L’héritage

« A la mort du cousin Lacina, Fama se rend à Togobala son village natal. Après un pénible voyage, il y passe
sa première nuit et, à l’aube, entouré de ses familiers assis sur des nattes, il attend la vague des salueurs. Il
promène alors son regard partout dans la concession, pour évaluer son héritage. »

Les choses blanchissaient avec le matin, tout se redécouvrait. Fama

regardait la concession et ne se rassasiait pas de la contempler, de
l’estimer. Comme héritage, rien de pulpeux, rien de lourd, rien de gras.
Même une poule épatée pouvait faire le tour du tout. Huit cases debout,
debout seulement, avec des murs fendillés du toit au sol, le chaume noir
et vieux de cinq ans. Beaucoup à pétrir et à couvrir avant le gros
hivernage. L’étable d’en face était vide ; la grande case commune, où
était mis à l’attache les chevaux, ne se souvenait même plus de l’odeur
du pissat. Entre les deux, la petite case des cabrins qui contenait pour
tout et tout : trois bouquetins, deux chèvres et un chevreau faméliques et
puants destinés à être égorgés aux fétiches de Balla. En fait d’humains,
peu de bras travailleurs. Quatre hommes dont deux vieillards, neuf
femmes dont sept vieillottes refusant de mourir. Deux cultivateurs !
Jamais deux laboureurs n’ont assez de reins pour remplir quatorze
mangeurs, hivernage et harmattan ! Et les impôts, les cotisations du parti
unique et toutes les autres contributions monétaires et bâtardes de
l’indépendance, d’où les tirer ? En vérité Fama ne tenait pas sur du réel,
du solide, du définitif…
Ahmadou Kourouma,
Les Soleils des Indépendances, Ed.du Seuil, 1970, pp 106-107

Faites le commentaire composé de ce texte.

1) scruter le paratexte en plus de la lecture d’imprégnation

2) Lecture analytique (filtrage ou analyse du texte à l’aide « des boîtes à outils »).

2) Lecture analytique (filtrage ou analyse du texte à l’aide « des boîtes à outils »).

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 Outils Indices textuels Interprétations Axes
Verbes de (regarder, contempler, estimer) L2 Evaluer l’héritage, en De lecture.
perception déterminer la valeur
Fréquence 8 (cases au mur fendillé) 3 (bouquetinsAbsence de force, de A):description
d’adjectifs faméliques) 4 (hommes) dont 2 (vieillards)
vitalité : inertie. évaluative de
numéraux 9(femmes) dont 7 (vieillottes)
Compte d’épicier l’héritage
cardinaux 2(cultivateurs) 14 (mangeurs) :
sous tendu par une 1) l’habitat
habitat,cheptel, homme tonalité ironique 2) le cheptel
quantité 3) les hommes
insignifiante
Fréquence de Valeur négative de B):évaluation
constructions Rien de… ; ne …plus ; ne…pas ; sans. L2 ; l’héritage, manque ; qualitative de
négatives L6 ; L12 charge l’héritage
supplémentaire pour 1) valeur négative
Fama de l’héritage
2) persistances des
ennuis pécuniaires
de Fama
a) habitat : cases aux murs fendillés L4 pauvreté, désolation 3)désillusion et
L’espace et Etables (sans odeur de pissat) L6 Parasitisme,qualité amertume de Fama
ses occupants. b) cheptel : bouquetins faméliques et puants négative de
Texte c) hommes : vieillottes, vieillards, quatorze l’héritage,
descriptif mangeurs déchéance.
Adjectifs dépréciatifs
Fendillé, noir et vieux (mur, chaume) L4 ironiques soulignant
Champs Faméliques, puants (animaux) L8 la misère, la pauvreté.
lexicaux Impôts, cotisation (du parti unique) Ennuis financiers,
contributions (monétaires et bâtardes) L11- désillusion ; Fama
et L12 comptait sur son
héritage pour se
débarrasser de ses
soucis pécuniaires
Foyer de Description
focalisation Le décor et l’atmosphère sont perçus à subjective laissant
(focalisation travers le regard de Fama (à part quelques apparaître en filigrane
interne) rares intrusions du narrateur). la déception, la
désillusion de Fama
: Le narrateur cherche
Traits Anaphore : « rien de pulpeux, rien de lourd, à s’attirer la
pittoresques, rien de gras » L2 ; Personnification : complicité amusée du
formules « même une poule épatée… » lecteur. Le registre
ironiques et « la grande case ne se souvenait même plus satirique permet de
Figures de de l’odeur du pissat » L5-6 mettre en évidence le
style « bouquetins puants et faméliques destinés à degré de désillusion
être égorgés aux fétiches » ; « vieillottes de Fama.
refusant de mourir » ; Métaphore : « pas
assez de reins pour remplir quatorze
mangeurs » ; Personnification :
« bâtardes » ; Enumération : « réel, solide,
définitif »
Ce type de temps
Temps permet d’obtenir une
verbaux Prédominance de l’imparfait de l’indicatif espèce d’arrêt sur
temps par excellence de la description. l’image ; l’imparfait
(comme le présent)

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3) Hypothèse de lecture

Le candidat doit trouver une autre hypothèse de lecture. Il peut par exemple se demander en quoi la
déchéance sociale de Fama est-elle mise en évidence dans ce texte
4) élaborer un plan

Si nous regardons notre tableau, nous voyons que la colonne « convergences » ou « axes de lecture »
contient un plan général de commentaire composé assez bien structuré. Il revient au candidat de le
réaménager à sa guise selon un ordre d’importance croissante. Dans la colonne « interprétations », le
candidat retrouve des ébauches d’arguments lui permettant d’étayer les idées qu’il aura à développer dans
les différents centres d’intérêt. La colonne « références » contient les outils d’analyse déjà identifiés et
référencés dans le texte. En observant de près ce tableau nous voyons que le candidat peut privilégier trois
entrées principales constituées par : les champs lexicaux, les outils grammaticaux (adjectifs dépréciatifs
et adjectifs numéraux) et la tonalité ironique.
A l’examen, le candidat doit repèrer uniquement les outils les plus évidents, les plus pertinents et les
plus « parlants ». En effet il doit être efficace et doit bien gérer son temps.

5) Introduction

Extrait du roman Les Soleils des Indépendances de Ahmadou Kourouma, ce passage nous présente
en une série de tableaux succincts et précis ce qui constitue l’héritage de Fama. Par le procédé de la
description, l’auteur nous fait découvrir de manière presque caricaturale l’héritage hétéroclite du
personnage. Ne pourrait-on pas alors penser que l’auteur se livre à une satire des indépendances
africaines ? Répondre à cette interrogation équivaudrait à se pencher sur cette description caricaturale
suivant deux perspectives intimement liées: la présentation estimative de l’héritage et la désillusion de
Fama.

On peut privilégier ce type d’introduction devant un texte dont l’auteur et l’œuvre sont méconnus
des élèves.

Autre introduction possible.

Le thème de la souffrance, de la misère, en corrélation avec certaines pratiques traditionnelles et

l’émergence des indépendances en Afrique est fréquent dans la littérature africaine. Kourouma nous en
donne un exemple dans son roman Les Soleils des Indépendances, roman dans lequel le personnage
principal Fama rencontre toutes sortes de tribulations. Dans l’extrait qui nous est proposé, nous
découvrons l’héritage que le cousin Lacina a cédé au prince Fama. Cette description ne pourrait-elle pas
constituer une satire des indépendances ? Pour répondre à cette question, nous présenterons avec minutie
les composantes de l’héritage puis dévoilerons la profonde désillusion de Fama.

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6) Développement du premier axe de leture (à titre illustratif).

La première préoccupation de Fama, c’est d’évaluer l’héritage que lui a laissé le cousin Lacina, d’en
estimer la valeur. Ainsi il passe successivement en revue l’état de l’habitat, du chepel et des hommes. Par
l’utilisation de verbes de perception comme « regardait, contempler, estimer », le lecteur peut aisément
remarquer le désir pressant de Fama d’être fixé sur la valeur de son héritage. Ce qui s’offre en tout
premier lieu au regard de Fama et dans la logique d’une description progressive, c’est l’habitat. La vétusté
de l’habitat nous est rendue de manière caricaturale par l’utilisation d’adverbes, de participes passés et
d’adjectifs qualificatifs que nous trouvons dans les expressions suivantes : « cases debout seulement »,
« murs fendillés », « chaume » noir et vieux de cinq ans.
Cet habitat ainsi délabré n’est-il pas en adéquation avec le cheptel qu’il abrite ? L’emploi d’adjectifs
numéraux cardinaux en décrescendo nous renseigne d’abord sur la quantité très limitée de ce cheptel: trois
bouquetins, deux chèvres et un chevreau. A cette quantité très limitée du cheptel, s’ajoute une autre réalité
plus décevante: sa maigreur, sa puanteur rendues par l’expression caricaturale « faméliques et puants
destinés à être égorgés aux fétiches de Balla ». Un habitat délabré, complètement en ruines, un maigre
cheptel malade et puant, voilà l’une des facettes de l’héritage de Fama.
Sur qui peut-on compter pour valoriser un tel héritage ? On pense immédiatement aux personnes
vivant dans ces « huit cases debout seulement ». Fama a besoin de bras valides qui pourront prendre en
main ce cheptel famélique et cultiver pour se nourrir. Mais l’utilisation d’adjectifs numéraux et de
substantifs dépréciatifs sous-tendue par une tonalité ironique nous peint de manière saisissante cette autre
facette de l’héritage de Fama. « Quatre hommes dont deux vieillards, neuf femmes dont sept vieillottes
refusant de mourir ». Une formule presque mathématique nous montre l’anéantissement de tout espoir de
tirer un quelconque profit de ces hommes : « jamais deux laboureurs n’ont assez de reins pour remplir
quatorze mangeurs ». L’expression « mangeurs » fait penser à l’animalité et au parasitisme. Alors que
l’état du chepel et de l’habitat exprime la désolation, la pauvreté, l’état physique des humains suggère la
disette, la misère, l’absence de vitalité. »

7) conclusion

« Nous découvrons à travers cet extrait soumis à notre analyse, non seulement la valeur négative de
l’héritage de Fama, mais aussi la déception de ce dernier, sa désillusion rendues plus amères par des
soucis pécuniaires.
En effet, par l’utilisation d’une part d’un style réaliste sous-tendue par une certaine tonalité ironique et
d’autre part par l’emploi fréquent d’adjectifs numéraux, le narrateur parvient à nous faire saisir l’amère
désillusion de Fama. Cet héritage ne fera qu’accélérer en effet la déchéance sociale du personnage.
Entre la période où le prince Fama vivait dans l’opulence et cette page qui nous peint de manière
saisissante la décrépitude, la pauvreté, la disette et la désolation que s’est-il donc passé ? »

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