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La coopération

territoriale
en Europe
Une perspective historique

Politique
régionale
et urbaine
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La rédaction de la présente publication a été finalisée en juin 2015 et a été coordonnée par la direction générale de la politique régionale
et urbaine de la Commission européenne.

De plus amples informations sur l’Union européenne sont disponibles sur l’Internet
via le serveur Europa (http://europa.eu).

Luxembourg: Office des publications de l’Union européenne, 2015

ISBN 978-92-79-49500-7
doi:10.2776/715158

© Union européenne, 2015


Reproduction autorisée moyennant mention de la source.

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de coopération transfrontalière entre la Hongrie et la Croatie, p. 159 © Commission européenne

Le contenu de la présente publication ne reflète pas nécessairement la position ou l’opinion de la Commission européenne.
La coopération
territoriale
en Europe
Une perspective historique
par Birte Wassenberg et Bernard Reitel,
en coopération avec Jean Peyrony et Jean Rubió

2015
Préface

I NVTARNOT DPURCOT PI O
A O NS G
■É N

3É R A L E ■ 3
CORINA CREŢU
Commissaire européenne
en charge de la politique régionale

L’année 2015 marque le 25e anniversaire d’Interreg, l’instrument de transfrontalière: c’est ainsi que le Groupement européen de coopé-
l’Union européenne pour promouvoir la coopération transfrontalière, ration territoriale a vu le jour en 2006, pour permettre aux autorités
transnationale et interrégionale. publiques de part et d’autre des frontières de créer des organismes
juridiques conjoints pour fournir des services spécifiques ou mettre
Interreg en tant qu’instrument financier a été introduit en 1990, princi- en œuvre des projets de coopération.
palement pour compenser l’introduction du marché unique et atténuer
son impact sur les régions frontalières qui, de l’avis de tous, souffriraient En tant que nouvelle Commissaire en charge de la politique régionale,
le plus de l’abolition des frontières économiques. Depuis lors, d’impor- je m’emploie à explorer les améliorations possibles pour les com­
tants progrès ont été accomplis par la communauté Interreg. munautés frontalières à travers l’Europe. En effet, les citoyens et
entreprises de ces régions doivent encore parfois faire face à des com-
Toutefois, l’histoire de la coopération transfrontalière européenne plications inutiles lorsqu’ils entreprennent des activités transfronta-
remonte encore plus loin. En effet, au lendemain de la Deuxième lières. Les obstacles, souvent de nature juridique ou administrative,
guerre mondiale, la coopération institutionnelle est née aux fron- sont encore nombreux, grevant ultérieurement les activités transfron-
tières entre les Pays-Bas et l’Allemagne ou entre la France, le talières. C’est pourquoi je vais utiliser mon mandat pour faire le point
Luxembourg et l’Allemagne. Les premiers promoteurs de ces initia- sur cette situation et formuler des propositions concrètes.
tives avaient saisi toute l’importance de la réconciliation et, ensuite,
de l’instauration de la confiance mutuelle pour une Europe pacifique La présente publication est la solution choisie par la Commission
et prospère. Leur concept «d’eurorégion» a porté ses fruits. Fortes des européenne pour rendre hommage à toutes les personnes vision-
dispositions juridiques adoptées par le Conseil de l’Europe, les auto- naires qui, au fil des ans, ont compris que la collaboration transfron-
rités locales et régionales eurent la possibilité de travailler de talière nous rend plus forts. Je souhaite féliciter chaleureusement
manière autonome par-delà les frontières. tous ceux qui, avec Interreg ou à travers d’autres initiatives et pro-
jets, ont contribué à créer une Europe plus unie, où les différences
L’Union européenne a, elle aussi, su mesurer l’importance de la coo- sont respectées et la diversité constitue un atout.
pération territoriale. Les initiatives novatrices prises dans les années
80 ont permis de développer un véritable instrument de coopération Joyeux anniversaire, Interreg!
transfrontalière. L’Europe ne s’est plus arrêtée depuis. Aujourd’hui,
nous sommes dans la cinquième phase d’Interreg, et nous pouvons
nous réjouir des nombreux accomplissements réalisés. L’Union euro-
péenne a également consolidé le cadre juridique de la coopération
Table des matières

• Préface 3

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 5
• Table des matières 5
• Avant-propos 6
• Introduction générale 8

1 L’Union européenne et ses politiques de coopération


aux frontières internes et externes
1.1 Les regroupements régionaux en Europe: des espaces aux géométries variables 20
1.2  Les forums de coopération et communautés de travail transfrontaliers 24
1.3  Les programmes INTERREG (1990-2020): de la coopération transfrontalière
de proximité aux coopérations multivariées 30
1.4 Les stratégies macrorégionales et maritimes 42
1.5 La coopération aux frontières externes de l’Union 48
1.6  La coopération transfrontalière et transnationale dans les régions ultrapériphériques 56
1.7 Le GECT, un outil juridique pour la coopération territoriale 62

2 
La coopération territoriale aux frontières
des pays de l’Union européenne
2.1 L’Allemagne 74
2.2 Les pays du Benelux: la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas 80
2.3 La France 86
2.4 Le Danemark, la Suède et la Finlande 92
2.5 La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie 100
2.6 Le Royaume-Uni et l’Irlande 108
2.7 L’Autriche et la Hongrie 114
2.8 La République tchèque et la Slovaquie 120
2.9 La Pologne 126
2.10 La Roumanie et la Bulgarie 132
2.11 L’Italie et Malte 138
2.12 L’Espagne et le Portugal 144
2.13 La Grèce et Chypre 148
2.14 La Slovénie et la Croatie 152

• Conclusion générale 158


• Bibliographie 164
• Les auteurs 171
Avant-propos

collectivités situées de part et d’autre d’une frontière, dans des ter-


ritoires adjacents. La coopération territoriale s’est développée au
cours des 25 dernières années, du fait de l’intensification de la coo-
pération transfrontalière, des élargissements successifs et de la
dévaluation des frontières au sein de l’UE. Au niveau scientifique,
l’étude de ces relations entre voisins qui s’établissent après la
Deuxième Guerre mondiale, de part et d’autre des frontières en
Europe, reste, jusqu’à ce jour, relativement rare.
■ ■ ■
BIRTE WASSENBERG, BERNARD REITEL, JEAN PEYRONY, Si, à partir des années 1970, plusieurs disciplines scientifiques se
professeure en histoire professeur en géographie, directeur général de la
sont intéressées à la coopération territoriale, c’est souvent dans une
contemporaine, Université d’Artois Mission opérationnelle
Université de Strasbourg transfrontalière perspective d’étude de cas spécifique, en examinant une région
transfrontalière prise isolément, sans établir nécessairement un lien
avec le processus d’intégration européenne, et sans proposer de
perspectives de comparaison avec d’autres espaces transfrontaliers.
Certes, ce domaine de recherche est complexe: chaque coopération
territoriale en Europe est a priori unique et dépend du contexte his-
torique, économique, politique et social des territoires concernés, et
des relations entre les acteurs en place. Mais, en même temps,
La coopération territoriale est une politique qui s’est formalisée rela- l’étude des manières dans lesquelles ces espaces s’articulent et coo-
tivement récemment, dans la construction européenne. La coopéra- pèrent, aux échelles locales et régionales, est nécessaire afin de pou-
tion territoriale caractérise les partenariats établis entre des voir comprendre les logiques qui conduisent au renforcement de
collectivités régionales ou locales d’un État européen, avec des l’intégration en Europe. La coopération territoriale est, en fait, un outil
­c ollectivités de niveau équivalent d’un ou de plusieurs autres essentiel pour comprendre que l’objectif ne se résume pas à coopé-
États européens, en vue de développer des initiatives conjointes rer avec son ou ses voisin-s. En cherchant, à la fois, à répondre à des
et de répondre à des problèmes considérés comme similaires. besoins sociaux, à faciliter et à améliorer la vie quotidienne des
Depuis 2007, la coopération territoriale est devenue un des objec- citoyens, à résoudre des problèmes qui proviennent de l’existence de
tifs de la politique régionale de l’Union européenne (UE), ce qui sou- différentiels entre les territoires nationaux (systèmes juridiques et
ligne l’importance accordée aux relations entre les acteurs pratiques culturelles), et à développer des régions attractives et com-
territoriaux, de part et d’autres des frontières des États. Ce glisse- pétitives, les acteurs publics inventent des dispositifs communs, qui
ment sémantique de coopération transfrontalière à coopération dépassent les frontières nationales. En cela, la coopération territoriale
­territoriale souligne aussi la complexification des relations et le fait est une pierre angulaire d’une Europe unie et proche du citoyen, un
que l’UE conçoit les partenariats à différentes échelles, à la fois, objectif prioritaire pour réussir l’avenir de l’UE.
dans la proximité géographique, à travers l’existence de réseaux, et
sur des espaces transnationaux de tailles variées. Nous utiliserons, Cet ouvrage poursuit principalement deux objectifs. Premièrement,
plus particulièrement, l’expression «coopération transfrontalière» il cherche à fournir une clé de compréhension pour appréhender la
pour qualifier des relations de proximité (à faible distance), entre des complexité, la richesse et la diversité de l’ensemble des coopérations
territoriales en Europe, et pour illustrer leur rôle dans le processus à l’échelle européenne (au sens des 28 États membres de l’UE et des

AVANT-PROPOS ■ 7
d’intégration européenne. Depuis 25 ans, l’UE accompagne ces coo- 47 États membres du Conseil de l’Europe) de ce thème de la coopéra-
pérations, en les soutenant avec des moyens, à la fois, financiers, tion transfrontalière. En effet, il n’existe pas d’outil de travail qui per-
techniques et humains. Elle contribue ainsi à créer un lien entre ces mette, tant aux acteurs qu’aux chercheurs, de trouver des informations
régions transfrontalières, leur dynamique d’intégration régionale et claires sur la terminologie et les aspects théoriques, ou d’avoir une des-
le processus d’intégration européenne à l’échelle communautaire. cription succincte sur des régions transfrontalières en Europe. L’idée est,
Grâce à cette brochure, le lien entre l’histoire de l’UE et les «micro­ par conséquent, d’éditer un dictionnaire analytique de la coopération
histoires», celles des territoires aux échelles locale et régionale de la transfrontalière en Europe, à l’instar des dictionnaires qui ont récem-
coopération territoriale en Europe, devient compréhensible et lisible. ment été publiés sur l’UE. Ce dictionnaire comportera deux parties dis-
L’articulation entre l’émergence de régions transfrontalières et la tinctes: une première partie, théorique et conceptuelle, sera consacrée
politique régionale européenne, ainsi que leurs influences mutuelles, à la terminologie et aux outils de la coopération transfrontalière et une
depuis la mise en place du programme Interreg en 1990, seront deuxième partie, géographique, présentera un répertoire des régions
illustrées de manière systématique, à l’échelle de l’UE, à l’aide de transfrontalières européennes de l’UE. Le projet sera dirigé par Birte
cartes géographiques accompagnées d’articles explicatifs. Wassenberg, p­ rofesseure en histoire contemporaine à l’Institut d’études
politiques (IEP) de Strasbourg, en coopération avec Bernard Reitel,
Deuxièmement, l’ouvrage s’intègre dans un projet plus large d’élabora- ­professeur en géographie à l’Université d’Artois, et sera réalisé dans le
tion d’un dictionnaire critique sur la coopération transfrontalière en cadre du réseau Transborder European Institute Network (TEIN) qui,
Europe. Ce projet résulte d’un cycle de recherche que le centre des his- piloté par l’Euro-Institut de Kehl, regroupe 12 organismes de formation
toriens Frontières, acteurs et représentations d’Europe (FARE) de l’Uni- et universités européens, et qui a pour but de constituer des ressources
versité de Strasbourg, devenu le centre Raymond Poidevin (unité mixte de formation sur les questions transfrontalières à l’échelle de l’UE, en
de recherche (UMR) Dynamiques européennes) en 2014, et l’Euro-Ins- partenariat avec l’Association des régions frontalières d’Europe (ARFE)
titut Kehl ont réalisé entre 2008 et 2010. Six ouvrages intitulés «Vivre et la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT).
et penser la coopération transfrontalière», parus entre 2009 et 2014,
chez l’éditeur Steiner, à Stuttgart (1), ont été publiés à partir des confé- La présente publication, sur les 25 ans de coopération territoriale en
rences de ce cycle. Ce travail a permis d’identifier une importante Europe, est le fruit d’un travail collectif entre trois partenaires, deux
lacune: malgré les expertises réalisées, par de nombreux chercheurs, chercheurs (Birte Wassenberg et Bernard Reitel) et la MOT à travers
sur des régions transfrontalières, il manque une approche généralisée son directeur, Jean Peyrony, et son géographe-cartographe, Jean
Rubio. Par ailleurs, la recherche documentaire a été effectuée par
Anna Quadflieg, une doctorante de Birte Wassenberg. Cet ouvrage
1 Birte Wassenberg (dir.), Vivre et penser la coopération transfrontalière (volume 1): sera considéré comme une base fondamentale de la réalisation de
les régions frontalières françaises, Stuttgart, Steiner Verlag, 2009; Birte ce dictionnaire. Un grand merci est adressé à Nathalie Verschelde
Wassenberg, Joachim Beck (dir.), Grenzüberschreitende Zusammenarbeit leben
und erforschen (Band 2): Governance in deutschen Grenzregionen, Stuttgart, à la DG Politique régionale et urbaine, qui a rendu cette coopération
Steiner Verlag, 2011; Living and researching cross-border cooperation (volume 3): possible, par son dynamisme, son esprit d’innovation et son ouver-
the European dimension, Stuttgart, Steiner Verlag, 2011; Vivre et penser la
coopération transfrontalière (volume 4): les régions frontalières sensibles, ture au monde universitaire.
Stuttgart, Steiner Verlag, 2011; Grenzüberschreitende Zusammenarbeit leben
und erforschen (Band 5): Integration und (trans-) regionale Identitäten, Stuttgart,
Steiner Verlag, 2013; Vivre et penser la coopération transfrontalière (volume 6):
vers une cohésion territoriale?, Stuttgart, Steiner Verlag, 2014 (sous presse).
Introduction générale

Les premières formes de coopération transfrontalière qui s’éta- différences juridiques, politiques, économiques ou culturelles (2).
blissent entre des régions européennes limitrophes, séparées par Le terme coopération ne pose, en soi, pas de problèmes, étant défini
une frontière nationale, se développent progressivement, à partir de comme «l’action de participer à une œuvre commune» (3). Les analystes
la fin des années 1950. Parmi les régions pionnières, figurent, par distinguent pourtant diverses formes d’application de la coopération
exemple, l’espace germano-néerlandais, dénommé l’Euregio, transfrontalière: la concertation, l’harmonisation ou l’inté­gration. La
à Gronau, et créé en 1958, l’espace franco-germano-suisse du Rhin coopération indique ainsi, non seulement, les activités communes
supérieur, dont les débuts remontent à la création de la Regio mais, également, tous les mécanismes de concertation formels et
Basiliensis, à Bâle, en 1963, ou l’espace franco-germano-luxembour- informels entre les acteurs frontaliers. L’adjectif transfrontalier,
geois, appelé SarLorLux, depuis 1968. Le point de départ de cette quant à lui, traduit la traversée, le passage de la f­ rontière: il s’ap-
coopération coïncide incontestablement avec la création du marché plique a priori à tout mouvement ou toute relation, à travers une
commun des six, en 1957, et s’insère également dans la période limite politique entre deux États. La notion de transfrontalier est liée
de la réconciliation franco-allemande, couronnée par la signature à celle de proximité: les relations transfrontalières s’établissent entre
du traité de l’Élysée, en 1963 (1). des unités spatiales appartenant à deux régions voisines, séparées
par une limite nationale (4). Enfin, le terme coo­pération transfronta-
Toutefois, ces forums de coopération et communautés de travail lière n’a été officiellement retenu qu’en 1980, par la Convention-
transfrontaliers ont vu le jour indépendamment de la construction cadre du Conseil de l’Europe pour la coopération transfrontalière,
européenne, qui se développe au niveau interétatique, et des évolu- parmi toute une palette d’autres notions, telles que la coopération
tions des relations bilatérales. La coopération transfrontalière est un entre régions frontalières ou la concertation suprafrontalière (5).
partenariat entre des acteurs locaux ou régionaux, séparés par une
frontière d’État et dont les actions ont des répercussions aux échelles La frontière est au cœur de l’objectif de la coopération: il s’agit
régionales et locales, de part et d’autre de cette frontière. Elle entre de relativiser, de surmonter ou d’affaiblir la frontière, sur le plan
dans le cadre des relations internationales mais implique des acteurs matériel, fonctionnel et symbolique (6). Trois dimensions de la fron-
locaux et régionaux, géographiquement proches, avec l’accord expli- tière sont particulièrement importantes pour comprendre la coopé-
cite ou implicite des États. La coopération transfrontalière peut donc ration transfrontalière: la dimension politique, bien évidemment,
être envisagée comme une manière de recréer de la proximité, alors à laquelle s’ajoutent la dimension culturelle et le caractère phy-
que la frontière apparaît habituellement comme un dispositif de sique (frontière naturelle).
séparation et de mise à distance.

En tant que limite de souveraineté, la frontière introduit une diffi-


culté particulière à une coopération. Plusieurs définitions, correspon- 2 ANDERSON, M., BORT, E., The frontiers of the European Union, Chippenham,
Palgrave, 2001, p. 13.
dant à des conceptions divergentes, sont proposées mais, de
3 LEVRAT, N., Le droit applicable aux accords de coopération transfrontalière
manière générale, ces dernières convergent vers l’idée que la fron- entre collectivités publiques infra-étatiques, Genève, Paris, PUF, 1994, p. 2.
tière constitue un objet de séparation, qui révèle l’existence de 4 REITEL, B., Une première approche des dynamiques urbaines dans le Rhin
supérieur, Strasbourg, 1996, p. 201.
5 Conseil de l’Europe, Convention-cadre pour la coopération transfrontalière,
1 WASSENBERG, B., Vers une eurorégion? La coopération transfrontalière Madrid, 1980.
franco-germano-suisse dans l’espace du Rhin supérieur de 1975 à 2000, 6 RATTI, R. & REICHMAN, S. (Ed.), Theory and practice of transborder cooperation,
Bruxelles, Peter Lang, 2007. Basel, Helbing & Lichtenhahn, 1993, p. 241.
Les frontières politiques séparent les territoires de différentes Contrairement aux frontières politiques que nous venons de décrire,

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 9
­collectivités publiques nationales: elles sont, pour la plupart, définies les frontières culturelles, dites parfois normatives, sont fluctuantes
de manière précise, par convention, et matérialisées par des bornes et relèvent souvent plus de la transition et du gradient que de la déli-
(démarcations). Ces frontières nationales délimitent des États-nations mitation (10). La définition de la frontière normative tient compte de
qui, depuis le XIXe siècle, sont considérés comme des entités où l’ex- son aspect d’outil: «la frontière est un instrument géographique
clusivité du pouvoir de l’État sur un territoire est légitimée par l’exis- de différenciation et, par conséquent, en fin de compte, d’organisa-
tence d’une population identifiée. L’ordre international repose ainsi sur tion de l’espace» (11). Les frontières culturelles correspondent à des
ce triptyque: un État, une nation, un territoire (7). Le territoire national limites d’influence culturelle, qui peuvent varier dans le temps. Ainsi,
est divisé en collectivités publiques emboîtées et hiérarchisées, et qui la frontière linguistique est caractérisée par une isoglosse, une limite
disposent chacune de compétences distinctes (8). La frontière politique qui sépare deux aires où sont parlées deux langues considérées
délimite, non seulement, des territoires mais aussi, des systèmes politi- comme différentes. Ceci suppose que chaque langue possède une
co-administratifs, chacun caractérisés par une organisation spécifique homogénéité et que la rupture entre les langues est brutale, ce qui
du pouvoir et une répartition originale des compétences indiquant impli- est loin d’être le cas. Les langues sont marquées par l’existence de
citement le champ d’exercice de la souveraineté nationale. Les diffé- continuums ou par des transitions. Les États ont, cependant, essayé
rentes composantes du territoire national sont imprégnées de ces d’ajuster la frontière linguistique (et culturelle) à la frontière poli-
logiques (9); c’est ce qui rend la coopération transfrontalière particulière- tique, sans y parvenir totalement (12). Par ailleurs, les frontières poli-
ment délicate. Par ailleurs, il est nécessaire de connaître l’histoire de la tiques délimitent des institutions caractérisées par l’existence de
construction de la frontière afin de comprendre certains antagonismes. normes, de règles, de logiques et de pratiques. Ainsi, la Suisse pré-
Certains États se sont édifiés en opposition à un État voisin: la frontière sente un cas tout à fait original: en dépit de la diversité linguistique
est alors assimilée à l’idée de tensions et de pressions. Cela est d’autant du pays, la population vit dans un État fédéral, caractérisé par l’exis-
plus le cas lorsqu’une guerre a eu lieu entre des États voisins. La tra- tence d’une démocratie directe et l’importance accordée aux réfé-
versée de la frontière nationale est, pour beaucoup, le voyage dans un rendums et à l’autonomie locale. Les Suisses se distinguent ainsi des
pays qui a été l’ennemi pendant la guerre, ce qui fait resurgir des sou- populations des États voisins, avec lesquelles ils partagent souvent
venirs de blessures et de destruction. Longtemps après la fin une langue commune. En définitive, la superposition d’une frontière
des conflits, la mémoire de la frontière vive demeure, surtout auprès politique et d’une frontière culturelle est aussi profondément liée aux
des anciennes générations. La présence de ces frontières politiques relations entretenues avec le territoire national limitrophe. Dans cer-
rend ainsi difficile l’émergence d’un espace commun intégré. Pour tains cas, la distanciation est renforcée par un discours qui exacerbe
les défenseurs de la coopération, il s’agit surtout de faciliter le dia- les différences, alors que, dans un contexte global, la proximité cultu-
logue entre les acteurs et de rendre ces frontières perméables, sans relle semble bien plus évidente. La coopération transfrontalière n’a
pour autant les supprimer. pas pour objectif d’abolir les frontières administratives ou culturelles.
Elle exerce plutôt une fonction d’apprentissage et d’articulation:
entreprendre une démarche d’interculturalité est souvent nécessaire.

7 TAYLOR, P., The state as container: territoriality in the modern world-system,


dans: Progress in Human Geography, 18, 2, 1994, pp. 151-162. 10 BROMBERGER, C., MOREL, A. (dir.), Limites floues, frontières vives, Paris, Éditions
8 ANTE, U., Politische Geographie, Braunschweig, 1981, pp. 62-65. de la Maison des Sciences de l’Homme, 2000, p. 5.

9 RICQ, C., Manuel de coopération transfrontalière en Europe, Strasbourg, 11 GUICHONNET, P., RAFFESTIN, C., Géographie des frontières, Paris, 1974, PUF, p. 7.
Conseil de l’Europe, 2006, p. 9. 12 SIGUAN, M., L’Europe des langues, Bruxelles, Mardaga, 1996.
10 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Douanes à la frontière entre


la Belgique et la France (1980)

Elle consiste à apprendre davantage sur le système de l’autre: place de moyens techniques, qui, non seulement, sont coûteux mais
comprendre la langue du voisin et son organisation politique et requièrent des accords élaborés, à partir de délicates négociations:
administrative. construction de ponts, de tunnels, etc. La frontière naturelle consti-
tue un obstacle qui peut entraver la coopération mais elle peut, le
Les frontières naturelles, enfin, sont des frontières qui ont été ins- cas échéant, être source de partenariat entre des États qui expriment
taurées par les États sur des barrières physiques, ce qui augmente leur volonté de renforcer leurs relations et de réaliser des projets
l’impression de séparation et de mise à distance, à la fois, réelle et communs.
symbolique, comme, par exemple, des montagnes ou des fleuves (13).
Ces éléments naturels nécessitent, pour être franchis, la mise en L’instauration de la frontière politique a incité les États à développer
une politique de «congruence» qui vise à articuler toutes les différen-
ciations – qu’elles soient culturelles, juridiques ou économiques –
13 LAPRADELLE, P., La frontière, Paris, Éditions internationales, 1928, p. 175. autour d’une seule délimitation. Chaque État édifie ainsi un «système
La priorité de la coopération transfrontalière est l’affaiblissement ou

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 11
l’abolition des effets négatifs créés par les frontières. En effet, mal-
gré les destructions physiques et psychologiques causées par la
Deuxième Guerre mondiale, les changements politiques et écono-
miques, et les recompositions territoriales, les frontières font partie
du quotidien de nombreux habitants, qui ne peuvent les ignorer.
Franchir la frontière reste un acte obligatoire pour la population
locale de nombreuses régions frontalières en Europe. Les différences
existant entre les systèmes nationaux offrent de nombreuses oppor-
tunités et ces dernières sont d’autant plus significatives pour les
populations, en l’absence d’entraves à la mobilité aux frontières.
Le fait d’habiter près de la frontière n’est pas signe d’immobilité
mais bien de mouvement.

Cependant, cette situation frontalière est aussi source de tensions. Le


franchissement de la frontière nationale peut être entravé par des dis-
continuités diverses. La coopération transfrontalière n’est pas un
simple partenariat entre des collectivités: elle sert, non seulement,
à surmonter les frontières naturelles, politiques et culturelles mais,
aussi, à dépasser les frontières psychologiques et à réduire leur capa-
cité de séparation. Elle a pour objectif de pacifier les relations, dans
Villach, poste frontière entre
des régions qui ont parfois été éprouvées par les deux guerres mon-
l’Autriche et la Slovénie diales. Dans le même temps, elle cherche à faciliter la gestion de la
vie quotidienne des populations et à proposer des solutions pour
résoudre les problèmes de contiguïté. Le contexte des années 1960
sémique» (14) qui lui est propre et qui se distingue de celui de ses voi- est aussi celui d’une atmosphère pacifiée (en Europe occidentale) et
sins, la frontière devenant ainsi le révélateur des différences les plus d’une augmentation des échanges internationaux, ce qui se traduit par
fondamentales. En définitive, l’Europe est caractérisée, non seule- une forte croissance des flux aux frontières. Les initiatives transfron-
ment, par une grande diversité d’États mais, aussi, par une grande talières permettent ainsi l’établissement de nouvelles relations de
variété de dyades (une frontière entre deux États contigus). Chaque confiance, propices à la coopération entre des États voisins. La
dyade présente ainsi ses propres spécificités et l’un des enjeux de la construction européenne et la coopération transfrontalière pour-
coopération transfrontalière est de pouvoir instaurer un cadre qui suivent, par conséquent, le même objectif: il s’agit de sauvegarder la
connaisse ces caractéristiques. paix en Europe et de rapprocher les peuples européens.

Les défenseurs de la coopération transfrontalière l’affirment claire-


ment: il faut «surmonter les frontières nationales pour guérir les cica-
14 RAFFESTIN, C., Pour une géographie du pouvoir, Paris, Librairie technique, 1980. trices de l’Histoire». Cette citation est souvent utilisée pour expliquer
12 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

quelques différences fondamentales, entre le processus de l’intégra-


tion européenne et celui de la coopération transfrontalière, méritent
d’être soulignées, avant de montrer qu’un lien s’établit entre eux,
notamment par le biais de la politique régionale européenne.

Tout d’abord, les pionniers de la coopération transfrontalière n’ont


pas, au départ tout au moins, la même ambition que ceux de l’inté-
gration européenne, qui visent, eux, d’emblée, à établir, selon les
termes de la déclaration Schuman de 1950, une «union sans cesse
plus étroite entre les peuples européens». Lorsque les premières
Visa italien pour l’espace Schengen régions transfrontalières commencent à lancer des initiatives de
coopération dans les années 1960, elles ont une approche à la fois
plus simple et plus pragmatique: il s’agit de trouver des solutions
la raison d’être de la coopération transfrontalière, dont elle est deve- pratiques aux problèmes frontaliers qui se posent lorsque la frontière
nue, en quelque sorte, une devise. Elle est attribuée, selon l­’auteur nationale est traversée au quotidien. Il faut aussi souligner qu’il ne
qui l’utilise, à tel ou tel personnage connu du monde transfrontalier: s’agit pas des mêmes acteurs et que ces derniers n’interviennent pas
les Suisses l’attribuent ainsi à l’ardent partisan du régionalisme, à la même échelle: le processus d’intégration européenne se réalise
Denis de Rougemont, tandis que les Allemands l’imputent à Karl entre les États membres de la Communauté économique euro-
Ahrens, parlementaire au Bundestag et président de l’assemblée péenne (CEE) ou, à partir de 1992, de l’UE. C’est un processus de
parlementaire du Conseil de l’Europe. À l’origine de cette citation se coopération interétatique, qui a une dimension supranationale et
trouve, toutefois, Alfred Mozer, membre du parti social-­­ dont les acteurs principaux sont les États. La coopération transfron-
démocrate allemand (SPD), secrétaire du commissaire à l’agriculture talière, quant à elle, place les acteurs publics agissant aux niveaux
de la première Commission européenne de 1958. Il est chargé de local ou régional (régions, villes, associations de communes, etc.) ou
mettre sur pied la première Euregio transfrontalière, le long de la les acteurs privés (associations, entreprises, travailleurs frontaliers,
frontière germano-néerlandaise, et devient ensuite le premier pré- chambres de commerce, etc.), au centre de l’activité.
sident de l’Association des régions frontalières européennes (ARFE),
en 1972. Alfred Mozer a ainsi suivi les premières étapes de la En second lieu, l’intégration européenne et la coopération transfronta-
construction européenne et celles de la coopération transfrontalière. lière n’utilisent pas les mêmes outils. La spécificité de la méthode
Pour lui, ces deux processus ne pouvaient qu’être complémentaires. communautaire fonctionnaliste, développée par les pères fondateurs
Leur élément fédérateur était de ne pas oublier les frontières natio- de l’Europe, notamment par Jean Monnet, est la dimension suprana-
nales mais, en même temps, de ne pas les exacerber: «les frontières tionale, qui s’avère contraignante pour les États. La construction euro-
sont les cicatrices de l’Histoire. On ne doit pas les oublier. Mais on ne péenne s’accompagne d’un droit communautaire, qui prime sur le droit
devrait pas les cultiver» (15). Toutefois, en y regardant de plus près, national et qui permet d’appliquer les politiques européennes dans le
champ des compétences communautaires, de manière c­ ohérente et
uniforme, de tous les États membres. Les outils de la coopération
15 MOZER, A., «Entwicklungspolitik zu Hause», dans: SCHÖNDUBE, C., Entwicklungs-
regionen in der EWG. Ursache und Ausmaβ der wirtschaftlichen Benachteiligung,
transfrontalière doivent être conformes aux cadres juridiques natio-
Bonn, Osang Verlag, 1973, pp. 14-25. naux, ce qui se traduit par l’existence d’une grande variété de dispositifs
et des formes souvent complexes: de nombreux accords bilatéraux et Europe harmonisée se retrouve dans de nombreux aspects de la vie

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 13
multilatéraux tiennent compte des limites de compétence des collec- quotidienne: aujourd’hui, l’Européen utilise la même ampoule stan-
tivités publiques infra-étatiques de chaque État intégré à la coopéra- dardisée et consomme du lait répondant aux mêmes normes de
tion. Il n’existe pas de méthode unique ou évidente de coopération sécurité alimentaire. Toutes les universités européennes délivrent
transfrontalière. La richesse de cette dernière se trouve, cependant, des diplômes de master équivalents. Les marqueurs identitaires
dans ces approches multiples, qui sont différentes d’une région européens (17) sont également nombreux: un drapeau européen, un
à l’autre et qui montrent une grande capacité des acteurs à inventer, hymne européen, un patrimoine culturel européen, l’Eurovision,
sans cesse, des dispositifs permettant de s’adapter à l’évolution une coupe d’Europe de football, etc. Tous ces éléments ne pro-
constante des besoins. L’ingénierie transfrontalière permet de propo- viennent pas ou ne se limitent pas nécessairement à l’UE mais sont,
ser, à chaque cas particulier, des solutions ingénieuses et adaptées, néanmoins, souvent perçus par les citoyens comme le symbole
là où les outils classiques nationaux s’avèrent inefficaces. d’une Europe unie. De ce point de vue, la coopération transfrontalière
n’apparaît pas comme unique. Elle semble marquée par trois carac-
En troisième lieu, l’intégration européenne et la coopération trans- téristiques: la singularité, la diversité et la complexité. Chaque région
frontalière ont évolué de manière fondamentalement différente. Le transfrontalière est unique par son histoire et par ses particularités
processus d’intégration européenne a une histoire unique, qui s’ef- géographiques et politiques. Il n’y a donc pas une histoire de la coo-
fectue par étapes, concerne un vaste espace composé de plusieurs pération transfrontalière mais bien autant d’histoires qu’il y a
États, et commence – si l’on retrace l’histoire de la Communauté de régions frontalières. Ceci induit aussi une diversité des acteurs,
européenne – avec l’annonce du plan Schuman, le 9 mai 1950, qui des formes et des dynamiques de la coopération transfrontalière
se traduit par la création de la Communauté européenne du charbon en Europe. Dans chaque région, un système spécifique d’acteurs
et de l’acier (CECA) en 1952, puis par la Communauté économique intervient et oriente différemment le développement de relations
européenne (CEE) en 1957. Depuis les années 1960, ce processus transfrontalières: dans certains cas, ce sont plutôt les syndicats qui
de construction européenne s’est traduit, à la fois, par un approfon- poussent à la coopération, dans une autre région, ce sont les entre-
dissement institutionnel et par une expansion spatiale: en 1992, le preneurs, tandis que, dans une troisième, ce sont les responsables
traité de Maastricht a donné naissance à l’Union européenne (UE) politiques locaux ou régionaux qui font preuve d’initiative. Par ail-
qui, depuis 2013, comporte 28 États membres. Aujourd’hui, l’UE leurs, la spécificité et la diversité se reflètent dans les innombrables
intervient dans presque tous les domaines politiques: un marché formes que prennent les coopérations (juridiques, politiques et insti-
intérieur permet la libre circulation des biens, des services, des per- tutionnelles), dont le cadre d’application dépend de chaque région
sonnes et des capitaux; une monnaie commune associe 19 États transfrontalière et qui résultent d’accords interétatiques diffé-
membres qui forment ensemble la zone euro; une coopération rents (accord de Karlsruhe pour la coopération entre la France,
étroite s’opère également dans le domaine de la politique intérieure ­l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse; accord de Bayonne pour la
et de la justice; et la politique étrangère et de sécurité commune, coopération entre la France et l’Espagne; etc.). Enfin, la complexité
elle-même, figure dans les traités européens (16). Une part de cette de la coopération transfrontalière découle des deux premières carac-
téristiques: chaque région transfrontalière nécessite une analyse

16 Pour une analyse plus précise, cf. L’expérience européenne. 50 ans de


construction européenne 1957-2007, Des historiens en dialogue, textes réunis
par BOSSUAT, G., BUSSIERE, E., FRANK, R., LOTH, W., VARSORI, A., Bruxelles, 17 FRANK, R., Les identités européennes au XXe siècle. Diversités, convergences
Bruylant, 2010. et solidarités, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.
14 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

approfondie permettant de déterminer sa situation, son développe- que connaît l’Europe après 1989. Une nouvelle dimension paneuro-
ment, et la diversité de ses acteurs et de ses formes de coopération. péenne (est-ouest) de la coopération transfrontalière se dessine: elle
confère à cette dernière un rôle dans la réunification du continent
Un lien commence à s’établir entre les deux processus à partir du européen. Les premières eurorégions, créées entre des territoires de
milieu des années 1980, et, plus précisément, avec le projet de réali- l’est et de l’ouest, au début des années 1990, sont réalisées en vue
ser un marché unique à l’intérieur de la CEE. Pour faciliter la mise en de préparer l’adhésion des pays d’Europe centrale et orientale à l’UE.
œuvre de ce projet, c’est la Commission européenne qui, à partir de la La Commission européenne soutient la coopération transfrontalière
réforme de la politique régionale en 1988, va allouer un rôle aux avec les pays candidats, grâce à l’instauration d’aides financières 
régions frontalières dans la construction européenne: celui d’un espace (programme PHARE). De plus, la coopération transfrontalière est de
modèle ou d’un espace «laboratoire» de l’intégration européenne. Elle plus en plus identifiée comme un facteur pouvant contribuer à la
introduit, en 1990, un programme d’initiative communautaire, stabilité et à la sécurité en Europe: elle devient ainsi un élément
INTERREG, qui vise à soutenir la coopération transfrontalière. À partir important pour gérer les relations aux frontières externes (pro-
de ce moment, cette dernière gagne en force: grâce au soutien finan- gramme TACIS). Le nouvel équilibre géopolitique, qui se dessine
cier que la Commission européenne lui accorde, avec ses différents après le démantèlement du rideau de fer et qui remplace l’ordre issu
instruments de la politique régionale, elle contribue activement à la de la guerre froide, dépend des relations de «voisinage» aux fron-
réalisation du marché unique de 1993. Depuis les années 1990, un tières, avec certains pays non membres de l’UE. Les régions fron­
lien direct est établi entre les régions frontalières et l’intégration euro- talières participent à la stratégie de la Commission qui cherche
péenne. La coopération transfrontalière est reconnue comme un fac- à assurer une «stabilité démocratique» en Europe, à l’intérieur des
teur de l’unité européenne, nécessaire à la croissance économique et frontières de l’UE comme sur ses bordures.
à la cohésion territoriale dans l’UE. Cette fonction d’intégration de la
coopération transfrontalière s’est encore renforcée dans de nom- Le lien entre la coopération transfrontalière et l’intégration européenne
breuses régions frontalières, suite à la fondation de l’union monétaire a été effectué par les politistes. Ainsi, au début des années 1990, de
et à l’introduction de l’euro. La disparition des monnaies et des taux de nombreuses approches sur «l’Europe des régions», en science politique,
change facilite la mobilité à l’intérieur de l’UE, et c’est dans ces régions insistent sur le rôle des régions dans le cadre de l’intégration euro-
frontalières que les succès et les échecs de l’intégration européenne péenne, car elles semblent représenter l’échelon de gouvernance
économique sont, finalement, les plus visibles et les plus sensibles. «idéal» pour réaliser une Europe réunifiée et proche du citoyen (18). Cela
Dans la politique régionale européenne, l’importance croissante de la vaut notamment pour les régions frontalières, qui, de zones excen-
coopération transfrontalière, pour le processus d’intégration euro- trées, périphériques et défavorisées, deviennent des acteurs centraux
péenne, se traduit par l­’intro­duction, en 2007, d’un nouvel objectif du processus d’unification européenne: les effets de l’intégration
dans son dispositif: la coo­pération territoriale, qui comprend, à la fois, deviennent mesurables à grande échelle et sont représentatifs de
la coopération transfrontalière (coopération de proximité entre régions l’évolution de la totalité de l’espace communautaire. Marie-Thérèse
voisines, séparées par une frontière), la coopération transnatio-
nale (coo­pération à l’échelle de vastes espaces) et la coopération
18 Cf. HRBEK, R.,WEYAND, S. (dir.) Das Europa der Regionen, Fakten, Probleme,
inter­régionale (coopération en réseau, à l’échelle de l’Europe). Perspektiven, München, Beck, 1994; BULLMANN, U. (dir.), Die Politik der dritten
Ebene, Regionen im Europa der Union, Baden-Baden, Nomos, 1994; KOHLER-­
KOCH, B., Interaktive Politik in Europa: Regionen im Netzwerk der Integration,
Le lien entre l’intégration européenne et la coopération transfronta- Opladen, Leske & Budrich, 1998; LANGE, N., Zwischen Regionalismus und
lière se renforce également avec le bouleversement géopolitique europäischer Integration, Baden-Baden, Nomos, 1998.
Bitsch est la première historienne à mettre ­l’accent sur ce rôle des l’UE, d’une part, et du point de vue «décentralisé» des territoires trans-

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 15
régions frontalières dans l’intégration européenne après 1945, lors frontaliers dans les États membres de l’UE, d’autre part.
d’un colloque sur «Le fait régional dans la construction européenne»
à Strasbourg, en 2002 (19). La contribution du fait régional au pro­cessus La première partie traitera ainsi de l’UE et de ses politiques de coo-
d’intégration européenne n’est pas, seulement, identifiable à travers pération aux frontières internes (celles entre ses États membres) et
les questions de mobilité mais, aussi, à travers les questions, plus sen- externes (entre un État membre et un État non membre de l’UE).
sibles et difficilement mesurables, de l’identité européenne. Dans les Nous chercherons à répondre à plusieurs questions: quelle est l’ap-
régions frontalières, ou mieux encore les eurorégions, les citoyennes proche générale de la politique régionale de l’UE et comment s’arti-
et citoyens sont déclarés «Européens modèles», du simple fait qu’ils cule-t-elle avec les politiques menées par les autres organisations
vivent l’Europe au quotidien, du fait de leur franchissement régulier de européennes? Quelles sont, plus précisément, les politiques de coo-
la frontière et du fait des échanges constants qu’ils entretiennent avec pération de l’UE et les instruments de soutien à la coopération terri-
leurs voisins (20). À partir des années 1990, la recherche sur la coopé- toriale en Europe? Comment cet ensemble s’est-il édifié dans le
ration transfrontalière s’entend comme un complément aux travaux temps et quelles sont les configurations spatiales qui en découlent?
sur le rôle des acteurs dans la construction européenne (21). La coopération territoriale contribue-t-elle à l’émergence d’un terri-
toire européen? La deuxième partie effectuera une présentation suc-
Ces travaux scientifiques constituent un bon point de départ pour cincte des coopérations territoriales des 28 États de l’UE. L’objectif
appréhender la coopération transfrontalière en Europe mais cela ne est de voir les territorialités transfrontalières qui s’esquissent. Quand
s’avère pas suffisant pour comprendre le phénomène dans sa globa- et comment la coopération transfrontalière se développe-t-elle dans
lité. En effet, compte tenu de la multiplicité et de la complexité des chaque État membre de l’UE? Quels objectifs sont poursuivis par la
espaces de voisinage, la totalité des thèmes et des espaces géogra- coopération transfrontalière? Enfin, quels acteurs sont impliqués,
phiques n’a pas encore été explorée. Cet ouvrage, à l’occasion des quelles formes présentent les coopérations et quelles échelles de
25 ans de la coopération territoriale en Europe (INTERREG), est un pas coopération se dessinent? Cette analyse permettra ainsi d’appréhen-
supplémentaire vers une meilleure compréhension de l’évolution de la der le phénomène de la coopération territoriale dans sa globalité en
coopération transfrontalière européenne dans son ensemble et de son Europe, ainsi qu’à l’échelle des territoires nationaux.
lien avec la construction européenne. Il aborde la coopération trans-
frontalière sous deux angles différents: du point de vue «centralisé» de

19 Plusieurs communications abordent le sujet de la coopération transfrontalière,


cf. BITSCH, M.-T. (dir.), Le fait régional et la construction européenne, Bruxelles,
Bruylant, 2003.
20 WASSENBERG, B., «Coopération franco-germano-suisse et identité régionale
(1963-2007). L’identité régionale favorise-t-elle la coopération transfrontalière
dans l’espace rhénan?», dans: LIBERA, M., WASSENBERG, B. (dir.), L’Europe au
cœur, études en l’honneur de Marie-Thérèse Bitsch, Bruxelles, Peter Lang, 2009,
pp. 141-163.
21 KAISER, W., LEUCHT, B., RASMUSSEN, M. (dir.), The History of the European Union.
Origins of a trans- and supranational policy 1950-1972, Abingdon, Routledge,
2009.
1
L’Union européenne
et ses politiques
de coopération
aux frontières internes
et externes
18 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

À partir des années 1990, la CEE, puis l’UE, s’impliquent dans la Dans cette première partie, nous examinerons, tout d’abord, les
coopération transfrontalière mais, d’emblée, elles inscrivent leurs configurations territoriales variables que prennent les regroupe­
politiques dans une perspective plus large que celle des seuls États ments régionaux de l’Europe (l’UE, le Conseil de l’Europe, l’espace
membres. Un certain nombre d’outils sont mis en place. Dès 1990, Schengen et la zone euro), puis nous nous intéresserons, dans une
un programme de soutien à la coopération transfrontalière est ins­ perspective historique, aux forums de coopération et aux commu­
tauré dans le cadre de la politique régionale: INTERREG. Grâce aux nautés de travail transfrontaliers, avant d’analyser l’évolution des
aides financières versées, ce programme, non seulement, permet programmes INTERREG. Les deux derniers points seront consacrés
de renforcer les coopérations de proximité mais, à partir de 1997, il aux coopérations macrorégionales (en intégrant les stratégies mari­
favorise des cadres de coopération, sur des espaces qui associent times) et à la coopération transfrontalière, dans la perspective des
des parties de territoires de plusieurs États. Par ailleurs, l’instaura­ élargissements et de la politique de voisinage.
tion de macrorégions autour d’aires géographiques considérées
comme des espaces à enjeux (la mer Baltique, le Danube, l’Adria­ Une série de cartes originales permettent d’offrir une vision globale
tique et les Alpes), à partir de 2006, permet d’élaborer des straté­ de la coopération territoriale, déclinée dans les différentes catégories
gies qui ont une dimension géopolitique. Enfin, l’UE s’est dotée d’un présentées, l’objectif de ces cartes étant de montrer l’existence de
outil de politique extérieure, à travers la création d’instruments de cadres de coopération, en s’inscrivant dans un contexte, à la fois, his­
préadhésion (IPA), en 2006, et de la politique de voisinage (PEV), torique et géographique. Cela signifie que nous cherchons à montrer
en 2007. Parallèlement, un outil juridique pour la coopération terri­ les évolutions dans le temps de périmètres de coopération, et
toriale a également été instauré en 2007: le Groupement européen à prendre en compte les différentes échelles de ces dernières.
de coopération territoriale (GECT). Tout ceci montre que la coopéra­ L’objectif est de présenter des cadres reconnus de coopération institu­
tion territoriale s’est diversifiée et que les logiques de proximité se tionnelle et, non pas, des partenariats entre institutions ou acteurs. Ces
sont complexifiées. Une différenciation s’est opérée entre les «fron­ cadres ne présentent pas toujours une grande stabilité temporelle et il
tières internes» et les «frontières externes». Les premières séparent n’est pas rare que certains d’entre eux aient disparu. La représentation
les territoires limitrophes d’États membres, tandis que les deu­ se veut la plus exhaustive possible mais l’exercice est délicat, en l’ab­
xièmes délimitent un État membre d’un État qui ne l’est pas. Impli­ sence d’une source unique de recensement de ces cadres.
citement, cette différence indique que l’UE et les États qui la
composent opèrent une distinction entre un «territoire européen» et Une légende type des cadres de la coopération transfrontalière a été
ce qui l’entoure. Cette distinction n’est, cependant, pas valable avec élaborée, ce qui permet d’avoir une vue globale sur toute l’Europe.
certains États, comme la Suisse ou la Norvège qui, bien que non Elle repose sur deux caractéristiques: les échelles et les différences
membres de l’UE, participent aux programmes INTERREG, du fait entre urbain et rural. Trois échelles ont été retenues (cf. tableau
de leur situation géographique et de leur intégration à certaines ci-dessous): locale, régionale (1) et suprarégionale. L’idée est de dis­
politiques communes (espace Schengen, accords bilatéraux entre tinguer, d’abord, ce qui relève d’une échelle locale (très petit territoire
la Suisse et l’UE, etc.). La politique de voisinage accompagne, elle,
un changement d’échelle: la coopération transfrontalière de proxi­
mité est envisagée entre l’Europe, considérée comme une entité 1 Il est précisé que le mot région est ici compris dans son sens allemand (territoire
identifiée, et deux ensembles géopolitiques: la Russie et les États de niveau inférieur à celui des Länder, comme pour les eurorégions à la frontière
allemande, créées avec l’appui de l’ARFE) et non, français (entité politique de
issus de la décomposition de l’URSS, et les États de la rive sud taille NUTS2, comme pour les eurorégions à la frontière entre la France, l’Italie
de la Méditerranée. ou l’Espagne).
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 1 9
Échelle Aspects spatiaux Description Exemples
Locale «Urbain» Coopérations entre deux ou plusieurs communes • Francfort/Oder-Słubice
urbaines contiguës • Eurode Kerkrade-Herzogenrath
• Pôle européen de dévelopement
(PED) Longwy
«Rural» Coopérations entre structures communales/ • Pyrénées-Cerdagne
intercommunales contiguës, dans des espaces • Espace Mont-Blanc
faiblement urbanisés
Régionale Métropole transfrontalière Coopérations entre territoires contigus (NUTS3 • Eurodistrict trinational de Bâle
ou NUTS4), avec une structuration métropolitaine • Maas-Rhin
(leadership, orientation stratégique), mono­ • Eurométropole
centrique ou polycentrique Lille-Kortrijk-Tournai
Non métropolitain Coopérations entre territoires contigus (NUTS3 • Euregio
ou NUTS4), sans structuration métropolitaine • Eurodistrict de l’Espace catalan
Suprarégionale Dimension métropolitaine Coopérations entre territoires contigus (NUTS2, • Grande Région
voire NUTS3), avec existence d’une dimension • Rhin supérieur
métropolitaine (leadership, orientation
stratégique)
Dimension non métropolitaine • Arc Manche

et très grande proximité entre les acteurs) des échelles régionales. première définition, nous parlerons effectivement d’échelle supra­
En effet, les différences de dimension des périmètres et la plus ou régionale. La différence d’organisation géographique est liée à la
moins grande proximité entre les acteurs ont aussi des implications gouvernance transfrontalière: le poids prépondérant d’une ville faci­
sur les actions. Deuxièmement, nous distinguons une échelle régio­ lite l’émergence d’un leadership ou d’un pôle, alors que, dans une
nale d’une échelle suprarégionale. Dans le premier cas, le périmètre configuration polycentrique, la prépondérance d’un pôle est plus
est en général plus petit; le territoire représenté répond à la défini­ ­difficile. Une part de subjectivité demeure dans la délimitation de
tion d’une région polarisée par une grande agglomération. Dans ces deux types de régions.
le second cas, le périmètre est certes plus grand mais, de surcroît,
il semble marqué par une plus grande complexité: existence d’un La deuxième caractéristique s’appuie sur la distinction entre des
réseau polycentrique de villes et d’un enchevêtrement d’acteurs ­territoires marqués par la forte présence d’espaces urbains et des
agissant à différentes échelles. En général, il englobe plusieurs territoires qualifiés de ruraux. Le clivage s’appuie sur une différence
régions transfrontalières, telles que nous venons de les définir. entre des espaces denses, caractérisés par la présence d’une ou de
Lorsqu’un espace transfrontalier est identifié et qu’il comporte un plusieurs grandes villes, et des espaces plus faiblement peuplés,
emboîtement de régions transfrontalières qui répondent à la marqués par la présence de villes petites ou moyennes.
1.1 Les regroupements régionaux en Europe:
des espaces aux géométries variables

Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le processus de qui permet aux collectivités locales et régionales en Europe de
construction européenne est lancé par des élus pro-européens, au ­formaliser les relations avec leurs voisins transfrontaliers, dans le
Congrès de La Haye, en 1948. L’objectif est de préserver la paix en respect des systèmes juridiques nationaux respectifs. La Conven­
Europe, en rapprochant les peuples européens. La création d’une tion-cadre pour la coopération transfrontalière est adoptée le
«Europe sans frontières» est considérée comme une condition essen­ 21 mai 1980 à Madrid, et elle est ensuite amendée par trois proto­
tielle pour atteindre cet objectif et la coopération territoriale entre coles additionnels en 1995, 1998 et 2009, dont le dernier prévoit la
les collectivités locales et régionales sera un des moyens mobilisés création d’un véritable outil juridique, le Groupement eurorégional
pour y parvenir. Le processus de construction européenne com­ de coopération (GEC), pour faciliter la coopération transfrontalière
mence, d’abord, par la création d’organisations européennes, dont des régions frontalières membres du Conseil de l’Europe. Au sein de
deux vont se consacrer, tout particulièrement, à la coopération terri­ cette instance, le thème de la coopération territoriale est alors étroi­
toriale: le Conseil de l’Europe, créé le 5 mai 1949, à Strasbourg, par tement lié au principe de la démocratie locale et régionale. La charte
dix États européens (1), et qui compte, à présent, 47 États membres, de l’autonomie locale, adoptée en 1985, fournit un cadre juridique
soit une «grande Europe», qui s’étend jusqu’aux pays du Caucase et qui permet aux États membres du Conseil de l’Europe, de laisser les
qui inclut tous les États européens (à l’exception de la Biélorussie autorités locales gérer la coopération transfrontalière de manière
et du Kosovo), y compris la Turquie, la Russie, les micro-États euro­ indépendante. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du
péens, l’Islande, la Norvège et la Suisse; puis, la Communauté éco­ Conseil de l’Europe, créé en 1994, comme instance de représenta­
nomique européenne (CEE), instaurée par six États fondateurs (2), le tion des villes et des régions, veille tout particulièrement à ce que
25 juin 1957, à Rome, qui devient l’Union européenne (UE) en 1992, la démocratie locale et régionale constitue un principe fondamental
et qui comporte, à présent, 28 États membres (3). du fonctionnement des collectivités territoriales, et propose qu’une
véritable gouvernance transfrontalière soit instaurée à l’échelle de
Pour le Conseil de l’Europe, une Europe sans frontières signifie la grande Europe. Après l’ouverture du mur de Berlin, en 1989,
regrouper un ensemble d’États autour de la défense des valeurs fon­ le Conseil de l’Europe est la première organisation européenne
damentales des droits de l’Homme, de l’État de droit et de la démo­ à intégrer les États d’Europe centrale et orientale, puis à s’ouvrir, au
cratie. C’est aussi la première organisation européenne qui parle de milieu des années 1990, aux anciennes républiques yougoslaves et
coopération transfrontalière. En 1957, le Conseil de l’Europe crée soviétiques, devenues des États indépendants – y compris la Russie.
la Conférence européenne des pouvoirs locaux (CPL), au sein La coopération territoriale devient alors un enjeu pour la stabilité
de laquelle des représentants locaux siègent régulièrement. La coo­ démocratique en Europe car elle favorise la reconnaissance des
pération transfrontalière est un des principaux thèmes débattus, ce frontières des nouveaux États membres. Le Conseil de l’Europe s’est
qui conduit à l’élaboration d’un premier accord intergouvernemental, engagé en faveur de la coopération territoriale, considérée comme
un facteur de sécurité démocratique. Les régions frontalières ont
désormais acquis un rôle géopolitique de stabilité, encouragé par le
1 La France, le Royaume-Uni, les trois États du Benelux, l’Italie, la Suède,
la Norvège, le Danemark, l’Irlande.
Conseil de l’Europe.
2 La France, l’Allemagne, les trois États du Benelux, l’Italie.
3 Liste des États intégrés: le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark en 1973; La CEE s’est intéressée, plus tardivement et avec des objectifs dif­
la Grèce en 1980; l’Espagne et le Portugal en 1986; la Suède, la Finlande et férents, à la coopération territoriale. Une politique régionale est mise
l’Autriche en 1995; Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Hongrie,
la Pologne, la Slovaquie, la Slovénie et la République tchèque en 2004;
en place dès 1975, avec la création d’un Fonds européen de déve­
la Bulgarie et la Roumanie en 2007; la Croatie en 2013. loppement régional (FEDER), mais ce n’est qu’après l’adoption de
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 2 1
Conseil de l’Europe, Strasbourg, France

l’Acte unique, en 1987, que la CEE va s’intéresser à la coopération d’intégration, notamment par l’introduction de deux nouveaux élé­
transfrontalière, dans le cadre du processus d’intégration euro­ ments, avec l’adoption du traité de Maastricht, en 1992: première­
péenne. En effet, l’Acte unique prévoit la création d’un marché inté­ ment, le principe de subsidiarité, ancré dans l’article 3b du traité
rieur européen en 1993, et la Commission européenne réalise que (aujourd’hui, l’article 5 du traité de Lisbonne) et dont l’application
les régions frontalières constituent des espaces sensibles, dans le résultera désormais en une gouvernance européenne «à niveaux
cadre de la réalisation de ce dernier. Après la réforme de la politique multiples», incluant aussi l’implication de l’échelon local et régional;
régionale et la mise en place des fonds structurels en 1988, et, deuxièmement, le Comité des régions, qui sera créé, en 1994,
la Commission finance la coopération transfrontalière en Europe, comme instance de représentation des collectivités territoriales au
à partir de 1990, à travers un programme de soutien spécifique: le sein de l’UE. À partir des années 1990, l’UE envisage donc une par­
programme d’initiative communautaire (PIC), INTERREG. Pour la CEE, ticipation de plus en plus importante des collectivités territoriales au
il s’agit surtout de créer une Europe garantissant la libre circulation, processus d’intégration européenne, ce qui se confirme aussi avec
où les flux économiques et la mobilité des personnes ne seraient le renforcement constant des moyens financiers mis à disposition,
pas entravés par les barrières frontalières. Les régions frontalières dans le cadre des différentes périodes de programmation de la
retiennent alors l’attention car c’est au sein de ces espaces que ­politique régionale, dont profite notamment l’initiative INTERREG.
les effets de la dévaluation des frontières seront les plus tangibles: Toutefois, pour l’UE, le développement de potentiels économiques
l’intégration territoriale de ces micro-espaces peut ainsi être obser­ dans les régions frontalières devient, peu à peu, une priorité.
vée au quotidien. Pour la CEE, ces régions frontalières deviennent, au En 2007, après l’adoption du traité de Lisbonne, la cohésion territo­
début des années 1990, à la fois, des laboratoires et des modèles riale devient un objectif de l’Union et fait désormais office de prio­
pour une Europe sans frontières. La Commission européenne sou­ rité de la politique régionale européenne. La coopération territoriale
tient la coopération transfrontalière, afin d’atténuer les effets indé­ y est intégrée comme troisième objectif, à côté des objectifs de
sirables de l’ouverture des frontières et de faire avancer l’intégration «convergence» et de «compétitivité régionale et de l’emploi». Par
économique, par la création de nouvelles liaisons de transport trans­ conséquent, les «régions transfrontalières», désormais explicitement
frontalières, de réseaux de recherche, etc. L’UE renforce le rôle des mentionnées à l’article 174 du traité, ne sont plus, seulement, des
régions européennes, comme contributrices actives au processus laboratoires d’un marché intérieur commun mais elles sont censées
22 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Plus récemment et parallèlement au projet du marché unique de la


CEE de 1987, qui vise à supprimer les entraves à la circulation des
biens, des personnes, des services et des capitaux en Europe, cer­
tains pays de la Communauté européenne envisagent également
la disparition des contrôles frontaliers des voyageurs. Les premiers
accords, signés par l’Allemagne, la France et les trois pays du
Benelux, le 14 juin 1985, à Schengen au Luxembourg, donnent
lieu à une convention en 1990, qui entre en vigueur le 26 mars 1995
et à laquelle se joignent progressivement jusqu’à 26 États, dont cer­
30e anniversaire de l’accord de tains ne font pas partie de l’UE (la Suisse, le Liechtenstein, l’Islande
Schengen (Luxembourg),
Jean-Claude Juncker à la tribune, 2015 et la Norvège) (4). Enfin, avec l’adoption de l’Acte unique en 1987,
commence également la mise en place d’une «communauté moné­
taire européenne», à laquelle ne participent pas tous les États
participer à la construction d’un espace social et économique inté­ membres de la CEE. La première étape de l’unification monétaire est
gré. Cette orientation de l’UE signifie que les régions frontalières ne réalisée en 1992, avec l’adoption du traité de Maastricht et la réali­
peuvent plus être simplement considérées comme des espaces éco­ sation de la libre circulation des capitaux. À la suite du référendum
nomiques mais aussi comme des acteurs politiques, qui doivent être organisé par le Danemark sur ce traité et qui rejette ce dernier,
impliqués dans la politique d’intégration. C’est la raison pour laquelle ce pays et la Suède négocient un opting out de sorte que, lors de la
l’UE a créé, à l’instar du Conseil de l’Europe, un outil juridique pour troisième phase de l’union monétaire, en 2002, seuls 11 États font
la coopération entre des acteurs territoriaux des régions com­mu­ partie de la zone euro: l’Allemagne, l’Autriche, les trois pays du
nautaires: par un règlement de 2006 et applicable à partir de 2007, Benelux, l’Espagne, la France, l’Italie, l’Irlande et le Portugal. D’autres
le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) de l’UE pays rejoignent cette zone sans frontières monétaires par la suite:
permet la mise en place de structures juridiques communes. Enfin, la Grèce, la Slovénie, Chypre, Malte, la Slovaquie et les trois États
depuis la mise en place de la politique européenne de voisi­ baltes. La zone euro compte, au total, 19 États en 2015, ce qui cor­
nage (PEV) en 2004, l’UE utilise, comme le Conseil de l’Europe, la respond à une zone peuplée de plus de 320 millions d’habitants.
coopération transfrontalière comme un moyen de stabilisation des
frontières extérieures. L’Instrument de la politique européenne de L’Europe apparaît, dès lors, aujourd’hui, comme une construction qui
voisinage (IEVP) de 2007 met à disposition des fonds permettant présente des géométries variables mais dont les périmètres révèlent
de coopérer entre régions frontalières, à la fois, sur les frontières plusieurs types d’intégration et dont la coopération territoriale
internes et externes de l’UE. L’instauration de bonnes relations de constitue l’une des formes les plus abouties.
voisinage est censée contribuer à la stabilité de l’espace européen,
en créant un «espace uni de sécurité» en Europe. Les objectifs
du Conseil de l’Europe et de l’UE concordent aujourd’hui à ce sujet.
Au final, l’importance croissante des régions frontalières en Europe,
pour l’intégration européenne, a conduit à ce que, globalement, les 4 À part les cinq États fondateurs et ces quatre pays, sont membres de l’espace
Schengen: l’Autriche, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Grèce,
stratégies de coopération transfrontalière du Conseil de l’Europe et la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, le Portugal,
de l’UE se rejoignent. la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et la République tchèque.
■ Une Europe à géométrie variable Etat membre de l’Union européenne
et du Conseil de l’Europe

Autre Etat membre du Conseil de l’Europe

Espace Schengen

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 2 3
Etat membre de la zone Euro
ISLANDE

Etat membre de l’Association européenne


Canaries (E)
de libre-échange (EFTA/AELE)

Pays candidat à l’Union européenne


20 km

Açores (P) FINLANDE


Pays candidat potentiel à l’Union européenne

Madère (P)

5 km 50 km
NORVÈGE SUÈDE

ESTONIE
Guadeloupe (F) Martinique (F)
Mer Baltique RUSSIE
LETTONIE
20 km 10 km

Mayotte (F) Réunion (F)


DANEMARK
Mer du Nord
LITUANIE
20 km 30 km

Saint Martin (F) RUSSIE


IRLANDE BÉLARUS
6 km

Guyane (F)
ROYAUME-
UNI POLOGNE
PAYS-BAS

SURINAME
ALLEMAGNE UKRAINE
BELGIQUE
BRÉSIL
LUXEMBOURG RÉPUBLIQUE
100 km
TCHÈQUE
SLOVAQUIE MOLDAVIE

FRANCE LIECHTENSTEIN AUTRICHE


Océan Atlantique HONGRIE ROUMANIE
SUISSE
SLOVÉNIE Mer Noire
CROATIE

BOSNIE- SERBIE
HERZÉGOVINE
MONTE- BULGARIE
ANDORRE MONACO ITALIE NEGRO KOSOVO*
TURQUIE
ARYM
PORTUGAL ESPAGNE ALBANIE

GRÈCE

Mer Méditerranée

Sources :
Commission européenne,
CHYPRE
Map of EU Member States - the countries of the euro area 01/01/2015
200 km Toute l’Europe, la carte de l’Espace Schengen

*Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244 du MALTE
Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'à l'avis de la CIJ sur la Déclaration d'Indépendance du Kosovo.
1.2 Les forums de coopération et communautés
de travail transfrontaliers

Après la Deuxième Guerre mondiale, les relations de voisinage, transfrontalière, avec un dispositif commun de patrouilles et d’ob­
prises au sens de liens entre des acteurs, de part et d’autre d’une servation de suspects. En 2008, le traité est révisé et instaure désor­
frontière, dans une relative proximité géographique en Europe, mais une Union Benelux qui fixe trois thématiques pour l’avenir de
prennent plusieurs formes: elles peuvent s’inscrire dans un cadre de la coopération: le marché intérieur et l’union économique, le déve­
coopération multilatérale au sein des organisations européennes, ou loppement durable, et la justice et les affaires intérieures. Avant l’en­
s’effectuer dans le cadre d’accords bilatéraux entre deux États voi­ trée en vigueur du nouveau traité, en 2010, les États du Benelux
sins. Mais elles vont très vite aussi se tisser au niveau infranational, définissent l’élargissement de la coopération transfrontalière et,
grâce à une coopération plus informelle, entre acteurs locaux et notamment, la possibilité d’une collaboration avec les structures de
régionaux se trouvant d’un côté et de l’autre d’une frontière natio­ coopération régionale d’autres États membres de l’UE, parmi les
nale. Il s’agit par conséquent de distinguer deux volets d’évolution de principaux objectifs de leur coopération avec l’extérieur.
ces relations de voisinage: les forums de coopération et les commu­
nautés de travail transfrontaliers. Le deuxième forum de coopération est mis en place au début des
années 1950, entre des pays du nord de l’Europe. Le Danemark,
Les forums de coopération transfrontaliers sont fondés principale­ la Norvège et l’Islande ayant préféré, dès 1949, une adhésion
ment au niveau interétatique. Ils regroupent deux ou plusieurs États à ­l’Alliance atlantique, à la création d’une union de défense scandi­
limitrophes, en vue de gérer des problèmes communs et de coordon­ nave, le projet d’union douanière ne paraît plus être un projet réa­
ner les relations, mais aussi pour établir des coopérations. Dans cer­ liste. Aussi, en 1951, le Premier ministre danois, Hans Hedtoft,
tains cas, cela peut aller jusqu’à la mise en œuvre d’un processus propose la mise en place d’une assemblée consultative commune
d’intégration transfrontalière. Le premier forum de ce type émerge pour les pays scandinaves, proposition qui est aussitôt adoptée par
dès la période de l’entre-deux-guerres, avec la création de l’Union le Danemark, la Norvège, l’Islande et la Suède: c’est la naissance
économique belgo-luxembourgeoise, en 1921. Sur la base de cette du Conseil nordique en 1952. Ce forum de coopération nordique est
coopération, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas mettent en élargi, dès 1955, à la Finlande, puis, en 1970, aux Îles Féroé et
place une union douanière en septembre 1944, ratifiée en 1947, qui Åland, et en 1984 au Groenland, qui possèdent chacun un statut
entre finalement en vigueur le 1er janvier 1948. Cette union est bien d’autonomie. Il s’agit principalement d’une coopération interparle­
plus qu’un forum de coopération: les trois États prévoient une coo­ mentaire, entre 87 représentants provenant de ces cinq États et des
pération économique très élaborée, avec l’instauration d’une com­ trois territoires autonomes. Depuis 1996, le Conseil nordique orga­
munauté tarifaire débouchant, en 1958, sur un traité qui institue une nise des sessions annuelles ordinaires et des sessions à thème.
véritable union économique du Benelux. Cette dernière prévoit la La coopération politique dépasse largement la simple concertation
suppression des droits d’importation sur les échanges commerciaux ou les échanges d’information. Dès sa création, le Conseil va instau­
internes, ainsi qu’un tarif extérieur commun envers des pays tiers. rer des règles communes entre les membres, concernant l’organisa­
Jusqu’en 1960, la mise en œuvre du traité implique l’instauration tion du marché du travail et la sécurité sociale. En 1954, il met
d’une libre circulation des biens, des capitaux, des services et des également en place une union nordique des passeports, qui garantit
personnes. Par la suite, la coopération Benelux se transforme, en la libre circulation des citoyens entre les États membres. L’entrée
tenant compte des modalités d’intégration de la CEE, puis de l’UE: en vigueur de cette dernière, en 1958, bien avant la signature des
prise en compte des accords de Schengen, signés en 1985, avec premiers accords de Schengen, montre le caractère pionnier de la
la France et l’Allemagne, sur la suppression des contrôles aux fron­ coopération nordique dans ce domaine. En 1971, le Conseil nordique
tières internes; mise en œuvre d’un traité d’intervention policière parlementaire est complété par une instance intergouvernementale,
concerner, aussi bien, la culture, l’environnement, les transports,

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 2 5
le tourisme, la science et l’éducation, que des sujets plus sensibles,
comme la sécurité ou la défense. La coopération s’établit principa­
lement par des réunions de concertation, selon un mode informel.
Les relations de voisinage ne sont pas formalisées ou contractua­
lisées et aucune institution de coopération n’est créée. Néanmoins,
un fonds international Visegrad, créé en 2000, est alimenté annuel­
lement par les gouvernements des États membres, pour financer les
différents projets de coopération. Depuis, un plan d’action est éla­
boré chaque année, afin de fixer les priorités de la coopération. Par
ailleurs, le groupe Visegrad vise également à établir de bonnes rela­
tions de voisinage avec les États situés en Europe centrale et orien­
tale, qui partagent une histoire commune: régimes socialistes
après 1945, transition économique et politique depuis 1989.
le Conseil des ministres nordique, qui se réunit régulièrement
­pour discuter de problèmes communs et de sujets de coopération Enfin, la déclaration de Kirkenes institue, en 1993, un forum de coo­
transfrontalière. Le Conseil nordique est toujours en vigueur pération plus ciblé sur la protection de l’environnement, autour de
actuellement. la mer de Barents, dans l’Espace Arctique. Ce forum, regroupant
des États riverains de l’Arctique (la Norvège, la Finlande, la Russie,
Un troisième forum de coopération interétatique voit le jour en la Suède, le Danemark et l’Islande), est composé de deux organes
Europe centrale et orientale en 1989, peu après la chute du mur distincts: le Conseil euro-arctique, qui réunit les ministres des
de Berlin. Le groupe Visegrad est initié en février 1991, lors d’une Affaires étrangères des États membres et la Commission euro­
rencontre entre les chefs d’État et de gouvernement de la péenne, et le Conseil régional de Barents, qui associe les différentes
Pologne (Lech Walesa), de la Tchécoslovaquie (Václav Havel) et entités régionales de la région de Barents, ainsi que des représen­
de la Hongrie (József Antall). L’objectif de cette coopération repose, tants des peuples autochtones vivant en Finlande, Norvège, Suède
au départ, sur la volonté de solder le passé des démocraties popu­ ou Russie. Chacun de ces conseils a ses propres groupes de travail,
laires dont les frontières étaient très contrôlées, de surmonter les en matière d’environnement, de transport et de coopération écono­
ressentiments entre États voisins, et de développer une stratégie mique, mais d’autres groupes ont été mis en place pour le tourisme,
commune envers les instances européennes. Entre 1991 et 1993, la santé, la culture et l’environnement. L’organisation bicéphale de
le groupe se consacre donc activement au rapprochement avec la coopération dans la région de Barents, au niveau intergouverne­
la CEE/UE et avec l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). mental et au niveau régional, fait de ce forum de coopération un
Après la division de la Tchécoslovaquie en deux États, la République ensemble hybride, dont les modalités de fonctionnement s’appa­
tchèque et la Slovaquie, le groupe Visegrad comprend désormais rentent à une communauté de travail transfrontalière.
quatre États membres. La coopération est réalisée par l’intermé­
diaire de nombreux groupes de contact à tous les niveaux: diplo­ En effet, les communautés de travail transfrontalières sont, en prin­
mates, experts, organisations non-gouvernementales, associations, cipe, des regroupements de collectivités régionales qui visent à éta­
etc. Les thèmes abordés sont également très divers et peuvent blir une coopération transfrontalière, de type bilatéral ou multilatéral.
26 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Vallée de Chamonix et Mont-Blanc

Or, il n’existe pas de définition exacte d’une communauté de travail réunissent également des collectivités territoriales, de deux ou plu­
transfrontalière, dans la terminologie de la coopération transfronta­ sieurs régions frontalières, mais elles ont pour objectif de créer un
lière. Une communauté de travail est souvent proche d’un forum, où véritable espace transfrontalier. De ce fait, un cadre de coopération
des expériences sont échangées mais qui n’ont pas vocation à déve­ plus contraignant est élaboré, ce qui permet l’instauration de poli­
lopper des projets. Les bases juridiques sont, par conséquent, non tiques et la réalisation de projets communs.
contraignantes et les membres de ces communautés n’ont pas
transféré de pouvoirs décisionnels à l’instance commune. La plupart Historiquement, les deux notions de communauté de travail et
d’entre elles s’inscrivent sur des périmètres larges, autour d’espaces ­d’eurorégion sont toutefois intrinsèquement liées. La première euro­
qui présentent une unité de géographie physique (autour d’une région créée en Europe, à la frontière entre les Pays-Bas et l’Alle­
chaîne de montagne, par exemple), et regroupent, en général, magne, l’Euregio Gronau, est, au départ, une communauté de travail
un grand nombre de collectivités régionales. Les communautés de transfrontalière. À l’origine, en 1954, deux associations locales, une
travail transfrontalières se distinguent des eurorégions. Ces dernières allemande et une néerlandaise, sont fondées pour rapprocher cinq
régions frontalières qui regroupent, ensemble, de part et d’autre de espace naturel partagé, comme un lac ou un massif montagneux.

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 2 7
la frontière, plus de 100 communes. Le travail commun de ces deux La Conférence internationale du lac de Constance, créée en 1972,
structures donne naissance à l’Euregio en 1958. Le secrétariat géné­ en est le premier exemple. Les collectivités régionales riveraines de
ral commun, créé en 1985, est localisé à 75 mètres de la frontière l’Allemagne (le Land Bade-Wurtemberg), de la Confédération
germano-néerlandaise. La communauté de travail transfrontalière suisse (les cantons de Schaffhausen, d’Appenzell, de Thurgau,
est transformée, par étapes, en eurorégion. La même évolution est de Saint-Gall et de Zurich), de l’Autriche (le Land Vorarlberg) et de la
observée à la frontière franco-germano-suisse, dans l’espace du Principauté du Liechtenstein, fondent un forum de discussion inter­
Rhin supérieur. La Regio Basiliensis, fondée en tant qu’association national sur les problèmes de gestion environnementale du lac.
suisse à Bâle, en 1963, a pour objectif de rapprocher les collecti­ À partir des années 1970, plusieurs communautés de travail trans­
vités territoriales françaises, allemandes et suisses, en vue d’assurer frontalières voient le jour pour gérer des massifs montagneux. Une
le développement de l’agglomération bâloise, dans un cadre trina­ première communauté de travail, regroupant des collectivités
tional. Deux associations homologues sont ensuite mises en place: de cinq États, est ainsi créée dans les Alpes centrales, l’Arge Alp,
d’abord, la Regio du Haut-Rhin à Mulhouse en France (1965), puis en 1972. Une deuxième communauté de travail, dénommée Alpe-
la Regio à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne (1985). En 1995, ces Adria et dont certains membres sont aussi présents dans l’Arge Alp,
trois structures fusionnent pour former la Regio TriRhena, qui com­ est instituée dans les Alpes orientales, en 1978. L’originalité de
prend la région Bade Sud (Allemagne), la région Suisse du Nord- cette communauté de travail est la coopération entreprise avec la
Ouest (Bâle, Soleure, Argovie et Jura), et le département du Yougoslavie, État au régime communiste. La fin de la guerre froide
Haut-Rhin (France). Là encore, la structuration de cet ensemble et le démantèlement de la Yougoslavie ont eu pour effet l’introduc­
débouche sur une eurorégion. Le processus n’est pas identique tion de nouveaux États membres dans l’Alpe Adria.
pour toutes les régions transfrontalières. Ainsi, l’Institut pour la coo­
pération régionale dans les régions frontalières intercommu­ À partir des années 1980, le dynamisme du processus d’intégra­
nautaires, mis en place en 1971, entre l’Allemagne, la France et le tion européenne, dont la Confédération suisse ne fait pas partie,
Luxembourg, par des entreprises industrielles, la Régie des mines de incite les cantons frontaliers de cette dernière à fonder plusieurs
Sarre (Saarbergwerke), les Houillères du bassin de Lorraine et les communautés de travail, en vue de renforcer leur coopération trans­
Aciéries réunies de Burbach-Eich-Dudelange, forme une première frontalière. Une véritable dynamique de coopération transfrontalière
communauté de travail. Dans le même temps, une commission est entreprise dans la région du Mont-Blanc. Ainsi, en 1982, une pre­
intergouvernementale mixte franco-germano-luxembourgeoise est mière communauté de travail est mise en place dans les Alpes occi­
érigée par les ministères des Affaires étrangères de chaque État. dentales: la Communauté de travail des Alpes occidentales
La communauté de travail s’intègre ainsi dans un cadre institution­ (COTRAO). Fondée à Marseille, elle est centrée autour de Genève et
nalisé de coopération. Un cadre équivalent, regroupant des syndi­ réunit des collectivités régionales de trois pays (France, Italie et
cats, le Conseil syndical interrégional SarLorLux, est fondé en 1976, Suisse). Au sein de cette dernière, la communauté du Mont-Blanc,
une première en Europe. L’Euregio SarLorLux, association de droit composée de collectivités locales et régionales, est fondée en 1991.
luxembourgeoise, est créée en 1995, afin de renforcer la coopéra­ Elle est consolidée en 2014, par l’engagement des partenaires de
tion transfrontalière au niveau régional. créer un Groupement européen de coopération territoriale (GECT).
Plus au nord, la Communauté de travail du Jura regroupe, à partir
Les communautés de travail transfrontalières qui se développent par de 1985, des cantons suisses et la région Franche-Comté en France.
la suite s’apparentent à des coopérations multilatérales autour d’un Elle prend le nom de Conférence transjurassienne en 2001. Une
28 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

deuxième communauté de travail franco-suisse, centrée sur Genève de travail du Danube), dont les membres sont, à la fois, des collecti­
et la Métropole lémanique, est créée en 1987, le Conseil du Léman. vités régionales et des États, est mise en place en 1990, lors d’une
Enfin, entre l’Italie et la Suisse, deux communautés sont instituées: conférence de chefs d’État et de gouvernement des pays riverains du
le Conseil Valais-Vallées, en 1990, et la Regio Insubrica, en 1995. Danube, à Maria Taferl, en Autriche. Le Partenariat de l’Oder, créé
en 2006 à Berlin, réunit des régions et des villes frontalières entre
Après la mort de Franco, en 1975, et la transition démocratique en ­l’Allemagne et la Pologne (Berlin, Brandebourg, Mecklembourg-
Espagne, une coopération transfrontalière peut également être envi­ Poméranie-occidentale, Saxe, Grande-Pologne, Lubusz, Dolny Slask et
sagée autour des Pyrénées, entre la France et l’Espagne. Quelques Poméranie occidentale). Enfin, en 2002, une communauté de travail
années avant l’adhésion de l’Espagne à la CEE, la Communauté voit le jour entre la Slovénie et la Carinthie: Arge Kärnten-Slovénie.
de travail des Pyrénées voit le jour en 1983, entre trois régions fran­
çaises, quatre régions ou communautés autonomes espagnoles, À côté des forums de coopération et communautés de travail trans­
et la Principauté d’Andorre, qui est, de fait, l’initiatrice de cette coo­ frontaliers, des forums de coopération interrégionale ont vu le jour.
pération et héberge le siège de l’association. Il faut, en revanche, L’accord de coopération «Quatre moteurs pour l’Europe», qui associe
attendre plus longtemps pour voir la naissance de communautés quatre régions qui sont des puissances économiques régionales
transfrontalières entre l’Espagne et le Portugal. La Communauté de au sein de leurs États respectifs, en Europe de l’Ouest (Catalogne,
travail Galice-Nord du Portugal, fondée en 1991, voit sa légitimité Lombardie, Bade-Wurtemberg et Rhône-Alpes), en 1988, est origi­
renforcée en devenant un GECT en 2010. Dans les années 2000, nal mais peu institutionnalisé. À partir de 1990, ce forum associe
deux autres communautés de travail transfrontalières voient le également la Flandre et le pays de Galles. Au même moment, l’Arc
jour entre les deux pays: la Communauté de travail Castille et Léon- atlantique est créé, comme forum interrégional maritime entre
Nord du Portugal, en 2000, et la Communauté de travail Eurorégion 32 régions littorales, de l’Écosse à l’Andalousie, sous l’égide de la
Algarve-Alentejo-Andalousie, en 2010. La dénomination simultanée Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM). Enfin,
de cette dernière comme communauté de travail et comme euro­ depuis 1996, l’Arc Manche réunit des collectivités françaises et
région montre que la distinction entre les deux formes de coopéra­ ­britanniques, en vue d’instaurer une coopération maritime.
tion reste floue, tant sur la forme que sur le contenu.
Cette description rapide des forums de coopération et commu­nautés de
La description des instances de la coopération transfrontalière le travail transfrontaliers en Europe montre que ces derniers sont très
long de l’ancien rideau de fer confirme ce constat: alors que, dès les diversifiés et multiformes. Ils partagent, néanmoins, un point commun:
années 1990, de nombreuses eurorégions sont instituées, notamment leur objectif est de réunir des collectivités frontalières, en vue d’amé­
entre l’Allemagne et les États voisins, le nombre de créations de com­ liorer leurs relations de voisinage. La création de pla­teformes de dis­
munautés de travail reste limité. Une Arge Donauländer (communauté cussion, d’échange et de concertation, conforte cet objectif.
■ Forums de coopération et communautés
de travail transfrontalières
Région euro-arctique de Barents

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 2 9
ISLANDE

CONSEIL NORDIQUE*

FINLANDE
Forum de coopération

Communauté de travail transfrontalière


NORVÈGE SUÈDE
ESTONIE
Coopération régionale à caractère
Mer Baltique non métropolitainRUSSIE
Communauté de travail transfrontalière
disparue, inactive ou transformée
LETTONIE en Eurorégion
DANEMARK
Mer du Nord
Etat membre de l'Union européenne
LITUANIE

RUSSIE Etat non-membre de l’Union européenne


IRLANDE BÉLARUS
BENELUX
ROYAUME- Euregio (Gronau)
UNI
Oder-Partnerschaft POLOGNE
PAYS-BAS ALLEMAGNE GROUPE DE VISEGRÁD
Eurorégion
Conférence internationale UKRAINE
Kent/Nord Pas de Calais BELGIQUE
du Lac de Constance
EuRegio SaarLorLux LUXEMBOURG RÉPUBLIQUE
Océan Atlantique TCHÈQUE SLOVAQUIE
RegioTriRhena MOLDAVIE
Regio Basiliensis HONGRIE
FRANCE Communauté de
Arge Alp AUTRICHE
travail du Jura ROUMANIE
SUISSE Arge Kärnten-Slowenien
Comunidad de Trabajo
Galicia-Norte Portugal Conseil du Léman SLOVÉNIE Mer Noire
Regio Sempione CROATIE
Cotrao BOSNIE-
SERBIE
Alpe-Adria Arge Donauländer
Conseil Valais- HERZÉGOVINE
ANDORRE Vallée d’Aoste MONTE- BULGARIE
ESPAGNE NEGRO KOSOVO*
MONACO Comunità di lavoro TURQUIE
Regio Insubrica ARYM
PORTUGAL ALBANIE
Comunidad de Trabajo Communauté de travail
des Pyrénéees ITALIE
Castilla y León- GRÈCE
Norte de Portugal
Mer Méditerranée

Comunidad de Trabajo
Eurorregión Alentejo
-Algarve-Andalucía CHYPRE
Sources : DG REGIO, Interact
200 km
*Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244 du MALTE * inclus aussi le Groenland (non représenté sur cette carte)
Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'à l'avis de la CIJ sur la Déclaration d'Indépendance du Kosovo.
1.3 Les programmes INTERREG (1990-2020): de la coopération
transfrontalière de proximité aux coopérations multivariées

INTERREG est, au départ, un programme d’initiative communau­ périphériques au sein des territoires nationaux, dont l’économie est
taire (PIC), dont l’objectif est de tisser des liens, dans un cadre de dépendante de la présence de la frontière. Le programme vise tout
proximité entre des acteurs localisés, de part et d’autre des frontières autant à atténuer les effets indésirables de l’ouverture des frontières
nationales, dans les États membres. Cette mise en couture de terri­ de 1993 qu’à dépasser les différences nationales. Les 14 projets
toires frontaliers, qui s’inscrit dans la perspective du marché unique pilotes, principalement situés dans les six États fondateurs de la CEE,
de 1993, envisage de réduire la fonction d’obstacle aux relations et sont dotés d’un financement de 21 millions d’écus et inscrits dans
aux échanges, de la frontière. Quatre générations de programmes, ­l’article 10 du Fonds européen de développement régional (FEDER).
d’une durée comprise entre quatre et sept ans, ont ainsi vu le jour Bien que modestes, ces expériences sont validées et facilitent l’initia­
depuis 1990, et une cinquième phase, ouverte en 2014, s’achèvera tion du programme INTERREG. Ce dernier inscrit une dimension terri­
en 2020. Depuis 2007, la coopération territoriale européenne (CTE) toriale au sein de la politique régionale, en identifiant les régions
est devenue un objectif à part entière de la politique de cohésion. frontalières des États membres d’une UE à 12 comme des territoires
Les programmes du PIC INTERREG, puis de l’objectif de CTE (dont le dont la situation géographique engendre des caractéristiques spéci­
nom d’usage est resté INTERREG), visent à une intégration à diffé­ fiques. Le programme INTERREG cherche à impliquer les acteurs
rentes échelles (transfrontalière, transnationale et interrégionale), locaux et régionaux dans la suppression des entraves à la libre circu­
dans le cadre d’une gestion décentralisée et selon une approche nor­ lation des biens, des personnes, des capitaux et des services, en leur
malisée (gestion partagée). Cette politique a accompagné l’évolution permettant de développer des projets transfrontaliers. Ces acteurs
de l’UE de 12 à 28 États membres. participent ainsi, au même titre que les États, au processus d’intégra­
tion européenne. Cela permet à ces territoires de perdre leur caractère
L’initiative d’un programme de soutien communautaire à la coopé­ de régions périphériques dans des cadres nationaux, et de gagner une
ration transfrontalière remonte au milieu des années 1980. La crise position de pivot dans le cadre d’une gouvernance multiniveaux.
sidérurgique, qui affecte conjointement des espaces limitrophes du
Luxembourg, de la Belgique et de la France, incite la Commission L’instauration d’une réciprocité à travers un projet transfrontalier ne
européenne à innover: la création du Pôle européen de développe­ peut, cependant, pas être appliquée sur toutes les frontières de la
ment (PED), en 1985, est alors envisagée comme une réponse même manière, notamment celles qui constituent les limites exté­
conjointe à la reconversion d’un espace trinational. 35 ans après la rieures de l’UE à 12. Les zones éligibles sont essentiellement des ter­
déclaration de Robert Schuman, c’est, à nouveau, la transformation ritoires de niveau NUTS3 (nomenclature des unités territoriales
du charbon et la production de l’acier qui favorisent l’émergence statistiques) (1), séparées par une frontière terrestre ou maritime.
d’une initiative européenne innovante. L’accord signé entre les trois Cependant, la carte 1 montre que, en dehors de rares excep­
États associe ces derniers à des acteurs territoriaux locaux, au sein tions (Corse-Sardaigne, Kent/Nord-Pas de Calais, Storstrøm et Fyn au
d’une même démarche institutionnelle. Cette initiative ouvre la voie Danemark), les zones éligibles correspondent à des espaces séparés
à une réflexion plus générale.

Dès 1987, l’Association des régions frontalières européennes (ARFE), 1 Les NUTS (nomenclature des unités territoriales statistiques) correspondent
à un découpage harmonisé, hiérarchisé et emboîté du territoire européen en
créée en 1971, amorce une discussion avec la Commission et des six niveaux (NUTS0 à NUTS6). Le niveau 0 correspond aux territoires des États
élus du Parlement européen, en vue de proposer des projets à long membres et des États de l’AELE associés à ce découpage. Le niveau régional est
divisé en trois zones: le NUTS1 correspond au niveau régional le plus important;
terme bénéficiant de soutiens financiers européens dans des régions le NUTS3 est un niveau intermédiaire. Pour de nombreux États, et notamment
frontalières. Ces dernières apparaissaient alors comme des régions les plus petits, certains niveaux n’existent pas.
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 3 1
Projet Vomare (Voluntary Maritime
Rescue): développement de la coopéra-
tion entre les systèmes de secours
finnois et estoniens

par des frontières terrestres. La sélection des projets repose sur sont totalement ou en quasi-totalité couverts par les zones éli­
un certain nombre de principes: association d’au moins deux acteurs, gibles (Estonie, Lettonie, Lituanie, Suède, Slovaquie, Slovénie, etc.).
situés de part et d’autre d’une frontière, dans le cadre des zones éli­ Chaque génération de programmes INTERREG a pris en compte les
gibles du programme; cofinancement entre différents partenaires (l’UE élargissements successifs de l’UE, en associant, à chaque fois, un
apportant jusqu’à 85 % de la somme pour la période 2014-2020); nombre de plus en plus élevé de zones éligibles, que nous qualifie­
autonomie de gestion (une autorité de gestion devient l’inter­locuteur rons de régions transfrontalières, terme consacré par le traité
direct de la Commission); contrôle de gestion assuré par les États, sous depuis 2007. Les trois cartes montrent que l’extension de ces der­
la supervision de la Commission. Chaque programme, négocié entre nières se fait au gré des différents élargissements, mais aussi que
ses partenaires, de part et d’autre de la frontière, et la Commission, certains États non membres sont largement intégrés au processus:
comprend une stratégie destinée à orienter les projets. Cette procé­ la Suisse depuis INTERREG I, la Norvège depuis INTERREG III. Par ail­
dure permet ainsi aux acteurs locaux et régionaux de devenir des inter­ leurs, plusieurs régions, présentes lors des deux premières phases
locuteurs directs de la Commission, ce qui renforce leur autonomie. d’INTERREG, ont vu leur périmètre s’étendre notablement lors des
phases d’INTERREG IV et V. Enfin, les régions maritimes font doréna­
En 2015, les programmes transfrontaliers de la CTE concernent vant partie des zones éligibles et cela concerne principalement les
­l’ensemble des régions frontalières des 28 États membres, des États pays les plus anciennement intégrés: la France, l’Italie, le Royaume-
de l’Association européenne de libre-échange (AELE) et des États Uni, le Danemark, mais aussi la Suède et la Grèce. En effet, la
limitrophes des États membres sur des périmètres qui, dans certains Commission prend mieux en compte, depuis INTERREG IV, les dimen­
cas, ont été élargis, au point que, et c’est notamment le cas des sions maritimes de la frontière. Ceci montre aussi que la frontière
États qui ont intégré l’UE après 1995, certains territoires nationaux maritime n’est plus considérée comme une discontinuité mais
32 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Tableau 1 – Les projets INTERREG, phases et montants financiers du FEDER


INTERREG Phase Nombre de Programmes Montant financier Nombre d’États de l’UE
(en Mio EUR constants)
0 1988-1989 14 projets 0,021
I 1990-1993 31 1,082 12
II 1994-1999 59 3,500 15
III 2000-2006 79 5,100 25 (après 2004)
IV 2007-2013 92 7,800 27
V 2014-2020 100 10,100 28

Sources: INTERACT, The Community Initiative INTERREG; LRDP LTD, Ex-post Evaluations

comme une interface. À la fin de chaque période de programmation, ment des réseaux d’énergie transfrontaliers, qui était assuré par l’ini­
un bilan des actions est mené dont les résultats sont pris en compte tiative REGEN (2), pendant la phase précédente, selon un principe de
pour redéfinir les programmes de la phase suivante. De surcroît, continuité territoriale (une thématique est partagée par l’ensemble des
chaque programme est envisagé en articulation avec d’autres volets acteurs territoriaux). INTERREG IIC, introduit, en 1997 dans quatre
de la politique européenne. régions regroupant de vastes zones contiguës de plusieurs
États membres, puis INTERREG IIIB, à partir de 2000, où chaque région
Bien que couvrant une surface restreinte, INTERREG I (1990-1993) européenne est désormais concernée par au moins un programme,
intègre des régions frontalières dont les caractéristiques, en termes constituent un nouveau volet d’INTERREG, celui de la coopération
de population, d’activités et de développement, sont très variées. transnationale. INTERREG IIC se situe dans la filiation d’une réflexion
Ainsi, les frontières du Benelux, ou entre la France et l’Allemagne, sur l’aménagement du territoire européen, préfigurée par la Conférence
apparaissent très ouvertes et caractérisées par de nombreuses inte­ des ministres de l’aménagement du territoire du Conseil de l’Europe
ractions, alors que d’autres, au contraire, sont marquées par leur (CEMAT), et lancée, pour ce qui est de l’UE, par la première réunion des
caractère périphérique et une faible connaissance réciproque des ministres à Nantes, en 1989, en présence du président de la
acteurs territoriaux (péninsule Ibérique, Grèce, Irlande). Commission, Jacques Delors, puis par des études lancées par la
Commission européenne: Europe 2000 et Europe 2000+. Les crues
Après INTERREG I, qui offre la possibilité d’effectuer une expérimenta­ catastrophiques du Rhin et de la Meuse, en 1993-1995, ont conduit
tion à l’échelle européenne, INTERREG II (1994-1999), d’une durée de au lancement du programme INTERREG Rhine-Meuse Activities (IRMA),
six ans, introduit de nombreuses innovations. D’une part, en dehors des à l’échelle de l’ensemble des deux bassins. Dans la foulée, sous la
trois nouveaux États membres, les zones éligibles prennent en compte pression d’organisations comme la Conférence des régions périphé­
certains pays de l’AELE qui apportent un soutien aux régions fronta­
lières de leur territoire (Norvège). D’autre part, la coopération ne se
2 REGEN est une initiative de la Commission, destinée à améliorer les connections
décline plus, seulement, dans un contexte de proximité mais prend en entre les réseaux d’énergie (gaz, électricité) et à les développer, dans des régions
compte deux nouvelles dimensions. INTERREG IIB reprend le finance­ périphériques.
riques maritimes (CRPM), la Commission a proposé la création de pro­ Une nouvelle phase INTERREG V est ouverte pour la période 2014-

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 3 3
grammes INTERREG ne portant plus exclusivement sur les territoires 2020, qui s’inscrit dans le cadre de la stratégie Europe 2020 de l’UE
frontaliers contigus mais également sur de grands ensembles dits et vise à promouvoir, à la fois, une croissance intelligente (smart) et
transnationaux, qui s’inspireraient des huit ensembles régionaux durable (sustainable), et une société diversifiée et intégrée (inclu-
appartenant à plusieurs États membres de l’UE et aux pays tiers euro­ sive). 11 priorités thématiques, se rapportant directement à la stra­
péens et méditerranéens, que l’étude Europe 2000+ avait identifiés. tégie Europe 2020, ont été définies et sont déclinées par chacun des
Le volet INTERREG IIC est lancé dès 1997; il est vu comme le complé­ programmes INTERREG V, en fonction des priorités territoriales de
ment programmatique de la démarche de planification amorcée chacun. INTERREG V se décline, à présent, en plus d’une centaine
à Nantes, qui aboutira à l’approbation du Schéma de développement de programmes, dont 60 pour le volet A, 15 pour le volet B, 12 pour
de l’espace communautaire (SDEC), à Potsdam, en 1999. IPA CBC et 16 pour IEVP CTF, auxquels il convient d’ajouter le volet C,
avec INTERREG Europe, et les trois programmes de mise en réseau,
INTERREG III (2000-2006) s’inscrit dans le cadre de la stratégie de déjà présents dans INTERREG IV (URBACT, INTERACT et ESPON).
Lisbonne («devenir la région la plus compétitive du monde en 2010»)
et la stratégie territoriale esquissée par l’UE à travers le SDEC Depuis 1990, les programmes INTERREG ont gagné en intensité et
de 1999. Il intègre les perspectives d’élargissement de 2004 en complexité. Comparées aux régions d’Europe de l’Ouest et du Sud,
et 2007, avec le premier programme PHARE (Pologne Hongrie Aide les régions transfrontalières d’Europe de l’Est et du Nord sont sou­
à la reconversion économique). Les projets dans les régions fronta­ vent moins peuplées, mais leur périmètre est plus étendu. La suc­
lières des futurs États membres bénéficient d’un soutien depuis cession dans le temps des programmes INTERREG s’inscrit dans le
2000. De même, les régions frontalières russes limitrophes de la cadre d’une politique originale de territorialisation, qui transforme les
Finlande sont aidées à travers le programme TACIS (Technical frontières d’État, de lignes de séparation en interfaces. Les régions
Assistance to the Commonwealth of Independent States). INTERREG III transfrontalières sont devenues des espaces d’articulation, caracté­
couvre toutes les régions frontalières internes et externes de l’UE risées par l’existence de liens durables et que l’on cherche à rendre
des 15, puis de l’UE des 25 après 2004. La période suivante (2007- inaliénables. L’assemblage de zones de coopération, à différentes
2013) voit INTERREG changer de nom: la coopération territoriale échelles, permet d’associer des collectivités diverses autour de
européenne (CTE) devient officiellement un des trois objectifs de la ­projets, en dépassant les frontières nationales existantes. En opé­
politique européenne de cohésion d’alors. Les trois volets A, B et C rant un repositionnement scalaire (rescaling) dans des contextes
conservent leurs rôles mais de nouveaux instruments sont mis en transfrontaliers et en proposant des cadres formels et financiers de
place, pour aider au développement régional des frontières externes: coopération, la Commission se rapproche ainsi de ce que le poli­
IPA CBC (instrument de préadhésion) et IEVP CTF (instrument de tologue Fritz Scharpf (3) appelle l’«intégration positive» (la mise en
­voisinage). Par ailleurs, le Groupement européen de coopération place de systèmes supranationaux de régulation), plus aboutie que
­territoriale (GECT), instrument créé par un règlement en 2006, est l’«intégration négative» (l’abolition des barrières entre les territoires
conçu comme un outil juridique sensé faciliter la coopération nationaux). La cohésion territoriale européenne s’en trouve, par
à toutes les échelles. Le volet B cherche à répondre à des probléma­ conséquent, renforcée.
tiques d’aménagement du territoire dans 13 ensembles spatiaux.
Enfin, le volet C (coopération interrégionale) souhaite promouvoir
des réseaux à l’échelle européenne, à travers quatre programmes 3 Scharpf Fritz, Governing in Europe. Effective and democratic?, Oxford University
(INTERREG IVC, ESPON, URBACT et INTERACT). Press, Oxford, 1999, 252 p.
34 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Dans ce contexte, il est possible de connaître les principaux thèmes gouvernance transfrontalière associée à des actions de gestion,
dans lesquels s’inscrivent ces projets. Les transports correspondent ­d’interculturalité, de codéveloppement, etc.).
au poste budgétaire le plus important, surtout pour INTERREG I et II:
ils répondent à des enjeux de désenclavement et d’intégration. Ils Le tableau 2 montre que les programmes INTERREG sont devenus
sont suivis par le tourisme et l’environnement. À partir d’INTERREG III, une composante essentielle de la coopération territoriale au sein de
de nouveaux thèmes émergent, comme la santé et la culture. l’UE et sur ses limites. La gestion des fonds et la réalisation des pro­
jets incombent souvent aux acteurs régionaux et locaux mais le sou­
INTERREG apparaît donc comme un outil essentiel de légitimation tien de l’UE n’est apporté que si le projet suit un certain nombre de
d’une approche supranationale, qui devient un vecteur d’intégration règles et de principes. Les territoires éligibles sont toujours transfron­
européenne, à travers la diffusion de bonnes pratiques (gouvernance taliers (au sens où ils regroupent des régions situées dans des États
multiniveaux entre Commission, États et acteurs régionaux et locaux; limitrophes) mais leur organisation spatiale et les formes d’intégration

Projet MED-Laine: redynamisation


de l’industrie de la laine
(Corse, Toscane, Sardaigne)
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 3 5
Tableau 2 – Les trois volets d’INTERREG (à partir d’INTERREG II)
Volets Logique spatiale Intégration Échelles des acteurs

A. Transfrontalier Proximité Contiguïté locale, régionale


B. Transnational Cohérence Thématique structurante de régionale, suprarégionale,
l’aménagement (transport, nationale
environnement, etc.)
C. Interrégional Réseau Interactions régionale, suprarégionale, locale

Sources: INTERACT, The Community Initiative INTERREG; LRDP LTD, Ex-post Evaluations

y diffèrent souvent sensiblement. Le volet A favorise la mise en cou­ des logiques de partenariat, ils permettent de dépasser les cadres
ture des régions transfrontalières, à travers le renforcement des nationaux existants, tout en les respectant.
acteurs locaux et régionaux, dans un cadre de proximité. Le volet B
cherche à promouvoir une cohérence autour d’enjeux communs Les programmes INTERREG apparaissent ainsi comme un succès,
d’aménagement du territoire, sur de vastes zones couvrant plusieurs dans la mesure où ils ont permis de réduire les distances entre des
États: la mise en place de structures de gouvernance est encoura­ acteurs territoriaux situés dans des États étrangers différents, et où
gée, afin de définir des stratégies et des programmes d’action. ils apparaissent comme des outils d’apprentissage de l’altérité dans
Le volet C est envisagé comme un cadre de coopération mettant la proximité. Chaque frontière est le fruit d’une longue histoire et
en interaction des acteurs locaux et régionaux sur tout le territoire d’un héritage parfois douloureux. Les programmes ont permis de
de l’UE, en s’appuyant sur une dimension réticulaire. diminuer le rôle de la frontière en tant que lieu de tension, de réduire
l’ignorance sur le voisin et, dans certains cas et non des moindres,
On peut considérer ces coopérations à différentes échelles, qui de permettre la réconciliation en encourageant les partenariats,
jouent sur divers modes de gestion de la distance, comme des labo­ en développant les logiques de projet et en luttant contre les incom­
ratoires de la construction européenne, puisque les acteurs qui sont préhensions. Ces programmes ont servi, comme nous le verrons plus
tous inscrits dans leurs territoires nationaux doivent, s’ils veulent loin, de support à l’élaboration des politiques d’élargissement et de
coopérer, faire preuve d’inventivité et établir des relations apaisées voisinage, entre l’UE et les États voisins. La coopération territoriale
et constructives avec leurs partenaires étrangers (gestion de l’inter­ européenne apparaît ainsi comme une politique d’intégration qui
culturalité, gouvernance transfrontalière), tout en intégrant les dis­ met des acteurs frontaliers, locaux et régionaux, en relation avec les
positifs élaborés par la Commission. En définitive, les programmes instances européennes, tout en favorisant les liens horizontaux par-
de coopération territoriale INTERREG se présentent comme un delà les frontières.
ensemble d’instruments très élaborés d’intégration, par-delà les
frontières nationales, qui transforment ces dernières en lignes En revanche, INTERREG, du fait notamment de ses moyens financiers
­d’interface articulant des territoires aux échelles et aux enjeux, à la limités, n’est pas en mesure d’assurer seul une cohésion des régions
fois, différents et complémentaires. En incitant à s’inscrire dans transfrontalières: il ne permet pas de réguler les différentiels écono­
36 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Projet WINNET 8: renforcement de


la présence des femmes sur le marché
du travail, regroupe des acteurs de
8 États membres

miques par-delà les frontières. L’un des enjeux, dans l’avenir proche, (villes, instances de niveau régional), traduit une sélectivité, du fait
est certainement d’assurer des perspectives de co-développement de l’absence de ressources ou du manque d’intérêts des autres
au sein des régions transfrontalières, en coordonnant par delà les acteurs. Les acteurs économiques s’inscrivent dans une logique
frontières les stratégies et les moyens de financement des régions ­rarement transfrontalière et plutôt mondiale, européenne ou natio­
et des États, INTERREG jouant un rôle de catalyseur. Par ailleurs, de nale. Les autres acteurs de la société civile ne disposent pas toujours
très fortes différences continuent d’exister entre les régions trans­ des ressources humaines nécessaires pour monter des dossiers com­
frontalières, à l’échelle de l’Europe: les tensions n’ont pas complète­ plexes nécessitant un véritable savoir-faire. De surcroît, y compris
ment disparu, d’autant plus, lorsque les différentiels économiques pour les collectivités impliquées, la coopération transfrontalière reste
demeurent élevés. Enfin, les projets transfrontaliers suivent une parfois marginale et ne figure pas toujours au centre de leurs préoc­
logique essentiellement institutionnelle, au sein de laquelle les cupations. Face à ces difficultés, l’engagement de l’UE dans la coo­
acteurs économiques sont peu présents. La forte présence des pération territoriale européenne s’inscrit indéniablement dans une
acteurs institutionnels, et notamment des grandes collectivités perspective de long terme.
■ Évolution des périmètres éligibles
à INTERREG depuis 1990 Evolution du financement Interreg par territoire

Territoire éligible lors des


5 programmations Interreg (depuis 1990)

Territoire éligible lors des

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 3 7
4 dernières programmations Interreg
(depuis 1994)

Territoire éligible lors des


3 dernières programmations Interreg
(depuis 2000)

Territoire éligible lors des 2 dernières


programmations Interreg (depuis 2007)

Territoire éligible uniquemement lors


de la programmation Interreg en cours
(2014-2020)

500 km
Sources : DG REGIO, Interact
■ Périmètres éligibles
à INTERREG I 1990-1993

Map of Europe in 1993


500 km
Sources : DG REGIO, Interact
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 3 9
Sources : DG REGIO, Interact
Carte de l’Europe en 2015
à INTERREG V 2014-2020

500 km
■ Périmètres éligibles
■ Territoires éligibles aux programmes
de coopération transnationale
INTERREG III B 2000-2006
Périphérie Nord
+ Groenland

Espace Atlantique
Mer du Nord Périmètre éligible d’un
programme transnational

Mer Baltique Périmètre éligible dans


un Etat membre de
l’Union européenne

Périmètre éligible dans


un Etat non-membre de
l’Union européenne

Europe du Nord-Ouest
CADSES

Europe du Sud-Ouest
Espace Alpin

Méditerranée Occidentale
Archimed
500 km
Sources : DG REGIO, Interact
200 km
■ Territoires éligibles aux programmes
de coopération transnationale
INTERREG V B 2014-2020
Périphérie Nord et Arctique

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 4 1
+ Groenland

Périmètre éligible d’un


programme transnational
Espace Atlantique
Mer du Nord
Périmètre éligible dans
un Etat membre de
l’Union européenne
Mer Baltique
Périmètre éligible dans
un Etat non-membre de
l’Union européenne

Europe du Nord-Ouest Europe centrale


Espace Alpin

Europe du Sud-Ouest

Espace Danube

Balkans-Méditerranée

Méditerranée

+ Açores-Madère-Canaries Adrion
500 km Sources : DG REGIO, Interact
1.4 Les stratégies macrorégionales et maritimes

L’approche macrorégionale de l’UE est une tentative de réponse macrorégionales, dont deux autour d’espaces maritimes (la Région
et d’adaptation aux bouleversements économiques, politiques et Mer Baltique (EUSBSR) et la Région adriatique et ionienne (EUSAIR)),
sociaux, observés depuis la fin des années 1980, et aux élargis­ une autour du bassin d’un grand fleuve (la Région Danube (EUSDR)),
sements successifs qui ont fait passer, depuis lors, l’UE de 12 et une autour d’un massif montagneux (la Région alpine (EUSALP)).
à 28 États membres. Avec la mondialisation, la croissance des flux
globaux et la libéralisation des échanges au niveau mondial, mais Mais l’idée d’une concertation interétatique autour d’un espace
aussi du fait du changement de l’ordre géopolitique, depuis la chute macrorégional n’est pas nouvelle. Historiquement, cette approche
du mur de Berlin, en 1989, l’UE se trouve confrontée à de nouveaux peut être retracée à l’initiative des pays du nord qui, dès 1952,
défis: le défi de réussir l’élargissement à l’est; le défi de (re)définir créent le Conseil nordique, dont l’un des centres d’intérêt majeurs est
ses relations avec les pays voisins; le défi d’assurer un rôle dans la gestion de la mer Baltique, commune à trois de ses membres. Cet
la stabilisation du continent européen, qui est secoué, dès 1991, objectif se retrouve également à la base de la création, en 1993, du
par des conflits dans les Balkans; le défi de définir une politique de Conseil euro-arctique de Barents, entre les mêmes pays et la Russie,
sécurité post-guerre froide qui puisse répondre à des nouvelles dont la coopération a pour objectif la préservation de l’environ­
menaces, non seulement de type militaire mais aussi de type envi­ nement et la stabilité politique dans la région. Enfin, en 1996, le
ronnemental (protection climatique), économique (crises moné­ Conseil arctique, dont l’approche est comparable aux deux précé­
taires), voire humanitaire (traite des êtres humains, flux migratoires, dents, est créé entre huit États riverains de la zone arctique
etc.). Dès le traité de Maastricht, en 1992, l’UE a mis en place une (le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie,
politique de sécurité commune (PESC) mais cette dernière répond la Suède et les États-Unis).
surtout aux menaces «classiques» en cas de conflits politiques et
d’affrontements militaires. Elle nécessite d’être complétée par Par ailleurs, l’UE n’est pas la seule organisation européenne à s’inté­
d’autres politiques de bon voisinage, à des échelles micro- et macro­ resser à une approche macrorégionale. Le Conseil de l’Europe sou­
régionales, qui apportent aussi des réponses aux autres menaces. tient, dès les années 1990, la création d’eurorégions multilatérales,
Ainsi, par exemple, les enjeux environnementaux, à l’échelle de bas­ dont le concept se distingue clairement des stratégies macrorégio­
sins maritimes ou fluviaux, ou de massifs de montagne, requièrent nales de l’UE. Ces coopérations macrorégionales, ont pour objectif
une action plus coordonnée entre les États. de favoriser la stabilisation démocratique des régions concernées,
ce qui constitue un enjeu majeur pour le Conseil de l’Europe. La créa­
À la fin des années 2000, les stratégies macrorégionales de l’UE tion de macrorégions est considérée comme une stratégie de dimen­
sont élaborées dans des zones régionales clés, pour contribuer à la sion géopolitique qui vise à diffuser les valeurs fondamentales de
stabilisation du continent européen, à travers le soutien à la coo­ l’organisation (droits de l’Homme, démocratie et État de droit). L’UE
pération et à la croissance économique. Pour la Commission euro­ soutient d’ailleurs cette démarche. Ainsi, en février 1993, sous l’égide
péenne, une macrorégion se définit comme un regroupement de l’UE, une première macrorégion est inaugurée par le secrétaire
d’entités couvrant plusieurs États membres ou régions, qui partagent général du Conseil de l’Europe, Catherine Lalumière, en Europe
certaines caractéristiques et qui se rassemblent pour coopérer sur ­centrale et orientale: l’Eurorégion des Carpates réunit des régions
des questions d’intérêt commun. Les macrorégions se distinguent frontalières de quatre États (la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et
des eurorégions transfrontalières car elles sont multilatérales et ce l’Ukraine) et la Convention des Carpates sera adoptée en 2006.
sont les États qui, en général, en sont les acteurs principaux. À partir Ces coopérations macrorégionales du Conseil de l’Europe mettent
de 2009, l’UE met en place progressivement quatre stratégies l’accent sur la participation des collectivités territoriales. Le Congrès
des pouvoirs locaux et régionaux est ainsi chargé de leur mise

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en œuvre. Trois autres coopérations macrorégionales vont progres­
sivement être constituées autour des espaces maritimes, avec
le soutien de l’organisation de Strasbourg: l’Eurorégion Mer
Baltique (1997), l’Eurorégion Adriatique (2006) et l’Eurorégion Mer
Noire (2008).

Pour l’UE, les stratégies macrorégionales sont censées renforcer


la coopération entre les pays du périmètre concerné, afin d’accroître
la cohésion économique, sociale et territoriale de l’espace européen, Rencontre entre Herwig van Staa,
ce qui les rapproche des objectifs de coopération transnationale président du Parlement régional du
Tyrol, et Corina Creţu, commissaire
définis dans les programmes INTERREG. Grâce à cette approche inté­ européenne à la politique régionale
grée, les stratégies macrorégionales peuvent répondre à des enjeux (stratégie macro-régionale alpine)
transversaux d’aménagement, comme la protection de l’environne­
ment ou la lutte contre le changement climatique. En favorisant
la coordination horizontale entre différentes politiques communau­ part, des points de contact nationaux sont responsables de l’admi­
taires, ces stratégies apportent une réelle valeur ajoutée à l’UE, en nistration dans chaque État. Enfin, des experts par thématique et des
transcendant les territoires habituels.  coordinateurs par région prioritaire gèrent les stratégies, au niveau
régional, et la mise en œuvre des projets.
Plusieurs éléments différencient aussi les stratégies macrorégio­
nales des coopérations transfrontalières classiques. La première Malgré ce cadre général et ces principes communs, les quatre stra­
caractéristique de ces coopérations est qu’elles concernent de vastes tégies macrorégionales de l’UE ne sont pas développées au même
zones géographiques présentant une certaine unité physique (bas­ moment, ni par les mêmes acteurs. Chaque stratégie macrorégionale
sin fluvial, espace maritime, massif montagneux) et qu’elles sont a donc sa propre histoire.
multilatérales (elles impliquent au moins trois États membres de
l’UE). En second lieu, leur cadre juridique et administratif est claire­
ment défini: elles s’établissent sur demande du Conseil européen et
se basent sur la législation de l’UE; ensuite, elles sont généralement
accompagnées d’un plan d’action qui est adopté par la Commission
européenne, puis approuvé par le Conseil européen. Enfin, ces stra­
tégies doivent suivre trois principes, appelés aussi les trois «non»:
ne pas proposer une nouvelle législation européenne, ne pas créer
de nouvelles institutions communautaires et ne pas demander de
nouveaux financements de l’UE. Trois niveaux de gouvernance inter­
viennent pour gérer les stratégies macrorégionales. D’une part, la
Commission européenne et un groupe de coordinateurs, au niveau
intergouvernemental, supervisent la mise en œuvre générale. D’autre
44 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Ainsi, la stratégie macrorégionale pour la Région Mer Baltique Ce n’est qu’en 2011, que la deuxième stratégie pour la Région
(EUSBSR) est initiée dès 2006, sur la base d’un rapport du Danube (EUSDR) voit le jour. Si, au niveau des États, cette stratégie
Parlement européen. En décembre 2007, le Conseil européen se base sur une initiative conjointe de l’Autriche et de la Roumanie, elle
demande à la Commission européenne d’élaborer rapidement une a, en fait, déjà été impulsée au milieu des années 2000, par le Land
stratégie commune, compte tenu de la dégradation de l’envi­ allemand de Bade-Wurtemberg, qui organise successivement deux
ronnement de la mer Baltique (eutrophisation), liée à l’insuffi­ conférences sur le Danube à Bruxelles, en 2006 et en 2008. Lors de
sance de coordination des politiques des États riverains. En 2009, la deuxième conférence, le ministre-président de Bade-Wurtemberg,
l’EUSBSR (European Strategy for the Baltic Sea Region) est adoptée Günther Oettinger, demande à la commissaire responsable de la poli­
pour cette région et réunit huit États membres de l’UE (l’Allemagne, tique régionale, Danuta Hübner, qu’une stratégie soit mise en place
le Danemark, la Finlande, la Pologne, la Suède et les trois États pour l’espace du Danube, en développant trois thèmes: l’écologie, les
baltes), et sur le périmètre de laquelle résident plus de 85 millions transports et le domaine socioéconomique. Cette démarche est
d’habitants. L’accord prévoit également une coopération avec des d’abord appuyée par le Comité des régions puis par le Parlement euro­
États limitrophes de la région, comme la Biélorussie, la Norvège et péen, qui se prononce en faveur d’une stratégie pour la région du
la Russie. Plusieurs priorités ont été définies. En premier lieu, il est Danube en 2010. Comparé à la mer Baltique, cet espace présente
prévu de mieux protéger l’environnement de la mer Baltique, en agis­ l’avantage de connaître une longue tradition de coopération
sant notamment sur les points suivants: qualité de l’eau, préserva­ depuis 1856, date de la création d’une commission européenne
tion de la biodiversité et sécurisation de la navigation. Ensuite, il est du Danube. L’EUSDR, adoptée en 2011, couvre un périmètre géo­
préconisé de renforcer les réseaux afin d’accroître la prospérité de graphique très vaste qui correspond approximativement au bassin
la région (amélio­ration des moyens de transport, renforcement de ­f luvial du Danube, et s’étend de la Forêt Noire, en Allemagne,
la fiabilité des ­marchés de l’énergie, consolidation du marché unique jusqu’à la mer Noire (en Roumanie et en Ukraine). 115 millions de per­
et de la stratégie Europe 2020) et de lutter contre le crime trans­ sonnes y résident. Neuf États membres de l’UE sont associés à cette
frontalier. Par ailleurs, l’EUSBSR propose de suivre des actions stratégie, ainsi que trois États candidats ou candidats potentiels (la
­horizontales de l’UE, telles que l’aménagement du territoire, le déve­ Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie) et deux États exté­
loppement durable et une politique de voisinage avec les États exté­ rieurs (la Moldavie et l’Ukraine). Les priorités de l’EUSDR sont de relan­
rieurs dans l’espace baltique. Les premiers résultats de la stratégie cer le développement économique, d’améliorer les interconnexions
macro­régionale semblent prometteurs: la situation de l’environne­ dans les réseaux de transport et d’énergie, de protéger l’environne­
ment de la mer Baltique s’est améliorée, grâce à des actions de lutte ment et de renforcer la sécurité. Dans les faits, la stratégie s’appuie
contre la pollution (CLEANSHIP) ou grâce au soutien à des projets de sur des domaines analogues à ceux de l’EUSBSR. Les fonds européens
recherche scientifique sur l’évolution des écosystèmes marins sont les mêmes que ceux sollicités pour la mise en œuvre des projets.
(BONUS Baltic Sea Research 24). La différence entre les deux stratégies réside donc principalement
dans le caractère maritime de l’EUSBSR, alors que l’EUSDR coopère

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 4 5
autour d’un fleuve. À cet égard, l’EUSDR peut être qualifiée d’exemple
de bonne pratique: la navigation du Danube s’est améliorée grâce
à des travaux de maintenance, et des projets comparables à ceux de
l’EUSBSR, en matière de protection d’environnement et du développe­
ment de technologies propres, sont en cours de réalisation. En
revanche, l’absence de réponse coordonnée à l’inon­dation dévastatrice
du Danube en 2013, montre que tous les obstacles à la coopération
n’ont pas été levés.
Enfin, la quatrième stratégie macrorégionale pour la Région
alpine (EUSALP) est la seule à avoir été impulsée au niveau inter­
régional. Historiquement, une coopération transfrontalière interéta­
tique existe déjà, depuis 1995, dans cette région: ainsi, la Convention
alpine est un traité international pour le développement durable et
la protection des Alpes, conclu entre les pays alpins (l’Allemagne,
l’Autriche, la France, l’Italie, le Liechtenstein, Monaco, la Slovénie
La troisième stratégie, la Région adriatique et ionienne (EUSAIR), et la Suisse). En mars 2010, sept régions alpines adoptent une
est liée à une initiative du Conseil européen, auprès de la Com­mission ­première déclaration en faveur d’une telle stratégie, à Mittelwald,
européenne, en 2012. La communication, accompagnée d’un plan en Bavière (Allemagne) (1). En 2011, la Conférence alpine, organe
d’action, est approuvée en 2014, par la Commission, sur la base d’une décisionnel de la Convention alpine, soutient cette idée et envisage
consultation avec les acteurs territoriaux et en tenant compte des de l’articuler à la Convention, qui a pour objectif de promouvoir le
expériences des deux premières stratégies macrorégionales. L’EUSAIR développement durable de la région alpine, depuis son entrée en
intègre d’ailleurs la stratégie maritime pour les mers Adriatique et vigueur, en 1995. La Conférence alpine attire l’attention des gouver­
Ionienne. Lancée en décembre 2012, cette dernière est destinée nements nationaux et de la Commission européenne en 2012, ce qui
à tous les États membres riverains, et s’inscrit dans le cadre de la stra­ aboutit à un document commun, signé à Grenoble, en octobre 2013,
tégie maritime globale de l’UE. Quatre États non membres (l’Albanie, par quinze régions et sept États. L’EUSALP est ensuite élaborée par
la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie) participent à l’EU­ la Commission européenne, avant son approbation par le Conseil
SAIR, en plus des quatre membres de l’UE (l’Italie, la Grèce, la Slovénie européen, prévue au second semestre 2015. Elle intègre, au total,
et la Croatie). Les domaines d’inter­vention prioritaires demandent 48 régions, cinq États membres de l’UE (l’Autriche, la France, l’Alle­
encore à être affinés, en référence aux deux premières stratégies: l’EU­ magne, l’Italie et la Slovénie) et deux États non-membres (le
SAIR traite de la diversité économique, sociale et environnementale, Liechtenstein et la Suisse).
et de la fragmentation de la région adriatique et ionienne. Cette stra­
tégie est, d’emblée, synchronisée avec le nouveau dispositif de la pro­
grammation 2014-2020 de l’UE. Ceci permet à l’EUSAIR de bénéficier,
non seulement, des financements habituels mais aussi des fonds du
Cadre d’investissement en faveur des Balkans et de la Banque euro­ 1 La Bavière, le Tyrol du Sud, le Canton de Grisons, Tyrol, la Province de Trente,
péenne pour l’investissement (BEI). les Länder Salzbourg et Vorarlberg.
46 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Les stratégies macrorégionales de l’UE ne peuvent être dissociées certains pensent que le principe des trois «non» limite la capacité de
des bassins maritimes de l’UE, qui se présentent comme des espaces mise en œuvre, du fait du manque de soutiens financiers apportés par
de coopération des États et des collectivités infraétatiques autour l’UE. Cette dernière a donc prévu, dans le cadre des règlements pour
d’espaces maritimes et d’océans. Huit bassins maritimes sont inté­ la période de programmation 2014-2020, de demander un lien plus
grés dans la politique intégrée maritime de l’UE, développée systématique entre les programmes trans­nationaux de coopération
depuis 2007: les mers Adriatique et Ionienne, l’océan Atlantique, territoriale (INTERREG), d’une part, et une coordination entre les stra­
l’océan Arctique, la mer Baltique, la mer Noire, la Méditerranée, la mer tégies macrorégionales et les stratégies de bassins maritimes, d’autre
du Nord et l’espace maritime des régions ultrapériphériques. Seule part. Les programmes de coopération, dont les montants sont limités
la Stratégie de l’Atlantique a formellement été adoptée, telle par rapport à ceux des programmes régionaux de la politique de cohé­
quelle, en 2011. Elle est accompagnée d’un plan d’action pour la sion ou de ceux des États membres, retrouvent alors leurs rôles de
période 2014-2020 qui est censée contribuer à réaliser la stratégie catalyseurs, imaginés à leur origine, ne dispensant pas les États et les
dite de «croissance bleue» de l’UE. Les autres stratégies régionales régions de prendre la coopération au sérieux, en l’intégrant au cœur de
par bassin maritime soit sont intégrées par la suite dans une straté­ leurs stratégies et de leurs programmes (en dépassant le cadre d’IN­
gie macrorégionale (Adriatique et Ionienne, Baltique), soit restent, TERREG). De surcroît, d’après les évaluations, ces stratégies ont permis
pour l’instant, un instrument de la politique maritime intégrée de l’UE. de compléter l’approche ascendante (bottom-up), qui caractérise la
pratique INTERREG, par une logique descendante (top-down). C’est
Les stratégies macrorégionales renforcent la capacité de l’UE à inter­ pour cette raison que le Conseil européen a demandé à la Commission
venir en matière d’aménagement du territoire, considéré, non pas, en de préparer une stratégie pour la mer Baltique. L’élaboration de ces
termes de planification contraignante (master plans, hard planning) stratégies constitue une approche innovante et intégrée, qui combine
mais comme une approche intégrée, comportant une véritable dimen­ démarches ascendante et descendante. Enfin, les stratégies macroré­
sion stratégique (place based approach, soft planning: coordination gionales répondent à un besoin d’articuler des territoires localisés
horizontale entre politiques sectorielles, et coordination verticale entre à l’intérieur de l’UE et des territoires situés au-delà de ses frontières
régions, États et Union européenne). En d’autres termes, ces disposi­ externes, en vue de gérer des espaces qui présentent une unité phy­
tifs renforcent la capacité de l’UE à produire une cohésion territoriale, sique et qui sont soumis aux mêmes pressions environnementales.
en complément des politiques d’aménagement des États. Cependant, Seule une approche multilatérale peut répondre à ces défis.
■ Stratégies macrorégionales
Océan Arctique
et bassins maritimes
Stratégie macro-égionale

Bassin maritime

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 4 7
Etat membre de l’Union européenne
ISLANDE

Etat non membre de l’Union européenne

Macro-région baltique

FINLANDE

Océan Atlantique NORVÈGE SUÈDE Mer Baltique


ESTONIE
RUSSIE

DANEMARK LETTONIE

LITHUANIE
Mer du Nord RUSSIE
IRLANDE BÉLARUS
BRASIL

ROYAUME-
UNI POLOGNE
PAYS-BAS
ALLEMAGNE Macro-région Danube UKRAINE
BELGIQUE

LUXEMBOURG RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE
SLOVAQUIE
MOLDAVIE
AUTRICHE
FRANCE HONGRIE ROUMANIE
SUISSE
Macro-région alpine SLOVÉNIE Mer Noire
CROATIE

BOSNIE- SERBIE
HERZÉGOVINE
MONTE- BULGARIE
ANDORRE MONACO
ITALIE NEGRO KOSOVO*
TURQUIE
ARYM
PORTUGAL
ESPAGNE Macro-région ALBANIE
adriatique et ionienne Mers Adriatique
et Ionienne GRÈCE

Mer Méditerranée
CHYPRE

200 km Sources : Interact, DG REGIO, DG MARE


*Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244 du MALTE
Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'à l'avis de la CIJ sur la Déclaration d'Indépendance du Kosovo.
1.5 La coopération aux frontières externes de l’Union

L’Union européenne a mis en place deux instruments destinés à faci­ Tous les pays intégrés entre 2004 et 2013 ont perçu ces aides (à l’ex­
liter la coopération transfrontalière sur ses frontières externes: ception de Malte et de Chypre).
­l’instrument de préadhésion (IPA) et l’instrument européen de voisi­
nage (IEV). Si le premier s’intéresse aux pays candidats qui intè­ Le programme TACIS, mis en place en 1991, accompagne la tran­
greront l’UE, à courte ou moyenne échéance, et concerne, par sition de 12 États résultant du démantèlement de l’URSS en 1991,
conséquent, les frontières qui deviendront, à terme, internes, le deu­ dont la Russie. Les objectifs sont similaires à ceux de PHARE, mais
xième s’adresse à des États qui n’ont pas vocation, nécessairement, TACIS se distingue de ce dernier car il accompagne la transition des
à entrer dans l’UE, et correspond à des frontières externes d­ estinées Nouveaux États indépendants (NEI), qui, géographiquement, sont
à le rester durablement. plus éloignés (et, pour certains, localisés en Asie), vers la démocratie
parlementaire et l’économie de marché. La Mongolie faisait d’ailleurs
La politique de voisinage s’inscrit dans le prolongement des pro­ partie de ce groupe d’États entre 1991 et 2003. TACIS sera rem­
grammes PHARE et TACIS, ainsi que de MEDA, pour la zone méditerra­ placé, à partir de 2007, par la politique européenne de voisinage
néenne. Les deux premiers programmes sont élaborés en réponse aux (PEV). Cette politique est accompagnée d’un instrument financier,
changements d’ordre géopolitique qui affectent l’Europe, à la fin des l’instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP), puis par
années 1980. Le troisième se situe dans une perspective plus large, l’instrument européen de voisinage (IEV) depuis 2014.
celle du développement des territoires autour de la mer Méditerranée.
Dans les trois cas, l’objectif est d’instaurer une aire de stabilité, qui Le programme MEDA avait comme objectif d’apporter un support
s’étende au-delà du continent européen, et d’éviter que les frontières financier à la politique de l’Union méditerranéenne, définie par la
externes ne deviennent des lignes de disparités marquées. déclaration de Barcelone de 1995. Cette initiative de l’UE, qui asso­
cie à cette dernière une dizaine de pays des rives orientales et méri­
En 1989, la CEE instaure le programme PHARE en vue d’apporter dionales, est destinée à promouvoir un espace de paix et de stabilité
un soutien financier à la transition économique et politique de la et à construire une aire de prospérité partagée, autour de cet espace
Pologne et de la Hongrie, deux pays socialistes du Conseil d’assis­ maritime. Cette politique part du constat que la mer Méditerranée
tance économique mutuelle (CAEM), qui connaissent des change­ constitue une zone révélant des écarts notables de développe­
ments politiques substantiels préfigurant l’ouverture du mur de ment, qu’il convient d’atténuer, afin d’éviter l’émergence de tensions.
Berlin, le 9 novembre 1989: négociations entre le gouvernement et Le processus a été renforcé par la création de l’Union pour la Médi­
le syndicat Solidarnosc, qui instaurent des élections, en partie libres, terranée (UpM) en 2008, qui associe les 28 États de l’UE à 15 États
à l’assemblée, en Pologne, au printemps 1989; démantèlement par­ riverains (dont certains États limitrophes de la mer Adriatique,
tiel du rideau de fer, au printemps 1989, en Hongrie. Ce programme, comme l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro).
qui sera étendu ensuite à d’autres pays, est destiné à apporter des
soutiens à la transition des États d’Europe centrale et orientale, PHARE a été transformé en programme de préadhésion, en perspec­
après la fin de la guerre froide (démantèlement du rideau de fer), tive de l’élargissement de 2004, à partir de 2000. Il a alors été com­
et devient, à partir de 1994, un instrument de la stratégie de pré­ plété par deux nouveaux instruments: l’instrument structurel de
adhésion de ces États. L’objectif est, dans un sens, économique, préadhésion (ISPA) et l’instrument agricole de préadhésion (SAPARD),
puisqu’il s’agit de faciliter le passage d’une économie planifiée à une le premier étant destiné à préparer les pays candidats à la gestion
économie capitaliste, mais aussi politique, puisqu’il s’agira de favo­ des politiques communautaires et de la politique régionale, et le
riser l’émergence de régimes démocratiques fondés sur l’État de droit. second, à la politique agricole commune (PAC). Le besoin de préparer
les pays candidats à la gestion des fonds européens et d’assurer une

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 4 9
transition, a incité à la mise en place de l’IPA. L’article 49 du traité de
l’UE prévoit qu’un futur candidat doit respecter les critères du Conseil
européen de Copenhague, de juin 1993, à savoir l’adoption d’un
régime démocratique doté d’institutions stables, l’instauration d’un
État de droit, le respect des droits de l’Homme, de la liberté, de l’éga­
lité et d’une protection des minorités, et enfin, l’existence d’une éco­
nomie de marché et l’obligation de suivre les règles du traité sur l’UE.
Depuis 2007, deux types de pays bénéficient de l’IPA: d’une part, les
pays candidats (1) et, d’autre part, les pays potentiellement candi­
dats (2). La différence entre les deux catégories dépend du degré
d’avancement des négociations avec la Commission européenne. Frontière entre la Finlande et la Russie
L’IPA permet à l’UE d’apporter un soutien à des programmes entre
des États membres et des États en préadhésion, des États en préad­
hésion entre eux, mais aussi entre ces derniers et d’autres pays limi­ favorisant l’utilisation de pratiques similaires, ce qui permet d’ac­
trophes, non membres de l’UE. L’IPA est ainsi divisé en cinq croître la cohésion le long de ces frontières.
composantes: assistance technique et construction des institutions,
coopération transfrontalière, développement régional, développe­ Pour la période 2007-2013, l’IPA a remplacé et regroupé plusieurs
ment des ressources humaines et développement rural. Seules les programmes (PHARE, ISPA, SAPARD, CARDS, instruments financiers
deux premières composantes sont ouvertes à l’ensemble des parte­ pour la Turquie), ce qui a permis de renforcer la cohérence, grâce
naires. Le programme IPA CBC (cross-border cooperation), qui intègre à une gestion plus intégrée. Tous les champs de coopération sont
les coopérations entre les États membres et les pays bénéficiaires, couverts: éducation, culture, emploi, transport, environnement. Pour
mais aussi celles entre les pays candidats entre eux, joue un rôle la période 2014-2020, l’IPA II continuera de se focaliser sur les
essentiel, car il incite les partenaires, localisés des deux côtés de la futurs élargissements. 12 programmes sont prévus pour cette
frontière, à une gestion partagée et à développer une approche tran­ période entre l’UE et les pays candidats, qui couvrent des régions
sitionnelle: application des mêmes règles, gestion commune des transfrontalières en Europe du Sud-Est, de la mer Adriatique à la mer
budgets. L’objectif est de disposer d’une seule autorité de gestion, Noire. En dehors de la Grèce, présente dans trois programmes (avec
localisée dans un État membre, afin de renforcer l’harmonisation et l’Albanie, l’ancienne République yougoslave de Macédoine et la
l’intégration; mais la possibilité existe de décentraliser une partie de Turquie), les États membres considérés ont été intégrés récemment,
la gestion dans le pays voisin, si l’émergence d’une seule autorité en 2004 ou en 2007. Le passage d’État candidat à État membre
pose des difficultés entre les partenaires. La démarche consiste modifie la structure de certains programmes. Ceci a été le cas lors
à combiner des principes avec une approche pragmatique, tout en de l’adhésion de la Croatie, en 2013, puisque certaines frontières, en
devenant internes, bénéficient alors des fonds du FEDER. L’IPA
concerne essentiellement des États d’Europe centrale et des fron­
1 Albanie, Monténégro, ancienne République yougoslave de Macédoine,
tières édifiées récemment (celles qui résultent de la décomposition
Serbie, Turquie. de l’ancienne République de Yougoslavie), ainsi que la Turquie.
2 Bosnie-Herzégovine, Kosovo. Il existe ainsi sept programmes entre des États non membres. Par
50 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Île de Rügen, mer Baltique

ailleurs, deux programmes de coopération transfrontalière avec la aux trois États du Caucase. La Russie participe indirectement à ce
Turquie n’ont pas été validés (Grèce-Turquie et Chypre-Turquie). partenariat, à travers un programme de coopération interrégional et
La gestion suit largement les règles existantes des fonds structurels. sept, transfrontaliers. La dyade entre la Finlande et la Russie, d’une
longueur supérieure à 1 500 km, fait l’objet de coopérations trans­
Pour la politique de voisinage, deux types de partenariat ont été frontalières, depuis le début des années 1990: elle sert de cadre
mis en œuvre (partenariat avec l’est et partenariat avec le sud), qui d’inspiration aux autres coopérations. Le second partenariat a été
poursuivent des objectifs plus ou moins similaires, mais leurs moda­ élaboré avec une dizaine d’États méditerranéens (y compris l’auto­
lités d’application et les démarches sont singulièrement diffé­ rité palestinienne). Sur le plan juridique, le traité de Lisbonne évoque
rentes. De manière générale, l’objectif politique est d’éviter que les le développement de liens privilégiés avec des États qui n’ont pas
frontières externes de l’UE ne soient synonymes de fossés, et de forcément vocation à intégrer l’UE. Trois programmes ont été initiés:
faire en sorte que des relations étroites puissent se développer entre ils couvrent des frontières entre États membres et non membres,
l’UE et ses États voisins. Cette politique prône, par conséquent, non essentiellement maritimes: sur les trois programmes, un seul est
seulement la recherche de la stabilité mais aussi la croissance de la transfrontalier (Italie-Tunisie), alors que les deux autres s’établissent
prospérité, la sécurité et la promotion d’un développement durable. à un niveau interétatique (mer Méditérranée, Mid-Atlantic). Les ins­
Le Partenariat oriental se décline sous la forme de programmes truments du partenariat méditerranéen s’inscrivent principalement
associant six États et concernant essentiellement des frontières dans une logique interétatique, alors que, dans le Partenariat orien­
­terrestres: lors de son élaboration, elle devait concerner, en 2002, la tal, la présence des deux niveaux traduit l’importance de la coopé­
Biélorussie, l’Ukraine et la Moldavie, puis elle a été élargie, en 2004, ration transfrontalière.
Pour la période 2007-2013, l’UE s’est dotée d’un instrument unique, taille équivalente dans les États non membres. Les programmes

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 5 1
l’IEVP, qui a fait l’objet d’une première stratégie en 2006, pour une s’établissent sur les frontières terrestres ou entre des régions sépa­
période de quatre ans (2007-2010), puis d’une deuxième, élaborée en rées par un étroit espace maritime (distance inférieure à 150 km).
cours de programme, pour 2011-2013. Le fonctionnement du pro­ De la mer de Norvège à la mer Noire, en passant par la mer
gramme suit trois étapes. La Commission élabore des rapports sur les Baltique, 11 programmes transfrontaliers concernent principalement
situations économiques, sociales et institutionnelles de chacun des l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et la Russie (y compris l’oblast
pays. Dans un deuxième temps, sont négociés des plans d’action ou de Kaliningrad). Sur la mer Méditerranée, un seul programme est
agendas d’association, spécifiques à chaque État, qui décrivent les pro­ recensé: organisé autour d’une frontière maritime (canal de Sicile), il
positions à mettre en œuvre, pour une période allant de trois à cinq ans: associe les provinces méridionales de la Sicile aux gouvernorats
12 plans bilatéraux (présentant l’assistance de l’UE à chacun des pays) côtiers de la Tunisie mais ne comprend pas Malte, qui est pourtant
ont été signés pour l’instant. L’UE demande à des comités de suivre située entre ces deux territoires.
l’évolution des plans et d’évaluer leur mise en application: un rapport
sur les progrès de la politique de voisinage est d’ailleurs publié tous les Enfin, parmi les programmes établis sur les frontières terrestres,
ans. À côté des plans bilatéraux, des programmes interrégionaux (pro­ le programme Kolarctic présente une originalité, tant par son péri­
posant une assistance à un certain nombre de pays de la zone géogra­ mètre, qui lui donne une dimension interrégionale, que par ses carac­
phique concernée, sur un thème particulier) et transfrontaliers téristiques géographiques. Il couvre une zone située en périphérie
(coopération entre des régions des États membres et pays partenaires, nord de l’Europe, en bordure de la mer de Norvège et de la mer de
de part et d’autre de la frontière externe de l’UE) ont également été ini­ Barents. Ces territoires, peu peuplés et largement couverts de forêts,
tiés. La Commission apporte un soutien financier, qui peut être com­ sont également habités par des peuples qualifiés d’indigènes,
plété par des prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) ou les Sames notamment. Le programme cherche à promouvoir une
de la Banque européenne pour la reconstruction et le développe­ coopération transfrontalière, dont l’une des dimensions consiste
ment (BERD). Comme pour les programmes de préadhésion, la gestion à lutter contre l’enclavement et l’éloignement et à favoriser le déve­
des programmes de coopération transfrontalière prévoit l’existence loppement économique, dans ces espaces de très faible densité.
d’un cadre commun, de règles partagées, avec pour objectif d’établir La Norvège, associée à cette coopération, apporte ses propres res­
un partenariat équilibré entre les différents partenaires. Le projet ne sources financières.
peut débuter que s’il est instauré conjointement des deux côtés de la
frontière. La gestion est assurée par une autorité locale ou régionale, La troisième catégorie de programmes réunit des régions NUTS2
située dans un État membre. Les projets doivent s’inscrire dans l’un des des États membres, à des régions de taille équivalente dans les
quatre grands domaines stratégiques: promouvoir un développement États non membres, autour d’un espace maritime qui est considéré,
économique et social des deux côtés de la frontière; relever des défis à la fois, comme une frontière et comme un espace de ressources
communs dans les secteurs de l’environnement, la santé et la lutte commun: la mer Baltique, le bassin méditerranéen, le Mid-Atlantic et
contre la criminalité; sécuriser les frontières; et promouvoir des actions la mer Noire. Les programmes peuvent intégrer des territoires
transfrontalières pour rapprocher les populations. adjacents sur certaines actions, à condition de le justifier.

Pour la période 2014-2020, trois catégories de programmes de coo­ Parmi les 16 programmes, deux couvrent un périmètre très étendu.
pération transfrontalière ont été élaborés. Les deux premiers asso­ Le programme Bassin maritime Méditerranée comprend 14 États
cient des régions NUTS3 des États membres, avec des régions de limitrophes de l’espace maritime. Il caractérise une zone où les
52 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

contrastes socioéconomiques entre la rive nord et la rive sud sont En définitive, les politiques de coopération menées sur les frontières
particulièrement accusés. Deux grandes orientations ont été privilé­ externes de l’UE, qualifiées d’IPA, concernent les États dont le pro­
giées par les États participant aux programmes, qui ont choisi ces cessus d’adhésion est en cours. Ces programmes de coopération
thèmes parmi ceux proposés par la Commission: la promotion du suivent, par conséquent, les mêmes règles que les programmes
développement économique et social, d’une part, et la gestion de INTERREG. L’IPA est bien un processus de transition qui doit per­
l’environnement, d’autre part. Dans ce cadre, la coopération inter­ mettre aux acteurs des pays candidats de s’habituer aux normes de
culturelle est considérée comme un axe transversal. gestion de la Commission. Ces frontières externes sont destinées
à se transformer progressivement en frontières internes.
Le programme Mer Baltique couvre, lui aussi, une très large étendue,
puisque, en dehors des États limitrophes, il associe également la L’instrument européen de voisinage poursuit six objectifs principaux:
Norvège et la Biélorussie dans leur ensemble, ainsi que plusieurs faciliter l’émergence d’un cadre démocratique, permettre une conver­
régions russes et polonaises éloignées, qui correspondent aux bas­ gence des règles avec les normes régissant le marché intérieur, gérer la
sins fluviaux des cours d’eau qui se jettent dans la mer Baltique. mobilité des personnes, favoriser le développement économique et
La lutte contre la pollution étant l’un des objectifs visés, il est impor­ social, mettre en œuvre une atmosphère basée sur la confiance et les
tant d’associer l’ensemble des collectivités pouvant contribuer à une bonnes relations, et améliorer les coopérations à différentes échelles.
amélioration de la situation environnementale. Ce programme C’est dans ce dernier volet que s’inscrivent les programmes CBC de l’IEV,
­s’articule autour de la stratégie macrorégionale pour la Région Mer qui s’inspirent de la politique de coopération des programmes INTERREG,
Baltique (EUSBSR), qui couvre un périmètre plus vaste et qui associe mais ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs et, de ce fait, se dis­
les autorités nationales. tinguent de l’instrument de préadhésion, tout en utilisant des règles
similaires de mise en œuvre. Grâce au développement de partenariats
Les deux autres programmes sont moins étendus que les précédents. à différentes échelles, qui permet d’associer, à la fois, des États et des
Le programme Mer Noire est destiné à renforcer la coopération régio­ collectivités locales, l’UE incite ces derniers à se doter de moyens com­
nale entre les États limitrophes de la mer Noire. Le périmètre du pro­ muns et de ressources partagées, et à élaborer des stratégies com­
gramme dépasse cependant les six États limitrophes, puisqu’il inclut munes. La politique de voisinage est pensée, avant tout, comme un
également des États du Caucase (l’Arménie et l’Azerbaïdjan), la moyen d’assurer une stabilité politique dans des zones limitrophes de
Moldavie et la Grèce. Les enjeux de ce programme concernent, à la l’UE et, en cela, elle s’inscrit bien dans le cadre de la construction euro­
fois, le transport de l’énergie, puisqu’il s’agit d’un des itinéraires péenne visant à élaborer un large espace de paix, auquel est associée
qu’empruntent les pétroliers et les méthaniers transportant le gaz et l’idée de prospérité. L’objectif n’est cependant pas simplement d’élabo­
le pétrole produits en Russie et dans les pays riverains de la mer rer des partenariats mais de diffuser un modèle politique et écono­
Caspienne, vers le reste du monde, et les conflits de la région du mique, celui de régimes démocratiques, qui reposent sur l’existence
Caucase. Contrairement aux trois autres programmes, qui existaient d’États de droit, respectant la liberté des individus, les droits de l’Homme
déjà lors de la phase précédente de programmation, le programme et l’autonomie des collectivités territoriales, et qui adoptent un système
Mid-Atlantic, centré sur le Maroc (dont il couvre une partie du terri­ économique capitaliste. L’idée est bien de développer une approche
toire national sur la côte atlantique) et les régions du sud du commune des frontières externes, à partir de l’UE, et d’assurer une forme
Portugal, l’Andalousie et l’archipel des Canaries, en Espagne, d’intégration, sans que les États considérés fassent partie de l’UE. Cette
a débuté en 2014: il recouvre une partie du programme RUP MAC politique établit, en quelque sorte, un nouveau cadre de proximité entre
(Madère-Açores-Canaries). l’UE et les États qui lui sont limitrophes.
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 5 3
Sveti Stefan, Montenegro

Dans ce contexte, le Partenariat oriental diffère sensiblement du trouvent l’UE et les États européens non membres de l’UE faisant
Partenariat méridional. À l’est, l’enjeu de la politique de voisinage est déjà partie des programmes INTERREG (Suisse, Norvège), puis les
d’assurer de bonnes relations avec les États situés entre l’UE et la futurs candidats et les États de la politique de voisinage (y compris
Russie qui, en obtenant leur indépendance, ont vu leur situation géo­ la Russie), qui fonctionnent comme une périphérie associée, et enfin,
politique changer. Ces derniers apparaissent comme une zone inter­ les autres États du monde. Cette organisation se heurte, cependant,
médiaire entre l’UE et la Russie. C’est aussi une zone de transit, au fait que la politique de voisinage tient compte des différences
marquée par l’enjeu du transport énergétique. Mais la politique de voi­ existant entre les États et que, par conséquent, une harmonisation
sinage, censée apporter et garantir une stabilité, semble être considé­ des pratiques est difficile à opérer à court terme, sur l’ensemble des
rée par la Russie, comme un instrument de diffusion d’un modèle programmes. Par ailleurs, on peut se demander si cette politique est
politique, idéologique et culturel lui étant défavorable. Au sud, la zone en mesure de résorber les différentiels économiques et politiques
méditerranéenne apparaît comme un espace marqué par des situa­ existants, tant ces derniers sont parfois importants. Seule une poli­
tions tendues ou fragiles. L’espace maritime s’apparente à une dis­ tique de long terme peut envisager une éventuelle convergence.
continuité physique qui révèle des disparités économiques, politiques On peut toutefois s’interroger sur la manière dont les États per­
et socioculturelles, et qui est marquée par les tensions migratoires. çoivent et interprètent la politique de voisinage. Le développement
de partenariats peut, selon les cas, apparaître comme une oppor­
L’organisation des politiques de coopération transfrontalière repose tunité (financière, politique ou symbolique), ou s’apparenter à une
sur une logique d’auréoles concentriques, au centre desquelles se contrainte, voire à une forme subtile de domination.
■ Programmes transfrontaliers
de l’Instrument d’aide de préadhésion
IPA CBC 2014-2020
Programme IPA CBC 2014 -2020

Programme IPA CBC entre pays hors UE

Etat membre de l’Union européenne

Etat non membre de l’Union européenne


HONGRIE
Croatie-Serbie Hongrie-Serbie
ROUMANIE
Croatie-Bosnie Roumanie-Serbie
Mer Noire
Serbie-Bosnie CROATIE Serbie-Montenegro
Bulgarie-Serbie Albanie-Kosovo
Bosnie-Montenegro BOSNIE- SERBIE
HERZÉGOVINE

BULGARIE Bulgarie-Turquie
Mer Adriatique
MONTE- KOSOVO*
ITALIE NEGRO
Italie-Albanie-Montenegro
ARYM TURQUIE
Bulgarie-ARYM
ALBANIE
Grèce-ARYM

Albanie-Montenegro GRÈCE
Grèce-Albanie ARYM-Albanie
Mer Égée

Mer Ionienne
Montenegro-Kosovo

Mer Méditerranée

200 km *Cette désignation est sans préjudice des positions sur le statut et est conforme à la résolution 1244 du Sources : DG REGIO, INTERACT
Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'à l'avis de la CIJ sur la Déclaration d'Indépendance du Kosovo.
■ Programmes transfrontaliers de voisinage
ENI CBC 2014-2020
Kolarctic / Nord

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 5 5
Karélie / Russie

RUSSIE

FINLANDE Sud est de la Finlande / Russie


NORVÈGE MER BALTIQUE
Programme ENI CBC 2014 -2020 SUÈDE Mer Baltique Estonie / Russie
ESTONIE

Programme ENI Bassin Maritime 2014-2020 Lettonie / Russie


DANEMARK Lituanie / Russie LETTONIE

Etat membre de l’Union européenne LITUANIE


Lettonie / Lituanie / Russie
Pologne / Russie
RUSSIE BÉLARUS
Etat non membre de l’Union européenne
BRASIL IRLANDE

UKRAINE
POLOGNE
ALLEMAGNE Pologne / Bélarus / Ukraine Mer Caspienne

Hongrie / Slovaquie / SLOVAQUIE MOLDAVIE


Roumanie / Ukraine Roumanie / Moldavie GÉORGIE
HONGRIE AZERBAÏDJAN
Océan Atlantique FRANCE
Roumanie / Ukraine Mer Noire
MER NOIRE ARMÉNIE

ITALIE ROUMANIE

BULGARIE

TURQUIE
PORTUGAL ESPAGNE

GRÈCE
MER MÉDITERRANÉE LIBAN
SYRIE

MID-ATLANTIQUE
CHYPRE
Mer Méditerranée
MALTE

Italie / Tunisie ISRAËL


JORDANIE
TUNISIE

MAROC
ALGÉRIE

LYBIE
ÉGYPTE

200 km
Sources : DG REGIO, DG NEAR, INTERACT
1.6 La coopération transfrontalière et transnationale
dans les régions ultrapériphériques

Les régions ultrapériphériques (RUP), dont le statut a été attribué comme des régions en retard de développement, les RUP bénéfi­
officiellement par l’UE en 1992, regroupent des territoires qui font cient, à la fois, de financements du FEDER et du Fonds social euro­
partie d’États européens, tout en étant situés hors de ce qui est péen (FSE), avec un taux de financement plus élevé que celui des
défini, par convention, comme l’Europe géographique. Considérés autres régions: ce dernier peut atteindre 85 % contre 50 %. Cette
comme insérés géographiquement dans d’autres continents, les RUP spécificité a été conservée après 2004, alors que, dans le contexte
sont marquées par une double discontinuité: géographique (distance, de l’élargissement de 2004, plusieurs RUP ont vu leur place, dans
présence d’une étendue maritime) avec leur territoire politique, et l’échelle des richesses de l’UE, se modifier et quitter le cadre des
politique (frontière internationale) avec l’espace géographique envi­ régions pauvres. De 2007 à 2013, les RUP sont éligibles à l’objectif
ronnant. Tous les territoires lointains des États membres n’entrent «convergence», qui concerne les zones les moins développées de
cependant pas dans cette catégorie. En effet, le statut de RUP ne l’UE. Elles bénéficient ainsi de dispositifs spécifiques, mis en place
s’applique pas aux territoires d’outre-mer du Danemark, des Pays- pour répondre à leurs handicaps: Programmes d’options spécifiques
Bas, du Royaume-Uni et de certains territoires français. Il convient pour l’éloignement et l’insularité (POSEI).
de distinguer les RUP membres de l’UE et qui, à ce titre, participent
aux programmes de coopération territoriale et bénéficient des aides Les enjeux auxquels sont confrontés les RUP ont été décrits dans
de la politique régionale, des pays et territoires d’outre-mer (PTOM), plusieurs documents stratégiques, élaborés par les instances euro­
qui font partie d’un État membre mais qui ne sont pas intégrés péennes (communication en 2004; communication «Les régions
à l’UE, et qui, à ce titre, ne peuvent obtenir des aides de ces fonds. ultrapériphériques: un atout pour l’Europe» en 2008; 22 recomman­
En 2014, deux nouvelles régions françaises sont venues s’ajouter dations proposées en 2011; communication «Les régions ultrapéri­
aux sept régions identifiées en 1992 (les Açores, les Canaries, la phériques de l’Union européenne: vers un partenariat pour une
Guadeloupe, la Guyane, Madère, la Martinique et l’Île de la Réunion): croissance intelligente, durable et inclusive» en 2012), mais aussi
Saint-Martin qui a été détachée de la Guadeloupe en 2009, et par les États de tutelle (mémorandum signé par l’Espagne, la France
Mayotte qui, en passant du statut de collectivité territoriale d’outre- et le Portugal en 2010) et par les régions elles-mêmes (mémoran­
mer à département, a intégré l’UE en 2014. dum «Les RUP à l’horizon 2020» en 2009). Ces travaux montrent
que, progressivement, les RUP ne sont plus définies, uniquement,
Depuis le traité d’Amsterdam (1999), les RUP sont identifiées à travers leurs handicaps mais en fonction de leurs potentialités.
comme des régions qui présentent des handicaps spécifiques: insu­ Elles contribuent, du fait de leurs localisations géographiques,
larité, faiblesse de la population, éloignement des métropoles. au rayonnement de l’UE dans différentes régions du monde. Dans
L’obtention de ce statut, qui a fait l’objet de négociations avec les le cadre de la programmation 2014-2020, l’UE souhaite renforcer
instances européennes, à partir de la fin des années 1980, est l’ex­ l’adaptation des politiques européennes dans ces territoires, à tra­
pression d’une revendication et résulte d’une réflexion stratégique vers cinq axes stratégiques: améliorer l’accessibilité au marché
émanant de plusieurs de ces territoires. Une première conférence unique; accroître la compétitivité; renforcer l’intégration régionale
réunit les autorités de gestion des territoires considérés, dès 1988, avec les territoires environnants; conforter la dimension sociale; et
à Madère, avec pour objectif d’établir un dialogue avec les instances prendre en compte le réchauffement climatique.
européennes et avec leurs États respectifs, afin d’obtenir la recon­
naissance de leurs spécificités et de bénéficier de financements La stratégie générale qui s’esquisse, envisage une double intégra­
européens. Cette stratégie porte ses fruits: obtention du statut tion des RUP, à la fois, au sein de l’UE et au sein de leur environne­
en 1992, reconnaissance des handicaps en 1999. Considérées ment régional. Elle prend en compte les handicaps qui relèvent tant
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 5 7
Le massif de Sete Cidades,
Açores, Portugal

de leurs caractéristiques intrinsèques que de leurs situations géo­ des coûts élevés de transport. L’intégration politique à des États
politiques. Les RUP sont le plus souvent des territoires insulaires (1), européens permet certes de bénéficier du soutien et des infrastruc­
désavantagés par leurs petites tailles: superficie réduite et faiblesse tures d’un pays développé, mais les RUP sont concurrencées par les
du nombre d’habitants. L’étroitesse de leur marché empêche la réa­ territoires limitrophes moins développés, spécialisés dans les mêmes
lisation d’économies d’échelle. Leur économie est spécialisée dans créneaux économiques et dont les coûts salariaux sont souvent
certains secteurs, comme le tourisme, la pêche ou l’agriculture, ce moins élevés, mais avec lesquels elles entretiennent peu de rela­
qui les rend dépendantes de l’extérieur pour répondre aux besoins de tions. Pour la période 2014-2020, l’ambition est forte, puisqu’il s’agit
leurs populations. Enfin, du fait de leur localisation dans des régions de procéder à une double intégration (avec l’Europe et avec leur
tropicales, la probabilité de risques climatiques est plus importante environnement géographique). L’UE entend faire de ces territoires,
qu’en Europe. En définitive, leur situation géographique les pénalise des têtes de pont de son action vers les espaces environnants.
doublement. L’Europe est éloignée géographiquement: elle n’est Les RUP font partie de six programmes de coopération territoriale,
accessible que par voie aérienne et maritime, ce qui se traduit par qui intègrent une dimension multiscalaire et qui couvrent des péri­
mètres extrêmement étendus, hors de l’Europe géographique.

1 La Guyane, certes située sur la partie terrestre du continent américain, est très
étendue, mais entretenant assez peu de relations avec les États voisins (Brésil,
Le programme MAC réunit les archipels de Madère, des Açores, et
Suriname) et comptant peu d’habitants, relève d’une situation de même nature. des Canaries, en associant des pays d’Afrique occidentale. Le
58 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

programme existe depuis 2000 et comporte une dimension trans­ l’originalité d’associer deux composantes d’INTERREG (transfrontalier et
nationale. L’objectif est principalement de favoriser la coopération transnational). Il comporte trois axes: favoriser la croissance et l’emploi
entre les trois territoires, d’assurer un développement intégré et de et renforcer l’attractivité, par le désenclavement et la connectivité; valo­
permettre une collaboration avec les États africains limitrophes, riser et protéger le capital environnemental, à travers une gestion
selon trois grands axes: la promotion de la recherche et l’innovation; durable et la prévention des risques; renforcer la cohésion et l’intégra­
le renforcement de la gestion de l’environnement et la prévention tion sociale de l’espace Caraïbes. La zone des Caraïbes est largement
des risques; la coopération avec les pays tiers, avec l’application du couverte par des organisations régionales: la Communauté des
principe de voisinage élargi. Caraïbes (CARICOM), le Forum des Caraïbes (CARIFORUM) et l’Associa­
tion des États de la Caraïbe (AEC).
Le programme INTERREG Caraïbes, entre la Martinique, la Gua­deloupe,
la Guyane et Saint-Martin, s’étend sur un périmètre très vaste: il associe Le programme opérationnel Amazonie couvre une partie de la zone
des États et territoires insulaires de la zone des Caraïbes, ainsi que des continentale précédente et finance des projets de coopération entre
États continentaux de l’Amérique centrale (y compris le Mexique) et la Guyane française et les États continentaux voisins, le Suriname
d’Amérique du Sud (la Colombie, le Guyana, le Suriname, le Venezuela et le Brésil. Pour la période 2007-2013, il présentait une dimen­
et des États du nord du Brésil). Le programme, initié en 2000, présente sion exclusivement transfrontalière. La nouvelle programmation

Frontière entre la France (Guyane)


et le Brésil
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 5 9
XXe conférence des Présidents des RUP,
Guadeloupe, France (2015)

intègre un volet transnational et le Guyana fait, à présent, partie des Tanzanie en Afrique), l’Inde et l’Australie ainsi que les États insulaires
territoires éligibles. Alors que le programme INTERREG Caraïbes de la Commission de l’Océan indien (COI) (les Comores, Madagascar,
met ­l’accent sur l’intégration des RUP dans un contexte insu­ l’Île Maurice et les Seychelles). Ce programme, qui a débuté en
laire (les Caraïbes) et selon une approche régionale (avec les États 2000, présente également une double dimension transnationale
continentaux), le programme opérationnel Amazonie répond aux et transfrontalière.
spécificités d’une zone continentale caractérisée par l’existence de
très faibles densités de population et de la présence d’un milieu Les deux derniers programmes ont débuté en 2014 et couvrent des
­physique spécifique. aires restreintes, comparées aux zones décrites dans les quatre pro­
grammes précédents. Ainsi, le programme opérationnel Mayotte-
Le programme opérationnel Océan indien couvre également une très Madagascar-Comores couvre une partie de l’aire couverte par
large étendue. Il associe la Réunion (et depuis 2014, Mayotte) à des le programme Océan indien et se concentre sur Mayotte et les
États riverains de l’Océan Indien (le Kenya, le Mozambique et la deux territoires qui lui sont limitrophes: l’archipel des Comores et
60 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Madagascar. Trois priorités ont été retenues: accroître les échanges dans la catégorie des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et béné­
commerciaux; améliorer l’état de santé de la population et les ficient, à ce titre, du financement du Fonds européen de développe­
secours; et faciliter la mobilité des enseignants. ment (FED); une coordination de la programmation de ces deux fonds
est prévue pour financer conjointement des projets de coopération.
Le programme transfrontalier Saint-Martin est adapté à la situation par­
ticulière du territoire. En effet, l’île de Saint-Martin est divisée en deux, Ces différents programmes montrent que les stratégies développées
la partie nord étant un RUP et la partie sud, Sint Maarten, un pays au dans chaque zone doivent intégrer des dimensions très diverses, à la
sein des Pays-Bas. Lors du programme précédent, Saint-Martin était fois culturelles (aires culturelles et linguistiques), économiques (des
associé à la Guadeloupe. Le changement de statut permet ainsi d’envi­ niveaux de développement différents), géographiques (aire clima­
sager un programme dont l’objectif principal est de renforcer la coopé­ tique, milieux physiques, peuplements, caractéristiques continentales
ration avec Sint-Maarten, notamment dans les domaines de et maritimes) et géopolitiques (existence ou non de puissances
l’environnement, de la gestion de l’eau et de la prévention des risques. régionales). En définitive, il convient de souligner qu’en dépit de cette
diversité et au-delà des caractéristiques communes déjà décrites, la
Le FEDER, qui en règle générale, ne peut être dépensé que sur le ter­ particularité des RUP réside également dans la conscience qu’elles
ritoire européen, peut, par exception, être versé dans les régions voi­ ont de leurs spécificités et de la solidarité qui semblent les animer
sines des RUP, jusqu’à hauteur de 30 % de la dotation de chaque et qui les a conduit à revendiquer leur statut, tout en devenant une
programme. Par ailleurs, de nombreux pays voisins des RUP entrent force de proposition envers l’UE et leurs États nationaux respectifs.
■ La coopération transfrontalière et transnationale
dans les régions ultrapériphériques

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 6 1
Saint Martin Açores (PORTUGAL)

Caraïbes 2007-2013 Saint-Martin(FRANCE)


Madère (PORTUGAL)
Açores-Madère-Canaries
3 km
Canaries (ESPAGNE)

Saint-Barthélemy (FRANCE)
Guadeloupe (FRANCE)
Martinique (FRANCE)

Guyane (FRANCE)

Caraïbes 2014-2020
Mayotte (FRANCE)
Amazonie 2007-2013
Océan Indien 2014-2020

Amazonie 2014-2020
Mayotte-Madagascar-Comores 2014-2020

Océan Indien 2007-2013


Programme transfrontalier
Réunion (FRANCE)
Programme transnational

Etat membre de l’Union européenne

+ Inde, Sri Lanka et Australie


Etat non membre de l’Union européenne
1.7 Le GECT, un outil juridique pour la coopération territoriale

Le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) est un En vertu de l’article 5 du règlement (UE) n° 1082/2006, la constitu­
instrument juridique de l’UE, ayant pour objet de faciliter et de pro­ tion des GECT doit être notifiée au Comité des régions de l’UE, avant
mouvoir la coopération territoriale (transfrontalière, transnationale leur publication au Journal officiel de l’UE. Au 24 mars 2015,
ou interrégionale), dans le but de renforcer la cohésion économique, 53 GECT ont été créés sur le territoire de 19 États membres de l’UE.
sociale et territoriale. Il permet de constituer une structure dotée de
la personnalité juridique et de l’autonomie financière entre des Il existe une grande diversité de GECT:
membres publics (États, collectivités, etc.). Il peut aussi comporter • GECT portant sur une démarche territoriale intégrée, afin de favo­
des entreprises en charge de l’exploitation de services publics. Cette riser la définition et la mise en place d’une gouvernance adaptée
structure permet d’instaurer une gouvernance de la coopération à un territoire transfrontalier;
entre les membres concernés et de mener, pour le compte de ceux-ci, •
GECT, autorité de gestion d’un programme opérationnel trans­
des projets entrant dans leur champ commun de compétences, avec frontalier;
ou sans participation financière de l’UE. • GECT créé dans l’optique de soutenir et de mettre en place des pro­
jets transfrontaliers dans l’intérêt du territoire et des membres du
Le GECT est régi par trois sources de droit: le règlement européen (UE) GECT, comme l’hôpital transfrontalier de Cerdagne à la frontière
n° 1082/2006, modifié par le règlement (UE) n° 1302/2013; les dis­ entre l’Espagne et la France;
positions de sa convention et de ses statuts; le droit interne de l’État • GECT portant sur des réseaux, comme le réseau européen de
membre où le GECT a son siège. Il est constitué d’au moins une connaissances sur les politiques urbaines, plateforme d’échange
assemblée, composée des représentants de ses membres, et d’un d’idées et d’expériences dans le domaine du développement
directeur le représentant et agissant en son nom et pour son compte. urbain, réunissant plusieurs États européens.
D’autres organes peuvent être constitués facultativement, comme
un bureau ou un conseil consultatif. L’assemblée adopte annuelle­ Le GECT n’est ni le premier, ni le seul outil juridique susceptible de
ment le programme de travail du groupement, entrant dans le cadre porter des projets publics en Europe. Il a été précédé par des outils
de ses missions telles que définies dans sa convention constitutive, mis en place par divers accords bi- ou multilatéraux sur diverses
ainsi que son budget. frontières, dans le cadre de la convention de Madrid du Conseil de
l’Europe (citons ainsi le GLCT, Groupement local de coopération
En 2004, le commissaire Barnier a pris l’initiative de lancer la prépa­ transfrontalière, créé en 1996 par l’accord de Karlsruhe entre l’Alle­
ration d’un outil juridique qui fut largement soutenue par le Par­ magne, la France, le Luxembourg et la Suisse, puis étendu au niveau
lement européen, le Comité des régions et les associations de franco-belge en 2002, avec l’accord de Bruxelles; le Conseil de
collectivités. Créée par le règlement (UE) n° 1082/2006, concomi­ ­l’Europe, lequel a ensuite mis en place le GEC, Groupement euroré­
tamment à la nouvelle programmation des fonds structurels de l’UE, gional de coopération, s’inspirant du GECT). Il côtoie d’autres outils
pour la période 2007-2013, cette innovation législative s’inscrit plei­ moins élaborés (associations relevant de divers droit nationaux)
nement dans l’approfondissement de la politique européenne de ou issus d’autres usages (GEIE, Groupements européens d’intérêt
cohésion, instituée avec l’Acte unique européen de 1986, en corri­ économiques, quelquefois utilisés pour porter des projets transfron­
geant une carence initiale de cette politique. Celle-ci encourage, taliers). Ayant l’avantage d’être un outil utilisable par l’ensemble
en effet, la gestion conjointe de programmes et de projets transfron­ des acteurs publics de l’UE, il tend à devenir l’outil de référence pour
taliers, alors même qu’aucun outil juridique public de l’UE n’était porter territoires ou services transfrontaliers dans une logique de
­disponible pour porter une telle gestion. gouvernance durable.
L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 6 3
GETC «Cerdagne»: hôpital transfron-
talier dans les Pyrénées (France,
Espagne)

La constitution d’un GECT permet aux acteurs engagés d’être dotés permettant de réaliser ses missions (marchés publics, contrats, etc.).
d’une entité juridique commune, apte à mener des projets de déve­ Cela implique un engagement de ses membres, quant à des
loppement transfrontalier, dans le cadre d’un programme de travail dépenses de fonctionnement minimales, et leur participation au sein
annuel et d’un budget dédié, votés par ses membres. L’outil GECT des organes du GECT (assemblée).
permet donc de clarifier et simplifier la mise en œuvre de projets
communs. Il ne doit pas pour autant être considéré comme un outil La décision de créer un GECT est fondée sur un accord entre ses
indispensable à la coopération transfrontalière: la constitution membres (formalisé par une convention constitutive), qui partagent
d’un GECT répond à une volonté précise de ses membres, qui s’ac­ donc une volonté politique autour d’un partenariat ou de projets
cordent sur une forme de coopération adaptée à leurs projets com­ communs, pendant la durée de leur choix. Des GECT peuvent en effet
muns. Structure très souple, capable de se conformer exactement être créés pour une durée limitée, le temps de réaliser une mission
aux besoins de ses membres à l’intérieur du cadre juridique donné particulière (ainsi, le GECT qui gérait le programme INTERREG 2007-
par le règlement européen et les droits nationaux concernés, le GECT 2013 Grande Région, doit être dissous à la fin du programme),
reste cependant une structure détachée de ses membres, dotée ou pour une durée illimitée (installation pérenne d’une structure
d’une personnalité juridique et d’un budget propre, et qui peut recru­ ­juridique et, donc, d’une gouvernance formalisée autour de projets
ter directement son personnel et conclure des actes juridiques lui de coopération ou d’une infrastructure).
64 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

L’outil GECT est récent: le règlement européen qui l’a créé date rendre possible, pour l’assemblée d’un GECT, de choisir d’appliquer
du 5 juillet 2006. Les premiers GECT créés ont permis de mettre en les règles nationales du lieu du siège, en matière de passation de
évidence quelques difficultés de mise en œuvre, directement liées marchés, ou les règles d’un autre État membre dans lequel le GECT
à leur caractère transfrontalier, comme l’application du droit du lieu du exerce ses activités. Aujourd’hui, si un certain nombre de problèmes
siège pour le fonctionnement de la structure. Si un droit unique paraît peuvent être résolus, les questions de contrôle réciproque demeurent
logique pour le fonctionnement des organes et la comptabilité, gérer à préciser: chaque convention constitutive d’un GECT doit prévoir des
du personnel basé dans un autre État membre que le lieu du siège se modalités de contrôle réciproque. Mais aucune procédure harmoni­
révèle plus complexe, de même que conduire des actions ou passer sée n’existe quant aux modalités d’échange d’informations entre
des marchés publics dans un État membre où les lois sont différentes autorités chargées du contrôle de légalité.
du lieu du siège. Une première évolution du règlement, via un règle­
ment modificatif, en date du 17 décembre 2013, a permis de clarifier Le caractère récent de cet outil explique que des GECT ne se soient
le mode de fonctionnement des GECT, en prévoyant, à l’intérieur de pas encore constitués sur l’ensemble du territoire de l’UE. En juin
la convention, des modalités précises en termes de droit applicable. 2015, les 53 GECT existants comportaient des membres issus de
Par ailleurs, la directive 2014/24/UE, impose aux États membres de 21 États membres différents. Toutefois, les GECT axés sur la coopéra­

GETC «Université de la Grande Région»:


physicien, Université de la Sarre,
Allemagne
tion transfrontalière sont absents des frontières du nord de l­’Europe (où

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 6 5
d’autres formes de coopération, fondées sur des accords internationaux
ou via des associations, existent par ailleurs), du Royaume-Uni et de l’Ir­
lande, (coopération entre collectivités existant sous d’autres formes,
associatives notamment) et du sud-est de l’Europe (coopération plus
récente et centrée sur des formes ne requérant pas la création de struc­
tures juridiques dotées d’une ­personnalité morale et d’une autonomie
financière, comme le GECT). À l’inverse, la concentration de GECT dans
le «pentagone européen» s’explique par un poids plus important des
populations concernées (plus de la moitié de la population y réside dans
des zones frontalières, contre seulement un quart dans l’Europe des
quinze) et une coopération plus ancienne (proximité linguistique, struc­
turation d’eurorégions en GECT). Entre l’Espagne et le Portugal, plusieurs
GECT sont issus d’anciennes communautés de travail ­préexistantes,
GETC Zasnet: coopération transfronta-
mais non dotées d’une personnalité morale. Aux frontières françaises, lière en matière de préservation
les GECT expriment aussi la continuité de coopérations plus anciennes, environnementale (Portugal, Espagne)
qui se sont structurées juridiquement; l’exemple préexistant des GLCT
ayant permis de sa familiariser plus tôt avec ce type de fonctionnement
juridique transfrontalier. Le premier GECT a d’ailleurs été créé à la fron­ La création de l’eurométropole s’inscrit dans un processus d’appro­
tière franco-belge (Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai). fondissement de la coopération transfrontalière entre les différentes
collectivités la composant. En effet, la coopération territoriale dans
À titre d’illustration, quatre exemples de GECT peuvent être cités: cette partie de l’Europe est ancienne puisqu’à partir de 1991, ces
collectivités s’étaient déjà réunies dans une instance commune,
L’Eurométropole de Lille-Kortrijk-Tournai appelée la Conférence permanente intercommunale transfrontalière.
En 2003, une réflexion sur une démarche de gouvernance commune
Premier GECT créé en Europe, le 28 janvier 2008, l’Eurométropole est lancée, afin d’identifier les freins à la coopération et de recher­
Lille-Kortrijk-Tournai est située à la frontière franco-belge et cher des solutions dans certains domaines d’intervention communs.
regroupe 14 membres: pour la partie française, l’État français, la Cette réflexion a abouti à l’adoption de la convention et des statuts
région Nord-Pas-de-Calais, le département du Nord et la métropole du GECT Eurométropole de Lille-Kortrijk-Tournai, autour de la promo­
européenne de Lille; pour la partie belge, l’État fédéral belge, tion et du soutien d’une coopération transfrontalière efficace et
la Région et la Communauté flamandes, la province de Flandre occi­ cohérente, au sein du territoire concerné. Le GECT a ainsi pour mis­
dentale, l’intercommunale LEIEDAL (arrondissement de Courtrai), sion d’assurer la concertation et le dialogue, et de favoriser le débat
l’inter­commu­nale WVI (arrondissement de Roeselare, Leper et Tielt), politique, notamment en portant des projets traduisant une straté­
la Région wallonne, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la province du gie de développement élaborée en commun. Il vise ainsi à faciliter
Hainaut, l’intercommunale IDETA (arrondissement de Tournai et la vie quotidienne des habitants de la métropole transfrontalière, et
Ath, communes de Lessines, Silly et Enghien) et l’intercommu­ ses sujets de travail concernent notamment la mobilité et l’accessi­
nale IEG (arrondissement de Mouscron et commune d’Estaimpuis). bilité du territoire, une offre de services de qualité (soins de santé,
66 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

éducation, énergie durable), une gestion concertée de l’aménage­ pour justifier la construction de deux hôpitaux distincts. D’autres
ment du territoire et de l’environnement, ainsi que la création d’acti­ infrastructures de soins pourront être gérées par le GECT, dans son
vités et d’emplois. périmètre géographique d’intervention. Ses membres sont les auto­
rités compétentes en matière de santé, de part et d’autre de la fron­
La Grande Région tière, soit la région de Catalogne, pour la partie espagnole, et le
gouvernement français, la Caisse nationale d’assurance maladie des
Le GECT Grande Région, créé le 29 mars 2010, par le Grand-Duché travailleurs salariés et l’Agence régionale de santé, pour la partie
de Luxembourg, les Länder de Rhénanie-Palatinat et de Sarre, la française. Créé pour dix ans, ce GECT pourra voir sa durée prorogée
Région wallonne, la Communauté française de Belgique, la Com­ automatiquement, si aucun de ses membres ne s’y oppose.
munauté germanophone de Belgique et la région Lorraine, est le pre­
mier et seul GECT mis en place afin de devenir l’autorité de gestion ZASNET
d’un programme européen (programme opérationnel Grande
Région 2007-2013). À l’issue de la période de programmation 2007- Créé en janvier 2010, le GECT ZASNET est un exemple de structura­
2013, ce GECT est également le premier à être dissous. Un autre tion juridique de la coopération transfrontalière en matière de pré­
GECT se substitue à celui-ci, pour la gestion du programme INTERREG servation environnementale. Il agit également dans les domaines du
Grande Région 2014-2020. tourisme, de la culture et du développement durable. Regroupant
deux membres portugais (les associations des municipalités de Terra
L’hôpital transfrontalier de Cerdagne Fria do Nordeste Transmontano et de Terra Quente Transmontana)
et trois membres espagnols (les députations provinciales de Zamora
Créé le 26 avril 2010, le GECT Hôpital de Cerdagne est un projet de et Salamanque, et la municipalité de Zamora), il mène, pour leur
type opérationnel. Il a été constitué pour construire et exploiter un compte, une coordination en matière de développement territorial
hôpital capable de fournir des soins médicaux à environ 30 000 habi­ transfrontalier dans les domaines précités. Le 9 juin 2015, l’UNESCO
tants de la vallée isolée de la Cerdagne, de part et d’autre de la fron­ a approuvé la Meseta Ibérica comme la quinzième réserve de
tière franco-espagnole, les populations françaises et espagnoles ­bio­sphère transfrontalière: cette action a été portée par le GECT
considérées séparément n’atteignant pas la taille critique nécessaire ZASNET, et cette réserve sera la première gérée par un GECT.
Echelle locale

■ Groupements Européens Territoire à caractère urbain

de Coopération Territoriale (GECT) Territoire à caractère rural

Equipement transfrontalier opérationnel

Echelle régionale

L’ U E E T S E S P O L I T I Q U E S D E C O O P É R AT I O N A U X F R O N T I È R E S I N T E R N E S E T E X T E R N E S ■ 6 7
Echelle suprarégionale

Réseau

Programme européen

Etat membre de l’Union européenne

Etat non membre de l’Union européenne


European Urban
Knowledge Network

Central European
BRASIL
Eurométropole Transport Corridor
Interreg Programme Lille-Kortrijk-Tournai
Sajó-Rima
Grande Région
Karst-Bodva
Linieland van Waas en Hulst Ister-Granum
Abaúj-Abaújban
West-Vlaanderen/ Grande Région Tritia Tatry Ung-Tisza-Túr-Sajó
Flandre-Dunkerque-Côte d´Opale Spolocný región
ESPON Via Carpatia Bodrogközi
Alzette-Belval Corridor Rhin-Alpes Svinka
Eurodistrict SaarMoselle Rába-Danube-Vág Torysa
Eurodistrict Strasbourg-Ortenau Arrabona Villes frontalières europénnes
Nógrád
Pons Danubii Porte de l’Europe
Euregio Tirolo-Alto Bâtir un avenir européen commun
Eurorégion Aquitaine-Euskadi Adige-Trentino Pannon
GO Banat-Triplex Confinium
Galicia- Norte Portugal
Euregio Senza Confini
Huesca Pirineos- Parc européen
Eurocidade Chaves-Verín Hautes Pyrénées Alpi Marittime-Mercantour
Pirineus-Cerdanya Villes de la
Espace Pourtalet céramique
ZASNET Hôpital Pays d’art et d’histoire transfrontalier
Duero-Douro de Cerdagne Parc marin international
des Bouches de Bonifacio
Amphictyony
Faja Pirítica Ibérica
Eurorégion
Pyrénées-Méditerranée
Archimed

200 km
2
La coopération territoriale
aux frontières des pays
de l’Union européenne
70 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

La coopération transfrontalière entre les États européens est soute­ à l’Union soviétique. La coopération transfrontalière, telle qu’elle est
nue par la Commission européenne, à partir de 1990 mais, comme entendue dans cet ouvrage – à savoir un partenariat entre des col­
nous l’avons vu dans la partie précédente, des initiatives avaient été lectivités territoriales situées, de part et d’autre d’une frontière natio­
proposées bien avant cette date. Par ailleurs, l’existence d’échanges nale –, ne s’applique donc pas, pendant plus de 40 ans, à l’Europe
transfrontaliers ne constitue pas une nouveauté en soi. En revanche, entière. Jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, cette coopéra­
ces derniers ont connu une augmentation substantielle et les projets tion entre des régions européennes limitrophes ne peut se dévelop­
transfrontaliers se sont multipliés. Qu’il s’agisse de flux, de parte­ per que dans la partie occidentale de l’Europe, au sein de laquelle
nariats ou de projets, le transfrontalier consiste à décrire et à com­ les régimes politiques démocratiques autorisent l’autonomie des col­
prendre l’articulation entre deux ou plusieurs territoires nationaux, en lectivités territoriales et l’existence d’une société civile. Les frontières
prenant en compte une dimension de proximité. Autrement dit, l’ana­ ne sont cependant pas immuables. Les conflits entre les États pro­
lyse des politiques de coopération territoriale en Europe demande voquent de fréquentes reconfigurations territoriales et des change­
d’interroger la frontière et les dimensions territoriales des États. ments de limites: cela a été le cas tout au long du XIXe siècle et
En effet, en tant que limite de souveraineté, la frontière institue une d’une grande partie du XXe siècle. La carte d’Europe a ainsi connu
différenciation significative entre des territoires nationaux. Cette de nombreux changements. Plus récemment, l’ouverture du mur
conception moderne d’un territoire continu, d’un seul tenant et cir­ de Berlin et le démantèlement du rideau de fer ont entraîné la dis­
conscrit par une limite précise, émerge véritablement avec les traités parition de certains États et de profondes recompositions territo­
de Westphalie (1648). La frontière westphalienne ne s’impose cepen­ riales. La frontière entre les deux Allemagnes a certes disparu avec
dant que progressivement dans l’espace et dans les imaginaires des la réunification, mais la Tchécoslovaquie s’est divisée en deux et la
populations, à travers l’institution d’un système juridique, l’édification décomposition de la Yougoslavie a provoqué l’apparition de six États
d’un territoire représenté par des cartes, et la démarcation des tracés. et d’un État non reconnu, le Kosovo, enfin celle de l’URSS de 15 États,
L’objectif des États est de disposer d’une limite claire de leurs pou­ dont l’immense Russie. Plusieurs limites administratives se sont
voirs: dans le cadre du processus de territorialisation de l’État, la fron­ transformées en frontières internationales. La mise en place de la
tière devient un de ces attributs qui permettent de se distinguer des politique territoriale de l’UE s’inscrit, par conséquent, dans un
autres. Lors du congrès de Vienne (1815) et lors des négociations qui contexte de profonds changements, souvent contradictoires, aux
débouchent sur le traité de Versailles (1919), les cartes de l’Europe frontières: disparition, dévaluation, émergence et construction.
se redessinent en fonction de la frontière westphalienne. Cette der­
nière est un objet géopolitique qui marque, symboliquement et maté­ Or, même dans cette partie de l’Europe, la coopération au-delà de la
riellement, la distinction et la séparation d’une communauté politique frontière nationale, pour les collectivités territoriales, n’est pas facile.
et de son territoire, avec une autre communauté politique. En effet, dans tous les États européens – y compris les États fédé­
raux – la politique étrangère est un domaine réservé de l’État central
Après la Deuxième Guerre mondiale, les frontières des États euro­ et il faut, par conséquent, que les acteurs territoriaux, pour développer
péens sont fixées par les quatre puissances alliées (les États-Unis, de véritables relations, disposent d’un cadre juridique national qui les
le Royaume-Uni, la France et l’URSS) mais ces dernières n’arrivent y autorise, et d’une ingénierie transfrontalière. Les premières coopé­
pas à élaborer un traité de paix. Le statu quo territorial est fragile, rations transfrontalières, le long de la frontière germano-néerlandaise
d’autant plus qu’à partir de 1947, l’édification du rideau de fer va (l’eurorégion de 1958) ou de la frontière franco-germano-suisse (la
diviser l’Europe en deux parties – la partie occidentale, démocratique Regio Basiliensis de 1963), présentent un caractère faiblement insti­
et capitaliste, liée aux États-Unis, et la partie communiste à l’est, liée tutionnalisé, sous la forme d’associations. Par la suite, l’histoire de la
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 7 1
20e anniversaire de la chute du mur
de Berlin (Allemagne), 2009.
José Manuel Barroso, président de
la CE et Jerzy Buzek, président du PE

coopération territoriale en Europe voit naître des organismes trans­ années 1960 – c’est-à-dire principalement dans les États fondateurs
frontaliers, aux configurations diverses et dont les noms varient: de la Communauté européenne, ou leurs abords (la Suisse). La deu­
Regios, eurorégions, eurodistricts, eurocités, Eurociudad, Euregios, xième étape, qui débute en 1990, concerne principalement les
Europastadt, eurométropole, etc. Là encore, l’intensité des relations, et régions frontalières des 12 États membres de la CEE ayant participé
les types d’institutionnalisation et de contractualisation, dépendent de au programme INTERREG depuis 1991 (France, Allemagne, Belgique,
plusieurs facteurs: la nature des régimes politiques et administratifs Pays-Bas, Luxembourg, Italie, Royaume-Uni, Irlande, Danemark,
nationaux (État centralisé, décentralisé ou fédéral), le type de collec­ Grèce, Espagne et Portugal), mais elle touche aussi, pour la première
tivités territoriales frontalières impliquées (ville, région, communauté fois, les régions frontalières des États d’Europe orientale en transi­
urbaine, etc.), la durée et l’expérience de coopération (de plusieurs tion. Ces dernières participent à la coopération transfrontalière, à tra­
décennies à un caractère récent), et la culture politique des nations vers des programmes d’aide spécifiques (PHARE et TACIS), mis en
concernées (culture non contractuelle, informelle, ou culture adminis­ place par la Commission européenne. Au même moment, les boule­
trative et contractuelle). Très souvent, l’existence de tensions provient versements géopolitiques de 1989 provoquent l’apparition de nou­
du fait que la frontière s’apparente à une «cicatrice de l’Histoire» entre veaux États et le passage de régimes politiques, du communisme au
des États riverains: histoire conflictuelle, disputes territoriales, souf­ capitalisme: l’instauration de programmes de coopération permet
frances dues à des guerres, etc. d’apporter des aides et une assistance à la transition économique et
politique de ces États, dont les collectivités territoriales peuvent
Trois étapes de l’histoire des coopérations transfrontalières peu­vent être désormais coopérer avec d’autres collectivités étrangères. Une troi­
identifiées pour les États membres, en partant de la ­Com­munauté euro­ sième phase de coopération territoriale débute après l’élargissement
péenne. Tout d’abord, les initiatives pionnières débutent à la frontière de l’UE à l’est en 2004: elle concerne, à présent, les nouvelles fron­
franco-allemande et dans les régions frontalières du Benelux, dans les tières extérieures de l’UE, celles de l’est (avec la Russie et les États
72 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

L’objectif des cartes est de présenter, pour chaque État, l’ensemble des
cadres institutionnels de coopération transfrontalière reconnus. Il s’agit
de coopérations entre acteurs territoriaux, ce qui signifie que les coo­
pérations interétatiques ne sont pas évoquées (conférences intergou­
vernementales, etc.). Et il s’agit aussi de coopérations portant sur une
gouvernance territoriale multithématique. Sauf exception, les coopéra­
tions sectorielles ne sont pas évoquées, limitées, par exemple, à la ges­
tion d’un équipement transfrontalier, comme une station d’épuration.
Enfin, les commentaires des cartes ne sont pas exhaustifs (certaines
structures figurent sur la carte mais pas dans le texte).

Aucune liste exhaustive n’étant disponible, il a fallu croiser les sources


d’information: la Commission européenne, l’Association des régions
frontalières européennes (ARFE) et la Mission opérationnelle trans­
frontalière (MOT) se sont révélées être des sources particulièrement
précieuses mais restent assez générales. Les informations récoltées
Programme PHARE, envoi de matériel ont été croisées avec celles produites par les États et par les ins­
d’aide en Estonie (1998) ­– tances elles-mêmes. En effet, l’objectif n’était pas seulement de
Hans van den Broek, commissaire
européen aux relations extérieures connaître l’existence d’une structure, mais aussi d’avoir une idée pré­
cise de son histoire, d’identifier les partenaires impliqués et l’éten­
due de son périmètre, de savoir quelle forme de gouvernance a été
situés entre cette dernière et l’UE) et celles du sud (pays méditerra­ choisie, et d’avoir une idée des types de coopération engagés. Ce tra­
néens), sous la forme de la politique européenne de voisinage (PEV). vail a été confronté à la très grande hétérogénéité des sources: tous
les États ne font pas un relevé des structures de coopération exis­
L’objectif de cette partie est de donner un aperçu des coopérations tant sur leurs territoires. Dans certains cas, un contact direct a été
existantes, État par État. Après avoir présenté une vision d’ensemble pris avec les personnes ressources des structures de coopération,
de la coopération, il semblait nécessaire d’identifier ce qui se passe mais les réponses obtenues n’ont pas toujours été à la hauteur des
au niveau des États. En effet, l’UE est une association d’États qui attentes. Confrontés à cette hétérogénéité des sources, les auteurs
présentent une grande diversité dans leur fonctionnement, et qui, de ont pris le parti de représenter, sur les cartes, toutes les instances
surcroît, n’ont pas intégré le cadre supranational au même moment. dont ils ont eu la confirmation de leur existence. Chaque structure
Porter un regard sur la coopération, État par État, est un moyen a été identifiée par rapport aux critères géographiques décrits dans
d’identifier les modalités de leur implication et la variété de leurs l’introduction de la première partie: échelle, et différence entre rural
centres d’intérêt. Notre hypothèse est que la coopération territoriale et urbain. Au départ, l’objectif était de proposer une carte pour
s’est intensifiée et qu’elle s’est diffusée, mais que des variations chaque pays, mais la diversité de taille des territoires et ­l’importance,
notables existent selon les États. L’analyse repose sur des cartes et plus ou moins grande, des structures de coopération, ont conduit
sur une trame permettant d’obtenir une description relativement à réaliser un autre choix qui repose, à la fois, sur la lisibilité et sur le
homogène des situations nationales. cadre géopolitique. Pour l’Allemagne, la France et la Pologne, la
présence d’un très grand nombre de structures de coopération dimension conflictuelle ou d’apaisement. Un aperçu des régions fron­

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 7 3
a plaidé pour une présentation individuelle. Pour les autres États, des talières sera également donné, en insistant sur le peuplement et le
regroupements ont été envisagés, sur la base de l’existence d’une caractère plus ou moins prégnant des interactions transfrontalières.
problématique commune, liée à leur situation géographique et Ce cadre est indispensable pour comprendre les logiques qui sous-
à l’histoire de leurs territoires. La clé de lecture a donc été, à la fois, tendent la coopération transfrontalière. Dans un troisième temps,
géohistorique et géopolitique. Les trois États baltes ont ainsi été la chronologie de la coopération transfrontalière sera évoquée à tra­
associés, car leurs trajectoires sont liées à leur ancien statut de répu­ vers l’analyse des structures de coopération: dates de fondation,
bliques soviétiques. La présentation conjointe de la Roumanie et de changements de statuts, etc. Cette chronologie sera croisée avec la
la Bulgarie est liée à leur émergence en tant qu’États-nations, au description géographique des structures de coopération: extension
tournant du XX e siècle, dans le cadre de l’affaiblissement des du périmètre et échelle d’intervention, implication des partenaires,
empires austro-hongrois et ottoman, de leur appartenance au bloc tracé de la frontière concernée, etc. Cette trame générale s’avère
communiste entre 1945 et 1989, et, enfin, de leur intégration com­ nécessaire pour favoriser une mise en perspective de la coopération
mune à l’UE en 2007. La République tchèque et la Slovaquie ont été transfrontalière des États. Toutefois, notre hypothèse est que, en
associées car elles ont fait partie, jusqu’en 1993, du même État. dépit de la prégnance de la construction territoriale des États et
Enfin, l’Autriche et la Hongrie étaient deux composantes du même de leurs frontières sur la coopération transfrontalière, la politique
empire avant 1919. Par ailleurs, il s’agit de pays de taille similaire, européenne de coopération territoriale entraîne une harmonisation
caractérisés par la prépondérance de leurs capitales. Enfin, ces deux progressive des cadres d’intégration tout en prenant en compte les
États étaient séparés par un tronçon du rideau de fer qui a fait l’objet dimensions locales.
d’un démantèlement, à partir du printemps 1989, et qui a conduit aux
changements qui ont affecté l’Europe lors des années suivantes.

À chacune de ces cartes est associée une notice, qui ne se résume


pas à une simple description. L’objectif de la notice est de donner un
aperçu géohistorique, c’est-à-dire à la fois historique et géogra­
phique, des coopérations transfrontalières des États représentés.
Afin d’éviter une description de type monographique, les auteurs ont
pris le parti de suivre une trame commune. Celle-ci consiste à com­
mencer par dresser un aperçu historique de la construction du terri­
toire national et de l’édification des frontières. Il s’agit de comprendre
comment s’est forgée l’identité nationale, d’identifier le caractère
plus ou moins ancien de l’État, de voir si la configuration territoriale
a connu des changements notables ou non, au cours du XXe siècle.
Dans ce cadre, l’appartenance à des structures supranationales
autres que l’UE sera également évoquée. Par ailleurs, il s’agit
de décrire les frontières, en identifiant leur plus ou moins grande sta­
bilité, la manière dont elles s’inscrivent dans l’espace (frontière repo­
sant ou non sur des obstacles physiques), et l’importance de la
2.1 L’Allemagne

L’Allemagne est le pays le plus peuplé de l’UE, avec plus de 80 mil­ en 1648, la frontière entre la France et l’Allemagne est aussi conti­
lions d’habitants, mais elle est géographiquement plus petite que la nuellement disputée, le Rhin devenant, peu à peu, une frontière poli­
France et l’Espagne, son territoire s’étendant sur 357 340 km2 allant, tique et militaire qui sépare les deux pays. L’histoire des frontières
au nord, de la mer du Nord et de la mer Baltique, jusqu’aux Alpes, au allemandes est par la suite largement marquée par les deux conflits
sud. Parmi les frontières naturelles, il faut mentionner trois grands mondiaux. Après la Première Guerre mondiale en 1919, l’Allemagne
fleuves qui traversent l’Allemagne: le Danube, l’Elbe et le Rhin, dont le vaincue considère le traité de paix comme une humi­liation. La perte
dernier constitue aussi, pour une grande partie, la frontière nationale de territoires, au profit de la France et de la Belgique à l’ouest
avec la France. Le pays possède des frontières terrestres avec neuf (Alsace-Lorraine, Eupen, Malmedy), au profit du Danemark au nord
pays, dont la plus longue, au sud, avec l’Autriche, sur 784 km, et la plus (Schleswig du Nord), et au profit de la Pologne à l’est (Posnanie,
courte, au nord, avec le Danemark, sur 68 km. À l’ouest, elle partage Haute-Silésie), est ressentie comme une injustice. Par conséquent,
des frontières, d’abord, avec les Pays-Bas (577 km), la Belgique les nouvelles frontières allemandes sont contestées et le révision­
(167 km) et le Luxembourg (138 km), puis avec la France (451 km) et nisme allemand favorise l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, qui va
la Suisse (334 km). À l’est, il y a deux frontières, l’une avec la Pologne procéder à la reconquête des territoires perdus et, p­ endant la guerre,
(456 km) et l’autre avec la République tchèque (646 km). à l’occupation de pratiquement toute l’Europe continentale. Après la
Géographiquement, l’Allemagne est également marquée par l’exis­ Deuxième Guerre mondiale, la situation de l’Allemagne est particu­
tence d’enclaves, qui se trouvent soit dans les pays voisins, soit sur son lière. Premièrement, en 1945, elle est occupée par les quatre puis­
propre territoire: cinq enclaves allemandes se situent ainsi en Belgique, sances alliées victorieuses (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France
séparées par la ligne ferroviaire de la Vennbahn, sous souveraineté et l’URSS) et, à défaut d’un traité de paix, ses frontières ne sont pas
belge; la ville allemande de Büsingen, dans le Rhin supérieur, est définitivement fixées: certes, la France récupère l’Alsace-Lorraine, la
enclavée en Suisse; puis, la commune autrichienne de Jungholz n’est Pologne, le territoire de la Prusse orientale, à l’est du fleuve Oder-
reliée à l’Autriche que par le sommet du Sorgschrofen, et crée ainsi une Neisse, et l’URSS, la ville de Königsberg, mais cette situation n’est
quasi-enclave en Allemagne. Enfin, l’Allemagne possède des frontières que provisoire, les Alliés ne parvenant pas à s’accorder sur une solu­
maritimes avec cinq pays: sur la mer du Nord, avec le Royaume-Uni tion définitive pour l’avenir de l’Allemagne. Deuxièmement, en 1949,
(18 km) et les Pays-Bas (336 km), sur la mer du Nord et la mer deux États allemands sont constitués: la République fédérale d’Alle­
Baltique, avec le Danemark (706 km), et sur la mer Baltique, avec la magne (RFA), à l’ouest, et la République démocratique allemande
Suède (55 km) et la Pologne (456 km). (RDA), à l’est, séparées par le rideau de fer dont le mur de Berlin,
construit en 1961, symbolise, pendant plus de 40 ans, la division du
L’histoire des frontières allemandes est compliquée et varie lar­ monde en deux blocs idéologiques opposés. L’Allemagne ne sera
gement selon l’époque historique dans laquelle on considère le réunifiée qu’en 1990, après la chute du mur de Berlin, et ses fron­
­territoire. L’unification allemande se réalise au XIXe siècle, progressi­ tières sont définitivement fixées par un traité international qui
vement, à partir du rassemblement d’un grand nombre d’États alle­ confirme notamment la reconnaissance de l’Oder-Neisse comme
mands. Elle commence avec les printemps des peuples en 1848, frontière avec la Pologne.
lorsque les révolutionnaires font les premières tentatives pour
constituer une fédération allemande, avec la mise en place d’une Cette situation particulière de l’Allemagne se reflète dans l’évolution
assemblée constituante à Francfort. Cette unification n’est réali­ de la coopération transfrontalière, dont l’objectif premier, pour les
sée qu’en 1871, quand Bismarck proclame l’Empire allemand, qui Allemands, sera la réconciliation avec leurs voisins, à l’ouest et
regroupe alors 23 États allemands. Mais depuis le traité de Westphalie à l’est. Deux phases peuvent être identifiées pour cette coopération
transfrontalière, l’une qui commence dès les années 1950 et qui est également instaurée dès 1976, avec des collectivités frontalières

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 7 5
concerne les voisins à l’ouest, et l’autre qui doit attendre la fin de la belges: il s’agit de l’Euregio Meuse-Rhin, qui comprend la région
guerre froide en 1989 et qui se développe après la réunifica­ autour d’Aix-la-Chapelle, en Rhénanie–du-Nord-Westphalie, le sud
tion de l’Allemagne aux frontières orientales. Dans cette deuxième de la province néerlandaise de Limbourg, puis les provinces belges
phase, la coopération avec le Danemark et l’Autriche peut également de Limbourg et de Liège, et la Communauté germanophone de
être classée pour des raisons différentes: elle est impulsée par le Belgique. En 1998, la liste des associations transfrontalières germa­
programme INTERREG de la Commission européenne, au début no-néerlandaises sera complétée par la création de l’Eurode
des années 1990, d’une part, et par l’adhésion de l’Autriche à l’UE Kerkrade-Herzogenrath, qui réunit les communes de Kerkrade et de
en 1995, d’autre part. Herzogenrath (autour du district de Cologne). Dans les années 2000,
la coopération à la frontière avec les Pays-Bas et la Belgique se ren­
La coopération transfrontalière en Allemagne débute avec la créa­ forcera, avec la création de deux parcs naturels transfrontaliers.
tion, en 1958, de l’Euregio, sur la frontière avec les Pays-Bas. Cette Le premier, le Drielandenpark, est créé au niveau trilatéral en 2001,
association réunit plus de 100 communes frontalières et com­ entre les provinces néerlandaise et belge de Limbourg, les régions
prend, du côté allemand, le district de Bentheim, la ville et le district belges de Flandre et de Wallonie, la province de Liège, la Com­
­d’Osnabrück, les communes d’Emsbüren, de Salzbergen et de Spelle, munauté germanophone de Belgique et la ville d’Aix-la-Chapelle,
ainsi que la ville et l’agglomération de Münster; puis, du côté néer­ la communauté de communes d’Aix-la-Chapelle, l’arrondissement
landais, l’espace des Regio Achterhoek et Regio Twente, ainsi que de Cologne et le Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie, en Allemagne.
les communes de Hardenberg, d’Ommen et de Coevorden. À l’origine, Le deuxième, le parc naturel Meuse-Schwalm-Nette, est bilatéral et
se trouve le membre du parti social-démocrate allemand (SPD), réunit le parc naturel Schwalm-Nette, pour l’Allemagne, et les com­
Alfred Mozer, qui est, à l’époque, secrétaire du commissaire à l’agri­ munes de Beesel, Echt-Susteren, Leudal, Roerdalen, Ruremonde et
culture de la première Commission européenne. Pour lui, la coopéra­ Venlo, pour les Pays-Bas.
tion transfrontalière se fait dans un but de réconciliation des peuples
européens: il faut «surmonter des frontières» qui sont les «cicatrices Le processus de réconciliation est également lancé le long de la
de l’Histoire», affirme-t-il ainsi, à plusieurs reprises, devant les frontière franco-allemande, dans l’espace du Rhin supérieur,
membres de l’Euregio. Cette réconciliation transfrontalière peut être ensemble avec la Suisse, et dans l’espace entre la Sarre et la
d’autant plus efficace que la coopération s’effectue au niveau le plus Lorraine, ensemble avec le Luxembourg. Dans la région du Rhin
proche du citoyen, entre les collectivités locales. Le long de la fron­ supérieur, la coopération transfrontalière commence en 1963, avec
tière germano-néerlandaise, d’autres associations transfrontalières la création d’une association suisse, la Regio Basiliensis, dont le péri­
de ce type sont créées par la suite: d’abord l’Euregio Rhin-Waal mètre géographique s’étend aux villes de Bâle, de Fribourg en Bade-
(1971), qui réunit 20 communes allemandes et 31 communes néer­ Wurtemberg, et de Colmar dans le département du Haut-Rhin.
landaises; puis l’Euregio Rhin-Meuse-Nord (1978), qui associe aussi, Si cette dernière est initiée, au départ, par des acteurs locaux bâlois,
en plus d’un certain nombre de communes allemandes et néerlan­ les pionniers de cette coopération agissent dans un contexte de
daises, les chambres de commerce de chaque côté de la frontière. réconciliation franco-allemande, scellée par la signature du traité
À un échelon régional de coopération, est ensuite fondée l’Ems de l’Élysée, entre Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, le 23 jan­
Dollart Region (1977), qui s’étend à la partie nord-ouest de la Basse- vier 1963. L’association bâloise est ensuite complétée, du côté fran­
Saxe, du côté allemand, et aux provinces de Groningue, Drenthe et çais, par la création de la Regio du Haut Rhin à Mulhouse (1965) et,
de la Frise, du côté néerlandais. Une première association trilatérale du côté allemand, par la Regio Fribourg (1985). Dix ans plus tard, ces
76 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

instances de coopération locales sont fusionnées dans une seule les Communautés française et germanophone. Enfin, les années
association: la RegioTriRhena. Dans l’espace entre la Lorraine, la 2000 sont marquées par l’approfondissement de la coopération
Sarre, le Luxembourg et le Palatinat, c’est l’industriel allemand, transfrontalière dans les deux espaces. Ainsi, en 2010, la Région
Hubertus Rolshoven, président du comité directeur de la Régie des métropolitaine trinationale du Rhin supérieur est créée; elle organise
mines de Sarre, qui est à l’origine d’une coopération transfrontalière la coopération, au moyen de quatre piliers: l’économie, le politique,
SarLorLux, selon une formule qu’il utilise dès 1969. Cette coopéra­ la science et la société civile. Au niveau local, quatre eurodistricts
tion est nécessaire pour répondre à la crise sidérurgique, qui frappe sont aussi mis en place dans la région. Le premier, l’Eurodistrict
particulièrement cette région et qui crée des problèmes écono­ Strasbourg-Ortenau (2005), est lancé par Jacques Chirac et Gerhard
miques similaires, des côtés allemand, français et luxembourgeois Schröder, lors des festivités pour le 40e anniversaire du traité de
(chômage, nécessité de reconversion, etc.). Les efforts conjoints des ­l’Élysée, à Strasbourg et à Kehl, en 2003. La Regio Pamina, mise en
industriels de la région aboutissent à la création de deux commis­ place comme Groupement local de coopération territoriale (GLCT),
sions en 1971, l’une, au niveau intergouvernemental, et l’autre, au en 2001, se transforme alors également en eurodistrict. Puis suivent,
niveau régional, pour traiter des problèmes transfrontaliers dans l’es­ l’Eurodistrict Région Fribourg/Centre et Sud Alsace (2005) et l’Euro­
pace SarLorLux et la région du Palatinat occidental, en Allemagne. district trinational de Bâle (2007). De son côté, en 2010, la Grande
Région, est transformée en Groupement européen de coopération
Par la suite, pour les deux espaces le long de la frontière franco-­ territoriale (GECT) pour assurer la gestion du programme opération­
allemande, des traités internationaux sont adoptés, afin de créer une nel INTERREG du même nom. À l’échelle locale, la même année, un
base juridique pour la coopération transfrontalière. Dans la région du Eurodistrict Sarre-Moselle est également fondé, sur la base d’un
Rhin supérieur, l’accord intergouvernemental signé à Bonn, en 1975, GECT, avec la participation du Land de Sarre, du département de
met en place une commission intergouvernementale et deux com­ la Moselle et de la région Lorraine.
missions régionales. Il fixe le périmètre géographique pour la coo­
pération qui comprend les Länder de Bade-Wurtemberg et de La deuxième phase de coopération transfrontalière concerne les
Rhénanie-Palatinat, la région Alsace, et les deux cantons de Bâle. frontières au sud, au nord et à l’est du pays. La coopération au sud
En 1980, un deuxième accord intergouvernemental est signé de l’Allemagne avait déjà été initiée avec l’Autriche, la Suisse et
à Bonn, pour l’espace SarLorLux. Les deux régions transfrontalières le Liechtenstein, autour d’un espace naturel partagé: le lac de
connaissent ensuite une évolution similaire. Dans l’espace du Rhin Constance. En 1972, les autorités riveraines des quatre pays,
supérieur, la Conférence du Rhin supérieur est créée en 1991. Elle à savoir le Land Bade-Wurtemberg, les cantons de Schaffhouse,
gère la coopération au niveau des exécutifs régionaux et a son siège d’Appenzell, de Thurgovie, de Saint-Gall et de Zurich, le Land
à Kehl, en Allemagne. L’accord franco-germano-suisse de Bonn est Vorarlberg et la Principauté du Liechtenstein, créent une Conférence
modifié en 2000, à Bâle, afin d’élargir la coopération aux cinq can­ internationale pour pouvoir gérer ensemble les problèmes de gestion
tons de la Suisse du Nord-Ouest (les deux demi-cantons de Bâle et environnementale du lac. Cette coopération est consolidée en 1997,
les cantons d’Argovie, de Jura et de Soleure). Pour l’espace SarLorLux, avec la création de l’Euregio du lac de Constance, qui réunit aussi, du
un sommet des exécutifs régionaux est créé en 1995, l’espace de côté allemand, en plus du Land Bade-Wurtemberg, des partenaires
coopération étant désormais appelé Grande Région, pour tenir locaux (les villes de Constance, Lindau, Oberallgäu, Ravensbourg,
compte du partenaire allemand Rhénanie-Palatinat. Le périmètre Sigmaringen et Kempten, et l’arrondissement du lac de Constance).
géographique s’élargit également car, en 2005, sont associées à la Quatre autres eurorégions, dont la principale caractéristique est leur
Grande Région, trois entités fédérés belges: la Région wallonne, et structure informelle ou associative, sont mises en place à la frontière
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Pont sur le Rhin entre Kehl et
Strasbourg (Allemagne, France)

germano-autrichienne, autour des montagnes. Dès 1995, l’Euregio Pour remédier à cette situation et créer un espace de vie transfronta­
Salzbourg-Berchtesgadener Land-Traunstein est fondée entre les lier commun, l’Eurorégion Sønderjylland-Schleswig est créée en 1997,
districts allemands du Berchtesgadener Land, de Traunstein et entre la ville de Flensbourg, les arrondissements de Schleswig-
­d’Altötting, ainsi que la ville de Salzbourg et les districts de Flachgau, Flensbourg et de la Frise du Nord, côté allemand, ainsi que la région du
Pinzgau, Pongau, Tennengau, Braunau et Kitzbühel, en Autriche. Danemark du Sud et les communes d’Åbenrå, de Tønder, de Haderslev
En 1997, l’Euregio Via Salina réunit la Regio Allgäu, du côté alle­ et de Sønderborg, du côté danois. Par ailleurs, les municipalités des îles
mand, et la Regio Kleinwalsertal et la Regionalentwicklung Auβerfern, de la région des Wadden, dans la mer du Nord, créent une association
du côté autrichien. Enfin, en 1998, sont créées, l’Euregio Zugspitze, en 1999, qui permet de lancer une coopération transfrontalière de type
entre les associations Regio Werdenfels et Regio Seefelder Plateau, maritime: l’Euregio Waddeneilanden réunit ainsi les îles de la Basse-
et la Regionalentwicklung Auβerfern, puis, l’Euregio Inntal, entre les Saxe en Allemagne, de la Frise occidentale aux Pays-Bas et de Rømø,
communes des districts bavarois de Rosenheim et Traunstein et de Mandø et de Fanø au Danemark. Dans les années 2000, deux autres
celles des districts tyroliens de Kufstein et Kitzbühel. communautés transfrontalières se mettent en place. Premièrement,
en 2006, la Région Fehmarnbelt est instauré, qui réunit la région
Au nord, la coopération transfrontalière est intensifiée avec le danoise Sjælland (Storstrøms Amt), puis l’arrondissement Ostholstein,
Danemark, à partir du milieu des années 1990 et grâce aux possi­bilités la ville hanséatique de Lübeck et l’arrondissement de Plön, en
de financement offertes par le programme INTERREG de la Commission Allemagne. Un projet de grande envergure est en cours de réalisation
européenne. À la frontière germano-danoise, un travail de réconcilia­ dans cet espace transfrontalier: il s’agit de la construction du tunnel de
tion est toujours nécessaire, notamment dans la région du Schleswig, Fehmarnbelt, qui reliera les deux territoires sous la mer du Nord et dont
où des minorités allemandes et danoises souffrent encore du déplace­ le début de construction est prévu en 2015. Deuxièmement, en 2007,
ment des frontières, après les deux guerres mondiales. Le tracé de la une coopération entre la province de Fionie et la région technologique
frontière est d’ailleurs contesté par certaines populations frontalières. de K.E.R.N. (regroupant les villes de Kiel et Neumünster, et les districts
78 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

de Rendsburg-Eckernförde et de Plön) est mise en place, entre les îles l’eurorégion Oberes Elbtal/Osterzgebirge, en Allemagne, et l’Euro­région
principales de Fionie, Langeland et Ærø, du côté danois, et la région Labe, en Tchécoslovaquie; et l’Eurorégion Erzgebirge/Krušnohoři, qui se
technologique de K.E.R.N., du côté allemand. forme entre les districts allemands de Saxe ­centrale et des Monts-
Métallifères, ainsi que les communes des arrondissements tchéco­
Mais, les années 1990 sont surtout marquées par le développement slovaques de Louny, Most, Chomutov et Litoměřice. En 1993, après
d’une première coopération transfrontalière est-ouest, qui devient la dissolution de la Tchécoslovaquie, l’Euregio Egrensis est mise en
possible après la chute du mur de Berlin, en 1989, et la réunification place. Elle réunit trois communautés de travail, deux du côté alle­
de l’Allemagne, en 1990. Les cicatrices de l’Histoire, aux frontières mand (Euregio Egrensis de Bavière et Euregio Egrensis de Saxe-
polonaise et tchèque, sont profondes: après la Deuxième Guerre Thuringe) et une du côté tchèque (Euregio Bohême). La même année,
mondiale, la réduction du territoire de l’Allemagne et le glissement est également fondée la première eurorégion entre l’Allemagne, la
vers l’ouest de la Pologne, ont entraîné d’importantes migrations de République tchèque et l’Autriche: il s’agit de l’Euregio Bayerischer
population. Les habitants des zones frontalières n’ont pas de lien Wald-Bömerwald-Unterer Inn. Cette coopération trilatérale est
historique avec une frontière qui a été assez hermétique pendant approfondie en 2012, lorsque l’Europaregion Donau-Moldau est
la guerre froide. Par ailleurs, des demandes de compensation ont été constituée entre la Haute-Autriche, le Most- et Waldviertel en Basse-
formulées par des associations de déplacés en Allemagne, mais sans Autriche, la Basse-Bavière (arrondissements d’Altötting et du Haut-
que ces revendications ne soient honorées. Dans nombre de cas, Palatinat) et, du côté tchèque, la Bohême du Sud, Plzeň et Vysočina.
l’instauration de la frontière sur l’Oder-Neisse, après la Deuxième À la frontière avec la Pologne, deux autres eurorégions sont égale­
Guerre mondiale, s’est traduite par une division de ­certaines com­ ment créées en 1993: l’une, l’Eurorégion Spree-Neisse-Bober, réunit
munes et de certaines villes en deux parties, qui, à présent, cherchent deux associations de coopération transfrontalière du côté polonais
à établir des coopérations. Un processus de réconciliation conjoint et allemand; l’autre, l’Eurorégion Pro Europa Viadrina, rassemble des
à une coopération économique est donc nécessaire, pour éviter le districts du Land Brandebourg et de la Voïvodie de Lubusz. Une troi­
renforcement de disparités et favoriser l’intégration européenne. sième eurorégion, qui se forme en 1995, au niveau intercommunal,
Dès 1991, le nombre d’eurorégions et d’eurocités qui voient le jour dans la région de Poméranie, s’élargit en 1998 à la Suède: l’Euro­
sur la frontière avec la Pologne et avec la Tchécoslovaquie prolifère. région Pomerania est ainsi constituée par deux associations de com­
En 1991, est ainsi constituée, à la frontière germano-polonaise, la pre­ munes, polonaise et allemande, ainsi que par la communauté des
mière Eurocité Guben-Gubin, qui scelle une coopération entre les deux communes suédoise de Scanie. À la frontière avec la Pologne, deux
villes jumelles de Guben et de Gubin, localisées de part et d’autre de autres eurocités sont également créées: en 1993, Francfort-sur-
la frontière. La même année, est créée, à la frontière de la rivière l’Oder/Słubice, dans la région Lubusz-Brandebourg et, en 2007,
Neisse, la première Euro­région Neisse-Nisa-Nysa, qui réunit trois asso­ ­l’Europastadt Görlitz-Zgorzelec.
ciations locales, du côté allemand, polonais et tchécoslovaque. Entre
la Bavière et la Tchécoslovaquie, la première coopération transfronta­ Aujourd’hui, l’Allemagne pratique donc une coopération transfron­
lière est initiée en 1991, autour du Parc national de la forêt bavaroise, talière à toutes ses frontières, et les processus de réconciliation
qui existe depuis 1982 et qui est élargi au territoire forestier tchèque, à l’ouest, au nord et à l’est, se rejoignent, aboutissant à une multi­
le Parc national de Šumava. Ensuite, trois eurorégions sont créées sur tude d’instances transfrontalières, qui œuvrent en faveur d’une «cou­
la frontière germano-­tchécoslovaque: en 1992, ce sont l’Eurorégion ture» des cicatrices de l’Histoire et de la création d’espaces de vie
Elbe/Labe, qui ­rassemble les communautés des communes de transfrontaliers communs.
Echelle locale
Territoire à caractère urbain Fyns Amt / ■ Projets de territoires
DANEMARK
Territoire à caractère rural K.E.R.N.
Equipement transfrontalier opérationnel Region Sønderjylland SUÈDE transfrontaliers aux
Equipement transfrontalier en projet -Schleswig frontières de l’Allemagne
DK
Echelle régionale B7 Baltic Islands Network
Territoire à caractère métropolitain

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Mer Baltique
Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale
Territoire à caractère métropolitain Tunnel du Fehmarnbelt
Euroregion
Territoire à caractère non métropolitain
Pomerania
Groupement Européen de
Coopération Territoriale (GECT)
Euregio
Fehmarnbelt Region
Waddeneilanden
Parc international de la
Mer du Nord ALLEMAGNE Vallée de la Basse-Oder
Ems Dollart Region
POLOGNE
Parc naturel international des
PAYS-BAS Tourbières de Bourtange-Bargerveen Frankfurt-Słubice

Euregio Rhein-Waal Euroregion Pro Europa Viadrina Eurostadt Gubin-Guben


Euregio
Euroregion Spree-Neisse-Bober
Euregio Rhein-Maas-Nord Europastadt Görlitz-Zgorzelec
Euroregion Neisse-Nisa-Nysa
Euregio Maas Rhein Nature park Maas-S(ch)walm-Nette Euroregion Erzge-
BELGIQUE Eurode Kerkrade-Herzogenrath birge/Krusnohori
Suisse Bohémo-Saxonne
Parc des Trois frontières Parc naturel Hautes Fagnes-Eifel
Euroregion Elbe/Labe
Parc naturel germano-luxembourgeois Euregio Egrensis
Euregio Bayerischer Wald - RÉPUBLIQUE
Grande Région LUXEM- Böhmerwald - Unterer Inn TCHÈQUE
BOURG Réserve de biosphère transfrontalière
Vosges du Nord-Pfälzerwald
Parc National de la Forêt bavaroise/
Eurodistrict SaarMoselle Parc national Sumava
Eurodistrict PAMINA
FRANCE Rhin Supérieur Europaregion
Danube-Vltava
Eurodistrict Region Freiburg / Eurodistrict Strasbourg-Ortenau Euregio Inn Salzach
Centre et Sud Alsace Euregio Inntal
Réserve européenne de la Basse Inn
Euregio Via Salina
EuroAirport Basel Mulhouse Freiburg
Euregio
Eurodistrict Trinational de Bâle AUTRICHE
Bodensee
Euregio Salzburg -
Parc naturel Nagelfluhkette Euregio Zugspitze- Berchtesgadener Land - Traunstein
50 km RegioTriRhena
Wetterstein-Karwendel
SUISSE
TitreLes
2.2 2 pays du Benelux: la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas

Géographiquement, les trois pays du Benelux se situent au centre il fait partie d’une union personnelle avec le Royaume-Uni des Pays-
de l’Europe continentale et, politiquement, ils se trouvent au cœur Bas, mais devient également un État membre de la Confédération ger­
du projet de l’intégration européenne, faisant partie – avec l’Alle­ manique. Après la création de l’État belge en 1831, le Luxembourg
magne, la France et l’Italie – des six États fondateurs de la Com­ garde son statut particulier, mais son territoire est largement réduit
munauté économique européenne (CEE). Cet ensemble correspond en 1839, au profit des Pays-Bas, alors que les frontières entre la
d’ailleurs à une «unité» du passé: le territoire couvre presque le Belgique et les Pays-Bas sont enfin définies en 1843. Les frontières
Royaume-Uni des Pays-Bas, tel qu’il existait en 1815, lors du congrès des trois États ne sont pourtant pas définitivement fixées. Ainsi, mal­
de Vienne, jusqu’à l’indépendance de la Belgique en 1830. Ces trois gré une neutralité affirmée, le Luxembourg et la Belgique sont occu­
États partagent tous une frontière avec l’Allemagne; la Belgique et pés par l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale puis
le Luxembourg sont frontaliers avec la France; enfin, la Belgique et à nouveau pendant la Deuxième Guerre mondiale, comme le sera les
les Pays-Bas partagent une frontière maritime avec le Royaume-Uni. Pays-Bas. Les frontières des trois États du Benelux ne sont alors réta­
Le plus petit parmi ces trois pays est le Grand-Duché du Luxembourg blies qu’après 1945, avec une Belgique qui obtient le territoire qui lui
qui, avec un territoire de 2 585 km2, peut être qualifié de micro-État avait été accordé, lors du traité de Versailles, c’est-à-dire qui intègre
européen. Le Luxembourg a des frontières avec la Belgique, l’Alle­ les cantons de l’Est et la région d’Eupen et Malmedy, qui faisaient par­
magne et la France, et est constitué de deux régions, l’Oesling, au tie du Reich allemand avant 1919.
nord, et le Gutland, au sud. De son côté, la Belgique a une frontière
avec les Pays-Bas, sur 450 km, et avec l’Allemagne, sur 167 km. Cette situation, marquée par des changements permanents de fron­
tières et d’affiliations politiques, amène les trois pays à entamer très
L’histoire du Benelux est étroitement liée à la formation des trois États tôt une coopération transfrontalière interétatique, dès la période de
des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg, qui est largement l’entre-deux-guerres. L’Union économique belgo-luxembourgeoise
interconnectée mais aussi dépendante des relations avec l’Autriche, de 1921 est le premier pas vers l’établissement d’une union doua­
puis avec les deux grands voisins: la France et l’Allemagne. Le Grand- nière entre les trois pays, qui se réalise déjà en 1944 et qui devient
Duché du Luxembourg, intégré dans la Maison des Habsbourg au l’union du Benelux en 1948, après l’entrée en vigueur de la conven­
XVe siècle, est ainsi annexé par le roi de France en 1648, mais passe tion. Depuis, le nom Benelux est généralement utilisé pour désigner
à nouveau à la branche autrichienne des Habsbourg en 1714-1715, l’ensemble des trois pays, à la fois de manière géographique, poli­
qui forme désormais, avec les provinces belges, les Pays-Bas autri­ tique et culturelle. Leur coopération préfigure, en quelque sorte,
chiens. À la suite de la Révolution française en 1789, tout le terri­ le processus d’intégration économique européenne, tel qu’il va se
toire autrichien du Luxembourg est ensuite rattaché à la France, qui développer à partir de la création de la Communauté européenne du
le transforme en neuf départements. En 1795, la France annexe éga­ charbon et de l’acier (CECA) en 1950.
lement le territoire belge et, entre 1810 et 1814, les Pays-Bas font
partie intégrante de l’Empire français. Mais, après la défaite française, Ce n’est donc pas étonnant que la coopération transfrontalière
au congrès de Vienne en 1815, huit des neuf départements luxem­ à l’échelon infra-étatique se développe également, d’abord, dans les
bourgeois sont désormais intégrés dans le nouveau Royaume-Uni des pays du Benelux. La première association transfrontalière, l’Euregio,
Pays-Bas, qui rassemble les territoires des Pays-Bas autrichiens et est créée en 1958, entre des collectivités locales néerlandaises
ceux des anciennes Provinces-Unis (les Pays-Bas du Nord). Le nouveau et allemandes, à Gronau. Son périmètre géographique est régional,
duché du Luxembourg, créé à partir du huitième département français mais ses acteurs se situent au niveau local. Le caractère informel
des Forêts, obtient un statut hybride dans ce nouvel ordre européen: dans ces formes de coopération transfrontalière, est significatif,
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Projet «Ticket to Kyoto»: vise à réduire
les émissions de CO2 dans les
transports publics (5 partenaires)

car il permet aux collectivités locales, de chaque côté de la frontière, b­ elgo-germano-néerlandaise, entre le sud de la province de
de développer des relations de voisinage de manière flexible et sans Limbourg aux Pays-Bas, les provinces belges du Limbourg et de
contrainte juridique. Cette forme de coopération correspond égale­ Liège, et la Communauté germanophone de Belgique, ainsi que le
ment aux besoins des communes néerlandaises, qui dépendent d’un groupement d’intérêt public «Région Aix-la-Chapelle» en Allemagne.
État centralisé, avec peu de compétences dévolues aux provinces.
Pour le Luxembourg, les débuts de la coopération transfrontalière se
Par la suite, d’autres instances de coopération transfrontalière de ce situent également au niveau régional, voir interétatique, mais n’im­
type sont créées, au niveau local et régional, mais aucune n’implique pliquent d’abord aucun des partenaires du Benelux: une commission
les trois pays du Benelux ensemble. En 1967, se forme d’abord une intergouvernementale et une commission régionale sont ainsi mises
coopération informelle, Benego, sur la frontière entre les Pays-Bas en place en 1971, pour la coopération franco-germano-luxembour­
et la Belgique flamande, entre 11 communes néerlandaises et geoise SarLorLux, qui inclut aussi l’ouest du Palatinat allemand.
11 communes belges. Entre l’Allemagne et les Pays-Bas, deux autres Cette coopération transfrontalière est dotée d’un cadre juridique
associations transfrontalières s’ajoutent dans les années 1970: en 1980, avec l’adoption d’un accord intergouvernemental entre la
l’Euregio Rhin-Waal, créée en 1971, et qui réunit 20 communes alle­ France, l’Allemagne et le Luxembourg. Mais la Belgique y est associée
mandes et 31 communes néerlandaises; et l’Euregio Rhin-Meuse- très tardivement, en 2005, lorsque la Région wallonne et les Com­
Nord, créée en 1978 et dont l’originalité est qu’elle associe aussi, munautés française et germanophone sont officiellement admises
en plus d’un certain nombre de communes allemandes et néerlan­ aux sommets de la Grande Région, qui avaient déjà été mis en place
daises, les chambres de commerce d’un côté et de l’autre de la fron­ en 1995, pour permettre des rencontres régulières entre les chefs
tière. À l’échelon régional, une première coopération trilatérale est des exécutifs régionaux des partenaires SarLorLux. Néanmoins,
instaurée en 1976, mais le Luxembourg ne figure pas parmi les par­ le Luxembourg coopère déjà avec la Région wallonne depuis 1996,
tenaires. L’association Euregio Meuse-Rhin est une coopération dans le cadre du pôle européen de développement (PED) de Longwy,
82 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Ecocité Alzette-Belval, établissement


public d’aménagement entre la Région
Lorraine (France) et la région sud du
Luxembourg

fondé entre le Grand-Duché du Luxembourg, la province wallonne de programme INTERREG par la Commission européenne, en 1990, les
Luxembourg, le département de Meurthe-et-Moselle et la région pays du Benelux vont donc approfondir les relations de voisinage par
Lorraine en France, pour faciliter le développement de l’agglomération la mise en œuvre de projets communs, sans nécessairement ajouter
transfrontalière. de nouvelles instances de coopération. Il y a cependant quelques
exceptions: ainsi, sur la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique,
La plupart des instances de coopération transfrontalière dans deux nouvelles coopérations se mettent en place. En 1993, l’Euregio
les pays du Benelux sont, en effet, déjà établies dans le courant Scheldemond est créée, qui fonctionne au niveau régional, associant
des années 1950-1970, avec les acteurs de la frontière germano-­ les provinces de Flandre-Orientale et de Flandre-Occidentale, du côté
néerlandaise jouant un rôle, à la fois, précurseur et déclencheur, pour belge, ainsi que la province de Zélande, du côté néerlandais. Au
la mise en place de nombreuses associations de coopération, dont niveau local, en 1998, les communes de Baarle-Nassau et Baerle-
la plupart fonctionnent au niveau local. Après l’introduction du Duc instaurent une coopération originale: l’Organisme commun de
Baarle (OCB) permet, en fait, une procédure de prise de décision internationale et d’une collectivité de droit public néerlandais.

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 8 3
conjointe, sur des questions d’intérêt commun. Une nouvelle asso­ Enfin, en 2009, sur la frontière entre la Belgique et les P­ ays-Bas,
ciation de coopération transfrontalière voit aussi le jour à la frontière les villes de Maaseik et Brée, du côté belge, ainsi que la commune
entre les Pays-Bas et l’Allemagne: l’Eurode Kerkrade-Herzogenrath de Weert, du côté néerlandais, décident de mettre en place une
réunit la ville néerlandaise de Kerkrade et la ville allemande de communauté rurale de coopération appelée Weert-Maaseik-Bree,
Herzogenrath, dans le district de Cologne. Enfin, les municipalités des qui fonctionne sans base juridique.
îles de la région des Wadden, dans la mer du Nord, créent une asso­
ciation en 1999, qui permet de lancer une coopération transfronta­ Dans les années 2000, la coopération transfrontalière dans les pays
lière de type maritime: l’Euregio Waddeneilanden réunit ainsi les îles du Benelux connaît aussi un approfondissement, du fait de la créa­
de la Basse-Saxe en Allemagne, les îles de la Frise occidentale aux tion d’un certain nombre de Groupements européens de coopération
Pays-Bas, et les îles de Rømø, Mandø et Fanø au Danemark. territoriale (GECT) qui confèrent aux instances transfrontalières, une
véritable personnalité juridique commune. La plupart des GECT sont
A priori, dans l’espace Benelux, les frontières naturelles ne cons­tituent créés sur la frontière franco-belge: l’Eurométropole Lille-Kortrijk-
pas un enjeu de coopération transfrontalière, car il n’y a ni montagne Tournai est ainsi mise en place en 2008, entre les États belge et
ni grand fleuve qui sépare les trois pays. Cependant, à partir des français, la région Nord-Pas-de-Calais, le département du Nord et la
années 2000, la protection de l’environnement et le développement Métropole européenne de Lille, du côté français, ainsi que la Région
durable deviennent des thèmes prioritaires pour la coopération des et la Com­munauté flamandes, la province de Flandre-Occidentale,
pays du Benelux. Sur le modèle du Parc naturel transfrontalier du la Région wallonne, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la province de
Hainaut qui réunit, dès 1996, le parc naturel régional de Scarpe- Hainaut et plusieurs intercommunales, du côté belge. Un deu­
Escaut en France, et le parc naturel des Plaines de l’Escaut en xième GECT est instauré en 2009: Flandre-Dunkerque-Côte d’Opale,
Belgique, d’autres coopérations trans­frontalières entre parcs naturels structuré de manière similaire mais autour de la communauté
voient alors le jour. En 2001, le Drielandenpark est ainsi mis en place, urbaine de Dunkerque et l­’intercommunale de Flandre occidentale,
comme communauté de travail entre les provinces néerlandaise et en associant également des partenaires des niveaux régional et
belge de Limbourg, les régions belges de Flandre et de Wallonie, la étatique. En 2010, la Grande Région se transforme également
province de Liège, la Communauté germanophone de Belgique, et en GECT afin de devenir l’autorité de gestion unique du programme
la ville d’Aix-­la-Chapelle, la communauté de communes d’Aix-la-
Chapelle, l­’arrondissement de Cologne et le Land Rhénanie-du-Nord-
Westphalie, en Allemagne. La même année, le parc national trans­
frontalier De Zoom-Kalmthoutse Heide est créé à la frontière
belgo-néerlandaise, réunissant les deux anciens parcs régionaux et,
notamment, des associations pour la protection de la nature, des
deux côtés de la frontière. En 2002, c’est le parc naturel Meuse-
Schwalm-Nette qui est fondé à la frontière germano-­néerlandaise,
entre le parc naturel Schwalm-Nette, du côté allemand, et les com­
munes de Beesel, Echt-Susteren, Leudal, Roerdalen, Ruremonde et
Venlo, du côté néerlandais. L’originalité de cette coopération est le
choix de sa base juridique: il s’agit, à la fois, d’une association
84 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

opérationnel du même nom (1). Le GECT associe également, à côté des


partenaires belges et français, les Länder de la Sarre et de Rhénanie-
Palatinat, ainsi que le Grand-Duché du Luxembourg. Enfin, deux GECT
voient également le jour au niveau intercommunal: le premier, Linieland
van Waas en Hulst, est un GECT thématique, créé en 2011 par les com­
munes de Beveren, Saint-Gilles-Waes et Stekene, la province de Flandre-
Orientale et l’intercommunale Interwaas en Belgique, ainsi que la
commune de Hulst et la province de Zélande aux Pays-Bas. L’objectif est
de développer ensemble la rive gauche de l’Escaut. Le deuxième GECT,
Alzette-Belval est mis en place en 2013, et correspond, en fait, à la
transformation d’un établissement public d’aménagement, déjà initié
en 2009 et réalisé en 2012, entre la région Lorraine et la région méri­
dionale du Luxembourg.

Aujourd’hui, la coopération transfrontalière des pays du Benelux est


donc, à la fois, intense et diversifiée. Elle est complémentaire à celle,
toujours opérationnelle, au niveau interétatique qui s’est établie à par­
tir de 1948, car il ne s’agit ni des mêmes acteurs ni du même périmètre
géographique. Ainsi, premièrement, les communautés et instances de
coopération au niveau infraétatique impliquent souvent les villes et les
communes, parfois également les provinces néerlandaises, les Régions
et les Communautés belges, mais elle n’est pas du type intergouver­
nemental. Deuxièmement, elles se réalisent soit sur une base bilatérale
belgo-néerlandaise, soit, dans la plupart des cas, avec l’un des deux ou Frontière entre la Belgique
les deux grands pays voisins, l’Allemagne et la France. et les Pays-Bas (localité de Moresnet)

1 Ce territoire s’est également doté en 2011 du GECT Secrétariat du Sommet


de la Grande Région afin de structurer sa représentation politique.
■ Projets de territoires transfrontaliers aux frontières
de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas Euregio
Waddeneilanden

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Ems Dollart Region
Mer du Nord
PAYS-BAS Parc naturel international des
Euregio Rhein-Waal Tourbières de Bourtange-Bargerveen

Euregio Benelux
Middengebied Euregio
Grenspark De Zoom - Kalmthouse Heide
Benego ALLEMAGNE
Euregio Scheldemond
Baarle
West-Vlaanderen/ Linieland van Waas en Hulst
Euregio Rhein-Maas-Nord
Flandre-Dunkerque-Côte d´Opale
Weert-Maaseik-Bree Parc naturel Maas-S(ch)walm-Nette

BELGIQUE Eurode Kerkrade-Herzogenrath


Manche
Parc des Trois frontières Parc naturel Hautes Fagnes-Eifel
Eurométropole
Lille-Kortrijk-Tournai Euregio Maas Rhein
Parc naturel
transfrontalier du
Hainaut Parc naturel germano-luxembourgeois

LUXEMBOURG
Echelle locale PED de Longwy Alzette-Belval
Territoire à caractère urbain

Territoire à caractère rural

Projet thématique FRANCE


Echelle régionale
Territoire à caractère métropolitain Grande Région
Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale

Territoire à caractère métropolitain


Territoire à caractère non métropolitain

Groupement Européen de 50 km
Coopération Territoriale (GECT)
2.3 La France

La France, membre fondateur de la Communauté européenne, a une changeant trois fois d’affiliation nationale depuis son rattachement
superficie totale de 665 000 km2, dont 552 000 km2 en métropole, à la France, lors du traité de Westphalie en 1648: elle devient alle­
et elle est donc le pays le plus étendu de l’UE. Elle possède des fron­ mande en 1871, annexée au Reich, puis française, après la Première
tières terrestres avec 13 pays, dont neuf pays voisins en métropole: Guerre mondiale en 1918, et redevient allemande, sous la domina­
au nord-est, avec la Belgique (620 km), le Luxembourg (73 km), tion du gouvernement national-socialiste en 1940, puis française
­l’Allemagne (451 km) et la Suisse (573 km); vers le sud, avec l’Italie à nouveau en 1945, après la libération. La frontière entre l’Italie et
(513 km); puis avec l’Espagne (623 km), avec une enclave espa­ la France est également disputée: la Corse est rattachée à la France
gnole, Llívia, dans le territoire français. La France partage également en 1769, tandis que la Savoie et le comté de Nice ne le sont
deux frontières avec des micro-États: Monaco (4,4 km) et l’Andorre qu’en 1860, lors de l’unification de l’Italie, la frontière sur le Var étant
(56,6 km). Depuis le traité de Cantorbéry, signé le 12 février 1986, alors déplacée à l’est. La frontière franco-monégasque change
la frontière entre la France et le Royaume-Uni, jusque-là maritime, ­également à ce moment-là, Menton et Roquebrune optant par réfé­
acquiert également un caractère terrestre, avec le tunnel sous la rendum pour leur rattachement à la France. Le tracé définitif des
Manche, qui ouvre en 1994, et permet un flux transfrontalier par frontières françaises n’est fixé qu’en 1947, lors du traité de Paris, où
transport routier et ferroviaire. Avec ses départements et territoires la France gagne 700 km2 avec des extensions du territoire national
d’outre-mer, héritage de son passé colonial, la France, par la Guyane, dans les départements des Alpes-Maritimes, des Hautes-Alpes et de
est également frontalière avec le Brésil sur 730 km et le Suriname la Savoie, avec des aménagements mineurs qui sont encore appor­
sur 510 km, avec le Canada sur L’Isle-Verte, près de l’archipel tés, par la suite, avec la Suisse, l’Andorre et le Luxembourg.
de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu’avec les Pays-Bas sur l’île
de Saint-Martin dans les Antilles. L’évolution des projets et des territoires transfrontaliers de la France
peut être répartie en trois grandes étapes chronologiques. La première
L’histoire des frontières françaises est liée à la longue histoire commence au début des années 1960 et se développe p­ rincipalement
de l’Europe continentale et à la formation des États-nations au à la frontière franco-allemande, mais concerne également la Suisse
XIXe siècle, où la France a joué un rôle important, notamment par la et le Luxembourg. Les premières coopérations transfrontalières de la
propagation des idées issues de la Révolution française de 1789, qui France s’établissent le long du Rhin et de la Moselle, en Alsace et en
ont attisé le besoin, chez les peuples européens, de s’identifier en Lorraine, deux régions longtemps disputées entre la France et l’Alle­
tant que nations et de constituer leurs territoires (c’est l’introduction magne. La création de structures de coopération régionale franco-al­
de la notion westphalienne de la frontière). Elle est aussi liée à un lemandes peut donc être considérée comme une contribution au
passé marqué par de nombreux conflits territoriaux entre puissances processus de réconciliation, lancé parallèlement par les deux États, au
européennes, qui font que le tracé de ces frontières, après la niveau bilatéral. Ainsi, la date de la création de la première association
Deuxième Guerre mondiale, réveille toujours, aujourd’hui, des sou­ à but transfrontalier dans ­l’espace franco-germano-suisse, à Bâle, la
venirs douloureux et des ressentiments de la part de certaines popu­ Regio Basiliensis, en 1963, correspond à celle de la signature du traité
lations frontalières. Alors que les rivalités territoriales entre la France de l’Élysée, par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle. Toutefois, cette
et le Royaume-Uni, jusqu’au XIXe siècle – où elles donnent d’ailleurs Regio est impulsée du côté suisse, même si deux autres Regios sont
lieu à des affrontements plutôt hors du territoire européen – sont formées ensuite, des côtés français et allemand: la Regio du Haut-Rhin
violentes, les conflits frontaliers de la France, avec l’Allemagne et à Mulhouse (1965) et la Regio Fribourg (1985). Ensemble, ces ins­
l’Italie, ne le sont pas moins: depuis la guerre de Trente Ans (1618- tances représentent plutôt l’échelle locale de la coopération transfron­
1648), l’Alsace-Moselle est tiraillée entre la France et l’Allemagne, talière, renforcée en 1995, avec leur fusion dans une seule association,
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Eurodistrict Regio Pamina comprend
l’espace Palatinat du Sud,
Mittlerer Oberrhein (Allemagne)
et le Nord de l’Alsace (France)

la Regio TriRhena. Au niveau régional, la coopération dans l’espace du à celle du Rhin supérieur. La formule SarLorLux est d’abord introduite
Rhin supérieur est institutionnalisée après la conclusion d’un accord par Hubertus Rolshoven, président du comité directeur de la Régie des
intergouvernemental, à Bonn, en 1975, impliquant désormais les mines de Sarre, en 1969. À l’origine, la coopération transfrontalière
Länder Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat, la région Alsace et les dans cet espace est d’ailleurs étroitement liée à la crise sidérurgique,
deux cantons de Bâle. À partir de 1991, cette coopération est gérée qui frappe particulièrement cette région minière et crée des pro­
par la Conférence du Rhin supérieur, qui a son siège à Kehl en blèmes économiques, simultanément, de chaque côté de la frontière
Allemagne, et, à partir de 2000, sur la base d’un nouvel accord inter­ (chômage, nécessité de reconversion, etc.). Ensuite, la formule est uti­
gouvernemental signé à Bâle, elle est élargie aux cinq cantons de la lisée pour identifier la commission intergouvernementale et la com­
Suisse du nord-ouest (les deux demi-cantons de Bâle, et les cantons mission régionale, créées en 1971, bien que cette dernière inclue
d’Argovie, du Jura et de Soleure). Enfin, en 2010, la Région métropoli­ déjà la région du Palatinat occidental en Allemagne, et dépasse donc
taine trinationale du Rhin supérieur est créée, pour mettre en place le cadre géographique SarLorLux. En 1980, une base juridique est
une véritable gouvernance à niveau multiple dans l’espace transfron­ ensuite adoptée pour cette coopération transfrontalière: un accord
talier. Cette gouvernance doit également impliquer les instances de intergouvernemental est signé à Bonn, entre les trois États impliqués.
coopération locales, qui ont vu le jour à partir des années 2000. Mais, par la suite, l’appellation de l’espace de coopération change.
Quatre eurodistricts sont mis en place dans la région: le premier, l’Eu­ Ainsi, après la création d’un sommet des exécutifs régionaux en 1995,
rodistrict Strasbourg-Ortenau (2005), est lancé par Jacques Chirac et l’espace est désormais appelé Grande Région ou, parfois aussi,
Gerhard Schröder, lors des festivités pour le 40e anniversaire du traité SarLorLux+, afin de tenir compte du périmètre géographique plus
de l’Élysée, à Strasbourg et à Kehl en 2003; la Regio Pamina, mise en large. Ce dernier s’élargit encore au cours de l’Histoire car, en 2005,
place comme Groupement local de coopération transfrontalière (GLCT) sont associées à la Grande Région, trois entités fédérées belges: la
en 2001, se transforme alors également en eurodistrict; puis suivent Région wallonne, et les Communautés française et germanophone.
l’Eurodistrict Région Fribourg/Centre et Sud Alsace (2005) et l’Eurodis­ À l’échelle locale, la Grande Région se structure également en plusieurs
trict trinational de Bâle (2007). ensembles intercommunaux: le pôle européen de développement
(PED) de Longwy est fondé en 1985 entre les communes d’Aubange
Le développement de la coopération transfrontalière dans l’espace (dans la province belge de Luxembourg) de Mont-Saint-Martin/
entre la Lorraine, la Sarre, le Luxembourg et le Palatinat, est comparable Longwy (dans le département français Meurthe-et-Moselle) et de
88 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Pétange (au Grand-Duché de Luxembourg). 11 ans plus tard, coopération entre collectivités territoriales, d’autant plus que la pre­
en 1997, se crée une association similaire entre les communes mière loi de décentralisation française, en 1982, confère plus de com­
concernées, le Land de Sarre, le département de la Moselle et la pétences aux départements et introduit un nouvel acteur, au niveau
région Lorraine, qui se transforme en Eurodistrict SaarMoselle en régional de la coopération en France: le conseil régional. Après la tran­
2010, sur la base d’un GECT. Enfin, en 2009, se met en place ­l’Écocité sition démocratique en Espagne et la mise en place des communau­
Alzette-Belval, comme établissement public d’aménagement entre tés autonomes, cette coopération régionale devient aussi possible à la
la région Lorraine et la région méridionale du Luxembourg. frontière franco-­espagnole. La Communauté de travail des Pyrénées
voit le jour en 1983, entre les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et
Une deuxième étape de la coopération transfrontalière de la France Languedoc-Roussillon en France, les communautés autonomes de
peut être identifiée à partir des années 1980 et concerne prin­ Catalogne, de l’Aragon, de Navarre et du Pays basque en Espagne, et
cipalement les régions se situant près des chaînes de montagne, la Principauté d’Andorre. Ensuite sont créées, dans les Alpes notam­
autour des Alpes, du Jura et des Pyrénées. Cette coopération trans­ ment, la Communauté de travail des Alpes occidentales (COTRAO)
frontalière est d’abord d’origine étatique. Ainsi, les autorités publiques en 1983 (entre les cantons de Genève, du Valais, et de Vaud, et les
françaises, suisses, italiennes et espagnoles mettent progressivement régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, puis celles du Val
en place des communautés de travail transfrontalières. Le Comité d’Aoste, du Piémont et de Ligurie), la Communauté de travail du Jura
régional franco-genevois, créé dès juillet 1973, réunit, du côté suisse, en 1985 (entre les cantons du Jura, de Berne et de Neuchâtel et de
les cantons de Genève et de Vaud, et, du côté français, les préfectures Vaud, et la Franche-Comté: préfecture de région, région et départe­
de la région Rhône Alpes, de l’Ain et de la Haute Savoie, les départe­ ments), ainsi que le Conseil du Léman en 1987 (entre les cantons de
ments de l’Ain et de la Haute-Savoie, rejointes par la région Rhône Genève, de Vaud et du Valais, et les départements de l’Ain et de la
Alpes en 2004, et par l’Association régionale de coopération des col­ Haute-Savoie). Sur base de ces premières instances de concertation
lectivités locales du Genevois (ARC), en 2006. Ce processus descen­ avec des territoires étrangers voisins, la coopération transfrontalière
dant (top-down) est complété, dans les années 2000, par la démarche s’intensifie dans les années 1990 et s’élargit également à d’autres
ascendante (bottom-up) du projet d’agglomération du Grand Genève partenaires. Ainsi, autour des Alpes, est initiée une Conférence trans­
(voir ci-dessous). Dans les communautés de travail et conférences ins­ frontalière Mont-Blanc, en 1991, réunissant le canton du Valais, deux
taurées dans les années 1980, l’accent est plutôt mis sur la communautés de communes françaises de Savoie et de

Col des émigrants, à la frontière


entre la France et l’Espagne
Haute-Savoie, ainsi que des communes et la région du Val d’Aoste, et toutes les régions frontalières françaises, aboutit, en définitive, à la ges­

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désormais appelée Espace Mont-Blanc. Deux autres conférences sont tion de projets transfrontaliers, à la création d’institutions de coopéra­
ensuite mises en place, avec les voisins italiens, en 2000: l’une, la tion communes, au niveau local et/ou régional, sur des périmètres
Conférence des Alpes franco-italiennes (CAFI), entre les départements différents de ceux des instances de gestion des programmes INTERREG,
français des Alpes-Maritimes, des Alpes-de-Haute-Provence, des voire même à la f­ ormation d’eurorégions. À partir de la première géné­
Hautes-Alpes, de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, les pro­ ration des p­ rogrammes INTERREG (1990-1995), la coopération trans­
vinces italiennes d’Imperia, de Coni et de Turin, et la région autonome frontalière de la France et de ses voisins est donc multipliée et
du Val d’Aoste; l’autre, la Conférence des Hautes Vallées, qui se place intensifiée à toutes les échelles (nationale, régionale et locale). Des pro­
plus au niveau intercommunal, réunissant des communautés de com­ jets originaux se réalisent, comme, par exemple, le premier parc marin
munes françaises et des communautés de montagnes italiennes. international des Bouches de Bonifacio, lancé en 1992, entre les États
Enfin, dans le Jura, la coopération s’institutionnalise également, avec français et italien, en associant la collectivité territoriale de Corse et le
la création, en 2001, d’une Conférence transjurassienne, qui remplace département de Corse-du-Sud, ainsi que la région de la Sardaigne et la
l’ancienne Communauté de travail du Jura. Cette deuxième phase de province de Sassari. Projet de coopération maritime, le protocole d’ac­
coopération transfrontalière voit aussi naître le concept d’une gestion cord pour ce parc marin est signé en 1993. Le développement de la coo­
commune d’espaces naturels. Le premier parc naturel européen Alpes pération avec les régions frontalières espagnoles est aussi
Maritimes-Mercantour est créé, en 1987, entre le Parc national du particulièrement dynamique. C’est grâce à l’existence d’identités régio­
Mercantour, en France, et le parc naturel des Alpes maritimes, en Italie, nales fortes (catalane et basque), que les partenaires locaux et régio­
porté par un GECT depuis 2013. Dans les Pyrénées, le Parc national naux vont démultiplier les instances et projets de coopération
des Pyrénées, du côté français, et le Parc national d’Ordesa et du transfrontalière. Ainsi, le département des Pyrénées-Orientales forme,
Mont-Perdu, du côté espagnol, coopèrent de manière moins intégrée dès 1996, une communauté de communes transfrontalière Pyrénées-
depuis 1988, tout en faisant l’objet d’un classement commun au titre Cerdagne, avec le conseil du comté de Cerdagne, qui devient un GECT
du patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour le premier parc naturel sur en 2011. Puis, il lance aussi le projet de l’Eurodistrict de l’Espace cata­
la frontière franco-belge, il faut attendre plus longtemps. En 1996, le lan transfrontalier en 2008, avec la Catalogne. Du côté basque,
Parc naturel transfrontalier du Hainaut est instauré entre le parc natu­ en 1993, se forme l’Eurocité basque Bayonne-San Sebastián, qui asso­
rel régional Scarpe-Escaut (pourtant l’un des plus anciens parcs régio­ cie, aujourd’hui, du côté espagnol, la Diputación Foral de Gipuzkoa, la
naux en France, datant de 1968) et le parc naturel des plaines de ville de Donostia-San Sebastián et l’agence de développement local
l’Escaut en Belgique. Oarsoaldea, puis, du côté français, l’agglomération Côte Basque-Adour
et l’agglomération Sud Pays Basque. Un Consorcio transfrontalier
Alors que la nécessité de gérer des espaces naturels comme des mas­ Bidasoa-Txingudi est aussi mis en place, au niveau intercommunal,
sifs montagneux crée des synergies pour la coopération transfrontalière, entre les communes d’Hendaye, de Fontarrabie et d’Irun, en 1998. Les
les autres espaces frontaliers de la France ont davantage besoin d’une coopérations transfrontalières franco-espagnoles vont donner lieu, dans
impulsion externe qui vient du programme INTERREG, lancé au début les années 2000, à des structures et projets transfrontaliers de plus en
des années 1990, par la Commission européenne. Une troisième phase plus importants, tant sur le plan institutionnel que juridique. La région
de la coopération transfrontalière française commence alors à se déve­ Aquitaine (France) et la communauté autonome basque (Espagne), dans
lopper, là où il n’y avait jusque-là que peu d’initiatives locales – par les années  1990, débutent leur collaboration par la création d’un fonds
exemple, à la frontière septentrionale, avec la Belgique et avec le commun de coopération; ce dernier se dote d’une personnalité j­uridique
Royaume-Uni. Or, la mise en place de programmes INTERREG, dans en 2004, avec la création de la Plateforme logistique Aquitaine-Euskadi
90 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

sous forme d’un Groupement européen d’intérêt économique (GEIE), puis et de Savoie, et l’ARC Syndicat mixte regroupant les communautés
de l’Eurorégion Aquitaine-Euskadi sous la forme d’un GECT en 2011. et communes du Genevois français.
L’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée est née en 2004, associant les
régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et les communautés auto­ En revanche, malgré la réalisation du tunnel sous la Manche, qui relie,
nomes de la Catalogne et des Îles Baléares, transformée, elle aussi, depuis 1994, les territoires français et britannique, la coopération
en GECT, dès 2009. Sur un plan plus local, le projet phare est celui de transfrontalière entre la France et le Royaume-Uni reste peu déve­
l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, créé en tant que GECT en 2010, loppée, notamment sur le plan institutionnel. Que ce soit dû au carac­
entre l’État français et le Conseil de la santé de la Généralité de tère non fédéral des deux États et au manque de compétences réelles
Catalogne, et qui est, en fait, une première mise en commun des ser­ des collectivités territoriales, ou à la préférence des Britanniques pour
vices de santé entre deux États européens. Un autre exemple est des coopérations flexibles et non institutionnalisées, le seul véritable
le GECT entre le département des Pyrénées-Atlantiques et la commu­ forum de coopération, développé depuis 1996 et créé en tant qu’as­
nauté autonome d’Aragon, qui porte l’Espace Pourtalet. semblée régionale en 2003, est l’Arc Manche, qui réunit cinq régions
françaises (Haute-Normandie, Basse-Normandie, Picardie, Nord-Pas-
Dans les années 2000, la création d’eurorégions et d’eurodistricts de-Calais et Bretagne) et six comtés et conseils municipaux anglais
peut aussi être observée à d’autres frontières françaises. Ainsi, (Kent, Devon, Hampshire, Sussex de l’Ouest, Brighton et Hove, et
­l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, issue d’une coopération lancée Southampton). Il s’agit là, en réalité, pourtant, plus d’une coopération
dès 1991 avec la Conférence permanente intercommunale trans­ interrégionale que transfrontalière. Au final, les frontières françaises
frontalière (COPIT), est mise en place comme GECT en 2008. Du côté sont caractérisées par un foisonnement de coopérations, à des
français, la Métropole européenne de Lille, le département du Nord, échelles diverses, dont l’origine est soit ascendante (issue des collec­
la région Nord-Pas-de-Calais et l’État, et, du côté belge, plusieurs tivités locales), soit descendante (issue de l’État français et des États
intercommunales, les provinces de Flandre occidentale et de Hainaut, fédérés, voire fédéraux, voisins). Il en résulte un modèle de coopéra­
les Région et Communauté flamande, la Région wallonne, la Fédé­ tion multiniveaux (même s’il se décline différemment sur chaque
ration Wallonie-Bruxelles, et l’État, y participent. Un deuxième GECT frontière), illustrant la prise de conscience de la coopération trans­
se met en place en 2009, dans la région entre la Flandre occiden­ frontalière des collectivités à différentes échelles: l’échelle interéta­
tale et la zone Flandre-Dunkerque-Côte d’Opale. Il est structuré tique, avec l’implication indispensable des États dans la coopération
de manière similaire mais autour de la communauté urbaine de (commissions intergouvernementales); l’échelle suprarégionale
Dunkerque et l’intercommunale de Flandre occidentale, en associant (Grande Région, Rhin supérieur, Conférence transjurassienne,
également des partenaires des niveaux régional et étatique. Entre la Communauté de travail des Pyrénées ou Euro­région des Pyrénées);
France et la Suisse, il s’agit de mentionner, dans ce contexte, premiè­ l’échelle régionale, celle notamment des e­ urodistricts (dans l’esprit
rement, l’agglomération urbaine du Doubs, dont la déclaration des eurorégions aux autres frontières a­ llemandes); et l’échelle locale,
­d ’intention est signée en 2006 et qui se transforme en GECT celle de territoires transfrontaliers urbains ou ruraux; et, enfin, de la
en 2014 (entre les communes de Morteau, Villers-le-Lac et des Fins, nécessité d’une action coordonnée entre ces niveaux. Ce besoin de
du côté français, et Le Locle, La Chaux-de-Fonds et Les Brenets, du gouvernance multiniveaux s’illustre également par la création de la
côté suisse); et deuxièmement, la création du Groupement local Mission opérationnelle transfron­talière (MOT) en 1997, réunissant des
de coopération transfrontalière (GLCT) du Grand Genève en 2013, collectivités des différents niveaux des États, de part et d’autre des
qui réunit les cantons de Genève et de Vaud, la ville de Genève, le frontières françaises, et leurs groupements transfrontaliers.
district de Nyon, la région Rhône-Alpes, les départements de l’Ain
ROYAUME-UNI West-Vlaanderen/
■ Projets de territoires Flandre-Dunkerque-Côte d´Opale
transfrontaliers aux Eurométropole ALLEMAGNE
frontières de la France Tunnel sous la Manche
Lille-Kortrijk-Tournai Grande Région
Manche
Arc Manche BELGIQUE
Parc naturel

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 9 1
LUXEM-
transfrontalier du Réserve de biosphère transfrontalière
BOURG
Hainaut PED de Longwy Vosges du Nord-Pfälzerwald
Alzette-Belval Eurodistrict PAMINA
Eurodistrict SaarMoselle
Eurodistrict
Eurodistrict Region Freiburg /
FRANCE Strasbourg-Ortenau
Centre et Sud Alsace
Rhin Supérieur
Océan Atlantique EuroAirport Basel Mulhouse Freiburg
RegioTriRhena
Agglomération urbaine du Doubs Eurodistrict
Conférence transjurassienne SUISSE Trinational de Bâle

Grand Genève Conseil du Léman


Comité Régional Espace Mont-Blanc ITALIE
Eurorégion Aquitaine-Euskadi ParcTunnel
Marindu Mont-Blanc
International
Franco-genevois des Bouches de Bonifacio Conférence des
Alpes franco-italiennes
Conférence des
Hautes-Vallées Réserve de biosphère
Eurocité Basque transfrontalière du Mont-Viso
Bayonne-San Sebastián Parc national des Pyrénées/
Parque nacional de Ordesa Parc européen
ESPAGNE y Monte Perdido Alpi Marittime-Mercantour
Consorcio Transfrontalier Bidasoa-Txingudi Huesca Pirineos-Hautes Pyrénées
MONACO
Pirineus- Cerdanya
Espace Pourtalet Eurorégion
ANDORRE Eurodistrict de Alpes-Méditerranée
Echelle locale
l’Espace Catalan
Territoire à caractère urbain Hôpital de Cerdagne Transfrontalier
Territoire à caractère rural
Pays d’art et
Equipement transfrontalier opérationnel Parc marin international
d’histoire transfrontalier
Echelle régionale
des Bouches de Bonifacio
Territoire à caractère métropolitain Eurorégion
Territoire à caractère non métropolitain Pyrénées-Méditerranée
Echelle suprarégionale Mer Méditerranée
Territoire à caractère métropolitain
Territoire à caractère non métropolitain
50 km
Groupement Européen de
Coopération Territoriale (GECT)
2.4 Le Danemark, la Suède et la Finlande

Constitués de territoires relativement étendus mais peu peuplés, les changement géopolitique, en avançant l’idée que l’intégration
États scandinaves forment une périphérie nord de l’Europe. À l’ex­ ­régionale au sein de la Scandinavie a facilité la coopération
ception du Danemark, leurs faibles densités contrastent avec celles transfrontalière.
qui sont observables dans d’autres régions du continent. Ils sont éga­
lement caractérisés par un niveau de vie élevé et l’existence d’un Pourtant, ces trois États n’ont pas intégré l’UE de la même manière.
État social et d’un haut niveau de protection sociale. L’Union de Le Danemark a négocié des clauses d’exemption et, tout comme la
Kalmar, entre 1397 et 1523, a associé quatre États scandinaves Suède, n’a pas adopté l’euro. Les trois États sont associés à des cadres
(à l’exception de l’Islande) au sein du même État. L’histoire de ces qui concernent la mer Baltique (programme transnational INTERREG B
territoires est marquée par l’existence de liens politiques qui ont pris Mer Baltique, stratégie macrorégionale Mer Baltique, programme de
la forme d’associations: la Norvège a fait partie du royaume voisinage Mer Baltique). La Suède et la Finlande ­participent à des
du Danemark jusqu’en 1814, puis de la Suède; le Grand-Duché cadres de coopération qui concernent l’Arctique en général, avec la
de Finlande a été intégré à la Suède jusqu’en 1809. Au XIXe siècle, Norvège et la Russie (région euro-arctique de Barents).
le scandinavisme est un mouvement culturel et politique qui prône
un rapprochement entre les différents territoires. Danemark
L’existence du Conseil nordique depuis 1952 a certainement facilité l’in­ Bien que le Danemark soit membre de la CEE depuis 1973, ce n’est
tégration entre les cinq États (Danemark, Suède, Finlande, Norvège et pas sur ses frontières qu’ont été initiées les premières formes de
Islande), qui entretiennent d’étroites relations économiques, sociales et coopération transfrontalière. Le Danemark est un État de petite taille
culturelles. Certaines initiatives de coopération transfrontalière (43 000  km2), qui présente une forte densité de population dans le
remontent aux années 1960 (Conseil de la Calotte du Nord, 1967) cadre scandinave (130 habitants au km2). La construction de l’État
ou 1970 (Conseil du Kvarken, 1972; Midnordic Region, 1978), avant que et de la nation est ancienne, mais le territoire a connu de fortes
la Finlande et la Suède ne deviennent membres de l’UE. Certes, trois variations et ne s’est stabilisé, pour correspondre à sa forme actuelle,
États sont membres de l’UE mais ils n’ont pas adhéré à la même date. qu’après 1864. Deux territoires dotés d’une autonomie institution­
Si l’intégration du Danemark est relativement ancienne (1973), celles nelle sont rattachés au Danemark: le Groenland et les îles Féroé, qui
de la Suède et de la Finlande ne datent que de 1995 et sont liées aux sont, tous les deux, des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) ne
changements géopolitiques que l’Europe a connu en 1989. En effet, ­faisant pas partie intégrante de l’UE. Le territoire du Danemark est
on peut estimer qu’avant cette date, les États scandinaves occupaient composé d’une presqu’île, le Jutland, rattachée au continent par un
une double situation périphérique et géographique, certes, mais aussi isthme de 70 km de long et par plus de 400 îles, dont la plus grande,
et surtout géopolitique, du fait de la proximité du rideau de fer, qui pre­ Seeland, abrite Copenhague, la capitale. Cette configuration spatiale
nait appui sur la mer Baltique. La disparition de ce dernier a permis (une partie continentale et une myriade d’îles) pose un problème de
à la Finlande d’intégrer le Conseil de l’Europe en 1989, puis l’UE, au continuité territoriale que l’État a en partie résolu, en investissant
même moment que la Suède, en 1995. Les deux États possèdent une dans la réalisation de ponts et de tunnels, à la fois, routiers et ferro­
frontière extérieure de l’Europe. Si celle entre la Suède et la Norvège viaires. Une autre particularité réside dans le poids démographique
constitue une frontière ouverte (la Norvège est aussi membre de l’es­ de sa capitale: l’agglomération de Copenhague abrite plus d’un tiers
pace Schengen), celle entre la Finlande et la Russie, en dépit des chan­ de la population du pays et se trouve en situation périphérique,
gements de régimes politiques, reste extrêmement contrôlée. On peut à l’est, à proximité de la Suède, dont elle est séparée par le détroit
interroger l’évolution de la coopération territoriale dans ce contexte de de l’Øresund, qui relie la mer Baltique à la mer du Nord. Copenhague,
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Pont sur le détroit de l’Øresund
(Danemark, Suède)

qui est une des villes qui commande le détroit, est, à la fois, située régions adjacentes. Le troisième programme concerne, plus précisé­
sur le littoral et en position frontalière, à proximité des côtes sué­ ment, la frontière avec l’Allemagne. Les territoires éligibles du pro­
doises, distantes d’une dizaine de kilomètres. gramme «Syddanmark-Schleswig – K.E.R.N.» correspondent au sud
de la presqu’île du Jutland, à la province de Fionie et à une partie du
Le Danemark possède par conséquent deux types de frontières. Land allemand de Schleswig-Holstein.
La première, terrestre, le sépare de l’Allemagne. Elle a été instaurée
en 1864, après la perte du Schleswig-Holstein, attribué à la Prusse Les instances de coopération ont été créées, principalement, dans
et à l’Autriche. La frontière se poursuit cependant vers l’est, par le le courant des années 1990 et au début des années 2000. Le comité
Fjord de Flensbourg et l’espace maritime du Fehmarnbelt. La fron­ de l’Øresund regroupe, à la fois, des collectivités locales (municipali­
tière politique ne coïncide pas avec la frontière linguistique: des tés) et régionales (comtés), et des représentants des deux États
minorités danoises résident ainsi dans le Schleswig. Avec la Suède (Suède et Danemark). La coopération lancée en 1993 vise à renfor­
et la Norvège, les frontières sont également maritimes. cer les relations entre la région métropolitaine de Copenhague et les
régions voisines de Suède, très urbanisées (la Scanie comprend ainsi
Le Danemark est couvert par trois programmes INTERREG. Un pre­ les villes de Malmö, troisième ville de Suède, et de Lund, qui abrite
mier, appelé Øresund-Kattegat–Skagerrak, associe des comtés du l’une des universités les plus prestigieuses du pays), dans la perspec­
sud de la Norvège, des provinces de l’ouest de la Suède, la partie tive de création d’un lien fixe sur le détroit de l’Øresund en 1999.
nord de la presqu’île du Jutland et les provinces insulaires de l’est. Depuis cette date, une double liaison routière et ferroviaire remplace
Un second, appelé Sud de la Baltique, couvre les régions riveraines l’ancien ferry qui reliait les deux rives. En dépit d’une structure de gou­
de la mer Baltique allemandes et polonaises, les provinces littorales vernance légère, sans personnalité juridique, la coopération transfron­
du sud-est de la Suède, et la région de Klaipėda en Lituanie. L’île talière est très étroite. L’association est dotée d’une équipe technique
danoise de Bornholm fait partie intégrante du programme, alors que de 17 personnes, dont certaines sont affectées au montage des pro­
les régions de l’est du Danemark y sont associées en tant que jets INTERREG. Grâce à cette structure d’expertise, le montage des
94 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

projets peut être assez élaboré. Une véritable région métropolitaine,


dont Copenhague est le pivot et où Malmö joue un rôle secondaire,
est en construction: elle traduit une intégration croissante entre les
deux rives, qui sont reliées par un système ferroviaire de type RER
(réseau express régional). Trois structures de coopération transfron­
talière ont vu le jour sur la frontière germano-danoise: Sønderjylland-
Schleswig en 1997, la région du Fehmarnbelt en 2006, et province de
Fionie-K.E.R.N. en 2007. Même si elles portent le nom d’eurorégions,
elles associent essentiellement des collectivités locales (municipa­
lités, côté danois, villes et districts, côté allemand, mais aussi un
réseau technologique dans le cas de K.E.R.N.). Rappelons toutefois
que les communes danoises sont très étendues et dotées de vastes Projet CoSafe: renforcement
et amélioration de la coopération
compétences. La région du Fehmarnbelt est liée au projet de créer entre les équipes norvégiennes et
un lien fixe entre l’île de Lolland (Danemark) et l’île de Fehmarn suédoises de secours en montagne
(Allemagne), ce qui permettra de renforcer l’accessibilité entre
Hambourg et Copenhague. L’une des originalités de ces coopérations
réside notamment dans la dimension culturelle, qui cherche à favori­ Suède
ser l’apprentissage des langues de voisinage, auprès des minori­
tés mais aussi des autres populations à proximité de la frontière. Comme le Danemark, l’État suédois s’est construit dans la longue
Une dernière eurorégion, baptisée Euregio Waddeneilanden, a été durée et la configuration de son territoire a changé au cours des
­instaurée en 1999. Son originalité ne réside pas seulement dans le siècles. La Suède a, cependant, joué un rôle dans l’organisation de
fait qu’elle associe les Pays-Bas au Danemark et à l’Allemagne, mais l’ordre territorial européen, bien plus que le Danemark. Entre 1611
aussi dans le fait que la coopération s’établit entre des îles de la mer et 1718, la Suède apparaît comme une grande puissance euro­
du Nord et des îles de la mer Baltique de ces États. Ce réseau d’îles péenne, du fait de l’extension de son territoire sur les rives méri­
permet de partager des bonnes pratiques et de penser une coopé­ dionales et orientales de la mer Baltique. Elle devient un État
ration basée sur des préoccupations communes (pressions environ­ résolument moderne, en se dotant d’une administration efficace.
nementales). Enfin, l’Eurorégion Baltique ne prend en compte que Avec 9,7 millions d’habitants, la Suède est bien plus peuplée que
l’île danoise de Bornholm, située à 160 km à l’est de Copenhague. le Danemark, mais avec 20 habitants au km2, elle présente l’une
des densités les plus faibles d’Europe. Par ailleurs, la population et
En définitive, les frontières danoises montrent une intense activité de les villes se concentrent dans la partie méridionale et sur le littoral,
coopération transfrontalière. Celle-ci est liée à l’élaboration de projets tandis que l’intérieur reste peu peuplé. La Suède est un État neutre
de liens fixes (Øresund, Fehmarnbelt), et à la volonté de créer un réseau et n’a plus connu aucune guerre depuis le début du XIXe siècle.
de coopération entre des îles. La configuration du territoire (notamment
son caractère archipélagique) influence notablement la coopération Dès le XVe siècle, les frontières avec la Norvège et la Finlande sont
transfrontalière. Par ailleurs, on observe l’émergence d’une région relativement fixées. Le travail de délimitation est véritablement
métropolitaine transfrontalière au-dessus du détroit de l’Øresund, dont achevé au début du XIXe siècle. La frontière repose, plus ou moins,
Copenhague et Malmö constituent les deux principaux pôles. sur la ligne de partage des eaux avec la Norvège, à l’ouest. Au nord,
le tracé de la frontière avec la Finlande traverse une vaste zone Plusieurs régions transfrontalières ont également été instaurées avant

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forestière, lieu de résidence des Sames, population autochtone, pré­ que la Suède n’intègre l’UE, dès les années 1970. Elles associent prin­
sente dans tous les États limitrophes (Norvège, Finlande, Russie). Les cipalement des collectivités de niveaux régional ou local de Suède,
zones frontalières apparaissent comme des régions de très faible à celles de l’un de ses deux voisins – la Finlande (Conseil du
densité, de surcroît, caractérisées par une déprise démographique. Kvarken, 1972; «Haparanda-Tornio», 1987) ou la Norvège («Arvika-
Le golfe de Botnie sert principalement de frontière entre la Suède et Kongsvinger», 1978; Comité de Svinesund, 1980; «Mittskandia», 1988)
la Finlande. Enfin, la mer Baltique sépare le territoire suédois des –, ou des trois ensembles (Conseil de Tornédalie, 1987). La plupart de
États baltes et de la Pologne. Ces États, qui étaient situés au-delà du ces structures n’ont pas un statut juridique mais un statut d’associa­
rideau de fer, sont, de nos jours, reliés par des liaisons maritimes. tion, dans le pays où elles sont localisées. Parmi toutes ces coopéra­
Toutes ces frontières sont, à présent, des frontières internes de l’UE, tions, celle d’Haparanda et de Tornio, deux villes frontalières, est
à l’exception de celle avec la Norvège. Toutefois, la frontière avec particulièrement originale, puisque, dès les années 1960, une mutua­
cette dernière est couverte par des programmes depuis INTERREG II, lisation des services publics a été entreprise (piscine, traitement des
l’État norvégien se substituant à l’UE pour les financements attribués eaux usées, etc.). La formalisation, intervenue en 1987, entérine donc
aux partenaires des collectivités de cet État. une pratique de coopération de plus de vingt ans. De nouveaux pro­
jets sont développés à travers les programmes INTERREG, tant dans
Cinq programmes couvrent la frontière nord-sud: Suède-Norvège, le domaine de l’éducation, de la formation ou de l’environnement.
Nord, Kolarctic, Botnie-Atlantique et Øresund-Kattegatt-Skagerrak.
En dehors du premier, qui regroupe uniquement des provinces suédoises Curieusement, il faut attendre les années 1990 pour voir apparaître
et norvégiennes, les programmes associent des provinces d’un autre une instance de coopération transfrontalière entre le Danemark et la
État que les deux pays cités: la Finlande, pour le deuxième et le troi­ Suède, alors que les deux États ne sont séparés que par un étroit
sième, et le Danemark, pour le dernier. Enfin, le programme Baltique détroit traversé par de nombreux ferries. Dans ce cas, c’est le projet de
centrale associe l’est de la Suède (dont Stockholm) à l’Estonie et à des lien fixe sur le détroit de l’Øresund qui sert de catalyseur. Enfin, il
régions NUTS3 de la Lettonie et du sud de la Finlande (dont Helsinki), convient de mentionner deux eurorégions qui joignent des collectivi­
et inscrit la coopération à travers la mer Baltique. tés, de part et d’autre de la mer Baltique. L’Eurorégion Pomerania,
créée en 1995, réunit des associations de communes du nord-ouest
La coopération transfrontalière débute dès 1967, à l’extrémité nord de la Pologne, du nord-est de l’Allemagne, et du sud de la Suède
du territoire, avec la création du Conseil de la Calotte du Nord, ins­ (Scanie). L’objectif est de promouvoir la coopération entre les com­
tauré par le Conseil nordique. Localisé à Rovaniemi en Finlande, munes de l’association, dans leurs domaines de compétence. Enfin,
le Conseil repose sur un partenariat entre différentes provinces l’Eurorégion Baltique regroupe des collectivités régionales de cinq
et régions de Suède, de Finlande et de Norvège. Depuis sa création, États dont l’oblast de Kaliningrad (Russie), situé hors de l’UE.
il a entrepris de nombreuses coopérations, dans des domaines très
variés (environnement, culture, développement économique, etc.). Les frontières de la Suède présentent une intense activité transfron­
Une deuxième eurorégion a été créée entre les trois États un peu talière qui a débuté dès les années 1960, grâce à l’impulsion du
plus au sud, en 1978: la Midnordic Region. Elle associe une région Conseil nordique. Cette coopération s’est surtout matérialisée avec
finlandaise à une région suédoise, à travers le golfe de Botnie, et une la Norvège et la Finlande. Après l’intégration à l’UE, la coopération
région du centre de la Norvège. s’est étendue vers les régions méridionales, avec le Danemark et
autour de la mer Baltique.
96 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Finlande l’URSS, ce qui induit une relation particulière. La disparition du rideau


de fer fragilise, dans un premier temps, l’économie de la Finlande,
La Finlande est l’État le moins densément peuplé de l’UE (15 habi­ qui était très dépendante de son grand voisin. La Finlande compte
tants au km 2). Contrairement au Danemark et à la Suède, la également une frontière au nord avec la Norvège, qui est une fron­
construction territoriale de la Finlande est relativement récente. Elle tière extérieure de l’UE. La frontière avec la Suède est devenue une
est le fruit d’une double émancipation: par rapport aux Suédois, puis frontière interne depuis l’intégration des deux États dans l’UE.
par rapport aux Russes. Le territoire qui correspond à la Finlande La partie occidentale, proche du golfe de Botnie, où réside une forte
actuelle est une possession de la Suède entre le XIIe et le XIXe siècle. minorité suédoise, est marquée par la présence du bilinguisme.
L’occupation de l’espace se fait sous la forme d’un processus de Au sud, le golfe de Finlande sépare le territoire des États baltes.
colonisation, à partir du littoral occidental. Les premières villes sont
fondées par les Suédois. Le comté de Finlande est intégré à la Russie Grâce au programme TACIS, puis à la politique de voisinage, une coo­
en 1804, mais dispose d’une large autonomie. La capitale est alors pération a réussi à s’instaurer entre la Finlande et la Russie. À côté des
déplacée de Turku, située sur la côte occidentale, à Helsinki, sur la programmes avec la Suède et la Norvège, il faut mentionner trois pro­
côte méri­dionale et plus proche de la Russie. La Finlande obtient son grammes transfrontaliers (IEVP-CTF) qui couvrent cette frontière, du
indépendance en 1917, dans le prolongement de la Révolution nord au sud: Kolarctic/Russie, Carélie/Russie, Finlande du Sud-Est/Russie,
russe. La Finlande est envahie par les Soviétiques en 1944. Après la auxquels s’ajoute un programme INTERREG B Mer Baltique.
Deuxième Guerre mondiale, l’URSS reconnaît, à travers le traité de
Paris (1947), l’indépendance de la Finlande, à condition que cette En dehors des coopérations avec la Suède, qui sont antérieures
dernière se dote d’un statut de neutralité. Ceci l’empêche de bénéfi­ à l’entrée dans l’UE, il convient de noter l’émergence de structures
cier du plan Marshall et de participer aux instances de coopération originales de coopération avec la Russie. La première à voir le jour
du monde occidental. La finlandisation caractérise ainsi une forme est la coopération qui s’engage dans la région de Pasvik-Inari, entre
de neutralité sous contrôle mais, en échange, la Finlande devient la Russie, la Norvège et la Finlande, et qui est initiée après une ren­
un fournisseur privilégié de l’URSS. À partir de 1985, la glasnost contre entre les autorités nationales des trois États, en 1991, pour
favorise une plus grande ouverture de l’URSS vis-à-vis de la soulever les problèmes de protection et de gestion environnemen­
Finlande. Cette dernière adhère à l’Association européenne de libre- tales. Des réserves naturelles ont été créées dans chaque partie.
échange (AELE) en 1986, et au Conseil de l’Europe en 1989, avant Depuis 1999, les municipalités sont associées à la coopération. De
de poser sa candidature à l’UE, sans toutefois récuser son statut nouveaux projets ont été développés, dans le cadre du programme
de neutralité. de voisinage, à partir de 2006.

Les frontières de la Finlande ont été stabilisées dès le XVIIe siècle En 1992, un partenariat est instauré entre Imatra (Finlande) et
(Norvège) ou le XIXe siècle (Suède). En revanche, la frontière avec la Svetogorsk (Russie), deux villes distantes de cinq km. Mais ce n’est
Russie, puis avec l’URSS, a connu des fluctuations. Cela a notamment qu’après 1995, que la coopération se développe véritablement:
été le cas en Carélie, qui a été alternativement finlandaise, puis les projets ont été financés dans le cadre de TACIS, du côté russe,
russe. Lors du traité de Paris (1947), une grande partie de la Carélie et du FEDER, du côté finlandais, puis dans le cadre de la politique
redevient soviétique. La Finlande perd environ 10 % de son territoire de voisinage dans des domaines comme le traitement des eaux
d’avant-guerre. Après la Deuxième Guerre mondiale, la Finlande usées, l’éducation, le tourisme, etc. Une stratégie transfrontalière
a été le seul pays d’Europe occidentale à partager une frontière avec a été proposée par les deux villes.
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 9 7
Le projet «À la frontière»: développer
un nouveau centre-ville commun
pour les villes d’Haparanda (Suède)
et de Tornio (Finlande)

La deuxième coopération, l’Euregio Helsinki-Tallinn, est particulièrement marquante en Estonie qu’en Finlande. En revanche, Helsinki apparaît
originale puisqu’elle concerne, depuis 1999, les deux capitales d’État, bien plus puissante que Tallinn dans le système des villes européennes.
séparées par le golfe de Finlande, sur une courte distance de 65 km. La création d’une association transfrontalière, dotée d’un conseil d’ad­
Depuis le démantèlement du rideau de fer, les deux villes sont reliées ministration c­ ommun entre les deux Régions capitales, résulte de la
par plusieurs rotations quotidiennes de ferries, qui effectuent la traver­ croissance constante des flux, ce qui nécessite une réelle coordination
sée en une heure et demie. Les flux de toutes sortes ont considérable­ entre les acteurs. Les régions NUTS3 associent la province d’Uusimaa
ment augmenté, en dépit de la persistance d’une asymétrie économique et la ville d’Helsinki, en Finlande, et le comté de Harju et la ville de
en faveur de la Finlande. Ces deux villes constituent, dans leurs pays res­ Tallinn, en Estonie. Des scénarios de transport ont ainsi été élaborés
pectifs, les seules véritables métropoles: chacune concentre les princi­ entre les deux régions. La coopération s’est, peu à peu, complexifiée
pales activités internationales mais cette caractéristique est plus et s’est fixée de nouveaux objectifs: créer des complémentarités, en vue
98 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

de faire émerger des économies d’échelles; accroître l’innovation, en vue En définitive, la coopération territoriale est relativement élaborée dans
de favoriser un développement conjoint et d’établir une promotion com­ les États scandinaves, à la fois, entre eux et avec des États non
mune. La coopération entre les régions a permis d’impulser des initia­ membres. La coopération entre la Finlande et la Russie est renforcée
tives d’autres acteurs publics (universités, agences de promotion par l’existence des programmes transfrontaliers de voisinage, et par
économique), mais aussi d’entreprises privées (compagnies de transport, les liens privilégiés que la Finlande entretenait avec l’URSS pendant
de l’énergie, informatiques, de distribution, etc.). La coopération engagée la guerre froide. Les projets développés dans les espaces urbains
rappelle, toute proportion gardée, celle établie entre Copenhague et montrent l’existence d’une coopération étroite. Deux régions métro­
Malmö, sur le détroit de l’Øresund. politaines transfrontalières sont ainsi en train d’émerger, ce qui est
­d’autant plus remarquable que les deux pôles principaux sont séparés
Par ailleurs, l’Eurorégion Carélie réunit trois régions finlandaises et la par un bras de mer. Dans le cas de Copenhague-Malmö, la réalisation
République de Carélie en Russie. Cette dernière correspond à une d’un lien fixe a été un catalyseur de l’intégration transfrontalière.
région historique, ce qui se traduit par l’existence d’une culture par­
tagée, de part et d’autre de la frontière. La coopération porte notam­
ment sur des points relatifs à l’environnement et sur des aspects
culturels. Enfin, l’Arc de Botnie, créé en 2002, réunit des collectivités
locales limitrophes du golfe de Botnie, en Suède et en Finlande.
■ Projets de territoires transfrontaliers Mer de Barents
aux frontières du Danemark,
de la Suède et de la Finlande Pasvik Inari
Trilateral Park
Mer de Norvège

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 9 9
Echelle locale
Tornedalsrådet Parc national d’Oulanka/
Territoire à caractère urbain
Parc national de Paanajärvi
Territoire à caractère rural
North Calotte Council Bothnian Arc
Equipement transfrontalier opérationnel MittSkandia
Equipement transfrontalier en projet
Haparanda/Tornio
Echelle régionale Euregio Karelia
Territoire à caractère métropolitain
Territoire à caractère non métropolitain Parc de l’Amitié
Echelle suprarégionale

Territoire à caractère métropolitain


Territoire à caractère non métropolitain

Kvarken Council Haute Côte / Archipel de Kvarken

SUÈDE Midnordic Region


FINLANDE
Imatra/Svetogorsk
NORVÈGE
Nordiska
Hedmark-Dalarna Skärgårdssamarbetet
Euregio
Helsinki Tallinn
Arvika-Kongsvinger (ARKO)
Grensekomiteen Värmland-Østfold RUSSIE
ESTONIE

Comité Svinesund Mer Baltique

Mer du Nord
DANEMARK B7 Baltic Islands Network
Région Øresund
LITUANIE
Fehmarnbelt Region
Pont de l'Øresund
Region Sønderjylland
DK RUSSIE Euroregion Baltique
-Schleswig
Tunnel du Fehmarnbelt
Euregio Fyns Amt / K.E.R.N. POLOGNE
Waddeneilanden Euroregion
100 km
Pomerania
PAYS-BAS ALLEMAGNE
2.5 La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie

Le regroupement des trois États baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie) territoires en 1944, qui deviendront chacun une république au sein
dans une même partie ne s’explique pas simplement par leur locali­ de cet État, en modifiant légèrement leur configuration. La politique
sation sur les rives de la mer Baltique. En effet, d’autres États, bien que de reconstruction (perestroïka) et de transparence (glasnost), entreprise
riverains, ne portent pas ce nom. Elle ne vient pas davantage de leur par Mikhaïl Gorbatchev, en URSS, en 1986, se traduit par la résurgence
situation en périphérie de l’Europe. La Finlande, qui leur est géogra­ de revendications identitaires dans les États baltes. Le 23 août 1989,
phiquement proche, pourrait alors entrer dans la même catégorie. une chaîne humaine de 600 km de long relie Vilnius, la capitale de la
Ce regroupement est lié à une situation géopolitique singulière, pro­ Lituanie, à Tallinn, la capitale de l’Estonie, en passant par Riga, la capi­
duite par une trajectoire historique, qui pourrait être qualifiée de tale de la Lettonie. Cette manifestation est destinée à protester contre
­tourmentée. Ces trois États sont d’anciennes républiques soviétiques le Pacte germano-soviétique, signé 50 ans plus tôt, et consacre l’idée
et, à ce titre, ils ont, au sein de l’UE, une relation particulière avec la que la présence de l’URSS n’est pas légitime. Enfin, elle affiche la soli­
Russie. La disparition du rideau de fer a ouvert de nouvelles perspec­ darité des trois peuples, dans une revendication commune envers le
tives aux populations résidant dans ces territoires, en leur permettant gouvernement de l’URSS. Les républiques proclament leur indépen­
de retrouver l’indépendance qu’elles avaient acquise entre 1920 dance en 1989 mais ne l’obtiendront réellement qu’en 1991, après
et 1940. L’intégration européenne est perçue comme une garantie une période de troubles. L’indépendance des États baltes a été liée,
d’une autonomie obtenue au début des années 1990, dans le cadre à deux reprises, à des changements du régime politique de leur puis­
des bouleversements géopolitiques qui ont agité l’Europe. La question sant voisin, la Russie, après 1917, puis l’URSS, après 1989.
des frontières est liée au caractère récent des États, à l’intégration des
territoires, pendant 45 ans, dans l’ensemble soviétique, et par l’ouver­ L’appartenance à l’URSS a laissé des traces. D’une part, l’héritage se
ture du rideau de fer qui les séparait de l’Occident. Par ailleurs, le voi­ traduit par la présence de fortes minorités russes avec, cependant,
sinage avec la Russie constitue la principale caractéristique commune des variations selon les États. D’autre part, la relation à la Russie est
de ces États, même si chacun présente ses propres spécificités. marquée par la question énergétique, puisqu’une partie des res­
sources étaient exportées vers l’Europe occidentale et, pour partie,
Les États baltes ont, tout trois, proclamé leur indépendance en 1989, continuent de l’être par les Républiques baltes, qui sont elles-mêmes
pour la deuxième fois de leur histoire. En effet, le traité de Brest- dépendantes de la Russie pour leur consommation d’énergie.
Litovsk, signé en mars 1918, met fin à la guerre entre l’Empire alle­
mand et la Russie, sur le front de l’est de la Première Guerre mondiale, Les trois Républiques baltes sont de petits États au sein de l’UE. Elles
et consacre l’emprise du premier sur les territoires situés à l’est de totalisent ensemble à peine un peu plus de 1 % de la population
la mer Baltique, qui étaient sous contrôle de la seconde depuis de cette dernière, et sont surtout caractérisées par une forte diminu­
le XVIIIe siècle. Pourtant, le gouvernement provisoire russe, issu de la tion de leurs populations, depuis leur indépendance, du fait d’une
Révolution de 1917, a reconnu l’autonomie de ces provinces, peu faible fécondité et d’un solde migratoire négatif. Enfin, elles par­
après sa désignation. L’indépendance, obtenue en 1920, avec difficul­ tagent, avec la Finlande et la Suède, la particularité d’être faible­
tés, après des conflits avec l’armée soviétique, est remise en cause ment peuplées. Ces trois États ont conscience de présenter une
en 1940, du fait de la signature du Pacte germano-soviétique. Ce der­ certaine vulnérabilité.
nier, signé le 23 août 1939, définit une ligne de partage des influences,
entre l’Allemagne national-socialiste et l’URSS. Les États baltes sont Une fois l’indépendance acquise, les trois États vont se tourner vers 
occupés par l’armée soviétique en 1940, avant d’être envahis, un an l’Europe occidentale. Ils n’intégreront pas la Communauté des États
plus tard, par l’Allemagne national-socialiste. L’URSS reconquiert ces indépendants (CEI), qui regroupe, sous l’égide de la Russie, 11 anciennes
républiques soviétiques. En revanche, ils vont déposer leur candidature

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 0 1
à l’UE, qu’ils intégreront en 2004, en même temps que plusieurs autres
États d’Europe centrale et orientale, et, la même année, ils s’associeront
à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ces intégrations
constituent a priori un paradoxe: alors que ces États viennent à peine de
reconquérir leur indépendance, ils sont prêts à intégrer un ensemble
régional auquel ils transfèrent une partie de leurs pouvoirs. Les trois
États intègrent l’espace Schengen en 2007. En 2015, ils font tous par­
tie de la zone euro (même s’ils y sont entrés à des dates différentes).
En tant que riverains de la mer Baltique, ils sont également, tous les
trois, membres du Conseil des États de la mer Baltique, créé à l’initiative
de l’Allemagne et du Danemark en 1992. L’intégration européenne
apparaît comme le meilleur moyen de préserver leur indépendance et
d’envisager des relations apaisées avec leur puissant voisin, la Russie,
avec lequel la question du tracé des frontières a fait l’objet de négocia­
tions difficiles. Dans ces trois États, les limites territoriales ont connu des
transformations radicales, non pas dans leur tracé mais dans leur fonc­
tion. Trois types sont ainsi observables.

D’une part, des limites administratives, au sein d’un même État, se


sont transformées en frontières d’État. C’est le cas des dyades entre Projet «Dictionnaire estonien-letton
chacun des trois États. Il s’agit de limites sans véritable enjeu et et letton-estonien»: création d’un
nouveau dictionnaire et diffusion
ces dernières sont devenues des frontières internes de l’UE, depuis la plus large
l’intégration des trois États à cette dernière. Les limites avec la
Russie et avec la Biélorussie sont autrement plus sensibles, surtout
avec la première. Elles sont devenues des frontières internationales que la politique de coopération territoriale est un moyen qui permet
et, de surcroît, des frontières externes de l’UE, puis de l’espace d’harmoniser la coopération transfrontalière, en dépit des héritages
Schengen, ce qui a entravé les possibilités de circulation, notam­ différents. Une présentation spécifique est réalisée pour chaque État.
ment pour les habitants des zones frontalières. Enfin, certaines fron­
tières internationales sont devenues des frontières internes, avec la Estonie
Pologne, la Suède et la Finlande. Avec ces deux dernières, les chan­
gements ont été radicaux: il s’agit de frontières maritimes qui étaient Des trois États, l’Estonie est le moins peuplé (environ 1,3 million
des tronçons du rideau de fer. On est passé d’une frontière hermé­ d’habitants) et celui qui compte la plus forte proportion de minorités
tique à une frontière apaisée. russes (plus de 25 %). En termes de peuplement, le territoire est
marqué par un fort gradient entre le littoral et l’arrière-pays, mais
Ces trois types de frontières conduisent à interroger les modes de aussi par l’existence d’un réseau urbain macrocéphale: Tallinn, la
coopération transfrontalière. L’hypothèse que nous avancerons est capitale, compte environ un tiers de la population du pays. Occupant
102 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

la situation la plus boréale des trois États, l’Estonie est séparée Le territoire de l’Estonie est couvert, dans sa totalité, par trois pro­
de la Finlande par le golfe de Finlande, large d’environ 120 km. grammes transfrontaliers. À l’ouest, le programme Baltique centrale
Le discours identitaire y est un peu plus marqué que dans les deux associe toute l’Estonie à des régions NUTS3 de la Lettonie, de l’est
autres États. La population parle l’estonien, qui est une langue de la Suède (dont Stockholm) et du sud de la Finlande (dont Helsinki),
­finno-ougrienne, ce qui la distingue de ses voisins méridionaux, et inscrit la coopération à travers la mer Baltique. Le programme
de langues slaves, mais la rapproche de la Finlande, à laquelle la Estonie-Lettonie couvre les régions de NUTS3 de la partie sud du
langue l’apparente. premier État et de la partie nord du second, de part et d’autre de la
frontière terrestre. À ces deux programmes INTERREG, est associé le
L’indépendance de l’Estonie a été reconnue par l’URSS, par le traité de programme «EstLatRus», qui comprend des régions NUTS3 de l’est
Tartu, en 1920. Proclamée en 1989, la nouvelle indépendance a été de l’Estonie et de la Lettonie, et les oblasts russes limitrophes de
acceptée par la Russie en 1991. Un traité de délimitation de la fron­ Pskov et de Léningrad. Les Régions capitales des deux États baltes
tière a été signé entre les deux États en 1996, après une période de sont intégrées en tant que territoires adjacents. La coopération
contestation. En effet, les limites de l’Estonie contemporaine ne coïn­ transfrontalière a débuté avant l’intégration au sein de l’UE.
cidaient pas avec celles de 1920. La limite instaurée en 1945 a incor­
poré de nouveaux districts, situés à l’est du territoire des années 1920, Dès 1994, une première instance de coopération transfrontalière a été
ainsi que le lac Peïpous. Un nouvel accord devait être signé en 2005, initiée par des collectivités locales: le Centre Peïpous pour la coopéra­
mais la Russie a annulé ce dernier, quelques mois après l’avoir avalisé. tion transfrontalière est une organisation non gouvernementale, dont
Les négociations, reprises en 2012, ont permis des échanges de ter­ l’objectif est de proposer des solutions de gestion pour le lac Peïpous
rains et une délimitation plus précise sur le lac Peïpous et sur la fron­ et le bassin fluvial de la Narva, qui sont tous les deux à cheval sur la
tière maritime entre les deux États. L’un des objectifs de l’accord était frontière. L’organisation s’est progressivement développée pour deve­
également de faciliter la mobilité transfrontalière. Sur son parcours nir un centre transfrontalier de ressources et d’analyse en développe­
terrestre, la frontière entre l’Estonie et la Russie, longue de 460 km, ment durable, spécialisé sur les frontières externes. Elle est localisée
s’appuie, pour 70 % de son tracé, sur des éléments physiques: le lac à Tartu, la seconde ville d’Estonie, située à une quinzaine de kilomètres
Peïpous, dans sa partie centrale, et, au nord de celui-ci, sur le fleuve du lac Peïpous. Une structure similaire, nommée projet Chudsksoye,
Narva. Seule la partie méridionale est entièrement terrestre. Les points est implantée dans la ville russe de Pskov.
de passage transfrontaliers sont peu nombreux (trois), le principal
étant situé au nord, entre Narva et Ivangorod, qui forment ensemble L’une des originalités des coopérations transfrontalières de l’Estonie est
une seule agglomération transfrontalière, sur un axe reliant Saint- le fait qu’elles concernent des espaces urbains, séparés ou traversés par
Pétersbourg à Tallinn. La limite tracée sur la Narva en 1945 a coupé une frontière. Une coopération entre les deux villes voisines de Valga et
un espace urbain d’un seul tenant, en deux composantes, situées de Valka, sur la frontière entre l’Estonie et la Lettonie, existe depuis 1995,
part et d’autre de la limite entre deux républiques. Ce qui n’était pas et un secrétariat commun a été créé en 2003, qui a établi une coopéra­
un problème sous l’URSS, en est devenu un, lors de l’indépendance de tion interrégionale avec la région Alsace. Cette coopération est très
l’Estonie, quand la frontière internationale a été activée. L’autre fron­ locale et elle associe deux villes de petite taille (13 000 et 6 000 habi­
tière terrestre avec la Lettonie n’a pas posé de problèmes majeurs, tants). Un institut binational a été installé en 1999, et les deux localités
même si le faible nombre de points de passage constitue un héritage ont développé ensemble un projet d’agglomération transfrontalière.
de la période soviétique, marquée par la faible extension des réseaux L’intégration au sein de l’UE a permis de renforcer la coopération entre
de circulation routiers, notamment. les deux États, dont celle entre les deux collectivités locales est
particulièrement emblématique. En décembre 2007, les cérémonies localisées en Europe de l’Est et du Nord. Une commission transfron­

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célébrant l’entrée des deux États dans l’espace Schengen se sont dérou­ talière associant les deux collectivités urbaines a été créée et a éla­
lées dans cette agglomération. boré un plan stratégique de développement commun dans les
domaines de l’économie, des infrastructures et de la coopération
La deuxième coopération concerne, depuis 1999, les deux capitales entre instances publiques.
d’État, Helsinki et Tallinn, qui sont séparées par le golfe de Finlande,
sur une courte distance de 65 km. Depuis le démantèlement du Une dernière coopération a été instituée, à l’échelle régionale, avec
rideau de fer, les deux villes sont reliées par plusieurs rotations quo­ l’Euregio Pskov-Livonia qui regroupe trois comtés estoniens, quatre dis­
tidiennes de ferries, qui effectuent la traversée en une heure et tricts lettons, et, en Russie, cinq districts et la ville de Pskov, qui compte
demie. Les flux de toutes sortes ont considérablement augmenté, environ 20 0000 habitants. L’initiative de cette structure a été réalisée
en dépit de la persistance d’une asymétrie économique en faveur de lors de la conférence Cooperation across the borders in Baltic Region,
la Finlande. Ces deux villes constituent, dans leurs pays respectifs, organisée par le Conseil des États de la mer Baltique, à Karlskrona en
les seules véritables métropoles: chacune concentre les principales Suède, en 1996. Les objectifs concernent notamment le renforcement
activités internationales, mais cette caractéristique est plus mar­ de l’axe de circulation entre Riga et Saint-Pétersbourg, l’accroissement
quante en Estonie qu’en Finlande. En revanche, Helsinki apparaît bien des échanges économiques et, secondairement, les domaines de la
plus puissante que Tallinn dans le système des villes européennes. culture, du tourisme, etc. La coopération s’est structurée avec la mise
La création d’une association transfrontalière, dotée d’un conseil en place d’une association, et a abouti à la réalisation d’un document
d’administration commun entre les deux Régions capitales, est liée proposant une vision prospective, à l’horizon 2010. Les principaux pro­
à la croissance constante des flux, ce qui nécessite une réelle coor­ jets concernent la culture, la jeunesse et le tourisme.
dination. Les régions NUTS3 associent la province d’Uusimaa et la
ville d’Helsinki, en Finlande, et le comté de Harju et la ville de Tallinn, En définitive, l’Estonie est caractérisée par l’existence de structures
en Estonie. Des scénarios de transport ont ainsi été élaborés entre de coopération peu formalisées, où les enjeux concernent surtout la
les deux régions. La coopération s’est, peu à peu, complexifiée et gestion des bassins hydrographiques, la gestion des espaces urbains
s’est fixée de nouveaux objectifs: créer des complémentarités, en transfrontaliers et l’amélioration des infrastructures de transport.
vue de faire émerger des économies d’échelles; accroître l’innova­ Si tout le territoire de l’Estonie entre dans des zones éligibles de
tion, en vue de favoriser un développement conjoint et d’établir une ­programmes transfrontaliers (INTERREG ou politique de voisinage),
promotion commune. La coopération entre les régions a permis d’im­ toutes les frontières ne sont, cependant, pas couvertes par des ins­
pulser des initiatives d’autres acteurs publics (universités, agences tances de coopération, et c’est notamment le cas de la partie occi­
de promotion économique), mais aussi d’entreprises privées (com­ dentale de la frontière entre l’Estonie et laLettonie. En revanche,
pagnies de transport, de l’énergie, informatiques, de distribution, il convient de souligner l’importance d’une structure de coopération
etc.). La coopération engagée rappelle, toute proportion gardée, celle de type métropolitain, à travers le golfe de Finlande, qui associe les
établie entre Copenhague et Malmö, sur le détroit de l’Øresund. capitales de l’Estonie et de la Finlande.

Une troisième coopération entre des collectivités urbaines existe sur Lettonie
la frontière russo-estonienne, entre Narva et Ivangorod, depuis 2006.
Elle s’inscrit dans le cadre du projet INTERREG IIIC City Twins Coo­ La Lettonie occupe, à maints égards, une position intermédiaire
peration Network, qui associe cinq agglomérations transfrontalières, entre l’Estonie et la Lituanie. Ceci est évidemment le cas lorsqu’on
104 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

examine la population, mais aussi lorsqu’on interroge la construction Le territoire de la Lettonie est couvert, dans sa totalité, par cinq pro­
nationale: alors que l’Estonie et la Lituanie se sont édifiées à partir grammes transfrontaliers, dont trois qu’elle partage avec l’Estonie:
d’un noyau principal, la Lettonie résulte de l’association de plu­ les programmes INTERREG Baltique centrale et Estonie-Lettonie, et
sieurs territoires qui ont connu une domination suédoise, puis russe le programme EstLatRus, qui fait partie de la politique de voisinage.
(le Duché de Courlande, une partie de la Livonie, et la Letgalie). Un autre programme s’inscrit dans cette dernière, le programme
Comme l’Estonie, la Lettonie est marquée par un fort gradient entre Lettonie-Lituanie-Biélorussie. Il associe la région orientale de
le littoral et l’arrière-pays, et par une forte concentration de la popu­ la Lettonie, la Letgalie, aux régions du sud et de l’est de la Lituanie
lation dans la capitale, qui est d’ailleurs la plus grande aggloméra­ (y compris la capitale Vilnius) et aux deux oblasts du nord de la
tion des États baltes. Le territoire est moins compact que celui de Biélorussie, auxquels s’ajoutent deux oblasts, en tant que territoires
l’Estonie, du fait notamment de l’importance de la baie de Riga. adjacents (dont celui de Minsk). Enfin, il existe un programme
Cet État comprend également une forte minorité russe (un peu moins INTERREG spécifique pour la dyade Lettonie-Lituanie, le programme
de 25 %). Des tensions politiques ont longtemps persisté sur l’accès LATLIT, qui associe les régions NUTS3 du sud de la première, aux
à la citoyenneté, et les droits civiques et éducatifs des russophones. régions du nord de la seconde.

L’indépendance de la Lettonie a été reconnue, une première fois, par Cinq instances de coopération ont été instaurées autour des frontières
l’URSS, par le traité de Riga, en août 1920. Comme pour les deux de la Lettonie. Chronologiquement, la première initiative revient à l’ag­
autres États, la Russie a accepté la nouvelle indépendance en 1991. glomération transfrontalière Valka/Valga, décrite précédemment. Puis,
La frontière entre les deux États a fait l’objet d’une contestation. quatre eurorégions ont été instituées dans un intervalle de temps très
En effet, l’URSS a réduit le territoire de la Lettonie, lorsque cette der­ court, entre 1996 et 2000. La première est l’Euregio Pskov-Livonia,
nière est devenue l’une de ses républiques, par rapport à ce qu’il avec la Russie et l’Estonie. Puis, en 1998, est créée l’Eurorégion Pays
était au moment de la première indépendance. Les négociations des lacs, entre la Biélorussie, la Lituanie et la Lettonie, et qui associe
entre les deux États butaient sur cette question, jusqu’à ce que des collectivités locales des trois États. La coopération a été lancée,
la Lettonie accepte de ne pas remettre en cause le tracé hérité de la grâce à l’existence d’un accord, signé en 1998, entre la Biélorussie et
période soviétique. Le traité concernant la délimitation de la frontière la Lettonie, visant à promouvoir la coopération transfrontalière. Une
est, par conséquent, signé en 2007. La Lettonie partage également première conférence entre les autorités évoque la possibilité d’ouvrir
une frontière avec la Biélorussie, qui est une autre ancienne répu­ la coopération avec la Lituanie. Les collectivités locales fondent alors
blique soviétique devenue indépendante. Depuis 2012, un accord un conseil qui a un secrétariat dans chaque pays. Parmi les projets
prévoit la possibilité de franchir la frontière sans visa Schengen, avec réalisés figurent la création d’un centre commun d’informations, dont
un permis spécifique pour les populations biélorusses résidant dans le siège est établi à Krāslava, une ville lettone proche de la frontière
les communes frontalières. Un dispositif similaire a été accordé aux avec la Biélorussie, la promotion du développement économique et la
résidents russes de la zone frontalière. Enfin, la Lettonie partage une valorisation du patrimoine culturel commun, ainsi que des perspec­
frontière avec la Lituanie: avec 450 km, elle est la plus longue des tives de développement durable.
limites décrites. Elle reprend le tracé défini pendant la période sovié­
tique et négocié dans les années 1920. La majorité de ces frontières Une troisième eurorégion voit le jour en 1999. Elle prend le nom de
traversent de vastes étendues peu peuplées. Dans ce contexte, Saule, qui signifie «soleil» en lituanien. Son périmètre est original car
l’agglo­mération transfrontalière Valga/Valka, sur la frontière avec il associe des régions NUTS3 de la partie sud de la Lettonie, deux
l’Estonie, fait figure d’exception. districts de la Lituanie et des collectivités locales de cette dernière,
à des collectivités locales de l’oblast de Kaliningrad, qui est une stabilisé: Vilnius, la capitale, est finalement attribuée à la Pologne;

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 0 5
exclave de la Russie et qui, à ce titre, bénéficie de conditions par­ en revanche, la ville de Memel, appartenant à l’Allemagne, devien­
ticulières. Les régions associées se trouvent chacune à l’écart dra finalement lituanienne en 1924; la capitale est localisée
des principaux pôles de développement de leurs pays respectifs. à Kaunas. La Lituanie obtient donc son indépendance, sans que
L’objectif de la coopération est notamment de dépasser les conflits figurent, sur son territoire, quelques-uns de ses hauts lieux histo­
historiques et d’améliorer les conditions de vie des populations, en riques. Après la Deuxième Guerre mondiale, le changement de la
favorisant le développement économique. Enfin l’Eurorégion Bartuva configuration territoriale de la Lituanie est lié au glissement vers
est initiée en 2000, par des municipalités lettones et lituaniennes du l’ouest de la Pologne. Vilnius est réintégrée et redevient la capitale
littoral de la mer Baltique, pour répondre à des enjeux environne­ de la République. Dès cette époque, l’oblast de Kaliningrad est attri­
mentaux. Cette dernière semble moins active que les précédentes. bué à la république soviétique de Russie, du fait de l’importance
stratégique de la base militaire de Kaliningrad. Cette dernière est un
Les frontières de la Lettonie sont principalement couvertes par des port bien abrité, qui, de surcroît, présente la particularité d’être hors-
eurorégions dont l’intensité des coopérations varie fortement. La coo­ gel en hiver, contrairement aux autres ports soviétiques de la mer
pération entre les villes de Valka et Valga constitue la prin­cipale origi­ Baltique. Par ailleurs, en tant que poste avancé de l’URSS vers
nalité. Enfin, notons qu’à la différence de Tallinn, Riga n’a pas entrepris ­l’Europe de l’Ouest, le territoire est directement contrôlé par le gou­
de coopération avec une autre ville de la mer Baltique: Stockholm, bien vernement central. Depuis l’indépendance de 1991, la Lituanie par­
que reliée par ferry, n’est accessible que trois fois par semaine par ce tage une frontière commune avec la Russie, qui est une frontière
mode de transport, la traversée durant, au total, 18 heures. extérieure de l’UE, par le biais de l’exclave de Kaliningrad.
L’élargissement vers l’Europe centrale et orientale de 2004, puis
Lituanie l’instauration de l’espace Schengen, s’est traduite par d’intenses
négociations entre l’UE et la Russie, la première souhaitant sécuriser
Avec un peu moins de trois millions d’habitants, la Lituanie est l’État ses frontières et la seconde désirant maintenir une libre circulation
le plus peuplé des trois États baltes, le plus étendu et celui où la entre Kaliningrad et le reste du territoire russe. Dès 2002, un docu­
­proportion de minorités russes est la plus réduite (moins de 10 %). ment de transit permettait aux habitants de Kaliningrad de traverser
En revanche, d’autres populations slaves sont présentes sur le terri­ la Lituanie par train, pour rejoindre les États de la CEI, sans avoir
toire: Polonais, Biélorusses, Ukrainiens. Par ailleurs, le contraste de besoin de visa. La coopération transfrontalière est considérée
peuplement entre le littoral et l’arrière-pays n’est pas vraiment comme un moyen de résoudre, à l’amiable, certains problèmes.
accusé, les principales villes, dont Vilnius, la capitale, étant situées Une deuxième frontière externe se trouve à l’est du territoire avec la
dans la partie méridionale du pays. La Lituanie puise sa légitimité Biélorussie, qui est sévèrement contrôlée depuis 2004. La Lituanie
en tant qu’État-nation dans l’histoire du Duché lituanien-polonais, compte par ailleurs deux frontières terrestres internes, l’une avec
qui a existé du XIIIe au XVIIIe siècle. Si la construction nationale la Lettonie, au nord, et l’autre avec la Pologne, sous la forme
est plus ancienne que dans les deux cas précédents, la construction d’une étroite ligne d’une longueur d’environ 100 km. Enfin, la façade
territoriale a été plus complexe au cours du XXe siècle. maritime l’ouvre sur la Suède et sur le Danemark.

L’indépendance de la Lituanie est finalement reconnue par la Russie Le territoire de la Lituanie est couvert, dans sa totalité, par cinq pro­
soviétique, par le traité de Moscou, en 1920, après deux années de grammes transfrontaliers. Trois concernent les frontières internes:
troubles. Mais le territoire de la nouvelle République n’est pas encore LATLIT et Baltique centrale, déjà cités, et le programme INTERREG
106 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Lituanie-Pologne. Ce dernier a permis de renforcer la coopération Danemark et la Suède étaient, à l’époque, membres de l’UE. Cette
énergétique et l’amélioration des infrastructures entre les deux pays. plateforme, édifiée à un niveau transrégional, a pour objectif d’amé­
Deux concernent les frontières externes et font partie de la politique liorer les conditions de vie des habitants et d’éviter le renforcement
de voisinage: Lituanie-Pologne-Kaliningrad, qui est surtout centré des différentiels frontaliers trop importants, mais elle est aussi pen­
sur les enjeux de coopération transfrontalière entre Kaliningrad sée comme un outil de réconciliation et de dépassement des ressen­
et les deux États limitrophes, Pologne et Lituanie, et Lettonie- timents. La structure établie à Elbląg, en Pologne, a réussi à porter
Lituanie-Biélorussie. plusieurs projets dans des domaines variés: planification, infrastruc­
tures, tourisme, apprentissage des langues des voisins, amélioration
Plusieurs eurorégions ont été instituées autour des frontières de des points de passage frontaliers, etc.
la Lituanie, dans la deuxième partie des années 1990 et au début du
millénaire. L’Eurorégion Niemen a été créée en 1997 et associe une Conclusion
voïvodie et des communes polonaises, un oblast biélorusse, et trois
districts du sud de la Lituanie, auxquels se sont jointes des collectivi­ En définitive, les zones frontalières des États baltes sont couvertes par
tés locales russes de l’oblast de Kaliningrad. L’objectif de la coopéra­ de nombreuses structures de coopération, même si ces dernières ne
tion est d’améliorer les conditions de vie des populations et de couvrent pas la totalité des limites. La coopération prend surtout la
favoriser le développement économique. De ce fait, les domaines de forme d’eurorégions, qui ont été essentiellement créées avant
coopération sont très variés. L’Eurorégion Sesupe a été fondée ­l’intégration dans l’UE. La plupart de ces instances ont adopté un statut
en 2003, après les Eurorégions Pays des lacs, Saule et Bartuva, d’association. À côté des eurorégions, qui présentent des périmètres très
déjà décrites précédemment. Bien qu’elle couvre une superficie de variables, les coopérations à l’échelle d’agglomérations transfrontalières
petite taille, elle associe des collectivités locales de quatre États: ou de régions urbaines transfrontalières méritent une attention particu­
Russie, Pologne, Lituanie et Suède. Le périmètre réunit des collectivi­ lière. La plus originale et la plus prometteuse est celle qui s’est engagée
tés locales, situées dans le bassin hydrographique de la rivière Šešupė, entre les deux Régions capitales de Tallin, en Estonie, et d’Helsinki, en
ainsi que leurs partenaires internationaux, en vue d’amé­liorer les situa­ Finlande. Par ailleurs, la coopération entre la Russie et l’Estonie, autour
tions dans les domaines économiques, éducatifs, culturels et environ­ du lac Peïpous et du bassin hydrographique de la Narva, rappelle que
nementaux. La coopération dispose d’un vaste volet culturel, portant l’existence d’un espace géographique naturel peut, dans certains cas,
sur la valorisation du patrimoine et des études sur la langue des voi­ apparaître comme un enjeu commun. La carte des structures de coopé­
sins. Toutes ces eurorégions ont un statut d’association. ration des États baltes montre l’absence de différences entre les fron­
tières externes et les frontières internes, ce qui semblerait montrer une
Enfin, il convient de mentionner l’Eurorégion Baltique, en tant que convergence entre les programmes Interreg et les programmes de la
premier espace de coopération transfrontalière, qui associe la Russie politique de voisinage. Ce constat mériterait cependant d’être nuancé et
à d’autres partenaires européens. Cette eurorégion regroupe des approfondi par une analyse fine des projets et de leurs implications géo­
­collectivités de niveaux local et régional de six pays, dont seuls le graphiques, et de l’investissement des acteurs territoriaux.
FINLANDE
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières de l’Estonie, de la Lettonie
et de la Lituanie
Echelle locale Euregio RUSSIE
Territoire à caractère urbain Helsinki Tallinn
Narva/Ivangorod

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 0 7
Territoire à caractère rural

Echelle régionale
Peipsi center for
Territoire à caractère métropolitain
transboundary
Territoire à caractère non métropolitain
cooperation
ESTONIE
Echelle suprarégionale
B7 Baltic Islands Network Euregio Pskov Livonia
Territoire à caractère non métropolitain

Mer Baltique Valka/Valga

LETTONIE
Euroregion Saule

Euroregion
SUÈDE Bartuva

LITUANIE
Euroregion Baltic
Euroregion
Country of
DANEMARK Lakes
RUSSIE

Euroregion Sesupe
Euroregion
Niemen

ALLEMAGNE BÉLARUS

50 km POLOGNE
2.6 Le Royaume-Uni et l’Irlande

En dehors du caractère insulaire qui marque le Royaume-Uni et regroupe un vaste ensemble d’États qui faisaient allégeance à la
­l’Irlande, les deux États ont pour particularité d’être, tous les deux, Couronne britannique. Les membres de cette association partagent
entrés dans la CEE en 1973. Ils figurent, à ce titre, parmi les États les ainsi une histoire commune et des liens affectifs, que l’adhésion
plus anciens qui composent cette entité. Si l’Irlande paraît en marge à la CEE n’a pas complètement remis en cause. Outre son caractère
par rapport à l’espace européen, ce n’est pas le cas du Royaume-Uni, insulaire, le Royaume-Uni présente trois autres caractéristiques
dont la capitale est une des agglomérations les plus peuplées du notables. D’une part, le Royaume-Uni continue de posséder des ter­
continent et la première place financière du monde. Les deux États ritoires d’outre-mer, la plupart d’entre eux étant situés dans l’océan
entretiennent des relations importantes avec les autres États de l’UE. Atlantique (Sainte-Hélène, Îles Malouines) ou dans les Caraïbes
Leur intégration, en 1973, a conduit à la mise en place du FEDER, (Bermudes, Îles Caïmans), mais aussi dans le Pacifique (Îles Pitcairn)
en 1975. En effet, l’Irlande était, à ce moment, un pays encore fonda­ ou l’océan Indien (archipel des Chagos). La liste peut être étendue
mentalement rural, caractérisé par un faible niveau de vie, comparé à l’enclave de Gibraltar, au sud de l’Espagne, qui est une possession
aux États d’Europe continentale. Au Royaume-Uni, plusieurs bassins depuis le traité d’Utrecht de 1713. D’autre part, un certain nombre
industriels connaissaient une crise profonde (Midlands, Yorkshire, pays de territoires sont associés au Royaume-Uni mais possèdent un sta­
de Galles). Ceci a conduit à définir les deux premiers objectifs de la tut particulier: les îles Anglo-Normandes ou l’île de Man sont des
politique régionale: lutter contre le retard de développement et assu­ dépendances directes de la Couronne et elles disposent, de ce fait,
rer une reconversion aux espaces en crise. En dépit de l’intensité des d’une forte autonomie politique. Enfin, depuis l’Acte d’Union de 1707,
relations avec d’autres États européens et de l’existence d’un lien fixe le Royaume-Uni est considéré comme la réunion de quatre nations:
depuis 1993 (le tunnel sous la Manche), l’Irlande et le Royaume-Uni l’Angleterre, l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord. L’ins­
sont séparés de leurs voisins par des frontières maritimes. La mer tauration, en 1997, du processus de dévolution a permis d’accroître
d’Irlande sépare les deux États entre eux, et la Manche et la mer du l’autonomie des deux premiers territoires.
Nord, le Royaume-Uni du continent. Ces barrières physiques se tra­
duisent par l’existence de distances qu’il convient de franchir et qui L’Irlande du Nord présente d’autres particularités, qui seront décrites
nécessitent la réalisation de coûteuses infrastructures (ports, ponts, ci-dessous. Le Royaume-Uni, bien que densément peuplé (260 habi­
tunnels, etc.). Elles peuvent également avoir un effet psychologique et tants au km2), présente des contrastes notables de peuplement sur
accentuer l’impression d’isolement ou la distanciation. L’hypothèse son territoire: l’Écosse, située dans la partie septentrionale, occupe
avancée ici est que ces discontinuités physiques jouent un rôle impor­ un tiers du territoire mais n’abrite que 8 % de la population totale.
tant d’obstacles à la coopération territoriale. Les frontières du Royaume-Uni sont maritimes, à l’exception de celle
entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, qui est terrestre.
Royaume-Uni Les distances qui séparent les côtes britanniques des côtes fran­
çaises, belges ou irlandaises, sont rarement supérieures à 100 km
Le Royaume-Uni est le deuxième État le plus peuplé de l’UE: avec (et même moins de 40 km pour la Manche, entre Douvres et Calais).
64,3 millions d’habitants, il a une population équivalente à celle de
la France. Comme pour cette dernière, la construction de l’État est Le Royaume-Uni fait partie de quatre programmes de coopération
ancienne et débute au XIIIe siècle, avec la mise en place d’une admi­ transnationale INTERREG B: le programme Europe du Nord-Ouest,
nistration royale. Le Royaume-Uni a été, et demeure encore par auquel participent huit États européens, dont la Suisse et l’Irlande,
­certains aspects, une grande puissance mondiale. Ceci se traduit par et dont l’objectif est de renforcer le développement économique,
l’existence du Commonwealth: créé en 1931, cette organisation et de favoriser l’innovation et la diffusion des connaissances; le
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 0 9
Le programme PEACE vise
à promouvoir la réconciliation en
Irlande du Nord et dans les comtés
limitrophes d’Irlande

programme Atlantique, qui réunit des régions françaises, des comtés et l’Irlande du Nord: le programme Irlande du nord-Régions fronta­
­d’Irlande et du Royaume-Uni, les régions portugaises, et certaines lières d’Irlande-Écosse de l’ouest et le programme Irlande-Royaume-
régions espagnoles; le programme Mer du Nord, qui regroupe six États Uni (pays de Galles). Les deux objectifs de croissance économique,
en dehors du Royaume-Uni (1); et le programme Périphérie Nord, par l’innovation, et de protection de l’environnement, sont pré­
où l’Irlande est présente, ainsi que quatre États scandinaves (2). Par sents comme dans les deux programmes décrits précédemment.
ailleurs, le Royaume-Uni est couvert par quatre programmes trans­ En revanche, le premier programme insiste également sur les ques­
frontaliers INTERREG A, deux avec des partenaires continentaux, tions de transport et les questions sociales.
à l’est, et deux avec l’Irlande, à l’ouest. Ainsi, le programme France
(Manche)-Angleterre associe les régions du sud du Royaume-Uni et Le Royaume-Uni est également associé à la réflexion menée sur le bas­
du nord-ouest de la France. Le programme INTERREG A 2 Mers réunit sin maritime de la mer du Nord, qui est censé proposer une stratégie
les mêmes comtés anglais, la région Nord-Pas-de-Calais en France, de développement, en valorisant les potentiels des espaces maritimes,
et des provinces belges et néerlandaises. Dans les deux cas, les pro­ tout en protégeant ces derniers des pressions environnementales.
grammes mettent l’accent sur la croissance économique, à travers la En revanche, le Royaume-Uni compte peu d’institutions de coopéra­
recherche et l’innovation, le développement d’une économie durable tion transfrontalière. Pourtant, comme au Danemark, la réalisation
à faible intensité de carbone, et les questions d’environnement. d’un lien fixe entre le Royaume-Uni et la France a permis le renfor­
Soulignons également la présence d’un programme spécifique qui cement des relations et la croissance des flux. Une Eurorégion Nord-
regroupe les comtés de l’est de l’Irlande et les comtés côtiers du pays Transmanche, qui a associé, au départ, la région française du
de Galles, où se retrouvent les grandes thématiques déjà décrites: Nord-Pas-de-Calais au comté anglais du Kent, est créée en 1987,
développement économique, accessibilité, protection de l’environne­ dans le cadre d’un protocole d’accord. Les trois régions belges se
ment. Deux programmes concernent, plus particulièrement, l’Écosse sont associées en 1991: Région wallonne, Région flamande et
Région de Bruxelles-Capitale. Cette organisation a été une des pre­
mières instances de coopération transfrontalière à se doter d’un sta­
1 Allemagne, Belgique, Danemark, Norvège, Pays-Bas et Suède. tut juridique, le Groupement européen d’intérêt économique (GEIE).
2 Danemark, Islande, Norvège, Suède. Si le développement économique figurait parmi les principaux
110 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

plusieurs détroits en Europe. Quinze collectivités bordant huit détroits


ont élaboré un partenariat, dont l’objectif est de faire reconnaître les
particularités de ces espaces géographiques, auprès des instances euro­
péennes et nationales. Ce réseau de collectivités cherche également
à promouvoir une coopération reposant sur le partage d’expériences,
dans des domaines comme le développement économique, les réseaux
de transport et la protection des ressources.

Irlande

L’histoire de l’Irlande et celle du Royaume-Uni sont profondément


Le projet O4O faisait partie du imbriquées: les relations qu’elles entretiennent portent encore les
programme EU Northern Periphery:
une autre approche de l’aide aux
traces d’une histoire tourmentée. L’île connaît plusieurs invasions
personnes âgées pendant le Moyen-Âge. La Couronne d’Angleterre s’y implante dès le
XIIe siècle mais, c’est à partir du XVIe siècle, lors du règne des Tudors,
que le territoire est annexé, ce qui se traduit par une colonisation, de
objectifs, la coopération a permis l’émergence de projets culturels et la part du pouvoir royal. De nombreux Anglais de confession angli­
la réalisation d’études socioéconomiques. Cependant, le GEIE a été cane s’installent dans l’île, l’objectif étant de s’assurer la maîtrise
­dissout en 2004 car tous les partenaires n’étaient pas impliqués d’un territoire dont la population, de confession catholique, montre
au même degré dans la structure. un caractère belliqueux. La grande famine, qui débute en 1845 et
s’achève en 1849, se traduit par une augmentation dramatique
Deux projets de coopération présentent un caractère de formali­ de la mortalité et une forte émigration. L’île perd environ 40 % de sa
sation. D’une part, l’Arc Manche, qui réunit des comtés britanniques population en quelques années. Les territoires occidentaux, les plus
et des régions françaises limitrophes de la Manche, depuis 2003, et ruraux, resteront durablement affectés par cette hémorragie démo­
dont l’objectif est d’élaborer une stratégie de l’espace maritime, dans graphique. L’île est animée par un vigoureux sentiment national, ce
le cadre de la politique maritime de l’UE. Les orientations portent, qui se traduit par l’existence de revendications politiques. Un projet
à la fois, sur l’amélioration de l’accessibilité, le développement de d’autonomie est déposé au parlement britannique en 1914, mais le
pôles de compétitivité, l’identification des ressources et la mise en déclenchement de la Première Guerre mondiale reporte les discus­
place d’une gouvernance destinée à assurer une gestion durable sions. L’indépendance est obtenue en 1921, après une guerre d’in­
de ces dernières. Tous les comtés côtiers ne participent, cependant, dépendance de deux ans. Mais le traité de paix divise l’île en deux
pas à cette coopération, qui a pris la forme d’une Assemblée des parties: six comtés du nord-est, dont la population est majoritaire­
Régions de l’Arc Manche en 2005: c’est le cas des Cornouailles, du ment anglicane, souhaitent rester sous la tutelle du Royaume-Uni.
Dorset et du Sussex de l’Est. L’Irlande du Nord dispose, dès lors, de son propre gouvernement
mais une partie des affaires politiques est gérée par le gouverne­
D’autre part, le projet NOSTRA (Network Of STRAits), qui a été lancé ment britannique, tandis que le reste de l’île devient indépendant,
conjointement par le comté du Kent et le département du Pas-­de-Calais mais demeure un dominion rattaché à la Couronne britannique.
en 2010, cherche à mettre en réseau des collectivités limitrophes de Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale, que l’Irlande devient
une République. Le pouvoir détenu par les unionistes, qui souhaitent plan démographique, sont situées à l’est et au sud; elles sont les

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 1 1
rester associés au Royaume-Uni, va être contesté par les nationa­ plus proches de et les mieux reliées au Royaume-Uni et à l’Europe
listes, qui voudraient intégrer l’Irlande, à partir des années 1960. Les continentale. La partie occidentale du pays, en dehors des régions
troubles qui démarrent en 1969 vont déboucher sur une véritable de Limerick et de Galway, présente un caractère périphérique accusé.
guerre civile entre les communautés. Le clivage politique et social
est souligné par les différences communautaires et religieuses. L’Irlande est concernée par trois programmes de coopération transna­
L’affrontement est notamment le fait de groupes paramilitaires, dont tionale, qui ont déjà été décrits dans la notice sur le Royaume-Uni: les
l’Armée républicaine irlandaise (IRA). L’esquisse d’une solution poli­ programmes Europe du Nord-Ouest, Atlantique, et Périphérie Nord.
tique se dessine à partir des années 1990. Un premier cessez-le-feu D’autre part, en dehors des deux programmes transfrontaliers qui ont
est signé en 1994. Un deuxième accord, signé au château de
Stormont en 1998, prévoit d’une part, que le statut de l’Irlande du
Nord ne peut être modifié que si la majorité de la population y est
favorable, ce qui ouvre la possibilité d’une éventuelle réunification
et, d’autre part, accorde une certaine autonomie à l’Irlande du Nord.
L’accord, soumis à référendum en mai de la même année, est adopté
par une majorité de votants. Mais il faut attendre neuf ans, avant
que le processus de paix ne devienne définitif et aboutisse à un
désarmement des groupes armés. Depuis 2008, l’atmosphère s’est
pacifiée mais certaines tensions demeurent et les «lignes de paix»,
qui séparent les quartiers unionistes des quartiers nationalistes, sont
toujours présentes à Belfast. Les tensions ont eu un impact sur la
frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Cette dernière n’a jamais
été fermée mais elle a présenté tous les caractères d’une frontière
défensive, marquée par une forte présence militaire. De ce fait,
la zone frontalière de l’Irlande a été considérée comme une région
périphérique, dans laquelle peu d’investissements (de transport,
notamment) ont été réalisés.

Située en périphérie occidentale de l’Europe, l’Irlande, peuplée


­d’environ 4,6 millions d’habitants, est pourtant largement intégrée
à l’UE. Elle est l’un des membres les plus anciens et elle fait partie
de la zone euro. Elle a été l’un des principaux bénéficiaires des fonds
de la politique régionale, des années 1970 aux années 1990, avant
de connaître une forte croissance de son niveau de revenu. Le terri­
toire, dont la densité est quatre fois moindre à celle du Royaume-Uni,
connaît une certaine dissymétrie de son peuplement: les régions les
Vue aérienne de l’Eurotunnel
plus densément peuplées, qui sont aussi les plus dynamiques sur le à Folkstone (Royaume-Uni)
112 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

été évoqués (Irlande duNord-Régions frontalières ­d’Irlande-Écosse de et de villes, du nord de l’Irlande et du sud de l’Irlande du Nord. La coo­
l’ouest et Irlande-Royaume-Uni (pays de Galles), il existe un troisième pération a pour objectif de renforcer le développement économique
programme, intitulé Programme opérationnel Royaume-Uni-Irlande, de l’agriculture, de l’industrie et du commerce. Depuis les années 1970,
pour la paix et la réconciliation (PEACE). L’objectif de ce programme, la coopération s’est intensifiée, les autorités élaborant, à présent, des
qui a débuté en 1995, pour une durée de quatre ans, est de promou­ documents stratégiques transfrontaliers concertés. Dans ce cadre,
voir une stabilité politique, en vue de faciliter le développement éco­ les villes de Newry et de Dundalk, distantes d’une vingtaine de kilo­
nomique et social, et d’assurer une réconciliation entre les communautés mètres et situées sur l’axe reliant Belfast à Dublin, ont entrepris, dès
en Irlande du Nord et dans les zones frontalières d’Irlande. Le pro­ les années 1970, des réflexions communes. Depuis 2006, des propo­
gramme a été prolongé, sous le nom de PEACE II, jusqu’en 2006, puis sitions stratégiques ont été formulées dans les transports, la forma­
PEACE III, entre 2007 et 2013, et PEACE IV, entre 2014 et 2020. Le tion, la mutualisation des services et l’environnement, dans le cadre
programme met notamment l’accent sur l’éducation et la formation, d’un projet de région de villes jumelles.
et sur la mutualisation des services. En effet, les zones frontalières de
l’Irlande sont, en général, faiblement peuplées et mal desservies par Deux autres cadres de coopération existent sur la frontière: le North
les services. De nombreuses initiatives ont été lancées afin de favori­ West Region Cross Border Group (NWRCBG), autour de la région de
ser une réconciliation, qui devrait déboucher sur l’émergence de socié­ Derry (Londonderry), qui réunit cinq comtés en 1975, et l’Irish Central
tés basées sur une vision commune. Le programme est géré par le Border Area Network (ICBAN), instauré en 1995, qui regroupe des
Special EU Programme Body (SEUPB). Un Centre d’études transfronta­ comtés situés à l’ouest de la région précédente. Les trois régions
lières a été créé à Armagh, en Irlande du Nord, et à Dublin, afin de dis­ transfrontalières citées sont membres de l’ARFE.
poser d’un organisme en mesure de réaliser des recherches sur les
espaces transfrontaliers, et de proposer des programmes de formation. En dépit de la situation tendue entre les communautés, des initiatives
Ces derniers sont principalement destinés à des populations ciblées de coopération ont vu le jour dans les années 1970, aux échelons locaux
(détenus, populations déplacées, victimes de violences), qui doivent éla­ et régionaux. Par ailleurs, le programme PEACE n’est pas un programme
borer des projets, en vue de développer une réconciliation. transfrontalier, à proprement parler, mais il contribue à apaiser ces ten­
sions communautaires. En définitive, la politique de coopération territo­
Trois régions transfrontalières ont été instaurées. La première, l’East riale du Royaume-Uni et de l’Irlande semble être davantage réalisée
border region (EBR), a été initiée en 1976, lors d’une réunion de repré­ à l’échelle transnationale qu’à l’échelle trans­frontalière. C’est, finale­
sentants des comtés, qui devaient discuter de la réalisation d’un pont ment, sur leur frontière terrestre commune, que les perspectives de coo­
sur la rivière de Newry. La structure regroupe une dizaine de comtés pération transfrontalière semblent les plus prometteuses.
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières du Royaume-Uni et de l’Irlande

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North West Region
Cross Border Group

Irish Central Border Newry-Dundalk Mer du Nord


Area Network East Border Region
IRLANDE

ROYAUME-UNI

Mer Celtique

Tunnel sous la Manche


Echelle locale

Territoire à caractère urbain


Manche Arc Manche
Equipement transfrontalier opérationnel

Echelle régionale

Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale

Territoire à caractère non métropolitain

FRANCE 100 km
2.7 L’Autriche et la Hongrie

L’Autriche et la Hongrie sont deux pays d’Europe centrale et orientale qui la Roumanie), dont les frontières sont tracées par les traités de paix
rejoignent, respectivement, l’UE en 1995 et en 2004. L’Autriche fait ainsi de 1919-1920. Les frontières de la Hongrie sont fixées par le traité
partie de la première vague d’élargissement, après la chute du mur de du Trianon en 1920, et cette dernière perd 71 % du territoire de son
Berlin (ensemble avec la Suède et la Finlande), et la Hongrie, de la deu­ ancien royaume; celles de l’Autriche – qui correspondent aux fron­
xième (ensemble avec la plupart des autres pays de l’Europe de l’Est). tières actuelles –, par le traité de Saint-Germain-en-Laye, sans pré­
L’Autriche possède d’importantes frontières naturelles: les Alpes sence d’une délégation autrichienne. Le révisionnisme hongrois
occupent les deux tiers de sa surface de 83 855 km2, et elle est traver­ pendant l’entre-deux-guerres pousse le dirigeant autoritaire, Miklós
sée par le fleuve Danube. Elle partage de nombreuses frontières avec Horthy, à s’allier avec l’Allemagne nazie, pour récupérer les territoires
des voisins européens: au nord, avec l’Allemagne (784 km) et la perdus, notamment le sud de la Slovaquie en 1938, la Ruthénie sub­
République tchèque (362 km); à l’ouest, avec la Slovénie (330 km), la carpathique (Ukraine) en 1939, la Transylvanie (Roumanie) en 1940,
Suisse (164 km) et le Liechtenstein (35 km); au sud, avec la Slovénie et la Voïvodine (Yougoslavie) en 1941. Mais, en 1944, la Hongrie est
(330 km) et l’Italie (430 km); et à l’est, avec la Slovaquie (91 km) et la occupée par l’Allemagne, puis libérée, l’année suivante, par l’armée
Hongrie (366 km). À la fin de la guerre froide, c’est cette frontière entre soviétique. Après la Deuxième Guerre mondiale, ces territoires sont
l’Autriche et la Hongrie qui acquiert une importance particulière car elle restitués à ces États, et les frontières du traité de Trianon, rétablies.
sert de passage pour les habitants de la République démocratique alle­ En plus, la Hongrie perd encore une partie de son territoire, au profit
mande qui fuient leur pays. C’est donc la première «frontière-filtre» du de la Tchécoslovaquie. L’Autriche, pour sa part, avait été rattachée
rideau de fer. La Hongrie s’étend sur une surface de 93 030 km2 et est au Reich de Hitler dès 1938, après l’Anschluss, et libérée par les
également traversée par le Danube, ainsi que par le fleuve Tisza, sans forces alliés qu’en 1945. Le pays est ensuite divisé en zones d’occu­
accès à la mer. Elle partage également, outre avec l’Autriche (à l’ouest), pation, comme l’Allemagne, mais un statut de neutralité est ensuite
des frontières, au sud-ouest, avec la Serbie (151 km), la Croatie (329 km) négocié, qui fait que l’Autriche obtient son indépendance en 1955,
et la Slovénie (102 km); au sud-est, avec la Roumanie (448 km); au nord- par un traité signé avec les quatre puissances alliées. Alors que
est, avec l’Ukraine (103 km); et au nord, avec la Slovaquie (677 km). ­l’Autriche n’entre pas dans la sphère d’influence soviétique,
la Hongrie se trouve de l’autre côté du rideau de fer, un régime com­
Les histoires de l’Autriche et de la Hongrie sont étroitement liées: muniste étant installé en 1948. Mais, en 1989, la Hongrie contri­
l’Autriche est une des grandes puissances européennes, qui, sous le bue largement à la levée du rideau de fer: elle ouvre, le 1er janvier,
règne des Habsbourg, domine le Saint-Empire romain germanique, la frontière austro-hongroise et de plus en plus de citoyens est-­
du XIIe siècle jusqu’à sa dissolution en 1806. Le Royaume de Hongrie allemands passent à l’ouest, via la Hongrie et l’Autriche, aboutissant
est fondé en 1001 par les Magyars, et, ensuite, disputé entre les ainsi à la chute du mur de Berlin. Après celle-ci, la Hongrie se trans­
Habsbourg et les Ottomans: ces derniers occupent la Hongrie après forme rapidement en régime démocratique, dès 1990.
la bataille de Mohács, de 1526 jusqu’à 1686, lorsque les Habsbourg
libèrent le pays et le soumettent ensuite à la domination autri­ En principe, compte tenu de leurs statuts différents pendant la
chienne. Les révolutions anti-Habsbourg de 1848 sont écrasées et, guerre froide, l’Autriche et la Hongrie ne devraient pas développer la
en 1867, la double monarchie austro-hongroise est instaurée par coopération transfrontalière au même moment: alors que l’Autriche
François-Josef Ier, qui unit deux royaumes jusqu’à l’effondrement de peut librement nouer des relations de voisinage de proximité
l’Empire, après la Première Guerre mondiale. L’Autriche-Hongrie est à l’ouest, à partir de 1955, la Hongrie est bloquée derrière le rideau
dissolue en 1918 et remplacée par sept États-nations (l’Autriche, de fer, entre 1948 et 1990. Toutefois, en fin de compte, avant les
la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Italie, la Yougoslavie, la Pologne et années 1990, l’Autriche n’est pas très active dans la coopération
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Inondation du Danube
à Linz (Autriche)

transfrontalière. Une seule communauté de travail transfrontalière Avant 1995, une seule eurorégion est créée à la frontière entre
est initiée dans les années 1970 entre l’Allemagne, la Suisse et ­l’Autriche, l’Allemagne et la République tchèque: il s’agit de l’Euregio
le Liechtenstein, autour d’un espace naturel partagé: le lac de Bayerischer Wald-Bömerwald-Unterer Inn fondée en 1993. Cette
Constance. En 1972, les autorités riveraines des quatre pays, coopération trilatérale est approfondie en 2012, autour des fleuves
à savoir le Land Bade-Wurtemberg, les cantons de Schaffhouse, Danube et Moldau, lorsque l’Europaregion Donau-Moldau est cons­
d’Appenzell, de Thurgovie, de Saint-Gall et de Zurich, le Land tituée entre la Haute-Autriche, le Most- et Waldviertel en Basse–
Vorarlberg, et la Principauté du Liechtenstein, créent une conférence Autriche, la Basse-Bavière (arrondissements d’Altötting et du Haut-
internationale pour pouvoir appréhender ensemble les problèmes de ­Palatinat) et, du côté tchèque, la Bohème du Sud, Plzeň et Vysočina.
gestion environnementale du lac. Une intensification de cette coo­
pération transfrontalière n’a lieu qu’après l’adhésion de l’Autriche Par la suite, l’Autriche développe surtout sa coopération transfron­
à l’UE en 1995, avec la création de l’Euregio du lac de Constance, talière avec l’Allemagne. Plusieurs eurorégions se forment, à la fron­
en 1997, qui associe désormais aussi des partenaires locaux (les tière germano-autrichienne, qui se caractérisent par la gestion d’un
villes de Constance, Lindau, Oberallgäu, Ravensburg, Sigmaringen, espace naturel commun: les Alpes. En 1995, l’Euregio Salzbourg-
Kempten, et l’arrondissement du lac de Constance). Berchtesgadener Land-Traunstein est fondée; en 1997, c’est la
116 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Création d’un itinéraire culturel


entre la Hongrie et la Slovénie

c­ réation de l’Euregio Via Salina, un regroupement entre trois asso­ du Sud, en Italie. Cette eurorégion se transforme en GECT en 2011. Un
ciations régionales: la Regio Allgäu, du côté allemand, et la Regio an plus tard, en 2012, l’Euregio Senza Confini se constitue aussi
Kleinwalsertal et la Regionalentwicklung Auβerfern, du côté autri­ comme GECT, entre le Land autrichien de Carinthie et les régions ita­
chien. Cette dernière se joint à une autre eurorégion, créée en 1998, liennes de Frioul-Vénétie julienne et de Vénétie. Par ailleurs, l’Autriche
avec les Regios Werdenfels et Seefelder Plateau en Allemagne: développe aussi une coopération transfrontalière à la frontière avec la
l’Euregio Zugspitze. Puis, l’Euregio Inntal se forme également Slovaquie et la République tchèque. En 1997, l’Eurorégion trilatérale
en 1998, entre les communes des districts bavarois Rosenheim et Pomoravie-Weinviertel-Jižní Morava est créée. Au niveau bilatéral,
Traunstein, et celles des districts tyroliens Kufstein et Kitzbühel. s’ajoute, en 2001, l’Euregio Steiermark-Nordost Slowenien, avec la
Slovénie, qui lie des associations de collectivités territoriales pour la coo­
Seules deux coopérations bilatérales sont réalisées avec l’Italie, pération transfrontalière, d’un et de l’autre côté de la frontière; puis,
avec deux régions autonomes, dont l’identité culturelle est fortement en 2002, avec la République tchèque, ­l’Eurorégion Silva Nordica.
liée à l’Autriche: le Tyrol du Sud et le Frioul-Vénétie julienne. Ainsi,
dès 1998, dans les Alpes, l’Euregio Tirolo-Haut-Adige-Trentin associe le Pour la Hongrie, la coopération transfrontalière constitue, comme
Land Tyrol, en Autriche, et les provinces autonomes de Trentin et du Tyrol pour les autres pays de l’Europe de l’Est de l’ancien bloc soviétique,
une possibilité de participer à la construction européenne avant que Au niveau bilatéral, la première coopération transfrontalière de la

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l’adhésion à l’UE ne devienne une réalité. Les programmes Interreg, Hongrie est réalisée avec l’Autriche, dans le cadre de l’Euregio West/
PHARE et TACIS de la Commission européenne sont des moyens Nyugat Pannonia, créée en 1998, entre le Burgenland en Autriche et
financiers nécessaires au développement économique dans ces pays, les comitats de Győr, Moson, Sopron, Vas et Zala, en Hongrie.
dont les territoires transfrontaliers sont alors les premiers béné­ En 2002, s’y ajoute une coopération bilatérale à la frontière entre la
ficiaires: les projets de coopération transfrontalière deviennent un Hongrie et la Roumanie: l’Eurorégion Hajdú-Bihar-Bihor.
moyen pour pallier aux différentiels économiques entre régions de
l’ouest et de l’est. Mais pour la Hongrie, la coopération transfronta­ Mais, la plupart des coopérations bilatérales de la Hongrie se mettent
lière a encore une fonction supplémentaire: elle permet aux Hongrois en place à la frontière avec la Slovaquie. En 1999, l’Eurorégion Ipel’-
de renouer avec les minorités hongroises qui résident dans les terri­ Ipoly est ainsi fondée par les maires de Balassagyarmat, du côté hon­
toires des États voisins, notamment en Roumanie et en Slovaquie. grois, et Šahy, du côté slovaque. Elle s’élargit à quatre autres
municipalités et six organisations de la société civile de Šahy et
La Hongrie participe ainsi, dès 1993, à l’Eurorégion des Carpates, créée s’étend finalement à toute la section moyenne du fleuve Ipoly.
comme une association régionale entre des collectivités territoriales La même année, l’Eurorégió Vág-Duna-Ipoly se met en place, un peu
hongroises, polonaises et ukrainienne, et à laquelle se joignent, par la plus à l’ouest, dans la même région. Deux coopérations entre villes
suite, également des collectivités roumaines (à partir de 1997) et slo­ frontalières se réalisent aussi sur ce territoire: premièrement, entre
vaques (à partir de 1999). En 1997, se met en place la première coo­ Komárno-Komárom; deuxièmement, entre quatre villes jumelées dans
pération trilatérale avec la Roumanie et la Serbie. L’Eurorégió la région appelée Ister-Granum, Ister étant la dénomination en grec
Duna-Körös-Maros-Tisza, aussi connue sous la dénomination DKMT, ancien du Danube et Granus, le nom médiéval du fleuve Hron. Cette
est fondée entre des collectivités territoriales roumaines et hongroises, coopération commence en 1999, par la reconstruction du pont Valéria
et la province serbe de Voïvodine. Il s’agit de l’organisation eurorégio­ sur le Danube, qui avait été détruit par les Nazis. Elle est ensuite
nale la plus active aux frontières hongroises, qui est également consolidée par un accord bilatéral en 2000, par la constitution d’une
membre fondateur du conseil consultatif des eurorégions des pays eurorégion en 2003, et, enfin, remplacée par un GECT en 2008. Deux
Visegrád et membre de l’Association des régions frontalières d’Europe autres eurorégions slovaco-hongroises sont créées en 2000: l’Euroré­
(ARFE). Une deuxième coopération trilatérale est initiée en 1998, avec gion Košice-Miskolc et l’Eurorégion Sajó-Rima/Slaná-Rimava. Cette
la Croatie et la Bosnie-Herzégovine: l’Eurorégion Danube-Drave-Save ­dernière est à nouveau initiée par deux maires: le maire de Putnok, du
se réalise surtout sous impulsion d’acteurs économiques car, en plus côté hongrois, et le maire de Tisovec, du côté slovaque. L’euro­région
de collectivités territoriales des trois pays, y participent également la est gérée par une ONG et concerne plus de 324 municipalités slo­
chambre de commerce et d’industrie de Pécs-Baranya, en Hongrie, et vaques et 125 municipalités hongroises. Au sein de cette eurorégion,
la chambre de commerce du comté croate Osijek-Baranja et la quatre villes décident, en 2008, de renforcer leur coopération par la
chambre de commerce du canton de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine. création d’un GECT, qui voit le jour en 2013. En janvier 2001, c’est l’Eu­
Enfin, deux autres coopérations trilatérales sont lancées en 2000, l’une rorégió Podunajský Trojspolok/Hármas Duna-vidék qui est fondée,
avec la Roumanie et l’Ukraine, avec la mise en place de l’Interregio entre les municipalités du comté hongrois Győr-Moson-Sopron et
entre les collectivités Satu Mare, du côté roumain, Szablocs-Szatmár- celles de l’association régionale slovaque Csallóköz-Mátyusföld.
Bereg, du côté hongrois, et Transcarpatie, du côté ukrainien; et l’autre Au total, cette eurorégion couvre un territoire d’environ 298 com­
avec la Croatie et la Slovénie, dans le cadre de la création de l’Euroré­ munes. Enfin, en 2004, est signé un mémorandum pour une alliance
gion Dráva-Mura. de développement interrégional de la région Zemplin, désormais
118 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

appelée l’Eurorégion Zemplin. Elle réunit de nombreuses communau­


tés de communes, des villes et des instances de développement régio­
nal, d’un côté et de l’autre de la frontière slovaco-hongroise, et est très
active dans l’organisation d’évènements transfrontaliers, comme les
journées eurorégionales, l’exposition Zemplin et le festival
Szomszédolás Zirc («visiter les voisins»), financés par le programme
communautaire Interreg. Mais toutes les eurorégions entre la Hongrie
et la Slovaquie ne fonctionnent pas aussi bien, comme l’illustre l’Euro­
régió Neogradiensis, créée en 2000, sur la base d’une déclaration
d’intention, signée en 1999, entre des représentants du comté hon­
grois de Nógrád et plusieurs districts slovaques, qui ne sera plus très
active après 2003.

Finalement, au regard des différentes communautés de travail trans­


frontalières de la Hongrie et de l’Autriche, il s’avère que la plupart ne
se réalisent pas entre des partenaires de ces deux États mais avec
d’autres États voisins. Les deux États ne sont impliqués ensemble
que dans une coopération macrorégionale importante qui se met
en place en 2003: c’est la Région Centrope (Vienne-Bratislava-Brno-
Györ), créée avec la République tchèque et la Slovaquie, et qui
couvre un périmètre très large, associant, du côté autrichien, les
Länder de Vienne, de Burgenland et de Basse-Autriche, du côté
tchèque, les provinces de Moravie et de Bohème méridionale,
du côté slovaque, les régions de Bratislava et de Trnava, et du côté
hongrois, les comtés de Györ, Vas et Zala.
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières de l’Autriche et de la Hongrie

POLOGNE
UKRAINE

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ALLEMAGNE
Europaregion
Donau-Moldau
RÉPUBLIQUE Slovenský kras-Aggteleki-karszt Eurorégion Eurorégion Carpates
TCHÈQUE Eurorégion Kosice-Miskolc
Bayerischer Wald - Eurorégion Sajó-Rima
Böhmerwald - Unterer Inn Région Centrope Eurorégion Zemplin
Silva Nortica
Géoparc de Novohrad - Nógrád Carpatia Interregio Karst-Bodva
Euregio Salzbourg - Eurorégion Pomoravi Ung-Tisza-Túr-Sajó
Berchtesgadener land - Traunstein SLOVAQUIE Abaúj-Abaújban
Eurorégion Ipoly
Euregio Bodrogközi
Euregio Inn Salzach Eurorégion Hármas Duna-vidék
Bodensee Svinka
Euregio Inntal Rába-Danube-Vág Torysa
Novohrad - Nógrád
Arrabona Porte de l’Europe
Euregio Via Salina Ister-Granum Villes frontalières europénnes
EuRegio West / Nyugat Pannonia Pons Danubii Oradea-Debrecen
Eurorégion Eurorégion Hajdú-Bihar-Bihor
LI AUTRICHE Vág-Danube-Ipel’ HONGRIE
SUISSE Bâtir un avenir européen commun
Parc naturel Geschriebenstein-Írottko Parc des trois pays Raab-Orség-Goricko
ROUMANIE
Euregio Zugspitze Eurorégion Drave-Mur Banat-Triplex Confinium
Wetterstein Karwendel Euregio
Senza Confini SLOVÉNIE Pannon Réserve de biosphère transfrontalière
Mur-Drave-Danube Eurorégion
Euregio Styrie - Danube-Körös-Mur-Tisza
Eurorégion Tyrol- Slovénie du Nord-Est
Haut-Adige-Trentin Eurorégion
ce des CROATIE Danube-Drave-Save SERBIE
allées
BOSNIE- Echelle locale

HERZÉGOVINE Territoire à caractère urbain

ITALIE Territoire à caractère rural

Echelle régionale

Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale

Territoire à caractère métropolitain


Territoire à caractère non métropolitain

Groupement Européen de
Coopération Territoriale (GECT)
100 km
2.8 La République tchèque et la Slovaquie

La République tchèque et la Slovaquie sont deux pays d’Europe cen­ frontières de la Tchécoslovaquie sont fixées successivement par les
trale et orientale, qui ont fait partie de la première vague d’élargisse­ traités de paix de 1919: celle avec l’Autriche et la Pologne, par le traité
ment de l’UE à l’est, en 2004. La République tchèque a une superficie de Saint-Germain-en-Laye, et celle avec la Hongrie, par le traité
de 78 870 km2 et partage des frontières terrestres avec l’Allemagne du Trianon. Mais dans la période d’entre-deux guerres, ces frontières
(646 km), la Pologne (658 km), l’Autriche (466 km) et la Slovaquie sont contestées, notamment par l’Allemagne nazie, qui annexe les
(215 km). La Slovaquie, avec une superficie de 48 845 km2, est occu­ Sudètes en 1938. Cette annexion est reconnue par la communauté
pée, pour quatre cinquièmes de son territoire, par la chaîne de mon­ internationale, lors des accords de Munich. Pendant la Deuxième
tagnes des Carpates. Comme la République tchèque, elle partage une Guerre mondiale, une première sécession du pays a lieu, avec les
frontière terrestre avec l’Autriche (91 km) et la Pologne (444 km), puis nationalistes slovaques, qui constituent un État indépendant
avec la Hongrie (677 km) et l’Ukraine (97 km). La seule voie navigable ­soutenu par Hitler. Après la guerre, le pays est réunifié mais passe,
de la Slovaquie est le Danube, alors que la République tchèque est tra­ ensuite, dans la sphère d’influence soviétique. Lors du coup de Prague
versée par deux fleuves, l’Elbe et la Moldau. en 1948, un régime communiste est instauré et la Tchécoslovaquie
est le dernier pays d’Europe à passer du côté soviétique du rideau
À l’origine, l’histoire de la Tchéquie et de la Slovaquie commence par de fer. C’est après la Révolution de velours, portée par Václav Havel
une longue période de séparation. En effet, lorsque la Grande-Moravie en 1989, qu’un régime démocratique est à nouveau instauré, en 1990.
est envahie, en 907, par les Hongrois, les Slovaques sont placés sous Toutefois, la nouvelle République fédérale tchèque et s­ lovaque est dis­
le joug hongrois, alors que les Tchèques restent d’abord autonomes et solue après seulement deux ans, en 1992. Dans un processus paci­
passent ensuite sous domination allemande, et cela marque l’histoire fique, la partition de l’État est décidée et aboutit à la création de deux
des nations tchèque et slovaque pendant près d’un millénaire. L’État États en 1993, la République tchèque et la Slovaquie, ainsi qu’à l’émer­
tchèque se constitue alors au Xe siècle. À partir du XIVe siècle, le gence d’une nouvelle frontière nationale.
Royaume de Bohême fait partie du Saint-Empire romain germanique
et passe ensuite par une longue période de domination autrichienne, Après la fin de la guerre froide, la coopération transfrontalière
alors que la Slovaquie est intégrée dans l’Empire ottoman, qui occupe se développe donc, d’abord, entre la Tchécoslovaquie et ses pays
la Hongrie depuis 1541. À partir du Printemps des peuples en 1848, voisins, de 1990 à 1992, et, à partir de 1993, chacun des deux
une renaissance tchèque prend forme, au sein de l’empire d’Autriche. ­nouveaux États développe, ses relations de voisinage de proximité
Les Slovaques se rangent, à ce moment, du côté des Autrichiens de manière indépendante. Dans la première phase de la coopération
contre les Hongrois. Mais, après la création de la Double Monarchie, transfrontalière, jusqu’en 1993, des communautés de travail trans­
en 1861, la Slovaquie est maintenue sous contrôle de la Hongrie, alors frontalières se forment, notamment à la frontière tchèque, avec les
que l’empereur François-Josef Ier d’Autriche accorde aux Tchèques une collectivités territoriales allemandes. L’objectif de la Tchécoslovaquie
quasi-égalité nationale, dans un système d’empire largement décen­ est comparable à celui de la Pologne, également voisine de
tralisé. Après la Première Guerre mondiale, l’histoire des deux pays est ­l’Allemagne: la coopération transfrontalière Est-Ouest, au niveau
ensuite interconnectée: sur base des 14 points de Wilson, la local et régional, constitue un moyen, pour les nouveaux États
Tchécoslovaquie est constituée en 1918 et réunit les territoires peu­ de l’Europe centrale et orientale, de montrer leur volonté et leur
plés de Tchèques, de Slovaques et de Ruthènes, de l’ancien Empire capacité de participer au processus d’intégration européenne.
austro-hongrois. Le nouvel État indépendant comprend également une L’adhésion à la Communauté européenne n’étant pas possible dans
partie importante de minorités allemandes (au pays des Sudètes, en l’immédiat, pour des raisons économiques, la coopération trans­
Moravie-du-Sud et en Bohême), ainsi qu’une minorité hongroise. Les frontalière est la seule possibilité de créer des liens avec l’Europe
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Révolution de velours en
Tchécoslovaquie en 1989

communautaire. La Commission européenne soutient ce processus et un pendant est alors créé du côté tchèque, le Parc national de
par la mise à disposition de financements (INTERREG, PHARE, TACIS). Šumava. Avant la partition de la Tchécoslovaquie, deux autres euro­
De nombreux structures et projets transfrontaliers voient alors le jour, régions sont constituées à la frontière germano-tchèque, en 1992:
à la frontière germano-tchèque, parfois également en coopération l’Euroregion Elbe-Labe, qui réunit deux communautés de travail trans­
avec la Pologne. Ainsi, la première eurorégion entre l’Est et l’Ouest est frontalières – l’Euroregion Oberes Elbtal/Osterzgebirge, du côté alle­
une coopération trilatérale autour du fleuve Neisse: il s’agit de l’Euro­ mand, et l’Euroregion Labe, du côté tchèque; puis l’Euroregion
région Neisse-Nisa-Nysa, créée dès 1991 et qui réunit trois associa­ Erzgebirge/Krušnohoří, qui se forme entre les districts allemands de
tions locales, des côtés allemand, polonais et tchèque. La même Saxe centrale et des monts Métallifères, ainsi que les communes des
année est aussi mise en place la première coopération transfronta­ arrondissements tchèques de Louny, Most, Chomutov et Litoměřice.
lière avec la Bavière, pour gérer ensemble l’espace naturel partagé
forestier, dans la région de Bohême. Du côté allemand, un parc natio­ Après la constitution de la République tchèque, la coopération trans­
nal existait déjà depuis 1982, le Parc national de la forêt Bavaroise, frontalière continue sans interruption, à la frontière avec l’Allemagne,
122 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Eurorégion silésienne, deux villes


au-delà des frontières (Český Těšín,
Tchéquie; Cieszyn, Pologne)

et s’élargit également à l’Autriche. Le 25 janvier 1993, l’Euregio intercommunal. L’Eurorégion Glacensis est ainsi mise place dès
Egrensis est d’abord fondée entre trois communautés de travail 1996, rassemblant 50 collectivités locales, du côté tchèque, et une
transfrontalières, deux du côté allemand (Euregio Egrensis de vingtaine, du côté polonais. Elle est suivie par l’Eurorégion Praděd/
Bavière et Euregio Egrensis de Saxe-Thuringe) et une du côté Pradziad, fondée en 1997, entre plusieurs municipalités ­polonaises
tchèque (Euregio Bohême). La même année, la première eurorégion et tchèques. Cette dernière s’élargit, par la suite, jusqu’à 34 com­
entre l’Allemagne, la Tchéquie et l’Autriche voit le jour, l’Euregio munes et 6 comtés polonais de la voïvodie d’Opole, et à 71 com­
Bayerischer Wald-Bömerwald-Unterer Inn. Par la suite, en revanche, munes tchèques, des régions Moravie-Silésie et Olomouc. Enfin,
il n’y a qu’une seule coopération bilatérale qui se met en place entre en 1998, deux autres eurorégions polono-tchèques sont constituées:
la République tchèque et l’Autriche: il s’agit de l’Euregio Silvia, instau­ l’Eurorégion Silésie de Cieszyn, qui réunit, du côté polonais, 12 muni­
rée en 2002, comme groupe de travail transfrontalier bénévole. cipalités du comté de Cieszyn, deux municipalités du comté de
Bielsko, la municipalité de Godów, dans le comté de Wodzisław
À partir de la fin des années 1990, c’est surtout la coopération trans­ Śląski, et la ville de Jastrzębie Zdrój: et, du côté tchèque, 16 munici­
frontalière entre la République tchèque et la Pologne qui se déve­ palités du district Karviná et 24 dans la partie orientale du district
loppe. Plusieurs eurorégions polono-tchèques se forment au niveau Frýdek-Místek. La deuxième eurorégion, l’Eurorégion Silésie, se base
sur un accord de coopération entre deux associations: l­’association de voisinage. En 2000, l’Euroregion Bilé-Biele Karpaty est, néan­

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polonaise des municipalités de l’Oder supérieur et l’asso­ciation moins, mise en place, à la frontière tchèco-slovaque, associant, au
tchèque Silésie Opava. Elle rassemble, au total, du côté tchèque, total, plus de 50 partenaires très divers, des deux côtés de la fron­
58 municipalités et la chambre de commerce de la région Moravie- tière (des associations communales et régionales, des villes, des uni­
Silésie, ainsi que 19 communes du côté polonais. versités, des chambres de commerce et d’industries, etc.).

La Slovaquie n’est engagée que dans une seule coopération trans­ Au niveau bilatéral, la Slovaquie développe surtout sa coopération
frontalière bilatérale avec la Pologne: en 1994, l’Eurorégion Tatry est transfrontalière avec des partenaires hongrois. En 1999, deux euro­
ainsi créée entre 12 comtés frontaliers slovaques, et quatre comtés, régions sont créées au niveau local, sous impulsion de communes
huit communes et 19 communautés de communes polonaises. frontalières. L’Eurorégion Ipel’-Ipoly est ainsi fondée par les maires
Pour le reste, les eurorégions avec participation slovaque se forment de Balassagyarmat, du côté hongrois, et Šahy, du côté slovaque,
plus tardivement, à partir de la fin des années 1990. Lorsqu’elles ainsi que par quatre autres municipalités et six organisations de la
concernent des partenaires tchèques, elles s’insèrent, pour l’essentiel, société civile de Šahy. Cette eurorégion couvre la section moyenne
dans une coopération trilatérale qui implique des collectivités d’un troi­ du fleuve Ipoly. Puis, le 3 juillet 1999, l’Eurorégió Vág-Duna-Ipoly se
sième État. Ainsi, en 1997, l’Eurorégion Pomoravie-Weinviertel-Jižní met en place, un peu plus à l’ouest, dans la même région. Deux coo­
Morava est créée, à la frontière entre l’Autriche, la République tchèque pérations entre villes frontalières se réalisent aussi sur ce territoire:
et la Slovaquie. Une deuxième coopération trilatérale voit le jour premièrement, entre Komárno-Komárom; deuxiè­mement, entre quatre
entre des collectivités territoriales polonaises, tchèques et slovaques: villes jumelées dans la région appelée Ister-Granum, Ister étant la
c’est l’Eurorégion Beskidy, créée en 2000 et qui associe plus de dénomination en grec ancien du Danube et Granus, le nom médiéval
60 municipalités tchèques, les comtés de Bielsko, Żywiec, Sucha, du fleuve Hron. Cette coopération commence en 1999, par la recons­
Oświęcim et Myślenice, ainsi que 28 municipalités du côté polonais, truction du pont Valéria sur le Danube, qui avait été détruit par les
les villes slovaques de Turzovka, Žilina, Bytča, Námestovo, Čadca, Nazis. Elle est ensuite consolidée par un accord bilatéral en 2000, par
Kysucké Nové Mesto, Rajecké Teplice, et 42 petites communes. la constitution d’une eurorégion en 2003, et, enfin, remplacée par
Enfin, une troisième eurorégion multilatérale voit le jour en 2003, et un GECT en 2008. Les eurorégions ne fonctionnent pas toujours bien,
implique des partenaires de quatre États: l’Autriche, la République comme l’illustre l’Eurorégió Neogradiensis, créée en 2000, sur la base
tchèque, la Slovaquie et la Hongrie. En raison de sa position géogra­ d’une déclaration d’intention, signée en 1999, entre des représentants
phique, elle est dénommée Région Centrope (Vienne-Bratislava- du comté hongrois de Nógrád et plusieurs districts slovaques, qui ne
Brno-Györ) et couvre un périmètre très vaste, associant, du côté sera plus très active après 2003.
autrichien, les Länder de Vienne, Burgenland et de Basse-Autriche,
du côté tchèque, les provinces de Moravie et de Bohême méridio­ Or, d’autres eurorégions slovaco-hongroises suivent dans les
nale, du côté slovaque, les régions de Bratislava et de Trnava, et, du années 2000. L’Eurorégion Košice-Miskolc et l’Eurorégion Sajó-Rima/
côté hongrois, les comtés de Györ, Vas et Zala. En revanche, il n’existe Slaná-Rimava sont créées en 2000. Cette dernière est à nouveau
qu’une seule eurorégion bilatérale tchèco-slovaque, soit parce que, initiée par deux maires: le maire de Putnok, du côté hongrois, et le maire
comme les deux États ont décidé de se séparer, les collectivités fron­ de Tisovec, du côté slovaque. L’eurorégion est gérée par une ONG et
talières ne veulent pas alors entamer une coopération structurée, au concerne plus de 324 municipalités slovaques et 125 municipalités
niveau local et régional, soit parce qu’elles coopèrent déjà suffisam­ hongroises. Au sein de cette eurorégion, quatre villes décident,
ment et n’éprouvent pas le besoin de contractualiser leurs relations en 2008, de renforcer leur coopération par la création GECT, qui voit
124 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Poste frontière de Štúrovo-Esztergom


(Slovaquie, Hongrie)

le jour en 2013. En janvier 2001, c’est l’Eurorégion Podunajský Enfin, la République tchèque et la Slovaquie sont, chacune, impliquées
Trojspolok/Hármas Duna-vidék qui est fondée, entre les municipalités dans une coopération interrégionale. Les régions slovaques de Košice
du comté hongrois Győr-Moson-Sopron et celles de l’association régio­ et Prešov décident ainsi, en 1999, de se joindre à l’Euro­région des
nale slovaque Csallóköz-Mátyusföld. Au total, cette eurorégion couvre Carpates, qui existe depuis 1993, comme une association régionale,
un territoire d’environ 298 communes. Enfin, en 2004, est signé un d’abord, entre des collectivités territoriales hongroises, polonaises et
mémorandum pour une alliance de développement interrégional de la ukrainiennes, et, depuis 1997, avec la participation de collectivités
région Zemplin, désormais appelée l’Eurorégion Zemplin. Elle réunit de roumaines. Pour sa part, la République tchèque (la Bohême-du-Sud,
nombreuses communautés de communes, des villes et des instances Plzeň et Vysočina) participe à la macrorégion autour des fleuves
de développement régional, d’un côté et de l’autre de la frontière slo­ Danube et Moldau, créée avec l’Autriche et ­l’Allemagne en 2012.
vaco-hongroise, et est très active dans l’organisation d’évènements L’Europaregion Donau-Moldau comprend la Haute-Autriche, le Most-
transfrontaliers, comme les journées eurorégionales, l’exposition et Waldviertel en Basse-Autriche, et, du côté allemand, la Basse-
Zemplin et le festival Szomszédolás Zirc («visiter les voisins»), financés Bavière (arrondissements Altötting et Haut-Palatinat).
par le programme communautaire INTERREG.
En conclusion, il faut souligner que la sécession de l’État tchéco­
slovaque n’a pas perturbé l’évolution de la coopération transfronta­
lière au niveau local et régional, qui a progressé de manière
continuelle, depuis le début des années 1990.
■ Projets de territoires transfrontaliers aux frontières
de la République tchèque et de la Slovaquie

P OLOGN E
A LL E M AG N E
Eurorégion

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 2 5
Suisse Bohémo-Saxonne Bílé-Biele Karpaty
Eurorégion Neisse-Nisa-Nysa Eurorégion Glaciensis
Eurorégion Réserve de biosphère
Eurorégion Elbe/Labe Beskidy transfrontalière des Tatras UKR AINE
Eurorégion Pradziad
Eurorégion Erzgebirge/Krusnohori Eurorégion Silesia
Eurorégion Cieszyn Silesia Réserve de biosphère transfrontalière
Europaregion des Carpates Orientales
Donau-Moldau TRITIA Parcs nationaux des Pieniny
Eurorégion Tatras Eurorégion Eurorégion Carpates
RÉ PU BLI Q U E Eurorégion Kosice-Miskolc
Euregio Egrensis
TCH ÈQ U E Sajó-Rima Eurorégion Zemplén
Spolocny region Karst-Bodva
Via Carpatia
Aires paysagères protégées des Carpates Blanches Ung-Tisza-Túr-Sajó
Interregio Abaúj-Abaújban
Eurorégion Eurorégion SLOVA QUIE
Silva Nortica Pomoravi Bodrogközi
Parc National de la Forêt bavaroise/
Svinka
Parc national Sumava
Rába-Danube-Vág Novohrad - Nógrád Torysa
Euregio Bayerischer Wald - Arrabona Ister-Granum Slovenský kras-Aggteleki-karszt
Böhmerwald - Unterer Inn Pons Danubii Géoparc de Novohrad - Nógrád
Eurorégion Hármas Duna-vidék Eurorégion Eurorégion Ipoly
Vág-Danube-Ipel’
AU TRI CH E HON GRIE
Région Centrope R O UM A N I E

Echelle locale

Territoire à caractère urbain

Territoire à caractère rural

Echelle régionale

Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale

Territoire à caractère métropolitain


Territoire à caractère non métropolitain

Groupement Européen de 100 km


Coopération Territoriale (GECT)
2.9 La Pologne

La Pologne rejoint l’UE en 2004 et fait partie de la grande vague impériale et la République des Deux Nations, avant la première
d’élargissement à l’Est. Avec 312 685 km2, ce pays d’Europe centrale ­partition de la Pologne, en 1772. Mais, dans l’entre-deux-guerres,
a une surface comparable à celle de l’Allemagne et partage une l’Allemagne récupère une partie de la Silésie, après l’organisation
frontière avec l’Allemagne, à l’ouest (465 km), qui se fixe sur la ligne d’un référendum, et, en 1939, Hitler procède au rattachement du
Oder-Neisse, avec la République tchèque (658 km) et la Slovaquie port de Dantzig. De plus, dans le cadre du pacte germano-soviétique,
(444 km), au sud, et avec la Lituanie (91 km), la Biélorussie l’URSS annexe, à nouveau, la partie orientale du pays, qu’elle avait
(605 km), l’Ukraine (428 km) et la Russie (206 km), à l’est. La parti­ perdue en 1920. Après l’invasion et l’occupation par les Nazis, c’est
cularité de la frontière avec la Russie est qu’il s’agit de l’oblast de l’Armée rouge qui libère la Pologne, en 1944, mais, à la fin de la
Kaliningrad, une enclave russe en plein territoire de l’UE, située entre Deuxième Guerre mondiale, l’URSS impose un partage du pays à son
la Pologne et la Lituanie. Bordée par la mer Baltique, la Pologne profit, lors de la conférence des Alliés à Yalta, en 1945. Les frontières
partage également des frontières maritimes avec la Suède et le de la Pologne sont, à nouveau, déplacées: l’URSS garde le territoire
Danemark, au nord. à l’est de la ligne Curzon, qu’elle avait annexé en 1939, et, à l’ouest,
la Pologne reçoit le sud de la Prusse-Orientale, la Poméranie et la
L’histoire de la Pologne est marquée par le déplacement des fron­ Silésie, déplaçant la frontière sur la ligne Oder-Neisse, vers l’ouest.
tières, car le pays se trouve souvent en proie aux disputes territo­ De surcroît, l’URSS intègre la Pologne dans son glacis protecteur, en
riales entre les grandes puissances européennes, notamment, imposant, d’abord, un gouvernement procommuniste, puis, en l’inté­
l’Allemagne et la Russie. De plus, le pays n’obtient sa reconnaissance grant dans le bloc communiste, avec les autres pays satellites de
en tant qu’État-nation qu’en 1919, après la Première Guerre mon­ l’Europe de l’Est. En 1948, le rideau de fer s’élève et la frontière ger­
diale, en application du principe d’autodétermination des peuples, mano-polonaise sera ensuite, pendant plus de 40 ans, celle avec la
inscrit dans les 14 points de Wilson. Le caractère relativement jeune République démocratique allemande (RDA), fondée en 1949. Lors
de l’État contraste avec l’existence d’un sentiment national multisé­ des accords de Görlitz (6 juillet 1950), la ligne Oder-Neisse est
culaire. Certes, le Royaume de Pologne est déjà constitué en 1025, confirmée comme frontière entre la RDA et la République populaire
et entre dans une association politique avec la Lituanie en 1569, de Pologne qui la qualifient de «frontière de la paix». En 1967
constituant ainsi la République des Deux Nations. Or, entre 1772 un accord signé entre les deux pays voisins permet aux habitants
et 1795, la Pologne perd son indépendance, et son territoire est par­ polonais des régions frontalières d’être employés en RDA, puis à par­
tagé entre la Prusse, l’Autriche et la Russie. Elle ne retrouve cette tir de 1972 la frontière entre la RDA et la Pologne connaît une courte
indépendance qu’en 1918, après la création de la Deuxième période d’ouverture avant de se fermer à nouveau en 1980. Ce n’est
République. Le traité de Versailles accorde, à la Pologne, un territoire donc qu’après la fin de la guerre froide, la réunification allemande
largement pris sur le Reich allemand, qui perd ainsi la Prusse occi­ et la reconstitution d’une République polonaise démocratique
dentale, des parties de la Prusse-Orientale et de la Silésie, et Posen. en 1990, qu’une coopération transfrontalière se développe avec les
Le port de Dantzig est déclaré ville libre et la Pologne obtient ainsi territoires voisins, à l’échelon local et régional. À l’ouest, la frontière
un accès à la mer Baltique. Mais les frontières de la nouvelle Pologne Oder-Neisse de la Pologne est alors définitivement reconnue par
ne sont pas entièrement fixées, ce qui laisse la possibilité pour les ­l’Allemagne réunifiée, après l’entrée en vigueur du traité 4+2, conclu
deux états voisins, l’Allemagne et la Russie, de les contester. Lors de entre les Alliés et les deux États allemands. La frontière avec la
la guerre russo-polonaise, de 1918 à 1920, la Pologne sort plutôt Tchécoslovaquie deviendra, après la partition du pays, en 1993,
gagnante: en Lituanie, elle récupère la ville de Vilnius; puis, elle une frontière avec deux nouveaux États: la République tchèque et
retrouve globalement les anciennes frontières entre la Russie la Slovaquie.
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 2 7
L’EGTC TRITIA résulte d’un
partenariat entre les régions d’Opole
(PL), de Silésie (PL), de Moravie-
Silesie (CZ) et de Žilina (SK)

La coopération transfrontalière commence, au début des années économique requis, et les programmes de la Commission euro­
1990, à l’ouest, avec l’Allemagne et avec la République tchèque. péen­ne (INTERREG, PHARE, TACIS) servent à lancer des projets trans­
L’objectif des acteurs polonais est double. D’une part, un travail de frontaliers qui favorisent la croissance.
réconciliation est indispensable, surtout avec les voisins allemands.
Les relations de voisinage à l’intérieur du bloc soviétique étaient peu À partir des années 1990, les premières eurorégions et eurocités,
développées, surtout à la frontière avec la RDA. De surcroît, certaines créées à la frontière polonaise, sont donc des signes, de la part des
villes ont été coupées en deux après la Deuxième Guerre mondiale, acteurs polonais, qu’ils acceptent de lancer un processus de récon­
nécessitant désormais un nouveau rapprochement. Compte tenu de ciliation et qu’ils ont les capacités pour participer à l’intégration euro­
l’expulsion des populations allemandes des territoires à l’est de la péenne. Ces eurorégions et eurocités servent alors de laboratoires
ligne Oder-Neisse, et la politique de réinstallation des populations pour la réunification du continent européen. En 1991, la création de
polonaises dans les régions frontalières, les habitants, d’un côté et la première eurocité Guben-Gubin qui associe les deux villes de
de l’autre, ne se connaissent pas et doivent alors tisser des nouveaux Guben et Gubin, à la frontière germano-polonaise, en devient un
liens transfrontaliers. D’autre part, la Pologne souhaite aussi rapide­ symbole. La même année, naît aussi la première eurorégion Neisse-
ment adhérer à l’UE. Or, cette dernière a fixé des critères d’adhésion Nisa-Nysa, qui réunit trois associations locales, des côtés allemand,
lors du sommet de Copenhague, en 1993, dont notamment un polonais et tchèque. Il s’agit donc d’une coopération trilatérale,
­certain nombre de critères économiques. La coopération transfron­ autour de la frontière du fleuve Neisse. Par la suite, deux autres
talière devient alors un levier pour pouvoir atteindre le standard eurocités et trois eurorégions sont mises en place à la frontière
128 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

germano-polonaise. En 1993, dans la région Lubusz-Brandebourg, Pologne (Poméranie, Varmie-Mazurie), la Suède (Blekinge, Kalmar,
les villes de Francfort-sur-l’Oder, dans la région Brandebourg, et Kronoberg), le Danemark (Bornholm), la Lituanie (Klaipėda) et la
Słubice, dans le Lubusz, décident ainsi de lancer une coopération Russie (Kaliningrad). L’objectif est de gérer ensemble l’espace mari­
transfrontalière Francfort-sur-l’Oder – Slubice, afin de rapprocher les time de la mer Baltique, dans la perspective d’une meilleure protec­
deux villes, séparées par le fleuve Oder. En 2007, la ville de Görlitz/ tion de l’environnement. Les partenaires coopèrent au sein d’un
Zgorzelec, coupée en deux après la Deuxième Guerre mondiale, sur conseil d’administration, où ils s’accordent sur la réalisation bian­
la ligne de la rivière Neisse, est surmontée par la création de «l’Euro­ nuelle d’un plan d’action commun.
pastadt» Görlitz-Zgorzelec. Trois autres eurorégions sont successi­
vement créées le long de la frontière Oder-Neisse, couvrant ainsi L’évolution de la coopération transfrontalière avec la République
tout le territoire frontalier avec l’Allemagne. En 1993, sont ainsi tchèque et la Slovaquie est comparable à l’évolution de celle avec
mises en place l’Euroregion Spree-Neisse-Bober, qui réunit deux l’Allemagne mais elle commence plus tardivement, vers le milieu
associations de coopération transfrontalière, des côtés polonais et des années 1990. Plusieurs eurorégions sont ainsi mises en place,
allemand, et l’Euroregion Pro Europa Viadrina, qui rassemble des dis­ dont la plupart sur la frontière polono-tchèque, à l’exception de l’Eu­
tricts du Land Brandebourg et de la Voïvodie de Lubusz. En 1995, rorégion Tatry, créée dès 1994, à la frontière avec la Slovaquie, entre
l’Euroregion Pomerania est constituée par deux associations de com­ quatre comtés, huit communes et 19 communautés de communes
munes, polonaise et allemande, dans la région de Poméranie. Cette polonaises, et 12 comtés slovaques et qui s’est dotée d’un GECT en
dernière présente une particularité: entre 1998 et 2003, elle s’élar­ 2013. Les eurorégions polono-tchèques se forment surtout au
git à la Suède, en associant la communauté de communes suédoise niveau municipal. L’Eurorégion Glacensis, mise place en 1996, réunit
de Scanie. Cette coopération transfrontalière acquiert alors un carac­ ainsi un nombre important de villes et de communes: plus de 50 col­
tère maritime, car la Suède et la Pologne sont des pays riverains lectivités locales, du côté tchèque, et une vingtaine, du côté polonais.
de la mer Baltique. Elle s’insère dans une nouvelle phase de coo­ Il en est de même concernant l’eurorégion Praděd/Pradziad, fondée
pérations macrorégionales, lancées à la fin des années 1990 en en 1997 et qui s’élargit ensuite jusqu’à 34 communes et six comtés
Europe, autour de grands espaces naturels communs, notamment polonais de la Voïvodie d’Opole, et à 71 communes tchèques des
des espaces maritimes et des massifs montagneux. régions Moravie-Silésie et Olomouc. Du côté polonais, l’asso­ciation
des communes de l’eurorégion se dote d’une structure avec person­
Deux grandes macrorégions sont constituées avec participation de nalité juridique en 2000. Enfin, en 1998, deux autres eurorégions
la Pologne. Ce sont des coopérations multilatérales, impliquant des sont constituées à la frontière polono-tchèque. Premièrement,
partenaires d’au moins cinq pays, et auxquelles participent égale­ l’Eurorégion Silésie de Cieszyn réunit, du côté polonais, 12 municipa­
ment des États non membres de l’UE. La première macrorégion est lités du comté de Cieszyn, deux municipalités du comté de Bielsko,
lancée dans la région des Carpates, avec l’appui conjoint du Conseil la municipalité de Godów, dans le comté de Wodzisław Śląski, et la
de l’Europe et de l’UE qui s’intéressent à ces coopérations macroré­ ville de Jastrzębie Zdrój; et, du côté tchèque, 16 municipalités du
gionales pour des raisons de stabilisation démocratique du continent district Karviná et 24 dans la partie orientale du district Frýdek-
européen. En février 1993, l’Eurorégion des Carpates est formée, Místek. Deuxièmement, l’Eurorégion Silésie est créée comme un
d’abord, comme association régionale entre des collectivités territo­ accord de coopération entre l’association polonaise des municipali­
riales de trois États (la Hongrie, la Pologne et l’Ukraine), mais s’élar­ tés de l’Oder supérieur et l’association régionale pour la coopération
git ensuite à la Roumanie, en 1997, et à la Slovaquie, en 1999. polono-tchèque, Silésie Opava. Elle rassemble, au total, du côté
Deuxièmement, en 1998, l’Eurorégion Baltique est créée, entre la tchèque, 58 municipalités et la chambre de commerce de la région
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 2 9
Visite de Corina Creţu, commissaire
européenne à la politique régionale.
Pont entre Slubice (Pologne) et
Frankfurt-an-der-Oder (Allemagne)

Moravie-Silésie, ainsi que 19 communes du côté polonais. de l’UE, notamment l’Ukraine, la Biélorussie, mais aussi avec la
Au niveau trila­téral, une seule coopération voit le jour, entre des col­ Russie. Cette coopération, qui inclut souvent également la Lituanie,
lectivités territoriales polonaises, tchèques et slovaques: c’est l’Eu­ se réalise déjà avant que la Pologne et les États baltes ne rejoignent
rorégion Beskidy, créée en 2000, qui associe plus de 60 municipalités l’UE, en 2004. Elle présente une possibilité, pour la Pologne, de déve­
tchèques, les comtés de Bielsko, Żywiec, Sucha, Oświęcim, ainsi que lopper de bonnes relations avec les États voisins à l’est, dans un but
28 municipalités du côté polonais, les villes slovaques de Turzovka, de stabilisation et de sécurité démocratique, un objectif largement
Žilina, Bytča, Námestovo, Čadca, Kysucké Nové Mesto, Rajecké soutenu par le Conseil de l’Europe et, notamment, le Congrès des
Teplice, et 42 petites communes. Enfin, le GECT TRITIA créé en 2013 pouvoirs locaux et régionaux, où les collectivités territoriales des
réunit des régions polonaises, tchèques et slovaques. pays voisins sont représentées, en tant qu’états membres, à l’excep­
tion de la Biélorussie. Cependant, des formes de coopération trans­
Mais la Pologne développe aussi, à partir du milieu des années 1990, frontalière se sont développées dans le cadre de relations de
une coopération transfrontalière à l’est, avec les États non membres proximité, au niveau local, alors que les liens intergouvernementaux
130 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

sont très réduits du fait de l’existence d’un régime politique autori­


taire. Trois eurorégions sont, en effet, créées, associant des parte­
naires en Biélorussie: en 1995, l’Eurorégion Bug se constitue, en tant
qu’association qui réunit la région de Lublin en Pologne, le district de
Volhynie et les régions de Sokal et Jovkaen Ukraine, ainsi que le dis­
trict de Brest en Biélorussie. En 1997, l’Eurorégion Niemen est for­
mée à la frontière entre la Pologne, la Lituanie et la Biélorussie, entre
les voïvodies polonaises de Podlasie, Varmie-Mazurie, les districts
lituaniens d’Alytus, Marijampolė et Vilnius, ainsi que la voïvodie bié­
lorusse de Grodno. Enfin, en 2002, l’Eurorégion Puszcza Białowieska
met en place une coopération des districts de Pruzhany, Kamyanyets
et Svislach, du côté biélorusse, avec le comté de Hajnowski, ainsi que
les municipalités de Hajnówka, Białowieża, Dubicze Cerkiewne,
Czyże, Narew, Narewka, Czeremcha, Bielsk Podlaski, Orla et
Kleszczele, du côté polonais.. Une seule coopération s’effectue aussi
au niveau communal, avec la participation de la Russie. Ainsi, est
constituée, en 2003, l’Euregio Šešupė, qui réunit des collectivités
­territoriales de la Pologne, la Lituanie, la Suède et la Russie.

La coopération transfrontalière de la Pologne est donc polyvalente:


intense et de type microintégrateur, à la frontière ouest avec l’Alle­
magne, la République tchèque et la Slovaquie; macrorégionale et orien­
tée vers la protection d’espaces naturels, à la frontière de la Baltique, au
Projet LitPol Link: construction nord (avec le Danemark, la Russie et la Suède), et à la frontière des
de lignes électriques et de stations Carpates, au sud (avec la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et
de transmission afin de favoriser
l’indépendance énergétique de l’Ukraine); et enfin, large, intercommunale et plutôt informelle, à la fron­
la Lituanie et de la Pologne tière est avec la Lituanie, la Biélorussie, l’Ukraine et la Russie.
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières de la Pologne

Mer Baltique

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 3 1
SUÈDE
LITUANIE

Eurorégion Baltic Eurorégion Sesupe

DANEMARK
RUSSIE

Eurorégion BÉLARUS
Eurorégion Lyna-Lawa Eurorégion
Pomerania Niemen
Parcs nationaux de la
Parc international de la Forêt de Bialowieza
Vallée de la Basse-Oder Eurorégion Puszcza Białowieska
ALLEMAGNE
POLOGNE
Frankfurt-Słubice Réserve de biosphère transfrontalière
Eurorégion Pro Europa Viadrina de Polésie Occidentale
Eurorégion
Eurocité Gubin-Guben Bug
Eurorégion Spree-Neisse-Bober
Eurocité Görlitz-Zgorzelec TRITIA
Eurorégion Neisse-Nisa-Nysa Eurorégion Pradziad
UKRAINE
Réserve de biosphère transfrontalière Eurorégion Silesia
des Monts des Géants Réserve de biosphère
transfrontalière des Tatras Réserve de biosphère transfrontalière
Eurorégion Glaciensis RÉPUBLIQUE
des Carpathes Orientales
Echelle locale TCHÈQUE
Territoire à caractère urbain Eurorégion Cieszyn Silesia Parcs nationaux des Pieniny
Territoire à caractère rural
Eurorégion Beskidy Eurorégion Tatras
Echelle régionale Eurorégion Carpates
Territoire à caractère non métropolitain SLOVAQUIE
Echelle suprarégionale

Territoire à caractère métropolitain

Territoire à caractère non métropolitain


HONGRIE ROUMANIE
Groupement Européen de
100 km
Coopération Territoriale (GECT)
2.10 La Roumanie et la Bulgarie

La Roumanie et la Bulgarie sont les derniers États de l’Europe cen­ en 1878, et s’étend du Danube jusqu’à la mer Égée. Ses frontières
trale et orientale à rejoindre l’UE, en 2007, avant la Croatie en 2013. avec la Roumanie sont alors fixées. Or, au Congrès de Berlin de 1878,
La Roumanie, située au nord-est des Balkans, a une superficie de la Bulgarie est partagée en deux et seulement une petite partie reçoit
238 392 km2 et possède plusieurs frontières naturelles: elle est tra­ l’autonomie, tandis que l’autre passe, à nouveau, sous l’autorité otto­
versée par le fleuve Danube, dont les Carpates forment une barrière mane. Le Royaume de Bulgarie se reconstitue en 1908 et, pendant les
physique entre deux bassins fluviaux, la Roumanie s’étendant sur les deux guerres balkaniques, en 1912-1913, elle dispute la Macédoine
deux versants des montagnes; puis, elle a une frontière maritime à la Serbie. C’est à partir de cette période que des hostilités com­
débouchant sur la mer Noire. Elle partage des frontières terrestres mencent avec la Roumanie. Alors que celle-ci reste neutre pendant la
avec la Hongrie (448 km), avec la Moldavie (450 km), l’Ukraine Première Guerre balkanique, elle soutient la Serbie lors de la Deuxième
(531 km), la Serbie (476 km) et la Bulgarie (608 km). Sa frontière Guerre balkanique, et la Macédoine est alors partagée, en 1913, entre
la plus longue est donc celle avec la Bulgarie, située au sud-est la Serbie et la Grèce, avec une partie concédée à la Roumanie
de l’Europe, et la majeure partie de cette frontière est délimitée par (Dobrogée). C’est pourquoi la Bulgarie s’allie avec l’Empire allemand,
le fleuve Danube qui ne compte que deux ponts sur ce tracé. l’Autriche-­Hongrie et l’Empire ottoman, pendant la Première Guerre
La Bulgarie a une superficie plus petite, de 110 550 km2, mais elle mondiale, et se trouve dans le camp des vaincus, en 1918: elle perd
partage également une frontière avec la Serbie (318 km) et a une l’accès à la mer Égée, lors du traité de Neuilly, en 1919. Pour sa part,
frontière maritime avec un accès à la mer Noire. Par ailleurs, la la Roumanie, sous Ferdinand I, se joint aux Alliés et est donc dans le
Bulgarie a des frontières avec la Grèce (494 km) et avec deux pays camp des vainqueurs: sur base des 14 points de Wilson, la Bucovine
extérieurs de l’UE, l’ancienne République yougoslave de Macédoine et la Transylvanie votent en faveur du rattachement à la Grande
(ARYM) (148 km) et la Turquie (240 km). Roumanie et l’unification du pays est reconnue par le traité de Saint-
Germain-en-Laye, en 1919. La nouvelle frontière avec la Hongrie et
L’histoire des deux États est étroitement liée à celle des Empires russe, celle avec la Serbie sont fixées par une commission internationale et,
ottoman et austro-hongrois. La Bulgarie est fondée en 681, par les lors du traité de Trianon, en 1919, la Roumanie reçoit la Transylvanie,
Bulgares d’Asparoukh, mais le premier royaume bulgare (969-1018) la moitié orientale du Banat et divers territoires de la Hongrie orien­
ne dure pas plus d’un demi-siècle car la Bulgarie est annexée par l’Em­ tale. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les deux États se trouvent
pire byzantin, en 1014. Elle se reconstitue en 1186 mais passe sous encore une fois dans des camps opposés: la Roumanie est protégée
domination ottomane pendant près de cinq siècles, de 1396 à 1878. par la France mais, après l’effondrement de cette dernière, en 1940,
Une renaissance bulgare ne commence que vers la deuxième moitié Staline en profite pour occuper la Bucovine et la Bessarabie, et Hitler
du XVIIIe siècle, quand la résistance contre les Ottomans se développe oblige la Roumanie à céder à la Hongrie, une partie de la Transylvanie.
et éclate, lors de la grande révolte de 1876. Entretemps, après la Alliée à l’Allemagne nazie, la Bulgarie parvient à récupérer de la
guerre de Crimée, en 1859, la petite Roumanie s’est formée en tant Roumanie, le sud de la Dobrogée. Au total, la Roumanie perd un tiers
qu’État, sous la protection de la France, grâce à l’union entre la de son territoire. Après la Deuxième Guerre mondiale, lors du traité de
Moldavie occidentale et la Valachie. En 1867, la Transylvanie est rat­ Paris, en 1947, la Roumanie récupère le nord de la Transylvanie, alors
tachée à l’Empire austro-hongrois mais, avec l’aide de la Russie, la que Staline reprend, à nouveau, la Moldavie orientale. Les frontières
petite Roumanie gagne totalement son indépendance en 1878. Elle sont, alors, à nouveau déplacées. Par la suite, les destins de la Bulgarie
vient aussi à l’aide des Bulgares car elle mène, ensemble avec la et de la Roumanie se rejoignent à nouveau: dès 1944-1945, elles
Russie, une guerre contre les Turcs (1877-1878), qui se termine par la rentrent dans la sphère d’influence soviétique et Staline favorise l’ins­
libération de la Bulgarie. La Grande Bulgarie est alors constituée tauration de régimes communistes dans les deux pays. Pendant toute
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Construction du pont reliant
Vidin (Bulgarie) à Calafat (Roumanie)

la guerre froide, la Bulgarie et la Roumanie se trouvent donc séparées méfiance, compte tenu des profondes cicatrices de l’histoire, après les
de l’Europe occidentale par le rideau de fer. Ce n’est qu’en 1990, après nombreux affrontements dans le passé et les déplacements des fron­
la chute du mur de Berlin, que les deux États se reconstituent en tant tières. Cette méfiance concerne les relations bilatérales, entre la
que régimes démocratiques, et qu’ils peuvent commencer à dévelop­ Bulgarie et la Roumanie, mais, aussi surtout, celles entre la Roumanie
per une coopération transfrontalière, aux niveaux local et régional, et la Hongrie. Enfin, dans la région balkanique, la guerre, d’abord, entre
avec leurs voisins. la Serbie et la Bosnie-Herzégovine (1992-1995), puis, au Kosovo
(1998-1999), crée un sentiment ­d’ins­tabilité des frontières, à l’ouest,
Cette coopération transfrontalière se développe tardivement, vers la qui rend le développement de communautés et structures de coopé­
fin des années 1990, car les deux États doivent d’abord procéder à des ration transfrontalière difficile, aux frontières avec la Serbie et avec
réformes de décentralisation territoriale, qui permettent l’autonomie l’ARYM. Après l’adhésion de la Bulgarie à l’UE, en 2007, l’évolution des
des partenaires locaux frontaliers. De plus, les relations avec les terri­ relations de voisinage de proximité avec la Turquie est aussi freinée
toires voisins sont d’ailleurs compliquées et marquées par une grande par la nouvelle frontière communautaire, qui s’érige progressivement
134 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Projet «Regions for recycling»


impliquant des partenaires
de 14 États membres:
un environnement sain pour
améliorer le bien-être des citoyens

comme un mur protecteur de la forteresse Europe, notamment pour il faut attendre la fin des années 1990, lorsque la perspective
empêcher l­’afflux des migrants qui essaient d’entrer dans l’UE, en pas­ ­d’adhésion à l’UE se rapproche.
sant par la Turquie.
Néanmoins, autour de la Roumanie et la Bulgarie, trois coopérations
Il n’est donc pas étonnant qu’une seule eurorégion voit le jour, au macrorégionales voient le jour, dont la première est déjà instaurée
début des années 1990, à la frontière entre la Bulgarie et la Grèce, en 1993, entre la Pologne, la Hongrie et l’Ukraine, pour gérer
avec un pays qui est déjà membre de la Communauté européenne ensemble l’espace naturel partagé des montagnes des Carpates.
depuis 1980: l’Eurorégion Nestos-Mesta est créée en 1992, sous la L’Eurorégion des Carpates est formée comme une association régio­
forme de deux ONG, des côtés bulgare et grec. Elle réunit le district nale, d’abord, entre des collectivités territoriales de ces trois États,
régional grec de Thrace, dans la Macédoine orientale, et la région mais, en 1997, la Roumanie (les comtés de Bihor, Botoşani, Harghita,
bulgare Blagoevgrad, au bord du fleuve Mesta. Pour le reste de la coo­ Marmatie, Sălaj, Satu Mare et Suceava) s’y joint, suivie, en 1999,
pération transfrontalière, aux frontières de la Bulgarie et la Roumanie, par les régions de Košice et Prešov, en Slovaquie. En 2002, c’est
la Bulgarie qui crée, ensemble avec la République serbe et l’ARYM, réunissant une association de 21 communes bulgares, situées dans

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­l’Eurorégion EuroBalkans, dont l’objectif est de stabiliser et de conso­ quatre districts (Smolyan, Kardjali, Plovdiv, Pazardjik), et une organisa­
lider les relations de voisinage dans la région balkanique. Ensemble, tion de coopération régionale grecque, Delta-Rodopi, composée
à la fin des années 2000, la Bulgarie et la Roumanie lancent une de sept membres assez divers (une préfecture, des municipalités
­coopération macrorégionale, avec les pays frontaliers de l’espace et la chambre de commerce et d’industrie). En 2001, la première (et
maritime de la mer Noire. L’Eurorégion de la mer Noire est créée seule) coopération eurorégionale est aussi créée, avec une partici­
en 2008 et associe 12 municipalités et districts, une région (Cahul, en pation de la Turquie: il s’agit de l’Eurorégion Evros-Maritsa-Meric, qui
Moldavie) et une république autonome (l’Adjarie, en Géorgie) de cinq associe des collectivités territoriales bulgares, grecques et turques.
pays (la Bulgarie, la Roumanie, l’Arménie, la Géorgie et la Moldavie). Par la suite, quatre eurorégions se forment successivement, dont deux,
Les macrorégions sont notamment soutenues par le Conseil de avec la Grèce et deux, avec la Serbie. En 2003, sont ainsi créées, à la
­l’Europe, qui donne une impulsion à la création des eurorégions frontière bulgaro-grecque, l’Eurorégion Strymon-Strouma et l’Euroré­
des Carpates et de la mer Noire, pour consolider la stabilité démocra­ gion Belasica, cette dernière associant également des p­ artenaires de
tique dans ces espaces partagés par ses États membres. l’ARYM. En 2005, c’est l’Eurorégion Nišava qui est constituée, entre des
communes bulgares et serbes; puis, en 2006, une eurorégion bulga­
À la fin des années 1990, les premières associations de coopé­ ro-serbe, de type rural, est créée: l’Eurorégion Stara Planina.
ration transfrontalière locales sont créées, d’abord, aux frontières
de la Roumanie. Ainsi, en 1997, se met en place l’Eurorégion Duna- Entre 2001 et 2005, un certain nombre d’eurorégions se forment,
Körös-Maros-Tisza, aussi connue sous la dénomination DKMT. le long du fleuve Danube, impliquant, pour la plupart, des parte­
Il s’agit d’une coopération trilatérale, entre des collectivités terri­ naires de la Roumanie et de la Bulgarie. Ainsi, en 2001, sont créées
toriales roumaines et hongroises, et la province serbe de Voïvodine.
La première eurorégion du Danube est formée en 1998, en tant
qu’association de droit roumain: c’est l’Eurorégion du Bas-Danube,
qui réunit les comtés roumains de Galaţi, Brăila et Tulcea, les dis­
tricts moldaves de Cahul et Cantemir, ainsi que la région ukrainienne
d’Odessa. Deux autres coopérations trilatérales sont lancées en
2000, aux frontières roumaines, l’une, avec la Moldavie et l’Ukraine,
avec la création de l’Eurorégion Haut Prut, et l’autre, avec la Hongrie
et l’Ukraine, avec la mise en place de l’Interregio entre les collectivi­
tés de Satu Mare, du côté roumain, de Szablocs-Szatmár-Bereg, du
côté hongrois, et de Transcarpatie, du côté ukrainien. En 2002, s’y
ajoute encore une coopération bilatérale, à la frontière entre la
Roumanie et la Hongrie: l’Eurorégion Hajdú-Bihar-Bihor, constituée,
du côté roumain, par la collectivité territoriale de Judeţean Bihor et,
du côté hongrois, par l’autorité locale de Judeţul Hajdú-Bihar.

Du côté bulgare, les eurorégions se développent à partir du début Panneau indiquant la douane
des années 2000. Ainsi, en 2001, l’Eurorégion Rodopi est constituée, gréco-bulgare d’Egnatia
136 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

côté et de l’autre du Danube, sont reliées, depuis 1952, par le premier


pont transfrontalier bulgaro-­roumain, aussi appelé le pont de l’Amitié.
Elles signent, en 1997, un accord de jumelage et, en 2002, elles se
structurent ensuite dans une association de type eurorégionale.
L’Eurorégion Danubius est active dans de nombreux domaines de la
coopération transfrontalière, dont, par exemple, le développement éco­
nomique, le développement durable ou la valorisation du patrimoine
culturel. En 2002, cette coopération aboutit à la création d’une univer­
sité transfron­talière commune, le Centre interuniversitaire européen
bulgaro-­roumain. Entre la Roumanie et la Moldavie, une seule euroré­
gion est constituée, en 2005, en tant qu’association de droit roumain:
l’Eurorégion Siret-Prut-Nistru réunit 26 conseils de districts de la
Programme de coopération Moldavie, à l’exception de la Gagaouzie et de la Transnistrie, ainsi que
transfrontalière Bulgarie-Serbie: trois conseils de comtés de la Roumanie.
renforcement des capacités
judiciaires dans le domaine de la
criminalité organisée pour le trafic Les coopérations transfrontalières de la Bulgarie et la Roumanie
de stupéfiants
sont donc, pour la plupart, encore récentes: elles sont organisées en
tant qu’eurorégions, de type associatif et intercommunal, qui se for­
l’Eurorégion du Danube inférieur et l’Eurorégion du Danube du Sud. ment principalement autour des frontières roumaines et le long du
Ensuite, à l’ouest, ce sont deux eurorégions trilatérales, entre la Danube. Trois coopérations macrorégionales, autour de la mer Noire,
Bulgarie, la Roumanie et la Serbie, qui sont mises en place: l’Euro­région des Carpates et dans la région balkanique, marquent également le
Danube 21, en 2002, et l’Eurorégion du Danube moyen, en 2005. Dans territoire. Enfin, peu de communautés transfrontalières concernent
l’espace frontalier entre la région de Roussé, en Bulgarie, et le district la Moldavie, l’ARYM et la Turquie. Sans doute, le développement des
de Giurgiu, en Roumanie, une coopération, ­particulièrement intense, se coopérations transfrontalières de la Bulgarie et la Roumaine sont
développe: les deux villes frontalières de Roussé et Giurgiu, situées d’un plus difficiles à mettre en place aux frontières extérieures de l’UE.
■ Projets de territoires transfrontaliers aux frontières
de la Roumanie et de la Bulgarie
POLOGNE

UKRAINE
SLOVAQUIE

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 3 7
Interregio Euroregion
Haut-Prut MOLDAVIE
Siret-Prut-Nistru
Euroregion
Euroregion
Hajdú-Bihar-Bihor Euroregion Carpates Euroregion
du Bas-Danube
Oradea-Debrecen
HONGRIE
Réserve de biosphère
ROUMANIE transfrontalière
du Delta du Danube
ÉNIE Euroregion Eurorégion
Danube-Körös-Mur-Tisza Eurorégion du Danubius
Eurorégion du
Danube Moyen
Danube Inférieur

Eurorégion Mer Noire


Pont Calafat-Vidin Giurgiu/Ruse
Danube 21
SERBIE Eurorégion Eurorégion
Eurorégion Stara Planina Danube du Sud Mer Noire
Eurorégion BULGARIE
Eurorégion Nisava
Eurobalkans

ARYM
Euroregion
Eurorégion Belasica
Evros - Meric - Maritsa
Echelle locale
Territoire à caractère urbain Eurorégion
Eurorégion Rhodopes
Territoire à caractère rural
Strymon-Strouma Eurorégion
Equipement transfrontalier opérationnel Nestos - Mesta TURQUIE
Echelle régionale

Territoire à caractère non métropolitain


GRÈCE Mer Égée
Echelle suprarégionale
100 km
Territoire à caractère non métropolitain

Source: Corneliu Iatu, Transition démocratique en Roumanie et implications spatiales


2.11 L’Italie et Malte

Ces deux États sont très différents, tant par leur taille que par leur seulement, à une frontière politique, mais aussi, à une limite qui
organisation territoriale, mais ils sont voisins. Nous évoquerons marque un fort d­ ifférentiel de développement. La frontière terrestre,
­principalement la question de l’Italie, qui est l’un des membres fon­ bien que moins longue que la frontière maritime, sépare le territoire ita­
dateurs de la CEE. À ce titre, l’hypothèse est qu’en tant que tel, l’Italie lien de quatre autres États, d’ouest en est: la France, la Suisse, l’Autriche
devrait être englobée dans une politique territoriale ancienne et rela­ et la Slovénie. Elle prend appui sur les Alpes et fait donc figure de fron­
tivement élaborée. La question de Malte sera décrite ensuite en se tière naturelle, mais cette dernière est entrecoupée de vallées et de
concentrant sur sa dimension insulaire. points de passage, dont certains sont caractérisés par une circulation
importante. Les Alpes, loin d’être une barrière, constituent, en fait, un
Italie espace de liaison entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud, qui est tra­
versé par un intense trafic de transit. De surcroît, il existe de nom­
L’Italie est l’un des grands États de l’UE. Membre fondateur de la CEE, breuses interactions transfrontalières dans certaines parties du massif
elle arrive, avec 60,7 millions d’habitants, en quatrième position des montagneux ou sur ses abords, qui se traduisent par l’existence de flux
États les plus peuplés de l’UE, à un niveau comparable à la France et de travailleurs frontaliers, de relations commerciales ou de loisirs.
au Royaume-Uni. Pourtant, la construction nationale est bien plus tar­
dive que dans les deux États précédents, puisqu’elle ne date que de la Enfin, il faut noter que la frontière politique ne coïncide pas avec la fron­
deuxième moitié du XIXe siècle. L’unification des territoires qui se tière linguistique. Il existe ainsi des communautés linguis­
trouvent dans la péninsule ne devient officielle qu’en 1861, mais il faut tiques transfron­talières. Le français est parlé dans le Val d’Aoste, et
encore attendre dix ans, avant d’incorporer les États pontificaux, ce qui l’allemand, dans le Trentin-Haut-Adige. Dans ces différents cas, les
permet d’attribuer la capitale à Rome, qui présente l’avantage d’occu­ ­collectivités disposent d’un statut d’autonomie renforcé. La frontière ter­
per une position relativement centrale dans le nouveau territoire, et qui restre ne présente, par conséquent, pas de véritable homogénéité, alter­
possède la légitimité que lui confère son histoire prestigieuse. Le terri­ nant les espaces de forte densité et les agglomérations transfrontalières,
toire italien reste durablement marqué par les structures qui précèdent caractérisés par l’intensité des flux, à courte et à longue distance, avec
l’unification. L’écart entre une partie nord, caractérisée par la présence des espaces de faible densité. L’analyse de l’espace européen, en fonc­
de villes puissantes et industrieuses, et un sud, dont l’économie est plus tion de l’intensité des activités économiques, montre une concentration
rurale et les structures foncières inégalitaires, est manifeste. L’Italie pré­ dans un espace s’étendant, approximativement, du bassin londonien
sente un territoire densément peuplé (201 habitants au km2) et com­ à la plaine du Pô, qui intègre le Benelux et les régions rhénanes et qui,
prend fort peu d’espaces faiblement habités. Le territoire est composé selon les analyses, y incorpore, ou non, l’agglomération parisienne.
d’une péninsule allongée, nord-ouest/sud-est, dont la partie méridio­ L’Italie du Nord est donc considérée comme faisant partie du cœur éco­
nale est relativement découpée, et de deux îles d’une superficie impor­ nomique de l’Europe (la «dorsale», le «pentagone des villes euro­
tante (Sardaigne et Sicile), auxquelles s’ajoutent plusieurs petites îles. péennes»): c’est à travers les Alpes que cette articulation est réalisée.
Une grande partie des frontières sont donc maritimes. La mer Le contraste entre frontière maritime et frontière terrestre ne porte pas
Adriatique sépare l’Italie, de la Grèce, de la Croatie et de la Slovénie que sur la dimension physique, il traduit des différences en termes de
(avec laquelle elle partage aussi une frontière terrestre), au sein de l’UE, différentiels économiques, de flux et de relations politiques.
mais aussi, du Monténégro et de l­’Albanie, qui sont des pays can­didats.
La mer Méditerranée sert de frontière avec l’Espagne et la France, La coopération territoriale est particulièrement intense entre l’Italie
à l’ouest, et avec l’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Lybie), au sud. Cette et les États voisins, toutefois, des différences d’évolutions sont per­
frontière est particu­lièrement sensible puisqu’elle ­correspond, non ceptibles selon les types de frontières.
LI NA T C
ROD
OUP ÉC RT IAOT NI OGNÉ N
T EÉ R RA ILTEO ■
R I A1L3E9 A U X F R O N T I È R E S D E S P A Y S D E L ’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 3 9
Vue aérienne de Gorizia (Italie)
et Nova Gorica (Slovénie)

Ainsi, l’extension des territoires éligibles de la coopération transfron­ déposé sa candidature en 2008). Pour la période 2014-2020, un
talière, des provinces alpines aux provinces littorales de l’Adriatique nouveau programme IPA réunit les provinces du sud-est de l’Italie,
et méditerranéennes de Ligurie, Toscane, Sardaigne et, entre 1990 l’Albanie et le Monténégro. Huit programmes bilatéraux INTERREG A
et 2020, traduit, d’une part, l’évolution de l’intégration européenne ont été mis en place, pour la période 2014-2020, entre l’Italie et
(adhésion de l’Autriche, de la Croatie et de la Slovénie), et, d’autre chacun des États membres limitrophes: Grèce, Croatie, Slovénie,
part, la mise en place des instruments de préadhésion (IPA) et de la Autriche, France (2), Malte et Suisse (cette dernière n’est pas
politique de voisinage. Le programme Italie-Tunisie est ainsi le seul membre de l’UE mais participe, néanmoins, activement, depuis
programme de coopération transfrontalière existant dans le cadre la première phase des programmes INTERREG). À côté de la coopé­
de la politique de voisinage de l’espace méditerranéen: il associe ration transfrontalière, l’Italie participe également à des pro­
cinq provinces de la Sicile et six régions littorales de la Tunisie. grammes transnationaux INTERREG B, quatre au total: le programme
L’objectif porte tant sur la dimension économique que sur le trans­ Europe centrale, qui comprend la partie nord de la péninsule; le pro­
fert de l’innovation, les aspects culturels, le tourisme et l’environ­ gramme Espace Alpin, qui regroupe les mêmes régions, auxquelles
nement. Une attention particulière est accordée à la sécurité de la s’ajoute l’Émilie-Romagne; le programme Méditerranée, qui prend en
frontière et à l’efficacité de son fonctionnement. Le programme de compte tout le territoire national, et le nouveau programme
coopération pour l’Adriatique, adopté pour la période 2007-2013, Adriatique-Ionienne. L’Italie s’inscrit également dans deux stratégies
entre dans le cadre de l’IPA. Il a ainsi associé trois États membres macrorégionales, la Macrorégion alpine, et la Macrorégion adriatique
(l’Italie, la Grèce et la Slovénie) à un pays candidat (la Croatie, entre­ et ionienne. Enfin, six communautés de travail couvrent la frontière
temps devenue un État membre) et à des candidats potentiels des Alpes: d’ouest en est, la COTRAO, le Conseil du Léman, le Conseil
­(l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro, ce dernier ayant Valais-Val d’Aoste, la Regio Insubrica, l’Arge-Alp et l’Alpe-Adria.
140 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

À côté de ces multiples programmes et institutions, il existe plusieurs transfrontalière de l’espace Mont-Blanc, qui réunit le canton du
structures de coopération, qui œuvrent à différentes échelles, mais Valais (Suisse), la région autonome Val d’Aoste (Italie) et une struc­
la plupart n’ont été initiées que dans les années 1990, voire 2000. ture de coopération intercommunale, le pays du Mont-Blanc (France).
Les premières coopérations portent sur des espaces qui ont une forte Les partenaires ont signé, en 2014, une déclaration d’intention com­
composante naturelle et où existe un enjeu de protection. Une pre­ mune, en vue de transformer leur structure en GECT. Une démarche
mière coopération débute entre deux parcs naturels (le parc national similaire a été entreprise pour le parc marin international des
du Mercantour, en France, et le parc naturel des Alpes maritimes, Bouches de Bonifacio, qui couvre le détroit entre la Corse et la
en Italie), en 1987. Une charte est élaborée en 1998 et la structure, Sardaigne, dont le projet date de 1992. Les deux États sont parte­
baptisée Parc européen Alpi Marittime-Mercantour, est devenue naires de la coopération, qui débouche, en 2012, sur la création
un GECT en juin 2013. Une deuxième initiative concerne le Mont- d’un GECT. Deux autres initiatives méritent d’être signalées dans les
Blanc, à cheval sur la France, la Suisse et l’Italie, et à la dimension Alpes. D’une part, l’Écorégion transfrontalière des Alpes juliennes,
emblématique. En 1991, est ainsi créée la Conférence entre l’Italie et la Slovénie, qui a obtenu en 2007 le label Europarc,
qui certifie l’existence d’une active coopération entre deux parcs

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 4 1
naturels séparés par une frontière. Dans le cas présent, une coopé­
ration avait débuté, dès 1996, entre le parc naturel des Préalpes
juliennes (Italie) et le parc national du Triglav (Slovénie). Par ailleurs,
la Conférence des hautes vallées regroupe plusieurs parcs naturels
et des structures intercommunales, italiennes et françaises, dans la
partie centrale des Alpes franco-italiennes. La démarche, débutée
en 2000, souhaite promouvoir une coopération dans plusieurs
domaines: transport, développement économique, innovation, for­
mation professionnelle, etc.

Comme sur d’autres frontières, une coopération a été engagée,


à l’échelle locale, dans une agglomération transfrontalière. Une coo­ Projet T-CHEESIMAL: mise en place
de nouvelles technologies afin de
pération culturelle a été initiée, dès les années 1970, entre Gorizia promouvoir les fromages tradition-
(Italie) et Nova Gorica (Yougoslavie à présent Slovénie). La coopé­ nels de Sicile et de Malte
ration transfrontalière s’est réduite, après l’indépendance de la
Slovénie, avant d’être relancée, à la fin des années 1990. Depuis
2001, les deux villes proposent des pistes de coopération, portant Là encore, un GECT a été créé en 2011. Deux autres eurorégions
sur l’enseignement supérieur, l’aménagement urbain, la gestion du existent, l’une est la Conférence des Alpes franco-italiennes (CAFI),
cours d’eau qui sépare les deux cités et les transports. Un GECT a été l’autre, l’Eurorégion Senza Confini, entre l’Italie et l’Autriche, qui s’est
créé en 2011, pour renforcer la coopération entre les deux villes et transformée en GECT en 2012. Enfin, deux espaces transfron­
une commune slovène. taliers ont une dimension suprarégionale. La première, l’Eurorégion
Adriatique-Ionienne, permet une coopération des collectivités limi­
À côté de ces coopérations à l’échelle locale, plusieurs structures ont trophes de la mer Adriatique, y compris une collectivité locale de
été édifiées, à l’échelle régionale ou suprarégionale. La Regio Bosnie-Herzégovine. La seconde, l’Eurorégion Alpes-Méditerranée,
Insubrica, créée en 1995, est un groupe de travail qui associe le s’est transformée en GECT. Elle regroupe les collectivités de niveau
­canton du Tessin, en Suisse, à quatre provinces italiennes: les parte­ régional, alors que la Conférence des Alpes franco-italiennes asso­
naires cherchent, avant tout, à résoudre des problèmes liés à l’exis­ cie des départements et des provinces.
tence d’une frontière, caractérisée par l’existence de nombreuses
interactions. En effet, le point de passage de Chiasso se trouve En définitive, le territoire italien est largement imbriqué dans des pro­
sur l’un des plus grands axes qui traversent les Alpes et qui relient grammes transfrontaliers, à différentes échelles. Cette coopération
l’Europe rhénane à la plaine du Pô. De surcroît, les travailleurs fron­ concerne, à la fois, les États membres et des États non membres (IPA,
taliers sont particulièrement nombreux dans la région. L’Eurorégion politique de voisinage). L’analyse des cadres transfrontaliers montre
Tyrol-Haut Adige-Trentin regroupe le Land Tyrol, en Autriche, à deux que c’est la gestion de ressources naturelles et territoriales com­
provinces italiennes dotées d’une forte autonomie. La coopération, munes, qui a été le moteur des coopérations, et que celles-ci se sont
qui a officiellement démarré en 1998, s’appuie sur l’existence d’une surtout établies à l’échelle locale. Cependant, les initiatives n’ont
communauté linguistique transfrontalière de langue allemande. commencé à se formaliser que dans les années 1990, ce qui
142 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Projet «Vamos Seguro»: surveillance


et anticipation de la dispersion de
cendres volcaniques entre la Sicile
et Malte

contraste profondément avec ce qui s’est passé sur les frontières méri­dionales de la Sicile et à moins de 200 km des côtes tuni­
franco-allemandes ou les frontières scandinaves. En revanche, on siennes, l’archipel joue un rôle de verrou entre les parties occidentale
observe, depuis la fin des années 2000, une forte institutionnalisa­ et orientale de la mer Méditerranée. Possession anglaise à partie
tion, avec la création de plusieurs GECT, à la fois, aux échelles locale de 1814, le territoire obtient une autonomie en 1947, puis son indé­
et régionale que suprarégionale. pendance en 1964, tout en restant membre du Commonwealth.
Dès 1965, Malte intègre le Conseil de l’Europe, mais il faudra
Malte attendre 2004 pour la voir entrer dans l’UE.

Malte est un État insulaire qui bat plusieurs records en Europe: Malte n’a qu’un seul voisin au sein de l’UE: l’Italie. Depuis INTERREG III,
c’est, à la fois, le territoire le plus petit, le moins peuplé et le plus il existe un programme spécifique de coopération transfrontalière
densément peuplé de l’UE. 425 000 personnes se concentrent entre l’Italie et l’état insulaire. Ce programme a été reconduit pour
sur les deux principales îles, d’une superficie de 316 km2, soit plus les phases suivantes. Il n’existe aucune structure de coopération
de 1300 habitants au km 2. Situé à environ 100 km des côtes transfrontalière entre Malte et l’Italie.
■ Projets de territoires
Euregio Tirolo-Alto
transfrontaliers Adige-Trentino AUTRICHE
aux frontières de l’Italie
et de Malte Ecorégion transfrontalière
FRANCE SUISSE des Alpes juliennes

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 4 3
Regio Insubrica
Espace Mont-Blanc Euregio SLOVÉNIE
Senza Gorizia-Nova Gorica
TunnelInternational
Parc Marin du Mont-Blanc Confini
des Bouches de Bonifacio Tunnel du Grand Saint-Bernard CROATIE
Conférence des
Hautes-Vallées Conférence des
Alpes franco- BOSNIE-
Réserve de biosphère HERZÉGOVINE
italiennes
transfrontalière du Mont Viso
Parc européen
Alpi Marittime-Mercantour
Mer Adriatique
MONACO MONTE-
NEGRO
Eurorégion ITALIE Eurorégion
Alpes-Méditerranée Adriatique et Ionienne

Parc marin international ALBANIE


des Bouches de Bonifacio
rorégion
s-Méditerranée
Mer Méditerranée

Echelle locale Mer Tyrrhénienne


Territoire à caractère urbain

Territoire à caractère rural


Mer Ionienne
Equipement transfrontalier opérationnel

Echelle régionale

Territoire à caractère non métropolitain

Echelle suprarégionale
Territoire à caractère non métropolitain

Groupement Européen de
Coopération Territoriale (GECT)
50 km

MALTE
2.12 L’Espagne et le Portugal

Situées en périphérie sud-ouest de l’Europe, l’Espagne et le Portugal dont l’émergence date du XIVe siècle. Intégré à la Couronne d’Espagne
sont entrés conjointement dans la CEE, en 1986. États méditer­ de 1580 à 1668, le territoire conservera cependant une certaine auto­
ranéens, ils sont tous deux d’anciennes grandes puissances euro­ nomie. Bien qu’étant qualifié de méditerranéen, le territoire n’est pas
péennes, qui ont édifié des empires à travers le monde. La fin des bordé pas la mer Méditerranée mais uniquement par l’océan Atlantique.
régimes autoritaires, présents, depuis les années 1930, dans les Deux RUP du Portugal sont localisés au sein de cet océan, les archipels
deux États, en 1974 et en 1975, signe leur passage à un régime des Açores et Madère, tous les deux distants de plus de 1000 km de la
démocratique, qui leur permet de demander leur adhésion à la CEE. capitale. Ces derniers disposent d’une forte autonomie institutionnelle.
La tendance nationaliste des régimes s’est traduite par une vision La partie ibérique du territoire présente, cependant, une certaine dissy­
défensive des frontières. Dans ce contexte, les régions frontalières métrie: la plaine littorale a un peuplement important et c’est là que sont
sont apparues comme des espaces périphériques, au sein desquels situées les deux plus grandes agglomérations du pays, Lisbonne et
les investissements étaient peu élevés. On peut, dès lors, penser que Porto. L’intérieur présente, au contraire, de faibles densités et un carac­
l’intégration européenne a réellement favorisé l’émergence d’une tère rural, d’autant plus marqué qu’il a connu une forte déprise, dans les
coopération territoriale. années 1960 et 1970. Cette zone a longtemps fait l’objet de faibles
investissements car on la voyait comme une marche, une zone tampon
État le plus étendu d’Europe après la France (504 000 km 2), avec l’Espagne. La frontière est considérée comme une des plus
­l’Espagne compte 46,5 millions d’habitants. La configuration actuelle anciennes d’Europe, dans la mesure où elle n’a pas connu de modifica­
du territoire remonte à la fin du XVe siècle, avec la fusion de la tion significative de son tracé depuis le XIIe siècle. Elle sera reconnue par
Castille et de l’Aragon, qui signe également la fin de la Reconquista, le traité de Lisbonne, en 1668, qui signe l’indépendance du Portugal sur
la conquête des royaumes musulmans. L’Espagne est un État cen­ l’Espagne. La faiblesse du peuplement, de part et d’autre de la ligne
tralisé, qui va se bâtir un empire colonial et aura plusieurs pos­ frontière, réduit les possibilités d’interaction, à l’exception des principaux
sessions en Europe, mais qui est composé de différentes nations. points de passage (littoral atlantique entre le nord du Portugal et la
La guerre civile (1936-1939) se termine par la victoire du général Galice; littoral méditerranéen entre l’Algarve et l’Andalousie; zone cen­
Franco, qui va instituer un régime dictatorial, qui s’achèvera à sa trale sur l’axe Lisbonne-Madrid, entre l’Estrémadure et le district de
mort, en 1975. Le changement de régime instaure également la fin Portalegre). Le tracé de la frontière ne s’est pas appuyé, à quelques
d’une période de relative autarcie et la volonté de rattrapage, à la exceptions près, sur des obstacles topographiques: les deux pays par­
fois, politique, économique et psychologique. L’Espagne comprend tagent ainsi plusieurs grands bassins fluviaux (Minho, Douro, Tage et
deux villes enclavées en territoire marocain, Ceuta et Melilla, et une Guadiana), qui font l’objet d’une collaboration: plusieurs conventions ont
RUP, les Îles Canaries, au sein de l’océan Atlantique, à l’ouest du ainsi été signées, depuis 1964. En revanche, la limite politique coïncide
Maroc. La ville de Gibraltar, à proximité du détroit du même nom, est avec la limite linguistique.
une possession britannique depuis le traité d’Utrecht de 1713.
La frontière franco-espagnole, également terrestre, a été instaurée
Avec 10,4 millions d’habitants, le Portugal fait figure de petit État, com­ après la signature du traité des Pyrénées, en 1659. Elle fait figure de
paré à l’Espagne, mais la densité de peuplement est un peu plus élevée. frontière naturelle, même si, dans le détail, le tracé ne suit pas rigoureu­
Ce territoire, en périphérie sud-ouest de l’Europe, possède une large sement la ligne de crête. La frontière politique ne recouvre, cependant,
ouverture maritime et ne compte qu’un seul voisin, l­’Espagne. Il se pas la frontière linguistique: le basque et le catalan sont ainsi parlés sur
trouve, de ce fait, à l’écart des grands axes européens de circulation. Le les deux versants des Pyrénées, même si l’usage de ces langues est plus
Portugal apparaît comme une des nations les plus anciennes d’Europe, restreint en France qu’en Espagne. Les flux qui traversent la frontière
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 4 5
Le pont international Bajo Guadiana,
reliant le Portugal à l’Espagne,
inauguré en 2009

franco-espagnole sont bien plus conséquents que ceux qui franchissent Sur la frontière franco-espagnole, la première coopération est celle
la frontière entre le Portugal et l’Espagne, mais ils sont concentrés sur de la Communauté de travail des Pyrénées (CTP), initiée à l’instiga­
les axes littoraux (axe Paris-Bordeaux-Madrid, le long de l’Atlantique, et tion du Conseil de l’Europe, en 1983. Elle réunit quatre communau­
la réunion d’un axe Lyon-Barcelone et Marseille-Barcelone, le long de la tés autonomes espagnoles, trois régions françaises et la Principauté
Méditerranée) et contournent les Pyrénées. d’Andorre. L’objectif est de favoriser le développement du massif des
Pyrénées et de ses abords, tout en préservant les ressources et le
Dans ce contexte, les régions frontalières sont intégrées aux pro­ patrimoine. La CTP œuvre également en faveur de la coopération
grammes transfrontaliers Espagne-Portugal et France-Espagne- transfrontalière, dont les premières initiatives sont effectuées
Andorre. Les territoires NUTS3 qui correspondent aux provinces à l’échelle locale. Une coopération est ainsi établie, à partir de 1988,
espagnoles et à des sous-régions, dans la partie portugaise, sont cou­ entre le parc national des Pyrénées et le parc national d’Ordesa et du
verts par des programmes INTERREG, depuis le début des années Mont-Perdu. Elle se concrétise par une stratégie d’action, écrite sous
1990. L’Espagne et le Portugal font partie, dans leur ensemble, du pro­ la forme d’une charte. Toujours à l’échelle locale, en 1993, une conven­
gramme INTERREG B Sud-ouest européen (SUDOE) et, pour partie, du tion de coopération transfrontalière donne naissance ­à l’Eurocité
programme INTERREG B Méditerranée occidentale, pour les régions basque Bayonne-San Sebastián, dont les partenaires sont le Guipuscoa
limitrophes de cette dernière, en Espagne, et les districts méridionaux (NUTS3) et le district Bayonne-Anglet-Biarritz. Cette coopération est
du Portugal. En revanche, aucun des deux États ne participe à une élaborée à l’échelle d’une vaste agglomé­ration, d’environ 600 000 habi­
stratégie macrorégionale mais ils sont associés aux programmes de tants, s’étendant plus ou moins le long du littoral atlantique, de part
voisinage Mid-Atlantic et Mer Méditerranée, avec toutes les régions et d’autre de la frontière franco-­espagnole. Les partenaires créent un
côtières de cet espace maritime. Enfin, le programme Açores-Madère- observatoire transfrontalier, ayant un statut de GEIE en 1997, bap­
Canaries (MAC) associe les RUP localisées dans l’océan Atlantique, de tisé Agence transfrontalière pour le développement de l’Eurocité
ces deux États. De nombreuses structures de coopération transfronta­ basque en 2000. Un livre blanc est réalisé, qui propose un certain
lière ont vu le jour, après l’intégration de l’Espagne à la CEE, à la fois, nombre de pistes d’action, pour r­ enforcer l’intégration de cet espace
sur la frontière franco-espagnole et sur la frontière hispano-portu­ urbain transfrontalier. L’objectif est de structurer un espace urbain
gaise. On observe, cependant, un léger décalage temporel entre les multipolaire. Au sein de ce dernier, une coopération renforcée a été
deux frontières, dont nous présenterons les principales organisations. instaurée, en 1998, entre les deux communes espagnoles, Irun et
146 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Fontarrabie, et la française, Hendaye, qui sont limitrophes. Le établies avec le nord du Portugal, avec la Galice, d’une part, et la
Consorcio transfrontalier Bidasoa Txingudi, élaboré à cette occasion, Castille-et-León, d’autre part. Enfin, la dernière couvre l’Andalousie
a aussi été transformé en GEIE. À l’autre extrémité de la chaîne des et deux régions méridionales du Portugal. Ces communautés de
Pyrénées, le Pyrénées-Cerdagne correspond, à partir de 1998, à une ­travail favorisent la coopération transfrontalière. Il n’est pas éton­
coopération entre des structures de coopération intercommunale, au nant que la première forme de coopération voie le jour, en 1991,
sein de l’Eurodistrict de l’espace catalan transfrontalier. La structure sous la forme d’un groupe de travail sur la frontière entre l’Espagne
est devenue un GECT en 2011. et le Portugal (Eurorégion Galicia-Norte Portugal), là où s’est instal­
lée, dès 1986, la première communauté de travail. Depuis 2008,
Deux eurorégions, dotées du statut de GECT, ont vu le jour sur la l’Eurorégion s’est transformée en GECT. Il faut, cependant, attendre
frontière franco-espagnole: l’Eurodistrict de l’espace catalan trans­ les années 2000, pour voir émerger certaines initiatives locales.
frontalier, en 2008; l’Espace Pourtalet, en 2011. Le premier regroupe L’association transfrontalière des municipalités des Terres du grand
le département des Pyrénées-Orientales et la province de Gérone, lac d’Alqueva, créée en 2005, souhaite promouvoir le développe­
au sein d’une structure qui cherche à produire une politique concer­ ment d’une région désavantagée et enclavée. En 2006, l’Eurocité
tée d’aménagement du territoire, et à renforcer les liens transfron­ Badajoz-Elvas, composée de deux villes distantes de 20 km, cherche
taliers entre deux territoires présentant des similitudes, sur le plan à coordonner et à mutualiser des services. En 2007, l’Eurocité
culturel et linguistique. Le second associe la communauté autonome Chaves-Verin réunit également deux villes très proches, en vue de
d’Aragon et le département des Pyrénées-Atlantiques et a, pour développer une eurocitoyenneté et une coopération culturelle. Si les
objectif, de mutualiser des services, de créer un centre commun deux premières ont un statut d’association, la troisième s’est dotée
de ressources, et de développer des projets culturels. Au sein de d’un statut de GECT. Enfin, deux autres eurocités ont été instituées,
­l’espace catalan, un projet original a été développé: la construction sans se doter d’un statut légal, pour l’instant: l’Eurocité Valencia-Tui,
d’un hôpital transfrontalier, destiné à mutualiser les moyens, dans le en 2012, et l’Eurocité de Guadiana, en 2013.
cadre du programme INTERREG IIIA. Inauguré en septembre 2014,
cet équipement public a été créé en tant que GECT en 2010, entre Pendant cette période, quatre eurorégions ont également vu le jour,
l’État français et le Conseil de la santé de la Généralité de Catalogne. trois en 2009 (Duero-Douro, ZASNET et Alentejo-Centre-Estrémadure)
Ce projet constitue une première mise en commun des services et une en 2010 (Alentejo-Algarve-Andalousie), parmi lesquelles
de santé entre deux États européens. Localisé à Puigcerdà, en deux sont devenues des GECT.
Catalogne, il est destiné à accueillir des patients des deux territoires
nationaux, sans distinction. Enfin, deux eurorégions ont une dimen­ En définitive, la coopération semble avoir démarré tardivement,
sion suprarégionale: l’Eurorégion Aquitaine-Euskadi couvre la partie à partir des années 1990. Depuis les années 2000, la création de
occidentale de la frontière des Pyrénées, tandis que l’Eurorégion structures transfrontalières semble s’être accélérée et bon nombre
Pyrénées-Méditerranée se situe dans la partie orientale. d’entre elles ont été dotées d’un GECT, ce qui souligne l’intérêt envers
une démarche d’intégration. En dépit du caractère périphérique
Sur la frontière entre le Portugal et l’Espagne, trois communautés de de l’Espagne et du Portugal, les collectivités semblent très impli­
travail ont été instaurées, à la fin des années 1980 ou dans le cou­ quées dans la coopération transfrontalière et ceci à deux échelles:
rant des années 1990, mais elles ne couvrent pas la totalité du tracé locale et régionale. On observe, cependant, un démarrage plus
de la frontière: il existe, en effet, une lacune entre l’Estrémadure ancien des initiatives sur la frontière des Pyrénées, que sur la fron­
espagnole et la région portugaise de Castelo Branco. Deux sont tière entre hispano-portugaise.
Echelle locale

Territoire à caractère urbain ■ Projets de territoires transfrontaliers


Territoire à caractère rural aux frontières de l’Espagne et du Portugal
Equipement transfrontalier opérationnel

Echelle régionale
Territoire à caractère métropolitain

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 4 7
Territoire à caractère non métropolitain Océan Atlantique

Echelle suprarégionale

Territoire à caractère non métropolitain FRANCE


Groupement Européen de
Parc Marin Internatio
Coopération Territoriale (GECT)
Eurorégion Aquitaine-Euskadi des Bouches de Bonifa

Consorcio transfrontalier Eurocité Basque


Eurorégion Galicia - Bidasoa Txingudi Bayonne-San Sebastián
Norte Portugal

Eurocité Valença-Tui Eurocité Chaves-Verín Huesca Pirineos-Hautes Pyrénées


Espace Pourtalet
ZASNET
Réserve de biosphère Parc national des Pyrénées/ Pirineus- Cerdanya
transfrontalière de Gerês-Xurés Parque nacional de Ordesa
y Monte Perdido ANDORRE Eurodistrict de
Duero-Douro l’Espace Catalan
Réserve de biosphère Hôpital de Cerdagne
Transfrontalier
Eurorégion transfrontalière de la Meseta Ibérica
Alentejo - Pays d’art et
Centre - Parc international du Tage d’histoire transfrontalier
Estrémadure ESPAGNE
PORTUGAL
Eurorégion
Pyrénées-Méditerranée
Eurocité Badajoz-Elvas

Association transfrontalière des Municipalités


des Terres du Grand Lac Alqueva

Eurocité du Guadiana

Euroregion Alentejo -
Mer Méditerranée
Algarve - Andalousie

Gibraltar (R.-U.)
50 km
Ceuta (ES)

Melilla (ES)
100 km
2.13 La Grèce et Chypre

Situées, toutes deux, dans la partie orientale de la mer Méditerranée, milliers de personnes, ce qui conduit à une homogénéisation des
la Grèce et Chypre présentent peu de similitudes, même si la majo­ ­territoires: l’idée est de faire concorder la limite politique avec la
rité de la population de Chypre partage une même langue avec frontière culturelle. Ces migrations concernent aussi d’autres États,
les Grecs. En effet, la Grèce semble un géant, comparée à Chypre. dont la Bulgarie voisine. Les derniers territoires intégrés sont les îles
La Grèce compte 11 millions d’habitants et son territoire couvre une du Dodécanèse en 1947: situées à proximité de la côte turque, elles
superficie de 131 000 km². La seconde abrite 850 000 habitants sur étaient placées sous tutelle de l’Italie, depuis 1912. L’expansion du
un peu plus de 9 000 km². Les densités sont similaires mais les territoire est alors achevée.
configurations de territoires, fort distinctes: Chypre est une île, alors
que la Grèce présente une partie continentale, où se trouvent les La majorité de la population se concentre sur un arc de cercle qui relie
principales villes, et un nombre imposant d’îles, dont la Crète, qui est Athènes à Thessalonique, autour de la mer Égée, et, secondairement, un
la plus grande. Cette forme territoriale rappelle celle du Danemark, axe le long de la mer Ionienne, à l’ouest. En dehors de la Crète, les îles
État pour lequel la coopération sur ses frontières maritimes parais­ sont peu étendues et peu peuplées, ce qui se traduit par l’existence de
sait particulièrement développée. L’objectif est de voir si les fron­ problèmes de continuité territoriale. La Grèce, qui a intégré la CEE
tières maritimes et les frontières terrestres présentent des formes en 1981, occupait une situation périphérique, dans cette dernière. Située
similaires de coopération transfrontalière ou, au contraire, si des aux confins du Moyen-Orient, elle était séparée de ses voisins du nord
­distinctions significatives apparaissent. Par ailleurs, les deux États et du nord-ouest, par des frontières hermétiques (rideau de fer avec la
partagent une proximité avec la Turquie, qui est une puissance régio­ Bulgarie; régime autarcique en Albanie; ouverture de la Yougoslavie vers
nale et qui n’est pas membre de l’UE. Cette proximité mérite, de ce l’Europe de l’Ouest; et relative fermeture au sud). De surcroît, les rela­
fait, d’être interrogée. tions avec la Turquie sont complexes: la souveraineté des îles de la mer
Égée est contestée par cette dernière.
La Grèce a obtenu son indépendance en 1830, lors de la Conférence
de Londres, après dix années de guerre d’indépendance contre Chypre est une ancienne possession de l’Empire ottoman, qui a été
­l’Empire ottoman, grâce au soutien des puissances européennes et, occupée puis annexée, par le Royaume-Uni, en 1914. Lors de l’indé­
notamment, de la Russie. Le territoire est, au départ, réduit à l’Attique pendance, obtenue en 1960, les populations grecques résidant
et au Péloponnèse. La Grèce connaîtra une expansion continue de à Chypre souhaitent intégrer la Grèce. Celles-ci sont, en effet, majo­
son territoire, dans la deuxième partie du XIXe siècle et au début du ritaires sur le territoire, qui comprend une importante minorité turque
XXe siècle. Cette expansion intègre, à la fois, des parties terrestres et (environ 20 % de la population). En occupant l’île, en 1974, en
des îles. Après les guerres balkaniques (1912-1913), qui lui attri­ réponse au coup d’État qui visait à remplacer le président Makarios,
buent la Macédoine, l’Épire et la Crète, la Grèce présente une confi­ favorable à l’indépendance, par un dirigeant proposant l’intégration
guration proche de celle qu’elle a actuellement. Le traité de Sèvres, à la Grèce, l’armée turque provoque, de fait, une partition de l’île,
signé à l’issue de la Première Guerre mondiale, en 1920, envisage le avec la création de la République turque de Chypre du Nord, qui
démantèlement de l’Empire ottoman et la reconnaissance des mou­ occupe la partie septentrionale du territoire et n’est reconnue que
vements nationaux. La Grèce se voit octroyer de nouveaux territoires par la République turque. La capitale, Nicosie, est coupée en deux.
(la Thrace et la région de Smyrne, en Asie Mineure), que le traité de L’instauration d’une frontière, qui se veut hermétique, entraîne des
Lausanne, qui précise les frontières de la nouvelle République migrations conséquentes: les Grecs qui occupaient le nord du pays
turque, lui reprend, en 1923. L’instauration d’une frontière entre les rejoignent le sud et les Turcs résidant dans la partie sud migrent
deux républiques se traduit par des déplacements de centaines de vers le nord. L’accord d’association avec la CEE, signé en 1973,
p­ révoyait une intégration douanière avec cette dernière. La demande

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 4 9
d’intégrer la CEE sera déposée en 1990 mais, lors de l’adhésion,
la question de la partition de l’île n’est cependant pas résolue. La
République turque de Chypre du Nord n’est pas reconnue par les
membres de l’UE. La frontière s’appuie sur la ligne verte, définie
dès 1964, par un officier britannique, en vue de définir une réparti­
tion des populations. Depuis 2008, des points de passage sont amé­
nagés, à travers la ligne verte, dont l’un se trouve en plein centre de
la capitale. La configuration de Chypre est donc très particulière,
puisque la ligne verte est une limite officiellement non reconnue
mais qui a un fort impact sur l’organisation de l’espace. Par ailleurs,
deux importantes bases militaires britanniques sont présentes sur le
sol de l’île (Akrotiri et Dhekelia). La Grèce est le territoire de l’UE qui
est le plus proche de l’île: des liaisons maritimes assurent la relation
entre les deux territoires.

Aucune coopération transfrontalière n’est envisagée entre les


deux parties de l’île de Chypre. Un programme de coopération est
prévu avec la Turquie, dans le cadre de l’Instrument de préadhésion
(IPA), mais il n’est, pour l’instant, pas activé. En revanche, depuis
INTERREG III, il existe un programme de coopération transfrontalier
entre Chypre et la partie orientale de la Grèce (et, notamment,
la Crète). Ce dernier a été prolongé lors des phases suivantes.
Les orientations portent sur le développement économique, les
infrastructures de transport, la sécurité, la préservation du patrimoine
naturel et culturel. Chypre fait également partie du programme
INTERREG B Méditerranée, qui associe six États de la Méditerranée, et
du programme de voisinage Mer Méditerranée, avec les voisins non
membres de l’UE. La coopération territoriale de Chypre est étroitement
imbriquée à celle de la Grèce, qui renvoie à une logique de proximité
géographique. Du fait de l’isolement relatif de l’île, seule une coopé­
ration en réseau, de type transnational, peut être envisagée.

Les régions frontalières de la Grèce ont été considérées comme


­territoires éligibles, dès le premier programme INTERREG. En dehors de
Chypre, il existe deux autres programmes INTERREG A, avec l’Italie et Lutte transfrontalière contre
avec la Bulgarie. À ces derniers, sont associés trois programmes qui l’incendie (Grèce, Chypre)
150 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

dépendent de l’IPA: le programme Grèce-Albanie, le programme Grèce- eurorégions sont instaurées au début des années 2000. La première
ancienne République yougoslave de Macédoine, et le programme est l’Eurorégion Rodopi, qui recouvre une partie du périmètre de l’Euro­
Grèce-Turquie. Tous les nomes de la frontière terrestre de la Grèce font région Nestos-Mesta et qui réunit une association de 21 communes
partie des territoires éligibles. Il faut y ajouter les nomes littoraux de bulgares, situées dans quatre d­ istricts (Smolyan, Kardjali, Plovdiv,
la mer Ionienne (face à l’Italie) et de la mer Égée (face à Chypre). Pazardjik), et une organisation de coopération régionale grecque, Delta-
Rodopi, composée de six collectivités publiques (une préfecture, des
La situation de la Grèce, au sud-est de l’Europe, fait que c’est le seul municipalités) et d’une chambre de commerce et d’industrie. Un an plus
État faisant partie de deux programmes transnationaux de voisi­ tard, une autre coopération eurorégionale (Evros-Maritsa-Meric) est
nage: d’un côté, il entre dans le programme Mer Méditerranée, de lancée, entre des collectivités bulgares, turques et grecques. Pour la
l’autre, il intègre le programme Mer Noire, qui associe sept pays, en première fois, la Turquie est associée à une initiative eurorégionale. Une
plus de la Russie et de la Turquie. Enfin, la Grèce est intégrée à la dernière eurorégion voit encore le jour avec la Bulgarie (Strymon-
stratégie de macrorégion adriatique et ionienne, avec l’Italie et plu­ Strouma). Quatre autres eurorégions, dont les périmètres n’ont pas pu
sieurs États limitrophes de la mer Adriatique. être établis avec précision, ont été initiées, sur la frontière avec l’an­
cienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) et l’Albanie. Enfin
Neuf eurorégions, dont les périmètres ne sont pas tous connus, dans la mer Égée, deux eurorégions réunissent des îles grecques et
s’égrènent le long de la frontière septentrionale terrestre de la Grèce, des territoires turcs voisins. Les coopérations transfrontalières se sont
qui était une frontière hermétique avant 1989. L’Eurorégion Nestos- donc développées récemment, sur des frontières qui étaient longtemps
Mesta, dont l’initiative date de 1992, permet à la Bulgarie d’établir un caractérisées par leur hermétisme, lié soit à l’absence de relations
partenariat avec un État membre de l’UE. Deux ONG, une de chaque (Albanie, Bulgarie), soit à l’existence de tensions et de contentieux
côté, composent ensemble la structure de coopération. Le périmètre (Turquie). Elles se trouvent, à présent, sur des frontières internes
associe le district régional grec de la Thrace, de la Macédoine, à l’est, et (Bulgarie) ou sur des frontières externes, avec des États en phase de
la région bulgare Blagoevgrad, au bord du fleuve Mesta. D’autres préadhésion (Albanie, ARYM).
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières de la Grèce et de Chypre

Mer Noire

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 5 1
Eurorégion BULGARIE
Rodopi
Eurorégion
Nestos - Mesta

ARYM Euroregion
Evros - Meric - Maritsa
Eurorégion Belasica
TURQUIE
ALBANIE Eurorégion
Strymon-Strouma
Parc Prespa

Mer Égée

GRÈCE

Mer Ionienne CHYPRE

Echelle locale

Territoire à caractère rural

Echelle régionale

Mer Méditerranée Territoire à caractère non métropolitain

100 km
Source: ARFE, DG REGIO, NEEBOR
2.14 La Slovénie et la Croatie

La Slovénie et la Croatie partagent, toutes les deux, le fait d’avoir obtiennent le droit de faire sécession. Les bouleversements en
été des républiques d’une entité fédérale avant de devenir indé­ Europe, en 1989, ont des conséquences également dans les répu­
pendantes. Leur situation nous rappelle, en quelque sorte, celle des bliques yougoslaves: la Croatie et la Slovénie procèdent à des élec­
États baltes. La similitude s’arrête là: en effet, même si leur indé­ tions libres, ce qui conduit les nouveaux gouvernements mis en
pendance a été obtenue à la même période, le processus qui y place, à vouloir renégocier le pacte fédéral. Les deux États déclarent
a conduit n’est pas identique. De surcroît, la Yougoslavie ne res­ conjointement leur indépendance, en juin 1991. Les troupes fédé­
semble guère à l’URSS: en entretenant des relations étroites avec les rales, composées principalement de Serbes, envahissent les deux
états ­d’Europe occidentale, elle maintenait une forte porosité des républiques mais la Slovénie, qui comporte peu de Yougoslaves
frontières avec ses voisins de «l’ouest», l’Italie et l’Autriche. Les situa­ d’autres nationalités, réussit à obtenir le départ des troupes.
tions géopolitiques sont donc fondamentalement différentes. En revanche, la guerre éclate en Croatie, dont la partie orientale, lar­
La Slovénie et la Croatie sont, par conséquent, peu éloignées, physi­ gement habitée par des Serbes, est revendiquée par la Yougoslavie.
quement et psychologiquement, des zones centrales de l’Europe. Le conflit se traduit d’abord par des pertes de territoires, qui sont,
Si les deux États partagent un certain nombre de caractéristiques com­ en définitive, reconquis. La guerre s’achève en 1995. Les accords de
munes, le fait qu’ils n’aient pas intégré, au même moment, l’UE est, en Dayton, de décembre de la même année, mettent fin au conflit entre
soi, assez significatif. La Croatie est le dernier État à être devenu les différentes nations qui composent la Bosnie-Herzégovine, voisine
membre de l’UE en 2013. Il s’agit, dès lors, de voir si le décalage tem­ de la Croatie, et avec laquelle la Croatie partage une très longue
porel a un effet sur la coopération territoriale de ces deux États. frontière. La Serbie reconnaît la frontière avec la Croatie, l’année
­suivante. Les frontières des territoires slovènes et croates s’ap­
La création de la Yougoslavie, en 1918, s’inscrit dans le cadre du puient sur les limites existantes dans le cadre de la Yougoslavie
démantèlement de l’Empire austro-hongrois et de l’émergence com­ d’avant 1991. La guerre a renforcé les écarts entre les deux États,
plexe et émaillée de tensions et de nationalismes, dans cette partie qui entretenaient des relations étroites, lorsqu’ils faisaient partie de
d’Europe du Sud-Est, qui a été occupée par l’Empire ottoman et que la même fédération. L’intégration de la Slovénie dans l’UE, en 2004,
les Européens de l’Ouest qualifient de Balkans. Dès sa fondation, la puis dans l’espace Schengen, en 2007, a eu tendance à consolider
Yougoslavie regroupe des peuples qui se considèrent chacun comme la frontière entre les deux États. L’intégration de la Croatie en 2013
très différents. Après la Deuxième Guerre mondiale, la république devait faciliter le rapprochement et la croissance d’interactions
prend le nom de République populaire fédérative de Yougoslavie, transfrontalières. La Slovénie s’est opposée, pendant plusieurs
qui adopte un régime communiste. Elle est alors composée de six années, à l’intégration de la Croatie, du fait de l’existence d’un
États fédérés: la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le contentieux, qui portait sur le tracé de leur frontière maritime, dans
Monténégro, la Serbie et la Slovénie. En 1948, le maréchal Tito, chef la mer Adriatique. Les deux États ont réussi à s’accorder, grâce
du gouvernement, rompt les relations avec l’URSS. La Yougoslavie à la médiation de la Suède, sur l’instauration d’une commission qui
n’intègre, par conséquent, pas le pacte de Varsovie, en 1955, et délimite le tracé de la frontière. L’accord est en cours d’examen à la
s’inscrit dans le mouvement des non-alignés. Un changement de Cour permanente d’arbitrage de La Haye, qui cherche un règlement
la constitution, en 1963, accroît notablement l’autonomie des six pacifique aux différends territoriaux qui lui sont soumis.
républiques qui composent la fédération. L’existence de chacune
d’entre elles repose sur l’existence d’une nation majoritaire, mais le Avec, respectivement, une population de 4,4 millions et de deux mil­
peuplement est loin d’être homogène dans chaque république. lions d’habitants, la Croatie et la Slovénie font partie des États peu
En 1974, de nouvelles modifications sont apportées: les républiques peuplés de l’UE. La Slovénie est trois fois plus petite et son territoire
L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 5 3
Dubrovnik, Croatie

est plus compact que celui de la Croatie, qui a une forme de pince de communautés de travail: la Slovénie fait partie de l’Arge Carinthie-
crabe. Alors que la première ne possède qu’une étroite ouverture sur Slovénie, alors que la Croatie est associée à l’Arge Pays danubiens.
la mer, la seconde a une longue façade maritime et compte de nom­ En revanche, les deux États sont présents dans la communauté de
breuses îles, qui sont très proches du littoral. Les deux États partagent travail Alpe-Adria. Ces partenariats sont significatifs, dans la mesure
une longue frontière commune. Le découpage des frontières est où ils traduisent les centres d’intérêt communs et les différences.
assez complexe, même si, depuis l’intégration de la Croatie, toutes L’Adriatique apparaît indéniablement comme une préoccupation
les frontières de la Slovénie sont, à présent, internes à l’UE: cette der­ conjointe, alors que les Alpes sont un enjeu de coopération territo­
nière est limitrophe de l’Italie, de l’Autriche et de la Hongrie, qui est riale, pour la Slovénie, et le Danube, pour la Croatie. Le fait marquant
également voisine de la Croatie. La Croatie a surtout une très longue est que les territoires croates frontaliers de la Slovénie, qui faisaient
frontière avec la Bosnie-Herzégovine et une autre plus étroite, avec partie de l’instrument de préadhésion, sont, à présent, intégrés dans
la Serbie, qui repose, en partie, sur le Danube, ces deux dernières les programmes INTERREG V de coopération transfrontalière et que
étant, à présent, des frontières externes de l’UE. Un étroit passage de les régions croates frontalières de la Serbie et de Bosnie font, à pré­
six kilomètres, le corridor de Neum, coupe le territoire croate en deux sent, partie de l’IPA (programmes Croatie-Bosnie et Croatie-Serbie).
parties et permet à la Bosnie-Herzégovine d’avoir un accès à la mer Cette extension permet, à de nouvelles régions, d’être plus impli­
Adriatique. Le Comitat de Dubrovnik-Neretva constitue, par consé­ quées dans la coopération transfrontalière.
quent, une exclave de la Croatie, ce qui permet à cette dernière
d’avoir également une très courte frontière avec le Monténégro. Les structures de coopération transfrontalière ne sont pas très nom­
breuses: celles qui ont été instaurées à l’échelle locale, avec l’Italie
La Slovénie et la Croatie sont intégrées conjointement à plusieurs (Gorizia-Nova Gorica, Écorégion transfrontalière des Alpes juliennes)
programmes transnationaux, pour la période 2014-2020 (Espace et à l’échelle régionale, avec l’Autriche (Euregio Styrie-Slovénie du
danubien, Europe centrale), et aux deux stratégies macrorégionales nord), qui lient des associations de collectivités territoriales, sont
Mer Adriatique et Ionienne et Danube. En revanche, la Croatie ne fait décrites dans la partie sur l’Italie. La coopération la plus visible est
pas partie de l’Espace Alpin, contrairement à la Slovénie. De même, celle qui concerne l’Eurorégió Duna-Dráva-Száva, qui a démarré
les deux États ne sont pas systématiquement membres des mêmes en 1998, entre la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Hongrie.
154 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Opérations de déminage à la frontière


entre la Croatie et la Hongrie

L’impulsion vient surtout des acteurs économiques, puisque la En définitive, le caractère récent de la coopération transfrontalière,
chambre de commerce de Pécs-Baranya, en Hongrie, celle du comté dans les deux États, peut s’expliquer par leur intégration tardive dans
croate d’Osijek et celle de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine, sont par­ l’UE. En revanche, les initiatives semblent plus avancées et plus
tenaires des collectivités territoriales des trois États. Une autre lisibles sur les frontières slovènes que sur les frontières croates. On
­coo­pération trinationale existe avec la Hongrie, avec l’Eurorégion peut y voir un effet du décalage (neuf ans) existant entre les deux
Dráva-Mura. C’est sur les frontières terrestres de la Croatie et de intégrations, mais on peut également avancer l’hypothèse que cet
la Slovénie que les initiatives semblent, pour le moment, les plus écart devrait se réduire, avec le développement de projets, dans le
abouties. En revanche, la dimension maritime est présente, mais cadre d’INTERREG V et de l’IPA. L’enjeu est ici, non seulement, de pro­
à l’échelle suprarégionale, avec l’Eurorégion Adriatique et Ionique. mouvoir une coopération, mais aussi, de mettre en place les condi­
tions d’une réconciliation durable avec les autres États des Balkans.
■ Projets de territoires transfrontaliers
aux frontières de la Slovénie et de la Croatie

AUTRICHE

L A C O O P É R AT I O N T E R R I T O R I A L E A U X F R O N T I È R E S D E S PAY S D E L’ U N I O N E U R O P É E N N E ■ 1 5 5
HONGRIE
Euregio Styrie -
Slovénie du Nord-Est
Parc des trois pays Goricko-Raab-Örség

Eurorégion Muránia
Ecorégion transfrontalière
des Alpes juliennes Eurorégion
Drave-Mur
SLOVÉNIE
Gorizia-Nova Gorica Réserve de biosphère transfrontalière
Mur-Drave-Danube
CROATIE
SERBIE

Eurorégion
ITALIE Danube-Drave-Save
Euroregion Drina-
BOSNIE- Sava-Majevica
Eurorégion
HERZÉGOVINE
Adriatique et Ionique

Echelle locale

Territoire à caractère urbain

Territoire à caractère rural

Echelle régionale MONTENEGRO


Territoire non métropolitain
Mer Adriatique
Echelle suprarégionale

Territoire à caractère non métropolitain


ALBANIE
Groupement Européen de 100 km
Coopération Territoriale (GECT)
Conclusion
générale
Conclusion générale

L’objectif de cet ouvrage était de donner un aperçu de l’évolution programmation 1994-1999, qui identifie des régions de très faible
de la coopération territoriale de l’UE, depuis 1990. En 25 ans, cette densité. La perspective de l’élargissement vers l’est a incité à peau­
dernière s’est, à la fois, étendue, intensifiée et complexifiée. finer des programmes instaurés au début des années 1990, ou à les
transformer. L’instrument de préadhésion (IPA) est ainsi mis en place
La mise en place des programmes INTERREG, en 1990, dans la pers­ en 2000, tandis que la politique de voisinage, entre l’UE et des États
pective de l’UE, sert de cadre à l’élaboration d’une politique à la non membres, est introduite en 2004.
dimension spatiale. Après une première phase, jusqu’au milieu des
années 1990, qui met l’accent sur des projets de proximité, une deu­ Le tableau en p. 162, sur l’évolution chronologique des programmes
xième phase permet l’instauration de programmes de dimension de coopération territoriale depuis 1990, illustre bien l’élargissement,
transnationale ou interrégionale, ce qui élargit les perspectives de par­ l’intensification et la complexification des dispositifs de la Com­
tenariat, en assurant une coopération sur des périmètres plus vastes, mission européenne.
à plus petite échelle. Les bouleversements géopolitiques, au tournant
des années 1990, incitent, par ailleurs, la Commission européenne, à La politique de coopération territoriale cherche à transformer des préoc­
proposer des programmes comme PHARE et TACIS, qui sont destinés cupations nationales d’aménagement du territoire, en problématiques
à accompagner les changements dans les pays d’Europe centrale et européennes, c’est-à-dire à proposer une réponse commune, à l’échelle
orientale, y compris aux frontières de l’UE. Enfin, une troisième phase supranationale, à des questions qui se posent, de la même manière, à
commence avec l’instauration de programmes transnationaux, à la fin plusieurs territoires nationaux. Il ne s’agit pas d’ignorer les probléma­
des années 1990, qui, d’une certaine manière, annoncent les straté­ tiques de chaque État mais, au contraire, de proposer une vision géné­
gies macrorégionales lancées à la fin des années 2000. Ceci dénote rale. L’élaboration du SDEC, puis la réflexion sur la cohésion territoriale
déjà de l’existence d’une vision spatiale élaborée, puisqu’il s’agit d’im­ (Livre vert de 2008, Agenda ­territorial de 2007, puis 2011), ont incité
pliquer les acteurs étatiques dans des coopérations sur des espaces l’UE, dans un cadre intergouvernemental, mais avec un appui fort de la
présentant des problématiques communes, en vue d’accroître la cohé­ Commission, à proposer de véritables orientations sur l’aménagement
sion sociale et territoriale de l’espace européen. d’un territoire qui n’est pas simplement considéré comme la somme des
territoires nationaux mais un ensemble plus englobant. En introduisant
Cette évolution s’inscrit dans un cadre réflexif, dans la perspective la notion de territoire éligible, en instaurant des programmes transfron­
des élargissements, depuis l’émergence des stratégies d’aména­ taliers entre des collectivités territoriales de deux ou de plusieurs États,
gement spatial menée dans les années 1990: études Europe 2000 en associant des collectivités territoriales sur des périmètres plus larges,
et 2000+; élaboration du Schéma de développement de l’espace en impliquant les États lorsque cela est nécessaire, en proposant de
communautaire (SDEC), en 1999. Premièrement, le bilan réalisé nouveaux cadres de réflexion ou d’action (stratégies macrorégionales,
après chaque phase d’INTERREG permet de réajuster les dispositifs bassins maritimes, etc.), la coopération a introduit une dimension plus
lors de la phase suivante. Deuxièmement, chaque nouvelle phase territoriale, ce qui peut contribuer à l’émergence d’un véritable sentiment
permet également d’adapter certains programmes et de les intégrer: d’appartenance. Aménager un massif montagneux qui s’étend sur plu­
ainsi, INTERREG IIB avec l’initiative REGEN, INTERREG III avec PHARE sieurs territoires nationaux et élaborer une stratégie sur un espace mari­
CBC, INTERREG IV avec IPA CBC. Enfin, l’adhésion de nouveaux pays time nécessitent de développer une vision commune, liée à l’existence
introduit des problématiques inédites d’aménagement du terri­ d’une conscience de partage d’un même espace. La coopération est
toire. Lorsque la Finlande et la Suède deviennent membres de l’UE, ainsi à géométrie variable: elle s’appuie sur l’idée de proximité, pour les
en 1995, la politique régionale adopte un sixième objectif pour la programmes IINTERREG A, l’idée de continuité, pour INTERREG B, et le
CONCLUSION GÉNÉRALE ■ 159
Bruxelles, Belgique

concept de réseau, pour INTERREG C. En prenant en compte les diffé­ d’intégration» («framing integration» (2)). La coopération permet l’instau­
rentes formes proposées par les instances européennes, l’espace euro­ ration d’un système sémique qui est identique pour tous les acteurs ter­
péen est organisé par un ensemble de structures enchevêtrées et ritoriaux. À partir de là, les partenariats qui s’esquissent, s’inscrivent dans
entrelacées, mais qui, dans le même temps, dessinent un cadre général un cadre général d’organisation, tout en se différenciant, en fonction des
(global framework), sur lequel les coopérations vont se réaliser. Andreas caractéristiques locales ou régionales. L’expression de «coopération ter­
Faludi, professeur en politique d’aménagement du territoire, parle de ritoriale», que l’UE utilise à partir de 2007, et sa reconnaissance comme
«machine d’apprentissage» («learning machine» (1)) et de «cadre objectif à part entière de la politique de cohésion, décrivent bien un

1 http://www.researchgate.net/publication/23540068_The_learning_machine_ 2 FALUDI, A., Cohesion, coherence, cooperation: European Spatial Planning coming
European_integration_in_the_planning_mirror (consulté le 02/06/2015). of age?, Abingdon, Routledge, 2010, p. 137.
160 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

vaste ensemble de programmes et de dispositifs qui visent à intégrer de voisinage, ou les stratégies macrorégionales, s’inscrivent sur des
les différentes composantes de l’UE. L’intégration consiste à tisser des frontières externes de l’Europe.
liens entre des acteurs territoriaux localisés dans des cadres nationaux
différents. La coopération transfrontalière s’inscrit dans ce registre, selon En dépit d’un contexte général propice à la diffusion et à l’approfondis­
une logique de proximité; les coopérations transnationales et interrégio­ sement de la coopération à l’échelle européenne, des différences subs­
nales sont établies sur des périmètres plus vastes, en fédérant les tantielles persistent lorsqu’on se place à l’échelle des États. La logique
acteurs autour de préoccupations communes. Ces deux dimensions générale, au niveau européen, est que tout territoire est concerné par
montrent qu’on est passé d’une logique de contiguïté, à des logiques de la coopération, du fait des volets transnational et interrégional, et pas
continuité et de réseau. Les coopérations transfrontalières et transna­ seulement les territoires frontaliers. Cependant, la coopération a débuté
tionales reposent également, toutes les deux, sur une dimension territo­ avant l’instauration des programmes INTERREG, grâce à des initiatives
riale. Un sentiment d’appartenance peut ainsi émerger ou être conforté, locales, en Europe occidentale mais aussi en Scandinavie. L’existence
dans un espace transfrontalier, à l’échelle locale ou régionale, qu’il soit d’un cadre de coopération entre les États crée une atmosphère indé­
urbain ou rural. La coopération transnationale repose, elle, plus précisé­ niablement propice à l’émergence d’une coopération transfrontalière:
ment, sur une problématique d’aménagement du territoire. Enfin, toutes ont œuvré en ce sens, le Conseil de l’Europe, avec le cadre juridique de
ces coopérations se traduisent par des formes de gouvernance multini­ la Convention-cadre de Madrid, la Communauté puis l’Union euro­
veaux: elles associent des acteurs intervenant à différentes échelles et péenne, avec INTERREG et le GECT, mais aussi, des sous-ensembles
les mettent en relation avec l’UE. On peut ainsi estimer qu’une «répu­ régionaux, comme le Benelux ou le Conseil nordique. Il serait, cepen­
blique européenne» est progressivement en train de s’instaurer, au sens dant, réducteur de penser que cela traduit, de ce fait, une logique des­
d’une chose publique commune qui transcende les États, tout en les cendante (top-down). En effet, ce sont souvent les collectivités
associant avec l’ensemble des collectivités impliquées. Tout concourt à régionales et locales qui prennent l’initiative des coopérations trans­
l’intégration, à travers le développement de réseaux et de liens, et grâce frontalières. Les cadres de cette coopération qui se construisent en
à l’émergence d’éléments communs (enjeux, territoire, cadres de ges­ Europe occidentale, à partir de la fin des années 1950, ne présentent
tion); c’est ce que signifie l’intro­duction, dans le traité, de l’objectif de souvent pas une forte formalisation, au départ, mais se traduisent, en
cohésion territoriale. La création du Groupement européen de coopé­ revanche, par l’existence de réels partenariats. L’existence de liens
ration territoriale (GECT) offre ainsi la possibilité, aux collectivités des étroits et d’une bonne connaissance mutuelle des collectivités trans­
États membres et à leurs voisins, de se doter d’une structure juridique frontalières, depuis, parfois, plusieurs décennies, facilite aussi l’émer­
capable de porter et de réaliser des projets européens. L’Europe de la gence de projets, lors de l’instauration des programmes INTERREG.
coopération territoriale fait penser à l’«Europe de la traduction» (3), évo­ Dans les pays méditerranéens et les pays d’Europe centrale et orien­
quée par le professeur de philosophie, Etienne Balibar, c’est-à-dire un tale, les débuts de la coopération transfrontalière coïncident avec l’ins­
cadre où il faut penser les articulations entre des modes de pensées tauration des programmes INTERREG. Cela traduit l’existence d’une
et des langues différentes, ce qui nécessite des instances de média­ dépendance plus forte des collectivités locales et régionales, envers la
tion et des dispositifs communs. Ce cadre général déborde, cependant, Communauté européenne, mais également, dans certains cas, de l’ab­
de l’UE, puisque tant l’instrument de préadhésion que la politique sence d’intenses relations fonctionnelles transfrontalières préexis­
tantes. Dans les pays méditerranéens, les coopérations s’esquissent
dans la deuxième partie des années 1980 et, dans les pays d’Europe
3 BALIBAR, E., «Europe as borderland», Environment and Planning D:
centrale et orientale, peu après l’ouverture du mur de Berlin, dans une
Society and Space 27 (2), 2009, pp. 190-215. atmosphère alors propice à l’ouverture des frontières.
Globalement, à partir des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la coo­ d’être, le cas échéant, institutionnalisées, quelques années après

CONCLUSION GÉNÉRALE ■ 161


pération territoriale s’est intensifiée dans tous les États membres de leur élaboration. En définitive, il n’existe pas de modèle unique de
l’UE, avec une forte utilisation des différents programmes commu­ coopération transfrontalière, mais des formes variées, adaptées à la
nautaires, mais également avec le développement de structures culture et au contexte local ou régional; sur une frontière, cela signi­
de coopération plus ou moins formalisées. Derrière les logiques ins­ fie également l’articulation entre deux systèmes territoriaux natio­
titutionnelles de la coopération, se cachent souvent des logiques naux. Cette première approche de l’histoire de la coopération
culturelles. L’instauration de cadres institutionnels au niveau euro­ territoriale montre la diffusion de partenariats de coopération et le
péen ne s’est pas toujours traduite par une forte diffusion de ces tissage d’une toile, élaborée à l’échelle de l’UE et sur ses bordures,
derniers. En effet, dans de nombreuses zones en Europe, la coopé­ que la nouvelle période de programmation 2014-2020 devrait cer­
ration ­présente la forme d’une association offrant plus de souplesse tainement permettre d’approfondir. Dans ce contexte dynamique,
qu’un cadre formel, qui risquerait d’imposer de fortes contraintes et les expériences qui ont échoué sont peu nombreuses. L’ouvrage
des contradictions avec les législations nationales. Il est difficile de ­présenté ici mériterait, toutefois, d’être alimenté par des analyses
dire s’il existe une corrélation entre une forte institutionnalisation et systématiques de terrain, montrant la genèse, l’évolution des coopé­
l’efficacité d’une coopération. Cependant, une véritable différen­ rations, à partir d’une grille d’analyse unique, afin de disposer d’une
ciation apparaît en fonction de l’espace géographique concerné. base comparative détaillée.
Au nord (États scandinaves, Royaume-Uni, Irlande), les coopéra­
tions sont souvent peu institutionnalisées; en revanche, à l’ouest
(Allemagne, France, États du Benelux) et au sud (Espagne, Portugal,
Italie), de nombreuses structures de coopération transfrontalière
­formalisées existent et plusieurs GECT ont été institués. À l’est (pays
d’Europe centrale et orientale, Autriche), des structures moins forma­
lisées (associations, communautés de travail) voient le jour mais l’on
observe une tendance à leur transformation en GECT, dans certains
États, après quelques années d’existence (par exemple, en Hongrie).
Enfin, au sud-est (Slovénie, Croatie, Chypre, Grèce), les coopérations
n’ont pas encore réussi à trouver des formes et des cadres adaptés
à la situation de la région. Plusieurs hypothèses peuvent être avan­
cées sur la plus ou moins grande popularité de ces formes institu­
tionnelles. Premièrement, l’existence d’un cadre institutionnel peut
être perçue comme une condition préalable à la coopération, dans
certains pays (Europe du Sud), alors que, dans d’autres (Europe du
Nord), le partenariat repose davantage sur l’idée de confiance et la
souplesse d’une approche fonctionnelle. Deuxièmement, l’ancienneté
de la coopération crée des conditions propices à un plus fort degré
d’institutionnalisation (Europe de l’Ouest). Enfin, inversement, les
coopérations transfrontalières plus récentes (Europe de l’Est et du
Sud-Est) ont tendance à présenter un caractère moins formel, avant
162 ■ LA COOPÉRATION TERRITORIALE EN EUROPE UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

Titre 2

1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

PHASE INTERREG I A
INTERREG A INTERREG II A 1994-1999 INTERREG III A 2000-2006
PILOTE 1990-1993

INTERREG B REG-REGEN INTERREG II B 1994-1999


INTERREG III B 2000-2006
INTERREG II C
INTERREG C 1997-1999

PHARE CBC PHARE CBC 1994-1999 PHARE CBC 2000-2006

PHARE
PHARE CREDO 1997-2000
CREDO

TACIS CBC TACIS CBC 1994-1999 TACIS CBC 2000-2006

MEDA MEDA 1995-1999 MEDA II 2000-2006

ISPA ISPA 2000-2006

SAPARD SAPARD 2000-2006

CARDS CARDS CBC 2000-2006

INTERREG C INTERREG III C 2000-2006

URBACT URBACT I

INTERACT INTERACT I

ESPON ESPON I

1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020

CONCLUSION GÉNÉRALE ■ 163


INTERREG IV A 2007-2013 INTERREG V A 2014-2020

INTERREG IV B 2007-2013 INTERREG V B 2014-2020

IPA CBC 2007-2013 IPA CBC 2014-2020

ENPI CBC 2007-2013 ENI CBC 2014-2020

INTERREG IV C 2007-2013 INTERREG EUROPE 2014-2020

URBACT II URBACT III

INTERACT II 2007-2013 INTERACT III 2014-2020

ESPON 2013 ESPON 2020

2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020
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Les auteurs

BERNARD REITEL Cartographie et relecture critique

INTRODUCTION GÉNÉRALE ■ 171


Bernard Reitel est professeur de géographie politique et de géogra­
phie urbaine à l’Université d’Artois depuis 2012. Membre du labora­ JEAN PEYRONY
toire Discontinuités et du consortium franco-belge Institut des Jean Peyrony est directeur général de la Mission opérationnelle trans­
frontières et des discontinuités, il est responsable du Master frontalière (MOT) à Paris. Il a été auparavant: expert détaché par la
Développement territorial, aménagement, environnement (DTAE). France auprès de la Commission européenne (DG Politique régionale
Il a soutenu, en 2010, une habilitation à diriger des recherches sur et urbaine); chargé de mission à la Délégation interministérielle à
le thème «Villes et frontières, un jeu de construction de territoires. l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR), pour
Bâle, Berlin, Strasbourg». Parmi les publications récentes: «Border la coopération territoriale et l’élaboration de la politique de cohésion
Temporality and Space Integration in a Transborder Agglomeration: 2007/2013; chef du groupe observatoire régional à la direction régio­
Basel», Journal of Borderlands Studies, Vol. 28, n° 2, 2013; «The Role nale de l’Équipement d’Île de France, où il a pris part à la rédaction du
of National States in the Construction of Cross-border Metropolitan schéma directeur de 1994; ainsi que chef de projet d’opérations
Regions in Europe. A Scalar Approach», European Urban and Regional d’aménagement urbain en Île de France et à la Réunion.
Studies, 2013 (avec Christophe Sohn).

JEAN RUBIÓ
BIRTE WASSENBERG Jean Rubió est diplômé du magistère d’aménagement du territoire
Birte Wassenberg est professeure d’université en Histoire contem­ et d’urbanisme de l’université Panthéon-Sorbonne de Paris et titu­
poraine à l’IEP de Strasbourg, membre du Centre Raymond Poidevin, laire d’un master sur la gouvernance des agglomérations transfron­
à l’Unité mixte de recherche (UMR) Dynamiques européennes, et talières en Europe. Depuis 2006, il est chargé de mission à la Mission
­responsable du Master 2 Relations internationales. De 1993 à 2006, opérationnelle transfrontalière (MOT). Il est en charge du développe­
elle a été attachée territoriale à la Région Alsace. Depuis 2013, elle ment européen de la MOT, des études transfrontalières territoriales
a une Chaire Jean Monnet sur la contribution de la coopération et thématiques, et de la cartographie. Il a été amené à produire de
transfrontalière à la politique européenne de voisinage. Publications nombreux documents cartographiques dans le cadre de missions
récentes: Histoire du Conseil de l’Europe (1949-2009), Bruxelles, d’accompagnement des projets de territoires transfrontaliers.
Peter Lang, 2012; L’approche pluridisciplinaire de la coopération
transfrontalière. Les jalons pour un travail de recherche pluridisci­
plinaire, Cahier FARE n°5, 2014.
Recherches documentaires

ANNA QUADFLIEG
Anna Quadflieg est doctorante en Histoire contemporaine au Centre
Raymond Poidevin, UMR Dynamiques européennes. Elle prépare
une thèse sur la perception de l’Europe dans les régions frontalières,
sous la direction de Birte Wassenberg. Depuis mai 2015, elle est
­responsable du service des relations extérieures au ministère de la
Communauté germanophone de Belgique, à Eupen.
Commission européenne – Direction générale de la politique régionale et urbaine
La coopération territoriale en Europe – Une perspective historique
Luxembourg: Office des publications de l’Union européenne
2015 — 172 p. — 225 × 225 cm
ISBN 978-92-79-49500-7
doi:10.2776/715158

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