LE DOSSIER Désindustrialisation, immigration, austérité...

La faute à l’Europe ? Élisabeth Badinter

“LES MINORITÉS
PROFITENT
No 1420
du 30 mai au 5 juin 2024 www.marianne.net
DE NOTRE PEUR”
RÉVÉLATIONS
Les projets
meurtriers de
Mohamed Amra
LA VÉRITÉ N’A PAS DE MAÎTRE

Exclusif
Les extraits de l’enquête d’un infiltré dans 70 lieux de culte

Ce qui se dit
VRAIMENT
L 12811 - 1420 - F: 3,50 €

dans nos mosquées

 Raphaël a aidé Sophie
à donner l’accès à l’eau potable
et à l’assainissement à 5 villages en Inde.

Raphaël verse chaque année 1% de son chiffre d’affaires

à des associations agréées 1% for the Planet dont Kynarou.

onepercentfortheplanet.f r
L’ÉDITO de Natacha Polony
Qu’est-ce qu’être
“humain” ?
Q
ui se souvient du passionnant débat entre Emmanuel
Kant et Benjamin Constant sur un « prétendu droit de
mentir par humanité », expression qui relète la réponse
du premier après que le second a opposé à l’auteur de la
Critique de la raison pratique l’idée que l’impératif moral
qu’il énonce peut parfois être discuté ? Constant pense
que dans des circonstances précises, un individu peut
être amené à mentir, action censément immorale, dans un but qui,
lui, sera moral. Kant, dans son maximalisme, lui répond que dans
la mesure où nous ne maîtrisons pas le réel ni les conséquences de
nos actions, la seule ligne de conduite doit être de s’interdire toute
action qui ne pourrait être érigée en loi universelle.
Devons-nous graver dans la loi un droit – ou un devoir – de
« faire mourir par humanité » ? Et si oui, quels doivent en être les
contours ? Voilà maintenant des années que
la société française peine à poser ce débat
sereinement. Des années que se creuse la
fracture entre la demande sociale et l’état Le risque serait
de la loi. La convention citoyenne avait de croire que seule la
débouché sur un rapport tout en retenue et
en nuances, posant admirablement les prin-
mort est en jeu dans
cipales questions et tentant de dessiner un le débat sur la in
chemin de crête en un domaine où l’intime,
le social et le politique s’entrechoquent.
de vie. Il est question
de vieillesse, de
Le texte de loi proposé par le gouver- soufrance, de
nement avait ceci d’intéressant, dans sa
version originale, qu’il tenait compte de la
dépendance bien
diiculté du sujet et des diverses sensibili- plus que de mort.
tés qui s’expriment. Après des mois d’hési-
tation, de fausses promesses et de propos
ambigus, Emmanuel Macron permettait à ses troupes de porter
une loi qui devait répondre aux angoisses d’une immense majorité
de Français face à la dégradation, à la soufrance et à la mort. Mais
alors, pourquoi cette impression, au moment où la loi est débattue
à l’Assemblée nationale, que ce qui aurait dû apaiser va de nouveau
cliver ? Parce que le texte remanié par les députés membres de la
commission des Lois a fragilisé le consensus qui semblait se dessi-
ner pour voir dans ce texte une réponse empreinte de précaution
et de juste mesure à une réalité ô combien complexe.
Les Français trouveront peut-être que s’écharper pour savoir
s’il faut parler de « pronostic vital engagé à court ou moyen
terme » ou d’« afection en phase terminale ou avancée » est un peu
excessif. Ce serait oublier qu’au moment de rompre avec un des
ciments essentiels de toute société humaine, l’interdit de tuer, il
faut tenter de comprendre, d’anticiper, les modiications profondes
qu’impliquera forcément une telle loi sur notre rapport collectif à
la vieillesse et à la maladie.
Car un élément est frappant dans le débat qui nous occupe et
qui semble, comme tous les débats dits sociétaux, présenté par
les médias du seul point de vue de la position de la France sur une
supposée ligne du « progrès » dont on se demande rarement où
elle mène. Comme le montrait le magistral livre de Philippe Ariès,
Essais sur l’histoire de la mort en Occident, la deuxième moitié du
XXe siècle a vu la mort évacuée de nos sociétés, dans une sorte de
fantasme prométhéen qui faisait de la science et de la médecine
les armes pour vaincre ce mal absolu. La mort était depuis la nuit
des temps une norme, une fatalité que l’être humain n’acceptait
que par le truchement de rituels et d’œuvres d’art ; elle devenait
grâce au progrès médical une anomalie. Il a fallu plusieurs décen-
nies pour comprendre que cette lutte contre la mort se faisait trop
souvent au prix d’une déshumanisation. Des individus réduits à
leurs organes et à leur pathologie, privés de leur autonomie, objets
de la lutte acharnée contre la maladie plutôt que sujets des der-
niers moments de leur vie. Les lois Leonetti
et Claeys-Leonetti sont venues corriger ce
travers, mais le manque de formation des
médecins (on oserait préciser : formation
à ce qu’on appelait autrefois « les humani-
tés ») et, plus que tout, le manque d’unités
de soins palliatifs ont empêché qu’on aille
au bout de ce processus.
Une loi sur la « fin de vie », en fait sur
l’euthanasie et le suicide assisté (auxquels
s’ajoute notamment un droit opposable aux
soins palliatifs), apporte une réponse cen-
trée sur la liberté et l’autonomie des indivi-
dus : dans une société sécularisée, mettre
in à sa propre vie n’est plus une transgres-
sion. Le risque serait cependant de croire
que seule la mort est en jeu dans ce débat et que la mort relève des
individus. Il est question de vieillesse, de soufrance, de dépen-
dance bien plus que de mort (la mort, elle, est toujours évacuée,
déritualisée). Il est question de ce qui devrait nous relier. Dans une
société obsédée par la performance et l’image, dans laquelle les
réseaux sociaux incitent chacun à projeter de lui une sorte d’avatar
éternellement séduisant, laisser un individu seul pour afronter
la dégradation physique et la dépendance n’a rien à voir avec un
triomphe du libre arbitre. Claire Fourcade, présidente de la Société
française d’accompagnement et de soins palliatifs, estime pour sa
part que cette loi ne se contente pas d’ofrir un droit aux uns sans
rien retirer aux autres. « Ce que tous les patients sans exception per-
dront avec cette loi, explique-t-elle, c’est la liberté de ne pas se poser
la question. »
Pour que cette loi soit bien une avancée, la société doit donc se
donner les moyens pour que le moins possible de gens en viennent
à avoir besoin d’elle car cela signiiera que notre priorité collective
aura été de lutter contre la solitude, la misère physique et morale,
le sentiment d’inutilité, bref, que nous aurons été humains. M
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 3
 No 1420 du 30 mai au 5 juin 2024
L’ÉDITO de Natacha Polony
3
Qu’est-ce qu’être “humain” ?
6 Ce que Marianne
en pense
- Assurance chômage : la grande
braderie des seniors est ouverte
- Adèle Haenel vs Judith Godrèche
10 Le dessous des cartes
Débats grand format :
progrès ou illusion ?
11 INDISCRÉTIONS
Marianne RÉVÈLE
22 Exclusif : ce qui se dit
vraiment dans nos mosquées
Marianne RÉVÈLE
26 Derrière un guet-apens mortel,
la méthode du “clan Amra”
Marianne DÉCRYPTE
28 Valérie Hayer, anatomie
d’une chute annoncée
31
4 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
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INVESTIGATION : Marc Endeweld (grand reporter) (29 52),
Emmanuel Lévy (grand reporter) (29 20),
Vanessa Ratignier (grand reporter) (29 52),
Laurent Valdiguié (grand reporter) (29 62).
DOSSIER MONDE : Anne Dastakian (grand reporter) (29 23),
Quentin Müller (reporter) (29 95).
12
18
LA FAUTE À L’EUROPE ?
Débat : la meilleure façon de réindustrialiser
CORRESPONDANTS : Diane Cambon (Espagne),
Ariel F. Dumont (Italie), Julien Lacorie (Israël),
Fabien Perrier (Grèce), Thomas Schnee (Allemagne) .
CULTURE : Frédérique Briard (29 57), Myriam Perfetti (29 53).
ASSISTANTE : Elsa Bessot (29 26).
François-Xavier Bellamy et Emmanuel Maurel JEUX : Jean-Paul Cordier.
JOURNAL DES LECTEURS : lecteurs@journal-marianne.com
COMMUNITY MANAGER : Marius François (29 43).
RÉALISATION
RÉDACTRICE EN CHEF TECHNIQUE : Isabelle Michaux (29 33).
31 LE GRAND ENTRETIEN ÉDITION : Myriam Perfetti (chef d’édition) (29 53),
Nathalie Maréchal (29 60) ; Ludivine Benard (29 61),
Élisabeth Badinter : “Les minorités Christophe Baffier-Candès (révision) (29 19),
Christophe Barré (révision) (29 58), Julien Vallet (web) (29 67).
profitent de notre peur” MAQUETTE : Bertrand Lacanal (direction artistique) (29 27),
Muriel Seisser (première maquettiste) (29 75),
Stéphanie Capitolin Deleau (29 32).
34 Chroniques PHOTO : Frédérique Briard (29 57), Gaëlle Gauducheau (29 28).
PORTRAITS DES CHRONIQUEURS : Seb Jarnot (29 27).
ADMINISTRATION
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INFORMATIQUE : Karim Benmalek (29 77).
LA MÉMOIRE DIFFUSION
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fit danser les Françaises libérées ABONNEMENTS : Armelle Colin (directrice),
Marine Bobière (chef de produit).
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38 LE CONTRE-AGENDA IMPRIMERIE : Newsprint Lieusaint (77).
ISSN : 2425-4088 (imprimé) / 1286-4749 (en ligne)
Chantal Thomas et No CPPAP 1027 C 89227 Printed in France / Imprimé en France.
40
le statut de la liberté
C’EST SON COMBAT 36 PUBLICITÉ : CMI Media, Valérie Masson, Séverine Franier,
3/9 avenue André-Malraux – 92300 Levallois-Perret –
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et France. Taux de fibres
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44 Mieux vaut en rire ! CHF 225.
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1050 Bruxelles. Tél. : 070 233 304. abonne@edigroup.be -
1 an (51 nos) 159 €. Autres pays : nous consulter.
50 Le banc public Ce numéro comporte une lettre de bienvenue et un courrier, posés
par Jérôme Leroy sur une sélection d’abonnés.
LE DESSIN de Gros

30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 5

 Ce que
Marianne
en pense
Le portrait crashé par François Darras
ASSA TRAORÉ
Radicale tendance Louboutin
egard fixé sur l’objectif, chevelure spectaculaire, posture fière dans sa
R robe Kenzo bleu marial. Assa Traoré semble bien au zénith de sa carrière.
« Une consécration », confiera-t-elle aux journalistes qui l’interrogent. Car
le 11 décembre 2020, le magazine Time élit Assa Traoré « gardienne de
l’année » afin de saluer son combat pour la « justice raciale ». L’hebdo yan-
kee a choisi sa divine élue pour ce prix décerné aux « personnes qui se mettent
en danger pour défendre les idéaux sacrés de la démocratie », projetant dans la
société française les défaillances d’un système états-unien.
Il faut dire que le combat est noble, et le récit trop parfait pour les dévots du
progressisme radical-chic. Une sœur qui se bat pour rétablir la vérité pour son
demi-frère, prétendument tué par les gendarmes. Quel diable ne s’attendri-
rait pas ? « Vérité pour Adama ! » scanderont les apôtres du comité du même
nom. Mais envolé le sigle « Justice », qui lui était jusqu’alors associé. Car jus-
tice a été rendue, et le verdict ne colle pas avec le récit militant de celle qui
clame toujours haut et fort : « Mon frère est mort exactement de la même façon
que George Floyd. »
L’ancienne éducatrice, qui n’avait jusqu’alors jamais eu le moindre enga-
gement politique, est devenue en France, mais aussi outre-Atlantique, une
figure de la lutte contre les discriminations raciales. Mieux, une icône comme
les médias aiment les construire. Un processus de starification sustenté par le
conformisme médiatique, naturellement acquis à sa cause. Les Inrocks n’iront-
ils pas jusqu’à la nommer rédactrice en chef d’un numéro hommage ? Ne va-
t-elle pas jusqu’à cosigner un ouvrage avec une journaliste de l’Obs, dans un
douteux mélange des genres ?
« Tu fais encore ta diva » s’amusera Almamy Kanouté, son compagnon de
route et membre de la Brigade anti-négrophobie, en découvrant la fille de Beau-
mont-sur-Oise « dans sa belle robe noire » lors d’un shooting avec M, le magazine
du Monde. Assa l’assume, elle aime les belles choses. Comme ces chaussures
Louboutin, exhibées fièrement pour une collaboration spéciale avec le chaus-
seur. Ou ce tee-shirt siglé d’un grand « A » sanglant, hommage de la créatrice
anglaise Stella McCartney à sa nouvelle égérie. Et vendu 450 € pièce.
La cause était noble, elle est devenue glamour.
La lutte se devait collective, elle est désormais indi-
vidualiste. Voire égoïste, jugeront d’anciens cama-
rades. « Assa est centrée sur l’afaire de son frère »,
se désolera Amal Bentounsi, sœur d’Amine, tué
par un policier lors d’une course-poursuite. En
amont d’une manifestation, la fondatrice du col-
lectif des familles des victimes tuées par la police
aurait aimé inscrire plusieurs noms de victimes
présumées de violences policières sur des bande-
roles. Mais Assa Traoré ne voulait que celui de son
frère. Qu’importe, elle pourra toujours bénéficier du soutien
de ses nouveaux amis, les vedettes du trotskisme décomposé,
Édouard Louis, Geofroy de Lagasnerie ou Adèle Haenel. M
6 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
CINÉMA
Roman Polanski censuré
Il y a bien des façons d’éliminer un « ennemi ».
Si l’impudent a commis une ou des fautes avé-
rées dans un temps et sur un territoire relevant
des pouvoirs de justice conférés à une autorité
suprême, alors c’est à la loi dudit territoire de le
mettre « hors d’état de nuire » par une condam-
nation proportionnée. Prenons un exemple,
absolument pas par hasard : celui du cinéaste
Roman Polanski. Poursuivi en France pour dif-
famation par l’actrice anglaise Charlotte Lewis
– dont Polanski avait dit qu’elle avait commis
d’« odieux mensonges » à son encontre –, il a
été relaxé par la justice le 14 mai. Et c’en est ter-
miné des déboires du réalisateur de 90 ans avec
les instances judiciaires de notre pays. Du coup,
il peut retravailler normalement ? Lui, comme
ses soutiens, ses producteurs, ses comédiens,
ses comédiennes ? Pas du tout, répondent ses
contemptrices les plus déterminées. Qui ont
d’abord appelé au boycott de son nouveau film,
The Palace, puis obtenu qu’aucun distributeur
majeur ne s’occupe de le proposer aux salles
de cinéma. Opportuniste, un certain Sébastien
Tiveyrat (de la société Swashbuckler Films)
s’est lancé dans l’aventure, et il a un temps
espéré obtenir pour le film 82 écrans… mais un
seul à Paris, le Studio Galande. Pour mémoire,
J’accuse, en 2022, était sorti sur 520 écrans
– or aucun élément nouveau n’est venu, depuis,
aggraver un peu plus le statut sulfureux du
cinéaste. Un seul écran parisien, donc. Mais il
faut croire que c’était trop pour les anti-Polanski,
qui ont organisé une très sonore protestation
devant la salle dès la première séance. Apeuré,
le programmateur a immédiatement retiré le film
de l’affiche : il n’a de ce fait été vu que par 45 per-
sonnes dans la capitale – et un peu moins de 500,
le même jour, dans le reste de la France… Et on
va encore nous expliquer que la cancel culture
n’existe pas ? Emmanuel Tellier
Merci confrères !
À la banque,
à la mort
À Wall Street, il n’y a pas que des spéculateurs
en mal de coup de Bourse. Il y a aussi des jeunes
banquiers qui se tuent au boulot, comme on a pu
le lire dans les Échos. Deux décès précoces se sont
succédé en quelques jours chez Bank of America,
dont celui d’un jeune qui travaillait 110 heures par
semaine et qui se disait prêt à lâcher près de 10 %
de son salaire pour dormir un peu plus chaque nuit.
Il dort à jamais.

ASSURANCE CHÔMAGE
La grande braderie
des seniors est ouverte
abriel Attal a dévoilé à la Tribune
G dimanche une partie de sa propo-
sition de réforme de l’assurance
chômage. Parmi les mesures de
restriction de durée et de calcul
d’indemnisation se trouve un bonus-
malus pour l’emploi des seniors. Concrè-
tement, les patrons pourront embau-
cher des employés de plus de 57 ans à
un salaire moins élevé que celui qu’ils
percevaient précédemment, le complé-
ment étant fourni par l’assurance chô-
mage. Entrant en vigueur le 1er décembre,
le dispositif ne durerait qu’une année.
Il n’est pas étonnant que cette idée
émerge au sein du pays qui possède
le record du plus faible taux d’emploi
des seniors de l’Union européenne.
En 2022, alors que la moyenne de l’UE
s’élevait à 62,4 %, la France plafonnait
à moins de 57 %. Les femmes seraient
les plus concernées par ce « sas de préca-
rité », selon l’expression de l’économiste
Michaël Zemmour. D’après la dernière
étude du cabinet de recrutement Robert
Walters, 78 % des entreprises interro-
gées estiment que la rémunération trop
élevée des plus expérimentés est un des
principaux freins à l’embauche.
Face à cette discrimination massive
liée à l’âge, le gouvernement aurait
pu mettre les entreprises face à leurs
LE CHIFFRE QUI TUE
93
C’est le nombre de plages françaises « à éviter »
Michael Desprez / MaxPPP
(5 %) sur les 1 854 plages que comptent l’Hexagone
et la Corse en raison de la pollution par des bactéries.
Et 316 (17,04 %) sont « déconseillées ». À l’inverse, la baignade est
« recommandée » pour 690 plages (37,2 %) et « peu risquée »
pour 755 (40,7 %). Source : association Eau et rivières de Bretagne (ERB).
Prenons-les au MOT
par Samuel Piquet
DISCRIMINATION
La réforme
de l’assurance
chômage prévoit
que les salariés
de plus de
57 ans coûteront
moins cher
aux employeurs.
La compétence
et l’expérience
ne paieraient-
elles plus ?
responsabilités et leur rappeler la loi.
L’article 225-2 du Code pénal punit les
différences liées à l’âge en entreprise.
La loi du 27 mai 2008 a renforcé cette
interdiction en disposant qu’un senior
faisant l’objet d’une discrimination
« directe » en raison de son âge peut
attaquer son employeur en justice. De
plus, il aurait été judicieux de mention-
ner que la rémunération est, selon les
grilles des accords de branche, corrélée
au nombre d’années d’ancienneté dans
un métier et au niveau de qualification.
Mais Gabriel Attal préfère capituler
et brader le prix des compétences, de
la maturité et de l’expérience. Cette
grande braderie des salariés jugés trop
vieux pour travailler est d’autant plus
pernicieuse qu’elle ne durera qu’un an.
Et ensuite ? Le salarié concerné pourra-
t-il toujours être payé au rabais sans
bénéficier de l’assurance chômage ?
Philosophiquement, c’est également
une bascule. Désormais, un employeur
pourra considérer que la rémunération
ne dépend plus des compétences et de
l’expérience mais des facultés cogni-
tives, physiques et psychiques perfor-
mantes de la tranche d’âge 30-45 ans.
Cette mesure de court terme prépare
une trappe de précarité de long terme. M
Violaine des Courières
“SENSIBILISATION” :
UN AVEU D’ÉCHEC ?
On peut légitimement s’indigner
du comportement de tel ou tel
footballeur lors de la dernière
journée de championnat de football,
placée sous le signe de la lutte
contre l’homophobie. Mais on peut
se demander si cette volonté de
politiser le sport, fût-ce pour la bonne
cause, n’est pas contre-productive.
Il est dommage qu’il faille attendre
des « campagnes de sensibilisation »
pour se rendre compte de l’ampleur
du phénomène dans le football
et que les très rares coming out
des footballeurs (l’international
tchèque Jakub Jankto en 2023 et
l’Australien Josh Cavallo en 2021)
soient passés quasi inaperçus au
milieu des bruyantes déclarations
de transidentité et de non-binarité
des artistes. Dommage, car
il faut un immense courage pour
se déclarer homosexuel dans ce
milieu si ouvertement hostile.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard
si la plupart de ceux qui l’ont révélé
l’ont fait une fois leur carrière
terminée. Il semble désormais
que la politique ne soit devenue
qu’une grande entreprise de
« sensibilisation » (à la sobriété,
à la tolérance, à l’inclusivité, à
la diversité) et de délégation de la
responsabilité tout en s’exonérant
de l’exemplarité, et l’on ne parle pas
ici du col roulé de Bruno Le Maire.
Que vaut par exemple une campagne
contre le harcèlement, aussi pavée
de bonnes intentions soit-elle,
quand les harceleurs demeurent
aussi souvent impunis et que
c’est parfois aux harcelés qu’on
demande de quitter l’école ?
Comment espérer que les agresseurs
se laisseront attendrir par des slogans
alors qu’ils jouissent tranquillement
de leur impunité et que leurs parents
accusent régulièrement leurs
professeurs et même leurs
victimes de les harceler ?
Autant allumer des bougies pour
contrer Daech. Ou sensibiliser
les gens aux campagnes
de sensibilisation. M
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 7
 Ce que
Marianne UKRAINE infrastructures énergétiques.
Désormais, ce sont la culture
en pense
Kharkiv, (l’imprimerie Vivat, le jeudi
23 mai, faisant sept morts
ville oubliée parmi les employés) et
les civils qui sont ciblés
Un conflit chasse l’autre. – deux bombes sur le grand
MÉDIAS TICS par Samuel Piquet L’attaque terroriste du
7 octobre contre Israël avait
magasin de bricolage
Epicentr, qui ont fait 16 morts
instantanément effacé le samedi 25 au matin alors

“Le Figaro” et la tragédie des réfugiés

arméniens du Karabakh.
Aujourd’hui, les exactions
que 200 clients s’y trouvaient.
« Inacceptable », s’est indigné
Macron. Or qui dénonce
la liberté d’expression de Tsahal à Gaza remplacent
celles que commet l’armée
aujourd’hui les crimes de
guerre de Poutine, lequel agit
à idéologie variable russe en Ukraine depuis plus
de deux ans. Fatigue ? Érosion
selon le scénario appliqué à
Alep, à savoir « si l’on ne peut
ans sa chronique sur Guil- de l’empathie ? La pluie de prendre, on détruit », comme

D laume Meurice le 23 mai,

le journaliste Étienne de
Montety fait mine de ne pas
voir la diférence entre plai-
santerie douteuse et mise à pied
pouvant conduire au licencie-
ment. Comme quoi le Figaro aussi
bombes de 500 kg larguées
chaque jour par l’armée russe
sur Kharkiv, grande ville
de l’est de l’Ukraine autrefois
peuplée de 2 millions
d’habitants et située à 40 km
de la frontière russe,
le rappelle l’expert militaire
ukrainien Mykhailo Gonchar ?
« Kharkiv meurt devant
les yeux du monde », se
désespère la blogosphère
ukrainienne. Et le monde
regarde ailleurs, est-on tenté
peut avoir de l’humour. visait voici deux mois les d’ajouter. Anne Dastakian
Après avoir évoqué la convoca-
tion de Guillaume Meurice par une commission de discipline
de Radio France, le journaliste s’attarde sur la « plaisanterie
très douteuse » de l’humoriste. Risquer le licenciement pour ses sujets avec l’aisance d’un
une blague et être convoqué par la police, voilà qui ne mérite
ATTAL-BARDELLA débutant. La Macronie peut
pas qu’on s’en ofusque. En revanche, ne pas avoir été drôle
mérite un châtiment à la hauteur de la faute, à savoir une leçon Le vrai-faux donc rouler des mécaniques
(électorales). Seulement voilà :
d’humour donnée par le Figaro.
Étienne de Montety annonce ensuite que le rire ne peut
vainqueur une fois les Français consultés,
un tout autre son de cloche se
être déclenché que par une série de règles, et on sent déjà Après le match télévisé fait entendre. Sur la plupart
qu’on va se marrer. entre Gabriel Attal et Jordan des questions abordées, les
Première condition : il faut que l’une des humeurs du Bardella, les éditorialistes avis des Français interrogés
comique « soit bonne ». Qui pourra en juger ? On hésite entre de la cour médiatique sont beaucoup plus contrastés
Adèle Van Reeth, directrice de France Inter, et Vincent Bolloré. expliquent que le Premier que la vision idyllique des bons
Deuxième règle : le plaisantin doit savoir « humer la nature ministre a envoyé son petits soldats du macronisme.
humaine » et poser « un œil sarcastique » sur celle-ci. Troisième adversaire dans les cordes Pis : les intentions de vote ne
règle : son humour « ne doit pas toujours emprunter le même – à l’exception de ceux qui ne font qu’enregistrer une
sens ». Autrement dit, il doit ressembler le plus possible à un dissimulent pas leur sympathie nouvelle poussée de Bardella
édito du quotidien pour sans cesse nous surprendre. pour le RN. Pour la plupart, la alors que la tête de liste
Enfin, « d’une soirée au spectacle d’un bon humoriste, on doit res- cause est entendue. Dans cette Renaissance Valérie Hayer
sortir les larmes aux yeux : humides d’avoir tant ri ». On commence confrontation visant à instaurer fait du surplace. En fait,
à croire qu’il n’existe plus de comique en France. Puis le jour- la binarité dont ils rêvent tous le RN s’appuie sur une telle
naliste de préciser : « Si la salle, à une plaisanterie, murmure (le centrisme autoritaire ou accumulation de frustrations
“hum, hum… ”, la question est posée : son dessein d’humour est-il l’extrême droite), le Premier et de colère qu’il n’est
accompli ? En l’espèce, il semble que non. » Un véritable humo- ministre a écrasé le poulain ébranlé en rien par ceux
riste, c’est celui qui ne choque jamais : une sorte de mélange de Marine Le Pen, lequel, il est qui symbolisent le pouvoir
entre Anne-Élisabeth Lemoine et Alain Duhamel. vrai, a prouvé qu’il maîtrisait en place. François Darras
Le journaliste croit avoir compris le véritable problème
derrière cette afaire : « L’humoriste tancé vit aujourd’hui cette
situation comme une humiliation pour son talent, dont il ne doute Il a osé le dire
pas. » Guillaume Meurice est trop susceptible. La preuve, il est
JP Pariente - Chang Martin / Sipa

tellement vexé qu’il ne participe même plus aux émissions dont “On garde le cap
il a été exclu. La conclusion vaut son pesant d’or : « L’humour
requiert certainement la chose la moins répandue dans ce milieu :
car notre stratégie
l’humilité. » Bref, laissons l’humour aux vrais spécialistes, à est la bonne.”
savoir les éditorialistes. M EMMANUEL MACRON,
président de la République, l’Express, le 23 mai 2024.
8 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
 Le match
On s’en fout !

Le rot des vaches

Cinq experts qui ont
analysé les avantages et
les inconvénients des
compléments alimentaires
servis aux vaches pour
abaisser leurs émissions
de méthane sont formels :
changer le régime des
vaches est d’une efficacité
douteuse. En outre,
ils soulignent qu’il n’existe
actuellement aucun
moyen efficace de fournir
régulièrement des
compléments alimentaires
aux animaux en pâturage. Le
mieux est donc de les laisser
ruminer et roter en paix.
MAINS ROUGES
Cherchez l’erreur
Quand des étoiles de David
bleues sont apparues sur
des murs de Paris, en
octobre 2023, certains
ciblèrent aussitôt des pro-
palestiniens antisémites. En
fait, il s’agissait de Moldaves.
Rebelote quand une vingtaine
de mains rouges peintes
au pochoir furent taguées
sur le mur des Justes du
Mémorial de la Shoah, dans la
nuit du 13 au 14 mai. Cette
fois, il s’agissait de l’« œuvre »
de deux Bulgares aussitôt
repartis vers leur patrie après
un voyage à Paris en service
commandé, ce qui amène à
regarder du côté de Moscou,
Mecque de la déstabilisation
anti-occidentale. Dans les
deux cas, la piste originelle,
reprise à foison sur la scène
médiatique, s’est révélée
Frédéric Dugit / MaxPPP - Cyril Pecquenard / Sipa
Adèle Haenel
Judith Godrèche
Qui aura le plus secoué le cinéma français ? Activisme
gauchisant ou militantisme BCBG, les deux actrices
ont pris deux chemins différents pour dénoncer les violences
sexuelles dans le milieu. Par Lisa Guillemin
Carrière
Adèle : au départ, c’est une actrice Judith : on lui promettait « une place
adoubée par le petit milieu journalistico-
cinématographique, qui voit en elle la future
magique de jeune fille icône de sa
génération », mais, la trentaine passée,
Isabelle Adjani ou Jeanne Moreau. Elle joue elle a progressivement disparu des écrans.
dans des films d’auteur, aux côtés de cinéastes Exilée pendant dix ans à Los Angeles, elle
de renom (Téchiné, les frères Dardenne…). verra son nom accolé en 2017 à celui de Harvey
Au point de recueillir sept nominations Weinstein, qu’elle accuse de harcèlement
aux César en quelques années. sexuel au cours d’une soirée cannoise.
Méthode
Adèle : en 2019, l’actrice ouvre une nouvelle Judith : c’est à 51 ans que l’actrice effectue
voie où s’engageront d’autres plaignantes dans son vol retour vers l’Hexagone, avec dans
les affaires de violences sexuelles : une prise ses bagages sa série « Icon of French Cinema »,
de conscience, puis de parole dans un média miroir de sa relation d’emprise avec Benoît
militant, et une métamorphose en symbole Jacquot. Toutefois, elle opte pour la voie
féministe. Mais le virage est total après la soirée réformiste. Pas de porte claquée aux César,
des César 2020, où l’actrice fout littéralement mais, au contraire, un discours préparé devant
le camp de l’industrie à l’annonce de la victoire un auditoire poli. Quelques semaines plus tard,
de Polanski. Fini les paillettes, elle embrasse c’est le Festival de Cannes qui lui ouvre grand
la révolution anarco-prolétarienne, dans ses portes, pour présenter ce que certaines
un rejet gloubi-boulga d’un système capitalo- mauvaises langues sur la Croisette appelleront
patriarco-raciste. En 2022, elle participe « son clip de prévention ». Un court-métrage
à la campagne du candidat du groupuscule en forme de chorégraphie réunissant des
Révolution permanente, Anasse Kazib. milliers de victimes de violences sexuelles.
Retentissement

erronée. Pourtant, nul ne s’est

excusé. Aucun de ceux qui
étaient immédiatement
montés au créneau
accusatoire n’a jugé bon de
faire amende honorable.
Comme quoi la dénonciation
des infox est très sélective.
Thomas Vallières
Adèle : lorsque son témoignage sort, c’est
la première manifestation du mouvement
#MeToo en France. L’actrice reçoit le soutien
de nombre de ses consœurs, de ministres
et même de Brigitte Macron. Mais quand
elle quitte la salle des César, le petit monde
s’arrête. La radicalité exacerbée ne sied
pas aux dorures du Théâtre du Châtelet.
Judith : confrères, consœurs, médias, etc.,
tous applaudissent le militantisme BCBG
de l’actrice, qui, en quelques mois, réussit
à devenir, si ce n’est une icône du cinéma
français, une icône féministe… « Bourgeoise »,
médisent les militantes de la gauche
radicale, vilipendant l’absence de visages
« racisés » sur l’affiche de son film.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 9
 Le dessous des cartes

INDISCRÉTIONS ]
Débats grand
L’éclaircie Attal
format : progrès Le débat du jeudi 23 mai a quelque
peu tourné à la leçon entre le Premier

ou illusion ?
ministre, Gabriel Attal, et la tête de liste
du Rassemblement national, Jordan
Bardella, relégué au simple rang
d’« apprenti tiktokeur » selon des
Même les amateurs frôlent l’indigestion. Cette campagne macronistes rassérénés. De quoi
ragaillardir les troupes Renaissance
des européennes donne lieu à une cascade de débats embarquées dans une campagne
en groupe : d’ici au scrutin, les huit principales têtes morose ? « Espérons que ça prenne ! »,
de liste se seront afrontées sur LCI (21 mai), lâche un député qui, quelques jours plus
tôt, coniait : « Notre campagne, c’est
BFMTV (27 mai), CNews (30 mai) et France 2 (4 juin). comme la météo. C’est pourri toute
Un format relativement récent dans la politique la semaine et puis, soudain, il y a une
française, davantage habituée aux duels, qui comporte éclaircie. Tu te dis que ça va aller et puis
non. Ça redevient pourri. » Allez, courage,
des atouts et des défauts… Par Hadrien Mathoux plus que quelques jours avant l’été. M.J.

AVANTAGES
Le progrès démocratique est incon-
testable : dans une France habituée
à un bipartisme parfois sclérosant,
la possibilité oferte à huit nuances
politiques de présenter leur projet
– une habitude dans d’autres pays
européens – ofre un incontestable
bol d’air frais. Durant la présidentielle
2017, qui avait signé l’arrivée de ces
confrontations à participants mul-
tiples, plusieurs séquences avaient
permis à des « petits » candidats
( Philippe Poutou, Jean Lassalle,
François Asselineau) d’apporter une
orientation nouvelle aux discussions.
En outre, chacun mesure bien à quel
INCONVÉNIENTS
Il existe une réserve sur le choix des
participants : il n’est pas simple de trou-
ver le bon équilibre entre représenta-
tivité de l’offre politique et capacité
à donner suisamment de temps de
parole à chacun. Les sondages servent
de critère de sélection, ce qui n’est pas
la panacée… Surtout, ces joutes arides
perdent ce qui fait le sel d’un débat poli-
tique : impossible d’entrer dans le dur
d’un désaccord, car chaque participant
se trouve réduit à efectuer une brève
présentation sur chacun des thèmes
sélectionnés. Les candidats tentent
certes de se démarquer en trouvant la
« punchline » susceptible de faire parler
L’atout Larcher
Dans les couloirs de l’Assemblée comme
du Sénat, l’après-9 juin est déjà dans
toutes les têtes. Avec une question : pour
éviter une motion de censure à la rentrée,
Emmanuel Macron doit-il proposer
un contrat de gouvernement aux
Républicains ? « On peut avoir une
ouverture pour cela, juge un sénateur LR
de premier plan. Mais il ne peut pas y
avoir de participation au gouvernement
sans que soit déterminé un projet
politique. » Et pour mettre tout le monde
d’accord, certains voient en Gérard
Larcher la statue du commandeur
idéale pour siéger à Matignon… « Il a
le proil potentiel de quelqu’un qui peut
rassembler et concilier les gens », estime
notre sénateur. La magie Larcher ? H.B.
LR : perdre
ou se perdre ?
Pour autant, l’idée d’un Premier ministre
issu des rangs de la droite ne suit pas à
convaincre tout le monde du bien-fondé
d’un accord de gouvernement. Au sein
du parti d’Éric Ciotti, de nombreux élus
estiment qu’un rapprochement avec
le président de la République serait très
Emmanuel Dunand / AFP

point il est gênant de confier aux
grands médias le choix d’organiser
les confrontations les plus bankable
(Zemmour contre Mélenchon en 2021,
Bardella contre Attal cette année…).
10 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
sur les réseaux sociaux, mais on serait
curieux de connaître le nombre de Fran-
çais capables de s’enquiller trois heures
d’exposés fastidieux sur le Pacte vert ou
le marché européen de l’électricité… M
mal perçu sur le terrain. « Les électeurs
et les militants sont tellement dans
une détestation de Macron qu’ils nous
en veulent déjà de ne pas le renverser »,
analyse une députée. « Si on fait une
coalition, les gens ne comprendront pas,
ajoute une autre. Je pense que la motion
de censure est la meilleure option. » Une
voie qui engagerait les parlementaires
dans l’inconnu, et vers la perspective
d’une dissolution à haut risque… H.B.
RN : le dilemme
de la dissolution
Même si Marine Le Pen et Jordan
Bardella défendent publiquement l’idée
d’une dissolution de l’Assemblée après
les européennes, l’idée ne fait pas
l’unanimité dans les rangs du RN. Parmi
les défenseurs de la position lepéniste,
ce député : « On doit prendre le pouvoir
quand il est à portée de main, et ne
pas faire l’erreur de se projeter vers
une victoire certaine en 2027 : trois ans,
c’est long ! » D’autres sont beaucoup
plus réservés. « En cas de législatives
anticipées, soit on gagne et on risque
de se cramer d’ici à 2027 en gouvernant
avec Macron président, soit on perd et on
entretient les doutes sur notre capacité à
obtenir une majorité à l’Assemblée »,
cingle un conseiller de Marine Le Pen. H.M.
Les “fils à papa”
du SNU
Dans un contexte géopolitique
particulièrement instable, la droite
appelle à renouer le lien entre la jeunesse
et la nation. « On est au degré zéro de
ce que les jeunes peuvent savoir de ce
qu’est la France, lâche une députée LR
membre de la commission de la Défense.
Si demain on devait engager les Français
dans une guerre, ils ne sauraient même
L’info en plus
Le “JDD” drague les tradis
En ce lundi 20 mai, jour de la Pentecôte, de pieux
marcheurs quittent la messe donnée dans la
cathédrale de Chartres. L’événement vient clore le
pèlerinage de trois jours de ces cathos tendance tradis,
au nombre de 18 000 cette année. Remontant l’avenue
Jehan-de-Beauce en direction de la gare, certains
participants se voient alors alpagués par des crieurs
de rue qui tentent de leur refourguer leur camelote.
Tout le gratin de la rédaction du Journal du dimanche
est venu distribuer gratuitement des centaines
d’exemplaires du titre paru la veille. Les amateurs
de messe en latin de ce pélé y sont mis à l’honneur.
« Pèlerinage de Chartres : une jeunesse pleine de foi,
pourquoi la tradition catholique attire », peuvent-ils
lire sur la couverture du journal, tendu notamment par
le directeur du canard en personne, Geoffroy Lejeune.
Cette opération marketing au goût d’hostie vient
confirmer, à ceux qui en douteraient encore,
le public ciblé par le JDD version Bolloré… E.H.
pas pourquoi. » Et cette élue de flinguer plus loin » que les annonces du Premier
le service national universel dans sa ministre. Et alors qu’Attal veut la création
forme actuelle : « Le SNU, c’est super, sur le plan pénal de « travaux d’intérêt
mais, actuellement, c’est que des fils éducatif » pour les moins de 16 ans, la
à papa et des CSP+ qui y sont. »
Un peu comme à LR ? H.B.
députée Christelle D’Intorni s’apprête à
déposer un texte pour généraliser dans
les établissements scolaires une sanction
de « réparation collective » à l’encontre
Tu l’aimes, des élèves fauteurs de troubles, qui
se verraient confier des tâches d’aide
ma sanction ?
Concurrencé sur le terrain de la sécurité
à la restauration, au nettoyage ou
au jardinage. Une version plus ferme
par Gabriel Attal, LR prépare sa riposte. de la « mesure de responsabilisation »
À l’Assemblée, le groupe d’Olivier Marleix que peut déjà prononcer le conseil
planche sur une proposition de loi sur de discipline. Entre LR et Attal,
la délinquance des mineurs, pour « aller le concours de punitions est lancé. H.B.

PLATE-FORME EN PETITE FORME

Airbnb : le bug, le “on” et le off
Rien ne va plus chez le géant
de la location de particulier
à particulier. Après le
dégonflement de la bulle
spéculo-locative des JO, la
société sucite maintenant la
colère de ses membres les
plus fidèles. Selon le site
Zorrooo, spécialisé dans le
règlement de litiges entre
particuliers et entreprises,
plusieurs centaines de
« superhôtes » de la plate-
forme (les logeurs les plus
réguliers et les mieux notés)
disent n’avoir plus eu une
seule réservation depuis
novembre 2023 et la refonte
du site. Ils accusent un
changement d’algorithme
qui rendrait leurs annonces
presque impossibles à
trouver. Contactée par
Marianne, la branche
française d’Airbnb a
prétendu découvrir le
problème et s’est refusée à
tout commentaire. Dans un
premier temps. Car ensuite
l’entreprise a réfuté, en on,
une accusation à la fois
« inexacte et peu plausible »,
tout en expliquant,
en off, vouloir parler
aux intéressés !
Allez comprendre… A.M.
 C’est pas moi, c’est elle

La faute
À L’EUROPE ?

12 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024

“La désindustrialisation”, “notre dette à 3 000 milliards”,
“notre note d’électricité”… qui est à l’origine de ces
problèmes ? Beaucoup Bruxelles, un peu Paris.
Ou l’inverse ? Dans cette campagne pour l’élection
des parlementaires européens, si propice aux caricatures
mutuelles, “Marianne” fait le point sur les vraies
responsabilités. Sans bien-pensance. Sans bienséance.
es sondages se suivent et se ressemblent. Les commentaires
L
aussi : avec un score de 33 %, le candidat RN Jordan Bardella
arriverait largement en tête du sufrage, devant sa concurrente
macroniste Valérie Hayer, créditée de 15,5 % et talonnée (13 %)
par le candidat apparenté socialiste Raphaël Glucksmann,
porteur d’un nouvel espoir de ce côté de l’échiquier politique.
Vu et revu. Entendu et réentendu. Mais, à regarder dans le
détail les intentions de vote (1), un élément capital, invisible à l’œil
nu, aleure. Les candidats issus de partis politiques favorables au non
lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen de 2005
totaliseraient 52 % des sufrages (2). À droite, les forma-
tions « nonistes » (RN, Reconquête!, UPR…) feraient
six fois le score des « ouistes » (LR). À gauche, la
déception attendue du côté des Verts (6 %) afai-
blirait le camp des fédéralistes proeuropéens. Ce
passé politique (mué en passif démocratique) ne
passe pas. Les Français sortirent en efet par la
porte référendaire un texte revenu plus tard
par la fenêtre parlementaire sous l’appella-
tion « traité de Lisbonne ». Ils en conçoivent un
sentiment de dépossession, bien légitime mais
propice aux polarisations et aux brocards. Les
uns font commodément de l’Europe un bouc
émissaire, responsable de tout ou presque, et
balanceraient par-dessus bord tout le saint-
frusquin communautaire. Les autres voient
dans toute critique à l’endroit de Bruxelles
un repli nationaliste, ou, pis, en matière de
mépris, une schématisation outrancière
conçue forcément dans des têtes mal faites
abusées par la rhétorique populiste. D’où
l’idée, à Marianne, de vouloir faire le point
calmement, factuellement, raisonnable-
ment. De passer ainsi en revue une dou-
zaine de problèmes et de déterminer pour
chacun d’eux l’échelle des responsabilités
bruxelloises. M Franck Dedieu
(1) Sondage Elabe pour la Tribune dimanche.
(2) Contre 42,5 % pour le oui. Certaines listes
ne donnaient pas d’indication de vote en 2005,
d’autres enregistraient un score trop faible.
“La désindus-
trialisation”
« Drôle » de concomitance !
L’EUROPE La santé de l’industrie
PLUTÔT française s’est dégradée à
EN FAUTE
mesure que la construction
européenne s’est approfondie.
Ainsi, quand, en 1992, les emplois indus-
triels comptaient pour 28 % des emplois
en France, ils ne comptaient plus que pour
19 % en 2022, selon les chifres de la Banque
mondiale. Entre-temps, l’élargissement de
l’Union européenne aux pays d’Europe cen-
trale a favorisé les délocalisations, notam-
ment dans le secteur de l’automobile. La
fabrication des « petites voitures » françaises
y a par exemple été largement déplacée. Ce
mouvement a détruit des dizaines de mil-
liers d’emplois et fait pencher du mauvais
côté la balance commerciale de l’Hexagone.
En fait, le marché unique – dont le prin-
cipe repose sur la libre concurrence et la
libre circulation des capitaux – a créé davan-
tage de compétition entre les États membres
que de coopération. De plus, il « a renforcé les
mécanismes d’agglomération, entraînant une
polarisation industrielle au bénéfice des pays du
cœur de l’Europe », pointe l’économiste David
Cayla dans une note. Force est de constater
que ce mouvement a jusqu’ici davantage
profité à l’Allemagne – qui a dégagé des
excédents commerciaux colossaux – qu’à
la France, dont le déficit commercial est
devenu abyssal. Alors que nous entrons
dans un nouveau cycle, marqué par la guerre
commerciale entre la Chine et les États-Unis,
une réforme profonde du fonctionnement
européen semble aujourd’hui s’imposer
pour éviter que la catastrophe ne s’aggrave.
Mais l’« Europe » n’est pas la seule respon-
sable de la désindustrialisation. Ainsi, nos
dirigeants politiques ont renoncé, d’eux-
mêmes, à l’idée – colbertiste – d’un État in-
terventionniste et protecteur pour se muer
en gestionnaires. Les patrons des multi-
nationales françaises ne sont pas non plus
exempts de tout reproche. Ils ont plus dé-
localisé que leurs homologues étrangers.
C’est un patron français, Serge Tchuruk, qui
a popularisé l’idée d’une « entreprise sans
usine ». Cela a si bien fonctionné que son
entreprise, le défunt fleuron Alcatel, a fini
avalée par son concurrent Nokia… Pierre Lann
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 13
 LE DOSSIER La faute à l’Europe ?
“Notre dette à
3 000 milliards”
La France responsable de son
L’EUROPEardoise à rembourser… mais
BEAUCOUP pas coupable ! D’accord, la
EN FAUTE
rhétorique « Ponce Pilate »
confine à la facilité. Mais se
contenter de citer quelques pays de la
zone euro aux dettes bien tenues, comme
l’Allemagne (65 % de sa richesse nationale),
l’Irlande (44 %) ou la Lituanie (37 %), pour
mettre tout sur le dos de la mauvaise gestion
française (112 %) revient aussi à simplifier un
problème. LE problème même : toutes les
grandes institutions de l’UE – de la Banque
centrale européenne à la Commission de
Bruxelles – font de la lutte contre l’infla-
tion leur valeur cardinale. Impossible dans
ces conditions quand un pays européen
vote un budget en déficit de faire tourner la
planche à billets pour le combler. Avant 1993,
le ministre des Finances pouvait obtenir
de la Banque de France un coup de pouce
appelé « avance au Trésor ». Pas besoin
d’aller s’endetter auprès des marchés finan-
ciers, de s’exposer à leur jugement, un appel
téléphonique de la Rue de Rivoli – l’ancêtre
de Bercy – au gouverneur de la Banque de
France suisait. La dette augmentait peu,
mais l’inflation érodait la monnaie. Depuis
l’arrimage du franc au mark puis à l’écu,
devenu l’euro, les trous dans le budget voté
par le Parlement français se traduisent par
l’émission de dettes dites souveraines, les
fameuses obligations assimilables du Trésor
(OAT) en France. Attention donc aux efets
d’optique : la dette dérisoire de la France
à l’époque très inflationniste de Couve de
Murville (1968-1969) ne provient pas de sa
gestion ultraorthodoxe. De même, l’ardoise
publique lourde comme une enclume de
Gabriel Attal ne signifie pas forcément un
laisser-aller budgétaire de son ministre
Bruno Le Maire. Entre les deux hommes et
les deux époques se loge un choix fonda-
mental porté à Francfort comme à Bruxelles :
celui de la monnaie forte au bénéfice des
épargnants, des propriétaires, des retraités
au détriment des ménages endettés, des
jeunes locataires et des actifs. F.D.
14 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
“L’excès de normes agricoles”
Qui sera le mieux-disant ?
L’EUROPE Dans la bataille pour la
UN PEU « durabilité » de l’agriculture,
EN FAUTE
deux prétendants se livrent
une compétition féroce au
détriment des enjeux de sécurité alimen-
taire, pourtant au fondement de la construc-
tion européenne. D’un côté, l’UE, dont les
programmes environnementaux, comme
le « Green Deal », interfèrent de plus en plus
avec la PAC et les perspectives de produc-
tion des agriculteurs. De l’autre, la France,
championne d’Europe de la surenchère
normative. C’est Paris, et non Bruxelles, qui
autorise le passage, tous les trois jours, du
satellite européen Sentinel au-dessus des
“Les faibles revenus de nos agriculteurs”
exploitations françaises pour scanner les
parcelles et vérifier le respect du cahier des
charges environnemental. Paris seulement
qui choisit d’interdire le néonicotinoïde
acétamipride, quitte à faire vaciller la filière
des betteraves sucrières dont la France est
pourtant le premier producteur européen.
Paris encore qui impose un calendrier strict
pour les semis ou l’épandage sans prendre
en compte la météo. Paris toujours qui régit
l’entretien des haies ou celui des fossés avec
pas moins d’une dizaine de textes législatifs.
À vouloir faire son numéro de charme à l’UE,
la France génère lassitude et colère dans
une ferme France cernée par les concur-
rences déloyales. Marie Labat
La France est le pays de l’UE
L’EUROPE qui touche le plus de sub-
BEAUCOUP ventions de la PAC : près de
EN FAUTE
9 milliards d’euros chaque
année. Une fois réparties,
ces aides représentent près du quart du
revenu d’un agriculteur. Un soutien non
négligeable, d’autant qu’en 2019 le revenu
médian n’atteignait pas même le smic.
Pour autant, cette même Europe organise
aussi une concurrence déloyale entre
les États membres quand, par exemple,
elle permet à l’Espagne de produire des
fraises en pleine sécheresse à grand ren-
fort de travailleurs marocains sous-payés
et précaires. La course à la compétitivité
par le moins-disant social a de beaux jours
devant elle. M.L.
 “Le chômage des jeunes”
En France, le taux de chô-
L’EUROPE mage des moins de 24 ans
PAS DU TOUT s’élève encore à 17,8 %
EN FAUTE pour les hommes et à
“La crise
15,6 % pour les femmes. C’est
beaucoup trop. Mais il y a dix ans, ces ratios
du logement”
culminaient respectivement à 23,9 % et à Quel rapport entre le marché
29,5 %. L’UE a contribué à cette décrue en L’EUROPE immobilier français et les
inançant l’accompagnement et la forma- PLUTÔT institutions communau-
EN FAUTE
tion des jeunes « ni en emploi ni en études » taires ? Pour le trouver, il faut
– les Neet, dans le jargon bruxellois – à hau- regarder non vers Bruxelles
teur de 960 millions d’euros entre 2014 mais vers Francfort, où siège la Banque
et 2020, au titre notamment de l’Initiative centrale européenne (BCE). Depuis le mois
pour l’emploi des jeunes (IEJ). Distribuée de juillet 2022, la BCE a opéré un relèvement
avec constance, cette manne permet à très rapide de ses taux directeurs. L’idée
des apprentis d’efectuer des stages dans était d’éteindre l’inlation en refroidissant
toute l’UE. Laurence Dequay l’activité économique. Et, au passage, le
marché immobilier a reçu un seau d’eau
glacée sur la caboche. Concrètement, l’ins-
titution, dirigée par Christine Lagarde, a fait

“Notre impossible indépendance bondir le « loyer de l’argent » en prêtant plus

cher aux banques commerciales, ce qu’elles

géostratégique” ont répercuté sur les crédits accordés aux

particuliers. Pour eux, les taux ont presque
été multipliés par quatre en deux ans. Faute
Quand on évoque ces moments est devenue l’incarnation de la « défense de pouvoir obtenir un prêt, beaucoup de
L’EUROPE où la France a fait résonner sa européenne » dont on se gargarise dans Français ont donc dû renoncer à acheter
BEAUCOUP voix dans le monde, à quoi les discours oiciels. un bien, et la crise s’est propagée au marché
EN FAUTE
pense-t-on ? À la reconnais- Dans ces conditions, il n’est pas étonnant locatif avec les conséquences dramatiques
sance de la République populaire que le corps diplomatique voit ses efectifs que l’on connaît. Pour autant, il ne faudrait
de Chine, en janvier 1964, par le général de se réduire comme une peau de chagrin, pas accuser la BCE de tous les maux. Son
Gaulle, alors président de la République. alors même qu’il faisait la réputation de la tour de vis a surtout révélé que le logement,
À la décision, en 1966, de quitter le com- France aux quatre coins du monde. À quoi dont les prix ont lambé ces vingt dernières
mandement intégré de l’Otan afin d’en bon avoir des diplomates de renom dès années pour de multiples raisons, était
finir avec un rapport de subordination lors que la diplomatie est devenue l’apa- devenu inaccessible pour de plus en plus de
envers les États-Unis. Au discours de ce nage du seul président de la République Français. Cependant, on peut lui reprocher
même général de Gaulle à Phnom Penh et de sa cour ? Et voilà comment la France, de s’entêter actuellement à maintenir des
(Cambodge), le 1er septembre 1966, quand membre permanent du Conseil de sécu- taux élevés alors que cette politique tue la
il dénonça la guerre américaine dans la rité de l’ONU, dotée de l’arme nucléaire, croissance, étrangle le marché immobilier,
région. À Jacques Chirac refusant de s’ali- État fondateur de l’Union européenne, tout en ayant des résultats peu probants sur
gner derrière les États-Unis lors de l’inva- est passée au second plan sur une scène l’inlation. Les traités européens consacrent
sion de l’Irak, en 2003, ce qui donna lieu au internationale où elle est moins écoutée l’indépendance de la BCE, en application
célèbre discours de Dominique de Villepin qu’Ursula von der Leyen, présidente de la d’une vision technocratique et néolibérale.
à l’ONU, où, en tant que ministre des Afaires Commission de Bruxelles. On ne pouvait Personne ne peut donc l’empêcher de se
étrangères, il défendit avec force l’honneur imaginer pire humiliation. Jack Dion tromper… P.L.
d’un « vieux pays, la France » et d’un « vieux
continent, l’Europe ».
On serait bien en peine, aujourd’hui, de
citer une quelconque initiative géopoli-
tique dudit pays. La France semble désor-
mais incapable de faire entendre un autre
son de cloche que celui d’une Europe
atlantisée où il lui faut absolument mar-
cher bras dessus, bras dessous avec une
Allemagne qui persiste à ignorer les
œillades de son prétendu partenaire.
Résultat : Paris s’aligne de plus en plus
sur une Europe qui, elle-même, brille
par son incapacité à s’émanciper de
l’Amérique, tandis que l’Otan, de fait,
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 15
 LE DOSSIER La faute à l’Europe ?
“L’envol du
prix de notre
électricité”
Jusqu’alors réservées aux
L’EUROPE cénacles de techniciens,
UN PEU les subtilités du marché de
EN FAUTE
l’électricité ont fait polé-
mique à partir de la fin de 2021.
Au cœur des critiques figure un mécanisme
qui amplifie l’influence des centrales à gaz :
lorsque celles-ci sont appelées en dernier
ressort pour satisfaire la demande, leur tarif
s’applique à l’ensemble de l’énergie ven-
due sur la Bourse européenne. Or le prix du
combustible a explosé mi-2022, lorsque la
Russie a fermé les robinets à destination de
l’Europe. Cependant, la flambée de l’élec-
tron a été alimentée par un autre facteur,
cette fois spécifique à la France : l’arrêt de
nombreux réacteurs nucléaires face à des
suspicions de corrosion, qui a engendré
une forte « prime de risque ». De ce fait, les
contrats permettant de sécuriser des livrai-
sons (dits « à terme ») sont devenus bien plus
chers dans l’Hexagone que chez nos voisins à
partir de mai 2022. Dans les faits, les factures
dépendent aussi de la régulation mise en
place par l’État, qui peut dissocier le coût
pour le consommateur des cours du marché.
Le gouvernement a pu ainsi plafonner la
hausse du tarif réglementé d’EDF, à travers
son « bouclier tarifaire ». Pour les entre-
prises, en revanche, le soutien public a été
encadré par la Commission européenne, qui
veille à ce que des subventions ne faussent
pas la concurrence. La France s’est saisie à
plein des latitudes laissées par Bruxelles,
mais cela n’a pas sui à amortir le choc pour
les industries les plus voraces en électricité.
Entre 2021 et 2023, la production de la sidé-
rurgie a, par exemple, chuté de 26,2 %, selon
l’Insee. Et s’est à peine redressée début 2024,
restant en retrait de 20,8 % par rapport à son
niveau d’il y a trois ans. Retrouvera-t-elle un
jour son étiage d’avant crise ? Sébastien Grob
16 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
COUP DE GRIFFE
La malfaçon fiscale Le devoir de vigilance
En même temps qu’il débridait
la circulation des personnes et des
capitaux, le traité de Maastricht a rendu
quasi impossible toute harmonisation
fiscale. En effet, l’adoption de règles
communes en la matière doit être validée
à l’unanimité des membres de l’UE.
Conséquence : trente ans plus tard,
certains de nos voisins font encore figure
de paradis fiscaux, offrant une taxation
indulgente aux entreprises qui y
transfèrent artificiellement leurs profits.
Ce siphonnage vers d’autres pays
de l’UE a amputé les recettes de l’État
français de 8,9 milliards d’euros en 2019,
selon l’Observatoire européen
de la fiscalité. S.G.
“Notre retard dans
la transition écologique”
Dans le cadre de son Pacte
L’EUROPE vert, lancé en 2019, traduit
PLUTÔT en 2021 dans une loi climat,
EN FAUTE
l’UE s’est engagée à atteindre
la neutralité carbone en 2050,
en réduisant dès 2030 de 55 % ses émis-
sions de CO2 par rapport à 1990 et de 90 %
à l’horizon 2040. Une nécessité ! Pourtant,
à ce stade, elle ne réserve que 30 % de son
budget, soit 580 milliards d’euros sur la
période 2021-2027, à cette ambition. Or,
selon la Cour des comptes européenne,
ce montant représente… moins de 10 %
des investissements nécessaires pour
cocher son seul objectif 2030 ! Les 90 %
restants de ces dépenses doivent donc
être assumés par les États et par le secteur
COUP DE CHAPEAU
Une directive contre l’esclavagisme au
travail votée par les députés européens
permettra de sanctionner les entreprises
de plus de 1 000 salariés (ou réalisant
450 millions de chiffre d’affaires) qui se
fournissent ou sous-traitent leurs productions
à des tiers recourant à l’esclavage, exploitant
des enfants, polluant la planète ou érodant
la biodiversité partout dans le monde. Une
victoire, onze ans après l’effondrement du
Rana Plaza, au Bangladesh, qui a tué plus
de 1 127 travailleurs ! Si des boîtes cow-boy
ne respectent pas ce devoir de vigilance à
l’endroit de leurs sous-traitants, elles
devront indemniser intégralement leurs
victimes et encourront des amendes allant
jusqu’à 5 % de leur CA net mondial. L.D.
privé. Mais les gouvernements nationaux
dont les finances se détériorent n’ont plus
les moyens d’aider leurs citoyens à rouler
écolo, à isoler leurs maisons et à consom-
mer vert. Ils s’attirent même leur acrimo-
nie en taillant dans ces subventions. En
conséquence, les rejets européens de gaz
à efet de serre baissent trop lentement ;
et ce, d’autant plus que les forêts piègent
moins de carbone que prévu. Il faut donc
d’urgence dégager de nouveaux finance-
ments pérennes à l’échelle de l’UE. Las, la
taxation à ses frontières des importations
d’acier, de ciment, d’engrais notamment,
produits en émettant plus de CO2 que les
standards européens, ne commencera
qu’au 1er janvier 2026. L.D.

“Le calvaire de la SNCF”
Le sous-investissement chro-
L’EUROPE nique dans le réseau fer-
PLUTÔT roviaire français ne vient
EN FAUTE
pas de l’Union européenne.
Jusqu’à 2018, les diférents gou-
vernements ont condamné la SNCF à por-
ter une dette de 35 milliards d’euros liée à
la construction des lignes à grande vitesse.
Mais en programmant dogmatiquement
dès le début du XXIe siècle des « paquets
ferroviaires » guidés par le principe de la
mise en concurrence des opérateurs natio-
naux, l’UE a mité le service public tricolore,
contraint de se morceler en centres de
proits. Et les cheminots ont été embarqués
dans des conlits inextricables entre les
“Le tour de vis sur nos retraites”
À proprement parler, la
L’EUROPE réforme des retraites ne fai-
UN PEU sait pas partie des jalons à
EN FAUTE
respecter pour débloquer les
fonds du plan de relance euro-
péen. À côté des conditions oicielles, le gou-
vernement français indiquait toutefois dans
sa feuille de route qu’il restait « déterminé à
mener une réforme ambitieuse du système de
retraite ». Une forme de réponse aux sollici-
tations de la Commission européenne, qui
a plusieurs fois recommandé de réviser le
système « afin de renforcer [son] équité tout
en soutenant sa durabilité ». « La réforme des
retraites prévue fera l’objet d’un suivi attentif »,
prévenait d’ailleurs Bruxelles dans son éva-
luation du plan français. S.G.
entités chargées des voyageurs et SNCF
Réseau, responsable des voies ferrées.
Sans parler des besoins d’investissements
à hauteur de 100 milliards qui restent à
réaliser ! En outre, dernier coup de canif
de l’UE : comme elle reproche à l’entre-
prise d’avoir perçu 5,3 milliards d’euros de
subventions « indues » entre 2007 et 2019
– subventions afectées au fret –, la SNCF,
faute de pouvoir rembourser ces aides, a
préféré sacriier 20 % de son chifre d’af-
faires marchandises : 16 de ses lux viennent
d’être repris, tel DB Cargo. Mortiiés par
cette aberration, les cheminots ont déilé le
28 mai, soutenus par les autres travailleurs
du rail européen. L.D.
“L’immigration
irrégulière”
Tantôt qualifiée de « pas-
L’EUROPE soire », tantôt de « forte-
MOYENNEMENT resse », l’Union européenne
EN FAUTE se voit régulièrement accusée
d’avoir un contrôle délétère de
ses frontières. Si les mouvements migra-
toires doivent se conjuguer au pluriel – pour
un travail, des études, la famille… –, l’enjeu
de l’immigration irrégulière mobilise tous
les États membres.
Pour l’essentiel, l’astuce consiste à uti-
liser la demande d’asile pour pouvoir se
maintenir sur le territoire européen léga-
lement, du moins le temps du traitement
du dossier. En plus des 355 000 personnes
repérées aux frontières de l’Union comme
y entrant irrégulièrement, en 2023, plus
de 1 million de personnes ont déposé une
demande d’asile. Or une grande majorité
ne répond pas aux critères. Un détourne-
ment de la procédure d’asile qui alimente
l’essentiel de l’immigration irrégulière
dans l’Union, surtout dans sa partie ouest.
Les voies légales peuvent donc être un
moyen d’arriver et de se maintenir sur le
territoire bien que le visa de tourisme ou
le titre de séjour soit expiré, ou non renou-
velé. Le nombre annuel de titres de séjour
accordés à des ressortissants de pays tiers
à l’Union a augmenté de 136 % en dix ans.
En 2022, les 27 pays de l’Union ont délivré
3,5 millions de titres, contre 1,5 en 2012.
Entre 2000 et 2020, le nombre des immi-
grés sur le continent européen est passé
de 45 à 75 millions (hors Russie), soit une
progression de 67 %.
Pour résoudre le problème de l’immigra-
tion irrégulière – non anticipé par l’Union, et
générateur d’images tragiques à Lampedusa,
en Italie, ou à Ceuta, enclave espagnole –,
le Parlement européen vient d’adopter un
nouveau pacte migratoire : tri dès l’arrivée
sur le continent européen ain de faire la part
entre ceux qui relèvent d’un besoin de pro-
tection et les autres ; examen des situations
en six semaines maximum ; renvoi immédiat
des déboutés dans leur pays d’origine… Le
texte s’appliquera à partir de 2026 et don-
nera peut-être la preuve d’un volontarisme
européen en la matière. Rachel Binhas
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 17
 LE DOSSIER La faute à l’Europe ?
Le débat
La meilleure façon
de réindustrialiser ?
Ici, pas de caricature ni de pensée réflexe.
François-Xavier Bellamy, à la tête de LR
pour les élections européennes de juin, comme
Emmanuel Maurel, inscrit sur la liste PCF, veulent
en finir avec le modèle du libre-échange total
et parient sur le volontarisme pour développer
l’industrie. Reste de solides divergences sur
les modalités : le candidat de la droite compte
sur l’initiative entrepreneuriale et l’équilibre
budgétaire ; celui de la gauche soutient
un plan de relance comparable
à celui des… États-Unis.
Propos recueillis par Franck Dedieu
FRANÇOIS-XAVIER BELLAMY :
“Il faut redonner aux acteurs
de notre économie
la liberté d’entreprendre,
d’innover, de produire.”
Marianne : Vous parlez l’un et l’autre de décrochage
économique de l’Europe par rapport aux États-Unis.
Comment l’expliquez-vous ?
François-Xavier Bellamy : Le décrochage économique de
l’Europe n’est pas une peur fantasmée mais une réalité
chifrée. En 2010, l’Europe avait un poids économique
équivalent à celui des États-Unis ; l’écart est aujourd’hui
d’environ 50 % en faveur des États-Unis. L’explication
d’un tel décrochage est bien sûr multifactorielle : il y a
une raison démographique, avec le vieillissement de la
population européenne, et une raison énergétique, après
l’envol des prix de l’énergie chez nous. Mais l’élément
central demeure le cadre normatif étoufant que l’Europe
s’impose à elle-même : pendant que l’Amérique invente,
l’Europe réglemente. Les États-Unis eux-mêmes nous
ont pourtant mis en garde contre les risques liés à cet
étoufement normatif : lorsque le Parlement européen
s’apprêtait à voter la stratégie « farm to fork » (« de la ferme
à la fourchette »), avec de nouvelles contraintes pour nos
agriculteurs – notamment le gel de 10 % de notre surface
agricole –, le département américain de l’Agriculture a
alerté sur la chute de la production agricole qu’elle entraî-
nerait. Il faut redonner aux acteurs de notre économie la
liberté d’entreprendre, d’innover, de produire.
Emmanuel Maurel : C’est à partir de la crise financière de
2007-2008 que les courbes de progression du PIB ont
commencé à vraiment diverger entre l’UE et les États-Unis.
Cela a été une véritable catastrophe, qui a signé le bilan
désastreux de la politique économique conduite entre
 la crise des subprimes et le Covid. Les cures d’austérité
appliquées au continent, et particulièrement à la zone
euro, dès 2012 – avec le traité budgétaire Merkel-Sarkozy –
ont littéralement étoufé la croissance. Pendant ce temps,
les Américains relançaient sans cesse leur économie : dès
2009, avec le plan de 750 milliards de dollars de Barack
Obama, puis avec l’intervention de la Réserve fédérale
durant toute la décennie ; enfin avec les politiques bud-
gétaires expansionnistes de Trump et de Biden. À cela
s’est ajouté un facteur aggravant : l’absence de politique
industrielle sérieuse, pendant que les États-Unis et la Chine
investissaient à fond dans les nouvelles technologies.
Le nouveau pacte budgétaire européen – avec
ses critères sur la dette et le déficit – vous semble-t-il
aller dans la bonne direction ? Condamne-t-il
à perpétuité l’Europe à la rigueur, au manque
d’ambitions écologiques et sociales ?
E.M. : Je trouve proprement ahurissant qu’on en revienne
– à quelques « flexibilités » près, qui ne changeront rien –
à la même politique économique que celle qui a échoué
pendant dix ans. Les dirigeants européens s’imaginent que
leur culte de l’équilibre budgétaire et de la lutte contre la
dette va produire des efets diférents du résultat lamen-
table de la décennie écoulée. C’est d’autant plus incom-
préhensible que lorsque l’Europe essaie la relance budgé-
taire, ça marche ! Je parle du plan de 2021 de 750 milliards
d’euros, décidé pour sortir de la récession due au Covid.
Après la crise provoquée par la guerre russo-ukrainienne,
nous aurions tous besoin d’appuyer sur l’accélérateur.
Mais pour Bruxelles – et Berlin, encore
suivi par Paris –, l’urgence, c’est
Lionel Antoni pour “Marianne”
de freiner. Moralité, les pers-
pectives de croissance de la
zone euro sont revues à la
baisse pendant que celles
des États-Unis sont revues
à la hausse.
“Comment se fait-il que 300 milliards
d’épargne européenne partent chaque
année aux États-Unis ?” FRANÇOIS-XAVIER BELLAMY
F.-X.B. : Attention aux conclusions hâtives. Pour la France,
la vraie contrainte n’est pas celle des règles budgétaires
européennes, mais celle de la réalité… Le dérapage budgé-
taire devient un risque majeur pour l’action de l’État. S’il
suisait d’avoir un taux élevé de dette publique pour avoir
un bon modèle social et écologique, la France serait un
paradis vert où régnerait la paix sociale. Mais ce que l’on
observe est l’exact inverse : avec une dépense publique
record en Europe, nous avons fragilisé notre pays, creusé
les fractures sociales et retardé la transition écologique.
Le problème, c’est la mauvaise dépense publique accu-
mulée par paresse : la dépense publique n’a jamais été
aussi forte, mais l’investissement public s’efondre… Pour
préparer l’avenir, nous devons aussi miser sur l’épargne,
un levier puissant de prospérité : comment se fait-il que
EMMANUEL
MAUREL estime 300 milliards d’épargne européenne partent chaque
que les cures année aux États-Unis faute d’avoir pu être investis au
d’austérité niveau du continent ? Nous devons l’orienter vers des
appliquées
à la zone euro secteurs stratégiques en Europe (santé, biotechnolo-
dès 2012 y ont gies, IA, transition écologique, etc.) en créant un livret
littéralement d’épargne européen.
étouffé la
croissance, tandis
que les États-Unis François-Xavier Bellamy, vous avancez l’idée de
multipliaient les ne voter aucun texte européen qui pourrait aboutir
plans de relance à une baisse de la production. Emmanuel Maurel,
et investissaient soutenez-vous cette initiative ?
à fond dans
les nouvelles E.M. : François-Xavier Bellamy oublie une chose : le texte
technologies. qui va provoquer une baisse de la production, c’est ce
pacte budgétaire calamiteux. On en observe d’ailleurs les
premières conséquences, avec les 10 milliards de crédits
supprimés par Bruno Le Maire. En ce qui concerne les
textes sur l’agriculture et la décarbonation de l’industrie
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 19
 LE DOSSIER L a faute à l’Europe ?
qui sont dans le viseur de la droite, je ne pense pas qu’ils
soient consubstantiellement décroissants. Je pense
même qu’il est possible, et nécessaire, de produire davan-
tage en Europe, tout en respectant nos engagements pour
réduire les gaz à efet de serre et préserver la biodiversité.
Il y a néanmoins certains objectifs qui me paraissent
trop ambitieux, comme l’interdiction de vendre des
voitures à moteur thermique en Europe dès 2035, alors
même que le moteur hybride tient ses promesses. J’en
reviens à mes inquiétudes : si on ne change pas la poli-
tique commerciale, en particulier sur l’automobile et la
transition écologique, et si on ne met pas en place une
vraie politique industrielle, alors oui, efectivement,
l’appareil productif européen soufrira.
F.-X.B. : Cette proposition part d’un constat simple : ce
que nous arrêtons de produire en Europe, nous nous
mettons à l’importer d’une production extra-européenne
bien moins respectueuse de l’environnement ou des
droits sociaux. Interdire de voter tout texte européen qui
aboutirait à une baisse de la production, c’est défendre
une prospérité durable. C’est aussi défendre la cause des
travailleurs. Je pense ici en particulier à nos agriculteurs :
la politique de décroissance de la production agricole
européenne, au nom de l’écologie, entraîne en réalité
une augmentation des importations venues de pays bien
moins regardants en matière de normes environnemen-
tales… Sauvegarder l’environnement n’implique pas de
sacrifier les travailleurs. Au contraire : 93 % des émissions
mondiales sont hors d’Europe. De la même manière que
nous avons inscrit dans le droit européen un principe de
non-régression écologique, nous devons donc inscrire un
principe de non-régression économique.
Vous avez voté tous les deux contre l’accord de libre-
échange entre l’Europe et la Nouvelle-Zélande. Vous êtes
minoritaires au sein du Parlement (et LR minoritaire
sur ce sujet au sein du PPE). Le changement de politique
commerciale est-il impossible ? Dans ces conditions,
faut-il penser le protectionnisme à l’échelle française ?
E.M. : La politique commerciale furieusement libre-
échangiste de l’UE est inadaptée au contexte économique
mondial. Elle commence même à se retourner contre
ceux qui en profitaient le plus : les Allemands. Il n’y a donc
aucune raison de la conserver, et encore moins de l’appro-
fondir. Au contraire, notre exposition à la mondialisation
sans entrave met en danger notre souveraineté alimentaire
et industrielle. Notre production de biens manufacturés,
même à forte valeur ajoutée, est menacée par la politique
ultra-interventionniste de la Chine et des États-Unis. En
réalité, à part nous, plus personne ne respecte les règles
de l’OMC. Si l’Union européenne s’entête à vouloir foncer
dans le mur, alors il faudra bien que la France fasse quelque
chose. Un des leviers les plus importants, et qu’on n’uti-
lise pas assez, c’est la commande publique : 120 milliards
d’euros par an, qui pourraient être orientés au maximum
vers le made in Europe, et surtout le made in France.
F.-X.B. : Un changement est possible, et j’en veux pour
preuve la victoire que nous avons remportée avec le
mécanisme d’ajustement carbone aux frontières [MACF]
– promesse que nous avions portée avec la délégation LR
20 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
“Si l’UE s’entête à vouloir foncer dans
le mur, alors il faudra bien que la France
fasse quelque chose.” EMMANUEL MAUREL
lors des dernières élections européennes. Qui aurait cru,
il y a quelques années, que l’UE passerait d’une logique
de suppression des droits de douane à une politique
de taxation des produits importés ? Nous ne pouvons
pas être le dernier continent qui pratique la religion de
l’OMC… Il est urgent de compléter le MACF pour y inclure
les produits manufacturés, en rétablissant les quotas
gratuits pour nos industriels jusqu’à sa pleine efectivité ;
l’Union doit apprendre à appliquer des quotas et à mener
plus rapidement ses enquêtes antidumping. Mais quitter
l’impasse de la naïveté ne doit pas nous conduire à l’autre
impasse que serait un protectionnisme frileux. Il n’y a pas
d’autre option que la liberté : dans un pays où le taux de
prélèvements obligatoires des entreprises est encore le
plus élevé au monde, l’urgence est de libérer nos entre-
prises du poids de la fiscalité et des charges qui entravent
la production et le travail en France. Nous sommes les
seuls à refuser cette double impasse et à pouvoir changer
les choses demain. La droite européenne sera la première
force politique en Europe dans le mandat ; c’est nous
qui aurons la possibilité et la responsabilité de mener
le combat de l’intérieur pour obtenir le changement de
cap dont l’Europe a tant besoin.
Si vous deviez faire une seule proposition phare pour
réindustrialiser le pays, laquelle choisiriez-vous ?
E.M. : Cela vous paraîtra peut-être bizarre, mais ce que
je recommande pour l’Europe, c’est de faire comme les
États-Unis ! Joe Biden a décidé d’augmenter les droits de
douane sur les importations de voitures électriques, de
batteries et de panneaux solaires chinois. Je pense qu’il
faut prendre les mêmes mesures de sauvegarde. Je note
au passage que si l’Europe relevait ses droits de douane
sur les voitures électriques cela profiterait à Renault et
à Stellantis. Mais comme l’Allemagne a peur de perdre
des parts de marché en Chine pour Mercedes et BMW,
elle bloque la décision. Cette Europe allemande devient
pénible à la longue. Et bien sûr, deuxième volet du plan
Biden : le soutien à hauteur de 370 milliards de dollars
à ses industries de la transition écologique (voitures,
batteries, etc.). L’Europe devra tôt ou tard lancer un plan
industriel similaire en réservant les aides publiques aux
productions localisées sur son territoire.
F.-X.B. : Le nucléaire, sans hésiter. Il n’y a pas d’industrie
sans énergie ; il ne peut y avoir de réindustrialisation
sans un grand programme de construction de centrales
nucléaires dans l’UE. Si les États-Unis nous distancent,
c’est aussi parce qu’ils disposent, avec le gaz de schiste,
d’une énergie qui est un tiers moins chère que la nôtre.
En produisant sur le sol européen une énergie décarbo-
née à bas coût grâce au nucléaire, nous pourrons faire
revenir beaucoup d’entreprises qui ont délocalisé leur
production. M Propos recueillis par F.D.
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“ L A V É R I T É N ’A PA S D E M A Î T R E ”
 Marianne RÉVÈLE

Extraits exclusifs

CE QUI SE DIT
VRAIMENT
DANS NOS MOSQUÉES
Qu’entendent les fidèles musulmans derrière les murs de leurs lieux de culte ?
L’enquête “Au cœur de l’islam de France. Trois ans d’infiltration dans 70 mosquées”,
à paraître cette semaine aux éditions du Rocher et dont “Marianne” publie des extraits
en exclusivité, répond à cette question. Et le livre n’a rien de rassurant. Car le récit
d’Étienne Delarcher (un pseudonyme) nous apprend combien les discours les plus
radicaux ne sont pas réservés à quelques mosquées françaises… Par Étienne Campion

our éviter les représailles, Étienne d’entrer dans la salle de prière. Cette der-

P Delarcher, que Marianne a ren-

contré, restera sous pseudonyme.
Trois ans durant, ce journaliste a
infiltré, sous le prénom de Djibril
et la couverture d’un converti, 70 mos-
quées pour voir et entendre « ce que pour-
rait percevoir un musulman lambda » en
France. Caméra embarquée à l’appui,
pour prouver ses dires, et sans aller dans
les mosquées les plus radicales ou auprès
d’imams déjà repérés pour leurs propos
« problématiques », il a posé des questions
ouvertes, naïves parfois, sur l’interpré-
tation à avoir de certains versets. Et le
constat est là : dans notre pays, la radica-
lité n’est, hélas, pas réservée à quelques
fidèles et à une poignée de lieux de culte.
Ce livre-enquête, par son dispositif, ne
manquera pas de faire réagir. De susciter la
polémique même. Mais c’est une manière,
en ouvrant les portes des mosquées fran-
çaises, d’ouvrir aussi en grand le débat
sur ce qu’on y tient comme discours. M
22 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
EXTRAITS
Au cœur de l’islam
de France, d’Étienne
Delarcher, 224 p., 19,90 €.
CHAPITRE “L’INTERPRÉTATION
DES TEXTES SACRÉS”
DISCUSSION SUR LE VOL
au sein de la mosquée de
l’Institut des cultures d’islam
(Paris, XVIIIe)
Après avoir franchi le hall d’entrée de
l’Institut des cultures d’islam, je bifurque
vers l’un des escaliers. En haut de celui-ci
se forme un petit embouteillage au moment
où les fidèles doivent se déchausser avant
nière, pourtant immense, finira par se rem-
plir complètement. [...] À côté du muezzin se
trouve un homme d’âge moyen, la quaran-
taine bien tassée. Il porte une barbe hirsute,
de grandes lunettes sombres et un qamis
marron. C’est lui qui dirigera la prière. J’avais
déjà croisé cet homme à de nombreuses
reprises, c’est l’un des cadres de la mos-
quée. [...] On se donne rendez-vous au rez-de-
chaussée, dans le hall d’entrée de l’Institut.
Le lieu est loin d’être parfaitement calme
mais au moins on peut s’entendre parler.
Je commence comme à mon habitude
par une question anodine qui, cette fois,
portera sur un obscur verset du Coran
concernant l’histoire de Caïn et d’Abel. Le
religieux, volubile, me répond avec préci-
sion. Après son explication, faisant mine
de rien, je lui signale que j’ai encore une
petite question, portant sur un autre verset
du Coran. Je lui donne alors la référence du
verset ordonnant l’amputation de la main
des voleurs. Il pianote sur son smartphone

pour le retrouver, puis il en lit le début en
arabe avant de s’exclamer : « C’est sur les
gens qui volent ! »
Je n’ai même pas le temps de poser ma
question qu’il se lance de lui-même dans
une justification de ce châtiment. Il com-
mence par me rappeler que le vol a été de
tout temps rejeté par Allah. Mais que ce n’est
qu’avec l’arrivée de Muhammad que Dieu
aurait décidé d’instaurer l’amputation de
la main des voleurs. Ce revirement divin
trouverait sa source dans l’impartialité et
le sens de la justice du dernier prophète
de l’islam. Celui-ci, particulièrement sou-
cieux de l’égalité des croyants devant la loi,
aurait empêché que les puissants puissent
échapper aux sanctions. À l’appui de cette
idée, le religieux me cite un célèbre hadith
Marlène Awaad / MaxPPP - DR
(sahih al-Boukhari n°4304) où Muhammad
déclare qu’il aurait fait couper la main de sa
propre fille si elle avait volé. Implicitement,
l’instauration de cette amputation de la main
m’est ainsi présentée comme un outil de
justice sociale.
Mais me voyant très peu enthousiaste
face à cette sanction divine, il tente de me
rassurer en m’expliquant qu’on ne coupe
pas la main d’un simple « voleur d’œuf ». Et
pensant me prouver la sagesse de cette règle,
il me précise que celle-ci n’est appliquée
que lorsque les montants volés dépassent
la somme d’un « quart de dinar d’or ». Après
quelques secondes d’hésitation, il ajoute
que cela correspondrait aujourd’hui à une
somme d’argent allant de 120 à 150 €.
Résumant ce qu’il vient de dire, il m’as-
sène qu’en dessous de 150 « tu ne coupes
pas la main, au-dessus de ça tu vas couper la
main ». Et il ajoute aussitôt : « Mais ce n’est
pas maintenant car on n’a pas de calife, il faut
un calife, il faut celui qui va mettre en place
cette justice. »
Et pour illustrer ses propos, il me cite un
pays remplissant déjà ce critère : l’Arabie
saoudite, un pays qu’il me décrit comme
ayant une Constitution musulmane basée
sur le Coran et la Sunna. Dans le même
élan, il me cite d’autres lois islamiques
PUNITION DIVINE À en croire l’un des cadres de
l’Institut des cultures d’islam (Paris), l’amputation
de la main d’un voleur est justifiée, une sorte
d’“outil de justice sociale”, précise Étienne Delarcher.
intraitable Une fois le califat mis en place, le voleur
d’une somme dépassant les 150 € sera donc amputé. “à
aucun moment [le cadre de la mosquée] n’aura émis le
moindre signe de désapprobation.”
appliquées dans ce pays, comme la flagel-
lation des fornicateurs ou l’exécution des
meurtriers. À aucun moment il n’aura émis
le moindre signe de désapprobation envers
ces lois, mais se contentera de décrire celles-
ci comme des « règles d’Allah » envoyées
pour la religion musulmane.
L’homme n’est pas neutre, il n’énonce
pas simplement ce que dit sa religion. Il
choisit de soutenir ces châtiments inhu-
mains. Quand je lui demande par exemple
si cet ordre coranique d’amputer la main
des voleurs est obsolète aujourd’hui, il
récuse fermement cette éventualité. Pour
lui, celui-ci est valide « des débuts de l’islam
jusqu’à la fin des temps. C’est valable pour
tous les temps » !
Et pour preuve de l’intangibilité de cet
ordre, un seul argument lui suffit : le fait
qu’il vienne du Coran, un livre qu’il désigne
comme la « Constitution » d’Allah. Après avoir
donné ces précisions, il émet un regret :
« Nous, on ne pourra pas le faire tant qu’il n’y
aura pas la Constitution musulmane. »
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 23
 Marianne RÉVÈLE Ce qui se dit vraiment dans nos mosquées
CHAPITRE “LA PLACE DES FEMMES”
DISCUSSION SUR LE COUPLE,
à la mosquée de Villeurbanne
(Rhône)
La mosquée de Villeurbanne est l’une
des plus importantes de l’agglomération
lyonnaise. C’est Azzedine Gaci, une person-
nalité centrale au sein de la communauté
musulmane française, qui la dirige. L’homme
a présidé le CRCM (conseil régional du culte
musulman) pour la région Rhône-Alpes.
Il a été un membre actif du CFCM (Conseil
français du culte musulman) et plus récem-
ment du Forif (Forum de l’islam de France),
la structure qui, en pratique, est en train de
le remplacer. Parallèlement, il s’est investi
activement dans le dialogue interreligieux.
En plus de sa casquette de religieux, l’homme
est un enseignant-chercheur en physique.
Atypique et largement indépendant par rap-
port aux grandes fédérations islamiques, il a
su se faire apprécier par les pouvoirs publics,
et a même été décoré du titre de chevalier
de la Légion d’honneur.
De ce fait, quand j’entre pour la première
fois dans cette mosquée, j’ai un a priori plutôt
positif sur ce lieu de culte. Nous sommes dans
la seconde moitié du mois de juillet 2023 et je
me prépare à assister à la prière de Maghreb.
Je me suis assis tout à l’avant de la salle et,
quelques mètres devant moi, se trouve un
petit renfoncement d’où le religieux dirige la
prière. [...] La salat va commencer, un religieux
s’avance, ce n’est pas Azzedine Gaci mais un
autre responsable. Une fois l’adoration termi-
née, je me rapproche de lui. C’est un homme
noir d’une petite cinquantaine d’années. Il est
pressé mais il accepte de prendre quelques
minutes pour répondre à mes questions, et
me convie dans une pièce privée, ressem-
blant à un bureau. Le lieu est bien rangé et
relativement vide en dehors des livres reli-
gieux. J’amène la conversation sur les droits
des femmes en précisant ne pas comprendre
le verset 34 de la sourate 4. L’homme lit le
début de ce passage coranique, la partie qui
24 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
explique que les hommes ont autorité sur les
femmes. Et spontanément, avant que j’aie
le temps de poser ma question, il ajoute que
beaucoup d’hommes « comprennent mal » ce
qui est noté ici, une remarque qui me rend
optimiste. J’y vois le signe d’une possible
prise de distance vis-à-vis de l’interpréta-
tion traditionnelle de ce verset. Malheureu-
sement mes espoirs sont immédiatement
déçus ; abruptement, le religieux me dit que
« oui, les femmes doivent obéir à leur mari ». Il
ne cherchera pas à me convaincre de la jus-
tesse ou de l’utilité de cette règle, ni même à
en donner une justification. Rien. La règle est
là, Dieu l’a demandé et cela semble lui suire.
S’il fait peu d’eforts pour me persuader de
la sagesse derrière ce choix divin, il va en
revanche prendre beaucoup de temps pour
me détailler ce que cela implique dans la
vie quotidienne d’une famille musulmane.
Il commence par un cas concret :
« Par exemple, votre mari vous dit “tu ne
sors pas”, là, tu dois obéir. Tu n’as pas le droit
de sortir sans sa permission. Même pour aller
voir tes parents. C’est tes parents, mais il faut
toujours que le mari soit en accord. »
Sortir de la maison, l’acte le plus banal qui
soit, doit être approuvé par le mari. L’emprise
est totale. Mais à ses yeux une règle aussi
restrictive, qui flirte avec la séquestration,
ne semble pas mériter une justification par-
ticulière de sa part. À aucun moment il ne
me dira que c’est un mal nécessaire pour
protéger la femme ou toute autre billevesée
du même genre. Il n’en ressent pas le besoin.
Dieu a décidé, on applique. C’est tout.
Je vais percevoir cette même froideur,
ce même suivisme aveugle du texte sacré
quand il va aborder la question des relations
sexuelles dans le couple.
“ Aujourd’hui, ton mari a besoin de toi au lit,
tu ne vas pas dire non. C’est une obéissance
obligatoire.” UN RELIGIEUX MUSULMAN de Villeurbanne
« Aujourd’hui, ton mari a besoin de toi au
lit, tu ne vas pas dire non. Si aujourd’hui il n’y
a pas une raison, tu n’as pas le cycle, tu n’as rien
du tout, tu ne peux pas dire non. Ça, c’est une
obéissance obligatoire, parce que ça répond aux
exigences et aux devoirs de la femme envers
son mari. »
Ainsi, en plus d’être privée de son droit
de sortir de la maison quand elle le désire,
l’épouse n’aurait pas non plus la possibilité
de se refuser à son mari. Cette conception
du couple est glaçante. Cependant, ce que
je viens d’énoncer ici n’est que l’une des
facettes du religieux que j’ai en face de moi.
Il y a une part de lui moins sombre.
Ainsi il promeut une certaine adaptation
du dogme islamique au contexte français.
Du moins, c’est ainsi qu’il va me la présenter.
Mais dans son argumentation, c’est moins
l’aspect géographique que les contraintes
économiques qui vont jouer ce rôle pivot.
Il me dit que si l’homme musulman habitant
en Occident n’arrive pas à subvenir seul aux
besoins de sa famille, il peut choisir d’auto-
riser sa femme à travailler. Mais dans ce cas,
il doit en partie renoncer à l’emprise qu’il
serait en droit d’exercer sur elle.
En résumé, soit la femme travaille et alors
l’homme doit participer aux tâches ména-
gères et ne peut plus lui imposer de rela-
tions sexuelles quand il le veut, soit elle ne
travaille pas et, dans ce cas, on reste dans le
modèle patriarcal qu’il me décrivait au début
de la discussion. Dans l’esprit du religieux,
tout semble se jouer au moment où le couple
décide si oui ou non la femme va travailler.
Mais qui serait apte à prendre cette décision ?
Pour le cheikh, cela ne fait aucun doute, c’est
l’homme. Mais quel que soit son choix, nous
restons dans un système patriarcal. Le joug
DR
 de la domination masculine est indéniable.
Si la femme travaille, celui-ci sera simple-
ment moins pesant.
Au cours des dernières minutes de la dis-
cussion, le religieux aborde ce que doit faire
le mari si son épouse refuse d’obéir à ses
ordres et, rapidement, il passe à l’explication
de l’expression « frappez-les » qui figure à
la fin du verset. Plutôt qu’un long discours,
l’homme préfère se gifler pour illustrer ce
qu’il convient de faire selon lui pour dis-
cipliner une femme rebelle. Cette « petite
gifle », comme il la nomme, ne doit pas lais-
ser de traces ou casser la mâchoire. Puis il
ajoute que ceux qui donnent des coups ne le
devraient pas, « ça, c’est interdit ». Comme si,
dans son esprit, cette gifle n’en était pas un…
CHAPITRE “LA PLACE DES FEMMES”
DISCUSSION SUR LE COUPLE,
à la mosquée de Hautepierre
de Strasbourg (Bas-Rhin)
À la grande mosquée de Hautepierre de
Strasbourg, j’entendrai un discours mépri-
sant à l’égard des femmes, mais, dans ce lieu
de culte, il prendra la forme d’une chosifi-
cation de ces dernières. À peine quelques
instants après le début de la discussion, le
religieux me lance, sûr de lui, que « la femme,
elle ne peut pas faire beaucoup de choses, sauf
si elle a le droit [l’accord] de son mari ». Une
franchise déconcertante.
Pour illustrer ce que donne cette domi-
nation masculine dans le quotidien d’une
femme musulmane, il évoque leur obliga-
tion d’avoir l’autorisation de leur mari avant
de jeûner.
Je sais qu’en réalité il est question ici
de bien autre chose que de nourriture. Je
fais immédiatement le lien avec un hadith
d’Abou Dawoud, le n°2459, que je connais-
sais déjà. Dans ce dernier, une femme
vient voir le prophète Muhammad pour
se plaindre que son mari la frappe et qu’il
l’empêche de jeûner. Dans le dogme isla-
DR
“ La femme, elle ne peut pas faire beaucoup
de choses, sauf si elle a le droit [l’accord]
de son mari.” UN RELIGIEUX MUSULMAN de Strasbourg
mique, le jeûne est cassé par les relations
intimes. Pour sa défense, le mari violent
explique qu’il bat sa femme car elle exé-
cuterait mal la prière et qu’il ne la laisse
pas jeûner comme elle veut car il désire
avoir des relations sexuelles régulière-
ment avec elle. Le messager d’Allah ne
dira rien concernant les violences conju-
gales subies par cette femme, par contre,
il va instituer une nouvelle règle concer-
nant le jeûne : désormais, chaque femme
devra avoir l’autorisation de son mari avant
de se priver de nourriture. Une manière
de contrôler un peu plus la sexualité des
femmes musulmanes.
Je le laisse parler pendant quelques
minutes, puis, de la manière la plus inno-
cente possible, je fais mine de ne pas avoir
compris cette histoire d’interdiction de jeû-
ner pour la femme.
« Peut-être le mari, il aura besoin d’elle »,
me glisse alors le cheikh.
Je continue de jouer au candide.
« Le contact pour le… », ajoute-t-il.
Je lui demande alors s’il parle des relations
sexuelles, il me le confirme immédiatement.
Avant de poursuivre, d’un ton sec, que dans
ce domaine « la femme n’a pas le droit de dire
non ». Pour justifier cette position violem-
ment misogyne, il me dit, d’un ton blasé,
que tout ceci est « normal ». Si jamais elle
refuse, « Allah est en colère » contre elle, me
dit-il. Mais il n’est pas le seul, les anges vont
aussi se liguer contre cette épouse « disant
non » à son mari.
Pour faire obéir les femmes jusqu’à pré-
sent il avait surtout évoqué la coercition et
la menace d’une colère divine, mais il a un
autre atout dans sa manche, la promesse
du paradis. Prétendant paraphraser son
prophète, il me dit que si une femme ne
dit pas de mal de son mari, lui obéit et ne
le trompe pas, elle « va direct au paradis ».
Pour le cheikh, c’est la preuve de la grande
« valeur » de la soumission des femmes.
Après cela, il laisse la religion de côté pen-
dant quelques instants et, dans cette paren-
thèse, il va librement s’épancher sur sa
vision des femmes :
« Quand je vois la femme, la première chose
qui me vient c’est : “C’est qui son mari ?” Si je
vois une femme bien habillée et qui ne fait pas
n’importe quoi, ah ! je me dis “parce que son
mari, c’est lui, là”. Il y a une relation entre les
deux. Quand tu vois une femme, pff, elle fait
n’importe quoi, elle dit n’importe quoi, tous
les jours elle va dans la rue, la première chose
que tu te demandes : “Mais c’est qui son mari ?”
C’est pour ça, pour voir la valeur de l’homme,
elle est dans sa femme. »
Dans son esprit la femme n’est pas un
individu à part entière, c’est le golem de
son mari, sa marionnette, et ce dernier peut
la façonner à sa guise. La chosification des
femmes est à son comble. Cette justification
de la mainmise masculine va se doubler
d’une justification des violences conjugales.
Selon le religieux, le mari peut administrer
« une frappe qui ne fait pas mal » à son épouse
pour « l’éduquer » si « elle n’obéit pas ».
Ce n’est pas le premier responsable
religieux à m’exposer aussi crûment sa
misogynie et sa volonté de dominer les
femmes. Mais, ici, il y a une petite diférence
car nous sommes en Alsace, une région où
le concordat est en vigueur, ce qui permet
aux mairies de subventionner les lieux de
culte. Et cette mosquée a reçu 343 000 €
d’argent public au moment de
sa construction.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 25
 Marianne RÉVÈLE
Ennemis publics
Derrière un guet-apens
mortel, la méthode
du “clan Amra” Homme le plus recherché de France, Mohamed Amra a piloté le meurtre
d’un livreur de drogue à Aubagne en juin 2022 depuis… la prison de la Santé.
“Marianne” révèle comment la PJ marseillaise a démasqué son équipe.
Un de ses complices, activement recherché, pourrait être impliqué dans
sa libération sanglante au péage d’Incarville. Par Laurent Valdiguié
es policiers marseillais chargés de
L l’enquête sur le meurtre d’Ugur T., mi-
juin 2022, en sont persuadés : depuis la
prison de la Santé, Mohamed Amra, alias
« la Mouche », a froidement et méticu-
leusement tout orchestré, y compris la nuit
du meurtre, en direct.
Ce soir-là, deux clans opèrent main dans
la main pour voler une cargaison de 92 kg
de cannabis et rançonner au passage un des
livreurs : le clan marseillais des Blacks et le
clan Amra, écrit la juge chargée du dossier. Le
26 septembre 2023, sur la base d’une enquête
policière édifiante, Mohamed Amra est trans-
féré de la Santé au tribunal judiciaire de Mar-
seille. La Mouche écope d’une rafale de mises
en examen pour « complicité d’enlèvement,
26 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
séquestration, détention arbitraire d’otage,
complicité de meurtre avec préméditation en
bande organisée ». Des infractions criminelles
susceptibles de lui valoir une détention à per-
pétuité. « Les faits ont été commis au mépris de
toute vie humaine », conclut la juge dans une
ordonnance réclamant sa mise en détention
et son placement à l’isolement à la prison
des Baumettes. Face à elle, ce 26 septembre,
Mohamed Amra n’est guère loquace. Il avait
déjà refusé de répondre aux questions des
policiers durant sa garde à vue, évoquant son
« droit au silence ». Son avocat, Lucas Monta-
gnier, qui a découvert le dossier le jour même,
tente de lui éviter l’isolement. En vain. Dans
la fiche de renseignement qui accompagne
le détenu, à la question : « Y a-t-il des risques
“TÉLÉPHONES, CHICHA,
VIANDE, ALCOOL, TABAC,
produits stupéfiants…”,
Mohamed Amra vivait à
la Santé dans “un certain
confort”, selon la police.
particuliers d’évasion ? », la magistrate a coché
la case « non ». Sans se douter que, moins de
huit mois plus tard, la Mouche se fera la belle
au péage d’Incarville, dans l’Eure. « Au mépris
de toute vie humaine », encore une fois…
“L’équipe de guerre 4G”
Retour en arrière. Incarcéré à la Santé
depuis janvier 2022, « Momo » fomente dès
le mois de juin suivant un plan : faire enlever
un livreur de son ancien associé, Mehdi B.,
dit « Urus », pour lui réclamer une rançon
de 300 000 € et lui voler une cargaison de
drogue. Il contacte, via Snapchat, Chaer Ali
Mohamed, un des Marseillais dont il a fait la
connaissance à la prison de Luynes, à Aix-en-
Provence. Et lui demande d’ouvrir un compte
sur la messagerie cryptée Signal. Membre
du clan des « Blacks », libre depuis fin 2021,
Chaer Ali Mohamed, alias « 46 », en référence
au pilote de moto Valentino Rossi, s’en ouvre
à un troisième homme : Marvin Boina, alias
« Zin », incarcéré à la prison de Valence. L’opé-
ration imaginée par la Mouche doit leur rap-
porter 200 000 €. Banco, disent les Blacks.
En parallèle, Amra téléguide sa propre
équipe à Marseille, avec un luxe de précau-
AFP - Thomas Padilla / MaxPPP
tions digne d’un service d’espionnage. Le
15 juin à 21 heures, deux de ses hommes
embarquent dans un TGV gare de Lyon, à
Paris. Ils n’ont pas leurs portables habituels
sur eux. En revanche, ils sont porteurs d’une
clé 4G, un routeur internet permettant la

“Grossiste” en drogue, Amra se montre
capable “d’un grand pragmatisme
pour étoffer ses revenus”. POLICIERS CHARGÉS DE L’ENQUÊTE
connexion de plusieurs téléphones, non
reliés au réseau cellulaire. Et donc diicile-
ment détectables. Les policiers vont les tra-
quer sous le vocable l’« équipe de guerre 4G ».
Autre précaution : ni l’un ni l’autre n’ont
réservé de billet de train à leur nom. Les titres
de transport ont été pris par des comparses
d’Évreux, qui ont été remboursés en liquide.
À 23 heures, à la gare Saint-Charles, à Mar-
seille, Nawel K., apprentie kiné, les attend.
Petite amie de Mohamed Amra depuis in
2020, elle le visite régulièrement à la pri-
son de la Santé en se faisant passer pour
sa sœur, Sabah Amra, qui lui prête sa carte
d’identité. Nawel, accompagnée d’une amie,
Paola, employée à la mairie de Marseille,
conduit d’abord les deux hommes dans un
appartement du quartier Malpassé loué à la
demande de la Mouche. Mais les lieux ne leur
conviennent pas, « manque de discrétion »,
disent-ils. Amra, depuis la Santé, ordonne
à sa compagne de trouver un autre endroit.
Nawel propose le salon de massage où elle
travaille, rue Sylvabelle, à deux pas du Vieux-
Port. Cela tombe bien : ses patrons kinés sont
en vacances à l’étranger. La Mouche donne
son feu vert. C’est là que les Blacks viendront
les chercher vers 4 heures…
L’opération s’enclenche le 16 juin 2022
à 4 h 10. Une Mercedes Class A blanche
démarre d’un box de la résidence marseil-
laise Green Island, boulevard Vélasquez. Les
traiquants l’ignorent, mais les policiers ont
placé une balise sur cette voiture. Ce que
les enquêteurs ignorent de leur côté, c’est
qu’ils vont assister de loin aux préparatifs
d’un assassinat. Au volant de la Mercedes,
Mohammed Bendjazia, alias « Merguez »,
membre du clan des Blacks. Avec lui, un
homme « de type africain, porteur de lunettes
et d’une barbichette ». Il s’agit de Kevin Boina,
alias « Freezer », le frère de Zin, alors à l’isole-
ment « avec un petit téléphone sans Internet »,
comme il s’en défendra en garde à vue… En
pistant le trajet de la Mercedes, les policiers
localisent un lieu de rendez-vous, en bordure
d’autoroute, sur la commune d’Aubagne. Une
Clio se gare à côté de la voiture blanche. Elle
est conduite par Chaer Ali Mohamed. Arrive
une Golf. Il est 5 h 16.
À son bord, venus d’Évreux, Ugur T. et son
cousin Ozkan B. La Mercedes leur fait des
appels de phares. Ils se rangent à côté. Au
Lou Benoist / AFP
TOUJOURS EN FUITE Mohamed Amra s’est évadé le 14 mai
lors d’un transfert du tribunal judiciaire de Rouen
à la maison d’arrêt d’Évreux, où il était écroué depuis peu.
volant, Ugur T. ouvre sa portière. Ozkan B.
dira aux policiers avoir vu « un Africain »
sortir d’une voiture, puis un homme por-
tant une cagoule de laquelle dépassaient
des dreadlocks. Comprenant qu’il s’agit
d’un guet-apens, il assure s’être enfui dans
la nature… avant de rentrer à Dreux en stop,
puis en train, sans nouvelle de son cousin.
En vingt minutes, 92 kg de cannabis, empa-
quetés dans le cofre de la Golf, changent
de main. Dans la foulée, la vidéosurveil-
lance rue Sylvabelle montre la Mercedes et
ses deux occupants, gantés et équipés de
masque anti-Covid, déchargeant du cofre
« un grand sac ». S’agit-il d’un corps ?
“Un coup de bâtard de Momo”
En in de journée, ce 16 juin, à la demande
de la Mouche, Nawel et Paola reviennent
au salon de massage de la rue Sylvabelle.
Entre-temps, elles ont fait des courses dans
un Bricorama, achetant du scotch toilé, des
sacs-poubelle et des produits d’entretien.
Le 17, à 1 h 36, une Kangoo se gare devant le
salon. Deux hommes vêtus de noir, encapu-
chonnés, masqués et gantés, chargent cette
fois « un encombrant colis ». La Kangoo sera
découverte une heure plus tard, incendiée,
dans la commune du Rove… À son bord, les
restes carbonisés d’Ugur T., décédé d’une
balle dans la tempe gauche. Quand a-t-il été
tué ? Dès le guet-apens ou dans le salon de
massage, où le Bluestar, malgré le nettoyage,
révélera des traces de sang et son ADN ?
Un premier coup de ilet policier a lieu
six mois plus tard, le 30 janvier 2023. Devant
les enquêteurs, Chaer Ali Mohamed assure
que « Momo [l]’a niqué » et qu’il n’était question
que du vol de la drogue, pas du meurtre. La
nuit du 16 juin, dit-il, c’est Amra en personne,
par téléphone, qui l’a informé d’un « pro-
blème », avant de lui raconter que le livreur
serait décédé à la suite d’une bagarre dans le
salon de massage. Une demande de rançon
a pourtant été faite à la famille de la victime
avec un téléphone de Chaer Ali Mohamed.
« Un coup de bâtard de Momo », assure ce
dernier aux policiers. Le 2 février 2023, lors
d’une audition, Chaer Ali Mohamed parvient
à s’enfuir de l’Évêché, le siège de la police
marseillaise, en sautant d’une fenêtre du pre-
mier étage, avant d’être rattrapé quelques
rues plus loin ! Avec lui, une demi-douzaine
de membres du clan des Blacks sera placée
sous les verrous au printemps 2023.
L’enquête se resserre ensuite autour de la
Mouche, et les policiers découvrent qu’il vit
à la Santé dans « un certain confort », écrivent-
ils : « Téléphones, chicha, viande, alcool, tabac,
produits stupéiants. » « Grossiste » en drogue,
Amra se montre capable « d’un grand prag-
matisme pour étofer ses revenus », constatent
les enquêteurs, qui démontrent sa totale
implication dans la « préparation et l’exécution
de l’opération marseillaise ». Reste à mettre
la main sur ses deux lieutenants. Grâce aux
comparses qui ont réservé les billets de train,
les policiers identiient le premier, Stéphane
Valcy, un dealer d’Évreux. En garde à vue,
Valcy, après avoir nié en bloc, assure être resté
au salon de massage, en surveillance, puis
avoir simplement nettoyé les lieux. Selon lui,
la victime « était morte » à son arrivée… Mais
pas question pour lui de désigner l’homme
avec lequel il a fait l’aller-retour à Marseille.
Qui est-il ? À ce jour, la police dispose d’un
nom, mais pas d’une identiication formelle.
Ce lieutenant de la Mouche a-t-il pu jouer
un rôle dans son évasion d’Incarville ? Il est
aujourd’hui très activement recherché. M
 Marianne DÉCRYPTE
Défaite de famille

Valérie Hayer,
anatomie d’une
chute annoncée
Propulsée tête de liste de la majorité pour les élections
européennes, Valérie Hayer, inconnue du grand public,
a entamé une lente descente dans les sondages.
Si elle n’a pas totalement explosé en vol, elle n’a jamais
été en mesure de concurrencer le candidat du RN,
Jordan Bardella. Bien au contraire, elle sent désormais
le souffle de Raphaël Glucksmann sur sa nuque…
Comment la Macronie en est-elle arrivée là ? Par Maël Jouan
la parole publiquement sur le plateau de
29 FÉVRIER France Inter le 12 novembre 2023. Se sont
ensuivis la quête efrénée d’un profil idoine
Intronisation et autant de ballons d’essai dans la presse.
Stéphane Séjourné, candidat naturel, a dû
d’une inconnue
Valérie Hayer la veut-elle vraiment,
laisser sa place en entrant au gouvernement.
Clément Beaune s’imaginait bien volon-
cette place de numéro un sur la liste ? tiers le remplacer. Mais l’ancien protégé de
« Non ! », avoue un de ses colistiers. Mais à Macron a commis quelques semaines plus
trois mois et demi des élections, il devient tôt un crime de lèse-majesté en s’opposant à
plus qu’urgent d’investir une tête d’aiche. la loi Immigration. Alors les hypothèses ont
Jordan Bardella est déjà parti depuis long- fusé. Les chefs à plumes ont imaginé sortir
temps et caracole en tête des sondages. le septuagénaire Jean-Yves Le Drian de sa
Comment une inconnue du grand public retraite dorée – il parcourt le Proche-Orient
se retrouve-t-elle à la tête d’une campagne comme envoyé spécial du chef de l’État au
nationale ? Peut-être parce que tous les Liban et préside l’Agence française pour
autres ont refusé. Qui a envie de se prendre le développement d’al-Ula –, sans succès.
des coups, à mi-mandat, alors que la même Pêle-mêle, les noms de l’ancienne Première
majorité exerce depuis sept ans et montre ministre Élisabeth Borne, du commissaire
des signes d’usure ? Le président a bien européen Thierry Breton, de la secrétaire
Jeanne Accorsini / Sipa - Jacques Witt / Sipa

essayé de convaincre Bruno Le Maire, en d’État chargée de l’Europe Laurence Boone

« CDI à Bercy depuis sept ans », selon ses
détracteurs. Mais le ministre de l’Écono-
mie, plus prompt à s’imaginer avec les
habits de chef de l’État qu’assis sur l’un
des 705 strapontins du Parlement euro-
péen, a décliné. D’abord en faisant passer
le message discrètement, puis en prenant
28 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
et de la médiatique députée Maud Bregeon
ont été avancés. Sur les marchés, les mili-
tants s’impatientent, ils ne peuvent pas faire
campagne sans nom. La logistique du parti
ne peut pas non plus imprimer tracts et
aiches. Finalement, Valérie Hayer, tout
juste élue présidente du groupe Renew au
Parlement européen, hérite de la patate
chaude le 29 février et l’officialise dans
le Figaro. « Emmanuel Macron a une nouvelle
fois démontré son incapacité chronique à tran-
cher lorsqu’il s’agit de nomination, s’énerve un
idèle. Il en résulte une cacophonie et l’impres-
sion d’un choix par défaut. Rien de pire pour
entamer une campagne. »
9 MARS
Hayer sous
les projecteurs
Après des mois d’attente, Valérie Hayer
tient son premier meeting le samedi 9 mars, à
Lille. L’événement s’apparente plus à une sor-
tie organisée par des maisons de retraite qu’à
un véritable départ de campagne impliquant
des militants chaufés à blanc. « On sait qu’elle
est bonne députée, nous allons maintenant voir
si c’est une bonne candidate », glisse un conseil-
ler avant sa prise de parole. Comme lors de
son 20 heures quelques jours plus tôt, Hayer
rend une copie propre, sans faute majeure…
mais sans relief. « C’est encourageant ! », glisse
un autre conseiller, tel un professeur à un
élève méritant mais besogneux.
Qu’attendre d’une candidate qui n’était
pas destinée à l’être ? « Ça ne s’improvise pas
du jour au lendemain. C’est encore révélateur
d’un parti incapable de préparer la suite et de
faire émerger une nouvelle génération, pour-
suit le colistier qui n’en veut pas pour autant
à la tête d’aiche. À cette période, elle n’est
pas prête. Déjà, matériellement, Valérie n’a
pas de pied-à-terre parisien. Mais surtout, elle
n’a aucune expérience médiatique, indispen-
sable pour une campagne nationale. » A for-
tiori quand le Premier ministre installe, dès
le meeting de Lille, un duel face à Jordan
Bardella. Une tête de liste Rassemblement
national qualifiée régulièrement par la
majorité de « coquille vide qui brille sur TikTok
et par ses absences au Parlement européen »,
certes, mais également une bête de com,
rompue aux plateaux de télé et habituée
à faire le buzz par de petites phrases chocs
savamment préparées.
Pour se faire un nom, Hayer joue volon-
tiers la carte de sa Mayenne natale et de
sa famille d’agriculteurs. « En pleine crise
agricole, ça claque ! », croit savoir un militant
encore marqué par l’image d’un président
conspué au Salon de l’agriculture à peine
dix jours plus tôt. Un argument qui n’aura
pourtant pas fait autorité bien longtemps.
« Ces génies de Renaissance n’ont aucune idée
du temps long, cingle aujourd’hui un cadre
du parti. Ils se sont dit “banco, on tient le bon
proil”, mais l’agriculture n’est déjà plus un
sujet de campagne. »
20 MARS
Macron sonne le
rappel des troupes…
sans effet
Emmanuel Macron aime taper du poing
sur la table… et le faire savoir dans la presse,
au point de sombrer dans le comique de
répétition pour les observateurs. La cam-
pagne des européennes n’échappe pas à la
règle. À plusieurs reprises, il demande à ses
ministres de se jeter dans la bataille. Dès le
départ, force est de constater que le camp
présidentiel semble en retrait. À Lille, déjà,
les rangs de la majorité sont clairsemés. Les
quelques têtes d’aiche sondées paraissent
frileuses à l’idée de se mouiller.
L’état-major penche du côté d’une
campagne de mobilisation pour un scru-
tin des européennes souvent marqué par
l’abstention. Plutôt que de chercher de
nouveaux soutiens, il faut reconduire aux
urnes les plus de 9,5 millions d’électeurs
ayant glissé un bulletin Macron au pre-
mier tour de la présidentielle 2022. Mais
comment séduire lorsque les « premiers
de cordée » rechignent à la tâche ? « Il n’y
a que des coups à prendre », explique l’un
d’eux, tendance soc-dem, pas franchement
emballé à l’idée d’aller justiier auprès des
électeurs la loi Immigration, la réforme
des retraites et, aujourd’hui, une troisième
réforme de l’assurance chômage. Comme
lui, peu montrent les muscles dans la cam-
pagne. Sur les marchés, la tête du président
agit comme un repoussoir : « C’est cruel
pour Hayer, se désole un député macroniste
historique. En 2017, si une inconnue mettait
la tête de Macron, elle était quasi sûre d’être
élue. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. »
Les troupes macronistes à l’Assemblée
sont à peine plus enthousiastes : « C’est vrai-
ment diicile dans certaines circos. Je ne sais
pas si 30 % de nos députés font campagne »,
juge au doigt mouillé une élue Renaissance.
BESOGNEUSE Pour son premier meeting, le 9 mars,
à Lille, la tête de liste Renaissance a rendu une
copie propre, sans faute majeure... mais sans relief.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 29
 Marianne DÉCRYPTE Valérie Hayer, anatomie d’une chute annoncée
Au QG, on déplore aussi le peu d’entrain
et l’efritement de la base militante. « Il ne
nous reste que les vieux de la vieille, décrit un
membre de l’état-major du parti. On ne sent
plus le feu sacré chez les plus jeunes. » Après
sept ans d’existence et presque autant de
campagne, certains n’hésitent pas à juger
durement leurs petits camarades au com-
portement d’enfants gâtés. « On ne sait pas
vraiment ce que c’est de perdre et de naviguer
avant de rencontrer des vents contraires »,
explique un conseiller.
Et pourtant, l’exécutif finit par entrer
dans l’arène. En témoigne la multiplica-
tion des réunions publiques avec en invi-
tés vedettes quelques ministres en vue.
Ce qui fait doucement rigoler ce même
communicant : « Ce genre de réunion, c’est
le meilleur moyen de montrer à son chef qu’on
en fait sans trop en faire. Nous sommes dans
une campagne nationale. Il faut de la pré-
sence médiatique. » Preuve de ce désinté-
rêt, Jean-Yves Le Drian, encore lui, prend
la tête du comité de soutien de Valérie
Hayer à la mi-avril. « Une blague qui a duré
deux heures », dixit une députée gogue-
narde. Après une matinale sur France Inter,
il disparaît des radars.
25 AVRIL
Encore un
faux départ
Dans une campagne maussade qui ne
démarre jamais vraiment, la majorité croit
longtemps au fameux moment de bascule.
En vain. Des éclaircies porteuses d’espoir, le
camp présidentiel pense pourtant en voir
30 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
plusieurs. Après le rassemblement de Lille,
le QG mise sur l’allocution d’Emmanuel
Macron à la Sorbonne. « On avait défini une
séquence à partir de ce discours pour rythmer
la campagne : la liste, le programme, puis un
second meeting à la Mutualité », explique un
colistier cité précédemment. Seulement,
la prise de parole présidentielle fait pschitt.
« En politique comme au cinéma, les épisodes 2
ne sont jamais aussi bons », poursuit-il, en
référence à un discours sur l’Europe plus
percutant en 2017.
Dix jours plus tard, le parti dévoile, d’un
simple tweet posté un vendredi à 22 h 20
– soit l’heure où les commentateurs sont
plus enclins à commander une tournée qu’à
écrire un papier –, une liste sans grande
nouveauté, qui fait la part belle aux députés
sortants. À trop vouloir installer un duel,
Renaissance se prend encore les pieds dans
le tapis. Les quelques personnalités de la
société civile soufrent de la comparaison
avec celles que dégaine le RN, autrefois
raillé pour son incapacité à attirer des hauts
fonctionnaires. Le programme, dévoilé le
6 mai, ne provoque aucun rebond. Même si
les fondamentaux idéologiques de Renais-
sance sont conservés, la vision développée
dans le projet divise en interne : « Nous ne
sommes pas assez exigeants et critiques sur
l’Europe, glisse un candidat macroniste. Oui,
nous devons dire qu’il n’y a pas d’autres possi-
bilités que l’Europe, mais il faut aussi pointer
les défauts de cette machine lointaine, com-
pliquée, trop administrative, et concéder nos
échecs. Nous avons un côté trop béni-oui-oui ! »
Le meeting prévu à la Mutualité, le 7 mai,
confirme le flop. Certains membres de la
majorité présents n’hésitent pas à filer à
l’anglaise pour savourer la demi-finale de
AFFRONTEMENT Dès le début, la majorité a tenu
à instaurer un duel avec le candidat du RN, Jordan
Bardella, bête de com rompue aux débats télé.
la Ligue des champions de foot plutôt que
d’assister aux dernières minutes du dis-
cours de Valérie Hayer. Bruno Le Maire est
d’ailleurs aperçu au Parc des Princes après
s’être discrètement faufilé vers la sortie.
21 MAI
L’attaque ratée
contre Glucksmann
Obnubilée par son duel avec Jordan Bar-
della, Valérie Hayer est sur le point de se
faire doubler par la gauche. Au premier
débat des têtes de liste, la trentenaire se
résout à décocher une flèche. « Pourquoi
les socialistes à l’Assemblée nationale ont-
ils refusé de voter la loi de programmation
militaire ? », lance-t-elle à un Glucksmann
réclamant une économie de guerre. Les
députés PS, certes peu présents le jour du
vote, avaient pourtant approuvé à l’unani-
mité l’augmentation du budget militaire
porté à 413 milliards sur sept ans…
Le coup, qui semble préparé, tombe à
côté. Et apparaît comme une tentative
désespérée de se démarquer d’un candidat
qu’elle a pourtant adoubé. Au lendemain
de sa désignation, elle déclarait à son sujet,
dans le Figaro : « Avec Raphaël Glucksmann,
on vote à 90 % de la même façon au Parlement
européen. Il devrait être avec nous, et il le sait.
Il serait beaucoup plus eicace pour porter
ses idées et avoir des résultats. » Avec cette
déclaration, elle donnait un blanc-seing à
l’aile gauche de la Macronie, qui voulait se
détourner de la majorité.
Alors, que faire à dix jours du scrutin ?
Certains veulent encore croire à un fré-
missement ressenti lors des multiples
réunions publiques. Et espèrent encore
créer la surprise le 9 juin. « Après tout, il
y a bien toujours une liste qui fait quatre à
cinq points de plus que ce qu’elle est son-
dée », rêvasse un conseiller. À l’Élysée, on
réfléchit encore aux modalités d’action
du chef de l’État pour ces derniers jours
de campagne. Peut-être viendra-t-il galva-
niser ses troupes lors de l’ultime meeting
ce samedi 1 er juin aux Docks de Paris, à
Aubervilliers ? Sept ans après son acces-
Jacques Witt / Sipa
sion au pouvoir, la majorité en est toujours
là : attendre qu’Emmanuel Macron revête
son costume de sauveur. M M.J.
 Élisabeth Badinter
“Les minorités
profitent de notre peur”
Natalité, maternité, démographie, immigration, laïcité, islamisme, néoféminisme,
transactivisme, parité… “Marianne” a échangé avec Élisabeth Badinter, figure du féminisme
universaliste, à l’occasion de la sortie de “Messieurs, encore un effort…” (Flammarion/Plon).
Elle ne mâche pas ses mots. Par Étienne Campion et Isabelle Vogtensperger
Hélène Bamberger / opale.photo

30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 31

 LE GRAND ENTRETIEN
Marianne : Vous écrivez dans Messieurs,
encore un effort… : « Une diminution
structurelle de la natalité dans les pays
industrialisés ne pourrait qu’avoir des
conséquences majeures sur l’économie
et mettre notre modèle social en danger. »
Quels dangers ?
Élisabeth Badinter : Le premier danger est
social et me semble extrêmement grave. Il
concerne les retraites. Chaque génération
paie pour la retraite de ses parents, c’est
entendu. Or nous vivons de plus en plus
vieux, et celles-ci coûtent de plus en plus
cher. Je ne vois pas comment nous pourrions
payer ces pensions étant donné qu’il nous
manquera énormément de cerveaux et de
bras. Par ailleurs, la croissance nécessaire à
notre politique sociale s’efondrerait.
Soyons clairs : nous n’en sommes pas là,
mais j’alerte sur l’hypothèse que la chute
de la natalité continue pendant une quin-
zaine d’années au même rythme. Autre-
ment dit, la situation actuelle sera inquié-
tante si nous n’arrivons pas à limiter cette
chute. Il ne s’agit pas de revenir à la natalité
d’après-guerre, ce serait absurde. Je suis en
outre convaincue que la crise climatique
appelle à un ralentissement important
de notre natalité de jadis. Or, bien que la
natalité commence à diminuer dans cer-
taines régions, comme l’Afrique ou cer-
tains pays d’Asie, elle demeure très haut.
Nous sommes face à un déséquilibre entre
le Sud et le Nord qui n’est pas sans poser
quelques problèmes…
Des problèmes démographiques ?
Je pense que c’est le moment de diminuer
l’immigration, en tout cas l’immigration
illégale. Cela me semble très important pour
une raison politique que tout le monde peut
comprendre : on voit bien que la montée de
l’extrême droite, en Europe et en Amérique,
est flagrante depuis dix ans. Par conséquent,
je ne crois pas qu’on puisse complètement
séparer le problème de l’immigration de
celui de l’extrême droite.
Faut-il juguler l’immigration parce
qu’elle fait monter l’extrême droite
ou parce qu’elle pose des problèmes ?
L’immigration pose en efet des problèmes
qu’on ne veut pas voir. Peut-être avons-nous
échoué à intégrer les enfants de parents de
culture diférente, avec des valeurs opposées
aux nôtres. Et il faut bien reconnaître que la
gauche n’a pas fait son travail, en particulier
en encourageant ces nouveaux immigrés à
conserver l’intégralité de leur culture d’ori-
gine. Pas une seconde on a pensé à intégrer,
32 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
Élisabeth Badinter
sachant qu’intégrer, c’est aussi enseigner
une autre culture : la nôtre.
Une partie de la gauche a voulu faire
montre de tolérance, d’ouverture à l’égard
de ces autres cultures sans percevoir, ou
sans vouloir percevoir, qu’elles pouvaient
être mortifères pour la nôtre. Je ne vais pas
reprendre l’histoire de notre appel « Profs,
ne capitulons pas ! », publié dans le Nouvel
Observateur en 1989, au moment de l’afaire
du voile de Creil, mais à l’époque nous, les
cinq auteurs, n’avons pas été compris par
nos amis socialistes. La gauche pensait que
c’était un devoir d’accepter les gens tels
qu’ils sont arrivés, sans se soucier des valeurs
de la République et de la laïcité. Elle a estimé
que ceux qui s’opposaient à leur point de vue
étaient d’une intolérance insupportable…
Vous aviez dit en 2015 : « Il faut s’accrocher,
il ne faut pas avoir peur de se faire traiter
d’islamophobe, ce qui a été pendant pas mal
d’années le stop absolu. » Les choses n’ont-
elles pas empiré depuis ?
En ce qui concerne le voile à l’école, on est
aujourd’hui en complète contradiction avec
le principe de laïcité, qui laisse à la porte
toute diférence religieuse. Faire du choix
d’une jeune fille le critère absolu devant
lequel les valeurs de la République doivent
s’agenouiller, c’est impensable. Au nom de
cette option (« c’est mon choix »), on ignore
complètement que la liberté ne se définit
pas par « je fais ce que je veux ». En outre,
au nom de cette pseudo-liberté, on interdit
à l’école, à la République, de protéger celles
qui ne veulent pas mettre le voile.
Certaines, dès le primaire, intègrent les
recommandations et les croyances de leurs
parents. On ne peut pas leur en vouloir : c’est
naturel de privilégier la parole de ses parents.
C’est donc à ces derniers qu’il faut s’adresser.
Ils transmettent à leurs enfants leurs valeurs,
fussent-elles en contradiction avec celles du
pays d’adoption. Pourquoi devrions-nous
céder sur les valeurs républicaines et laisser
fleurir des principes contraires aux nôtres ?
Messieurs,
encore un effort…,
d’Élisabeth Badinter,
Flammarion/Plon,
96 p., 14,90 €.
DÉNI Pour Élisabeth Badinter, une certaine gauche
a refusé de voir les problèmes posés par l’absence
d’intégration, comme lors de l’affaire de Creil, en 1989.
Votre camp historique – la gauche –
a abandonné tous ces combats. Ne vous
sentez-vous pas totalement isolée ?
C’est inouï d’avoir vu passer l’antisémitisme
du côté de l’extrême gauche et de constater
comment l’extrême droite tente de récupé-
rer les valeurs républicaines.
J’ai compris que rien n’est irréversible.
Il peut toujours y avoir des retours en arrière,
comme le montre le virage impensable sur
la question de l’avortement en Amérique.
Rien n’est acquis pour toujours, il faut en
tirer les leçons et rester sur ses gardes. Les
minorités profitent de notre peur et de notre
silence pour avancer leurs pions. Reste à
savoir comment on combat la peur.
La nouveauté n’est-elle pas que
la gauche a désormais tendance à pactiser
avec des forces obscurantistes ?
Oui, on le voit par exemple avec l’impéria-
lisme islamiste, qui cherche à imposer sa
loi et qui a une alliance tacite avec le néo-
féminisme, lequel préfère défendre les
femmes voilées plutôt que les Afghanes et
les Iraniennes, opprimées comme jamais
par les fous de Dieu.
Quel regard portez-vous sur l’arrivée de la
question trans dans les luttes féministes ?
J’appartiens à la génération qui a mené de
grands combats pour la cause féministe et
qui n’a jamais rejeté les trans. Ce n’est pas
être anti-trans que de critiquer les mouve-
ments radicaux transgenres ou féministes
qui remettent en cause la science. Pour eux,
la génétique ne compte pas : X ou Y, c’est
Retro / Al Jawad / Chevalier / Sipa
pareil, on peut en faire ce qu’on veut. Il y a là
un mépris de la raison qui est indiscutable.
L’un des grands principes qui semble
s’imposer en ce moment dans nos sociétés
consiste à ne fixer aucune limite à ses désirs
pour qu’ils deviennent des réalités. Or je

trouve cette façon de penser dangereuse.
Le point le plus polémique concerne les
enfants. À 8 ans, on n’est pas à même de
savoir ce qu’il nous faut pour répondre à des
mal-être divers. Je pense que tout processus
de transition doit nécessairement être pré-
cédé d’un suivi psychologique de l’enfant.
Que vous inspire le courant du « féminin
sacré », qui a fait dire à Sandrine
Rousseau : « Je préfère des femmes
qui jettent des sorts plutôt que des hommes
qui construisent des EPR » ?
On est dans l’irrationnel revendiqué. Ces
formules à l’emporte-pièce ne méritent
qu’un haussement d’épaules.
Quelle forme de féminisme pourrait
répondre aux enjeux actuels, alors
que la femme est sommée de s’épanouir
professionnellement, personnellement,
et d’être une mère parfaite ?
À mon avis, et c’est l’objet de cet essai, ce
n’est pas aux femmes qu’il faut désormais
s’adresser, mais aux hommes. Toutefois,
je suis bien consciente que nous sommes
devant une contradiction sans précédent
du point de vue anthropologique. Un indivi-
dualisme extrême s’est développé dans les
sociétés occidentales, c’est ce que j’appelle
Amanda Andrade-Rhoades / AP / Sipa
le « moi d’abord », partagé autant par les
“L’un des grands principes qui s’impose dans
nos sociétés consiste à ne fixer aucune limite à
ses désirs pour qu’ils deviennent des réalités.”
   
     
     



 
  
RIEN N’EST JAMAIS ACQUIS
“Il peut toujours y avoir
des retours en arrière”,
déplore la philosophe,
évoquant le droit à l’IVG
aux États-Unis, qui,
depuis la décision de juin
2022 de la Cour suprême,
n’est plus garanti
constitutionnellement.
Ci-contre, manifestation
féministe à Washington,
le 26 mars.
hommes que par les femmes. De sorte que
ces dernières, qui, de nos jours, travaillent à
temps complet comme les hommes, reven-
diquent également leur épanouissement
personnel et leur liberté. Elles ne veulent
plus cumuler la double journée de travail
avec le stress et la culpabilité qu’engendrent
les obligations maternelles, qui n’ont jamais
été aussi lourdes.
Quelle serait, selon vous, la solution aux
diicultés dans lesquelles le féminisme
et la maternité se trouvent pris ?
Quel efort de la part des hommes
appelez-vous de vos vœux ?
D’une part, en raison d’un individualisme
sans doute exacerbé par le Covid, c’est ce pri-
mat du « moi d’abord » qui compte. D’autre
part, quand on décide d’être mère, on est
sommée d’être une mère parfaite. Et cette
assignation est si lourde, si forte, qu’elle en
devient une des raisons dissimulées de la
chute de la natalité. Le désir de vivre mieux
et le désir d’enfant peuvent se contredire
dans le calcul des plaisirs et des peines.
C’est nouveau dans l’histoire de l’huma-
nité. Vous aurez remarqué que, en général,
lorsqu’on n’est pas encore mère mais qu’on
vit avec un compagnon, le nombre d’enfants
idéal que l’on évoque est toujours supé-
rieur à celui qu’on a en réalité. On en fait
LE 5/7
un peu moins, voire pas du tout. Cela me
semble un droit absolu des êtres humains,
des femmes en particulier, de ne pas faire
d’enfants si elles n’en veulent pas, étant
donné que le prix à payer après pour les
élever devient exorbitant. Pourtant, si les
hommes font un efort pour partager à éga-
lité les tâches parentales et domestiques, on
a une chance de ralentir, et même de stopper
la chute démographique.
Au sujet de l’instinct maternel, dans votre
essai l’Amour en plus, vous expliquiez que,
« au lieu d’instinct, il vaudrait mieux parler
d’une fabuleuse pression sociale pour
que la femme ne puisse s’accomplir
que dans la maternité »…
Je pense en effet qu’il faut plutôt parler
d’amour, un sentiment qui n’est pas auto-
matique et qui se construit au jour le jour.
Je ne voudrais pas qu’on puisse penser que
l’amour maternel n’existe pas.
Vous avez été la première à alerter contre
les potentiels efets pervers de la parité.
N’a-t-elle pas joué des tours à l’émancipation
des femmes par elles-mêmes ?
Elle a eu des efets positifs comme négatifs.
L’avantage de la parité est qu’elle a accéléré
l’accès des femmes à des postes, à des situa-
tions, auxquels elles ne pouvaient prétendre.
On se croit toujours obligé de nommer des
femmes comme on se croit obligé de nom-
mer des personnes « racisées ». Il en reste
quelque chose qui me semble de plus en plus
visible : les compétences sont renvoyées au
second plan dans les critères de recrutement.
Et c’est bien dommage. Je suis un peu agacée
quand on dit « il faut une femme » à tel poste.
Ce ne sont souvent pas ses qualités qu’on
évoque en premier lieu. Avec la parité, je
me suis rendu compte que si on faisait cela
pour les femmes, on le ferait bientôt pour
d’autres « communautés ». C’est ce qui se
passe dans les universités américaines, c’est
ce qui se passe à Sciences-Po depuis que
Richard Descoings en a été le directeur.
La parité a certes accéléré la promotion
des femmes, mais, ce qui me navre, c’est
que ces dernières ont autant de compé-
tences que les hommes et que c’est pour-
tant leur sexe qui est le premier critère de
leur promotion. Je trouve cela humiliant. M
Propos recueillis par É.C. et I.V.
MATHILDE
MUNOS
 À LA VOLÉE
ESSENCE ORDINAIRE
34 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
par Jack Dion
Un Dieudonné
en costume-cravate
près une enquête du Mossad,
A Benyamin Netanyahou a débus-
qué un dangereux antisémite,
une sorte de Dieudonné en costume-
cravate : Karim Khan, procureur de
la Cour pénale internationale (CPI), qui
siège à La Haye. C’est lui qui a requis des
mandats d’arrêt pour crimes de guerre et
crimes contre l’humanité contre trois res-
ponsables du Hamas et deux dirigeants
d’Israël, dont le Premier ministre. Or, pour
ce dernier, l’afaire est très claire : « M. Khan
prend place parmi les grands antisémites
des temps modernes. » Et de conclure : « Le
nouvel antisémitisme s’est étendu des campus
internationaux vers la cour de La Haye. » Tous
les pays qui ont salué l’initiative du procu-
reur de la CPI, dont la France, sont donc à
ranger dans le même sac d’infamie, cou-
pables de l’une des pires formes de racisme.
Le président d’honneur du Conseil
représentatif des institutions juives
de France (Crif), Bruno Benjamin, s’est
par Christophe Guilluy
2027 : le retour
du cirque Pinder
ls sont tous là : Édouard, Marine, Gabriel,
I Valérie, Gérald, Jean-Luc, Xavier, François
B., Olivier. Installé autour d’une grande
table ovale, le petit groupe attend. Confron-
tés à l’indiférence des électeurs, ne sachant
plus comment les séduire, ces candidats
putatifs à la présidentielle ont demandé
audience au pape de la rencontre en ligne.
C’est aujourd’hui qu’il doit les recevoir, chez
lui, au (saint) siège de la compagnie Pinder,
à Dallas. Tandis qu’un retardataire essoulé
s’assoit discrètement – François H. ne igurait
visiblement pas sur la liste des invités –, Sa
Sainteté fait son entrée. François B. bondit
alors sur le coach en séduction et lui baise la
main. Agacé, le saint-père lui frappe violem-
ment le bras et recule. « Cesse immédiatement,
François ! » Le tutoiement est de mise. « Tu dois
comprendre que la servilité dont tu fais (trop)
preuve ne te fera jamais accéder au pouvoir ! »
« Bon, je n’ai pas beaucoup de temps, nous
allons faire un rapide tour de table, je vais vous
dire tout de suite ce qui ne va pas ! » Et de joindre
même demandé, sans rire, si Karim Khan,
« un musulman pakistanais », pouvait être
« neutre » au sujet du conlit israélo-pales-
tinien, compte tenu de sa religion. On ima-
gine la réaction du Crif (et d’autres) si le
procureur de la CPI était juif et que l’on
doutait de ses capacités professionnelles,
et donc de son indépendance d’esprit, en
raison de son ethnie. Mais depuis l’hor-
reur des massacres du 7 octobre, toute
critique d’Israël est considérée par certains
comme la manifestation d’un antisémi-
tisme compulsif, alors même que ce raison-
nement machiavélique est une machine à
fabriquer des judéophobes en série.
Contrairement à ce qui s’écrit ici ou là,
Karim Khan, dans son argumentaire pesé
au trébuchet, ne fait ni amalgame ni équi-
valence entre Israël et le Hamas. Il procède
à un relevé systématique des crimes com-
mis par les uns et par les autres pour en
arriver à la conclusion que les deux violent
les règles fondamentales du droit interna-
la parole à l’index : « Toi, Édouard, cela fait des
années que ça ne matche plus qu’avec des élec-
teurs âgés et bourgeois, il faut que tu optimises
ton profil ! Pour booster ta notoriété auprès des
jeunes et des classes populaires, cache ton orien-
tation libérale et puis parle de pouvoir d’achat,
d’écologie. Ose ! Ose le thème des inégalités, c’est
bien les inégalités, cela génère toujours de good
vibes ! » Le souverain pontife se tourne vers
Marine : « Toi, tu as exactement le problème
inverse, ce sont les seniors qui te bloquent l’accès
au pouvoir ! Tu dois impérativement modifier ta
“pick-up line” 1. Bosse sur le montant des pensions
et la santé, ça plaira aux vieux. »
« Je n’ai pas le temps de m’attarder sur tout
le monde, mais, Gérald, même si tu es un petit
candidat, il faut travailler sur ton image ! Je
ne parle pas de ton visage, non, je parle d’une
photo qui te mettrait plus en valeur, et si tu
montais à cheval torse nu ? Même chose pour
Gabriel, je sais que tu es impatient, mon Gaby,
et que tu aimes ce qui brille, mais évite de liker
uniquement les CSP +, ce n’est plus possible,

tional. En efet, airme-t-il, « toutes les vies
humaines se valent ». Ce principe est loin
d’être unanimement accepté, comme si les
morts ne pesaient pas tous le même poids
sur la balance de la justice. À preuve le refus
d’Israël de fournir le moindre chifre sur le
nombre de morts civils à Gaza. Les petits
soldats de Netanyahou donnent des statis-
tiques pour les cadavres du Hamas, à l’unité
près, mais jamais pour les innocents décédés
sous les bombes. Mais comment font-ils pour
comptabiliser les seuls membres du Hamas
et occulter les civils bombardés ? Mystère et
boule de gomme.
Il en est qui s’accommodent sans état
d’âme de cette dichotomie statistique. Ainsi,
pour Luc de Barochez, chroniqueur du Point,
la situation humanitaire à Gaza est limpide :
« Si l’on déduit les quelque 14 000 à 15 000 com-
battants du Hamas tués revendiqués par Israël
[…] et les civils qui seraient décédés de toute
façon pendant ce laps de temps du fait de la
mortalité naturelle […], il apparaît un ratio com-
battants/civils tués proche de 1 pour 1, ce qui est
bas pour une guerre urbaine moderne. » Osons
le dire : plutôt que d’être considéré comme un
criminel de guerre, Benyamin Netanyahou
mériterait le prix Nobel de la paix. M
like des gens ordinaires, ils sont plus nombreux !
Bon, toi, Olivier, ton cas est désespéré, comment
veux-tu faire exister le socialisme avec un profil
aussi sinistre, franchement ? Essaie de créer une
complicité entre le peuple et toi. »
À la gauche du saint-père, un candidat
méfiant le toise. « Jean-Luc, toi, ton problème
c’est la target2, tu ne peux te contenter de l’élec-
torat de banlieue que tu fantasmes, c’est bon
pour faire mousser ton ego, mais ça ne suf-
fira pas. Tu as pensé aux classes populaires,
tu sais celles que tu appelais jadis la classe
ouvrière ? ». Le pape, qui a zappé Xavier et
Valérie, est déjà en train de quitter la salle
quand il aperçoit un candidat qui s’agite :
« François, un ancien président ne devrait pas
swiper3 et liker autant, ta notoriété devrait te
rendre naturellement attractif, non ? »
Revenant sur ses pas, il interpelle deux can-
didats : « Édouard, Marine, approchez. Vous savez
qu’en vous abonnant à la formule Pinder Plati-
nium vous pourriez mécaniquement multiplier
votre nombre de matchs par trois ou quatre ?
C’est un peu cher, mais cela vous garantirait
l’accession directe au second tour. Intéressés ? » M
1. Phrase d’approche pour accrocher une personne
sur les réseaux. 2. La cible. 3. Geste du déplacement
du doigt sur l’écran tactile.
Au laser par Chloé Morin
Le plongeon
d’Hidalgo
ans la vie politique, il faut savoir
D se mouiller. Faire preuve d’au-
dace, viser le plus haut plon-
geoir. Mais gare aux symboles
qui peuvent vous faire couler. En
1988, Jacques Chirac promettait déjà de
rendre la Seine propre à la baignade et
d’être le premier à y piquer une tête. Le
maire de Paris récidivait deux années
plus tard dans l’émission « La marche du
siècle ». Les Parisiens s’en souviennent
encore. Cet épisode raconte ces respon-
sables politiques qui promettent la lune
sans jamais pouvoir la décrocher.
Pourquoi diable Anne Hidalgo, déjà en
diiculté dans les sondages en vue des
municipales de 2026, vient-elle emboî-
ter le pas à son illustre prédécesseur en
annonçant qu’elle se baignera le 23 juin ?
En 2023, la maire de Paris déclarait
fièrement : « Nous l’avons fait », promet-
tant l’ouverture de trois sites de bai-
gnade pour l’été 2025. Or, début avril,
après une série de prélèvements, l’ONG
Surfrider Foundation Europe alertait
sur la présence de bactéries à un taux
très largement au-dessus des seuils,
notamment l’Escherichia coli. Les auto-
rités contestent ces analyses, dénonçant
des méthodes de prélèvement biaisées.
La baignade est interdite à Paris
depuis… 1923 ! Cela en dit long sur la hau-
teur du défi qu’Anne Hidalgo cherche à
relever, une étape obligée pour une ville
qui prend l’enjeu climatique au sérieux.
Ce serait pour elle une manière specta-
culaire de plonger au cœur de la bataille
des prochaines municipales, un saut de
l’ange qui marquerait les esprits, le coup
du siècle dans la capitale ! Qui éclabous-
serait tous ses adversaires, au premier
rang desquels Rachida Dati, elle-même
appelée à se mouiller dans la périlleuse
réforme de l’audiovisuel public. Hidalgo
a eu l’habileté de ne pas se placer seule
en première ligne, puisque le préfet de
police de Paris, Laurent Nuñez, et celui
d’Île-de-France, Marc Guillaume, sont
priés d’enfiler leurs maillots de bain.
L’État à la baille !
Mais attention au retour de bâton.
Car il y va de la baignade dans la Seine
comme de la courbe du chômage ou de
la montagne de dette publique : pour
surnager, encore faut-il parvenir à réunir
les conditions pour éradiquer ne serait-
ce que la redoutable E. coli… Pendant les
jeux Olympiques, dont chacun craint
qu’ils ne tournent au fiasco sécuritaire
ou organisationnel, une épidémie de
gastro touchant les athlètes du monde
entier ferait mauvais genre…
Les Français aiment l’audace de ceux
qui osent encore des coups politiques,
mais se montrent impitoyables avec les
coups de com ne débouchant jamais
sur rien. Nous ne sommes, hélas, plus
en 2007, où les campagnes présiden-
tielles de Nicolas Sarkozy et de Ségolène
Royal avaient renouvelé le genre et fait
rêver leurs électeurs. La défiance envers
les politiques est désormais abyssale,
chargée de la déception vis-à-vis d’un
président qui promettait en 2017 un
« nouveau monde ».
Avis tout de même à ceux qui disent
à la maire de faire attention à ne pas
boire la tasse, Anne Hidalgo rétorque
qu’elle montrera qu’elle sait encore
bien nager… M
- Marianne - 35
 Marianne VOUS RAFRAÎCHIT LA MÉMOIRE
Quand le jazz est là
L’Américain qui fit danser
les Françaises libérées
POURQUOI ON EN PARLE Il y a quatre-vingts ans, le chef d’orchestre Glenn Miller disparaissait
dans un accident d’avion. Il était devenu le musicien emblématique de la Libération, dont
le titre “In the Mood” est toujours joué au mois de juin en Normandie. Par Stéphane Koechlin
Q
uand les Américains débarquent en
Normandie le 6 juin 1944, ils portent
leur équipement habituel, le fusil
semi-automatique Garand M1, une
baïonnette et du matériel médical.
Mais leur besace contient un autre objet,
bien plus dangereux pour les fascistes qu’une
mitrailleuse : les V-discs (« V » pour « vic-
tory »), ces 78-tours contenant des airs de
leur pays, gravés spécialement pour eux. En
ofrant ce cadeau à ses boys, le gouvernement
tente de soigner leur moral. S’ils ne meurent
pas sur les plages, les p’tits gars du New Jersey
ou du Texas feront danser les Françaises.
L’idée de débarquer avec tambours et
trompettes est venue d’une situation so-
ciale explosive. Depuis 1942, les musiciens
ne travaillent plus. Leur puissant syndicat
reproche aux maisons de disques de ne pas
36 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
leur verser assez de droits. Un collection-
neur mélomane, George Robert Vincent, se
désole de voir tous ces créateurs au chômage
et les studios fermés. Pourquoi les artistes
n’enregistreraient-ils pas des titres destinés
exclusivement aux soldats ? Ils ne seront pas
commercialisés. Cette promesse convainc
le patron du syndicat, James Petrillo.
Soft power avant l’heure
Entre 1943 et 1949, 900 V-discs seront gra-
vés. Ils contiennent des succès anciens, des
captations de concerts mais aussi des inédits,
de tout style – classique, chanson, folklore,
jazz… Chaque microsillon commence par
une prière ou un message d’encourage-
ment. Quatre millions d’exemplaires cir-
culeront sur les fronts, de la Normandie au
Pacifique. Le jazz, très populaire au sein des
troupes américaines, se répandra en France
dans le sillage des Jeep étoilées. On ne parle
pas encore de soft power, cette capacité
de séduction d’un État qui s’empare des
consciences pacifiquement avec sa culture,
ni de ce « fétichisme de la marchandise » que
dénoncera vingt ans plus tard Guy Debord
dans son essai la Société du spectacle. Ce
que nous ofre à l’époque l’Amérique n’est
Hulton Archive / Getty Images - Bridgeman Images
pas le cofre-fort Taylor Swift mais la belle
mélancolie de Duke Ellington, l’éclat mutin
du trio vocal féminin The Andrews Sisters,
ou ce charmant capitaine qui restera asso-
cié au V-disc et à la libération de la France
pendant ce bel été 1944, Glenn Miller, trom-
boniste et merveilleux chef d’orchestre. On
peut légitimement penser que les bals des
villages normands qui célébreront le 80e an-
niversaire du Débarquement introduiront

deux éléments indispensables au souvenir :
la Jeep et l’orchestre de jazz. Et le thème
In the Mood, on vous en fait le pari, devrait
igurer au programme.
C’est pendant un autre été, en août 1939,
que Glenn Miller enregistra ce morceau
qu’il n’avait pas composé mais réarrangea
avec une fameuse intro en forme d’appel,
des cuivres swing et doux comme le miel,
joyeux et mélancoliques. Glenn Miller est
un homme de la classe moyenne, blanc,
bon mari, bien sous tous rapports. Quand la
guerre éclate, les afaires marchent bien pour
lui. Il a placé plusieurs titres au sommet des
charts – Moonlight Serenade, Tuxedo Junction,
Pennsylvania 6-5000 et, bien sûr, In the Mood.
Cet arrangeur onctueux est aussi un patriote.
En 1942, il tourne le dos à la gloire et s’engage
dans l’armée sans se douter que cette déci-
sion forgera sa légende. Le chef Eisenhower
n’ignore rien de l’inluence d’un musicien
populaire comme lui. Miller réenregistre
sur un V-disc son fameux In the Mood. Puis
le commandement le promeut capitaine et
POPULAIRE l’envoie en Angleterre, avec comme mission
En 1942, le chef d’investir la radio européenne, beau pro-
d’orchestre et
tromboniste Glenn montoire avancé à l’heure où les Américains
Miller a déjà placé préparent le Débarquement.
plusieurs titres au
sommet des “charts”. Mort symbolique
Son engagement
dans l’armée forgera Glenn Miller s’installe dans le studio
sa légende. de la BBC, à Bedford, et produit une série
d’émissions au titre ironique, « Music for the
En Normandie, le bel Wehrmacht », dans lesquelles il introduit
été 1944, comme ici
au bal du 14 Juillet ses morceaux en allemand, ier de perver-
à Cherbourg, vibre tir les nazis avec sa « musique dégénérée de
au rythme des tubes nègre ». C’est ainsi que son image iconique
gravés sur les V-discs
de Glenn Miller, – singulière – de chef d’orchestre en uniforme
de Duke Ellington ou dirigeant son big band commence à circuler.
des Andrews Sisters. Parmi tous ses standards joués et rejoués, la
pièce In the Mood infuse comme un bon thé de
l’autre côté de la Manche, au fur et à mesure
que les Allemands reculent. Quand Paris
est libéré, il rêve de se produire à l’Olympia,
devant un public amoureux et en liesse. Glenn
boucle sa valise et, le 15 décembre 1944, ile
à l’aéroport. Mais son avion disparaît sans
laisser de traces. Les complotistes déjà à
l’œuvre accuseront les services d’espionnage,
les nazis, un bombardier anglais qui l’aurait
abattu par erreur. Cette mort symbolique
l’emprisonnera dans l’espace-temps de l’His-
toire. En 1949, le FBI détruira les matrices des
V-discs mais préservera leurs stocks, que les
Domaine public - Museo del prado
collectionneurs recherchent à prix d’or, même
si beaucoup de ces documents ont été perdus.
Glenn Miller, héros et martyr de l’incroyable
année 1944, aurait pu expliquer sa postérité
en citant cette phrase de Corneille : « Nos
plus heureux succès sont mêlés de tristesse. » M
Le classique à (re)découvrir
“SATURNE DÉVORANT UN DE SES FILS”
DE FRANCISCO DE GOYA
Tuer la concurrence
dans l’œuf
La force des récits mythologiques, tout comme
de la peinture, réside dans la capacité à représenter
et à mettre en scène un sentiment universel.
Dans Saturne dévorant un de ses fils, de Francisco de
Goya, perce la peur. Celle de se voir détrôné par les siens.
Saturne – pendant romain de Cronos – mange ses enfants.
Dans le regard du titan, le peintre espagnol représente
l’efroi d’un homme face à la crainte de perdre son pouvoir.
Une allégorie qui n’est pas sans faire écho aujourd’hui à de
nombreux personnages politiques. François Mitterrand en
son temps, mais aussi Emmanuel Macron, peu pressé de
se trouver un héritier. Sans oublier Jean-Luc Mélenchon,
car le chef de La France insoumise cultive l’image d’un
homme autoritaire qui se veut charismatique, entouré
d’épigones et non d’égaux. Le mouvement tourne autour
de sa personne, dans une entreprise qui se présente
aussi « gazeuse » qu’égocentrique. Le sujet de l’héritier
se refuse à être pensé. « Après moi, le déluge. » Comme
pour Saturne, la succession apparaît inenvisageable.
Ce tableau appartient aux « Peintures noires » de Goya,
ces 14 créations qui n’avaient pas vocation à être
présentées au public. Âgé de 73 ans, l’artiste espagnol
était malade et soufrait aussi de mélancolie. Sur les murs
de sa demeure, non loin de Madrid, il peint plusieurs de
ces œuvres particulièrement sombres, dont Saturne, sur
les murs de sa salle à manger. Une création qui pourrait
s’inspirer de celle de Rubens qui porte pratiquement le
même nom et date de 1636. Selon la mythologie, l’un des
ils du titan devait le renverser et prendre la place du
maître du temps. Le sachant, Saturne dévore chacun des
nouveau-nés. Jusqu’à ce que sa femme lui apporte une
pierre enveloppée dans du linge qu’il avale, ce qui cause sa
mort. Le temps reprend alors ses droits. L’enfant Jupiter
est ainsi sauvé et la succession assurée. Le temps passe
et suppose la mort des pères. M Rachel Binhas
FRANCISCO
DE GOYA
Saturne
dévorant
un de ses fils
(entre 1819
et 1823).
PIERRE
PAUL RUBENS
Saturne, père
de Jupiter,
dévore un de
ses fils (1636)
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 37

CULTURE
LITTÉRATURE Vous nous suivez ?
Chantal Thomas
et le statut de la liberté
Par Solange Bied-Charreton
Journal d’Arizona,
de Chantal Thomas,
de l’Académie
française, Seuil,
192 p., 21 €.
38 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
LE CONTRE-AGENDA
L
a première fois que Chantal
Thomas est retournée au cinéma
après le confinement, elle est
allée voir Seule la terre est éternelle,
un documentaire de François
Busnel et Adrien Soland consacré
à l’écrivain américain Jim Harrison.
Devant l’immensité des paysages
de l’Ouest américain qui s’aichent
à l’écran, l’académicienne (aujourd’hui
âgée de 78 ans) reste sans voix ; et ses
quelques mois passés en Arizona à
enseigner à l’université de Tucson en
1982 lui reviennent avec émerveil-
lement. « Ce film, nous confie-t-elle,
m’a fait considérer ce séjour comme un
moment important de ma vie. » C’est
la raison qui l’a poussée à publier ce
Journal d’Arizona, qui court de janvier
à juin 1982 et comporte également des
notes sur son escapade au Mexique,
entre Mexico, Oaxaca, San Cristóbal
et Mérida, au gré de ses envies.
En lisant ces pages, qui mêlent
choses vues, considérations sur la
littérature (elle est alors visiting assis-
tant professor et donne un cours sur
la Vie de Marianne, de Marivaux), son
quotidien, ses amants, ou encore des
récits détaillés de ses rêves, on devient
le compagnon de route d’une jeune
femme qui a fait de la liberté (d’aller
et venir, d’aimer, de renoncer au ma-
riage, d’apprendre et d’enseigner) sa
raison de vivre. « Chaque génération
de femmes se dessine en fonction d’un
rapport à la vie de sa mère. Les femmes
de ma génération, qui ont vécu Mai 68,
accordaient une importance particulière
au choix d’avoir ou non des enfants, rap-
porte-t-elle. Un autre mode de vie était
possible, Simone de Beauvoir, Violette
Leduc en avaient témoigné… » À juste
titre, le séjour arizonien de Chantal
Thomas advient dans un contexte de
rupture. Alors qu’elle s’est établie à
New York, son compagnon, le poète
Peter Orlovsky, la presse de fonder
une famille ; elle prend la tangente. En
Arizona, elle renoue avec l’esprit de
On the Road, de Kerouac, l’un de ses pre-
miers coups de cœur littéraires quand
elle était au lycée d’Arcachon. « Il y a
une liberté dans la prose américaine qui
ne se fixe pas sur une intrigue, qui se déve-
loppe au fur et à mesure, comme dans les
romans picaresques, ce pour quoi j’aime
tant le Neveu de Rameau, de Diderot. »
Barthes, l’inspirateur
Le XVIIIe siècle, période à laquelle
elle a situé des romans qui l’ont fait
connaître du grand public, comme les
Adieux à la reine (2002) ou l’Échange
des princesses (2013), Chantal Thomas
y est entrée avec le marquis de Sade.
« Une grande partie de son œuvre est une
admonestation philosophique en faveur
de la liberté et du désir, ce que l’on oublie
au profit des scènes orgiaques », rappelle
celle qui a suivi un cursus en philo-
sophie. La thèse de doctorat qu’elle
consacrera à Sade aura pour direc-
teur Roland Barthes, avec lequel elle
finira par se lier d’amitié. « Avant cela,
j’avais intégré son groupe de travail avec
les étudiants, dont le résultat est le livre
S/Z [consacré à l’analyse d’une nou-
velle de Balzac]. C’était la première fois
qu’un professeur m’inspirait vraiment.
Barthes avait un talent particulier pour
lier un sens très élevé de la recherche in-
tellectuelle avec un rapport afectif aux
étudiants », se souvient-elle, nous pré-
cisant que le grand sémiologue avait
pour habitude de lui faire ses retours
sur son travail de doctorante en lui
écrivant des cartes postales… De cette
jeunesse insouciante, rien ne semble
avoir été entamé, tant la vivacité et
l’indépendance de son esprit, le sens
de la justesse, l’amour de la littérature,
semblent toujours guider notre écri-
vaine septuagénaire. En plongeant
Philippe Matsas / Le Seuil
la tête la première dans le Journal
d’Arizona, vadrouillant dans le désert
de Sonora, admirant les fleurs de cac-
tus, le lecteur approchera au plus près
l’expérience d’une liberté totale. M
 Courez-y !
EXPOSITIONS. Existe-t-il, en France,
un lieu serein pour circuler parmi
les œuvres d’art ? Au Danemark, oui :
au musée d’art moderne Louisiana,
au nord de Copenhague, face à la mer.
Mais dans l’Hexagone ? On ne connaît
pas plus charmant que la Fondation
Maeght, créée en 1964 à Saint-Paul-
de-Vence (Alpes-Maritimes) par le
couple de marchands d’art, éditeurs et
lithographes Marguerite et Aimé Maeght.
Cet été, le lieu fêtera donc ses 60 ans à
travers une exposition estivale « Amitiés,
Bonnard-Matisse »,
l’inauguration de
nouvelles salles,
et un mois (juillet)
de célébrations
avec concerts,
danses, projections
de films et lectures.
BEAUX-ARTS Alors que le Studio Ghibli,
créé en 1985 par Hayao Miyazaki, vient
de se voir décerner une Palme d’or
d’honneur pour sa contribution au 7e art
(une première pour une société de
production), la Cité internationale
de la tapisserie, à Aubusson (Creuse),
annonce la création d’une nouvelle œuvre
géante inspirée par l’univers du maître
japonais. Après Princesse Mononoké,
le Voyage de Chihiro et le Château
ambulant, cette quatrième tapisserie XXL
(31 m²) sera consacrée à Mon voisin
Totoro. Un appel à contributions (via
KissKissBankBank) sera lancé le 13 juin.
TÉLÉVISION Au secours !
Écrans : il faut voir comme on nous parle…
Si Alain Souchon devait enregistrer
une version remise au goût du jour
de Foule sentimentale (sa chanson
a déjà 30 ans), il serait peut-être tenté
de compléter la phrase qui donne
son titre à ce billet. Version actualisée :
« Il faut voir comme on nous parle…
comme à des gros débiles qui ont les yeux
rivés sur leur téléphone portable, et
regardent parfois des vidéos sans le son
mais avec du texte intégré. » Il conviendra
donc d’allonger comme suit le couplet
caustique de maître Souchon : « Il faut
voir comme on nous parle, et comme
ON NOUS ÉCRIT EN TRÈS GROSSES
LETTRES INCRUSTÉES DANS L’ÉCRAN
CE QUE LE MONSIEUR OU LA DAME
EST EN TRAIN DE DIRE. » Le procédé est
horripilant, mais il a un avantage certain :
donner le sentiment qu’on nous délivre
une parole essentielle, alors même que
le monsieur ou la dame en question nous
ennuie aussi profondément qu’un bulot
sans mayo. Chaque soir, sur France 2,
le mini-programme promotionnel
« Basique », financé par les producteurs
de disques, abuse de ce maquillage
cache-misère : quand le dernier chanteur
juvénile de pop à la mode sur la Côte
basque nous explique, l’air inspiré, que
Ne passez pas à côté
son disque a, selon lui, un parfum de
crème solaire, le réalisateur de l’émission
superpose CRÈME SOLAIRE en grosses
lettres jaunes sur nos écrans. Youpi. Puis,
« j’ai écrit cette chanson en hommage à
NELSON MANDELA ! » Et hop ! grosses
lettres vertes en plein écran, histoire de
bien saisir l’intensité du message ! « Parce
que Mandela, quand même, c’était le
COURAGE (grosses lettres bleues) et
la LIBERTÉ (grosses lettres roses)… »
Quelle remarquable éloquence, on en a
des frissons. Cette façon de taper
l’incruste à tout bout de phrase a même
gagné le Festival de Cannes. Tous les
soirs, sur Canal+, des critiques de cinéma
transformés en marionnettes du « Muppet
Show » doivent donner leur sentiment sur
les films du jour, si possible en simulant
l’orgasme du cinéphile. « J’ai trouvé ce
film SUPER », dit l’un. Et hop ! on ajoute
un SUPER en grosses lettres sur l’écran !
« On peut même dire que c’est du “CINÉMA
VRAIMENT PUISSANT” », renchérit sa
collègue, totalement habitée, sauf qu’on
ne voit plus sa tête car elle est masquée
par l’incrustation… Le poète René
de Obaldia disait de la télévision qu’elle
était le « chewing-gum de l’œil », ça n’a
jamais été aussi vrai. Emmanuel Tellier

LIVRES Il se rêvait chanteur d’opéra mais PHOTOGRAPHIE

n’avait, de son propre aveu, « ni la voix
ni les oreilles ». Alors Enzo Ferrari, né en
1898, à Modène, a décidé de concevoir
des voitures. Ce qu’il fit avec un certain
succès… jusqu’à sa disparition, en 1988.
Sa biographie n’avait jamais été traduite en
français. Impair réparé par les excellentes
éditions Séguier, sous le titre Enzo Ferrari.
Le vertige de la vitesse (224 p., 21 €).
RENCONTRES Quel est
le point commun entre
le dessinateur de BD
Christian Durieux,
Waterborough / CC - DR - Hannah Assouline
Hannah Assouline :
jeux de mains,
jeux d’écrivains
Elle a fait de la littérature
sa colonne vertébrale ; des
livres, ses paradis artificiels. Alors,
depuis plus de trente ans, Hannah
Assouline, photographe de presse,
fait défiler derrière son objectif SALMAN RUSHDIE Le portrait de l’écrivain en 2018 et, en regard, gros plan
nos grands écrivains, de Philippe sur sa main. Hannah Assouline a réuni sur ce principe 150 écrivains.
Soupault à Annie Ernaux. L’ouvrage

l’architecte Rudy
Ricciotti, le philosophe
Étienne Klein et le prix Nobel de physique
2022 Alain Aspect ? Ils font partie des
100 passionnés qui raconteront aux ados
et aux jeunes adultes leurs « vocations »
lors du festival du même nom, à
Marseille, au Mucem, du 30 mai au 1er juin.
qu’elle leur consacre regroupe 150
d’entre eux : sur la page de gauche,
un portrait, sur celle de droite,
un gros plan de leur(s) main(s).
D’un côté, la représentation
classique, de l’autre, la révélation
intime. Car ces mains, qui couchent
sur le papier ou pianotent sur
un clavier le corps d’un livre, sont
bel et bien « l’autre visage des
écrivains », comme l’écrit Jérôme
Garcin dans sa préface. Une approche
sensible, incarnée, de ces fabricants
du verbe. Frédérique Briard
Des visages et des mains, de
Hannah Assouline, Herscher, 320 p., 27 €.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 39
 C’EST SON COMBAT

PROFESSION : OUVRIER À LA RETRAITE ÂGE : 64 ANS
VILLE : CLERMONT-FERRAND (PUY-DE-DÔME)
Je veux un
management
respectueux”
Ancien ouvrier de Michelin, habitué du travail
de nuit en usine, Jean-Michel Frixon fait
aujourd’hui le tour des écoles prestigieuses
en France, en binôme avec un ancien dirigeant
du groupe, pour témoigner de son histoire
douloureuse au travail. Par Violaine des Courières

L’
antithèse du consultant à la
McKinsey. Lorsqu’il parle, on com-
prend ce qu’il dit. Pas de tartines sur
le développement personnel. Du
concret, clair, net, précis. Quand il
évoque la supervision des équipes, il en
arrive à mentionner l’importance de la poli-
tesse, comme de dire bonjour à l’autre en le
regardant dans les yeux. Après quarante-
trois années passées au sein de l’entreprise
Michelin, cet ancien ouvrier fait désor-
mais la tournée des écoles les plus presti-
gieuses – Les Mines, l’École centrale, écoles
de commerce. Récemment, il a donné une
conférence au Medef. Il intervient en binôme
avec Jean-Christophe Guérin, directeur
industriel de Michelin, à la retraite depuis
peu. Son combat tient en un mot : respect.
D’accord, ces sept lettres reviennent comme
un leitmotiv en ces temps de fragilité et
peuvent vite se transformer en une recette
de tarte à la crème managériale. Mais ce
mot-contenant va dépendre du contenu.
Alors, que met-il à l’intérieur ? L’atten-
tion aux autres et sans doute aussi un
s’apprêtait à abandonner ses études. Plus
récemment encore, lors d’une séance de
dédicaces, une dirigeante en ressources
humaines du CAC 40 s’est efondrée en
pleurs en lui racontant qu’elle faisait l’ob-
jet de pressions de la part de sa hiérarchie
pour mettre en œuvre des méthodes
managériales brutales.
“Se reconstruire”
De fait, Jean-Michel Frixon a ressenti
jusque dans sa chair les efets d’un mau-
vais ou d’un bon management. Durant ses
quatre décennies passées dans les usines, à
faire les trois-huit ou à travailler au service
courrier de Michelin, il a subi l’indiférence
et, pis, le mépris de petits chefs. « Vous êtes
un parasite », lui a lancé l’un d’entre eux,
ciblant son CV sans diplôme, au moment
de le licencier du service où il était arrivé
à force de grimper les échelons. Une de ses
collègues, évincée en même temps que lui
dans le cadre d’un plan social, s’est écriée en
sanglotant dans le couloir : « Nous sommes
comme des mouchoirs qu’on balance ! » Peu de
Coïncidence. Quelques mois plus tard, il
intégrait à nouveau Michelin, mais cette fois
en usine, au plus bas de l’échelle. Son supé-
rieur hiérarchique n’était autre que le mari
de cette collègue décédée. « Il a été comme
un second papa pour moi. Il m’a permis de me
reconstruire », rapporte avec émotion Jean-
Michel Frixon, qui, en 2021, a raconté son
histoire dans Michelin, matricule F276710
(Nombre7 éditions). Après la publication
de cet ouvrage, il est contacté par Florent
Menegaux, le PDG de Michelin. Ce dernier
lui demande de faire la tournée des usines
en France pour rencontrer les ouvriers
et sonder leur management. À la suite de
cette mission, la direction a décidé de faire
intervenir des ouvriers chevronnés dans
ses formations au management en interne,
d’abord en Espagne et aux États-Unis,
bientôt en France.
En 2023, Jean-Michel Frixon publie
L’ouvrier qui murmurait à l’oreille des cadres,
chez le même éditeur. « Lorsqu’on parle de
management aux cadres, personne ne leur
fait part du respect et de la considération dus
Pascal Aimar / Tendance Floue 2024

peu de cœur. « Respectez votre entourage temps après, elle s’est jetée sous un train. à toute personne », s’insurge-t-il. M
et vous ferez des miracles », martèle-t-il.
Souvent, la simplicité et la profondeur de
ce retour à l’essentiel touchent son audi- “Lorsqu’on parle de management
toire. Il y a peu, Jean-Michel Frixon a reçu
une lettre d’un étudiant le remerciant de
aux cadres, personne ne leur fait part de
l’avoir encouragé dans sa vocation, car il la considération due à toute personne.”
40 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
 LE POING SUR LA TABLE
Monuments culinaires
Des soufflés beaux
comme des toques !
Maîtres dans l’art de magnifier la cuisine bourgeoise, Philippe et Sasha Excoffier restituent
la splendeur de ces classiques de la gastronomie française. Un sens du métier aux antipodes
du néo-salmigondis étoilé du “Guide Michelin”.
ussi sublime que puisse être l’art
A moderne, il ne prétend nullement
se substituer à l’art classique, et per-
sonne n’aurait eu l’idée, en 1970, de
démolir Notre-Dame pour y édifier
en lieu et place le Centre Pompidou. La
première est toujours là, sauvée des flammes
puis restituée dans la splendeur de son ori-
gine, tandis que la tuyauterie bariolée de la
seconde, à peine décatie, continue à colo-
rer Beaubourg. Disons qu’en architecture
les styles et les époques cohabitent. Il n’en
est pas de même pour la cuisine oicielle,
consacrée par les guides et les médias, et
qui exige que, pour être conforme aux codes
en vigueur, un chef doive s’éloigner des
fondamentaux de la gastronomie française.
En 2024, et cela sévit depuis une dizaine
d’années, la doxa culinaire ambiante pri-
vilégie les plats où l’on assemble des élé-
ments contrastés ou dissonants, le local et
le lointain, l’insolite et le paradoxal. On ne
se soucie plus de savoir si ça régale mais si
ça décoife, si les mets sont harmonieux
mais s’ils explosent les papilles. La cuisine
contemporaine cultive le mélange des
genres en traitant l’ingrédient comme une
matière première pour trophée créatif, sym-
bolisé par les étoiles du Guide Michelin. Ce
n’est plus le goût du plat qui est la star, mais
l’ego du cuistot. Quel dommage !
Saveurs et parfums nuancés
Aux antipodes de cette mascarade se
trouve l’univers du soulé, quasi disparu du
menu des restaurants et de moins en moins
servi à la maison. Il est vrai que, malgré sa
simplicité et sa modestie de prix, la recette
ne tolère pas le faux pas, surtout au niveau
du temps de cuisson. Classique de la cuisine
bourgeoise, le premier soulé est cité dans
des écrits du cuisinier François Massialot
datant de 1722, avec une crème soulée
par Périco Légasse
de blancs d’œufs, diversifiée et pointée Sans oublier les sucrés, soulé au Grand
d’écorces de citron, mais ce sont André Viard
et Antoine Beauvilliers, célèbres maîtres-
queux du début du XIXe siècle, qui posent les
bases de nos actuels soulés. Aussi déguste-
t-on avec bonheur et gourmandise les souf-
flés que Philippe Excoier et son fils, Sasha,
virtuoses du genre, élaborent dans leur
Marnier, flambé à la minute (16 €), acadé-
mique, ou soulé citron confit meringué
(15 €), simplement divin. Un merveilleux
panel de sensations exquises, témoignant
d’un savoir-faire maîtrisé et d’un respect
absolu des fondamentaux de la cuisine
française. Le temple des soufflés beaux
estaminet parisien. Non pas des soulés comme des toques. M
de belle-mère (genre féminin qui excelle Excoffier père et fils, 18, rue de l’Exposition,
dans l’exercice tout en vous expliquant que Paris VIIe. Tél. : 01 45 51 78 08.
le sien est raté à cause de votre retard…),
même s’ils en ont la rigueur et la bonhomie,
mais des soulés coquins, pleins de
finesse et d’esprit. Des petits bijoux
de tendresse, onctueux et câlins,
auxquels nos deux chefs donnent
une âme façonnée dans la nuance
des textures, des saveurs et des par-
fums : soulé suissesse au fromage
et son velouté au beaufort (21 €), le
classique, généreux et suave ; souf-
flé à la tomate et burrata jus de poi-
vron piquillos et basilic (24 €), aux
accents de la Méditerranée, gra-
cieux et aromatique ; soulé aux
saint-jacques, beurre blanc et
ciboulette (32 €), délicat sous
le palais ; soulé de volaille fer-
mière et morilles, sauce crémée
au cognac (28 €), à haute valeur
culinaire, presque royal, auquel
un sancerre La Poussie 2022
du château de Sancerre donne
la plus exacte des répliques.
“Des petits bijoux
de tendresse,
onctueux
et câlins.”
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 41
 Ô

d’interruption s’impose si ledit stagiaire

Bête, sale et méchant par définition, le salariat utilise rempile pour éviter les faux CDD. Une gra-
mille et un stratagèmes – décorum, rites d’intronisation, tiication minimale (4,35 € par heure de
présence active) est également allouée.
préséances, esprit “corporate” – pour faire du CDI Il va sans dire qu’entre le HEC gominé qui
un Graal à la fois désirable et quasi impossible à décrocher. fait ses armes en fusion-acquisition et la
crevette en jean boyfriend sortie d’une obs-
Parmi ces escobarderies figure en bonne place le “stage”. cure Sup de Co, la gratiication ne sera pas
Par Valérie Hénau du tout semblable…

u temps béni où le monde du travail en passant par toutes les oicines postbac Beaucoup d’abus

A fonctionnait à peu près, l’étudiant

faisait des jobs d’été pour gagner des
sous, puis, sitôt son cursus achevé,
se jetait dans le grand bain. Une nou-
velle étape incontournable s’est imposée
depuis une quarantaine d’années : « Le
stage correspond à une période temporaire
de mise en situation en milieu professionnel
au cours de laquelle l’étudiant acquiert des
compétences professionnelles et met en œuvre
les acquis de sa formation en vue d’obtenir
un diplôme ou une certification et de favori-
ser son insertion professionnelle. » Ce cha-
rabia énoncé par la puissance publique
(gouv.fr) donne assez bien le ton des nou-
velles ambitions. De la classe de seconde à
la grande école de commerce ou d’ingénieur
42 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
privées (avec B pour « business » dans le
nom) et même les masters universitaires,
des légions de « stagios » (leur sobriquet)
ont envahi les entreprises.
Les chifres sont lous (comme parfois
les conventions dites « de stage », juste-
ment), mais on estime que, chaque année,
près de 1,6 million de petits soldats partent
« s’immerger en entreprise » pendant une
ou deux semaines (collégiens) et jusqu’à
six mois (étudiants). La durée a son impor-
tance : le stage n’est rémunéré qu’au-delà
de deux mois, ce qui dans les boîtes avides
de petites mains serviables et dégourdies
peut présenter un intérêt. Tout ce traic de
chair à corvées est néanmoins encadré : la
durée ne peut excéder six mois, et un délai
Sur le papier, l’idée qu’un gommeux aille
apprendre son métier sur le terrain peut sem-
bler séduisante. La réalité est souvent tout
autre. L’abondance d’articles « Comment se
sortir d’un stage abusif ? » sur le site consacré
à l’emploi des jeunes Welcome to the Jungle
ou de récits atroces sur les comptes Instagram
(@balancetastartup, @balancetonagency
[pub] ou @balancetonstage, plutôt focalisé
harcèlement sexuel) est édiiante. Visible-
ment, la start-up nation chère à nos diri-
geants proite à fond du ilon, entassant les
gamins sur des strapontins dans la cuisine,
les morigénant sur les horaires s’ils partent
à 18 heures. Des Thénardier sans scrupules
n’hésitent pas à les envoyer acheter le déjeu-
ner ou garder leurs gosses.
 QUELLE ÉPOQUE !
stage,
ô désespoir !
Il y a, certes, des règles (pas plus de
trois recrues quand on est moins de 20 sa-
lariés). Mais l’usage systématique de sta-
giaires sent l’exploitation à plein nez et les
inances en berne. Côté candidats, le stage
aux vertus tant vantées peut aussi repré-
senter un cache-misère, que l’on se résout
à adopter faute de trouver un contrat à la
in de ses études. Là encore, tout un busi-
ness de conventions de stage appuyées sur
des universités de pays lointains peu regar-
dantes existent. Il suit – façon de parler – de
débourser 500 € pour l’inscription.
Quant aux heureux lauréats de cursus
prestigieux, ce système est pour eux une
panacée, et certaines grandes écoles, no-
tamment de commerce, ne constituent plus
qu’un « ticket » pour un stage top qualité qui
claquera sur leur CV. Pour les autres, c’est
stage bidon après bamboula et BDE. On no-
tera, au passage, que le « bon » stage, comme
tout le reste, est plutôt l’apanage d’étu-
diants issus de classes sociales aisées, aux
parents dotés d’un bon carnet d’adresses.
Car tout ce binz stagiophile témoigne de
l’état dégradé de l’école méritocratique,
temple bienheureux, hors du temps, où l’on
gambadait de Platon à Darwin, en passant
par la Princesse de Clèves chère à Sarkozy !
Les études supérieures sont réduites à un
interlude avant la « vraie vie », celle qu’on
gagne dans une cage en verre.
Entre les deux, le viatique du stage inter-
roge, surtout comparé aux compétences
acquises par l’apprentissage ou l’alternance.
Sert-il à quelque chose, sinon à emmerder
tout le monde ? L’aspirant stagiaire qui
redoute de ne pas décrocher le sien (en
particulier, le fameux et ridicule « stage à
l’étranger ») ; celui qui se trouve embarqué
dans des rounds d’entretiens hallucinants
pour une mission minable ; les parents du
candidat stagiaire, qui doivent solliciter
leurs relations, parfois essuyer rebufades
et humiliations ; ceux qui se tapent la relec-
ture, voire l’écriture, du fastidieux rapport
de stage ; les anciens de telle ou telle école,
mis sans cesse à contribution pour caser
les élèves de leur alma mater ; les salariés,
enin, qui doivent se coltiner le stagiaire,
parfois en troupeau, et jouent – gratos – les
pédagogues. Ou encore ceux qui craignent
la concurrence de la brillante jeune recrue
temporaire qui n’entend pas le rester et
abat un boulot de dingue à cet efet. Bref,
un pur cauchemar ! M
Je hais les stagiaires !
On les accueille, on les chouchoute.
Pourtant, il faut se les farcir ces oisons-là…
Le gros paquet. Un lycéen amorphe, renfermé
(pétriié de timidité ? hostile au capitalisme ?).
Pour son rapport, pose des questions parfois
déstabilisantes sur votre poste. Vous vous
lancez dans une tirade ilandreuse (voire
enlammée) avant de comprendre qu’il
a noté deux mots. Rien écouté, rien compris.
Le népo-baby. C’est le neveu ou la illeule
de l’actionnaire. Plus riche que l’ensemble
des employés de la boîte. Avec son Chanel
ou ses baskets à 1 500 boules, ne fait
que passer avant ses vacances à Paros.
Le furet. Très présent dans les cabinets
d’avocats d’afaires, la inance, le conseil.
Dents qui rayent la moquette. Travaille
quatorze heures par jour et en redemande.
S’il peut boufer son mentor, il le fera !
Le furet démotivé. À la suite d’une erreur
d’aiguillage, a intégré une bonne école qui
l’emm… Observateur malveillant, ricaneur,
parfois un iniltré antisystème à la Juan Branco.
L’esclave. Soufre-douleur enthousiaste,
qui trime et se plie aux corvées les plus
mortiiantes. Culpabilisant quand on n’a
pas la ibre sadique (on gagne dix fois plus
que lui et on en fait trois fois moins). L.A.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 43
 Mieux vaut
en rire !
Cordonniers
bien mal chaussés
Vu à Paris, lors de la journée nationale de grève et de
mobilisation des psychologues, le 23 mai, ce slogan
sur une banderole : « Psychologues en colère ».
Voilà des gens qui gèrent bien mal leurs émotions…

FAIRE FLIPPER à ce ministère, il n’y a

LE DAUPHIN pas une personne de plus
Si Jordan Bardella, à l’approche pour croire en lui !
du scrutin européen,
commence à se voir trop beau, YAËL-BRASSE-
plus beau que Le Pen ille, PAS-COULÉE
il peut méditer cette phrase Lu ce commentaire dans
de Le Pen père à propos le JDD à propos de Yaël
de son propre lieutenant, Braun-Pivet : « Elle a été
Bruno Gollnisch. Une phrase élue députée sur un coup de
judicieusement exhumée chance, puis présidente de la
par Paris Match : « Le destin commission des Lois, et enin
des dauphins est parfois présidente de l’Assemblée
de s’échouer. » Ou de inir nationale alors que personne
en captivité à… Marineland ! n’y croyait. Elle marche
sur l’eau ! Elle est en route
DES DÉÇUS pour 2027 ! » Si vraiment
DE BÉCHU ? « elle marche sur l’eau »,
« Christophe Béchu est qu’elle commence par nous
devenu, explique le Point, décrocher une médaille d’or
le ministre de la Transition en natation aux Jeux, après
écologique le plus longtemps on parlera présidentielle !
en exercice sous Emmanuel
Macron. Cinquième AU NIÇOIS
à occuper ce poste depuis QUI MAL ODORE
2017, l’ex-maire d’Angers, « Nice : un restaurateur
en qui personne ne croyait contraint d’arrêter de faire
lors de sa nomination, des pissaladières à cause
savoure le goût de la des odeurs d’oignons », titre
revanche. » Qu’il « savoure », BFMTV sur son site. Tout
mais qu’il ait tout de même se perd. Un jour, on interdira
conscience que, un an la plus niçoise des spécialités
dix mois et quelques jours niçoises : les rombières
après son arrivée surbronzées sur lit de galets !

TIMBRÉS !
« Insolite : La Poste imprime le timbre baguette olfactif…
qui sent bon le pain chaud ! », annonce le site de France 3
Nouvelle-Aquitaine. « Objectif : séduire les touristes étrangers
pendant les jeux Olympiques », précisent les auteurs
de l’article. Voilà résumée en quelques mots la stratégie de
la direction de La Poste, qui, il n’y a pas si longtemps, a choisi
d’enterrer le très classique timbre rouge : des gadgets pour
les étrangers ; une entreprise saccagée pour les Français.

44 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024

 LA BITE DU JOUR
L’élue écologiste Pauline Rapilly Ferniot,
candidate aux élections européennes en 31e place
sur la liste de Marie Toussaint, s’est présentée
au siège de Radio France déguisée en pénis
et a déclaré : « Cela fait trois semaines qu’on ne
parle que de moi à la radio. Je suis la bite de
Netanyahou. » Si elle n’est pas élue au Parlement
européen, elle pourra toujours se reconvertir
en intermittente du spectacle.

MANON, MAIS NON la boussole ») leur avait

« Aubry prépare ses adieux »,
titre le JDD. Pas de faux
espoirs, il ne s’agit
que de Martine…
BOUCHERIE
ÉLECTORALE ET
CHARCUTERIE
« Emmanuel Macron
voudra rapidement tourner
la page » de la défaite
aux européennes, annonce
le Point. Et de citer son
entourage : « Une actualité
chasse l’autre et, après
les européennes, on sera
tout de suite dans l’Euro
de football et les jeux
Olympiques. » C’est ce
qui s’appelle prendre les
Français pour des jambons.
AU POIL
Un professeur de français
du lycée Saint-Louis de Crest
(Drôme) a proposé à ses
élèves de se mettre nus pour
la Palestine. Voilà qui va faire
chaud au cœur des Gazaouis.
BON VOYAGE
Quatre touristes espagnols
sont morts en Afghanistan.
L’agence de voyages Against
the compass (« Contre
pourtant assuré que le pays
était devenu sûr. Il ne fallait
pas croire Mediapart qui
disait ignorer les intentions
des talibans.
PATIENCE
Après les enfants HPI
(haut potentiel intellectuel),
place aux enfants TOP
(trouble oppositionnel avec
provocation). Interrogé par
le Point, le neuropsychologue
Fabrice Pastor conie :
« Il s’agit d’un enfant avec
un comportement négatif et
provocateur. Il déie l’autorité
des parents, des enseignants,
et peut gêner les autres
enfants. Et ce, de manière
persistante, pendant au moins
six mois. » Le septième mois,
ça va mieux.
IL JOUE AUX CARTES
« Victor Wembanyama a été
aperçu dans un magasin de
cartes à collectionner », titre
Konbini, qui ne lésine vraiment
pas sur le devoir d’information.
Merci de nous tenir au courant
quand le champion de basket
fera ses courses chez Lidl
ou ira acheter des (grandes)
chaussures.

Poutine fan de Ciotti

Éric Ciotti, président de LR, estime que la Cour pénale
internationale « s’est décrédibilisée » en accusant
Israël. Il demande que la France s’en retire au plus
vite. Vladimir Poutine, lui aussi visé par la CPI,
va pouvoir lui envoyer un message de remerciement.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 45
 Mieux vaut en rire !

Espèce de maso !
Le Wall Street Journal a titré avec fracas :
« Ces sabotages que l’Europe hésite à attribuer
à la Russie ». Le Figaro a pris le relais : « En Europe,
des risques accrus de sabotages orchestrés
par la Russie ». D’ici peu, on va nous dire
que le gazoduc Nord Stream, qui permettait
d’approvisionner l’Europe en gaz russe, a été saboté
par la Russie au nom du masochisme énergétique.

SUPPÔT DU TERRORISME majorité présidentielle sort,

Interrogé par le Figaro, Israël
Katz, ministre israélien des
Afaires étrangères, explique
que la décision de reconnaître
l’État palestinien « est une
prime au terrorisme ». Quand
Élie Barnavi, ex-ambassadeur
d’Israël en France, partisan
de la reconnaissance de l’État
palestinien, va apprendre
qu’il est considéré comme
un suppôt du terrorisme,
ça va lui faire drôle.
“LA TRIBUNE
DIMANCHE” SE
LÈVE POUR ATTAL
Dans un article tout
en sobriété consacré
à Gabriel Attal, la Tribune
dimanche explique
que le Premier ministre
« sait que ce duel face
à la tête de liste RN
aux européennes a tourné
à son avantage ». D’ailleurs,
il a été « frappé par
le niveau d’imprécision de
son adversaire » et a « perçu
que son absence de notes
déstabilisait son rival ».
Puis l’hebdomadaire de
s’interroger : « Même si la
le 9 juin, très afaiblie du
scrutin, qui imagine encore
qu’il puisse être invité par le
chef de l’État, le lendemain,
à quitter le 57, rue de
Varenne ? » Pas la Tribune
dimanche en tout cas.
HISTOIRE D’ASCENSEUR
Gérald Darmanin, ministre
de l’Intérieur, a déclaré
au Parisien à propos de
ses relations avec Élisabeth
Borne, ex-Première ministre :
« Elle comme moi incarnons
cette espèce de méritocratie
républicaine. La preuve
que l’ascenseur social existe
en France quand on vient
du peuple. » La preuve
surtout que l’on peut prendre
l’ascenseur social en ignorant
ceux qui restent bloqués
au sous-sol.
MÉDAILLE D’OR
Les Mexicains voteront
pour des élections générales
le 2 juin. Bilan des neuf mois
de campagne : 30 candidats
assassinés et plus de
400 agressions. Un record
qui sera diicile à battre.

LES MEXICAMÉRICAINS
Titre lu dans les Échos : « Le Mexique bien placé
pour attirer les relocalisations américaines ».
Au passage, les citoyens mexicains seront ravis
d’apprendre qu’ils sont devenus américains.

46 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024

ROUES DE SECOURS
Daniel Gálvez, un jeune homme qui rentrait de vacances
aux Baléares, a constaté que sa valise cabine ne rentrait pas
dans les gabarits de bagages mis à disposition par Ryanair
au niveau de la porte d’embarquement. Mais au lieu
de s’acquitter de la somme de 70 € que lui réclamait
le personnel, il a passé plusieurs minutes à enlever les roues
de sa valise sous les ovations de tous les autres passagers.
Il en faut parfois peu pour devenir un héros contemporain.

LA LANGUE en Ukraine en raison

DU MARCHÉ
Extrait d’un article consacré
par les Échos à Slawomir
Krupa, patron de la Société
générale : « Marqué par
son expérience américaine,
lorsqu’il pilotait la iliale
de SG à New York, Slawomir
Krupa a infusé une nouvelle
façon de diriger. Dès son
arrivée, il met en place
un comité exécutif, au sein
duquel on parle anglais. »
Parler la langue du marché,
c’est l’assurance d’être
invité chaque année
au sommet Choose
France, organisé par
Emmanuel Macron.
des perturbations causées
par les tirs d’artillerie, les vols
d’avions et de drones.
En revanche, on note un alux
inopiné de vautours armés
jusqu’aux dents qui se croient
invulnérables.
LE GRAND SAUT
Anne Hidalgo plongera
dans la Seine le 23 juin, soit
un peu plus de un mois avant
le lancement des JO. Reste
à savoir si elle sera ou non
accompagnée par Emmanuel
Macron. Les deux ayant déjà
plongé dans les sondages,
il serait logique qu’ils fassent
ensemble le grand saut.

RECORD DE VITESSE DE QUOI SALIVER

La Chine accélère sa
production de mini-séries
spécialement conçues
pour les smartphones, et qui
connaissent déjà un grand
succès dans l’empire du
Milieu. Leur durée moyenne
étant de une à deux minutes,
autant dire qu’il ne faut pas
rater le début !
VAUTOURS 1 – AIGLES 0
Les scientiiques certiient
que les aigles « criards »,
classés vulnérables, fuient
les zones de combat
Un jeune homme originaire
de Maroilles (Nord) a fait
une drôle de découverte
dans un produit commandé
au comptoir d’un McDonald’s
à Caudry, non loin de
Cambrai. En croquant dans
son sandwich, il y a découvert
un escargot. Mécontent,
le client a réclamé
un dédommagement.
Il aurait pourtant tort
de se plaindre, ce n’est pas
tous les jours qu’on trouve
de la viande fraîche
dans ce type d’endroit.

Pierres précieuses
Ouest-France a consacré un article à une tendance
post-Covid assez méconnue en Corée du Sud
chez les jeunes : les cailloux de compagnie.
Le journal précise : « Ils les déguisent, les peignent,
leur parlent, les choient. “Pour faire face à la solitude”,
dit une experte. À des semaines de travail interminables,
aussi. » Voilà une bonne idée pour dépanner
quand on oublie un anniversaire.
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 47
 FALLAIT QUE ÇA SORTE

Réagissez en écrivant à Marianne : lecteurs@journal-marianne.com / “Journal des lecteurs”, 28 rue Broca, 75005 Paris
LE PLUS LU SUR marianne.net
1. « “Pas une réservation en
cinq mois” : 300 “superhôtes”
d’Airbnb se plaignent
d’être devenus invisibles »
2. « Accueil de Rima Hassan,
plainte contre Philippe Val :
la Licra coupe les ponts avec
la Grande mosquée de Paris »
3. « Sur la Côte d’Azur,
un collectionneur tué à coups
de batte de base-ball pour une
fausse mine d’or au Venezuela »
Période du 20 au 26 mai 2024
Ça vous a TOUCHÉS
“MORT DE SAMUEL PATY : FACE
AU SILENCE DU GOUVERNEMENT,
SA SŒUR MICKAËLLE ATTAQUE
L’ÉTAT EN JUSTICE”
Plaisir d’offrir
Pour une fois, les gauchos produisent
une vidéo de bonne qualité.
Ed, sur TikTok, sous notre vidéo « Le sucre,
une idée à la con ? ». L’art du complimentQue d’hypocrisie ! Mes pensées vont
qui va droit au cœur.
Souvenir de concert
M’en parlez pas nous étions un groupe atrocement exécutés. En aucun cas
de neuf, on a retrouvé d’autres amis. je ne prendrai le deuil pour ce
Sur 22 personnes, nous sommes 14
à avoir le Covid. K.-O. total d’ailleurs, Sylvie A., sur Facebook, sous l’article
alors que nous l’avons tous déjà eu.
ET VOUS
Un pognon de dingue
pour faire quoi ?
Macron reçoit, à Versailles, les investisseurs
étrangers qui envisagent de créer des
entreprises en France. Une nouvelle fois, c’est
au nom de la réindustrialisation qu’une
LE DÉBAT SUR marianne.net réception se tient dans les salons du château.
Ses prédécesseurs avaient opté pour une
France du tourisme au détriment de l’industrie.
Pour Arnaud Benedetti, Macron, lors de son premier mandat, avait fait
“Emmanuel Macron a accentué la coupure de même ; va-t-il enfin faire le maximum pour
des élites avec les Français, mais que notre pays produise ce que les Français
consomment, et pour inverser la balance du
cette coupure a commencé avant 2017”. commerce extérieur ? Pour l’instant, il va
Êtes-vous d’accord ? dépenser un « pognon de dingue » pour que des
entreprises étrangères s’installent dans notre
10 % 90 % pays, profitant de milliards d’aide, tout en ne
créant que peu d’emplois. Malheureusement, il
sera surtout question de conditionnement de
OUI NON produits qui seront fabriqués ailleurs, dans des
Il incarne ainsi un mépris Ni vraiment oui ni vraiment pays où la main-d’œuvre est moins chère.
permanent pour ce qui n’est non. C’est quoi les « élites » ? Comment lutter contre des salariés payés 200
pas issu de l’« élite ». Mais Il faudrait s’entendre sur ce mot, ou 300 € par mois ? Combien d’entreprises
qu’entend-on par « élite » ? […] qui est galvaudé. Est-ce que françaises, dans le même temps, vont mettre
Notion très ambiguë, très vague. Macron serait directement la clé sous la porte, ne pouvant compter sur le
Nos « élites » travaillent responsable de cela ? Je ne le soutien de leur pays pour continuer à se battre
(peut-être), mais ne semblent pense pas. Il ne faut pas tout pour un made in France ? Combien de salariés
pas participer pour quoi que ce lui mettre sur le dos. Cela dit, et se retrouveront ainsi au chômage ? Ils subiront
soit aux besoins de l’ensemble compte tenu de la fonction qu’il les nouvelles règles votées cette année, avec,
de la population. Le président occupe, Macron devrait être pour finalité, l’augmentation du nombre de
préfère laisser les fameuses le prototype de l’élite, or quand détenteurs du RSA. Colette Rabey
classes moyennes supporter je le vois remuant, bavassant,
toute la charge financière. se prenant des baffes, marquant Au nom de la cause animale
Nous assistons à la découpe des penaltys, je me dis que Agir pour sauver des poules, des agneaux
de la population française l’élite, ce n’est pas ça. Et si ou des chevaux de l’abattoir est un combat
en deux camps : celui c’est ça, alors je n’ai pas à avoir hautement estimable et bien compris de la
des « élites » (pas touche !) pour elle le respect aveugle population. La perception est très différente dès
et celui des autres, qui essaient que je lui dois. Photini M. qu’il s’agit de prendre la défense d’un abattoir.
de vivre (et pour certains Votez, étayez vos points de vue et La Sicaba, petite société d’intérêt collectif
de survivre). Je crois que notre soutenez les meilleurs arguments sur agricole située dans le bocage bourbonnais,
pays en crève, hélas. Robert R. marianne.net/espace-debat/debats fermera le 15 juin. En cause, les difficultés
financières dues à des coûts croissants de
l’énergie, des transports et des emballages.
Bien sûr, c’est la perte d’une entreprise
On reste en contact modeste mais essentielle pour l’économie et
l’emploi dans ce coin de la France rurale. Un
fans de Taylor Swift contaminés par le Covid Ministère de la Culture coup dur de plus pour les éleveurs de la région.
après les concerts de la chanteuse américaine. religieuse Et un gâchis de perdre ce leader de la viande
Donc les politiques n’auraient bio, premier label Rouge en viande bovine qui
Condoléances européennes pas le droit de pratiquer une a fourni de nombreuses écoles, jusqu’à Nice
religion ? La laïcité n’étant et Bordeaux. La Sicaba n’a jamais été accusée
aux familles des victimes de ce soi-disant pas la neutralisation de pratiques indignes ou illégales. Plutôt que
sale régime, des jeunes assassinés, des religions dans l’espace d’être accompagnés par leurs éleveurs jusqu’à
injustement condamnés à mort et public, ce tweet ne devrait pas cet abattoir proche de leur lieu de vie, les
faire polémique. animaux passeront de longues heures sur les
Maya, sur TikTok, au sujet du tweet routes, en situation de stress maximum, pris
bourreau. « Femmes, vie, liberté ! » de la ministre de la Culture, Rachida Dati, en charge par des transporteurs anonymes
sur la Pentecôte, et qui souhaite que vers des abattoirs usines. Au nom de la cause
« “Condoléances” de l’UE après la mort « le feu de l’Esprit Saint nous donne la force animale, je rêve à cet égard d’une alliance
Alain Jocard / AFP

Et jamais aussi K.-O. d’Ebrahim Raïssi : la grosse boulette de surmonter les défis et de construire entre ces éleveurs et les végans. Une alliance
Archinews, sur TikTok, sous l’article sur les de Charles Michel et Josep Borell ». un avenir meilleur ! ». de circonstance sans doute, mais par amour
pour les bêtes. Vincent Lecocq
48 - Marianne - 30 mai au 5 juin 2024
À vous de jouer par Jean-Paul Cordier

Mots croisés Mots fléchés

I II III IV V VI VII VIII IX X IMPOSSIBLE MAISON CITANT LES DANS
À RAPPORTER DE REPOS MEMBRES LES NUAGES

1 MEURTRI
APRÈS COUP
RÉSERVÉE
(À)
CARRIÈRES
PRISONS
IMITE LE
CHEVREUIL

2
3 REFAIRE

W
LES FONDS
VIEUX
4 CORDONNIER

5
6 PREMIER

W
IMMIGRANT NID DE
BLEU DANS BRIGANDS
7 LA MARINE
PLANÈTE

W
ROUGE
8 LE PAYS DE
LA FEIJOADA

9 BONNE

W
À MARIER ÉLEVÉ
NON
BÛCHER SANS MAL
10 CUBIQUE
INDICE

W
D'ACIDITÉ
Horizontalement : 1. E l l e é v i t e d e m o n t r e r s e s c h e v i l l e s • 2 . D e t o u t e é v i d e n c e , e l l e
JUSTE UN
f a it e x c e p t i o n à l a r è g l e • 3 . P o s t e d e s c o m m i s a u x é c r it u r e s . M e s s a g e q u i r i m e a v e c PETIT MOIS
i m a g e s • 4. D é c l e n c h e u n d é p l o i e m e n t d e f o r c e . N e p o u s s e p a s s i o n l e p l a n t e • 5. S ’o r i e n t e RÉUSSITE

W
CRI D'ATTAQUE
s u r u n e a u tr e v o ix. Pla n è t e a u - d elà d e S a t u r n e • 6. P r è s d e L u c h o n. F o r m ule r d e s r e c o m - HOSTILE DE
LABEL
SUPPORTERS
m a n d a t i o n s • 7 . E m p e r e u r . D e s p r o p o s p l u s o u m o i n s c r u s • 8 . F r il e u s e e n t o u t t e m p s . DE QUALITÉ
P o u r s e p a s s e r d e v o u s • 9 . D é s o r m a i s e n m e s u r e d e r é l é c h i r. O b s e r v é p a r d e s g e n s b i e n PASSÉ

W
SUR SOI
o r d o n n é s • 1 0. S e c h a r g e r d e b r o c h e tt e s d e m o u t o n s. ADJECTIF
POSSESSIF
Verticalement : I. V o l a u - d e s s u s d ’ u n l i t d e c o u c o u s • II. E l l e e s t i n d i s p e n s a b l e p o u r
ACTIVITÉS
o b t e n i r u n e b o n n e c r è m e • III. C a b a n e e n p i e r r e s è c h e d e P r o v e n c e . C i r c u i t c o u r t à l a
W

DE PARC
f e r m e • I V . I l a d e l’ é n e r g i e à r e v e n d r e . A r g u m e n t d e v e n t e • V . I l s ’ a g i t l à d ’ u n t r a v a il d e HORS
DE PROPOS
T i t a n . U n i t é d e c e n t r a l e • V I. M o t d e p a s s e q u i r é s o n n e d a n s T o l è d e . T r a î n e d e f a ç o n l o u c h e
• V II. R e s t r e i n t l e c h o i x . R e ç o i t r a r e m e n t d u b e a u l i n g e • V III. S e p r é p a r e r à u n t r a v a il e n
b i n ô m e . S u j e t p o u r l u i • I X . S a u c e a u v i n e t a u x œ u f s • X . P a r- d e s s u s l e m a r c h é . D o n n e r
d e s s ig n e s d e fa t ig u e.

Sudoku
3 5 4 1 1
Mots croisés
I
D E
II III IV V VI VII VIII IX X
B A S E T A G E
SOLUTIONS du numéro 1419
2 U T A H , N A N A N Mots fléchés

1 6 3
4
T
A
A
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A
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S
E
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R
N
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E D B E V
5 C O R , G R E D I N D E C O I N C E
2 3 6 6 A N , B L A S E , D
7 U N B R I N , B A R B O U R D O N
T A R E S , T A P E
2 9 7
8
9 A G I S S A N T E , S O U D A I N E
10 C E S T E M P S C I U R I V E R
2 5 Sudoku S T A N C E I
1 3 2 6 7 8 4 5 9
5 3 8 4 6 7 1 5 9 2 8 3
O N A S P E
9 5 8 2 3 4 7 6 1 A N T A N R
8 3 1 3 4 5 7 6 1 9 2 8
N B A N O N
2 7 9 3 8 5 1 4 6
4 5 8 1 6 9 4 2 3 7 5 P A N O R A M A
6 9 4 8 1 7 5 3 2 G O R D I E N
7 2 3 5 9 6 8 1 4
1 9 5 2 5 8 1 4 2 3 6 9 7 V E N D E T T A
30 mai au 5 juin 2024 - Marianne - 49
 Le banc public
Des écrivains s’assoient et regardent passer le monde
Jérôme Leroy
Dernier ouvrage : Et des dizaines d’étés dorés, éditions de la Table ronde, prix Saint-Lary de poésie 2024.
En attendant
la réédition de Godeau
« Ils ne sont pas d’ici. Ils s’arrêtent à cause du parking et des bois à côté.
Ils verrouillent les portes. Lui, laisse sa chemise, elle, garde la sienne,
car je suis là, je pêche. Ils saluent et s’enfoncent dans le sentier
avec leur sac à bonbons, chiffons et préservatifs. Ils se tiennent la main
maintenant, la taille. Je connais le premier pré disponible. »
« QL 78 », dans Après tout, de Georges-L. Godeau, Le Dé bleu, 1991.
l ne faut pas lâcher l’afaire avec Georges-L. Godeau. Il a eu sa
I
réputation de son vivant (1921-1999) – pour autant qu’on puisse
employer ce mot pour un poète contemporain –, mais il a sombré
dans un purgatoire immédiat après sa mort. Plus aucun de ses
textes n’est disponible, certains de ses éditeurs ont même disparu.
Je l’ai découvert il y a une vingtaine d’années chez un bouquiniste
dans un numéro spécial de la NRF qui lui avait été consacré en 1994.
Après, il a fallu chasser dans les boîtes à livres, les braderies, avertir
les amis qui ont les mêmes perversions que, s’ils voyaient passer du
Georges-L Godeau, ils le prennent. De son vivant, Godeau a pourtant
été beaucoup traduit. En russe, à l’époque de l’URSS, ou en japonais,
ce qui n’est pas étonnant, parce que Godeau parle des gens, du monde
du travail, des rêves du monde du travail, de la vie quotidienne pas
si quotidienne que ça… Et qu’il le fait dans des poèmes courts, en
prose, qui ont quelque chose du haïku par leur manière de ménager
une chute qui provoque ce petit coup au cœur qu’on recherche tous
quand même un peu quand on lit de la poésie. Pas le « twist » d’une
nouvelle de Stephen King (je précise que j’adore King), mais quand
même, quelques secondes de rêverie comme au passage d’un joli
visage. Il y aurait de bonnes raisons de rééditer Godeau aujourd’hui : la
figure de l’homme disparaît peu à peu, la réalité elle-même est sujette
à caution et puis jamais l’indiférence à la question sociale n’a été aussi
grande. Ou alors on ne nous propose qu’une vision cinématographique
misérabiliste mal inspirée de Ken Loach ou la sempiternelle leçon de
NOUVEAU PODCAST
"Le vieux monde se meurt, le nouveau
monde tarde à apparaître et dans ce
clair-obscur surgissent les monstres"
disait Antonio Gramsci.
Dans notre monde globalisé, au sortir
de la guerre froide, ces monstres
oubliés ont un nom :
morale du transfuge de classe version Édouard Louis. Or Godeau, qui
exerça le métier d’ingénieur des travaux publics dans le Marais poitevin,
dont il était originaire, n’est pas misérabiliste, il ne voit pas non plus
la pauvreté comme un folklore. Il veut nous faire éprouver la texture
même de la réalité par son économie de mots, qui vise toujours à une
précision non pas clinique ni photographique mais discrètement
émue, bienveillante, souriante, voire légèrement ironique… Car la
réalité n’est jamais froide tant qu’il y a sur elle un regard humain. Il y
a chez Godeau une vraie sensualité pour qui prend le temps de lire
les silences de cet artisan de l’ellipse et de l’implicite. Godeau est
un antidote parfait à ce dédoublement numérique et totalitaire du
monde que va encore accentuer l’IA. La réalité, c’est une page de
Godeau, pas des images calibrées par les convenances du marché et
les commandements des influenceurs. Godeau informe à tous les sens
du terme : il nous renseigne sur des faits, il donne une structure au réel
et il instruit une enquête. Dernière chose, la plus politique peut-être,
il est un poète qu’on pourrait lire aux enfants ou à ce qu’on appelle
pudiquement « les publics éloignés de la lecture et de l’écriture ». Il
est un poète qui pourrait, aujourd’hui sans doute plus encore qu’à
l’époque où il écrivait, nous rendre à nouveau humains, comme avait
su le faire Prévert, avec un autre genre de beauté, dans l’après-guerre.
Allez, un dernier pour la route, alors ?
« Cet homme est seul dans sa voiture et pourtant il rit comme
s’il tenait une femme volée. Car plus il roule, plus le sein du vent,
ferme et joueur comme une balle, s’appuie dans sa main creuse.
À s’y méprendre. »
« Maîtresse transparente », dans les Foules prodigieuses, Chambelland, 1970.
Retrouvez, dans les prochaines semaines, les textes de Clément Bénech,
Kamel Daoud, Benoît Duteurtre, Cécile Guilbert et Lilia Hassaine.
LE RETOUR
DES EMPIRES
Un podcast du magazine Marianne,
présenté par Stéphane Aubouard
Confidences de diplomates, géopolitique, histoire des peuples...
 décrypte les élections européennes

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