Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
La-Bruyère-Dissertation-5699
La-Bruyère-Dissertation-5699
se connaît quelquesuns des défauts que je touche, s'en corriger. C'est l'unique fin que l'on doit se
proposer en écrivant [...] On ne doit parler, on ne doit écrire que pour l'instruction." ( Préface
Pour La Bruyère, l'acte d'écrire n'est pas gratuit, et doit obéir à une fonction didactique.
Or, dans la première remarque des Caractères, en affirmant que " Tout est dit et l'on vient trop
tard depuis sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent. Sur ce qui concernent les mœurs,
le plus beau et le meilleur est enlevé ; l'on ne fait que glaner après les anciens et les habiles
d'entre les modernes." ( Des ouvrages de l'Esprit, 1), La Bruyère ne remetil pas en cause son
projet d'écriture ? Si "tout est dit", cela signifietil qu'il n'y a plus de matière, que tous les sujets
concernant les mœurs ont été épuisés et que dés lors, Les caractères ou les mœurs de ce siècle, ne
seraient qu'une imitation des anciens ? Et encore cette imitation seraitelle fade et moins belle
puisque " le plus beau et le meilleur" ont été dit et dans ce cas pourquoi écrire ?
Loin de considérer cette remarque inaugurale comme une façon habile pour l'auteur
d'appeler l'indulgence du lecteur il nous semble au contraire qu'elle inscrit Les Caractères dans
une continuité littéraire, non seulement parce qu'ils sont placés juste après la traduction des
Caractères de Théophraste, mais parce que les sujets abordés dans les différents chapitres sont
intemporels et que la Bruyère, en les actualisant, participe à l'étude des comportements humains.
Si de fait la matière n'est pas nouvelle, " Horace et Despréaux l'a dit avant vous. Je le crois sur
votre parole ; mais je l'ai dit comme mien. Ne puisje pas penser après eux une chose vraie, et
que d'autres penseront encore aprè[***]s moi." ( Des ouvrages de l'esprit, 69) il n'en demeure pas
moins que l'organisation de la matière et le choix du style, en font une oeuvre originale à part
entière. Il y a une modernité des Caractères Comme il y a une modernité des Pensées de Pascal :
" Qu'on ne dise pas que je n'ai rien inventé de nouveau : la disposition des matières est nouvelle.
Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont joue l'un et l'autre, mais l'un la place
I UN BUT DIDACTIQUE ( cette question est traitée, en partie, dans les généralités sur Les
Caractères)
"lois morales" mais en revanche dans la préface à son discours d'intronisation à l'Académie
la dénonciation des défauts des hommes : " [...] j'essaie dans mon livre des Mœurs, de
la correction des aveuglements et des passions des hommes : " [...] j'essaie dans mon livre des
Mœurs [...] de rendre l'homme raisonnable..."
l'intention apologétique : " [...] j'essaie dans mon livre des Mœurs [...] de rendre l'homme [...]
plus proche de devenir chrétien."
La bruyère estil un moralisateur ?
On peut constater, tout au long de l'œuvre que La Bruyère ne dicte pas de règles, qu'il
n'assène pas des leçons de morales, mais qu'il se contente le plus souvent de montrer les défauts,
Pour autant, La Bruyère ne se contente pas de constater que « Les grands se plaisent dans
l’excès » (Des Grands, 5), il invite à la modération. En effet, si les courtisans se donnent
beaucoup de mal pour satisfaire leur amour propre, s’ils réussissent parfois, l’homme de cour est
le plus souvent malheureux car il est rongé par la jalousie, cette « maladie de l’âme », parce qu’il
veut toujours plus et mieux. De plus, La vie du courtisan est compliquée, c’est un véritable
parcours du combattant plein de tracas et désagréments aussi La Bruyère vantetil les mérites
d’une vie simple, avec moins d’éclat mais un bonheur garanti : « Le meilleur de tous les biens
[…] c’est le repos, la retraite et un endroit qui soit son domaine» ( de la Cour, 98). Ce n’est pas
dans la démesure que l’homme peut trouver la sérénité Il vaut mieux être modeste, avoir des
sans faste » ; faire le bien est « un devoir dont [on] s’acquitte » ( Des Grands, 46) et plus le geste
est sincère plus il est discret, contrairement à Aristarque qui fait annoncer haut et fort « que
qu'il n'assène pas des leçons de morales, mais qu'il se contente le plus souvent de montrer les
La Bruyère est avant tout un écrivain qui réfléchit sur les mœurs de son époque et sur la
condition de l’homme. Il veut faire éclater l’évidence à partir de ses observations et non pas
asséner sur un ton péremptoire un raisonnement abstrait. Il ne cherche pas non plus à légiférer les
Son ouvrage est une suite de constats qui n’ont pour but que de faire réfléchir. D’ailleurs
il se tient à distance de leçons de morale sentencieuses, par modestie : « Je n’ai pas assez
d’autorité ni assez de génie pour faire le législateur » mais aussi parce qu’il ne prétend pas
détenir la vérité et qu’il accepte que ses remarques puissent être reconsidérées : « Ceux qui font
des maximes veulent être crus : je consens au contraire que je n’ai pas quelquefois bien
recours à des formules dubitatives telles que « Je ne sais », « Il me semble. » Il est un témoin
plus qu’un juge et s’il dit, sans détour parfois, ce qui le choque ou ce qui l’indigne ce n’est pas
pour imposer sa vision de la société mais pour faire appel au bon sens du lecteur, pour l’inviter à
s’interroger. D’ailleurs quand il recommande « l’étude des textes », il explique quel usage on
doit en faire : « […] songez surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses
circonstances ; conciliez un auteur orignal, ajustez ses principes, tirez vousmêmes les
texte et de se l’appliquer à luimême. La lecture des Caractères nécessite de la part du lecteur une
démarche active. Souvent il pose des questions et se garde d’y répondre, laissant ainsi le lecteur
libre de répondre en fonction des circonstances : « Qui peut, avec les plus rares talents et le plus
excellent mérite, n’être pas convaincu de son inutilité, quand il considère qu’il laisse en mourant
un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer ? » ( Du
mérite personnel, 1)
pour dire ce qu’il ne faut pas faire pour être digne que par souci de vérité. C’est un peintre, non
un théoricien et l’on peut dés lors considérer Les Caractères comme un document utile pour
connaître la société du dixseptième siècle. Même si certains chapitres, tel celui Du Cœur,
distillent des remarques très moralisatrices, il n’en demeure pas moins que La Bruyère est
davantage un philosophe, tel qu’il le définit , à savoir celui qui « consume sa vie à observer les
hommes et [qui] use ses esprits à en démêler les vices et le ridicule » (Des ouvrages de l’esprit,
c'est à eux qu'il les destine : " Je rends au public ce qu'il m'a prêté ; j'ai emprunté de lui la matière
de mon livre". Il a fait le portrait des hommes du dixseptième siècle, et plus particulièrement des
parisiens ( La Bruyère connaissait très peu la province, et pas du tout le monde rural, ce qui
explique qu'il en est peu question dans son ouvrage), et les nobles qui vivaient à Versailles. Mais
La Bruyère nous met en garde contre une lecture trop restrictive de son oeuvre : " [...] ce sont les
caractères ou les mœurs de ce siècle que je décris ; car bien que je les tire souvent de la cour de
France et des hommes de ma nation, on ne peut néanmoins les restreindre à une seule cour, ni les
renfermer dans un seul pays, sans que mon livre ne perde de son étendue, de son utilité, ne
s'écarte du plan que je me suis fait d'y peindre les hommes en général..."
Pour la Bruyère, les hommes du dixseptième siècle ne sont pas des cas particuliers.
Certes leurs comportements sont en relation étroite avec le contexte dans lequel ils vivent mais le
fond de leurs caractères est constant et intemporel, c’est la forme qui est différente. Héritier
fidèle de Montaigne qui écrivait dans ses Essais : « Chaque homme porte la forme entière de
l’humaine condition » ( Livre III, chapitre 2), La Bruyère est convaincu que les hommes «
changent leurs habits, leur langage, les dehors, les bienséances, ils changent de goût quelquefois :
ils gardent leurs mœurs toujours mauvaises, fermes et constants dans le mal, ou dans
l’indifférence de la vertu. » ( De l’Homme, 2). Pour être le plus vrai possible, il fallait partir de
l’observation de la réalité, car c’est à travers les petits détails de la vie quotidienne que les
hommes se dévoilent tels qu’ils sont. Par ailleurs, l’auteur doit éviter de se livrer à une étude
abstraite s’il veut atteindre un but édifiant, il faut s’appuyer sur des exemples concrets pour que
le lecteur se reconnaisse. Montrer à l’homme ses erreurs à partir de situations réelles confère de
la pertinence à l’ouvrage.
convaincre et persuader, il n’a pas recours à l’argument ad hominem, même si ses contemporains
cherchaient des clefs pour identifier telle ou telle personne, ce qui aurait été gratuit et stérile.
Derrière Ménalque, Théodote, Pamphile, se cachent moins des personnes ayant réellement
existées que des types humains universels. La Bruyère a tenté de faire l’inventaire de la diversité
humaine et il a établi un catalogue des types sociaux et des types moraux. Dans chacun de ses
chapitres, il observe les attitudes des hommes à travers les différents sujets qui les concernent,
par exemple, il relate comment les courtisans se comportent à l’égard des grands, comment les
grands se comportent à l’égard des courtisans et il en conclut que l’homme est ambitieux,
hypocrite, intéressé, dédaigneux, jaloux, prétentieux, fat… Ces mêmes remarques sont faites
dans les autres chapitres mais à partir de sujets différents. Ainsi, les femmes sont elles aussi
victimes de ces mêmes défauts mais elles l’expriment autrement. D’ailleurs, si certains de ses
portraits sont personnalisés, la plupart du temps La Bruyère utilise une formule très générale : «
tous les hommes » ; « tels hommes » ; « les grands » ; « les petits ». Il a très souvent recours au
pronom indéfini « on », non pas pour dissimuler son propre jugement qu’il sait par ailleurs
revendiquer à la première personne, mais parce que ce qu’il constate peut l’être n’importe où par
n’importe quel autre observateur. C’est pour cette raison aussi que le présent est moins un
Bruyère s’adressent à un public sans cesse renouvelé. Il suffit au lecteur de transposer les propos
de l’auteur dans le contexte qui le concerne, de changer quelques termes qui seraient pour lui
anachroniques et les remarques sont toujours tout aussi pertinentes. Plus de « trompette ni de «
héraut », mais il se trouve encore quelque part un Aristarque qui se vante du bien qu’il va faire et
qui ne le fait pas et au contraire un homme modeste qui dans l’ombre et la discrétion fait du bien
par vertu. Si la situation politique a changé, l’ambition du pouvoir et la vanité dominent toujours
l’homme et si ce n’est plus à Versailles que l’on rêve de s’installer, c’est dans telle capitale. Et
pour satisfaire son besoin de domination l’homme emploie les mêmes excipients que ses aînés,
prétendre être meilleur que l’autre. Les droits de la naissance sont révolus et « tous les hommes
sont égaux », pour autant, les inégalités sociales perdurent et loin s’en faut que l’égoïsme et
La Bruyère réécrit les Caractères de Théophraste, comme La Fontaine les fables d’Ésope
ou de Phèdre et Molière les comédies de Plaute. La littérature édifiante ne peut être que
réécriture, renouvellement par la forme et par le détail pittoresque, du même sujet. La Bruyère
n’écritil pas dans la remarque liminaire de son ouvrage : « Tout est dit, et l’on vient trop tard
depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent. […] l’on ne fait que glaner
après les anciens. » Le sujet n’est certes pas nouveau et pourtant il ne cesse d’être actualisé,
comme si l’homme avait besoin qu’on lui rappelle régulièrement ses imperfections, sa petitesse
et sa bassesse pour qu’il essaie de s’améliorer pour ne pas sombrer dans le plus grand péril. La