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Par :
OUATMANE Mustapha
Enseignant-Chercheur à Faculté des Sciences Juridiques Economiques et
Sociales de Meknès- Maroc
Résumé
Le Maroc, fait de son engagement dans ce processus de libéralisation et d’ouverture
sur l’extérieur un choix stratégique. Ce choix est porteur d’importantes opportunités en
matière de développement économique et social et de renforcement de l’attractivité du
territoire national pour les investissements directs étrangers. Il devrait alors permettre une
véritable dynamique de spécialisation ainsi qu’une réelle insertion du Maroc dans le monde.
Cette stratégie pose également d’importants défis à l’entreprise marocaine en termes de
compétitivité et de positionnement sur les marchés intérieur et extérieur.
La réaction du système économique à travers ses multiples interdépendances tant au
plan interne qu'externe se ressent, au-delà des performances globales économique et
financière, au niveau des effets sur les spécialisations sectorielles et sur la localisation des
activités. La mise en place des zones de libre-échange part du postulat que la libéralisation
des relations commerciales est, à terme, porteuse d'un gain collectif bénéficiant aux différents
partenaires. Il importe donc d'analyser les conditions à même d'aider à optimiser ce gain à
travers l'exploration des frontières de possibilités de croissance de l'économie nationale mais
aussi à travers les restructurations sectorielles induites par la concurrence et le
redéploiement territorial des activités.
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Revue Marocaine de Gestion et d’Economie, Vol 3, N°7, Juillet - Décembre 2016
Introduction
Le système productif national est indiscutablement confronté à une contrainte majeure:
celle de l'ouverture économique impulsée par les dynamiques de la
mondialisation/régionalisation. En effet, la plupart des secteurs seront touchés par la
mondialisation des produits et des services. Le comportement des consommateurs va être de
moins en moins sensible à la préférence nationale. Les territoires devront subir les effets de
cette ouverture ou/et saisir les opportunités qu'elle offre.
Le présent article essai de définir les liens entre la libéralisation commerciale, le secteur
productif et la compétitivité. En effet l’ouverture commerciale sur de nouveaux espaces
économiques, généralement plus performants, suppose la présence d’une économie
globalement compétitive. C’est vrai que le commerce international n’est pas toujours un jeu
« gagnant-gagnant », des secteurs vont profiter de l’ouverture d’autres vont perdre des parts
de marché à court terme et à long terme peut être disparaître. Le secteur industriel le plus
confronté à l’ouverture est en phase de restructuration à travers le programme de mise à
niveau. L’analyse du tissu productif ne semble pas montrer des changements structurels
importants. En effet, on assiste encore à une prédominance de la PME voir la TPE, la
structure familiale domine le mode d’appropriation des entreprises, l’accès au marché
financier est encore relativement faible et la structure de production est encore duale avec la
prédominance d’un secteur off-shore émanant d’entreprises appartenant en général aux
secteurs manufacturés exportateurs.
Quels impacts peuvent avoir ces différents accords de libéralisation et d’ouverture sur
l’économie marocaine ? Quelle est la capacité du Maroc à surmonter les contraintes qui
pèsent sur l’offre productive ? Quelle est sa qualité de sa participation au système commercial
mondial ?
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été lent. Dans ce contexte, les accords bilatéraux de libre-échange et les préférences d’accès
aux marchés qu’ils offrent devraient aider les exportateurs marocains à défendre leur position
sur les marchés établis, à renforcer leur présence dans les marchés actuellement sous-
exploités, à procurer des intrants intermédiaires à des coûts moindres que par le passé, et à
fournir des incitations pour attirer l’investissement étranger, et dès lors stimuler l’innovation
au niveau du développement de produits et des exportations.
Cet article fait une présentation détaillée de la performance commerciale du Maroc dans
le contexte de son programme de croissance économique et de réduction de la pauvreté du
pays. L’analyse montre les liens entre la libéralisation et la croissance économique pour le
cas marocain.
-Dans les modèles statiques classiques de commerce international, lorsqu’il n’y a pas
d’imperfections et de distorsions de marché, l’effet d’une restriction commerciale est de
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réduire le niveau du PIB (aux prix mondiaux). En présence de certaines distorsions, les
barrières commerciales peuvent augmenter le PIB même si elles sont rarement le meilleur
moyen d’aboutir à ce résultat.
-Dans les modèles de croissance endogène, caractérisés par des rendements d’échelle
constants ou croissants et par des formes de progrès technique endogène (tels que learning-
by-doing), l’ouverture conduit à une augmentation de la croissance mondiale (le monde pris
dans son ensemble). Néanmoins, pour certains pays, l’ouverture peut se traduire en une
croissance plus faible.
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par le biais d’un cadre institutionnel et réglementaire et donc par l’ouverture. Ainsi, les pays
estimant que l’ouverture des frontières était l’alpha et l’oméga de la politique économique,
pensant que cette ouverture non maîtrisée allait à elle seule déclencher le cercle vertueux de la
croissance, les dispensant de la mise en œuvres de réformes structurelles nécessaires (codes
de l’investissement, droit boursier, mesures fiscales incitatives, primeur donnée à
l’investissement productif) ont du déchanter. Cette remarque confirme la conclusion de la
partie empirique : si le Maroc conduit une politique commerciale de libéralisation sans
l’assortir d’une réelle stratégie de développement, le risque d’échec est assez grand.
Au final, la théorie classique du commerce international que nous avons étudié jusqu’ici
identifie des gains d’ouverture acquis une fois pour toutes, gains n’infléchissant pas de façon
durable le sentier de croissance : il n’y aurait pas de gains permanents. Les limites de la
croissance sont déterminées par la disponibilité de l’épargne intérieure et de l’investissement
étranger pour financer les secteurs en expansion et par la saturation du marché mondial. Selon
la théorie, les taux de croissance retombent inévitablement après absorption des gains liés à
l’ouverture (Il n’en reste pas moins que le pays est moins pauvre qu’avant les réformes
commerciales).
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nations d’un bien accroissent dans des proportions différentes la production de l’autre bien. Il
existe alors un avantage comparatif qui conduit chaque nation à se spécialiser dans la
production du bien qu’elle puisse obtenir relativement plus efficacement que l’autre. Les deux
nations obtiennent alors, grâce à l’échange international, une quantité de biens plus
importante que celle dont elles disposent en autarcie.
En théorie donc, l’ouverture commerciale pour le Maroc pourrait être associée à une
croissance économique plus importante si elle permet une meilleure allocation des ressources
et une meilleure spécialisation dans les activités où il a un avantage comparatif.
Le détournement de commerce est un enjeu majeur pour une ZLE. Ses effets néfastes,
lorsqu’ils sont d’une grande ampleur, peuvent même dépasser les effets positifs de la création
2
De nouveaux accords de libre-échange (en particulier avec les Etats-Unis et la Turquie) ont été signés en 2004.
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Il est évidemment utile de rappeler que le présent cadre d’analyse est déterminé par les
seules différences de productivité et de dotation factorielle. Or, en fait, le commerce peut
aussi naître de la différenciation de produits et d’économies d’échelle. Dans de telles
conditions, la concurrence entre les entreprises est plus faible et par conséquent, le bien être
des consommateurs diminue avec la baisse de production et la hausse des prix. C’est alors que
le commerce international offre un moyen important d’accroître la concurrence en permettant
à de nouveaux fournisseurs d’entrer sur le marché. Ainsi, en stimulant le commerce entre les
membres, les ZLE peuvent avoir des bénéfices importants (il n’est toutefois pas prouvé qu’un
pays en développement puisse engranger ces bénéfices).
Prix
Offre domestique
Py + T
Px + T
A B C D
Py
E G H I
F J
Px
Courbe de
demande
Q1 Q 2 Q3 Q4 Q5 Q6 Quantité
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Analysons maintenant le cas suivant. Le Maroc importe ces produits des pays X et Y.
Ces deux pays sont soumis au départ au même droit de douane t% de telle sorte que le prix du
produit en provenance de X (respectivement Y) coûte Px (1+t%) (Respectivement Py (1+t%))
sur le marché marocain.
En revanche, si le Maroc conclut un ALE avec Y (pays le moins efficient), le prix que
payent les consommateurs passe de Px (1+t%) à Py. La consommation augmente de Q4 à Q5,
les consommateurs gagnent l’équivalent des surfaces A+B+C+D, les producteurs perdent A,
et le gouvernement perd les recettes douanières C+H. Au final, l’effet net est B+D-H, qui peut
être négatif. La demande pour le produit passe de Q4 à Q5. La quantité importée passe de
(Q4-Q3) à (Q5-Q2). Sur cette quantité importée, les quantités (Q3-Q2) et (Q5-Q4)
correspondent à une création de commerce dont les effets sont bénéfiques (elles diminuent la
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perte sèche des producteurs et consommateurs). C’est la quantité (Q4-Q3) qui pose problème
et qui est à l’origine du détournement de commerce : les importations qui provenaient au
départ de X au prix Px sont remplacées par des importations provenant de Y au prix Py. Ce
qui coûte au Maroc la surface H en terme de bien être. Les consommateurs payent ces
importations moins chères, mais l’Etat perd les recettes douanières correspondantes. L’effet
total sur le bien être dépendra donc de l’ampleur de la création et du détournement de
commerce.
L’ampleur du détournement de commerce dépend elle-même principalement des
éléments suivants (on suppose qu’on conclut un ALE avec Y) :
- la productivité de Y par rapport à celle de X : plus l’écart est grand (entre Px et Py),
plus le détournement de commerce est important.
- Le droit de douane t%. Il représente le différentiel de tarif appliqué à X (t%) et celui
appliqué à Y (0%). Plus ce différentiel est important, plus il défavorise X (pays le plus
efficient) par rapport à Y, et donc plus le détournement de commerce est important.
2.3. Création et détournement de commerce dans le cas marocain
Quelles sont les différences de productivité entre l’UE et le Reste Du Monde (Rdm)
pour les principaux produits importés par le Maroc ? Quelle est la capacité de l’UE à se
substituer au Rdm pour ces produits ? A combien peut-on finalement évaluer le détournement
de commerce ?
Réponse 1 : différentiels tarifaires & potentiel de détournement
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Le tableau I.1 donne pour chaque branche d’activité la valeur des importations (MDH),
la part dans les importations totales, la part de l’UE et du RDM dans les importations de la
branche, ainsi que les tarifs douaniers* auxquels l’UE et le RDM sont confrontés.
Les différentiels de tarifs douaniers (en faveur de l’UE) induits par le démantèlement
concernent les branches suivantes (par ordre décroissant) :
- Branche « autres » (47%)
- Textile, Habillement & Cuir (29%)
- Bois, Papier, verre, céramique… (23%)
- Métaux et ouvrages en métaux (14%)
- Chimie, parachimie et pharmacie (13%)
- Machines et matériel (11%)
- Mines et énergie (9%)
Mais le « potentiel » de détournement de commerce pour une branche économique
dépend également de la valeur des importations du Rdm. Par exemple, pour la branche
« autres », même si le différentiel de tarifs douaniers est de 47%, le détournement de
commerce sera très limité car les importations originaires du Rdm pour cette branche
s’élèvent seulement à 313 MDH (soit 0,3% des importations totales). En revanche, pour la
branche « Mines & énergie », si le différentiel est faible (9%), il concerne 20380 MDH
(16,6% des importations totales). Le potentiel de détournement (si l’UE est capable d’en tirer
profit) est donc important pour ce secteur.
Le tableau I.2 synthétise les résultats du tableau I.1, et classe les branches d’activités par
ordre décroissant selon le potentiel de détournement de commerce (le tableau prend en
considération à la fois le différentiel tarifaire et le montant des importations éventuellement
concernées par le détournement de commerce)
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Tableau I.1 : Différentiels de tarifs douaniers entre l’UE et le reste du monde induits par l’ALE
Branche 6 Textile, Habillement & Cuir 19 194 16% 81% 39% 0% 19% 29% 29%
Branche 8 Machines et matériel 35 384 29% 72% 10% 0% 28% 11% 11%
(mécanique, électrique,
électronique,
Branche 4 Chimie, parachimie et 12 687 10% 61% 18% 0% 39% 13% 13%
pharmacie
Branche 5 Bois, papier, verre, céramique 5 715 5% 62% 36% 0% 38% 23% 23%
et ouvrages en ces matières
Branche 7 Métaux et ouvrages en métaux 7 364 6% 59% 20% 0% 41% 14% 14%
Branche 1 Agriculture, Forêt et pêche 13 618 11% 41% 43% 43% 59% 42% -1%
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Tableau I.2 : Potentiel de détournement de commerce induit par l’ALE (par branche d’activité)
Branche 8 Machines et matériel (mécanique, électrique, électronique, 11% 9759 8,0% 27,6%
Branche 5 Bois, papier, verre, céramique et ouvrages en ces matières 23% 2841 2,3% 37,8%
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Nous ne disposons pas des chiffres sur les productivités/compétitivités des pays pour les
différentes branches d’activités. Il n’est donc pas possible de savoir systématiquement si l’UE
pourra tirer profit du potentiel de détournement de commerce créé par les différentiels
tarifaires. Néanmoins, il est possible d’affiner l’analyse par secteur :
- Mines & Energie exclues du détournement : les principaux produits importés pour cette
branche économique sont le pétrole et le gaz naturel qui proviennent essentiellement du
Moyen-Orient. Pour ces produits, l’Europe n’est pas exportatrice. Le différentiel de tarifs
douaniers (9%) n’expliquera donc pas de détournement de commerce. Ce sont donc près de
16,6% des importations totales que nous pouvons exclure du potentiel de détournement de
commerce.
- Textile, Habillement & Cuir : Un cas à part : Le détournement de commerce touche
potentiellement 4587 MDH 5soit 3,7% des importations totales) avec un différentiel de tarifs
de 29% en 2012. Mais le secteur textile est un cas à part en raison du démantèlement des
accords multifibres (AMF) en 2005 qui s’est matérialisé par une baisse mondiale des droits de
douane sur les intrants, l’élimination des quotas et prix de référence. Pour ce secteur, la
question essentielle n’est donc pas le détournement de commerce, mais la capacité du Maroc à
soutenir la concurrence internationale et à maintenir ses exportations.
- Machines & Matériels : Une libéralisation largement entamée : Sur les 9759 MDH
d’importations de machines et de matériel qui sont originaires du RDM, nous pouvons exclure
au moins 5150 MDH du potentiel de détournement de commerce (soit 4,2% des importations
totales). Ces importations ne font face qu’à un tarif douanier de 2,5% (contre 0% pour l’UE) :
le différentiel tarifaire semble insuffisant pour créer un détournement de commerce.
- Chimie, Parachimie & Pharmacie : Sur les 4954 MDH d’importations de cette branche
originaires du RDM, il est possible d’exclure au minimum 1584 MDH du potentiel de
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détournement de commerce (soit 1,3% des importations totales). Les raisons sont les
suivantes :
- 884 MDH font face à un tarif douanier de 2,5%
- 700 MDH concernent le produit « Ammoniac anhydre ». Les importations de ce
produit proviennent principalement de la Russie et de l’Ukraine et sont taxées à 10%.
L’UE est peu présente sur ce produit, et bien que bénéficiant d’un différentiel tarifaire
de 10%, elle peut difficilement concurrencer la Russie et l’Ukraine.
- Bois, Papier, Verre, Céramique et ouvrages en ces matières : Sur les 2841 MDH
d’importations de cette branche (originaires de RDM), il est possible d’exclure au minimum
1202 MDH du potentiel de détournement de commerce (soit 1,0% des importations totales).
Les principaux produits concernés sont le bois et le charbon de bois qui proviennent
principalement de la Scandinavie et le l’Amérique Latine.
- Métaux et ouvrages en métaux : Sur les 3030 MDH d’importations de cette branche
(originaires du MDR), il est possible d’exclure au minimum 1119 MDH du potentiel de
détournement de commerce (soit 0,9% des importations totales) :
- 378 MDH font face à un tarif douanier de 2,5%
- 77741 MDH concernent les produits de première transformation en fer et en acier
provenant essentiellement de Russie, Ukraine et de quelques autres pays disposant de
fer comme ressource naturelle.
Il advient donc que (au minimum) 24,5% des importations totales ne seront pas
touchées par un effet de détournement de commerce au profit de l’UE. Le détournement de
commerce touchera au plus 12,5% des importations totales.
Quelle création de commerce ?
Dans le cas présent, le Maroc dispose déjà d’un libre accès au marché européen pour
les produits manufacturés : l’ALE n’entraînera donc pas d’augmentation significative des
exportations. De plus, l’agriculture européenne demeure protégée : il n’y a donc pas
d’incitation supplémentaire pour le Maroc à allouer ses ressources dans ce secteur (ou il
disposerait d’avantages comparatifs). En revanche, la création de commerce va concerner
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davantage la hausse des importations : les produits de l’UE pourront désormais venir
concurrencer les produits locaux et être proposés à des conditions attractives pour les
consommateurs. Dans ce cadre, 60% des entreprises industrielles marocaines ne sont pas
compétitives face aux produits européens3 (menacés de disparaître). A long terme, cette
création de commerce (censée augmenter le bien-être) ne saurait être viable si le tissu
productif national ne se met pas à niveau.
L’effet net (détournement + création de commerce) devrait donc être néfaste pour la
croissance économique marocaine dans le cadre d’analyse de la théorie classique du
commerce international.
3. Libéralisation commerciale et économies d’échelle interne
3
Voir Mohamed Hedi Bchir, Yvan Decreux et Michel Fouquin, L’élargissement : vers un renforcement des
relations entre l’Europe et les pays méditerranéens ? Economie et Statistique n°363-364-365(2003).
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productive de toutes les firmes de cette industrie s’améliore puisque chaque producteur utilise
en input un composite de biens intermédiaires comprenant plus de variétés. Dans ce contexte,
la croissance ne passe plus uniquement par l’élargissement de la taille du marché, mais
également par la taille de l’industrie et l’offre de biens intermédiaires différenciés.
Application : Quel gain d’efficacité productive pour le Maroc ? Quelles économies d’échelle
externes pour le Maroc ?
Nous pouvons distinguer ici les entreprises exportatrices et les entreprises d’import-
substitution.
Mais ces gains d’efficacité doivent être mis en perspective : le revers de la médaille est
la baisse d’activité que subiront de plein fouet les entreprises d’import-substitution en raison
de l’importance des protections et de la faible compétitivité de la plupart des entreprises de
ces secteurs (construction mécanique, matériel de transport, industrie pharmaceutique, papier-
carton).
L’effet réel sur ces entreprises sera non seulement fonction du taux de protection
actuel mais aussi du degré de pénétration des importations et de la compétitivité des
entreprises. Or ceux-ci sont très différents d’un secteur à l’autre : ainsi, l’industrie alimentaire
ou l’industrie métallique risquent de souffrir particulièrement de l’ouverture alors que, en
4
Cas à part, le secteur textile a subi une détérioration de ses avantages comparés en raison de l’abolition de
l’Accord MultiFibre, et cela malgré la baisse des droits de douane sur les intrants et l’élimination de leur prix de
référence : la fin du système indirect de protection, sur le marché européen, vis-à-vis de la concurrence asiatique
est cruelle pour une industrie textile finalement peu compétitive à l’aune internationale, d’autant plus que la
concurrence des pays à salaires moins élevés (Europe Centrale) continue à s’intensifier. Or, le textile habillement
constitue le premier secteur exportateur manufacturier du Maroc (entre 35 et 40% des exportations industrielles).
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Ces facteurs stimulent davantage les flux de l’IDE provenant de l’extérieur de la ZLE
que les IDE intra-ZLE. L’ALE donne aux entreprises des pays membres accès à tout le
marché de la ZLE, et donc ne les incite pas à investir dans les autres pays membres (il y a
d’autres raisons qui peuvent les inciter à y investir que nous analysons plus loin). En
revanche, les entreprises des pays tiers auront plus ‘incitation à implanter des usines de
production dans un pays membre de la ZLE et à exporter librement vers les autres pays
membres (plateforme d’investissement). Ce type d’investissement sera en particulier réalisé si
la production est caractérisée par des rendements d’échelle croissants. La taille du marché de
la ZLE justifie un tel investissement alors que la taille d’un seul pays ne le justifie pas. Le
Maroc n’est pas dans cette configuration en signant un ALE avec l’UE. Cette configuration
correspondrait plus à la situation ou le Maghreb crée un ZLE avec un marché important et
5
Il est néanmoins important de noter que les IDE motivés par le ‘tarif-jumping’ peuvent réduire le bien-être
économique du pays qui les reçoit. En effet, le droit de douane incite les capitaux à se diriger vers des secteurs
ou la ZLE n’a pas d’avantage comparatif.
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protégé. Aujourd’hui, les investisseurs ne viennent pas au Maroc pour pénétrer le marché
marocain qui reste de faible taille.
5.2. Un investisseur étranger peut-être incité à tirer profit des facteurs de production
locaux (en particulier le travail peu cher) et créer une plateforme d’exportation dans les
pays en question
Dans l’enquête du MITI citée ci-dessus, 44% des entreprises japonaises, en
investissant à l’étranger, ont pour motif de tirer parti de la main d’œuvre locale. Cette
motivation peut-être accentuée lorsque le pays en développement forme un ZLE avec un pays
développé : en effet, l’entreprise qui investit dans le pays en développement profite à la fois
du coût faible de la main d’œuvre et du libre accès au marché du pays développé. Un cas qui
illustre bien cette logique est le Mexique dans le cadre de l’ALENA.
Bien que le Mexique avait déjà été utilisé comme une plateforme d’exportation vers les
Etats-Unis, après 1994, l’ALENA a eu un profond impact sur les IDE provenant de pays hors-
ALENA vers le Mexique. Le Mexique est devenu une porte d’accès privilégiée au grand
marché américain et canadien. 80% des véhicules produits au Mexique par les entreprises
automobiles en 1997 étaient destinées à l’exportation, alors qu’en 1994, ce n’était que 48%.
Après la création de l’ALENA, le Japon a redirigé une partie ses IDE du Canada et des
Etats-Unis vers le Mexique. Alors que les IDE japonais aux Etats-Unis et au Canada sont
destinés au marché local (commerce, banque & finance, industrie), les IDE vers le Mexique
sont destines à l’exportation vers le marché continental de l’ALENA (d’où plateforme
d’exportation).
5.3. La suppression des barrières internes au sein de la ZLE incite les entreprises à
mieux allouer leurs ressources en tirant parti des avantages comparatifs de chaque
pays de la ZLE.
Ainsi, si les membres d’une ZLE différent dans leurs dotations factorielles, la ZLE peut
stimuler les IDE dans une logique d’intégration verticale. Avec un accès préférentiel garanti
au marché développé, le pays en développement devient une destination particulièrement
attractive pour les investissements dans les activités intensives en travail.
5.4. Le Maroc : nouvelle plateforme d’exportation ?
Le Maroc veut se positionner dans la deuxième et troisième logique en attirant les
investissements étrangers. Il a d’ailleurs multiplié les accords de libre échange (avec les États-
Unis et la Turquie notamment). Il fait donc prévaloir son libre accès aux principaux marchés
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mondiaux comme une carte maîtresse, qui lui permet d’être une plateforme d’exportation
(Figure I.1).
Figure I.1 : Maroc, une plate-forme au carrefour des continents
Mais la question est de savoir si, outre l’accès aux marchés, le Maroc répond aux
attentes des investisseurs en termes de compétitivités des facteurs, de cadre institutionnel, et
d’environnement favorable aux affaires. Le Maroc a-t-il les moyens d’être une plateforme
d’exportation ? Les obstacles à surmonter sont nombreux
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