Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LINCOT Stéphanie
PICHON Jean-Baptiste
LA FINANCE COMPORTEMENTALE
Une approche originale des marchés financiers.
3ème année
année 2004
Synthèse
Introduction_______________________________________________________________3
I/ La finance comportementale : un courant de pensée qui s’est développé en
réponse à un certain nombre d’anomalies de marché_________________________6
A. Définition de la finance comportementale___________________________7
B. Les anomalies de marché_________________________________________9
1/ Les effets calendaires_________________________________________________9
L’effet de janvier____________________________________________________9
L’effet du changement de mois (« turn-of-the-month effect »)_____________10
L’effet du lundi (ou effet du week-end)_________________________________11
2/ Les anomalies fondamentales : une remise en cause du MEDAF et du
« bêta »_______________________________________________________________12
Le rapport « valeur de marché des actions sur leur valeur comptable »____12
Le ratio « capitalisation boursière sur chiffre d'affaires »_________________13
Le rapport « capitalisation boursière sur bénéfices » (PER)______________13
Les actions distribuant des dividendes élevés__________________________14
L’effet « taille de la société »_________________________________________14
Les titres « négligés »_______________________________________________15
3/ La fluctuation des cours ne reflète pas nécessairement la prise en compte
correcte de nouvelles informations________________________________________16
Excès de négociation sur les marchés________________________________16
Une volatilité exagérée______________________________________________16
4/ L’effet d’annonce et les tendances boursières____________________________17
5/ Les introductions en bourse et le rachat d’actions cotées__________________18
II/ Mise en évidence des comportements irrationnels des individus___________19
A. Ce qui relève du traitement de l’information / les erreurs cognitives___20
1/ La surcharge cognitive________________________________________________20
2/ La représentativité heuristique_________________________________________21
3/ L’ancrage cognitif____________________________________________________21
4/ La dissonance cognitive______________________________________________22
5/ L’excès de confiance_________________________________________________23
6/ L’effet de disjonction__________________________________________________24
7/ La rationalisation_____________________________________________________24
8/ Le « framing »_______________________________________________________24
B. Ce qui relève de l’attitude et des préférences________________________25
1/ La Théorie des perspectives (Prospect Theory) de Tversky et Kahneman___25
2/ La crainte du regret ("Fear of regret")___________________________________27
3/ Le comportement de jeu et de spéculation_______________________________27
4/ L’inapplicabilité de l’Histoire___________________________________________28
C. Ce qui relève du social et du culturel______________________________29
1/ La contagion sociale et culturelle_______________________________________29
2/ Une culture globale___________________________________________________29
1
III. Quelle reconnaissance pour la finance comportementale aujourd’hui ?____31
A. La consécration de nouvelles stratégies d’investissement____________32
B. Une reconnaissance académique: le prix Nobel d’économie 2002 décerné
à Vernon Smith et Daniel Kahneman__________________________________39
Communiqué de presse: Le Prix de Sciences économiques institué par la
Banque de Suède à la mémoire d'Alfred Nobel, 2002_____________________39
Conclusion_______________________________________________________________41
Bibliographie_____________________________________________________________42
Annexes_________________________________________________________________43
LES STRATEGIES D’INVESTISSEMENT MISES EN PLACE PAR LA
SOCIETE FULLER & THALER ASSET MANAGEMENT.________________44
ARTICLES PARUS SUR LA FINANCE COMPORTEMENTALE__________69
Redonner aux marchés une dimension humaine___________________________70
Si les marchés se trompaient ?___________________________________________77
2
Introduction
Sharpe a tirer de son étude ce que tout le monde appel aujourd’hui le Modèle
d’Equilibre des Actifs Financiers (MEDAF) ou Capital Asset Pricing Model(CAPM), en
ajoutant trois hypothèses essentielles :
3
– « les marchés financiers sont parfaits au sens où les agents peuvent prêter et
emprunter en l’absence de toute contrainte quantitative » ;
– « les marchés financiers sont parfaitement concurrentielles » ;
– « les agents ont les mêmes anticipations sur les rendements ».
Formule du MEDAF :
E( Ri )= r + i [E( RM ) – r]
RM : rendement du marché
Néanmoins, l’image véhiculée dans l’esprit populaire par les marchés financiers
est dominée par la présence humaine (individus stressés, qui crient des ordres
d’achat ou de vente de titres…) En théorie, ces individus sont censés se comporter
de façon rationnelle, postulat de base de l’hypothèse d’efficience des marchés, qui
elle-même régit la finance classique (impossibilité de battre le marché de façon
systématique puisque les individus sont rationnels et incorporent immédiatement et
correctement toute l’information disponible dans les cours de bourse). Mais cette
rationalité des individus est remise en cause.
4
différemment si les hommes étaient remplacés par des programmes informatiques ?
C’est ainsi que Richard Thaler pose la problématique de la finance comportementale.
5
I/ La finance comportementale : un courant de pensée qui s’est développé
en réponse à un certain nombre d’anomalies de marché
6
A. Définition de la finance comportementale
Finance traditionnelle
Unité d'analyse: marché, acteurs économiques
supposés rationnels et averses au risque
Finance comportementale
Unité d'analyse: individu avec toutes ses
caractéristiques psychologiques et sociales
7
Selon Weber, dans "Behavioral Finance", Research for Practitioners, vol 0-8,
paru en 1999, "la finance comportementale combine étroitement le comportement
individuel et les phénomènes de marché et utilise la connaissance empruntée aux
domaines de la psychologie et de la théorie financière".
8
B. Les anomalies de marché
Bien qu’il semble évident que les marchés financiers sont fortement efficients, de
nombreuses études, menées depuis le début des années 1980, ont démontré
l’existence de phénomènes historiques à long terme qui remettent en cause
l’hypothèse d’efficience des marchés et qui ne peuvent pas être expliqués par des
modèles basés sur une rationalité totale des investisseurs. On évoque ces
phénomènes en termes d’anomalies de marché. C’est l’observation de ces
phénomènes qui est la base du développement de la finance comportementale.
Quelles sont donc ces anomalies ?
L’effet de janvier
En général, cet effet est attribué au rebond du cours des actions des petites
sociétés, conséquent aux ventes qui ont lieu en fin d’année pour des raisons fiscales.
En effet, les détenteurs d’actions ont tendance à vendre leurs participations en fin
d'année afin d’enregistrer une perte et de bénéficier de la fiscalité qui s’y rapporte.
Les titres vendus subissent donc une chute provisoire de leur cours en attendant
qu'ils soient rachetés au début de l'année suivante. Bien que l'impact du
comportement des investisseurs s'exerce sur toutes les actions, celui-ci demeure
prédominant pour les petites capitalisations, puisqu'à volume de ventes égal leur
cours varie plus que celui des grosses capitalisations.
9
Le maquillage de portefeuille (ou « window-dressing ») s’ajoute à cette pression
exercée par la vente de titres à des fins fiscales. En effet, de nombreux gestionnaires
ne veulent pas voir des titres ayant enregistré de mauvaises performances tout au
long de l’année figurer dans leur portefeuille, et ils s’empressent de les vendre en fin
de l’année.
De plus, l’effet de janvier est particulièrement intrigant parce qu’il ne semble pas
s’atténuer alors qu’il est bien connu et a fait l’objet de nombreuses publications
depuis une vingtaine d’années. Beaucoup pensent néanmoins que ce phénomène
s’est déplacé dans le temps et a désormais lieu au mois de novembre ou décembre
(aux Etats-Unis) pour deux raisons :
- les fonds de pension américains doivent faire part de leurs participations en
portefeuille au mois d’octobre,
- certains investisseurs achètent des titres en anticipation de gains en janvier.
10
L’effet du lundi (ou effet du week-end)
Par la suite, cette anomalie a fait l'objet de nombreuses autres études, conduites
à différentes époques sur différents marchés. Ainsi French en 1980, ou Gibbons et
Hess en 1981 ont déterminé d'importantes différences entre les rentabilités
quotidiennes des cinq jours de la semaine. C'est ainsi que la rentabilité moyenne du
lundi est fortement négative (entre 1962 et 1968), celle du mardi à peu près nulle et
celle des trois derniers jours positive. Alors que ces différences sont statistiquement
significatives, la stratégie qui en découle – acheter des actions le lundi et les
revendre le vendredi à la clôture – est financièrement perdante car elle rapporte
moins que ne coûtent les achats et les ventes qu'elle implique.
11
les cours ont tendance à se comporter de façon plus favorable pendant les 45
premières minutes suivant l’ouverture de la Bourse.
Le MEDAF stipule que le rendement attendu d’un titre est d’autant plus grand
que le risque systématique, ou « bêta », est élevé. Toutefois, divers travaux
empiriques ont montré que le « bêta » n’est pas utile, ou tout du moins n’est pas le
seul déterminant nécessaire, pour prédire les rendements. Il est par contre apparu
que d’autres facteurs permettaient de prévoir partiellement les rendements. Etant
donné qu’ils n’étaient pas prévus par la théorie et qu’ils remettaient en cause
l’hypothèse d’efficience des marchés, ces facteurs ont été regroupés sous le terme
d’anomalies de marché.
Les phénomènes observés les plus célèbres sont présentés ci-dessous. Les
études dont il est question ont été réalisées sur les marchés financiers américains,
mais les anomalies mises en évidence ont également été appréhendées sur les
marchés financiers du monde entier. Notons finalement que ces études ont été
réalisées afin de trouver de nouveaux critères pouvant servir à battre le marché de
façon systématique.
12
titres en fonction de deux critères : leur « bêta », puis leur ratio « capitalisation
boursière sur valeur comptable des actions ». Ils ont ainsi pu observer les
performances réalisées par chaque classe d’actions et sont arrivés à la conclusion
suivante : sur le long terme, les valeurs présentant un rapport « capitalisation
boursière sur valeur comptable » faible donnent des niveaux de rendements
supérieurs aux titres présentant un tel ratio plus élevé, pour un niveau de risque
inférieur.
Cette étude a fait beaucoup de bruit lors de sa parution, notamment parce que
Fama a longtemps été un ardent défenseur du MEDAF.
Un certain nombre d’études ont montré que les actions avec un rapport
« capitalisation boursière sur chiffre d’affaires » faible tendent à battre le marché et
les actions avec un ratio similaire plus élevé. James P. O’Shaughnessy prône l’idée
selon laquelle ce ratio est le déterminant le plus fort pour expliquer des taux de
rendement excessifs.
De nombreuses études ont mis en évidence le fait que les actions ayant un PER
faible tendent à battre le marché et les titres avec des PER plus élevés.
13
Les actions distribuant des dividendes élevés
De la même façon que précédemment, il a été montré que les actions qui
permettent à leurs détenteurs d’obtenir des niveaux de dividendes élevés tendent à
battre le marché et les autres actions.
Des études ont mis en évidence le fait que les petites sociétés (en terme de
capitalisation ou d’actifs) tendent à battre le marché sur de longues périodes.
Rolf W. Banz a été le premier à s’intéresser à cette anomalie dès 1981. Il s'est
intéressé à l'influence de la taille (mesurée par la capitalisation boursière) sur la
rentabilité des titres économiques. Il a montré qu'en classant par taille décroissante
les actions américaines contenues dans la base de données du Center for the
Research in Security Prices ou CRSP les performances de celles appartenant aux
deux derniers déciles dépassaient d'environ 6% celles des fortes capitalisations.
Comme le bêta des titres à faible capitalisation ne semblait pas, en moyenne, être
inférieur à celui des titres à forte capitalisation, il attribua leur "sur-performance" à la
rémunération d'un facteur de risque supplémentaire.
14
- James O’Shaughnessy pense que les bonnes performances enregistrées
pour les petites sociétés (« small cap ») sont entièrement imputables aux cours des
titres de sociétés de très petite capitalisation boursière (« micro-cap »), inférieure à
25 millions de dollars.
Werner DeBondt et Richard Thaler ont mené une étude portant sur les 35
actions ayant engendré les meilleures performances boursières et les 35 pires sur le
NYSE entre 1932 et 1977. Ils ont également examiné leurs performances sur les
cinq années précédant cette période d’étude. Ils ont ainsi pu constater que les titres
dont les cours avaient connu les meilleures performances de 1928 à 1932 s’étaient
ensuite en moyenne moins bien comportées que le marché, et inversement
concernant les actions qui s’étaient d’abord mal comportées.
15
3/ La fluctuation des cours ne reflète pas nécessairement la prise en
compte correcte de nouvelles informations
Dans le cadre d’un marché efficient, régi par des acteurs rationnels, les actifs
sont valorisés à leur valeur réelle et intrinsèque. Les cours varient donc uniquement
lorsque cette valeur change, c’est-à-dire lorsque des informations réellement
pertinentes apparaissent.
Un excès de négociation est très largement observé sur les marchés financiers.
En effet, un jour ordinaire sur le NYSE, 400 millions d’actions changent de mains.
Pourquoi tant d’échanges de titres ? Certains acteurs pensent-ils être mieux informés
que leurs contreparties ? C’est certainement le cas. En effet, des études ont montré
qu’environ 90% de la population américaine pense se situer au-dessus de la
moyenne dans la plupart des domaines comme la conduite ou les relations
interpersonnelles. Or ce n’est pas possible. L’excès de négociation pourrait donc être
dû à ces types de croyance, qui seront étudiées de façon plus approfondie dans la
seconde partie du devoir.
Une volatilité exagérée des cours des actions est également observée : les
cours peuvent fluctuer sans raison de façon apparente. Un des exemples les plus
frappants à cet égard est la semaine du 19 octobre 1987. Cette semaine-là, les cours
ont enregistré de fortes variations dans le monde entier, alors même que la véritable
« information » était que les cours fluctuaient rapidement. La valeur de l’économie
américaine a ainsi perdu plus de 20% ce lundi-là (après avoir déjà perdu 5% le
vendredi précédent et repris plus de 9% le mercredi).
Une trop forte volatilité des marchés boursiers est interprétée comme signifiant
que les marchés ne sont pas efficients soit parce que les investisseurs réagissent
16
trop fortement aux informations existantes, soit parce qu'ils réagissent à des
informations non pertinentes.
Shiller avait mené une enquête à ce sujet : il avait envoyé des questionnaires à
de nombreux investisseurs afin de comprendre les raisons qui les avaient poussé à
se séparer de leurs titres, et il avait mis en évidence le comportement moutonnier
des investisseurs, et l’absence totale de nouvelle information susceptible de venir
modifier effectivement la valeur des titres. De plus, dans une étude publiée en 1991,
Haugen, Talmor et Torous affirment qu'ayant recherché dans la presse les
évènements pouvant être associés à de fortes hausses de volatilité, ils n'en ont pas
trouvé dans neuf cas sur dix (les évènements associés à des baisses de volatilité
sont encore moins fréquetnts).
Ainsi, il apparaît donc, que non seulement les volatilités des marchés sont trop
élevées, mais aussi qu'elles changent de manière rarement explicable dans le détail.
17
Dans les cas les plus extrêmes, des bulles spéculatives se forment, au cours
desquelles la valeur de marché des titres n’a plus rien à voir avec les fondamentaux
des sociétés concernées.
18
II/ Mise en évidence des comportements irrationnels des individus
La théorie financière est basée sur l’hypothèse de rationalité des individus. Les
théoriciens de la finance comportementale (économistes et chercheurs en sciences
sociales) s’intéressent aux cas d’irrationalités ou de « rationalités limitées » qui
engendrent et permettent d’expliquer les anomalies de marché.
Lorsque l’on évoque les « irrationalités », on est amené à parler de rationalité et
donc de la raison. Sans s’aventurer dans des questionnements philosophiques, la
raison qui nous importe ici sera en fait comprise dans le sens de la logique. Un
acteur aura un comportement irrationnel car illogique. Par exemple si un investisseur
lambda conserve un titre dont la valeur se déprécie sur le marché en espérant que la
tendance se retourne, il a un comportement irrationnel. Nous tenterons ici de
comprendre pourquoi est-ce que l’on rencontre ce genre de comportements.
19
A. Ce qui relève du traitement de l’information / les erreurs cognitives
1/ La surcharge cognitive
20
2/ La représentativité heuristique
3/ L’ancrage cognitif
21
Conclusion : Il y a une réaction rationnelle d’insertion de l’information « prix
demandé » dans l’estimation, mais l’influence de cette information sur les résultats
varie en fonction des individus (variation de 11 à 14%). Et pourtant, les personnes
interrogées ne citent pas cette information comme étant réellement déterminante de
leur estimation.
Cela devient bien compliqué quand il s’agit d’estimer le prix d’une action, compte
tenu du nombre d’informations relatives à apprécier une action, et donc du nombre
de points de référence possibles.
4/ La dissonance cognitive
22
5/ L’excès de confiance
23
dépensent trop de ressources pour obtenir de l’information, détiennent des
portefeuilles plus risqués et augmentent la volatilité du marché.
Lorsque beaucoup de traders souffrent d’un excès de confiance les marchés
sous-réagissent à l’information des traders rationnels et à l’information statistique
pertinente (et inversement).
6/ L’effet de disjonction
L’effet de disjonction est une tendance à vouloir attendre, pour prendre une
décision, qu’une information soit révélée, même si cette information n’est pas
décisive, et même si la décision avait été la même en regard de cette information.
7/ La rationalisation
Quoiqu’il décide, un agent trouve une « bonne raison » pour expliquer sa
décision.
8/ Le « framing »
La décision dépend de la façon dont est présentée l’information (forme de
présentation).
24
B. Ce qui relève de l’attitude et des préférences
- 2ème cas :
o 100% de chance de gagner 3000 (E[u1]= 3000)
o 80% de chance de gagner 4000 (E[u2]= 3200)
Dans ce cas 80% des sujets choisissent la première option.
25
Il faut noter que les individus ont des pondérations différentes pour des gains ou
des pertes. La peine qu’ils ont à perdre une certaine somme d’argent est plus grande
que la joie qu’ils ressentent à gagner cette même somme. Ils prennent donc plus de
risque pour éviter de perdre de l'argent que pour en gagner. Ils ont un comportement
d’aversion pour le risque dans un contexte de gain et de preneur de risques (« risk
taker ») dans un contexte de perte !
1 1
Pondération
Une hypothétique fonction
de décision
de pondération
0
Probabilité fixée
26
2/ La crainte du regret ("Fear of regret")
Les individus ont tendance à éprouver une peine liée au fait d’avoir commis une
erreur : ils ont tendance à regretter leur choix passé. En conséquence, pour éviter ce
sentiment de regret, ils altèrent leurs comportements, qui sont alors considérés
comme irrationnels, à moins que cette anticipation ne soit prise en compte.
Les individus ont tendance à jouer, à parier, à spéculer, c’est à dire à prendre un
risque qui n’est pas nécessaire. C’est un trait de la nature humaine qui persiste dans
des cultures très différentes à travers le monde (61% des adultes vivant aux Etats
Unis participent à une forme de jeu).
Il faut associer cet « amour du risque » à l’aversion rationnelle de l’individu pour
le risque. D’une manière générale, les joueurs ne sont pas systématiquement
preneurs de risques ; ils sont plutôt à la recherche d’une forme spécifique de
divertissement.
27
Il y a toujours une part de jeu dans la vie des gens mais elle prend des formes
différentes selon les individus. Le jeu préféré est celui qui « flatte l ‘ego », celui où
l’on se sent particulièrement bon ou chanceux.
4/ L’inapplicabilité de l’Histoire
Les individus ont tendance à penser que l’Histoire n’est pas significative pour
prédire l’avenir. Le futur dépend des observations présentes. Jusqu’à ce que des
recherches académiques commencent à collectionner des données financières dans
le temps, les participants au marché n’étudiaient jamais l’histoire d’un marché, d’une
action et se fiaient à un point d’ancrage du passé récent. Ce rapport à l’Histoire est à
rapprocher d’une tendance humaine vis à vis du déterminisme historique, une
tendance à penser que les évènements historiques devraient être connus par
avance.
D’un point de vue rétrospectif, on perçoit l’enchaînement des évènements
comme logique ; ils s’intègrent dans un ordre régulier (Florovsky).
Cette tendance au déterminisme historique tend à encourager les gens à croire
que de grands évènements comme le krach de 1929, la grande dépression ou la
guerre mondiale devaient probablement être anticipés ou au moins que certains
individus avaient des raisons de s’inquiéter de leur venue.
28
C. Ce qui relève du social et du culturel
Nous pouvons observer de nombreux exemples d’imitation entre les pays qui
sont pourtant séparés par des barrières physiques, linguistiques ou culturelles (façon
de s’habiller, musique…). Ces convergences révèlent l’avènement d’un
comportement standard international.
29
Il existe une certaine culture mondiale. Il ne s’agit pas d’une homogénéisation
totale des systèmes de pensée et d’expression, mais le monde est devenu un réseau
de relations sociales et, entre des régions différentes, il existe des flux
« d’intelligence » tout comme les flux de biens et d’hommes.
30
III. Quelle reconnaissance pour la finance comportementale aujourd’hui ?
31
A. La consécration de nouvelles stratégies d’investissement
32
Quatre types de portefeuilles et de stratégies sous-jacentes sont
proposées aux investisseurs institutionnels
33
Tableau des performances (en pourcentages) :
Performance Moyenne
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
totale Annuelle
Small/Mid-Cap
Growth (avec les - - -
25.0 36.1 8.4 28.2 30.6 28.3 33.0 71.0 58.6 580.8 17.3
coûts de 25.7 21.5 16.9
transaction)
Benchmark :
- - -
Russell 2500 5.8 12.1 -1.3 33.5 15.1 14.8 3.1 55.5 46.3 157.0 8.2
16.1 10.8 29.1
Growth
- “Small-Cap Value”
Cette stratégie se base sur le phénomène de sur-réaction des individus face à
des informations temporaires négatives (phénomène dû à la représentativité
heuristique ou à des stéréotypes). Pour exploiter ce biais de comportement, Fuller et
Thaler cherchent à identifier des titres de sociétés dont le cours suit une tendance
baissière, et qui ne se portent pas bien depuis un moment, si bien que les acteurs
sur le marché se sont habitués à ses mauvais résultats.
34
Tableau des performances (en pourcentages) :
Performance Moyenne
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
totale annuelle
Small - Cap Value (avec les coûts -
24.9 29.3 5.1 37.6 12.7 14.5 63.4 296.1 18.8
de transaction) 15.3
Benchmark : Russell 2000 Value 21.4 31.8 -6.5 -1.5 22.8 14.0 -11.4 46.0 167.0 13.1
35
Tableau des performances (en pourcentages) :
Performance Moyenne
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
totale annuelle
Small / Mid-Cap Core (avec les coûts de -
27.7 27.2 13.3 49.9 -1.1 -16 59.6 232.8 16.2
transaction) 10.5
-
Benchmark : Russel 2500 19.0 24.4 0.4 24.1 4.3 1.2 45.5 132.9 11.2
17.8
- “Micro-Cap”
Cette stratégie consiste à investir dans des actions qui appartiennent à des
sociétés trop petites pour être utilisées dans les stratégies présentées
précédemment. Cette stratégie est composée à peu près à 50% de titres de
croissance, et à 50% de titres de rendement.
Le graphique ci-dessous présente la performance obtenue par les fonds gérés
selon cette stratégie (source : www.fullerthaler.com) :
Performance
1999 2000 2001 2002 2003 Moyenne annuelle
totale
Micro Cap (avec les coûts de
93.8 -0.5 49.7 -12.6 104.8 416.4 38.9
transaction)
Benchmark : Russel 2000 21.3 -3.0 2.5 -20.5 47.3 -4.2 -1.1
36
Pour plus de détail, voir en annexes la description précise des stratégies
adoptées et du type d’actions choisies.
37
fondamentales viennent à se dégrader, les investisseurs auront tendance à
minimiser cette information, "à sous-réagir". Ils refuseront de remettre leur choix en
question. Jusqu'au jour où la bulle devient tellement énorme qu'elle éclate : on a
alors quelques donneurs de ton qui vendent l'action, l'euphorie retombe, la tendance
s'inverse (« mean reverting ») et cette fois les investisseurs "sur-réagissent" aux
mauvaises nouvelles. Les marchés et ses acteurs ne se comportent donc pas de
façon aussi rationnelle que l’entend la théorie financière traditionnelle, et ce sont ces
biais et disfonctionnements que la finance comportementale souhaite exploiter.
Cependant, il ne faut pas penser que gérer un portefeuille sur la base des biais
de raisonnement ou de comportement est une chose aisée. Certains professionnels
de l'investissement, qui n'avaient pas hésiter à lancer un « Behavioral Finance
Fund » ont appris à leurs dépens qu’une tendance peut s’inverser très vite, une fois
qu'on commence à en parler.
38
B. Une reconnaissance académique: le prix Nobel d’économie 2002 décerné à
Vernon Smith et Daniel Kahneman
Daniel Kahneman
Princeton University, USA
Vernon L. Smith
George Mason University, USA
39
du terrain. Cette nouvelle approche entremêle deux disciplines bien distinctes à la
base : les analyses des psychologues cognitifs sur les jugements et les décisions
des personnes et les tests expérimentaux auxquels les économistes soumettent la
théorie économique. Ces deux domaines d'activités n'ont à priori rien en commun,
mais permettent conjointement de mieux appréhender le marché. Les deux lauréats
de l'année 2002 sont les pionniers dans ces domaines de recherche.
Daniel Kahneman intégra les acquis de la recherche en psychologie à l’analyse
économique et posa ainsi les bases d’un nouveau domaine de recherche. Les
contributions les plus importantes de Kahneman concernent la prise de décision en
incertitude, où il a montré comment la décision des individus peut systématiquement
s’écarter des prédictions de la théorie économique traditionnelle. En collaboration
avec Amos Tversky, décédé en 1996, Kahneman développa une alternative, la
« Théorie des Perspectives » (ou « Prospect Theory », qui correspond mieux aux
attitudes observées que la « Théorie de l’Utilité Espérée ». Puis, il étudia la façon
dont les jugements en incertitude peuvent prendre des raccourcis heuristiques, qui
diffèrent systématiquement des principes fondamentaux de la théorie des
probabilités. Ses travaux ont inspiré une nouvelle génération de chercheurs en
économie et en finance, qui ont enrichi la théorie économique grâce à des acquis de
psychologie cognitive sur la motivation intrinsèque de l’individu. Il a beaucoup
apporté à la finance comportementale.
40
Conclusion
La finance comportementale doit donc plutôt être vue comme une indication sur
les comportements des investisseurs, dans l’espoir de tirer une meilleure
appréciation du marché dans sa globalité. Aujourd'hui la Finance comportementale
peut être considérée comme une ceinture de sécurité dans la course à
l'investissement.
Il faut donc accepter de donner au marché ce qui lui revient de droit : une
dimension humaine.
41
Bibliographie
Ouvrages
THALER Richard, Advances in Behavioural Finance
London, Russel Sage Foundation,1993
AFTALION Florin, La Nouvelle Finance et la Gestion des Portefeuilles
Paris, Economica, collection gestion, parution le 23/10/2003 (1° édition), 240
pages.
Internet
www.investorhome.com
www.fullerthaler.com
www.mutualinvestor.com
www2.standardandpoors.com
42
Annexes
43
LES STRATEGIES D’INVESTISSEMENT MISES EN PLACE PAR LA SOCIETE
FULLER & THALER ASSET MANAGEMENT.
44
45
46
47
48
49
50
51
52
53
54
55
56
57
58
59
60
61
62
63
64
65
66
67
68
ARTICLES PARUS SUR LA FINANCE COMPORTEMENTALE
69
Redonner aux marchés une dimension humaine
Les psychologues ont montré que le comportement réel des acteurs des marchés ne pouvait s'expliquer par
des hypothèses économiques de base. Leurs pronostics ne sont pas objectifs et leurs choix sont influencés par
des facteurs externes.
Il y a dix ans, les lecteurs auraient été surpris de voir « Les Echos » consacrer un article à un sujet tel que la
finance « comportementale ». Ils auraient été encore plus étonnés de constater que l'auteur de l'article était
membre de la Graduate School of Business de l'université de Chicago, depuis toujours considérée comme le
berceau de l'économie rationnelle et de l'efficience des marchés.
Avant de tenter de répondre à cette question, revenons en arrière. Ce que l'on appelle souvent la « théorie
moderne de la finance » a pris naissance après la Seconde Guerre mondiale. Grâce au travail de pionniers tels
Markowitz, Miller, Modigliani, Samuelson ou Sharpe (tous lauréats du prix Nobel), cette approche s'est plutôt
orientée vers la comptabilité que vers l'économie, en se dotant d'outils mathématiques qui commençaient à
révolutionner l'économie.
Le processus qui consistait à conférer à la finance une précision toute mathématique a eu un effet inattendu : elle
est devenue un champ d'exploration entièrement dépourvu de présence humaine. Les enseignants en finance
s'attachent essentiellement à la performance des marchés financiers (cours, volumes, dividendes, résultats...). En
revanche, peu d'entre eux accordent un tant soit peu d'attention aux véritables acteurs de ces performances :
investisseurs, traders, gestionnaires de portefeuille ou de fonds de pension, etc. On s'attend généralement à ce
que le comportement de ces acteurs soit en phase avec les hypothèses de l'économie moderne, c'est-à-dire
qu'ils sont censés formuler des pronostics objectifs (leurs anticipations étant rationnelles) et prendre des
décisions, face à un avenir incertain, en s'appuyant sur les postulats de la théorie de l'utilité espérée.
Mais la vie n'est pas si simple. Au cours des 20 dernières années, des psychologues tels que Daniel Kahneman,
feu Amos Tversky et leurs disciples, ont énormément appris sur la façon dont les individus, dans la vie réelle,
élaborent des pronostics et prennent des décisions. Il ressort de leurs recherches que le comportement réel des
individus ne peut être expliqué par des hypothèses économiques de base. Comme l'on pouvait s'y attendre, les
pronostics ne sont pas objectifs et les choix sont influencés par des facteurs externes, telle la présentation même
des différentes options possibles.
Dans ces conditions, pourquoi la théorie de la finance moderne reste-t-elle le modèle de référence enseigné dans
toutes les écoles de commerce du monde, y compris celle de Chicago ? Les spécialistes de la finance ont
peaufiné leurs arguments pour répondre à ceux qui les accusent de fonder leurs modèles sur des hypothèses
erronées. Argument numéro un : l'excuse du « comme si », mise en avant pour la première fois par Milton
Friedman, éminent économiste de Chicago. Selon lui, une théorie ne devrait pas être appréciée en fonction de la
validité de ses hypothèses mais plutôt pour l'exactitude de ses pronostics. Pour preuve, la métaphore d'un bon
joueur de billard, incapable de réussir un test de physique ou de trigonométrie, mais qui joue comme s'il en était
capable.
70
Argument numéro deux, émanant aussi de Friedman et de ses disciples : les marchés ne tiennent pas compte de
la dimension irrationnelle. Certes, il peut arriver que des traders prennent de mauvaises décisions, mais ce n'est
jamais pour très longtemps ! Personnellement, je suis sensible à ces deux arguments. Je suis tout à fait d'accord
pour juger une théorie en fonction de l'exactitude de ses pronostics plutôt que de la validité de ses hypothèses.
Toute recherche sur les marchés des capitaux doit tenir compte du fait que de nombreux investisseurs et
arbitragistes intelligents, motivés et disposant de beaucoup de liquidités, sont prêts à saisir toute opportunité pour
réaliser rapidement des bénéfices.
Evaluons donc la finance moderne en fonction de l'exactitude des pronostics établis par le modèle et voyons ce
que cela donne. Je vous propose le test du « Martien » : comme vous le savez déjà, certains scientifiques ont
récemment prétendu avoir découvert la vie sur Mars. Supposons que cette forme de vie soit assez intelligente
pour avoir découvert les mathématiques, les statistiques, l'économie et les choix rationnels, et qu'un Martien ait
inventé le concept des marchés financiers. Quelles seraient les prédictions de notre Martien sur ces marchés
financiers ? Et que trouverait-il s'il débarquait sur Terre et découvrait à quoi ressemblaient réellement les marchés
?
Dans le cadre d'un marché efficient et rationnel, les actifs sont valorisés à leur valeur réelle et intrinsèque. Les
cours varient donc uniquement lorsque cette valeur change, c'est-à-dire lorsque des informations réellement
pertinentes apparaissent.
Même si nous savons tous que les cours peuvent fluctuer sans raison apparente, l'exemple le plus frappant à cet
égard est la semaine du 19 octobre 1987, où les cours ont enregistré de fortes variations dans le monde entier,
alors même que la seule véritable « information » était que les cours fluctuaient rapidement. Peut-on imaginer
que la valeur actuelle de l'économie américaine a perdu plus de 20 % ce lundi-là (après avoir déjà perdu 5 % le
vendredi précédent) puis repris plus de 9 % le mercredi ?
En économie, ce phénomène est parfois qualifié de théorème de Groucho Marx. Groucho affirmait à qui voulait
l'entendre qu'il ne voudrait pas appartenir à un club qui l'accepterait volontiers en tant que membre.
De même, si je sais que vous êtes rationnel et que vous savez que je suis rationnel, et que je sais que vous
savez que je sais... alors si vous dites vouloir vendre des actions IBM, je me demanderai ce que vous savez et
que je ne sais pas. Je ne veux pas être partie prenante dans une négociation où quiconque serait partant pour
servir de contrepartie.
Un jour ordinaire sur le New York Stock Exchange : 400 millions d'actions changent de mains ; la plupart des
portefeuilles gérés sont toujours gérés activement, comme en témoigne le taux de rotation (de 50 % à 100 % par
an). Pourquoi tous ces intervenants échangent-ils des titres ? Pensent-ils être mieux renseignés que leurs
71
contreparties ? Ils peuvent effectivement le penser (environ 90 % de la population pensent se situer au-dessus
de la moyenne dans la plupart des domaines - conduite, relations personnelles, etc.), mais ce n'est pas vrai.
Dans le cadre d'une étude sur les gestionnaires de fonds de pension, Joseph Lakonishok, Andrei Shleifer et
Robert Vishny ont démontré que les titres qu'ils vendaient surperformaient ceux qu'ils achetaient. Une autre
étude de Terrance Odean portant sur les clients d'un grand « discount broker » américain arrive à la même
conclusion pour ce qui concerne les particuliers.
Imaginons que je souhaite lancer une nouvelle société d'investissement, que je baptiserai Thaler, en toute
modestie, et dont la stratégie serait d'acheter toutes les actions que les clients de cette maison de courtage
offriraient sur le marché et de leur vendre toutes les actions qu'ils voudraient acquérir. Ma société
d'investissement surperformerait alors l'indice S&P 500 de 3 %.
Le principe de base de l'hypothèse de l'efficience des marchés est qu'il est impossible de prédire les rendements
futurs à partir des rendements passés. Dans le cas contraire, c'est-à-dire si les investisseurs s'inspiraient des
rendements passés pour investir, l'évolution des cours, en intégrant ces paramètres, s'en trouverait modifiée, ce
qui fausserait les pronostics établis par la suite à partir de cette même stratégie. Les pronostics s'autodétruiraient.
Le pronostic n^o 3 était autrefois considéré comme le phénomène le mieux démontré des sciences sociales. Or,
au cours des 15 dernières années, les chercheurs ont découvert de nombreux exemples de catégories de titres
qui paraissent surperformer (ou sous-performer) par rapport à ce que l'on attendait d'eux, c'est-à-dire par rapport
à la performance des autres titres comportant le même degré de risque.
Ainsi, dans une étude publiée en 1985, Werner De Bondt et moi-même établissions que les titres dont la
performance a été très médiocre au cours des 3 à 5 années précédentes ont, par la suite, surperformé le
marché, tandis que les titres ayant enregistré une bonne performance dans le même laps de temps ont ensuite
sous-performé.
D'où notre conclusion : les titres ont tendance à sur-réagir. D'autres études ont suivi pour prouver que les valeurs
« d'actif », c'est-à-dire celles dont le PER ou le ratio cours/actif net est peu élevé, affichent un rendement
supérieur à celui des valeurs « séduction » (leurs détracteurs les qualifient de valeurs « séduction » tandis que
leurs partisans les baptisent valeurs « de croissance »). Selon la finance comportementale, les valeurs « d'actif »
affichent de bonnes performances car elles sont sous-évaluées : les investisseurs, trop déçus par leurs
mauvaises performances passées, ont contribué à tirer les cours vers le bas. Lorsque le titre renoue avec les
bénéfices (partiellement en raison du phénomène naturel de convergence vers la moyenne), le cours rebondit.
En revanche, les valeurs « séduction » ont été trop demandées ; les cours ont donc été tirés artificiellement à la
hausse par des pronostics trop optimistes et les titres ont sous-performé lorsque les bénéfices ne
correspondaient pas à ces attentes irréalistes.
Même les défenseurs de l'efficience des marchés tels Eugène Fama et Kenneth French reconnaissent que les
72
valeurs « d'actif » offrent de meilleurs rendements. Ils considèrent néanmoins que ces bons rendements sont liés
au degré élevé de risque qui caractérise ces valeurs. Les théoriciens de la finance comportementale font
toutefois remarquer que rien ne prouve que les valeurs « d'actif » sous-performent nécessairement en cas de
marchés baissiers ou de récession.
En outre, il est difficile de justifier le faible rendement des valeurs « séduction » par un moindre profil de risque,
puisqu'il faudrait ainsi croire que le faible rendement des actions avec un PER de 50 s'explique parce qu'elles
sont, collectivement, plus « sûres ». Même si les deux parties sont certaines d'avoir raison, le débat est loin d'être
clos...
Le CAPM, ou modèle d'évaluation des actifs financiers, nous apprend que si le risque peut être évité par une
simple diversification du portefeuille, l'investisseur ne devrait pas s'attendre à être rémunéré pour le supporter.
Toutefois, si le rendement d'un actif est corrélé au rendement du marché (c'est-à-dire si le coefficient bêta est
positif), les investisseurs ne désirant pas prendre de risques exigeront un rendement supérieur pour supporter ce
risque contournable. En outre, les actifs ayant des bêtas plus élevés devraient bénéficier de meilleurs
rendements.
Dans une série d'études, Fama et French ont montré que le bêta présente peu d'utilité pour expliquer les
différences de rendement entre valeurs. Ces différences seraient mieux expliquées par d'autres variables comme
la capitalisation boursière et le ratio cours/actif net. En réalité, à capitalisation constante, les sociétés bénéficiant
d'un bêta élevé auront des rendements moins élevés que celles présentant un bêta inférieur.
* Pronostic n^o 5 : lorsque les dividendes sont plus taxés que les plus-values, les entreprises privilégient le rachat
d'actions au versement de dividendes
Selon le célèbre théorème Modigliani-Miller, la politique de distribution des dividendes n'a aucune importance
dans un contexte d'efficience des marchés, surtout exempts d'impôts. Mais lorsque les investisseurs doivent
s'acquitter d'impôts plus élevés sur les dividendes que sur les plus-values, une entreprise pourra faire bénéficier à
certains de ses actionnaires, sans nuire aux autres, d'une option de rachat d'actions en lieu et place du
versement de dividendes.
Les économistes avancent plusieurs théories pour expliquer pourquoi les sociétés versent des dividendes,
notamment la théorie du « signal » par laquelle les entreprises « dilapident » de l'argent (en forçant leurs
actionnaires à payer des impôts superflus) afin de « signaler » à la communauté financière la bonne orientation
de leurs perspectives bénéficiaires.
Cependant, une étude que j'ai récemment conduite en collaboration avec Shlomo Benartzi et Roni Michaely,
confirme que les entreprises qui augmentent leurs dividendes ne présentent pas forcément de meilleures
73
perspectives bénéficiaires que celles qui laissent leurs dividendes inchangés. Pourquoi les entreprises versent-
elles donc des dividendes ? La question reste posée.
A ce stade de la réflexion, qu'en penserait notre « Martien »? Je crois qu'il estimerait que les pronostics de
la théorie ne résistent pas à l'épreuve de la réalité. Il serait peut-être temps de repenser la théorie, mais comment
? Faudrait-il adopter une nouvelle façon de penser sur les marchés des capitaux ? Pour commencer, pourquoi ne
pas essayer le petit jeu suivant : choisissez un nombre entre 0 et 100 de telle sorte que le nombre choisi soit
aussi proche que possible des deux tiers de la réponse moyenne. Supposons que 5 personnes participent à ce
jeu et choisissent 50, 40, 30, 20 et 10. En moyenne, le chiffre choisi serait 30, dont les deux tiers correspondent à
20. La personne ayant donné le chiffre 20 aurait gagné. Quel chiffre choisiriez-vous ? Réfléchissez bien avant de
poursuivre votre lecture et... ne trichez pas !
Comment aborder ce jeu ? Première approche - l'absence de réflexion : « Cela me paraît compliqué, je ne sais
pas quoi faire. Je vais choisir un nombre au hasard. » C'est ce que j'appellerais le degré zéro de réflexion. En
moyenne, le chiffre cité par ceux qui adoptent cette approche est 50.
Deuxième approche - le degré 1 de réflexion - s'articulant ainsi : « Le participant moyen n'est ni perspicace ni très
doué en maths. Il choisira plusieurs chiffres au hasard. L'estimation moyenne citée sera 50, je dirai donc 33. »
Troisième approche - le degré 2 de réflexion : « La plupart des lecteurs comprendront le jeu mais penseront que
les autres ne sont pas aussi astucieux qu'eux. L'estimation moyenne sera de 33, je dirai donc 22. »
Quatrième approche - le degré 3 de réflexion : « La plupart des personnes interrogées comprendront le but du
jeu, penseront que le chiffre choisi par la plupart des personnes interrogées sera 33, ils diront donc 22. Je dirai à
mon tour deux tiers de 22, c'est-à-dire 15. »
A ce stade du raisonnement, il est clair que cette analyse pourrait très bien être sans fin. Un économiste
rechercherait un équilibre, c'est-à-dire un chiffre qui, s'il était cité par tout le monde, ferait que personne ne serait
incité à changer sa propre estimation. On peut raisonnablement croire que dans ce jeu le seul degré d'équilibre
serait soit 0, soit 1 (en demandant aux personnes interrogées de choisir des nombres entiers, le seul équilibre
serait 0 ou 1 ; si les fractions étaient autorisées, seul 0 représenterait l'équilibre).
Ce jeu vous rappelle-t-il quelque chose ? Prenons un passage tiré de la « Théorie générale » de Keynes. «
L'investissement professionnel s'apparente à ces concours organisés par les journaux, qui demandent au lecteur
de choisir parmi 100 portraits les 6 visages qui leur plaisent le plus. Le gagnant est celui dont le choix est le plus
proche du choix moyen des autres participants : chaque participant devra donc choisir non pas les visages qui lui
plairont le plus personnellement, mais ceux qu'il pense être le choix probable des autres concurrents, tous les
concurrents adoptant le même point de vue.
Il ne s'agit pas de choisir les visages qui, selon son propre jugement, sont les plus agréables, ni même ceux qui
de l'avis général semblent les plus agréables. Nous avons atteint le degré 3 de réflexion où nous consacrons
notre intelligence à anticiper ce que, de l'avis général, sera l'avis général. Et je pense que certains pratiquent
même un quatrième, cinquième, voire un sixième degré de réflexion. »
Le célèbre concours de beauté de Keynes est assimilable au concours des chiffres et reste à ce jour une
74
métaphore brillante pour réfléchir au fonctionnement des marchés financiers. Considérons que la seule façon de
jouer à ces deux jeux est de penser à un niveau supérieur à celui du participant moyen.
La plupart des participants à ce jeu ont eu le défaut de penser trop ou pas assez. Le chiffre moyen était
18,91, dont les deux tiers sont 12,6, arrondis à 13. Cependant, les chiffres les plus fréquemment cités étaient 0,
1, 22 et 33. Répondre 22 ou 33, c'est accorder trop peu de capacités aux autres participants, tandis que choisir 0
ou 1 c'est faire preuve de trop de perspicacité. L'investissement suit un raisonnement similaire. Il ne suffit pas de
dire que telle valeur est sous-évaluée (ou surévaluée) ; pour qu'elle soit un investissement de qualité ou même
qu'elle constitue une possibilité de vente à découvert, il faudra que d'autres investisseurs pensent la même
chose, et assez vite pour que la valeur en profite.
Keynes disait qu'à long terme nous sommes tous morts. Les gestionnaires de portefeuille pourraient le
paraphraser en disant : « Après trois années de sous-performance, nous sommes tous remerciés. » Ce qui
signifie qu'un bon investisseur doit associer analyse sans faille (afin de déterminer quand le cours est différent de
la valeur intrinsèque) et psychologie fine (pour préciser pourquoi le cours s'est éloigné de la valeur et tenter de
savoir quand les deux se rapprocheront - à supposer que cela se produise un jour).
Comment la finance comportementale peut-elle contribuer au débat ? Nous avons déjà vu les liens qui existent
entre la réussite d'une stratégie d'investissement en valeurs « d'actif » et la psychologie cognitive. Voici deux
autres exemples.
Prenons le cas des sociétés d'investissement à capital fixe (sicaf). Ces institutions financières constituent depuis
longtemps un sujet d'étonnement pour les spécialistes de la finance, car leurs cours sont différents de la valeur
sous-jacente des titres qu'elles détiennent.
S'il est courant pour les parts de ces sociétés de s'échanger avec une décote de 10 à 20 %, il existe des cas où
les sicaf se traitent avec une prime importante, notamment celles qui sont spécialisées par pays. A une époque,
aux Etats-Unis, ces dernières s'échangeaient à plus de 200 % au-dessus de leur valeur d'actif net. Il est rare de
rencontrer un exemple aussi frappant du phénomène de « bulle » : la prime a disparu en l'espace de quelques
mois et s'est transformée en légère décote.
L'écart important qui existe entre le cours des parts de la sicaf et la valeur des titres qu'elle détient embarrasse
les partisans de l'efficience des marchés. Parallèlement, dans un article publié par le « Journal of Finance »,
Charles Lee, Andrei Shleifer et moi-même avons montré que les sicaf peuvent servir à mieux comprendre les
marchés financiers et qu'il est possible d'utiliser la décote des sicaf pour mesurer le sentiment des investisseurs
particuliers (les principaux détenteurs de sicaf aux Etats-Unis). Il découle de ce qui précède que les décotes
seront corrélées aux rendements d'autres investissements détenus par des particuliers. C'est exactement ce que
nous avons vérifié. Lorsque les décotes des sicaf se rétrécissent (lorsque les particuliers sont plus optimistes), les
petites valeurs (principalement détenues par des particuliers) surperforment les grosses capitalisations (surtout
détenues par des investisseurs institutionnels).
La psychologie peut également nous permettre de mieux comprendre le marché en expliquant l'existence de la
prime de risque. La prime de risque est la différence entre le rendement des actions et des obligations. La
question est de savoir pourquoi cet écart est si important. Au cours des 70 dernières années, le rendement réel
75
des actions aux Etats-Unis et au Royaume-Uni a avoisiné en moyenne 6 % à 7 % par an, tandis que le
rendement moyen des obligations sur la même période était plutôt de l'ordre de 1 %. Cet écart se vérifie quel que
soit le pays considéré. Pourquoi les investisseurs ont-ils besoin d'une prime de risque aussi importante pour
détenir des actions ?
En d'autres termes, pourquoi les investisseurs privilégiant le long terme acceptent-ils de détenir des obligations ?
Shlomo Benartzi et moi-même avons avancé une explication : la peur endémique de perdre.
La recherche en psychologie montre que les individus ont peur de perdre, ce qui signifie qu'ils sont beaucoup
plus sensibles à la perte éventuelle sur un investissement qu'au gain qu'il pourrait générer : il est deux fois plus
douloureux de perdre 100 F qu'il n'est agréable de gagner 100 F. Pour les investisseurs, la peur de perdre rend
l'investissement dans un instrument risqué comme les actions peu attrayant si les rendements sont évalués
fréquemment. Sur 20 ans, il est pratiquement certain que les actions surperformeront les obligations, mais sur
une base quotidienne, le cours des actions baisse aussi souvent qu'il monte. M. Benartzi et moi-même avons
tenté d'évaluer avec quelle régularité les investisseurs ayant peur du risque doivent évaluer leurs portefeuilles
afin de devenir indifférents au fait de détenir des actions ou des obligations. En étudiant des données
américaines, nous avons trouvé que la fréquence devrait être d'environ 13 mois, soit une fois par an. Si notre
explication est correcte, le rendement des actions est élevé pour compenser le fait que certains vérifient leurs
comptes trop souvent. Ce qui signifie que pour ceux qui sont prêts à être patients (ou pour les négligeants), les
actions représentent le véhicule d'investissement le plus attrayant.
Je finirai en citant un autre économiste issu de l'école de Chicago. En 1918, John Maurice Clark écrivait dans le «
Journal of Political Economy » : « L'économiste aura beau essayer de laisser de côté la psychologie, il lui sera
impossible de ne pas tenir compte de la nature humaine. Si l'économiste emprunte sa conception de l'homme au
psychologue, ses travaux auront plus de chance de rester d'une nature purement économique. En revanche, s'il
ne procède pas ainsi, il n'évitera pas pour autant la psychologie. Il sera ainsi contraint de se forger sa propre
psychologie... qui sera sûrement erronée. »
La finance comportementale constitue une tentative de suivre le conseil de M. Clark : utiliser des éléments
psychologiques avérés plutôt que de se forger une psychologie erronée. En suivant ce conseil, nous espérons
atteindre une meilleure compréhension des marchés financiers. *
RICHARD THALER, titulaire de la chaire Robert Gwinn, est professeur de sciences comportementales et
d'économie à la Graduate School of Business de l'université de Chicago. Il est également administrateur du
Center for Decision Research
76
Si les marchés se trompaient ?
Plusieurs études récentes viennent contredire les tenants de la théorie des marchés efficients. Les
investisseurs semblent ne pas réagir correctement à l'information qu'ils reçoivent et commettent des erreurs qui
sont alors exploitées par des tiers.
A chaque heure de la journée, les marchés financiers sont submergés de nouvelles informations. Une société
peut annoncer par voie de communiqué des résultats bien meilleurs que prévu ou une importante acquisition. Les
opérateurs et les investisseurs s'empressent d'ingérer l'information et de la répercuter sur le cours de Bourse.
Les résultats de récentes études semblent indiquer que les investisseurs commettent systématiquement des
erreurs dans la façon dont ils traitent les informations qu'ils reçoivent et que ces erreurs peuvent être exploitées
avec profit par d'autres. Ces découvertes sont en conflit direct avec la théorie des marchés efficients selon
laquelle le cours de Bourse est « juste », et nul ne peut espérer « manger à l'oeil » sur le marché.
En 1978, Michael Jensen, théoricien de la Harvard Business School, écrivait que « la théorie de l'efficience des
marchés était le seul pilier inébranlable de la finance ». Vingt ans plus tard, en partie du fait des études que nous
évoquions, cette question est à nouveau ouverte.
Surréaction à l'information
En 1985, un article signé Werner de Bondt, de l'université du Wisconsin, et Richard Thaler, de la Graduate
Business School de l'université de Chicago, a provoqué beaucoup d'émoi. Les deux auteurs y démontraient que
les marchés surréagissent à l'information.
De Bondt et Thaler ont établi que les actions présentant de faibles rendements sur une période de trois ans
surperformaient ultérieurement considérablement les titres dont les rendements avaient été les plus élevés au
cours de ces trois ans. Ainsi, un portefeuille composé des 35 valeurs les plus médiocres (le portefeuille des «
poids morts ») accumulait un rendement de 25 % supérieur sur 36 mois au rendement d'un portefeuille constitué
des valeurs les plus performantes (le portefeuille des « vedettes »).
Supposons qu'une société annonce de bonnes nouvelles au cours des trois années en question, telles qu'une
succession de résultats systématiquement supérieurs aux prévisions. Il n'est pas impossible que les marchés
surréagissent à ces annonces et soient victimes d'un excès d'optimisme sur les perspectives de la société,
provoquant une embellie du cours. La valeur devient donc une candidate parfaite au portefeuille des « vedettes ».
Dans les mois suivants, les investisseurs commencent à se rendre compte que leur optimisme était infondé et
appliquent alors une correction à la valeur. Cette révision peut expliquer la contre-performance du titre désormais
admis dans la catégorie des « vedettes ». De la même manière, les titres faisant partie des « poids morts » sont
peut-être uniquement des valeurs pour lesquelles les investisseurs ont péché par pessimisme. Dès lors que
l'erreur est rectifiée, ces dernières renouent avec des rendements très élevés.
77
Des études récentes sont venues confirmer ce phénomène de surréaction des marchés. Les théoriciens ont
examiné l'évolution de titres très prisés (c'est-à-dire bénéficiant de ratios cours/fondamentaux de la société très
favorables) et ont démontré que ces valeurs étaient probablement surévaluées.
Supposons, par exemple, que l'on constitue un portefeuille composé de « valeurs de croissance », c'est-à-dire de
titres bénéficiant d'un ratio cours/BPA très élevé, et un portefeuille composé de titres pour lesquels ce ratio serait
très faible (« valeurs d'actifs »).
Sur une période de cinq ans minimum après la constitution du portefeuille, la rémunération des valeurs d'actifs
est en moyenne supérieure de près de 8 % par an à celle des valeurs dites de croissance. Si l'on retient d'autres
ratios d'analyse pour composer les portefeuilles, la différence peut même être plus importante. Des titres ayant un
ratio cours/valeur comptable faible affichent ainsi un rendement moyen supérieur de plus de 10 % par an à celui
de titres mieux appréciés selon ce critère.
La plus remarquable des découvertes sur ce comportement est peut-être celle de Victor Bernard et de Jacob
Thomas de l'université de Columbia, parue en 1989. Ces deux chercheurs ont classé les actions en fonction du
degré de surprise créée lors des plus récentes annonces de résultats. Le degré de surprise était notamment
mesuré par rapport aux attentes des analystes. Bernard et Thomas ont ensuite constitué deux portefeuilles, l'un
entièrement composé de titres de sociétés porteuses de bonnes nouvelles et l'autre de titres de sociétés n'ayant
annoncé que des mauvaises nouvelles. Dans les six mois qui suivirent, les deux chercheurs ont suivi ces deux
portefeuilles. Quel ne fut leur étonnement de constater que le portefeuille « bonnes nouvelles » affichait un
rendement moyen sur six mois supérieur de 6 % à celui des titres « mauvaises nouvelles ». Leur réaction était
due au fait que le cours est censé intégrer immédiatement la bonne ou la mauvaise nouvelle annoncée. L'étude
menée indique que cela n'est pas le cas et que les investisseurs ont tendance à sous-estimer, dans un premier
temps, la portée d'une nouvelle information.
Ils obéissent alors à la logique suivante. Une société annonce des résultats nettement supérieurs aux prévisions.
Les investisseurs considèrent cela comme une bonne nouvelle et révisent certes leurs évaluations à la hausse,
mais, pour une raison inconnue, cette hausse reste limitée. Cette erreur n'est corrigée que progressivement.
Dans les six mois qui suivent, le cours grimpe imperceptiblement vers le niveau qu'il aurait dû atteindre au
moment où les résultats ont été annoncés. Un investisseur achetant le titre dès le jour de l'annonce pourrait tirer
parti de cette hausse graduelle et bénéficier d'un rendement plus élevé.
Depuis la publication de cette étude, les chercheurs ont également mis en évidence un comportement similaire
après la parution d'autres informations financières, comme l'annonce d'un changement de politique de paiement
du dividende ou du lancement d'opérations de rachat de titres. Ainsi, quand une société annonce qu'elle va
diminuer le dividende versé, les marchés interprètent généralement ce changement de cap comme une mauvaise
nouvelle et le cours baisse immédiatement. Des études récentes ont démontré que cette baisse n'était pas
proportionnelle à la portée réelle de la nouvelle au moment de l'annonce et que le cours continue à décliner
plusieurs mois d'affilée. Cette évolution signifie que les investisseurs sous-estiment la mauvaise nouvelle au
78
moment de l'annonce et ne l'intègrent, dans toute sa portée, que progressivement dans le cours.
Un autre phénomène bien connu est l'effet d'« élan », étroitement lié à la sous-évaluation ou surévaluation des
marchés. Ce comportement est lié à la conviction que les sociétés dont les performances ont été bonnes au
cours de l'exercice écoulé continueront sur cette lancée l'exercice suivant et que celles dont les performances ont
été médiocres ne redresseront pas la situation l'année suivante. L'une des explications de ce constat, c'est que
les sociétés dont les résultats sont bons ont annoncé une bonne nouvelle que les investisseurs ont sous-estimée.
Cette erreur de départ est graduellement corrigée au fil des mois, expliquant le glissement haussier progressif du
cours.
Comme on peut le voir, les diverses études font apparaître des différences subtiles, chacune proposant une
interprétation très convaincante sur la façon dont les investisseurs réagissent à l'information.
Rappelons de plus que, pour les sociétés dont les performances ont été médiocres au cours des trois derniers
exercices, la tendance s'inverse au-delà de cette période et leurs rendements sont supérieurs. En revanche,
celles dont les performances ont été médiocres la seule année précédente ne redressent pas la situation l'année
suivante. En outre, il semble que si les investisseurs ont tendance à sous-réagir à l'annonce d'une nouvelle isolée
ils surréagissent en revanche à l'annonce d'un ensemble d'informations convergeant toutes dans le même sens,
c'est-à-dire toutes mauvaises ou toutes bonnes.
Pour les tenants de la théorie des marchés efficients, le constat précédent est déroutant, car il semble induire la
possibilité de tirer de substantiels profits en jouant sur les erreurs des marchés, voire de réaliser de « bonnes
affaires à l'oeil », même en tenant compte des coûts de transaction.
Un investisseur qui aurait acheté des titres du portefeuille des « poids morts » de De Bondt/Thaler avant de les
céder ou qui aurait pris des positions courtes dans le portefeuille des « vedettes » aurait réalisé de belles affaires
au cours des 70 dernières années, à l'instar de l'investisseur qui aurait acheté des titres du portefeuille « bonnes
nouvelles » et cédé ses titres « mauvaises nouvelles » ou acheté des valeurs d'actifs et cédé des valeurs de
croissance. Si les marchés surréagissent ou sous-réagissent systématiquement à l'information, les possibilités
d'exploiter leurs erreurs sont indéniables.
A cette contradiction, les zélateurs de la théorie des marchés efficients objectent principalement que les marchés
ne sont pas dans l'erreur, mais que l'écart de rendement reflète seulement la différence de risque lié à tout
placement.
La prime de marché sur les actions ne les surprend donc pas, du fait du risque plus élevé inhérent à ce type de
valeur : pour accepter d'assumer ce risque, l'investisseur doit en quelque sorte être indemnisé - ce raisonnement
explique également la meilleure rentabilité du portefeuille des « poids morts » sur le portefeuille des « vedettes ».
Cette argumentation, pour rationnelle qu'elle soit à première vue, ne résiste pourtant pas à une analyse plus
poussée. Prenons par exemple les portefeuilles « vedettes » et « poids morts » de De Bondt et Thaler. Il est
indéniable que, historiquement, la rentabilité moyenne du portefeuille des « poids morts » a été nettement plus
forte. Qui voudrait démontrer que cette prime est la contrepartie d'un risque supérieur chercherait à mettre en
79
évidence que le rendement des « poids morts », certes en moyenne plus élevé, est également beaucoup plus
volatil et parfois bien plus mauvais que celui des « vedettes ».
Pour ce faire, il serait également possible de calculer un autre paramètre, le « bêta » de l'investissement. Le
bêta mesure l'évolution de la rentabilité d'un investissement par rapport aux variations globales du marché. Les
investissements présentant un bêta élevé sont jugés plus risqués, car ils offrent de médiocres possibilités de
diversification.
Malgré tout, la théorie risque/rendement ne suffit pas à tout expliquer. Certes, les titres « poids morts » sont plus
risqués que les titres « vedettes », leurs rendements sont plus volatils, leurs performances sont parfois pires que
celles des « vedettes » et ils présentent des bêta plus élevés. Toutefois, le niveau de risque ne suffit pas, loin s'en
faut, à justifier la prime.
La conclusion est la même pour l'ensemble des autres stratégies d'investissement. De même, les actions «
bonnes nouvelles » sont un peu plus risquées que les actions « mauvaises nouvelles » selon les paramètres
retenus, mais cela ne suffit pas à expliquer le différentiel de rendement moyen. Ce constat ne signifie pas, pour
autant, la victoire sans appel de ceux qui prétendent que les marchés sont dans l'erreur.
A ces derniers, il est en effet possible d'opposer par exemple que le risque n'a pas été correctement évalué. Dans
une série d'articles récents qui a fait grand bruit, Eugene Fama, de l'université de Chicago, et Kenneth French, de
Yale, ont démontré que les valeurs d'actifs pouvaient être soumises à d'importants facteurs de risque non pris en
compte dans des modes d'évaluation plutôt simples comme le bêta. Ces facteurs négligés expliqueraient leur
rendement plus élevé.
Le débat fait rage cependant sur l'importance des facteurs de risque mis en évidence par Fama et French. Aucun
consensus n'a pu être trouvé au sein de la communauté des économistes sur la meilleure façon d'appréhender le
fonctionnement du couple risque/rendement, thème qui continue de passionner les chercheurs.
Pour contre-attaquer, les tenants des marchés efficients ont beau jeu de demander pourquoi les effets de ces
erreurs n'ont pas disparu. Si les marchés se trompent effectivement, pourquoi ce filon n'a-t-il pas été pleinement
exploité, et épuisé, par quelques investisseurs astucieux ? Pourquoi, par exemple, les investisseurs ne se sont-ils
pas rués pour acheter des valeurs d'actifs et vendre les valeurs de croissance ?
D'une part, il est possible que les investisseurs potentiels n'aient pris conscience de ces opportunités que
récemment. Il est vrai que les valeurs d'actifs étaient considérées comme un bon investissement dès les années
30, mais la fiabilité statistique de ce fait n'a été avérée que récemment. D'autre part, les gestionnaires de fonds
peuvent avoir du mal à justifier leurs achats de « poids morts » et de valeurs d'actifs dont les performances
financières ont été médiocres et qui sont jugées plus susceptibles de mener à la banqueroute. Investir un
portefeuille en valeurs de croissance ou en titres « vedettes » est un choix plus facile à légitimer.
Une autre argumentation, avancée par les avocats de l'efficience des marchés, vise à contester la méthodologie
utilisée, couramment appelée « data mining ». Ceux qui s'appuient sur cette thèse font valoir que d'innombrables
80
investisseurs pleins d'espoir ont consacré beaucoup de temps pour tenter de mettre au jour des stratégies dont la
rentabilité est historiquement avérée.
La technique consiste à regrouper les titres dans des portefeuilles composés en fonction de certains
paramètres, de la façon décrite plus haut, et à comparer les performances réciproques des portefeuilles ainsi
constitués sur une période donnée.
Les limites de cette méthode, c'est que si l'on essaye assez de combinaisons on est presque certain,
statistiquement, de tomber sur une stratégie de gestion produisant des rendements historiques plus élevés.
Toutefois, rien ne permet de penser que cette stratégie d'investissement continuera à faire ses preuves, dans la
mesure où la réussite de cette dernière peut n'être que le fruit du hasard le plus fallacieux.
Si cette critique ne manque pas de justesse, elle peut néanmoins être battue en brèche : il suffit de vérifier si ces
différentes découvertes peuvent être reproduites en utilisant d'autres données. Or les faits ont résisté à ces
vérifications croisées. De récents travaux de Fama et French ont démontré que les valeurs d'actifs
surperformaient les valeurs de croissance sur de nombreux marchés.
Ni la thèse du couple risque/rendement ni la critique liée à la méthode du « data mining » n'ont réussi à ce jour à
expliquer le succès de ces stratégies d'investissement. Pour autant, la preuve de l'inefficience des marchés est
loin d'être établie. Pour ce faire, il ne faudrait pas seulement démontrer que les marchés surréagissent ou
minimisent la portée d'une information, il faudrait également prouver que ce type de comportement propre aux
investisseurs s'appuie sur certains ressorts profonds de la psychologie humaine.
Cette question a été abordée par des travaux de recherche explorant le champ nouveau de la finance
comportementale.
L'approche comportementale
A titre d'exemple, voici comment il serait possible d'expliquer au moyen d'une approche psychologique pourquoi -
et quand - les individus ont tendance à surréagir à l'information.
L'une des explications repose sur une réaction biaisée, bien connue des chercheurs sous le terme de «
représentativité heuristique ». Ce phénomène global peut être interprété à un certain degré en expliquant que les
individus perçoivent des motifs récurrents et une structure ordonnée même au milieu d'un ensemble de données
complètement aléatoires.
Un exemple fameux provient d'une étude sur les séries de scores de la ligue de basket professionnelle
américaine. L'une des questions souvent posées est la suivante : prenons deux joueurs de même niveau ; après
trois tentatives, l'un a marqué trois paniers d'affilée, alors que l'autre les a manqués. La question est la suivante :
lequel de ces deux joueurs sera le plus susceptible de marquer le prochain panier ? La plupart des gens
choisissent le premier joueur, celui qui vient de marquer trois paniers d'affilée, en vertu de la fameuse « loi des
séries ». Cette réponse se fonde sur le présupposé que sa chance va durer.
Ce qui est remarquable, c'est que, si l'on analyse dans les faits une série de scores, il s'avère que les joueurs
ayant marqué plusieurs paniers d'affilée n'ont ni plus ni moins de chance que les autres de marquer les suivants.
Cette étude a donc établi que les gens voient des tendances et des formules récurrentes là où il n'en existe pas.
81
Une argumentation similaire a été appliquée à la finance pour expliquer pourquoi les marchés surréagissent à
plusieurs annonces consécutives de résultats positifs. En réalité, les variations de résultats des entreprises
obéissent à une logique plutôt aléatoire. Malgré tout, les investisseurs assistant à une hausse continue des
résultats trimestriels oublient que cette évolution ne saurait constituer une tendance et extrapolent les bonnes
nouvelles à trop longue échéance. Cet excès d'optimisme induit une surévaluation de la valeur et des effets en
conséquence.
Ce type de réactions biaisées dans le traitement de l'information par l'esprit humain peut également avoir pour
effet une « minimisation » de la portée de nouveaux éléments d'information. « Excès de prudence » ou « excès
d'optimisme », ces comportements se fondent sur le fait que les individus ont tendance à se raccrocher trop
fortement à leurs convictions antérieures et mettent du temps à modifier leur opinion en fonction de nouveaux
éléments d'information. La sous-réaction des marchés ne s'explique pas autrement. Les investisseurs peuvent
avoir leur opinion sur les perspectives d'une société dont ils rechignent à se défaire en cas d'annonce
étonnamment bonne concernant la même société. Même si le cours s'apprécie quelque peu, les investisseurs
restent sceptiques et ne corrigent que progressivement leur opinion dans une juste proportion.
Pour de nombreux spécialistes, le lien entre finance et psychologie semble vraisemblable, même si une frange
non négligeable de théoriciens continue à douter du bien-fondé d'une approche psychologique des marchés. Ces
derniers accusent les tenants de la finance comportementale de partir à la pêche aux faits, passant au crible les
traités de psychologie pour y puiser les arguments susceptibles d'étayer leur démonstration. Les modèles les plus
convaincants à ce jour sont donc ceux qui s'appuient sur le nombre le plus réduit possible d'explications
psychologiques.
Comment interpréter correctement les découvertes présentées ici ? Le débat est loin d'être clos. Les théoriciens
de la finance comportementale cherchent à élaborer des modèles plus fiables et plus convaincants pour
démontrer irréfutablement le lien entre comportement des marchés et psychologie humaine.
Sur un autre front, les tenants de la théorie des marchés efficients cherchent à mieux comprendre la corrélation
risque/rendement dans l'espoir de corroborer définitivement leur thèse.
Ce que l'on peut dire en guise de conclusion, vingt ans après la célèbre affirmation de Michael Jensen, c'est que
la théorie des marchés efficients est loin d'être le pilier inébranlable de la finance. *
NICHOLAS BARBERIS enseigne la finance à la Graduate School of Business de l'université de Chicago. Ses
travaux de recherche portent notamment sur l'allocation d'actifs et l'efficience des marchés.
82