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Studies in Religion / Sciences Religieuses

2016, Vol. 45(4) 612–635


Book Reviews / Comptes ª The Author(s) / Le(s) auteur(s), 2016
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DOI: 10.1177/0008429816666268
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La personne en Islam. Liberté et témoignage


Mohamed Aziz Lahbabi
Introduction et édition par Markus Kneer
Namur : Éditions Lessius, 2015. 136 p.

Cet ouvrage de Mohamed Aziz Lahbabi (1923–1993), philosophe, essayiste, romancier


et poète marocain, fut publié pour la première fois en 1964 (Le personnalisme musulman,
Presses Universitaires de France). La présente édition est réalisée à partir de la seconde
édition de 1967 et y sont signalées les variantes entre les deux éditions. L’éditeur,
Markus Kneer (prêtre, théologien et islamologue allemand), apporte quelques correc-
tions (grammaticales et coquilles), ajoute des références, un glossaire, deux index (ver-
sets coraniques et noms cités), une bibliographie des études et essais de Lahbabi, ainsi
que des études portant sur son anthropologie, dont deux études sont rédigées par Kneer,
qui propose également une introduction (5–20) fort utile dans laquelle il y présente les
éléments constitutifs importants du personnalisme musulman de Lahbabi. Il note
l’« intention dialogique » du rapport de Lahbabi avec, d’une part, la pensée musulmane,
essentiellement les premières sources islamiques d’autorité, soit le Coran et la sunna
(tradition du Prophète) et, d’autre part, la pensée occidentale, notamment la philosophie
que Lahbabi côtoie lors de ses études De l’eˆtre à la personne, essai de personnalisme
re´aliste (Presses Universitaires de France, 1954) et Liberte´ ou libe´ration ? A` partir des
liberte´s bergsoniennes (Aubier, 1956). Dans cet ouvrage, Lahbabi propose une lecture
philosophique personnaliste de l’anthropologie coranique et « hadithique ».
L’ouvrage est divisé en deux. La première partie s’ouvre sur quelques données de
base introduites dans un premier chapitre où Lahbabi y présente ses concepts clés :
l’« autonomie de la personne » (29–32) ; le concept de la personne (sharç) mis à jour
par une analyse sémantique de l’anthropologie coranique, de là sa proposition du néo-
logisme arabe sharkhçânyya pour traduire le terme « personnalisme » (qu’il distingue de
l’humanisme arabe) (32–41) ; la « prise de conscience » (41–55) qui s’incarne dans un
acte de langage, soit le « témoignage » de l’existence du Créateur dans la profession de
foi (shahâda), qu’accompagne la « pureté de la nyya (l’intention) » autonome et libre
(Lahbabi rapprochant cette idée du Bergson de La pense´e et le mouvant, 1934) ;
l’« épanouissement du moi » (55–58) ; et la « conscience-agir » (58–60) envisagée
comme « conscience-te´moignage » (58) qui implique une réciprocité de l’autonomie
et de la responsabilité (tant juridique, relevant du fiqh, que morale) personnelles (60).
Dans le deuxième chapitre, Lahbabi explore quelques données « constitutives » de trois
perspectives inter-reliées de l’ontologique (61–65), de la morale (65–70) et de
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l’éthico-social (70–73). Ces divers éléments du cadre conceptuel et théorique lui per-
mettent de proposer une conception multidimensionnelle du personnalisme musulman.
Dans la seconde partie, Lahbabi s’attaque, dans un premier chapitre, aux « réserves et
interrogations » suscitées par certains éléments de ce personnalisme musulman : la ques-
tion de la transcendance (77–79), de l’athéisme (79–82), de « la personne face à l’omni-
puissance de Dieu » (82–85), de la situation de la femme et des questions de la polygynie et
de l’égalité homme–femme (85–93), de l’esclavage et de la tutelle des minorités (93–95).
Dans le chapitre suivant, il fait quelques constats de la situation telle qu’elle lui apparait à
la fin des années soixante : une « dépersonnalisation de la culture musulmane » (97–103) ;
une « Salafyya musulmane » (fin XIXe et début XXe siècle) (103–108) qui n’a « ni touché
aux structures ni repensé les fondements de l’Islam dans le contexte contemporain, ni
formulé systématiquement des problèmes qu’engendre ce nouveau contexte », tâche non
accomplie à l’époque pour la « libération réelle du monde musulman » (108), tâche qui est,
en fait, toujours à réaliser ; une culture arabo-musulmane « où se constitue » le personna-
lisme (108–112) ; et l’islam comme « religion d’espoir » (112–118).
Les configurations ontologico-morale et éthico-sociale de ce personnalisme musul-
man permet à Lahbabi de l’inscrire dans l’horizon sacral d’un univers umma-centrique
où la réalisation des potentialités innées de la conscience ne peut être atteinte qu’au
terme d’une prise de conscience de l’existence d’un Dieu unique. Cet horizon sacral
circonscrit l’autonomie et la liberté de l’individu, Lahbabi y allant avec la proposition
« d’un cogito en quelque sorte reversé : on part de Dieu pour être renvoyé au moi, au je-
te´moignant » (57), la raison pouvant « assumer un témoignage » et ainsi « engager son
autonomie et sa liberté » (ibid.), ceci ne la dépossédant nullement de ses capacités
d’investigation scientifique. La visée universaliste de ce personnalisme musulman, qui
se veut avant tout une alternative (croyante) au « personnalisme purement prométhéen »
(55), s’inscrit dans une vision holiste, comme l’écrit Lahbabi : « l’Islam est ‘totalitaire’,
c’est-à-dire une religion sacrale en ce sens qu’elle est indivisiblement foi, pratiques
religieuses et communauté temporelle ; elle préside à chacun des événements de la vie
privée et publique » (71).
En somme, Lahbabi présente les tenants et les aboutissants de l’élaboration d’un
personnalisme musulman contemporain à la recherche de médiation, ou de réconcilia-
tion, entre une pensée humaniste de la modernité occidentale et la dimension religieuse
de la pensée arabo-musulmane. Aujourd’hui, ce projet demeure tout aussi pertinent qu’il
l’était pour Lahbabi, il y a plus d’un demi-siècle. Mais pour mesurer le chemin parcouru,
il faudra se pencher sur tout ce qui s’est écrit depuis sur la question du statut de la
personne en islam, problématique qui va bien au-delà du personnalisme de Lahbabi ou
d’une formulation des droits de l’homme islamiques, comme certains le souligne (voir,
par exemple, Jacques Waardenburg, « La personne en deçà et au-delà de l’islam »,
Arabica, 36.2 (1989) : 143–162 ; et David L. Johnston, « Islam and Human Rights :
A Growing Rapprochement ? », American Journal of Economics and Sociology, 74.1
(2015) : 113–148).

Roxanne D. Marcotte
Universite´ du Que´bec à Montre´al
The University of Queensland

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