Vous êtes sur la page 1sur 100

02 MM445 Edito Som.

qxp_MM439 17/07/17 11:18 Page2


02 MM445 Edito Som.qxp_MM439 17/07/17 12:04 Page3

3_édito

L’HORIZON
DANS LES YEUX

©UlysseLefebvre
u’a-t-on derrière la tête ? Qu’y a-t-il toujours Ouvrir les perspectives : telle est la modeste

Q plus loin derrière la crête ? Derrière la


succession de plis tectoniques de ces Alpes
que nous connaissons finalement peu ? Du Léman
ambition de ce numéro éclectique.

Enfin, pour la première fois en plus de quarante


à la grande bleue, pour sa partie française et le éditos, permettez-moi d’écrire quelques mots à
GR®5, ce n’est qu’une suite d’espoirs nouveaux, la première personne pour vous remercier, amis
de nouvelles inspirations. Las ! Par-delà les lecteurs, de suivre encore et toujours ce
montagnes, surgissent toujours de nouveaux pics, Montagnes Magazine dans lequel je me suis investi
une Dent d’Oche par-ci, un Pelvoux par-là, un depuis 2011 et que nous avions joyeusement
Monte Cinto ensuite, un Vignemale soudain, plus rajeuni en 2014, peu de temps après que j’en ai pris
loin, mâts dressés sur nos horizons trop couchés. la rédaction en chef. Après plus de soixante-dix
Puis le Népal, Baffin, n’en jetez plus ! Hissez les numéros, je prends une variante à la voie tracée
perspectives, redressez les horizons, la montagne avec Montagnes Mag, pour aller chercher d’autres
n’est rien de plus qu’un lendemain assuré, un futur aventures, d’autres horizons, toujours en
proche, un tas de cailloux qui donne le sentiment montagne bien sûr. J’ai hâte de vous y croiser.
d’avancer. Alors grimpons, randonnons, escala- Bel été et bon vent.
dons ces rocheux repères, aussi hauts que sont
larges les horizons qui se dressent dans nos yeux. Ulysse Lefebvre

WWW. montagnes-magazine.com Montagnes Magazine est disponible en édition numérique

Montagnes Magazine#446
02 MM445 Edito Som.qxp_MM439 17/07/17 11:18 Page4

4_sommaire

MONTAGNES MAGAZINE
#446 AOÛT - SEPTEMBRE 2017

24
ACTUS
p.06 CRUX
p.12 MOIS MONTAGNE
p.14 LA GRAVE
p.16 LES BAUGES

© Brice Milbergue / GTA


CULTURE
p.17 LIVRES
p.19 BIBLIO COLLECTOR
p.20 ÇA PIC
36
PORTRAIT
p.22 PAUL-ÉRIK MONDRON

GRANDE RANDO
p.24 TRAVERSÉE DES ALPES

PYRÉNÉES

©François Laurens
p.36 LE VIGNEMALE
p.42 L’ARRÊTE PASSET

CORSE
p.48 LA CORSE ALPINE
60
EXPÉ
p.52 NÉPAL : AMOTSANG & POKARKANG
p.60 GMHM À BAFFIN

HISTOIRE
p.66 LA PHOTOGRAPHIE DE MONTAGNE
p.70 MÉMOIRE

TROUSSE DE SECOURS
p.76 PHYSIOLOGIE DE LA (TRÈS) HAUTE ALTITUDE

ENQUÊTE
© GMHM

p.82 GUIDE & CLIENTS


p.88 LES MARQUES MONTAGNES

MATOS
p.92 VITRINE 94
p.94 LES SACS D’UN JOUR

Couverture: ©François Laurens

Montagnes Magazine#446
02 MM445 Edito Som.qxp_MM439 17/07/17 11:18 Page5
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page6

6_actu crux

LA PIERRA MENTA
D’ÉTÉ EN CHIFFRES
280 équipes, soit 560 coureurs
3 jours de course
56 km
6 600 m de D+
1 course « jeunes » pour les
coureurs nés entre 1996 et 2000

Montagnes Magazine#446
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page7

_7

PIERRA
MENTA
EN BASKETS
Fin juin dernier avait lieu la
troisième édition de la Pierra
Menta d’été, à Arêches-
Beaufort. De quoi retrouver
des sommets familiers,
baskets aux pieds, et cet
esprit inimitable de course
par équipe sur un parcours
exigeant et alpin.
Texte & photo Ulysse Lefebvre

Les participants le savent bien : cette Pierra


Menta d’été n’est pas faite pour les coureurs
amateurs de sentiers roulants. Mieux : il
est préférable de savoir utiliser un baudrier
et une longe pour quelques passages tradi-
tionnels d’arête, cette année sur celle du
Grand Rognoux. Bien que les étapes soient
plutôt courtes, à forte pente, elles sont
souvent données « hors taxe » comme le
disait en souriant Ludovic Pommeret,
second de la première étape avec Léo Viret
mais dans l’obligation d’abandonner le
deuxième jour après une chute de Viret au
col de la Forclaz. Après avoir eu chaud sous
le soleil de Roche Plane le premier jour,
puis goûté à la neige sur l’arête du Grand
Rognoux le deuxième, pour conclure avec
une étape aussi raide que pluvieuse à la
Roche Parstire, les (presque) 600 coureurs
ont achevé la course sourire aux lèvres,
simplement heureux de finir. Sur le podium
féminin, Celia Chiron et Hillary Gerardi
s’imposent en survolant leurs concurrentes.
Chez les hommes, Arnaud Bonin et Adrien
Michaud remportent la course, malgré une
belle victoire de 2e étape de leurs concur-
rents Bihm Gurung (Népal) et Léo Rochaix
(local de l’étape) qui terminent seconds (ici
sur la photo).

Montagnes Magazine#446
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page8

8_actu crux

TRÈS
GRANDS
MULETS
Texte & photo Ulysse Lefebvre

Le voyez-vous ce bateau échoué sur l’étrave d’un rocher,


à 3 051 m ? Perché entre deux mondes, de glace et de
roche, à la jonction de deux superpuissances, Bossons et
Taconnaz, le refuge des Grands Mulets reste un
monument aussi historique qu’atypique. Très fréquenté
en avril par des skieurs de printemps avides de mont
Blanc, son gardien, Ludovic Moucherot, rappelle que
les meilleures conditions se situent début juin, lorsque
l’itinéraire de montée au toit des Alpes peut se faire par
l’arête nord du Goûter alors débarrassée de sa glace vive,
et plus sûre que la voie classique. Ludovic insiste aussi
sur le fait que le refuge est également une étape vers
autre chose avec notamment le rocher Pitschner (3 266
m), course d’initiation parfaite, avec glace et neige peu
raides, et un environnement glaciaire incroyable et sûr,
les séracs étant bien plus loin et décalés. À propos de
sécurité, la réputation du refuge, ou plutôt son accès, a
pâti de trois accidents majeurs. Pourtant, aujourd’hui le
passage reste praticable dans un niveau de risque accep-
table. Quant à la jonction elle-même, zone tourmentée
où les deux glaciers se rejoignent, il faut savoir que
Ludovic réalise un gros travail de balisage et de sécuri-
sation (cordes fixes, marches). Enfin, si la formidable
bibliothèque du refuge ne vous suffit pas pour occuper
le temps passé là-haut, demandez à Ludovic de vous
raconter l’histoire de la première ascension du mont
Blanc. Du doigt il vous pointera une foule de repères et
lieux chargés d’histoire, à commencer par le refuge lui-
même. Passer aux Grands Mulets, c’est une rencontre
avec un personnage singulier (son gardien) dans un
environnement grandiose, loin des foules.
Comment ça on insiste ?

Montagnes Magazine#446
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page9
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page10

10_actu crux

TRAVERSÉE
DES
X-ALPS
Texte : Ulysse Lefebvre. Photo Sebastian Marko/Red Bull Content Pool

Christian Maurer a terminé en tête la Red Bull X-Alps,


redoutable épreuve de parapente et course à pieds. Arrivé le
13 juillet à 10h53 précisément, le Suisse boucle une grande
traversée des Alpes en 10 jours, 23 heures et 23 minutes, qu’il
avait débuté malade et qu’il finit blessé au genou. Tout au
long, il aura du batailler contre le mauvais temps, jusqu’à
passer très près de la foudre et être relayé à la 21e place.
« J’ai eu beaucoup de pression et j’ai mal commencé. Entre
le vent, la pluie, l’orage, je n’ai jamais rencontré d’aussi
mauvaises conditions sur une X-Alps auparavant. Mais c’est
avant tout une aventure, bien plus qu’une compétition. Je n’ai
jamais autant sollicité mes genoux. Habituellement je marche
et cours environ 300km. Cette année, j’en suis à plus de
500km. » Benoit Outters arrive second de la course, en 11
jours, 1 heure et 12mn. Le français termine en beauté sa
première X-Alps sous les applaudissements de la foule,
avant de la remercier à coups de champagne. “Je suis très
heureux, c’est incroyable. Je savais que pour rejoinder
Monaco, il me faudrait courir énormément durant les deux
derniers jours. Je suis épuisé mais tellement heureux”.
Outters aura finalement marché sur 192km en deux jours
seulement, faisant preuve d’une impressionnante endurance.

Photo : Gaspard Petiot (FRA2) survole le Triglav (Slovénie),


le 4 juillet dernier.
06 MM445 Crux.qxp_MM439 17/07/17 10:56 Page11

_11
12 MM445 Mois Montagne.qxp_MM439 17/07/17 10:55 Page12

12_actus un mois en montagne

11
C’est en milliards d’euros, le nombre de dépenses générées par la montagne
en été, selon une étude récemment dévoilée par l’Insee et Atout France,

© Brice Milbergue / GTA


l’agence du développement touristique de l’Hexagone. Des dépenses qui se
concentrent principalement sur les nuitées, qui représentent elles-mêmes 51
% des nuitées enregistrées à l’année en montagne. Une saison estivale qui,
à l’inverse de l’hiver, bénéficie plus largement au territoire, puisque 71 % des dépenses en
été s’effectuent en dehors des stations de ski, qui concentrent 67 % des dépenses en
hiver. Et si la montagne estivale sort son épingle du jeu, qu’ils y viennent en été comme
en hiver, 8 Français sur 10 expliquent la motivation de leur séjour par leur volonté d’être
au plus près de la nature et de contempler de beaux paysages.

EN BREF…
MATHIEU MAYNADIER AU PAKISTAN
L’alpiniste briançonnais s’est envolé en juin POURSUITE CONCOURS CHANGER D’APPROCHE,
dernier pour le Pakistan, en compagnie des JUSQU’AU 30 SEPTEMBRE
alpinistes Colin Haley, Jérémy Rumebe et « La mobilité douce en montagne, vous y
Guillaume Vallot. Objectif : le Gasherbrum croyez, vous la pratiquez ou vous voulez
II, culminant à 8 035 mètres et dont l’ascen- tenter, ne serait-ce qu’une fois ? » Cette
sion est prévue par la voie normale avant année encore, l’association Mountain Wilderness vient titiller les montagnards convaincus
une redescente à skis. A l’heure où nous par la mobilité douce avec son concours Changer d’approche. Le concept ? Réaliser une
bouclons, la tentative est prévue le 10 juillet... sortie en montagne sans voiture et la raconter en photos ou vidéo sur le site
Changerdapproche.org. Une sélection réalisée parmi les sorties proposées sera ensuite
LE SNGM OUVRE UNE ANTENNE faite avant une soirée de remise des prix. Clôture des participations le 30 septembre.
DANS LA VALLÉE DE CHAMONIX www.changerdapproche.org
Alors qu’il fêtait en fin d’année dernière
ses 70 ans, le Syndicat national des guides UN NOUVEAU SITE POUR LA
de montagne (SNGM) a ouvert en juin une CHAMONIARDE
antenne dans la mairie de Servoz, à La Chamoniarde, Société de
quelques kilomètres de Chamonix. Cette Prévention et de Secours en
nouvelle antenne aura pour but d’assurer Montagne basée à Chamonix, a
un meilleur service aux guides travaillant dévoilé récemment son nouveau site
dans le massif du Mont-Blanc, où est Internet, permettant un accès
réalisée plus de la moitié du chiffre d’affaires simplifié aux informations et outils
de la profession. Installé depuis 1997 à pratiques proposés par l’office. Conditions montagne, webcams, infos refuges, ateliers et
Francin, en Savoie, le syndicat marque son cahiers de course permettant de consulter et de proposer des courses, sont quelques-
retour dans la vallée de Chamonix, où le unes des informations à retrouver sur le site, qui devrait être complété dans les prochains
siège était historiquement implanté. mois par une application smartphone et tablette.

Montagnes Magazine#446
12 MM445 Mois Montagne.qxp_MM439 17/07/17 10:55 Page13

_13

EXPO « Alpes là ! »
DES HAUTS…
ALEX HONNOLD EN SOLO INTÉGRAL À EL CAP
au Musée dauphinois
Le rêve d’une vie. Le 3 juin dernier, le grimpeur américain Deux expositions en une, toutes
Alex Honnold a réussi l’ascension en solo intégral, sans les deux consacrées à la
aucun moyen d’assurage, de la voie “Freerider”, dans la montagne. Voilà la proposition
mythique face d’El Capitan, dans le parc de Yosemite, du Musée dauphinois de
aux États-Unis. Une ascension à laquelle le grimpeur Grenoble avec « Alpes là ! » La
pensait depuis des années et qu’il répétait inlassable- première est consacrée au photo-
ment depuis plusieurs mois pour en maîtriser tous les graphe Éric Bourret, qui a
détails. Il lui aura finalement fallu un peu moins de quatre arpenté les massifs des Écrins,
heures pour parvenir au sommet de cette voie de 900 du Dévoluy, de la Chartreuse et
mètres, cotée 7c+. « Je savais exactement quoi faire du Vercors en hiver et en a tiré un « Carnet de marche » photo-
pendant toute l’ascension. La plupart des prises ressem- graphique (jusqu’au 23 octobre). La deuxième partie de l’expo-
blaient à de vieilles copines », a-t-il déclaré dans une sition propose de découvrir le travail d’Emmanuel Breteau et son
interview peu après. Alex Honnold signe l’ascension la témoignage photographique de la vie des habitants du Trièves,
plus difficile jamais réalisée en solo intégral. qu’il immortalise depuis les années 1990 (jusqu’au 4 septembre).
Une double invitation à découvrir les Alpes autrement, au cœur
du Musée dauphinois et en pleine saison estivale.

ET DES BAS…
EVEREST : UNE ACCUMULATION DE DÉCHETS

3
« PIRE QUE JAMAIS »

C’est le constat dressé par Gérard Clermidy, président de l’asso-


ciation Montagne & Partage, de retour après plusieurs semaines
passées sur les pentes de l’Everest. Dans le cadre de l’opération
Everest Green, plusieurs bénévoles de l’association et une
équipe de sherpas associée à l’initiative ont ramassé près de 5,2
DATES À RETENIR
tonnes de déchets au camp 2, à 6 400 mètres et au camp 4 à
8 000 mètres, « où il devient de plus en plus difficile de trouver (ET BIEN D’AUTRES SUR WWW.MONTAGNES-MAGAZINE.COM/AGENDA)
un espace intact de toute pollution pour poser une tente ».
L’association avait pour objectif de mettre en lumière le problème Nuit en cimes en Vanoise, 21 au 31 août
de la gestion des déchets au Népal, qui ne possède à l’heure Après une première édition en 2016, le parc national de la Vanoise,
actuelle aucun système de retraitement. Si les objectifs de en partenariat avec plusieurs refuges, remet le couvert et propose
l’opération Everest Green sont atteints, reste donc le constat une seconde tournée de Nuit en cimes. Du 21 au 31 août, une vingtaine
alarmant dressé par Gérard Clermidy sur la pollution générée d’hébergeurs s’associent avec des refuges présents sur le territoire
par les ascensions : « La situation des déchets déposés par les du parc, pour proposer à leur client une nuit en refuge. Un moyen
hommes, et qui s’amoncellent sur l’Everest depuis des années pour les vacanciers de passer une nuit en pleine montagne, sans
d’expéditions commerciales sur la plus haute montagne du devoir subir une double tarification, qui constitue souvent un frein
monde, est pire que jamais. » à la découverte des refuges.
Du 21 au 31 août.
Plus d’informations sur www.vanoise-parcnational.fr

Salon du Livre Pyrénéen


Huitième édition pour le Salon du Livre Pyrénéen, qui se tient chaque
année à Bagnères-de-Bigorre. Organisé par l’association Binaros, il
réunit les auteurs et éditeurs ayant un lien avec les Pyrénées, qu’ils
traitent de la culture, du patrimoine, de la biodiversité ou encore de
l’architecture et de l’art sur le territoire.
Entrée gratuite
Les 30 septembre et 1er octobre
www.salondulivre-pyreneen.fr

Grand Parcours Chartreuse


Organisé par le comité de l’Isère des clubs alpins et de montagne,
le Grand Parcours Chartreuse propose cette année encore un week-
end dédié à la randonnée alpine, le long d’itinéraires escarpés et peu
fréquentés. Ouvert à tous, l’événement est encadré par des bénévoles
de la FFCAM et se déroule au départ de Saint-Pierre-d’Entremont.
Les 7 et 8 octobre
© DR

www.ffcam38.com

Montagnes Magazine#446
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page14

14_ actus aménagement

TÉLÉPHÉRIQUE
DE LA GRAVE
UN NOUVEAU GESTIONNAIRE
ET DES INVESTISSEMENTS EN VUE
Depuis le 15 juin, la Société d’aménagement
touristique de l’Alpe d’Huez est le nouveau
gestionnaire du téléphérique de La Grave.
Dans les mois prochains, les premiers
chantiers de réfection du téléphérique
devraient débuter.
Par Sandy Plas

« C’est un soulagement dans la commune


», souffle Jean-Pierre Sevrez, maire de La
Grave. Depuis la décision du conseil
municipal d’accorder la nouvelle déléga-
tion de service public du téléphérique de La
Grave à la Société d’aménagement touris-
tique de l’Alpe d’Huez (SATA), le climat est
un peu plus serein au pied de la Meije. Les

©UlysseLefebvre
locaux, rejoints par beaucoup d’amoureux
du site, craignaient en effet sa reprise par
la Compagnie des Alpes (CDA), qui n’avait
pas caché ses volontés de l’aménager et
de mettre sur pied un projet de liaison avec
la station des Deux Alpes. « La phase d’appel
d’offre a été difficile à vivre dans la
commune, car on ne peut rien dire sur les TROISIÈME TRONÇON ture prévue à l’horizon 2021. « Nous voulons
négociations, il a fallu calmer les esprits », Pour les 30 prochaines années, la SATA permettre l’accès à la très haute montagne
ajoute Jean-Pierre Sevrez. aura donc les commandes du téléphérique aux piétons et pas seulement à ceux qui
Suite à l’arrêt des négociations entre la CDA de La Grave, qui dessert sur deux tronçons disposent d’un équipement de glisse »,
et Denis Creissels, exploitant historique du le secteur de la Meije. En contrepartie de explique Jean-Pierre Sevrez. Parallèlement,
site, en mars dernier, la SATA était seule en cette concession, l’aménageur aura pour le téléski laissé à l’abandon sur le glacier de
lice pour reprendre la concession. « Nous obligation de mener un certain nombre la Girose sera démonté par la SATA. Au
nous sommes retrouvés sur un certain d’investissements sur le site, comme le total, 15 et 17 millions d’euros seront ainsi
nombre de points et notamment sur le fait prévoit le cahier des charges voulu par la investis sur le site.
que La Grave devait rester La Grave, commune. Dans les prochains mois, la réfec- Des projets de développement qui
poursuit-il. Nous resterons sur le marché tion des gares du téléphérique devrait pourraient avoir, dans les années à venir,
du freeride et la Meije conservera son site commencer, ainsi que celle des restaurants un impact sur les tarifs du téléphérique : «
hors-piste. » Quant à l’association Le Signal, situés à 2 400 et 3 200 mètres d’altitude. La hausse se fera en rapport avec les inves-
qui avait été créée à l’automne dernier pour « Le but sera de rendre l’aspect des gares tissements, il y aura forcément une petite
reprendre la concession du téléphérique et un peu moins industriel », précise le maire. progression, mais il faut également tenir
avait lancé crowdfunding et levées de fonds, Mais le chantier majeur concernera surtout compte du marché », précise le maire de La
« elle consacrera les sommes recueillies la construction du troisième tronçon du Grave. En revanche, pas d’augmentation
dans des animations qu’elle proposera sur téléphérique, qui devrait permettre prévue pour la saison 2017 et la première
le site, en complémentarité à l’exploitation d’accéder à 3 600 mètres. Coût de l’opé- année d’exploitation, en vertu du contrat
du téléphérique ». ration : 10 millions d’euros, pour une ouver- signé entre la commune et la SATA.

Montagnes Magazine#446
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page15
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page16

16_ actus

PÉRIODE TOURMENTÉE POUR

©Gilles Lansard
LE PARC NATUREL RÉGIONAL DES BAUGES
Baisse des subventions régionales, retard du
versement des fonds européens, restructuration :
le parc naturel régional des Bauges traverse une
période difficile depuis le début de l’année.

Créé en 1995, le parc naturel régional des ment la fermeture de l’une des deux maisons d’un avenir compliqué pour le parc. « Il est
Bauges, reconnu géoparc mondial UNESCO thématiques du parc, la Maison Faune Flore. vrai que la région a encore du mal à perce-
en 2015, affronte depuis quelques mois une Le directeur du parc tempère cependant voir l’utilité des parcs naturels régionaux de
situation compliquée, même si son directeur, cette fermeture : « Il n’existait pas vraiment son territoire, mais un autre regard s’installe
Jean-Luc Desbois, refuse de parler de « de dynamique autour de cette structure et peu à peu », poursuit Jean-Luc Desbois.
situation de crise ». « Il s’agit d’un passage il aurait fallu de lourds investissements pour Après des débuts compliqués entre Laurent
tourmenté, mais nous en voyons le bout. la relancer, que nous ne pouvons pas engager Wauquiez et les parcs naturels régionaux
» À l’origine de ces complications : la baisse en période de diminution budgétaire. » d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui avaient
des subventions régionales, qui ont diminué Quant aux suppressions de postes, elles adressé au président de région, par le biais
de 500 000 euros en cinq ans, avec une sont également la conséquence, selon lui, de sa fédération nationale, une lettre
accélération depuis la mise en place du d’une restructuration des prérogatives ouverte en juin 2016 pour dénoncer un
nouvel exécutif régional, le parc ayant perdu portées par le parc. « Nous nous concen- manque de concertation et de considéra-
200 000 euros de subventions pour la seule trons aujourd’hui sur la question du dévelop- tion, le climat semble un peu plus serein
année 2016, sur un budget global de 2,4 pement rural, de l’agriculture, de la forêt aujourd’hui. « La mobilisation qu’il y a eue
millions d’euros. ou encore de l’énergie, en déléguant aux en faveur des parcs régionaux l’an dernier
Autre épine dans le pied : le blocage du Fonds communautés de commune la gestion a montré à l’exécutif les attentes qui
européen agricole pour le développement touristique », précise-t-il. Une solidarité existaient sur les territoires, explique
rural depuis plus de deux ans. « Cette situa- entre les acteurs du territoire que prévoit Michaël Weber, président de la Fédération
tion n’est pas propre au parc, explique Jean- la nouvelle loi Montagne et qui serait donc des Parcs naturels régionaux. Cela a amené
Luc Desbois, mais certains des postes du en partie à l’origine des suppressions de la région à renouer le dialogue. » Si les
parc sont financés par ce fonds. En l’absence postes dans les Bauges. parcs existants et ceux actuellement en
de trésorerie importante, nous ne pouvons projet, dont celui de Belledonne, ne sont
plus faire face. » Conséquence : sept postes CLIMAT PLUS SEREIN aujourd’hui plus remis en cause, charge
sont actuellement en cours de suppression Reste qu’au-delà de la redistribution des désormais à eux de poursuivre leur mission
au sein de la structure, qui prévoit égale- cartes, la baisse des subventions augure dans un climat d’incertitude budgétaire.

Montagnes Magazine#446
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page17

actus culture

THOMAS ET ALEX HUBER, LA BIOGRAPHIE


À CORDE TENDUE
Propos recueillis par Jocelyn Chavy.

Montagnes Mag : d’Adam Ondra. Sûrement timoré à propos des


D’où viennent les frères Huber ? cotations, Alex Huber s’est fait un nom avec “La
François Carrel : Ils ont été d’abord initiés à la Rambla” à Siurana – et pas pour ses nombreuses
haute montagne par leur père. Alex Huber fera voies extrêmes chez lui. Auparavant ils œuvraient
ainsi la Walker à seize ans encordé avec lui. Par déjà en grande voie, avec “Scaramouche” (8a,
la suite ils deviennent tous deux guides de haute 8 longueurs) libérée en 1989.
montagne. Les frères Huber sont les héritiers
d’une école menée par Kurt Albert et Wolfgang MM : Les Huber et la montagne ?
Güllich (auteur du premier 9a) : l’escalade libre FC : En transposant leurs capacités énormes
extrême ou « rotpunkt », des couennes aux sur des falaises inconnues jusqu’aux parois les
grandes parois, qui se développe depuis les plus prestigieuses, les frères Huber s’inscrivent
années 70 puis 80 sur la scène germanique. Il dans la même démarche qu’un Kurt Albert.
s’agit d’ouvrir, ou de « jaunir » les voies d’artifi- Comme lui, ils veulent grimper les plus belles
cielle existantes, mettre en place des procé- montagnes, Thomas réussissant l’Ogre III (VIII/A2)
dures d’entraînement. On peut y voir un paral- en 2001 après 25 buts... Thomas va d’ailleurs
lèle avec des grimpeurs comme Patrick Berhault, développer une passion pour les montagnes du
en gardant à l’esprit qu’il y a eu peu d’échanges Pakistan, en grimpant régulièrement dans le
entre grimpeurs de culture germanique Karakoram, à l’Ogre, au Latok, au Baintha Brakk,
(Allemands, Autrichiens, mais aussi certains tandis que son frère Alex poursuit une quête
Suisses et Italiens du Tyrol) et grimpeurs français. de solos d’ampleur : “Brandler-Hasse” à la Cima
Les Huber s’inscrivent dans cette démarche de Grande (Dolomites, 7a+ mais sans repos les 150
libération de grandes voies, tout en ouvrant des premiers mètres...) ou encore le Grand Capucin
couennes extrêmes. Alex Huber a probable- par la voie des Suisses en aller-retour en solo
ment ouvert le premier 9a+ de la planète avec intégral, et relance une tradition du solo en
“Weisse Rose” au Schleier Wasserfall en 1994 – montagne. Alex craint les risques objectifs et
cela après avoir ouvert le second 9a au monde l’altitude mais pas l’engagement en rocher,
en 1992 avec “Om” (Höher Göll). Ensuite, très vite, ouvrant “Bellavista” au Tre Cime, d’abord en
ils ouvrent des voies de plusieurs longueurs artif puis en libre, puis avec “Pan Aroma” (8c, 500
totalement extrêmes : Thomas libère “The End m, 2007), son chef-d’œuvre engagé qui est une
of Silence”, (8b+/11 longueurs) au Reiter Alm, réponse à ceux qui avaient pitonné “Bellavista”.
sans doute l’une des voies les plus dures d’Europe En 2012 il libère “Nirwana” (8c+, 7 longueurs) au
en 1994 ! Quand Alex Huber réalise la première Sonnenwand, au Loferer Alm dans le Tyrol, et en
véritable en libre de “Salathé” sur El Capitan 2014, “Wetterbock” (8c, 9 longueurs) à côté de
(8a+, 1 000 m), ce n’est pas un hasard puisqu’il chez lui, en Bavière, sur le Höher Göll. En 2016,
est sans doute en 1995, l’année suivant “Weisse à 50 ans, Thomas était l’été dernier dans la face
Rose” (et précédant “Open Air”, son autre 9a+) nord du Latok...
le meilleur grimpeur du monde.

MM : D’où vient cette méconnaissance des


réalisations germaniques ?
FC : En France il y a sans doute un certain mépris
des Préalpes calcaires du Tyrol ou de la Bavière
aux noms imprononçables, et un vieil antago-
nisme dû à deux guerres mondiales. Et ce, malgré
l’importance historique (premier sixième degré)
de massifs comme le Wilder Kaiser. Au pied de
ce massif se trouvent des falaises comme
Schleier Wasserfall, ce sont les Alpes de
Berchtesgaden, où habitent aujourd’hui, à
quelques kilomètres l’un de l’autre, les frères
Huber. Au vieil antagonisme franco-germanique
s’ajoute l’incompréhension, ou du moins la confu- François Carrel, Thomas et Alexander Huber,
sion, avec les cotations locales (“Om”, 9a, est À corde tendue, Guérin, 448 p., 56 €.
cotée XI), mais surtout “Weisse Rose”, initiale-
ment cotée 8c+/9a n’est reconnue comme un
9a+ que quinze ans plus tard et le passage
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page18

20_actus culture

L’ASCENSION DU MONT BLANC POURQUOI NOUS


Ludovic Escande est plutôt calé niveau littérature. Ce direc- AIMONS GRAVIR LES
teur de collection chez Gallimard prend cette fois lui-même
la plume pour raconter une histoire qui pourrait sembler
MONTAGNES
des plus banales. Un mont Blanc. Quoi de plus commun Ce n’est pas une
dans le milieu des alpinistes. Le titre du livre lui même question (pas de
n’apporte que peu d’originalité, a priori. Pourtant, après point d’interrogation
quelques pages, on se fait happer par autre chose, par une au titre d’ailleurs)
autre intrigue que celle d’une ascension qu’on imagine par mais la déclaration
ailleurs réussie. Car cet alpiniste novice devra relever bien d’une explication à
d’autres défis que sa simple préparation physique pour venir, dans les pages
son projet d’ascension. À commencer par sa préparation de ce livre écrit par
mentale, savamment démantibulée par l’initiateur lui- Marco Troussier. Ou
même de ce projet alpin : Sylvain Tesson. Et l’on se plaît et plutôt plusieurs expli-
se complaît à savourer le joyeux désordre des quelques cations, données au
jours passés par l’auteur en compagnie de l’écrivain et de goute à goute, au lettre à lettre d’un abécé-
ses fidèles compagnons de cordée que sont Jean-Christophe daire subjectif, qui s’arrête sur les mots choisis
Rufin et Daniel Du Lac. Et Escande invente une nouvelle > Ludovic Escande, par l’auteur. Grimpeur renommé, Troussier
forme de littérature alpine qu’il appelle lui-même : l’alpinisme L’ascension du mont Blanc, égrenne les raisons de notre attirance pour
gonzo. À votre santé ! Et davaï ! Allary Éditions, 160 p., 16,90 €. la montagne, touchant plus souvent à l’évo-
cation sucitée par les sommets qu’à la perfor-
mance chronométrée.
ET SI TOUT S’ARRÊTAIT LÀ ? > Pourquoi nous aimons gravir les
C’est un livre comme un engloutissement : à peine passe-t-on une tête à l’intérieur que l’on montagnes. Abécédaire (non exhaustif) de
est happé par les éléments, captivé par l’action, fasciné par les hommes. Les éléments, ce l’alpinisme, Marco Troussier, Les éditions
sont ceux qui dimensionnent le monde physique : le froid, la neige, l’odeur de la forêt, le du Mont Blanc, 224p., 14,90 €.
mouvement continuel, le blanc aveuglant des sommets et puis l’altitude qui devient, au fil
des pages, addictive. L’action, c’est une jeune sociologue américaine propulsée dans le milieu
montagnard à Chamonix pour préparer une thèse sur les sports à risque. Les hommes ce
sont ces sportifs de haut niveau : freerideurs, traileurs, grimpeurs, highliners, attirés par TOPOS D’ÉTÉ
le danger. L’auteur, Mélanie Valier, mélange les genres avec audace. Elle exalte l’élan verti- Un topo qui va
gineux du désir, de la liberté, de l’émancipation du corps, en tissant une histoire d’amour rapidement devenir
et d’amitié au cœur du milieu alpin. Ce qui fascine, c’est ce rapport au lieu comme matière l’un des ouvrages
fondamentale : Chamonix n’est pas un décor, mais devient une ambiance, presque un indispensables de
épicentre, que l’on souhaiterait habiter. On entre physiquement dans le paysage. L’histoire l’alpiniste des
est tendue, tout en relief charnel, racontée dans une pulsation rythmée. Certains passages Hautes-Alpes. En
sont plutôt « hot » et ne manquent pas de raviver la fièvre qui brûle déjà ce récit ! L’occasion quelques chiffres :
n’est pas fréquente de lire un roman de ce type. C’est courageux, novateur, féminin. 80 itinéraires
L’histoire se déroule sur une année, on observe avec précision chaque saison transformer décrits (de F à D), 20
la vallée, et à la fin du livre, on voudrait pouvoir encore y rester. Virginie Troussier variantes, 10 circuits
> Fernando Ferreira, L’alpiniste errant, journal aux pages manquantes, Glénat, 256 p., 15,9 €. alpins, 27 cartes, 153
tracés sur photos ou croquis, 145 photos
d’illustration. Foncez !
GRAVIR LES MONTAGNES > Voies normales et classiques des Écrins,
Sébastien Constant, Éd. Constant, 194 p., 29 €.
EST UNE AFFAIRE DE STYLE
Les lecteurs de Montagnes Mag reconnaîtront la
plume affûtée de Cédric Sapin-Defour, connu notam- Enfin un topo mis à
ment pour sa rubrique « Ça pic ! », dans son nouvel jour des plus belles
ouvrage. Toujours amoureux des mots, l’auteur se voies rocheuses des
plaît ici à en explorer la forme et plus précisément le aiguilles de Cham’,
style. À partir de situations dans lesquelles chacun se par l’auteur de
reconnaîtra (pas toujours heureusement), il dépeint Neige, Glace et
les tics de langage et autres dérives verbales du petit Mixte. Croquis,
milieu des alpinistes dont découlent des figures de style photos et descrip-
bien réelles. Qui a dit que le montagnard ne maîtrisait tions longueur par
pas la langue de Molière. Termes précis à l’appui longueur de voies
(épanadiplose, autocatégorème ou simple assonance), situées de l’aiguille
l’analyse amusée et pleine de tendresse de nos récits de M jusqu’à l’aiguille du Plan, en passant
alpins révèle nos petites manies et faiblesses d’alpi- par les Charmoz, Grépon, Blaitière, Peigne,
nistes bavards ou taiseux. Un livre rafraîchissant dans Pèlerins et Deux Aigles. À vos chaussons !
la chaleur de l’été et la moiteur du sérieux. > Mont Blanc granite, tome 2 : Aiguilles
> Cédric Sapin-Defour, Gravir les montagnes est une de Chamonix, François Damilano, JMEdition,
affaire de style, Guérin, 275 p., 13 €. 240 p., 28,50 €.

Montagnes Magazine#446
16 MM445_Actu.qxp_MM439 17/07/17 10:51 Page19

biblio collector _19

JEAN-MARC AUBRY
UNE SEMAINE DE VACANCES Par Jean-Louis Laroche

uf ! Les grandes vacances sont enfin poil à gratter, capable de procurer un savou- beauté croquignoute du petit marmotton

O là… C’est le moment de glisser dans


le sac à dos une provision de lectures.
En général, on emporte un pavé de cinq
reux moment de détente, juste avant
l’extinction des feux en refuge ou plus
prosaïquement affalé sur une serviette de
imitant sa mère ou de l’étincelance d’un
cristal de roche : rien à battre ! »
Le temps du ravito montre que l’on n’est
cents pages pour tenir un mois avec l’impa- plage entre deux plouf. pas là pour un plan gastronomie, mais pour
tience quotidienne de retrouver nos héros une variante gastroentérite : « Le lyophi-
favoris, mais lorsqu’on pratique l’alpinisme, LE CHEMIN PRIME SUR LA DESTINATION lisé… Que vous preniez bœuf mironton
pas question d’emporter la brique en refuge. Nous allons suivre les « trekkeurs » dans carottes, sole provençale aux petits légumes
Il nous faut du light et du coulant, comme une rando d’une semaine du côté des Hautes- ou curry d’agneau à la népalaise, le seul mot
un bon brie bien mûr, facile à ingurgiter, pas Alpes. Au programme : premier contact via qui vous vient après la première bouchée,
trop lourd à digérer. les petites annonces, rendez-vous en gare c’est beurk ! »
Nous avons cette petite merveille sur nos SNCF, revue de paquetage, étapes de refuge Et les photos ! « Y’a les mecs pour qui c’est que
étagères. Mieux, nous assurons le coup avec en refuge, relations entre les participants, des conneries de gonzesses. Mais l’air de rien,
Une semaine de vacances et sa suite Douche avatars météo, ampoules capables d’éclairer on rentre le ventre, gonfle les biceps, le regard
écossaise, deux petits formats poche. le stade de France, orage et séances photos, perdu vers d’autres sommets à gravir… »
dernier soir avec un snif dépité, mais la
DANS LA LIGNÉE DES AVENTURES DE promesse qu’on se retrouvera.
MONSIEUR PERRICHON C’est l’objet de la suite en forme de Douche
La littérature de montagne est généralement écossaise, réapparition de certains person-
d’un classicisme assez convenu quand il s’agit nages gratinés, amourette quand tu nous
de rapporter un récit d’ascension, alors quand tiens, le mec dans la lune, le beau gosse qui
on aborde la catégorie « roman », il faut bien fait se pousser du coude les filles en chasse,
lire la quatrième de couv avant de se lancer ! le stakhano du chrono, la traînarde au sac
Un genre intermédiaire fait florès depuis lourd de trucs superflus.
quelques années, le pamphlet. Un pro des Le style est alerte et l’auteur réussit à ne pas
loisirs, guide ou accompagnateur, raconte tomber dans la vulgarité, bien que certains
les tribulations de sa clientèle, sans doute scenarii soient un peu téléphonés. On peut
afin d’exorciser les longs moments de parler de « verve », un traitement à la
solitude traversés dans l’exercice délicat Audiard pour les dialogues, et une facilité
du partage et de la transmission. de langage des rues à la Laurent Chalumeau
On a pu lire sous la plume de René (Kif, Rivages/Noir). Cela rend l’histoire fluide
Desmaison un texte désopilant, bien que et attrayante : on attend toujours une
peu charitable sur Charles Courteroche, un surprise au coin d’un dortoir ou à l’approche
de ses clients qui aurait dû se contenter de d’un sommet, et les déconvenues des uns
la « marche à pied » plutôt que de vouloir se compensent les vacheries des autres. 5 Une semaine de vacances,
pendre à des étriers (Professionnel du vide). Éditions Guérin, 2002, 247 pages
Yves Exbrayat raconte dans Un mois d’émois MORCEAUX CHOISIS
(éditions JME) une aventure plus haute en Chaque étape de la progression est prétexte
couleur qu’en exploits hypoxiques, au nord à galéjade, et l’on retrouvera plus d’une
des Annapurnas et W.E. Bowman « passe à situation vécue avec grand plaisir. Ainsi le
la moulinette de l’absurde tous les poncifs groupe fait bloc, motivé par l’effort à tout
du récit d’expé lointaine » dans À l’assaut prix : « Je pourrai toujours leur parler du
du Khili-Khili (Payot). bleu surréel de la gentiane printanière, du
Une semaine de vacances est de cette veine système végétatif de l’edelweiss, de la

Montagnes Magazine#446
20_MM445 CaPic.qxp_MM439 17/07/17 10:39 Page20

20_ ça pic

ABSOLUTELY ALPINUS
Chaque printemps, chaque automne, le mouvement renaît. En
Himalaya, ça bouge. En Alpes, ça cause. Ce serpent de mer se
risquant biannuellement dans nos montagnes porte un joli nom :
style alpin. Rien qu’à l’écriture de ces deux mots qu’on ose à peine
servir à la sauce minuscule, on se sait tenu de choisir un camp 1 ou
un camp 2 : partisan du style alpin ou partisan de pouvoir y
déroger. Êtes-vous STAL ou non-STAL ? Rien entre, pas même le
droit de s’en fiche. En ces temps de Macronisation des esprits,
devoir choisir pour ou contre sans possibilité aucune de « et en
même temps », ça déboussole. Comble de résonance, la grosse
caisse Kilian est venue hystériser son monde ce printemps 2017
autour de la question du bon style.
Par Cédric Sapin-Defour.

Rappelons à celles et ceux simulant la logique, élégance du geste, sobriété des être les pires des ennemis.
méconnaissance pour ne pas avoir à prendre moyens (des ascensions décroissantes... Le discours des prédicateurs du style alpin
parti ce qu’est ce sacré style alpin. Comme oxymore mon amour), haut degré d’enga- est en plusieurs points irritant. Il gâche
tout ce qui est mieux que le reste, il se définit gement, il est un cran au-dessus. Nettement. cette inclination naturelle que nous avons
volontiers par ce qu’il n’est pas. C’est le Il y a du panache, de la classe, de l’élégance tous pour l’évidence de ce choix. Il y a la
triptyque du pas : pas de corde fixe, pas de dans le style alpin, nous autres alpinistes en logique du tri. Bon, pas bon, bien, pas bien
porteur, pas d’oxygène. On pourrait ajouter faisons le canon de nos gesticulations. et tous ces classements nauséabonds aux
pas de camps intermédiaires mais ça fait Relativement, le style himalayen frise l’indé- tristes grands frères. Si nous fuyons les
quadriptyque et c’est plus rêche à dire, déjà cence. Qui ne souhaiterait pas gravir toutes églises, ce n’est pas pour retrouver, en
que la discussion se fait âpre. Bref le style les montagnes du monde en style alpin ? montagne, même depuis les plus hautes
alpin, c’est notre façon de grimper dans les Personne. Qui peut prétendre qu’à même cathédrales de glace, la logique du trieur
Alpes, à la mode de chez nous, d’où le nom. objectif, tous les moyens se valent ? C’est nous récitant ce qu’il est honorable ou
Alpes où bizarrement on ne dit jamais que une fable pour enfants. Le problème n’est déshonorant de faire, pire de penser. Sauf
l’on pratique l’alpinisme en style alpin sans donc pas le style alpin. Le problème, s’il y en amputation, le petit doigt des alpinistes est
doute par crainte d’un procès en pléonasme. a un, ce sont ses ambassadeurs. Ou plutôt suffisamment clairvoyant pour leur souffler
On ne commence en effet à causer style ses prescripteurs. La différence entre les la bonne direction. Il y a des gens comme ça,
alpin qu’une fois arrivé à Katmandou ou El deux est fondamentale. Les premiers font comme les trieurs, on s’accorde avec ce
Calafate, on a connu voyages plus instruc- comme il leur semble naturel de faire, avant qu’ils font, disent, pensent, ressentent
tifs et coquetteries moins coûteuses. tout pour eux, et la beauté de leur geste même. Mais à nous filer trop de devoirs, on
Le style alpin va bien au teint des alpinistes. nous inspire. C’est Messner et se surprend à jouer au non.
C’est mérité. Vélocité, esthétisme de la Kammerlander traversant les Gasherbrum Pas très loin du bon se terre le juste
en 1984. C’est Loretan et En 1880, Albert Frederick Mummery avait
Troillet courant dans le laissé sa carte de visite dans une bouteille
LE TON DU JUGEMENT ET Hornbein et en redescen-
dant sur le cul en 1986. Le
à la dent du Géant, plutôt à sa base, point
final de son échec. Inscrit sur celle-ci,
DE LA LEÇON N’EST PAS sens de leur action est à
peine suggéré, cela suffit
laconique, « Absolutely inaccessible by fair
means. » Depuis (et sans doute avant) le
LE BON POUR DONNER pour donner envie. Les
seconds font comme ils
milieu de l’alpinisme aime à sceller le curseur
des moyens justes. Drôle d’idée dans cet
ENVIE. PRÉFÉREZ LA pensent qu’il est bon de
faire, pour eux un peu, pour
alpinisme prétendument libertaire que
vouloir fixer les règles du jeu, les codes de
BEAUTÉ, ON N’A PAS tous surtout, ils imposent
leurs règles et s’époumo-
bienséance, qui plus est autour du style
alpin, symbole même du refus des conven-
TROUVÉ MIEUX COMME nent à nous convertir. Cela
suffit pour se méfier.
tions collectives. C’est une discussion que
l’on sait stérile et source d’empoignades
MANIFESTE. Inspiration et prosélytisme
sont de faux amis, peut-
sans fin. Où fixer le juste ? Où commence-
t-il ? Où se termine-t-il ? Monter à l’aiguille

Montagnes Magazine#446
20_MM445 CaPic.qxp_MM439 17/07/17 10:39 Page21

_21

3
Comme quoi, même le style alpin n’est pas
toujours du meilleur goût... © DR

trop de matériel sur les pentes des 8 000 stylus alpinus ayant fait le choix du sommet,
est incontestable, le nier serait se mentir. Le lui décrivent le mouvement pied-main de
bilan carbone des adeptes du style alpin leur pure réussite sur ce second ressaut
est-il pour autant reluisant, quasi vertueux bien revêche. Voyez vers quelles mesquines
? Il est là l’écueil cardinal de ces empoi- exigences nous font dangereusement
gnades, celui de servir à la louche la théorie pencher les jugements en fair means.
du pire, celle qui mécaniquement rend Quelques virgules après pureté, devrait
légitime toute posture. poindre l’argument commercial.
Le danger du bon que l’on mélange au juste « Les méchants sont les alpinistes des expés
est qu’il donne le pur. Écoutez le sermon commerciales », disent ceux qui font
sur la montagne d’un missionnaire du style commerce de la noblesse de leur style. Des
alpin, ses éléments de langage devraient crétins prêts à payer le prix fort pour se
promptement vous servir de la « pureté ». dresser pompeusement aux sommets, des
du Midi en benne, pas juste ou juste ? Doit- La pureté est un terme à manier avec les pas gentils organisateurs prêts à vendre du
on imposer le Mallory ou le Frendo ? Si nous pincettes de la réflexion, de la nuance et rêve et leur âme au diable. Que notre langue
les imposons, se rendre à Chamonix en de la mémoire. Ça peut vouloir dire l’élé- française est indigente, nous manquons
voiture, fair ou not fair ? Doit-on imposer le gance, presque la délicatesse mais à trop cruellement de mots. Si ce n’est commer-
pédibus ? Les échelles métalliques à l’agiter, ce mélange fragile peut tourner au ciale, quelle est donc la nature des liens
l’Everest, touche ou pas touche ? Que la vinaigre, à l’imperfection, à l’exaltation des entre un guide de nos petites Alpes et son
trace soit déjà faite, triche ou pas triche ? uns, à l’exclusion des autres. On va encore client sans Jumar lorsqu’il est demandé au
Se rendre à Katmandou en avion, évidence nous servir de la Saint-Barthélemy et de second un billet de mille pour son selfie à 4
ou entorse ? Par la Qatar Airways ou la l’étoile jaune, calmons-nous, ce n’est que 810 mètres ? Benne, refuge et coups de pied
Turkish Airlines, éthique ou pathétique ? de l’alpinisme après tout ! Tiens... nous voilà au cul non compris. La tradition sans doute,
Les porteurs jusqu’au camp de base, bon enfin d’accord, only alpinism. C’est juste- celle des vieux métiers et de leurs relations
ou mauvais point ? Se réfugier dans la tente ment parce que l’alpinisme n’est pas essen- tarifées pour ne pas s’attacher.
d’une expé à gros moyens, survie ou trans- tiel à ce que la Terre tourne rond qu’il peut Voyez messieurs les prêcheurs du bon style
gression ? L’intention est belle mais voyez faire un joli laboratoire à la tolérance et comme il est périlleux de s’aventurer sur
comme absolutiser à tout crin est une quête l’intelligence. L’autre danger pour les le terrain de l’absolutisation et de l’exem-
qui souvent trébuche et vite s’essouffle manipulateurs de pureté, c’est d’oublier plarité. En plus d’être inopérant. Nous
surtout quand elle s’aventure sur le terrain qu’elle dit aussi la transparence. La première sommes d’accord, parcourir les sommets
du juste, du propre et tous ces trucs qui qualité du style, c’est la clarté disait ce bon du monde en style alpin est une louable
supportent mal binarité et manichéisme. vieil Aristote. Viscéralement attachés à la ambition. C’est une jolie discipline qui devrait
Ne sentez-vous pas cette odeur de débat notion de moyens que la fin ne peut justi- guider nos pas hors des montagnes, vers
vain dès lors qu’on agite le chiffon rouge fier, partisans des procès en place publique, une sobriété qui n’exclut pas de trinquer à
de l’éthique et de sa ligne jaune ? Ça ne les chantres de la pureté, selon leur propre la vie, vers une élégance qui n’interdit pas
veut pas dire tout accepter, tout niveler, logique, doivent donc être en mesure de réussir. Pour tout vous dire, de ce style
surtout pas. Ça signifie simplement que l’on d’attester de leur bonne Foi sur l’intégralité alpin, je suis un convaincu zélé.
est tous l’infondé, l’indéfendable, l’amoral d’une ascension. Si on a bien tout compris. Mais le ton du jugement et de la leçon n’est pas
de quelqu’un ou de quelque chose, le style Pas de corde fixe notamment ni toute autre le bon pour donner envie. Préférez la beauté,
est une notion très élastique. Seuls les aide extérieure et déshonorante, c’est bien on n’a pas trouvé mieux comme manifeste.
derniers mètres de l’Everest ne peuvent cela ? Conrad Anker, alpiniste, grimpeur Regardez Dick Fosbury. Un beau jour de 1968,
faire juges, il y a ce que l’on fait avant, après, américain qui rigole dans le 8a dit qu’il lui il a décidé de changer de style et de pied
il y a la vraie vie. Alors profitons d’être au a été tout bonnement impossible de grimper d’appel. Il a tourné le dos aux habitudes. Sans
sommet pour regarder au loin, autour et le second ressaut de l’arête nord de l’Everest rien dire, juste en faisant. C’était beau et tout
faire le selfie de nos consciences. Tout est sans tirer sur la corde et pousser sur le monde a suivi. Aujourd’hui encore, son style
affaire de curseur et de cohérence person- l’échelle des vilains Chinois . La fissure est le plus gracieux de tous pour prendre de
nelle, à l’image de notre sensibilité écolo- vaudrait un bon 6b, difficilement proté- l’élan et de la hauteur.
gique. L’outrage à la nature commis par les geable, à plus de 8 000 mètres. Conrad
1
Conrad Anker, David Roberts, Mallory & Irvine. À la recherche des
expéditions lourdes abandonnant beaucoup, serait sans doute heureux que les homo fantômes de l’Everest, Glénat, 2000.

Montagnes Magazine#446
22 MM445 Portrait Mondron.qxp_MM439 17/07/17 10:36 Page22

22_ portrait

PAUL-ERIK MONDRON
LA LITTÉRATURE GRANDEUR NATURE
Il y a une petite décennie, Paul-Erik Mondron a créé sa propre
maison d’édition, Nevicata, dont le nom signifie « averse de
neige » en italien. Le ton est donné. Le rapport à l’espace se
calque sur un rapport à l’écrit. La montagne l’amène à des
passions de grande haleine, au roman comme voyage. Le livre,
dans cette maison, devient un passeport, un pays sans frontière.
Portrait d’un éditeur en quête de versants intimes.
Par Virginie Troussier

Il n’y a pas une page de roman entre Paul-


lecture. Les récits de Frison-Roche le collaient nous parle avec fougue de ses grands espaces,
Erik Mondron et ses choix. Sa maison est
déjà aux parois. Il pouvait passer des heures de « cette région où l’on a l’impression d’être
comme un prolongement organique de lui-
à décrypter des cartes. Vers 14 ans, il découvre au commencement du monde ». Ce qui
même. Les livres, le voyage, la montagne ne
alors l’alpinisme à travers des stages en Suisse. aimante, « c’est que l’on sent qu’on pourrait
font qu’un. Éclectique, atypique, bourlin-
Enfin, la sensation physique de voir le monde, y faire souche, faire de ce lieu un chez soi ».
gueur et alpiniste, le catalogue de ces éditions
avec des plans et des arrière-plans. À partir de Depuis, il y est revenu au moins une quinzaine
belges reflète la personnalité du fondateur : un
cette époque, la pratique deviendra plus inten- de fois, seul, ou avec du monde, en expédi-
passionné de grands espaces, de cimes, de
sive, il gravira des sommets de 4 000, la face tion. La Patagonie devient sa terre précieuse,
peuples. Après des études de droit et le service
nord du Cervin notamment. En 1994, il monte promise. « Les paysages sont hallucinants. On
militaire, Paul-Erik Mondron avait envie de
une expédition en Antarctique pour atteindre a l’impression que tout est possible. » Côté
tout « excepté le métier d’avocat ou juriste ».
la plus haute montagne du continent austral, montagne, « tout était à faire ». Il y a une
Il découvre alors le travail d’éditeur, au sein
le mont Vinson, pour le centenaire de l’expé- tradition de l’exploration très forte chez les
des éditions Duculot et des éditions Racine.
dition de Gaston de Gerlache. La Nouvelle- grimpeurs locaux. Là-bas, on souhaite « faire
En 1999, il souhaite quitter le plat pays pour
Zélande, c’était à la base pour une durée quelque chose de neuf », « aller là où on n’a
des horizons plus hauts. « Je voulais aller
indéterminée. Mais on l’accueille dans les pas toutes les infos en main ». Rien n’est
loin, dans un lieu qui m’était inconnu. Et je
règles de l’art en lui demandant de prévoir jamais gagné – et Paul-Erik Mondron a bien
voulais également voir ces fameuses Alpes
un billet retour. Impossible de séjourner sans. assimilé leur adage : « Celui qui est pressé
néo-zélandaises. » La montagne, c’est une
Par chance, une agence lui propose un billet perd son temps. » Ce qui l’a particulièrement
passion depuis toujours. Il y est venu par la
à 700 dollars qui lui permet de rester quelque marqué, c’est la fraîcheur, « l’enthousiasme
temps là-bas (il en profitera pour latino », la possibilité de faire de la montagne
gravir les grands classiques : les avec sérieux et légère folie.
monts Aspiring et Cook) avant de Sans le savoir peut-être, il rencontre de
VOIR L’AVENTURIER partir en Amérique du Sud, vers
l’Argentine et le Chili. Seule
nombreux aventuriers qui partagent sa passion
pour les cimes et qui deviendront des amis
AVANT L’ÉCRIVAIN, contrainte : revenir six mois après en
Belgique.
et des collaborateurs. En rentrant, il prend
des parts dans un magasin de montagne à
C’EST OUBLIER C’est ainsi qu’il se confrontera à son
plus grand choc esthétique, culturel,
Bruxelles, rare enseigne de la région spécia-
lisée dans le ski et l’escalade. Cela durera six
L’IMPLACABLE vertical : la Patagonie. Le jour où il
a vu l’immensité de cette terre, il a
ans. Il décide ensuite de revenir à l’édition et
de créer sa propre maison. Cela fait des années
DISCIPLINE senti des poids se détacher un à un
de ses épaules et s’est presque senti
qu’il découvre des textes inouïs, riches, encore
jamais traduits. Il maîtrise parfaitement
QU’IMPOSE LE voler. Il se laisse absorber par des
assonances ou des couleurs, il
l’anglais, l’italien, l’espagnol. « À force de
passer du temps dans les refuges avec les
TRAVAIL DE LA PLUME. semble avoir trouvé le lieu de son
exigence. Quand on lui demande ce
Sud-Américains, on finit par bien parler leur
langue ! » Un ami écossais lui parle de ce
qui le fascine dans la Patagonie, il texte, Aux confins de la Terre, de E. Lucas

Montagnes Magazine#446
22 MM445 Portrait Mondron.qxp_MM439 17/07/17 10:36 Page23

_23

BIO EXPRESS :
- 1997 : Ascension filmée du mont Vinson
- 1999/2000 : Passage du nouveau millé-
naire en Patagonie. Début d’une forte
passion pour la région.
- 2008 : Création des Éditions Nevicata
- 2015 : Lancement de la collection
« L’âme des peuples » au sein de Nevicata.

Petite bibliothèque idéale


de Paul-Erik Mondron :
- Charles Ferdinand Ramuz, pour son
œuvre romanesque, réunie dans La
Pléiade, Gallimard, 2005.
- Patrick Leigh Fermor, Dans la nuit et le
vent – À pied de Londres à Constantinople,
Nevicata, 2013.
- Dee Brown, Bury my heart at Wounded
Knee, an Indian history of the American
West, Holt, 1970, (paru en français sous le
titre Enterre mon cœur à Wounded Knee,
Albin Michel, 2009).

Bridges paru en 1948. L’éditeur naissant le


cherche partout. Il le trouve finalement chez
un petit bouquiniste, dans une très ancienne
édition. Ce texte le fascine dès les premières
lignes et le passionne encore. « C’est un trésor
caché. » L’histoire et l’espace de la Terre de
Feu y sont décrits comme nulle part ailleurs.
La maison cherche les héritiers et les bonnes
rencontres réussissent au projet. Paul-Erik
Mondron détecte des textes oubliés avec une
méthode spéciale, à l’intuition et avec passion.
Quand il tient un ouvrage audacieux, ses yeux
se mettent soudain à pétiller comme s’il venait
d’acquérir un pur-sang, prêt à prendre tous
les paris. Aux confins de la Terre paraît donc
en langue française après deux premiers
ouvrages : un topo d’alpinisme dans les Andes
et Mont Blanc et Aiguilles Rouges à ski
d’Anselme Baud. Cet ouvrage fête d’ailleurs
sa troisième réédition.
Nevicata se spécialise depuis dans la litté-
rature de voyage et de montagne, dans la
littérature de non-fiction. Les récits vécus absolument connaître ». On pourrait citer impressions de voyage. Voir l’aventurier
possèdent de vraies matières romanesques. notamment Défonce verticale de Jim avant l’écrivain, c’est oublier l’implacable
La maison traque les perles rares. Elle Bridwell ou Libres comme l’air de discipline qu’impose le travail de la plume.
souhaite que ses textes puissent permettre Bernadette McDonald. Il se taille ainsi une Paul-Erik Mondron aime ceux qui façon-
d’entrer en contact avec une forme d’intimité, réputation de découvreur hors pair, publiant nent le texte sur un rythme immuable,
de connaître les ressorts profonds d’un pays, peu et visant juste. Il s’entoure des meilleurs soucieux du flot furieux du récit qui prend
d’un peuple, d’une personne. Et les récits traducteurs, d’une rigueur implacable. le lecteur par le collet à la première phrase
de montagne ne s’adressent pas qu’aux prati- Nevicata présente des volumes racés, recon- pour l’abandonner au dernier mot de la
quants de ces sports exigeants. Géographie naissables à leurs belles photos en couver- dernière page. Il aime ceux qui ont redes-
sans frontière, la montagne est un espace où ture. La maison travaille avec une intransi- siné la carte et circonscrit le territoire avec
l’on se sent relié au monde. La spécificité de geance méticuleuse. Il y a un côté absolu. leurs tripes et leurs souffles. Les auteurs de
Nevicata est de se démarquer des livres bien C’est rare. Elle a le flair. Mais, il est bon de Nevicata ont couru le monde en quête
connus du milieu. Cet éditeur cherche, le rappeler, un écrivain voyageur ne se d’aventure. Mais l’aventure ultime de ces
déniche, part en quête de l’oxygène rare et contente pas de jeter ses aventures sur le voyageurs, ce ne sont finalement pas ces
trouve des mines d’or, « des histoires à faire papier, changeant en récits épiques ses expéditions lointaines. Ce sont les livres.

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page24

24_ grande rando

TRAVERSÉE DES
ALPES À PIED
UN VOYAGE POUR PRENDRE
DE LA HAUTEUR !
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page25

_25

Le GR®5 (ou E2 pour la dénomination européenne) est un


itinéraire de grande randonnée européen, qui débute sur les
côtes hollandaises de la mer du Nord pour arriver quelque 2
600 km plus loin sur les bords de la mer Méditerranée. Côté
Alpes, le GR®5 invite à parcourir plus de 600 km depuis le lac
Léman, frontière naturelle entre la France et la Suisse et
véritable mer intérieure jusqu’à la mer Méditerranée. Il longe les
frontières suisses et italiennes, traverse 5 départements et relie
150 hébergements.

5
Vue depuis la Dent d'Oche
© C. Martelet
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page26

Pour la petite histoire, la Grande Traversée déserts d’altitude à la côte méditerranéenne. Le marcheur qui souhaite se lancer dans le
des Alpes a été initiée en 1946 par la section Si les trois parcs traversés par le parcours – GR®5 Alpes choisit la forme de son itiné-
Randonnée du Club alpin français avant de Vanoise, Queyras, Mercantour – figurent au rance et son rythme, au gré de ses envies et
devenir propriété de la Fédération Française top 10 des destinations « randonnée » en de ses possibilités. Certains le parcourent
de la Randonnée Pédestre en 1978 qui en France, d’autres territoires méconnus d’une traite, se libérant de toute contrainte
assure aujourd’hui encore l’entretien et le méritent tout autant le détour. Coup de cœur pour un mois d’immersion au cœur des Alpes,
balisage. En 1971, sous l’impulsion de assuré pour la chaîne des Fiz, le massif du d’autres le font sur plusieurs étés, reprenant
Philippe Lamour, membre de la DATAR Thabor ou la vallée de l’Ubaye ! le chemin là où ils l’avaient laissé la fois
(Délégation interministérielle à l’aména- précédente, avec le désir inchangé de décou-
gement du territoire et à l’attractivité régio- Tout au long du parcours, le patrimoine vertes et de rencontres. Certains partent seuls,
nale), l’association Grande Traversée des naturel, culturel et architectural du massif cherchant le calme et l’isolement dans la
Alpes (GTA) voit le jour pour rendre acces- se dévoile. Depuis les sentiers de contre- nature, quand d’autres choisissent de préparer
sible à un large public ce sentier jusqu’alors bande ou de pèlerinage aux fortifications des vacances entre amis, en famille ou en
réservé aux marcheurs aguerris, adeptes des alpines du XIXe siècle, du pastoralisme à groupes organisés, pour le plaisir de partager
étapes de 12 heures et qui n’avaient pour l’aménagement touristique de la montagne, et de vivre cette expérience ensemble.
autre choix que de passer la nuit dans un chaque territoire traversé raconte une
vieil abri... ou sous les étoiles. La mission histoire infiniment riche et passionnante.
de la GTA est alors d’organiser les étapes et
de convaincre les habitants de transformer
leur grange en gîte d’étape pour accueillir
des touristes d’un nouveau genre !
GTA, L’ASSOCIATION
Traverser l’intégralité des Alpes françaises, Créée en 1971 pour assurer la structuration de la partie alpine du GR®5, l’association
c’est partir pour une quarantaine d’étapes à Grande Traversée des Alpes a toujours eu pour mission de faciliter la pratique du
la découverte de l’infinie variété des tourisme itinérant dans les Alpes. Au cours de ces 45 années d’existence, nous avons
paysages alpins : des rives verdoyantes du lac tout mis en œuvre pour vous permettre de découvrir l’itinérance de la meilleure manière
Léman aux sommets enneigés des Grandes possible en façonnant des itinéraires de qualité, parfaitement adaptés aux différentes
Alpes, des alpages savoyards aux villages pratiques : randonnée, cyclotourisme, VTT ou encore le vélo électrique. Site Web :
haut perchés des Alpes-Maritimes, des www.moveyouralps.com

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page27

_27

Qu’il dure une ou trois semaines, c’est pour


la personne qui le vit un voyage à part LA FFRANDONNÉE
entière. Un voyage au rythme des pas, au ET LES 70 ANS DES GR
contact d’une nature qui permet le ressour- Les bénévoles de la FFRandonnée assurent l’entretien et le balisage des
cement, fait de gestes simples et qui ramène GR, un grand merci à eux ! 6
à l’essentiel. Un voyage à deux pas de chez L’aventure des GR a commencé en 1947 avec l’inauguration officielle du Lac Léman.
soi qui devient nécessaire à chacun, pour qui premier tronçon du GR®3 ! Programme spécial « 70 ans » sur www.mongr.fr ©GTA

veut échapper un temps à un quotidien


empli de contraintes. Car si le voyage à
pied est en vogue aujourd’hui, c’est bien
parce qu’il répond aux attentes actuelles :
vivre simplement, s’émerveiller, en baver
dans une côte et recommencer car à chaque
pas, on se sent plus proche de la nature mais
peut-être aussi un peu de soi-même.
Comme l’écrit Nicolas Bouvier, « un
voyage se passe de motifs. On croit qu’on
va faire un voyage, mais bientôt c’est le
voyage qui vous fait, ou vous défait ».

6
Aux abords du refuge du Thabor, vue sur la Vanoise.
©GTA - Brice Milbergue
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page28

À découvrir fin 2017,


une série documen- Que voulez-vous montrer à travers ce projet ? Quel est ton meilleur souvenir ?
taire sur le GR®5 sur L’ambition des auteurs Benoit Aymon et Après une journée terrible, avec des
Radio Télévision Suisse Pierre-Antone Hiroz est de montrer que la crampes tout le long d’une montée d’un
et en 2018 sur France 3. marche est une démarche. col, deux chutes, l’arrivée au refuge de
Il n’y a ni exploit physique ni vainqueurs. Nice fut des plus grandioses.
Vincent Gonet, directeur Au contraire, les marcheurs vont réaliser J’ai laissé tomber mes bâtons, ouvert mes
général Point PROD, en leur objectif en rejoignant la mer avec le bras et ils sont venus à moi et nous nous
charge de la série pour soutien du groupe. sommes pris dans les bras… ce fut une joie
Radio Télévision Suisse C’est donc une belle aventure humaine. immense car un groupe était né et tenait
D’autant que la marche permet de faire le ses promesses d’être à jamais indisso-
Pourquoi avez-vous choisi le GR®5 pour point et de prendre du recul : une distance ciable. J’aime à le croire et comme dans la
réaliser cette série documentaire ? bienvenue dans nos vies compliquées. chanson de Brassens, Les copains d’abord,
La partie du GR®5 qui relie le Léman à la nous étions de nouveau réunis… ça c’était
Méditerranée est une route mythique qui Christophe Leduc (un marcheur de l’équipe un moment fort…
rappelle qu’avant le XIXe siècle, il fallait de la Radio Télévision Suisse)
franchir la barrière des Alpes à la vitesse Qu’est-ce qui t’a motivé pour te lancer Que conseillerais-tu à un randonneur qui
de la marche. dans cette aventure collective ? aimerait faire le GR®5 mais qui n’ose pas
La diversité des paysages, les cols de La marche a la vertu primordiale de nous se lancer dans cette aventure ?
montagne, la faune, le patrimoine bâti et remettre sous les yeux, sous les sens, le livre Il faut le faire car une fois que l’on est
finalement la Méditerranée offrent à cet du monde, celui précisément que tout philo- dedans, on trouve toujours des solutions,
itinéraire son caractère unique et magique. sophe conséquent doit chercher à explorer. même insoupçonnées. Et surtout laisser le
Elle nous donne à voir, à observer, à sentir ; temps au temps, oublier l’emprise d’une vie
Comment se déroule la traversée avec l’équipe or tout commence par là, par une quotidienne et s’ouvrir aux autres, à cette
technique et le groupe de marcheurs ? expérience sensible. nature pleine de bonté et de richesse.
Une équipe filme la progression des 10 Marcher sur le flanc d’une montagne revient L’expérience ne pourra en être que
marcheurs le long du GR®5 pendant qu’une à goûter la saveur de l’originel, retrouver en bénéfique et nul ne revient le même car la
deuxième prend le relai à l’arrivée des quelques pas l’air et l’atmosphère des somme de connaissance et d’expérience
refuges et des haltes pour prendre le pouls premiers matins du monde, ressentir des est énorme et miraculeuse.
des marcheurs. impressions – bruits, odeurs, images – N’hésitez pas, foncez et vous serez à coup
Une équipe marche et l’autre suit par la premières et non altérées, pures. La marche sûr gagnant…
route la progression du groupe. représente une sorte de retour aux sources.

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page29
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page30

30_ grande rando

à respecter : renseignez-vous avant de partir.


Dans le parc national du Mercantour : bivouac toléré
pour une nuit, uniquement entre 19 h et 9 h, à condi-
tion que le lieu de bivouac se trouve à plus d’une
heure de marche des limites du parc ou d’un accès
routier. Bivouac autorisé près des refuges.
Dans le parc national de la Vanoise : bivouac autorisé
uniquement à proximité de certains refuges.
Ravitaillement : Il est parfois nécessaire de s’appro-
visionner pour 2 jours. La plupart des refuges vous
proposent un pique-nique pour le lendemain.
Où trouver des commerces : Thonon-les-Bains, Saint-
Gingolph, La Chapelle-d’Abondance, Samoëns, Sixt,
Les Houches, Saint-Gervais-les-Bains, Les
Contamines-Montjoie, Bellentre, Landry, Peisey-
Nancroix, Val-d’Isère, Bonneval-sur-Arc, Bessans,
Modane, Valfréjus, Montgenèvre, Briançon, Château-
Ville-Vieille, Ceillac, Saint-Dalmas-le-Selvage, Saint-
Étienne-de-Tinée, Auron, Saint-Sauveur-sur-Tinée,
Rimplas, La Bolline, Saint-Dalmas-Valdeblore, Utelle,
Levens, Aspremont, Nice, Sospel, Menton.
Accès : 8 accès par le train : Thonon-les-Bains, Les
5 Houches, Landry, Modane, Briançon, Sospel, Nice, Menton.
CARNET PRATIQUE Montée au refuge du Thabor depuis Valfréjus. Accès en autocar : Saint Gingolph, La Chapelle-
Carte + Introduction ©GTA - Brice Milbergue d’Abondance, Samoëns, Les Contamines-Montjoie, Tignes,
Le GR®5 dans sa partie alpine se décline en une Val-d’Isère, Bonneval-sur-Arc, Bessans, Lanslebourg,
quarantaine d’étapes que l’on peut choisir de parcourir Termignon, Névache, Montgenèvre, Château-Queyras,
par sections ou en intégralité. C’est une randonnée qui Ceillac, Larche, Saint-Étienne-de-Tinée, Auron, Saint-
ne présente pas de passages techniques particuliers Sauveur-sur-Tinée, Saint-Dalmas-le-Selvage.
et qui est accessible au plus grand nombre. Toutefois, Eau : Prévoir une quantité suffisante d’eau pour Pensez au stop pour rejoindre les villages et éviter les
il est nécessaire de savoir s’orienter avec une carte éviter la déshydratation. La partie sud des Alpes portions sur la route ou en fond de vallée (par exemple
et une boussole, ou un GPS, afin d’éviter toute est beaucoup plus sèche que la partie nord où vous entre Samoëns et Sixt ou entre Modane et Le Lavoir).
mauvaise surprise en cas de mauvais temps ! trouverez de l’eau facilement.
Par ailleurs, cet itinéraire évoluant en montagne, il est bien Équipement : Livres, cartes et topos
évidemment conseillé de se préparer avant de partir - S’équiper de bonnes chaussures de marche ayant Les topos édités par la FFRandonnée
afin de pouvoir faire face aux dénivelés positifs et négatifs déjà été portées auparavant. sur le GR®5 Alpes :
qui ne manqueront pas d’agrémenter la marche ! - Prévoir des vêtements adaptés et un sac à dos - Du Léman à la Vanoise par le Mont Blanc et le
Enfin, préparez votre parcours en fonction de votre bien conçu, n’emportez que l’essentiel. Un sac lourd Beaufortain : Réf 504
niveau de forme physique, vous n’en apprécierez que fatigue inutilement et peut déséquilibrer dans les - La Vanoise – parc national de la Vanoise – Réf 530
mieux les paysages et les rencontres ! passages délicats. - La Traversée des Alpes – De la Maurienne à l’Ubaye
- Organiser votre sac à dos de façon à trouver facile- – Réf 531
Conseils pratiques pour ment vos affaires et afin de garder vos vêtements - Traversée du Mercantour – Vallée des Merveilles
partir en toute sérénité au sec (sacs plastiques). – Réf 507
Quand partir : De juin à octobre. - En raison de la présence possible de névés en Les beaux livres :
Sens : Les deux sont possibles. Partir du Léman pour début d’été, un matériel spécifique est parfois - P. Lemonnier et B. Colliot, La grande traversée
rejoindre la mer est souvent apprécié pour garder nécessaire : piolet et crampons. des Alpes : Du lac Léman à la mer Méditerranée -
le plongeon dans la grande bleue pour la fin ! - Liste précise du matériel à emporter sur : GR®5, éditions Ouest France, 2009.
Météo : En montagne, le temps peut changer très www.gr5-alpes.com - Denis Cardinaud et Christophe Pagès, La traversée
rapidement. Un ciel clément peut laisser la place à Hébergements : des Alpes du Léman à Menton, éd. Sud-Ouest, 2011.
de gros nuages noirs en l’espace de quelques Période d’ouverture des refuges : du 15 juin au 15 - M. René et C. Martelet, La Traversée des Alpes du
instants. Prévoyez un équipement adapté à toutes septembre. En dehors de cette période : ouverture possible Léman à la Méditerranée, éd. Glénat, 2007.
les circonstances et renseignez-vous avant votre les week-ends ainsi que sur réservation pour les groupes. Les cartes IGN TOP 25 nécessaires sont mention-
départ auprès de Météo France : Un réseau de 130 hébergements est animé par la GTA. nées sur chaque fiche étape sur www.gr5-alpes.com
- Prévisions « montagne » par département : Qu’ils soient situés en altitude ou en vallée, ils répondent
32 50 + n° du département à un cahier des charges précis qui vous assurera un accueil Séjours
- L’ensemble des bulletins Météo France : chaleureux et adapté à vos besoins ! Il est recommandé De nombreux séjours sont proposés par les agences
+33 (0)8 92 68 08 08 de réserver, vous n’en serez que mieux accueilli ! de voyage, que ce soit en liberté (avec un road-
Il est important de savoir faire demi-tour en cas de Refuges reliés à un système de réservation en ligne : book) ou accompagnés :
difficulté ou de retard trop important sur l’horaire. Vanoise, Thabor, Sud Alpes refuges pour le Mercantour. - Grand Angle : www.grandangle.fr
Secours : Appel d’urgence européen : 112 Coût : en moyenne 45 € par nuit pour la demi-pension. - Allibert Trekking : www.allibert-trekking.com
Téléphone : La 3G n’est pas disponible partout ! Liste des hébergements : www.gr5-alpes.com - Espace Evasion : www.espace-evasion.fr
Appli : L’application Iphigénie de chez IGN permet Bivouac : Une expérience encore plus proche de la - Destination Queyras : www.randoqueyras.com
de télécharger les cartes avant de partir et de les nature et une solution plus économique. Vous évoluez - Chamina Voyages : www.chamina-voyages.com
utiliser sans avoir besoin de réseau. dans un environnement fragile, quelques règles sont - La vie sauvage : www.queyras-rando-nature.com

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page31

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page32

32_ grande rando

LA GRANDE TRAVERSÉE
DES ALPES EN 4 TRONÇONS
Du Léman à la Méditerranée, la variété des paysages
est telle qu’on ne sait pas toujours quel tronçon
choisir quand on n’a qu’une semaine devant soi !
Voici quelques mots et photos pour vous y aider !

1 Du Léman au Mont-Blanc
La partie nord de la Grande Traversée des Alpes
vous invite à découvrir les alpages laitiers de Haute-
Savoie, terre du fromage Abondance en particulier,
à travers le massif du Chablais, la chaîne des Fiz,
les aiguilles Rouges et le célèbre massif du Mont-
Blanc. Vous vous élèverez au-dessus du lac Léman
pour traverser les réserves naturelles du mont de
Grange, de Sixt-Passy, de Passy et des aiguilles
Rouges. Vous ferez également un crochet par la
Suisse avant de traverser la vallée de Chamonix et
ses glaciers majestueux.
> Deux départs possibles : Thonon-les-Bains - Saint
Gingolph
> Refuge de Bise, Rouverture mi-juillet 5
Col de Bise, vue sur le
2 Du Mont-Blanc à la Maurienne Léman. ©Roger Carrard
Ce tronçon de la Grande Traversée des Alpes vous
fera quitter la vallée de Chamonix par la sublime 3
réserve naturelle des Contamines-Montjoie (dômes Refuge d'Entre Deux
de Miage, Tré la Tête…) avant de passer par le Eaux en Vanoise.
Beaufortain pour rejoindre la vallée de la Tarentaise ©Roger Carrard
et traverser le parc national de la Vanoise. Le
premier parc national alpin vous invite à vous
immerger dans son incroyable diversité floristique 4
et faunistique. Vous pourrez décider de passer sur Lac Miroir entre Ceillac
les balcons sud du massif ou de couper par la et Maljasset.
variante qui vous amènera au cœur du massif par ©Grégoire Bel
Pralognan-la-Vanoise avant de rallier Modane, dans
la vallée de la Maurienne.
3 De la Maurienne à la Haute-Tinée
De Modane, la Grande Traversée des Alpes vous
emmènera dans le massif du Thabor et la vallée IDÉES DE SÉJOURS
Étroite (enclave française en terre italienne) avant Entre ciel et terre, sensations fortes en Beaufortain naturelle des Contamines-Montjoie. Cette étape, de
de basculer dans le parc naturel régional du Queyras, Lieu de départ : Les Contamines-Montjoie profil général montant, quitte le massif du Mont-
haut lieu de la randonnée à pied où les services de Lieu d’arrivée : Bellentre Blanc, sous l’aiguille emblématique de Tré la Tête,
transport de bagages pourront alléger votre Durée : 4 jours / 3 nuits pour rejoindre le massif du Beaufortain.
randonnée. Du Queyras, la GTA vous emmènera en Distance : 39 km
Haute-Ubaye et ses sommets rocheux avant d’entrer Niveau : Pratique occasionnelle de la randonnée J2/ DU REFUGE DE LA CROIX DU
dans le territoire du parc national du Mercantour, Période : De juin à septembre BONHOMME AU REFUGE DU PLAN
dernier grand massif de la traversée. DE LA LAI
Entre Maljasset et Fouillouse : un nouveau sentier Lancez-vous dans une traversée inoubliable sur le Cette étape au cœur du Beaufortain et de ses
balisé permet d’éviter de marcher sur la route ! mythique GR®5, depuis le massif du Mont-Blanc alpages, rendus célèbres par le fromage Beaufort,
jusqu’au Beaufortain ! vous offre une vue plongeante sur le lac de Roselend,
4 De la Haute-Tinée à la mer Et pour ajouter une bonne dose d’adrénaline à cette prouesse technique de l’hydroélectricité.
Ce dernier tronçon de la Grande Traversée des Alpes randonnée exceptionnelle, découvrez la via ferrata
vous fera traverser le parc national du Mercantour, du Roc du Vent qui vous entraînera de rocher en J3/ DU REFUGE DU PLAN DE LA LAI
puis l’arrière-pays niçois et ses villages perchés. pont de singe jusqu’au plus beau panorama qui soit AU REFUGE DE PRESSET
Vous vivrez l’expérience de « plonger » dans la sur les eaux turquoise du lac de Roselend ! Magnifique traversée du cœur du Beaufortain, avec
grande bleue depuis les derniers sommets et cols Informations complémentaires : une arrivée sur la Pierra Menta, sommet rendu
des Alpes en descendant vers Nice ou Menton. La À noter sur cet itinéraire, des passages vers 2 500 m célèbre par... Rabelais et le fameux coup de pied
variante par le GR®52A vous emmènera au plus d’altitude sur la crête des Gittes avant le Roc du Vent. de Gargantua dans les Aravis !!
près de la ligne de crête frontalière avec l’Italie et
le Parco Delle Alpi Marittime, dans la vallée des Programme détaillé J4/ DU REFUGE DE PRESSET À
Merveilles, site isolé par des cols au-dessus de 2 J1/ DES CONTAMINES-MONTJOIE AU BELLENTRE
000 m que les hommes du paléolithique ont utilisé REFUGE DE LA CROIX DU BONHOMME Arrivée en vallée de la Tarentaise par une longue
pour graver sur la roche leur représentation du De la Haute-Savoie à la Savoie à travers la réserve descente jusqu’à Bellentre.
monde. À ne pas manquer.

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page33
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page34

34_ grande rando

CAP SUR LA MER DEPUIS L’ITALIE !


Lieu de départ : Limone (Italie)
Lieu d’arrivée : Monaco
Durée : 7 jours / 6 nuits
Distance : 95 km
Niveau : Pratique régulière de la randonnée
Période : De juin à octobre

7 jours pour jouer à saute frontière entre la France


et l’Italie, sur le dernier promontoire de l’arc alpin
qui bénéficie d’une situation bien particulière entre
mer et montagne...
Au programme, embarquez dans le train des
Merveilles, franchissez la frontière et revenez de
Limone à Nice à pied. Entre hauts cols et villages
perchés de l’arrière-pays méditerranéen, c’est un
véritable voyage qui vous attend !
Cet itinéraire d’une difficulté modérée vous conduira
à travers deux immenses espaces protégés : le parc
naturel des Alpi Marittime en Italie et le parc national
5 du Mercantour en France.
En arrivant au col des
Thures, avant de Programme détaillé
basculer dans la vallée J1/ DE LIMONE PIEMONTE À
de Névache. LIMONETTO
©GTA - Brice Milbergue Une douce mise en jambe le long du torrent
Vermenagna, sous les pentes douces couvertes de
3 forêts, dans une vallée enserrée entre le Parco Alpi
Arrivée sur Nice. Marittime et le Parco Naturale del Marguareis.
© Nicolas Svetchine J2/ DE LIMONETTO À CASTÉRINO
Superbe étape frontalière entre le versant nord
italien et le versant sud, entre le Parco Alpi Marittime
et le parc du Mercantour. Du col frontière, on peut
même apercevoir la mer, après une belle montée
dans un vallon sauvage.
J3/ DE CASTÉRINO AU REFUGE DES
MERVEILLES
OSEZ LE TRAIL doute la meilleure période pour vous évader sur Le cœur du Mercantour sur un plateau d’argent,
DANS LE QUEYRAS cet itinéraire d’exception ! avec une nuit dans la célèbre vallée des Merveilles
Lieu de départ : Briançon Sachez que cet itinéraire emprunte des passages et ses gravures rupestres.
Lieu d’arrivée : Ristolas assez élevés en altitude, à 2 500 m. Il est donc préfé- J4/ DU REFUGE DES MERVEILLES À
Durée : 3 jours / 2 nuits rable de vérifier avant de partir que les sentiers ne LA BAISSE DU CAMP D’ARGENT
Distance : 68 km sont plus encombrés par la neige à la fin du printemps. Cette étape (de 4 heures 30 environ) marque la
Niveau : Pratique occasionnelle du trail En plein été, méfiez-vous également des tempéra- sortie du parc du Mercantour pour aborder la
Période : De juin à septembre tures car vous êtes ici dans les Alpes du Sud, le dernière partie du voyage : l’arrière-pays niçois,
soleil et la chaleur peuvent être contraignants. ses senteurs de Méditerranée et ses villages perchés.
Cet itinéraire de 3 jours, sur des sentiers specta- Les nombreuses baisses successives offrent des
culaires mais d’une difficulté relative, est une invita- Programme détaillé panoramas à couper le souffle, avec l’appel de la mer
tion à tester la pratique du trail en itinérance... J1/ DE BRIANÇON À BRUNISSARD de plus en plus présent, qui guide vos chaussures
Pour les accompagnateurs ou simples randonneurs, Une magnifique montée tout en douceur et assez vers le Sud !
sachez que les étapes sont conçues aussi pour être régulière pour quitter le Briançonnais et basculer J5/ DE LA BAISSE DU CAMP
parcourues dans la journée ! dans le Queyras. Et en récompense une vue parti- D’ARGENT À SOSPEL
En courant ou en marchant, traversez le Queyras, culièrement spectaculaire depuis le col des Ayes L’arrière-pays niçois, de crêtes en villages.
massif et parc naturel régional réputé pour la beauté sur les Écrins côté nord et sur les sommets du J6/ DE SOSPEL À PEILLON
de ses petits villages et de ses alpages et profitez Queyras et le Viso au sud. Un goût de Méditerranée pour cette étape dans les
d’une autre de ses particularités, à savoir une J2/ DE BRUNISSARD À SAINT-VÉRAN forêts de chênes et la végétation typique de l’arrière-
luminosité sans pareille ! Superbe étape qui permet de traverser le Queyras pays des Alpes-Maritimes.
Cependant, avant de vous lancer dans ce nouveau du nord au sud avec pour points forts Château- J7/ DE PEILLON À MONACO
défi, renseignez-vous sur les bons conseils concer- Queyras et le col Fromage. Un grand plongeon sur Monaco et la mer ! Descente
nant la pratique du trail pour partir dans les J3/ DE SAINT-VÉRAN À RISTOLAS de Peillon sur La Turbie puis Monaco et la célèbre
meilleures conditions. Superbe étape qui relie les trois vallées du Queyras place du Palais, point d’arrivée (ou de départ) de la
Entre les neiges tardives du début de saison et la : le vallon de la Blanche (Saint-Véran), celui de l’Aigue Via Alpina, itinéraire qui relie Trieste à Monaco à
chaleur estivale, septembre et octobre sont sans nul Agnelle (Molines) et celui du Guil (Ristolas, Abriès). travers les huit pays de l’arc alpin !

Montagnes Magazine#446
24 MM445 Trav Alpes.qxp_MM439 17/07/17 12:06 Page35
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page36

36_ pyrénées

LE VIGNEMALE
UNE FACE NORD AU SOLEIL
La face nord du Vignemale est l'une des plus belles courses des
Pyrénées. Cette paroi mythique de 850 mètres de dénivelé aux courbes
complexes et ensoleillées est l'une des plus vastes et des plus admirées.
Texte : Bénédicte Boucays / Photos : François Laurens
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page37

_37
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page38

« Parcourir 800 mètres d’une face en rocher pleine paroi, il y a plus de 800 mètres de 5
plus qu’incertain sans que les seconds de schistes lisses d’une terrifiante inclinaison », A la sortie de l'arête intermédiaire, une longue
cordée voient filer un seul caillou est déjà n’a pas empêché de nombreux grimpeurs de traversée permet de rejoindre les schistes rouges
en soi une performance acceptable. Suivre s’y aventurer. Henri Barrio et Robert avant d'arriver à l'épaule.
sans erreur un itinéraire que l’on ne connaît Bellocq seront les premiers à réussir cette
pas forcément par cœur, tenir un horaire face nord en 1933. Au tout début de leur
dans un versant dont l’ampleur ou la struc- ascension, Barrio raconte qu’il leur est « retrouve par une belle soirée de juillet sur
ture interdit de lambiner (…) un art qu’on impossible de déceler un défaut dans la le sentier du refuge de Bayssellance pour y
apprend en voyant faire. » Voici comment paroi, où de grandes taches d’ombres passer la nuit avant de partir à sa conquête,
le philosophe et grimpeur, Patrick Dupouey, semblent accuser des surplombs parais- rassurée par la présence de trois équipiers
évoque la face nord après l’avoir parcourue sant inaccessibles ». Le lendemain, ils aguerris, Christian Ravier, mon compa-
derrière le guide de haute montagne gravissent la muraille de la Pique Longue en gnon de cordée, François Laurens, le photo-
Christian Ravier. Comme pour bon nombre 5 heures 30 chaussés de légères espadrilles graphe et Julien Laporte, alors aspirant
de passionnés de montagne cette course et sans planter un seul piton ! Une fois au guide. Inutile de dire que jusqu’au réveil,
menant au sommet du Vignemale repré- sommet, il écrira : « Nous n’avons pas eu à j’ai espéré en secret un bel orage ! Seul pré-
sentait pour moi un mythe inaccessible. nous en servir mais qui pouvait prévoir ? » texte pour renoncer. Autant dire que la nuit
Avant d’y poser les mains, j’ai commencé Quatre-vingts ans plus tard, on a toujours fut courte et sans sommeil, contrairement
par en rêver, avec ce qu’il faut d’insou- autant de mal à imaginer qu’une fois à celle de mes compagnons de course. Alors
ciance pour dépasser l’appréhension, la engagé, la difficulté s’estompe singulière- que la lune éclaire encore les parois du Petit
peur. Pour aller jusqu’en haut avec légèreté. ment. La face nord serait-elle « une voie Vignemale, nous quittons le refuge pour la
Car une fois dans la voie, tout est question trompeuse » ? Comme le dit si bien le guide hourquette de Bayssellance, avant de
de mesure. On ne recherche pas l’exploit de haute montagne Rémi Thivel, habitué basculer sur le versant ouest vers le glacier
mais plutôt l’insolite ; l’engagement à la des lieux, « quand on la voit de loin on ne des Oulettes. Nuit noire. Pas un mot.
performance ; la résistance au record ; le pense pas que c’est aussi facile ». Pendant que je chausse mes crampons, je les
sens de la démarche à la difficulté ; le soleil entends parler de l’itinéraire : comment
à l’ombre ; la sensualité à l’effort. Avec en Il n’en reste pas moins que cette voie passer pour éviter les crevasses ? Encordée
filigrane, ce désir de marcher sur la trace des demeure pour tout grimpeur qui s’y frotte, à Christian, je suis ses pas. C’est le moment
anciens et de l’histoire. une entreprise engagée et intimidante. le plus austère, le plus critique, le plus froid.
Lorsque je la vis pour la première fois Nous arrivons enfin au pied de la paroi,
Heureusement d’ailleurs que le point de depuis le refuge des Oulettes, l’idée de m’y sous la rimaye du couloir de Gaube.
vue de Jean Arlaud, pensant que « la Pique aventurer un jour me sembla insensée, Entretemps, la face nord est déjà aux trois
Longue ne pouvait jamais être réalisée en complètement dingue. Et pourtant je me quarts inondée par le soleil levant.

Montagnes Magazine#446
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page39

_39

CHRISTIAN RAVIER,
UNE VIE SUR LE FIL
« Cela fait vingt-cinq ans que je travaille sur
un fil, c’est la seule corde à mon arc. » Ce fil
d’Ariane remonte à la crête des Alharisses, sa
première virée en montagne, à 8 ans, avec son
père Jean Ravier, son oncle Pierre et ses
cousins. Adolescent, c’est avec François, l’aîné
de Pierre, qu’il part en stop grimper dans le
Verdon. Et c’est bien plus tard, en 1990, qu’il
termine sa formation de guide, définitive-
ment attiré par la pierre et ses échappées
verticales. En 1984, il crée La goutte d’eau,
avec Éric Pétetin, Didier Bayens et Jacqueline
Pradet, un gîte de mon-tagne et café qui fut
un des hauts lieux de rencontre et de partage
de la vallée d’Aspe. Au-jourd’hui, il n’hésite
pas à emmener les gamins des quartiers
défavorisés sur le rocher. Joueur attentif,
idéaliste curieux, esthète tenace mais pas
nostalgique. « Il faut qu’il y ait des passerelles
entre le mur d’escalade, la falaise et la plus
austère des faces nord, le tout est de respecter
l’histoire des lieux, de s’y adapter. » Un fil qui
le conduit un peu partout dans le monde,
mais surtout en Espagne où il aimait escalader
avec son grand ami, aujourd’hui disparu,
Bunny Rainier Munsch. Une expérience et
une singularité qui lui valent de grimper avec
élégance et légèreté les parois les plus
sauvages. Un esprit libre.
www.christian-ravier.com
Tél. : 0033(0)685843340 - cravier@club-internet.fr

4
Les dalles dans le VI au tiers de la voie
avant l'arête intermédiaire avec une
vue sur les aiguilles du Chabarrou.

ITINÉRAIRES La voie : de 6 à 8 heures le long de cet éperon (50 m III), avant de franchir un
COURSE D’ESCALADE Remonter le filon d’ophite sur deux longueurs (V). mur raide en rocher clair (IV). Traverser dans les
1 ère journée Puis une grande fissure permet de rejoindre une schistes rouges pour atteindre une vire à droite qui
Du parking à la cabane de Milhas (1 680 m), marcher terrasse (V). Gravir une pente plus faible sur 150 m mène jusqu’à l’arête de Gaube (60 m, IV). Reste à
jusqu’au barrage d’Ossoue puis suivre le GR 10 (III) en se dirigeant vers le grand couloir qui borde gravir les strates et gradins du haut de la face
jusqu’au refuge de Bayssellance (2 651 m). Même si l’arête intermédiaire (100 m, III). Ne pas continuer jusqu’au sommet (III+, IV) (8 heures).
c’est plus long pour le retour on peut monter par vers le couloir mais suivre une vire sur la gauche qui
les Oulettes avec l’avantage de jouir de la beauté coupe l’arête intermédiaire sur une vingtaine de La descente (5 heures 30)
de la face nord depuis le re-fuge. mètres. Descendre vers une cuvette, à gauche, puis par l’arête du Petit Vignemale
la rejoindre près d’une petite brèche au niveau du Suivre le glacier sur sa rive gauche, puis traverser
2ème journée gendarme jaune (4 heures 30). Continuer sur l’arête sur une vire facile qui amène à l’épaule en contrebas
L’approche : 2 heures jusqu’au pied d’un ressaut vertical orange. Descendre de la pointe Chausenque. Descendre l’arête jusqu’au
Depuis le refuge de Bayssellance (2 651 m), monter à gauche de 3 mètres, avant de regagner l’arête par col des glaciers en restant sur le versant sud (II,
jusqu’à la hourquette d’Ossoue puis des-cendre une cheminée ocre. Poursuivre sur le fil de l’arête III). Traverser le col puis rejoindre un couloir qui
sous les faces nord et remonter le glacier des dans une alternance de petits dièdres et cannelures permet d’atteindre le fil de l’arête jusqu’au Petit
Oulettes jusqu’au pied du couloir de Gaube. Longer jusqu’au sommet de l’arête intermédiaire (6 heures) Vignemale. Descendre à l’est par la voie normale
la rimaye qui barre l’accès jusqu’au filon d’ophite (V+ et III). Traverser à gauche sur une centaine de pour rejoindre la hourquette d’Ossoue et le refuge
vert foncé qui marque le départ de la voie (2 heures). mètres, en montant légèrement pour atteindre un de Bayssellance (11 heures). Descendre jusqu’à la
éperon bien marqué dans les schistes rouges. Monter cabane de Milhas par le GR 10 (13 heures 30).

Montagnes Magazine#446
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page40

40_ pyrénées

FILER VERS LE SOLEIL


Début de l’escalade. Je n’ai pas ouvert un seul topo
avant de m’y aventurer, je préfère ne pas savoir.
J’ai choisi de me laisser porter, de m’en remettre
à l’expérience de mes équipiers. Ne pas penser,
ne pas réfléchir, me permet d’être plus légère, de
ne pas anticiper. C’est pour moi la meilleure façon
d’être dans l’immédiateté et dans l’action. Le
baudrier de Christian est chargé de friends et de
pitons au cas où. Du matériel précieux, car la
voie reste peu équipée. Christian s’engage, plus
moyen de s’échapper. Nous partons pour six ou
sept heures d’escalade en sachant qu’on ne pourra
sortir que par le haut. Les trois premières
longueurs sont les plus dures, elles suivent un
filon d’ophite vert foncé. Le rocher calcaire est
doux mais froid comme du marbre. Pour le
moment, le plus impressionnant, c’est le bruit
provenant du fracas assourdissant du glacier qui
régurgite ses blocs de glace et du couloir de Gaube
dans lequel les pierres fusent. Très vite, la paroi
se couche, le rocher est moins compact. Nous
parcourons cent cinquante mètres à corde tendue
et rejoignons enfin le soleil. Christian mène la
danse, avec délicatesse. Il suit un cheminement
qu’il connaît bien sans laisser filer un seul caillou.

Nous arrivons à mi-chemin sur l’arête intermé-


diaire d’où le sommet est enfin visible. La paroi
se redresse et nous offre de jolis dièdres et canne-
lures. « Pendant quelques instants, nous jouissons
un peu du plaisir de l’escalade », écrit Henri
Barrio. C’est exactement ce que je ressens en
progressant sur cette crête en saillie. Gaston
Rébuffat considérait, lui, dans son documen-
taire « Les plus grandes ascensions » que
« le premier plaisir de la face nord n’est pas celui
de l’escalade, mais celui de deviner, de trouver l’iti-
néraire, plaisir qui n’est pas inférieur à celui de
grimper, peut-être même au contraire ! ». On ne Ici, le temps n’existe plus. Les rayons du soleil 5
peut pas vraiment dire que Christian cherche don-nent à cette face nord une note orientale. L'ensemble des faces nord, de gauche à droite,
encore l’itinéraire, même si cette voie reste pour Sous mes pieds, les plissements de la roche sont Pointe Chausenque, Piton Carré, Pique Longue et
lui « un superbe voyage qui fait appel à l’éveil fra-giles et friables, Christian me conseille la Clos de la Hount depuis les Oulettes de Gaube.
des sens et dont le cheminement est plein de prudence, « c’est comme un château de cartes », A droite, au sommet du Vignemale.
logique et malice », il pourrait presque la parcourir tout en éprouvant la solidité de chaque prise. Je
les yeux fermés. Mais s’ajoute au plaisir de teste la roche à mon tour et progresse avec légère- luxe d’avoir été seuls dans notre ascension !
trouver (ou connaître) le bon cheminement, celui té. Passage délicat et silencieux. À l’image d’un Après avoir fermé les yeux au sommet pour
de la beauté des lieux. Depuis l’arête intermé- funambule à l’aise sur son fil, il continue de sif- laisser filer émotions et pensées contenues, nous
diaire, le décor est grandiose. Une architecture floter du Gainsbourg. Nous arrivons sur l’épaule saluons au passage les grottes Russell et descen-
magis-trale. À gauche, le Petit Vignemale, de l’arête de Gaube après une longue traversée dons par l’arête de la pointe Chausenque au
l’aiguille des Glaciers, la pointe de Chausenque, aérienne dans la bande de schistes rouges. Les Petit Vignemale. Une façon de terminer cette
la voie de l’Y et le couloir de Gaube. À droite, paroles de Claude Nougaro en tête : « la Voie journée en beauté. Fière d’avoir réussi cette
l’éperon nord et le fascinant dièdre jaune, dont lactée, la voie clarté, où les pas ne pèsent pas, course qui fait rêver tant de grimpeurs et dont la
la première ascension fut réalisée par Jean et dansez sur moi, dansez sur moi, dansez sur moi », réalisation n’est pas évidente. Oui, la face nord
Pierre Ravier, au cours de l’été 1965. À partir de je parcours plus légère les derniers mètres qui est bien « trompeuse » pour reprendre l’image
là, la struc-ture du rocher se transforme, le caillou nous conduisent au sommet de la Pique Longue. de Rémi Thivel. De plus près, elle se laisse plus
est plus dur, plus délité, et nous aurons à l’appri- facilement apprivoiser qu’il n’y paraît, par celui
voiser jusqu’au sommet. Une bande de schistes Nous venons d’escalader huit cents mètres, sans qui sait lire, par celui qui sait trouver ses lignes
de plus de deux cents mètres vient coiffer les six croiser âme qui vive hormis quelques ticho- de faiblesse, par celui qui la connaît. La face nord
cents mètres de calcaire blanc que nous venons dromes. La veille, Morgane et Peio, les gardiens demande de solides qualités de montagnard et
de parcourir. François et Julien sont devant nous. du refuge de Bayssellance nous confiaient que il faut s’appeler Jordi Pons et être un remar-
Ils ont opté pour une variante à côté de l’arête peu de grimpeurs s’aventurent dans cette face, quable alpiniste pour l’avoir tentée et réussie,
intermédiaire, mais ont très vite retrouvé le bon préférant des voies plus courtes et plus tech- l’automne dernier, à plus de 83 ans !
itiné-raire. Le refuge des Oulettes est minuscule. niques. Ce qui n’est pas pour me déplaire : quel Chapeau bas.

Montagnes Magazine#446
36 MM445 Vignemale.qxp_MM439 17/07/17 10:20 Page41

_41

FICHE TECHNIQUE En bus Office de tourisme de Cauterets


ACCÈS AU DÉPART DE LA RANDO Deux réseaux de bus desservent Place Foch - 65110 Cauterets - Tél. : 05 62 92 50 50
Sortie Lourdes sur A64, suivre Argelès-Gazost pour le département des Hautes-Pyrénées : http://www.cauterets.com
Cauterets ou Luz-Saint-Sauveur pour Ga-varnie. Le réseau départemental Ma Ligne
- Départ depuis Cauterets et le refuge des Oulettes, (tarif unique de 2 € par passager) HÉBERGEMENTS
suivre la D920 au pont d’Espagne (parking payant). Le réseau régional TER SNCF Refuge de Bayssellance Tél. : 09 74 77 66 52
- Départ depuis Gavarnie et le refuge de (tarifs variables selon distance) Refuge des Oulettes Tél. : 05 62 92 62 97
Bayssellance, prendre la route du col des Tentes et Par le train :
dans le premier virage suivre la D128 en direction Gare SNCF la plus proche : Lourdes (45 km) BIBLIOGRAPHIE/TOPOS
du barrage d’Ossoue (parking). Correspondance en autocar de la gare de - Patrice de Bellefon, Les Pyrénées, les 100 plus
Durée : 2 jours, 3 heures 30 le premier jour, Lourdes jusqu’à Gavarnie belles courses et randonnées, éd. du Cairn, 2006.
13 heures le deuxième jour. Gare SNCF bus à Cauterets - François Laurens, Pyrénées, les plus belles
Difficulté : D+ Voie non équipée de 850 mètres, courses, Glénat, 2012.
une vingtaine de longueurs. ENCADREMENT - Rainier Munsch, Christian Ravier, Rémi Thivel,
Dénivelé : 971 mètres (1er jour), Bureau des guides de Gèdre Passages pyrénéens, les topos du Pin à Cro-
850 mètres (2e jour). Ouvert en fin de journée chets, 1999.
Matériel à emporter : Corde 2 x 50 m, Tél. : 06 83 31 08 16 - Patrick Dupouey, Pourquoi grimper sur les
1 jeu de coinceurs, 1 jeu de friends, Bureau des guides de Cauterets : montagnes ?, Éditions Guérin Chamonix.
quelques pitons et des crampons. 2, rue de la Raillère - 65110 Cauterets
Tél. : 06 42 06 33 82 CARTE
Vignemale, Ossau, Arrens, Cauterets,
INFOS PRATIQUES : RENSEIGNEMENTS Parc national des Pyrénées, IGN 1647 OT, 1/25 000.
NOM DU MASSIF MONTAGNEUX : VIGNEMALE Office de tourisme de Gavarnie-Gèdre
ACCÈS Ouvert de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h, tous les jours
En avion sauf dimanche. Tél. : 05 62 92 48 05
Aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées : info@gavarnie.com
http://www.tlp.aeroport.fr/accueil

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page42

42_ pyrénées

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page43

L’ARÊTE PASSET
À CONTRETEMPS
L’arête Passet est une course
classique située en plein
cœur du cirque de Gavarnie.
Un parcours aérien sur le fil
de l’arête et sur le calcaire
4 gréseux de ce paysage
La brèche de Roland et le sommet du
Cylindre du Marboré. Pour rejoindre le éloigné du monde. Récit
bivouac, le chemin passe au ras de la d’une journée particulière, à
falaise et domine le versant espagnol. contretemps.
Texte : Bénédicte Boucays
Photos : François Laurens

J’aime ces voies classiques et éloignées. Ces


itinéraires plus difficiles et intéressants que
les voies dites normales, si l’on se réfère à la
définition de cette expression entrée dans le
dictionnaire. L’arête Passet appartient à ce
monde, à ces voies ouvertes au siècle dernier,
immuable, racée, engagée, oubliée et
sauvage. À contretemps. Loin de tout.
Résonnant comme l’éloge d’un temps perdu.
« L’arête Passet est l’itinéraire le plus
classique du Marboré. De difficulté moyenne,
c’est une course harmonieuse et complète :
elle conduit à un beau et haut sommet, sa
marche d’approche est pittoresque, son
escalade intéressante », écrit Patrice de
Bellefon dans son inventaire des plus belles
courses des Pyrénées. Peu convoitée
aujourd’hui, il faut être un peu esthète et
rêveur pour s’aventurer sur ce fil aérien.
Dans Passages pyrénéens, cet « arc-boutant
érigé au milieu du massif » avait même été
oublié tant il est discret. « À quelques heures
du dénouement de ce marathon descriptif
où dalles, surplombs, couloirs et autres
obstacles se superposent, nous nous sommes
rendu compte qu’oublier l’arête Passet
érigée au cœur d’un massif-sanctuaire du
pyrénéisme était une faute de goût. La
présence d’un numéro bis efface tous nos
regrets. » Oui, oublier cette belle arête
veillant sur les à-pics du cirque et délimi-
tant la rive droite du glacier de la Cascade
aurait frisé la faute de goût dans ce topo dont
le choix de courses se veut exigeant et esthé-
tique. Oui, l’arête Passet marque par sa singu-
larité, par la beauté des paysages traversés,
par la couleur de son rocher, blanc, gris et
ocre, par la vue imprenable sur Gavarnie
depuis le fil de son éperon, par sa situation
au cœur de l’amphithéâtre et par le plaisir de
pouvoir marcher sur les pas des anciens, sur
ceux qui ont écrit les premières pages de
l’histoire de ce massif majestueux.

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page44

44_ pyrénées

4
Une des premières longueurs après la brèche
Passet. Au fond, la muraille nord de la Tour,
le Casque et le Taillon dans les nuages.

À commencer par Célestin Passet. Qui n’a


jamais entendu parler de cette famille de
guides dans les Pyrénées et même dans les
Alpes ? Au cours d’une grande partie du
XIXe siècle, le métier de guide dans la
famille Passet de Gavarnie est l’unique voie
à suivre. Laurent, Hippolyte, Henri et
Célestin marquent chacun, à leur façon,
l’histoire du pyrénéisme. Mais celui qui
accomplit les exploits les plus incroyables
et qui acquiert une réputation au-delà des
frontières de la chaîne, c’est Célestin, fils
aîné d’Hippolyte. Il est le premier à
escalader la Meije avec Pierre Gaspard,
dans la journée, et à réaliser la quatrième
ascension des Drus. Mais son exploit le plus
retentissant de-meure la première du couloir
de Gaube au Vignemale en 1889 où il taille
à la hache un escalier de 1 300 marches ! La
première ascension du Marboré par cette
crête est réalisée par Henri Brulle et son fils
avec Célestin Passet le 21 août 1907. Mais
il semblerait, comme l’indique Brulle dans
le récit de cette première, qu’ils aient
emprunté la large corniche sur le versant
nord, c’est-à-dire le boulevard Passet et le
couloir d’Angle pour y arriver. C’est donc
un peu plus tard, en 1938 que la course sur
le fil de l’arête sera réalisée par Robert
Chevalier, Jean et Robert Mailly.

La marche d’approche est tout aussi singu- puits et dolines — le rocher calcaire est un
lière. Longue, très longue. Bien choisir son véritable gruyère — admirons les murailles VISITE DU CIMETIÈRE
chemin d’accès pour rejoindre la brèche d’Ordesa, l’empilement du Descargador, DES PYRÉNÉISTES
Passet où débute l’escalade requiert de l’atten- l’intrigante Pena Montanesa et la vallée Si les noms de célèbres montagnards comme
tion. Nous hésitons entre le versant espagnol d’Anisclo avec les Sestralles en arrière-plan l’abbé Gaurier, Jean Arlaud ou de guides
et la traversée horizontale sur une succes- de ce long poème géologique. Arrivés au col comme Courtade, Salles et Célestin Passet,
sion de vires au milieu du cirque de Gavarnie, de la Cascade, nous installons le bivouac et vous parlent (ou pas d’ailleurs !) n’hésitez pas
juste à la base du troisième gradin. La plus profitons des derniers rayons du soleil sur le à pousser la grille du cimetière à côté de la
belle des façons de rejoindre le pied de l’arête Casque du Marboré et le mont Perdu qui petite église de Gavarnie. Ces amoureux des
selon François Laurens, mon complice et semblent tout près. Me reviennent alors à montagnes dorment aujourd’hui dans ce
compagnon de cordée. Mais sur les conseils l’esprit ces récits de sensations si particu- modeste enclos, face au cirque de Gavarnie.
avisés de Lionel, le gardien du refuge des lières, que provoquent ces nuits en montagne,
Sarradets, considérant que le passage est trop à plus de 3 000 mètres d’altitude, comme
dangereux lorsqu’il vient de neiger, nous celui d’Alphonse Lequeutre, sur la cime du
optons finalement pour le versant espagnol Maucapéra, dans Les petites heures du nos sacs de couchage en plume d’oie ! Un
par la brèche de Roland. Début du voyage. pyrénéisme : « J’étais abrité du vent qui luxe qui nous permet de repartir en forme
Nous aurions préféré rester dans le cirque et gémissait, et fumant une cigarette lorsque le vers le glacier de la Cascade. À partir de là,
nous sentir plus vite dans l’ambiance ; mais frisson me prenait, je passai la nuit, sans les sensations et les images reviennent par
la longue marche pour atteindre le col de la dormir, il est vrai, la roche se chargeant de bribes : la pente gelée et le bout de corde fixé
Cascade où nous bivouaquerons le soir se me rappeler la réalité, mais en somme sans à un rocher sur lequel nous avons installé un
révèle sublime. Nous commençons par longer souffrir. La nuit était si belle qu’il y avait rappel pour gagner quelques mètres ; l’atten-
l’envers du cirque, passons au-dessus du col réellement plaisir à se sentir seul, tout seul tion particulière pour ne pas glisser et se
des Isards et sur le versant sud du Casque et à l’admirer. »Au petit matin, nos deux duvets retrouver en bas, la peur, le temps infini avant
de la Tour, marchons sur la crête frontalière, sont recouverts de givre, et même si nous de rejoindre la brèche Passet, le sentiment
escaladons des passages délicats, descen- avons compté les étoiles une bonne partie d’être minuscule et perdu dans cette immen-
dons dans des pierriers bicolores, évitons les de la nuit, nous sommes restés au chaud dans sité, dans ces innombrables plis et éboulis,

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page45

CAHIER PRATIQUE : la brèche Passet (3 heures). 5


Itinéraires - De la cabane de Pailla et des Rochers Blancs, Dans la descente du col de la Cascade, les immenses
Course de montagne et d’escalade gagner le glacier ouest du Marboré puis se diriger murailles du troisième étage du Cirque de Gavarnie.
1re journée au sud pour remonter un couloir qui mène à la
Du parking du col des Tentes, suivre dans un premier brèche Passet (4 heures).
temps la route goudronnée désaffectée jusqu’au 2e journée de descendre pour gagner une petite plateforme
port de Boucharo (direction sud-ouest). Du col, Du col de la cascade, descendre dans le cirque en (20 m, III). L8 : passer versant sud, en tra-versant un
partir plein est en suivant le chemin sous la face longeant l’Épaule, puis remonter par un couloir vers mur raide, puis remonter une fissure oblique vers la
nord du Taillon jusqu’au col des Sarradets ; atten- le pied de la brèche Passet (1 heure 30). L1 : de la droite pour retrouver la crête (45 m, IV). L9 : suivre
tion au passage de la cascade (terrain glissant, brèche, traverser en descendant légèrement pour l’arête jusqu’au pied d’un gendarme surplombant
mais présence de chaînes). Rejoindre ensuite le gagner la rive droite d’une large cheminée rouge, puis (50 m, II). L10 : descendre côté sud, traverser sur
refuge des Sarradets (1 heure 30). Monter à la brèche remonter droit en longeant cette rive jusqu’en haut des vires, puis remonter jusqu’à la crête, au pied
de Roland, traverser versant espagnol jusqu’au col de la cheminée (40 m, III). L2 : traverser à droite par d’un couloir (45 m, III+). Poursuivre par ce couloir,
de la Cascade (5 heures). des vires faciles avant de poursuivre vers le fil de la suivre une large vire au sud, avant de regagner le
Pour l’approche, il existe deux autres solutions : crête, jusqu’au pied d’un ressaut (40 m, II+). L3 : fil de l’arête que l’on suit (II). Contourner par la droite
- Du refuge des Sarradets, partir à flanc vers l’est sur continuer par le fil, puis passer au sud pour remonter un ressaut de rochers sombres et emprunter un
des éboulis, puis traverser une barre rocheuse jaune une cheminée. Remonter un mur et suivre facile- couloir pour arriver sur un plateau à droite du
par des vires cairnées. Toujours à l’horizontale, gagner ment par la crête (50 m, III+). L4 : toujours sur l’arête sommet (4 heures 30). Du sommet descendre plein
la base gauche de la face nord de la Tour par des (45 m, II). L5 : suivre la crête (40 m, III). L6 : suivre la sud des pentes et un large vallon détritique qui
éboulis malcommodes. Viser ensuite la vire qui sépare crête pour arriver au pied d’un grand gendarme, permet de rejoindre, après avoir contourné par le
la partie inférieure en rochers jaunes, de la supérieure sur une vire qui s’échappe sur le versant nord (40 sud-est, les pics de la Cascade. Suivre plein ouest les
en rochers gris, et la suivre pour traverser le cirque m, II). L7 : ne pas continuer par la vire et ne pas se corniches du sud de la Tour ; un vallon mène au col
(très exposé). Remonter légèrement pour gagner une diriger vers des pitons en place, mais monter 5/6 des Isards, situé au sud du Casque, de là rejoindre
moraine sous le col de la cascade, puis traverser un mètres dans un dièdre, à droite, puis traverser le refuge des Sarradets et le parking du col des
cirque pour gagner le pied du couloir qui remonte à horizontalement à droite sur des dalles claires, avant Tentes (8 heures 30).

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page46

46_ pyrénées

MONTÉE DIRECTE DU CIRQUE


Il est possible de franchir les trois étages du
cirque de Gavarnie par des voies de difficulté
moyenne. Une expérience qui permet de
visiter le cirque sur toute la hauteur. On
emprunte la Classique du mur (AD/250 m)
suivie du Grand Dièdre (D/200 m) et le
troisième étage (D+/200 m).

dans cet amphithéâtre où il est nécessaire de


progresser avec légèreté. En arrivant à la
brèche, je me souviens avoir pensé naïve-
ment que nous en avions presque terminé.
L’arête Pas-set sait se faire désirer, le sommet
du Marboré aussi ! La marche d’approche
aura été aussi longue que les heures que nous
passerons désormais sur le fil de l’arête. Je me
rends compte que notre isolement constitue
le charme et le piquant de cette course
classique, dans un éloignement où la résis-
tance est de rigueur. Une fois sur l’arête, c’est
une tout autre ambiance : il faut jouer avec
la verticalité, avec le vide, oublier le poids du
sac, s’élever, s’adapter sans cesse sur ce relief
changeant, poser délicatement ses pieds et
ses mains sur le rocher, trouver l’équilibre ;
flirter avec l’air et le vent, devenir aussi aérien
que les oiseaux dont on retrouve quelques
plumes au relais, chercher parfois le passage
pour contourner le fil du rasoir ou éviter une
dalle prometteuse mais finalement infran-
chissable. Je me souviens avoir aimé ce dièdre
inattendu et cet éperon qu’il a fallu passer
sur la droite, sans grande difficulté, mais avec
du gaz ! C’est à ce moment-là que le senti-
ment du vide est le plus fort et que la vue sur
Gavarnie est à couper le souffle. Depuis ce
belvédère, nous sommes aux premières loges
pour admirer la face nord de la Tour, devenue
aujourd’hui une classique mais qui « pouvait
passer à l’époque pour une des plus redou-
tables des Pyrénées ; sa réalisation a marqué
une étape importante de cette histoire dont
Gavarnie a été le cadre » peut-on lire dans qui, lors de cette première en 1865, donna 55
60 ans de Pyrénéisme de Jean-François son nom au plus haut sommet de Gavarnie, Le tracé de la course depuis le col de la Cascade, à
Labourie. Tout aussi étonnantes ces traces Marboré désignant l’ensemble du cirque « droite, vers l’arête Passet qui monte droit sous le
de fossiles dessinant de curieuses formes sur massif de marbre ». Il nous fallait faire vite, pic du Marboré.
le rocher. Au relais, je me souviens avoir l’orage n’était pas loin et la fin de journée
imaginé des histoires, inventé des paysages, avançait à grands pas. Après avoir mis de 5
un peu comme quand on cherche à donner côté notre projet initial qui était de redes- Bivouac au pied du col de la Cascade
aux nuages une figure humaine ou animale. cendre par les Rochers Blancs et la cabane de avec vue sur le Mont Perdu.
Et puis je me souviens du brouillard qui est Pailla, nous optons pour le versant sud et ses
tombé tout d’un coup juste avant notre arrivée paysages lunaires. Avec A day in the life des donnent prise à la main et au trajet. Toute la
au sommet. « Sur ce plateau de cailloux et de Beatles, en boucle, pour alléger cette longue prudence risquée sur la dureté des choses
neige, si grand, si uni, si ferme, que l’on descente jusqu’au refuge des Sarradets où, nous invente des joies dans l’entre-deux du
pourrait s’y promener en voiture, à 3 253 alors qu’il fait nuit, nous ne manquerons pas vide et du plein, « interstice », défaut de la
mètres au-dessus du niveau de la mer ! C’est de lever notre verre à cette petite victoire cuirasse du réel, lieu de manœuvre et du
une espèce de Champ-de-Mars : 20 000 comme l’écrit si bien Henri Ferbos dans Un compromis efficace. Là nous pouvons jouer
hommes y tiendraient dessus. » On ne peut fil d’Ariane, un livre confidentiel édité à quelques petites victoires très savoureuses. »
pas dire que nous ayons vraiment eu le temps compte d’auteur : « Nous grimpons entre ciel Et à contretemps, méditer sur cette très belle
d’apprécier les observations de Henry Russel et terre par la cassure, la fissure, le défaut qui leçon de pyrénéisme.

Montagnes Magazine#446
42 MM445 Passet.qxp_MM439 17/07/17 10:19 Page47

Sur l'arête Passet, à mi-hauteur de la course,


on arrive sur ce replat vue imprenable sur le
cirque. Au loin, on aperçoit le refuge des
Sarradets (à droite).
6

FICHE TECHNIQUE Par le train : Les Cascades


Accès au départ de la rando : A64 sortie 12. À Gare SNCF la plus proche : Lourdes (45 km) Cuisine locale. Beau panorama sur le cirque. Menu
Lourdes, prendre la N21 jusqu’à Argelès-Gazost puis Correspondance en autocar de la gare de Lourdes de 18 à 30 €. Au village de Gavarnie.
suivre la direction Gavarnie, via Luz-Saint-Sauveur jusqu’à Gavarnie Tél. : 05 62 92 40 17
et Gèdre (D921). Au village de Gavarnie prendre la Toutes les infos : Le Campbieilh
direction de la station de ski puis s’arrêter au parking http://ete.gavarnie.com/organisez/comment-venir Brasserie avec une belle terrasse ouverte toute la
du col des Tentes. journée. Menu à partir de 13 €. Au village de Gèdre
Encadrement : face à l’église.
Durée : 2 jours, entre 5 et 6 heures le premier, entre Bureau des guides de Gèdre Tél. : 05 62 92 23 67 ou 06 83 71 63 04
8 et 10 heures le second. Ouvert en fin de journée
Difficulté : AD sup, approche longue et exposée si Tél. : 06 83 31 08 16 Contact utile :
l’on traverse le cirque. CRS 29-Section Montagne
Dénivelé : 400 m (1er jour), 800 m (2e jour). Renseignements : Tél. : 05 62 92 48 24
Matériel à emporter : corde de 50 m, quelques Office de tourisme de Gavarnie-Gèdre
coinceurs et friends, anneaux de sangle, crampons Ouvert de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h, tous les jours Bibliographie/topos :
et poulet en début de saison. sauf dimanche - Rainier Munsch, Christian Ravier, Rémi Thivel, Passages
Tél. : 05 62 92 48 05 pyrénéens, les topos du Pin à Crochets, 1999.
Infos pratiques info@gavarnie.com - François Laurens, Sommets des Pyrénées, les plus
Nom du massif montagneux : Gavarnie belles courses de F à D, Glénat, Montagne Randonnée.
Hébergements : - Gérard Raynaud, Les petites heures du pyrénéisme,
Accès Refuge de la Brèche de Roland – les Sarradets collection Plume de pin.
En avion : Aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées : Topos et informations sur les activités autour de la - Patrice de Bellefon, Les Pyrénées, les 100 plus
http://www.tlp.aeroport.fr/accueil Brèche de Roland belles courses et randonnées, Cairn.
Tél. : 06 83 38 13 24
En bus http://refugebrechederoland.ffcam.fr/ Cartes :
Deux réseaux de bus desservent le département Gîte « Le Gypaète » IGN 1/25 000 n°1748 OT
des Hautes-Pyrénées : Très bon accueil et ambiance chaleureuse. Chambre Rando Édition 1/50 000, n°4 « Bigorre » ou n°24 «
Le réseau départemental Ma Ligne (tarif unique de avec petit-déjeuner à partir de 20 €. À Gavarnie, Gavarnie-Ordessa »
2 € par passager) derrière l’office du tourisme.
Le réseau régional TER SNCF Tél. : 05 62 92 40 61
(tarifs variables selon distance)

Montagnes Magazine#446
48 MM445_Corse.qxp_MM439 17/07/17 09:35 Page48

48_ alpinisme

CORSE ALPINE
SOMMETS, BRÈCHES ET ARÊTES
Boucler les plus beaux paysages aériens de la Corse en 5 jours,
telle est notre invitation. Tout commence par le seigneur des
lieux, le Monte Cinto. Puis viennent des incursions dantesques et
vertigineuses avant de doux instants de quiétude entre pozzines
luxuriantes et lacs profonds. Ici, la nature est à la hauteur du
caractère insulaire, fort et généreux.
Texte & photos : Philippe Royer

La Corse n’est pas une montagne comme les Puis viennent des éboulis et des méandres
autres. Chaque jour les dénivelés sont rocheux. De rares panneaux fixés sur des
imposants avec des sentiers très tourmentés blocs. Il faut ouvrir l’œil et repérer l’usure au
où les pas d’escalade ne sont pas rares. Nous sol. De nombreuses variantes vous ramènent
sommes loin des terres d’alpage de la Savoie. à la voie principale. On croit arriver et un
Puis, la proximité de la mer fait naître des nouvel éperon ou une nouvelle barre apparaît.
phénomènes météorologiques extrêmes. Chemin faisant vous comprenez l’âpreté de
Alors nous commençons cette boucle par le la montagne corse. Bien sûr il y a des cairns
morceau le plus tonique. L’ascension du mais comme le dit Charly Santucci, ancien
Cinto à 2 706 m. Méfiez-vous de cette altitude gardien de refuge : « Tout le monde édifie des
moyenne. Les références ne sont pas les cairns. Cela devient n’importe quoi. Parfois
mêmes que sur le continent. En sus le point je monte pour nettoyer et ne garder que
de départ, Lozzi, est à 1 400 m. Ainsi au pied l’essentiel !! » Cette première journée de
de l’édifice vous guettez la bonne fenêtre grande envergure peut se diviser en deux
météo pour que cette journée soit un régal. Il avec une pause au refuge de l’Erco à 1 667
faut dire que la fin de cette face sud est assez m, soit deux heures de marche depuis Lozzi.
tortueuse. Il n’y a pas de boulevards. Pourtant La descente de ce monument s’opère par
tout commence de bon augure avec un sentier l’arête des Éboulis pour rejoindre le refuge
tracé juste au-dessus du refuge de l’Erco. de Tighjettu.

Montagnes Magazine#446
48 MM445_Corse.qxp_MM439 17/07/17 09:35 Page49

_49

PARTIE PRATIQUE
J1 : Lozzi 1 080 m – Monte Cinto 2 706
m – Refuge de Tighjettu 1 680 m
Première étape exceptionnelle à n’entreprendre
que par grand beau et sans vent. Départ du petit
hameau de Lozzi au-dessus du village de Calacuccia
(parking tranquille). On peut faire une pause au
refuge de l’Erco, 1 667 m, pour la nuit. Vu les
dénivelés il faut partir très tôt, les bâtons sont les
bienvenus. Malgré une exposition sud, fin juin vous
pouvez encore rencontrer des névés.

Itinéraire : De Lozzi, suivre un large chemin carros-


sable. Des sentes permettent de couper les longues
épingles à cheveux. Après le refuge le sentier prend
de l’altitude. Il se dessine de moins en moins. Sur de
gros blocs quelques panneaux vous remettent dans
le bon chemin. Puis c’est une succession de cairns
plus ou moins bien placés. Il faut aussi se fier à Itinéraire : Entre les deux refuges on suit tout
l’usure au sol. On louvoie sans cesse entre de petits bonnement le GR 20. On peut faire une pause colla-
éperons rocheux. Enfin vous rejoignez les points tion aux bergeries de Ballone. Pour le Tafunatu il faut
rouges de l’arête des Éboulis (votre sentier de ciel bleu et pas de vent. Du col des Maures on repère
descente), vous montez sur la droite au sommet du une petite fissure oblique et un petit cairn. C’est le
Cinto. On gagne en descente Tighjettu par la pointe point de départ. Un pas en 4 inf. Puis on suit des
des Éboulis (2 607 m) et le nouvel itinéraire du GR cairns et de fines et rares marques jaunes. On passe
20 depuis la fermeture du Cirque de la Solitude. sous la paroi pour une grande épingle à cheveux.
Dénivelé à la montée : 1 800 m Ambiance verticale sur une vire étroite. Aucune
Dénivelé à la descente : 1 020 m chute n’est possible. On redouble de vigilance avec
Temps : de 7 à 8 heures dans la version longue. des sections un peu branlantes. On repart dans une
5 à 6 heures si vous dormez à Erco. traversée descendante vers le trou. Grosse 555
ambiance montagne. Il ne faut pas emmener Panorama du sommet du Cinto : à gauche l'arête des
J2 : Refuge de Tighjettu 1680 m – n’importe qui !!! On aura mémorisé le parcours pour Eboulis et au fond la Paglia Orba, au premier jour.
refuge Ciottulu di i Mori 1 991 m – le retour. On ouvre l’œil pour repérer l’usure au sol.
ascension du Tafunatu En Corse il faut de l’analyse et de l’humilité. 55
Étape moins tonique et plus humaine. Orientation Dénivelé de refuge à refuge à la montée : 620 m Le trou du Tafunatu dans le vent.
facile sur le GR 20. Le temps de marche de cette journée Dénivelé à la descente : 80 m
est assez court. Mais le clou de cette escale est la Temps de marche entre les deux refuges : 4 heures 5
montée très aérienne et exposée (cela sera fonction Du refuge au trou du Tafunatu : 1 heure 30 à 2 heures Pour ravitailler les refuges les équidés
de votre expérience sur terrain d’aventure) au Tafunatu. en aller-retour (sans sac lourd). sont encore de rigueu.

Montagnes Magazine#446
48 MM445_Corse.qxp_MM439 17/07/17 09:35 Page50

CRÉATION DU DIABLE
Au deuxième jour vous rejoignez ce point
d’asile (Tighjettu) au refuge de Ciottulu di i
Mori. Une étape bien plus sage. Au passage
vous remarquez qu’il est possible de jongler
avec des bergeries (Ballone en J2 et Radule
ou Vaccaghja en J3) pour le gîte et le couvert.
De bonnes options avec parfois moins de
monde que dans les refuges, tentes en
location. À la fin de cette étape si la météo est
bienveillante la montée au trou du Tafunatu
s’impose depuis le col des Maures. Une petite
course de montagne où il faut savoir lire le LE MINÉRAL COMME RÉFÉRENCE ABSOLUE 55
terrain et redoubler de vigilance sur vos place- Au troisième jour tout est plus paisible avec Les belles pozines du lac Nino.
ments de pieds et parfois même de mains. l’exceptionnel lac Nino et ses vastes
La légende de ce lieu d’exception est variable. pozzines parcourues par les chevaux et les 5
Certains disent que dans une de ses colères, vaches en totale liberté. Tous savent où ils Les lacs au fond de la profonde vallée£
le diable jeta son marteau et troua la habitent. Lorsque le froid arrive à l’automne de la Restonica.
montagne. D’autres disent qu’il jeta son soc ils redescendent. Le lac Nino est à la
de charrue. Toujours est-il qu’il faut se méfier douceur des paysages ce que le Tafunatu
des colères insulaires. L’arche mesure dix est à la beauté sauvage et austère. Avec Capitello et Melo trônent au cœur de ce
mètres de haut sur trente mètres de longueur. cette étape de 8 heures vous chuintez le granite. Hors sentier conventionnel notre
De chaque côté le vide est total au loin (au gîte du col de Vergio (petite épicerie). À boucle passe par la brèche de Goria pour
nord-ouest) on aperçoit la longue vallée du vous de doser ! Au quatrième jour le minéral plonger vers le lac du même nom (1 852 m).
Fango, là où tous les habitants du Niolo est la référence absolue. Tantôt c’est un Les bâtons sont très utiles sur ces pentes
allaient passer l’hiver. Avec son rocher marron chaos de pierriers, tantôt ce sont de grandes raides. Une longue marche en forêt au
et rouge avec des parcelles jaune et verte, dalles compactes qui filent vers les cieux. milieu des pins laricio géants mène au
l’ensemble Tafunatu et Paglia Orba repré- Cela donne de fines voies d’escalade où refuge de Sega. Le dernier jour vous ramène
sente les plus beaux sommets de la Corse. les pieds en adhérence sont à l’honneur. à Lozzi, votre point de départ, par un bout
Un mélange d’austérité et de grandeur. Résidus des périodes glaciaires les lacs du sentier mare a mare Nord.

Montagnes Magazine#446
48 MM445_Corse.qxp_MM439 17/07/17 09:35 Page51

_51

J3 : Refuge de Ciottulu di i Mori 1 991 J4 : Refuge de Manganu 1 600 m – J5 : Refuge de Sega 1 168 m – Lozzi 1 080 m
m – lac Nino 1 743 m – refuge de refuge de Sega 1 168 m Étape moins fréquentée que le GR qui vous permet
Manganu 1 600 m Étape très tonique avec un passage au pied du lac de regagner Lozzi, votre point de départ. Aucune
Étape très contrastée avec une descente le long Capitello et une escapade tonitruante par une difficulté. Parcours sur des terres autrefois très
des sources du Golo, baignade possible pour les brèche qui domine trois lacs : Melo, Capitello et fréquentées par les bergers et les ovins.
plus téméraires, puis un somptueux passage au lac Goria. Suit un très long parcours forestier vers le
de Nino et ses verdoyantes pozzines. Sous vos pieds, refuge de Sega. Ambiance montagne et isolement Itinéraire : Du refuge prendre le sentier qui file vers
la marche est feutrée. Vous croisez des dizaines total au niveau de la brèche raide qui mérite appli- le nord. Vers Bocca a l’Arinella à 1 592 m. Sur l’autre
de chevaux et bovins qui se régalent de ce tendre cation et bonnes chaussures. versant on descend vers Calacuccia après avoir
parterre. Un lieu à classer dans les plus beaux emprunté le barrage. Du village vous apercevez la
paysages de l’île. Itinéraire : Du refuge de Manganu on emprunte le Paglia Orba. Sous vous coule le Golo qui a pris sa
GR 20 puis on plonge vers le lac de Capitello par une source au col des Maures. La D 218 et de petites
Itinéraire : Orientation facile puisque vous êtes sur étroite brèche. Panneau indicateur. Le plan d’eau est sentes permettent de regagner le parking de Lozzi.
la sixième étape du GR 20. Vous suivez la balise rouge visible. Descente raide. On longe le lac sur de longues Dénivelé à la montée : 800 m
et blanche et vous confirmez avec la carte. Deux dalles de granite avant de remonter la brèche raide Dénivelé à la descente : 900 m
bergeries vous accueillent pour moduler cette étape au nord-ouest du lac, brèche de Goria. Montée Temps : entre 5 et 6 heures
: Ballone et Vaccaghja. Aucun passage exposé. Au col tonique et raide. Sur l’autre versant on descend
de Vergio passe la route D 84 entre Porto et Calacuccia. par la rive est du lac du même nom : Goria. Une INFOS PRATIQUES :
Il y a un gîte, une épicerie et un hôtel - restaurant au épuisante sente permet de longer le Tavignano Réservations refuges :
bon rapport qualité prix. Très bon accueil. Tél. : 04 pour aboutir au refuge de Sega. www.parc-corse.org et 04 95 51 79 10
95 48 00 01 et www.hotel-castel-vergio.com. De quoi Dénivelé à la montée : 1 100 m Refuge de Sega : 06 10 71 77 26
couper l’étape en deux si nécessaire. Dénivelé à la descente : 1 500 m Bergeries de Ballone : 06 12 03 44 65
Dénivelé à la montée : 650 m Temps : entre 8 et 9 heures Bergeries de Radule : e.radule@gmail.com
Dénivelé à la descente : 1 050 m Météo : 08 99 71 02 06
Temps : entre 7 heures 30 et 8 heures 30 Secours : 112
Cartes géographiques : IGN 4251 OT et 4250 OT

6
Randonneur et son cochon sur le Golo au pied du
Cinto.

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page52

52_ expé

AMOTSANG &
POKARKANG
PETITE EXPÉDITION DANS
LE GRAND HIMALAYA
Voyage au Népal au travers de deux expéditions
exploratoires au Damodar. Deux sommets aussi isolés que
sauvages, Amotsang (6392m) et Pokarkang (6346m).
L’aventure himalayenne en style alpin.
Texte & photos : Alexandre Ulcakar et Lionel Chatain
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page53

_53

Katmandou, des sacs de matériel, des listes


de ce qui nous semble vital en altitude. Des
quantités de nourriture qui paraissent
démesurées surtout lorsqu’on aborde la
question du riz. Un Népalais sans riz, c’est
un peu comme un Occidental sans écran
LCD ; une incohérence.
Le poids finit par se stabiliser et déjà une
équipe népalaise s’est formée. Tous prêts
pour l’aventure, parce qu’on a partagé des
treks ensemble, parce que c’est une expé à
part, une expé Tribeni Trek.
Narendra est assigné à notre sécurité. Guide
expérimenté et là aux premières heures de
Tribeni, il nous observera évoluer depuis le
camp de base. Ratna, l’archétype du Népalais,
nous passe sous le bras aisément. Tout petit
bonhomme discret, pince-sans-rire et au gros
cœur, il est l’un des meilleurs cuisiniers de
Tribeni. Nawang a emboîté le pas de
Narendra sans hésiter, il a l’expérience des 8
000 m et un sourire indéfectible. Yubraj,
jeune assistant guide, a été le premier partant,
il arrive de trois années en Malaisie où l’on
s’est rencontré et il est terriblement volontaire.
Il a mis dans son sillage Dawa et Bouddha,
deux jeunes assistants cooks. Dawa soigne
son apparence mais ne fait pas figuration sur
le terrain. Et Bouddha, c’est tout simplement
une force de la nature, qui plus est toujours
jovial et bientôt papa. Bref, une équipe de
guerriers que j’affectionne.
Du côté des grimpeurs, nous formons,
Lionel et moi, un binôme complémentaire
et efficace. Lionel, guide secouriste,
commence à être un routier des expés au
Népal et de mon côté c’est l’organisation
au Népal qui est mon expertise depuis une
dizaine d’année.

La genèse de l’histoire tient à une première


exploration de Lionel avec des amis. En
fouillant le site de Paulo Grobel et en discu-
tant avec lui, il s’était mis en tête d’explorer
cette vallée qui n’avait jamais été foulée
par des bipèdes. On remercie Paulo pour
ses précieux conseils. L’expé avait été
l’occasion d’une première sur le Margot
Himal et l’ascension du Pokarkang mais
l’Amotsang résistait, protégé par une longue
arête aussi esthétique qu’aérienne. Il a suffi
d’une bière pour réactiver le projet.

Six heures de bus, un dal bhat, sept heures


de jeep et quelques journées de marche plus
tard on arrive à Phu.

3
Lionel sur l’arête de l’Amotsang (6100m)

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page54

54_ expé

PUDJA À PHU Ces deux sentinelles passeront encore cet hiver 5


Phu à 4 000 m est le dernier lieu habité. Dans au monastère quand les habitants de Phu gagne- Amotsang Pass (5700m)
le village tout se sait, et rapidement. Toutes ront Kyang (2 heures de marche) ou Katmandou
les familles sont liées. Et naturellement, sans pour ceux qui peuvent. Trois à quatre mois d’iso-
même se renseigner on finit par croiser dans lement total avec pour seul lien, une vacation
une lodge la nonne du monastère. Elle est la hebdomadaire depuis Kyang. naître mais surtout de goût pour l’esthétique
sœur de la belle-mère de Karma qui nous sert Du temps passé à questionner, échanger, à d’une arête et de l’émotion qu’on espère.
un thé au beurre de yack. Rendez-vous est recevoir une hospitalité simple, des pommes Ani bénit les drapeaux à prière et nous donne
pris pour la puja le lendemain. de terre et du thé. L’environnement impose un peu de riz, dons que nous devrons offrir
On ne se présente pas, au Népal, devant une une frugalité, tout est mesuré, le feu, le bois au sommet. On ressort sonnés, touchés,
montagne sans avoir fait allégeance à et la bouse de yack. J’imagine Ani dans le émus, mais également davantage en phase
Bouddha. Ce qui peut paraître bouffonnerie vent, au plus fort de l’hiver faire la « Cora », avec notre pays hôte.
aux ayatollahs du laïcisme nous semble à cette circumambulation sur la colline et autour Dans ces vallées austères de l’Himalaya,
Lionel et moi faire partie de l’ordre des choses. des murs à mani bleus. Notre projet d’ascen- un pacte multiséculaire semble avoir été
Un ordre que l’on ne souhaite pas modifier. sion paraît déplacé, saugrenu. On se retrouve passé entre la nature et les hommes. Par le
Plus encore, un ordre établi, qu’il ne nous assis dans le monastère en face d’Ani, en truchement d’Ani, nous respectons cette
viendrait pas à l’esprit d’ignorer. Ani (nonne tailleur. Le tambour vibre, la clochette tinte alliance transgénérationnelle.
en tibétain) nous invite à prendre le thé chez dans une odeur d’encens et Ani lit les prières
elle. Intérieur minimaliste, le foyer au centre. du livre aux feuillets longitudinaux. Emplis 5 400 m, acclimatation, attente. Au soleil,
Tout ici dit la frugalité d’une vie. Elles vivent du respect qu’elle inspire, le temps glisse. l’intérieur de la tente frôle les 30°C ; les
à deux, là, dans ce monastère surplombant le Le temps glisse et en même temps se suspend derniers rayons partis, on passe à -15°C.
village de Phu à plus de 4 000 m. : pourquoi grimper, pourquoi mobiliser tant La rivière glacée libère un peu d’eau au plus
La dernière garde du bouddhisme en d’énergie pour être en haut, pour se trouver fort du jour puis resserre son étreinte dans
Himalaya ; le gros des troupes, au chaud au sommet d’une montagne ? Une histoire de des craquements glaçants. Le lieu est
dans la vallée de Katmandou. dépassement ; d’orgueil aussi, il faut le recon- austère, plus aucune plante, seules quelques

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page55

_55

C’est beau à en pleurer. J’envie les choucas,


confortables planeurs de ces altitudes. Le
regard balaie l’horizon, tout est esthétique,
le froid et le vent ont fait cause commune
pour sculpter chaque sommet, chaque arête,
chaque face de montagne. On coule notre
regard dans cet océan de sommets.

Retour à la réalité, l’arête de l’Amotsang


est précisément un peu trop sculptée pour
notre cordée. Lionel et une autre pointure de
crampons pourraient s’y lancer. Mais pour
le petit Alexandre, plus à l’aise avec le
guidon d’une Enfield qu’avec des piolets,
il faut être réaliste, la prise de risque, ce
que les alpinistes appellent l’engagement,
est démesurée. Lionel le comprend d’un
coup d’œil et de piolet.
L’Amotsang restera invaincu encore cette
année. Ça fait partie du jeu, des règles que
l’on accepte tacitement en prenant le billet
d’avion. Les conditions d’enneigement sur
l’arête demandent un sérieux bagage
technique pour évoluer sereinement et
5 rendent l’assurage presque impossible.
Camp d’acclimatation (5400m) face au Chako Préparés aussi à ce scénario, nous avions des
et au Lagula plans B dans le sac à dos pour les journées
à venir. Alors on boit goulûment le bleu du
3 ciel, le blanc des glaciers et loin dans les
Nima et sa femme à la lodge de Chyaku vallées les rivières sinueuses à nos pieds.

TRIBENI HIMAL
Ce matin, départ pour un sommet donné à
6 100 m par la carte de Lionel. En y regar-
dant de plus près et avec ma carte d’état-
major, ce serait environ deux cents mètres
supplémentaires qui nous attendent… Nous
prenons pied assez rapidement sur le glacier.
traces de bharals témoignent d’un passage 5 600 m, notre camp de base. Cette fois Ce qui semblait par effet d’optique relati-
de vie sans doute au printemps. Les autres perché sur la moraine ça pince vraiment. vement plat depuis le camp de base est en
témoignages de vie endurent le froid depuis fait un véritable mur de glace dont chaque
des dizaines de millions d’années. Le vallon RENONCEMENT : VUE FANTASTIQUE, ressaut offre une surprise… une nouvelle
est cafit d’ammonites, vestiges de Téthys, GROSSE JOURNÉE crevasse plus ou moins large. L’avantage
ancienne mer intérieure. Un peu tard nous partons avec un soleil déjà dans l’histoire, c’est que chaque pas nous
Bouddha, Dawa et Yubraj prennent la chaud sur les tentes. Le glacier est de glace fait gagner de l’altitude. Crampons, piolet-
descente avec trois dokos pour faire le plein vive, transparente. Les crampons crissent traction pour quelques passages à la verti-
de bouses de yack, notre combustible. Nous à chaque pas. Le froid a tout figé, refermé cale plus prononcée, pause thermos et barres
constituons à présent une équipe tout à fait les crevasses, solidifié la neige. Le baiser de céréales sur une « marche » de ce glacier
homogène surtout sur le plan olfactif. Lionel glacé de l’hiver a pétrifié la vie. Sur nos monumental. Avec l’altitude, c’est une vue
a bien essayé de conserver le « buff » qui gardes, corde tendue, nous progressons, sur toute la chaîne qui se découvre, du
couvre son nez à l’écart de l’odeur prenante vigilants, à l’écart des séracs dans une trajec- Manaslu au Dhaulagiri, en passant par
de bouse de yack, en vain. toire sinueuse qu’imposent les crevasses. l’immense chaîne des Annapurna.
À ces altitudes, la meilleure arme contre le Les minutes glissent lentement, l’altimètre L’Amotsang et son arête que l’on a vue de
froid, outre le duvet d’oie, reste le rire. prend des tours, nous voilà au pied de l’arête près sont cette fois au premier plan. Passé
Aucun souci de ce côté, nous sommes de l’Amotsang. Lionel part à l’assaut de la une large crevasse à nouveau la pente, les
équipés ; entre la jovialité népalaise et longueur, moi à la rimaye pour l’assurer. piolets. Toute pleine de surprise en diffi-
l’ironie française, nous repoussons les Précautionneusement, il casse la corniche et culté qu’est cette montagne, elle reste
assauts hivernaux. Toutefois, un autre allié débouche à 6 100 m sur l’arête. J’arrive à accueillante par son manteau travaillé de
de taille est à compter dans nos rangs ; un mon tour et c’est comme découvrir le monde pénitents qui sont autant de prises faciles
petit sac de piments verts. On croque dedans, une nouvelle fois. De ce balcon, perché sur pour les crampons et pour les piolets.
la sensation de chaleur est presque instan- les neiges, nous fait face la chaîne Arrive le dernier dôme, presque une
tanée, le bonnet tombe, la doudoune s’ouvre, himalayenne, du Manaslu au Dhaulagiri, douceur, une ultime crevasse tout en haut,
une larme perle. plus loin l’Inde, dans notre dos le Tibet. le pont de neige tient, quelques mètres, nous

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page56

56_ expé

4
Arête du Dadanak (6000m)

y sommes. Le tour d’horizon récompense


bien plus que nos efforts. Hier, résonnaient
les questions sur les motivations d’une
expédition, sur les raisons d’aller en haut.
Aujourd’hui, l’unique réponse tombe sans
aucune ambiguïté : c’est beau. Oui, la seule
beauté d’une vue et son émotion justifient
tout l’engagement d’une expédition. Pour ce
nouveau petit sommet, Lionel a spontané-
ment proposé de lui donner le nom de notre
petite agence, ce sera le Tribeni Himal.
Himal signifie « montagne » en népalais.
Le soleil d’hiver continue sa course mais
nous avons à cœur de déposer les drapeaux
à prière bénis par Ani, ainsi que le riz en
offrande. Notre façon de respecter la nature
tout en venant fouler ce sommet vierge. Une
forme aussi d’équilibre qui nous tient à cœur
et indissociable de l’émotion de l’ascension.
Un dernier regard sur le parterre de sommets
à l’horizon, sur le Tibet, à un jet de pierre.
Les échelles se confondent, on ne sait plus
si l’on est petit ou grand. J’ai le sentiment
confus que le Tribeni Himal me prête un
instant son envergure, sa stature. Sensation
fugace et vague et pourtant sensation
installée en moi, tenace.
Je crois que l’on construit sa vie autour
d’instants clés, autour de moments où l’on
est entièrement présent, complètement
disponible, instants que l’on ne choisit pas
toujours mais qui restent fondateurs. La
fatigue aidant peut-être, l’usure du corps
qu’exige une ascension nous donne la possi-
bilité d’approcher un état de grande dispo-
nibilité. Voilà pourquoi je suis là, ici, mainte-
nant avec mon ami Lionel. Une simple
histoire d’existence.
Le soleil d’hiver a gagné du terrain et Lionel, ACCÈS de notre expédition de 2016. Autres explorations
instinctivement, presse l’urgence de la Transport dans le secteur sur les conseils de Lionel et Paulo
descente, nous arrache à l’envoûtement. Bus Katmandou – Besisahar par Pierre Rizardo (guide de La Grave) jusqu’à l’arête
Commence notre course contre celle du Jeep Besisahar – Koto de l’Amotsang et par Julien Desecures (guide de
soleil. Assurer chaque pas face à la descente Marche d’approche Chamonix) qui a ouvert le Dadanak, un joli sommet
ou en désescalade est presque plus impor- Trois jours pour rejoindre le village de Phu à l’entrée de la vallée.
tant qu’à la montée. Être pleinement Cinq jours de Phu au camp de base avec une journée Formalités : permis d’ascension moins de 6 500 m,
concentré, savoir que l’on dépend l’un de d’acclimatation et passage de l’Amotsang Pass (5 700 m) pas d’officier de liaison
l’autre et décupler de vigilance malgré la Cotation himalayenne : III/ D/D+ longue arête
fatigue. Cordes, rappels, broches, équiper, INFOS PRATIQUES exposée entre 6 200 m et le sommet
déséquiper : le petit jargon du grand guide. Népal – Katmandou Santé : pas de vaccination requise
La nuit tombe, le froid grignote du terrain et Partie sud-est du massif des Damodar – nord des Période et saison : automne, il est préférable de se
nous parvenons enfin à la moraine juste Annapurna décaler vers novembre pour minimiser les risques
avant que les derniers rayons quittent l’arête Historique de l’Amotsang : Paulo Grobel avait déjà de chutes de neige dues aux moussons tardives de
sommitale du Tribeni Himal. envisagé l’Amotsang mais depuis le versant Teri ces dernières années. La contrepartie, c’est le froid…
À la frontale, fourbus et heureux ; l’équipe La, l’accès s’est avéré infranchissable. Cette expédi- Encadrement : l’Amotsang ne peut s’envisager que
nous récupère dans la tente cuisine où toute tion a donc été la première du Jomsom. En échan- pour des personnes expérimentées, une seule
nourriture est bonne, bienfaisante. Je lis geant avec Paulo, Lionel Chatain a repris l’idée et personne avec un guide. Lionel Chatain guide UIAGM
dans le regard de Bouddha ma propre a été le premier à mettre en place une expédition est allé deux fois sur l’arête et peut organiser cette
fatigue, je lis dans chacun notre niveau depuis Phu pour explorer cette vallée par l’Amotsang expédition, lionelchatain@orange.fr
d’épuisement et de bonheur aussi. Pass et tenter la première puis il y est retourné lors Carte : Himalayanmap house NA521

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page57

_57

POKARKANG
POUR CHANGER DES TREKKING PEAKS ET
5
Nawang et Dorje au
début de l’ascension
du Pokarkang

RETROUVER L’ESPRIT D’EXPÉDITION

Pourquoi ce sommet ? Autant l’Amotsang est Annapurna. Au nord, le vaste plateau tibétain enfants ramènent les chèvres et les yacks.
réservé à des alpinistes très expérimentés ; précédé du Lagula à presque 7 000 m. Et Ici, à part l’air pur, le millet et les pommes
autant le Pokarkang s’adresse à ceux qui puis, à ce jour, seules cinq expéditions de terre, le lait de yack ou encore la laine de
veulent sortir des trekking peaks surfré- enregistrées sur ce sommet. Le Pokarkang est chèvre, la terre donne avec parcimonie ; la
quentés mais qui ne souhaitent pas s’investir donc extrêmement confidentiel. vie est chiche. On respecte la nature et on
dans un 7 000 m exclusif et exigeant en temps passe par la case puja (cérémonie) du
et en budget. Le Pokarkang, c’est le sommet
Au départ de Katmandou, il faut compter monastère pour s’incliner devant Bouddha
intermédiaire, plus sauvage, plus technique,
sur la piste des Annapurna pour gagner du avant de prendre le chemin du sommet.
plus engagé qu’un trekking peak et au 360°
temps et rejoindre plus rapidement le village
impressionnant sur trois 8 000 m du Manaslu
tibétain de Phu. En quelques jours on se On peut mettre un peu tout ce qu’on veut
au Dhaulagiri en passant par tous les
retrouve au cœur de l’Himalaya dans ce dans la recette à grimper mais en toute
village du bout du monde dont objectivité, le moteur principal reste
finalement on ne comprend pas l’orgueil. Orgueil du dépassement de soi,
LE POKARKANG, C’EST vraiment les fortifications. Quelles
étranges querelles de voisinage ont
orgueil d’être au-dessus, de dominer un
instant le paysage. Chacun le regarde de sa
LE SOMMET PLUS bien pu motiver ces défenses ?
Qu’est-ce qui pouvait donner suffi-
lucarne. De ceux qui restent discrets au
retour à ceux qui étalent, toujours, le goût
SAUVAGE, PLUS samment de chien pour guerroyer
à ces altitudes ?
de la réussite nourrit généreusement le petit
soi. Reste aussi, plus intime, beaucoup
TECHNIQUE, La vie au village semble suspendue
dans le temps. En fin de journée,
moins évidente à partager car bien souvent
indicible, la saveur de l’instant sommital ;
PLUS ENGAGÉ QU’UN les femmes filent la laine sur la
plus haute terrasse pour avoir les
trop personnel, cumul des efforts accomplis
et de la lucidité restante au sommet. Une
TREKKING PEAK derniers rayons du soleil. Les
hommes discutent à côté, des
sensation qui mêle ce que le regard offre, la
vue d’en haut et la lucidité particulière à

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page58

58_ expé

5
Nawang et Dorje sur l’arête du Pokarkang. PETIT JARGON DU GRAND GUIDE
Au milieu du vocabulaire de spécialiste avec lequel il faut bien se familiariser si l’on veut se frotter
à la discipline, ma préférence va au mot lunule. Certains parlent d’Abalakov en hommage au
ces moments de dépassement, lorsque le Russe inventeur de cette technique d’assurage. Mais bien que plein de respect pour ce cher
corps a tout donné, exsangue de fatigue. Russe, le mot lunule a le charme en plus, il est rond et mystérieux, évoque notre satellite. À la
Cette lucidité particulière vous donne pour descente du Tribeni Himal, Lionel posera dans cette course contre le soleil plusieurs lunules ;
un instant si vous savez lui laisser la place, petites galeries creusées dans la glace pour y passer une cordelette sur laquelle on s’assure.
une saveur, un quelque chose de l’ordre de Bon, au début, passé la poétique du mot, il faut reconnaître un brin de scepticisme sur la fiabi-
la clairvoyance et de l’acceptation de la vie. lité du système, d’autant que c’est ta vie qui se trouve au bout de la corde. Et là, le professionnalisme
Les sages n’ont pas besoin de se mesurer à du grand guide est important. La glace étant particulièrement sèche et cassante, Lionel double
une montagne, les hommes si. les lunules pour que le hasard ou la malchance ne viennent pas jouer les trouble-fêtes.

Empreints de cet esprit de sagesse, on avance beaucoup de fumée mais produit ensuite sur la neige ferme pour établir un camp d’alti-
par étapes mesurées au camp de la bouse une bonne chaleur de rayonnement. Le riz tude. À présent, la réussite dépend en partie de
de yack. D’une équipe initialement réduite comme les lentilles cuisent à feu doux. Une l’épaisseur de fraîche et de la trace qu’il faudra
à deux Népalais pour le camp de base, toute odeur âcre a élu domicile dans nos vêtements faire pour gagner l’arête. Le glacier est orienté
l’équipe Tribeni a tenu à venir. La logis- et le camp a trouvé son nom… nord, ce qui signifie au Népal, enneigement…
tique a dû être revue en conséquence, riz et Du caillou sous toutes ses formes, des schistes C’est un des facteurs particuliers à prendre en
carburant en priorité. Sauf que, trouver du aux ammonites, l’univers est maintenant tout compte dans cette région.
fioul à Phu n’est pas une mince affaire. à fait minéral. Il faut progresser dans cet agglo-
Finalement, on carbure à la bouse de yack, mérat glissant, on en viendrait presque à espérer Jour J ; on progresse à l’écart des séracs
un combustible qui demande un peu d’atten- une couche de glace surtout dans la descente pour rejoindre l’arête sommitale et déjà
tion pour devenir incandescent, fait qui conduit au glacier. Enfin, nous arrivons l’horizon redonne la motivation pour aller

Montagnes Magazine#446
52 MM445_Népal.qxp_MM439 17/07/17 12:01 Page59

_59

ACCÈS
Transport
Bus Katmandou – Besisahar
Jeep Besisahar – Koto
Marche d’approche
Trois jours pour rejoindre le village de Phu
Deux jours de Phu au camp de base

Infos pratiques
Népal – Katmandou
Partie sud-est du massif des Damodar – nord des
Annapurna
Historique du Pokarkang : première ascension par
une expédition anglaise en 2002, deuxième ascen-
sion en 2009 par l’équipe de l’expédition de Paulo
Grobel, deux itinéraires possibles par les arêtes de
Marseille et Cassis !! Troisième et dernière ascen-
sion en 2012 par Lionel Chatain et ses deux compa-
gnons népalais.
Formalités : permis d’ascension moins de 6 500 m,
pas d’officier de liaison
Cotation himalayenne : II / PD
Santé : pas de vaccination requise
Période et saison : automne, comme pour
l’Amotsang et pour les mêmes raisons, c’est un
compromis à trouver entre proximité de l’hiver et
distance avec la mousson.
Nombre de jours : 3 semaines
Hébergement : tente
Encadrement : une seule agence est allée sur
place et propose ce sommet, Tribeni Trek. Un
départ est programmé le 14 octobre.
Contact :alex@tribenitrek.com
Carte : Himalayanmap house NA521
Encadrement : une seule agence est allée sur
place et propose ce sommet, Tribeni Trek. Deux
départs sont programmés le 14 octobre et le 31
mars : http://tribenitrek.com/expedition-au-
nepal/pokarkang.php
Contact : Alexandre Ulcakar, email : alex@tribeni-
5 trek.com tél. : 0628540735
Arrivée de Dorje au sommet du Pokarkang

chercher le sommet. La belle pyramide de RIEN DE PARTICULIER À CHYAKU, SAUF QUE…


l’Himlung n’est pas très loin, comme le Chyaku avec ses ruines intrigue. Pourquoi ce village est abandonné, que s’est-il passé ? À l’unique
Gyajikang, moins connu mais qui joue aussi lodge, Nima et sa femme nous expliquent l’histoire du village. Les Khampas ont migré ici, s’ins-
dans la cour des 7 000 m. Assez large, l’arête tallant sur les alpages d’été du village de Naar. Après 4 à 5 ans, les autorités sont venues pour
ne présente pas de difficulté majeure, on les conduire à Pokhara au camp de réfugiés tibétain actuel. Les Khampas sont les habitants
prend le temps de boire le paysage à petites du Kham, une région de l’est du Tibet. Ils se sont illustrés en se révoltant contre les Chinois
goulées. Un peu moins de 200 m et le dans les années 60 et ont organisé la fuite du Dalaï-lama. Ils ont une stature imposante qui
sommet arrive. Un sommet himalayen contraste avec la taille plus petite des Tibétains du Tibet central. Par ailleurs, ce sont des
comme on l’imagine, avec la grande vallée cavaliers habiles sur leurs petits chevaux et ils ont une réputation de terribles guerriers.
de la Dho Khola à nos pieds qui donne l’illu- Retour à Chyaku ; Nima et sa femme ont construit la lodge il y a deux ans. Ils ont deux
sion de dominer le territoire des hommes et garçons à Namobouddha (vallée de Katmandou) et une fille à Pokhara. Deux garçons à
un parterre de montagnes aux noms presti- Namobouddha, cela signifie qu’ils ont remis l’éducation de leurs fils au monastère pour des
gieux et évocateurs, Manaslu, Annapurna, raisons financières. Pour compléter la culture de leurs champs à Naar (pommes de terre, orge
Dhaulagiri. On tourne sur soi dans cette et millet), ils ont investi dans cette lodge, deux chambres, une salle à manger. Nima fait
énumération visuelle des sommets les plus l’approvisionnement à cheval. La bienveillance de ce jeune couple, leur vie, leur spontanéité
connus du globe. Le Pokarkang par sa nous plongent dans ce Népal qu’on aime, touchant, attachant.
position dominante dans cette zone offre Plus tard dans la soirée, les bharals descendent des pentes du Kang Guru (6 981 m) pour se
un panorama complètement exceptionnel, mêler aux yacks, la meilleure protection contre le léopard des neiges.
le plus dur est peut-être d’en descendre
mais en revient-on vraiment...

Montagnes Magazine#446
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page60

60_ haut niveau

GMHM
À BAFFIN
Une plage de sable fin, mon hamac est tendu
entre deux palmiers. Une créature de rêve
m’apporte un cocktail. Je sirote un Cuba libre
en regardant les vagues. Un air de reggaetón
me berce tranquillement… Bipbipbip,
Bipbipbip, l’alarme de mon altimètre me tire
de ce songe sucré. 26 mai 2017, il est 5 h 00
du matin et c’est le jour du sommet. Je
m’extrais de mes deux duvets, enfile le
pantalon doudoune, la veste du même nom
et les chaussures hivernales. -8°C dans la
tente, elles sont bien loin les surfeuses.
Texte : Antoine Bletton. Photos : GMHM

Nous sommes quatre alpinistes barbus, puants et fatigués par le


jour permanent, perchés 400 m au-dessus de la banquise glacée
dans une petite tente qui nous sert de bivouac sur les flancs d’une
tour encore vierge de l’île de Baffin. Pour comprendre comment
nous en sommes arrivés là, il faut rembobiner un peu le magnéto.
« Pittiulalik » nous dit notre outfitter* dans sa langue inuite. Devant
nos têtes interloquées il répète et traduit « Pittiulalik », « la montagne
où vivent les guillemots noirs ». Attirante cette montagne mais
beaucoup moins que la tour qui s’en détache. Cette flèche de
granite élancée au-dessus du Gibbs Fjord. Un gâteau pour
grimpeurs, composé de 4 sections verticales entrecoupées de petites
banquettes de neige. Le rocher présente des lignes de fissures, une
invitation à l’escalade. Au télémètre laser, nous estimons chaque
étage entre 200 et 250 m. Une tour de près de 1 000 m !!
Mai 2016, c’est le point d’exclamation de notre reconnaissance
en terre de Baffin. Une approche et un camp de base en milieu
polaire, un itinéraire technique et très vertical, le projet qui
rassemble nos savoir-faire. Depuis plus de 40 ans, le GMHM
concrétise de nouveaux challenges à travers le monde. Haute
altitude, verticalité et milieux polaires sont les curseurs que les
alpinistes poussent vers le haut pour mener à bien les missions du
Groupe Militaire de Haute Montagne.

Dim Munoz, assuré par Tonio Bletton,


s'emploie dans les derniers mètres de
la tour ouverte par le GMHM.

Montagnes Magazine#446
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page61
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page62

62_ haut niveau

De retour dans nos locaux de Chamonix


nous nous penchons sérieusement sur le
problème. Pendant ce raid de 20 jours nous
avons compté deux jours de ciel bleu avec
un vent faible. D’un autre côté, les parois
orientées au sud, où le rocher est de meilleure
qualité prennent le soleil une plus grande
partie de la journée. À quelle période partir
? Quelle approche ? Quel matériel emporter
avec nous ? Combien de temps sur place ?
Comment s’entraîner pour ce projet ? Un
an de réflexion et de préparation pour
répondre à ces questions et nous revoilà au
pied de cette citadelle difficilement prenable.
11 mai 2017, nous venons de terminer l’ins-
tallation de notre quartier général pour le
mois prochain. Nous sommes arrivés la
veille, après 8 heures de motoneige depuis
le petit village inuit de Clyde River. Une
journée complète pour aménager un
semblant de confort. La tente Mess est
dressée fièrement au centre de notre village
polaire. Comme son nom l’indique, elle est
remplie de tout le bazar nécessaire pour 30
jours d’autonomie (nourriture, énergie,
communication). S’articulent autour une
tente pour le matériel technique, une tente
pour la nourriture de paroi et le médical,
une tente pour deux grimpeurs et, un peu
isolée, une tente WC.

Les températures mesurées ne sont pas aussi


froides que celles annoncées, mais avec
l’humidité et une moyenne entre -5°C et
0°C l’ambiance se rapproche d’un camping
dans son frigo. À cet isolement et cette
rusticité qui pourraient inciter les grimpeurs
à se replier sur eux-mêmes, s’oppose le
majestueux cadre granitique. Ce monolithe
qui se déploie au-dessus de nos têtes cristal-
lise nos pensées et envies depuis un an.
Cette ligne jaune dorée booste la motivation
de toute l’équipe. Parlons-en de l’équipe…

Pour toute bonne intrigue, il faut des carac-


tères, des personnages taillés au couteau.
Genre Alpinistes/Aventuriers ? Une micro L’action est incarnée par Nono, l’adjudant- 55
barbe sur un visage tourné vers le sommet. chef Arnaud Bayol. Sorte de version Photo de Groupe dans le Gibbs fjord. De gauche à
Un mélange de Gaston Rébuffat et Mike française de Vin Diesel. Gros tatouages sur droite : l'adjudant-chef Arnaud Bayol ; le médecin
Horn ? Pas vraiment ! ses encore plus gros biceps… mais avec en chef Benoit Ginon ; le caporal-chef Antoine
l’accent du Sud-Ouest. Il enfonce les pitons Bletton ; le capitaine Pierre Sancier ; monsieur
Commençons par le chef d’expédition. universels en deux coups de poing, moufle Dimitry Munoz.
Mission militaire oblige c’est le plus gradé. les sacs de hissage d’une main pendant qu’il
Le capitaine Pierre Sancier, ou plutôt Pierro, assure le leader de l’autre. Sa motivation de 5
Pedro ou Peter pour ses partenaires de gagner le sommet est décuplée par la Les exposé du Groupe s'accompagnent souvent d'un
cordée. D’un naturel dynamique et descente rapide qui l’attend. Le paralpinisme volet médical. Ici le test d'un protocole de secours
optimiste, malgré sa petite expérience en ou BASE jump étant un domaine dans lequel pour blessé grave en milieu polaire
artif, il a toutes les qualités d’un leader. il excelle à la manière de son idole.
Presque aussi bon en organisation qu’en 4
synthèse, il sait user d’un argumentaire Dim Munoz. Monsieur Dimitry Munoz Hissage et bourinage sont les deux
rigoureux à base de « Certes, Néanmoins… pour le monde militaire. Pas de galons sur mamelles d'un projet Bigwal
Mais surtout » pour fédérer ses hommes la poitrine mais une liste de courses en
plus enclins à l’action qu’à la réflexion. montagne et artif longue comme ses bras.

Montagnes Magazine#446
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page63
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page64

64_ haut niveau


Avec son expérience de vieux briscard et sa
fougue de jeune premier il est le gros moteur
de l’expé. Il rêve de Baffin et de ses tours
granitiques depuis son entrée au groupe il
y a 12 ans. Sa motivation de gagner le
sommet par une ligne esthétique n’a d’égal
que sa rapidité à grimper en artificiel dans
le terrain vertical.

Benoit Ginon, le médecin en chef Ginon. Il


n’est pas grimpeur sur ce projet mais bien
plus qu’un simple toubib, il est le 5e homme
de l’expé. Il ne chôme pas au camp de base
: mesure des températures in situ pour
conservation des médicaments injectables
et réflexion sur un protocole de secours pour
un blessé grave en milieu polaire. Il participe
au transport et hissage des cordes et sacs
bien plus lourds que nous, pratique inhérente
au big wall. Mariant l’humour fin et la
rigueur formelle avec brio, il gère la commu-
nication lorsque nous sommes en paroi.

Présenter le narrateur d’un récit n’étant


jamais évident je me base sur la descrip-
tion dudit docteur. Tonio, caporal-chef,
Antoine Bletton. Joyeux luron, il est aussi
le subconscient du groupe mis à jour, dévoi-
lant fantasmes et idées farfelues. Il a la
gâchette facile et souhaite ardemment
dégainer la carabine. Ses principales
qualités de traceur de pentes de neige
n’étant que peu exploitées dans cet univers
très vertical et rocheux, il fait le lien entre
la tête (Benoit et Pierre) et les bras (Arnaud La technique de progression est assez 5
et Dim) pour contribuer avec le sourire au simple. Le leader cherche un cheminement Une belle ambiance polaire au relais
bon déroulé de l’expé. dans cet océan minéral pendant que le de cette voie baptisée : Réveillez le Méchant.
Le décor et les personnages étant campés, second l’assure patiemment et lui fait passer
attardons-nous sur leur quête et le suspens le matériel sur la corde de liaison. Pendant
qui s’y attache. ce temps, la 2e cordée s’attelle au hissage de jours de nourriture et gaz prendre avec
des sacs remplis de matériel, des cordes nous pour le camp capsule ? Le créneau
LA LIGNE statiques et confectionne les relais pour météo annoncé va-t-il rester stable ? Quel
Les premiers jours sur place sont utilisés libérer les « friends » qui servent à la tête. cheminement pour la suite de l’itinéraire ?
pour la reconnaissance plus poussée. Nous Chaque jour nous roquons entre cordée Autant de réponses que de grimpeurs…
scrutons la tour sous toutes ses coutures. leader et cordée soutien. Pour la rendre plus En revanche, ce n’est pas le jour de repos du
Estimant ses jolies mensurations à la longue familière, chaque partie de la tour se voit docteur. Il profite du fait que ses petits
vue. L’objectif initial du dièdre central étant attribuer un petit surnom. Ainsi, les 6 cobayes/grimpeurs soient inactifs pour tester
trop exposé aux chutes de pierres, nous premiers jours nous grimpons successive- ses protocoles. La tente Mess se transforme en
jetons notre dévolu sur l’arête est. Un ment le « dièdre d’attaque », la « cheminée infirmerie polaire, prise de sang d’un côté,
cheminement par des fissures, dalles et pourrie », les « belles dalles », la « première échographie de campagne de l’autre. Le 21 mai
dièdres semble se dessiner. Une vire tour » et enfin le « ventre ». Chaque soir, la nous partons pour une journée bien physique.
suspendue à 400 m du sol nous fait de l’œil, même gymnastique se met en place. Nous Nous hissons tout le matériel de bivouac et
un emplacement idéal de camp capsule. descendons le long des cordes fixes pour l’autonomie pour 7 jours en paroi. Encore
rejoindre notre camp de base heureux qu’il y ait de la neige sur la vire !
polaire. Nous retirons au passage les cordes fixes,
coupant le cordon avec le camp de base.
IL FAUT S’IMAGINER 4 La journée de repos est la Les contacts que nous garderons avec le
bienvenue. Après 10 jours d’acti- sol pour la prochaine semaine se feront par
HEURES D’EFFORT vités physiques nous pouvons radio. Tous les jours, le doc/logisticien nous
nous relaxer avec un peu d’acti- donne les bulletins météo et fait suivre notre
POUR GAGNER 30 M DE vité cérébrale. Un big wall étant progression à la base arrière chamoniarde.
une succession de petits problèmes Le dieu de l’anticyclone est de notre côté
VERTICAL que le grimpeur se pose volontai- cette année et nous profitons de cette veine
rement pour essayer d’y répondre pour progresser rapidement. Je me fais
le moins mal possible… Combien plaisir, chaussons aux pieds dans des dalles

Montagnes Magazine#446
060 MM445_Baffin.qxp_MM439 17/07/17 12:07 Page65

jamais extrêmes (6a max) mais délicates à relais, le sommet semblait accessible en 5
protéger. Nouveau nœud décisionnel au une grande longueur. Le fameux mur sommital et son ambiance
bas de cette partie redressée et rebaptisée « C’est ce que nous faisons le lendemain à couper le souffle.
chandelle ». Il faudra un jour de plus à Dim matin. Par une traversée sous un toit, 850
et Pierre pour se faufiler entre toits et m de gaz entre les jambes, nous rejoignons
écailles plus ou moins stables. Au pied du le sommet rocheux de cette tour. Il reste
head wall, ou bastion terminal pour faire quelques mètres de dénivelé dans la neige
plaisir aux francophones, le torticolis se pour prendre pied sur la calotte et voir
fait plus fort. C’est presque aussi esthé- l’autre côté de la montagne que nous maintenant derrière nous. Nos derniers
tique que vertical. Mais par où attaquer ? grimpons depuis 15 jours ! moments dans le Gibbs Fjord sont utilisés
Cette zone compacte semble donner accès La traditionnelle photo sommitale avec nos pour dessiner un topo avec le cheminement
à un système de fissures. Ce dièdre plus têtes fatiguées mais heureuses, le fjord en de notre voie, faire un premier tri des
commode a l’air de se perdre dans une toile de fond n’apporte pas seulement une photos/vidéos et faire place nette.
partie lisse et grise. La pire des solutions preuve. C’est surtout un témoignage de ce Démonter, ranger et nettoyer notre Q.G.
étant de ne pas décider, Nono se lance dans paysage magnifique, fantastique et hors polaire. C’est déjà l’heure du bilan d’expé-
ce magnifique dièdre. Il gagne en une norme que nous rapportons aux personnes dition qui est plus que positif. Une équipe
grande journée d’artif presque 100 m de qui nous suivent. soudée et sur la même longueur d’onde,
dénivelé. Quid de la suite. Moment hors du temps. Les premiers une ligne attrayante et motivante par son
C’est au tour de Dimitry. Après le réveil hommes au sommet de cette citadelle. esthétisme et sa verticalité, et il faut bien
matinal aux Jumars, il attaque la longueur La perspective d’une descente laborieuse l’avouer une belle chance avec la météo.
cruciale du projet. Le dièdre s’est perdu, la nous ramène à la réalité. Enfin, pas Nous quittons ce camp de base avec des
fissure s’est bouchée… Micro pitons laborieuse pour tout le monde. Arnaud sort expériences plein la tête et déjà l’envie d’en
(Birdbeaks), crochets, petites protections le « costume de BASE jump », enfile le créer de nouvelles.
instables (copperheads), couplages. Il lui parachute et se jette dans le vide. 1,5 minute
faut la panoplie complète d’artificier et une plus tard, il est au camp de base avec Benoit. *Outfitter : guide local, spécialisé dans les régions polaires. Il
conduit les clients à travers les fjords et la banquise en motoneige
bonne dose de sang-froid pour sortir cette Il nous faudra 1,5 jour de plus pour les ou chien de traîneau.
zone. A3/A4, qu’est-ce que ça veut dire rejoindre… Démontrant, si nécessaire, la
comme cotation ? Il faut s’imaginer 4 heures force du collectif sur ce genre de défi.
d’effort pour gagner 30 m de vertical…
Néanmoins, il redescend au camp capsule Il nous faut quelques jours pour atterrir et
avec un grand sourire. Depuis son dernier prendre conscience que ce projet d’un an est

Montagnes Magazine#446
66 MM445-Invention photo montagne.qxp_MM439 17/07/17 09:41 Page66

66_ photographie

L’INVENTION
DE LA PHOTOGRAPHIE
DE MONTAGNE
Il n’y a encore pas si longtemps, au XVIIIe siècle, le mont Blanc
était communément appelé le « mont Maudit ». La montagne
inspire alors la peur et rares sont ceux qui s’y aventurent. Ce n’est
que plus tard, par l’intermédiaire de la poésie, de la peinture mais
surtout de la photographie que notre sensibilité à ce paysage
vertigineux se manifeste. La montagne, anciennement source
d’appréhension, s’embellit aux yeux du monde à mesure que les
photographes se mettent à suivre les traces des alpinistes et
accèdent à des sommets jamais atteints.
Par Fanny Arlandis. Photos : Musée de l’Elysée de Lausanne

LE ROMANTISME comme des sorciers ayant commercé avec 4


Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, un beau le diable. Le massif du Mont-Blanc possède Avalanche.
paysage est forcément champêtre, campa- lui aussi ses propres légendes qui en font un © Yann Gros
gnard. La montagne, elle, inquiète. Hostile ancien paradis verdoyant pour les bergers
et inaccessible, elle demeure ignorée, sans avant que les démons des glaces n’enva-
attrait ni beauté. Elle est le « territoire de hissent les alpages. À l’aube des Lumières, 1729 par Albrecht von Haller (1708–1777).
Dieu », lieu maudit et fantasmé, dont les Montesquieu (1689–1755) traverse le Tyrol, Ce texte a contribué à diffuser à l’échelle du
légendes nourrissent les superstitions. Dans à la lisière des actuelles Autriche et Italie, continent l’image idyllique d’une montagne
son ouvrage La Grande peur de la et parle, dans son Journal, d’un « pays heureuse et primitive, développant l’enthou-
montagne, l’écrivain et poète suisse Charles affreux ». Le « haut » est le « mauvais pays siasme grandissant pour la montagne et le
Ferdinand Ramuz évoque, par exemple, », alors on ne dépasse pas les alpages ou la tourisme alpin en Suisse. Il a rencontré un
ces chasseurs alpins, dont la peau fut limite des premières neiges. « succès considérable puisque le livre
burinée par le froid et le soleil, et qui étaient connaît une trentaine d’éditions du vivant
considérés par les paysans superstitieux « La montagne n’a pas toujours été un de son auteur », écrit notamment le commis-
paysage », constate Alain Roger saire Daniel Girardin dans le catalogue de
dans l’ouvrage Montagne : photo- l’exposition « Sans limite. Photographies
graphies de 1845 à 1914. L’attrait de montagne » qui s’est tenue au musée de
des hommes pour ce paysage, l’Élysée, en Suisse, de janvier à avril 2017.
LA MONTAGNE N’A PAS magnifique et grandiose, naît en
réalité d’un sentiment créé par les Ce nouvel attrait pour la montagne au XVIIIe
TOUJOURS ÉTÉ arts picturaux et littéraires à partir siècle est également encouragé par les récits
du XVIIIe siècle. On pense à Die des voyages scientifiques, notamment ceux
UN PAYSAGE Alpen (en français Les Alpes), un menés dans les glaciers du massif du Mont-
poème épique à la gloire de la Blanc. « À l’origine de leur succès, le voyage
beauté des Alpes et des habitants de l’aventurier britannique William
du monde montagnard, écrit en Windham en 1741 », raconte Luce Lebart,

Montagnes Magazine#446
66 MM445-Invention photo montagne.qxp_MM439 17/07/17 09:41 Page67

_67

Montagnes Magazine#446
66 MM445-Invention photo montagne.qxp_MM439 17/07/17 09:41 Page68

68_ photographie

historienne de la photographie et commis- 3


saire d’exposition. En juin 1741 donc, il Traversée de la Mer de
atteint le Prieuré de Chamonix en trois jours Glace, vers 1880.
depuis Genève et rejoint « une étendue © John Jullien
glaciale qui jadis n’inspirait guère les
voyageurs et effrayait les riverains ». Il lui
donne un nom, bien connu aujourd’hui : « la 3
Mer des Glaces ». En revenant de voyage, Massif du Mont Blanc,
William Windham établit son propre guide vers 1960-1970.
touristique « Comment se rendre à Chamonix © Roland Gay-Couttet
». « Son ouvrage encourage la vogue du
tourisme dans la vallée désormais iconique
», note Luce Lebart. Si William Windham
n’est pas le premier à visiter la vallée, il sera
le premier à en parler…

Des auteurs comme Jean-Jacques


Rousseau, contribuent également fortement
à forger l’intérêt grandissant pour le paysage
montagnard. En 1761, il publie La Nouvelle
Héloïse qui formalise les traits constitutifs
de la beauté du paysage de montagne. Lors
d’un échange épistolaire, son personnage
principal, le jeune Saint-Preux, évoque «
les illusions de l’optique, les pointes des
monts différemment éclairées, le clair- Ce dernier a publié un célèbre recueil en 1779 L’INVENTION DE LA PHOTOGRAPHIE
obscur du soleil et des ombres (…) des intitulé Les voyages dans les Alpes. « La peinture s’attelle aussi à la représentation
scènes continuelles qui ne cessèrent Géologue et naturaliste, Horace-Bénédict de de ce paysage sublime, parfois même sans
d’attirer mon admiration, et qui semblaient Saussure (1740–1799) veut connaître l’alti- que l’artiste ne soit présent sur place. Caspar
m’être offertes en un vrai théâtre ». L’amour tude exacte du sommet du mont Blanc et en David Friedrich (1774–1840), grand peintre
de la montagne s’exprime dans toute explorer le massif pour comprendre l’histoire romantique, n’a par exemple jamais gravi de
l’œuvre de Rousseau, mais il n’est pas le de la Terre, une science de l’anatomie de la sommet : il travaillait à partir de descriptions
seul à entretenir cette nouvelle mode. montagne appelée alors géognosie, explique et de croquis réalisés par un de ses amis !
le commissaire de l’exposition Daniel
Les récits des ascensionnistes scientifiques Girardin. Horace-Bénédict de Saussure Mais c’est surtout la création de la photo-
comme Marc-Théodore Bourrit et Horace- promet une récompense substantielle aux graphie qui, dès le milieu du XIXe siècle,
Bénédict de Saussure contribuent également premiers ascensionnistes qui sauront tracer change toute la donne et dévoile aux yeux du
à populariser ce lieu jusqu’ici inaccessible. un itinéraire permettant d’atteindre le sommet monde ce territoire encore largement
du mont Blanc. En 1786, le chasseur inconnu. Pour réaliser leurs clichés, les
de chamois Jacques Balmat et le premiers photographes escaladent les
AUGUSTE-ROSALIE médecin Michel Paccard y parvien- montagnes et traversent des glaciers harna-
chés de matériel extrêmement lourd et
nent après trois tentatives infruc-
BISSON EMMÈNE AVEC tueuses. L’année suivante, Horace- fragile. « [Le photographe français]
Bénédict de Saussure atteint lui aussi Auguste-Rosalie Bisson emmène avec lui
LUI ENVIRON DEUX le sommet du mont Blanc. environ deux cent cinquante kilos de matériel
Désormais la voie est tracée pour ! Ce sont donc de véritables expéditions qui
CENT CINQUANTE une appropriation physique, mais sont organisées, et elles coûtent évidemment
aussi symbolique, du lieu qui devient très cher », raconte Daniel Girardin. Les
KILOS DE MATÉRIEL avec le Cervin l’archétype du visage photographes sont alors des alpinistes avertis,
de la montagne dans les Alpes. » mais les accidents sont fréquents, comme

Montagnes Magazine#446
66 MM445-Invention photo montagne.qxp_MM439 17/07/17 09:41 Page69

_69

3
Le Cervin, 1910-1920.
© Charles Charnaux

COMMENT REPRÉSENTER LA MONTAGNE ?


Si la montagne fascine, montrer la masse,
le caractère puissant et imposant du lieu
est extrêmement compliqué. Comment
transcrire le beau ou le grandiose dans la
photographie ? « La représentation de la
montagne est une question de volume plus
que de surface », explique Daniel Girardin.
Tout est question de formes, de matières, de
structure, d’atmosphère et de lumière trop
intense. Photographier la montagne est donc
un défi à la fois esthétique et artistique.

Pour souligner l’aspect grandiose de la


montagne, les photographes réalisent des
tirages monumentaux dès le XIXe siècle. «
Auguste-Rosalie Bisson a par exemple
utilisé au mont Blanc en 1860 et 1861 des
plaques de format 32 à 45 cm, lourdes et
fragiles, explique Daniel Girardin. Elles
lui ont permis de réaliser des tirages de
très grande taille pour l’époque, dans l’idée
de transcrire esthétiquement la nature
infinie et imposante de la montagne, diffi-
cile claquemurer en deux dimensions dans
en 1865, lors de la conquête du Cervin par parcourir et découvrir des sommets un cadre restreint. » Différentes techniques
Edward Whymper (1840–1911) qui a coûté inexplorés afin ensuite de révéler la sont utilisées dès les années 1859, comme
la vie à quatre alpinistes. montagne aux yeux du grand public. la stéréoscopie. « Véritable industrie et
D’ailleurs dès le milieu du XIXe siècle, support du tourisme, la stéréoscopie a
Si de nombreux photographes parviennent l’image se trouve au centre de l’essor touris- l’avantage de permettre par illusion
à se rendre sur les différents sommets, toutes tique. Les clichés témoignent de la beauté d’optique une vision en trois dimensions.
les photographies prises en haut du mont des sites et invitent au voyage. « Pour le Une forme de sculpture photographique
Blanc ont ensuite disparu. Les premières touriste, elle est la trace d’un séjour qui qui donne à comprendre les divers plans
images sont en fait celles que Charles lui permet de créer sa propre légende », du paysage, les reliefs ou les diverses
Soulier (1840–1876) a réalisées en poursuit Daniel Girardin. matières, notamment les séracs des glaciers
septembre 1869. « Eux aussi étaient large- », explique Daniel Girardin.
ment imprégnés d’une vision romantique Si la vocation première de ces photogra- Désormais de nouvelles techniques sont
», précise Daniel Girardin. Les premières phies scientifiques était de faire connaître un inventées, allant du grand format, au
photographies exaltent les beautés primi- nouvel espace, l’enjeu devient vite environ- panorama ou aux collages d’images qui se
tives de la nature, sans omettre un but nemental. Au XIXe siècle, la photographie succèdent. « Il est intéressant de voir
résolument scientifique. L’approche photo- de montagne revêt un caractère politique et comment toute l’histoire des représenta-
graphique répond alors à un désir de idéologique face à l’urbanisation et l’indus- tions de la montagne est présente dans la
conquête qui dépasse la dimension sublime trialisation de la société. La gestion et la photographie contemporaine, qui a entiè-
donnée au lieu auparavant. conservation du paysage de montagne rement renouvelé le genre », constate Daniel
deviennent des préoccupations nationales. Girardin. Sans compter qu’aujourd’hui, les
La photographie permet de révéler les parti- La photographie sert alors de « preuve » possibilités offertes par la photographie
cularités structurelles de la matière des pour témoigner de la fonte des glaciers ou numérique sont presque infinies… et
montagnes et en souligner la diversité. C’est de la disparition de certains paysages, loin permettent de réaliser des images qui trans-
d’ailleurs au même moment, en 1876, que de l’idée d’origine selon laquelle les crivent les premiers désirs des photographes
le mot « alpinisme » apparaît dans l’idée de montagnes sont éternelles et immuables. de montagne.

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page70

70_ mémoire

DHAULAGIRI 1960
L’EXPÉDITION DU YÉTI
Deux aviateurs et un yéti au service des alpinistes, tous
redoublant d’audace pour la conquête du plus difficile des
sommets de 8 000 m. Un double exploit : sommet sans
oxygène, pour les alpinistes, et record d’altitude, pour
l’atterrissage d’un avion !
Par Gilles Modica. Photos : DR

LES AILES DU YÉTI


Le yéti est un homme des neiges, un être
abominable, insaisissable, un fantasme des
bergers dans les solitudes de l’Himalaya, et
un petit avion élaboré en Suisse par un
groupe d’ingénieurs de la société Pilatus.
Avion de décollage et d’atterrissage court
(ADAC), monomoteur (un moteur à pistons
Lycoming), ailes hautes, quinze mètres
d’envergure, une vitesse de croisière de
250 km/h à 3 000 m, le Pilatus PC6 Porter
fit son premier vol d’essai au printemps
1959. Un an plus tard (3 avril 1960), le yéti
se posait en douceur, comme sur un lit de
plumes, au pied de l’arête nord-est du
Dhaulagiri, dans la neige d’un vaste plateau
glaciaire, grâce à la maîtrise de son pilote,
Ernst Saxer. Col nord-est à 5 750 m d’alti-
tude : un record pour l’atterrissage d’un
coucou, et un record encore inégalé à ma
connaissance. Ernst Saxer, pilote d’avions
à réaction et pilote des glaciers, est le
premier héros de l’expédition suisse au
Dhaulagiri de 1960. Lui, et son copilote,
mécanicien : Emil Wick. La conquête du 5
Dhaulagiri (8 169 m), défini alors comme SEPT TENTATIVES Le “Yeti” au col Dapa, à 5200m.
le plus difficile des 8 000 m, fut autant une C’est la fine fleur de l’alpinisme mondial 44
prouesse d’aviateurs qu’un exploit d’alpi- qui s’est acharnée sur les flancs de la Le Dhaulagiri vu du sud-est.
nistes, ceux-ci n’ayant jamais utilisé d’oxy- Montagne Blanche : des Suisses, des
gène dans leur ascension. Dhaulagiri Allemands, des Autrichiens, des Français, Au printemps 1950, un fort groupe d’alpi-
signifie « montagne blanche » en sanscrit des Argentins les meilleurs, des sherpas. Le nistes français double le pas en direction de
: Dhawala, blanc et Giri, montagne. Kurt Dhaulagiri a réduit au silence quelques l’Annapurna après 13 jours de reconnais-
Diemberger (De zéro à huit mille mètres) grands noms, au silence du respect, au silence sances très poussées sur les contreforts et
: « Une masse énorme, puissante, d’une de la peur. Plus d’un teigneux repartit Gros- les cols voisins du Dhaulagiri. Lionel Terray
simplicité de lignes et d’une beauté presque Jean comme devant après des vues et le docteur Oudot avaient remonté la vallée
parfaites, presque incroyables. Le plongeantes ou non sur les pentes de la face du nord du Dhaulagiri, la Vallée Inconnue,
Dhaulagiri. Ou plutôt non : la montagne nord, ou de la face sud, à commencer par jusqu’à un col : le col des Français à 5 200
par excellence. » Depuis dix ans, le des alpinistes sous le pavillon de notre pays, m. La face nord du Dhaulagiri se révèle aux
Dhaulagiri résiste à toutes les tentatives. ayant incarné la furia francese dans les Alpes. Français dans toute la splendeur de ses

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page71

_71

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page72

72_ mémoire

glaciers suspendus sur 3 000 m. Édifié, sitôt


au camp de base, Terray se prononce aussi
franchement que son ami Oudot : « Je ne
mettrai jamais les pieds sur cette montagne.
» Quelques jours auparavant, une incursion
sur l’arête des Français, au sud de la
montagne, avait dévoilé la paroi sud, haute
de 4 000 m, la plus haute de l’Himalaya et
du monde avec la face sud du Lhotse, un
abîme encore plus bouleversant que la face
nord. En 1953 les Suisses, sous la conduite
de Bernhard Lautenburg, s’approchent de
la Montagne Blanche par une vallée qui se
creuse au sud, gorgée d’eau et de bambous
dans la partie basse, la vallée du Mayangdi
Khola. Une marche au coupe-coupe avant les
rhododendrons, les bouleaux, et les moraines
de la partie haute, sous le glacier nord du
Dhaulagiri, le glacier de la Mayangdi Khola.
Bravement, par un îlot rocheux qui ne
mesure pas moins de 1 600 m, nommé la
Poire (comme la Poire du versant Brenva
au mont Blanc), les Suisses s’élancent droit
dans la face depuis un camp avancé à 6 000
m. Soixante mètres sous le sommet de la
Poire, au bout du rouleau dans un bastion, les
Suisses se replient. Le ciel du Dhaulagiri est
particulièrement turbulent, avec des coups de
vent et des averses de neige quotidiennes :
toutes les expéditions en firent l’expérience.
En 1954, c’est le drame, malgré les énormes
moyens de l’expédition argentine qui compte
dans ses rangs un alpiniste slovène, Dinko
Bertoncelj et un alpiniste tyrolien, Gerhard
Watzl, tous deux offensifs, tous deux natura-
lisés argentins, 14 tonnes de matériel, 500
charges de porteurs. Les Argentins creusent
une niche avec 28 pains de dynamite dans les
rochers de la Poire afin d’y loger les deux
tentes du camp VI. En somme, les alpinistes
auront employé tous les moyens pour forcer
la main aux dieux de l’Himalaya et déflorer
à 8 000 m. Ibanez meurt à Katmandou après 4
les 14 huit mille. Les camps d’altitude, les
des semaines de calvaire en civière sur les Dhaulagiri. De face, l’arête de l’ascension.
colonnes de porteurs et de sherpas, les cordes
chemins du Népal. Aucune autre expédition
fixes, les « téléphériques », l’oxygène, les
ne dépassera l’altitude atteinte par les
amphétamines, la dynamite, l’avion.
Argentins sur cette voie de la Poire. En 1955,
Andiniste de renom, bras droit des Français
le Dhaulagiri terrasse une équipe de végéta-
au Fitz Roy, chef d’expédition, le lieutenant
riens. Contre subventions, Martin Maier et
Francisco Ibanez se gèle gravement avant
ses camarades, allemands et suisses, avaient
le second assaut dont il devait prendre la
accepté de ne pas manger de viande durant
tête. Un demi-mètre de neige fraîche a bloqué
les longs mois de leur aventure. Altitude battements frénétiques de la toile de tente :
les hommes du premier assaut sous un igloo
atteinte en face nord : 7 400 m. En 1956, de quoi briser le sommeil et le moral des
neigeant et soufflant avec un mois hommes les plus sereins. Une avalanche
d’avance, la mousson arrête une faillit anéantir les cordées d’un assaut au-
seconde expédition argentine dessus de la Poire par la tempête. Vainqueur
LES ARGENTINS (colonel Huerta) au-dessus du camp au Gasherbrum II, autrichien, vieux routier
VI, à 7 600 m. Les Suisses, en 1958, de l’alpinisme en pays lointain, Fritz
CREUSENT UNE NICHE retentent leur chance sur la voie de Moravec, en 1958, écarta résolument la voie
la Poire avec une plateforme de la Poire dans son siège de la Montagne
AVEC 28 PAINS DE mobile, une sorte de châssis métal- Blanche. Traversant sous un triangle de
lique à deux pieds qu’ils hissèrent rochers croulants, le triangle dit de l’Eiger,
DYNAMITE et fixèrent en pleine dalle à 7 200 m. l’expédition s’implante à la base du pilier
Ce camp doté d’une tente mêlait nord-est. L’ensellement du col nord-est
les grincements de sa ferraille aux s’étend sur plusieurs kilomètres. Un plateau

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page73

_73

idéal pour l’aménagement du camp II sous MON PETIT VIEUX, NOUS AVONS UN AVION ! Chogolisa. Un beau jour à Genève, Michel
l’éperon qu’ils ont choisi de remonter. Du En 1960, il ne reste plus que deux sommets Vaucher reçut un coup de téléphone de son
camp II au sommet : 2 400 m. Ce fin pilier de 8 000 m encore vierges : le Dhaulagiri, ami Hugo Weber :
offre deux bonnes possibilités pour les et, au Tibet, sous contrôle chinois, hors — Mon petit vieux, nous avons un avion !
campements, un parcours neige et glace d’atteinte pour des raisons politiques, le Prototype de la société Pilatus, mis à leur
beaucoup moins technique que les rochers Shishapangma (8 013 m). L’expédition disposition avec son équipage, le yéti leur
striés de la Poire, et surtout beaucoup moins comprend sept alpinistes suisses : Max valut une avalanche de critiques et d’objec-
de risques d’avalanches. Le drame se Eiselin, chef d’expédition ; l’architecte tions, pratiques ou morales. De fait, le yéti
produisit dans le dos des Autrichiens, un Peter Diener (31 ans) ; le facteur Ernst leur fit prendre bien des risques. Risques
jour de repos, sans danger apparemment. Le Forrer (27 ans) ; Jean-Jacques Roussi ; pour l’équipage, risques pour les alpinistes
29 avril, au chaud et au calme sous les tentes l’ingénieur Hugo Weber (25 ans) ; Albin projetés sans transition, sans paliers, à des
du camp II, les alpinistes jouent aux cartes, Schelbert (25 ans) et Michel Vaucher, jeune altitudes considérables. Le yéti vola en huit
lisent, écrivent ou devisent. On s’inquiéta étudiant genevois de 23 ans, benjamin de jours de Zurich à Katmandou (20 mars),
trop tard. Heini Ross s’absente et tombe dans l’expédition. Max Eiselin avait également avec Max Eiselin à son bord. Mais c’est
une crevasse à cinquante mètres du camp. recruté deux alpinistes polonais, le médecin dans les profondeurs du Terraï, sur la terre
Vivant, coincé à une grande profondeur, il Jerzy Hajdukiewicz et Adam Skoczylas, battue d’un village frontière (Bhairahawa)
meurt avant que ses camarades ne l’aient un Américain d’origine allemande, Norman que débutent les navettes avec charge
sorti du piège. Un mois plus tard, le 25 mai, Dyrenfurth, himalayiste de longue date, d’hommes ou de matériel. Plus tard, le yéti
quittant le camp VI pour le sommet, la cordée cinéaste et un jeune Autrichien de 27 ans, décolla de Pokhara, à 120 km de
d’assaut, Karl Prein et Pasang Dawa Lama, Kurt Diemberger, avec un huit mille à son Bhairahawa, cet aérodrome étant moins
se fait terrasser dès 7 800 m, à 5 ou 6 heures actif, le Broad Peak, dans la foulée de exposé aux sautes de vent. Le 28 mars, le
du sommet pensent-ils, par un gros vent Hermann Buhl, mort sous ses yeux peu yéti atterrit au col Dava (Dapa dans le récit
glacial et des tourbillons de neige. après sur les corniches d’une arête au de Diemberger) à 5 200 m, aux confins de

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page74

74_ mémoire

la Vallée Inconnue des Français. Un bond Le yéti redécolle, dans un tourbillon de 5


en altitude de plus de 4 000 m pour les deux neige soulevée par l’hélice. Diemberger et Weber et Roussi dans la grotte de glace
alpinistes qu’on dépose : Kurt Diemberger, Forrer, cœur rapide, tête lourde, dans la taillée au col nord-est.
Ernst Forrer. Grâce au yéti qui transporta tente, sentent leur isolement. Diemberger :
tous les alpinistes au col Dava et 6 tonnes « Il n’y a aucun rapport entre les conditions
de matériel, l’expédition économisa des du col nord-est et les conditions du col Dapa.
semaines entières de marche d’approche On sent ici le souffle de la montagne géante.
et des centaines de porteurs. Mais on » Le 10 avril, une tempête ayant déposé
BIBLIOGRAPHIE
amputa l’aventure d’une bonne part de son plus d’un mètre de neige fraîche sur le Kurt DIEMBERGER, De zéro à huit mille
exotisme en supprimant les beautés de plateau du campement, le yéti rate son décol- mètres, Albin Michel.
l’approche. Pour tous, même pour lage. Skis aux pieds, il faut damer pendant Michel VAUCHER, Dhaulagiri, Revue La
Diemberger, le vétéran des 8 000, le bond des heures une piste de cent mètres, coupée Montagne et Alpinisme, décembre 1960.
se paya en maux de tête carabinés, en jours par d’énormes crevasses au bas de la pente.
de malaise et d’oppression. Le 3 avril, les Saxer arrache son appareil au tout dernier campement du col nord-est. Le renfort se
patins du yéti glissent dans un grondement instant, à un cheveu des crevasses. faisant attendre, les sept hommes (trois
de moteur sur la neige, à perte de vue, du Diemberger : « Je crois voir encore le visage alpinistes, quatre sherpas) s’attaquent à
col nord-est. Un atterrissage parfait, en tendu de Saxer dans sa carlingue... Nous l’équipement du pilier. Le 5 mai, moteur
douceur, un record d’altitude pour les deux sommes restés amis. Jusqu’au jour où il est neuf depuis la veille, le yéti s’écrase au col
aviateurs aux anges, félicités par les deux tombé avec son avion, dans les montagnes nord-est. Les deux pilotes, légèrement
alpinistes qui sautent dans la neige, enthou- de sa Suisse natale. Mais ce 10 avril 1960, blessés, examinent la carcasse. Leur yéti
siastes. Diemberger : Ernst Saxer a sauvé à la fois son appareil et n’est plus qu’une épave à jamais enfoncée
— Ernst, c’était merveilleux ! notre expédition. Au péril de sa vie. » Trois dans les neiges de son record, à 5 750 m
jours plus tard, le 13 avril, le yéti d’altitude. Sommet du Dhaulagiri le 13 mai,
atterrit en catastrophe à Pokhara pour Kurt Diemberger, Albin Schelbert,
suite à l’explosion d’un cylindre. Ernst Forrer, Peter Diener et deux sherpas,
ON SENT ICI LE La livraison d’un autre moteur Nawang Dorje, Nima Dorje, au départ d’un
Lycoming demanda trois semaines camp bivouac à 7 800 m. Une journée extra-
SOUFFLE (4 mai). ordinaire, sans un souffle, sans un brin de
vent pour tourmenter le silence et le casse-
DE LA MONTAGNE SANS AVION, SANS OXYGÈNE
Désormais à pied depuis le col
croûte des vainqueurs. Dix jours plus tard,
Michel Vaucher et Hugo Weber parvien-
GÉANTE. Dava, le gros de l’expédition se
hâte pour rejoindre les sept
nent également au sommet de la Montagne
Blanche. Sans oxygène, comme leurs
hommes déjà en position au camarades du 13 mai. L’exploit !

Montagnes Magazine#446
70 MM445 Mémoires.qxp_MM439 17/07/17 12:08 Page75
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page76

76_ trousse de secours

PHYSIOLOGIE DE LA
(TRÈS) HAUTE ALTITUDE
CERTITUDES ET INCERTITUDES

Depuis le mois de mai et le premier volet de ce dossier, le petit


monde de la très haute altitude a connu son énième
tremblement de terre mais pas le moindre, Kilian Jornet et ses
deux réussites à l’Everest sans oxygène, la même semaine.
De quoi aborder cette seconde partie avec un souffle nouveau.
Par Cédric Sapin-Defour

Le 27 mai 2017, six jours après une première éclaire sur les relations entre cet indicateur basses contrées avec toute sa tête et la totalité
visite au sommet, Kilian Jornet s’ennuyait capacitaire et la résistance à la très haute de ses doigts et orteils. En montagne, le
fermement au camp de base avancé de altitude. Ses conclusions ne sont peut-être froid est un ennemi. Il peut mutiler voire
l’Everest, versant tibétain. Il s’est donc rendu pas celles qu’on imaginait. tuer. A minima, il est un facteur extrinsèque
une deuxième fois (on n’ose pas dire seconde) Kilian Jornet s’est acclimaté quelques jours à prendre en considération pour qui
sur le Toit du Monde (8 848 m). La montagne plus tôt en gravissant le Cho Oyu (8 201 recherche la performance en altitude.
médiatique en est encore toute chamboulée m), stratégie d’acclimatation venant parfaire Emmanuel Cauchy nous présente les
et les laboratoires du monde entier ne savent son activité frénétique dans les Alpes et les mécanismes de défense de l’organisme face
plus à quelles vérités scientifiques se vouer. montagnes de Norvège. Samuel Vergès nous au froid et les conséquences les plus connues
Kilian Jornet affiche une VO2max propose différentes méthodes pour préparer d’une exposition prolongée : les gelures.
(consommation maximale d’oxygène) à 92 un séjour en haute altitude, de l’entraîne- Que les rats de laboratoire se rassurent,
ml/kg/min. C’est exceptionnel, seuls ment sur nos 4 000 mètres alpins jusqu’à même s’il est difficile de l’attraper, Kilian
quelques fondeurs peuvent supporter la la sieste préparatrice en tente hypoxique. Jornet est aujourd’hui le cobaye le plus
comparaison. Jean-Paul Richalet nous Kilian Jornet semble être revenu dans nos prisé des scientifiques de l’hypoxie.

Montagnes Magazine#446
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page77

_77

LE FROID ET SON RÔLE DANS LA LIMITATION


DE LA PERFORMANCE EN ALTITUDE
Emmanuel Cauchy, directeur de l’Ifremmont.

L’hypothermie est une décélération physiolo- même quand elle est légère, sont aussi poignets et des malléoles. Cette réaction «
gique qui ne devient pathologique qu’en dessous d’ordre hydroélectrique. La redistribution sacrificielle » entraîne des lésions dont le
d’une température centrale de 35°C. L’homme du volume plasmatique au centre de l’orga- pronostic peut être lourd (amputation
étant homéotherme – la température centrale nisme entraîne une diurèse réflexe (perte osseuse). Loin des rats et des laboratoires
doit être maintenue coûte que coûte à 37°C – d’urine) qui accentue la déshydratation de recherche fondamentale, l’Ifremmont a
il s’ensuit toute une série de mécanismes de relative. Le froid ralentit également la consumé ses premiers deniers, il y a 15 ans,
défense dont le but est de permettre aux organes vitesse de l’influx neuromusculaire. La en lançant un ambitieux travail rétrospectif
nobles de fonctionner normalement (cœur, ventilation s’accélère en hypothermie légère sur les grandes séries de gelures conservées
poumon, cerveau, foie, rein). et s’accompagne d’une baisse de la dans les archives de l’hôpital de Chamonix
compliance avec une augmentation de (plus de 1 200 cas observés en 50 ans). De
Froid et performances l’espace mort et une certaine bronchorrhée ce premier fastidieux travail, est sortie en
La première des défenses involontaires est qui aura pour effet de réduire d’autant les 2010, la toute nouvelle classification inter-
une vasoconstriction périphérique ayant capacités respiratoires. nationale qui fait référence depuis. Il publie
pour avantage de limiter les pertes ensuite, dans le New England Journal of
thermiques en réduisant le flux vasculaire Hypothermie et gelures Medicine, les résultats de ses travaux sur
périphérique. Les échanges micro-vascu- Au-delà de ses effets sur la performance, le l’iloprost, la première molécule injectable
laires assurant l’oxygénation musculaire froid, s’il devient rigoureux et dépasse les capable de réduire le risque d’amputation
s’en trouvent réduits, ce qui nuit déjà en facultés de défense de l’organisme, peut se dans les gelures sévères. Cette découverte
soi à la performance. Le deuxième effet est compliquer de deux pathologies graves que révolutionne le pronostic des gelures graves.
plastique, le froid réduisant les perfor- sont l’hypothermie et les gelures. Profitant de son laboratoire naturel à
mances élastiques de l’appareil musculo- L’hypothermie, après une courte période de l’aiguille du Midi (3 840 m) (Chamonix
ligamentaire, la rigidité s’installe, rédui- réponse active caractérisée par l’apparition Mont-Blanc Mountain LAB) et des subven-
sant la souplesse et favorisant l’apparition de frissons permanents (35°C<T<32°C), tions européennes des programmes franco-
de crampes musculaires. l’augmentation de fréquence cardio-venti- italien Resamont et e-Résamont, l’Ifremmont
Les effets surajoutés de l’hypothermie, latoire d’origine adrénergique et la produc- publie aussi son étude « Flow Pulse » en
tion de chaleur endogène 2015 pour démontrer que le caisson portable
(hormones thyroïdiennes et corti- hyperbare, qui soigne des complications du
LES GELURES SONT costéroïdes), se complique, prenant
la forme d’une hibernation avec
mal des montagnes peut aussi traiter l’hypo-
thermie et les gelures, en augmentant la
UNE RÉACTION diminution du mécanisme d’oxy-
dation cellulaire et sur le plan
température centrale, cutanée, et les flux
vasculaires distaux. On démontre dans ce
SACRIFICIELLE clinique d’un coma rigide
(28°C<T) jusqu’à l’arrêt cardio-
travail que le caisson réchauffe 3 fois : en
augmentant la pression atmosphérique, en
ENTRAÎNANT DES respiratoire (aux alentours de
24°C).
potentialisation la radiation des victimes
dans un espace clos et en activant la
LÉSIONS DONT LE Les gelures sont l’expression d’une
défense contre l’hypothermie par
vasoréactivité par thermogénèse oxydative.
La toute récente étude « VIA-GEL », quant
PRONOSTIC PEUT exagération de la vasoconstriction
périphérique. Elles sont favorisées
à elle, vient de démontrer que le sildénafil,
plus connu sous le nom de marque VIAGRA
ÊTRE LOURD par l’ouverture de shunts artério-
veineux situés au niveau des
pourrait constituer une solution chez les
montagnards gelés et bloqués en montagne.

Montagnes Magazine#446
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page78

78_ trousse de secours

S’ACCLIMATER À L’HYPOXIE : COMMENT PRÉPARER


NOTRE ORGANISME À UN SÉJOUR EN ALTITUDE ?
Samuel Vergès est physiologiste, chercheur INSERM, responsable de l’équipe Hypoxie-Exercice du labora-
toire Hypoxie-Physiopathologie de l’université Grenoble Alpes (http://hp2.ujf-grenoble.fr/) et président
d’EXALT (http://www.exalt-association.org/).

Pourquoi se pré-acclimater ?
Mécanismes de l’acclimatation faisant ainsi « prendre de l’avance » sur notre
Les difficultés d’acclimatation qu’un individu
Il est souvent recommandé de programmer un acclimatation future à l’occasion de notre trek
vivant à basse altitude (<1 500 m) peut rencon-
séjour de quelques jours à des altitudes >1 ou ascension tant attendu ?
trer lors d’un séjour à des altitudes supérieures
500 m avant de se lancer dans un projet en
à 2 500 m et plus encore supérieures à 3 500
haute altitude. Mais un tel séjour préalable La « dé-acclimatation »
m peuvent conduire à envisager des modes
en altitude est-il suffisant pour induire des La question de la pré-acclimatation pose de
de pré-acclimatation visant à prévenir la
adaptations physiologiques à l’altitude permet- façon conjointe la question de la « dé-accli-
survenue de symptômes de mal aigu des
tant ensuite une meilleure ascension à haute matation » : dans quelle mesure et à quelle
montagnes (MAM), voire de complications
altitude ? De plus, si certains mécanismes vitesse perd-on les mécanismes d’acclima-
plus sérieuses telles que l’œdème pulmonaire
d’adaptation à l’altitude lors de ce séjour tation que l’on a développés à un niveau d’alti-
de haute altitude ou l’œdème cérébral de haute
préalable en altitude sont induits, combien de tude donné ? Alors que les mécanismes
altitude. La question d’une pré-acclimatation
jours vont-ils perdurer, seront-ils conservés d’acclimatation à l’altitude que nous avons
peut en particulier se poser lorsque le gain en
plusieurs jours après le retour à basse altitude, développés persistent tant que nous restons à
altitude va être rapide et exposer ainsi l’indi-
délai nécessaire pour préparer ses affaires, cette altitude, une fois redescendu en plaine
vidu à un plus grand risque de développement
voyager jusqu’au pied des montagnes et ils vont disparaître en quelques jours ou
de symptômes d’intolérance à l’altitude.
atteindre des altitudes à nouveau élevées ? semaines. La cinétique précise de leur dispa-
L’acclimatation progressive à l’altitude étant
Mais que veut-on exactement induire d’un rition reste cependant incomplètement connue,
le meilleur moyen de prévenir la survenue du
point de vue physiologique lorsqu’on cherche même si certaines études scientifiques se sont
MAM, il est naturel d’envisager des exposi-
à pré-acclimater notre organisme avant un penchées sur la question. Chez des sujets
tions préalables et progressives à l’hypoxie
séjour en haute altitude ? L’idée est d’initier un ayant passé 16 jours à 4 300 m d’altitude, il
permettant à l’organisme de mettre en place les
certain nombre de mécanismes qui sont ceux a ainsi été évalué qu’après 7 jours redescendus
mécanismes sous-jacents à l’acclimatation.
qui nous permettent de nous adapter à la haute au niveau de la mer, ils conservaient encore
Alors qu’il est classiquement recommandé
altitude au cours des premières heures et jours environ 50 % de leur mécanisme d’adaptation
d’envisager une première nuit à une altitude
de présence dans les hauteurs. Il s’agit d’une ventilatoire à l’hypoxie décrit ci-dessus et ne
maximale de 2 500 m et ensuite un gain d’alti-
part d’induire une acclimatation ventilatoire se présentaient aucun symptôme de MAM lors
tude entre deux nuits de 300-600 m maximum,
caractérisant par une hyperventilation accrue d’une réexposition à 4 300 m d’altitude (Lyons
les contraintes propres à certains projets en
en réponse à la diminution de l’oxygénation et al., 1995 ; Muza et al., 1995). Une autre
altitude empêchent le respect de ces règles.
artérielle. Cette augmentation de la réponse étude a montré que des sujets ayant résidé 5
Nombreuses sont les offres commerciales de
ventilatoire à l’hypoxie va permettre d’aug- jours à 3 800 m maintenaient une acclimata-
trekking et d’ascension qui proposent des
menter l’apport en oxygène à l’organisme et tion ventilatoire jusqu’à 3 jours (mais plus à
profils d’ascension ne respectant pas ces
ainsi de réduire les effets délétères de la partir du 4e jour) après leur retour en plaine
consignes et exposent ainsi le client à la
moindre pression inspirée en oxygène propre (Sato et al. 1992). Une étude récente améri-
survenue de symptômes associés au MAM.
à l’altitude. Un autre mécanisme essentiel caine a montré qu’après 16 jours passés à 5
L’accès direct à des altitudes élevées par avion
d’acclimatation est l’augmentation de la 260 m, une rétention partielle des phéno-
ou téléphérique est également un facteur
capacité de transport de l’oxygène par notre mènes d’acclimatation était présente jusqu’à
majeur responsable de la survenue de MAM.
sang. Celle-ci est accrue dans un premier temps 21 jours après la redescente à 1 525 m : les
par une hémoconcentration (c’est-à-dire une symptômes de MAM lors d’une réexposition
diminution du volume plasmatique augmen- à 5 260 m étaient moins sévères à +21 jours,
tant la quantité de globules rouges alors que les altérations physiques (endurance
par volume de sang) puis, si l’expo- à l’effort) et cognitives (mémoire à court
sition hypoxique est suffisante (en terme) induites par ce niveau d’altitude étaient
PLUS LE TEMPS PASSÉ intensité et en temps), par la produc-
tion de globules rouges supplémen-
moindres à +7 jours mais revenaient à leur
niveau initial (avant la pré-acclimatation) à
EN ALTITUDE EST taires, responsables de la polyglo-
bulie d’altitude. D’autres
+21 jours (Subudhi et al. 2014). Ainsi, lorsque
nous résidons suffisamment de jours en haute
LONG, PLUS LA mécanismes vont être associés à une
acclimatation réussie à la haute
altitude permettant ainsi une bonne acclima-
tation, nous conservons lors du retour en plaine
RÉTENTION DES altitude, telle une moindre augmen-
tation de la pression artérielle pulmo-
certains mécanismes d’acclimatation pendant
plusieurs jours voire plusieurs semaines, cela
PHÉNOMÈNES naire, une augmentation de la contri-
bution de l’oxydation des hydrates de
en fonction du temps passé en altitude et du
niveau d’altitude. Plus le temps passé en
D’ACCLIMATATION carbone (les « sucres ») pour la
production énergétique, etc. Dans
altitude a été long et plus le niveau d’altitude
a été élevé, plus la rétention partielle des
SERA PROLONGÉE. quelle mesure une pré-acclimatation
à l’altitude peut-elle initier ces
phénomènes d’acclimatation sera prolongée
et facilitera l’acclimatation lors d’une nouvelle
mécanismes d’acclimatation, nous exposition à l’altitude.

Montagnes Magazine#446
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page79

_79

S’acclimater en continu du temps et de l’équipement nécessaire pour un


ou par intermittence ? tel programme… Il semblerait pourtant qu’une
Il est donc entendu qu’un suffisamment long seule heure par jour à 4 500 m d’altitude simulée
séjour (>5 jours) en altitude induit des (en chambre hypoxique normobare) pendant
mécanismes d’acclimatation qui perdureront au 7 jours soit suffisante pour diminuer les
moins partiellement plusieurs jours après la symptômes de MAM et améliorer la réponse
redescente en plaine et permettront ainsi une ventilatoire lors d’une exposition à 5 300 m
meilleure adaptation lors d’une remontée en d’altitude simulée 2 jours après la fin du proto-
altitude pendant ce laps de temps. Mais qu’en cole de pré-acclimatation (Wille et al. 2012).
est-il de l’intérêt de programmes de pré-accli- Certaines sociétés que l’on pourrait qualifier de
matation de durées plus courtes ? Un seul week- « salon d’hypoxie » proposent ainsi en France
end à plus de 2 000 m d’altitude induit certains (Paris, Aix-en-Provence…) et ailleurs en
mécanismes d’acclimatation, mais leurs temps Europe (Genève, Londres…) des séances
de persistance lors du retour en plaine est proba- d’hypoxie de ce type en vue d’induire une pré-
blement relativement court. Et qu’en est-il pour acclimatation chez leurs clients projetant un
des expositions en hypoxie encore plus courtes séjour en haute altitude. Des bases physiolo-
(quelques heures) mais que l’on répéterait giques existent pour de telles pratiques même
pendant plusieurs jours ou semaines ? C’est si certains mécanismes spécifiques d’adapta-
ce que l’on appelle l’exposition intermittente tion à l’hypoxie intermittente et susceptibles
à l’hypoxie qui est un domaine d’étude scien- d’améliorer notre tolérance à l’altitude restent
tifique important à l’heure actuelle. L’hypoxie probablement à déterminer.
intermittente est en effet l’élément physiopa-
thologique central du syndrome d’apnée du Dormir en s’acclimatant
sommeil, une pathologie relativement fréquente Une alternative à ce type de programme de
dans nos pays occidentaux : les patients présen- pré-acclimatation en journée serait d’utiliser 5
tant cette pathologie subissent à chaque apnée notre temps de sommeil pour laisser notre Séance d'exercice en hypoxie sur home-trainer
nocturne une phase d’hypoxie artérielle, organisme se pré-acclimater à l’hypoxie. (Trekalti. www.trekalti.com
pouvant avoir lieu plusieurs dizaines de fois Comment ? En utilisant une tente hypoxique
par heure, étant reconnue comme génératrice par exemple qui, installée dans votre chambre,
d’anomalies cardiovasculaires et métaboliques vous permettra de passer vos nuits à l’altitude
importantes, pouvant même augmenter le que vous souhaiterez (au maximum 3 500-4 mécanismes précis d’acclimatation induits
risque de pathologies comme l’hypertension, 000 m en général). Une telle solution peut être restent à établir. Un vieux débat s’est égale-
l’infarctus du myocarde ou les accidents vascu- attractive du fait de son aspect (relativement) ment ravivé récemment concernant les adapta-
laires cérébraux. Mais l’hypoxie intermittente pratique qui vous permettra le matin venu de tions à l’hypoxie qui pourraient différer selon
est aussi considérée comme une méthode rejoindre votre bureau parisien, l’air de rien. Il que l’hypoxie est normobare (à pression
susceptible d’induire des phénomènes d’adap- est ainsi proposé sur le marché certaines presta- atmosphérique ambiante, en inhalant un
tation de l’organisme lorsque le niveau tions commerciales mettant à disposition dans mélange gazeux avec une fraction inspirée en
d’hypoxie et la répétition des phases d’hypoxie- votre chambre douillette une tente hypoxique oxygène diminuée via un masque ou sous une
normoxie sont adaptés. L’exposition hypoxique dans laquelle vous dormirez pendant plusieurs tente par exemple) ou hypobare (en diminuant
intermittente peut alors être considérée comme jours ou semaines en altitude simulée avant de la pression ambiante, comme dans un caisson
protectrice voire devenir une intervention théra- vous rendre en haute altitude, cela afin de vous spécifique, reproduisant l’hypoxie d’altitude),
peutique dans certaines pathologies chroniques pré-acclimater et de favoriser votre future ascen- posant ainsi la question supplémentaire de
(Verges et al. 2015). Contrairement à l’apnée sion en haute altitude. Que sait-on scientifi- différences éventuelles d’efficacité entre une
du sommeil qui impose à l’organisme des quement d’une telle stratégie de pré-acclima- pré-acclimatation en hypoxie normobarique
niveaux d’hypoxie relativement sévères (du tation ? Une étude (Dehnert 2014) a soumis ou hypobarique.
fait des pauses respiratoires) et selon des cycles près de 80 sujets volontaires à 14 nuits sous Dans tous les cas il est important de rappeler
rapides (de l’ordre de quelques secondes ou tente hypoxique à l’équivalent de 2 600 m ou que l’acclimatation est altitude-spécifique. Cela
minutes), l’exposition quelques minutes ou 450 m d’altitude, puis les a évalués 4-5 jours signifie que l’acclimatation à un niveau donné
heures par jour à des conditions d’hypoxie plus après la dernière nuit sous tente pendant 20 d’altitude ne confère qu’une acclimatation
modérée pourrait induire après plusieurs jours heures à une altitude simulée de 4 500 m. Cette partielle à un niveau d’altitude supérieure.
ou semaines des mécanismes d’acclimatation, étude a été réalisée en double aveugle, c’est-à- Ainsi, si votre programme de pré-acclimatation
tels qu’une réponse ventilatoire hypoxique dire que ni les sujets ni les évaluateurs ne s’effectue à un niveau d’altitude plus bas que
accrue, susceptibles d’aider à mieux tolérer un savaient qui avait dormi à 2 600 m d’altitude celui auquel se déroulera l’ascension dont vous
futur séjour en haute altitude. Ainsi, 4 heures ou en air ambiant pendant les 14 nuits de pré- rêvez depuis si longtemps, votre acclimatation
d’exposition à une altitude simulée de 4 300 m acclimatation. Les résultats ont montré que les ne sera qu’au mieux entamée lorsque vous
(en caisson hypobare) 5 jours par semaine sujets ayant passé 14 nuits sous tente hypoxique arriverez sur place et nécessitera une progres-
pendant 3 semaines permettent une absence à 2 600 m d’altitude présentaient significati- sion en altitude adaptée pour permettre à votre
totale de MAM lors d’une montée brutale à 4 vement moins de symptômes de MAM organisme de tolérer la moindre disponibilité
300 m immédiatement après ce programme pendant les 20 heures à 4 500 m. Si cette étude en oxygène. Ainsi les méthodes de pré-accli-
de pré-acclimatation (Beidleman et al. 2004). est encourageante quant à l’intérêt de tels pro- matation font appel aux ressources physiolo-
Mais 4 heures d’exposition à l’altitude simulée tocoles nocturnes de pré-acclimatation, les giques propres à notre organisme capable de
ne constituent pas encore la solution la plus caractéristiques optimales de ces protocoles développer progressivement des mécanismes
pratique pour se pré-acclimater à son futur trek (durée d’exposition sous la tente, niveau d’alti- d’adaptation à un environnement où l’oxy-
en haute altitude, tout le monde ne disposant pas tude simulée, nombre de nuits) ainsi que les gène est disponible en moindre quantité.

Montagnes Magazine#446
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page80

80_ trousse de secours

COMMENT SE PRÉPARER POUR


L’ASCENSION D’UN 8 000M ?
Jean-Paul Richalet est professeur de physiologie à l’université Paris 13,
spécialisé en médecine du sport et médecine d’altitude.

La première démarche est de mieux d’apporter un peu plus d’oxygène aux partir sans entraînement mais que cela
connaître les contraintes auxquelles l’alpi- muscles et au cerveau mais on ne récupé- risque d’être improductif, voire contre-
niste va être confronté : la haute altitude, le rera jamais la performance physique du productif, de forcer sur un entraînement de
froid, le vent qui aggrave les effets du froid, niveau de la mer. La question qui se pose haute intensité pendant les semaines précé-
le rayonnement solaire intense, les dangers alors est de savoir comment limiter cette dant le départ en expédition.
objectifs et subjectifs. perte de performance par une préparation
adéquate. Logiquement, on pourrait se dire QUELQUES RÈGLES POUR MIEUX GÉRER
HYPOXIE ET VO2MAX qu’il faut déjà augmenter cette VO2max L’HYPOXIE
Le danger essentiel, le plus difficile à au niveau de la mer par un entraînement Alors que faire ? Nous sommes « très
contrôler est « l’hypoxie », une baisse de la adapté associant endurance et puissance inégaux devant l’hypoxie », certains s’accli-
pression d’oxygène dans l’air inspiré : à 5 200 (interval training). Malheureusement, il a été matent vite et bien, d’autres ont besoin de
m, il reste la moitié de l’oxygène disponible clairement montré que plus notre VO2max plus de temps... souvent un facteur limitant
au niveau de la mer, à 8 848 m, il n’en reste du niveau de la mer est élevée, plus elle en expédition. Le risque est alors de
plus que le tiers. Le manque d’oxygène dans diminue en haute altitude car les poumons développer des pathologies plus ou moins
le sang va être détecté par des capteurs des athlètes d’endurance captent, paradoxa- graves : le mal aigu des montagnes (MAM),
(chémorécepteurs) situés dans les vaisseaux lement, moins bien l’oxygène que des l’œdème pulmonaire et l’œdème cérébral de
du cou et le corps va immédiatement réagir personnes sédentaires ! Par ailleurs, ils sont haute altitude. Le premier peut être très
en accélérant la respiration et le rythme plus sensibles au mal des montagnes… pas handicapant, les deux derniers mortels.
cardiaque mais cela ne va pas suffire et nos de chance ! On a d’ailleurs montré que Les études de nombreuses expéditions et
muscles ne vont plus disposer d’assez d’oxy- Reinhold Messner n’avait pas une VO2max trekkings depuis les années 80 ont permis
gène pour fournir des efforts aussi intenses très élevée à l’époque de l’Everest sans de dégager des règles précises pour la
qu’au niveau de la mer : la VO2max oxygène… et des études sur plus de cent progression et le séjour en haute altitude :
(consommation maximale d’oxygène) himalayistes ont montré que leur VO2max 1. Ne pas monter trop vite trop haut. C’est
diminue de 30 % à 4 800 m et de 75 % à 8 était certes au-dessus de la moyenne, mais la « règle des 400 m » : à partir de 3 000 m,
848 m ! n’avait rien à voir avec celle de maratho- en début de séjour, ne pas dépasser une
Après une dizaine de jours, le nombre de niens ou cyclistes de haut niveau (Richalet différence d’altitude moyenne de 400 m
globules rouges augmente permettant et al., 2015). Cela ne veut pas dire qu’il faut entre deux nuits consécutives. Suivre cette

ET LA PSYCHOLOGIE - C’est comme dans le domaine des tude plus ou moins exprimée. Durant mes
DANS TOUT ÇA ? avalanches, aux sciences fondamentales il expés, l’acclimatation se construit avec 6 ou
Quelques échanges avec Paulo Grobel, de faut ajouter le facteur humain ? 7 messages principaux, des briefings répartis
retour de la traversée de l’Himlung. - OUI exactement. Pour la partie « prise de à des moments stratégiques de changement
décision », on sait maintenant que les facteurs de milieu ou d’activité (et dès l’arrivée à
- Toi qui es souvent là-haut, que penses-tu humains, les états mentaux jouent un grand Katmandou). L’objectif est de se transformer
des avancées scientifiques en termes de rôle. En haute altitude, le cerveau est au centre en Homo Himalayus conscient et attentif aux
préparation à l’altitude ? de la problématique, il réagit aussi aux dimen- moindres détails de nos actes et implications.
- Damned, c’est assez compliqué. C’est super sions psycho cognitives. Il faut absolument Avec un objectif toujours présent : s’écono-
de faire circuler toutes les informations dispo- associer les chercheurs en psychosocial à miser. J’ai aussi des histoires qui illustrent mes
nibles sur le sujet. Pourtant, j’ai l’impression que cette recherche, pour ne pas rester sur de propos et qui font partie de la culture du
ça ne sert pas à grand-chose, que le problème simples connaissances physio. On peut faire groupe : « l’épée de Damoclès » ou « the story
est ailleurs que dans les chiffres et les l’hypothèse que si nous sommes capables of old Buffalo » pour les Népalais. J’utilise
diagrammes. de construire des conditions positives, bienveil- également des concepts issus de la marche
- J’ai un peu de mal à te suivre là… lantes, empathiques avec nous-même, nous consciente ou de la communication non
- Je voudrais juste exprimer ma propre diffi- pouvons aider notre corps à mieux vivre la violente. Et ce printemps, nous avons travaillé
culté, mon désarroi et ma fragilité en altitude. haute altitude et si possible éviter de mourir. sur la notion de BATNA (Best Alternative to
J’ai l’impression que toutes ces connaissances - Peux-tu nous dire en quelques mots ce a Negociated Agreement), une hypothèse
scientifiques ne m’aident pas beaucoup sur le que tu mets en place concrètement, dans la interprétative pour réduire la pression mentale,
terrain. Même si elles sont, encore une fois, vie du groupe, pour que l’acclimatation de ce syndrome du boulet si présent. Bref le
indispensables à connaître et à partager. C’est chacun se fasse au mieux ? sujet est immense, passionnant et surtout
d’abord l’humain qui est au centre du problème. - En fait, il faudrait écrire un article complet transdisciplinaire. Affaire à suivre donc.
On oublie peut-être un peu vite que nous sur le sujet ! En quelques mots, il y a des
sommes directement responsables de nos choses à faire avant le départ, dans une infor- Et un lien…
mal-être en altitude. Pourquoi, alors que nous mation juste, pour rassurer, aider à comprendre http://www.paulogrobel.com/acclimatation-
savons beaucoup sur le fonctionnement de les aléas, les difficultés du projet (que ce soit et-cerveau/
notre corps en altitude, n’arrive-t-on pas à un trek ou une ascension), en pensant un
prendre les bonnes décisions ? accompagnement différencié en cas d’inquié-

Montagnes Magazine#446
76 MM445 Physio Haute Altitude.qxp_MM439 17/07/17 12:09 Page81

_81

Quelques exemples de gelures graves


(Ifremmont). Voir la classification des
différents stades de gelure sur
http://www.ifremmont.com

1 Volumineuses phlyctenes sur une


gelure grave 24h apres le rechauffement.

2 Stade 4 momifié .

3 Stade 4.
1 2
3 Gelure de stade 4 de la main avant
3 4 ré chauffement.

comme le Ladakh avec l’arrivée à Leh à 3


600 m, ou l’Aconcagua, mais aussi le mont
Blanc ou le Kilimandjaro

Pour les personnes qui n’ont jamais été en


haute altitude auparavant, on ne dispose
pas d’informations sur leurs antécédents
de MAM mais le test d’effort en hypoxie
met en évidence les mêmes autres facteurs
de risque, à des degrés légèrement diffé-
règle réduit d’un facteur 6 le risque de rents.
développer un MAM sévère. Le score global qui tient compte de tous
2. Monter suffisamment haut pour s’accli- ces facteurs varie de 0 à 10 points (consulter
mater. Pour l’ascension d’un sommet de les articles en référence pour un calcul précis
plus de 8 000 m, le camp de base doit se nant à l’INSEP ainsi que dans 21 centres en du score : Richalet et al., 2015). À partir
situer vers 5 000 m et des jours doivent être France, une étude précise des facteurs de de 5 points, on considère la personne
passés entre 6 000 m et 7 000 m. risques de MAM sévère permet de calculer comme « à risque » et des conseils spéci-
3. Ne pas rester trop haut trop longtemps. un « score » permettant d’adapter les fiques lui sont donnés en insistant sur les
Au-delà de 7 000 m, toutes les fonctions conseils avant le départ et de dépister règles d’acclimatation. Une brochure
physiologiques ralentissent, en particulier éventuellement des personnes à risque. Ce d’information « Santé et altitude » sera
la nuit au cours de laquelle la respiration score associe des données cliniques et des fournie en consultation ou est disponible
diminue spontanément. Des IRM et mesures physiologiques faites lors d’un test sur le site Internet de l’ARPE.
scanners cérébraux ont montré que le d’effort modéré en hypoxie (4 800 m L’acétazolamide (Diamox) a fait l’objet de
cerveau d’alpinistes qui avaient dormi simulés par l’inhalation d’un mélange nombreuses études sérieuses et contrôlées.
souvent au-delà de 8 000 m était plein de gazeux appauvri en oxygène) (Figure 3). Son efficacité est largement prouvée : l’acé-
petits trous… Voici donc les facteurs de risque qui entrent tazolamide réduit de 44 % le risque de
4. Éviter les efforts intenses en début de dans le calcul du score, du plus au moins MAM sévère ! Cependant, il s’agit d’un
séjour. La quantité d’oxygène dans le sang important : médicament qui doit être prescrit par un
diminue à l’effort (par rarepos) en altitude 1. Les antécédents de MAM sévère, œdème médecin dans des conditions spécifiques
: par exemple, lorsque vous faites un effort pulmonaire ou <cérébral : quelqu’un qui a (score de risque élevé, dénivelé ne permet-
maximal à 4 800 m (arriver en courant à déjà fait un œdème a 12 fois plus de risques tant pas le respect de la règle des 400 m) et
fond au sommet du mont Blanc), la pression d’en refaire un qu’une autre personne pour une durée limitée.
d’oxygène dans votre sang est la même 2. Les sujets présentant une mauvaise
qu’au repos à 7 000 m… en quelques réponse ventilatoire et/ou cardiaque à Au total, au-delà de la préparation physique
minutes, vous avez gagné 2 200 m, ce qui l’hypoxie ou qui perdent plus d’oxygène pure (avant le départ en normoxie ou en
aggrave le risque de MAM. (désaturation) lors du test d’effort en hypoxie) dont les effets seront limités, une
hypoxie ont entre 3 et 20 fois plus de consultation médicale spécialisée permettra,
Qui est à risque et pourquoi ? risques, en fonction des valeurs de ces surtout pour ceux qui n’ont jamais été aupara-
On a longtemps dit « le MAM c’est une réponses vant confrontés à l’environnement de haute
fatalité », « on ne peut pas prédire qui va être 3. Une montée trop rapide en altitude (règle altitude, de faire un bilan de santé et d’éva-
malade », « tout est dans la tête », « un des 400 m non respectée) : 6 fois plus de luer les facteurs de risque éventuels.
alpiniste qui n’a jamais eu de problème peut risques Cependant, l’essentiel du succès dépendra du
brusquement faire un œdème », etc. Tout 4. Les migraineux, les sujets de moins de comportement sur le terrain, en particulier
cela n’est plus vraiment d’actualité. 46 ans, les femmes, les sujets très entraînés lors des premiers jours : bonne acclimatation,
À partir de consultations de médecine de en endurance ont tous un risque légèrement efforts bien dosés, nuits en très haute altitude
montagne réalisées depuis les années 80 à plus élevé limitées, sans parler d’une bonne hydrata-
l’hôpital Henri-Mondor à Créteil, puis à 5. Certaines destinations sont plus à risque tion… et d’un moral d’acier !
l’hôpital Avicenne à Bobigny et mainte-

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page82

82_ vie de guide

FACES NORD
POUR BONS CLIENTS UNIQUEMENT ?
Cervin, Grandes Jorasses, Eiger. Si ces trois grandes faces nord des
Alpes font rêver tous les passionnés de montagne, elles attirent aussi,
parfois, les non avertis. Entre les uns et les autres, les guides de haute
montagne se doivent de faire preuve d’un vrai discernement.
Par Jacques Tyrol

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page83

_83

4
Guide et client au sommet de la Verte.
© Louis Laurent

.
ME NAUDIN SUR LES TRACES
DE RÉBUFFAT
À 55 ans, Me Michel Naudin, notaire à Meximieux
jusqu’à son sommet, point culminant du sait qu’il n’ira pas au bout de l’un de ses rêves
Cervin (4 478 m). La deuxième, les Grandes déjà ancien : faire les 100 plus belles courses
Jorasses, fait 1 200 m de haut, du pied de listées par Gaston Rébuffat. « Je suis parti sur
l’éperon nord de la pointe Walker (3 010 cette idée, mais je n’arriverai jamais à la fin. De
m) jusqu’à son sommet, point culminant toute façon, certaines de ces courses sont bien
des Grandes Jorasses (4 208 m). Quant à la au-delà de mon niveau », dit-il humblement. Son
troisième et dernière, l’Eiger (3 970 m), elle approche de la montagne est très « seventies
est considérée comme la plus terrible des » en raison de son attrait pour les grandes
faces nord des Alpes : à l’avant du massif, courses, les classiques. Passionné de montagne,
face aux plateaux helvétiques, cette face de il est conscient de son niveau, ne se prend pas
1 800 m de haut… constitue le premier pour un autre : « Rébuffat, c’est la montagne
rempart des Alpes face aux perturbations que j’aime, du 4-5. On est bien. Il n’y a pas grand
atlantiques particulièrement redoutables ; monde. J’aime les grandes traversées histo-
sa paroi, concave, retient les nuages plus riques. C’est extraordinaire ! Quand je suis dans
que n’importe quel autre sommet ; cette la dernière longueur du Grépon, je pense à
même paroi, calcaire, est raide dans sa partie ceux qui l’ont faite à la fin du XIXe siècle… Mais
supérieure ; le cheminement n’y est jamais je suis incapable de faire tout ça tout seul.
évident en raison de nombreuses traversées J’aime le confort du guide pour me faire plaisir.
qui rallongent une ascension déjà très longue Je me suis tout de suite très bien entendu avec
; vue du bas, cette face paraît essentielle- Fred Degoulet. Il est jeune, malin, intelligent,
ment rocheuse, alors que de vastes névés pas bourru, très fort, ne s’énerve jamais. »
s’y accrochent. Sans compter le verglas… Ensemble, il ont devant eux un beau
Les présentations ainsi faites, il pourrait programme : aiguilles du Diable, Grandes
sembler inutile de dire aux néophytes que la Jorasses par les arêtes de Rochefort, le Couturier,
« trilogie » est un trio de courses en haute la traversée du Cervin… « Mon problème, ce
montagne très difficile, à fort engagement. sont les créneaux, le temps. Je ne suis pas prof,
Autrement dit, qu’il s’agit de courses où les moi, dit-il en riant avant de poursuivre, je n’ai
obstacles sont multiples : le niveau y est aucune limite. Je serre bien un peu les fesses
élevé, il faut tenir l’horaire, les difficultés de temps en temps parce que je n’ai aucun
pour s’assurer sont nombreuses, le rocher entraînement en escalade durant l’année. Le
n’y est pas toujours très bon, etc. Une fois mur, ça me gonfle… Mais tant que je pourrai y
embarquées, les cordées n’ont pas la possi- aller et que Degoulet voudra m’emmener…
bilité de revenir en arrière. La seule issue se Certains arrêtent à 50 ans, moi j’ai recommencé
situe… en haut. Et lorsqu’elles sont arrivées à 50 ans… J’ai vu un Suisse de 70 ans… »
en haut, au sommet, une autre course
commence : contre la fatigue, contre l’hor- selon les dépêches de l’époque encore en
loge, etc. Bref, la trilogie n’est pas faite pour ligne — pour une course qui, d’ordinaire,
monsieur Tout-le-Monde. s’effectue à la journée, surpris par des tempé-
ratures aux alentours des -20°C et des vents
ACCUMULER LES EXPÉRIENCES de près de 100 km/h, ils n’ont pas survécu.
AVANT DE VISER AUSSI HAUT Ce type de scénario catastrophe explique à
Là-haut, tout là-haut, ça peut vite tourner lui seul que les guides ne s’aventurent pas
au vinaigre. Y compris pour des guides de dans ces faces mythiques avec des débutants
« Trilogie ». Par ce seul terme, les guides de haute montagne confirmés. À l’image ou des inconnus. « Quand un guide fait la
haute montagne nomment les trois grandes d’Olivier Sourzac qui, à l’âge de 47 ans, trilogie avec un client, ce n’est jamais par
faces nord des Alpes : le Cervin dans les s’est retrouvé à la une de tous les médias, en hasard. Je l’ai déjà faite avec un client, mais
Alpes valaisannes, les Grandes Jorasses novembre 2011, en compagnie de sa cliente nous n’avons pas commencé par là. On a
dans le massif du Mont-Blanc et l’Eiger Charlotte Demetz, une alpiniste parisienne d’abord fait des courses ensemble pendant…
dans les Alpes bernoises. Trois faces expérimentée de 44 ans. Les deux alpinistes une vingtaine d’années. D’abord les
mythiques gravies pour la première fois en sont restés bloqués pendant une semaine Dolomites, puis d’autres courses connues :
1931, 1935 et 1938. Trois faces embléma- dans le massif du Mont-Blanc avant d’être Gervasutti, Frêney, etc. Le client en question
tiques que le Français Gaston Rébuffat retrouvés morts par les secouristes italiens n’aime pas s’entraîner, mais il a le niveau
(1921-1985) est le premier alpiniste à avoir à 4 050 m d’altitude, soit à peine 150 mètres pour aller là où je l’emmène », explique
affiché à son palmarès personnel, de 1945 environ sous la pointe Walker (4 208 m), le Serge Casteran, 60 ans, guide basé dans les
à 1952. La première, le Cervin, fait 1 000 m sommet des Grandes Jorasses. Partis sans Pyrénées. Depuis 35 ans qu’il réalise un
de haut, entre la rimaye du glacier du Cervin matériel de bivouac ni sacs de couchage — nombre incalculable ou presque de grandes

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page84

84_ vie de guide

QUAND LE CLIENT courses, il estime nécessaire d’appréhender dans d’autres courses difficiles telles que
GUIDE SON GUIDE ces voies extrêmement difficiles avec une l’arête de Peuterey depuis le refuge Monzino
Le 24 octobre 2013, en compagnie de Yannick philosophie adaptée : « Personnellement, ou la face nord de l’Ailefroide par le pilier des
Graziani, Stéphane Benoist, 46 ans aujourd’hui, avec mes clients, je suis dans l’accompa- Séracs, il ne plaisante pas : « Quand il y a
a réussi l’ascension de la face sud de gnement, dans le long terme. Si un client a beaucoup de dénivelé, de l’altitude, une
l’Annapurna (8 091 m). C’est dire si son de l’argent et du temps libre, il nous est recherche d’itinéraire, cela entraîne beaucoup
expérience des grandes voies est importante. possible de cheminer dans la relation. C’est de fatigue puisque les paramètres à gérer sont
Professeur à l’ENSA, il fait partie de la petite ce qui fait qu’un jour on va sûrement y aller. nombreux. Dans ce genre de courses,
centaine de guides sur les 1 200 en exercice Toute personne passionnée qui se retrouve j’emmène donc des clients que je connais ou
à faire régulièrement des grandes courses au Couvercle ne peut pas être insensible à des clients très forts. Je ne peux pas me
avec des clients : face nord des Droites, ce qu’elle voit. Quand c’est le cas, à ce permettre d’emmener des débutants ou des
Ailefroide, etc. Les gens viennent à lui par le moment-là, je peux peut-être lui dire, en inconnus. Je ne vais pas ajouter d’autres
bouche-à-oreille ou via son site Internet fonction de son niveau : « Pourquoi pas toi paramètres compliqués à gérer. En tant que
(grandes-courses-alpinisme.com). Sur celui- un jour ? » C’est une école de la patience. guide, je ne suis pas un relais ambulant.
ci, la liste des courses qu’il a réalisées — du Mon intérêt est d’amener mes clients à entrer Encore moins un surhomme… » Sa part de
massif du Mont-Blanc à l’Oisans en passant dans une telle démarche. C’est en effet une risques est donc très mesurée. Quand il
par la Suisse ou l’Italie — fait froid dans le dos. accumulation d’expériences qui ouvre ces connaît très bien une course, à l’instar de la
Sans compter ses expéditions en Inde, en portes-là », précise Serge Casteran. C’est traversée des arêtes du Diable qui implique,
Argentine ou au Pakistan… Quand il est en également le travail en amont de telles entre autres, une approche glaciaire, une
compagnie de clients, sa grande expérience courses qui semble le plus important aux pente de neige assez raide à négocier au
ne le dispense toutefois pas de se retrouver yeux de Stéphane Benoist, 46 ans, profes- départ pour attraper l’arête, Frédéric Degoulet
parfois, rarement certes, en difficulté. À ce seur à l’École nationale de ski et d’alpi- se risque ainsi à emmener des clients pas
titre, il se souvient encore d’une expérience nisme (ENSA), à Chamonix : « On est forcément très forts techniquement s’il sait
vécue en 2012 dans la face nord des Grandes comme des chasseurs sur leur gibier ! Tout que physiquement ils ont le potentiel.
Jorasses où c’est son client qui l’a « sorti l’enjeu est d’y aller au bon moment. Pas Pourquoi ? « Parce que dans ces conditions,
d’affaire » : « J’étais engagé dans cette face trop tôt, mais pas trop tard. C’est pour ça que je sais qu’on va perdre du temps, mais que ça
avec un client d’un très bon niveau. À la fin, je tout ce qui précède la course est capital : va passer. On ira au-delà de l’horaire du topo
n’arrivais pas à trouver la sortie sous le sommet, identifier les dangers particuliers, les qui se situe entre 12 et 14 heures, mais ça
dans la tempête, de nuit. Or on avait décidé contraintes ; jauger le niveau technique, passera en partant très tôt. » S’il peut donc lui
de ne pas refaire un bivouac à cause du vent… physique et mental de son client, etc. Avec arriver de prendre des risques, mesurés, c’est
Finalement, c’est lui qui, entre deux mes clients, je fais toujours en sorte de également pour partir à la découverte des
bourrasques, a trouvé la bonne piste. Là où je fonctionner de façon « contractuelle ». Alpes qu’il est encore loin d’avoir profon-
ne voulais pas aller, c’était bien entendu là où Quand on a une idée de course ensemble, on dément explorées : « Avec des clients qui ont
il fallait passer… Mais mon topoguide était en construit un projet, avec des objectifs inter- un bon niveau, j’en profite. » Ainsi, quand il
lambeaux, tandis que le sien était en bon état. médiaires, pour vivre une belle aventure. » prend des risques, c’est parce qu’il est en
» Une autre façon de dire qu’emmener un Habitué aux grandes hauteurs, Stéphane compagnie soit de vrais amateurs qui se
client dans une voie bien au-delà de son niveau Benoist sait qu’il doit pouvoir compter sur plaisent à collectionner les grandes courses
présente un grand danger. un client aguerri une fois engagé (Lire (lire Me Naudin sur les traces de Rébuffat),
Quand le client guide son guide). Sa soit de personnes très douées qui auraient
connaissance de la montagne est telle qu’il elles-mêmes pu, selon lui, devenir guides : «
sait pertinemment qu’à 4 000 m d’altitude Ce sont des personnes qui, souvent, ont fait
et plus il va parfois falloir adopter une beaucoup de montagne. Parfois, elles
LES logique de compromis entre le temps et la connaissent même mieux que moi de
sécurité : « On ne peut pas toujours assurer nombreuses courses. Elles ont donc une vraie
CONTRAINTES ; une sécurité optimale selon les canons de culture de la haute montagne. » C’est pour
l’ENSA. On est donc amené à faire de éviter toutes les galères qui pourraient
JAUGER LE petites entorses à certaines règles car, s’avérer redoutables avec des clients que
parfois, il y a d’autres enjeux plus importants Louis Laurent, 37 ans, n’effectue des grandes
NIVEAU que la sécurité : tempête, etc. Il faut donc être courses qu’en compagnie de son ami guide
accompagné de clients en capacité de mettre Julien Héry (lire Deux guides pour le prix
TECHNIQUE, de la fluidité dans leur ascension. » d’un). Il lui suffit d’évoquer un souvenir
personnel dans les Grandes Jorasses, avec
PHYSIQUE PRENDRE DES RISQUES TRÈS MESURÉS une cliente très compétente, pour justifier la
Jeune guide de 35 ans, diplômé en 2011, pertinence de ce choix : « Malgré un horaire
ET MENTAL DE Frédéric Degoulet s’inscrit déjà dans une correct, on a pris un orage sévère. Seul, avec
telle culture de la montagne. Membre de la ma fatigue et celle de ma cliente, je pense
SON CLIENT compagnie des guides de Chamonix, quand que ça aurait mal fini. À deux guides, on a fait
il se lance avec des clients, que ce soit dans un choix pertinent à minuit alors qu’on était
l’une des trois faces de la trilogie alpine ou partis… 25 heures plus tôt. En bas du

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page85

_85

DEUX GUIDES POUR


LE PRIX D’UN
Quand il s’agit de s’attaquer à des courses à
fort engagement avec un client, Louis Laurent,
37 ans, guide de haute montagne depuis 2006,
travaille toujours en binôme avec Julien Héry,
un ami également guide. En duo, ils se sont plus
d’une fois fait plaisir : voie Gabarrou-Silvy dans
la face nord de l’Aiguille Sans Nom, voie
Gervasutti à la face est des Jorasses, etc. Sans
compter qu’ensemble ils ont ouvert une voie
de 1 000 m dans la face nord du Pic Sans Nom
qu’ils ont surnommée “Le métèque et son
fantôme”. C’est en raison de cette complicité
qu’ils travaillent à deux avec leurs clients respec-
tifs. « Pour moi, être seul avec un client ne
présente pas d’intérêt si ce n’est le prestige. À
la limite, l’intérêt consiste peut-être à chercher
à entrer dans une bulle de concentration
maximale. Mais pour moi, la montagne entre
copains c’est le top », explique Louis Laurent.
Lequel estime qu’un tel compagnonnage est
en outre un gage de sécurité, de confort pour
tout le monde. En amont, la stratégie est mieux
réfléchie. Pendant la course, la cordée force
beaucoup moins. En conséquence, après, le
temps de la récupération est divisé par deux.
Quant au client, le bénéfice est grand pour lui
puisqu’il a deux guides pour le prix d’un. Louis
Laurent de conclure : « Je préfère gagner deux
Des personnes qui n’ont absolument pas le fois moins parce qu’entre potes on profite un
niveau pour s’engager dans une course dite max. L’amitié c’est important. Et puis les clients
difficile mais qui, pourtant, y croient dur aiment bien aussi le principe. Quand on est
comme fer. Frédéric Degoulet raconte : « tendus, ils le ressentent. Du coup, le fait d’avoir
L’été, il y a plein de touristes au mont Blanc deux guides leur permet de passer de vrais
parce que c’est un « produit » à part. Certains bons moments. »
voient ça comme si c’était une via ferrata…
D’autres veulent faire l’éperon Frendo en
face nord de l’aiguille du Midi sans se rendre
compte de ce que cela représente… » Les
mêmes personnes peuvent, en une simple certains clients entêtés au début le restent
question, décontenancer le guide qu’elles ont jusqu’au bout. Quand on écoute les anecdotes
contacté. La fameuse question : « Ah bon, il de Chloé Naget, gardienne du refuge de
faut aussi payer la nuit et le repas du guide au Leschaux (lire Les Coréens à l’assaut des
Reposoir, on n’osait pas descendre vers le refuge ? » est une grande classique des Grandes Jorasses…), on a l’impression de
refuge, mais on voyait des traces qui, selon néophytes. Certains clients, entêtés au début, regarder la scène du Grand Bleu dans laquelle
nous, ne pouvaient mener qu’au refuge. On finissent par retrouver la raison. Stéphane Enzo Molinari, joué par Jean Reno, et son
a donc réveillé notre cliente et mis le cap sur Benoist se souvient notamment d’un homme frère Roberto, sont hilares devant les plongeurs
les traces. On a bien fait car après il y a eu une « qui voulait faire la Walker en été, mais tant de bas niveau venus du monde entier disputer
grosse tempête. Seul, je ne serais même pas techniquement que physiquement ou menta- le championnat du monde d’apnée No Limit
arrivé au Reposoir… » lement il n’avait pas le niveau. Je n’ai rien à Taormina, en Sicile. L’un après l’autre ils
dit. C’était à lui de découvrir qu’il ne pouvait remontent à la surface qui dans le coma, qui
RIEN N’EMPÊCHE LES CARICATURES… pas le faire. On a donc fait plusieurs courses en manque d’oxygène, qui les pieds devant…
Les guides ont beau marteler le message selon tests : voie Contamine à la Pointe Lachenal, La même de raconter qu’elle est par ailleurs
lequel il n’est pas donné à tout le monde de voie de la Cougourde dans le Mercantour, habituée à composer avec des personnes qui
pouvoir réaliser des ascensions de grande etc. De lui-même, il a compris. Quand je suis n’ont pas les moyens de leurs ambitions : « Ce
envergure, ils restent néanmoins exposés à sollicité par des gens qui n’ont pas le niveau, n’est pas à moi de leur dire d’y aller ou pas. Je
des situations ubuesques. Certains sont ainsi, c’est rare, mais c’est le plus dur pour moi car n’ai pas ce pouvoir. Ils posent 50 000 questions,
rarement certes, contactés par de doux rêveurs. c’est parfois un rêve qui se brise… » Mais y compris sur le matériel nécessaire… »

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page86

86_ vie de guide

3
Un client heureux au sommet des Drus.
© DR

DE PETITS DÉTAILS PRATIQUES


QUI ONT LEUR IMPORTANCE…
Entre les disponibilités, le travail et les finances,
l’équation est difficile pour les clients qui ont
des velléités de réaliser des courses à fort
engagement. Question finances, le barème de
la compagnie des guides de Chamonix
indique que toute face nord coûte 2 900
euros. Tarif auquel il convient d’ajouter les
nuitées hors bivouac, le déplacement, etc.
Mais dans les faits, c’est à chaque guide de fixer
ses prix. « En hiver, de toute façon, c’est plus
cher », précise Stéphane Benoist qui a souvent
vu des clients lui donner un bonus… « En fait,
c’est presque comme une relation liée à l’art.
On s’entend sur un tarif souvent très cher
pour le client, mais pas pour le guide eu égard
à la complexité des courses et à ce qu’il
engage en temps. » De fait, quand un guide
prévoit une grande course, il bloque souvent
cinq jours pour une course de trois jours en
prévision des conditions météo moyennes,
mais aussi du repos qui lui sera nécessaire
après une telle course. L’enjeu financier est
donc très élevé pour lui si la course s’avère
irréalisable. Il n’empêche qu’au regard du
client, à l’inverse, la pratique de la montagne
LES CORÉENS À L’ASSAUT DES GRANDES JORASSES… peut sembler réservée aux riches. Et parfois
Depuis le refuge de Leschaux (2 431 m), la face nord des Grandes Jorasses, le mont Mallet il faut même être très riche quand le rêve est
ou les arêtes de Rochefort offrent des buts sans limites pour les alpinistes ou les contem- très élevé. C’est ainsi que le premier guide —
platifs. Une aubaine pour les Coréens car voilà bien un peuple « No limit » quand il s’agit d’appré- un Allemand — à avoir emmené un client au
hender la montagne. Chloé Naget, gardienne du refuge depuis quatre ans, peut en témoi- Cerro Torre, sommet emblématique de
gner : « Comme les Grandes Jorasses sont très populaires en Corée, chaque année il y a une Patagonie, a facturé sa course… 8 000 euros.
bonne demi-douzaine de groupes de cinq à six Coréens, habillés avec des équipements « J’étais sur place. C’est le graal, même pour
neufs de la tête aux pieds, sponsorisés par leur État, affublés de leur drapeau national, qui un guide. C’est comme quand on achète une
se présentent pour faire… les Grandes Jorasses. L’un d’entre eux reste systématiquement dans Ferrari, on ne regarde pas le prix. C’est l’un des
le refuge à les observer. » L’inconvénient, c’est qu’ils n’ont jamais fait de montagne… « Walker plus beaux et plus difficiles sommets du
! Walker ! », crient-ils quand ils arrivent. Mais avant de s’engager dans la face, il ne vient jamais monde. » De fait, il s’agit d’escalader une paroi
à l’esprit de ces représentants du « Pays du Matin calme » de regarder les conditions météo… granitique de 800 mètres de haut qui aboutit
Pire, « ils se moquent éperdument de tous les conseils que l’on peut leur donner. Du coup, à une calotte de glace inconsistante recou-
quand ils partent, j’appelle le PGHM. C’est un vrai problème… », explique Chloé Naget. vrant la cime. À cela s’ajoutent les épouvan-
Heureusement pour elle, la plupart du temps, les cordées qui se présentent pour faire les Grandes tables conditions climatiques et la variabilité
Jorasses sont composées de vrais amateurs qui, sachant qu’ils vont s’attaquer à une course de la météo qui rendent la planification d’une
difficile, sont à l’écoute : « Comme ils sont toujours un peu stressés au sujet de l’itinéraire à ascension de plusieurs jours très difficile.
emprunter, ils passent leur après-midi à regarder la voie. Si je n’y suis jamais allée moi-même, Encore une course inaccessible à beaucoup,
je suis quand même en mesure de les informer. Et eux, ils écoutent ce que je dis… » même avec des poches bien pleines.

Montagnes Magazine#446
82 MM445 Guides.qxp_MM439 17/07/17 10:08 Page87

ANNONCES DES PROS

COMMUNIQUEZ VOS PETITES ANNONCES, STAGES, SHOPS, ANNONCES LÉGALES…


CONTACTEZ COLIN au 04 76 70 57 76 - colin.b@niveales.com
88 MM445 Enquête.qxp_MM439 17/07/17 09:58 Page88

88_ enquête

LES MARQUES
MONTAGNE
LAVENT PLUS VERT QUE VERT
Des vêtements de montagne éco-conçus, durables et faciles à
recycler. Voilà la promesse faite aux consommateurs par nombre
de fabricants. Mais derrière le message marketing, relayé
notamment au travers d’événements bien rodés, comment les
marques outdoor s’engagent-elles réellement sur la voie d’une
production plus verte ?
Par Sandy Plas

2 septembre 2016. Une centaine de


au passage un vaste relais médiatique au un engagement environnemental. Quelques
bénévoles se sont donné rendez-vous au pied
niveau local et national. clics sur leurs sites Internet permettent de
de la Mer de Glace au petit matin. Objectif
Lafuma n’est pas le seul fabricant d’équi- lister actions et promesses dans le domaine.
: collecter les déchets accumulés sur le glacier
pement outdoor à organiser depuis quelques Chez Eider, c’est « la protection du canard
et remontés à la surface avec la fonte estivale.
années des événements « verts ». Depuis eider qui nous a donné notre nom ». Pour
Après quelques heures, câbles, boîtes de
2013, la marque Patagonia propose au travers the North Face : le programme de recyclage
conserve et débris de verre s’entassent dans
de son opération Worn Wear un atelier itiné- « Clothes the Loop ». « La réduction de 20
de grands sacs poubelles, avant d’être
rant de réparation de vêtements et matériel % de notre empreinte carbone d’ici 2020 »
acheminés dans la vallée pour y être retraités.
montagne. Le concept ? Permettre à chacun, chez Salewa. Ou encore, l’histoire du
Portée à l’origine par la mairie de Chamonix,
détenteur d’un produit Patagonia ou non, de premier sac éco-conçu pour Lafuma, sorti en
l’opération est orchestrée depuis 2008 par le
venir faire réparer gratuitement, et 2000. Positionnement désormais largement
groupe Lafuma, en partenariat avec le CAF
d’apprendre à réparer, une veste déchirée, partagé, l’engagement environnemental des
de Haute-Savoie, la Compagnie du Mont-
une zippette cassée ou un bouton pression marques résiste-t-il à l’épreuve des faits ?
Blanc, l’UCPA et Mountain Riders. Un
endommagé. « Worn Wear a pour objectif de De l’extraction des matières premières à la
événement reconduit annuellement sous le
changer notre relation aux choses que nous fabrication, gourmande en eau et en produits
nom d’Outdoor Cleaning Program et qui
achetons. Si on peut donner envie à plus de chimiques, jusqu’à l’acheminement depuis
fait appel, chaque édition, au grand public et
monde d’être un acheteur conscient de ce les pays de production et la gestion du
aux salariés volontaires du groupe, assurant
qu’il possède et de ce dont il a besoin, alors recyclage des produits, comment les indus-
nous aurons un impact positif », triels appliquent-ils les principes mis en
souligne Alex Weller, directeur avant dans leur discours marketing ?
marketing Europe chez Patagonia.
UNE FOIS RELÂCHÉS Idem du côté de Quechua, qui « UN CHOC ÉMOTIONNEL »
organisait à l’automne dernier le Retour en 2012. Avec sa campagne Detox,
DANS premier événement Second Life, l’ONG Greenpeace lance un pavé dans la
un atelier de réparation, au sein de mare de l’industrie textile, en particulier
L’ENVIRONNEMENT son Mountain Store de Passy. dans le secteur de l’outdoor. L’ONG
LES PFC De manière générale, l’ensemble
des plus gros fabricants d’équipe-
dénonce alors l’utilisation des PFC, des
hydrocarbures perfluorés, dans la plupart
DISPARAISSENT TRÈS ment outdoor et montagne, de
Millet à Eider, en passant par The
des vêtements et équipements, vendus sur
le marché. « En raison de leurs propriétés
LENTEMENT North Face, Salomon, Lafuma,
Mammut ou Patagonia, affichent
déperlantes, les PFC sont généralement
utilisés pour rendre les équipements outdoor

Montagnes Magazine#446
88 MM445 Enquête.qxp_MM439 17/07/17 09:58 Page89

_89

imperméables, explique Mirjam Kopp, en qui publiait jusqu’en 2012 l’Éco-guide du D’autres marques se sont également engagées
charge à l’international de la campagne matériel de montagne. Elle a été vécue ces dernières années dans l’élimination des
Detox chez Greenpeace. Sur tous les comme un bouleversement. Les marques PFC de leurs produits. Parmi elles, les marques
produits testés, des vestes aux chaussures, se sont dit qu’elles devaient agir. » du groupe Lafuma, qui rassemble également
en passant par les tentes, les sacs à dos ou Un choc émotionnel qui semble avoir Eider et Millet. « Il fallait qu’on prenne le
les sacs de couchage, 90 % contenaient abouti, cinq ans après, à certains engage- virage, explique Pierre Desmottes,
alors des PFC. » Des PFC qui sont pointés ments de la part des fabricants. En atteste Communication Projects Manager chez Eider.
du doigt par l’ONG pour leur impact sur l’annonce réalisée en janvier 2017 par le Nous essayons aujourd’hui de tendre vers plus
l’environnement : « Une fois relâchés dans géant Gore Fabrics, leader en matière de d’éco-conception. » Outre l’élimination des
l’environnement, les PFC disparaissent très produits imperméables avec sa marque PFC, annoncée à l’horizon 2020, les trois
lentement. Il faut des centaines d’années Gore-Tex et qui a annoncé l’arrêt total de marques du groupe ont mis en place une charte
pour qu’ils soient éliminés. Certains ont l’utilisation des PCF dans ses produits d’ici interne « Low Impact », garantissant aux
été retrouvés dans des lacs de montagne, 2020. « L’engagement de Gore-Tex est consommateurs, des produits conçus avec des
et même dans l’organisme de certains ours fondamental, car si un des leaders du matières plus respectueuses de l’environne-
polaires en Arctique », poursuit-elle. Selon marché bouge sur ces sujets, les autres ment et qui se recyclent facilement. La charte
les études menées par Greenpeace, certains suivront », observe Benjamin Marias, s’appuie notamment sur l’utilisation de matières
PFC pourraient également avoir des consé- fondateur de l’Agence Innovation labellisées Bluesign, un label indépendant qui
quences sur le système hormonal et Responsable (AIR), qui accompagne des existe depuis 2000 et qui s’appuie sur cinq
favoriser le développement de tumeurs. Le acteurs du sport, du tourisme et du textile critères principaux : la sécurité du consom-
rapport « Chemistry for any weather » (Des (parmi lesquels Millet, Eider, Salomon, mateur, la limitation des émissions atmosphé-
produits chimiques pour tous les temps) Rossignol, Quiksilver ou Picture) dans une riques, ainsi que de la pollution des eaux,
vise en particulier la filière outdoor, en démarche de transition environnementale. l’hygiène et la sécurité professionnelle et la
épinglant plusieurs marques, pour leur utili- Un avis partagé par Mirjam Kopp de productivité des ressources. Des produits plus
sation des PFC. Parmi elles, The North Greenpeace : « Si Gore Fabrics va jusqu’au durables, qui ne concernent cependant qu’une
Face, Patagonia, Jack Wolfskin, Mammut bout des engagements annoncés, pour partie des collections. Chez Lafuma, sur 24
et Vaude. « La campagne de Greenpeace a éliminer les PFC, cela pourrait potentiel- vestes homme proposées sur le site, seules 4
été à l’origine d’un choc émotionnel pour lement être un moteur pour le secteur proposaient le label, quand Eider et Millet
la filière, observe Camille Rey-Gorrez, outdoor, étant donné qu’il s’agit d’un acteur proposaient environ la moitié de produits certi-
directrice de l’association Mountain Riders, majeur de la filière. » fiés sur leur gamme de vestes homme.

Montagnes Magazine#446
88 MM445 Enquête.qxp_MM439 17/07/17 09:58 Page90

90_ enquête

« LE DÉVELOPPEMENT DURABLE DOIT


AIDER LA MARQUE À SE DÉVELOPPER »
Au-delà de la suppression des PFC dans la
fabrication de leurs produits, les marques
outdoor ont-elles pris le tournant d’une produc-
tion plus responsable ? Oui, selon Benjamin
Marias. « Il y a cinq ans, on aurait pu parler de
greenwashing, mais aujourd’hui, la plupart
des marques montagne ont pris de réels
engagements en la matière. » À la tête de
l’agence AIR, il accompagne certaines
marques dans leurs engagements environne-
mentaux. « On essaie d’établir ensemble les
points sur lesquels travailler et sur la manière
de se différencier ou de se rapprocher de la
concurrence », explique-t-il. Car si les marques
décident de s’engager dans une démarche plus
verte, le business n’est jamais loin. « Nous
nous inscrivons dans une dynamique où le
développement durable doit aider la marque
à se développer. » Aux côtés de Millet et Eider,
l’agence a donc mis en place la charte interne
Low Impact visant à réfléchir globalement
poussière, c’est le prix à payer pour avoir légal, d’autres contraintes pèsent également
aux procédés de fabrication. « On veut que le
une matière plus respectueuse de l’envi- sur les équipementiers. « Il y a une contrainte
développement durable soit pris en compte
ronnement, explique Philipp Kloeters, du concurrentielle pour les marques outdoor,
globalement par les marques et pas seulement
département international de Fjällräven. car la plupart cherchent à développer une
sur une collection capsule ou sur une gamme
Dans l’industrie textile, on a toujours image plus verte, il est donc plus difficile
spécifique », précise Benjamin Marias.
tendance à ajouter des propriétés à chaque pour une marque de rester à l’écart »,
Certaines marques ont ainsi concentré leurs
produit, mais il faut garder en tête que explique Camille Rey-Gorrez. D’autant plus
efforts sur l’élaboration de matières
chaque propriété a des conséquences, que pour les géants du secteur, la compa-
exemptes de PFC et basées sur des matières
notamment sur l’environnement. » raison avec certaines marques émergentes
recyclées. C’est notamment le cas du fabri-
Si certains fabricants font aujourd’hui le se fait rude. « Il y a une vraie différence
cant suédois Fjällräven, qui a mis au point
choix de matières plus respectueuses de d’approche entre les entreprises historiques,
il y a plusieurs années une matière conçue
l’environnement dans leur gamme de qui sont forcées de s’adapter et les petites
en polyester recyclé et employant un imper-
textiles, difficile de mesurer la part de marques qui ont fait du développement
méabilisant sans PFC, utilisée depuis 2015
conviction de chacune d’elles dans la durable leur ADN et le prérequis à leur
dans toute sa gamme de vestes imperméa-
démarche. Car les contraintes poussant les développement », ajoute-t-elle. Au premier
bles. « Nous avons conçu un système
fabricants à évoluer sont là. Depuis 2016, rang de ces nouveaux venus, la marque
d’imprégnation sans PFC dans notre revête-
la Responsabilité sociétale et environne- Picture, lancée en 2008, joue clairement la
ment Eco-Shell, qui est très imperméable
mentale (RSE) des entreprises est obliga- carte verte en mettant en avant des produits
à l’eau, mais moins à l’huile et à la
toire pour les sociétés de plus de 500 salariés en coton biologique, en polyester recyclé
et dépassant un chiffre d’affaires et aux émissions de carbone maîtrisées.
de 100 millions d’euros. La RSE Pour les marques, la contrainte vient donc de
oblige ces entreprises à engager la concurrence, mais se trouve également
une action concrète en faveur du de plus en plus imposée par les consomma-
IL Y A CINQ ANS, ON développement durable et à l’inté-
grer à l’ensemble de leur organi-
teurs. Une étude publiée en mai 2017 par
GreenFlex, en partenariat avec l’Ademe,
AURAIT PU PARLER sation. Lafuma et The North Face
sont notamment concernés par la
montre que 71,5 % des Français se disent
concernés par une consommation plus
DE GREENWASHING démarche qui rend obligatoire la
publication d’un rapport mention-
responsable qui passe, pour près de 53 %
d’entre eux, par le fait de consommer autre-
nant ces actions. ment et en particulier des produits éco-label-
Si elles ne sont pas toutes d’ordre lisés et moins polluants. « Nous observons

Montagnes Magazine#446
88 MM445 Enquête.qxp_MM439 17/07/17 09:58 Page91

_91

microfibres libérées par lavage [s’élève-


rait] à 250 000 ». Toujours selon le rapport
de Patagonia, ces micro-plastiques « repré-
sentent une menace pour les écosystèmes
marins et selon des preuves de plus en plus
nombreuses, une portion importante de
cette pollution aux micro-plastiques est
composée de milliards de minuscules fibres
synthétiques, issues notamment des
vêtements en polaire ».
Également sur la table, la question de l’uti-
lisation des matières animales, comme le
duvet ou la laine, fait également partie des
enjeux à résoudre pour la filière. « La traça-
bilité des matières d’origine animale dans
les vêtements outdoor est une question essen-
tielle, notamment pour le consommateur »,
poursuit Benjamin Marias. Deux labels ont
vu le jour ces dernières années, pour garantir
notamment le fait que les animaux ne soient
pas plumés à vif : Non Live-Plucked Products
Guarantee et Responsible Down Standard,
une vraie demande de nos clients vis-à-vis 2020, les données rassemblées par cet outil créés à l’initiative de The North Face. Mais
de produits qui respecteraient mieux l’envi- devraient être accessibles au public, qui malgré les engagements portés par ces labels,
ronnement », note Pierre Desmottes, de pourra faire son choix de manière éclairée les choses ne semblent pas avoir beaucoup
Eider. « Les clients de ces marques outdoor en fonction des scores obtenus par chacune bougé sur le terrain. En mai 2016, l’associa-
vivent en lien avec la nature, ils sont forcé- des marques », ajoute Benjamin Marias. tion PETA révélait ainsi que plusieurs
ment plus sensibles aux questions d’envi- élevages installés en Chine, pays qui
ronnement », ajoute Benjamin Marias. MICRO-PLASTIQUES rassemble 80 % de la production de duvet, et
Notamment à l’initiative de Patagonia, l’une ET MATIÈRES ANIMALES labellisés Responsible Down Standard
des marques les plus engagée sur le sujet, Contrainte ou convaincue, la filière textile poursuivaient le plumage à vif des oies. « Il
la Sustainable Apparel Coalition a vu le outdoor semble progressivement prendre n’y a tout simplement aucune garantie que les
jour en 2010 pour rassembler les marques le pli et réfléchir de plus près à une produc- plumes garnissant n’importe quel veste ou
de l’industrie textile les plus investies sur tion présentant plus de garanties en matière coussin n’ont pas été arrachées à la peau
le sujet. Toujours porté par Patagonia, au environnementale et sociale, même si le d’une oie hurlante », avait alors déclaré Cyril
sein de ce groupe rassemblant des leaders chemin reste encore long : « C’est une Ernst, porte-parole de PETA France.
du marché, d’Adidas à Columbia, en bonne chose que la question des PFC soit Enfin, si la production textile fait désor-
passant par H&M et Levi’s, un nouvel en tête des priorités pour beaucoup de mais l’objet, sur certains points, d’efforts de
indice permettant de mesurer l’impact marques, note Philipp Kloeters de la part de la filière, la question d’une fabri-
environnemental et social des produits, des Fjällräven, mais pour que tous les acteurs cation plus responsable des équipements «
entreprises et des fournisseurs de la filière abandonnent les PFC et entament une vraie hard » de montagne, cordes, casques,
se développe peu à peu. « Le Higg Index révolution, il faudra encore du temps. » piolets, mousquetons ou crampons, semble
permet d’évaluer la consommation en eau, D’autant qu’au-delà des PFC, d’autres loin de trouver l’ébauche d’une solution.
la gestion des déchets ou encore les enjeux majeurs s’annoncent. Parmi eux, la « On est encore vraiment au stade de l’enjeu
émissions de gaz à effet de serre générés par question des micro-plastiques et leur rejet sur cette question, explique Camille Rey-
la production et les conditions de travail dans l’environnement. « Ces micro- Gorrez. Beaucoup de marques y travail-
dans les usines de fabrication », explique plastiques sont issus des vêtements en lent, mais il s’agit de filières complexes à
Benjamin Marias. Si l’objectif est de polaire et s’échappent à chaque lavage pour maîtriser, comme le plastique ou les métaux,
permettre à chaque marque d’évaluer les finir dans l’océan », explique Benjamin et pour le moment il n’existe pas beaucoup
points d’amélioration possibles, le Higg Marias. Selon les chiffres de Patagonia, qui de solutions pour développer une approche
Index devrait surtout permettre aux a financé l’an dernier un programme de plus durable sur ces produits. » Le
consommateurs d’accéder à des informa- recherche au sein de l’Université de mousqueton estampillé « éco-conception
tions claires dans un avenir proche. « D’ici Californie à Santa Barbara, « le nombre de » n’est pas pour demain.

Montagnes Magazine#446
92 MM445 Vitrine.qxp_MM439 17/07/17 10:04 Page92

92_ vitrine vu & testé

PARÉ POUR L’ÉTÉ


4 TESTÉ
5
TESTÉ
2

TESTÉ
3
TESTÉ
1

3 CASIO PRO TREK SMART WSD-F20 499 €


Version évoluée du modèle du même nom que nous avions testé il y a quelques
1 AUTHENTIC NUTRITION mois, cette nouvelle mouture inclut le GPS. Et ça change tout ! Plus besoin de se
La marque savoyarde (Albertville) connaît un nouveau souffle depuis quelques promener avec le téléphone branché et connecté dans la poche, la montre est
années et étoffe sa gamme de produits diététiques. Sans s’adresser autonome, même si elle est toujours complémentaire du téléphone, puisqu’elle
uniquement aux compétiteurs à cheval sur le moindre gramme, les moindres relaye les informations issues des applications Androïd Wear et autres apps
minéraux manquants, ces produits permettent au grimpeur, à l’alpiniste ou au présentes sur ce dernier (incluant les sms). Côté carto, puisque c’est là le cœur
randonneur de limiter significativement les risques de crampes ou de coups de de l’évolution, cette Casio utilise des données Mapbox avec différents fonds de
bambou. Lors d’un mont Blanc à skis, nous avons testé l’Authentic booster, qui carte possibles. En téléchargeant les fonds de carte à l’avance, on s’assure de
est une poudre à boire durant l’effort, l’Authentic récup’ qui, comme son nom pouvoir les utiliser même lorsque la montre n’est pas connectée au téléphone
ne l’indique pas, se boit après l’effort mais aussi avant, pour maintenir les ou qu’il n’y a pas de réseau. Un vrai plus, avec toujours cet écran tactile très
réserves de vitamines, acides aminés et hydrates de carbone à leur stock fluide et lisible. Du lourd ! 92 G
optimal, ainsi que les barres FlapJack Cake, qui sont de véritables concentrés
d’énergie puisqu’une barre représente la quantité calorique d’un jambon- 4 PETZL BOREO 60 €
beurre, le poids et l’encombrement en moins. Enfin, efficace et malin, les gels Nouveau casque de la marque iséroise, ce Boreo entre dans la gamme des
sont vendus à l’unité mais surtout en bouteille de 500 ml, à répartir soi-même casques polyvalents et robustes. À la fois compact et couvrant, il est conçu pour
dans des flasques individuelles. Écologique et économique. Bref, du bon, parer aussi les chocs latéraux et avant/arrière. Très aéré également. 295 G (M/L)
efficace et local. Votre corps vous remerciera. DÉTAIL ET PRIX SUR WWW.AUTHENTIC-
NUTRITION.COM 5 JULBO EXPLORER 2.0 175 €
Avec ses verres Cameleon, photochromiques 2-4, polarisants et anti-buée, cette
2 BLACK DIAMOND ALPINE LIGHT PANTS 100 € Explorer 2.0 est un peu la Rolls des lunettes de glacier. Très couvrantes, elles
Pantalon extrêmement léger et stretch, qui sèche à vitesse grand V. Très agréable évitent tout rayonnement parasite qui pourrait perturber et abîmer l’œil. Pour
pour marcher, grimper par beau temps, il sait supporter une petite averse sans un usage plus actif (ski, course à pied), on retirera les coques amovibles pour
broncher. En grimpant, il ne remonte pas et ne vient pas gêner les mouvements. une meilleure aération. Quant aux branches, elles sont ajustables dans tous les
Un pantalon qu’il est bon. sens et très adhérentes. L’idéal pour préserver vos beaux yeux en altitude.

Montagnes Magazine#446
92 MM445 Vitrine.qxp_MM439 17/07/17 10:05 Page93
94 MM445 Sacs.qxp_MM439 17/07/17 10:09 Page94

94_ matériel

SAC D’UN JOUR,


SAC TOUJOURS
Partir en montagne à la journée est synonyme de légèreté et de
liberté. Pourtant, au moment de faire le sac, le doute surgit
toujours : ai-je besoin de la Gore-Tex ? Combien de litres d’eau ?
Un ou deux bâtons ? Grany ou saucisson ? Cette petite
présentation ne saurait répondre à toutes ces questions (surtout
la dernière). Mais elle devrait démontrer qu’au-delà du litrage du
sac, sa conception et ses accessoires peuvent à eux seuls
améliorer le transport et le confort. Revue de paquetage.
Par Ulysse Lefebvre

ARC’TERYX CIERZO
Un sac poids plume, au profil tubulaire, sans rabat, dont le
minimalisme est le maître-mot. Sangle porte-corde sur le
dessus. Ouverture pour tube de poche à eau et crochet
d’attache mais sans poche dédiée à l’intérieur. De la
cordelette est utilisée pour la compression du sac et sert
aussi de porte-piolet. La sangle ventrale est réduite à une
sangle plutôt étroite que l’on peut d’ailleurs retirer pour
gagner un peu de poids. Elle n’est de toute façon là que
pour équilibrer le sac sur le dos mais n’est pas très
confortable. Les bretelles sont dans ce même esprit : très
fine, et donc légères, elles assureront le portage pendant
quelques heures mais il ne faudra pas espérer trop de
confort, idem dans le dos puisque ce dernier ne dispose
d’aucun rembourrage ni de protection. Gaffe si le sac est
rempli avec le rack pour une bonne journée de fissure.

80 €
POIDS : 370 G

Litrage : 18 l
Matériaux : nylon 6,6 210 deniers à armure toile

Montagnes Magazine#446
94 MM445 Sacs.qxp_MM439 17/07/17 10:09 Page95

_95

BLACK DIAMOND BLITZ


Un autre poids plume de cette sélection qui reprend
les codes actuels du sac minimaliste : légèreté,
accessoires discrets, fermeture par rabat (et gain
d’étanchéité), forme tubulaire compacte pour une
grande liberté de mouvement en grimpant. Seul
bémol : le confort, minimaliste lui aussi, notamment
au niveau du dos. Pour le reste, c’est un bon sac pour
de petites sorties, sans trop d’approche.

408G
85 €
Litrage : 20 l
Matériaux : Dynex 210 deniers

BLUE ICE DRAGONFLY 18


Dans le même esprit que le modèle Arc’teryx
(forme tubulaire, minimalisme, poids plume…),
ce modèle se démarque par un confort bien
supérieur grâce notamment à des bretelles plus
larges et aérées, ainsi qu’à un dos en mousse
alvéolée et respirante. La marque haut-
savoyarde réussit le pari du minimalisme et du
confort sans oublier les accessoires : espace
pour poche à eau, porte-piolet et porte-bâtons,
sangle d’attache de corde. La plupart des
boucles sont d’ailleurs fixées grâce à de simples
têtes d’alouette. Fiable et léger.

49 € POIDS : 360 G
Litrage : 18 l
Matériaux : nylon CORDURA 420
deniers rip-stop avec enduit
polyuréthane et finition déperlante

MAMMUT TRION ZIP


Un sac bien compact comme on les aime, avec sa forme tubulaire et
sa fermeture sans rabat, par fermeture éclair. Swiss qualität pour la
finition. L’un des modèles les plus confortables de ce test. Les petits
inserts de mousse EVA dans le dos jouent bien leur rôle et le sac est
collé au dos, donnant l’agréable sensation de tenue sans mouve-
ments parasites. Sa hauteur est également réduite ce qui le rend
agréable même avec un baudrier ou un casque, qui ne vient pas
taper le haut du sac. Ce pourquoi on apprécie ces formes tubulaires
simples et efficaces. Un renfort de ceinture ventrale rembourrée et
amovible est également fourni, selon le programme de la sortie. Par
défaut, une petite sangle classique assure le minimum. Accessoires
à l’image du sac : discrets et compacts.

POIDS : 810 G 100 €


Litrage : 22 l
Matériaux : nylon 420 deniers

Montagnes Magazine#446
94 MM445 Sacs.qxp_MM439 17/07/17 10:09 Page96

96_matériel

MILLET PROLIGHTER SUMMIT


Un sac conçu comme un sac canyon avec fermeture
par rabat enroulé (et donc étanche). Pour un 18 l, le
volume peut sembler impressionnant tant la
modularité de ce rabat permet de gagner de l’espace
ou au contraire de réduire considérablement le
volume du sac (10 l environ). Le matériau est robuste
et supportera les cheminées chamoniardes sans
ciller. Côté accessoires, tout y est, comme toujours
dans les modèles alpins de la marque française.

POIDS : 615G 99 €
Litrage : 18 l
Matériaux : nylon 210 deniers Robic dotted line

OSPREY MUTANT
Avec ses 28 l, ce sac se situe dans la tranche haute de
notre test. Un plus gros litrage certes, mais une taille et un
encombrement limités et dans la veine des autres
modèles. Ce mutant est donc bien plus lourd que les autres
et joue la carte de la robustesse et de l’équipement avec
notamment une armature de dos (amovible) avec plaque
PEHD et tige d’aluminium, des porte-piolets en métal
(Toollock), des porte-skis, une sangle ventrale confortable
ou encore un filet spécial pour casque. Solide et très bien
équipé, c’est le sac tout-terrain pour grimpeurs chargés.

130 € POIDS : 980 G


Litrage : 28 l
Matériaux : nylon Dobby 210 deniers

THULE CAPESTONE
Ce modèle, plutôt destiné à la randonnée, conviendra pour les
escalades dont la marche d’approche longue nécessite un portage
confortable. Les tiges métalliques et la plaque qui structurent le
dos, associées à un filet mesh tendu, apportent un confort et une
aération au-dessus des autres modèles de cette présentation,
même si l’ensemble alourdit fortement la bête. Idem pour les
bretelles et la sangle ventrale, rembourrées et aérées. Pour le reste,
c’est assez simple : espace pour poche à eau, porte-bâton latéral
amovible (sur la ceinture ventrale) housse pare-pluie amovible
également. Un sac pour ceux qui misent sur le confort.

POIDS : 875 G 100 €


Litrage : 22 l
Matériaux : nylon 420 deniers

Montagnes Magazine#446
94 MM445 Sacs.qxp_MM439 17/07/17 10:09 Page97
98 MM445 Next.qxp_MM439 17/07/17 11:29 Page98

130_ rendez-vous en octobre

©Philippe Poulet
5

PROCHAIN NUMÉRO
Escalade dans les
gorges de Crossey

PAYS VOIRONNAIS
AU PORTE DE MONTAGNES MAGAZINE
LA CHARTREUSE INCORPORANT ALPINISME ET RANDONNÉE
3, rue Paul-Valérien-Perrin, 38 170 Seyssinet-Pariset, France.
33 (0) 4 76 70 54 11 / Fax 33 (0) 4 76 70 54 12

ESCALADE DANS RÉDACTION Directeur de la rédaction Laurent Belluard / Rédacteur en chef Ulysse Lefebvre

LES GORGES DE CROSSEY


ulysse.l@montagnes-magazine.com / Graphiste Romain Micoud PUBLICITÉ Stéphane Mazzoleni
stephane.m@snowsurf.com / Chef de publicité Colin Barbé colin.b@niveales.com PÔLE DIGITAL MEDIA
Directeur Pôle Digital Media Olivier Edme olivier@niveales.com / E-commerce Content Manager Olivier Haupt
olivier.h@niveales.com / Rédactrices Web designers Marie Renaud marie.r@niveales.com / Cindy Carpentier

LES RANDONNÉES DE LA SURE


Traffic Manager cindy.c@niveales.com DISTRIBUTION MLP 1 33 (0) 4 74 82 63 05 (réservé au réseau de
distribution) SERVICE ABONNEMENT Service clients : i-abo@montagnes-magazine.com, 11 rue Gustave
Madiot, (F) 91 070 BONDOUFLE. Tél. 01 84 18 10 52 (ligne dédiée Éditions Nivéales). Du lundi au vendredi de 9heures
à 12 heures et de 13 heures à 17 heures Télécopie : 0155049401 (ligne générique). Étranger: www.montagnes-
magazine.com / Marketing direct: Karim Bekkari 33 (0) 4 76705426 COMPTABILITÉ Sophie Badoux, directrice

LA CIOTAT VIA CORDATA


administration et comptabilité 33 (0) 4 7670 92 65 / Angélique d’Introno, clients 33 (0) 4 76 70 92 66 / Sylvain
Prévot, fournisseurs et pigistes sylvain@niveales.com 33 (0) 4 76 70 54 18 ÉDITEUR Montagnes Magazine est
un mensuel édité par la SARL Nivéales Médias, au capital de 581400euros. Durée: 99 ans. Siège social: 3, rue Paul-

AU BEC DE L’AIGLE
Valérien-Perrin, 38170 Seyssinet-Pariset, France. RCS Grenoble B 400248324. 0476705411. Fax 0476705412.
Principal associé: Nivis SARL. Directeur de la publication Jean-Pierre Roger 33 (0) 4 76705420 / Administrateur de
la publication Pascal Maltherre 33 (0) 4 76705417.

La reproduction, même partielle, de tous les articles et illustrations parus dans Montagnes Magazine est interdite. La

BOÎTE À OUTILS
rédaction n’est pas responsable des documents non commandés. Les documents reçus ne sont pas rendus et leur envoi
implique l’accord de leur auteur pour leur libre publication. Dépôt légal juillet 2017. ISSN : 0184-2595. Impression : Rotolito

LES NOEUDS DE JONCTION,


Lombarda Spa. Imprimé en Italie/Printed in Italy. Certificat à la Commission paritaire : n° 0318 K 83073. Avertissement :
l’escalade, la randonnée et l’alpinisme sont des activités dangereuses qui exigent une grande autonomie et une parfaite
connaissance du terrain. Montagnes Magazine ne peut garantir l’absence d’erreurs dans les informations publiées.

ATTENTION ÇA GLISSE Ce numéro comporte un encart abonnement broché uniquement destiné à la vente au numéro.
Jupiter 550 silk : Provenance : Italie - Certification : 100%PEFC - % papier recyclé : 0% - Ptot : 0.006 kg /T

Montagnes Magazine#446
98 MM445 Next.qxp_MM439 17/07/17 11:29 Page99

.
98 MM445 Next.qxp_MM439 17/07/17 11:29 Page100

Vous aimerez peut-être aussi