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Revue Marocaine de Gestion et d’Economie, Vol 3, N°7, Juillet - Décembre 2016

LIBERALISATION COMMERCIALE ET CROISSANCE


ECONOMIQUE : APPLICATION POUR LE CAS MAROCAIN

Par :
OUATMANE Mustapha
Enseignant-Chercheur à Faculté des Sciences Juridiques Economiques et
Sociales de Meknès- Maroc

Résumé
Le Maroc, fait de son engagement dans ce processus de libéralisation et d’ouverture
sur l’extérieur un choix stratégique. Ce choix est porteur d’importantes opportunités en
matière de développement économique et social et de renforcement de l’attractivité du
territoire national pour les investissements directs étrangers. Il devrait alors permettre une
véritable dynamique de spécialisation ainsi qu’une réelle insertion du Maroc dans le monde.
Cette stratégie pose également d’importants défis à l’entreprise marocaine en termes de
compétitivité et de positionnement sur les marchés intérieur et extérieur.
La réaction du système économique à travers ses multiples interdépendances tant au
plan interne qu'externe se ressent, au-delà des performances globales économique et
financière, au niveau des effets sur les spécialisations sectorielles et sur la localisation des
activités. La mise en place des zones de libre-échange part du postulat que la libéralisation
des relations commerciales est, à terme, porteuse d'un gain collectif bénéficiant aux différents
partenaires. Il importe donc d'analyser les conditions à même d'aider à optimiser ce gain à
travers l'exploration des frontières de possibilités de croissance de l'économie nationale mais
aussi à travers les restructurations sectorielles induites par la concurrence et le
redéploiement territorial des activités.

Mots clés : Libéralisation commerciale, croissance économique, système productif


marocain.

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Introduction
Le système productif national est indiscutablement confronté à une contrainte majeure:
celle de l'ouverture économique impulsée par les dynamiques de la
mondialisation/régionalisation. En effet, la plupart des secteurs seront touchés par la
mondialisation des produits et des services. Le comportement des consommateurs va être de
moins en moins sensible à la préférence nationale. Les territoires devront subir les effets de
cette ouverture ou/et saisir les opportunités qu'elle offre.

Le présent article essai de définir les liens entre la libéralisation commerciale, le secteur
productif et la compétitivité. En effet l’ouverture commerciale sur de nouveaux espaces
économiques, généralement plus performants, suppose la présence d’une économie
globalement compétitive. C’est vrai que le commerce international n’est pas toujours un jeu
« gagnant-gagnant », des secteurs vont profiter de l’ouverture d’autres vont perdre des parts
de marché à court terme et à long terme peut être disparaître. Le secteur industriel le plus
confronté à l’ouverture est en phase de restructuration à travers le programme de mise à
niveau. L’analyse du tissu productif ne semble pas montrer des changements structurels
importants. En effet, on assiste encore à une prédominance de la PME voir la TPE, la
structure familiale domine le mode d’appropriation des entreprises, l’accès au marché
financier est encore relativement faible et la structure de production est encore duale avec la
prédominance d’un secteur off-shore émanant d’entreprises appartenant en général aux
secteurs manufacturés exportateurs.

Quels impacts peuvent avoir ces différents accords de libéralisation et d’ouverture sur
l’économie marocaine ? Quelle est la capacité du Maroc à surmonter les contraintes qui
pèsent sur l’offre productive ? Quelle est sa qualité de sa participation au système commercial
mondial ?

Au cours de la dernière décennie la performance des exportations du Maroc a été terne.


Le pays a perdu une part du marché mondial des exportations de marchandises et les récents
excédents du compte courant sont uniquement attribuables aux importantes recettes
touristiques et envois de fonds des expatriés. La diversification hors des exportations
traditionnelles, telles que l’habillement, a été lente et la fin des quotas d’exportation dans le
cadre de l’Accord multifibres depuis le début de 2005 expose les exportateurs marocains de
textile et de vêtement à la concurrence directe de producteurs à faible coût de l’Europe de
l’Est et de l’Asie de l’Est. Le développement de nouveaux produits d’exportation a également

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été lent. Dans ce contexte, les accords bilatéraux de libre-échange et les préférences d’accès
aux marchés qu’ils offrent devraient aider les exportateurs marocains à défendre leur position
sur les marchés établis, à renforcer leur présence dans les marchés actuellement sous-
exploités, à procurer des intrants intermédiaires à des coûts moindres que par le passé, et à
fournir des incitations pour attirer l’investissement étranger, et dès lors stimuler l’innovation
au niveau du développement de produits et des exportations.

Le potentiel de croissance accélérée du Maroc par le biais de la diversification


productive se situe au niveau du dynamisme de ses exportations non traditionnelles alors que
le pays fait face à une forte concurrence dans ses marchés traditionnels. Pour stimuler les
exportations non traditionnelles, le biais anti-exportations doit être minimisé. Ce biais trouve
son origine dans le régime d’importation très restrictif qui a généré de substantiels transferts
des consommateurs aux producteurs nationaux. La couverture de protection a fait du Maroc
l’un des 10 marchés les plus protégés au monde en termes de moyenne simple des tarifs de
nation la plus favorisée (NPF). Cependant, avec la signature de l’Accord Euro-Med avec
l’Union européenne (UE) et son entrée en vigueur depuis 2000, une décision a été prise en
faveur de l’ouverture graduelle du marché intérieur par le biais d’une libéralisation
préférentielle du commerce. Ce choix a par la suite été réaffirmé avec la conclusion d’autres
accords de libre-échange (ALE) avec les Etats-Unis et la Turquie en 2004. Le revirement dans
les paradigmes de la politique commerciale qui s’en est suivi créé de nouvelles opportunités
pour une croissance économique tirée par les exportations et pour la création d’emplois. Il en
découle l’enclenchant du processus d’adaptation des producteurs nationaux au nouvel
environnement économique plus compétitif ainsi que la mise en œuvre d’autres réformes de
politique en complément de la stratégie d’ouverture de marché. Mais des obstacles demeurent.

Cet article fait une présentation détaillée de la performance commerciale du Maroc dans
le contexte de son programme de croissance économique et de réduction de la pauvreté du
pays. L’analyse montre les liens entre la libéralisation et la croissance économique pour le
cas marocain.

La théorie moderne de la libéralisation commerciale peut-être synthétisée dans les trois


points qui suivent, et qui sont développés plus bas :

-Dans les modèles statiques classiques de commerce international, lorsqu’il n’y a pas
d’imperfections et de distorsions de marché, l’effet d’une restriction commerciale est de

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réduire le niveau du PIB (aux prix mondiaux). En présence de certaines distorsions, les
barrières commerciales peuvent augmenter le PIB même si elles sont rarement le meilleur
moyen d’aboutir à ce résultat.

-Dans les modèles néo-classiques de la croissance, caractérisés par un progrès technique


exogène et des rendements d’échelle croissants, une barrière commerciale n’a pas d’effet sur
le taux de croissance à long terme. Ceci est vrai avec ou sans présence de distorsions.
Néanmoins, il peut y avoir des effets temporaires de l’ouverture sur la croissance. Ces effets
transitoires peuvent être positifs ou négatifs : cela dépend de la manière dont la barrière
commerciale affecte la production.

-Dans les modèles de croissance endogène, caractérisés par des rendements d’échelle
constants ou croissants et par des formes de progrès technique endogène (tels que learning-
by-doing), l’ouverture conduit à une augmentation de la croissance mondiale (le monde pris
dans son ensemble). Néanmoins, pour certains pays, l’ouverture peut se traduire en une
croissance plus faible.

Les modèles traditionnels néo-classiques de la croissance économique considèrent


l’accumulation de capital comme le moteur de la croissance, l’ouverture engendrant des gains
statiques ne modifiant en rien le sentier de croissance. On postule que les investissements sont
intégralement financés par l’épargne intérieure1. Les pays qui épargnent davantage pourront
plus investir et donc accroître plus vite. Dans un premier temps, le rendement des
investissements est élevé, puis il diminue à mesure que le stock de l’économie augmente car
l’investissement a un rendement décroissant. Par conséquent, le taux de croissance diminue à
mesure que le pays s’enrichit. Le modèle de Solow identifie deux raisons fondamentales pour
lesquelles différents pays peuvent ne pas parvenir au même revenu par habitant, même à long
terme.

Premièrement, le revenu par habitant augmente avec l’intensité de capital de l’économie


et donc indirectement avec le taux d’épargne. Les énormes différences de taux d’épargne, qui
peuvent aller de moins de 5% du PIB dans certains des pays les plus pauvres à 45% dans
certains des pays de l’Asie de l’Est, sont un facteur essentiel pour expliquer les écarts de taux
de croissance et de revenu par habitant entre les différents pays.
1
En réalité, les pays peuvent financer temporairement des périodes de forte expansion des investissements en
empruntant à l’étranger (solde des opérations courantes déficitaires). Mais ces déficits doivent être suivis
d’excédents pour assurer le service de la dette. En tout état de cause, le taux d’épargne intérieur joue un rôle
essentiel pour la croissance.

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Deuxièmement, la productivité des facteurs peut différer pour différentes raisons, la


plus évidente étant la différence en capital humain. Comme le montre Romer, il existe une
forte corrélation entre le capital humain et le revenu par habitant. Les autres variables qui ont
une influence sur la productivité et la croissance sont, comme le rappel Barro, notamment les
dépenses publiques (corrélation négative avec la croissance), l’inflation (corrélation négative
si le taux est élevé), primauté du droit (corrélation positive), les rigidités du marché du travail
(corrélation négative également), le développement du marché financier (corrélation positive),
et l’ouverture du régime du commerce extérieur.

Dans ces modèles, la libéralisation du commerce extérieur peut donc influencer


indirectement la croissance économique. En effet, toute politique qui augmente l’efficience de
l’économie, y compris de la libéralisation du commerce entraînera une croissance plus rapide
temporairement, le revenu additionnel se traduisant par une augmentation de l’épargne et de
l’investissement. L’exemple empirique le mieux à même d’illustrer la pertinence de la mise
en œuvre de mesures libérant le marché (déréglementation, liberté des prix, réforme du droit
du travail) concomitantes d’une ouverture au commerce international est celui des pays
d’Asie du Sud-Est. Ainsi, ces pays ont su instaurer la liberté de mouvement des capitaux, qui
en favorisant aussi bien l’investissement spéculatif que l’investissement productif, à favorisé
l’émergence d’un outil industriel performant, profitant à plein des possibilités nouvelles
offertes par le commerce international (transfert de technologies grâce aux importations,
notamment en Crée du Sud, débouchés nouveaux par le biais des exportations). En réalité, ce
processus dynamique correspond à une version dynamique du multiplicateur Kénésien.
Levine et Renelt ont d’ailleurs mis en évidence une relation positive entre la part de
l’investissement dans le PNB et la croissance et entre cette même part et le poids des
échanges extérieurs dans le PNB. Ainsi, l’ouverture ne tirerait donc pas la croissance, mais
stimulerait par un choc concurrentiel, l’investissement privé, « moteur ultime de la
croissance ».

A contrario, toute politique volontariste d’investissement buterait sur une affectation


sous-optimale des ressources en l’absence de la pression du marché internationale.
L’ouverture serait donc bien un catalyseur de la croissance et non pas un moteur. La mise en
route d’un moteur de la croissance comme l’investissement privé passe par un ensemble de
conditions susceptibles de libérer les forces du marché, de développer le secteur financier, de
permettre une libre allocation des ressources par le marché, d’instaurer la primauté du droit

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par le biais d’un cadre institutionnel et réglementaire et donc par l’ouverture. Ainsi, les pays
estimant que l’ouverture des frontières était l’alpha et l’oméga de la politique économique,
pensant que cette ouverture non maîtrisée allait à elle seule déclencher le cercle vertueux de la
croissance, les dispensant de la mise en œuvres de réformes structurelles nécessaires (codes
de l’investissement, droit boursier, mesures fiscales incitatives, primeur donnée à
l’investissement productif) ont du déchanter. Cette remarque confirme la conclusion de la
partie empirique : si le Maroc conduit une politique commerciale de libéralisation sans
l’assortir d’une réelle stratégie de développement, le risque d’échec est assez grand.

Au final, la théorie classique du commerce international que nous avons étudié jusqu’ici
identifie des gains d’ouverture acquis une fois pour toutes, gains n’infléchissant pas de façon
durable le sentier de croissance : il n’y aurait pas de gains permanents. Les limites de la
croissance sont déterminées par la disponibilité de l’épargne intérieure et de l’investissement
étranger pour financer les secteurs en expansion et par la saturation du marché mondial. Selon
la théorie, les taux de croissance retombent inévitablement après absorption des gains liés à
l’ouverture (Il n’en reste pas moins que le pays est moins pauvre qu’avant les réformes
commerciales).

Afin de mieux comprendre l’impact de la libéralisation commerciale sur l’économie


marocaine, il est utile ici d’étudier dans le détail les canaux et mécanismes qui lient
libéralisation commerciale et croissance économique. Les canaux et mécanismes à l’œuvre
dans les modèles traditionnels statiques.

1. L’ouverture commerciale et l’allocation des ressources

L’hypothèse de rendements d’échelle constants est particulièrement importante pour


établir les résultats traditionnels : la spéculation internationale n’est déterminée que par des
différences internationales dans les techniques de production (Ricardo) ou par des différences
internationales dans les dotations relatives de facteurs de production (HOS). Dans ces
théories, la taille des nations n’a dons aucun impact sur la spécialisation internationale. Seul
compte l’avantage comparatif, qui repose sur les différences entre les pays (techniques ou
dotations). Cette différence entre les nations est fondamentale, puisque c’est elle qui est à
l’origine de l’échange : dans la théorie ricardienne, par exemple, ce qui importe est, au sein
d’une même nation, les différences relative entre les conditions de production des biens, qui
peuvent être définies à partir du coût d’opportunité. En sacrifiant une unité d’un bien, les deux

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nations d’un bien accroissent dans des proportions différentes la production de l’autre bien. Il
existe alors un avantage comparatif qui conduit chaque nation à se spécialiser dans la
production du bien qu’elle puisse obtenir relativement plus efficacement que l’autre. Les deux
nations obtiennent alors, grâce à l’échange international, une quantité de biens plus
importante que celle dont elles disposent en autarcie.

En théorie donc, l’ouverture commerciale pour le Maroc pourrait être associée à une
croissance économique plus importante si elle permet une meilleure allocation des ressources
et une meilleure spécialisation dans les activités où il a un avantage comparatif.

2. Libéralisation commerciale et détournement de commerce


Le cas que nous étudions mérite une analyse plus poussée car nous sommes en présence
d’une distorsion : l’ouverture sélective. En effet, le Maroc ne démantèle pas unilatéralement
ses tarifs douaniers, mais il conclut un ALE avec l’UE et autres pays 2. Comment dans ce cas
précis la théorie classique du commerce internationale s’applique-t-elle ?

Un accord d’intégration régionale élaboré de manière cohérente peut améliorer


l’efficacité et le bien-être économique en facilitant le choix des consommateurs et en
introduisant davantage de concurrence pour les producteurs (comme dans le cas d’une
libéralisation unilatérale). La suppression des tarifs douaniers élargit le marché et permet aux
producteurs les plus efficients d’avoir accès à ce marché. Néanmoins, dans certains cas, au
lieu de supprimer les entraves au commerce, un accord d’intégration régionale peut au
contraire en ajouter.

En effet, un accord d’intégration régionale stimule généralement le commerce entre les


pays signataires. Mais la question est de savoir si cet accord « crée » du commerce, c’est-à-
dire en permettant aux producteurs les plus efficients de la ZLE de se substituer aux
producteurs domestiques (moins performants), ou « détourne » le commerce en remplaçant
les importations provenant de pays hors ZLE par des importations de la ZLE alors même que
ces dernières étaient moins compétitives lorsque toutes les importations étaient confrontées au
même tarif douanier.

Le détournement de commerce est un enjeu majeur pour une ZLE. Ses effets néfastes,
lorsqu’ils sont d’une grande ampleur, peuvent même dépasser les effets positifs de la création

2
De nouveaux accords de libre-échange (en particulier avec les Etats-Unis et la Turquie) ont été signés en 2004.

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du commerce. Dans ce cas là, le bien-être et l’efficience économique du pays peuvent se


détériorer.

Il est évidemment utile de rappeler que le présent cadre d’analyse est déterminé par les
seules différences de productivité et de dotation factorielle. Or, en fait, le commerce peut
aussi naître de la différenciation de produits et d’économies d’échelle. Dans de telles
conditions, la concurrence entre les entreprises est plus faible et par conséquent, le bien être
des consommateurs diminue avec la baisse de production et la hausse des prix. C’est alors que
le commerce international offre un moyen important d’accroître la concurrence en permettant
à de nouveaux fournisseurs d’entrer sur le marché. Ainsi, en stimulant le commerce entre les
membres, les ZLE peuvent avoir des bénéfices importants (il n’est toutefois pas prouvé qu’un
pays en développement puisse engranger ces bénéfices).

Le graphique I.1 permet de mieux comprendre les mécanismes intervenant lors de la


« création » et « détournement » de commerce. Il est fondé sur les travaux de Viner en 1950.
Le graphique représente la demande et l’offre d’un bien sur le marché. Le bien est supposé
homogène, la concurrence parfaite, et sans distorsions.
Graphique I.1 : Création et détournement de commerce

Prix
Offre domestique

Py + T

Px + T

A B C D
Py
E G H I
F J
Px

Courbe de
demande

Q1 Q 2 Q3 Q4 Q5 Q6 Quantité

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2.1. Les effets d’une libéralisation commerciale unilatérale (non sélective)


En l’absence de tarifs douaniers : les consommateurs importent Q6-Q1 du pays
(producteur) le plus compétitif et achètent Q1 localement. Le prix sur le marché intérieur est
de P int. En présence d’un tarif douanier de t% : le prix du bien sur le marché intérieur devient
de P int x [1 + t%]. La demande pour le produit diminue de Q6 à Q4, la production locale
augmente de Q1 à Q3 et les importations chutent de (Q6-Q4) à (Q4-Q3).
L’impact du tarif douanier sur le bien–être économique est négatif : les consommateurs
payent plus pour l’achat du bien, et perdent l’équivalent de la surface
A+B+C+D+E+F+G+H+I+J. Ceci est partiellement compensé par les gains que réalisent les
producteurs locaux (A+E) et par les recettes douanières que perçoit l’Etat (C+H). La perte
nette du pays est donc équivalente à la surface des triangles B+F+G et D+I+J. Ces deux
triangles sont une mesure de la distorsion créée par le tarif au niveau de l’allocation des
ressources : les producteurs produisent trop et les consommateurs consomment moins qu’ils
ne pourraient. La conclusion est donc que la suppression du tarif douanier est de nature à
augmenter le bien-être économique du pays (et probablement la croissance économique
également).

2.2. Cas spécifique d’une zone de libre-échange et détournement de commerce

Analysons maintenant le cas suivant. Le Maroc importe ces produits des pays X et Y.
Ces deux pays sont soumis au départ au même droit de douane t% de telle sorte que le prix du
produit en provenance de X (respectivement Y) coûte Px (1+t%) (Respectivement Py (1+t%))
sur le marché marocain.

Si le Maroc conclut un accord de libre-échange avec le pays X (le pays le plus


efficient), il tire les bénéfices de la suppression du tarif douanier tels que décrits dans le rappel
des effets d’une libéralisation commerciale unilatérale.

En revanche, si le Maroc conclut un ALE avec Y (pays le moins efficient), le prix que
payent les consommateurs passe de Px (1+t%) à Py. La consommation augmente de Q4 à Q5,
les consommateurs gagnent l’équivalent des surfaces A+B+C+D, les producteurs perdent A,
et le gouvernement perd les recettes douanières C+H. Au final, l’effet net est B+D-H, qui peut
être négatif. La demande pour le produit passe de Q4 à Q5. La quantité importée passe de
(Q4-Q3) à (Q5-Q2). Sur cette quantité importée, les quantités (Q3-Q2) et (Q5-Q4)
correspondent à une création de commerce dont les effets sont bénéfiques (elles diminuent la

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perte sèche des producteurs et consommateurs). C’est la quantité (Q4-Q3) qui pose problème
et qui est à l’origine du détournement de commerce : les importations qui provenaient au
départ de X au prix Px sont remplacées par des importations provenant de Y au prix Py. Ce
qui coûte au Maroc la surface H en terme de bien être. Les consommateurs payent ces
importations moins chères, mais l’Etat perd les recettes douanières correspondantes. L’effet
total sur le bien être dépendra donc de l’ampleur de la création et du détournement de
commerce.
L’ampleur du détournement de commerce dépend elle-même principalement des
éléments suivants (on suppose qu’on conclut un ALE avec Y) :
- la productivité de Y par rapport à celle de X : plus l’écart est grand (entre Px et Py),
plus le détournement de commerce est important.
- Le droit de douane t%. Il représente le différentiel de tarif appliqué à X (t%) et celui
appliqué à Y (0%). Plus ce différentiel est important, plus il défavorise X (pays le plus
efficient) par rapport à Y, et donc plus le détournement de commerce est important.
2.3. Création et détournement de commerce dans le cas marocain

L’accord de libre-échange avec l’UE entraînera-t-il un détournement de commerce ? De


quelle ampleur ? Quelle sera l’ampleur de la création de commerce ?

A la lumière des enseignements théoriques développés ci-dessus, il est nécessaire de se


poser les questions suivantes :
Question 1 : Différentiels tarifaires et potentiel de détournement
Quels sont les tarifs douaniers appliqués par le Maroc aux importations provenant de
l’UE et du Reste Du Monde (RDM) (par branche d’activité économique) ? Après l’entrée en
vigueur de l’ALE avec l’UE, quel sera le différentiel de tarifs pour chaque branche ? Quel est
le potentiel de détournement de commerce ?
Question 2 : Productivités comparées, capacité de substitution de l’UE au Reste de Monde, et
détournement de commerce effectif

Quelles sont les différences de productivité entre l’UE et le Reste Du Monde (Rdm)
pour les principaux produits importés par le Maroc ? Quelle est la capacité de l’UE à se
substituer au Rdm pour ces produits ? A combien peut-on finalement évaluer le détournement
de commerce ?
Réponse 1 : différentiels tarifaires & potentiel de détournement

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Le tableau I.1 donne pour chaque branche d’activité la valeur des importations (MDH),
la part dans les importations totales, la part de l’UE et du RDM dans les importations de la
branche, ainsi que les tarifs douaniers* auxquels l’UE et le RDM sont confrontés.
Les différentiels de tarifs douaniers (en faveur de l’UE) induits par le démantèlement
concernent les branches suivantes (par ordre décroissant) :
- Branche « autres » (47%)
- Textile, Habillement & Cuir (29%)
- Bois, Papier, verre, céramique… (23%)
- Métaux et ouvrages en métaux (14%)
- Chimie, parachimie et pharmacie (13%)
- Machines et matériel (11%)
- Mines et énergie (9%)
Mais le « potentiel » de détournement de commerce pour une branche économique
dépend également de la valeur des importations du Rdm. Par exemple, pour la branche
« autres », même si le différentiel de tarifs douaniers est de 47%, le détournement de
commerce sera très limité car les importations originaires du Rdm pour cette branche
s’élèvent seulement à 313 MDH (soit 0,3% des importations totales). En revanche, pour la
branche « Mines & énergie », si le différentiel est faible (9%), il concerne 20380 MDH
(16,6% des importations totales). Le potentiel de détournement (si l’UE est capable d’en tirer
profit) est donc important pour ce secteur.
Le tableau I.2 synthétise les résultats du tableau I.1, et classe les branches d’activités par
ordre décroissant selon le potentiel de détournement de commerce (le tableau prend en
considération à la fois le différentiel tarifaire et le montant des importations éventuellement
concernées par le détournement de commerce)

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Tableau I.1 : Différentiels de tarifs douaniers entre l’UE et le reste du monde induits par l’ALE

Total UE Reste du Monde


N° Branche Valeur % Part (%) Droit Droit Part Droit Différentiel
(MDH) douane douane (%) douane de tarif
2012 RDM induit
Branche 3 Mines et Energie 23 434 19% 13% 10% 0% 87% 9% 9%

Branche 6 Textile, Habillement & Cuir 19 194 16% 81% 39% 0% 19% 29% 29%

Branche 8 Machines et matériel 35 384 29% 72% 10% 0% 28% 11% 11%
(mécanique, électrique,
électronique,

Branche 4 Chimie, parachimie et 12 687 10% 61% 18% 0% 39% 13% 13%
pharmacie

Branche 5 Bois, papier, verre, céramique 5 715 5% 62% 36% 0% 38% 23% 23%
et ouvrages en ces matières

Branche 7 Métaux et ouvrages en métaux 7 364 6% 59% 20% 0% 41% 14% 14%

Branche 9 Autres 1 561 1% 81% 40% 0% 19% 47% 47%

Branche 1 Agriculture, Forêt et pêche 13 618 11% 41% 43% 43% 59% 42% -1%

Branche 2 Industrie agro-alimentaire 3 569 3% 12% 29% 29% 88% 29% 0%


Total Total 122 527 100% 53% 23% 47% 17%

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Tableau I.2 : Potentiel de détournement de commerce induit par l’ALE (par branche d’activité)

Différentiel Valeur des % dans les % dans les


N° Branche de tarif imports d’origine importations importations de la
RDM -UE RDM (MDH) totales branche
Branche 3 Mines et Energie 9% 20380 16,6% 87,0%

Branche 6 Textile, Habillement & Cuir 29% 4587 3,7% 19,2%

Branche 8 Machines et matériel (mécanique, électrique, électronique, 11% 9759 8,0% 27,6%

Branche 4 Chimie, parachimie et pharmacie 13% 4954 4,0% 39,0%

Branche 5 Bois, papier, verre, céramique et ouvrages en ces matières 23% 2841 2,3% 37,8%

Branche 7 Métaux et ouvrages en métaux 14% 3030 2,5% 41,1%

Branche 9 Autres 47% 313 0,3% 19,1%

Branche 1 Agriculture, Forêt et pêche -1% 8071 6,6% 59,3%

Branche 2 Industrie agro-alimentaire 0% 3127 2,6% 87,6%


Total Total 57061 47%

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Le différentiel tarifaire touche toutes les branches économiques sauf l’agriculture et


l’industrie agro-alimentaire (qui ne sont pas concernées par le démantèlement tarifaire). Ce
sont donc 45864 MDH d’importations (soit 37% des importations totales) qui sont
potentiellement concernées par le détournement de commerce. Il reste maintenant à savoir si
l’UE est capable de détourner effectivement ces importations en sa faveur.
Réponse 2 : productivités comparées, capacité de substitution de l’UE au RDM, et
détournement de commerce effectif

Nous ne disposons pas des chiffres sur les productivités/compétitivités des pays pour les
différentes branches d’activités. Il n’est donc pas possible de savoir systématiquement si l’UE
pourra tirer profit du potentiel de détournement de commerce créé par les différentiels
tarifaires. Néanmoins, il est possible d’affiner l’analyse par secteur :
- Mines & Energie exclues du détournement : les principaux produits importés pour cette
branche économique sont le pétrole et le gaz naturel qui proviennent essentiellement du
Moyen-Orient. Pour ces produits, l’Europe n’est pas exportatrice. Le différentiel de tarifs
douaniers (9%) n’expliquera donc pas de détournement de commerce. Ce sont donc près de
16,6% des importations totales que nous pouvons exclure du potentiel de détournement de
commerce.
- Textile, Habillement & Cuir : Un cas à part : Le détournement de commerce touche
potentiellement 4587 MDH 5soit 3,7% des importations totales) avec un différentiel de tarifs
de 29% en 2012. Mais le secteur textile est un cas à part en raison du démantèlement des
accords multifibres (AMF) en 2005 qui s’est matérialisé par une baisse mondiale des droits de
douane sur les intrants, l’élimination des quotas et prix de référence. Pour ce secteur, la
question essentielle n’est donc pas le détournement de commerce, mais la capacité du Maroc à
soutenir la concurrence internationale et à maintenir ses exportations.
- Machines & Matériels : Une libéralisation largement entamée : Sur les 9759 MDH
d’importations de machines et de matériel qui sont originaires du RDM, nous pouvons exclure
au moins 5150 MDH du potentiel de détournement de commerce (soit 4,2% des importations
totales). Ces importations ne font face qu’à un tarif douanier de 2,5% (contre 0% pour l’UE) :
le différentiel tarifaire semble insuffisant pour créer un détournement de commerce.
- Chimie, Parachimie & Pharmacie : Sur les 4954 MDH d’importations de cette branche
originaires du RDM, il est possible d’exclure au minimum 1584 MDH du potentiel de

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détournement de commerce (soit 1,3% des importations totales). Les raisons sont les
suivantes :
- 884 MDH font face à un tarif douanier de 2,5%
- 700 MDH concernent le produit « Ammoniac anhydre ». Les importations de ce
produit proviennent principalement de la Russie et de l’Ukraine et sont taxées à 10%.
L’UE est peu présente sur ce produit, et bien que bénéficiant d’un différentiel tarifaire
de 10%, elle peut difficilement concurrencer la Russie et l’Ukraine.
- Bois, Papier, Verre, Céramique et ouvrages en ces matières : Sur les 2841 MDH
d’importations de cette branche (originaires de RDM), il est possible d’exclure au minimum
1202 MDH du potentiel de détournement de commerce (soit 1,0% des importations totales).
Les principaux produits concernés sont le bois et le charbon de bois qui proviennent
principalement de la Scandinavie et le l’Amérique Latine.
- Métaux et ouvrages en métaux : Sur les 3030 MDH d’importations de cette branche
(originaires du MDR), il est possible d’exclure au minimum 1119 MDH du potentiel de
détournement de commerce (soit 0,9% des importations totales) :
- 378 MDH font face à un tarif douanier de 2,5%
- 77741 MDH concernent les produits de première transformation en fer et en acier
provenant essentiellement de Russie, Ukraine et de quelques autres pays disposant de
fer comme ressource naturelle.

Il advient donc que (au minimum) 24,5% des importations totales ne seront pas
touchées par un effet de détournement de commerce au profit de l’UE. Le détournement de
commerce touchera au plus 12,5% des importations totales.
Quelle création de commerce ?

Quant à la création de commerce dans la théorie classique du commerce international,


elle résulte de deux facteurs : le démantèlement tarifaire incite les pays à se spécialiser dans
les activités ou ils ont un avantage comparatif, et cette division plus poussée du travail est à
l’origine de la création de commerce (hausse des exportations et des importations).

Dans le cas présent, le Maroc dispose déjà d’un libre accès au marché européen pour
les produits manufacturés : l’ALE n’entraînera donc pas d’augmentation significative des
exportations. De plus, l’agriculture européenne demeure protégée : il n’y a donc pas
d’incitation supplémentaire pour le Maroc à allouer ses ressources dans ce secteur (ou il
disposerait d’avantages comparatifs). En revanche, la création de commerce va concerner

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davantage la hausse des importations : les produits de l’UE pourront désormais venir
concurrencer les produits locaux et être proposés à des conditions attractives pour les
consommateurs. Dans ce cadre, 60% des entreprises industrielles marocaines ne sont pas
compétitives face aux produits européens3 (menacés de disparaître). A long terme, cette
création de commerce (censée augmenter le bien-être) ne saurait être viable si le tissu
productif national ne se met pas à niveau.

L’effet net (détournement + création de commerce) devrait donc être néfaste pour la
croissance économique marocaine dans le cadre d’analyse de la théorie classique du
commerce international.
3. Libéralisation commerciale et économies d’échelle interne

L’existence de rendements internes croissants pour chaque producteur, combinée à


l’absence de barrières à l’entrée, garantit l’existence d’un équilibre de concurrence
monopolistique (modèle de concurrence monopolistique de Krugman). Le comportement de
marge des entreprises dépend de l’élasticité de la demande, laquelle est variable. Dans ces
conditions, l’élargissement du marché permet d’offrir une plus grande variété au
consommateur. L’utilité tirée du panier augmente, puisque le consommateur achète moins de
chacune d’un plus grand nombre de variétés. Ceci provoque un accroissement de l’élasticité
de la demande. Ce choc concurrentiel impose aux firmes de réduire leur marge. Enfin, les
producteurs réalisent des économies d’échelle, puisque leur production individuelle augmente.

Supposons que la firme mette en œuvre la quantité K de capital et la quantité L de


travail pour obtenir son produit. La fonction de production présente des rendements d’échelle
croissants pour ces quantités de facteur de production si f (∟K, ∟L>∟f (K, L) avec∟ > 1.

Concrètement cela signifie, par exemple, qu’un accroissement de 5% des quantités de


facteurs employés conduit à une augmentation de la quantité de bien produit de 8%. Ces
rendements d’échelle croissants sont internes à la firme, puisque c’est l’augmentation de la
taille de celle-ci, et elle seule, qui conduit aux économies d’échelles internes. Dans son
développement, une entreprise rencontre trois phases de rendements d’échelles internes
(croissants, constants, décroissants), ce qui justifie la courbe en U utilisée en micro-économie.

3
Voir Mohamed Hedi Bchir, Yvan Decreux et Michel Fouquin, L’élargissement : vers un renforcement des
relations entre l’Europe et les pays méditerranéens ? Economie et Statistique n°363-364-365(2003).

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On peut dire qu’ici, l’ouverture est directement assimilable à la croissance :


l’ouverture signifie l’élargissement du marché, lequel est l’accumulation des ressources
engagées dans la production.

3.1. Élargissement du marché et gain d’économies d’échelle internes


Le tissu productif marocain ne bénéficiera pas d’un élargissement du marché puisque
les droits d’accès au marché européen pour les produits industriels ont déjà été démantelés. Ce
qui implique que :
- soit les entreprises marocaines ont déjà engrangé les gains d’économies d’échelle
internes liés au démantèlement tarifaire.
- Soit des blocages structurels ont empêché les entreprises marocaines de tirer profit de
ce démantèlement. Or, justement, il s’avère qu’elles n’ont pas gagné de parts de
marché et accru de manière significative leurs exportations depuis les années 70.
La deuxième explication semble donc l’emporter : les entreprises marocaines ne
profitent pas suffisamment du libre accès au marché européen. Et c’est dans cette direction
qu’il faut investiguer : le problème n’est pas tant l’ouverture et l’accès au marché que la
compétitivité des entreprises marocaines.
4. Libéralisation commerciale : réalisation des gains d’efficacité productive et des
économies d’échelle externes
Près de la moitié du commerce international porte sur l’offre d’inputs : les gains
d’ouverture concernent alors autant les producteurs que les consommateurs. Il y a d’abord un
gain d’efficacité, associé à une spécialisation sur les segments du processus de production. Le
rôle de l’ouverture est d’offrir aux producteurs des inputs à des conditions plus avantageuses :
l’ouverture a un effet mécanique de croissance même si les pays ne disposent pas d’avantage
comparatif sur les biens finals, même si les biens sont homogènes, même si les rendements
sont constants. Les inputs mis à la disposition des producteurs par l’échange international ne
sont pas seulement des biens intermédiaires manufacturés. A ce gain d’efficacité productive
s’ajoute enfin un gain de productivité des biens intermédiaires.
En effet, en concurrence monopolistique, la plus grande variété d’inputs garantit une
meilleure efficacité de la combinaison productive. La production des biens différenciés peut-
être utilisée en consommation finale ou en consommation intermédiaire. Aux rendements
d’échelle internes croissants s’ajoute donc une externalité pure : lorsqu’une industrie s’élargit,
elle dispose d’une plus grande variété de biens intermédiaires. L’efficacité de la combinaison

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productive de toutes les firmes de cette industrie s’améliore puisque chaque producteur utilise
en input un composite de biens intermédiaires comprenant plus de variétés. Dans ce contexte,
la croissance ne passe plus uniquement par l’élargissement de la taille du marché, mais
également par la taille de l’industrie et l’offre de biens intermédiaires différenciés.
Application : Quel gain d’efficacité productive pour le Maroc ? Quelles économies d’échelle
externes pour le Maroc ?

Nous pouvons distinguer ici les entreprises exportatrices et les entreprises d’import-
substitution.

L’ouverture constitue une opportunité indéniable pour la rentabilité des entreprises


exportatrices4 qui bénéficieront d’une baisse des droits sur les intrants et sur les biens
d’équipement. Cet avantage sera d’autant plus important que les entreprises marocaines
importent une part non négligeable de ceux-ci, de surcroît principalement de l’Europe.
Néanmoins, on peut noter que les droits de douane pour les biens d’équipements ont déjà
beaucoup baissé dans les années 90 (2,5% à la fin des années 90). Ce qui réduit sensiblement
les gains à venir. La chimie et pharmacie, l’industrie mécanique et automobile peuvent quant
à elles espérer gains d’efficacité productive substantiels car elles importeront des intrants à
des conditions bien plus avantageuses.

Mais ces gains d’efficacité doivent être mis en perspective : le revers de la médaille est
la baisse d’activité que subiront de plein fouet les entreprises d’import-substitution en raison
de l’importance des protections et de la faible compétitivité de la plupart des entreprises de
ces secteurs (construction mécanique, matériel de transport, industrie pharmaceutique, papier-
carton).

L’effet réel sur ces entreprises sera non seulement fonction du taux de protection
actuel mais aussi du degré de pénétration des importations et de la compétitivité des
entreprises. Or ceux-ci sont très différents d’un secteur à l’autre : ainsi, l’industrie alimentaire
ou l’industrie métallique risquent de souffrir particulièrement de l’ouverture alors que, en

4
Cas à part, le secteur textile a subi une détérioration de ses avantages comparés en raison de l’abolition de
l’Accord MultiFibre, et cela malgré la baisse des droits de douane sur les intrants et l’élimination de leur prix de
référence : la fin du système indirect de protection, sur le marché européen, vis-à-vis de la concurrence asiatique
est cruelle pour une industrie textile finalement peu compétitive à l’aune internationale, d’autant plus que la
concurrence des pays à salaires moins élevés (Europe Centrale) continue à s’intensifier. Or, le textile habillement
constitue le premier secteur exportateur manufacturier du Maroc (entre 35 et 40% des exportations industrielles).

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dépit de sa faible compétitivité, le matériel d’équipement ou de bureau en sera moins affecté


du fait d’une forte concurrence étrangère déjà existante dans le secteur.
5. Les Accords de libre-échange et l’attraction des investissements étrangers
Un ALE peut favoriser l’attraction d’investissements étrangers, moteur de la croissance
(c’est d’ailleurs un des effets majeurs que recherchent les gouvernements de pays en
développement lorsqu’ils signent un ALE avec un pays développé). Il y a trois raisons
principales à cela :
5.1. Une ZLE qui crée un grand marché attire les investisseurs étrangers
Dans une enquête réalisée par le MITI sur les motifs des IDE japonais (industriels) en
Asie, Amérique du Nord et en Europe, 70% des investisseurs citent comme motif principal
l’existence d’un marché local important. Par exemple, l’augmentation importante des IDE en
Asie du sud-est à la fin des années 80 est généralement attribuée à la rapide croissance
économique et l’élargissement du marché dans les pays de l’ASEAN. Une condition
nécessaire pour que ce type d’investissement se concrétise est que le marché local ne soit pas
déjà accessible de l’extérieur de la ZLE. Autrement dit, l’IDE est motivé par le ‘tarif-
jumping’5, par exemple, les IDE dans le secteur de l’automobile (et des composantes
automobiles) dans les pays de l’ASEAN ont notamment augmenté car ce secteur était très
protégé et l’IDE était le seul moyen de pénétrer ce marché sans devoir faire face à des droits
de douane élevés.

Ces facteurs stimulent davantage les flux de l’IDE provenant de l’extérieur de la ZLE
que les IDE intra-ZLE. L’ALE donne aux entreprises des pays membres accès à tout le
marché de la ZLE, et donc ne les incite pas à investir dans les autres pays membres (il y a
d’autres raisons qui peuvent les inciter à y investir que nous analysons plus loin). En
revanche, les entreprises des pays tiers auront plus ‘incitation à implanter des usines de
production dans un pays membre de la ZLE et à exporter librement vers les autres pays
membres (plateforme d’investissement). Ce type d’investissement sera en particulier réalisé si
la production est caractérisée par des rendements d’échelle croissants. La taille du marché de
la ZLE justifie un tel investissement alors que la taille d’un seul pays ne le justifie pas. Le
Maroc n’est pas dans cette configuration en signant un ALE avec l’UE. Cette configuration
correspondrait plus à la situation ou le Maghreb crée un ZLE avec un marché important et

5
Il est néanmoins important de noter que les IDE motivés par le ‘tarif-jumping’ peuvent réduire le bien-être
économique du pays qui les reçoit. En effet, le droit de douane incite les capitaux à se diriger vers des secteurs
ou la ZLE n’a pas d’avantage comparatif.

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protégé. Aujourd’hui, les investisseurs ne viennent pas au Maroc pour pénétrer le marché
marocain qui reste de faible taille.
5.2. Un investisseur étranger peut-être incité à tirer profit des facteurs de production
locaux (en particulier le travail peu cher) et créer une plateforme d’exportation dans les
pays en question
Dans l’enquête du MITI citée ci-dessus, 44% des entreprises japonaises, en
investissant à l’étranger, ont pour motif de tirer parti de la main d’œuvre locale. Cette
motivation peut-être accentuée lorsque le pays en développement forme un ZLE avec un pays
développé : en effet, l’entreprise qui investit dans le pays en développement profite à la fois
du coût faible de la main d’œuvre et du libre accès au marché du pays développé. Un cas qui
illustre bien cette logique est le Mexique dans le cadre de l’ALENA.

Bien que le Mexique avait déjà été utilisé comme une plateforme d’exportation vers les
Etats-Unis, après 1994, l’ALENA a eu un profond impact sur les IDE provenant de pays hors-
ALENA vers le Mexique. Le Mexique est devenu une porte d’accès privilégiée au grand
marché américain et canadien. 80% des véhicules produits au Mexique par les entreprises
automobiles en 1997 étaient destinées à l’exportation, alors qu’en 1994, ce n’était que 48%.

Après la création de l’ALENA, le Japon a redirigé une partie ses IDE du Canada et des
Etats-Unis vers le Mexique. Alors que les IDE japonais aux Etats-Unis et au Canada sont
destinés au marché local (commerce, banque & finance, industrie), les IDE vers le Mexique
sont destines à l’exportation vers le marché continental de l’ALENA (d’où plateforme
d’exportation).
5.3. La suppression des barrières internes au sein de la ZLE incite les entreprises à
mieux allouer leurs ressources en tirant parti des avantages comparatifs de chaque
pays de la ZLE.
Ainsi, si les membres d’une ZLE différent dans leurs dotations factorielles, la ZLE peut
stimuler les IDE dans une logique d’intégration verticale. Avec un accès préférentiel garanti
au marché développé, le pays en développement devient une destination particulièrement
attractive pour les investissements dans les activités intensives en travail.
5.4. Le Maroc : nouvelle plateforme d’exportation ?
Le Maroc veut se positionner dans la deuxième et troisième logique en attirant les
investissements étrangers. Il a d’ailleurs multiplié les accords de libre échange (avec les États-
Unis et la Turquie notamment). Il fait donc prévaloir son libre accès aux principaux marchés

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mondiaux comme une carte maîtresse, qui lui permet d’être une plateforme d’exportation
(Figure I.1).
Figure I.1 : Maroc, une plate-forme au carrefour des continents

Sources : Ministère de l’industrie et du commerce (2006)

Les équipements automobiles sont un exemple probant : le Maroc a réussi à attirer de


nombreux investisseurs dans ce secteur (en particulièrement dans les faisceaux de câble). Il
souhaite étendre cela à d’autres secteurs industriels porteurs.

Mais la question est de savoir si, outre l’accès aux marchés, le Maroc répond aux
attentes des investisseurs en termes de compétitivités des facteurs, de cadre institutionnel, et
d’environnement favorable aux affaires. Le Maroc a-t-il les moyens d’être une plateforme
d’exportation ? Les obstacles à surmonter sont nombreux

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