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Mystères et secrets des
champignons
Joël de Vintuit
Oeuvre publiée sous licence Creative Commons byncnd 3.0
En lecture libre sur Atramenta.net
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CHAPITRE I
Quelle créature étonnante que le champignon ! Ce n’est pas une
plante, puisqu’il ne possède pas de chlorophylle, et qu’il ne montre ni
fleurs ni fruits ; ce n’est pas non plus un animal… encore que,
d’après les études scientifiques les plus récentes, les champignons
soient beaucoup plus près des animaux que des plantes.
Tous les animaux, dont l’homme, stockent leur énergie sous forme
de sucre, qui attend dans le foie d’être utilisé – c’est ce que l’on
appelle la fonction glycogène. Quant aux végétaux, qui ont, eux
aussi, besoin de faire des réserves, c’est sous forme d’amidon qu’elle
s’opère. Les champignons, eux, font comme les animaux : ils n’ont
pas de foie, bien sûr, mais c’est dans leurs cellules mêmes que le
glycogène va se stocker. Et c’est ce sucre qui va entrer dans la
composition de la chitine, qui forme leur paroi : un matériau solide et
résistant, que l’on retrouve dans la carapace de nombreux insectes,
comme les scarabées par exemple ; mais la chitine est aussi présente
dans la nacre que fabriquent les moules et les huîtres, ainsi que dans
leur coquille. Quant à la paroi des végétaux, elle est, sans exception,
composée de cellulose…
Les végétaux se nourrissent grâce à la photosynthèse, c’estàdire
qu’ils transforment le dioxyde de carbone présent dans l’air et dans le
sol en sucres. Les champignons, qui sont incapables d’en faire autant,
doivent puiser leur matière organique dans le milieu où ils vivent.
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Les champignons savent dégrader des molécules complexes,
comme celles des corps en décomposition, pour en extraire leur
nourriture ; les végétaux, eux, ne peuvent synthétiser que des
molécules simples.
Il n’empêche que les champignons, même s’ils présentent
certaines caractéristiques du monde animal et du monde végétal,
n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre, car leur mode de reproduction
est vraiment original : c’est pourquoi on les a nommés des
cryptogames, c’estàdire des créatures dont la reproduction est
secrète.
Sous le chapeau des champignons se cachent des lamelles, ou des
tubes. C’est là que vont se fabriquer les spores. Ce sont, en quelque
sorte, les graines qui vont assurer la pérennité de l’espèce. Ces
microscopiques organismes sont d’une incroyable résistance : même
dans les pires conditions, sécheresse persistante ou froid polaire, elles
restent vivantes, et peuvent le demeurer, dormant paisiblement,
pendant plusieurs milliers d’années, jusqu’à ce que des conditions
favorables viennent les réveiller. Emportées par le vent, les spores
d’un champignon peuvent parcourir des centaines de kilomètres,
voire plus, et fructifier très loin du pied qui leur a donné naissance.
Pour favoriser la dissémination de leurs spores, certains champignons
ont imaginé de les stocker dans un sac : lorsque les spores sont
mûres, le sac s’ouvre par le haut, et, en se contractant, expulse tout à
coup un véritable nuage, qui s’envole au moindre souffle. On
n’imagine pas le nombre de spores qui sont ainsi libérées : un seul
lycoperdon géant, par exemple – je crois que c’est le champion toutes
catégories – va, pour assurer sa descendance, expulser cinq mille
milliards de spores, si l’on en croit Wikipédia ! Et notre aimable rosé
des prés, tout de même plus modeste, se contentera, lui, d’en
produire trente mille par seconde. Il est vrai que cet agaric peut
soutenir cet effort pendant quelques jours seulement, et le délicat
coprin chevelu, lui, pendant quelques heures.
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rosé des prés coprin chevelu
Malgré ces quantités vertigineuses, la probabilité qu’une spore
puisse donner naissance à un nouveau champignon reste très faible,
heureusement. Car si chaque spore donnait naissance à un
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champignon, leur poids dépasserait celui de la terre en une seule
journée !
Par miracle, voici qu’une spore vient de rencontrer, à la saison
propice à son développement, le terrain qui lui convient et le degré
de chaleur humide qui lui est nécessaire : elle va alors donner
naissance à une sorte de petit fil blanchâtre, extrêmement mince, le
mycélium primaire. Celuici va aussitôt partir à l’aventure, en
s’allongeant très rapidement. Seulement, nouvelle difficulté : ce
mycélium primaire est stérile. Il ne pourra fructifier qu’après avoir
rencontré le filament provenant d’une autre spore de la même espèce
que lui, mais du sexe opposé, et de leurs noces naîtra ce que l’on
appelle le mycélium secondaire qui, lui, est fertile. On conçoit que la
réunion de toutes ces conditions favorables ne se présente pas
souvent dans la nature…
Ce nouveau mycélium va immédiatement se ramifier, et partir en
exploration dans toutes les directions, à une vitesse proprement
stupéfiante : dans les conditions les plus favorables, il peut parcourir
jusqu’à un kilomètre par jour, et ses ramifications forment un
maillage si serré que l’on a pu calculer que dix centimètres cubes de
terre fertile pouvaient contenir jusqu’à un kilomètre de filaments
mycéliens ! Ce développement incroyable n’est possible que parce
que le mycélium se développe uniquement en longueur, jamais en
épaisseur, afin de permettre la meilleure absorption des nutriments
qui le font vivre.
Dès sa naissance, le mycélium va se mettre à sécréter des
enzymes ; et cellesci sont si concentrées et si actives qu’elles vont
décomposer, sans la moindre difficulté, n’importe quelles matières
organiques, comme le bois par exemple, en cassant leurs molécules,
si résistantes soientelles.
Mais le mycélium a une autre fonction, tout aussi importante :
pour assurer son développement et sa survie même, il va digérer tous
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les éléments carbonés qu’il rencontre sur sa route. Et il ne se contente
pas de les avaler égoïstement : il va en libérer une partie dans
l’atmosphère, sous la forme de dioxyde de carbone, dont les plantes
environnantes vont, à leur tour, se nourrir.
Le mycélium des champignons joue un rôle capital dans le cycle
du carbone ; et il améliore, par sa simple présence, la composition
des sols où il se développe. C’est ainsi que des expériences ont été
menées aux ÉtatsUnis en 1998, consistant à utiliser le mycélium de
différents champignons pour dépolluer des terrains lourdement
contaminés par de l’essence, de l’huile, du pétrole, et même des
plastiques : au bout d’un mois, la terre avait retrouvé sa fertilité, et
des graines, apportées par le vent et les oiseaux, y avaient germées !
Lorsque les conditions les plus favorables sont réunies, c’està
dire lorsque le mycélium a trouvé une riche nourriture qui lui a
permis d’accumuler des réserves, les petits filaments vont fusionner
entre eux, et former un renflement, qui donnera naissance à un
carpophore – ce que nous appelons, nous, un champignon. Avant
qu’il n’émerge du sol, il se présente sous la forme d’une petite tache
blanche, prémices de la future récolte : on dit chez nous que « la terre
fleurit ».
Pour protéger ses organes reproducteurs, le mycélium va recouvrir
ce renflement d’un voile. En grandissant, le chapeau fera éclater ce
parapluie : on le retrouvera, lors du développement complet du
champignon, sous la forme d’un anneau autour du pied, ou de petits
points blancs, comme ceux que l’on peut admirer sur l’amanite tue
mouches, ou encore d’écailles comme celles de la grande
coulemelle ; parfois, ce voile se déchire et reste visible, comme chez
les cortinaires.
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amanite tuemouches coulemelle visiflora cortinaire remarquable
Comme chacun sait, les champignons ne vivent pas vieux – je
parle, bien sûr, uniquement des carpophores. Au bout de quelques
jours, ayant absorbé toute la nourriture disponible, ayant libéré leurs
dernières spores, ils se liquéfient et s’affaissent. Cependant, le
mycélium, lui, reste bien vivant, jusqu’à ce qu’il ait épuisé la totalité
du terrain qui l’héberge. À ce momentlà, après avoir formé un
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disque, il va progressivement se transformer en anneau, puisque la
zone centrale s’est vidée de ses éléments nourriciers ; et cet anneau
va, petit à petit, s’agrandir : dans les conditions les meilleures, si le
sol s’y prête, l’anneau mycélien peut se déplacer de quarante
centimètres par an, pour coloniser une nouvelle bande de terrain :
c’est le phénomène connu sous le nom de ronds de sorcières.
D’après la taille de ces ronds, on peut déduire leur âge : la plupart
sont vieux d’une dizaine d’années, mais les centenaires ne sont pas
rares : le célèbre mycologue Georges Becker en a repéré un, non loin
de Belfort, qui mesure six cents mètres de diamètre. Et les vastes
prairies américaines ont favorisé l’expansion de certains ronds si
prodigieux qu’on ne peut les voir que du ciel. La dernière découverte
remonte à l’an 2000, où l’on a pu observer en Oregon un rond de
sorcières de cinq kilomètres et demi de diamètre, que l’on estime
vieux de 2 400 ans, et qui, toujours actif, continue à se développer
chaque année : ce qui en fait, et de loin, le plus grand organisme
vivant sur notre planète… et le plus lourd : il doit peser quelque six
cents tonnes !
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Quant au changement de couleur de l’herbe, il est dû aux
substances dont le mycélium la nourrit, principalement des nitrates,
et qui favorisent son développement, comme le ferait un engrais. Et
c’est, bien sûr, cette particularité qui a donné naissance à toutes les
légendes qui lui sont associées, et aussi le fait qu’à un certain
moment de l’année, des champignons apparaissent, tous en même
temps, en rond, à la bordure de ces cercles.
Ces phénomènes sont, en effet, bien inquiétants ! Encore de nos
jours, les ronds de sorcières inspirent une crainte superstitieuse, et
nombreuses sont les personnes qui, pour rien au monde, ne
mettraient le pied à l’intérieur : ceuxci ont, depuis toujours, la
réputation de rendre fou l’imprudent qui s’y aventure. Comme
chacun sait, c’est la nuit que les fées viennent y danser – et vous
aurez bien de la chance si elles ne vous obligent pas à les
accompagner, jusqu’à ce que vous vous écrouliez de fatigue ; à
moins que ce ne soient les sorcières qui s’y réunissent, pour préparer
leurs mauvais coups…
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CHAPITRE II
Pour trouver leur nourriture, certains champignons ont besoin de
l’aide d’un arbre ou d’un autre être vivant, avec lequel ils vont
former une association, qui sera bénéfique pour les deux parties : le
champignon reçoit de son voisin les éléments organiques qui lui sont
nécessaires et qu’il va synthétiser ; et, en échange, il fournit à son
hôte non seulement l’eau et les sels minéraux qui lui permettront de
se développer, mais encore une protection efficace contre les
parasites, les insectes et les bactéries pathogènes.
Mais tout de même – je rabâche – quelle créature
invraisemblable ! On reste stupéfait devant l’intelligence, ou
l’instinct, ou appelez ça comme vous voudrez, dont sont capables des
champignons, placés dans une situation qui demande de la réflexion :
le petit laccaria laccata, par exemple, que l’on surnomme joliment
chez nous le bouton de guêtre : Peter Wohlleben, qui publia en 2015
un passionnant livre intitulé La Vie secrète des arbres, nous apprend
que, vivant en symbiose avec un pin, ce champignon doit fournir à
son partenaire une certaine quantité d’azote, qu’il puise dans les
éléments qu’il décompose. Si l’azote vient à manquer, le laccaria va
synthétiser une substance toxique, qui va tuer les petits insectes
présents, dont les cadavres, en se décomposant, vont libérer l’azote
nécessaire à l’arbre et au champignon.
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laccaria bicolor
Un cas assez curieux est celui de l’hébélome radicant : en effet, ce
champignon s’installe sur un lit de feuilles mortes, et tire
verticalement, parfois assez bas, une sonde, avec laquelle il va
pomper le contenu des toilettes de la taupe qui a élu domicile dans le
soussol. Comment faitil pour repérer exactement l’endroit précis
qu’il devra nettoyer ? Mystère ! Toujours estil qu’il ne se trompe
jamais…
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hébélome radicant
Mais d’autres espèces de cryptogames sont beaucoup plus
méchantes, et parasitent des êtres vivants, animaux, végétaux, et
même d’autres champignons, comme le nyctalis porteur d’étoiles, au
nom si poétique, mais qui se révèle un redoutable prédateur pour la
russule noircissante, qu’il finit par détruire…
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nyctalis porteur d’étoiles
Un champignon microscopique, l’Ophiocordyceps Unilateralis, a
trouvé, lui, une méthode particulièrement vicieuse pour disséminer
ses spores : après avoir infesté le corps d’une fourmi, il dévore une
par une toutes les cellules de son organisme, qu’il remplace par les
siennes, en les connectant les unes aux autres pour contrôler tous les
mouvements de son hôte ; en peu de temps – une dizaine de jours –
ce vampire a entièrement colonisé sa victime, dont il a pris la place :
on peut vraiment dire que le champignon est devenu fourmi !
Lorsqu’il est arrivé à ce stade, il monte le long de la tige d’une
plante, et va s’accrocher, avec ses mandibules, sur la face inférieure
d’une feuille, où il se laisse mourir. C’est lorsque la décomposition
commence que les spores mortelles, libérées, s’envolent, pour aller à
la recherche d’une autre fourmi…
Ce charmant petit champignon, qui fréquente surtout les forêts
tropicales, a été découvert en 1859 par un naturaliste anglais, Alfred
Russell Wallace ; mais ce sont des entomologistes de l’université
américaine de Penn State, sous la direction du professeur David
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Hugues qui viennent de se rendre compte que ce parasite s’attaquait
uniquement aux muscles et aux organes de la fourmi, en épargnant
son cerveau, et que c’est lui, et lui seul, qui en coordonne les
mouvements, en agissant directement sur ses fibres musculaires.
Aussi surprenant que cela paraisse, ce champignon sait exactement
ce qu’il doit faire, et il l’exécute. Cette microscopique créature fait
donc preuve de réflexion, de volonté, et montre un sens de
l’organisation sans défaut.
Les chercheurs de Penn State viennent de publier le résultat de
leurs travaux dans le dernier numéro (novembre 2017) de la revue
PNAS (Proceedings for the National Academy of Sciences).
Un autre article, publié par l’entomologiste Charissa de Bekker,
de l’Université de Floride, dans le numéro de novembre 2017 du
PLOS (Public Library of Science), va encore plus loin : son équipe –
qui travaille d’ailleurs main dans la main avec celle du professeur
Hugues – vient de découvrir que ce même champignon possédait
une sorte d’horloge moléculaire, qui lui permet d’activer certains
gènes de la fourmi le jour, et d’autres la nuit ; ce qui implique qu’il
peut contrôler les réactions de son hôte avec un timing parfait.
On peut se demander à quoi peut bien servir ce genre d’études.
Une réponse est en passe d’être publiée par l’Agence Américaine de
Protection Environnementale : cette dernière vient en effet
(décembre 2017) de donner son accord à la société MosquitoMate
pour qu’elle poursuive ses recherches sur la destruction des
moustiques pathogènes : en permettant à un champignon, le
Wolbachia Pipientis, de parasiter les moustiques porteurs du virus de
la dengue, du zika ou de la fièvre jaune, on stérilise leurs œufs !
MosquitoMate envisage de lâcher ces insectes modifiés dès l’été
2018 dans une vingtaine d’États américains, en commençant par le
Kentucky, où la Société a son siège. Des expériences similaires ont
d’ailleurs été testées avec succès en Chine et au Brésil.
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Le bolet parasite, lui, est tout de même plus gentil : s’il vit aux
dépens d’un scléroderme, il ne tue pas son hôte, mais se contente
d’en retarder la sporulation : on a tout de même rencontré une dizaine
de ces petits bolets attaquant simultanément une vessedeloup !
bolet parasite
Quant à la redoutable mérule, c’est un champignon lignicole,
c’estàdire qu’il se développe sur le bois de construction, dont il
dévore la cellulose sans états d’âme, à une vitesse stupéfiante. Sauf à
le noyer dans le phénol, il est pratiquement impossible de contrer cet
envahisseur, dont la présence est devenue un véritable fléau dans
certains pays, par exemple au Québec. Devant l’ampleur des
destructions dues à ce champignon, le gouvernement a décidé, en
février 2018, de « prendre des mesures », ce qui n’a nullement
empêché les maisons de continuer à s’effondrer…
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mérule
Certains champignons microscopiques s’attaquent aussi à
l’homme, et sont responsables de nombreuses maladies : les
mycoses. Qu’il s’agisse de candidose, du « pied d’athlète »,
d’infection des ongles, de la langue ou de la zone vaginale, c’est
toujours l’un de ces odieux parasites qui en est la cause ! Et il est tout
à fait surprenant de constater que ces champignons ne vont pas
s’implanter au hasard sur n’importe quelle partie du corps. En
général, les mycoses se développent à la suite d’un deuil, et les
psychologues ont observé que la partie de l’organisme qui était
parasitée correspondait à un type de stress particulier : en fait, tout se
passe comme si le champignon avait conscience du genre de
difficulté dont souffre la personne, et allait s’installer précisément sur
l’organe correspondant. S’inspirant des travaux d’Annick de
Souzenelle sur le symbolisme du corps humain, le docteur Christian
Flèche a pu, grâce à de multiples observations, classer ces troubles :
il a créé ce qu’il appelle le biodécodage, ou décodage biologique des
maladies. C’est ainsi que, pour lui, la mycose des pieds montre que le
sujet est empêtré dans une situation dont il ne peut pas se libérer ; ou
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encore qu’il s’agit d’une personne qui refuse d’aller de l’avant, qui se
replie sur soi, ou qui n’accepte pas le départ de quelqu’un. La
mycose des ongles indique un sentiment d’abandon, de
vulnérabilité ; et la mycose vaginale, elle, montre la difficulté à sortir
d’une relation sentimentale : elle souligne la frustration, dans tous les
domaines… Symboliquement, la mycose renvoie donc à un deuil,
réel ou supposé, qui n’a pas encore été assumé.
Mais comment diable le champignon devinetil l’état
psychologique de sa victime ?
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CHAPITRE III
Les champignons n’ont pas attendu le XXIe siècle pour modifier le
cours de l’Histoire, aidés dans certains cas, il faut le dire, par la main
de l’homme, ou de la femme : c’est Agrippine qui, en l’an 54, servit
à son époux, l’empereur Claude, un délicieux plat d’oronges,
l’amanite des Césars, qu’elle avait assaisonné d’un jus d’amanites
phalloïdes. Puis, l’année suivante, c’est le jeune Britannicus qui subit
le même sort. Néron pouvait régner tranquille…
Un autre empoisonnement assez réussi eut lieu en 1534 : la
victime en fut le Pape Clément VII, qui adorait les champignons. Il
avait même promulgué un décret en interdisant la cueillette autour de
son palais, afin de les réserver à son seul usage. Hélas, il aurait dû
savoir que la gourmandise est un vilain défaut…
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Un autre champignon changea la destinée d’un pays : le claviceps
purpurea, plus connu sous le nom d’ergot du seigle. Son ingestion
provoque une brutale contraction des vaisseaux sanguins, mortelle
dans la plupart des cas. C’est ce qui se passa en 1722 en Russie : le
tsar Pierre le Grand était parti, avec toutes ses troupes, à la conquête
des ports turcs de la Mer Noire. Malheureusement, ses soldats
avaient fabriqué et consommé du pain de seigle, qui était infesté par
ce redoutable parasite : le tsar en réchappa par miracle, grâce à sa
forte constitution, mais toute son armée périt misérablement sur les
bords de la Volga.
Le 21 octobre 1805, la flotte francoespagnole de l’amiral
Villeneuve fut détruite, devant le port de Trafalgar, par celle de
Nelson. Mais ce que les Français ne savaient pas, c’est que tous les
bateaux ennemis étaient contaminés par la mérule, et que, si la
bataille avait eu lieu quelques semaines plus tard… eh bien, il n’y
aurait pas eu de bataille du tout, la mérule ayant tout dévoré !
L’amiral Nelson luimême avait écrit à l’Amirauté britannique, lors
du siège de Toulon : « Ma flotte est formidable sur le papier, mais en
fait c’est une crazy fleet. Je n’ai que trois bateaux en état de prendre
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la mer : Victory, Belliste, Donegal. Les autres sont des ruines
flottantes. »
C’est un fait que le Formidable, un magnifique vaisseau de cent
dix canons, envahi par la mérule, tomba en poussière un mois et demi
après son lancement !
Mais il fallut presque soixante ans pour que l’on découvre
comment préserver la Marine anglaise de ce fléau : tout simplement
en munissant les navires d’une coque métallique.
Un autre champignon microscopique fit d’énormes dégâts au XIXe
siècle : le mildiou. Ce parasite infeste principalement les pieds de
tomates et de pommes de terre. Il prolifère surtout lorsque le
printemps est humide, comme ce fut le cas en Irlande en 1845. Cette
annéelà, toute la récolte de pommes de terre fut perdue, condamnant
à la famine plus d’un million de personnes. Mourant de faim, les
malheureux Irlandais n’eurent d’autre ressource que de s’expatrier, et
émigrèrent en masse vers les ÉtatsUnis d’Amérique. Parmi eux se
trouvait une famille, qui réussit assez bien dans le Nouveau Monde :
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les Kennedy. Il n’est pas faux de dire que l’élection de J.F.K. à la
Présidence fut, à l’origine, due à un champignon !
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CHAPITRE IV
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planète, ainsi qu’à ses nombreux prédateurs, et conquis les territoires
les plus hostiles…
Depuis quelques années, un groupe de chercheurs du CNRS,
conjointement avec leurs collègues américains, étudient un
champignon absolument stupéfiant, le physarum polycephalum,
qu’ils ont affectueusement baptisé « le blob » : il s’agit d’un
myxomycète, c’estàdire d’un organisme gélatineux, composé d’une
seule cellule, à l’intérieur de laquelle nagent plusieurs noyaux. Cette
chose bizarre, d’un aspect peu ragoûtant, a besoin, pour se
développer, d’une très forte hygrométrie : si l’humidité vient à
manquer, le blob se contracte, et va se réfugier dans le moindre trou,
en attendant que la pluie revienne. Car ce champignon est capable de
se déplacer tout seul ! Ses capacités sont d’autant plus surprenantes
qu’il ne possède ni cerveau ni système nerveux : mais il est doué,
incontestablement, d’une forme d’intelligence. Le blob, en effet, est
capable d’emmagasiner des informations et, non seulement de s’en
souvenir, mais encore de les transmettre à d’autres champignons,
avec lesquels il entre en contact. Cet échange se fait par le moyen
d’une sorte de câble, émis par celui qui possède l’information qu’il
veut faire passer, à l’autre – un fil télégraphique, en somme…
Placé devant plusieurs sources de nourriture différentes, ce
champignon va directement à celle qui est le mieux adaptée à l’état
de son métabolisme, et ne se trompe jamais quand on les déplace ;
bien qu’il soit doué d’une invraisemblable gloutonnerie, il ne choisit
jamais que les aliments qui conviennent le mieux à sa santé.
Ce champignon a une passion pour les flocons d’avoine ; et des
chercheurs japonais ont eu l’idée d’utiliser sa gourmandise pour le
mettre à l’épreuve : ayant placé un petit tas de Quaker Oats à l’entrée
et à la sortie d’un labyrinthe assez compliqué, ils ont vu le blob,
après avoir ingéré le premier tas, recouvrir toute la surface du
labyrinthe, puis se retirer, en conservant seulement le chemin le plus
direct pour aller se restaurer à l’autre extrémité.
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Forts de cette constatation, les savants japonais compliquèrent le
jeu : prenant une carte en relief de leur pays, ils déposèrent des
flocons d’avoine à l’emplacement de chacune des principales villes
du Japon. Sachant que le champignon n’aimait pas la lumière, ils
éclairèrent fortement les principaux reliefs sur la carte, et lâchèrent le
blob au milieu : celuici créa, en vingtsix heures, un réseau de
communication entre les différents points aussi parfait que celui des
voies ferrées existant, que l’on avait mis des années à optimiser ; et il
réalisa, en même temps, le maillage léger d’un système de voies
secondaires destiné à pallier à une éventuelle rupture dans les routes
principales.
On a donc pu utiliser les étonnantes propriétés de cette créature
dans différents domaines, tels que l’informatique et la robotique. Et
l’on continue, dans le monde entier, à se demander comment de telles
prouesses sont possibles chez un organisme aussi simple que celui
ci ; car, jusqu’à présent, personne n’y comprend rien… Le chercheur
japonais Nakagaki émet timidement la possibilité que « les résultats
de cette seule cellule sont peutêtre une chance de reconsidérer ce
qu’est l’intelligence »…
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CHAPITRE V
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civilisation est infiniment plus ancienne que la nôtre, aient découvert,
bien avant nous, que le mycélium était pratiquement immortel.
Symbole de vie, le champignon est également lié à la mort : bien
sûr, parce que sa consommation imprudente peut conduire à une
issue fatale ; mais surtout parce qu’il pousse principalement en
automne. C’est la saison où le soleil décroît, un peu plus chaque jour,
et qui annonce déjà la fin de toute activité extérieure. Le champignon
est donc lié, dans notre inconscient, au grand cycle vital de la nature
et au mythe de l’éternel retour. Certains champignons sont d’ailleurs
indispensables à la célébration des rituels chamaniques, où le
célébrant, après en avoir consommé, passe par une mort apparente,
avant de connaître l’extase ; elle lui permet d’entrer en contact avec
le monde invisible des esprits. Ceuxci habitent dans la lune : ce sont
les âmes des morts, qui vont làhaut se réincarner sous la forme d’un
champignon, d’où elles redescendent sur la terre sous la même
forme. Ces cultes sont d’ailleurs extrêmement anciens, antérieurs à
toutes les religions : on en a retrouvé des traces dès l’époque
préhistorique, et il est assez frappant que le chamanisme soit encore
pratiqué dans de nombreuses tribus, surtout dans des pays où
poussent des champignons hallucinogènes, comme l’amanite fausse
oronge et surtout le psilocybe semilancéolé. La Sibérie en est un bon
exemple. On peut raisonnablement penser que les champignons ont
permis l’éveil de la fonction spirituelle chez nos lointains ancêtres.
Pour un ethnbotaniste américain, Jonathan Ott, le personnage du
Père Noël luimême, qui est, comme chacun sait, grand amateur de
champignons hallucinogènes, serait issu du chamanisme sibérien. La
preuve : il vole dans les airs, et les couleurs de sa houppelande sont
les mêmes que celles de l’amanite tuemouches ! Malheureusement
pour ce chercheur inspiré, le Père Noël, venu des lointaines forêts
nordiques, était à l’origine vêtu de vert, ce qui est tout de même plus
logique. C’est en 1931 que la firme CocaCola réalisa
l’extraordinaire support publicitaire que pouvait représenter ce
personnage, et c’est le dessinateur Haddon Sundblom qui habilla le
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bonhomme Noël aux couleurs de la marque.
Bon, restons sérieux et fermons cette parenthèse farfelue !
Dans la tradition chinoise, c’est le cerf qui apporte aux hommes le
champignon de l’immortalité : on croyait qu’il en était le gardien. Ce
champignon, le ganoderme lucide, pousse communément dans nos
forêts, sur des bois en décomposition. En Chine, on l’appelle lingxi
ou reishei.
D’une forme étonnante, il doit sa réputation au fait qu’il est dur
comme du bois, et qu’il ne se décompose pas. C’est, d’autre part, un
excellent médicament, dont les propriétés sont proches de celles du
ginseng : renforçant les défenses immunitaires, il tonifie et protège
l’organisme.
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ganoderme lucide
En Occident, le cerf est un animal noble. Au Moyen Âge, c’était
le gibier royal par excellence, dont le braconnage était puni de mort.
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Dès le IIe siècle, le cerf fut assimilé au Christ luimême, et l’on se
souvient de saint Eustache et saint Hubert découvrant le Christ en
croix entre les bois d’un cerf au cours d’une chasse ; c’est l’un de ces
animaux, diton, qui indiqua au roi Dagobert l’emplacement de la
tombe des saints Denis, Rustique et Eleuthère ; et c’est un cerf qui,
bien souvent, accompagne fidèlement l’ermite qui s’est retiré au
désert, comme saint Gilles.
Comme le champignon, le cerf s’apparente à la force vitale et à la
virilité (bander comme un cerf !) ; il n’est donc pas surprenant de
voir ces deux symboles associés dans de nombreuses traditions.
D’ailleurs, en héraldique, le champignon est, lui aussi, vecteur des
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mêmes qualités : puissance sexuelle et force physique.
cèpes
Une tradition, toujours vivace dans les sauvages montagnes du
Harz, dans le centre de l’Allemagne, consiste, lorsque l’on va
chercher des champignons dans la forêt, à offrir le premier cèpe que
l’on trouvera à l’Esprit de la forêt. Cet Esprit n’est autre que le très
ancien dieu celtique Cernunnos, qui arbore des bois de cerf : on le
reconnaît ici, sculpté sur le célèbre chaudron de Gundestrup, qui date
du Ier siècle av. J.C., et qui est conservé au musée national du
Danemark à Copenhague.
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Il est frappant de constater la présence d’un dieucerf dans les
pays de vastes forêts – et donc de champignons – en Alsace, par
exemple, sculpté sur la miséricorde d’une stalle de la collégiale saint
Thiébault de Thann :
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et, remontant à la Préhistoire, cette mystérieuse gravure de la
grotte des TroisFrères, en Ariège :
Estce une divinité ? Un sorcier ? Un chamane ? Toujours estil
que cette créature fantastique nous ramène à notre passé le plus
ancien, où l’on connaissait déjà les vertus des champignons.
C’est en 1991 que l’on découvrit en Autriche, congelé, un de nos
lointains ancêtres, qui vécut à l’époque néolithique, et qui fut baptisé
Ötzi. Dans la musette qu’il portait, on eut la surprise de trouver deux
morceaux de champignons : l’un, le piptoporus betulinus, un
polypore qui fructifie uniquement sur les troncs des bouleaux morts :
il concentre ainsi les substances anticancéreuses présentes dans
l’écorce de l’arbre ; c’est également un antiinflammatoire puissant,
et il ne fait pas de doute qu’Ötzi l’avait pris avec lui pour voyager,
comme on emporte un médicament dans sa trousse de toilette.
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piptoporus betulinus
Quant à l’autre champignon, c’était un gros morceau
d’amadouvier, un autre polypore.
amadouvier
Dans le sac d’Ötzi se trouvaient également des petits morceaux de
silex, qui prouvent bien que cet amadouvier était utilisé comme
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allumefeu, puisqu’il suffit d’une seule étincelle pour l’enflammer. Je
me souviens, d’ailleurs, avoir possédé dans ma jeunesse un briquet à
amadou, qui fonctionnait parfaitement, (mais comme l’amadou est,
une fois allumé, très difficile à éteindre, c’est ainsi qu’un beau jour
j’ai brûlé la poche de ma veste…).
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CHAPITRE VI
On consomme des champignons depuis la Préhistoire et, depuis
sans doute aussi longtemps, on cherche à les faire pousser, ce qui
n’est pas si facile : il faut en effet respecter la température idéale, le
degré précis d’humidité favorable au développement du mycelium, et
surtout savoir créer le substrat au sein duquel ce dernier va fructifier.
Il est probable que les Égyptiens savaient comment les cultiver :
en effet, on a retrouvé des fresques, datant de 1450 avant notre ère,
sur lesquelles on voit des champignons, alors que l’Égypte n’est pas
franchement le pays où l’on s’attendrait à en faire la cueillette !
La Grèce est également un pays trop chaud et trop sec. Mais les
Grecs de l’Antiquité nous ont laissé leur recette : ils savaient
comment produire des pholiotes, en arrosant les racines d’un figuier
avec un mélange de fumier et de cendres, après les avoir
ensemencées d’un mycelium qu’ils avaient nécessairement importé
de pays plus tempérés.
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pholiotes
Et nous savons que les Romains, eux aussi, étaient très friands de
champignons ; il est probable qu’ils utilisaient les mêmes méthodes
de culture que les Grecs. Ce qui est sûr, c’est que cette technique fut
appliquée d’abord en Toscane, puis en France durant tout le Moyen
Âge, et jusqu’à la Renaissance. Elle fut décrite en 1600 par le célèbre
botaniste Olivier de Serres, dans son Théâtre d’Agriculture et
Mesnage des Champs.
Comme la plupart des grandes découvertes, celleci fut le fruit du
hasard : le champignon dit « de Paris », sans doute le plus consommé
de nos jours, fut cultivé pour la première fois d’une façon purement
accidentelle : en 1651, un producteur de melons des environs de la
capitale arrosa les déchets de sa culture avec l’eau qui avait lavé les
champignons de son dernier repas… et le mycelium, ayant trouvé la
place bonne, s’y installa et fournit une belle récolte quelques
semaines plus tard.
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Cependant, la partie était loin d’être gagnée : car la chaleur de
l’été desséchait les champignons, déjà attaqués par les vers, et la
froidure hivernale empêchait leur pousse ! Ce n’est qu’en 1682 que
le jardinier en chef de Louis XIV, JeanBaptiste de la Quintinie,
réussit à faire pousser des agarics pour la table du Roi. Et le succès
ne vint qu’après de multiples tentatives ; finalement, c’est en arrosant
dès le printemps des petits tas de foin que cet agronome de génie vit
ses efforts récompensés par une abondante récolte, dès l’automne
suivant.
Toutefois, cette culture en plein air était toujours saisonnière, et
soumise aux aléas de la température…
Une fois de plus, ce fut le hasard qui permit de résoudre ce
problème : d’après l’Atlas souterrain de Paris, en 1814, « un
maraîcher de la rue de la Santé, dénommé Chambry, aurait eu l’idée
d’explorer les anciennes carrières situées une dizaine de mètres en
contrebas de ses jardins. Le puits qui servait d’accès aurait laissé
filtrer du crottin de cheval. L’homme fut surpris de découvrir dessus
un superbe essaim de champignons. Il les récolta et abandonna
rapidement ses potagers pour s’investir entièrement dans la
production souterraine du champignon. » Chambry fit rapidement
fortune, et connut la gloire lorsqu’en 1845 le bulletin de la Société
d’horticulture de Paris fit les plus grands éloges de cette nouvelle
forme de culture.
À cette époque, la demande en champignons devint telle que
Chambry dut agrandir considérablement son rayon d’action : il
colonisa toutes les carrières entre le boulevard SaintJacques et
l’hôpital Cochin. Mais cellesci, à leur tour, devinrent trop petites,
car notre maraîcher avait eu nombre d’imitateurs ! Et ceuxci
investirent à leur tour toute la banlieue sud de Paris, en occupant
toutes les carrières abandonnées à Montrouge, Bagneux et Meudon,
dont les puits d’aération leur servirent de porte d’entrée. En voici
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une, qui était encore en pleine exploitation en 1908 :
39
De nos jours, dans les champignonnières industrielles, l’eau est
amenée par un système de tuyauteries, et distribuée automatiquement
en fonction des besoins sans que l’homme ait à s’en occuper. De
même, la ventilation indispensable est, aujourd’hui, entièrement
automatisée.
Quant à la régulation de la température, qui était assurée autrefois
uniquement par la circulation de l’air dans les galeries, elle dépend,
bien sûr, de ventilateurs électriques ; même chose lorsqu’il s’agit de
réchauffer l’atmosphère : on n’utilise plus, depuis longtemps, de
chaudières au bois ou au charbon, qui étaient peu fiables, et dont les
émanations étaient aussi dangereuses pour les cultures que pour
l’homme…
L’opération la plus importante consiste, bien entendu, à préparer
le compost sur lequel les précieux champignons vont pouvoir se
développer. Chaque champignonniste garde jalousement le secret des
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proportions des matières qu’il mélange : ce sont toujours de la paille,
du fumier de cheval, et… quelque chose de plus : des chiffons, du
carton, du plâtre, etc. Et on arrose le tas, que l’on étalait autrefois en
longues buttes, les meules. Le but étant de stériliser le compost, en
laissant la fermentation du fumier monter en température, afin de tuer
les champignons parasites et les agents pathogènes, et permettre le
bon développement des agarics. La chaleur, en quelques jours, atteint
soixante degrés, puis redescend, et l’on pouvait, alors, ensemencer le
compost.
Pour cela, en fin de fermentation, lorsque la meule est
redescendue à vingt ou vingtcinq degrés, on enfonçait, de part en
part, de petits morceaux de mycelium sec, les lardons. Et l’on
maintenait, constant, le degré d’humidité. Le mycelium pouvait alors
se développer, et former rapidement un voile blanchâtre à la surface
de la meule. Pour permettre la production des carpophores, on
recouvrait le tout d’une fine couche de craie broyée, dont le
mycelium allait se nourrir. Cette opération s’appelait le gobetage.
Trente à quarante jours plus tard, on pouvait commencer la cueillette,
travail long, pénible et fastidieux, qui durait six semaines, en trois à
cinq volées ; et puis, une fois le mycelium épuisé, il fallait
entièrement désinfecter la galerie, et installer une nouvelle meule à la
place de l’ancienne.
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De nos jours, ce type de culture n’est plus pratiqué : on se
contente d’entasser le compost dans de grands sacs plastiques, percés
de trous tous les quinze centimètres pour permettre le développement
des touffes de champignons. Il y a une vingtaine d’années, on
pouvait encore acheter, dans une champignonnière de la Sarthe – qui
a disparu depuis – des sacs de compost ensemencé : j’ai longtemps
fait pousser de cette façon, dans mon garage, de magnifiques
bouquets de pleurotes, que j’offrais à mes amis… Aujourd’hui,
suivant le même principe, on peut seulement trouver, dans certaines
jardineries, de petites boîtes de champignons des bois, pour amuser
les enfants.
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CHAPITRE VII
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Le problème, c’est que le mycelium de la morille « dort », et ne
consentira à se réveiller et à fructifier qu’à la suite d’un traumatisme ;
et il aura besoin de beaucoup de sucre, mais pas trop, pour s’en
remettre. Dans la nature, il faudra, le plus souvent, un incendie de
forêt pour qu’apparaissent, l’année suivante, des morilles. Une coupe
claire produit le même effet : en effet, jusquelà, le mycelium se
nourrissait des aliments que l’arbre lui fournissait ; une fois la source
d’approvisionnement disparue, le mycelium, s’il ne veut pas mourir à
son tour, doit impérativement produire un carpophore, qui dispersera,
loin de ce terrain maudit, de nouvelles spores. Ce carpohore, c’est,
tout simplement, une morille.
Pour obtenir ce résultat, différentes méthodes ont été utilisées.
L’une d’elles, pratiquée en Chine depuis des siècles, consiste à
enterrer une pomme au pied d’un arbre, et à répandre dessus les
spores d’une morille. Et puis on blesse l’arbre, comme les bourreaux
chinois savent si bien le faire : en brûlant une partie du tronc, en
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arrachant certaines branches, en en dénudant d’autres… jusqu’à ce
que le malheureux ne soit plus en état de nourrir le mycelium qui lui
est associé. Celuici va donc aller chercher ses sucres dans la pomme,
ou ce qu’il en reste, et va, dans le meilleur des cas, se mettre à
fructifier.
Mais, avec ce système, la production de morilles reste très faible :
en effet, le degré d’hygrométrie doit être calculé avec une précision
telle qu’il est pratiquement impossible de le respecter, à moins de
posséder un équipement extrêmement onéreux…
Cependant un jeune Français, Christophe Perchat, décida en 2009,
de relever le défi : il partit pour le Sichuan acheter un brevet de
technique culturale ; de retour en France, il s’investit totalement,
avec l’appui technique de l’INRA, et, après une période de tests, il
commercialisa la licence via sa société, France Morilles. Les résultats
sont certes encourageants, puisqu’il produit actuellement environ
deux tonnes de morilles sur un hectare. Il faut savoir que la France
est le premier pays consommateur de morilles au monde : environ
cent tonnes de morilles sèches par an sont nécessaires pour satisfaire
les gastronomes de notre pays !
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CHAPITRE VIII
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famille, à Paris, au cours d’un repas : mais chez nous, ce n’est pas un
cèpe que l’on jetait ainsi, mais du sel, lorsqu’on en avait
malencontreusement renversé sur la table : on apaisait ainsi les
esprits malicieux, qui vous auraient, autrement, incité à faire d’autres
bêtises.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est un rite beaucoup plus
important qu’il n’y paraît : le fait de jeter quelque chose derrière soi
vous coupe du passé, en vous orientant vers un avenir que l’on espère
favorable, grâce à la bienveillance de l’entité invisible à qui l’on
offre ce sacrifice ; quant à l’épaule, pardessus laquelle on accomplit
ce geste, c’est, de tout le corps humain, l’articulation la plus mobile,
qui met en relation quatre os différents ; elle représente, sur le plan
symbolique, la volonté d’agir et la capacité de le faire, et la maîtrise
que l’on pense et veut exercer sur son entourage et sur la société. Les
officiers portent des épaulettes pour cette raison.
Quant au côté gauche, il symbolise le monde obscur de la mort : le
mot sinistre ne vientil pas de senestre, qui signifie gauche ?
On voit donc comment, avec ce geste très simple, on se connecte
avec toutes les valeurs symboliques liées au champignon.
S’ils favorisent la croissance des arbres, les cryptogames soignent
aussi les humains : nous avons rencontré plus haut le ganoderme
lucide, le fameux reishi des Chinois, mais ce n’est pas le seul
champignon utile pour la santé, et il existe aujourd’hui une science, à
la fois nouvelle et millénaire : la mycothérapie, ou l’art de se soigner
avec des champignons. Ce sont les lignicoles qui donnent le plus
grand nombre de médicaments : ceux qui poussent sur du bois, dont
ils se nourrissent : ceuxlà ont des propriétés anticancéreuses
reconnues depuis des siècles par les Chinois, les Coréens et les
Japonais ; mais ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que l’Occident
commença à s’y intéresser.
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Tout commença vraiment en 1994, à la suite d’un artiche publié
dans la très sérieuse revue The Lancet par un médecin japonais, le
docteur Hirioaki Nakazato. Celuici y décrivait les stupéfiantes
propriétés anticancéreuses d’un petit polypore assez commun, le
coriolus versicolor.
coriolus versicolor
Réduit en poudre, consommé à la dose de trois grammes par jour,
ce champignon renforce les défenses immunitaires et aide
l’organisme à lutter contre les effets secondaires négatifs de la
chimiothérapie ; il aide à la prolifération des globules macrophages,
c’estàdire ceux qui se nourrissent des cellules contaminées, dont il
stimule également l’activité.
Mais le coriolus n’est pas le seul champignon bénéfique. En fait,
on en connaît aujourd’hui une centaine, que l’on continue à étudier
en laboratoire. Mais, bien que nous n’en soyons qu’à l’aube de cette
nouvelle science (du moins chez nous) on peut déjà citer, comme
stimulants du système immunitaire, le rosé des prés et la girolle ; la
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morille, elle, améliore la fonction rénale ; le lentin du chêne, plus
connu sous le nom de shiitake, qui contient d’impressionnantes
quantités de vitamines et de sels minéraux, et qui est un puissant anti
oxydant ; le cordyceps, le champignon chenille, est un microscopique
parasite de certaines larves. On ne le trouve qu’au Tibet, où il est
utilisé depuis des millénaires pour ses qualités tonifiantes : il
dynamise et protège tout l’organisme, mais plus spécialement le foie
et les reins.
girolles
N’oublions pas non plus que le pénicillium est un champignon,
ainsi que toutes les levures que nous utilisons…
Il est tout de même étonnant que nos thérapeutes aient attendu si
longtemps avant de s’intéresser à une médecine traditionnelle si
efficace. Et il est probable que nos amis les champignons nous
réservent encore bien des surprises…
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CHAPITRE IX
Il est impossible, dans le cadre de ce petit travail, de répertorier
tout ce que nous savons sur les levures. Car nous leur devons, entre
autres, le pain et toutes les boissons alcoolisées ; et l’homme connaît
et utilise le levain, qui donne vie à la pâte à pain, depuis des temps
immémoriaux.
Dans le monde troublé et déshumanisé qui est le nôtre, il est
normal que des personnes, de plus en plus nombreuses, se tournent
vers le passé, et cherchent, dans tous les domaines, à retrouver les
techniques ancestrales et les gestes d’antan : c’est ainsi que l’on peut
expliquer le succès grandissant des machines à pain, qui permettent
de fabriquer chez soi cet aliment primordial, malgré le fait que ces
engins soient entièrement automatisés ; et nombreux sont aussi ceux
qui, pour les mêmes raisons, font leur propre levain.
Sa fabrication est pratiquée depuis des temps immémoriaux. Le
levain, qui permet la fermentation de la pâte à pain, est une matière
vivante, un champignon auquel on ajoute différents éléments, et que
l’on doit nourrir régulièrement sous peine de le perdre. Vous en
trouverez une dizaine de recettes sur le site www.cfaitmaison.com, et
leur point commun est le soin qu’il faut apporter à son levain une fois
qu’on l’a préparé. Je me souviens d’ailleurs d’une de nos amies qui
avait emporté le sien sur le bateau de croisière qui emmenait toute la
famille découvrir les fjords norvégiens, et qui le nourrissait à bord
tous les deux jours !
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Il est bien étonnant de constater la mauvaise réputation qui
poursuit notre innocent levain dans la Bible, aussi bien dans l’Ancien
Testament que dans le Nouveau : « Pendant sept jours, tu mangeras
des pains sans levain ; et le septième jour, il y aura une fête en
l’honneur de l’Éternel. On mangera des pains sans levain pendant les
sept jours ; on ne verra point chez toi de pain levé, et l’on ne verra
point chez toi de levain, dans toute l’étendue de ton pays… » (Exode
XIII, versets 3 à 10).
C’estàdire que les Juifs pratiquants doivent faire disparaître de
chez eux toute trace de levain : je me souviens d’un rabbin parisien
qui demandait à ses enfants de racler toutes les lames de parquet avec
une vieille lame de couteau, pour en extirper la moindre miette de ce
produit honni !
C’est que le levain représente le péché, qui agit invisiblement de
l’intérieur, et qui finit par prendre toute la place. Et dans le Nouveau
Testament, il est le symbole de l’hypocrisie : Jésus ordonne à ses
disciples « de se garder du levain des Pharisiens », qui sont gonflés
d’euxmêmes et ignorent les besoins des autres.
J’ai relevé sur Internet pas moins de soixantesix références
bibliques interdisant l’usage du levain, sous peine de se voir
retranché de la communauté d’Israël !
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CHAPITRE X
52
cortinaire montagnard
Et, encore pire, la gyromitre comestible (gyromitra esculenta) :
comestible, elle ne le reste pas longtemps : cette espèce de grosse
morille vous tuera à coup sûr, non pas la première fois que vous la
consommerez, mais la seconde !
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Bon appétit, tout de même !
Réalisation : Catherine Allex, mars 2018
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FIN
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