Rabelais Frere Jean

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Gargantua Frère Jean des Entommeures notes

Laissant Gargantua à Paris, Rabelais ramène le lecteur dans la région de Chinon, où Grandgousier,
le père de Gargantua, est en bute aux attaques de son voisin , Picrochole. La guerre éclate pour une
raison très futile : les fouaciers de Lerné, (des vendeurs de fouaces, galettes de blé, ont refusé de
vendre aux bergers de Grangousier leurs gâteaux, et les ont insultés. De la dipute, on en vient aux
mains. De retour chez eux, les fouaciers se plaignent au roi, Picrochole qui, sans réflexion ni
déclaration préalable, ravage le pays de Grandgousier. Le récit de cette guerre est l’autre grand pôle
de l’oeuvre, après l’éducation humaniste, Rabelais oppose à la folie de la guerre et de la conquête le
courage et la raison d’un prince humaniste.

Le premier épisode de cette guerre fait entrer en scène un personnage qui ne quittera plus les héros,
frère Jean des Entommeures. Personnage haut en couleur, dans la tradition des moines guerriers,
jureurs et bons vivants, frère Jean permet à Rabelais de donner une vision humoristique du monde
monacal. Et, en poussant le comique vers l’humour noir, il fait réfléchir aux horreurs de la guerre.
Rire et savoir.

Structure
Récit des exploits de frère Jean , parodie de roman de chevalerie, un massacre
Dialogue, invocations des ennemis

Enjeu, problématique
Que cherche à faire savoir, à fustiger Rabelais à travers cette parodie burlesque ?

« Disant cela, il se débarrassa de son grand habit, et se saisit du bâton de la croix, qui était de coeur
de cormier, long comme une lance, épais comme le poing, et quelque peu semé de fleurs de lys
presque toutes effacées »

« il » c’est frère Jean des Entommeures autrement dit frère Jean des hachis,ou frère Jean du hachis
ou frère Jean au grand appétit. Après avoir envisagé de mourir en martyr pour pour le bien de
l’église, il prend et se prononce pour la solution inverse:agir, se battre. L’expression « disant cela »
atteste du changement de disposition d’esprit de frère Jean.
La multiplicité des PS « se débarrassa », «se saisit » traduise la rapidité de des actions, leur
enchaînement et souligne l’allure décidée et l’énergie dont fait preuve frère Jean. Il est
manifestement plus porté à l’action qu’à la méditation.
Frère Jean « se débarrassa » de son habit et « se saisit du bâton de la croix » , à l’évidence il fait
preuve d’esprit pratique : sa soutane le gêne pour se battre, et le « bâton de la croix » est à portée de
main.
Notons que se servir « du bâton de la croix » n’est pas blasphématoire, en effet, il ne s’en sert pas, il
ne le choisit pas pour sa vertu religieuse mais pour sa vertu pratique : il est solide et maniable.
« le bâton » est décrit avec multe détails qui le donne à voir et lui donne la saveur de la chose vue.
La description est pittoresque. Il est « en cormier » , « long », « épais », « semé de fleurs de lys
presque toutes effacées », ce qui compte est la qualité du bois, sa forme, sa maniabilité. Le décor
renvoie aux insignes de la royauté : qui défend l’église défend le roi mais le décor est presque effacé
, ce qui enlève à l’objet toute sacralité.

L’irruption de frère Jean dans la bataille est vue à travers les yeux du narrateur , en focalisation
omnisciente. Elle contient une prise de position au sein du débat religieux de l’époque. Pour les
Evangélistes, aucun objet, si respectable soit-il, ne doit devenir objet de vénération. (cf le culte et le
trafic des reliques) En revanche, en tant que moine, il n’a pas le droit de verser le sang. Frère Jean
ne s’embarrasse pas de ce « détail »
« Il sortit ainsi en beau pourpoint, mit son froc en écharpe, et, avec son bâton de la croix, il frappa
ainsi brusquement sur les ennemis, qui sans ordre ni enseignes, ni trompette ni tambours,
vendangeaient au milieu du clos. »
Frère Jean n’a rien du noble chevalier des chanson de geste, son armure est un « pourpoint », son
bouclier son « froc en écharpe », son épée un « bâton ». Frère Jean est un chevalier de fortune, il fait
avec les moyens du bord.On est dans la parodie,la caricature , l’héroico-comique.
Frère Jean « frappa brusquement » le passé simple est renforcé par l’adverbe et voyelles et
consonnes miment le son du coup donné.
La scène décrite est pittoresque, frère Jean fond sur des »ennemis » qui « vendangeaient ». Les
pillards sont devenus des vendangeurs. Le burlesque est introduit par le terme « vendangeaient » qui
s’accorde mal avec l’ardeur belliqueuse qu’évoquait le mot « ennemis ». Les ennemis ont oublié le
combat pour des occupations plus pacifiques. Cette armée décrite à travers des éléments de parade,
« enseignes, trompette, tambours » n’a rien de martial d’autant que ces éléments sont précédés de
négations : « sans », « ni » répété trois fois. La scène est comique.
.

« Car les porte-drapeaux et porte-enseignes avaient posé leurs drapeaux et enseignes le long des
murs, les tambours avaient défoncé leurs instruments d’un côté pour les remplir de raisins, les
trompettes étaient chargés de rameaux et de pampres : c’était une débandade générale »

L’explication, amenée par le lien logique de cause « car » est savoureuse : les « drapeaux » sont
délaissés « posé » , les « tambours » des tambours dévoyés de leur fonction première. La scène est
champêtre . Le mot « débandade » est à entendre au sens propre : les rangs sont rompus, les soldats
sont des vendangeurs, des pillards.

« Il chargea donc si rudement sur eux sans crier gare qu’il les renversa comme des porcs, frappant à
tort et à travers, à l’ancienne mode française. »

Le contraste est source de comique . Frère Jean « chargea rudement » la violence de la charge
contraste avec la scène champêtre . D’autant qu’il charge au mépris des règles élémentaires de la
guerre : « sans crier gare », par surprise. On est loin des codes de la chevalerie . Frère Jean se bat
« frappant à tort et à travers » « à l’ancienne mode française » sans art, sans style. Il ne connaît que
la violence, la force brutale. Il gesticule frappe , les ennemis sont comparés à des « porcs » Ils sont
animalisés. On se croirait plus dans un abattoir que sur un champ de bataille. Loin de régler le
problème, frère Jean ajoute du désordre au désordre. Cette violence débandée est,par son excès et sa
disproportion comique. Frère Jean ne défend ni le royaume ni la foi mais les les vignes de son
monastère. Rabelais rappelait un peu avant qu’il était plus au service du vin qu’au service du divin.

« Aux uns il écrabouillait le cervelle, aux autres il rompait bras et jambes, à d’autres il démettait les
vertèbres cervicales du cou, à d’autres il démoulait les reins, effondrait le nez, pochait les yeux,
fendait les mandibules, enfonçait les dents en la gueule, émiettait les omoplates, désagrégeait les
jambes, déboîtait les ischios, disloquait les os de tous les membres. »
Rabelais donne à la scène un rythme endiablé en accumulant les verbes de mouvement à
l’imparfait. La variété du vocabulaire et la violence des actions parodient les combats des romans de
chevalerie. Le rythme s’accélère , les verbes de mouvement se succèdent, la phrase se réduit à
l’énoncé du pur mouvement , il en résulte un effet comique. A ce comique répétition, à ce comique
mécanique, Rabelais, en médecin, ajoute toutes les précisions anatomiques . On croirait voir un
chirurgien qui prend plaisir à la dissection. La valeur sonore des verbes met en relief leur cruelle
exactitude : « écrabouillait, rompait, démoulait ,fendait » Chaque verbe évoque le ravage et la
violence d’un nouveau coup.Le préfixe « de » souligne la désarticulation du corps mis en pièces.
Aucune partie du corps n’est épargnée. Cette cascade d’actions fait rebondir le rire. Trop c’est trop.
Une critique de la violence de la guerre est évidemment ici sous -jacente.

« Si certains voulaient se cacher entre les ceps plus épais, il leur froissait toute l’épine dorsale, et il
leur brisait les reins comme à des chiens. Si d’autres voulaient se sauver en fuyant, il leur faisait
voler en pièces toute la tête en frappant à la suture lambdoide. Si d’autres encore gravissaient un
arbre en pensant s’y mettre en sûreté, de son bâton il les empalait par le fondement. »

Les relations entre les combattants sont alors envisagées. Frère Jean non content d’être brutal se
montre également impitoyable. Il s’acharne sur ses adversaires ,il ne leur laisse aucune possibilité
de fuite ou de refuge.
Chaque tentative est évoquée à l’aide d’une longue subordonnée hypothétique temporelle, le « si »
est équivalent à quand « si certains voulaient se cacher...si d’autres voulaient se sauver » qui
contraste avec la vigueur impitoyable des coups évoqués par le verbe de la principale :
« froissait...brisait...faisait voler en pièces...empalait » . Frère Jean ne supporte pas les lâches donc
pas de pitié. Notons que les adversaires ne sont pas nommés, ils sont désignés par des
indéfinis »certains...d’autres...d’autres encore » ils sont désincarnés, déshumanisés, anonymés. La
scène se donne cependant à voir avec réalisme et ne laisse pas place à l’affect, à l’émotion.

« Si quelque vieille connaissance lui criait :


« Ah frère Jean, mon ami, frère Jean je me rends. -T’y voilà bien forcé, disait-il. Mais c’est à tous
les diables que tu rendras ton âme » Et brutalement il le rouait de coups. Et si quiconque se piquait
de témérité pour vouloir lui résister en face, alors il montrait la force de ses muscles. Car il lui
transperçait la poitrine par le médiastin et par le coeur ; à d’autres, cognant dans le creux des côtes,
il leur retournait l’estomac et ils mouraient soudainement ; d’autres encore, il les frappait si
hardiment par le nombril qu’il leur faisait sortir les tripes, et à d’autres c’était par les couilles qu’il
leur perçait le boyau du cul. Croyez bien que c’était le plus horrible spectacle qu’on vît jamais. »
Les uns criaient : « Sainte Barbe ! »
D’autres : « Saint Georges ! »
D’autres : « Saintes Nitouche ! »
D’autres : « Notre Dame de Cunault, de Lorette, de Bonne Nouvelle, de la Lenou, de rivière ! »
Les uns se vouaient à saint Jacques, les autres au Saint Suaire de Chambéry, même s’il brûla trois
mois plus tard, et qu’on en put sauver un brin.
D’autres se vouaient à Cadouin.
D’autres à saint Jean d ‘Angély.
D’autres à sainte Europe de Saintes, à saint Mesme de Chinon, à saint Martin de Candes, à saint
Clouaud de Cinais, aux reliques de Javarzay, et à mille autres bons petits saints. »

Le récit intègre maintenant le style direct et met aux prises frère Jean non face à un ennemi
anonyme mais face à un ami Encore une fois , le moine n’est accessible à aucune pitié, plus
encore,il éprouve joie et satisfaction à ne pas faire grâce et plaisante en l’envoyant ad patres. Le jeu
de mots est révélateur de la bonhommie bien peu chrétienne avec laquelle il trucide joyeusement ses
« ennemis ».
Autre cas de figure, si quelque autre voulait l’affronter , « il montrait les muscles » frère Jean se
prend au jeu , il s’enivre de la violence en atteste la boucherie à laquelle il se livre : « le spectacle
était horrible » et pourtant nous en rions
Le point d’orgue arrive quand les blessés invoquent les saints, pensant susciter en dernier recours la
pitié du moine.
L’ énumération des saints traditionnels ou de fantaisie entraîne une gaieté folle, accentuée par la
symétrie : »Sainte Barbe / Sainte Nitouche ». Ils sont invoqués à tort et à travers tout comme les
sanctuaires de la Vierge : « Notre Dame de rivière ».
Rabelais joue encore sur tous les particularismes , culte des reliques « Saint Suaire »
La critique est claire, le culte des saints et des reliques est condamné par les Evangéliques.
L’effet est comique , ce joyeux mélange suffit à enlever tout crédit à ses invocations et l’on sourit de
l’insensibilité e Frère Jean . Si la foi de frère Jean est à mettre en cause, celle des autres ne vaut pas
mieux.
Belle satire de la superstition

« Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. Les uns mouraient en parlant, les
autres parlaient en mourant.
D’autres criaient à haute voix : « Confession ! Confession ! Je me confesse, ayez pitié, je me
remets entre vos mains. »

Un joli chiasme clôt l’extrait « Les uns mouraient sans parler, les autres parlaient sans mourir. » Le
narrateur joue sur les mots, leur échangeabilité les rend caduques . La parataxe souligne que le son
l’emporte sur le sens. Même le début de la prière des mourants « Confiteor » est vide de sens, elle
n’est pas motivée par le repentir mais par la peur. Les soudards recourent à la prière voilà qui prête
à rire

Conclusion
« Frère Jean vendange les vendangeurs » et l’on rit d’un massacre. Une description dramatique, des
effets émouvants deviennent sujet de plaisanterie. Un chef d’oeuvre comique où le rythme, la
richesse verbale et la parodie sont désopilants

Une parodie de roman de chevalerie


Une satire du monde religieux

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