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Université Paris III – Sorbonne Nouvelle

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Mémoire

de

Master II Recherche - Études hébraïques et juives


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Etude du commentaire du livre de Ruth


extrait de l'ouvrage :

Yedey Moshe – ėĬġ ĜĖĜ


(Les mains de Moïse)

de Moshe Almosnino, rabbin à Salonique au XVIe siècle.

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Directeurs de recherche : Madame Sophie Kessler-Mesguich

Monsieur José Costa

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Jean-Pierre Messali

2009 - 2010
Table des Matières
REMARQUES METHODOLOGIQUES III
Transcription et orthographe. III
Citations. IV
Traduction et vocabulaire. IV
Abréviations. IV

INTRODUCTION 1

1 – MOSHE ALMOSNINO. 2
1.1 La communauté juive de Salonique au XVIe siècle. 2
1.1.1 Les juifs de Salonique. 2
a / Avant 1492. 2
b / A partir de 1492. 3
1.1.2 Organisation sociale et économique. 4
a / Organisation sociale et religieuse. 4
b / Organisation économique. 5
1.1.3 La vie culturelle. 7
a / Enseignement et études. 7
b / Langue. 8

1.2 La famille Almosnino. 9

1.3 Moshé Almosnino : sa vie et son œuvre. 11


1.3.1 Eléments biographiques. 11
1.3.2 Bibliographie de Moshé Almosnino 12

2 – LE LIVRE DE RUTH. 15
2.1. Introduction. 15

2.2. L'histoire. 16

2.3. Comment lire cette histoire ? 17

2.4. Le destin de Ruth. 20

2.5. Filiation de Ruth. 21

2.6. Ruth et la fête de Shavu'ot. 23


2.6.1 La saison 23
2.6.2 La bonté 24
2.6.3 La conversion 24

3 – L'OUVRAGE : LE COMMENTAIRE DU LIVRE DE RUTH. 26


3.1 Introduction de l'auteur. 27

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives I
3.2 Le commentaire du livre de Ruth. 32
3.2.1 Chapitre I 32
3.2.2 Chapitre II 51
3.2.3 Chapitre III 60
3.2.4 Chapitre IV 66

CONCLUSION 76

ANNEXES 79
Annexe 1 : Situation géographique de Salonique (Thessalonique). 79

Annexe 2 : Couverture du livre Yedey Moshe. 80

Annexe 3 : Généalogie des Almosnino de Salonique 81

BIBLIOGRAPHIE 82
I - Sources juives. 82
I.1 – Ecrits de l'antiquité. 82
I.2 – Ecrits rabbiniques. 82
I.3 – Ecrits post-rabbiniques. 82

II - Sources non juives. 83

III – Etudes. 83
III.1 – Les juifs sépharades, de l'Espagne à Salonique. 83
III.2 – La famille Almosnino. 85
III.3 – Moshé Almosnino. 85
III.4 – Ruth. 86
III.5 – Autres études. 87
III.6 – Divers. 87

INDEX DES CITATIONS 88

INDEX DES NOMS 90

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives II
Remarques méthodologiques

Transcription et orthographe.
Les correspondances suivantes seront utilisées pour les consonnes :

ē ` ğ l
ş b ġ m

Ĕ v ģ n

ĕ g Ĥ s

Ė d ĥ '

ė h Ů p

Ę w ħ f

ę z ĩ sҖ

Ě hҖ Ī q

ě tҗ ī r

Ĝ y si consonne, sinon i Ř sh

Ũ k ř s

Ğ kh ĭ t

Pour les voyelles, u rendra le son français ou, et les autres sons seront transcrits
simplement par a, e, ou i.
Les mots hébreux sont transcrits en italique, sans majuscules (sauf pour les noms
d'ouvrage).
Les quelques mots d'arabe, d'espagnol ou de turc cités sont aussi transcrits en
italique.
La transcription de titres en hébreu cités dans la bibliographie n'a pas été modifiée,
même si elle contredit les règles énoncées ci-dessus.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives III
Pour les noms propres, lorsqu'il s'agit de citations, l'orthographe a été conservée
même si elle est différente selon que la source est anglaise, allemande, française ou
hébraïque.
Dans quelques cas, nous avons repris soit les orthographes les plus communément
admises, soit celles de la Bible du Rabbinat, soit celles adoptées dans les documents
sources.

Citations.
Toutes les citations de versets bibliques (en italique) sont faites, pour la plupart et par
souci d'homogénéité, dans la traduction du Grand Rabbinat (bien que celle-ci ne soit
pas toujours satisfaisante). Dans quelques cas, nous avons préféré une traduction
personnelle, plus littérale, signalée par l'abréviation "nt" (notre traduction) entre
parenthèses. Quelques rares citations sont reproduites en hébreu, avec transcription
et traduction.

Traduction et vocabulaire.
Le texte, en hébreu rabbinique, pose les problèmes habituels de traduction : phrases
très longues et sans ponctuation, parsemées de nombreuses abréviations. Pour
cette raison, nous avons supprimé presque toutes les abréviations habituelles dans
ce genre d'écrit ("sa mémoire est bénie", "que son souvenir vive dans le monde
futur", etc.).
Pour éviter les répétitions et ne pas lasser le lecteur, nous avons utilisé
indifféremment (sans craindre les anachronismes) les termes de : enfants ou peuple
d'Israël, hébreux, peuple juif, juifs.

Abréviations.
Nous n'utiliserons que trois abréviations pour ne pas ennuyer le lecteur :
T.B. pour Talmud Bavli.
T.Y. pour Talmud Yerushalmi.
M.A. pour Moshé Almosnino.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives IV
Introduction
De nombreux auteurs juifs sont peu ou pas connus, car leurs œuvres sont restées
sous la forme de manuscrits ou ont été perdues. Si on en connaît l'existence, c'est le
plus souvent grâce à une citation faite par un auteur qui a eu la chance de pouvoir
être imprimé ou parce que des manuscrits ont été retrouvés et édités.
Après avoir rédigé en 2008 - 2009 un mémoire sur l'ouvrage de Yossef Almosnino1 :
Les racines de commandements (Shorshey ha-Mis̪wot), découvert à la Bibliothèque
Nationale, il nous a paru intéressant d'étudier l'ouvrage d'un autre Almosnino,
Moshé, contemporain et probablement parent du premier, mais vivant à Salonique.
Contrairement à Yossef, comme nous le verrons plus loin, Moshé Almosnino
beaucoup plus connu, a fait partie des figures illustres de Salonique et a laissé une
œuvre plus abondante, aussi bien en hébreu qu'en espagnol.
L'ouvrage qui va être étudié, un commentaire du livre de Ruth, est extrait d'un livre
qui regroupe un commentaire de cinq livres de la bible hébraïque sous le nom de
Yedey Moshe (Les mains de Moïse). Cet ouvrage, imprimé en 1572 à Salonique a
été réimprimé en 1597 à Venise. C'est cette dernière édition qui est disponible à la
Bibliothèque Nationale.

Ce mémoire comportera trois parties :


Une première partie sera consacrée à l'auteur, replacé dans son contexte
géopolitique, social et familial, ainsi qu'à sa vie et son œuvre.
La deuxième partie évoquera le livre de Ruth.
La troisième partie, la plus importante, accordera la plus grande place à la traduction
du commentaire du livre de Ruth.

1
Yossef Almosnino est né à Fès aux environs de 1530 et mort aux environs de 1600. Rabbin et
médecin, il devient, en 1576, Nagid (dirigeant) de la communauté et intermédiaire entre la
communauté juive et le gouvernement. Comme médecin, il a ses entrées au palais et donne des soins
au Sultan. En 1580, il fait partie des juges et des dirigeants de la ville et est associé à toutes les
Taqqanot. En 1593, il est nommé président du tribunal rabbinique (Beyt Din) et chef de tous les
rabbins.
La plupart de ses œuvres ne nous sont pas parvenues et son ouvrage Shorshey ha-Mis̪wot, rédigé en
1589 est le seul a avoir été imprimé en 1911.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 1
1 – Moshé Almosnino.
Avant de parler de l'auteur, il nous faut préciser ses origines, mais aussi le contexte
social, politique et culturel dans lequel il vivait. Pour cela, après avoir rappelé
l'histoire et les conditions de vie des juifs de Salonique, nous retracerons le parcours
de la famille Almosnino avant d'évoquer la vie et l'œuvre de l'auteur.

1.1 La communauté juive de Salonique au XVIe siècle.

1.1.1 Les juifs de Salonique.


La ville de Thessalonique2, anciennement Salonique, située au fond du golfe
Thermaïque, a abrité jusqu'à la Seconde Guerre mondiale une très importante
communauté juive d'origine essentiellement sépharade. C'est le seul exemple connu
d'une ville de diaspora de cette taille ayant conservé une majorité juive pendant
plusieurs siècles. Arrivés pour la plupart à la suite de l'expulsion des juifs d'Espagne
de 1492, les juifs sont indissociablement liés à l'histoire de Salonique et le
rayonnement de cette communauté tant au plan culturel qu'économique s'est fait
sentir sur tout le monde juif. La communauté a connu un âge d'or au XVIe siècle puis
un déclin relatif jusqu'au milieu du XIXe siècle, époque à partir de laquelle elle a
entrepris une importante modernisation aussi bien économique que culturelle et
cultuelle. L'histoire des juifs de Salonique a pris un cours tragique à la suite de
l'application de la "solution finale" par le régime nazi, qui s'est traduite par
l'élimination physique de la quasi totalité des membres de cette communauté.
a / Avant 1492.
On trouve la trace d'une présence juive à Salonique dès l'antiquité3 puis à la période
byzantine. En 1170, Benjamin de Tudèle4 dénombre cinq cents juifs à Salonique5.

2
Voir la carte de la région en Annexe 1.
3
Vers 50, Saint Paul vient y prêcher le christianisme et de nombreux juifs hellénisés de Salonique se
convertissent secrètement. Il revient en 57, comme l'attestent les deux Epîtres aux Thessaloniciens
(Voir aussi Nehama Joseph, Histoire des israélites de Salonique, Tome I La communauté Romaniote,
Salonique, 1935, p 39 – 41).
4
Benjamin de Tudèle, Sefer Masa'ot, édition trilingue hébreu, espagnol (traduit par José Ramon
Magdalena) et basque (traduit par Xabier Kintana) sous le patronage du Gouvernement de Navarre,
Pampelune, 1994, p 13 paragraphe 18 (voir aussi Nehama Joseph, Histoire des israélites de
Salonique, Tome I La communauté Romaniote, Salonique, 1935, p 86 – 87).
5
Veinstein Gilles, "Un paradoxe séculaire", in Salonique : 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil
des Balkans, sous la direction de Gilles Veinstein, Paris, 1992, p 42 - 45.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 2
Dans les siècles suivants vinrent s'ajouter à cette communauté de langue grecque
quelques juifs italiens et ashkénazes.
Après sa conquête par les Ottomans en 1430, la ville se peuple essentiellement de
musulmans, mais des juifs continuent d'y habiter, résidant pour la plupart dans un
quartier séparé. Ils sont cependant victimes d'un sürgün6 après la chute de
Constantinople, en 1453, date à laquelle ils sont massivement affectés à la
reconstruction de la capitale de l'Empire rebaptisée Istanbul. La communauté juive
de Salonique n'existe plus guère, mais dès 1470, des juifs bavarois forment la
première communauté ashkénaze.
b / A partir de 1492.
Après l'expulsion des juifs d'Espagne en 14927, Salonique devient progressivement
un foyer d'accueil pour de nombreux juifs en provenance d'Espagne, soit
directement, soit après un passage par le Portugal ou par l'Italie du Sud, pays qui
adoptèrent ultérieurement des arrêtés d'expulsion. En effet, l'Empire Ottoman, se
référant à la législation musulmane sur les "Gens du Livre"8 qui accordait une
protection aux chrétiens et juifs soumis au statut de dhimmi, accepta et même
encouragea l'installation sur son territoire des juifs touchés par les décrets
d'expulsion.
Les premiers sépharades arrivent dès 1492 en provenance de Majorque. Ce sont,
pour la plupart, des marranes9 revenus au judaïsme après leur conversion forcée au
catholicisme. En 1493, des Castillans et des Siciliens les rejoignent, suivis les
années suivantes par d'autres juifs issus de ces contrées, mais aussi par des

6
Les Ottomans avaient l'habitude d'effectuer des transferts de populations à l'intérieur de l'empire au
gré des conquêtes militaires par la méthode dite du sürgün : terme turc traduisible par exil, expulsion
ou simplement transport obligatoire d'un endroit à un autre. Il s'agissait de transférer de manière
coercitive des sujets de l'empire d'un point à un autre, soit pour garnir les frontières, parfois en
remplaçant la population locale jugée peu sûre par les nouveaux venus, soit pour repeupler et
redynamiser certaines villes. Musulmans, juifs et chrétiens pouvaient être touchés par cette mesure
(Lewis Bernard, Islam, Gallimard, 2005, p 563 - 567).
7
Le décret d'Alhambra fut signé le 31 mars 1492 mais rendu public un mois plus tard. Il ordonnait aux
juifs de se convertir au catholicisme ou de quitter le pays avant le 31 juillet 1492, avec confiscation de
tous leurs biens (Pérez Joseph, L'Espagne des rois catholiques, Bordas, Paris, 1971).
8
La Dhimma est une sorte de traité dont le respect s'impose aux musulmans ; c'est une charte
discriminatoire des minorités qui établit une distinction nette entre l'honneur dû aux musulmans et les
religions "tolérées". Le statut de dhimmi, institué au VIIe siècle par le décret d’Omar, deuxième Calife
de l'Islam, définit la "protection" assurée aux "Gens du Livre" que sont les monothéistes, chrétiens et
juifs.(Chehata C. "Dhimma", Encyclopédie de l'Islam 1977, Tome 2 p 234 - 238.)
9
Marrane : terme de mépris (marrano en espagnol, marrão en portugais : porc) par lequel on
désignait des juifs convertis dont on jugeait la conversion feinte. Actuellement, il s'applique sans
nuance péjorative aux juifs convertis d'Espagne ou du Portugal et à leurs descendants qui ont
conservé en secret leurs croyances et pratiques juives ancestrales.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 3
Aragonais, des Valenciens, des Calabrais, des Vénitiens, des Apuliens, des
Provençaux et des Napolitains. Plus tard, entre 1540 et 1560, ce fut au tour des
Portugais de chercher refuge à Salonique à cause de la politique de persécution à
l'égard des marranes de ce pays. En plus de ces sépharades, arrivèrent quelques
ashkénazes originaires d'Autriche, de Transylvanie et de Hongrie, parfois transférés
de force lors de sürgün, après la conquête de ces terres par Soliman le Magnifique à
partir de 1526. Ainsi les registres de Salonique indiquent la présence de "juifs de
Buda" après la conquête de cette ville par les Turcs en 154110.
En 1553 on dénombrait vingt mille juifs à Salonique (soit près de soixante pour cent
de la population de la ville) qui tous gardaient des contacts avec les coreligionnaires
de leur pays d'origine, ce qui facilitait les échanges commerciaux.

1.1.2 Organisation sociale et économique.


a / Organisation sociale et religieuse.
Chaque groupe d'arrivants fonda sa propre communauté (aljama en castillan, qahal11
en hébreu) dont les rites (minhaggim) différaient de ceux des autres communautés.
La synagogue formait le ciment de chaque groupe et son nom rappelait le plus
souvent l'origine des arrivants. Les communautés n'étaient pas exemptes de
scissions, ce qui explique par exemple l'existence d'une congrégation Katalan
Yachan (ancienne Catalogne) fondée en 1492 puis l'apparition d'une Katalan H̪adash
(nouvelle Catalogne) à la fin du XVIe siècle.
Au XVIe siècle, la ville comptait plus de trente congrégations dotées d'institutions
propres et jouissant d'une grande autonomie. Chaque congrégation était régie par
ses propres dirigeants et non par une institution centrale représentant l'ensemble de
la communauté. L'appartenance de chaque membre à sa congrégation se
manifestait dans deux domaines : l'inscription dans le registre des impôts (mais
chaque juif, comme tous les non-musulmans ou dhimmis, était en plus soumis à la
10
Veinstein Gilles, "Un paradoxe séculaire", in Salonique : 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil
des Balkans, déjà cité, p 42 – 45 et Veinstein Gilles, "L'empire ottoman depuis 1492 jusqu'à la fin du
XIXe siècle" in Les Juifs d’Espagne : histoire d’une diaspora, 1492-1992 , édité par Méchoulan Henry,
Paris, 1992, p 361 - 387.
11
Chaque qahal, dirigé par une oligarchie de rabbins et de riches notables, gère une ou plusieurs
synagogues, possède son propre tribunal rabbinique (beyt din) chargé des litiges civils ou religieux, et
organise son propre système éducatif. Le qahal est aussi responsable de la collecte des impôts
décidés par les autorités (en plus de la jizya, impôt individuel imposé à tous les dhimmis) et des fonds
nécessaire à l'action caritative et sociale (secours aux indigents, abattage rituel, h̪evrah qadishah ou
confrérie de pompes funèbres, etc.). Voir aussi Ben Naeh Yaron, "Dans l'empire ottoman XVI-XVIIe
siècles" in Le Monde sépharade (sous la direction de Shmuel Trigano), Paris, 2006, Tome I, p 369 -
413.

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jizya12) et la fréquentation d'une synagogue. Le cadre religieux de chaque
congrégation était plus rigide à Salonique que dans le reste de l'Empire. Un fidèle ne
pouvait, en effet, fréquenter une autre congrégation, comme à Istanbul ou dans les
autres communautés ottomanes.
b / Organisation économique.
Au XVIe siècle, Salonique est située au cœur de l'Empire Ottoman et les juifs jouent
un rôle déterminant dans cette ville qui constitue un véritable carrefour, aussi bien
terrestre que maritime, et devient rapidement une métropole de premier plan.
La population sépharade s'était installée principalement dans les grands centres
urbains de l'Empire Ottoman, Istanbul, Salonique et plus tard Izmir (Smyrne).
Contrairement aux autres grandes villes de l'Empire, où le négoce était
principalement aux mains des chrétiens, grecs et arméniens, à Salonique ce sont les
juifs qui le contrôlaient. Leur puissance économique y devint si grande que le port et
les commerces ne fonctionnaient pas le samedi, jour du shabbat, chômé dans le
judaïsme. L'activité économique se déroulait en lien avec le reste de l'Empire
Ottoman mais aussi avec les états latins de Venise et de Gênes, ainsi que bien
entendu, avec toutes les communautés juives dispersées dans le bassin
méditerranéen.
Les juifs de Salonique avaient la particularité d'occuper toutes les niches
économiques, n'étant pas cantonnés à quelques secteurs comme c'était le cas dans
les régions où les juifs étaient minoritaires. On les retrouvait donc à tous les niveaux
de l'échelle sociale, du portefaix au grand négociant. Chose exceptionnelle,
Salonique comptait même un grand nombre de pêcheurs juifs13.
Mais la grande affaire des juifs était la filature de la laine. Ils avaient importé les
techniques d'Espagne où cet artisanat était très développé et seule la laine, plus
grossière, différait à Salonique. La communauté prit très vite des décisions
(haskamot) s'appliquant à toutes les congrégations pour réglementer cette industrie.
Ainsi, il était interdit sous peine d'excommunication (h̪erem) d'exporter la laine et

12
Cet impôt est fondé sur le verset 29 de la sourate 9 (At-Tawba ou Bara'a, Revenir [de l'erreur] ou [l']
Immunité : "Combattez ceux qui ne croient point en Allah […] jusqu'à ce qu'ils paient la jizya,
directement et alors qu'ils sont humiliés."(extrait de Le Coran, traduit de l'arabe par Régis Blachère,
Paris, 1966).
13
Bentov Haïm, "Les classes laborieuses au Maroc et dans les pays d'orient" in Le Monde sépharade
(sous la direction de Shmuel Trigano), Paris, 2006, Tome I, p 720.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 5
l'indigo à moins de trois jours de route de la ville14. Les draps, couvertures et tapis de
Salonique acquièrent très vite une grande notoriété et sont exportés dans tout
l'Empire, d'Istanbul à Alexandrie. Cette activité devint même une affaire d'État quand
le sultan décida de vêtir les troupes de janissaires de lainages de Salonique, chauds
et imperméables. Des dispositions furent alors prises pour l'approvisionnement en
laine : un firman15 de 1576 obligeait les éleveurs de moutons à fournir en exclusivité
leur laine aux juifs tant que ceux-ci n'avaient pas acquis la quantité de laine
nécessaire au filage des commandes de la Sublime Porte. D'autres dispositions
réglementaient strictement les types de lainage à produire, les normes de production
et les délais. Des tonnes de lainages étaient transportées à Istanbul par bateau, à
dos de chameau ou de cheval, puis étaient solennellement distribuées aux corps de
janissaires à l'approche de l'hiver. Vers 1578, il fut décidé par les deux parties que
l'approvisionnement en drap servirait de redevance au trésor de l'État et remplacerait
le paiement en espèces, choix qui allait par la suite se révéler très néfaste pour les
juifs.
En effet, l'accroissement du nombre de janissaires, l'inflation et la crise financière de
l'État contribuèrent à l'augmentation continue des commandes de la Sublime Porte,
ce qui mit les juifs dans une situation très difficile. De 1200 pièces à l'origine, ils
étaient passés à plus de 4000 vers 1620. Ceci conduisit à une réduction de la qualité
des pièces fournies en raison de tricheries sur les normes établies. En 1637, le
rabbin Juda Covo16 fut sommé de venir s'expliquer sur cette dégradation à Istanbul à
la tête d'une délégation de juifs de Salonique ; il y fut condamné à la pendaison, ce
qui marqua durablement les esprits17.
Ces déboires étaient annonciateurs d'une période sombre pour les juifs de
Salonique. Le flux de migrants venant de la péninsule ibérique s'était peu à peu tari,
ces derniers préférant à Salonique les villes d'Europe occidentale telles Londres,
Amsterdam ou Bordeaux. Ce phénomène entraîna un éloignement progressif des
juifs sépharades ottomans de l'occident. Alors qu'ils avaient à leur arrivée introduit de

14
Veinstein Gilles, "Un paradoxe séculaire", in Salonique : 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil
des Balkans, déjà cité, p 52 - 54.
15
Firman : mot d'origine persane mais utilisé surtout chez les Ottomans pour désigner un ordre ou un
édit émanant du sultan, ou émis au nom du sultan, après décision prise en conseil impérial (d'après
Encyclopedia Universalis).
16
Kohen Elli, History of the Turkish Jews and Sephardim: memories of a past golden age, Lanham,
2007, p 135.
17
Veinstein Gilles, "Un paradoxe séculaire", in Salonique : 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil
des Balkans, sous la direction de Gilles Veinstein, Paris, 1992, p 54 - 62.

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nombreuses technologies européennes, y compris l'imprimerie, ils devinrent de
moins en moins compétitifs face aux autres groupes ethnico-religieux. Les médecins
et traducteurs juifs, autrefois réputés, furent peu à peu supplantés par leurs
homologues chrétiens, principalement grecs et arméniens. Dans le monde du
négoce, les chrétiens occidentaux prirent le dessus sur les juifs, bénéficiant de la
protection des puissances occidentales par le truchement des instances consulaires.
Salonique perdit sa place de premier plan, à la suite de l'effacement progressif de
Venise, sa partenaire commerciale, et de la montée en puissance du port de
Smyrne. De plus, les juifs comme le reste des dhimmis, eurent à subir le contrecoup
des défaites successives de l'Empire face à l'Occident. La ville stratégiquement
placée sur la route des armées eut à subir à plusieurs reprises les représailles des
janissaires contre les infidèles. Il y eut durant tout le XVIIe siècle une migration des
juifs de Salonique vers Istanbul et surtout Smyrne qui commençait à se développer à
cette époque, la communauté de cette ville étant principalement issue de celle de
Salonique. La peste et d'autres épidémies comme le choléra contribuèrent aussi à
l'affaiblissement de Salonique et de sa communauté juive.

1.1.3 La vie culturelle.


a / Enseignement et études.
L'absence d'autorité de tutelle et le cloisonnement allaient entraîner, au milieu du
XVIe siècle, une crise profonde : les frictions entre congrégations portant sur le
paiement des impôts ou résultant de divergences dans le domaine économique ou
social, de controverses entre rabbins à propos de quelque point halakhique,
suscitaient d'interminables conflits. Une certaine anarchie régnait au sein de la
communauté quant aux ordonnances (taqqanot) concernant le logement, l'éducation,
la kasherut, etc. que chaque congrégation entendait fixer à sa façon, ce qui ne
pouvait qu'entraver le bon fonctionnement de la communauté.
Une institution fédérale nommée Talmud Thora ha-Gadol fut mise en place en 1520
(et poursuivit ses activités jusqu'en 1943) pour chapeauter l'ensemble des
congrégations et prendre des décisions (haskamot) s'appliquant à tous. Elle était
administrée par sept membres au mandat annuel. Cette institution pourvoyait à
l'éducation des jeunes garçons et constituait un cours préparatoire d'entrée aux

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yeshivot. De très grande renommée, elle accueillait des centaines d'élèves18. En plus
des études juives, on y enseignait les humanités latines et arabes ainsi que la
médecine, les sciences naturelles et l'astronomie19. La communauté juive de
Salonique connaît alors un rayonnement culturel extraordinaire que l'on compare
parfois avec celui de Safed. Citons parmi les rabbins de cette époque, Jacob Ibn
HҖabib20, auteur de l'ouvrage bien connu : 'Ein Yaakov, compilation des aggadot du
Talmud de Babylone21 et Salomon AlkabesҖ ha-Levi, auteur de Lekhah Dodi22.
Les yeshivot de Salonique sont alors fréquentées par les juifs de tout l'Empire
Ottoman, et même d'Italie et d'Europe de l’Est. Après avoir terminé leurs études,
certains élèves sont nommés rabbins dans les communautés juives de l'Empire,
voire à Amsterdam ou à Venise23. La ville compte en outre de nombreux ateliers
d'imprimerie24 d'où sortent des rituels, des livres de décisions rabbiniques et des
sections du Talmud : il s'agit en effet d'une production exclusivement religieuse.
La vie culturelle est soutenue et encouragée par de riches mécènes juifs. La réussite
des institutions éducatives était telle qu'il n'y avait aucun analphabète parmi les juifs
de Salonique25, considérée comme la "Jérusalem des Balkans".
b / Langue.
Généralement, les juifs adoptaient la langue du pays où ils résidaient, mais ce ne fut
pas le cas des sépharades de l'Empire Ottoman qui, arrivés en masse, conservèrent
l'usage de l'espagnol. Les Juifs de Salonique rapportèrent d'Espagne leur langue, le
judéo-espagnol (djudezmo), c'est-à-dire l'espagnol du XVe siècle qui avait évolué de
manière autonome et qu'ils utilisaient dans leurs relations courantes. Ils priaient et

18
Amar Moshé, "La yechiva en orient" in Le Monde sépharade (sous la direction de Shmuel Trigano),
Paris, 2006, Tome II, p 284.
19
Barnaï Jacob, "La communauté juive de Salonique (1430 - 1943)", in Les Juifs d’Espagne : histoire
d’une diaspora, 1492-1992 , édité par Méchoulan Henry, Paris, 1992, p 397- 408.
20
Franco Moïse, Essai sur l'histoire des Israélites de l'empire Ottoman, Paris, 1897, p 42.
21
Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et annoté par Arlette
Elkaïm-Sartre, Paris, 1983
22
Lekhah Dodi est un poème encore chanté de nos jours dans toutes les communautés juives, le
vendredi soir, pour accueillir le shabbat. Salomon AlkabesҖ est né à Salonique en 1505 et mort à Safed
en 1590 (voir Editorial Staff, "AlkabezҖ, Salomon Ben Moses Ha-Levi", Encyclopedia Judaica 1971,
tome 1 col 635 – 637 et Nehama Joseph, Histoire des israélites de Salonique, Tome II La
communauté Séfaradite : période d'installation 1492 - 1536, Salonique, 1935, p 153 – 154).
23
Amar Moshé, "La yechiva en orient" déjà cité in Le Monde sépharade (sous la direction de Shmuel
Trigano), Paris, 2006, Tome II, p 284.
24
L'imprimerie apparaît à Salonique en 1512. Les premières presses sont importées du Portugal
(Nehama Joseph, Histoire des israélites de Salonique, Tome II La communauté Séfaradite : période
d'installation 1492 - 1536, Salonique, 1935, p 159).
25
Barnaï Jacob, "La communauté juive de Salonique (1430 - 1943)", in Les Juifs d’Espagne : histoire
d’une diaspora, 1492-1992 , édité par Méchoulan Henry, Paris, 1992, p 397- 408.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 8
étudiaient en hébreu et en araméen et utilisaient comme toutes les autres
communautés sépharades ce qu'on appelle le "judéo-espagnol calque" ou ladino qui
consistait en une traduction des textes hébraïques dans un espagnol respectant
l'ordre des mots et la syntaxe hébraïque26. Ces deux langues, djudezmo et ladino,
s'écrivaient en caractères hébraïques ou en caractères latins pour le judéo-espagnol.
En plus des langues qu'ils avaient apportées d'exil, les juifs de Salonique parlaient le
turc ottoman, langue de l'Empire écrite en caractères arabes.

1.2 La famille Almosnino.


Almosnino est un nom d'origine aragonaise, dérivé du castillan almosnero, qui
signifie aumônier ou qui aime faire des aumônes (bon, charitable). Ce nom est
attesté dès le XIIIe siècle à Jaca en Aragon dans un document commercial27.
On connaît deux branches de la famille Almosnino28 à la fin du XVe siècle, chacune
dirigée par un Abraham.
Abraham Almosnino29, médecin originaire de Tolède, fait partie des expulsés
d'Espagne en 1492 Il se réfugie à Fès où il est membre de la "Sainte Communauté
des Expulsés de Castille". Il y poursuit ses études, acquiert un certain renom et
devient rapidement un des dirigeants de cette communauté. Il est au nombre des
signataires de la Première Taqqanah de Fès30, promulguée en 1494, précisée en
1497, qui concerne le régime matrimonial et successoral31.
Abraham Almosnino32, cousin et homonyme du précédent, membre de la
communauté juive de Huesca, est accusé d'avoir participé en 1485 à la circoncision
d'un converti au judaïsme, Juan de Ciudad. Il est condamné par l'Inquisition et brûlé

26
Sephiha Haïm Vidal, "Ladino et Djudezmo", in Salonique : 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil
des Balkans, sous la direction de Gilles Veinstein, Paris, 1992, p.79 - 95.
27
Laredo Abraham Isaac, Les noms des juifs du Maroc : essai d'onomastique judéo marocaine,
Madrid, 1978, p 296-298.
28
Roth Cecil, "Almosnino", Encyclopedia Judaica 1971, tome 1 col 667-671.
29
García-Arenal Mercedes, "Los judios de Fez a traves del proceso inquisitorial de los Almosnino", in
Entre el Islam y Occidente : los judíos magrebíes en la Edad Moderna, p 153-187. Voir aussi Roth
Cecil, "Almosnino", Encyclopedia Judaica déjà cité.
30
Zafrani Haïm, "Taqqanot (ordonnances rabbiniques) et Responsa d'Espagne (jusqu'en 1492) et du
Maghreb (après 1492)" in L'assistance dans la résolution des conflits. Quatrième partie, L'Europe
médiévale et moderne , édité par Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions.
Congrès 1993 ; Copenhague, p 145-165. Voir aussi Laredo Abraham, Les Taqqanot des juifs
expulsés d’Espagne. Régime matrimonial et successoral, traduit de l’espagnol par Elie Malka et David
Amsellem, Casablanca, 1953.
31
Anqawa Abraham, Kerem H̪emer, Livourne, 1869, p 1-22 (recueil des Taqqanot du Maghreb).
32
La plupart des informations sur la famille Almosnino sont tirées de deux ouvrages : La famille
Almosnino de Carmoly Eliakim, Paris, 1850 et Moshe Almosnino, ish saloniqi de Bnaya Meir Zvi, Tel-
Aviv, 1996.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 9
en décembre 148933 ; toute sa famille quitte alors l'Espagne, entame un long périple
vers la Turquie et fin 1492, les trois fils d'Abraham34 atteignent Salonique à bord
d'une galère en provenance de Venise.
L'aîné, Don HҖaïm Almosnino, se lance dans le commerce et acquiert rapidement une
fortune considérable.
Le deuxième fils, Maistre Joseph Almosnino35, associé à son frère pour les affaires
commerciales, se veut poète, mais on ne connaît de lui que quelques poésies
élégiaques (en hébreu), dont un poème consacré à la mémoire de son père.
Le dernier fils d'Abraham, Rabbi Samuel Almosnino devient le chef de la
congrégation de Catalogne. Grand érudit, talmudiste émérite, il est l'auteur de
plusieurs décisions légales, d'un sur-commentaire de Rashi sur le Pentateuque36, et
d'un commentaire sur quatre petits prophètes37 (Osée, Obadia, Jonas et Michée).
Il a eu deux fils : Abraham dit le Jeune et Barukh. Abraham le Jeune, grand
connaisseur en matière de halakha et chef de la congrégation d'Aragon, n'a jamais
été publié. Il a eu trois fils, Absalon, Barukh et Joseph ; ce dernier a laissé deux
ouvrages : le premier, Peyrush masekhet avot est un commentaire du Pirkey Avot
dans lequel il cite les opinions d'auteurs prestigieux comme Maïmonide ou Isaac
Abravanel et y ajoute celles de son père, Abraham le Jeune. Son second ouvrage
s'intitule Peyrush masekhet berakhot, commentaire du traité talmudique du même
nom.
Le deuxième fils de Rabbi Samuel, Barukh, rabbin de la congrégation de Catalogne,
est réputé pour sa grande générosité. Il fait reconstruire en 1545, sur ses deniers, la
synagogue catalane détruite par un incendie38. Il pourvoit aussi à l'entretien des
élèves nécessiteux afin de leur permettre de poursuivre leurs études. Il a eu deux
fils, Moshé dont nous allons évoquer la vie au paragraphe suivant et Japhet. Il meurt
en 1562 et son fils Moshé a rappelé dans son oraison funèbre la grande estime dans
laquelle le tenait sa communauté39.

33
Baer Yitzhak Fritz, A History of the Jews in Christian Spain, Philadelphie, 1978, p 297-299 et Roth
Cecil, "Almosnino", Encyclopedia Judaica déjà cité.
34
Voir en Annexe 3 une esquisse de la généalogie de la famille.
35
Almosnino Moshé, Me`ames̪ koah̪, (recueil de vingt-huit discours réconfortants), Venise, 1593, p 97.
36
Cet ouvrage a été imprimé en 1524 à Istanbul sous le titre Peyrushim le-Rashi, cosigné par Yaakov
Kneizel.
37
Cet ouvrage est répertorié dans Mss. codices hebraici biblioth., de De Rossi, Parme, 1803, volume
II n° 355.
38
Nehama Joseph, Histoire des israélites de Salonique, Tome III L'age d'or du séfaradisme salonicien
(1536 – 1593), première partie, Salonique, 1936, p 84 – 85.
39
Almosnino Moshé, Me`ames̪ koah̪, opus cité, p 235 – 236.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 10
1.3 Moshé Almosnino : sa vie et son œuvre.

1.3.1 Eléments biographiques.


Né en 1523 à Salonique dans une famille aisée et respectée, Moshé suit très jeune
les leçons des grands maîtres de son époque. Il étudie les sciences naturelles,
l'astronomie et les mathématiques, la philosophie et la médecine, sans oublier les
textes sacrés et la littérature talmudique et rabbinique. Il étudie aussi la philosophie
arabe et, à seize ans, il est considéré comme un prodige d'érudition40. Il continue à
étudier et évolue avec aisance au milieu des problèmes les plus ardus de la religion,
de la philosophie, de la médecine, de l'astronomie et de la physique.
Il se signale rapidement comme un prédicateur de talent, un orateur habile porté sur
la morale, et devient un des guides de sa génération. Sa parfaite connaissance de
l'hébreu et de l'espagnol, bien sûr, mais aussi du latin, du turc et de l'arabe, lui
permet de lire les meilleurs auteurs sacrés et profanes et d'être considéré comme un
humaniste éclairé, au sens où on l'entendait à la Renaissance41.
Il est élu rabbin de la congrégation Neveh Shalom en 1553 et de celle de Liwyat HҜen
en 1560. Il est alors réputé pour ses connaissances en matière talmudique et
rabbinique et aussi pour son enseignement sur les sciences (physique et astronomie
surtout) ; on lui attribue plusieurs commentaires sur des traités traduits de l'arabe et
du latin. Il est le promoteur de la haskamah (décision) de 1558 qui interdit aux juifs
de recourir aux tribunaux civils, corrompus et avantageant le plus offrant ; il est aussi
l'auteur de nombreux responsa.
De 1566 à 1568, il fait partie de la délégation de la communauté juive de Salonique
auprès du sultan, Soliman le Magnifique, chargée de lui demander de confirmer les
privilèges et droits de cette communauté, contestés par les autorités locales. Cette
ambassade, en butte à la mauvaise volonté des fonctionnaires turcs, se prolonge du
fait de la mort de Soliman en septembre 1566. Les négociations reprennent avec son

40
La plupart des éléments de la biographie de Moshé Almosnino sont tirés de deux ouvrages : Bnaya
M. Z., Mosheh Almosnino of Salonica, (en hébreu), Tel-Aviv, 1996 et Carmoly Eliakim, La famille
Almosnino, Paris, 1850.
41
Molho Isaac, "Un humaniste sefardi de Salonique : Moïse Almosnino (1518 - 1581)", in Tesoro de
los Judios Sefardies, Vol 7, 1964, p XLIX - LXVIII.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 11
successeur, Selim II, et seront finalement couronnées de succès42 (malgré le décès
de deux membres de la délégation).
Moshé Almosnino rentre fatigué et malade d'Istanbul et refuse toute nouvelle charge,
préférant se consacrer à sa communauté, à l'étude et à l'écriture.
Il meurt à Istanbul en 1581 mais on ignore le motif de son séjour dans cette ville43.

1.3.2 Bibliographie de Moshé Almosnino


Malgré ses nombreuses occupations, M.A. a trouvé le temps de rédiger un grand
nombre d'ouvrages dont nous allons essayer de donner une liste aussi complète que
possible. Ces ouvrages, rédigés en hébreu ou en espagnol (avec des caractères
hébraïques) ont été pour quelques uns imprimés de son vivant à Salonique, d'autres
sont restés à l'état de manuscrits ou ont été perdus.

Migdal 'Az : traduction de Maqasid al-Falasifa (Les intentions des philosophes) du


philosophe arabe Al-Ghazali44 ; manuscrit à la bibliothèque de Parme (vers 1540).
Tefillah le-Moshe : commentaire apologétique du Pentateuque ; rédigé en 1546,
publié à Salonique en 1563, puis à Cracovie en 1598 et 1805.
Peney Moshe : commentaire sur l'éthique d'Aristote45 écrit à Palestria en 1546, près
de Salonique ; publié par Simon, son fils, après sa mort en 1584.
Beyt Elohim : traduction en hébreu de De sphaera mundi de Jean de Sacrobosco46
en 1553.
Pirkey Moshe : commentaire du Pirkey Avot, rédigé et publié à Salonique en 1562.

42
Veinstein Gilles, "Sur la draperie juive de Salonique (XVIe - XVIIe s.). In Revue du monde
musulman et de la Méditerranée, N°66, 1992. Les Balkans à l'époque ottomane, p. 55 – 64.
43
Selon Carmoly Eliakim, La famille Almosnino, Paris, 1850, p. 16, il semblerait qu'il ait été chargé
d'une nouvelle mission, dont l'objet est inconnu, par les juifs de Salonique.
44
Abou Hamid Mohammed ibn Mohammed Al-Ghazali (1058-1111) est un penseur musulman
d'origine persane qui représente le mysticisme le plus profond. Al-Ghazali eut une formation
philosophique très poussée et il écrivit un essai tentant de résumer la pensée des grands philosophes
musulmans (Al-Kindi, Rhazès, Al-Farabi, Avicenne...). Déçu dans sa recherche d'une vérité
philosophique finale, il s'oriente vers un mysticisme profond refusant toute vérité aux philosophes et
les accusant d'infidélité. Sa critique vise principalement l'aristotélisme d'Avicenne. Il sera lui-même
critiqué un siècle plus tard par Averroès.
45
Selon Moritz Steinschneider, "Die Hebräischen Uebersetzungen des Mittelalters und die Juden als
Dolmetscher" Berlin, 1893, p. 215 paragraphe 111 et Carmoly Eliakim, La famille Almosnino, Paris,
1850, p. 12.
46
John of Hollywood ou Jean de Halifax, plus connu sous le nom latinisé de Joannes de Sacrobosco,
est né à la fin du XIIe siècle, probablement dans le Yorkshire ; la date de sa mort reste incertaine,
1244 ou 1256. Professeur de la Sorbonne, mathématicien et astronome, il est l'auteur de plusieurs
traités scientifiques très diffusés dans les universités médiévales, particulièrement La Sphère (De
sphaera mundi).

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 12
Regimiento de la Vida ou Hanhagat ha-H̰ayim : traite de l'origine du bien et du mal,
de la providence, de la morale, de l'éducation des enfants, du libre arbitre, de
l'influence des planètes, du bonheur. Rédigé en 1564 en espagnol en caractères
hébraïques.
Tratado de los sueĖos ou `Iggeret ha-H̰alumot (Traité des songes) : rédigé en 1564
en espagnol en caractères hébraïques (souvent réuni à l'ouvrage précédent) à la
demande de Don Joseph Nassi47, Duc de Naxos. Cet ouvrage contient en appendice
un glossaire de mots espagnols considérés comme difficiles avec leur traduction en
hébreu. Imprimé en caratères hébraïques en 1564 à Salonique, puis réédité à Venise
en 1604 et à nouveau à Salonique en 1729, il a été transcrit en caractères latins et
imprimé en 1729 à Amsterdam.
Extremos y Grandezas de Constantinopla : ouvrage historique sur l'Empire Ottoman,
rédigé pendant son ambassade à Istanbul (de 1566 à 1568) en espagnol en
caractères hébraïques. Ce livre a été transcrit en caractères latins par Jacob
Cansino48 (citoyen juif d'Oran) et imprimé à Madrid en 1638.
Yedey Moshe : commentaire sur les cinq rouleaux, publié en 157249 à Salonique,
puis à Venise en 1597.
Sha'ar ha-Shamayim : traduction hébraïque de la théorie des étoiles de Georges
Purbach50 (manuscrit).
Meames̰ Koah̰ : recueil de sermons et d'oraisons funèbres publié en hébreu à Venise
en 1588 par son fils Siméon.

Pour être complet, il faut encore citer trois ouvrages disparus :


Torat Moshe : commentaire du Pentateuque cité dans Meames̰ Koah̰.
Peyrush shel `Iov : commentaire sur Job cité par l'auteur dans son commentaire sur
l'Ecclésiaste.

47
Joseph Nassi (1524 - 1579) est un marrane devenu une personnalité importante de la Cour du
Sultan Soliman le Magnifique puis de son fils Selim II. Il fut fait par eux Seigneur de Tibériade, Comte
d'Andros et Duc de Naxos et des Sept-Îles. Il avait rencontré M.A. pendant ses études et l'avait pris en
amitié.
48
Schaub Jean Frédéric, "D'Almosnino à Cansino : un livre et ses contextes", in Entre el Islam y
Occidente : los judíos magrebíes en la Edad Moderna : Seminario celebrado en la Casa de Velázquez
(16-17 de noviembre de 1998), Madrid, Casa de Velázquez, 2003, p 189 – 200.
49
Dans sa préface, l'auteur déclare avoir terminé le commentaire des deux premiers rouleaux en
1549.
50
Georg von Purbach (1423 – 1461) est considéré généralement comme l'un des principaux pionniers
de la révolution copernicienne et képlérienne et le père de l'astronomie à la fois observationnelle et
mathématique en Europe de l'Ouest. Il a écrit Novae theoricae planetarum qui sera le livre de cours
standard sur la théorie des planètes de toute l'Université européenne jusqu'à Copernic.

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Sha`alot we-Teshuvot : recueil de décisions légales cité par Simeon Almosnino dans
son épilogue de Meames̰ Koah̰.

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2 – Le livre de Ruth.
Il n'est pas question dans ce chapitre de faire un commentaire du livre de Ruth. Son
seul but est d'essayer de donner quelques éclaircissements sur ce récit ainsi que
quelques pistes de réflexion pour permettre au lecteur de mieux apprécier (et
comprendre) le commentaire de Moshé Almosnino. En effet, ce livre a une grande
importance au niveau de la loi hébraïque (halakhah) puisqu'il pose le problème de
l'héritage, de la rédemption (le rachat), du remariage d'une veuve sans enfant et de
la conversion ; il a aussi, comme nous le verrons, une grande importance liturgique.
Ce chapitre sera divisé en six paragraphes : introduction, résumé du livre, lecture de
l'histoire, destin et filiation de Ruth et enfin, Ruth et Shavu'ot.

2.1. Introduction.
Le livre de Ruth est le seul livre biblique à porter le nom d'un gentil51, pourtant une
lecture un peu rapide ou superficielle de ce livre pourrait conduire à accepter
l'opinion de Rabbi Yosse Ben Qisma`52 quand il dit53 : "Je suis étonné. Si ce rouleau
n'a pour fin que d'indiquer la filiation de David, qui vient de Ruth la moavite, il n'avait
pas à en raconter davantage, qu'ai-je à faire de tout cela. Que soit écrit seulement la
filiation de David depuis Boaz, lorsqu'il épousa Ruth, et qu'il soit dit : Voici les
engendrements de Peres̪54, jusqu'à : Jesse engendra David55".
Pourtant, le livre de Ruth fait partie des cinq Megillot56 qui sont : Shir ha-Shirim (Le
Cantique des Cantiques), Ruth, Eikha (Lamentations), Qohelet (L'Ecclésiaste) et
Esther. Il est situé dans la troisième partie du Tanakh, les Ecrits (Ketouvim), après le
Pentateuque (Torah) et les Prophètes (Nevi`im). C'est le dix-huitième livre sur les

51
Gentil (goy ĜĘĕ)est pris ici dans le sens d'étranger, c'est-à-dire n'appartenant pas au peuple d'Israël.
On pourrait objecter qu'il y a aussi le livre de Job. Mais, alors que pour Ruth il n'y a pas de doute
possible, il y a plutôt un consensus sur le fait que Job était juif.
52
Rabbi Yosse Ben Qisma` est un tanna de la deuxième génération (80 – 110) que l'on retrouve dans
Avot 6, 9 où il affirme préférer la Torah à tout l'or du monde.
53
Zohar sur Ruth (Midrash ha-neelam) 78b. Il est intéressant de noter que Goethe appelle le livre de
Ruth, la plus belle de toutes les idylles (cité dans : McFadyen John Edgar, Introduction to the Old
Testament, Londres, 1905, p 204).
54
Ruth 4, 18.
55
Ruth 4, 22.
56
Megillah (pluriel : megillot, état construit : megillat) : rouleau de parchemin sur lequel est calligraphié
un texte biblique. La Torah est entièrement calligraphiée sur un rouleau appelé Sefer Torah ( īħĤ
ėīĘĭ).

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 15
vingt-quatre du Tanakh (selon la tradition juive57). Il fait aussi partie des bibles
chrétienne et protestante, sans toutefois y occuper la même place58.

2.2. L'histoire.
Elle se déroule à l'époque des Juges59 : Elimélekh, riche habitant de Bethléem, quitte
le pays, accompagné de sa femme Naomi et de ses deux fils, en direction de Moav,
sur l'autre rive du Jourdain, pour fuir la famine. Il y meurt, et ses fils épousent des
filles du pays, appelées Orpa et Ruth60. Dix ans plus tard, les deux fils meurent à leur
tour, et Naomi reste seule, sans mari ni enfants. Apprenant que la famine est
terminée à Bethléem, elle décide de retourner chez elle. Au moment du départ,
Naomi veut se séparer de ses brus : "restez chez vous et que Dieu vous bénisse".
Orpa et Ruth refusent de la quitter : "Nous retournerons avec toi, chez ton peuple".
Naomi essaie de les en dissuader : "restez chez vous et remariez vous". Elles se
trouvent toutes trois au bord du chemin et pleurent. Orpa prend la décision de rester,
mais Ruth choisit de continuer la route avec sa belle-mère : "N'insiste pas auprès de
moi pour que je te quitte et m'éloigne de toi ; car partout où tu iras, j'irai ; où tu
demeureras, je veux demeurer ; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon
Dieu61" lui dit-elle.
Lorsque les deux femmes arrivent à Bethléem, tous sont frappés de stupeur : est-ce
vraiment Naomi, cette femme, Naomi qu'autrefois tout le monde enviait ? C'est
l'époque de la moisson, mais il n'y a rien à manger dans la maison de Naomi. Ruth
va glaner les épis laissés intentionnellement dans les champs pour les pauvres. Par
le plus grand des hasards, elle va glaner dans le champ de Boaz, un parent de
Naomi, l'homme le plus influent de la ville. Quand celui-ci apprend qui est sa belle-
mère, il lui permet de glaner pour subvenir à ses besoins. Ruth rentre chez elle et
raconte l'incident à sa belle-mère qui décide que le temps est venu pour la jeune
femme de se remarier. Elle lui dit d'aller se coucher aux pieds de Boaz quand il

57
On peut remarquer que l'ordre des livres dans la Bible hébraïque n'est pas tout à fait conforme à
celui préconisé dans le Talmud, comme le montre cet extrait de T.B. Bava Batra 14b : "Voici l'ordre de
Ecrits tels que nos rabbins l'ont enseigné : Ruth, les Psaumes, Job, les Proverbes […]" dans
Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et annoté par Arlette
Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 933.
58
Le livre de Ruth est classé parmi les livres historiques de l'Ancien Testament chrétien.
59
La période des Juges (shofet̯im) dure environ quatre siècles après l'entrée des hébreux en terre
d'Israël. Parmi les plus connus, citons Déborah et Samson.
60
Il ne faut pas perdre de vue le fait que le pays de Moav est peuplé d'idolâtres et que les Moavites
sont détestés par le peuple hébreu.
61
Ruth 1, 16.

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dormira dans sa grange. Elle obéit, et au milieu de la nuit, l'homme se réveille et
trouve Ruth à ses pieds. Celle-ci lui explique qu'il doit la prendre pour femme62. Boaz
accepte et Ruth repart discrètement aux aurores pour rapporter la nouvelle à Naomi
qui attend impatiemment.
Le matin venu, Boaz propose à un parent plus proche de Naomi de racheter les
terres d'Elimélekh ; celui-ci accepte, mais quand il apprend qu'il doit aussi épouser
Ruth, il se rétracte, ôte sa sandale et cède ses droits à Boaz ; celui-ci, prenant les
habitants de la ville à témoin, rachète les champs et prend Ruth pour épouse, qui
donnera naissance à 'Oved, grand-père du roi David.

2.3. Comment lire cette histoire ?


Ce petit livre de quatre-vingt cinq versets répartis en quatre chapitres a été rédigé,
selon la tradition, par le prophète Samuel : "Samuel a écrit son livre, celui des Juges
et celui de Ruth"63. Il semble cependant que ce livre ait été écrit à la période post-
exilique, sous Esdras et Néhémie (VIème siècle avant notre ère), peut-être pour
protester contre l'attitude hostile à l'égard des étrangers64 et des "mariages mixtes"65.
Elle a donné lieu à une abondante littérature, de l'antiquité à nos jours, aussi bien à
l'intérieur qu'à l'extérieur du monde juif, mais a aussi inspiré de nombreux artistes66,
poètes comme Victor Hugo67, peintres comme Nicolas Poussin68 ou Jean-François
Millet69, sans oublier Gustave Doré70, et même des musiciens comme Mario
Castelnuovo-Tedesco71.

62
Ruth 3, 9 : "[…] Elle dit : Je suis Ruth, ta servante ; étend ton aile sur ta servante […]" (nt).
63
T.B. Bava Batra 14a dans Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov :
traduit et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 934.
64
Néhémie 13, 1 : "En ce temps-là, on lut dans le livre de Moïse en présence du peuple et l'on y
trouva écrit que ni Ammonite ni Moabite ne seraient jamais admis dans l'assemblée de Dieu" et
Néhémie 13, 3 : "Lorsqu'on eut entendu la Loi, on élimina d'Israël tout élément hétérogène."
65
Weinfeld Moshe, "Ruth, Book of", Encyclopedia Judaica 1971, tome 14 col 519 et Lacocque A., Le
livre de Ruth, Genève, 2004, p 12.
66
Pour une idée complète des œuvres inspirées par ce livre voir Weinfeld Moshe, "Ruth, Book of",
Encyclopedia Judaica 1971, tome 14 col 523 - 524.
67
Victor Hugo, La légende des siècles, Gallimard, Paris, 2002. Un court extrait de Booz endormi :
Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une moabite,
S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,
Espérant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du réveil la lumière subite.
68
L'été ou Ruth et Booz, peint en 1660-1664, Musée du Louvre.
69
Le repas des moissonneurs ou Ruth et Booz, peint en 1850-1853 pour le Muséum of Fine Arts de
Boston (exposé au Salon de 1853). Une esquisse de ce tableau est visible au Musée d'Orsay à Paris.
70
Dans la Bible illustrée par Gustave Doré en 1866, Booz et Ruth : illustration des versets de Ruth 2,
2-7.
71
La cantate "Naomi et Ruth", op. 22, est une œuvre non liturgique écrite en 1947.

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Le bref résumé du livre de Ruth que l'on vient de lire n'est évidemment pas une
traduction. Il faudrait lire ce récit en hébreu pour en approcher la symbolique : Naomi
signifie "agréable", Kilion (son fils), "destruction", Orpa (la bru qui n'a pas suivi
Naomi) "la nuque" (car en repartant elle a montré sa nuque), etc.
L'histoire de Ruth a été racontée par Flavius Josèphe72 dans le chapitre XI du Livre
Cinquième des Antiquités Judaïques73, en moins de deux pages, avec quelques
modifications par rapport au texte biblique : le nom d'Elimélekh devient Abimélech et
l'épisode de la sandale est attribué à Ruth qui la retire pour en donner un coup sur la
joue du "proche parent" qui avait refusé de l'épouser ; ceci évoque la cérémonie de
la h̯alis̯̯ah ou désistement du beau-frère astreint au lévirat74
Flavius Josèphe justifie la présence de cette histoire dans son ouvrage par la
nécessité de "faire connaître que Dieu élève ceux qu'il lui plaît à la souveraine
puissance, comme on l'a vu en la personne de David, dont voilà quelle fut l'origine."
Le livre de Ruth a suscité de nombreux commentaires à l'époque rabbinique. Ruth
est citée un nombre très important de fois dans le Talmud, aussi bien celui de
Babylone que celui de Jérusalem ; sa personnalité et son nom y sont évoqués, ainsi
que l'histoire elle-même75.
Le Targum de Ruth (Ier siècle) est une réécriture du livre en araméen dans laquelle
sont inclus de nombreux éléments midrashiques et des interprétations conformes
aux doctrines rabbiniques de l'époque76. Il considère que le mariage de Ruth est un
lévirat.

72
Yossef ben Matityahou ha-Kohen, plus connu sous son nom latin de Flavius Josèphe (Titus Flavius
Josephus), est un historien romain du Ier siècle (Jérusalem, environ 37 - Rome, environ 100) d'origine
juive et de langue grecque.
73
Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, Lidis, Paris, 1968.
74
Le lévirat est codifié par Deutéronome 25, 5 et suivants : "Si des frères demeurent ensemble et que
l'un d'eux vienne à mourir sans postérité, la veuve ne pourra se marier au-dehors à un étranger : c'est
son beau-frère qui doit s'unir à elle. Il la prendra donc pour femme, exerçant le lévirat à son égard." Le
désistement du beau-frère est décrit dans Deutéronome 25, 9 : "Et sa belle-sœur s'avancera vers lui à
la vue des anciens, lui ôtera sa chaussure du pied, crachera devant lui et dira à haute voix : ainsi est
traité l'homme qui veut pas édifier la maison de son frère." Alors que le Targum et le Zohar sur Ruth
affirment que le mariage entre Ruth et Boaz est un lévirat, la tradition rabbinique majoritaire et le
Talmud sont d'avis contraire.
75
Une liste exhaustive de ces citations se trouve dans Levine Etan, The aramaic version of Ruth,
Rome, 1973, p 113 - 120.
76
Levine Etan, The aramaïc version of Ruth, Rome, 1973, p 1 - 3.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 18
Le Midrash Ruth Rabba, qui ne mentionne aucun rabbin au-delà du IVème siècle,
semble avoir été compilé au VIème siècle77 (le Midrash Ruth Zut̫a daterait du Xéme
siècle).
Parmi les nombreux commentateurs du livre de Ruth citons Rashi, mais aussi
Abraham Ibn Ezra ou le Gaon de Vilna.
Enfin le Zohar sur Ruth est particulièrement dithyrambique à l'égard de Ruth, Naomi
et Boaz.
En parcourant les différents textes midrashiques ou les commentaires qui portent sur
la Megillat Ruth, on s'aperçoit que les mêmes problématiques reviennent : unions
illicites (avec des étrangères), idolâtrie, lévirat, conversion.
Le premier chapitre du livre contient douze fois le verbe lashuv (revenir) ; le
deuxième chapitre contient douze fois le verbe lelaqet (glaner) et dix fois le verbe
liqs̯or (faucher), tandis que le troisième et le quatrième chapitre du livre contiennent
vingt-trois fois les mots go`el 78 (rédempteur) ou ge`ulah (rachat, rédemption)79.
On s'aperçoit qu'il ne s'agit pas pour Naomi d'un simple retour. Le mot lashuv
équivaut ici à teshuvah (issu de la même racine) qui veut dire réponse, mais aussi
repentance, retour à Dieu et à ses commandements.
D'après le Midrash, ce n'est pas par crainte de la famine que la famille d'Elimélekh
quitte Bethléem : c'est en effet la famille la plus riche de la ville et elle choisit de

77
Strack H. L. et Stemberger G., Introduction au Talmud et au Midrash, traduction et adaptation
françaises de Maurice Ruben Hayoun, Paris, 1986, p 361 et Herr Moshe, "Ruth Rabbah",
Encyclopedia Judaica 1971, tome 14 col 524.
78
La traduction de go`el (ğēĕ) est particulièrement difficile, même en tenant compte du contexte.
Littéralement, le go`el est celui qui a le droit de rachat. Dans l'ancienne société agraire d'Israël, il était
très important que les biens d'un clan ou d'une famille ne soient pas dispersés. Si un décès ou
quelque événement imprévu de la vie venait à libérer une parcelle de terre, le plus proche parent du
défunt avait droit (et même obligation) de racheter cette terre afin que l'héritage demeure dans la
famille.
Mais le go`el est également celui qui a pour mission d'obtenir la libération des prisonniers de son clan.
Le roi joue un rôle analogue au sein de son peuple en "rachetant" les pauvres (Psaumes 72, 12 : "Car
il délivre l'indigent qui l'implore, le pauvre qui n'a pas de secours à attendre de personne."). Dieu se
fait de même le go`el des orphelins et des déshérités. Mais c'est surtout à titre d'allié que la Bible le
considère comme le go`el d'Israël (Psaumes 19, 15 : "[…] Eternel, mon rocher, mon rédempteur",
Psaumes 78.35 : "Alors ils se souvenaient que Dieu était leur rocher, le Dieu suprême, leur
libérateur.", etc.).
On traduit souvent dans les bibles le terme go`el par "rédempteur" et l'opération de libération, la
ge`ulah, par "rédemption".
Pour la suite, nous garderons le mot en hébreu.
79
Crandall C. E., "The Book of Ruth, Considered Statistically", The Hebrew Student, Vol. 2, No. 1
(Sep., 1882), p. 18 – 21.

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s'expatrier pour éviter de devoir partager ses biens avec les victimes du fléau80. Et
faute suprême, la famille va vivre chez les ennemis d'Israël, parmi les idolâtres où les
fils vont prendre femme, au mépris de la Torah.
Mais Naomi, ruinée, veuve, sans enfants, revient à son lieu de départ. C'est dans ce
mouvement de retour à soi-même, amorcé au moment où ses épreuves passées
l'ont emplie d'amertume, qu'elle pourra trouver la rédemption (ge`ulah).
L'attitude de Ruth est remarquable de bonté et de générosité à l'égard de sa belle-
mère. Elle contredit l'opinion habituelle qui veut que belle-mère et bru aimant le
même homme (fils ou mari) ne puissent être amies. Ruth, au contraire, s'attache à sa
belle-mère au point de la suivre en terre étrangère et de vouloir se convertir.
L'histoire montre d'ailleurs que cet amour est réciproque.
Quant à Boaz, malgré un penchant évident pour Ruth, il symbolise l'homme droit et
juste qui ne profite pas de la situation pour avoir des relations sexuelles avec elle, et
accepte même de se retirer si le proche parent décide d'exercer son droit de
préemption. On s'aperçoit cependant que Boaz a manœuvré très habilement pour
rester maître de la situation et épouser Ruth.

2.4. Le destin de Ruth.


On fait souvent un parallèle entre le destin de Ruth et celui de Tamar.
Quand Boaz et Ruth se marient, l'assemblée bénit les époux en ces termes : "Que ta
maison soit comme la maison de Peres̯ que Tamar enfanta à Yehuda81". On peut se
demander pourquoi c'est cette bénédiction qui est dite ici. Il est vrai que Peresқ est
l'ancêtre de Boaz, mais la relation est plus fondamentale. L'histoire de Tamar et de
Yehuda se trouve au chapitre 38 de la Genèse : Tamar épouse Er, fils de Yehuda,
qui meurt peu après. Suivant la loi du lévirat, elle s'unit alors à son beau-frère Onan,
qui meurt lui aussi. Tamar attend donc que le troisième fils de Yehuda grandisse
pour pouvoir se marier avec lui, mais Yehuda a peur de lui céder son dernier enfant :
"[…] demeure veuve dans la maison de ton père jusqu'à ce que mon fils Shelah soit
plus grand, car il craignait qu'il ne mourut, lui aussi, comme ses frères82." Tamar,
voyant que Shelah a grandi mais que son père n'a pas l'intention de les marier, se

80
Ruth Rabba 1, 4 : "Il [Elimélekh] était l'un des notables de la région et l'un des guides de sa
génération. Mais quand la famine vint, il se dit : à présent, tout Israël va venir frapper à ma porte,
chacun avec son panier. Il a donc pris peur et s'est enfui." On retrouve les mêmes accusations dans
Zohar sur Ruth 77a et 80c.
81
Ruth 4, 12.
82
Genèse 38, 11.

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déguise en prostituée et a des relations sexuelles avec Yehuda, sans que celui-ci
devine son identité. De cette union naissent les jumeaux Zérahқ et Peresқ (ce dernier
sera l'ancêtre de Boaz, donc de David).
Il en est de même pour Ruth. Naomi perd l'un après l'autre son mari et ses deux fils ;
elle n'a plus d'espoir : "Je suis trop âgée pour être à un époux83", dit-elle. Il faut
remarquer aussi que le mot mar (amer) revient souvent dans ses propos : "Non mes
filles, car j'aurai beaucoup d'amertume pour vous84". Mais Ruth insiste : "là où tu
mourras, je veux mourir aussi et y être enterrée. Que l'Eternel m'en fasse autant et
plus si jamais je me sépare de toi autrement que par la mort85".
Naomi veut changer de nom : "Ne m'appelez plus Naomi [l'agréable], appelez-moi
Mara [l'amère] car Shadaï m'a abreuvée d'amertume86". L'amertume règne, mais
quand Ruth lui apprend que Boaz lui permet de glaner dans ses champs, elle
reprend espoir : "Béni soit-il par l'Eternel, puisqu'il n'a cessé d'être bon pour les
vivants et pour les morts87".
Quand Ruth donne finalement naissance à 'Oved, elle en est bien la mère
biologique, mais cet enfant prend une grande importance pour Naomi : "Et les
voisines désignèrent l'enfant en disant : un fils est né à Naomi88". Comme dans le
cas de Tamar, la fatalité de la mort est dépassée par la vie qui se transmet grâce à
l'enfant.

2.5. Filiation de Ruth.


Le récit pose trois fois la question de l'identité de Ruth. Boaz demande :"à qui est
cette jeune fille89 ?" Quand il se réveille en sursaut dans sa grange, il questionne :
"qui es-tu90 ?" Et Naomi posera la même question91.
Ruth n'apparaît pourtant pas dans la Bible par hasard quand on examine sa
généalogie où nous retrouvons Haran (frère d'Abraham), Loth et Moav.
Haran meurt à `Ur-Kasdim et le midrash indique qu'il est jeté dans une fournaise
avec Abraham, après que celui-ci ait brisé les idoles de son père. Tandis

83
Ruth 1, 12.
84
Ruth 1, 13.
85
Ruth 1, 17.
86
Ruth 1, 20.
87
Ruth 2, 20.
88
Ruth 4, 17.
89
Ruth 2, 5.
90
Ruth 3, 9.
91
Ruth 3, 16 : "Elle vint auprès de sa belle-mère, qui dit : qui es-tu ma fille ?[…]."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 21
qu'Abraham est sauvé par sa foi en Dieu, Haran, qui ne possède pas la foi de son
frère, est brûlé92.
Loth, son fils, est adopté par Abraham, mais il se sépare de ce dernier et se dirige
vers Sodome, ville perverse où règne l'injustice, pour s'y installer. La rupture est
totale entre les deux parents : "De grâce, sépare-toi de moi, si tu vas à gauche, j'irai
à droite, si tu vas à droite, je prendrai à gauche" dit Abraham à Loth93. Lorsque
Sodome est détruite, Loth se réfugie dans la montagne avec ses deux filles ; celles-ci
l'enivrent et s'unissent à lui, union dont naissent Ben-'Ammi, ancêtre des Ammonites,
et Moav, ancêtre des Moavites94.
La Bible parle à nouveau du peuple de Moav quand les Hébreux sortent d'Egypte et
que celui-ci leur défend de passer par son territoire. L'égoïsme des Moavites, leur
refus de leur donner du pain et de l'eau est jugé inadmissible par la Torah qui leur
interdit la conversion au judaïsme pendant des générations : "[…] même après la
dixième génération ils seront exclus de l'assemblée du Seigneur, à perpétuité95",
"parce qu'ils ne vous ont pas offert le pain et l'eau à votre passage96".
Et il faudra attendre Ruth, que Naomi cherche à repousser mais qui s'accroche,
contrairement à Loth, pour que la famille soit réunie à nouveau.
Elle s'appelait d'abord Gilite (joyeuse) et était la fille de Eglon97, roi de Moav98. Elle
prit le nom de Ruth99 quand elle épousa Mahқlon et se convertit100. Et quand son mari
mourut, elle resta fidèle à la Torah. Pour toutes ces qualités, on dit qu'elle est

92
Bereshit Rabba 38, 13, commentaire de Genèse 11, 28 : "Haran mourut en présence de son père
Terah̯ dans son pays natal, à `Ur-Kasdim." (nt)
93
Genèse 13, 9.
94
Genèse 19, 31-37.
95
Deutéronome 23, 4.
96
Deutéronome 23, 5.
97
Zohar sur Ruth 79a : "[…] Sais-tu quel était son nom au début ? Il lui répondit : son nom était Gilite,
lorsqu'elle épousât MahҚlon, elle fut appelée Ruth".
98
T.B. Sotah 47a : "Ruth était la fille d'Eglon, fils du fils de Balak, roi de Moav" dans Aggadoth du
Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et annoté par Arlette Elkaïm-Sartre,
Paris, 1983, p 810.
99
Pour marquer son entrée dans la communauté d'Israël, la règle veut qu'un nouveau nom soit donné
au prosélyte.
100
Zohar sur Ruth 79a : "[…] elle s'était en effet convertie quand elle épousât MahҚlon et non pas
après. Une fois leur mari mort, Orpa retourna à sa corruption tandis que Ruth maintint sa sympathie
[…]. Quand son mari mourut, elle s'attacha à la Torah de sa propre volonté."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 22
nommée Ruth101 (ĭĘī) car l'anagramme de son nom est Tor (tourterelle īĘĭ),

assimilé à Torah102 (ėīĘĭ).

2.6. Ruth et la fête de Shavu'ot.


La megillat Ruth occupe une place particulière dans la liturgie puisqu'elle est lue tous
les ans lors de la fête de Shavu'ot103 (de façon différente selon les communautés104).
Il existe trois relations essentielles entre Ruth et la fête de Shavu'ot : la saison de
l'année (la fin du printemps), la bonté (h̯esed) et la conversion.

2.6.1 La saison
L'histoire de Ruth se déroule pendant la récolte de l'omer. Shmuel Bar NahҖman a
dit105 : "partout où il est dit [dans le texte du livre] moisson des orges, il s'agit de
l'omer". Cette récolte avait lieu le deuxième jour de Pessah (à partir duquel on
compte cinquante jours jusqu'à Shavu'ot). L'omer est une gerbe composée de
plusieurs céréales qu'on amenait en offrande au Temple106. Ce n'est qu'après avoir
présenté cette offrande qu'on avait le droit de consommer le produit des récoltes qui
avaient poussé au cours de l'année écoulée.
Le commandement concernant la présentation de l'omer au Temple ne peut
s'accomplir qu'en Israël, car il est essentiellement lié à la terre107, et tous les
commandements qui sont liés à cette terre ont en commun le rappel de la précarité
des possessions matérielles. En effet, contrairement aux contrées riches en eau

101
T.B. Berakhot 7a : "Ruth, pourquoi ce prénom ? Selon Rabbi YohҚanan, c'est parce que ses mérites
lui valurent de donner naissance à la lignée de David qui charma le Saint, béni soit-il, par ses chants
de louange " dans Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et
annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 60.
102
Zohar sur Ruth 95a.
103
Shavu'ot est la fête juive dite des Semaines ou Pentecôte. Elle est célébrée à la fin du printemps
pendant le mois hébreu de sivan, cinquante jours après PesahҖ (Paque juive), pentacosta voulant dire
cinquante en grec. A l'époque biblique, la fête était une action de grâces pour la récolte des moissons.
Plus tard, la tradition l'associa à la remise des Tables de la Loi sur le mont Sinaï. La célébration de
Shavu'ot comprend la lecture du Livre de Ruth et la décoration du foyer et de la synagogue avec des
fruits et des fleurs.
104
Les communautés ashkénazes et yéménites lisent la Megillat Ruth le deuxième jour de Shavu'ot.
Les séfarades la lisent en deux parties : de Ruth 1, 1 à 3, 8 le premier jour et de 3, 8 à 4, 22 le
deuxième. Dans tous les cas, la lecture se fait dans l'après-midi.
105
Ruth Rabba 4, 2.
106
En ce temps-là, le Temple n'existait pas encore et c'est Shiloh, où Josué avait déposé l'Arche
(Josué 18, 1), qui était le lieu de culte principal et de gouvernement, l'endroit où les fils d'Israël se
retrouvaient pour les fêtes annuelles à l'époque des Juges (Juges 21, 19).
107
Lévitique 23, 10 : "[…] quand vous serez arrivés dans le pays que je vous accorde, et quand vous
y ferez la moisson, vous apporterez un omer des prémices de votre moisson au pontife" et Lévitique
23, 11 : "lequel balancera cet omer devant le Seigneur, pour vous le rendre propice […]."

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comme l'Egypte par exemple, arrosée par le Nil, toute la récolte en Israël dépend de
l'abondance des pluies qui est, comme on peut le lire dans la Bible108, fonction de la
conduite morale et spirituelle des habitants du pays.
Ruth arrive en Israël au moment où l'on récolte justement cet omer qu'il faut apporter
au Temple. Il semble donc que pour elle, comme pour l'ensemble du peuple juif,
l'acte nécessaire de la conversion doive passer par la conquête du pays, à l'image
de Josué qui a dû, lui aussi, affronter cette difficulté concrète. Ruth doit conquérir le
pays, car rien ne lui est donné au départ ; elle se trouve dans le dénuement, réduite
à la mendicité. Seule une foi indéfectible a pu lui permettre de passer du statut de
princesse à celui de mendiante.

2.6.2 La bonté
La Torah, qui a été donnée aux Hébreux le jour de la fête de Shavu'ot, a été définie
dans le midrash par le mot ḫesed (ĖĤĚ) qui signifie bonté, et l'histoire de Ruth tourne

elle aussi autour de ce concept. Ruth est la personnification de la bonté et de la


générosité, comme nous l'avons vu plus haut.
Naomi souhaite à ses brus : "[…] que l'Eternel vous accorde sa bonté […]109",
bénissant ainsi des étrangères moavites. Il s'agit là de la générosité et de l'ouverture
des Juifs vis-à-vis des autres peuples, Ruth étant l'anti-Esdras, qui prônait la
répudiation des épouses non-juives, symbole d'un mouvement de repli du Judaïsme
sur lui-même.

2.6.3 La conversion
Ruth est la plus célèbre des prosélytes et la lecture de la megillah se fait le jour où le
peuple tout entier a accepté la Torah, faisant ainsi acte de conversion.
Dans T.B Yebamot 47a, lorsque Ruth110 dit à Naomi : "[…] partout où tu iras, j'irai
[…]", le commentaire fait parler Naomi : "nous sommes soumis à six cent treize
commandements", et Ruth de répondre111 : "[…] ton peuple sera mon peuple[…]"
alors Naomi112 "[…] voyant qu'elle était fermement décidée à l'accompagner, cessa

108
Deutéronome 11, 10 – 17 : "Car le pays où tu vas pour le conquérir ne ressemble point au pays
d'Égypte d'où vous êtes sortis, [..]" etc.
109
Ruth 1, 8.
110
Ruth 1, 16.
111
Idem.
112
Ruth 1, 18.

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d'insister auprès d'elle"113. Ruth a manifesté ainsi sa ferme intention de se convertir
bien que Naomi se soit opposée par trois fois à son désir, attitude qui fait partie des
tests de sincérité du désir de conversion .

113
Extrait de Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, `Ein Yaakov : traduit et annoté
par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 602-603.

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3 – L'ouvrage : Le commentaire du livre de Ruth.
L'ouvrage Yedey Moshe est un commentaire des cinq Megillot, sur un peu plus de
cinq cents pages, et nous avons choisi celui du livre de Ruth qui se présente (comme
les quatre autres) en deux parties : une courte introduction suivie du commentaire
proprement dit, qui est fait verset par verset.
La traduction d'un tel texte est toujours problématique : faut-il faire une traduction
littérale, dans un français plus ou moins correct ou une traduction plus élaboré, plus
élégante ?
Dans tous les cas, on risque de confirmer l'adage : Traduttore, traditore114. Le fait de
comparer un traducteur à un traître signifie que la traduction d'un texte d'une langue
dans une autre ne peut, en aucune manière, respecter parfaitement le texte de
l’œuvre originale. Il est toujours préférable de lire une œuvre en version originale
pour la découvrir telle qu’elle a été créée par l’auteur, mais ce n'est pas toujours
possible.
Après réflexion, la solution nous a été donnée par Maïmonide qui, dans une réponse
à Samuel Ibn Tibbon115, qui lui avait écrit pour lui faire part des difficultés rencontrées
dans la traduction du Guide des égarés, lui prodigue de précieux conseils pour
parvenir à une traduction satisfaisante.
Voici une traduction personnelle du passage de cette lettre116 :
"[…] et je te rappellerai d'abord ce principe que, quiconque voudrait traduire d'une
langue à l'autre en traduisant chaque mot littéralement, et en conservant l'ordre
chronologique des mots et des phrases, s'imposerait une lourde tâche et se
donnerait beaucoup de peine. Sa traduction susciterait des doutes nombreux et
apparaîtrait extrêmement altérée.

114
Littéralement : traducteur, traître ou traduire, c'est trahir. Cette expression italienne que l'on peut
comprendre sans pratiquer la langue joue sur la ressemblance et la sonorité des deux mots et illustre
bien la difficulté de traduire sans trahir.
115
La famille Ibn Tibbon, dont les membres sont souvent appelés les Tibbonides, est une famille de
rabbins provençaux spécialisés dans la traduction en hébreu d'ouvrages philosophiques et qui ont
joué un rôle important dans la transmission des savoirs antiques. Les Tibbonides ont vécu
principalement dans le Sud de la France (à Lunel) aux XIIe et XIIIe siècles.
Samuel ibn Tibbon, (1150-1230), médecin et philosophe, est le plus illustre des Tibbonides, connu
surtout pour sa traduction du Guide des égarés de Maïmonide.
116
Iggarot ha-Rambam, (en hébreu) édité par Shailat Isaac, Ma'aleh Adumim, Jérusalem, 1986, tome
2 p 548.

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C'est le cas de Al-Batrikh117, qui a fait une mauvaise traduction d'Aristote et de
Galien, et dont il ne faut surtout pas suivre l'exemple.
Le traducteur doit d'abord comprendre le fond du texte et ensuite le transcrire de
façon compréhensible pour ceux qui parlent l'autre langue. Il ne pourra pas faire
autrement que de ne pas respecter l'ordre chronologique ; il pourra transposer des
passages et utiliser des périphrases, condenser, ajouter des mots ou en retrancher,
jusqu'à ce que son texte devienne intelligible."
Nous nous sommes efforcés de suivre ces conseils avisés pour notre traduction, en
essayant de conserver autant que possible le style imagé de l'auteur, avec ses
métaphores inhabituelles en français (par exemple "belle comme la lune") et de
restituer le ton d'un discours souvent poétique, parfois lyrique.

3.1 Introduction de l'auteur.


L'auteur commence par rendre hommage à son père : "éminent et personnalité
importante, Barukh Almosnino, lumière qui éclaire en permanence et m'a dirigé vers
le plus haut des plus hauts."
Puis il continue en expliquant les conditions de la rédaction de son ouvrage :
"Dieu est mon refuge118 qui m'a sorti de plusieurs désagréments qui se sont abattus
sur moi, car les malheurs m'ont assiégé comme le four d'Akhnay119 ; mais j'ai pu

117
Il s'agit d'un contemporain arabe de Maïmonide qui a fait des traductions du grec vers l'arabe et
pour lequel il n'a pas une grande estime.
118
Deutéronome 33, 27 : "Tu as pour refuge le Dieu primordial, pour support ses bras éternels, il
écarte devant toi l'ennemi, il décrète sa ruine.".
119
T.B Bava Mes̫ia 59b : "On enseigne dans une Mishna : un four fabriqué en tuiles découpées et
liées avec du sable n’est pas soumis aux règles de pureté et d’impureté selon Rabbi Eliézer. Les
autres sages pensent le contraire. C’est ce qu’on appelle le four d’Akhnay. Une barayita enseigne : ce
jour-là, Rabbi Eliézer répondit à toutes leurs objections, mais les sages n’en acceptèrent aucune. Il
leur dit alors : "Si la loi est comme moi, que ce caroubier le prouve !" : le caroubier se déracina et
parcourut cent coudées (et selon certains, quatre cents coudées). Ils lui dirent : "On n’apporte pas de
preuve avec un caroubier !"
il dit alors : "Que ce courant d’eau prouve que j’ai raison", et l’eau remonta le courant. Ils répondirent :
"On n’apporte pas de preuve d’un courant d’eau !". "Que les murs de la maison d’étude le prouvent ".
Les murs commencèrent à s’effondrer quand Rabbi Yéhoshua les apostropha et leur dit : "Si des
sages se disputent au sujet de la loi, de quoi vous mêlez-vous ?"
Les murs ne tombèrent pas, par respect pour Rabbi Yéhoshua et ne se redressèrent pas, par respect
pour Rabbi Eliézer. Il leur dit : "Que les cieux le prouvent !". Alors, une voix céleste (bat qol) dit :
"Qu’avez-vous contre Rabbi Eliézer ! Son jugement prévaut en tout ! " Mais Rabbi Yéhoshua dit : "La
Torah n’est pas dans les cieux !" (Deutéronome 30, 12).
Que voulait-il dire par là ? Rabbi Jérémie dit : "La Torah a déjà été donnée au mont Sinaï; nous
n’avons donc pas à tenir compte d’une voix céleste, car il est écrit : selon la majorité, on tranche la loi
(Exode 23, 2)".
On peut se demander pourquoi M.A. fait allusion au four d'Akhnay. Il veut peut-être suggérer qu'il va
faire un commentaire allant à l'encontre de l'opinion majoritaire sur le livre de Ruth, prenant ainsi le
risque d'être critiqué (sinon excommunié), comme Rabbi Eliézer l'a été dans la suite de la barayita.

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trouver un peu de temps libre parmi mes occupations, grâce à l'indulgence de
l'Eternel. Ici, dans ce petit village de la région de Salonique120, après avoir terminé le
commentaire du rouleau d'Esther que j'avais commencé depuis longtemps, j'ai jugé
bon d'achever également le commentaire de ce rouleau [il s'agit évidemment du
rouleau de Ruth] afin de constituer un ensemble de manuscrits avec l'aide de Dieu
qui éclaire mon chemin, car je ne dispose pas de mes sources et je ne pourrai pas
donner toutes mes références."
L'auteur va ensuite évoquer la lecture du rouleau de Ruth pour la fête de Shavu'ot :
"Avant d'essayer de concilier les différents écrits par mon propre commentaire, il faut
se demander pourquoi les Sages ont recommandé la lecture du rouleau de Ruth
pour Shavu'ot, car quel rapport ? Moi, je dis que pour accepter la Torah il faut que la
matière se soumette à l'esprit, comme je l'ai expliqué dans mon commentaire sur le
Cantique des cantiques, dans mon livre Tefillah le-Moshe et au début de mon Pirkey
Moshe. Lors de l'acceptation de la Torah, la sagesse divine a ordonné que le peuple
juif se protège de toutes sortes d'appétences matérielles jusqu'à ce que la matière se
soumette et obéisse à l'esprit pour accepter le spirituel et le divin."
M.A. développe son argumentation :
"Ainsi, selon la tradition, le prophète Samuel a écrit son livre, celui des Juges et celui
de Ruth121, et les Sages ont consenti à sa lecture publique dans ces jours
redoutables du don de la Torah, car les tourments sont la raison qui permet
d'atteindre à la perfection une fois que la matière se soumet à l'esprit. On retrouve
cette notion dans Isaïe quand il dit je te remercie […] car ta colère s'apaise […]122,
car il rend hommage à la colère de Dieu et lui demande consolation ; en effet la
colère divine annonce des bienfaits et c'est pour cela que David dit aux grands de la
terre : prosternez vous de crainte qu'il ne se mette en colère123.
On s'aperçoit que pour atteindre la perfection, il faut que tout le monde s'assemble
autour du blé qui symbolise pureté et perfection et qu'il faut craindre la colère divine ;
car Dieu inflige des tourments s'il n'y a pas assez d'étude de la Torah mais il les

Voir aussi Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et annoté par
Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 887- 889.
120
Il s'agit probablement de Langaza, petit village dans la campagne à quelques kilomètres de
Salonique où M.A. se retirait pour se reposer et écrire.
121
T.B. Bava Batra 14a.
122
Isaïe 12, 1 : "Et tu diras, en ce jour : Je te loue, Seigneur, d'avoir fait éclater sur moi ta colère car ta
colère s'apaise et tu me consoles.".
123
Psaumes 2, 12 : "Adorez avec pureté de peur qu'il ne s'indigne et que vous n'alliez à votre perte,
car bien vite sa colère prend feu. Heureux qui s'abrite en lui !".

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 28
impose aussi par amour, et c'est un bonheur pour ceux qui s'abritent en Lui, car ces
tourments leur permettent de devenir meilleurs."
L'auteur introduit maintenant l'histoire de Rabbi HҖanina ben Dosa124 tirée du Midrash
pour appuyer sa théorie sur la soumission de la matière à l'esprit :
"Je vais maintenant expliquer le midrash pour bien faire comprendre combien
d'avantages découlent de la capitulation de la matière. Pourquoi Rabbi HҖanina a-t-il
voulu emporter une pierre au Temple, et faut-il croire au miracle ? Avec cinq sela125,
il aurait pu acheter deux oiseaux et pourtant il se désolait de ne rien offrir au
Temple".
M.A. va faire alors une lecture métaphorique de cet épisode :
"Il ne faut pas prendre les choses au premier niveau par une lecture superficielle de
ce texte, car les difficultés sont nombreuses sur le chemin qui permet de comprendre
pourquoi Rabbi HҖanina a voulu emporter cette pierre à Jérusalem. Que penser des
ouvriers [il s'agit des anges] qui lui demandent de les aider et de leur montrer avec le
doigt la direction à prendre ? Je vais en donner l'explication : Rabbi HҖanina était
parfait dans ses actions, il faisait le bien naturellement et il a vu des gens de la ville,
qui étaient loin d'atteindre son niveau de perfection, porter à Jérusalem des vœux et
des offrandes à l'esprit en luttant contre la matérialité".
L'auteur développe la métaphore de Jérusalem assimilée à l'esprit divin :
"Jérusalem est comblée de bienfaits par son union avec l'Eternel et de même
l'intelligence est comblée de bienfaits par le flux divin qui se propage dans tout le

124
Rabbi HҖanina ben Dosa était un tanna de la première génération (40 – 80 de notre ère), disciple
puis collègue de Rabbi Yohҗanan ben Zakaï, principalement connu pour ses mœurs vertueuses, sa
piété et son observance proverbiale du shabbat (T.J. Berakhot 4:7) et surtout pour la légende qui
l'entoure, le Talmud décrivant sa vie comme une suite de miracles (T.B. Pessah̫im 112b ; Bava
Kamma 50a) et lui-même comme le dernier faiseur de miracles en Israël (T.B. Sotah 9a).
Il n'a été conservé aucune halakha de lui et les quelques maximes qu'il a léguées (Avot 3, 9 et 10)
sont celles d'un homme pieux et dévot, d'une élévation morale remarquable.
Sa prière est particulièrement efficace pour obtenir les pluies, au point qu'il est dit qu' "à côté de la
prière de Rabbi Ben Dosa, celles du Kohen Gadol lui-même sont sans valeur"(T.B. Ta'anit 24b ).
On raconte qu'un jour, voyant des hommes de sa ville porter des holocaustes à Jérusalem, il
s'exclama : tous apportent des offrandes à Jérusalem et moi je suis trop pauvre pour apporter quoi
que ce soit ! Il sortit de la ville et vit un grand rocher, qu'il burina et polit ; puis il le peignit et dit : je jure
d'apporter cette pierre à Jérusalem. Cinq laboureurs apparurent, et offrirent de transporter la roche à
destination pour cent pièces d'or. Rabbi HҖanina, qui était d'une extrême pauvreté refusa avec
désespoir. Cependant, d'autres laboureurs apparurent bientôt, et ne demandèrent pour leur peine que
cinq petites pièces de monnaie, à condition que Rabbi HҖanina participe lui-même au transport. Une
fois le marché conclu, ils saisirent tous le rocher, et se retrouvèrent en un instant devant Jérusalem.
Lorsque Rabbi HҖanina se tourna pour les payer, ils avaient disparu et les prêtres du temple lui ont dit
qu'il avait été aidé par des anges (adapté de Cantique Rabba 1,4). Voir aussi Kaplan Zvi, " HҖanina
ben Dosa", Encyclopedia Judaica 1971, tome 7 col 1265 - 1266.
125
Il s'agit d'une petite somme, mais suffisante pour acheter deux tourterelles.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 29
corps. Rabbi HҖanina n'avait rien à apporter car il était tout entier parfait et spirituel et
accomplissait toutes ses actions avec ferveur et, nous le savons par le traité Avot, on
ne connaît pas le salaire des mis̪wot126 (comme je l'ai expliqué dans mon livre Pirqey
Moshe) ; il les accomplissait dans la joie et non de façon mécanique127. Il est sorti de
la ville signifie qu'il est sorti de son corps, qui est comme une petite ville128 où il y a
des habitants (les membres et les organes) et un cœur qui règne sur cette ville. Il est
allé dans la campagne car il voulait s'isoler pour soumettre tous ses organes à
l'intelligence et il a vu cette pierre, symbole du mauvais penchant (yes̪er ha-ra' īĩĜ

ĥīė) comme il est dit : j'ôterai le cœur de pierre de leur corps et je leur donnerai un

cœur de chair129.
Cette pierre, qu'il ne pouvait déplacer, symbolise l'immobilisme et la sclérose qui naît
de l'habitude et, en la taillant, il a taillé le matérialisme qui était en lui pour offrir sa
spiritualité à Jérusalem.
Il a taillé et poli cette pierre avec joie et sincérité pour que la matière devienne
spirituelle et, pour la transporter, il a demandé de l'aide à cinq ouvriers qui
symbolisent les cinq sens de l'individu : vision, ouie, odorat, goût et toucher. Il voulait
que ces cinq sens transportent la pierre vers l'esprit (sekhel ğĞĬ), c'est-à-dire

extraire de la pierre la partie spirituelle libérée de la matérialité. Cependant, pour que


l'esprit humain parvienne à sa plénitude, pour que les sens acceptent de faire monter
vers l'esprit les forces matérielles qui sont en nous, il faut qu'ils s'associent aux cinq
forces spirituelles qui sont la pensée, la méditation, l'imagination, l'imaginaire et la
force commune qui les réunit, et aussi aux cinq forces intellectuelles : intelligence,
connaissance, sagesse, discernement et travail, comme les a si bien énumérées le
philosophe dans son ouvrage Sefer ha-Middot130 (Le livre des traits de caractères).
J'ai longuement évoqué et expliqué dans mon livre Peney Moshe que ces forces
spirituelles doivent s'associer aux cinq sens dans les moindres détails de leurs
actions ; si les ouvriers ont demandé des pièces d'or, c'est pour suggérer que les

126
Avot 4, 2 : "[…] empresse-toi autant vers le commandement facile que vers le commandement
difficile et fuis la transgression […]".
127
Isaïe 29, 13 : "Le Seigneur a dit : puisque ce peuple ne me rend hommage que de bouche et ne
m'honore que des lèvres, et qu'il tient son cœur éloigné de moi […]".
128
M.A. fait allusion à un passage du Zohar sur Ruth 80c qui compare le corps humain à une petite
ville dont les organes sont les habitants.
129
Ezéchiel 11, 19.
130
Sefer ha-Middot (Le livre des traits de caractères) est un traité d'éthique juive anonyme du XIVe
siècle. Depuis sa publication, au XVIe siècle, il est connu aussi sous le titre de Orhot S̪addikim.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 30
cinq sens avaient besoin des cinq qualités intellectuelles et des cinq forces
spirituelles pour se soumettre à l'esprit et le servir, contrairement au cas du prophète
qui s'isole pour annuler toutes les forces matérielles comme le faisait Moïse, notre
maître".
L'auteur poursuit son analyse en expliquant que le manque d'argent pour payer ces
ouvriers signifie que, malgré toute sa sainteté, il n'était pas capable de réunir toutes
les forces nécessaires pour élever la matière et l'amener à l'esprit, assimilé à
Jérusalem :
"Mais, dès que les cinq ouvriers [les cinq sens] l'ont abandonné, lui sont apparus cinq
personnages qui ressemblaient à des humains (bney adam ĠĖē ĜģĔ), et dès la

disparition des cinq sens matériels [les ouvriers] qui empêchaient Rabbi HҖanina
d'atteindre la vérité, les cinq forces spirituelles sont apparues [les anges] et ont
demandé cinq pièces, c'est-à-dire la coopération des cinq forces intellectuelles,
comme il est écrit dans le sixième chapitre du Sefer ha-Middot, déjà cité. Mais les
anges lui ont demandé aussi de les aider et de leur montrer la direction à prendre. Ils
ont dit : tu donnes ta main [aide-nous] et ton doigt, car le doigt montre la direction, et
dès qu'il a tendu le doigt avec l'intention d'aller droit au but, ils se sont trouvés à
Jérusalem.
Quand il a voulu payer leur salaire, ils avaient disparu, et on raconte qu'il est entré
dans le sanctuaire et a demandé après eux. On lui a répondu que, selon le bon sens,
c'étaient des anges du Service qui avaient apporté la pierre".
M.A. rapproche cette réponse de Proverbes 22, 29131 qu'il applique à Rabbi HҖanina
car la perfection était devenue chez lui une seconde nature ; il s'était toujours
empressé de faire le bien et de se révolter contre les forces matérielles avec joie et
sincérité : "et il s'est efforcé d'atteindre la perfection dans l'amour de Dieu, car
l'attachement à l'Eternel est le plus grand bonheur pour l'être humain. A travers le
rouleau de Ruth, on va voir tous les bienfaits dont ont bénéficié Elimélekh et la juste
Naomi du fait de la perfection de leur âme, car s'ils ont subi des tourments (famine,
émigration, mort des fils, pauvreté), ils ont gardé leur amour pour l'Eternel.
Maintenant, passons à l'explication du texte."

131
"Vois cet homme diligent dans son travail, il pourra paraître devant les rois au lieu de se tenir
auprès des gens obscurs.".

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 31
3.2 Le commentaire du livre de Ruth.
Le commentaire se faisant par verset ou groupe de versets, nous avons jugé utile d'y
insérer une traduction personnelle de chaque verset plutôt que de recopier celle de
la Bible du rabbinat (que nous avons utilisée cependant pour les citations, à
quelques rares exceptions près, bien que cette traduction ne soit pas toujours la plus
satisfaisante).
Cette traduction a été faite volontairement en mot à mot, sans tenir compte des
préconisations de Maïmonide, dans un français à la limite de la correction
grammaticale, en traduisant des particules (prépositions, adverbes, etc.) qui
n'auraient pas été incluses dans une traduction élégante.
Cette option a été choisie, après mûre réflexion, pour permettre de mieux
comprendre le commentaire qui appuie parfois ses arguments sur un mot, un
possessif, un temps de verbe ; il nous a paru indispensable de restituer ces mots
pour justifier leur présence dans le commentaire.
Et, comme se plait à le dire notre commentateur, ceci est une bonne explication.

3.2.1 Chapitre I
Verset 1 : Il y a eu dans les jours où les Juges jugeaient, il y a eu une famine dans le
pays. Un homme de Bethléem en Judée partit s'installer dans les champs de Moav,
lui, sa femme et ses deux fils.
"On voit d'emblée que l'expression il y a eu (vayehi) est employée deux fois alors
qu'une seule aurait suffi pour parler de la famine, mais elle est utilisée aussi pour
évoquer la période des Juges. On pourrait en déduire que la famine s'est abattue sur
le pays parce qu'il y avait des juges corrompus ce qui s'expliquerait par le fait qu'il y
avait beaucoup trop de juges. Ce grand nombre de juges, avec la mauvaise
administration du pays qui en découle , serait la cause de la famine dans le pays : un
seul juge aurait suffi, un juge équitable et honnête.
Les Sages expliquent qu'on peut lire le début du verset de deux manières : dans les
jours où les Juges jugeaient signifierait que les juges étaient de basse extraction et
peu compétents, ou inversement que les juges étaient de bonne qualité mais étaient
jugés par les gens du peuple. Il est important de comprendre pourquoi nos Sages ont
interprété de façon péremptoire shefot̫ ha-shoft̫im dans le sens : les petits jugeaient
les gens de valeur. On aurait pu comprendre que les juges n'étaient pas dignes de
leurs fonctions au point que le peuple les jugeaient. S'ils ont préféré la deuxième

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 32
interprétation, c'est parce que l'article défini ha (ha-shoft̫im) a été employé, ce qui
signifie qu'il s'agit de juges tellement connus pour leur honnêteté et leur bonne foi
qu'il était inutile de donner plus de précisions. Alors que des gens du peuple se
permettant de juger leurs juges sans être qualifiés pour le faire auraient été désignés
par shoft̫im, sans l'article.
Cependant le verset laisse entendre qu'en raison de la mauvaise gestion et du
désordre, le peuple s'était écarté de ses chefs et s'était révolté ; les gens agissaient
à leur guise132, ce qui avait causé la famine, car malheur à la génération qui juge ses
propres juges133.
C'est pour cette raison qu'un homme a quitté le pays avec sa famille, car si le verset
n'avait pas voulu dire que les juges étaient mauvais, il aurait été écrit : il y a eu une
famine dans le pays et un homme est parti etc. C'est la preuve que les juges étaient
de mauvais juges."

Verset 2 : Et le nom de cet homme était Elimélekh, et le nom de sa femme Naomi ,


et le nom de ses deux fils Mah̪lon et Kilion, Ephratites de Bethléem en Judée ; ils
arrivèrent dans les champs de Moav et sont restés là-bas.
"On a trouvé un certain nombre de récits (`aggadot) qui font des portraits positifs ou
négatifs d'Elimélekh, et il en est de même pour sa femme et ses fils ; on peut
rapprocher cette dualité des deux conceptions sur les juges. A mon avis, la
divergence de vues de nos Sages vient de la proximité des expression : un homme
est parti et : dans les jours où les juges. En effet, son départ aurait été tout à son
honneur si, voyant l'attitude de la population, il avait préféré partir jusqu'à ce que
celle-ci fasse repentance (teshuvah) ; mais si on rapproche la première expression
de il y a eu une famine, alors on considère son départ comme un refus de partager
avec les pauvres. Selon cette interprétation, Elimélekh aurait commis une très
grande faute en abandonnant les siens pour ne pas partager ses biens, et surtout en
allant s'installer chez les pires ennemis d'Israël.
Ainsi que l'ont expliqué nos Sages, il ne voulait pas que les pauvres viennent au seuil
de sa maison, et ses fils étaient comme lui, insensibles à la misère de la population.
Ils sont partis uniquement à cause de la situation et le verset veut montrer qu'ils ont

132
Juges 17, 6 : "En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun agissait à sa guise", et
Juges 21, 25 : "En ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce que bon lui
semblait".
133
Ruth Rabba 1, 1.

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endurci leur cœur et ont changé, au point qu'à leur arrivée dans les champs de
Moav, ils se sont installés, avec l'intention d'y rester au delà de la fin de la famine, et
ils ont vécu là-bas longtemps. Ils ont commencé une nouvelle vie, semblable aux
gens de cet endroit, en reniant le Dieu d'Israël."

Verset 3 : Elimélekh, époux de Naomi, mourut, et elle resta elle et ses deux fils.
"On peut comprendre ici qu'Elimélekh est mort à cause de son idée funeste de quitter
la terre d'Israël et de s'assimiler aux Moavites. En effet, le verset précise : époux de
Naomi, ce que l'on savait déjà ; cela sous-entendrait qu'il n'était mort qu'à ses yeux
et non à ceux des enfants d'Israël, car il ne respectait plus les commandements et on
ne pouvait pas prendre le deuil pour lui. En effet, si à sa mort il avait eu une bonne
réputation, s'il avait été considéré comme un parfait, des générations l'auraient
pleuré ; il est possible aussi que le texte ait voulu suggérer que son seul mérite était
son épouse Naomi. Malgré la mort de leur père, les fils sont restés à Moav et n'ont
pas songé à se repentir. Et quand le verset ajoute qu'elle est restée, elle et ses deux
fils, précision inutile, c'est pour montrer que la mort d'Elimélekh ne les a pas fait
réfléchir."

Verset 4 : Ils ont épousé pour eux des femmes moavites ; le nom de l’une Orpa, et le
nom de la deuxième Ruth, et ils demeurèrent là-bas dix ans environ.
"La preuve que la mort d'Elimélekh ne les a pas fait réfléchir, c'est qu'ils ont continué
à fauter en épousant des femmes moavites, alors qu'il y a le commandement un
Ammonite ni un Moabite134. Et si dans le verset il y a le mot lahem (ils ont épousé
pour eux) qui est superflu, c'est pour montrer la perfection de Naomi qui était
opposée à ces mariages. Ils ont préféré rester contrairement aux frères de Joseph
qui étaient venus séjourner en Egypte sans intention d'y prolonger leur séjour comme
c'est écrit135."

Verset 5 : Ils sont morts aussi les deux, Mah̪lon et Kilion, et la femme est restée de
ses deux enfants et de son mari.

134
Deutéronome 23, 4 : "Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l'assemblée du Seigneur,
même après la dixième génération ils seront exclus de l'assemblée du Seigneur, à perpétuité."
135
Genèse 47, 4 : "Et ils dirent aussi à Pharaon : Nous sommes venus séjourner dans ce pays, parce
que le pâturage manque aux troupeaux de tes serviteurs, la disette étant grande dans le pays de
Canaan. Permets à tes serviteurs d'habiter dans la terre de Gessen."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 34
"Ils sont restés dix ans et seraient restés plus longtemps si le Saint, Béni soit-Il, ne
les avait obligés à partir, en les faisant mourir à cause de leurs fautes. Ils sont morts
pour les mêmes raisons que leur père, comme le prouve le terme gam (ils sont morts
aussi), car ils se sont éloignés de la providence divine. Naomi n'a pas compris qu'il
s'agissait d'une punition divine ; la femme est restée veut dire qu'elle a survécu à son
mari et à ses deux fils, mais c'est la pire des choses que personne ne fasse son
examen de conscience quand un s̫addiq (juste) meurt. Naomi et ses fils auraient dû
réfléchir à la mort du père, car Dieu fait d'abord mourir les justes pour voir si les gens
y prêtent attention et se rendent compte de leur absence ; sinon, des gens généreux
meurent parce que personne n'a interprété la disparition du juste et n'a fait
repentance136. Il n'y a pas de doute que les fils n'ont pas compris qu'Elimélekh était
mort parce qu'il avait quitté la terre d'Israël, ils n'ont pas fait de retour sur eux-
mêmes, ni acte de repentance (teshuvah) : ils en sont morts."

Verset 6 : Alors elle se leva avec ses brus pour quitter les champs de Moav, car elle
avait entendu dans les champs de Moav que l'Eternel137 avait tenu compte de son
peuple pour lui donner du pain.
"Après ces tristes événements, Naomi a décidé de quitter les champs de Moav mais
elle avait le même état d'esprit qu'auparavant : elle repartait en emportant son
impureté et les mêmes fautes que celles de son mari et de ses fils, symbolisées par
ses brus. Ce retour était purement intéressé, car elle avait entendu que la situation
s'était améliorée, que la famine était terminée et que les années d'abondance étaient
revenues. C'est pour cette raison qu'elle a voulu retourner dans ses propriétés, sous
son figuier et sous sa vigne138. Mais, si la famine avait persisté, elle serait restée,
comme l'exprime le texte : quitter les champs de Moav parce que Dieu avait tenu
compte etc. et non parce que Moav était un mauvais endroit.
On peut cependant donner une autre interprétation de ces premiers versets et c'est
ce que je vais faire. Tout d'abord, le fait que l'on appelle [verset 2] Elimélekh ha-ish
(l'homme) prouve que c'était un homme de bien, puisque cette même expression a

136
Isaïe 57, 1 : "Le juste périt et personne ne le prend à cœur, les hommes de bien sont enlevés, et
nul ne s'avise que c'est à cause de la perversité que le juste disparaît."
137
Le tétragramme est traduit par l'Eternel, `elohim par Dieu et shadday par le Tout-Puissant.
138
Zacharie 3, 10 : "Ce jour, dit l'Eternel-Cebaot, vous vous convierez l'un l'autre sous la vigne et sous
le figuier."

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été employée pour Moïse139. Voyant que plus rien n'allait dans cette région, que la
population jugeait ses juges au point que Dieu avait imposé la famine, il a décidé de
partir pour se séparer de cette mauvaise communauté ; il ne voulait pas subir les
conséquences de leurs fautes, sinon il aurait péri avec eux. Cet homme (ha-ish) qui
est parti, qui était le plus parfait des parfaits de Bethléem, n'avait pas l'intention de
s'installer définitivement dans les champs de Moav et de se déraciner de la Terre
Sainte ; c'était seulement pour la durée de la famine. Il était là-bas comme un
nomade, un étranger, un hôte de passage qui s'étend pour dormir une nuit, comme
l'indique le verbe lagour qui a ici le sens de séjourner temporairement. Ce séjour
devait durer jusqu'à ce que le courroux de Dieu envers son peuple se soit dissipé ou
que le peuple ait fait teshuvah.
On apprend ainsi, que son nom est Elimélekh, un nom de bonne réputation, connu
aux portes des villes ; sa femme était réputée pour sa perfection et ses bonnes
actions et il en était de même pour ses fils. Le simple fait de citer leurs noms prouve
leurs qualités. En arrivant à Moav, ils n'ont pas changé de nom ni de religion, ils ne
se sont pas prostitués avec les idoles, ils ont vécu de façon parfaite tout comme
Joseph avait vécu en Egypte, en restant juif.
Quand il est mort, ils sont restés parfaits ; si les fils ont épousé des femmes
moavites, c'est parce qu'ils ont pensé que le verset un Ammonite ni un Moabite ne
seront admis140 s'appliquait seulement aux hommes et non aux femmes, et que de
toutes façons, ils voulaient les convertir. Ils se sont joints à ce peuple pour essayer
de le rendre parfait, et la preuve que leur intention était bonne, est la perfection de
Ruth, la sainte. Bien qu'ils soient restés parmi les idolâtres pendant plus de dix ans,
ils n'ont pas adopté leurs moeurs.
A la mort de ses fils, Naomi est restée parfaite et, malgré les événements tragiques,
elle n'a pas changé sa croyance, elle a accepté le décret divin. Le verset dit restée
de ses deux enfants et de son mari comme pour Josué et Caleb141. Le Raba142 a

139
Exode 11, 3 : "L'Eternel donna la faveur du peuple aux yeux des Égyptiens, l'homme Moïse aussi
était très grand dans le pays d'Égypte, aux yeux des serviteurs de Pharaon et aux yeux du peuple."
(nt).
140
Deutéronome 23, 4, voir plus haut.
141
Nombres 14, 38 : "Josué, fils de Nun, et Caleb, fils de Yefunné restèrent en vie de ceux qui étaient
allés explorer le pays." (nt).
142
Raba est l'acronyme de Rabbi Abraham (ben Meir) Ben (ou Ibn) Ezra, rabbin andalou du XIIe
siècle (1092 – 1165 environ). Grammairien, traducteur, poète, exégète, philosophe, mathématicien et
astronome, il est considéré comme l’une des plus éminentes autorités rabbiniques médiévales. M.A.
le cite ici en tant que commentateur du livre de Ruth (Heller-Wilensky Sara O.,"Abraham Ibn Ezra",
Encyclopedia Judaica 1971, tome 8 col 1163-1169).

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 36
expliqué que cela signifie que la femme a survécu seule. Quand elle a senti que son
peuple avait fait teshuvah, elle s'est levée dans l'intention de retourner dans son
pays, car ses yeux se sont ouverts et elle a vu qu'elle était dans un mauvais pays.
Mais pourquoi n'est-elle pas partie avant ? Elle attendait, et dès qu'elle a entendu
(sham'ah ė Ćĥġþ ĆĬ) que Dieu avait rétabli sa providence sur le peuple, car il s'était

repenti et était revenu à la justice, elle a décidé de partir. Elle a fait comme Jéthro143
qui, après avoir entendu (wayishma' ĥ ąġĬþ ĂĜąĘ) tout ce que l'Eternel avait fait pour Moïse

et le peuple d'Israël, est venu retrouver Moïse dans le désert."

Verset 7 : Elle sortit de l’endroit où elle était là-bas avec ses deux brus, elles ont pris
la route pour retourner vers le pays de Judée.
"On apprend qu'elle a quitté cet endroit où elle avait séjourné longtemps et les Sages
en ont déduit que, lorsqu'un juste quitte un endroit, il y laisse son empreinte. En effet
le texte aurait pu se contenter de dire : elles ont pris la route (wa-télakhnah
vadérékh) car le départ implique une marche, un déplacement, mais il ajoute elle
sortit (wa-tés̫é). Il s'agit d'exprimer ici que tout le prestige et la splendeur que Naomi
incarnait ont quitté le pays avec elle, comme le fait remarquer Rashi dans son
commentaire144 ; et en tout état de cause, mon interprétation est juste lorsque je fais
l'éloge de sa perfection et que je dis qu'elle est partie avec ferveur. Mais cette ferveur
n'était pas partagée par ses brus qui ne voulaient que rester avec elle, et c'est pour
cela qu'il est écrit : elle sortit de l'endroit et non elles sont sorties.
Cependant, bien que leur intention ne soit pas identique à celle de leur belle-mère, il
s'est produit un changement dans leur état d'esprit : au départ, elles voulaient rester
ensemble, puis elle ont évolué et ont décidé de la suivre ; elles se sont associées au
projet de Naomi et elles sont parties toutes les trois pour retourner vers le pays de
Judée. Mais peut-on parler de retour pour les brus qui ne venaient pas de Judée ?".

143
Exode 18, 1 : "Jéthro, prêtre de Madian, beau-père de Moïse, entendit tout ce que Dieu fit à Moïse
et à Israël Son peuple, que l'Eternel fit sortir Israël d'Égypte." (nt).
144
Genèse 28, 10 : "Jacob sortit de Beer Shava, il alla à Haran." (nt). Rashi fait le commentaire
suivant : "Il alla : il aurait suffi d'écrire simplement il alla à Haran, pourquoi mentionner son départ de
Beer Shava ? C'est pour nous apprendre que le départ d'un juste fait impression dans l'endroit qu'il
quitte, c'est lui qui en est la beauté, c'est lui qui en est l'éclat, c'est lui qui en est la majesté. Lorsqu'il la
quitte, finie sa beauté, fini son éclat, finie sa majesté, comme dans elle sortit de l'endroit (Ruth 1, 7) à
propos de Naomi et de Ruth (Bereshit Rabba 68, 6)."

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M.A. va rapprocher ce verset de celui où Abraham envoie son serviteur chercher une
épouse pour Isaac145. Le serviteur propose à Abraham, qui refuse énergiquement146,
de ramener Isaac en Mésopotamie si la fiancée n'accepte pas de le suivre. Et il
conclut :
"Raba a compris que le retour s'applique à Isaac par assimilation à Abraham, bien
que lui-même ne soit pas né en Mésopotamie. Il en est de même pour les brus, qui
bien que n'étant pas originaires de Judée, y retournent par identification à Naomi."

Verset 8 : Naomi dit à ses deux brus : Allez, que chacune de vous retourne à la
maison de sa mère, que l'Eternel vous accorde sa bonté comme vous l'avez fait avec
les défunts et avec moi-même.
"Comme je l'ai expliqué, on ne peut pas parler de retour pour les brus, car seule
Naomi retournait dans sa terre natale. Et c'est pour cela qu'elle leur dit : allez,
retournez chacune chez sa mère, etc. Mais, pour leur montrer qu'elle n'éprouve
aucune irritation ou hostilité envers elles, elle prononce une bénédiction : que
l'Eternel vous accorde etc. Elle voulait leur montrer qu'une alliance d'amour et de
fraternité existait entre elles, et savoir si elles étaient sincèrement désireuses de
s'abriter sous les ailes de la providence147 ou si elles agissaient par amour pour elle,
par intérêt ou simplement pour le plaisir d'être avec elle."
M.A. va rappeler ici l'histoire de Rahҗav, la prostituée, qui dit aux deux explorateurs
qu'elle avait cachés, jurez-moi par l'Eternel148. Il semble, à première vue, que la
réponse de ceux-ci, nous agirons envers toi149, ne concerne que Rahҗav elle-même et
pas sa famille. Il récuse cette hypothèse :
"Mais il n'est pas habituel de faire cette réponse à qui vous a sauvé la vie, ce n'est
pas conforme à la morale, car il y a un principe selon lequel, si on a commencé à
faire du bien à quelqu'un, on doit aller jusqu'au bout. Pourquoi ? parce que l'autre ne
vous doit rien. Ainsi Rahҗav ne devait rien aux explorateurs, elle les a sauvés par pure
bonté ; mais si on rend plus de bien que ce qu'on a reçu, c'est l'autre qui devient
redevable. Dans le cas de Rahҗav, ils ne pouvaient pas rendre seulement la pareille,
145
Genèse 24, 5 : "Le serviteur lui dit : Peut-être cette femme ne voudra-t-elle pas me suivre dans ce
pays : ramener je ramènerai ton fils dans le pays d'où tu es sorti ?" (nt).
146
Genèse 24, 6 : "Abraham lui répondit : Prends garde de ramener mon fils là-bas."
147
Il s'agit ici de la conversion.
148
Josué 2, 12 : "Et maintenant Jurez-moi par l'Eternel, puisque j'ai agi charitablement avec vous, qu'à
votre tour vous agirez avec bonté envers la maison de mon père et m'en donnerez un gage certain."
149
Josué 2, 14 : "Les hommes lui répondirent : Notre vie répondra de la vôtre si vous ne divulguez pas
notre entretien ; alors l'Eternel nous aura livré ce pays, nous agirons envers toi avec bonté et loyauté."

___________________________________________________________________
Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 38
ils ont accepté de sauver sa famille par égard au fait que le père avait engendré la
fille. Ils ont promis qu'elle serait rétribuée et qu'ils seraient les bienfaiteurs de sa
famille, comme si c'étaient eux qui avaient commencé : le fil rouge150 la rendait
redevable vis-à-vis d'eux. Et c'est pour cette raison que Naomi leur dit que l'Eternel
vous accorde sa bonté, car elle était incapable de leur rendre plus que ce qu'elles
avaient fait."

Verset 9 : Que l'Eternel vous permette de trouver le repos, chacune dans la maison
d'un mari. Elle les embrassa, mais élevant la voix, elles sanglotèrent.
"Elle a dit : que l'Eternel vous donne ce que des êtres de chair et de sang ne
pourraient pas vous donner, car l'Eternel est la seule source véritable de don. Le don
de l'Eternel vous donnera le repos, car celui qui reçoit d'un humain s'en voudra
toujours et se sentira inférieur tant qu'il n'aura pas remboursé ; tandis que celui qui a
donné se sentira plus grand que lui. Le don de l'Eternel apporte la tranquillité alors
que celui d'un être humain prive de repos tant qu'il n'a pas été remboursé. C'est ce
que j'ai expliqué à propos du passage des Psaumes151, car la bénédiction d'un être
humain n'est pas constante, elle ne dure que tant qu'on trouve grâce à ses yeux ;
dès qu'on ne lui plait plus, sa bonté disparaît. Mais s'agissant de l'Eternel, Il rend les
gens plein de grâce pour qu'ils lui plaisent et qu'Il leur fasse du bien."
M.A. émet aussi l'hypothèse que Naomi leur demande de retourner dans leur famille
car c'était pour elles le seul moyen de trouver le repos alors qu'elles prenaient le
risque d'être malheureuses loin de leur pays.

Verset 10 : Elles lui dirent : car avec toi nous retournerons vers ton peuple.
"Les deux versets précédents montrent que les bénédictions de Naomi et les
étreintes de séparation ont suscité des larmes, et ces pleurs ont renforcé la
résolution des deux brus de l'accompagner."
M.A. pense que le mot ki (car) peut paraître superflu puisqu'il n'est pas précédé de la
négation lo` comme c'est fréquent en hébreu biblique ; mais il estime que la négation
est omise par respect pour Naomi, et que l'expression est là pour montrer la force de
la résolution des deux femmes.

150
Josué 2, 18 : "[…] tu attacheras ce cordon de fil écarlate à la fenêtre par laquelle tu nous as fait
descendre, et tu réuniras dans ta maison ton père, ta mère, tes frères et toute ta famille."
151
Psaumes 67, 2 : "Que Dieu me prenne en grâce et me bénisse, qu'Il fasse luire sa face sur nous."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 39
Verset 11 : Naomi dit : partez mes filles ; pourquoi iriez-vous avec moi ? Ai-je encore
dans mes entrailles des fils qui seraient pour vous des maris ?
Verset 12 : Retournez mes filles, car je suis vieille pour être à un homme ; si je
disais, j’ai encore de l’espoir, si j'étais cette nuit avec un mari et si j’enfantais des fils ;
Verset 13 : attendriez-vous jusqu’à ce qu’ils grandissent ; allez vous rester
abandonnées sans être à un homme ? Non, mes filles, en effet j’ai beaucoup
d'amertume pour vous, car la main de l'Eternel s’est abattue sur moi.
"Naomi, voyant qu'elles n'avaient pas exprimé clairement leur intention de se
convertir pour l'amour de Dieu et sans aucune arrière-pensée, insiste pour les faire
partir chez elles et les obliger à se dévoiler."
M.A. reprend les arguments de Naomi : elle n'a plus de fils, elle est trop vieille et
même si elle avait des fils, il faudrait attendre qu'ils aient grandi. Il continue son
commentaire :
"C'est ce qui a incité le Raba à commenter ces versets et à faire remarquer que le
frère qui n'est pas encore venu au monde, qui est encore dans le ventre de sa mère,
n'est pas astreint au lévirat (ybbum). Rashi a expliqué152 que puisqu'il n'y avait pas
eu de qidushin [sanctification du mariage], elle étaient étrangères [non juives] donc
permises aux frères des défunts non soumis au lévirat. Pour concilier ces différents
avis, le Raba a dit que si Naomi attendait un fils ou avait un autre fils, le mariage
aurait pu se faire par affection et non par obligation. Mais il est inconcevable de
penser que dans des écrits saints, on puisse adapter la vérité à des considérations
sentimentales.
D'autre part, Naomi leur fait remarquer qu'elles ne pouvaient pas rester dans la
situation des 'agunot153 et qu'elles devaient retourner vers leur peuple pour y trouver

152
Rashi commente ainsi le verset 12 : " Car je suis trop âgée pour être à un époux – Pour m'unir à lui
par le mariage et enfanter des fils que vous épouseriez. Ceux-ci auraient le droit de vous épouser et
vous aussi ; cela ne vous serait pas interdit au titre d'épouses de leurs frères, puisque, n'ayant pas été
conçus de leur vivant , ils ne seraient pas soumis à la loi du lévirat. En effet MahҖlon et Kilion ne
s'étaient pas mariés par des qidushin (contrat de mariage) car Ruth et Orpa n'étaient pas juives ni
converties au judaïsme. C'est maintenant qu'elles ont exprimé leur volonté de se convertir, comme il
est écrit (verset 10) : avec toi nous irons vers ton peuple – [autrement dit] nous appartiendrons
désormais au même peuple." dans Le commentaire de Rashi sur les Megilloth, version vocalisée
bilingue, tome I, traduction de G. Pell, Jérusalem, 2008, p 105 - 106.
153
M.A. s'appuie ici sur le verbe te'agénah (ėģĕĥĭ) qui a la même racine que 'agunah (ėģĘĕĥ) ; 'agunah
(pluriel 'agunot, littéralement ancrée ou enchaînée) est le terme légal qui définit la situation de la
femme qui est "ancrée" à son mari, soit parce qu'il à disparu et que sa mort ne peut être prouvée, soit
parce qu'il refuse de lui donner sa lettre de divorce (get). Dans les deux cas, elle ne pourra pas se
remarier.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 40
un mari. Elle ne parlait que par allusion, car elle voulait connaître leur véritable
intention dans le cas où elles seraient vraiment parties avec elle. Elle sous-entendait
qu'il valait mieux l'accompagner pour se convertir plutôt que pour être seulement à
ses côtés. Car, si elles ne voulaient que rester en sa compagnie, elle préférait les
voir partir. Elle a ajouté : retournez mes filles, car je suis trop vieille, et ce mot
retournez peut être compris de deux façons. Le premier sens est celui d'un retour
géographique, le deuxième est une façon de leur demander si elles allaient attendre
qu'elle ait des enfants pour les épouser. Dans ce cas, Naomi se serait consolée de la
perte de ses fils, car toute femme est attristée quand elle voit sa bru épouser un
autre homme après la mort de son fils. Mais si la belle-mère a un fils qui atteint l'âge
du défunt, elle se consolera de la perte du premier fils.
C'est ce qu'elle veut dire par j'ai encore de l'espoir : elle aurait appartenu la nuit
même à n'importe quel homme pour avoir des fils qui, en grandissant, la
consoleraient de sa tristesse, mais sans que ses brus puissent les épouser car ils ne
seraient pas astreints au lévirat. En réalité, la tristesse de Naomi n'est pas seulement
provoquée par la mort de ses enfants, mais par ses péchés, car ses fils sont morts à
cause de ses fautes. Elle est solidaire de la tristesse de ses brus, mais elle pense à
ses fautes qui ont fait que la main de l'Eternel s'est abattue sur elle. On peut
rapprocher cette expression de celle employée pour la mort d'un juste : elle est
tombée la couronne de notre tête154."
M.A. reprend le thème de la culpabilité et de la tristesse plusieurs fois, puis il aborde
celui de l'amertume. Il souligne que Naomi éprouve "de l'amertume de vous (mikem
ĠĞġ)", est-ce à cause de vous ou en ce qui vous concerne ? Et il répond :

"Son amertume a une double cause : d'une part, le triste sort de ses brus et d'autre
part, la punition divine ; cette amertume est bien supérieure à celle que pourrait
éprouver ses brus, car leurs maris n'étaient pour elles que des étrangers. On peut
aussi comprendre que cette amertume est amplifiée par la tristesse de ses brus,
alors qu'elle-même a mérité les coups de Dieu."
M.A. va alors s'arrêter sur le passage du verset 13 : te'agénah lé-vilti héyiot le-ish
(allez-vous rester abandonnées sans être à un homme)155 en contestant le

154
Lamentations 5, 16 : "Elle est tombée la couronne de notre tête. Malheur à nous, car nous avons
péché !".
155
Littéralement : vous allez rester ancrées sans être à un homme.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 41
commentaire du Raba qui y voit une allusion au verset : tous les deux ont été pendus
à un arbre156 :
"A l'hiver de ma vie, j'ai entendu dire que le Raba expliquait que la phrase de Naomi,
sans être à un homme, signifiait qu'elle souhaitait qu'elles appartiennent à un même
homme, comme les eunuques qui voulaient assassiner Assuérus avaient été pendus
à un même arbre. Je n'ai pas compris comment elles pourraient appartenir à un
même homme et si, en général, la pendaison se fait à un arbre avec éventuellement
deux pendus pour un seul arbre, quel rapport y a-t-il ? D'ailleurs, il est possible qu'ils
aient été pendus chacun à un arbre. On pourrait citer aussi reposez-vous sous cet
arbre 157, qui s'adresse aux trois visiteurs d'Abraham. Je pense que le Raba a estimé
que les deux femmes ne formaient qu'un seul être, mais je crois qu'il est plus juste de
dire que si l'intention de Naomi avait été de leur demander d'être à un seul homme,
elle l'aurait précisé en disant le-ish `eh̫ad (à un seul homme)."

Verset 14 : Mais elles élevèrent la voix et elles pleurèrent encore ; Orpa embrassa
sa belle-mère, mais Ruth était attachée à elle.
"Quand les brus ont compris l'amour qu'elle leur portait à travers les paroles qu'elle
leur adressait, elle se sont mises à pleurer encore plus qu'auparavant. Orpa a
embrassé sa belle-mère, car elle n'avait pas l'intention de se convertir, elle avait
seulement souhaité rester avec Naomi. Mais, comme Ruth voulait se convertir, elle
ne l'a pas quittée, elle est restée attachée [ancrée] à elle ; c'était un attachement total
sous le signe de l'amour, de la fraternité et de la fusion avec Naomi, jusqu'à ce
qu'elles deviennent une seule entité dans deux corps."

Verset 15 : Elle dit : Voici que ta belle-sœur est retournée vers son peuple et vers
ses dieux, retourne derrière ta belle-sœur.
"Comme Naomi voulait savoir si sa volonté de la suivre et son attachement
provenaient seulement du plaisir d'être en sa compagnie, elle a insisté en disant : ta

156
Esther 2, 23 : "Une enquête confirma la chose, les deux furent pendus à un arbre et ce fut écrit en
présence du roi dans le livre des annales." (nt)
157
Genèse 18, 4 : "Qu'on aille quérir un peu d'eau, lavez vos pieds et reposez vous sous cet arbre."

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belle-sœur est repartie, suis la ; elle est retournée dans sa famille, car chaque
femme aime être parmi les siens comme cela a été répondu au prophète Elisée158.
Quand Naomi précise : elle est retournée vers les siens et vers ses dieux, elle voulait
savoir si Ruth était prête à abandonner et son peuple et ses dieux, et elle a avancé
des arguments pour la faire repartir en répétant : retourne derrière ta belle-sœur."

Verset 16 : Ruth dit : N’insiste pas auprès de moi pour que je t’abandonne et te
tourne le dos, car là où tu iras, j’irai, là où tu dormiras je dormirai, ton peuple est mon
peuple, et ton Dieu mon Dieu.
"Mais Ruth a eu ces paroles sublimes : n'insiste pas pour que je te quitte et te tourne
le dos. Elle a prouvé qu'elle préférait la compagnie de sa belle-mère en lui disant où
tu iras, j'irai etc. et a répondu aux arguments de Naomi. Ainsi, à l'argument vers son
peuple [verset 15], elle répond ton peuple est mon peuple et à l'argument vers ses
dieux, elle répond ton Dieu est mon Dieu, etc.
Cependant, sa réponse pose un double problème d'interprétation. Un problème de
forme, car elle utilise une formule redondante, t'abandonner et m'en retourner, alors
qu'il suffisait de dire t'abandonner. C'est pour montrer sa volonté de ne pas renoncer
à la compagnie de Naomi et de s'unir à elle. Le deuxième problème porte sur le
fond : elle commettrait une faute en suivant sa belle-mère contre sa volonté, car il est
contraire à la morale de vouloir imposer sa présence à quelqu'un qui n'en veut pas.
Et le fait que Naomi lui ait demandé à plusieurs reprises de retourner chez les siens,
donne l'impression que, soit elle ne désirait pas sa compagnie (ce qui serait plutôt
négatif), soit qu'elle pensait sincèrement que c'était préférable pour elle.
La réponse de Ruth signifie : si tu me demandes seulement de te quitter parce que tu
ne m'aimes pas, alors je partirai ; mais si tu me dis de te tourner le dos, je ne le
pourrai jamais, car je ne peux tourner le dos à la spiritualité que tu représentes pour
moi.
Cette situation ressemble à celle de ces deux individus qui partent ensemble, et dont
l'un dit : je ne veux pas que tu viennes avec moi. Dans ce cas, l'autre doit obéir et ne
pas imposer sa présence ; mais s'il lui avait dit de ne pas emprunter ce chemin avec
lui et de retourner vers l'endroit d’où il est parti, le ton ne serait plus inamical et il

158
2 Rois 4, 13 : "Il [Elisée] dit : "dis à cette femme : tu t'es donné tout ce souci pour nous. Que peut-
on faire pour toi ? Que dire pour toi au roi ou au général de l'armée? Mais elle répondit : je séjourne
au milieu de mon peuple." (nt)

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pourrait refuser. Il en est de même pour Ruth qui veut suivre le même chemin que
Naomi."

Verset 17 : Là où tu mourras je mourrai, et là-bas je serai ensevelie. Que l'Eternel


me fasse ceci et ajoute cela, si ce n’est pas la mort seule qui me sépare de toi.
"Quand elle ajoute, où tu mourras je mourrai, Naomi, comme le pensent nos Sages,
voit la volonté sincère de Ruth de venir s'abriter sous les ailes de la providence et
elle commence à lui parler des mis̫wot faciles et des mis̫wot difficiles, comme on le
fait pour ceux qui veulent se convertir. Ruth a accepté tous les commandements, et
en plus, elle a juré sur sa vie que Dieu lui fasse tous les malheurs du monde si elle
devait mourir sans s'être convertie. Quand elle dit, que l'Eternel me fasse ceci et
ajoute cela, elle accepte que viennent sur elle tous les malheurs possibles si elles
étaient séparées autrement que par la mort. C'est comme pour David et Jonathan,
qui étaient chéris et aimables159 du fait de la perfection qui les caractérisait de leur
vivant; et seule la mort a séparés. L'attachement de Ruth était tel, que seul le
passage de la vie à la mort serait capable de les séparer, mais elles resteraient
ensemble dans la vie éternelle."
Car, ajoute M.A., chez les gens parfaits, le corps et l'âme se séparent entièrement au
moment de la mort, l'esprit retournant à l'Eternel qui l'a mis dans le corps et la
poussière humaine retournant à la terre. Mais ce n'est pas le cas pour les impies, où
le corps et l'âme ont une emprise l'un sur l'autre du fait des désirs matériels de
l'individu durant sa vie, et l'âme reste prisonnière du corps. Il conclut :
"Mais pour les justes qui aspirent à la perfection, une fois dans la tombe, leur esprit
se détache totalement du corps, et c'est ce que dit Ruth : que la mort seule me
sépare de toi, me sépare de moi-même [de mon corps] comme de toi : c'est la bonne
interprétation."

Verset 18 : Elle vit qu'elle persistait à vouloir aller avec elle, elle cessa de lui parler.
"Naomi, s'étant rendue compte de la sincérité des intentions de Ruth, de son
insistance à la suivre, avec tout son cœur et toute son âme, a cessé d'essayer de la
dissuader. On comprend que lorsqu'elle insistait, ce n'était pas de vains propos, il
s'agissait avant tout de découvrir la véritable motivation de Ruth. Quand le texte dit :

159
2 Samuel 1, 23 : "Saül et Jonathan, chéris et aimables durant leur vie, n'ont pas été séparés par la
mort […]".

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elle cessa de lui parler, il faut comprendre qu'elle a arrêté d'insister pour la presser
de partir. On peut aussi penser que Naomi voulait que Ruth l'accompagne, que son
cœur lui disait qu'il était bon qu'elle vienne avec elle."

Verset 19 : Elles marchèrent toutes les deux jusqu’à l'entrée de Bethléem, et à leur
entrée dans Bethléem, toute la ville fut agitée à leur sujet, et elles dirent : celle-ci est
Naomi ?
"A leur arrivée à Bethléem, toute la ville s'est agitée pour deux raisons : le retour de
Naomi et son changement d'aspect, car elle avait perdu une partie de sa beauté. Et
les femmes ont demandé s'il s'agissait bien de la Naomi qu'elles avaient connue."
M.A. fait remarquer que toutes les deux est au masculin dans le texte (shtehem
ĠėĜĭĬ au lieu de shtehen ĢėĜĭĬ), car il s'agit de deux femmes sans époux, donc

dans l'impossibilité d'avoir des enfants ; elles sont alors, dit-il, considérées comme
des mâles."

Verset 20 : Elle leur dit : ne m’appelez pas Naomi, appelez-moi Mara [amère], car le
Tout-puissant m’a donné beaucoup d’amertume.
"Elle a répondu : ne m’appelez pas Naomi, car Naomi, qui veut dire agréable, avait
été belle dans son corps et dans ses actions, deux expressions de la beauté qui sont
les caractéristiques d'une femme parfaite. Or, ceux qui la voyaient, s'apercevaient de
l'absence de ces qualités et elle a répondu qu'elle n'était plus Naomi, que ce soit sur
le plan du caractère (Dieu l'avait rendue amère) ou sur le plan de la beauté
physique ; car pour être belle, une femme doit être enveloppée de joie et d'allégresse
du fait de l'abondance et de l'aisance, sinon le visage s'attriste et le nom d'amère lui
convient davantage.
Mais à coté de la beauté physique, il y a la beauté spirituelle et pour l'expliquer, il faut
examiner le mot mara` (amère ēīġ) qui se termine ici par alef (ē). Je pense que c'est

de l'araméen, comme on trouve parfois dans la Bible, par exemple `ozlat yad160

160
Deutéronome 32, 36 : "Oui, l'Eternel prendra parti pour son peuple, pour ses serviteurs il
redeviendra propice, lorsqu'il les verra à bout de forces, sans appui et sans ressources." Il semble que
M.A. ait commis ici une erreur car `ozlat n'est pas de l'araméen mais un mot d'hébreu dont c'est la
seule occurrence dans la bible hébraïque (comme c'est le cas pour mara` qui est par contre un
authentique mot araméen).

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(ĖĜ ĭğęē) dans lequel `ozlat est un terme araméen ou comme yegar sahaduta`161

(ēĭĘĖėĬ īĕĜ) etc.

Naomi s'est rendue compte que ses malheurs lui avaient fait atteindre un haut niveau
de spiritualité. Elle a donc voulu qu'on lui change son nom pour mara` dans le sens
d'autorité162, de perfection qui sont le résultat de ses tourments. Si Dieu a rendu sa
vie amère, c'était pour son bien. Elle s'est élevée sur les marches de la spiritualité
comme je l'ai expliqué dans l'introduction à ce commentaire, et elle a donné la
preuve incontestable de l'importance des bienfaits qui découlent des tourments
divins. Elle avait quitté la terre élue pleine de bienfaits matériels pour aller habiter
une terre étrangère, et elle n'a ramené que les bienfaits apportés par les châtiments
subis. C'est comme le cas de nos ancêtres qui tourmentaient leurs enfants comme il
est écrit163 : quand Dieu aime, il tourmente et fait des reproches comme le fait un
père qui aime ses enfants ; je l'interprète ainsi : quand un père tourmente et punit
son fils, il le fait seulement pour l'améliorer, pour les bienfaits qui découlent de la
punition et non pas pour la punition elle-même. C'est aussi comme un médecin, qui
pour soigner une main, coupe la chair infectée, fait mal au malade dans le seul but
de le guérir (j'en ai parlé dans mes livres Tefillah le-Moshe et Peney Moshe)."

Verset 21 : Pleine je suis partie, et vide l'Eternel me ramène; pourquoi m’appelez-


vous Naomi ? Car l'Eternel m'a tourmentée et le Tout-puissant m'a fait du mal.
"Quand elle était comblée, ses actions étaient belles, mais ce miracle à disparu et
164
elle s'est dégradée, comme il est écrit : Il ne doit pas se rendre impur . On peut
penser que pleine s'applique à son opulence quand elle est partie ou qu'elle était
pleine de mis̯wot ; mais à l'heure actuelle, elle est vide et de biens matériels et de
mis̯wot. Son retour n'a pas été volontaire, de sa propre initiative, mais par décision
divine, après le grand nombre de malheurs et de tourments que Dieu avait fait
s'abattre sur elle.
Elle leur dit : à quoi bon m'appeler Naomi car il ne me reste plus un seul des deux
éléments qui faisait ma beauté ; et le texte l'exprime ainsi : l'Eternel m'a tourmentée,
161
Genèse 31, 47 : "Laban le nomma Yegar Sahaduta et Jacob le nomma Galed." Yegar Sahaduta
signifie en araméen : monceau du témoignage, et Galed : monument commémoratif.
162
M.A. utilise ici mara` non pas dans le sens de amère, mais dans le sens de grand, maître
prestigieux et autoritaire.
163
Proverbes 3, 12 : "Car celui qu'il aime, l'Eternel le châtie, tel un père le fils qui lui est cher."
164
Lévitique 21, 4 : "Il ne doit pas se rendre impur, lui qui est maître parmi mes siens, de manière à
s'avilir "

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en référence à sa beauté physique et le Tout-puissant m'a fait du mal, pour ce qui est
de la beauté spirituelle. Dans le verset précédent, elle a utilisé l'impératif négatif : ne
m’appelez pas Naomi, ici c'est l'interrogation : pourquoi m’appelez vous Naomi.
L'impératif était pour la beauté physique, et on aurait pu penser qu'il lui restait la
beauté spirituelle ; elle interroge alors pour bien montrer que les deux composantes
de sa beauté ont disparu et que le nom de Naomi ne se justifie plus.
Quand elle dit : l'Eternel m'a tourmentée, elle utilise le tétragramme, c'est-à-dire
l'attribut de miséricorde, comme je l'ai expliqué à propos du verset de Job165, l'Eternel
avait donné ; il a donné par miséricorde à Job et lui a repris par miséricorde, car son
but est toujours le bien des hommes. Et quand elle ajoute : le Tout-puissant m'a fait
du mal, elle utilise shadday qu'on peut rattacher à la racine shadad (ĖĖĬ) qui signifie

piller, car Dieu lui a tout pris pour la rendre meilleure, pour son bien.
Dieu n'a pas l'habitude d'infliger des maux au niveau spirituel à l'homme, il lui fait
seulement du bien, et si un bien peut être la conséquence de maux matériels, alors
Dieu va les lui infliger, et on pourra dire qu'il lui a fait du mal dans le seul but de lui
faire du bien."
M.A. va faire une longue digression sur un passage de Bava Batra166, qu'il va
commenter et utiliser pour expliquer les malheurs de Naomi.
"Rabbi Lévi nous explique que Dieu ne se comporte pas avec ses créatures comme
les êtres de chair et de sang. Il a béni les Hébreux avec vingt-deux lettres et ne les a
maudit qu'avec huit. Quand il bénit l'homme, il le fait avec toutes les sortes de
bienfaits qui existent dans le monde, tout ce que la bouche peut exprimer avec les
vingt-deux lettres de l'alphabet, parce que les vingt-deux lettres incluent toutes les
paroles possibles (on ne peut parler autrement qu'avec ces vingt-deux lettres).
Quand les hommes sont bons, Dieu leur prodigue des bienfaits aussi bien matériels
que spirituels ; mais quand il les maudit, il ne leur promet pas des maux d'ordre

165
Job 1, 21 : "Il dit : " Nu, je suis sorti du sein de ma mère, et nu, j'y rentrerai. L'Eternel avait donné,
l'Eternel a repris, que le nom de l'Eternel soit béni."
166
T.B. Bava Batra 73b : "Rabbi Lévi a dit : viens et vois qu'il n'y a pas chez l'Eternel les caractères
d'un être de chair et de sang. Il a béni Israël avec vingt-deux lettres dans la parashah Beh̯uqotay en
commençant par la lettre alef [première lettre de Lévitique 26, 3 et de l'alphabet hébreu] et en
terminant par la lettre tav [dernière lettre de Lévitique 26, 13 et de l'alphabet hébreu]. Il l'a maudit avec
huit lettres de waw [première lettre de Lévitique 26, 15 et sixième de l'alphabet hébreu] à mem
[dernière lettre de Lévitique 23, 43 et treizième de l'alphabet hébreu]. Mais Moïse a béni les enfants
d'Israël dans la parashah ki-Tav`o avec huit lettres, de waw [première lettre de Deutéronome 28, 1] à
mem [dernière lettre de Deutéronome 28, 14], et les a maudit avec vingt-deux lettres, de waw
[première lettre de Deutéronome 28, 15] à hé [dernière lettre de Deutéronome 28, 68 et cinquième de
l'alphabet hébreu]."

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spirituel mais seulement sur le plan matériel, pour qu'ils puissent faire teshuvah. Il les
abandonne au cours des évènements, c'est-à-dire entre le pire et le meilleur de ces
mondes, le monde médian suggéré par les huit lettres du waw au mem. C'est dans
ce monde médian que se trouvent les bienfaits et les malheurs matériels, alors que
pour le spirituel, les bienfaits sont dans le monde supérieur et les maux dans le
monde inférieur.
Ainsi Dieu promet des bienfaits matériels comme je vous donnerai les pluies167 ou je
ferai régner la paix168 etc. ainsi que des spirituels comme je fixerai ma résidence169. Il
le fait pour que les Hébreux atteignent un haut niveau de perfection spirituelle, alors
même qu'ils ne sont que dans la matérialité. Mais si le corps s'attache à l'âme, il ne
fait plus qu'un avec elle, comme cela a été le cas pour le prophète Elie.
Cependant, si l'âme atteint un niveau très élevé, elle ne supportera plus le corps et
voudra rester attachée à l'esprit du plus haut niveau comme dans le verset pourquoi
vous exposer à mourir170 que j'ai expliqué ainsi : la grande flamme est l'âme qui
dévore le corps pour que l'individu devienne tout entier spirituel.
Quand Dieu dit : mon esprit ne se lassera point d'être avec vous171 etc. cela
signifie : votre âme m'appartient, mais elle ne quittera pas votre corps car je ne vous
rejetterai pas ; bien qu'elle reste dans votre corps, elle atteindra un niveau spirituel
élevé. Elle a été forgée au pied du trône divin, et elle lui restera attachée, car elle lui
appartient. Le fait de s'élever vers Dieu ne signifiera pas la mort, car Dieu veut
régner sur un monde matériel.
Si le but des bénédictions divines est d'aboutir à une adhésion totale de l'homme à
Dieu, les malédictions ne portent que sur le matériel, jamais sur le spirituel ; elles ne
touchent que le corps et jamais l'âme.

167
Lévitique 26, 4 : "je vous donnerai les pluies en leur saison, et la terre livrera son produit et l'arbre
du champ donnera son fruit."
168
Lévitique 26, 6 : "Je ferai régner la paix dans ce pays et nul ne troublera votre repos ; je ferai
disparaître du pays les animaux nuisibles et le glaive ne traversera point votre territoire."
169
Lévitique 26, 11 : "Je fixerai ma résidence au milieu de vous et mon esprit ne se lassera point
d'être avec vous."
170
Deutéronome 5, 22 : "Mais désormais, pourquoi nous exposer à mourir, consumés par cette
grande flamme ? Si nous entendons une fois de plus la voix de l'Eternel, notre Dieu, nous sommes
morts."
171
Lévitique 26, 11 (voir plus haut).

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Ainsi, on trouve : voici ce que je vous ferai172 ou je vous frapperai à mon tour 173 et
encore je vous châtierai à mon tour 174 ; mais ces malédictions ne sont prononcées
que pour le bien des hommes, car une fois que leur cœur incirconcis s'humiliera 175,
alors seulement Dieu se souviendra de son alliance avec Abraham, Isaac et
Jacob176. Le seul but du châtiment est de les livrer au hasard et aux éléments
naturels, afin que leurs malheurs les fassent revenir vers l'Eternel.
Cependant, un individu de chair et de sang est le contraire de l'Eternel ; Moïse dans
la parashah ki-Tav`o ne bénit qu'avec huit lettres seulement car il ne peut prodiguer
que des bénédictions matérielles comme tu seras béni dans la ville 177, béni sera le
fruit de tes entrailles etc.178, bénies seront ta corbeille et ta huche179, ou encore
l'Eternel fera succomber devant toi les ennemis 180.
Par contre, Moïse a lancé des malédictions sur le plan matériel et spirituel en utilisant
les vingt-deux lettres. En effet, celui qui n'est pas parfait et n'obéit pas à son Dieu
sera privé de ce monde et du monde futur. Quand Moïse dit : autant le Seigneur
s'était plu à vous combler […] autant il se plaira à consommer votre perte 181, il parle
de la perte totale de l'âme, c'est-à-dire de la mort physique, alors que l'adhésion à
Dieu ne prive pas de la vie. Et il ajoute : le Seigneur te donnera un cœur effaré182
pour montrer la qualité de l'Eternel dont ne peuvent découler que des bienfaits, car le
mal ne vient pas d'en haut183."
Après ce long développement, M.A. revient au commentaire du verset :

172
Lévitique 26, 16 : "à mon tour voici ce que je vous ferai : je susciterai contre vous d'effrayants
fléaux, la consomption, la fièvre qui font languir les yeux et défaillir l'âme ; vous sèmerez en vain votre
semence, vos ennemis la consommeront."
173
Lévitique 26, 24 : "moi aussi je me conduirai à votre égard avec hostilité, et je vous frapperai à mon
tour, sept fois pour vos péchés."
174
Lévitique 26, 28 : "je procèderai à votre égard avec une exaspération d'hostilité, et je vous châtierai
à mon tour, sept fois pour vos péchés."
175
Lévitique 26, 41 : "Moi aussi je m'opposerai à eux et je les mènerai au pays de leurs ennemis.
Alors leur cœur incirconcis s'humiliera, et ils expieront leurs fautes." (nt)
176
Lévitique 26, 42 : "Et je me ressouviendrai de mon alliance avec Jacob, mon alliance aussi avec
Isaac, mon alliance aussi avec Abraham, je m'en souviendrai, et la terre aussi, je m'en souviendrai."
177
Deutéronome 28, 3 : "tu seras béni dans la ville et béni dans les champs."
178
Deutéronome 28, 4 : "Béni sera le fruit de tes entrailles, le fruit de ton sol, et celui de ton bétail, la
progéniture de tes taureaux, la portée de tes brebis."
179
Deutéronome 28,5 : "Bénies seront ta corbeille et ta huche."
180
Deutéronome 28, 7 : "L'Eternel fera succomber devant toi les ennemis qui te menaceraient : s'ils
marchent contre toi par un chemin, ils fuiront devant toi par sept."
181
Deutéronome 28, 63 : "Alors, autant le Seigneur s'était plu à vous combler et à vous multiplier,
autant il se plaira à consommer votre perte, à vous anéantir. Vous serez arrachés de ce sol dont vous
allez prendre possession."
182
Deutéronome 28, 65 : "Et parmi ces nations mêmes, tu ne trouveras pas de repos, pas un point
d'appui pour la plante de ton pied. Là le Seigneur te donnera un cœur effaré, mettra la défaillance
dans tes yeux, l'angoisse dans ton âme."
183
Bereshit Rabba 51, 3.

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"Naomi est devenue parfaite parce que tous les malheurs qui se sont abattus sur elle
n'étaient que matériels, venant de Dieu et non d'un être humain. Dieu fait souffrir son
corps pour laisser la place à l'esprit. Quand elle dit : l'Eternel m'a tourmentée et a
rendu ma vie amère, elle a compris que c'est dans le seul but d'assurer le véritable
bienfait qu'est l'élévation spirituelle. On voit, de ce qui a été dit plus haut, que celui
qui est parfait et n'agit que pour l'Eternel aura tous les bienfaits matériels et spirituels.
C'est aussi la raison pour laquelle Ruth la moavite, compte tenu de sa perfection et
de sa sincérité évidente, est la couronne de gloire des femmes ; par son repentir total
et absolu, elle a mérité de s'élever à un niveau tel qu'est sorti de son ventre celui qui
a éclairé les yeux du peuple d'Israël : le roi David."

Verset 22 : Naomi revint et Ruth, la moavite, sa bru, avec elle, qui revenait des
champs de Moav, et elle sont venues à Bethléem au commencement de la moisson
des orges.
"Le prophète184 avait écrit au début [verset 7] qu'elle avait quitté l'endroit avec ses
deux brus. Or, dans ce verset, il parle du retour de Naomi et de Ruth
ensemble : c'est pour montrer qu'elles étaient en parfaite harmonie et parvenues à
un même niveau élevé de spiritualité.
Cependant, il est écrit : qui revenait des champs de Moav, il semble que cette
précision soit superflue car on le savait déjà. Et pourquoi qui revenait au singulier et
pas au pluriel puisqu'il s'agit des deux femmes ? On peut proposer deux explications.
La première considère que l'expression qui revenait (ha-shavah ėĔĬė) concerne

Ruth. En effet, Ruth, née en Moav, a voulu aller en Israël pour bénéficier de la
sainteté du pays et pour s'abriter sous les ailes de la providence. On peut dire qu'elle
est revenue vers la perfection de la terre élue, vers le but pour lequel elle était née ;
car toutes les créatures n'ont été crées que pour Le servir, et il est écrit que tout ce
qui existe dans le monde est pour Sa Gloire185. Quand celui qui sert les étoiles et les
sorts [l'idolâtre] se convertit, on dit de lui qu'il fait une teshuvah parfaite parce qu'il est
revenu à l'objectif premier de sa création. Pour Ruth, il s'agit d'un retour, même si

184
Il s'agit du prophète Samuel, auquel la tradition attribue la rédaction du livre de Ruth, comme cela a
déjà été indiqué plus haut (voir la note 63).
185
Isaïe 43, 7 : "tous ceux qui se réclament de mon nom, tous ceux que pour ma gloire j'ai
créés,formés, organisées."

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elle n'est pas née en Israël, car elle ne voulait pas vivre parmi les non-juifs ; on peut
considérer qu'elle a fait teshuvah dès son départ des champs de Moav.
Pour la deuxième explication, on rattache l'expression qui revenait à Naomi, qui a fait
teshuvah en quittant les champs de Moav pour retourner en terre sainte."

3.2.2 Chapitre II
Verset 1 : Or, Naomi connaissait un parent de son mari, un homme puissant, riche,
de la famille d’Elimélekh, son nom Boaz.
"Le parent d'Elimélekh est qualifié d'homme puissant (`ish h̫ayil ğĜĚ ĬĜē) et cette

expression correspond à un portrait élogieux de Boaz qui possédait les qualités les
plus parfaites et dont les bonnes actions étaient connues."

Verset 2 : Ruth la moavite dit à Naomi : permets-moi d'aller dans les champs et de
glaner les épis derrière celui aux yeux de qui je trouverai grâce. Elle lui dit : Va, ma
fille.
"Dès son arrivée à la ville, Ruth a voulu aller travailler, afin de ne pas accabler sa
belle-mère et ne pas être un fardeau pour elle. Elle ne voulait pas s'installer, mais
partir aux champs immédiatement, afin de trouver de la nourriture. Partir aux champs
n'était pas se séparer de sa belle-mère, ce qui lui aurait été pénible, mais seulement
gagner sa nourriture à la sueur de ses narines [en français, on dirait de son front].
Quand elle dit : celui aux yeux de qui je trouverai grâce, elle fait allusion au fait qu'il
ne serait pas convenable pour une jeune femme, belle comme la lune, de se mêler
aux pauvres qui glanent dans les champs à la suite des moissonneurs, ni d'être
parmi trop de gens. Elle ne souhaitait pas glaner après les moissonneurs d'un champ
quelconque."
M.A. évoque ensuite l'exemple de celui qui, après avoir laissé son champ à
l'abandon, revient le moissonner. Il est alors dispensé de la pe`ah186 qu'il peut
attribuer à sa guise. Et il enchaîne en supposant que Ruth pensait trouver un
propriétaire de champ se trouvant dans ce cas. Il conclut :

186
M.A. fait allusion à un commandement basé sur Lévitique 23, 22 : "Et quand vous ferez la moisson
dans votre pays, tu laisseras la tienne inachevée au bout [pe`ah ėēħ] de ton champ et tu ne
ramasseras point les glanes de ta moisson. Abandonne-les au pauvre et à l'étranger. Je suis l'Eternel
votre Dieu."

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"La réponse de Naomi : va, ma fille, n'est pas une phrase en l'air, elle prouve qu'elle
avait compris que Ruth allait trouver un moyen pour ne pas aller glaner avec les
pauvres."

Verset 3 : Elle est allée, elle est venue, elle a glané dans un champ derrière les
moissonneurs, et le hasard a voulu que ce soit le champ de Boaz, de la famille
d’Elimélekh.
"Elle est allée directement vers le champ de Boaz, et ce n'était pas le fait du hasard.
Dieu, en effet, accomplit la volonté de ceux qui le craignent187 ; il considère une
bonne intention comme une bonne action, et les gens parfaits reçoivent plus que ce
qu'ils espéraient.
Certains pourraient croire qu'il y a des redondances dans ce verset, et qu'il aurait
suffit de dire : elle est allée glaner. En fait, ces répétitions servent à montrer combien
Ruth était avisée et intelligente : elle allait la première à l'extrémité du champ, elle
glanait en revenant et pouvait se décharger avant de repartir ; en agissant ainsi, elle
économisait ses forces."

Verset 4 : Et voici, Boaz vint de Bethléem, il dit aux moissonneurs : Que l'Eternel soit
avec vous ! Ils lui dirent : Que l'Eternel te bénisse !
"Boaz, en arrivant, a vu cette jeune femme pudique qui, comme l'ont expliqué nos
Sages, glanait en s'inclinant légèrement pour ne pas montrer ses formes. Pourquoi
a-t-il dit à ses moissonneurs : que l'Eternel soit avec vous, ce qui est sans rapport
avec l'histoire qui est racontée ? Peut-être a-t-il voulu dire : l'Eternel est avec vous,
parce qu'il avait senti la présence divine, la shekhinah, en voyant la pudeur de cette
jeune femme. Il pensait : je suis sûr que la présence divine est avec vous quand je
vois cette jeune femme ; et eux ont répondu : que l'Eternel qui est parmi nous te
bénisse. Il est même possible qu'ils aient pensé : qu'il te bénisse quand tu la
prendras pour femme."

Verset 5 : Boaz dit à son jeune serviteur qui surveillait les moissonneurs : à qui est
cette jeune fille ?

187
Psaumes 145, 19 : "Il accomplit les désirs de ses fidèles, entend leurs supplications et leur porte
secours."

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"Il a demandé à quelle famille appartenait cette jeune femme, il n'a pas demandé son
nom, car il voyait que la shekhinah était avec elle.
Il n'a pas interrogé les moissonneurs eux-mêmes parce qu'il a senti qu'ils
souhaitaient le voir la prendre pour femme et il craignait qu'ils en disent trop de bien.
Il a préféré poser la question au jeune homme responsable des moissonneurs."

Verset 6 : Le jeune serviteur qui surveillait les moissonneurs répondit en disant :


C’est une jeune fille moavite, elle est revenue avec Naomi des champs de Moav.
Verset 7 : Elle a dit : Permettez que je glane et que je recueille parmi les gerbes
derrière les moissonneurs. Elle est venue et est restée depuis le matin jusqu’à
présent ; elle est sur le point de rentrer chez elle.
"Boaz voulait une réponse objective et le garçon a répondu correctement point par
point. Il a prononcé aussi des paroles qui démontraient la perfection de Ruth ; il a
d'abord indiqué d'où elle venait et ensuite qu'elle avait fait teshuvah en quittant le
pays de Moav.
Cela prouve qu'elle avait l'intention de se convertir dès son départ de Moav comme
je l'ai démontré plus haut. Il a parlé aussi de son empressement à glaner toute la
journée et de ne pas accabler sa belle-mère en restant à la maison."

Verset 8 : Boaz dit à Ruth : écoute ma fille, ne va pas glaner dans un autre champ,
et ne t’éloigne pas non plus d’ici, et ainsi attache-toi à mes jeunes servantes.
"Il lui dit de rester dans le champ, de ne pas aller glaner ailleurs, et de rester derrière
ses moissonneuses. Il y a là des détails superflus, car si elle restait derrière ses
moissonneuses, elle ne pourrait pas aller ailleurs. A mon avis, il a détaillé son propos
car il ne voulait pas qu'elle aille dans le champ d'un autre homme, il désirait qu'elle
soit dans son champ, et comme il en avait beaucoup, il a précisé celui-là et pas un
autre, et seulement avec ses jeunes filles."

Verset 9 : Tes yeux vers le champ qu’elles moissonneront, tu marcheras derrière ;


j’ai ordonné aux jeunes gens de ne pas te toucher ; quand tu auras soif, tu iras vers
les cruches, et tu boiras de ce que les jeunes gens auront puisé.
" Elle écoute ses propos avec étonnement car il commence par lui dire de ne pas
aller ailleurs [verset 8], ce qui montre son grand amour pour elle et ensuite, il lui

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demande de suivre les moissonneuses comme une pauvre et l'autorise à boire de
leur eau."

Verset 10 : Elle tomba sur sa face et se prosterna à terre, et lui dit : Pourquoi ai-je
trouvé grâce à tes yeux au point que tu me distingues, bien que je sois une
étrangère ?
Verset 11 : Boaz répondit en lui disant : on m’a raconté tout ce que tu as fait pour ta
belle-mère après la mort de ton mari ; que tu as abandonné ton père et ta mère et
ton pays natal, et que tu es venue chez un peuple que tu ne connaissais pas hier ou
avant-hier.
"D'un côté, il lui manifeste une grande affection, et de l'autre il la considère comme
une pauvre, une non-juive. A cause de son dernier propos, elle s'est prosternée,
mais elle est stupéfaite. Alors, elle exprime son étonnement, car elle a compris qu'il
voulait l'épouser, tout en la considérant comme une étrangère. D'où la question : en
quoi ai-je mérité d'être distinguée par toi, alors que tu me considères comme une
étrangère ?
Il lui a répondu qu'elle n'était pas juive et qu'elle n'était pas sa parente directe, mais
qu'elle avait trouvé grâce à ses yeux parce qu'il avait entendu beaucoup de bien
d'elle et de sa conduite envers sa belle-mère après la mort de son mari. C'est pour
cette raison qu'il lui dira : Que l'Eternel rémunère ton œuvre [verset suivant].
Cependant l'expression le-hakireni [verset 10, tu me distingues] est difficile à
comprendre dans ce contexte. En effet, quand on a entendu parler des actions d'une
personne, la reconnaissance se manifeste d'elle-même.
Voici mon explication : pour bien comprendre, il faut se reporter aux propos de Boaz
quand il dit : tes yeux ne doivent pas quitter le champ où sont mes serviteurs, tu les
suivras. Pourquoi Boaz, ce parfait, qui savait tout ce que Ruth, la parfaite, avait fait
pour la famille d'Elimélekh, son parent, n'a-t-il pas dit à ce moment-là, ce qu'il lui a dit
par la suite au moment du repas : approche d’ici, et mange [verset 14] ? On ne peut
pas imaginer qu'il soit un ingrat ! En réalité, Boaz voulait tester la patience et les
qualités de Ruth, pour voir si elle supportait la faim et se contentait seulement de
boire.
Et elle, par son intelligence, a compris que cet homme ne pouvait pas se conduire
durement avec elle et qu'il lui imposait une épreuve pour connaître son caractère.
Quand elle lui dit : pourquoi ai-je trouvé grâce à tes yeux, elle sous-entend : je ne

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mérite pas ta grâce, pour qu'il sache à qui il avait affaire et apprécie ses qualités. Il
fallait que Boaz, un étranger pour elle, puisse déceler toutes ses qualités et la
distingue ; par la suite, elle s'est prosternée pour se soumettre à lui et lui manifester
sa reconnaissance.
Ce faisant, elle a prouvé son intelligence, montrant qu'elle avait compris ses
intentions, sans envisager un seul instant qu'il puisse se comporter durement avec
elle, sinon elle n'aurait pas dit grâce etc.
S'il a répondu qu'il avait entendu parler de son attitude avec Naomi après la mort de
son mari [celui de Ruth], c'est qu'il n'avait aucune raison d'apprécier le bien qu'elle
avait pu faire du vivant de son époux ; car il est naturel et normal qu'une épouse ait
de la considération pour son mari. Mais, après sa mort, c'est une qualité toute à son
honneur, comme je l'ai expliqué à propos du verset de Salomon : tous les jours de sa
vie188 ; Salomon aurait dû ajouter : tant qu'il était vivant, puisque c'est à son mari
qu'elle prodigue des bienfaits.
Boaz répond : on m'a parlé de ce que tu as fait pour ta belle-mère après la mort de
ton mari ; tu as quitté père et mère et ton pays natal, malgré la nature humaine et
surtout le caractère des femmes qui n'ont pas l'habitude de quitter la maison, comme
il est écrit : toute resplendissante189 ; tout le prestige d'une femme réside dans le fait
qu'elle demeure à la maison.
Certaines femmes peuvent se consoler d'avoir quitté leur patrie quand elles vont
dans un endroit où elles connaissent les gens. Mais, si elles vont dans un pays
qu'elle ne connaissent pas, leur chagrin est double. Boaz le constate quand il dit : tu
es venue chez un peuple que tu ne connaissais pas."

Verset 12 : Que l'Eternel rémunère ton œuvre, et que ta récompense soit complète
de la part de l'Eternel, Dieu d’Israël, sous les ailes duquel tu es venue t'abriter.
Verset 13 : Elle dit : puissé-je trouver grâce à tes yeux, seigneur, car tu m’as
consolée en parlant au cœur de ta servante, bien que moi, je ne sois pas comme
une de tes servantes.

188
Proverbes 31, 12 : "Elle lui prodigue du bien, et non du mal, tous les jours de sa propre vie."
189
Psaumes 45, 14 : "Toute resplendissante est la fille de roi dans son intérieur, sa robe est faite d'un
tissu d'or."

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"Si Boaz lui dit : que l'Eternel te récompense, c'est parce que personne ne peut
récompenser l'action de celle qui a quitté père et mère pour aider sa belle-mère :
seul Dieu peut le faire.
Mais pourquoi a-t-il dit que son salaire devait venir de Dieu ? Parce qu'il avait
compris que toutes les pensées de Ruth et toutes ses actions n'avaient pour unique
but que de s'abriter sous les ailes de la providence.
On peut rapprocher les propos de Boaz de mon commentaire du verset : Dieu est un
soleil et un bouclier190. Quand David parle de bouclier, il fait allusion à la miséricorde
divine [rattachée au tétragramme], alors que le soleil, qui éclaire et chauffe par ses
rayons [c'est encore la miséricorde], peut aussi brûler, représentant ainsi l'attribut de
justice et de rigueur de Dieu.
Dans ce passage des Psaumes [84, 12], Dieu accorde sa grâce et sa gloire à ceux
qui sont de bonne foi et ne prive de ses bienfaits que ceux qui se conduisent mal.
C'est dans ce sens que Boaz souhaite que l'Eternel, dans sa miséricorde,
récompense son action et que son salaire lui parvienne dans sa totalité, en toute
justice.
Elle a répondu qu'il l'avait consolée, mais qu'elle ne serait pas comme une de ses
servantes, car les servantes sont des esclaves, alors que la femme juive sert Dieu et
travaille par amour ; elle est comme le fils qui sert son père et qui est récompensé en
fonction de sa perfection, car il n'est pas obligé de le servir, il le fait seulement par
amour.
Mais il se peut aussi qu'elle ait voulu dire : j'ai deviné que je ne serais pas considérée
comme une servante ordinaire, j'ai compris que je bénéficie d'une grande
considération à tes yeux."

Verset 14 : Boaz lui dit à l'heure du repas, approche d’ici, et mange ; trempe ton
morceau de pain dans le vinaigre. Elle s’assit à côté des moissonneurs, et il lui
présenta du grain grillé ; elle mangea, se rassasia et en laissa.
"Quand il a vu son intelligence, et sa perspicacité (car elle avait deviné ses pensées
avant même qu'il ait parlé), il n'a plus eu besoin de la mettre à l'épreuve. Il lui a dit de
s'approcher pour manger, sans attendre qu'on l'appelle, alors qu'habituellement, les
servantes ne viennent pas manger avant d'y avoir été autorisées.

190
Psaumes 84, 12 : "Car le Seigneur Dieu est un soleil et un bouclier, l'Eternel octroie grâce et
honneurs ; Il ne refuse pas le bonheur à ceux qui marchent dans la droiture."

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Elle s'est assise à côté des moissonneurs, mais il lui a donné du grain qu'il avait grillé
lui-même."

Verset 15 : Elle se leva pour glaner. Boaz ordonna au jeunes gens en disant : elle
glanera aussi entre les gerbes, et vous ne l'humilierez pas.
Verset 16 : Et même, oublier vous oublierez191 des petites gerbes, vous les
abandonnerez pour qu’elle les recueille, et vous ne la réprimanderez pas.
"Lorsqu'elle est repartie glaner, Boaz a manifesté sa générosité et sa perfection en
ordonnant à ses moissonneurs de la laisser glaner entre les gerbes et de laisser
tomber des épis pour qu'elle puisse les ramasser. Le texte confirme ici l'attitude
admirable de Boaz, qui ne s'est pas contenté de vaines paroles, comme le font les
scélérats."

Verset 17 : Elle glana dans le champ jusqu’au soir, vanna ce qu’elle avait glané, il y
avait environ une `efah192 d’orge.
Verset 18 : Elle l’emporta et vint à la ville ; sa belle-mère vit ce qu’elle avait glané.
Elle lui donna ce qu’elle avait gardé après s’être rassasiée.
"On voit l'intelligence de Ruth, qui n'a pas donné seulement à sa belle-mère tout
l'orge qu'elle avait glané, mais aussi ce qui restait du repas que lui avait servi Boaz
pour lui manifester sa générosité. C'est pour cette raison qu'il est écrit elle l'emporta
pour l'orge et elle vint pour le grain grillé."

Verset 19 : Sa belle-mère dit à elle : où as-tu glané aujourd’hui, et où as-tu travaillé ?


Que celui qui a été bienveillant avec toi soit béni. Elle raconta à sa belle-mère chez
qui elle avait travaillé, et elle dit : le nom de l’homme chez qui j’ai travaillé aujourd'hui
est Boaz.
"Pourquoi Naomi a-t-elle posé deux questions ? Elle savait à quel point Ruth était
parfaite, et que partout où elle allait, à part son travail, elle faisait fonctionner son
intelligence et mettait ses intentions en pratique (comme c'est le cas dans la science
politique).

191
Il s'agit là d'un hébraïsme impossible à rendre en français (il en existe d'autres dans le texte qui
n'ont pas été reproduits) ; cette association d'un verbe à l'infinitif absolu, suivi du même verbe à
l'inaccompli est destinée à donner plus de poids à l'ordre qui est donné.
192
L'`efah est une mesure de volume pour les produits secs (grains) et représente environ 40 litres.

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Elle lui a demandé où elle avait glané et où elle avait travaillé, donc deux fois la
même question. Et le prophète193 a écrit dit à elle (lah Ţ Ćğ) pour suggérer sa

perfection.
Naomi, voyant la quantité qu'elle avait rapportée, s'est rendue compte qu'elle s'était
donné beaucoup de peine, elle a compris toute l'ardeur qu'elle avait déployée pour
trouver cette nourriture à la sueur de ses narines, preuve de son esprit de générosité
et de dévouement.
Elle a compris aussi que la grande quantité de nourriture qu'elle rapportait, bien
supérieure à l'habitude, était le signe de la considération qu'on avait pour elle, et que
seul quelqu'un la connaissant parfaitement pouvait le faire. C'est pour cela qu'elle a
ajouté : Que celui qui t'a été bienveillant soit béni.
Ruth a répondu aux deux questions de sa belle-mère en lui disant le nom de la
personne pour laquelle elle avait travaillé, et elle a raconté tout ce qu'il avait fait en
sa faveur. Elle savait que le nom de Boaz signifierait pour Naomi quelqu'un de bon et
de droit."

Verset 20 : Naomi dit à sa bru : Qu’il soit béni de l'Eternel, qui n’a pas abandonné sa
bonté envers les vivants ni envers les morts. Naomi lui dit encore : Cet homme est
de nos proches ; il est de nos go`el 194.
"En entendant le nom de l'homme, elle a appelé sur lui la bénédiction de l'Eternel,
car ces évènements n'avaient pu se produire que par la merveilleuse providence
divine : le fait que Ruth ait rencontré Boaz, était déjà un miracle. En disant : l'Eternel
n’a pas abandonné sa bonté envers les vivants ni envers les morts, elle montre
qu'elle a compris que la bonté envers les vivants serait le mariage de Ruth avec
Boaz, et qu'il en résulterait une descendance pour le défunt [mari de Ruth].
On peut aussi comprendre l'allusion aux morts de deux manières : la possibilité d'un
lévirat195 avec Boaz, ou le fait que Dieu ait voulu tenir compte des mérites des
défunts.
Quand elle a parlé de go`el, elle a pratiquement révélé son arrière-pensée quant au
lévirat, avec des propos encore ambigus, même si elle parlait de Boaz comme d'un
individu parfait, généreux et important de leur famille."

193
Il s'agit toujours du prophète Samuel (voir la note 63).
194
Dans ce verset, il est difficile de savoir s'il s'agit de Boaz sauveur ou parent (voir la note 78).
195
Voir la note 74.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 58
Et M.A. conclut par cette sentence : "car la nature de la source se trouve dans ce qui
en a été extrait196."

Verset 21 : Ruth, la moavite, ajoute : il m’a dit aussi : joins-toi à mes serviteurs
jusqu’à ce qu’ils aient achevé toute ma moisson.
"A mon avis, Ruth a feint de ne pas avoir compris les arrière-pensées de Naomi, car
c'est le propre des femmes pudiques de rester discrètes en matière de mariage et de
ne comprendre les allusions qu'après des explications précises."
M.A. va essayer d'explique le mot aussi (gam) contenu dans ce verset :
"Ce mot est difficile à expliquer, car c'est comme si elle avait dit : tu as raison, il a été
généreux avec moi, et en plus il m'a dit de rester avec ses jeunes gens, preuve
supplémentaire de sa générosité.
Cependant, elle n'a pas répété exactement les paroles de Boaz, puisqu'il avait dit
avec mes jeunes servantes et pas avec mes jeunes gens [verset 8 du même
chapitre]. Elle devait suivre les moissonneuses, et ne s'adresser aux jeunes gens
que pour obtenir de l'eau.
Il se peut qu'elle ait modifié le récit pour illustrer l'éloge de Boaz à son égard, car en
lui disant de suivre les jeunes gens, il lui accordait sa confiance ; il savait qu'elle
n'accepterait à aucun prix qu'on la touche, même du petit doigt. Tout le monde sait,
en effet, qu'elle ne se tiendrait qu'en compagnie des jeunes filles à cause de sa
grande pudeur."

Verset 22 : Naomi dit à Ruth, sa bru : Il serait bon, ma fille, que tu ailles avec ses
jeunes filles, pour qu’on ne te maltraite pas dans un autre champ.
"Naomi a répondu que malgré l'agrément de la compagnie de jeunes hommes, il
valait mieux travailler avec des femmes afin que personne ne l'agresse, surtout si
elle allait seule dans un autre champ."

Verset 23 : Elle se joignit aux jeunes filles de Boaz pour glaner jusqu'à l’achèvement
de la moisson d’orge et de la moisson de blé, et elle habitait avec sa belle-mère.
"Ruth a écouté sa belle-mère et est restée avec les jeunes femmes jusqu'à la fin des
moissons, pour se protéger des importuns et des gens malveillants."

196
On peut penser que M.A. veut suggérer par cette formule, qu'un seul trait de caractère suffit à
jauger une personnalité.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 59
3.2.3 Chapitre III
Verset 1 : Naomi, sa belle-mère, lui dit : Ma fille, je veux chercher un repos qui soit
bon pour toi.
"Naomi a voulu dire que lorsque vient pour une femme le moment de prendre époux,
elle trouve en lui le repos, car une femme ne le trouve que par son mari. Quand le
mariage se fait pour l'amour du ciel et le service de l'Eternel, il apporte le bien-être au
corps et à l'âme. En effet, le mariage correspond parfois au répit du corps, mais pas
à celui de l'âme. C'est pour cette raison qu'elle lui parle de repos et de bonheur."

Verset 2 : Et maintenant Boaz, notre parent, avec les jeunes filles duquel tu étais,
voici qu’il vanne cette nuit les orges dans son aire ;
"Elle a commencé à lui révéler son intention quant à la construction d'un édifice
éternel [le mariage] avec lui, avec des généralités, puis avec des précisions. Elle a
d'abord rappelé que c'était un proche, notre parent et non pas mon parent, ce qui
suggère que Ruth bénéficiait de cette parenté par son mariage.
En parlant des servantes, elle insiste sur la perfection de Boaz et la qualité de son
attitude, car bien que riche, il l'a prise avec ses jeunes filles.
Enfin, bien qu'il soit un des plus grands de sa génération, c'est lui, et non ses
serviteurs, qui vanne et qui engrange le soir, ce que les gens importants ont
l'habitude de faire197, parce que les justes se soucient de leur fortune et veulent
éviter le vol : c'est le juste parfait qui veille à ce que ses affaires soit parfaites comme
lui-même."

Verset 3 : Lave-toi, parfume-toi, mets tes vêtements, puis descends à l’aire ; ne te


fais pas reconnaître de l'homme avant qu’il ait fini de manger et de boire.
"Naomi lui fait comprendre qu'il serait bon qu'elle s'apprête pour que Boaz soit séduit
et s'accouple à elle pour assurer une descendance qui porterait le nom de son défunt
mari. Les conseils qu'elle lui donne se rapprochent, comme l'ont dit nos Sages, des
purifications rituelles [allusion au miqwé ou bain rituel], mais on peut prendre le texte
au premier degré ; dans ce cas, son intention était de lui suggérer de soigner sa
présentation, pour qu'elle soit agréable à ses yeux.

197
Genèse 38, 13 : "On informa Tamar en ces termes : ton beau-père monte en ce moment à Timna
pour tondre ses brebis."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 60
Mais elle lui a recommandé de ne pas se manifester avant qu'il ait fini de manger et
de boire, pour que son cœur se sente bien, qu'il soit bien disposé et s'empresse de
vouloir s'unir à elle, sans trop y réfléchir."

Verset 4 : Lorsqu’il sera couché, repère l’endroit où il se sera étendu ; tu viendras, tu


découvriras le bas de sa couche, tu te coucheras, et il te dira ce que tu dois faire.
"Elle a ajouté qu'elle devait savoir précisément où et comment il dormait, c'est-à-dire
la position de sa tête et de ses pieds, car dès qu'il serait couché et parfaitement
tranquille sur son lit, après avoir bien mangé et bu, elle viendrait à ses pieds ; en
effet, il n'aurait pas été convenable qu'elle aille du côté de sa tête.
Et de la sorte, elle pourrait s'étendre à ses pieds et attendre qu'il lui dise ce qu'elle
devait faire pour mener à bien l'accouplement."

Verset 5 : Elle lui répondit : tout ce que tu diras , je le ferai.


Verset 6 : Elle descendit dans l’aire et fit tout ce que sa belle-mère lui avait ordonné.
"Ruth aurait dû répondre : tout ce que tu m'as dit, au lieu de : tout ce que tu diras,
pourquoi a-t-elle employé le futur ? Car le verset suivant dit qu'elle est descendue et
a fait ce que sa belle-mère avait ordonné. Elle aurait dû parler au passé ; elle aurait
pu dire : tout ce que tu pourrais m'ordonner, je le ferai.
Cependant, je pense que la bonne explication est que Naomi lui a donné ensuite des
instructions que le narrateur n'a pas jugé nécessaire de détailler, et elle a répondu :
tout ce que tu diras, car elle attendait la suite des recommandations."

Verset 7 : Boaz mangea et but, son cœur fut content, et il vint se coucher à
l’extrémité d’un tas de gerbes ; elle vint lentement, découvrit le bas de sa couche, et
s'étendit.
"Ruth n'a rien fait de sa propre initiative, elle a exécuté les ordres de sa belle-mère :
attendre qu'il ait mangé et bu, qu'il se couche, repérer sa position et s'allonger
discrètement à ses pieds."

Verset 8 : Au milieu de la nuit l'homme s'est agité, il s'est redressé et voilà qu’une
femme était couchée à ses pieds.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 61
Verset 9 : Qui es-tu? dit-il. Elle dit : Je suis Ruth, ta servante ; étends ton aile198 sur
ta servante, car tu es un go`el proche.
"Comme minuit est l'heure propice à l'isolement, les gens parfaits s'isolaient à ce
moment-là, comme David qui disait : je me lève pour te rendre grâce199. Comme
Boaz était parfait, il a senti une présence étrangère à ses pieds et il a eu peur. Mais
quand il a regardé, il a compris que c'était une femme couchée à ses pieds, et soit
qu'elle l'ait frôlé, soit qu'il ait entendu sa voix ou qu'il ait vu ses cheveux à la lumière
de la lune, quelles que soient les circonstances, il a demandé : qui es-tu au féminin.
Elle a répondu de façon précise et immédiate, car on aurait pu exprimer des doutes
sur sa moralité ; en effet, ce n'est pas l'usage qu'une femme vienne dans un endroit
où un homme ne l'a pas invitée. Qui plus est, s'approcher la nuit du lit d'un homme
pourrait laisser entendre qu'elle souhaitait avoir des relations sexuelles avec lui.
Cela entraînerait deux situations préjudiciables : pour la femme, dont on pourrait dire
qu'elle est une prostituée, et pour l'homme, qui serait considéré comme un vicieux et
un libertin ; voilà ce que diraient les gens s'ils la voyaient chez lui, la nuit, en les
prenant pour des amants.
Il y a un autre problème : Naomi lui avait dit que Boaz lui expliquerait ce qu'elle
devait faire, mais ce n'est pas exactement ce qui s'est passé. Elle n'a pas laissé
Boaz lui dire ce qu'elle devait faire, elle a tout de suite dit : étends ton aile sur ta
servante [épouse-moi]."
M.A. revient sur l'habileté de la réponse de Ruth, qui lui permet de couper court aux
rumeurs possibles contre elle-même et contre Boaz :
"Elle a eu une réponse franche et directe qui a neutralisé les risques de propos
malveillants. Pour Boaz d'abord, car il risquait d'être discrédité : dès lors qu'elle était
sa servante et non une étrangère à sa maison, il devenait normal qu'elle vienne près
de lui sans qu'il soit considéré comme un libertin ; en effet, les servantes ont
l'habitude de venir à tout moment chez leur maître. Pour elle-même ensuite, en lui
demandant d'étendre son aile sur elle en tant que go`el, on ne peut plus la blâmer
d'être venue se joindre à lui."

198
Aile est une métaphore pour manteau ou pan de vêtement. La formule "étends ton aile" correspond
ici à une demande en mariage.
199
Psaumes 119, 62 : "Au milieu de la nuit je me lève pour te rendre grâce, à cause de tes équitables
jugements."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 62
Verset 10 : Il dit : Que l'Eternel te bénisse, ma fille. Ton dernier bienfait est meilleur
que le premier, tu n'as pas voulu aller après les jeunes gens, qu'ils soient riches ou
pauvres.
"Boaz a répondu par une bénédiction et il a ajouté que le fait, pour elle, d'être venue
la nuit chez lui était une bonne action, meilleure que la précédente, qui était de n'être
pas allée avec des jeunes gens. Ceci sous-entend qu'il savait, sans aucun doute,
qu'elle était bénie de Dieu en récompense de sa générosité. Mais la bonté de sa
dernière action était supérieure à toutes les autres. En effet, elle s'était abstenue
d'aller avec d'autres hommes, qu'ils soient riches ou pauvres, après la mort de son
mari. Ce comportement plein de pudeur faisait qu'on ne pourrait pas la prendre pour
une prostituée, et le monde entier comprendrait que toutes ses actions étaient
motivées par l'amour de Dieu et non par le désir de coucher avec un homme.
Boaz veut dire que si elle ne s'était pas abstenue de fréquenter les hommes, alors
son dernier acte de bonté aurait été sujet à caution, et on aurait pu penser qu'elle
venait seulement coucher avec lui, parce que dit-on, les femmes courent après les
futilités."

Verset 11 : Maintenant, ma fille, ne crains rien, tout ce que tu diras, je le ferai pour
toi, car tous les habitants de la ville savent que tu es une femme vaillante.
Verset 12 : Maintenant, s'il est vrai que je suis un go`el, il y a aussi un go`el plus
proche que moi.
"Il la rassure quant au risque de blâme dont ils auraient pu être l'objet. Il lui explique
que le monde entier savait qu'elle était une femme vaillante, comme il est écrit200, et
que personne ne le soupçonnera en la voyant venir vers lui ; en même temps, il lui a
rendu hommage car tout ce qu'elle faisait, elle le faisait pour le ciel.
Mais quand elle lui dit : tu es un go`el [verset 9], elle reste encore blâmable, car il y a
un go`el plus proche que lui vers lequel elle aurait dû aller. Pour cette raison, les
deux versets commencent par : maintenant, afin de répondre aux deux affirmations
de Ruth. Le premier maintenant pour je suis ta servante et le deuxième pour tu es un
go`el."

200
Il n'y a que deux occurrences de l'expression femme vaillante (`eshet h̯ayil ğĜĚ ĭĬē) dans la bible
hébraïque, en dehors de Ruth 3, 11 : Proverbes 12, 4 : "Une femme vaillante est la couronne de son
époux, mais une dévergondée est la carie dans ses os." et Proverbes 31, 10 : "Heureux qui a
rencontré une femme vaillante. Elle est infiniment plus précieuse que les perles."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 63
Verset 13 : Passe la nuit ici, et alors, au matin, s'il te rachète, c'est bien, qu'il te
rachète. Mais s'il ne désire pas te racheter, moi je te rachèterai, par l'Eternel vivant.
Reste couchée jusqu'au matin.
"Boaz lui explique que la meilleure manière de régler tous les problèmes est
d'attendre le matin sans avoir de relation sexuelle."
A partir de ce passage, M.A. adopte une lecture du verset différente des traductions
habituelles. Il ne lit pas le mot t̫ov (ĔĘě) comme un adjectif, traduit ici par c'est bien,

mais comme un nom propre201. Et il poursuit son commentaire :


"Quand Boaz a parlé d'un go`el plus proche que lui, il pensait à Tқov, car Elimélekh,
Tқov et Salmon202 [père de Boaz] étaient frères. Tқov, l'oncle de Mahқlon, avait donc
priorité sur Boaz, qui n'en était que le cousin.
Boaz lui a expliqué que si Tқov voulait l'épouser, ce serait préférable du point de vue
juridique et qu'il serait obligé de l'accepter ; mais il lui jure devant Dieu (par l'Eternel
vivant) que dans le cas contraire, ce serait lui qui l'épouserait."
M.A. évoque alors les kabbalistes, qui ont vu dans ce verset une allusion à la
délivrance d'Israël (la ge`ulah). Il ajoute qu'il y a deux dates possibles pour cette
délivrance, la date fixée par Dieu, qui ne peut être ni avancée ni reculée, et celle
dépendant des mérites du peuple d'Israël. Et il enchaîne :
"Ce jour-là, la lumière de la lune sera comme celle du soleil, et cela n'arrivera qu'au
moment fixé par Dieu ; les Sages ont dit : le peuple n'a pas encore mérité la
délivrance, mais elle viendra plus tôt grâce aux mérites des Hébreux, comme il est
écrit203 : l'heure venue etc.
Boaz parle à Ruth comme s'il parlait à la nation juive : passe la nuit ici, c'est le temps
de l'exil et : demain matin, celui de la délivrance. D'après ce raisonnement, on peut
penser qu'il avait donné une bonne réponse, compte tenu des qualités qu'il avait

201
M.A. adopte la thèse émise dans Ruth Rabba 6, 3 : "[…] les rabbins étaient d'avis que Tқov,
Elimélekh et Boaz étaient trois frères tandis que Rabbi Josué ben Lévi disait que Salmon, Elimélekh et
Tov, étaient frères. On lui objecta, mais il est écrit : la pièce de terre qui appartenait à notre frère
Elimélekh [Ruth 4, 3]. Il répondit : un homme ne peut s'empêcher d'appeler son oncle : frère." Dans
TB Bava Batra 91b (Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et
annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983, p 969), on peut lire : "Rabbi Hқanan ben Rabba a dit au
nom de Rav : Elimélekh, Salmon, le parent sans nom et le père de Naomi sont des descendants de
Nahқshon, fils d'Aminadav."
Le Targum Ruth (Levine Etan, The aramaic version of Ruth, Rome, 1973. p 94) traduit tҗov par
l'adjectif.
202
Appelé aussi Salma, cité dans Ruth 4,20 et 21
203
Isaïe 60, 22 : "Le plus petit deviendra une tribu, et le plus chétif une nation puissante. Moi, l'Eternel,
l'heure venue, j'aurai vite accompli ces promesses."

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 64
décelées chez elle et de la pureté de ses intentions. Il avait compris qu'elle voulait
précipiter sa délivrance et lui assurer une descendance. Il a répondu quelle devait
attendre, passer la nuit et patienter, car le matin serait le moment de sa délivrance.
Car il lui précise que dans tous les cas elle sera fixée et on comprend le sens du mot
vehayah [troisième mot du verset traduit par et alors] qu'il ajoute, car il sait ce qui va
se passer.
Pour en terminer avec ce verset, il faut expliquer pourquoi il s'exprime de façon
différente pour émettre deux hypothèses. Il dit d'abord : s'il te rachète, ensuite : s'il ne
désire pas te racheter. Il aurait dû dire : s'il te rachète ou ne te rachète pas, ou bien :
s'il souhaite ou ne souhaite pas te racheter. En s'exprimant ainsi, il sous-entend qu'il
ferait en sorte que Tқov n'ait pas envie de la racheter, et cette analyse est la bonne."

Verset 14 : Elle est restée étendue au bas de sa couche jusqu'au matin ; elle se leva
au moment où un homme ne peut pas en reconnaître un autre, car avait-il dit : que
l'on ne sache pas que cette femme est venue dans l'aire.
"Elle a obéi et Boaz a donné des ordres pour que personne ne sache que cette
femme était venue de sa propre initiative, car on aurait cru qu'ils avaient eu des
rapports sexuels, ce qui était blâmable.
Le verset ne dit pas qu'il s'était levé, ce qui sous-entend qu'il n'avait pas fermé l'oeil
de la nuit et avait, au contraire, réfléchi aux moyens de lui éviter d'être discréditée."

Verset 15 : Il dit : Apporte le châle qui est sur toi et je le tiendrai ; elle le tint, et il y
plaça six mesures d'orge, puis vint à la ville.
"Il lui a demandé de retirer son châle et ils en ont tenu une extrémité chacun, ce qui
signifie un attachement, un lien entre eux ; il lui a donné de l'orge pour quelle ne
revienne pas les mains vides chez sa belle-mère. Mais il ne s'est pas attardé à
l'accompagner, il est parti en ville pour se hâter de remplir ses engagements."

Verset 16 : Elle vint auprès de sa belle-mère, qui dit : qui es-tu ma fille ? Elle lui
raconta tout ce que l'homme avait fait pour elle.
Verset 17 : Elle dit : Il m’a donné six mesures d’orge, car a-t-il dit : ne reviens pas
vide chez ta belle-mère.
"Quand sa belle-mère lui a demandé : qui es-tu ma fille, cela signifiait : es-tu mariée
ou es-tu encore libre ? Elle a formulé sa question de façon pudique et Ruth a

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 65
répondu en racontant tout ce que l'homme lui avait dit et fait pour elle, y compris
l'épisode du châle. Elle a raconté comment Boaz avait ajouté de la générosité à sa
bonté car il était le seul à lui avoir donné quelque chose ; en plus de la promesse
nuptiale, il n'avait pas voulu qu'elle rentre les mains vides chez Naomi. Il n'y a aucun
doute qu'elle lui a rapporté tout ce qu'il s'était engagé à faire."

Verset 18 : Elle dit : Reste, ma fille, jusqu’à ce que tu saches comment se fera cette
affaire, car cet homme n'aura de cesse qu’il n’ait réglé cette affaire aujourd’hui-
même.
"Naomi lui a recommandé de patienter avec elle en attendant la suite des
évènements. Elle lui a confirmé que Boaz allait terminer cette affaire le jour même en
se basant sur ce que Ruth lui avait rapporté de ses propos. Elle savait qu'il possédait
toutes les qualités d'un s̯addiq et qu'il aurait à cœur de mener à bien son affaire. La
suite va montrer que cela s'est passé ainsi."

3.2.4 Chapitre IV
Verset 1 : Boaz était monté à la porte [de la ville] et s'y était installé, et voici que
passa le go`el dont Boaz avait parlé. Il dit : viens, assieds-toi ici, peloni almoni204. Il
vint et s’assit.
"Boaz a agi conformément à notre interprétation et a fait tout ce qu'il avait dit. Il s'est
rendu à la porte de la ville pour affronter Tқov et savoir s'il voulait racheter. Si ce
parfait était comme ceux qui ne font pas d'efforts, il serait allé aux portes de la ville et
ne le trouvant pas, il serait reparti en se disant : j'ai fait mon devoir. Mais comme il

204
Ces deux mots sont traduits dans la Bible du rabbinat par : un tel et tel. Les différents dictionnaires
consultés proposent : qu'on ne connaît pas, qui ne dit pas son nom (Dictionnaire Hébreu – Hébreu,
Milon ha-hқadash, Even Shoushan, Jérusalem, 1969) et homme ou endroit dont on ne veut pas dire le
nom ou qu'on ne connaît pas alors que le dictionnaire Larousse Hébreu - Français (Marc Cohen,
2006) propose : un tel, un quidam, Mr. X.
Rashi, dans son commentaire de ce verset, considère que le nom de cet homme n'est pas explicité
car il n'a pas voulu procéder au rachat.
Le Targum Ruth le traduit par homme de condition extrêmement modeste (Levine Etan, The aramaïc
version of Ruth, Rome, 1973, p 98 – 99).
Dans Ruth Rabba 7, 7, on peut lire : "Rabbi Yehoshua a dit : son nom était peloni almoni. R Samuel
ben Nahқman a dit : il était ignorant des paroles de la Torah."
Dans le Zohar sur Ruth 88b, l'expression est interprétée comme "veuf et caché".
Manifestement, le rédacteur du livre de Ruth n'a pas souhaité révéler l'identité de ce personnage,
peut-être parce que, ayant refusé de jouer son rôle de go`el, il n'a pas mérité de passer à la postérité.
La meilleure traduction serait, à notre avis, Monsieur X., mais elle serait trop anachronique. Pour cette
raison, nous avons conservé l'expression hébraïque sans la traduire.

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avait un niveau élevé de perfection et désirait terminer son affaire comme il l'avait
annoncé, il est resté jusqu'à l'arrivée de Tқov.
Il ne lui a pas dit des banalités ou de vagues paroles comme celui qui n'aurait pas
une intention très affirmée, il lui a dit : viens, assieds-toi là peloni almoni205, nous
avons une affaire sérieuse à régler."

Verset 2 : Il prit dix hommes parmi les anciens de la ville et dit : asseyez-vous ici. Ils
s’assirent.
"Boaz a réuni ensuite dix anciens de la ville qui se sont assis sur son ordre, pour
éviter que le go`el présumé ne fasse traîner les choses en disant : commence par
convoquer les anciens et ensuite nous irons les voir, etc. Si cela avait été le cas, il
n'aurait pas pu tenir sa parole envers Ruth : quand il s'est adressé au go`el celui-ci
ne pouvait pas tergiverser."

Verset 3 : Il dit au go`el : la parcelle du champ qui appartenait à notre frère


Elimélekh, Naomi qui est revenue des champs de Moav, a décidé de le vendre.
Verset 4 : Et moi, j'attire ton attention : achète en présence des personnes assises et
en présence des anciens de mon peuple. Si tu veux racheter, rachète, sinon dis-le
moi et je saurai qu'il n’y a personne en dehors de toi pour racheter, sinon moi. Il a
répondu : moi, je rachèterai.
Verset 5 : Boaz ajoute : le jour où tu achèteras le champ de la main de Naomi et de
celle de Ruth la moavite, femme du défunt, tu achèteras Ruth aussi pour maintenir le
nom du défunt sur sa propriété.
"Boaz a parlé de la parcelle du champ d'Elimélekh, ce qui pose des problèmes
d'interprétation.
En effet, pourquoi : la parcelle, alors qu'il aurait dû dire le champ ? Elimélekh était un
des hommes les plus riches de la ville et il n'était pas digne de lui de partager un
champ avec quelqu'un d'autre. On pourrait penser que Boaz a dit parcelle car il
doutait de la capacité du go`el à racheter tout le champ. Malgré cela, il lui demande
s'il veut racheter, sans préciser s'il s'agit de la totalité du champ ou seulement de la
parcelle."

205
On ne trouve que trois occurrences de cette expression dans la bible hébraïque : dans Ruth 4, 1
pour un personnage et dans 1 Samuel 21, 3 et 2 Rois 6, 8 où il s'agit d'endroits indéterminés. On peut
remarquer que M.A. s'est soigneusement abstenu de donner une interprétation de cette expression et
s'obstine à parler de Tқov.

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M.A. se pose la question de la forme grammaticale de l'expression h̯eleqat ha-sadeh
(la parcelle du champ) qui est un état construit, fréquent en hébreu, surtout dans la
Bible206. Il pense que la formulation correcte aurait été : ha-h̯eleqah shel ha-sadeh.
Mais il ne résout pas ce problème et poursuit :
"Un autre problème est posé par le temps du verbe vendre [verset 3] qui est au
passé207 alors que la vente n'est pas encore faite."
M.A. laisse provisoirement de côté cette question pour continuer son commentaire :
"Boaz parle ensuite de l'autre partie du champ, car si la parcelle appartenait à Naomi
de par l'héritage de son mari en l'absence de fils, qui était donc le propriétaire du
reste du champ ? Je pense que l'explication est la suivante : le champ appartenait
entièrement à Elimélekh, et personne n'en détenait une parcelle ; c'était un grand
champ et tout le monde savait qu'il lui appartenait et disait : le champ d'Elimélekh. Et
comme ce champ était très grand, une partie en revenait à Ruth en vertu de son acte
de mariage (sa ketubah), et une partie à Naomi, en héritage de ses enfants après la
mort de son mari. Boaz savait que Naomi avait souhaité vendre sa part du champ.
De la sorte, on peut dire qu'elle l'avait déjà vendu (dans son cœur) puisqu'elle en
avait fermement l'intention, et c'est là l'explication du verbe vendre au passé, car la
ferme résolution de vendre équivaut à une vente effective.
Mais, en ce qui concerne l'autre parcelle sur laquelle Ruth avait des droits, Boaz n'a
rien dit parce qu'elle n'avait pas exprimé clairement sa volonté de vendre, sinon à
celui qui l'épouserait et à la condition qu'il précise dans sa ketubah qu'il prenait le
terrain pour épouser Ruth et donner une descendance à son défunt mari.
Dans l'esprit de Boaz, il fallait d'abord que le go`el achète la parcelle de Naomi avant
de l'informer de l'intention de Ruth de vendre la sienne. Il n'a donc parlé que de
Naomi sans évoquer le cas de Ruth, et a pris soin de préciser qu'il ne pourrait
envisager le rachat pour son propre compte que si le go`el se désistait. Quand ce
dernier a accepté le rachat, il lui a révélé qu'il restait la parcelle de Ruth qu'il fallait
racheter aussi. C'est comme s'il lui avait dit : Naomi veut vendre à condition que
l'acheteur achète la part de Ruth, et par conséquent Ruth elle-même. L'objectif des
deux femmes était de rétablir le nom du défunt sur le champ qui lui appartenait de
telle façon que les gens diraient : voici le champ de MahҖlon et voici Ruth, sa femme.

206
En réalité, les deux formes sont grammaticalement équivalentes, mais l'état construit est plus
concis, plus élégant et très utilisé en hébreu classique.
207
Le verbe vendre est en effet à l'accompli et devrait être traduit littéralement par : Naomi a vendu (la
parcelle du champ).

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On comprend alors le verset qui veut dire : tu ne peux pas acheter une partie du
champ et pas l'autre car, si tu veux le champ, il faut aussi épouser la veuve pour
perpétuer le nom de son époux sur sa propriété."

Verset 6 : Le go`el dit : Je ne peux pas racheter pour moi, de peur de ruiner mon
patrimoine, rachète pour toi mon rachat, car je ne peux racheter.
"On peut se demander quelle était la véritable intention de Tқov qui commence par
accepter le rachat pour se désister aussitôt après. On ne peut expliquer cette
contradiction qu'en se souvenant qu'il ne pensait racheter que le champ, mais quand
il a compris qu'il devait aussi racheter Ruth, il a changé d'avis. Il aurait dû
comprendre dès le début que, en lui disant de racheter le champ, Boaz suggérait
qu'il devait aussi reprendre Ruth pour assurer une descendance au défunt sur son
champ.
Le go`el pensait faire une bonne affaire en rachetant le champ de Naomi mais en
épousant Ruth, le champ lui échappait car il appartiendrait, en fin de compte, aux
enfants à naître de ce mariage, enfants qui ne porteraient même pas son nom mais
celui du défunt. Il a considéré alors qu'il ferait une mauvaise affaire qui lui porterait
préjudice et dégraderait son patrimoine.
Pour cette raison, il demande à Boaz de prendre sa place, de procéder au rachat de
la totalité du champ et d'épouser Ruth. C'est comme s'il lui avait dit : dans la mesure
où je décide de ne pas racheter, tu dois utiliser le droit au rachat qui te revient. Voilà
qui répond à toutes nos questions."

Verset 7 : A cette époque en Israël, pour le rachat ou l’échange, pour confirmer toute
chose, l’un retirait sa sandale et la donnait à l'autre, et cela faisait fonction de preuve
en Israël.
Verset 8 : Le go`el dit à Boaz : achète pour toi. Et il retira sa sandale.
"Le texte rapporte une ancienne coutume qui consistait à concrétiser une transaction
commerciale (achat ou échange) avec une sandale. L'un donnait sa sandale à
l'autre, comme on fait actuellement avec une écharpe dont chacun prend un
morceau208. Cette tradition de l'écharpe vient de celle de la sandale. Cette opération
attestait de façon absolue la négociation au sein du peuple juif et personne ne

208
M.A. semble évoquer ici une coutume locale en vigueur à son époque.

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pouvait se dédire. La transaction était justifiée et on n'avait pas besoin d'une autre
preuve. En cas de conflit il suffisait de trouver des témoins de ce geste. Et c'est pour
cette raison qu'il a donné sa sandale devant le peuple et les anciens en disant :
achète pour toi."

Verset 9 : Boaz dit aux anciens et à tout le peuple : vous êtes témoins aujourd’hui
que j’ai acheté tout ce qui était à Elimélekh et tout ce qui était à Kilion et à Mah̪lon de
la main de Naomi.
Verset 10 : Et aussi Ruth, la moavite, femme de Mah̪lon, je l’ai acquise pour femme,
pour maintenir le nom du mort sur sa propriété afin que le nom du mort ne soit
retranché ni d’entre ses frères et ni de sa ville ; vous êtes témoins aujourd’hui.
"Boaz a demandé aux anciens et aux gens du peuple d'être les témoins de l'achat du
champ et de tout ce qui appartenait à Elimélekh et à ses fils de la main de Naomi, en
vertu de son héritage. Il les a également pris à témoins pour la partie qui appartenait
à Ruth en vertu de sa ketubah et qu'il rachetait en l'épousant .
Il les a pris à témoins à deux reprises, une fois dans chaque verset, ce qui
apparemment n'était pas nécessaire ; mais il y avait bien deux transactions : une
première pour acheter le champ et une deuxième pour épouser Ruth et relever le
nom du défunt."

Verset 11 : Tout le peuple qui était à la porte ainsi que les anciens dirent : témoins.
Que l'Eternel fasse que cette femme qui entre dans ta maison soit comme Rachel et
Léa, qui toutes eux ont fondé la maison d’Israël, et te donne de la force à Efratah et
de la renommée à Bethléem.
"Il est difficile d'admettre que tous les gens du peuple et les anciens soient témoins
[sur le plan juridique] parce que le témoignage n'entre pas dans le cadre d'une
bénédiction. Le verset aurait du insérer après témoins l'expression : et ils ont ajouté :
que l'Eternel fasse etc. Car il ne s'agit pas seulement d'un témoignage : le verset
contient à la fois le témoignage et la bénédiction, et témoins semble faire partie de la
bénédiction, ce qui n'est pas l'usage.
Si l'intention était de dire que les gens avaient félicité et que les anciens étaient
témoins, comment de simples gens du peuple auraient-ils pu donner une
bénédiction ? Il eut été plus convenable que les anciens et non le commun des
mortels accordent leur bénédiction au lieu de leur témoignage (impossible en temps

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que membre d'un tribunal rabbinique ou beyt din). Dans ce cas, on aurait dû lire : les
anciens ont entendu, car un témoignage ne peut se rapporter qu'à une action ou à
des paroles.
Quand tous les présents, y compris les anciens, ont compris que le mariage était
conclu, ils les ont bénis et félicités en souhaitant que Ruth ressemble aux mères
fondatrices de la maison d'Israël, Rachel et Léa.
Mais pourquoi avoir mélangé le témoignage et les félicitations ? Le verset aurait dû
dire : tous les gens du peuple présents ainsi que les anciens ont dit : que l'Eternel
etc.
Quant à moi, lorsque j'étais à l'orée de ma vieillesse, au versant de mes jours, j'ai
entendu dire que c'est le peuple qui avait prononcé les bénédictions et qui avait
souhaité à Boaz que ces bénédictions se réalisent très vite, pour que les anciens
puissent en être témoins et y assistent de leur vivant ; qu'il voient, avant de mourir,
naître les enfants de Boaz.
Cette interprétation est acceptable mais alors le passage disant : les anciens dirent :
témoins aurait du se trouver après la fin de la bénédiction.
En ce qui me concerne, je pense que le mot témoins se rapporte à la fois aux
anciens et au peuple, bien que Boaz n'ait pris que dix hommes parmi les anciens
[verset 2] alors qu'il y en avait beaucoup plus. Il y avait aussi beaucoup de gens du
peuple et Boaz s'est adressé à tout le monde en disant : vous êtes témoins [verset
9], et tout le monde l'a félicité.
Dans cette bénédiction, on trouve quelque chose de bon, car il me semble que ce
mariage n'a pas été la conséquence d'une décision divine. Quand c'est le ciel qui
organise un mariage, l'homme est dans un endroit, la femme dans un autre, ou bien
ils sont tous les deux au même endroit mais n'ont aucun lien entre eux. Alors, Dieu
les met en relation et les marie. Mais, quand le mariage devient nécessaire, comme
dans ce cas, où la femme est venue de sa propre initiative chez Boaz pour assurer la
pérennité du nom de son mari défunt, on ne peut pas parler de décision du ciel. Il
n'est pas impossible que les anciens et le peuple aient souhaité que l'Eternel fasse
de cette femme, bien qu'elle ait pris l'initiative de son mariage, l'égale de Rachel et
de Léa, comme si l'Eternel lui-même avait organisé ce mariage. Cette situation
rappelle celle de Jacob et Léa dont le mariage n'avait pas été décidé par le ciel (mais
a été le fruit d'une manipulation de Lavan), puisque Jacob s'était réfugié chez Lavan

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pour fuir Esaü, poussé par sa mère209 ; bien que le mariage de Jacob avec Rachel et
Léa n'ait pas été organisé par le ciel, l'Eternel, dans sa grande bonté, a permis à ces
deux femmes de bâtir la maison d'Israël (ce qui ne peut pas être attribué au hasard).
La bénédiction ne concerne pas que Ruth, elle s'adresse aussi à Boaz à qui elle
souhaite les qualités appréciées dans Efratah. En effet, il me semble qu'Efratah était
le village où ils habitaient et Bethléem, la province ; dans le nom de ce village on
trouve le mot peri (fruit Ĝīħ) et la racine parah (croître, être fécond ėīħ). Un homme

vaillant est celui qui possède la couronne de toutes les qualités. Et le verset précise :
qu'il réussisse dans ses activités là où il habite et qu'il ait une renommée dans tout
Bethléem."

Verset 12 : Que ta maison soit comme la maison de Peres̪, que Tamar a enfanté à
Yehuda, grâce à la postérité que l'Eternel te donnera de cette jeune femme.
"Après qu'ils l'aient béni en souhaitant qu'il ait yad wa-shem210, c'est-à-dire de la
puissance et une renommée, ils ont ajouté des vœux pour sa postérité. En parlant de
Peresқ et de Tamar, ils ont voulu suggérer que la postérité qu'allait lui donner cette
femme viendrait directement de la providence divine, bien que Ruth, comme Tamar,
ait eu une attitude critiquable."

Verset 13 : Boaz prit Ruth, elle devint sa femme ; il vint vers elle, et l'Eternel lui
donna une grossesse, et elle enfanta un fils.
"Boaz l'a prise pour femme et l'a approchée ; elle a été enceinte grâce à la
providence divine, car Dieu a fait en sorte que se réalise la bénédiction des anciens
et du peuple, et elle a mis au monde un enfant. Le texte ne dit pas, comme
d'habitude, elle a été enceinte et a mis au monde un enfant ; il est écrit au contraire :
l'Eternel lui donna une grossesse, pour confirmer que cette bénédiction ne s'est
réalisée que par la merveilleuse providence divine, et quand le fruit est sorti, c'était
un enfant parfait qui correspondait au souhait des anciens."

209
Genèse 27, 43 : "Maintenant, mon fils, obéis à ma voix : pars, va te réfugier après de Laban, mon
frère, à Harân. "
210
Isaïe 56, 5 : "à eux j'accorderai dans ma maison et dans mes murs, un monument, un titre [yad wa-
shem ] qui vaudra mieux que des fils et des filles ; je leur accorderai un nom éternel, qui ne périra
point."

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Verset 14 : Les femmes dirent à Naomi : béni soit l'Eternel, qui ne t’a pas privée de
go`el aujourd’hui ; que son nom soit invoqué en Israël.
"Les femmes, qui s'y connaissaient en enfants, ont vu en lui des qualités supérieures
à celles de tous les enfants qui naissaient dans le monde. Elles ont dit à Naomi : béni
soit l'Eternel, qui ne t’a pas privée de go`el aujourd’hui ce qui veut dire : il convient de
bénir Dieu, car c'est lui qui t'a donné cet enfant. Elles ont jugé, à juste titre, que cet
enfant serait célèbre dans tout Israël, unique en son genre et elles ont compris tous
les bienfaits qui seraient la conséquence de cette naissance, qui n'était en aucun cas
le fait du hasard."

Verset 15 : Qu’il soit pour toi le soulagement de l’âme, le soutien de ta vieillesse, car
ta bru, qui t’aime, l’a enfanté, elle qui vaut mieux pour toi que sept fils.
"Après avoir révélé qu'elles avaient distingué chez cet enfant une perfection qui
s'étendrait sur tout le peuple juif, elles ont dit tout le bien qui en ressortirait pour
Naomi, pour son âme et pour son corps.
Pour son âme d'abord : qu'il soit pour toi le soulagement de l’âme, ce qui veut dire :
que l'Eternel ramène son âme vers son lieu de conception, vers la maison de son
père, car le mérite de ce fils qui servira l'Eternel l'aidera pour assurer la plénitude de
son âme.
Et pour le corps : qu'il subvienne à ses besoins dans ses vieux jours, lorsqu'elle
n'aura plus de force, car il lui apportera de la nourriture et éclairera son cœur comme
elle l'avait fait elle même dans le moindre de ses actes. Elles voulaient dire : tu le
guideras sur les bons chemins de la droiture car c'est lui qui va te nourrir dans ta
vieillesse et sera ta consolation quand tu n'auras plus de force, parce que c'est la bru
qui t'aimait qui l'a mis au monde ; et pour te récompenser des efforts que tu as
déployés pour assurer la pérennité du nom de ton fils sur son champ, Ruth va le
contraindre à t'aider dans ta vieillesse. Elles ont ajouté que cette bru était meilleure
que sept fils compte tenu de ses bienfaits. Pourquoi sept ? Parce que le chiffre sept
est utilisé comme symbole de l'abondance car sheva' (sept ĥ ąĔ ĄŘ) peut se lire sava'

(abondance ĥ ĆĔĬ)
ć Ć et parce qu'on le trouve partout dans les textes, comme dans : ils
211
fuiront devant toi par sept , sur une seule pierre, il y a sept yeux 212, car le juste

211
Deutéronome 28, 7 : "L'Eternel fera succomber devant toi les ennemis qui te menaceraient : s'ils
marchent contre toi par un chemin, ils fuiront devant toi par sept."

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tombe sept fois213, ou encore la lumière du soleil214 et pour finir il y dressa sept
autels215."

Verset 16 : Naomi prit l’enfant, le plaça sur son sein et fut sa nourrice.
"Lorsque Naomi a entendu les paroles des femmes et les bienfaits qu'allait lui
apporter cet enfant, elle l'a pris et l'a mis sur son sein pour symboliser la paix de
l'esprit qu'il lui apportait. C'est elle qui est devenue sa nourrice et l'a élevé puisqu'il
devait plus tard nourrir sa vieillesse."

Verset 17 : Les voisines lui donnèrent un nom, disant : il est né un fils à Naomi . Et
elles l’appelèrent 'Oved ; qui sera le père de Yischaï, père de David.
"Lorsque les voisines ont entendu ce qu'avaient dit les autres femmes et qu'elles ont
vu qu'elle l'avait pris contre elle, elles ont toutes dit que rien n'était plus juste que de
donner à cet enfant le nom de fils de Naomi, car elle se conduisait comme si c'était
elle qui avait accouché. C'est pour cette raison qu'elles ont dit : il est né un fils à
Naomi, et à son nom 'Oved, elles ont ajouté fils de Naomi. Car son vrai nom est
'Oved, comme il est écrit : lui donnèrent un nom, et non pas : lui donnèrent son nom.

Verset 18 : Et voici la généalogie de Peres̪ : Peres̪ engendra H̪es̪ron. ;


Verset 19 : H̪es̪̪ron engendra Ram, et Ram engendra Amminadav.
Verset 20 : Amminadav engendra Nah̪shon, et Nah̪shon engendra Salma.
Verset 21 : Salmon engendra Boaz, et Boaz engendra 'Oved.
Verset 22 : 'Oved engendra Yischaï, et Yischaï engendra David.
"Les derniers versets précisent que cet enfant est le père du père de David de qui la
lumière sortirait pour le monde entier et en qui s'est réalisée la bénédiction des
anciens et du peuple."
M.A. termine ainsi son commentaire :

212
Zacharie 3, 9 : "Pour ce qui est de la pierre que j'ai posée devant Josué, sur une seule pierre, il y a
sept yeux, j'en graverai l'inscription, dit l'Eternel-Cebaot, et j'effacerai l'iniquité de ce pays en un jour."
213
Proverbes 24, 16 : "Car le juste tombe sept fois et se relève, mais les méchants sont culbutés par
le malheur."
214
Isaïe 30, 26 : "La lune brillera du même éclat que le soleil, et la lumière du soleil sera sept fois plus
vive, comme la lumière des sept jours, à l'époque où l'Eternel pansera les blessures de son peuple et
guérira les meurtrissures qui l'ont atteint."
215
Nombres 23, 14 : "Il le conduisit au plateau de S̰ofim, sur la crête du Pisga : il y dressa sept autels
et offrit sur chaque autel un taureau et un bélier."

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"C'est ainsi que parvient à son terme ce que nous avons jugé bon de commenter
dans cette megillah, pour concilier tous les écrits et sans trop nous attarder sur les
commentaires de nos Sages, car il n'était dans nos intentions que d'éclairer le texte
et, grâce à Dieu, l'œuvre est terminée."

Ainsi se termine le commentaire qui est suivi, comme c'était l'usage, par un colophon
rédigé par l'éditeur et dont voici la traduction :
"Louons Dieu de tout notre cœur, qui nous a jugé méritant et permis de vivre jusqu'à
ce jour pour achever l'impression du commentaire de la megillah de Ruth, le jeudi 18
shevatѽ de l'année quand l'esprit de l'Eternel souffle sur elles 216.
De même, que l'Eternel, notre Dieu, nous permette d'imprimer les autres megillot qui
nous attendent. Amen."

216
L'éditeur joue ici sur le fait que les nombres sont représentés par des lettres de l'alphabet. Il a
utilisé pour l'année le nombre 357 du petit comput, qui correspond dans le calendrier hébraïque à
l'année 5357 (le 18 shevatҘ 5357 correspond en calendrier grégorien au 6 février 1597). Ce nombre,
qui peut s'écrire de différentes manières, forme ici le mot ėĔĬģ qui renvoie à Isaïe 40, 7 : "L'herbe se
dessèche, la fleur se fane, quand l'esprit de l'Eternel souffle [ėĔĬģ] sur elles. Oui, le peuple est
herbe." (nt)

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Conclusion
Au terme de cette traduction parfois difficile mais toujours passionnante, il parait
intéressant, avant d'essayer de dégager les grands axes du commentaire de Moshé
Almosnino, de faire quelques observations générales.
Une première remarque concerne la modestie et l'humilité de l'auteur qui prévient
dans son introduction qu'il rédige son commentaire sans disposer de ses sources.
On aura pu constater cependant, que cette modestie est un exercice imposé et qu'il
possède une connaissance étendue et une maîtrise parfaite, non seulement des
textes sacrés et rabbiniques, mais aussi des commentateurs (Rashi, Ibn Ezra) et des
textes cabalistiques. Comme il est habituel avec ce genre d'écrits, les citations, tant
de la Torah que du Talmud, sont très courtes et souvent difficiles à identifier. Il est
évident que cet ouvrage était destiné à des lecteurs qui avaient une connaissance
parfaite de textes qu'ils avaient l'habitude de disséquer et de discuter.
On notera encore que la modestie de l'auteur ne l'exonère pas d'une certaine
autosatisfaction quand il termine un commentaire par :"ceci est la bonne
interprétation" ou son ouvrage par : "il n'était dans nos intentions que d'éclairer le
texte".
On peut identifier, parmi les nombreux thèmes abordés dans ce commentaire, trois
thèmes principaux : la spiritualité, la bonté et la générosité.
La spiritualité est omniprésente, et il en est question dès l'introduction, surprenante,
car apparemment sans rapport avec le livre de Ruth. En effet, l'interprétation de
l'attitude de Rabbi HҚanina va justifier le commentaire sur Naomi.
Au début, l'opinion de M.A. sur Elimélekh et sa famille est assez ambiguë. En effet,
dans le commentaire des cinq premiers versets du premier chapitre, il accable
Elimélekh qui serait mort pour avoir quitté Bethléem afin de ne pas partager ses
biens avec les pauvres ; il s'aligne ainsi sur les opinions émises dans Ruth Rabba. Il
n'épargne pas ses fils, qui, après sa mort, persistent à vivre en terre étrangère,
idolâtre, et qui épousent des Moavites, au mépris des commandements. Enfin, il
reproche à Naomi de n'avoir pas compris que la mort de son mari, puis de ses fils,
était une punition divine. S'il reconnaît qu'elle n'était pas favorable au mariage de ses
fils, il lui reproche de n'avoir quitté le pays de Moav que parce que la famine était
terminée en Israël.

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Le ton change au sixième verset, et on s'aperçoit que M.A. s'était fait, en quelque
sorte, l'avocat du diable ! Elimélekh était en réalité un juste qui n'avait pas l'intention
de s'implanter en terre étrangère, ni de renier sa foi et sa religion. Et ni lui, ni ses
enfants ne sont adonnés à l'idolâtrie. Ils ont épousé des Moavites en pensant que le
commandement ne s'appliquait qu'aux hommes (!) et pas aux femmes217. On voit ici
que les arguments sont à la limite de la mauvaise foi.
Après avoir réhabilité Elimélekh et ses fils, M.A. va devenir dithyrambique en rendant
hommage à Naomi, qui est toujours restée parfaite malgré ses malheurs, et qui a
décidé de retourner vers son peuple dès qu'elle a su qu'il avait fait teshuvah (et non
pas parce que la famine était terminée). Il insiste sur sa bonté : elle bénit ses brus
(des étrangères), prouvant ainsi sa grandeur d'âme, et tente de les dissuader de
l'accompagner dans un pays qui leur sera hostile. Il aborde ensuite le thème de la
souffrance, imposée par la divinité à ceux qu'elle aime afin de leur faire atteindre un
haut niveau de spiritualité et de les purifier de leurs péchés. Le commentaire du
premier chapitre se termine par un long développement sur les bénédictions et
malédictions divines associées aux lettres de l'alphabet hébraïque, dans lequel on
peut voir une allusion à la Kabbale, qui considère que les lettres ont participé à la
création du monde218.
Ruth est aussi présentée de manière particulièrement favorable ; M.A. compare et
rapproche son attachement extraordinaire à sa belle-mère avec celui de David et
Jonathan. Le commentaire de Ruth 1, 14 précise même que : "les deux femmes
deviennent une seule entité dans deux corps".
Pour subvenir à leurs besoins, Ruth va aller glaner comme une indigente, mais en
manifestant pudeur et retenue dans sa relation avec les autres et en particulier avec
Boaz. Elle fait partie de ces êtres d'exception sur lesquels veille la présence divine219
(shekhinah), et Boaz ne s'y est pas trompé.

217
Le problème se pose à nouveau quand le premier go`el refuse d'épouser Ruth pour ne pas faire
entrer une étrangère dans sa famille, selon le midrash (Ruth Rabba 7, 10). Le midrash, sans craindre
l'anachronisme, poursuit en disant que ce go`el prouve ainsi son ignorance de la Torah car la loi
venait d'être modifiée : un Ammonite (n'entrera pas) mais non une Ammonite, un Moabite, mais non
une Moabite (T.Y. Yebamot 8, 3).
218
Zohar sur Ruth 88c – 88d. Le commentaire du verset quinze du chapitre quatre insiste sur le chiffre
sept qui a aussi une grande importance dans la Kabbale (Zohar sur Ruth 76b) : les sept colonnes, les
sept firmaments, les sept étoiles, les sept terres, les sept abîmes etc.
219
Le commentaire de Ruth 2, 4 – 5 fait référence au Zohar sur Ruth 85d qui affirme que "l'esprit saint
scintillait en elle".

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Ce dernier, parfait parmi les parfaits, possède toutes les qualités : bonté, générosité,
honnêteté, respect de la loi et des coutumes. Il a eu, à l'égard de Ruth, une attitude
respectueuse et pleine de bonté. Il lui a servi un repas et lui a donné des provisions
pour sa belle-mère. Enfin, loin d'abuser de la situation dans la grange, il lui promet le
mariage, mais pour respecter les usages, il y met une restriction : le parent plus
proche (et prioritaire) doit se désister.
Cette étude a été particulièrement intéressante car le commentaire de Ruth de
Moshé Almosnino est original et apporte un éclairage nouveau par rapport à des
auteurs comme Rashi ou des écrits rabbiniques comme le Midrash Ruth Rabba. Il ne
se contente pas de reprendre les idées de ses prédécesseurs (même s'il les utilise
parfois) et s'inspire largement de la Kabbale sans la citer. Il le fait dans un hébreu
particulièrement clair et élégant.
Enfin l'auteur montre tout au long de son commentaire une foi extraordinaire,
touchante et parfois un peu naïve.
Cet ouvrage, peu connu sans doute (il n'a pas été réimprimé depuis 1597) et jamais
traduit, à notre connaissance, fait partie de ces nombreux écrits qui mériteraient un
sort meilleur.

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Annexes

Annexe 1 : Situation géographique de Salonique (Thessalonique).

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Annexe 2 : Couverture du livre Yedey Moshe.

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Annexe 3 : Généalogie des Almosnino de Salonique

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Bibliographie

I - Sources juives.

I.1 – Ecrits de l'antiquité.


La Bible, traduite du texte massorétique par les membres du Rabbinat français sous
la direction du Grand Rabbin Zadoc Kahn, Tel-Aviv, 1994.

I.2 – Ecrits rabbiniques.


Bereshit Rabba, éd. J. Theodor – H. Albeck, Jérusalem, 1965.
Mekhilta de-Rabbi Yishma'el, éd. H.S. Horowitz et Y.A. Rabin, Jérusalem, 1998.
Midrash ha-neelam, Le Zohar sur Ruth traduit et annoté par Charles Mopsik, Paris,
1987.
Midrash Rabbah, éd. Mirkin, Tel-Aviv, 1961 - 1968.
Midrash Rabba sur le Cantique des Cantiques, version bilingue, traduction Maurice
Mergui, Paris, 2008.
Midrash Rabba sur l'Ecclésiaste, version bilingue, traduction Sylvie André, Paris,
2009.
Midrash Rabba sur Ruth, version bilingue, traduction Frédéric Gandus, Paris, 2003.
Midrash Ruth Rabbah in Midrash Rabbah traduit en anglais sous la direction de H.
Freedman et Maurice Simon, Londres, 1983, volume 8 traduit par A. Cohen.
Midrash Ruth Zut̫a, édité par Salomon Buber, Tel-Aviv, 1963 (réimpression de
l'édition de Lvov, 1895).
Midrash Tanh̪uma, éd. S. Buber. Vilna, 1883. Réimprimé à Jérusalem, 1964.
Pirqé Avot, Commentaires du Traité des Pères, Paris, 2004.
Ruth Rabba, éd. Mirkin, Tel-Aviv, 1966.
Sifre Debarim, éd. L. Finkelstein, Berlin, 1939.
Talmud Bavli, Vilna, 1898.

I.3 – Ecrits post-rabbiniques.


Aggadoth du Talmud de Babylone, La source de Jacob, 'Ein Yaakov : traduit et
annoté par Arlette Elkaïm-Sartre, Paris, 1983.
Almosnino Moshé, Yedey Moshe (Les mains de Moïse), Venise, 1597.

___________________________________________________________________
Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 82
Rashi (Rabbi Shelomoh ben Yits’hҚҚaq), Le commentaire de Rashi sur les Megilloth,
version vocalisée bilingue, tome I, traduction de G. Pell, Jérusalem, 2008.
______________________________, Le commentaire de Rashi sur la Torah,
version vocalisée, tome I, traduction de Feiga Lubecki, Créteil, 1997.

II - Sources non juives.


La Bible de Jérusalem, Le Nouveau Testament, traduite en français sous la direction
de l'École biblique de Jérusalem, Paris, 2002.
Le Coran, traduit de l'arabe par Régis Blachère, Paris, 1966.

III – Etudes.

III.1 – Les juifs sépharades, de l'Espagne à Salonique.


Amar Moshé, "La yechiva en orient" in Le Monde sépharade (sous la direction de
Shmuel Trigano), Paris, 2006, Tome II, p 258 – 301.
Anqawa Abraham, Kerem H̪emer, Livourne, 1869.
Baer Yitzhak Fritz, A History of the Jews in Christian Spain, Philadelphie, 1978.
Barnaï Jacob, "La communauté juive de Salonique (1430 - 1943)", in Les Juifs
d’Espagne : histoire d’une diaspora, 1492-1992 , édité par Méchoulan Henry, Paris,
1992, p 397 - 408.
Benjamin de Tudèle, Sefer Masa'oth, édition trilingue hébreu, espagnol (traduit par
José Ramon Magdalena) et basque (traduit par Xabier Kintana) sous le patronage du
Gouvernement de Navarre, Pampelune, 1994.
Benbassa Esther, Aron Rodrigue, Histoire des juifs sépharades : de Tolède à
Salonique, Paris, 2002.
Ben-Mayor Yacob, "Salonika (Thessaloniki)", Encyclopedia Judaica 1971, tome 14
col 699 - 704.
Ben Naeh Yaron, "Dans l'empire ottoman XVI-XVIIe siècles" in Le Monde sépharade
(sous la direction de Shmuel Trigano), Paris, 2006, Tome I, p 369 - 413.
Bentov Haïm, "Les classes laborieuses au Maroc et dans les pays d'orient" in Le
Monde sépharade (sous la direction de Shmuel Trigano), Paris, 2006, Tome I, p 700
- 720.
Chehata C. "Dhimma", Encyclopédie de l'Islam 1977, Tome 2, p 234 - 238.

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 83
Editorial Staff, "AlkabezҖ, Salomon Ben Moses Ha-Levi", Encyclopedia Judaica 1971,
tome 1 col 635 - 637.
Franco Moïse, Essai sur l'histoire des Israélites de l'empire Ottoman, Paris, 1897.
Fresco Henri, "Les Séfarades d'Istanbul depuis l'installation jusqu'à la fin du XIXe
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III.3 – Moshé Almosnino.


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III.4 – Ruth.
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III.5 – Autres études.


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1996.
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adaptation françaises de Maurice Ruben Hayoun, Paris, 1986.
Touati C., Prophètes, talmudistes, philosophes, Paris, 1990.
Urbach Ephraïm, Les sages d'Israël, traduit de l'hébreu par M.J. Jolivet, Paris, 1996.

III.6 – Divers.
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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 87
INDEX des citations

1 G
1 Samuel 21, 3 67 Genèse 11, 28 22
Genèse 13, 9 22
2 Genèse 18, 4 42
Genèse 19, 31-37 22
2 Rois 4, 13 43 Genèse 24, 5 38
2 Rois 6, 8 67 Genèse 24, 6 38
2 Samuel 1, 23 44 Genèse 27, 43 72
Genèse 28, 10 37
A Genèse 31, 47
Genèse 38, 11
46
20
Avot 4, 2 30 Genèse 38, 13 60
Genèse 47, 4 34
B
I
Bava Batra 14a 17, 28
Bava Batra 73b 47 Isaïe 12, 1 28
Bava Batra 91b 64 Isaïe 29, 13 30
Bava Kamma 50a 29 Isaïe 30, 26 74
Bava Mes̛ia 59b 27 Isaïe 40, 7 75
Berakhot 4:7 29 Isaïe 43, 7 50
Berakhot 7a 23 Isaïe 56, 5 72
Bereshit Rabba 38, 13 22 Isaïe 57, 1 35
Bereshit Rabba 51, 3 49 Isaïe 60, 22 64
Bereshit Rabba 68, 6 37
J
C Job 1, 21 47
Cantique Rabba 1,4 29 Josué 18, 1 23
Josué 2, 12 38
Josué 2, 14 38
D Josué 2, 18 39
Deutéronome 11, 10 – 17 24 Juges 17, 6 33
Deutéronome 23, 4 22, 34, 36 Juges 21, 25 33
Deutéronome 23, 5 22
Deutéronome 28, 1 47 L
Deutéronome 28, 14 47
Deutéronome 28, 15 47 Lamentations 5, 16 41
Deutéronome 28, 3 49 Lévitique 21, 4 46
Deutéronome 28, 4 49 Lévitique 23, 10 23
Deutéronome 28, 63 49 Lévitique 23, 11 23
Deutéronome 28, 65 49 Lévitique 23, 22 51
Deutéronome 28, 68 47 Lévitique 23, 43 47
Deutéronome 28, 7 49, 73 Lévitique 26, 11 48
Deutéronome 28,5 49 Lévitique 26, 16 49
Deutéronome 30, 12 27 Lévitique 26, 24 49
Deutéronome 32, 36 45 Lévitique 26, 28 49
Deutéronome 33, 27 27 Lévitique 26, 3 47
Deutéronome 5, 22 48 Lévitique 26, 4 48
Lévitique 26, 41 49
Lévitique 26, 42 49
E Lévitique 26, 6 48
Epîtres aux Thessaloniciens 2
Esther 2, 23 42 N
Exode 11, 3 36
Exode 18, 1 37 Néhémie 13, 1 17
Exode 23, 2 27 Néhémie 13, 3 17
Ezéchiel 11, 19 30 Nombres 14, 38 36

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 88
Nombres 23, 14 74 Ruth Rabba 77
Ruth Rabba 1, 1 33
P Ruth Rabba 1, 4
Ruth Rabba 4, 2
20
23
Pessah̛im 112b 29 Ruth Rabba 6, 3 64
Proverbes 12, 4 63 Ruth Rabba 7, 7 66
Proverbes 22, 29 31
Proverbes 24, 16 74 S
Proverbes 3, 12 46
Proverbes 31, 10 63 Sotah 47a 22
Proverbes 31, 12 55 Sotah 9a 29
Psaumes 119, 62 62
Psaumes 145, 19
Psaumes 2, 12
52
28
T
Psaumes 45, 14 55 Ta'anit 24b 29
Psaumes 67, 2 39 Targum Ruth 64, 66
Psaumes 84, 12 56
Y
R
Yebamot 47a 24
Ruth 1, 12 21 Yebamot 8, 3 77
Ruth 1, 13 21
Ruth 1, 16 16, 24
Ruth 1, 17 21 Z
Ruth 1, 18 24 Zacharie 3, 10 35
Ruth 1, 20 21 Zacharie 3, 9 74
Ruth 1, 7 37 Zohar sur Ruth 76b 77
Ruth 1, 8 24 Zohar sur Ruth 77a
Ruth 2, 20 21 et 80c 20
Ruth 2, 4 – 5 77 Zohar sur Ruth 78b 15
Ruth 3, 11 63 Zohar sur Ruth 79a 22
Ruth 3, 9 17 Zohar sur Ruth 80c 30
Ruth 4, 12 20 Zohar sur Ruth 85d 77
Ruth 4, 18 15 Zohar sur Ruth 88b 66
Ruth 4, 22 15 Zohar sur Ruth 88c – 88d 77
Ruth 4, 3 64 Zohar sur Ruth 95a 23
Ruth 4,20 et 21 64

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Mémoire de Master II Recherche - Études hébraïques et juives Page 89
INDEX des noms

A J
Abraham Ibn Ezra 19 Jean-François Millet 17
Al-Batrikh 27
Al-Ghazali
AlkabesҖ ha-Levi Salomon
12
8
M
Almosnino 9 M.A. (Moshé Almosnino) IV, 12, 13, 27, 28, 29, 30, 31,
Almosnino Abraham 9 36, 38, 39, 40, 41, 44, 45, 46, 49, 51, 59, 62, 64, 67,
Almosnino Abraham dit le Jeune 10 68, 69, 76, 77
Almosnino Barukh 10, 27 Maïmonide 10, 26, 27, 32, 87
Almosnino HҖaïm 10 Mario Castelnuovo-Tedesco 17
Almosnino Joseph 10
Almosnino Moshé 1, 2, 11, 15, 78
Almosnino Samuel 10 N
Almosnino Yossef 1 Nassi Joseph 13
Nicolas Poussin 17
B
Benjamin de Tudèle 2 R
Raba 36, 38, 40, 42
C Rabbi Eliézer 27
Rabbi HҖanina ben Dosa 29, 30
Cansino Jacob 13 Rabbi HҚanina en Dosa 76
Covo Juda 6 Rabbi Jérémie 27
Rabbi Yéhoshua 27
F Rabbi Yohҗanan ben Zakaï 29
Rabbi Yosse Ben Qisma` 15
Flavius Josèphe 18 Rashi 10, 19, 37, 40, 66, 76, 78, 83

G S
Gaon de Vilna 19 Saint Paul 2
Gustave Doré 17 Samuel Ibn Tibbon 26
Selim II 12
H Soliman le Magnifique 11

HҖabib (Jacob Ibn) 8 V


Victor Hugo 17

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