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Gargantua (1534) de François Rabelais

Frère Jean au combat (extrait du chapitre 27)


Explication linéaire (3/3)

Introduction

- FR est un écrivain humaniste français du XVIème, des environs de Chinon et de la Loire.


- Il a écrit des textes savants autour de la médecine, science qu’il a pratiquée et développée,
après avoir été moine, auprès des plus hauts responsables, rois et papes, mais il est surtout connu
aujourd’hui pour ses 4 (ou 5?) romans autour des personnages de Pantagruel et de son père
Gargantua, inspirés de la tradition populaire.
- Nous sommes ici à peu près à la moitié du roman. Picrochole a déclaré la guerre à
Grandgousier et, avec ses armées, il pille le pays. Ses soldats commencent à saccager ici
l'enclos d'une abbaye. Mais c'est sans connaître l'un des résidents de l'abbaye : Frère Jean
des Entommeures, qui prend la parole devant ses pairs et le prieur...

Lecture expressive : attention : titre compris, mais pas le chapeau !

1ères réactions (liées à des résumés?) : ... + critique de la gravure de Robida ?

Mouvements et problématiques proposés :

1er mouvement : § 1 : lignes 1 à 10 : la prise de paroles de FJ et son départ pour le combat


2ème mouvement : § 2 et 3 : lignes 11 à 25 : description de frère Jean combattant et du combat,
en général et dans les détails !

Quelle est la « substantifique moëlle » de ce récit centré sur la personne de Frère Jean et
« son » combat guerrier ?
Dans quelle mesure ce texte constitue-t-il une réflexion critique centrée autour des combats
guerriers, de leurs causes et de leurs conséquences ?

Explication linéaire :

Le titre : il permet de situer l'action dans l'abbaye de Seuillé (village natal de FR, qui aime
écrire des lignes en lien avec son pays, pour être plus authentique, pour pouvoir partager son
amour et faire des hommages, des satires, des clins d'oeil !) et d'évoquer déjà le rôle a priori
héroïque d'un moine par rapport à un pillage (un saccage des ennemis de Grandgousier)

1er mouvement :
Après avoir brossé un portrait en quelques expressions hautes en couleur de Frère Jean et
montré ses premières actions (hélas vaines !) auprès de ses pairs et du prieur (bis), FR lui
donne la parole...

§1 :
FJ cherche d'abord à capter l'attention de l'auditoire, à le « réveiller » et à le convaincre d'agir en le
flattant : « Ecoutez (…) Messires »... pour une assemblée de moines. Mais il passe très vite à ce
qui l'anime : le saccage des raisins et donc du vin ! Il y a dans cet empressement et sa cause
plus que du comique de caractère : des premiers éléments burlesques car l'héroïsme de FJ est en
réalité égoïste et intéressé, trivial (rappel : ton ou style burlesque = parler de qqch de grand d'une
manière simple voire triviale)
« corps de dieu » : son indignation et son envie d'agir sont si fortes qu'il jure. Comique de
caractère et de mots...
En se situant seul face à « vous autres » et avec le verbe « suivre », il se place en meneur
d'hommes, ce qui montre sa détermination et aussi la force de son caractère, sa vitalité... ses
valeurs héroïques... réelles mais de nouveau il ne faut pas en oublier la cause... Le propos de FR
est à la fois de reconnaître les qualités de son personnage et en même temps d'en indiquer les
limites...
L'exclamation cherche d'abord à galvaniser son « public ».
Il passe ensuite à une fausse explication malgré le « Car » en tête de phrase : c'est un peu confus
et il cherche surtout à montrer sa détermination à empêcher (tous) ceux qui ne le suivront pas de
boire même « un godet »... Excès comique et révélateur encore du caractère de FJ dans cet
avertissement. Il se donne même le rôle de juge punisseur à craindre car capable d'aller, pour
priver de vin ceux qui ne l'écouteraient pas, jusqu'à se « brûler » par les « flammes de Saint
Antoine » !
La vigne « secourue » est presque personnifiée. On voit que pour lui c'est qqch de sacré et donc
qu'il est prêt à se sacrifier (étymologie du mot sacré) pour arrêter le saccage.
« Ventredieu » : nouveau juron comique, encore lié au corps divin. Toujours pour animer son
discours...
Sa parole peut sembler de plus en plus confuse, mais il est sous l'effet de l'indignation : « ha, non,
non ! » : il donne l'impression de se parler à lui-même à la ligne 4 et évoque même... le
« diable » ! Il y a évidemment de la satire ici dans cette confusion comme dans tous ces excès !
Il passe ensuite à l'argument du gaspillage avec aussi un argument d'autorité en s'appuyant
sur la figure de « Saint Thomas d'Angleterre » mais d'une manière comique car tendancieuse et
réductrice comme le révèle la note 4 : les « biens de l'Eglise » sont pour FJ... uniquement les
vignes ! Comique de mots et de caractère. Satire...
La fin est très intéressante : FJ donne d'abord une nouvelle raison d'agir : le fait de devenir un
saint martyre : c'est le sens de la question qu'il se pose ! FR évoque peut-être ici déjà ce risque
des religions à fanatiser ceux qui se croient investis d'une mission pour laquelle il serait prêt à se
sacrifier... Quoi qu'il en soit, cela devient finalement l'occasion d'un retournement et d'une
affirmation de soi. Malgré tous ses efforts, l'assemblée ne bouge pas, il s'est auto-conditionné et
donc la suite ne peut être que le passage à l'acte radical : « c'est moi qui vais tuer les autres » !
N'y a-t-il pas, au-delà du comique dû à cette vantardise et estime de soi excessives une évocation
de la folie meurtrière ici ? La satire se fait plus mordante ?!
Le résultat est immédiat : « Sur ces paroles », FJ ne perd pas de temps. Le fait que FR ait laissé
cette phrase dans le même § va dans le même sens...
La description de sa métamorphose qui suit est en partie symbolique (on aime les symboles au
Moyen-Age et au XVIème s.) : il « ôt(e) sa grande robe » peu pratique et avec elle, peut-être, la
contemplation et la lâcheté de certains ordres religieux que FR réprouve ; il s'empare d'une arme
de fortune mais qui fait allusion à la fois à la religion (la « croix ») et à la royauté (les « fleurs de
lys ») : façon audacieuse et courageuse pour FR de rappeler le rôle scandaleux pour lui des
religions et des royautés dans les conflits... FJ les a sur son arme, en soutien, à ses côtés. La
parodie de combat épique est déjà présente ici mais encore discrète : si l'on est bien dans la figure
du héros différent par son extraordinaire vaillance, son courage voire sa témérité...
1) il faut encore se rappeler le motif : c'est pour... sauver les vignes et le vin bu par les
moines (cause bien peu désintéressée et noble)
2) FR donne des détails un peu comiques en évoquant la « grande robe » de FJ, son arme
dérisoire et peu reluisante, faite d'un simple bâton avec des « fleurs de lys effacées »
Ce début est donc en fait à la fois parodique, satirique et burlesque

2ème mouvement :
La suite du texte va nous confirmer ce caractère essentiellement burlesque, satirique et
parodique du texte : FR continue à imiter et déformer la littérature épique pour mieux s'en
moquer ! C'est comique mais il remet ainsi aussi en cause toute célébration des combats et
des combattants (ce qui était plus original au XVIème siècle qu'aujourd'hui...)

§2 :
La conjonction « Et » continue à exprimer la vitesse et la précipitation de FJ dans ses actions, de
même que tout le §, riche en verbes d'action pour des actions parfois simultanées : « sortit »,
« donna du bâton », « chargea » + simultanéité avec l'imparfait « renversait », et le participe
présent « frappant »....
Nouvel « Et » toujours pour la rapidité mais placé cette fois devant une très longue phrase avec
parenthèse qui traduit bien le chaos de la scène. De plus, cette longueur lui permet aussi
d'exprimer grâce à une répétition la violence extrême de FJ avec en outre l'intensif « si » : « il
donna si brusquement » et « il les chargea donc si rudement » : on sent bien à la fois l'énergie de
FJ et sa réaction démesurée (l'hybris si fréquente des héros grecs). Violence extrême, aveugle, et
en partie critiquée par FR : c'est ce qu'il faut comprendre avec les expressions « sans crier
gare », la comparaison qui déshumanise les soldats (du point de vue de FJ) « comme des
porcs » ou « frappant à tort et à travers » : FJ ne se contrôle plus !
FR dénonce vraisemblablement aussi certaines armées de son temps qui ne constituent pas des
groupes armés au service d'une noble cause mais un ramassis d'individus sans tête, « sans
ordre, ni enseigne, ni tambour, ni trompette », qui peut dès lors se découvrir comme but de
piller et de saccager : rappelons que c'est l'armée de Picrochole, qui peut faire référence à celle de
Charles Quint le conquérant : celle qui a procédé aussi au sac de Rome en 1527 qui tant choqué
les humanistes et tous ceux qui ont connu ce sinistre événement, qui a duré dix mois !
Mais attention : il y a en même temps (nous sommes chez FR !) qqch de comique dans ce récit
guerrier parodique d'un homme seul qui défait une armée entière. Un homme placé au centre
de tout, alors que ce n'est pas ainsi que se passent véritablement les combats et les guerres (voir
par exemple Excalibur de John Boorman et, avec d'autres armes, la 2ème séquence de Il faut
sauver le soldat Ryan de S Spielberg). FJ est une sorte de moine-soldat à l'allure burlesque et
ridicule avec sa « casaque » et son « froc accroché à la ceinture »...Du comique varié aussi
dans cette description (très suggestive par ailleurs car avec des détails parlants) d'une armée elle
aussi burlesque car totalement occupée à « emplir de raisin leurs tambours défoncés » ou à
« charger leurs trompettes de ceps » ! Oubliant totalement leur statut et leur mission,
égoïstement et excessivement centrée sur sa récolte : « chacun de son côté » ! On n'est pas loin
du comique carnavalesque ?Il y a aussi du comique de gestes dans cette image excessive de
soldats indistinctement « renversés » aussi comme des dominos ?! Il y a enfin (?) encore du
comique dans la dernière précision bien incongrue : FJ « frappa (…) selon l'ancienne
escrime » ?! Comme s'il pouvait subsister du style dans ces coups par ailleurs... donnés par un
bâton ! + Note 9 : FR se moque aussi de la fierté patriotique déplacée, que l'on peut retrouver par
exemple dans La Chanson de Roland ?

§4 : Le dernier § de l'extrait accentue le côté comique et en particulier parodique et


burlesque de ce récit guerrier.
Il est constitué d'une seule longue phrase pleine de verbes d'action ce qui continue à donner
non seulement beaucoup de rythme au récit mais aussi un côté encore plus invraisemblable et
donc comique.
Les imparfaits peuvent avoir plusieurs valeurs : ils traduisent une incroyable et caricaturale (donc
comique) simultanéité vu le nombre de verbes d'action et en plaçant les actions au second plan, ils
suppriment la portée potentiellement dramatique de ce qui n'est d'ailleurs toujours qu'un...
règlement de comptes par rapport à la destruction de raisins destinés à faire du vin !
En outre, encore une fois, FJ est le sujet exclusif et excessif de tous les verbes d'action
placés dans une parataxe. Les soldats sont eux indifférenciés par les mots « les uns » ou « les
autres » : ce sont, au contraire du héros nommé, des anonymes qui ne font que subir l'action. Ils
sont même réduits à des parties du corps malmenées ! (Cela peut faire penser aux pages où
Astérix et Obélix martyrisent les Romains ?) FR remet ainsi en question par le rire mais
indiscutablement la littérature épique qui déréalise les combats guerriers et peut faire de ses
lecteurs des personnes naïves, soumises ou... belliqueuses. Plus dramatiquement, cela peut faire
penser à la déshumanisation des soldats dans les combats...
Les précisions sur les coups infligés à l'ennemi sont encore une autre caractéristique des
romans de chevalerie mais FR les caricature en en mettant trop : c'est un festival comique dans
la variété et la place de mots anatomiques liés au corps et l'on sent que FR s'est aussi bien
amusé en écrivant ce paragraphe. Le rire est une façon d'exorciser ses peines, ses colères, ses
angoisses. Il y a donc aussi qqch de libératoire pour l'auteur comme pour le lecteur dans cet
excès. Rien de pathétique donc ici...
Il recourt aussi au comique de mots et au burlesque avec le langage parfois familier : par exemple
le verbe « écrabouillait » ou l'expression « renfonçaient les dents dans la gueule ».
Evidemment, l'excès des coups infligés est lui aussi, dans le détail des actions, comique, la
dernière, « émiettait les tibias », étant a priori la plus excessive ?! Comique de geste et de
caractère (celui de FJ) encore... Et, dans cette violence, sa description et sa cause, ne peut-on pas
enfin (?) discerner de l'humour noir ? (La guerre était alors une réalité bien plus présente en
France qu'aujourd'hui et donc plus inquiétante...)

Conclusion :
Richesse de ce texte savoureux et truculent par moments, richement comique : cette fois
sans grivoiserie ni scatologie, avec peu de références savantes mais encore liée à la farce
populaire et joyeuse avec ses éléments surtout burlesques, satiriques et parodiques...
Richesse aussi d'un texte qui nous donne à réfléchir non seulement aux causes souvent
bien égoïstes et dérisoires des guerres et à leurs diverses conséquences désastreuses
mais aussi à la vérité des romans de chevalerie qu'elles ont engendrés.
Apprécier tout le comique du texte et déchiffrer ces nombreuses réflexions, c'est cela la
« substantifique moëlle » des textes de FR...

On constate d'ailleurs que le personnage central de Frère Jean ici est à la fois loué notamment
pour sa vitalité et son courage exceptionnels mais il est également blâmé pour ses excès : c'est un
héros bon vivant qui peut être séduisant mais qui a sa part d'ombre... (C'est encore plus net juste
après!)

Ouverture 1 : Ce récit guerrier d'ailleurs se poursuit assez longuement dans ce même chapitre et
est encore l'occasion pour l'auteur de partager d'autres réflexions crirtiques tout aussi courageuses
sur ces thèmes...
Ou
Ouverture 2 : évoquer d'autres descriptions célèbres de champs de bataille en en montrant les
différences intéressantes ! (Voltaire, Stendhal, Céline, Simon, etc.)

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