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PTO – vol 16 – n°2

La Justice Procédurale comme Variable Prévisionnelle de


la Motivation Intrinsèque au Travail
Procedural Justice as a Predictive Variable of Intrinsic
Motivation at Work
Simon Grenier*, Marie-Hélène Gilbert** et André Savoie***
*Université de Montréal, simon.grenier@umontreal.ca
mh.gilbert@umontreal.ca , andre.savoie@umontreal.ca

Résumé
Même si l’importance de la motivation intrinsèque au travail soit des plus reconnues, le
lien entre la justice organisationnelle et la motivation des employés, bien que souvent
suggéré, demeure encore spéculatif. L’objectif de la présente étude est d’examiner
jusqu’à quel point la justice organisationnelle perçue prédit la motivation intrinsèque
des employés, avec ou sans un rôle de médiation exercé par la satisfaction des trois
besoins fondamentaux. Pour ce faire, une prise de données sur ces trois variables clés a
été effectuée auprès d’un échantillon de 273 québécois provenant de divers domaines
d’emploi. Des analyses corrélationnelles et de régression multiples font état des
relations positives et significatives entre les trois variables à l’étude ainsi que d’une
médiation partielle de la satisfaction des trois besoins fondamentaux entre la justice
procédurale et la motivation intrinsèque. Le rôle de la justice procédurale dans
l’ampleur de la motivation intrinsèque est ensuite discuté.

Abstract
Although the importance of intrinsic motivation at work is already known, the
relationship between organizational justice and employees’ motivation remains
unexplored. Consequently, the purpose of the present study was to examine the
predictive role of organizational justice on intrinsic motivation and the mediation effect
of fundamental needs satisfaction in the study of organizational justice and employees’
intrinsic motivation. Key variables have been measured with a sample of 273 workers
coming from numerous fields of work. Correlational analyses and multiples regression
analyses have been conducted and have shown a significant positive relationship
between the variables as well as a partial mediation effect of the basic psychological
needs’ satisfaction in the relationship between procedural justice and intrinsic
motivation. Results show significant positive relations between the three variables of
interest and a partial mediation of the basic needs in the relation existing between
procedural justice and intrinsic motivation. The role of justice for the development of
intrinsic motivation at work is discussed.
Mots clés : Justice procédurale, Motivation intrinsèque, Satisfaction des besoins
fondamentaux et Théorie de l’Autodétermination
Key words : Procedural Justice, Intrinsic Motivation, Fundamental Needs Satisfaction
and Self-Determination Theory
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1. Introduction

La motivation humaine représente depuis longtemps un champ d’étude


et de questionnement important en psychologie du travail et des organisations,
selon l’idée que la motivation amène à mieux performer et, réciproquement,
qu’une augmentation de la performance indique un accroissement de la
motivation au travail (Locke et Latham, 2002). Parallèlement, certaines théories
se sont préoccupées des inducteurs de cette motivation. Parmi les inducteurs
dominants, il y a les objectifs (Locke et Latham, 2002), les récompenses et les
punitions (Deci et Ryan, 1985; Porter et Lawler, 1968), la qualité des relations
au travail (Ryan et Deci, 2002), l’aménagement des tâches « job design »
(Hackman et Oldham, 1980), la satisfaction de besoins innées (Maslow, 1954)
et le sentiment d’efficacité personnel (Bandura, 1997).

Selon la théorie de l’équité (Adams, 1965), les inducteurs vécus et reçus


au travail seraient l’objet d’une évaluation comparative par l’employé. Si
l’employé se considère gagnant dans cette relation, il sera motivé à faire des
efforts pour l’organisation. S’il considère que, à travail égal, il est pénalisé
quant aux récompenses qu’il obtient, il vivra une perte de motivation face aux
tâches à accomplir. Plus récemment, cette théorie a évolué jusqu’à inclure, à
l’équité même de ces renforcements et punitions, celle du processus
d’attribution (Moorman, 1991; Colquitt, 2001).

Dès 2003, Colquitt et Greenberg promouvaient l’importance de vérifier


les relations pouvant exister entre la justice organisationnelle et la motivation au
travail. D’ailleurs en 2007 (a et b), Gagné et ses collègues révèlent que la
présence de justice procédurale dans l’organisation est liée à la motivation
autonome des employés. Bien que certains auteurs, notamment Latham et Ernst
(2006), présument que la justice organisationnelle a un impact positif direct sur
la motivation des employés, le lien justice-motivation est aussi conceptualisé
comme étant moins direct, agissant via une ou des variables modératrices
(Colquitt et Chertkoff, 2002). En outre, des recherches récentes montrent que,
d’une part, la satisfaction des trois besoins fondamentaux est liée à la
motivation intrinsèque (Vallerand et Ratelle, 2002) et que, d’autre part, la
justice organisationnelle s’avère liée la satisfaction de ces trois besoins (Gilbert,
LeBrock et Savoie, 2006). De ces deux recherches, l’hypothèse d’un lien

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prévisionnel entre justice et motivation via la satisfaction des trois besoins


s’impose alors d’elle-même. C’est l’objet de la présente étude.

2. Cadre Théorique

2.1. Justice Procédurale

La justice organisationnelle apparaît dorénavant comme un construit


quadridimensionnel (Colquitt, 2001) composé des justices distributive,
interactionnelle, informationnelle et procédurale. La justice distributive
correspond au jugement émis par un employé sur l’équité des ressources (c.-à.-
d., les promotions, la paie, etc.) allouées aux employés de l’organisation
(Colquitt, Greenberg et Zapata-Phelan, 2005). La justice interactionnelle fait
référence à la dignité, au respect et à la sensibilité manifestés envers les
employés lorsque les gestionnaires présentent de nouvelles procédures et
politiques (Colquitt, 2001; Colquitt, Conlon, Wesson, Porter et Ng, 2001).
Quant à la justice informationnelle, elle fait référence aux perceptions des
employés à propos de la véracité des explications et des justifications données
par les gestionnaires de l’organisation (Colquitt et al., 2001).

Enfin, la justice procédurale, qui est la VI de notre recherche, réfère aux


perceptions subjectives des employés qui émettent un jugement quant à l’équité
des politiques d’attributions et d’allocations des récompenses dans
l’organisation (Colquitt et al., 2005). En d’autres termes, est-ce que les
processus et les mécanismes de prise de décision et d’attribution sont considérés
comme étant justes par les employés?

Blader et Tyler (2003, 2005) postulent que la pratique de la justice


procédurale permet aux employés de se sentir respectés par l’organisation et
d’être fiers de celle-ci. Ce sentiment d’équité quant à la façon dont les décisions
sont prises dans l’entreprise permet aux employés de sentir qu’ils sont acceptés
comme faisant partie intégrante du groupe, que l’organisation les considère en
tenant compte de leur point de vue. Ce processus leur permettra de grandement
s’identifier à l’organisation, ce qui aura pour conséquence d’accroître leur
coopération face à l’atteinte des objectifs organisationnels (Blader et Tyler,
2003, 2005, De Cremer, Tyler et den Ouden, 2005). Comme le mentionnent
Blader et Tyler (2005), dans le cas où les employés ont la perception que les

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politiques sont justes et équitables, les probabilités sont grandes qu’ils


s’identifient davantage à l’organisation.

Certains auteurs entrevoient même un lien direct entre la justice


organisationnelle et l’engagement envers l’organisation à l’effet que la
perception d’inéquité face aux décisions prises dans l’organisation serait liée à
l’absentéisme, à l’intention de quitter l’entreprise et aux comportements
antisociaux au travail (Cohen-Charash et Spector, 2001; Colon, Meyer et
Nowakowski, 2005). À elle seule, la justice procédurale explique 36% de la
variance de la satisfaction en emploi (Gagné, Donia et Bérubé, 2007a). Cette
explication atteint 50% de la variance lorsqu’on prend en compte la justice
organisationnelle dans son ensemble.

2.2. La satisfaction des trois besoins

Les besoins fondamentaux (compétence, autonomie, affiliation) sont


considérés comme des nutriments essentiels dont la satisfaction favorise le
développement psychologique optimal des individus (Gagné et Deci, 2005). Le
besoin de compétence correspond au sentiment d’efficacité et à la recherche de
défis à la hauteur de ses capacités. Pour sa part, le besoin d’autonomie
représente l’importance de pouvoir organiser ses activités et d’avoir la
possibilité de faire des choix dans l’organisation. Pour finir, le besoin
d’affiliation sociale a trait à l’importance accordée aux relations de réciprocité
que les personnes entretiennent avec leurs proches.
Dans le modèle de la satisfaction des besoins psychologiques
fondamentaux les positionnent comme des inducteurs de la motivation
autodéterminée (Vallerand et Ratelle, 2002). D’autre part, ces besoins sont
couramment positionnés comme des médiateurs entre certaines variables
environnementales et la motivation intrinsèque des employés (Gagné et Deci,
2005). De même, un récent article de Gagné et Forest (2008) présume de
l’influence de divers inducteurs sur la satisfaction globale des besoins
psychologiques dans la motivation autodéterminée au travail. Comme la justice
procédurale est relative à la justesse et l’équité des décisions prises au sein de
l’organisation, il est utile de voir si celle-ci peut avoir un effet sur la satisfaction
des besoins psychologiques des employés agissant ensuite de levier sur leur
motivation intrinsèque au travail.

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2.3 La théorie de l’autodétermination

La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985, 2000) stipule un


continuum formé de quatre types de motivation au travail. La motivation
extrinsèque est la forme la plus contrôlée de motivation. Elle se développe chez
un travailleur pour qui les récompenses externes (bonus annuel, promotion)
justifient les efforts consentis au travail. La seconde forme de motivation est
dite introjectée, est contingente à la préservation ou au développement de
l’estime de soi du travailleur. Quant à la motivation identifiée, elle émerge
lorsque le travailleur s’identifie aux objectifs et aux valeurs de l’organisation. À
ce moment, l’employé fera des efforts au travail par choix, parce qu’il est
important pour lui d’atteindre les objectifs organisationnels.

Enfin, la motivation intrinsèque représente le dernier type de motivation


au travail postulé par la théorie de l’autodétermination. Cette forme de
motivation est la plus autonome des quatre et se développe quant un employé
fait des efforts pour le plaisir et l’intérêt inhérents qu’il retire de son travail. Les
recherches rapportent que cette forme de motivation est liée à une meilleure
santé psychologique, à une plus grande persistance dans la pratique d’une
activité et à un plus grand bien-être général chez les individus qui développent
ce genre de motivation (Deci et Ryan, 2000, Gagné et Deci, 2005).
L’émergence de la motivation intrinsèque permet, entre autres, à l’individu de
ressentir un plus grand bien-être dans l’exercice de ses fonctions et de fournir
une performance accrue au travail (Baard, Deci et Ryan, 2004). Il semble
également qu’elle amène les employés à faire preuve d’attitudes positives en
regard de celui-ci et à favoriser une plus grande efficience dans des tâches
demandant de la créativité et de la flexibilité (Gagné et Deci, 2005). Enfin, ce
type de motivation face à l’emploi a de nombreuses répercussions positives
pour l’organisation, elle est notamment liée à la satisfaction au travail et à
l’émission de comportements de performance contextuelle (Gagné et Deci,
2005).
Basé sur plusieurs études, Gagné et Deci (2005) présument qu’au
niveau organisationnel, certains éléments peuvent être mis en place pour
favoriser le développement de la motivation intrinsèque des employés. Par
exemple, ces auteurs proposent que le climat de travail et particulièrement le
style de gestion (soutien à l’autonomie ou style contrôlant) a un impact sur la
satisfaction des trois besoins et sur la motivation intrinsèque au travail (Gagné
et Deci, 2005). Ils présument également qu’un emploi qui offre l’opportunité de
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faire des choix, qui pose des défis réalisables et qui permet également d’avoir de
la rétroaction sur les tâches exécutées est plus susceptible de motiver
intrinsèquement les employés.
Et, ce qui est encore plus important dans le cadre de la présente étude, la
théorie de l’autodétermination présume que la satisfaction de trois besoins
fondamentaux (compétence, autonomie, affiliation) joue un rôle important dans
le développement d’une motivation intrinsèque pour une activité (Gagné et
Deci, 2005; Vallerand et Ratelle, 2002). Comme mentionné précédemment,
Gilbert, LeBrock et Savoie (2006) rapportent des liens explicatifs entre la
justice organisationnelle et la satisfaction des trois besoins alors que Vallerand
et Ratelle (2202) font de même entre la satisfaction des trois besoins
fondamentaux et la motivation intrinsèque. La prise en compte simultanée de
ces trois variables est l’objet de la présente étude.

3. Hypothèses

Dans un récent modèle théorique sur les processus de récompenses


en organisation, Gagné et Forest (2008) postulent notamment que la justice
distributive et la justice procédurale permettent de satisfaire globalement les
trois besoins psychologiques fondamentaux entraînant l’émergence de la
motivation intrinsèque chez les employés. Cette relation doit toutefois être
vérifiée empiriquement. D’où les hypothèses suivantes :

H1 : Plus un individu perçoit de la justice procédurale dans son milieu de travail,


plus ses besoins fondamentaux (autonomie, compétence et affiliation sociale)
devraient être satisfaits.
H2 : Plus un travailleur perçoit de la justice procédurale, plus celui-ci est motivé
de façon intrinsèque au travail.
H3 : Plus les besoins fondamentaux d’un travailleur sont satisfaits, plus celui-ci
devrait développer une motivation intrinsèque au travail.
H4 : La satisfaction des trois besoins fondamentaux devrait agir en tant que
variable médiatrice dans le lien entre la justice et la motivation intrinsèque des
travailleurs.

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4. Méthodologie

4.1. Participants

L’échantillon comporte 273 travailleurs (67,6% de femmes et 32,4%


d’hommes) dont la moyenne d’âge se situe entre 41 et 50 ans. La plupart (25%)
des participants travaillent dans le secteur «vente et services» et travaillent pour
la même organisation depuis en moyenne 3 à 5 ans. Les répondants proviennent
de divers domaines d’emploi et de différentes organisations de la grande région
de Montréal.

4.2. Procédure

Les données ont été recueillies à l’automne 2005 par un groupe de


recherche de l’Université de Montréal. Les participants ont été appelés à remplir
un questionnaire de type papier-crayon par des étudiants de 2ème et de 3ème année
de baccalauréat en psychologie formés à cet effet.

4.3. Mesures

La justice procédurale est mesurée par une échelle comportant 9


énoncés (Moorman, 1991). Cette échelle a été choisie puisqu’elle fait preuve de
bonnes propriétés métriques. Elle couvre majoritairement des aspects de la
justice procédurale mais comporte également quelques items orientés vers la
justice interactionnelle. Les répondants devaient inscrire leur niveau d’accord
sur une échelle de type Likert allant de 1 (tout à fait en désaccord) à 6 (tout à
fait en accord). Dans cette étude, le coefficient alpha de Cronbach pour cette
dimension est de .94.

exemple d’item: « Selon vous, lorsque les décisions sont prises au sein de votre
organisation… On interagit honnêtement avec vous ».

La satisfaction des trois besoins fondamentaux est mesurée par une


échelle élaborée par Forest et Mageau (en préparation). Les participants
répondent aux 12 énoncés à l’aide d’une échelle de type Likert allant de 1 (pas
du tout en accord) à 7 (très fortement en accord). Un score total de satisfaction
des besoins fondamentaux a été effectué. Le coefficient alpha obtenu pour la
satisfaction général des besoins psychologiques dans cette étude est de .65.
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exemple d’item: « Je crois que je suis très efficace dans mon travail».

La motivation intrinsèque a été mesurée par une sous-échelle de


l’inventaire de motivation au travail (Blais, Brière, Lachance, Riddle et
Vallerand, 1993) composée de 31 énoncés. Les participants devaient dire pour
quelles raisons ils effectuaient leur travail actuel en répondant grâce à une
échelle de type Likert allant de 1 (Tout à fait en désaccord) à 6 (tout à fait en
accord). Dans cette étude, le coefficient alpha de Cronbach pour la motivation
intrinsèque était de .88.

Exemple d’item : « je fais ce travail parce que j’ai beaucoup de plaisir dans ce
travail ».

5. Résultats

Tout d’abord, la normalité de la distribution des données a été


confirmée par le biais des scores de voussures et d’aplatissement qui se situent
entre -1 et +1 (Tabachnick et Fidell, 2007). En ce qui a trait aux données
manquantes, celles-ci ont été remplacées par la moyenne dans le cas où il n’y
avait pas plus de 5% de données manquantes. Aussi, les valeurs extrêmes
univariées ont été modifiées par les scores situés à la limite supérieure ou
inférieure de la distribution Z = +/- 3,29Z.

Des analyses corrélationnelles ont été effectuées afin d’examiner les


trois premières hypothèses concernant les relations entre les variables. Afin de
vérifier l’hypothèse énoncée concernant l’effet de médiation, des analyses de
régression hiérarchique ont été réalisées en suivant le protocole de Baron et
Kenny (1986). Selon ces auteurs, il est nécessaire de respecter certaines
conditions afin d’obtenir un effet de médiation. Premièrement, la variable
indépendante (VI) doit être liée à la variable médiatrice (VM). Corroborant H1,
les résultats montrent que la justice procédurale (VI) est significativement liée à
la satisfaction des besoins fondamentaux (VM) (r(270) = .63, p < .001).
Deuxièmement, la VI doit être liée avec la variable dépendante (VD).
Permettant de confirmer H2, les résultats d’une seconde analyse de corrélation
révèlent une relation significative entre la justice procédurale (VI) et la
motivation intrinsèque (VD) (r(266) = .44, p < .001). La troisième condition
exige que la VM soit liée à la VD. Cette condition a également été respectée car
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la satisfaction des besoins est liée de façon significative à la motivation


intrinsèque (r(267) = .55, p < .001) appuyant ainsi H3.

Tableau 1. Statistiques descriptives et corrélations des variables d’intérêts.

Variables M ET 1 2 3
1.Justice procédurale 3,99 1,07
2.Satisfaction des besoins 1,02 3,67 .365***
3.Motivation Intrinsèque 5,43 0,75 .632*** .387***

*** p < .001

Une médiation considérée parfaite survient lorsque la VI n’a plus


d’effet sur la VD quand la VM est contrôlée. Afin de vérifier H4, une analyse de
régression a donc été effectuée avec les trois variables en contrôlant la VM. Un
effet de médiation partielle est obtenu car, sous ces conditions, la relation entre
la justice procédurale et la motivation intrinsèque reste significative mais la
taille d’effet de la justice diminue (β = .16, p < .05) alors que celle entre la
satisfaction des besoins et la motivation intrinsèque demeure hautement
significative (β = .45, p < .001). À la suite de ces analyses, il est possible de
conclure que la relation existant entre la justice procédurale (VI) et la
motivation intrinsèque (VD) est attribuable en très grande partie à la satisfaction
des trois besoins fondamentaux (VM). Par contre, les résultats montrent qu’une
portion de la justice procédurale perçue et un sentiment d’équité chez les
employés sont importants pour favoriser l’émergence de la motivation
intrinsèque des travailleurs.

Tableau 2. Analyses de régression hiérarchique montrant l’effet de médiation de la


satisfaction des trois besoins fondamentaux sur le lien existant entre la JP et la
motivation intrinsèque.

Variables B SEB Β R2 ∆R2

JP 0,150 0,630 0,157* 0,560 0,314


S3B 0,623 0,910 0,448***
*p < .05, *** p < .001

Pour appuyer la pertinence des analyses, le test de Sobel (Preacher et


Leonardelli, 2001) a été effectué. Ce test permet de saisir, lorsque la variable
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médiatrice est intégrée entre la VI et la VD, si la diminution du coefficient beta


standardisé est significative. Le test montre qu’effectivement la diminution
observée est significative (Sobel < 0,001). Par conséquent, il peut être
intéressant d’en préciser la taille. Le test de Frazier et ses collègues (2004) est
une procédure permettant de connaître la variance expliquée par une variable
médiatrice dans la relation liant une VI et une VD. Dans ce cas-ci, on observe
une taille d’effet de 46% en ce qui concerne l’apport des trois besoins
fondamentaux dans la relation existant entre la justice procédurale et la
motivation intrinsèque des employés.

6. Discussion

Les résultats montrent un effet de médiation partielle de la satisfaction


des trois besoins fondamentaux dans la relation existant entre la perception de
justice procédurale et la motivation intrinsèque. Le fait de percevoir de la
justice quant à la façon dont les décisions sont prises dans l’organisation et de
sentir qu’il est possible d’influencer celles-ci, favoriserait la satisfaction des
besoins fondamentaux. À son tour, la satisfaction des besoins fondamentaux
permet aux employés de développer de la motivation intrinsèque et de vivre du
plaisir au travail. Mais cette importante médiation n’écarte pas pour autant un
lien direct entre la perception de justice procédurale et la présence de
motivation intrinsèque chez l’employé. Quelles sont les implications de ces
résultats?

6.1 Le lien médié

La présente étude révèle que le processus psychologique qui permet de


mieux expliquer la relation entre la perception de justice procédurale et un état
de motivation intrinsèque est la satisfaction globale des besoins psychologiques
fondamentaux. Ce lien médié a récemment été conceptualisé par Gagné et
Forest (2008). En quoi d’être informé –et de pouvoir discuter- comment et
pourquoi les décisions qui nous concernent sont prises peut-il être lié à la
satisfaction des trois besoins fondamentaux (autonomie, compétence,
affiliation)? La piste explicative la plus plausible réside dans la connaissance de
politique de prises de décisions par l’organisation.

En effet, la pratique de la justice procédurale dans une organisation


permet aux employés de connaître les politiques et aussi de savoir quoi faire
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pour obtenir une récompense (promotion, augmentation salariale, etc.) et ainsi


de faire des choix plus éclairés dans la réalisation de ses tâches (Cropanzano et
Folger, 1989). Par ailleurs, sachant quoi faire, ils peuvent connaître plus de
succès dans l’organisation (Cohen-Charash et Spector, 2001), répondre aux
attentes du supérieur et de l’organisation et ainsi se sentir potentiellement plus
efficaces. Enfin, la perception que les décisions sont prises de façon équitable
peut diminuer les conflits qui émergent entre les employés (Cohen-Charash et
Spector, 2001). C’est en suivant ces différents processus et en permettant de
connaître les politiques que la justice procédurale est à même de répondre aux
besoins psychologiques fondamentaux (autonomie, compétence et affiliation
sociale) proposés par la théorie de l’autodétermination.
Shapiro et Brett (2005) ont trouvé que la perception de justice au travail
est liée à la possibilité de faire valoir son opinion (voice effect) lorsque les
décisions sont prises dans l’organisation. Ainsi, quand les employés perçoivent
que leur point de vue est pris en considération, ils se sentiraient davantage en
contrôle, pouvant en quelque sorte faire preuve de plus d’autonomie et croyant
qu’ils ont une certaine influence sur les décisions prises dans l’organisation.
Conséquemment, ils percevraient l’organisation comme étant plus juste et
équitable.

6.2 Le lien direct.

À l’instar de Gagné et ses collègues (2007a, 2007b), les résultats de la


présente étude montrent que la perception de justice procédurale dans
l’organisation est aussi en lien direct avec le développement de la motivation
intrinsèques des employés. Le rapport direct pouvant exister entre la perception
de justice procédurale et la motivation intrinsèque se trouve ainsi confirmé.
Comment l’expliquer?

Nos résultats en termes de lien direct trouvent un appui dans différentes


études et ce lien direct n’est pas unique. La justice procédurale en soi est liée à
de nombreuses conséquences positives, notamment, l’identification à
l’organisation qui est suivi d’une plus grande coopération à l’atteinte des
objectifs organisationnels (Blader et Tyler, 2005), la passion harmonieuse au
travail (Grenier, Beaulieu et Brunet, 2006) et le maintien des employés dans
l’organisation (Colon, Meyer et Nowakowski, 2005). De plus, une récente méta-
analyse a permis d’établir des liens entre la justice procédurale et la

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performance des employés et entre celle-ci et l’engagement organisationnel des


travailleurs (Colquitt et al., 2001).

Bref, les résultats de l’étude suggèrent que les gestionnaires auraient


intérêt à considérer la justice procédurale comme un levier potentiel de la
motivation intrinsèque au travail, laquelle jusqu’à présent, est associée presque
exclusivement à des conséquences positives pour le travailleur et l’organisation.
Un moyen d’y arriver pourrait être d’accorder une attention particulière à ce que
les processus et procédures de prise de décision soient les plus transparentes,
justes et équitables possible. De même, il pourrait être avantageux de consulter
les employés, de leur donner une « voix » dans l’entreprise par rapport aux
décisions prises, quand il est possible de le faire.

7. Limites

L’une des principales limites de cette étude concerne l’utilisation


d’analyses corrélationnelles. En effet, ce type d’analyses ne permet pas
l’obtention de résultats de « cause à effet ». Ainsi, les liens obtenus peuvent
s’interpréter d’un sens comme de l’autre. Afin d’obtenir la direction de la
relation, une étude longitudinale aurait pu être réalisée. Une seconde limite liée
à cette étude concerne l’utilisation d’un questionnaire auto-rapporté. En effet,
l’emploi de ce type de questionnaire amène un problème de variance commune
entre les mesures (Lindell et Whitney, 2001). Une troisième limite concerne la
non équivalence entre le genre des participants. Les femmes sont plus
représentées que les hommes dans l’échantillon ce qui a un impact sur la
généralisation possible des résultats. Enfin, la dernière limite de l’étude est
relative au fait que les besoins fondamentaux sont traités de façon globale
diminuant la compréhension complète du phénomène de médiation.

8. Pistes de recherche

Dans la présente étude, des raisons théoriques portaient à croire que la


satisfaction globale des trois besoins psychologiques fondamentaux serait liée à
la motivation intrinsèque au travail. Toutefois, cette étude explore l’effet de
médiation des trois besoins fondamentaux dans la relation entre la justice
procédurale et la motivation intrinsèque au travail. En soulignant l’importance
de favoriser le développement de la motivation intrinsèque au travail, les
prochaines études réalisées dans le domaine méritent d’approfondir deux
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éléments. D’abord, il peut être utile de vérifier l’effet de chacune des


dimensions de la justice organisationnelle comme levier de la satisfaction
globale des besoins psychologiques fondamentaux. Ensuite, dans le même genre
d’étude, il semble également pertinent de vérifier l’effet des chacune des
dimensions de la justice organisationnelle sur chacun des besoins
psychologiques pris indépendamment. De cette façon, un portrait complet des
influencent de chacune des dimensions des construits serait tracé. Cela
permettrait de mieux comprendre quel levier utilisé pour favoriser la satisfaction
de besoins psychologiques fondamentaux dans l’optique de favoriser
l’émergence de la motivation intrinsèque au travail.

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