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Sous la direction de

Moda Dieng, Philip Onguny


et Issaka K. Souaré

La lutte contre le terrorisme


en Afrique
Acte de bienveillance
ou prétexte géostratégique?

Les Presses de l’Université de Montréal


Ce livre est publié avec le soutien du Programme d’aide à l’édition de l’Université Saint-Paul.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre: La lutte contre le terrorisme en Afrique: acte de bienveillance ou prétexte géostratégique? / Moda Dieng, Philip Onguny,
Issaka K. Souaré.
Noms: Dieng, Moda, auteur. Onguny, Philip, 1981- auteur. Souaré, Issaka K., 1976- auteur.
Collections: Politique mondiale (Presses de l’Université de Montréal)
Description: Mention de collection: Politique mondiale Comprend des références bibliographiques.
Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20190018712 Canadiana (livre numérique) 20190018720 ISBN 9782760640719 ISBN
9782760640726 (PDF) ISBN 9782760640733 (EPUB)
Vedettes-matière: RVM: Terrorisme—Afrique. RVM: Terrorisme—Afrique—Prévention.
Classification: LCC HV6433.A35 D54 2019 CDD 363.325096—dc23

Mise en pages: Folio infographie

Dépôt légal: 3e trimestre 2019


Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2019
www.pum.umontreal.ca

Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises
culturelles du Québec (SODEC).
Introduction

MODA DIENG, PHILIP ONGUNY ET ISSAKA K. SOUARÉ

Le terrorisme demeure un phénomène mondial. L’Afrique n’est pas à l’abri,


puisque la menace s’y répand à une vitesse fulgurante et pose des défis sans
précédent aux États, à l’Union africaine (UA) et aux organisations
régionales. Lors de la 455e réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS)
de l’UA, tenue à Nairobi au Kenya le 2 septembre 2014, le rapport de la
présidente de la Commission de l’UA montrait clairement que la menace
terroriste s’était aggravée en Afrique au cours de la décennie précédente.
Aujourd’hui, plusieurs variantes de la criminalité transnationale organisée
sont de plus en plus liées aux activités et aux sources de financement des
groupes terroristes. Ceux-ci utilisent le continent à la fois comme un
sanctuaire, un point de vulgarisation de leurs idéologies, un bassin de
collecte de fonds et de recrutement, un endroit pour planifier et mener des
attaques en Afrique et ailleurs et, enfin, comme une zone de prise d’otages
et de transit.
Le Maghreb a vu s’implanter plusieurs groupes, dont Al-Qaïda au
Maghreb islamique (AQMI), produit d’une restructuration du Groupe
[algérien] salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Dans la Corne
de l’Afrique, ce sont plutôt Al-Shabaab, d’origine somalienne, et l’Armée
de résistance du Seigneur (ARS), d’origine ougandaise, qui dominent les
activités terroristes dans la région et au-delà, notamment dans le cas de
l’ARS qui sévit aussi en Afrique centrale. Sans doute, c’est en Afrique de
l’Ouest et au Sahel que le terrorisme a connu la progression la plus rapide,
ces dernières années. Le Nigeria et le bassin du lac Tchad sont parcourus
par Boko Haram et ses branches dissidentes (Ansaru et l’État islamique en
Afrique de l’Ouest). Le Mali demeure aussi l’épicentre d’un terrorisme en
expansion. L’Afrique australe, qui semblait à l’abri des groupes terroristes
jusqu’à récemment, fait face aux attaques sporadiques d’un groupe qui se
nomme Ansar al-Sunnah et qui opère dans le nord-est du Mozambique.
La menace que pose le terrorisme en Afrique fait l’objet d’une littérature
importante. Dans le débat sur la lutte contre cette menace, on met
généralement l’accent sur les initiatives des grandes puissances. L’Afrique
se trouve au cœur des guerres contre le terrorisme, mais la manière dont
celles-ci sont menées est sujette à débats. Ce livre s’intéresse aux concepts
et aux manifestations du terrorisme en Afrique ainsi qu’aux efforts déployés
sur le continent par les acteurs africains ou autres pour mieux le combattre,
qu’il soit à connotation religieuse ou à caractère purement criminel et
mercantile ou un mélange des deux.
Ces dernières années, le continent africain a connu des progrès en matière
de coopération contre le terrorisme et d’autres formes de crimes
transfrontaliers, que ce soit dans le cadre de l’UA ou de mécanismes
régionaux. Quels sont ces mécanismes africains de coopération de lutte
contre le terrorisme, et de quelle manière l’expansion du terrorisme et les
approches des grandes puissances pour combattre le phénomène
influencent-elles ces dynamiques de coopération? Par ailleurs, l’on sait que
les efforts de lutte contre le terrorisme font l’objet d’une large couverture
médiatique. Comment la couverture des médias, qu’ils soient internationaux
ou locaux, influence-t-elle les processus de résolution des conflits liés au
terrorisme en Afrique? Comment analyser un phénomène – ses
manifestations et dynamiques – et le combattre sans le définir et sans en
cerner les facteurs sous-jacents?

Quelles théories ou définitions pour le terrorisme?


La définition des facteurs explicatifs du terrorisme est sujette à controverse,
notamment lorsqu’on l’aborde d’un point de vue politique. Le débat est
houleux sur ce qui est «terroriste» et sur les usages souvent subjectifs et
politiques de ce terme pour qualifier un mouvement ou un groupe. En
témoigne éloquemment la qualification, dans le contexte africain, du
Congrès national africain (ANC) et de son chef Nelson Mandela comme
«terroristes» par le régime d’apartheid en Afrique du Sud et par certains
pays occidentaux dans les années 19801. Pourtant, et c’est notre avis, il y a
dans les faits des actes qu’on peut considérer comme terroristes, que
commettent de façon ponctuelle ou systématique des mouvements mais
également des États-nations, ces mêmes acteurs ayant aussi recours à
d’autres techniques non terroristes. Tout mouvement ou État qui recourt à
des tactiques terroristes à un moment donné est-il donc terroriste, et l’est-il
alors pour toujours? Selon quels critères de tels acteurs se voient-ils
attribuer ce qualificatif, et selon quels critères retire-t-on certains d’entre
eux de la liste des «mouvements ou États terroristes»?
Le rapport précité de la présidente de la Commission de l’UA (2014)
recense plusieurs formes d’actes terroristes en Afrique: 1)  l’attaque
terroriste contre des intérêts africains; 2)  l’attaque terroriste contre des
intérêts occidentaux en Afrique; 3)  l’utilisation de territoires africains
comme sanctuaires ou sources de recrutement; et 4)  l’utilisation de
territoires africains comme zones de transit et de collecte de fonds liés à
d’autres activités illicites. Évidemment, rien dans cette liste ne constitue
une définition du terrorisme. En réalité, il n’y a pas de définition universelle
du terrorisme et le paysage de la lutte contre le phénomène demeure éclaté.
De même, la gravité du terrorisme et sa perception diffèrent d’un pays à
l’autre, ce qui explique l’absence d’un modèle de réponse unique. Il
n’existe pas à l’échelle mondiale un organe central et unique de prévention
et de lutte contre la menace dès lors qu’il n’y a pas de définition
consensuelle du phénomène. C’est pourquoi les normes et les arrangements
institutionnels existants se limitent souvent à des secteurs définis, et ce,
nonobstant les efforts de l’Organisation des Nations unies pour trouver des
positions communes à cet égard. La situation en Afrique reflète bien cette
configuration. L’identification des acteurs terroristes s’avère difficile par
endroits, parce que leurs statuts changent selon les circonstances et les
enjeux du moment. Par exemple, le Nord-Mali est le théâtre d’un
phénomène croissant qui se caractérise par la fluidité de nombreux conflits
dans lesquels commandants et combattants changent fréquemment
d’allégeance entre forces régulières, mouvements rebelles et groupes
terroristes (Walther, Leuprecht et Skillicorn, 2017). Un autre facteur qui
complique davantage la définition du terrorisme est le prétendu lien que
relèvent plusieurs observateurs entre le phénomène et les textes religieux.
Mais qu’en est-il réellement?

Religion et terrorisme: quels liens?


Dans la liste des mouvements «terroristes» qu’a élaborée le gouvernement
américain, régulièrement mise à jour, figurent des mouvements qui se
réclament d’idéologies différentes, aussi bien politiques (souvent de
l’extrême gauche) que religieuses; néanmoins, les seconds y occupent la
place de choix. Parmi eux comme dans les rapports des médias, de manière
générale, on compte des mouvements qualifiés de «terroristes» dont les
membres se réclament de l’une des deux plus grandes confessions
religieuses pratiquées en Afrique: le christianisme et l’islam. Y figure, par
exemple, l’infâme Armée de résistance du Seigneur (ARS) dont le
fondateur et chef Joseph Kony prétend combattre pour renverser le
gouvernement ougandais et mettre en place un régime fondé sur les dix
commandements de la Bible. Il se réclame du christianisme et emploie des
méthodes objectivement «terrorisantes», commettant des atrocités contre les
civils en Ouganda et dans des pays d’Afrique centrale. Cela dit, on compte
davantage de groupes qui se réclament de l’islam ou sont perçus comme
tels, à l’instar d’AQMI, d’Al-Shabaab ou encore de Boko Haram.
Mais qu’en est-il, en réalité, des relations «causales» entre les religions et
les actions de ces groupes? Halliday (2002), qui a largement écrit sur les
attentats du 11 septembre 2001, pense qu’il est «insensé» de vouloir
chercher les causes ou les justifications des actes de terrorisme dans les
textes ou traditions d’une religion quelconque, car, soutient-il, toutes les
religions ont des textes et des traditions qui se prêtent à une lecture de
violence ou de paix. Pour Jackson (2007, p.  415), s’il ne s’agit pas de
négliger les «justifications rhétoriques» de ces groupes et leur
instrumentalisation de la religion, ces considérations sont souvent
secondaires par rapport à leurs motivations stratégiques et politiques.
Le Chicago Project on Suicide Terrorism, un projet de recherche à
l’Université de Chicago dirigé par le politologue Pape (2005), a fait état
d’un total de 315 «attaques suicides terroristes» entre 1980 et 2003. Les
chercheurs ont conclu qu’il y avait «un lien minime entre le suicide
terroriste et le fondamentalisme musulman ou n’importe quelle autre
religion du monde». Plus révélateur encore, ils ont trouvé que la grande
majorité de ces attaques était l’œuvre des Tigres tamouls du Sri Lanka, un
mouvement séculier marxiste-léniniste. Ils ont établi que dans la même
période au Liban, 71% des responsables d’attaques suicides adhéraient à
une idéologie communiste, contre seulement 21% adhérant à une idéologie
islamiste et 8% à une idéologie chrétienne. Dans tous les cas, 95% de toutes
les attaques recensées reposaient sur un programme politique et une
campagne militaire dont les buts ultimes étaient nationalistes et laïques, les
auteurs des attaques cherchant la fin de ce qu’ils considéraient comme une
occupation étrangère de leurs territoires. Donc, la religion, bien qu’utilisée
comme moyen de recrutement et de collecte de fonds à l’étranger, serait
rarement la cause du terrorisme (Pape, 2004).
Dans son livre Violence et religion en Afrique, Bayart (2018) évoque un
colloque tenu à Genève en décembre 2016 au cours duquel les participants
«sont vite parvenus à la conclusion que les situations sur lesquelles ils
travaillaient se caractérisaient à la fois par une forte mobilisation religieuse
et une intense violence politique ou sociale, mais que les deux ordres de
phénomènes n’étaient pas associés l’un à l’autre». La corrélation entre
religion et violence politique paraît donc peu logique. La violence n’est pas
de nature religieuse, et les pratiques religieuses ne sont pas violentes en soi
(Bayart, 2018). À quoi serait dû l’amalgame, alors? Bayart semble trancher
quand il soutient:

Le sens commun quant à la combinaison de la religion et de la violence


repose souvent sur des illusions d’optique que crée l’hyperinflation
médiatique, volontiers sensationnaliste et donnant la primauté à
l’image, étant entendu que la photographie ou la vidéo d’un massacre
ou d’une exécution sont plus vendables que celles d’une négociation ou
d’une célébration. L’ethnocentrisme entre en ligne de compte, l’islam
étant l’usual suspect [sic] aux yeux des Occidentaux, quitte à ce que
ceux-ci ne qualifient pas de «religieuses» les violences commises par
des chrétiens au nom de leur foi, ou de la «civilisation» qu’ils
identifient à celle-ci (Bayart, 2018, p. 16-17).
Convenant avec ces analyses, nous traitons les prétentions religieuses de
groupes commettant des actes terroristes comme des stratégies de
mobilisation plutôt que des motifs d’action. Il y a là une similarité avec le
positionnement de plusieurs pays (République démocratique du Congo,
République démocratique et populaire algérienne ou encore République
démocratique et populaire de Corée pour la Corée du Nord) ou structures
politiques qui insistent sur le qualificatif «démocratique» dans leur nom,
alors qu’il n’y a que peu ou rien de démocratique dans le fond de leurs
actions. Nous évitons aussi, dans ce livre, les termes qui consacrent
l’amalgame entre prétentions stratégiques et religions et limitent, ipso facto,
les pistes d’exploration scientifique quant aux motivations souvent
complexes des groupes se rendant coupables d’actes terroristes, notamment
en ce qui concerne la religion musulmane. C’est le cas des termes
«islamiste» et «jihadiste», utilisés pour désigner un «terroriste». En effet, le
terme «islamiste» est étymologiquement tiré de l’islam et celui de «jihad»
renvoie à une notion islamique. Cela rend difficile toute tentative de
dissociation entre religion et actes commis par les groupes qualifiés ainsi,
car chaque fois que les mots «islamiste» et «jihadiste» sont prononcés, il est
difficile pour celui ou celle qui les entend de ne pas penser à la religion
musulmane. D’ailleurs, la plupart des «terrologues» (spécialistes du
terrorisme) passent aujourd’hui pour des «islamologues», même s’ils se
nourrissent d’approximations ou de translittérations de termes arabes qui ne
sont que rarement définis. La prolifération des qualificatifs (islamiste,
islamiste modéré, islamiste radical et politique, intégriste,
fondamentaliste…) montre bien la difficulté de cet effort conceptuel de
différenciation.

Les efforts africains de lutte contre le terrorisme


Plusieurs réponses au terrorisme s’observent sur le continent: elles sont
l’œuvre d’États africains qui agissent individuellement ou collectivement
dans le cadre de l’UA et de regroupements régionaux, ou encore de
puissances occidentales. Rappelons que l’engagement de l’Afrique contre le
terrorisme n’est pas nouveau, remontant bien avant les attentats du 11
septembre 2001. En effet, en juillet 1992, l’Organisation de l’unité africaine
(OUA), l’ancêtre de l’UA, adoptait une résolution (AHG/Résolution 213)
dans laquelle elle encourageait la coopération et la coordination entre ses
membres afin de mieux combattre l’extrémisme. En juillet 1999, l’OUA fait
un pas de plus en adoptant la Convention d’Alger sur la prévention et la
lutte contre le terrorisme, une initiative intervenue après les attentats contre
les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, une année plus tôt.
Après les attentats du 11 septembre 2001, une réunion
intergouvernementale de haut niveau des États membres de l’UA adopte
ensuite un plan d’action visant à rendre opérationnels les engagements des
États contre le terrorisme. Depuis, l’UA, à l’aide d’instruments juridiques et
de mécanismes opérationnels, a poursuivi la mise en place d’un régime
africain visant à prévenir et à combattre la menace. Ce faisant,
l’organisation a montré qu’elle pouvait servir de forum pour un consensus
régional et l’émergence de normes communes, le partage d’informations,
d’expertises et d’expériences, ou encore la promotion d’une approche
régionale contre le terrorisme. L’UA a ainsi tenté de dresser une perspective
africaine de lutte contre la menace. Mais y est-elle parvenue?
En matière de coopération contre le terrorisme, l’UA peine encore à
mettre en œuvre une véritable stratégie capable de combattre la menace,
malgré l’existence d’une architecture institutionnelle et de nombreuses
conventions, résolutions et mécanismes contre le terrorisme. Plusieurs
facteurs sous-tendent ses difficultés: la réticence des États à coopérer au
nom de la souveraineté nationale, une absence de volonté politique, un
manque de ressources financières et matérielles, ou encore la
criminalisation de l’appareil d’État dans certains pays. Précisons toutefois
que ces problèmes précèdent la lutte contre le terrorisme telle qu’elle est
menée sur le continent depuis quelques années. L’UA s’appuie sur les
principales communautés économiques régionales (CER) pour gérer les
conflits dans leurs espaces respectifs2. Cependant, cette base s’avère
problématique dans la mesure où les groupes terroristes touchent, dans leurs
actions, plusieurs régions à la fois (Solomon, 2017). Ils s’avèrent être en
avance sur les États dans leur processus d’intégration régionale. La
coopération interrégionale intergouvernementale qui pourrait être la
solution à cette «interrégionalisation» de la menace terroriste n’en est qu’à
ses débuts, comme l’illustrent le Processus de Nouakchott amorcé en 2013
et piloté par l’UA, l’initiative du G5 Sahel et le 1er  Sommet conjoint des
chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO et de la CEEAC, tenu à
Lomé en juillet 2018 (Dieng, 2019).
Parmi les huit CER qui collaborent avec l’UA dans le cadre de
l’Architecture africaine de paix et de sécurité, aucune n’a, à ce jour,
explicitement mené une opération militaire contre un groupe terroriste.
Cinq de ces CER sont chargées de mettre en place des brigades
d’intervention régionale prépositionnées dans le cadre de la Force africaine
en attente, que coordonne l’UA. Cependant, à part le déploiement de la
composante ouest-africaine au Mali pendant six mois environ (janvier- juin
2013) dans le cadre de la Mission internationale de soutien au Mali sous
conduite africaine (MISMA), ces brigades peinent toujours à devenir
opérationnelles dans la lutte contre le terrorisme. Il faut dire que les CER
font face aux mêmes défis que l’UA. Leurs difficultés à combattre le
terrorisme ont favorisé l’émergence de forces ad hoc comme la Force
multinationale mixte (FMM) dans le bassin du lac Tchad et la Force
conjointe du G5 Sahel, censée couvrir une partie du Sahel lorsqu’elle sera
opérationnelle. Ces deux initiatives ainsi que la Mission de l’Union
africaine en Somalie (AMISOM) et l’Initiative de coopération régionale
pour l’élimination de l’ARS (IRC-LRA, selon l’acronyme anglais) sont les
seules forces africaines multilatérales aujourd’hui engagées dans la lutte
contre des groupes terroristes sur le continent.

La coopération internationale
contre le terrorisme en Afrique
Indépendamment du pouvoir d’action de l’UA et des CER, la coopération
avec les autres États (notamment les puissances occidentales) et
organisations régionales et internationales s’avère nécessaire. De plus, pour
des raisons sécuritaires, mais aussi économiques et géostratégiques, le
continent africain se trouve au cœur des guerres internationales contre le
terrorisme. De ce point de vue, il devient impossible de débattre des
réponses à la menace sans tenir compte du rôle des puissances engagées
dans la lutte contre le terrorisme, qui mènent des actions unilatérales et
exercent une grande influence sur les États et les organisations africains.
D’ailleurs, dans le débat sur la lutte contre le terrorisme, la littérature
existante met généralement l’accent sur le rôle des puissances occidentales,
notamment sur la coopération qu’elles mènent avec les acteurs africains. La
coopération engage aussi des organisations multilatérales comme l’ONU et
l’Union européenne (UE).
Cette coopération, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, s’appuie, en
grande partie, sur des programmes de renforcement des capacités, lesquels
reposent principalement sur un programme sécuritaire: assistance militaire
et financière, formation des forces de sécurité, soutien logistique, partage
d’informations, etc. Cette approche est-elle efficace? Après plus d’une
décennie de programmes de lutte contre le terrorisme et de renforcement
des capacités de forces de sécurité africaines par des pays occidentaux, la
menace terroriste ne cesse de gagner du terrain. De plus, certains régimes
politiques profitent de l’importance qu’ils représentent dans le discours et la
coopération contre le terrorisme pour consolider leurs pouvoirs par des
politiques de répression. D’autres sont sollicités alors qu’ils ont les pires
bilans en matière de respect des droits de la personne et des libertés
fondamentales. La coopération contre le terrorisme semble aussi favoriser
la militarisation de l’aide au développement. En effet, les politiques
contemporaines montrent que l’aide au développement ne doit pas
seulement réduire la pauvreté, mais qu’elle doit surtout servir les intérêts de
sécurité nationale des donateurs (Abrahamsen, 2018). C’est aussi ce que
montrent Heinrich, Machain et Oestman (2017) dans leur étude sur l’aide
américaine à 46 États d’Afrique subsaharienne entre 1996 et 2011. Dès lors
qu’un pays africain abrite des groupes terroristes ou subit des attaques,
l’aide américaine augmente de manière substantielle et va essentiellement
au secteur de la sécurité. Enfin, alors que la coopération met en avant le
partenariat, elle se transforme souvent en coopération de substitution
(Emerson, 2014) ou en sous-traitance de la sécurité, les puissances
occidentales imposant en arrière-plan la manière dont elles conçoivent la
lutte contre le terrorisme.

***

Composé de onze chapitres répartis sur quatre axes thématiques, ce livre


présente des réflexions variées sur les enjeux et défis de la lutte contre le
terrorisme en Afrique. Le premier axe porte sur des tentatives de définition
du phénomène et présente quelques études de cas de groupes particuliers
opérant en Afrique. Oufkir (chapitre 1) nous propose un survol intéressant
des tentatives de définition du terrorisme d’un point de vue juridique, mais
aussi des difficultés que pose une définition consensuelle. Dans le deuxième
chapitre, Sangaré et Savané cherchent à comprendre comment, pourquoi et
par qui les activités terroristes sont perpétrées en Afrique en général et au
Mali en particulier, et soulignent le rôle des élites politiques dans
l’instrumentalisation du terrorisme. Au chapitre 3, Souaré trace l’émergence
et l’évolution de l’Armée de résistance du Seigneur, présente les facteurs
explicatifs de sa régionalisation et souligne l’importance des efforts pour
venir à bout du groupe armé.
Le deuxième axe thématique porte sur les grandes puissances et leurs
initiatives antiterroristes en Afrique. Ici, les interventions de la France et
des États-Unis font l’objet de discussions. Appiah (chapitre 4) soutient que
les engagements de Paris et de Washington contre le terrorisme en Afrique
relèvent essentiellement d’intérêts géostratégiques plutôt que d’une réelle
expression de solidarité désintéressée avec les pays africains touchés par la
menace. Dieng (chapitre 5) lui emboîte le pas à certains égards, avec une
focalisation sur la France en Afrique de l’Ouest. Pour l’auteur,
l’engagement de Paris contre le terrorisme dans cette partie de l’Afrique
s’explique par ses liens historiques avec la plupart des pays de la région, y
compris le Nigeria anglophone, mais surtout par ses nombreux intérêts
stratégiques – ceci amenant à un exercice de conceptualisation de la notion
d’«intérêt national».
Le troisième axe met en évidence les efforts africains pour combattre le
terrorisme, tant à l’échelle nationale que régionale ou continentale.
Ammour et Lembe accordent une attention particulière aux actions de
certains États comme l’Algérie et le Tchad (chapitres 6 et 7
respectivement), tandis que Atangana et Talla étudient successivement les
initiatives de regroupements d’États dans le bassin du lac Tchad, y compris
la Force multinationale mixte (FMM) contre Boko Haram (chapitres 8 et 9
respectivement).
Le dernier axe thématique s’intéresse à la question des médias dans la
lutte contre le terrorisme en Afrique. Banyongen et Onguny (chapitres 10 et
11) interrogent les liens entre la communication, les médias de masse et les
représentations du terrorisme en tant que menace pour la sécurité collective.
De manière plus ciblée, Banyongen scrute la communication de Boko
Haram et des pays comme le Cameroun, le Nigeria et le Tchad, alors que
Onguny examine les stratégies de communication qu’a mises en place le
gouvernement kényan pour influencer l’opinion publique sur la capacité de
l’État à combattre le terrorisme et à garantir la sécurité collective.

1. Ce n’est qu’en 2008 que les autorités américaines ont retiré le nom de Mandela de leur liste des
personnes «terroristes» à surveiller (Le Figaro, 2008).
2. Il s’agit des huit CER suivantes: la Communauté économique des États de l’Afrique centrale
(CEEAC), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Autorité
intergouvernementale pour le développement (IGAD, de son acronyme anglais), la Communauté de
développement de l’Afrique australe (SADC), l’Union du Maghreb arabe (UMA), la Communauté
d’Afrique de l’Est (EAC), le Marché commun pour l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la
Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD).
Première partie

Définitions
et approches analytiques
Chapitre 1

Le phénomène du terrorisme
MONTASSIR NICOLAS OUFKIR

Définir un problème éminemment politique comme le terrorisme d’un point


de vue juridique n’est pas une tâche facile. Laqueur (1987) formulait bien
ce problème en disant que même s’il existait une définition objective du
terrorisme qui ne ferait intervenir aucune valeur et engloberait toutes ses
caractéristiques majeures, il y en aurait encore qui la rejetteraient pour des
raisons idéologiques. Ce caractère politique a accentué la concurrence entre
les ordres juridiques nationaux et internationaux et, dans ce sens, la Cour
internationale de Justice (CIJ) l’a confirmé dans son arrêt sur le Personnel
diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran du 24 mai 1980. De ce
fait, toutes les définitions découlant de diverses conventions se heurtaient
aux «résistances nationales», en raison généralement de considérations
politiques.
Le caractère politique est l’élément qui pose le principal obstacle à
l’émergence d’une définition universelle et consensuelle du terrorisme.
Cette démarche de codification sera au point mort pendant des années du
fait de l’opposition entre les Occidentaux et les Soviétiques durant la guerre
froide, que remplacera ensuite le débat entre le Nord et le Sud autour du
principe de l’autodétermination et du phénomène des mouvements de
libération nationale (MLN). Par conséquent, bien qu’il existe plusieurs
traités interdisant précisément des actes généralement associés au
terrorisme, il n’y a pas de définition précise sur laquelle s’appuyer pour
formuler une convention ou un traité antiterroriste indépendant. Il est dès
lors impératif de reconnaître cette réalité tout en continuant les efforts pour
arriver à une définition consensuelle du terrorisme, ou s’y approchant, afin
d’en assurer une répression efficace, soit devant les autorités nationales, soit
devant une autorité internationale.

L’impossible entente sur la définition du terrorisme


Il existe des centaines de définitions du terrorisme dans la littérature
existante. Pour Stern (1999), certaines s’axent sur les auteurs alors que
d’autres mettent l’accent sur les motifs de ceux qui commettent des actes
dits «terroristes». D’autres encore ciblent les techniques employées. Pour
l’instant, la communauté internationale n’a pas réussi à donner une
définition générale du terrorisme. Dans le cadre de l’ONU, les pays ont mis
au point des instruments de prévention et de répression du terrorisme, mais
aujourd’hui encore, ils n’ont pu en établir une définition claire et précise.
Dans un rapport du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la
sécurité (GRIP), Santo affirme que:

l’ONU est la seule organisation internationale pouvant lutter contre le


terrorisme international de manière efficace à une échelle universelle.
Si, au premier abord, les Nations unies ont tenté d’élaborer un
dispositif juridique assez complet, on peut se rendre compte en
l’analysant qu’il est loin de couvrir tous les aspects du terrorisme
international, en commençant par une définition globale du terme
même de terrorisme et d’acte terroriste (Santo, 2001, p. 25).

Face à ces lacunes à l’échelle internationale, les législations nationales et


régionales ont dû, de leur côté, apporter leurs propres définitions et
préconiser des sanctions. C’est le cas des États membres de l’Organisation
de l’unité africaine (OUA), devenue l’Union africaine (UA) en 2002, qui
ont tenté de trouver un consensus à cet égard avec la Convention de l’OUA
sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999. Le problème est
que l’approche adoptée tente d’internationaliser les «infractions terroristes»,
alors que leurs répressions sont soumises aux droits intérieurs.
Pendant de nombreuses années, la communauté internationale avait
concentré ses efforts sur l’interdiction d’actes particuliers considérés
comme «terroristes». Or, les attaques contre les tours jumelles du World
Trade Center à New York, le 11 septembre 2001, ont rappelé, de manière
tragique, que le terrorisme était un problème planétaire qui appelait une
réaction commune. Ce drame a poussé les États à prendre des mesures à
l’intérieur de leurs frontières1. Cette prise de position à l’échelon national a
davantage favorisé l’éclatement de la définition du terrorisme, car souvent,
chaque pays le définissait de son point de vue national.
Avant toute chose, il convient de voir les différents composants qui
entrent généralement dans la définition du terrorisme. Il s’agit entre autres
de l’usage de la violence, donc des techniques qu’emploient les acteurs
concernés, du statut non étatique des acteurs (ou étatique dans le cas du
terrorisme d’État), et du mobile ou de l’objectif conduisant à l’acte en
question. Plusieurs sociologues, juristes et personnalités politiques se sont
penchés sur la question. Ainsi, pour Hoffman (1999, p.  43), on ne peut
définir l’acte terroriste que par la violence: il est «la création délibérée de la
peur, ou son exploitation, par la violence ou la menace de violence, dans le
but d’obtenir un changement politique. Tous les actes terroristes mettent en
jeu la violence ou la menace de la violence». Dans cette même perspective,
Mannoni (2004, p.  58) utilise le vocable de «violence extrême» pour
présenter l’élément matériel de l’acte terroriste:
le terrorisme correspond à l’emploi systématique d’un ensemble de
techniques diverses d’une violence extrême, sans limites et sans lois,
recourant à des moyens à haute valeur symbolique, utilisés par un
groupe (en quête ou en possession du pouvoir politique) comme moyen
de pression sur un autre groupe – ou une société entière. Procédure
d’influence du comportement humain, son mode d’action principal
passe par la manipulation psychologique de ses victimes, à travers la
mise en scène médiatique des attentats qu’il organise comme autant
d’actes ostentatoires dans la perspective précisément de leur
dramatisation par les moyens de communication de masse...

Dans le même sens, Blin (2006a, p.  82) note que l’acte terroriste est «un
acte politique dont le but est de déstabiliser un gouvernement ou un appareil
politique, où les effets psychologiques recherchés sont inversement
proportionnels aux moyens physiques employés et dont la cible principale,
mais non exclusive, est la population civile».
Ces multiples définitions se rejoignent dans leur insistance sur la nature
politique de l’acte ainsi que sur l’intention de son auteur de semer la terreur
dans la société cible. L’intention de l’auteur de l’acte terroriste devient ainsi
essentielle. Par exemple, un acte de violence commis contre un non-
combattant, sans motif politique, n’est qu’une agression et non un acte de
terrorisme. De même, si une personne accusée de terrorisme démontre
qu’elle a agi au titre de combattant œuvrant pour une cause légitime, les
actes qui lui sont reprochés peuvent perdre leur caractère illégal.
Nonobstant ces nombreuses tentatives de définition du «terrorisme» sur un
plan intellectuel, une définition juridique consensuelle du terme demeure
une cible mouvante, notamment en ce qui concerne son application à des
mouvements particuliers. En plus des considérations politiques générales, la
problématique des MLN constitue à elle seule un important point de
divergence entre les différents États membres de l’ONU dans le cadre d’un
projet de codification générale du terrorisme international2.

Les mouvements de libération nationale:


un obstacle à la définition du terrorisme?
L’appellation de «mouvement de libération nationale» ne trouve aucune
définition en droit international. De ce fait, à cause de certaines techniques
qu’il emploie parfois contre un État qu’il estime injuste, un MLN peut être
considéré comme une organisation terroriste par certains États et comme un
groupe légitime organisé en faveur de l’autodétermination d’un peuple par
d’autres États. Cette situation est source de mésentente entre certains pays
membres des Nations unies dans la quête d’un consensus en matière de lutte
antiterroriste. Dans ce contexte, le Haut-Commissariat des Nations unies
aux droits de l’homme (HCDH) dispose que:

si les États membres se sont mis d’accord sur bon nombre des
dispositions du projet de convention générale, des divergences de vues,
à savoir s’il faut ou non exclure les mouvements de libération nationale
du champ d’application de la convention les ont empêchés de parvenir
à un consensus sur l’adoption du texte intégral. Les négociations se
poursuivent. De nombreux États définissent le terrorisme en droit
national en reprenant, à des degrés divers, ces éléments (HCDH, Fiche
d’information no 32, 2009).

Les autorités nationales ont donc le pouvoir de qualifier des groupements de


mouvements terroristes ou non. Cependant, le HCDH (2009) précise que
«malgré l’absence d’une définition internationalement acceptée, il est clair
que ni l’autodétermination ni aucun autre objectif ne justifient les actes de
terrorisme». Les autorités russes, par exemple, avaient clairement qualifié le
problème tchétchène de «troubles intérieurs» et non de «conflits armés»,
alors que d’autres auraient pu percevoir cette crise différemment. Madjid
Benchikh prend l’exemple de la situation du Cachemire pour expliciter le
fait qu’une situation d’autodétermination peut être vue de différentes
manières selon les États. Selon lui, «la lutte pour l’indépendance du
Cachemire apparaît comme une lutte de libération légitime lorsqu’elle est
vue du côté du Pakistan ou de certaines populations musulmanes du
Cachemire [alors qu’elle est perçue par l’Inde et ses soutiens] comme une
manipulation et une intervention étrangère pour déstabiliser un État»
(Benchikh, 2002, p. 70).
L’Assemblée générale des Nations unies (AG) s’est également frottée à
cette problématique et n’a pu que se résoudre à produire des résolutions
dénonçant le terrorisme, tout en reconnaissant le principe
d’autodétermination des peuples. En ce sens, la résolution 64/149 de l’AG
sur la Réalisation universelle du droit des peuples à l’autodétermination

réaffirme l’importance, pour la garantie et le respect effectifs des droits


de l’homme, de la réalisation universelle du droit des peuples à
disposer d’eux-mêmes, consacré par la Charte des Nations unies et
énoncé dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme,
ainsi que dans la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux, figurant dans sa résolution 1514 (XV) du 14
décembre 1960 (ONU-AG, 2009).

Cependant, bon nombre d’États contestent également la distinction entre les


MLN et les mouvements terroristes. Israël, par exemple, s’oppose depuis
longtemps à cette distinction, y voyant un risque de reconnaître «un
terrorisme permis» et un «terrorisme interdit», en faisant allusion aux
mouvements armés palestiniens qui le combattent. Or, la Charte des Nations
unies consacre le principe de l’égalité des droits des peuples, dans son
article 1 paragraphe 2, en en faisant l’un des buts fondamentaux de
l’Organisation. Ce débat autour de la question de l’autodétermination est
aussi souvent volontairement «camouflé» par des questions relatives aux
droits de la personne. Ainsi, la situation en ex-Yougoslavie dans les années
1990 a illustré cet amalgame, «l’épuration ethnique» par l’État serbe des
populations bosniaques et kosovares redirigeant les projecteurs sur les
rapports entre la question de l’autodétermination et celle des droits de la
personne. La répression des actes de purification ethnique est, à la fois, un
droit des peuples victimes de ces actes et un principe général des
instruments internationaux des droits de la personne. En présence de ces
deux droits, l’ONU se réfère plus aux droits de la personne pour légitimer
ses décisions qu’au droit des peuples.
C’est ainsi que la notion de MLN et les différentes perceptions les
concernant constituent un autre facteur rendant difficile encore une
définition consensuelle du terrorisme. En outre, l’opinion publique, souvent
sous l’influence des instrumentalisations politiques populistes, a tendance à
considérer les actes de meurtre et les menaces comme des éléments
constitutifs du terrorisme, alors même que tous ces actes ne peuvent y être
associés. De ce fait, il est difficile de faire la distinction entre criminalité
organisée et terrorisme, car dans les deux cas, les méthodes sont souvent
semblables, mais la distinction peut s’établir dans certains des éléments
constitutifs que révèlent les définitions citées, notamment le motif et la
nature politique de l’acte.
L’étude des résolutions de l’AG de l’ONU montre qu’il y a une volonté
d’exclure les MLN de l’application des conventions internationales sur le
terrorisme. La résolution 40/61 du 9 décembre 1985 illustre cette position,
puisqu’elle réaffirme «le droit inaliénable à l’autodétermination et à
l’indépendance de tous les peuples soumis à des régimes coloniaux, racistes
et d’autres formes de domination étrangère». Dès lors, cette résolution ne
permet pas d’assimiler les actes des MLN aux actes terroristes. Il est donc
primordial, d’une part, de trouver une définition générale du terrorisme et,
d’autre part, d’y reconnaître le bien-fondé des MLN tout en explicitant les
conditions qui distingueront leurs actions des actes terroristes.
En ce qui a trait à l’Organisation de l’unité africaine, l’étude de l’article 3
de la Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme
de 1999 montre une réelle volonté d’exclure les MLN de l’application de
ses dispositions en stipulant que:

sans préjudice des dispositions de l’Article premier de la présente


Convention, la lutte menée par les peuples en conformité avec les
principes du droit international, pour la libération ou leur
autodétermination, y compris la lutte armée contre le colonialisme,
l’occupation, l’agression et la domination par des forces étrangères, ne
sont pas considérées comme des actes terroristes (OUA, 1999).

On relève ici l’originalité de cette convention qui, contrairement aux


différentes résolutions des Nations unies citées, distingue en quelque sorte
les actes des MLN des actes terroristes.

L’Organisation des Nations unies


et la définition du terrorisme
Depuis le milieu des années 1990, la machine onusienne s’est emballée
dans le domaine de la lutte contre le terrorisme international, et la définition
du terrorisme devient une des préoccupations de l’Organisation. Cette
impulsion s’affiche dans certaines résolutions, notamment la résolution
49/60 de l’AG de 1994 ou encore sa résolution 51/210 de 1996. De cette
dernière découle la création d’un comité spécial chargé de préparer des
projets de convention sur le terrorisme international. Cet élan codificateur
va s’accentuer à la suite des attentats du 11 septembre 2001, notamment
avec la résolution 1373 adoptée par le Conseil de sécurité (CS) le 28
septembre 2001. À ce jour, le but n’est pas encore atteint, mais les travaux
se poursuivent. Néanmoins, il est intéressant de voir, au travers de
quelques-unes de ses résolutions, une logique codificatrice qui offre des
éléments de réponse. Par exemple, l’article 2 paragraphe 1 de la Convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999
dispose que:
Commet une infraction au sens de la présente Convention toute
personne qui, par quelque moyen que ce soit, directement ou
indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds
dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés,
en tout ou partie, en vue de commettre: (a) Un acte qui constitue une
infraction au regard et selon la définition de l’un des traités énumérés
en annexe; (b) Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un
civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux
hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou
son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre
un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à
s’abstenir d’accomplir un acte quelconque.

Les efforts du Conseil de sécurité


L’apport du CS de l’ONU en matière de lutte contre le terrorisme réside
principalement dans quatre résolutions. Il s’agit des résolutions 1269 du 19
octobre 1999, 1368 du 12 septembre 2001, 1373 du 28 septembre 2001, et
1377 du 12 novembre 2001. Ces résolutions sont cruciales, d’une part, car
elles font tomber le terrorisme international dans le champ du chapitre VII
de la Charte des Nations unies et, d’autre part, parce qu’elles cernent cette
notion de terrorisme et ses conséquences.
Le 12 octobre 1999, le CS adopte la résolution 1269 et fait de la
coopération dans la lutte contre le terrorisme un de ses objectifs majeurs.
Dans cette résolution, le CS condamne notamment «tous les actes, ainsi que
toutes les méthodes et pratiques de terrorisme, qu’il juge criminels et
injustifiables, quels qu’en soient les motifs, sous toutes leurs formes, et
manifestations, où qu’ils soient commis et quels qu’en soient les auteurs, en
particulier ceux qui risquent de porter atteinte à la paix et à la sécurité
internationales» (ONU-CS, 1999). Dans cette résolution et la tentative de
qualification ou de définition du terrorisme qui y figure, le CS vise tous les
auteurs et toutes les formes de terrorisme. La répression du terrorisme est
aussi placée sous l’emprise du chapitre VII de la Charte de l’ONU, lequel
chapitre relève directement de la compétence du CS.
La deuxième grande résolution du CS est née au lendemain des attentats
du 11 septembre 2001 à New York. Il s’agit de la résolution 1368. Au-delà
du contexte de son adoption, cette résolution vient affiner la notion de
terrorisme en droit international. Outre le fait qu’elle reconnaît «le droit
inhérent à la légitime défense individuelle ou collective conformément à la
Charte», elle considère également que «les attaques terroristes qui ont eu
lieu le 11 septembre 2001 […] comme tout acte de terrorisme international
[sont] une menace à la paix et à la sécurité internationales».
La résolution 1368 dépasse les objectifs de la résolution 1269 en
affirmant que tous les actes de terrorisme international relèvent du chapitre
VII et de la responsabilité principale du CS. Cette position est d’ailleurs
confirmée dans les résolutions 1373 du 28 septembre 2001 et 1377 du 12
novembre 2001. Dans cette dernière, le CS «réaffirme sa condamnation
catégorique de tous les actes ainsi que de toutes les méthodes et pratiques
de terrorisme, qu’il juge criminels et injustifiables, quels qu’en soient les
motifs, sous toutes leurs formes, et manifestations, où qu’ils soient commis
et quels qu’en soient les auteurs». Cette constance rend difficile l’exclusion,
dans une définition générale du terrorisme, de certains motifs, objectifs ou
auteurs du champ de la définition.

Les efforts de l’Assemblée générale des Nations unies


Même si l’on considère les résolutions de l’AG comme relevant d’une «soft
law3 n’ayant pas de valeur contraignante» (Weil, 1996), leur contenu revêt
un intérêt capital pour la définition du concept de terrorisme international.
La résolution 49/60 du 9 décembre 1994 constitue une étape importante,
avec en annexe la Déclaration sur les mesures visant à éliminer le
terrorisme international, qui comporte des éléments intéressants quant à la
définition du terrorisme international. Elle évoque notamment les actes de
terrorisme dans lesquels des «États sont directement ou indirectement
impliqués».
Pour l’AG, les États ne sont donc pas exclus du domaine terroriste: la
définition du terrorisme ne saurait se fonder sur la qualité étatique ou non
étatique de l’auteur. Dans tous les cas, le terrorisme relève du chapitre I de
la Charte, puisqu’il est considéré comme «une violation grave des buts et
principes de l’ONU». Il peut aussi relever du chapitre VII, du fait qu’on
considère certains actes terroristes comme une «menace à la paix et à la
sécurité internationales». Le troisième paragraphe de cette déclaration
donne d’autres éléments de définition du terrorisme international. Il s’agit
d’actes «criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour
provoquer la terreur dans le public, un groupe de personnes ou chez des
particuliers […] quels que soient les motifs de nature politique,
philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on
puisse invoquer pour les justifier». L’AG dégage donc deux éléments
indispensables pour qualifier un acte de terroriste: «la terreur qu’il inspire»
et «les motivations politiques des auteurs». Plus loin, la même déclaration
pré-cise que «tous les actes terroristes sont injustifiables, quels que soient
les motifs»: aucune cause ne peut donc justifier le recours au terrorisme.
En 1996, l’AG adopte la résolution 51/210 qui réaffirme les principes
énoncés dans la résolution 49/60 et demande aux États de renforcer la lutte
contre le terrorisme. De même, cette résolution crée un comité spécial
appelé à élaborer un projet de convention générale sur le terrorisme
international, lequel sera déposé devant la Sixième Commission de l’AG en
2006 et porte sur certains aspects particuliers du phénomène du terrorisme,
notamment sur sa difficile définition. Ainsi, est considéré comme terroriste
celui qui:

commet un acte entraînant la mort de quiconque ou des blessures


graves à quiconque, ou; d’importants dommages à un bien public ou
privé, notamment un lieu public, une installation d’État ou publique, un
système de transport public, une infrastructure ou l’environnement, ou;
des dommages aux biens, lieux, installations ou systèmes […] qui
entraînent ou risquent d’entraîner des pertes économiques
considérables, lorsque le comportement incriminé, par sa nature ou son
contexte, a pour but d’intimider une population ou de contraindre un
gouvernement ou une organisation internationale à faire ou à ne pas
faire quelque chose (ONU-AG, 1996).

On remarque ici la spécificité de cette définition qui essaie d’inclure dans


les champs du terrorisme des atteintes graves à l’économie de l’État et à
l’environnement.
En l’absence d’une définition consensuelle du terrorisme au sein de
l’ONU, l’OUA a tenté de définir l’acte terroriste dans sa Convention de
1999, en vue de dégager un consensus à l’échelle du continent africain.
L’Organisation de l’unité africaine
et la définition du terrorisme
Depuis la création de l’OUA en 1963, le phénomène du terrorisme en
Afrique a pris une dimension internationale qui lui a valu d’être au cœur des
préoccupations des États membres de l’OUA, devenue l’UA en 2002. Ainsi,
lors du 30e Sommet de l’UA en janvier 2018 à Addis-Abeba, la question du
terrorisme au Sahel a constitué l’un des principaux enjeux de la réunion des
chefs d’État et de gouvernement de l’Union. D’un point de vue juridique,
l’UA se réfère encore aujourd’hui à la définition du terrorisme qu’a établie
la Convention adoptée en juillet 1999 lors du 35e  Sommet de l’OUA à
Alger. Cette convention tente de définir l’acte terroriste dans son article
premier comme:

tout acte ou menace d’acte en violation des lois pénales de l’État Partie
susceptible de mettre en danger la vie, l’intégrité physique, les libertés
d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui occasionne ou peut
occasionner des dommages aux biens privés ou publics, aux ressources
naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel dans le but
d’intimider, provoquer une situation de terreur…

L’analyse des dispositions de cette convention nous amène à établir que


l’article premier essaie de dresser les éléments constitutifs de l’acte
terroriste dans sa forme universelle, tandis que l’article 3, cité dans la partie
traitant des MLN, souligne la particularité africaine en soulevant la question
de l’irresponsabilité pénale en matière de terrorisme lorsqu’il est question
d’une lutte armée contre le colonialisme, l’occupation ou la domination par
des forces étrangères, ainsi que celle de la déconsidération des dimensions
raciale et religieuse pour légitimer une «action terroriste» quelconque.
L’utilité ultime d’une telle convention est qu’elle aide à la compréhension
de ce que recouvre le «terrorisme» dans un acte panafricain, dans le but
d’éviter les complexités associées aux diverses interprétations internes à
chacun des systèmes juridiques nationaux des États parties ayant signé et
ratifié cette convention, tout en tenant compte de la spécificité
socioculturelle des peuples d’Afrique.

***

Le terrorisme représente aujourd’hui l’une des menaces les plus graves qui
soient en matière de sécurité. Il est donc légitime que ce phénomène
requière l’attention de la communauté internationale et que les Nations
unies se concertent pour coordonner la réponse des États membres. C’est
dans cette optique qu’une définition universelle et consensuelle du
«terrorisme» semble nécessaire. Certains gouvernements saisissent le vide
juridique pour exercer leur pression sur tout individu ou groupe pouvant
nuire à leurs intérêts politiques à l’échelle nationale et internationale. Les
efforts doivent donc se poursuivre pour trouver, dans un avenir proche, une
définition consensuelle. Mais devant les obstacles politiques, l’on est
contraint de se contenter des définitions pouvant faire consensus dans une
région particulière. De ce fait, la définition que propose l’OUA apparaît la
plus consensuelle à l’échelle du continent. En effet, contrairement à la
définition qu’en a donnée l’ONU, elle établit au mieux les éléments
constitutifs d’un acte terroriste, la notion d’un individu terroriste ou d’un
groupe terroriste et du financement du terrorisme, tout en excluant les
MLN.

1. Les États-Unis, par exemple, ont adopté le Patriot Act (2001). Au Canada, ce fut la Loi
antiterroriste de 2015 et en Grande-Bretagne, le Terrorism Act de 2006.
2. Texte du projet de convention générale sur le terrorisme international A/C.6/65/L.10.
3. Le terme de «soft law» renvoie au contenu matériel de la norme. On parlera de «soft law» en
présence d’une règle dont le contenu normatif est faible ou peu contraignant. La valeur normative des
résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies est plus importante que celles du CS à cause
de son caractère démocratique. Par contre, elles sont peu contraignantes à cause de la structure
quelque peu oligarchique de l’ONU.
Chapitre 2

Rébellion armée, groupes terroristes


et élites politiques dans le nord du Mali
FASSORY SANGARÉ ET LAMINE SAVANÉ

Depuis un demi-siècle, une série de conflits armés intérieurs secoue la


région ouest-africaine. Spécialement, le Mali fait face depuis 2012 à une
série de conflits impliquant des acteurs aux objectifs divers. Le Mouvement
national de libération de l’Azawad (MNLA), groupe indépendantiste1 à
l’origine de la guerre, a noué des ententes avec des organisations terroristes2
qui ont fini par l’évincer des territoires du nord du Mali. Le Mali
indépendant a connu différentes vagues de rébellions armées. La première
s’est manifestée en 1963 juste après l’indépendance. Il y en a eu d’autres en
1990, 2006 et 2012. Aujourd’hui, il est établi que quelques descendants des
anciens combattants armés jouent un rôle clé dans l’animation des récents
mouvements indépendantistes (Barbet, 2016). La principale raison
qu’évoquent les auteurs de ces rébellions est «l’abandon par l’État malien»
de la zone septentrionale du pays et de ses trois grandes régions (Gao,
Tombouctou et Kidal), ainsi que le «non-respect» des précédents accords
signés entre les gouvernements maliens et les mouvements rebelles (1991,
1996, 2006).
La reproduction des élites politiques sera ici notre angle d’analyse,
puisque ce sont les chefs des précédentes rébellions touareg qui animent les
principaux groupes armés (pro- ou anti-gouvernement malien). Ce travail
s’intéresse donc aux propriétés sociales des dirigeants politiques de ces
divers mouvements (indépendantistes et groupes terroristes): origine sociale
ou familiale, socialisation, capital culturel ou profession, etc. (Genieys,
2011). L’enjeu politique dans le nord du Mali en est un enjeu de domination
sociale du fait de la très forte hiérarchisation de la société touareg, dont sont
issus la majorité des combattants de ces mouvements. Autrement dit, les
appartenances statutaires à la hiérarchisation verticale traditionnelle sont
très ancrées dans les représentations des élites touareg maliennes, surtout
celles que l’ordre politique traditionnel favorise.
L’étude des élites africaines constitue une dimension nécessaire et
incontournable des processus de stratification politique, économique et
sociale qu’il faut penser simultanément, puisqu’elles se trouvent au cœur de
la dynamique de la formation de l’État (Tessy, 1990). En Afrique, le champ
politique n’est pas «autonome et doit sans cesse être appréhendé en rapport
avec des dimensions communautaires, sociales, économiques, étroitement
imbriquées» (Chabal et Daloz, 1999, p.  5). Pour appréhender la crise qui
sévit depuis 2012 au Mali, certaines interrogations s’imposent. Le statut
social au sein de la société traditionnelle détermine-t-il les postures des
élites politiques et militaires touareg par rapport à la rébellion? Y a-t-il une
continuité historique entre les différentes rébellions? Qui sont les
principales élites politiques rebelles et quelles sont leurs propriétés
sociales? Ce chapitre tente de répondre à ces questions en s’appuyant sur le
croisement de données biographiques sur les élites politiques et militaires
de la rébellion3, ainsi que sur des données empiriques recueillies au cours
de nos enquêtes de terrain auprès des élites politiques nationales maliennes
(ministres et députés) à Bamako à partir de 2007.
Si la mobilisation de facteurs exogènes est indéniable dans cette crise
devenue sous-régionale et même internationale, ce conflit est d’abord la
crise d’un «entre-soi élitaire touareg». En effet, contre l’idée reçue d’un
monolithisme touareg, cette étude montre la diversité des communautés
touareg, leurs relations antagonistes ainsi que leur rapport difficile à l’État
central. La stratification sociale touareg engendre des représentations
différentes entre les diverses communautés en fonction du statut social
occupé et du type de relations nouées avec l’État4.

Un bref rappel de la théorie des élites


La théorie des élites remonte au début du XXe  siècle et a plusieurs pères
fondateurs: Michels (1914), Pareto (1917), Mosca (1939). La thèse centrale
est que, dans les sociétés, c’est toujours une minorité qui dirige, détenant les
leviers du pouvoir indépendamment de la nature du régime politique.
Mosca (1939, p. 605-606) affirme que:

dans toutes les sociétés […], deux classes d’hommes apparaissent, une
classe qui dirige et une classe qui est dirigée. La première classe,
toujours la moins nombreuse, remplit toutes les fonctions politiques,
monopolise le pouvoir et profite des avantages qu’il procure, alors que
la deuxième, la plus nombreuse, est dirigée et commandée par la
première, de manière plus ou moins légale, plus ou moins arbitraire ou
violente, et lui fournit, au moins les moyens matériels de subsistance et
tout ce qui est nécessaire à la vie d’un organisme politique.

Certes, l’oligarchie demeure la clé de voûte de tous les gouvernements.


Cependant, l’élite ne se réduit pas aux dirigeants politiques au pouvoir.
Selon Pareto (1917, p. 15), adepte de la «supériorité naturelle», l’élite d’une
société renvoie à «ceux qui possèdent les indices les plus élevés dans la
branche où ils déploient leurs activités» et se divise en deux: l’élite
gouvernementale, d’une part, et l’élite non gouvernementale, d’autre part.
En analysant les transformations de la classe politique française, Birnbaum
(1977) considère comme des «élites» les individus au sommet de l’État, le
personnel politique classique et professionnel, mais aussi les hauts
fonctionnaires. Au singulier comme au pluriel, ce concept peut aussi
désigner, de manière générale, tous ceux qu’on estime meilleurs dans leurs
secteurs d’activités. Busino (1992, p. 4) se situe dans cette optique lorsqu’il
affirme que «le mot “élites” qualifie tous ceux qui composent un groupe
minoritaire occupant la place supérieure dans la société et s’arrogeant le
droit de régler les affaires communes du fait de leur naissance, de leurs
mérites, de leur culture ou de leur richesse». Dans cette perspective, il y
aurait plusieurs types d’élite en raison de la diversité des secteurs d’activité
dans la société. Ainsi parle-t-on d’élites intellectuelles, économiques,
religieuses, militaires, politiques, etc. C’est aussi ce que dit Aron (1954,
p.  469-483) pour qui l’élite désigne «l’ensemble de ceux qui, dans les
diverses activités, se sont élevés en haut de la hiérarchie et occupent des
positions privilégiées que consacre l’importance soit des revenus, soit du
prestige». Ces différentes interprétations finissent par désigner élites «les
groupes fonctionnels, qui pour quelque motif que ce soit, occupent un rang
social élevé» (Bottomore, 1964, p. 16).
Par ailleurs, les théoriciens de la sociologie politique s’accordent sur la
complexité du concept d’«élite» et de son caractère péjoratif. En effet, les
mots «élite», «élitiste», «élitaire» demeurent «autant de mots chargés de
connotations négatives, voire dépréciatives, car ils désignent des systèmes
sociaux qui favorisent certains individus aux dépens du plus grand nombre,
assurent des privilèges à une minorité, à un petit groupe dont certains
attributs particuliers sont valorisés arbitrairement» (Busino, 1992, p. 4). On
appréhende aussi le terme dans son rapport à la bureaucratisation ou au
pouvoir d’influence. Pour Michels (1914), il y aurait un lien entre
bureaucratisation et élitisme, puisque toute organisation qui s’agrandit et se
bureaucratise évolue vers «l’élitisme» et, par conséquent, devient
oligarchique. Concernant le pouvoir d’influence, Higley (2010, p. 161-176)
définit les élites «comme des personnes qui, en raison de leur emplacement
stratégique au sein d’organisations et de mouvements importants, peuvent
influer sur les résultats politiques de manière régulière et substantielle». La
plupart des définitions de la notion d’«élite», articulées autour de critères
plus ou moins relatifs à leurs contextes empiriques, renvoient à une réalité
plus souvent étudiée dans les sociétés occidentales. Les publications sur la
sociologie politique africaine consacrées aux changements sociaux ou de
régimes sont aussi marquées par le terme «élite». Si l’idéologie
oligarchique du pouvoir qui donne à une minorité le pouvoir de conduire les
affaires publiques de la majorité est parfaitement perceptible dans le cas de
l’organisation politique des pays africains, il faut, cependant, d’autres outils
d’analyse plus opérationnels empiriquement.

Une sociologie politique des élites en Afrique


Pendant longtemps, la science politique en Afrique a privilégié comme
champ d’études les institutions, les types de régimes, les sociétés civiles, les
organisations partisanes, ou encore l’État. Les théories sur les élites
africaines s’imprègnent des «théories des élites» élaborées en Europe, sinon
les miment. Certes, il y a des similitudes, mais aussi beaucoup d’autres
paramètres à prendre en considération. L’importation des théories élitistes
occidentales en Afrique doit donc se faire avec beaucoup de précautions,
puisque les contextes historiques, sociopolitiques et socioéconomiques
diffèrent, et même changent au sein du continent africain, et d’un pays à
l’autre. Pour appréhender la question des élites dans toute son essence, il
faudra donc prendre en compte l’histoire politique des États africains et leur
situation réelle: sous-développement, dépendance, corruption,
patrimonialisme.
À partir des années 1980, des approches «africanistes», relayées par la
revue Politique africaine, commencent à privilégier la «politique vers le
bas» avec l’analyse de la société civile africaine face à des élites jugées
omnipuissantes avec la concentration des pouvoirs de l’État (Bayart, 1983).
Dans un tel contexte, il devient essentiel de repérer les modes d’action qui
échappent au contrôle autoritaire, avec l’émergence des «objets politiques
non identifiés» (OPNI) ou des «modes populaires d’action politique»
(MPAP) (Bayart, Mbembe et Toulabor, 1992). Tessy (1990, p.  5-6) met
cependant en garde contre «l’excessivité de certains auteurs» qui pensent
que «la “vérité” se trouve du côté de “la société civile” et des “modes
populaires d’actions politiques” et que rien qui de ce qui se passe en “haut”
n’est significatif». Pour lui, contrairement à une idée répandue, «le “haut”
est loin d’être bien connu dans toutes ses dimensions, ses caractéristiques et
ses structures».
La question de l’élite politique au sein des sociétés africaines est
complexe. Dans son analyse, Tessy (1990) retient trois critères
fondamentaux: la position institutionnelle, le pouvoir décisionnel et la
réputation. Ces critères sont défendables à plusieurs points de vue. Dans
bien des pays, la position institutionnelle confère une certaine légitimité,
sans oublier que la capacité d’influencer les décisions politiques permet
d’acquérir une réputation politique. Pour autant, ces conditions sont-elles
suffisantes pour appréhender la complexité de l’élite politique dans les
sociétés africaines? Il existe en Afrique une «pluralité d’élites» au sens
«parétien» du terme5. Ce serait réducteur de «raisonner uniquement en
termes de positions formelles», puisqu’il «existe un grand nombre d’élites
qui se sont enrichies grâce à leur proximité du pouvoir et se sont constitué
une base économique importante sans revendiquer une position politique
formelle» (Médard, 1992, p.  182). Pour définir l’élite, les positions
institutionnelles (étatiques) ne suffisent donc pas. Certains chefs ayant
d’autres positions peuvent avoir une influence sur la décision politique ou
sur l’électorat d’une localité donnée. Au Mali, ce sont les élites
traditionnelles touareg examinées, mais aussi les familles de notables ou les
descendants de familles ayant occupé de grandes responsabilités dans les
différents empires ou royaumes précoloniaux. Le débat sur les élites doit
tenir compte de ces types d’acteurs, ainsi que du double passé précolonial et
colonial – source de légitimité de certaines élites contemporaines. L’élite
traditionnelle diffère de l’élite moderne en ce sens que les chefs et les
dirigeants traditionnels le sont dans leur région ou leur localité d’origine.
Certains individus font partie de l’élite moderne ou nationale, seulement
«parce qu’ils sont des membres de leur propre élite locale ou régionale»
(Tessy, 1990, p. 28).

De l’offensive des terroristes à l’opération Serval au Mali


Le 22 mars 2012, à six semaines des échéances électorales (présidentielle et
législative) au Mali, le président Amadou Toumani Touré est renversé par
un coup d’État militaire. Le motif avancé par les putschistes était le manque
de moyens de l’armée nationale pour défendre l’intégrité du territoire ainsi
que l’incompétence du régime à gérer la crise au nord, face à l’avancée des
indépendantistes touaregs du MNLA et de groupes terroristes, tels que
Ansar Dine («les partisans de la foi») dirigé par Iyad Ag Ghali6 et le
Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) –
organisations reliées au mouvement terroriste Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI). Le putsch favorise l’occupation des trois régions du
nord du Mali (Gao, Kidal et Tombouctou), soit les deux tiers du pays, par
ces différents groupes, avant que le MNLA ne soit évincé par les
organisations terroristes. Ces dernières ont ensuite décidé de descendre vers
Konna, le trou de serrure de la porte qu’est Mopti vers le sud dont Sévaré
demeure le verrou (Touchard, 2013). Le rôle central qu’ont joué Iyad Ag
Ghali et les responsables d’AQMI dans cette initiative, favorisée par la
fragilité de l’armée malienne et la perspective d’une intervention militaire
inéluctable de la Communauté économique des États de l’Afrique de
l’Ouest (CEDEAO), ne fait l’ombre d’aucun doute (ICG, 2013). La France
et ses alliés comme le Tchad sont intervenus militairement pour combattre
les groupes terroristes et reprendre la presque totalité des villes du Nord-
Mali à l’exception de Kidal. Cette situation va donner lieu à toutes sortes de
spéculations, d’autant plus que la ville a été l’épicentre de toutes les
rébellions depuis l’indépendance du pays.

Les mouvements à l’origine de la crise


La population touareg compterait, selon les estimations de l’UNESCO
(Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture),
un à trois millions d’individus regroupés en huit confédérations et répartis
dans six pays de l’espace sahélo-saharien (Algérie, Burkina Faso, Libye,
Mali, Mauritanie et Niger) (Barbet, 2016). Environ 25% d’entre eux se
trouvent dans trois régions administratives du Mali: les Kel Tademekkat
dans la région de Tombouctou, les Kel Ataram à Gao, et les Kel Adrar à
Kidal. Néanmoins, même si la majorité des Touaregs se trouvent dans les
localités de Kidal et Tessalit à l’extrême nord-est du pays, ils ne
représentent qu’une minorité (Barbet, 2016). Précisons aussi que les régions
nord du Mali n’abritent pas que des Touaregs. Ceux-ci doivent cohabiter
avec d’autres populations, composées, par exemple, de Songhaïs ou
Sonrhaïs qui sont majoritaires dans la région de Gao, de Peuls du Macina,
de Bozos dans la ville de Djenné. La cohabitation entre ces diverses
communautés n’a pas toujours été facile. La méfiance est encore grande
entre le sud et le nord du Mali, où les représentations collectives héritées de
la traite négrière arabe accentuent les stéréotypes des uns envers les autres.
Notons que de nombreux Touaregs ont la peau noire, et que certains
individus d’origine arabe comme les Maures, les Bérabiches et les Kountas,
qui sont essentiellement des pasteurs nomades, des commerçants ou des
guides religieux, ont la peau blanche. La société touareg est donc loin d’être
monolithique. C’est aussi une société lignagère traditionnelle, fortement
stratifiée selon plusieurs castes ou classes sociales. Elle est constituée de
tribus (tiwsaten) et de groupements politiques (confédérations) à la tête
desquels on retrouve les grandes familles nobles, comme les Ifoghas7,
communauté dominante des Kel Adrar dans la région de Kidal. Dans
l’organisation pyramidale sociale touareg, le haut de la noblesse est occupé
par l’Aménokal8. C’est un conseil de sages qui le désigne et sa fonction
cardinale est la cohésion entre les différentes tribus. Ensuite viennent les
Imageren ou Imochar, nobles aussi et membres de «l’aristocratie guerrière».
C’est cette aristocratie qui détient en réalité les leviers du pouvoir dans la
société touareg. En ce sens, elle disposait du pouvoir de juger et de
sanctionner; un droit que certains considèrent toutefois posséder encore,
sans hésiter à s’en servir contre les membres des classes perçues comme
inférieures ou contre des prisonniers pris pendant les rébellions. À la
troisième strate se trouvent les Ineslemen, la classe maraboutique ou
religieuse, à qui sont confiées la religion et l’éducation (Bernus, 1990), et
les Imghad ou Imrad qui sont des vassaux libres et guerriers, mais
tributaires des Imageren ou Imochar. Au bas de l’échelle pyramidale se
trouvent les Enaden (gens de la forge) et les Iklan (esclaves) (Bernus, 1990;
Bourgeot, 1995; Boilley, 2012). Ces «esclaves» sont aussi dénommés Bellas
(pour ceux d’entre eux qui sont d’origine songhaï) et Bouzous (pour ceux
d’entre eux qui sont Haoussa), en charge des travaux champêtres,
domestiques et de l’élevage. Cet esclavage, même s’il est nié, notamment
par les Touaregs, se pratique encore dans le nord du Mali. Pour Barbet
(2016), la pratique touche essentiellement les populations peul, songhaï et
soninké, soit la population autochtone sahélo-saharienne, auxquelles
s’ajoutent les Soudanais razziés.
La société touareg est traversée par des querelles et des antagonismes
claniques entre les différentes tribus, et cela, depuis plusieurs générations.
À y regarder de près, l’on constate que ces clivages sociaux peuvent se
muer en clivages politiques, comme c’est le cas pour la question de
l’indépendance du Nord-Mali. Précisons que seule une poignée de Touaregs
se rebellent (Barbet, 2016). À titre illustratif, la plateforme ou milice
progouvernementale est dirigée par le général El Hadj Ag Gamou, un
militaire touareg9 resté fidèle aux forces gouvernementales maliennes et
opposé à l’indépendance du Nord. On peut aussi donner l’exemple d’un
autre dirigeant, Assarid Ag Imbarcawane, ancien 2e  vice-président de
l’Assemblée nationale malienne, pour qui la partition du Mali est
inacceptable.

Une sociographie des élites politiques et militaires touareg


Au Mali, les Touaregs partagent beaucoup de points communs, mais on ne
peut pour autant les couler «dans un même moule» (Bernus, 1992). Sans
faire une «historicité» exhaustive, signalons quelques dissensions
historiques ayant eu lieu entre tribus. Charles Grémont (2005) rappelle
quelques clivages en lien avec l’occupation des sols, notamment parce qu’il
faut trouver des pâturages pour exercer l’élevage. Par exemple, entre les
XVIIe et XIXe siècles, il y a eu plusieurs dissensions entre Kel Tademekkat et
Kel Ataram (Iwlliminden), puis entre Kel Adrar (Ifoghas) et Kel Ataram,
les premiers contraignant les seconds à quitter le massif de l’Adrar des
Ifoghas. Ces oppositions qui existaient bien avant la colonisation seront
instrumentalisées par l’administration coloniale pour bouleverser le système
féodal touareg. Le but était d’«anéantir le pouvoir politique des aristocrates
et les capacités économiques des Touaregs libres “aristocrates et
tributaires”», en consolidant «l’influence des “tribus” maraboutiques en leur
fournissant un moyen de jouer un rôle politique et militaire» (Bourgeot,
1995).
Si au moment de l’indépendance les rivalités s’étaient plus ou moins
estompées, du moins pour ce qui est des choix partisans, elles reviennent
lors de la première rébellion de 1963, et avec beaucoup plus d’acuité à
partir des années 1990 du fait du multipartisme. Amidou Mariko (2001)
constate que le multipartisme a pour effet d’accentuer les rivalités et les
divisions entre tribus au Mali: les Kel Ataram souhaitaient se ranger du côté
du pouvoir pendant que les Kel Adrar faisaient le choix de l’Alliance pour
la démocratie au Mali (ADEMA), à laquelle se joindront les Kel Essouk
(tribu maraboutique) et certains Bellas. Les Imghad, de leur côté, étaient
avec le Congrès national d’initiative démocratique (CNID) (Mariko, 2001).
De plus, l’éloignement des familles et des tribus dans la vaste zone
désertique du Mali (Gao, Tombouctou et Kidal) rend laborieuses les
rencontres pouvant aboutir à des choix politiques communs. En outre, les
Kel Ataram et les Imghad s’opposent à la scission du Mali et sont restés
loyaux à l’État malien (Bojan Ag Hamatou10, Assarid Ag Imbarcawane,
général El Hadj Ag Gamou), tandis que d’autres Touaregs envisagent
l’indépendance du Nord-Mali (Boilley, 1994). Mais même parmi les
dirigeants politiques et militaires des différentes rébellions, parler d’unité
relèverait d’un euphémisme.
Lorsque la première rébellion éclate en 1963, il n’existe qu’un seul
mouvement: le Mouvement touareg de libération de l’Adagh et de la boucle
du Niger. Mais celui-ci n’a pas de réelle influence et n’attire qu’une frange
de la population touareg de la région de Kidal. C’est à la fin des années
1980 qu’on assistera à la structuration de l’organisation politique avec
l’émergence du Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA).
Ce mouvement, créé en 1988 par Iyad Ag Ghali, un Irayakan de la grande
famille des Ifoghas appartenant à la tribu des Kel Adrar, est en partie
confiné à la région de Kidal. C’est en Libye que son chef se forme au
maniement des armes au début des années 1980, en intégrant la Légion
islamique du colonel Kadhafi alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années.
Il y fait la connaissance d’El Hadj Ag Gamou. Dans la Légion islamique,
Iyad Ag Ghali ne tarde pas à se faire un nom, envoyé au Liban pour
combattre les organisations chrétiennes, puis au Tchad (Touchard, Ahmed et
Ouazani, 2012). À la suite de la dissolution de la Légion islamique par
Kadhafi, Iyad Ag Ghali se met à la défense de la cause touareg, en devenant
la figure de proue du MPLA. C’est lui qui commande l’assaut du 28 juin
1990 contre la ville de Ménaka. Six mois plus tard, avec cette rébellion et
les mouvements sociaux qui demandent l’instauration du multipartisme, le
président Moussa Traoré n’aura d’autre choix que de signer les accords de
Tamanrasset sous le parrainage de l’Algérie. Mais le MPLA sort déchiré de
ce conflit par des divisions tribales qui finiront par donner naissance à
d’autres organisations. Il en sera ainsi dans toutes les organisations touareg
rebelles, qui ne sont, in fine, que le reflet de la société traditionnelle des
Touaregs maliens, avec les mêmes alliances et relations d’hostilité entre
tribus et confédérations (Klute, 1995).
À partir de 1991, quatre nouveaux mouvements succèdent au MPLA:
l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (ARLA), le Front
islamique arabe de l’Azawad (FIAA), le Front populaire de libération de
l’Azawad (FPLA) et le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA).
L’ARLA était composée essentiellement d’Imghad et d’Iklan et voulait
mettre fin à la domination des Kel Adagh dans l’Adrar. On retrouve parmi
ces chefs El Hadj Gamou, Abderrhamane Ag Ghalla, Sidi Mohamed Ag
Ichrach. L’ARLA était l’ennemie jurée du MPA, dont elle fera assassiner, le
25 février 1994, un des colonels, Bilal Saloum, bras droit du secrétaire
général de l’époque Iyad Ag Ghali11. Donc de 1991 à 1996, et jusqu’à la
réconciliation de leurs chefs (Intalla Ag Attaher pour le MPA et
Abderrhamane Ag Ghalla pour l’ARLA), ces deux mouvements
fondamentalement antagonistes ne cesseront de s’affronter: le MPA,
principalement composé d’Ifoghas, de nobles, est dans la mouvance de
l’Alliance pour la démocratie au Mali ou (ADEMA); tandis que l’ARLA,
composée d’Imghad (tribu vassale) et d’Iklan (esclaves), espère mettre fin à
la domination des nobles et s’est rapprochée du CNID.
Le FIAA est un groupe de rebelles dont les militants sont en majorité
issus de la minorité du nord du Mali. Le FPLA, quant à lui, est un
mouvement indépendantiste dont la ligne politique reste dure comme
l’organisation mère, le MPLA. Néanmoins, dans le but d’exposer un front
uni lors des négociations de paix en avril 1992 avec l’État malien, les
Touaregs créent le Mouvement et front unifié de l’Azawad (MFUA). Celui-
ci rassemble les quatre mouvements rebelles (ARLA, MPA, FIAA, FPLA)
auxquels s’ajoutent deux ans plus tard deux autres nouveaux groupes: le
Front national de libération de l’Azawad (FNLA) à Gao, et le Front uni de
libération de l’Azawad (FULA) qui regroupe des dissidents du MPA et du
FPLA. La cérémonie de la «Flamme de la paix» organisée à Tombouctou le
27 mars 1996, qui était censée sceller la dissolution de tous les mouvements
rebelles, ne sera que de courte durée. Lors de la cérémonie, 2  755 ex-
combattants des quatre mouvements rebelles de la coalition MFUA et du
mouvement noir anti-touareg Ghanda Koy ont déposé leurs armes dans
quatre sites de cantonnement (Léré, Bourem, Ménaka, Kidal) pour être
intégrés dans l’armée malienne (Barbet, 2016).
Pourtant, ce sera la seule fois où les rebelles arriveront à s’exprimer
d’une seule voix. Après cette période de quiétude au cours des années 2000,
d’autres mouvements vont apparaître, fusionnant ou se décomposant au gré
des circonstances et alliances et en fonction des points de vue de leurs
membres, notamment sur la manière de conduire le combat ou sur les
revendications lors des discussions avec le pouvoir malien. Les
mouvements qui se sont créés pendant la décennie 1996-2006 ont des buts
différents, comme la fin de la suprématie des Ifoghas dans l’Adrar, tandis
que d’autres veulent la prise en compte de la composante arabe dans le nord
du Mali ou de l’autonomie de l’Azawad. Plus récemment, certains
mouvements sont indépendantistes (MNLA), pendant que d’autres veulent
instaurer la charia (Ansar Dine, MUJAO).
En 2006, estimant que les conditions du pacte national n’avaient pas été
respectées, un nouveau groupe rebelle se forme pour mener des attaques
contre les bases militaires maliennes et se révélera sous le nom de
l’Alliance démocratique du 23  mai pour le changement (ADC), qui a
comme chefs Ibrahim Ag Bahanga, Iyad Ag Ghali, Amada Ag Bibi et
Hassan Ag Fagaga12. L’année 2007 verra la création de l’Alliance touareg
du Nord-Mali pour le changement (ATNMC), sans Iyad Ag Ghali qui était
en phase de radicalisation. Signalons que c’est à partir de cette date que la
branche du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC)
s’installe dans le nord du Mali et fait allégeance à l’organisation terroriste
internationale d’Oussama Ben Laden, Al-Qaïda, pour ensuite devenir Al-
Qaïda Maghreb islamique (AQMI). Parmi les responsables de cette
branche, on peut citer Abdel Malek Droukdal et Yahia Djouadi (Grégoire,
2013). AQMI donnera naissance par la suite au MUJAO.
Depuis la crise de 2012, le MNLA a connu plusieurs scissions avec le
Front national de libération de l’Azawad (FNLA) qui explosera à la suite de
tensions internes. Il change de nom et devient le Mouvement arabe de
l’Azawad (MAA), etc. Ce mouvement ne se bat pas pour l’indépendance de
l’Azawad. Il veut surtout défendre les intérêts des commerçants arabes et
s’oppose ainsi au MNLA qui s’adresse particulièrement aux Touaregs.

Des antagonismes sociaux aux antagonismes politiques


Il y a des noms de chefs qui reviennent souvent dans les rébellions touareg
au Mali, et ce, depuis le début des années 1990. C’est le cas, entre autres,
d’El Hadj Ag Gamou et d’Iyad Ag Ghali, deux des acteurs clés des
rébellions au Mali depuis le début des années 1990. El Hadj Gamou, né en
1964 à Tindermène dans le cercle de Ménaka et devenu loyaliste partisan de
l’unité nationale, a été, à l’instar d’Iyad Ag Ghali, membre de la Légion
islamique du colonel Kadhafi. Il a aussi participé à la guerre au Liban et
combattu au Tchad avant de revenir au Mali à la fin des années 1980 pour
s’engager dans la rébellion touareg. En 1996, El Hadj Gamou intègre
l’armée nationale à la suite des accords de paix clôturés par la cérémonie de
la «Flamme de la paix» à Tombouctou13. Durant la période 1990-1995, il
est l’un des chefs militaires de l’ARLA, mais se brouille avec Iyad Ag
Ghali à la tête du MPA plus fort et plus riche. Iyad Ag Ghali aurait épousé
une ex-femme d’El Hadj Gamou et, en février 1994, au paroxysme de la
rivalité, ce dernier kidnappe l’Aménokal des Ifoghas14, Intallah Ag Attaher,
avant de le relâcher. L’action a été mal accueillie à Kidal, épicentre des
Ifoghas (Carayol, 2013). En mars 2012, El Hadj Gamou était le seul officier
touareg à se battre du côté de l’armée malienne, tous les autres ayant fait
défection. Le MNLA, qui le coinçait dans l’extrême nord-est du pays, le
pressait de le rejoindre.
Ansar Dine, groupe terroriste créé par Iyad Ag Ghali en 2012, rêvait de
se payer la tête d’El Hadj Gamou. Selon les propos de Rémi Carayol
(2013), l’homme racontait qu’il devait faire face à de fortes pressions: «des
parents me disaient que l’État n’existait plus. Mais pour moi ce n’était pas
envisageable. Je suis fier d’être malien». Toutefois, le principal motif de la
défiance d’El Hadj Gamou face à Kidal semble être le rappel sans cesse de
ses origines «serviles». En effet, les Ifoghas, groupe auquel Iyad Ag Ghali
est issu et vivant majoritairement à Kidal, le présentent comme un Imghad
ou «un possesseur de chèvres», c’est- à-dire un vassal dans la stratification
traditionnelle touareg. Il n’avait donc pas sa place à Kidal, ville des Ifoghas
et quartier général de son adversaire, Iyad Ag Ghali15. Certes, El Hadj
Gamou a un long contentieux avec Kidal, car de 2007 à 2009, c’est lui qui
combattait la rébellion touareg de l’Alliance touareg du Nord-Mali pour le
changement (ATNMC) commandée par Ibrahim Bahanga16. Il a mené
l’opération Djiguitougou («combler l’espoir» en bambara) et détruit toutes
les bases rebelles. En mai 2014, il a aussi dirigé les troupes de l’armée
malienne lors des deuxième et troisième batailles de Kidal17, opération au
cours de laquelle ses troupes ont été mises à mal par les rebelles qui
reprennent le contrôle de la ville. En août de la même année, alors qu’il
était encore général de l’armée malienne, il fonde une milice loyaliste
dénommée Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (GATIA) contre
les rebelles (Roger et Thienot, 2015). Le GATIA, dont la création a été
encouragée par le gouvernement malien, fait partie de la Plateforme des
mouvements d’autodéfense, une coalition de groupes issus du nord et
soutenant Bamako. Toujours au sujet des responsables très actifs depuis le
début de la crise malienne en 2012, on peut citer Alghabass Ag Intalla, le
plus jeune fils d’Ag Intalla Attaher, Aménokal des Touaregs ifoghas18. De
2007 à 2012, Alghabass Ag Intalla a également été député à l’Assemblée
nationale du Mali, représentant la région de Kidal sous les couleurs de
l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA). Au début du conflit, il
rejoint les rangs du MNLA, puis, lorsque ce dernier est évincé de la région
de Gao, intègre le groupe Ansar Dine d’Iyad Ag Ghali, considéré comme
une organisation terroriste. Une fois sous l’étendard noir du terrorisme, il
n’hésite pas à affirmer «qu’il se bat pour l’instauration de la charia dans le
nord du Mali» (Ahmed, 2012). Il devient ainsi le bras politique d’Ansar
Dine, organisation qu’il représente jusqu’à la fin 2012 lors des négociations
intermaliennes au Burkina Faso.
Avec le déploiement de l’opération Serval en janvier 2013, la suprématie
des mouvements terroristes dans le nord est remise en cause. Sentant le vent
tourner, Alghabass Ag Intalla fonde le Mouvement islamique de l’Azawad
dont il devient secrétaire général. Peu après, il annonce la dissolution de ce
mouvement pour rejoindre le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad
(HCUA), mis en place par son frère Mohamed Ag Intalla. Il en devient
secrétaire général et se trouvait à la tête de la délégation du HCUA lors des
négociations intermaliennes à Alger en octobre 2014. Du fait de son
expérience politique, Alghabass Ag Intalla apparaissait pourtant comme le
successeur pressenti de son père Aménokal. Mais avant de mourir, celui-ci
désigne plutôt son frère Mohamed Ag Intalla19, un avis qui sera avalisé par
le conseil des chefs de lignages. Alghabass Ag Intalla semble surtout avoir
perdu la succession à cause de ses accointances avec les milieux terroristes.
Depuis décembre 2016, il est néanmoins à la tête de la Coordination des
mouvements de l’Azawad (CMA), sans doute encore une fois en raison de
ses origines nobles et de son appartenance à la lignée directe de
l’Aménokal20.
Un dernier exemple parmi les élites touareg rebelles nous permettra
d’appréhender encore plus le phénomène de scission. Comme Alghabass
Ag Intalla avant qu’il se joigne au MNLA en 2012, Ibrahim Ag Mohamed
Assaleh, membre de la chefferie traditionnelle touareg21 issu de la région de
Gao, de Bourem plus précisément, était aussi député à l’Assemblée
nationale malienne, mais en tant qu’indépendant. Avant son élection, il était
coord0nateur intercommunal au programme d’appui de développement
local dans le cercle de Bourem, mais aussi conseiller communal dans le
cercle de Tarkint. En 2012, il se rallie à la rébellion touareg et devient un
haut cadre responsable des affaires étrangères du MNLA. Cependant, à la
suite de différends politiques avec Billal Ag Cherif, secrétaire général du
MNLA, il quitte le mouvement et lance son propre groupe: la Coalition du
peuple de l’Azawad (CPA). Il reproche aux dirigeants du MNLA de ne pas
faciliter l’avancement des négociations avec l’État pour la mise en œuvre de
l’accord d’Alger. Si son retour en septembre 2016 au MNLA peut être
anecdotique, il nous renseigne sur les divisions qui génèrent la création de
tant de mouvements, lesquelles divisions étant le plus souvent le fait de
divergences politiques entre élites.

***

La sociographie des acteurs principaux de la crise malienne met en exergue


la porosité entre organisations «indépendantistes» et mouvements
«terroristes», ce qui rend encore plus complexe la situation, notamment
pour la communauté internationale. L’introduction du présent livre a bien
mis en évidence cette porosité et cette complexité, notamment quant aux
enjeux définitionnels ou à l’identification des acteurs dits «terroristes». Les
antagonismes politiques au nord du Mali sont le reflet d’antagonismes
sociaux fondés sur la stratification féodale traditionnelle qui caractérise la
société touareg. En analysant l’historique des mouvements rebelles ainsi
que des élites politiques et militaires qui les dirigent, on se rend compte de
la diversité des trajectoires. Singulièrement, le cas de El Hadj Ag Gamou
(GATIA) et de Iyad Ag Ghali (Ansar Dine) est une vieille histoire de
rancune où se mêlent inextricablement diverses dimensions sociales,
religieuses et politiques. L’Imghad El Hadj Ag Gamou n’a pas rompu son
allégeance à Bamako, malgré les circonstances plus que défavorables. Dans
le même temps, son adversaire ifogha Iyad Ag Ghali opte pour le
terrorisme, à en juger par ses accointances avec AQMI ou d’autres
organisations comme le MUJAO.

1. Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad
(HCUA), Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) et d’autres minuscules groupes qui se forment et se
dessoudent au gré des alliances ou des guerres des clans. Ensemble, ils ont combattu l’armée
malienne en 2012.
2. Dont Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Dine fondé par Iyad Ag Ghali, le
Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), et plus récemment le Front de
libération de Macina.
3. Avant leur entrée dans la rébellion, plusieurs chefs touareg étaient députés à l’Assemblée nationale
ou ministres de l’État malien.
4. Une analyse des élites touareg montre que les Ifoghas (nobles, aristocrates) sont majoritaires dans
les mouvements indépendantistes, tandis que les Imghad (vassaux) demeurent majoritaires dans les
mouvements favorables aux gouvernements maliens.
5. Élites religieuses, élites économiques, élites traditionnelles, etc., qui peuvent transformer leurs
différentes ressources en influence politique et électorale.
6. Iyad Ag Ghali, né en 1958 à Boghassa, chef de guerre touareg malien, est un acteur central de la
crise dans le nord du Mali depuis 1990. Issu des Ifoghas, tribu dominante des Kel Adagh, il est à
l’origine de la création du Mouvement populaire de libération de l’Azawad (MPLA) entre 1988 et
1990, avant d’emprunter la voie de l’islam radical avec la création d’Ansar Dine, une organisation
terroriste.
7. Les Ifoghas cumulent le double statut de religieux et de guerriers et représentent donc le lignage
politiquement dominant de l’Adagh, celui dans lequel est choisi l’Amonékal des Kel Adagh.
8. Le terme Aménokal dont le pluriel est Imaneukalan recouvrirait plusieurs origines. Pour certains, il
découle de l’arabe ama (propriétaire) et akal (pays), ce qui signifie littéralement «propriétaire du
pays», ou amin (ministre) et donc amine el auqal (ministre des sages); aussi pour les Touaregs, il
provient du tamasheq amoun (représentant) ou «représentant du pays» (Barbet, 2016, p. 31).
9. El Hadj Ag Gamou, né en 1964 à Tindermène (région de Gao), est un militaire touareg malien. Il
est issu des Imghad, une tribu vassale selon l’organisation traditionnelle de la société touareg.
10. Bojan Ag Hamatou est le petit-fils de l’Aménokal Firhun qui avait mené la rébellion en 1914
contre les Français. Il est partisan de l’unité nationale malienne. Élu à plusieurs reprises à Ménaka
(7e région, Gao), administrateur général du cercle de Ménaka, chef traditionnel de la communauté
touareg, président de la section ADEMA de Ménaka et membre du bureau politique national, ancien
membre du conseil national de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), député de 1981 à
1991 pendant la dictature militaire du parti unique (3 mandats), 4e mandat (1997-2018) de l’ère
démocratique (entretien mené le 28 juin 2011 à l’Assemblée nationale).
11. Il fut membre du MPLA (1988-1991) du MPA (1991-1996), de l’Alliance démocratique pour le
changement (ADC) (2006), de Ansar Dine (2012-2017) et depuis 2017 du Groupe de soutien à
l’islam et aux musulmans (GSIM).
12. Hassan Ag Fagaga (lieutenant-colonel) est un déserteur de l’armée malienne qui a rejoint la
rébellion touareg par deux fois, en 2006 et en 2012. Touareg ifogha, il a combattu sous les ordres de
Iyad Ag Ghali au sein du MPA (1991-1996) avant d’être intégré à l’armée malienne avec le grade de
commandant, après la signature des accords de paix de Tamanrasset en 1991.
13. La cérémonie a eu lieu le 27 mars 1996 en la présence des deux présidents malien et ghanéen,
Alpha Oumar Konaré et Jerry Rawlings: 3 500 armes des anciens rebelles ont été brûlées et un
monument de la paix a été érigé.
14. Dont est issu Iyad Ag Ghali.
15. Alghabass Ag Intallah, fils de l’Aménokal, ancien bras droit d’Iyad Ag Ghali au sein d’Ansar
Dine, craignait d’ailleurs qu’avec la libération des villes du Nord par l’opération Serval, El Hadji
Gamou et ses hommes entrassent dans Kidal pour se venger de l’humiliation subie en 2012 et qui
l’avait contraint de fuir au Niger. C’est une des raisons supposées pour lesquelles les troupes
françaises de l’opération Serval auraient refusé d’être accompagnées d’El Hadji Gamou dans la ville
de Kidal.
16. Ibrahim Ag Bahanga est né dans les années 1970 à Tin Essako et est mort à Intadjedite le 26 août
2011 dans un accident de voiture. Membre de la tribu des Ifoghas, on le considérait comme le plus
radical des chefs rebelles.
17. Le 17 mai 2014, la visite du premier ministre malien Moussa Mara à Kidal provoque des
affrontements entre l’armée malienne et les rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad
(CMA), qui finiront par s’emparer du gouvernorat.
18. L’Amonékal Ag Intallah Attaher est décédé dans la nuit du 18 au 19 décembre 2014 à son
domicile de Kidal.
19. Mohamed Ag Intalla est député de Tin Essako, région de Kidal, à l’Assemblée nationale du Mali
sous la bannière du Rassemblement pour le Mali (RPM), parti de la majorité présidentielle. Il en est à
son quatrième mandat.
20. La CMA est une union des mouvements rebelles du Mali fondée en octobre 2014 avec comme
premier président Bilal Ag Cherif. Celui-ci sera remplacé à la tête de l’organisation par Alghabass
Ag Intalla en décembre 2016.
21. Dans un entretien mené le 24 juin 2011 à l’Assemblée nationale du Mali.
Chapitre 3

La lutte contre l’Armée


de résistance du Seigneur
ISSAKA K. SOUARÉ

L’Armée de résistance du Seigneur (ARS, ou en anglais LRA) est un


groupe armé d’origine ougandaise qui a semé la terreur dans le nord de
l’Ouganda avant de régionaliser ses agissements dans d’autres pays en
Afrique centrale1. À cause de la nature de ses actions qui lui ont valu la
qualification de groupe terroriste par plusieurs pays et organisations
régionales et internationales, un certain nombre de hauts responsables du
groupe font l’objet, depuis 2011, de poursuites judiciaires de la Cour pénale
internationale (CPI). Le groupe lui-même est militairement poursuivi par
une alliance comprenant l’État ougandais, d’autres pays de la région, des
organisations régionales africaines et non africaines, des puissances
étrangères, et même l’Organisation des Nations unies.

La naissance et l’évolution de l’ARS


L’arrivée au pouvoir, en janvier 1986, de Yoweri Museveni à la tête d’une
Armée de résistance nationale (National Resistance Army, NRA) semble
avoir suscité une chaîne de rébellions armées, notamment dans le nord du
pays. À ce jour, celle de l’ARS de Joseph Kony s’est avérée la plus
intransigeante. Il semble donc que l’arrivée au pouvoir de ce sudiste en
épilogue d’une lutte armée ayant renversé le régime du nordiste Tito Okello
a fait basculer tous les pouvoirs dans le camp du sud, créant une perception
de marginalisation du nord. En effet, de 1962 jusqu’à l’arrivée au pouvoir
de Museveni, les pouvoirs politique et militaire étaient entre les mains des
Ougandais du nord. Les sudistes, eux, étaient les patrons du pouvoir
économique, mais aussi les administrateurs de tout le pays. Or, plusieurs
cadres et notables issus du nord de l’Ouganda auraient été maltraités par des
éléments de la NRA après leur prise du pouvoir. C’est dans ce contexte
sociopolitique qu’auraient émergé un certain nombre de mouvements armés
à dominance nordiste (Omara-Otunu, 1994; Allen et Vlassenroot, 2010).

Le contexte sociopolitique de l’émergence du groupe


L’ARS a émergé des cendres de la Force populaire de défense de l’Ouganda
(UPDA) et du Mouvement du Saint-Esprit (Holy Spirit Movement, HSM)
d’Alice Auma Lakwena à l’arrivée au pouvoir de Museveni2. Le HSM a été
fondé au moment où les forces de l’UPDA se démoralisaient et où leurs
stocks d’armes se vidaient après plusieurs défaites face aux forces de
Museveni vers la fin de 1986. L’UPDA, quant à elle, était un groupe rebelle
formé par des éléments de l’armée nationale ougandaise sous le régime
renversé d’Okello (Allen, 1991; Doom et Vlassenroot, 1999).
Kony est un neveu d’Alice et, comme elle, prétend – ou prétendait – être
investi de pouvoirs surnaturels, menant combat dans le but de renverser le
régime de Kampala pour mettre en place un régime fondé sur les dix
commandements de la Bible, même s’il viole, de façon systématique, le
commandement interdisant justement de terroriser et de tuer des innocents3.
C’est vers 1991 que le groupe adopte le nom d’ARS. Initialement, Kony
avait appelé son groupe l’Armée chrétienne démocratique du peuple
ougandais (Uganda People’s Democratic Christian Army, UPDCA), pour le
remplacer peu après par celui de l’Armée chrétienne démocratique de
l’Ouganda (Uganda Christian Democratic Army, UCDA). Avec ces noms
révélateurs, il voulait mettre l’accent sur ses prétentions religieuses
(Kisiangani, 2011; Allen et Vlassenroot, 2003).
Peut-on dire pour autant que la lutte de Kony et les siens est dénuée de
toute considération politique, ou même prendre ses prétentions religieuses
pour argent comptant? Gersony (1997) considère plutôt le groupe comme
une bande de criminels sans programme politique ni rationalité logique
dans ses actions. Il illustre cela par les attaques indiscriminées auxquelles
les éléments de l’ARS se sont adonnés contre les populations des régions du
nord qu’ils prétendent vouloir protéger. L’International Crisis Group (2004)
semble emboîter le pas à Gersony, réfutant toute motivation politique au
groupe à la lumière du nombre record de violations des droits de la
personne que celui-ci a commises.
Doom et Vlassenroot (1999) soutiennent, par contre, que le groupe avait
effectivement un projet ou, du moins, des motivations politiques au départ.
Mais pourquoi alors s’attaquer à «leurs propres populations»? Les deux
auteurs y voient l’expression d’une déception devant l’absence de soutien
des civils. L’usage de la force aurait alors été motivé par la volonté de
contraindre les populations à soutenir le groupe. Si Ahere et Maina (2013)
reconnaissent le caractère violent des actions de l’ARS, ils trouvent
simpliste de négliger les aspects politiques de leurs actions à cause de ces
violences. Pour soutenir leur argument, les auteurs rappellent les
revendications politiques du groupe lors des pourparlers de paix de 2006 à
2008 au Sud-Soudan.
Finnström (2008) se fonde sur plusieurs années de recherches
anthropologiques dans le nord de l’Ouganda, mais aussi sur des entrevues
avec des populations des localités les plus touchées par les attaques de
l’ARS et avec des sympathisants et anciens combattants du groupe, ainsi
que sur l’analyse de plusieurs documents qu’il présente comme des
«manifestes politiques» de l’ARS. Il considère la plupart des qualifications
négatives du mouvement – par exemple, groupe primitif, sauvage, bandits,
mouvement terroriste – comme des représentations partielles et
tendancieuses, voire des distorsions de la réalité, et conclut, de manière plus
explicite que Ahere et Maina, que le mouvement possède bel et bien un
programme politique, qu’il a bien exprimé d’ailleurs lors des négociations
de paix de Juba.
Outre les griefs sociopolitiques et les arguments religieux, il est aussi
entendu qu’Alice et Kony auraient utilisé des éléments culturels largement
reconnus et respectés par le groupe acholi pour s’assurer sa sympathie et
justifier ses actions. Ces éléments comprennent la guérison et la purification
traditionnelles. Le soutien des Acholis faisant néanmoins défaut, le groupe
a eu recours à la force et à la terreur contre les civils.
Quant à moi, je privilégie une approche holistique dans l’analyse des
actions de l’ARS. Partant des arguments des différents auteurs
susmentionnés, l’on peut supposer que le groupe a exploité le contexte
sociopolitique prévalant dans le nord de l’Ouganda pour exprimer des griefs
sociopolitiques partagés par plusieurs habitants de ses régions d’origine
dans l’Acholiland. De ce point de vue, on ne peut pas réfuter les messages
politiques de l’ARS. Le mouvement s’est servi de la disposition
psychologique d’une bonne partie de la population locale pour avancer des
thèses spirituelles et religieuses comme instrument de recrutement, de
mobilisation, de soutien et de fidélisation des recrues. Vu les contradictions
entre ses actions et les principes religieux qu’il prétend défendre, on ne peut
y voir qu’un effort d’instrumentalisation. Il emploie la violence comme
moyen de pression contre l’État, ses alliés et ses symboles, mais aussi
contre les populations pour forcer leur soutien, et comme un outil
psychologique pour semer la terreur et se faire «respecter» ou «craindre».
Cela explique sa qualification de groupe terroriste.

La terreur comme modus operandi


Au départ, l’ARS opérait généralement dans le nord de l’Ouganda. Elle
s’attaquait aux forces de défense et de sécurité tout comme aux populations
civiles, notamment celles qu’elle suspectait de ne pas soutenir sa cause.
Cependant, lorsque ses pertes se sont alourdies face aux forces de défense et
de sécurité ougandaises, en parallèle avec le déclin de son soutien au sein
des populations, le groupe a intensifié la brutalité de ses méthodes.
Comme beaucoup d’autres mouvements similaires, à l’instar de Boko
Haram, actif dans le nord-est du Nigeria et dans la région du lac Tchad
depuis quelques années maintenant (voir les chapitres 5 et 8 du présent
ouvrage), l’ARS s’est spécialisée dans l’enlèvement des enfants, y compris
des jeunes filles, pour en faire des conscrits, des ouvriers, des porteurs
d’équipement de guerre, des cuisiniers et même des objets sexuels (HRW,
1997). Pour les contraindre à rester dans ses rangs, le groupe est réputé
forcer ces enfants «captifs» à assassiner ou à violer des membres de leur
famille, pour les déshumaniser d’une certaine manière et les dissuader de
s’évader et de rentrer chez eux par crainte de représailles sociales (Allen et
Vlassenroot, 2010). À la fin de 2004, environ 1,6 million de personnes
avaient fui la terreur aveugle du groupe pour se réfugier dans les camps des
personnes déplacées dans le nord de l’Ouganda (Apuuli, 2005).
En plus de la terreur physique, il y a la terreur «spirituelle» ou
psychologique. Kisiangani décrit cette dialectique:

La doctrine du groupe concernant les dix commandements et son appui


sur les traditions acholis lui ont permis de créer un ordre spirituel qui
n’est pas mis en cause [par ses membres]. Kony s’est présenté comme
un personnage possédant un certain nombre de médiums spirituels qui
édictent des règles au sein du mouvement et auxquelles il faut
strictement obéir. Ceux qui ne respectent pas ces règles et l’autorité de
Kony risquaient des vulnérabilités fatales au champ de bataille
[signifiant que ceux qui les obéissent seront magiquement immunisés]
(2011, p. 5).

Comme Richards (1996) pour le cas du Front révolutionnaire uni (RUF) en


Sierra Leone (1991-2002), Vinci (2005) qualifie cette tactique de l’ARS
comme un «usage stratégique de la terreur». C’est en partie grâce à cette
stratégie que les membres du mouvement sont restés fidèles à leur chef, qui
les contrôle avec une efficience redoutable et une structure hiérarchique
efficace. Une autre stratégie de l’ARS est celle de la guerre asymétrique
contre les forces de défense et de sécurité régulières, que ce soit celles de
l’Ouganda ou celles des autres pays où le groupe évolue depuis 2008.
Évitant les centres urbains en faveur des zones forestières, le groupe
s’adonne à des guérillas contre ces forces régulières, se déplaçant en petits
groupes très mobiles.

La régionalisation du mouvement
À ses débuts, l’ARS opérait donc essentiellement dans le nord de
l’Ouganda. Ses principales cibles étaient les représentants et symboles de
l’État ougandais, sauf lorsqu’elle s’attaquait à des civils enlevés pour
conscription ou punis pour leur manque de soutien. Elle opérait parfois dans
certaines parties du Soudan du Sud. Cette région, aujourd’hui République
du Soudan du Sud, était déjà sous contrôle de l’Armée de libération du
peuple soudanais (SPLM), alors en conflit armé ouvert avec le
gouvernement soudanais de Khartoum pour l’indépendance, qui sera
acquise en 2011. Justement, pour réagir au soutien présumé du
gouvernement ougandais à la SPLM, le gouvernement de Khartoum a
parfois eu recours à l’ARS, notamment entre 1995 et 2005. En contrepartie
des services du mouvement, Khartoum est réputé avoir offert des soutiens
logistiques et financiers, mais aussi une base arrière à Kony et aux siens
dans leur lutte contre le régime de Museveni. Ce soutien soudanais s’est
avéré important pour la lutte de l’ARS à un moment donné. L’on comprend
donc très aisément le vide et la privation que l’arrêt de ces soutiens
soudanais lui aurait occasionnés.
En effet, après la signature d’un accord de paix global entre Khartoum et
Juba en 2005, le gouvernement soudanais et la SPLM n’avaient plus de
raison de continuer à se faire la guerre et, ipso facto, le gouvernement
ougandais n’avait plus de mouvement à soutenir contre son voisin du nord
(Kisiangani, 2011). Avec cette nouvelle donne régionale, les offensives de
l’armée ougandaise – par l’opération dite Coup de tonnerre (Lightning
Thunder) de 2008 – et de ses alliés ont porté leurs fruits, et l’ARS a été
contrainte de se disperser dans la région, allant jusqu’au sud-est de la
République centrafricaine (RCA), après un passage au Soudan du Sud et
dans le parc national de Garamba en République démocratique du Congo
(RDC). Il est ainsi largement soutenu que l’ARS n’opère plus en Ouganda
depuis 2008.
De même, à cause de ces pressions, y compris celles de la coalition
régionale établie pour la combattre, il semble que l’ARS n’ambitionne plus
une conquête territoriale en Ouganda. La principale motivation de ses
actions semble être aujourd’hui la survie de ses membres pour échapper à la
justice ou à la vindicte populaire.

Les efforts nationaux de lutte contre l’ARS


Depuis la naissance de l’ARS, le gouvernement ougandais a eu recours à
plusieurs moyens pour venir à bout du mouvement. Il a évidemment
commencé par la force militaire, et semble maintenir cette stratégie avec
plusieurs campagnes militaires. Le gouvernement a aussi recouru à deux
stratégies plus souples: le dialogue avec le mouvement et l’adoption d’une
loi d’amnistie afin d’encourager les défections des membres. À plusieurs
reprises (1980, 1994, 2006-2008), il a engagé des négociations directes ou
indirectes avec l’ARS, lesquelles ont donné des résultats mitigés.
Mentionnons notamment celles qu’a menées l’Ougandaise Betty Bigombe
en 1994 après l’échec de l’opération Nord, une offensive militaire lancée en
1991 (Ahere et Maina, 2013).
Le plus avancé de ces processus de dialogue a été engagé en 2006 sous
l’égide du gouvernement du Soudan du Sud, échouant de peu à assurer la
signature d’un accord historique au début 2008. Cependant, l’inculpation
des responsables de la rébellion par la CPI a compliqué les choses et
finalement contribué à faire échouer le processus. Kony avait insisté sur la
levée des mandats d’arrêt émis à son encontre et celle de quatre de ses
commandants par la CPI4.
En 1998, le gouvernement ougandais a introduit un projet de loi
d’amnistie au Parlement qui fut voté en 2000: le gouvernement ougandais
s’engageait à amnistier les combattants de tout mouvement rebelle, actif ou
non depuis le 26 janvier 1986, qui rendrait ses armes aux forces régulières.
Par cette loi, les autorités de Kampala cherchaient notamment à persuader
les éléments de l’ARS de déposer les armes. Une autre considération, non
avouée celle-là, était évidemment l’échec des forces armées régulières à
remporter le combat militairement. Les pressions grandissantes que
subissait de toutes parts le gouvernement de Museveni, y compris des
groupes de victimes des crimes présumés de l’ARS, en furent une autre. La
loi d’amnistie semble avoir atteint son but parmi les soldats subalternes de
la rébellion: au bout de trois ans, plus de 2 000 d’entre eux auraient rendu
leurs armes (RLP, 2005). Beaucoup d’autres ont fait défection jusqu’en mai
2012, date à laquelle la loi d’amnistie a pris fin, avant son renouvellement
en mai 2013, sur les recommandations de militants de la société civile
ougandaise (Conciliation ressources, 2014).

L’émergence d’une alliance régionale et internationale contre


l’ARS
Avec l’échec des pourparlers du Soudan du Sud en avril 2008, les hostilités
ont repris entre les forces de défense ougandaises et l’ARS, notamment au
nord-est de la RDC, où le mouvement de Kony s’était établi depuis quelque
temps. Les attaques des forces ougandaises et celles de la RDC ont
provoqué la dispersion régionale du mouvement, allant jusqu’en RCA.

Une initiative régionale de lutte contre l’ARS


Eu égard à la régionalisation de l’ARS, l’Ouganda a réussi à mobiliser les
deux autres pays principalement touchés par les activités du mouvement, en
l’occurrence la RDC et le Soudan du Sud (et plus tard la RCA), pour mener
des opérations conjointes ou coordonnées contre le groupe. Les 13 et 14
octobre 2010, les quatre pays ont tenu une réunion ministérielle dans la
capitale centrafricaine Bangui sur la mise en place d’une initiative
régionale, qui sera finalement lancée après une deuxième réunion à Addis-
Abeba le 8 juin 2011. Il s’agit de l’Initiative de coopération régionale pour
l’élimination de l’ARS (IRC-LRA).
La réunion ministérielle d’Addis-Abeba a préconisé, pour ce cadre
politico-militaire multilatéral, une mission consistant à faciliter la
conjugaison des efforts militaires et politiques des États participants en vue
de lutter conjointement contre l’ARS. L’initiative visait aussi la
reconstruction, à long terme, des régions touchées par l’ARS. En
représailles des frappes de ces forces régionales, l’ARS est accusée d’avoir
massacré un millier de personnes en RDC (Kisiangani, 2011). Cette
réaction macabre a amené d’autres acteurs internationaux à se joindre à cet
effort en soutien à l’initiative régionale. C’est le cas notamment de l’Union
africaine, des États-Unis, des Nations unies et de l’Union européenne (UE).

Les États-Unis et la lutte contre l’ARS


Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont désigné
l’ARS, avec 38  autres mouvements ou structures, comme un groupe
terroriste, conformément aux dispositions pertinentes de leur loi sur
l’immigration et la nationalité. Fin 2008, vers la fin du mandat de George
W. Bush, les États-Unis ont proposé un programme de formation à certains
éléments des forces de défense ougandaises sur les techniques et stratégies
de lutte antiterroriste. Dans le prolongement des efforts de son prédécesseur
et quelques mois seulement après son arrivée à la Maison-Blanche,
l’administration de Barack Obama a introduit au Congrès, en mai 2009, un
projet de loi sur le désarmement de l’ARS et l’appui aux efforts de
développement économique dans le nord de l’Ouganda (Lord’s Resistance
Army Disarmament and Northern Uganda Recovery Act of 2009). Ce projet
de loi a été adopté par le Congrès le 25 août 2010 (Congrès américain,
2010). Un des principaux fondements de cet engagement américain était
l’accord avorté d’avril 2008. En effet, nonobstant la non-signature du projet
d’accord négocié entre l’ARS et le gouvernement ougandais, Kampala s’est
engagé à en mettre en œuvre les dispositions concernant les efforts de
reconstruction dans le nord de l’Ouganda, pour ainsi couper l’herbe sous le
pied de l’ARS qui ne cesse d’accuser le régime de Museveni d’abandonner
cette région. Ainsi, le gouvernement américain traduira cette loi par un
appui militaire et financier aux efforts régionaux, mais aussi par l’envoi
d’une centaine de soldats et d’autres spécialistes militaires dans les pays
touchés.
Avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en janvier 2017 et sa
politique de désengagement des missions d’opération de paix n’impliquant
pas d’intérêts nationaux directs pour les États-Unis, fin mars de la même
année, Washington décide le retrait des forces spéciales américaines et du
soutien bilatéral accordé à certains États participant à l’initiative,
notamment l’Ouganda – non sans conséquences négatives sur la suite des
opérations et activités de la force régionale. Si l’administration Trump a mis
en avant le fait que l’ARS avait été très affaiblie, ce qui est vrai, celle-ci
n’est pas encore éliminée ou neutralisée suivant l’objectif ultime de l’ICR-
LRA.

L’Union africaine et la force régionale


Voyant les efforts des quatre pays principalement concernés par les
agissements de l’ARS, l’Union africaine a décidé de les parrainer et de leur
porter assistance. Ainsi, à sa 299e  réunion tenue à Addis-Abeba, le 22
novembre 2011, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’organisation
continentale a exprimé «sa profonde préoccupation face à la poursuite des
activités criminelles de la LRA et aux graves conséquences humanitaires
qui en résultent, ainsi que face à la menace que cette situation fait peser sur
la sécurité et la stabilité régionales». Il a félicité les pays de la région pour
leur coopération ainsi que pour leur collaboration avec la Commission de
l’UA et autorisé la mise en place initiale pour six mois de l’IRC-LRA, dès
lors considérée comme une initiative de l’UA.
Dans son mandat, le CPS lui assigne un certain nombre de tâches
prioritaires, dont les suivantes:
1. Amorcer et coordonner toutes les activités politiques et stratégiques
relatives à la lutte contre l’ARS avec les pays concernés et les autres
parties prenantes;
2. Faciliter la coordination opérationnelle entre les pays concernés dans
la lutte contre l’ARS;
3. Encourager et faciliter des patrouilles conjointes aux frontières des
pays concernés, ainsi que le partage d’informations;
4. Faciliter des opérations psychologiques efficaces pour encourager des
défections au sein de l’ARS et la mise en œuvre de stratégies pour la
démobilisation et la réinsertion des ex-combattants dans leurs
communautés d’origine;
5. Assurer l’intégration de la protection des civils dans toutes les
initiatives militaires et sécuritaires visant à résoudre la question de
l’ARS.

Pour assurer l’opérationnalisation efficace et le suivi des activités de


l’initiative régionale, le CPS a préconisé la création de trois composantes ou
mécanismes: 1) le Mécanisme conjoint de coordination (MCC), présidé par
le commissaire de l’UA à la paix et à la sécurité et comprenant les ministres
de la Défense des pays concernés; 2)  une force régionale d’intervention
(FRI), composée d’unités fournies par les pays concernés dont l’effectif
peut s’élever à la taille d’une brigade, soit environ 5  000 soldats; et 3)  et
l’état-major (quartier général) de la FRI, y compris un centre d’opérations
conjoint (COC) composé d’officiers détachés par les pays contributeurs de
troupes (CPS, 2011). Le quartier général de l’initiative régionale a été établi
à Yambio, au Soudan du Sud, alors que trois secteurs de commandement
ont été installés à Nzara (Soudan du Sud), Dungu (RDC) et Obo (RCA).
Avec un appui financier et logistique des États-Unis et des Nations unies,
la FRI a commencé ses opérations début 2012, augmentant la pression sur
l’ARS et l’affaiblissant de façon considérable, sans pour autant réussir à
l’éliminer. En mars 2014, la Commission de l’UE a décidé d’apporter un
soutien financier à l’ICR-LRA sur les ressources du 10e Fonds européen de
développement. Pour justifier cette décision, la Commission européenne
s’est dite satisfaite des réalisations de l’ICR-LRA dont les actions, a-t-elle
noté, se sont avérées efficaces dans la lutte contre le mouvement
(Commission européenne, 2014).
En mai 2017, lors du renouvellement du mandat de l’ICR-LRA, le CPS
de l’UA s’est dit satisfait des «progrès accomplis par l’ICR-LRA en vue de
l’élimination de la LRA, en particulier à travers les opérations menées par
la Force régionale (FR), qui ont considérablement dégradé les capacités de
combat de la LRA». S’il a décidé «de renouveler le mandat de l’ICR-LRA
pour une période de douze (12) mois, jusqu’au 22 mai 2018», il a imposé
que le concept d’opérations (CONOPS) de la force régionale soit adapté à
la nouvelle donne (CPS, 2017), l’administration Trump ayant décidé du
retrait de ses forces spéciales et de son aide bilatérale. Cette décision
américaine a, par ricochet, amené les autorités de Kampala à retirer les
éléments des forces de défense et de sécurité ougandaises déployées au sud-
est de la RCA et qui constituaient l’épine dorsale de l’ICR-LRA pour les
ramener au pays où la LRA ne pose plus de menace réelle (Okiror, 2017).
Conséquence d’une dépendance disproportionnée de l’UA à l’égard de
soutiens étrangers dans ses opérations de maintien de la paix, la réduction
de ces appuis, notamment le retrait américain, risque de compromettre la
continuation de la force régionale. En atteste le fait qu’en mai 2018, le CPS
n’a renouvelé le mandat de l’ICR-LRA que pour une période de trois mois,
jusqu’au 22 août 2018, «en vue de permettre à la Mission de poursuivre ses
opérations, en attendant les conclusions de la réunion ministérielle du
Mécanisme conjoint de coordination de l’ICR-LRA prévue dans les
prochaines semaines» (CPS, 2018). Depuis, les registres des réunions du
CPS n’indiquent aucune suite pour l’ICR-LRA.

L’ONU et la lutte contre l’ARS


La régionalisation de l’ARS a coïncidé avec le déploiement de plusieurs
opérations de maintien de la paix des Nations unies dans les régions
d’Afrique centrale et des Grands Lacs. L’on peut citer celles déployées en
RDC (MONUSCO), au Soudan (MINUAD) au Soudan du Sud (MINUSS)
et, plus récemment, la MINUSCA en RCA. L’ARS s’étant spécialisée dans
l’enlèvement des populations civiles, y compris les jeunes et les enfants, et
toutes ces missions onusiennes ayant parmi leurs responsabilités la
protection des civils, il était normal que l’organisation mondiale se sente
concernée par la menace du mouvement de Kony. Jugeant ses agissements
comme une menace à la paix et à la sécurité internationales, les Nations
unies n’ont cessé d’exprimer leurs préoccupations, de condamner les
attaques de l’ARS, et d’inciter ses combattants à quitter ses rangs en
profitant du programme d’amnistie offert par le gouvernement ougandais
afin de favoriser leur réintégration sociale.
Plus concrètement, les chefs de ces quatre missions onusiennes se
réunissent régulièrement depuis juin 2010 et ont pris des mesures pour
améliorer l’échange d’informations et la coordination de leurs activités afin
de mieux parer à la menace de l’ARS. Ils ont notamment désigné pour
chaque mission des coordonnateurs ou points focaux chargés de suivre la
question de l’ARS, avec une cellule de coordination basée auprès de la
MONUSCO. De même, le Bureau de la coordination des affaires
humanitaires des Nations unies (BCHA ou OCHA) a, de son côté, renforcé
les liens entre ses équipes dans les quatre pays et en Ouganda pour
l’échange d’informations à caractère humanitaire concernant les incidents et
les mouvements de population liés à la présence et aux agissements de
l’ARS (Rapport du Secrétaire général, novembre 2011).
Dans une déclaration à la presse portant sur le groupe, en juillet 2011, les
membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont vigoureusement
condamné les attaques alors menées et vivement déploré les atrocités
commises par le groupe de Kony dans la région de l’Afrique centrale. Ils
ont notamment épinglé les graves répercussions de ces agissements sur la
situation humanitaire, dont le déplacement de plus de 380 000 personnes
dans la région. Les membres du Conseil ont exigé que l’ARS «cesse ses
attaques, mette un terme au recrutement, à l’enlèvement et à l’utilisation
d’enfants et libère les femmes, les enfants et autres non-combattants qu’elle
détenait» (Conseil de sécurité, juillet 2011).
Dans la même déclaration, les membres du Conseil ont salué les
importants efforts engagés par les forces militaires de la RCA, de la RDC,
de la République du Soudan du Sud et de l’Ouganda dans leur lutte
commune contre l’ARS. Ils ont félicité l’UA pour son dynamique
engagement dans l’ICR-LRA. Les membres du Conseil ont demandé au
secrétaire général de suivre de près la situation dans la région et de leur
communiquer de plus amples informations sur la stratégie adoptée par
l’ONU sur le plan régional pour appuyer les autres acteurs engagés dans la
lutte contre l’ARS. Ils ont, en outre, demandé que le Bureau des Nations
unies pour l’Afrique centrale (BNUAC ou UNOCA), établi en mars 2011 et
basé à Libreville, agisse en coordination avec le Bureau des Nations unies
auprès de l’UA en vue de favoriser la coopération entre l’ONU et l’UA sur
les questions relatives à la lutte contre la menace posée par l’ARS. C’était
le début d’un engagement clair de l’ONU dans la lutte contre Kony et ses
partisans.
En effet, peu après cette déclaration du Conseil de sécurité, des
spécialistes en planification du Bureau des Nations unies auprès de l’UA et
d’autres entités de l’ONU ont travaillé avec l’équipe intégrée de base mise
en place par la Commission de l’UA pour la planification et la conception
des modalités relatives à l’ICR-LRA. Le suivi et la coordination des
activités de l’ONU en appui aux efforts nationaux et régionaux ont été
confiés au BNUAC et au Bureau de l’ONU auprès de l’UA. Le BNUAC
agit notamment comme centre de liaison politique régional pour les
questions liées à l’ARS. Pour accroître la pression sur le mouvement armé,
le Comité de sanctions du Conseil de sécurité sur la RCA a inscrit le
groupe, en mars 2016, sur la liste des entités sanctionnées. Pour justifier
cette inscription, les experts du Comité de sanctions ont rappelé les
agissements du mouvement, notamment les actes de violence sexuelle, les
attaques dirigées contre des civils, les attentats à motivation ethnique ou
religieuse, les attentats commis contre des écoles et des hôpitaux, et les
opérations d’enlèvement et de déplacement forcé des populations civiles
(Comité de sanctions, 2016).

La Cour pénale internationale contre l’ARS


En plus des pressions diplomatico-politiques et militaires de l’Ouganda, des
pays de la région, de l’UA et de l’ONU, il faut ajouter une autre source de
pression sur l’ARS: l’arme juridique internationale. En effet, pour accroître
la pression sur le groupe parallèlement à sa loi d’amnistie, le gouvernement
ougandais a saisi la Cour pénale internationale (CPI) en décembre 2003
pour enquêter sur Joseph Kony et les siens. Le procureur de la CPI a sitôt
jugé recevable cette requête du gouvernement de Kampala. La Cour a
ouvert des enquêtes et a finalement lancé des mandats d’arrêt
internationaux en juillet 2005 contre cinq des officiers supérieurs du
mouvement rebelle, dont son chef Kony. Sur les cinq, deux sont considérés
aujourd’hui comme morts, alors que Dominic Ongwen s’est rendu lui-
même aux autorités ougandaises en janvier 2015 pour être transféré à La
Haye. Son procès s’est ouvert le 6 décembre 20165. Seuls Joseph Kony et
Vincent Otti, toujours en brousse, demeurent en vie et hors d’atteinte de la
Cour. Ces pressions juridiques ont poussé l’ARS à la table des négociations
entre 2006 et 2008 sous l’égide du gouvernement du Sud-Soudan de
l’époque. Paradoxalement, l’insistance des dirigeants du groupe quant à la
levée des mêmes pressions juridiques, notamment les mandats d’arrêt, a, en
grande partie, fait capoter ces négociations (Souaré, 2008, 2009).

***

Les efforts ougandais, régionaux et internationaux contre l’ARS ont


substantiellement affaibli le mouvement armé. Le groupe est très
vraisemblablement réduit à un nombre insignifiant de combattants et
d’autres serviteurs autour de son chef retranché. Ses attaques contre les
populations civiles se poursuivent de façon sporadique, notamment en RCA
et en RDC. Elles se sont cependant raréfiées, généralement motivées par
des considérations de survie et n’ont plus de visées offensives. Ce sont
d’ailleurs ces résultats qu’a mis en avant l’administration Trump pour
justifier son retrait.
Cela dit, ces efforts n’ont pas été sans difficultés ou controverses.
Contribuant à une édition spéciale de la revue African Security portant sur
«les tensions dans les interventions occidentales contemporaines en
Afrique», Branch (2012) ne semble pas très convaincu par l’objectif de
protection des civils de ces efforts internationaux. Pour lui, il faut plutôt y
voir l’expérimentation d’une nouvelle forme de coopération politique
transnationale opaque et fondée sur un réseau d’administration militaire ou
militarisée qui rassemble un certain nombre d’acteurs étatiques,
infraétatiques et internationaux.
Ahere et Maina (2013) s’interrogent et semblent douter de la sincérité de
l’engagement politique ou humaniste des pays contributeurs à l’initiative
régionale de lutte contre l’ARS. Ils citent plusieurs témoignages qui font
douter de l’engagement sincère du gouvernement ougandais dans la lutte
contre le groupe. Sur ce point, ils réitèrent des accusations de corruption au
sein de la haute hiérarchie militaire et même parmi certains politiques du
pays, qui bénéficieraient des fonds décaissés pour cette lutte. Ils observent
ensuite que les années 2011 et 2012, celles qui ont vu naître cette initiative
régionale, n’ont pas donné lieu à une amplification des atrocités commises
par le mouvement rebelle. Ils rappellent à juste titre que les pires sévices de
l’ARS sont antérieurs, et se demandent par conséquent ce qui a suscité un
tel intérêt régional et international, dont celui des États-Unis, à ce moment
précis et non avant.
Il est, cependant, difficile de juger une action politique (la décision de
s’engager dans la lutte militaire contre un groupe étranger) d’une façon si
simple. En effet, les atrocités passées de l’ARS ont toujours été condamnées
par différentes structures régionales et internationales, d’autant plus que les
organisations de défense des droits de la personne et de la société civile
n’ont cessé de faire des rapports accablants sur les agissements du groupe.
Peut-être qu’au milieu des années 1990, les attaques massives passées ont
coïncidé avec d’autres événements qui les ont occultées dans les calculs des
États-Unis et d’autres acteurs intervenants. Les attaques enregistrées dans
différents pays juste avant l’émergence de l’initiative régionale étaient peut-
être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Évidemment, cela ne signifie
pas que les États-Unis et les pays de la région impliqués dans cette lutte ne
sont mus que par des considérations humanistes, dénuées de toute arrière-
pensée géostratégique, mais qui s’attend à une charité absolue dans le
domaine politique?
D’autres critiques rappellent que certaines opérations régionales et même
internationales (avec des éléments américains) ont tourné au désastre, avec
des pertes énormes en vies humaines infligées par les éléments de l’ARS,
notamment dans les années 2008 et 2009 dans le parc national de Garamba
en RDC (Gisesa, 2011). Cela dit, de telles pertes sont prévisibles et
«normales» dans toute opération militaire de cette nature, surtout lorsque
l’ennemi s’adonne à une guérilla et est aussi superbement mobile que les
éléments de l’ARS.
Quoi qu’il en soit, il nous convient de faire trois principaux constats. Il y
a eu, d’abord, des problèmes de coordination et de coopération entre
certains membres de la force régionale. En effet, les relations entre les pays
participant à la force régionale ont perturbé cette coopération par moments,
notamment celles entre la RDC et l’Ouganda.
Il y a, ensuite, le mode de financement des opérations militaires et des
autres actions connexes dans la lutte contre le groupe de Kony. Il s’agit de
la dépendance très disproportionnée des pays participants et de l’UA,
censée les piloter, à l’égard de l’assistance étrangère. L’absence de moyens
propres de la région et le retrait ou la réduction importante de l’assistance
non régionale pourraient constituer une aubaine pour l’ARS. Si ce scénario
se matérialisait, alors une bonne partie des efforts antérieurs auront été
vains.
Il y a, enfin, les questions de fond à l’origine de l’émergence de l’ARS
dans le nord de l’Ouganda. Il est vrai qu’il existe des initiatives visant la
réalisation de projets socioéconomiques de base dans les localités touchées
par les agissements de l’ARS. Cependant, l’élargissement et la
pérennisation de ces projets, dans un contexte de justice sociale équitable,
sont nécessaires pour la défaite définitive de l’ARS ou sa neutralisation. Il
est en outre essentiel de ne pas oublier la voie politique pour résoudre le
problème: le dialogue avec l’ARS, autant que possible, doit être poursuivi
en appui aux actions militaires ou comme solution crédible en
remplacement de celles-ci. En effet, les négociations passées ont permis un
certain progrès, y compris l’accord de cessez-le-feu de 2006 et l’ouverture
des pourparlers de paix ayant échoué en 2008. Malgré l’échec du processus,
le protocole d’accord élaboré lors de ces pourparlers a abordé les griefs
politiques et économiques à l’origine du conflit et les problèmes sociaux qui
doivent être traités dans le nord de l’Ouganda. Ces points s’ajoutaient aux
questions de justice pour les victimes et de réconciliation entre les futurs
anciens combattants avec leurs communautés d’origine. C’est d’ailleurs ce
protocole d’accord qui semble être à l’origine du plan de recouvrement dans
le nord de l’Ouganda.

1. L’acronyme français du mouvement, ARS, est peu usité dans la littérature, beaucoup préférant
l’anglais LRA pour Lord Resistance Army, y compris dans des traductions officielles de documents
des Nations unies en français. J’emploierai l’abréviation française, mais laisserai libre cours aux
auteurs cités avec l’usage de leur choix.
2. Après la défaite de ses forces, Alice s’est exilée au Kenya en novembre 1987 où elle est décédée
dans un camp de réfugiés en janvier 2007.
3. Ceci est un parfait exemple des groupes terrorisant les gens et prétendant le faire au nom de
l’islam, en violation flagrante des principes islamiques s’opposant à ce genre de pratiques.
4. Il est vrai que la menace de la CPI avait joué un rôle important dans la décision des chefs de l’ARS
de négocier avec le gouvernement ougandais. Mais il est aussi indéniable que c’est l’espoir de
bénéficier de la loi d’amnistie qui a davantage motivé la direction de la rébellion à sortir de la
brousse et à s’asseoir avec les délégués du gouvernement autour d’une même table de négociations
(ICG, 2006; Souaré, 2008).
5. Pour le cas de Dominic Ongwen, voir https://www.icc-cpi.int/uganda/ongwen/pages/alleged-
crimes.aspx?ln=fr (consulté le 6 juillet 2018).
Deuxième partie

Les grandes puissances


Chapitre 4

La France et les États-Unis en Afrique


ou le prétexte géostratégique
ADOU APPIAH

L’effondrement de l’Union soviétique et la chute du mur de Berlin


marquaient, selon Huntington (1997), la fin de la guerre froide dont le
moteur était l’idéologie. L’auteur entrevoyait un nouveau genre de conflits
alimentés, cette fois-ci, par la culture. On doit cependant constater
aujourd’hui que le monde fait face à une autre menace dont la source n’est
plus seulement la culture (Appiah et Amalaman, 2016), mais aussi
l’économie, masquée par diverses stratégies, dont la lutte contre le
terrorisme. En l’espace de quelques années, le terrorisme est devenu
mondial et a gagné le continent africain, comme l’illustre bien le rapport de
la présidente de la Commission de l’Union africaine cité dans l’introduction
générale au présent ouvrage. Les conséquences sont catastrophiques, autant
pour les populations qui vivent dans la peur que pour les États qui
paraissent impuissants à le prévenir et à l’empêcher. Les pays africains,
particulièrement exposés à ce phénomène, bénéficient de l’appui de la
France et des États-Unis (É.-U.) pour juguler cette menace. Cependant,
cette assistance est diversement analysée et soulève de nombreuses
interrogations. Schmidt (2013) compare ces actions de lutte contre le
terrorisme à la lutte contre le communisme lors de la guerre froide. Durant
cet affrontement, les É.-U. intervenaient dans plusieurs parties du continent
sous prétexte d’apporter la liberté aux «peuples opprimés par le
communisme», même s’il était davantage question de protéger leurs intérêts
et de sécuriser leurs sources d’approvisionnement en énergie et autres
matières premières. Schmidt souligne que la lutte contre le terrorisme a,
mutatis mutandis, le même but. Turse (2015) va plus loin et perçoit les
actions militaires américaines sur le continent au nom de la lutte
antiterroriste comme un moyen de s’approprier l’Afrique, en mettant au
jour les guerres secrètes des É.-U. pour faire main basse sur le continent et
ses richesses.
Ces différents arguments rejoignent les nôtres; qu’il s’agisse du cas
français ou américain, beaucoup négligent les visées géostratégiques que
cachent les interventions militaires en Afrique. Suivant l’hypothèse que la
lutte contre le terrorisme en Afrique est un moyen par lequel les puissances
occidentales, notamment la France et les É.-U., se livrent une bataille pour
le contrôle des ressources du continent, nous faisons ici une revue de la
littérature complétée de sources médiatiques qui rendent compte des enjeux
à l’œuvre dans leurs actions.

L’engagement français et américain en Afrique


Gourdin (2012), qui s’intéresse au terrorisme dans la partie septentrionale
de l’Afrique, notamment le Sahel et le Sahara, met en exergue les richesses
de cette zone qui suscitent les convoitises des acteurs extérieurs. Ces enjeux
mobilisent les pays africains concernés ainsi que la France et les É.-U. pour
endiguer l’instabilité. À ce sujet, Tisseron (2011) montre l’implication
croissante des É.-U. dans la lutte contre le terrorisme dans cette même
partie du continent par un appui militaire et logistique à certains États, déjà
soutenus par la France. Cet appui dès lors est source de rivalités avec cette
dernière, et traduit, selon l’auteur, des enjeux géostratégiques dans le cadre
desquels les É.-U. tentent de se positionner sur un terrain jadis considéré
comme un «pré carré» de la France.

La nouvelle vocation sécuritaire de la France en Afrique


La France a une longue tradition de coopération et d’intervention militaire
en Afrique (voir aussi le chapitre 5). Selon Appiah et Amalaman (2016),
entre 1961 et 2013, elle y est intervenue 64 fois dans 24 pays, et ses
interventions sont officiellement motivées, en tenant compte des
justifications qu’y apportent les autorités françaises, par:

Un soutien à un gouvernement ou à un régime qui subit une agression


intérieure (26,5%);
Des évacuations de ressortissants étrangers (25%);
Une participation à une force de maintien de la paix (17,19%);
Un soutien à un gouvernement ou à un régime qui subit une agression
extérieure (6,25%);
La participation à des missions humanitaires (4,69%).

Ces interventions de la France sont facilitées par une présence militaire


permanente rendue possible grâce à plusieurs bases qu’elle possède sur le
continent en vertu d’accords passés avec d’anciennes colonies en vue
«d’assurer leur protection» (Survie, 2016), lui permettant d’être
opérationnelle et d’intervenir aux quatre coins de l’Afrique. Jusqu’à une
date récente, elle avait des troupes stationnées au Gabon, en Côte d’Ivoire,
au Sénégal et à Djibouti (Roxburgh et Kibangula, 2017). La disposition de
ces bases militaires laisse penser qu’elles servent prioritairement la
protection des intérêts de la France et des élites dirigeantes des États
abritant ces bases. Par exemple, la Côte d’Ivoire demeure à ce jour l’une
des plus importantes économies de l’Afrique de l’Ouest (Agence Ecofin,
2017), ce qui peut susciter des convoitises qu’il convient de contenir, tant
de l’intérieur que de l’extérieur. De même, le Gabon dispose d’énormes
ressources naturelles qui représentent, pour la France, «un patrimoine» à
surveiller. Quant à Djibouti, ce pays est situé dans une zone stratégique
donnant accès à l’une des plus importantes voies maritimes du monde. Une
présence militaire dans ce pays n’est donc pas superflue.
Les années 2000 vont être riches en événements qui remettront
structurellement en question la coopération militaire française ainsi que la
protection de ses intérêts stratégiques sur le continent. En effet, un nouveau
type de menaces voit le jour: les enlèvements d’étrangers et les attaques
terroristes. Daniel (2012) note les prises d’otages de ressortissants
européens intervenues en Algérie et au Mali en 2003, ainsi que les
affrontements entre les armées du Niger, du Tchad et de la Mauritanie et des
groupes terroristes en 2004 et 2005. En outre, l’auteur fait remarquer que
l’année 2007 marque un tournant décisif dans cette dynamique lorsque le
mouvement algérien dit Groupe salafiste pour la prédication et le combat
(GSPC) fait allégeance à Al-Qaïda et devient Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI).
Cette nouvelle menace qu’est le terrorisme ébranle les États victimes de
ses violences. Pour répondre à cette menace, la France se voit obligée de
changer de paradigme en matière de sécurité, pour deux raisons au moins.
D’une part, à l’exception de l’Algérie avec qui elle a des rapports mitigés,
la France s’estime responsable, de par les accords de défense la liant avec
ces pays, d’assurer leur sécurité. D’autre part, l’étendue de la zone d’action
des groupes terroristes, leurs modes d’action ainsi que leurs réseaux
dépassent, la plupart du temps, les capacités militaires des États concernés
qui peinent à les contenir (Guidère, 2017). À cela, il faut ajouter le conflit
libyen intervenu en 2011, qui a accru la porosité des frontières des
différents pays sahéliens (Grégoire et Bourgeot, 2011) et favorisé des
mouvements importants de combattants et d’armes (Daniel, 2012) ainsi que
la rébellion armée dans le nord du Mali en 2012. Il s’agit donc d’un
impératif pour la France qui doit intervenir si elle veut justifier sa présence
militaire décriée sur le continent. L’opération Serval lancée en janvier 2003
pour aider «l’armée malienne à juguler l’avancée des groupes terroristes»,
ainsi que l’opération Barkhane déployée en août 2014 en remplacement de
Serval dans le but d’aider les pays sahéliens, regroupés au sein du G5 Sahel
(composé du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du
Tchad), illustrent cette nouvelle démarche de la France. On est passé, en
quelques années, d’une politique d’assistance aux États et à la protection
des intérêts français et des ressortissants occidentaux à une lutte contre le
terrorisme. Affichant un intérêt croissant pour le continent africain, les É.-
U. se sont joints au mouvement depuis peu.

Un intérêt plus soutenu des É.-U. pour l’Afrique


En dehors de la Libye en 1986, les É.-U. se sont gardés, pendant longtemps,
d’intervenir de façon ouverte et militaire en Afrique. Même lorsqu’ils ont
dû le faire lors de la guerre froide, c’est une tâche qu’ils ont assignée aux
anciennes puissances coloniales, dont la France (Schmidt, 2013; Tisseron,
2011). Dans la crise congolaise des années 1960 ayant conduit à l’assassinat
de Patrice Émery Lumumba, par exemple, la Belgique et la France sont aux
avant-postes tandis que les É.-U. pilotent et coordonnent les différentes
actions visant à éliminer le chef nationaliste congolais. Cette approche leur
assure une certaine discrétion et leur donne les coudées franches pour tenir
leurs engagements vis-à-vis des Européens dans le cadre de ce qu’il
convient d’appeler la doctrine de Monroe, puisqu’ils disposent de divers
mécanismes pour gérer et protéger leurs intérêts en Afrique. Mais c’est
surtout au début des années 1990, à l’occasion de la crise somalienne, que
les Américains interviendront directement dans le cadre de l’opération
Ramener l’espoir pour tenter de rétablir la paix dans ce pays de la Corne de
l’Afrique. La tournure tragique de cette intervention liée, en partie, à une
opération spéciale unilatérale américaine, menée en octobre 1993 et visant à
capturer le chef d’une milice armée, conduit au désengagement des É.-U.
(De Gayffier-Bonneville, 2011).
Cet échec somalien limitera les aventures militaires américaines sur le
continent. Mais avec les attentats du 11 septembre 2001, les Américains
sont persuadés que leur sécurité intérieure dépend étroitement de leurs
actions de prévention des menaces et de la neutralisation des «terroristes» à
l’extérieur (Tisseron, 2011), ce qui les conduira à intervenir en Afghanistan
en octobre 2001 et en Irak en mars 2003. L’Afrique n’échappera pas à cette
campagne sécuritaire, motivée d’abord par les attaques des ambassades
américaines à Nairobi au Kenya et à Dar es Salaam en Tanzanie en août
1998, puis par «l’industrialisation des enlèvements» après le 11 septembre
2001 (Daniel, 2012) et la montée en puissance des groupes terroristes au
Maghreb, au Sahara et dans d’autres parties du continent. Par conséquent,
comme le souligne Tisseron (2011), les É.-U. mettent en œuvre divers
programmes pour contenir la menace terroriste sur le continent:

Le TSCTP est un programme inter-agences, incluant notamment le


département d’État américain, l’Agence américaine pour le
développement international (USAID) et le département de la Défense.
Plus ambitieux que le PSI, son objectif est d’empêcher les groupes
terroristes de recruter et de former des nouveaux combattants, et
d’éviter l’établissement d’une zone pouvant servir de refuge à des
terroristes de la région ou internationaux [sic] (Tisseron, 2011, p.  99-
100).
Ces opérations sont coordonnées par une structure mise sur pied à cette fin.
C’est le Commandement des États-Unis pour l’Afrique, communément
appelé AFRICOM. Depuis sa création en 2007, cette structure est
particulièrement active sur le continent dans le cadre de la lutte contre le
terrorisme. Selon les données fournies par le Security Assistance Monitor
(SAM, 2018), les 55 pays membres de l’UA, à l’exception de l’Érythrée,
auraient tous bénéficié, entre 2002 et 2017, d’une assistance économique et
sécuritaire américaine.
Par ailleurs, Turse (2014) souligne que les activités de ces mécanismes
devraient s’inscrire dans la durée, puisque les responsables militaires
américains envisageraient d’accroître leurs activités. Il note que l’évolution
des activités du personnel américain est estimée à 94% entre 2011 et 2013,
tandis que le nombre de missions est évalué à 546, soit une variation de
217% depuis 2008 – ce qui peut se traduire par une mission et demie par
jour (Turse, 2014)1.

Les enjeux de la lutte contre le terrorisme en Afrique


Derrière les sombres tableaux du continent que dressent constamment les
médias occidentaux se cache une autre Afrique, comme le souligne le
rapport de Védrine et al. (2013, p.  1): c’est l’Afrique de demain, «plus
nombreuse, plus puissante, l’Afrique qui construit l’avenir et qui est déjà
une réalité pour des centaines de millions d’Africains et de Français qui y
vivent et y travaillent». Védrine et al. mettent également en exergue les
énormes potentialités du continent:

Une population estimée à près de 2 milliards d’habitants en 2050 avec


une classe moyenne estimée à environ 500 millions de personnes;
Une amélioration des conditions de vie des Africains, l’indice de
développement humain (IDH) mesurant l’évolution de l’éducation et
de la santé ayant progressé de 15,6% entre 2000 et 2010;
Une hausse des sommes expédiées par les migrants entre 1990 et 2012,
qui se rapprochent de celles que mobilisent les pays de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économique), soit
30 milliards de dollars expédiés par les migrants contre 47 milliards
fournis par les pays de l’OCDE;
Une baisse des conflits au sud du Sahara.

À ces bonnes perspectives, il convient d’ajouter les énormes ressources


dont disposent plusieurs pays du continent, et qui ne manquent pas d’attiser
l’appétit des Américains:

En 2002, les États-Unis produisaient 7,6 millions de barils [de pétrole]


par jour pour une consommation estimée à 19,7 millions de barils par
jour. Au regard de ces chiffres, ils devaient importer 60,1% de leurs
besoins en brut. C’est ainsi que le pays se fixe pour objectif d’importer,
d’ici 2015, 25% de sa consommation pétrolière de l’Afrique noire
(Tedom, 2011).

Compte tenu de ces potentialités de l’Afrique qui suscitent tant de


convoitises, il est légitime de formuler la question suivante: et si la lutte
contre le terrorisme était une autre dimension de cette lutte économique?
Autrement dit, cette lutte ne serait-elle pas une modalité de
l’expansionnisme économique et du positionnement géostratégique de la
France et des É.-U. sur le continent?
Depuis la fin de la guerre froide, le moteur de la compétition
internationale s’est déplacé de l’idéologie à l’économie: «Le poids
économique est depuis la fin de la confrontation idéologique le principal
critère de classification des puissances dans le monde. Il n’est en réalité que
l’expression de la puissance industrielle. Celle-ci se construit entre autres
sur la maîtrise des sources d’approvisionnement en matières premières»
(Tedom, 2011). Les interventions militaires au nom de la lutte contre le
terrorisme peuvent s’expliquer à l’aune de cette course aux richesses. Dans
ces conditions, s’assurer du contrôle des ressources du continent devient
une préoccupation pour certains pays occidentaux. Si les États-Unis ont
d’importants intérêts sur le continent et disposent par la même occasion de
plusieurs moyens pour les protéger, il est indéniable que la France semble
avoir pris une longueur d’avance dans la majeure partie de ses anciennes
colonies en instaurant une coopération controversée par laquelle elle
s’assure le monopole de leurs ressources premières. Ainsi, la
«Françafrique» lui permet de contrôler la circulation des élites politiques,
les affaires des entreprises françaises, l’économie de ces pays (Labarthe et
Verschave, 2007) et même leur monnaie (Agbohou, 1999). Dans cette
bataille économique, la France, qui perd du terrain avec l’arrivée de
nouveaux acteurs, tente de consolider ses positions économiques dans ce
qu’elle estime être son bastion. Elle fait cela au moyen d’interventions
militaires, dont la lutte contre le terrorisme constitue une modalité parmi
tant d’autres. C’est bien ce que met en exergue Ndenkop (2013) qui
soutient: «Derrière ses multiples “opérations” guerrières, la France tente
bon an mal an de reprendre ses positions économiques en Afrique». Il est
donc illusoire de conjecturer qu’il s’agit pour elle d’éradiquer le terrorisme
du continent. C’est en fait d’une compétition économique qu’il est question.
En face de la France se trouvent donc les É.-U., qui «redécouvrent»
l’Afrique et surtout ses matières premières, qu’ils lient intrinsèquement à
leur sécurité énergétique menacée depuis le 11 septembre 2001. Pour
Schmidt (2013, p. 218),

les priorités d’AFRICOM étaient d’assurer l’accès des Américains aux


ressources énergétiques et de lutter contre le terrorisme international.
En conséquence, AFRICOM s’est concentré sur les pays riches en
pétrole, en gaz naturel ou en uranium, à proximité des routes de
communications stratégiques, ou proches des centres d’activité
islamistes.

Précisons que tous les pays africains bénéficiant de l’assistance de


l’AFRICOM ne sont pas nécessairement aux prises avec des groupes
terroristes sur leur territoire. C’est dire que la lutte contre le terrorisme fait
partie d’un projet beaucoup plus vaste qui est la captation des ressources du
continent, comme le laisse penser l’AOPIG (African Oil Policy Initiative
Group) (2001). Le passage suivant illustre bien ces stratégies de
positionnement économique:

Le Mali […] est très riche en matières premières: il exporte de l’or et


du coton, dont les gains finissent cependant dans les poches des
multinationales et de l’élite locale. Pareil au Niger voisin […] un des
pays les plus riches en uranium, dont l’extraction et l’exportation sont
aux mains de la multinationale française Areva. Ce n’est pas un hasard
si Paris, en même temps que l’opération au Mali, a envoyé des forces
spéciales au Niger. Situation analogue au Tchad, dont les riches
gisements pétrolifères sont exploités par l’étasunienne Exxon Mobil et
d’autres multinationales (mais des compagnies chinoises s’implantent
aussi désormais) (Dinucci, 2013).

En outre, selon Schmidt (2013, p. 217):

des diplomates occidentaux, des experts du terrorisme et des


organisations de défense des droits de l’homme ont critiqué la politique
américaine au Sahel, estimant que la menace terroriste dans la région
avait été exagérée. La grande majorité des conflits et des insurrections
ont des racines locales et peu ou pas de liens avec les organisations
terroristes internationales.
Une question mérite donc d’être posée: certains des troubles et des menaces
justifiant les interventions étrangères au nom de la lutte contre le terrorisme
ne sont-ils pas construits artificiellement pour reconquérir le continent?
La rapidité avec laquelle a été lancée l’opération, officiellement pour
protéger le Mali de l’avancée des rebelles islamistes [sic], démontre que
celle-ci avait été planifiée depuis longtemps par le socialiste François
Hollande. La collaboration immédiate des États-Unis et de l’Union
européenne, qui a décidé d’envoyer au Mali des spécialistes de la guerre
avec des fonctions d’entraînement et de commandement, démontre que
l’opération avait été planifiée conjointement à Washington, Paris, Londres
et dans d’autres capitales (Dinucci, 2013).

La lutte contre le terrorisme


comme modalité de recomposition de l’Afrique
Le but latent des interventions occidentales viserait donc à recomposer
l’Afrique pour réduire considérablement le coût de la captation de ses
ressources. Cette approche rappelle la conquête du continent des siècles
précédents. Après avoir créé une insécurité généralisée résultant de leur
course aux territoires et aux matières premières, les Européens proposaient
aux Africains d’assurer leur sécurité contre d’autres envahisseurs potentiels.
De nombreux traités de protectorat furent signés avec les populations
locales. Quelques années plus tard, toute l’Afrique était sous domination
coloniale. La protection proposée s’était transformée en occupation alors
qu’était mise en avant la «mission civilisatrice» de l’Europe, cachant en fait
une course économique qui allait être à l’origine du morcellement et de
l’exploitation de l’Afrique.
L’Afrique n’est-elle pas en train de revivre ce même scénario? Les
Américains ne sont-ils pas en train de reproduire ce que les Européens ont
fait quelques siècles plus tôt? La lutte contre le terrorisme n’est-elle pas une
actualisation des traités de protectorat de l’époque coloniale? La démarche
américaine ainsi que les événements sur le terrain nous autorisent à
conjecturer que les É.-U. sont dans une dynamique de conquête du
continent au moyen de la lutte contre le terrorisme, et qu’ils tentent par la
même occasion de bousculer les Français dans leurs positions. Dans ces
conditions, le développement de l’Afrique est loin d’être une réalité à court
ou à long terme, car une fois la conquête terminée, la seconde phase
consistera en l’exploitation des richesses au profit des É.-U. et non des pays
africains. Ce n’est donc pas un hasard si le rapport du National Intelligence
Council (NIC, 2005) laisse entrevoir qu’à l’horizon 2020, la plupart des
pays africains seront en crise. Mais comment les Africains réagissent-ils à
cette reconquête du continent qui se passe sous leurs yeux? En seront-ils
complices par leur silence coupable? Oseront-ils s’opposer aux États-Unis
et à la France ou s’adapteront-ils à la nouvelle donne, comme dans les
siècles passés?

***

Les interventions des É.-U. et de la France au nom de la lutte contre le


terrorisme n’ont pas permis de réduire la menace en Afrique. Au contraire,
dans leur engagement, les deux pays oscillent entre rivalité et collaboration,
ces fluctuations se révélant aussi à l’épreuve de la nouvelle dynamique
mondiale avec l’arrivée de nouvelles puissances aux besoins immenses et
aux potentialités énormes, notamment la Chine et l’Inde, membres du
BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, dans sa
dénomination anglaise). L’Afrique subit donc d’intenses pressions qui font
d’elle un terrain de jeu pour les puissances du monde, ce qui ne manque pas
de rappeler le XIXe  siècle où les pays européens y accouraient pour la
conquête de territoires, de ressources naturelles et de débouchés pour leurs
industries, tout en brandissant une prétendue «mission civilisatrice».
Aujourd’hui, la sécurité remplace pour ainsi dire cette mission des siècles
précédents. Face à cette réalité, une question se pose: que doit faire
l’Afrique? Autrement dit, comment les Africains devront-ils réagir?
Assisteront-ils, stoïques, à une nouvelle mise en dépendance de leur
continent? Une chose est certaine: dans cette course géostratégique des
puissances étrangères, l’Afrique pourrait connaître de nombreux conflits et
être le théâtre de plusieurs opérations militaires, ce scénario remettant ainsi
en question toutes les perspectives prometteuses de nombreux observateurs.
De notre point de vue, il convient de gérer les questions africaines de
l’intérieur. En effet, pour des problématiques comme le développement, la
démocratie et aujourd’hui la sécurité, il est à parier qu’aucun progrès ne
surviendra tant que les Africains ne prendront pas l’initiative et la
responsabilité de leurs actions. Aucune puissance étrangère, occidentale,
asiatique ou latino-américaine ne viendra offrir un tel cadeau à l’Afrique.
C’est pourquoi la lutte contre le terrorisme ne sera une réalité que lorsque
les dirigeants africains se l’approprieront et en feront une priorité pour leurs
populations. La question libyenne prouve, si besoin en est encore, que les
interventions extérieures ont souvent d’autres visées inavouées que les buts
nobles affichés.

1. Il s’avère aujourd’hui difficile d’obtenir des données sur le site d’AFRICOM et de les actualiser,
non seulement dans une perspective comparative, mais aussi pour vérifier les prédictions de l’auteur.
Chapitre 5

La France en Afrique de l’Ouest


MODA DIENG

La France est l’une des puissances les plus impliquées dans la lutte contre le
terrorisme en Afrique. Avec l’opération Serval en 2013 au Mali, elle a mené
la plus forte réaction occidentale face à la menace sur le continent (Chivvis,
2015). Cet engagement militaire peut être appréhendé à partir de deux
facteurs: la forte présence de la France en Afrique et la montée en puissance
de groupes terroristes sur le continent. Du fait de son passé colonial ainsi
que du régime de contrôle et d’influence politiques mis en place après les
indépendances, ce pays maintient une forte présence en Afrique, notamment
dans les États francophones. Pour ce qui est des groupes terroristes, nous
l’avons vu dans l’introduction de ce livre, ils ont sans doute renforcé leurs
capacités de nuisance sur le continent. Ils mènent des attaques contre
différentes cibles, dont les intérêts de pays occidentaux.
Cependant, les attaques contre ces cibles ont aussi un effet sur les intérêts
africains, ne serait-ce que parce qu’elles se déroulent sur le continent. La
France fait partie des cibles majeures, du fait de son engagement politique
et militaire dans plusieurs pays francophones. L’engagement de ce pays
contre le terrorisme en Afrique s’explique donc par ses nombreux intérêts.
Bien entendu, la même chose peut être dite de ses interventions contre la
menace ailleurs. La spécificité de l’Afrique réside dans le fait que la France
y exerce une influence qu’elle n’a nulle part ailleurs dans le monde (Melly
et Darracq, 2013). Et cela rend particulière sa projection contre le
terrorisme sur le continent.
Certes, dire d’un État qu’il poursuit ses intérêts nationaux est banal, mais
la façon dont cela se traduit concrètement demeure sujette à débats.
Comment la France tente-t-elle de sauvegarder ses intérêts qu’elle estime
«menacés» par le terrorisme en Afrique de l’Ouest? C’est la question à
laquelle ce chapitre tente de répondre. Nous soutenons que pour combattre
le terrorisme qui menace ses intérêts dans la région, la France mobilise, de
manière opportuniste, une multitude de leviers et d’acteurs. L’intérêt
national est utilisé à la fois comme outil d’analyse permettant de cerner les
objectifs poursuivis par les États et comme élément de justification des
préférences des gouvernements (Evans et Newnham, 1998). Il est mobilisé
ici pour appréhender la manière dont la France dit combattre le terrorisme
en Afrique de l’Ouest.
Trois raisons justifient le choix de l’Afrique de l’Ouest comme zone
d’étude: 1) c’est la région d’Afrique qui compte le plus grand nombre de
pays anciennement colonisés par la France (91); 2) elle abrite plusieurs
groupes terroristes; et 3) elle a accueilli au Mali la plus importante
opération militaire française contre le terrorisme. Certes, le terrorisme ne
touche pas tous les pays de la région, raison pour laquelle l’étude privilégie
ceux qui abritent des groupes terroristes ou ayant connu des attaques. Il
convient de préciser que l’action française contre le terrorisme en Afrique
de l’Ouest ne vise pas à satisfaire exclusivement les intérêts de la France.
Ceux de l’Union européenne (UE) sont parfois évoqués par Paris. Il arrive
aussi que les intérêts de la France et ceux des acteurs africains se recoupent.
De même, en décidant de coopérer contre la menace, les gouvernements
africains peuvent faire prévaloir leurs propres intérêts.

La France, l’intérêt national et le terrorisme


Joseph Frankel (1970) fait remonter l’usage politique du concept d’«intérêt
national» à l’Italie et à l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles respectivement,
terme adopté ensuite par les chefs d’États américains depuis l’établissement
de la Constitution des États-Unis. Le concept occupe une place importante
dans la politique extérieure des États et se trouve au cœur des théories des
relations internationales, même si le sens peut différer d’une école de
pensée à une autre. Des vocables proches comme «l’intérêt public»,
«l’honneur national», ou encore la «volonté générale» ont aussi été utilisés,
et font référence aux intérêts vitaux – ou considérés comme tels – d’une
nation.
Dans les documents et discours des gouvernements français, on fait
mention tantôt de l’intérêt national, tantôt de l’intérêt vital; des concepts
utilisés de manière interchangeable et sans définition précise. Certes,
l’intérêt national est un concept «singulièrement vague» (Frankel, 1970,
p. 15), glissant et controversé (Nye, 2003). Il renvoie donc à une variété de
sens en fonction des contextes. Dans un passage repris du Livre blanc sur la
défense de 1994, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de
2017 reconnaît que «les intérêts vitaux ne sont jamais définis avec
précision, car il est de la responsabilité ultime et unique du chef de l’État
d’apprécier en toute circonstance leur éventuelle mise en cause et de
décider, au cas par cas, de la nature de la réponse qu’il convient d’y
apporter» (République française, 2017a, p. 54). Cependant, ne pas définir le
concept pourrait viser à donner aux décideurs politiques une marge de
manœuvre suffisante dans l’interprétation et l’action lorsqu’il s’agit de
définir et de défendre ce qu’ils considèrent comme relevant de l’intérêt
national. Cela fait que les gouvernements français, au lieu de justifier leurs
actions par un intérêt national clairement défini, préfèrent parler
d’obligations, parfois au nom de la défense de valeurs (Sartre, 2017). À
défaut d’avoir une définition précise du concept, l’on met en avant certains
objectifs qui sont des composantes essentielles de l’intérêt national ou l’on
renvoie à des intérêts vitaux.
Traditionnellement, en matière de sécurité, l’agression militaire demeure
la principale menace contre laquelle un État cherche à se protéger. Cela
correspond à ce que Robinson (1967) identifiait, il y a longtemps, à l’intérêt
primaire, à savoir la survie de l’État et la protection de son intégrité
territoriale. Mais le terrorisme dont il est question ici pose-t-il une menace à
la survie de l’État français et à sa souveraineté? Dans un article intitulé «Le
terrorisme est-il une menace de défense?», Chocquet (2002) rappelle qu’en
France, les premières déclarations officielles assimilant le terrorisme à la
guerre, donc à une menace de défense, remontent aux années 1980. C’est
ainsi que le terrorisme a été présenté dans le Livre blanc sur la défense de
1994, sous le prétexte qu’il nuit à la sécurité de la France, à sa population,
ou contrarie le respect de ses engagements internationaux (République
française, 1994). Cependant, dans ce document, mention n’est pas faite du
type de terrorisme auquel la France était exposée; ce qui peut être considéré
comme une lacune conceptuelle en raison de la diversité des formes de
terrorisme (voir le chapitre 1). Certains des groupes terroristes qui sévissent
en Afrique de l’Ouest visent la France et ses intérêts dans la région. Les
intérêts de la France renvoient à «tous les facteurs qui concourent à sa
sécurité, à sa prospérité et à son influence» (République française, 2017a,
p.  54). Ils couvrent donc une large gamme d’objectifs d’ordre sécuritaire,
politique, économique, etc., qui ne peuvent être traités séparément.

L’action française contre le terrorisme


L’Afrique de l’Ouest compte 16 pays2 dont 15 sont membres de la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),
plus la Mauritanie. La région couvre 6  130  700  km2, soit 40% de la
superficie de l’Afrique subsaharienne, et compte environ 308,1  millions
d’habitants en 2017. Elle demeure une zone complexe avec ses atouts, mais
aussi ses difficultés. Les atouts régionaux incluent la diversité culturelle,
linguistique et religieuse, la jeunesse de la population, les ressources
énergétiques et minières. Cependant, la région présente aussi beaucoup de
difficultés: chômage, inégalités, fragmentation de l’espace et porosité des
frontières, insécurité, faiblesse des États et de leurs systèmes de sécurité,
etc. L’Afrique de l’Ouest a aussi connu de nombreuses guerres, des
systèmes de conflits régionaux complexes ainsi qu’une multitude
d’interventions internationales.
Une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest fait partie du Sahel, où la
situation sécuritaire s’est dégradée ces dernières années du fait du
terrorisme, de la criminalité transnationale et des conflits armés. Il y a
plusieurs conceptions pour le Sahel. Selon la Stratégie Sahel de l’Union
africaine, la région s’étend de la Mauritanie à la Corne de l’Afrique, et de
l’Algérie et la Libye au Tchad. La France considère, elle, que le Sahel va
«de la Mauritanie à la Corne de l’Afrique» (République française, 2013,
p. 54). Cet espace couvre plus d’une dizaine de pays, dont la plupart sont
d’anciennes colonies françaises. Une partie de l’Afrique de l’Ouest est
couverte par d’autres espaces qui présentent aussi des problèmes de
sécurité, à savoir le golfe de Guinée et le bassin du lac Tchad. Le bassin du
lac Tchad, dont le Nigeria et le Niger font partie, est traversé par Boko
Haram et ses branches dissidentes. Quant au golfe de Guinée, c’est-à-dire la
façade maritime du Sénégal à l’Angola qui abrite d’importantes ressources
naturelles, il fait aussi face à divers enjeux de sécurité, dont la piraterie
maritime.
Sur le plan économique, l’Afrique de l’Ouest demeure un important
marché pour les compagnies françaises qui y sont actives dans différents
domaines3. Le premier partenaire commercial de la France en Afrique
subsaharienne se trouve aussi en Afrique de l’Ouest; il s’agit du Nigeria.
Les intérêts de la France résident aussi dans les ressources naturelles et
minières. Paris appréhende que les groupes terroristes implantés dans la
région commencent à mener des attaques contre les navires en mer dans le
golfe de Guinée où il a d’importants intérêts. Des dizaines de milliers de
ressortissants français vivent et travaillent également en Afrique de l’Ouest
ou s’y rendent en tant que touristes. Il n’est pas non plus exclu que des
attaques soient menées un jour sur le territoire français par des groupes
terroristes qui sévissent en Afrique de l’Ouest. Il y a donc plusieurs facteurs
qui font que la France intervient en Afrique de l’Ouest au nom de la lutte
contre le terrorisme ou pour la protection de «ses intérêts».
L’expression du terrorisme contre la France et ses intérêts en Afrique de
l’Ouest n’est pas nouvelle. De nombreux ressortissants français et d’autres
pays européens ont été pris en otage par des groupes terroristes au début des
années 2000. En février 2011, il a été rapporté qu’un attentat contre
l’ambassade de France à Nouakchott, en Mauritanie, a été déjoué. En 2012,
à la suite de l’enlèvement d’un de ses ingénieurs par Ansaru au Nigeria, le
groupe français Vergnet, spécialiste des énergies renouvelables, a fini par
quitter le pays. Dans la même année, de nombreux groupes terroristes ont
fait leur apparition au Mali et ne cessent de multiplier les attaques,
notamment au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Niger, sans
compter celles que mènent Boko Haram et Ansaru au Nigeria. D’ailleurs,
«la situation en matière de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest et au
Sahel est demeurée tributaire des conditions de sécurité ayant prévalu» dans
ces pays (ONU-CS, 2018, p.  1). Dès lors, les intérêts français sont
davantage exposés. Examiner la manière dont la France intervient dans la
lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest nécessite que l’on tienne
compte de l’Union européenne que Paris tente d’impliquer dans ses efforts
d’européanisation des engagements français. Cela est généralement pour
faire partager l’ardoise financière et tenter de minimiser les accusations de
néo-impérialisme français dans le cadre de la Françafrique.

L’opération Serval au Mali


Le 11 janvier 2013, la France déploie une opération militaire dénommée
«Serval» contre des groupes terroristes au Mali. Le 16 janvier, soit cinq
jours après le début de l’opération, le président français de l’époque,
François Hollande, lors de la présentation de ses vœux à la presse, disait
que la «France n’a aucun intérêt au Mali. Elle ne défend aucun calcul
économique ou politique. Elle est au service simplement de la paix».
Suivant cette déclaration, l’opération Serval, destinée à aider un pays ami à
se départir des groupes terroristes, aurait donc été une obligation guidée par
l’attachement de la France à la paix. Pourtant, le rapport de Chevènement et
Larcher (2013), établi la même année, reconnaît que la France a des intérêts
économiques au Mali, mais note dans la foulée qu’ils ne sont pas assez
significatifs. Les intérêts ainsi reconnus sont minimisés; ce qui permet à la
France de continuer à présenter l’intervention contre le terrorisme comme
un «devoir humanitaire» (voir aussi le chapitre 4). L’opération Serval a
soulevé le débat sur la «Françafrique». Toujours dans le rapport présenté au
Sénat français, Chevènement et Larcher (2013) rejettent la présentation de
l’intervention comme une résurgence de la «Françafrique», en raison de
l’imbrication entre les intérêts français et européens et du fait que
l’opération avait été sollicitée par le Mali. Marchal (2013a) considère que
c’est adopter une posture paresseuse que d’interpréter Serval à la lumière de
la «Françafrique». Cette lecture est inexacte selon lui, parce que l’opération
avait été influencée par différents facteurs dont «l’appel insistant» du
gouvernement malien et des chefs d’État de la région4, ce qui, toujours
selon l’auteur, n’a jamais été une caractéristique de la «Françafrique».
Melly et Darracq (2013) notent, cependant, que c’est plutôt la France qui a
sollicité l’opinion africaine avant l’opération, pour se mettre à l’abri de
critiques dénonçant une intervention «inacceptable».
Dans ses analyses sur les motivations derrière l’opération Serval, Marchal
(2013a) prend en compte la présence des résidents français au Mali, mais
conclut qu’ils sont majoritairement binationaux et n’ont donc pas le même
poids économique que la communauté française en Côte d’Ivoire ou au
Gabon. Précisons toutefois que dans les contextes de conflit, c’est le
nombre de ressortissants français et non leur poids économique, qui compte
lorsqu’il s’agit de déployer ou non une opération de protection ou
d’évacuation. De même, un grand nombre de ressortissants français résidant
en Côte d’Ivoire sont aussi des binationaux. En 2013, pas moins de 6 000
Français se trouvaient au Mali; ce qui fait dire à Kalb (2013) que c’était
pour les protéger que Paris a dû intervenir militairement. Ce qui est sûr,
c’est que la protection des ressortissants français et européens faisait partie
des quatre objectifs assignés à Serval5. Sur le plan économique, Chafer
(2016a) note que le Mali, dépourvu de ressources naturelles importantes,
n’a jamais été un centre d’intérêt majeur pour les entreprises françaises.
Marks (2013) abonde dans le même sens, en soutenant que le Mali ne
produit aucune goutte de pétrole brut et que ses réserves en or et autres
minéraux n’ont rien à voir avec Serval. L’opération visait plutôt à éviter une
situation catastrophique, à savoir la progression des groupes terroristes vers
le sud du pays. Les raisons de l’opération militaire se trouveraient donc
ailleurs, d’après Marks. Certes, il n’y a pas de compagnie française dans
l’exploitation des ressources minières du Mali. Cependant, à ne considérer
que ce type de ressources et le Mali, on risque de perdre de vue d’autres
enjeux.
L’environnement régional et les considérations géostratégiques doivent
être pris en considération. En 2013, au moment de l’intervention militaire
française au Mali, environ 80 000 Français enregistrés officiellement se
trouvaient en Afrique de l’Ouest (Chevènement et Larcher, 2013). L’on sait
que depuis 2007, les Français ont été les plus nombreux parmi les étrangers
enlevés par des groupes terroristes et autres bandes criminelles dans la
région. En 2013, «la France comptait 14 otages en Afrique de l’Ouest»; ce
qui faisait des «Français la nationalité favorite des preneurs d’otages»
(Chevènement et Larcher, 2013, p.  70). De plus, l’Afrique de l’Ouest
compte le plus grand nombre d’anciennes colonies françaises, où Paris
maintient une forte présence économique, militaire et culturelle. En ce qui
concerne les intérêts stratégiques, l’on sait que le Niger abrite d’importantes
mines d’uranium (Arlit et Akoka) exploitées par Areva, une entreprise
publique française. D’ailleurs, l’importance de ces sites, placés sous la
protection de commandos français, est reconnue par les groupes terroristes
qui en font une cible privilégiée6 (Boeke et Schuurman, 2015). Les intérêts
de la France en Afrique ne renvoient pas seulement à des enjeux matériels
ou sécuritaires. L’intervention militaire d’un pays dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme peut servir son rayonnement international. L’opération
Serval a sans doute renforcé la crédibilité de la France dans la lutte contre le
terrorisme, ne serait-ce que dans l’immédiat de l’intervention et, chemin
faisant, consolidé la croyance en son statut d’acteur incontournable contre
le terrorisme en Afrique.
La France a présenté l’opération comme une initiative humanitaire
«visant à aider un pays ami menacé par des groupes terroristes». Or, Serval
ne déroge pas à la règle des interventions françaises antérieures en Afrique:
ingérence pour défendre des intérêts. Il s’agit, en d’autres termes, de
devoirs humanitaires servant à justifier des obligations qui permettent des
devoirs d’ingérence, lesquels servent à dissimuler des intérêts (Sartre,
2017). Qu’en est-il du partenariat souvent évoqué par la France dans ses
relations avec les pays africains?

Les enjeux autour du partenariat avec les États africains


L’opération Serval est relayée le 1er  août 2014 par Barkhane, une force
régionale de 4  000 soldats avec un champ d’action qui couvre cinq pays:
Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad. Mais l’action française
contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest ne se résume pas à Barkhane. La
France s’appuie, en réalité, sur une multitude de leviers: interventions
militaires de grande envergure (Serval et Barkhane), déploiement de faible
ampleur, coopération bilatérale et renforcement des capacités des forces de
sécurité des pays africains, soutien aux organisations régionales, incitation à
la coopération judiciaire entre États, etc. En matière de coopération
bilatérale, la France a renforcé ses liens avec les pays d’Afrique de l’Ouest,
surtout ceux qui sont les plus touchés par le terrorisme. Certes, Paris est un
partenaire traditionnel des pays francophones de la région et de l’Afrique
centrale, comme le Cameroun et le Tchad. D’un point de vue sécuritaire, la
France est engagée avec plusieurs d’entre eux dans un partenariat
stratégique dans différents domaines: efforts de modernisation des armées,
équipements, formation, renseignement, etc. Depuis 2013, ces pays jouent
un rôle important dans l’action de Paris contre le terrorisme: bases ou
détachements militaires au Niger, au Mali, au Burkina Faso et en
Mauritanie, installation du siège de l’opération Barkhane à N’Djamena au
Tchad7, signature d’accords de défense avec le Mali le 16 juillet 2014, puis
avec le Burkina Faso le 9 janvier 2015. La France étend même sa
coopération militaire à des pays anglophones comme le Nigeria, qui doit
faire face à Boko Haram. Au-delà de sa coopération bilatérale avec les pays
d’Afrique de l’Ouest menacés par le terrorisme, Paris les incite également à
coopérer dans des cadres multilatéraux. C’est ainsi que la France a
encouragé les cinq États couverts par Barkhane à mettre en place le G5
Sahel et une force conjointe.
La plupart des leviers mobilisés contre le terrorisme sont d’ordre
sécuritaire et militaire et sont placés dans le registre du partenariat avec les
acteurs de la région. La France encourage donc de manière opportuniste
l’africanisation de la lutte contre le terrorisme. D’aucuns pourraient y voir
une stratégie de mener des actions sous couverture africaine en s’associant,
officiellement, à des pays et mécanismes régionaux africains. La France
pousse également à l’européanisation de certaines des actions
susmentionnées, ainsi que de l’aide au développement.
Le partenariat est présenté comme la pierre angulaire de l’action française
contre le terrorisme en Afrique (République française, 2017c). Il demeure
un enjeu qui sert les intérêts de Paris, raison pour laquelle il convient d’en
saisir les tenants et les aboutissants. Précisons d’emblée que ce thème n’est
pas nouveau. Paris avait déjà décidé, en 1997, de réformer sa coopération
internationale, pour passer de la coopération de substitution au partenariat,
lequel consistait à permettre à ses partenaires africains d’être autonomes et
capables de fixer leurs priorités (De Vaissière, 2003). C’est dans cette
perspective que le programme Renforcement des capacités africaines de
maintien de la paix (RECAMP) a été lancé la même année.
Il y a plusieurs choses intéressantes à souligner sur le partenariat.
Premièrement, l’on sait que l’appropriation africaine des problèmes
sécuritaires du continent, plus connue sous le thème de l’africanisation, est
un sujet populaire en Afrique. La France se positionne dans ce registre pour
être au moins officiellement en phase avec ce thème. Cela est d’autant plus
stratégique qu’elle a souvent été perçue comme un obstacle à
l’africanisation de la résolution des conflits du fait de ses nombreuses
interventions militaires. Deuxièmement, dans la lutte contre le terrorisme, la
France ne semble plus justifier ses opérations militaires par les seuls liens
historiques et traditionnels avec les pays africains. Le principe de la
collaboration avec ces derniers est davantage mis sur un piédestal. L’intérêt
de la rhétorique sur le partenariat permet ainsi à la France de dissiper sa
peur de faire l’objet de critiques, ce qui facilite le retour à des interventions
unilatérales (Chafer, 2016b). Troisièmement, l’africanisation, tout comme
l’européanisation, vise la légitimité internationale, et surtout le partage des
coûts et risques des initiatives contre le terrorisme. Enfin, en matière de
lutte contre la menace, le véritable enjeu de la coopération à partir du
partenariat consiste, pour la France, à trouver des solutions à une menace
transnationale qui nuit à ses intérêts et à ses ressortissants.

L’appui sur la coopération multilatérale


L’appui sur la coopération multilatérale fait partie intégrante de la stratégie
française visant à protéger ses intérêts face au terrorisme en Afrique de
l’Ouest. Cela est particulièrement perceptible dans le G5 Sahel et
l’engagement de l’UE au Sahel.

La France et le G5 Sahel contre le terrorisme


Le G5 Sahel engage des États d’Afrique de l’Ouest, notre champ d’études.
Il a été et continue d’être influencé par la France. Tous les pays du G5 Sahel
sont des anciennes colonies de la France. Avant l’indépendance, ils
correspondaient aux États coloniaux couvrant le même axe est-ouest entre
la Mauritanie et le Tchad (Velde, 2016). Ils ont donc des liens historiques,
culturels et économiques forts avec Paris et ont été touchés à plusieurs
reprises par la violence des groupes terroristes. Le G5 Sahel est créé en
février 2014 à Nouakchott en Mauritanie. Il est composé de cinq pays –
Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad – tous situés en Afrique de
l’Ouest, à l’exception du Tchad. Le G5 Sahel a une force conjointe lancée
officiellement le 2 juillet 2017 lors d’un sommet à Bamako, en présence du
président français Emmanuel Macron. La force prévoit compter sur 5 000
hommes pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé.
Le rôle que la France a joué et joue encore pour l’émergence et la montée
en puissance du G5 Sahel est important. Avant la création du G5 Sahel,
d’autres organisations et mécanismes auraient pu être activés contre le
terrorisme: la CEDEAO, le Processus de Nouakchott – mécanisme de
coopération contre le terrorisme prévu par l’Union africaine –, le Comité
d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC)8. Mais le Burkina Faso, le
Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont préféré s’engager dans un
nouveau régime de coopération. Certes, on pourrait considérer le G5 Sahel
comme une tentative d’adaptation par rapport au caractère dynamique de la
menace terroriste qui transcende les régions. La France a encouragé
l’initiative, grâce à laquelle elle a réussi à contourner le CEMOC créé en
2010 à l’initiative de l’Algérie. Pour Paris, la création du G5 Sahel a été une
excellente occasion de contrer l’influence militaire et stratégique d’Alger
dans la bande sahélo-saharienne. La CEDEAO, l’organisation régionale
africaine la plus expérimentée en matière de paix et de sécurité, s’est
également montrée distante du G5 Sahel qu’elle considère comme une
concurrente. À vrai dire, elle a été mise à l’écart même avant la naissance
du G5 Sahel. La marginalisation a débuté avec l’opération Serval et le
déploiement de troupes tchadiennes, avant d’être confirmée par Barkhane
qui a fait le choix de contourner la CEDEAO en couvrant des pays non
membres comme la Mauritanie et le Tchad, ce qui permet à la France de se
hisser comme «garant de la sécurité en Afrique de l’Ouest» (Chafer, 2016b,
p. 136).
En ce qui concerne le G5 Sahel et sa force conjointe, la France demeure
de loin son plus grand soutien extérieur. Elle en est le parrain, pendant que
Barkhane se pose comme le partenaire technique privilégié de ladite force.
La France joue un rôle de meneur et défend l’intérêt de trouver des
ressources financières au G5 Sahel et à sa force conjointe. Elle a rédigé et
défendu les deux résolutions 2359 et 2391 (2017) dont le G5 Sahel a fait
l’objet jusqu’ici au Conseil de sécurité de l’ONU. Dès son arrivée au
pouvoir en mai 2017, Emmanuel Macron a voulu accélérer la mise en place
de la force conjointe du G5 Sahel et sa montée en puissance. L’on sait
qu’avec l’opération Serval, la France est entrée de manière retentissante
dans la lutte contre le terrorisme dans la région. Ce qu’elle semble vouloir
depuis, c’est extraire Barkhane de son isolement, d’où l’effort investi pour
engager les États africains dans la lutte contre le terrorisme. En raison de
l’influence qu’elle exerce sur ces pays, la France n’a pas eu de difficulté à
obtenir leur coopération dans le cadre du G5 Sahel. Mais en dépit du
soutien de ces États, la France s’est sentie un peu esseulée en Afrique de
l’Ouest. L’opération Barkhane coûterait 941 millions de dollars par an
(Châtelot, 2017), ce qui représenterait 50% du budget de la coopération
française de sécurité et de défense dans le monde9. Il s’agit d’importantes
ressources financières à dépenser pendant que l’économie française traverse
des moments difficiles. Peut-être que les retombées géostratégiques réelles
ou escomptées compensent cela.
Il semble que la France souhaite retirer Barkhane, mais cela ne serait
possible que lorsque la force conjointe du G5 Sahel sera assez autonome.
Ce qui expliquerait son dynamisme dans la recherche de financement du G5
Sahel et de sa force. La France ne semble pas avoir beaucoup d’options,
puisque le G5 Sahel est composé de pays disposant de faibles capacités
économiques et financières, et ce, surtout si la thèse de sa parenté de
l’initiative est confirmée. Le budget annuel de la force conjointe est estimé
à 500 millions de dollars. La France a cherché à faire financer la force par
l’ONU, mais sans succès. Les États-Unis s’y sont opposés et privilégient le
soutien bilatéral aux pays du G5 Sahel. La France implore même la Chine –
son concurrent en Afrique – d’appuyer la force du G5 Sahel. L’UE demeure
le plus grand soutien financier de la force (116 millions de dollars). Ce
soutien financier européen est vu comme le résultat des efforts
diplomatiques de la France (Guéhenno, 2017).

L’européanisation des efforts français


de lutte contre le terrorisme
Le renforcement des politiques extérieures de défense de l’UE demeure une
préoccupation de la politique étrangère française. La France considère
qu’une solide politique de défense et de sécurité de l’UE pourrait favoriser
l’indépendance de celle-ci par rapport aux États-Unis, notamment en
matière de défense, et permettre à l’Union d’être plus influente sur la scène
internationale. C’est ainsi que Paris s’est posé comme acteur clé de la
politique européenne de sécurité. De même, l’européanisation d’opérations
militaires essentiellement françaises permet non seulement d’alléger le
fardeau financier de la France, mais aussi de servir de facteur d’atténuation
des critiques de «néocolonialisme» français ou de pratiques de
«Françafrique». Ainsi, l’Union européenne est de plus en plus impliquée
dans le maintien de la paix et la formation des forces de sécurité des États
africains. La France demeure un des principaux animateurs de cet
engagement croissant, souvent sous son impulsion, notamment lorsqu’il
s’agit de pays francophones. Bien entendu, ce qui sous-tend la motivation
française, c’est la défense de ses intérêts, et c’est encore mieux si ces
derniers et ceux de l’UE convergent, ce qui donnerait à Paris assez
d’arguments pour mobiliser l’union communautaire. Sur beaucoup de
questions comme la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, la
sécurité énergétique, ou encore l’immigration illégale, la France et l’UE se
retrouvent. Outre ces problèmes sécuritaires et ceux de l’immigration, l’UE
a aussi des intérêts économiques en Afrique de l’Ouest, son premier
partenaire commercial en Afrique subsaharienne.
L’UE a commencé à se préoccuper de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel à
partir de 2000, du fait de la détérioration de la situation sécuritaire dans la
région. À rappeler que l’année 2000 correspondait à la deuxième présidence
française de l’UE, après celle de 1995. La France a sans doute influencé
l’UE dans sa prise de conscience par rapport aux enjeux sécuritaires dans le
Sahel. Ente le 1er  juillet et le 31 décembre 2008, elle a aussi profité d’un
autre passage à la tête de l’UE pour pousser l’organisation communautaire à
se tourner davantage vers le Sahel. L’UE doit ainsi, en partie, son
implication dans la région à l’influence de la France, qui perçoit celle-ci
comme une frontière géographique proche. Une preuve palpable de ce
constat se trouve dans l’adoption, par l’UE, en 2011, d’une stratégie pour la
sécurité et le développement dans le Sahel. Cette stratégie se limitait,
initialement, à trois pays seulement: le Mali, le Niger et la Mauritanie.
Cependant, sous l’impulsion de son envoyé spécial pour le Sahel, le
Français Michel Reveyrand de Menthon, l’UE a élargi, en mars 2014, la
zone de couverture de sa stratégie au Burkina Faso et au Tchad, pour ainsi
couvrir les mêmes cinq pays que le G5 Sahel, créé, nous l’avons dit, sous
l’influence de la France.
Le Mali et le Niger, les pays les plus exposés au terrorisme et à
l’immigration clandestine vers l’Europe, retiennent particulièrement
l’attention de la France et de l’UE. Le terrorisme a une forte présence dans
le nord du Mali, pendant que le Niger, parcouru et touché aussi par des
groupes terroristes, demeure une plaque tournante pour les mouvements
migratoires ainsi qu’un point de transit majeur vers l’Europe. Raison pour
laquelle, dans le cadre de sa Politique de sécurité et de défense commune
(PSDC), l’UE mène au Niger une mission civile de formation et de conseils
dénommée Mission européenne pour le renforcement des capacités au
Niger (ou Mission EUCAP Sahel Niger). Le mandat de cette mission est de
fournir des conseils et cycles de formation aux services de sécurité
nigériens pour combattre l’immigration clandestine, le terrorisme et le
crime organisé. Le même type de mission civile est mis en œuvre par l’UE
au Mali. Il s’agit de EUCAP Sahel Mali, qui fournit des conseils en matière
de réforme du secteur de la sécurité. Ce pays accueille également la mission
européenne de formation militaire EUTM (European Union Training
Mission in Mali) qui œuvre aussi dans la réforme du secteur de la sécurité
et forme des agents des ministères de la Défense et de la Justice. Le but de
ces missions consiste à renforcer les capacités de l’État malien à lutter
contre le terrorisme.
Globalement, l’UE éprouve beaucoup de difficultés à mettre en œuvre
une stratégie cohérente en Afrique de l’Ouest. Ses membres n’ont pas les
mêmes intérêts dans la région. La France, quant à elle, accorde la priorité à
«sa sphère d’influence» traditionnelle, à savoir les pays francophones, là où
elle a plus d’intérêts, tout en ayant l’œil sur le Nigeria avec l’ambition d’y
occuper une position importante, notamment sur le plan économique. Au
sein de l’UE, il s’est développé le sentiment que la France instrumentalise,
pour ses propres intérêts, l’Union qu’elle pousse à assumer plus de
responsabilités. C’est ainsi que plusieurs États européens n’ont pas manqué
de traîner des pieds lorsqu’il est question de s’engager dans la résolution de
conflits en Afrique, notamment dans l’espace francophone. Sans doute,
l’implication de l’UE permet-elle à la France de partager le fardeau des
responsabilités financières et matérielles ainsi que les risques. Cependant, la
politique européenne de sécurité en Afrique n’est pas un simple
prolongement de la politique africaine de la France, elle permet aussi de
diluer l’influence de celle-ci (Brosig, 2015).

Les enjeux du rapprochement avec le Nigeria


La France et le Nigeria ont souvent entretenu une certaine rivalité en
Afrique de l’Ouest. Le Nigeria est la première puissance de la région. En
matière de résolution des conflits, il a souvent fait prévaloir le principe qui
veut que les États et les organisations internationales africains se trouvent
aux avant-postes des initiatives, d’où son rôle de dirigeant dans différents
processus de paix. Cependant, en dépit de son poids dominant et d’un rôle
de chef de file constructif, le Nigeria peine encore à s’imposer du fait de la
défiance des pays francophones. Il a souvent considéré qu’une telle
difficulté provenait de la France qui les ins- trumentalise. De son côté, Paris
a aussi regardé Abuja comme une «menace» à ses intérêts dans la région.
La France et le Nigeria semblent trouver, ces derniers temps, un facteur
de rapprochement dans la lutte contre le terrorisme. En illustre le fait que
Paris a accueilli, le 17 mai 2014, le 1er Sommet international sur le groupe
Boko Haram et la sécurité en Afrique occidentale. Les pays réunis à Paris –
Bénin, Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad – ont insisté sur le renforcement
de la coopération régionale tant sur un plan bilatéral que multilatéral. La
coopération s’est déclinée de différentes manières: patrouilles coordonnées,
mise en place de systèmes de partage d’informations et de mécanismes de
surveillance des frontières. Pour mieux combattre Boko Haram, la France a
envoyé des forces spéciales pour former des éléments des forces nigérianes
et fourni des images satellitaires captées par des chasseurs rafale basés au
Tchad et d’autres informations dans la zone du lac Tchad où sévit Boko
Haram (Le Parisien, 2016). Elle a aussi aidé à la formation de Nigérians à
l’interprétation d’imagerie par le renseignement. Cette forme de
coopération militaire entre Abuja et Paris est sans précédent.
Ce qui est intéressant à relever, c’est le changement d’attitude autant du
côté de la France que du Nigeria. Le Nigeria a longtemps considéré Boko
Haram comme un problème intérieur et semblait avoir confiance en sa
capacité à venir à bout du groupe. Cependant, très vite, Abuja se rend
compte que son armée ne pourra pas faire le travail nécessaire contre le
groupe qui traverse facilement les frontières poreuses avec les pays voisins,
à savoir le Cameroun, le Niger et le Tchad. Dans le même temps, ces pays
ne semblaient pas faire assez pour empêcher Boko Haram d’utiliser leurs
territoires comme sanctuaires. Pour améliorer la collaboration avec ses
voisins, le Nigeria accepte alors de coopérer avec la France, mais aussi avec
ses voisins dans le cadre de la Force multinationale mixte.
La France, elle, s’est rapprochée du Nigeria pour plusieurs raisons. Ce
pays, tout comme l’UE, a deux préoccupations sécuritaires majeures: le
terrorisme et la piraterie maritime. Les attaques de pirates ont presque
doublé en Afrique de l’Ouest, de 54 en 2015 à 97 en 2017, et ont
principalement eu lieu au large des côtes du Nigeria, notamment dans le
delta du Niger, qui est aussi une importante zone d’exploitation de pétrole
(OBP, 2017). Rappelons que le Nigeria demeure le premier fournisseur
d’hydrocarbure naturel de la France (République française, 2017b). La
recrudescence de la violence menace donc ses importations du pétrole
nigérian. La France considère aussi Boko Haram comme une menace pour
ses intérêts et ceux de ses alliés dans la région. Elle appréhende une
expansion du terrorisme dans le golfe de Guinée, où la présence
économique et humaine européenne – 400 000 Européens expatriés, dont
plus de 80 000 Français – demeure importante (Cols bleus, 2017). L’effort
de Paris au Nigeria s’avère crucial du fait surtout des accointances réelles
ou supposées entre Boko Haram et d’autres groupes terroristes dans le
Sahel. En 2012 et 2013, selon l’ONU (2014), plusieurs membres de Boko
Haram auraient combattu dans les rangs de groupes affiliés à Al-Qaïda au
Mali. La France redoute que les combattants de ce groupe se multiplient et
s’implantent dans d’autres pays comme le Niger. Pour commencer à les
combattre, Paris s’est attaqué au financement du mouvement. Lors du
Sommet de Paris, la France a demandé à ce que l’ONU accélère la
formulation de sanctions à l’encontre de Boko Haram, d’Ansaru et de leurs
principaux responsables. Le 22 mai, soit cinq jours seulement après ledit
sommet, Boko Haram est effectivement ajouté à la liste des entités faisant
l’objet de sanctions financières ciblées et d’embargos sur les armes.
Un autre fait intéressant à relever: au début de son mandat en 2012,
François Hollande a annoncé vouloir doubler les échanges économiques
avec l’Afrique pour redresser la pente déclinante de la France sur le
continent. Pour reconquérir le terrain perdu et créer des emplois à l’échelon
national, la France a en ligne de mire le Nigeria, le plus grand marché
d’Afrique avec ses 195 millions d’habitants en 2018. Dans le Livre blanc de
2013, le Nigeria est présenté comme un «interlocuteur de premier plan»
(République française, 2013, p.  55). Ce pays est devenu le premier
partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne et la première
destination des flux d’investissement français sur le continent. Pas moins de
120 entreprises françaises sont également en activité au Nigeria. La France
appréhende que certaines de ses compagnies en activité dans des endroits
isolés soient visées par des attaques terroristes. La lutte contre Boko Haram
et d’autres formes de menaces sécuritaires constitue un important enjeu
pour ce pays. Depuis le Sommet de Paris du 17 mai 2014, les relations
bilatérales entre la France et le Nigeria ont connu un développement rapide
et sans précédent. La coopération a débouché sur la signature de nombreux
accords dans les domaines économiques, de la sécurité et de la défense. Le
14 septembre 2015, lors d’une rencontre entre le président nigérian,
Muhammadu Buhari, et François Hollande à Paris, les ministères de la
Défense des deux pays ont décidé de mettre en place un haut comité de
défense pour la coopération militaire et un conseil franco-nigérian pour le
commerce et l’investissement. On peut donc interpréter la contribution de
Paris dans la lutte contre le terrorisme à l’aune des perspectives
économiques qu’offre ce pays.

***

L’Afrique de l’Ouest retient davantage l’attention de la communauté


internationale du fait des différents types de menaces sécuritaires qui y
sévissent – terrorisme, crime organisé, piraterie, violences
intercommunautaires, etc. Pour combattre le terrorisme qui sévit dans la
région et menace ses intérêts, la France s’appuie sur une gamme variée de
leviers qui lui sont propres comme les moyens militaires, matériels et
financiers. La France met aussi à profit ses liens traditionnels avec les États
francophones de la région, tout en se rapprochant du Nigeria, pays avec
lequel elle a pourtant eu une interaction compétitive dans la région. De
manière plus globale, l’action de la France contre le terrorisme en Afrique
est portée par le discours sur le partenariat, un angle d’approche stratégique
en réponse au populaire thème de l’africanisation et par anticipation aux
éventuelles critiques contre ses interventions militaires sur le continent.
Dans le même temps, Paris met en avant l’européanisation qui combine à la
fois internationalisation, multilatéralisme et division des tâches: pendant
que la France se trouve au front sur le terrain, l’UE met l’accent sur l’aide
au développement, le soutien financier à la force régionale du G5 Sahel, la
formation des forces de sécurité des États, etc. Alors que l’opération
Barkhane et la Force conjointe du G5 Sahel largement soutenue par la
France ont pour mission de combattre les groupes terroristes, la MINUSMA
(Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la
stabilisation au Mali), elle, se charge du maintien de la paix et du soutien au
processus de paix au Mali. De par le partenariat et l’européanisation, la
France cherche aussi à légitimer ses initiatives, mais aussi à partager les
coûts et les risques des efforts contre le terrorisme. C’est le souci de
partager le fardeau de la lutte contre le terrorisme qui explique également le
fait que Paris encourage et soutienne la coopération régionale du G5 Sahel
et de la Force multinationale mixte du bassin du lac Tchad. Dans le cadre du
G5, il s’agit, sur le court terme, de soulager l’opération militaire Barkhane,
et de la retirer plus tard dès lors que la force conjointe de l’organisation est
assez autonome pour faire le travail toute seule. Dans tous les cas, il s’agit,
pour la France, de trouver des réponses à une menace transnationale contre
ses intérêts, ce qui pourrait ne pas être forcément en bon ménage avec les
intérêts des pays africains qui sont les théâtres de ces interventions.

1. Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Niger, Mauritanie, Sénégal et Togo.
2. Bénin, Burkina Faso, Cap-Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Liberia,
Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone et Togo.
3. Banques, logistique, télécommunications, ordinateurs et équipements de communication,
infrastructures, transport aérien, énergie renouvelable, produits alimentaires et pharmaceutiques,
boissons, engrais, etc.
4. Dont Alpha Condé de la Guinée, Mahamadou Issoufou du Niger et Macky Sall du Sénégal.
5. Les trois autres objectifs étant: stopper la progression des groupes terroristes, protéger l’intégrité et
la souveraineté du Mali, favoriser les conditions nécessaires à l’intervention de forces africaines.
6. Le MUJAO (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) et Al-Qaïda au Maghreb
islamique (AQMI) ont lancé une attaque contre la mine d’Arlit le 23 mai 2013.
7. N’Djamena est également la plateforme aérienne de la Force multilatérale mixte (FMM) contre
Boko Haram, pilotée par l’Union africaine et la Commission du bassin du lac Tchad.
8. Le CEMOC comprend l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Sa mission principale consiste
à combattre le terrorisme et d’autres formes de crime organisé dans le Sahel.
9. Emmanuel Macron, dans son discours lors du Sommet de Bamako le 2 juillet 2017.
Troisième partie

L’Afrique
Chapitre 6

La stratégie algérienne
entre sécurité intérieure
et stabilité régionale
LAURENCE-AÏDA AMMOUR

Toujours aux prises avec un terrorisme persistant, associé à une instabilité


régionale chronique, l’Algérie n’hésite pas à se présenter comme un
«exportateur de sécurité et de stabilité» et à rassurer ses voisins sur sa
capacité à fournir des solutions politiques aux crises régionales. Cette
posture coïncide avec le retour d’une diplomatie algérienne proactive et
offensive, soucieuse de s’affirmer dans plusieurs dossiers sensibles et
complexes après une période d’attentisme liée à la surprise stratégique des
«printemps arabes». Alger mène de front une double stratégie de sécurité
sur le plan militaire et diplomatique, au cœur de laquelle la protection du
territoire national reste cruciale, et s’accompagne d’un renforcement des
outils judiciaires par plusieurs amendements de son Code pénal. À l’échelle
continentale, l’Algérie demeure très active dans l’élaboration et la mise en
place des mécanismes africains de coopération sécuritaire et des dispositifs
de lutte contre le terrorisme.
Bien que le nombre d’attaques terroristes en Algérie ait diminué
significativement ces dernières années, des poches de maquis subsistent
dans les régions montagneuses de Kabylie et dans l’Ouest (Bechir, 2017).
L’Algérie fait donc face à un double défi. Le premier est celui du terrorisme
intérieur qui, même avec de faibles effectifs, reste une menace sérieuse. Le
second défi, et non des moindres, auquel l’Algérie doit faire face consiste à
empêcher que les combattants maghrébins venant de Libye, d’Irak et de
Syrie ne trouvent refuge sur son territoire. Les autorités s’alarment en effet
de l’intensification du flux de «revenants» consécutif aux échecs essuyés
par Daech en Irak et à la perte récente de Raqqa (son fief en Syrie), car il
laisse présager la réactivation de cellules dormantes dans la région, en
particulier en Tunisie et en Libye. Selon le ministère de la Défense
nationale (MDN), l’Algérie a également démantelé, en 2017, une filière de
terroristes marocains transitant par l’aéroport d’Alger pour rejoindre la
Libye, révélant que le pays servait de zone de transfert vers le front proche-
oriental (Haider, 2016)1.

Priorité à la sécurité intérieure


Les attaques contre le site gazier de Tiguentourine (In Amenas) en janvier
2013 par le groupe al-Mourabitoun de Mokhtar Belmokhtar, consécutive
aux attentats contre des casernes de gendarmerie à Tamanrasset (juin 2010
et mars 2012), siège de la 6e  région militaire, et à Ouargla (par le
Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest ou MUJAO, en
juin 2012), siège de la 4e région militaire, ont démontré une forte capacité
opérationnelle des terroristes dans des zones pourtant hautement
militarisées. Dix jours après In Amenas, c’était au tour du gazoduc de la
région de Bouira (125 km au sud-est d’Alger), qui achemine le gaz du
champ de Hassi R’Mel, d’être la cible d’une nouvelle action de terroristes
armés (Le Matin, 2012; Naudé, 2013). À l’époque, Alger n’avait pas encore
pris la mesure de la gravité de la menace et ces événements révélaient des
défaillances dans la surveillance du territoire et des sites stratégiques
sahariens, qui sont pourtant le cœur de l’économie algérienne et gage de sa
survie.

Des moyens militaires au service


de la protection du territoire national
Près d’une décennie d’embargo dans les années 1990 et une surutilisation
des équipements dans le cadre de la guerre contre le terrorisme ont
durement grevé les capacités de l’Armée nationale populaire (ANP). En
effet, la guerre civile (1992-1999) avait absorbé énormément de ressources
au point que la modernisation des forces armées algériennes s’en était
trouvée ralentie, voire freinée. Depuis lors, les améliorations et les mises à
niveau entreprises en matière d’entraînement et de préparation à la guerre
asymétrique (contre les groupes terroristes et criminels), ainsi que dans les
domaines logistiques et de soutien des forces ont porté leurs fruits.
L’embellie financière des années 2000 a permis de passer progressivement à
une nouvelle stratégie plus ambitieuse, consistant à investir dans des
capacités d’interdiction aérienne afin de créer une véritable bulle de défense
et de projection de forces. Cette ambition s’est appuyée sur un
investissement de plusieurs milliards de dollars dans les derniers systèmes
de défense aérienne et de guerre électronique.
L’Algérie est consciente que la persistance de l’instabilité régionale et la
nature polymorphe de la menace exigent de porter son effort sur
l’entraînement des troupes, de procéder à la mise à niveau de ses forces
conventionnelles et de mettre en adéquation leurs capacités opérationnelles
avec l’usage d’équipements sophistiqués et la conduite des futures
missions. Désormais, renforcer la flexibilité, la mobilité et le déploiement
rapide lors des opérations de lutte contre le terrorisme est devenu la
principale priorité de la politique de défense algérienne. Les autorités ont
donc été amenées à faire preuve d’un plus grand pragmatisme dans leur
stratégie opérationnelle et dans les acquisitions d’armements.
L’accroissement significatif des dépenses de défense et du volume des
acquisitions de matériel militaire, notamment depuis les soulèvements
arabes, vise essentiellement la modernisation et la professionnalisation des
forces armées, par le remplacement des équipements russes devenus
obsolètes et la mise en œuvre de programmes ciblés de formation et
d’entraînement des forces de sécurité. Enfin, les liens étroits de l’Algérie
avec les conseillers européens et américains, ainsi que les exercices
conjoints avec l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) depuis
les années 2000 ont quelque peu infléchi la conception soviétique de
l’action militaire qui a longtemps sous-tendu la formation de nombreux
hauts gradés, d’autant que la lutte contre le terrorisme est désormais l’une
des missions centrales des forces armées.

Des capacités de défense en constante augmentation


Au Maghreb, l’Algérie est la première puissance militaire en forces, en
équipements et en capacité. Qualitativement et quantitativement supérieure,
elle est constituée de 512 000 militaires actifs et de 400 000 réservistes. En
2018, l’Algérie est la deuxième puissance militaire en Afrique (après
l’Égypte), avec un budget de défense de près de 9,8 milliards de dollars
(Global Firepower, 2017), représentant environ 6,55% de son PIB (produit
intérieur brut) et 15% du budget global2. Elle au 5e rang mondial des pays
importateurs d’armement (SIPRI, 2019). Les dépenses militaires de
l’Algérie devraient atteindre 16 milliards de dollars à l’horizon 2020
(Market Research, 2016). L’augmentation des soldes et la prise en charge
par le ministère de la Défense de corps supplémentaires et de nouvelles
missions, auparavant confiées à d’autres entités, expliquent les sommes
allouées à la défense: entre 2011 et 2013, la lutte contre le terrorisme et
celle contre le trafic de drogue sont passées sous tutelle du ministère de la
Défense.

La doctrine algérienne de non-intervention


face au principe de réalité
La doctrine de l’Algérie en matière de politique étrangère reste un élément
central de sa posture militaire: elle interdit à l’ANP de prendre part à toute
action militaire en dehors du territoire national. Alger a toujours invoqué ce
principe pour justifier que ses forces armées ne soient jamais intervenues au
Mali afin d’éradiquer AQMI, même lorsqu’elle y était fortement invitée par
ses voisins sahéliens. Pour autant, le principe de non-intervention peut
s’accompagner d’interventions discrètes comme lorsque, le 20 décembre
2011, cinq jours avant qu’un Touareg malien du nom de Iyad Ag Ghali
n’annonce l’établissement d’un nouveau groupe islamiste appelé Ansar
Dine dans le nord du Mali, 200 hommes des forces spéciales algériennes
avaient franchi la frontière malienne pour officiellement entraîner des
militaires maliens dans la région de Kidal. Les instructeurs algériens
s’étaient retirés du pays alors que le conflit était sur le point d’éclater3. Au
sein des cercles diplomatiques et militaires algériens, un certain clivage
générationnel existe sur le bien-fondé du précepte de non-intervention
militaire: les plus âgés, partisans de la classique approche défensive,
continuent de penser qu’il faut s’en tenir au principe constitutionnel de non-
interférence, tandis que les plus jeunes prônent une adaptation de cette
doctrine aux réalités actuelles au cas par cas.
L’instabilité croissante en Libye et en Tunisie a contraint Alger à infléchir
légèrement le principe de non-interférence pour mener des opérations
ponctuelles destinées à neutraliser certains groupes terroristes menaçant sa
sécurité aux frontières. En mai 2014, 3 500 parachutistes et un contingent
logistique de 1 500 hommes ont été envoyés en Libye en coordination avec
les marines américains et les forces spéciales françaises basées au Niger.
Les objectifs de cette mission étaient d’éliminer les membres d’AQMI
présents dans les villes de Nalout et Zintan, sources des transferts d’armes
vers la Tunisie et l’Algérie, et de détruire les infrastructures et les camps
d’entraînement situés dans la région de Sebha dans le Sud libyen. En août
2014, une opération conjointe impliquant 8  000 hommes côté algérien,
soutenus par 6  000 hommes côté tunisien, s’est déroulée dans les monts
Châambi. Les troupes algériennes ont traversé la frontière tunisienne pour
prendre en tenaille les groupes terroristes sévissant dans cette zone refuge,
entre Kasserine (Tunisie), Biskra et Tebessa (Algérie).

Réorganisation territoriale et sécurisation


des infrastructures stratégiques
En juillet 2012, au lendemain du «printemps arabe» et des attentats de
Tamanrasset et d’Ouargla, deux nouvelles régions militaires sont créées
dans le cadre d’une révision de l’organisation de la défense territoriale: une
associée à la 4e région (Ouargla), qui abrite les champs pétrolifères de Hassi
Messaoud, où une caserne de gendarmerie avait été ciblée par un attentat-
suicide en juin 2012, et une autre associée à la vaste 6e  région de
Tamanrasset, qui abrite le Comité d’état-major opérationnel conjoint
(CEMOC), où une attaque contre une caserne de gendarmerie avait été
perpétrée en mars de la même année. Parallèlement, deux secteurs militaires
opérationnels ont été installés à Bordj Badji Mokhtar et à In Guezzam. Leur
principale mission est de contrôler les frontières grâce à un système de
surveillance électronique équipé de radars et de systèmes d’alarme capables
de détecter les tentatives d’infiltration du territoire par les véhicules ou les
personnes. Les autorités tirant les leçons de l’attaque contre le site d’In
Amenas en janvier 2013, une 7e  région militaire est créée dont le quartier
général est établi dans la ville d’Illizi (nord-est d’In Amenas), à une
centaine de kilomètres de la frontière libyenne, afin de mettre en place un
maillage plus fin du territoire saharien et de permettre le déploiement d’un
plus grand nombre de forces le long des frontières ouest et sud, où
30 000 hommes sont déjà positionnés. De nouvelles bases pour les forces de
sécurité ont aussi été construites à proximité des autres champs pétroliers et
gaziers de Hassi Messaoud (province d’Ouargla), Tin Fouyé Tabankort
(province d’Illizi) et Adrar. Le 1er  novembre 2014, une nouvelle base est
inaugurée près de Tamanrasset, qui s’ajoute aux quinze bases aériennes déjà
existantes.

La délicate recherche de stabilité régionale


Face à une situation régionale qui se complexifie de jour en jour depuis
2011, la diplomatie algérienne, rétive à la militarisation du Sahel par la
France et les États-Unis, continue d’invoquer la solution politique aux
crises saharo-sahéliennes. Dictée par des motivations tactiques, l’action des
responsables algériens cherche avant tout à éviter les conséquences
stratégiques irréversibles qu’aurait une nouvelle intervention étrangère en
Libye pour le pays et ses voisins. L’opération française Serval au Mali en
2013 et la détérioration rapide de la situation en Libye créaient un contexte
volatil obligeant Alger à s’engager dans une stratégie antiterroriste nouvelle
en Afrique du Nord comme au Sahara-Sahel. À l’époque, l’Algérie avait
ainsi apporté une aide logistique, discrète mais indispensable, aux forces
françaises engagées au Mali (Chevènement et Larcher, 2013)4. Alger avait
autorisé le survol de son territoire par les avions de chasse et les
hélicoptères français, assuré leur ravitaillement en carburant, aidé à
l’identification du corps du chef d’AQMI, Abou Zeïd, et fermé ses
frontières avec le Mali pour empêcher les groupes terroristes de se
réapprovisionner et de se réfugier sur son sol. Simultanément, la présence
de l’ANP dans le grand Sud algérien, espace privilégié des trafiquants et
des terroristes, avait été augmentée de 35 000 hommes. L’Algérie avait
également mis en place une salle d’opération pour coordonner les actions
entre officiers algériens et leurs homologues étrangers du renseignement.
Par ailleurs, en accord avec ses voisins sahéliens, l’Algérie avait décidé de
soutenir et d’armer des milices arabes nomades actives dans le nord du Mali
et du Niger5.
Depuis 2016, l’Algérie a pris plusieurs mesures défensives et offensives
pour lutter contre le terrorisme et les activités criminelles associées comme
le trafic d’armes et de drogue: construction de barrières aux frontières avec
la Libye, la Tunisie et le Maroc; mise en place d’un dispositif de
surveillance électronique au Sahara; multiplication des arrestations de
personnes suspectées d’être impliquées dans des trafics illicites; destruction
de bunkers d’armes et de refuges de terroristes; prévention d’attaques et de
recrutement de jeunes désireux de rejoindre les rangs de Daech. Sur la
frontière ouest, les moyens du deuxième commandement de Gendarmerie
nationale basé à Oran, chargé de la lutte contre la contrebande (cannabis en
provenance du Maroc, carburant et karkoubi6 venant d’Algérie), avaient été
renforcés à l’été 2013 par le creusement sur 700 km de tranchées équipées
de caméras de surveillance. Sur la frontière libyenne, la Compagnie de
reconnaissance et de guerre électronique de l’ANP a recours aux unités
méharistes pour collecter des renseignements en temps réel sur les
infiltrations de terroristes et les convois d’armes en provenance de Libye
(Tlemçani, 2014). Ces patrouilles montées sur dromadaire couvrent la zone
de Tarat, à 170  km au sud de la wilaya d’Illizi et à 160  km de Ghat,
immense marché d’armement lourd où kalachnikovs, lance-missiles et chars
sont moins chers que les produits alimentaires. D’un point de vue
institutionnel, la multiplication des dispositifs régionaux dont les domaines
d’intervention se chevauchent complique la coopération régionale et
affaiblit leur efficacité. Elle s’ajoute à la rivalité algéro-marocaine sur le
Sahara occidental et aux stratégies concurrentes des deux pays dans la zone
sahélienne, compromettant sérieusement toute action commune en matière
de sécurité régionale.
L’Algérie, qui se considère comme seule habilitée à assurer la sécurité
dans la région, a cherché à améliorer et à renforcer la coordination régionale
en mettant sur pied en avril 2010 le Comité d’état-major opérationnel
conjoint (CEMOC) basé à Tamanrasset et regroupant les «pays du champ»
(Algérie, Mali, Mauritanie et Niger) et dont l’objectif était de légaliser toute
opération sur le sol des pays voisins. Cette entité a pourtant été le grand
absent des crises qui secouent la région depuis 2011. Le CEMOC a en effet
toujours souffert d’un manque de consensus interne, certains pays
désapprouvant l’absence du Maroc, de la Libye et du Tchad. De plus, le
CEMOC se trouve depuis février 2014 supplanté par le G5 Sahel voulu par
la France et appuyé par l’Union européenne dans lequel l’Algérie n’est pas
impliquée (à ce sujet, voir le chapitre 5 de Moda Dieng). Dans un contexte
bilatéral, Alger est engagée dans de nombreuses initiatives dans le domaine
de la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans l’aide à ses voisins
maghrébins et sahéliens.

Une coopération algéro-tunisienne volontariste


Alger veut absolument éviter que son voisin tunisien ne bascule dans une
logique de guerre civile et de terrorisme et que d’importantes villes
algériennes à la frontière ne soient à la portée d’attaques de terroristes
venus de Tunisie. Aussi, la diplomatie d’Alger s’accompagne d’une
collaboration opérationnelle active avec Tunis. Pour pouvoir agir en Libye,
Alger doit s’assurer que son voisin tunisien s’engage dans un processus de
stabilisation politique et que les menaces à la sécurité que représentent les
groupes terroristes, en particulier dans le Djebel Châambi (frontière algéro-
tunisienne), sont neutralisées ou du moins combattues efficacement des
deux côtés de la frontière. C’est pourquoi, en 2013, Alger et Tunis ont signé
un accord de sécurité inédit qui autorise les forces algériennes à pénétrer sur
le territoire de son voisin en cas de nécessité et s’accompagne de la mise en
place de dispositifs militaires frontaliers: 80 points de contrôle installés sur
les 956 km de frontière commune; 20  zones militaires créées; 60 000
hommes déployés.
En vertu d’un second accord passé à Tebessa le 22 juillet 2014, l’Algérie
a livré à son voisin tunisien des missiles sol-air et des avions de fabrication
russe et mis à sa disposition des drones Seekers et des hélicoptères pour la
traque des groupes terroristes. Des patrouilles mixtes (14 000 hommes) ont
également été formées pour ratisser la frontière. Enfin, des éléments des
forces aériennes tunisiennes suivent une formation accélérée en Algérie sur
des hélicoptères russes Mi-24 et Mi-28. En septembre 2017, l’échange de
renseignements a également permis aux autorités algériennes d’alerter les
services de sécurité tunisiens sur l’existence d’un réseau de trafic d’armes
basé en Tunisie et organisé par des milices libyennes à la frontière entre les
deux pays.

La Libye: un révélateur d’intérêts divergents


En Libye, l’Algérie s’est clairement positionnée pour un dialogue national
inclusif et une réconciliation entre toutes les parties, y compris les tribus et
les anciens gaddhafistes. En appuyant une initiative politique, Alger a
cherché à endiguer les transferts d’armes depuis la Libye. Elle souhaitait
aussi réactiver les accords de Ghadamès signés en 2013 entre l’Algérie, la
Tunisie et la Libye, mais qui n’ont jamais pu être mis en œuvre dans la
mesure où les frontières libyennes sont contrôlées par certaines milices
terroristes ou par des réseaux locaux de trafiquants. Confortée par
l’initiative de l’envoyé spécial des Nations unies et par la position du
Dialogue 5+5 à Madrid en septembre 2014, qui a condamné unanimement
la proposition française d’action militaire et plaidé pour une solution
politique, l’Algérie s’est opposée aux frappes aériennes menées en Libye
par l’Égypte et les Émirats arabes unis (EAU), considérant que cette
intervention faisait courir un risque de déflagration à toute la région. Forte
de son rôle dans le dialogue intermalien et de l’accord de paix signé en
2015, Alger cherche à tout prix à éviter que l’option militaire favorisée par
la France, l’Égypte, les EAU et l’Italie ne compromette le bon déroulement
des premières discussions interlibyennes qu’il a accueillies sous l’égide de
la Mission d’appui des Nations unies en Libye (UNSMIL). Durant plusieurs
mois, les autorités algériennes ont discrètement rencontré pas moins de
deux cents interlocuteurs libyens, parmi lesquels les grandes tribus de
l’Ouest fidèles à l’ancien régime, longtemps marginalisées (Warshafana,
Gaddaffa, Warfalla, al-Megharha). Alger avait également accepté la
demande du représentant de la Libye à l’ONU, Ibrahim Dabbachi, de
former l’armée libyenne.
Les multiples sessions de pourparlers qui ont eu lieu à Alger n’ont
cependant pas abouti à une amélioration de la situation politique et
sécuritaire. Les accords de Skhirat (Maroc) signés en décembre 2015 sous
l’égide de l’ONU n’ont pas permis d’avancées significatives. En
collaboration avec ses voisins nord-africains, l’Algérie n’en continue pas
moins de déployer une diplomatie de dialogue. Réunis en février 2017 à
Tunis, les ministres des Affaires étrangères algérien, tunisien et égyptien
ont réaffirmé leur refus d’une intervention militaire occidentale en Libye et
le souhait que les accords de Skhirat restent le socle des futures
négociations interlibyennes. Le seul acquis dont le Gouvernement d’union
nationale libyen peut se vanter est l’éviction de Daech de la ville de Syrte
en 2016, un succès imputable à la mobilisation d’une coalition de milices –
principalement de Misrata –, et non à l’intégration de l’armée qui n’existe
toujours pas. Il s’agit cependant d’une victoire relative, puisque Daech a fait
son retour à Sabratha ou Nawfaliyah. De plus, il semblerait qu’Aboubakar
Al Baghdadi se trouve entre le Tchad et le Niger, ce qui confirmerait qu’une
réactivation de Daech en Afrique est à l’œuvre.

L’inextricable crise malienne


Après avoir condamné le coup d’État militaire au Mali en 2012, le
gouvernement algérien est resté plusieurs mois étrangement silencieux,
hormis quelques déclarations sporadiques sur l’aggravation de l’instabilité
dans ce pays. Cet attentisme peut s’expliquer par des raisons d’ordre
intérieur: les élections législatives du 10 mai 2012 et la compétition entre
élites rivales pour la présidence à pourvoir en 2014. L’Algérie avait
pourtant participé à toutes les négociations relatives à la question touareg
malienne depuis les années 1990. Toute crise au nord du Mali a toujours été
considérée par Alger comme porteuse d’une potentielle déstabilisation du
Sud algérien où vivent plusieurs milliers de réfugiés maliens, dont certains
naturalisés algériens y sont définitivement établis.
C’est seulement en juin 2012 que les autorités algériennes ont fait
clairement état de leur préférence pour une «solution politique par le
dialogue» et engagé un mois plus tard des négociations avec des groupes
terroristes occupant le nord du Mali: Ansar Dine et le Mouvement pour
l’unicité et le jihad an Afrique de l’Ouest (MUJAO), ainsi que le
Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), qui s’est
presque aussitôt retiré des pourparlers et a refusé la médiation d’Alger.
Cette stratégie très critiquée pour son ambiguïté visait vraisemblablement à
semer la division entre les groupes terroristes pour les affaiblir: en
instrumentalisant Ansar Dine, l’Algérie croyait pouvoir entamer une
politique d’apaisement afin de recouvrer sa stature de chef régional. Ce
choix s’est avéré peu avisé, puisque dès la fin 2012, le dirigeant du groupe
touareg, Iyad Ag Ghali, a rompu l’accord signé sous les auspices d’Alger
avec le MNLA. La ligne d’action d’Ansar Dine a rapidement révélé
d’autres ambitions politiques dès lors qu’il a pris la tête de l’offensive des
groupes radicaux vers le sud du Mali. À partir de 2013, Alger, à la tête
d’une délégation internationale, décida de réunir tous les acteurs
institutionnels et non étatiques de la crise malienne, démarche qui fut bien
accueillie par le président Ibrahim Boubakar Keita. Bamako s’inquiétait
notamment de la situation d’exception de Kidal dont la sécurité alimentaire
et l’économie reposent entièrement sur le commerce légal et illégal avec le
Sud algérien. Mais le résultat n’a pas été à la hauteur du travail accompli.
L’accord d’Alger signé en juin 2015 à Bamako est encore loin d’être
respecté et fait l’objet de nombreuses remises en question de la part de
différents groupes mécontents de ne pas avoir eu un rôle politique plus
important dans les pourparlers de paix intermaliens, comme en témoignent
les nombreuses violations du cessez-le-feu. La disparité des groupes a
conduit à un foisonnement de mouvements aux intérêts contradictoires et
peu représentatifs.
Loin d’apporter une réponse satisfaisante à la crise malienne, cet accord
(d’Alger) reproduit des institutions politiques qui n’ont pas fonctionné
jusqu’ici sans se donner les moyens de les améliorer. Ce manque
d’imagination politique est lié aux priorités des acteurs réunis à Alger: la
médiation internationale privilégie la restauration de l’ordre et la stabilité
dans une situation marquée au contraire par l’aspiration des populations du
Nord au changement. De leur côté, les parties maliennes manquent
d’ambition: elles conçoivent l’accord comme un moyen de consolider leurs
positions et d’affaiblir l’adversaire. À Alger, il aurait fallu trouver un
meilleur compromis entre ordre et changement (ICG, 2015a).
Parallèlement au règlement politique de la crise malienne, l’Algérie mise
sur le développement du Sahel avec deux projets: la route transsaharienne,
réseau de quatre branches routières de 9 500 km reliant l’Algérie au Nigeria
(en passant par la Tunisie, le Mali, le Niger et le Tchad), dont l’objectif est
de promouvoir et de faciliter les échanges entre le nord et le sud du Sahara7
et le projet de gazoduc transsaharien, dont l’accord a été signé entre Alger
et Abuja en 2009, qui doit acheminer le gaz naturel du Nigeria vers
l’Europe en passant par l’Algérie. Cependant, ces deux projets sont
tributaires des capacités régionales et de l’insécurité qui règne au Sahel
(ICG, 2015b). En outre, le projet de gazoduc pourrait être supplanté par la
signature en décembre 2016 d’un accord entre le roi Mohammed VI et le
gouvernement nigérian sur une étude de faisabilité d’un autre gazoduc
Nigeria-Maroc pour raccorder les deux pays en gaz, en étendant le gazoduc
de l’Afrique de l’Ouest qui relie le Nigeria au Bénin.

L’Algérie et la coopération internationale élargie


Lorsque l’Algérie, aux prises avec sa violence intérieure, se retrouve
marginalisée sur la scène internationale, sa diplomatie de chef de file,
notamment au Sahel, en est profondément ébranlée. Cherchant à restaurer
l’image internationale du pays, le président Abdelaziz Bouteflika, élu en
1999, réussit à relancer une politique de médiation et d’intégration sur le
continent africain (accord Érythrée-Éthiopie en 2000, projet du Nouveau
Partenariat pour le développement de l’Afrique ou NEPAD en 2001,
accords d’Alger sur la question touareg en 2006), sans pour autant réussir à
renouer avec l’âge d’or antérieur. La nouvelle problématique sécuritaire du
11 septembre 2001 va offrir au pouvoir algérien une nouvelle légitimité par
l’extérieur en lui permettant de domestiquer sa politique étrangère pour en
faire une nouvelle source de légitimité de sa politique intérieure. Après dix
ans de mise à l’écart, l’Algérie va opérer un rapprochement avec les États-
Unis sur le plan sécuritaire et économique. Ce processus illustre la volonté
des autorités algériennes de s’intégrer fortement dans la nouvelle
dynamique sécuritaire nord-sud. La dynamique se concrétise
principalement par la coopération internationale contre le terrorisme. Le
rapprochement avec les États-Unis a été bénéfique pour Alger qui devient
dès lors un nouveau partenaire pour Washington dans la région, induisant
une perception américaine nouvelle de l’Algérie8.
Le resserrement des liens avec les États-Unis s’est traduit par la
multiplication des visites d’officiels américains à Alger, et l’invitation
répétée de ministres algériens et du président Abdelaziz Bouteflika à la
Maison-Blanche. Sur le plan sécuritaire, il y a eu un accroissement du
nombre des manœuvres et initiatives communes, l’ouverture d’une antenne
du FBI (Federal Bureau of Investigation) à Alger, la formation d’officiers
de l’ANP aux États-Unis ainsi qu’une série de missions d’information
mutuelle entre officiers supérieurs du Département de recherche et de
sécurité (DRS, ancienne appellation des services de renseignements) et
leurs homologues américains. Les deux pays vont ainsi instaurer des
relations essentiellement marquées par une préoccupation sécuritaire, dont
les principes, les modalités et les stratégies sont formulés et établis par
Washington. En 2000, l’Algérie a adhéré au Dialogue méditerranéen de
l’OTAN et, dans ce cadre, participe à plusieurs exercices militaires
conjoints. En 2006, elle a été le premier pays de la région à avoir intégré
l’opération Active Endeavour. Si le dialogue s’était quelque peu refroidi
après l’intervention de l’OTAN en Libye, lancée sans consultation préalable
avec l’Algérie, le volet opérationnel était resté actif.
L’Algérie fait partie de l’initiative américaine du Partenariat transsaharien
de lutte contre le terrorisme (Transsaharan Counter-Terrorism Initiative),
mais sans participer aux entraînements annuels Flintlock du
Commandement des États-Unis pour l’Afrique (United States Africa
Command ou AFRICOM). Les États-Unis fournissent aussi une assistance
bilatérale à l’Algérie au moyen de deux programmes: Non-prolifération,
antiterrorisme, déminage et programmes associés (Non proliferation,
Antiterrorism, Demining, and Related Programs ou NADR) et Éducation et
entraînement militaires internationaux (International Military Education and
Training ou IMET). La coopération la plus active avec les Américains
concerne le domaine maritime. En outre, depuis la fin des années 2000, une
unité américaine d’environ 400 hommes est positionnée près de
Tamanrasset, où elle s’entraîne avec les régiments d’élite algériens (Dénécé,
2013).
De manière inattendue, la prise d’otages de janvier 2013 sur le site de
Tinguentourine a favorisé le rapprochement entre l’Algérie, les États-Unis
et la Grande-Bretagne. De nouveaux accords de sécurité ont été signés et
consistent principalement à fournir à Alger des informations sur les groupes
terroristes actifs dans le sud du pays. Alors que la vente de certains types de
matériel militaire américain était soumise à de sévères restrictions, les
perspectives pour que l’Algérie puisse acquérir désormais des drones sont
plus que jamais prometteuses9. En contrepartie, l’Algérie doit jouer un rôle
plus proactif dans la région afin de limiter autant que possible l’immixtion
d’autres acteurs occidentaux dans les affaires sahéliennes. L’Algérie est
aussi l’un des membres fondateurs du Forum mondial de lutte contre le
terrorisme (Global Counterterrorism Forum, GCTF) lancé à New York en
septembre 2011. Elle y copréside avec le Canada le Groupe de travail sur le
renforcement des capacités de lutte contre le terrorisme dans la région du
Sahel. Conformément à l’approche inclusive prônée par ledit forum, la
sphère géographique des groupes de travail régionaux a été élargie à
l’Afrique de l’Est et de l’Ouest.

L’Algérie et la mise en place d’instruments


africains contre le terrorisme
Avec le Nigeria, l’Égypte et l’Afrique du Sud, l’Algérie est l’un des plus
gros contributeurs financiers de l’Union africaine (UA). Souvent perçue
comme peu impliquée dans la coopération de sécurité régionale, Alger est
pourtant très engagée dans l’Architecture africaine de paix et de sécurité.
Depuis la création de l’UA en 2001, ce sont des diplomates algériens qui
occupent le poste de commissaire à la paix et à la sécurité (CPS) de
l’organisation: Saïd Djinnit (2001-2008), Ramtane Lamamra (2008-2013) et
Smaïl Chergui depuis 2013. Ce dernier a été réélu pour quatre ans lors du
Sommet de l’Union africaine tenu à Addis-Abeba en janvier 2017.
Ainsi, d’aucuns pensent que la direction du CPS est quasiment devenue la
chasse gardée de l’Algérie. C’est un des postes les plus stratégiques de
l’organisation puisqu’il chapeaute le Département paix et sécurité de l’UA,
lequel est responsable de promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité en
Afrique. Le Département supervise également les missions de l’UA sur le
terrain et les bureaux de liaison comme la Mission de l’Union africaine en
Somalie (AMISOM), la Mission internationale de soutien à la Centrafrique
(MISCA) sous conduite africaine, ou encore la Mission de l’Union africaine
pour le Mali et le Sahel (MISAHEL). Le Commissariat à la paix et à la
sécurité de l’UA constitue donc une sorte de «conseil de sécurité» bis au
sein de l’organisation continentale. En juin 2017, deux autres Algériens sont
élus par le Conseil exécutif de l’UA: Maya Sahli Fadel, réélue au poste de
membre de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
(CADHP), et Hocine Ait-Chaalal, élu au poste de membre du Conseil
consultatif de l’Union africaine sur la corruption.
Après les attentats contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es
Salaam en 1998, la Convention africaine sur la prévention et la lutte contre
le terrorisme est signée à Alger en 1999. Cette convention permet, pour la
première fois, de définir l’acte terroriste et de codifier les normes
antiterroristes. Elle définit également les domaines de coopération entre les
États, un cadre légal pour l’extradition et les investigations extraterritoriales
ainsi que les normes judiciaires d’assistance mutuelle. Dans le
prolongement de ce texte, en septembre 2002, des recommandations
destinées à mettre en œuvre des mesures de lutte et de prévention contre le
terrorisme débouchent sur un Plan d’action établissant le Centre africain
d’études et de recherches sur le terrorisme (CAERT), dont le siège est
inauguré à Alger en 2004. Sa mission est de centraliser l’information sur les
activités terroristes et d’accompagner les États dans la conception des
stratégies de lutte contre le terrorisme en conformité avec les normes
internationales et celles de l’UA. Ce centre permet par ailleurs à l’UA de
disposer de compétences de recherche indépendantes sur la problématique
du terrorisme.
En avril 2010, sous les auspices du CAERT, est créée l’Unité de fusion et
de liaison (UFL) avec siège à Alger. L’UFL regroupe l’Algérie, la
Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Tchad et le
Nigeria (depuis 2011) et vise à favoriser le partage de renseignements, la
coordination de l’action de lutte contre le terrorisme et sa propagande, et
contre le crime organisé. L’investissement de l’Algérie dans l’UA et la
présence de ses représentants à des postes clés aux Nations unies (bureau de
l’UA à l’ONU et bureau de l’ONU en Afrique de l’Ouest) démentent
l’image d’une Algérie réfractaire à la coopération régionale et
internationale.
Au Sahel, l’Algérie est particulièrement sensible à la problématique du
financement du terrorisme. Considérant que le versement de rançons aux
kidnappeurs équivaut à financer le terrorisme et les activités criminelles
ainsi qu’à renforcer leurs capacités et à étendre leur sphère d’action,
l’Algérie a activement milité en faveur de la criminalisation du paiement
des rançons par des États (principalement occidentaux). Après des années
de discussions pour imposer ce principe, les Nations unies ont voté la
résolution 1904 en décembre 2009 interdisant le versement des rançons, en
complément des résolutions 1373 et 1267 sur le financement du terrorisme
(Moisan, 2013)10.
Alger poursuit ses démarches pour que l’UA soit en parfaite adéquation
avec les instruments juridiques internationaux, en particulier avec les
résolutions 1904 (2009), 1983 (2011) et 2083 (2012) du Conseil de sécurité
des Nations unies, les décisions de Lough Erne (Sommet du G8 de juin
2013 en Grande-Bretagne), du Groupe Rome-Lyon et de la 16e Conférence
au sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays non alignés. Bien
qu’elle soit à l’origine de ces avancées juridiques, l’Algérie n’en estime pas
moins que l’architecture internationale actuelle de lutte contre le
financement du terrorisme dans ses différentes dimensions reste insuffisante
(Moisan, 2013)11. Elle a offert d’abriter une conférence de l’UA consacrée
à cette question en vue d’obtenir l’élaboration d’un protocole additionnel à
la Convention de 1999 sur la répression du financement du terrorisme en
criminalisant les paiements de rançons.
Souhaitant renforcer la coopération sécuritaire et la force opérationnelle
de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) en 2013 pendant
la crise malienne, l’Algérie a contribué au Processus de Nouakchott qui
réunit onze États du continent12. L’Algérie est partie prenante de la Brigade
nord-africaine d’intervention rapide, l’une des cinq brigades régionales de
l’UA pour les opérations de stabilisation et de maintien de la paix sur le
continent africain. Elle est également membre du Comité des services de
sécurité et de renseignements africains (CISSA), crée le 26 août 2004 à
Abuja (Nigeria) par les directeurs des services de renseignements et de
sécurité africains. C’est la plus grande organisation africaine des services de
sécurité et de renseignements, constituant en outre un mécanisme de
dialogue, d’étude, d’échange d’information et d’analyse, de concertation et
d’adoption des stratégies communes en vue de faire face aux menaces et à
l’insécurité en Afrique.
En mai 2017, l’Algérie est élue pour deux ans à la présidence du
Mécanisme de coopération policière africaine (AFRIPOL), dont le siège est
à Alger, et la première assemblée générale est tenue du 14 au 16 mai de la
même année sous la houlette du commissaire à la paix et à la sécurité de
l’UA, Smaïl Chergui. Le projet AFRIPOL a été lancé par l’Algérie lors de
la 22e Conférence régionale africaine d’Interpol de septembre 2013 à Oran.
Cette initiative avait ensuite été confortée en marge de la 82e  session de
l’Assemblée générale de l’OIPC-Interpol13 avant d’être soutenue, en janvier
2014, à Addis-Abeba, par le Comité technique spécialisé sur la défense, la
sûreté et sécurité (CTSDSS) de l’UA. La Conférence africaine des
directeurs et inspecteurs généraux de police sur AFRIPOL, organisée à
Alger en février 2014, avait permis l’adoption unanime du document
conceptuel et de la déclaration d’Alger. C’est en juin 2015, à Addis-Abeba,
qu’a été finalisé le processus avec la mise en place des domaines du
programme de travail d’AFRIPOL. En décembre 2015 ont été entérinés les
textes juridiques permettant le lancement de cette coopération policière
africaine. AFRIPOL, à l’instar d’EUROPOL ou d’ASIAPOL, a des
pouvoirs décisionnels, exécutifs et opérationnels. Ce mécanisme qui agit en
consultation permanente avec le CTSDSS a pour mission principale
d’assurer la direction sur les questions de police en Afrique. Il doit prévenir
et lutter contre toutes les formes de la criminalité transnationale et du
terrorisme, y compris la lutte contre la cybercriminalité, le trafic illicite
d’armes et de drogue, la traite des êtres humains, le trafic des espèces
sauvages, les dommages causés à l’environnement ainsi que la gestion des
frontières.

***

Alger a bien tenté de bloquer la réadmission controversée du Maroc à l’UA,


finalisée en janvier 2017 après 33 ans d’absence (ISS, 2016)14. Ce retour
peut en effet ébranler la prédominance algérienne, notamment au sein du
Département de sécurité et de la structure de l’UA, où se forge la
coopération sécuritaire au Maghreb et au Sahel, et où l’Algérie a toujours
promu ses connexions et sa position dans la région. Le principal point de
discorde concerne la participation de la République arabe sahraouie
démocratique (RASD) aux sommets de l’UA, transformée en arène
d’affrontements diplomatiques entre pro- et anti- Marocains. Ainsi, bien
qu’elle soit membre de l’UA, la RASD n’avait pas été invitée au Sommet
UA-UE des 29 et 30 novembre 2017 à Abidjan, la Côte d’Ivoire refusant de
servir de cadre à une bataille entre Marocains et Sahraouis. C’est finalement
le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, qui l’a
sollicitée à participer à ce sommet15. Par ailleurs, en janvier 2018, le Maroc
a obtenu un siège pour deux années au Conseil de paix et de sécurité (CPS)
de l’UA, ce qui lui permettra de maintenir la question du Sahara entre les
mains du Conseil de sécurité des Nations unies (Louw-Vaudran, 2018).
Alger devra désormais compter avec un voisin qui, en matière de
coopération militaire et de sécurité avec les pays subsahariens, joue un rôle
non négligeable dans la formation de nombreux cadres africains dans les
académies militaires du royaume, et dans la formation des imams de
plusieurs pays du continent.
La réintégration du Maroc représente une contribution non négligeable au
financement de l’UA (en particulier depuis la défection de la Libye), et
permet au royaume de contourner l’échec de l’Union du Maghreb arabe
(UMA). Elle pourrait être l’occasion pour les gouvernements algérien et
marocain d’amorcer l’intégration nord-africaine sur le fondement d’un
dialogue de sécurité bilatéral et d’un partenariat institutionnel par
l’entremise de l’organisation panafricaine. Avec le taux le plus faible
d’échanges commerciaux du continent, le Maghreb reste la région la moins
intégrée d’Afrique et pourrait bénéficier du rapprochement entre Alger et
Rabat. Compte tenu de leur poids politique, militaire et économique, il est
temps pour les deux rivaux historiques de mettre de côté leurs différends, et
de profiter de leur nouvelle proximité au sein des instances de l’UA pour
conjuguer leur influence respective, en particulier au Sahel et en Afrique en
général. La menace commune à laquelle ils font face pourrait dans un
premier temps constituer le socle d’une régionalisation de la sécurité en
Afrique du Nord, et conduire ultérieurement à une intégration économique
du Maghreb. À long terme, cette intégration pourrait enfin désamorcer la
culture de la méfiance et de l’hostilité qui imprègne les jeunes générations
des deux pays.

1. Trois cents ressortissants marocains furent arrêtés et renvoyés au Maroc, les vols Alger-Tripoli
suspendus et la frontière fermée.
2. The CIA World Factbook. Sur Internet (https://www.cia.gov/library/publications/the-world-
factbook/geos/print_ag.html) le 12 septembre 2017.
3. Entretien avec un diplomate algérien, Alger, février 2012.
4. Le rapport Sahel: pour une approche globale du Sénat français de 2013 soulignait que «rien ne
pourra se faire sans l’Algérie, grande puissance militaire [...] qui connaît le terrorisme pour l’avoir
subi pendant les “années de plomb” [...] et dont les positions ont favorablement évolué depuis
l’engagement de l’opération Serval et l’attentat de Tiguentourine».
5. Entretiens avec des officiers maliens et nigériens, Bamako et Dakar, avril et juin 2013.
6. Karkoubi en arabe dialectal ou psychotropes en français.
7. Le projet de la route transsaharienne est né dans les années 1960 à l’initiative de la Commission
économique pour l’Afrique (CEA) afin de désenclaver les pays du Sahel en leur offrant un accès à la
Méditerranée.
8. En décembre 2009, l’Algérie a ainsi autorisé des avions américains à survoler son territoire pour
effectuer des reconnaissances de la zone frontalière entre le Mali et la Mauritanie, notamment de la
zone militarisée de Tindouf (Algérie).
9. Ce rapprochement est à mettre en relation avec l’installation, à Agadez au Niger, d’une base
américaine de drones de surveillance Predator, au plus près de la zone d’instabilité où opèrent les
groupes terroristes.
10. Rappelons que l’Algérie a aussi connu l’enlèvement de ses ressortissants: plusieurs membres du
personnel du consulat algérien de Gao avaient été kidnappés en avril 2012 par le MUJAO. Ils ont été
libérés en août 2014 (sauf un qui a été tué).
11. Bien souvent, les gouvernements occidentaux versent des rançons à des intermédiaires locaux qui
ponctionnent leur part au passage et négocient directement avec les ravisseurs au nom de ces
gouvernements. Il est donc difficile, voire impossible, de prouver que les ravisseurs sont bien les
destinataires de ces sommes d’argent.
12. Algérie, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Libye, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et
Tchad.
13. Organisation internationale de police criminelle (OIPC).
14. Le Maroc avait décidé de quitter l’OUA en 1984 à la suite de l’admission de la République arabe
sahraouie démocratique (RASD), ou Sahara occidental, en tant que membre de l’organisation
panafricaine. Lors du 27e Sommet de l’UA tenu à Kigali en juillet 2016, 28 États africains ont signé
une pétition demandant la suspension de la RASD de l’organisation pour favoriser l’intégration du
Maroc.
15. Comme ce fut déjà le cas lors du Sommet arabo-africain de Malabo en novembre 2016 ou lors du
Sommet de Maputo (entre le Japon et l’Afrique) en août 2017.
Chapitre 7

Le Tchad: sécuriser l’extérieur


pour préserver l’intérieur
SYLVIE LEMBE

Les initiatives tchadiennes de lutte contre le terrorisme ont


considérablement attiré l’attention des médias: «Idriss Déby Itno: le boss du
Sahel» (Soudan, 2015), «Le Tchad défie Abubakar Shekau», «L’armée
tchadienne est au Niger», «Lutte contre Boko Haram: le Tchad envoie des
troupes au Cameroun» (France 24, 2015), «Le Tchad accueille à nouveau
un sommet des chefs d’État du G5 Sahel» (Le Monde, 2016), «Pourquoi le
Tchad s’engage dans la lutte contre Boko Haram» (Châtelot, 2015). Le
Tchad intéresse également les universitaires africanistes (Marchal, 2013b;
Bangoura, 2005; Lemarchand, 2005). Quels peuvent être les enjeux qui
justifient que le pays soit sous le feu des projecteurs? Comment le pays
combat-il les menaces transnationales qui semblent hypothéquer sa
sécurité? Comment envisage-t-il sa sécurité nationale? Avant de répondre à
ces interrogations, nous allons analyser les enjeux sécuritaires de
l’environnement régional immédiat du Tchad, à savoir le Sahel et le bassin
du lac Tchad.

Le Sahel et le bassin du lac Tchad:


sursis sécuritaire et menace permanente
Étendu sur une superficie de 1 248 000 km2, le Tchad est un État enclavé, à
l’intersection de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne
méridionale. Il fait partie d’un environnement régional pluriel et complexe:
le Sahel et le bassin du lac Tchad. Au sein de cette vaste région, on
distingue deux types d’acteurs africains. D’abord, les acteurs étatiques que
sont, entre autres, le Mali, le Niger, le Nigeria, le Cameroun, la Libye,
l’Algérie, le Soudan, le Soudan du Sud et la République centrafricaine
(RCA), puis les acteurs non étatiques transnationaux.
En ce qui concerne les acteurs étatiques, le Tchad entretient avec les
autres pays de la région des relations qui fluctuent en fonction des enjeux
du moment. Avec la Libye, le Tchad a connu des rapports irréguliers
alternant entre méfiance, hostilité ouverte et réconciliation. Il en a été de
même avec le Soudan avant l’indépendance de la province du sud en 2011.
Le gouvernement tchadien a toujours accusé Khartoum d’être derrière les
rébellions au Tchad. Mais la situation semble s’être apaisée depuis janvier
2009 (Rémy, 2010). Quant aux rapports avec son voisin camerounais, ils
sont étroits, realpolitik oblige: le Tchad effectue l’essentiel de ses échanges
commerciaux par le Cameroun. De fait, le port de Douala est la porte
d’entrée et de sortie des produits tchadiens, pendant que celui de Kribi
constitue le point d’exportation du pétrole exploité à Doba et acheminé par
un pipeline qui va jusqu’à la ville de Kribi, au Cameroun. La RCA et
l’Algérie n’ont jamais été une menace pour le Tchad. Enfin, malgré
quelques antécédents houleux, le Tchad et le Nigeria affichent une certaine
amitié. Les interventions du Tchad dans les crises nigérianes sont d’autant
plus rares que la frontière commune entre les deux États se limite aux zones
marécageuses au sud du lac Tchad.
Ensuite, il y a les acteurs non étatiques transnationaux et armés, qui
menacent la sécurité de l’ensemble de la région. Les menaces à la sécurité
des États voisins du Tchad sont de deux ordres, avec d’un côté les groupes
terroristes et de l’autre les crises politiques au Soudan du Sud et en RCA.
Au sujet du terrorisme, les groupes les plus inquiétants sont Boko Haram et
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Ils prônent un usage de la
violence à des fins politiques et l’instauration d’un califat dans les États du
Sahel pour imposer la charia. Leurs principaux porte-étendards prennent
appui dans les régions du Sahel où l’autorité de l’État est limitée. Les «actes
de violence et la menace de l’insécurité qu’ils projettent sont devenus une
hantise au quotidien pour les habitants de ces régions» (Abomo, 2014). Ces
groupes existent dans le Sahel depuis des décennies, mais leur montée en
puissance est récente. La chute pour le moins inattendue du guide libyen
Mouammar Kadhafi en octobre 2011 et le vide qu’a laissé son assassinat
ont favorisé la montée en puissance de ces groupes terroristes dont le plus
actif et plus ancien est AQMI, auquel sont venues se greffer d’autres
mouvances radicales à l’instar de Boko Haram dont la base est située au
nord-est du Nigeria et qui, depuis 2010, s’est régionalisé. À cela s’ajoutent
Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest
(MUJAO) et les rébellions au Nord-Mali. Aujourd’hui, au Nord-Mali,
plusieurs groupes armés s’affrontent par attentats interposés. Ainsi, Al-
Mourabitoune, groupe terroriste sahélien dirigé par Mokhtar Belmokhtar et
lié à Al-Qaïda, a revendiqué notamment l’attentat du 20 novembre 2015
dans un hôtel du centre-ville du siège des institutions politiques maliennes
et celui commis contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations
unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) à Kidal.
Le malaise du Nigeria, pays frontalier avec le Tchad, incarné par Boko
Haram, constitue aussi une source d’incertitudes pour le Tchad. Depuis
2000, la gouvernance inéquitable de la rente pétrolière a contribué à
détériorer la sécurité du Nigeria, les populations du delta du Niger s’en
sentant exclues. Les violences interconfessionnelles se multiplient et font
des centaines de morts. Le Nigeria est devenu une société en dépression
sociale, comme le montrent les attaques répétées de Boko Haram faisant de
nombreuses victimes, entre autres ces 276 jeunes filles dont l’enlèvement
en 2014 a ému la communauté internationale. La poussée du groupe est une
hypothèque à la sécurité du Tchad, dont les frontières poreuses favorisent
l’implantation de bases de repli logistique.
Le second point de faiblesse pour la sécurité du Tchad est le nord du
Mali, le sud de l’Algérie et la Libye. Depuis janvier 2012, le Mali vit une
période d’instabilité. Au pouvoir constitutionnel légitime reconnu par la
communauté internationale s’oppose ouvertement une rébellion armée,
formée par les rebelles indépendantistes touareg du Mouvement national de
libération de l’Azawad (MNLA) et des groupes terroristes comme Ansar
Dine, AQMI, le MUJAO et bien d’autres. L’absence d’accord entre le
gouvernement malien et le MNLA et l’ambition des groupes terroristes
d’exister politiquement ont abouti à la guerre de janvier 2013, menée par la
France dans le cadre de l’opération Serval. L’intervention militaire du
Tchad aux côtés de la France avec près de 2  400 soldats, le plus gros
contingent de troupes au sol, pendant que son président était débouté par les
chancelleries occidentales, a été cruciale contre les groupes terroristes dans
le nord du Mali: Kidal (ville du Mali), Gao et les chaînes de montagnes des
Ifoghas, considérées comme le bastion d’AQMI, ont constitué le principal
défi de l’infanterie tchadienne.
Sur le plan stratégique, le Tchad a affirmé haut et fort son ambition de
participer activement à la sécurisation du Nord-Mali, mais aussi à
l’élimination des groupes terroristes. Dans cette même perspective, il veut
prêter main-forte au Niger et au Cameroun. Certes, les troupes tchadiennes
déployées à Fotokol dans l’extrême-nord du Cameroun n’ont pas participé
de façon active à la lutte contre Boko Haram. Cependant, une motivation
plus profonde subsiste du côté du Tchad: la route Maroua-Kousserie-
N’Djamena relie N’Djamena à Douala, ville portuaire d’où partent les
exportations du Tchad – ce qui justifie sans doute que le Cameroun demeure
le premier partenaire commercial du Tchad. C’est par Douala, au
Cameroun, que transite la majeure partie des produits alimentaires de base
indispensables à la survie du sud du Tchad. Le Cameroun représente aussi
un pont stratégique pour son voisin tchadien. Le pipeline qui achemine les
hydrocarbures extraits de son sous-sol à destination des États-Unis passe
par le Cameroun. Les attaques de Boko Haram dans l’extrême-nord du
Cameroun sont donc une réalité insupportable pour le Tchad qui ne peut
envisager de voir son voisin stratégique ainsi déstabilisé.
Au-delà de la menace terroriste qui hypothèque la sécurité des États du
Sahel comme la sécurité nationale du Tchad, N’Djamena doit faire face à
d’autres incertitudes aux conséquences potentiellement lourdes, au nombre
desquelles les crises ouvertes au Soudan du Sud et en RCA. Depuis
l’indépendance du Soudan du Sud, voisin du Tchad, en 2011, les deux
principales factions s’opposent vigoureusement et les antagonismes se
multiplient. Le Tchad accueille une part non négligeable des réfugiés en
provenance du Soudan du Sud. Le pays est aussi préoccupé par l’instabilité
qui prévaut en RCA, son autre voisin du sud, avec lequel il partage une
longue frontière peu connue des non-spécialistes de la géopolitique
africaine (Gourdin, 2013). Depuis 2013, la RCA, avec une superficie de
622 984 km², traverse une grave crise politique, militaire et sociale, face à
laquelle l’Union africaine (UA) et la Communauté internationale semblent
inefficaces (Mayneri, 2014). Le Tchad s’en inquiète. La présence sur son
territoire de centaines de milliers de réfugiés centrafricains n’est pas
rassurante. Le régime tchadien redoute en outre que son territoire serve de
base arrière logistique aux protagonistes qui souhaitent la déstabilisation de
la RCA, à savoir l’ex-rébellion Séléka et les anti-balakas.
Lorsque la crise éclate en mars 2013 et que l’UA met en place une force
d’interposition, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique
(MISCA), le Tchad manifeste son ambition de marquer des points au sein
de l’institution panafricaine en y envoyant le plus gros contingent; depuis,
le pays a retiré ses hommes en 2017 à la demande des autorités
centrafricaines de transition (Zoumbara, 2014). Les troupes tchadiennes ont
été accusées de souffler sur les braises en soutenant les ex-Séléka. Le
président Déby Itno a suivi de près l’évolution de la situation et gagé que
les Centrafricains se ressaisiraient. La sécurité du pipeline allant jusqu’au
Cameroun dépend largement de la stabilité de ce voisin que le Tchad a
toujours perçu comme le meilleur garant de ses intérêts en Afrique centrale.
Dès lors, le regain d’instabilité avec la mort de six Casques bleus onusiens
le 12 avril 2017 en RCA n’a rien de rassurant pour le Tchad.
L’une des variables explicatives des incertitudes qui prévalent dans le
Sahel et autour du bassin du lac Tchad repose sur l’absence de deux
dirigeants autrefois incontestables: Mouammar Kadhafi et Oumar Bongo
Ondimba. La chute du premier et le décès inattendu du second ont laissé les
deux sous-régions orphelines de ces pères libyens et gabonais omniprésents
pour la sécurité du Sahel et de l’Afrique centrale.
Le président gabonais avait toujours milité en faveur d’une résolution
diplomatique des différends en Afrique centrale (Mvé Ebang, 2014). Son
décès explique à bien des égards l’enlisement de la crise centrafricaine au
cours de l’année 2015. Face aux horizons futurs de la région qui ne prêtent
pas à l’optimisme, l’objectif du Tchad demeure celui de façonner un
nouveau système de sécurité qui étendrait la paix tchadienne au reste du
Sahel, mais aussi dans le bassin du lac Tchad. Si le projet est intéressant, la
volonté seule ne suffit pas. Le défi reste d’autant plus grand que le Tchad ne
possède pas de stratégie réaliste et encore moins de moyens matériels pour
venir à bout des groupes terroristes au Sahel. L’absence d’une mutualisation
stratégique entre le Tchad, le Nigeria et le Cameroun constitue un manque à
gagner pour N’Djamena. C’est donc dans un contexte régional incertain que
le Tchad a reconsidéré son approche de la sécurité de ses frontières.

Une nouvelle approche de la sécurité nationale


La sécurité nationale, notion contestée chez les spécialistes des études de
sécurité ou Security Studies (David et Roche, 2002), est au cœur de la
politique étrangère actuelle du Tchad. L’approche des officiels tchadiens est
celle qui prévaut dans la perception réaliste traditionnelle des relations
internationales, où le référent d’analyse et le sujet de la sécurité sont
principalement l’État ou la nation. Dans cet esprit, l’État en tant qu’entité
politique souveraine est au centre de l’attention, et sa sécurité repose
essentiellement sur sa survie. Le gouvernement tchadien l’a bien compris,
puisque, depuis 2010, son approche de la sécurité nationale repose sur la
préservation et la pérennité de la paix à l’intérieur des frontières. Or, celle-
ci passe par la sécurisation de ses alentours. Pour N’Djamena, il est vital
d’aider à la stabilisation de ses voisins du Sahel et du pourtour du bassin du
lac Tchad (RCA-Soudan du Sud), l’objectif étant, à terme, de préserver
l’intérieur. En intervenant militairement et simultanément dans les États du
Sahel ayant une frontière avec le Tchad (Nigeria, extrême-nord du
Cameroun, Niger) contre les terroristes du Sahel, N’Djamena lance un
message qu’il veut sans équivoque: la sécurité de l’environnement
immédiat du Tchad est une question vitale pour la stabilité intérieure du
pays.
Cette approche de la sécurité nationale est en nette résonance avec les
études de la sécurité internationale et des menaces depuis les attentats du 11
septembre 2001, qui proposent une définition large de ce qui constitue une
menace à la sécurité d’un État. Serait ainsi considéré comme une menace
«tout événement ou phénomène meurtrier qui compromet la survie et sape
les fondements de l’État en tant qu’élément de base du système
international» (Atangana, 2011, p.  20). Cette vision contraste largement
avec l’approche stato-centrée des classiques, tels que Clausewitz et d’autres
stratèges pour qui la perception de la menace et la culture stratégique des
États sur la scène internationale reposent, pour l’essentiel, sur une
perception traditionnelle de la violence et de l’ennemi incarné par l’État.
Dans cette perspective, le conflit international est avant tout interétatique et
met aux prises des armées nationales hiérarchisées, organisées et soumises
au contrôle du politique. Autrement dit, la menace à la sécurité d’un État ne
peut provenir a priori que d’un autre acteur étatique bien identifié, d’où
l’importance de disposer d’«une certaine taille, d’accumuler des armées
ainsi que des forces navales ou aériennes» (Zelikow, 2003, p. 263).
L’un des enseignements des événements terroristes plus récents consiste à
redéfinir la perception de la menace que les États se font et à repenser leur
stratégie de sécurité nationale (Blin, 2006b; Badie, 2004; Boniface, 2001).
Cette leçon s’impose d’elle-même aux États en proie aux groupes
terroristes. Ce sont bien des acteurs non étatiques déterritorialisés qui sont à
l’origine d’une série d’attentats dans les villes du Nord-Cameroun (Maroua,
Kangaleri en juillet 2015), au nord-est du Nigeria (Maiduguri, Yola,
Nyanya, etc.) et dans le nord du Mali, comme les attentats de Bamako et de
Ouagadougou (en janvier 2016). Ces acteurs montraient ainsi aux pays
touchés qu’ils n’étaient plus les seuls à disposer du monopole de la
«violence légitime», ces derniers se révélant en outre incapables d’anticiper
les menaces en dépit des ressources financières et matérielles importantes
allouées à leur sécurité (Malfatto, 2009).
Le Tchad a compris qu’il faisait face désormais à des acteurs
déterritorialisés qui se jouent délibérément des frontières et se montrent
capables de les transcender. Les nouvelles menaces à la sécurité nationale
du Tchad peuvent se trouver n’importe où. Pour Philip Zelikow (2003,
p. 26), qui se situe dans une démarche d’analyse mondiale, «ces dangers ont
une nature transnationale […], les menaces pesant sur la sécurité nationale
sont davantage définies par les lignes de faille passant au sein des sociétés
que par les frontières territoriales entre elles». Cette nouvelle menace que le
Tchad découvre n’est autre que le terrorisme mondial, dont la définition
reste difficile à établir (voir le chapitre 1). Le défi est de taille lorsqu’il
s’agit d’identifier les acteurs terroristes et de les mettre hors d’état de nuire:
«fugaces, insaisissables, peu organisés et surtout non territorialisés. Ce sont
de petits groupes qui opèrent dans l’ombre» (Badie, 2004, p. 146). Pour le
Tchad, mais aussi pour les autres pays du Sahel, la problématique de
l’identification de l’ennemi ou de l’agresseur se pose avec acuité. Les
terroristes présents sont des acteurs transnationaux n’ayant pas de repaires
fixes. Certes, ils ont des viviers connus tels que le sud de l’Algérie, la
Libye, le nord du Nigeria pour le groupe Boko Haram, ou encore le nord du
Mali. Pour autant, ils restent asymétriques par rapport aux armées étatiques,
traditionnellement destinées à lutter contre des menaces de même nature
(armées étatiques).
Des récents événements terroristes, le gouvernement tchadien a tiré un
second enseignement en matière de sécurité, établissant le lien étroit qui les
rattache aux États faillis, les «collapsed, altered or failed States», selon la
terminologie anglo-saxonne, et aux auteurs des attaques terroristes en
général. Les pays sanctuaires de la pauvreté et de l’insécurité sont
susceptibles de devenir un véritable terreau pour les réseaux terroristes
(Zelikow, 2003). Certes, la pauvreté ne change pas les gens pauvres en
terroristes ou en meurtriers. En revanche, une jeunesse désœuvrée et sans
perspectives, un État présentant des institutions faibles, des régions
marginalisées par le pouvoir central sont autant de facteurs pouvant
concourir à attiser des réseaux terroristes, des cartels de drogue et d’autres
formes de trafics illicites.
C’est dans cette nouvelle dynamique sécuritaire régionale marquée par
des incertitudes que le Sahel, mais aussi la zone australe du bassin du lac
Tchad (RCA et Soudan du Sud) sont devenus un objet de préoccupation
pour le Tchad. Dans une vision plus large, ces groupes implantés dans
certains États voisins du Tchad deviennent un enjeu stratégique pour ce
dernier, seul État qui tente d’endiguer leur expansion au Sahel. Pour le
Tchad, il est impératif d’assister militairement ses voisins immédiats
susceptibles de devenir un terreau favorable aux nouveaux fauteurs de
trouble et aux nouvelles menaces. Cependant, l’armée tchadienne est-elle de
taille à affronter ces menaces asymétriques? Le Tchad dispose-t-il de
moyens matériels suffisants pour lutter efficacement contre le terrorisme au
Sahel et les groupes armés du bassin du lac Tchad? Quelle est la stratégie
militaire du Tchad pour sécuriser la région? Ce pays peut-il faire le travail
tout seul?

La stratégie du Tchad contre les menaces transnationales


Les régions telles que le nord du Mali, le sud-est du Niger, l’extrême- nord
du Cameroun, le sud de l’Algérie ainsi que des pays comme la Libye et la
RCA ont un dénominateur commun: la présence non effective du pouvoir
central. Les espaces frontaliers du Tchad sont perçus par N’Djamena
comme des points non gouvernés, avec parfois des tensions sociétales. Les
frontières poreuses sont de potentiels repaires pour les groupes armés
terroristes. À Maiduguri, fief de Boko Haram dans le nord-est du Nigeria,
toutes les conditions ont été réunies pour que le groupe en fasse l’une de ses
importantes bases logistiques.
Ainsi, la stratégie du président Idriss Déby en matière de sécurité se
structure autour de la lutte totale contre les mouvements terroristes très
actifs au Sahel, lutte qui s’accompagne d’initiatives préventives dans le
bassin du lac Tchad. Le Tchad estime que les incertitudes suscitées par ces
groupes armés vont continuer d’être un défi stratégique pour la sécurité,
tant à l’échelon national que régional. Les réseaux transnationaux
commettent des attentats sur son sol, à l’exemple des trois attaques
perpétrées par des membres de Boko Haram à N’Djamena, siège des
institutions politiques du Tchad, mais aussi à Baga Sola (10 octobre 2015),
une ville située près de la frontière avec le Nigeria. Le Tchad appréhende
par ailleurs que les groupes terroristes, chassés de leur base originelle,
s’implantent dans les localités de l’extrême-nord du Cameroun, de la RCA,
du Niger, du Burkina Faso, du Nord-Mali, de l’est de la République
démocratique du Congo, d’où sa stratégie nationale visant à sécuriser la
région. Si le Tchad attire l’attention des médias, sur le terrain, la réalité est
différente. À l’instar de ses voisins, le pays demeure un État fragile avec de
nombreuses divisions internes. En outre, sa stratégie de sécurité nationale
semble trop ambitieuse pour être réalisable.
Ainsi, dans sa vision de la sécurité nationale, N’Djamena semble avoir
choisi de situer en amont la sécurité du Tchad par une action visiblement
destinée à stabiliser l’environnement immédiat du pays, une démarche
ambitieuse et complexe. Les succès de l’armée tchadienne sont réels, mais
ils demeurent globalement mitigés. Certes, le Tchad a confirmé, sur le plan
militaire, sa nouvelle capacité d’influence et de projection de sa puissance:
en 2013, l’armée tchadienne comptait plus de 25  350 hommes, contre
17 000 dans la décennie 1990. Toujours en 2013, le Tchad déployait 2 400
soldats au Nord-Mali pour combattre les groupes terroristes. Le pays est
aussi intervenu en RCA en 2015, après avoir soutenu dans la même année
la Force multinationale mixte contre l’avancée de Boko Haram. Il convient
de rappeler que malgré sa frontière commune avec le Nigeria, le Tchad est
resté longtemps inactif face à ce groupe terroriste, une menace qu’il
considérait comme intérieure.
Le Tchad a sûrement pris de l’assurance en déployant des troupes à
l’extérieur de ses frontières et sur plusieurs théâtres africains, ce qui laisse
penser qu’il s’agit, pour l’heure, de l’armée la plus efficace de l’Afrique
francophone et dont Paris a largement contribué à façonner le succès
médiatique. Sollicité par le chef d’état-major français et par le Pentagone
dans une moindre mesure, N’Djamena est au centre de la stratégie de la
France et des États-Unis dans la lutte contre la menace terroriste,
notamment dans la zone sahélo-saharienne. Le déploiement d’un corps
expéditionnaire au Nigeria et au Niger en 2016, le rôle clé de l’armée
tchadienne dans la guerre menée par la France au nord du Mali en janvier
2013, la présence de ses troupes (800 hommes) dans la Mission
multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en
Centrafrique (la MINUSCA), sa volonté de prêter main-forte au voisin
stratégique qu’est le Cameroun dans la lutte contre Boko Haram,
témoignent d’un rôle renforcé sur l’échiquier politique et militaire régional
et international.
La capacité de N’Djamena à mobiliser ses ressources limitées, les
motivations profondes qui dictent sa conduite, d’une part, son regain
d’intérêt pour ses alentours et en particulier sa récente intervention au
Niger, au nord du Cameroun et au Nigeria, d’autre part, nous poussent à
nous interroger sur la cohérence de l’approche tchadienne. S’agit-il d’une
vision inscrite dans la durée ou d’une approche purement conjoncturelle?
Plusieurs éléments de réponse se distinguent. Premièrement, le Sahel est
occupé par plusieurs groupes terroristes, qui y mènent des attaques.
Deuxièmement, la solidité du Tchad face aux groupes terroristes relève
davantage du mythe que de la réalité. Les discours officiels célèbrent les
prouesses de l’armée tchadienne1, ce qui est en nette dissonance avec les
résultats sur le terrain. Une analyse à froid de la conduite du Tchad et de son
exubérance militaire laisse penser que les options militaires qu’il promeut
sont peu dictées par le contexte intérieur, mais semblent répondre aux
stratégies de la France et des États-Unis, ses alliés occidentaux, qui veulent
l’ériger en État pivot et base arrière logistique pour leurs initiatives
antiterroristes dans le Sahel et au lac Tchad. Par conséquent, la pertinence
de sa stratégie et son impact réel sur la paix à l’échelon national sont sujets
à débats. Troisièmement, le Tchad a payé un lourd tribut à sa lutte contre le
terrorisme. En effet, son infanterie a perdu 150 soldats dans les montagnes
du Nord-Mali, ce qui a suscité beaucoup de critiques, d’autant plus que le
pays n’était pas directement concerné par la guerre et ne fait pas partie de la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’organisation
régionale qui devait faire face au terrorisme. La participation du Tchad dans
les opérations militaires au Niger est dictée par un mobile évident: garantir
la sécurité de ce pays acquis à la cause de son allié français. Le Niger
produit 60% de l’uranium mondial et représente un enjeu stratégique
majeur pour la France. Celle-ci a d’autres intérêts majeurs en Afrique de
l’Ouest. Sur le plan financier, les interventions militaires du Tchad s’avèrent
également coûteuses. La guerre représente plus de la moitié du budget
national du Tchad. Les dépenses militaires effectuées par le gouvernement
ne peuvent que susciter des interrogations, quand on sait que la population
tchadienne est l’une des plus pauvres du monde.

***

En définitive, la nouvelle approche du Tchad en matière de lutte contre le


terrorisme repose sur la sécurisation de l’extérieur, l’objectif sous-jacent
étant de préserver l’intérieur. Du fait de ses interventions militaires contre la
menace au Cameroun, au Mali, au Niger et au Nigeria, le Tchad attitre les
foudres des groupes terroristes. Certes, envisager la sécurité nationale
depuis l’extérieur reste une démarche légitime du gouvernement tchadien.
Toutefois, cette approche est lourde de conséquences et fait fi des
nombreuses difficultés intérieures auxquelles le Tchad doit faire face:
pauvreté, inégalités, sous-emploi, etc. De plus, l’absence d’une
gouvernance transparente de la rente pétrolière à laquelle le Tchad a accédé
en 2003 demeure une réalité pour de nombreux Tchadiens. L’opposition
politique reproche justement à Idriss Déby Itno d’utiliser les recettes du
pétrole pour acquérir du matériel de guerre et pérenniser son assise à la tête
de l’État, d’où son recours en annulation de la victoire du président à
l’élection du 10 avril 2016. Les nombreuses tentatives de coup d’État
survenues au Tchad sont le reflet des convoitises que suscite cette rente.
Une gestion collégiale des ressources financières devrait permettre aux
Tchadiens d’accéder à un niveau de vie décent, condition sine qua non pour
maintenir la stabilité du pays sur le long terme et contribuer à la
sécurisation du Sahel comme du bassin du lac Tchad. Mais cette perspective
a peu de chances de se réaliser. Le Tchad fait face à un des effets pervers de
la coopération internationale contre le terrorisme, mentionné dans
l’introduction du livre, à savoir le renforcement du régime politique en
place, censé apporter son soutien aux puissances impliquées dans la lutte
contre le terrorisme comme la France et les États-Unis.

1. Des officiels français de haut rang (plénipotentiaires civils et militaires) ont effectué plusieurs
voyages à N’Djamena.
Chapitre 8

Les organisations régionales


et l’action collective contre Boko Haram
dans le bassin du lac Tchad
ÉLYSÉE MARTIN ATANGANA

Le bassin du lac Tchad se trouve au centre des enjeux de sécurité liés aux
activités criminelles, comme les trafics d’armes et de drogue, la piraterie
pour les États ayant une façade maritime et le terrorisme exercé par
plusieurs groupes dont Boko Haram. Celui-ci était au départ un groupe de
revendication et de dénonciation des tares sociales au Nigeria, telles que les
inégalités socioéconomiques, la corruption, le modèle de gouvernance et
particulièrement la non-application de la charia. Cependant, à la suite de
plusieurs événements dont la répression sanglante des présumés adeptes du
groupe ayant entraîné la mort de près de huit cents personnes parmi
lesquelles son premier chef, Mohammed Yusuf, Boko Haram transforme
rapidement son mode d’action en actes de terrorisme violents. Il réussit
même à conquérir et à occuper environ 30  000  km2 de territoire dans le
nord du Nigeria, épicentre dont il s’est servi pour étendre ses activités vers
d’autres États du bassin du lac Tchad, et même au-delà. Dès lors, Boko
Haram devient une menace régionale. Et dans une contiguïté régionale où
les menaces se répandent assez rapidement d’un État à l’autre, l’insécurité
de l’un entraîne inéluctablement l’insécurité de tous, et appelle une réponse
collective. C’est dans cette perspective que l’article  52 de la Charte des
Nations unies stipule que:

aucune disposition de la présente Charte ne s’oppose à l’existence


d’accords ou d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui,
touchant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, se
prêtent à une action de caractère régional, pourvu que ces accords ou
ces organismes et leur activité soient compatibles avec les buts et les
principes des Nations unies.

Plusieurs organisations supranationales sont actives dans la région du bassin


du lac Tchad: la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO), la Communauté économique des États de l’Afrique centrale
(CEEAC), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
(CEMAC), la Commission du golfe de Guinée (CGG), la Communauté des
États sahélo-sahariens (CEN-SAD) et la Commission du bassin du lac
Tchad (CBLT). Au regard de la régionalisation de la crise qu’a générée
Boko Haram et bien que les organisations régionales africaines soient aux
prises avec les mêmes difficultés que l’Union africaine (voir l’introduction
du livre), trois institutions supranationales ont ouvert des discussions dans
le but de lutter contre la menace. Il s’agit de la CEDEAO dont le Niger et le
Nigeria sont membres, de la CEEAC qui compte onze membres, dont le
Cameroun et le Tchad, et de la CBLT, dont les quatre pays susmentionnés et
principalement touchés par les activités de Boko Haram font partie.
Ce chapitre se focalise sur ces institutions tout d’abord parce qu’elles ont
évoqué de manière interne le problème Boko Haram et qu’il est nécessaire
d’élucider leurs démarches visant à contrer ce groupe terroriste. Il s’agit de
comprendre pourquoi, malgré les initiatives institutionnelles
supranationales et communes, Boko Haram est demeuré une menace
sérieuse à la sécurité régionale, faisant près de 30  000  morts et plus de
1,6  million de réfugiés et déplacés. Comment expliquer l’incapacité des
mécanismes régionaux de sécurité à endiguer cette menace?
Notre principal argument est que la multiplication des organisations
régionales dans le bassin du lac Tchad a rendu complexe et caduque toute
dynamique régionale commune, rapide, concrète et efficace. Le
néolibéralisme institutionnel adapté ici à la lutte contre les nouvelles
menaces servira de cadre d’analyse, cette approche stipulant que l’anarchie
internationale amène les États à coopérer et à joindre leurs efforts au sein
d’une organisation commune mue par des intérêts communs. L’objectif vise
à répondre efficacement et de manière coordonnée à une menace régionale
précise. Étant donné que Boko Haram est un problème régional, cette
théorie permet de mieux décrire les tentatives de coopération régionale des
États pour le contrer dans le bassin du lac Tchad. Le néolibéralisme
institutionnel permet aussi de faire ressortir les principaux problèmes qui
ont entravé une alliance régionale efficace contre le groupe terroriste en
question.

Le néolibéralisme institutionnel
Le néolibéralisme institutionnel est une approche théorique hybride des
régimes internationaux qui emprunte des éléments à la fois au réalisme et
au libéralisme. La théorie stipule que même si la scène internationale est
marquée par le désordre, l’État y demeure le principal acteur et que ses
actions sont guidées par la rationalité et l’intérêt national. Dans un tel
système, la coopération interétatique au sein d’institutions communes est
tout à fait possible. La mise en place de régimes institutionnels communs
est donc un atout pour les États, parce qu’il encourage le partage
d’informations et la réduction des coûts de transaction, favorise la réduction
des incertitudes, la prévention du «free-riding», et renforce la coopération et
l’interdépendance. La mise en place de régimes internationaux permet aussi
l’émergence de points focaux pour la coordination d’activités communes
entre États. Dans un tel processus de coopération, les États obtiendront ce
que Keohane (1993, p. 275) appelle un «gain relatif», suivant un calcul des
coûts et bénéfices.
Bien plus, dans une contiguïté géographique où les menaces sécuritaires
se propagent rapidement et où l’insécurité d’un État entraîne celle des
autres, l’institution des relations interétatiques à l’échelle régionale ou
internationale reste le fondement de toute action collective militaire ou
autre (mesures communes, alliances et mutualisation des moyens).
Les États de la Commission du bassin du lac Tchad, tout comme ceux des
communautés économiques régionales de l’Afrique centrale et de l’Ouest,
ont tenté d’institutionnaliser leurs rapports pour le maintien de la paix et de
la sécurité dans la région. La menace transnationale que pose Boko Haram
et les exemples des initiatives régionales pour y faire face dans le bassin du
lac Tchad illustrent bien l’importance des institutions supranationales.
Cependant, même si les institutions sont le cadre par excellence de la
coopération et de l’action commune, la multiplication de ce type
d’initiatives dans une même région peut entraîner un manque d’efficacité et
faire persister la menace. Alors que l’institutionnalisme libéral s’axe sur
l’économie politique internationale et les conflits interétatiques, nous
l’adaptons ici aux menaces transnationales comme celle que fait peser Boko
Haram.

Des démarches régionales pour lutter contre Boko Haram


Devant la crise qu’a générée Boko Haram, trois institutions régionales ont
évoqué la nécessité d’y faire face, même si l’effort de coopération annoncé
est arrivé tardivement. Il s’agit de la CEDEAO, de la CEEAC et de la
CBLT.

La Communauté économique des États


de l’Afrique de l’Ouest
Vu le problème posé par Boko Haram au Nigeria et même au-delà, des
discussions ont eu lieu au sein de la CEDEAO, et les autorités ont établi des
pistes de solution. Il est important de relever qu’entre 2009 et mai 2012,
alors que Boko Haram basculait dans la violence terroriste avec des
menaces d’expansion régionale, la CEDEAO n’a pas fait mention du
problème dans ses déclarations officielles. Pourquoi cette réaction tardive?
La principale explication réside dans le fait que Boko Haram était considéré
comme une menace intérieure au Nigeria et que celui-ci n’avait pas
demandé une assistance régionale pour la combattre. En 2012, des prémices
de la présence de Boko Haram et ses interactions avec d’autres groupes
terroristes se font ressentir en Afrique de l’Ouest et au Sahel. C’est lors de
la 41e  session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de
gouvernement de la CEDEAO, les 28 et 29 juin 2012 à Yamoussoukro, en
Côte d’Ivoire, que l’organisation commence à prendre au sérieux le risque
de déstabilisation régionale que pose Boko Haram. Dans un communiqué,
la Conférence des chefs d’État de la CEDEAO a exprimé «son inquiétude
face à la recrudescence du terrorisme dans la région du Sahel et au Nigeria
[…] La Conférence souligne les effets néfastes de ces actes de criminalité
sur la paix, la sécurité régionale et internationale et réaffirme sa
détermination à juguler ces différents fléaux par des mesures appropriées1».
C’est en 2014, durant la présidence du Ghana à la CEDEAO, que les
discussions sur une réponse régionale ouest-africaine au terrorisme de Boko
Haram s’intensifient. Les déclarations officielles reconnaissent que ce
groupe armé n’est plus seulement un problème nigérian, mais bien une
menace régionale. Toujours en 2014, lors d’une session ordinaire du
parlement de la CEDEAO sur le sujet, Kwesi Attah, alors vice-président du
Ghana, déclarait que toute déstabilisation du Nigeria serait aussi une
déstabilisation de la sous-région2. Les États membres devaient donc
s’organiser de manière collective pour combattre Boko Haram. C’est dans
ce même ordre d’idées que John Dramani Mahama, à l’époque président du
Ghana et président en exercice de la CEDEAO (2014-2015), déclarait que
«nous [la CEDEAO] travaillerons pour soutenir notre nation sœur le
Nigeria dans sa lutte contre la menace meurtrière et destructrice causée par
Boko Haram» (Kairo News, 2014).
Le 30 mai 2014, la CEDEAO tient un Sommet extraordinaire à Accra au
Ghana sur la situation au nord du Mali et au nord du Nigeria. Dans le
communiqué publié à la fin de la rencontre,

les chefs d’État et de gouvernement félicitent S.E.M. John Dramani


Mahama pour les démarches entreprises afin d’apporter une réponse
régionale au défi sécuritaire posé par la secte Boko Haram […] La
Conférence exhorte les États membres à renforcer leur collaboration
notamment dans les domaines du partage d’informations et de la
coordination des efforts des services responsables des renseignements
et de l’application des lois.

À la suite de ce sommet, plusieurs conférences ont réuni les chefs d’État de


la CEDEAO. Selon John Dramani Mahama,

les atrocités de Boko Haram sont incomparables à celles que


commettent d’autres groupes terroristes dans le monde. Les massacres,
les décapitations, les multiples tortures, viols, enlèvements, les
bombardements, les pillages et destructions de biens ont été la marque
de fabrique de ce groupe terroriste […] Nous devons trouver un moyen
d’agir ensemble pour synchroniser nos stratégies et atteindre nos
objectifs contre le terrorisme […] Les activités de Boko Haram
continuent de s’intensifier. Je crois qu’une force régionale serait la voie
à suivre […] C’est le moment pour nous de nous rassembler
collectivement pour faire face à cette menace terroriste commune.

L’on peut voir par ces déclarations que la CEDEAO prend très au sérieux le
problème Boko Haram, évoquant même la mise en place d’une force
régionale. Des pays comme le Sénégal, la Guinée et le Ghana ont
ouvertement manifesté leur volonté de participer à une action militaire
commune contre Boko Haram. En 2015, le Bénin s’est engagé à envoyer un
contingent de soldats pour prêter main-forte aux États directement touchés
par le groupe terroriste. La majorité des États de l’Afrique de l’Ouest ont
ainsi exprimé leur désir de participer à la mise en place d’une force
régionale sous l’égide d’une résolution de l’Union africaine, mais aussi des
Nations unies. Les États ont également exprimé leur volonté de travailler
avec la CEEAC, un autre pôle régional touché par Boko Haram. Le
communiqué final du Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur le Mali et
le Nigeria du 30 mai 2014 tenu à Accra, au Ghana, annonce que «la
Conférence [des chefs d’État de la CEDEAO] a décidé d’établir un
partenariat de haut niveau avec les États d’Afrique centrale pour combattre
plus efficacement le terrorisme [Boko Haram]3». Cette déclaration semble
appuyer l’idée d’une coopération interrégionale du fait que le problème
Boko Haram dépasse la seule zone géographique de la CEDEAO, et
l’objectif d’une lutte efficace suppose la mutualisation des moyens avec la
CEEAC. Ainsi, un communiqué du 2 février 2015 mentionne que «les chefs
d’État et de gouvernement de la CEDEAO ont exprimé de vives inquiétudes
quant aux conséquences humanitaires des attaques récurrentes de Boko
Haram au Nigeria et dans les pays voisins, et ont appelé à une synergie
d’actions au niveau national, régional et international contre ce groupe
terroriste» (CEDEAO, 2015).

La Communauté économique des États


de l’Afrique centrale
Tout comme la CEDEAO, la CEEAC s’est elle aussi réunie assez
tardivement pour examiner la réaction commune face aux multiples
problèmes sécuritaires et humanitaires causés par Boko Haram. Cependant,
à la différence de la CEDEAO, la CEEAC n’a pas beaucoup d’expérience
en matière de paix et de sécurité. Les difficultés de cette organisation à
établir et à appliquer une véritable politique régionale de sécurité pourraient
être la cause de sa réaction tardive. C’est à partir de 2015 seulement que la
menace se pose comme une préoccupation au sein de la CEEAC. Lors de
l’ouverture du Sommet du 16 février 2015, le président Idriss Déby Itno,
président du Tchad et à l’époque président en exercice de l’organisation
déclare:

la guerre que nous impose Boko Haram aujourd’hui est une formidable
occasion de raffermir le lien de solidarité et d’intégration face aux
menaces sécuritaires […] Il est difficile pour nos États de faire face à
cette menace […] Nous exhortons nos États membres qui ne sont pas
encore touchés par le terrorisme à porter une grande attention à cette
question et à manifester leur solidarité agissante envers les pays
touchés par les actions de Boko Haram4.

Par cette déclaration, le président tchadien appelait au resserrement des


liens entre les États de la CEEAC par une coopération et une mutualisation
des moyens contre Boko Haram. À la suite des travaux de la session du
sommet, les États membres ont pris un certain nombre d’engagements, la
déclaration de Yaoundé confirmant la volonté des États de soutenir l’effort
de guerre engagé par les soldats du Cameroun et du Tchad. La
disposition  23 de cette déclaration mentionne que les États de la CEEAC
«s’engagent à apporter dans l’immédiat un soutien actif et multiforme au
Cameroun, au Tchad et à tout autre État membre de la communauté qui
serait affecté par les actions du groupe terroriste Boko Haram, notamment
une assistance militaire, financière, logistique et humanitaire». Cet
engagement s’est concrétisé par le déblocage en urgence d’environ
90 millions de dollars en soutien à l’engagement tchado-camerounais dans
la lutte contre Boko Haram. Les chefs d’État et de gouvernement de la
CEEAC ont en outre décidé de créer un Fonds de soutien
multidimensionnel dans les domaines de la logistique, de l’assistance
humanitaire, de la communication et des actions politico-diplomatiques.
Comme le disait Ali Bongo Ondimba, président du Gabon: «Nous avons le
sentiment que nous sommes tous attaqués. Aujourd’hui, deux pays de la
sous-région, le Cameroun et le Tchad, sont aux premières loges, mais
demain cela peut être d’autres pays. Nous sommes venus dire à nos frères
camerounais et tchadiens, vous n’êtes pas seuls5».
Le problème Boko Haram, même si la CEEAC l’a abordé tardivement, a
poussé les États membres à se réunir conformément aux mécanismes du
Conseil de paix et de sécurité de l’organisation, qui prévoient une réunion
extraordinaire et d’urgence en cas de menace et une mutualisation des
moyens pour une meilleure défense contre l’insécurité. L’institution
supranationale est donc le cadre par excellence qui permet aux États de
gérer les problèmes. Bien plus, les États de la CEEAC ont exprimé leur
ferme engagement d’interagir avec la CEDEAO pour une efficacité des
opérations de lutte contre Boko Haram. La déclaration de Yaoundé, dans sa
disposition 20, stipule que «nous [États de la CEEAC] nous engageons à
coopérer pleinement et à tous les niveaux avec la CEDEAO en vue d’une
coordination des actions de lutte contre le groupe terroriste Boko Haram».
L’engagement de la CEEAC à coopérer avec la CEDEAO s’est
matérialisé par l’envoi en mission du président du Congo, Denis Sassou
Nguesso, et du président de la Guinée équatoriale, Theodoro Obiang
Nguéma, pour rencontrer les dirigeants de la CEDEAO, avec pour objectif
de les sensibiliser à la nécessité d’une stratégie commune contre Boko
Haram. Il n’y a pas de documentation sur le déroulement de cette mission
des envoyés de la CEEAC à la CEDEAO. Ce que l’on sait, c’est que les
deux mandataires ont été reçus le 23 février 2015 à Accra, au Ghana, par
John Dramani Mahama, alors président en exercice de la CEDEAO. De leur
entretien, il est ressorti que les pays d’Afrique de l’Ouest s’entendaient pour
organiser un sommet conjoint entre les deux communautés régionales
(Metou, 2015). Après cette mission à Accra, les mandataires de la CEEAC
se sont rendus à Abuja au Nigeria le 24 février 2015 pour rencontrer le
président nigérian de l’époque, Goodluck Jonathan, qui s’est réjoui de
l’initiative de la CEEAC et déclarait que «le temps du deuil pour les
victimes des attaques terroristes incessantes sera bientôt derrière nous, car
le vent est en train de tourner contre Boko Haram» (Jeune Afrique, 2015). À
la suite de la mission de sensibilisation des mandataires de la CEEAC à la
CEDEAO, le président Déby s’est rendu à Accra le 18 mars 2015 pour
rencontrer son homologue président en exercice de la CEDEAO, John
Dramani Mahama, et discuter avec lui des questions sécuritaires. À la suite
des initiatives de la CEEAC, un sommet conjoint CEEAC-CEDEAO a été
programmé pour le 8 avril 2015 à Sipopo, en Guinée équatoriale. Une
réunion des experts des deux communautés s’est ensuite tenue à Yaoundé
au début du mois d’avril 2015 pour préparer la rencontre interrégionale.
Mais, par la suite, le sommet a été annulé sans motif officiel. C’est
seulement en juillet 2018 que la CEEAC et la CEDEAO ont tenu leur
premier sommet conjoint à Lomé, au Togo.

La Commission du bassin du lac Tchad


La CBLT est l’institution régionale qui est allée le plus loin dans la gestion
de la crise liée à Boko Haram et au désordre régional qu’il a créé, sans
doute parce que les quatre pays principalement touchés par les activités de
Boko Haram, à savoir le Cameroun, le Nigeria, le Niger et le Tchad, sont
membres de ladite organisation. Face à une menace commune, la
mutualisation des moyens peut se faire dans le cadre d’un complexe
régional de sécurité (voir le chapitre 9). Malgré le fait que la Force
multinationale du lac Tchad créée en 1994 n’a jamais été opérationnelle, les
États membres de la CBLT ont remédié à ce problème face au terrorisme.
Au-delà des réticences affichées par le Nigeria par rapport à toute
intervention étrangère sur son territoire, les concertations ont abouti à une
coalition interétatique, avec la réactivation et le déploiement progressif de
la Force multinationale mixte (FMM) du bassin du lac Tchad6.
Réactivée avec une extension de son mandat traditionnel, qui passe de la
lutte contre le grand banditisme à celle contre le terrorisme, la FMM se
présente comme un dispositif offensif de stabilisation ayant pour objectif la
lutte contre Boko Haram et d’autres groupes dans les pourtours du lac
Tchad. Elle se compose des quatre États touchés directement par la menace,
à savoir le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad, auxquels s’ajoute le
Bénin, un État membre de la CEDEAO. La République centrafricaine,
secouée par une grave crise intérieure, n’en fait finalement pas partie. Selon
une déclaration des chefs d’État de la CBLT en avril 2012, «chaque pays
membre participe à la Force multinationale avec au minimum un bataillon
équipé. Le commandement devient rotatif en commençant par la
République fédérale du Nigeria pour une durée de 6 mois». Ainsi se sont
dessinés peu à peu les contours d’une coalition qui va au-delà des discours
et qui débouche sur la mise en place de la FMM à la suite du Sommet de la
CBLT de Niamey, au Niger en octobre 2014. Cependant, il a fallu attendre
la réunion des experts sur l’élaboration des documents opérationnels pour la
FMM à Yaoundé au Cameroun (5-7 février 2015) pour voir apparaître les
détails de la coordination stratégique ainsi que des soutiens logistiques et
administratifs de la coalition. Selon le communiqué final de cette réunion,
la FMM vise à:

créer un environnement sûr et sécurisé dans les régions affectées par


les activités de Boko Haram et d’autres groupes terroristes, afin de
réduire considérablement la violence contre les civils et d’autres
exactions […] faciliter la mise en œuvre, par les États membres de la
CBLT et le Bénin, de programmes d’ensemble de stabilisation dans les
régions affectées […] et faciliter, dans la limite de ses capacités, les
opérations humanitaires et l’acheminement de l’aide aux populations
affectées7.

Pour la CBLT, la nécessité de remplir cette mission implique la


disponibilité d’une force de 8  700 soldats dont les activités seraient
étendues autour de la région du lac Tchad avec comme quartier général
N’Djamena, au Tchad. Chaque pays directement touché par la menace est
appelé à admettre l’intervention de la FMM sur les points chauds de son
territoire où les activités de Boko Haram sont les plus concentrées. Ainsi, le
territoire d’intervention de la FMM est découpé en quatre secteurs: le
secteur 1 avec un commandement à Mora au Cameroun, le secteur 2 avec
une base à Baga-Sola au Tchad, le secteur  3 basé à Baga au Nigeria et le
secteur 4 à Diffa au Niger.
Les activités de la FMM se sont matérialisées par la multiplication des
opérations militaires et des patrouilles dans la région, la prévention de
transferts ou de circulation des armes, la provocation des défections de
membres de Boko Haram, la recherche de renseignements, la protection et
le respect des droits de la personne. La FMM a donc été un début dans la
lutte concrète contre Boko Haram. Elle a connu un certain nombre de
succès sur le théâtre des opérations, mais l’efficacité de son action reste très
mitigée quand on voit la persistance des atrocités auxquelles se livre Boko
Haram. Dans des situations complexes impliquant les États, les institutions
communes peuvent fournir des moyens constructifs qui améliorent la
coopération. La Commission du bassin du lac Tchad a joint la parole aux
actes dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.

Les mécanismes régionaux de sécurité


et la persistance de la menace
La multitude des institutions supranationales dans une même aire
géographique peut générer des complications dans la gestion des crises.
C’est le cas dans le bassin du lac Tchad où, au minimum, six instances à
vocation régionale (CBLT, CEEAC, CEDEAO, CEMAC, CGG, CEN-
SAD) se sont attribué des mandats sécuritaires en dehors de leurs mandats
traditionnels d’intégration économique et politique. Trois d’entre elles
(CBLT, CEDEAO, CEEAC) ont essayé de gérer la crise générée par Boko
Haram. Cependant, l’action de ces organisations régionales relevant de
mécanismes régionaux de sécurité, qu’ils soient politiques, diplomatiques
ou militaires, n’a pas permis de mettre fin à l’organisation terroriste. La
difficulté d’endiguer Boko Haram pourrait trouver une explication dans le
manque de coordination, notamment entre la CEEAC et la CEDEAO, et
l’absence d’un monopole institutionnel dans le bassin du lac Tchad.
Le manque de coordination entre la CEDEAO et la CEEAC
La coordination peut se définir comme la mise en commun de manière
convergente des parties d’un système avec pour vision et but d’atteindre des
objectifs communs. Selon Hélène Boussard (2008), la coordination des
organisations supranationales répond à plusieurs besoins. Tout d’abord, elle
permet de prévenir la superposition. Ensuite, elle permet de réduire les
contradictions entre les organisations à vocation internationale en facilitant
l’échange d’informations et la mutualisation des moyens d’action pour
rendre efficaces les opérations et initiatives. La CEDEAO et la CEEAC sont
les deux organisations majeures du bassin du lac Tchad. Dans le cas de la
lutte contre Boko Haram, chacune de ces organisations a tenu des sommets
et réunions, qui ont donné lieu à des déclarations officielles visant la
coopération interrégionale. Au-delà des déclarations officielles et
engagements mutuels à vouloir travailler ensemble, la CEDEAO et la
CEEAC n’ont, cependant, pas réussi à coordonner leurs efforts pour une
action conjointe contre Boko Haram, avec le report inexpliqué d’un sommet
conjoint en 2015, comme nous l’avons vu. Aucune action commune n’a
donc eu lieu, alors que le bassin du lac Tchad relève de ces deux
organisations – les principaux pays déstabilisés par Boko Haram étant à la
fois membres de la CEEAC et de la CEDEAO. Chacune de ces
organisations a continué de réfléchir de manière individuelle à la lutte
contre la menace, comme l’ont donné à voir leurs documents officiels.
Selon Kadré Désiré Ouédraogo, président de la Commission de la
CEDEAO, «on ne le dira jamais assez, ce combat [contre Boko Haram] est
celui de toute la CEDEAO et pas uniquement celui du Nigeria et des autres
pays directement touchés par les actes criminels du mouvement»
(CEDEAO, 2015).
Après l’annulation du sommet conjoint CEEAC-CEDEAO, la CEDEAO
n’a plus manifesté la nécessité de travailler avec la CEEAC. Du côté de
cette dernière, bien qu’on ait réaffirmé dans la déclaration officielle du
Sommet de N’Djamena du 25 mai 2015 l’engagement à coopérer sur le plan
stratégique avec la CEDEAO, l’appel a été fait aux États membres de
s’impliquer aux côtés du Cameroun et du Tchad dans la lutte contre Boko
Haram: «la CEEAC a fait siennes les résolutions de ce sommet [Sommet
extraordinaire du Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique centrale ou
COPAX à Yaoundé, le 16 février 2015] et a exhorté les États membres qui
ne l’ont pas encore fait à honorer leurs engagements multiformes de
solidarité envers le Cameroun et le Tchad8». Bien plus, le Secrétariat
général de la CEEAC, dans un communiqué publié le 3 février 2016,
reconnaît la nécessité d’une action régionale contre Boko Haram, mais omet
de mentionner la CEDEAO comme partenaire important et privilégié contre
le terrorisme9.
En dehors des déclarations officielles qui démontrent que les
organisations phares de la région ne vont pas mutualiser leurs efforts contre
Boko Haram, il est intéressant de mentionner que les stratégies de lutte
contre le terrorisme ont été différentes dans les deux communautés. La
CEDEAO a adopté, en 2013, une stratégie commune de lutte contre le
terrorisme et son plan d’action encourage les États membres à renforcer
leurs capacités de surveillance, d’harmonisation, de coordination et de
réglementation des politiques et pratiques en matière de prévention et de
répression du terrorisme en Afrique de l’Ouest. À la différence de la
CEDEAO, la CEEAC n’est pas assez expérimentée dans la lutte contre les
nouvelles menaces. En dehors des mécanismes du COPAX, elle a juste
ajouté une touche opérationnelle en matière de lutte contre le terrorisme en
2015. Il s’agit de la création d’unités spécialisées contre le terrorisme, de la
mise en place d’une plateforme institutionnelle régionale d’échange
d’information, de coopération et de collaboration entre les différents
services de sécurité et de renseignement, sous la supervision des chefs des
services de renseignement et de sécurité des États membres.
Le manque de coordination entre ces deux communautés économiques
régionales majeures pourrait aussi s’expliquer par le fait que Boko Haram
touche justement des États appartenant aux deux organisations, ce qui
complique un peu plus la mise en commun de moyens sécuritaires pour y
faire face. Cela est dû notamment à la position géographique particulière du
bassin du lac Tchad, à cheval entre les territoires couverts par la CEDEAO
et la CEEAC. Cela dit, aucune de ces deux communautés ne pourrait réagir
de manière efficace contre Boko Haram sans le soutien et l’action conjointe
de l’autre. En d’autres termes, même si l’une des deux organisations
décidait d’intervenir, son champ d’action serait partiel, ce qui veut dire que
la partie non couverte du bassin du lac Tchad pourrait tomber dans
l’insécurité. Ce chevauchement régional a donc favorisé l’expansion de
Boko Haram. En tout cas, le groupe armé en a profité pour créer de
multiples sanctuaires de violence. Mais ce manque de coordination entre la
CEEAC et la CEDEAO n’explique pas à lui seul l’échec des mécanismes
de sécurité contre Boko Haram. À cela s’ajoute le problème que pose la
présence d’autres organisations supranationales dans le bassin du lac Tchad
et le fait qu’aucune organisation n’a le monopole dans les zones touchées
par le groupe terroriste.

La multiplication des institutions supranationales


Le manque d’organisation régionale hégémonique dans le bassin du lac
Tchad pourrait s’expliquer par la taille des organisations supranationales et
la légitimité de leur domaine d’action. Avec la montée en puissance de
Boko Haram, plusieurs organisations régionales ont engagé des démarches
pour mettre fin aux atrocités du groupe, mais leurs initiatives ne semblent
pas avoir réduit l’ampleur de la menace. C’est le cas de la FMM de la
Commission du bassin du lac Tchad, qui accomplit néanmoins un travail
non négligeable depuis 2015. Plusieurs localités du nord du Nigeria,
considérées comme le foyer de ce groupe terroriste, ont été reconquises10.
Plusieurs opérations ont été lancées pour démanteler les camps de Boko
Haram, lutter contre la fabrication d’engins explosifs improvisés et
neutraliser tout combattant du groupe utilisant la violence contre la force
multinationale. Durant les cinq premiers mois de l’année 2016, la FMM a
éliminé 675 membres de Boko Haram, arrêté 566 de ses adeptes, démantelé
32  camps terroristes et libéré 4  690 otages (Assanvo, Abatan, Sawadogo,
2016).
Cependant, même si la Commission du bassin du lac Tchad a pu agir, elle
l’a fait dans un espace limité, car les actes terroristes de Boko Haram
demeurent nombreux et violents dans les pourtours de la région couverte
par l’organisation. Boko Haram a renforcé ses interactions avec les réseaux
terroristes, et même dispose de cellules dormantes dans des pays comme la
Centrafrique (Comolli, 2015), le Mali et le Sénégal où certains combattants
du groupe terroriste ont été interpellés. L’action de la FMM ne va toutefois
pas au-delà de la zone d’activité de Boko Haram, et demeure donc limitée.
Elle n’arrive pas à occuper tous les pourtours du lac Tchad ni à dépasser le
territoire des cinq États qui la composent. Si la CBLT occupait la région
jusqu’à l’autre extrémité de l’Afrique de l’Ouest, l’action de la FMM aurait
impliqué plus de pays de la CEDEAO, donc plus de soldats, et couvrirait
ainsi une plus grande partie des zones menacées. Le manque de monopole
institutionnel dans la région explique donc, en partie, l’échec des
mécanismes régionaux de sécurité pour endiguer la menace.
Bien plus, le manque de monopole régional tient au fait de la présence,
dans le bassin du lac Tchad, d’au moins six organisations supranationales.
Si la plupart sont à vocation économique, elles se sont attribué des mandats
de sécurité et de maintien de la paix. Comme chacune occupe au moins une
partie de la région, nous remarquons une balkanisation de l’espace
géographique: la Communauté des États sahélo-sahariens, la CEN-SAD, a
ainsi un intérêt pour les questions sécuritaires dans le bassin du lac Tchad,
puisque le Niger, le Nigeria et le Tchad, les pays directement touchés par
Boko Haram, sont membres de cette communauté régionale. La
Commission du golfe de Guinée a également un rôle à jouer pour le
maintien de la paix dans la région, car le Cameroun et le Nigeria, troublés
par les activités de Boko Haram, font partie de cette organisation. La
CEMAC aurait pu aussi envisager des actions, car la zone qu’elle couvre
abrite les États touchés par le groupe terroriste. Par conséquent, ces
organisations, auxquelles s’ajoutent la CEEAC, la CEDEAO et la CBLT,
ont un mandat sécuritaire et se partagent la principale zone du bassin du lac
Tchad déstabilisée par Boko Haram.

***

L’objectif actuel des États du bassin lac Tchad est la recherche de la paix, de
la stabilité et de la sécurité. Pour faire face à ce défi sécuritaire, il sera
important qu’ils se réunissent autour d’une organisation à même de rendre
possible, concrète et efficace l’action commune. La CBLT paraît
appropriée, car elle couvre en grande partie la zone géographique durement
touchée par Boko Haram. Elle pourrait ouvrir une voie de coopération
transrégionale entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, du fait que
ses membres appartiennent à la fois à la CEEAC et à la CEDEAO. Autour
de la FMM, l’action collective sous-régionale a pu réduire la menace Boko
Haram. Cette coalition autour de la CBLT s’est agrandie avec la
participation et le soutien du Bénin, membre de la CEDEAO. Cela permet
de réinstaurer le monopole étatique de la violence dans le bassin du lac
Tchad et au-delà, le principal défi consistant dès lors à attirer à la CBLT les
États non membres de cette organisation, qui n’ont pas forcément d’intérêt à
participer à l’action collective, ou qui n’en ont pas la capacité.

1. Voir le communiqué de la 41e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de


gouvernement de la CEDEAO, 28-29 juin 2012.
2. Déclaration du vice-président du Ghana Kwesi Attah lors d’une session parlementaire de la
CEDEAO à Abuja au Nigeria, le 20 mai 2014.
3. Communiqué final du Sommet extraordinaire des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO,
Accra, 30 mai 2014.
4. Déclaration du président du Tchad Idriss Déby Itno au Sommet extraordinaire de la CEEAC, le 16
février 2015 à Yaoundé, au Cameroun.
5. Communiqué de presse de la présidence du Gabon, Libreville, 17 février 2015.
6. Voir la Déclaration finale du 14e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la CBLT,
N’Djamena, 30 avril 2012.
7. Communiqué final, réunion des experts CEDEAO-CEEAC, 5-7 février 2015, Yaoundé.
8. Voir le communiqué de la CEEAC, lors de sa 16e session ordinaire de la Conférence des chefs
d’État et de gouvernement, N’Djamena, 25 mai 2015.
9. Communiqué de presse du Secrétariat général de la CEEAC sur les activités terroristes de Boko
Haram, Libreville, Gabon, 3 février 2016.
10. À l’instar de Maiduguri, Baga, Gambaru ngala, Dikwa, Malam Fatouri, Damasak, Mkumshé,
Dmaturu, Bulasari, Djibrilli, Zamga, Madawya et Ngoshe.
Chapitre 9

La Force multinationale mixte


dans la région du lac Tchad
MODESTE MBA TALLA

La résolution 1566 adoptée le 8 octobre 2004 par le Conseil de sécurité des


Nations unies demandait «aux organisations internationales, régionales et
sous-régionales compétentes de renforcer la coopération internationale dans
la lutte contre le terrorisme». C’est dans cette perspective que les pays
fondateurs de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) – Cameroun,
Niger, Nigeria et Tchad – plus le Bénin ont lancé la Force multinationale
mixte (FMM) dont les premiers contingents ont été déployés le 25
novembre 2015 pour combattre Boko Haram. Celui-ci est sorti de sa base
du nord-est du Nigeria et commence à mener des opérations au Cameroun,
au Niger et au Tchad. Les ramifications transfrontalières de Boko Haram et
de sa branche dissidente Ansaru ont obligé les pays du bassin du lac Tchad
et le Bénin à dépasser les actions militaires individuelles pour mettre en
place une force commune contre le terrorisme. Le processus a commencé à
prendre forme le 30 avril 2012, lors du 14e  Sommet de la CBLT tenu à
N’Djamena, au Tchad. Idriss Déby, le président du Tchad, considérant que
«l’heure est désormais à l’action», propose la réactivation de la «force
mixte dissuasive» de la CBLT pour lutter contre Boko Haram, qui sévit
dans la région (BBC, 2012). Il s’agit de la Multi-National Joint Task Force
ou Force multinationale mixte, créée en 1994, mais restée inactive.
La création de la FMM s’inscrit-elle dans une réelle volonté des pays
impliqués de se doter d’un outil autonome de sécurité collective, ou traduit-
elle plutôt la volonté de certaines puissances occidentales engagées dans la
lutte contre le terrorisme en Afrique? Nous soutenons que la mise en place
de la FMM s’inscrit dans une perspective d’autonomisation des États
membres de la CBLT en matière de sécurité, et participe en même temps au
prolongement de la sous-traitance de la sécurité internationale. Voilà qui
soulève d’autres questions. L’initiative s’inscrit-elle à long terme, ou est-ce
une simple coalition temporaire et circonstancielle? La Force peut-elle
résister aux considérations et aux intérêts nationaux souvent divergents des
États?
La FMM se pose comme un complexe régional de sécurité dans un
contexte particulier où le terrorisme représente une menace à la paix et à la
sécurité internationales. L’analyse s’appuie donc sur la théorie du complexe
régional de sécurité (CRS) développée par Buzan (1991, 1988) et reprise
par Lake et Morgan (1997). Les complexes de sécurité font partie d’un
programme plus vaste visant à construire une approche holistique dans
l’analyse et la prise en charge des problèmes de sécurité. L’idée découle de
la nécessité de trouver un mécanisme institutionnel capable de résoudre les
problèmes de sécurité que connaissent les États proches à l’échelon
régional. Cette théorie permet en outre de mieux saisir l’initiative de
coopération militaire contre le terrorisme dans cette partie de l’Afrique.

Le contexte sécuritaire dans le bassin du lac Tchad


Le groupe armé nigérian Boko Haram a attiré l’attention des médias et de
l’opinion publique internationale ces dernières années, la violence, la
fréquence et l’ampleur de ses attaques ne cessant d’augmenter. Les
politiques antiterroristes adoptées par le Nigeria se sont avérées souvent
inefficaces, voire contre-productives. Dans le même temps, le champ
d’attaque du groupe s’élargit aux pays voisins, dont le Cameroun, le Tchad
et le Niger. Il existe une pléthore d’analyses qui tentent d’expliquer
l’origine de Boko Haram, mais on note qu’il y a des divergences, aussi bien
sur la date de création que sur le fondateur du mouvement, Mohammed
Yusuf. Adibe (2012) soutient que Boko Haram a été fondé entre 2001 et
2002, alors que pour Madike, l’existence du groupe remonte à 1995
puisqu’il a été mis en place par Lawan Abubakar, parti poursuivre ses
études à l’Université de Médine en Arabie Saoudite. À l’époque, le groupe
était connu sous le nom de Sahaba (Madike, 2011, cité dans Adibe, 2012).
Aujourd’hui, le nom employé découle de la posture anti-occidentale de
Boko Haram, qui signifie «l’éducation occidentale (livre) / civilisation est le
péché»1. En moins de deux décennies, ce groupe, né dans le nord-est du
Nigeria, est passé d’une milice locale à un groupe armé.
De nombreux analystes s’accordent sur le fait que Boko Haram promeut
une idéologie qui s’inscrit en droite ligne d’un islam subsaharien
revendiquant une purification de la religion musulmane. Seignobos (2014),
lui, parle de Boko Haram comme d’un salafisme de faubourg et de brousse,
qui pratique une islamisation à outrance. Après la mort de son chef
Mohammed Yusuf en 2009, et surtout depuis qu’Abubakar Shekau en a pris
la tête, Boko Haram a opéré une mutation stratégique. Les vagues
d’attaques sont de plus en plus violentes, non seulement dans les bastions
du groupe – États de Borno, Yobe, Gombe, Nord-Adamawa – et en
particulier dans les périphéries anciennes du nord du Cameroun, mais aussi
dans d’autres États riverains du Nigeria: le Niger et le Tchad. Le conflit
dans le nord-est du Nigeria a entraîné des déplacements massifs de
populations, des violations du droit international humanitaire et une crise
humanitaire grave. Depuis son début en 2009, plus de 20 000 personnes ont
été tuées, des milliers de femmes et de filles, enlevées et des enfants,
utilisés comme des bombes ambulantes. En plus, près de 2,1  millions de
personnes ont fui leur foyer, dont 1,9 million de déplacés et plus de 200 000
réfugiés au Cameroun, au Tchad et au Niger (OCHA, 2017).
De nombreuses organisations internationales non gouvernementales
assimilent les violences généralisées et systématiques perpétrées par Boko
Haram à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité. Cette
situation est d’autant plus grave que Boko Haram, en tant qu’entité non
étatique, ne s’estime lié ni par les principes du droit international ni par
ceux du droit international humanitaire, et demeure donc peu sensible à la
pression internationale. Au plus fort des attaques, entre décembre 2011 et
janvier 2012, le président nigérian de l’époque, Goodluck Jonathan,
déclarait que la situation était plus catastrophique que lors de la guerre du
Biafra, pendant laquelle il était possible de savoir et de prévenir «d’où
venait l’ennemi»; ce n’est pas le cas avec Boko Haram (L’Express, 2012).
C’est dans ce contexte que l’impératif d’une défense commune va
ressurgir. Les chefs d’État de la région du lac Tchad où sévit le groupe
redécouvrent les principes et les instruments de la coopération sécuritaire.
En février 2012, le Cameroun et le Nigeria signent un accord bilatéral pour
la mise en place d’un comité mixte visant à sécuriser leurs frontières
communes contre le terrorisme transfrontalier (Ojeme, 2012), ce qui change
le climat de méfiance qui règne jusqu’alors entre les deux pays. Un officiel
camerounais avec qui je me suis entretenu disait que «le Cameroun est
entièrement disposé à coopérer avec le Nigeria et même à permettre que,
des deux côtés, le droit de poursuite sur nos territoires respectifs puisse être
facilité afin de pourchasser ces bandits transfrontaliers2». Dans la foulée, le
Niger et le Nigeria vont aussi choisir de mutualiser leurs forces. Le 12
octobre 2012, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, déclare que «le
Niger et le Nigeria étant dans un espace commun, soumis aux mêmes
menaces», décident de «mutualiser le moindre renseignement» (RFI, 2012).
Ces initiatives ont pavé la voie à la redynamisation de la FMM de la CBLT,
qui se présente comme un complexe régional de sécurité.
La FMM est une initiative de régionalisation de la sécurité dans le bassin
du lac Tchad. Elle résulte d’actions menées par les États de la région,
appuyés par certaines puissances occidentales comme les États-Unis et la
France. Il serait donc intéressant d’étudier les dynamiques ayant donné
naissance à ce complexe régional de sécurité, ou CRS. Un CRS est un
regroupement «d’États dont les soucis primordiaux de sécurité sont
suffisamment et si étroitement liés que la sécurité nationale d’aucun d’entre
eux ne peut être réellement appréhendée séparément de celle des autres»
(Buzan, 1991, p.  187). Les États faisant face aux mêmes problèmes
d’insécurité auraient tendance à coopérer pour lutter contre les menaces, ce
qui peut conduire à la mise en place d’un CRS.
Mais comme le précise Buzan (1988), le concept de région équivaut
invariablement à une simple désignation géographique arbitraire,
généralement déterminée par l’emplacement d’une crise. Pour Lake et
Morgan (1997) qui ont repensé le concept de CRS, la région va au-delà du
simple environnement géographique. Il faut ainsi saisir la région en tant
qu’espace de sécurité, d’une part, et cadre de régulation qui résulte d’une
construction, d’autre part. Le CRS repose, en effet, sur la géographie qui
fait ici référence à la région, au sein de laquelle les États frontaliers ou
proches doivent composer avec des externalités transfrontalières négatives
(grand banditisme appelé dans cette zone les coupeurs de routes, trafiquants
interfrontaliers, réfugiés armés). Dans le bassin du lac Tchad, le CRS s’est
matérialisé par la création de la FMM pour faire face à la menace terroriste.
Toutefois, dans l’analyse, l’on ne doit pas seulement considérer les États se
situant dans la même zone géographique. D’autres acteurs extérieurs à la
région peuvent aussi être impliqués ou jouer un rôle important dans
l’émergence d’un CRS. D’ailleurs, c’est ce que notent Lake et Morgan
(1997, p. 12) pour qui un complexe régional de sécurité désigne:

un ensemble d’États continuellement affectés par une ou plusieurs


externalités de sécurité émanant d’une zone géographique distincte.
Dans un tel complexe, les pays membres sont si intimement liés en ce
qui a trait à la sécurité que les actions et les préoccupations sécuritaires
de chacun ont un impact sur les autres.

Il ne suffit pas donc d’appartenir à une aire géographique déterminée pour


subir d’éventuels problèmes de sécurité. De ce point de vue, la définition du
CRS en tant qu’espace ouvert permet de prendre en compte d’autres acteurs
dans l’analyse, à l’instar des États-Unis et de la France qui, touchés ou visés
par le terrorisme en activité autour du bassin du lac Tchad, se sont engagés
dans la mise en place de la FMM. Dans leur analyse de la région en tant que
solution de régulation, Lake et Morgan (1997) mettent également en
exergue le concept d’«ordre régional», qui se décline ici sous une
dimension institutionnelle et repose sur la coopération multilatérale,
laquelle nécessite une régulation hégémonique assurée par une puissance
régionale capable de «projeter des forces dans des endroits lointains, qui ne
sont pas nécessairement dans la zone géographique du complexe en
question» (Lake et Morgan, 1997, p.  12). L’existence d’une puissance
régulatrice est d’autant plus pertinente dans cette étude que lors des
différentes réunions ayant présidé à la création de la FMM, il en a été
constamment question.

L’émergence de la FMM
comme complexe régional de sécurité
La CBLT, qui a donné naissance à la FMM, est créée le 22 mai 1964 par la
Convention de Fort-Lamy, la capitale du Tchad renommée depuis
N’Djamena et devenue le siège de l’organisation. Celle-ci a été mise en
place par les pays les plus engagés aujourd’hui dans la FMM, à savoir le
Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. La République centrafricaine
(RCA) et la Libye ont rejoint la CBLT beaucoup plus tard, en 1996 et 2008
respectivement3. À sa création, la CBLT, outre sa fonction d’assurer la
gestion de l’eau et des ressources halieutiques du bassin du lac Tchad, avait
un objectif sécuritaire avec le maintien de la paix et de la sécurité dans la
région. Cependant, l’articulation entre les volets socioéconomique et
sécuritaire est demeurée embryonnaire, alors que l’objectif de la
Convention de Fort-Lamy qui fonde l’organisation était de mettre en place
un mécanisme à la fois civil et militaire (Luntumbue, 2014). On peut
comprendre pourquoi il a fallu attendre la fin des années 1980, au moment
fort du phénomène des coupeurs de routes dans la région, pour voir naître
les premières patrouilles mixtes internationales (PAMINT) déployées par
les quatre pays riverains et fondateurs de la CBLT pour veiller à la sécurité
des frontières. Cependant, cette coopération transfrontalière fera long feu.
Du fait du différend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria portant sur la
péninsule de Bakassi4 et la région du lac Tchad, Yaoundé se retire des
PAMINT. Toutefois, le Tchad et le Niger ont continué de mener, de manière
intermittente, des patrouilles mixtes entre Gaya et Diffa, dans le sud-est du
Niger.
En 1994, la CBLT crée la FMM dont le but était de lutter contre la
criminalité et le grand banditisme dans la région. Cependant, cette force
restée inerte, puis réactivée en 1998, est demeurée non opérationnelle à
cause du différend frontalier entre le Cameroun et le Nigeria. C’est
seulement en 2012 que la FMM va voir son cadre juridique modifié, et son
aire d’action et de compétences élargie au Cameroun et au Bénin. En effet,
lors du 14e Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la CBLT tenu à
N’Djamena au Tchad, le 30 avril 2012, tous les pays membres de la CBLT
ont été parties prenantes du processus de réactivation de la FMM, qui devait
donc se composer de cinq pays: le Cameroun, le Niger, le Nigeria, la
République centrafricaine (RCA) et le Tchad. Mais la RCA, en raison d’une
instabilité politique chronique à l’échelle nationale, n’a pu poursuivre
l’initiative. La FMM regroupe finalement les quatre pays fondateurs de la
CBLT plus le Bénin. À partir de 2012, le mandat de la FMM passe de la
lutte contre la criminalité et le grand banditisme à celle contre le terrorisme
dans la région.
Les crises dans le nord du Nigeria et en RCA qui ont débordé dans la
partie septentrionale (Cameroun, Tchad et Niger) sont apparues récemment
comme des menaces sérieuses à la région. Cela a conduit à un retour à
l’esprit de Fort-Lamy qui préconisait de «prendre en urgence toutes les
mesures nécessaires pour la redynamisation de la Force multinationale de
sécurité du bassin du lac Tchad» (CBLT, 2012, p.  4). Cependant, c’est la
réunion des 17 et 18 mars 2014 des ministres de la Défense et des chefs
d’état-major des pays de la CBLT, et le sommet de celle-ci tenu à Niamey
au Niger le 7 octobre de la même année et auquel le Bénin était associé, qui
ont accéléré la mise en place de la FMM. La FMM est un dispositif offensif
contre Boko Haram et d’autres groupes terroristes dans la zone du bassin du
lac Tchad et a une zone d’intervention qui couvre les quatre pays du bassin
(Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad) ainsi que le Bénin. Son mandat consiste
à:

créer un environnement sûr et sécurisé dans les régions affectées par


les activités de Boko Haram et d’autres groupes terroristes, afin de […]
faciliter la mise en œuvre, par les États membres de la CBLT et le
Bénin, de programmes d’ensemble de stabilisation dans les régions
affectées, y compris la pleine restauration de l’autorité de l’État et le
retour des personnes déplacées internes et des réfugiés; et faciliter, dans
la limite de ses capacités, les opérations humanitaires et
l’acheminement de l’aide aux populations affectées (UA, 2015, p. 2-3).

La FMM a son état-major à N’Djamena, au Tchad, et est répartie sur quatre


secteurs: le secteur 1, dont le commandement est situé dans la ville de Mora
au nord du Cameroun; le secteur 2  situé dans la ville de Baga-Sola au
Tchad, le secteur 3 à Baga dans le nord-est du Nigeria, et enfin le secteur 4
dans la ville de Diffa au sud-est du Niger (Assanvo, Abatan et Sawadogo,
2016). La FMM est autorisée le 29 janvier 2015, par le Conseil de paix et
de sécurité de l’Union africaine, son principal partenaire qui décide du
renouvellement (ou non) de son mandat5 et en assure le pilotage stratégique,
en collaboration avec la CBLT. Pour la première fois, et à l’unanimité de ses
membres, le Conseil de sécurité de l’ONU, dans sa résolution 2349, s’est
engagé aux côtés des pays de la CBLT contre la menace posée par Boko
Haram. Toutefois, le rôle de l’ONU auprès de la CBLT se limite à l’aide
humanitaire, une posture assez différente de celle mise en œuvre du côté du
G5 Sahel6 avec la résolution 2391. Celle-ci pose de manière fondamentale
la question d’un soutien matériel et opérationnel de l’ONU à la force du G5
Sahel (voir le chapitre 3).
Il est judicieux de rappeler que les pays qui forment la FMM
appartiennent à deux communautés économiques régionales différentes: le
Bénin, le Niger et le Nigeria sont de la Communauté économique des États
de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) alors que le Cameroun et le Tchad
appartiennent à la Communauté économique des États de l’Afrique centrale
(CEEAC). Ces pays ont senti la nécessité de coopérer à cette initiative et
non avec les organisations existantes pourtant rompues à la lutte contre
l’insécurité. Il y a plusieurs raisons à cela. Les activités terroristes ont pour
particularité de toucher plusieurs régions à la fois, ce qui nécessite une
réponse adaptée. Les pays engagés dans la FMM sont tous dans la ligne de
mire de Boko Haram et de ses groupes affiliés, et ils ont déjà fait les frais
des attaques terroristes. Sur le plan géographique, leurs positions
concentriques respectives au Sahel et sur les côtes maritimes, marquées par
l’immensité des territoires, la porosité des frontières et la mobilité des
groupes, les exposent particulièrement à l’insécurité. Par ailleurs, faut-il le
rappeler, les échecs «manifestes» de la CEEAC et de la CEDEAO à tenir
avec célérité leur sommet ministériel commun sur Boko Haram en 2014 ont
finalement poussé les pays membres de la FMM comme ceux du G5 Sahel
à trouver d’autres mécanismes de coopération. Au lieu de mobiliser leurs
communautés économiques régionales respectives, qui sont souvent
empêtrées dans des querelles entre dirigeants, ces pays directement touchés
par le terrorisme se sont donc tournés de manière pragmatique vers d’autres
structures moins lourdes et plus facilement mobilisables.
La FMM est un complexe régional de sécurité qui tente d’instaurer un
ordre dans le bassin du lac Tchad, et ce, pour plusieurs raisons. La première
trouve son explication dans la traduction du complexe de sécurité tel que le
conçoit Buzan, pour qui «une approche basée sur les complexes de sécurité
concentre l’attention sur un groupe d’États dont les problèmes de sécurité
sont étroitement liés» (1991, p. 224). Dans le cas de la CBLT, l’on peut dire
que ce sont les actions de Boko Haram qui obligent les États parties
prenantes de la FMM à mutualiser leurs forces pour mieux faire face à la
menace. La deuxième raison est celle du renforcement des capacités des
États de la région par les États-Unis et la France. L’engagement de ces deux
puissances a deux implications. La première vient renforcer l’idée selon
laquelle, dans un CRS, il ne suffit pas d’appartenir à la région en question
pour en être membre ou y jouer un rôle important. C’est ce que précisent
Lake et Morgan (1997, p. 12): «alors que la géographie peut lier la plupart
des membres des complexes de sécurité régionaux, la proximité
géographique n’est pas une condition nécessaire pour qu’un État puisse en
être membre». On peut donner l’exemple du Bénin qui participe à la FMM
sans faire partie intégrante du bassin du lac Tchad. La deuxième implication
est que les États-Unis et la France ont subrepticement poussé les pays de la
CBLT à une coopération plus active dans la mise en place de la FMM.
La troisième raison qui pousse la FMM à vouloir assurer l’ordre régional
dans le bassin du lac Tchad serait liée à l’absence d’un régulateur
hégémonique dans la région. Un officiel ayant participé aux nombreuses
réunions préparatoires post-création mentionne avec précision cet aspect en
désignant le Nigeria:

Il ne faut pas se voiler la face, bien que le Nigeria ne soit plus cette
foudre de guerre qui allait sur des terrains d’opérations militaires au
Liberia ou en Sierra Leone, il reste pour autant une puissance dont il
faut tenir compte. Il est la première économie de l’Afrique, la première
puissance démographique et il suffit de restructurer son armée pour lui
redonner son lustre d’antan. Nous ne pouvions pas ne pas en tenir
compte lors de nos réunions, au risque de voir la création de cette force
militaire capoter7.

Cependant, bien que le Nigeria soit la puissance par excellence dans la


région, il ne peut prétendre jouer un rôle régulateur8. Malgré des moyens
militaires colossaux, il n’a pas de soldats aussi aguerris que ceux du Tchad9,
qui ont démontré une maîtrise technique militaire adaptée aux terrains
désertiques dans la lutte contre Boko Haram, mais aussi au Mali. Sur le plan
militaire, il a été supplanté par le Tchad dont les capacités de projection et
de combat ont été décisives contre le terrorisme aussi bien au Mali que dans
le bassin du lac Tchad. Cela a permis à N’Djamena de s’affirmer comme
acteur incontournable dans la mise en place de la FMM, malgré des
capacités économiques beaucoup plus faibles que le Nigeria. Toutefois, le
Tchad est loin de se hisser au rang de puissance régulatrice. Il faut
reconnaître qu’en dépit de ses problèmes sécuritaires structurels qui ont
entamé l’efficacité de son armée dans le combat contre Boko Haram, le
Nigeria demeure tout de même une puissance régionale et africaine.

La FMM entre coopération interafricaine


et conditionnement international
La FMM est une initiative africaine dans la mesure où elle résulte d’un
processus de coopération entre des pays de la CBLT plus le Bénin. Elle
traduit la volonté de ces derniers de s’approprier les outils de leur propre
sécurité pour combattre Boko Haram et d’autres groupes terroristes.
L’appropriation de la lutte contre l’insécurité a été un long processus
jalonné de plusieurs initiatives. La première a été la redécouverte de ce que
j’appelle l’esprit de Fort-Lamy, car la Convention à l’origine de la création
de la CBLT comportait déjà la notion de «sécurité commune», les pays
fondateurs de l’organisation reconnaissant dès lors que la sécurité ne
pouvait se réduire à la sécurité nationale de chaque État. À sa création en
1994, la FMM était chargée de lutter contre la criminalité et le grand
banditisme dans le bassin du lac Tchad. Il aura fallu l’aggravation de la
situation sécuritaire régionale avec le terrorisme pour que le réalisme des
États l’emporte et que la réactivation de la FMM connaisse un début de
concrétisation à partir de 2014.
La deuxième action traduisant l’émancipation de l’Afrique est aussi
perceptible durant tout le processus de création de la FMM. Pour Tsafack
(2017, p.  205), «l’engagement des États de la CBLT à mettre sur pied la
FMM est un indicateur qui démontre que le continent africain évolue vers
son émancipation en ce qui concerne la gestion des crises en Afrique».
Cette appropriation s’est traduite par moult rencontres et discussions au
cours desquelles l’intérêt de se doter d’une stratégie commune de lutte
contre la criminalité multiforme, le terrorisme et d’autres menaces à la
stabilité demeure pressant pour les États.
Le concept de complexe régional de sécurité, n’étant pas fondé sur une
définition purement géographique de la région, permet d’y intégrer la
France et les États-Unis, en raison du rôle qu’ils ont joué dans l’émergence
et le développement de la FMM. Tout comme le G5 Sahel, la FMM semble
être conditionnée par le programme international de ces deux puissances et
relèverait d’une politique de sous-traitance de la sécurité. Comme on l’a vu
au chapitre 3, la France joue un rôle central dans le G5 Sahel, qui comprend
le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. La FMM, elle,
est largement influencée par les États-Unis en plus de la France.
Certes, ces deux États, bien qu’ayant des ressources et des pouvoirs
d’influence incomparables, ont tous les deux participé à la création de cet
«ordre régional» qui s’appuie sur la FMM en tant que CRS. La lutte contre
le terrorisme a induit des changements dans la manière dont certaines
puissances traitent avec certains complexes régionaux de sécurité. Pendant
la guerre froide, les États-Unis et la France par exemple encourageaient le
développement d’organisations régionales pour faire face à la menace
communiste et aux problèmes de sécurité. À la fin de la bipolarisation, dans
les années 1990 notamment, leurs influences tendaient à diminuer en raison
de l’autonomisation croissante des régions. Cependant, la montée en
puissance du terrorisme et la nécessité d’y faire face participent à la
réactivation de la configuration qui existait sous certaines formes pendant la
guerre froide. Aujourd’hui, on note une influence grandissante des États-
Unis et de la France sur les mécanismes africains de coopération contre le
terrorisme. Cette nouvelle réalité s’explique sans doute par la dimension
mondiale du terrorisme dont il est question ici et qui vise particulièrement
les intérêts des puissances occidentales. Ce qui confirme l’idée de Barry
Buzan (1991, p.  190) selon laquelle les «complexes de sécurité sont des
indicateurs de l’interdépendance de la rivalité et des intérêts partagés».
En novembre 2011, un rapport de la Chambre des représentants des États-
Unis sur Boko Haram montre à quelle vitesse ce groupe a «évolué et
représente une nouvelle menace contre les États-Unis, ses territoires et ses
intérêts […]. Raison pour laquelle les États-Unis doivent travailler avec le
gouvernement du Nigeria pour construire des structures antiterroristes et de
renseignement pouvant contrer efficacement Boko Haram» (États-Unis,
Chambre des représentants, 2011, p. 4). Cependant, à cause des dérives de
l’armée nigériane et des violations des droits de l’homme comme des lois
internationales, l’administration Obama avait décidé de réduire la
coopération militaire avec le Nigeria. Toutefois, ce dernier est demeuré dans
la stratégie américaine du Trans-Sahara Counterterrorism Partnership qu’il
a intégrée en 2007. Sous Donald Trump, Washington a amélioré la
coopération militaire avec Abuja. Par exemple, en avril 2017, les États-Unis
ont approuvé la vente de douze avions de reconnaissance, de surveillance et
de combat au Nigeria.
Les appuis américains ne concernent pas seulement ce dernier; ils
reposent aussi sur des initiatives qui combinent coopération bilatérale et
coopération multilatérale. Du 4 au 6 août 2014, Washington a accueilli le
1er  Sommet États-Unis/Afrique. Plusieurs sujets ont été abordés dont la
question du financement du plan régional contre le terrorisme dans le bassin
du lac Tchad. En plus des problématiques économiques, le sommet a posé la
lutte contre le terrorisme comme une condition sine qua non au
développement. C’est dans cette perspective que les États-Unis ont annoncé
la mise sur pied d’un fonds d’appui à la sécurité et aux programmes de
formation des forces armées africaines. Ils ont également mis en place des
bases de drones au Cameroun et au Niger, qui permettent de recueillir des
renseignements utiles à la FMM. En plus de déployer environ 800 soldats
américains au Niger, Washington a fait don d’importants équipements
militaires aux forces armées nigériennes pour mieux lutter contre le
terrorisme (Grier, 2017). Rappelons également qu’en octobre 2015,
Washington avait envoyé près de 300 soldats au Cameroun pour combattre
Boko Haram et offert des véhicules de combat à l’armée camerounaise
(Campbell, 2015). Selon le général Thomas D. Waldhauser, quatrième
commandant des forces armées américaines en Afrique, Washington
demeure engagé à poursuivre l’offre de formation aux forces de défense
camerounaise, et à leur fournir des équipements militaires contre le
terrorisme. Au nom de la lutte contre le terrorisme et d’autres menaces
comme la piraterie, les États-Unis ont considérablement augmenté leur
présence militaire en Afrique. Le contingent déployé pour entraîner et
assister les armées africaines a triplé en cinq ans, de 450 envoyés en 2012 à
1 300 en 2017 (Le Monde, 2017).
Quant à l’aide de la France à la FMM, elle n’est certes pas comparable à
celle qu’elle apporte à la force du G5 Sahel opérant dans la zone du Sahel,
que Paris considère comme une zone stratégique de premier plan.
L’approche de Paris dans la mise sur pied de la FMM a été très
instrumentale. D’ailleurs, le 1er  Sommet international sur la sécurité
régionale et la lutte contre Boko Haram s’est tenu à Paris le 17 mai 2014
sous la houlette de François Hollande, à l’époque président. Ce dernier avait
alors fait office de facilitateur dans un contexte de défiance entre le
Cameroun et le Nigeria. Le Sommet de Paris a permis l’émergence d’un
plan régional de lutte contre le terrorisme à plusieurs volets: coordination
du renseignement, échange d’information, pilotage central des moyens,
surveillance des frontières, présence militaire autour du lac Tchad et
intervention en cas de danger. La France promet une meilleure capacité
d’intervention rapide par la mise à contribution de ses moyens militaires
basés au Tchad et au Niger: drones, rafales, forces spéciales susceptibles
d’être déployées en urgence. Le 2e Sommet international sur la sécurité et la
lutte contre Boko Haram tenu à Abuja au Nigeria le 14 mai 2016 a été
encore une fois marqué par l’implication de Paris et la présence de François
Hollande.
Le soutien des États-Unis et de la France aux pays impliqués dans la
FMM s’inscrit dans le cadre de la «sécurité coopérative» qui se trouve au
cœur du CRS. Tous les programmes occidentaux, nouveaux comme
anciens10, voués à la restauration des armées africaines et au renforcement
de leurs capacités militaires vont au-delà du «seul renforcement des moyens
étatiques, mais sont également lourds d’incidences sur la sécurité sous-
régionale dans son ensemble» (Bagayoko, 2003, p.  21). L’une des
incidences sur la sécurité est que la coopération militaire s’accompagne
d’un renforcement des capacités notables de maintien de l’ordre et de
renseignement, ce qui favorise les violations des droits de la personne par
les forces de sécurité. L’autre incidence touche au poids diplomatique et aux
interférences de ces puissances sur la politique intérieure des membres de la
FMM, surtout pour ce qui est de déterminer la direction et l’aboutissement
des processus connexes à la sécurité.

***

La FMM s’inscrit dans une perspective d’autonomisation et


d’appropriation, par les États fondateurs de la CBLT en plus du Bénin, de
leur propre sécurité. Ce mécanisme de coopération institutionnelle participe
également de la nouvelle dynamique de sous-traitance de la sécurité
internationale dans un contexte mondial de lutte contre le terrorisme. Bien
que l’heure des bilans n’ait pas encore sonné, la FMM étant encore jeune,
l’on peut noter que celle-ci a considérablement réduit les capacités de
nuisance de Boko Haram. Toutefois, pour gagner la guerre, la FMM devra
surmonter de nombreux défis, dont le financement. Les pays africains
impliqués ont de faibles capacités financières. La FMM n’est pas toujours
certaine de pouvoir compter sur les puissances occidentales au premier rang
desquelles les États-Unis et la France. En outre, le Conseil de sécurité des
Nations unies n’a pas autorisé la FMM dans le cadre du chapitre VII de la
Charte de l’ONU, et ne finance donc pas la force. Cette situation se pose
dès aujourd’hui avec acuité, d’autant plus que certains pays engagés dans la
FMM comme le Niger et le Tchad sont déjà dans la force mixte du G5
Sahel et doivent contribuer simultanément à ces deux missions non
financées par l’ONU. Le Tchad, de son côté, outre d’autres problèmes de
sécurité intérieure, traverse une grave crise économique qui a amené le
gouvernement à mettre sur pied une série de mesures d’austérité. C’est
aussi le cas du Cameroun qui connaît de nombreuses crises intérieures, en
particulier dans les régions anglophones où l’armée fait face aux actions
militaires de milices indépendantistes. L’une des incidences sur la sécurité
est que la FMM, en même temps qu’elle contribue au maintien de l’ordre,
est aussi accusée de dérives et d’atteintes aux droits de la personne. Ces
dérives pourraient porter atteinte à sa crédibilité. La CBLT qui a mis sur
pied la FMM doit veiller à colmater les lacunes de cette force, cela en
inventant des mécanismes de coopération avec les acteurs non étatiques, ce
qui permettra de remédier aux contraintes intérieures des États et de
construire, à long terme, une communauté de sécurité régie par des normes
et des identités construites sur des fondements collectifs et démocratiques.

1. «L’éducation occidentale est un péché», comme le dit Boko Haram, doit être compris comme une
remise en question violente de l’éducation occidentale centralisatrice, que les membres de ce groupe
accusent de pervertir les valeurs cultures et morales des habitants de cette partie de l’Afrique.
2. Entretien avec des membres de la commission des frontières du Cameroun, le 20 juillet 2015, à
Yaoundé.
3. L’Égypte, le Congo, la République démocratique du Congo et le Soudan sont membres
observateurs.
4. Abuja considère que l’île de Darak, aux abords du lac Tchad, relève de sa souveraineté, ce que
conteste Yaoundé. Le Nigeria n’a plus envoyé de troupes au sein de la PAMINT depuis 2012, après
l’arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) du 10 octobre de la même année qui confirme la
souveraineté camerounaise sur l’île de Darak et sa rétrocession au Cameroun (décembre 2013).
5. Qui est généralement d’un an, le premier renouvellement ayant eu lieu le 14 janvier 2016 et le
deuxième, le 7 décembre 2017.
6. Le G5 Sahel est une organisation de développement et de sécurité créée en février 2014 par cinq
États du Sahel: Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad.
7. Entretien avec un officiel spécialiste de la sécurité du Cameroun, le 27 juillet 2015, à Yaoundé.
8. Par le passé, le Nigeria a joué ce rôle au sein de la CEDEAO en envoyant des soldats dans divers
théâtres d’opération en Afrique: Liberia, Sierra Leone, etc.
9. Les nombreux cas de fuite de soldats nigérians et d’abandon de matériel militaire au groupe Boko
Haram témoignent de cette situation.
10. Pour les États-Unis, citons les programmes Joint Combined Exchange Training (J-CET),
International Military Education and Training (IMET), Africa Contingency Operations Training and
Assistance (ACOTA), African Crisis Response Initiative (ACRI), West Africa Stabilization Program
(WASP). Pour la France, citons le programme RECAMP (Renforcement des capacités africaines de
maintien de la paix).
Quatrième partie

Les médias
Chapitre 10

Terrorisme et communication
institutionnelle en Afrique:
le cas de Boko Haram
SERGE BANYONGEN

L’analyse de la question terroriste en Afrique ou ailleurs porte


essentiellement sur sa dimension sécuritaire, notamment militaire. Il peut
arriver toutefois que dans la démarche qui vise à en connaître les causes,
l’analyse glisse sur le terrain sociologique, surtout dans un conflit
identitaire comme celui qui concerne Boko Haram. Outre les défis associés
à la définition de ce que nous entendons par terrorisme (voir l’introduction
et le chapitre 1), soulignons que le terrorisme est un conflit asymétrique,
puisqu’il mise sur l’imprévisibilité opérationnelle, ce qui passe par l’emploi
de la force et de méthodes de guerre non conventionnelles (Courmont et
Ribnikar, 2009).
En fait, même si la violence terroriste n’est pas nouvelle, elle s’articule
désormais dans un contexte de fluidité du pouvoir à l’échelle internationale
qui lui est récent. On assiste d’abord à une fragmentation de l’espace
d’interaction entre les citoyens, l’État et la société civile, qui maintient la
stabilité et le changement social dans la conduite des affaires publiques
(Castells, 2009). On est aussi en présence d’une déterritorialisation de
l’opinion publique internationale avec à la fois l’érosion de la souveraineté,
mais aussi une crise de l’autorité de l’État. Dans un tel contexte, la pratique
sécuritaire de l’État ne saurait s’inscrire dans les dynamiques qui proposent
des réponses uniquement militaires. L’autre aspect contextuel important de
la lutte contre le terrorisme est lié à la naissance d’un espace public
transfrontalier qui transcende les États-nations (Nash, 2014). La dialectique
de représentation dans les médias a ainsi une influence sur l’imaginaire dit
mondial (Orgad, 2012).
La communication est un élément intégral de la lutte contre le terrorisme.
La menace terroriste comme l’analyse de la dynamique conflictuelle qu’elle
engendre doivent tenir compte autant du pouvoir de coercition (économique
et militaire) que du pouvoir de séduction (discours, relations médiatiques et
relations publiques) (Wilson III, 2008). Ce dernier aspect a souvent été
négligé dans l’observation de la lutte contre le terrorisme en Afrique en
général et du combat contre Boko Haram en particulier. Ce chapitre évalue
donc les relations entre militaires, médias et public ainsi que les stratégies
de communication des gouvernements et forces armées, suivant une
approche méthodologique de recherche mixte combinant notamment
l’analyse documentaire et celle des flux et de la circularité médiatiques.

La triangulation méthodologique et le corpus d’analyse


La recherche sur le terrorisme revêt un certain nombre de défis à l’instar de
l’impossibilité d’une définition consensuelle de l’acte terroriste (Weinberg,
Pedahzur et Hirsch-Hoefler, 2004). Une triangulation des données permettra
de contourner cette difficulté. On peut définir la triangulation comme une
approche analytique qui intègre des sources multiples afin d’améliorer la
compréhension d’un phénomène. Elle consiste à analyser les données
recueillies à partir d’au moins deux techniques de collecte (Gohier, 2004).
La présente recherche s’appuie d’abord sur l’analyse documentaire, soit
l’évaluation approfondie du caractère heuristique d’un document (Waller et
Masse, 1999). Elle offre ici l’occasion de déterminer les aspects les plus
importants relevés dans la production littéraire sur Boko Haram. L’autre
méthode utilisée est celle de l’analyse des flux médiatiques. Cette approche
s’ancre dans la grande famille théorique de la détermination de l’agenda qui
illustre le traitement cognitif de l’information sémantique. La surveillance
des agendas fait référence à la façon dont le contenu des médias est contrôlé
(McCombs, 2014). L’analyse des flux médiatiques s’appuie sur le concept
de cube géomédiatique, une conception des données médiatiques qui
confronte les trois dimensions que sont le média  (m), l’espace
géographique (s) et la période (t) de publication (Grasland et al., 2016). Il
s’agit d’évaluer la couverture médiatique de l’actualité liée à Boko Haram
sur un plan qualitatif. On verra ainsi l’importance de l’espace
géographique (s) compris ici comme le cadre socioanthropologique où l’on
peut faire une analyse linguistique et sémantique des flux médiatiques. Ce
qui nous intéresse ici, c’est la représentation de trois dimensions essentielles
qui constituent la matrice de l’argumentaire de Boko Haram:
1) l’énonciation (acte de s’adresser à un groupe pour déclamer son point de
vue personnel, ou l’interpellation dans l’objectif de demander ou même de
revendiquer quelque chose); 2)  la dénonciation (acte de décrier une
situation, de montrer du doigt un groupe de personnes, même de le jeter en
pâture ou de le désigner à la vindicte populaire); 3) la démonstration (acte
de mettre en exergue ses capacités). Les notions comme la peur qui sont
utilisées pour parler de l’influence des médias sur la question du terrorisme
n’ont pas un sens absolu, mais traduisent bien une dérivation commune et
intersubjective. D’où le concept de significativité1, compris comme
l’ensemble des faits qui donnent un sens. Le terme média s’analyse à l’aune
des capacités de couverture de l’organe de presse. L’analyse des flux
médiatiques est une modalité d’attribution des descripteurs qui sert entre
autres à intégrer l’approche utilisée dans un texte à partir de la perspective
du journaliste. Elle permet aussi la constitution d’un corpus (Birot et al.,
2009).
Le dernier élément méthodologique qui consacre la triangulation des
données dans ce chapitre est lié au concept de circulation des discours. Cela
suppose qu’il existe des éléments concrets d’un débat public antérieurs au
discours médiatique ou même politique sur la question de la sécurité dans
les espaces où s’affrontent les différents discours sur Boko Haram. Cette
méthode pose aussi la problématique des sources, des lieux, des manières et
des modalités de diffusion du discours (Munoz et al., 2010). Au-delà de
l’énonciation, il faut sonder les aspects qui, dans les différents discours,
permettent de déceler la construction sociale des concepts discursifs.
Le corpus qui a servi de fondement d’analyse est tiré des principaux
portails d’actualités et d’informations générales parmi les plus populaires
des trois pays étudiés (Nigeria, Cameroun et Tchad), auquel il faut ajouter le
site Internet du groupe d’information Jeune Afrique. Ces portails offrent
l’avantage d’être des hubs pour l’information médiatique, puisqu’ils
rassemblent et mettent en ligne de manière diachronique et synchronique
une grande partie de l’actualité médiatique du pays. Ils regroupent autant la
presse écrite que les médias électroniques et même parfois quelques forums
de la diaspora de ces pays. Ces portails sont ainsi le cadre dans lequel on
peut trouver l’information sur les actions de Boko Haram, mais aussi la
réponse des gouvernements et des forces armées des pays considérés. La
recherche sur ces sites des activités de Boko Haram couvrant plusieurs
milliers d’articles, il a fallu sérier pour mieux raffiner l’étude aux seules
stratégies de communication des protagonistes. Nous avons confirmé la
popularité de ces portails avec une analyse de leurs données métriques
tirées de la base de données ouverte et gratuite www.similarweb.com. Ces
données concernent uniquement la couverture médiatique des stratégies de
communication des acteurs.
La communication, les médias et le terrorisme
L’objectif de tout acte terroriste est de communiquer et de faire passer un
message au moyen de la violence pour atteindre des objectifs politiques,
sociaux ou religieux (Davis, 2013). Le terrorisme est ainsi une forme de
communication politique en ce sens qu’il se donne pour finalité
d’influencer le cours de la vie politique dans un pays (Banyongen, 2016). Il
est d’abord et surtout un langage qui supporte un discours. Dans le cas de
Boko Haram, la justification du terrorisme prend ses racines dans une
déclinaison identitaire qui met en avant la religion dans un processus qui
relève de la communication stratégique. Il s’agit d’articuler un message qui
puise dans la rhétorique des livres saints et résonne en même temps avec les
besoins latents ou explicites autour d’une quête de sens pour ceux qui
l’écoutent (Apard, 2015a).
Dans le cas de Boko Haram, les prêches, sermons et divers types
d’instrumentalisation du jihad ont d’abord pris forme dans un discours rodé.
Mohammed Yusuf, l’un des pères fondateurs du groupe, a réuni ses idées
dans un livre intitulé Notre doctrine et nos méthodes de prédications. Sa
progression vers la radicalisation a été exponentielle, s’appuyant
essentiellement sur des prêches diffusés au Nigeria et au Niger (Apard,
2015a).
L’autre débat sur l’importance de la communication dans la
compréhension des faits terroristes relève de la relation que ceux-ci
entretiennent avec les médias. Les attentats montrent que ceux qui les
perpétuent connaissent les mécanismes et pratiques de collecte
d’information des journalistes. En fait, l’attentat terroriste, même dans une
région qui en a déjà subi plusieurs comme celle où sévit Boko Haram, n’est
jamais banal, puisqu’il constitue l’arrêt du cours normal de la vie. Le
problème ne réside pas seulement dans la capacité de l’acte terroriste à
attirer les médias, mais aussi dans le traitement qu’on en fait. Il arrive
souvent que les journalistes mettent en exergue des aspects qui amplifient la
situation et lui confèrent une dimension disproportionnée.
Boko Haram n’est pas le premier groupe terroriste à sévir au Nigeria. En
plus du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND en
anglais), de nombreux groupuscules agitaient le spectre de la violence
contre l’État fédéral au Nigeria (Oche, 2014). En juin 2011, le pays, sous
Goodluck Jonathan, a pris plusieurs mesures contre Boko Haram: adoption
d’une loi antiterroriste, création d’un groupement militaire spécial à
Maiduguri, installation de points de vérification partout dans la capitale,
état d’urgence dans plusieurs États2, couvre-feu à Adamawa et fermeture
des frontières avec les États voisins (Solomon, 2015). Boko Haram décide
alors d’exporter la terreur en se lançant au Cameroun dans un lucratif
commerce d’otages occidentaux, notamment français. Le groupe se
ravitaillait déjà en armes au Cameroun, au Niger et au Tchad, ce qui
accélère l’internationalisation de la lutte contre le terrorisme. Lors du
Sommet de Paris de mai 2014, ces pays déclarent officiellement la guerre à
Boko Haram et décident de collaborer pour mettre un terme à son règne de
terreur.
D’ailleurs, le langage volontairement guerrier utilisé par les différentes
armées nationales de la région promet d’éradiquer le terrorisme et présente
Boko Haram comme le mal absolu. Cette pratique vise indubitablement à
renforcer le moral des troupes. Toutefois, pour n’avoir pas compris que le
poids des mots est aussi puissant que l’utilisation de la force dans une
guerre asymétrique, les armées engagées contre Boko Haram ont essuyé
avec surprise des accusations ciblant une utilisation excessive de la force,
voire même un recours à la torture. Le site Sahara Reporters rapportait le 24
février 2018 justement la frustration des autorités militaires nigérianes en
réaction à un rapport d’Amnistie internationale qui détaillait les dérives de
l’armée: exactions, arrestations arbitraires, tortures, abus systématiques des
droits de la personne. Selon le général de brigade John Ayim, directeur par
intérim de l’information au ministère de la Défense du Nigeria, ces
informations seraient de nature à affaiblir les capacités de réponse des
forces armées. Cette situation montre que la force seule ne suffit pas dans
les guerres asymétriques. Il faut aussi accepter de relever le défi de la
bataille de la communication.

La communication de Boko Haram


La communication stratégique de Boko Haram porte sur trois domaines
principaux qui se combinent et se complètent: les prêches, les vidéos et les
médias sociaux. Au sujet des prêches, Mohammed Yusuf et Abubakar
Shekau3 ont fait circuler des idées en employant un langage radical dans les
mosquées et les divers réseaux, sans que s’exprime un contre-discours en
parallèle (Apard, 2015a). Yusuf a, par exemple, eu le loisir de dénoncer
l’impunité qui règne au Nigeria, mais aussi de nombreuses inégalités qui
ont fait le lit de la pauvreté. Son style discursif, qui sera repris plus tard par
son successeur Shekau, s’inscrit dans une logique terroriste bien connue qui
consiste à préparer les mentalités avec une rhétorique de victimisation
(Varvin, 2003). Cet endoctrinement versé à dose homéopathique finit par
aboutir au désengagement moral, un processus psychologique par lequel on
en vient à se convaincre que les normes éthiques et morales (comme ne pas
tuer) ne s’appliquent pas à soi (Bandura, 2017). Cela passe aussi par un
processus de déshumanisation de l’autre et la glorification du martyr que
l’on retrouve dans les prêches des combattants de Boko Haram.
L’enlèvement de plus de 200 jeunes filles lycéennes de Chimbook a
déclenché un mouvement mondial qui avait Twitter comme support sous le
mot-clic #BringBackOurGirls. Le paradoxe est que ce mouvement a valu
une notoriété accrue à Boko Haram. C’est à ce type d’épiphénomène que
l’on peut mesurer le poids de la communication dans la lutte antiterroriste.
En effet, Boko Haram avait déjà réussi un exploit rare dans le terrorisme
que seules les troupes de l’État islamique avaient accompli avant lui:
prendre possession d’un territoire qui contient des agglomérations. Ces
exploits militaires ne lui ont pas valu une notoriété internationale,
cependant. Il a fallu que les médias sociaux, outils de communication
stratégique par excellence, mobilisent le monde contre le groupe pour que
sa notoriété s’accroisse.
En fait, Boko Haram a réussi à établir par là son programme médiatique.
On peut en mesurer l’influence par la circulation des discours dans les
médias et surtout la reprise des thématiques des terroristes. Les articles
sélectionnés dans le corpus reprenaient certains mots et expressions des
chefs de Boko Haram presque sans filtre avec au moins un des trois
principaux éléments d’argumentation que nous avons décelés (énonciation,
dénonciation, démonstration) dans les proportions suivantes:

Les prises de parole de Shekau sont souvent de longs prêches incohérents


qui s’apparentent à une diatribe sans fin, mais celles-ci ont au moins le
mérite d’attirer l’attention. Elles rappellent par la même occasion que le
chef terroriste n’est pas forcément dans une logique de persuasion: il ne
parle ni aux médias occidentaux qu’il ne peut convaincre ni aux populations
qui sont blasées de ses atrocités. Il parle au groupe d’illuminés qui
l’accompagnent, ceux qui seraient tentés de quitter le groupe parce qu’ils le
percevraient comme trop mou.
Boko Haram a procédé à des réajustements essentiels pour la
transmission de son message, comme dans la conception des supports qui
servent de canaux (par exemple, des DVD) ou le calibrage du message au
public cible avec l’adoption des langues locales comme le haoussa ou le
kanouri pour faciliter leur compréhension. D’ailleurs, Abubakar Shekau fait
souvent l’objet de railleries pour son anglais approximatif – ce qui est
pourtant conforme à l’idéologie affichée, selon laquelle l’éducation
occidentale est un péché. En fait, contrairement à ce qu’on entend souvent,
le discours en anglais de Boko Haram ne s’adresse pas vraiment aux
Occidentaux, mais bien à la fois à sa base de fidèles et aux contemplateurs.
En se montrant hésitants dans cette langue, les dirigeants du groupe jouent
la carte de l’authenticité, mais surfent aussi sur la vague anti-occidentale
qui voit la corruption comme le fruit de la colonisation (Falola, 1998;
Osaghae, 1998). On est ici dans une pratique de communication qui fait tout
à la fois l’énonciation, la dénonciation et la démonstration (Patwell, Mitman
et Porpora, 2015). Ainsi, Shekau a réussi deux exploits de communication:
attirer l’attention des médias occidentaux et restituer en même temps la
dignité sur le plan discursif des populations locales. En effet, ses discours
contraignent les journalistes qui couvrent le conflit à apprendre ou à se faire
traduire les langues locales (Apard, 2015a).
Par ailleurs, les terroristes filment souvent eux-mêmes leurs exploits.
Certaines vidéos sont tombées entre les mains de la chaîne publique
française France 2 qui les révèle en pleine attaque. Ces vidéos montrent des
enfants en guenilles qui, certes, tirent à l’emporte-pièce, mais semblent
déterminés, transportés et transformés par ce courage que confère la
combinaison du lavage de cerveau et des substances illicites. Elles
confirment surtout la débandade de l’armée nigériane, dépassée, surprise et
humiliée, qui abandonne derrière elle du matériel lourd dont Boko Haram
fait un important butin de guerre. Ce type d’images ne parle pas seulement
aux militants de Boko Haram, mais également aux jeunes qui hésiteraient à
se joindre à eux. Les vidéos qu’a produites le groupe, malgré leur piètre
qualité, ont été un excellent outil pour ses dirigeants qui en ont fait leur
principal canal de diffusion afin de répandre leurs idées et de s’imposer
dans l’espace public. Shekau les utilise pour se montrer tout autant comme
un chef politique qu’un érudit de l’islam (Apard, 2015b). Avec
l’instrumentalisation de la vidéo, on se retrouve dans une logique de
monstration (acte d’exposer, de montrer au public) dans laquelle l’image
s’incarne dans une trame sociale, dont la collectivité est le reflet, et dans le
but de susciter l’émotion (Ebanda Nya B’bedi, 2013).
Les médias sociaux4 sont le dernier canal important de la communication
de Boko Haram. Ils servent au déploiement des trois principaux éléments de
la persuasion recensés: l’énonciation, la dénonciation et la démonstration.
Le groupe a utilisé son compte @Boko_Haram pour se positionner et
corriger l’image de violence qui lui était associée. L’œuvre de séduction
dans les médias sociaux s’est poursuivie avec des invitations à visiter les
régions sous l’emprise du groupe pour se rendre compte de la différence
qu’il faisait sur le terrain (Chiluwa et Adegoke, 2013).
L’analyse que fait Mathieu Olivier (2017), de l’hebdomadaire panafricain
Jeune Afrique, sur l’utilisation des médias sociaux par Boko Haram, sous
l’angle de la diffusion des discours médiatiques, est judicieuse. Les médias
sociaux révèlent, selon ce journaliste, la transformation professionnelle des
stratégies de communication du groupe. Avant 2010, sous l’égide de
Muhammad Yusuf, Boko Haram utilisait le journal le Daily Trust un peu
comme Oussama Ben Laden s’est servi d’Al Jazeera. Yusuf réussit aussi à
nouer des relations étroites avec les journalistes en décrochant au passage
des entrevues, y compris avec la section en langue haoussa de la BBC.
Durant la période Abul Qaqa (transition) en 2010-2011, le porte-parole
diffuse des informations de manière intempestive avec de nombreuses
déclarations à la presse. Il tient des conférences de presse et publie de
nombreux communiqués. Toujours selon Mathieu Olivier, la période
Shekau qui s’étend de septembre 2012 à mars 2015 est marquée par la
prédominance de la vidéo tournée et sous-titrée en plusieurs langues avec
diffusion sur YouTube. Durant la période dite de l’État islamique qui va de
l’allégeance déclarée en mars 2015 jusqu’en août 2016, les communications
du groupe sont placées sous la coupe du bureau de l’État islamique, et
Shekau est progressivement écarté au profit d’Abu Mussab al-Banawi. Ce
dernier s’attelle à la production de vidéos de qualité en anglais et en arabe,
avec diffusion sur Twitter. La rupture consommée entre Banawi et Shekau
plonge le groupe dans une période que le journaliste qualifie de mixte, avec
plusieurs voix et surtout une diversité de formats.

La communication de l’armée nigériane


Le Nigeria est traditionnellement un pays de communication, doté d’une
pléthore de médias. Même si le déterminisme qui vante souvent l’héritage
britannique dans l’ouverture à la communication est largement surévalué, la
culture médiatique du pays a grandement bénéficié d’une dépendance au
sentier de l’époque coloniale. Trois éléments essentiels retiennent
l’attention: l’organisation de points de presse, le journalisme intégré et le
site Internet www.army.mil.ng.
Les hauts gradés nigérians, à l’instar du général major Ibrahim Attahiru,
responsable du centre de contrôle du commandement militaire, ont donné
plusieurs points de presse en claironnant la détermination de l’armée à tenir
les médias et par ricochet le public informés des avancées du théâtre des
opérations. Si cette entreprise est louable et semble rompre avec le silence
des autres armées engagées dans ce conflit, les points de presse de l’armée
nigériane ont souvent été davantage la lecture d’un long communiqué de
presse sans interaction avec les médias, sans compter que l’armée en fixait
souvent le cadre et le contenu. Une telle pratique suscite souvent plus de
questions qu’elle ne donne de réponses, ouvrant ainsi largement la voie aux
rumeurs tout en renforçant la perception que l’armée mène une propagande.
Le lieutenant général Tukur Baratai, chef d’état-major des forces armées
nigérianes, a tenu plusieurs points de presse, comme celui du 5 janvier 2018
au cours duquel il présentait l’équipement militaire de l’armée qui devait
faire la différence dans la lutte contre Boko Haram. Il a aussi accordé une
entrevue à la journaliste Aanu Michael5 le 24 janvier 2017 et s’est rendu
disponible à la presse le 5 décembre 2017, à l’occasion de la conférence
annuelle des chefs d’état-major. Avant lui, son prédécesseur, le lieutenant
général Minimah, s’était également exprimé dans les médias.
Sur la forme, il est tout de même surprenant que dans la majeure partie de
ces points de presse, les officiers soient souvent apparus confortablement
assis. En matière de communication, les symboles ont une grande
importance. Aussi, la position assise lors d’un point de presse pour une
opération qui n’est pas encore achevée envoie un message de lassitude. Il
est en effet difficile de parler de guerre dans un cadre aseptisé comme le
confort d’un bureau alors qu’on mène bataille sur le terrain. Par
comparaison, même s’il ne donne pas de conférence de presse, le chef de
Boko Haram montre qu’il est sur le terrain dans ses communications
filmées. On est ici mis en présence d’un décor certes pauvre, mais qui
transmet néanmoins un message, avec une ou deux kalachnikovs en arrière-
plan pour signifier un état de vigilance et de préparation.
Par ailleurs, dans leur rapport avec les médias, les forces armées
nigérianes ont toujours été réactives. Elles ont accordé des entrevues, mais
cela a souvent été en réaction aux accusations, notamment de la presse
locale ou des organisations non gouvernementales. Cette posture réactive a
un impact sur la maîtrise de la narration. En fait, en situation de guerre, il
est plus que jamais important de contrôler autant le théâtre d’opérations que
le message. Ces deux aspects plongent dans les conceptions théoriques que
sont la détermination de l’agenda et le cadrage. L’établissement de l’agenda
et le concept d’amorçage (redirection de l’attention sur certaines questions,
même de manière neutre) reposent sur cette hypothèse d’accessibilité de
l’attitude et, en particulier, sur un modèle de traitement de l’information
fondé sur la mémoire.
En réalité, trois acteurs clés participent au processus de détermination de
l’agenda: le public, les médias et les décideurs (Charron, 1995; Scheufele et
Tewkesbury, 2006). Dans le contexte de la guerre contre Boko Haram, ces
derniers sont souvent les forces armées. Au lieu de se justifier face aux
accusations de mauvais traitement à l’égard des combattants de Boko
Haram, les dirigeants de l’armée nigériane auraient pu être proactifs et
expliquer à la fois la philosophie de leur action, mais aussi la mécanique de
leurs opérations.
Parallèlement aux points de presse accordés aux médias, l’armée
nigériane a repris une habitude typiquement américaine et accepté de
prendre sous sa protection les journalistes qui souhaitaient faire des
reportages dans la zone des combats. Elle a ainsi invité des journalistes
comme Will Ross et Martin Patience de la BBC à suivre ses activités. La
logique opérationnelle ici vise surtout à améliorer l’image de marque à
l’étranger d’une armée réputée corrompue, mal équipée et mal entraînée.
Les reportages de ces journalistes ont montré dès 2013 une armée nigériane
engagée au front, cela ayant pour objectif de rééquilibrer la perception à son
sujet.
En plus de plusieurs comptes dans les médias sociaux, l’armée nigériane
a un site Internet très dynamique. Il est certes encombré, mais régulièrement
mis à jour. L’armée n’y parle toutefois que des opérations achevées. On y
trouve aussi une série de communiqués ainsi que des photos, voire des
vidéos pour illustrer un article de presse ou même un topo télévisé. Si les
efforts de communication que déploie l’armée nigériane dans sa guerre
contre Boko Haram sont louables, ils demeurent insuffisants dans un
contexte de lutte contre le terrorisme. L’armée communique, mais elle
oublie son public cible: la population. Pendant qu’elle essaie d’améliorer
son image à l’extérieur, le discours qu’elle tient à la population est toujours
empreint de menaces et d’une assimilation maladroite aux terroristes. Les
civils de certaines régions, dès lors, se retrouvent entre le marteau et
l’enclume, et rechignent à collaborer avec l’armée nationale.
Les médias ont été nombreux à rapporter certaines exactions qu’a
commises l’armée nigériane contre les populations civiles. La négligence
d’une communication stratégique a conduit à la rupture du lien de confiance
entre l’armée et son peuple, qu’elle est censée protéger. On est ici dans le
malaise médiatique que mettent en avant les théories autant de la
détermination de l’agenda que celle du cadrage, créant et alimentant une
ambiance de cynisme et de méfiance (De Vreese et Semetko, 2002).
Avec le déploiement des guerres asymétriques modernes, les médias
sociaux sont des outils essentiels de la guerre d’information. Ils offrent un
potentiel inégalé pour une interaction directe avec des milliers de
personnes, et permettent une collecte d’information tout en maintenant un
lien avec les troupes. Les médias sociaux pourraient contribuer à humaniser
les soldats au front et, ce faisant, contrer par anticipation les accusations de
maltraitance dont ils pourraient faire l’objet. Certaines armées ont même
conçu des applications comme Isurvive, ou Army First Aid, qui permettent
d’interagir avec les troupes au front et de leur apporter l’assistance et l’aide
médicale dont elles ont besoin.

La communication institutionnelle du Cameroun


Face à Boko Haram, le Cameroun a essentiellement décidé de ne pas
communiquer sur le plan institutionnel. D’abord, contrairement à d’autres
pays où l’accord du Parlement a été requis avant toute déclaration de
guerre, le pays a attendu le Sommet de Paris pour annoncer son entrée en
guerre. Le président Paul Biya a quand même profité de chacun de ses
discours sur la scène internationale pour marteler que le terrorisme était un
fléau mondial à combattre d’urgence. Il s’agit cependant là d’un discours
qui enfonce les portes ouvertes avec un effet faiblement persuasif. L’armée
camerounaise a défrayé la chronique en octobre 2014 quand un jeune
blogueur, Fondja Amougou, s’est fait arrêter pour usurpation et fausse
représentation. Le jeune avait créé un faux compte Facebook au nom de
l’armée nationale. Il a certes mal agi en se faisant passer entre autres pour le
porte-parole de celle-ci, mais sa page Facebook est venue combler un vide
inexplicable pour une armée pourtant en guerre.
Le ministre de la Communication du pays et porte-parole du
gouvernement Issa Tchiroma a donné de nombreux points de presse sur la
guerre contre Boko Haram, s’illustrant souvent dans la diatribe et
l’invective contre le groupe armé. Outre qu’il s’adressait à un public acquis
à sa cause, les approximations argumentaires et les écarts avec les faits qu’il
s’est permis ont alimenté le scepticisme.
Du côté du ministère de la Défense, un changement de direction
intervenu en octobre 2015 semblait apporter du nouveau aux méthodes de
communication de l’État camerounais, avec un accent sur les relations
publiques. Ainsi, le nouveau ministre Joseph Béti Assomo a médiatisé le
fait qu’il passait les fêtes de Noël 2015 au front avec les soldats. Cette
tradition tout américaine n’était pas connue au Cameroun et les médias l’ont
vue comme un bon point, mais là encore la perception générale était qu’il
s’agissait pour le ministre de se distinguer de son prédécesseur plutôt que
d’utiliser la communication pour rallier les esprits et susciter
l’enthousiasme.
Mentionnons aussi la vive polémique qui a suivi la publication sur le site
Internet officiel de la présidence camerounaise d’une photographie du
président retouchée au moyen de Photoshop, le montrant penché sur les
corps des militaires décédés au front alors même que toute la nation le
savait dans son lieu de villégiature privilégié au bord du lac Léman, en
Suisse. Les explications quelque peu pathétiques du gouvernement
alléguant le piratage du site n’ont pas convaincu l’opinion publique. Il était
en effet douteux que le site fût à la merci de la moindre piraterie, ou encore
que les pirates ne se soient attaqués qu’à une seule et unique photo sur un
site comptant plus de 3 000 pages.
L’absence de stratégie communicationnelle institutionnalisée est
consacrée par le silence qui a accompagné de nombreux changements à la
tête du commandement militaire6. Ce mutisme a nourri les rumeurs selon
lesquelles les différents commandants se livraient à des trafics divers et
exploitaient leurs troupes. Ce à quoi il faut ajouter les soupçons quant à
l’écart de privilèges entre les forces armées régulières et les troupes d’élite
du Bataillon d’intervention rapide (BIR). Les autorités camerounaises ne
semblent pas avoir compris le rôle essentiel de la communication dans la
lutte contre le terrorisme, répétant des erreurs de communication qui avaient
déjà été assez tragiques lors de la guerre de Bakassi. Le lieutenant-colonel
Didier Badjeck, chef de la division de communication de l’armée
camerounaise, a certes accordé quelques entrevues aux médias nationaux et
internationaux et appelé les populations à la solidarité avec l’armée.
Cependant, ses efforts sporadiques ne semblaient pas correspondre à une
stratégie de communication planifiée.

La communication du Tchad: un one man show payant


La communication du Tchad en matière de lutte contre Boko Haram semble
essentiellement orchestrée par le président Idriss Déby Itno en personne et
s’articule autour de deux axes principaux: les relations médias et les
relations publiques. Le président Déby a accordé de nombreuses entrevues
aux médias locaux et même internationaux. Dans cet exercice, le président
tchadien dispose d’un avantage certain. En plus d’être un militaire de
formation, une particularité qu’il partage avec son homologue nigérian,
l’ancien général Muhammadu Buhari, le président Déby est entré en guerre
contre Boko Haram auréolé d’une campagne impressionnante contre le
terrorisme au Mali. Son expérience et son charisme en font un orateur
convaincant. Ancien rebelle arrivé au pouvoir par un coup d’État, Déby a
une vaste expérience dans la lutte contre l’insurrection dans son propre pays
où il a affronté différentes rébellions. Si la décision de mettre en avant le
président dans la communication stratégique du Tchad contre Boko Haram
s’est révélée assez payante en raison même de l’histoire et de la
personnalité de l’homme, on ne peut en dire autant du fait qu’il se soit
surtout entretenu avec des médias acquis à sa solde et qui évitent les
questions qui fâchent. Par ailleurs, le président a parfois flirté avec le
populisme dans ces entrevues en soulignant à grands traits ce qu’il
considère comme les erreurs de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme,
comme le fait d’avoir précipité la chute de Kadhafi. Le président critique
aussi à l’occasion le paternalisme occidental. Il s’agit de deux thématiques
qui comptent bon nombre d’adeptes dans la population. En les abordant
dans les entrevues qu’il donne sur la lutte contre Boko Haram, Déby est sûr
de faire mouche auprès d’un public conquis et très sensible aux déclarations
incendiaires. Ni les menaces ni les promesses de rupture avec l’Occident
dans la lutte contre le terrorisme ne sont suivies d’effets, mais le but
recherché est généralement atteint pour le président, qui s’attire ainsi les
bonnes grâces d’une certaine couche de la population.
Les relations publiques sont l’autre aspect de la communication du Tchad
dans sa lutte contre Boko Haram. Contrairement à certains de ses
homologues à l’instar de Paul Biya qui rechigne à tout contact avec le
terrain, le président Déby, en chef suprême des armées, va conforter les
blessés et ne rate pas une occasion de leur rendre hommage, comme lors de
sa visite en octobre 2016 auprès de soldats tchadiens hospitalisés à Yaoundé
au Cameroun. Cette image du président au chevet des blessés renforce la
narration sur la solidarité de corps entre l’ancien militaire devenu président
et les troupes. D’autre part, le président Déby est personnellement impliqué
lorsqu’il est question de guerre contre le terrorisme. Son fils Mahamat Déby
est souvent aux premières lignes du front. Il a été notamment le
commandant en second des forces armées tchadiennes en intervention au
Mali. Que ce jeune homme soit devenu général à 29 ans relève sans doute
des pratiques bouffonnes d’une république bananière, mais sa présence au
front a le potentiel d’une histoire qui fait les manchettes positives dans les
médias. D’ailleurs, le portrait qu’en dresse le magazine panafricain Jeune
Afrique dans son édition en ligne du 14 février 2013 est fort élogieux, voire
même dithyrambique.
La stratégie de mise en avant du président comme canal de
communication dans le combat contre Boko Haram, pour payante qu’elle
soit, est néanmoins de courte vue. Elle ne démontre pas une approche
rationnelle pour concevoir et diffuser les messages qui pourraient
convaincre le public de la justesse des approches gouvernementales dans
cette lutte. En fait, en contexte de crise liée au terrorisme, la dialectique de
l’attribution prend souvent le pas sur toute autre rationalité. La théorie de
l’attribution se concentre sur la recherche de liens de cause à effet dans une
situation, expliquant comment le public attribue les blâmes et les
responsabilités en cas de crise (Coombs, 2007). Or, si cette responsabilité
est souvent attribuée selon l’intentionnalité de nuire (entre autres à Boko
Haram), elle peut aussi vaciller pour s’articuler sur la capacité de contrôler
ou non la nuisance. Ainsi, dans l’incapacité de punir ceux qui causent la
mort et le drame, il est possible que la colère se retourne davantage sur celui
qui en parle sans pouvoir y mettre un terme. La responsabilité est encore
plus lourdement mise en cause lorsque la population perçoit qu’une
situation de crise aurait pu être évitée.

***

Le terrorisme étend l’utilisation de la violence pour faire passer un message


politique, face auquel la communication doit être partie intégrante des
stratégies de réponse. Dans les différentes approches mises en place pour
contrer Boko Haram, la dimension communicationnelle semble absente ou
embryonnaire. Ce manquement brise le lien de confiance nécessaire entre
les armées coalisées et la population, influant ce faisant sur l’évolution du
conflit, puisque les stratégies d’appel à la peur du groupe terroriste n’en
sont dès lors que plus efficaces. La réponse au terrorisme ne saurait être
uniquement militaire dans un conflit du type non conventionnel qui relève
de l’asymétrie. Les guerres asymétriques s’étendent sur plusieurs décennies
avec un ennemi mutant qu’il est difficile de maîtriser. Dans ce type de
conflit, la population est le «nœud de la guerre». Il est donc urgent pour les
autorités militaires engagées dans cette guerre d’usure de renforcer la
résilience des populations, ce qui passe par la diffusion d’un discours
cohérent. La victoire, s’il y en a une, revient au camp qui va marquer ses
esprits et ses cœurs.
1. La significativité est une notion tirée des enquêtes statistiques très souvent produites à la suite d’un
questionnaire, qui vise à déterminer la confiance que l’on peut accorder aux résultats. Elle est utilisée
dans le contexte de cette recherche dans l’objectif de comprendre les éléments sémantiques de la
production médiatique.
2. Niger, Plateau, Bornou, Adamawa, Yobe.
3. Mohammed Yusuf est le fondateur de Boko Haram tandis qu’Abubakar Shekau en a été le
dirigeant et le principal porte-parole jusqu’à la fin 2015, date d’une reprise en main du mouvement
par l’État islamique.
4. Les principales plateformes, et notamment Twitter et Facebook, ont dû durcir les règles sur la
circulation des contenus haineux sur leurs réseaux en éliminant de nombreux groupes qui faisaient
l’apologie de la violence haineuse. Ce contrôle est toutefois difficile à soutenir puisque ces groupes
peuvent toujours créer d’autres comptes.
5. Aanu Michael se fait appeler «media entrepreneur»; cette blogueuse assez connue et écoutée au
Nigeria présente le journal télévisé sur Good Morning Africa.
6. Comme le décès, dans un accident d’hélicoptère, du général de brigade Jacob Kodji, le
commandant des forces de défense camerounaises dans la région de l’Extrême-Nord.
Chapitre 11

La communication
gouvernementale au Kenya
PHILIP ONGUNY

En Afrique, les menaces terroristes se sont accentuées dans les années 1980
et 1990, donc bien avant les attentats du 11 septembre 2001 qui ont, depuis,
beaucoup restructuré la sécurité internationale (Cannon, 2016; Anderson et
McKnight, 2014). Par exemple, les attentats des ambassades américaines au
Kenya et en Tanzanie en 1998 ont introduit une nouvelle réalité marquée
par la capacité des terroristes à mener des attaques ciblées, coordonnées et
inexorables (Jetter, 2014). Face à cette nouvelle réalité, les gouvernements
réorganisent de plus en plus leurs sécurités intérieures, y compris leurs
stratégies de communication dans la lutte contre le terrorisme.
Ce chapitre étudie les liens entre la communication gouvernementale, le
terrorisme et l’opinion publique, en particulier au Kenya. Bien que notre
étude porte spécialement sur les attaques de l’Université de Garissa et du
Westgate Mall (en 2015 et 2013), il faut noter qu’il y a eu d’autres attaques
terroristes perpétrées au Kenya, la plupart par le groupe Al-Shabaab, basé
en Somalie (McGregor, 2015). Si l’impact d’une activité terroriste se
mesure par le nombre de morts, l’attentat de 1998 contre l’ambassade
américaine à Nairobi (perpétré par le groupe Al-Qaïda) demeure le plus
sanglant dans l’histoire du Kenya (avec 224 morts), suivi des attaques à
l’Université de Garissa en 2015 (avec 152  morts) et contre les forces
militaires kényanes en Somalie en 2016 (qui ont causé la mort de
141  militaires kényans)1. Les attaques du Westgate Mall en 2013 ont fait
72 morts.
Le nombre de victimes n’a donc pas suffi à influencer le choix des deux
attentats étudiés. La raison de ce choix est triple. Premièrement, les médias
les ont largement couverts l’un comme l’autre, tant à l’échelle locale
qu’internationale, contribuant davantage à l’image sombre des Grands Lacs
africains en tant que région marquée par plusieurs cas d’insécurité humaine
(Onguny, 2017). Deuxièmement, ces attaques ont révélé un Kenya aux
prises avec un grave enjeu de terrorisme, et ce, à l’échelle de l’Afrique de
l’Est, renforçant l’idée que pour combattre les activités terroristes dans la
région, la coopération avec le Kenya était nécessaire. D’ailleurs, ces deux
attaques ont contribué à accroître le soutien financier et technique dont le
Kenya bénéficie en matière de lutte contre le terrorisme. Finalement et
compte tenu de la position géopolitique du Kenya dans la région, entre
autres conséquences de ces attaques, les élites politiques kényanes semblent
avoir trouvé un terrain d’entente dans leurs relations diplomatiques. Étant
donné le rôle clé du pays dans la coopération contre le terrorisme en
Afrique de l’Est, la communauté internationale se détourne de plus en plus
de ses affaires politiques intérieures.

Les discours dominants sur le terrorisme au Kenya


Depuis le 11 septembre 2001, de nombreuses études ont cherché à éclaircir
les motifs des attaques terroristes. Dans cette étude, nous nous concentrons
plutôt sur les principaux arguments qui semblent guider les débats sur
l’insurrection des Al-Shabaab au Kenya2. Certes, l’un des principaux débats
sur le terrorisme dans ce pays porte sur la capacité de l’État à neutraliser ou
à répondre de façon efficace aux menaces d’attaques terroristes (Anderson,
2014). La plupart de ces études cherchent à examiner les liens entre la
faiblesse de l’État et le terrorisme. Ainsi, un État faible serait «défaillant»,
incapable de garantir la sécurité collective et donc pourrait abriter des
cellules terroristes (Ombaka, 2015). Comme l’estime Howard (2010,
p. 961), «l’Afrique est sans aucun doute en proie à l’échec systématique de
l’État, car la région a des problèmes de gouvernance et de développement
économique et ne parvient pas à assurer l’ordre et la sécurité des
populations».
Il va donc de soi qu’un État faible doit recevoir de l’aide finan- cière,
matérielle ou technique pour renforcer ses opérations de contre-
insurrection. Cependant, l’aide fournie aux pays africains pour lutter contre
le terrorisme est souvent accueillie de façon mitigée. Alors que certains
considèrent que ce genre de soutien conduit à une militarisation excessive
du continent africain (Miyandazi, 2012), d’autres voient plutôt une
militarisation accrue de l’Afrique par les États-Unis, compte tenu de la
multiplicité des programmes antiterroristes américains (Hehir, 2007).
D’autres encore se demandent si le rôle central du Kenya dans la Mission
de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) n’aurait pas permis à ce pays
de renforcer sa capacité militaire et son hégémonie par rapport à ses voisins
en Afrique de l’Est et centrale (Vannice, 2018). Que ces considérations
soient fondées ou pas, il est indéniable que le soutien militaire que le Kenya
reçoit pour combattre le terrorisme change graduellement les politiques
intérieures du pays.
Une autre approche cherche à déterminer s’il existe un lien entre
l’économie informelle croissante au Kenya et l’insurrection d’Al- Shabaab
(Botha, 2014). L’hypothèse soutenue ici est que la croissance de l’économie
informelle du Kenya et la frontière poreuse entre ce pays et la Somalie
favorisent le trafic d’armes utilisées par les réseaux criminels et terroristes
pour mener des attaques dans le pays (Cannon, 2016). Les liens entre le
commerce d’armes et le terrorisme sont désormais un sujet de débat dans
les milieux politiques et diplomatiques. Par exemple, dans un effort de lutte
contre le terrorisme et la criminalité, l’ONU a récemment mis au point un
programme visant à réduire les risques de commerce transfrontalier d’armes
(ONU, 2018).
Un autre débat porte sur l’insurrection des Al-Shabaab au Kenya comme
de possibles représailles pour l’invasion de la Somalie par les forces armées
kényanes en 2011 (ONU-CS, 2015). D’une part, il y a ceux qui avancent
que cette invasion dans le cadre de l’opération Protéger le pays (Linda
Inchi) serait directement liée aux attentats du Westgate Mall en 2013
(Williams, 2013). D’autre part, il y a l’argument selon lequel le
renforcement de la surveillance policière à partir de 2014 dans les quartiers
dominés par les Kényans d’origine somalienne (opération Sécurité des
quartiers, Usalama Watch) serait la cause des relations fragiles entre l’État
et les communautés somaliennes au Kenya, contribuant ainsi à la circulation
facile de terroristes et d’armes dans certains quartiers ou villes du Kenya
(Botha, 2014). Certains affirment même qu’afin de promouvoir sa cause,
Al-Shabaab aurait trouvé un moyen d’exploiter les revendications
socioéconomiques pour approfondir les divisions entre l’État et les
communautés somaliennes au Kenya (Mwakimako et Willis, 2014).
Dans la même lignée, d’autres estiment que l’intérêt du groupe Al-
Shabaab par rapport au Kenya est purement motivé par des gains
personnels, sans qu’il renvoie à l’invasion de la Somalie par ce dernier
(Cannon et Pkalya, 2017). Ainsi, Al-Shabaab chercherait au Kenya à
s’attirer une publicité et une visibilité internationales en tant
qu’organisation terroriste clé dans la région, compte tenu de la montée du
groupe État islamique comme une menace mondiale majeure. Ceux qui
soutiennent cette perspective s’appuient souvent sur le cas de l’Éthiopie
pour avancer que, malgré l’action de l’armée éthiopienne en Somalie depuis
des décennies, le pays n’a toujours pas connu d’attaques d’Al-Shabaab,
comparativement au Kenya (Miroiu et Ungureanu, 2015). En d’autres
termes, on se demande toujours, d’une part, pourquoi Al-Shabaab nourrit un
intérêt particulier pour le Kenya plutôt que d’autres pays engagés dans
l’AMISOM – Djibouti, Ouganda, Éthiopie, etc. –, et, d’autre part, si ces
attaques se voulaient principalement une riposte à l’occupation de la
Somalie par les pays impliqués dans l’AMISOM.
Cannon et Pkalya (2017, p. 1) résument les principales motivations pour
lesquelles, selon eux, le Kenya constitue une cible idéale pour Al-Shabaab:

Al-Shabaab cible le Kenya plus que les autres États en raison des
opportunités liées au statut international et à la visibilité du Kenya, de
ses médias relativement libres et indépendants qui diffusent largement
les attaques terroristes, d’un secteur touristique hautement développé et
lucratif qui fournit des cibles faciles, d’un nombre relativement élevé
de combattants étrangers kényans dans les rangs du groupe, de la
présence de cellules terroristes au Kenya, de l’expansion de l’espace
démocratique et du niveau élevé de corruption.

S’il est vrai qu’Al-Shabaab a d’autres motivations pour attaquer le pays,


cela pourrait confirmer l’hypothèse selon laquelle le Kenya aurait occupé la
Somalie sans avoir une stratégie de sortie claire. En fait, certains
soutiennent que les forces kényanes n’étaient pas conscientes de la
sophistication des réseaux et des mécanismes de financement d’Al-
Shabaab, qui en font un groupe terroriste très résilient. Selon Odhiambo
(2014, p.  130), les forces de défense kényanes (KDF) auraient compris à
leur arrivée en Somalie qu’Al-Shabaab était un groupe «fort et très
organisé, mais [qui] était affaibli par les affiliations intransigeantes des
clans qui les rendent incapables de travailler dans un esprit collectif».
Néanmoins, on peut attribuer l’engagement et la détermination d’Al-
Shabaab à concentrer ses attaques sur le sol kényan à la position
géopolitique du Kenya. Ainsi, si les avantages économiques des attaques
terroristes dans ce pays étaient supérieurs pour Al-Shabaab, il reste à savoir
si les forces armées kényanes étaient assez bien outillées pour prendre le
devant dans les missions antiterroristes contre ce groupe.
Compte tenu des perspectives mitigées sur les raisons pour lesquelles Al-
Shabaab a orienté ses attaques vers le Kenya, la manière dont le
gouvernement construit, négocie et articule ses messages pendant ou après
les attaques s’avère d’autant plus importante3.

La perspective méthodologique
La communication gouvernementale est comprise ici comme une forme de
communication politique visant à donner un sens à des questions liées à la
politique nationale. Ainsi, nous considérons que les discours officiels sur le
terrorisme s’inscrivent dans cette logique. L’analyse se concentre sur les
discours prononcés aussitôt après les attentats de Westgate Mall en 2013 et
de l’Université de Garissa en 2015 par les principaux responsables du
gouvernement, en particulier le président et son vice-président. Nous avons
recueilli ces discours à partir des archives YouTube des principaux journaux
télévisés au Kenya, diffusés par les chaînes Kenya Television Network
(KTN), Nation TV, Citizen TV et Kenya Broadcasting Corporation. Ces
discours ont ensuite été rapportés mot pour mot. Afin de nous assurer que
les versions transcrites correspondaient aux discours prononcés au moment
des attentats, nous avons effectué une autre recherche ciblée sur les sites
Web du gouvernement, notamment ceux du bureau du président et du vice-
président, où nous avons trouvé certains discours publiés en ligne.
Dans l’analyse, nous nous sommes concentrés sur deux questions
interdépendantes: quels sont les principaux cadres qui guident la
communication du gouvernement du Kenya en cas d’attaques terroristes
perpétrées dans le pays? Comment l’État négocie-t-il sa capacité d’agir
dans de telles circonstances, et comment la communique-t-il au public?
Dans cette analyse des discours officiels, nous ne suggérons aucune
généralisation, parce que les stratégies de communication changent dans le
temps et dans l’espace, et cela, en fonction du contexte politique. Ainsi,
l’approche méthodologique s’aligne sur les travaux qui interrogent le
pouvoir symbolique du discours ou l’encadrement de celui-ci. De façon
générale, l’encadrement discursif est une approche qui cherche à cerner
l’importance attachée aux messages ou aux discours écrits, oraux,
télévisuels, etc. (Entman, 2010). Le «potentiel cadratif» d’un discours serait
déterminé par les points clés d’ancrage du message, ou des unités
stratégiquement conçues pour atteindre des objectifs à la fois
psychologiques et interprétatifs (Hawkes, 2011). Dans une perspective
psychologique, l’encadrement des messages influencerait le comportement
des individus ou leurs réponses face à certains aspects de l’information, tout
en offrant un choix (Kaufman et al., 2003). Ce choix peut, par exemple,
permettre l’évaluation morale d’une situation donnée.
En tant que structure interprétative, le discours encadré peut fournir des
«lunettes» sur la réalité tout en simplifiant des événements souvent
complexes (Druckman et al., 2012). Une telle simplification peut, comme
l’estime D’Angelo (2011), se traduire en causalité linéaire, ce qui engendre
des réactions ou des réponses biaisées du public face à un phénomène
social. Dans ce sens, le cadrage discursif aurait une dimension rhétorique
qui détermine ce que le public comprend et retient après une série
d’interprétations faites par les principaux «encadreurs» (Entman, 2010). En
somme, la sélection et la pertinence d’un cadre demeurent des éléments
essentiels du cadrage discursif, car elles permettraient aux individus de
hiérarchiser certains aspects d’un problème social par rapport à d’autres.

Les discours officiels sur les attentats


du Westgate Mall et de l’Université de Garissa
Pour examiner les discours officiels sur les deux attaques en question, nous
avons opté pour une approche analytique descriptive. Ce choix se fonde sur
la philosophie foucaldienne selon laquelle le savoir serait une pratique
discursive et donc une forme de réalité sociale dotée d’un pouvoir
symbolique de représentation. Plus concrètement, nous avons établi quatre
principaux cadres discursifs sur lesquels la communication
gouvernementale semblait être ancrée: 1)  le professionnalisme des agents
de sécurité face aux menaces terroristes; 2)  la dissociation entre les actes
terroristes et l’État défaillant (c’est-à-dire, le terrorisme décrit comme un
phénomène mondial plutôt qu’un problème découlant d’un État en échec);
3) les terroristes en tant qu’individus antidémocrates et promoteurs du mal
qui doivent être combattus sans relâche; et 4) la Cour pénale internationale
(CPI) comme obstacle à la direction nationale.
Si l’on considère le premier cadre discursif, à savoir le professionnalisme
des agents de sécurité kényans, la communication gouvernementale visait
plutôt à réfuter de nombreux reportages médiatiques qui mettaient en
question la capacité des forces de l’ordre à assurer la sécurité nationale ou à
répondre de manière décisive aux attaques terroristes qui s’enchaînaient.
Beaucoup de reportages ont, par exemple, misé sur les délais d’intervention
des agents de sécurité, ce qui aurait donné aux terroristes suffisamment de
temps pour mener l’assaut sans interruption. En réponse, la communication
gouvernementale a plutôt attiré l’attention sur le professionnalisme des
forces de l’ordre qui auraient tout fait dans le but de neutraliser les
assaillants:

Notre unité d’intervention a dû équilibrer délicatement la pression pour


contenir les criminels [terroristes] avec la nécessité de garder en
sécurité les autres qui étaient toujours piégés dans le bâtiment. De toute
évidence, le résultat n’a pas été idéal, mais je suis convaincu que nos
forces disciplinées ont réagi de manière aussi professionnelle et
efficace que les circonstances le permettaient (Uhuru Kenyatta,
septembre 2013).

Bien qu’il ne soit pas surprenant de voir les gouvernements saluer la


réponse des agents de sécurité même lorsqu’il y a des défaillances évidentes
quant au délai de réponse (Mukinda, 2015), plusieurs questions ont émergé
concernant la capacité des forces kényanes à faire face aux menaces
terroristes. À part les délais de réponse excessifs des autorités, des questions
ont porté sur la coordination entre les différentes unités des organes de
sécurité lors des attentats du Westgate Mall. Cela a suscité un débat: le
gouvernement devait-il demander l’aide d’autres pays pour faire face aux
attaques terroristes qui semblaient dégénérer? On estime qu’entre 2008 et
2015, Al-Shabaab a mené 272 attaques sur le sol kényan (Cannon et Pkalya,
2017). C’est une tendance inquiétante, étant donné que les pays voisins
comme Djibouti, l’Éthiopie et l’Ouganda, participant à l’initiative de
l’AMISOM, n’ont pas connu une telle multiplication des attaques menées
par le groupe Al-Shabaab.
Néanmoins, le gouvernement semblait maintenir que ses agents de
sécurité étaient bien outillés pour ce genre d’opérations et qu’il n’était pas
nécessaire de requérir une aide étrangère. Bien que la réalité semble
montrer le contraire, la communication du gouvernement visait donc à
donner le sentiment que l’État maîtrisait la situation. Le discours du
président Uhuru Kenyatta après l’attaque du Westgate Mall met cela en
perspective: «J’ai reçu des appels de dirigeants du monde entier exprimant
leur solidarité. J’ai aussi reçu de nombreuses offres d’assistance qui sont en
cours d’évaluation. Pour le moment, cependant, cela reste une opération des
agents de sécurité kényans. Je remercie tous nos amis internationaux qui
nous ont contactés pour se joindre à nous» (Uhuru Kenyatta, septembre
2013).
Cette réponse semble bien indiquer que la capacité de l’État à assurer la
sécurité nationale est en jeu. Il est donc fort probable que le gouvernement
n’ait pas voulu apparaître comme faible après les attaques du Westgate Mall
en 2013. Cependant, à la suite des attaques sanglantes à l’Université de
Garissa en 2015, l’État a dû modifier ses stratégies de communication
publique. L’image d’une force de sécurité kényane forte et résiliente n’était
plus au cœur des messages du gouvernement. Selon le quotidien Daily
Nation, ces attentats auraient été le fait de quatre assaillants, et les forces
nationales ont mis dix heures pour se rendre sur les lieux après avoir été
alertées (Mukinda, 2015). Ce fut un autre cauchemar de relations publiques
pour le gouvernement qui, jusqu’alors, réfutait les affirmations selon
lesquelles le pays était devenu progressivement une cible privilégiée des
militants d’Al-Shabaab. Compte tenu de cet équilibre délicat entre la
reconnaissance des faiblesses du gouvernement et l’apparence d’un État
faible, la communication des autorités était moins dédaigneuse, cette fois-
ci, semblant admettre que les agences de sécurité n’avaient pas assez de
personnel formé pour faire face à de telles attaques:

Je demande à l’inspecteur général de la police de prendre des mesures


urgentes et de veiller à ce que les 10 000 recrues dont l’inscription est
en cours se présentent rapidement au KPJ [école de formation
militaire] de Kiganjo. Je prends l’entière responsabilité de cette
directive. Nous avons souffert inutilement en raison du manque de
personnel de sécurité (Uhuru Kenyatta, avril 2015).

Bien que cette remarque semble être la meilleure chose à dire du point de
vue des relations publiques, elle a généré d’autres questions dans les
milieux politiques. Une des questions portait sur la capacité du
gouvernement kényan à recueillir ou à utiliser de manière proactive des
renseignements crédibles pour neutraliser les activités terroristes qui
devenaient incontrôlables. Plus précisément, les problèmes de corruption et
de politique inutile auraient été au centre des défaillances de la sécurité
nationale et de la montée des activités terroristes.
Un autre cadre discursif, étroitement lié au précédent, qui aurait guidé la
communication gouvernementale au sujet de ces attaques, portait sur la
dissociation entre le terrorisme et l’État défaillant. Ici, le gouvernement
affirmait plutôt qu’aucun pays n’était à l’abri d’attaques terroristes,
puisqu’il s’agissait d’un défi mondial. Ainsi, les reportages de CNN
présentant le Kenya comme un terreau pour les terroristes ont irrité les
autorités et provoqué des tensions diplomatiques entre le Kenya et les États-
Unis (Mutiga, 2015). En outre, le gouvernement kényan a ridiculisé et
discrédité les avis de voyage émis par les gouvernements australien et
britannique qui déconseillaient à leurs ressortissants d’aller dans certaines
villes, y compris Garissa (KTN, 2015a). Au lieu de prendre ces avis au
sérieux, le gouvernement s’est plutôt demandé pourquoi l’Australie et la
Grande-Bretagne n’avaient pas émis de mise en garde semblable concernant
certains pays européens également victimes d’attentats terroristes (Uhuru
Kenyatta, avril 2015). Le secrétaire du cabinet du ministre de l’Intérieur,
Joseph Nkaissery, s’est également exprimé à la télévision nationale pour
dénigrer les avis de voyage, affirmant qu’ils n’avaient rien à voir avec les
questions de sécurité nationale, mais nourrissaient plutôt une visée politique
(KTN, 2015a). Compte tenu de cette position catégorique du gouvernement,
les discours officiels de l’État ont martelé l’absence de lien entre attaque
terroriste et défaillance de l’État.
Cependant, à la surprise générale y compris celle de l’État kényan, les
attaques à l’Université de Garissa se sont produites le lendemain même de
ces déclarations critiques quant aux avis de voyage. Selon le Kenya
Television Network, trois universités à Nairobi auraient même informé leurs
étudiants de rester vigilants dans le cas d’une éventuelle attaque dans un des
établissements d’enseignement supérieur (KTN, 2015b). En réponse à ces
nouvelles attaques, le gouvernement a plutôt axé sa communication
publique sur son engagement à combattre le terrorisme sans relâche,
ignorant ainsi les commentaires formulés précédemment: «je garantis que
mon administration répondra de manière inexorable [aux attaques
terroristes]. […] Nous allons combattre le terrorisme jusqu’à la fin» (Uhuru
Kenyatta, avril 2015). Ces nouvelles attaques ont non seulement soulevé
des questions concernant le partage de renseignements, mais aussi la
politisation des problèmes de sécurité nationale. Il semble que les agences
de sécurité locales aient eu en main suffisamment de renseignements sur la
préparation des attaques à Garissa pour agir, mais qu’elles n’aient pas pris
la menace au sérieux.
Un autre cadre discursif semblait lier le terrorisme aux principes
antidémocratiques, une qualification qui, depuis les attentats du 11
septembre, aurait dominé les discours gouvernementaux en réponse aux
attentats terroristes. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement
kényan ait présenté les attaques comme une atteinte aux principes de la
démocratie dont jouissaient les Kényans. Cet angle de discours était très
perceptible dans l’intervention du vice-président, William Ruto, après les
attaques du Westgate Mall en 2013: «Nous ne devons pas céder. Nous
continuerons de protéger le Kenya pour nous protéger et protéger notre
prospérité. Nous continuerons à être ce que nous avons toujours été: un
peuple tolérant, ouvert, démocratique et pacifique» (William Ruto,
septembre 2013). Comme le souligne Kellner (2004), depuis le 11
septembre, certains gouvernements ont recours à ce type d’argument pour
légitimer une action militaire dans d’autres pays, souvent considérés
comme le terreau des cellules terroristes, même en l’absence de preuves
crédibles attestant la présence de tels réseaux. Le discours du président
Kenyatta à la suite des attaques du Westgate Mall souscrit à cette logique:
«Nous sommes allés là-bas [en Somalie] pour les aider à mettre de l’ordre
dans leur pays […] et je veux être catégoriquement clair sur cette situation:
nous y resterons jusqu’à ce qu’ils mettent de l’ordre dans leur pays» (Uhuru
Kenyatta, septembre 2013).
En plus d’associer le terrorisme aux principes antidémocratiques, une
autre stratégie adoptée par le gouvernement était de faire un parallèle entre
le bien et le mal. Le discours du vice-président à la suite des attaques au
Westgate Mall met cela en perspective:

Nous avons été agressés par des lâches haineux et irréfléchis dont la
perversité les pousse à rechercher la gratification en tuant des
personnes innocentes et inoffensives. Leur difformité morale est
monstrueuse et effroyable. Leur engagement envers le mal a volé à leur
cœur la plus simple suggestion de considération humaine (William
Ruto, septembre 2013).

Ce genre de parallèle, comme l’explique Kellner (2004), est désormais une


stratégie commune dans les communications gouvernementales. En d’autres
termes, l’utilisation d’une telle dichotomie est susceptible de créer un
sentiment de responsabilité collective ou une obligation morale envers la
sécurité collective. Dans le processus, l’État se libère du sentiment qu’il n’a
pas réussi à garantir la sécurité collective qu’il est censé garantir à sa
population. Le fait d’attirer l’attention sur une action collective diminue les
attentes du public envers l’État en tant que garant de la sécurité intérieure.
Cela pourrait expliquer le discours du président Kenyatta à la suite des
attentats de l’Université de Garissa:

J’encourage également les Kényans à rester calmes pendant que nous


résolvons ce problème et fournissons aux autorités les informations
utiles concernant toute menace à notre sécurité. C’est le moment pour
tout le monde au pays d’être vigilant pendant que nous continuons à
affronter nos ennemis. […] Continuons à mener une guerre morale
incessante pendant que nos forces mènent la bataille physique (Uhuru
Kenyatta, avril 2015).

Enfin, un autre argument clé dans la communication du gouvernement a


cherché à lier les défis de la direction au Kenya avec les procédures
judiciaires de la Cour pénale internationale (CPI) qui avaient impliqué le
président Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto. Les
procédures de la CPI étaient vues comme un revers pour la direction du
pays, surtout en temps de crise. Un bon exemple est le discours du vice-
président après les attaques du Westgate Mall. Depuis La Haye (où il suivait
les procédures judiciaires conformément aux allégations selon lesquelles il
aurait pris une part active aux violences postélectorales de 2007-2008), il a
plutôt profité de l’occasion pour exprimer ses frustrations par rapport à la
CPI, qu’il décrivait comme un mécanisme qui empêche les dirigeants
kényans d’exercer leurs fonctions, en particulier en temps de crise
nationale:

Mes chers collègues kényans, cela fait une semaine que je suis à La
Haye, aux Pays-Bas, dans le cadre des accusations dont je me défends
devant la Cour pénale internationale. J’ai appris l’attaque terroriste au
Westgate Mall samedi dernier avec stupéfaction et tristesse […] je ne
pouvais pas voyager immédiatement sans la permission de la Chambre
de première instance de la Cour pénale internationale, et c’était très
frustrant d’être si loin à un moment où mes compatriotes étaient
tourmentés par ces criminels (William Ruto, septembre 2013).

Ces remarques semblaient bien calculées, puisque les messages des


principaux responsables du gouvernement étaient largement diffusés à
l’échelle nationale et internationale. Qui plus est, elles ouvraient le discours
de Ruto sur ces attaques. Or les premiers mots d’un discours ont souvent du
poids auprès de l’opinion publique (ces remarques constituant donc l’une
des stratégies de communication du gouvernement kényan). Comme
certains l’ont remarqué (Gadarian, 2010), cela montre que les
communications gouvernementales ne sont pas dépourvues d’intentions
politiques, même en période de crise nationale. Plus précisément, un
gouvernement peut mettre à profit une crise nationale pour changer ses
politiques nationales ou étrangères lorsque la peur publique est encore
grande (Kellner, 2004). En fait, alors que les questions sur les attaques
étaient toujours en cours, le gouvernement a commencé à faire campagne
pour le retrait du Kenya du Statut de Rome aux côtés d’autres dirigeants
africains qui réclamaient un retrait collectif de la CPI (PSCU, 2016).
Dans l’ensemble, la communication gouvernementale lors de ces deux
attaques semble avoir été réactive et défensive plutôt que proactive. Alors
que le gouvernement s’est empressé de discréditer toute critique formulée
contre ses agences de sécurité lors des attaques du Westgate Mall, les
attentats à l’Université de Garissa auraient fait prendre conscience au
gouvernement qu’Al-Shabaab constituait désormais une menace importante
pour la sécurité nationale. En fin de compte, le gouvernement a jugé
nécessaire de faire passer sa stratégie de communication du refus à
l’acceptation, ce qui a peut-être contribué à changer l’opinion du public sur
la façon dont il traitait les menaces terroristes. Force est donc de constater
qu’un changement de tactique dans la communication gouvernementale est
nécessaire pour formuler une réponse adaptée et susceptible de structurer
l’opinion publique sur la sécurité nationale. Cela nécessite la
compréhension des liens entre la communication, le terrorisme et l’opinion
publique.

Les liens entre la communication,


le terrorisme et l’opinion publique
Certains estiment qu’une communication stratégique et proactive pourrait
réduire la capacité des terroristes à mener des opérations réussies et
dévastatrices. Les études qui s’inscrivent dans cette logique présument que
la couverture accrue des attaques terroristes ne sert qu’à étendre la panique
publique et à encourager davantage les activités terroristes à l’échelle
mondiale. D’autres mettent plutôt en question la manière dont les médias
représentent les attaques. Bref, la littérature sur ce sujet est largement
divisée en deux grands axes. Les arguments selon lesquels la
communication proactive serait le meilleur moyen de lutter contre le
terrorisme se sont fondés sur les attentats du 11 septembre 2001 qui ont
changé la façon dont les gouvernements réagissent aux attaques terroristes.
Selon Gadarian (2010), par exemple, le 11 septembre aurait brisé la
perception de l’invulnérabilité des États-Unis et de sa puissance, ce que les
élites politiques américaines ne semblaient pas vouloir afficher en public:

Presque du jour au lendemain, le paysage américain est passé de la


prospérité, de la sécurité et du pouvoir à celui de la menace, de la peur
et de l’incertitude. La menace et la peur ne sont pas simplement des
phénomènes psychologiques – elles ont des conséquences politiques
selon la façon dont les élites et les médias de masse communiquent
avec le public (Gadarian, 2010, p. 469).

Au cœur de ces débats est l’idée qu’une trop grande importance accordée
aux attentats sert de «publicité» gratuite aux terroristes et à leurs
sympathisants. Cela est lié au fait que les activités terroristes sont largement
médiatisées, ce qui permet aux cellules terroristes d’obtenir une
reconnaissance mondiale, de recruter des militants et d’établir des réseaux
financiers (Jetter, 2014). Comme l’estime Féron (2003), «sans ce recours à
l’opinion publique, à ses émotions et à ses jugements, les groupes terroristes
perdraient une arme de persuasion importante […] les médias apparaissent
souvent coupables d’entretenir le phénomène terroriste, en lui offrant une
tribune sans laquelle il n’aurait pas de raison d’être».
Un autre argument met l’accent sur les retombées négatives de la
«spectacularisation» médiatique. Les médias et d’autres canaux de
communication ont souvent tendance à utiliser les images dramatiques ou le
«spectacle de la terreur» pour attirer l’attention du public. Par exemple,
Kellner (2004) observe que les images du 11 septembre auraient redéfini les
stratégies des terroristes, surtout l’usage qu’ils font des médias. Donc, plus
les attaques sont spectaculaires, mieux c’est parce qu’elles seraient
largement diffusées.
De manière générale, ces études s’inspirent de la notion de «société du
spectacle» de Guy Debord, un concept selon lequel chaque aspect humain
serait un facteur de représentation et d’accumulation de spectacles.
Autrement dit, «la façon dont les médias de masse traitent les événements et
les phénomènes sociaux influence l’interprétation et les attitudes des
individus à ce propos» (Lo Monaco, Déluvée et Rateau, 2016, p.  394).
Néanmoins, Kellner (2004, p. 41) nous rappelle que les cellules terroristes
ne sont pas les seules à faire usage de «la terreur» pour promouvoir un
programme politique: «les administrations américaines ont également
recouru au spectacle de la terreur pour promouvoir la puissance militaire
américaine et ses fins géopolitiques, comme le montrent la guerre du Golfe
de 1990-1991, la guerre d’Afghanistan de l’automne 2001 et la guerre en
Irak en 2003».
D’un point de vue politique, on pourrait donc s’attendre à ce que les
personnes préoccupées par le terrorisme soient plus susceptibles d’adopter
des recommandations de politique étrangère mal informées lorsqu’elles sont
encadrées ou présentées de façon menaçante par les médias. Cet équilibre
semble difficile à trouver. Comment faire en sorte que le gouvernement
diffuse des informations fiables et véridiques sur la sécurité publique (ne
pas réduire les risques potentiels d’attaques terroristes pour faire avancer
des programmes politiques) et s’assurer, en même temps, que les terroristes
n’aient pas de plateforme pour faire avancer leurs causes? Comment
pouvons-nous nous assurer que le gouvernement n’utilise pas les questions
de sécurité nationale comme un prétexte pour réprimer les processus
démocratiques ou nier les libertés civiles ou individuelles? L’étude montre
que le gouvernement kényan se concentre de plus en plus sur le
renforcement de sa stratégie de communication face aux défis de la sécurité
nationale. Elle confirme l’hypothèse que la manière dont les gouvernements
encadrent leurs efforts de lutte contre le terrorisme est devenue, pour l’État,
un moyen d’influencer l’opinion publique quant aux menaces terroristes et
à la vulnérabilité de l’État et de ses organes de sécurité. Le terrorisme étant
un phénomène mondial qui nécessite une action collective ou coordonnée, il
est à craindre que le gouvernement kényan utilise de plus en plus sa
position géopolitique dans la lutte contre le terrorisme pour négocier des
relations diplomatiques avec des pays occidentaux ayant des intérêts
particuliers dans la région, comme les États-Unis et le Royaume-Uni.
Certes, la coopération du Kenya dans des missions antiterroristes est
devenue un outil de marchandage diplomatique pour les élites politiques
locales. Les gouvernements occidentaux semblent tourner le dos à la
situation politique qui prévaut dans le pays en échange d’une coopération
contre le terrorisme, ce qui présente un danger pour les gains démocratiques
acquis au Kenya au cours de la dernière décennie.
Par exemple, on peut se demander pourquoi la communauté
internationale a réagi rapidement aux violences postélectorales de 2007-
2008, alors qu’elle a été très réticente à intervenir en 2013 et en 2017-2018,
malgré les abus visibles du gouvernement: blocage des médias, usage d’une
force excessive contre les manifestants, interdiction des rassemblements de
l’opposition. Il est surprenant que les représentants des organes de
surveillance des élections internationales aient déclaré les élections de 2017
libres et équitables, malgré les abus de pouvoir visibles du gouvernement
kényan déterminé à rester au pouvoir quel que soit le résultat des élections.
L’équipe d’observation électorale du Centre Carter, dirigée par l’ancien
secrétaire d’État américain John Kerry, a notamment déclaré les élections
de 2017 transparentes. Cela a soulevé d’importantes questions sur
l’intégrité et le rôle des équipes internationales de surveillance des
élections, puisque la Cour suprême du Kenya a annulé l’élection
présidentielle de 2017 en indiquant qu’elles n’étaient ni libres ni équitables.

***

En somme, même s’il est trop tôt pour conclure à la partisanerie des acteurs
internationaux de la surveillance électorale, en particulier ceux de l’UE et
des États-Unis, il est clair que la valeur géopolitique du Kenya dans les
efforts antiterroristes régionaux change progressivement sa politique
intérieure et ses relations diplomatiques. La coopération du Kenya contre le
terrorisme donne l’avantage aux élites politiques au pouvoir dans les
relations internationales. Ainsi, des pays comme les États-Unis et le
Royaume-Uni qui ont des intérêts particuliers dans la région se retrouvent
acculés au choix de dénoncer les actes d’impunité perpétrés par le
gouvernement au risque de perdre sa coopération, ou de rester silencieux
sur la détérioration de la politique intérieure afin de s’assurer cette
coopération. Une analyse poussée sur les liens entre la position géopolitique
du Kenya, sa politique intérieure et ses défis de sécurité nationale révélerait
peut-être une dynamique essentielle pour comprendre l’insurrection d’Al-
Shabaab dans la région.

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international, 4 avril.
Les collaboratrices
et les collaborateurs

Laurence-Aïda Ammour est sociologue et analyste en sécurité


internationale et défense.

Adou Appiah est docteur en sociologie. Il est enseignant-chercheur à


l’Université Alassane Ouattara de Bouaké en Côte d’Ivoire, et chercheur
associé au Laboratoire de recherche politique (LAREP) au Centre de
recherche pour le développement (CRD).

Élysée Martin Atangana est diplômé en études internationales de


l’Université de Montréal.

Serge Banyongen est docteur en relations internationales. Il enseigne la


communication et les sciences politiques à l’Université d’Ottawa.

Moda Dieng est professeur agrégé à l’École d’études de conflits de


l’Université Saint-Paul, à Ottawa.

Sylvie Lembe est docteure en science politique (sécurité internationale et


défense), chercheuse associée à l’Université Jean-Moulin Lyon 3 et chargée
d’enseignement à l’Université Lille 2.

Philip Onguny est professeur adjoint à l’École d’études de conflits de


l’Université Saint-Paul, à Ottawa.

Montassir Nicolas Oufkir est politologue diplômé de l’Université de


Sherbrooke et chercheur au laboratoire CHERPA de l’IEP d’Aix-en-
Provence.

Issaka K. Souaré est fonctionnaire international, enseignant à l’Université


Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry en Guinée et chercheur
principal associé au Département des études politiques et internationales de
l’Université Rhodes en Afrique du Sud.

Fassory Sangaré est docteur en sciences de gestion de l’Université de


Paris-XIII. Il est enseignant-chercheur à la Faculté de sciences économiques
et de gestion de l’Université des Sciences sociales et de gestion de Bamako.

Lamine Savané est docteur en science politique. Il enseigne à la Faculté


des sciences politiques et administratives de l’Université de Bamako. Il a
été attaché d’enseignement et de recherche à l’Université de Montpellier.

Modeste Mba Talla est docteur en relations internationales. Il enseigne à


l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.
Autres titres de la collection

L’action publique environnementale au Québec. Entre local et mondial


Sous la direction de Annie Chaloux

L’Afrique postcoloniale en quête d’intégration. S’unir pour survivre et


renaître
Patrick Dramé

Le Canada et l’Arctique
Griffiths Franklyn, Huebert Roy, P. Whitney Lackenbauer

Consolidation de la paix et fragilité étatique. L’ONU en République


centrafricaine
Jocelyn Coulon et Damien Larramendy

La Convention du patrimoine mondial. La vision des pionniers


Christina Cameron et Mechtild Rössler

Deux économistes à contre-courant. Sylvia Ostry et Kari Polanyi Levitt


Michèle Rioux et Hughes Brisson

Les excuses dans la diplomatie américaine. Pour une approche pluraliste


des relations internationales
Jérémie Cornut

La fédéralisation de l’immigration au Canada


Mireille Paquet

Les partis politiques de l’opposition en Afrique. La quête du pouvoir


Issaka K. Souaré

La politique étrangère. Approches disciplinaires


Sous la direction de Christian Lequesne et Hugo Meijer

Quelle justice internationale au Proche-Orient? Le cas du Tribunal spécial


pour le Liban
Fady Fadel et Cynthia Eid

Social-démocratie 2.1. Le Québec comparé aux pays scandinaves


Sous la direction de Stéphane Paquin

Subir la victoire. Essor et chute de l’intelligentsia libérale en Russie (1987-


1993)
Guillaume Sauvé

Le Tiers-Monde postcolonial. Espoirs et désenchantements


Sous la direction de Maurice Demers, Patrick Dramé

Trois espaces de protestation. France, Canada, Québec


Pascale Dufour

L’Union européenne et le maintien de la paix en Afrique


Antoine Rayroux

Les Presses de l’Université de Montréal


www.pum.umontreal.ca

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