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3_édito
L’HORIZON
DANS LES YEUX
©UlysseLefebvre
u’a-t-on derrière la tête ? Qu’y a-t-il toujours Ouvrir les perspectives : telle est la modeste
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MONTAGNES MAGAZINE
#446 AOÛT - SEPTEMBRE 2017
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ACTUS
p.06 CRUX
p.12 MOIS MONTAGNE
p.14 LA GRAVE
p.16 LES BAUGES
GRANDE RANDO
p.24 TRAVERSÉE DES ALPES
PYRÉNÉES
©François Laurens
p.36 LE VIGNEMALE
p.42 L’ARRÊTE PASSET
CORSE
p.48 LA CORSE ALPINE
60
EXPÉ
p.52 NÉPAL : AMOTSANG & POKARKANG
p.60 GMHM À BAFFIN
HISTOIRE
p.66 LA PHOTOGRAPHIE DE MONTAGNE
p.70 MÉMOIRE
TROUSSE DE SECOURS
p.76 PHYSIOLOGIE DE LA (TRÈS) HAUTE ALTITUDE
ENQUÊTE
© GMHM
MATOS
p.92 VITRINE 94
p.94 LES SACS D’UN JOUR
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LA PIERRA MENTA
D’ÉTÉ EN CHIFFRES
280 équipes, soit 560 coureurs
3 jours de course
56 km
6 600 m de D+
1 course « jeunes » pour les
coureurs nés entre 1996 et 2000
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PIERRA
MENTA
EN BASKETS
Fin juin dernier avait lieu la
troisième édition de la Pierra
Menta d’été, à Arêches-
Beaufort. De quoi retrouver
des sommets familiers,
baskets aux pieds, et cet
esprit inimitable de course
par équipe sur un parcours
exigeant et alpin.
Texte & photo Ulysse Lefebvre
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TRÈS
GRANDS
MULETS
Texte & photo Ulysse Lefebvre
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TRAVERSÉE
DES
X-ALPS
Texte : Ulysse Lefebvre. Photo Sebastian Marko/Red Bull Content Pool
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C’est en milliards d’euros, le nombre de dépenses générées par la montagne
en été, selon une étude récemment dévoilée par l’Insee et Atout France,
EN BREF…
MATHIEU MAYNADIER AU PAKISTAN
L’alpiniste briançonnais s’est envolé en juin POURSUITE CONCOURS CHANGER D’APPROCHE,
dernier pour le Pakistan, en compagnie des JUSQU’AU 30 SEPTEMBRE
alpinistes Colin Haley, Jérémy Rumebe et « La mobilité douce en montagne, vous y
Guillaume Vallot. Objectif : le Gasherbrum croyez, vous la pratiquez ou vous voulez
II, culminant à 8 035 mètres et dont l’ascen- tenter, ne serait-ce qu’une fois ? » Cette
sion est prévue par la voie normale avant année encore, l’association Mountain Wilderness vient titiller les montagnards convaincus
une redescente à skis. A l’heure où nous par la mobilité douce avec son concours Changer d’approche. Le concept ? Réaliser une
bouclons, la tentative est prévue le 10 juillet... sortie en montagne sans voiture et la raconter en photos ou vidéo sur le site
Changerdapproche.org. Une sélection réalisée parmi les sorties proposées sera ensuite
LE SNGM OUVRE UNE ANTENNE faite avant une soirée de remise des prix. Clôture des participations le 30 septembre.
DANS LA VALLÉE DE CHAMONIX www.changerdapproche.org
Alors qu’il fêtait en fin d’année dernière
ses 70 ans, le Syndicat national des guides UN NOUVEAU SITE POUR LA
de montagne (SNGM) a ouvert en juin une CHAMONIARDE
antenne dans la mairie de Servoz, à La Chamoniarde, Société de
quelques kilomètres de Chamonix. Cette Prévention et de Secours en
nouvelle antenne aura pour but d’assurer Montagne basée à Chamonix, a
un meilleur service aux guides travaillant dévoilé récemment son nouveau site
dans le massif du Mont-Blanc, où est Internet, permettant un accès
réalisée plus de la moitié du chiffre d’affaires simplifié aux informations et outils
de la profession. Installé depuis 1997 à pratiques proposés par l’office. Conditions montagne, webcams, infos refuges, ateliers et
Francin, en Savoie, le syndicat marque son cahiers de course permettant de consulter et de proposer des courses, sont quelques-
retour dans la vallée de Chamonix, où le unes des informations à retrouver sur le site, qui devrait être complété dans les prochains
siège était historiquement implanté. mois par une application smartphone et tablette.
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EXPO « Alpes là ! »
DES HAUTS…
ALEX HONNOLD EN SOLO INTÉGRAL À EL CAP
au Musée dauphinois
Le rêve d’une vie. Le 3 juin dernier, le grimpeur américain Deux expositions en une, toutes
Alex Honnold a réussi l’ascension en solo intégral, sans les deux consacrées à la
aucun moyen d’assurage, de la voie “Freerider”, dans la montagne. Voilà la proposition
mythique face d’El Capitan, dans le parc de Yosemite, du Musée dauphinois de
aux États-Unis. Une ascension à laquelle le grimpeur Grenoble avec « Alpes là ! » La
pensait depuis des années et qu’il répétait inlassable- première est consacrée au photo-
ment depuis plusieurs mois pour en maîtriser tous les graphe Éric Bourret, qui a
détails. Il lui aura finalement fallu un peu moins de quatre arpenté les massifs des Écrins,
heures pour parvenir au sommet de cette voie de 900 du Dévoluy, de la Chartreuse et
mètres, cotée 7c+. « Je savais exactement quoi faire du Vercors en hiver et en a tiré un « Carnet de marche » photo-
pendant toute l’ascension. La plupart des prises ressem- graphique (jusqu’au 23 octobre). La deuxième partie de l’expo-
blaient à de vieilles copines », a-t-il déclaré dans une sition propose de découvrir le travail d’Emmanuel Breteau et son
interview peu après. Alex Honnold signe l’ascension la témoignage photographique de la vie des habitants du Trièves,
plus difficile jamais réalisée en solo intégral. qu’il immortalise depuis les années 1990 (jusqu’au 4 septembre).
Une double invitation à découvrir les Alpes autrement, au cœur
du Musée dauphinois et en pleine saison estivale.
ET DES BAS…
EVEREST : UNE ACCUMULATION DE DÉCHETS
3
« PIRE QUE JAMAIS »
www.ffcam38.com
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TÉLÉPHÉRIQUE
DE LA GRAVE
UN NOUVEAU GESTIONNAIRE
ET DES INVESTISSEMENTS EN VUE
Depuis le 15 juin, la Société d’aménagement
touristique de l’Alpe d’Huez est le nouveau
gestionnaire du téléphérique de La Grave.
Dans les mois prochains, les premiers
chantiers de réfection du téléphérique
devraient débuter.
Par Sandy Plas
©UlysseLefebvre
locaux, rejoints par beaucoup d’amoureux
du site, craignaient en effet sa reprise par
la Compagnie des Alpes (CDA), qui n’avait
pas caché ses volontés de l’aménager et
de mettre sur pied un projet de liaison avec
la station des Deux Alpes. « La phase d’appel
d’offre a été difficile à vivre dans la
commune, car on ne peut rien dire sur les TROISIÈME TRONÇON ture prévue à l’horizon 2021. « Nous voulons
négociations, il a fallu calmer les esprits », Pour les 30 prochaines années, la SATA permettre l’accès à la très haute montagne
ajoute Jean-Pierre Sevrez. aura donc les commandes du téléphérique aux piétons et pas seulement à ceux qui
Suite à l’arrêt des négociations entre la CDA de La Grave, qui dessert sur deux tronçons disposent d’un équipement de glisse »,
et Denis Creissels, exploitant historique du le secteur de la Meije. En contrepartie de explique Jean-Pierre Sevrez. Parallèlement,
site, en mars dernier, la SATA était seule en cette concession, l’aménageur aura pour le téléski laissé à l’abandon sur le glacier de
lice pour reprendre la concession. « Nous obligation de mener un certain nombre la Girose sera démonté par la SATA. Au
nous sommes retrouvés sur un certain d’investissements sur le site, comme le total, 15 et 17 millions d’euros seront ainsi
nombre de points et notamment sur le fait prévoit le cahier des charges voulu par la investis sur le site.
que La Grave devait rester La Grave, commune. Dans les prochains mois, la réfec- Des projets de développement qui
poursuit-il. Nous resterons sur le marché tion des gares du téléphérique devrait pourraient avoir, dans les années à venir,
du freeride et la Meije conservera son site commencer, ainsi que celle des restaurants un impact sur les tarifs du téléphérique : «
hors-piste. » Quant à l’association Le Signal, situés à 2 400 et 3 200 mètres d’altitude. La hausse se fera en rapport avec les inves-
qui avait été créée à l’automne dernier pour « Le but sera de rendre l’aspect des gares tissements, il y aura forcément une petite
reprendre la concession du téléphérique et un peu moins industriel », précise le maire. progression, mais il faut également tenir
avait lancé crowdfunding et levées de fonds, Mais le chantier majeur concernera surtout compte du marché », précise le maire de La
« elle consacrera les sommes recueillies la construction du troisième tronçon du Grave. En revanche, pas d’augmentation
dans des animations qu’elle proposera sur téléphérique, qui devrait permettre prévue pour la saison 2017 et la première
le site, en complémentarité à l’exploitation d’accéder à 3 600 mètres. Coût de l’opé- année d’exploitation, en vertu du contrat
du téléphérique ». ration : 10 millions d’euros, pour une ouver- signé entre la commune et la SATA.
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©Gilles Lansard
LE PARC NATUREL RÉGIONAL DES BAUGES
Baisse des subventions régionales, retard du
versement des fonds européens, restructuration :
le parc naturel régional des Bauges traverse une
période difficile depuis le début de l’année.
Créé en 1995, le parc naturel régional des ment la fermeture de l’une des deux maisons d’un avenir compliqué pour le parc. « Il est
Bauges, reconnu géoparc mondial UNESCO thématiques du parc, la Maison Faune Flore. vrai que la région a encore du mal à perce-
en 2015, affronte depuis quelques mois une Le directeur du parc tempère cependant voir l’utilité des parcs naturels régionaux de
situation compliquée, même si son directeur, cette fermeture : « Il n’existait pas vraiment son territoire, mais un autre regard s’installe
Jean-Luc Desbois, refuse de parler de « de dynamique autour de cette structure et peu à peu », poursuit Jean-Luc Desbois.
situation de crise ». « Il s’agit d’un passage il aurait fallu de lourds investissements pour Après des débuts compliqués entre Laurent
tourmenté, mais nous en voyons le bout. la relancer, que nous ne pouvons pas engager Wauquiez et les parcs naturels régionaux
» À l’origine de ces complications : la baisse en période de diminution budgétaire. » d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui avaient
des subventions régionales, qui ont diminué Quant aux suppressions de postes, elles adressé au président de région, par le biais
de 500 000 euros en cinq ans, avec une sont également la conséquence, selon lui, de sa fédération nationale, une lettre
accélération depuis la mise en place du d’une restructuration des prérogatives ouverte en juin 2016 pour dénoncer un
nouvel exécutif régional, le parc ayant perdu portées par le parc. « Nous nous concen- manque de concertation et de considéra-
200 000 euros de subventions pour la seule trons aujourd’hui sur la question du dévelop- tion, le climat semble un peu plus serein
année 2016, sur un budget global de 2,4 pement rural, de l’agriculture, de la forêt aujourd’hui. « La mobilisation qu’il y a eue
millions d’euros. ou encore de l’énergie, en déléguant aux en faveur des parcs régionaux l’an dernier
Autre épine dans le pied : le blocage du Fonds communautés de commune la gestion a montré à l’exécutif les attentes qui
européen agricole pour le développement touristique », précise-t-il. Une solidarité existaient sur les territoires, explique
rural depuis plus de deux ans. « Cette situa- entre les acteurs du territoire que prévoit Michaël Weber, président de la Fédération
tion n’est pas propre au parc, explique Jean- la nouvelle loi Montagne et qui serait donc des Parcs naturels régionaux. Cela a amené
Luc Desbois, mais certains des postes du en partie à l’origine des suppressions de la région à renouer le dialogue. » Si les
parc sont financés par ce fonds. En l’absence postes dans les Bauges. parcs existants et ceux actuellement en
de trésorerie importante, nous ne pouvons projet, dont celui de Belledonne, ne sont
plus faire face. » Conséquence : sept postes CLIMAT PLUS SEREIN aujourd’hui plus remis en cause, charge
sont actuellement en cours de suppression Reste qu’au-delà de la redistribution des désormais à eux de poursuivre leur mission
au sein de la structure, qui prévoit égale- cartes, la baisse des subventions augure dans un climat d’incertitude budgétaire.
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actus culture
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JEAN-MARC AUBRY
UNE SEMAINE DE VACANCES Par Jean-Louis Laroche
uf ! Les grandes vacances sont enfin poil à gratter, capable de procurer un savou- beauté croquignoute du petit marmotton
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20_ ça pic
ABSOLUTELY ALPINUS
Chaque printemps, chaque automne, le mouvement renaît. En
Himalaya, ça bouge. En Alpes, ça cause. Ce serpent de mer se
risquant biannuellement dans nos montagnes porte un joli nom :
style alpin. Rien qu’à l’écriture de ces deux mots qu’on ose à peine
servir à la sauce minuscule, on se sait tenu de choisir un camp 1 ou
un camp 2 : partisan du style alpin ou partisan de pouvoir y
déroger. Êtes-vous STAL ou non-STAL ? Rien entre, pas même le
droit de s’en fiche. En ces temps de Macronisation des esprits,
devoir choisir pour ou contre sans possibilité aucune de « et en
même temps », ça déboussole. Comble de résonance, la grosse
caisse Kilian est venue hystériser son monde ce printemps 2017
autour de la question du bon style.
Par Cédric Sapin-Defour.
Rappelons à celles et ceux simulant la logique, élégance du geste, sobriété des être les pires des ennemis.
méconnaissance pour ne pas avoir à prendre moyens (des ascensions décroissantes... Le discours des prédicateurs du style alpin
parti ce qu’est ce sacré style alpin. Comme oxymore mon amour), haut degré d’enga- est en plusieurs points irritant. Il gâche
tout ce qui est mieux que le reste, il se définit gement, il est un cran au-dessus. Nettement. cette inclination naturelle que nous avons
volontiers par ce qu’il n’est pas. C’est le Il y a du panache, de la classe, de l’élégance tous pour l’évidence de ce choix. Il y a la
triptyque du pas : pas de corde fixe, pas de dans le style alpin, nous autres alpinistes en logique du tri. Bon, pas bon, bien, pas bien
porteur, pas d’oxygène. On pourrait ajouter faisons le canon de nos gesticulations. et tous ces classements nauséabonds aux
pas de camps intermédiaires mais ça fait Relativement, le style himalayen frise l’indé- tristes grands frères. Si nous fuyons les
quadriptyque et c’est plus rêche à dire, déjà cence. Qui ne souhaiterait pas gravir toutes églises, ce n’est pas pour retrouver, en
que la discussion se fait âpre. Bref le style les montagnes du monde en style alpin ? montagne, même depuis les plus hautes
alpin, c’est notre façon de grimper dans les Personne. Qui peut prétendre qu’à même cathédrales de glace, la logique du trieur
Alpes, à la mode de chez nous, d’où le nom. objectif, tous les moyens se valent ? C’est nous récitant ce qu’il est honorable ou
Alpes où bizarrement on ne dit jamais que une fable pour enfants. Le problème n’est déshonorant de faire, pire de penser. Sauf
l’on pratique l’alpinisme en style alpin sans donc pas le style alpin. Le problème, s’il y en amputation, le petit doigt des alpinistes est
doute par crainte d’un procès en pléonasme. a un, ce sont ses ambassadeurs. Ou plutôt suffisamment clairvoyant pour leur souffler
On ne commence en effet à causer style ses prescripteurs. La différence entre les la bonne direction. Il y a des gens comme ça,
alpin qu’une fois arrivé à Katmandou ou El deux est fondamentale. Les premiers font comme les trieurs, on s’accorde avec ce
Calafate, on a connu voyages plus instruc- comme il leur semble naturel de faire, avant qu’ils font, disent, pensent, ressentent
tifs et coquetteries moins coûteuses. tout pour eux, et la beauté de leur geste même. Mais à nous filer trop de devoirs, on
Le style alpin va bien au teint des alpinistes. nous inspire. C’est Messner et se surprend à jouer au non.
C’est mérité. Vélocité, esthétisme de la Kammerlander traversant les Gasherbrum Pas très loin du bon se terre le juste
en 1984. C’est Loretan et En 1880, Albert Frederick Mummery avait
Troillet courant dans le laissé sa carte de visite dans une bouteille
LE TON DU JUGEMENT ET Hornbein et en redescen-
dant sur le cul en 1986. Le
à la dent du Géant, plutôt à sa base, point
final de son échec. Inscrit sur celle-ci,
DE LA LEÇON N’EST PAS sens de leur action est à
peine suggéré, cela suffit
laconique, « Absolutely inaccessible by fair
means. » Depuis (et sans doute avant) le
LE BON POUR DONNER pour donner envie. Les
seconds font comme ils
milieu de l’alpinisme aime à sceller le curseur
des moyens justes. Drôle d’idée dans cet
ENVIE. PRÉFÉREZ LA pensent qu’il est bon de
faire, pour eux un peu, pour
alpinisme prétendument libertaire que
vouloir fixer les règles du jeu, les codes de
BEAUTÉ, ON N’A PAS tous surtout, ils imposent
leurs règles et s’époumo-
bienséance, qui plus est autour du style
alpin, symbole même du refus des conven-
TROUVÉ MIEUX COMME nent à nous convertir. Cela
suffit pour se méfier.
tions collectives. C’est une discussion que
l’on sait stérile et source d’empoignades
MANIFESTE. Inspiration et prosélytisme
sont de faux amis, peut-
sans fin. Où fixer le juste ? Où commence-
t-il ? Où se termine-t-il ? Monter à l’aiguille
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Comme quoi, même le style alpin n’est pas
toujours du meilleur goût... © DR
trop de matériel sur les pentes des 8 000 stylus alpinus ayant fait le choix du sommet,
est incontestable, le nier serait se mentir. Le lui décrivent le mouvement pied-main de
bilan carbone des adeptes du style alpin leur pure réussite sur ce second ressaut
est-il pour autant reluisant, quasi vertueux bien revêche. Voyez vers quelles mesquines
? Il est là l’écueil cardinal de ces empoi- exigences nous font dangereusement
gnades, celui de servir à la louche la théorie pencher les jugements en fair means.
du pire, celle qui mécaniquement rend Quelques virgules après pureté, devrait
légitime toute posture. poindre l’argument commercial.
Le danger du bon que l’on mélange au juste « Les méchants sont les alpinistes des expés
est qu’il donne le pur. Écoutez le sermon commerciales », disent ceux qui font
sur la montagne d’un missionnaire du style commerce de la noblesse de leur style. Des
alpin, ses éléments de langage devraient crétins prêts à payer le prix fort pour se
promptement vous servir de la « pureté ». dresser pompeusement aux sommets, des
du Midi en benne, pas juste ou juste ? Doit- La pureté est un terme à manier avec les pas gentils organisateurs prêts à vendre du
on imposer le Mallory ou le Frendo ? Si nous pincettes de la réflexion, de la nuance et rêve et leur âme au diable. Que notre langue
les imposons, se rendre à Chamonix en de la mémoire. Ça peut vouloir dire l’élé- française est indigente, nous manquons
voiture, fair ou not fair ? Doit-on imposer le gance, presque la délicatesse mais à trop cruellement de mots. Si ce n’est commer-
pédibus ? Les échelles métalliques à l’agiter, ce mélange fragile peut tourner au ciale, quelle est donc la nature des liens
l’Everest, touche ou pas touche ? Que la vinaigre, à l’imperfection, à l’exaltation des entre un guide de nos petites Alpes et son
trace soit déjà faite, triche ou pas triche ? uns, à l’exclusion des autres. On va encore client sans Jumar lorsqu’il est demandé au
Se rendre à Katmandou en avion, évidence nous servir de la Saint-Barthélemy et de second un billet de mille pour son selfie à 4
ou entorse ? Par la Qatar Airways ou la l’étoile jaune, calmons-nous, ce n’est que 810 mètres ? Benne, refuge et coups de pied
Turkish Airlines, éthique ou pathétique ? de l’alpinisme après tout ! Tiens... nous voilà au cul non compris. La tradition sans doute,
Les porteurs jusqu’au camp de base, bon enfin d’accord, only alpinism. C’est juste- celle des vieux métiers et de leurs relations
ou mauvais point ? Se réfugier dans la tente ment parce que l’alpinisme n’est pas essen- tarifées pour ne pas s’attacher.
d’une expé à gros moyens, survie ou trans- tiel à ce que la Terre tourne rond qu’il peut Voyez messieurs les prêcheurs du bon style
gression ? L’intention est belle mais voyez faire un joli laboratoire à la tolérance et comme il est périlleux de s’aventurer sur
comme absolutiser à tout crin est une quête l’intelligence. L’autre danger pour les le terrain de l’absolutisation et de l’exem-
qui souvent trébuche et vite s’essouffle manipulateurs de pureté, c’est d’oublier plarité. En plus d’être inopérant. Nous
surtout quand elle s’aventure sur le terrain qu’elle dit aussi la transparence. La première sommes d’accord, parcourir les sommets
du juste, du propre et tous ces trucs qui qualité du style, c’est la clarté disait ce bon du monde en style alpin est une louable
supportent mal binarité et manichéisme. vieil Aristote. Viscéralement attachés à la ambition. C’est une jolie discipline qui devrait
Ne sentez-vous pas cette odeur de débat notion de moyens que la fin ne peut justi- guider nos pas hors des montagnes, vers
vain dès lors qu’on agite le chiffon rouge fier, partisans des procès en place publique, une sobriété qui n’exclut pas de trinquer à
de l’éthique et de sa ligne jaune ? Ça ne les chantres de la pureté, selon leur propre la vie, vers une élégance qui n’interdit pas
veut pas dire tout accepter, tout niveler, logique, doivent donc être en mesure de réussir. Pour tout vous dire, de ce style
surtout pas. Ça signifie simplement que l’on d’attester de leur bonne Foi sur l’intégralité alpin, je suis un convaincu zélé.
est tous l’infondé, l’indéfendable, l’amoral d’une ascension. Si on a bien tout compris. Mais le ton du jugement et de la leçon n’est pas
de quelqu’un ou de quelque chose, le style Pas de corde fixe notamment ni toute autre le bon pour donner envie. Préférez la beauté,
est une notion très élastique. Seuls les aide extérieure et déshonorante, c’est bien on n’a pas trouvé mieux comme manifeste.
derniers mètres de l’Everest ne peuvent cela ? Conrad Anker, alpiniste, grimpeur Regardez Dick Fosbury. Un beau jour de 1968,
faire juges, il y a ce que l’on fait avant, après, américain qui rigole dans le 8a dit qu’il lui il a décidé de changer de style et de pied
il y a la vraie vie. Alors profitons d’être au a été tout bonnement impossible de grimper d’appel. Il a tourné le dos aux habitudes. Sans
sommet pour regarder au loin, autour et le second ressaut de l’arête nord de l’Everest rien dire, juste en faisant. C’était beau et tout
faire le selfie de nos consciences. Tout est sans tirer sur la corde et pousser sur le monde a suivi. Aujourd’hui encore, son style
affaire de curseur et de cohérence person- l’échelle des vilains Chinois . La fissure est le plus gracieux de tous pour prendre de
nelle, à l’image de notre sensibilité écolo- vaudrait un bon 6b, difficilement proté- l’élan et de la hauteur.
gique. L’outrage à la nature commis par les geable, à plus de 8 000 mètres. Conrad
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Conrad Anker, David Roberts, Mallory & Irvine. À la recherche des
expéditions lourdes abandonnant beaucoup, serait sans doute heureux que les homo fantômes de l’Everest, Glénat, 2000.
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PAUL-ERIK MONDRON
LA LITTÉRATURE GRANDEUR NATURE
Il y a une petite décennie, Paul-Erik Mondron a créé sa propre
maison d’édition, Nevicata, dont le nom signifie « averse de
neige » en italien. Le ton est donné. Le rapport à l’espace se
calque sur un rapport à l’écrit. La montagne l’amène à des
passions de grande haleine, au roman comme voyage. Le livre,
dans cette maison, devient un passeport, un pays sans frontière.
Portrait d’un éditeur en quête de versants intimes.
Par Virginie Troussier
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BIO EXPRESS :
- 1997 : Ascension filmée du mont Vinson
- 1999/2000 : Passage du nouveau millé-
naire en Patagonie. Début d’une forte
passion pour la région.
- 2008 : Création des Éditions Nevicata
- 2015 : Lancement de la collection
« L’âme des peuples » au sein de Nevicata.
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TRAVERSÉE DES
ALPES À PIED
UN VOYAGE POUR PRENDRE
DE LA HAUTEUR !
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Vue depuis la Dent d'Oche
© C. Martelet
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Pour la petite histoire, la Grande Traversée déserts d’altitude à la côte méditerranéenne. Le marcheur qui souhaite se lancer dans le
des Alpes a été initiée en 1946 par la section Si les trois parcs traversés par le parcours – GR®5 Alpes choisit la forme de son itiné-
Randonnée du Club alpin français avant de Vanoise, Queyras, Mercantour – figurent au rance et son rythme, au gré de ses envies et
devenir propriété de la Fédération Française top 10 des destinations « randonnée » en de ses possibilités. Certains le parcourent
de la Randonnée Pédestre en 1978 qui en France, d’autres territoires méconnus d’une traite, se libérant de toute contrainte
assure aujourd’hui encore l’entretien et le méritent tout autant le détour. Coup de cœur pour un mois d’immersion au cœur des Alpes,
balisage. En 1971, sous l’impulsion de assuré pour la chaîne des Fiz, le massif du d’autres le font sur plusieurs étés, reprenant
Philippe Lamour, membre de la DATAR Thabor ou la vallée de l’Ubaye ! le chemin là où ils l’avaient laissé la fois
(Délégation interministérielle à l’aména- précédente, avec le désir inchangé de décou-
gement du territoire et à l’attractivité régio- Tout au long du parcours, le patrimoine vertes et de rencontres. Certains partent seuls,
nale), l’association Grande Traversée des naturel, culturel et architectural du massif cherchant le calme et l’isolement dans la
Alpes (GTA) voit le jour pour rendre acces- se dévoile. Depuis les sentiers de contre- nature, quand d’autres choisissent de préparer
sible à un large public ce sentier jusqu’alors bande ou de pèlerinage aux fortifications des vacances entre amis, en famille ou en
réservé aux marcheurs aguerris, adeptes des alpines du XIXe siècle, du pastoralisme à groupes organisés, pour le plaisir de partager
étapes de 12 heures et qui n’avaient pour l’aménagement touristique de la montagne, et de vivre cette expérience ensemble.
autre choix que de passer la nuit dans un chaque territoire traversé raconte une
vieil abri... ou sous les étoiles. La mission histoire infiniment riche et passionnante.
de la GTA est alors d’organiser les étapes et
de convaincre les habitants de transformer
leur grange en gîte d’étape pour accueillir
des touristes d’un nouveau genre !
GTA, L’ASSOCIATION
Traverser l’intégralité des Alpes françaises, Créée en 1971 pour assurer la structuration de la partie alpine du GR®5, l’association
c’est partir pour une quarantaine d’étapes à Grande Traversée des Alpes a toujours eu pour mission de faciliter la pratique du
la découverte de l’infinie variété des tourisme itinérant dans les Alpes. Au cours de ces 45 années d’existence, nous avons
paysages alpins : des rives verdoyantes du lac tout mis en œuvre pour vous permettre de découvrir l’itinérance de la meilleure manière
Léman aux sommets enneigés des Grandes possible en façonnant des itinéraires de qualité, parfaitement adaptés aux différentes
Alpes, des alpages savoyards aux villages pratiques : randonnée, cyclotourisme, VTT ou encore le vélo électrique. Site Web :
haut perchés des Alpes-Maritimes, des www.moveyouralps.com
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Aux abords du refuge du Thabor, vue sur la Vanoise.
©GTA - Brice Milbergue
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LA GRANDE TRAVERSÉE
DES ALPES EN 4 TRONÇONS
Du Léman à la Méditerranée, la variété des paysages
est telle qu’on ne sait pas toujours quel tronçon
choisir quand on n’a qu’une semaine devant soi !
Voici quelques mots et photos pour vous y aider !
1 Du Léman au Mont-Blanc
La partie nord de la Grande Traversée des Alpes
vous invite à découvrir les alpages laitiers de Haute-
Savoie, terre du fromage Abondance en particulier,
à travers le massif du Chablais, la chaîne des Fiz,
les aiguilles Rouges et le célèbre massif du Mont-
Blanc. Vous vous élèverez au-dessus du lac Léman
pour traverser les réserves naturelles du mont de
Grange, de Sixt-Passy, de Passy et des aiguilles
Rouges. Vous ferez également un crochet par la
Suisse avant de traverser la vallée de Chamonix et
ses glaciers majestueux.
> Deux départs possibles : Thonon-les-Bains - Saint
Gingolph
> Refuge de Bise, Rouverture mi-juillet 5
Col de Bise, vue sur le
2 Du Mont-Blanc à la Maurienne Léman. ©Roger Carrard
Ce tronçon de la Grande Traversée des Alpes vous
fera quitter la vallée de Chamonix par la sublime 3
réserve naturelle des Contamines-Montjoie (dômes Refuge d'Entre Deux
de Miage, Tré la Tête…) avant de passer par le Eaux en Vanoise.
Beaufortain pour rejoindre la vallée de la Tarentaise ©Roger Carrard
et traverser le parc national de la Vanoise. Le
premier parc national alpin vous invite à vous
immerger dans son incroyable diversité floristique 4
et faunistique. Vous pourrez décider de passer sur Lac Miroir entre Ceillac
les balcons sud du massif ou de couper par la et Maljasset.
variante qui vous amènera au cœur du massif par ©Grégoire Bel
Pralognan-la-Vanoise avant de rallier Modane, dans
la vallée de la Maurienne.
3 De la Maurienne à la Haute-Tinée
De Modane, la Grande Traversée des Alpes vous
emmènera dans le massif du Thabor et la vallée IDÉES DE SÉJOURS
Étroite (enclave française en terre italienne) avant Entre ciel et terre, sensations fortes en Beaufortain naturelle des Contamines-Montjoie. Cette étape, de
de basculer dans le parc naturel régional du Queyras, Lieu de départ : Les Contamines-Montjoie profil général montant, quitte le massif du Mont-
haut lieu de la randonnée à pied où les services de Lieu d’arrivée : Bellentre Blanc, sous l’aiguille emblématique de Tré la Tête,
transport de bagages pourront alléger votre Durée : 4 jours / 3 nuits pour rejoindre le massif du Beaufortain.
randonnée. Du Queyras, la GTA vous emmènera en Distance : 39 km
Haute-Ubaye et ses sommets rocheux avant d’entrer Niveau : Pratique occasionnelle de la randonnée J2/ DU REFUGE DE LA CROIX DU
dans le territoire du parc national du Mercantour, Période : De juin à septembre BONHOMME AU REFUGE DU PLAN
dernier grand massif de la traversée. DE LA LAI
Entre Maljasset et Fouillouse : un nouveau sentier Lancez-vous dans une traversée inoubliable sur le Cette étape au cœur du Beaufortain et de ses
balisé permet d’éviter de marcher sur la route ! mythique GR®5, depuis le massif du Mont-Blanc alpages, rendus célèbres par le fromage Beaufort,
jusqu’au Beaufortain ! vous offre une vue plongeante sur le lac de Roselend,
4 De la Haute-Tinée à la mer Et pour ajouter une bonne dose d’adrénaline à cette prouesse technique de l’hydroélectricité.
Ce dernier tronçon de la Grande Traversée des Alpes randonnée exceptionnelle, découvrez la via ferrata
vous fera traverser le parc national du Mercantour, du Roc du Vent qui vous entraînera de rocher en J3/ DU REFUGE DU PLAN DE LA LAI
puis l’arrière-pays niçois et ses villages perchés. pont de singe jusqu’au plus beau panorama qui soit AU REFUGE DE PRESSET
Vous vivrez l’expérience de « plonger » dans la sur les eaux turquoise du lac de Roselend ! Magnifique traversée du cœur du Beaufortain, avec
grande bleue depuis les derniers sommets et cols Informations complémentaires : une arrivée sur la Pierra Menta, sommet rendu
des Alpes en descendant vers Nice ou Menton. La À noter sur cet itinéraire, des passages vers 2 500 m célèbre par... Rabelais et le fameux coup de pied
variante par le GR®52A vous emmènera au plus d’altitude sur la crête des Gittes avant le Roc du Vent. de Gargantua dans les Aravis !!
près de la ligne de crête frontalière avec l’Italie et
le Parco Delle Alpi Marittime, dans la vallée des Programme détaillé J4/ DU REFUGE DE PRESSET À
Merveilles, site isolé par des cols au-dessus de 2 J1/ DES CONTAMINES-MONTJOIE AU BELLENTRE
000 m que les hommes du paléolithique ont utilisé REFUGE DE LA CROIX DU BONHOMME Arrivée en vallée de la Tarentaise par une longue
pour graver sur la roche leur représentation du De la Haute-Savoie à la Savoie à travers la réserve descente jusqu’à Bellentre.
monde. À ne pas manquer.
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LE VIGNEMALE
UNE FACE NORD AU SOLEIL
La face nord du Vignemale est l'une des plus belles courses des
Pyrénées. Cette paroi mythique de 850 mètres de dénivelé aux courbes
complexes et ensoleillées est l'une des plus vastes et des plus admirées.
Texte : Bénédicte Boucays / Photos : François Laurens
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« Parcourir 800 mètres d’une face en rocher pleine paroi, il y a plus de 800 mètres de 5
plus qu’incertain sans que les seconds de schistes lisses d’une terrifiante inclinaison », A la sortie de l'arête intermédiaire, une longue
cordée voient filer un seul caillou est déjà n’a pas empêché de nombreux grimpeurs de traversée permet de rejoindre les schistes rouges
en soi une performance acceptable. Suivre s’y aventurer. Henri Barrio et Robert avant d'arriver à l'épaule.
sans erreur un itinéraire que l’on ne connaît Bellocq seront les premiers à réussir cette
pas forcément par cœur, tenir un horaire face nord en 1933. Au tout début de leur
dans un versant dont l’ampleur ou la struc- ascension, Barrio raconte qu’il leur est « retrouve par une belle soirée de juillet sur
ture interdit de lambiner (…) un art qu’on impossible de déceler un défaut dans la le sentier du refuge de Bayssellance pour y
apprend en voyant faire. » Voici comment paroi, où de grandes taches d’ombres passer la nuit avant de partir à sa conquête,
le philosophe et grimpeur, Patrick Dupouey, semblent accuser des surplombs parais- rassurée par la présence de trois équipiers
évoque la face nord après l’avoir parcourue sant inaccessibles ». Le lendemain, ils aguerris, Christian Ravier, mon compa-
derrière le guide de haute montagne gravissent la muraille de la Pique Longue en gnon de cordée, François Laurens, le photo-
Christian Ravier. Comme pour bon nombre 5 heures 30 chaussés de légères espadrilles graphe et Julien Laporte, alors aspirant
de passionnés de montagne cette course et sans planter un seul piton ! Une fois au guide. Inutile de dire que jusqu’au réveil,
menant au sommet du Vignemale repré- sommet, il écrira : « Nous n’avons pas eu à j’ai espéré en secret un bel orage ! Seul pré-
sentait pour moi un mythe inaccessible. nous en servir mais qui pouvait prévoir ? » texte pour renoncer. Autant dire que la nuit
Avant d’y poser les mains, j’ai commencé Quatre-vingts ans plus tard, on a toujours fut courte et sans sommeil, contrairement
par en rêver, avec ce qu’il faut d’insou- autant de mal à imaginer qu’une fois à celle de mes compagnons de course. Alors
ciance pour dépasser l’appréhension, la engagé, la difficulté s’estompe singulière- que la lune éclaire encore les parois du Petit
peur. Pour aller jusqu’en haut avec légèreté. ment. La face nord serait-elle « une voie Vignemale, nous quittons le refuge pour la
Car une fois dans la voie, tout est question trompeuse » ? Comme le dit si bien le guide hourquette de Bayssellance, avant de
de mesure. On ne recherche pas l’exploit de haute montagne Rémi Thivel, habitué basculer sur le versant ouest vers le glacier
mais plutôt l’insolite ; l’engagement à la des lieux, « quand on la voit de loin on ne des Oulettes. Nuit noire. Pas un mot.
performance ; la résistance au record ; le pense pas que c’est aussi facile ». Pendant que je chausse mes crampons, je les
sens de la démarche à la difficulté ; le soleil entends parler de l’itinéraire : comment
à l’ombre ; la sensualité à l’effort. Avec en Il n’en reste pas moins que cette voie passer pour éviter les crevasses ? Encordée
filigrane, ce désir de marcher sur la trace des demeure pour tout grimpeur qui s’y frotte, à Christian, je suis ses pas. C’est le moment
anciens et de l’histoire. une entreprise engagée et intimidante. le plus austère, le plus critique, le plus froid.
Lorsque je la vis pour la première fois Nous arrivons enfin au pied de la paroi,
Heureusement d’ailleurs que le point de depuis le refuge des Oulettes, l’idée de m’y sous la rimaye du couloir de Gaube.
vue de Jean Arlaud, pensant que « la Pique aventurer un jour me sembla insensée, Entretemps, la face nord est déjà aux trois
Longue ne pouvait jamais être réalisée en complètement dingue. Et pourtant je me quarts inondée par le soleil levant.
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CHRISTIAN RAVIER,
UNE VIE SUR LE FIL
« Cela fait vingt-cinq ans que je travaille sur
un fil, c’est la seule corde à mon arc. » Ce fil
d’Ariane remonte à la crête des Alharisses, sa
première virée en montagne, à 8 ans, avec son
père Jean Ravier, son oncle Pierre et ses
cousins. Adolescent, c’est avec François, l’aîné
de Pierre, qu’il part en stop grimper dans le
Verdon. Et c’est bien plus tard, en 1990, qu’il
termine sa formation de guide, définitive-
ment attiré par la pierre et ses échappées
verticales. En 1984, il crée La goutte d’eau,
avec Éric Pétetin, Didier Bayens et Jacqueline
Pradet, un gîte de mon-tagne et café qui fut
un des hauts lieux de rencontre et de partage
de la vallée d’Aspe. Au-jourd’hui, il n’hésite
pas à emmener les gamins des quartiers
défavorisés sur le rocher. Joueur attentif,
idéaliste curieux, esthète tenace mais pas
nostalgique. « Il faut qu’il y ait des passerelles
entre le mur d’escalade, la falaise et la plus
austère des faces nord, le tout est de respecter
l’histoire des lieux, de s’y adapter. » Un fil qui
le conduit un peu partout dans le monde,
mais surtout en Espagne où il aimait escalader
avec son grand ami, aujourd’hui disparu,
Bunny Rainier Munsch. Une expérience et
une singularité qui lui valent de grimper avec
élégance et légèreté les parois les plus
sauvages. Un esprit libre.
www.christian-ravier.com
Tél. : 0033(0)685843340 - cravier@club-internet.fr
4
Les dalles dans le VI au tiers de la voie
avant l'arête intermédiaire avec une
vue sur les aiguilles du Chabarrou.
ITINÉRAIRES La voie : de 6 à 8 heures le long de cet éperon (50 m III), avant de franchir un
COURSE D’ESCALADE Remonter le filon d’ophite sur deux longueurs (V). mur raide en rocher clair (IV). Traverser dans les
1 ère journée Puis une grande fissure permet de rejoindre une schistes rouges pour atteindre une vire à droite qui
Du parking à la cabane de Milhas (1 680 m), marcher terrasse (V). Gravir une pente plus faible sur 150 m mène jusqu’à l’arête de Gaube (60 m, IV). Reste à
jusqu’au barrage d’Ossoue puis suivre le GR 10 (III) en se dirigeant vers le grand couloir qui borde gravir les strates et gradins du haut de la face
jusqu’au refuge de Bayssellance (2 651 m). Même si l’arête intermédiaire (100 m, III). Ne pas continuer jusqu’au sommet (III+, IV) (8 heures).
c’est plus long pour le retour on peut monter par vers le couloir mais suivre une vire sur la gauche qui
les Oulettes avec l’avantage de jouir de la beauté coupe l’arête intermédiaire sur une vingtaine de La descente (5 heures 30)
de la face nord depuis le re-fuge. mètres. Descendre vers une cuvette, à gauche, puis par l’arête du Petit Vignemale
la rejoindre près d’une petite brèche au niveau du Suivre le glacier sur sa rive gauche, puis traverser
2ème journée gendarme jaune (4 heures 30). Continuer sur l’arête sur une vire facile qui amène à l’épaule en contrebas
L’approche : 2 heures jusqu’au pied d’un ressaut vertical orange. Descendre de la pointe Chausenque. Descendre l’arête jusqu’au
Depuis le refuge de Bayssellance (2 651 m), monter à gauche de 3 mètres, avant de regagner l’arête par col des glaciers en restant sur le versant sud (II,
jusqu’à la hourquette d’Ossoue puis des-cendre une cheminée ocre. Poursuivre sur le fil de l’arête III). Traverser le col puis rejoindre un couloir qui
sous les faces nord et remonter le glacier des dans une alternance de petits dièdres et cannelures permet d’atteindre le fil de l’arête jusqu’au Petit
Oulettes jusqu’au pied du couloir de Gaube. Longer jusqu’au sommet de l’arête intermédiaire (6 heures) Vignemale. Descendre à l’est par la voie normale
la rimaye qui barre l’accès jusqu’au filon d’ophite (V+ et III). Traverser à gauche sur une centaine de pour rejoindre la hourquette d’Ossoue et le refuge
vert foncé qui marque le départ de la voie (2 heures). mètres, en montant légèrement pour atteindre un de Bayssellance (11 heures). Descendre jusqu’à la
éperon bien marqué dans les schistes rouges. Monter cabane de Milhas par le GR 10 (13 heures 30).
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L’ARÊTE PASSET
À CONTRETEMPS
L’arête Passet est une course
classique située en plein
cœur du cirque de Gavarnie.
Un parcours aérien sur le fil
de l’arête et sur le calcaire
4 gréseux de ce paysage
La brèche de Roland et le sommet du
Cylindre du Marboré. Pour rejoindre le éloigné du monde. Récit
bivouac, le chemin passe au ras de la d’une journée particulière, à
falaise et domine le versant espagnol. contretemps.
Texte : Bénédicte Boucays
Photos : François Laurens
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4
Une des premières longueurs après la brèche
Passet. Au fond, la muraille nord de la Tour,
le Casque et le Taillon dans les nuages.
La marche d’approche est tout aussi singu- puits et dolines — le rocher calcaire est un
lière. Longue, très longue. Bien choisir son véritable gruyère — admirons les murailles VISITE DU CIMETIÈRE
chemin d’accès pour rejoindre la brèche d’Ordesa, l’empilement du Descargador, DES PYRÉNÉISTES
Passet où débute l’escalade requiert de l’atten- l’intrigante Pena Montanesa et la vallée Si les noms de célèbres montagnards comme
tion. Nous hésitons entre le versant espagnol d’Anisclo avec les Sestralles en arrière-plan l’abbé Gaurier, Jean Arlaud ou de guides
et la traversée horizontale sur une succes- de ce long poème géologique. Arrivés au col comme Courtade, Salles et Célestin Passet,
sion de vires au milieu du cirque de Gavarnie, de la Cascade, nous installons le bivouac et vous parlent (ou pas d’ailleurs !) n’hésitez pas
juste à la base du troisième gradin. La plus profitons des derniers rayons du soleil sur le à pousser la grille du cimetière à côté de la
belle des façons de rejoindre le pied de l’arête Casque du Marboré et le mont Perdu qui petite église de Gavarnie. Ces amoureux des
selon François Laurens, mon complice et semblent tout près. Me reviennent alors à montagnes dorment aujourd’hui dans ce
compagnon de cordée. Mais sur les conseils l’esprit ces récits de sensations si particu- modeste enclos, face au cirque de Gavarnie.
avisés de Lionel, le gardien du refuge des lières, que provoquent ces nuits en montagne,
Sarradets, considérant que le passage est trop à plus de 3 000 mètres d’altitude, comme
dangereux lorsqu’il vient de neiger, nous celui d’Alphonse Lequeutre, sur la cime du
optons finalement pour le versant espagnol Maucapéra, dans Les petites heures du nos sacs de couchage en plume d’oie ! Un
par la brèche de Roland. Début du voyage. pyrénéisme : « J’étais abrité du vent qui luxe qui nous permet de repartir en forme
Nous aurions préféré rester dans le cirque et gémissait, et fumant une cigarette lorsque le vers le glacier de la Cascade. À partir de là,
nous sentir plus vite dans l’ambiance ; mais frisson me prenait, je passai la nuit, sans les sensations et les images reviennent par
la longue marche pour atteindre le col de la dormir, il est vrai, la roche se chargeant de bribes : la pente gelée et le bout de corde fixé
Cascade où nous bivouaquerons le soir se me rappeler la réalité, mais en somme sans à un rocher sur lequel nous avons installé un
révèle sublime. Nous commençons par longer souffrir. La nuit était si belle qu’il y avait rappel pour gagner quelques mètres ; l’atten-
l’envers du cirque, passons au-dessus du col réellement plaisir à se sentir seul, tout seul tion particulière pour ne pas glisser et se
des Isards et sur le versant sud du Casque et à l’admirer. »Au petit matin, nos deux duvets retrouver en bas, la peur, le temps infini avant
de la Tour, marchons sur la crête frontalière, sont recouverts de givre, et même si nous de rejoindre la brèche Passet, le sentiment
escaladons des passages délicats, descen- avons compté les étoiles une bonne partie d’être minuscule et perdu dans cette immen-
dons dans des pierriers bicolores, évitons les de la nuit, nous sommes restés au chaud dans sité, dans ces innombrables plis et éboulis,
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CORSE ALPINE
SOMMETS, BRÈCHES ET ARÊTES
Boucler les plus beaux paysages aériens de la Corse en 5 jours,
telle est notre invitation. Tout commence par le seigneur des
lieux, le Monte Cinto. Puis viennent des incursions dantesques et
vertigineuses avant de doux instants de quiétude entre pozzines
luxuriantes et lacs profonds. Ici, la nature est à la hauteur du
caractère insulaire, fort et généreux.
Texte & photos : Philippe Royer
La Corse n’est pas une montagne comme les Puis viennent des éboulis et des méandres
autres. Chaque jour les dénivelés sont rocheux. De rares panneaux fixés sur des
imposants avec des sentiers très tourmentés blocs. Il faut ouvrir l’œil et repérer l’usure au
où les pas d’escalade ne sont pas rares. Nous sol. De nombreuses variantes vous ramènent
sommes loin des terres d’alpage de la Savoie. à la voie principale. On croit arriver et un
Puis, la proximité de la mer fait naître des nouvel éperon ou une nouvelle barre apparaît.
phénomènes météorologiques extrêmes. Chemin faisant vous comprenez l’âpreté de
Alors nous commençons cette boucle par le la montagne corse. Bien sûr il y a des cairns
morceau le plus tonique. L’ascension du mais comme le dit Charly Santucci, ancien
Cinto à 2 706 m. Méfiez-vous de cette altitude gardien de refuge : « Tout le monde édifie des
moyenne. Les références ne sont pas les cairns. Cela devient n’importe quoi. Parfois
mêmes que sur le continent. En sus le point je monte pour nettoyer et ne garder que
de départ, Lozzi, est à 1 400 m. Ainsi au pied l’essentiel !! » Cette première journée de
de l’édifice vous guettez la bonne fenêtre grande envergure peut se diviser en deux
météo pour que cette journée soit un régal. Il avec une pause au refuge de l’Erco à 1 667
faut dire que la fin de cette face sud est assez m, soit deux heures de marche depuis Lozzi.
tortueuse. Il n’y a pas de boulevards. Pourtant La descente de ce monument s’opère par
tout commence de bon augure avec un sentier l’arête des Éboulis pour rejoindre le refuge
tracé juste au-dessus du refuge de l’Erco. de Tighjettu.
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PARTIE PRATIQUE
J1 : Lozzi 1 080 m – Monte Cinto 2 706
m – Refuge de Tighjettu 1 680 m
Première étape exceptionnelle à n’entreprendre
que par grand beau et sans vent. Départ du petit
hameau de Lozzi au-dessus du village de Calacuccia
(parking tranquille). On peut faire une pause au
refuge de l’Erco, 1 667 m, pour la nuit. Vu les
dénivelés il faut partir très tôt, les bâtons sont les
bienvenus. Malgré une exposition sud, fin juin vous
pouvez encore rencontrer des névés.
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CRÉATION DU DIABLE
Au deuxième jour vous rejoignez ce point
d’asile (Tighjettu) au refuge de Ciottulu di i
Mori. Une étape bien plus sage. Au passage
vous remarquez qu’il est possible de jongler
avec des bergeries (Ballone en J2 et Radule
ou Vaccaghja en J3) pour le gîte et le couvert.
De bonnes options avec parfois moins de
monde que dans les refuges, tentes en
location. À la fin de cette étape si la météo est
bienveillante la montée au trou du Tafunatu
s’impose depuis le col des Maures. Une petite
course de montagne où il faut savoir lire le LE MINÉRAL COMME RÉFÉRENCE ABSOLUE 55
terrain et redoubler de vigilance sur vos place- Au troisième jour tout est plus paisible avec Les belles pozines du lac Nino.
ments de pieds et parfois même de mains. l’exceptionnel lac Nino et ses vastes
La légende de ce lieu d’exception est variable. pozzines parcourues par les chevaux et les 5
Certains disent que dans une de ses colères, vaches en totale liberté. Tous savent où ils Les lacs au fond de la profonde vallée£
le diable jeta son marteau et troua la habitent. Lorsque le froid arrive à l’automne de la Restonica.
montagne. D’autres disent qu’il jeta son soc ils redescendent. Le lac Nino est à la
de charrue. Toujours est-il qu’il faut se méfier douceur des paysages ce que le Tafunatu
des colères insulaires. L’arche mesure dix est à la beauté sauvage et austère. Avec Capitello et Melo trônent au cœur de ce
mètres de haut sur trente mètres de longueur. cette étape de 8 heures vous chuintez le granite. Hors sentier conventionnel notre
De chaque côté le vide est total au loin (au gîte du col de Vergio (petite épicerie). À boucle passe par la brèche de Goria pour
nord-ouest) on aperçoit la longue vallée du vous de doser ! Au quatrième jour le minéral plonger vers le lac du même nom (1 852 m).
Fango, là où tous les habitants du Niolo est la référence absolue. Tantôt c’est un Les bâtons sont très utiles sur ces pentes
allaient passer l’hiver. Avec son rocher marron chaos de pierriers, tantôt ce sont de grandes raides. Une longue marche en forêt au
et rouge avec des parcelles jaune et verte, dalles compactes qui filent vers les cieux. milieu des pins laricio géants mène au
l’ensemble Tafunatu et Paglia Orba repré- Cela donne de fines voies d’escalade où refuge de Sega. Le dernier jour vous ramène
sente les plus beaux sommets de la Corse. les pieds en adhérence sont à l’honneur. à Lozzi, votre point de départ, par un bout
Un mélange d’austérité et de grandeur. Résidus des périodes glaciaires les lacs du sentier mare a mare Nord.
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J3 : Refuge de Ciottulu di i Mori 1 991 J4 : Refuge de Manganu 1 600 m – J5 : Refuge de Sega 1 168 m – Lozzi 1 080 m
m – lac Nino 1 743 m – refuge de refuge de Sega 1 168 m Étape moins fréquentée que le GR qui vous permet
Manganu 1 600 m Étape très tonique avec un passage au pied du lac de regagner Lozzi, votre point de départ. Aucune
Étape très contrastée avec une descente le long Capitello et une escapade tonitruante par une difficulté. Parcours sur des terres autrefois très
des sources du Golo, baignade possible pour les brèche qui domine trois lacs : Melo, Capitello et fréquentées par les bergers et les ovins.
plus téméraires, puis un somptueux passage au lac Goria. Suit un très long parcours forestier vers le
de Nino et ses verdoyantes pozzines. Sous vos pieds, refuge de Sega. Ambiance montagne et isolement Itinéraire : Du refuge prendre le sentier qui file vers
la marche est feutrée. Vous croisez des dizaines total au niveau de la brèche raide qui mérite appli- le nord. Vers Bocca a l’Arinella à 1 592 m. Sur l’autre
de chevaux et bovins qui se régalent de ce tendre cation et bonnes chaussures. versant on descend vers Calacuccia après avoir
parterre. Un lieu à classer dans les plus beaux emprunté le barrage. Du village vous apercevez la
paysages de l’île. Itinéraire : Du refuge de Manganu on emprunte le Paglia Orba. Sous vous coule le Golo qui a pris sa
GR 20 puis on plonge vers le lac de Capitello par une source au col des Maures. La D 218 et de petites
Itinéraire : Orientation facile puisque vous êtes sur étroite brèche. Panneau indicateur. Le plan d’eau est sentes permettent de regagner le parking de Lozzi.
la sixième étape du GR 20. Vous suivez la balise rouge visible. Descente raide. On longe le lac sur de longues Dénivelé à la montée : 800 m
et blanche et vous confirmez avec la carte. Deux dalles de granite avant de remonter la brèche raide Dénivelé à la descente : 900 m
bergeries vous accueillent pour moduler cette étape au nord-ouest du lac, brèche de Goria. Montée Temps : entre 5 et 6 heures
: Ballone et Vaccaghja. Aucun passage exposé. Au col tonique et raide. Sur l’autre versant on descend
de Vergio passe la route D 84 entre Porto et Calacuccia. par la rive est du lac du même nom : Goria. Une INFOS PRATIQUES :
Il y a un gîte, une épicerie et un hôtel - restaurant au épuisante sente permet de longer le Tavignano Réservations refuges :
bon rapport qualité prix. Très bon accueil. Tél. : 04 pour aboutir au refuge de Sega. www.parc-corse.org et 04 95 51 79 10
95 48 00 01 et www.hotel-castel-vergio.com. De quoi Dénivelé à la montée : 1 100 m Refuge de Sega : 06 10 71 77 26
couper l’étape en deux si nécessaire. Dénivelé à la descente : 1 500 m Bergeries de Ballone : 06 12 03 44 65
Dénivelé à la montée : 650 m Temps : entre 8 et 9 heures Bergeries de Radule : e.radule@gmail.com
Dénivelé à la descente : 1 050 m Météo : 08 99 71 02 06
Temps : entre 7 heures 30 et 8 heures 30 Secours : 112
Cartes géographiques : IGN 4251 OT et 4250 OT
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Randonneur et son cochon sur le Golo au pied du
Cinto.
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AMOTSANG &
POKARKANG
PETITE EXPÉDITION DANS
LE GRAND HIMALAYA
Voyage au Népal au travers de deux expéditions
exploratoires au Damodar. Deux sommets aussi isolés que
sauvages, Amotsang (6392m) et Pokarkang (6346m).
L’aventure himalayenne en style alpin.
Texte & photos : Alexandre Ulcakar et Lionel Chatain
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Lionel sur l’arête de l’Amotsang (6100m)
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TRIBENI HIMAL
Ce matin, départ pour un sommet donné à
6 100 m par la carte de Lionel. En y regar-
dant de plus près et avec ma carte d’état-
major, ce serait environ deux cents mètres
supplémentaires qui nous attendent… Nous
prenons pied assez rapidement sur le glacier.
traces de bharals témoignent d’un passage 5 600 m, notre camp de base. Cette fois Ce qui semblait par effet d’optique relati-
de vie sans doute au printemps. Les autres perché sur la moraine ça pince vraiment. vement plat depuis le camp de base est en
témoignages de vie endurent le froid depuis fait un véritable mur de glace dont chaque
des dizaines de millions d’années. Le vallon RENONCEMENT : VUE FANTASTIQUE, ressaut offre une surprise… une nouvelle
est cafit d’ammonites, vestiges de Téthys, GROSSE JOURNÉE crevasse plus ou moins large. L’avantage
ancienne mer intérieure. Un peu tard nous partons avec un soleil déjà dans l’histoire, c’est que chaque pas nous
Bouddha, Dawa et Yubraj prennent la chaud sur les tentes. Le glacier est de glace fait gagner de l’altitude. Crampons, piolet-
descente avec trois dokos pour faire le plein vive, transparente. Les crampons crissent traction pour quelques passages à la verti-
de bouses de yack, notre combustible. Nous à chaque pas. Le froid a tout figé, refermé cale plus prononcée, pause thermos et barres
constituons à présent une équipe tout à fait les crevasses, solidifié la neige. Le baiser de céréales sur une « marche » de ce glacier
homogène surtout sur le plan olfactif. Lionel glacé de l’hiver a pétrifié la vie. Sur nos monumental. Avec l’altitude, c’est une vue
a bien essayé de conserver le « buff » qui gardes, corde tendue, nous progressons, sur toute la chaîne qui se découvre, du
couvre son nez à l’écart de l’odeur prenante vigilants, à l’écart des séracs dans une trajec- Manaslu au Dhaulagiri, en passant par
de bouse de yack, en vain. toire sinueuse qu’imposent les crevasses. l’immense chaîne des Annapurna.
À ces altitudes, la meilleure arme contre le Les minutes glissent lentement, l’altimètre L’Amotsang et son arête que l’on a vue de
froid, outre le duvet d’oie, reste le rire. prend des tours, nous voilà au pied de l’arête près sont cette fois au premier plan. Passé
Aucun souci de ce côté, nous sommes de l’Amotsang. Lionel part à l’assaut de la une large crevasse à nouveau la pente, les
équipés ; entre la jovialité népalaise et longueur, moi à la rimaye pour l’assurer. piolets. Toute pleine de surprise en diffi-
l’ironie française, nous repoussons les Précautionneusement, il casse la corniche et culté qu’est cette montagne, elle reste
assauts hivernaux. Toutefois, un autre allié débouche à 6 100 m sur l’arête. J’arrive à accueillante par son manteau travaillé de
de taille est à compter dans nos rangs ; un mon tour et c’est comme découvrir le monde pénitents qui sont autant de prises faciles
petit sac de piments verts. On croque dedans, une nouvelle fois. De ce balcon, perché sur pour les crampons et pour les piolets.
la sensation de chaleur est presque instan- les neiges, nous fait face la chaîne Arrive le dernier dôme, presque une
tanée, le bonnet tombe, la doudoune s’ouvre, himalayenne, du Manaslu au Dhaulagiri, douceur, une ultime crevasse tout en haut,
une larme perle. plus loin l’Inde, dans notre dos le Tibet. le pont de neige tient, quelques mètres, nous
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Arête du Dadanak (6000m)
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POKARKANG
POUR CHANGER DES TREKKING PEAKS ET
5
Nawang et Dorje au
début de l’ascension
du Pokarkang
Pourquoi ce sommet ? Autant l’Amotsang est Annapurna. Au nord, le vaste plateau tibétain enfants ramènent les chèvres et les yacks.
réservé à des alpinistes très expérimentés ; précédé du Lagula à presque 7 000 m. Et Ici, à part l’air pur, le millet et les pommes
autant le Pokarkang s’adresse à ceux qui puis, à ce jour, seules cinq expéditions de terre, le lait de yack ou encore la laine de
veulent sortir des trekking peaks surfré- enregistrées sur ce sommet. Le Pokarkang est chèvre, la terre donne avec parcimonie ; la
quentés mais qui ne souhaitent pas s’investir donc extrêmement confidentiel. vie est chiche. On respecte la nature et on
dans un 7 000 m exclusif et exigeant en temps passe par la case puja (cérémonie) du
et en budget. Le Pokarkang, c’est le sommet
Au départ de Katmandou, il faut compter monastère pour s’incliner devant Bouddha
intermédiaire, plus sauvage, plus technique,
sur la piste des Annapurna pour gagner du avant de prendre le chemin du sommet.
plus engagé qu’un trekking peak et au 360°
temps et rejoindre plus rapidement le village
impressionnant sur trois 8 000 m du Manaslu
tibétain de Phu. En quelques jours on se On peut mettre un peu tout ce qu’on veut
au Dhaulagiri en passant par tous les
retrouve au cœur de l’Himalaya dans ce dans la recette à grimper mais en toute
village du bout du monde dont objectivité, le moteur principal reste
finalement on ne comprend pas l’orgueil. Orgueil du dépassement de soi,
LE POKARKANG, C’EST vraiment les fortifications. Quelles
étranges querelles de voisinage ont
orgueil d’être au-dessus, de dominer un
instant le paysage. Chacun le regarde de sa
LE SOMMET PLUS bien pu motiver ces défenses ?
Qu’est-ce qui pouvait donner suffi-
lucarne. De ceux qui restent discrets au
retour à ceux qui étalent, toujours, le goût
SAUVAGE, PLUS samment de chien pour guerroyer
à ces altitudes ?
de la réussite nourrit généreusement le petit
soi. Reste aussi, plus intime, beaucoup
TECHNIQUE, La vie au village semble suspendue
dans le temps. En fin de journée,
moins évidente à partager car bien souvent
indicible, la saveur de l’instant sommital ;
PLUS ENGAGÉ QU’UN les femmes filent la laine sur la
plus haute terrasse pour avoir les
trop personnel, cumul des efforts accomplis
et de la lucidité restante au sommet. Une
TREKKING PEAK derniers rayons du soleil. Les
hommes discutent à côté, des
sensation qui mêle ce que le regard offre, la
vue d’en haut et la lucidité particulière à
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Nawang et Dorje sur l’arête du Pokarkang. PETIT JARGON DU GRAND GUIDE
Au milieu du vocabulaire de spécialiste avec lequel il faut bien se familiariser si l’on veut se frotter
à la discipline, ma préférence va au mot lunule. Certains parlent d’Abalakov en hommage au
ces moments de dépassement, lorsque le Russe inventeur de cette technique d’assurage. Mais bien que plein de respect pour ce cher
corps a tout donné, exsangue de fatigue. Russe, le mot lunule a le charme en plus, il est rond et mystérieux, évoque notre satellite. À la
Cette lucidité particulière vous donne pour descente du Tribeni Himal, Lionel posera dans cette course contre le soleil plusieurs lunules ;
un instant si vous savez lui laisser la place, petites galeries creusées dans la glace pour y passer une cordelette sur laquelle on s’assure.
une saveur, un quelque chose de l’ordre de Bon, au début, passé la poétique du mot, il faut reconnaître un brin de scepticisme sur la fiabi-
la clairvoyance et de l’acceptation de la vie. lité du système, d’autant que c’est ta vie qui se trouve au bout de la corde. Et là, le professionnalisme
Les sages n’ont pas besoin de se mesurer à du grand guide est important. La glace étant particulièrement sèche et cassante, Lionel double
une montagne, les hommes si. les lunules pour que le hasard ou la malchance ne viennent pas jouer les trouble-fêtes.
Empreints de cet esprit de sagesse, on avance beaucoup de fumée mais produit ensuite sur la neige ferme pour établir un camp d’alti-
par étapes mesurées au camp de la bouse une bonne chaleur de rayonnement. Le riz tude. À présent, la réussite dépend en partie de
de yack. D’une équipe initialement réduite comme les lentilles cuisent à feu doux. Une l’épaisseur de fraîche et de la trace qu’il faudra
à deux Népalais pour le camp de base, toute odeur âcre a élu domicile dans nos vêtements faire pour gagner l’arête. Le glacier est orienté
l’équipe Tribeni a tenu à venir. La logis- et le camp a trouvé son nom… nord, ce qui signifie au Népal, enneigement…
tique a dû être revue en conséquence, riz et Du caillou sous toutes ses formes, des schistes C’est un des facteurs particuliers à prendre en
carburant en priorité. Sauf que, trouver du aux ammonites, l’univers est maintenant tout compte dans cette région.
fioul à Phu n’est pas une mince affaire. à fait minéral. Il faut progresser dans cet agglo-
Finalement, on carbure à la bouse de yack, mérat glissant, on en viendrait presque à espérer Jour J ; on progresse à l’écart des séracs
un combustible qui demande un peu d’atten- une couche de glace surtout dans la descente pour rejoindre l’arête sommitale et déjà
tion pour devenir incandescent, fait qui conduit au glacier. Enfin, nous arrivons l’horizon redonne la motivation pour aller
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ACCÈS
Transport
Bus Katmandou – Besisahar
Jeep Besisahar – Koto
Marche d’approche
Trois jours pour rejoindre le village de Phu
Deux jours de Phu au camp de base
Infos pratiques
Népal – Katmandou
Partie sud-est du massif des Damodar – nord des
Annapurna
Historique du Pokarkang : première ascension par
une expédition anglaise en 2002, deuxième ascen-
sion en 2009 par l’équipe de l’expédition de Paulo
Grobel, deux itinéraires possibles par les arêtes de
Marseille et Cassis !! Troisième et dernière ascen-
sion en 2012 par Lionel Chatain et ses deux compa-
gnons népalais.
Formalités : permis d’ascension moins de 6 500 m,
pas d’officier de liaison
Cotation himalayenne : II / PD
Santé : pas de vaccination requise
Période et saison : automne, comme pour
l’Amotsang et pour les mêmes raisons, c’est un
compromis à trouver entre proximité de l’hiver et
distance avec la mousson.
Nombre de jours : 3 semaines
Hébergement : tente
Encadrement : une seule agence est allée sur
place et propose ce sommet, Tribeni Trek. Un
départ est programmé le 14 octobre.
Contact :alex@tribenitrek.com
Carte : Himalayanmap house NA521
Encadrement : une seule agence est allée sur
place et propose ce sommet, Tribeni Trek. Deux
départs sont programmés le 14 octobre et le 31
mars : http://tribenitrek.com/expedition-au-
nepal/pokarkang.php
Contact : Alexandre Ulcakar, email : alex@tribeni-
5 trek.com tél. : 0628540735
Arrivée de Dorje au sommet du Pokarkang
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GMHM
À BAFFIN
Une plage de sable fin, mon hamac est tendu
entre deux palmiers. Une créature de rêve
m’apporte un cocktail. Je sirote un Cuba libre
en regardant les vagues. Un air de reggaetón
me berce tranquillement… Bipbipbip,
Bipbipbip, l’alarme de mon altimètre me tire
de ce songe sucré. 26 mai 2017, il est 5 h 00
du matin et c’est le jour du sommet. Je
m’extrais de mes deux duvets, enfile le
pantalon doudoune, la veste du même nom
et les chaussures hivernales. -8°C dans la
tente, elles sont bien loin les surfeuses.
Texte : Antoine Bletton. Photos : GMHM
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jamais extrêmes (6a max) mais délicates à relais, le sommet semblait accessible en 5
protéger. Nouveau nœud décisionnel au une grande longueur. Le fameux mur sommital et son ambiance
bas de cette partie redressée et rebaptisée « C’est ce que nous faisons le lendemain à couper le souffle.
chandelle ». Il faudra un jour de plus à Dim matin. Par une traversée sous un toit, 850
et Pierre pour se faufiler entre toits et m de gaz entre les jambes, nous rejoignons
écailles plus ou moins stables. Au pied du le sommet rocheux de cette tour. Il reste
head wall, ou bastion terminal pour faire quelques mètres de dénivelé dans la neige
plaisir aux francophones, le torticolis se pour prendre pied sur la calotte et voir
fait plus fort. C’est presque aussi esthé- l’autre côté de la montagne que nous maintenant derrière nous. Nos derniers
tique que vertical. Mais par où attaquer ? grimpons depuis 15 jours ! moments dans le Gibbs Fjord sont utilisés
Cette zone compacte semble donner accès La traditionnelle photo sommitale avec nos pour dessiner un topo avec le cheminement
à un système de fissures. Ce dièdre plus têtes fatiguées mais heureuses, le fjord en de notre voie, faire un premier tri des
commode a l’air de se perdre dans une toile de fond n’apporte pas seulement une photos/vidéos et faire place nette.
partie lisse et grise. La pire des solutions preuve. C’est surtout un témoignage de ce Démonter, ranger et nettoyer notre Q.G.
étant de ne pas décider, Nono se lance dans paysage magnifique, fantastique et hors polaire. C’est déjà l’heure du bilan d’expé-
ce magnifique dièdre. Il gagne en une norme que nous rapportons aux personnes dition qui est plus que positif. Une équipe
grande journée d’artif presque 100 m de qui nous suivent. soudée et sur la même longueur d’onde,
dénivelé. Quid de la suite. Moment hors du temps. Les premiers une ligne attrayante et motivante par son
C’est au tour de Dimitry. Après le réveil hommes au sommet de cette citadelle. esthétisme et sa verticalité, et il faut bien
matinal aux Jumars, il attaque la longueur La perspective d’une descente laborieuse l’avouer une belle chance avec la météo.
cruciale du projet. Le dièdre s’est perdu, la nous ramène à la réalité. Enfin, pas Nous quittons ce camp de base avec des
fissure s’est bouchée… Micro pitons laborieuse pour tout le monde. Arnaud sort expériences plein la tête et déjà l’envie d’en
(Birdbeaks), crochets, petites protections le « costume de BASE jump », enfile le créer de nouvelles.
instables (copperheads), couplages. Il lui parachute et se jette dans le vide. 1,5 minute
faut la panoplie complète d’artificier et une plus tard, il est au camp de base avec Benoit. *Outfitter : guide local, spécialisé dans les régions polaires. Il
conduit les clients à travers les fjords et la banquise en motoneige
bonne dose de sang-froid pour sortir cette Il nous faudra 1,5 jour de plus pour les ou chien de traîneau.
zone. A3/A4, qu’est-ce que ça veut dire rejoindre… Démontrant, si nécessaire, la
comme cotation ? Il faut s’imaginer 4 heures force du collectif sur ce genre de défi.
d’effort pour gagner 30 m de vertical…
Néanmoins, il redescend au camp capsule Il nous faut quelques jours pour atterrir et
avec un grand sourire. Depuis son dernier prendre conscience que ce projet d’un an est
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L’INVENTION
DE LA PHOTOGRAPHIE
DE MONTAGNE
Il n’y a encore pas si longtemps, au XVIIIe siècle, le mont Blanc
était communément appelé le « mont Maudit ». La montagne
inspire alors la peur et rares sont ceux qui s’y aventurent. Ce n’est
que plus tard, par l’intermédiaire de la poésie, de la peinture mais
surtout de la photographie que notre sensibilité à ce paysage
vertigineux se manifeste. La montagne, anciennement source
d’appréhension, s’embellit aux yeux du monde à mesure que les
photographes se mettent à suivre les traces des alpinistes et
accèdent à des sommets jamais atteints.
Par Fanny Arlandis. Photos : Musée de l’Elysée de Lausanne
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Le Cervin, 1910-1920.
© Charles Charnaux
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DHAULAGIRI 1960
L’EXPÉDITION DU YÉTI
Deux aviateurs et un yéti au service des alpinistes, tous
redoublant d’audace pour la conquête du plus difficile des
sommets de 8 000 m. Un double exploit : sommet sans
oxygène, pour les alpinistes, et record d’altitude, pour
l’atterrissage d’un avion !
Par Gilles Modica. Photos : DR
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idéal pour l’aménagement du camp II sous MON PETIT VIEUX, NOUS AVONS UN AVION ! Chogolisa. Un beau jour à Genève, Michel
l’éperon qu’ils ont choisi de remonter. Du En 1960, il ne reste plus que deux sommets Vaucher reçut un coup de téléphone de son
camp II au sommet : 2 400 m. Ce fin pilier de 8 000 m encore vierges : le Dhaulagiri, ami Hugo Weber :
offre deux bonnes possibilités pour les et, au Tibet, sous contrôle chinois, hors — Mon petit vieux, nous avons un avion !
campements, un parcours neige et glace d’atteinte pour des raisons politiques, le Prototype de la société Pilatus, mis à leur
beaucoup moins technique que les rochers Shishapangma (8 013 m). L’expédition disposition avec son équipage, le yéti leur
striés de la Poire, et surtout beaucoup moins comprend sept alpinistes suisses : Max valut une avalanche de critiques et d’objec-
de risques d’avalanches. Le drame se Eiselin, chef d’expédition ; l’architecte tions, pratiques ou morales. De fait, le yéti
produisit dans le dos des Autrichiens, un Peter Diener (31 ans) ; le facteur Ernst leur fit prendre bien des risques. Risques
jour de repos, sans danger apparemment. Le Forrer (27 ans) ; Jean-Jacques Roussi ; pour l’équipage, risques pour les alpinistes
29 avril, au chaud et au calme sous les tentes l’ingénieur Hugo Weber (25 ans) ; Albin projetés sans transition, sans paliers, à des
du camp II, les alpinistes jouent aux cartes, Schelbert (25 ans) et Michel Vaucher, jeune altitudes considérables. Le yéti vola en huit
lisent, écrivent ou devisent. On s’inquiéta étudiant genevois de 23 ans, benjamin de jours de Zurich à Katmandou (20 mars),
trop tard. Heini Ross s’absente et tombe dans l’expédition. Max Eiselin avait également avec Max Eiselin à son bord. Mais c’est
une crevasse à cinquante mètres du camp. recruté deux alpinistes polonais, le médecin dans les profondeurs du Terraï, sur la terre
Vivant, coincé à une grande profondeur, il Jerzy Hajdukiewicz et Adam Skoczylas, battue d’un village frontière (Bhairahawa)
meurt avant que ses camarades ne l’aient un Américain d’origine allemande, Norman que débutent les navettes avec charge
sorti du piège. Un mois plus tard, le 25 mai, Dyrenfurth, himalayiste de longue date, d’hommes ou de matériel. Plus tard, le yéti
quittant le camp VI pour le sommet, la cordée cinéaste et un jeune Autrichien de 27 ans, décolla de Pokhara, à 120 km de
d’assaut, Karl Prein et Pasang Dawa Lama, Kurt Diemberger, avec un huit mille à son Bhairahawa, cet aérodrome étant moins
se fait terrasser dès 7 800 m, à 5 ou 6 heures actif, le Broad Peak, dans la foulée de exposé aux sautes de vent. Le 28 mars, le
du sommet pensent-ils, par un gros vent Hermann Buhl, mort sous ses yeux peu yéti atterrit au col Dava (Dapa dans le récit
glacial et des tourbillons de neige. après sur les corniches d’une arête au de Diemberger) à 5 200 m, aux confins de
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PHYSIOLOGIE DE LA
(TRÈS) HAUTE ALTITUDE
CERTITUDES ET INCERTITUDES
Le 27 mai 2017, six jours après une première éclaire sur les relations entre cet indicateur basses contrées avec toute sa tête et la totalité
visite au sommet, Kilian Jornet s’ennuyait capacitaire et la résistance à la très haute de ses doigts et orteils. En montagne, le
fermement au camp de base avancé de altitude. Ses conclusions ne sont peut-être froid est un ennemi. Il peut mutiler voire
l’Everest, versant tibétain. Il s’est donc rendu pas celles qu’on imaginait. tuer. A minima, il est un facteur extrinsèque
une deuxième fois (on n’ose pas dire seconde) Kilian Jornet s’est acclimaté quelques jours à prendre en considération pour qui
sur le Toit du Monde (8 848 m). La montagne plus tôt en gravissant le Cho Oyu (8 201 recherche la performance en altitude.
médiatique en est encore toute chamboulée m), stratégie d’acclimatation venant parfaire Emmanuel Cauchy nous présente les
et les laboratoires du monde entier ne savent son activité frénétique dans les Alpes et les mécanismes de défense de l’organisme face
plus à quelles vérités scientifiques se vouer. montagnes de Norvège. Samuel Vergès nous au froid et les conséquences les plus connues
Kilian Jornet affiche une VO2max propose différentes méthodes pour préparer d’une exposition prolongée : les gelures.
(consommation maximale d’oxygène) à 92 un séjour en haute altitude, de l’entraîne- Que les rats de laboratoire se rassurent,
ml/kg/min. C’est exceptionnel, seuls ment sur nos 4 000 mètres alpins jusqu’à même s’il est difficile de l’attraper, Kilian
quelques fondeurs peuvent supporter la la sieste préparatrice en tente hypoxique. Jornet est aujourd’hui le cobaye le plus
comparaison. Jean-Paul Richalet nous Kilian Jornet semble être revenu dans nos prisé des scientifiques de l’hypoxie.
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L’hypothermie est une décélération physiolo- même quand elle est légère, sont aussi poignets et des malléoles. Cette réaction «
gique qui ne devient pathologique qu’en dessous d’ordre hydroélectrique. La redistribution sacrificielle » entraîne des lésions dont le
d’une température centrale de 35°C. L’homme du volume plasmatique au centre de l’orga- pronostic peut être lourd (amputation
étant homéotherme – la température centrale nisme entraîne une diurèse réflexe (perte osseuse). Loin des rats et des laboratoires
doit être maintenue coûte que coûte à 37°C – d’urine) qui accentue la déshydratation de recherche fondamentale, l’Ifremmont a
il s’ensuit toute une série de mécanismes de relative. Le froid ralentit également la consumé ses premiers deniers, il y a 15 ans,
défense dont le but est de permettre aux organes vitesse de l’influx neuromusculaire. La en lançant un ambitieux travail rétrospectif
nobles de fonctionner normalement (cœur, ventilation s’accélère en hypothermie légère sur les grandes séries de gelures conservées
poumon, cerveau, foie, rein). et s’accompagne d’une baisse de la dans les archives de l’hôpital de Chamonix
compliance avec une augmentation de (plus de 1 200 cas observés en 50 ans). De
Froid et performances l’espace mort et une certaine bronchorrhée ce premier fastidieux travail, est sortie en
La première des défenses involontaires est qui aura pour effet de réduire d’autant les 2010, la toute nouvelle classification inter-
une vasoconstriction périphérique ayant capacités respiratoires. nationale qui fait référence depuis. Il publie
pour avantage de limiter les pertes ensuite, dans le New England Journal of
thermiques en réduisant le flux vasculaire Hypothermie et gelures Medicine, les résultats de ses travaux sur
périphérique. Les échanges micro-vascu- Au-delà de ses effets sur la performance, le l’iloprost, la première molécule injectable
laires assurant l’oxygénation musculaire froid, s’il devient rigoureux et dépasse les capable de réduire le risque d’amputation
s’en trouvent réduits, ce qui nuit déjà en facultés de défense de l’organisme, peut se dans les gelures sévères. Cette découverte
soi à la performance. Le deuxième effet est compliquer de deux pathologies graves que révolutionne le pronostic des gelures graves.
plastique, le froid réduisant les perfor- sont l’hypothermie et les gelures. Profitant de son laboratoire naturel à
mances élastiques de l’appareil musculo- L’hypothermie, après une courte période de l’aiguille du Midi (3 840 m) (Chamonix
ligamentaire, la rigidité s’installe, rédui- réponse active caractérisée par l’apparition Mont-Blanc Mountain LAB) et des subven-
sant la souplesse et favorisant l’apparition de frissons permanents (35°C<T<32°C), tions européennes des programmes franco-
de crampes musculaires. l’augmentation de fréquence cardio-venti- italien Resamont et e-Résamont, l’Ifremmont
Les effets surajoutés de l’hypothermie, latoire d’origine adrénergique et la produc- publie aussi son étude « Flow Pulse » en
tion de chaleur endogène 2015 pour démontrer que le caisson portable
(hormones thyroïdiennes et corti- hyperbare, qui soigne des complications du
LES GELURES SONT costéroïdes), se complique, prenant
la forme d’une hibernation avec
mal des montagnes peut aussi traiter l’hypo-
thermie et les gelures, en augmentant la
UNE RÉACTION diminution du mécanisme d’oxy-
dation cellulaire et sur le plan
température centrale, cutanée, et les flux
vasculaires distaux. On démontre dans ce
SACRIFICIELLE clinique d’un coma rigide
(28°C<T) jusqu’à l’arrêt cardio-
travail que le caisson réchauffe 3 fois : en
augmentant la pression atmosphérique, en
ENTRAÎNANT DES respiratoire (aux alentours de
24°C).
potentialisation la radiation des victimes
dans un espace clos et en activant la
LÉSIONS DONT LE Les gelures sont l’expression d’une
défense contre l’hypothermie par
vasoréactivité par thermogénèse oxydative.
La toute récente étude « VIA-GEL », quant
PRONOSTIC PEUT exagération de la vasoconstriction
périphérique. Elles sont favorisées
à elle, vient de démontrer que le sildénafil,
plus connu sous le nom de marque VIAGRA
ÊTRE LOURD par l’ouverture de shunts artério-
veineux situés au niveau des
pourrait constituer une solution chez les
montagnards gelés et bloqués en montagne.
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Pourquoi se pré-acclimater ?
Mécanismes de l’acclimatation faisant ainsi « prendre de l’avance » sur notre
Les difficultés d’acclimatation qu’un individu
Il est souvent recommandé de programmer un acclimatation future à l’occasion de notre trek
vivant à basse altitude (<1 500 m) peut rencon-
séjour de quelques jours à des altitudes >1 ou ascension tant attendu ?
trer lors d’un séjour à des altitudes supérieures
500 m avant de se lancer dans un projet en
à 2 500 m et plus encore supérieures à 3 500
haute altitude. Mais un tel séjour préalable La « dé-acclimatation »
m peuvent conduire à envisager des modes
en altitude est-il suffisant pour induire des La question de la pré-acclimatation pose de
de pré-acclimatation visant à prévenir la
adaptations physiologiques à l’altitude permet- façon conjointe la question de la « dé-accli-
survenue de symptômes de mal aigu des
tant ensuite une meilleure ascension à haute matation » : dans quelle mesure et à quelle
montagnes (MAM), voire de complications
altitude ? De plus, si certains mécanismes vitesse perd-on les mécanismes d’acclima-
plus sérieuses telles que l’œdème pulmonaire
d’adaptation à l’altitude lors de ce séjour tation que l’on a développés à un niveau d’alti-
de haute altitude ou l’œdème cérébral de haute
préalable en altitude sont induits, combien de tude donné ? Alors que les mécanismes
altitude. La question d’une pré-acclimatation
jours vont-ils perdurer, seront-ils conservés d’acclimatation à l’altitude que nous avons
peut en particulier se poser lorsque le gain en
plusieurs jours après le retour à basse altitude, développés persistent tant que nous restons à
altitude va être rapide et exposer ainsi l’indi-
délai nécessaire pour préparer ses affaires, cette altitude, une fois redescendu en plaine
vidu à un plus grand risque de développement
voyager jusqu’au pied des montagnes et ils vont disparaître en quelques jours ou
de symptômes d’intolérance à l’altitude.
atteindre des altitudes à nouveau élevées ? semaines. La cinétique précise de leur dispa-
L’acclimatation progressive à l’altitude étant
Mais que veut-on exactement induire d’un rition reste cependant incomplètement connue,
le meilleur moyen de prévenir la survenue du
point de vue physiologique lorsqu’on cherche même si certaines études scientifiques se sont
MAM, il est naturel d’envisager des exposi-
à pré-acclimater notre organisme avant un penchées sur la question. Chez des sujets
tions préalables et progressives à l’hypoxie
séjour en haute altitude ? L’idée est d’initier un ayant passé 16 jours à 4 300 m d’altitude, il
permettant à l’organisme de mettre en place les
certain nombre de mécanismes qui sont ceux a ainsi été évalué qu’après 7 jours redescendus
mécanismes sous-jacents à l’acclimatation.
qui nous permettent de nous adapter à la haute au niveau de la mer, ils conservaient encore
Alors qu’il est classiquement recommandé
altitude au cours des premières heures et jours environ 50 % de leur mécanisme d’adaptation
d’envisager une première nuit à une altitude
de présence dans les hauteurs. Il s’agit d’une ventilatoire à l’hypoxie décrit ci-dessus et ne
maximale de 2 500 m et ensuite un gain d’alti-
part d’induire une acclimatation ventilatoire se présentaient aucun symptôme de MAM lors
tude entre deux nuits de 300-600 m maximum,
caractérisant par une hyperventilation accrue d’une réexposition à 4 300 m d’altitude (Lyons
les contraintes propres à certains projets en
en réponse à la diminution de l’oxygénation et al., 1995 ; Muza et al., 1995). Une autre
altitude empêchent le respect de ces règles.
artérielle. Cette augmentation de la réponse étude a montré que des sujets ayant résidé 5
Nombreuses sont les offres commerciales de
ventilatoire à l’hypoxie va permettre d’aug- jours à 3 800 m maintenaient une acclimata-
trekking et d’ascension qui proposent des
menter l’apport en oxygène à l’organisme et tion ventilatoire jusqu’à 3 jours (mais plus à
profils d’ascension ne respectant pas ces
ainsi de réduire les effets délétères de la partir du 4e jour) après leur retour en plaine
consignes et exposent ainsi le client à la
moindre pression inspirée en oxygène propre (Sato et al. 1992). Une étude récente améri-
survenue de symptômes associés au MAM.
à l’altitude. Un autre mécanisme essentiel caine a montré qu’après 16 jours passés à 5
L’accès direct à des altitudes élevées par avion
d’acclimatation est l’augmentation de la 260 m, une rétention partielle des phéno-
ou téléphérique est également un facteur
capacité de transport de l’oxygène par notre mènes d’acclimatation était présente jusqu’à
majeur responsable de la survenue de MAM.
sang. Celle-ci est accrue dans un premier temps 21 jours après la redescente à 1 525 m : les
par une hémoconcentration (c’est-à-dire une symptômes de MAM lors d’une réexposition
diminution du volume plasmatique augmen- à 5 260 m étaient moins sévères à +21 jours,
tant la quantité de globules rouges alors que les altérations physiques (endurance
par volume de sang) puis, si l’expo- à l’effort) et cognitives (mémoire à court
sition hypoxique est suffisante (en terme) induites par ce niveau d’altitude étaient
PLUS LE TEMPS PASSÉ intensité et en temps), par la produc-
tion de globules rouges supplémen-
moindres à +7 jours mais revenaient à leur
niveau initial (avant la pré-acclimatation) à
EN ALTITUDE EST taires, responsables de la polyglo-
bulie d’altitude. D’autres
+21 jours (Subudhi et al. 2014). Ainsi, lorsque
nous résidons suffisamment de jours en haute
LONG, PLUS LA mécanismes vont être associés à une
acclimatation réussie à la haute
altitude permettant ainsi une bonne acclima-
tation, nous conservons lors du retour en plaine
RÉTENTION DES altitude, telle une moindre augmen-
tation de la pression artérielle pulmo-
certains mécanismes d’acclimatation pendant
plusieurs jours voire plusieurs semaines, cela
PHÉNOMÈNES naire, une augmentation de la contri-
bution de l’oxydation des hydrates de
en fonction du temps passé en altitude et du
niveau d’altitude. Plus le temps passé en
D’ACCLIMATATION carbone (les « sucres ») pour la
production énergétique, etc. Dans
altitude a été long et plus le niveau d’altitude
a été élevé, plus la rétention partielle des
SERA PROLONGÉE. quelle mesure une pré-acclimatation
à l’altitude peut-elle initier ces
phénomènes d’acclimatation sera prolongée
et facilitera l’acclimatation lors d’une nouvelle
mécanismes d’acclimatation, nous exposition à l’altitude.
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La première démarche est de mieux d’apporter un peu plus d’oxygène aux partir sans entraînement mais que cela
connaître les contraintes auxquelles l’alpi- muscles et au cerveau mais on ne récupé- risque d’être improductif, voire contre-
niste va être confronté : la haute altitude, le rera jamais la performance physique du productif, de forcer sur un entraînement de
froid, le vent qui aggrave les effets du froid, niveau de la mer. La question qui se pose haute intensité pendant les semaines précé-
le rayonnement solaire intense, les dangers alors est de savoir comment limiter cette dant le départ en expédition.
objectifs et subjectifs. perte de performance par une préparation
adéquate. Logiquement, on pourrait se dire QUELQUES RÈGLES POUR MIEUX GÉRER
HYPOXIE ET VO2MAX qu’il faut déjà augmenter cette VO2max L’HYPOXIE
Le danger essentiel, le plus difficile à au niveau de la mer par un entraînement Alors que faire ? Nous sommes « très
contrôler est « l’hypoxie », une baisse de la adapté associant endurance et puissance inégaux devant l’hypoxie », certains s’accli-
pression d’oxygène dans l’air inspiré : à 5 200 (interval training). Malheureusement, il a été matent vite et bien, d’autres ont besoin de
m, il reste la moitié de l’oxygène disponible clairement montré que plus notre VO2max plus de temps... souvent un facteur limitant
au niveau de la mer, à 8 848 m, il n’en reste du niveau de la mer est élevée, plus elle en expédition. Le risque est alors de
plus que le tiers. Le manque d’oxygène dans diminue en haute altitude car les poumons développer des pathologies plus ou moins
le sang va être détecté par des capteurs des athlètes d’endurance captent, paradoxa- graves : le mal aigu des montagnes (MAM),
(chémorécepteurs) situés dans les vaisseaux lement, moins bien l’oxygène que des l’œdème pulmonaire et l’œdème cérébral de
du cou et le corps va immédiatement réagir personnes sédentaires ! Par ailleurs, ils sont haute altitude. Le premier peut être très
en accélérant la respiration et le rythme plus sensibles au mal des montagnes… pas handicapant, les deux derniers mortels.
cardiaque mais cela ne va pas suffire et nos de chance ! On a d’ailleurs montré que Les études de nombreuses expéditions et
muscles ne vont plus disposer d’assez d’oxy- Reinhold Messner n’avait pas une VO2max trekkings depuis les années 80 ont permis
gène pour fournir des efforts aussi intenses très élevée à l’époque de l’Everest sans de dégager des règles précises pour la
qu’au niveau de la mer : la VO2max oxygène… et des études sur plus de cent progression et le séjour en haute altitude :
(consommation maximale d’oxygène) himalayistes ont montré que leur VO2max 1. Ne pas monter trop vite trop haut. C’est
diminue de 30 % à 4 800 m et de 75 % à 8 était certes au-dessus de la moyenne, mais la « règle des 400 m » : à partir de 3 000 m,
848 m ! n’avait rien à voir avec celle de maratho- en début de séjour, ne pas dépasser une
Après une dizaine de jours, le nombre de niens ou cyclistes de haut niveau (Richalet différence d’altitude moyenne de 400 m
globules rouges augmente permettant et al., 2015). Cela ne veut pas dire qu’il faut entre deux nuits consécutives. Suivre cette
ET LA PSYCHOLOGIE - C’est comme dans le domaine des tude plus ou moins exprimée. Durant mes
DANS TOUT ÇA ? avalanches, aux sciences fondamentales il expés, l’acclimatation se construit avec 6 ou
Quelques échanges avec Paulo Grobel, de faut ajouter le facteur humain ? 7 messages principaux, des briefings répartis
retour de la traversée de l’Himlung. - OUI exactement. Pour la partie « prise de à des moments stratégiques de changement
décision », on sait maintenant que les facteurs de milieu ou d’activité (et dès l’arrivée à
- Toi qui es souvent là-haut, que penses-tu humains, les états mentaux jouent un grand Katmandou). L’objectif est de se transformer
des avancées scientifiques en termes de rôle. En haute altitude, le cerveau est au centre en Homo Himalayus conscient et attentif aux
préparation à l’altitude ? de la problématique, il réagit aussi aux dimen- moindres détails de nos actes et implications.
- Damned, c’est assez compliqué. C’est super sions psycho cognitives. Il faut absolument Avec un objectif toujours présent : s’écono-
de faire circuler toutes les informations dispo- associer les chercheurs en psychosocial à miser. J’ai aussi des histoires qui illustrent mes
nibles sur le sujet. Pourtant, j’ai l’impression que cette recherche, pour ne pas rester sur de propos et qui font partie de la culture du
ça ne sert pas à grand-chose, que le problème simples connaissances physio. On peut faire groupe : « l’épée de Damoclès » ou « the story
est ailleurs que dans les chiffres et les l’hypothèse que si nous sommes capables of old Buffalo » pour les Népalais. J’utilise
diagrammes. de construire des conditions positives, bienveil- également des concepts issus de la marche
- J’ai un peu de mal à te suivre là… lantes, empathiques avec nous-même, nous consciente ou de la communication non
- Je voudrais juste exprimer ma propre diffi- pouvons aider notre corps à mieux vivre la violente. Et ce printemps, nous avons travaillé
culté, mon désarroi et ma fragilité en altitude. haute altitude et si possible éviter de mourir. sur la notion de BATNA (Best Alternative to
J’ai l’impression que toutes ces connaissances - Peux-tu nous dire en quelques mots ce a Negociated Agreement), une hypothèse
scientifiques ne m’aident pas beaucoup sur le que tu mets en place concrètement, dans la interprétative pour réduire la pression mentale,
terrain. Même si elles sont, encore une fois, vie du groupe, pour que l’acclimatation de ce syndrome du boulet si présent. Bref le
indispensables à connaître et à partager. C’est chacun se fasse au mieux ? sujet est immense, passionnant et surtout
d’abord l’humain qui est au centre du problème. - En fait, il faudrait écrire un article complet transdisciplinaire. Affaire à suivre donc.
On oublie peut-être un peu vite que nous sur le sujet ! En quelques mots, il y a des
sommes directement responsables de nos choses à faire avant le départ, dans une infor- Et un lien…
mal-être en altitude. Pourquoi, alors que nous mation juste, pour rassurer, aider à comprendre http://www.paulogrobel.com/acclimatation-
savons beaucoup sur le fonctionnement de les aléas, les difficultés du projet (que ce soit et-cerveau/
notre corps en altitude, n’arrive-t-on pas à un trek ou une ascension), en pensant un
prendre les bonnes décisions ? accompagnement différencié en cas d’inquié-
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2 Stade 4 momifié .
3 Stade 4.
1 2
3 Gelure de stade 4 de la main avant
3 4 ré chauffement.
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FACES NORD
POUR BONS CLIENTS UNIQUEMENT ?
Cervin, Grandes Jorasses, Eiger. Si ces trois grandes faces nord des
Alpes font rêver tous les passionnés de montagne, elles attirent aussi,
parfois, les non avertis. Entre les uns et les autres, les guides de haute
montagne se doivent de faire preuve d’un vrai discernement.
Par Jacques Tyrol
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4
Guide et client au sommet de la Verte.
© Louis Laurent
.
ME NAUDIN SUR LES TRACES
DE RÉBUFFAT
À 55 ans, Me Michel Naudin, notaire à Meximieux
jusqu’à son sommet, point culminant du sait qu’il n’ira pas au bout de l’un de ses rêves
Cervin (4 478 m). La deuxième, les Grandes déjà ancien : faire les 100 plus belles courses
Jorasses, fait 1 200 m de haut, du pied de listées par Gaston Rébuffat. « Je suis parti sur
l’éperon nord de la pointe Walker (3 010 cette idée, mais je n’arriverai jamais à la fin. De
m) jusqu’à son sommet, point culminant toute façon, certaines de ces courses sont bien
des Grandes Jorasses (4 208 m). Quant à la au-delà de mon niveau », dit-il humblement. Son
troisième et dernière, l’Eiger (3 970 m), elle approche de la montagne est très « seventies
est considérée comme la plus terrible des » en raison de son attrait pour les grandes
faces nord des Alpes : à l’avant du massif, courses, les classiques. Passionné de montagne,
face aux plateaux helvétiques, cette face de il est conscient de son niveau, ne se prend pas
1 800 m de haut… constitue le premier pour un autre : « Rébuffat, c’est la montagne
rempart des Alpes face aux perturbations que j’aime, du 4-5. On est bien. Il n’y a pas grand
atlantiques particulièrement redoutables ; monde. J’aime les grandes traversées histo-
sa paroi, concave, retient les nuages plus riques. C’est extraordinaire ! Quand je suis dans
que n’importe quel autre sommet ; cette la dernière longueur du Grépon, je pense à
même paroi, calcaire, est raide dans sa partie ceux qui l’ont faite à la fin du XIXe siècle… Mais
supérieure ; le cheminement n’y est jamais je suis incapable de faire tout ça tout seul.
évident en raison de nombreuses traversées J’aime le confort du guide pour me faire plaisir.
qui rallongent une ascension déjà très longue Je me suis tout de suite très bien entendu avec
; vue du bas, cette face paraît essentielle- Fred Degoulet. Il est jeune, malin, intelligent,
ment rocheuse, alors que de vastes névés pas bourru, très fort, ne s’énerve jamais. »
s’y accrochent. Sans compter le verglas… Ensemble, il ont devant eux un beau
Les présentations ainsi faites, il pourrait programme : aiguilles du Diable, Grandes
sembler inutile de dire aux néophytes que la Jorasses par les arêtes de Rochefort, le Couturier,
« trilogie » est un trio de courses en haute la traversée du Cervin… « Mon problème, ce
montagne très difficile, à fort engagement. sont les créneaux, le temps. Je ne suis pas prof,
Autrement dit, qu’il s’agit de courses où les moi, dit-il en riant avant de poursuivre, je n’ai
obstacles sont multiples : le niveau y est aucune limite. Je serre bien un peu les fesses
élevé, il faut tenir l’horaire, les difficultés de temps en temps parce que je n’ai aucun
pour s’assurer sont nombreuses, le rocher entraînement en escalade durant l’année. Le
n’y est pas toujours très bon, etc. Une fois mur, ça me gonfle… Mais tant que je pourrai y
embarquées, les cordées n’ont pas la possi- aller et que Degoulet voudra m’emmener…
bilité de revenir en arrière. La seule issue se Certains arrêtent à 50 ans, moi j’ai recommencé
situe… en haut. Et lorsqu’elles sont arrivées à 50 ans… J’ai vu un Suisse de 70 ans… »
en haut, au sommet, une autre course
commence : contre la fatigue, contre l’hor- selon les dépêches de l’époque encore en
loge, etc. Bref, la trilogie n’est pas faite pour ligne — pour une course qui, d’ordinaire,
monsieur Tout-le-Monde. s’effectue à la journée, surpris par des tempé-
ratures aux alentours des -20°C et des vents
ACCUMULER LES EXPÉRIENCES de près de 100 km/h, ils n’ont pas survécu.
AVANT DE VISER AUSSI HAUT Ce type de scénario catastrophe explique à
Là-haut, tout là-haut, ça peut vite tourner lui seul que les guides ne s’aventurent pas
au vinaigre. Y compris pour des guides de dans ces faces mythiques avec des débutants
« Trilogie ». Par ce seul terme, les guides de haute montagne confirmés. À l’image ou des inconnus. « Quand un guide fait la
haute montagne nomment les trois grandes d’Olivier Sourzac qui, à l’âge de 47 ans, trilogie avec un client, ce n’est jamais par
faces nord des Alpes : le Cervin dans les s’est retrouvé à la une de tous les médias, en hasard. Je l’ai déjà faite avec un client, mais
Alpes valaisannes, les Grandes Jorasses novembre 2011, en compagnie de sa cliente nous n’avons pas commencé par là. On a
dans le massif du Mont-Blanc et l’Eiger Charlotte Demetz, une alpiniste parisienne d’abord fait des courses ensemble pendant…
dans les Alpes bernoises. Trois faces expérimentée de 44 ans. Les deux alpinistes une vingtaine d’années. D’abord les
mythiques gravies pour la première fois en sont restés bloqués pendant une semaine Dolomites, puis d’autres courses connues :
1931, 1935 et 1938. Trois faces embléma- dans le massif du Mont-Blanc avant d’être Gervasutti, Frêney, etc. Le client en question
tiques que le Français Gaston Rébuffat retrouvés morts par les secouristes italiens n’aime pas s’entraîner, mais il a le niveau
(1921-1985) est le premier alpiniste à avoir à 4 050 m d’altitude, soit à peine 150 mètres pour aller là où je l’emmène », explique
affiché à son palmarès personnel, de 1945 environ sous la pointe Walker (4 208 m), le Serge Casteran, 60 ans, guide basé dans les
à 1952. La première, le Cervin, fait 1 000 m sommet des Grandes Jorasses. Partis sans Pyrénées. Depuis 35 ans qu’il réalise un
de haut, entre la rimaye du glacier du Cervin matériel de bivouac ni sacs de couchage — nombre incalculable ou presque de grandes
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QUAND LE CLIENT courses, il estime nécessaire d’appréhender dans d’autres courses difficiles telles que
GUIDE SON GUIDE ces voies extrêmement difficiles avec une l’arête de Peuterey depuis le refuge Monzino
Le 24 octobre 2013, en compagnie de Yannick philosophie adaptée : « Personnellement, ou la face nord de l’Ailefroide par le pilier des
Graziani, Stéphane Benoist, 46 ans aujourd’hui, avec mes clients, je suis dans l’accompa- Séracs, il ne plaisante pas : « Quand il y a
a réussi l’ascension de la face sud de gnement, dans le long terme. Si un client a beaucoup de dénivelé, de l’altitude, une
l’Annapurna (8 091 m). C’est dire si son de l’argent et du temps libre, il nous est recherche d’itinéraire, cela entraîne beaucoup
expérience des grandes voies est importante. possible de cheminer dans la relation. C’est de fatigue puisque les paramètres à gérer sont
Professeur à l’ENSA, il fait partie de la petite ce qui fait qu’un jour on va sûrement y aller. nombreux. Dans ce genre de courses,
centaine de guides sur les 1 200 en exercice Toute personne passionnée qui se retrouve j’emmène donc des clients que je connais ou
à faire régulièrement des grandes courses au Couvercle ne peut pas être insensible à des clients très forts. Je ne peux pas me
avec des clients : face nord des Droites, ce qu’elle voit. Quand c’est le cas, à ce permettre d’emmener des débutants ou des
Ailefroide, etc. Les gens viennent à lui par le moment-là, je peux peut-être lui dire, en inconnus. Je ne vais pas ajouter d’autres
bouche-à-oreille ou via son site Internet fonction de son niveau : « Pourquoi pas toi paramètres compliqués à gérer. En tant que
(grandes-courses-alpinisme.com). Sur celui- un jour ? » C’est une école de la patience. guide, je ne suis pas un relais ambulant.
ci, la liste des courses qu’il a réalisées — du Mon intérêt est d’amener mes clients à entrer Encore moins un surhomme… » Sa part de
massif du Mont-Blanc à l’Oisans en passant dans une telle démarche. C’est en effet une risques est donc très mesurée. Quand il
par la Suisse ou l’Italie — fait froid dans le dos. accumulation d’expériences qui ouvre ces connaît très bien une course, à l’instar de la
Sans compter ses expéditions en Inde, en portes-là », précise Serge Casteran. C’est traversée des arêtes du Diable qui implique,
Argentine ou au Pakistan… Quand il est en également le travail en amont de telles entre autres, une approche glaciaire, une
compagnie de clients, sa grande expérience courses qui semble le plus important aux pente de neige assez raide à négocier au
ne le dispense toutefois pas de se retrouver yeux de Stéphane Benoist, 46 ans, profes- départ pour attraper l’arête, Frédéric Degoulet
parfois, rarement certes, en difficulté. À ce seur à l’École nationale de ski et d’alpi- se risque ainsi à emmener des clients pas
titre, il se souvient encore d’une expérience nisme (ENSA), à Chamonix : « On est forcément très forts techniquement s’il sait
vécue en 2012 dans la face nord des Grandes comme des chasseurs sur leur gibier ! Tout que physiquement ils ont le potentiel.
Jorasses où c’est son client qui l’a « sorti l’enjeu est d’y aller au bon moment. Pas Pourquoi ? « Parce que dans ces conditions,
d’affaire » : « J’étais engagé dans cette face trop tôt, mais pas trop tard. C’est pour ça que je sais qu’on va perdre du temps, mais que ça
avec un client d’un très bon niveau. À la fin, je tout ce qui précède la course est capital : va passer. On ira au-delà de l’horaire du topo
n’arrivais pas à trouver la sortie sous le sommet, identifier les dangers particuliers, les qui se situe entre 12 et 14 heures, mais ça
dans la tempête, de nuit. Or on avait décidé contraintes ; jauger le niveau technique, passera en partant très tôt. » S’il peut donc lui
de ne pas refaire un bivouac à cause du vent… physique et mental de son client, etc. Avec arriver de prendre des risques, mesurés, c’est
Finalement, c’est lui qui, entre deux mes clients, je fais toujours en sorte de également pour partir à la découverte des
bourrasques, a trouvé la bonne piste. Là où je fonctionner de façon « contractuelle ». Alpes qu’il est encore loin d’avoir profon-
ne voulais pas aller, c’était bien entendu là où Quand on a une idée de course ensemble, on dément explorées : « Avec des clients qui ont
il fallait passer… Mais mon topoguide était en construit un projet, avec des objectifs inter- un bon niveau, j’en profite. » Ainsi, quand il
lambeaux, tandis que le sien était en bon état. médiaires, pour vivre une belle aventure. » prend des risques, c’est parce qu’il est en
» Une autre façon de dire qu’emmener un Habitué aux grandes hauteurs, Stéphane compagnie soit de vrais amateurs qui se
client dans une voie bien au-delà de son niveau Benoist sait qu’il doit pouvoir compter sur plaisent à collectionner les grandes courses
présente un grand danger. un client aguerri une fois engagé (Lire (lire Me Naudin sur les traces de Rébuffat),
Quand le client guide son guide). Sa soit de personnes très douées qui auraient
connaissance de la montagne est telle qu’il elles-mêmes pu, selon lui, devenir guides : «
sait pertinemment qu’à 4 000 m d’altitude Ce sont des personnes qui, souvent, ont fait
et plus il va parfois falloir adopter une beaucoup de montagne. Parfois, elles
LES logique de compromis entre le temps et la connaissent même mieux que moi de
sécurité : « On ne peut pas toujours assurer nombreuses courses. Elles ont donc une vraie
CONTRAINTES ; une sécurité optimale selon les canons de culture de la haute montagne. » C’est pour
l’ENSA. On est donc amené à faire de éviter toutes les galères qui pourraient
JAUGER LE petites entorses à certaines règles car, s’avérer redoutables avec des clients que
parfois, il y a d’autres enjeux plus importants Louis Laurent, 37 ans, n’effectue des grandes
NIVEAU que la sécurité : tempête, etc. Il faut donc être courses qu’en compagnie de son ami guide
accompagné de clients en capacité de mettre Julien Héry (lire Deux guides pour le prix
TECHNIQUE, de la fluidité dans leur ascension. » d’un). Il lui suffit d’évoquer un souvenir
personnel dans les Grandes Jorasses, avec
PHYSIQUE PRENDRE DES RISQUES TRÈS MESURÉS une cliente très compétente, pour justifier la
Jeune guide de 35 ans, diplômé en 2011, pertinence de ce choix : « Malgré un horaire
ET MENTAL DE Frédéric Degoulet s’inscrit déjà dans une correct, on a pris un orage sévère. Seul, avec
telle culture de la montagne. Membre de la ma fatigue et celle de ma cliente, je pense
SON CLIENT compagnie des guides de Chamonix, quand que ça aurait mal fini. À deux guides, on a fait
il se lance avec des clients, que ce soit dans un choix pertinent à minuit alors qu’on était
l’une des trois faces de la trilogie alpine ou partis… 25 heures plus tôt. En bas du
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Un client heureux au sommet des Drus.
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LES MARQUES
MONTAGNE
LAVENT PLUS VERT QUE VERT
Des vêtements de montagne éco-conçus, durables et faciles à
recycler. Voilà la promesse faite aux consommateurs par nombre
de fabricants. Mais derrière le message marketing, relayé
notamment au travers d’événements bien rodés, comment les
marques outdoor s’engagent-elles réellement sur la voie d’une
production plus verte ?
Par Sandy Plas
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imperméables, explique Mirjam Kopp, en qui publiait jusqu’en 2012 l’Éco-guide du D’autres marques se sont également engagées
charge à l’international de la campagne matériel de montagne. Elle a été vécue ces dernières années dans l’élimination des
Detox chez Greenpeace. Sur tous les comme un bouleversement. Les marques PFC de leurs produits. Parmi elles, les marques
produits testés, des vestes aux chaussures, se sont dit qu’elles devaient agir. » du groupe Lafuma, qui rassemble également
en passant par les tentes, les sacs à dos ou Un choc émotionnel qui semble avoir Eider et Millet. « Il fallait qu’on prenne le
les sacs de couchage, 90 % contenaient abouti, cinq ans après, à certains engage- virage, explique Pierre Desmottes,
alors des PFC. » Des PFC qui sont pointés ments de la part des fabricants. En atteste Communication Projects Manager chez Eider.
du doigt par l’ONG pour leur impact sur l’annonce réalisée en janvier 2017 par le Nous essayons aujourd’hui de tendre vers plus
l’environnement : « Une fois relâchés dans géant Gore Fabrics, leader en matière de d’éco-conception. » Outre l’élimination des
l’environnement, les PFC disparaissent très produits imperméables avec sa marque PFC, annoncée à l’horizon 2020, les trois
lentement. Il faut des centaines d’années Gore-Tex et qui a annoncé l’arrêt total de marques du groupe ont mis en place une charte
pour qu’ils soient éliminés. Certains ont l’utilisation des PCF dans ses produits d’ici interne « Low Impact », garantissant aux
été retrouvés dans des lacs de montagne, 2020. « L’engagement de Gore-Tex est consommateurs, des produits conçus avec des
et même dans l’organisme de certains ours fondamental, car si un des leaders du matières plus respectueuses de l’environne-
polaires en Arctique », poursuit-elle. Selon marché bouge sur ces sujets, les autres ment et qui se recyclent facilement. La charte
les études menées par Greenpeace, certains suivront », observe Benjamin Marias, s’appuie notamment sur l’utilisation de matières
PFC pourraient également avoir des consé- fondateur de l’Agence Innovation labellisées Bluesign, un label indépendant qui
quences sur le système hormonal et Responsable (AIR), qui accompagne des existe depuis 2000 et qui s’appuie sur cinq
favoriser le développement de tumeurs. Le acteurs du sport, du tourisme et du textile critères principaux : la sécurité du consom-
rapport « Chemistry for any weather » (Des (parmi lesquels Millet, Eider, Salomon, mateur, la limitation des émissions atmosphé-
produits chimiques pour tous les temps) Rossignol, Quiksilver ou Picture) dans une riques, ainsi que de la pollution des eaux,
vise en particulier la filière outdoor, en démarche de transition environnementale. l’hygiène et la sécurité professionnelle et la
épinglant plusieurs marques, pour leur utili- Un avis partagé par Mirjam Kopp de productivité des ressources. Des produits plus
sation des PFC. Parmi elles, The North Greenpeace : « Si Gore Fabrics va jusqu’au durables, qui ne concernent cependant qu’une
Face, Patagonia, Jack Wolfskin, Mammut bout des engagements annoncés, pour partie des collections. Chez Lafuma, sur 24
et Vaude. « La campagne de Greenpeace a éliminer les PFC, cela pourrait potentiel- vestes homme proposées sur le site, seules 4
été à l’origine d’un choc émotionnel pour lement être un moteur pour le secteur proposaient le label, quand Eider et Millet
la filière, observe Camille Rey-Gorrez, outdoor, étant donné qu’il s’agit d’un acteur proposaient environ la moitié de produits certi-
directrice de l’association Mountain Riders, majeur de la filière. » fiés sur leur gamme de vestes homme.
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ARC’TERYX CIERZO
Un sac poids plume, au profil tubulaire, sans rabat, dont le
minimalisme est le maître-mot. Sangle porte-corde sur le
dessus. Ouverture pour tube de poche à eau et crochet
d’attache mais sans poche dédiée à l’intérieur. De la
cordelette est utilisée pour la compression du sac et sert
aussi de porte-piolet. La sangle ventrale est réduite à une
sangle plutôt étroite que l’on peut d’ailleurs retirer pour
gagner un peu de poids. Elle n’est de toute façon là que
pour équilibrer le sac sur le dos mais n’est pas très
confortable. Les bretelles sont dans ce même esprit : très
fine, et donc légères, elles assureront le portage pendant
quelques heures mais il ne faudra pas espérer trop de
confort, idem dans le dos puisque ce dernier ne dispose
d’aucun rembourrage ni de protection. Gaffe si le sac est
rempli avec le rack pour une bonne journée de fissure.
80 €
POIDS : 370 G
Litrage : 18 l
Matériaux : nylon 6,6 210 deniers à armure toile
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408G
85 €
Litrage : 20 l
Matériaux : Dynex 210 deniers
49 € POIDS : 360 G
Litrage : 18 l
Matériaux : nylon CORDURA 420
deniers rip-stop avec enduit
polyuréthane et finition déperlante
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POIDS : 615G 99 €
Litrage : 18 l
Matériaux : nylon 210 deniers Robic dotted line
OSPREY MUTANT
Avec ses 28 l, ce sac se situe dans la tranche haute de
notre test. Un plus gros litrage certes, mais une taille et un
encombrement limités et dans la veine des autres
modèles. Ce mutant est donc bien plus lourd que les autres
et joue la carte de la robustesse et de l’équipement avec
notamment une armature de dos (amovible) avec plaque
PEHD et tige d’aluminium, des porte-piolets en métal
(Toollock), des porte-skis, une sangle ventrale confortable
ou encore un filet spécial pour casque. Solide et très bien
équipé, c’est le sac tout-terrain pour grimpeurs chargés.
THULE CAPESTONE
Ce modèle, plutôt destiné à la randonnée, conviendra pour les
escalades dont la marche d’approche longue nécessite un portage
confortable. Les tiges métalliques et la plaque qui structurent le
dos, associées à un filet mesh tendu, apportent un confort et une
aération au-dessus des autres modèles de cette présentation,
même si l’ensemble alourdit fortement la bête. Idem pour les
bretelles et la sangle ventrale, rembourrées et aérées. Pour le reste,
c’est assez simple : espace pour poche à eau, porte-bâton latéral
amovible (sur la ceinture ventrale) housse pare-pluie amovible
également. Un sac pour ceux qui misent sur le confort.
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©Philippe Poulet
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PROCHAIN NUMÉRO
Escalade dans les
gorges de Crossey
PAYS VOIRONNAIS
AU PORTE DE MONTAGNES MAGAZINE
LA CHARTREUSE INCORPORANT ALPINISME ET RANDONNÉE
3, rue Paul-Valérien-Perrin, 38 170 Seyssinet-Pariset, France.
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implique l’accord de leur auteur pour leur libre publication. Dépôt légal juillet 2017. ISSN : 0184-2595. Impression : Rotolito
ATTENTION ÇA GLISSE Ce numéro comporte un encart abonnement broché uniquement destiné à la vente au numéro.
Jupiter 550 silk : Provenance : Italie - Certification : 100%PEFC - % papier recyclé : 0% - Ptot : 0.006 kg /T
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