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l’éthico-social (70–73). Ces divers éléments du cadre conceptuel et théorique lui per-
mettent de proposer une conception multidimensionnelle du personnalisme musulman.
Dans la seconde partie, Lahbabi s’attaque, dans un premier chapitre, aux « réserves et
interrogations » suscitées par certains éléments de ce personnalisme musulman : la ques-
tion de la transcendance (77–79), de l’athéisme (79–82), de « la personne face à l’omni-
puissance de Dieu » (82–85), de la situation de la femme et des questions de la polygynie et
de l’égalité homme–femme (85–93), de l’esclavage et de la tutelle des minorités (93–95).
Dans le chapitre suivant, il fait quelques constats de la situation telle qu’elle lui apparait à
la fin des années soixante : une « dépersonnalisation de la culture musulmane » (97–103) ;
une « Salafyya musulmane » (fin XIXe et début XXe siècle) (103–108) qui n’a « ni touché
aux structures ni repensé les fondements de l’Islam dans le contexte contemporain, ni
formulé systématiquement des problèmes qu’engendre ce nouveau contexte », tâche non
accomplie à l’époque pour la « libération réelle du monde musulman » (108), tâche qui est,
en fait, toujours à réaliser ; une culture arabo-musulmane « où se constitue » le personna-
lisme (108–112) ; et l’islam comme « religion d’espoir » (112–118).
Les configurations ontologico-morale et éthico-sociale de ce personnalisme musul-
man permet à Lahbabi de l’inscrire dans l’horizon sacral d’un univers umma-centrique
où la réalisation des potentialités innées de la conscience ne peut être atteinte qu’au
terme d’une prise de conscience de l’existence d’un Dieu unique. Cet horizon sacral
circonscrit l’autonomie et la liberté de l’individu, Lahbabi y allant avec la proposition
« d’un cogito en quelque sorte reversé : on part de Dieu pour être renvoyé au moi, au je-
te´moignant » (57), la raison pouvant « assumer un témoignage » et ainsi « engager son
autonomie et sa liberté » (ibid.), ceci ne la dépossédant nullement de ses capacités
d’investigation scientifique. La visée universaliste de ce personnalisme musulman, qui
se veut avant tout une alternative (croyante) au « personnalisme purement prométhéen »
(55), s’inscrit dans une vision holiste, comme l’écrit Lahbabi : « l’Islam est ‘totalitaire’,
c’est-à-dire une religion sacrale en ce sens qu’elle est indivisiblement foi, pratiques
religieuses et communauté temporelle ; elle préside à chacun des événements de la vie
privée et publique » (71).
En somme, Lahbabi présente les tenants et les aboutissants de l’élaboration d’un
personnalisme musulman contemporain à la recherche de médiation, ou de réconcilia-
tion, entre une pensée humaniste de la modernité occidentale et la dimension religieuse
de la pensée arabo-musulmane. Aujourd’hui, ce projet demeure tout aussi pertinent qu’il
l’était pour Lahbabi, il y a plus d’un demi-siècle. Mais pour mesurer le chemin parcouru,
il faudra se pencher sur tout ce qui s’est écrit depuis sur la question du statut de la
personne en islam, problématique qui va bien au-delà du personnalisme de Lahbabi ou
d’une formulation des droits de l’homme islamiques, comme certains le souligne (voir,
par exemple, Jacques Waardenburg, « La personne en deçà et au-delà de l’islam »,
Arabica, 36.2 (1989) : 143–162 ; et David L. Johnston, « Islam and Human Rights :
A Growing Rapprochement ? », American Journal of Economics and Sociology, 74.1
(2015) : 113–148).
Roxanne D. Marcotte
Universite´ du Que´bec à Montre´al
The University of Queensland