancer
suffisamment l’entretien jusqu’à ce que l’élève parvienne à iden-
tifier de façon précise les choix qu’il a effectués. C’est parfois
un petit détail qui permet d’identifier les procédures inefficaces.

211
7
L’écrit et l’oral,
points cruciaux
des apprentissages

D
épasser les lamentations et l’indignation à propos de l’in-
suffisance des performances langagières des élèves pour
analyser, comprendre et agir ; en finir avec les jugements
désolés et désolants en termes de « manques » (vocabulaire) ou
de « fautes » (orthographe, syntaxe) ; bousculer les clichés rituels
pour identifier les points de blocage ; tout cela est nécessaire
si l’on veut entrer dans des pratiques langagières construites
et constructives quels que soient les niveaux et les disciplines
concernés.

213
1. L’oral et l’écrit
vecteurs déterminants
des apprentissages

O ral ou écrit, le langage est au cœur des


apprentissages. Le langage permet à la fois :
- de construire des référents, désigner et nommer les savoirs
en jeu ; d’organiser le monde : classer, catégoriser,
nommer, relier, imaginer, inventer (dimension cognitive) ;
- de prendre de la distance, de questionner ce qui résiste,
d’expliquer, de reformuler ce que l’on a compris ou
découvert (dimension métalinguistique) ;
- de mesurer les effets produits ou attendus, de percevoir
des enjeux (dimension sociale) ;
- et ainsi penser le monde, les autres et soi-même, et
partant se construire comme sujet singulier capable de
penser avec et contre les autres (dimension identitaire).
Le rôle de l’oral comme celui de l’écrit est irremplaçable.

L’école peut et doit mieux faire


Inquiétude voire indignation, la question de l’insuffisance
des performances langagières chez les élèves ne date pas d’au-
jourd’hui. Les cris d’alarme sont récurrents : entre trop et pas
assez, on a toujours cherché des coupables : trop de télévision
naguère, trop d’écrans en tous genres aujourd’hui, trop de SMS,
pas assez de lecture, pas assez de grammaire…

215
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

On dispose d’un certain nombre d’enquêtes nationales ini-


tiées par la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective
et de la performance) ou internationales parmi lesquelles Pirls
et Pisa qui s’intéressent aux performances des élèves de nom-
breux pays. On doit manipuler avec précaution ces statistiques,
les considérer dans leur hétérogénéité et se méfier des compa-
raisons et raccourcis fracassants des médias.
Il n’en demeure pas moins que l’école peut mieux faire et il
s’agit d’examiner comment ! 1

L’évaluation des compétences


avec les enquêtes Pirls et Pisa

Pirls (Progress in International Reading Literacy) :


Programme international de recherche en lecture scolaire.
Ce programme évalue la compréhension en lecture dans les pays
participants (54 pays ou provinces en 2011) et concerne les élèves
dans leur 4e année de scolarité obligatoire (CM1 en France).
Les textes choisis (850 mots, documents et illustrations) témoignent
à part égale de la lecture documentaire et de la lecture littéraire.
L’enquête distingue quatre compétences : « Prélever des
informations explicites », « Inférer directement », « Interpréter idées
et informations », « Apprécier le contenu, la langue et les éléments
textuels ».
« En France, les scores moyens des compétences les moins
exigeantes1, comme “Prélever” et “Inférer” restent stables sur
la décennie. Les compétences “Interpréter” et “Apprécier” plus
complexes voient leur score diminuer significativement sur
la même période1.
Les écoliers français sont toujours les plus nombreux à ne pas
terminer leurs épreuves et à s’abstenir de répondre lorsqu’il leur est
demandé de rédiger. » (Source : Ministère de l’Éducation nationale,
DEPP, note d’information n° 12.21, déc. 2012.)

1. La hiérarchisation des compétences « prélever » et « inférer » moins exigeantes
que « interpréter » et « apprécier » est discutée. Toute compétence est complexe.
Ces résultats, inégaux selon les pays, sont fortement corrélés aux pratiques
pédagogiques.

216
1. L’oral et l’écrit vecteurs déterminants des apprentissages

2
Pisa (Program for International Student Assessment) :
Programme international pour le suivi des acquis des élèves.
Initié par l’OCDE2, ce programme évalue et compare tous les 3 ans,
depuis 2000, les performances dans trois grands domaines :
reading, mathematical and scientific literacy. L’anglicisme literacy
a été traduit en français par « compréhension de l’écrit, culture
mathématique et culture scientifique ». En 2009 et 2015 l’enquête
focalisait sur le domaine scientifique (domaine majeur) mais fournissait
néanmoins des indications sur celui de la compréhension de l’écrit
(domaine mineur).
Pisa concerne un échantillon représentatif des élèves de 15 ans ayant
effectué un cursus de scolarité obligatoire sur les 10 années précédant
les tests. 71 pays ont participé en 2015 dont les 35 de l’OCDE.
Dans le domaine de la compréhension de l’écrit, Pisa évalue trois
compétences distinctes : « accéder à l’information, et la localiser,
intégrer et interpréter, réfléchir et évaluer. (…) les deux premières
demandent d’utiliser des informations qui proviennent du texte,
la troisième requiert que l’élève relie ces informations à ses
connaissances externes et qu’il s’engage personnellement
en portant un jugement sur le propos du texte. »
Si la performance moyenne de la France en compréhension de l’écrit
a progressé en 2015 par rapport à 2009 et se situe un peu au-dessus
de celle des pays de l’OCDE, c’est notamment par une augmentation
(+3 %) de la proportion d’élèves performants et très performants qui
représentent environ 12 %. En revanche, le pourcentage d’élèves
en difficulté reste stable entre 2009 et 2015, environ 22 % des élèves
sont sous le niveau 2.
Autrement dit, près d’1/4 des jeunes de 15 ans scolarisés en France
sont en deçà du seuil à partir duquel, selon l’OCDE, les élèves
commencent à montrer qu’ils possèdent des compétences
en compréhension de l’écrit qui leur permettront de participer
de manière efficace et productive à la vie de la société. En outre,
les résultats pointent l’inefficacité du système scolaire français
à réduire les inégalités, pire les écarts se creusent.
(d’après OCDE 2016, Résultats du Pisa 2015 (Volume I) : l’excellence
et l’équité dans l’éducation, tableau I1 4 1a et note par pays )

2. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est une


organisation internationale d’études économiques regroupant 35 pays membres en
2016, des pays développés pour la plupart.

217
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

De la « maîtrise de la langue »
aux « pratiques langagières »,
de quoi parlons-nous ?
Il est banal et sans doute commode de désigner par « maî-
trise de la langue » tout ce qui concerne la syntaxe, l’ortho-
graphe, le lexique, la sémantique ; l’expression englobant les
usages oraux autant que les usages écrits. Les élèves ont « une
maîtrise de la langue insuffisante » répète-t-on sans forcément
avoir conscience des enjeux théoriques qui sous-tendent cette
approche.
Si pendant longtemps les mots « langue » et « langage » ont
été employés de façon à peu près équivalente, les travaux des
linguistes et sociolinguistes en ont clarifié les usages. La dis-
tinction entre langue et langage n’est pas une finasserie de spé-
cialistes, elle éclaire deux approches radicalement différentes
des difficultés des élèves.
La langue est un référent commun, objectivé, dont l’étude
est évidemment indispensable, c’est d’ailleurs le domaine pri-
vilégié de la grammaire. Attribuer les difficultés des élèves à
des insuffisances concernant la maîtrise de la langue conduit
à se focaliser sur la partie visible de l’iceberg, c’est-à-dire les
normes et les codes, à la recherche d’un idéal fonctionnel qui
ne s’intéresse qu’au produit fini et lissé et laisse de côté tout
ce qui dans la diversité des pratiques langagières des élèves,
leurs tâtonnements, leurs ratés autant que leurs réussites leur
permet d’apprendre ou au contraire les freine.

Corrélats :
Langue, Langage

218
1. L’oral et l’écrit vecteurs déterminants des apprentissages

Définitions de « langue » et « langage »


La langue désigne un ensemble complexe d’unités linguistiques
ainsi que les règles, normes et codes qui les organisent permettant
à un groupe d’individus de communiquer. C’est un système abstrait
sous-jacent à tout acte de langage. C’est un objet d’enseignement
explicite à l’école.
Le langage : le mot désigne une utilisation sociale de la langue.
Le langage est toujours contextualisé et partagé.

L’échec scolaire touchant massivement les enfants des milieux


dits défavorisés, on s’est contenté pendant longtemps d’attri-
buer les difficultés à l’écart entre la langue de l’école et celle
des élèves3. Les niveaux ou registres de langue sont devenus
objets explicites d’enseignement, une attention grandissante a
été apportée aux consignes sans que la langue cesse pour autant
d’être un nœud de discrimination.
Ce type d’analyse relevant globalement de ce qu’on appelle
la théorie du handicap socioculturel – qui raisonne en termes de
manques et encourage des méthodes pédagogiques centrées
sur la répétition et la « remédiation » quantitative au détriment
d’une réflexion sur ce qui fait obstacle – a été contesté.
Dans les années 1990, les travaux d’Élisabeth Bautier, socio-
linguiste, ont mis l’accent sur les conduites langagières et la
nécessité de changer de point de vue pour s’intéresser, non pas
à la maîtrise de la langue mais aux pratiques langagières. « La
langue n’est pas seulement un système de signes mis en œuvre mais aussi
un mode de socialisation, une façon d’être et de comprendre le monde,
un ensemble de pratiques à la fois individuelles et sociales (…).4 »

3. Élisabeth Bautier, Pratiques langagières, pratiques sociales. De la sociolinguistique


à la sociologie du langage, L’Harmattan, 1995, p. 10.
4. Op. cit., p. 21-22.

219
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

Le constat est fort : « toutes les pratiques langagières d’oralité et


d’écriture ne se valent pas » et le concept de rapport au langage
s’avère un outil d’analyse pertinent pour éclairer ces inégalités.

Le rapport au langage différencié


et différenciateur5
Multifactoriel, à la fois social et subjectif, le rapport au lan-
gage est une configuration complexe et singulière pour chaque
individu. Les travaux d’Élisabeth Bautier et Bernard Lahire6
montrent qu’il ne recoupe pas les catégories sociales.

Le rapport au langage
« Le terme de rapport au langage désigne, d’une manière générale,
l’ensemble des représentations et des valeurs qui déterminent
les manières d’agir avec le langage, de penser avec des mots, les
ajustements possibles du langage dans la diversité des situations
auxquelles le sujet est confronté, les manières de s’affirmer comme
sujet parlant écrivant.
La notion de rapport au langage permet ainsi de concevoir les
difficultés non comme des “manques” qui se situeraient du côté
des moyens linguistiques mais aussi et surtout comme l’effet
de représentations et valeurs qui empêchent les élèves d’utiliser
le langage comme on le leur demande à l’école. »
Référence :
Dominique Bucheton, Refonder l’enseignement de l’écriture, Retz, 2014

5. Voir Didier Cariou, Écrire l’histoire scolaire. Quand les élèves écrivent en classe
pour apprendre l’histoire, PU Rennes, 2012, p. 36.
6. Voir Élisabeth Bautier, 1995 et Bernard Lahire,1995, 2008 dans la bibliographie.

220
1. L’oral et l’écrit vecteurs déterminants des apprentissages

Des travaux d’observation très fins de productions d’élèves


écrites et orales ont permis d’identifier un certain nombre
d’obstacles ou leviers7. À titre d’exemple, on peut dire qu’un
rapport au langage où domine une finalité purement utilitaire,
descriptive et référentielle fait obstacle ; il s’agit pour ces élèves
de décrire ou juger le réel dans son immédiateté, sans projet qui
le transcende.
À l’opposé, l’habitude d’utiliser le langage oral et écrit pour se
positionner, échanger, confronter son interprétation à d’autres
mais aussi élaborer, toute activité langagière qui permet de
mettre à distance le réel constitue une attitude scolairement
efficiente.

Un renversement de perspective
S’inscrire dans une logique de développement des pratiques
langagières et non dans celle de maîtrise de la langue est un
renversement de perspective essentiel.
C’est renoncer à l’illusion que l’enseignement de la gram-
maire et des batteries d’exercices vont tout résoudre ; c’est
cesser de considérer que les difficultés langagières sont le
domaine réservé du professeur de français ; c’est prendre en
compte la réalité des langages et non plus seulement une langue
aseptisée8 et idéale. C’est affirmer que chaque enseignant dans
sa discipline doit se préoccuper des pratiques langagières orales
et écrites.

7. Voir des exemples dans Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier d’écriture
au CP : une réponse à l’hétérogénéité des élèves, Delagrave, 2009 ou Dominique
Bucheton, Refonder l’enseignement de l’écriture, avec la contribution de Danielle
Alexandre, Monique Jurado, Retz, 2014.
8. L’expression est d’Élisabeth Bautier, op.cit., p. 14.

221
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

L’évolution du socle commun traduit de ce point de vue un


changement de perspective et une avancée significative. « La
maîtrise de la langue » constituait le pilier 1 du socle commun
dans sa version initiale (2006). La nouvelle version 2015 recentre
sur les langages et non le langage. Le domaine 1 est désormais
intitulé « Les langages pour penser et communiquer : il vise
l’apprentissage de la langue française ; des langues étrangères et, le cas
échéant, régionales ; des langages scientifiques ; des langages infor-
matiques et des médias ainsi que des langages des arts et du corps 9. »
10

Les pratiques langagières disciplinaires


« Aider les élèves exige de renoncer à une perspective de
“maîtrise de la langue” considérée comme un ensemble
de savoirs indépendants du contexte d’utilisation, extérieur
à l’usager, enseignable de façon autonome par rapport à celui
des contenus disciplinaires pour passer à celle de pratiques
langagières disciplinaires inséparables de la construction
des savoirs de chaque discipline10. »

Corrélats :
Maîtrise de la langue, Pratiques langagières

9. Décret n° 2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun de connaissances,


de compétences et de culture.
10. Danielle Alexandre, in Dominique Bucheton, Refonder l’enseignement de
l’écriture, op. cit., p. 132.

222
2. Développer l’oral
et l’écrit réflexifs
C omment travailler et faire évoluer le rapport
au langage ? Il ne s’agit pas pour l’enseignant
de se transformer en chercheur ou d’individualiser
à l’extrême son enseignement, des pistes de travail simples
à mettre en œuvre découlent des travaux de la recherche.

Créer des espaces de travail


du langage au sein de chaque cours,
dans chaque discipline
Du point de vue pédagogique, s’intéresser aux pratiques lan-
gagières des élèves c’est d’abord créer des espaces pour le faire.
Point crucial. Où sont-ils ces espaces de travail du langage à
l’école ? Lorsqu’ils existent, sont-ils quantitativement suffi-
sants et qualitativement formateurs ?
Chaque enseignant, quelle que soit la matière qu’il enseigne
peut questionner ses pratiques : les élèves, au sein des cours
ont-ils suffisamment l’occasion de prendre des risques, tâtonner,
brouillonner, s’exercer, hésiter, échanger avec les autres sur des
objets de savoirs à l’écrit et oralement ?
Concernant l’oral, on comprend que le modèle du cours
magistral ne laisse aucun espace. Quant au modèle du cours
dialogué actuellement dominant, il ne laisse dans le meilleur

223
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

des cas, que de très courts moments oraux à chaque élève11.


En outre, ces échanges relèvent souvent du modèle question-
réponse, la contribution des élèves se trouve alors réduite à
quelques mots, voire un seul, ils peuvent enkyster un rapport
utilitaire au langage, de pure conformité aux attentes du profes-
seur qui se limite à trouver ou deviner le mot attendu.
Beaucoup d’activités orales ne sont en classe que des moments
de répétition orientés vers l’apprentissage de techniques et
genres scolaires (récitation, lecture expressive à haute voix,
théâtralisation…) qui développent des compétences communi-
cationnelles mais ne sont pas à visée réflexive. Même l’exposé,
censé permettre une prise de parole étoffée, n’est souvent que
la restitution orale d’un écrit et non une pensée en mouvement.
Un usage réflexif du langage a besoin de questions ouvertes
et d’échanges contradictoires avec les autres.
Le travail de groupe, largement développé au chapitre 3 de
cet ouvrage, fournit le cadre privilégié d’échanges oraux qui
laissent du champ à la parole de chacun, les résistances et
apports des autres permettant de dépasser la pure et simple
affirmation d’une opinion personnelle pour élaborer une argu-
mentation suffisamment valide pour être comprise et reconnue
par les pairs. Organisée autour, ou articulée avec des travaux
écrits, la pensée peut se déployer de façon plus complexe grâce
au va-et-vient entre deux modes d’appréhension du réel, l’oral
et écrit.
Le débat est un autre espace de développement de la pensée
critique qui a l’avantage de pouvoir se décliner, solidement
arrimé à des connaissances disciplinaires12 (débat littéraire,
scientifique, autour d’œuvres musicales par exemple) mais aussi

11. Voir partie 2, p. 68, Activisme langagier et Cours dialogué.


12. Pour approfondir, De Vecchi G, Former l’esprit critique à travers les disciplines,
t. 2, ESF, 2016

224
2. Développer l’oral et l’écrit réflexifs

au carrefour de plusieurs disciplines. Les débats à visée philoso-


phique dès l’école primaire mobilisent un arrière-plan culturel
touchant à tous les domaines.
Les heures de vie de classe et les différents conseils auxquels
les élèves participent sont des espaces dédiés à l’apprentissage
de la vie démocratique, on s’y exerce entre pairs mais aussi
avec des adultes aux échanges oraux argumentés (débats, dis-
cussions, comptes rendus, etc.) sur des objets ou projets qui
concernent directement les élèves et le quotidien scolaire de
chacun. Encore faut-il que les adultes ne confisquent pas la
parole aux élèves ou ne détournent pas ces espaces13.
L’écrit au service de la pensée en construction est l’autre
déshérité de l’enseignement. L’essentiel de l’activité écrite dans
les classes consiste à copier, recopier et à produire des écrits
destinés à être évalués. Au collège ou au lycée dans de nom-
breuses disciplines, ils peuvent se limiter à une dizaine par an !
Comment et où les élèves s’exercent-ils ? « Ce rôle puissamment
réflexif de l’écriture, qui permet le développement de la pensée, l’objec-
tivation des raisonnements, l’ajustement aux diverses formes discur-
sives des multiples disciplines n’est pas un objet d’enseignement et reste
un impensé des programmes », écrit Dominique Bucheton en 2014.
La nouvelle version des programmes applicable en 2016, ouvre
quelques perspectives nouvelles, elles pourraient passer inaper-
çues sans un accompagnement fort en formation.

Corrélats :
Écrit, Oral

13. Cf, Zakhartchouk J-M., Quelle pédagogie pour transmettre les valeurs de la
République, ESF, 2016

225
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

Faire écrire et réécrire


le plus souvent possible
La pratique dominante fait de l’écrit scolaire une activité
solitaire ; au collège et au lycée elle est fréquemment rejetée
hors de l’école, sous forme de « devoirs à la maison ». L’écrit
est donc le plus souvent produit en un seul jet, sans témoin et
sans retouches. En outre, si ce travail est « corrigé » par le pro-
fesseur, également hors temps scolaire, la question fondamen-
tale de l’aide à l’apprentissage est escamotée. Au mieux, l’élève
trouvera sur sa copie, grâce aux annotations du professeur, des
conseils pour faire mieux la prochaine fois, au pire il y verra
listés les défauts ou les réussites sans projet particulier.
À l’opposé de ces pratiques chronophages pour l’espace privé,
il s’agit de mettre l’écriture au cœur des activités faites en classe
– non en marge des apprentissages – mais comme temps forts
d’appropriation des connaissances et de développement de la
pensée.

■■ Éloge des écrits intermédiaires


en toutes disciplines
Le travail écrit dans les classes est majoritairement et sou-
vent exclusivement centré sur la production d’écrits défini-
tifs, normés qui sont corrigés et évalués. Ensuite, l’on passe à
un autre. Le travail d’élaboration, de tâtonnement, « ces écrits
intermédiaires, transitoires n’ont pas dans la classe, pour l’instant,
le statut d’instrument de travail. Ils n’existent quasiment pas, sont
jetés, ignorés14. » Il ne s’agit pas seulement de « brouillons »,
c’est-à-dire d’états successifs d’un même texte jusqu’à ce que

14. Dominique Bucheton, Refonder l’enseignement de l’écriture, vers des gestes


professionnels plus ajustés du primaire au lycée, op. cit., p. 14.

226
2. Développer l’oral et l’écrit réflexifs

celui-ci corresponde au projet initial de l’auteur. Ce sont aussi


(et surtout ?) des écrits d’élaboration qui peuvent être des
moments d’appropriation des savoirs et des démarches disci-
plinaires, des temps d’organisation, de classement, de rationa-
lisation du réel (listes, schémas, tableaux) mais aussi des écrits
réflexifs, moments de retour sur ce qui a été fait, dit, compris
ou non. L’élève écrit ses questions, reformule, résume… Ces
écrits de travail peuvent être courts, très courts même15, mais
témoignent d’une activité mentale complexe.

Les textes intermédiaires


Le terme de textes intermédiaires (Bucheton Chabanne 1997 ; 2000)
désigne ces écrits de la médiation du travail scolaire, ces instruments
de pensée qui sont intermédiaires à plusieurs titres :
− entre un premier jet, un second, un troisième et le produit final ;
− entre un état émotionnel et créatif premier et sa mise à distance ;
− entre un point de vue premier du scripteur et ses développements
ultérieurs ;
− entre un texte et les interactions, les rencontres qu’il a pu susciter ;
− entre un texte et la culture rencontrée ou en cours d’appropriation ;
− entre des usages premiers et sommaires de la langue et
des maniements plus complexes ;
− entre un rapport très flottant à la norme et un rapport plus
16 conscient16.

Corrélats :
Écrits intermédiaires

15. Voir p. 72.


16. Op. cit., p. 75-76.

227
3. La classe, une
communauté
discursive disciplinaire
pour réguler les
pratiques langagières

C omment gérer les écrits intermédiaires ? Comment


l’enseignant peut-il multiplier les écrits de travail
sans risquer d’être débordé par une masse de productions
d’autant plus difficiles à gérer qu’elles sont inabouties ?

Accompagner au lieu de corriger


Un geste ancré dans la mémoire professionnelle collective des
professeurs consiste à adopter, face aux productions des élèves,
une posture unique, normative, celle de « correcteur ». Cette
rigidité constitue un frein majeur.
On peut, en revanche, lire les textes des élèves pour entendre ce
qu’ils disent, lire sans tenir de stylo à la main. Interroger l’auteur
sur les passages obscurs ou les ruptures, lui demander de pré-
ciser sa pensée ou son projet constituent une aide efficace pour
faire évoluer les textes. Reformuler oralement ses intentions fait
prendre du recul. Bien des dysfonctionnements syntaxiques sont
des signaux d’une pensée balbutiante qui peine à s’organiser ; ils
disparaissent sans autre intervention spécifique lorsque la pensée

228
3. La classe, une communauté discursive disciplinaire
pour réguler les pratiques langagières

se clarifie. Ces va-et-vient entre oral et écrit sont essentiels et le


professeur n’est pas seul à pouvoir les favoriser.

Utiliser le potentiel du groupe classe


Une piste pédagogique particulièrement efficace consiste à
utiliser le potentiel offert par la classe – le groupe d’élèves et le
professeur – considérée comme communauté discursive dis-
ciplinaire et à faire circuler et réguler ces écrits au sein de la
communauté. Des temps spécifiques d’évaluation sont bien sûr
préservés, nettement distincts des moments d’entraînement17.
« L’apprentissage du sens des mots d’une discipline, de la nature des
pratiques langagières et des écrits qui leur correspondent ne peut être
réalisé que dans un cadre strictement disciplinaire », écrit Didier
Cariou18, et il rappelle que « chaque discipline dispose de ses propres
modalités de pensée. On n’argumente pas de la même façon en fran-
çais, en philosophie, en histoire ou en éducation civique. On n’explique
pas de la même manière en histoire où l’on recherche le pourquoi des
causalités linéaires, en géographie ou en biologie où l‘on recherche le
comment des interactions et du fonctionnement d’un espace ou d’un
organisme vivant ».
Les difficultés langagières des élèves doivent donc être prises
en charge au sein de chaque discipline.
Les travaux de Jean-Pierre Bernié, Martine Jaubert et
Maryse Rébière, dans les années 2000, ont montré comment
« la construction de la classe comme communauté discursive disci-
plinaire était un outil pour assumer à la fois le rôle du langage et la
dynamique des situations d’apprentissage19 ».

17. Danielle Alexandre in Dominique Bucheton, op. cit., III, 9.


18. Didier Cariou, Écrire l’histoire scolaire. Quand les élèves écrivent en classe pour
apprendre l’histoire, op. cit., p. 63.
19. J.-P. Bernié, Revue française de pédagogie, n° 141, 2002, p. 77-88.

229
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

Les communautés discursives


disciplinaires scolaires
« Chaque discipline propose un cadre, un contrat de communication,
des valeurs, des outils, des techniques, des savoirs. L’institution de
l’enfant comme élève dans une discipline suppose qu’il distingue les
manières d’agir-parler-penser de chacune d’entre elles (M. Jaubert,
M. Rebière, J-P Bernié, 2007). […]
Chaque classe peut être vue comme une communauté discursive,
c’est-à-dire un groupe social qui apprend à spécialiser son activité,
ses centres d’intérêt, savoirs, valeurs, techniques et notamment ses
pratiques langagières orales et écrites pour chaque discipline. »
En raison de l’âge des élèves, des savoirs en jeu, il ne s’agit pas
d’une communauté scientifique experte mais d’une
communauté discursive scolaire.

Corrélat :
Communauté discursive

Toute classe, à partir du moment où elle est réunie pour


une activité disciplinaire identifiée, est une communauté discur-
sive scolaire. Reste à en exploiter tout le potentiel didactique et
pédagogique.
C’est avant tout rendre visible la communauté discursive
scolaire, en poser officiellement les règles de fonctionnement
directement liées à la discipline, afin que les élèves l’identifient,
l’investissent et s’y sentent responsabilisés. C’est ce que font
par exemple certains professeurs de langue vivante, y compris
pour de très jeunes enfants, qui marquent symboliquement un
moment à partir duquel on ne s’exprime, quoi qu’il arrive, que
dans la langue étrangère à laquelle on s’initie, chacun étant
coresponsable du respect de ce principe. La communauté est
ainsi rendue explicite.
Ce sont donc les pairs supervisés par l’enseignant qui
régulent les tâtonnements, approximations et erreurs des

230
3. La classe, une communauté discursive disciplinaire
pour réguler les pratiques langagières

travaux intermédiaires évoqués ci-dessus mais aussi au cours


des échanges oraux. L’organisation en binôme ou en petits
groupes au sein desquels l’on fait circuler les écrits et réagir
suscite des ajustements, réduit les approximations et démul-
tiplie les échanges oraux et écrits. L’hétérogénéité est ici une
ressource. Un petit nombre d’élèves ayant besoin d’un accompa-
gnement rapproché peut être directement encadré par l’ensei-
gnant pendant que le reste de la classe est plus autonome20.
Des pratiques d’écriture collaborative peuvent également
se développer au sein de ces petits groupes. Un écrit unique
produit à plusieurs mains nécessitera que le groupe questionne
l’usage approprié du langage. Les blogs disciplinaires initiés
pour un groupe classe relèvent de la même démarche : prati-
quer mais aussi réguler dans une responsabilité partagée les
pratiques langagières disciplinaires21.
Corrélats :
Écriture collaborative

20. Principe de l’atelier en pédagogie différenciée, voir p. 206-207 de cet ouvrage.


21. Voir des exemples : Monique Jurado, in Dominique Bucheton, Refonder
l’enseignement de l’écriture, op. cit., partie IV, chap. 20 et 21, p. 257-293.

231
4. Caler sa voix, une
difficulté redoutable

L e concept d’énonciation issu des travaux des


linguistes et sociolinguistes éclaire un autre nœud
problématique des activités langagières, la complexité
des attentes et les écarts d’une discipline à l’autre.

Attentes et exigences disciplinaires


Chaque discipline pose des attentes précises en matière
d’énonciation et particulièrement en ce qui concerne l’implica-
tion de l’auteur dans ses écrits. Pour être recevable, tout écrit
scolaire doit s’y conformer. Ainsi, l’engagement et le jugement
personnel, l’implication forte sont valorisés en français, surtout
dans les écrits de fiction. À l’opposé, c’est l’effacement total
de l’auteur qui est requis dans les écrits scientifiques. Les tra-
vaux de Jean-Pierre Bernié et son équipe en fournissent plu-
sieurs études approfondies. Toujours en français, dès qu’il s’agit
d’écrits argumentatifs, et de façon particulièrement exigeante au
lycée, défendre son point de vue suppose de prendre en compte
des arguments des autres. L’organisation énonciative du texte
devient alors très complexe puisqu’il faut gérer sa propre voix
mais aussi celle des autres et organiser une polyphonie22. Quant
à l’histoire, le positionnement énonciatif est particulièrement
délicat et l’on trouvera dans l’ouvrage de Didier Cariou, Écrire

22. Mikhaïl Bakhtine, Esthétique de la création verbale, Gallimard, 1986 (publication


posthume).

232
4. Caler sa voix, une difficulté redoutable

l’histoire scolaire23, un développement étoffé de cette question. À


titre d’exemple, nous reprendrons la distinction qu’il effectue
entre : « écrire pour restituer » qui exige l’effacement de l’au-
teur et « écrire pour construire » où l’élève-auteur « organise le
savoir pour défendre une thèse à partir d’un point de vue situé en
extériorité ».

24
Énonciation, implication de l’auteur
et polyphonie énonciative
Tout énoncé porte la trace de son auteur, de la neutralité à la
subjectivité plus ou moins marquée qui traduit une prise de position
comme l’illustrent à titre d’exemple les énoncés suivants : « la guerre
est déclarée ; notre pays entre en guerre ; l’ennemi a déclaré la guerre ;
c’est la guerre ! Consternation à l’annonce de la décision du chef
d’État d’entrer en guerre. »
La polyphonie des textes : un texte entrelace la voix de celui
qui écrit avec les apports des autres : fragments hétérogènes lus
ou entendus, voire appris par cœur pour ce qui concerne les écrits
scolaires, expériences et connaissances. Écrire suppose d’orchestrer
harmonieusement ces apports divers pour assumer une production
singulière. Le concept et l’expression sont issus des travaux
de M. Bakhtine23. Oswald Ducrot a développé le concept.

Un nœud problématique
Tout au long de la scolarité25, et en toutes disciplines, on
observe la même difficile gestion de la polyphonie énonciative
avant que ces jeunes, qui sont en train de construire leur propre

23. Didier Cariou, Écrire l’histoire scolaire. Quand les élèves écrivent en classe pour
apprendre l’histoire, op. cit., p. 88-94.
24. Mikhaïl Bakhtine, op. cit.
25. Le problème perdure jusqu’à l’université.

233
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

identité, ne réussissent à caler leur propre voix tout en pre-


nant en compte les apports divers. Il s’agit là de l’un des nœuds
problématiques de l’activité d’écriture. Il éclaire deux moments
sensibles de la scolarité. À l’entrée en 6e, la séparation des dis-
ciplines enseignées par des professeurs différents devient plus
radicale et parfois étanche. Les élèves doivent faire preuve d’une
flexibilité énonciative pour satisfaire les exigences langagières
de chaque matière, d’autant plus redoutable qu’elle n’est pas for-
cément explicitée et encore moins enseignée. Au lycée, les disci-
plines d’enseignement général exigent une écriture réflexive et
la confrontation de points de vue. Dépasser une argumentation
fondée uniquement sur « moi-je », qui ne permet pas d’accéder
à la généralisation raisonnée requise au lycée, suppose un usage
particulièrement habile du langage. On observe fréquemment
chez les lycéens des devoirs qui sont des patchworks de citations
du cours et de copier-coller d’origines diverses qui attestent du
processus d’orchestration encore non abouti.
Nombre d’erreurs – ruptures de sens, enchaînements abrupts,
contradictions, glissements intempestifs d’un point de vue à
un autre, accords sujet-verbe fautifs, ruptures dans l’emploi
des mots de liaison et des temps verbaux – sont souvent les
traces des hésitations d’un scripteur qui tâtonne et explore de
nouvelles modalités énonciatives. Il est donc inutile de les faire
« corriger ». En effet, une fois réglés les problèmes liés au juste
calage de l’énonciation, bien des erreurs auront disparu et il sera
alors temps d’intervenir sur ce qui relève réellement de lacunes
grammaticales ou orthographiques, c’est-à-dire peu de chose.
Là encore, des écrits intermédiaires qui circulent, sont lus, ques-
tionnés, discutés, aident chacun à se positionner, à construire de
façon cohérente et cohésive son discours personnel26.

26. Voir des exemples dans Pratiques d’écriture - liaison 3e-2de, CRDP Versailles,
2008, p. 106-111.

234
5. Vocabulaire, syntaxe
et orthographe : quand
l’arbre cache la forêt

L e manque de vocabulaire, les erreurs de syntaxe et


d’orthographe focalisent l’attention des enseignants
parfois au point de masquer tout le reste, d’où l’importance
de ce qui précède qui plaide pour une pratique régulière
et décrispée de l’oral comme de l’écrit, qui s’intéresse au
processus à l’œuvre et non pas seulement au produit fini.
Il n’en demeure pas moins que les insuffisances constatées
dans ces trois domaines sont préoccupantes.

Vocabulaire, des évidences à questionner


Le lexique des cours de récréation, des blogs ou forums d’ado-
lescents, ou encore celui des SMS joue sur une palette de nuances
fort réduite, et les pratiques langagières des élèves hors de l’école
fortement corrélées au milieu social, créent des écarts abyssaux
entre eux. Ce constat étant bien connu, l’école s’efforce d’assumer
son rôle et la question du vocabulaire fait partie des préoccupa-
tions affichées. L’approche reste néanmoins à dominante quan-
titative et expansive souligne Élisabeth Nonnon27 qui attire
particulièrement l’attention sur les difficultés liées à la polysémie.

27. Élisabeth Nonnon, « Apprendre des mots, construire des significations : la


notion de polysémie à l’épreuve de la transdisciplinarité » in Francis Grossman et
Sylvie Plane (dir.), Les apprentissages lexicaux, PU du Septentrion, 2008.

235
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

Acquérir du vocabulaire n’est pas une simple question de


mots. « Impropre, faux sens, contresens… », ces annotations
négatives sur les copies ne permettent guère aux élèves de
progresser. En outre, elles méconnaissent la prise de risque et
l’intérêt pour le lexique qui s’exprime à travers ces maladresses.
On sait également que de nombreuses occasions de réemplois
sont nécessaires avant qu’un nouveau terme ne passe dans le
vocabulaire actif d’un élève. Derrière ces emplois erronés, ce
sont souvent les concepts eux-mêmes qui sont mal assurés.
Les enseignants sont largement sensibilisés à la question des
interférences et chevauchements du lexique entre les différentes
disciplines et avec le vocabulaire quotidien, même si ce constat
ne débouche pas encore suffisamment sur une prise en charge
pédagogique systématique.
Lev Vygotski, dès 1934, opposait les concepts spontanés
de l’enfant nourris de son quotidien, de concret, aux concepts
scientifiques construits à l’école et fruits d’une démarche
consciente et volontaire. Sur des domaines voisins, concepts
spontanés et concepts savants se trouvent souvent en concur-
rence et la pesanteur des usages premiers issus de l’expérience
de l’enfant est un obstacle encore largement sous-estimé voire
ignoré.
L’acquisition du vocabulaire savant n’est pas simple-
ment affaire de définitions ou d’utilisation de dictionnaires.
« Apprendre le cours et les définitions » comme le conseillent sou-
vent les professeurs est nécessaire mais pas suffisant. En classe,
les concepts savants peuvent être énoncés par l’enseignant et
répétés par cœur par les élèves, il ne s’agit pas pour autant
d’apprentissage.

236
5. Vocabulaire, syntaxe et orthographe : quand l’arbre cache la forêt

La polysémie des mots « semble de ces évidences toujours mention-


nées mais peu questionnées » constate Élisabeth Nonnon28. Elle
est souvent traitée de manière additive, on ajoute un sens ou un
emploi nouveau, on les liste comme le fait le dictionnaire. Or,
non seulement ceci ne rend pas compte de l’extrême diversité
des phénomènes langagiers, mais occulte aussi complètement
la complexité de l’activité mentale nécessaire. Il ne s’agit pas
seulement de l’ajout d’un nouveau sens à côté d’un autre, mais
d’une nouvelle construction qui fait bouger les réseaux concep-
tuels existants. Ce processus est souvent long et tâtonnant, il
peut procéder par sauts mais aussi par glissements progressifs.
La question de la polysémie met en jeu l’acquisition d’une flexi-
bilité langagière29 scolairement différenciatrice.
Corrélat :
Vocabulaire

L’approche par compétences s’impose ici comme une évi-


dence : il est indispensable que l’école fournisse des occasions
nombreuses et variées d’utiliser le vocabulaire fraîchement
étudié dans des contextes inédits, jusqu’à ce que chacun réus-
sisse sans hésiter décontextualisation et recontextualisation.
Les pratiques du travail de groupe et de l’écriture collabo-
rative30 s’avèrent ici encore une fois particulièrement efficaces.
Des observations fines montrent comment au sein d’un groupe,
les élèves opèrent toutes sortes d’ajustements langagiers et
jouent avec les mots jusqu’à trouver le mot le plus juste mais
aussi parfois le plus rare répondant à leur projet, développant
ainsi un rapport dynamique au lexique.

28. Ibid.
29. Frédéric François, J’cause français, non ?, La Découverte, 1983.
30. Monique Jurado in Refonder l’enseignement de l’écriture, op. cit., p. 257-293,
Dominique Bucheton.

237
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

Syntaxe et orthographe :
développer les compétences
Tous les enseignants qui font de l’écriture-réécriture une
pratique banalisée et quasi quotidienne en témoignent unani-
mement : d’écriture en réécriture, force est de constater que la
syntaxe s’améliore. Ce constat est d’autant plus encourageant
qu’il s’appuie sur des pistes pédagogiques simples.

■■ Écrire : une tâche particulièrement


complexe
Pour accomplir des tâches de haut niveau, il faut libérer
de l’espace de travail dans le cerveau dont les capacités sont
certes immenses, mais peuvent néanmoins se trouver saturées.
Or, l’écriture est une tâche particulièrement complexe. « Tout
contrôler lors d’une première écriture du texte est quasi impossible
pour l’élève autant que pour l’expert » fait observer Dominique
Bucheton et chacun a pu en faire l’expérience.
Il faut gérer des savoirs de tous ordres : scolaires et non
scolaires, disciplinaires mais aussi issus de l’expérience socio-
affective, construits ou en cours de construction et tous les
conflits liés aux reconfigurations que tout apprentissage nou-
veau entraîne.
Écrire c’est aussi poser sa voix, affirmer son propos pour un
destinataire qui reste très flou lorsqu’il s’agit d’écrits scolaires.
En effet, à qui les écrits scolaires s’adressent-ils ? Cette question
est rarement posée et encourage un utilitarisme à court terme
déjà évoqué. Et qui parle vraiment ? La personne ? L’individu,
cet enfant ou adolescent dont l’identité se construit ? Ou bien
un personnage : l’élève qui doit endosser selon les consignes un
costume différent ?

238
5. Vocabulaire, syntaxe et orthographe : quand l’arbre cache la forêt

C’est aussi respecter des normes. Ce sont celles du genre


scolaire attendu. L’écrit à l’école est référé à des modèles com-
muns qui constituent les genres scolaires31 et peuvent selon
l’usage pédagogique qu’on en fait être des cadres efficaces pour
développer des compétences langagières de haut niveau ou de
véritables carcans qui peuvent aller jusqu’à empêcher les élèves
d’écrire et de penser. Très présents dès le collège, ils deviennent
envahissants au lycée. Leur statut est peu interrogé : leur fonc-
tion première est en effet l’apprentissage et hormis de rares
exceptions ils ne correspondent pas à des usages sociaux direc-
tement exploitables dans le monde du travail. Or ils sont très
souvent traités comme une fin en soi.
Corrélats :
Syntaxe, Orthographe

Les genres scolaires


« Certains genres scolaires sont canoniques comme la dissertation
ou le commentaire ce qui n’exclut pas des variations ; d’autres fluc-
tuent, disparaissent ou surgissent dans l’horizon d’attente scolaire
parfois à un rythme tel que les enseignants eux-mêmes ont du mal
à s’adapter. Ainsi en Histoire dans les années 1990, le paragraphe
argumenté constituait au collège un modèle qui a disparu en 2013
tandis que le récit historique longtemps exclu à l’école faisait un
retour en force avec les I. O. de 2008. D’autres genres ont été
disqualifiés non par leur nature mais par la sur-norme qu’ils ont
générée. Ainsi le résumé de texte dont l’intérêt va de soi
a longtemps constitué l’une des épreuves du baccalauréat.
Il s’est avéré un redoutable moyen d’empêcher les élèves
de penser, les normes formelles (notamment le comptage

31. Mikhaïl Bakhtine (in Esthétique de la création verbale, Gallimard, 1984)


distingue : les genres premiers, simples spontanés, ceux des échanges quotidiens,
des genres seconds plus élaborés et complexes produits dans le cadre d’échanges
culturels. Les genres scolaires font partie de cette deuxième catégorie.

239
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

des mots ainsi que d’énormes malentendus sur la notion de


reformulation) conduisaient à une focalisation excessive voire
exclusive sur la forme au détriment du fond. »
Référence :
Danielle Alexandre, in Refonder l’enseignement de l’écriture, Bucheton D
Retz, 2014, p 142-143

Corrélat :
Genres scolaires

Les normes sont aussi celles de la syntaxe et de l’ortho-


graphe. On a déjà évoqué ci-dessus les ruptures et dysfonction-
nements liés à la difficile orchestration de l’énonciation32. On
y ajoutera que se risquer à employer dans un contexte inédit
un vocabulaire tout neuf alors que le concept est encore très
fragile conduit à des maladresses, des télescopages lexicaux ou
syntaxiques si violents que le texte peut se trouver disqualifié
d’emblée aux yeux d’un lecteur qui adopte un point de vue pure-
ment normatif et a fortiori une posture de correcteur. Mais une
fois ajusté le réglage de l’énonciation, les concepts nouveaux et
les mots qui les disent ayant été apprivoisés par des manipu-
lations variées et d’autant plus nombreuses que l’élève n’a pas
la flexibilité langagière qui lui permettrait d’être à l’aise33, on
observe que les erreurs syntaxiques résiduelles sont peu nom-
breuses et celles relevant réellement de lacunes grammaticales
en nombre fort limitées. Il peut subsister en revanche nombre
de traces d’oralité : défaut de séquençage des phrases, des mots,
transcription écrite de prononciations approximatives. C’est à
ce moment qu’il est opportun d’opérer la correction syntaxique
du texte.

32. Voir ci-avant dans cette partie, Caler sa voix, une difficulté redoutable, p. 232.
33. L’aide personnalisée a ici un champ de travail intéressant.

240
5. Vocabulaire, syntaxe et orthographe : quand l’arbre cache la forêt

C’est aussi le moment indispensable de la révision ortho-


graphique. Rappelons que l’orthographe française est particu-
lièrement complexe et qu’il est normal que l’attention portée
à mobiliser des connaissances, penser, inventer, conceptua-
liser… amoindrisse la vigilance orthographique en phase de
conception.

Les opérations mentales dans le choix


de l’orthographe correcte
À titre d’exemple, chercher peut s’écrire de dix manières différentes
et choisir la bonne graphie met en jeu différentes opérations
mentales : identifier la nature du mot, connaître les variations
possibles au sein de cette classe de mots, repérer les relations
avec le contexte…
Exemple cité et développé par Danièle Manesse, Danièle Cogis,
Orthographe à qui la faute ?, ESF éditeur, 2007, p 100

■■ La révision finale des écrits ; un geste


d’étude qui ne va pas de soi
Demander aux élèves de « relire » leur travail n’est pas une
nouveauté, mais on en connaît les limites, l’injonction reste
souvent inefficace. Prendre du recul par rapport à son écrit du
point de vue syntaxique et orthographique ne va pas de soi et
est scolairement discriminant.
Le travail d’entraide entre élèves s’avère alors très utile, non
seulement parce qu’il limite les risques de surcharge de tra-
vail pour l’enseignant, mais surtout parce que le langage est
une pratique sociale : rendre visible un lecteur-destinataire est
facilitateur. Du côté de l’enseignant, cela suppose d’habituer la
communauté des élèves de la classe à l’exigence de justesse dans
ces deux domaines et d’installer collectivement une attitude de

241
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

révision syntaxique et orthographique en fin de travail, et pour-


quoi pas la ritualiser. C’est l’entraide qui résoudra la majorité
des difficultés, l’enseignant pouvant réserver son aide spéci-
fique en cas d’impasses. Ces moments de « révision » supposent
que l’on distingue clairement les écrits de travail, états provi-
soires dans lesquels on se centre sur le processus d’élaboration
et d’épaississement de la pensée qu’on peut laisser mûrir sans
« corriger ». Du côté de l’élève, cette responsabilité partagée
vise à apprendre à questionner la langue en toute situation,
pas seulement au cours d’exercices dont les difficultés ont été
sériées. L’enjeu est de développer individuellement une vigi-
lance qui n’est pas spontanée, un « geste d’étude », un automa-
tisme, efficace et transférable à toute autre activité, et bien sûr,
à moyen terme, en autonomie.
Cela ne dispense évidemment pas, d’entraîner surtout les
jeunes élèves grâce à des exercices systématiques de syntaxe,
d’orthographe et de graphie sur des énoncés restreints, afin de
mettre en place le maximum d’automatismes qui allégeront la
difficulté des tâches, mais ce n’est pas suffisant.
Un autre ressort est la communication publique des écrits
(affichages, publications papier ou sur le Web…) à condition de
rendre incontournable le respect des codes et normes sociaux.
Il y a là des repères que l’école se doit de défendre.

242
6. Tous concernés

C e qui précède pointe l’inefficacité d’un système selon


lequel il y aurait d’un côté un enseignement de la
langue domaine réservé au professeur de français et
de l’autre un enseignement des disciplines où l’écriture
n’intervient qu’au moment des évaluations finales.
Les savoirs se construisent dans et par le langage.
Le langage est à la fois trace et levier des apprentissages.

C’est pourquoi chaque enseignant dans sa discipline est irrem-


plaçable dans l’accompagnement des apprentissages langagiers.
Nombre de professeurs considèrent au nom du cloisonnement
disciplinaire que ce n’est pas leur rôle. Pourtant, c’est justement
au nom de la spécificité disciplinaire qu’ils sont indispensables.
Il ne s’agit pas d’empiéter sur le territoire du professeur de fran-
çais pour qui la langue est un objet d’étude à part entière, mais
bien pour chaque enseignant d’assumer une composante de sa
discipline : langage spécifique (énonciation, lexique, codes), ses
genres et formes dont il est seul expert. Les compétences du
professeur de français restant au sein d’un travail d’équipe une
ressource privilégiée.
Tout ceci plaide pour que la formation outille les ensei-
gnants de toutes disciplines, mais on peut agir dans sa classe
sans attendre. Quelques propositions simples sont applicables
sans délai et sans risque. On peut réserver une place au sein de
chaque cours, pour donner aux élèves l’occasion de « penser par
écrit », ne serait-ce que 5 minutes. Par exemple :
––en début de séance pour mobiliser les acquis, le déjà là, les
représentations, sensibiliser à l’univers du cours qui va suivre ;

243
L’écrit et l’oral, points cruciaux des apprentissages

––ou à n’importe quel moment pour faire le point (qu’avez-vous


appris ?) ou pour reformuler ce qu’on a compris ou retenu du
cours ;
––pour aider à la compréhension d’un document en le résumant
ou encore mobiliser les élèves en suscitant leurs réactions ou
commentaires en quelques lignes ;
––pour conceptualiser (faire des listes, des tableaux, pour classer,
ordonner, hiérarchiser, mettre en lien) ;
––pour réfléchir sur ce qu’on a fait, ou comment on a fait (narra-
tion de recherche)…
C’est aussi faire réécrire : écrire un premier texte, le laisser
reposer, le reprendre après qu’il a été lu par un ou plusieurs
élèves de la classe, ou à partir d’une nouvelle consigne, de nou-
veaux apports…
Pour un accompagnement plus personnalisé, une familiari-
sation avec l’observation des écrits d’élèves est utile. De nom-
breux ouvrages font une large place à l’analyse de copies selon
des entrées différentes et déploient des outils de plus en plus
fins, ancrés sur les spécificités disciplinaires, une palette où
chacun peut puiser pour aiguiser son regard et ajuster son aide.
Développer chez chaque élève la flexibilité langagière néces-
saire à son insertion sociale est un devoir de l’école républicaine,
cela passe par des pratiques pédagogiques adaptées qui placent
les pratiques langagières, non en marge des apprentissages,
mais au cœur de chaque enseignement.

244
8
Métier professeur :
développer
des compétences
professionnelles

A
vec la politique et la thérapie, l’enseignement était pour
Freud « l’un des trois métiers impossibles », rappelle
Philippe Perrenoud qui fait partie de ceux qui, par leurs
travaux, ont contribué à en faciliter l’exercice.
L’enseignant est constamment pris dans une double tension,
celle de la planification et celle de l’incertitude. Prévoir, plani-
fier impose de garder le cap des savoirs visés dans un horaire
contraint alors que la pratique effective quotidienne, elle,
s’exerce dans l’urgence, dans la spontanéité du vivant et l’impré-
visibilité de l’instant.
L’enseignant est aussi constamment soumis à une dynamique
d’évolution parce que la société change, les élèves aussi et que la
pratique du métier est dépendante d’un contexte en mouvement
constant.
Néanmoins, l’enseignant d’aujourd’hui bénéficie de points de
repères précis issus des travaux de la recherche et de l’expé-
rience dont un certain nombre sont présentés ci-dessous.

245
1. Le professeur,
les élèves, le savoir
Q uelle place accorde-t-on à l’élève dans la relation
pédagogique ? Cette question forte interroge
les modèles sous-jacents aux postures professionnelles
adoptées par les enseignants.
Lorsque l’expression « l’élève au centre » apparaît
dans les textes officiels dans les années 1980,
elle provoque bien des débats qui sont loin d’être clos.

Le triangle pédagogique
Jean Houssaye propose de penser la relation pédagogique
selon trois pôles qui dessinent ce qu’il nomme le « triangle
pédagogique » : le professeur, l’élève et le savoir.
Cet outil d’analyse s’avère extrêmement utile pour dépasser
un débat stérile qui fustigerait de façon caricaturale ceux qui,
plaçant l’élève au centre, seraient les pourvoyeurs de l’enfant roi
et escamoteraient la question des savoirs.
Le « triangle pédagogique » permet de penser la relation
pédagogique en termes dynamiques : il interroge le position-
nement de chaque enseignant par rapport aux savoirs et aux
élèves et pose ainsi les bases d’une réflexion féconde sur les pos-
tures pédagogiques adoptées, souvent d’instinct, par les ensei-
gnants. Il propose de lire ces postures, d’interroger les valeurs
qui les sous-tendent et de mesurer les effets des choix effectués.

247
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

Le triangle pédagogique
Le concept, défini par Jean Houssaye, montre que la relation
pédagogique se situe dans une tension irréductible entre trois pôles
qui dessinent les trois sommets d’un triangle : le professeur, l’élève
et le savoir.
S
(Savoir)

2 Sujets
1 mort
ou
1 fou

P E
(Professeur) (Élève)

À partir de ce schéma, Jean Houssaye met en évidence qu’une


tension exclusive entre deux pôles conduit à neutraliser le troisième :
− « Enseigner » privilégie l’axe professeur-savoir ;
− « Former » privilégie l’axe professeur-élève ;
− « Apprendre », privilégie l’axe élève-savoir.
Il faut donc sans cesse interroger ces tensions pour une relation
pédagogique équilibrée.

Source :
Jean Houssaye, Le triangle pédagogique. Théorie et pratiques de l’éducation
scolaire, Peter Lang, 1988
Jean Houssaye, La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui,
ESF éditeur, 1993

Les trois pôles du triangle pédagogique doivent être conti-


nuellement questionnés et leur mise en relation consciente fait
partie du métier d’enseignant.
Jean Houssaye explique qu’une tension trop forte et surtout
exclusive entre deux des pôles marginalise le troisième à la
manière du « mort » au bridge qui existe par ses cartes mais pas
pour lui-même.

248
1. Le professeur, les élèves, le savoir

Un rapport au savoir sacralisé fait obstacle


Une tension excessive entre le professeur et les savoirs exclut
les élèves. C’est une posture encore très fréquente, liée fréquem-
ment à un choix professionnel guidé par l’amour des savoirs et
d’une discipline en particulier.
Ainsi, Jeanne Moll1, qui a exploré le lien entre psychanalyse
et pédagogie aux côtés du psychanalyste Jacques Lévine,
dénonce « un type de rapport vertical, fortement hiérarchisé et
fondé sur le pouvoir que confère un savoir sacralisé, les élèves
sont considérés comme des “ignorants” ; voués au silence et à
la répétition […]. Dans une situation pédagogique où l’un est
tout et l’autre rien, il peut paraître dérisoire d’utiliser le terme
de “relation” ; il serait en effet plus approprié de parler d’un
rapport de force ».
Le concept de rapport au savoir n’est pas seulement utile pour
les élèves. Exercer son métier et ajuster sa posture profession-
nelle supposent que l’enseignant interroge aussi son propre
rapport au savoir.
L’un des enjeux est bien pour le professeur d’accepter la
dévolution des savoirs aux élèves, c’est-à-dire de consentir à se
dessaisir de l’apport des savoirs en toute-puissance, mais d’as-
sumer en revanche l’organisation de situations didactiques qui
permettront à l’élève de se les approprier.

1. Jeanne Moll, in Jean Houssaye, La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui,


op. cit., p. 168.

249
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

Pour une juste distance


dans la relation maître-élève
Une tension excessive au profit de la relation maître-élève
peut conduire à d’autres excès.
Le risque existe de voir les savoirs disparaître ou se diluer
pour un exercice du métier qui se préoccupe avant tout de la
relation avec les élèves. Cet écueil guette particulièrement
l’enseignant débutant s’il se focalise sur la relation d’autorité,
quand la question vive « pourvu qu’ils m’écoutent » menace
d’occulter complètement une autre question pourtant fonda-
mentale : « pourvu qu’ils apprennent2 ».
À l’opposé de l’excès d’autorité, la nécessaire attention bienveil-
lante à l’égard des élèves peut, elle aussi, devenir envahissante au
point de faire passer au second plan l’apprentissage et les savoirs.
« Certains adultes éprouvent un tel besoin d’être aimés qu’ils ins-
taurent inconsciemment une relation très forte mais aussi très
exclusive avec leurs classes. […] La relation jalouse et fusion-
nelle qui lie alors le petit groupe des élus à l’adulte qui les sub-
jugue entraîne une dépendance affective dangereuse en ce qu’elle
obstrue, voire barre le chemin vers l’émancipation nécessaire »,
souligne Jeanne Moll3, qui montre que pour assumer convena-
blement sa mission d’enseignant, il faut se libérer de l’idée d’une
relation fondée sur l’affectif, « qui ressemble à une captation
narcissique qui, tout autant que la relation fondée sur la domi-
nation et la peur, vise à obtenir la dévotion d’enfants-reflets du
maître ». Dans le même ordre d’idée, à travers la métaphore

2. Pourvu qu’ils m’écoutent et Pourvu qu’ils apprennent sont les titres de deux
ouvrages collectifs dirigés par Annick Davisse, publiés au CRDP académie de
Créteil, 1997 et 1998.
3. Jeanne Moll, op. cit., p. 173.

250
1. Le professeur, les élèves, le savoir

de Frankenstein pédagogue4, Philippe Meirieu met en garde :


l’élève n’est pas la créature du maître.

Les élèves et le savoir :


créer les conditions de la rencontre
Élèves et savoir : c’est l’axe privilégié de l’apprentissage, à
condition toutefois que le maître ne s’absente pas totalement du
jeu et assume activement son rôle de tiers médiateur. Le risque
est effectivement alors de penser que tout doit venir des élèves
et de s’en contenter.
Dans le triangle savoirs-élève-professeur, la variable la plus
facilement ajustable est bien celle qui concerne la place et le
rôle du maître. La question centrale du métier est donc bien de
situer la façon dont le professeur crée et organise les conditions
de la rencontre entre l’élève et le savoir.
Prendre la juste distance suppose une mise en tension
constante de ces trois pôles que sont l’élève, le savoir et le pro-
fesseur. Pendant longtemps, on s’est contenté de l’intuition pour
régir ces ajustements. Les travaux de la recherche fournissent
maintenant aux enseignants des outils pour lire leurs propres
pratiques, les interroger et, partant, les faire évoluer.
Ils offrent deux types d’aide :
––ils ont permis d’identifier des invariants qui peuvent jouer
comme points d’appui mais aussi comme obstacles, donnant
ainsi des repères pour agir ;
––d’autres travaux plus récents proposent des analyses sys-
témiques permettant d’objectiver et donc de mieux prendre
en charge la dynamique des mises en tension indispensables.

4. Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, ESF éditeur, 1996.

251
2. Adopter
la bonne posture
professionnelle :
« une petite
révolution5 »

O n s’est longtemps contenté de considérer


qu’enseigner était une question de talent personnel,
cette conception pouvant s’avérer terriblement
culpabilisante et destructrice. En effet, c’est renvoyer
les problèmes rencontrés par l’enseignant qui se trouve
en difficulté, voire en échec, à l’essence même de
sa personne, à son identité.

Être un « bon enseignant »


ne relève pas de l’inné
À l’opposé, les travaux sur les postures des enseignants et
les gestes professionnels récemment menés par Anne Jorro,
Dominique Bucheton et leurs équipes, permettent de prendre
de la distance, de rompre avec une analyse en termes de logique
identitaire pour raisonner en termes de postures consciemment
assumées.

5. Anne Jorro, Professionnaliser le métier d’enseignant, ESF éditeur, 2002, p. 68.

252
2. Adopter la bonne posture professionnelle : « une petite révolution »

Enseigner, c’est se situer dans un contexte


Comme le souligne Anne Jorro6 : « La posture déplace de
façon opportune la question de l’identité de métier, en intégrant
d’autres paramètres tels ceux qui ont trait au contexte éducatif,
à la présence d’élèves en difficulté, à la question de leur rapport
au savoir, au projet d’action. » Et elle ajoute : « Désormais, il
s’agit moins de se définir que de se situer. C’est une petite révo-
lution pour la pensée ! La priorité est donnée au contexte et
les interactions deviennent des clés de lecture de la situation.
Connaissant les spécificités de la situation, le praticien ajuste
son intervention. »

Posture professionnelle
En sciences de l’éducation, on nomme « posture » une façon de
répondre à une tâche, un ensemble de gestes préconstruits
que l’on peut reproduire ou retrouver dans diverses situations.

Une typologie des postures professionnelles


Grâce à des études très fines sur le terrain, à des enregistre-
ments de cours analysés en détail, Dominique Bucheton et son
équipe ont identifié un certain nombre de postures qui consti-
tuent de grands types. Chaque posture a des effets différents et
il importe de les identifier, d’en mesurer les conséquences pour
une adéquation à chaque situation. On est loin des jugements
de valeur : il s’agit, bien au contraire, de fournir des éléments
permettant d’assumer consciemment les bons choix aux bons
moments.

6. Ibid.

253
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

Les postures d’étayage de l’enseignant


Dominique Bucheton a identifié de grands invariants et défini
cinq types de posture fréquemment adoptée par les enseignants
pour assurer l’étayage, c’est-à-dire l’aide et le soutien apportés
aux élèves.
■■Posture d’accompagnement : le maître pointe les difficultés,
oriente vers les ressources disponibles pour les surmonter, laisse
du temps pour réfléchir et échanger, évite d’évaluer en juste et faux.
■■Posture de contrôle : tout passe par le maître qui distribue
la parole, explique les erreurs et les corrige, vérifie et valide.
■■Posture de lâcher prise apparent : le maître laisse les élèves
travailler en autonomie, isolément ou en groupe.
■■Posture d’enseignement : le maître fait nommer les savoirs
et réfléchir sur ce qui s’est joué pendant les phases d’activité
antérieures, sur ce que les élèves ont fait, compris, appris.
■■Posture dite du magicien : la dominante est ludique
ou théâtrale, les savoirs sont devinés plus que réfléchis.

La description même des postures pointe un certain nombre


d’avantages et de limites et permet de réinterroger le triangle
savoir-professeur-élève. Ainsi, si la posture ludique, dite du
magicien, est séduisante par le rapport aux élèves qu’elle ins-
talle, elle fait disparaître les savoirs ou les dilue. Quant à la pos-
ture de contrôle, elle les confisque aux élèves.
Dominique Bucheton montre aussi qu’il existe une corré-
lation entre les postures des enseignants et celles des élèves.
Une posture de contrôle excessif d’un maître qui ne laisse rien
passer entraîne une dépendance des élèves qui ne réfléchissent
pas, ne pensent pas mais guettent seulement les signes d’appro-
bation du maître. À l’opposé, « une posture d’accompagnement
de l’enseignant qui ne donne pas la réponse mais pointe les pro-
blèmes, fait verbaliser des solutions possibles entre les élèves »
favorise une attitude réflexive.

254
2. Adopter la bonne posture professionnelle : « une petite révolution »

Une flexibilité de postures


Toutes les postures ne se valent pas mais il n’existe pas une
posture idéale. Exercer son métier, c’est être capable de flexibi-
lité et ajuster sa posture en fonction du contexte et des besoins.
« Ces postures ne sont jamais “pures” et toujours en tension7 »,
souligne Dominique Bucheton. Un enseignant glisse facilement
d’une posture à l’autre. Savoir « lâcher prise » pour certains
élèves libère du temps et de l’énergie pour en accompagner
d’autres. Des temps sont aussi indispensables pour prendre du
recul sur ce qui a été fait, pour transformer les tâtonnements
et découvertes individuels en savoirs identifiés, nommés, for-
malisés, partagés, reconnus. La posture dite d’enseignement est
donc, à ce moment-là, irremplaçable.

7. Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier dirigé d’écriture au CP, une réponse à
l’hétérogénéité des élèves, op. cit., p. 31-35.

255
3. Comment tout faire
en même temps
dans l’urgence
et l’incertitude

A voir l’œil sur la montre mais aussi sur tous les élèves
et sur chacun en particulier, garder le cap des savoirs
visés tout en restant dans le cadre institutionnel, préserver
la communication et assumer une part symbolique et
affective irréductibles, prévenir l’échec toujours possible…
Comment tout faire en même temps ?

Le multi-agenda de l’enseignant
Dominique Bucheton propose d’y voir plus clair dans ce
qu’elle nomme « le multi-agenda de l’enseignant » constitué
d’un « enchâssement de préoccupations » qu’il faut gérer en
même temps et dans l’urgence dans la pratique de classe. Cette
analyse se fonde sur de multiples observations de classes dans
des milieux très variés et dans des pays favorisés aussi bien que
dans d’autres très pauvres.
Elle repère cinq grandes constantes : le savoir, le pilotage des
tâches, la gestion de l’atmosphère, le tissage, l’étayage.

256
3. Comment tout faire en même temps dans l’urgence et l’incertitude

Le multi-agenda de l’enseignant :
cinq grandes préoccupations enchâssées
Dominique Bucheton définit le multi-agenda de l’enseignant comme
un ensemble complexe de préoccupations enchâssées.
Quels que soient l’objet d’enseignement, l’âge des élèves,
le contexte, elle y repère cinq constantes :
− le savoir ;
− le pilotage des tâches : tout ce qui concerne la conduite
et l’avancée des tâches, les instruments nécessaires, les
déplacements ;
− l’atmosphère : désigne l’ensemble des conditions sociales
et psycho-affectives, les échanges, l’attention… ;
− le tissage : tout ce qui donne du sens à la situation d’apprentis-
sage et aux savoirs visés ;
− l’étayage : désigne tout ce qui concerne l’aide et le soutien
apportés aux élèves dans leurs apprentissages.

Références
Dominique Bucheton (dir ), L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés,
Octarès, 2009
Dominique Bucheton, Yves Soulé, L’atelier d’écriture au CP, une réponse
à l’hétérogénéité des élèves, Delagrave, 2009

Interroger ces cinq composantes chez un enseignant en action


constitue un puissant outil de réajustement :
– pour l’enseignant lui-même en auto-évaluation ;
– pour un tiers venu le conseiller : conseiller pédagogique ou
inspecteur et, pourquoi pas, autre collègue.
Des questions simples permettent alors de prendre des
repères sur ce qui est à l’œuvre et de réajuster les pratiques.
Par exemple :
– Les savoirs ne disparaissent-ils pas au profit du seul pilotage
des tâches et du maintien de « l’atmosphère » ?
– Quelle est la nature des gestes d’étayage ? Quel espace lais-
sent-ils à l’élève ? Sont-ils uniformes et collectifs ou différen-
ciés selon des profils d’élèves différents ?

257
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

––Quant aux gestes destinés à tisser le sens des tâches, existent-


ils, tout simplement ? Quelle part des échanges langagiers
occupent-ils ?
On s’aperçoit que les gestes d’étayage et de tissage sont sou­­­-
vent peu présents ou trop collectifs, qu’un débutant aura
souvent tendance à se consacrer au pilotage et à l’atmosphère
au détriment des savoirs Autant de pistes fécondes pour faire
évoluer les pratiques.

Schèmes et habitus pour comprendre


la grammaire de nos actions
Dans son ouvrage Enseigner, agir dans l’urgence, décider dans
l’incertitude, Philippe Perrenoud s’intéresse aux compétences
nécessaires pour gérer la classe en situation et à tout ce qui,
dans le métier, à l’opposé de la planification rationnelle et de
l’anticipation, relève de l’imprévu ou de l’imprévisible. Cette
dimension du métier est particulièrement inconfortable pour un
débutant, mais elle est une caractéristique si forte qu’un ensei-
gnant aguerri peut lui aussi se retrouver en difficulté, quelle que
soit son expérience.
Pour comprendre ce qui se joue dans ces moments fragiles,
Philippe Perrenoud propose de prendre conscience que l’impro-
visation ne l’est sans doute pas tant que cela et repose sur des
formes préconstruites immédiatement disponibles : il réinter-
roge les notions de schèmes et habitus. Le concept de gestes
professionnels, qui s’est considérablement développé ces dix
dernières années grâce aux travaux de Dominique Bucheton
et Anne Jorro, fournit une analyse tout en finesse des « gestes
d’ajustement » pour gérer les aléas du contexte.

258
3. Comment tout faire en même temps dans l’urgence et l’incertitude

Dans l’urgence, nous appliquons des procédures stéréoty-


pées relativement conscientes mais non réfléchies. Sans en
avoir conscience, nous mobilisons aussi des schèmes d’action
préconstruits. Bourdieu va jusqu’à parler de « l’illusion de l’im-
provisation » et montre que chaque individu a « un petit lot
de schèmes » qui constituent son « habitus » et fournissent le
canevas de la plupart de ses actions. Philippe Perrenoud insiste
sur cette partie invisible du métier : « Des schèmes largement
ou totalement inconscients se mêlent à l’action rationnelle et/
ou y suppléent8. » « Les schèmes sont de puissants instruments
d’adaptation à la réalité, donc de création, d’invention d’actions
originales sur la base d’une trame disponible9. »

Schèmes et habitus

Les schèmes d’action


La notion de schème, déjà présente chez Kant ou Bergson, a été
définie et approfondie par Piaget pour désigner ce qui sous-tend de
façon stable nos actions sans que nous en ayons conscience. « Un
schème est la structure ou l’organisation des actions telles qu’elles
se transfèrent ou se généralisent lors de la répétition de cette action
en des circonstances semblables ou analogues. » (Piaget, 1966)
« Nous appellerons “schèmes d’actions” ce qui, dans une action, est
ainsi transposable, généralisable ou différenciable d’une situation
à la suivante, autrement dit, ce qu’il y a de commun aux diverses
répétitions ou applications de la même action. » (Piaget, 1973)

L’habitus
Pierre Bourdieu a défini l’habitus comme un système de « schèmes
permettant d’engendrer une infinité de pratiques adaptées à des
situations toujours renouvelées, sans jamais se constituer en

8. Philippe Perrenoud « De la pratique réfléxive au travail sur l’habitus », in


Recherche & Formation, n° 36, 2001, p. 131-162.
9. Philippe Perrenoud, Enseigner, agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude,
ESF éditeur, 1996, p. 177.

259
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

principes explicites ». « C’est un système de dispositions durables


et transposables qui, intégrant toutes les expériences passées,
fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions,
d’appréciations et d’actions, et rend possible l’accomplissement de
tâches infiniment différenciées, grâce aux transferts analogiques
de schèmes permettant de résoudre les problèmes de même
forme. »

Références
Jean Piaget et Bärbel Inhelder, La psychologie de l’enfant, Que sais-je ?,
n° 369, PUF, 1966
Jean Piaget, Biologie et connaissance, Gallimard, Coll Idées, 1973
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Droz, 1972

Les gestes professionnels


ou « le grain discret de la pratique10 »
Les travaux de Dominique Bucheton s’intéressent à la façon
dont un enseignant réagit et gère l’imprévu. On retrouve ici la
pertinence et l’efficacité de la notion de geste professionnel déjà
évoquée.
Le concept de geste professionnel permet une description
« à la loupe » de l’enseignant en action. Jusqu’à une période
récente, on s’est surtout attaché à décrire les gestes de métier,
les « grandes méthodes » ou les « genres scolaires » emblé-
matiques de la profession d’enseignant et issus de la culture
collective du métier comme l’évaluation formative, le travail de
groupe, le compte rendu de devoir, etc.

10. L’expression est d’Anne Jorro.

260
3. Comment tout faire en même temps dans l’urgence et l’incertitude

S’intéresser aux gestes professionnels permet d’atteindre


une finesse d’analyse qui permet de comprendre pourquoi, par
exemple, une même situation didactique bien pensée peut avoir
des degrés de réussite différents selon chaque enseignant ou
comment un enseignant extrêmement consciencieux et bien-
veillant peut se retrouver en difficulté.
Les gestes professionnels se déclinent dans le langage mais
aussi par toutes sortes de signes non verbaux, simple regard,
hochement de tête ou mimique.

Gestes professionnels
et gestes de métier
Anne Jorro a proposé de distinguer les « gestes de métier »
et les « gestes professionnels ».
■ Les gestes de métier sont fortement codifiés et inscrits dans
l’histoire et la culture de la profession. Ce sont, par exemple, le cours
magistral, le travail en projet, la dictée…
■ Les gestes professionnels complètent l’approche des gestes du
métier en intégrant des dimensions singulières à chaque individu,
en s’intéressant à la mise en œuvre concrète à l’échelle quasiment
microscopique de l’instant. Le geste professionnel de l’enseignant
est adressé aux élèves : c’est une action verbale ou non verbale
pour faire agir ou réagir l’autre en fonction de préoccupations
professionnelles. Le langage en est l’instrument principal mais
les dimensions verbale et non verbale sont indissociables.

Références
Anne Jorro, Professionnaliser le métier de l’enseignant, ESF éditeur, 2002
Anne Jorro, Évaluation et développement professionnel, L’Harmattan, 2007
Dominique Bucheton, Olivier Dezutter, Le développement des gestes
professionnels dans l’enseignement du français, De Boeck, 2008
Dominique Bucheton (dir ), L’agir enseignant, des gestes professionnels
ajustés, Octarès, 2009

261
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

Quels gestes professionnels


pour répondre à l’imprévu ?
On peut repérer de grandes catégories de gestes profession-
nels définies selon leurs fonctions, dont certaines ont été déve-
loppées précédemment (tissage, étayage, évaluation).
Les gestes « d’ajustement » sont ceux qui permettent de
réagir à l’imprévu, de s’adapter au contexte dans l’instant.
Anticiper, préparer le travail avec rigueur est évidemment
un moyen de réduire la part d’inconnu, mais, en classe, des
imprévus de tous ordres peuvent surgir, quel que soit le degré
de préparation effectué par l’enseignant.

■■ Agir ou pas ?
Face à l’imprévu, l’enseignant peut agir ou non. Para­doxa­
lement, ne rien faire peut constituer une façon d’agir, et la prise
de risques peut être équivalente, que l’on décide ou non de
traiter l’imprévu.

■■ Différer pour se donner du temps


Tout imprévu ne nécessite pas un traitement immédiat :
différer explicitement une réponse est un geste de gestion de
l’urgence qui a de nombreux avantages. Il manifeste aux élèves
qu’on les a entendus, donne du temps pour vérifier des connais-
sances mal assurées, évite des réactions à chaud mal contrôlées
ou encore permet de se sortir d’impasses, en particulier lorsque
l’atmosphère est tendue. Ainsi, deux élèves ne rendent pas le
devoir attendu, pour l’un c’est la première fois, l’autre est réci-
diviste, dire « On se voit pour cela à la fin du cours » permet
de réfléchir au traitement de ces deux cas sans fragiliser publi-
quement une règle posée. Face à une question déstabilisante,

262
3. Comment tout faire en même temps dans l’urgence et l’incertitude

oser dire « Je ne sais pas mais je vais me renseigner et on reprend


cela demain » est plus efficace qu’une réponse lacunaire, voire
erronée, qui ne convainc personne ou, pire, décrédibilise l’ensei-
gnant. Ou encore « Je te propose de réexpliquer cela en parti-
culier tout à l’heure pendant que les autres feront leur travail »
évite d’imposer à l’ensemble du groupe la réitération d’explica-
tions déjà entendues maintes fois.

■■ Renvoyer vers le groupe


et vers des ressources disponibles
Néanmoins, lorsque l’imprévu concerne les apprentissages,
renvoyer vers le groupe constitue un autre geste d’ajustement
beaucoup plus dynamique que celui qui consiste à différer. « Qui
peut réexpliquer à votre camarade ? » ou « Qui veut bien se
renseigner et nous en parler demain ? » est plus mobilisateur
– et plus économique – que « Je t’expliquerai tout à l’heure » ou
« Je vais me renseigner et je te répondrai demain ».

■■ Transformer l’imprévu en événement


L’enseignant peut décider de transformer l’imprévu en évé-
nement11. Un simple aléa devient un « événement » si l’ensei-
gnant lui donne de l’importance et le traite collectivement.
Ainsi, si le professeur s’aperçoit qu’un élève n’a pas ouvert
son cahier, il peut, tout en continuant la gestion collective du
groupe, s’approcher de l’élève et, sans parler, l’inciter à sortir
ses affaires. Il s’agit alors d’un geste individuel dont l’efficacité
tient à la personnalisation discrète. À l’opposé, si l’enseignant
adresse une remarque orale collective « Où est ton cahier ? »

11. Alain Jean, Richard Étienne, « Madame, c’est quoi un pourcentage ? », in


Dominique Bucheton (dir.), L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés,
Octarès, 2009, p. 97-110. On y trouvera une analyse fine des imprévus d’une
séance de mathématiques en classe de 4e.

263
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

et entre dans un échange avec l’élève, l’imprévu devient un évé-


nement collectif dont l’intérêt est à mesurer. Une gestion col-
lective de cet aléa est-elle bénéfique à tout le groupe ? À cet
élève en particulier ?
Quand l’imprévu concerne les apprentissages, le transformer
en événement sur lequel on s’appuie pour orienter ou réo-
rienter le déroulé du cours est un geste professionnel essen-
tiel. Ainsi, des élèves de première découvrant le roman de
Marguerite Duras, L’Amant, déclarent : « Madame, c’est bar-
bant, elle répète trente-six fois la même chose ! » et « On n’y
comprend rien à ses phrases, c’est des bouts de phrases… ».
L’enseignant peut ignorer ces remarques et solliciter des élèves
moins rétifs en courant le risque de définitivement démobiliser
ces lecteurs réticents mais critiques. Mais il peut aussi accorder
à ces remarques un statut d’événement, c’est-à-dire considérer
que ces remarques sont importantes et méritent d’être traitées
collectivement, et réorienter le cours à partir d’elles. Faute de
pouvoir s’appuyer sur les éléments d’analyse littéraire ou sur un
minimum d’adhésion polie qu’il attendait, il s’appuie désormais
sur les réticences de lecture rencontrées : la lassitude du lec-
teur liée à la réitération et le séquençage déroutant des phrases
permettent d’identifier deux caractéristiques fortes du style de
Marguerite Duras. Du même coup, l’intention agressive et la
posture de refus de l’élève (rejet d’une culture proposée par le
professeur) sont désamorcées puisque, loin de déstabiliser l’en-
seignant, les remarques deviennent l’objet de travail littéraire
de toute la classe. Ce geste ne permet pas seulement de changer
le rapport de force, il modifie aussi le rapport au savoir.

■■ De l’intérêt du non-verbal
L’ajustement est loin de passer uniquement par la parole. Sa
dimension non verbale indissociable est une ressource supplé-
mentaire. Un regard, un froncement de sourcil, un sourire, une

264
3. Comment tout faire en même temps dans l’urgence et l’incertitude

mimique… constituent des régulations individuelles qui n’in-


terrompent pas l’activité collective. Se placer aux côtés d’un
élève qui donne des signes de détresse ou a visiblement complè-
tement décroché du cours est une façon de réguler, s’installer
au bureau et ostensiblement remplir le cahier de textes est un
moyen de dire « Vous êtes autonomes ». Cet aspect non verbal
est essentiel dans la construction et l’exercice de l’autorité et
sera développé plus loin.

265
4. Réfléchir sur l’action

P our faire évoluer les pratiques, il faut donc à


la fois travailler la rationalisation des procédures
conscientes et développer le répertoire des gestes
d’ajustement mais aussi prendre conscience des schèmes
d’action et de l’habitus.

L’inconscient pratique
Philippe Perrenoud propose de développer la réflexion avant,
pendant et après l’action mais aussi « sur » l’action. Selon lui,
« toute réflexion sur sa propre action ou celle d’autrui contient
en germe une réflexion sur l’habitus qui la sous-tend, sans que
le concept et encore moins le mot ne soient en général utilisés ».
Il s’agit bien d’essayer d’atteindre les formes stables que chacun
met en jeu lorsqu’il agit et qui, dans le langage courant, parti-
cipent de ce qu’on appelle caractère ou personnalité. Et Philippe
Perrenoud12 insiste sur la distinction entre inconscient freu-
dien et cet « inconscient pratique », selon la formule de Piaget.
« Cette inconscience n’est pas nécessairement le produit d’un
refoulement, de mécanismes de défense tels que la psychanalyse
les décrit. »
Réfléchir sur l’action est nécessaire mais il ajoute : « Alors
qu’on peut substituer un programme à un autre dans la

12. Philippe Perrenoud, « Analyse de pratiques et prise de conscience », in Former


des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?, De
Boeck, 1996.

266
4. Réfléchir sur l’action

mémoire d’un ordinateur, il en va autrement dans l’esprit


humain : l’effacement des routines anciennes prend du temps ;
les schèmes ne disparaissent pas de notre “mémoire incons-
ciente”, ils sont plutôt désavoués, censurés, inhibés. C’est pour-
quoi ils peuvent resurgir en situation d’urgence ou de stress et
entrer en conflit avec les apprentissages plus récents. »

Identifier des « savoirs d’action »


Pour que chacun puisse identifier les procédures efficaces
qu’il met en jeu, la réflexion permet de transformer un simple
savoir-faire qui ne s’exprime que dans l’action en un « savoir
d’action », c’est-à-dire un savoir transférable, réutilisable, mobi-
lisable consciemment.

Savoir-faire et savoirs d’action


■ Un savoir-faire n’est vérifiable que dans l’action. Si l’action
est réussie, le savoir-faire est effectif.
■ Un savoir d’action est un savoir-faire devenu communicable,
transférable et reproductible grâce à sa formalisation
(verbalisation ou écriture).

Des espaces, des supports et des outils


pour réfléchir sur l’action
Des espaces pour réfléchir sur l’action, identifier et verba-
liser les procédures efficaces ou non sont donc indispensables.
Pourtant, en France, hormis en formation initiale, l’institution

267
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

ne prévoit aucun espace officiel pour permettre aux enseignants


de réfléchir sur leur pratique. Faute de formes accompagnées,
c’est à chacun de trouver les moyens de le faire, seul ou en
équipe. Dans ce domaine, on reste souvent dans le « bricolage »
au sens où l’on se débrouille avec les moyens disponibles pour
contourner le vide institutionnel. Cette réflexion sauvage sera
pourtant plus efficace si elle s’appuie sur un outillage théorique
solide et un accompagnement par des tiers experts.
Des enregistrements de cours permettent un visionnage illi-
mité pour une analyse très fine, pas seulement dans une pers-
pective critique mais aussi comme palette de propositions.
Des analyses de cours décryptées à la loupe, disponibles dans
des ouvrages de sciences de l’éducation, fournissent d’utiles
moyens de se former. Reste à trouver des espaces collectifs pour
échanger à partir de ces supports.
Des groupes d’analyse des pratiques existent et visent à aider
le praticien dans l’exercice de son métier, mais toujours à la
marge du système ou carrément extérieurs car ils supposent
une libre participation. L’analyse se pratique en groupe. Elle
suit toujours une méthodologie rigoureuse et exige un posi-
tionnement clair des participants et de l’animateur. Les formes
et les leviers sont différents selon les approches qui peuvent
être psychanalytique, psychosociologique, systémique, clinique
mais aussi multi-référentielle ou axée sur l’explicitation des
savoirs d’action. De tels espaces ne sont pas reconnus comme
un droit pour les enseignants.

268
5. Les gestes
professionnels
d’une autorité réfléchie

L a question de l’autorité est souvent si angoissante


pour un débutant qu’elle risque à elle seule d’occulter
toutes les autres.
C’est pourquoi il est indispensable de rappeler que
l’essentiel du métier consiste à mobiliser les élèves
sur les apprentissages visés.

Vrais et faux problèmes d’autorité


Des élèves qui s’intéressent à ce qu’ils font, qui en compren-
nent le sens, qui ne sont pas harcelés par une évaluation conti-
nuelle qui ne leur laisse pas le temps d’apprendre et les renvoie
uniquement à leurs manques, qui ne sont pas soumis à de lon-
gues phases d’écoute passive risquent peu de poser des pro-
blèmes graves à l’enseignant du point de vue de l’autorité. Le
substrat de l’autorité est d’abord une façon de concevoir l’acti-
vité et l’évaluation des élèves.
La prévention des débordements de tous ordres redoutés par
les enseignants passe par le quotidien du travail pédagogique.
Des apprentissages mal ou pas accompagnés, une aide insuffi-
sante, une posture magistrale consistant à déverser des savoirs,
une évaluation humiliante sont autant de violences générées
par le système scolaire lui-même. La première façon de prévenir

269
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

les difficultés concerne le cœur du métier, la préparation d’un


travail bien calibré et son accompagnement à toutes les étapes,
une évaluation qui fait la part des acquis et pas seulement des
manques, une gestion de l’espace et du temps qui tienne compte
des durées de concentration exigibles en fonction de l’âge des
élèves.
Bruno Robbes, auteur de L’autorité éducative, dénonce « le
mythe de l’autorité » naturelle13, non seulement parce qu’une
telle conception est culpabilisante pour les professeurs
confrontés à des difficultés en classe, mais aussi parce qu’elle
occulte la question de l’autorité effective, celle qui justement
s’apprend.
On trouvera ci-dessous quelques pistes pour agir.

Des gestes et des outils spécifiques


Au quotidien, l’autorité passe par des gestes professionnels
d’ajustement, certains sont spécifiques, d’autres reprennent
quelques grands principes déjà vus précédemment.
Un premier principe consiste à éviter à tout prix l’escalade. Le
calme ferme, une parole maîtrisée ont un impact plus grand sur
un enfant agité que des cris qui font monter les décibels et l’ex-
citation ; un temps d’arrêt silencieux du professeur en réaction
à la saillie d’un élève peut être plus signifiant qu’une reprise
vive à chaud ; annoncer sous le coup de l’émotion une sanction
non réfléchie ou très lourde de conséquences peut entraîner des
débordements encore plus grands.

13. Bruno Robbes, L’autorité éducative dans la classe, ESF éditeur, 2010, p. 10.

270
5. Les gestes professionnels d’une autorité réfléchie

Ce premier principe conduit à des gestes professionnels très


simples : différer et s’informer.

■■ Différer et s’informer
Affirmer « Ce que tu as fait n’est pas admissible, on se voit à la
fin du cours » permet de ne pas perdre la face devant les élèves
et d’enchaîner sur la suite du cours sans pénaliser les autres
élèves par une interruption trop longue. Mais, surtout, le délai
permet à chacun de retrouver un peu de calme et de réfléchir.
Un entretien différé hors de la présence des autres élèves
modifie le rapport de force et c’est là une chose essentielle : il
importe donc d’organiser un échange en tête à tête. Un ado-
lescent qui ose s’opposer au professeur, même s’il ne s’agit pas
d’un leader, n’acceptera jamais de perdre la face devant ses
camarades ; l’affrontement devant d’autres élèves risque d’être
sans issue et de placer l’enseignant dans une impasse. Dans un
affrontement, il y a toujours un perdant.
Il est aussi utile de commencer l’entretien en redonnant la
parole à l’élève : « Explique-moi ce qu’il s’est passé » et d’écouter
jusqu’au bout sa version des faits plutôt que de se lancer dans
un discours moralisateur ou répressif. Cela donne une chance
à l’élève d’analyser ce qu’il s’est passé et donc de prendre du
recul. Tant qu’un élève pense, à tort ou à raison, qu’il n’a pas
pu s’expliquer, la tension ne peut retomber. Il s’agit aussi pour
l’enseignant de compléter son information : était-il sûr de pos-
séder tous les éléments pour apprécier la gravité de la situation
et la légitimité des sanctions ? L’expérience démontre l’effica-
cité de ces gestes simples. Enfin, l’annonce de la sanction gagne
toujours à être réfléchie et pourquoi pas, en cas de difficulté,
renvoyée vers l’équipe : « Je vois avec ton professeur principal
et je te dirai quelle sanction nous décidons. »

271
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

■■ Ne pas rester isolé


L’un des pièges d’une autorité mal affirmée est de délé-
guer. Renvoyer systématiquement vers d’autres personnels (le
conseiller d’éducation ou le chef d’établissement dans le secon-
daire, le directeur à l’école primaire), c’est admettre qu’on n’est
pas suffisamment légitime. C’est aussi se priver de la possibilité
d’une intervention extérieure à valeur symbolique forte en cas
de problème grave. C’est enfin, à l’opposé de la notion d’équipe
éducative, séparer arbitrairement les missions, comme le sou-
ligne Philippe Meirieu14 : « Ne faisons donc pas de ces ques-
tions de discipline un domaine séparé. Ne nous en déchargeons
surtout pas systématiquement sur des personnels spécialisés
qui seraient chargés d’assurer le maintien de l’ordre pour que
nous puissions, de notre côté, enseigner tranquillement. »
En revanche, ne pas rester isolé est une démarche utile illus-
trée ci-dessous.

■■ Entretiens et contrats : des outils d’équipe


À partir du collège, les élèves vivent leur scolarité par tranches
successives, ils voient les professeurs les uns après les autres. La
notion d’équipe n’a pas ou peu d’existence concrète et nombre
d’entre eux jouent de ce cloisonnement comme Dr Jekyll et
Mr Hyde. Offrir de temps en temps un espace d’échange entre
plusieurs membres de l’équipe et un élève qui pose problème
rompt l’isolement d’un professeur dépassé et présente aux élèves
une équipe unie. De tels entretiens doivent être déontologique-
ment très cadrés et ne devenir en aucun cas des tribunaux sau-
vages. Conçus comme des espaces de discussion constructive
où chacun peut poser ses problèmes et se référer à une loi par-
tagée, ils constituent un précieux moyen de régulation. Gérer

14. Philippe Meirieu, Lettre à un jeune professeur, ESF éditeur, 2005, p. 62.

272
5. Les gestes professionnels d’une autorité réfléchie

collectivement des difficultés relationnelles avec des élèves, c’est


rendre visible l’esprit d’équipe et permettre à un professeur plus
aguerri d’épauler un collègue sans le disqualifier. Il s’agit bien
d’agir ensemble et non à la place de.
Si l’entretien débouche sur un vrai contrat réaliste et faisable,
c’est encore mieux.

Corrélat :
Pédagogie de contrat

Le « corps parlant »
Anne Jorro pointe cette contradiction du système scolaire :
l’importance du corps dans les interactions qui se jouent en
classe et la façon dont on n’en parle peu ou pas. Elle développe
l’idée que le corps est un médiateur ignoré ou tout au moins
sous-estimé des apprentissages autant que de l’autorité. « Pour
les enseignants novices, cette médiation est problématique :
bien des malentendus, des quiproquos sont dus au corps par-
lant de l’enseignant. Un discours explicatif est brouillé quand
les nombreux va-et-vient de l’enseignant témoignent de son
dilemme, de la recherche d’une solution15. »

■■ Des gestuelles signifiantes


En opposant « le corps hésitant du maître débutant », dont
les mouvements intempestifs trahissent les hésitations, et « le
corps instituant du maître chevronné », c’est-à-dire une posture

15. Anne Jorro, « L’agir professionnel de l’enseignant », Conférence au séminaire


de Recherche du Centre de Recherche sur la Formation, 28 février 2006, CNAM,
Paris, consultable sur Internet.

273
Métier professeur : développer des compétences professionnelles

corporelle pédagogiquement maîtrisée et assurée qui participe


à l’affirmation et à la validité de ce qui se joue, Anne Jorro attire
l’attention sur « deux gestuelles qui constituent des expres-
sions primordiales interprétées par les élèves ».

■■ Touche pas à mon corps


Dans la pratique, l’occupation de l’espace est signifiante. Si un
élève est en train de perdre le contrôle de lui-même, s’il explose
verbalement, rester à distance, ne pas s’approcher, rester calme
sans mouvement brusque du corps est une façon d’exclure
toute velléité d’affrontement physique, alors que se rapprocher
de lui risque d’être perçu comme une tentation de violence,
même symbolique. Le positionnement dans l’espace participe
des gestes d’ajustement et lorsqu’on analyse des situations de
classe qui ont dégénéré en violence avérée, on trouve souvent
des mouvements du corps qui ont été mal contrôlés ou tout
simplement mal interprétés.
Toucher le corps de l’autre, c’est entrer dans l’espace intime.
Les relations sociales ont codifié la façon dont les corps se tou-
chaient : poignées de main, accolades, embrassades. Chaque
culture a ses rituels. En dehors de ceux-ci, toucher le corps de
l’autre, c’est entrer dans la sphère intime, une zone interdite de
la mission de l’enseignant.

274
Pour conclure

« L’ enseignement n’est pas quelque chose de simple et


d’évident et il n’existe pas une méthode valable pour
tous les élèves et tous les moments », déclare André Giordan1.
C’est dans cet esprit que nous avons recensé concepts et outils
de nature à éclairer l’enseignant dans ses choix. À chacun
ensuite de tracer sa route.
Enseigner, un métier à part entière
L’enseignement est un métier qui nécessite une formation
exigeante qui ne peut se réduire à une pratique accompagnée.
L’enseignement est un métier, un métier à part entière, qui plus
est, un métier du vivant. Nous affirmons qu’un exercice effi-
cace du métier ne peut se passer d’un étayage théorique fort en
sciences de l’éducation. Des concepts fondamentaux ne peuvent
être ignorés. Les travaux de recherche les plus récents s’inté-
ressent à la finesse des gestes quotidiens de l’enseignant en
situation dans sa classe, à la façon dont, dans le tissu complexe
des échanges langagiers, se jouent des questions aussi fonda-
mentales que le sens des tâches proposées, la prévention et la
réduction de l’échec scolaire. Connaître ces travaux, c’est pou-
voir raisonner sur ses choix ; en amont, en préparant ses cours,
en aval, pour revenir de façon critique sur ce que l’on fait mais
aussi, et cela est particulièrement important, à chaud dans l’ac-
tion pour pouvoir dans l’urgence prendre la bonne décision au
bon moment.

1. André Giordan, « Les conceptions de l’apprenant comme tremplin pour l’appren-


tissage... ! », cms.unige.ch (dans Publications, Articles de recherche), consulté en
août 2015.

275
Pour conclure

Enseigner : entre théorie et action


Dans le foisonnement des publications en sciences de l’éduca-
tion, nous avons fait des choix pour déployer une palette large.
Toutefois, dans cette profusion, la cohérence reste évidente.
Elle est inhérente à la démarche même de la recherche, qui
avance en s’appuyant et en questionnant les travaux des pré-
décesseurs ; mais elle est aussi issue de la pratique, qu’elle soit
personnelle ou liée à l’observation de classes, au suivi et à la
formation d’enseignants. Dans la confrontation continuelle
entre théorie et action, des lignes de force se sont dessinées, les
réussites constatées permettent d’oser affirmer que toutes les
pratiques ne se valent pas et, qu’à l’opposé d’un discours défai-
tiste, il y a à l’école des pratiques professionnelles identifiables
et transférables qui permettent de faire réussir les élèves.
Enseigner aujourd’hui
Nous avons essayé de démêler ce qui, dans l’héritage des pré-
curseurs, a posé les fondements de la pédagogie moderne, mais
aussi argumenté pour tordre le cou à des pratiques encore très
répandues, productrices d’échec et de violence, pour proposer
d’autres approches.
Enseigner au xxie siècle implique de renoncer à certaines
méthodes, qui ont pu séduire autrefois parce que l’école fonc-
tionnait selon un modèle d’exclusion et éliminait impitoyable-
ment tous ceux qui n’entraient pas dans le moule. Assumer
résolument la diversité des élèves aujourd’hui suppose des évo-
lutions pédagogiques majeures. L’accès de tous à des études
plus longues n’est pas seulement une nécessité économique
liée aux exigences de la poussée des technologies, c’est un idéal
humaniste et démocratique.

276
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Vygotski L., Pensée et langage, éd. La dispute, trad. revue Françoise Sève, 1997.
Wallon H., Les origines de la pensée chez l’enfant, PUF, 1945.
Zakhartchouk J.-M., Quelle pédagogie pour transmettre les valeurs de la
République ? ESF éditeur, 2017.

279
Index des notions
ou concepts*

A C
Accompagnement : 91, 185, 190, Capacité : 121‑122, 123
206‑207, 254 Co-évaluation : 140, 172
Action : 20, 27, 34‑42, 58‑59, Communauté discursive : 228
62‑64, 73, 98, 121, 123, 126,
Compétence : 65, 85‑87, 92‑93,
129, 139‑151, 192 104, 117, 122, 135, 147, 156,
Aide (aux élèves) : 19, 76, 93‑94, 159, 165‑166, 172, 216, 238,
177‑211 245
Conflit cognitif
Aide personnalisée et sociocognitif : 25‑26
ou individualisée : 206‑211
Constructivisme : 15‑16
Ajustement (gestes d’) : 258,
Contrat (pédagogie de) : 76‑77,
262‑265 273
Anticiper : 181, 188 Correction
Apprendre : 11‑42, 48, 60, 150, --des copies : 154, 158
--d’exercices : 111
183, 185, 192, 194, 207
Cours dialogué : 67‑69
Ateliers : 111‑112, 206‑207
Autorité : 73, 99, 250, 262‑265, D
269‑274
Déduction ou démarche
déductive : 90
B Dévolution des savoirs : 249
Bilan de savoirs : 24, 28, 56, 194, Différenciation : 95‑114
197
Différenciation simultanée : 88,
Bruit : 25, 60, 73, 99 92

* Les chiffres en gras renvoient aux encadrés ou aux présentations des notions.

281
Index des notions ou concepts

Différenciation successive : 88 Évaluation formatrice : 170‑171


Difficulté Évaluation par contrat
--difficulté (élèves en) : 51, 74, de confiance : 166
96, 104‑106, 110, 114‑115,
142, 177‑211 Évaluation sommative :
--difficultés du métier : 11, 32, 144‑145
43, 130, 161, 252, 256, 261, Évaluation travail de groupe :
269 106
Dyssynchronie : 113‑114
F
E Finalisation (des tâches) : 56,
64, 74, 133, 135
Échec : 40, 74, 76, 104‑105, 113,
130, 143, 154, 166, 170, 180,
186, 192, 196, 204, 219, 256 G
Écrit : 215, 226‑228, 231, Gestes de métier : 261
238, 241
Gestes évaluatifs : 153
Éducation nouvelle : 38
Gestes professionnels : 54,
Ennui : 67, 73, 99, 110, 115, 185 152‑153, 188, 190, 252,
260‑262, 269, 270
Énonciation : 233
Gestion mentale : 90
Entretien d’explicitation : 24,
172, 193, 202, 208‑209 Grilles d’évaluation : 159
Erreurs : 60, 87, 143, 154, 165, Groupes de besoin : 105‑106
171, 172, 189, 194, 196, 199,
205, 208, 230, 235, 254
H
Étayage : 19, 87, 91, 184,
188‑191, 207, 257, 262 Habitus : 147, 161, 167,
--postures d’étayage : 254 258‑259
Évaluation : 103, 139 Hétérogénéité : 81‑114
--co-évaluation : 172
--grilles : 159
--outils et critère : 157‑158
I
Évaluation certificative : 145 Imprévu : 258, 260, 262‑265

Évaluation critériée : 159 Induction ou démarche


inductive : 60, 90
Évaluation des compétences :
147, 172 Intellectuellement précoces
(enfants) : 113‑115
Évaluation diagnostique : 146
Interaction : 60‑61, 69, 74, 184,
Évaluation formative : 141‑142 187

282
Index des notions ou concepts

J P
Jaubert Martine : 229 Pédagogie différenciée : 85‑94
Pédagogie institutionnelle : 40
L
Pédagogies coopératives : 39‑40
Lâcher prise : 190, 254
Performance : 119, 126, 131
La main à la pâte : 41‑42
PIRLS : 147
Langage : 28, 72, 150, 153, 171,
186, 197, 215, 219, 220, 222, PISA : 35, 147
223, 228, 261 Polyphonie énonciative : 233

M Portfolio : 164‑165
Posture : 36, 51‑52, 87, 98, 152,
Maîtrise de la langue : 128, 194, 156, 189, 252, 255
218, 221
Posture d’évaluation : 155‑156
Médiation : 20, 59, 183‑184,
187, 227, 273 Postures d’apprentissage : 52
Métacognition : 185, 192‑198 Postures d’étayage : 254
Méthodes actives : 37‑42 Projet pédagogique : 62‑66
Métier d’élève : 49‑50
Mobiliser : 43‑77 R
Monitorat : 87, 115, 185, 187
Rapport au langage : 220
Motiver : 43‑45
Rapport au savoir : 47‑52, 135,
Multi-agenda : 256‑258 194, 249‑250
Rééquilibration majorante : 27
N
Reformulation : 184, 186,
Notes, notation : 160‑168 194‑197
Relation maître-élève : 250
O Remédiation : 105, 142
Objectivité : 157‑158
Représentations : 21‑28, 103,
Obstacle : 16, 20, 22‑24, 31‑32, 123, 125, 181
63‑64, 96, 147, 204, 251
Rythmes des cours : 70‑75
Oral : 173, 197, 215, 223‑227
Rythmes des élèves : 90,
Orthographe : 235, 238 110‑115, 126, 130

283
Index des notions ou concepts

S Transfert des savoirs : 127, 143,


187
Savoir : 13‑14, 22, 26‑27, 30, 37, Transmission des savoirs : 13,
47, 121‑122, 125, 127, 132, 147, 124, 127
180, 183, 185, 192, 194, 247,
249‑250, 257, 267 Travail de groupe : 25, 60, 85,
91, 95‑114, 106, 174, 181, 192,
Savoir-faire et savoirs d’action 223, 237
: 267
Travail en binômes : 87,
Schèmes : 16, 22, 26, 258‑260, 104‑105, 202
266
Triangle pédagogique :
Sens du travail scolaire, sens de
247‑248, 251
l’école : 47‑54, 62, 133
Situation problème : 29‑33, 56, Tutorat : 87, 115, 184, 185, 187
93, 193
Socioconstructivisme : 15‑18 V
Socle commun : 117, 125, 147, Vocabulaire : 123, 194, 215, 235
215
Voix : 232
Syntaxe : 235, 238

T Z
Tissage (gestes de) : 54‑55, 72, Zone proximale de développe-
257‑258 ment (ZPD) : 18, 32‑33

284
Index des auteurs cités
Alexandre Danielle : 174, 221, 222, 240
Allal Linda : 142
Antibi André : 160‑161, 164, 166, 169
Astolfi Jean-Pierre : 31, 103, 154, 205
Bakhtine Mikhaïl : 232‑233
Bautier Elisabeth : 48, 53, 219‑220
Bernié Jean-Pierre : 229, 232
Brousseau Guy : 27, 199‑201, 204
Bruner Jerome : 18‑19, 183‑184, 187, 190, 197
Bucheton Dominique : 51‑55, 188, 190, 197, 206‑207, 225‑227, 238,
252‑257, 260‑261
Cardinet Jean : 143
Carette Vincent : 31, 129, 169
Cariou Didier : 220, 229, 232
Chabanne Jean-Charles : 197, 227
Charlot Bernard : 48, 194
Chomsky Noam : 119
Cogis Danièle : 241
Coménius Jan : 187
Connac Sylvain : 40
Crahay Marcel : 132, 134, 150, 169
Decroly Ovide : 38, 187
Dewey John : 38, 62, 95, 187
Ducrot Oswald : 233
Duru-Bellat Marie : 81
Étienne Richard : 263
Feuerstein Reuwen : 184
François Frédéric : 237
Freinet Célestin : 15, 39‑40, 43‑44, 47, 60, 62, 95, 112, 136, 149, 187,
207
Gillet Pierre : 121‑122
Giordan André : 23, 35, 58‑59, 275
Grangeat Michel : 193
Grossman Francis : 235
Guégan Yves : 74

285
Index des auteurs cités

Hadji Charles : 160


Houssaye Jean : 247‑248
Jaubert Martine : 230
Jorro Anne : 139, 145, 152‑156, 174, 252‑253, 258, 260‑261, 273‑274
Jurado Monique : 174, 231, 237
Ketele Jean-Marie de : 140
La Garanderie Antoine de : 90‑91
Lahire Bernard : 220
Le Boterf Guy : 121‑122, 124, 131
Lévine Jacques : 249
Manesse Danièle : 241
Martinand Jean-Louis : 31
Meirieu Philippe : 25, 30, 83‑84, 86, 88‑89, 92, 95, 105, 136, 150,
179‑180, 191‑192, 204, 251, 272
Moll Jeanne : 79, 249
Montessori Maria : 38, 187
Muller François : 71
Nonnon Élisabeth : 235‑236
Nunziatti Georgette : 170‑171
Peretti André de : 71, 88‑89, 139, 157, 159
Perrenoud Philippe : 34, 37, 45, 47, 49‑50, 58, 64, 66, 83, 85‑86,
121‑122, 127, 130, 135, 142‑143, 245, 258‑259, 266
Pestalozzi : 187
Piaget Jean : 15‑18, 26‑27, 30, 33, 38, 259, 266
Plane Sylvie : 235
Raynal Françoise : 35‑36
Rébière Maryse : 229‑230
Rey Bernard : 31, 129, 169
Rieunier Alain : 35‑36
Robbes Bruno : 270
Romainville Marc : 121‑122, 126
Ropé Françoise : 120
Soulé Yves : 51‑52, 55, 190, 206, 221, 255, 257
Tanguy Lucie : 120
Terrassier Jean-Charles : 114
Tozzi Michel : 99, 197
Vermersch Pierre : 208‑209
Vygotski Lev : 15, 18, 32‑33, 96, 184, 190, 197, 236
Wallon Henri : 15, 197‑198

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