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Chapitre 4La gestion, le contrôle et l’incitation

Introduction

Plusieurs raisons, tant théoriques qu’empiriques, incitent à s’intéresser au sujet de la gestion,


incitation et contrôle. En effet, maintes recherches assez proches ont mis en évidence le
décalage parfois criant entre les performances organisationnelles atteintes par les entreprises
et les niveaux de rémunération perçus par leurs dirigeants. Sans qu’il soit besoin d’évoquer
des exemples précis, il convient de noter que la rémunération moyenne des dirigeants nord-
américains a augmenté de 139 % entre 1992 et 2005 alors que les indices industriels moyens
Dow Jones, S&P 500 et Nasdaq ont évolué respectivement de 225 %, 189 % et 226 %
pendant ces 13 années (St-Onge & Magnan, 2008). De plus, un jugement de l’efficacité des
programmes d’intéressement fondé sur la mesure intrinsèque de la performance sera, sans
crainte, loin d’être décisif. En fait, même lorsque relation entre rémunération et performance
il y a l’effet d’incitation ne serait plus dans la lignée des escomptes de la théorie de l’agence
(Jensen & Meckling, 1976) qui voit dans la compensation de l’effort humain une clé de voute
à la disposition des entreprises permettant de les aider à réduire spontanément et
naturellement la perte d’efficience consécutive à la divergence des intérêts de leurs dirigeants
de ceux des propriétaires. Par ailleurs, bien que nombreuses sont les preuves que les
compétences et les actions sont importantes pour la productivité de la firme, peu de travaux
empiriques ont étudié les manières dont les aléas macroéconomiques l’influencent ce qui
implique la remise en cause du précepte de l’hypothèse de la rémunération à la performance.

En fait, dans les pays anglo-saxons, voire européens, les recommandations


en faveur de la constitution de comités des rémunérations ont été doublées
de propositions strictes sur leur composition : l’indépendance des membres
du comité des rémunérations, impliquant leur absence de liens avec la
direction générale et l’absence d’intérêts croisés, devrait limiter le jeu
politique des tactiques d’influence, de réciprocité et ainsi de l’efficacité des
plans d’intéressement managériaux. Ensuite, les réflexions anglo-saxonnes
et euro-continentales se rejoignent sur ce point. Mais une différence
importante existe par ailleurs.
Aux États-Unis et au Canada, la plus grande formalisation, en interne, du
processus de décision est complété par un dispositif veillant à une plus
grande transparence externe. La publicité individuelle et extrêmement
détaillée des différentes composantes de la rémunération des dirigeants
devrait permettre aux actionnaires d’effectuer des comparaisons, et
éventuellement des arbitrages, avec le marché du travail. Ainsi, le contrôle
et l’évaluation des dirigeants reviendrait-il, au final, aux actionnaires et au
marché. En contrepartie, le risque est grand que la rémunération des
dirigeants fasse l’objet de pressions multiples, de la part du personnel, des
forces politiques ou du grand public, par l’intermédiaire des médias. Pour
cette raison notamment, du moins peut-on le penser, le principe de
transparence admis dans le monde anglo-saxon a, pendant longtemps fait
l’objet d’un blocage en France et en Grande-Bretagne.

1. Aspects théoriques

Les mesures de compensation incitative peuvent être utilisées dans le but d’atteindre
différents objectifs pour différents acteurs. En effet, l’importance du thème de la rémunération
pour les dirigeants peut se justifier au regard de la théorie de la course à la promotion (ou
théorie du tournoi) qui estime que les incitations directes doivent se substituer aux incitations
à la promotion interne au fur et à mesure que l’individu accède au sommet de la hiérarchie. La
promotion interne n’a, en effet, plus guère de sens lorsque l’on parvient à la tête de
l’organisation et la nécessité s’impose de trouver un moyen incitatif alternatif. En outre, pour
les actionnaires, la rémunération des dirigeants est un aspect primordial de la résolution du
conflit d’agence. La mise en place de rémunérations incitatives est, en effet, l’un des
instruments aux mains du conseil d’administration pour orienter le comportement du
dirigeant. La rémunération peut être un moyen de sanctionner un comportement déviant
lorsque les objectifs ne sont pas atteints. Elle est surtout un moyen de transformer et réduire
les conflits d’intérêt pouvant exister entre les actionnaires et les dirigeants. Par ailleurs, quatre
motifs principaux incitent les entreprises à les adopter : améliorer les comportements dans le
milieu de travail, accroître la flexibilité et le partage du risque, décourager l’implantation
d’organisation syndicale et profiter d’un allégement fiscal.
Sur le sujet de l’effet incitatif de la rémunération, des dirigeants mandataires sociaux font
prévaloir plusieurs positions théoriques. Nous adoptons l’ancrage théorique de l’agence pour
justifier les fondements de ce sujet. Cet ancrage, le plus dominant dans les recherches en
corporategovernance, nous fournit deux approches pour appréhender les débats sur l’utilité de
l’incitation managériale. La première, baptisée contractingview, considère que les entreprises
doivent des politiques de rémunération calibrées afin d’inciter les dirigeants à créer une valeur
maximale pour les actionnaires, c’est-à-dire que la rémunération des dirigeants soit sensible à
la performance de l’entreprise (Jensen & Murphy, 1990). La seconde, dite skimmingview, voit
que le lien rémunération–performance n’est qu’une croyance dans le sens où l’incitation est
un problème d’agence sans en être la solution (Bebchuck et Frield, 2003 ; Bebchuck&Frield,
2004 ; Bebchuck&Grinstein, 2005).

1.1. Contractingview

Sous le signe de la première approche, de nombreux travaux ont montré que lorsque
l’importance de la rétribution variable est accentuée, les efforts des dirigeants sont maintenus
et la performance organisationnelle est meilleure. Jensen et Murphy (1990) ainsi que Hall et
Liebman (1998), Zheng et Zhou (2009), Jiménez-Angueira et Stuart (2010), Harford et Li
(2007) ont confirmé ce postulat dans le contexte américain. Magnan et St-Onge (2005) et St-
Onge et Thériault (2006), Sapp (2008), Chourou et al. (2008) et Geremia et al. (2010) l’ont
également approuvé au Canada. En Grande-Bretagne, les études de Ozkan (2009), Guest
(2009), Conyon et Sadler (2010), Voulgaris, Stathopoulos et Walker (2016) et Renneboog et
Zhao (2016) le corroborent aussi. Même remarque pour les travaux de Albouy (2004),
de D’Arcimoles et Le Maux (2005), Rekik (2006), Eminet, Guedri et Asseman
(2009), Cheffou (2009) et Llense (2010) en France, Elston et Goldberg (2003) en
Allemagne, Evans et Evans (2001), Merhebi, Pattenden, Swan, et Zhou (2006) et Heaney,
Tawani et Goodwin (2010) en Australie, Abe, Gaston et Kubo (2005) et Kato et Kubo
(2006) au Japan, Conyon et He (2018) et Chen, Ezzamel et Cai (2011) au Chine, Cheung,
Stouraitis et Yong (2005) au Hong Kong et Fernandes (2008) au Portugal.

L’essentiel de cette approche est que le fondement théorique des incitatifs découle d’un
problème d’asymétrie d’information entre deux parties. Dans le cas plus précis de la
rémunération incitative, cette asymétrie existe entre un employeur et son employé.
L’asymétrie d’information résulte de la différence entre ce que l’employé sait de sa
productivité (son effort) et ce à quoi l’employeur s’attend de l’employé en termes d’effort. Le
niveau d’effort est cependant difficilement observable et mesurable. De plus, l’employé agit
dans son intérêt présumé qui est de fournir un niveau quelconque d’effort, pas nécessairement
celui auquel s’attend l’employeur, en contrepartie de sa rémunération. Il s’agit donc d’un
problème de risque moral puisque l’employeur, sans les incitatifs, se fie à la bonne foi de son
employé pour fournir cet effort. L’asymétrie d’information provient donc du fait que l’effort
du travail n’est pas parfaitement observable. Il devient donc avantageux d’essayer de corriger
une partie du problème d’asymétrie d’information et de risque moral entre principal et agent.
C’est le but recherché par les incitatifs en général. La rémunération incitative a pour objectif
d’établir un lien entre la performance d’un employé et sa rémunération et donc de lier les
intérêts de l’employeur et de l’employé. Ainsi, en plus de travailler pour son employeur,
l’employé travaille aussi d’une certaine façon pour lui. Les objectifs du principal et de l’agent
se confondent et l’asymétrie d’information s’en trouve naturellement réduite.

1.2. Skimmingview

L’approche skimmingview est, pour sa part, validée par maints travaux. Les résultats de ceux-
ci convergent pour rejoindre une thèse à leurs yeux sans équivoque ; les dirigeants peuvent
réussir à capturer le processus de rémunération de sorte qu’ils décident de leur propre paie. Ils
soutiennent pour vrais des concepts de type opportunisme, cynisme, scepticisme, et fraude qui
reflètent sans doute un comportement managérial déviant incité par le pouvoir de contrôle
dudit processus. Les recherches de Yermack (1997) et de Abody et Kasznik (2000) sur les
choix stratégiques en matière de reporting financier et non financier pris par les dirigeants aux
moments préalables aux octrois des plans d’options sur actions, de Baker, Collins et Reitenga
(2008), Bartov et Mohanram (2004), Cheng et Warfield (2005) sur la gestion des résultats et
les manipulations comptables à l’entoure des échéances de levée des options, et de Heron et
Lie (2009) et Gai (2007) sur les techniques d’antidatage des options font toutes les prototypes.

Ces études ont montré qu’il revient aux dirigeants d’influencer la cotation boursière, sur
laquelle est indexée leur fortune, pour maximiser leurs gains sans pour autant maximiser la
richesse des actionnaires. Ces gains peuvent également être maximisés à la chance sans que
les dirigeants manifestent un comportement semblable. En effet, la référence au marché pose
la question de l’importance des facteurs exogènes ou systématiques qui comptent au moins
pour moitié dans l’évolution des cours (D’Arcimoles& Le Maux, 2005). D’où le fait qu’il ne
serait plus certain que la valeur marchande soit assez fine pour juger de la compétence du
dirigeant et fonder ainsi sa rémunération. Il ne serait plus également certain que l’hypothèse
de la rémunération à la performance soit assez convaincante pour l’adopter. Pire, on peut
risquer même de « dégoûter » les bons dirigeants pour n’avoir pas été (assez) bons en raison
d’un mauvais choc et de récompenser les mauvais pour n’avoir pas été (plus) mauvais en
raison d’un bon choc.

2. Les options comme élément de rémunération

La rémunération sous forme d’options se distingue d’une rémunération en espèces à cause du


caractère aléatoire du montant qui sera réellement encaissé dans le futur lorsque l’option sera
exercée (si elle l’est éventuellement). Le montant de la rémunération sera égal à la différence
entre le prix d’exercice convenu et le cours de l’action au moment de la levée. Attribuer des
options est un peu comme attribuer le droit de participer à un tirage dont le montant est
inconnu. Il peut se situer entre zéro et un montant positif inconnu qui sera déterminé par
l’évolution du cours de l’action ordinaire de la société. Même si son caractère aléatoire rend
difficile la détermination du prix de ce droit au moment de son émission, les théoriciens de la
finance sont parvenus à développer un modèle pour en estimer la valeur.

Ce modèle, qui a pris le nom des deux chercheurs qui l’ont proposé (Black&Scholes), se
fonde sur certaines caractéristiques de l’option, le comportement attendu de l’action sous-
jacente et le niveau des taux d’intérêt. Il (dans sa version originelle ainsi que celles qui ont
suivi) est maintenant largement utilisé par les agents négociant les options. Même s’il n’est
pas dans l’objectif de ce document d’exposer le modèle complexe de Black&Sholes, en voici
les principaux paramètres ainsi que leur influence sur la valeur d’une option d’achat d’action :

1- Prix d’exercice : plus il est avantageux (faible), plus élevée est la valeur de l’option;
2- Durée de l’option : plus elle est longue, plus élevée est la valeur de l’option;
3- Volatilité du cours de l’action : plus elle est forte, plus élevée est la valeur de l’option;
4- Taux d’intérêt courant : plus il est élevé, plus élevée est la valeur de l’option;
5- Taux de distribution des dividendes: moins il est élevé, plus élevée est la valeur de
l’option.

Il va sans dire que suite à l’attribution de l’option, sa valeur suit la progression du cours
del’action. À titre indicatif, on estime la valeur de l’option d’une durée de 10 ans au moment
de son octroi à approximativement 30 % du cours de l’action. Ainsi, un dirigeantreçoit 100
000 options d'une durée de 10 ans lui conférant le droit d'acheter des actions au prix
d'exercice de 32 $ (prix actuel de l'action). On peut estimer la valeur de ces options au
moment de leur octroi à une somme approximative de 960 000 $ (100 000 x 30 % x 32 $). On
doit donc distinguer la valeur intrinsèque de l’option (cours de l’action sous-jacente – prix
d’exercice)qui, dans notre illustration, est nulle à l’émission car le prix d’exercice est de 32 $ et sa
valeur estimée par un modèle tel que celui de Black&Scholes (9,60 $).

Les effets recherchés sont principalement la convergence des intérêts des dirigeants et des
actionnaires, un motivation accrue à la performance ainsi que le recrutement et la fidélisation de
dirigeants compétents.

2.1 Convergence d'intérêt entre dirigeants et actionnaires

La valeur d'une option est reliée à la valeur de l'action sous-jacente si bien que
l'enrichissement du haut dirigeant est couplé à celui de l'actionnaire. On vise à réduire les
problèmes d'agence en décourageant les décisions de gestion motivées par les intérêts
personnels des dirigeants et en leur fixant un horizon à plus long terme.

2.2 Motivation à la performance

Lorsqu'on accorde aujourd'hui des options d'achat d'actions non cessibles, on vise à canaliser
les énergies des dirigeants vers un objectif d'enrichissement personnel potentiellement
substantiel et qui passe par l'enrichissement des actionnaires. On présume que
l'enrichissement matériel constitue une source de motivation majeure dans le comportement
des hauts dirigeants.

2.3 Recrutement et fidélisation des dirigeants

La forte croissance économique ainsi que le développement fulgurant de certaines industries


de la nouvelle économie au cours de la dernière décennie a créé une importante demande et
suscité une concurrence à l'échelle planétaire pour attirer et fidéliser les compétences
techniques et managériales. Les entreprises en phase de démarrage et désireuses d'affecter
leurs fonds au développement de leurs affaires ont réussi à attirer des collaborateurs de talent,
en offrant, comme alternative à des salaires élevés, de généreux programmes d'options. Les
sociétés établies y ont vu un moyen d'enrichir leurs hauts dirigeants tout en les fidélisant.
En effet, les programmes d'options prévoient généralement que lorsque le dirigeant quitte la
société, il perd ses droits aux options non exercées. Le cycle boursier haussier ainsi que
l'engouement pour les titres des jeunes entreprises de haute technologie ont largement favorisé
le succès de ce mécanisme de rémunération. Le recours aux options sur actions comme outil
de rémunération des hauts dirigeants fait l’objet de débats.

Les sommes fabuleuses qu'elles ont permis à une élite d'encaisser ont attisé les critiques. Les
journaux et magazines d’affaires en ont fait un de leurs thèmes vedettes alors que le milieu
académique l'adoptait aussi comme un sujet de recherche porteur. Les pages qui suivent
exposent les principales interrogations et critiques certaines contradictoires soulevées par les
écrits au sujet de ce mode de rémunération.

3. Débat au sujet de ce mode de rémunération

Le recours aux options sur actions comme outil de rémunération des hauts dirigeants fait
l’objet de débats. Les sommes fabuleuses qu'elles ont permis à une élite d'encaisser ont attisé
les critiques. Les journaux et magazines d’affaires en ont fait un de leurs thèmes vedettes
alors que le milieu académique l'adoptait aussi comme un sujet de recherche porteur. Les
pages qui suivent exposent les principales interrogations et critiques certaines contradictoires
soulevées par les écrits au sujet de ce mode de rémunération.

3.1 L’évolution future du prix des actions (et des options) reflètera uniquement les
performances non anticipées

La valeur d’une option sur actions repose sur l’évolution future de l’action sur laquelle elle
porte. Le cours actuel d’une action repose sur les performances attendues de la société dans
les mois et années à venir. Si les marchés financiers sont efficients, la valeur de l’action
aujourd’hui (au moment de l’octroi des actions) reflète correctement les performances futures
de l’entreprise. Donc, les variations futures de l’action seront déclenchées uniquement lorsque
des évènements futurs non prévus forceront les investisseurs à réviser leurs attentes au sujet
du titre. Dans ce contexte, un dirigeant compétent duquel le marché financier attend une
qualité de gestion supérieure ne peut espérer réaliser un gain substantiel consécutif à la
croissance de l’action pour laquelle on lui attribue des options aujourd’hui car la valeur au
marché du titre reflète déjà des attentes supérieures. Le régime d’options ne permettra pas à ce
dirigeant de réaliser une rétribution conséquente à la qualité de sa gestion. Seule une
performance supérieure aux attentes (déjà élevées) lui permettra réaliser un gain sur ses
options. Par contre, une performance inférieure aux attentes (même si respectable eu égard à
celle de son industrie) entraînera une chute du cours de l’action. La situation est la même pour
le dirigeant dont on attend une qualité de gestion inférieure. Une performance de l’entreprise
supérieure aux attentes initiales modestes lui permettra réaliser un gain sur ses options même
si cette performance est inférieure à celle de son industrie. Dans ce contexte, un régime
d’options d’achat d’actions ne discrimine pas entre les dirigeants de firmes performantes et
ceux de firmes non performantes, un résultat qui n’est pas celui recherché par un système
visant à lier rémunération et performance.

3.2 L’influence réelle des hauts dirigeants sur la valeur au marché des actions ordinaires

De nombreux facteurs déterminent le cours des actions ordinaires d’une société : facteurs
macroéconomiques (taux d’intérêt, taux d’inflation, cycles économiques, offre de capitaux,
taux de change et autres), facteurs de tous ordres influençant le comportement des
investisseurs boursiers (psychologiques, politiques) et des facteurs sectoriels (demande, taux
de croissance de l’industrie, technologie, niveau de compétition et autres). Ces facteurs
exogènes sur lesquels les dirigeants n’ont pas de prise expliquent plus de 50 % des variations
des actions sur le marché. Comment relier aux dirigeants de ces entreprises l’emballement
pour les titres de la nouvelle économie qui s’est terminée abruptement quelques années plus
tard ? Comment justifier que ces hauts dirigeants aient encaissé des millions de dollars en
exerçant quantité d’options juste avant que le cours de ces titres ne dégringole ?

Sur le solde attribuable à des facteurs internes à l’entreprise (événements et décisions), il est
difficile de déterminer quelle portion est attribuable directement aux hauts dirigeants. En
effet, la firme est un réseau complexe où interviennent un grand nombre de décisions et
d’actions du haut au bas de l’échelle de la hiérarchie. Les systèmes de rémunération des
grandes sociétés sont néanmoins fondés sur la prépondérance d’une poignée de hauts
dirigeants sur qui reposerait le succès ou l’échec de l’entreprise.

3.3 Court délai d’acquisition

La majorité des régimes de rémunération comportant l’octroi d’options sur actions prévoit une
période d’attente de un à trois ans et une durée maximale de dix ans. Ces régimes d’options
font partie d’un régime d’intéressement à long terme. Le long terme devrait couvrir une
période complète de cycle économique qui dure environ cinq ans. Il est difficile de justifier
une période d’un à trois ans comme un horizon à long terme. Ce choix d’un délai
d’acquisition si court est étonnant lorsqu’on vise par ces régimes la fidélisation des
participants.

3.4 Liberté de choix du moment de l’exercice des options

Le détenteur choisit le moment où exercer ses options une fois le délai d’acquisition écoulé.
Par leur position privilégiée d’initiés, les hauts dirigeants peuvent déjouer le marché et
réaliser des gains substantiels sur des mouvements épisodiques fortuits. De par leur situation
d'initiés, les hauts dirigeants peuvent d'une autre façon détourner le mécanisme à leur profit.
Yermarck (1997), suite à une étude de 620 octrois d'options sur actions à des hauts dirigeants
de grandes sociétés américaines, en déduit que les dirigeants qui sont au fait d'améliorations à
venir des performances de leur société ¾ information ignorée par les marchés ¾ peuvent
influencer le comité de rémunération afin qu'on leur attribue plus d'options dans la perspective
de bénéficier de la réaction positive du marché boursier lorsque l'information deviendra
publique.

3.5 La non-comptabilisation des coûts des régimes des options d’achat d’actions

Un facteur important à l’origine de la popularité de ces régimes de rémunération est de nature


comptable. Comme nous l’avons exposé précédemment, les firmes ont le droit d’adopter des
méthodes comptables qui évitent la constatation de coûts de rémunération. Un argument mis
de l’avant pour justifier de ne pas comptabiliser la charge liée aux octrois d’options est que la
transaction serait de nature capital (en opposition à charge courante) car elle ne donnera
jamais lieu à une sortie de fonds de la part de l’entreprise.

Cet argument est fallacieux car toutes les transactions similaires (ex : paiement d’un
consultant par des actions) donnent lieu à l’inscription d’une charge. La charge résulte non
pas de l’émission des options mais de l’utilisation des services des employées auxquels elles
sont attribuées. Le second argument porte sur la difficulté de mesurer de
manièresuffisamment précise la valeur de la contrepartie versée (options). Cette valeur
représente le prix qu'aurait obtenu la société si elle avait vendu l'option plutôt que de
l’attribuer à titre gratuit à ses dirigeants.

Le recours à de nombreux montants estimatifs fondés sur le jugement pour préparer les états
financiers ainsi que l’utilisation courante du modèle de Black&Scholes sur les marchés
financiers minent sérieusement cette assertion. Dans son exposé-sondage sur la
comptabilisation des régimes de rémunération à base d’actions, le Conseil des normes
comptables de l’ICCA convient qu’une méthode fondée sur la juste valeur est préférable à la
méthode de la valeur intrinsèque. Toutefois, le Conseil a jugé pour raison de compétitivité
sans doute qu’il était préférable de laisser aux entreprises canadiennes la possibilité de choisir
la méthode de comptabilisation comme c’est le cas pour les entreprises américaines.

Un des Big Five (PricewaterhouseCoopers) commente ainsi le projet de nouvelle norme : «La
méthode de la valeur intrinsèque est déficiente sur le plan théorique, à tel point qu’elle peut au
mieux être considérée comme une série de règles arbitraires, et non comme une norme
comptable cohérente» (PWC, 2001). Le grand cabinet d’experts comptables conclut son
commentaire en notant que cette nouvelle norme ne contribuera pas à apaiser le
mécontentement des actionnaires à l’égard des règles de comptabilisation des régimes de
rémunération à base d’actions.

Plusieurs études américaines ont estimé l’impact de la comptabilisation de la valeur des


options octroyées à titre de charge aux résultats de l’entreprise. On estime, en général, que
l’impact serait beaucoup plus lourd pour les jeunes entreprises. Il serait non négligeable aussi
pour les firmes géantes comme l’indique le résultat d’une étude (FW Cook, 2000) à partir des
données financières des 100 sociétés américaines affichant les plus importantes capitalisations
boursières. Pour l’exercice financier 1998-1999, la comptabilisation d’une charge entière pour
la valeur (estimée par Balck&Scholes) des options octroyées au cours de l’exercice
entraînerait une baisse moyenne de 10,3 % (médiane de 5,1 %) du bénéfice avant impôts de
ces sociétés.

Une étude sur un échantillon de 40 grandes firmes canadiennes arrive à une diminution
moyenne du bénéfice avant impôts de 6 % (Bodjova, 2001). La majorité des observateurs
attribuent la popularité des options d’achat d’actions à la permissivité des règles de
comptabilisation et au désir des conseils d’administration de rendre moins visible la
rémunération des hauts dirigeants faceà l’opposition publique croissante au niveau de
rémunération de ces derniers (Hall et Liebman, 1998).

3.6 Les options sont un mécanisme coûteux de rémunération

Les hauts dirigeants déprécient la valeur des options que leur société leur accorde à cause du
risque de leur position et du caractère non cessible de ces options. Ce risque tient à l'évolution
incertaine du cours de l'action sous-jacente et à la possibilité d'un départ prématuré qui aurait
pour effet de réduire la durée des options ou même de les déchoir. De plus, les hauts
dirigeants voient ainsi la valeur de leur portefeuille dépendre lourdement de l’évolution du
titre d’une seule société, en violation du principe de diversification des investissements15. En
conséquence, les hauts dirigeants, selon Hall et Murphy (2000), accorderaient une valeur
inférieure à celle attribué aux mêmes options par le modèle Black&Scholes. Cette asymétrie
amènerait les dirigeants à exiger une prime pour accepter une rémunération sous forme
d’options plutôt qu’en espèces, prime qui se traduirait par l’obligation pour la firme
d’octroyer un nombre d'options supérieur et par une augmentation indue du coût pour cette
dernière. Selon Hall et Murphy, cette asymétrie expliquerait aussi des comportements à
première vue non économiques de la part des dirigeants détenteurs d’options tel l’exercice des
options bien avant leur expiration.

3.7 Dilution du capital-actions

L'exercice des options nécessite l'émission de nouvelles actions ordinaires par la société. Lors
d'une émission régulière la société encaisse pour chaque titre une somme égaleau cours de
l'action, évitant tout effet de dilution. L'exercice d'options s'effectuant uniquement lorsque le
cours de l'action est inférieur au prix d'exercice, le détenteur achète ainsi à rabais des actions,
ce qui a pour effet de diminuer la valeur unitaire des titres. Plus importants sont le nombre
d'options attribuées et l'écart entre le prix d'exercice et le cours de l'action au moment de la
levée, plus important est l'effet de dilution imposé aux autres actionnaires.

3.8 Autres effets sur le comportement des hauts dirigeants

En contradiction avec l'hypothèse selon laquelle les dirigeants seraient plus ou moins ignorants en
matière d'options, certaines recherches concluent que l'adoption de régimes de rémunération basée
sur les actions influence les décisions financières des hauts dirigeants. Les influences sont surtout
marquées en matière de :

1- Politique de dividendes (Fenn et Liang, 1999);


2- Rachat par les sociétés de leurs actions (Fenn et Liang, 1999);
3- Structure de financement (Berger, Ofek et Yermack, 1997);
4- Volatilité du prix de l’action de la société (Watson Wyatt, 2001).

Dans une étude couvrant la décennie 90 et portant sur plus de 900 firmes américaines, Watson
Wyatt (2001) confirme les résultats des recherches antérieures à l’effet que l’importance croissante
des options sur actions attribuées aux dirigeants de sociétés les a incités à adopter des stratégies plus
risquées (ratio endettement plus élevé, ratio de distribution de dividendes plus faible et rachat
d’actions plus important), stratégies qui ont pour effet d'accentuer la volatilité du cours de l’action
et, de cefait, la valeur des options qui y sont rattachées. Or, cescomportements peuvent s’avérer
préjudiciables aux intérêts des actionnaires.

Conclusions

Les propositions sont nombreuses au sujet des changements opportuns à apporter aux régimes
d’options sur actions afin de pallier leurs déficiences et augmenter les chances de rencontrer
les objectifs qu’on leur assigne. Voici les plus fréquemment avancées :

 Octroyer des options dont le prix d'exercice est supérieur au cours actuel de l'action ou
des options dont le prix d’exercice est indexé à l’indice boursier de l’industrie de
référence. Ces mécanismes permettraient d’éliminer l’influence d’une bonne part des
facteurs sur lesquels les hauts dirigeants n’ont aucun contrôle et servirait véritablement
à rémunérer les performances hors de l’ordinaire. Cependant, si on s’en remet à
l’étude de Hall et Murphy (2000) sur l’asymétrie entre la valeur pour le dirigeant et le
coût pour l’entreprise, ces alternatives seraient contre-productives parce qu’elles
auraient pour effet de réduire la valeur des options pour les dirigeants de façon plus
importante que le coût pour la société émettrice.
 Allonger le délai d’acquisition à l'exercice des options afin de mieux rencontrer
l’objectif de fidéliser les détenteurs. Cette solution ne serait pas non plus économique
selon l’étude de Hall et Murphy (2000).
 Abolir les régimes d’options pour les remplacer par des programmes d’octrois
d’actions ordinaires de la société. Selon une étude effectuée par Hasenhuttl et Harrison
sur un échantillon de 1 233 sociétés américaines pour la période 1995-1997 dont les
résultats sont rapportés par Milton (2000), une rémunération élevée n’achète pas la
loyauté des hauts dirigeants. Parmi les mécanismes utilisés, salaires, boni, options et
actions, seule la propriété d’une quantité significative d’actions de la société constitue
un puissant facteur de fidélisation des hauts dirigeants. L’analyse comparative réalisée
par Hall et Murphy (2000) permet aux auteurs de conclure que les régimes d’octroi
d’actions à négociation restreinte sont préférables aux options comme alternative à un
versement en espèces.
On peut opposer à l’enthousiasme généralisé dans les cabinets d’experts en rémunération
au sujet de l’avenir des régimes d’options d’achat le désenchantement des employés qui
ont vécu le traumatisme de la dernière correction boursière. Si des études ultérieures
confirment les analyses de Hall et Murphy (2000), les sociétés devront remettre en
question l’opportunité de continuer d’utiliser un mécanisme de rémunération qui serait si
mal adapté à leurs besoins ainsi qu’à ceux de leurs dirigeants et, coûteux pour leurs
actionnaires. Les excès des dernières années et la récente déroute boursière ont peut-être
poussé à ses limites ce mode de rémunération.

Bibliographie

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