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CHAPITRE 13

Intouchable, ou presque

« Intouchable » : le mot avait fait bondir la juge d’instruction


parisienne, qui décidait de jouer les prolongations pour quitter le terrain des
stars du show -biz et m’attirer vers une autre sphère, nettement plus
délicate : celle des politiques. Le commissaire véreux appelé à la rescousse
par mon client VIP l’avait vite compris : les plus hautes autorités de
l’époque, Jacques Chirac et Charles Pasqua, n’ignoraient rien de mes
activités. Pour eux, j’étais « Monsieur Pas-Touche », mais si je les avais
mis en cause d’une façon ou d’une autre, si j’avais cherché le scandale,
avec toutes les conséquences politiques que cela aurait entraîné, j’aurais à
coup sûr reçu la visite de quelques tueurs du SAC.
Jacques Chirac se présentait comme le plus vertueux des hommes, au
point que je l’avais surnommé « Monsieur Morale ». Il m’aurait suffi de
me présenter comme le fournisseur de cocaïne de ses protégés pour
ébranler sérieusement sa cote de popularité, et dans la foulée me retrouver
six pieds sous terre. En prenait-il lui-même ? En apparence, il n’avait de
cesse de dénoncer ce fléau, présentant régulièrement la cocaïne comme un
poison, responsable de tous les maux de notre société. Il avait même été à
l’initiative d’un alourdissement des peines en cas de trafic, ce qui m’avait
paru d’une grande hypocrisie.
Charles Pasqua, c’était une autre histoire. Lui, j’en suis sûr, n’était
certainement pas consommateur de drogue, mais il avait protégé de
nombreux gros trafiquants. Je pense à quelques bandits corses, mais aussi
marocains. Il ne l’avait pas fait pour l’argent, il n’en était pas vraiment
friand. Il était plutôt axé sur la sécurité du territoire. C’est pourquoi le
trafic de cannabis l’intéressait particulièrement. Le marché permettait de se
mettre dans la poche les caïds des cités, qui le revendaient en toute
impunité, faisant en contrepartie régner le calme dans leurs quartiers. Son
obsession, depuis toujours, c’était la sécurité dans le pays en général, et en
Corse en particulier. Sa recette consistait à susciter des mouvements
« patriotiques », en vérité violents, à l’instar du SAC, constitués de voyous
peu recommandables issus pour la plupart du milieu pied-noir et de
Français rapatriés du Maroc. Comment les rémunérer ? Tout simplement
avec de l’argent provenant de gros braquages de banques et de bijouteries
que ces derniers commettaient en toute impunité. Avec Pasqua, tout était
possible, du moins pour les membres du SAC. J’étais bien placé pour le
savoir, puisque j’avais « travaillé » moi-même pour ce « service » pendant
quelque temps et un peu malgré moi. Le pouvoir de cet homme de
l’ombre n’avait cessé de se renforcer, ce qui le rendait certainement
dangereux.
Patriote, certainement prêt à mourir pour son pays, il gardait en
revanche un œil attentif sur les caisses du parti. Moyennant la moitié de
nos gains, il nous garantissait l’impunité sur des affaires juteuses et triées
sur le volet, sachant exactement où il fallait frapper. Difficile de dire si tout
cet argent était investi dans la politique ou si une partie disparaissait dans
les poches de quelques politiciens, en tout cas il y avait de quoi se servir
copieusement. L’époque voulait que la fin justifie les moyens, quitte à
violer les lois qu’eux-mêmes votaient. Je vous laisse le soin d’imaginer ce
qu’il a pu faire lorsqu’il s’est retrouvé ministre de l’Intérieur de Chirac et
ensuite…
Charles Pasqua connaissait quand même ses limites, qu’il a pu vérifier
lors de l’affaire du « casse de Nice ». En cas de coup dur, si par exemple
je m’étais avisé à balancer tout ce que je savais, je pense que Jacques
Chirac n’aurait pas hésité à le sacrifier pour ne pas perdre la face. C’est à
peu près le scénario qui a failli se jouer lors de mon arrestation par le quai
des Orfèvres, en juillet 1986. Contrairement à ce que les deux compères

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