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Mystères et secrets des
champignons

Joël de Vintuit

Oeuvre publiée sous licence Creative Commons by­nc­nd 3.0

En lecture libre sur Atramenta.net

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CHAPITRE I

Quelle créature étonnante que le champignon ! Ce n’est pas une
plante, puisqu’il ne possède pas de chlorophylle, et qu’il ne montre ni
fleurs   ni   fruits ;   ce   n’est   pas   non   plus   un   animal…   encore   que,
d’après les études scientifiques  les plus récentes, les champignons
soient beaucoup plus près des animaux que des plantes.
 
Tous les animaux, dont l’homme, stockent leur énergie sous forme
de sucre, qui attend dans le foie d’être utilisé – c’est ce que l’on
appelle   la   fonction   glycogène.   Quant   aux   végétaux,   qui   ont,   eux
aussi, besoin de faire des réserves, c’est sous forme d’amidon qu’elle
s’opère. Les champignons, eux, font comme les animaux : ils n’ont
pas de foie, bien sûr, mais c’est dans leurs cellules mêmes que le
glycogène   va   se   stocker.   Et   c’est   ce   sucre   qui   va   entrer   dans   la
composition de la chitine, qui forme leur paroi : un matériau solide et
résistant, que l’on retrouve dans la carapace de nombreux insectes,
comme les scarabées par exemple ; mais la chitine est aussi présente
dans la nacre que fabriquent les moules et les huîtres, ainsi que dans
leur coquille. Quant à la paroi des végétaux, elle est, sans exception,
composée de cellulose…
 
Les végétaux se nourrissent grâce à la photosynthèse, c’est­à­dire
qu’ils transforment le dioxyde de carbone présent dans l’air et dans le
sol en sucres. Les champignons, qui sont incapables d’en faire autant,
doivent puiser leur matière organique dans le milieu où ils vivent.
 

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Les   champignons   savent   dégrader   des   molécules   complexes,
comme   celles   des   corps   en   décomposition,   pour   en   extraire   leur
nourriture ;   les   végétaux,   eux,   ne   peuvent   synthétiser   que   des
molécules simples.
 
Il   n’empêche   que   les   champignons,   même   s’ils   présentent
certaines   caractéristiques   du   monde   animal   et   du   monde   végétal,
n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre, car leur mode de reproduction
est   vraiment   original :   c’est   pourquoi   on   les   a   nommés   des
cryptogames,   c’est­à­dire   des   créatures   dont   la   reproduction   est
secrète.
 
Sous le chapeau des champignons se cachent des lamelles, ou des
tubes. C’est là que vont se fabriquer les spores. Ce sont, en quelque
sorte,   les   graines   qui   vont   assurer   la   pérennité   de   l’espèce.   Ces
microscopiques organismes sont d’une incroyable résistance : même
dans les pires conditions, sécheresse persistante ou froid polaire, elles
restent   vivantes,   et   peuvent   le   demeurer,   dormant   paisiblement,
pendant plusieurs milliers d’années, jusqu’à ce que des conditions
favorables viennent les réveiller. Emportées par le vent, les spores
d’un   champignon   peuvent   parcourir   des   centaines   de   kilomètres,
voire plus, et fructifier très loin du pied qui leur a donné naissance.
Pour favoriser la dissémination de leurs spores, certains champignons
ont   imaginé   de   les   stocker   dans   un   sac :   lorsque   les   spores   sont
mûres, le sac s’ouvre par le haut, et, en se contractant, expulse tout à
coup   un   véritable   nuage,   qui   s’envole   au   moindre   souffle.   On
n’imagine pas le nombre de spores qui sont ainsi libérées : un seul
lycoperdon géant, par exemple – je crois que c’est le champion toutes
catégories   –   va,  pour   assurer   sa   descendance,   expulser   cinq   mille
milliards de spores, si l’on en croit Wikipédia ! Et notre aimable rosé
des   prés,   tout   de   même   plus   modeste,   se   contentera,   lui,   d’en
produire   trente   mille   par   seconde.   Il   est   vrai   que   cet   agaric   peut
soutenir   cet   effort  pendant  quelques   jours   seulement,  et   le  délicat
coprin chevelu, lui, pendant quelques heures.
 

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rosé des prés coprin chevelu
 
Malgré   ces   quantités   vertigineuses,   la   probabilité   qu’une   spore
puisse donner naissance à un nouveau champignon reste très faible,
heureusement.   Car   si   chaque   spore   donnait   naissance   à   un

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champignon,   leur   poids   dépasserait   celui   de  la   terre   en   une  seule
journée !

Par miracle, voici qu’une spore vient de rencontrer,  à la saison
propice à son développement, le terrain qui lui convient et le degré
de   chaleur   humide   qui   lui   est   nécessaire :   elle   va   alors   donner
naissance à une sorte de petit fil blanchâtre, extrêmement mince, le
mycélium   primaire.   Celui­ci   va   aussitôt   partir   à   l’aventure,   en
s’allongeant   très   rapidement.   Seulement,   nouvelle   difficulté :   ce
mycélium primaire est stérile. Il ne pourra fructifier qu’après avoir
rencontré le filament provenant d’une autre spore de la même espèce
que lui, mais du sexe opposé, et de leurs noces naîtra ce que l’on
appelle le mycélium secondaire qui, lui, est fertile. On conçoit que la
réunion   de   toutes   ces   conditions   favorables   ne   se   présente   pas
souvent dans la nature…
 
Ce nouveau mycélium va immédiatement se ramifier, et partir en
exploration   dans   toutes   les   directions,   à   une   vitesse   proprement
stupéfiante : dans les conditions les plus favorables, il peut parcourir
jusqu’à   un   kilomètre   par   jour,   et   ses   ramifications   forment   un
maillage si serré que l’on a pu calculer que dix centimètres cubes de
terre   fertile   pouvaient   contenir   jusqu’à   un   kilomètre   de   filaments
mycéliens ! Ce développement incroyable n’est possible que parce
que le mycélium se développe uniquement en longueur, jamais en
épaisseur, afin de permettre la meilleure absorption des nutriments
qui le font vivre.
 
Dès   sa   naissance,   le   mycélium   va   se   mettre   à   sécréter   des
enzymes ; et celles­ci sont si concentrées et si actives qu’elles vont
décomposer, sans la moindre difficulté, n’importe quelles matières
organiques, comme le bois par exemple, en cassant leurs molécules,
si résistantes soient­elles.
 
Mais  le  mycélium  a une  autre  fonction,  tout  aussi importante :
pour assurer son développement et sa survie même, il va digérer tous

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les éléments carbonés qu’il rencontre sur sa route. Et il ne se contente
pas   de   les   avaler   égoïstement :   il   va   en   libérer   une   partie   dans
l’atmosphère, sous la forme de dioxyde de carbone, dont les plantes
environnantes vont, à leur tour, se nourrir.
 
Le mycélium des champignons joue un rôle capital dans le cycle
du carbone ; et il améliore, par sa simple présence, la composition
des sols où il se développe. C’est ainsi que des expériences ont été
menées aux États­Unis en 1998, consistant à utiliser le mycélium de
différents   champignons   pour   dépolluer   des   terrains   lourdement
contaminés   par   de   l’essence,   de   l’huile,   du   pétrole,   et   même   des
plastiques : au bout d’un mois, la terre avait retrouvé sa fertilité, et
des graines, apportées par le vent et les oiseaux, y avaient germées !
 
Lorsque les conditions les plus favorables sont réunies, c’est­à­
dire   lorsque   le   mycélium   a   trouvé   une   riche   nourriture   qui   lui   a
permis d’accumuler des réserves, les petits filaments vont fusionner
entre   eux,   et   former   un   renflement,   qui   donnera   naissance   à   un
carpophore – ce  que nous  appelons, nous, un champignon.  Avant
qu’il n’émerge du sol, il se présente sous la forme d’une petite tache
blanche, prémices de la future récolte : on dit chez nous que « la terre
fleurit ».
 
Pour protéger ses organes reproducteurs, le mycélium va recouvrir
ce renflement d’un voile. En grandissant, le chapeau fera éclater ce
parapluie :   on   le   retrouvera,   lors   du   développement   complet   du
champignon, sous la forme d’un anneau autour du pied, ou de petits
points blancs, comme ceux que l’on peut admirer sur l’amanite tue­
mouches,   ou   encore   d’écailles   comme   celles   de   la   grande
coulemelle ; parfois, ce voile se déchire et reste visible, comme chez
les cortinaires.
 

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amanite tue­mouches coulemelle visiflora cortinaire remarquable
 
Comme chacun sait, les champignons ne vivent pas vieux – je
parle, bien sûr, uniquement des carpophores. Au bout de quelques
jours, ayant absorbé toute la nourriture disponible, ayant libéré leurs
dernières   spores,   ils   se   liquéfient   et   s’affaissent.   Cependant,   le
mycélium, lui, reste bien vivant, jusqu’à ce qu’il ait épuisé la totalité
du   terrain   qui   l’héberge.   À   ce   moment­là,   après   avoir   formé   un

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disque, il va progressivement se transformer en anneau, puisque la
zone centrale s’est vidée de ses éléments nourriciers ; et cet anneau
va, petit à petit, s’agrandir : dans les conditions les meilleures, si le
sol   s’y   prête,   l’anneau   mycélien   peut   se   déplacer   de   quarante
centimètres par an, pour coloniser une nouvelle bande de terrain :
c’est le phénomène connu sous le nom de ronds de sorcières.
 

D’après la taille de ces ronds, on peut déduire leur âge : la plupart
sont vieux d’une dizaine d’années, mais les centenaires ne sont pas
rares : le célèbre mycologue Georges Becker en a repéré un, non loin
de Belfort, qui mesure six cents mètres de diamètre. Et les vastes
prairies   américaines   ont   favorisé   l’expansion   de   certains   ronds   si
prodigieux qu’on ne peut les voir que du ciel. La dernière découverte
remonte à l’an 2000, où l’on a pu observer en Oregon un rond de
sorcières de cinq kilomètres et demi de diamètre, que l’on estime
vieux de 2 400 ans, et qui, toujours actif, continue à se développer
chaque année : ce qui en fait, et de loin, le plus grand organisme
vivant sur notre planète… et le plus lourd : il doit peser quelque six
cents tonnes !
 

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Quant   au   changement   de   couleur   de   l’herbe,   il   est   dû   aux
substances dont le mycélium la nourrit, principalement des nitrates,
et qui favorisent son développement, comme le ferait un engrais. Et
c’est, bien sûr, cette particularité qui a donné naissance à toutes les
légendes   qui   lui   sont   associées,   et   aussi   le   fait   qu’à   un   certain
moment de l’année, des champignons  apparaissent, tous en même
temps, en rond, à la bordure de ces cercles.
 

 
Ces phénomènes sont, en effet, bien inquiétants ! Encore de nos
jours, les ronds de sorcières inspirent une crainte superstitieuse, et
nombreuses   sont   les   personnes   qui,   pour   rien   au   monde,   ne
mettraient   le   pied   à   l’intérieur :   ceux­ci   ont,   depuis   toujours,   la
réputation   de   rendre   fou   l’imprudent   qui   s’y   aventure.   Comme
chacun sait, c’est la nuit que les fées viennent y danser – et vous
aurez   bien   de   la   chance   si   elles   ne   vous   obligent   pas   à   les
accompagner,   jusqu’à   ce   que   vous   vous   écrouliez   de   fatigue ;   à
moins que ce ne soient les sorcières qui s’y réunissent, pour préparer
leurs mauvais coups…

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CHAPITRE II

Pour trouver leur nourriture, certains champignons ont besoin de
l’aide   d’un   arbre   ou   d’un   autre   être   vivant,   avec   lequel   ils   vont
former une association, qui sera bénéfique pour les deux parties : le
champignon reçoit de son voisin les éléments organiques qui lui sont
nécessaires et qu’il va synthétiser ; et, en échange, il fournit à son
hôte non seulement l’eau et les sels minéraux qui lui permettront de
se   développer,   mais   encore   une   protection   efficace   contre   les
parasites, les insectes et les bactéries pathogènes.
 
Mais   tout   de   même   –   je   rabâche   –   quelle   créature
invraisemblable !   On   reste   stupéfait   devant   l’intelligence,   ou
l’instinct, ou appelez ça comme vous voudrez, dont sont capables des
champignons, placés dans une situation qui demande de la réflexion :
le petit laccaria laccata, par exemple, que l’on surnomme joliment
chez nous le bouton de guêtre : Peter Wohlleben, qui publia en 2015
un passionnant livre intitulé La Vie secrète des arbres, nous apprend
que, vivant en symbiose avec un pin, ce champignon doit fournir à
son   partenaire   une   certaine   quantité   d’azote,   qu’il   puise   dans   les
éléments qu’il décompose. Si l’azote vient à manquer, le laccaria va
synthétiser   une   substance   toxique,   qui   va   tuer   les   petits   insectes
présents, dont les cadavres, en se décomposant, vont libérer l’azote
nécessaire à l’arbre et au champignon.
 

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laccaria bicolor
 
Un cas assez curieux est celui de l’hébélome radicant : en effet, ce
champignon   s’installe   sur   un   lit   de   feuilles   mortes,   et   tire
verticalement,   parfois   assez   bas,   une   sonde,   avec   laquelle   il   va
pomper le contenu des toilettes de la taupe qui a élu domicile dans le
sous­sol. Comment fait­il pour repérer exactement l’endroit précis
qu’il devra nettoyer ? Mystère ! Toujours est­il qu’il ne se trompe
jamais…
 

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hébélome radicant
 
Mais   d’autres   espèces   de   cryptogames   sont   beaucoup   plus
méchantes,   et   parasitent   des   êtres   vivants,   animaux,   végétaux,   et
même d’autres champignons, comme le nyctalis porteur d’étoiles, au
nom si poétique, mais qui se révèle un redoutable prédateur pour la
russule noircissante, qu’il finit par détruire…
 

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nyctalis porteur d’étoiles
 
Un champignon microscopique, l’Ophiocordyceps Unilateralis, a
trouvé, lui, une méthode particulièrement vicieuse pour disséminer
ses spores : après avoir infesté le corps d’une fourmi, il dévore une
par une toutes les cellules de son organisme, qu’il remplace par les
siennes, en les connectant les unes aux autres pour contrôler tous les
mouvements de son hôte ; en peu de temps – une dizaine de jours –
ce vampire a entièrement colonisé sa victime, dont il a pris la place :
on   peut   vraiment   dire   que   le   champignon   est   devenu   fourmi !
Lorsqu’il   est   arrivé   à   ce   stade,   il   monte   le   long   de   la   tige   d’une
plante, et va s’accrocher, avec ses mandibules, sur la face inférieure
d’une feuille, où il se laisse mourir. C’est lorsque la décomposition
commence que les spores mortelles, libérées, s’envolent, pour aller à
la recherche d’une autre fourmi…
 
Ce  charmant  petit   champignon,   qui  fréquente  surtout   les   forêts
tropicales, a été découvert en 1859 par un naturaliste anglais, Alfred
Russell   Wallace ;   mais   ce   sont   des   entomologistes   de   l’université
américaine   de   Penn   State,   sous   la   direction   du   professeur   David

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Hugues qui viennent de se rendre compte que ce parasite s’attaquait
uniquement aux muscles et aux organes de la fourmi, en épargnant
son   cerveau,   et   que   c’est   lui,   et   lui   seul,   qui   en   coordonne   les
mouvements,   en   agissant   directement   sur   ses   fibres   musculaires.
Aussi surprenant que cela paraisse, ce champignon sait exactement
ce qu’il doit faire, et il l’exécute. Cette microscopique créature fait
donc   preuve   de   réflexion,   de   volonté,   et   montre   un   sens   de
l’organisation sans défaut.
 
Les chercheurs de Penn State viennent de publier le résultat de
leurs travaux dans le dernier numéro (novembre 2017) de la revue
PNAS (Proceedings for the National Academy of Sciences).
 
Un autre article, publié par l’entomologiste Charissa de Bekker,
de   l’Université   de   Floride,   dans   le   numéro   de   novembre 2017   du
PLOS (Public Library of Science), va encore plus loin : son équipe –
qui travaille d’ailleurs main dans la main avec celle du professeur
Hugues ­– vient de découvrir que ce même champignon possédait
une   sorte   d’horloge   moléculaire,   qui   lui   permet   d’activer   certains
gènes de la fourmi le jour, et d’autres la nuit ; ce qui implique qu’il
peut contrôler les réactions de son hôte avec un timing parfait.
 
On peut se demander à quoi peut bien servir ce genre d’études.
Une réponse est en passe d’être publiée par l’Agence Américaine de
Protection   Environnementale :   cette   dernière   vient   en   effet
(décembre 2017) de donner son accord à la société MosquitoMate
pour   qu’elle   poursuive   ses   recherches   sur   la   destruction   des
moustiques   pathogènes :   en   permettant   à   un   champignon,   le
Wolbachia Pipientis, de parasiter les moustiques porteurs du virus de
la dengue, du zika ou de la fièvre jaune, on stérilise leurs  œufs !
MosquitoMate   envisage   de   lâcher   ces   insectes   modifiés   dès   l’été
2018 dans une vingtaine d’États américains, en commençant par le
Kentucky, où la Société a son siège. Des expériences similaires ont
d’ailleurs été testées avec succès en Chine et au Brésil.
 

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Le bolet parasite, lui, est tout de même plus gentil : s’il vit aux
dépens d’un scléroderme, il ne tue pas son hôte, mais se contente
d’en retarder la sporulation : on a tout de même rencontré une dizaine
de ces petits bolets attaquant simultanément une vesse­de­loup !

bolet parasite
 
Quant   à   la   redoutable   mérule,   c’est   un   champignon   lignicole,
c’est­à­dire qu’il se développe sur le bois de construction, dont il
dévore la cellulose sans états d’âme, à une vitesse stupéfiante. Sauf à
le noyer dans le phénol, il est pratiquement impossible de contrer cet
envahisseur,   dont  la   présence  est   devenue  un  véritable  fléau   dans
certains   pays,   par   exemple   au   Québec.   Devant   l’ampleur   des
destructions  dues  à ce champignon, le gouvernement a décidé, en
février 2018,   de   « prendre   des   mesures »,   ce   qui   n’a   nullement
empêché les maisons de continuer à s’effondrer…
 

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mérule
 
Certains   champignons   microscopiques   s’attaquent   aussi   à
l’homme,   et   sont   responsables   de   nombreuses   maladies :   les
mycoses.   Qu’il   s’agisse   de   candidose,   du   « pied   d’athlète »,
d’infection des ongles, de la langue ou de la zone vaginale, c’est
toujours l’un de ces odieux parasites qui en est la cause ! Et il est tout
à   fait   surprenant   de   constater   que   ces   champignons   ne   vont   pas
s’implanter   au   hasard   sur   n’importe   quelle   partie   du   corps.   En
général,   les   mycoses   se   développent   à   la   suite   d’un   deuil,   et   les
psychologues   ont   observé   que   la   partie   de   l’organisme   qui   était
parasitée correspondait à un type de stress particulier : en fait, tout se
passe   comme   si   le   champignon   avait   conscience   du   genre   de
difficulté dont souffre la personne, et allait s’installer précisément sur
l’organe   correspondant.   S’inspirant   des   travaux   d’Annick   de
Souzenelle sur le symbolisme du corps humain, le docteur Christian
Flèche a pu, grâce à de multiples observations, classer ces troubles :
il a créé ce qu’il appelle le biodécodage, ou décodage biologique des
maladies. C’est ainsi que, pour lui, la mycose des pieds montre que le
sujet est empêtré dans une situation dont il ne peut pas se libérer ; ou

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encore qu’il s’agit d’une personne qui refuse d’aller de l’avant, qui se
replie   sur   soi,   ou   qui   n’accepte   pas   le   départ   de   quelqu’un.   La
mycose   des   ongles   indique   un   sentiment   d’abandon,   de
vulnérabilité ; et la mycose vaginale, elle, montre la difficulté à sortir
d’une relation sentimentale : elle souligne la frustration, dans tous les
domaines… Symboliquement, la mycose renvoie donc  à un deuil,
réel ou supposé, qui n’a pas encore été assumé.
 
Mais   comment   diable   le   champignon   devine­t­il   l’état
psychologique de sa victime ?

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CHAPITRE III

Les champignons n’ont pas attendu le XXIe siècle pour modifier le
cours de l’Histoire, aidés dans certains cas, il faut le dire, par la main
de l’homme, ou de la femme : c’est Agrippine qui, en l’an 54, servit
à   son   époux,   l’empereur   Claude,   un   délicieux   plat   d’oronges,
l’amanite des Césars, qu’elle avait assaisonné d’un jus d’amanites
phalloïdes. Puis, l’année suivante, c’est le jeune Britannicus qui subit
le même sort. Néron pouvait régner tranquille…
 
Un   autre   empoisonnement   assez   réussi   eut   lieu   en   1534 :   la
victime en fut le Pape Clément VII, qui adorait les champignons. Il
avait même promulgué un décret en interdisant la cueillette autour de
son palais, afin de les réserver à son seul usage. Hélas, il aurait dû
savoir que la gourmandise est un vilain défaut…

19
 
Un autre champignon changea la destinée d’un pays : le claviceps
purpurea, plus connu sous le nom d’ergot du seigle. Son ingestion
provoque une brutale contraction des vaisseaux sanguins, mortelle
dans la plupart des cas. C’est ce qui se passa en 1722 en Russie : le
tsar Pierre le Grand était parti, avec toutes ses troupes, à la conquête
des   ports   turcs   de   la   Mer   Noire.   Malheureusement,   ses   soldats
avaient fabriqué et consommé du pain de seigle, qui était infesté par
ce redoutable parasite : le tsar en réchappa par miracle, grâce à sa
forte constitution, mais toute son armée périt misérablement sur les
bords de la Volga.
 
Le   21   octobre   1805,   la   flotte   franco­espagnole   de   l’amiral
Villeneuve   fut   détruite,   devant   le   port   de   Trafalgar,   par   celle   de
Nelson. Mais ce que les Français ne savaient pas, c’est que tous les
bateaux   ennemis   étaient   contaminés   par   la   mérule,   et   que,   si   la
bataille avait eu lieu quelques semaines plus tard… eh bien, il n’y
aurait   pas   eu   de   bataille   du   tout,   la   mérule   ayant   tout   dévoré !
L’amiral Nelson lui­même avait écrit à l’Amirauté britannique, lors
du siège de Toulon : « Ma flotte est formidable sur le papier, mais en
fait c’est une crazy fleet. Je n’ai que trois bateaux en état de prendre

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la   mer :   Victory,   Belliste,   Donegal.   Les   autres   sont   des   ruines
flottantes. »
 

 
C’est un fait que le Formidable, un magnifique vaisseau de cent
dix canons, envahi par la mérule, tomba en poussière un mois et demi
après son lancement !
 
Mais   il   fallut   presque   soixante   ans   pour   que   l’on   découvre
comment préserver la Marine anglaise de ce fléau : tout simplement
en munissant les navires d’une coque métallique.
 
Un autre champignon microscopique fit d’énormes dégâts au XIXe
siècle : le mildiou. Ce parasite infeste principalement les pieds de
tomates   et   de   pommes   de   terre.   Il   prolifère   surtout   lorsque   le
printemps est humide, comme ce fut le cas en Irlande en 1845. Cette
année­là, toute la récolte de pommes de terre fut perdue, condamnant
à la famine plus d’un million de personnes. Mourant de faim, les
malheureux Irlandais n’eurent d’autre ressource que de s’expatrier, et
émigrèrent en masse vers les États­Unis d’Amérique. Parmi eux se
trouvait une famille, qui réussit assez bien dans le Nouveau Monde :

21
les Kennedy. Il n’est pas faux de dire que l’élection de J.F.K. à la
Présidence fut, à l’origine, due à un champignon !

22
CHAPITRE IV

Si   ces   parasites   sont   d’une   terrifiante   efficacité,   d’autres


champignons, eux, nous surprennent par leurs étonnantes capacités,
que l’on commence seulement à découvrir. Le chercheur américain
Paul   Stamets,   né   en   1955,   a   consacré   sa   vie   à   l’étude   de   ces
cryptogames : pour lui, les champignons, s’ils étaient mieux utilisés,
pourraient véritablement « changer le monde ».

Entre   autres   découvertes,   Stamets   a   mis   en   lumière   le   rôle   du


mycélium dans les échanges entre les racines des arbres. S’appuyant
sur   ses   observations,   Peter   Wohlleben   démontra   que   les   arbres
communiquaient   entre   eux,   échangeaient   des   informations,   et
possédaient   une   sorte   de   langage ;   mais   c’est   le   mycélium   des
champignons qui connecte les racines des arbres les unes avec les
autres, en transportant l’information. Et il semble que le mycélium
soit doué d’une véritable conscience, reconnaissant les besoins des
arbres   et   leur   apportant   exactement   ce   qui   leur   est   nécessaire,   en
fonction   de   la   saison   et   du   degré   d’humidité :   il   les   avertit   par
exemple d’un danger, comme l’attaque imminente d’insectes ou de
chenilles.
 
Ces   facultés   sont   stupéfiantes,   lorsque   l’on   se   souvient   que   le
mycélium est constitué de cellules très simples, accrochées les unes
au   bout   des   autres !   Et   cet   ensemble   est   d’une   solidité   telle   que,
depuis   peut­être   un   milliard   d’années,   cette   structure   a
victorieusement   résistée   à   tous   les   cataclysmes   qui   ont   ravagé   la

23
planète, ainsi qu’à ses nombreux prédateurs, et conquis les territoires
les plus hostiles…
 
Depuis   quelques   années,   un   groupe   de   chercheurs   du   CNRS,
conjointement   avec   leurs   collègues   américains,   étudient   un
champignon   absolument   stupéfiant,   le   physarum   polycephalum,
qu’ils   ont   affectueusement   baptisé   « le   blob » :   il   s’agit   d’un
myxomycète, c’est­à­dire d’un organisme gélatineux, composé d’une
seule cellule, à l’intérieur de laquelle nagent plusieurs noyaux. Cette
chose   bizarre,   d’un   aspect   peu   ragoûtant,   a   besoin,   pour   se
développer,   d’une   très   forte   hygrométrie :   si   l’humidité   vient   à
manquer, le blob se contracte, et va se réfugier dans le moindre trou,
en attendant que la pluie revienne. Car ce champignon est capable de
se déplacer tout seul ! Ses capacités sont d’autant plus surprenantes
qu’il ne possède ni cerveau ni système nerveux : mais il est doué,
incontestablement, d’une forme d’intelligence. Le blob, en effet, est
capable d’emmagasiner des informations et, non seulement de s’en
souvenir,   mais   encore   de   les   transmettre   à   d’autres   champignons,
avec lesquels il entre en contact. Cet échange se fait par le moyen
d’une sorte de câble, émis par celui qui possède l’information qu’il
veut faire passer, à l’autre – un fil télégraphique, en somme…
 
Placé   devant   plusieurs   sources   de   nourriture   différentes,   ce
champignon va directement à celle qui est le mieux adaptée à l’état
de son métabolisme, et ne se trompe jamais quand on les déplace ;
bien qu’il soit doué d’une invraisemblable gloutonnerie, il ne choisit
jamais que les aliments qui conviennent le mieux à sa santé.
 
Ce champignon a une passion pour les flocons d’avoine ; et des
chercheurs japonais ont eu l’idée d’utiliser sa gourmandise pour le
mettre à l’épreuve : ayant placé un petit tas de Quaker Oats à l’entrée
et  à la sortie d’un labyrinthe assez compliqué, ils ont vu le blob,
après   avoir   ingéré   le   premier   tas,   recouvrir   toute   la   surface   du
labyrinthe, puis se retirer, en conservant seulement le chemin le plus
direct pour aller se restaurer à l’autre extrémité.

24
 
Forts de cette constatation, les savants japonais compliquèrent le
jeu :   prenant   une   carte   en   relief   de   leur   pays,   ils   déposèrent   des
flocons d’avoine à l’emplacement de chacune des principales villes
du Japon. Sachant que le champignon n’aimait pas la lumière, ils
éclairèrent fortement les principaux reliefs sur la carte, et lâchèrent le
blob   au   milieu :   celui­ci   créa,   en   vingt­six   heures,   un   réseau   de
communication entre les différents points aussi parfait que celui des
voies ferrées existant, que l’on avait mis des années à optimiser ; et il
réalisa,   en   même   temps,   le   maillage   léger   d’un   système   de   voies
secondaires destiné à pallier à une éventuelle rupture dans les routes
principales.
 
On a donc pu utiliser les étonnantes propriétés de cette créature
dans différents domaines, tels que l’informatique et la robotique. Et
l’on continue, dans le monde entier, à se demander comment de telles
prouesses sont possibles chez un organisme aussi simple que celui­
ci ; car, jusqu’à présent, personne n’y comprend rien… Le chercheur
japonais Nakagaki émet timidement la possibilité que « les résultats
de cette seule cellule sont peut­être une chance de reconsidérer ce
qu’est l’intelligence »…

25
CHAPITRE V

Les   champignons   sont   porteurs   d’un   symbolisme   extrêmement


fort,   depuis   la   nuit   des   temps :   leur   apparition   soudaine   et
mystérieuse en automne, le fait qu’ils n’aient ni fleurs, ni fruits, ni
racines,   leur   comestibilité   incertaine,   ont   permis   très   tôt   de   leur
attribuer   une  origine   magique,  voire   diabolique.  Les  champignons
occupent une grande place dans nombre de contes, où ils sont en
général   associés   aux   fées   et   aux   lutins,   qui   s’abritent   sous   leur
chapeau, quand ils sont comestibles, ou à des animaux maléfiques,
s’ils   sont   vénéneux :   on   pense   que   ce   sont   les   crapauds   qui,   à
l’origine, les ont souillés de leur bave : en anglais, le champignon
toxique s’appelle toadstool, c’est­à­dire le trône du crapaud.

Le champignon  est  aussi  symbole de  fertilité,  non seulement  à


cause du nombre vertigineux des spores qu’il émet, et par sa forme,
souvent   phallique ;   c’est   peut­être   pour   cela   que   l’on   considérait
autrefois que la plupart des champignons étaient aphrodisiaques. Ne
pouvant apparaître que lorsque le temps est humide, il est lié à l’eau,
qui   apporte   la   vie   et   féconde   la   végétation ;   en   Chine,   c’est   le
symbole de la longévité : on a voulu nous faire croire que c’est parce
qu’on   peut   le   faire   sécher,   et   qu’il   conserve   ainsi   longtemps   ses
propriétés gustatives… mais je pense plutôt que c’est parce que la
pharmacopée chinoise en utilise un grand nombre, frais et secs, et
qu’il aide ainsi à prolonger la vie ; mais il se peut aussi que cette
croyance soit liée à sa réapparition régulière, chaque année, dans le
même biotope. Et il est également possible que les Chinois, dont la

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civilisation est infiniment plus ancienne que la nôtre, aient découvert,
bien avant nous, que le mycélium était pratiquement immortel.
 
Symbole de vie, le champignon est également lié à la mort : bien
sûr,   parce   que   sa   consommation   imprudente   peut   conduire   à   une
issue   fatale ;   mais   surtout   parce   qu’il   pousse   principalement   en
automne. C’est la saison où le soleil décroît, un peu plus chaque jour,
et qui annonce déjà la fin de toute activité extérieure. Le champignon
est donc lié, dans notre inconscient, au grand cycle vital de la nature
et au mythe de l’éternel retour. Certains champignons sont d’ailleurs
indispensables   à   la   célébration   des   rituels   chamaniques,   où   le
célébrant, après en avoir consommé, passe par une mort apparente,
avant de connaître l’extase ; elle lui permet d’entrer en contact avec
le monde invisible des esprits. Ceux­ci habitent dans la lune : ce sont
les âmes des morts, qui vont là­haut se réincarner sous la forme d’un
champignon,   d’où   elles   redescendent   sur   la   terre   sous   la   même
forme. Ces cultes sont d’ailleurs extrêmement anciens, antérieurs à
toutes   les   religions :   on   en   a   retrouvé   des   traces   dès   l’époque
préhistorique, et il est assez frappant que le chamanisme soit encore
pratiqué   dans   de   nombreuses   tribus,   surtout   dans   des   pays   où
poussent des champignons hallucinogènes, comme l’amanite fausse­
oronge et surtout le psilocybe semi­lancéolé. La Sibérie en est un bon
exemple. On peut raisonnablement penser que les champignons ont
permis l’éveil de la fonction spirituelle chez nos lointains ancêtres.
 
Pour un ethnbotaniste américain, Jonathan Ott, le personnage du
Père Noël lui­même, qui est, comme chacun sait, grand amateur de
champignons hallucinogènes, serait issu du chamanisme sibérien. La
preuve : il vole dans les airs, et les couleurs de sa houppelande sont
les mêmes que celles de l’amanite tue­mouches ! Malheureusement
pour ce chercheur inspiré, le Père Noël, venu des lointaines forêts
nordiques, était à l’origine vêtu de vert, ce qui est tout de même plus
logique.   C’est   en   1931   que   la   firme   Coca­Cola   réalisa
l’extraordinaire   support   publicitaire   que   pouvait   représenter   ce
personnage, et c’est le dessinateur Haddon Sundblom qui habilla le

27
bonhomme Noël aux couleurs de la marque.
 

 
Bon, restons sérieux et fermons cette parenthèse farfelue !
 
Dans la tradition chinoise, c’est le cerf qui apporte aux hommes le
champignon de l’immortalité : on croyait qu’il en était le gardien. Ce
champignon, le ganoderme lucide, pousse communément dans nos
forêts, sur des bois en décomposition. En Chine, on l’appelle lingxi
ou reishei.
 
D’une forme étonnante, il doit sa réputation au fait qu’il est dur
comme du bois, et qu’il ne se décompose pas. C’est, d’autre part, un
excellent médicament, dont les propriétés sont proches de celles du
ginseng : renforçant les défenses immunitaires, il tonifie et protège
l’organisme.
 

28
ganoderme lucide
 
En Occident, le cerf est un animal noble. Au Moyen Âge, c’était
le gibier royal par excellence, dont le braconnage était puni de mort.
 

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Dès le IIe siècle, le cerf fut assimilé au Christ lui­même, et l’on se
souvient de saint Eustache et saint Hubert découvrant le Christ en
croix entre les bois d’un cerf au cours d’une chasse ; c’est l’un de ces
animaux, dit­on, qui indiqua au roi Dagobert l’emplacement de la
tombe des saints Denis, Rustique et Eleuthère ; et c’est un cerf qui,
bien   souvent,   accompagne   fidèlement   l’ermite   qui   s’est   retiré   au
désert, comme saint Gilles.
 

 
Comme le champignon, le cerf s’apparente à la force vitale et à la
virilité (bander comme un cerf !) ; il n’est donc pas surprenant de
voir   ces   deux   symboles   associés   dans   de   nombreuses   traditions.
D’ailleurs, en héraldique, le champignon est, lui aussi, vecteur des

30
mêmes qualités : puissance sexuelle et force physique.
 

cèpes
 
Une  tradition, toujours  vivace  dans  les  sauvages  montagnes  du
Harz,   dans   le   centre   de   l’Allemagne,   consiste,   lorsque   l’on   va
chercher des champignons dans la forêt, à offrir le premier cèpe que
l’on trouvera à l’Esprit de la forêt. Cet Esprit n’est autre que le très
ancien dieu celtique Cernunnos, qui arbore des bois de cerf : on le
reconnaît ici, sculpté sur le célèbre chaudron de Gundestrup, qui date
du   Ier  siècle   av.   J.­C.,   et   qui   est   conservé   au   musée   national   du
Danemark à Copenhague.
 

31
 
Il est frappant de constater la présence d’un dieu­cerf dans  les
pays de vastes  forêts – et donc de champignons – en Alsace, par
exemple, sculpté sur la miséricorde d’une stalle de la collégiale saint
Thiébault de Thann :
 

32
 
et,   remontant   à   la   Préhistoire,   cette   mystérieuse   gravure   de   la
grotte des Trois­Frères, en Ariège :
 

Est­ce une divinité ? Un sorcier ? Un chamane ? Toujours est­il
que   cette   créature   fantastique   nous   ramène   à   notre   passé   le   plus
ancien, où l’on connaissait déjà les vertus des champignons.
 
C’est en 1991 que l’on découvrit en Autriche, congelé, un de nos
lointains ancêtres, qui vécut à l’époque néolithique, et qui fut baptisé
Ötzi. Dans la musette qu’il portait, on eut la surprise de trouver deux
morceaux   de   champignons :   l’un,   le   piptoporus   betulinus,   un
polypore qui fructifie uniquement sur les troncs des bouleaux morts :
il   concentre   ainsi   les   substances   anti­cancéreuses   présentes   dans
l’écorce de l’arbre ; c’est également un anti­inflammatoire puissant,
et il ne fait pas de doute qu’Ötzi l’avait pris avec lui pour voyager,
comme on emporte un médicament dans sa trousse de toilette.

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piptoporus betulinus
 
Quant   à   l’autre   champignon,   c’était   un   gros   morceau
d’amadouvier, un autre polypore.
 

amadouvier
 
Dans le sac d’Ötzi se trouvaient également des petits morceaux de
silex,   qui   prouvent   bien   que   cet   amadouvier   était   utilisé   comme

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allume­feu, puisqu’il suffit d’une seule étincelle pour l’enflammer. Je
me souviens, d’ailleurs, avoir possédé dans ma jeunesse un briquet à
amadou, qui fonctionnait parfaitement, (mais comme l’amadou est,
une fois allumé, très difficile à éteindre, c’est ainsi qu’un beau jour
j’ai brûlé la poche de ma veste…).

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CHAPITRE VI

On consomme des champignons depuis la Préhistoire et, depuis
sans doute aussi longtemps, on cherche à les faire pousser, ce qui
n’est pas si facile : il faut en effet respecter la température idéale, le
degré précis d’humidité favorable au développement du mycelium, et
surtout savoir créer le substrat au sein duquel ce dernier va fructifier.

Il est probable que les Égyptiens savaient comment les cultiver :
en effet, on a retrouvé des fresques, datant de 1450 avant notre ère,
sur lesquelles on voit des champignons, alors que l’Égypte n’est pas
franchement le pays où l’on s’attendrait à en faire la cueillette !
 
La Grèce est également un pays trop chaud et trop sec. Mais les
Grecs   de   l’Antiquité   nous   ont   laissé   leur   recette :   ils   savaient
comment produire des pholiotes, en arrosant les racines d’un figuier
avec   un   mélange   de   fumier   et   de   cendres,   après   les   avoir
ensemencées d’un mycelium qu’ils avaient nécessairement importé
de pays plus tempérés.
 

36
pholiotes
 
Et nous savons que les Romains, eux aussi, étaient très friands de
champignons ; il est probable qu’ils utilisaient les mêmes méthodes
de culture que les Grecs. Ce qui est sûr, c’est que cette technique fut
appliquée d’abord en Toscane, puis en France durant tout le Moyen
Âge, et jusqu’à la Renaissance. Elle fut décrite en 1600 par le célèbre
botaniste   Olivier   de   Serres,   dans   son  Théâtre   d’Agriculture   et
Mesnage des Champs.
 
Comme la plupart des grandes découvertes, celle­ci fut le fruit du
hasard : le champignon dit « de Paris », sans doute le plus consommé
de nos jours, fut cultivé pour la première fois d’une façon purement
accidentelle : en 1651, un producteur de melons des environs de la
capitale arrosa les déchets de sa culture avec l’eau qui avait lavé les
champignons de son dernier repas… et le mycelium, ayant trouvé la
place   bonne,   s’y   installa   et   fournit   une   belle   récolte   quelques
semaines plus tard.

37
 
Cependant, la partie était loin d’être gagnée : car la chaleur de
l’été  desséchait  les   champignons,   déjà  attaqués  par   les   vers,  et  la
froidure hivernale empêchait leur pousse ! Ce n’est qu’en 1682 que
le   jardinier   en   chef   de   Louis   XIV,   Jean­Baptiste   de   la   Quintinie,
réussit à faire pousser des agarics pour la table du Roi. Et le succès
ne vint qu’après de multiples tentatives ; finalement, c’est en arrosant
dès le printemps des petits tas de foin que cet agronome de génie vit
ses   efforts   récompensés   par   une   abondante   récolte,   dès   l’automne
suivant.
 
Toutefois, cette culture en plein air était toujours saisonnière, et
soumise aux aléas de la température…
 
Une   fois   de   plus,   ce   fut   le   hasard   qui   permit   de   résoudre   ce
problème :   d’après   l’Atlas   souterrain   de   Paris,   en   1814,   « un
maraîcher de la rue de la Santé, dénommé Chambry, aurait eu l’idée
d’explorer les anciennes carrières situées une dizaine de mètres en
contrebas  de ses jardins. Le puits qui servait d’accès  aurait laissé
filtrer du crottin de cheval. L’homme fut surpris de découvrir dessus
un   superbe   essaim   de   champignons.   Il   les   récolta   et   abandonna
rapidement   ses   potagers   pour   s’investir   entièrement   dans   la
production   souterraine   du   champignon. »   Chambry   fit   rapidement
fortune, et connut la gloire lorsqu’en 1845 le bulletin de la Société
d’horticulture de Paris fit les plus grands  éloges de cette nouvelle
forme de culture.
 
À   cette   époque,   la   demande   en   champignons   devint   telle   que
Chambry   dut   agrandir   considérablement   son   rayon   d’action :   il
colonisa   toutes   les   carrières   entre   le   boulevard   Saint­Jacques   et
l’hôpital Cochin. Mais celles­ci, à leur tour, devinrent trop petites,
car   notre   maraîcher   avait   eu   nombre   d’imitateurs !   Et   ceux­ci
investirent à leur tour toute la banlieue sud de Paris, en occupant
toutes les carrières abandonnées à Montrouge, Bagneux et Meudon,
dont les puits d’aération leur servirent de porte d’entrée. En voici

38
une, qui était encore en pleine exploitation en 1908 :
 

Ces   galeries   étaient   constamment   aérées,   grâce   aux   puits


originaux, et leur température devait rester constante, à douze degrés.
Mais la difficulté principale vint de l’humidité, qui doit varier selon
l’état de la fructification du mycelium : à des moments bien précis, le
champignonniste devait arroser ses couches, ni trop, ni trop peu.
 

39
 
De nos jours, dans les champignonnières industrielles, l’eau est
amenée par un système de tuyauteries, et distribuée automatiquement
en fonction des besoins sans que l’homme ait  à s’en occuper. De
même,   la   ventilation   indispensable   est,   aujourd’hui,   entièrement
automatisée.
 
Quant à la régulation de la température, qui était assurée autrefois
uniquement par la circulation de l’air dans les galeries, elle dépend,
bien sûr, de ventilateurs électriques ; même chose lorsqu’il s’agit de
réchauffer   l’atmosphère :   on   n’utilise   plus,   depuis   longtemps,   de
chaudières au bois ou au charbon, qui étaient peu fiables, et dont les
émanations   étaient   aussi   dangereuses   pour   les   cultures   que   pour
l’homme…
 
L’opération la plus importante consiste, bien entendu, à préparer
le   compost   sur   lequel   les   précieux   champignons   vont   pouvoir   se
développer. Chaque champignonniste garde jalousement le secret des

40
proportions des matières qu’il mélange : ce sont toujours de la paille,
du fumier de cheval, et… quelque chose de plus : des chiffons, du
carton, du plâtre, etc. Et on arrose le tas, que l’on étalait autrefois en
longues buttes, les meules. Le but étant de stériliser le compost, en
laissant la fermentation du fumier monter en température, afin de tuer
les champignons parasites et les agents pathogènes, et permettre le
bon développement des agarics. La chaleur, en quelques jours, atteint
soixante degrés, puis redescend, et l’on pouvait, alors, ensemencer le
compost.
 
Pour   cela,   en   fin   de   fermentation,   lorsque   la   meule   est
redescendue à vingt ou vingt­cinq degrés, on enfonçait, de part en
part,   de   petits   morceaux   de   mycelium   sec,   les   lardons.   Et   l’on
maintenait, constant, le degré d’humidité. Le mycelium pouvait alors
se développer, et former rapidement un voile blanchâtre à la surface
de   la   meule.   Pour   permettre   la   production   des   carpophores,   on
recouvrait   le   tout   d’une   fine   couche   de   craie   broyée,   dont   le
mycelium  allait   se  nourrir.  Cette  opération   s’appelait   le   gobetage.
Trente à quarante jours plus tard, on pouvait commencer la cueillette,
travail long, pénible et fastidieux, qui durait six semaines, en trois à
cinq   volées ;   et   puis,   une   fois   le   mycelium   épuisé,   il   fallait
entièrement désinfecter la galerie, et installer une nouvelle meule à la
place de l’ancienne.
 

41
 
De   nos   jours,   ce   type   de   culture   n’est   plus   pratiqué :   on   se
contente d’entasser le compost dans de grands sacs plastiques, percés
de trous tous les quinze centimètres pour permettre le développement
des   touffes   de   champignons.   Il   y   a   une   vingtaine   d’années,   on
pouvait encore acheter, dans une champignonnière de la Sarthe – qui
a disparu depuis – des sacs de compost ensemencé : j’ai longtemps
fait   pousser   de   cette   façon,   dans   mon   garage,   de   magnifiques
bouquets   de   pleurotes,   que   j’offrais   à   mes   amis…   Aujourd’hui,
suivant le même principe, on peut seulement trouver, dans certaines
jardineries, de petites boîtes de champignons des bois, pour amuser
les enfants.

42
CHAPITRE VII

Depuis   quelques   années,   on   assiste   en   France   à   une   véritable


folie : la production industrielle de morilles. Ce champignon est en
effet   fort   difficile   à   faire   pousser,   et   de   nombreux   brevets
(consultables sur Google) ont été déposés depuis 2016.
 
Il faut dire que la morille se vend un peu moins cher que la truffe,
mais demeure l’une des spécialités gastronomiques les plus chères
sur le marché ; et celui qui réussirait à en produire en quantité serait
assuré de faire fortune en peu de temps !
 

43
 
Le problème, c’est que le mycelium de la morille « dort », et ne
consentira à se réveiller et à fructifier qu’à la suite d’un traumatisme ;
et   il   aura   besoin   de   beaucoup   de   sucre,   mais   pas   trop,   pour   s’en
remettre. Dans la nature, il faudra, le plus souvent, un incendie de
forêt pour qu’apparaissent, l’année suivante, des morilles. Une coupe
claire   produit   le   même   effet :   en   effet,   jusque­là,   le   mycelium   se
nourrissait des aliments que l’arbre lui fournissait ; une fois la source
d’approvisionnement disparue, le mycelium, s’il ne veut pas mourir à
son tour, doit impérativement produire un carpophore, qui dispersera,
loin de ce terrain maudit, de nouvelles spores. Ce carpohore, c’est,
tout simplement, une morille.
 
Pour   obtenir   ce   résultat,   différentes   méthodes   ont   été   utilisées.
L’une   d’elles,   pratiquée   en   Chine   depuis   des   siècles,   consiste   à
enterrer   une   pomme   au   pied   d’un   arbre,   et   à   répandre   dessus   les
spores d’une morille. Et puis on blesse l’arbre, comme les bourreaux
chinois savent si bien le faire : en brûlant une partie du tronc, en

44
arrachant certaines branches, en en dénudant d’autres… jusqu’à ce
que le malheureux ne soit plus en état de nourrir le mycelium qui lui
est associé. Celui­ci va donc aller chercher ses sucres dans la pomme,
ou   ce   qu’il   en   reste,   et   va,   dans   le   meilleur   des   cas,   se   mettre   à
fructifier.
 
Mais, avec ce système, la production de morilles reste très faible :
en effet, le degré d’hygrométrie doit être calculé avec une précision
telle qu’il est pratiquement impossible de le respecter,  à moins de
posséder un équipement extrêmement onéreux…
 
Cependant un jeune Français, Christophe Perchat, décida en 2009,
de   relever   le   défi :   il   partit   pour   le   Sichuan   acheter   un  brevet   de
technique   culturale ;   de   retour   en   France,   il   s’investit   totalement,
avec l’appui technique de l’INRA, et, après une période de tests, il
commercialisa la licence via sa société, France Morilles. Les résultats
sont   certes   encourageants,   puisqu’il   produit   actuellement   environ
deux tonnes de morilles sur un hectare. Il faut savoir que la France
est le premier pays consommateur de morilles au monde : environ
cent tonnes de morilles sèches par an sont nécessaires pour satisfaire
les gastronomes de notre pays !

45
CHAPITRE VIII

Ditte   Bandini   et   son   mari,   Giovanni,   forment   un   couple


d’écrivains bien sympathiques : en effet, ils se sont spécialisés dans
le riche domaine du folklore allemand et autrichien ; ils ont publié en
2002   un   ouvrage   passionnant,   mais   malheureusement   pas   encore
traduit en français :  Das Drachenbuch, dans lequel ils décrivent un
grand nombre de croyances, encore vivantes aujourd’hui, mais dont
l’origine se perd dans la nuit des temps. L’une d’elles concerne la
cueillette des champignons dans les forêts autour de la ville de Graz,
en Styrie : les paysans de cette province sont en effet persuadés que
le meilleur jour pour y aller est le jeudi. C’est que le jeudi est, depuis
toujours,   associé   au   dieu   de   la   foudre,   Thor,   dont   le   nom,   en
allemand moderne, a donné Donner, le tonnerre. Et le mot jeudi se
traduit, en allemand, par Donnerstag, le jour du tonnerre. C’est grâce
à   Thor   que   la   pluie   bienfaisante   permet   aux   champignons   de
pousser ; et, en y allant le jeudi, on a donc beaucoup plus de chances
d’en trouver que n’importe quel autre jour !
 
On   pratiquait   en   Silésie   –   et   l’on   pratique   peut­être   encore
aujourd’hui – un rite bien proche de celui que nous avons rencontré
dans le Harz allemand : lorsque, pour la première fois de la saison,
on va chercher des champignons, il faut jeter en arrière, par­dessus
son épaule gauche, le premier que l’on trouvera : ainsi, on peut être
sûr d’en faire une récolte abondante toute l’année.
 
C’est un geste qui rappelle celui que j’ai vu faire dans ma propre

46
famille, à Paris, au cours d’un repas : mais chez nous, ce n’est pas un
cèpe   que   l’on   jetait   ainsi,   mais   du   sel,   lorsqu’on   en   avait
malencontreusement   renversé   sur   la   table :   on   apaisait   ainsi   les
esprits malicieux, qui vous auraient, autrement, incité à faire d’autres
bêtises.
 
Dans   un   cas   comme   dans   l’autre,   c’est   un   rite   beaucoup   plus
important qu’il n’y paraît : le fait de jeter quelque chose derrière soi
vous coupe du passé, en vous orientant vers un avenir que l’on espère
favorable,   grâce   à   la   bienveillance   de   l’entité   invisible   à   qui  l’on
offre ce sacrifice ; quant à l’épaule, par­dessus laquelle on accomplit
ce geste, c’est, de tout le corps humain, l’articulation la plus mobile,
qui met en relation quatre os différents ; elle représente, sur le plan
symbolique, la volonté d’agir et la capacité de le faire, et la maîtrise
que l’on pense et veut exercer sur son entourage et sur la société. Les
officiers portent des épaulettes pour cette raison.
 
Quant au côté gauche, il symbolise le monde obscur de la mort : le
mot sinistre ne vient­il pas de senestre, qui signifie gauche ?
 
On voit donc comment, avec ce geste très simple, on se connecte
avec toutes les valeurs symboliques liées au champignon.
 
S’ils favorisent la croissance des arbres, les cryptogames soignent
aussi   les   humains :   nous   avons   rencontré   plus   haut   le   ganoderme
lucide,   le   fameux   reishi   des   Chinois,   mais   ce   n’est   pas   le   seul
champignon utile pour la santé, et il existe aujourd’hui une science, à
la fois nouvelle et millénaire : la mycothérapie, ou l’art de se soigner
avec des  champignons. Ce sont les lignicoles qui donnent le plus
grand nombre de médicaments : ceux qui poussent sur du bois, dont
ils   se   nourrissent :   ceux­là   ont   des   propriétés   anti­cancéreuses
reconnues   depuis   des   siècles   par   les   Chinois,   les   Coréens   et   les
Japonais ; mais ce n’est qu’à la fin du XXe  siècle que l’Occident
commença à s’y intéresser.
 

47
Tout commença vraiment en 1994, à la suite d’un artiche publié
dans la très sérieuse revue  The Lancet  par un médecin japonais, le
docteur   Hirioaki   Nakazato.   Celui­ci   y   décrivait   les   stupéfiantes
propriétés   anti­cancéreuses   d’un   petit   polypore   assez   commun,   le
coriolus versicolor.
 

coriolus versicolor
 
Réduit en poudre, consommé à la dose de trois grammes par jour,
ce   champignon   renforce   les   défenses   immunitaires   et   aide
l’organisme   à   lutter   contre   les   effets   secondaires   négatifs   de   la
chimiothérapie ; il aide à la prolifération des globules macrophages,
c’est­à­dire ceux qui se nourrissent des cellules contaminées, dont il
stimule également l’activité.
 
Mais le coriolus n’est pas le seul champignon bénéfique. En fait,
on en connaît aujourd’hui une centaine, que l’on continue à étudier
en laboratoire. Mais, bien que nous n’en soyons qu’à l’aube de cette
nouvelle science (du moins chez nous) on peut déjà citer, comme
stimulants du système immunitaire, le rosé des prés et la girolle ; la

48
morille, elle, améliore la fonction rénale ; le lentin du chêne, plus
connu   sous   le   nom   de   shiitake,   qui   contient   d’impressionnantes
quantités de vitamines et de sels minéraux, et qui est un puissant anti­
oxydant ; le cordyceps, le champignon chenille, est un microscopique
parasite de certaines larves. On ne le trouve qu’au Tibet, où il est
utilisé   depuis   des   millénaires   pour   ses   qualités   tonifiantes :   il
dynamise et protège tout l’organisme, mais plus spécialement le foie
et les reins.
 

girolles
 
N’oublions pas non plus que le pénicillium est un champignon,
ainsi que toutes les levures que nous utilisons…
 
Il est tout de même étonnant que nos thérapeutes aient attendu si
longtemps   avant   de   s’intéresser   à   une   médecine   traditionnelle   si
efficace.   Et   il   est   probable   que   nos   amis   les   champignons   nous
réservent encore bien des surprises…

49
CHAPITRE IX

Il est impossible, dans le cadre de ce petit travail, de répertorier
tout ce que nous savons sur les levures. Car nous leur devons, entre
autres, le pain et toutes les boissons alcoolisées ; et l’homme connaît
et utilise le levain, qui donne vie à la pâte à pain, depuis des temps
immémoriaux.
 
Dans   le   monde   troublé   et   déshumanisé   qui   est   le   nôtre,   il   est
normal que des personnes, de plus en plus nombreuses, se tournent
vers le passé, et cherchent, dans tous les domaines, à retrouver les
techniques ancestrales et les gestes d’antan : c’est ainsi que l’on peut
expliquer le succès grandissant des machines à pain, qui permettent
de fabriquer chez soi cet aliment primordial, malgré le fait que ces
engins soient entièrement automatisés ; et nombreux sont aussi ceux
qui, pour les mêmes raisons, font leur propre levain.
 
Sa fabrication est pratiquée depuis des temps immémoriaux. Le
levain, qui permet la fermentation de la pâte à pain, est une matière
vivante, un champignon auquel on ajoute différents éléments, et que
l’on   doit   nourrir   régulièrement   sous   peine   de   le   perdre.   Vous   en
trouverez une dizaine de recettes sur le site www.cfaitmaison.com, et
leur point commun est le soin qu’il faut apporter à son levain une fois
qu’on l’a préparé. Je me souviens d’ailleurs d’une de nos amies qui
avait emporté le sien sur le bateau de croisière qui emmenait toute la
famille découvrir les fjords norvégiens, et qui le nourrissait à bord
tous les deux jours !

50
 
Il   est   bien   étonnant   de   constater   la   mauvaise   réputation   qui
poursuit notre innocent levain dans la Bible, aussi bien dans l’Ancien
Testament que dans le Nouveau : « Pendant sept jours, tu mangeras
des   pains   sans   levain ;   et   le   septième   jour,   il   y   aura   une   fête   en
l’honneur de l’Éternel. On mangera des pains sans levain pendant les
sept jours ; on ne verra point chez toi de pain levé, et l’on ne verra
point chez toi de levain, dans toute l’étendue de ton pays… » (Exode
XIII, versets 3 à 10).
 
C’est­à­dire que les Juifs pratiquants doivent faire disparaître de
chez eux toute trace de levain : je me souviens d’un rabbin parisien
qui demandait à ses enfants de racler toutes les lames de parquet avec
une vieille lame de couteau, pour en extirper la moindre miette de ce
produit honni !

C’est que le levain représente le péché, qui agit invisiblement de
l’intérieur, et qui finit par prendre toute la place. Et dans le Nouveau
Testament, il est le symbole de l’hypocrisie : Jésus ordonne à ses
disciples « de se garder du levain des Pharisiens », qui sont gonflés
d’eux­mêmes et ignorent les besoins des autres.
 
J’ai   relevé   sur   Internet   pas   moins   de   soixante­six   références
bibliques   interdisant   l’usage   du   levain,   sous   peine   de   se   voir
retranché de la communauté d’Israël !

51
CHAPITRE X

Pour terminer, je voudrais  partager avec vous  mon  étonnement


amusé devant le nom de certains champignons, et je me demande
bien quel cerveau enfiévré a présidé à leur baptême : nous avons tout
à l’heure rencontré le nyctalis agaricoides, plus connu sous le nom de
nyctalis, ou nyctale, porteur d’étoiles : c’est un bien joli nom, pour ce
méchant parasite ! Mais que penser du clitopile petite prune, de la
vesse­de­loup hérissée, de la poule de bois, de la crapaudine puante,
de la galère délicate, de la fistuline hépatique, du marasme guêtré, ou
du tricholome sinistre ? Mais là où je ne ris plus du tout, c’est quand
je rencontre le cortinaire montagnard, qui pousse en plaine, et qui est
l’un des plus redoutables champignons mortels !
 

52
cortinaire montagnard
 
Et,   encore   pire,   la   gyromitre   comestible   (gyromitra   esculenta) :
comestible, elle ne le reste pas longtemps : cette espèce de grosse
morille vous tuera à coup sûr, non pas la première fois que vous la
consommerez, mais la seconde !
 

53
 
 
Bon appétit, tout de même !

 
Réalisation : Catherine Allex, mars 2018

54
FIN

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