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Surtout, il n’envoie aucun message de fond sur les


manières de relancer le projet européen et passe sous
Mercato des dirigeants de l’UE: à la fin,
silence la poussée des écologistes observée dans les
c’est l’Allemagne qui gagne urnes en mai dernier. Il a aussi de fortes chances
PAR LUDOVIC LAMANT
ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 3 JUILLET 2019 de braquer beaucoup d’eurodéputés, qui viennent
de s’installer, mardi, pour leur première séance à
Strasbourg.
« Après des jours de discussion, cet accord d’arrière-
salle est grotesque. Il ne satisfait personne, ce ne
Ursula von der Leyen (Commission européenne), Charles Michel (Conseil sont que des jeux de pouvoir partisans. Ce n’est
européen), David-Maria Sassoli (Parlement européen), Josep Borrell
(Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de
pas ce que les Européens méritent », s’est emportée
sécurité) et Christine Lagarde (Banque centrale européenne). © Reuters l’Allemande Ska Keller, la coprésidente du groupe
Alors que le Parlement a élu mercredi le social- des Verts au Parlement. Les écologistes ne disposent
démocrate italien David-Maria Sassoli à sa tête, d’aucun représentant autour de la table du Conseil.
les dirigeants européens ont fini par s'entendre sur Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
des noms pour diriger l'UE dans les années à
venir. Principale surprise d'un casting sans grande La plus grosse surprise constitue le choix d’Ursula von
cohérence : la ministre de la défense allemande, der Leyen, 60 ans, l’actuelle ministre de la défense
proposée à la tête de la Commission. allemande, figure modérée de la CDU d’Angela
Merkel, issue d'une famille d'aristocrates. Un temps
Une ministre allemande sur le déclin, une ex-ministre annoncée comme la successeure de Merkel à la
française sous Nicolas Sarkozy reconnue coupable Chancellerie, celle qui a vécu ses douze premières
pour « négligence » dans l’affaire Tapie, ou encore années à Bruxelles a perdu de sa superbe au cours
un ancien premier ministre belge qui a pactisé avec des dernières années. Comme l'a signalé l'eurodéputé
l’extrême droite avant de se faire éjecter du pouvoir en allemand Sven Giegold, plusieurs scandales entachent
décembre dernier… aujourd'hui sa gestion du ministère de la défense.
Il a fallu près de 26 heures de négociations, étalées de Signe des difficultés de la négociation, la chancelière
dimanche à mardi à Bruxelles – soit dix heures de plus s’est abstenue lors du vote mardi, inquiète à l’idée
que lors du sommet épique sur l’avenir de la Grèce en de voir éclater sa coalition CDU-CSU-SPD à Berlin.
2015 – pour que les dirigeants européens s’entendent Même si elle a, selon la version donnée par le
sur les noms des probables futurs dirigeants de l’UE. président du Conseil Donald Tusk, « soutenu, à titre
Ces derniers, en majorité des seconds couteaux de personnel, l’ensemble du paquet » des nominations.
la politique européenne, ont été piochés dans trois Angela Merkel a dû consulter ses partenaires sociaux-
partis européens différents, le PPE (droite, dont LR), démocrates du SPD, très remontés contre le choix de
les sociaux-démocrates (dont le PS) et les libéraux von der Leyen. Figure du SPD au Parlement européen,
(dont LREM). Cette alliance à trois devrait former les Udo Bullman a jugé cette candidature « inacceptable
contours de la coalition politique des cinq années à » : « Nous ne pouvons pas simplement jeter par-dessus
venir à Strasbourg. bord le principe des chefs de file européens, parce
Le casting retenu est parfaitement paritaire (deux que les résultats du scrutin européen ne plaisent pas
hommes, deux femmes). Il est aussi, comme l’a à certains. »
relevé Emmanuel Macron mardi soir, totalement Et le socialiste allemand d’insister : « Si nous
francophone. Mais il ne répond pas aux exigences autorisons Salvini [ministre de l’intérieur italien,
d’équilibre géographique (aucun poste pour l’Est). extrême droite – ndlr], Orbán [chef du gouvernement
hongrois – ndlr] et les autres, à bloquer un candidat

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compétent et élu démocratiquement, comme c’est le l’avion de combat du futur » aux côtés de la ministre
cas de Frans Timmermans, précisément parce qu’il française Florence Parly. « J’ai vu son efficacité, sa
défend les valeurs fondamentales de l’UE, ce sera la capacité à faire », a-t-il dit, mardi soir.
preuve de la pauvreté de notre communauté. » Von der Leyen sera-t-elle confirmée par le Parlement
En fin de semaine dernière, un tout autre scénario européen, lors du vote prévu mi-juillet ? « Je ne suis
avait émergé, qui semblait avoir les faveurs d’Angela pas prophète », s’est contenté de répondre Donald
Merkel. En marge du G20 d’Osaka, les dirigeants Tusk, prudent, mardi soir.
européens présents s’étaient entendus sur le nom En attendant, le libéral belge Charles Michel,
du Néerlandais Frans Timmermans pour diriger la allié d’Emmanuel Macron, est certain quant à lui
Commission. Merkel, en particulier, avait accepté de de remplacer Donald Tusk à partir d’octobre à
rayer de la carte l’Allemand Manfred Weber, le chef de la présidence du Conseil européen. Le fils du
file du Parti populaire européen (PPE), pourtant arrivé commissaire européen Louis Michel (2004-2009)
en tête aux élections de mai et membre de sa famille fut le premier ministre d’une coalition de droite
politique. controversée, de 2014 à 2018, mêlant des partis
Mais Timmermans est le chef de file des sociaux- libéraux, chrétiens-démocrates et indépendantistes
démocrates européens. À Bruxelles, dimanche après- flamands (dont une aile de la N-VA, ouvertement
midi, des figures du PPE ont désavoué Angela Merkel antimigrants). Avant de devoir jeter l'éponge, après le
et refusé d’apporter leur soutien à un socialiste. Les départ de la N-VA.
dirigeants polonais et hongrois, en particulier, ont Porte-parole du Parti du travail belge (PTB, gauche
tout fait pour bloquer Timmermans, qu’ils abhorrent critique), Raoul Hedebouw ironisait : « C’est donc ça
pour avoir lancé, en tant que vice-président de la l’Union européenne ? Vous êtes sanctionné dans votre
Commission de Jean-Claude Juncker, des procédures pays pour votre politique d’austérité antisociale et
contre la Hongrie et la Pologne pour non-respect de vous recevez une promotion à l’Europe de l’inégalité
l’État de droit. et de la concurrence… »
Mardi soir, le casting retenu laissait donc un goût Après les années de Jean-Claude Trichet (2003-2011),
très amer. Non seulement les dirigeants européens ont Paris reprend la main sur la Banque centrale
piétiné le Parlement, en désavouant le système des européenne (BCE) avec Christine Lagarde. La
« chefs de file », qui veut que le candidat désigné par condamnation judiciaire dans l'affaire de l'arbitrage
le parti européen arrivé en tête des élections s’empare Tapie de la présidente du FMI n’a, semble-t-il, pas
mécaniquement de la présidence de la Commission. gêné les dirigeants des 28. Ces derniers ont encore
Mais ils ont aussi cédé aux exigences de Viktor Orbán proposé au socialiste Josep Borrell, actuel ministre des
et de ses alliés, pourtant minoritaires autour de la table, affaires étrangères de l’Espagne, de prendre la tête de
en excluant Timmermans. la diplomatie européenne.
Ce qui faisait dire au député écolo néerlandais Bas Le principal intérêt de ce casting, pour le moins
Eickhout : « Bravo le Conseil. Vous avez massacré baroque et sans grande cohérence, est qu’il permet à
l’État de droit, au profit de quelques positions de l’ensemble des dirigeants réunis autour de la table de
pouvoir, pour Merkel, Macron et Sánchez. » sauver la face.
Ursula von der Leyen est apparue dans la journée de Emmanuel Macron peut parader, en expliquant qu’il
mardi comme un trait d’union possible entre l’aile est venu à bout du système des « chefs de file » dont
la plus dure du PPE, Angela Merkel et Emmanuel il ne voulait pas entendre parler depuis le début de
Macron. Ce dernier dit même avoir poussé son nom la campagne des européennes. Il peut aussi se vanter
auprès des Allemands, et se souvient l’avoir vue d’avoir respecté la règle de la parité qu’il avait fixée,
défendre, au dernier Salon du Bourget en juin, «

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et d’avoir envoyé une Française, aussi contestée soit- Mercredi matin, le nouveau Parlement a d’ailleurs
elle, à la tête de l’institution la plus puissante de la zone procédé à l’élection de son nouveau président.
euro, la BCE. Quatre candidats étaient en lice : l’écolo allemande
Angela Merkel avait semblé très affaiblie au retour Ska Keller, l’Espagnole Sira Rego (IU, écolo-
du G20 d’Osaka, désavouée par sa propre famille communistes), le Tchèque Jan Zahradil (ECR) et enfin
politique, le PPE. Mais elle vient de se récupérer de le social-démocrate italien David-Maria Sassoli.
manière éclatante en 24 heures, en envoyant à la tête Ce dernier, un ancien journaliste de télévision, l’a
de l’exécutif européen l’une de ses proches alliées et emporté au second tour avec 345 voix, profitant du
compatriotes. soutien des conservateurs du PPE et des libéraux de
Quant à l’Espagnol Pedro Sànchez, il pouvait dire Renew Europe, qui ne présentaient aucun candidat
mardi soir que « l’Espagne est de retour », après concurrent. La grande coalition à trois, telle qu’elle a
des années de vaches maigres à Bruxelles sous été définie au Conseil ces derniers jours, est en train
la présidence de Mariano Rajoy. D’autant que les de prendre le pouvoir à Strasbourg.
socialistes espagnols dirigent aussi le groupe des Boite noire
sociaux-démocrates au Parlement européen, avec Cet article a été mis à jour mercredi 3 juillet à 13 heures
Iratxe García. avec l’annonce de l’élection de David-Maria Sassoli
au poste de président du Parlement européen.

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