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(Jacques Lacan) Les Quatre Concepts Fondamentaux D (BookFi) PDF
(Jacques Lacan) Les Quatre Concepts Fondamentaux D (BookFi) PDF
DE TACQUES LACAN
v
ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Parti Vf
ISBN 2-02-006027-2 (éd. complète)
ISBN 2-02-002761-5 (vol. 11)
La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective.
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LIVRE XI
LES
OUATRE CONCEPTS
FONDAMENTAUX
DE LA
PSYCHANALYSE
1964
I
L'EXCOMMUNICATION
Mesdames, Messieurs,
7
L'EXCOMMUNICATION
je suis ici, dans la posture qui est la mienne, pour introduire toujours cette
même question — qu'est-ce que la psychanalyse?
Sans doute y a-t-il là plus d'une ambiguïté, et cette question est-elle tou
jours — selon le mot dont je la désigne dans cet article — une question
chauve-souris. L'examiner au jour, tel est ce que je me proposais alors, et
à quoije dois revenir, de quelque place queje doive vous le proposer aujour
d'hui à nouveau.
La place d'où je réaborde ce problème est en effet une place qui a changé,
qui n'est plus tout à ait au-dedans, et dont on ne sait pas si elle est en dehors.
Ce rappel n'est pas ici anecdotique. Et c'est bien pourquoi je pense que
vous ne verrez de ma part ni recours à l'anecdote, ni polémique d'aucune
sorte, si je pointe ceci, qui est un fait — que mon enseignement, désigné
somme tel, subit, de la part d'un organisme qui s'appelle le Comité exécutif
d'une organisation internationale qui s'appelle l'International Psychoanaly-
tical Association, une censure qui n'est point ordinaire, puisqu'il ne s'agit de
rien de moins que de proscrire cet enseignement — qui doit être considéré
comme nul, en tout ce qui peut en venir quant à l'habilitation d'un psycha
nalyste, et de Étire de cette proscription la condition de l'affiliation interna
tionale de la société psychanalytique à laquelle j'appartiens.
Cela encore n'est pas suffisant. H est formulé que cette affiliation ne sera
acceptée que si l'on donne des garanties pour que, à jamais, mon enseigne
ment ne puisse, par cette société, rentrer en activité pour la formation des
analystes.
Il s'agit donc là de quelque chose qui est proprement comparable à ce
qu'on appelle en d'autres lieux l'excommunication majeure. Encore celle*
ci, dans les lieux où ce terme est employé, n'est-elle jamais prononcée sans
possibilité de retour.
Elle n'existe sous cette forme que dans une communauté religieuse dési
gnée par le terme indicatif, symbolique, de la synagogue, et c'est proprement
ce dont Spinoza fut l'objet. Le 27 juillet 1656 d'abord — singulier bi-cente-
naire puisqu'il correspond à celui de Freud —7 Spinoza fut l'objet du khe-
remi excommunication qui répond bien à l'excommunication majeure,
puis il attendit quelque temps pour être l'objet du chammata, lequel consiste à
y ajouter cette condition de l'impossibilité d'un retour.
Ne croyez pas, là non plus, qu'il s'agisse d'un jeu métaphorique qu'il
serait puéril d'agiter au regard du champ, mon Dieu, long autant que sérieux,
que nous avons à couvrir. Je crois — et vous le verrez — que, non seule
ment par les échos qu'il évoque, mais par la structure qu'il implique, ce
fait introduit quelque chose qui est au principe de notre interrogation
concernant la praxis psychanalytique.
Je ne suis pas en train de dire — mais ce ne serait pas impossible — que la
communauté psychanalytique est une Église. Cependant, incontestable-
9
L'EXCOMMUNICATION
ment, la question surgit de savoir ce qui en elle peut bien faire ici écho à une
pratique religieuse. Aussi bien n'aurais-je même pas accentué ce fait, pour
tant en lui-même plein de relief de porter avec lui je ne sais quel relent de
scandale, si, comme pour tout ce que j'avancerai aujourd'hui, vous ne pou
viez être sûrs d'en retrouver, dans la suite, l'utilisation.
Ce n'est pas là dire que je sois en de telles conjonctures un sujet indiffé
rent. Ne croyez pas davantage que pour moi—pas plus, je le suppose, que
pour l'intercesseur dont je n'ai pas hésité à l'instant à évoquer la référence,
voire le précédent — c'est là matière à comédie, au sens de matière à rite.
Néanmoins, je voudrais vous dire au passage que quelque chose ne m'a pas
échappé d'une vaste dimension comique en ce détour. Celle-ci n'appartient
pas au registre de ce qui se passe au niveau de la formulation que j'ai appelée
excommunication. Elle tient plutôt à la position qui fut la mienne pendant
deux ans, de savoir que j'étais — et très exactement par ceux qui étaient à
mon endroit dans la position de collègues, voire d'élèves — que j'étais ce
qu'on appelle négocié.
Car ce dont il s'agissait, c'était de savoir dans quelle mesure les conces
sions £dtes au sujet de la valeur habilitante de mon enseignement pouvaient
être mises en balance avec ce qu'il s'agissait d'obtenir d'autre part, l'habili
tation internationale de la société. Je ne veux pas laisser passer l'occasion de
pointer — nous le retrouverons—que c'est là, à proprement parler, quelque
chose qui peut être vécu, quand on y est, dans la dimension du comique.
Ce ne peut être saisi pleinement, je crois, que par un psychanalyste.
Sans doute, être négocié n'est pas, pour un sujet humain, une situation
rare, contrairement au verbiage qui concerne la dignité humaine, voire les
Droits de l'Homme. Chacun, à tout instant et à tous les niveaux, est négo
ciable, puisque ce que nous livre toute appréhension un peu sérieuse de la
structure sociale est l'échange. L'échange dont il s'agit est l'échange d'indi
vidus, à savoir de supports sociaux, qui sont par ailleurs ce qu'on appelle des
sujets, avec ce qu'ils comportent de droits sacrés, dit-on, à l'autonomie.
Chacun sait que la politique consiste à négocier, et cette fois-ci, à la grosse»
par paquets, les mêmes sujets, dits citoyens, par centaines de mille. La situa
tion n'avait donc, à cet égard,riend'exceptionnel, à ceci près qu'être négo
cié par ceux que j'ai appelés tout à l'heure des collègues, voire des élèves»
prend quelquefois, vu du dehors, un autre nom.
Mais, si la vérité du sujet, même quand il est en position de maître, n'est
pas en lui-même, mais, comme l'analyse le démontre, dans un objet, de
nature voilé — le faire surgir, cet objet, c'est proprement l'élément de
comique pur.
C'est là une dimension que je crois opportun de pointer, et de là où je
puis en témoigner, parce que après tout, peut-être serait-elle en pareille
occasion l'objet d'une retenue indue, d'une sorte de fausse pudeur, à ce que
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L'EXCOMMUNICATION
comme Diogène, nous mettre à rechercher, non pas un homme, mais notre
psychanalyse, dans les différents champs très diversifiés, de la praxis. Nous
prendrons plutôt avec nous notre psychanalyse, et tout de suite, elle nous
dirige vers des points assez localisés, dénommables, de la praxis.
Sans même introduire par quelque transition les deux termes entre les
quels j'entends tenir la question — et pas du tout d'une façon ironique —,
je pose d'abord que, si je suis ici, devant un auditoire aussi large, dans un
tel milieu, et avec une telle assistance, c'est pour me demander si la psycha-
nalyse est une science, et l'examiner avec vous.
L'autre référence, la religieuse, je l'ai déjà tout à l'heure évoquée, préci
sant bien que c'est de religion au sens actuel du terme que je parle — non
pas d'une religion asséchée, méthodologisée, repoussée dans le lointain
d'une pensée primitive, mais de la religion telle que nous la voyons s'exer
cer, encore vivante, bien vivante. La psychanalyse, qu'elle soit digne ou
non de s'inscrire à l'un de ces deux registres, peut même nous éclairer sur
ce que nous devons entendre par une science, voire par une religion«
Je voudrais tout de suite éviter un malentendu. On va me dire — de
toute façon, la psychanalyse, c'est une recherche. Eh bien, permettez-moi
d'énoncer, et même à l'adresse des pouvoirs publics pour qui ce terme de
recherche, depuis quelque temps, semble servir de schibbolet pour pas mal
de choses — le terme de recherche, je m'en méfie. Pour moi, je ne me suis
jamais considéré comme un chercheur. Comme l'a dit un jour Picasso, au
grand scandale des gens qui l'entouraient —Je ne cherche pas, je trouve.
U y a d'ailleurs, dans le champ de la recherche dite scientifique, deux
domaines, qu'on peut parfaitement reconnaître, celui où l'on cherche, et
celui où l'on trouve.
Chose curieuse, cela correspond à unefrontièreassez bien définie quant
à ce qui peut se qualifier de science. Aussi bien, y a-t-il sans doute quelque
affinité entre la recherche qui cherche et le registre religieux. U s'y dit
couramment — Tu ne me chercherais pas si tu ne m9avais déjà trouvé. Le déjà
trouvé est toujours derrière, mais frappé par quelque chose de l'ordre de
l'oubli N'est-ce pas ainsi une recherche complaisante, indéfinie, qui s'ouvre
alors?
Si la recherche, en cette occasion, nous intéresse, c'est par ce qui, de ce
débat, s'établit au niveau de ce qui se nomme de nos jours les sciences hu
maines. En effet, on y voit comme surgir, sous les pas de quiconque trouve,
ce que j'appellerai la revendication herméneutique, qui est justement celle
qui cherche — qui cherche la signification toujours neuve et jamais épuisée,
mais menacée d'être coupée en herbe par celui qui trouve.
Or, cette herméneutique, nous autres analystes y sommes intéressés,
parce que la voiede développement de la signification queseproposel'hermé-
neutique se confond, dans bien des esprits, avec ce que l'analyse appelle
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L'EXCOMMUNICATION
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L'EXCOMMUNICATION
même une subsistance scientifique. Or» il est évident que nous ne pouvons
Édre rentrer dans la science l'expérience mystique.
Une remarque encore. Cette définition de la science à partir du champ
que détermine une praxis» rappliquerons-nous à l'alchimie pour l'autoriser
à être une science? Je relisais récemment un tout petit volume qui n'a même
pas été recueilli dans les Œuvres complètes de Diderot, mais qui semble assu
rément être de lui. Si la chimie naît à Lavoisier, Diderot ne parle pas de
chimie, mais de bout en bout en cet opuscule, de l'alchimie, avec toute la
finesse d'esprit que vous savez être la sienne. Qu'est-ce qui nous fait dire
tout de suite que, malgré le caractère étincelant des histoires qu'au cours
des âges il nous situe, l'alchimie, après tout, n'est pas une sdçnce? Quelque
chose à mes yeux est décisif, que la pureté de l'âme de l'opérateur était
comme telle, et de façon dénommée, un élément essentiel en l'affaire.
Cette remarque n'est pas accessoire, vous le sentez, puisque peut-être
va-t-on soulever quelque chose d'analogue concernant la présence de l'ana
lyste dans le Grand Œuvre analytique, et soutenir que c'est peut-être ça
que cherche notre psychanalyse didactique, et que peut-être, moi-même,
j'ai l'air de dire la même chose dans mon enseignement ces derniers temps,
quand je pointe tout droit, toutes voiles dehors, et de façon avouée, vers ce
point central que je mets en question, à savoir—quel est le désir Je l'analyste?
Que doit-il en être du désir de l'analyste pour qu'il opère d'une façon
correcte? Cette question peut-elle être laissée hors des limites de notre
champ, comme die l'est en effet dans les sciences — les sciences modernes
du type le plus assuré — où personne ne s'interroge sur ce qu'il en est par
exemple du désir du physicien?
Il faut vraiment des crises pour que M. Oppenheimer nous interroge tous
sur ce qu'il en est du désir qui est au fond de la physique moderne. Personne
d'ailleurs n'y fait attention. On croit que c'est un incident politique. Ce
désir, est-ce quelque chose du même ordre que ce qui est exigé de l'adepte
de l'alchimie?
Le désir de l'analyste, en tout cas, ne peut nullement être laissé en dehors
de notre question, pour la raison que le problème de la formation de l'ana
lyste le pose. Et l'analyse didactique ne peut servir à rien d'autre qu'à le
mener à ce point que je désigne en mon algèbre comme le désir de l'ana-
lyste.
Là encore, il me faut pour l'instant laisser la question ouverte. A charge
pour vous de sentir que je vous emmène, par approximation, à une question
comme celle-ci — l'agriculture est-elle une science? On répondra oui, on
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L'EXCOMMUNICATION
répondra non. Cet exemple n'est avancé que pour vous suggérer que vous
faites quand même une différence entre l'agriculture définie par un objet»
et l'agriculture définie» c'est le cas de le dire» par un champ —entre l'agri
culture et l'agronomie. Cela me permet de faire surgir une dimension
assurée — nous sommes dans le b.a. ba» mais enfin» il faut bien y être —
celle de la mise en formules.
Est-ce que ça suffit à définir les conditions d'une science? Je n'en crois
rien. Une fausse science» comme une vraie» peut être mise en formules.
La question n'est donc pas simple» dès lors que la psychanalyse» comme
science supposée» apparaît sous des traits qu'on peut dire problématiques.
Que concernent les formules dans la psychanalyse? Qu'est-ce qui motive
et module ce glissement de l'objet? Y a-t-il des concepts analytiques d'ores
et déjà formés? Le maintien presque religieux des termes avancés par Freud
pour structurer l'expérience analytique» à quoi se rapporte-t-il? S'agit-il
d'un fait très surprenant dans l'histoire des sciences — que Freud serait le
premier» et serait resté le seul» dans cette science supposée» à avoir introduit
des concepts fondamentaux? Sans ce tronc» ce mât» ce pilotis» où amarrer
notre pratique? Pouvons-nous dire même que ce dont il s'agit» ce soit à
proprement parler des concepts? Sont-ils des concepts enformation?Sont-
ils des concepts en évolution» en mouvement» à réviser?
Je crois que c'est là une question où nous pouvons tenir qu'une avancée
est déjà faite, dans une voie qui ne peut être que de travail» de conquête»
visant à résoudre la question si la psychanalyse est une science. A la vérité» le
maintien des concepts de Freud au centre de toute discussion théorique dans
cette chaîne lassante» fastidieuse, rebutante — que personne ne lit honles
psychanalystes — qui s'appelle la littérature psychanalytique» n'empêche
qu'on reste très en retrait sur eux» que la plupart y sont faussés, adultérés»
brisés» et que ceux qui sont trop difficiles sont purement et simplement mis
dans la poche — que» par exemple, tout ce qui s'est élaboré autour de la
frustration» est» au regard des conceptsfreudiens»de quoi ça dérive» nette
ment rétrograde et préconceptuel.
De même» personne ne se préoccupe plus» sauf de rares exceptions qui
sont dans mon entourage» de la structure tierce du complexe d'Œdipe» ni
du complexe de castration.
Il ne suffit nullement pour assurer un statut théorique à la psychanalyse,
qu'un écrivain du type Fenichel ramène tout le matériel accumulé de Yexpé-
rience au niveau de la platitude» par une énumération du type grand col
lecteur. Bien sûr» une certaine quantité de faits ont été rassemblés» il n'est
pas vain de les voir groupés en quelques chapitres—on peut avoir l'impres
sion que» dans tout un champ» tout est expliqué à l'avance. Mais l'analyse
n'est pas de retrouver dans un cas le trait différentiel de la théorie» et de
croire expliquer avec pourquoi votre fille est muette — car ce dont il
iS
L'EXCOMMUNICATION
s'agit, c'est de la faire parler, et cet effet procède d'un type d'intervention
qui n'a rien à faire avec la référence au trait différentiel.
L'analyse consiste justement à la Eure parler, de sorte qu'on pourrait
dire qu'elle se résume, au dernier terme, dans la levée du mutisme, et c'est
ce qu'on a appelé, un moment, du nom d'analyse des résistances.
Le symptôme est d'abord le mutisme dans le sujet supposé parlant S'il
parle, il est guéri de son mutisme, évidemment. Mais cela ne nous dit pas
du tout pourquoi il a commencé de parler. Cela nous désigne seulement un
trait différentiel qui, dans le cas de la fille muette, est, comme il allait s'y
attendre, celui de l'hystérique.
Or, le trait différentiel de l'hystérique est précisément celui-ci — c'est
dans le mouvement même de parler que l'hystérique constitue son désir.
De sorte qu'il n'est pas étonnant que ce soit par cette porte que Freud soit
entré dans ce qui était, en réalité, les rapports du désir au langage, et qu'il
ait découvert les mécanismes de l'inconscient
Que ce rapport du désir au langage comme tel ne lui soit pas resté voilé,
est un trait de son génie, mais ce n'est pas dire qu'il ait été pleinement élu*
cidé — même, et surtout pas, par la notion massive de transfert.
Que, pour guérir l'hystérique de tous ses symptômes, la meilleure façon
soit de satisfaire à son désir d'hystérique — qui est pour elle de poser à nos
regards son désir comme désir insatisfait—laisse entièrement hors du champ
la question spécifique de ce pourquoi elle ne peut soutenir son désir que
comme désir insatisfait. Aussi l'hystérie nous met-elle, dirais-je, sur la trace
d'un certain péché originel de l'analyse. Il faut bien qu'il y en ait un. Le
vrai n'est peut-être qu'une seule chose, c'est le désir de Freud lui-même, à
savoir le fait que quelque chose, dans Freud, n'a jamais été analysé.
C'est exactement là que j'en étais au moment où, par une singulière
coïncidence, j'ai été mis en position de devoir me démettre de mon séminaire.
Ce que j'avais à dire sur les Noms-du-Père ne visait à rien d'autre, en
effet, qu'à mettre en question l'origine, à savoir, par quel privilège le désir
de Freud avait pu trouver, dans le champ de l'expérience qu'il désigne comme
l'inconscient, la porte d'entrée.
Remonter à cette origine est tout à fait essentiel si nous voulons mettre
l'analyse sur les pieds.
Quoi qu'il en soit, un tel mode d'interroger le champ de l'expérience va,
dans notre prochaine rencontre, être guidé par la référence suivante —
quel statut conceptuel devons-nous donner à quatre des termes introduits
par Freud comme concepts fondamentaux, nommément l'inconscient, ta
répétition, le transfert, et la pulsion?
Considérer le mode sous lequel, dans mon enseignement passé, j'ai »tué
ces concepts en relation à une fonction plus générale qui les englobe, et qui
permet de montrer leur valeur opératoire dans ce champ, à savoir, la fonc-
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L'EXCOMMUNICATION
RÉPONSES
15 JANVIER 1964«
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
n
L'INCONSCIENT FREUDIEN ET LE NÔTRE
Pensée sauvage.
Il n'y a de cause que de ce qui cloche.
Béance, achoppement, trouvaille, perte.
La discontinuité.
SignorelU.
21
L'INCONSCIENT BT LA RÉPÉTITION
de cette ligne énigmatique — Ainsi dit une fois An-Nadjt, comme on Pavait
invité pour une circoncision.
Point où ceux qui ont entendu mon séminaire de Tannée dernière retrou
veront la correspondance des formes diverses de l'objet a avec la fonction
centrale et symbolique du moins-phi [(— 9)] — ici évoqué par la référence
singulière, et certainement pas de hasard, que Aragon confère à la conno
tation historique, si je puis dire, de rémission par son personnage, le poète
fou, de ce contre-chant.
L'important, pour nous, est que nous voyons ici le niveau où — avant
toute formation du sujet, d'un sujet qui pense, qui s'y situe — ça compte,
c'est compté, et dans ce compté, le comptant, déjà, y est. C'est ensuite
seulement que le sujet a à s'y reconnaître, à s'y reconnaître comme comp
tant. Rappelons l'achoppement naïf où le mesureur de niveau mental
s'esbaudit de saisir le petit homme qui énonce —fai troisfrères,Paul, Ernest
et moi. Mais c'est tout naturel — d'abord sont comptés les troisfrères,Paul,
Ernest et moi, et puis il y a moi au niveau où on avance que j'ai à réfléchir
le premier moi, c'est-à-dire moi qui compte.
De nos jours, au temps historique où nous sommes de formation d'une
science, qu'onpeutqualifier d'humaine mais qu'il faut bien distinguer de toute
psycho-sociologie, à savoir, la linguistique, dont le modèle est le jeu combi-
natoire opérant dans sa spontanéité, tout seul, d'une façon présubjective,
— c'est cette structure qui donne son statut à l'inconscient. C'est elle, en
tout cas, qui nous assure qu'il y a sous le terme d'inconscient quelque chose
de qualifîable, d'accessible et d'objectivable. Mais quand j'incite les psycha
nalystes à ne point ignorer ce terrain, qui leur donne un solide appui pour
leur élaboration, est-ce à dire que je pense tenir les concepts introduits his
toriquement par Freud sous le terme d'inconscient? Eh bien, non! je ne le
pense pas. L'inconscient, conceptfreudien,est autre chose, que je voudrais
essayer de vous faire saisir aujourd'hui.
Il ne suffit certes pas de dire que l'inconscient est un concept dynamique,
puisque c'est substituer l'ordre de mystère le plus courant à un mystère
particulier — la force, ça sert en général à désigner un lieu d'opacité. C'est
à la fonction de la cause que je me référerai aujourd'hui.
Je sais bien que j'entre là sur un terrain qui, du point de vue de la critique
philosophique, n'est pas sans évoquer un monde de références, assez pour
me Eure hésiter parmi eues — nous en serons quittes pour choisir. Il y a
au moins une partie de mon auditoire qui restera plutôt sur sa faim, si
j'indique simplement que, dans VEssai sur les grandeurs négatives de Kant,
nous pouvons saisir combien est serrée de près la béanceque, depuis tou
jours, la fonction de la cause offre à toute saisie conceptuelle. Dans cet
essai, il est à peu près dit que c'est un concept, en fin de compte, inanaly
sable — impossible à comprendre par la raison — si tant est que la règle de
la raison, la Vernunftsregel, c'est toujours quelque Vergleichung, ou équi
valent — et qu'il reste essentiellement dans la fonction de la cause une cer
taine béance, terme employé dans les Prolégomènes du même auteur.
Je n'irai pas à faire remarquer que depuis toujours le problème de la
cause est l'embarras des philosophes, et qu'il n'est pas aussi simple qu'on
peut le croire à voir s'équilibrer dans Âristote les quatre causes — car je ne
suis pas ici philosophant, et ne prétends pas m'acquitter d'une aussi lourde
charge avec ces quelques références, qui suffisent à rendre sensible sim-
U
t'iNCONSOENT FRB13DIBN
plement ce que veut dire ce sur quoij'insiste. La cause» pour nous» toute mo
dalité que Kant l'inscrive dans les catégories de la raison pure — plus
exactement il l'inscrit au tableau des relations entre l'inhérence et la com
munauté — la cause n'en est pas pour autant plus rationalisée.
Elle se distingue de ce qu'il y a de déterminant dans une chaîne, autre
ment dit de la loi. Pour l'exemplifier» pensez à ce qui s'image dans la loi de
l'action et de la réaction. Il n'y a ici» si vous voulez» qu'un seul tenant L'un
ne va pas sans l'autre. Un corps qui s'écrase au sol» sa masse n est pas la
cause de ce qu'il reçoit en retour de sa force vive» sa masse est intégrée à
cette force qui lui revient pour dissoudre sa cohérence par un effet de
retour. Ici» pas de béance» si ce n'est à la fin.
Au contraire» chaque fois que nous parlons de cause» il y a toujours quel
que chose d'anticonceptuél» d'indéfini. Les phases de la lune sont la cause
des marées—ça» c'est vivant» nous savons à ce moment-là que le mot cause
est bien employé. Ou encore» les miasmes sont la cause de la fièvre — ça
aussi» ça ne veut rien dire» il y a un trou» et quelque chose qui vient osciller
dans l'intervalle. Bref» il n'y a de cause que de ce qui cloche.
Eh bien! l'inconscientfreudien»c'est à ce point que j'essaie de vous faire
viser par approximation qu'il se situe» à ce point où» entre la cause, et ce
qu'elle affecte, il y a toujours la docherie. L'important n'est pas que l'in
conscient détermine la névrose — là-dessus Freud a très volontiers le geste
pilatique de se laver les mains. Un jour ou l'autre» on trouvera peut-être
quelque chose» des déterminants humoraux» peu importe — ça lui est
égal Car l'inconscient nous montre la béance par où la névrose se raccorde
à un réel — réel qui peut bien» lui» n'être pas déterminé.
Dans cette béance, il se passe quelque chose. Cette béance une fois
bouchée» la névrose est-elle guérie? Après tout» la question est toujours
ouverte. Seulement» la névrose devient autre» parfois simple infirmité» cica-
trice, comme dit Freud — non pas cicatrice de la névrose» mais de l'incons
cient Cette topologie» je ne vous la ménage pas très savamment» parce que
je n'ai pas le temps —je saute dedans» et je crois que vous pourrez vous
sentir guidé des termes que j'introduis quand vous irez aux textes de Freud.
Voyez d'où il part — de YEHologie des névroses — et qu'est-ce qu'il trouve
dans le trou» dans la fente» dans la béance caractéristique de la cause?
Quelque chose de l'ordre du non-réalisé.
On parle de refus. C'est aller trop vite en matière — d'ailleurs» depuis
quelque temps» quand on parle de refus» on ne sait plus ce qu'on dit L'in
conscient» d'abord» se manifeste à nous comme quelque chose qui se tient
en attente dans l'aire» dirai-je» du notHté. Que le refoulement y déverse
quelque chose» n'est pas étonnant C'est le rapport aux limbes de la fai
seuse d'anges.
Cette dimension est assurément à évoquer dans un registre qui n'est
25
t'iNCONSCŒNT ET LA RÉPÉTITION
tique» ait été répudié par Freud» nous indique assez que la psychanalyse
introduit autre chose. De même» pour dire que l'inconscient si fourre-tout,
si hétéroclite» qu'élabora pendant toute sa vie de philosophe solitaire
Edouard Von Hartmann» n'est pas l'inconscient de Freud» il ne faudrait
pas non plus aller trop vite» puisque Freud» dans le septième chapitre de
la Science des rêves, s'y réfère lui-même en note — c'est dire qu'il faut allqr
y voir de plus près pour désigner ce qui dans Freud s'en distingue.
A tous ces inconscients toujours plus ou moins affiliés à une volonté
obscure considérée comme primordiale» à quelque chose d'avant la cons
cience, ce que Freud oppose» c'est la révélation qu'au niveau de l'incons
cient il y a quelque chose en tous points homologue à ce qui se passe au
niveau du sujet — ça parle» et ça fonctionne d'une façon aussi élaborée
qu'au niveau du conscient» qui perd ainsi ce qui paraissait son privilège.
Je sais les résbtances que provoque encore cette simple remarque pourtant
sensible dans le moindre texte de Freud. Lisez là-dessus le paragraphe de
ce septième chapitre intitulé VOubli dans les rêves, à propos de quoi Freud
ne ait que référence aux jeux du signifiant
Je ne me contente pas de cette référence massive. Je vous ai épelé point
par point le fonctionnement de ce qui nous est produit d'abord par Freud
comme le phénomène de l'inconscient Dans le rêve» l'acte manqué» le
mot d'esprit — qu'est-ce qui frappe d'abord? C'est le mode d'achoppe
ment sous lequel ils apparaissent
Achoppement» défaillance, fêlure. Dans une phrase prononcée» écrite»
quelque chose vient à trébucher. Freud est aimanté par ces phénomènes» et
c'est là qu'il va chercher l'inconscient Là» quelque chose d'autre demande
à se réaliser — qui apparaît comme intentionnel» certes» mais d'une étrange
temporalité. Ce qui se produit dans cette béance» au sens plein du terme
se produire, se présente comme la trouvaille. C'est ainsi d'abord que l'ex
plorationfreudiennerencontre ce qui se passe dans l'inconscient
Trouvaille qui est en même temps solution — pas forcément achevée»
mais» si incomplète qu'elle soit» elle a ce je-ne-sais-quoi qui nous touche
de cet accent particulier que Théodore Reik a si admirablement détaché
—- seulement détaché» car Freud l'a bien fait remarquer avant lui — la
surprise — ce par quoi le sujet se sent dépassé» par quoi il en trouve à la
fois {Jus et moins qu'il n'en attendait — mais de toute façon» c'est» par
rapport à ce qu'il attendait» d'un prix unique.
Or» cette trouvaille» dès qu'elle se présente» est retrouvaille» et qui plus
est» die est toujours prête à se dérober à nouveau» instaurant la dimension
de la perte,
Pour me laisser aller à quelque métaphore» Eurydice deux fois perdue»
telle est l'image la plus sensible que nous puissions donner» dans le mythe»
de ce qu'est le rapport de l'Orphée analyste à l'inconscient
27
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
J'ai décidé d'arrêter toujours à point nommé, deux heures moins vingt,
mon séminaire. Vous le voyez, je n'ai pas clos aujourd'hui ce qu'il en est
de la fonction de l'inconscient.
22 JANVIER 1964*
m
DU SUJET DE LA CERTITUDE
Ni être, ni non-être.
Finitude du désir.
Vévasif.
Le statut de l'inconscient est éthique.
Que tout est à refaire dans la théorie.
Freud cartésien.
Le disir de l'hystérique.
31
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
3*
DU SUJET DB LA CBRT1TUDB
33
Séminaire/Lacan. %
L'INCONSCIENT S T L A RÉPÉTITION
34
DU SUJET DB LA CERTITUDB
35
<,
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
3«
DU SUJET DB IA CERTITUDB
que Freud en affirme la certitude, que se fait le progrès par où il nous change
le monde.
Pour Descartes, dans le cogitoimûû —les cartésiens me rendront ce point,
mais je l'avance à la discussion—ce que vise leje pense en tant qu'il bascule
dans h je suis, c'est un réel —- mais le vrai reste tellement au^dehors qu'il
faut ensuite à Descartes s'assurer, de quoi? — sinon d'un Autre qui ne soit
pas trompeur, et qui, par-dessus le marché, puisse de sa seule existence garan-
tir les bases de la vanté, lui garantir qu'il y a dans sa propre raison objective
lesfondementsnécessaires à ce que le réel même dont il vient de s'assurer
puisse trouver la dimension de la vérité. Je ne peux qu'indiquer la consé
quence prodigieuse qu'a eue cette remise de la vérité entre les mains de
1 Autre, ici Dieu parfait, dont la vérité est l'affaire puisque, quoi qu'il ait
voulu dire, ce serait toujours la vérité — même s'il avait dit que deux
et deux font cinq, c'aurait été vrai.
Qu'est-ce que ça implique? — sinon que nous, nous allons pouvoir
commencer à jouer avec les petites lettres de l'algèbre qui transforment
la géométrie en analyse—que la porte est ouverte à la théorie des ensembles
— que nous pouvons tout nous permettre comme hypothèse de vérité.
Mais laissons ça, qui n'est point notre affaire, à ceci près que nous savons
que ce qui commence au niveau du sujet n'est jamais sans conséquence, à
condition que nous sachions ce que veut dire ce terme — le sujet.
Descartes ne le savait pas, sauf que ce fut le sujet d'une certitude et le
rejet de tout savoir antérieur — mais nous, nous savons, grâce à Freud,
que le sujet de l'inconscient se manifeste, que ça pense avant qu'il entre
dans la certitude.
Nous avons ça sur les bras. Cest bien notre embarras. Mais en tout cas,
c'est désormais un champ auquel nous ne pouvons nous refuser, quant à la
question qu'il pose.
leresques qu elle lui donne, jusqu'au jour où, rencontrant son père—ce
qu'elle rencontre dans le regard du päre, c'est la dérobade, le mépris, l'an
nulation de ce qui se Eût devant lui — aussitôt elle se précipite par-dessus
la balustrade d'un petit pont de chemin de fer. Littéralement, elle ne peut
plus concevoir, autrement qu'à s'abolir, la fonction qu'elle avait, celle de
montrer au père comment on est, soi, un phallus abstrait, héroïque, unique,
et consacré au service d'une dame.
Ce que feit l'homosexuelle dans son rêve, en trompant Freud, c'est
encore un défi concernant le désir du père — Vous voulez que faim les
hommes, vous en mirez tant que vous voudrez, des rêves d'amour pour tes hommes.
C'est le défi sous la forme de la dérision.
Je n'ai poussé si loin cette ouverture que pour vous permettre de distin
guer ce qu'il en est de la position de la démarchefreudienneà l'endroit
du sujet — en tant que c'est le sujet qui est intéressé dans le champ de l'in
conscient J'ai ainsi distingué la fonction du sujet de la certitude par rapport
à la recherche de la vérité.
(
RÉPONSES
39
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
P. KAUFMANN : — Vous avez formulé Tan dernier que Vangoisse est ce qui
ne trompe pas. Pouvez-vous mettre cet énoncé en relation avec Vontologie et la
certitude?
29 JANVIER 1964.
IV
s
Pensées de Vinconsdent.
Le cobphon du doute.
Subversion du sujet.
Introduction à la répétition.
Le réel est ce qui revient
toujours à ta même place.
43
L'INCONSCIENT ET LA. RÉPÉTITION
44
DU W&SEAU DBS SIGNIFIANTS
45
L'INCONSCIENT fiT LA RÉPÉTITION
si cela vous chante, moi, dans mon expérience, je ne constate là aucun arbitraire,
car case recoupe de telle façon que ça échappe au hasard.
Je réévoquerai, pour ceux qui ont déjà entendu mes leçons sur ce sujet,
la lettre cinquante-deux à Fliess, qui commente le schéma qui sera dit plus
tard, dans la Traumdeutung, optique. Ce modèle représente un certain
nombre de couches, perméables à quelque chose d'analogue à la lumière
dont la réfraction changerait de couche en couche. C'est là le lieu où sejoue
l'affaire du sujet de l'inconscient. Et ce n'est pas, dit Freud, un lieu spatial»
anatomique, sinon comment le concevoir tel qu'il nous est présenté?
— immense étalement, spectre spécial, situé entre perception et conscience
comme on dit entre cuir et chair. Vous savez que ces deux éléments forme
ront plus tard, quand il s'agira d'établir la seconde topique, le système
perception-conscience, Wahrnehmung-Bewusstsein, mais il ne faudra pas
oublier alors l'intervalle qui les sépare, dans lequel est la place de l'Autre,
où se constitue le sujet.
Eh bien, à nous en tenir à la lettre à Fliess, les Wahrnehmungszeichen, les
traces de la perception, ça fonctionne comment? Freud déduit de son expé
rience la nécessité de séparer absolument perception et conscience — pour
que ça passe dans la mémoire, il faut d'abord que ça soit effacé dans la percep
tion, et réciproquement. Il nous désigne alors un temps où ces Wahrnehmungs-
zeichen doivent être constituées dans la simultanéité. Qu'est-ce que c'est?
— si ce n'est la synchronie signifiante. Et, bien sûr, Freud le dit d'autant
plus qu'il ne sait pas qu'il le dit cinquante ans avant les linguistes. Mais
nous, nous pouvons tout de suite leur donner, à ces Wahrnehmungszeichen,
leur vrai nom de signifiants. Et notre lecture s'assure encore de ce que
Freud, quand il revient sur ce lieu dans la Traumdeutung, en désigne encore
d'autres couches, où les traces se constituent cette fois par analogie. Nous
pouvons retrouver là ces fonctions de contraste et de similitude si essen
tielles dans la constitution de la métaphore, qui s'introduit, elle, d'une dia
chronie.
Je n'insiste pas, car il me faut aujourd'hui avancer. Disons seulement que
nous trouvons dans les articulations de Freud l'indication, sans ambiguïté»
qu'il ne s'agit pas seulement, dans cette synchronie, d'un réseauferméd'as
sociations de hasard et de contiguïté. Les signifiants n'ont pu se constituer
dans la simultanéité qu'en raison d'une structure très définie de la diachronie
constituante. La diachronie est orientée par la structure. Freud indique bien
que, pour nous, au niveau de la dernière couche de l'inconscient, là où
fonctionne le diaphragme, là où s'établissent les prérelations entre le pro
cessus primaire et ce qui en sera utilisé au niveau du préconscient, fl ne
saurait y avoir de miracle. Ça doit avoir, dit-il, rapport avec la causalité.
Toutes ces indications se recoupent, et, nous aussi, ces recoupements nous
assurent que nous retrouvons Freud — sans que nous puissions savoir
4«
D U RÉSEAU DBS SIGNIFIANTS
si c'est de là que nous viennent nos fils d'Ariane, parce que, bien sûr, nous
l'avons lu avant de donner «notre théorie du signifiant, mais sans toujours
pouvoir, sur l'instant, le comprendre. Sans doute est-ce par les nécessités
propres de notre expérience que nous avons mis au cœur de la structure de
l'inconscient la béance causale, mais d'en avoir trouvé l'indication énig-
matique, inexpliquée, dans le texte de Freud, est pour nous la marque que
nous progressons dans le chemin de sa certitude. Car le sujet de la certitude
est ici divisé — la certitude, c'est Freud qui Ta*
C'est dans cette direction que s'indique ce qui est au cœur du problème
que je soulève. La psychanalyse est-elle, d'ores et déjà, une science? Ce
qui distingue la science moderne de la science à son orée dont on discute
dans le Théétète, c'est que, quand la science se lève, un maître toujours est
présent Sans aucun doute, Freud est un maître. Mais si tout ce qui s'écrit
comme littérature analytique n'est pas une pure et simpb tudupinade, il
fonctionne toujours comme tel — ce qui pose la question de savoir si ce
pédicule pourra être, un jour, allégé.
En face de sa certitude, il y a le sujet, dont je vous ai dit tout à l'heure
qu'il attend là depuis Descartes. J'ose énoncer comme une vérité que le
champfreudienn'était pas possible sinon un certain temps après l'émergence
du sujet cartésien, en ceci que la science moderne ne commence qu'après
que Descartes a fait son pas inaugural
C'est de ce pas que dépend que l'on puisse appeler le sujet à rentrer chez
soi dans l'inconscient—car il importe quand même de savoir ggrf on appelle.
Ça n'est pas l'âme de toujours, ni mortelle ni immortelle, ni ombre, ni
double, ni fantôme, ni même psychosphère prétendue carapace, lieu des
défenses et autres schématisâtes. C'est le sujet qui est appelé, il n'y a donc
que lui qui peut être élu. fly aura peut-être, comme dans la parabole,
beaucoup d'appelés et peu d'élus, mais il n'y en aura sûrement pas d'autres
que ceux qui sont appelés.
Il faut, pour comprendre les conceptsfreudiens,partir de ce fondement
que c'est le sujet qui est appelé — le sujet d'origine cartésienne. Ce fonde
ment donne sa vraie fonction à ce qu'on appelle, dans l'analyse, la remémo~
ration. La remémoration n'est pas la réminiscence platonicienne, ce n'est
pas le retour d'une forme, d'une empreinte, d'un ddos de beauté et de bien,
qui nous vient de l'au-delà, d'un vrai suprême; C'est quelque chose qui nous
vient des nécessités de structure, de quelque chose d humble, né au niveau
des plus basses rencontres et de toute la cohue parlante qui nous précède,
de la structure du signifiant, des langues parlées de façon balbutiante, tré-
47
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
bûchante, mais qui ne peuvent échapper à des contraintes dont les échos»
le modèle» le style» sont curieusement à retrouver de nos jours dans les
mathématiques.
Vous l'avez vu avec la notion du recoupement» la fonction du retour,
Wiederkehr, est essentielle. Ce n'est pas seulement le Wiederkehr au sens de
ce qui a été refoulé — la constitution même du champ de l'inconscient
s'assure du Wiederkehr. C'est là que Freud assure sa certitude. Mais il est
bien évident que ce n'est pas de là qu'elle lui vient Elle lui vient de ce qu'il
reconnaît la loi de son désir» à lui Freud. Il n'aurait su s'avancer avec ce
pari de certitude s'il n'y avait été guidé» comme les textes nous l'attestent»
par son auto-analyse.
Et qu'est-ce que c'est» son auto-analyse? — sinon le repérage génial de
la loi du désir suspendu au Nom-du-père. Freud s'avance» soutenu par un
certain rapport à son désir» et par ce qui est son acte» à savoir la constitution
de la psychanalyse.
Je ne m'étendrai pas davantage» encore que j'hésite toujours à quitter ce
terrain. Si j'y insistais» je vous montrerais que la notion» chez Freud, de
l'hallucination comme processus d'investissement régressif sur la per
ception implique nécessairement que le sujet y doit être complètement
subverti — ce qu'il n'est» en effet, que dans des moments extrêmement
fugaces.
Sans doute cela laissât-il entièrement ouverte la question de l'halluci
nation proprement dite» à laquelle le sujet ne croit pas» et où il ne se recon
naît pas comme impliqué. Sans doute cela n'est-il qu'un épinglage mythique
— car il n'est pas sûr qu'on puisse parler du délire de la psychose halluci
natoire d'origine confusionnelle comme le fait Freud» trop rapidement,
en y voyant la manifestation de la régression perceptive du désir arrêté.
Mais qu'il y ait un mode où Freud puisse concevoir comme possible la sub
version du sujet» montre assez à quel point il identifie le sujet à ce qui est
originellement subverti par le système du signifiant.
Laissons donc ce temps de l'inconscient» et avançons-nous vers la ques
tion de ce que c'est que la répétition. Cela vaudra plus d'un de nos entre
tiens.
4»
OU HÊSBAU DES SIGNIFIANTS
49
L INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
50
DU RÉSEAU DES SIGNIFIANTS
tiels, indique que nous ne pouvons ici concevoir ce qui se passe dans les
rêves de la névrose traumatique qu'au niveau du fonctionnement le plus
primitif— celui où il s'agit d'obtenir Ja liaison dé l'énergie. Alors, ne pré
sumons pas d'avance qu'il s'agit là d'un écart quelconque, ou d'une répar
tition de fonction telle que nous pouvons en trouver à un niveau d'abord
infiniment plus élaboré du réel. Au contraire, nous voyons ici un point
que le sujet ne peut approcher qu'à se diviser lui-même en un certain
nombre d'instances. On pourrait dire ce qu'on dit du royaume divisé, qu'y
périt toute conception de l'unité du psychisme, du prétendu psychisme
totalisant, synthétisant, ascendant vers la conscience.
Enfin, — dans ces premiers temps de l'expérience où la remémoration,
peu à peu, se substitue à elle-même, et approche toujours plus d'une sorte
de focus, de centre où tout événement paraîtrait devoir se livrer — préci
sément à ce moment, nous voyons se manifester ce que j'appellerai aussi —
entre guillemets, car il faut changer aussi le sens, des trois mots de ce que je
vais dire, il faut le changer complètement pour lui donner sa portée —
la résistance du sujet, qui devient à ce moment-là répétition en acte;
5 FÉVWBR 1964.
V
TUCHE ET AUTOMATON
53
L'INCONSCIENT BT LA RÉPÉTITION
54
TUCHÊ ET AUTOMATON
55
L'INCONSCIENT CT LA RÉPÉTITION
réveille. C'est qu'avec ces coups pressésJ'avais déjà formé un rêve, un rêve
qui me manifestait autre chose que ces coups. Et quand je me réveille, ces
coups — cette perception — si j'en prends conscience, c'est pour autant
qu'autour d'eux, je reconstitue toute ma représentation. Je sais que je suis
là, à quelle heure je me suis endormi, et ce que je cherchais par ce sommeil*
Quand le bruit du coup parvient, non point à ma perception mais à ma
conscience, c'est que ma conscience se reconstitue autour de cette repré
sentation — que je sais que je suis sous le coup du réveil, que je suis knocked.
Mais là, il me faut bien ininterroger sur ce que je suis à ce moment-là —
à l'instant, si immédiatement avant et si séparé, qui est celui où j'ai com
mencé à rêver sous ce coup qui est, en apparence, ce qui me réveille. Je
suis, que je sache, avant que je ne me réveille — ce ne dit explétif, déjà dans
tel de mes écrits désigné, est le mode même de présence de ceje suis d'avant
le réveil. Il n'est point explétif, il est plutôt l'expression de mon impléance,
chaque fois qu'elle a à se manifester. La langue, la languefrançaisele définit
bien dans l'acte de son emploi. Aurez-vousfini avant qu'il ne vienne? — cela
m'importe que vous ayez fini, à Dieu ne plaise qu'il vînt avant Passerez-
vous, avant qu'il vienne? — car, déjà, quand il viendra, vous ne serez plus là*
Voyez ce vers quoi je vous dirige — vers la symétrie de cette structure
qui me fait, après le coup du réveil, ne pouvoir me soutenir, en apparence,
que dans un rapport avec ma représentation, laquelle, en apparence, ne
Êiit de moi que conscience. Reflet, en quelque sorte, involutif— dans ma
conscience, ce n'est que ma représentation que je ressaisis.
Est-ce bien là tout? Freud nous a assez dit qu'il lui faudrait — il ne l'a
jamais fait — revenir sur la fonction de la conscience. Peut-être verrons-
nous mieux ce dont il s'agit, à saisir ce qui est là qui motive le surgissement
de la réalité représentée — à savoir, le phénomène, la distance, la béance
même, qui constitue le réveil»
Pour l'accentuer, revenons à ce rêve — tout entier fait aussi sur le bruit—
que je vous ai laissé le temps à tous de retrouver dans la Science des rêves.
Rappelez-vous ce malheureux père, qui a été prendre, dans la chambre
voisine où repose son enfant mort, quelque repos — laissant l'enfant à la
garde, nous dit le texte, d'un grison, d'un autre vieillard — et qui se trouve.
atteint, réveillé par quelque chose qui est quoi? — ce n'est pas seulement la
réalité, le choc, le knocking, d'un bruit Eût pour le rappeler au réel, mais cela
traduit, dans son rêve précisément, la quasi-identité de ce qui se passe, la
réalité même d'un cierge renversé en train de mettre le feu au lit où repose
son enfant.
Voilà quelque chose qui semble peu désigné pour confirmer ce qui est.
la thèse de Freud dans la Traumdeutung — que le rêve est la réalisation d'un
désir.
Nous voyons ici surgir, presque pour la première fois dans la Traumdeu-^
5«
TUCHE ET AUTOMATON
tung9 une fonction du rêve qui est» en apparence» seconde—le rêve ne satis
fait ici que le besoin de prolonger le sommeil. Que veut donc dire Freud
en mettant là» à cette place» ce rêve précisément» et en accentuant que celui-ci
est en lui-même la pleine confirmation de sa dièse quant au rêve?
Si la fonction du rêve est de prolonger le sommeil» si le rêve» après tout»
peut approcher de si près la réalité qui le provoque» ne peut-on pas dire
qu'à cette réalité» il pourrait être répondu sans sortir du sommeil?— il y a
des activités somnambuliques» après tout. La question qui se pose» et qu'au
reste toutes les indications précédentes de Freud nous permettent ici de
produire» c'est — Qu'est-ce qui réveille? N'est-ce pas» dans le rêve» une autte
réalité?—cette réalité que Freud nous décrit ainsi — Dass das Kind an seinem
Bette steht, que l'enfant est près de son lit» ihn am Arntefasst, le prend par le
bras» et lui murmure sur un ton de reproche» und ihm vorwurfsvoll zuraunt :
Vater, siehst du denn nicht, Père» ne vois-tu pas» dass ich verbrenne? queje brûle?
Il y a plus de réalité» n'est-ce pas» dans ce message» que dans le bruit»
par quoi le père aussi bien identifie l'étrange réalité de ce qui se passe dans
la pièce voisine. Est-ce que dans ces mots ne passe pas la réalité manquée
qui a causé la mort de l'enfant? Freud lui-même ne nous dit-il pas que»
dans cette phrase» il faut reconnaître ce qui perpétue pour le père ces mots à
jamais séparés de l'enfant mort qui lui auront été dits» peut-être» suppose
Freud» à cause de lafièvre— mais qui sait, peut-être ces mots perpétuent-ils
le remords» chez le père, que celui qu'il a mis près du lit de sonfilsà veiller,
le grison» ne sera peut-être pas à la hauteur de bien tenir sa tâche, die
Besorgnis dass der greise Wächter seiner Aufgabe nicht gewachsen sein dürfte,
il ne sera pas» peut-être» à la hauteur de sa tâche. En effet, il s'est endormi
Cette phrase dite à propos de la fièvre — est-ce qu'elle n'évoque pas
pour vous ce que» dans un de mes derniers discours» j'ai appelé la cause de
lafièvre?L'action» si pressante soit-elle selon toute vraisemblance» de parer
à ce qui se passe dans la pièce voisine — n'est-elle pas peut-être» aussi» sentie
comme de toute façon» maintenant» trop tard — par rapport à ce dont il
s'agit» à la réalité psychique qui se manifeste dans la phrase prononcée? Le
rêve poursuivi n'est-il pas essentiellement» si je puis dire» l'hommage à la
réalité manquée?—la réalité qui ne peut plus se faire qu'à se répéter indéfi
niment» en un indéfiniment jamais atteint réveil Quelle rencontre peut-il
y avoir désormais avec cet être inerte à jamais — même à être dévoré par
lesflammes—sinoncelle-ci qui se passejustement au moment où la flamme
par accident, comme par hasard» vient à le rejoindre? Où est-elle, la réalité»
dans cet accident? — sinon qu'il se répète quelque chose» en somme plus
fetal, au moyen de la réalité — d'une réalité où celui qui était chargé de
veiller près du corps» reste encore endormi» même d'ailleurs quand le père
survient après s'être réveillé.
Ainsi la rencontre, toujours manquée, est passée entre le rêve et le réveil»
57
i/lNCONSOBNT ST LA RÉPÉTITION
entre celui qui dort toujours et dont nous ne saurons pas le rêve» et celui
qui n a rêvé que pour ne pas se réveiller.
Si Freud émerveillé voit ici confirmée la théorie du désir» c'est bien signe
que le rêve n'est pas qu'un fantasme comblant un vœu«
Car ce n'est pas que» dans le rêve» il se soutienne que le fils vit encore.
Mais l'enfant mort prenant son père par le bras» vision atroce» désigne un
au-delà qui se fait entendre dans le rêve. Le désir s'y présentifie de la perte
imagée au point le plus cruel de l'objet C'est dans le rêve seulement que
peut se faire cette rencontre vraiment unique. Seul unrite»un acte toujours
répété» peut commémorer cette rencontre immémorable — puisque per-'
sonne ne peut dire ce que c'est que la mort d'un enfant — sinon le père en
tant que père — c'est-à-dire nul être conscient
Car la véritable formule de l'athéisme n'est pas que Dieu est mort—même
en fondant l'origine de lafonctiondu père sur son meurtre» Freud protège
le père — la véritable formule de l'athéisme» c'est que Dieu est incon-
scient.
Le réveil nous montre l'éveil de la conscience du sujet dans la représen
tation de ce qui s'est passé — le fâcheux accident de la réalité» à quoi Ton
n'a plus qu'à parer! Mais qu'était donc cet accident? — quand tout le monde
dort» à la fois celui qui a voulu prendre un peu de repos» celui qui n'a pu
soutenir la veille et celui dont» sans doute devant son lit» quelqu-un de bien
intentionné a dû dire — On dirait qu'il dort, quand nous n'en savons qu'une
chose» c'est que» dans ce monde tout entier assoupi, seule la voix s'est feit
entendre — Père, ne vois-tu pas, je brûle. Cette phrase elle-même est un
brandon — à elle seule, elle porte le feu là où elle tombe — et on ne yoit ,
pas ce qui brûle, car laflammenous aveugle sur le fait que le feu porte sur
l'Unterlegt, sur YUntertragen, sur le réel.
C'est bien ce qui nous porte à reconnaître dans cette phrase du rêve déta
chée du père dans sa souffrance, l'envers de ce qui sera, lui éveillé, sa cons
cience, et à nous demander ce qui est le corrélatif, dans le rêve» de la repré
sentation. Cette question est d'autant plusfrappantequ'ici» le rêve, nous le
voyons vraiment comme l'envers de la représentation — c'est l'imagerie
du rêve, et c'est occasion pour nous d'y souligner ce que Freud, quand il
parle de l'inconscient, désigne comme ce qui le détermine essentiellement
— le Vorstellungsrepräsentanz. Ce qui veut dire, non pas, comme on l'a
traduit en grisaille, le représentant représentatif, mais le tenant-lieu de la
représentation. Nous en verrons la fonction par la suite.
J'espère avoir réussi à vous faire saisir ce qui, de la rencontre comme à
jamais manquée, est ici nodal, et soutient réellement, dans le texte de Freud,
ce qui lui semble, dans ce rêve, absolument exemplaire.
La place du réel, qui va du trauma au fantasme — en tant que le fan
tasme n'est jamais que l'écran qui dissimule quelque chose de tout à fait
58
TUCHE ET AUTOMATON
59
L'INCONSCIENT ET LA RÉPÉTITION
sion — cela, Freud nous le dit aussi dans le texte du chapitre dont je vous ai
donné la référence la dernière fois.
Tout ce qui, dans la répétition, se varie, se module, n'est qu'aliénation
de son sens. L'adulte, voire l'enfant plus avancé, exigent dans leurs activités,
dans le jeu, du nouveau« Mais ce glissement voile ce qui est le vrai secret
du ludique, à savoir la diversité plus radicale que constitue la répétition
en elle-même. Voyez-la chez l'enfant, dans son premier mouvement, au
moment où il se forme comme être humain, se manifester comme exigence
que le conte soit toujours le même, que sa réalisation racontée soit ritua
lisée, c'est-à-dire textuellement la même. Cette exigence d'une consistance
distincte des détails de son récit, signifie que la réalisation du signifiant ne
pourra jamais être assez soigneuse dans sa mémorisation pour atteindre à
désigner la primauté de la signifiance comme telle. C'est donc s'en évader,
en apparence, que de la développer en variant les significations. Cette varia
tion fait oublier la visée de la signifiance en transformant son acte enjeu, et
en lui donnant des décharges bienheureuses au regard du principe du plaisir.
Freud, lorsqu'il saisit la répétition dans le jeu de son petit-fils, dans le
fort-da réitéré, peut bien souligner que l'enfant tamponne l'effet de la dis
parition de sa mère en s'en faisant l'agent — ce phénomène est secondaire.
Wallon le souligne, ce n'est pas d'emblée que l'enfant surveille la porte par
où est sortie sa mère, marquant ainsi qu'il s'attend à l'y revoir, mais aupa
ravant, c'est au point même où elle l'a quitté, au point qu'elle a abandonné
près de lui, qu'il porte sa vigilance. La béance introduite par l'absence des
sinée, et toujours ouverte, reste cause d'un tracé centrifuge où ce qui choit,
ce n'est pas l'autre en tant que figure où se projette le sujet, mais cette
bobine liée à lui-même par un fil qu'il retient — où s'exprime ce qui, de
lui, se détache dans cette épreuve, rautomutilation à partir de quoi Tordre
de la signifiance va se mettre en perspective. Car le jeu de la bobine est la
réponse du sujet à ce que l'absence de la mère est venue à créer sur la fron
tière de son domaine, sur le bord de son berceau, à savoir un fossé, autour
de quoi il n'a plus qu'à faire le jeu du saut
Cette bobine, ce n'est pas la mère réduite à une petite boule par je ne
sais quel jeu digne des Jivaros — c'est un petit quelque-chose du sujet qui
se détache tout en étant encore bien à lui, encore retenu. C'est le heu de
dire, à l'imitation d'Aristote, que l'homme pense avec son objet C'est
avec son objet que l'enfant saute lesfrontièresde son domaine transformé
en puits et qu'il commence l'incantation. S'il est vrai que le signifiant est
la première marque du sujet, comment ne pas reconnaître ici — du setd
fait que ce jeu s'accompagne d'une des premières oppositions à paraître
— que l'objet à quoi cette opposition s'applique en acte, la bobine, c'est là
que nous devons désigner le sujet A cet objet, nous donnerons ultérieure
ment son nom d'algèbre lacanien — le petit a.
60
TUCHE ST AUTOMATON
RÉPONSES
12 FÉVRIER 19640
DU REGARD COMME OBJET PETITE
VI
Schize du sujet.
Factidté du traumatisme.
Maurice Merleau-Ponty.
La tradition philosophique.
Lemimétismç.
Vomnivoyeur.
Dans k rive, ça montre.
Je continue.
Wiederholung, vous ai-je rappelé — et je vous en ai dit déjà assez pour
accentuer dans la référence étymologique que je vous ai donnée» haler, ce
qu'elle implique de connotation lassante.
Haler, tirer. Tirer quoi? Peut-être» en jouant sur l'ambiguïté du mot en
fiançais» tirer au sort Ce Zwang nous dirigerait alors vers la carte forcée
— s'il n'y a qu'une seule carte dans le jeu» je ne puis en tirer d'autre.
Le caractère d'ensemble» au sens mathématique du terme» que présente
la partie de signifiants» et qui l'oppose par exemple à l'indéfinité du nombre
entier» nous permet de concevoir un schéma où s'applique tout de suite la
fonction de la carte forcée. Si le sujet est le sujet du signifiant — déterminé
par lui — on peut imaginer le réseau synchronique tel qu'il donne dans la
diachronie des effets préférentiels. Entendez bien qu'il ne s'agit pas là d'ef
fets statistiques imprévisibles» mais que c'est la structure même du réseau
qui implique les retours. C'est là la figure que prend pour nous» à travers
Féluddation de ce que nous appelons les stratégies, ¥automaton d'Aristote.
Et aussi bien» c'est par automatisme que nous traduisons le Zwang de la
Wiederholungzwang, compulsion de répétition«
i
Je vous donnerai plus tard les faits qui suggèrent que» en certains moments
de ce monologue infantile imprudemment qualifié d'égocentrique, ce sont
des jeux proprement syntaxiques qui se font observer. Ces jeux relèvent
du champ que nous appelons préconscient» mais font, si je puis dire» le lit
«5
Séminaire/ Lacrn» S
DU RBGAED
<U
DU REGARD
tout cela, je nai pas besoin de me pincer pour savoir que je ne rêve pas. M reste
que cette schize n'est là encore que représentant la schize plus profonde,
à situer entre ce qui réfère le sujet dans la machinerie du rêve, l'image de
l'enfant qui s'approche, le regard plein de reproches et, d'autre part, ce
qui le cause et en quoi il choit, invocation, voix de l'enfant, sollicitation du
regard — Père, ne vois-tu pas...
<K
L'ŒIL ET LE BBGABD
69
OU REGARD
Dans notre rapport aux choses» tel qu'il est constitué par la voie de la
vision» et ordonné dans lesfiguresde la représentation» quelque chose glisse»
passe» se transmet, d'étage en étage» pour y être toujours à quelque degré
éludé — c'est ça qui s'appelle le regard
Pour vous le faire sentir» il y a plus d'un chemin. L'imagerai-je, comme à
son extrême» d'une des énigmes que nous présente la référence à la nature?
Il ne s'agit de rien de moins que du phénomène dit du mimétisme.
Là-dessus» beaucoup a été dit» et d'abord beaucoup d'absurde — par
exemple que les phénomènes du mimétisme sont à expliquer par une fin
d'adaptation. Ce n'est pas mon avis. Je n'ai qu'à vous renvoyer» entre
autres» à un petit ouvrage que beaucoup d'entre vous connaissent sans doute»
celui de Caûlois intitulé Méduse et compagnie, où la référence adaptative est
critiquée d'une façon particulièrement perspicace. D'une part» pour être
efficace» la mutation déterminante du mimétisme, chez l'insecte par exemple»
ne peut se faire que d'emblée et au départ. De l'autre» ses prétendus effets
sélectifs sont anéantis par la constatation qu'on trouve dans l'estomac des
oiseaux» prédateurs en particulier» autant d'insectes soi-disant protégés par
quelque mimétisme que d'insectes qui ne le sont pas.
Mais aussi bien» le problème n'est pas là. Le problème le plus radical du
mimétisme est de savoir s'il nous faut l'attribuer à quelque puissance for-
mative de l'organisme même qui nous en montre les manifestations. Pour
que cela soit légitime» il faudrait que nous puissions concevoir par quels
circuits cette force pourrait se trouver en position de maîtriser» non seu
lement la forme même du corps numérisé» mais sa relation au milieu» dans
lequel il s'agit soit qu'il se distingue» soit au contraire qu'il s'y confonde.
Et pour tout dire» comme le rappelle Caillois avec beaucoup de pertinence»
s'agissant de telles manifestations mimétiques» et spécialement de celle qui
peut nous évoquer la fonction des yeux» à savoir les ocelles» il s'agit de
comprendre si ils impressionnent — c'est un fait qu'ils ont cet effet sur le
prédateur ou la victime présumée qui vient à les regarder — si ils impres
sionnent par leur ressemblance avec des yeux» ou si au contraire» les yeux
ne sont fascinants que de leur relation avec la forme des ocelles. Autrement
dit» ne devons-nous pas à ce propos distinguer la fonction de l'oeil de celle
du regard?
70
L'ŒIL ET 1B KBGÀBD
Cet exemple distincte choisi comme tel — pour sa localité, pour son
factice, pour son caractère exceptionnel — n'est pour nous qu'une petite
manifestation d'une fonction à isoler — celle, disons le mot, de la tache.
Cet exemple est précieux pour nous marquer la préexistence au vu d'un
donné-à-voir.
Nul besoin de nous reporter à je ne sais quelle supposition de l'existence
d'un voyant universel. Si la fonction de la tache est reconnue dans son
autonomie et identifiée à celle du regard, nous pouvons en chercher la
menée, le fil, la trace, à tous les étages de la constitution du monde dans le
champ scopique. On s'apercevra alors que la fonction de la tache et du
regard y est à la fois ce qui le commande le plus secrètement, et ce qui
échappe toujours à la saisie de cette forme de la vision qui se satisfait d'elle-
même en s'imaginant comme conscience.
Ce en quoi la conscience peut se retourner sur elle-même — se saisir,
telle la Jeune Parque de Valéry, comme se voyant se voir — représente un
escamotage. Un évitement s'y opère de la fonction du regard
C'est ce que nous pouvons repérer de cette topologie que la dernière fois
nous nous sommes faite à partir de ce qui apparaît de la position du sujet
quand il accède aux formes imaginaires qui lui sont données par le rêve,
comme opposées à celles de l'état de veille,
De même, dans cet ordre particulièrement satisfaisant pour le sujet que
l'expérience analytique a connoté du terme de narcissisme — où je me suis
efforcé de réintroduire la structure essentielle qu'il tient de sa référence à
l'image spéculaire, — dans ce qui s'en diffuse de satisfaction, voire de
complaisance, où le sujet trouve appui pour une si foncière méconnais
sance — et l'empire n'en va-t-il pas jusqu'à cette référence de la tradition
philosophique qu'est la plénitude rencontrée par le sujet sous le mode de
la contemplation, — ne pouvons-nous pas saisir aussi ce qu'il y a d'éludé?
— à savoir, la fonction du regard. J'entends, et Maurice Merleau-Ponty nous
le pointe, que nous sommes des êtres regardés, dans le spectacle du monde.
Ce qui nous fait conscience nous institue du même coup comme spéculum
tnunâi. N'y a-t-il pas de la satisfaction à être sous ce regard dont je parlais
tout à l'heure en suivant Maurice Merleau-Ponty, ce regard qui nous cerne,
et qui fait d'abord de nous des êtres regardés, mais sans qu'on nous le
montre?
Le spectacle du monde, en ce sens, nous apparaît comme omnivoyeur.
C'est bien là le fantasme que nous trouvons dans la perspective platoni
cienne, d'un être absolu à qui est transférée la qualité de lomnivoyant.
Au niveau même de l'expérience phénoménale de la contemplation, ce
côté omnivoyeur se pointe dans la satisfaction d'une femme à se savoir
regardée, à condition qu'on ne le lui montre pas.
Le monde est omnivoyeur, mais il n'est pas exhibitionniste — il ne pro-
7i
DU REGARD
7*
L'ŒIL ET LB B16ÄRD
il est éveillé qu'il est Tchoang-tseu pour les autres, et qu'il est pris dans
leur filet à papillons.
C'est pour cela que le papillon peut — si le sujet n'est pas Tchoang-tseu,
mais l'homme aux loups — lui inspirer la terreur phobique de reconnaître
que le battement des petites ailes n'est pas tellement loin du battement de
la causation, de la rayure primitive marquant son être atteint pour la pre
mière fois par la grille du désir.
RÉPONSES
Je reprendrai les choses de plus haut en vous disant que le discours que
je tiens ici a deux visées, l'une qui concerne les analystes, l'autre ceux qui
sont ici pour savoir si la psychanalyse est une science.
La psychanalyse n'est ni une Weltanschauung, ni une philosophie qui
prétend donner la clé de l'univers. Elle est commandée par une visée par
ticulière, qui est historiquement définie par l'élaboration de la notion de
sujet. Elle pose cette notion de façon nouvelle, en reconduisant le sujet à
sa dépendance signifiante.
Aller de la perception à la science, c'est là une perspective qui semble aller
de soi, dans la mesure où le sujet n'a pas eu de meilleure table d'essai pour
la saisie de l'être. Ce chemin est celui-là même que suit Aristote, reprenant
les présocratiques. Mais c'est un chemin que l'expérience analytique im
pose de rectifier, parce qu'il évite l'abîme de la castration. On le voit,
73
DU REGARD
19 FÉVRIER 1964.
vn
L'ANAMORPHOSE
Du fondement de ta conscience.
Privilège du regard comme obfet a»
Optique des aveugles.
Le ûhallus daas le tableau*
Vous vous souvenez peut-être que, Ion d'un de mes derniers propos,
j'ai commencé par ces vers qui, dans le Fou d'Eisa d'Aragon, sont intitulés
Contre-chant. Je ne savais pas alors queje donnerais autant de développement
au regard. J'y ai été infléchi par le mode sous lequel je vous ai présenté le
concept dans Freud de la répétition,
Ne nions pas que c'est à l'intérieur de l'explication de la répétition que
cette digression sur la fonction scopique se situe — induite sans doute par
l'oeuvre qui vient de paraître de Maurice Merleau-Ponty, le Visible et VIn-
visible. Aussi bien me paraît-il que, s'il y a là rencontre, c'est une rencontre
heureuse, et destinée à ponctuer, comme j'essaierai de le Élire plus avant
aujourd'hui, comment, dans la perspective de l'inconscient, nous pouvons
situer la conscience.
Vous savez que quelque ombre, ou même, pour employer un terme dont
nous nous servirons, quelque réserve — au sens où l'on pade de réserve
dans une toile exposée à la teinture — marque le Eut de la conscience dans
le discours même de Freud
75
DU REGARD
Mais» avant de reprendre les choses au point où nous les avons laissées la
dernière fois» je dois d'abord préciser un point à propos d'un terme dont
j'ai appris qu'il avait été mal entendu, la dernière fois» par les oreilles qui
inécoutentJ e ne sais quelle perplexité est restée dans ces oreilles concernant
un mot pourtant bien simple» que j'ai employé en le commentant» le ty-
chique. U n'a résonné pour certains que comme un éternuement. J'avais
pourtant précisé qu'il s agissait de l'adjectif de tuché, comme psychique est
l'adjectif qui correspond à psuché. Ce n'était pas sans intention que je me
servais de cette analogie au cœur de l'expérience de la répétition» car pour
toute conception du développement psychique tel que l'analyse l'a éclairé,
le £ût du tychique est central. C'est bien par rapport à l'œil» par rapport à
Veutuchia, ou à la dustuchia, rencontre heureuse» rencontre malencontreuse»
que mon discours d'aujourd'hui aussi s'ordonnera.
7*
L'ANAMORPHOSE
77
DU REGARD
être dirigé vers une recherche originale par rapport à la tradition philoso
phique, vers cette dimension nouvelle de la méditation sur le sujet que
Yanalyse nous permet, à nous, de tracer.
Quant à moi, je ne puis qu'êtrefrappéde certaines de ces notes, pour moi
moins énigmatiques qu'elles ne paraîtront à d'autres lecteurs, pour se recou
vrir très exactement avec les schèmes — spécialement avec l'un d'entre
eux — que je serai amené à promouvoir ici. Lisez, par exemple, cette note
concernant ce qu'il appelle le retournement en doigt de gant, pour autant
qu'il semble y apparaître — voir la façon dont la peau enveloppe la four-
rare dans un gant d'hiver — que la conscience, dans son illusion de se voir
se voir, trouve son fondement dans la structure retournée du regard, .
7«
L'ANAMOHPHOSB
est appendu dans une vacillation essentielle, est le regard- Son privilège —
et aussi bien ce pour quoi le sujet pendant si longtemps a pu se méconnaître
comme étant dans cette .dépendance — tient à sa structure même.
Schématisons tout de suite ce que nous voulons dire. Dès que ce regard,
le sujet essaie de s'y accommoder, il devient cet objet punctiforme, ce
point d'être évanouissant, avec lequel le sujet confond sa propre défail
lance. Aussi, de tous les objets dans lesquels le sujet peut reconnaître la
dépendance où il est dans le registre du désir, le regard se spécifie comme
insaisissable. C'est pour cela qu'il est, plus que tout autre objet, méconnu,
et c'est peut-être pour cette raison aussi que le sujet trouve si heureusement
à symboliser son propre trait évanouissant et punctiforme dans l'illusion
de la conscience de se voir se voir, où s'aide le regard
Si donc le regard est cet envers de la conscience, comment allons-nous
essayer de nous l'imaginer?
L'expression n'est point indue, car le regard, nous pouvons lui donne*
corps. Sartre, dans un des passages les plus brillants de VÊtre et U Néant,
le feit entrer en fonction dans la dimension de l'existence d'autrui. L'autrui
resterait suspendu aux conditions mêmes, partiellement irréalisantes, qui
sont, dans 4a définition de Sartre, celles de l'objectivité, s'il n'y avait le
regard. Le regard, tel que le conçoit Sartre, c'est le regard dont je suis
surpris — surpris en tant qu'il change toutes les perspectives, les lignes
de force, de mon monde, qu'il l'ordonne, du point de néant où je suis,
dans une sorte de réticulation rayonnée des organismes. lieu du rapport
de moi, sujet néantisant, à ce qui m'entoure, le regard aurait là un tel privi
lège qu'il irait jusqu'à me aire scotomiser, à moi qui regarde, l'oeil de celui
qui me regarde comme objet En tant que je suis sous le regard, écrit Sartre,
je ne vois plus l'œil qui me regarde, et si je vois l'oeil, c'est alors le regard
qui disparaît
Est-ce là une analyse phénoménologique juste? Non. Il n'est pas vrai que,
quandje suis sous le regard, quandje demande un regard, quandje l'obtiens,
je ne le vois point comme regard. Des peintres ont été fam^ à saisir
ce regard comme tel dans le masque, et je n'ai besoin que d'évoquer Goya,
par exemple, pour vous le faire sentir.
Le regard se voit — précisément ce regard dont parle Sartre, ce regard
qui me surprend, et me réduit à quelque honte, puisque c'est là le sentiment
qu'il dessine comme le (dus accentué. Ce regard que je rencontre — c'est à
repérer dans le texte même de Sartre — est, non point un regard vu, mais
un regard par moi imaginé au champ de l'Autre.
Si vous vous reportez à son texte, vous verrez que, loin de parler de
l'entrée en scène de ce regard comme de quelque chose qui concerne l'organe
de la vue, il se reporte à un bruit de feuilles soudain, entendu tandis que
je suis à la chasse, à un pas surgi dans le couloir, et à quel moment?—au
79
DU REGARD
inoi et ce tableau, à savoir une certaine image, ou plus exactement une toile,
un treillis que vont traverser les lignes droites — qui ne sont pas obligatoi
rement des rayons, mais aussi bien des fils — qui relieront chaque point
que j'ai à voir dans le monde à un point où la toile sera, par cette ligne,
traversée.
C'est donc pour établir une image perspective correcte que le portillon
est institué. Que j'en renverse l'usage, et j'aurai le plaisir d'obtenir, non
pas la restitution du monde qu'il y a au bout, mais la déformation, sur une
autre surface, de l'image que j'aurai obtenue sur la première, et je m'attar
derai, comme à un jeu délicieux, à ce procédé qui fait apparaître à volonté
toute chose dans un étirement particulier.
Je vous prie de croire qu'un tel enchantement a eu sa place en son temps.
Le livre de Baltrusaïtis vous dira les polémiques furieuses qui sont surgies
de ces pratiques, et qui ont abouti à des ouvrages considérables. Le couvent
des Minimes, actuellement détruit, qui était du côté de krae des Tournelles,
portait sur la très longue paroi d'une de ses galeries, et représentant
comme par hasard saintJean à Pathmos, un tableau qu'il fallait voir à travers
un trou, pour que sa valeur déformante soit portée à son comble.
La déformation peut prêter—ce n'était pas le cas pour cettefresqueparti
culière — à toutes les ambiguïtés paranoïaques, et tous les usages en ontété
faits, depuis Arcimboldo jusqu'à Salvador Dali. J'irai jusqu'à dire que cette
fascination complémente ce que laissent échapper de la vision les recherches
géométrales sur la perspective.
Comment se fait-il que personne n'ait jamais songé à y évoquer... l'effet
d'une érection? Imaginez un tatouage tracé sur l'organe ad hoc à l'état de
repos, et prenant dam un autre état sa forme, si j'ose dire, développée.
Comment ne pas voir ici, immanent à la dimension géométrale—dimen
sion partiale dans le champ du regard, dimension qui n'a rien à faire avec
la vision comme telle — quelque chose de symbolique de la fonction du
manque — de l'apparition du fantôme phallique?
Or, dans le tableau des Ambassadeurs — qui, j'espère, acirculé assez pour
qu'il ait passé maintenant entre toutes les mains — que voyez-vous? Quel
est-il, cet objet étrange, suspendu, oblique, au premier plan en avant de
ces deux personnages?
Les deine personnages sont figés, raidis dans leurs ornements monstra-
teurs. Entre eux toute une série d'objets qui figurent dans la peinture de
l'époque les symboles de la vamtas. Corneille Agrippa, à la même époque,
écrit son De vanitate sdentiarum, visant autant les sciences que les arts, et
ces objets sont tous symboliques des sciences et des arts tels qu'ils étaient à
l'époque groupés dans les trivium et quadrivium que vous savez. Alors,
qu'est-ce donc, devant cette monstration du domaine de l'apparence sous
ses formes les plus fascinantes, qu'est-ce donc cet objet, ici volant, ici incliné?
8a
L'ANAMORSHOSB
Mais c'est plus loin encore qu'il faut chercher la fonction de la vision.
Nous verrons alors se dessiner à partir d'elle, non point le symbole phal
lique, le fantôme anamorphique, mais le regard comme tel, dans sa fonction
pulsatile, éclatante et étalée, comme elle l'est dans ce tableau.
Ce tableau n'est rien d'autre que ce que tout tableau est, un piège à regard
Dans quelque tableau que ce soit, c'est précisément à chercher le regard en
chacun de ses points que vous le verrez disparaître. C'est ce que j'essaierai
d'articuler la prochaine fois.
RÉPONSES
F. WAHL : — Vous nous avez expliqué que la saisie originelle au regard dans
le regard d'autrui, telle que Sartre la décrit, n était pas Yexpériencefondamentale
du regard, f aimerais vous voir préciser ce que vous avez esquissé, la saisie du
regard dans la direction du désir.
«3
DU REGARD
— Je voudrais aussi vous dire que, lorsque vous parlez du sujet et du réel, on
est tenté, à la première écoute, de considérer les termes en eux-mêmes. Mais peu à
peu, on s'aperçoit qu'ils sont à prendre dans leur rapport, et qu'ils ont une défini-
tion topologique — sujet et réel sont à situer départ et d'autre de la schize, dans
la résistance du fantasme. Le réel est, en quelque sorte, une expérience de la résis-
tance.
J'ai dit que le regard n'était pas l'œil, sauf sous cette forme volante où
Holbein a le culot de me montrer ma propre montre molle... La prochaine
fois» j e vous parlerai de la lumière incarnée.
26 FÉVRIER 1964«
LA LIGNE ET LA LUMIÈRE
Le désir et 1e tableau.
Histoire (Tune boue de sardines.
L'écran.
Le mimétisme.
L organe.
Jamais tu ne me regardes ta oh je te vois.
La fonction de Toril peut mener celui qui cherche à vous éclairer à de loin-
caines explorations. Depuis quand, par exemple, la fonction de l'organe, et
tout d'abord sa simple présence, sont-elles apparues dans la lignée vivante?
. Le rapport du sujet avec l'organe est au cœur de notre expérience. Parmi
tous les organes auxquels nous avons affaire, le sein, les fèces, d'autres en«
core, il y a Toril, et il est frappant de voir qu'il remonte aussi loin dans les
espèces qui représentent l'apparition de la vie. Vous consommez sans doute,
innocemment, des huîtres, sans savoir qu'à ce niveau dans le règne animal,
déjà Toril est apparu. Ces sortes de plongées nous en apprennent, c'est le
cas de le dire, de bien des couleurs, sinon de toutes. C'est au milieu de tout
cela qu'il s'agit de choisir pourtant, en ramenant les choses à ce dont il
s'agit pour nous.
La dernière fois, je pense avoir suffisamment accentué les choses pour vous
permettre de saisir l'intérêt de ce petit schéma triangulaire, fort simple, que
j'ai reproduit en haut du tableau.
85
OU JtBGAKD
Il n'est là que pour vous rappeler en trois termes l'optique utilisée dans
ce montage opératoire qui témoigne de l'usage inversé de la perspective»
venu dominer la technique de la peinture» nommément entre les siècles
fin du quinzième» seizième et dix-septième. L'anamorphose nous montre
u'il ne s'agit pas dans la peinture d'une reproduction réaliste des
3 böses de l'espace — expression sur laquelle il y a d'ailleurs beaucoup
de réserves à faire.
Le petit schéma permet de remarquer aussi qu'une certaine optique laisse
échapper ce qu'il en est de la vision. Cette optique-là est à la portée des
aveugles. Je vous ai référés à la Lettre de Diderot» qui démontre combien»
de tout ce que la vision nous livre de l'espace» l'aveugle est capable de rendre
compte» de reconstruire» d'imaginer» de parler. Sans doute» sur cette pos
sibilité» Diderot construit-il une équivoque permanente à sous-entendus
métaphysiques» mais cette ambiguïté anime son texte» et lui donne son
caractère mordant
Pour nous» la dimension géométrale nous permet d'entrevoir comment le
sujet qui nous intéresse est pris» manoeuvré» capté» dans le champ de la vision.
Dans le tableau d'Holbein» je vous ai tout de suite montré — sans plus
dissimuler que je ne fais d'habitude le dessous des cartes—le singulier objet
flottant au premier plan» qui est là à regarder, pour prendre» je dirais presque
prendre au piège, le regardant» c'est-à-dire nous. C'est» en somme» une façon
manifeste» sans doute exceptionnelle et due à je ne sais quel moment de
réflexion du peintre» de nous montrer que» en tant que sujet» nous sommes
dans le tableau littéralement appelés» et ici représentés comme pris. Car le
secret de ce tableau» dont je vous ai rappelé les résonances» les parentés avec
les vanitas, de ce tableau fascinant de présenter» entre les deux personnages
parés etfixes»tout ce qui rappelle» dans la perspective de l'époque» la vanité
des arts et des sciences»—le secret de ce tableau est donné au moment où»
nous éloignant légèrement de lui» peu à peu» vers la gauche» puis nous retour
nant, nous voyons ce que signifie l'objet flottant magique. H nous reflète
notre propre néant» dans la figure de la tête de mort Usage donc de la
dimension géométrale de la vision pour captiver le sujet, rapport évident
au désir qui, pourtant» reste énigmatique.
Mais quel est-il, le désir qui se prend, qui se fixe dans le tableau? — mais
qui, aussi bien, le motive à pousser l'artiste à mettre quelque chose, et quoi,
en œuvre? Tel est le chemin où nous allons essayer de nous avancer aujour
d'hui.
pitres du Visible et Vinvisible — entrelacs. Il n'est pas une seule des divisions,
un seul des doubles versants que présente la fonction de la vision, qui ne
•se manifeste à nous comme un dédale. A mesure que nous y distinguons
des champs, nous nous apercevons toujours davantage combien ils se croisent
Dans le domaine quej'ai appelé celui du géométral, il semble d'abord que
ce soit la lumière qui nous donne, si je puis dire, le fil. En effet, ce fil, vous
lavez vu la dernière fois nous relier à chaque point de l'objet, et, au lieu
où il traverse le réseau en forme d'écran sur lequel nous allons repérer
l'image, fonctionner bel et bien comme fil. Or, la lumière se propage,
comme on dit, en ligne droite, et cela est assuré. Il semble donc que ce soit
die qui nous donne le fiL
Pourtant, réfléchissez que ce fil n'a pas besoin de la lumière — il n'a
besoin que d'être un fil tendu. C'est pourquoi l'aveugle pourra suivre
toutes nos démonstrations, pour peu que nous nous donnions quelque
peine. Nous lui ferons tâter, par exemple, un objet d'une certaine hauteur,
puis suivre le fil tendu, nous lui apprendrons à distinguer par le toucher
au bout des doigts, sur une surface, une certaine configuration qui reproduit
le repérage des images — de la façon même dont nous imaginons, dans
l'optique pure, les rapports diversement proportionnés et fondamentale
ment homologiques, les correspondances d'un point à un autre dans l'es
pace, ce qui revient toujours, à la fin du compte, à situer deux points d'un
même fiL Cette construction ne permet donc pas spécialement de saisir
ce que livre la lumière.
Comment essayer de le saisir, ce qui semble nous échapper ainsi dans la
structuration optique de l'espace? C'est toujours ce sur quoijoue l'argumen
tation traditionnelle. Les philosophes, depuis Alain, le damier à s'y être
montré dans les exercices les plus brillants, en remontant vers Kant, et
jusqu'à Platon, s'exercent tous sur la prétendue tromperie de la perception
— et, en même temps, ils se retrouvent tous maîtres de l'exercice, à faire
valoir le fait que la perception trouve l'objet là où il est, et que l'apparence
du cube faite en parallélogramme est précisément, en raison de la rupture
de l'espace qui sous-tend notre perception même, ce qui fait que nous le
percevons comme cube. Tout le jeu, le passez-muscade de la dialectique
classique autour de la perception, tient à ce qu'elle traite de la vision géo-
métrale, c'est-à-dire de la vision en tant qu'elle se situe dans un espace qui
n'est pas dans son essence le visuel
L'essentiel du rapport de l'apparence à l'être, dont le philosophe, conqué
rant le champ delà vision, se rend si aisément maître, est ailleurs. Il n'est
pas dans la ligne droite, il est dans le point lumineux—point d'irradiation,
ruissellement, fou, source jaillissante de reflets. La lumière se propage sans
doute en ligne droite, mais elle se réfracte, die se diffuse, die inonde, elle
remplit — n'oublions pas cette coupe qu'est notre oeil — elle en déborde
»7
DU REGARD
aussi, elle nécessite, autour de la coupe oculaire, toute une série d'organes,
d'appareils, de défenses. Ce n'est pas simplement à la distance que l'iris
réagit, c'est aussi à la lumière, et il a à protéger ce qui se passe au fond de la
coupe, qui pourrait, dans certaines conjonctures, en être lésé — et notre
paupière, elle aussi, devant une trop grande lumière, est appelée à cligner
d'abord, voire à se resserrer en une grimace bien connue.
Aussi bien n'y a-t-il pas que l'oeil à être photosensible, nous le savons.
Toute la surface du tégument — à des titres sans doute divers, qui ne sont
point que visuels — peut être photosensible, et cette dimension ne saurait
être réduite d'aucune façon dans le fonctionnement de la vision. Il est une
certaine ébauche d'organes photosensibles qui sont les taches pigmentaires.
Dans l'oeil, le pigment fonctionne à plein, de façon, certes, que le phéno
mène montre infiniment complexe, fonctionne à l'intérieur des cônes, par
exemple, sous la forme de la rhodopsine, fonctionne aussi à l'intérieur des
diverses couches de la rétine. Il va, il vient, ce pigment, dans des fonctions
qui ne sont pas toutes, ni toujours, immédiatement repérables et claires,
mais qui suggèrent la profondeur, la complexité et, en même temps,
l'unité, des mécanismes de la relation à la lumière.
La relation du sujet avec ce qu'il en est proprement de la lumière semble
donc bien s'annoncer déjà comme ambiguë. Vous le voyez d'ailleurs sur
le schéma des deux triangles, qui s'inversent en même temps qu'ils doivent
se superposer. Us vous donnent là l'exemple premier de ce fonctionnement
d'entrelacs, d'entrecroisement, de chiasme, que j'indiquais tout à l'heure»
et qui structure tout ce domaine.
Pour vous faire sentir la question que pose le rapport du sujet à la lumière,
pour vous montrer que sa place est autre chose que la place de point géomé-
tral que définit l'optique géométrique, je vais vous raconter maintenant
un petit apologue.
Cette histoire est vraie. Elle date de quelque chose comme mes vingt ans
— et dans ce temps, bien sûr, jeune intellectuel, je n'avais d'autre souci que
d'aller ailleurs, de me baigner dans quelque pratique directe, rurale, chas
seresse, voire marine. Un jour, j'étais sur un petit bateau, avec quelques per
sonnes, membres d'une famille de pêcheurs dans un petit port. A ce moment-
là, notre Bretagne n'était pas encore au stade de la grande industrie, ni du
chalutier, le pêcheur péchait dans sa coquille de noix, à ses risques et périls.
C'était ses risques et périls que j'aimais partager, mais ce n'était pas tout le
temps risques ni périls, il y avait aussi des jours de beau temps. Un jour,
donc, que nous attendions le moment de retirer lesfilets,le nommé Petit-
Jean, nous l'appellerons ainsi — il est, comme toute sa famille, disparu très
promptement dufiâtde la tuberculose, qui était à ce moment-là la maladie
vraiment ambiante dans laquelle toute cette couche sociale se déplaçait —
me montre un quelque-chose quiflottaità la surface des vagues. C'était une
88
LA LIGNE ET LA LUNflÊRB
r tite boite, et même, précisons, une botte à sardines. Elle flottait là dans
soleil, témoignage de l'industrie de la conserve, que nous étions, par
ailleurs, chargés d'alimenter. Elle miroitait dans le soleil Et Petit-Jean me
dit — Tu vois, cette botte? Tu la vois? Eh bien, eue, elle te voit pas!
Ce petit épisode, il trouvait ça très drôle, moi, moins. J'ai cherché pour
quoi moi, je le trouvais moins drôle. C'est fort instructi£
D'abord, si ça a un sens que Petit-Jean me dise que la boite ne me voit pas,
c'est parce que, en un certain sens, tout de même, elle me regarde. Elle me
regarde au niveau du point lumineux, où est tout ce qui me regarde, et ce
n'est point là métaphore.
La portée de cette petite histoire, telle qu'elle venait de surgir dans l'in
vention de mon partenaire, le fait qu'il la trouvât si drôle, et moi, moins,
tient à ce que, si on me raconte une histoire comme celle-là, c'est tout de
même parce que moi, à ce moment-là — tel que je me suis dépeint, avec
ces types qui gagnaient péniblement leur existence, dans l'étreinte avec
ce qui était pour eux la rude nature — moi, je faisais tableau d'une façon
assez inénarrable. Pour tout dire, je faisais tant soit peu tache dans le tableau.
Et c'est bien de le sentir qui fait que rien qu'à m'entendre interpeller ainsi,
dans cette humoristique, ironique, histoire, je ne la trouve pas si drôle
que ça.
Je prends ici la structure au niveau du sujet, mais elle reflète quelque chose
qui se trouve déjà dans le rapport naturel que l'oeil inscrit à l'endroit de la
lumière. Je ne suis pas simplement cet être punctiforme qui se repère au
point géométral d'où est saisie la perspective. Sans doute, au fond de mon
œil, se peint le tableau. Le tableau, certes, est dans mon œil. Mais moi, je
suis dans le tableau.
Ce qui est lumière me regarde, et grâce à cette lumière au fond de mon
oeil, quelque chose se peint — qui n'est point simplement le rapport cons
truit, l'objet sur quoi s attarde le philosophe — mais qui est impression, qui
est ruissellement d'une surface qui n'est pas, d'avance, située pour moi dans
sa distance. C'est là quelque chose qui fait intervenir ce qui est élidé dans la
relation géométrale — la profondeur de champ, avec tout ce qu'elle pré
sente d'ambigu, de variable, de nullement maîtrisé par moi. C'est bien
plutôt elle qui me saisit, qui me sollicite à chaque instant, et fait du paysage
autre chose qu'une perspective, autre chose que ce quej'ai appelé le tableau.
Le corrélat du tableau, à situer à la même place que lui, c'est-à-dire au-
dehors, c'est le point de regard. Quant à ce qui, de l'un à l'autre, fait la
médiation, ce qui est entre les deux, c'est quelque chose d'une autre nature
que l'espace optique géométral, quelque chose qui joue un rôle exacte
ment inverse, qui opère, non point d'être traversable, mais au contraire
d'être opaque — c'est l'écran.
Dans ce qui se présente à moi comme espace de la lumière, ce qui est
«9
DU KBGARD
Tel est le rapport du sujet avec le domaine de la vision. Sujet n'est point
ici à entendre au sens courant du mot sujet, au sens subjectif— ce rapport
n'est point un rapport idéaliste. Ce survol que j'appelle le sujet, et que je
tiens pour donner consistance au tableau, n'est pas un survol simplement
représentatif
H est ici plusieurs façons de se tromper concernant cettefonctiondu sujet
dans le domaine du spectacle.
Assurément, la fonction de synthèse de ce qui se passe en arrière de la
rétine, il y en a des exemples dans la Phénoménologie de la perception. Merleau-
Ponty extrait savamment d'une abondante littérature des faits très remar
quables, qui montrent par exemple que le seul fait de masquer, grâce à un
écran, une partie d'un champ fonctionnant comme source de couleurs
composées—faites par exemple de deux roues, de deux écrans, qui en tour
nant l'une derrière l'autre, doivent composer un certain ton de lumière —
que cette seule intervention fait voir d'une façon toute différente la compo
sition dont il s'agit. Ici nous saisissons, en effet, la fonction purement sub
jective, au sens ordinaire du mot, la note de mécanisme central qui inter
vient, car le jeu de lumière agencé dans l'expérimentation et dont nous
connaissons toutes les composantes est distinct de ce qui est perçu par le
sujet
Autre chose encore est de s'apercevoir — ce qui a bien une face subjec
tive, mais tout autrement accommodée — des effets de reflet d'un champ,
ou d'une couleur. Plaçons par exemple un champ jaune à côté d'un champ
bleu — le champ bleu, de recevoir la lumière réfléchie sur le champ jaune,
en subira quelque modification. Mais assurément, tout ce qui est couleur
n'est que subjectif— nul corrélat objectif dans le spectre ne nous permet
d'attacher la qualité de la couleur à la longueur d'onde, ou à la fréquence
intéressée à ce niveau de la vibration lumineuse. H y a bien là quelque chose
de subjectif, mais situé différemment
Est-ce là tout? Est-ce là ce dont je parle quand je parle de la relation du
sujet à ce que j'ai appelé le tableau? Certes pas.
90
LA UGNB BX IA LUMIÈRI
92
LA UGNB BT LA LUMIÈRE
Dans cette direction, une remarque du même Caillois nous guide, qui
nous assure que les faits du mimétisme sont analogues, au niveau animal,
à ce qui, chez l'être humain, se manifeste comme art, ou peinture. La seule
chose qu'on puisse y objecter, c'est que cela semble indiquer que, pour
René Caillois, la peinture, c'est assez clair pour qu'on puisse s y référer
afin d'expliquer autre chose.
Qu'est-ce que la peinture? Ce n'est évidemment pas pour rien que nous
avons nommé tableau, la fonction où le sujet a à se repérer comme tel
Mais quand un sujet humain s'engage à en faire un tableau, à mettre en
oeuvre ce quelque chose qui a pour centre le regard, de quoi s'agit-il? Dans
le tableau, l'artiste, nous disent certains, veut être sujet, et l'art de la peinture
se distingue de tous les autres en ceci que, dans l'œuvre, c'est comme sujet,
comme regard, que l'artiste entend, à nous, s'imposer. A cela, d'autres
répondent en mettant en valeur le côté objet du produit de l'art. Dans ces
deux directions, quelque chose de plus ou moins approprié se manifeste,
qui assurément n'épuise pas ce dont il s'agit
J'avancerai la thèse suivante — assurément, dans le tableau, toujours se
manifeste quelque chose du regard. Le peintre le sait bien, dont la morale,
la recherche, la quête, l'exercice, est vraiment, qu'il s'y tienne ou qu'il en
varie, la sélection d'un certain mode de regard. A regarder des tableaux
même les plus dépourvus de ce qu'on appelle communément le regard et
qui est constitué par une paire d'yeux, des tableaux où toute représentation
de la figure humaine est absente, tel paysage d'un peintre hollandais ou
flamand, vous finirez par voir, comme en filigrane, quelque chose de si
spécifié pour chacun des peintres que vous aurez le sentiment de la présence
du regard. Mais ce n'est là qu'objet de recherche, et qu'illusion peut-être.
La fonction du tableau—par rapport à celui à qui le peintre» littéralement,
donne à voir son tableau — a un rapport avec le regard. Ce rapport n'est
pas, comme il semblerait à une première appréhension, d'être piège à regard.
On pourrait croire, que, tel l'acteur, le peintre vise au m'as-tu-vu, et désire
être regardé. Je ne le crois pas. je crois qu'il y a un rapport au regard de
l'amateur, mais qu'il est plus complexe. Le peintre, à celui qui doit être
devant son tableau, donne quelque chose qui, dans toute une partie, au
moins, de la peinture, pourrait se résumer ainsi — Tu veux regarder? Eh
hien9 vois donc ça! Ü donne quelque chose en pâture à l'œil, mais il invite
celui auquel le tableau est présenté à déposer là son regard, comme on
dépose les armes. C'est là l'effet pacifiant, apollinien, de la peinture. Quelque
chose est donné non point tant au regard qu'à l'œil, quelque chose qui
comporte abandon, dépôt, du regard.
93
PU RBGAM)
Ce qui fait problème, c'est que toute une face de la peinture se sépare de
ce champ—la peinture expressionniste. Celle-là» et c'est ce qui la distingue»
elle donne quelque chose qui va dans le sens d'une certaine satisfaction —
au sens oh Freud emploie le terme quand il s'agit de satisfaction de la pul
sion — d'une certaine satisfaction à ce qui est demandé par le regard.
En d'autres termes, il s'agit de poser maintenant la question de ce qu'il
en est de l'œil comme organe. La fonction» dit-on» crée l'organe» Pure absur
dité—die ne l'explique même pas. Tout ce qui est dans l'organisme comme
organe se présente toujours avec une grande multiplicité de fonctions. Dans
l'oeil, il est clair que des fonctions diverses se conjuguent La fonction
discriminatoire s'isole au maximum au niveau de hfovea, point élu de la
vision distincte. Il se fait autre chose sur tout le reste de la surface de la rétine»
injustement dbtingué par les spécialistes comme lieu de la fonction scoto-
pique. Mais là» le chiasme se retrouve» puisque c'est ce dernier champ» soi-
disant fait pour percevoir ce qui est dans des effets d'éclairement moindre»
qui donne au maximum la possibilité de percevoir des effets de lumière.
Une étoile de cinquième ou sixième grandeur» si vous voulez la voir —
c'est le phénomène d'Ârago — ne la fixez pas tout droit C'est précisément
à regarder un tout petit peu à côté qu'elle peut vous apparaître.
Ces fonctions de l'œil n'épuisent pas le caractère de l'organe en tant qu'il
surgit sur le divan» et qu'il y détermine ce que tout organe détermine —
des devoirs. Ce qui fait la faute de la référence à l'instinct» si confuse» c'est
qu'on ne s'aperçoit pas que l'instinct» c'est la façon dont un organisme a à
se dépêtrer aux meilleuresfinsavec un organe. Les exemples sont nombreux»
dans l'échelle animale» de cas où c'est le surcroît, l'hyper-développement
d'un organe» devant quoi l'organisme succombe. La prétendue fonction de
l'instinct dans le rapport de l'organisme à l'organe semble bien avoir à se
définir dans le sens d'une morale. Nous nous émerveillons des soi-disant
préadaptations de l'instinct. La merveille est que» de son organe» l'organisme
peut faire quelque chose.
Pour nous» dans notre référence à l'inconscient» c'est du rapport à l'organe
qu'il s'agit H ne s'agit pas du rapport à la sexualité» ni même au sexe, si
tant est que nous puissions donner» à ce terme une référence spécifique —
mais du rapport au phallus» en tant qu'il fait défaut à ce qui pourrait être
atteint de réel dans la visée du sexe.
C'est pour autant que» au cœur de l'expérience de l'inconscient» nous
avons affaire à cet organe — déterminé chez le sujet par l'insuffisance orga
nisée dans le complexe de castration — que nous pouvons saisir dans quelle
mesure l'œil est pris dans une dialectique semblable.
Dès le premier abord» nous voyons» dans la dialectique de l'œil et du
regard, qu'il n'y a point coïncidence» mais foncièrement leurre. Quand»
dans l'amour» je demande un regard» ce qu'il y a de foncièrement insatis-
94
T«A UGNB BT LA LUMIÈRE
B£PONSBS ■>
95
DU REGARD
rien pour lui. Dans l'anorexie mentale» ce que l'enfant mange» c'est le rien.
Vous saisissez par ce biais comment l'objet du sevrage peut venir à fonction
ner au niveau de la castration» comme privation.
Le niveau anal est le lieu de la métaphore — un objet pour un autre,
donner les fèces à la place du phallus. Vous saisissez là pourquoi la pulsion
anale est le domaine de loblativité, du don et du cadeau. Là où on est pris
de court» là où on ne peut, en raison du manque» donner ce qui est à donner»
on a toujours la ressource de donner autre chose. C'est pourquoi» dans sa
morale» l'homme s'inscrit au niveau anaL Et c'est vrai tout spécialement
du matérialiste.
Au niveau scopique» nous ne sommes plus au niveau de la demande,
mais du désir» du désir à l'Autre. Il en est de même au niveau de la pulsion
invocante» qui est la plus proche de l'expérience de l'inconscient
D'une façon générale» le rapport du regard à ce qu'on veut voir est un
rapport de leurre. Le sujet se présente comme autre qu'il n'est» et ce qu'on
lui donne à voir n'est pas ce qu'il veut voir. C'est par là que l'œil peut fonc
tionner comme objet a, c'est-à-dire au niveau du manque (-9).
4 MARS 1964.
IX
97
Séminaire /Lacan.
DU REGARD
se présente comme U travesti. Sam aucun doute, c'est par l'intermédiaire des
masques que le masculin, le féminin, se rencontrent de lafaçonla plus aigug,
la plus brûlante.
Seulement le sujet — le sujet humain, le sujet du désir qui est l'essence
de lliomme — n'est point, au contraire de l'animal, entièrement pris par
cette capture imaginaire. H s'y repère. Comment? Dans la mesure où il
isole, lui, la fonction de l'écran, et enjoué. L'homme, en effet, sait jouer du
masque comme étant ce au-delà de quoi il y a le regard. L'écran est ici le
lieu de la médiation.
J'ai fait allusion, la dernière fois, à cette référence que donne Maurice
Merleau-Ponty dans la Phénoménobgie de la perception où, sur des exemples
bien choisis qui rdèvent des expériences de Gelb et Goldstein, on voit
déjà, au niveau amplement perceptif, comment l'écran rétablit les choses,
dans leur statut de réel Si, à être isolé, un effet d'éclairage nous domine,
si, par exemple, un pinceau de la lumière qui conduit notre regard nous
captive au point de nous apparaître comme un cône laiteux et de nous
empêcher de voir ce qu'il éclaire — le seul feit d'introduire dans ce champ
un petit écran, qui tranche sur ce qui est éclairé sans être vu, feit rentrer
dans l'ombre, si l'on peut dire, la lumière laiteuse etfeitsurgir l'objet qu'elle
cachait.
C'est, au niveau perceptif le phénomène d'une relation qui est à prendre
dans une fonction plus essentielle, à savoir que, dans son rapport au désir,
la réalité n'apparaît que marginale.
C'est bien là un des traits qu'on semble n'avoir guère vu dans la création
picturale. C'est pourtant un jeu captivant que de retrouver dans le tableau
ce qui est, à proprement parler, composition, lignes de partage des surface?
créées par le peintre, lignes defiiite,lignes de force, bâtis où l'image trouve
son statut—mais je m'étonne que dans un livre, d'ailleurs remarquable, on
les nomme charpentes. Car on élude ainsi leur effet principal Par une sorte
d'ironie, au dos de ce livre, il figure néanmoins, comme plus exemplaire
qu'un autre, un tableau de Rouault où l'on désigne un tracé circulaire qui
feit saisir l'essentiel de ce dont il s'agit
En effet, il y a quelque chose dont toujours, dans un tableau, on peut noter
l'absence—au contraire de ce qu'il en est dans la perception* C'est le champ
central, où le pouvoir séparatif de l'œil s'exerce au maximum dans la vision«
99
DU REGARD
Dans le champ scopique, tout s'articule entre deux termes qui jouent de
façon antinomique — du côté des choses il y a le regard, c'est-à-dire les
choses me regardent, et cependant je les vois. C'est dans ce sens qu'il faut
entendre la parole martelée dans l'Evangile — Ib ont des yeux paurne pas
voir. Pour ne pas voir quoi? —justement que les choses les regardent
C'est là la raison pourquoi j'ai fait entrer la peinture dans notre champ
d'exploration par la petite porte que nous donnait Roger Caillois—toutle
monde s'est aperçu la dernière fois que j'avais fait un lapsus en le nommant
René, Dieu sait pourquoi — en remarquant que le mimétisme est sans
doute l'équivalent de la fonction qui, chez l'homme, s'exerce par la pein
ture.
Ce n'est point pour nous occasion de faire ici la psychanalyse du peintre,
toujours si glissante, si scabreuse, et qui provoque toujours chez l'auditeur
une réaction de pudeur. Il ne s'agit pas non plus de critique de la peinture,
et pourtant quelqu'un qui m'est proche, et dont les appréciations comptent
beaucoup pour moi, m'a dit avoir été gêné que j'abordasse quelque chose
qui y ressemblât Bien sûr, c'est là danger, et j'essaierai de faire qu'il n'y ait
pas de confusion.
Si on considère toutes les modulations qu'ont imposées à la peinture les
variations au cours des temps de la structure subjectivante, il est clair qu'au*
cune formule ne permet de rassembler ces visées, ces ruses, ces trucs infini
ment divers. Vous avez bien vu d'ailleurs, la dernière fois, qu'après avoir
formulé qu'il y a dans la peinture du dompte-regard, c'est-à-dire que celui
qui regarde est toujours amené par la peinture à poser bas son regard, j'ame
nais aussitôt ce correctif que c'est pourtant dans un appel tout à fait direct
au regard que se situe l'expressionnisme. Pour ceux qui hésiteraient, j'in
carne ce que je veux dire —je pense à la peinture d'un Münch, d'un James
Ensor, d'un Kubin, ou encore à cette peinture que, curieusement, on pour
rait situer de façon géographique comme assiégeant ce qui de nos jours
se concentre de la peinture à Paris. Pour quel jour verrons-nous forcées les
limites de ce siège? — c'est bien, si j'en crois le peintre André Masson avec
quij'en parlais récemment, la question la plus présente. Eh bien! indiquer des
ioo
QU'EST-GB QU'UN TABLEAU?
la grande salle du palais des Doges où sont peintes toutes sortes de batailles
de Lépante ou d'ailleurs. La fonction sociale» qui se dessinait déjà au niveau
religieux» s'y fait bien voir. Qui vient en ces lieux? Ceux qui forment ce
que Retz appelle les peuples. Et qu'est-ce que les peuples voient dans ces
vastes compositions? le regard des gens qui» quand ils ne sont pas là» eux les
peuples» délibèrent dans cette salle. Derrière le tableau» c'est leur regard
qu'il y a là.
Vous le voyez» on peut dire qu'il y a toujours tout plein de regards là-
derrière. Rien de nouveau n'est introduit à cet égard par l'époque qu'André
Malraux distingue comme moderne» celle où vient à dominer ce qu'il
appelle le monstre incomparable, à savoir le regard du peintre» qui prétend
s'imposer comme étant» à lui tout seul» le regard. H y a toujours eu du
regard là-derrière. Mais — c'est là le point le plus subtil — ce regard, d'où
vient-il?
Nous revenons maintenant aux petits bleus, petits blancs, petits bruns de
Cézanne» ou encore à ce que Maurice Merleau-Ponty met si joliment en
exemple à un détour de Signes, à cette étrangeté du film au ralenti où l'on
saisit Matisse en train de peindre. L'important est que Matisse lui-même en
ait été bouleversé. Maurice Merleau-Ponty souligne le paradoxe de ce
geste qui» agrandi par la distension du temps» nous permet d'imaginer la
délibération la plus parfaite dans chacune de ces touches. Ce n'est là que
mirage» dit-il. Au rythme où il pleut du pinceau du peintre ces petites tou
ches qui arriveront au miracle du tableau» il ne s'agit pas de choix, mais
d'autre chose. Cet autre chose» est-ce que nous ne pouvons pas essayer de
le formuler?
Est-ce que h question n'est pas à prendre au plus près de ce quej'ai appelé
la pluie du pinceau? Est-ce que» si un oiseau peignait» ce ne serait pas en
laissant choir ses plumes» un serpent ses écailles» un arbre à s'écheniller et à
faire pleuvoir ses feuilles? Ce qui s'accumule ici» c'est le premier acte de la
déposition du regard. Acte souverain sans doute puisqu'il passe dans quel
que chose qui se matérialise et qui» de cette souveraineté» rendra caduc»
exclu» inopérant» tout ce qui» venu d'ailleurs» se présentera devant ce pro
duit
N'oublions pas que la touche du peintre est quelque chose où se termine
un mouvement Nous nous trouvons là devant quelque chose qui donne un
sens nouveau et différent au terme de régression — nous nous trouvons
devant l'élément moteur au sens de réponse» en tant qu'il engendre» en
arrière» son propre stimulus.
C'est là ce par quoi la temporalité originale par où se situe comme distincte
104
QU'EST-CE QU'UN TABLEAU?
ios
DU REGARD
C'est à ce registre de l'œil comme désespéré par le regard qu'il nous faut
aller pour saisir le ressort apaisant» civilisateur et charmeur» de la fonction
du tableau. Le rapport foncier du a au désir me servira comme exemplaire
dans ce que j'introduirai maintenant concernant le transfert
RÉPONSES
Japonais, à faire autant de grimaces qu'eux. Nos récentes armes, nous pou
vons aussi les considérer comme des gestes. Fasse le ciel qu'elles puissent se
tenir à ce statut!
L'authenticité de ce qui vient au jour dans la peinture est amoindrie chez
nous, êtres humains, du fait que nos couleurs, u faut bien que nous allions
les chercher là où eues sont, c'est-à-dire dans la merde. Si j'ai fait allusion
aux oiseaux qui pourraient se déplumer, c'est parce que nous, nous n'avons
pas ces plumes. Le créateur ne participera jamais qu'à la création d'un petit
dépôt sale, d'une succession de petits dépôts sales juxtaposés. C'est par cette
dimension que nous sommes dans la création scopique — le geste en tant
que mouvement donné à voir.
Ça vous satisfait, cette explication? Est-ce bien la question que vous me
posiez?
— Non, j'aurais voulu que vous précisiez ce que vous avez dit sur cette tempo»
ralité à laquelle vous avez déjà fait allusion unefois, et qui suppose, il me semble,
des références que vous avez posées ailleurs sur le temps logique.
107
DU REGARD
Je n'ai pas dit ça. J'ai émis la supposition que les quelques traces qu'il
y a de la moutarde inconsciente dans ses notes l'auraient peut-être amené à
passer, disons, dans mon champ. Mais je n'en suis pas sûr.
Absolument rien«
il MARS 1964.
LE TRANSFERT ET LA PULSION
X
PRÉSENCE DE L'ANALYSTE
Problèmes du transfert.
Vobscurantisme Jans l'analyse.
Ablata causa.
L'Autre, déjà 11
L'inconscient est au-dehors.
Un article de /'International Journal.
113
LE TRANSFERT ET LA PULSION
des choses» des choses confuses dont le maniement n'est pas toujours adéquat»
Nous dirons avec plus de justesse que le transfert positif» c'est quand celui
dont il s'agit» l'analyste en l'occasion» eh bien! on l'a à la bonne — négatif,
on l'a à l'oeil.
Il y a un autre emploi du terme de transfert qui mérite d'être distingué,
quand on dit qu'il structure toutes les relations particulières à cet autre
qu'est l'analyste, et que la valeur de toutes les pensées qui gravitent autour
de cette relation doit être connotée d'un signe de réserve particulier. D'où
l'expression — qui est toujours mise en note comme une sorte de paren
thèse, de suspension» voire de suspicion, lorsqu'elle est introduite à propos
de la conduite d'un sujet — il est en plein transfert. Cela suppose que tout son
mode d'aperception est restructuré sur le centre prévalent du transfert.
Je ne poursuis pas plus loin parce que ce double repérage sémantique me
semble pour l'instant suffisant.
Nous ne saurions, bien sûr, nous en contenter d'aucune façon, puisque
notre but est d'approcher le concept du transfert.
Ce concept est déterminé par la fonction qu'il a dans une praxis. Ce
concept dirige la façon de traiter les patients. Inversement, la façon de les
traiter commande le concept
Il peut sembler que c'est là, dès l'abord, trancha: d'une question de
savoir si le transfert est, ou non, hé à la pratique analytique, s'il en est un
produit, voire un artefact. Quelqu'un, Ida Madalpine, parmi les nombreux
auteurs qui ont été amenés à opiner sur le transfert, a poussé au plus loin la
tentative d'articuler le transfert dans ce sens. Quel que soit son mérite — il
s'agit d'une personne fort têtue—disons tout de suite que nous ne pouvons,
d'aucune façon, recevoir cette position extrême.
De toute façon, ce n'est pas trancher la question que d'amener ainsi son
abord. Si même nous devons considérer le transfert comme un produit de
la situation analytique, nous pouvons dire que cette situation ne saurait
créer de toute pièce le phénomène, et que, pour le produire, il faut qu'il
y ait, en dehors d'elle, des possibilités déjà présentes auxquelles elle donnera
leur composition, peut-être unique.
Cela n'exclut nullement, là où il n'y a pas d'analyste à l'horizon, qu'il
puisse y avoir, proprement, des effets de transfert exactement structûrables
comme lejeu du transfert dans l'analyse. Simplement, l'analyse, à les décou
vrir, permettra de leur donner un modèle expérimental, qui ne sera pas du
toutforcémentdifférent du modèle que nous appellerons naturel. De sorte
que faire émerger le transfert dans l'analyse, où il trouve ses fondements
structuraux, peut fort bien être la seule façon d'introduire l'universalité
de l'application de ce concept. Il suffira alors de couper le cordon de son
arrimage dans la sphère de l'analyse, et bien plus encore, de la doxa qui y est
attenante.
114
PRÉSENCE DB L'ÀNALYSTB
Tout cela, après tout, n'est que truisme. Encore valait-il la peine, à ren
trée, d'en poser la borne.
Cette introduction a pour but de vous rappeler ceci — aborder les fonde*
ments de la psychanalyse suppose que nous y apportions, entre les concepts
majeurs qui la fondent, une certaine cohérence. Celle-ci se marque déjà
dans la façon dont j'ai abordé le concept de l'inconscient — dont vous
pouvez vous souvenir que je n'ai pu le séparer de la présence de l'analyste.
Présence de l'analyste — c'est uü fort beau terme, qu'on aurait tort de
réduire à cette sorte de prêcherie larmoyante, à cette boursouflure séreuse,
à cette caresse un peu gluante, qui l'incarne dans un livre qui aparusousce
titre.
La présence de l'analyste est elle-même une manifestation de l'inconscient,
de sorte que lorsqu'elle se manifeste de nos jours en certaines rencontres,
comme refus de l'inconscient — c'est une tendance, et avouée, dans la
pensée que formulent certains—cela même doit être intégré dans le concept
de l'inconscient. Vous avez là un accès rapide à la formulation que j'ai
mise au premier plan, d'un mouvement du sujet qui ne s'ouvre que pour
se refermer, en une certaine pulsation temporale — pulsation que je mar
que comme plus radicale que l'insertion dans le signifiant qui sans doute la
motive, mais ne lui est pas primaire au niveau de l'essence, puisque d'essence,
on m'a provoqué de parler.
J'ai indiqué, de façon maïeutique, éristique, qu'il allait voir dans l'incons
cient les effets de la parole sur le sujet — pour autant que ces effets sont si
radicalement primaires qu'ils sont proprement ce qui détermine le statut
du sujet comme sujet C'est là une proposition destinée à restituer l'incons
cientfreudienà sa place. Assurément, l'inconscient était présent depuis tou
jours, existait, agissait, avant Freud, mais il importe de souligner que toutes
les acceptions qui pnt été données, avant Freud, de cette fonction de l'ins-
conscient, n'ont avec l'inconscient de Freud absolument rien à faire*
L'inconscient primordial, l'inconscient fonction archaïque, l'inconscient
présence voilée d'une pensée à mettre au niveau de l'être avant qu'elle se
révèle, l'inconscient métaphysique d'Edouard von Hartmann — quelque
référence qu'y fasse Freud dans un argument ad hominem — l'inconscient
surtout comme instinct,— tout cela n'a rien à faire avec l'inconscient de
Freud,rienà faire — quel que soit le vocabulaire analytique, ses inflexions,
ses infléchissements, — rien à faire avec notre expérience. J'interpellerai ici
les analystes — avez-vous jamais, un seul instant, te sentiment de manier la
pâte de Vinstinä?
J'ai procédé, dans mon rapport de Rome, à une nouvelle alliance avec
"S
LE TRANSFERT ET LA PULSION
un drame initial et radical quant à tout ce qu'on peut mettre sous la rubrique
du psychique, la novation à laquelle j'ai fait allusion, et qui se nomme rappel
du champ et de la fonction de la parole et du langage dans l'expérience psychana-
lytique, ne prétend pas être une position d'exhaustion par rapport à l'incons
cient, puisqu'elle est, elle-même, intervention dans le cotait Ce rappel
a sa portée immédiate en ceci que lui-même a une incidence transférentieUe.
Aussi bien cela est-il reconnu, du fait que, justement, on a pu reprocher à
mon séminaire déjouer, par rapport à mon audience, une fonction consi
dérée par l'orthodoxie de l'association psychanalytique comme périlleuse,
d'intervenir dans le transfert Or, loin que je la récuse, cette incidence me
parait, en effet, radicale, pour être constitutive de ce renouvellement de
l'alliance avec la découverte de Freud. Cela indique que la cause de l'incons
cient— et vous voyez bien qu'ici le mot cause est à prendre dans son ambi
guïté, cause à soutenir, mais aussifonctiondelà cause au niveau de l'incons
cient —cette cause doit être foncièrement conçue comme une cause perdue.
Et c'est la seule chance qu'on ait de la gagner.
C'est pourquoi j'ai mis çn relief dans le concept méconnu de la répétition
ce ressort qui est edui dç la rencontre toujours évitée, de la chance manquée.
La fonction de ratage est au centre de la répétition analytique. Le rendez-
vous est toujours manqué — c'est ce qui fait, au regard de la tuché, la vanité
de la répétition, son occultation constitutive;
Le concept de la répétition nous fait buta: sur le dilemme, on d'assumer
purement et simplement notre implication comme analyste dans le carac
tère éristique du discord de tout exposé de notre expérience — ou de polir
le concept au niveau de quelque chose qui serait impossible à objectiver,
sinon d'une analyse transcendentale de la cause.
Celle-ci se formulerait à partir de la formule classique de YMata causa
tollitur effectus — nous n'aurions qu'à souligner le singulier de la protase,
Mata causa, en mettant au pluriel les termes de l'apodose, tolluntur effectus
— ce qui voudrait dire que les effets ne se partent bien quen Vabsence de la
cause. Tous les effets sont soumis à la pression d'un ordre transfactuel, causal,
qui demande à entrer dans leur dame, mais, s'ils se tenaient bien la main,
comme dans la chanson, ilsferaientobstacle à ce que la cause s'immisce dans
leur ronde.
A cet endroit, il faut définir la cause inconsciente, ni comme un étant, ni
comme un o&xSv, un non-étant,—comme le fait, je crois Henri Ey, un non-
étant de la possibilité. Elle est un ^ Sv, de l'interdiction qui porte à l'être
un étant malgré son non-avènement, elle est une fonction de l'impossible
sur quoi se fonde une certitude.
H7
IB TRANSFERT ET LA PULSION
Ce que Freud nous indique, dès le premier temps, c'est que le transfert
est essentiellement résistant, Übertragungswiderstand. Le transfert est le moyen
par où s'interrompt la communication de l'inconscient, par où l'inconscient
se referme. Loin d'être la passation de pouvoirs, à l'inconscient, le transfert
est au contraire sa fermeture.
Cela est essentiel à marquer le paradoxe qui s'exprime assez communé
ment en ceci — qui peut être trouvé même dans le texte de Freud — que
l'analyste doit attendre le transfert pour commença: à donner l'interpré
tation.
Je veux accentuer cette question parce qu'elle est la ligne de partage de la
bonne et de la mauvaise façon de concevoir le transfert.
H y a, dans la pratique analytique, de multiples façons de le faire. Elles ne
s'excluent pas forcément Elles peuvent être définies à différents niveaux.
Par exemple, si les conceptions de la relation du sujet à telle ou telle de ces
instances que, dans le second temps de sa Topique, Freud a pu définir comme
l'idéal du moi ou le surmoi, sont partielles, ce n'est souvent que de donner
seulement une vue latéralisée de ce qui est essentiellement le rapport avec
le grand Autre. '
Mais il est d'autres divergences qui, dies, sont irréductibles. H est une
conception qui, là où elle se formule, ne peut que contaminer la pratique—
celle qui veut que l'analyse du transfert procède sur le fondement d'une
alliance avec la partie saine du moi du sujet, et qu'elle consiste à faire appel
à son bon sens, pour lui faire remarquer le caractère illusoire de telles de ses
conduites à l'intérieur de la relation avec l'analyste. C'est là une thèse qui
subvertit ce dont il s'agit, à savoir la présentification de cette schize du sujet,
réalisée ici, effectivement, dans la présence. Faire appel à une partie saine du
sujet, qui serait là dans le réel, apte àjuger avec l'analyste ce qui se passe dans
le transfert, c'est méconnaître que c'est justement cette partie-là qui est
intéressée dans le transfert, que c'est elle qui ferme la porte, ou la fenêtre,
ou les volets, comme vous voudrez—et que la belle avec qui on veut parler
est là derrière, qui ne demande qu'à les rouvrir, les volets. C'est bien pour
ça que c'est à ce moment que l'interprétation devient décisive, car c'est à
la belle qu'on a à s'adresser.
Je ne ferai qu'indiquer ici la réversion que comporte ce schéma par rapport
au modèle qu'on en a dans la tête. Je dis quelque part que Vinconscient,
c'est le discours de VAutre. Or, le discours de l'Autre qu'il s agit de réaliser,
celui de l'inconscient, il n'est pas au-delà de lafermeture,il est au-dehors.
C'est lui qui, par la bouche de l'analyste, en appelle à la réouverture du
volet *
Il n'en reste pas moins qu'il y a un paradoxe à désigner dans ce mouvement
de fermeture le moment initial où l'interprétation peut prendre sa portée.
Et ici se révèle la crise conceptuelle permanente qui existe dans l'analyse,
119
LE TRANSFERT ET LA PULSION
4
Il y a une crise dans l'analyse, et je suis fondé, parce qu'iln'y a là rien de
partial, à choisir le dernier texte qui peut la manifester de la façon la plus
éclatante, de n'être pas d'un esprit médiocre. C'est un article serré, très
prenant, de Thomas S. Szasz — qui nous parle de Syracuse, cela ne le rend
pas plus apparenté, hélas, à Ârchimède, car cette Syracuse est dans l'État de
New York — paru dans le dernier numéro de VInternational Journal of Psy-
choanalysis.
Cet article est inspiré à son auteur par une idée cohérente avec la recherche
qui inspire ses articles précédents, une recherche véritablement émouvante
de l'authenticité du chemin analytique.
Il est tout àfeitfrappantqu'un auteur, d'ailleurs des plus estimés dans son
cercle, qui est celui de la psychanalyse exactement américaine, considère le
transfert comme rien d'autre qu'une défense du psychanalyste, et aboutisse
à une conclusion comme celle-ci — le transfert est le pivot sur lequel la struc-
ture entière du traitement psychanalytique repose. C'est un concept qu'il appelle
inspired —je me méfie toujours des feux amis dans le vocabulaire anglais,
j'ai essayé d'en peser la traduction. Cet inspired ne me parait pas vouloir
dire inspiré, mais quelque chose comme officieux — c'est un concept officieux
autant qu'indispensable —je cite — encore donne-t-il asile — harbour —. aux
germes, non seulement de sa propre destruction, mais de la destruction de la psycha-
nalyse elle-même. Pourquoi? Parce qu'il tend à placer la personne de Vanalyste,
au-delà de l'épreuve delaréaHté,teUequ'ilpeutlatemrdesespatientsydesescollègues
et de lui-même. Ce risque — this hazard — doit être carrément — frankly —
reconnu. Ni la professionnalisation9 ni l'élévation des standards, ni lés analyses
didactiques pousséesjusqu'au forçage — coerced training analysis — ne peuvent
nous protéger contre ce danger. Et c'est ici la confusion — seule Yintégrité, de
l'analyste et de la situation analytique peut nous sauver de Yextinction de — the
unique dialogue — du dialogue unique entre l'analyste et Yanalysé.
» Cette impasse entièrement forgée est, pour l'auteur, nécessitée du feit
120
PRÉSBNCB DB I/ÀNÀLYSTB
même qu'il ne saurait concevoir l'analyse du transfert que dans les termes
d'un assentiment obtenu de la partie saine du moi, celle qui est apte à juger
de la réalité et à trancher de l'ulùsion.
Son article commence ainsi» logiquement — le transfert est semblable à des
concepts comme ceux je Ferreur, Je Villusion ou dufantasme. Une fois obtenue la
présence du transfert» c'est une question d'accord entre l'analysé et l'ana
lyste» à ceci près que» l'analyste étant ici juge sans appel et sans recours» nous
sommes conduits à dénommer toute analyse du transfert un champ de
purrisque»sans contrôle.
Je n'ai pris cet article que comme un cas limite» mais démonstratif, à
nous inciter à restituer ici une détermination qui fasse entrer en jeu un autre
ordre. Cet ordre est celui de la vérité. La vérité ne se fonde que de ce que la
parole» même mensongère» y fait appel et la suscite. Cette dimension est
toujours absente du logico-positivisme qui se trouve dominer l'analyse du
concept du transfert par Szasz.
On a pu parler» à propos de ma conception de la dynamique inconsciente,
d'intellectualisation — sous, prétexte que j'y mettais au premier rang la
fonction du signifiant. Ne voit-on pas apparaître que c'est dans ce mode
opératoire — où tout se joue de la confrontation d'une réalité et d'une
connotation d'illusion portée sur le phénomène du transfert — que réside
bel et bien l'intellectualisation prétendue?
Loin que nous ayons à considérer deux sujets» dans une position duelle» à
discuter d'une objectivité qui se serait là» déposée comme l'effet de chute
d'une compression dans le comportement» il nous faut faire surgir le domaine
de la tromperie possible. Quand je vous ai introduit le sujet de la certitude
cartésienne comme le point de départ nécessaire de toutes nos spéculations
sur ce que révèle l'inconscient» j'ai bien marqué chez Descartes le rôle de
balancier essentiel qu'est l'Autre qui» dit-on» ne doit être en aucun cas
trompeur. Cet Autre» dans l'analyse» le danger c'est qu'il soit trompé. Ce
n'est pas la seule dimension qu'il y a à appréhender dans le transfert Mais»
avouez que s'il y a un domaine où» dans le discours» la tromperie a quelque
part chance de réussir» c'est assurément l'amour qui en donne le modèle.
Quelle meilleure manière de s'assurer» sur le point où on se trompe» que
de persuader l'autre de la vérité de ce qu'on avance! N'est-ce pas là une
structure fondamentale de la dimension de l'amour que le transfert nous
donne l'occasion d'imager? A persuader l'autre qu'il a ce qui peut nous
compléter» nous nous assurons de pouvoir continuer à méconnaître préci
sément ce qui nous manque. Le cercle de la tromperie» en tant qu'à point
nommé il fait surgir la dimension de l'amour — voilà qui nous servira de
porte exemplaire» pour la prochaine fois en démontrer le tour.
Mais ce nest pas tout ce que j'ai à vous montrer» car ce n'est pas ce qui
cause radicalement la fermeture que comporte le transfert. Ce qui le cause»
121
US TRANSFERT ST LA PULSION
et qui sera lautre face de notre examen des concepts du transfert, c'est —-
se rapportant au point d'interrogation inscrit dans la partie gauche, partie
d'ombre, réservée — ce que j'ai désigné par l'objet a.
RÉPONSES
15 AVRIL 1964.
XI
ANALYSE ET VÉRITÉ
OU LA FERMETURE DE L'INCONSCIENT
•v
J'ai introduit la dernière fois le concept de transfert Je l'ai fait d'une façon
problématique, en me fondant sur les difficultés qu'il impose à l'analyste. J'ai
>ris le hasard à moi offert par la rencontre du dernier article publié dans
{'organe le plus officiel de la psychanalyse, XInternational Journal ofPsychô-
analysis, qui va jusqu'à mçttre en cause l'utilisation dans l'analyse de la
notion de transfert. J'en vais poursuivre la lecture.
i
Selon l'auteur, l'analyste est censé pointer pour le patient les effets de
discordances, plus ou moins manifestes, qui se produisent à l'endroit de la
réalité de la situation analytique, à savoir les deux sujets réeb qui y sont
présents*
Ily a d'abord les cas où l'effet de discordance est bien évident On peut le
voir illustrer sous la plume humoristique d'un Spitz, unvieux de la vieille qui
en connaît un bout, à bien amuser son public. D prend comme exemple une
de ses patientes, qui, dans un rêve qu'on appelle de transfert — c'est-à-dire
de réalisations amoureuses avec son analyste, en l'occasion, lui,' Spitz, —
le voit pourvu d'une chevelure aussi blonde qu'abondante — ce qui, à
toute personne qui a entrevu le crâne en œuf du personnage, et il est assez
connu pour être célèbre, apparaîtra un cas sur lequel l'analyste pourra aisé
ment montrer au sujet à quelles distorsions les effets de l'inconscient l'ont
poussé.
Mais quand il s'agit de qualifier une conduite du patient comme déso
bligeante à l'endroit de l'analyste — de deux choses Tm?9 nous dit Szasz, ou
125
LB TRANSFERT ET LA PULSION
bien te patient est d'accord, — ou s'il ne l'est point, qui tranchera, sinon la position
principielk que l'analyste a toujours raison. Ce qui nous rejette vers ce pôle à
la fois mythique et idéalisant que Szasz appelle Yintégrité de Yanalyste.
Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, si ce n'est le rappel à la dimension
de la vérité?
Je ne puis donc situer cet article que dans cette perspective où son auteur
lui-même le place, le considérant comme opérant à titre non point heuris
tique, mais éristique, et manifestant, dans sa réflexion en impasse, la présence
d'une véritable crise de conscience dans la fonction de l'analyste. Cette crise
de conscience ne nous intéresse que de façon latérale, puisque nous avons
montré qu'y aboutirait nécessairement une certaine façon unilatérale de
théoriser la pratique de l'analyse du transfert C'est une pente que nous
avons nous-même, dès longtemps, dénoncée.
Pour nous ramener aux données presque phénoménologiques qui nous
permettent de replacer le problème là où ü est, je vous ai indiqué, la dernière
fois, que, dans le rapport de l'un à l'autre qui s'instaure dans l'analyse, une
dimension est éludée.
Il est clair que cette relation s'instaure sur un plan qui n'est point réci
proque, point symétrique. C'est ce que Szasz constate, pour le déplorer
très à tort — dans ce rapport de l'un à l'autre, il s'institue une recherche
de la vanté où l'un est supposé savoir, tout au moins en savoir plus que
l'autre. De celui-ci, la pensée surgit aussitôt, que non seulement il ne faut
pas qu'il se trompe, mais aussi qu'on peut le tromper. Le se tromper, du
même coup, est rejeté sur le sujet. Ce n'est pas simplement que le sujet
soit, d'une façon statique, dans le manque, dans l'erreur. C'est que, d'une
façon mouvante, dans son discours, il est essentiellement situé à la dimension
du se tromper.
J'en retrouve le repérage chez un autre analyste encore. Il s'agit de Niin-
berg, qui a écrit, dans YInternational Journal of Psychoanalysis, en 1926,
un article qu'il intitule The Will ofrecovery. Recovery, ce n'est pas à pro
prement parler la guérison, c'est la restauration, le retour. Le mot est fort
bien choisi, et pose une question qui mérite attention. Qu'est-ce qui peut,
enfinde compte, pousser le patient à recourir à l'analyste, pour lui demander
quelque chose quil appelle la santé, alors que son symptôme — la théorie .
nous le dit — est fait pour lui apporter certaines satisfactions?
Par beaucoup d'exemples, et non des moins humoristiques, Nünberg n'a
pas de peine à montrer qu'il ne faut pas faire beaucoup de pas dans l'analyse
pour voir quelquefois éclater que ce qui a motivé chez le patient la recherche
de la santé, de l'équilibre, c'estjustement sa visée inconsciente, dans sa portée
la plus immédiate. Quel abri, par exemple, lui offre le recours à l'analyse,
pour rétablir la paix de son ménage, quand quelque boiterie est survenue
dans sa fonction sexuelle, ou quelque désir extra-conjugal! Dès les pre-
126
ANALYSE SX VÉRITÉ
miers temps, le patient s'avère désirer, sous la forme d'une suspension pro
visoire de sa présence à son foyer, le contraire de ce qu'il est venu proposer
comme le but premier de son analyse—non pas la restitution de son ménage,
mais sa rupture.
Nous nous trouvons là enfin, au maximum — dans l'acte même de
l'engagement de l'analyse et donc certainement aussi dans ses premiers
pas—mis au contact de la profonde ambiguïté de toute assertion du patient,
et du fait qu'elle a, par elle-même, une double face. Cest d'abord comme
s'instituant dans, et même par, un certain mensonge, que nous voyons
s'instaurer la dimension de la vérité, en quoi die n'est pas, à proprement
parler, ébranlée, puisque le mensonge comme tel se pose lui-même dans
cette dimension de la vérité.
127
LE TRANSFERT ET LA PULSION
f ( ) Énondatfon
Je te trompe V*/
f Je j (mens) Énoncé
s (A)
Dans le chemin de tromperie où le sujet s'aventure, l'analyste est en pos
ture de formuler ce tu dis la vérité, et notre interprétation n'a jamais de sens
que dans cette dimension.
Je voudrais vous indiquer la ressource que nous offre ce schéma pour
saisir la démarche fondamentale de Freud dont je date la possibilité de la
découverte de l'inconscient—qui, certes, est là depuis toujours, au temps de
Thaïes comme au niveau de modes de relations inter-humaines les plus
primitifs.
Reportons sur ce schéma le je pense cartésien. Assurément, la distinction
de renonciation à l'énoncé est ce qui en fait le glissement toujours possible, et
le point d'achoppement éventuel. En effet, si quelque chose est institué du
cogito, c'est le registre de la pensée, en tant qu'il est extrait d'une opposition
à l'étendue — statutfragile,mais statut suffisant dans l'ordre de la constitu
tion signifiante. Disons que c'est de prendre sa place au niveau de renoncia
tion qui donne sa certitude au cogito. Mais le statut daje pense est aussi réduit,
aussi minimal, aussi ponctuel — et pourrait aussi bien être affecté de cette
connotation du ça ne veut rien dire — que celui du je mens de tout à l'heure.
128
ANALYSE BT VÉRITÉ
Bnondarion.
Cogito
cogitons) Énoncé
déjà» les deux uns se distinguent. Se marque ainsi la première schizc qui
fait que le sujet comme tel se distingue du signe par rapport auquel» d'abord»
il a pu se constituer comme sujet. Je vous enseigne dès lors à vous garder de
confondre la fonction du $ avec l'image de l'objet a» en tant que c'est ainsi
que le sujet» lui» se voit» redoublé» — se voit comme constitué par l'image
reflétée» momentanée» précaire» de la maîtrise» s'imagine homme seule
ment de ce qu'il s'imagine.
Dans la pratique analytique, repérer le sujet par rapport à la réalité»
telle qu'on la Suppose nous constituant» et non par rapport au signifiant,
revient à tomber déjà dans la dégradation de la constitution psychologique
du sujet.
»on, peur paradoxale, corps étranger. C'est aussi le point opératoire sur
quoi, dans des conditions d'urgence — celles, par exemple, de la sélection
des sujets à l'usage de tek ou tels emplois diversement directeurs, cyberné
tiques, responsables, quand il s'agit deformerdes pilotes d'aviation ou des
conducteurs de locomotive—certains ont pointé qu'il s'agissait de concen
trer la focalisation d'une analyse rapide, voire d'une analyse-éclair, voire de
l'usage de certains tests dits de personnalité.
Nous ne pouvons point ne pas poser la question du statut de cet objet
interne. Est-il un objet de perception? Par où l'abordons-nous? Oh vient-
il? Dans la suite de cette rectification, en quoi consisterait l'analyse du
transfert?
Je vais vous indiquer un modèle, qu'il conviendra de perfectionner beau
coup par la suite, prenez-le donc pour modèle problématique. Les sché
mas centrés sur la fonction de la rectification de l'illusion ont un tel
pouvoir d'adhérence qije je ne pourrai jamais trop prématurément lancer
quelque chose qui, à tout le moins, y fesse obstacle.
Si l'inconscient est ce qui se referme dès que ça s'est ouvert, selon une
pulsation temporelle, si la répétition d'autre part n'est pas simplement Stereo
typie de la conduite, mais répétition par rapport à quelque chose de tou
jours manqué, vous voyez d'ores et déjà que le transfert — tel qu'on nous
le représente, comme mode d'accès à ce qui se cache dans l'inconscient —
ne saurait être par lui-même qu'une voie précaire. Si le transfert n'est que
répétition, il sera répétition, toujours, du même ratage. Si le transfert pré
tend, à travers cette répétition, restituer la continuité d'une histoire, fl ne
le fera qu'à faire resurgir un rapport qui est, de sa nature, syncopé. Nous
voyons donc que le transfert, comme mode opératoire, ne saurait se suffire
de se confondre avec l'efficace de la répétition, avec la restauration de
ce qui est occulté dans l'inconscient, voire avec la catharsis des éléments
inconscients.
Quand je vous parle de l'inconscient comme de ce qui apparaît dans la
pulsation temporelle, l'image peut vous venir de la nasse-qvâ s'entrouvre, au
fond de quoi va se réaliser la pêche du poisson. Alors que selon lafigurede
le besace, l'inconscient est quelque chose de réservé, de refermé à l'intérieur,
où nous avons, nous, à pénétrer du dehors. Je renverse donc la topologie
de l'imagerie traditionnelle en vous présentant ce schéma.
0 131
Schéma de la nasse
IE TRANSFERT ET LA PULSTOM
Vous aurez à le faire se recouvrir avec le modèle optique que j'ai donné
dans mon article Remarque sur le rapport de Daniel Lagaclte, concernant le
moi idéal et l'idéal du moi. Vous aurez à y voir que c'est dans l'Autre que
le sujet se constitue comme idéal» qu'il a à régler la mise au point de ce qui
vient comme moi, ou moi idéal — qui n'est pas l'idéal du moi — c'est-
à-dire» à se constituer dans sa réalité imaginaire. Ce schéma rend clair —je le
souligne à propos des derniers éléments que j'ai apportés autour de la pulsion
scopique—que là où le sujet se voit» à savoir où se forge cette image réelle
et inversée de son propre corps qui est donné dans le schéma du moi» ce
n'est pas là d'où il se regarde.
Mais» certes» c'est dans l'espace de l'Autre qu'il se voit» et le point d'où il
se regarde est lui aussi dans cet espace. Or» c'est bien ici aussi le point
d'où il parle» puisqu'en tant qu'il parle» c'est au lieu de l'Autre qu'il com
mence à constituer ce mensonge véridique par où s'amorce ce qui parti«
cipe du désir au niveau de l'inconscient.
132
ANALYSE ET VÉRITÉ
133
LE TRANSFERT ST LA PULSION
RÊPONSBS
D* ROSOLATO : —Je peux vous dire les réflexions quefai faites pendant votre
séminaire. D'abord une analogie — votre schéma ressemble singulièrement à un
œil Dans quelle mesure le petit z jouerait-il le râle de cristallin? Dans quelle
mesure ce cristallin pourrait-il avoir un râle de cataracte? f aimerais d'autre part
que vous précisiez ce que vous pouvez dire de l'idéal du moi et du moi idéal en
fonction très précisément de se schéma. Enfin, qu'entendez-vous par mise en ode?
134
ANALYSE ET VÉRITÉ
pensée sur une certaine piste, j ai voulu imager. J'en donnerai une représen
tation plus complète où vous retrouverez peut-être telles parentés avec la
structure de l'oeil.
H est certainement tout à fait singulier que la structure de l'œil nous pré
sente une forme générale qui est si facilement évoquée chaque fois que nous
essayons de figurer chronologiquement les relations du sujet au monde.
Ce n'est sans doute pas par hasard. Encore conviendrait-il de ne pas nous
précipiter là-dessus pour y adhérer d'une façon trop étroite.
. Quoi qu'il en soit, puisque vous avez fait cette remarque, j'en profiterai
pour, vous marquer la différence de mon schéma avec celui où Freud repré
sente le moi comme la lentille par laquelle la perception-conscience vient
à opérer sur la masse amorphe de YUnbewusstsein. Le schéma de Freud vaut
ce qu'il vaut, il est aussi limité dans sa portée que le mien, d'une certaine
façon. Mais vous pouvez remarquer quand même la différence — si j'avais
voulu mettre le moi quelque part, c'est i(a) que j'aurais écrit. Or c'est le *,
ici, qui pour nous est en cause*
22 AVBÜ 1964*
xn
LA SEXUALITÉ
DANS LES DÉFILÉS D U SIGNIFIANT
J'ai terminé la dernière fois sur une formule dont j'ai eu l'occasion de
m apercevoir qu'elle a plu, ce que je ne peux attribuer qu'à ce qu'elle con
tient de promesses, puisque, sous sa forme aphorismatique, elle n'était point
encore développée. <
J'ai dit que nous allions nous fier à la formule suivante — le transfert est
ta mise en acte de la réalité de Vinconscient. Ce qui s'annonce ici est justement ce
qu'on tend le plus à éviter dans l'analyse du transfert
137
LB TRANSFERT ET LA PULSION
nombre d'éléments qu'on voit» les chromosomes. Chacun sait que tout cela
nous a conduits à une génétique. Qu'est-ce qui sort de cette génétique? —
sinon la fonction dominante» dans la détermination de certains éléments de
l'organisme vivant» d'une combinatoire — qui opère en certains de ses
temps par l'expulsion de restes.
Faisant référence ici à la fonction du petit af je ne me rue,pas dans une
spéculation analogique —j'indique seulement une affinité des énigmes de la
sexualité avec le jeu du signifiant
Je ne fias ici jour et droit qu'à la remarque qu'effectivement, dans l'his
toire, la science primitive s'est enracinée dans un mode de pensée qui,
jouant sur une combinatoire» sur des oppositions comme celles du Yîng et
du Yang» de l'eau et ctu feu» du chaud et du froid, leur faisait mener la
danse — le mot est choisi pour sa portée plus que métaphorique» car leur
danse se fonde sur des rites de danses foncièrement motivés par les répar
tition sexuelles dans la société.
Je ne peux pas me mettre à vous faire ici un cours» même abrégé, d'astro
nomie chinoise. Amusez-vous à ouvrir le livre de Leopold de Saussure —
il y a comme ça, de temps en temps» des gens géniaux dans cette famille.
Vous y verrez que l'astronomie chinoise est fondée sur le jeu des signifiants
qui retentissent du haut en bas de la politique» de la structure sociale» de
l'éthique» de la régulation des moindres actes» et quelle est, quand même,
une très bonne science astronomique. U est vrai que» jusqu'à un certain
moment, toute la réalité du ciel peut ne s'inscrire enriend'autre qu'une
vaste constellation de signifiants. t
A la limite» la science primitive serait — allons jusqu'à l'extrême — une
sorte de technique sexuale. La limite n'est pas possible à tracer» car c'est
bien une science. Leurs observations parfaitement valables nous montrent
que les Chinois avaient un système parfaitement efficace quant à la prévision
des variations diurnes et nocturnes, par exemple» à une époque très pré
coce— qu'en raison de leur pointage signifiant nous pouvons dater, parce
qu'elle est assez lointaine pour que la précession des équinoxes s'y marque à
lafiguredu ciel,^et que l'étoile polaire n'y soit pas à la même place qu'elle
est de nos jours. U n'y a point là de ligne de division entre la collation expé
rimentale qui reste valable pour tous» et les principes qui l'ont guidée; Pas
plus» Claude Lévi-Strauss le souligne» qu'on ne peut dire que tout est fan
taisie et fumée dans la magie primitive» puisque toute une énorme colla*
tion d'expériences parfaitement utilisables s'y emmagasine.
Seulement, il arrive tout de même un moment où l'amarre est rompue
avec l'initiation sexuelle du mécanisme. Si paradoxal que ça paraisse, la
rupture se fiât d'autant plus tard que la fonction du signifiant y est plus
implicite, moins repérée.
J'illustrerai ce que je veux dire. Bien après la révolution cartésienne et la
139
LE TRANSFERT ET LA PULSION
140
LA SEXUAIJTÉ
Le huit intérieur
celui de la réalité sexuelle. La libido serait ainsi ce qui appartient aux deux
—le point d'intersection, comme on dit en logique. Mais c'est justement ce
que ça ne veut pas dire. Car ce secteur où les champs paraissent se recou
vrir est, si vous voyez le profil vrai de la surface, un vide.
Cette surface appartient à une autre dont j'ai décrit en son temps, à mes
élèves, la topologie, et qui s'appelle le cross-cap, autrement dit la mitre.
Je ne l'ai pas dessinée ici, mais je vous prie d'observer simplement ce qui est
sa caractéristique qui saute aux yeux. Vous pouvez l'obtenir à partir du
huit intérieur. Faites s'unir deux à deux les bords, tels qu'ils se présentent
ici, par une surface complémentaire, et fermez-la. Elle joue, en quelque
sorte» le même rôle de complément par rapport au huit initial, qu'une
sphère par rapport à un cercle, une sphère qui fermerait ce que déjà le
cercle s offrirait comme prêt à contenir. Eh bien! cette surface est une sur
face de Mcebius, et son endroit continue son envers. Il est une deuxième
nécessité qui ressort de cettefigure,c'est qu'elle doit, pour fermer sa courbe,
traverser quelque part la surface précédente, en ce point-ci, selon la ligne
que je viens de reproduire ici sur le deuxième modèle.
Cette image nous permet defigurerle désir comme lieu de jonction du
champ de la demande, où se présentifient les syncopes de l'inconscient,
avec la réalité sexuelle. Tout cela dépend d'une ligne que nous appellerons
de désir, liée à la demande, et par laquelle se présentifie dans l'expérience
l'incidence sexuelle.
Ce désir, quel est-il? Pensez-vous que c'est là que je. désigne l'instance du
transfert? Oui et non. Vous verrez que la chose ne va pas toute seule, si je
vous dis que le désir dont il s'agit, c'est le désir de l'analyste.
143
LE TRANSFERT ET LA PULSION
il n'y a pas si longtemps, une de mes élèves m'apportait pour m'en amuser
un petit timbrefrappéen Allemagne à son image» c'est vous dire qu'elle a
laissé quelques traces dans l'histoire. Anna O., c'est à son propos qu'on a
découvert le transfert Breuer était» de l'opération qui se poursuivait avec la
dite personne» tout à Eût enchanté» ça allait comme sur des roulettes. A ce
moment-là, le signifiant» personne ne l'aurait contesté» si on avait su Eure
revivre ce mot du vocabulaire stoïcien. Plus Anna en donnait de signifiants
et de jaspinage» mieux ça allait C'était la chimney-cure, le ramonage. Pas
trace» dans tout ça» de la moindre chose gênante» reprenez l'observation.
Pas de sexualité» ni au microscope» ni à la longue vue.
L'entrée de la sexualité, elle se ait tout de même par Breuer. Il commence
même à lui revenir quelque chose» ça lui revient dédiez lui—Tu t'en occupes
un peu beaucoup. Là-dessus, le cher homme» alarmé» et bon époux au reste»
trouve qu'en effet, ça suffit comme ça — moyennant quoi» comme vous le
savez» l'O. montre les magnifiques et dramatiques manifestations de ce
qu'on appelle» dans le langage scientifique» pseudocyesis, ce qui veuf dire tout
simplement le petit ballon — d'une grossesse que l'on qualifie de nerveuse.
Elle montre là quoi? — on peut spéculer» il faudrait encore ne pas se pré
cipiter for le langage du corps. Disons simplement que le domaine de la
sexualité montre un fonctionnement naturel des signes. A ce niveau, ce
ne sont pas des signifiants» car le faux-ballon est un symptôme» et» selon la
définition du signe» quelque chose pour quelqu'un. Le signifiant» étant tout
autre chose» représente un sujet pour un autre signifiant
Grosse différence à articuler en cette occasion» car» et pour cause» on a
tendance à dire que tout ça» c'est la faute à Bertha. Mais je vous prierai un
instant de suspendre votre pensée à cette thèse — pourquoi est-ce que la
grossesse de Bertha nous ne la considérerions pas plutôt» selon ma formule
le désir Je l'homme, c'est le désir de l'Autre, comme la manifestation du désir de
Breuer? Pourquoi est-ce que vous n'iriez pas jusqu'à penser que c'était
Breuer qui avait un désir d'enfant? Je vous en donnerai un commencement
de preuve» c'est que Breuer» partant en Italie avec sa femme» s'empresse de
lui faire un enfant, comme le rappelle Jones à son interlocuteur — un enfant
qui» d'être né dans ces conditions» dit ce Gallois imperturbable» vient» au
moment où Jones parle» de se suicider.
Laissons de côté ce que nous pouvons penser en effet d'un désir auquel
même cette issue n'est point indifférente. Mais observons ce que dit Freud
à Breuer—Mais quoi! quelle affaire! Le transfert, c'est la spontanéité de l'incons-
cient de ladite Bertha. Ça n'est pas le tien, ce n'est pas ton désir, —je ne sais
pas s'ils se tutoyaient mais c'est probable — c'est le désir de YAutre. En quoi
je considère que Freud traite Breuer comme un hystérique» puisqu'il lui
dit — Ton désir, c'est le désir de VAutre. Chose curieuse» il ne le déculpabilise
pas» mais assurément il le désangoisse — ceux qui savent la différence que
144
LA SEXUALITÉ
US
LE TRANSFERT ET LA PULSION
de chacun des analystes. C'est là que Freud a laissé cette bande, comme il
dit, qui le suit
Après tout, les gens qui suivaient le Christ n'étaient pas si reluisants,
Freud n'était pas le Christ, mais il était peut-être quelque chose comme Viri-
diana. Ceux qu'on photographie, si ironiquement, dans ce film, avec im
petit appareil, m'évoquent quelquefois, invinciblement, le groupe, égale
ment photographié de nombreuses fois, de ceux qui furent de Freud les
apôtres et les épigones. Est-ce là les diminuer? Pas plus que les apôtres. C'est
justement à ce niveau qu'ils pouvaient porter le mdlleur témoignage. C'est
d'une certaine naïveté, d'une certaine pauvreté, d'une certaine innocence,
qu'ils nous ont le plus instruits. Il est vrai qu'autour de Socrate l'assistance
était beaucoup plus reluisante et qu'elle né nous enseigne pas moins sur le
transfert — ceux qui se souviennent de mon séminaire sur ce sujet peuvent
en témoigner.
RÉPONSBS
29 AVRIL 1964.
xin
DÉMONTAGE DB LA PULSION
■s
147
1 6 TRANSFERT ET LA PULSION
dans la théorie analytique — autant» pour ce qui est du Trieb, chacun l'em
ploie comme la désignation d'une sorte de donnée radicale de notre
expérience.
On va même quelquefois à l'invoquer contre la doctrine qui est la mienne
concernant l'inconscient» y désignant une intellectualisation — si l'on
savait ce que je pense de l'intelligence» assurément on pourrait revenir sur
ce reproche — et je ne sais quelle négligence de ce que tout analyste connaît
d'expérience, à savoir le pulsionnel. Nous rencontrerons dans l'expérience»
en effet» quelque chose qui a un caractère d'irrépressible à travers même les
répressions — d'ailleurs» s'il doit y avoir répression» c'est qu'il y a au-delà
quelque chose qui pousse. Il n'est nul besoin d'aller bien loin dans une ana
lyse d'adulte» il suffit d'être un praticien d'enfants, pour connaître cet élé
ment qui fait le poids clinique de chacun des cas que nous avons à manier»
et qui s'appelle la pulsion. Il semble donc y avoir ici référence à une donnée
dernière» à de l'archaïque» à du primordial. Un tel recours» auquel mon
enseignement vous invite» pour comprendre l'inconscient» à renoncer»
semble ici inévitable.
Or» ce dont il s'agit concernant la pulsion est-il du registre de l'organique?
Est-ce ainsi qu'il eut interpréter ce que dit Freud dans un texte qui fait
partie de Jenseits des Lustprinzips — que la pulsion» le Trieb, représente die
Àusserung der Trägheit, quelque manifestation de l'inertie dans la vie orga
nique? Est-ce une notion simple» qui se compléterait de la référence à un
arrimage de cette inertie que serait lafixation»la Fixierung!
Non seulement je ne le pense pas» mais je pense qu'un examen sé
rieux de l'élaboration que donne Freud de la notion de la pulsion va là
contre.
La pulsion n'est pas la poussée. Le Trieb n'est pas le Drang, ne serait-ce
que pour la raison suivante. Dans un article écrit en 1915 — c'est-à-dire un
an après Y Einführung zum Narzissmus, vous verrez l'importance de ce rappel
tout à l'heure — qui s'intitule Triebe und Triebschicksale — il faut éviter de
traduire par avatar, si c'était Triebwandlungen, ce serait avatar» Schicksal
c'est aventure» vicissitude—dans cet article donc» Freud dit qu'il importe de
distinguer quatre termes dans la pulsion. Mettons le Drang d'abord» la
poussée. La Quelle, la source. VObjekt, l'objet. Le Ziel, le but Bien sûr»
on peut» à lire cette énumération, la trouver toute naturelle. Mon propos est
de vous prouver que tout le texte est fait pour nous montrer que ce n'est
pas si naturel que ça.
Il est essentiel» d'abord» de rappeler que Freud lui-même nous dit» au
départ de cet article» que la pulsion est un Grundbegriff, un concept fonda
mental. Il ajoute» en quoi il se montre bon épistémologue» que» à partir du
moment où» lui Freud» introduit la pulsion dans la science» de deux choses
l'une — ou ce concept sera gardé» ou il sera rejeté. Il sera gardé s'il fonc-
148
DÉMONTAGE DB LA PULSION
donne» dirait-on de nos jours —je dirais s'il trace sa voie dans le réel qu'il
s'agit de pénétrer. C'est le cas de tous les autres Gwfidfc^i^dara le domaine
scientifique.
Nous voyons là se dessiner ce qui est à l'esprit de Freud, les concepts
fondamentaux de la physique. Ses maîtres en physiologie sont ceux qui
promeuvent de mener à réalisation» par exemple» l'intégration de la physio
logie aux concepts fondamentaux de la physique moderne, et spécialement
à ceux de l'énergétique. Au cours de l'histoire combien la notion d énergie»
comme celle de force» n'ont-elles pas connu de reprises de leur thématique
sur une réalité <k plus en plus englobée!
C'est bien ce que prévoit Freud. Le progrès de la connaissance, dit-il» ne
supporte aucune Starrheit» aucunefascination des définitions. H dit quelque part
ailleurs que la pulsion fait partie de nos mythes. J'écarterai pour ma part ce
terme de mythe — d'ailleurs, dans ce texte même» au premier paragraphe»
Freud emploie le mot de Konvention, convention» qui est beaucoup plus près
de ce dont il s'agit» et que j'appellerai d'un terme benthamien que j'ai fait
repérer à ceux qui me suivent» unefiction.Terme» je le dis en passant» tout
à fait préférable à celui de modèle, dont on a trop abusé. En tout cas, le
modèle n'est jamais un Grundbegriff, car» dans un certain champ, plusieurs
modèles peuvent fonctionner corrélativement. H n'en est pas de même pour
un Grundbegriff, pour un concept fondamental, ni pour une fiction fonda
mentale.
pas dans le Trieb de la pression d'un besoin tel le Hunger, la faim, ou le Durst,
la soif.
En effet, pour examiner ce qu'il en est du Trieb, Freud se réfère-t-il à
quelque chose dont l'instance s'exerce au niveau de l'organisme dans sa
totalité? Dans son état d'ensemble, le réel fait-il ici son irruption? Est-ce le
vivant qui est intéressé ici? Non. Il s'agit toujours spécifiquement du champ
freudien lui-même, sous la forme la plus indifférenciée que Freud lui ait
donnée au départ, qui est à ce niveau, — pour nous reporter à Y Esquisse que
je désignais tout à l'heure, du Ich, du ReaUlch. Le Real-Ich est conçu comme
supporté, non par l'organisme tout entier, mais par le système nerveux. Il a
un caractère de sujet planifié, objectivé. Je souligne les caractères de surface
de ce champ en le traitant topologiquement, et en tentant de vous montrer
comment le prendre sous la forme d'une surface répond à tous les besoins de
son maniement
Ce point est essentiel, car, quand nous y regarderons de plus près, nous
verrons que le Triebreiz est ce par quoi certains éléments de ce champ sont,
dit Freud, triebbesetzt, investis pulsionnellemcnt. Cet investissement nous
place sur le terrain d'une énergie — et pas de n'importe quelle énergie —
d'une énergie potentielle, car — Freud l'articule de la façon la plus pres
sante — la caractéristique de la pulsion est d'être une konstante Kraß, une
force constante. H ne peut pas la concevoir comme une momentane Stoss-
krafi.
Qu'est-ce que ça veut dire, momentane Stosskraftï Sur ce mot Moment,
nous avons déjà l'exemple de quelque malentendu historique. Les Parisiens,
pendant le siège de Paris en 1870, se sont gaussés d'un certain psychologische
Moment, dont Bismarck aurait fait usage. Ça leur a paru absolument mar
rant, car les Français ont toujours été chatouilleux, jusqu'à une époque
récente qui les a habitués à tout, sur l'usage exact des mots. Ce moment psy
chologique tout à fait nouveau leur a paru l'occasion de bien rire. Ça voulait
dire le facteur psychologique tout simplement Cette momentane Stosskrqft
n'est peut-être pas à prendre tout à fait dans le sens de acteur, mais dans le
sens de moment en cinématique. Je crois que cette Stosskrafi, force de choc,
n'est pas autre chose qu'une référence à la force vive, à l'énergie cinétique.
Dans la pulsion, il ne s'agit point d'énergie cinétique, il ne s'agit pas de
quelque chose qui va se régler avec du mouvement. La décharge en cause
est d'une tout autre nature, et se place sur un tout autre plan.
La constance de la poussée interdit toute assimilation de la pulsion à
une fonction biologique, laquelle a toujours un rythme. La première chose
que dit Freud de la pulsion, c'est, si je puis m'exprimer ainsi, qu'elle n'a pas
de jour ou de nuit, qu'elle n'a pas de printemps ni d'automne, qu'elle n'a
pas de montée ni de descente. C'est une force constante. U faudrait tout de
même tenir compte des textes, et aussi de l'expérience»
150
DÉMONTAGE DB LA PULSION
A l'autre bout de la chaîne, Freud fait référence à ceci, qu'il écrit, ici aussi,
en toutes lettres, mais avec une paire de guillemets — la Befriedigung, la
satisfaction. Qu'est-ce que ça veut dire, la satisfaction de la pulsion?
Vous allez me dire — Ben, c'est assez simple, la satisfaction de la pulsion, c'est
arriver à son Ziel, à son but. Le fauve sort de son trou querens quem devoret,
et quand il a trouvé ce qu'il a à se mettre sous la dent, il est satisfait, il digère.
Le fait même qu'une image semblable puisse être évoquée montre assez
qu'on la laisse résonner en harmonique à la mythologie, à proprement par«
1er, de la pulsion*
Il y a une chose qui y objecte tout de suite—il est assez remarquable que
personne ne 1 ait relevée, depuis le temps que c'est là à nous proposer une
énigme, qui,' à la façon de toutes les énigmes de Freud, a été soutenue comme
une gageure jusqu'au terme de sa vie sans que Freud ait daigné s'en expli
quer plus—il laissait probablement le travail à ceux qui auraient pu le faire,
En effet, vous vous souvenez que la troisième des quatre vicissitudes fonda
mentales, de la pulsion que Freud pose au départ — il est curieux qu'il y
ait quatre vicissitudes comme il y a quatre éléments de la pulsion — c'est la
sublimation, eh bien! dans cet article, à mille reprises, Freud, nous dit que
la sublimation est aussi satisfaction de la pulsion, alors qu'elle est zielge-
hemmt, inhibée quant à son but — alors qu'elle ne l'atteint pas. La sublima
tion n'en est pas moins la satisfaction de la pulsion, et cela sans refou
lement. °
En d'autres termes — pour l'instant, je ne baise pas, je vous parle, eh
bien! je peux avoir exactement la même satisfaction que si je baisais. C'est
ce que ça veut dire. C'est ce qui pose, d'ailleurs, la question de savoir si
effectivement je baise. Entre ces deux termes s'établit une extrême anti
nomie qui nous rappelle que l'usage de la fonction de la pulsion n'a pour
nous d'autre portée que de mettre en question ce qu'il en est de la satisfac
tion.
Dès maintenant, tous ceux ici qui sont psychanalystes doivent sentir à
quel point j'apporte là le niveau d'accommodation le plus essentiel II est
clair que ceux à qui nous avons affaire, les patients, ne se satisfont pas, comme
on dit, de ce qu'ils sont Et pourtant, nous savons que tout ce qu'ils sont,
tout ce qu'ils vivent, leurs symptômes mêmes, relève de la satisfaction. Us
satisfont quelque chose qui va sans doute à l'encontre de ce dont ils pour
raient se satisfaire, ou peut-être mieux, ils satisfont à quelque chose. Us ne
se contentent pas de leur état, mais quand même, en étant dans cet état si
peu contentatiÇ ils se contentent Toute la question est justement de savoir
qu'est-ce que c'est que ce se qui est là contenté.
151
LE TRANSFERT ET LA PULSION
152
DÉMONTAGE DB IA PULSION
4
Je fais venir en dernier la question de la source. Si nous voulions à tout
prix Étire rentrer la régulation vitale dans la fonction de la pulsion, on se
dirait, assurément, que c'est là qu'est le biais.
Pourquoi? Pourquoi les zones dites érogènes ne sont-elles reconnues qu'en
153
LE TRANSFERT ET LA PULSION
ces points qui se différencient pour nous par leur structure de bord? Pour
quoi parle-ton de la bouche, et non pas de l'œsophage, ou de l'estomac?
ils participent tout autant de la fonction orale. Mais au niveau érogène,
nous parlons de la bouche» et pas seulement de la bouche, des lèvres et des
dents, de ce qu'Homère appelle l'endos des dents.
Il en va de même pour ce qu'il en est de la pulsion anale. Ce nést pas
tout de dire qu'une certaine fonction vivante est intégrée à une fonction
d'échange avec le monde — l'excrément II y a d'autres fonctions excré
mentielles, et il y a d'autres éléments à y participer que la marge de l'anus,
qui est pourtant spécifiquement ce qui, pour nous également, se définit
comme la source et le départ d'une certaine pulsion.
Je dirai que, s'il y a quelque choseà quoi ressemble la pulsion, c'est à un
montage.
Ce n'est pas un montage conçu dans une perspective référée à la finalité.
Cette perspective est celle qui s'instaure dans les théories modernes de l'ins
tinct, où la présentdfication d'une image de montage est tout à fait saisis
sante. Un montage, c'est ici, par exemple, cette forme spécifique qui fera
que la poule dans la basse-cour se planque sur le sol, si vous faites passer à
quelques mètres au-dessus d'elle un papier découpé en forme de faucon,
c'est-à-dire quelque chose qui déclenche une réaction plus ou moins appro
priée, dont l'astuce est d'ailleurs de nous faire remarquer qu'elle ne l'est pas
forcément, appropriée. Ce n'est pas de cette sorte de montage que je parle.
Le montage de la pulsion est un montage qui, d'abord, se présente
comme n'ayant ni queue ni tête — au sens où l'on parle de montage dans
un collage surréaliste. Si nous rapprochons les paradoxes que nous venons
de définir au niveau du Drang, à celui de l'objet, à celui du but de la pul
sion, je crois que l'image qui nous vient montrerait la marche d'une dynamo
branchée sur la prise du gaz, une plume de paon en sort, et vient cha
touiller le ventre d'une jolie femme, qui est là à demeure pour la beauté de
la chose. La chose commence d'ailleurs à devenir intéressante de ceci, que
la pulsion définit selon Freud toutes les formes dont on peut inverser un
pareil mécanisme. Ça ne veut pas dire qu'on retourne la dynamo — on
déroule ses fils, c'est eux qui deviennent la plume du paon, la prise du gaz
passe dans la bouche de la dame, et un croupion sort au milieu. *
Voilà ce qu'il montre comme exemple développé. Lisez ce texte de Freud
d'ici la prochaine fois, vous y verrez à tout instant le saut, sans transition, des
images les plus hétérogènes les unes aux autres. Tout cela ne passe que par
des références grammaticales, dont il vous sera aisé la prochaine fois de
saisir l'artifice. *'
En effet, comment peut-on dire purement et simplement, comme Freud
va le faire, que l'exhibition est le contraire du voyeurisme, ou que le maso
chisme est le contraire du sadisme? Il avance cela pour des raisons purement
ï54
DÉMONTAGE DB LA PULSION
BÉPONSES
D r GREEN : — Uyaun point que vous avez soulevé qui paraît évidemment
tout à fiât capital. Cest le fait que les quatre quotités qui spécifient la pulsion
doivent être conçues comme des éléments discontinus. La question que je pose
concerne l'élément de poussée que vous avez un petit peu mis de côté, dans te
cours de votre exposé d'aujourd'hui, parce que, je crois, il vous paraissait un des
chemins les plus courts pour nous fourvoyer. Mais si, comme vous le montrez, la
pulsion estfinalementvouée à la combinatoire dufait de la discontinuité, il se pose
le problème de la contradiction inhérente à l'énergie du système, qui est conçue comme
une force à la fois constante et comme sujette à variation. C'est cette question
que j'aimerais que vousprécisiez si vous pouvez, dans la mesure oh ellefait inter-
venir un point de vue qui reste pour moi très important, et que je perçois mal
dans votre enseignement, à savoir le point de vue économique.
Oui, nous y viendrons, et vous verrez par quel biais. C'est d'ailleurs
facile à prévoirai vous lisez mon article. Il y a une référence qui peut nous
mettre sur la voie, et à laquelle je n'ai pas voulu faire allusion, ou bien parce
que je n'ai pas eu le temps, ou bien parce que ça s'élimine tout seul — le
plus souvent, je trace ici une voie au contact même de votre audience,
C'est une référence à un certain chapitre de l'énergétique.
Dans un système limite, il y a une certaine façon d'inscrire chaque point
défini, comme caractérisé quant à l'énergie potentielle à l'endroit des points
les plus voisins — on parle de notation ou cotation scalaire. Dès lors, on
peut définir chaque point par une certaine dérivée — vous savez qu'en
calcul infinitésimal, cest une des façons de coter les variations infiniment
petites. Ily aura donc, pour chaque point, une dérivée par rapport au ver
sant immédiatement voisin, et cette dérivée sera notée pour chaque point
du champ. Cette dérivée peut s'inscrire sous la forme d'un vecteur, et
l'ensemble des vecteurs, nous pouvons le composer. Il y a alors une loi
qui parait au premier abord curieuse, mais qui est assurément tenue pour
fondamentale — ce qui, d'un tel vecteur — lequel réalise la composition
de ces dérivées connotées de chaque point du champ du point de vue de
l'énergie potentielle — ce qui, donc, d'un tel vecteur,franchitune certaine
ISS
LE TRANSFERT ET LA PULSION
Je me suis limité aux deux bords qui sont intéressés, dans le tractus.
J'aurais pu aussi bien vous dire que le bord chassieux de nos paupières, notre
oreille, notre nombril, sont également aussi des bords, et qu'il y a tout ça
dans cette fonction de l'érotisme. Dans la tradition analytique, nous nous
rapportons toujours à l'image strictement focalisée, des zones réduites à
156
DÉMONTAGE DB LA PULSION
leur fonction de bord. Ça ne veut pas dire du tout que, dans notre Sympto
matologie, n'interviennent pas d'autres zones. Mais nous considérons qu'elles
interviennent dans cette zone de chute que j'appelle déscxualisation» et
fonction de la réalité.
Prenons un exemple. C'est dans la fonction où l'objet sexuel file vers la
pente de la réalité» et se présente comme un paquet de viande que surgit
cette forme de désexualisation si manifeste qu'elle s'appelle chez l'hystéri
que réaction de dégoût. Ça ne veut pas dire que nous disions que le plaisir
est localisé dans ces zones érogènes. Le désir intéresse — dieu merci» nous
ne le savons que trop — bien autre chose» et même tout autre chose que
l'organisme» tout en impliquant à divers niveaux l'organisme. Mais la
fonction centrale de la pulsion, quelle satisfaction est-ce destiné à engendrer?
C'estjustement dans la mesure où des zones annexes» connexes» sont exclues,
que d'autres prennent leur fonction érogène» qu'elles deviennent des sour
ces spécifiées pour la pulsion. Vous y êtes?
Bien sûr que d'autres zones que ces zones érogènes sont intéressées dans
l'économie du désir. Mais observez bien ce qui se passe chaque fois qu'elles
surgissent. Je n'ai pas pris au hasard la fonction du dégoût II y a vraiment
deux grands versants du désir tel qu'il peut surgir dans la chute de la sexua-
lisation — d'une part» le dégoût engendré par la réduction du partenaire
sexuel à une fonction de réalité quelle qu'elle soit» d'autre part» ce que j'ai
appelé» à propos de la fonction scopique» Yinviâia, l'envie. L'envie est autre
chose que la pulsion scopique» et le dégoût autre chose que la pulsion orale»
6 MAI 1964.
"n -
0
XIV
159
LE TRANSFERT ET LA PULSION
vivant. Comment s'étonner que son dernier terme soit la mort? Puisque la
présence du sexe chez le vivant est liée à la mort
J'ai fait aujourd'hui reproduire au tableau un fragment d'Heraclite,
recueilli dans l'ouvrage monumental où Diels a rassemblé ce qui nous reste
épars de l'époque pré-socratique. Bios, écrit-il, et cela nous émerge comme
de ses leçons de sagesse dont on peut dire que, avant tout le circuit de l'éla
boration scientifique, elles vont au but» et tout droit, à fore est donné le nom
de la vie — Bios, l'accent est sur la première syllabe — et son œuvre, c9est la
mort.
Ce que la pulsion intègre d'emblée dans toute son existence, c'est une
dialectique de l'arcJ e dirai même du tir à l'arc. Par là, nous pouvoa« situer
sa place dans l'économie psychique.
Freud nous introduit maintenant à la pulsion par une voie des plus tradi
tionnelles, faisant usage à tout moment des ressources de la langue, et
n'hésitant pas à se fonder sur quelque chose qui n'appartient qu'à certains
systèmes linguistiques, les trois voies, active, passive et réfléchie. Mais ce
n'est qu'une enveloppe. Nous devons voir qu'autre chose est cette réversion
signifiante, autre chose ce qu'il en habille. Ce qui est fondamental, au niveau
de chaque pulsion, c'est l'aller et retour où elle se structure.
U est remarquable que Freud ne puisse désigner ces deux pôles qu'en usant
de ce quelque chose qui est le verbe. Beschauen und beschaut werden, voir et
être vu, quälen et gequält werden, tourmenter et être tourmenté. C'est que,
dès l'abord, Freud nous présente comme acquis que nulle part du parcours
de la pulsion ne peut être séparée de son aller-et-retour, de sa réversion
fondamentale, de son caractère circulaire.
De même, il est remarquable que, pour illustrer la dimension de cette
Verkehrung, il choisisse la Schaulust, lajoie de voir, et ce qu'il ne peut désigner
autrement que par l'accollement des deux termes, le sado-masochisine.
Quand il parlera de ces deux pulsions, et plus spécialement du masochisme,
il tiendra à bien marquer qu'A n'y a pas deux temps dans ces pulsions, mais
trois. Il faut bien distinguer le retour en circuit de la pulsion de ce qui appa
raît — mais aussi bien de ne pas apparattre, — dans un troisième temps. A
savoir l'apparition à'ein neues Subjekt qu'il faut entendre ainsi — non pas
qu'il y en aurait déjà un, à savoir le sujet de la pulsion, mais qu'il est nou
veau de voir apparaître un sujet Ce sujet, qui est proprement 1 autre, appa
raît en tant que la pulsion a pu fermer son cours circulaire. C'est seulement
avec son apparition au niveau de l'autre que peut être réalisé ce qu'il en
est de la fonction de la pulsion.
162
LA PULSION PARTIBLLB
Cette théorie est présente dans Freud. U nous dit quelque part que le
modèle idéal qui pourrait être donné de l'auto-érotisme, c'est une seule bou
che qui se baiserait elle-même,—métaphore lumineuse, éblouissante même,
comme tout ce qui se trouve sous sa plume, et qui ne demande qu'à être
complétée d'une question. Est-ce que, dans la pulsion, cette boudie n'est pas
ce qu'on pourrait appeler une bouchefléchée?— une bouche cousue, où
nous voyons, dans l'analyse, pointer au maximum, dans certains silences,
l'instance pure de la pulsion orale, se refermant sur sa satisfaction.
En tout cas, ce qui force à distinguer cette satisfaction du pur et simple
auto-érotisme de la zone érogène, c'est cet objet que nous confondons trop
souvent avec ce sur quoi la pulsion se referme — cet objet, qui n'est en fait
que la présence d'un creux, d'un vide, occupable, nous dit Freud, par n'im
porte quel objet, et dont nous ne connaissons l'instance que sous la forme de
l'objet perdu petit a. L'objet petit a n'est pas l'origine de la pulsion orale. Il
n'est pas introduit au titre de la primitive nourriture, il est introduit de ce
Eût qu'aucune nourriture ne satisfera jamais la pulsion orale, si ce n'est à
contourner l'objet éternellement manquant.
La question est maintenant pour nous de savoir où ce circuit se branche
et, d'abord, s'il est revêtu d'une caractéristique de spirale, c'est-à-dire si le
circuit de la pulsion orale se continue par la pulsion anale, qui serait ainsi le
stade suivant Y a-t-il là progrès dialectique s'engendrant de l'opposition?
C'est déjà pousser bien loin la question pour des gens qui nous ont habitués,
au nom deje ne sais quel mystère du développement, à tenir la chose comme
déjà acquise, inscrite dans l'organisme.
Cette conception paraît se soutenir du fait qu'effectivement, pour ce
qui est de l'émergence de la sexualité sous une forme dite achevée, c'est
bien à un processus organique que nous avons affaire. Mais il n'y a aucune
raison d'étendre ce Eut à la relation entre les autres pulsions partielles. Il
n'y a aucun rapport d'engendrement d'une des pulsions partielles à la sui
vante.
Le passage de la pulsion orale à la pulsion anale ne se produit pas par un
procès de maturation, mais par l'intervention de quelque chose qui n'est
pas du champ de la pulsion — par l'intervention, le renversement, de la
demande de l'Autre. Si nous faisons intervenir les autres pulsions dont la
série peut être établie, et dont le nombre est assez court, il est tout à fait
clair que vous seriez bien embarrassés pour situer par rapport aux pulsions
que je viens de nommer, dans une succession historique, la Schaulust ou
pulsion scopique, voire ce que je distinguerai en son temps comme la pul
sion invocante, et d'établir entre elles le moindre rapport de déduction ou
de genèse.
U n'y a aucune métamorphose naturelle de la pulsion orale en pulsion
anale. Quelles que soient les apparences que puisse nous donner à l'occasion
164
LA PULSION PÀRÏŒLIB
165
UB TRANSFERT ET LA PULSION
1ÉPONSBS
c
J.-A. MILLER : — La question porte sur te rapport de la pulsion au réel, et
sur les différences entre l'objet de la pulsion, celui dufantasme, celui du désir.
i«7
1 8 TRANSFERT BT LA PULSION
168
LA PULSION PAÄTIBLLB
13 MAI 1964.
XV
DB L'AMOUR A LA LIBIDO
LesufetetfAutre.
Le champ narcissique.
Le champ pulsionnel :
Sefaite... voir, entendre, sucer, Akt.
Le myäte Je la lamelle.
La zone
érog&ne
L'inconscient
(champ de l'Autre)
caverne» pour évoquer celle de Platon. Mais ce n'est pas la bonne compa
raison. L inconscient est bien plutôt quelque chose de proche de la vessie»
et cette vessie» il s'agit de vous Eure voir qu'à condition d'y mettre une
petite lumière à l'intérieur» ça peut servir de lanterne. Pourquoi s'étonner si
la lumière met quelquefois un peu de temps à s'allumer?
Dans le sujet qui» alternativement» se montre et se cache de par la pulsa
tion de l'inconscient» nous ne saisissons que des pulsions partielles. Là ganze
Sexualstrebung, représentation de la totalité de la pulsion sexuelle — Freud
nous le dit» elle n'y est pas. Sur la voie de ce résultat je vous conduis après
lui» et je vous affirme que tout ce que j'ai appris de mon expérience y est
convénient. A tous ceux qui sont ici je ne peux demander de s'y accorder
pleinement» puisqu'à certains cette expérience manque» mais votre présence
ici répond d'une certaine confiance» faite à ce que nous appellerons — dans
le rôle où je suis par rapport à vous» celui de l'Autre — la bonne foi. Cette
bonne foi est sans doute toujours précaire» supposée — car ce rapport du
sujet à l'Autre» où» à la fin» se termine-t-il?
Que le sujet comme tel est dans l'incertitude pour la raison qu'il est
divisé par l'effet de langage» c'est ce que je vous enseigne» moi en tant que
Lacan» suivant les traces de la fouille freudienne. Par l'effet de parole» le
sujet se réalise toujours plus dans l'Autre» mais il ne poursuit déjà plus là
qu'une moitié de lui-même. Il ne trouvera son désir que toujours plus divisé»
pulvérisé» dans la cernable métonymie de la parole. L'effet de langage est
tout le temps mêlé à ceci» qui est le fonds de l'expérience analytique» que le
sujet n'est sujet que d'être assujettissement au champ de l'Autre» le sujet
provient de son assujettissement synchronique dans ce champ de l'Autre.
C'est pour cela qu'il lui faut en sortir» s'en sortir» et dans h s'en sortir, à la
fin» il saura que l'Autre réel a» tout autant que lui» à s'en sortir» à s'en dépa-
touillcr. C'est bien là que la nécessité s'impose de la bonne foi» fondée sur
la certitude que la même implication de la difficulté par rapport aux voies
du désir est aussi dans l'Autre.
La vérité» en ce sens» c'est ce qui court après la vérité — et c'est là où je
cours» oùje vous emmène» tels les chiens d'Actéon» après moi. Quand j'aurai
trouvé le gîte de la déesse» je me changerai sans doute en cerf, et vous
pourrez me dévorer» mais nous avons encore un peu de temps devant nous.
i
Freud» donc» vous l'ai-je représenté la dernière fois telle lafigured'Abra
ham, d'Isaac et de Jacob? Léon Bloy» dans le Salut par les juifs, les incarne
sous la fonne de trois également vieillards qui sont là» selon une des formes
de la vocation d'Israël» se livrant» autour de je ne sais quelle bâche» à cette
172
DB L'AMOUR A LA LIBIDO
173
LE TRANSFERT ET LA PULSION
et que tout puisse s'y mettre sur le papier. Il s'agit de ce réseau qui se repré
sente par des arcs» lignes liant des points de concours» dont le cercle fermé
marque ce qui a à s'y conserver d'homéostase tensionnelle, de moindre
tension» de nécessaire dérivation» de diffusion de l'excitation en mille
canaux — chaque fois qu'en l'un d'entre eux» elle pourrait être trop intense.
Lafiltrationde la stimulation à la décharge» c'est là l'appareil» la calotte
— à cerner sur une sphère — où se définit d'abord ce qu'il appelle le stade
du Real-Ich. Et c'est à cela qu'il va» dans son discours, attribuer la qualifi
cation à9autoerotisch.
Les analystes ont conclu de là que — comme ce devait être à situer quelque
part dans ce qu'on appelle le développement» et puisque la parole de Freud
est parole d'évangile — le nourrisson doit tenir toutes choses autour de lui
pour indifférentes. On se demande comment les choses peuvent tenir»
dans un champ d'observateurs pour qui les articles de foi ont» par rapport à
l'observation» valeur tellement écrasante. Car enfin» s'il y a quelque chose
dont le nourrisson ne donne pas l'idée» c'est de se désintéresser de ce qui
entre dans son champ de perception.
Qu'il y ait des objets dès le temps le plus précoce de la phase néo-natale»
c'est ce qui ne fait aucun doute. Autoerotisch ne peut absolument pas avoir
le sens de désintérêt à leur égard. Si vous lisez Freud dans ce texte» vous
verrez que le second temps» le temps économique» consiste en ceci justement»
que le second Ich — le second de droit» le second dans un temps logique —
c'est le Lust-Ich qu'il dit purifiziert. Lust-Ich purifié» qui s'instaure dans le
champ extérieur à la calotte dans lequel je désigne le premier Real-Ich de
l'explication de Freud.
Vautoerotisch consiste en ceci — et Freud le souligne lui-même — qu'il
n'y aurait pas de surgissement des objets s'il n'y avait pas des objet? bons
pour moi. Il est le critère du surgissement et de la répartition des objets.
Ici se constitue donc le Lust-Ich, et aussi le champ de Y Unlust, de l'objet
comme reste» comme étranger. L'objet bon à connaître, et pour cause» est
celui qui se définit dans le champ de 1' Unlust, tandis que les objets du champ
du Lust-Ich sont aimables. Le hassen, avec son lien profond à la connaissance»
c'est l'autre champ.
A ce niveau» il n'y a pas trace de fonctions pulsionnelles» sinon de celles
qui ne sont pas de véritables pulsions» et que Freud appelle dans son texte
les Ichtriebe. Le niveau de YIch est non-pulsionnel» et c'est là —je vous prie
de lire attentivement le texte — que Freud fonde l'amour. Tout ce qui est
ainsi défini au niveau de YIch ne prend valeur sexuelle» ne passe de Y Erhal-
tungstrieb, de la conservation» au Sexualtrieb, qu'en fonction de l'appro
priation de chacun de ces champs» sa saisie» par une des pulsions partiales.
Freud dit proprement que Vorhangung des Wesentlichen, à faire sortir ici
l'essentiel» c'est d'une façon purement passive» non pulsionnelle» que le sujet
X74
DB L'AMOUR A LA LIBIDO
Voilà donc où Freud entend asseoir les bases de l'amour. C'est seulement
avec l'activité-passivité qu'entre en jeu ce qu'il en est proprement de la
relation sexuelle.
Or, la relation activité-massivité couvre-t-elle la relation sexuelle? Je
vous prie de vous référera tel passage de l'Homme aux loups par exemple,
ou à tek autres répartis dans les Cinq psychanalyses. Freud y explique en
somme que la référence polaire activité-passivité est là pour dénommer,
pour recouvrir, pour métaphoriser ce qui reste d'insondable dans la diffé
rence sexuelle. Jamais nulle part il ne soutient que, psychologiquement,
la relation masculin-féminin soit saisissable autrement que par le représen
tant de l'opposition activité-passivité. En tant que telle, l'opposition mas
culin-féminin n'est jamais atteinte« Cela désigne assez l'importance de ce
qui est répété ici, sous la forme d'un verbe particulièrement aigu à exprimer
ce dont û s'agit — cette opposition passivité-activité se coule, se moule,
s'injecte. C'est une artériographie, et les rapports masculin-féminin même
ne répuisent pas.
Naturellement, on sait bien que l'opposition activité-passivité peut rendre
compte de beaucoup de choses dans le domaine de l'amour. Mais ce à quoi
nous avons affaire, c'est justement cette injection, si je puis dire, de sado
masochisme, qui n'est point du tout à prendre, quant à la réalisation pro
prement sexuelle, pour argent comptant»
Certes, dans la relation sexuelle, entrent enjeu tous les intervalles du désir.
Quelle valeur a pour toi mon désir? question éternelle qui se pose dans le
dialogue des amants. Mais la prétendue valeur, par exemple, du masochisme
féminin, comme on s'exprime, il convient de la mettre dans la parenthèse
175
LE TRANSFERT ET LA PULSION
176
DE L'AMOUR A LA LIBIDO
Tout ce que Freud épelle des pulsions partielles nous montre le mou»
vement que je vous ai tracé au tableau la dernière fois, ce mouvementcircu-
laire de la poussée qui sort à travers le bord érogène pour y revenir comme
étant sa cible, après avoir fait le tour de quelque chose quej'appelle l'objet a.
Je pose — et un examen ponctuel de tout le texte est la mise à l'épreuve de
la vérité de ce que j'avance — que c'est par là que le sujet vient à atteindre
ce qui est, à proprement parler, la dimension du grand Autre.
J avance la distinction radicale qu'il y a entre le s9aimer à travers Vautre —
ce qui ne laisse, dans le champ narcissique de l'objet, aucune transcendance
à l'objet inclus — et la circularité de la pulsion, où l'hétérogénéité de l'aller
et du retour montre dans son intervalle unebéancc.
Qu'est-ce qu'a de commun voir ou être vu? Prenons la Schaulust, la
pulsion scopique. Freud oppose bien beschauen, regarder un objet étranger,
un objet proprement dit, à être regardé par une personne étrangère»
beschaut wer Jen.
C'est qu'un objet et une personne, c'est pas pareil. Au bout du cercle,
disons qu'ils se relâchent Ou que le pointillé nous en échappe quelque peu*
D'ailleurs, pour les lier, c'est à la base — là où l'origine et la pointe se rejoi
gnent — qu'il faut que Freud les serre dans sa main, et qu'il s'essaie à en
trouver l'union — précisément au point de retour. Il le serre en disant
que la racine de la pulsion scopique est tout entière à prendre dans le sujet,
dans le fait que le sujet se voit lui-même.
Seulement, là, parce qu'il est Freud, il ne s'y trompe pas. Ce n'est pas
se voir dans la glace, c'est Selbst ein Sexualglied beschauen — il se regarde,
dirai-je, dans son membre sexuel.
Seulement, attention! là non plus, ça ne va pas. Parce que cet énoncé est
identifié avec son inverse — qui est assez curieux, et je m'étonne que per»
sonne n'en ait relevé l'humour. Cela donne — Sexualglied van eigener
Petson beschaut werden. En quelque sorte, comme le numéro deux se réjouit
d'être impair, le sexe, ou la quéquette, se réjouit d'être regardé. Qui a
jamais pu vraiment saisir le caractère vraiment subjectivable d'un pardi
sentiment?
En fait, l'articulation de la boucle de l'aller et du retour de la pulsion,
s'obtient fort bien à ne changer dans le dernier énoncé qu'un des termes de
Freud. Je ne change pas eigenes Objekt, l'objet proprement dit qui est bien
en fait ce à quoi se réduit le sujet, je ne change pas von fremder Person,
l'autre bien entendu, ni beschaut, mais je mets à la place de werden,
machen — ce dont il s'agit dans la pulsion, c'est de se faire voir. L'ac
tivité de la pulsion se concentre dans ce se faire, et c'est à le reporter sur le
177
LB TRANSFERT ET LA PULSION
champ des autres pulsions, que nous pourrons peut-être avoir quelque
lumière.
Il faut que j'aille vite, hélas, et non seulement j'abrège, mais je comble
les trous que Freud, chose trèsfrappante,a laissés ouverts dans son éaumé-
ration des pulsions.
Après le sefaire voir,} 'en amènerai un autre, le sefaite entendre, dont Freud
ne nous parle même pas.
Il faut que, très vite, je vous en indique la différence au se faire voir. Les
oreilles sont dans le champ de l'inconscient le seul orifice qui ne puisse se
fermer. Alors que le sefaire voir s'indique d'uneflèchequi vraiment revient
vers le sujet, le se faire entendre va vers l'autre. La raison en est de structure,
il importait que je le dise au passage.
Venons à fa pulsion orale. Qu'est-ce que c'est? On parle des fantasmes
de dévoration, se faire boulotter. Chacun sait en effet, c'est bien là, confinant
à toutes les résonances du masochisme, le terme autrifié de la pulsion
orale. Mais pourquoi ne pas mettre les choses au pied du mur? Puisque
nous nous référons au nourrisson et au sein, et que le nourrissage, c'est
la succion, disons que la pulsion orale, c'est le se faire sucer, c'est le vam
pire.
Cela nous éclaire, d'ailleurs, sur ce qu'il en est de cet objet singulier —
que je m'efforce à décoller dar" votre esprit de la métaphore nourriture —
le sein. Le sein est aussi quelque chose de plaqué, qui suce quoi? — l'orga
nisme de la mère. Ainsi est suffisamment indiqué, à ce niveau, quelle est
la revendication, par le sujet, de quelque chose qui est séparé de lui, mais
lui appartient, et dont il s'agit qu'il se complète.
Au niveau de la pulsion anale — un peu de détente ici — ça ne semble
plus aller du tout. Et pourtant, se faire chier ça a un sens! Quand on dit tri,
on se fait rudement chier, on a rapport à l'emmerdeur éternel. On a bien tort
d'identifier simplement le fameux scybale à la fonction qu'on lui donne
dans le métabolisme de la névrose obsessionnelle. On a bien tort de l'amputer
de ce qu'il représente, à l'occasion, du cadeau, et du rapport qu'il a à la
souillure, à la purification, à la catharsis. On a tort de ne pas voir que c'est
de là qu'elle sort, la fonction de l'oblativité. Pour tout dire, l'objet, ici,
n'est pas très loin du domaine que l'on appelle celui de l'âme.
Qu'est-ce que ce bref survol nous révèle? Ne semble-t-il pas que, dans
ce retournement que représente sa poche, la pulsion, s'invaginant à travers
la zone érogène, est chargée d'aller quêter quelque chose qui, à chaque fois,
répond dans l'Autre? Je ne referai pas la série. Disons qu'au niveau de la
Schaulust, c'est le regard. Je ne l'indique que pour traiter plus tard des
effets sur l'Autre de ce mouvement d'appel.
178
PB L'AMOUH A LA LIBIDO
179
LE TRANSFERT ET LA PULSION
St
sente un sujet, pour qui?—non pas pour un autre sujet, mais pour un autre
signifiant Pour illustrer cet axiome, supposez que vous découvrez dans le
désert une pierre couverte d'hiéroglyphes. Vous ne doutez pas un instant
qu'il y a eu un sujet derrière pour les inscrire. Mais croire que chaque signi
fiant s'adresse à vous, c'est une erreur — la preuve en est que vous pouvez
n'y rien entendre. Par contre vous les définissez comme signifiants, de ce
que vous êtes sûr que chacun de ces signifiants se rapporte à chacun des
autres. Et c'est de cela qu'il s'agit dans le rapport du sujet au champ de
l'Autre.
Le sujet naît en tant qu'au champ de l'Autre surgit le signifiant Mais de
ce fait même, cela — qui, auparavant, n'était rien, sinon sujet à venir —
sefigeen signifiant.
Le rapport à l'Autre est justement ce qui, pour nous, fait surgir ce que
représente la lamelle — non pas la polarité sexuée, le rapport du masculin
au féminin, mais le rapport du sujet vivant à ce qu'il perd de devoir passer,
pour sa reproduction, par le cycle sexuel.
J'explique ainsi l'affinité essentielle de toute pulsion avec la zone de la
mort, et concilie les deux faces de la pulsion — qui, à la fois, présen-
tifie la sexualité dans l'inconscient et représente, dans son essence, la mort
Vous comprenez également que, si je vous ai parlé de l'inconscient
comme de ce qui s'ouvre et se ferme, c'est que son essence est de marquer
ce temps par quoi, de naître avec le signifiant, le sujet naît divisé. Le sujet,
c'est ce surgissement qui, juste avant, comme sujet, n'était rien, mais qui,
à peine apparu, se fige en signifiant
De cette conjonction du sujet dans le champ de la pulsion au sujet tel
qu'il s'évoque dans le champ de l'Autre, de cet effort pour se rejoindre,
dépend qu'il y ait un support pour h ganze Sexualstrebung. Il n'y en a pas
d'autre. C'est seulement là que la relation des sexes est représentée au
niveau de l'inconscient
Pour le reste, la relation sexuelle est livrée aux aléas du champ de l'Autre.
Elle est livrée aux explications qu'on lui donne. Elle est livrée à la vieille
de qui il faut — ce n'est pas une fable vaine — que Daphnis apprenne
comment il faut faire pour faire l'amour.
RÉPONSES
F. WAHL : — La question parte sur la perte que subit le vivant sexué, puis
sur l'articulation activité-passivité.
Tun des orifices du corps» en tant que ces orifices —• toute notre expérience
le montre — sont liés à l'ouverture-fermeture de la béance de l'inconscient
Les zones érogènes sont liées à l'inconscient» parce que c'est là que s'y
noue la présence du vivant Nous avons découvert que c'est précisément
l'organe de la libido» la lamelle» qui lie à l'inconscient la pulsion dite orale»
l'anale» auxquelles j'ajoute la pulsion scopique et celle qu'il faudrait pres
que appeler la pulsion invocante» qui a» comme je vous l'ai dit incidem
ment—rien de ce que je dis n'est pure plaisanterie—, ce privilège de ne pas
pouvoir se fermer.
Quant au rapport de la pulsion avec l'activité-passivité» je pense m'être
suffisamment fait entendre en disant qu'au niveau de la pulsion» il est pure
ment grammatical. Il est support» artifice» que Freud emploie pour nous
faire saisir l'aller et retour du mouvement pulsionnel Mais je suis revenu
à quatre ou cinq reprises sur le fait que nous ne saurions le réduire purement
et simplement à une réciprocité. J'ai indiqué aujourd'hui» de la façon la
plus articulée» qu'à chacun des trois temps» a, b, c, dont Freud articule
chaque pulsion» il importe de substituer la formule du se faire voir, ententfre
et toute la liste que j'ai donnée. Cela implique fondamentalement activité»
en quoi je rejoins ce que Freud lui-même articule en distinguant les deux
champs» le champ pulsionnel d'une part» et le champ narcissique de l'amour
d'autre part» en soulignant qu'au niveau de l'amour» il y a réciprocité de
Yaimer à Yêtre aimé, et que» dans l'autre champ, il s'agit d'une pure activité
durch seine eigene Triebe pour le sujet Vous y êtes? En fait, il saute aux yeux
que» même dans leur prétendue phase passive» l'exercice d'une pulsion»
masochique par exemple» exige que le masochiste se donne» si j'ose m ex
primer ainsi» un mal de chien.
29 MAI 1964.
LE CHAMP DE L'AUTRE,
ET RETOUR SUR LE TRANSFERT
XVI
u SUJET s i I'AÜTÄB :
L'ALIÉNATION
La dynamique sexuelle.
N
Aphanists.
L erreur piagitique. ,
;
va
, La bourse ou ta viel.
l e pourquoi?
i
•
Je rappelle» afin que ceux qui ont été absents à la dernière séance le sa*
chent» que j'ai ajouté un élément tout à fait nouveau à cette dynamique»
dont nous verrons l'usage que jeferaipar la suite.
J'ai d'abord accentué la répartition que je constitue à opposer» par rap
port à l'entrée de l'inconscient» les deux champs du sujet et de l'Autre.
L'Autre est le lieu où se situe la chaîne du signifiant qui commande tout ce
qui va pouvoir se présentifier du sujet, c'est le champ de ce vivant où le
sujet a à apparaître. Et j'ai dit — c'est du côté de ce vivant» appelé
à la subjectivité» que se manifeste essentiellement la pulsion.
Toute pulsion étant» par essence de pulsion, pulsion partielle» aucune
pulsion ne représente—ce que Freud évoque un instant pour se demander
185
LE CHAMP DB i/AUTRE
J'en viens maintenant aux deux opérations que j'entends articuler aujour
d'hui dans le rapport du sujet à l'Autre.
A
V
Attention! ce sont supports pour votre pensée, qui ne vont pas sans
artifice, mais il n'est pas de topologie qui ne demande à se supporter de
quelque artifice — c'est justement le résultat du fait que le sujet dépend du
signifiant, autrement dit, d'une certaine impuissance de vôtre pensée.
Le petit v de la moitié inférieure du losange, disons ici que c'est le vel
constitué de la première opération où j'entends un instant vous suspendre.
Vous trouverez peut-être, d'ailleurs, que ce sont là des choses assez bêtas.
Mais la logique, ça l'est toujours un peu. Si on ne va pas jusqu'à la racine
du bêbête, on est infailliblement précipité dans la connerie, comme il est
facile d'en donner des exemples, comme les prétendues antinomies de la
raison, du genre, vous savez, le catalogue de tous les catalogues qui ne se
comprennent pas eux-mêmes, et on arrive à une impasse, ce qui donne,
on ne sait pourquoi, des vertiges aux logiciens. La solution en est d'ailleurs
très simple, c'est que le signifiant avec lequel on désigne le même signifiant;
ça n'est évidemment pas le même signifiant que celui par lequel on désigne
l'autre» ça saute aux yeux. Le mot obsolète en tant qu'il peut signifier que le
mot obsolète est lui-même un mot obsolète n'est pas le même mot obsolète
d'un côté et de l'autre. Cela doit nous encourager à mettre au point ce vel
que je vous introduis.
190
L'ALIÉNATION
191
LE CHAMP DB L AUTRE
Illustrons-le par ce qui nous intéresse» l'être du sujet» celui qui est là sous
le sens. Nous choisissions l'être, le sujet disparaît, il nous échappe, il tombe
dans le non-sens — nous choisissons le sens, et le sens ne subsiste qu'écorné
de cette partie de non-sens qui est, à proprement parler, ce qui constitue,
dans la réalisation du sujet, l'inconscient. En d'autres termes, il est de la
nature de ce sens tel qu'il vient à émerger au champ de l'Autre, d'être dans
une grande partie de son champ, éclipsé par la disparition de l'être, induite
par la fonction même du signifiant.
L'aliénation
Cela, je vous l'ai dit, a une implication tout à fait directe qui n'est que
trop inaperçue — quand je vous l'aurai dit, vous verrez que c'est une évi
dence, seulement c'est une évidence qu'on ne voit pas. L'aliénation a pour
conséquence que l'interprétation n'a point son dernier ressort en ce qu'elle
nous livre les significations de la voie où chemine le psychique que nous
avons devant nous. Cette portée n'est que de prélude. L'interprétation ne vise
pas tellement le sens que de réduire les signifiants dans leur non-sens pour
que nous puissions retrouver les déterminants de toute la conduite du sujet.
Je vous prie là-dessus de vous reporter à ce que mon élève Leclairc, au
Congrès de Bonneval, a apporté dans le sens d'une application de mes
dièses. Vous verrez dans son intervention qu'il isolait la séquence de la
licorne, non pas, comme on l'a cru dans la discussion, dans sa dépendance
significative, mais justement dans son caractère irréductible et insensé de
chaîne de signifiants.
On ne saurait trop marteler l'importance de quelque chose comme ce
que je viens de vous décrire ici. Cet ou aliénant n'est point une invention
arbitraire, et, comme on dit, une vue de l'esprit. Il est dans le langage. Cet
ou existe. Il est tellement dans le langage qu'il conviendrait aussi, quand on
fait de la linguistique, de le distinguer. Je vais vous en donner un exemple,
et tout de suite.
La bourse ou la vie! Si je choisis la bourse, je perds les deux. Si je choisis la
vie, j'ai la vie sans la bourse, à savoir, une vie écornée. Je vois que je me suis
suffisamment fait comprendre.
C'est chez Hegel que j'ai trouvé légitimement la justification de cette
192
L'ALIÉNATION
ISH
L'ALIÉNATION
RÉPONSES
J.-A. MILLER : — Est-ce que, tout de même, vous ne voulez pas montrer que
'aliénation d'un sujet qui a reçu la définition d'être né dans, constitué par, et
Ordonné à un champ qui lui est extérieur, se distingue radicalement de l'aliéna-
tion d'une conscience-de-soi? Bref, nefaut-il comprendre — Lacan contre Hegel?
C'est très bien ce que vous venez de dire là, c'est juste le contraire de
ce que venait de me dire Green — il s'est approché en me serrant la pince»
au moins moralement, et il m'a dit —Mort du structuralisme, vous êtes le
fils de Hegel. Je ne suis pas d'accord. Je pense qu'en disant Lacan contre
Hegel, vous êtes beaucoup plus près de la vérité, encore que, bien sûr, il
ne s'agit pas du tout d'un débat philosophique.
27 MAI 1964.
xvn
IM SUJET BT L'ÀUTRB ( D ) :
L'APHANISB
La question du Vorstellungsreprasentaiiz.
-> La liberté.
La représentation et le leurre hégélien.
Le désir de Descartes.
Le scepticisme, la certitude,
et le sujet supposé savoir.
Les petites lettres.
Valeur de fexpérience pavbvietme.
197
LE CHAMP DB L'AUTRB
Peut-être est-ce là quelque chose qui se produit aussi chez certains de ceux
qui me suivent Pas moyen de me suivre sans passer par mes signifiants,
mais passer par mes signifiants comporte ce sentiment d'aliénation qui les
incite à chercher, selon la formule de Freud, la petite différence. Malheureu
sement, cette petite différence leur fait perdre la portée de la direction que
je leur désignai. C'est ainsi que — mon dieu, je ne suis pas tellement cha
touilleux, je laisse à chacun suivre sa voie dans la direction que je montre —
je me serais volontiers passé d'avoir à relever ce qui semblait à tel si pré
cieux de rectifier dans la traduction quej'avais donnée d'abord de ce Vorstel-
lungsrepräsentanz.
< J'avais relevé que Freud accentue ceci, que le refoulement porte sur quel
que chose qui est de l'ordre de la représentation qu'il nomme le VorsteU
lungsrepräsentanz.
Dès que j'ai introduit, il y a plusieurs années, cette remarque — ce qui
était aussi une façon de lire ce que Freud écrit sous le titre de la Verdrän-
gung, l'article qui suit l'article sur l'inconscient dans la série des textes
réunis comme métapsychologiques — j'ai insisté sur le fait que Freud
souligne que ce n'est point l'affect qui est refoulé. L'afiect— et nous verrons
ce que cela veut dire dans notre théorie — va se promener ailleurs, là oui
il peut. U y aura toujours assez dé professeurs de psychologie, pour justifier
avec le patient qu'il prenne sens là justement où il n'est plus à sa place.
J'ai donc insisté sur ceci, que ce qui est refoulé, ce n'est pas le représenté
du désir, la signification, mais le représentant — j'ai traduit, littérale
ment — de la représentation.
Ici la fonction de l'aliénation intervient chez tel ou tel, qui, plus ou moins
animé par le souci des privilèges de l'autorité universitaire, et infatué
d'entrer en fonction, prétend corriger la traduction que j'ai donnée. Le
Vorstellungsrepräsentanz, c'est le représentant, disons, représentatif.
Ça n'a l'air derien.Mais dans un petit livre qui vient de sortir sur la psy-
cho-somatique, on trouvera toute une argumentation sur je ne sais quelle
prétendue méconnaissance qu'il y aurait dans quelque chose qu'il faut bien
appeler ma théorie du désir, et, par une petite note qui se réfère à tel pas
sage insaisissable pris dans le texte proposé par deux de mes élèves, on sou
ligne que, à me suivre, ils font du désir le représentant représentatif du
besoin. Je ne discute pas si effectivement mes élèves ont écrit cela—nous ne
sommes pas arrivés à retrouver le passage — l'important est ceci que la
seule remarque pertinente de ce livre extrêmement peu substantiel consiste
à dire — nous, nous dirions plutôt que le désir est le représentant non représen-
tatif.
Or, c'est précisément ce que je veux dire, et que je dis — car ce que je
veux dire, je le dis — en traduisant Vorstellungsrepräsentanz par représentant
de la représentation»
198
L'APHANBIS
199
LE CHAMP DB L'ÀUTRB
inutile de remarquer que c'est là que se joue l'affaire de ce terme qui mérite
bien la qualification de fantôme — la liberté. Ce dont le sujet a à se libérer»
c'est de l'effet aphanisique du signifiant binaire» et, si nous y regardons de
près» nous verrons qu'effectivement» ce n'est pas d'autre chose qu'il s'agit
dans la fonction de la liberté.
Ce n'est pas pour rien qu'ayant à justifier au niveau de notre expérience
ce terme de vel de l'aliénation» les deux supports les plus évidents qui nous
soient venus aient été ces deux choix qui» de leur formule» structurent» l'un»
la position de l'esclave» l'autre» la position du maître. A l'esclave» le choix
étant donné de la liberté ou la vie» il se résout en pas de liberté sans la vie, la
vie reste à jamais écornée de la liberté. Et» à regarder les choses d'un regard
apporté plus loin» vous verrez que c'est exactement de la même façon que
se structure l'aliénation du maître. Car si Hegel nous indique que le statut
du maître s'instaure de la lutte à mort de pur prestige c'est bien parce que
c'est de faire passer son choix par la mort que le maître» lui aussi» constitue
son aliénation fondamentale.
Assurément» on peut dire que la mort n'est pas plus qu'à l'esclave épar
gnée au maître, qu'il l'aura totyours à lafin»et que c'est là la limite de sa
liberté. Mais c'est trop peu dire» car cette mort-là n'est pas la mort constitu
tive du choix aliénant du maître, la mort de la lutte à mort de pur prestige.
La révélation de l'essence du maître se manifeste au moment de la terreur»
où c'est à lui qu'on dit h liberté ou la mort, et où il n'a évidemment que la
mort à choisir pour avoir la liberté. L'image suprême du maître, c'est ce
personnage de la tragédie claudelienne, Sygne de Coûfontaine» que j'ai
longuement commenté à un détour de mon séminaire. Elle est celle qui
n'a rien voulu abandonner de son registre, le registre du maître» et les
valeurs auxquelles elle sacrifie ne lui apportent» en plus de son sacrifice»
que la nécessité de renoncer jusqu'en son tréfonds, à son être même. C'est
en tant que» par le sacrifice de ces valeurs, elle est acculée à renoncer à son
essence, à son être même» au plus intime de son être — qu'elle illustre, à la
fin» ce qu'il y a d'aliénation radicale de la liberté chez le maître lui-même.
Ai-je besoin d'accentuer qu'il faut entendre ici Repräsentanz, mais mon
dieu! à la façon dont les choses se passent au niveau réel où s'effectue, dans
tout domaine humain, la communication.
Ces représentants, mais c'est ce que nous appelons communément,
par exemple, le représentant de la France. Qu'est-ce qu'ils ont à faire, les
diplomates, quand ils dialoguent? Us ne jouent, l'un vis-à-vis de l'autre,
que cette fonction d'être de purs représentants, et surtout, il ne faut pas
200
L'APHANRIS
sortie de chez les Jésuites qu'il emporte le sentiment aigu de cette surabon
dance? N y a-t-il pas au cœur de ce qui se transmet à travers une certaine
sagesse humaniste quelque chose comme un perinde ac cadaver caché» qui
n'est pas là où on le met d'habitude, à savoir dans la prétendue mort qu'exi
gerait la règle de saint Ignace? Pour moi» je n'y suis pas très sensible» et
ces Jésuites» tek que je les vois» moi» du dehors» m apparaissent toujours
plutôt bien là» et même assezfrétillants,ils font bien sentir leur présence»
et dans une diversité qui est bien loin d'évoquer celle de la mort Non» la
mort dont il s'agit est celle qui est cachée derrière la notion même de l'hu
manisme, au plus vif de toute considération humaniste. Et jusque dans ce
terme qu'on essaie d'animer sous letitrede sciences humaines, il y a quelque
chose que, nous appellerons un cadavre dans le placard.
C'est en cela que Descartes trouve une voie nouvelle. Sa visée n'est pas
de réfutation des savoirs incertains. Il les laissera» les savoirs» courir bien
tranquilles, et avec eux» toutes les règles de vie sociale. D'ailleurs» comme
chacun en ce moment historique du début du dix-septième siècle» en ce
moment inaugural du surgissement du sujet» il a présents tout près de lui les
libertins» qui pullulent» et qui sont comme l'autre terme du vel de l'alié
nation. Ils sont en réalité des pyrrhoniens» des sceptiques» et Pascal les dé
signe par leur nom» à ceci près qu'il n'en accentue pas d'une façon suffisam
ment libre le sens et le retief
Le scepticisme n'est pas la mise en doute, successive et énumérable» de
toutes les opinions» de toutes les voies où a tenté de se glisser le chemin du
savoir. C'est la tenue de cette position subjective — an ne peut rien savoir.
Il y a là quelque chose qui mériterait d'être illustré par l'éventail» la moire
de ceux qui en ont été les incarnations historiques. Je voudrais vous montrer
que Montaigne est vraiment celui qui s'est centré» non pas autour d'un
scepticisme» mais autour du moment vivant de Yaphanisis du sujet Et c'est
en cela qu'il est fécond» qu'il est guide éternel» qui dépasse tout ce qu'il a
pu représenter du moment à définir d'un tournant historique. Mais ce n'est
point là le scepticisme. Le scepticisme est quelque chose que nous ne connais
sons plus. Le scepticisme est une éthique. Le scepticisme est un mode de
soutien de l'homme dans la vie» qui implique une position si difficile» si
héroïque» que nous ne pouvons même plus l'imaginer —justement peut-
être en raison de ce passage trouvé par Descartes» et qui conduit la recherche
du chemin de la certitude à ce point même du vel de l'aliénation» auquel il
n'y a qu'une issue — la voie du désir.
Ce désir de certitude» il a beau n'aboutir pour Descartes qu'au doute —
le choix de ce chemin l'a mené à opérer une séparation bien singulière. Je
voudrais simplement en toucher quelques points» qui seront repères pour
saisir une fonction essentielle» quoique masquée» qui est encore vivante»
présente et directive dans notre méthode investigatrice de l'inconscient
203
IB CHAMP DB L'AUTRE
4
La certitude n'est pas pour Descartes un moment qu'on puisse tenir pour
acquis, une fois qu'il a été franchi. Il faut qu'il soit, à chaque fois, par chacun,
répété. C'est une ascèse. C'est un point d'orientation particulièrement diffi
cile à soutenir dans le tranchant qui fait sa valeur. C'est, à proprement parler,
l'instauration de quelque chose de séparé.
Quand Descartes inaugure le concept d'une certitude qui tiendrait tout
entière dans le je pense de la cogitation, marquée de ce point de non-issue
qu'il y a entre l'annihilation du savoir et le scepticisme, qui ne sont point
deux choses semblables — on pourrait dire que son erreur est de croire
que c'est là un savoir. De dire qu'il sait quelque chose de cette certitude.
De ne pas faire du je pense un simple point d'évanouissement Mais c'est
qu'il a Êdt autre chose, qui concerne le champ, qu'il ne nomme pas, où
errent tous ces savoirs dont il a dit1 qu'il convenait de les mettre dans une
suspension radicale. Il met le champ de ces savoirs au niveau de ce plus
vaste sujet, le sujet supposé savoir, Dieu. Vous savez que Descartes n'a pu
qu'en réintroduire la présence. Mais de quelle singulière façon!
C'est là que se pose la question des vérités éternelles. Pour s'assurer qu'il
n'y a point, en face de lui, un Dieu trompeur, il lui faut passer par le médium
d'un Dieu — ce n'est d'ailleurs pas tellement d'un être parfait qu'il s'agit
dans son registre, mais d'un être infini. Descartes reste-t-fl donc là accroché
comme cela a toujours été jusqu'à lui, à l'exigence de garantir toute re
cherche de science de ce que la science actuelle existe quelque part, dans un
être existant, qui s'appelle Dieu? — c'est-à-dire de ce que Dieu soit supposé
savoir?
Il peut vous paraître que je vous emmène loin du champ de notre expé
rience, et pourtant —je le rappelle ici à la fois pour m'excuser, et pour
maintenir votre attention au niveau de notre expérience — le sujet supposé
savoir, dans l'analyse, c'est l'analyste.
Nous aurons, la prochaine fois, à discuter, à propos de la fonction du
transfert, comment il se fait que nous n'ayons, nous, nul besoin de l'idée
d'un être parfait et infini — qui songerait à attribua: ces dimensions à son
analyste? — pour que s'introduise la fonction du sujet supposé savoir.
Revenons à notre Descartes, et à son sujet supposé savoir. Comment s'en
débarrasse-t-il? Eh bien! vous le savez, par son volontarisme, par la pri
mauté donnée au vouloir de Dieu. C'est assurément un des plus extraor
dinaires tours d'escrime qui ait jamais été porté dans l'histoire de l'esprit —
les vérités éternelles sont éternelles parce que Dieu les veut telles.
Je pense que vous appréciez l'élégance d'une telle solution, qui, de toute
une part des vérités, et précisément les éternelles, laisse la charge à Dieu.
204
L'APHANISIS
Entendez bien que Descartes veut dire» et dit» que si deux et deux font
quatre» c'est parce que Dieu le veut» tout simplement C'est son affaire.
Or» c'est vrai que c'est son affaire, et que deux et deux font quatre n'est
pas quelque chose qui aille de soi sans sa présence.
Je vais tâcher d'illustrer ce que j'entends dire id. Descartes» quand il
nous parle de son procès» de sa méthode» des idées claires et des idées confuses,
des idées simples et des idées complexes» entre ces deux termes de sa mé
thode met l'ordreàsuivre. liest bien possibleaprès tout, que un plus un plus un
plus un ne fassent pas quatre» et je dois vous dire que ce sur quoi je suis en
train d'articuler le vel de l'aliénation en est bel et bien l'exemple. Car» dans
l'ordre cardinal» cela donnerait à peu près quelque chose comme ceci —
i + (i + (i + (i + (...))»•
Chaque fois qu'on introduit un nouveau terme» il y a toujours un ou plu
sieurs des autres qui risquent de nous glisser entre les doigts. Pour en arriver
à quatre» ce qui importe, ce n'est pas le cardinal» c'est l'ordinal H y a une
première opération mentale à Étire» puis une seconde» puis une troisième,
puis une quatrième. Si vous ne les Eûtes pas dans l'ordre» vous les manquez»
Savoir si» au bout du compte» ça fait trois» quatre» ou deux» est relativement
secondaire. C'est l'affaire de Dieu.
Ce que Descartes introduit maintenant» et qui s'illustre aussitôt, car, en
même temps que son discours de la méthode, il introduit sa géométrie et
sa dioptrique, c'est ceci — il substitue les petites lettres» a» 6» c» etc» de son
algèbre aux grandes. Les grandes» c'est» si vous voulez» les lettres de l'alpha«
bet hébreu avec lesquelles Dieu a créé le monde» et dont vous savez qu'elles
ont un envers, et qu'à chacune correspond un nombre. La différence des
petites lettres de Descartes avec les grandes» c'est que les petites lettres de
Descartes n'ont pas de nombre» qu'elles sont interchangeables, et que seul
l'ordre des commutations définira leur procès.
De ce qu'il y a déjà dans le nombre d'impliqué de la présence de l'Autre,
il suffirait» mon dieu» pour l'illustrer» de vous dire que la suite des nombres,
on ne peut lafigurerqu'à y introduire le zéro» d'une façon plus ou moins
larvée. Or» le zéro, c'est la présence du sujet» qui» à ce niveau-là» totalise.
Nous ne pouvons pas l'extraire de la dialectique du sujet et de l'Autre. La
neutralité apparente de ce champ cache la présence du désir comme tel
Cela, je ne l'illustrerai que par effet de retour. Pourtant nous allons faire
quelques pas plus avant dans la fonction du désir.
En effet» Descartes inaugure les bases de départ d'une science dans la*
quelle Dieu n'a rien à voir. Car la caractéristique de notre science» et sa
différence d'avec les sciences antiques, c'est que personne n'ose même» sans
ridicule, se demander si Dieu en sait quelque chose» si Dieu feuillette les
traités de mathématiques modernes pour se tenir au courant
205
LE CHAMP DB L'AUTRE
RÉPONSES
Vouais. Enfin... je ne vous suivrai pas dans cette direction. Parce que
je crois que c'est un court-circuit.
Le point où se branche la reprise du Vorstellungsrepräsentanz, qui est très
nécessité dans mon discours d'aujourd'hui, c'est le point que je vous
ai dit être le point virtuel de la fonction de la liberté, pour autant que le
choix, le vel9 se manifeste là entre le signifiant et le sujet. Je l'ai illustré d'une
ouverture sur ce qu'on pourrait nommer les avatars de cette liberté qui, en
fin de compte, n'est jamais, bien entendu, retrouvée par personne de sé
rieux. Et puis, je suis passé à Descartes qui ne s'en soucie guère, »non en
acte. C'est en acte, et par cette voie où il trouve sa certitude, que sa liberté
à lui passe. Ça ne veut pas dire qu'il nous la lègue à titre de compte en
banque.
Ce lieu du Vorstellungsrepräsentanz, ça sera par là qu'il faudra encore que je
passe la prochaine fois, avant de faire jouer au niveau du transfert les termes
que j'ai été forcé d'introduire aujourd'hui autour de la fonction de l'Autre.
Ce sont des choses, en apparence, fort éloignées de notre domaine. C'est,
très exactement, la psycho-somatique.
La psycho-somatique, c'est quelque chose qui n'est pas un signifiant, mais
qui, tout de même, n'est concevable que dans la mesure où l'induction
signifiante au niveau du sujet s'est passée d'une façon qui ne met pas enjeu
Yaphanisis du sujet
Dans le petit ouvrage dont je parlais tout à l'heure, et dont vous pourrez
mesurer l'ampleur de bavardage, on fait tout de même cette petite remarque
essentielle — encore qu'elle prétende réfuter, non pas moi, je ne suis Dieu
merci pas mis en cause, mais ceux qui parlent en mon nom — que le désir
n'est pas représentatif du besoin. A cette place, le Vorstellungsrepräsentanz
limitera beaucoup notre jeu d'interprétation pour la raison que le siyet,
206
L'ÀPHANISIS
3 JUIN 1964.
XVffl
,; La confiancefaite à T analyste.
209
LE CHAMP DB i/AUTRE
ment vers la science, mais vers sa propre certitude. Elle est au principe de
quelque chose qui n est pas la sciepee au sens où, depuis Platon et avant,
elle a fait l'objet de la méditation des philosophes — mais La science —
l'accent est mb sur ce La et non sur le mot science. La science, celle dans
laquelle nous sommes pris, qui forme le contexte de notre action à tous
dans le temps que nous vivons, et à laquelle ne peut pas échapper le psy
chanalyste lui-même, parce qu'elle fait, à lui aussi, partie de ses condi
tions, c'est La science, celle-là.
C'est par rapport à cette science-là que nous avons à situer la psychana
lyse. Nous ne le pouvons faire qu'en articulant au phénomène de l'incons
cient la révision que nous avons faite du fondement du sujet cartésien.
J'irai d'abord, aujourd'hui, à la phénoménologie du transfert
sachions que très card un détail biographique gros comme ça? Pour me
faire entendre, je dirai, par exemple, qu'à tel moment de sa vie, le sujet a
attrapé la vérole. Et pourquoi ne me l'avez-vouspas dit plus tôt?—on pourra
poser la question, si Ton est encore assez naïf. Très exactement, vous dira
l'analysé, si je vous Favais dit plus tôt, vous auriez pu lui attribuer une partie
au moins, voire le fond, de mes troubles, et si je suis ici car!est pas pour que vous
donniez à mes troubles une cause organique.
C'est un exemple de portée assurément illimitée, et qu'il y a bien des
façons de prendre — sous l'angle des préjugés sociaux, du débat scienti
fique, de la confusion qui reste autour du principe même de l'analyse. Je
ne le donne ici que pour illustration de ceci, que le patient peut penser que
l'analyste sera trompé s'il lui donne certains éléments. Il retient certains
éléments pour que l'analyste n'aille pas trop vite. Je pourrais vous l'incar
ner dans d'autres exemples meilleurs. Celui qui peut être trompé, ne devrait-
il pas être a fortiori sous le soupçon de pouvoir, tout simplement, se tromper?
Or c'est bien là, la limite. C'est autour de ce se tromper, que gît la bascule,
la balance, de ce point subtil, infinitésimal, que j'entends marquer.
Étant admis que l'analyse puisse être, chez certains sujets, mise en ques
tion à son départ même, et soupçonnée d'être un leurre — comment se
fait-il qu'autour de ce se tromper, quelque chose s'arrête? Même au psycha
nalyste mis en question, il est fait ce crédit d'une certaine infaillibilité quel
que part, qui, même à l'analyste mis en question, fera attribuer quelque
fois, à propos d'un geste de hasard, des intentions. Vous Tavezfait pour me
mettre à Vipreuvel
La discussion socratique a introduit le thème suivant, que la reconnais
sance des conditions du bien en soi aurait pour l'homme quelque chose
d'irrésistible. C'est le paradoxe de l'enseignement, sinon de Socrate —
qu'en savons-nous, sinon par la comédie platonicienne —je ne dirai pas
même de Platon — car Platon se développe dans le terrain du dialogue co
mique, et laisse ouvertes toutes les questions — mais d'une certaine exploi
tation du platonisme, dont on peut dire qu'elle se perpétue dans une dérision
générale. Car qui ne sait, à la vérité, que la reconnaissance la plus parfaite
des conditions du bien n'empêchera jamais quiconque de se ruer dans son
contraire? Alors, de quoi s'agit-il donc, dans cette confiance faite à l'analyste?
Quel crédit pouvons-nous lui faire de le vouloir, ce bien, et qui plus
est, pour un autre? Je m'explique.
Qui ne sait d'expérience qu'on peut ne pas vouloir jouir? Qui ne le sait
d'expérience, pour savoir ce recul qu'impose à chacun, en ce qu'elle com
porte d'atroces promesses, l'approche de la jouissance comme telle? Qui ne
sait qu'on peut ne pas vouloir penser? — il y a là pour nous en témoigner
tout le collège universel des professeurs.
Mais qu'est-ce que peut signifier ne pas vouloir désirer? Toute l'expérience
212
DU SUJET SUPPOSÉ SAVOIR
analytique —qui ne fait ici que donner forme à ce qui est pour chacun à la
racine même de son expérience — nous témoigne que ne pas vouloir dési
rer et désirer, c'est la même chose.
Désirer comporte une phase de défense qui le rend identique à ne pas
vouloir désirer. Ne pas vouloir désirer, c'est vouloir ne pas désirer. Disd-
>line à quoi se sont employés, pour trouver une issue aux impasses de
Î 'interrogation socratique, précisément des gens qui ne furent pas seulement
desphilosophes, mais des espèces de religieux à leur manière—les stoïciens,
les épicuriens. Le sujet sait que ne pas vouloir désirer a en soi quelque chose
d'aussi irréfutable que cette bande de Mœbius qui n'a pas d'envers, à savoir
qu'à la parcourir, on reviendra mathématiquement à la surface qui serait
supposée la doubler.
C'est à ce point de rendez-vous que l'analyste est attendu. En tant que
l'analyste est supposé savoir, il est supposé aussi partir à la rencontre du
désiçinconscient. C'est pourquoije dis —je vous l'illustrerai la prochaine fois
par un petit dessin topologique qui a déjà été au tableau — que le désir
est l'axe, le pivot, le manche, le marteau, grâce à quoi s'applique l'élément-
force, l'inertie, qu'il y a derrière ce qui seformuled'abord, dans le discours
du patient, en demande, à savoir, le transfort. L'axe, le point commua de
cette double hache, c'est le désir de l'analyste, queje désigne ici comme une
fonction essentielle. Et qu'on ne me dise pas que ce désir, je ne le nomme
pas, car c'est précisément ce point qui n'est articulable que du rapport du
désir au désir.
Ce rapport est interne. Le désir de l'homme, c'est le désir de l'Autre.
N'y a-t-il pas, reproduit ici, l'élément d'aliénation que je vous ai désigné
dans le fondement du sujet comme tel? Si ce n'est qu'au niveau du désir
de l'Autre que l'homme peut reconnaître son désir, et en tant que désir de
l'Autre, n'est-ce pas là quelque chose qui doit lui paraîtrefoireobstacle à
son évanouissement, qui est un point où jamais son désir ne peut se recon
naître? C'est ce qui n'est ni soulevé, ni à soulever, car l'expérience analy
tique nous montre que c'est à voir jouer toute une chaîne au niveau du désir
de l'Autre, que le désir du sujet se constitue.
Dans le rapport du désir au désir, quelque chose est conservé de l'alié
nation, mais non pas avec les mêmes éléments — non pas avec ce Sx et ce
Sa du premier couple de signifiants, d'où j'ai déduit laformulede l'aliéna
tion du sujet dans mon avant-dernier cours — mais avec, d'une part, ce
qui s'est constitué à partir du refoulement originaire, de la chute, as Y Unter-
drückung, du signifiant binaire — et, d'autre part, ce qui apparaît d'abord
comme manque dans ce qui est signifié par le couple des signifiants, dans
l'intervalle qui les lie, à savoir, le désir de l'Autre.
213
LB CHAMP DB L'ÀUTBB
d'un besoin—ce qui se désigne par une manifestation au niveau d'un cycle
de besoins interrompus, et que nous retrouvons ici, au niveau de l'expérience
pavlovienne» comme étant la coupure du désir. Et — comme on dit voilà
pourquoi votrefilleest muette — voilà pourquoi l'animal n'apprendra jamais
à parler. Au moins par cette voie. Parce que évidemment, ü est d'un temps
en retard. L'expérience peut provoquer en lui toutes sortes de désordres,
toutes sortes de troubles, mais, n'étant pas jusqu'à présent un être parlant,
il n'est pas appelé à mettre en question le désir de l'expérimentateur, qui
d'ailleurs, si on l'interrogeait lui-même, serait bien embarrassé pour ré
pondre.
H n'en reste pas moins qu'à l'articuler ainsi, cette expérience a l'intérêt,
en effet essentiel, de nous permettre de situer ce qui est à concevoir de
l'effet psycho-somatique. J'irai jusqu'à formuler que, lorsqu'il n'y a pas
d'intervalle entre Sx et S* lorsque le premier couple de signifiants se soli
difie, s*holophrase, nous avons le modèle de toute une série de cas— encore
que, dans chacun, le sujet n'y occupe pas la même place.
X ♦ Si
S»
O. s» s', s"» sw,... : suite des sens.
i (a, a', a"» a'",...) : suite des identifications.
C'est pour autant que» par exemple» l'enfant» l'enfant débile, prend la
place» au tableau» en bas et à droite, de ce S, au regard de ce quelque chose
à quoi la mère le réduit à n'être plus que le support de son désir dans un
terme obscur» que s'introduit dans l'éducation du débile la dimension
psychotique. C'est précisément ce que notre collègue Maud Mannoni»
dans ün livre qui vient de sortir et dont je vous recommande la lecture»
essaie de désigner à ceux qui» d'une façon quelconque» peuvent être commis
à en lever l'hypothèque.
C'est assurément quelque chose du même ordre dont il s'agit dans la
psychose. Cette solidité, cette prise en masse de la chaîne signifiante primi
tive, est ce qui interdit l'ouverture dialectique qui se manifeste dans le
phénomène de la croyance.
Au fond de la paranoïa elle-même, qui nous parait pourtant tout animée
215
LE CHAMP DB L'AÜTRB
Vous voyez, marqué des grandes lettres ICH, Ylch comme appareil
tendant à une certaine homéostase — qui ne peut pas être la plus basse
parce que ce serait la mort, et d'ailleurs, la chose a été envisagée par Freud
en uii second temps. Quand au Lust, ce n'est pas un champ à proprement
parler, c'est toujours bel et bien un objet, un objet de plaisir qui, comme tel,
est miré dans le moi. Cette image en miroir, ce corrélat bi-univoque de
l'objet, c'est là le Lust-Ich purifié dont parle Freud, soit ce qui, dans Vlch,
se satisfait de l'objet en tant que Lust.
Ce qui est Unlust, par contre, est ce qui reste inassimilable, irréductible,
au principe du plaisir. C'est à partir de ça, Freud nous le dit, que va se consti
tuer le non-moi. Il se situe — notez-le bien — à l'intérieur du cercle du
moi primitif, il mord sur lui, sans que le fonctionnement homéostatique
arrive jamais à le résorber. Vous voyez là l'origine de ce que nous retrou
verons plus tard dans la fonction dite du mauvais objet
Vous constatez surtout que ce qui structure le niveau du plaisir donne
déjà l'amorce d'une articulation possible de l'aliénation.
Le Lust se dit en quelque sorte, dans la zone extérieure — ah! /'Ich, c'est
quand même quelque chose dont il faudrait s'occuper. Et dès qu'il s'en occupe,
h parfaite tranquillité de Ylch disparaît. Le Lust-Ich se distingue, et du même
coup Y Unlust, fondement du non-moi, choit. Cela n'implique pas la dispa
rition de l'appareil, bien au contraire. Vous voyez simplement se produire
à un niveau primitif cette écornure, cet écornage, que je mets en valeur
dans la dialectique du sujet à l'Autre, mais ici dans l'autre sens.
La formule de cela, c'est le pas de bien sans mal, pas de bien sans souffrance,
qui garde à ce bien, à ce mal, un caractère d'alternance, de dosage possible,
où l'articulation que je donnais tout à l'heure du couple des signifiants va
se réduire, et faussement. Car, pour reprendre les choses au niveau du bien
et du mal, chacun sait que l'hédonisme échoue, dérape, à expliquer la
mécanique du désir. C'est qu'à passer à l'autre registre, à l'articulation
aliénante, cela s'exprime tout différemment Je rougis presque ici d'agiter
ces chiffons avec lesquels les imbéciles font joujou depuis si longtemps, tel
au-delà du bien et du mal, sans savoir exactement de quoi ils parlent fi n'en
reste pas moins qu'il faut articuler ce qui se passe au niveau de l'articulation
aliénante ainsi — pas de mal sans qu'a en résulte un bien, et quand le bien
est là, il n'y a pas de bien qui tienne avec le mal.
C'est pour ça qu'à se situer dans le registre pur et simple du plaisir,
l'éthique échoue, et que, très légitimement, Kant lui objecte que le souve
rain bien ne saurait être aucunement conçu comme l'infinitisation d'un
petit bien quelconque. Car il n'y a pas de loi possible à donner de ce qui
peut être le bien dans les objets.
Le souverain bien, si tant est que ce terme qui fait confusion doive être
maintenu, ne peut se retrouver qu'au niveau de la loi, et j'ai démontré dans
218
DU SUJET SUPPOSÉ SAVOIR
Kant avec Sade que cela veut dire qu'au niveau du désir, passivité, narcis
sisme, ambivalence, sont les caractéristiques qui gouvernent la dialectique
du plaisir au niveau du tableau de gauche» Son terme est à proprement
parler ce qu'on appelle l'identification.
C'est la reconnaissance de la pulsion qui permet de construire, avec la
plus grande certitude, le fonctionnement dit par moi de division du sujet,
ou d'aliénation. Et la pulsion elle-même, comment a-t-elle été reconnue?
Elle a été reconnue en ceci que, loin que la dialectique de ce qui se passe
dans finconscient du sujet puisse se limiter à la référence au champ du Lust,
aux images des objets bénéfiques, bienfaisants, favorables, nous avons
trouvé un certain type d'objets qui, en fin de compte, ne peuvent servir à
rien. Ce sont les objets a, les seins, les fèces, le regard, la voix. C'est en
ce terme nouveau que gît le point qui introduit la dialectique du sujet en
tant que sujet de l'inconscient.
C'est là que la prochaine fois, je retrouverai la suite de ce qui est à dévelop
per dans le sujet du transfert
RÉPONSES
tement la même chose que quand vous dites —faime Madame Une telle—à
cette différence près que ça, vous le lui dites à eue, ce qui change tout Vous
lui dites pour des raisons que je vous expliquerai la prochaine fois.
Vous aimez le ragoût de mouton. Vous nêtes pas sûrs de le désirer. Prenez
l'expérience de la belle bouchère. Elle aime le caviar, seulement elle n'en veut
pas. C'est pour ça qu'elle le désire. Comprenez que l'objet du désir, c'est
la cause du désir, et cet objet cause du désir, c'est l'objet de la pulsion —
c'est-à-dire l'objet autour de quoi tourne la pulsion. Puisque je suis là dans
un dialogue avec quelqu'un qui a travaillé mes textes, je peux in exprimer
dans des formules resserrées. Ce n'est pas que le désir s'accroche à l'objet
delà pulsion — le désir en fait le tour, en tant qu'il est agi dans la pulsion*
Mais tout désir n'est pas forcément agi dans la pulsion. Il y a aussi des désirs
vides, des désirs fous, qui partent justement de ceci — il ne s'agit que do
désir de ce que, par exemple, on vous a défendu quelque chose. Du Élit
qu'on vous l'a défendu, vous ne pouvez pas faire autrement, pendant un
certain temps, qu'y penser. C'est encore du désir. Mais chaque fois que
vous avez affaire à un objet de bien, nous le désignons — c'est une question
de terminologie, mais c'est une terminologie justifiée — comme objet
d'amour. Je le justifierai la prochaine fois en articulant le rapport qu'il y
a entre l'amour, le transfert, le désir.
io JUIN 1964.
XIX
DE L'INTERPRÉTATION AU TRANSFERT
prenons-les vraiment au hasard — à part soi, bon gré mal gré, une affaire,
différent de une chose à faire, implique la topologie enveloppante où le sujet
se reconnaît quand il parle spontanément
Si je puis m'adresser à des psychanalystes et tenter de repérer à quelle
topologie implicite ils se rapportent en usant de chacun des termes que je
viens d'énumérer tout à l'heure, c'est évidemment que, dans l'ensemble,
— si incapables qu'ils soient souvent, faute d'enseignement, de les articuler
— ils en font couramment, avec la même spontanéité que l'homme du dis
cours commun, un usage adéquat. Bien sûr, s'ils veulent absolument forcer
les résultats d'une observation, et comprendre là où ils ne comprennent
pas, on les verra en faire un usage forcé. Dans ce cas-là, il y aura peu de
gens pour les reprendre.
Aujourd'hui donc, je me réfère à ce tact de l'usage psychanalytique
concernant certains mots, pour pouvoir les raccorder à 1 évidence d'une
topologie que j'ai déjà apportée ici, et qui est, par exemple, incarnée au
tableau dans le schéma qui vous montre le champ de YIch primordial,
YIch objectivable, enfinde compte, dans l'appareil nerveux, YIch du champ
homéostatique, par rapport auquel le champ du Lust, du plaisir, se distingue
du champ de Y Unkst.
J'ai déjà scandé que Freud distingue bien le niveau de YIch, par exemple
dans l'article sur les Triebe, en soulignant à la fois qu'il se manifeste comme
organisé, ce qui est un signe narcissique, et que c'est justement dans cette
mesure qu'il est proprement articulé au champ du réel. Dans le réel, il ne
distingue, il ne privilégie que ce qui se reflète dans son champ, par un effet
de Lust, comme retour à l'homéostase.
Mais ce qui ne favorise pas l'homéostase et se maintient à tout prix comme
Unlust, mord encore bien plus dans son champ. C'est ainsi que ce qui est
de l'ordre de Y Unlust s'inscrit dans le moi comme non-moi, négation,
écornage du moi. Le non-moi ne se confond pas avec ce qui l'entoure» la
vastitude du réel. Non-moi se distingue comme corps étranger, fremde
Objekt. Il est là, situé dans la lunule que les deux petits cercles à la Euler
constituent Voir le tableau. C'est donc, dans le registre du plaisir, un fonde
ment objectivable que nous pouvons nous faire, comme le savant étranger
à l'objet dont il constate le fonctionnement.
Seulement, nous ne sommes pas que ça, et même pour être ça, il faut
que nous soyons aussi le sujet qui pense. Et en tant que nous sommes le
sujet qui pense, nous sommes impliqués d'une façon toute différente, pour
autant que nous dépendons du champ de l'Autre, qui était là depuis un
bout de temps avant que nous venions au monde, et dont les structures
circulantes nous déterminent comme sujet
Il s'agit alors de savoir dans quel champ se passent les différentes choses
auxquelles nous avons affaire dans le champ de l'analyse. Il s'en passe cer-
222
DB L'INTERPRÉTATION AU TRANSFERT
223
LE CHAMP DB L'AUTRE
T
*(!)***(+>' x
-s 7" T
A
B
une formule à quatre étages, qui serait par exemple -=r* C'est ce qu'on
C
ajugé habile de faire pour la métaphore, en arguant de ceci — à ce qui fait
le poids, dans l'inconscient, d'une articulation du signifiant dernier qui vient
à incarner la métaphore avec le sens nouveau créé par son usage, devrait
répondre je ne sais quel épinglage, de l'un à l'autre, de deux signifiants
dans l'inconscient.
Il est tout à fait certain que cette formule ne peut pas donner satisfaction.
D'abord parce qu'on devrait savoir qu'il ne peut pas y avoir de tek rap
ports du signifiant à lui-même, le propre du signifiant étant de ne pas
pouvoir se signifier lui-même, sans engendrer quelque faute de logique.
Il n'est besoin pour s'en convaincre que de se référer aux antinomies
qui sont intervenues dès qu'on a essayé une formalisation logique exhaus
tive des mathématiques. Le catalogue des catalogues qui ne se contiennent
pas eux-mêmes n'est évidemment pas le même catalogue ne se contenant
pas lui-même — quand il est celui qui est introduit dans la définition et
quand il est celui qui va être inscrit dans le catalogue.
H est tellement plus simple de s'apercevoir que ce qui se passe est qu'un
signifiant substitutif est venu à la place d'un autre signifiant constituer
l'effet de métaphore. U renvoie ailleurs le signifiant qu'il a chassé. Si on veut
justement conserver la possibilité d'un maniement de type fractionnel,
on mettra le signifiant disparu, le signifiant refoulé, au-dessous de la barre
principale, au dénominateur, unterdrückt.
Par conséquent, il est faux qu'on puisse dire que l'interprétation»
comme on l'a écrit, est ouverte à tout sens sous prétexte qu'il ne s'agit que
de la liaison d'un signifiant à un signifiant, et par conséquent d'une liaison
folle. L'interprétation n'est pas ouverte à tout sens. C'est concéder à ceux
225
Séminaire/Lacan. S
IS CHAMP DB L'AUTRE
L'interprétation n'est pas ouverte à tous les sens. Elle n'est point n'importe
laquelle. Elle est une interprétation significative, et qui ne doit pas être
manquée. Cela n'empêche pas que ce n'est pas cette signification qui est,
pour l'avènement du sujet, essentielle. Ce qui est essentiel, c'est qu'a voie,
au-delà de cette signification, à quel signifiant — non-sens, irréductible,
traumatique — il est, comme sujet, assujetti.
Cela vous permet de concevoir ce qui est matérialisé dans l'expérience.
Je vous prie de prendre une des grandes psychanalyses de Freud, et nom
mément, la plus grande de toutes, la plus sensationnelle — parce qu'on y
voit, mieux que partout ailleurs, où vient converger le problème de la
conversion du fantasme et de la réalité, à savoir dans quelque chose d'irré
ductible, de non-sensical qui fonctionne comme signifiant originellement
refoulé — je parle de l'observation de YHomme aux loups. Dans YHomme
226
DB L'INTERPRÉTATION AU TRANSFERT
aux loups, je dirai» pour vous donner le fil d'Ariane qui vous guidera
' dans la lecture, que la brusque apparition des loups dans la fenêtre du
rêve joue la fonction du s, comme représentant de la perte du sujet.
Ce n'est pas seulement que le sujet soit fasciné par le regard de ces loups
au nombre de sept, qui d'ailleurs dans son dessin ne sont que cinq, perchés
sur l'arbre. C'est que leur regard fasciné, c'est le sujet lui-même.
Qu'est-ce que vous démontre toute l'observation? C'est qu'à chaque
étape de la vie du sujet, quelque chose est venu, à chaque instant, remanier
la valeur de l'indice déterminant que constitue ce signifiant originel Ainsi
est saisie proprement la dialectique du désir du sujet comme se constituant
du désir de l'Autre. Rappelez-vous l'aventure du père, de la sœur, de la
mère, de Groucha la servante. Autant de temps qui viennent enrichir le
désir inconscient du sujet de quelque chose qui est à mettre, comme signi
fication constituée dans la relation au désir de l'Autre, au numérateur.
Observez bien ce qui se passe alors. Je vous prie de considérer la nécessité
logique de ce moment où le sujet comme X ne se constitue quedel'Uiver-
dràngung, de la chute nécessaire de ce signifiant premier, fl se constitue
autour de YUrverdrängung, mais il ne peut y substituer comme tel—puis
qu'il faudrait alors la représentation d'un signifiant pour un autre, alors
qu'il n'y en a ici qu'un seul, le premier. Dans ce X qui est là, nous devons
considérer deux faces — ce moment constituant où choit la signifiance,
que nous articulons à une place dans sa fonction au niveau de l'inconscient,
mais aussi l'effet de retour, qui s'opère de cette relation qu'on peut conce
voir à partir de lafraction.H ne faut l'introduire qu'avec prudence, mais
elle nous est bien indiquée par les effets de langage,
Chacun sait que si zéro apparaît au dénominateur, la valeur de la frac
tion n'a plus de sens, mais prend par convention ce que les mathématiciens
appellent une valeur infinie. D'une certaine façon, c est là un des temps de
la constitution du sujet En tant que le signifiant primordial est pur non-
sens, il devient porteur de l'infinitisation de la valeur du sujet, non point
ouverte à tous les sens, mais les abolissant tous, ce qui est différent. C'est ce
qui explique que je n'aie pu manier la relation d'aliénation sans faire inter-
venir le mot de liberté. Ce qui fonde en effet, dansfe«ens et non-sens radical
du sujet, la fonction de la liberté, c'est proprement ce signifiant qui tue
tous les sens.
C'est pour cela qu'il est faux de dire que le signifiant dans l'inconscient
est ouvert à tous les sens. Il constitue le sujet dans sa liberté à Tégard de tous
les sens, mais ça ne veut pas dire qu'il n'y soit pas déterminé. Car, au numé
rateur, à la place du zéro, les choses venues s'inscrire sont significations,
significations dialectisées dans le rapport du désir de l'Autre, et elles donnent
au rapport du sujet à l'inconscient une valeur déterminée.
H sera important, dans la suite de mon discours l'an prochain, de montrer
227
IB CHAMP DB L'AUTBB
don de la mort» je crois qu'il est bien difficile de lui donner une relation
saisissable au désir. Je parle du maître dans Hegel, non pas du maître antique,
dont nous avons quelque portrait, et nommément celui d'Alcibiade, dont
le rapport au désir est justement assez visible. Il vient demander à Socrate
quelque chose dont il ne sait pas ce que c'est, mais qu'il appelle agalma.
Certains savent l'usage qu'il y a un temps j'en ai fait Je le reprendrai, cet
agalma, ce mystère qui, dans la brume entourant le regard d'Alcibiade,
représente quelque chose d'au-delà de tous les biens.
Comment voir autre chose qu'une première ébauche de la technique du
repérage du transfert dans le fait que Socrate lui répond, non pas ce qu'il
lui disait quand il étaitjeune — Occupe-toi de ton âme—mais ce qui convient
à l'homme floride et endurci — Occupe-toi de tan désir, occupe-toi de tes
oignons. Tes oignons en l'occasion, c'est un comble d'ironie de la part de
Platon que de les avoir incarnés en un homme à la fois futile et absurde,
presque bouffon. Je crois avoir été le premier à remarquer que les vers que
Platon lui met dans la bouche, concernant la nature de l'amour, sont l'indi
cation même1 de sa futilité confinant à une allure bouffonne, qui ait de cet
Agathon l'objet le moins propre sans doute à retenir le désir d'un maître.
Et aussi bien, qu'il s'appelle Agathon, c'est-à-dire du nom auquel Platon a
donné la valeur souveraine, surajoute là une note peut-être involontaire,
mais incontestable, d'ironie.
Ainsi le désir du maître paraît être, dès son entrée enjeu dans l'histoire,
le terme, de par nature, le plus égaré. Par contre, quand Socrate désire
obtenir sa propre réponse, c'est à celui qui n'a aucun droit de faire valoir
son désir, à l'esclave, qu'il s'adresse. Cette réponse, de lui, il est assuré
toujours de l'obtenir. La voix de la raison est basse, dit quelque part Freud,
mais elle dit toujours la même chose. On ne fait pas le rapprochement que
Freud dit exactement la même chose du désir inconscient A lui aussi, sa
voix est basse, mais son insistance est indestructible. C'est peut-être qu'il y a
de l'un à l'autre un rapport C'est dans le sens de quelque parenté qu'il
nous faudra diriger notre regard vers l'esclave, quand il s'agira de repérer
ce que c'est que le désir de l'analyste.
231
LE CHAMP DB L'AUTRB
RÉPONSBS
C'est tout à £ût clair. Il est endormi, quoi. Il est endormi pour que nous
le soyons aussi avec lui, c'est-à-dire que nous n'y comprenions que ce qui
est à comprendre.
Je voulais faire intervenir la tradition juive, pour essayer de reprendre les
choses où Freud les a laissées, parce que ce n'est quand même pas pour rien
que la plume est tombée des mains de Freud sur la division du sujet, et
qu'il avait fait juste avant, avec Moïse et le monothéisme, une mise en cause
des plus radicales de la tradition juive. Quel que soit le caractère histo
riquement contestable de ses appuis ou même de ses cheminements,
il reste que d'introduire au cœur de l'histoire juive la distinction radicale,
absolument évidente, de la tradition prophétique par rapport à un autre
message, c'était bien — comme il en avait conscience, comme il l'écrit de
toutes les façons — faire de la collusion avec la vérité unefonctionessentielle
à notre opération en tant qu'analystes. Et justement, nous ne pouvons
nous y fier, nous y consacrer que dans la mesure où nous nous détrônons
de toute collusion avec la vérité.
Puisque nous sommes là un petit peu entre familiers, et qu'après tout il
y a plus d'une personne ici qui n'est pas sans être au courant du travail qui
se produit au cœur de la communauté analytique, je peux vous dire quelque
chose d'amusant. Je réfléchissais ce matin, entendant quelqu'un qui m'ex
posait sa vie, voire ses déboires, à ce que peut avoir d'encombrant, dans une
233
18 CHAMP DB L'AÜTRB
17 JUIN 1964*
RESTE A CONCLURE
XX
Je t'aime,
Mais, parce qu inexplicablernettt
faune en toi quelque chose
plus que toi —
l'objet petit a,
Je te mutile.
Il me reste à conclure, cette année, le discours que j'ai été amené à tenir
en ces lieux en raison de circonstances qui ont présentifié, dans la suite de
mon enseignement, quelque chose, dont, après tout, rend compte une des
notions fondamentales que j'ai été amené à avancer ici-même — celle de
la dustuckia, de la nialencontre.
Ainsi ai-je dû suspendre ce pas que je m'apprêtais à fairefranchirà ceux
qui suivaient mon enseignement concernant les Noms-du-père, pour
reprendre ici, devant un auditoire autrement composé, la question dont il
s'agit depuis le départ de cet enseignement, le mien — quel est Vordre de
vérité que notre praxis engendre?
Ce qui peut nous rendre certains de notre praxis, c'est ce dont je crois
vous avoir donné ici les concepts de base, sous les quatre rubriques de l'in
conscient, de la répétition, du transfert, et de la pulsion — dont vous avez
vu que j'ai été amené à inclure l'esquisse à l'intérieur de mon exploration
du transfert
Ce qu'engendre notre praxis a-t-il le droit de se repérer des nécessités,
même implicatives, de la visée de vérité? Cette question peut se transposer
dans la formule ésotérique — comment nous assurer que nous ne sommes pas
dans?imposture?
Ce n'est pas trop dire que, dans la mise en question de l'analyse telle
qu'elle est toujours en suspens, non seulement dans l'opinion, mais bien
plus encore, dans la vie intime de chaque psychanalyste, l'imposture plane—
*37
RESTE A CONCLURE
^39
RESTE A CONCLURE
L'objet a est cet objet qui» dans l'expérience même» dans la marche et le
procès soutenu par le transfert» se signale à nous par un statut spécial.
On a sans cesse à la bouche» sans savoir absolument ce que l'on veut dire»
le terme de ce qu'on appelle la liquidation du transfert. Qu'est-ce que ça
peut bien vouloir dire? A quelle comptabilité le mot liquidation se réfère-
t-il? Ou s'agit-il de je ne sais quelle opération dans un alambic? S'agit-il
de—il faut que ça coule, et que ça se vide quelque part ? Si le transfert est la mise
en action de l'inconscient» est-ce qu'on veut dire que le transfert pourrait
être de liquider l'inconscient? Est-ce que nous n'avons plus d'inconscient
après une analyse? Ou est-ce que c'est le sujet supposé savoir» pour prendre
ma référence» qui devrait être liquidé comme tel?
Il serait tout de même singulier que ce sujet supposé savoir» supposé
savoir quelque chose de vous» et qui» en Eut» n'en sait rien» puisse être
considéré comme liquidé» au moment où» à la fin de l'analyse» il commence
240
EN TOI PLUS QUE TOI
241
RESTE A CONCLURB
243
RESTE A CONCLURE
D : ligne de la demande.
I : lime d'intersection « iden
tification ».
T : point du transfert
d :1e désir.
En effet, par le travail même qui conduit le sujet, en se disant dans l'ana
lyse, à orienter son propos dans le sens de la résistance du transfart» de la
tromperie» tromperie d'amour aussi bien que d'agression — quelque chose
se produit dont la valeur de fermeture se marque dans la forme même de
cette spirale se développant vers un centre. Ce que j'ai icifigurépar le bord
revient sur le plan constitué du lieu de l'Autre» à partir de l'endroit où le
sujet» se réalisant dans sa parole» s'institue au niveau du sujet supposé savoir.
Toute conception de l'analyse qui s'articule — et Dieu sait si elle s'articule
avec innocence — à définir la fin de l'analyse comme identification à
l'analyste» fait par là même l'aveu de ses limites. Toute analyse que l'on
doctrine comme devant se terminer par l'identification à l'analyste révèle»
du même coup» que son véritable moteur est élidé. Il y a un au-delà à cette
identification» et cet au-delà est défini par le rapport et la distance de l'objet
petit a au grand I idéalisant de l'identification.
Je ne puis entrer dans le détail de ce qu'implique dans la structure de la
pratique une pareille affirmation. Je me réfère ici au chapitre de Freud sur
État amoureux et Hypnose que je vous ai signalé tout à l'heure. Freud y
distingue excellemment de l'hypnose l'état amoureux» jusque dans ses
formes les plus extrêmes» celles qu'il qualifie de Verliebtheit. Il donne le
repérage doctrinal le plus accentué à ce qui se lit partout ailleurs» si l'on
sait le lire.
Il y a une différence essentielle entre l'objet défini comme narcissique»
le i {a), et la fonction du a. Les choses en sont au point que la seule vue du
schéma que Freud donne de l'hypnose» donne du même coup la formule
de la fascination collective» qui était une réalité ascendante à l'heure où il
écrivit cet article. Il nous fait ce schéma exactement comme je vous le
représente au tableau.
Il y désigne ce qu'il appelle l'objet — où il faut que vous reconnaissiez
ce que j'appelle le a — le moi» et l'idéal du moi. Quant aux courbes» elles
sont faites pour marquer la conjonction du a avec l'idéal du moi. Freud
donne ainsi son statut à l'hypnose en superposant à la même place l'objet a
comme tel et ce repérage signifiant qui s'appelle l'idéal du moi.
zu
EN TOI PLUS QUE TOI
— ~ — — ^ x Objet extérieur
, - - ' •
Schéma de Freud
Je vous ai donné les éléments pour le comprendre» en vous disant que
l'objet a peut être identique au regard« Eh bien» Freud pointe précisément
le nœud de l'hypnose enformulantque l'objet y est un dément assurément
difficile à saisir» mais incontestable» le regard de l'hypnotiseur. Rappelez-
vous ce que je vous ai articulé de la fonction du regard, de ses relations
fondamentales à la tache, du Élit qu'il y a déjà dans le monde quelque chose
qui regarde avant qu'il y ait une vue pour le voir» que l'ocelle du mimé
tisme est indispensable comme présupposé au fait qu'un sujet peut voir et
être fasciné, que la fascination de la tache est antérieure à la vue qui la
découvre. Vous saisissez du même coup la fonction du regard dans l'hyp
nose, qui peut être remplie en somme par un bouchon de cristal» ou n'im
porte quoi, pour peu que ça brille,
Définir l'hypnose par la confusion» en un point» du signifiant idéal où
se repère le sujet avec le *» c'est la définition structurale la plu assurée qui
ait été avancée.
Or» qui ne sait que c'est en se distinguant de l'hypnose que l'analyse
s'est instituée? Car le ressort fondamental de l'opération analytique» c'est
le maintien de la distance entre le I et le a.
Pour vous donner des formules-repères» je dirai — si le transfert est ce
qui» de la pulsion» écarte la demande» le désir de l'analyste est ce qui l'y
ramène. Et par cette voie» il isole le a» il le met .à la plus grande distance
possible du I que lui» l'analyste» est appelé par le sujet à incarner. C'estde
cette idéalisation que l'analyste a à déchoir pour être le support de Va sépa
rateur, dans la mesure où son désir lui permet, dans une hypnose à l'envers,
d'incarner» lui» l'hypnotisé.
Ce franchissement du plan de l'identification est possible. Tout un cha
cun de ceux qui ont vécu jusqu'au bout avec moi» dans l'analyse didactique»
l'expérience analytique sait que ce que je dis est vrai
C'est au-delà de la fonction du a que la courbe se referme» là où elle n'est
jamais dite» concernant l'issue de l'analyse. A savoir» après le repérage du
sujet par rapport au 4, l'expérience du fantasme fondamental devient la
pulsion. Que devient alors celui qui a passé par l'expérience de ce rapport
245
JIBSTB A C0NCLUBB
il s'avère que l'offrande à des dieux obscurs d'un objet de sacrifice est quel
que chose à quoi peu de sujets peuvent ne pas succomber, dans une mons
trueuse capture.
L'ignorance, l'indifférence, le détournement du regard, peut expliquer
sous quel voile reste encore caché ce mystère. Mais pour quiconque est
capable, vers ce phénomène, de diriger un courageux regard — et, encore
une fois, il y en a peu assurément pour ne pas succomber à la fascination
du sacrifice en lui-même—le sacrifice signifie que, dans l'objet de nos désirs,
nous essayons de trouver le témoignage de la présence du désir de cet Autre
qt|e j'appelle ici le Dieu obscur.
C'est le sens éternel du sacrifice, auquel nul ne peut résister, sauf à être
animé de cette foi si difficile à soutenir, et que seul, peut-être, un homme a su
formuler d'une façon plausible — à savoir, Spinoza, avec YAmor intellec-
tualisDei.
Ce qu'on a cru, à tort, pouvoir qualifier chez lui de panthéisme n'est
rien d'autre que la réduction du champ de Dieu à l'universalité du signi
fiant, d'où se produit un détachement serein, exceptionnel, à l'égard du
désir humain. Dans la mesure où Spinoza dit — le désir est Yessence de
l'homme, et où, ce désir, il l'institue dans la dépendance radicale de l'uni
versalité des attributs divins, qui n'est pensable qu'à travers la fonction du
signifiant, dans cette mesure, il obtient cette position unique par où le
philosophe — et il n'est pas indifférent que ce soit un juif détaché de sa
tradition qui l'ait incarné—peut se confondre avec un amour transcendant
Cette position n'est pas tenable pour nous. L'expérience nous montre
que Kant est plus vrai, etj'ai prouvé que sa théorie de la conscience, comme
fl écrit de la raison pratique, ne se soudait que de donner une spécification
de la loi morale qui, à l'examiner de près, n'est rien d'autre que le désir à
l'état pur, celui-là même qui aboutit au sacrifice, à proprement parler, de
tout ce qui est l'objet de l'amour dans sa tendresse humaine —je dis bien,
non seulement au rejet de l'objet pathologique, mais bien à son sacrifice et
à son meurtre. C'est pourquoi j'ai écrit Kant avec Sade.
C'est là l'exemple de l'effet de désillement que l'analyse permet de tant
d'efforts, même les plus nobles, de l'éthique traditionnelle.
Position-limite, qui nous permet de saisir que l'homme ne peut esquisser
sa situation dans un champ qui serait de connaissance retrouvée qu'à avoir
auparavant rempli la limite où, comme désir, il se trouve enchaîné. L'amour,
dont il est apparu aux yeux de certains que nous avions procédé au rava
lement, ne peut se poser que dans cet au-delà où, d'abord, il renonce à son
objet C'est là aussi ce qui nous permet de comprendre que tout abri oü
puisse s'instituer une relation vivable, tempérée, d'un sexe à l'autre néces
site l'intervention — c'est l'enseignement de la psychanalyse — de ce
médium qui est la métaphore paternelle;
247
RESTE A CONCLURE
24 JUIN 1964.
NOTICE
J * A* aim
POSTFACE
251
POSTFACE
On ne peut douter par le temps que/y mis de ce que Vissue me déplaise que
fai qualifiée de poubellication. Mais qu'on p'oublie ce que je dis au point d'y
mettre le tour universitaire, vaut bien que j'en marque ici l'incompatibilité.
Poser l'écrit comme je le fais, qu'on remarque qu'à la pointe c'est acquis, voire
qu'on en fera son statut. Y serais-je pour un peu, n'empêcherait pas que cefut
établi bien avant mes trouvailles, puisque après tout l'écrit comme pas-à-lire, c'est
Joyce qui l'introduit, je ferais mieux de dire : l'introduit, car à faire du mot traite
au-delà des langues, il ne se traduit qu'à peine, d'être partout également peu à lire.
Moi cependant vu à qui je parle, j'ai à âter de ces têtes ce qu'elles croient tenir
de l'heure de l'école, dite sans doute maternelle de ce qu'on y possède à la démater-
nalisation : soit qu'on apprenne à lire en s'alphabêtissant. Comme si l'enfant à
savoir lire d'un dessin que c'est 1a girafe, d'un autre que c'est guenon qui est à dire
n'apprenait pas seulement que le G dont les deux s'écrivent, n'a rien àfaire de se
lire puisqu'il n'y répond pas.
Que ce qui se produit dès lors <fanorthographie ne soitjugeable qu'à prendre
la fonction de Yécrit pour un mode autre du parlant dans le langage, c'est oh l'on
gagne dans le bricolage soit petit à petit, mais ce qui irait plus vite à ce qu'on sache
ce qu'il en est.
Ça ne serait déjà pas mal que se lire s'entendit comme il convient, là où on a le
devoir d'interpréter. Que ce soit la parole où ne se lise pas ce qu'elle dit, voilà
pourtant ce dont l'analyste sursaute passé le moment où il se poussah, ah! à se
donner de Fécoute jusqu'à ne plus tenir debout.
Intention, défi on se défile, défiant on se défend, refoule, renâcle, tout lui sera
bon pour ne pas entendre que le « pourquoi me mens-tu à nt* dire le vrai? » de
l'histoire qu'on dit juive de ce que c'y soit le moins bête qui parle n'en dit pas
moins que c'est de n'être pas un livre de lecture que l'indicateur des chemins defer
est là le recours par quoi se lit Lemberg au lieu de Cracovie — ou bien encore que
ce qui tranche en tout cas la question, c'est le billet que délivre la gare.
Mais la fonction de l'écrit ne fait pas alors l'indicateur, mais la voie même du
chemin de fer. Et l'objet (a) tel que je l'écris c'est lui le rail par où en vient au
plus-de-jouir ce dont s'habite, voire s'abrite la demande à interpréter.
252
POSTFÀCB
Souvenir ici de V impudence qu'on m'imputa pour ces écrits d'avoir du mot fait
ma mesure. Une Japonaise en était hors-de-soi, ce dont je m'étonnai.
C'est que je ne savais pas, bien que propulsé, justement par ses soins, là oh
s'habite sa lattgue, que ce lieu pourtant je ne le tétais que du pied. Je n'ai compris
que depuis ce que le sensible y reçoit de cette écriture qui de / on-yomi au Kun-
yomi répercute le signifiant au point qu'il s'en déchire de tant de réfractions, à
quoi te journal le moindre, le panonceau au carrefour satisfont et appuient. Rien
n'aide autant à refaire des rayons qui ruissellant d'autant de vannes, ce qui de la
source par Amaterasu vint au jour.
C'est au point que je me suis dit que l'être parlant par là peut se soustraire aux
artifices de l'inconscient qui ne l'atteignent pas de s'y fermer. Cas-limite à me
confirmer.
Vous ne comprenez pas stêcriture. Tant mieux, ce vous sera raison de l'expliquer.
Et si ça reste en plan, vous en serez quitte pour Yembarras. Voyez, pour ce qui
m'en reste, moi j'y survis.
Encore faut-il que rembarras soit sérieux pour que ça compte. Mais vous pouvez
pour ça me suivre : n'oubliez pas que j'ai rendu ce mot à son sort dans mon sémi-
naire sur l'angoisse, soit l'année d'avant ce qui vient ici. C'est vous dire qu'on
ne s'en débarrasse sifacilement que de moi.
En attendant que l'échelle vous soit propice de ce qui se lit ici :je ne vous y fais
pas monter pour en redescendre.
Ce qui mefrappe quandje relis ce quifut ma parole c'est la sûreté qui me pré-
serva defaire bêtise au regard de ce qui me vint depuis.
Le risque à chaque fois me paraît entier et c'est ce qui me fait fatigue. Que
J. A. M. me l'ait épargné, me laisse à penser que ce ne sera rien pour vous, mais
aussi bien méfait croire que si j'en réchappe, c'est que d'écrit j'ai plus que je n'écrois.
Rappelons pour nous qui nous écroyons moins qu'au Japon, ce qui s'impose et
texte de la Genèse, c'est que d'ex nihilo rien ne s'y crée que du signifiant. Ce qui
va de soi puisqu'en effet ça ne vaut pas plus.
L'inconvénient est qu'en dépende l'existence, soit ce dont seul le dire est témoin.
Que Dieu s'en prouve eût dû depuis longtemps le remettre à sa place. Soit celle
dont la Bible pose que ce n'est pas mythe, mais bien histoire, on l'a marqué, et
c'est en quoi l'évangile selon Marx ne se distingue pas de nos autres.
L'affreux est que le rapport dont sefomente toute la chose, ne concerne rien que
la jouissance et que l'interdit qu'y projette la religion faisant partage avec la pani-
que dont procède à cet endroit la philosophie, unefoule de stAstances en surgissent
comme substituts à la seule propre, celle de l'impossible à ce qu'on en parle, d'être
le réel
353
POSTFACB
Le i ct janvier 1973.
TABLE
L L'excommunication 7
L'INCONSCIENT BT LA RÉPÉTITION
IB TRANSFERT BT LA PULSION
RESTE A CONCLUES
Notice 249
POSTFACB 251