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Monsieur Hubert GERBEAU, je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être

si vous avez le temps…

Je viens de recevoir une convocation au tribunal, pas celui de l’Histoire mais


celui d’une sordide affaire truffée de vices de formes. Je ne m’intéresse pas
à la dignité de Mlle CHAILLOU. Je veux parler de l’honneur de l’historien. Je
veux vous parler à vous, Monsieur GERBEAU.

Vous avez écrit des milliers de pages sur notre histoire. Où sont-elles ? Quels
Réunionnais peuvent les lire ? Le docteur Israël ABEMONTY a écrit que pour
nous réparer nous avons besoin de notre histoire vraie.

Nous sommes un peuple de naufragés, Monsieur GERBEAU. Sudel FUMA a


révélé l’histoire de l’île aux esclaves oubliés. Il y avait des trafiquants qui ont
pu repartir et il y avaient ceux qu’on a abandonnés malgré toutes les belles
promesses.

Sudel Fuma a commencé à nous raconter notre histoire. Pas celle qu’on
destine à la science et aux universitaires, mais celle que l’on raconte aux
enfants (selon la formule très judicieuse de Marc FERRO, le directeur
précisément du Livre noir du colonialisme). L’histoire testimoniale. L’honneur
des Réunionnais est que leurs pères puissent leur transmettre leur Histoire
vraie. « Au nom de nos pères ! » Comme le chante Davy SICARD.

Cela, Monsieur GERBEAU, ne se négocie pas. Nous n’allons pas, nous, faire
intrusion dans votre moulin provençal pour écrire l’histoire de votre accent.
C’est une question de respect. Sans doute deviez-vous partir d’ici pour
écrire votre thèse. Mais il est question maintenant de la représentation des
Réunionnais face à l’Histoire. Qui sont nos porte-paroles au C.N.M.H.E.,
Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage ? Qui les a
placés là ?

Sudel Fuma a replacé La Réunion sur la Route de l’Esclave de l’UNESCO.


Mais aujourd’hui les assassins de la mémoire que dénonçait Pierre VIDAL-
NAQUET sont toujours à l’oeuvre. Venez vous en rendre compte par vous-
même : dans nos manuels d’histoire obligatoire, dans les « fonds locaux » de
nos médiathèques qui touchent le fond, dans le négationisme en action de
l’archéologie préventive…

Dans le Parnasse des récompenses académiques où vous vous êtes installé,


vous avez rejoint DE PARNY, Hubert DELISLE, Charles LECONTE DE LISLE,
Raymond BARRE et tous les exilés volontaires qui ont choisi la préférence
nationale. L’excellence Monsieur GERBEAU ? Vous pouvez aller la chercher
sur la lune si vous voulez. Nous Réunionnais voulons savoir où nous
habitons, qui a construit notre maison.

Moi, mon Histoire, elle n’est pas Fille de Jules FERRY ! Elle est Fille de
Louise MICHEL, l’héroïne de la Commune de Paris, bannie aux Colonies
comme nous, et qui a fraternisé avec les Canaques. Alors vous pouvez me
dégrader, me retirer mes diplômes acquis sous votre direction. Vous pouvez
faire des pétitions qui s’en prennent à ma femme, Ghislaine, et à mon
association, RASINE KAF. Vous pouvez soutenir ceux qui nous traînent
maintenant en Correctionnelle. Mais moi, je reste parmi les naufragés de
L’UTILE.

Mais, Monsieur GERBEAU, de là où vous avez choisi d’être, vous pouvez


vous exprimer. Vous pouvez « briser le silence » et reprendre le slogan de la
Route de l’Esclave. Vous pouvez faire la leçon à Mlle CHAILLOU. Vous
pouvez répondre aux questions des Réunionnais qui s’inquiètent de savoir
où vous êtes passé. Vous pouvez nous aider à reconquérir l’Histoire que la
France nous a volée.

Car dans les naufrages de l’Histoire, on ne peut pas s’en sortir tout seul.
Aujourd’hui, les Survivants veulent savoir qui ils sont. Qui était le capitaine
du bateau, qui étaient les trafiquants, qui étaient les esclavisés. Rendez-vous
UTILE, Monsieur GERBEAU ! Car nous avons maintenant partie liée dans
cette histoire. Car il est question de votre honneur à vous, Monsieur
GERBEAU.

L’Histoire et la Justice sont deux instances qui permettent de rétablir la


Vérité après les traumatismes les plus violents du passé. Comme les
Mauriciens nous demandons Truth and Justice. Nous ne voulons plus vivre
dans la honte, le mensonge et les dissimulations. C’est cet enjeu que nous
devons relever pour être à la hauteur de notre Histoire.

Si vous me poursuivez, prévenez vos professeurs et vos ministres que vous


avez mobilisés contre nous que je m’en fous de faire carrière dans le
mensonge. Ils pourront tirer sur moi, ça glissera sur une feuille de songe. Ma
dignité je la reconstruis dans le Panafricanisme. Mon juge ce n’est pas la
justice coloniale. Mon jury de thèse c’est l’opinion réunionnaise que nous
avons le devoir d’aider à se relever.

Philippe BESSIÈRE

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