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Textes spirituels d’Ibn Taymiyya.

Nouvelle série
XXIV. Les Fāṭimides

Souverain, ville et militaires fāṭimides*

Quand ils prirent l’Égypte aux Ikhshīdides en 358/969, les Fāṭi- après 136/754 ?), Ja‘far al-Ṣādiq désigna un autre de ses fils, Mūsā al-
mides avaient déjà une longue histoire derrière eux. Soixante ans plus Kāẓim, comme son successeur à l’imāmat. Fidèles à sa mémoire, des
tôt, en 296/909, un de leurs dā‘īs, le yéménite Abū ‘Abd Allāh al- partisans d’Ismā‘īl refusèrent cette nouvelle désignation et furent à
Shī‘ī (m. 298/911)1, à la fois missionnaire et agitateur, avait déjà pris l’origine du schisme qui, de nos jours, divise encore les Shī‘ites en
pour eux l’Ifrīqiya aux Aghlabides. Le leader du mouvement, ‘Ubayd Duodécimains et en Ismā‘īliens. Avant de se rendre en Ifrīqiya,
Allāh, avait alors pu quitter son quartier général de Salamiyya en ‘Ubayd Allāh dirigeait à partir de la Syrie la propagande militante de
Syrie, rejoindre Abū ‘Abd Allāh al-Shī‘ī à Raqqāda, l’ancienne cette secte shī‘ite, à la fois secrète et révolutionnaire, attendant que
capitale aghlabide (dans la Tunisie d’aujourd’hui), s’y proclamer Émir l’Imām Muḥammad, fils d’Ismā‘īl b. Ja‘far, sorte de son état d’occul-
des croyants et devenir ainsi le premier calife d’une dynastie shī‘ite tation et réapparaisse en Mahdī rénovateur de l’Islam. Sans doute pour
bientôt destinée à régner, avec des hauts et des bas, sur l’Afrique du asseoir plus encore son autorité, ‘Ubayd Allāh revendiqua l’imāmat
Nord, l’Égypte, la Palestine, la Syrie et le Hedjaz pendant plus de pour lui-même en 286/899. Cette révision de la doctrine eschatolo-
deux siècles. gique de la secte poussa les Qarmaṭes à s’en séparer. Quant à Abū
Qui était cet ‘Ubayd Allāh ? Minées de préjugés idéologiques, sinon ‘Abd Allāh al-Shī‘ī, la fidélité qu’il conserva alors à ‘Ubayd Allāh ne
sectaires, les sources divergent grandement sur son identité exacte. Du lui profita pas longtemps. Une fois son pouvoir confirmé en Afrique
côté fāṭimide, on en fait traditionnellement un descendant de la du Nord, l’Imām ismā‘īlien et calife fāṭimide ‘Ubayd Allāh al-Mahdī
sixième génération du sixième Imām shī‘ite duodécimain Ja‘far al- ne tarda en effet pas à le faire exécuter.
Ṣādiq (m. 148/765), père d’Ismā‘īl, père de Muḥammad, père de ‘Abd Maîtres de l’Égypte, les califes-Imāms fāṭimides furent à la tête d’un
Allāh, père d’Aḥmad, père d’al-Ḥusayn, père de l’intéressé. Pour véritable empire. Rivaux du calife ‘abbāside de Bagdad, du calife
maints opposants des Fāṭimides, il serait par contre le fils d’al- umayyade de Cordoue et du basileus de Constantinople, ils purent se
Ḥusayn, fils d’Aḥmad, fils de Muḥammad, fils de ‘Abd Allāh, fils présenter comme les leaders légitimes du monde musulman. Une de
d’un certain Maymūn b. al-Aswad al-Qaddāḥ, un « obscur transmet- leurs premières mesures consista à se doter d’une nouvelle capitale,
teur mecquois », d’ascendance non ‘alide, du cinquième Imām, Le Caire, comme ils l’avaient déjà fait en Ifrīqiya en construisant al-
Muḥammad al-Bāqir (m. 115/733) et de Ja‘far al-Ṣādiq2. Nonobstant Mahdiyya. Admirables et sans nombre sont les constructions, les œu-
les imprécisions de sa généalogie, ‘Ubayd Allāh se présenta comme vres artistiques et les ouvrages scientifiques et littéraires témoignant
un descendant légitime d’Ismā‘īl b. Ja‘far et, par eux, de ‘Alī et de de la splendeur de la culture qui fleurit alors sous leur égide3. S’agis-
Fāṭima – d’où le nom de la dynastie qu’il fonda. sant de la religion, l’histoire de l’Égypte fāṭimide est tout aussi fasci-
Son fils et successeur désigné, Ismā‘īl, étant mort avant lui (peu nante. Dans leur grande majorité, les populations de la vallée du Nil
restèrent attachées à leurs croyances : Islam sunnite, Chrétienté copte,
* À gauche, bas-relief en marbre gris montrant un flûtiste et un
Judaïsme… Quant aux nouveaux souverains du Caire et à leurs fidèles
prince fāṭimide une coupe à la main, IVe/Xe s., al-Mahdiyya (Tunis, venus d’Afrique du Nord, les évolutions doctrinales que leur Ismā‘ī-
Musée du Bardo. Photo : Y. Michot, septembre 2012). Au centre, la lisme put connaître n’en abrogèrent pas le dogme fondamental : la
ville d’al-Mahdiyya avec « les palais des Imāms – sur eux la paix ! » soumission absolue à un imām infaillible dépositaire d’une gnose éso-
(quṣūr al-a’imma ‘alay-him al-salām), miniature du Livre des curio- térique (bāṭin) réservée à une élite et constituant, au-delà du sens
sités (Kitāb Gharā’ib al-funūn wa mulaḥ al-‘uyūn) anonyme, Égypte, apparent (ẓāhir) de l’Écriture et des prescriptions de la Loi (sharī‘a),
vers 411/1020-442/1050, manuscrit d’Oxford, Bodleian Library, Arab. le seul savoir véritablement salvateur. Parfois même ce dogme évolua-
c. 90, fol. 34 r. (Égypte ?, vers 597/1200 ; voir https://digital.bodleian. t-il en une proclamation de rien de moins que la divinité de l’Imām,
ox.ac.uk/inquire/p/df507433-6c63-48b4-b92a-24b993363539). À droi- comme ce fut le cas avec le calife al-Ḥākim bi-Amr Allāh.
te, dessin à l’encre sur papier représentant deux militaires flanquant un
arbre folié (Égypte, IVe/Xe-Ve/XIe s.). L’inscription en coufique 3. Voir M. BARRUCAND (éd.), L’Égypte fatimide. Son art et son
fleuri se lit : ‘Izz wa iqbāl li-l-qā’id Abī Manṣūr - « Puissance et pros- histoire, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1999 ; J. M.
périté au chef Abū Manṣūr » (Le Caire, Musée d’Art Islamique, n° inv. BLOOM, Arts of the City Victorious. Islamic Art and Architecture in
13703). Fatimid North Africa and Egypt, New Haven - Londres, Yale Univ-
1. Voir S. M. STERN, EI2, art. Abū ‘Abd Allāh al-Shī‘ī. ersity Press - Londres, The Institute of Ismaili Studies, 2007 ; P. E.
2. Voir W. MADELUNG, EI2, art. Maymūn b. al-Aswad al-Ḳaddāḥ, WALKER, Exploring an Islamic Empire. Fatimid History and its Sour-
p. 909. Sur les imprécisions de la généalogie des premiers Fāṭimides, ces, Londres - New York, I.B.Tauris - Londres, The Institute of Ismaili
voir M. CANARD, EI2, art. Fāṭimides, p. 870-871. Studies, 2002.

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Mosquées fāṭimides du Caire*
La fin des Fāṭimides fut consommée quand, en 567/1171, Saladin Il est impossible de dire si les questions à l’origine du Fetwa sur les
imposa son pouvoir au dernier calife Imām du Caire, al-‘Āḍid, ramena Fāṭimides dont on trouvera la traduction ci-dessous furent posées à
officiellement l’Égypte sous le giron du calife ‘abbāside de Bagdad et Ibn Taymiyya à l’occasion d’une de ces expéditions. Un lien semble
prit plusieurs mesures pour débarrasser le pays de l’Ismā‘īlisme et de par contre exister entre la dernière d’entre elles et sa réponse4, et four-
ses fidèles. La décadence finale, les excès et les tares de la dynastie nit un terminus post quem de la composition de celle-ci : 704-5/1305.
déchue, l’ésotérisme doctrinal et pratique distinguant son type de L’uléma damascain ne croit ni à l’infaillibilité des Imāms fāṭimides
Shī‘isme de l’Islam sunnite purent alors être dénoncés plus encore que ni à leur lignage ‘alide. Consacrées à ces sujets, les deux premières
par le passé, faire l’objet de réductions caricaturales et donner lieu à parties de son fetwa sont l’occasion d’intéressantes remarques histo-
de sombres légendes1. riques, juridiques et théologiques. Ibn Taymiyya attaque ensuite la
Quand Ibn Taymiyya (661/1263-728/1328) commença sa carrière de prétention que d’aucuns – ces Imāms, les Ismā‘īliens, d’autres sectes
mufti théologien, plus d’un siècle s’était déjà écoulé depuis la chute ou individus, tels les Ikhwān al-Ṣafā’ ou des philosophes… – ont de
des Fāṭimides. En Égypte, l’Ismā‘īlisme avait alors à peu près totale- posséder un savoir ésotérique (bāṭin) et ne voit là que libre pensée,
ment disparu. Après des décennies difficiles, dans les montagnes de la hypocrisie et mécréance. Suivent des précisions relatives à l’histoire
Syrie et du Liban actuels, des communautés d’Ismā‘īliens et des sectes des Ismā‘īliens, des Fāṭimides, des Qarmaṭes, et une conclusion
connexes – Nuṣayrīs, Druzes… – avaient finalement trouvé avec le reprenant les idées et condamnations principales du fetwa.
sultanat mamlūk un modus vivendi leur assurant une semi-autonomie2. On trouvera dans les notes la traduction de quelques passages du
Parfois, la tentation de faire cause commune avec d’autres acteurs célèbre Les scandales des ésotéristes d’al-Ghazālī5. Manifeste est la
majeurs du théatre proche-oriental de l’époque – les Croisés et les différence entre le discours raisonné de celui-ci et l’approche, disons,
Mongols – s’avéra cependant irrésistible. D’où trois expéditions puni- « kaléidoscopique » d’Ibn Taymiyya. À l’historien de déterminer ce
tives menées contre ces communautés par les autorités du Caire ou de qui, dans cette approche, releva de l’étude de sources ismā‘īliennes ou
Damas : I en 691/1292 ; II en 699/1300 ; III en 704-5/13053. autres, d’automatismes de mufti ou de sombres légendes.

4. Dans le présent fetwa, Ibn Taymiyya explique avoir saisi des


* En haut à gauche, Mashhad al-Juyūshī, sur le Muqaṭṭtam (478 livres relatifs au calife fāṭimide al-Ḥākim chez les libres penseurs et
/1085) ; au centre, façade de la salle de prière de la mosquée d’al-Ṣāliḥ les hypocrites vivant dans « la vallée des Taym b. Tha‘laba (voir infra,
Ṭalā’i‘ (555/1160) ; à droite, portail de la mosquée al-Aqmar (519 p. 12) et ce témoignage cadre bien avec deux choses que l’on sait par
/1125). En bas, cour et façade de la salle de prière de la mosquée d’al- ailleurs de l’expédition III. Ibn Kathīr parle en effet des expéditions II
Ḥākim bi-Amr Allāh (380/990-404/1013). Photos : Y. Michot, décem- et III auxquelles Ibn Taymiyya participa. Celle de 705/1305, explique-
bre 2012. Voir B. O’KANE, The Mosques of Egypt, Le Caire - New t-il, visa notamment les Tayāmina, ou Banū Taym Allāh b. Tha‘-
York, The A.U.C Press, 2016, p. 22-23, 38-41, 28-31, 16-21. laba (voir H. LAOUST, Remarques, p. 102, 104). En outre, Ibn Tay-
1. Sur la littérature anti-ismā‘īlienne médiévale, voir F. DAFTARY, A miyya évoque lui-même sa participation à l’expédition III dans une
Short History of the Ismailis. Traditions of a Muslim Community, lettre au sultan al-Nāṣir (sur cette lettre, voir Y. MICHOT, Textes spiri-
Édimbourg, Edinburgh University Press, 1998, p. 9-14. « It is impor- tuels d’Ibn Taymiyya (Nouvelle série). XXIII. Lettre au sultan al-Nāṣir
tant to remember that the Ayyubid and Mamluk era historians who concernant les Tatars, sur www.academia.edu, octobre 2017, p. 1,
supply most of the data from which Fatimid history is made […] have n. 7). « Un ensemble des livres des [hérétiques] tomba aux mains des
their own agendas, biases and prejudices » (P. E. WALKER, Exploring, Musulmans », écrit-il alors (voir IBN ‘ABD AL-HĀDĪ, al-‘Uqūd al-dur-
p. 94-95 ; see also p. 152-169). riyya min manāqib shaykh al-islām Aḥmad bin Taymiyya, éd. M. Ī. AL-
2. Voir F. DAFTARY, The Ismā‘īlīs. Their History and Doctrines, FIQĪ, Le Caire, Maṭba‘at Ḥijāzī, 1357/1938, p. 186). Dans le rapport
Cambridge, Cambridge University Press, 2007 (2e éd.), p. 255, 402. d’Ibn Kathīr sur l’expédition II, il n’est question ni de saisie de livres
3. Voir H. LAOUST, Remarques sur les expéditions du Kasrawan hérétiques ni des Tayāmina.
sous les premiers Mamluks, in Bulletin du Musée de Beyrouth, IV, 5. A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ al-bāṭiniyya, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ,
Paris, Adrien Maisonneuve, 1940, p. 93-115. Koweit, Mu’assasa Dār al-Kutub al-Thaqāfiyya, 1383/1964 (sigle B).

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TRADUCTION 1 Imāmat, prophétat et infaillibilité
[Ibn Taymiyya] fut aussi interrogé – le Dieu Très-Haut lui — À Dieu la louange ! répondit [Ibn Taymiyya]. Dire qu’[al-
fasse miséricorde ! – au sujet d’al-Mu‘izz Ma‘add Abū2 Mu‘izz], ou un de ses enfants, ou leurs pareils, furent protégés
Tamīm3 qui construisit le Caire et les deux palais4. Était-il un (ma‘ṣūm)8 des péchés et des fautes ainsi que les Rāfiḍites9 le
descendant du Prophète (sharīf)5, un descendant de Fāṭima ? prétendent des douze [Imāms]10, dire ceci est pire, de beaucoup,
Lui et ses enfants furent-ils infaillibles (ma‘ṣūm) ? Possédèrent- que ce que les Rāfiḍites disent. Les Rāfiḍites ont en effet pré-
ils le savoir ésotérique (bāṭin) ? S’ils n’étaient pas des descen- tendu cela de personnes au sujet de la foi et de la piété de qui il
dants du Prophète, quelle est la justification (ḥujja) permettant n’est point de doute ou, plutôt même, de personnes de qui il est
d’affirmer cela ? S’ils divergèrent de la Loi (sharī‘a), furent-ils indubitable qu’elles sont d’entre les gens du Jardin, tels ‘Alī, al-
ou non des impudents (baghī)6 ? Quel est le statut de ceux qui, Ḥasan et al-Ḥusayn – Dieu soit satisfait d’eux ! Et malgré cela,
parmi les ulémas fiables des dires de qui on tire des justifica- il y a accord des gens du savoir et de la foi sur le fait que dire
tions, rapportent cela d’eux ? Puisse-t-il s’étendre sur cela ! cela est d’entre les dires les plus corrompus et que c’est d’entre
les dires des adeptes de l’imposture (ifk) et de la calomnie (buh-
tān). Être protégé à ce propos n’appartient pas à d’autres que
les Prophètes – sur eux la paix11 !
Tout12 autre individu que les Prophètes, on acceptera au con-
traire [certaines] de ses paroles et on en délaissera. Quelqu’un
d’autre que les Prophètes et les Messagers, il n’est pas obliga-
toire de lui obéir en tout ce qu’il dit ; pour les créatures, il n’est
pas obligatoire de le suivre et d’avoir foi [121] en lui en tout ce
qu’il commande et en tout ce dont il informe ; s’opposer à lui à
ce propos n’est pas de la mécréance, à la différence de [ce qu’il
en est] des Prophètes. Bien plutôt même, quand un autre de ses
Dīnār d’al-Mu‘izz (Le Caire, 362/972-3)7 pairs s’oppose à lui il est obligatoire, pour quelqu’un menant un
effort de réflexion personnel (mujtahid), d’examiner leurs dires
à tous les deux et qui que ce soit des deux [de qui les dires] sont
1. IBN TAYMIYYA, MF, t. XXXV, p. 120-144 (sigle F). le plus semblables au Livre et à la Sunna, il le suivra ainsi que
2. abī : bin F le Dieu Très-Haut l’a dit : « Ô ceux qui croient, obéissez à
3. Al-Mu‘izz li-Dīn Allāh (319/931, Ifrīqiya ; r. 341/953-365/975, Le
Caire), quatrième calife fāṭimide, de qui le général grec Jawhar prit
l’Égypte aux Ikhshīdides en 358/969 ; voir F. DACHRAOUI, EI2, art. al- Ma‘add appelle à proclamer l’unité (tawḥīd) du Dieu de plénitude. » –
Mu‘izz li-Dīn Allāh ; Sh. JIWA, Towards a Shi‘i Mediterranean Em- « Al-Mu‘izz li-Dīn Allāh, Émir des croyants. » (Coll. part.)
pire: Fatimid Egypt and the Founding of Cairo. The Reign of the 8. Sur la doctrine taymiyyenne de l’infaillibilité prophétique, voir
Imam-Caliph al-Mu‘izz from Taqī al-Dīn Aḥmad b. ‘Alī al-Maqrīzī’s B. ABRAHAMOV, Ibn Taymiya and the Doctrine of ‘Iṣmah, in The Bul-
Itti‘āẓ al-ḥunafā’ bi-akhbār al-a’imma al-Fāṭimiyyīn al-khulafā’. Tran- letin, 12/3-4, Hayderabad, The Henry Martyn Institute of Islamic Stu-
slation, Londres - New York, I.B.Tauris - Londres, The Institute of dies, juillet-décembre 1993, p. 21-30.
Ismaili Studies, 2009. 9. Ici, désignation péjorative des Shī‘ites duodécimains ; voir
4. À l’origine, Le Caire fut conçu par son fondateur, l’émir Jawhar, E. KOHLBERG, EI2, art. al-Rāfiḍa ; Y. MICHOT, Textes spirituels d’Ibn
comme une résidence impériale réservée au calife fāṭimide, à sa cour Taymiyya (Nouvelle série). XVII. Les Rāfiḍites, sur www.scribd.com,
et à son armée, non pas comme une vraie ville, la masse continuant avril 2014 ; IV. L’obéissance aux autorités, sur www.muslimphilo-
d’habiter l’ancienne capitale égyptienne, Fusṭāṭ. L’axe Nord-Sud divi- sophy.com, décembre 2009, p. 2, n. 6.
sant la nouvelle ville devenait en son centre une large esplanade bor- 10. Les douze Imāms du Shī‘isme duodécimain, de ‘Alī b. Abī Ṭālib
dée de deux ensembles palatiaux de pavillons et de jardins couvrant à Muḥammad al-Mahdī (entré en grande occultation en 329/941) ; voir
plusieurs hectares, les palais oriental et occidental ici évoqués par Ibn Y. MICHOT, Ibn Taymiyya’s Critique of Shī‘ī Imāmology. Translation
Taymiyya et dont il ne reste rien aujourd’hui ; voir A. RAYMOND, Le of Three Sections of his Minhāj al-Sunna, in The Muslim World, 104/1-
Caire, Paris, Arthème Fayard, 1993, p. 55-56 ; A. F. SAYYID, Le grand 2, janvier-avril 2014, p. 109-149.
palais fatimide au Caire, in M. BARRUCAND (éd.), Égypte fatimide, 11. « Il y a accord des [Bāṭinites] sur ceci : à toute époque il faut
p. 117-125. immanquablement un Imām infaillible qui promeut le Vrai et à qui on
5. « Avant et après la venue de l’Islam, les ashrāf [pl. de sharīf] se réfère pour l’interprétation des significations apparentes et la solu-
étaient, parmi les Arabes, soit des personnes issues de tribus nobles tion des problèmes concernant le Coran, les traditions et les intelli-
soit, spécifiquement, les chefs de familles importantes […] Le sens gibles. Ils sont aussi d’accord sur ceci : [l’Imām] est celui qui s’occupe
islamique spécifique le plus large de sharīf est celui de « descendant de cette affaire et cela perdure dans son lignage sans jamais s’inter-
du Prophète » (C. VAN ARENDONK & W. A. GRAHAM, EI2, art. Sharīf, rompre. Il ne se peut pas que cela s’interrompe car il y aurait en cela
p. 340-341). négligence du Vrai, couverture de celui-ci au détriment des créatures
6. « Impudents » ou « exagérateurs ». et invalidation de ces dires du [Prophète] – sur lui la paix ! : « Tout
7. Les inscriptions de ce dīnār témoignent clairement du Shī‘isme lien (sabab), tout lignage, s’interrompra à l’exception du lien à moi et
d’al-Mu‘izz. À droite, de l’extérieur vers le centre : « Muḥammad est de mon lignage. » Et aussi : « N’ai-je pas laissé parmi vous le Coran et
le Messager de Dieu. Il l’a envoyé avec la guidance et la religion du ma famille ? » Ils sont par ailleurs d’accord sur ceci : l’Imām est l’égal
Réel pour la faire prévaloir sur toute religion quand bien même les du Prophète pour ce qui est d’être infaillible et d’avoir connaissance
associateurs [le] détesteraient » (Coran, al-Tawba - IX, 33). « Et ‘Alī des réalités du Vrai dans toutes les affaires, à ceci près que la révéla-
est le plus éminent des légataires et le vizir du meilleur des Envoyés. » tion n’est pas descendue sur lui et qu’il recueille seulement cela du
– « Il n’est pas de dieu sinon Dieu et Muḥammad est le Messager de Prophète. Il est en effet son calife » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd.
Dieu. » À gauche, de l’extérieur vers le centre : « Au nom de Dieu ce ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 42).
dīnār a été frappé au Caire […] en l’an 362[/973]. » – « L’Imām 12. kull : kāna F

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Dieu, obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détien- sions envoyé un Messager10. » Le Très-Haut a aussi dit : « Si
nent l’autorité (ūlū l-amr). Si vous controversez sur une chose, vous célébrez la prière, donnez l’aumône, croyez en Mes Mes-
déférez-la à Dieu et au Messager, si vous croyez en Dieu et au sagers, les assistez et faites à Dieu un beau prêt, certes J’effa-
Jour dernier. Ce sera le mieux et l’interprétation la meilleure1. » cerai de vous vos méfaits11 ! » Il y a beaucoup de tels [versets]
En cas de controverse, Il a ordonné de s’en référer à Dieu et au dans le Coran. Y sont clairement exposés le bonheur de quicon-
Messager étant donné que l’infaillible ne dit que du vrai. Or que croit aux Messagers, les suit et leur obéit, ainsi que la
quelqu’un qu’on sait dire la vérité concernant les sujets de con- misère de qui ne croit pas en eux et ne les suit pas ou, plutôt
troverse, il est obligatoire de le suivre, ainsi qu’[il en irait] s’il même, leur désobéit.
mentionnait un verset du Livre du Dieu Très-Haut ou un ḥadīth
dont il est établi (thābit) qu’il provient du Messager de Dieu –
Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – grâce auxquels il vise-
rait à mettre fin à la controverse.
Qu’il soit obligatoire de suivre un locuteur en tout ce qu’il dit
sans mentionner de preuve (dalīl) prouvant la véracité de ce
qu’il dit, ce n’est pas vrai. Bien plutôt, un tel rang est le rang du
Messager, qui ne vaut que pour lui. Ainsi le Dieu Très-Haut a-
t-Il dit : « Mais non, par ton Seigneur ! ils ne croiront pas jus-
qu’au moment où ils t’auront pris pour juge dans ce qui fait
conflit entre eux, sans trouver ensuite en eux-mêmes aucune
gêne à ce que tu auras décidé et en se soumettant pleinement 2. »
Le Très-Haut a aussi dit : « Nous n’avons envoyé de Messager
que pour qu’il soit obéi, avec l’autorisation de Dieu. Si,
lorsqu’ils sont injustes envers eux-mêmes, ils venaient à toi,
demandaient à Dieu de leur pardonner et que le Messager Les douze Imāms12
demandât pardon pour eux, ils trouveraient Dieu très accueil- Si un autre que le Messager était infaillible en ce qu’il ordon-
lant au repentir, miséricordieux3. » Le Très-Haut a aussi dit : nerait et prohiberait, son statut à ce propos serait le statut du
« Dis : « Si vous aimez Dieu, suivez-moi ! Dieu vous aime- Messager. Or le Prophète envoyé aux créatures est un Messager
ra4. » Le Très-Haut a aussi dit : « Il n’appartient ni à un croyant qui leur [est envoyé], à la différence de quelqu’un qui ne leur a
ni à une croyante, quand Dieu et Son Messager ont décidé quel- pas été envoyé. Quelqu’un qui donnerait des ordres et des pro-
que chose, d’avoir encore le choix concernant leur affaire5. » hibitions aux créatures – un Imām, un uléma, un shaykh,
Le Très-Haut a aussi dit : « Lorsqu’ils sont appelés vers Dieu et d’autres autorités d’entre les gens de la maison [du Prophète]
Son Messager [122] pour que celui-ci juge entre eux, les croyants ou d’autres qu’eux – et serait infaillible, équivaudrait en cela au
disent seulement : « Nous avons entendu et obéi ! Ceux-là sont Messager. Quiconque lui obéirait [entrerait] obligatoirement
ceux qui réussissent6. » Il a aussi dit : « Quiconque obéit à Dieu dans le Jardin et quiconque lui désobéirait [entrerait] obligatoi-
et au Messager, ceux-là sont avec ceux que Dieu a comblés de rement dans le Feu ainsi que le disent ceux qui affirment
Ses grâces : les Prophètes, les véridiques, les martyrs et les l’infaillibilté de ‘Alī ou d’autres d’entre les Imāms. Ou plutôt
vertueux ! Et que ceux-là sont bons comme compagnons7 ! » même, quiconque lui obéirait serait un croyant et quiconque lui
Le Très-Haut a aussi dit : « Telles sont les limites [mises par] désobéirait serait un mécréant. De tels individus seraient
Dieu. Quiconque obéit à Dieu et à Son Messager, Il le fera comme les Prophètes des enfants d’Israël et, [123] à ce moment,
entrer dans des Jardins sous lesquels des fleuves coulent ; [ils] y ce dire du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –
seront éternellement et voilà la grande réussite. Quiconque « Pas de Prophète après moi13 ! » ne serait plus vrai. Dans le
désobéit à Dieu et à Son Messager, et transgresse Ses limites, Il Sunan, [il est rapporté] de lui – Dieu prie sur lui et lui donne la
le fera entrer dans un Feu ; [il] y sera éternellement et il y aura paix ! – qu’il a dit : « Les ulémas sont les héritiers des Pro-
pour lui un tourment avilissant8. » Le Très-Haut a aussi dit : phètes. Ils ne leur ont pas laissé de dīnār en héritage, ni de
« … en tant que Messagers, annonciateurs et avertisseurs, afin dirham. En héritage, ils leur ont seulement laissé le savoir.
que les gens n’aient plus de justification à l’encontre de Dieu, Quiconque le reçoit, reçoit une part opulente14. » Tout au plus
après les Messagers9. » Le Très-Haut a aussi dit : « Nous ne les ulémas – les Imāms et d’autres personnes de cette commu-
tourmentions point d’un châtiment jusqu’à ce que Nous eus- nauté – sont-ils donc des héritiers des Prophètes.
Il est par ailleurs établi, par les textes authentiques et le

1. Coran, al-Nisā’ - IV, 59. 10. Coran, al-Isræ’ - XVII, 15.


2. Coran, al-Nisā’ - IV, 65.
11. Coran, al-Mā’ida - V, 12.
3. Coran, al-Nisā’ - IV, 64.
12. Chromo populaire iranien, Téhéran, vers 2000 (Coll. part.) ; voir
4. Coran, Āl ‘Imrān - III, 31. Y. MICHOT, Islamic Piety Images from the Maghreb to India, Hartford,
5. Coran, al-Aḥzāb - XXXIII, 36. Hartford Seminary Library, 2016, p. 57-58 – aussi www.scribd. com.
6. Coran, al-Nūr - XXIV, 51. 13. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Maghāzī (Boulaq, t. VI, p. 3) ; IBN
7. Coran, al-Nisā’ - IV, 69. ḤANBAL, Musnad, t. III, p. 338 ; t. VI, p. 369, 438.
8. Coran, al-Nisā’ - IV, 13-14. 14. Voir notamment AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, ‘Ilm (Boulaq, t. I, p. 24) ;
9. Coran, al-Nisā’ - IV, 165. IBN ḤANBAL, Musnad, t. V, p. 196.

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consensus, que le Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la créant, parce qu’il s’en prend à son lignage tandis que s’il
paix ! – a dit à [Abū Bakr] le véridique concernant [son] exé- calomniait quelqu’un d’autre que la mère du Prophète – Dieu
gèse (ta’wīl) d’une vision qu’il avait interprétée : « Tu as visé prie sur lui et lui donne la paix ! –, d’entre ceux de qui on ne
juste en certaines choses et tu as fait erreur en d’autres1. » Et connaît pas l’innocence, il ne serait pas tué.
[Abū Bakr] le véridique de dire : « Obéissez-moi tant que
j’obéis à Dieu ! Quand je désobéis à Dieu, vous n’avez pas à
m’obéir2. » Il se mit une fois en colère contre un homme et Abū
Barza3 lui dit : « Laisse-moi frapper sa nuque ! » Il lui dit : « Le
ferais-tu ? » – « Oui, » dit-il. [Abū Bakr] dit alors : « Il n’appar-
tient à personne de le faire après le Messager de Dieu – Dieu
prie sur lui et lui donne la paix4 ! » Voilà pourquoi il y a eu
accord des imāms sur le fait que quiconque insulte un Prophète
sera tué tandis que quelqu’un qui insulte quelqu’un d’autre
qu’un Prophète ne sera pas tué pour toute insulte par laquelle il
l’insulte. Bien plutôt, une différence sera faite à ce propos :
quelqu’un qui calomnie la mère du Prophète – Dieu prie sur lui
et lui donne la paix ! – sera tué, qu’il soit musulman ou mé-

1. Voir MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Ru’yā (Constantinople, t. VII, p. 56) ; IBN


ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 236 ; ABŪ DĀ’ŪD, Sunan, Aymān wa nudhūr
(éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. III, p. 326, n° 3268) ; AL-DĀRIMĪ, Sunan,
Ru’yā (éd. Dār al-Fikr, t. II, p. 128-129) ; IBN MĀJA, Ru’yā (éd. ‘ABD
AL-BĀQĪ, t. II, p. 1289-1290, n° 3918).
2. Voir Abū Bakr AL-ṢAN‘ĀNĪ (m. 211/827), al-Muṣannaf, éd. Ḥ. al-
R. AL-A‘ẒAMĪ, 12 t., Beyrouth, al-Maktab al-Islāmī, 1403/1983, t. XI, Les califes Abū Bakr et ‘Umar5
p. 336, n° 20702 ; Abū l-Qāsim AL-ṬABARĀNĪ (m. 360/971), al-Mu‘-
Ainsi aussi ‘Umar Ibn al-Khaṭṭāb affirma-t-il parfois de
jam al-awsaṭ, éd. Ṭ. IBN MUḤAMMAD & ‘A. al-M. AL-ḤUSAYNĪ, 10 t.,
Le Caire, Dār al-Ḥaramayn, 1416/1995, t. VIII, p. 267, n° 8597. pareilles choses contre lui-même et se rétracta-t-il de nom-
3. barza : barda F. Abū Barzat al-Aslamī (m. Baṣra, 60/679 ou 64 breuses choses qu’il avait dites quand il devint évident pour lui
/683), Compagnon ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. V, p. 146-147. que la vérité était différente de ce qu’il avait dit. Il interrogeait
4. « ‘Abd Allāh b. Qudāma rapporte d’Abū Barza qu’il dit : « Un les Compagnons sur certains [points] de la Sunna jusqu’à ce
homme parla grossièrement à Abū Bakr le véridique – Dieu soit qu’il en obtienne d’eux [la connaissance]. À propos de [cer-
satisfait de lui ! Je lui dis donc : « Le tuerai-je ? » Il me morigéna et
tains] sujets il disait : « Par Dieu, ‘Umar ne sait pas s’il a tou-
dit : « Il n’appartient à personne de faire une telle chose après le
Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – » ([tra- ché la vérité ou s’il a fait erreur ! » Il disait aussi : « Une
dition] rapportée par al-Nasā’ī) […] Dans une autre tradition, il est femme a parlé juste et un homme a fait erreur. » Et malgré cela
aussi rapporté] à propos d’Abū Barza qu’un homme insulta Abū Bakr. il est établi dans [124] les deux Ṣaḥīḥs, à propos du Prophète –
« Ô calife du Messager de Dieu, » dis-je, « ne frapperai-je pas sa Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –, qu’il a dit : « Dans les
nuque ? » – « Malheur à toi ! » dit-il, ou : « Malheureux ! Il n’appar-
communautés [venues] avant vous, il y eut des gens à qui il fut
tient à personne de [faire cela] après le Messager de Dieu – Dieu prie
sur lui et lui donne la paix ! » […] Dans ses Questions, Abū Dā’ūd a parlé (muḥaddath). S’il y en a un dans ma communauté, c’est
dit : « J’ai entendu Abū ‘Abd Allāh être interrogé au sujet de ces ‘Umar6. » [On lit par ailleurs] dans al-Tirmidhī : « Si je n’avais
paroles d’Abū Bakr : « Il n’appartient à personne de [faire cela] après pas été envoyé parmi vous, ‘Umar aurait été envoyé parmi
le Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! » Il vous7. » Il dit aussi : « Dieu a imprimé la vérité sur la langue de
[répon]dit : « Il n’appartenait à Abū Bakr de tuer un homme que pour
‘Umar et sur son cœur8. » Lorsque celui à qui il est parlé, l’in-
une de [ces] trois [raisons] – et, dans une [autre] version, « … pour
une des trois [raisons] que le Messager de Dieu – Dieu prie sur lui et spiré sur la langue et le cœur de qui Dieu a imprimé la vérité,
lui donne la paix ! – avait formulées : devenir un mécréant après avoir témoigne contre lui-même, à ce niveau [spirituel] (manzila),
été un croyant, forniquer après avoir été vertueux, tuer une âme pour
une autre [raison que la mort d’]une âme. » Au Prophète – Dieu prie
sur lui et lui donne la paix ! – il appartenait par contre de tuer […] On 5. Peinture sous verre anonyme (Sénégal, XXe s.) ; voir M. RENAU-
le sait, il appartint au Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la DEAU & M. STROBEL, Peinture sous verre du Sénégal, Paris, Fernand
paix ! – de tuer quiconque l’insultait et quiconque le rudoyait. Il lui Nathan - Dakar, Les Nouvelles Éditions Africaines, 1984, p. 39.
appartint aussi d’ordonner de tuer quelqu’un au sujet de qui les gens 6. Voir AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Manāqib (Boulaq, t. V, p. 12) ; MUSLIM,
ne connaissaient pas de raison autorisant [de verser] son sang. Les Ṣaḥīḥ, Faḍā’il al-ṣaḥāba (Constantinople, t. VII, p. 115) ; AL-TIR-
gens avaient l’obligation de lui obéir à ce propos parce qu’il n’or- MIDHĪ, Sunan, Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 285, n° 3776).
donnait que ce que Dieu ordonnait et n’ordonnait jamais de désobéir à 7. Voir IBN ḤANBAL, Kitāb Faḍā’il al-ṣaḥāba, éd. W. A. b. M.
Dieu ; bien plutôt, quiconque lui obéissait obéissait à Dieu. [Ce] ḥadīth ‘ABBĀS, 2 t., La Mecque, Jāmi‘at Umm al-Qurā, Markaz al-Ba‘th al-
comporte donc deux choses qui sont propres au Messager de Dieu – ‘Ilmī wa Iḥyā’ al-Turāth al-Islāmī, 1403/1983, t. I, p. 428, n° 676 ; IBN
Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! L’une est qu’il sera obéi à AL-JAWZĪ (m. 597/1201), Kitāb al-Mawḍū‘āt min al-aḥādīth al-mar-
propos de toute personne qu’il commande de tuer ; la seconde est qu’il fū‘āt, éd. N. al-D. b. Sh. b. ‘A. BŪYĀJĪLĀR, 4 t., Riyadh, Maktabat
lui appartint de tuer quiconque l’insultait et parlait grossièrement de Aḍwā’ al-Salaf, 1418/1997, t. II, p. 65-66, n° 595. La référence à al-
lui » (IBN TAYMIYYA, al-Ṣārim al-maslūl ‘alā shātim al-Rasūl, éd. M. Tirmidhī semble être une erreur.
b. ‘A. A. b. ‘U. AL-ḤULWĀNĪ & M. K. A. SHŪDRĪ, 2 t., Damam, 8. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. II, p. 53, 95, 401 ; t. V, p. 145, 165,
Ramādī li-l-Nashr - Riyadh, al-Mu’tamin li-l-Tawzī‘, « Silsilat al- 177 ; IBN MĀJA, Muqaddima (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. I, p. 40, n° 108) ;
rasā’il al-jāmi‘iyya, 3 », 1417/1997, t. II, p. 191-194. AL-TIRMIDHĪ, Sunan, Manāqib (éd. ‘UTHMĀN, t. V, p. 280, n° 3765).

—5—
qu’il n’est pas infaillible, comment, [a fortiori, en ira-t-il] d’un dit à ce sujet, à savoir que lorsque la [veuve enceinte] donne
autre des Compagnons ou d’autres personnes qui n’ont pas naissance, il lui est licite [de se remarier ; cela] du fait que ceci
atteint son niveau ? est établi à propos du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne
Il y a accord des gens du savoir sur le fait qu’Abū Bakr et la paix ! : Subay‘at al-Aslamiyyya8 avait donné naissance
‘Umar furent plus savants que le reste des Compagnons, d’une quelques nuits après [la mort de] son mari ; Abū l-Sanābil b.
plus grande obéissance à Dieu et à Son Messager que le reste Ba‘kak9 entra auprès d’elle et dit : « Tu ne seras pas libre, pour
d’entre eux, et plus à même qu’eux de connaître la vérité et de nous, jusqu’à ce que tu aies été veuve quatre mois et dix
la suivre. Du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la jours » ; elle interrogea à ce sujet le Prophète – Dieu prie sur lui
paix ! –, il est établi par des traditions (naql) abondamment et lui donne la paix ! – et il dit : « Abū l-Sanābil a menti. Il t’est
attestées et authentiques qu’il a dit : « Le meilleur de cette com- licite de [te remarier]. Marie-toi donc10 ! » Quiconque reproduit
munauté après son Prophète est Abū Bakr, puis ‘Umar. » Ceci ces avis [de ‘Alī et d’Ibn ‘Abbās] accuse donc de mensonge le
est relaté de lui en environ quatre-vingt versions1. ‘Alī – Dieu Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix !
soit satisfait de lui ! – a dit : « Nul ne vient à moi qui me consi- Il en va semblablement de la femme que son mari a épousée
dère plus éminent qu’Abū Bakr et ‘Umar sans que je lui fasse sans lui verser la dot (mahr) et avant qui il meurt sans la lui
donner le [nombre de coups de] fouet sanctionnant le calom- avoir prévue dans l’héritage : ‘Alī et Ibn ‘Abbās dirent à son
niateur. » Et nombreux sont les dires rapportés de ‘Uthmān, de sujet qu’elle ne recevrait pas de dot. Ibn Mas‘ūd et d’autres
‘Alī et d’autres Compagnons qu’eux [qui vont dans ce sens]. émirent [par contre] comme avis qu’elle recevrait [alors l’équi-
D’Abū Bakr le véridique on ne conserve pas d’avis dans valent de] la dot habituellement donnée pour une épouse
lesquels il se serait prononcé différemment d’un texte du Pro- comme elle (mahr al-mithl). Et un homme des Ashja‘11 de se
phète – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! Or, pour ‘Alī et lever et de dire : « Nous témoignons que le Messager de Dieu –
d’autres d’entre les Compagnons, de tels [avis] existent en plus Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – a rendu à propos de
grand nombre qu’il n’en existe pour ‘Umar. Al-Shāfi‘ī2 – Dieu Barwa‘, fille de Wāshiq12, un jugement semblable à celui que
soit satisfait de lui ! – disputait avec certains juristes de Kūfa de tu as rendu à propos de cette [femme]-ci13. »
questions de jurisprudence et ils avançaient contre lui, comme Il y a de multiples [cas] semblables à ceci. ‘Alī, ses deux fils
justification, des dires de ‘Alī. Il composa donc le livre Les et d’autres se contredisaient l’un l’autre en matière de savoir et
divergences de ‘Alī et de ‘Abd Allāh b. Mas‘ūd3 dans lequel il d’avis, tout comme le reste des gens du savoir se contredisent
exposa de nombreuses questions pour lesquelles leurs dires à l’un l’autre. Or, s’ils étaient infaillibles, que quelqu’un d’infail-
tous deux étaient délaissés étant donné que la Sunna proposait lible contredise un autre [individu] infaillible serait impossible !
l’opposé. Après lui, Muḥammad b. Naṣr al-Marwazī4 composa Al-Ḥasan, en matière de combat, contredit son père, détesta
un livre plus volumineux [même] que celui-là. Des dires de ‘Alī beaucoup de ce qu’il faisait et, en fin de compte, ‘Alī – Dieu
– Dieu soit satisfait de lui ! – a ainsi été délaissée [l’affirma- soit satisfait de lui ! – en revint à son point de vue (ra’y).
tion] [125] que la femme dont le mari est mort et qui est en [Ainsi] dit-il :
retraite de continence (mu‘tadda), lorsqu’elle est enceinte, pro- « Si14 j’ai été incapable [de faire cela], je n’ai pas d’excuse.
longera cette retraite jusqu’à la plus lointaine des deux éché- Je serai malin désormais et persévérerai.
ances5. Ceci est également relaté d’Ibn ‘Abbās6. Les imāms J’approuverai le point de vue adéquat, répandu15. » [126]
auteurs d’avis [Légaux] (a’immat al-fityā) sont cependant d’ac-
cord avec ce que ‘Uthmān, Ibn Mas‘ūd7 et d’autres qu’eux ont 8. Subay‘at bint al-Ḥārith al-Aslamiyya, Compagne ; voir IBN AL-
ATHĪR, Usd, t. V, p. 472.
9. Abū l-Sanābil b. Ba‘kak, Compagnon et poète des Banū ‘Abd al-
1. Voir IBN ḤANBAL, Faḍā’il, éd. W. A. b. M. ‘ABBĀS, t. I, p. 300, Dār ; voir IBN AL-ATHĪR, Usd, t. V, p. 220-221.
n° 396 - p. 322, n° 446. 10. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 447 ; t. VI, p. 289 ; AL-
2. Muḥammad b. Idrīs al-Shāfi‘ī, Abū ‘Abd Allāh (m. Miṣr, 205/ DĀRIMĪ, Sunan, Ṭalāq (éd. Dār al-Fikr, t. II, p. 166-167) ; AL-NASĀ’Ī,
820), éponyme d’une des quatre écoles de jurisprudence sunnite ; voir Sunan, Nikāḥ (Beyrouth, t. VI, p. 191-197) ; AL-TIRMIDHĪ, Sunan,
É. CHAUMONT, EI2, art. al-Shāfi‘ī. Ṭalāq (éd. ‘UTHMĀN, t. II, p. 332-333, n° 1206-1208).
3. Voir M. b. I. AL-SHĀFI‘Ī, Kitāb Ikhtilāf ‘Alī wa ‘Abd Allāh bin 11. Ma‘qil b. Sinān al-Ashja‘ī, Compagnon (m. al-Ḥarra, 63/683) ;
Mas‘ūd, in Mawsū‘at al-imām al-Shāfi‘ī. Al-Kitāb al-Umm, éd. A. B. voir AL-TIRMIDHĪ, Sunan, Nikāḥ (éd. ‘UTHMĀN, t. II, p. 306, n° 1154) ;
al-D. ḤASSŪN, 15 t., Beyrouth, Dār Qutayba, 1416/1996, t. XIV, IBN AL-ATHĪR, Usd, t. IV, p. 397-398.
p. 237-338. 12. Barwa‘ bint Wāshiq al-Kilābiyya, Compagne ; voir IBN AL-
4. al-marwazī : al-thawrī F. Muḥammad b. Naṣr al-Marwazī, Abū ATHĪR, Usd, t. V, p. 408-409.
‘Abd Allāh (Bagdad, 202/817 - Samarcande, 294/906), juriste et tradi- 13. Voir IBN ḤANBAL, Musnad, t. I, p. 447 ; ABŪ DĀ’ŪD, Sunan,
tionniste, auteur du livre Ce par quoi Abū Ḥanīfa s’opposa à ‘Alī et à Nikāḥ (éd. ‘ABD AL-ḤAMĪD, t. II, p. 237-238, n° 2114-2116) ; IBN
Ibn Mas‘ūd ; voir Kh. al-D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. VII, p. 125. MĀJA, Nikāḥ (éd. ‘ABD AL-BĀQĪ, t. I, p. 609, n° 1891) ; AL-TIRMIDHĪ,
5. C’est-à-dire durant les quatre mois et dix jours imposés par le Sunan, Nikāḥ (éd. ‘UTHMĀN, t. II, p. 306-307, n° 1154-1155).
Coran (al-Baqara - II, 234) comme retraite de continence et, par le 14. la’in F : innī Ṭ J’ai été incapable de [faire cela] et n’ai pas
Prophète, comme durée du deuil pour la perte d’un époux – cela, d’excuse
quand la naissance s’est produite entretemps –, ou bien, après ces 15. wa ajburu… l-muntashir F : wa ajma‘u l-amra l-shatīta l-
quatre mois et dix jours, jusqu’à cette naissance. muntashir Ṭ Et je vais réunir ce qui a été séparé et dispersé. Ces vers
6. ‘Abd Allāh Ibn al-‘Abbās, grand savant de la première génération furent récités par ‘Alī en 35/656, au début de son califat, en réponse à
(m. 68/686-8) ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. ‘Abd Allāh b. al- des vers d’intimidation que certains croyants lui avaient récités ; voir
‘Abbās. AL-ṬABARĪ, Ta’rīkh al-rusul wa l-mulūk, éd. M. A. al-F. IBRĀHĪM,
7. ‘Abd Allāh Ibn Mas‘ūd, célèbre Compagnon du Prophète et lec- 10 t., Le Caire, Dār al-Ma‘ārif, « Dhakhā’ir al-‘Arab, 30 », 1970, t. IV,
teur du Coran (m. en 32/652) ; voir J.-C. VADET, EI2, art. Ibn Mas‘ūd. p. 437 (sigle Ṭ) ; A. BROCKETT, The History of al-Ṭabarī (Ta’rīkh al-

—6—
À la fin de sa vie, il devint clair pour lui que, s’il avait fait maîtres au sujet de qui il est témoigné qu’ils sont croyants,
autre chose que ce qu’il avait fait, cela aurait été plus juste. Il y pieux et destinés au Jardin sont infaillibles se trouve au [degré]
a de lui des fetwas dans lesquels il se rétracta de [ce qu’il avait ultime de l’égarement et de l’ignorance ! De tels dires ne sont
dit dans] d’autres. Il y a par exemple ce qu’il dit au sujet des tenus par aucun de ceux qui, dans la communauté, [sont consi-
[esclaves] mères d’enfants [de leurs maîtres]. Il dit deux choses dérés comme] ayant une langue véridique ni, même, par ceux
à leur propos : l’une [était] l’interdiction de les vendre ; l’autre, qui ont un intellect qu’on loue3. [127]
l’autorisation de le faire. Quelqu’un d’infaillible ne dira [cepen- Perversion et illégitimité des Fāṭimides
dant] pas deux choses contradictoires, à moins que l’une des Comment l’infaillibilité existerait-elle dans la descendance de
deux abroge l’autre. Ainsi en va-t-il de ce que le Prophète a dit ‘Abd Allāh b. Maymūn al-Qaddāḥ4 avec [leur] réputation d’hy-
– Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! : la Sunna a été fixée et, pocrisie, de mensonge et d’égarement ? Et admettons qu’il n’en
après [le Prophète], nulle abrogation ne la modifie étant donné soit pas ainsi ! Il ne fait cependant aucun doute que leur façon
qu’il n’y a plus de Prophète après lui. de vivre releva de la façon de vivre des rois, fut la plus remplie
d’injustice et d’actions interdites, la plus loin d’observer les
commandements5 et les obligations, celle qui s’adonna le plus
manifestement aux innovations contraires au Livre et à la
Sunna et aida le plus les adeptes de l’hypocrisie et de l’inno-
vation. Il y a accord des gens du savoir sur le fait que la
dynastie (dawla) des Umayyades et des ‘Abbāsides fut plus
proche de Dieu et de Son Messager que leur dynastie, comprit
plus de savoir et de foi que leur dynastie, moins d’innovations
et de dépravation (fujūr) que leurs innovations, et que [chaque]
calife de [ces] deux dynasties fut plus obéissant à Dieu et à Son
Messager que les califes de leur dynastie. Parmi les califes de
[ces] deux dynasties, il n’y eut cependant personne de qui il
serait permis de dire qu’il fut infaillible. Comment dès lors
prétendre infaillible quelqu’un de qui sont manifestes les abo-
minations et les actions répréhensibles, l’injustice et l’impu-
dence, la malveillance et l’hostilité vis-à-vis des adeptes de la
piété et de la crainte [de Dieu] dans la communauté, la sérénité
‘Alī et ses deux fils al-Ḥasan et al-Ḥusayn1 vis-à-vis des adeptes de la mécréance et de l’hypocrisie ? Ils
Al-Ḥasan recommanda à son frère al-Ḥusayn de ne pas obéir sont d’entre les plus pervers des hommes et d’entre les plus
aux gens de l’Iraq et de ne pas poursuivre cette affaire. Ibn mécréants des hommes ! Nul ne prétend [quelqu’un] infaillible
‘Umar, Ibn ‘Abbās et d’autres d’entre ceux qui se souciaient de dans l’hypocrisie et la perversion excepté un ignorant à l’igno-
lui et l’aimaient lui suggérèrent aussi cela et considérèrent que rance vaste ou un libre penseur (zindīq) qui parle sans savoir.
son intérêt (maṣlaḥa) et l’intérêt des Musulmans étaient qu’il Parmi les choses que l’on sait et au sujet desquelles il n’y a
n’aille pas chez eux et qu’il ne réponde pas à leur demande pas de doute, il y a le fait que quiconque témoigne que les
qu’il vienne chez eux et combatte avec eux. Alors même que [Fāṭimides] avaient la foi et craignaient Dieu, ou que leur
c’était là son intérêt et l’intérêt des Musulmans, [al-Ḥusayn] – lignage était authentique, témoigne en leur faveur de quelque
Dieu soit satisfait de lui ! – fit cependant ce qu’il considéra chose qu’il ne sait pas. Or le Dieu Très-Haut a dit : « Et ne
comme [de son] intérêt2 ! Un point de vue vise juste ou fait poursuis pas ce dont tu n’as pas de savoir6. » Le Très-Haut a
erreur. Quelqu’un d’infaillible, il n’appartient [pourtant] à per- aussi dit : « … à l’exception de ceux qui témoignent de la vérité
sonne de s’opposer à lui et il ne lui appartient pas de s’opposer quand ils savent7. » Il a aussi dit, pour les frères de Joseph :
à un autre infaillible, à moins que les deux suivent deux Lois « Nous ne témoignons que de ce que nous savons8. » Aucun
(sharī‘a) [différentes], à l’instar de deux Messagers, et le fait d’entre les hommes ne sait si leur lignage est authentique [128]
que leur Loi à tous deux est une étant bien connu – ceci est un ni si leur foi et leur crainte de Dieu étaient réelles (thubūt). Tout
vaste sujet largement explicité ailleurs. au plus [pourra-t-on] prétendre qu’ils donnaient l’apparence
Ce qui est visé [ici, c’est dire] que quiconque prétend que ces d’être musulmans et de s’en tenir aux prescriptions de [l’Islam].
Tout [individu] donnant l’apparence d’être musulman n’est
cependant pas un croyant intérieurement étant donné que, parmi
rusul wa’l-mulūk), Vol. XVI: The Community Divided. Translated and
ceux qui donnent l’apparence d’être musulmans, on connaît le
annotated, Albany, State University of New York Press, « Bibliotheca
Persica », 1997, p. 17. croyant et l”hypocrite. Le Dieu Très-Haut de dire en effet :
1. Chromo nord-africain (XXe s. Coll. part.).
3. maḥmūd : maḥmūdan F
2. Al-Ḥusayn rejoignit en Iraq l’opposition au calife Yazīd b. Mu‘ā-
4. ‘Ubayd Allāh al-Mahdī, premier Imām et souverain fāṭimide (297/
wiya et, lors de la bataille de Karbalā’ (61/680), y fut massacré avec sa
famille par l’armée umayyade ; voir Y. MICHOT, Textes spirituels 909-322/934) ; voir F. DACHRAOUI, EI2, art. al-Mahdī ‘Ubayd Allāh.
d’Ibn Taymiyya (Nouvelle série). III. Le jour de ‘Āshūrā’, sur www. 5. al-awāmir : al-umūr F
muslim philosophy.com, octobre 2009 ; XIX. Guerre civile (fitan) et 6. Coran, al-Isræ’ - XVII, 36.
refus de combattre, sur www.scribd.com, novembre 2015 ; XX. Yazīd, 7. Coran, al-Zukhruf - XLIII, 86.
fils de Mu‘āwiya, sur www.scribd.com, décembre 2015. 8. Coran, Yūsuf - XII, 81.

—7—
« Parmi les gens il en est qui disent « Nous croyons en Dieu et d’entres les gens savants de ces choses. Les ulémas ont même
au Jour dernier » alors qu’ils ne croient pas1. » Le Très-Haut a composé [des ouvrages] pour découvrir leurs secrets et déchirer
aussi dit : « Quand les hypocrites viennent à toi, ils disent : leurs voiles. Ainsi le cadi Abū Bakr al-Bāqillānī10 a-t-il com-
« Nous témoignons que tu es vraiment le Messager de Dieu. » posé son livre bien connu concernant le découvrement de leurs
Dieu sait que tu es vraiment Son Messager et Dieu témoigne secrets et le déchirement de leurs voiles. Il mentionna qu’ils
que les hypocrites sont vraiment des menteurs2. » Le Très-Haut étaient de la descendance des Mages et, de leurs doctrines,
a aussi dit : « Les bédouins ont dit : « Nous croyons. » Dis : mentionna des choses dans lesquelles il rendit clair que leurs
« Vous ne croyez pas ! Dites plutôt : « Nous nous sommes sou- doctrines sont pires que les doctrines des Juifs et des Nazaréens
mis. » La foi n’a en effet pas encore pénétré en vos cœurs3. » ou, plutôt même, que les doctrines des exagérateurs (ghāliya)
Ces gens, les ulémas de la communauté, ses imāms et ses qui soutiennent la divinité de ‘Alī ou son prophétat. Ils sont
masses témoignent à leur encontre qu’ils furent des hypocrites, donc plus mécréants que ceux-là. Dans son livre Le fiable - al-
des libres penseurs donnant l’apparence d’être musulmans mais Mu‘tamad11, le cadi Abū Ya‘lā12 consacra semblablement une
intérieurement mécréants. Dans l’hypothèse où certaines gens longue section à expliquer leur libre pensée et leur mécréance.
s’opposeraient à eux à ce propos, il viendrait à y avoir au sujet Dans son livre qu’il intitula Les éminentes vertus des Mustaẓ-
de leur foi une controverse bien connue. Celui qui témoigne- hirites et les scandales des ésotéristes, Abū Ḥāmid al-Ghazālī
rait qu’ils étaient des croyants témoignerait [cependant], en leur mentionna [des choses] semblables. « Leur doctrine, » dit-il,
faveur, de quelque chose qu’il ne saurait pas étant donné qu’il « est apparemment le réjectionnisme (rafḍ) et, intérieurement,
n’aurait avec lui, pour prouver leur foi, rien de pareil à ce que mécréance pure13. » Le cadi ‘Abd al-Jabbār b. Aḥmad14 et ses
ceux controversant avec lui auraient avec eux qui prouverait semblables d’entre les Mu‘tazilites shī‘itisants qui ne donnent
leur hypocrisie et leur libre pensée. pas plus d’éminence à ‘Alī qu’à d’autres mais, bien plutôt, trai-
[Il en va] semblablement du lignage [des Fāṭimides]. On le tent de grand pécheur quiconque le combattit et ne se repentit
sait, la masse (jumhūr) de la communauté invalide leur lignage, pas de l’avoir combattu, placent ces [Fāṭimides] parmi les plus
les gens mentionnant qu’ils étaient d’entre les enfants des grands des hypocrites libres penseurs. Tel est ce que les Mu‘ta-
Mages4 ou des Juifs. Ceci est bien connu à partir du témoignage zilites disent à leur sujet. Comment sera donc, [a fortiori], ce
des ulémas des [divers] groupes – les Ḥanafites, les Mālikites, que diront les adeptes de la Sunna et de la communion ?! Bien
les Shāfi‘ites, les Ḥanbalites, les traditionnistes, les théologiens qu’ils soient d’entre les plus ignorantes des créatures et n’aient
du Kalām, les savants ès lignages, le commun, et les autres. ni intelligence ni tradition, ni une religion authentique ni une
Ceci est par ailleurs une affaire généralement mentionnée par vie d’ici-bas divinement aidée, les réjectionnistes imāmites
les auteurs classant les informations des gens et leurs [grands] savent, eh oui, que ce que ces gens-là disent est ce que les libres
jours5 ; tant et si bien que certains de ceux peut-être indécis en penseurs hypocrites disent et ils savent que ce que ces [130] éso-
ce qui les concerne, tels Ibn al-Athīr6 de Mossoul dans son téristes disent est pire que ce que disent les exagérateurs qui
Histoire et ses pareils, ont [également] mentionné ce que les croient en la divinité de ‘Alī – Dieu soit satisfait de lui !
ulémas des Musulmans avaient écrit de leur main pour attaquer Quant à attaquer leur lignage, c’est [un fait] rapporté à propos
leur lignage. [129] Quant à la masse des auteurs antérieurs et
postérieurs – [y compris] même le cadi Ibn Khallikān7 dans son 10. Abū Bakr Muḥammad b. al-Ṭayyib al-Bāqillānī (m. 403/1013),
théologien ash‘arite et juriste mālikite ; voir R. J. MCCARTHY, EI2, art.
Histoire –, ils ont mentionné le caractère vain de leur lignage.
al-Bāḳillānī. Sur son Kashf al-asrār wa hatk al-astār - Le découvre-
Semblablement [pour] Ibn al-Jawzī8, Abū Shāma9 et d’autres ment des secrets et le déchirement des voiles, voir Y. MICHOT, Misled
and Misleading… Yet Central in their Influence: Ibn Taymiyya’s
Views on the Ikhwān al-Ṣafā’, in The Ikhwān al-Ṣafā’ and their
1. Coran, al-Baqara - II, 8.
Rasā’il. An Introduction. Edited by N. EL-BIZRI. Foreword by
2. Coran, al-Munāfiqūn - LXIII, 1. F. DAFTARY, Oxford, Oxford University Press, in association with the
3. Coran, al-Ḥujurāt - XLIX, 14. Institute of Ismaili Studies, « Epistles of the Brethren of Purity »,
4. C’est-à-dire les Zoroastriens, fidèles à l’ancienne religion de l’Iran 2008, p. 139-179, p. 155 – Version revue, avec d’importantes correc-
préislamique ; voir M. MORONY, EI2, art. Madjūs. tions éditoriales, sur www.muslimphilosophy.com ; Imāmology, p. 123.
5. Al-muṣannifīn li-akhbār al-nās wa ayyāmi-him, c’est-à-dire les 11. Voir al-Qāḍī Abū Ya‘lā IBN AL-FARRĀ’, Kitāb al-Mu‘tamad fī
historiens. L’expression fournit un indice intéressant de la conception uṣūl al-dīn. Arabic Text, edited with Introduction by W. Z. HADDAD,
qu’Ibn Taymiyya a de l’historiographie. Beyrouth, Dar el-Machreq Éditeurs, « Recherches publiées sous la
6. ‘Izz al-Dīn Abū l-Ḥasan ‘Alī Ibn al-Athīr (Mossoul, 555/1160 - direction de l’Institut des lettres orientales de Beyrouth, VIII », 1974,
630/1233), biographe et historien ; voir Fr. ROSENTHAL, EI2, art. Ibn p. 255-266, n°452-475.
al-Athīr, II. 12. Muḥammad b. al-Ḥusayn Ibn al-Farrā’, plus connu sous le nom
7. Aḥmad b. Muḥammad Abū l-‘Abbās Shams al-Dīn al-Barmakī de cadi Abū Ya‘lā (m. 458/1066), théologien ḥanbalite de Bagdad ;
Ibn Khallikān (Irbil, 608/1211 - Damas, 681/1282), biographe et, à voir H. LAOUST, EI2, art. Ibn al-Farrā’.
diverses reprises, grand cadi de Syrie ; voir J. W. FÜCK, EI2, art. Ibn 13. Voir A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, Ch. IV,
Khallikān. Sur les critiques du lignage des Fāṭimides par Ibn Khallikān p. 37. Sur cet ouvrage composé en 488/1095, durant le règne du calife
et d’autres auteurs, voir le texte de l’historien mamlūk Ibn Taghrībirdī ‘abbāside al-Mustaẓhir (487/1094-512/1118) – d’où son titre –, voir
(m. 874/1470) cité en note d’IBN AL-ATHĪR, al-Kāmil fī l-ta’rīkh, 10 t., M. BOUYGES, Essai de chronologie des œuvres de al-Ghazali (Al-
Beyrouth, Dār al-Kitāb al-‘Arabī, 1406/1986, t. VII, p. 68-69. gazel), Beyrouth, Imprimerie catholique, « Recherches publiées sous
8. ‘Abd al-Raḥmān b. ‘Alī Abū l-Faraj Ibn al-Jawzī (m. 597/1200), la direction de l’Institut des lettres orientales de Beyrouth, XIV »,
ulema ḥanbalite, traditionniste, historien et prédicateur à Bagdad ; voir 1959, p. 30-32, n° 22.
H. LAOUST, EI2, art. Ibn al-Djawzī. 14. ‘Abd al-Jabbār b. Aḥmad b. ‘Abd al-Jabbār al-Hamadhānī, Abū
9. Shihāb al-Dīn Abū l-Qāsim ‘Abd al-Raḥmān al-Maqdisī (m. 665/ l-Ḥasan (m. 415/1025), cadi shāfi‘ite et théologien mu‘tazilite majeur ;
1268), historien damascain ; voir H. AHMAD, EI2, art. Abū Shāma. voir S. M. STERN, EI2, art. ‘Abd al-Jabbār b. Aḥmad.

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des masses des ulémas de la communauté par les ulémas des en effet d’entre les choses que préoccupations et motifs pous-
[divers] groupes [musulmans]. [Divers] autres groupes qu’eux1 sent amplement à transmettre et il ne se peut pas que les dires
ont été en charge du califat et, en matière d’innovation et d’in- des ulémas s’accordent contre cela. [131]
justice, certains d’entre eux commirent ce qu’ils commirent.
Les gens n’attaquèrent cependant le lignage d’aucun d’entre
eux comme ils ont attaqué le lignage de ces [Fāṭimides]. Ils ne
les accusèrent pas non plus de libre pensée et d’hypocrisie
comme ils ont accusé ceux-là. D’entre les enfants de ‘Alī,
parmi les enfants d’al-Ḥasan et les enfants d’al-Ḥusayn, [di-
vers] groupes se sont soulevés, tels Muḥammad b. ‘Abd Allāh
b. Ḥasan2, son frère Ibrāhīm b. ‘Abd Allāh b. Ḥasan3 et leurs
pareils. Nul d’entre leurs ennemis, ni d’entre d’autres que leurs
ennemis, n’a cependant critiqué ni leur lignage, ni leur islam.
[Il en va] semblablement du missionnaire (dā‘ī)4 qui se souleva
au Ṭabaristān5, d’autres ‘Alawites6 et, semblablement aussi, des
Ḥammūdides7 qui régnèrent un temps en Andalousie : des gens
semblables à ceux-là, personne n’a attaqué ni leur lignage, ni
leur islam. Ceux qui exerçaient le califat tuèrent un ensemble
de Ṭālibites8, surtout durant la dynastie ‘abbāside, et en empri-
sonnèrent un groupe, tels Mūsā b. Ja‘far9 et d’autres. Leurs en-
nemis n’attaquèrent cependant ni leur lignage, ni leur religion.
La raison en est que l’affaire des lignages célèbres est mani- Mūsā al-Kāẓim à la cour de Hārūn al-Rashīd et recevant des dattes
feste, obvie. À l’instar du soleil, l’ennemi n’est pas capable de empoisonnées en prison10
l’éteindre ! Semblablement, l’islam d’un homme et l’authen- Ces descendants de ‘Ubayd al-Qaddāḥ, les ulémas scientifi-
ticité de sa foi en Dieu et au Messager sont une affaire qui n’est quement et religieusement crédibles de la communauté n’ont
pas cachée. Si l’ennemi de quelqu’un qui a un lignage et de la pas cessé d’attaquer leur lignage et leur religion. Ils ne les
religion voulait anéantir son lignage et sa religion alors qu’il blâment pas d’être des réjectionnistes (rafḍ) et des Shī‘ites
[jouit] d’une telle notoriété, cela ne lui serait pas possible. C’est (tashayyu‘) – s’agissant de cela, ils ont en effet beaucoup d’as-
sociés ! Ils les placent bien plutôt parmi les Qarmaṭes11 ésoté-
1. min ghayri-him : ghayru-hum F ristes dont les Ismā‘īliens12 et les Nuṣayrīs13 sont, au genre des-
2. Muḥammad, surnommé « L’âme pure » (al-nafs al-zakiyya),
arrière-petit-fils d’al-Ḥasan b. ‘Alī. Reconnu comme prétendant au 10. Détail d’une peinture de Ḥusayn QŪLLARĀGHĀSĪ et Riḍā-ye ‘AB-
trône à la mort du calife umayyade al-Walīd II (126/744), il ne put BĀSĪ, Iran, 1371[/1951] (Téhéran, Musée Riḍā ‘Abbāsī) ; voir H. SEYF,
faire valoir ses droits lors de la révolution ‘abbāside (132/750). En “Coffee House” Painting - Naqqāshī-ye qahveh khāneh, Téhéran, Mu-
145/762, lui et son frère Ibrāhīm se soulevèrent contre le calife al- sée Riḍā ‘Abbāsī, 1990, p. 74-75, n° 4.
Manṣūr (r. 136/754-158/775), le premier à Médine, le second à Baṣra. 11. Une secte dissidente de l’Ismā‘īlisme, active dans plusieurs
Il fut tué par l’armée califale lors de ce soulèvement (145/762). Voir régions du califat ‘abbāside durant le IVe/Xe siècle, dont l’Iran et le
F. BUHL, EI2, art. Muḥammad b. ‘Abd Allāh b. al-Ḥasan. Baḥrayn ; voir W. MADELUNG, EI2, art. Karmaṭī ; F. DAFTARY, Short
3. Ibrāhīm, surnommé « de sang pur » (al-maḥḍ) car descendant à la History, p. 39-50.
fois d’al-Ḥasan et d’al-Ḥusayn, tué à 47 ans en 145/763 à Baṣra après « [Ces gens] ont été surnommés « Qarmaṭes » en référence à un
s’être soulevé, comme son frère Muḥammad, contre le calife ‘abbāside homme appelé « Ḥamdān Qarmaṭ » qui, au début, fut un de leurs mis-
al-Manṣūr ; voir L. VECCIA VAGLIERI, EI2, art. Ibrāhīm b. ‘Abd Allāh. sionnaires (dā‘ī) […] Le dénommé Ḥamdān Qarmaṭ était, parmi les
4. Al-Ḥasan b. Zayd, descendant ḥasanide de ‘Alī (m. 270/884), sur- gens de Kūfa, un homme penchant vers l’ascèse… » (A. Ḥ. AL-
nommé « le missionnaire majeur » (al-dā‘ī al-kabīr). Suite à un soulè- GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 12).
vement populaire, au Ṭabaristān, contre la dynastie iranienne des Ṭāhi- 12. Une des principales sectes shī‘ites, se revendiquant d’Ismā‘īl, fils
rides (205/821-259/873), il fut proclamé souverain de cette région et de Ja‘far al-Ṣādiq ; voir W. MADELUNG, EI2, art. Ismā‘īliyya ; F. DAF-
ses descendants y régnèrent jusqu’en 316/928. Voir F. BUHL, EI2, art. TARY, Short History ; Ismā‘īlīs ; F. DAFTARY & Z. HIRJI, The Ismailis.
al-Ḥasan b. Zayd b. Muḥammad. An Illustrated History, Washington, Azimuth Editions - Londres, The
5. Région d’Iran comprise entre le rivage Sud de la mer Caspienne et Institute of Ismaili Studies, 2008.
la chaîne de l’Alburz. « Quant à « Ismā‘īliens », cela réfère au fait que leur leader (za‘īm)
6. C’est-à-dire les descendants de ‘Alī b. Abī Ṭālib. est Muḥammad b. Ismā‘īl b. Ja‘far, avec qui ils prétendent que les
7. Dynastie de descendants de ‘Alī b. Abī Ṭālib qui régna sur cycles de l’imāmat prennent fin étant donné qu’il est le septième
Cordoue et diverses villes d’Andalousie de 407/1016 à 450/1058 ; voir [Imām] depuis Muḥammad – Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! –,
A. HUICI MIRANDA, EI2, art. Ḥammūdides. les cycles de l’imāmat étant selon eux [au nombre de] sept fois sept.
8. C’est-à-dire les descendants d’Abū Ṭālib, que ce soit par ‘Alī ou Le plus grand d’entre eux, affirment-ils, possède la dignité du prophé-
par d’autres de ses enfants. tat et ceci se perpétue dans son lignage et sa postérité. Les gens possé-
9. Mūsā al-Kāẓim (al-Abwā’ ou Médine, vers 12/745 - Bagdad, vers dant la connaissance des lignages ont mentionné dans le Livre de
183/799), fils de Ja‘far al-Ṣādiq et septième Imām du Shī‘isme duodé- l’arbre qu’il est mort sans postérité » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd.
cimain. Il fut incarcéré à Bagdad sous le calife ‘abbāside al-Mahdī ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 16).
(r. 158/775-169/785) puis, à nouveau, sous Hārūn al-Rashīd (r. 170 13. Secte shī‘ite extrémiste tirant son nom de Muḥammad b. Nuṣayr
/786-193/809), lequel donna finalement l’ordre de l’éliminer. Selon al-Fihrī l-Numayrī, un disciple du Xe ou du XIe Imāms duodécimains,
certaines sources, il aurait été empoisonné. Voir E. KOHLBERG, EI2, et encore existante aujourd’hui (‘Alawites de Syrie) ; voir AL-SHAH-
art. Mūsā al-Kāẓim. RASTĀNĪ, Milal, trad. GIMARET - MONNOT, Religions I, p. 542, n. 225 ;

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quels appartiennent les Khurramīs1, les Muḥammira2 et leurs d’entre les proches du Prophète – Dieu prie sur lui et lui donne
pareils d’entre les mécréants hypocrites qui donnent l’appa- la paix ! – assumant le califat dans sa communauté, son hosti-
rence d’être musulmans et sont intérieurement des mécréants. lité à sa religion ne serait pas comme l’hostilité de ceux-là. Ni
C’est indubitable, suivre ces gens est vain. Les ulémas ont parmi les descendants de Hāshim4, ni parmi les enfants d’Abū
donné comme description des imāms de ces dires (qawl) que ce Ṭālib5, ni parmi les descendants d’Umayya6 on n’a connais-
sont eux qui les avaient innovés et inventés. Ils ont mentionné sance de quelqu’un qui fut calife en étant hostile à la religion de
ce sur quoi ils avaient contruit leurs doctrines et [dit] qu’ils l’Islam et, a fortiori, qui [lui] aurait été hostile comme ceux-là
avaient adopté certains des dires des Mages et certains des dires [lui] sont hostiles ! [132] Bien au contraire, les enfants des rois
des philosophes. Pour leurs [adeptes], ils avaient inventé « le qui n’ont pas de religion, il y a en eux une espèce d’enthou-
devancier » (sābiq) et « le suivant » (tālī), « le fondement » siasme pour la religion de leurs pères et de leurs ancêtres.
(asās), « les arguments » (ḥujja), « les thèses » (da‘wā) et Quelqu’un qui est d’entre les enfants du maître des enfants
[d’autres] rangs semblables, [leur] mission (da‘wa) étant hiérar- d’Adam que Dieu a envoyé avec la guidance et la religion du
chisée selon sept degrés dont le dernier est « l’aboutissement Réel, comment serait-il hostile, d’une telle hostilité, vis-à-vis
(balāgh) majeur et la Loi (nāmūs) suprême3 », sujet qu’il n’y a de sa religion ? Voilà pourquoi nous trouvons l’ensemble des
pas lieu de détailler ici. [gens] crédibles pratiquant la religion de l’Islam intérieurement
Les choses étant telles, quiconque témoigne en leur faveur de et extérieurement être hostiles à ceux-là, à l’exception de quel-
l’authenticité de [leur] lignage et de [leur] foi, le moins que qu’un qui est un libre penseur ennemi de Dieu et de Son Messa-
[l’on puisse dire] de son témoignage est qu’il témoigne sans ger ou un ignorant ne connaissant pas ce avec quoi Son Messa-
savoir et poursuit quelque chose dont il n’a pas de savoir. Or ger fut envoyé.
ceci est prohibé, il y a là-dessus accord de la communauté. Bien Ceci est de ce qui prouve leur mécréance et leur mensonge
plutôt même, ce qui apparaît d’eux comme libre pensée, hypo- concernant leur lignage7.
crisie et hostilité vis-à-vis de ce avec quoi le Messager est venu Ésotérisme et mécréance
– Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – est une preuve du S’agissant de la question de celui qui dit qu’ils « possédaient
caractère vain de leur lignage fāṭimide. Quelqu’un qui serait le savoir ésotérique », la prétention qu’ils ont [de posséder] un
savoir ésotérique est la justification et la preuve la plus grande
Y. FRIEDMAN, The Nuṣayrī-ʿAlawīs: An Introduction to the Religion, qu’ils sont des libres penseurs, des hypocrites ne croyant ni en
History, and Identity of the Leading Minority in Syria, Leyde, Brill, Dieu, ni en Son Messager, ni au Jour dernier. Ce savoir ésoté-
2010. Ibn Taymiyya évoque et réfute les doctrines nuṣayries en maints rique auquel ils prétendent est de la mécréance, il y a là-dessus
textes, dont divers fetwas ; voir S. GUYARD, Le Fetwa d’Ibn Tay-
accord des Musulmans, des Juifs et des Nazaréens. Ou, plutôt
miyyah sur les Nosairis, in Journal Asiatique, 6/18, Paris, Imprimerie
Nationale, 1871, p. 158-198 ; Y. FRIEDMAN, Ibn Taymiyya’s Fatāwā même, la plupart des associateurs considèrent aussi que c’est de
against the Nuṣayrī-‘Alawī Sect, in Der Islam, 82/2, 2005, p. 349- la mécréance. Le contenu en est en effet que, des Livres divins,
363 ; Nuṣayrī-ʿAlawīs, p. 299-309. il y a des [lectures] ésotériques allant à l’encontre de ce qui est
1. Khurramiyya, ou Khurramdīniyya (du persan khurramdīn, « reli- su des croyants concernant les commandements, les interdic-
gion joyeuse, agréable »), désigna à l’origine le mouvement religieux tions et les informations.
de Mazdak en général et, plus tard, différentes sectes iraniennes, anti-
arabes et fréquemment rebelles, influencées par des croyances mazda- S’agissant des commandements, les gens savent obligatoire-
kiennes et manichéennes ainsi que par des doctrines shī‘ites extré- ment de par la religion de l’Islam que Muḥammad – Dieu prie
mistes ; voir W. MADELUNG, EI2, Khurramiyya. sur lui et lui donne la paix ! – leur a commandé [de célébrer] les
« [Ces gens] ont été surnommés « Khurramīs » en référence à ce qui prières canoniques (maktūb), [de donner] l’aumône imposée, de
résulte de leur doctrine, à sa crème, et qui revient à mettre un terme* jeûner le mois de Ramaḍān et [d’accomplir] le pèlerinage de la
aux obligations religieuses (taklīf), à ôter des adorateurs les fardeaux
de la Loi (shar‘) et à imposer aux gens de poursuivre les plaisirs, de Maison Antique. [133]
rechercher les passions et de satisfaire leur envie des choses autorisées S’agissant des interdictions, le Dieu Très-Haut leur a prohibé
et prohibées. Khurram est un terme non arabe indiquant la chose plai- les abominations – ce qui d’elles est apparent et ce qui est inap-
sante, agréable, que l’homme trouve de la satisfaction à contempler et parent (bāṭin) –, le péché, l’impudence pour autre chose que le
qu’il a de la joie à voir. C’était un surnom des Mazdakiens, à savoir les
vrai, qu’ils associent à Dieu quelque chose de par quoi Il n’a
anomistes (ibāḥiyya) d’entre les Mages » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ,
éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 14). * ṭayy basāt, littér., « enrouler le tapis de ». pas fait descendre de pouvoir et qu’ils disent à l’encontre de
2. « Les « Muḥammira », dit-on, furent surnommés ainsi parce que, Dieu quelque chose qu’ils ne savent pas. Il a pareillement pro-
du temps de Bābak, ils teignaient en rouge leurs habits et les revê- hibé le vin, le mariage (nikāḥ) avec les personnes faisant l’objet
taient, ceci étant leur marque distinctive. La raison en est, a-t-il aussi de prohibitions, l’usure, les jeux de hasard, etc. Ces gens-là
été dit, qu’ils affirmaient que tous ceux qui, parmi les sectes et les prétendent [cependant] que ce qui est voulu par ces [interdic-
adeptes du vrai, s’opposaient à eux étaient des ânes (ḥamīr). La pre-
mière explication est la plus correcte » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, tions] n’est pas ce que les Musulmans connaissent mais qu’elles
éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 17). Voir aussi AL-SHAHRASTĀNĪ, Milal, trad.
GIMARET - MONNOT, Religions I, p. 508, n. 9. 4. Hāshim b. ‘Abd Manāf, l’arrière grand-père du Prophète, par ail-
3. Al-Balāgh al-akbar wa l-nāmūs al-a‘ẓam est aussi le titre d’un leurs ancêtre de ‘Alī et d’al-‘Abbās ; voir W. MONTGOMERY WATT,
important ouvrage pseudo-ismā‘īlien déjà connu au IVe/Xe siècle ; EI2, art. Hāshim b. ‘Abd Manāf.
voir W. MADELUNG, The Fatimids and the Qarmaṭīs of Baḥrayn, in 5. Le père de ‘Alī.
F. DAFTARY (éd.), Mediaeval Isma‘ili History and Thought, Cam- 6. Umayya b. ‘Abd Shams, l’arrière grand-père du premier calife
bridge, Cambridge University Press, 1996, p. 21-73, p. 43-45, 66-68. umayyade, Mu‘āwiya ; voir G. LEVI DELLA VIDA & C. E. BOSWORTH,
Ibn Taymiyya en détaille le contenu dans son fetwa contre les EI2, art. Umayya b. ‘Abd Shams.
Nuṣayrīs ; voir S. GUYARD, Fetwa, p. 191-192. 7. — : faṣl F Section

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ont un sens ésotérique (bāṭin) que connaissent ces Imāms ismā- auteurs des Épîtres des Frères de la Pureté4, lesquels chemi-
‘īliens qui se revendiquent de Muḥammad b. Ismā‘īl b. Ja‘far1, naient sur la voie de ces ‘Ubaydites-là, la descendance de
qui disent être infaillibles et être les possesseurs du savoir éso- ‘Ubayd Allāh b. Maymūn al-Qaddāḥ.
térique. Ainsi disent-ils « Prier, c’est connaître nos secrets ; ce
n’est pas ces prières incluant inclination, prosternation et récita-
tion. Jeûner, c’est céler nos secrets ; ce n’est pas s’abstenir de
manger, de boire et de coïter. Le pèlerinage, c’est visiter nos
shaykhs sanctifiés » et choses semblables. Ces gens ayant des
prétentions ésotéristes ne rendent pas obligatoires ces actes
d’adoration et ne prohibent pas ces choses qui sont prohibées.
Au contraire, ils déclarent licites les abominations – ce qui
d’elles est apparent et ce qui est inapparent (bāṭin) –, le mariage
avec les mères et les filles, et autres actions répréhensibles. On
le sait, ces gens sont plus mécréants que les Juifs et les Naza-
réens. Quiconque est tel, comment serait-il infaillible2 ?
S’agissant des informations, ils ne confessent pas que les
hommes se lèveront de leurs tombes pour le Seigneur des
mondes, ni ce que Dieu a promis à Ses serviteurs comme
récompense et châtiment, ni même ce dont les Messagers ont
été informés par les anges, ni non plus ce qu’ils ont mentionné
concernant les noms de Dieu et Ses attributs. Leurs informa-
tions, celles qu’ils3 suivent, ce sont au contraire [celles des] Les Frères de la Pureté5
successeurs des philosopheurs péripatéticiens qui suivent Aris-
tote. Ils veulent faire une synthèse [134] entre ce dont les Messa- Quelqu’un d’entre ceux qui connaissent la religion des
gers ont informé et ce que ceux-là disent, ainsi que l’ont fait les Musulmans, ou des Juifs, ou des Nazaréens, niera-t-il que ce
que les auteurs des Épîtres des Frères de la Pureté disent s’op-
pose aux trois religions (milla) ? Pour ce qui est des sciences
mathématiques et physiques, de certaines [des sciences] logi-
1. Le septième et dernier Imām des Ismā‘īliens, dont la vie est mal ques et métaphysiques (ilāhī), des sciences éthiques, de la poli-
connue (vers 120/738 - peu après 179/795 ?). À la mort de son père
Ismā‘īl (peu après 136/754 ?), Muḥammad b. Ismā‘īl b. Ja‘far fut tique et de l’économie domestique (manzil), il y a en ces [Épî-
reconnu comme nouvel Imām par un groupe appelé « Mubārakiyya ». tres] des choses à ne pas renier. Pour ce qui est de s’opposer
Il fut par la suite considéré comme le Mahdī, entré en occultation aux Messagers au sujet de ce dont ils informent et de ce qu’ils
(ghayba) mais dont le retour était attendu pour instaurer la justice dans commandent, d’accuser de mensonge beaucoup de ce avec quoi
le monde. Quand les Fāṭimides arrivèrent au pouvoir, ils se présen- ils sont venus et de remplacer [par d’autres choses] les Lois de
tèrent comme ses députés, assumant ses fonctions. Réformant la
doctrine de la secte, ils nièrent alors son retour corporel futur. Voir tous les Messagers, il y a cependant aussi, en ces [Épîtres], des
F. DAFTARY, Ismā‘īlīs, p. 95-97, 165-166. choses6 ne demeurant point cachées à quiconque connaît une
2. « Concernant la croyance des [Bāṭinites] au sujet des devoirs des religions. Ces gens sortent donc des trois religions. Parmi
(taklīf) Légaux, ce qui est rapporté d’eux est la licence (ibāḥa) leurs mensonges et les choses qu’ils prétendent, il y a que ces
absolue, l’enlèvement du voile, l’autorisation des choses défendues, Épîtres [sont tirées] des propos de Ja‘far b. Muḥammad al-
les déclarer licites et nier les prescriptions [religieuses]. Dans leur
Ṣādiq7. Les ulémas le savent pourtant, elles ont été composées
ensemble, ils nient cependant cela quand on le leur attribue. Ce qui est
vrai de leur croyance sur le sujet est seulement qu’ils disent ceci : il
faut immanquablement se soumettre à la Loi (shar‘), pour ce qui est 4. Encyclopédie philosophico-gnostique due à un collectif engagé de
des devoirs qu’elle impose, selon les détails que l’Imām en fournit et penseurs iraqiens du IVe/Xe siècle, comprenant une cinquantaine
sans suivre ni al-Shāfi‘ī, ni Abū Ḥanīfa, ni personne d’autre. Ceci est d’épîtres couvrant tous les domaines du savoir, de l’arithmétique à la
obligatoire pour les créatures et pour ceux qui répondent [à leur magie, et invitant à rejoindre leur mouvement de « frères sincères et
propagande] jusqu’à ce qu’ils atteignent le degré de la perfection dans d’amis loyaux ». La date de leur rédaction, l’identité exacte de leurs
les sciences. Quand ils obtiennent de l’Imām la compréhension des auteurs, leur appartenance idéologique (Ismā‘īlisme, Qarmaṭisme,
réalités des choses et sont mis au courant [47] des significations ésoté- Zaydisme…?) et la finalité de leur mouvement (politique, spiri-
riques de ces [obligations] apparentes, ces entraves se détachent d’eux tuelle…?) font l’objet de maints débats. Voir Y. MARQUET, EI2, art.
et [leurs] devoirs pratiques s’évanouissent. L’objectif des actions des Ikhwān al-Ṣafā’ ; G. DE CALLATAŸ, Ikhwān al-Ṣafā’. A Brotherhood of
membres est en effet d’éveiller le cœur pour qu’il se mette en quête de Idealists on the Fringe of Orthodox Islam, Oxford, Oneworld, 2005 ;
la science. Quand il l’atteint, il est préparé au bonheur ultime et, pour Y. MICHOT, Misled.
lui, les devoirs imposés aux membres tombent. Les devoirs imposés 5. Frontispice du manuscrit d’Istanbul, Esad Efendi 3638, fol. 4 r.
aux membres valent seulement pour quelqu’un qui, par son ignorance, des Épîtres des Frères de la Pureté - Rasā’il Ikhwān al-Ṣafā’ (Bagdad,
équivaut aux ânes qu’il n’est possible de domestiquer que par des 686/1287 ; un visage restauré digitalement) ; voir R. ETTINGHAUSEN,
actions pénibles. Quant aux gens malins et à ceux qui saisissent les La peinture arabe, Genève, Skira, 1962, p. 98-103.
réalités, leur degré est plus élevé que cela. Ceci est une manière de 6. mā : bi-mā F
leurrer qui est dure pour les gens malins et leur but est de détruire les 7. Ja‘far al-Ṣādiq, « le véridique » (Médine, vers 83/703 - 148/765),
règles (qānūn) de la Loi (shar‘). Ils dupent tout [individu] faible par sixième Imām des Shī‘ites duodécimains, respecté par les Sunnites
une voie qui le leurre et lui convient » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, comme autorité en plusieurs domaines : Tradition, Loi, théologie, sou-
éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 46-47). fisme ; voir M. G. S. HODGSON, EI2, art. Ja‘far al-Ṣādiq. Maints écrits
3. allatī : alladhī F pseudépigraphes lui sont attribués ; voir Y. MICHOT, Ibn Taymiyya on

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après le troisième siècle, à l’époque de la construction du Caire. De la biographie d’al-Ḥākim les gens connaissent ce qu’ils
Celui qui les composa y mentionne en effet ce qui se produisit connaissent, ce qu’Anūshtakīn9 al-Darazī10 accomplit sous son
dans l’Islam comme conquête du littoral de Syrie par les Naza- ordre pour inviter les gens à l’adorer, le combat que les gens de
réens1, et [autres] événements semblables qui se produisirent l’Égypte menèrent contre lui à ce propos, puis son départ vers
après le troisième siècle. Or Ja‘far b. Muḥammad – Dieu soit la Syrie et, conséquemment, [comment] il égara [les habitants
satisfait de lui ! – trépassa en l’an cent quarante-huit [/765], de] la vallée des Taym b. Tha‘laba11 parmi lesquels il y a jus-
plus de deux cents ans avant la construction du Caire vu que le qu’à nos jours des libres penseurs et des hypocrites. Ils ont chez
Caire fut construit vers trois cent soixante [/970] ainsi qu’[on le eux les livres d’al-Ḥākim. Je les leur ai pris12 et j’ai lu ce qui
lit] dans L’histoire de la mosquée al-Azhar2. Sa construction, s’y trouve concernant leur adoration d’al-Ḥākim, le fait qu’il
dit-on, commença en l’an [trois cent] cinquante-huit [/969] et, les a dispensés de la prière, de l’aumône, du jeûne, du pèleri-
en l’an [trois cent] soixante-deux [/973], Ma‘add b. Tamīm vint nage, et qu’ils nomment « littéralistes » (ḥashwiyya)13 les Mu-
du Maghrib3 et en fit sa résidence. [135] sulmans rendant ces obligations obligatoires et prohibant ce que
Parmi les choses rendant cela clair, il y a le fait que les philo- Dieu et Son Messager ont prohibé ; et [autres] espèces simi-
sopheurs dont on sait qu’ils sortent de la religion de l’Islam laires d’hypocrisie qu’on ne saurait dénombrer.
étaient de ceux qui suivaient Mubashshir b. Fātik4, un de leurs En somme, ce qui est impliqué par la science de l’ésotérique
émirs, et Abū ‘Alī b. al-Haytham5. Durant le règne (dawla) qu’ils prétendent [posséder], c’est la mécréance en Dieu, Ses
d’al-Ḥākim6, tous deux résidèrent à proximité de la mosquée al- anges, Ses Livres, Ses Messagers et le Jour dernier. Ou, plutôt
Azhar. Avicenne, son père7 et son frère étaient de ceux qui sui- même, ce [savoir] réunit toute mécréance. Ils occupent cepen-
vaient ces deux [penseurs]. « Je lus concernant la philosophie, » dant, en celui-ci, des degrés [différents]. Ils ne sont donc pas
dit Avicenne, « et j’entendais mon père et mon frère men- égaux pour ce qui est de la mécréance car, chez eux, celle-ci
tionner l’intellect et l’âme8. » Il vécut à l’époque d’al-Ḥākim. [comprend] sept niveaux (ṭabqa). À chaque niveau ils s’adres-
sent à un groupe de gens selon leur éloignement de la religion
Astrology. Annotated Translation of Three Fatwas, in Journal of et leur proximité d’elle. Ils ont des titres (laqab) et des hiérar-
Islamic Studies, 11/2, Oxford, 2000, p. 147-208, p. 175-177.
1. Cette conquête du littoral de la Syrie par les Nazaréens au début les avait entendus parler de l’âme et de l’intellect du point de vue selon
du IVe/Xe s. ne refère pas aux Croisades, lesquelles ne commencèrent lequel eux en parlaient et en avaient connaissance. Semblablement
qu’en 488/1095, mais aux succès militaires des byzantins Nicéphore pour mon frère. Il leur arrivait parfois de discuter de cela entre eux.
Phocas et Jean I Tzimiskès contre les Ḥamdānides d’Alep après 350 Moi, je les entendais et saisissais ce qu’ils disaient mais mon âme ne
/961, quelques années seulement avant la construction du Caire par les l’acceptait pas. Ils commençèrent donc à m’inviter à [adopter ces
Fāṭimides en 358/969. idées]. Leurs langues faisaient aussi mention de la philosophie, de la
2. Commencée en jumādā I 359 / avril 970, la construction de la géométrie et du calcul indien » (AVICENNE, Autobiographie, in W. E.
mosquée al-Azhar dura deux ans ; voir J. JOMIER, EI2, art. al-Azhar ; GOHLMAN, The Life of Ibn Sina. A Critical Edition and Annotated
D. BEHRENS-ABOUSEIF, Islamic Architecture in Cairo. An Introduc- Translation, Albany, State University of New York Press, « Studies in
tion, Leyde - New York, E.J. Brill, 1992, p. 58-63 ; B. O’KANE, Mos- Islamic Philosophy and Science », 1974, p. 19-20). Contrairement à ce
ques, p. 10-15. Sur la construction d’al-Azhar par Jawhar, le général qu’affirme Ibn Taymiyya, Avicenne est explicite sur son refus des
d’al-Mu‘izz, voir Sh. JIWA, Mediterranean Empire, p. 20-21 ; A. RAY- doctrines ismā‘īliennes partagées par son père et son frère. Selon
MOND, Le Caire, p. 44. D. GUTAS, Avicenna’s madhhab. With an Appendix on the Question of
3. Al-Mu‘izz quitta l’Ifrīqiya pour l’Égypte en ṣafar 362 / novembre his Date of Birth, in Quaderni di Studi Arabi 5-6 (Venise : Armena,
972 et y arriva quelques mois plus tard ; voir F. DACHRAOUI, EI2, art. 1987-1988), p. 323-336, Avicenne était un sunnite ḥanafite.
al-Mu‘izz li-Dīn Allāh ; Sh. JIWA, Mediterranean Empire, p. 102-103. 9. anūshtakīn : hashkīn F
4. Érudit et historien égyptien du Ve/XIe s., adepte de philosophie et 10. Muḥammad b. Ismā‘īl, Nashtakīn ou Anūshtakīn, al-Darazī ou
de médecine, auteur d’une importante anthologie presque entièrement al-Durzī (m. 410/1019), missionnaire (dā‘ī) turc ismā‘īlien d’origine
consacrée aux sages grecs antiques, Sélection d’apophthegmes et de bukhāriote de qui les Druzes tirent leur nom. Venu au Caire sous le
belles paroles (Mukhtār al-Ìikam wa maÌāsin al-kalim, 440/1048-9) ; règne d’al-Ḥākim, il passe pour avoir été le premier à prêcher sa divi-
voir Fr. ROSENTHAL, EI2, art. al-Mubashshir b. Fātik ; Al-Mubashshir nité, d’abord en Égypte, ensuite en Syrie. Voir M. G. S. HODGSON,
b. Fātik, in Oriens, 13-14, 1961, p. 133-158. EI2, art. al-Darazī ; P. E. WALKER, Caliph, p. 252-256.
5. Abū ‘Alī b. al-Ḥasan, Ibn al-Haytham (Baṣra, vers 354/965 - Le 11. Vallée de l’Hermon en Syrie, au pied du Jabal al-Shaykh, portant
Caire, 430/1039), l’Alhazen des Latins médiévaux, astronome, mathé- le nom de la tribu arabe qui s’y installa en partie, les Banū Taym Allāh
maticien et physicien venu en Égypte sous al-Ḥākim ; voir J. VERNET, b. Tha‘laba, ou Tayāmina. Selon G. LEVI DELLA VIDA (EI2, art. Taym
EI2, art. Ibn al-Haytham ; R. MORELON, Un aspect de l’astronomie Allāh b. Tha‘laba), « ce fut un des lieux d’origine des Druzes au
sous les Fatimides : l’importance d’Ibn al-Haytham dans l’histoire de Ve/XIe siècle et de nombreux groupe hérétiques y vivaient encore au
l’astronomie arabe, in M. BARRUCAND (éd.), Égypte fatimide, p. 519- VIIe/XIIIe siècle » ; voir aussi H. LAOUST, Remarques, p. 106-107.
526 ; R. RASHED, Ibn al-Haytham, mathématicien de l’époque fati- 12. Ibn Taymiyya participa à deux expéditions contre les populations
mide, in M. BARRUCAND (éd.), Égypte fatimide, p. 527-535. shī‘ites hérétiques de la montagne syro-libanaise, la première durant
6. Al-Ḥākim bi-Amr Allāh (375/985 ; r. 386/996-411/1021), sixième l’été 699/1300, la seconde en dhū l-ḥijja 704 / juin 1305 et muḥarram
calife et Imām fāṭimide, divinisé par certains de ses partisans, dont les 705 / juillet - août 1305. Voir H. LAOUST, Remarques ; A. HOTEIT, Les
Druzes. Un assassinat commandité par sa sœur Sitt al-Mulk fut peut- expéditions mamloukes de Kasrawān : Critique de la Lettre d’Ibn Tai-
être la cause de sa disparition en 411/1021. Voir M. CANARD, EI2, art. miya au sultan an-Nāṣir Muḥammad bin Qalāwūn, in ARAM Period-
al-Ḥākim bi-Amr Allāh ; P. E. WALKER, Caliph of Cairo. Al-Hakim bi- ical, 9 & 10: The Mamluks and the Early Ottoman Period in Bilad al-
Amr Allah, 996-1021, Le Caire - New York, The American University Sham: History and Archaeology, Oxford, 1997-1998, p. 77-84.
in Cairo Press, 2009. 13. Dérivé de ḥashw, « remplissage », ḥashwiyya est un terme inju-
7. abū-hu : ibnu-hu F son fils rieux. Il vise ici les Sunnites qui, prenant à la lettre les textes scriptu-
8. Allusion à un passage de son autobiographie dans lequel Avicenne raires, disent, selon les Tayāmina, des choses dénuées de sens et
(m. 428/1037) écrit : « Mon père était de ceux qui avaient répondu au parlent donc pour ne rien dire. Voir EI2, art. Ḥashwiyya ; AL-SHAH-
missionnaire des Égyptiens et était considéré d’entre les Ismā‘īliens. Il RASTĀNĪ, Milal, trad. GIMARET - MONNOT, Religions I, p. 291, n. 8.

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chisations qu’ils ont combinés à partir de la doctrine des ailleurs et, même, comme cela arriva quand ils mirent en
Mages, des philosophes et des Rāfiḍites. Ils disent par exemple déroute7 les Musulmans avec les Nazaréens et d’autres8. Ils se
« le devancier » (sābiq), « le suivant » (tālī), et les comparent à donnent l’apparence d’être des Shī‘ites vis-à-vis de celui qu’ils
l’intellect [136] et à l’âme à l’instar de ce que les philosophes invitent [à adopter leur croyance] et, quand il leur répond, ils le
mentionnent, ainsi qu’à la lumière et à l’obscurité à l’instar de font passer au Rāfiḍisme et l’amènent à attaquer les Com-
ce que les Mages mentionnent1. Ils se réclament de Muḥammad pagnons. S’ils le voient accepter, ils l’amènent à critiquer ‘Alī
b. Ismā‘īl b. Ja‘far, prétendent qu’il est le septième [Imām] et et d’autres puis ils l’amènent à attaquer notre Prophète et le
parlent du « locuteur2 », du « fondement » (asās), de « l’argu- reste des Prophètes. Les Prophètes, disent-ils, ont des [ensei-
ment » (ḥujja)3, de « la porte » (bāb)4, et d’autres [titres] qu’il gnements] ésotériques et des secrets contredisant ce que leur
serait long de décrire. communauté [croit]. Ils étaient des gens malins, éminents, qui
Parmi leurs recommendations dans La Loi (nāmūs) suprême poursuivirent9 leurs objectifs relatifs à la vie ici-bas par ce
et l’aboutissement majeur, il y a entrer parmi les Musulmans qu’ils instituèrent comme Lois religieuses (nāmūs shar‘ī).
par la porte de la prétention d’être des Shī‘ites (tashayyu‘). Ils attaquent en outre le Messie, en font le fils (nasaba) de
Cela, parce qu’ils savent que les Shī‘ites sont d’entre les Joseph le charpentier et le considèrent de faible opinion en ceci
groupes les plus ignorants, les plus faibles pour ce qui est d’in- que ses ennemis purent se saisir de lui, si bien qu’ils le cru-
telliger et de savoir et les plus éloignés de la religion de l’Islam cifièrent. Ils sont donc d’accord avec les Juifs pour ce qui est
pour ce qui est de savoir et d’agir. Voilà pourquoi les libres d’attaquer le Messie. Ils sont cependant pires que les Juifs. Ils
penseurs sont entrés dans l’Islam par la porte des gens préten- attaquent en effet les Prophètes. Quant à Moïse et à Muḥam-
dant être des Shī‘ites, anciennement et récemment. Ainsi les mad, ils font grand cas de leur affaire à tous deux du fait du
mécréants guerroyant contre les cités de l’Islam entrèrent-ils pouvoir qu’ils acquirent (tamakkun) et de leur triomphe [137] sur
dans Bagdad avec l’aide des Shī‘ites comme il leur arriva [de le leurs ennemis. Ils prétendent que tous deux firent apparaître ce
faire] sous le règne des mécréants turcs5 à Bagdad, à Alep6 et qu’ils firent apparaître comme Livre afin de tenir la masse sous
contrôle (dhabb) et qu’il y a là des secrets ésotériques tels que
1. « Ils parlent de deux dieux prééternels dont l’existence n’a pas de celui qui les connaît devient d’entre les parfaits ayant abouti
commencement (awwal) selon le temps mais dont l’un est la cause de (bāligh)10.
l’existence du second. Le nom de la cause est « le devancier » et le
nom de l’effet « le suivant ». Le devancier a créé le monde par l’inter- Dieu, disent-ils, a rendu licite tout ce que nous désirons
médiaire du suivant, non pas par lui-même. Le premier peut être comme abominations, choses répréhensibles, et accaparement
appelé « intellect » et le second « âme ». Ils prétendent que le premier des biens des gens par tout moyen. Il ne nous a rendu obliga-
est celui qui est complet en acte tandis que le second, par rapport à lui, toire rien de ce qui est obligatoire pour la masse – prière,
est déficient parce qu’il est son effet […] Ceci est la base de ce qu’ils aumône, jeûne, etc. L’abouti, selon eux, sait en effet qu’il n’y a
croient et la crème de ce qu’ils barattent. Tournons donc notre atten-
tion vers cela et ce qui l’outrepasse ! Cela se divise* en élucubrations ni Jardin ni Feu, ni récompense ni châtiment11.
dont la nature vaine est manifeste, en mécréance reprise** des dua-
listes et des Mages pour ce qui est de l’affirmation des deux dieux politique du maître ayyūbide d’Alep ayant conduit au sac mongol de la
avec remplacement de l’expression « la lumière et l’obscurité » par ville en 658/1260 ; voir Y. MICHOT, Textes spirituels XII : Mongols et
« le devancier et le suivant », et*** en égarement tiré des paroles des Mamlūks : l’état du monde musulman vers 709/1310 (fin), in Le
philosophes quand ils disent que le Premier Principe est la cause de Musulman, 26, Paris, septembre 1995, p. 25-30, p. 25, n. 1-2.
l’existence de l’intellect par voie de concomitance nécessaire à partir 7. bi-taghwīr : bi-taghīr F
de Lui, non par voie de visée et de choix, et que [cet intellect] advient 8. Probable allusion à la collaboration de populations shī‘ites de la
à partir de Son essence sans l’intermédiaire d’autre chose que Lui » côte syro-libanaise avec les Mongols de l’īlkhān Ghāzān et leurs alliés
(A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 38, 40). * fa- chrétiens d’Arménie, de Géorgie et de Chypre suite à leur victoire sur
munqasim : fa-munsaqim B ** mustaraq : mustaraqq B *** wa + : al-tālī B le sultan mamlūk al-Nāṣir Muḥammad b. Qalāwūn au Wādī l-Khazna-
2. al-nāṭiq : al-bāṭin B l’ésotérique. « Pour la Loi (sharī‘a) de chaque dār en 699/1299 ; voir Y. Michot, IBN TAYMIYYA. Lettre à un roi croisé
Prophète, disent-ils, il y a une durée. Quand sa durée s’est écoulée, (al-Risālat al-Qubruṣiyya). Traduction de l’arabe, introduction, notes
Dieu envoie un autre Prophète qui abroge sa Loi. La durée de la Loi de et lexique, Louvain-la-Neuve, Academia - Lyon, Tawhid, « Sagesses
chaque Prophète est de sept vies, à savoir sept générations. Le premier musulmanes, 2 », 1995, p. 37 ; H. LAOUST, Remarques, p. 101-103.
d’entre eux est le Prophète locuteur (nātiq). Le sens de « locuteur » est 9. qāmū : qālū F
que sa Loi abroge ce qui l’a précédé et le sens de « silencieux » (ṣāmit) 10. Allusion à la justification du prophétat par intérêt socio-politique
est qu’il maintient ce qu’un autre que lui a fondé » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, telle qu’on la trouve par exemple chez Avicenne ; voir Y. MICHOT, La
Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 43). destinée de l’homme selon Avicenne. Le retour à Dieu (ma‘ād) et
3. « Les « arguments » (ḥujja) sont les missionnaires (dā‘ī). En tout l’imagination, Louvain, Peeters, « Académie Royale de Belgique,
temps, disent-ils, l’Imām doit immanquablement avoir douze argu- Fonds René Draguet, V », 1986, p. 30-43 ; M. GALSTON, Realism and
ments délégués dans les [diverses] contrées, dispersés dans les métro- Idealism in Avicenna’s Political Philosophy, in The Review of Politics,
poles » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 42). 41/4, octobre 1979, p. 561-577 ; IBN TAYMIYYA, Minhāj, trad. MICHOT
4. « Pour chaque Prophète il y a un « administrateur » (sūs). L’admi- in From al-Ma’mūn to Ibn Sab‘īn, via Avicenna: Ibn Taymiyya’s
nistrateur est la porte (bāb) [menant] vers le savoir du Prophète durant Historiography of Falsafa, in F. OPWIS & D. REISMAN (éds.), Islamic
sa vie, [son] exécuteur testamentaire après son trépas et l’Imām de Philosophy, Science, Culture, and Religion. Studies in Honor of
quiconque vit à son époque, ainsi qu’il l’a dit – sur lui la paix ! : « Je Dimitri Gutas, Leyde - Boston, Brill, 2012, p. 327-328.
suis la ville du savoir et ‘Alī en est la porte » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ, 11. « Il y a accord entre [les Bāṭinites] pour nier la résurrection et
Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 43). [dire] que cet ordre qu’on constate ici-bas – la succession de la nuit et
5. Al-turk, c’est-à-dire les Mongols. du jour, l’advenue de l’homme à partir d’une goutte [de sperme] et de
6. Probable allusion d’une part, au rôle d’Ibn al-‘Alqamī, vizir shī‘ite la goutte [de sperme] à partir de l’homme, la reproduction des plantes
du calife ‘abbāside al-Musta‘ṣim, dans la prise de Bagdad par Hūlāgū et la reproduction des animaux – ne s’interrompra jamais et que l’ané-
en 656/1258, d’autre part au rôle d’un certain émir Sayf al-Dīn dans la antissement des corps des cieux et de la terre est inimaginable. Ils ont

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interprété la résurrection (qiyāma) et dit qu’elle est une allégorie
(ramz) de l’apparition (khurūj) de l’Imām et du fait que se lèvera
(qiyām) le Qā’im du temps, à savoir le septième [Imām], qui abrogera
la Loi et changera le[s] commandement[s]. Certains d’entre eux disent
parfois qu’il y a des cycles totaux pour la sphère [céleste] et que les
états du monde subissent une mutation totale de par un déluge général
ou de par une [autre] cause d’entre les causes. Le sens de « la résur-
rection » est l’achèvement de notre cycle – celui dans lequel nous
sommes. Quant au retour (ma‘ād), ils nient ce que les Prophètes ont
mentionné [à ce sujet] et n’affirment ni le Rassemblement ni le Redép-
loiement (nashr) des organismes, ni le Jardin ni le Feu, mais disent
que le sens du « retour » est le retour (‘awd) de toute chose vers son
origine. L’homme est composé du monde spirituel et corporel. Ce qui
de lui est corporel, à savoir son organisme, est composé des quatre
humeurs – la bile, l’atrabile, le phlegme et le sang. L’organisme se
décompose et chaque humeur retourne vers la nature supérieure – [45]
la bile devient feu, l’atrabile devient terre, le sang devient air et le
phlegme devient eau – et c’est cela le retour (ma‘ād) de l’organisme.
Ce qui de l’homme est spirituel, à savoir l’âme perceptrice, rationnelle,
si elle s’est épurée par la pratique assidue des actes d’adoration, puri-
fiée par son éloignement du caprice et des passions et nourrie de la
nourriture des sciences et des connaissances recueillies des Imāms qui
guident [bien], elle s’unit, lors de sa séparation du corps, au monde
spirituel dont elle s’était détachée et est heureuse de retourner vers sa Ruines de la forteresse d’Alamūt1
patrie originelle. C’est pour cela que c’est appelé « revenue » (rujū‘). Concernant l’établissement [de l’existence] du Nécessaire-
« Reviens, » a-t-il été dit, « vers ton Seigneur, satisfaite et agréée* ! » ment Existant, créateur du monde, [ils suivent] deux choses
C’est le Jardin et c’est lui qui est allégoriquement visé par l’histoire
d’Adam : il était dans le Jardin puis en fut séparé et descendit vers le dites par leurs Imāms : ils le nient et soutiennent que les Péripa-
monde inférieur ; il y retourne ensuite dans l’au-delà. Ils prétendent téticiens d’entre les philosophes controversent [à tout propos]
que la perfection de l’âme [s’achève] par sa mort étant donné que c’est excepté le Nécessairement Existant2. Ils font peu de cas de la
par elle que s’opère sa délivrance de l’étroitesse de l’organisme et du mention de Dieu et de Son nom, à tel point que l’un d’eux écrit
monde corporel de même que la perfection de la goutte [de sperme] le nom de Dieu et le nom de Son Messager au bas de [ce qu’il
réside dans sa délivrance des ténèbres de l’utérus et sa sortie vers l’es-
pace du monde. L’homme est comme la goutte [de sperme], le monde écrit]. De pareils exemples de leur mécréance sont nombreux.
comme l’utérus et la connaissance comme la nourriture. Quand elle Leçons d’histoire
s’affranchit de lui**, elle devient en réalité parfaite et est délivrée. L’auteur de l’appel missionnaire (da‘wa) qui fut célèbre et les
Quand elle est préparée à [recevoir] le flux des sciences spirituelles en
acquérant les sciences des Imāms et en cheminant sur leurs voies béné- Ismā‘īliens qui suivaient cette doctrine dans les forteresses
fiques sous leur direction, elle devient parfaite lors de [sa] séparation d’Alamūt3 et d’ailleurs dans les pays du Khurāsān, en terre du
de l’organisme et lui apparaît alors ce qui ne lui apparaissait pas. Voilà Yémen, dans les montagnes de Syrie et ailleurs, suivaient la
pourquoi [le Prophète] a dit – sur lui la paix ! : « Les hommes sont doctrine des ‘Ubaydites au sujet desquels la question a été
endormis. Quand ils meurent, ils se réveillent » (A. Ḥ. AL-GHAZĀLĪ,
Faḍā’iḥ, éd. ‘A. al-R. BADAWĪ, p. 44-45). * Coran, al-Fajr - LXXXIX,
27-28. ** naqadhat min-hu : nafadhat fī-hi B miséricorde, se préparant à l’idée de faire l’objet de Son tourment et de
On se souviendra aussi, à ce propos, du témoignage d’Ibn Ghaylān Sa vengeance. Ils ont alors entendu qu’un groupe de gens célèbres
al-Balkhī concernant l’impact néfaste de la philosophie sur maints pour la perfection de leur intelligence, dont on soulignait l’abondance
Musulmans d’Asie centrale une génération après al-Ghazālī : « Ceux du savoir et l’éminence, affirmaient qu’il n’y a ni récompense ni
qu’il y a peu d’espoir de voir revenir de leur erreur et se convertir au châtiment, ni livre ni compte. Ils ont trouvé leurs cœurs réceptifs à
Vrai quand on les éveille et leur fait voir clairement [les choses], ce cette affirmation étant donné qu’elle était en conformité avec leur pas-
sont une bande de gens qui se croient d’une intelligence supérieure, sion et l’objet de leur amour. Ils y ont donc adhéré et s’y sont tenus »
d’une acuité d’esprit extraordinaire, et désirent passionnément se dis- (IBN GHAYLĀN AL-BALKHĪ, Kitāb ḥudūth al-‘ālam, trad. MICHOT, La
tinguer de leurs pareils ou être intégrés au groupe des savants sans pandémie avicennienne au VIe/XIIe siècle. Présentation, editio prin-
supporter la fatigue de la quête des sciences et de leur étude ni persé- ceps et traduction de l’introduction du Livre de l’advenue du monde
vérer dans leur réalisation, globalement et dans les détails. Ils se (Kitāb ḥudūth al-‘ālam) d’Ibn Ghaylān al-Balkhī, in Arabica, XL/3,
flattent d’abandonner les devoirs de la Loi, de commettre les abomi- Paris, novembre 1993, p. 287-344, p. 321-322).
nations les plus atroces, de prononcer des paroles de mécréance et de 1. Photo de R. Miraglia ; voir W. W. FITZHUGH, M. ROSSABI,
nier le Déploiement et le Rassemblement, voulant par là ressembler W. HONEYCHURCH (éds.), Genghis Khan and the Mongol Empire,
aux philosophes. « La philosophie (falsafa), c’est mettre en déroute la Washington, Smithsonian Institution, 2009, p. 166.
stupidité (fall al-safah), » disent-ils, les ignorants du commun ayant 2. Le texte du début de ce paragraphe semble corrompu. La traduc-
pour opinion que, grâce à la perfection de leur sagacité, ils sont au fait tion en est conjecturale.
de quelque chose qui est caché aux masses, à la populace, et sont 3. Forteresse au sommet d’un pic de la chaîne de l’Alburz au Nord-
informés d’un secret dissimulé aux plus célèbres des savants. D’au- Nord-Est de Qazwīn (Iran). En 483/1090, le missionnaire ismā‘īlien
cuns, d’entre les injustes, ont oublié le Dieu Puissant et Majestueux, al-Ḥasan b. al-Ṣabbāḥ s’en empara et en fit le quartier de l’Ordre des
injustes envers Ses serviteurs, détruisant Son pays, prenant les biens Assassins. Alamūt contrôla des territoires disséminés de la Syrie à
des Musulmans avec fureur, saccageant et pillant. Ou bien, d’entre les l’Est de l’Iran jusqu’à sa destruction par les Mongols de Hūlāgū en
pervers, ils se sont enfoncés dans l’assouvissement de leurs passions, 654/1256 ; voir M. HODGSON, EI2, art. Alamūt ; B. HOURCADE, art.
de leurs envies, et se sont immergés dans les flots des mauvaises Alamūt, in Enc. Iranica, I/8, p. 797-801 ; C. JAMBET, La grande résur-
actions et des péchés. Du fait de l’excès d’ignorance accompagnant la rection d’Alamût. Les formes de la liberté dans le shî‘isme ismaélien,
mauvaiseté de leur agir, ils ont désespéré de la merci de Dieu et de Sa Lagrasse, Verdier, 1990.

—14—
posée et d’Ibn al-Ṣabbāḥ1 qui était le chef des Ismā‘īliens. Al- d’entre eux il y eut le martyr Nūr al-Dīn Maḥmūd11 qui conquit
Ghazālī disputa avec ses compagnons quand il vint en Égypte la plupart de la Syrie et la délivra des mains des Nazaréens. Il
sous le règne d’al-Mustanṣir2 – celui des [califes fāṭimides] dépécha ensuite son armée en Égypte, quand [les Égyptiens]
dont le [règne] dura le plus longtemps – et recueillit d’eux3 l’appelèrent au secours contre les Francs. L’entrée de l’armée
leurs secrets4. en [Égypte] se répéta avec Salāḥ al-Dīn12 qui conquit l’Égypte,
La crise (fitna) d’al-Basāsirī5 se produisit sous le règne d’al- y mit fin à l’action missionnaire (da‘wa) des ‘Ubaydites d’entre
Mustanṣir durant le cinquième[/onzième] siècle, en l’an 450 les Qarmaṭes ésotéristes, et y fit apparaître les prescriptions de
[/1058], quand al-Basāsirī mena le jihād en cessant d’obéir au l’Islam si bien que, à partir de ce moment-là, elle a été habitée
calife ‘abbāside al-Qā’im bi-Amr Allāh6. [138] Il se mit d’accord par des gens qui y ont fait apparaître la religion de l’Islam.
avec al-Mustanṣir le ‘Ubaydite et s’en alla à marche forcée7
vers l’Iraq. Ils firent apparaître les insignes des Rāfiḍites dans
les contrées de Syrie et d’Iraq comme ils les avaient fait appa-
raître en terre d’Égypte, tuèrent [divers] groupes d’ulémas des
Musulmans et de leurs shaykhs comme leurs ancêtres avaient
tué, auparavant, [divers] groupes [de gens] au Maghrib8, et lan-
cèrent comme appel à la prière, sur les minbars : « Venez à la
meilleure action9 ! » [Cela,] jusqu’à ce qu’arrivent les Turcs
saljūqides qui étaient les rois des Musulmans10. Ils les vain-
quirent et les repoussèrent vers l’Égypte. Parmi les derniers

La cour de la mosquée al-Azhar13


1. Al-Ḥasan b. ‘Alī b. al-Ṣabbāḥ al-Ḥimyarī, missionnaire ismā‘īlien Sous la dynastie des [Fāṭimides], quelqu’un habitant en
et premier maître nizārī d’Alamūt (428/1036-518/1124). Formé en
Égypte fāṭimide sous al-Mustanṣir, il prit la forteresse d’Alamūt aux
Égypte avait peur de rapporter un ḥadīth du Messager de Dieu –
Saljūqs en 483/1090 et resta loyal à Nizār b. al-Mustanṣir quand celui- Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! – et d’être tué. Ainsi
ci fut supplanté par son jeune frère al-Musta‘lī en 487/1094 ; voir relate-t-on cela d’Ibrāhīm b. Sa‘d al-Ḥabbāl14, le compagnon de
M. HODGSON, EI2, art. Ḥasan-i Ṣabbāḥ ; H. HALM, The Fatimids and ‘Abd al-Ghanī b. Sa‘īd15 : il s’abstint de rapporter des ḥadīths
their Traditions of Learning, Londres - New York, I.B.Tauris - Lon- de peur qu’ils le tuent. Entre les deux palais16, les [Fāṭimides]
dres, The Institute of Ismaili Studies, 2001, p. 59-60.
lançaient l’appel suivant : « Quiconque maudit et insulte, à lui
2. Al-Mustanṣir bi-Llāh, Abū Tamīm Ma‘add b. ‘Alī al-Ẓāhir, hui-
tième calife fāṭimide (n. 420/1029 ; r. 427/1036-487/1094) et souve- un dīnār et un ardeb17 ! » Dans la mosquée al-Azhar, il y avait
rain musulman au règne le plus long ; voir H. GIBB & P. KRAUS, EI2,
art. al-Mustanṣir. 11. Nūr al-Dīn Maḥmūd b. Zangī (n. 511/1118 ; r. 541/1146-569
3. ‘an-hum : ‘an-hu F de lui /1174), souverain de Syrie. Poursuivant le jihād anti-Croisés de son
4. D’autres qu’Ibn Taymiyya évoquent parfois un séjour égyptien père, l’émir turkmène ‘Imād al-Dīn Zangī (m. 541/1146), il étendit son
d’al-Ghazālī « mais les savants ont maintenant tendance à rejeter cette pouvoir sur l’ensemble de la Syrie. Il put par ailleurs intervenir dans
donnée ; s’il alla vraiment en Égypte, ce ne put être que pour un bref les dissensions internes ayant marqué la fin de la dynastie fāṭimide en
séjour » (W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. al-Ghazālī, p. 1063). envoyant en Égypte l’émir kurde Shīrkūh et son neveu Ṣalāḥ al-Dīn.
5. Arslān b. ‘Abd Allāh al-Basāsīrī, Abū l-Ḥārith (m. 451/1060), Voir N. ELISSÉEFF, EI2, art. Nūr al-Dīn Maḥmūd b. Zankī.
émir turc des Būyides qui fit allégeance aux Fāṭimides quand le saljūq 12. Ṣalāḥ al-Dīn, al-Malik al-Nāṣir Abū l-Muẓaffar Yūsuf b. Ayyūb
Ṭoghrıl s’empara de la capitale iraqienne en 447/1055. Profitant du (Saladin ; Takrīt, 532/1138 - Damas, 589/1193), champion kurde du
retour de Ṭoghrıl en Iran, il entra dans Bagdad en 450/1058, poussa le jihād qui reprit Jérusalem aux Croisés en 583/1187. Envoyé en Égypte
calife ‘abbāside al-Qā’im à s’enfuir et fut capable d’imposer la souve- avec son oncle Shīrkūh, il devint à la mort de ce dernier (564/1169) à
raineté du calife fāṭimide al-Mustanṣir à la cité et à l’Iraq du Sud pour la fois vizir du calife fāṭimide al-‘Āḍid et commandant des troupes
un an environ ; voir M. CANARD, EI2, art. al-Basāsīrī. syriennes de Nūr al-Dīn Maḥmūd b. Zangī stationnées en Égypte.
6. Al-Qā’im bi-Amr Allāh (n. 391/1001 ; r. 422/1031-467/1075), Deux ans plus tard (567/1171), il mit un terme au califat fāṭimide et
vingt-sixième calife ‘abbāside qui, en 447/1055, passa de la tutelle des s’affranchit peu à peu de la suzeraineté de Nūr al-Dīn Maḥmūd. À la
émirs shī‘ites būyides à celle du sultan saljūq Ṭoghrıl ; voir D. SOUR- mort de celui-ci (569/1174), il imposa son pouvoir à ses héritiers en
DEL, EI2, art. al-Ḳā’im bi-Amr Allāh. s’emparant de la Syrie. Voir D. S. RICHARDS, EI2, art. Ṣalāḥ al-Dīn.
7. yaḥsiru : yaḥshuru F 13. À gauche, carte postale du début du XXe s. À droite, photo de
8. Sur la conquête de l’Ifrīqiya et du Maghrib par les Ismā‘īliens Y. Michot, décembre 2012.
dans les années 290/903-297/909, voir F. DAFTARY, Short History, 14. Ibrāhīm b. Sa‘īd al-Nu‘mānī l-Ḥabbāl (391/1001-482/1089), tra-
p. 70-72. Voir aussi W. MADELUNG, The Religious Policy of the Fati- ditionniste égyptien ; voir Kh. al-D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. I, p. 40.
mids toward their Sunnī Subjects in the Maghrib, in M. BARRUCAND 15. ‘Abd al-Ghanī b. Sa‘īd al-Azdī (332/944-409 /1018), shaykh des
(éd.), Égypte fatimide, p. 97-104. traditionnistes en Égypte, un temps forcé de vivre dans la clandestinité
9. Ḥayya ‘alā khayr al-‘amal. Partie de l’appel à la prière de l’aube à sous le calife al-Ḥākim ; voir Kh. al-D. AL-ZIRIKLĪ, A‘lām, t. IV,
laquelle le calife ‘Umar substitua « Prier vaut mieux que dormir » (al- p. 33 ; Th. BIANQUIS, Abd al-Gani ibn Sa’id, un savant sunnite au
ṣalātu khayr min al-nawm) mais qui est conservée dans le Shī‘isme et service des Fatimides, in Actes du XXIXe Congrès International des
est devenue une des marques de la différence de cette religion par rap- Orientalistes (Paris, 16-22 juillet 1973), Études Arabes et Islamiques I,
port à l’Islam sunnite. Histoire et Civilisation I, Paris, l’Asiathèque, 1975, p. 39-47.
10. En 447/1055, le chef oghuz Abū Ṭālib Muḥammad Ṭoghrıl Beg 16. C’est-à-dire sur la vaste esplanade séparant les palais oriental et
(m. 455/1063) conquit Bagdad. Cette victoire entraîna à terme la fin de occidental au centre du Caire fāṭimide ; voir plus haut, p. 3, n. 4.
la mainmise des émirs būyides duodécimains sur le califat ‘abbāside 17. Mesure de capacité d’origine persane préislamique équivalant au
qui durait depuis 334/945 et leur remplacement par la dynastie sunnite Caire, sous les Mamlūks, à 68,8 kg de blé ; voir E. ASHTOR, EI2, art.
des Grands Saljūqs. Voir C. E. BOSWORTH, EI2, art. Ṭoghrıl (I) Beg. Makāyil.

—15—
plusieurs sections dans lesquelles ils maudissaient les Com- d’entre les gens de la Sunna et un homme d’entre les rois du
pagnons1. Bien plus, ils y tenaient des propos de pure mécré- Maghrib. Il [vécut par ailleurs] un certain temps après celui-là.
ance. À proximité du martyrium qu’ils avaient construit, dédié Du fait de ce que les [Fāṭimides] pratiquaient comme libre pen-
à al-Ḥusayn2 – et dans lequel, il y a là-dessus accord des ulé- sée et innovation, la lumière de l’Islam et de la foi demeura
mas, ne se trouvent ni al-Ḥusayn ni rien de lui ! –, ils avaient éteinte dans les contrées égyptiennes durant leur dynastie
une école (madrasa). Dans leur école, ils n’enseignaient [pour- (dawla), environ deux cents ans8, à tel point que les ulémas
tant] pas les sciences des Musulmans mais, plutôt, la logique, la dirent à leur propos qu’elles étaient une demeure d’apostasie et
physique, les divinalia (al-ilāhī) et autres disciplines des philo- d’hypocrisie, à l’instar de la demeure de Musaylima9 le men-
sophes3. Sur [139] les montagnes et ailleurs que les montagnes, teur.
ils avaient construit des observatoires4 dans lesquels ils obser-
vaient les astres, les adoraient, les louaient, et cherchaient à en
faire descendre les spiritualités (rūḥāniyya), lesquelles sont des
démons qui descendent sur les associateurs, les mécréants, à
l’instar des démons des idoles, etc.
Al-Mu‘izz b. Tamīm b. Ma‘add5 fut le premier des [Fāṭi-
mides] qui entra au Caire en ce [temps]-là. Il composa des pro-
pos (kalām) bien connus chez ceux qui le suivent.6 Il ne s’agit
pas d’al-Mu‘izz b. Bādīs7. Celui-ci fut en effet un Musulman

1. Sur la malédiction rituelle de Compagnons et d’épouses du Pro-


phète dans le Shī‘isme, voir W. FLOOR, The Practice of Cursing and
Bad Language in Iran, in Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen
Gesellschaft, 265/1, 2015, p. 155-184, p. 162-165 ; Y. MICHOT, Textes
spirituels, N.S. XVII, p. 17.
2. L’actuelle mosquée de Sayyid-nā l-Ḥusayn au Caire, à proximité
d’al-Azhar, comprend un sanctuaire dédié au petit-fils du Prophète, al-
Ḥusayn b. ‘Alī. En 548/1153-4, sa tête aurait été transférée d’Ascalon
(Palestine) au Caire par le vizir fāṭimide al-Ṣāliḥ Ṭalā’i‘ et déposée
dans ce martyrium spécialement construit à l’intérieur du palais fāṭi-
mide ; voir B. O’KANE, Mosques, p. 42-45 ; D. DE SMET, La trans-
lation du ra’s al-Ḥusayn au Caire fatimide, in U. VERMEULEN & D. DE
SMET (éds.), Egypt and Syria in the Fatimid, Ayyubid and Mamluk
Eras II, Louvain, Peeters, 1998, p. 29-44 ; sur le sort de la tête d’al-
Ḥusayn après son meurtre à Karbalā’ (61/680), voir Y. MICHOT, Textes
spirituels, N.S. XIX, p. 8-9. Ibn Taymiyya réfute dans divers écrits
toute idée de la présence de la tête d’al-Ḥusayn en Égypte ; voir par
exemple Y. MICHOT, Pages spirituelles d’Ibn Taymiyya. XXI. Am-
biguïtés et limites de l’interreligieux, in Action, 61, Port-Louis (Mau-
rice), octobre 2002, p. 22-23, p. 23, n. 8. De nos jours, la mosquée de
Sayyid-nā l-Ḥusayn demeure le cœur de l’Islam populaire cairote.
3. Sur les diverses institutions d’enseignement des Fāṭimides, voir
H. HALM, Fatimids.
4. J. SAMSÓ (EI2, art. Marṣad, p. 585) ne signale pas de construction
d’observatoire sous les Fāṭimides et juge « légendaire » l’affirmation Le martyrium d’al-Ḥusayn au Caire10
que l’astronome Ibn Yūnus (m. 399/1009) « aurait disposé d’un obser-
Les Qarmaṭes qui entrèrent en dissidence en terre d’Iraq
vatoire bien équipé grâce à la protection du calife al-Ḥākim ». D. BEH-
RENS-ABOUSEIF, Architecture, p. 67-68, évoque quant à elle l’existence furent les ancêtres (salaf) de ces Qarmaṭes-là11. Ils allèrent de
d’un observatoire astronomique, à certaines époques du califat fāṭi- l’Iraq au Maghrib, puis vinrent du Maghrib en Égypte. La
mide, sur le Muqaṭṭam, la falaise surplombant l’Est du Caire, ainsi mécréance de ces gens-là et leur apostasie participaient de la
qu’au dessus d’une des principales portes de la ville, Bāb al-Naṣr ; voir mécréance et de l’apostasie les plus graves. Ils étaient d’une
aussi H. HALM, Fatimids, p. 87-90 ; D. A. KING, Aspects of Fatimid
mécréance et d’une apostasie plus graves que la mécréance des
Astronomy: From Hard-Core Mathematical Astronomy to Architec-
tural Orientations in Cairo, in M. BARRUCAND (éd.), Égypte fatimide, suivants de Musaylima le menteur et de ses pareils d’entre les
p. 496-517, p. 507-508. menteurs. Concernant la divinité, la seigneurialité et les pres-
5. Al-Mu‘izz li-Dīn Allāh, le quatrième calife fāṭimide ; voir p. 3.
6. Divers écrits sont attribués au calife fāṭimide al-Mu‘izz li-Dīn
plus tendre enfance ». Cela dit, il « demeure dans l’histoire de l’Ifrī-
Allāh ; voir F. DAFTARY, Ismā‘īlīs, p. 165, 575, n. 48. qiya comme l’artisan de la restauration de l’orthodoxie mālikite, elle-
même liée à la « catastrophe » de l’invasion hilālienne » (EI2, art. al-
7. Al-Mu‘izz b. Bādīs, Abū Tamīm Sharaf al-Dawla (r. 406/1016-
Mu‘izz b. Bādīs, p. 481).
454/1062), quatrième souverain de la dynastie zīrīde d’Ifrīqiya.
D’abord vassal du Caire, il rompit avec les Fāṭimides vers 441/1049 8. En fait, de 358/969 à 567/1171.
mais reconnut à nouveau leur suzeraineté à partir de 449/1057, suite à 9. Musaylima b. Ḥabīb, faux prophète des Banū Ḥanīfa, tué durant la
la destruction de l’Ifrīqiya par l’invasion hilālienne ; voir M. TALBI, bataille d’al-‘Aqrabā’, sous le califat d’Abū Bakr ; voir W. MONTGO-
EI2, art. al-Mu‘izz b. Bādīs. Le portrait qu’Ibn Taymiyya dresse ici MERY WATT, EI2, art. Musaylima.
d’Ibn Bādīs est typique du brouillage et de l’embellissement de son 10. Chromo populaire, Le Caire, Maktabat al-Jandī, vers 1970 (Coll.
image orchestrés, selon M. Talbi, par « l’historiographie sunnite, qui a part.).
fait de lui, a posteriori, un « Sunnite » prisonnier des Shī‘ites dès sa 11. À savoir les Fāṭimides.

—16—
criptions religieuses, ces derniers ne disaient en effet pas ce que daient en [être] la réalité consiste à rendre vaine (ibṭāl) la mis-
les Imāms de ces [Qarmaṭes] ont dit. Voilà pourquoi on fait une sion (risāla) avec laquelle Dieu a envoyé Muḥammad ou, plutôt
distinction entre leurs tombes et les tombes des Musulmans, de même, à rendre vains l’ensemble des Envoyés. [Il sait] qu’ils ne
même qu’on fait une distinction entre les tombes des Musul- confessent pas [141] ce avec quoi le Messager est venu de la part
mans et des mécréants. Leurs tombes sont en effet dirigées dans de Dieu – qu’il s’agisse de ce dont il a informé ou de ce qu’il a
une autre [direction] que la qibla. commandé –, qu’ils ont comme objectif confirmé de rendre
Quand une colique (maghl)1 frappe les chevaux, ces [Qar- vain son appel (da‘wa) et de corrompre sa religion (milla), de
maṭes] les mènent à leurs tombes tout comme ils les mènent tuer son élite et les suivants de sa famille (‘itra), et qu’ils sont
aux tombes des mécréants. Ceci est une habitude bien connue vis-à-vis de l’Islam et, même, du reste des religions, d’une hos-
pour les chevaux : quand une colique frappe les chevaux, on les tilité plus grave que les Juifs et les Nazaréens. Les Juifs et les
conduit aux tombes [140] des Nazaréens à Damas ; s’ils sont Nazaréens confessent en effet les dogmes fondamentaux (aṣl
dans les lieux habités par les Ismā‘īliens, les Nuṣayrīs et leurs al-jumal) avec lesquels les Messagers sont venus, tels l’établis-
pareils, [les gens] les conduisent à leurs tombes ; s’ils sont en sement [de l’existence] de l’Artisan, les Messagers, les pres-
Égypte, ils les conduisent aux tombes des Juifs, des Nazaréens criptions [religieuses], le Jour dernier, mais jugent mensongers
ou de ces ‘Ubaydites qui sont appelés « descendants du Pro- certains des Livres et des Messagers ainsi que Dieu – glorifié
phète » (sharīf) alors qu’ils ne sont pas d’entre ses descen- est-Il ! – l’a dit : « Ceux qui mécroient en Dieu et en Ses Mes-
dants ; ils ne conduisent pas les chevaux aux tombes des Pro- sagers, veulent introduire une séparation entre Dieu et Ses Mes-
phètes et des vertueux, ni aux tombes du commun des Musul- sagers, disent « Nous croyons en certains et mécroyons en cer-
mans. Ceci est une affaire éprouvée (mujarrab), bien connue tains » et veulent adopter un chemin intermédiaire [entre foi et
des soldats et de leurs ulémas. Il a été mentionné que la raison mécréance], ceux-là sont véritablement les mécréants ! Et Nous
en est que les mécréants sont tourmentés dans leurs tombes et avons préparé, pour les mécréants, un tourment avilissant3. »
que les bêtes entendent leurs voix. Ainsi le Prophète – Dieu
prie sur lui et lui donne la paix ! – a-t-il informé de cela, [à
savoir] que les mécréants sont tourmentés dans leurs tombes.
Dans les deux Ṣaḥīḥs, [il est rapporté] du Prophète – Dieu prie
sur lui et lui donne la paix ! – qu’alors qu’il était sur sa mule et
passait près de tombes, elle fit un tel écart qu’elle faillit le jeter
à terre. « Ce sont, » dit-il, « les voix de Juifs qui sont tour-
mentés dans leurs tombes2. » Quand les bêtes entendent ce son
atroce, cela provoque nécessairement en elles, comme chaleur,
quelque chose qui fait s’en aller [leur] colique. Les ignorants
étaient d’opinion que promener les chevaux près des tombes de
ces gens-là était motivé par leur religion et leur éminence.
Quand il devint pour eux clair qu’ils les promènent près des
tombes des Juifs, des Nazaréens, des Nusayrīs et de leurs
pareils, non pas près des tombes des Prophètes et des vertueux,
les ulémas rappelant qu’ils ne les promènent pas, en Égypte, en
Syrie et ailleurs, près de la tombe de quelqu’un connu pour [sa]
religion mais seulement près des tombes des dépravés et des
mécréants, quelque chose qui était confus devint par là clair.
Conclusion
Quiconque connaît les événements [de l’histoire] de l’Islam et Cheval souffrant de colique4
ce qui y advint entre ses amis et ses ennemis mécréants et
hypocrites sait que l’hostilité de ces ennemis de l’Islam avec Quant à ces Qarmaṭes-là, ils sont intérieurement mécréants
lequel Dieu a envoyé Son Messager est plus grave que l’hosti- vis-à-vis de l’ensemble des Livres et des Messagers [mais] ils
lité des Tatars et que la science de l’ésotérique qu’ils préten- cachent cela et le cèlent à [tout] autre individu que celui en qui
ils ont confiance ; ils ne le laissent pas apparaître comme les
1. Très commune, cette maladie chevaline pouvait résulter du froid
gens du Livre laissent apparaître leur religion. En effet, s’ils le
ou de l’ingurgitation de saletés avec le fourrage. Entraînant une réten- laissaient apparaître, les masses des gens de la terre – les Mu-
tion de l’urine et des fèces, elle était parfois fatale. Les sources vétéri-
naires mamlūkes parlent de traitements allant des suppositoires et des 3. Coran, al-Nisā’ - IV, 150-151.
saignées aux signes magiques et aux incantations. Voir H. A. SHE- 4. Cette miniature d’un manuscrit, peut-être égyptien, daté de 1180
HADA, Mamluks and Animals. Veterinary Medicine in Medieval Islam, [/1766] illustre la section sur la colique (maghl) d’un Traité des che-
Leyde, Brill, « Sir Henry Wellcome Asian Series, 11 », 2013, p. 327, vaux anonyme dont l’original remonte probablement au VIIIe/XIVe
348, 397, 399, 422, 434-435. La traduction de maghl (ou mughl) par siècle (Paris, Bibliothèque Nationale, Arabe 2817, fol. 19 r.) ; voir
« colique » est de H. A. Shehada. Le traitement par visite de tombes ici Th. BITTAR, A Manuscript of the Kitāb al-Bayṭara in the Bibliothèque
évoqué par Ibn Taymiyya n’est pas signalé par cet auteur. Nationale, Paris, in D. ALEXANDER (éd.), Furusiyya. Vol. I : The
2. Voir notamment AL-BUKHĀRĪ, Ṣaḥīḥ, Da‘wāt (Boulaq, t. VIII, Horse in the Art of the Near East, Riyadh, King Abdulaziz Public
p. 78-79) ; MUSLIM, Ṣaḥīḥ, Masājid (Constantinople, t. II, p. 92) ; IBN Library, 2010, p. 158-161. Voir aussi H. A. SHEHADA, Mamluks,
ḤANBAL, Musnad, t. VI, p. 362. planche 31.

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sulmans et les autres – se détourneraient d’eux. Ils font une dif- ce que les Qarmaṭes paraissent [suivre] de la religion et ce
férence entre ce qu’ils disent et ce que la masse dit. Même les qu’ils font apparaître comme prodiges, etc., est vain. L’un
Rāfiḍites qui ne sont pas des libres penseurs mécréants font une d’eux peut cependant être un philosopheur et rejoindre les [Qar-
différence entre ce qu’ils disent et ce que la masse dit et sont maṭes] du fait de l’accord existant entre eux et lui à propos de
d’avis de céler leur doctrine et d’utiliser la dissimulation (ta- ce qu’il fait : reconnaître apparemment les Messagers et les
qiyya) ! Parmi les Rāfiḍites, quelqu’un ayant un lignage authen- prescriptions [religieuses] et interpréter [tout] cela au moyen
tique ne sera parfois ni musulman intérieurement, ni libre pen- d’affaires dont on sait obligatoirement qu’elles sont à l’opposé
seur, mais sera un ignorant innovateur. Si la masse des gens de ce avec quoi les Messagers sont venus !
s’oppose à ces individus célant l’innovation et le caprice qui
sont les leurs malgré l’authenticité de leur lignage et leur Islam,
comment [en ira-t-il, a fortiori], des Qarmaṭes ésotéristes que
les adeptes de toutes les religions – les Musulmans, les Juifs et
les Nazaréens – traitent de mécréants ? [142] D’eux ne sont
proches que les philosophes péripatéticiens, les compagnons
d’Aristote. Il y a en effet une grande proximité entre eux et les
Qarmaṭes. Voilà pourquoi on constate que les éminences des
Qarmaṭes sont [aussi], intérieurement, des philosopheurs (muta-
falsif). Ainsi en va-t-il de Sinān1, qui vécut en Syrie, et d’al-
Ṭūsī2. Il était leur vizir à Alamūt. Il devint ensuite astrologue de
Hūlāgū3, le roi des mécréants, et composa le Commentaire des Dīnār et portrait imaginaire d’Hūlāgū6
Évocations (Sharḥ al-Ishārāt)4 d’Avicenne. C’est lui qui con-
seilla au roi des mécréants de tuer le calife. Il devint, chez les Les philosopheurs interprètent ce dont les Messagers ont
mécréants turcs, le prévôt de ceux qu’ils nomment les « sa- informé – les affaires de la foi en Dieu et au Jour dernier – par
vants5 » (dānishmandiyya). Ces gens et leurs pareils le savent, la négation et la réduction à rien (ta‘ṭīl) qui correspond à leur
doctrine. Quant aux prescriptions pratiques, ils ne les nient pas
1. Rashīd al-Dīn Sinān b. Salmān b. Muḥammad Abū l-Ḥasan al- comme les Qarmaṭes les nient mais, bien plutôt, ils les rendent
Baṣrī (m. 588/1192 ou 589/1193), leader ismā‘īlien nizārite le plus im- obligatoires pour le commun et en rendent certaines obliga-
portant de la Syrie médiévale ; voir F. DAFTARY, EI2, art. Rashīd al- toires pour l’élite ; ou bien ils ne rendent pas cela obligatoire.
Dīn Sinān.
Ils disent que les Messagers, en ce dont ils ont informé et en ce
2. Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī (m. 672/1274), astronome, philosophe et
théologien shī‘ite qui fut le conseiller de Hūlāgū pendant la conquête qu’ils ont commandé, n’ont pas présenté les réalités des choses
de Bagdad, puis ministre, et conserva une position importante à la cour mais ont présenté quelque chose assurant7 le bien-être du
mongole jusqu’à sa mort ; voir H. DAIBER & F. J. RAGEP, EI2, art. al- commun alors même que c’est du mensonge pour ce qui est de
Ṭūsī, Naṣīr al-Dīn ; Y. MICHOT, Vizir « hérétique » mais philosophe la réalité. Voilà pourquoi chaque bavasseur (mubṭil) a choisi,
d’entre les plus éminents : al-Ṭūsī vu par Ibn Taymiyya, in Farhang, avec le bien-être du commun comme objectif, de présenter des
vol. 15-16, n° 44-45, Téhéran, Institute for Humanities and Cultural
Studies, hiver - printemps 2003, p. 195-227 ; A Mamlūk Theologian’s trucs extraordinaires (makhraqa) ainsi que l’a fait Ibn al-Tū-
Commentary on Avicenna’s Risāla Aḍḥawiyya. Being a Translation of mart8, surnommé « le Mahdī ». Sa doctrine concernant les attri-
a Part of the Dar’ al-Ta‘āruḍ of Ibn Taymiyya, with Introduction,
Annotation, and Appendices, Part II, in Journal of Islamic Studies,
14/3, Oxford, 2003, p. 309-363, p. 340-341. [Rashīd al-Dīn Faḍl Allāh), leur impudent vizir dénommé al-Rashīd,
3. li-hūlākū : li-hā’ulā’i wa F. Hūlāgū, fils de Tūlūy (vers 614/1217- « le bien dirigé », gouverne-t-il ces [diverses] catégories [de gens] et
663/1265) et petit-fils de Gengis Khān, conquérant du Moyen-Orient donne-t-il la préséance aux pires des Musulmans, comme les Rāfiḍites
musulman à partir de 651/1253 et fondateur de la dynastie mongole et les hérétiques, sur les meilleurs des Musulmans, les gens du savoir
des Īlkhāns d’Iran ; voir W. BARTHOLD & J. A. BOYLE, EI2, art. et de la foi » (IBN TAYMIYYA, MF, trad. MICHOT, Textes spirituels
Hūlāgū. « Al-Ṭūsī and his likes, were they selling well among the XII : Mongols et Mamlūks : l’état du monde musulman vers 709/1310
associationist Tatars with anything else than astrologers’ lies and trick- (suite), in Le Musulman, 25, Paris, janvier 1995, p. 25-30, p. 27-28.
sters’ artifices that are [all] contrary to Reason and the Religion? » 6. À gauche, dīnār frappé à Bagdad, présentant le Qāān Hūlāgū khān
(IBN TAYMIYYA, Dar’, t. V, p. 68 ; trad. MICHOT, Mamlūk II, p. 341). comme « possesseur des nuques des nations (mālik arqāb al-umam),
4. N. al-D. AL-ṬŪSĪ, Sharḥ al-Ishārāt, in Hādhā l-Kitāb al-mawsūm éternelle soit sa royauté ! » et citant le « Qāān suprême Mongke ». À
bi-Sharḥay al-Ishārāt…, 2 t., Le Caire, al-Maṭba‘at al-Khayriyya, 1325 droite, dessin tiré de la lithographie ottomane Subḥat al-akhbār, Bur-
[/1907]. dur, 1289[/1872], p. 24.
5. al-dānishmandiyya : al-dāsmīdiyya F. « [Les Tatars] ont divisé les 7. Littéralement, « quelque chose en quoi il y a ».
gens en quatre divisions : yār, yāghī, dānishmand et ṭāṭ, c’est-à-dire 8. Le fondateur et Mahdī du mouvement d’al-muwaḥḥids ou
« leur ami » et « leur ennemi », « le savant » et « le commun » […] « Almohades » (m. 524/1130) ; voir J. HOPKINS, EI2, art. Ibn Tūmart.
Toute personne qui se rattache à un savoir ou à une religion, ils Ibn Taymiyya composa contre lui un fetwa qui est édité, traduit et
l’appellent dānishmand, « savant », tels le Docteur et l’ascète, le prêtre étudié par H. LAOUST : Une fetwā d’Ibn Taimīya sur Ibn Tūmart, in
et le moine, le rabbin des Juifs, l’astrologue et le magicien, le médecin, Bulletin de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, Le Caire,
le scribe et le comptable… Ils incluent aussi le gardien des idoles… t. LIX, 1960, p. 158-184 ; voir aussi les textes taymiyyens traduits in
Tout ce qu’ils incluent là-dedans comme associateurs, Gens du Livre Y. MICHOT, A Mamlūk Theologian’s Commentary on Avicenna’s
et innovateurs, nul ne le sait sinon Dieu ! […] Ils font des gens du Risāla Aḍḥawiyya : Being a Translation of a Part of the Dar’ al-
savoir et de la foi une seule et même espèce. Ou, plutôt, ils font des Ta‘āruḍ of Ibn Taymiyya, with Introduction, Annotation, and Appen-
Qarmaṭes hérétiques, bāṭinites, libres penseurs, hypocrites, tels al-Ṭūsī dices, in Journal of Islamic Studies, Oxford, Part I, 14/2, mai 2003,
et ses pareils, les prévôts de l’ensemble de ceux qui se rattachent à un p. 149-203, p. 179-180 ; Textes spirituels d’Ibn Taymiyya (Nouvelle
savoir ou à une religion – Musulmans, Juifs et Nazaréens. Ainsi série). VIII. Les meilleurs livres, sur www.muslimphilosophy.com, juin

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buts [divins] était la doctrine des philosophes [143] parce que, appelé », « Parole m’a été adressée », etc. et mente en éliminant
dans l’ensemble, il était leur pareil. Ce n’était pas un hypocrite l’agent ; [3] soit ne prétende aucune des deux affaires mais
traitant les Messagers de menteurs, réduisant à rien les pres- prétende qu’il lui serait possible d’apporter ce que le Messager
criptions [religieuses], et il ne donnait pas à la Loi pratique un a apporté. La manière dont [les choses] se divisent est que ce
sens ésotérique en contredisant le sens apparent. Il y avait qu’[un tel individu] prétend en imitant le Messager, soit il le
cependant en lui une espèce d’optique des Jahmites1 correspon- relie à Dieu, soit [il le relie] à lui-même, soit il ne le relie à
dant à l’optique des philosophes, ainsi qu’une espèce d’optique personne. [144] Ces gens-là, en prétendant [être] pareils au Mes-
des Khārijites2 qui privilégient l’épée et traitent de mécréant sager, sont plus mécréants que les Juifs et les Nazaréens. Com-
pour un péché. ment [a fortiori en ira-t-il] donc des Qarmaṭes qui mentent plus
gravement à l’encontre de Dieu que Musaylima ne l’a fait,
hérétisent au sujet des noms de Dieu et de Ses signes plus gra-
vement que Musaylima ne l’a fait, et font la guerre à Dieu et à
Son Messager plus gravement que Musaylima ne l’a fait ?
Expliciter leur situation serait long mais ces feuillets ne suffi-
ront pas pour plus que ceci.
Ce que j’ai mentionné est la situation de leurs Imāms et de
leurs chefs, qui connaissent la réalité de ce qu’ils disent. Cela
ne fait pas de doute, à eux se sont joints, d’entre les Shī‘ites et
les Rāfiḍites, des gens qui, intérieurement, ne sont pas savants
de la réalité de leur ésotérisme, ni d’accord avec eux à ce sujet,
mais sont d’entre les suivants des libres penseurs apostats, de
leurs amis, de leurs aides, équivalents aux suivants des union-
nistes5 qui sont les amis de [ces derniers], les exaltent, les
aident, et ne connaissent pas la réalité de ce qu’ils disent au
« Et qui est plus injuste3… ? » sujet de l’unicité de l’existence, [à savoir] que le Créateur est le
Ces Qarmaṭes-là sont intérieurement, et en réalité, plus mé- créé. Quelqu’un qui est musulman intérieurement et est igno-
créants que les Juifs et les Nazaréens. Extérieurement, ils pré- rant exalte en effet les dires d’Ibn ‘Arabī, d’Ibn Sab‘īn6, d’Ibn
tendent cependant qu’ils sont musulmans et que leur lignage al-Fāriḍ7 et de leurs pareils d’entre les adeptes de l’union [du
remonte même jusqu’à la famille prophétique, qu’ils possèdent divin et du créé] et est donc d’entre eux. Semblablement aussi
un savoir de l’ésotérique qui n’existe pas chez les Prophètes et pour qui exalte ceux qui affirment la doctrine de l’inhérence
les Amis [de Dieu] et que leur Imām est infaillible. Extérieu- [du divin dans le créé] et de [leur] union. Le rapport de ceux-ci
rement, ils sont d’entre les gens ayant les plus grandes préten- aux Jahmites est comme le rapport de ceux-là aux Rāfiḍites et
tions [pour ce qui est de connaître] les réalités de la foi et, aux Jahmites. Les Qarmaṭes sont cependant, de beaucoup, plus
intérieurement, d’entre les gens les plus mécréants vis-à-vis du mécréants que les unionnistes et c’est pourquoi la meilleure
Miséricordieux, à l’instar de quiconque, parmi les menteurs, situation de leurs populaces est d’être des Rāfiḍites jahmites.
prétend au prophétat. Le Très-Haut a dit : « Et qui est plus Quant aux unionnistes, il y a parmi leurs populaces des gens
injuste que quelqu’un qui forge un mensonge à l’encontre de qui ne sont véritablement ni des Rāfiḍites, ni des Jahmites ; ils
Dieu ou dit « Révélation m’a été donnée » alors que rien ne lui ne comprennent cependant pas leurs propos et croient que leurs
a été révélé. [De même pour] quelqu’un disant : « Je ferai des- propos sont les propos des Amis [de Dieu] ayant réalisé [la
cendre quelque chose de pareil à ce que Dieu a fait descen- vérité] (muḥaqqiq). [Mais] expliciter cette réponse relève d’au-
dre4. » Or ceux-là prétendent parfois et ceci et cela ! Il est en tres sujets. Et Dieu est plus savant.
effet immanquable que quelqu’un qui imite le Messager véri- Yahya M. MICHOT (Hartford, sha‘bān 1439 - mai 2018)
dique [1] soit prétende quelque chose de semblable à ce qu’il a
prétendu et dise « Dieu m’a envoyé et a fait descendre sur moi 5. Al-ittiḥādiyya, les partisans de la waḥdat al-wujūd, « l’unicité de
l’existence », se réclamant d’Ibn ‘Arabī, Ṣ. al-D. al-Qūnawī (m. 673
[la révélation], mentant [ainsi] à propos de Dieu ; [2] soit
/1274), ‘A. al-D. al-Tilimsānī (m. 690/1291) et d’autres. Ibn Taymiyya
prétende que révélation lui est donnée, ne nomme pas celui qui considère la doctrine de la waḥdat al-wujūd comme un des grands
la lui donne en disant par exemple : « Il m’est dit », « J’ai été dangers menaçant l’Islam à son époque.
6. Quṭb al-Dīn Abū Muḥammad ‘Abd al-Ḥaqq b. Sab‘īn, philosophe
et soufi andalou (m. 668/1269) ; voir A. FAURE, EI2, art. Ibn Sab‘īn ;
2010, p. 2 ; Historiography, p. 453-475, p. 457-458 ; Imāmology, les textes traduits in Y. MICHOT, Mamlūk I, p. 180, 184 ; Historio-
p. 122. graphy, p. 473-474.
1. Courant théologique rattaché au nom de Jahm b. Ṣafwān, Abū 7. Sharaf al-Dīn Abū l-Qāsim ‘Umar Ibn al-Fāriḍ, célèbre poète soufi
Muḥriz (m. 128/746) ; voir W. MONTGOMERY WATT, EI2, art. Djahm égyptien (m. 632/1235) ; voir J. PEDERSEN, EI2, art. Ibn al-Fāriḍ ; Th.
b. Ṣafwān et Djahmiyya. E. HOMERIN, From Arab Poet to Muslim Saint. Ibn al-Fāriḍ, His
2. Les premiers schismatiques de l’Islam, d’abord combattus par Verse, and His Shrine, Columbia, University of South Carolina Press,
‘Alī ; voir G. LEVI DELLA VIDA, EI2, art. Khāridjites ; Y. MICHOT, « Studies in Comparative Religion », 1994. Voir aussi les vers d’Ibn
Textes spirituels, N.S. XVII, p. 7-8, 20-22. al-Fāriḍ cités et critiqués par Ibn Taymiyya in Y. MICHOT, IBN
3. Coran, al-An‘ām - VI, 93. Calligraphie d’une édition lithographiée TAYMIYYA : Le sang et la foi d’al-Ḥallāj. Fetwas, Commentaire du
du Coran, Lucknow, 1286/1870. Credo, Épître et autres textes traduits de l’arabe, introduits et annotés,
4. Coran, al-An‘ām - VI, 93. Beyrouth - Paris, Albouraq, 1439/2017, p. 133-135.

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