« Intouchable » : le mot avait fait bondir la juge d’instruction
parisienne, qui décidait de jouer les prolongations pour quitter le terrain des stars du show -biz et m’attirer vers une autre sphère, nettement plus délicate : celle des politiques. Le commissaire véreux appelé à la rescousse par mon client VIP l’avait vite compris : les plus hautes autorités de l’époque, Jacques Chirac et Charles Pasqua, n’ignoraient rien de mes activités. Pour eux, j’étais « Monsieur Pas-Touche », mais si je les avais mis en cause d’une façon ou d’une autre, si j’avais cherché le scandale, avec toutes les conséquences politiques que cela aurait entraîné, j’aurais à coup sûr reçu la visite de quelques tueurs du SAC. Jacques Chirac se présentait comme le plus vertueux des hommes, au point que je l’avais surnommé « Monsieur Morale ». Il m’aurait suffi de me présenter comme le fournisseur de cocaïne de ses protégés pour ébranler sérieusement sa cote de popularité, et dans la foulée me retrouver six pieds sous terre. En prenait-il lui-même ? En apparence, il n’avait de cesse de dénoncer ce fléau, présentant régulièrement la cocaïne comme un poison, responsable de tous les maux de notre société. Il avait même été à l’initiative d’un alourdissement des peines en cas de trafic, ce qui m’avait paru d’une grande hypocrisie. Charles Pasqua, c’était une autre histoire. Lui, j’en suis sûr, n’était certainement pas consommateur de drogue, mais il avait protégé de nombreux gros trafiquants. Je pense à quelques bandits corses, mais aussi marocains. Il ne l’avait pas fait pour l’argent, il n’en était pas vraiment friand. Il était plutôt axé sur la sécurité du territoire. C’est pourquoi le trafic de cannabis l’intéressait particulièrement. Le marché permettait de se mettre dans la poche les caïds des cités, qui le revendaient en toute impunité, faisant en contrepartie régner le calme dans leurs quartiers. Son obsession, depuis toujours, c’était la sécurité dans le pays en général, et en Corse en particulier. Sa recette consistait à susciter des mouvements « patriotiques », en vérité violents, à l’instar du SAC, constitués de voyous peu recommandables issus pour la plupart du milieu pied-noir et de Français rapatriés du Maroc. Comment les rémunérer ? Tout simplement avec de l’argent provenant de gros braquages de banques et de bijouteries que ces derniers commettaient en toute impunité. Avec Pasqua, tout était possible, du moins pour les membres du SAC. J’étais bien placé pour le savoir, puisque j’avais « travaillé » moi-même pour ce « service » pendant quelque temps et un peu malgré moi. Le pouvoir de cet homme de l’ombre n’avait cessé de se renforcer, ce qui le rendait certainement dangereux. Patriote, certainement prêt à mourir pour son pays, il gardait en revanche un œil attentif sur les caisses du parti. Moyennant la moitié de nos gains, il nous garantissait l’impunité sur des affaires juteuses et triées sur le volet, sachant exactement où il fallait frapper. Difficile de dire si tout cet argent était investi dans la politique ou si une partie disparaissait dans les poches de quelques politiciens, en tout cas il y avait de quoi se servir copieusement. L’époque voulait que la fin justifie les moyens, quitte à violer les lois qu’eux-mêmes votaient. Je vous laisse le soin d’imaginer ce qu’il a pu faire lorsqu’il s’est retrouvé ministre de l’Intérieur de Chirac et ensuite… Charles Pasqua connaissait quand même ses limites, qu’il a pu vérifier lors de l’affaire du « casse de Nice ». En cas de coup dur, si par exemple je m’étais avisé à balancer tout ce que je savais, je pense que Jacques Chirac n’aurait pas hésité à le sacrifier pour ne pas perdre la face. C’est à peu près le scénario qui a failli se jouer lors de mon arrestation par le quai des Orfèvres, en juillet 1986. Contrairement à ce que les deux compères