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René Girard, un allumé qui se prend pour un Phare

Plus on avance dans la lecture des livres de René Girard, et plus on se demande comment l'humanité a pu se
passer si longtemps de lui. Deux affirmations, en effet, y reviennent continuellement, à savoir, d'une part,
qu'avant ledit René Girard, personne n'a jamais rien compris à rien et, d'autre part, que, grâce aux théories dudit
René Girard, soudain tout s'éclaire, tout s'illumine, tout devient d'une évidence aveuglante. Soyons juste, si René
Girard pense qu'avant lui personne n'a jamais compris rien à rien, c'est seulement dans le domaine des sciences
humaines. Dans sa grande modestie, il n'a jamais songé, semble-t-il, à nier qu'en ce qui concerne les sciences
exactes et les techniques, l'humanité s'était fort bien passée de lui jusqu'ici, et avait, sans lui, accumulé une
somme considérable de connaissances, fait d'innombrables et d'immenses découvertes, et réalisé de très
nombreuses et prodigieuses inventions qui ont profondément transformé l'existence des hommes.

Mais, si René Girard s'est jusqu'ici abstenu de faire la leçon aux mathématiciens, aux physiciens, aux
naturalistes, aux biologistes ou aux médecins, et n'a pas essayé de les persuader que, s'ils voulaient vraiment
dominer leurs disciplines respectives, ils devaient absolument commencer par lire ses ouvrages, il est
profondément persuadé, en revanche, qu'en matière de psychologie, de sociologie, d'ethnologie ou de sciences
des religions, les plus grands savants et les esprits les plus pénétrants ne sont jamais parvenus à dominer
vraiment leurs disciplines respectives et à éclairer vraiment les sujets qu'ils traitaient. S'ils ont souvent réussi à
décrire avec beaucoup de précision et d'exactitude, les phénomènes qu'ils étudiaient, ils n'ont jamais réussi à aller
au fond des choses et à en trouver l'explication.

« L'essentiel » nous dit René Girard, leur échappe toujours, l'essentiel qui pourtant devrait leur crever les yeux,
comme il crève les siens. C'est le cas notamment des ethnologues, comme en témoigne cette déclaration : « C'est
là, à mon sens la tâche essentielle de l'ethnologie, une tâche qu'elle a toujours éludée [1]». C'est le cas des
critiques les plus renommés, comme Auerbach : « L'essentiel que personne ne voit, et pas plus Auerbach que les
autres, c'est que dans les mythes, la victime est coupable avant même d'être divine, alors que dans le biblique, il
lui arrive d'être innocente, d'être faussement accusée. Pas plus que les autres interprètes, Auerbach ne voit ce qui,
à mes yeux, est seul essentiel [2]». C'est le cas de tous les philosophes, de Platon à Lacoue-Labarthe : « Il ne faut
pas s'étonner si Lacoue-Labarthe ne voit pas ce qui fait défaut à Platon sur le plan des rivalités mimétiques. Ce
qui fait défaut à Platon, en effet, lui fait défaut à lui-même, et c'est l'essentiel, c'est l'origine de la rivalité
mimétique dans la mimesis d'appropriation. C'est ce point de départ dans l'objet sur lequel nous n'insisterons
jamais assez, et c'est cela que personne, semble-il, ne comprend [3]». C'est le cas, d'une manière générale, de
tous ceux qui ont traité avant René Girard les mêmes sujets que lui.

Certes il leur arrive d'avoir des intuitions qui pourraient être fécondes s'ils étaient capables d'en mesurer toute la
portée, c'est-à-dire de comprendre vraiment ce qu'ils disent. Ainsi, à propos de l'aphorisme 125 du Gai savoir sur
la mort de Dieu, René Girard nous dit qu'il ne pense pas que « Nietzsche ait été pleinement conscient de ce qu'il
disait dans ce fameux aphorisme [4]». Il en est de même de Freud qui ne cesserait de frôler la vérité, sans jamais
s'en rendre compte le moins du monde : « Dans un article sur le deuil, nous dit René Girard, Freud, comme
d'habitude, passe tout près d'une vérité qui pourtant lui échappe complètement [5]». Mais, ce faisant, il tire les
marrons du feu pour le compte de René Girard, en lui fournissant des matériaux qu'il utilisera pour établir la
théorie mimétique : « Freud a des intuitions très vraies parfois, mais qu'il interprète de façon 'laïcarde' et dix-
neuviémiste un peu comme Darwin, alors qu'en réalité, elles renforcent le message biblique. Les œuvres de
Freud sont pour moi des documents à l'appui de la thèse mimétique [6]». Il en est de même de Claude Lévi-
Srauss qui, lui aussi, ne cesse sans s'en douter le moins du monde d'apporter de l'eau au moulin de René Girard :
« Ce qui rend Lévi-Strauss précieux, c'est qu'il nous apporte tous les éléments de la genèse vraie sans jamais
comprendre à quoi il a affaire [7]». On le voit, seul René Girard est capable d'exploiter à fond, en les éclairant et
en les complétant, les intuitions restées confuses et partielles des penseurs qui l'ont précédé. Grâce à lui les
philosophes les plus obscurs deviennent soudain transparents : « Pour compléter Heidegger et le rendre
parfaitement clair, ce n'est pas dans une lumière philosophique qu'il faut le lire, mais à la lumière de l'ethnologie,
non pas de n'importe quelle ethnologie, bien sûr, mais de celle que vous venons d'ébaucher [8]».

L'assurance avec laquelle René Girard affirme que tous ceux qui ont traité avant lui les mêmes sujets que lui, ont
toujours été incapables de les éclairer vraiment, n'a d'égale que celle avec laquelle il soutient que ses théories
expliquent tout d'une manière complète et définitive. Ainsi les mythes ont fait l'objet d'innombrables études et
pourtant, selon René Girard, ce travail séculaire n'a finalement servi à rien puisque le mystère est toujours resté
entier : « Après des siècles d'efforts inutiles, la recherche moderne n'a pas encore déchiffré l'énigme de la
mythologie, et finalement elle s'est lassée [9]». Bien plus, lors même que René Girard leur apporte la solution sur
un plateau, les spécialistes s'obstinent à la rejeter : « Beaucoup d'ethnologues, de classicistes et de théologiens
ont beau écarquiller les yeux, disent-ils, ils ne voient pas de bouc émissaire dans les mythes. Ils ne comprennent
pas ce que je dis [10]». Et pourtant, nous dit René Girard, « Il y a une force prodigieuse dans la présente lecture,
une fois qu'on l'a vraiment comprise. C'est ici, je n'hésite pas à l'affirmer, l'explication dernière de la mythologie,
non seulement parce que d'un seul coup il n'y a rien d'obscur, tout devient intelligible et cohérent, mais parce
qu'on comprend, du même coup, pourquoi les croyants d'abord, et à leur suite les incroyants ont toujours passé à
côté du secret pourtant si simple de toute mythologie [11]». On reste sans voix devant une telle infatuation.

Mais là où René Girard a sans doute le plus reculé les bornes de la présomption et de l'outrecuidance, c'est
lorsqu'il a prétendu expliquer aux chrétiens que lui seul pouvait les éclairer sur l'essence même de leur religion.
S'il s'est, en effet, converti sur le tard, ce fut pour découvrir aussitôt qu'il était le premier chrétien à avoir
vraiment compris en quoi consistait le christianisme et le sens profond des Evangiles. « Les chrétiens, nous dit-il,
n'ont pas compris la véritable originalité des Evangiles [12]». A tous ceux à qui l'on a appris que le Christ s'était
sacrifié sur la croix pour racheter les hommes du péché originel, sacrifice renouvelé sans cesse dans la
célébration de la messe, René Girard ne craint pas d'affirmer qu'il s'agit là d'une erreur monumentale, de l'erreur
la plus phénoménale de tous les temps : « Cette lecture sacrificielle de la passion […] doit être critiquée comme
le malentendu le plus paradoxal et le plus colossal de toute l'histoire, le plus révélateur, en même temps de
l'impuissance radicale de l'humanité à comprendre sa propre violence, même quand celle-ci lui est signifiée de la
façon la plus explicite [13]». Mais fort heureusement il s'empresse de les rassurer, en leur affirmant que, grâce à
ses théories, la révélation chrétienne est maintenant dénuée de toute ambiguïté, et que, pour la première fois et
pour toujours dorénavant, elle est devenue parfaitement claire, complète et cohérente : « Ce sont, dit-il, tous les
grands dogmes canoniques, j'en suis persuadé, que la lecture non sacrificielle retrouve, et qu'elle rend
intelligibles en les articulant de façon plus cohérente qu'on n'a pu le faire jusqu'ici [14]». Citons aussi ce passage
plus préremptoire encore : « à la lumière de cette lecture [la lecture non sacrificielle] seulement peuvent enfin
s'expliquer l'idée que se font les Evangiles de leur propre action historique, les éléments dont la présence nous
paraît contraire à 'l'esprit évangélique'. Une fois de plus, c'est aux résultats que nous allons juger la lecture qui est
en train de s'ébaucher. En refusant la définition sacrificielle de la passion on aboutit à la lecture, la plus directe,
la plus simple, la plus limpide et la seule vraiment cohérente, celle qui permet d'intégrer tous les thèmes de
l'Evangile en une totalité sans faille [15]».

René Girard est né un 25 décembre. Il ne saurait s'agir d'un pur hasard. Comment ne pas y voir, au contraire, un
signe très clair envoyé par la divine Providence, pour nous faire comprendre que René Girard était destiné à
compléter et à parfaire le message qu'Elle avait, il y a plus de deux mille ans, chargé son Fils unique d'apporter
aux hommes ? Il conviendrait donc, me semble-t-il, que dorénavant tous les chrétiens fêtassent, avec autant
d'ardeur, voire avec plus d'ardeur encore, la naissance de René Girard en même temps que celle du Christ. Il
conviendrait également que le pape convoquât au plus vite un nouveau concile œcuménique, qui pourrait enfin
être le dernier, pour intégrer à la Révélation chrétienne l'apport indispensable des théories girardiennes. Et, au
lieu de mettre sur l'autel à côté de la Bible la Somme théologique de Thomas d'Aquin comme on l'avait fait au
concile de Trente, il conviendra, bien sûr, d' y mettre les œuvres complètes de René Girard. En attendant, le
Saint Esprit serait bien inspiré de suggérer à Benoît XVI de faire au plus tôt de René Girard un docteur de
l'Eglise.

René Girard est persuadé que, lui et lui seul, grâce à la théorie mimétique peut tout expliquer de ce qui est
humain, les conduites individuelles comme les conduites collectives, l'histoire des individus comme celle des
peuples, des institutions, des arts et des religions : « C'est, dit-il, une théorie complète de la culture humaine qui
va se dessiner à partir de ce seul et unique principe [16]». Mais, si l'on admet que les prétentions qu'il affiche, si
exorbitantes qu'elles puissent paraître, sont tout à fait justifiées, si l'on croit qu'il a vraiment apporté une lumière
nouvelle, décisive, inestimable dans tous les domaines des sciences humaines, si l'on pense comme il le pense
lui-même, qu'il est bien le Phare que l'humanité attendait depuis toujours, alors, comment n'être pas saisi
rétrospectivement d'un sentiment de terreur panique à la pensée, qu'effrayées par le poids de l'immense
responsabilité qui pesait sur elles, les vénérables entrailles de la mère de René Girard auraient pu laisser
échapper prématurément le précieux fardeau qu'elles portaient, privant ainsi l'humanité de la découverte, sans
doute, la plus révolutionnaire et la plus bouleversante de tous les temps, celle de la théorie mimétique ? Car qui
sait combien de siècles, voire de millénaires auraient pu s'écouler avant de voir apparaître un nouveau René
Girard, si tant est qu'un miracle si extraordinaire puisse se renouveler un jour ?

Pourtant, avant de s'abandonner à cette terreur rétrospective, il conviendrait peut-être de se demander si elle est
vraiment fondée. c'est-à-dire de s'interroger sur la validité des théories de René Girard. Mais il n'est pas même
besoin de commencer à examiner de près ses analyses pour concevoir les plus grands doutes à ce sujet. Le
simple bon sens suffit à les faire naître. Si l'on en croit René Girard, avant lui, tout le monde a toujours pataugé,
tout le monde s'est toujours trompé. Mais il est venu, lui, il a vu et, tout de suite, il a tout compris. La question
qui se pose est donc de savoir si on a affaire avec René Girard au Phare que l'humanité attendait depuis toujours
ou à un allumé atteint de mégalomanie galopante. Or il n'est pas nécessaire d'être un spécialiste du calcul des
probabilités pour voir tout de suite que la seconde de ces deux hypothèses est de loin la plus vraisemblable. Car,
outre que les allumés sont légion, alors que les Phares sont rares, si vraiment la lumière que René Girard prétend
apporter aux hommes est d'une clarté aussi aveuglante qu'il le dit, comment se fait-il que personne ne l'ait
aperçue avant lui ? On en revient toujours à la même question : comment se fait-il que René Girard se soit fait
attendre aussi longtemps ?

Cette question en apparence extrêmement flatteuse pour René Girard, mais qui, en réalité, suffit à faire éclater
l'absurdité de ses prétentions, un des admirateurs de René Girard, Michel Treguer, a osé la lui poser, sans en
mesurer vraiment le caractère sacrilège, et il s'est empressé de se satisfaire de la réponse aussi brève que peu
satisfaisante qu'il lui a faite : « Mais pourquoi René Girard arrive-t-il maintenant ? Pourquoi pas en l'an 1000,
en l'an 1500 ? - Oh, là, vous exagérez ! les trois quarts de ce que je dis sont dans saint Augustin [17]». On le
voit, René Girard est passablement agacé par la question de son interlocuteur : « Oh, là, vous exagérez ! » Sa
réponse est assez habile, car elle suggère qu'il ne se prend pas du tout pour la Lumière du monde, mais qu'il n'est,
au contraire, qu'un humble disciple de celui qui est, avec saint Thomas d'Aquin le plus grand docteur de l'Eglise.
Mais elle n'est aucunement convaincante et il le sait fort bien. Aussi se garde-t-il bien d'insister et de commencer
seulement à expliquer un peu ce que le girardisme devrait à saint Augustin. En effet, s'il lui devait vraiment les
trois quarts de ses idées, il aurait dû reconnaître sa dette beaucoup plus tôt et le citer sans cesse dans ses livres. Il
ne le fait jamais. Et l'on ne saurait s'en étonner, car la théologie de saint Augustin, loin d'annoncer celle de René
Girard, est, par excellence, celle qu'il considère comme le résultat du « malentendu le plus paradoxal et le plus
colossal de toute l'histoire ». Disons seulement que, si, pour l'auteur de Des Choses cachées depuis la fondation
du monde, le christianisme est par excellence la religion du refus de la violence, saint Augustin, lui, est l'auteur
de la fameuse lettre 185 et de bien d'autres textes qui justifient le recours à la force pour convertir les hérétiques.

Michel Treguer se pose la question de savoir pourquoi René Girard n'est pas arrivé beaucoup plus tôt en l'an
1000 ou en l'an 1500 mais il aurait dû arriver pour le moins en même temps que le Messie puisque lui seul était
capable d'éclairer vraiment le message du Christ. Dieu, le père aurait dû l'envoyer en même temps que son fils,
auprès de qui il aurait joué un peu le même rôle que Mathieu Ricard auprès du dalaï-lama, et même un rôle
beaucoup plus grand : il aurait été non seulement son interprète, mais son inspirateur. Il lui aurait fait dire des
choses que, n'ayant pas lu René Girard, il n'a pas songé à dire et l'aurait surtout empêché de dire des choses qu'il
a dites, et qui vont à l'encontre des thèses girardiennes. Tout compte fait, Dieu le Père aurait été bien avisé de ne
pas nous envoyer son Fils, mais de nous envoyer le seul René Girard, qui, au fond, faisait bien mieux l'affaire.

Toute plaisanterie mise à part, les prétentions de René Girard se heurtent à l'objection que l'on peut faire à tous
ceux qui prétendent enfin apporter aux hommes la vérité. Lorsque les témoins de Jéhovah sonnent à ma porte
pour me proposer leur vérité, je leur réponds que, s'il était possible à un homme de trouver la vérité, ce serait fait
depuis longtemps, la nouvelle se serait rapidement répandue partout et ils ne seraient pas en train de faire du
porte à porte pour essayer de refiler à ceux qui acceptent de les écouter, une vérité qu'ils ne connaissent pas plus
que les autres et que personne sans doute ne connaîtra jamais.

Si quelqu'un vous arrête dans la rue pour vous dire : « jusqu'ici personne n'a jamais rien compris à rien, mais,
moi je vais tout vous expliquer, car c'est très simple », il n'y a assurément qu'une chose à faire : hausser les
épaules et continuer son chemin. C'est ce type de réaction que l'on est d'abord tenté d'avoir lorsqu'on lit René
Girard. Et, si ses écrits n'avaient rencontré qu'un très faible écho, le mieux serait, en effet, de refermer ses livres
et de ne plus y penser. Mais après n'avoir eu assez longtemps qu'une audience restreinte, René Girard est
maintenant de plus en plus célébré, comme « un penseur génial [18]», « l'Albert Einstein des sciences de
l'homme [19]», « le nouveau Darwin des sciences humaines [20]», ses éditeurs n'hésitant pas à le présenter
comme le penseur du siècle voire du millénaire [21], faute d'oser dire qu'il est, en fait, le plus grand penseur de
tous les temps.

Lorsque j'avais quinze ou seize ans, il m'est arrivé sur mon vélo, en profitant, je dois le dire, d'une descente, de
renverser une vache. Cela m'avait beaucoup réjoui et je pense encore assez souvent à cet épisode avec nostalgie.
J'aime à croire qu'il fut à l'origine du besoin irrésistible que j'ai toujours éprouvé par la suite, lorsque je
découvrais une vache sacrée, de lui foncer dedans et de la renverser. J'ai commencé à m'en prendre à de simples
vachettes, qui n'étaient sacrées que dans certains cercles universitaires, comme Mme Anne Ubersfeld. J'ai ensuite
chargé une vache sacrée d'envergure internationale en la personne de Roland Barthes que j'ai attaqué avec un
acharnement qui a pu surprendre, mais sur lequel je me suis longuement expliqué dans ma « Lettre ouverte aux
jobarthiens ». Tout récemment j'ai enfin réalisé un vieux rêve en fonçant tête baissée sur la vache sacrée la plus
célèbre du vingtième siècle, Sigmund Freud, et j'y ai pris beaucoup de plaisir. Certes René Girard est loin d'être
une vache aussi sacrée que Freud, et sans doute ne le sera-il jamais, mais sa mégalomanie est tellement
phénoménale, dépassant de loin celle de Freud lui-même, que je ne pouvais résister à l'envie de déboulonner la
statue géante que beaucoup veulent lui élever.

Je n'entends pas pour autant passer au crible toutes les analyses et toutes les théories de René Girard. Outre que
mon ardeur polémique est très affaiblie par l'âge, la maladie et les traitements qu'elle nécessite, on ne peut se
livrer à une réfutation vraiment exhaustive que lorsqu'il s'agit de textes courts et qui portent sur des sujets très
circonscrits. J'ai pu le faire assez souvent, notamment lorsque j'ai démonté, mais la chose était aisée,
l'interprétation d'une totale absurdité que Pierre Barbéris avait proposée du Misanthrope dans son livre Le Prince
et le marchand, ou lorsque j'ai démontré le caractère parfaitement arbitraire de la présentation que Lucien
Goldmann a faite de la pensée de Martin de Barcos et du rôle qu'il a joué dans le mouvement janséniste. J'ai pu
le faire encore, dans une très large mesure, lorsque j'ai entrepris, dans ma thèse de doctorat d'Etat, de m'attaquer
au Sur Racine de Roland Barthes, parce qu'il s'agit d'un livre court dont les pages essentielles les seules qui
soient toujours citées, se réduisent à une quarantaine. Pour faire ressortir toute la sottise de cette quarantaine de
pages il m'a pourtant fallu en écrire six cents, chacune de mes pages comptant trois fois plus de caractères que
celles de Roland Barthes. Comme je l'ai déjà dit plus d'une fois, s'il est très vite fait de dire n'importe quoi, il faut
généralement beaucoup de temps pour démontrer que quelqu'un dit n'importe quoi.

Or René Girard a beaucoup écrit, même s'il s'est beaucoup répété, et, surtout, il a abordé toutes sortes de sujets et
des sujets très vastes. Si l'on voulait passer au crible toutes les affirmations aventureuses et toutes les analyses
tendancieuses que renferment les livres de René Girard, il faudrait donc lui consacrer plusieurs années d'un
travail assidu. Même si j'en étais encore capable, je ne le ferais pas, car ce serait accorder une importance
excessive à une œuvre qui sera sans doute presque complètement oubliée dans cinquante ans. J'ai donc fait des
choix. Certains s'imposaient, à commencer par l'examen de la grande « découverte » qui été le point de départ de
toute l'œuvre de René Girard, celle de la prétendue nature mimétique du désir. Pour le reste, on aurait
certainement pu en faire d'autres. Spécialiste de l'explication de textes, je me suis particulièrement attaché à
montrer que les « relectures » sur lesquelles René Girard entend s'appuyer pour essayer d'établir ses théories,
sont généralement aussi arbitraires que celles que j'ai si souvent démontées chez les tenants de la « nouvelle
critique ».

NOTES :

1. Des Choses cachées depuis la fondation du monde, p. 50.


2. Les Origines de la culture, p. 119.
3. Des Choses cachées depuis la fondation du monde, pp. 26-27.
4. Les Origines de la culture, p. 135.
5. Des Choses cachées depuis la fondation du monde, p. 113. Voir aussi La Violence et le sacré,
p. 300 : « De tous les textes modernes sur la tragédie grecque, le texte de Freud est sans
doute celui qui va le plus loin dans la voie de la compréhension. Et pourtant ce texte est un
échec » .
6. Les Origines de la culture, p. 114.
7. Des Choses cachées depuis la fondation du monde, p. 167.
8. Ibid., p. 381.
9. La Voix méconnue du réel, p. 13.
10. Quand ces Choses commenceront, Entretiens avec Michel Treguer, p. 41.
11. Des Choses cachées depuis la fondation du monde, p. 166.
12. Le Bouc émissaire, p. 189.
13. Des Choses cachées depuis la fondation du monde. p. 267.
14. Ibid., p. 324
15. Ibid. pp. 268-269.
16. Ibid., p. 30. « On peut montrer, je pense, qu'il n'y a rien dans la culture humaine qui ne
puisse se ramener au mécanisme de la victime émissaire »(p. 72).
17. Quand ces Choses commenceront, p. 196.
18. André Laporte, La Tribune de Genève du 8/3/1977, article cité dans la revue de presse que
propose l'édition de La Violence et le sacré de la collection Pluriel, p. 491.
19. Pierre Chaunu, Le Sursis, Robert Laffont, collection « Libertés 2000 », p. 172.
20. « Je vous nomme désormais 'le nouveau Darwin des sciences humaines' », lui a déclaré
Michel Serres en le recevant à l'Académie française le 15 décembre 2005. Voir René Girard
et Michel Serres, La Tragique et la pitié, Discours de réception de René Girard à l'Académie
française et réponse de Michel Serres, Le Pommier, 2007, p. 63.
21. Voir la quatrième de couverture de Quand ces Choses commenceront

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