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Je sais que plusieurs bons esprits, qui sont vieux et discrets, prétendent que, par la
suppression de la liberté de la presse, le journalisme gagnera en politesse et en esprit. Comme
on ne pourra, sous peine de l’amende et de la prison, écrire tout ce qui vous passe par la tête,
il faudra se perdre dans des circonlocutions extraordinairement subtiles, aiguiser de fines
allusions, se livrer à ce travail académique qui consiste à couper les cheveux en quatre, les
mots en dix, mettre à chaque phrase un régulateur, à chaque alinéa des soupapes, des
manomètres et des pistons. Ce petit jeu logogriphique et rébusiaque enchante certaines
personnes et Prévost-Paradol*, pour ne citer que lui, conquit, à cet exercice, une réputation
très incontestée, et qui dure toujours… de confiance. De cela, j’avoue que je me soucie peu,
car le vrai talent n’est point dans l’escamotage de la pensée, il est au contraire dans
l’expression claire, hardie, d’une idée belle et neuve, mais il n’importe. Ce genre de
discussion voilée vaudra toujours mieux que le hurlement déchaîné d’aujourd’hui.
Je n’ai point la folie de penser que l’abolition de la liberté ramènera la presse dans des
voies littéraires. Elle aura du moins ce résultat de supprimer beaucoup de journaux. Le métier
de journaliste sera moins à la merci des déclassés, des vagabonds et des condottières et, s’il ne
gagne pas en talent, il gagnera en considération, ce qui est souhaitable .
Le Gaulois, 7 juin 1886