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Introduction

“Conciles Christologiques et Communion fraternelle dans


l’Église, Famille de Dieu en Afrique Subsaharienne”, ce
titre voudrait orienter notre réflexion sur la nature de la
médiation de Jésus-Christ dans l’histoire humaine. Cette
histoire est jalonnée de débats passionnés sur Jésus-Christ,
médiateur de la révélation divine. L’analyse des débats du
passé fournira des leçons pour l’avenir du christianisme
dans le monde d’aujourd’hui marqué par la
reconnaissance du pluralisme des religions et l’effort de
tolérance et de coopération des croyants.
Notre propos est de savoir à travers l’histoire des conciles
œcuméniques le rapport de Jésus à Dieu et le lien de Jésus
avec l’humanité.
Cet ouvrage se propose de parcourir le processus
historique de la transmission du message chrétien dans la
vie de la communauté ecclésiale.
Le point de départ de cet ouvrage est la conviction que
Dieu s’est révélé en parlant et en agissant de façon unique
et irrévocable dans la personne de Jésus de Nazareth et
l’événement de foi qu’il suscite dans l’histoire humaine.
Jésus de Nazareth est la figure centrale du mouvement
historique de la foi au Dieu révélé du Nouveau
Testament.
Le Dieu auquel ne mène aucun chemin, auquel ne relie
aucun point, à propos duquel nous ne pourrions et nous

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n’aurions rien à dire si de lui-même il ne venait pas à
notre rencontre en tant que Dieu révélateur1
Ce Dieu révélateur en parlant et en agissant à travers
Jésus de Nazareth s’extériorise et dévoile le mystère de
son être caché. Au-delà de sa mort, Jésus de Nazareth se
révèle comme l’homme sur qui repose en permanence
l’Esprit de Dieu. Il est le Christ de Dieu qui a laissé à
l’Église, une manière de parler de Dieu et une vision de
l’œuvre du salut divin.
Cette œuvre du salut divin prend la forme d’un Dieu
incarné dans l’histoire humaine offrant son amour et la
possibilité d’une communion avec lui. Jésus de Nazareth,
est pour la communauté des disciples, l’image parfaite de
Dieu. Dans sa vie humaine, dans son ministère public et
dans l’événement de sa passion, de sa mort et de sa
résurrection, Jésus fait voir le règne de Dieu à l’œuvre et
manifeste la présence de Dieu dans l’histoire humaine. Il
apporte le salut à tout être humain par sa mort sur la croix.
Jésus laisse derrière lui, une communauté ecclésiale qui
poursuit son œuvre de salut dans le monde. C’est à ce
titre qu’elle ouvre une ère nouvelle dans l’histoire des
religions.
En tant que Juif, Jésus confesse le Dieu unique
d’Abraham, Isaac et Jacob. Il se présente comme
l’auditeur de la Torah juive et son message se situe dans la
lignée des prophètes d’Israël.
La perspective de notre recherche christologique est de
percevoir la figure de Dieu qui se révèle en Jésus.
Notre approche théologique se fonde sur la constitution
dogmatique de Vatican II sur la révélation, Dei Verbum2.

1
KARL BARTH, Dogmatique, vol. I, La Doctrine de la parole de
Dieu, t.I **. Genève, Labor et Fides, 1953, p.1.

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Le sujet de la révélation est le mystère de Dieu déployé
dans l’autocommunication que Dieu fait de lui-même par
l’incarnation du Logos fait chair par l’action de l’Esprit
donnant accès au Père. En insistant sur le caractère
interpersonnel de l’événement de la rencontre de Dieu
avec l’humanité entière à travers le Logos fait chair, Dei
Verbum laisse profiler à l’horizon le mystère trinitaire
dans son ouverture aux destinataires dans leur champ
historique d’expériences, de perceptions et de
participation à la vie intradivine.
Dieu, qui par son verbe crée (cf. Jn 1,3) et conserve
toutes choses, présente aux hommes dans le monde créé
un témoignage durable de lui-même (cf. Rm 1, 19-20) ;
voulant ouvrir le chemin du salut éternel, il s’est en
outre manifesté dès l’origine à nos premiers parents.
Après leur chute, il leur promit une rédemption, leur
rendit courage en leur faisant espérer le salut (cf. Gn 3,
15) ; sans arrêt, il montra sa sollicitude pour le genre
humain, afin de donner la vie éternelle à tous ceux qui
par la constance dans le bien cherchent le salut (cf. Rm
2, 6-7). A l’époque qu’il avait marquée, il appela
Abraham pour faire de lui un grand peuple (cf. Gn 12,
2-3) ; après les patriarches, c’est par Moïse et les
prophètes qu’il fit l’éducation de ce peuple, pour qu’on
le reconnût, lui, comme le seul Dieu vivant et vrai,
comme le Père prévoyant et le juge juste, et pour qu’on
attendît le Sauveur promis ; c’est ainsi qu’à travers les
siècles il prépara la route à l’Évangile.3
La route de l’Évangile trouve son point de départ en Jésus
(Mc1, 14) ; il prêche le Royaume de Dieu (Lc 9, 2) ; il
enseigne en homme qui a autorité (Mt 7, 29).

2
Vatican II, Dei Verbum, 2.
3
Vatican II, Dei Verbum, 3.

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L’enseignement de Jésus durant sa vie publique a pour
effet de redresser l’histoire de l’humanité marquée par la
faute, le mal, l’angoisse, la souffrance et le péché. Jésus
apporte à l’humanité souffrante la sollicitude paternelle de
Dieu, les signes du pardon et la réconciliation.
Mais après avoir à maintes reprises, et sous diverses
formes, parlé jadis par les prophètes, Dieu, « en ces
jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils »
(He 1, 1-2). Il a en effet envoyé son Fils, c’est-à-dire le
Verbe éternel qui éclaire tous les hommes, pour habiter
parmi les hommes et leur faire connaître les secrets de
Dieu (cf. Jn 1, 1-18). Jésus-Christ donc, le Verbe fait
chair, envoyé « comme homme aux hommes » (cf.Épître
à Diognète, c. VII, 4 Funk, Patres apostolici, I, p. 403)
« parle les paroles de Dieu » (cf. Jn 3, 34) et achève
l’œuvre du salut que le Père lui a donnée à faire (cf. Jn
3, 56 ; 17, 4). C’est pourquoi Jésus-Christ – qui le voit
voit aussi le Père (cf. Jn 14, 9) – par toute sa présence,
par tout ce qu’il montre de lui-même, par ses paroles,
par ses œuvres, par ses signes, par ses miracles, mais
surtout par sa mort et sa glorieuse résurrection d’entre
les morts, enfin par l’envoi qu’il fait de l’Esprit de
vérité, donne à la révélation son dernier achèvement et
la confirme par le témoignage divin : Jésus-Christ,
c’est Dieu avec nous, pour que nous soyons délivrés
des ténèbres du péché et de la mort, et que nous soyons
ressuscités pour la vie éternelle.

L’économie chrétienne, du fait qu’elle est l’alliance


nouvelle et définitive, ne passera donc jamais ; il n’y a
plus à attendre de nouvelle révélation officielle avant
l’apparition, dans la gloire, de notre Seigneur Jésus-
Christ (cf. 1Tm 6, 14 et Tt 2,13).4

4
Vatican II, Dei Verbum, 4.

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Jésus de Nazareth, le Verbe de Dieu est donc ainsi,
l’envoyé du Père, qui s’est fait un des nôtres. En tant que
voie d’accès au Père, Jésus-Christ est la main tendue de
Dieu pour relever l’humanité déchue. Il est le médiateur
de la révélation divine par ses actions et ses paroles. Il est
le seul en qui se trouve le salut (Ac 4, 12).
Le but de cette recherche est d’esquisser l’histoire de la
révélation divine en Jésus-Christ à travers les conciles
christologiques et leur pertinence pour la communion
ecclésiale.
La destinataire de cette réflexion est l’Église entière de
Jésus-Christ et toute personne de bonne volonté intéressée
par l’annonce de l’heureuse bonne nouvelle de la
révélation de Dieu.
Nous espérons que cette révélation de Dieu en Jésus-
Christ apportera un supplément d’âme à l’Afrique
subsaharienne confrontée à la pandémie du sida, aux
conflits ethniques et à la corruption.
La Deuxième Assemblée spéciale pour l’Afrique du
Synode des Évêques est l’un des signes d’espérance qui
renvoie à l’évangélisation en profondeur du continent.
Cet ouvrage veut contribuer à l’annonce de la bonne
nouvelle de la révélation divine en Jésus-Christ. Il se
propose de renforcer la communion ecclésiale en reliant la
connaissance de Dieu aux actes des conciles
christologiques.
En union de cœur et d’esprit avec les membres de la
famille de Dieu, notre intention en écrivant cet ouvrage est
de raffermir l’espérance des disciples de Jésus-Christ en
traduisant le message de son évangile dans les situations
contemporaines de l’Afrique subsaharienne.
Que cette modeste réflexion ouvre de nouvelles
perspectives de développement durable, de préservation

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de l’environnement, de justice, de paix et de
réconciliation pour l’Afrique subsaharienne.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum, S.J.

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Chapitre I
La Révélation Historique du Dieu
Trinitaire en Jésus-Christ et la
Communion Ecclésiale.

Les réflexions théologiques qui vont suivre mettront un


accent particulier sur la dimension trinitaire de la foi
chrétienne.
Le Dieu de la tradition chrétienne est celui qui est révélé
dans l’incarnation de son Fils Unique, qui par sa mort en
croix, donne l’Esprit du Père et du Fils à toute l’humanité
pour se constituer en communautés fraternelles, pacifiées
et réconciliées.
La révélation de ce Dieu d’amour reste pertinente pour
notre âge de mondialisation avec ses bouleversements
sociaux, économiques, culturels et politiques. En
recherchant la présence et l’activité du Dieu trinitaire dans
notre histoire humaine et dans le monde concret de nos
relations, nous faisons le pari de le rendre intelligible aux
joies et aux souffrances de nos contemporains.
L’Afrique subsaharienne éprouve le désir du Dieu
trinitaire sensible à la détresse des membres de sa famille.
Dieu ne se contente pas d’exister en lui-même, il se fait
chair en son Fils Unique pour exprimer sa solidarité avec
ses frères et sœurs en humanité. En partageant les
souffrances des victimes de l’histoire, Jésus-Christ, le Fils
Unique de Dieu par nature, donne l’Esprit d’amour pour
constituer l’humanité en un corps fraternel pour faire
advenir le règne de Dieu qui est celui du bien commun et
de la paix pour tous.

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En Jésus-Christ, le Dieu invisible est devenu visible en un
homme authentique, fait de chair, interpellant au nom du
Père ses frères et sœurs en humanité et leur communiquant
la grâce de l’adoption filiale. Constituée en son corps
mystique, social et historique, l’Église est la présence du
Christ dans le monde que vivifie l’Esprit en vue de la
réunion spirituelle de l’humanité.
La communauté chrétienne, selon les Actes des apôtres,
est à partir de la Pentecôte, la médiation historique, sociale
et mystique de la présence active de Dieu dans le monde.
Suivant une méthodologie historique, existentielle,
sociologique et herméneutique, nous ferons appel à une
reconstruction historique de l’avènement de la Parole
créatrice de Dieu incarnée dans la personne de Jésus-
Christ. Par son incarnation, Jésus-Christ est la présence et
l’activité du Dieu trinitaire dans les divers lieux et temps
de la communauté chrétienne. Nous entreprendrons de
comprendre de manière critique la mission des
communautés chrétiennes s’adaptant à leurs
environnements historiques et culturels. Aussi
analyserons-nous la réalité humaine des communautés
chrétiennes en les abordant dans leur historicité et sous le
mode de la logique du changement culturel et du
pluralisme.
Notre théologie de l’histoire de la communion ecclésiale
sera œcuménique avec une appréciation positive de
l’engagement chrétien pour l’unité de la foi dans le respect
des traditions respectives des communautés locales.
Notre réflexion théologique se situe dans le sillage du
dialogue interreligieux qui perçoit les religions du monde
comme des chemins par lesquels Dieu offre sa grâce à
chaque personne humaine dans les situations concrètes de
son histoire.

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Notre théologie de la communion ecclésiale à la suite du
Christ en croix se veut sensible à la souffrance humaine.
Elle tente de partager au maximum la vie de tous les
marginalisés de notre temps. Elle fait place aux exclus de
la prospérité et aux handicapés par la pauvreté de masse et
l’oppression sociale. Elle plaide en faveur de tous les
membres de l’humanité qui sont victimes de la faim, de la
maladie, de l’ignorance, de la violence, de la haine et de la
déshumanisation sous toutes les formes.
Notre théologie de la communion ecclésiale fait droit à
l’expérience féministe luttant contre toutes les formes de
discrimination retardant l’avènement de sociétés justes
marquées par les valeurs du règne de Dieu prêchées et
vécues par Jésus-Christ. Elle réfléchit sur le phénomène
social de la sécularisation qui par son caractère
individualiste érode l’esprit communautaire et l’autorité de
ceux qui ont la charge de promouvoir la communion
ecclésiale.

1- Le Rapport de Jésus-Christ à Dieu


Durant son ministère public, Jésus de Nazareth a annoncé
par sa parole et par ses actions, le règne de Dieu. Le règne
eschatologique de Dieu est lié à sa personne. Ce règne a
un caractère christologique. Il est éminemment
théologique puisque Dieu est le sujet de ce règne. Le Dieu
qui règne n’est autre que le Père, Abba5. La paternité de
Dieu s’inscrit dans l’histoire d’Israël. Le Dieu d’Israël,
Yahvé est une personne vivante, qui exprime des
émotions, pense et agit en faveur de son peuple. Il exerce
en Israël la fonction de Père en protégeant son peuple, en

5
Cf. J. JEREMIAS, Le Message Central du Nouveau Testament,
Paris, Cerf, « Foi vivante » 175, 1976.

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le nourrissant et en l’éduquant. Yahvé exerce son activité
de Père à travers l’autorité du chef incontesté de clan, du
roi et des prophètes. Les patriarches d’Israël ont un rôle de
premier plan dans le dessein providentiel de Yahvé
exerçant son autorité sur le peuple élu. Sujets des
promesses de Dieu, les patriarches comme Abraham, Isaac
et Jacob incarnent par excellence la réalité physique de
cette paternité de Yahvé.
Après l’exil, le peuple d’Israël dans son contact avec les
nations approfondit sa notion de paternité divine. Dieu
exerce sa paternité à travers ceux qui lui obéissent et
pratiquent sa justice en faveur de son peuple. Conçu
comme créateur, Dieu dans sa paternité est le fondateur de
la famille humaine (Gn 1, 27). Il est aussi le Père
protecteur d’Israël qui adopte son peuple par amour. Le
roi d’Israël en tant que représentant de Yahvé et du peuple
a un lien incontournable avec la paternité de Dieu
sanctionnant sa conduite morale. La figure du roi d’Israël,
reflet de la paternité divine est l’anticipation du Christ à
venir.
Le Dieu qu’invoque Jésus de Nazareth est le Père
miséricordieux, plein de bonté et de sollicitude envers ses
créatures. Le Père est le Dieu qui offre le pardon pour les
fautes du passé et recherche une communion présente et
future avec ses enfants réconciliés avec lui. Jésus de
Nazareth se présente comme le Fils de ce Père aimant
(Mt 11,27). Ce Père est proche et familier du Fils qui lui
voue une obéissance radicale. Le Fils tenant son être entier
du Père, s’ouvre à lui sans réserve et devient ainsi l’image
parfaite du Père. Il fait ainsi voir le Père à travers son
rapport ordonné aux autres. La mort violente de Jésus sur
la croix sanctionne son existence radicale pour l’humanité
et son obéissance au Père. Jésus vit pour le Père en vue du
salut de l’humanité réalisé dans le retour de la communion
de l’humanité avec le Père. La mystérieuse destinée de
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Jésus dans notre monde est liée à la venue du règne de
Dieu à travers sa mort salvifique.
Ainsi Jésus est dans sa vie et dans sa mort l’homme
pour les autres. Cet être-pour-les-autres constitue son
essence la plus profonde, car c’est en cela qu’il est
l’amour de Dieu devenu personne pour les hommes6.
En tant que messager du règne eschatologique de Dieu,
Jésus par sa mort en croix et sa résurrection fait accéder
l’humanité à la foi pascale. La foi pascale est la
résurrection de l’espérance suscitée par la confession du
Père qui a exalté Jésus de l’abaissement de la mort.
Ressuscité des morts, « Jésus est la révélation définitive
de Dieu …en lui et seulement en lui Dieu lui-même est
apparu.7 »
Jésus, l’oint de Dieu est désormais accueilli dans la gloire
et le mystère de Dieu. Il est le Fils de Dieu apparu dans la
condition humaine et le médiateur du salut (1Co 15, 3-8).
Il appelle tout être humain à la conversion et au service du
règne de Dieu. Ceux qui répondent généreusement à
l’appel du ressuscité forment la communauté postpascale
de ceux qui vivent dans la foi au Christ. Cette
communauté a la responsabilité de rassembler les croyants
pour leur envoi dans le monde afin que l’évangile soit
proclamé à toutes les nations (Ac1, 8 ; Mc 13, 10).

6
W. KASPER, Jésus le Christ, Paris, Cerf, “Cogitatio Fidei” 88,
1976, p. 180.
7
W. PANNENBERG, Esquisse d’une Christologie, Paris, Cerf,
“Cogitatio Fidei” 62, 1971, p. 94.

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2- Le rapport de Jésus-Christ au monde
Jésus a reçu la mission de réconcilier le monde avec le
Père.
Je suis le chemin et la vérité et la vie. Personne ne va
au Père si ce n’est par moi. Si vous me connaissiez,
vous connaîtriez aussi mon Père. Dès à présent vous le
connaissez et vous l’avez vu (Jn 14,9).
Le Père de Jésus est le fondement stable qui maintient le
monde dans son rapport au mystère de Dieu. Selon le
thème central de l’épître aux Ephésiens, le dessein du Père
est d’établir le Fils comme chef de l’univers et tête de
l’Église. Ce projet de récapitulation de toutes choses en
Christ s’est réalisé par la mort et la résurrection
réconciliatrices du Fils. Juifs et Païens jadis séparés par les
barrières culturelles et religieuses se retrouvent dans la
communauté de foi en Christ, sorte d’élargissement du
Corps du Fils. Le Corps du Christ est la manifestation du
mystère de Dieu dans le monde. Il concrétise la solidarité
spirituelle du Corps mystique du Christ. La valeur sociale
de l’évangile à l’aube de son insertion dans le monde
réside dans sa capacité de réunir dans la même famille de
Dieu, Juifs et Païens. En ralliant les membres de
l’humanité en un Corps social et religieux, l’évangile
s’intéresse à la solidarité humaine et à l’avenir terrestre.
Pour fonctionner comme membre à part entière de la cité
terrestre, celui qui croit en Christ, ne doit pas être un
négateur des aspirations sociales. Les adeptes de la voie
du Christ ne sont pas des individualistes insensibles à la
dimension communautaire de leur foi. L’évangile n’est
pas proclamé pour la consolation intérieure des croyants,
il est orienté vers l’unité de la communauté humaine.
L’édification de l’unité de la société humaine est l’horizon
terrestre de l’espérance que suscite l’annonce de
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l’évangile. La vie de foi de l’adepte de la voie tout en
dépassant les contingences du temps et de l’espace, se
déploie dans l’histoire et pour l’histoire. Le champ de
l’histoire ouvre à l’adepte de la voie le travail humain sur
la matière du monde et la construction de la cité humaine.
La vision sociale de l’évangile la démarque de
l’individualisme religieux où la piété sert d’excuse à
l’engagement communautaire. L’individualiste religieux
est un intimiste obsédé par son salut. Il se replie sur lui-
même et se retire des affaires du monde. Mais depuis
l’entrée de Dieu dans l’histoire humaine par l’incarnation
rédemptrice de son Fils unique, la germination de l’unité
de la communauté humaine se poursuit dans l’humus de
l’humanité en réhabilitant la valeur de l’engagement
social.
Dans son rapport au monde, le Père suscite en son Fils
incarné, le projet de rassembler en une famille unique tous
les enfants de Dieu qui participent à sa vie d’amour dont
le caractère terrestre est éminemment mystique, historique
et social.
La finalité de l’évangile est de construire une société
humaine voulue par Dieu en Jésus-Christ. Cette société
humaine voulue par Dieu en Jésus-Christ est celle du
nouveau peuple de Dieu qui accepte de suivre la conduite
salutaire du prédicateur itinérant du royaume de Dieu,
crucifié et ressuscité dont l’Esprit réunit les membres
fragmentés de l’humanité. Cette société devient
l’incarnation historique et permanente de l’Esprit du
Christ. Le lieu de déploiement de cette société humaine à
visage christique est le monde où s’édifie une
communauté des enfants de Dieu à l’image et à la
ressemblance du rédempteur. Le rassemblement des
enfants de Dieu dans le Corps mystique du Christ,
s’oppose à tout individualisme, à tout collectivisme et à

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tout totalitarisme. Le Corps mystique du Christ admet
l’interpénétration harmonieuse de toutes les traditions
religieuses et culturelles dans leur dénominateur commun.
En effet, la race d’Adam, à la suite des rivalités fratricides
et mimétiques, a perdu son unité en se désagrégeant en
une multitude de sociétés closes. Devant cette détresse et
cette souffrance de l’humanité divisée, Dieu par
compassion, a fait vivre au sein de la race d’Adam, son
Fils unique en homme authentique dont la mission était de
rétablir l’unité originelle de l’humanité avec Dieu et
susciter une fraternité victorieuse de la guerre de tous
contre tous. Cette œuvre de salut manifeste la passion
d’unité qu’éprouve le Père à l’égard de l’humanité divisée.
L’humanité, à travers l’œuvre rédemptrice du Fils, est
appelée à se constituer en une société spirituelle qui
restaure le lien d’amour que Dieu a noué à l’origine en
créant la race d’Adam. L’œuvre du salut de l’humanité
n’est pas seulement un mouvement fraternel extensif, mais
un véritable projet d’édification d’une société organisée
en vue de la communion. Elle est un appel de Dieu, à
travers l’œuvre rédemptrice du Christ, à une commune
expérience de sociabilité inclusive, spirituelle et
universelle. Cette société spirituelle est l’antidote d’un
style de vie solitaire et égoïste incompatible avec
l’incarnation rédemptrice du Fils unique de Dieu venu
dans le monde, pour réunir du haut de sa croix les
membres dispersés de l’humanité. L’œuvre du salut de
l’humanité par le Christ met en évidence la solidarité
universelle des membres de l’humanité réconciliés par la
mort et la résurrection du Fils. La nouvelle solidarité
vécue à travers l’œuvre du salut du Christ est rendue
présente et effective par les sacrements de l’Église. Le
Christ ressuscité s’y présente comme le sacrement
primordial du Père. Le Christ ressuscité qui par son
incarnation, introduit l’humanité à la désignation de Dieu
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comme Père, fonde la nouvelle fraternité des enfants de
Dieu adoptés et réunis dans son Corps mystique par le don
de l’Esprit du Père et du Fils. L’eucharistie célébrée en sa
mémoire renforce l’union des frères dans la nouvelle
famille de Dieu. L’œuvre de rédemption de la famille
humaine opérée par le Christ en croix n’exclut aucun
membre de l’humanité. Elle est ordonnée à la communion
au Dieu trinitaire. Cette communion fraternelle fondée sur
l’ouverture au Dieu trinitaire se déroule dans le cours de
l’histoire et s’achève au-delà du temps dans le secret du
mystère de Dieu. Elle s’oppose à toutes les théories
d’évasion bouddhistes et platoniciennes. Elle partage
l’histoire du salut entre la promesse et l’accomplissement,
l’Ancien Testament et le Nouveau Testament.
L’avènement du Fils de Dieu dans l’histoire humaine est
l’événement le plus décisif qui donne un sens transcendent
à la lettre de l’Écriture. Cet avènement place au centre de
l’histoire l’indicatif social de la foi en Christ. Le
rassemblement de l’humanité en Christ est le tournant le
plus décisif de l’histoire humaine. Le Christ devient la
pierre d’angle et la clef de voûte de l’édification de la
société humaine voulue par Dieu. Achèvement à venir des
efforts des membres de l’humanité pour se relier entre
eux, ce rassemblement n’est autre que l’édification du
Corps du Christ à la suite d’une longue préparation
animée par la pédagogie divine. Dans cette histoire du
salut, l’Église est ordonnée au rassemblement de
l’humanité. Beaucoup de nations et de religions, dans
l’anonymat de leur foi implicite au Christ marchent vers
sa lumière. Le but de la mission chrétienne est de préparer
l’option spirituelle de la foi explicite au Christ qui réunit
l’humanité. Si la grâce opère au-delà des limites de
l’Église, la foi explicite au Christ réunissant l’humanité
exige la responsabilité des croyants collaborant avec les
autres membres de l’humanité dans un dialogue

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interreligieux aboutissant à l’inscription du Fils de Dieu
comme cœur et tête de l’univers.
La dimension cosmique du Christ invite tout homme à la
solidarité pour sauver le monde de la violence et de la
fragmentation haineuse qui divise. Gardienne de la
vocation spirituelle de l’humanité à l’unité, l’Église est un
instrument de réunion spirituelle de la famille humaine.
Le fondateur de cette nouvelle famille humaine au-delà de
toute distinction de condition sociale, de race, de sexe, de
religion n’est autre que Jésus-Christ qui révèle l’amour et
la tendresse d’un Père qui réunit ses enfants pour un
monde juste, pacifique et réconcilié. Tout membre de
l’humanité créé à l’image et à la ressemblance de Dieu est
le frère ou la sœur de Jésus-Christ, image parfaite de Dieu
au cœur du cosmos. Le semblable devient le frère ou la
sœur cheminant ensemble dans l’accueil mutuel. La
nouvelle famille de Dieu en Jésus-Christ est l’espace de la
fraternité et du lien de solidarité où le respect de l’autre
dans sa différence singulière fonde des rapports de
complémentarité et de soutien mutuel. L’imitation du Père
qui aime sans limite et pardonne avec une générosité sans
faille est le modèle de conduite proposé aux membres de
la nouvelle famille de Dieu.

3- Le rapport de Jésus-Christ à la société


éternelle de la Trinité
Les conciles christologiques ont une importance capitale
dans la réflexion théologique aboutissant à la clarification
du mystère de Dieu comme Trinité. La trinité est une
mystérieuse société éternelle de trois personnes divines
dialoguant dans un climat d’amour et préoccupée de
l’avenir du monde et de l’histoire.
Le terme Trinité apparaît vers la fin du deuxième siècle de
l’ère chrétienne. Il est associé à la pratique du baptême, où
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les trois articles du Credo expriment la profession de la foi
aux trois noms divins : Père, Fils et Esprit Saint. La
personne baptisée croit « en Dieu, le Père tout- puissant,
créateur du ciel et de la terre ». Elle professe Jésus-Christ,
le Fils unique du Père comme celui qui est mort pour le
salut de l’humanité. La personne baptisée confesse dans la
foulée la seigneurie de l’Esprit Saint qui confère la vie
divine et anime l’activité liturgique, communautaire et
missionnaire de l’Église. La perception de la Trinité dans
la pratique du baptême est un témoignage de foi qui scelle
l’engagement du chrétien dans le monde. Par la pratique
du baptême, le disciple de Jésus reçoit l’Esprit Saint au
nom du Fils pour la glorification du Père dans le monde et
l’histoire.
Les saintes Écritures méditées par les premiers chrétiens
leur rappellent les trois acteurs du salut : le Père, le Fils et
l’Esprit Saint. Ces trois personnes vivantes sont au cœur
de la profession baptismale. Le Père créateur révélé par le
Fils bien-aimé vivant en lui par son Esprit est la réalité
finale et ultime qui s’impose à l’expérience chrétienne8.
La foi chrétienne reconnaît une seule et même divinité à la
mystérieuse société éternelle et indivisible de trois acteurs
du salut humain ; le Père, le Fils et l’Esprit Saint.
En professant leur foi aux personnes trinitaires, les
premiers chrétiens se rangent parmi les monothéistes. Ils
se démarquent des polythéistes qui croient à une pluralité
de dieux. Ils prennent aussi leur distance par rapport aux
monothéistes modalistes qui, dans la subtilité de leur
théologie savante présentent les noms divins comme des
manifestations variées d’un seul et même Dieu créateur.

8
HIPPOLYTE de Rome, La Tradition apostolique, XXI.

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Pour les premiers chrétiens, l’unité divine en trois
personnes est sauvegardée par la mystérieuse société
éternelle commune ouverte à la communication des sujets
dans leur espace interne.
Cette foi trinitaire préservée par la tradition apostolique
sera très vite confrontée aux conflits d’interprétation.
Dans la première moitié du troisième siècle, Tertullien en
Afrique du Nord et Origène à Alexandrie vont tenter de
penser la foi trinitaire. Ils vont utiliser les catégories
philosophiques pour rendre compte du mystère en un
langage culturel qui ne relève pas de la tradition de foi.
Il y a une seule substance ou nature divine en trois
réalités ou individualités subsistantes (« hypostases »)
ou personnes9
Mais l’événement de foi qui va provoquer une réflexion
radicale de la foi trinitaire fut déclenché au début du
quatrième siècle par la prédication de l’évêque
d’Alexandrie qui affirme que le Fils est « coéternel » au
Père. Cette manière de parler du Fils scandalisa Arius, un
prêtre d’Alexandrie qui proposa de concevoir le Fils
comme un être créé, avant toutes choses, à la parfaite
ressemblance du Père. Cette proposition a le mérite de ne
pas poser deux principes à l’origine de toutes choses.
Le concile de Nicée en 325 fut convoqué pour examiner
laquelle des formules proposées est la plus conforme à la
foi chrétienne.
Si le Fils communique à l’humanité, la filiation divine
adoptive, il faut qu’il soit uni et égal au Père de toute

9
Joseph MOINGT, Les Trois Visiteurs. Entretiens sur la Trinité.
Propos recueillis par Marc Leboucher. Desclée se Brouwer, Paris,
1999. p. 23.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 19


éternité. Il faut qu’il soit Fils du Père par origine
partageant la même nature que le Père qui l’engendre
éternellement. Le Fils éternel du Père ne peut avoir le
statut d’une créature si sublime qu’elle soit.
Le concile de Nicée a ainsi proclamé solennellement la
consubstantialité du Fils avec le Père. Il s’est servi du
credo baptismal de l’Église de Césarée comme règle de
foi.
Nous croyons en un Dieu, Père tout puissant, créateur
de toutes choses visibles et invisibles ; et en un
Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu, unique engendré
du Père, c’est-à-dire de la substance du Père, Dieu de
Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu,
engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui
tout a été fait, ce qui est dans le ciel et ce qui est sur la
terre ; qui pour nous, les hommes, et pour notre salut,
est descendu, s’est incarné, s’est fait homme, a souffert,
est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux et
viendra juger les vivants et les morts ; et en l’Esprit
Saint.

Pour ceux qui disent : « il fut un temps où il n’était


pas » et « Avant de naître, il n’était pas » et « Il a été
créé du néant » ou qui déclarent que le Fils est d’une
autre substance ou d’une autre essence, ou qu’il est
soumis au changement ou à l’altération, l’Église
catholique et apostolique les anathématise 10
L’enseignement du concile de Nicée en continuité avec la
tradition apostolique affirme le fait de l’incarnation du Fils
de Dieu dans l’histoire humaine. L’incarnation du Fils de
Dieu dans l’histoire humaine atteint son moment

10
Gervais DUMEIGE, La Foi Catholique. Editions de l’Orante, Paris,
1975, p.6.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 20


fondateur dans l’événement historique de la mort et de la
résurrection du Fils de Dieu qui répand son Esprit pour
transformer le monde en famille de Dieu. Le désir de Dieu
d’établir sa demeure dans le monde et l’histoire s’est
traduit par la délocalisation du Logos qui était au
commencement auprès de Dieu, dans le champ de
l’expérience humaine. En devenant un homme
authentique, le Logos, la seconde personne de la sainte
Trinité, vient établir la demeure de Dieu parmi les
membres de l’humanité (Jn 14, 3.23). Le Dieu trinitaire
qui est pour l’humanité est en Jésus-Christ avec
l’humanité. Par le don commun de l’Esprit du Père et du
Fils, l’humanité est sous la conduite du Troisième de la
sainte Trinité qui l’anime par ses dons variés et sa
présence fortifiante et réconfortante.
L’identité du Saint Esprit au sein de la Trinité a fait l’objet
de débats passionnés au sein de l’Église des premiers
siècles chrétiens. A la suite du Père et du Fils, l’Esprit
Saint est l’excès d’amour du Père et du Fils déversé sur le
monde pour le transformer en règne de Dieu. La
surabondance du don de l’Esprit Saint est au travail dans
l’Église et dans les traditions religieuses de l’humanité
pour y révéler la Trinité et construire un monde fraternel
de justice, de développement, de paix, de réconciliation et
de préservation de l’environnement.
L’Esprit Saint agit au cœur de l’humanité
indissolublement uni au Père et au Logos fait chair. Il est
donné aux disciples de Jésus-Christ pour rassembler en un
seul corps, l’Église. Grâce à l’Esprit Saint, le Père
continue d’engendrer d’autres enfants à l’image du Fils
unique. L’Esprit Saint est le milieu dynamique où
s’échange la vie trinitaire entre les membres de l’humanité
sauvés par l’acte rédempteur du Fils unique et bien-aimé
du Père. Il est l’Esprit de communion qui rend possible la
communication entre les chrétiens. Il permet aux chrétiens
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 21
de s’adresser au Père par Jésus-Christ en rendant grâce.
L’esprit Saint inspire la liturgie chrétienne et distribue les
charismes comme le don de guérison, de prophétie, de
prédication et de services liés à l’amour. L’Esprit Saint
anime la vie de la communauté chrétienne. Il rend présent
le Christ ressuscité qui réconcilie les êtres humains avec
Dieu (2 Co 5, 19-20). Il est l’Esprit qui désarme
l’humanité en proie à la violence. Il sème l’amour en
créant des espaces de concorde et de paix dans les cœurs
et les esprits. Donné et envoyé par le Père, l’Esprit Saint
procède du Père par le Fils. L’Esprit Saint est partout où
la foi au Christ est enseignée à travers l’évangile et les
sacrements. Au-delà des différences de formulations de
foi, de rites et de disciplines, L’Esprit Saint initie les
enfants de Dieu à l’adoration du Père en esprit et en vérité.
Il achemine les vrais adorateurs du Père au règne de Dieu
proclamé par le Fils. L’Esprit Saint est aussi présent de
façon discrète dans les traditions religieuses de l’humanité
qu’il anime de l’intérieur en inspirant les actes de bonté,
de créativité et d’union des cœurs. En tant qu’esprit de
réconciliation, l’Esprit Saint travaille au cœur des
traditions culturelles pour rapprocher les nations entre
elles en tissant les liens de solidarité entre les peuples. En
tant qu’esprit de solidarité, l’Esprit Saint ignore les
frontières et œuvre pour l’unification du monde et de
l’histoire.
En tant que souffle animant le corps ecclésial du Christ,
L’Esprit Saint fait parler les prophètes chrétiens en leur
rappelant les enseignements de Jésus. Il console les
chrétiens dans leur effort de témoignage. Il inspire les
prières et confirme l’action chrétienne. Activement
présent dans les pensées, paroles et gestes des chrétiens,
l’Esprit Saint s’efface comme l’hôte intérieur produisant
des fruits visibles comme, la joie, la paix et l’amour (Ga 5,
22).
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 22
Lien d’unité de la Trinité, L’Esprit Saint suscite dans
l’histoire humaine, les relations interpersonnelles et
communautaires.
Le concile de Constantinople I en 381 a proclamé la
divinité de l’Esprit Saint en le nommant « Seigneur » et en
le désignant comme la source de vie et de grâce recevant
dans l’Église, la même adoration que le Père et le Fils.

4- Le rapport de Jésus-Christ à l’unité du


genre humain
Dieu s’est dit dans l’histoire à travers un homme, Jésus-
Christ qui est sa manifestation. Ce don de Dieu à
l’humanité a une portée universelle. Les Apôtres ont été
choisis pour être les « ambassadeurs » du Christ (2 Co
5,20). Ils sont les témoins du Christ pour annoncer
publiquement son message d’unité à tout le genre humain.
En Jésus-Christ, les membres de l’unique humanité sont
appelés à former un seul « peuple saint », pour connaître
Dieu selon la vérité et le servir dans la sainteté (Lumen
Gentium 2,9).
Le genre humain dans son ensemble est donc l’objet du
souci de Dieu dans son projet de révélation, d’alliance et
de rédemption. L’acte salutaire de Dieu en Jésus-Christ est
une œuvre de réconciliation qui vise à communiquer la
filiation divine à tous les membres de l’unique humanité.
Cette filiation divine partagée dans le corps mystique du
Christ a un caractère historique et international. Elle
déborde l’histoire pour introduire l’humanité dans la vie
intradivine. Le salut de l’humanité qui réside dans son
unité et dans sa communion avec le Dieu Trinitaire est lié
aux événements où le Père, sur sa propre initiative, à
travers âges, règnes, économies, dispensations, alliances et
lois, intervient pour restaurer la plénitude de sa vie de
communion et d’unité avec le genre humain.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 23
Le temps de l’Église est celui qui invite tout membre de
l’humanité à s’agréger socialement au corps unique du
Christ par le baptême. Le baptême est ainsi le signe
d’entrée d’un membre de l’humanité dans la communauté
du Rédempteur. Le baptême exprime le mystère de
l’incorporation de tous et de chacun au Christ
Rédempteur. Sacrement d’union et de communion, le
baptême associe les membres de l’humanité au mystère
pascal du Christ. La personne baptisée jouit d’une dignité
surnaturelle s’enracinant dans l’unité du projet de la
création et de la rédemption. La nature humaine du Fils
unique de Dieu fait homme est le lieu de concentration de
la solidarité totale des membres de l’humanité. En lui, est
rétablie l’unité surnaturelle de l’humanité avec Dieu tout
autant que l’unité des membres de l’humanité entre eux.
Le Christ, aussitôt qu’il existe, porte en lui
virtuellement tous les hommes…Il s’est incorporé à
notre humanité, et il se l’est incorporé…En assumant
une nature humaine, c’est la nature humaine qu’il s’est
unie, qu’il a incluse en lui, et celle-ci tout entière lui
sert en quelque sorte de corps…Tout entière il la
portera au calvaire, tout entière il la ressuscitera, tout
entière il la sauvera.11
Par son incarnation rédemptrice, le Fils Unique de Dieu
fait homme affranchit l’humanité de ses divisions en lui
proposant une adhésion sociale à l’organisme de salut
qu’est la société spirituelle des cohéritiers de Dieu en
Christ.
Pierre d’angle de l’édifice de la nouvelle humanité, le
Christ par sa mort en croix et sa résurrection a renversé le

11
Henri de LUBAC, Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme,
coll. « Unam Sanctam », Paris, Éditions du Cerf, pp 14-16.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 24


mur de séparation entre Juifs et Païens et a opéré la
réunion spirituelle de la nouvelle humanité sous le signe
de la réconciliation.
L’humanité est certes assujettie aux murs de séparation
qui engendrent malheurs, détresses et souffrances. Et seul
Dieu peut briser les murs de haine que les peuples dressent
entre eux et libérer l’humanité de ses divisions
meurtrières. Mais précisément, Dieu triomphe du mal des
divisions de l’humanité par le Christ Réconciliateur, mort
et ressuscité, pour réunir tout ce qui est séparé. C’est en
constituant un peuple nouveau, le peuple de la nouvelle
Alliance, que le Christ Réconciliateur communique, par
son Esprit, les dons de la concorde et de la paix.
L’œuvre salutaire du Christ équivaut à une triple réunion
spirituelle. Les membres de l’unique humanité se
réconcilient entre eux en suivant la conduite pacifique du
Christ. Par son union intime avec le Christ, l’humanité se
réconcilie avec Dieu. En acceptant le message d’amour de
Jésus-Christ, l’humanité enterre ses haches de guerre.
Le message d’amour de Jésus-Christ milite en faveur de
la cessation de toutes les divisions aliénantes qui
oppriment les membres de l’humanité. Ce message de
solidarité totale des enfants de Dieu en vue de leur
unification en Christ, encourage le redressement de
l’existence sociale dans la perspective de rapports
interpersonnels qui culminent dans la communion filiale et
fraternelle et dans le dialogue au sein des sociétés
spirituelles pluralistes de caractère international.
Le désir originaire de Dieu est de susciter dans le temps,
une humanité unifiée en Christ. Cette unité spirituelle est
fondée sur l’héritage commun de la création. Don à
partager ensemble, la création est un bien commun
ordonné à la réunion spirituelle de l’humanité. Nul ne peut
dire siens les biens communs de la création. La mise en

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 25


commun des biens de la création est le signe de l’unité
spirituelle à venir. Ainsi le salut de l’humanité ne peut être
que la constitution d’une unique communauté dont les
membres se considèrent comme de véritables frères et
sœurs. Dans cette perspective christologique, être sauvé,
c’est devenir membre de l’unique communauté de partage,
de service et de témoignage de la solidarité totale des
enfants de Dieu. Dans cette communauté humaine, une et
diverse, chaque membre de l’humanité se réalise comme
membre du corps du Christ dans l’exacte mesure où il se
met au service des autres. Le mystère de l’unité de la
communauté humaine évoque l’unité du Dieu trinitaire où
l’amour réciproque du Père et du Fils donne lieu à la
procession du Saint Esprit.
Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’eux
aussi soient un en nous afin que le monde croie que tu
m’as envoyé… Un comme nous sommes un, moi en eux
et toi en moi, pour qu’ils soient parfaitement un et que
le monde sache que tu m’as envoyé et que tu les as
aimés comme tu m’as aimés (Jn 17, 21.23).
En effet, c’est l’amour dont le Père aime le Fils, amour
communiqué aux membres de l’humanité par le Fils
unique fait homme, qui construit l’unité de la nouvelle
communauté humaine. Cet amour est l’activité même de
Dieu qui sauve l’humanité par le Fils invitant les membres
de l’humanité à aimer Dieu comme il les aime. Cet amour
est l’Esprit même du Père et du Fils répandu dans le cœur
des membres de l’unique Corps du Christ pour qu’ils
s’aiment dans la constitution de l’unité de la communauté
humaine. Habitant les cœurs des baptisés, L’Esprit du Père
et du Fils noue ensemble ceux qui appartiennent au Fils.
Saint Irénée n’hésitait pas à affirmer qu’il
n’y a qu’un Dieu Père, et qu’un Logos Fils, et qu’un
Esprit, et qu’un salut pour tous ceux qui croient en
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 26
lui…Il n’y a qu’un salut, comme il n’y a qu’un Dieu. Il
n’y a qu’un Fils qui accomplit la volonté du Père, et
qu’un genre humain, dans lequel s’accomplissent les
Mystères de Dieu.12
L’affirmation d’un Dieu unique est liée au projet de la
réalisation d’une humanité unifiée. Cette humanité
s’unifie autour du Christ réconciliateur du genre humain
contaminé par les germes de divisions. C’est le mystère du
Christ réconciliateur du genre humain qui illumine et
transfigure la condition humaine blessée par les conflits et
les divisions.
Le déchirement de l’unité humaine est le péché par
excellence. Origène et Maxime le Confesseur avaient-ils
compris le péché originel comme une séparation et une
fragmentation. L’humanité sortie des mains de Dieu
comme un seul tout, fut à la suite du péché originel, brisée
en mille morceaux et en une myriade de sociétés
antagonistes aux tendances violemment discordantes.
Cette dysharmonie entraîne la dispersion du genre humain
et le mal en son essence sociale qui est la constitution de
centres d’hostilités dans une guerre de tous contre tous.
L’œuvre du salut du Christ en croix est de réunir les
membres dispersés et détachés du corps de l’humanité. Le
Christ fera de tous les peuples un seul royaume du Fils de
l’homme rétablissant ainsi l’unité perdue du genre
humain.
Œuvre de réconciliation et de restauration de l’unité de la
communauté humaine, la Rédemption est l’acte par lequel
le Dieu miséricordieux de Jésus-Christ recueille les
fragments brisés de l’humanité en les fondant au feu de

12
Saint IRÉNÉE, Adv. Haereses, 4, 6, 7 ( P.G. 7, 990), 4, 9, 3 (998); 5
in fine (1224).

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 27


son amour. La Rédemption est la recomposition embellie
de l’humanité sous le signe de la croix. Essentiellement
sociale, la Rédemption est la constitution même de la
société spirituelle des membres de l’humanité au sein de
l’unique organisme de grâce qu’est l’Église.
Le Christ dans cette perspective ecclésiologique est Celui
qui vient regrouper autour de lui l’humanité. Il fonde par
son acte rédempteur l’unique communauté de tous les
membres de l’humanité, de quelque nation qu’ils soient. Il
inaugure la vie sociale conforme à la volonté divine.
Le salut de l’humanité ne se limite pas au destin des
nations séparées. Il concerne tous les membres de
l’humanité réunis en sociétés spirituelles dans l’unique
corps du Christ.
Les divisions qui affectent les relations sociales entre les
membres de l’humanité sont les champs privilégiés du
salut qu’apporte le Christ réconciliateur et restaurateur de
l’unité de la communauté humaine envisagée sous l’angle
de l’unique famille de Dieu créée à l’image et à la
ressemblance du Dieu trinitaire de la tradition chrétienne.
L’humanité étant impuissante par elle-même à s’arracher à
ses divisions internes, le recours au Dieu de Jésus-Christ
éclaire justement le mystère de la communion fraternelle
qui n’est possible qu’avec l’intervention gracieuse, dans
l’histoire humaine, du Dieu d’amour des chrétiens.
En effet, l’épître aux Hébreux décrit Jésus, le Fils Unique
de Dieu fait homme, comme « l’initiateur du salut » (He
2,10). Envoyé dans le monde pour le sauver (Jn 3, 17),
Jésus par son ministère d’unité, a donné, par sa vie, sa
mort et sa résurrection, une force de transformation
intérieure, venue de l’Esprit de Dieu, pour libérer les
membres de l’humanité de leurs divisions égoïstes. La
grâce du Christ rend l’humanité capable d’aimer. Avec
l’avènement de Jésus, l’amour de Dieu et du prochain sont
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 28
un seul et même commandement (Mt 22,30). Jésus
instaure une communauté nouvelle fondée sur la justice,
l’amour et la fraternité. A la suite de Jésus, chaque
membre de l’humanité qui aime son prochain, aime Dieu.
La cause de Dieu et de l’humanité représente les revers
d’une même médaille. Le meilleur culte rendu à Dieu
équivaut au service du prochain. L’amour d’autrui à la
suite de Jésus devient l’unique chemin pour aller à Dieu.
Dieu entre ainsi dans l’histoire humaine par la voie du
service fraternel : quiconque se fait le prochain de tout
membre de l’humanité est sauvé, car il participe à
l’édification de la société spirituelle qui l’unit à Dieu et
aux autres membres de l’humanité.
La réunion spirituelle de l’humanité autour du Christ, roi
de l’univers est la conséquence mystique de l’amour du
prochain. En effet la relation fraternelle avec les membres
de l’humanité a sa référence et son fondement ultime sur
le mode de relation paternelle de Dieu avec ses créatures.
Elle se greffe sur les multiples réseaux de relations
interpersonnelles, présents au sein de l’humanité : groupes
divers, associations de toutes sortes, mouvements sociaux,
fédérations d’états souverains, ethnies, états et nations.
Sans abolir les structures originales des groupes humains
qui servent de supports à l’expression de la réunion
spirituelle de l’humanité, le Christ répand son Esprit dans
le monde et l’histoire pour entrer en dialogue avec les
communautés. Il promeut l’unité vitale des membres de
l’humanité par la hiérarchie d’une Église visible et sociale
au service du genre humain. Cette hiérarchie, dans la
diversité des fonctions de prédication, d’administration
des mystères du Christ et dans la gestion du bien commun
de la création unit les efforts convergents de tous vers le
Christ total, prolongement social du Fils Unique de Dieu
fait homme.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 29


La structure hiérarchique d’unité du Corps du Christ chez
Paul se complète par la vision johannique de l’unité de vie
qui circule à travers tous les rameaux de la vigne.
L’évangéliste Jean, tout en insistant sur le rapport intime
et personnel de chaque membre de l’humanité avec le
Logos fait homme, ne perd pas de vue l’unité totale de
tous ceux qui sont illuminés par le Fils Unique de Dieu
dans le sanctuaire de leur conscience. Le Logos fait chair
est Celui qui en personne réalise l’unité de tous ceux qui
sont unis à lui dans le cadre de la Nouvelle Alliance de
Dieu. La qualité du rapport au Logos fait homme se
vérifie par la qualité du rapport aux autres membres de
l’humanité.

5- Le rapport de Jésus-Christ à l’Église.


L’Église est le lieu concret de l’annonce de Jésus-Christ
aux membres de l’humanité. Elle est le lieu de la
prédication de l’évangile. L’Église est l’espace où
circulent les récits de la vie du Fils Unique de Dieu fait
homme, mort et ressuscité pour le salut du monde et de
l’histoire. L’Église achève l’œuvre de la réunion
spirituelle de l’humanité. Elle répand la bonne nouvelle de
Jésus-Christ et communique le salut qu’il apporte à
l’humanité. L’Église est le lieu où s’accomplit le dessein
mystérieux du salut des membres de l’humanité blessés
par leurs divisions. En attirant vers elle les membres de
l’humanité divisés par le péché, par l’action de l’Esprit du
Christ, l’Église reconstitue l’unité perdue de l’humanité.
L’Église est catholique dès le matin de Pentecôte où elle
reçut la mission d’évangéliser le monde. Elle a l’ambition
d’atteindre tous les membres de l’humanité et de les
rassembler en une unique famille de Dieu. Proclamant la
bonne nouvelle du salut des membres de l’humanité
divisés par le péché, l’Église, dans son cheminement à

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 30


travers le temps et l’espace, sait s’adapter aux contextes
variés de la nature humaine et des cultures. Les membres
de l’humanité, quelles que soient leur origine, leur culture
ou leur condition sont appelés à devenir un dans le Christ.
« Sacrement du Christ ressuscité » dans le monde, l’Église
obéit à l’ordre de mission du Christ : « Allez donc : de
toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom
du Père et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19).
S’étendant en profondeur dans les multiples couches de
l’humanité, l’Église est le lieu d’ouverture universelle aux
membres de l’humanité qu’elle appelle à s’unir à la
personne du Fils Unique de Dieu fait homme pour unir le
genre humain. N’excluant personne, l’Église est la maison
ouverte qui accueille sans discrimination les membres
perdus de l’humanité. Comme une mère, elle étend ses
bras pour accueillir tous les enfants de l’humanité.
Ouverture à Dieu dans le rapport aux autres, L’Église est
issue des signes merveilleux de la Pentecôte. L’Esprit
Saint répandu sur toute chair, selon la prophétie de Joël,
éclaire la destinée de l’humanité. Le Corps du Christ se
constitue dès la Pentecôte pour achever l’humanité
nouvelle, née de la passion, de la mort et de la résurrection
du Fils de l’homme. Par l’Église née du souffle de
l’Esprit, l’unité de l’humanité devient une réalité
enracinée dans le monde.
Ainsi la diversité des langues grâce aux signes
merveilleux de la Pentecôte est au service de l’unité. La
discorde de Babel avait désagrégé le monde sous l’effet du
péché d’arrogance, le ministère apostolique, à la suite de
Jésus ressuscité et Seigneur de l’Église, donne un nouvel
élan à la réunion des membres dispersés du genre humain.
De nouveau reliés au Christ, l’unique tête, les membres de
l’unique Corps du Christ s’ouvrent à une fraternité sans
frontière. Le Christ se présente comme l’unique médiateur
des relations des membres de l’humanité avec Dieu
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 31
comme il l’est de leur unité. Par l’Esprit répandu sur toute
chair, il confère à l’humanité l’adoption filiale. Peuple de
la nouvelle Alliance, l’Église est la fiancée et l’épouse du
Christ. L’Église est l’Israël spirituel. Ceux qui
appartiennent au lignage du Christ ont part aux promesses
faites à Abraham. Tous ceux qui adhèrent au Christ dans
l’Église, sont des Israélites selon l’Esprit. Ils ont comme
ancêtres communs les patriarches, les sages inspirés, les
rois fidèles, les prêtres et les prophètes d’Israël. Héritant
du Judaïsme une conception d’un salut essentiellement
social, l’Église dans son destin collectif est donc une
nation sainte qui prolonge dans le temps et l’espace
l’unique médiation du Christ. Mandataire du Christ, elle
est la servante et la messagère de la réunion spirituelle de
l’humanité. Son universalisme se démarque de celui des
religions au cosmopolitisme vague. L’Église est une
société spirituelle irréductible à toute autre. Porte-parole
du Christ, l’Église est inséparable de son fondateur.
Création originale de l’Esprit, l’Église n’est pas non plus
une fédération d’assemblées locales. Peuple convoqué,
l’Église est la totalité du peuple de Dieu. Réalité concrète,
personnelle et sociale, l’Église est la Mère de qui le
chrétien apprend à s’ajuster au Père du Rédempteur. Saint
Cyprien ne dit-il pas : « Il ne peut avoir dieu pour Père,
celui qui n’a pas l’Église pour Mère » ?
Cette Église dans son mystère christique, en tant
qu’élément visible, ne coïncide exactement ni avec le
règne de Dieu, ni avec le Corps mystique, ni avec la
chrétienté. Institution historique et trans-historique,
l’Église est à la fois un instrument du salut et la cité de
Dieu où s’accomplit la destinée éternelle de l’humanité.
Voie et terme, l’Église est visible et invisible, temporelle
et éternelle, épouse et veuve, pécheresse et sainte.
L’Église est la prostituée chaste que courtise

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 32


continuellement l’Esprit du Christ pour la purifier de ses
écarts de conduite.
Le mystère de l’Église ne se révèle qu’aux croyants
inspirés par l’Esprit du Christ. C’est en participant
humblement à la vie de l’Église et en évitant de déchirer
son unité par le schisme que le croyant s’ouvre au mystère
de l’Église.
L’Église en effet est un espace de communion avec Dieu
en Jésus-Christ, Fils Unique de Dieu fait homme. Sans
être la somme algébrique de ses membres, sans être une
association d’Églises locales, l’Église ne se confond pas
avec l’organisation administrative et le gouvernement
hiérarchique de ses fidèles. Elle n’est pas non plus une
abstraction spirituelle ou l’idéalisation d’une assemblée
invisible. Société spirituelle de ceux qui croient en Jésus-
Christ, l’Église est au service du règne de Dieu. Elle est la
constitution inachevée du Corps mystique du Christ.
L’Église est la cité définitive de Dieu où Dieu un jour sera
tout en tous.

6- Le rapport de Jésus-Christ aux


sacrements de l’Église.
Les sacrements dans l’Église, sont les signes sensibles de
la présence du Christ ressuscité dans l’humanité et le
monde. Ils sont au service de l’unité du Corps du Christ.
Instruments d’unité renforçant l’union de l’humanité avec
le Christ ressuscité, les sacrements ont une structure
sociale. Liés à l’œuvre de rédemption de l’humanité, les
sacrements font participer le chrétien à la vie de grâce.
Cette vie invisible et intime se communique à travers les
rites et la sève fécondante de l’organisme du salut qu’est
l’Église. Signes d’adhésion sociale au Corps du Christ, les
sacrements sont les signes de solidarité entre les membres
de l’unique famille de Dieu. Les sacrements, concernant
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 33
l’être humain dans la totalité de son essence physique,
sociale et spirituelle, trouvent leur efficacité de signes
posés à l’intérieur de la communauté chrétienne, qui sous
le voile d’une institution humaine cachent et révèlent à
travers les rites, la présence de Dieu au cœur du monde et
de l’histoire humaine.
Les sacrements font participer au don de l’Esprit Saint. Ils
sont les moyens de réunion spirituelle ordonnés au partage
d’une vie de foi, d’amour et de sanctification. Ils mettent
en œuvre les dons de l’Esprit pour la mission de l’Église
dans le monde.
Premier des sacrements, le baptême initie à la vie divine.
Il agrège à l’Église visible. Le baptême incorpore au
peuple de Dieu. Il est le commencement et l’entrée dans la
vie d’union au Christ. La personne baptisée recueille dans
la famille de Dieu les fruits de la rédemption accomplie
dans la mort et la résurrection du Christ. Débarrassée du
vieil homme, la personne baptisée revêt le Christ (Ga
3,27) au sein de la communauté ecclésiale. Investie de
l’Esprit divin, la personne baptisée comme le Christ
ressuscité est élevée à une vie sociale, spirituelle et
mystique nouvelle.
Le sacrement de réconciliation est l’institution
disciplinaire au service de la purification intérieure et de la
réintégration sociale du chrétien qui s’est séparé des autres
membres de la famille de Dieu en péchant gravement
après le baptême. Dans l’acte de réconciliation du pécheur
avec le peuple saint de Dieu, le ministre de l’Église
représente le Christ et l’Église.
La célébration de l’Eucharistie est, quant à elle, le mystère
de l’union la plus profonde avec le Christ s’offrant au Père
pour l’œuvre du salut de l’humanité. Elle est aussi le repas
du Seigneur qui unit les frères du Fils Unique de Dieu fait
homme. Action de grâce de l’humanité rendant hommage

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 34


au Dieu de la Nouvelle Alliance, l’Eucharistie est l’acte
public par lequel les frères du Fils Unique de Dieu fait
homme manifestent à Dieu qu’ils l’aiment par-dessus tout.
Mystère de foi, l’Eucharistie est le sacrement par
excellence de l’unité qui est le centre et le sommet de la
liturgie ecclésiale. Signe de l’unité, lien de charité,
symbole de la concorde, le sacrement de l’Eucharistie
construit le Corps véritable et total du Christ, l’Église.
Les autres sacrements peuvent être présentés dans une
perspective analogue. Ainsi le sacrement de mariage est
pour le couple chrétien la promesse de vivre ensemble
pour toujours dans l’amour en vue de la constitution de
l’Église domestique. « Aussi l’homme laisse-t-il son père
et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent
une seule chair » (Gn 2,24).
Le sacrement de l’ordre est au service de la croissance du
Corps du Christ et le sacrement de l’onction des malades
est un sacrement de réconciliation. Quant au sacrement de
confirmation, il remplit du Saint Esprit la personne
baptisée sanctionnant la maturité de son engagement
chrétien dans le monde.
Les sacrements font du chrétien un membre vivant du
Corps du Christ en lui donnant un support social, spirituel
et mystique. Ils préparent les chrétiens à la cité céleste,
symbole de la beauté, de l’harmonie et du bonheur sans
ombre. Les mots humains sont pauvres pour exprimer les
biens du monde à venir dans la cité de Dieu. L’analogie de
la cité terrestre est impuissante à exprimer la véritable
unité des élus de Dieu dans la cité céleste. Dans la cité
céleste, les élus partagent une gloire commune à la fin de
leur pèlerinage terrestre. Unanimes, ils sont transformés
par la plénitude de la présence de Dieu en eux et entre
eux. Apothéose d’une solidarité totale, les élus de Dieu
forment l’unique Corps du Christ en son achèvement.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 35


Communion de personnes qui s’aiment sans extériorité,
sans confusion, comme sans absorption, les élus de Dieu
vivent du même amour. Ils sont en Dieu et Dieu est en
eux.
En attendant la fin des temps où le monde visible sera
transformé, nous sommes assurés dans le Christ ressuscité
de la victoire définitive de l’amour et du triomphe des élus
de Dieu. A leur endroit, le Christ Johannique ne dit-il pas :
« Père, ceux que tu m’as donnés, Je veux que, là où Je
suis, ils soient aussi avec moi… » (Jn 17,24).

7- La nouveauté de Jésus-Christ dans


l’histoire humaine.
La nouveauté absolue du Christ réside dans sa vision
théologique de l’histoire. Fait unique dans l’histoire des
religions, le message de Jésus-Christ est d’une conception
d’un salut d’essence sociale. Cette conception sociale du
salut a des racines historiques dans le Judaïsme. Religion
existentielle et pragmatique, le Judaïsme a un rapport
concret à l’histoire des croyants qui se mettent à l’écoute
de la révélation de Yahvé à travers Moïse. Le Juif pieux
est le croyant qui écoute son Dieu lui parler à travers
Moïse au sujet de sa vie en tant que membre du peuple de
l’Alliance. Il s’inspire du texte sacré de la Torah par quoi
il interprète le sens du monde et la vie dans le monde.
Le Dieu d’Israël est le Dieu de l’histoire qui s’est révélé à
travers un buisson qui brûlait mais ne se consumait pas.
Ce Dieu a cheminé avec son peuple dans la montagne du
Sinaï et dans sa marche dans le désert en route vers la terre
promise. Ce Dieu a accompagné son peuple au temps des
juges et des rois, au moment des deux exils successifs et
après le retour de l’exil. Ce Dieu s’est intéressé à l’histoire
de son peuple et s’y est impliqué. Ce Dieu parle à son

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 36


peuple pour lui indiquer ce qu’il faut faire pour vivre de
manière juste et heureuse.
Le texte de la Torah est pour le Judaïsme, la Parole
essentielle de Dieu, invitant le Juif pieux à l’interpréter
sans cesse de façon à en vivre dans l’histoire.
Ainsi l’histoire pour le Judaïsme talmudique, est
l’invention toujours nouvelle de la manière de vivre les
multiples sens de la Parole essentielle de Yahvé.
C’est par son obéissance à la Parole essentielle de Yahvé
que le Juif pieux, par ses actions quotidiennes est relié à
Dieu dans l’histoire.
Tout en donnant une consistance à l’histoire où les
croyants sont reliés à Dieu par leurs actes d’interprétation
de la Parole essentielle de Dieu, Jésus-Christ se présente,
dans la nouveauté radicale, d’une intervention gracieuse
de la Parole des origines devenue un homme visible et
palpable. En Jésus-Christ, la Parole des origines, se
délocalise et prend sa place dans l’histoire humaine. Cette
Parole des origines est une personne incarnée qui se rend
vulnérable pour partager la destinée historique des
membres de l’humanité.
En Jésus-Christ, Dieu a un rapport singulier et original
avec l’histoire. Celle-ci est le lieu où le Dieu Trinitaire qui
est Amour manifeste son être pour le monde et pour
l’humanité en se révélant comme une plénitude de
relations débordant en Création, en Rédemption et en
Réunion spirituelle de l’humanité.
Parce qu’il est Amour, le Dieu Trinitaire est un Dieu de
relations. L’histoire humaine est le lieu de la révélation de
Dieu dans son être pour le monde et pour l’histoire.
Le monde païen préchrétien à l’opposé du monde hébreu
et chrétien, dévalorise le monde et l’histoire. Le païen
préchrétien est absorbé par sa subjectivité propre. Son
interprétation du monde et de l’histoire l’enferme dans une
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 37
religiosité intellectualiste et gnostique. S’enfermant dans
des mythes et dans la conception d’un temps cyclique, les
doctrines individualistes d’évasion de l’antiquité
préchrétienne s’opposent à la conception sociale de la
théologie de l’histoire du Judaïsme et du Christianisme.
Elles prônent le détour des vicissitudes du temps et
placent le salut de l’humanité dans son intellect absorbé
par la contemplation des idées subsistantes. Platon, Plotin
et Porphyre furent d’ardents éducateurs de l’âme humaine
qui n’atteint sa libération que dans la contemplation
solitaire des principes de sa fine pointe transcendant le
monde et l’histoire. Quant aux philosophies religieuses de
l’Inde antique, elles étaient en faveur d’une recherche
d’authenticité au-delà du monde et de l’histoire, lieux
d’illusions cosmiques. Toutes ces doctrines individualistes
d’évasion ont en commun leur refus du monde et de
l’histoire. Leurs chemins passent par l’initiation aux rites
secrets réservés à une élite ou à la pratique de l’ascèse ou
de l’extase. Les doctrines individualistes d’évasion de
l’antiquité préchrétienne ont un mépris du temps et de la
destinée commune. Or Jésus-Christ affirme dans son
message, une destinée commune et transcendante pour
l’humanité. L’histoire n’est pleinement possible qu’avec
la proclamation du règne de Dieu par Jésus-Christ. En
effet, l’incarnation du Fils Unique de Dieu fait homme est
l’événement spécial qui marque l’entrée de Dieu dans le
monde et l’histoire. C’est par rapport à cet événement
unique que s’ordonne le temps de l’Église au service du
projet de salut de l’humanité. Le fait du Christ a un
caractère social et historique. Il est la pénétration de
l’humanité par le Christ. Dieu, en son Fils fait Homme,
Jésus-Christ, vécut au sein de l’humanité en se soumettant
aux lois essentielles du temps pour consacrer la densité
ontologique et la fécondité de l’histoire. En habitant la
durée pour l’investir d’un sens et d’une direction, le Fils

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 38


de Dieu fait homme donne à l’histoire humaine une
croissance effective vers le règne de Dieu et le salut de
l’humanité. Ce règne de Dieu et ce salut de l’humanité ont
des étapes successives qui aboutissent à la Rédemption
finale. Une telle conception du règne de Dieu et du salut
de l’humanité a ses racines dans l’Ancien Testament où le
Dieu d’Israël est celui de l’histoire. Lié aux grands
événements de son peuple comme l’exode et l’exil, le
Dieu d’Israël est celui qui interpelle son peuple à travers
Juges, prophètes, rois, sages inspirés et prêtres d’Israël.
Selon la relecture des événements de l’histoire d’Israël
par les prophètes, la destinée du peuple d’Israël est
ponctuée par des interventions gracieuses de son Dieu
dominant l’univers et l’histoire. Ainsi Yahvé, Maître de
l’histoire, exerce t-il sa justice absolue sur le peuple
d’Israël en le libérant ou en le faisant « rebondir » par
rapport à ses catastrophes nationales. Yahvé manifeste sa
grandeur et sa puissance dans l’histoire en chargeant son
peuple d’être le dépositaire de son message de salut pour
le monde (Is 40, 1-5). Ce Dieu d’Israël est ami et
protecteur des sujets humains qu’il libère de la tyrannie
politique et religieuse. Le Dieu d’Israël est celui qui
manifeste sa bonté paternelle aux sujets de l’Alliance. Il
réunit le peuple par la loi de sainteté qui fonde la
possibilité d’une société spirituelle.
La dimension messianique de l’histoire tardive du
Judaïsme valorise les enjeux temporels du Dieu d’Israël
intéressé par l’autonomie politique de son peuple. Israël
attend pour la fin de l’histoire l’établissement d’un règne
de paix, de bonheur et d’harmonie universelle. Durant
cette ère décisive, Israël est censé jouer un rôle capital
dans l’histoire universelle en révélant la gloire de Yahvé à
toute chair. Ce règne est annoncé par l’un des derniers
grands prophètes d’Israël, connu dans la littérature savante
sous le nom de « second Isaïe » (Is 40-55).
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 39
Mais avec l’avènement de Jésus-Christ, le messianisme
Juif reçoit un sens spirituel et l’histoire devient
théologique. Le règne attendu pour la fin de l’histoire est
annoncé proche par le Fils Unique de Dieu fait homme.
Au lieu d’une société politique harmonieuse de
coexistence pacifique, c’est le ferment d’une société
spirituelle qui se glisse subrepticement dans la pâte
humaine. Cette société spirituelle qui ne se confond pas
avec le spirituel et le politique est fondée sur la foi en la
bonne nouvelle du salut de l’humanité, prêchée par Jésus-
Christ, le Fils Unique de Dieu fait homme. La bonne
nouvelle du salut de l’humanité annoncée par Jésus-Christ
et ses disciples ne marque pas une rupture radicale avec
l’espérance du Judaïsme du premier siècle chrétien. Jésus-
Christ vivait dans l’espérance de la proximité du règne de
Dieu. Ce règne de Dieu est le salut offert à l’humanité
sans distinction de pays, de langues et de situations
religieuses. Le règne de Dieu est le message joyeux de
l’incarnation de l’amour de Dieu dans le monde et
l’histoire. Il est un appel à la constitution d’une société
spirituelle ouverte à tous sans exception et au sein de
laquelle chacun prend la place qui lui convient selon le
don gratuit de la filiation divine. Société spirituelle sans
frontière nationale, culturelle et religieuse, le règne de
Dieu est la Trinité présente à ses créatures dans le monde
et l’histoire. Le règne de Dieu, présence de la Trinité
parmi les membres de l’humanité unis à leur tête Jésus-
Christ, est la mise en œuvre de l’amour de Dieu au cœur
du monde et de l’histoire. L'image de Dieu que donne le
règne de Dieu est celle d'un être de relation qui par qui par
amour pour sa créature, envoie son Fils Unique
éternellement présent à lui, dans le monde vivre comme
un homme authentique pour partager la faiblesse, la
finitude et la vulnérabilité de l’humanité. En s’unissant à
l’humanité, dans la faiblesse d’une chair périssable, le Fils

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 40


Unique de Dieu fait homme devient la présence et la
révélation de Dieu au sein de l’humanité. Ainsi Dieu se
manifestant dans l’histoire humaine en existant comme
l’un des membres de l’humanité est l’événement le plus
décisif de l’histoire humaine. Le Fils Unique de Dieu fait
homme, meurt et ressuscite en manifestant sa présence
auprès de ses disciples par le don de son Esprit. Par le don
de son Esprit Saint, le Fils Unique de Dieu, mort et
ressuscité, fait participer l’humanité à la vie intime de
Dieu. Cette participation de l’humanité à la vie intime de
Dieu place l’histoire humaine au point de rencontre avec
l’éternité de Dieu. En Jésus-Christ, Fils Unique de Dieu
fait homme, Dieu s’unit à l’humanité et par le don de son
Esprit Saint, Dieu se lie pour toujours à l’histoire de
l’humanité. A travers son incarnation dans l’histoire
humaine, la seconde personne de la sainte Trinité, partage
la condition mondaine, sociale et historique de l’humanité.
La relation de Dieu au monde par l’incarnation
rédemptrice de son Fils Unique le rend solidaire de
l’humanité. La seconde personne de la sainte Trinité, en
s’incarnant dans l’histoire humaine, se soumet à la loi de
la croissance humaine et aux aléas de la liberté humaine.
Dieu par l’incarnation rédemptrice de son Fils Unique fait
homme, se rend vulnérable et communique au monde et à
l’histoire, la logique de son amour.
Dieu, par l’incarnation de son Fils Unique fait homme, a
reconnu le prochain comme le chemin absolu pour donner
un sens à l’histoire humaine. L’histoire humaine devient
ainsi le lieu par excellence où Dieu sanctifie la vie en
suscitant l’amour qui seul construit la solidarité, la
compassion et le soutien mutuel. L’incarnation du Fils
Unique de Dieu dans l’histoire humaine est un appel de
Dieu invitant l’humanité à la solidarité pour résoudre les
problèmes communs de sa faiblesse et de sa fragilité.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 41


Aussi l’incarnation du Fils Unique de Dieu fait homme
nous oblige-t-elle à changer notre regard sur les
événements du monde. Elle consacre l’amour et le respect
véritable de la dignité de tout être humain créé à l’image
et à la ressemblance de Dieu et sauvé par le Fils Unique de
Dieu fait homme, au prix de son sang versé à la croix.
L’incarnation rédemptrice du Fils Unique de Dieu fait
homme valorise le temps, comme lieu de déploiement de
l’amour. En prenant appui sur le temps et en besognant en
lui, sans réticence, l’humanité s’inscrit dans le livre de la
vie. Placé entre le temps de l’Église et la réalisation du
Christ total, le chrétien est fils de son temps par ses
engagements séculiers et membre de la cité de Dieu par
son attachement à la permanence de l’œuvre de la réunion
spirituelle de l’humanité.

8- Jésus-Christ et l’interprétation de
l’Écriture et du salut en vue d’une
philosophie de la personne humaine
Jésus-Christ donne une interprétation spirituelle de
l’histoire. Dieu en agissant à travers Jésus-Christ se révèle
dans l’histoire. Le chrétien trouve accès à la révélation de
Dieu en Jésus-Christ. Le Dieu de grâce et du salut se
communique librement à travers un homme, Jésus de
Nazareth dont la vie, la mort et la résurrection
transforment l’existence humaine. Une fois pour toutes, le
Fils Unique de Dieu fait homme a produit un événement
unique et indépassable qui est la source et la norme du
salut pour l’humanité. Cet événement eschatologique au
cœur du temps humain transforme l’histoire religieuse de
l’humanité et fait de Jésus-Christ, le centre de l’histoire
humaine. Or, c’est précisément de cela que témoigne
l’Écriture. L’Écriture, est dans la tradition Judéo-
chrétienne, la Parole de Dieu qui est dite sur l’histoire
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 42
universelle. Comme le salut qu’apporte le Christ est
d’essence sociale, son truchement obligé est l’histoire.
L’Écriture est donc moins des livres bibliques à
commenter qu’une histoire universelle à interpréter. Cette
histoire universelle est le lieu de déploiement du mystère
du Christ et de l’Église. Ce mystère est voilé dans la lettre
de l’Ancien Testament qui contient des faits et
événements prophétiques annonçant le Christ et son
Église. Ainsi l’Ancien et le Nouveau Testaments
contiennent le sens spirituel de la réalité incarnée et
historique du Christ et de l’Église. La double et unique
médiation du Christ et de l’Église est annoncée à travers
les promesses et les ébauches du salut trouvant leur plein
accomplissement dans la réunion spirituelle de l’humanité
par le Christ. Seul, le Christ en accomplissant les
Écritures, illumine les ombres et les énigmes de l’Ancien
Testament. Dans la perspective d’une histoire universelle,
l’intelligence spirituelle de l’Écriture discerne la venue du
Christ comme le foyer d’incandescence de la réunion
spirituelle de l’humanité. L’Église du Christ devient
l’instrument efficace du salut du genre humain par sa
réunion spirituelle de l’humanité. L’Église, société
spirituelle est ouverte à tous, par la grâce du Christ. Elle
est le signe de l’unité du genre humain selon les termes de
Lumen Gentium de Vatican II. En Jésus-Christ se réalise
l’unité du genre humain. Jésus-Christ porte à son
achèvement l’effort des membres de l’humanité pour
répondre à leur vocation de créatures spirituelles. Par son
union avec la nature humaine, Jésus-Christ attire
l’humanité à Dieu. Par le libre don du Fils Unique de Dieu
fait homme dans son mystère pascal, Dieu se communique
à l’humanité et l’associe à son éternité. Or, cette médiation
historique de Jésus-Christ est permanente grâce à l’Église.
C’est dans l’Église que

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 43


Dieu nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le
dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-
même pour mener les temps à leur accomplissement :
réunir l’univers entier sous un seul chef, le Christ, ce
qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre (Ep 1, 9-
10).
Tout être humain en recherche de l’Absolu qui l’habite
doit accueillir librement la médiation historique du Christ
qui passe par le témoignage de l’Église à travers le
ministère de la parole, des sacrements et de la conduite
éthique axée sur les obligations de justice et de
communion fraternelle envers le prochain créé à l’image
et à la ressemblance de Dieu. Certes, l’humanité est
habitée par un élan profond vers l’unité, mais cet élan ne
peut aboutir par lui-même.
En sont témoins, les dispersions de l’humanité, le chaos
que crée la violence humaine, les chocs culturels et les
aventures malheureuses de désagrégations sociales.
L’humanité ne peut être rassemblée dans l’unité que par
le Christ. En effet, la condition concrète de l’humanité en
proie à la haine, à la violence et à l’abîme du mal exige la
lumière évangélique du Christ. Cette lumière du Christ est
l’Esprit d’amour inspirant l’unité spirituelle des membres
de l’humanité par la pratique du pardon et de la
réconciliation. L’Église du Christ est donc nécessaire pour
transformer et achever l’effort humain de construction de
l’unité spirituelle de l’humanité. Œuvre de longue haleine,
l’Église est toujours un corps en croissance ou un édifice
en construction. Instrument et signe efficace du salut,
l’Église du Christ est la société spirituelle des membres de
l’humanité qui participent à la vie intime de la Trinité.
La nouveauté du Christ dans l’histoire de l’humanité
poussait les admirateurs des anciens cultes à s’interroger
sur sa pertinence. Pourquoi donc est-il venu si récemment
dans la scène des religions du monde et de l’histoire.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 44
Celse, Porphyre, Symmaque firent le procès de l’arrivée
tardive du Christ sur la scène de l’histoire. La réponse des
Pères de l’Église se situe dans l’économie de la grâce de
Dieu. Dieu dans sa sagesse ont-ils dit, a préparé les
différentes étapes du salut du genre humain. De la loi
naturelle, à la loi mosaïque, l’espace était ouvert à la
manifestation de l’amour qui seul est digne de rassembler
l’humanité en une communauté à l’image de la sainte
Trinité. Cet évolutionnisme surnaturel d’Irénée aide à
comprendre l’arrivée tardive de Jésus-Christ sur la scène
de l’histoire humaine. Dieu s’est ajusté à sa créature
spirituelle et a proportionné la révélation de son être en
fonction des progrès de l’humanité dans l’appropriation de
ses dons. Le Christ est venu tard. Mais il est venu à son
heure. Il est venu au terme de la longue maturation de la
liberté humaine au long de l’histoire. La pédagogie divine
a préparé l’humanité de la loi naturelle à la loi mosaïque,
de la loi mosaïque à la loi du Christ. Le Christ est venu
pour assumer le progrès historique de l’humanité ; et
quoique ambigu, ce progrès est au service de l’infaillible
prédestination de l’Église
Pourtant pour des raisons historiques, géographiques,
culturelles et religieuses, certains membres de l’humanité
ont peu de chance d’adhérer librement à cet organisme de
salut. C’est pourquoi le dialogue interreligieux s’impose
dans notre monde pluraliste et multiculturel. Les traces du
Logos qui éclaire tout homme venant en ce monde,
doivent être explorées à des fins de réunion spirituelle. En
élevant, en transformant et en consacrant « la semence du
Verbe » contenue dans les religions du monde, les
messagers de l’évangile sauront admettre, que le Christ,
dans sa nouveauté radicale n’est pas une improvisation
soudaine. Il a des racines juives et grecques. Il s’est formé
dans le milieu ambiant du mysticisme oriental et n’est
étranger à aucune culture. Le Christ qui vient de Dieu
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 45
s’insinue sans déchirure dans le tissu de l’histoire
humaine. Il prend le visage de toutes les cultures et chacun
entend le Christ dans sa langue maternelle. En évitant
toute étroitesse d’esprit, tout syncrétisme et tout
prosélytisme, l’Église doit être l’espace d’une adhésion
commune à la réunion spirituelle de l’humanité. Elle doit
éviter l’individualisme qui oblitère le contenu mystique,
historique et social de son message du règne de Dieu.
L’événement pascal du Christ fonde en réalité une histoire
où l’humanité affronte sa destinée commune en
symbolisant son unité à travers l’un et l’autre testament,
les sacrements, la liturgie et sa communion ecclésiale.
Si l’humanité est appelée à la fraternité la plus ouverte
avec le Christ, quel est le statut de la personne humaine,
coopérant avec Dieu et avec les autres membres de
l’humanité ? Si le salut de l’humanité a un caractère
mystique, social et historique, comment peut-on envisager
le salut des personnes distinctes pour l’éternité ? Comment
traverser le paradoxe chrétien du social et du personnel ?
La personne est d’abord une individualité distincte des
autres personnes. Mais la distinction ne doit pas être
comprise comme une séparation. La personne est reliée
aux autres personnes par le fait qu’elles sont toutes
sujettes d’un appel commun. Les personnes distinctes ne
s’opposent pas, car un appel mutuel les maintient dans des
relations interpersonnelles. Leur union ne tend pas à les
dissoudre les unes dans les autres. La personne humaine
est une créature spirituelle, capable d’émotions, de
réflexions et d’actions libres. En liaison indissoluble avec
les autres personnes, la personne humaine est ouverte à la
communion avec le Dieu Trinitaire. Ce mode de présence
et de communication d’une personne humaine le dispose à
l’échange et à l’interdépendance. La personne humaine est
dynamique, toujours en croissance et pourvue d’un rôle à
jouer pour l’harmonie de la communauté. La personne
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 46
humaine est irremplaçable et sa médiation est nécessaire
pour l’unité de la communauté. La personne humaine a
une valeur absolue et sa solidarité indéfectible est
souhaitable au sein de la communion fraternelle. La
personne humaine est ordonnée à la fraternité universelle
dans le Christ. La personne humaine est orientée vers le
bien commun. Elle ne peut atteindre sa fin qu’à travers un
réseau de relations communautaires. La personne humaine
trouve un sens historique à son existence dans la
communauté unique du médiateur entre Dieu et
l’humanité : Jésus-Christ. Pour jouer un rôle éternel, la
personne humaine doit revêtir le Christ de façon unique en
collaborant à l’unification de l’humanité en lui. Dieu, en
donnant un sens unique à la personne humaine à travers la
médiation unique de Jésus-Christ, fait concourir chaque
personne humaine à l’unité de la communauté humaine
recréée par le rôle historique et éternel de Celui qui est
l’Alpha et l’Oméga de l’univers entier (Col 1, 12-20). Et
cette relation de chaque personne humaine aux autres
personnes et à la communauté dit quelque chose de Dieu
lui-même. La façon unique pour chaque personne humaine
d’appartenir au Christ est d’entrer dans l’histoire du salut
en se donnant aux autres et en renonçant à ce qui ne
contribue pas à l’unité du Corps du Christ.
Dieu aime l’humanité en tant que famille de Dieu. Tout
être humain en Jésus-Christ est relié au Dieu trinitaire par
une unité de circumincession. Le point focal de la
personne humaine est le Christ, lien entre la personne
humaine et le Dieu Trinitaire. C’est par le Christ que la
personne humaine est ouverte à la totalité de l’univers et
du genre humain. C’est par le Christ que la personne
humaine reçoit l’appel à édifier l’unité de la famille
humaine. C’est par le Christ que la personne humaine
répond à la dynamique de l’unité de la famille de Dieu en
contribuant à inscrire dans l’histoire universelle le sens
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 47
dernier de la Trinité. Ainsi Dieu se révèle dans la qualité
des relations interpersonnelles à travers la promesse de
demeurer au sein de l’humanité par le don de l’Esprit du
Christ. La personne humaine désigne finalement l’être
humain en son unité. Sujet identifiable par autrui, la
personne humaine existe pour elle-même et pour autrui.
C’est ainsi que semblable à autrui et différent de lui par sa
manière de communiquer et d’être reconnue comme sujet
parlant, la personne humaine vit dans le temps et l’espace
comme une présence au monde et à l’histoire.
Une meilleure connaissance des sociétés humaines se
traduit par une appréciation positive de l’enracinement
communautaire de la personne humaine. Les progrès des
sciences de la nature permettent de mieux évaluer l’impact
de la durée dans l’existence humaine. Chaque avancée
scientifique de l’humanité confirme l’ampleur et la
profondeur du lien social. La personne humaine est partie
intégrante de l’humanité. En elle, brille l’image de
l’éternelle Trinité.
Le Christ total est en dialogue avec les cultures pour faire
émerger son intérêt pour une humanité unique constituée
en famille de Dieu. Dans son insertion au cœur de
l’humanité, la présence Christique est au service de la
communion fraternelle. Elle canalise les aspirations
d’unité de l’humanité. Elle fonde la confession d’un Dieu
transcendant engageant l’histoire humaine dans la
direction d’une espérance qui dépasse les limites
historiques des générations. L’avènement d’une société
fraternelle en soi n’est donc pas un motif assez puissant
pour justifier le don de soi qui risque de dissoudre l’être
humain dans l’être social. C’est dans le mystère du Christ
que le monde et l’histoire humaine trouvent précisément
leur achèvement. Le Christ est le mystère de l’humanité
nouvelle capable d’intégrer toutes les potentialités
contenues dans le devenir des forces historiques. Il est
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 48
celui en qui se récapitulent tous les efforts d’humanisation
de l’univers créé. Réponse inattendue au problème de
l’unité organique de l’humanité, le Christ en son Corps
qui est l’Église est la réunion spirituelle de l’humanité. En
lui se constitue la famille de Dieu aux dimensions de
l’univers connu et inconnu. Sans dissoudre l’être humain
dans le social à l’instar des idéologies collectivistes qui
préparent l’humanité à un temporalisme absolu, sans Dieu
et sans la communion des personnes, l’Église témoigne de
la véritable vocation de l’humanité comme la demeure où
Dieu se révèle comme l’amour se manifestant en une
famille.

9- Les personnes humaines et leur vocation


éternelle
Dans sa présence au monde et à l’histoire, le Dieu de la
tradition chrétienne a révélé la vocation éternelle de la
personne humaine. La personne humaine est précieuse
dans la perspective de la révélation chrétienne. Créée à
l’image et à la ressemblance de Dieu, la personne humaine
est sacrée. Appelée à la solidarité avec les autres membres
de l’humanité, la personne humaine a la vocation éternelle
de bâtir la famille de Dieu.
Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu que
tous les hommes constituent une seule famille et se
traitent mutuellement comme des frères. Tous, ont été
créés à l’image de Dieu.13
Jésus-Christ, le Fils Unique de Dieu est venu dans
l’histoire rassembler les personnes humaines en une
famille de Dieu. Jésus-Christ dans son œuvre de salut

13
Vatican II, Gaudium et Spes, 24,§ 1

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 49


offre la grâce de l’adoption filiale du Père à toute personne
humaine qui accepte son message d’amour et de réunion
spirituelle de l’humanité. La fraternité qui découle de
notre adoption filiale nous impose l’impératif de
construire une société spirituelle au-delà de nos
affiliations culturelles. L’Église de Dieu est le sacrement
universel de cette réunion spirituelle de l’humanité. Cette
élection gratuite des membres de l’humanité à la pratique
de la fraternité sans frontières est la caractéristique de la
vocation éternelle de la personne humaine. Elle implique
le pouvoir de devenir enfants de Dieu sous la conduite de
l’Esprit de Dieu. La grandeur de la vocation de la
personne humaine réside dans le fait que les membres de
l’humanité qui acceptent la grâce de l’adoption filiale
deviennent les héritiers de Jésus-Christ, qui par nature, est
fils et par qui tout a été fait. Libérée de l’esclavage des
réductions mutilantes des cultures, la personne humaine
dilate son cœur à l’horizon du monde et de l’histoire. Elle
devient une militante des causes de l’humanité. La
personne humaine défend les droits et obligations des
membres de l’humanité. Elle protège l’environnement et
lutte pour une société juste, pacifique et réconciliée.
Les valeurs de la personne humaine sont : la solidarité, la
responsabilité commune, la communion, la fraternité,
l’égalité, le partage, le bien commun, le service, le pardon
des offenses, la paix et l’amour.
La personne humaine ne peut s’épanouir qu’à l’intérieur
de la famille de Dieu où l’on « met l’accent sur l’attention
à l’autre, la solidarité, la chaleur des relations sociales,
l’accueil, le dialogue et la confiance ».14

14
Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale, Ecclesia in
Africa n. 63.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 50


La personne humaine a besoin du lien social pour exister.
Sa croissance est subordonnée à l’effort de coopération
pour la promotion de la paix et du développement intégral
et durable. La révélation historique du Dieu trinitaire en
Jésus-Christ place la personne humaine au centre des
préoccupations de Dieu (Ro 8, 31). En Jésus-Christ, Dieu
se donne à l’humanité et suscite la communion sans
laquelle il n’y a ni communication, ni égalité, ni partage.
Le Dieu de la tradition chrétienne revendique sa place
dans l’histoire et accepte l’abaissement de la croix comme
le lieu par excellence de la révélation de la présence de
Dieu dans un homme souffrant et humilié. En
personnalisant la présence divine en un homme, la foi
chrétienne élève la personne humaine au rang de
partenaire de Dieu. Le Dieu chrétien ne s’enferme pas
dans la singularité d’un être jaloux de ses privilèges.
L’orientation fondamentale du Dieu chrétien est d’exister
pour le salut de l’humanité et du monde. En s’incarnant
dans le monde et dans l’histoire, le Fils Unique de Dieu
lance l’humanité dans l’aventure exaltante de la
transformation de l’univers créé. La personne humaine qui
est le sujet de la révélation historique du Dieu trinitaire en
Jésus-Christ est appelée dans notre monde contemporain à
travailler pour l’unité du genre humain. Cette unité
présuppose la justice, la paix et le développement intégral
et durable.
La personne humaine dans le contexte de la société
démocratique est cet être émancipé par Jésus-Christ pour
prendre place dans le monde et l’histoire comme
responsable du lien fraternel et de la préservation de
l’environnement. En tant qu’être parlant, la personne
humaine se constitue comme sujet de communication et de
dialogue en interpellant d’autres personnes pour construire
un monde sensé d’échanges où tous les membres de
l’humanité sont enfants de Dieu grâce au pouvoir unifiant
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 51
de l’Esprit Saint les faisant participer à la filiation de
Jésus-Christ.

10- Le caractère original de l’humanisme


chrétien
L’humanisme chrétien est un humanisme converti. Il est
tout entier l’expression du mystère d’amour du Dieu
trinitaire qui se fait proche de ses créatures dans l’acte de
l’incarnation rédemptrice. Dieu s’abaisse jusqu’à nous en
fondant la possibilité d’une ouverture des personnes
humaines entre elles. Le mal de la violence, du terrorisme,
d’affrontements de cultures et de la pauvreté nous oblige à
recouvrer le caractère original de l’humanisme chrétien
ordonné à l’activité du Dieu trinitaire au sein de l’histoire
humaine.
L’humanisme chrétien unit l’histoire de l’humanité et
celle de Dieu dans une unique histoire du salut de
l’humanité. Cette histoire est celle de la souffrance de
l’humanité dans son effort pour s’émanciper de
l’esclavage des contraintes de la nature et de
l’aveuglement de la raison humaine. Jésus-Christ, l’une
des personnes trinitaires a souffert de la violence humaine
et de la dégradation de sa personne humaine sur la croix,
en tant que lieu de jonction entre Dieu et le monde, il est
l’espérance de l’avenir des sociétés humaines qui mettent
leur foi dans son humanisme converti. L’humanisme
converti de Jésus-Christ est celui d’une parole d’origine
qui se fait chair pour constituer un corps de croyants dont
l’Esprit d’amour est lumière pour l’histoire, vie pour le
monde et chemin d’une réunion spirituelle pour
l’humanité.
Le Ressuscité est le crucifié, humilié il est exalté ; Jésus
est le Seigneur, le Christ est Jésus. Il y a identité entre
l’histoire de Pâques et l’histoire du Nazaréen : et cette
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 52
identité réside dans l’unicité du sujet de ces deux
histoires, le même Jésus auquel on attribue la honte de
la croix et la gloire de la Pâque. En lui les deux
mondes sont réconciliés : en lui Dieu a pris position
sur le passé, sur le présent et l’avenir, il a fait
l’histoire. Concernant le passé : avec la résurrection
dans l’Esprit, le Père a confessé l’histoire de Jésus de
Nazareth comme l’histoire du Fils qu’il a envoyé en ce
monde. Jésus était Fils et Seigneur déjà dans l’humilité
de son cheminement parmi les hommes. Concernant le
présent : Dieu a attesté, en le ressuscitant, que Jésus
est dans l’Esprit le vivant. Le Christ accomplit
« aujourd’hui » les promesses divines : parce qu’il est
« aujourd’hui » Dieu avec nous dans l’Église et dans
l’histoire. Concernant le futur : le Dieu qui ressuscite
le Crucifié dans l’Esprit garantit que, dans ce même
Esprit, Jésus sera le Seigneur des temps à venir ; et non
seulement celui qui viendra dans la gloire, mais aussi
celui qui vient chaque jour pour renouveler les choses
anciennes dans la nouveauté de la vie divine. Le même
Jésus est confessé à la résurrection comme « Celui qui
est, qui était et qui vient » (Ap 1,4), « l’Alpha et
l’Oméga » (Ap 1,8), celui qui unit en lui le monde passé
et les choses à venir, l’humiliation de la croix et la
gloire manifestée à Pâques. Avec la résurrection, Dieu
prend position dans l’Esprit sur ce Jésus, le même qui
était, qui est et qui sera. Jésus-Christ, crucifié
ressuscité, est en lui-même la rencontre de deux
mondes, celui de la chair et celui de l’Esprit, celui de
l’histoire des hommes et celui de l’histoire de Dieu. Il a
été, il est et il sera le sujet de chacune de ces deux
histoires, lui qui a vécu parmi les hommes, en relation
avec eux, et qui a été exalté par Dieu- lequel
manifestait par là quelle relation singulière l’unit à Lui
dans l’Esprit. Jésus-Christ est lui-même l’alliance, qui

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 53


fait de l’histoire des hommes une histoire de Dieu, et de
l’histoire de Dieu une histoire des hommes »15
Ainsi l’humanisme chrétien est une récapitulation de
l’œuvre de Dieu dans l’histoire humaine. L’incarnation
rédemptrice du Fils de Dieu a produit des fruits de vie
pour les membres de l’humanité. En Jésus-Christ Dieu se
manifeste dans l’humanité pour couronner son œuvre de
façon durable.

15
Bruno FORTE, Jésus de Nazareth. Histoire de Dieu. Dieu de
l’histoire, traduit de l’italien, Paris, Cerf, 1984, p.156-157.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 54


Chapitre II
La Communion ecclésiale, un thème
unificateur des conciles Christologiques

Les conciles christologiques ont été convoqués pour


renforcer la communion ecclésiale. Les définitions
dogmatiques ont été dans le passé des instruments
providentiels de la communion ecclésiale. Si aujourd’hui
la recherche de nouvelles définitions dogmatiques est peu
pertinente pour l’orientation pastorale de l’Église, il n’en
demeure pas moins que les débats des conciles
christologiques ont enrichi l’intelligence de la foi
chrétienne. Notre recherche voudrait mettre en lumière les
pistes de réflexion théologiques suggérées par les conciles
christologiques en vue de la communion ecclésiale.
Le premier chapitre de notre étude nous a permis de
repérer les occurrences majeures du thème de la
communion ecclésiale dans la tradition chrétienne et le
lien direct de ce thème avec le Dieu trinitaire et le salut de
l’humanité. A s’en tenir là, cependant, on risquerait d’en
rester à une sorte de constat au lieu d’accéder à la
« logique » profonde de ce thème : on ne verrait pas
encore suffisamment en quoi et comment les conciles
christologiques soutiennent et organisent la communion
ecclésiale. Certes, le simple résumé des convictions
fondamentales de la foi chrétienne et les remarques dont
nous les avons accompagnées ont déjà ouvert quelques
pistes de réflexion dans ce sens. Mais nous devons
maintenant démontrer, clairement que le thème de la
communion ecclésiale est central pour permettre une
intelligence du mystère du Christ.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 55


En effet, le thème de la communion ecclésiale permet
d’aborder de façon originale tous les conciles
christologiques et il peut être ainsi perçu comme un thème
unificateur de la théologie chrétienne.

1- La communion ecclésiale et le Concile de


Nicée (325)
Trois connaissances partiales du mystère chrétien ont été à
l’origine des confusions doctrinales au deuxième et
troisième siècle : le docétisme, le subordinationisme et le
manque d’articulation intellectuelle entre l’union du divin
et de l’humain en Jésus-Christ.
L’un des mouvements religieux qui a influencé la
communauté chrétienne naissante dans le monde gréco-
romain est le gnosticisme. Son origine remonte à
l’ancienne mythologie Persanne du rédempteur. Le
gnosticisme en tant que système philosophique et
religieux développe au deuxième et au troisième siècle,
l’idée de la figure d’un rédempteur dont l’apparence est
humaine. Système dualiste, le gnosticisme considère la
matière comme la source de tout mal et l’esprit comme le
générateur de tout bien. Il oppose le Dieu violent et
agressif de l’Ancien Testament au Dieu bon et doux du
Nouveau Testament. Les gnostiques prétendent avoir une
connaissance secrète des énigmes de la sainte Écriture.
Intéressé par le salut éternel de l’humanité, le gnosticisme
est un système de croyances qui a réfléchi sur l’état de
chute de la condition humaine. La voie de sortie de la
chute est la connaissance secrète du salut qui passe par
l’évitement de la matière, source de tout mal et de toutes
souffrances.
Saint Irénée de Lyon face à la menace gnostique
développe une théologie authentique du salut chrétien. Il
insiste sur l’humanité véritable de Jésus-Christ et sa
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 56
résurrection corporelle qui sauvent à la fois le monde
matériel et l’histoire humaine. Théologien du salut
chrétien et prophète de l’unité, saint Irénée prône l’unité
de la matière et de l’esprit, l’unité de l’Ancien et du
Nouveau Testament, l’unité du divin et de l’humain dans
la personne divine de Jésus-Christ et l’unité de Dieu et de
sa création. Pour saint Irénée, la création, œuvre de Dieu
est bonne. Elle est le reflet de l’amour de Dieu pour le
monde et l’histoire. L’incarnation du Fils préexistant en
Dieu est la perfection de l’œuvre de la création.
L’incarnation est ordonnée au don de Dieu à sa créature
spirituelle. Le Fils de Dieu en s’incarnant partage sa
condition de Fils de Dieu par nature avec l’humanité en la
rendant immortelle et incorruptible par sa résurrection. Par
son incarnation, Jésus assume la condition humaine et la
sauve. Ce merveilleux échange entre le divin et l’humain
caractérise le salut chrétien. Jésus-Christ est à la fois Dieu
et Homme en tant que sauveur de l’humanité.
La sotériologie de saint Irénée est orientée vers le partage
par l’humanité de la condition de Fils de Dieu constitutive
de la vie fraternelle dans l’histoire.
Saint Irénée par sa conception du salut chrétien réfute les
docétismes gnostiques et aucun concile œcuménique ne
fut convoqué pour enrayer cette menace.
La connaissance partiale du mystère chrétien qui suscita la
convocation du concile de Nicée est le subordinationisme.
Le concile œcuménique de Nicée fut convoqué pour
résoudre le problème des divisions créées par Arius.
Arius affirme la singularité du Dieu de l’Ancien
Testament qui est l’unique ne partageant pas ses attributs
avec un autre. En citant Proverbe 8 :22 « Yahvé m’a créé
comme le premier-né de la création », Arius identifie
Jésus-Christ comme le logos incarné qui n’est que le
premier-né de la création n’ayant pas le même rang que

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 57


Yahvé. Si le Logos incarné fut le premier-né de la
création, il eut un intervalle de temps où il ne partageait
pas l’éternité de Yahvé. En insistant sur l'idée que le Fils
ne partage pas le même être divin que Yahvé, Arius
subordonnait le Fils au Père comme une divinité de
second rang assimilé à une créature sublime.
Le concile de Nicée affirme que Jésus-Christ, le Logos
incarné est consubstantiel au Père. Cette affirmation de foi
du concile de Nicée a des conséquences sotériologiques.
Le merveilleux échange entre Dieu et l’humanité n’est
possible que si Jésus-Christ est vraiment Dieu. Il l’est, en
prenant la chair de l’humanité, en souffrant et en
ressuscitant pour la réconciliation définitive et la
recréation du monde et de l’histoire.

2- Le Concile d’Ephèse (431)


Le concile d’Ephèse fut convoqué pour résoudre la
question d’identité de Jésus-Christ. Si Jésus-Christ est vrai
Dieu et vrai homme, comment articuler intellectuellement
l’union de ces deux réalités en sa personne.
Le concile de Nicée avait fermement établi que Jésus-
Christ est vrai Dieu. La question d’identité de Jésus-Christ
au concile d’Ephèse peut se formuler ainsi : Comment
comprendre que Jésus-Christ qui est vrai Dieu devient-il
vrai homme ?
La fameuse lettre de Cyrille d’Alexandrie à Nestorius
donne une réponse à la question d’identité de Jésus-
Christ : « Par son union hypostatique, le Logos s’est uni
l’humanité de Jésus ». Sans changer de nature divine, le
Logos assume personnellement la chair humaine de Jésus.
Ainsi l’échange merveilleux du divin et de l’humain,
s’opère dans la personne de Jésus-Christ qui est Dieu
humanisé. En tant que Dieu humanisé, Jésus-Christ étend

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 58


la vie divine au sein de la bonne création de Dieu et
sanctifie ainsi la vie humaine et l’histoire.

3- Le Concile de Chalcédoine (451)


Vingt ans après le concile d’Ephèse, le concile de
Chalcédoine fut convoqué pour clarifier le problème des
deux natures de Jésus-Christ.
Cyrille d’Alexandrie dans ses discussions avec Jean
d’Antioche est parvenu à une déclaration commune :
Jésus-Christ s’est uni deux natures en une personne. Cette
formule dite d’union et Le Tome de Saint Léon à Flavien
serviront de fondement à la définition dogmatique de
Chalcédoine: Il y a en Jésus-Christ, une personne divine,
unissant deux natures, l’une pleinement humaine, l’autre
pleinement divine.
Par contre, le moine Eutychès enseigne que Jésus-Christ a
deux natures : la divine et l’humaine. Après son union
hypostatique, la nature humaine de Jésus-Christ est
partiellement absorbée par la nature divine, si bien que
Jésus-Christ n’est pas réellement membre de l’espèce
humaine.
Le concile de Chalcédoine rejette le monophysisme
d’Eutychès comme un mythe inacceptable. Il confesse
Jésus-Christ comme Fils de Dieu et Seigneur, parfait en
divinité et parfait en humanité.
Le concile de Chalcédoine est le sommet des conciles
christologiques. Il devient le point de départ de toutes
clarifications christologiques. Le concile de Chalcédoine,
affirme la pleine humanité de l’individu en qui le Fils de
Dieu s’est transformé. Le Fils de Dieu en prenant la nature
humaine sans l’absorber montre la grandeur et la dignité
de la nature humaine. Par l’incarnation le Fils de Dieu, la
seconde personne de la sainte Trinité devient un
authentique homme. Selon Karl Rahner, Jésus-Christ dans
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 59
son humanité est radicalement homme. Jésus-Christ, en
tant qu’individu de l’espèce humaine, se tient devant le
Père, comme le plus libre des membres de l’humanité et
en même tant, sans confusion, il est constitué comme
l’autocommunication de Dieu à l’humanité.
Par l’incarnation, la seconde personne de la sainte Trinité
devient un homme et continue de l’être après sa
résurrection. Dès l’instant de l’incarnation, l’humanité est
associée à la vie divine. La génération éternelle du Fils est
désormais liée à la manière humaine d’être.
Le concile de Chalcédoine consacre la dignité de
l’humanité unie à la seconde personne de la sainte Trinité.
La lettre du pape Léon à Flavien, le 13 juin 449 donne la
substance de la doctrine de Chalcédoine :
Le Fils de Dieu entre donc dans ce bas monde,
descendant de son trône céleste sans abandonner la
gloire de son Père, engendré dans un nouvel ordre, par
une nouvelle naissance. Nouvel ordre, parce
qu’invisible en ce qui lui est propre, il s’est fait visible
en ce qui est nôtre ; incompréhensible, il a voulu être
compris ; subsistant avant les temps, il a commencé
d’être dans le temps ; Seigneur de l’univers, il a pris la
forme d’esclave, voilant d’ombre l’immensité de sa
majesté… De nous en effet il tient l’humanité,
inférieure au Père, du Père la divinité égale au Père. 16
Le texte grec de la définition de Chalcédoine est traduit de
Denzinger, 301-302 par Michel Fédou en ces termes :
Suivant donc les Saints Pères, nous enseignons tous
d’une seule voix à reconnaître : un seul et le même
Fils, Notre Seigneur Jésus-Christ le même parfait en

16
Saint Léon Lettre de Léon à Flavien trad. P. Th Camelot, Ephèse et
Chalcédoine Paris, éd. De l’Orant, 1962, p.219-220.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 60


divinité et le même parfait en humanité, le même Dieu
vraiment et le même homme vraiment (fait) d’une âme
raisonnable et d’un corps, consubstantiel au Père selon
la divinité et consubstantiel à nous selon l’humanité,
semblable à nous en tout hors le péché, engendré du
Père avant les siècles quant à sa divinité mais aux
derniers jours, pour nous et pour notre salut,
(engendré) de Marie la Vierge la Mère de Dieu quant à
son humanité, un seul et même Christ, Fils, Seigneur,
Fils unique, que nous reconnaissons en deux natures
sans confusion, sans changement, sans division, sans
séparation, la différence des natures n’étant nullement
supprimée par l’union, mais bien plutôt les propriétés
de chaque nature restant sauves, et se rencontrant en
une seule personne et une seule hypostase, non pas (un
fils) partagé ou divisé en deux personnes, mais un seul
et le même Fils, Fils unique, Dieu, Verbe, Seigneur,
Jésus-Christ, comme autrefois les prophètes l’ont dit de
lui, comme le Seigneur Jésus-Christ lui-même nous en
a instruits, et comme le symbole des Pères nous l’a
transmis

4- Le Concile de Constantinople III (681)


Le troisième concile de Constantinople fut convoqué pour
clarifier la distinction de personne et de natures en Jésus-
Christ. En effet, le théologien Serge, un monothélite,
affirme que Jésus-Christ ayant deux natures ne possède
qu’une volonté divine.
Les Pères du concile de Constantinople III rejettent cette
opinion théologique contraire à la véritable humanité de
Jésus-Christ. Jésus-Christ, en tant que membre de
l’humanité a connu les difficultés inhérentes à la condition
humaine. Il a exercé sa volonté humaine dans l’esprit filial
d’obéissance (Mc 14 :36). De plus, l’homme Jésus a
exercé sa volonté libre pour manifester sa loyauté au
dessein du Père en étant le nouvel Adam qui brisa la
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 61
spirale de la désobéissance. En réhabilitant la volonté
humaine de se soumettre au dessein de Dieu, l’homme
Jésus ouvre à l’humanité le chemin du salut.
Le concile de Constantinople III affirme l’orientation de la
volonté humaine de Jésus-Christ vers la réalisation de la
volonté de Dieu. Il invite les croyants à imiter Jésus-Christ
dans l’orientation profonde de sa volonté humaine
d’embrasser la volonté de Dieu en transformant le monde
et l’histoire en règne de Dieu.

5- La Christologie de Vatican II
La christologie de Vatican II est pastorale. Elle insiste sur
le rapport de Jésus-Christ au monde moderne. Le Christ de
Vatican II est celui de l’histoire et du monde. Il invite les
croyants à participer à la transformation du monde et de
l’histoire. La vocation de l’humanité selon le concile
Vatican II est de coopérer avec le Christ de l’histoire pour
l’avènement d’un monde de paix, de justice, de
réconciliation et de préservation de l’environnement.
Vue sous cet angle, l’Église a sa source et son inspiration
dans l’avènement du Logos dans la chair de l’humanité.
L’Église est le rassemblement par L’Esprit d’amour de
Jésus-Christ de ses disciples en un corps mystique, social
et historique. L’Église présuppose le message évangélique
de la réunion spirituelle de l’humanité selon diverses
situations culturelles et historiques.
En suivant les intuitions christologiques de Vatican II, les
chrétiens sont appelés à prendre leur distance par rapport
au monophysisme et au monothélisme pour consacrer
leurs énergies à la constitution de communautés
fraternelles opérant la communion, l’interdépendance et la
mutualité dans le contexte de la mondialisation. Ils sont
appelés à bâtir un monde juste, pacifique et réconcilié.
Témoins de la foi, les chrétiens par leur activité sociale,
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 62
religieuse, culturelle et politique s’engageront désormais à
établir le règne de Dieu avec des structures pastorales
adaptées à leur temps.

6- Vers une Christologie de la communion


ecclésiale
La résurrection de Jésus-Christ est l’événement fondateur
de la foi chrétienne. Le don de l’Esprit du ressuscité
marque le début du ministère apostolique et la constitution
des communautés chrétiennes. En un siècle, les livres du
Nouveau Testament se sont constitués. Et pendant deux
autres siècles, les communautés chrétiennes ont connu des
persécutions jusqu’à l’édit de Milan les reconnaissant
comme la religion officielle de l’empire Romain. Pendant
quatre siècles, l’Église connaîtra la glorieuse ère des
conciles christologiques qui marquent le développement
de la théologie chrétienne et le renforcement de la
communion ecclésiale. Les conciles christologiques ont
approfondi la connaissance de Jésus-Christ révélé dans les
écrits du Nouveau Testament. Ils ont établi les convictions
fondamentales sur l’identité de Jésus-Christ. Les sept
conciles christologiques de cette période historique ont
donné une précision plus grande aux questions
fondamentales sur Jésus-Christ. Ils déterminent pour
toujours, les croyances et les pratiques de la foi
chrétienne.
Dans notre étude, nous nous limitons aux quatre conciles
christologiques qui éclairent notre vision de la communion
ecclésiale.
La christologie étudie l’identité de la personne de Jésus-
Christ et son activité de salut en faveur de l’humanité. En
maintenant une tension dialectique entre l’œuvre de salut
de Jésus-Christ et l’identité de la personne qui l’accomplit,
nous restons fidèles aux écrits du Nouveau Testament qui
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 63
mettent ensemble sotériologie et christologie. En effet, la
christologie du Nouveau Testament est à la fois
fonctionnelle et ontologique. Elle est à la fois ascendante
et descendante. La christologie des sept conciles entre 300
et 700 est plutôt johannique et ontologique. Elle définit
Jésus-Christ comme la seconde personne de la sainte
Trinité, vrai Dieu et Vrai Homme. Jésus-Christ est ainsi
une personne divine ayant deux natures, une divine et
l’autre humaine. La personne est le centre d’identité de
l’expérience d’un être spirituel. La nature est le processus
par lequel un être spirituel exprime ses pensées, ses choix
et ses actes. Les deux niveaux d’être, la personne et la
nature expriment l’identité de Jésus-Christ. En tant que
personne divine, il est un numériquement avec le Père et
l’Esprit Saint partageant avec le Père et l’Esprit Saint, la
même nature divine. En tant qu’homme, il devient l’un
des individus de l’espèce humaine. C’est en étudiant
l’anthropologie chrétienne que nous parvenons à une
connaissance de l’humanité du Christ. Un être humain est
toujours en devenir dans le monde de la connaissance et
de l’action. Jésus-Christ, tout en ayant la conscience d’être
la seconde personne de la sainte Trinité doit vivre sa vie
humaine dans les limites de sa condition terrestre (Lc
2 :52 ; Mt 24 : 36 ; Mc13 :32).
La christologie de la communion ecclésiale postule que
l’émergence de l’humanité est une préparation pour
l’incarnation. Dans l’événement de l’incarnation, le Père
s’unit à l’humanité à travers le Fils qui s’insère dans la
famille humaine. Par la grâce de la filiation divine, la
famille humaine devient la famille de Dieu. Dieu constitue
sa famille par la réunion spirituelle de l’humanité. Ainsi
Jésus-Christ devient la tête de l’humanité rassemblée en
Eglise (Eph 1 : 13-20). Par sa résurrection, Jésus-Christ
devient celui qui réconcilie toutes réalités comme le roi de
la nouvelle création de Dieu (Col 1 : 18-20).
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 64
La christologie de Vatican II dans Gaudium et Spes
semble indiquer que l’adoption filiale est le but de
l’incarnation rédemptrice. La constitution de la famille de
Dieu est la conséquence majeure de l’incarnation
rédemptrice.
Le Christ cosmique est celui qui rassemble l’humanité
pour une communion ecclésiale. La communion ecclésiale
est le don du salut offert à l’humanité en Jésus-Christ en
l’associant au mystère transcendent du Dieu Trinitaire.
Elle implique une réponse de foi entraînant l’amour de
Dieu et du prochain. La communion ecclésiale ouvre
l’espace d’une communauté historique où se pratique la
fraternité recouvrée.
Dans la christologie de la communion ecclésiale, Jésus-
Christ est l’origine, le centre et le but de l’univers créé.
Mais Dieu dans sa sagesse, n’a pas voulu révéler cette
vérité de foi à toute l’humanité. Seule, l’Église du Christ
est dépositaire de cette précieuse et spéciale révélation.
Avec cette connaissance, les chrétiens sont appelés à être
des agents du règne de Dieu dans l’histoire par la
communion ecclésiale. Leur message d’amour doit
atteindre tous les membres de l’humanité dans leurs
traditions religieuses respectives.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 65


Chapitre III
L’Afrique Subsaharienne, chantier de la
recomposition de la famille de Dieu

La mission prioritaire de l’Église du Christ en Afrique


subsaharienne est la recomposition de la famille de Dieu.
La recomposition de la famille de Dieu est l’œuvre du
Christ à promouvoir en Afrique subsaharienne divisée par
des conflits meurtriers et les réflexes identitaires de
groupes ethniques divers qui ont du mal à vivre ensemble
dans le cadre des états nations artificiels de la période
post-coloniale.
La foi au Christ cosmique, restaurateur de la famille de
Dieu et unificateur de l’humanité peut devenir la source
d’une nouvelle fraternité fondant le lien social.
Le recours aux traditions culturelles d’humanisme
communaliste de l’Afrique précoloniale peut dans une
certaine mesure favoriser la solidarité, l’hospitalité,
l’accueil et le respect mutuels.
Pour éviter les cloisonnements ethniques stériles de
l’Afrique subsaharienne, une conversion des mentalités et
des cœurs s’impose pour accueillir le message de la
fraternité universelle du Christ, restaurateur de la famille
de Dieu et unificateur de l’humanité.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 66


1- Le Christ Cosmique, restaurateur de la
famille de Dieu et unificateur de
l’humanité dans le contexte de l’Afrique
subsaharienne en voie d’urbanisation
La christologie pertinente pour l’Afrique subsaharienne
est celle du Christ cosmique, restaurateur de la famille de
Dieu et unificateur de l’humanité. Cette christologie
s’enracine dans l’histoire de l’humanité en quête de son
unité. Elle met en valeur la diversité de l’expérience
humaine et trouve dans la foi au Christ cosmique,
restaurateur de la famille humaine, le principe unificateur
des valeurs de cultures et de religions de divers peuples
dans le monde. Influencée par les récents progrès de la
science, de la révolution industrielle, de la philosophie
post-moderne et l’avancée des technologies de
communication, la Christologie cosmique reconnaît le
sécularisme et le pluralisme comme les facteurs dominants
de notre temps. Le sécularisme a favorisé le
développement économique du monde en valorisant le
travail et la création des biens et services utiles à
l’humanité. Le pluralisme religieux et culturel a mis
l’accent sur la tolérance et le respect des différences
comme facteurs incontournables de vie commune dans les
sociétés postmodernes. En désenchantant le monde, le
sécularisme a rendu, le travail, l’économie, la politique,
l’éthique, l’éducation et les lois, autonomes par rapport au
sacré des religions traditionnelles. Les religions
traditionnelles privatisées ne sont plus des lieux de
référence pour la vie publique.
En Afrique subsaharienne, lentement gagnée par le
phénomène du sécularisme et le fait du pluralisme
religieux et culturel grâce au phénomène de l’urbanisation,
on assiste à un éclatement du système culturel dominant
des religions traditionnelles ethniques. Le lien entre
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 67
l’individu et la collectivité est en train de disparaître.
L’individu n’est plus intégré à la nature par les rites et les
cérémonies et les forces sacrées jouent de moins en moins
un rôle dans la vie sociale de l’individu isolé et anxieux.
Ne vivant plus au rythme de la nature, le subsaharien est
aujourd’hui privé dans les sociétés séculières de son
rapport au cycle de la vie (naissance, croissance, initiation,
vie adulte au sein de la communauté, crises de l’existence,
mort, régénération, statut d’ancêtre et perpétuation des
forces vitales). L’individu subsaharien, sans terre et sans
communauté est aujourd’hui réduit à gagner sa vie dans
des conditions précaires où il est sollicité par des facteurs
économiques contraignants.
Vivant dans des sociétés de confusions culturelles et de
coexistence de valeurs antagonistes, les subsahariens
éprouvent aujourd’hui le besoin d’une foi unificatrice
pouvant engendrer une culture séculière de développement
intégral et durable.
Le système éducatif mis en place dans la période
postcoloniale n’a pas réussi à donner à l’Afrique
subsaharienne une culture d’unité, de paix et de
développement. La participation modeste de l’Afrique
subsaharienne au commerce mondial n’a pas élevé le
niveau de vie des populations. La technologie mal adaptée
aux situations africaines n’a pas provoqué le décollage
économique espéré. L’influence des technologies de
communication n’a pas eu un impact considérable dans le
changement de mentalités qui demeurent conservatives et
destructives. La politique de la « guerre froide » a eu des
effets pervers en créant une culture de pauvreté de masse
et de conflits. Les signes d’espérance en Afrique
subsaharienne sont l’explosion démographique, une
population jeune, une rapide urbanisation et l’intérêt des
croyants pour le message du Christ cosmique, restaurateur
de la famille de Dieu et unificateur de l’humanité.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 68
Dans l’Afrique subsaharienne en voie d’urbanisation, le
message d’amour du Christ cosmique restaurateur de la
famille de Dieu s’impose comme un moyen
d’évangélisation en profondeur de l’aspiration humaine à
la fraternité.

2- La communauté humaine voulue par


Jésus-Christ
Jésus-Christ a voulu une communauté humaine où les
membres sont complémentaires et solidaires. Pour Jésus-
Christ, les différences individuelles sont des gains pour la
communauté. La générosité est la marque de la
communauté humaine de Jésus-Christ. Les dons et talents
de chaque membre de la communauté contribuent à
l’édification de la famille de Dieu. La rivalité, l’envie, la
jalousie, la paresse, l’esprit de domination, d’agressivité,
de contrôle et de manipulation sont contraires au bien de
la famille de Dieu. Dans la famille de Dieu, l’autorité
suprême est le Père invisible de Jésus-Christ qui se rend
visible à travers le Fils incarné, serviteur de l’unité de la
famille de Dieu. Jésus-Christ est la voie pour tous et le
Fils établi héritier de toutes choses
Après avoir, à plusieurs reprises et en diverses
manières parlé autrefois à nos pères par les prophètes,
Dieu, dans ces temps qui sont les derniers, nous a parlé
par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses, et
par lequel aussi il a créé le monde » (Hé 1-1-2).
Jésus-Christ, le Logos incarné, a sans doute inspiré tous
les artisans d’unité de la communauté humaine en tant que
parole d’origine interpellant de façon efficace les
membres de l’humanité à vivre la plénitude de la
fraternité. En tant qu’Alpha de la communauté humaine, il
est l’Omega de la fraternité recouvrée. La famille de Dieu
que Jésus-Christ veut établir donnera un contenu stable
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 69
aux cultures de l’Afrique subsaharienne. Cette stabilité
repose sur la relation de filiation à Dieu. Celui qui est Fils
de façon unique dans le mystère trinitaire révèle la dignité
et la noblesse de l’adoption filiale aux membres de
l’humanité en les engageant au libre don d’eux-mêmes
pour la constitution et la recomposition de la famille de
Dieu.
Sagesse éternelle du Père, le Logos incarné est le projet de
recomposition de la famille de Dieu en faisant devenir
enfants de Dieu les membres de l’humanité qui croiront en
lui (Jn 1,12). En suscitant une multitude de membres de
l’humanité à l’adoption filiale, Jésus-Christ se révèle
comme celui en qui tout a été créé (Col 1, 16). Source de
communion universelle, le Logos incarné est donné par le
Père comme le compagnon de route pour la recomposition
de la famille de Dieu. « Voici mon Fils bien-aimé, en qui
je me suis plu, écoutez-le » (Mt 17 : 5). C’est en écoutant,
Jésus-Christ, le logos incarné, le Dieu vivant pour nous et
avec nous, que nous comprenons que sa mission de salut
est toujours un dialogue entre Dieu et l’humanité.

3- Le dialogue comme un chemin de


recomposition de la famille de Dieu
Jésus-Christ, le Logos du Père s’est incarné dans notre
humanité pour initier un dialogue entre Dieu et
l’humanité. L’incarnation du Logos a été une rencontre
humaine entre la sagesse de Dieu et les sagesses
humaines. Le Logos s’est incarné pour communiquer avec
l’humanité dans le respect de sa condition. En établissant
sa demeure au cœur de l’humanité, le Logos a partagé la
vie des membres de l’humanité. Partenaire du dialogue, le
Logos incarné s’est donné du temps pour avoir une
connaissance de la culture de son peuple. En rejoignant
l’univers de pensée du Judaïsme du premier siècle chrétien
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 70
et les valeurs qu’il véhiculait, le Logos qui s’était
transformé en Jésus de Nazareth dialoguait avec les
pharisiens, les sadducéens, les Hérodiens, les docteurs de
la loi et les adeptes des mouvements eschatologiques.
Jésus de Nazareth, le Logos incarné, a été façonné par le
milieu ambiant du Judaïsme. Son expérience humaine est
marquée par sa personne de Logos recherchant dans
l’intimité de sa prière mystique la présence du Père,
source et cause de son être filial. De sa rencontre
quotidienne avec le Père, il apprit à prendre ses distances
par rapport aux pratiques religieuses ne favorisant pas la
communion fraternelle. Il témoigna de sa foi au Père en
découvrant sa volonté de recomposer la famille humaine
en famille du Père. Le règne du Père qu’il proclame n’est
autre que le retour des enfants de Dieu dans l’unique
famille voulue par le Père. Cette famille de Dieu ne peut
se constituer que dans le dialogue entre le Dieu Trinitaire
et l’humanité créée à son image.
Le dialogue est une forme du ministère du Logos incarné.
Il présuppose l’Esprit de Dieu à l’œuvre dans la
conscience des membres de l’humanité dans leur effort
pour vivre ensemble le mystère de leur existence. Le
mystère de l’existence humaine n’est intelligible que si le
mystère absolu se dévoile dans une rencontre entre
l’humain et le divin. Cette rencontre entre le divin et
l’humain est initiée par l’incarnation. L’incarnation du
Logos a eu pour interlocuteurs, les juifs du temps de Jésus
de Nazareth. Les Juifs ont constitué la famille de Dieu
depuis l’appel des patriarches. Ils ont été réunis par Moïse,
les juges, les rois d’Israël, les prophètes, les prêtres et les
leaders charismatiques suscités par des circonstances
historiques. Au temps de Jésus, les Juifs vivaient sous la
domination de l’empire romain qui s’était accommodé de
leur organisation socio-religieuse. Leurs rites et préceptes
trouvaient leur champ d’existence dans la vie quotidienne
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 71
rythmée par la liturgie de la Parole dans les synagogues et
le système sacrificiel du temple. Les Juifs mettaient leur
espérance en Yahvé, le protecteur et le patron du peuple.
Ils attendaient de lui leur délivrance politique.
La révélation soudaine de Yahvé en son envoyé Jésus-
Christ provoqua dans le peuple d’Israël diverses réactions
de sympathie et d’hostilité. Le procès de Jésus-Christ
débuta dès son apparition sur la scène publique d’Israël.
Jésus-Christ annonce le salut à son peuple en se désignant
comme le Fils bien aimé, engendré dès l’origine par le
Père et établi héritier de la création. N’existant que pour le
Père, il fut envoyé dans le monde et l’histoire pour
procurer l’adoption filiale aux membres de l’humanité (Ga
4,4). Par sa génération humaine, Il se révèle comme la
présence de Dieu dans le monde et l’histoire. Vivant en
communion intime avec le Père, Jésus-Christ est dans le
Père et le Père est en lui. Leur existence mutuelle en
qualité de Père et de Fils se traduit par le don de leur
Esprit d’amour qui fonde l’esprit filial de l’humanité et la
concorde fraternelle des membres de l’humanité. Cette
révélation trinitaire fait de Jésus-Christ, le Premier-né de
tous les enfants de la famille de Dieu. Tous les membres
de l’humanité qui s’aiment de façon obscure et selon les
réflexes conditionnés de leurs cultures et religions sont
irrésistiblement attirés par l’Esprit du Fils et du Père.
L’Esprit du Père et du Fils étend la famille de la Trinité
immanente au cœur de l’histoire et de la bonne création de
Dieu. C’est en participant à la vie du Fils de Dieu fait
homme que l’humanité est sauvée de l’isolement de la
haine, de l’individualisme, de la solitude, de la division et
de la mort. Le Dieu trinitaire sauve en communiquant sa
vie communautaire à l’humanité. La vie communautaire
qui s’établit du Père au Fils dans l’Esprit est la
communication d’un lien qui s’exprime en solidarité, en
coopération et en coexistence harmonieuse et pacifique.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 72
En vivant parmi les siens comme serviteur du Père, le Fils
Unique de Dieu, Jésus-Christ devient le représentant du
Père dans le monde et l’histoire. Placé à la tête de
l’humanité, Jésus-Christ est l’avenir de Dieu dans
l’histoire.
Il est lui-même la Tête de l’Église, son corps, car c’est
lui qui est le commencement, premier engendré des
morts pour être celui qui détient la prééminence parmi
tous les êtres, car en lui Dieu a trouvé bon de faire
habiter la plénitude et tout réconcilier par lui avec soi-
même » (Col 1, 18-20).
Jésus-Christ, le Fils de Dieu est sauveur de l’humanité (Ac
5, 31). Sa passion, sa mort et sa résurrection ouvrent à
l’humanité une espérance nouvelle. En effet, Jésus-Christ,
le Fils de Dieu fut rejeté, humilié et livré à ses ennemis. Il
connut un destin tragique de souffrance, d’échec,
d’abandon et de mort. Solidaire de tous les envoyés de
Dieu, Jésus-Christ, le Fils de Dieu n’échappa pas à la
violence de ses adversaires. Le Père miséricordieux de
Jésus-Christ transformera son échec en victoire en faisant
de lui le « prince de la vie » par son triomphe sur la mort.
La mort de Jésus-Christ est salutaire pour l’humanité car
elle permet à Dieu d’exercer sa patience pour offrir à tous
les membres de l’humanité le pardon inconditionnel et
l’esprit de bienveillance. La résurrection de Jésus-Christ
surmonte la méchanceté humaine et le Père fait grâce à
l’humanité en insufflant au corps crucifié de son Fils la vie
nouvelle victorieuse de la souffrance humaine. Ainsi la
résurrection de Jésus-Christ est la victoire de l’amour
patient du Père sur les ennemis de son projet de fraternité
universelle. La résurrection de Jésus-Christ couronne le
« fils de l’homme » dans l’intimité du Père. Elle révèle le
caractère du Logos incarné qui donne sa vie à la multitude
des frères et sœurs en humanité. Livré par le Père à

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 73


l’humanité, comme le gage de son amour, le Logos sert
l’unité et la recomposition de la famille humaine en
manifestant sa solidarité totale avec les membres de
l’humanité dans la souffrance et la mort.
Le Logos de Dieu devenu Fils dans notre histoire humaine
est celui qui recompose la famille de Dieu en vue de la
renaissance en Dieu de toute l’humanité.

4- La résurrection de Jésus-Christ et la
renaissance en Dieu de l’humanité
La renaissance de l’humanité en Dieu a commencé avec la
résurrection de Jésus, le Christ de la nouvelle création de
Dieu. En ressuscitant d’entre les morts, Jésus-Christ est
vivant pour toujours comme le Christ cosmique, présent
au Père et à tous les membres de l’humanité. Par sa
résurrection, Jésus, le Christ de la nouvelle création
poursuit sa mission de restauration de la fraternité
universelle. L’événement de la résurrection situe la
mission universelle de Jésus, le Christ dans la direction du
futur. La résurrection de Jésus, le Christ, rend possible le
don de l’Esprit Saint de Dieu à l’humanité pour construire
la fraternité sans frontières s’épanouissant dans la
communauté éternelle de Dieu. Dans la résurrection de
Jésus, le Christ, le Dieu trinitaire se révèle comme le
créateur de l’univers associant les membres de l’humanité
à sa vie intime. Dieu des vivants, le Dieu trinitaire donne
sa vie éternelle par l’Esprit Saint qui habite le corps du
Christ ressuscité (Rm 8, 11). La résurrection de Jésus, le
Christ récapitule l’histoire humaine tissée par le Logos
incarné. Tout ce que le Logos a vécu au cours de son
incarnation est désormais présent à la communauté
trinitaire. En ressuscitant Jésus, le Christ, le Père constitue
le corps du Christ comme le lieu de la présence trinitaire
dans le monde. Le corps de Jésus, le Christ est le Logos
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 74
devenu chair. Cette chair crucifiée et vivifiée communique
à l’humanité l’Eprit de filiation. L’Esprit de filiation est la
parole d’origine qui fonde les rapports intersubjectifs entre
les membres de l’humanité. En ressuscitant Jésus comme
le roi de la nouvelle création, le Père associe tous les
membres de l’humanité à sa vie éternelle. Tous les
membres de l’humanité sont des fils dans le Fils Unique.
Le fondement spirituel de la fraternité universelle est la
résurrection du Logos fait chair pour construire l’histoire
où le Christ sera tout en tous (Ép 2, 23).

5- L’Esprit de fraternité universelle


Le Fils par sa résurrection est celui qui est destiné à
ramener l’humanité à la communion ecclésiale. Il fonde la
communion ecclésiale en lui donnant la propre vie de
Dieu, l’Esprit Saint. Le Fils ressuscité donne l’Esprit (Ac
2, 33). L’Esprit Saint commun au Père et au Fils est
communiqué aux apôtres et aux prophètes chrétiens par le
Christ ressuscité pour instaurer la communion et la
fraternité universelles. Grâce à l’Esprit Saint le Père
établit sa demeure dans le monde en surgissant de façon
soudaine de la mort de son Fils dans lequel il se révèle
comme le Dieu des vivants (Jn 14, 24). Le Dieu trinitaire
de la tradition chrétienne est celui qu’on rencontre en
bâtissant la fraternité universelle. Le Dieu surprenant de la
révélation chrétienne se manifeste dans l’histoire
inattendue de la résurrection de Jésus où un crucifié reçoit
la vie et se met à parler à ses disciples pour les envoyer
aux nations pour le projet de fraternité universelle. Cette
fraternité universelle n’est qu’un don de l’Esprit Saint qui
appelle les membres de l’humanité à la gratuité de
l’amour. L’Esprit est la source de la vie fraternelle Il est
l’Esprit qui transforme en fils de Dieu et en frères du
Ressuscité. L’Esprit Saint est la personne qui se joint à

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 75


notre esprit pour pardonner sans réticence et pour briser
les murs et les barrières de séparation.

6- Le fondement éthique de la fraternité


universelle
La fraternité universelle voulue par Jésus-Christ, le Fils de
Dieu est fondée sur l’amour du prochain. « Je vous donne
un commandement nouveau : aimez-vous les uns les
autres. Oui, comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-
vous les uns les autres » (Jn 13, 34-35). L’amour mutuel
est le fondement éthique de la fraternité universelle. C’est
en se mettant au service les uns des autres que les
membres de l’humanité, inspirés par l’amour de Dieu,
historiquement manifesté en Jésus-Christ et confirmé par
le don de l’Esprit Saint pourront bâtir la fraternité
universelle. Cette fraternité universelle n’est possible
qu’avec le respect des droits de la personne humaine et le
service désintéressé de l’humanité. Le prochain est tout
membre de l’humanité créé à l’image et à la ressemblance
de Dieu et donc sujet de l'amour inconditionnel et illimité
de Dieu. En aimant le prochain de façon absolue et sans
mesure, les membres de l’humanité deviennent des sujets
de relation, responsables les uns des autres. Ils se doivent
les uns les autres un amour infini, illimité et
inconditionnel.
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi. Et bien ! moi, je vous
dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ;
ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car
il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons
(Mt 5, 43-45).
Au risque de leur vie, les membres de l’humanité sont
appelés par Jésus-Christ à venir au secours de quiconque
est dans le besoin (Lc 10, 30-37). Tout membre de
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 76
l’humanité est le prochain. Il est le lien de solidarité et
l’égal de Dieu. Sujet d’une histoire commune, le prochain
est celui qu’on sert en se décentrant de soi-même. Le
règne de Dieu advient à travers le service mutuel et le
respect des droits absolus de la personne humaine
identifiée à Jésus-Christ (Mt 25, 31-46).

7- Le choix évangélique de la communion


ecclésiale en Afrique subsaharienne
Choisir de vivre dans la communion ecclésiale en Afrique
subsaharienne reviendrait à opter pour les Béatitudes (Mt
5, 1-10). La charte de la fraternité universelle dans la
perspective du règne de Dieu prêché par Jésus-Christ
repose sur le renoncement à la violence et l’amour
inconditionnel du prochain. Cet amour du prochain se
traduit dans le contexte historique par le respect des droits
de la personne humaine, la lutte pour la justice et la
préservation de l’environnement. En réhabilitant la dignité
de la personne humaine et en favorisant son
développement intégral et durable, l’Église du Christ en
Afrique subsaharienne pourra se mettre en chantier pour la
recomposition de la famille de Dieu.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 77


Chapitre IV
La Théologie Africaine de la communion
ecclésiale

La théologie chrétienne africaine confesse Jésus comme


Christ. En sa personne et en son œuvre de salut Dieu se
révèle à l’humanité de façon décisive et définitive. Le
Dieu que révèle Jésus-Christ n’est autre que la Trinité qui
fait sa demeure dans le cosmos et l’histoire humaine. Le
Christ de la théologie africaine n’est autre que le Logos
incarné, restaurateur de la famille de Dieu. Parole
d’origine du Père, par qui tout a été créé, le Logos incarné
est l’envoyé du Père pour rassembler les enfants de Dieu
dispersés dans le cosmos et l’histoire.
Le Logos incarné est dans le contexte africain, le Christ
restaurateur de la communion ecclésiale en dialogue avec
toutes les familles du cosmos et de l’histoire. Il est la
sagesse éternelle du Père, incarnée, servante de l’unité du
genre humain, crucifiée et glorifiée, révélant le Dieu de la
communion trinitaire.
Le Christ restaurateur de la communion ecclésiale par sa
résurrection suscite le corps parlant de l’Église proclamant
par la puissance de l’Esprit la bonne nouvelle de l’unité de
la famille de Dieu. En tant que premier-né de la nouvelle
création par sa résurrection, Le Christ restaurateur de la
famille de Dieu confère à l’humanité, l’adoption filiale en
réhabilitant la dignité de la personne humaine associée à la
vie intime du Dieu trinitaire.
L’Église, famille de Dieu est ainsi le peuple messianique
de Dieu en route vers sa rédemption définitive dans
l’histoire. « L’image de la famille, en effet, met l’accent

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 78


sur l’attention à l’autre, la solidarité, la chaleur des
relations sociales, l’accueil le dialogue et la confiance »17
La rédemption définitive de la famille humaine qui est
l’objet de la prédication de Jésus exige en Afrique
subsaharienne la conversion de la famille patriarcale en
famille de Dieu plus respectueuse de la dignité de la
personne humaine. La constitution de la famille de Dieu
en Afrique subsaharienne postule le rejet audacieux de
toutes formes d’exploitations et d’oppressions sociales. Le
règne de Dieu en Afrique subsaharienne ne sera effectif
qu’avec l’implication des femmes dans le ministère d’une
authentique famille de Dieu incluant des valeurs
maternelles de protection et de promotion de la vie sous
toutes ses formes.
François Kabasélé nous donne le modèle au-delà de tous
les modèles de la théologie chrétienne africaine de la
communion ecclésiale :
Voici que le Verbe s’est fait chair, et cette fois-ci, il a
habité parmi les Noirs d’Afrique. Non pas que
l’incarnation se refera à nouveaux frais : Jésus est né
une fois pour toutes ; il était Juif, peau basanée,
cheveux noirs…bref, de type méditerranéen. Il fut de
son temps et de son époque. Mais il n’intéressera toutes
les races et toutes les époques que dans la mesure où
toute race et toute époque, se sentiront concernées par
lui, et que toute race et toute époque l’accueilleront
avec leur assise propre et leur propre questionnement.
S’il naquit Juif, ce ne fut pas pour faire de tous les
hommes des Juifs et des méditerranéens…Si le message
du Christ concerne toute l’histoire des hommes et
toutes les étendues humaines, c’est parce qu’il a pour

17
JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post synodale, Ecclesia in
Africa n.63.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 79


tâche de s’incarner dans toute culture, constituant ainsi
un ferment de salut pour tous les hommes de tous les
temps et de tous les lieux 18
Une théologie chrétienne africaine de la communion
ecclésiale n’est qu’une retraduction du message du Christ
dans un contexte particulier en tenant compte des besoins,
des mentalités, des valeurs et des attentes des disciples de
Jésus-Christ en Afrique subsaharienne. Cette théologie a
son fondement dans les récits du Nouveau Testament qui
accomplissent ceux du Premier Testament des Juifs. Elle
interprète les histoires évangéliques sur Jésus de Nazareth
et fait mémoire de ses actes qui ont une signification
profonde pour ses disciples en Afrique subsaharienne. La
théologie chrétienne africaine de la communion ecclésiale
s’inspire des relations divino humaines de Jésus considéré
par la tradition évangélique Johannique comme le Logos
incarné. Jésus-Christ est donc pour la théologie chrétienne
africaine de la communion ecclésiale, le Fils éternel
envoyé par le Père pour révéler son nom qui est au-dessus
de tout nom à ses disciples et amis. Il laisse avant son
retour au Père, une communauté d’amour et l’unique
commandement d’amour pour perpétuer la présence de la
Trinité dans l’histoire grâce à l’Esprit de vérité,
consolateur et défenseur de la famille de Dieu.
C’est donc cette théologie dynamique du Logos incarné
qui nous donne de confesser le Christ ressuscité, premier-
né de la famille de Dieu et fondement spirituel de la
restauration cosmique de toutes les familles humaines.

18
François KABASÉLÉ, « L’au-delà des modèles », dans Chemins
de la christologie africaine, sous la responsabilité de François
Kabasélé, J.Doré et R. Luneau, Paris, Desclée, 1986, p.205.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 80


1- Le Christ Cosmique en dialogue avec les
familles humaines pour restaurer
l’amour du prochain comme chemin du
salut
Le Christ cosmique est un témoin fidèle de la tradition
biblique qui vient révéler le nom du Père comme celui qui
est à l’origine de toutes réalités. Il suggère comme Fils, le
modèle de la vie fraternelle comme le but originel de
l’humanité en vue de la communion avec la Trinité. Il
propose la rupture avec les systèmes de vie autoritariste et
pyramidale. Pour le Christ cosmique, restaurateur de la
communion fraternelle, le membre de l’humanité qui
choisit d’être pauvre comme lui renonce de s’enrichir aux
dépens des autres. Celui qui choisit d’aimer son ennemi
renonce à la violence meurtrière et fratricide. Celui qui
partage crée des liens de solidarité et d’hospitalité. C’est
en respectant la dignité des enfants de Dieu que
l’oppression sociale disparaît de la bonne création de
Dieu. Investi par l’Esprit de vérité, le Christ cosmique
définit sa mission dans la ligne du prophète Isaïe : le Père
dit-il l’a « envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le
retour à la vue, rendre la liberté aux opprimés » (Lc 4,
18/ Is 61, 1). En prenant la défense des membres les plus
vulnérables de l’humanité, le Christ cosmique est en
faveur d’une société humaine ouverte aux exclus, aux
marginaux et aux victimes de l’histoire. Le ministère de
guérison du Christ cosmique s’inscrit dans la logique
d’intégration des malades et des personnes stigmatisées
dans le circuit de la vie commune (Mt 8, 16-17). Ami de
tous, le Christ cosmique est le prochain de tout membre de
l’humanité. Ne faisant acception de personne, le Christ
cosmique se rend proche de tous en indiquant que le salut
consiste à s’approcher de tout membre de l’humanité pour
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 81
partager ses joies, ses peines et ses angoisses. Comme le
dit Joseph Moingt :
La grande révolution religieuse accomplie par Jésus,
c’est d’avoir ouvert aux hommes une autre voie d’accès
à Dieu que celle du sacré, la voie profane de la relation
au prochain, la relation éthique vécue comme service
d’autrui et poussée jusqu’au sacrifice de soi. Il est
devenu sauveur universel pour avoir ouvert cette voie
accessible à tout homme. Il l’a ouverte à travers sa
propre personne, acceptant de payer de sa vie le
blasphème d’avoir dépossédé le culte du monopole du
salut19
En dialogue avec les familles humaines, le Christ
cosmique par ses paroles et sa conduite envers le prochain
montre que le salut de l’humanité passe par la pratique de
l’amour fraternel. C’est cet amour du prochain qui pousse
le Fils de Dieu à secourir les détresses humaines (Mt 9,
35-36). L’amour du prochain est le principe du salut. Tout
membre de l’humanité est sauvé dans la mesure où il
ressemble au Fils par ses actes d’amour. Un style fraternel
de vie « vaut mieux que tous les holocaustes et tous les
sacrifices » (Mc 12,33). Le Christ cosmique est le
prochain de tous les membres de l’humanité. Il s’identifie
à tous les membres de l’humanité qui souffrent en
sollicitant le secours des bénis du Père (Mt 25, 31-46). En
médiateur unique et définitif, le Christ cosmique est celui
qui donne un accès direct au Père. En venant à lui, les
membres de l’humanité trouvent en lui la proximité du
Père dans le visage concret et le cœur doux et humble de
son envoyé (Mt 11, 28-30). C’est en aimant le Dieu
trinitaire en tout prochain que les membres de l’humanité

19
Joseph MOINGT, L’homme qui venait de Dieu, Les Éditions du
Cerf, Paris, 1993, p. 485-486.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 82


font l’expérience du salut. C’est en allant au Christ
cosmique, nouveau temple du Dieu trinitaire, que
l’humanité est sauvée. Le Christ ressuscité s’identifie à
son corps social et mystique dans l’histoire qu’est l’Église,
lieu de la communion fraternelle.
Jadis, il fallait sans cesse «monter » au lieu saint faire
des purifications, des expiations et des prières ; dressé
entre le ciel et la terre, le Temple était le passage
obligatoire vers Dieu et vers le salut, il établissait la
communication salutaire entre Dieu et le peuple, quand
la fumée des sacrifices s’élevait vers le Seigneur maître
du ciel et de la terre. Désormais, il est requis et il suffit
d’aller à Jésus, et Jésus nous apprend qu’on trouve
accès à lui quand on va au secours du plus petit de ses
frères, quand on communique fraternellement les uns
avec les autres. Son avènement fait basculer les axes de
la religion. Dieu ne réside plus, immuable et immobile,
au sommet de l’univers, à l’origine des choses, et il
n’est plus nécessaire de quitter l’histoire pour aller à
lui ; il surgit à l’horizon de l’histoire, il vient à sa
rencontre, il vient faire lui-même le salut en établissant
son règne de justice, de liberté, de paix et d’amour.
Pour trouver Dieu, le chemin de l’autre remplace la
montée au temple, la route de l’histoire devient le
chemin du salut, le retour de l’exil, de l’exil du sacré 20
La personne humaine dans la perspective du Christ
cosmique est le sujet incontournable de la rencontre de
Dieu dans l’histoire. Dieu le Père des pauvres est révélé
dans le visage de tout membre de l’humanité en manque.

2- La Théologie chrétienne africaine de la


communion ecclésiale au service des

20
Ibid., p. 490.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 83


sociétés fraternelles et justes,
protectrices de la vie humaine et de
l’environnement
La théologie chrétienne de la communion ecclésiale est en
faveur de la constitution en Afrique subsaharienne de
sociétés fraternelles et justes, protectrices de la vie
humaine et de l’environnement. Elle fait appel aux
principes de l’enseignement social de l’Église Catholique.
Elle préconise l’analyse sociale et l’analyse culturelle
comme des méthodes d’investigation de la réalité
pastorale et ecclésiale de l’Afrique subsaharienne. Les
défis de la théologie africaine de la communion ecclésiale
sont : la sous-alimentation, l’analphabétisme, le non accès
à l’eau potable et aux soins de santé primaire par les
populations exclues de la prospérité économique.
L’objectif de la théologie africaine de la communion
ecclésiale est de créer en Afrique subsaharienne le
sentiment d’appartenance à l’Eglise Famille de Dieu. Le
sentiment d’appartenance à la famille de Dieu doit susciter
des liens de solidarité, de partage et de communication. En
renforçant l’identité commune d’enfants de Dieu au sein
d’une unique famille avec des différences liées à la
géographie, à l’histoire et à la culture, la théologie
africaine de la communion ecclésiale veut imprimer dans
les mentalités et les cœurs la vision de la fraternité
universelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de
l’homme.
Jésus-Christ durant son ministère public s’était engagé
envers les plus pauvres, les exclus et les victimes des
systèmes sociaux et religieux.21 La théologie Africaine de

21
Jacques DUPONT : Les Béatitudes, II La Bonne Nouvelle, Coll.
Études Bibliques, Paris 1969. « Les pauvres et la pauvreté dans les

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 84


la communion ecclésiale considère la situation dramatique
des pauvres comme un défi à la mission évangélisatrice.
La pratique privée de l’aumône ne répond plus à
l’immensité des détresses des exclus de la réussite
économique. L’Église Famille de Dieu doit annoncer aux
pauvres de plus en plus nombreux la bonne nouvelle du
renversement de leur situation. Les plus pauvres ne
doivent pas placer leur espérance au-delà de l’histoire
humaine. C’est ici et maintenant que commence leur
délivrance grâce à la bonne nouvelle de la fraternité
universelle de Jésus-Christ. Les membres de la famille de
Dieu doivent investir leur temps dans le monde concret
des pauvres qui luttent pour améliorer leur condition de
vie. En s’insérant et en s’engageant dans le monde de la
pauvreté, les membres de la famille de Dieu apprendront
la valeur de la compassion qui est l’un des traits de
caractère de Jésus-Christ. Aussi deviendront-ils les
sacrements de l’amour compatissant de Dieu pour les
affamés, les affligés et les déshérités de la vie. L’attention
à autrui conduit à la sympathie et à la compassion. Le
Christ cosmique par son incarnation rédemptrice et
kénotique a pratiqué l’amour du prochain en prêchant la
bonne nouvelle aux pauvres. Le style de vie et le ministère
public de Jésus-Christ suscitaient l’espérance chez les
pauvres. Jésus-Christ mettait ses talents et ses dons de
guérisseur et d’exorciste au service des pauvres. Il s’est
fait l’un des pauvres par son style itinérant de prédicateur
comptant sur l’hospitalité, l’accueil et la générosité de ses
contemporains. A la suite du Christ cosmique, ami des
pauvres, certains chrétiens remarquables comme saint

Évangiles et les Actes », in La Pauvreté évangélique, Coll. Lire la


Bible, n. 27, Paris 1979, pp.37-62 ; « Introduction aux béatitudes », in
Nouvelle Revue Théologique (1976), pp. 97-108.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 85


François d’Assise, saint Vincent de Paul, saint Martin de
Porres, Charles de Foucauld, Mère Cabrini et Mère
Thérèse de Calcutta ont vécu l’amour du prochain de
manière exceptionnelle en se dévouant aux plus pauvres
des pauvres. Cette option préférentielle pour les pauvres
est au cœur de la théologie chrétienne de la communion
fraternelle. Elle ne se contente pas de prêcher aux riches le
devoir de partage. L’option préférentielle pour les
pauvres, étudie les causes de la pauvreté structurelle et
préconise l’éradication de la pauvreté sous toutes ses
formes. Le but de la théologie africaine de la communion
fraternelle dans l’Église Famille de Dieu est d’encourager
l’avènement de sociétés fraternelles et justes, protectrices
de la vie humaine et de l’environnement. L’option
préférentielle pour les pauvres est une stratégie
évangélique pour défendre et protéger tous les déshérités
de la vie en extirpant des sociétés humaines toutes causes
d’exploitation économique, d’oppression politique,
d’injustice sociale et d’antagonismes culturels.
L’option préférentielle pour les pauvres présuppose la
pratique de l’amour du prochain dans la sphère de la vie
publique. Stratégie évangélique pour la justice sociale,
l’option préférentielle pour les pauvres peut se vivre sous
des formes d’engagements divers : solidarité prophétique
avec les pauvres, création de services de développement
durable et équitable, mouvements sociaux et associatifs,
mise en œuvre de collectifs pour défendre et protéger les
droits des groupes de pauvres, études des situations
scandaleuses de pauvreté, bonne gouvernance, éducation
et soutien social des pauvres.
L’option préférentielle pour les pauvres en Afrique
subsaharienne doit militer pour la disparition du
phénomène social de la corruption. Elle doit aider à une
redistribution équitable des ressources de l’environnement
dans les perspectives d’un développement durable. Les
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 86
membres de la famille de Dieu en Afrique subsaharienne
doivent militer pour l’allègement du service de la dette.
Ils doivent développer dans le cadre des organisations non
gouvernementales des micro projets pour renforcer le
pouvoir d’achat des pauvres.

3- La Théologie chrétienne africaine de la


communion ecclésiale au service du
peuple de Dieu
Le synode spécial des évêques de 1985 a défini le mot
communion pour caractériser l’Église du Christ. Une
théologie chrétienne africaine de la communion ecclésiale
se situe dans la perspective de l’ecclésiologie du concile
Vatican II. En effet, le Christ cosmique, restaurateur de la
famille de Dieu est le Fils de Dieu en qui les chrétiens
sont en communion avec le Père par l’Esprit Saint. En lui
les chrétiens ont la paix de Dieu et le statut d’enfants de
Dieu. (Rm 8 : 15-17). La théologie africaine de la
communion ecclésiale insiste sur l’appartenance de tous
les êtres humains à l’unique famille de Dieu. Tous les
enfants de Dieu sont tous frères et sœurs de Jésus-Christ et
tous sont des fils et filles de Dieu ensemble dans la famille
de Dieu. L’Église est dans le monde, la communauté
visible des enfants de Dieu appelés en Jésus-Christ à
former une unique famille. L’Église est donc le mystère de
la grâce que donne le Dieu trinitaire de partager sa vie
intime d’amour. En tant que corps social, mystique et
historique du Christ, l’Église est le lieu de l’unité et de la
pluralité culturelle du genre humain. Lumen Gentium, la
constitution dogmatique de Vatican II sur l’Église
développe la notion force de communion dans ses
chapitres 1 et 2 soulignant le caractère divin et humain du
peuple de Dieu. Selon Lumen Gentium tous les croyants
ont un lien avec l’Esprit Saint qui les consacre au service
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 87
du peuple de Dieu en les dotant des dons variés pour la
construction du corps du Christ. Tous les croyants
jouissent de la même dignité d’enfants de Dieu et tous
sont responsables de la sainteté et de la mission de l’Église
dans le monde. Religieux, laïcs et clergé sont appelés par
Lumen Gentium à coopérer pour la tâche commune
d’évangélisation du monde dans le respect de leurs
charismes. Cette vision de la communion ecclésiale fait de
tous les croyants les membres actifs de la communauté de
foi. Ils exercent ensemble le sacerdoce commun des
fidèles en participant de façon active à la liturgie et aux
taches d’évangélisation du monde. Envoyés ensemble
dans le monde par le Christ ressuscité, les chrétiens
doivent créer des structures communautaires qui
favorisent la collégialité, la coopération, la responsabilité
commune et le témoignage d’un corps social. Ils doivent
abandonner l’idée d’une centralisation impériale et
encourager l’Église locale.

4- La Théologie chrétienne africaine de


communion au service de l’Église locale
L’Église locale est le lieu privilégié de la réflexion et de la
pratique chrétienne de la théologie de la communion. La
théologie de la communion a pour point de départ, l’Église
locale confiée collégialement à tous les croyants sous la
responsabilité partagée d’un « successeur des
Apôtres »garant de l’unité de foi dans le gouvernement de
l’Église universelle.
La théologie de la communion s’intéresse à la communion
des Églises particulières avec leurs langues, cultures,
liturgies et rites. Elle fait appel à la créativité des disciples
de Jésus-Christ pour inventer des voies nouvelles de
transmission de la foi chrétienne reçue des Apôtres. En
tant qu’Église du Christ, présente dans un milieu
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 88
socioculturel, l’Église locale n’est universelle
qu’inculturée avec ses coutumes, ses pratiques et le
caractère original de sa discipline. En acceptant la
légitime diversité des Églises locales et particulières, la
théologie de la communion veut être dans sa réflexion un
trait d’union entre diverses théologies issues de
l’inculturation de la foi dans divers milieux de l’Afrique
subsaharienne.

5- La Théologie chrétienne africaine de la


communion au service de l’harmonie
dans la diversité
La théologie chrétienne africaine est œcuménique. Elle est
au service d’un nouvel âge de la mission du Christ qui
consiste à développer dans l’Église le sens du dialogue
préconisé par le pape Paul VI dans Ecclesiam Suam.
Le dialogue avec les divers groupes humains est
aujourd’hui impératif dans l’action évangélisatrice et
missionnaire de l’Église. Les interlocuteurs du dialogue
interreligieux ecclésial sont : les chrétiens divisés par leur
histoire et traditions, les croyants des autres religions, les
athées, les agnostiques, les indifférents à la chose
religieuse et les adeptes des nouveaux mouvements
religieux.
En témoignant de la lumière du Christ envers les familles
religieuses et culturelles de l’humanité, dans le respect des
libertés, la théologie chrétienne africaine de la communion
est au service de l’harmonie dans la diversité. Elle veut
rapprocher les divers groupes humains en étudiant ave
sympathie et respect leur univers de pensée et leur échelle
de valeurs pour y trouver les semences du Logos.
La théologie chrétienne africaine de la communion
ecclésiale, par méthode renonce à la stratégie et à la

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 89


violence argumentatives pour inviter les interlocuteurs du
dialogue interreligieux à une démarche de foi libre
débouchant sur la réconciliation fraternelle. En aidant les
membres de l’humanité à progresser ensemble vers la
communion fraternelle, la théologie de la communion
ecclésiale est en faveur d’une spiritualité de la palabre
thérapeutique.

6- La Théologie africaine chrétienne de la


communion ecclésiale et la spiritualité
de la palabre thérapeutique
La théologie africaine chrétienne de la communion
ecclésiale met la foi dans l’espace de la parole dialogale.
La parole fonde les rapports humains. Le Fils de Dieu en
devenant homme est la parole créatrice en dialogue de
salut avec l’humanité. Cette parole qui selon l’évangéliste
Jean est « la Voie, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), se
présente dans l’humilité d’un homme authentique qui
accepte de se faire l’interlocuteur des membres de
l’humanité en quête du sens de leur existence. La modestie
et l’humilité du Fils de Dieu doivent encourager les
membres de la famille de Dieu à rechercher leur salut dans
l’acte de dialogue avec les autres membres de l’humanité,
porteurs de l’image et de la ressemblance de Dieu. En
effet tout membre de l’humanité créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu est habité par le désir de connaître
le mystère absolu de son existence. Dieu en Jésus-Christ
communique aux membres de l’humanité le mystère de
son existence en dévoilant ses attributs en un homme qui
est à la fois son Fils éternel et le représentant de
l’humanité. En Jésus-Christ, Dieu s’est dépouillé de sa
gloire et de sa puissance en révélant sa face cachée. Jésus-
Christ devient ainsi la face humaine de Dieu. Le Dieu
révélé de Jésus-Christ est celui qui apporte le salut en
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 90
invitant les membres de l’humanité à rechercher le remède
à leurs divisions dans la palabre thérapeutique. Jésus-
Christ, le Logos incarné est la parole qui guérit.
L’évocation de son nom par les divers groupes humains de
l’humanité est une logothérapie. L’évangélisation est la
palabre à propos de lui pour retrouver les traces de sa
parole créatrice dans les profondeurs de l’inconscient
collectif. Dialoguer avec les membres de l’humanité
consiste à retrouver les effets de la grâce prévenante de
Dieu à l’œuvre dans les cœurs et les esprits pour orienter
tous les croyants vers la communion.

7- La Théologie chrétienne de la
communion ecclésiale et l’expérience
féministe
La nécessité d’un langage humain pour parler du Dieu de
Jésus-Christ oblige la théologie africaine de la communion
à intégrer l’expérience féministe comme un facteur décisif
de restructuration du discours chrétien en Afrique
subsaharienne. Le langage anthropomorphique de la
maternité de Dieu peut donner à la théologie chrétienne
africaine de la communion un visage plus humain. Seul
Dieu peut enfanter, nourrir et faire croître sa famille. Les
attributs maternels du Dieu révélé par Jésus-Christ et
inspirés par la prière de Moïse en Nb 11, 11-15 montre la
dimension transcendante de la famille de Dieu. Dieu est
Mère de sa famille en la concevant et en la mettant au
monde. Dieu Mère et Nourrice est responsable de la
croissance de sa famille. En comparant la respiration
haletante de la femme en travail au Dieu Mère, l’un des
oracles du second Isaïe décrit l’activité de Dieu comme
un désir ardent d’inscrire de la nouveauté dans le monde
en y insufflant son Esprit (Is 4213-14). Les femmes à
l’image du Dieu Mère incarnent la valeur positive de la
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 91
famille comme le lieu de naissance des membres de
l’humanité. La famille humaine est sacrée parce que Dieu
s’engage en Jésus-Christ à en prendre soin comme une
Mère responsable qui n’abandonne pas son nourrisson (Is
49, 15).
Le Dieu chrétien n’est ni masculin, ni féminin. La
théologie chrétienne africaine de la communion insiste sur
le caractère propre du nom Père pour Dieu dans le cadre
de la génération éternelle du Fils. Le Père est ainsi le
principe et la cause éternelle du Fils. Jésus reconnu
comme Fils nous donne l’accès au Père et nous permet de
prier « Notre Père ». En lui « il n’y a plus ni Juif ni Grec,
il n’y plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni
homme ni femme » (Ga 3, 28).

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 92


Chapitre VI
La Contre-culture de la mort et la
culture de la vie dans l’Afrique
Contemporaine

L’Afrique contemporaine a subi la mort de façon


dramatique et tragique à travers les famines, les
épidémies, les catastrophes naturelles, la dégradation des
conditions de vie des populations, la criminalité et les
guerres postcoloniales.
La mort dans ces circonstances a mis un terme à la
réalisation du potentiel d’êtres humains privés de vie
physique, intellectuelle, morale et sociale.
Dans le contexte historique de l’Afrique contemporaine, la
contre-culture de la mort est associée à toutes les
violences de la nature et à toutes les formes de privations
des droits fondamentaux de la personne humaine : santé,
éducation, formation, logement, emploi, liberté
d’expression et d’association, partage plus équitable des
biens économiques et participation à l’œuvre commune du
développement du continent.
Par contre la culture de la vie est le signe d’un
engagement sur la voie du développement durable qui
conjugue la croissance économique avec le respect de
l’environnement.
La culture de la vie équivaut à un développement
économique et culturel respectant les droits de la personne
humaine au sein des sociétés tournées vers l’avenir et
protégeant l’épanouissement de la vie sous toutes ses
formes par la connaissance objective des phénomènes de
la nature et les lois de la bonne gouvernance.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 93


En quoi la reconnaissance des droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels est-elle un enjeu
important dans l’instauration d’une culture de la vie dans
l’Afrique contemporaine ?
Face à la contre-culture de la mort qui introduit des
déséquilibres inquiétants dans l’Afrique contemporaine,
quels sont les moyens symboliques, techniques, juridiques
et éthiques dont disposent les sociétés éprouvées pour
réorganiser la vie de façon convenable ?
L’Afrique contemporaine peut-elle assurer le triomphe de
la culture de la vie sans recourir à Jésus de Nazareth, un
mort du premier siècle chrétien que l’Eglise proclame
vivant ?
Notre réflexion est fondée sur les droits que secrètent les
sociétés postcoloniales en faveur du triomphe de la culture
de la vie. La culture de la vie est envisagée sous l’horizon
de l’économie de marché avec ses valeurs
personnalisantes et uniformisantes.
Une perspective africaine de la culture de la vie prenant en
compte les réalités des sociétés traditionnelles en
mutations accélérées pourrait déboucher sur une sacralité
de l’existence humaine régie par Dieu, les ancêtres, les
sages, les coutumes et la réorganisation de l’équilibre des
rapports sociaux.
La perspective africaine de la culture de la vie prépare la
voie à Jésus Christ dont la mission est de donner la vie en
plénitude (Jn 10,10).
Cette vie en plénitude ne peut se développer en Afrique
contemporaine que par la valorisation de la connaissance
objective des phénomènes de la nature et des lois
d’évolution d’une société humaine.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 94


1- La culture de la vie et la reconnaissance
des droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels dans la perspective
d’une connaissance objective du monde
et de l’histoire orientant un
développement durable et équitable.
La culture de la vie est l’ensemble des démarches
philosophiques, politiques, scientifiques, technologiques,
économiques, sociales, institutionnelles, esthétiques et
éthiques au service de l’humanité et de son
environnement.
La culture de la vie a connu une évolution constante
depuis l’apparition de l’homme maîtrisant le feu et
prolongeant son activité cérébrale par l’outil. Elle a connu
un rebondissement spectaculaire à travers la révolution
néolithique aboutissant à la civilisation industrielle et
urbaine de nature planétaire.
Si la culture de la vie a triomphé malgré les traces de rites
funéraires révélant l’inquiétude métaphysique de
l’humanité, il n’empêche que la contre-culture de la mort
introduit des bouleversements profonds dans l’espace
communautaire.
La contre-culture de la mort entretenue par la violence, la
torture, les actes inhumains et dégradants de barbarie, les
exactions, les génocides contemporains, la guerre et la
violation de la dignité humaine a terni l’image de la
culture de la vie.
La culture de la vie en tension dialectique avec la contre-
culture de la mort a mis en évidence la grandeur de
l’homme défiguré par sa fragilité et sa misère.
La promulgation à Paris, le 10 décembre 1948, au
lendemain de la deuxième guerre mondiale, de la
Déclaration universelle des droits de l’homme marque la
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 95
victoire de la culture de la vie contre la culture de la mort.
Désormais les droits fondamentaux de la personne
humaine peuvent être, respectés, défendus et promus. Ces
droits de caractère universel reposent sur la dignité de la
personne humaine, gage de la paix. La campagne pour la
défense de ces droits appartient à la culture de la vie. La
culture de la vie est une culture de la paix qui conditionne
le développement des peuples et des nations. La culture de
la vie équivaut à la culture de la paix. Le pape Paul VI
dans son encyclique Populorum Progressio assimile la
paix au développement intégral des peuples dont l’objectif
est d’assurer des chances de succès à une culture de la
vie : « le développement est le nouveau nom de la paix »22.
La culture de la vie est le fondement d’une paix et d’un
développement durables. Elle est le cadre
d’épanouissement des potentialités personnelles et
communautaires. Capacité d’expressions, de créations et
d’évolution, la culture de la vie est le creuset du mieux-
être et du mieux vivre ensemble. Œuvre commune, la
culture de la vie protège la valeur sacrée de toutes les
formes de croissance humaine. La culture de la vie
travaille à l’humanisation du monde.
L’Afrique contemporaine promeut une culture de la vie
quand elle s’engage dans un processus de développement
endogène reconnaissant les droits civils, politiques,
économiques, sociaux et culturels des citoyens d’états
nations.
La revendication d’un état de droit en Afrique est un
préalable à une culture de la vie.

22
Paul VI, Populorum Progressio (N°76).

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 96


La culture de la vie n’est possible qu’avec la
reconnaissance des droits fondamentaux de la personne
humaine.
La culture de la vie commencera en Afrique par l’exercice
effectif du droit à l’autodétermination des peuples
africains (La Charte des Nations Unies, article premier,
paragraphe 2).
En disposant d’eux-mêmes et en poursuivant leur
développement économique, social et culturel, sans
ingérence et sans pressions étrangères, les peuples
africains pourront un jour jouir de la culture de la vie, s’ils
luttent contre toutes les formes de dépendance extérieure
(idéologique, socioculturelle, budgétaire, psychologique et
économique).
Le droit à l’autodétermination est le fondement d’un
développement endogène qui place l’intérêt économique
et la personnalité socioculturelle des peuples africains au
centre des préoccupations nationales et internationales. La
souveraineté des peuples africains est la condition sine qua
non d’une coopération fructueuse avec les autres peuples
et nations.
Les droits civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels doivent être promus en Afrique contemporaine
pour développer une culture de la vie, susceptible
d’amorcer un développement centré sur la participation de
tous et sur les libertés d’expression, d’association et de
mouvement.
La démocratisation des sociétés contemporaines d’Afrique
est l’une des conquêtes de la culture de la vie. En se dotant
d’une constitution, d’un code de la famille et d’une loi
d’organisation judiciaire, les états nations d’Afrique
posent les fondements d’une culture de la vie. Cette
culture de la vie, au niveau personnel et social, est
marquée par différentes étapes de croissance. La première
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 97
étape d’évolution de l’Afrique contemporaine vers la
culture de la vie est la prise de conscience de la dimension
humaine des problèmes économiques, politiques, sociaux,
culturels et moraux. Les Africains en apprenant à se
connaître et à critiquer leurs illusions, leurs rêves et leur
manière fixiste de regarder la réalité ont compris qu’ils
sont responsables de leur futur développement. Les
Africains comprenant qu’ils ont les mêmes besoins, les
mêmes droits, les mêmes devoirs que le reste de
l’humanité rendent compte aujourd’hui de leur retard
technique par leur isolement géographique et le déni de
leurs droits fondamentaux pendant cinq siècles
d’esclavage et d’aventures coloniales et néocoloniales de
domination, de chosification de l’homme par l’homme et
de dépersonnalisation culturelle et politique.
En proclamant haut et fort leur droit à l’autodétermination,
les peuples africains ont rejoint le reste de l’humanité et
souhaitent devenir des partenaires respectés dans le
concert des nations.
La deuxième étape de la croissance de l’Afrique
contemporaine vers la culture de la vie est la prise de
conscience des deux armes de l’évolution humaine : la
connaissance et l’amour. Pendant plusieurs siècles, la
préoccupation essentielle des africains fut l’instinct de
survie face à une nature hostile et face aux forces
d’invasion de l’espace.
Dans l’Afrique contemporaine, la racine du sous-
développement peut-être liée à l’insuffisance de la
formation intellectuelle entraînant l’incompétence et la
faillite morale s’exprimant à travers la corruption
répandue dans toutes les sphères de la vie sociale.
La culture de la vie en Afrique a plus besoin d’une
croissance de l’information intellectuelle et d’un sursaut

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 98


de vie morale à cette seconde étape de la prise de
conscience de son manque d’évolution spirituelle.
L’évolution spirituelle de l’Afrique par la croissance de
l’information scientifique, technologique, esthétique,
éthique et juridique favorisera le décollage d’une culture
de la vie où chaque individu se reconnaîtra comme une
personne humaine indépendante, responsable de lui-
même, frère et sœur de tout membre de l’humanité.
La culture de la vie valorise l’amour aux dépens de
l’instinct archaïque de survie. Elle accule l’être humain à
une connaissance objective du monde et de l’histoire. Plus
l’être humain se détache de sa subjectivité immédiate, plus
il conquiert par la connaissance objective, des lois de
l’univers par l’observation attentive, la vérification
calculatrice et la falsification. La connaissance objective
est le chemin qui mène à la culture de la vie. En respectant
les lois de l’univers par une pensée rigoureuse, l’Africain
pourra maîtriser son environnement en évitant d’être la
victime des catastrophes naturelles. Pour évoluer vers une
culture de la vie, la curiosité scientifique est nécessaire à
l’Africain souvent habitué à l’à peu près, à l’imprécision
et au flou artistique. La promotion de la connaissance
rationnelle aidera à la compréhension des règles de vie
commune en Afrique. Les droits de l’homme et des
peuples seront mieux perçus comme les conditions les
plus favorables au droit de disposer librement de soi.
La culture de la vie dans l’Afrique contemporaine passe
par la passion pour le respect des droits de l’homme et des
peuples. L’instauration d’une vraie démocratie fondée sur
les libertés fondamentales et la promotion de la justice
sociale sont d’une importance capitale pour
l’établissement d’une culture de la vie. La culture de la vie
exige des structures de communion et des institutions qui
incarnent les valeurs de solidarité, de participation

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 99


populaire, de collaboration, d’unité dans la diversité, de
fraternité, d’égalité, de justice sociale et d’amour.
La culture de la vie en Afrique doit valoriser la prise de la
parole. La personne qui prend la parole est d’emblée
reconnue comme partenaire d’un dialogue social où elle
expose son point de vue et participe à la vie de la
communauté. La palabre est une forme de démocratie qui
valorise l’être parlant se mettant honnêtement et
humblement à l’écoute de ses pairs.

2- La Culture de la vie dans la perspective


des sociétés traditionnelles africaines
Les sociétés traditionnelles africaines considèrent la vie
reçue de Dieu à travers les ancêtres comme un facteur
d’identité et d’intégration sociales. Une culture de la vie
présuppose le rapport de l’homme africain aux forces
dynamiques de la nature qui imprègnent son existence
personnelle et sociale et le relient au Créateur de toutes
réalités23. Ainsi la vie reçue de Dieu à travers les ancêtres
est un don infiniment précieux qui révèle son donateur.
Cette vie reçue est partagée en situation socio-historique à
travers les médiations de la vie communautaire. Adhérer à
la communauté culturelle est un acte social d’affirmation
de soi et de vie partagée avec ses semblables.
Ainsi la vie physique, sociale et culturelle est l’un des
signes de l’activité de Dieu dans l’histoire des peuples
africains. L’expérience de la vie reçue comme valeur de
culture est au cœur des mythes et des rites des sociétés
traditionnelles africaines.

23
G. PARRINDER, La religion en Afrique Occidentale, Payot, Paris,
1950.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 100


La plupart des mythes thanatologiques de l’aire culturelle
africaine présentent la mort comme un événement
transhistorique survenu avant la dysharmonie actuelle du
monde et de l’histoire. L’effort de la culture est de rétablir
l’harmonie du monde et de l’histoire en réorganisant
l’ordre du monde et de l’histoire par des rites et des
techniques comme moyens symboliques d’apaisement de
l’angoisse humaine face à la menace permanente de la
mort. Ainsi le drame de la mort inscrit au cœur de la vie
sociale le projet commun d’élaborer des rites et des
techniques de transformation de l’environnement en
partenaire et allié des êtres humains. Ce projet
transformateur de l’environnement en partenaire et allié de
l’être humain en vue du triomphe de la vie rejoint la
révélation chrétienne de Jésus mort et ressuscité pour
réintégrer l’humanité dans un rapport d’harmonie au
cosmos restauré et libéré de l’angoisse de la mort (1Co 15
et Rm 5, 12-19).
La culture de la vie dans la perspective des sociétés
traditionnelles africaines est un projet commun qui met à
distance symbolique le désordre et la mort. Ce projet a
pour finalité, la restauration de l’harmonie des rapports
avec Dieu, les ancêtres, les esprits, la nature environnante
et les êtres humains dans leurs relations interpersonnelles.
Les pratiques rituelles de l’Afrique traditionnelle, les
techniques de production agricole, la pharmacopée, les
coutumes et les institutions des sociétés constituent des
remparts contre le désordre et la mort. Tous les efforts de
la culture visent le triomphe de la vie sur la mort.
L’horizon des cultures traditionnelles africaines est la
victoire de l’être humain face au mal radical, la mort et ses
conséquences existentielles dans les champs d’activités
des sociétés.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 101


Le spectacle triste que donnent les sociétés africaines
contemporaines ne correspond plus à cette vision de la
culture de la vie.
L’Afrique est depuis plusieurs décennies le théâtre de
guerres fratricides qui déciment les populations et
détruisent leurs richesses naturelles et culturelles. Les
causes endogènes de ces guerres sont le tribalisme, le
népotisme, le racisme, l’intolérance religieuse, la soif
du pouvoir, renforcée par des régimes totalitaires qui
bafouent impunément les droits et la dignité de
l’homme. Les populations brimées et réduites au
silence, subissent en victimes innocentes et résignées
toutes ces situations d’injustice » (Ecclesia in Africa N°
117).
Les conflits intraclaniques et inter-ethniques à répétition
provoquent la violence, les guerres et des souffrances. Les
tendances dominatrices de l’être humain, la rivalité,
l’égoïsme, la jalousie et la corruption bloquent tout
processus de vie et engendrent la contre-culture de la
mort.
La seule manière de sortir de l’impasse des conflits à
répétition est de réhabiliter la conception spiritualiste de la
culture de la vie en Afrique traditionnelle afin qu’elle
inspire l’organisation du pouvoir politique dans l’Afrique
d’aujourd’hui.
Dans l’Afrique traditionnelle, la vie humaine était sacrée.
Elle était un don à gérer dans l’espace communautaire
avec des rites précis qui donnent un supplément d’âme à la
personne humaine.
Bien qu’il soit inséré dans un milieu socio-économique
précaire, le Noir doit à sa culture une exceptionnelle
disposition à manipuler les symboles pour transcender
la mort en exaltant la vie. Ses croyances et les rites lui
fournissent les moyens de vivre en harmonie avec son

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 102


corps, avec le groupe et avec le monde ; dans cette
philosophie, l’angoisse de la mort n’est pas l’horreur
du néant mais seulement la peur d’une rupture, pénible
certes, mais qui n’est rien d’autre qu’un passage sur
l’autre versant de la vie. Il n’empêche qu’il existe un
seuil de malheur et de misère qu’on ne saurait
surmonter24.
Rampe indispensable au développement, les intuitions de
la culture de la vie dans l’Afrique traditionnelle peuvent se
traduire aujourd’hui par la protection de la vie et de
l’environnement et une défense et une promotion des
droits des vivants.

3- Le Christ, source de la vie, pilier de la


promotion de la culture de la vie et de la
préservation de l’environnement
humain
Le message Johannique de la révélation chrétienne se
présente comme la glorification de la vie de Dieu
manifestée dans l’action du Christ, crucifié, mort et
ressuscité en vue de délivrer l’humanité de la culture de la
mort. Le Christ est l’éternel vivant qui donne la vie en
abondance. La vie du Christ qui est vie d’amour se
transmet par sa parole : « Si vous demeurez dans ma
parole, alors vous serez vraiment mes disciples et vous
connaîtrez la vérité et la vérité vous fera libres » (Jn 8,
31-33). Devenir authentique disciple de Jésus, implique
une communion avec le fils éternel dont le rang dans la
maison du Père excède celui de tous les serviteurs fidèles.
Le fils éternel libre de tout mal affranchit le disciple de la

24
Louis-Vincent Thomas, La Mort Africaine. Idéologie funéraire en
Afrique noire. Payot, Paris, 1982. p. 250.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 103


culture de la mort. La culture de la mort est une culture
qui nie la fraternité. Elle est la négation du bien commun.
Elle ne reconnaît pas les droits fondamentaux de la
personne humaine. Elle conduit à la destruction et la
désagrégation de l’environnement. Les prédateurs qui sont
les sujets de la culture de la mort sont hostiles au mieux-
être de l’humanité. En utilisant la symbolique de la culture
de la vie et de la mort dans la perspective Johannique,
nous reconnaissons que la culture de la mort est l’envers et
la négation de la culture de la vie. La culture de la vie est
la relation à la vie divine. Le Christ, fils éternel du Père est
frère du disciple qu’il fait participer à la vie du Père. En
indiquant à son disciple, le chemin qui conduit à la culture
de la vie, le Christ transforme sa façon de vivre et
d’accueillir sa parole.
Nous savons que nous sommes passés de la mort à la
vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime
pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est
un homicide ; et vous savez qu’aucun homicide n’a la
vie éternelle demeurant en lui (1Jn 3 :14).
La puissance d’une culture de la vie est l’amour. Celui qui
aime son frère ou sa sœur échappe à la culture de la mort.
Le duel de la vie et de la mort se résout dans la foi en une
personne, Jésus-Christ.
Jésus-Christ est l’image parfaite et le modèle de la
conduite pour promouvoir la justice, la liberté, l’amour, la
vérité, la paix et le développement durables.
Jésus-Christ venu dans le monde et l’histoire pour donner
la vie est la parole qui instaure le dialogue et la
communion. Parole d’origine de tous les commencements,
Jésus-Christ est le porte-parole de Dieu qui récapitule tous
les témoins de Dieu (Sages, prophètes, saints, prêtres,
rois). Devant la majesté du Logos, image réfléchie du
Père, sages, prophètes, saints, prêtres et rois deviennent
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 104
des ombres de la réalité à venir. La venue du Christ dans
l’histoire instaure l’ordre de la vie contre les cultures de la
mort. Les pauvres, les doux, les cœurs purs, les
miséricordieux et les pacifiques deviennent les agents de
la culture de la vie.
En accueillant librement la bonne nouvelle de la vie que
Jésus-Christ apporte comme présence de Dieu dans le
monde et l’histoire, l’Afrique en continuité avec son
expérience symbolique d’exaltation de la vie, renoncera à
la culture de la violence qui entraîne la mort. En se
convertissant à l’évangile des béatitudes, l’Afrique
contemporaine pourra actualiser la possibilité de la culture
de la vie offerte à sa liberté. En agissant selon la parole de
Dieu devenue chair de la chair humaine, les africains
pourront affronter la contre-culture du mensonge, de la
violence meurtrière et de la mort par l’esprit de la douceur
évangélique et de la culture de la vie.
La culture de la vie repose sur l’espérance d’un
développement et d’une paix durables en Afrique. Les
cultures traditionnelles africaines et l’évangile offrent des
moyens de mettre en œuvre la promotion de la vie qui
passe par le respect des droits de la personne humaine et
des peuples, l’extension de la connaissance objective du
monde et la consolidation de la coopération internationale
au profit de l’humanité entière.
L’Afrique en s’appuyant sur ses techniques améliorées de
production et sur son éthique de relation peut se rendre
crédible dans ses rapports au monde extérieur par la
promotion de la connaissance objective du monde et de
l’histoire à travers une organisation politique centrée sur la
palabre comme espace intersubjectif de bonne
gouvernance.
La culture de la vie en Afrique imprégnée de la sacralité
de Dieu, des ancêtres et des esprits protecteurs peut

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 105


s’identifier au message johannique du Christ, source de
vie abondante pour le chrétien qui considère la promotion
de la vie comme la tâche principale d’évangélisation.
L’Afrique de la culture de la vie sera l’Afrique de la
palabre où tout citoyen a le droit et le devoir de
promouvoir la vie matérielle, sociale et spirituelle en se
référant à la parole d’origine, parole de grâce et de paix,
révélée dans la personne de Jésus-Christ ayant un rapport
unique au Père, source et fin de toute vie.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 106


Chapitre VII
La nouveauté du Christ à travers les
Conciles œcuméniques : Le Christ des
Conciles pour une vision africaine de la
foi

L’action évangélisatrice en Afrique qui passe par le


témoignage de foi des disciples de Jésus-Christ ne peut
faire l’économie des conciles œcuméniques du passé.
Les conciles œcuméniques sont des rencontres humaines
où le dialogue de foi a abouti à la résolution partielle des
questions de fond qui agitaient l’univers de pensée et
l’échelle des valeurs des interlocuteurs.
Les conciles œcuméniques du passé sont des repères pour
l’action évangélisatrice. Ils offrent des principes
doctrinaux à la compréhension du mystère du Christ
proclamant la présence du Règne de Dieu à travers les
signes de délivrance au cœur de l’histoire humaine.
L’action évangélisatrice en Afrique doit s’inspirer des
actes de parole des conciles œcuméniques pour faire
avancer la cause de la restauration de la communauté
humaine.
Le Christ des conciles est celui qui dialogue avec les
cultures et les modes d’existence humaine. Il est celui qui
introduit la nouveauté et le dynamisme de l’évangile dans
le cosmos restauré par sa mort, sa résurrection et l’envoi
de son Esprit de sainteté.
Le Christ des conciles peut inspirer le processus historique
d’évangélisation de l’Afrique en suscitant l’Esprit de
justice, de fraternité, de paix et de protection de

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 107


l’environnement en vue de la transfiguration du monde
subsaharien en Règne de Dieu.

1- L’apport du concile de Nicée à la vision


africaine de la foi
Nous croyons en un seul Dieu, le père tout-puissant,
créateur des choses visibles et invisibles.

Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu,


engendré du Père fils unique, c’est-à- dire de la
substance du Père, Dieu [issu] de Dieu, lumière [issue]
de la lumière ; Dieu vrai [issu] du vrai Dieu, engendré
et non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été
fait, ce qui est au ciel et ce qui est sur terre.

Pour nous les hommes et pour notre salut, [il est]


descendu et [s’est] incarné, [il est] devenu homme, a
souffert, est ressuscité le troisième jour, est remonté
aux cieux [et] reviendra juger les vivants et les morts.

Et [nous croyons] au Saint Esprit.


Quant à ceux qui disent : « il y eut un temps où il n’était
pas » ou « avant d’être engendré il n’était pas », ou qui
prétendent qu’il a été fait de rien ou d’une autre hypostase
ou substance et que le Fils de Dieu est créé ou convertible
ou changeant, l’Église catholique les déclare anathèmes. »
Le premier concile œcuménique de Nicée en 325 déclare
Jésus-Christ Dieu. Son acte de parole est constitué par un
symbole de foi baptismal emprunté à une Église locale et
retouché pour mettre en valeur sa doctrine christologique.
Jésus-Christ est Fils de Dieu au sens propre et « tout a été
fait par lui » (Jn 1,3). Le Fils de Dieu a au sein de la
Trinité une fonction créatrice. Il a la même essence que le
Père.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 108


Cette définition dogmatique du Christ exclut l’idée d’une
créature sublime tirée d’une autre substance que celle du
Père. Elle rejette l’idée ébionite de l’adoption d’un homme
par le Père. Jésus-Christ, le Fils de Dieu n’est pas un héros
divinisé des mythologies païennes. Ainsi Jésus-Christ est
de condition divine et partage absolument l’être de son
Père éternel. Il n’est pas seulement comme Dieu. Il est
vraiment Dieu. Engendré de la substance du Père, le Fils
jouit de la même gloire que le Père. Il est Seigneur et
possède les mêmes attributs que le Père, excepté qu’il
n’est pas le Père, source de toutes réalités incluant le Fils.
Dans la vision africaine de la foi, le Fils est au-dessus de
toutes les créatures spirituelles. Il n’est pas comme les
ancêtres, un intermédiaire entre Dieu et les familles
humaines. Il est Un avec le Père, source de sa divinité. Le
Père selon la foi chrétienne n’est pas un être absolu jaloux
de conserver ses attributs dans la singularité de son être
contenu en lui-même. Le Père existe éternellement pour le
Fils à qui il communique son être sans l’appauvrir. Le
Père communique sa nature à un autre distinct de lui, le
Fils éternel.
En optant pour le modèle de l’Église, Famille de Dieu, les
Églises locales de l’Afrique subsaharienne entrent dans le
processus de la réception de la doctrine christologique de
Nicée. Le Christ est perçu par la théologie de la
communion comme le fondateur d’une nouvelle famille
humaine : la famille de Dieu. Le Père de cette nouvelle
famille n’est que Dieu, source de la divinité du Fils
éternel. Le Fils éternel est envoyé dans le monde pour
établir cette famille. Jésus-Christ établit la famille de Dieu
par son incarnation rédemptrice. C’est en acceptant la
révélation du Fils de Dieu que les Églises locales
d’Afrique subsaharienne témoignent de la réception de la
christologie de Nicée. En effet, « le grand et saint
concile » de Nicée a posé rétroactivement les fondements
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 109
christologiques de l’Église, Famille de Dieu. Conforme à
l’enseignement des apôtres et à la tradition des Saints
Pères, l’autorité décisive et définitive du concile de Nicée
permet aux Églises locales d’Afrique subsaharienne
d’élaborer leur théologie de la communion ecclésiale de la
famille de Dieu.

2- L’apport du deuxième concile


œcuménique de Constantinople I à la
vision africaine de la foi
Le concile de Constantinople I en précisant le rôle de
l’Esprit Saint qui est Seigneur, vivificateur, procédant du
Père et du Fils et adoré conjointement au Père et au Fils et
parlant par les prophètes a fini par peaufiner l’identité de
nature du Fils avec le Père. Le Fils des origines a toujours
existé avec le Père. Engendré avant le commencement du
temps, le Fils n’est devenu homme que pour le salut de
l’humanité. Il s’est incarné du fait de l’Esprit Saint.
« Descendu des cieux » le Fils de Dieu « s’est fait chair
et a habité parmi nous » (Jn 1, 13-14).
Les Églises locales d’Afrique subsaharienne dans leur
théologie de la communion ecclésiale reconnaissent le rôle
de l’Esprit Saint comme une personne divine inspirant le
projet de la famille de Dieu.

3- L’apport du troisième concile


œcuménique d’Ephèse à la vision
africaine de la foi
Le troisième concile œcuménique d’Ephèse précise que le
Fils éternel est devenu homme, engendré de Marie.
L’éternité du fils ne l’empêche pas de devenir homme. En
devenant homme, le Fils participe à la condition humaine
et son abaissement ne dégrade pas sa condition de Fils de
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 110
Dieu. Cyrille défend mieux contrairement à Nestorius le
principe de la génération humaine du Fils éternel.
Nestorius se contente de l’humanisation du Fils qui ne
devenait pas vraiment ce qu'il paraissait être. En devenant
un homme authentique, le Fils de Dieu s’est approprié une
humanité véritable. Ainsi le Fils de Dieu est né d’une
femme (Rm 5, 10 ; 8,3 ; Ga 4,4). Il a été envoyé dans la
chair, dans une condition périssable. Il est un seul et même
Fils de Dieu. La foi chrétienne de Cyrille évite le
dédoublement de deux sujets en Jésus-Christ. Elle
confesse Jésus-Christ comme le Fils éternel du Père,
envoyé dans l’histoire humaine, comme un homme
authentique. Cet homme authentique a été solidaire des
souffrances, des faiblesses et des humiliations de la
condition humaine.
Lui qui était de condition divine, il ne retint pas
jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, mais il
s’anéantit lui-même en prenant condition d’esclave et
devenant semblable aux hommes (Ph 2, 6-7).
L’existence kénotique du Fils de Dieu assure la
participation de l’humanité à sa condition de Fils.
Jésus-Christ nous sauve en assumant notre condition
humaine. En devenant homme comme nous, engendré de
Marie, Jésus-Christ par son « union hypostatique »
s’approprie une humanité qu’il assume comme Fils éternel
du Père.
Le concile d’Ephèse a promu le culte de Marie « Mère de
Dieu » en défendant l’humanité authentique de Jésus-
Christ. Il a interdit la division de Jésus-Christ en deux
sujets humain et divin.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 111


4- L’apport du quatrième concile
œcuménique de Chalcédoine à la vision
africaine de la foi
Le quatrième concile œcuménique de Chalcédoine donne
à l’Église, la charte de la théologie de l’incarnation. Jésus-
Christ y est confessé comme une personne divine ayant
deux natures, divine et humaine, intégrées par l’union
hypostatique unique maintenant les propriétés des deux
natures. Cette théologie de « l’union des deux natures en
une seule personne » deviendra le principe herméneutique
de la théologie du Logos incarné. Le Logos incarné n’est
pas un être hybride constitué de propriétés divines et
humaines. Le Logos incarné est à la fois un Dieu véritable
et un homme véritable. Le Fils éternel de Dieu est apparu
dans le monde et l’histoire sous les traits humains de
Jésus de Nazareth.
Aux lendemains de Chalcédoine, deux options de la
théologie de l’incarnation divisent l’Église du Christ :
l’option d’obédience antiochienne de tendance nestorienne
accentuant la distinction du Christ en deux natures sans
l’intégrer harmonieusement en une unique personne et
l’option d’obédience alexandrine de tendance cyrillienne
qui réunit la divinité et l’humanité du Christ en une seule
nature subsistante avec le risque de mélanger et d’altérer
leurs propriétés respectives.
Le cinquième concile œcuménique de Constantinople II
en 553 tenta de clarifier les formulations chalcédoniennes
en affirmant dans ses dix premiers canons les deux
générations du Logos et la communication des propriétés
des deux natures à l’unique personne du Logos.
Le sixième concile œcuménique de Constantinople III en
681 confesse les deux volontés du Logos incarné en
défendant l’unité substantielle entre le Jésus de l’histoire
et le Fils éternel.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 112
5- La nouveauté du Christ des grands
conciles œcuméniques pour la théologie
chrétienne africaine de la communion
Les grands conciles œcuméniques ne ferment pas Jésus-
Christ dans les limites de l’histoire. Tout en reconnaissant
la particularité historique de Jésus-Christ étayée par les
récits du salut des évangiles, les grands conciles
œcuméniques insistent sur son essence. Le caractère
ontologique de Jésus-Christ est mis en valeur par les
conciles œcuméniques. Ainsi se dégage la signification
permanente de Jésus-Christ. L’interprétation ontologique
de Jésus-Christ proposée par Nicée, Chalcédoine et
Constantinople III se prête à une relecture de la situation
ecclésiale en Afrique subsaharienne.
En effet, Jésus-Christ dans la perspective de la théologie
chrétienne africaine de la communion ecclésiale est la
seconde personne de la sainte Trinité qui s’est fait homme,
envoyé par le Père pour répondre à l’aspiration des
membres de l’humanité à leur réunion spirituelle. Les
membres de l’humanité par le fait qu’ils sont créés, par
lui, en lui et pour lui ne trouvent de sens à leur existence
qu’en recevant du Père, la révélation du Fils. La révélation
du Fils a un caractère historique. Elle se déploie à travers
l’Ancien Testament et trouve sa formulation définitive
dans la confession du Fils comme Fils de Dieu. Ainsi,
Dieu qui est la cause et la finalité de l’existence humaine
se manifeste de façon universelle dans le don de la
création. Il se révèle dans l’histoire du salut en interpellant
les patriarches, les leaders charismatiques et les prophètes
d’Israël. L’avènement dans la chair de son Fils éternel
achève de façon définitive et irrévocable sa révélation
dans le monde et l’histoire. L’histoire humaine où s’opère
l’économie du salut devient la source unique et définitive
de la connaissance du mystère de la Trinité. Par son Fils et
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 113
par son Esprit, le Père dévoile le mystère de son être aux
membres de l’humanité et les associe comme partenaires
libres à son œuvre de rédemption et de préservation de sa
création.
Le Fils éternel a une préexistence. Il préexiste avant sa
venue dans le monde. Le Fils éternel venu dans la chair a
une pro-existence. Il vit en Logos incarné pour rassembler
les enfants de Dieu en une unique famille. Sa mort et sa
résurrection l’établissent dans une post-existence où il est
le Christ cosmique restaurateur de l’unique famille de
Dieu.
Ainsi le Dieu éternel dans sa passion pour le salut de
l’humanité a été affecté dans son être profond par
l’incarnation rédemptrice du Fils qui a introduit
l’humanité souffrante dans sa vie immanente. Ainsi le Fils
se présente comme celui qui réconcilie l’histoire de
l’essence de Dieu avec l’histoire souffrante de l’humanité
dans son aspiration à partager la vie intime de Dieu.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 114


Chapitre VIII
Les évêques Catholiques et la crise
africaine

Entre 1990 et 2005, les 46 pays de l’Afrique


subsaharienne ont connu des crises profondes dans leur
croissance économique et dans leur organisation politique.
Toutes les couches fragilisées de la population africaine
(plus de 700 millions d’habitants) ont ressenti les
retombées sociales dramatiques de cette crise politique et
économique.
Notre perspective est de donner la parole aux évêques
catholiques, responsables de l’évangélisation du continent
afin qu’ils nous livrent la richesse de leur enseignement
sur la crise africaine.25

25
BERNARD MUNONO MUYEMBE, Eglise, évangélisation et
promotion humaine. Le discours social des évêques africains, Editions
Universitaires Fribourg, Suisse, 1995.
Les évêques d’Afrique parlent, 1969-1992. Documents pour
le Synode africain. Textes réunis par Maurice Cheza, Henri
Derroitte, René Luneau, Paris, Centurion, 1992, 443p.
KÄ MANA « Les églises africaines face aux mutations
actuelles de l’Afrique : une analyse des prises de positions
récentes des Eglises protestantes et catholiques du continent
africain », dans Zaïre-Afrique, (août-septembre 1991) n° 257,
p. 349-364.
ERNEST KOMBO (Mgr) « Nécessité et urgence d’un
engagement personnel et communautaire »dans Telema
(1992) n° 3-4, p.51-52.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 115


Pour la hiérarchie catholique, un authentique
développement durable présuppose le respect de la dignité
de la personne humaine dont l’icône parfaite est Jésus-
Christ, seul médiateur entre Dieu et les êtres humains et
prince de la paix, en qui l’univers est réconcilié.
A la suite de Jean-Paul II dans son encyclique sociale,
Centesimus annus26, les évêques catholiques d’Afrique
sont favorables au processus de démocratisation en cours.
La pratique des principes et valeurs de la démocratie est
une manière contemporaine pour l’Eglise de vivre les
valeurs évangéliques de fraternité, de communion et de
participation effective à la construction du bien commun.
La lettre du comité permanent du SCEAM aux chefs
d’état d’Afrique et de Madagascar, le 10 mars 1993,
souligne avec pertinence, la volonté des évêques
catholiques d’apporter leur contribution spécifique à la
résolution de la crise27.
En quels termes les évêques catholiques parlent-ils de la
crise africaine ? En quoi la sollicitude pastorale des
évêques catholiques contribue t-elle à la résolution de la

MONSENGWO PASINYA (Mgr), L’Eglise Catholique du


Zaïre. Ses tâches, ses défis, ses options, Saint Paul –Afrique
Kinshasa, 1991.
Déclaration des Evêques du Zaïre aux chrétiens catholiques
et aux hommes de bonne volonté, le 3 février 1992.
26
Centesimus annus, « L’Eglise apprécie le système démocratique,
comme système qui assure la participation des citoyens aux choix
politiques et garantit aux gouvernés la possibilité de choisir et de
contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière pacifique
lorsque cela s’avère opportun »
(N° 46).
27
« L’Afrique toute entière traverse une crise grave » DC 90 (1993)
531-532.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 116


crise africaine ? Quelle est la vision socio-théologique qui
émerge de la réflexion de l’épiscopat sur la crise
africaine ?
Notre démarche de lecture socio-théologique de
l’enseignement des évêques catholiques sur la crise
africaine est une tentative de contextualisation de la Parole
de Dieu dans les situations et les mutations en cours. Elle
est une herméneutique de la Parole de Dieu frayant son
chemin dans l’expérience de la crise africaine à travers la
relecture et l’auscultation des « signes des temps » par les
évêques, serviteurs de la mission du Christ en Afrique.

1- La crise africaine et l’expérience de


transformation institutionnelle
La crise africaine est souvent associée à la famine, aux
épidémies, à l’insécurité de l’emploi, aux désordres
économiques, à la décomposition des états nations, aux
victimes de l’injustice et à la déchirure du tissu social.
Elle est le résultat de la stagnation de la productivité et de
la marginalisation commerciale du continent qui perd la
dynamique de sa compétitivité28 sur le marché
international.
La crise africaine affecte la santé, l’éducation, l’harmonie
sociale, le bien-être, la productivité et les performances
économiques.
Entre 1990 et 2005, l’Afrique subsaharienne a connu des
crises de croissance économique, politique, sociale et
culturelle liée au passage d’une économie de rente à une
économie de marché.

28
SALL A. (éd.), La Compétitivité future des économies africaines,
Futurs africains, Karthala, Paris, 2000.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 117


Cette Afrique post-coloniale en pleines douleurs
d’enfantement d’une société plus démocratique, plus juste,
plus pacifique, plus libre et plus prospère est l’objet de la
sollicitude pastorale des évêques catholiques, serviteurs de
l’évangile de Jésus-Christ pour l’espérance du continent29.
Face aux profondes et complexes mutations des sociétés
africaines dues aux déficits budgétaires et à l’absence de
l’accumulation du capital, les évêques catholiques
confrontés aux conséquences sociales de la crise
financière, parlent de la crise du continent en termes
d’une expérience de transformation institutionnelle.
La crise africaine est perçue comme un travail de
réenfantement d’un continent habité par les germes de
misère et de mort et luttant pour des projets de sociétés
plus démocratiques, plus viables sur le plan économique et
plus orientés vers le développement humain durable et la
paix.
Le devenir historique et existentiel des sociétés africaines
en crises de maturité devient ainsi un lieu de réflexion
socio-théologique par les évêques catholiques soucieux
d’offrir des repères religieux et éthiques aux chrétiens
angoissés et désemparés par la corruption ambiante, les
scandales financiers, le favoritisme, les tensions sociales
et le mépris des droits de l’homme. Leurs messages font
souvent appel à la vérité, au sens de la justice, au respect
du droit, au caractère sacré de la vie, au patriotisme et à
l’abnégation dans l’exercice des responsabilités publiques.

29
Synode des évêques, L’évêque, Serviteur de l’évangile de Jésus-
Christ pour l’espérance du monde , Instrumentum laboris, Xème
Assemblée générale ordinaire, Rome, octobre 2001, les Editions du
Cerf, Paris, 2001.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 118


L’attitude des évêques catholiques est de rejoindre les
peuples déshérités, malades, marginalisés, surendettés et
appauvris d’Afrique, au carrefour de leurs souffrances et
de leurs aspirations pour leur annoncer la bonne nouvelle
de Jésus Christ comme force de transformation sociale de
la crise.
La nouveauté du message du Christ dans son altérité et
mystère représente une manière de vivre en compagnie du
premier-né de toute créature qui nous livre le mode
d’emploi de la lutte pour une transformation
institutionnelle.
C’est donc à partir de l’expérience quotidienne de la lutte
pour une transformation institutionnelle en vue de la
démocratie et l’amélioration effective de la qualité de vie
que les évêques confessent Jésus Christ comme
compagnon de route des communautés africaines en crises
sociopolitiques, économiques et culturelles.
La problématique sociohistorique des évêques catholiques
reprend les préoccupations vitales des communautés
africaines en lisant l’évangile de Jésus Christ à l’épreuve
des défis de la crise.
La lettre pastorale « Christ est notre Paix » (Eph 2,14) :
L’Eglise-Famille de Dieu : lieu et sacrement de pardon, de
réconciliation et de paix en Afrique30 de la douzième
Assemblée plénière du Symposium des Conférences
d’Afrique et de Madagascar rendue publique en octobre
2001 illustre la pastorale adaptée des évêques catholiques
à la situation de crise.

30
« CHRIST EST NOTRE PAIX » (Eph 2,14) : L’Eglise-famille de
Dieu : lieu et sacrement de pardon, de réconciliation et de paix en
Afrique, Kumasi Catholic Press Ltd. Octobre 2001.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 119


En assumant les défis de la crise africaine, les évêques
font une analyse sociopolitique du retard économique de
l’Afrique en ces termes :
une absence de diversification des économies qui sont
demeurées coloniales et extraverties. On continue,
comme par le passé, de produire ce que l’on ne
consomme pas et de consommer ce que l’on ne produit
pas, accentuant ainsi la dépendance des économies
africaines vis-à-vis de l’extérieur. On compte sur un ou
deux produits d’exportation pour assurer le
financement de ces économies, ce qui est aléatoire et
dangereux; La mise en œuvre de politiques de
développement inappropriées, caractérisées par des
stratégies de dépendance (tout est tourné vers
l’extérieur) aux dépens des stratégies de
développement autonomes, centrées sur les réalités et
les besoins nationaux ; une gestion hasardeuse des
ressources nationales caractérisée par la dilapidation
des fonds, la corruption forcenée, la confusion
désastreuse entre les finances publiques et les biens
propres des dirigeants ; la mauvaise gouvernance faite
de laxisme et de laisser-aller, du peu de souci accordé
à la recherche du bien commun et au sort des plus
pauvres31.
Les évêques catholiques en prenant courageusement
position contre les maux qui affligent le continent,
dénoncent le caractère extraverti des fragiles économies
africaines productrices de dépendances structurelles. Cette
extraversion du continent est étendue au mode de
gouvernement politique des nations africaines et à leurs
systèmes éducatifs générateurs d’aliénation culturelle et de
modèles étrangers dépersonnalisants.

31
Ibid. p. 14.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 120


L’Afrique est souvent considérée comme un appendice
local des pays industrialisés. Les indicateurs économiques
et sociaux en baisse entre 1990 et 2005 sont liés au service
de la dette représentant plus de 110% du PNB. Les
programmes d’ajustement structurels imposés par le Fond
monétaire international et la banque mondiale n’ont guère
amélioré la qualité de vie en Afrique subsaharienne.
Au plan social, les conséquences de ces errements sont
terribles : systèmes éducatifs délabrés, systèmes de
santé calamiteux, extension des pandémies : malaria,
sida, tuberculose, augmentation de la mortalité
infantile, baisse de l’espérance de vie etc. 32
Aussi les évêques proposent-ils des transformations
institutionnelles dont l’instauration d’un état de droit
comme une urgente nécessité pour assurer la défense du
bien commun et promouvoir un développement humain
durable :
« Aujourd’hui, on reconnaît la pertinence de l’état de droit
comme une urgente nécessité en raison du lien qui existe
entre la démocratie comme source de liberté et les libertés
comme facteur de développement. L’état de droit est une
des choses avérées de la démocratie. Il postule la
séparation des pouvoirs et une justice indépendante. Il
appelle à un respect scrupuleux des droits de l’homme
pour que l’homme créé à l’image de Dieu, ne soit jamais
bafoué dans son intégrité et dans sa dignité, surtout
lorsqu’il s’agit des plus pauvres et des plus démunis. Il
exige enfin que tous les gouvernants rendent compte de
l’exercice du pouvoir, conformément à la loi devant
laquelle tous les citoyens sont égaux. Cette vision de la
démocratie exige le nécessaire renforcement des garanties

32
Ibid. p.16.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 121


des droits de l’homme (au-delà de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples), d’autant plus que, par
le passé, la conquête du pouvoir n’a souvent été qu’un
moyen de joindre l’avoir au pouvoir conquis (parfois par
violence), pour attribuer à quelques-uns une très large part
du surplus économique »33.
Les évêques catholiques impliqués dans le processus de
démocratisation en cours en Afrique, soutiennent
l’émergence des états de droit comme garanties d’une
gestion saine des affaires publiques. L’enseignement
éthique des pasteurs catholiques insiste sur le bien
commun, l’autorité de la loi, la séparation des pouvoirs, la
protection des droits de l’homme et la gestion transparente
et honnête des affaires publiques.
L’état de droit est perçu par les évêques comme un cadre
légal au service d’une démocratie pluraliste et d’une
culture de solidarité et de tolérance. Comme système de
gouvernement, la démocratie a l’avantage d’encourager la
participation populaire aux projets communs de sociétés.
Creuset d’une expression libre de l’opinion publique, la
démocratie en favorisant la consultation, le débat
contradictoire et le choix libre des représentants du peuple
peut être un facteur de changement social.
En valorisant la dimension éthique de la politique, les
évêques catholiques considèrent l’application de
l’enseignement social de l’Eglise aux situations de crises
comme une partie intégrante de leur mission
évangélisatrice. L’accent sur la dimension éthique de la
politique est renforcé par le témoignage des actions de
promotion humaine en faveur des déshérités d’Afrique.

33
Ibid. p. 20.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 122


Une option préférentielle pour les populations fragilisées
par la crise africaine, s’impose. L’Afrique subsaharienne a
en effet plus de 165 millions d’analphabètes, plus de 30
millions de personnes contaminées par le virus du sida et
34 pays les moins avancés du monde sont sur le continent.
Une bonne gouvernance devient pour les évêques l’une
des solutions pour faciliter des réformes institutionnelles
visant à créer de nouveaux espaces juridiques
d’investissement et de relance des secteurs de productivité
sous un mode différent de l’économie de rente.
Les évêques catholiques en encouragent les réformes
institutionnelles insistent sur une meilleure gestion des
ressources disponibles et sur la transparence dans
l’exercice des responsabilités publiques.
Face à ces terribles défis, les évêques catholiques ne
baissent pas les bras, mais ils pensent que « Depuis trois
siècles, l’Afrique a existé et vécu en fonction des intérêts
d’autres continents. L’intérêt qu’on lui portait était surtout
motivé par l’attraction de ses ressources minières. Le
21eme siècle devrait connaître l’émergence d’une Afrique
qui existe pour elle-même, en vrai partenariat avec les
autres continents, un partenariat fondé non plus sur les
matières premières exploitées de manière sauvage et
totalitaire, mais sur la matière grise des africains capables
de transformer, avec intelligence et mesure, les matières
premières en moteur de développement intégral pour
l’Afrique et le monde entier. A ce moment, la
mondialisation et la globalisation auront un autre sens
pour l’Afrique. L’Afrique n’entrera de plain-pied dans la
mondialisation que par la mise en place de grands
ensembles politiques et économiques sur le continent »34

34
Ibid. p. 55.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 123


En analysant avec objectivité, la crise africaine, comme
des prophètes d’espérance, les évêques catholiques
invitent les fils et filles du continent à mobiliser leur
intelligence, leur imagination, leur créativité et leur
savoir-faire pour résoudre les problèmes cruciaux de leur
développement endogène et intégral. Aussi pourront-ils
restaurer la confiance des opérateurs et devenir des
partenaires commerciaux respectables dans le concert des
nations avec leurs projets économiques d’intégration
régionale.

2- « La mise en œuvre de l’enseignement


social de l’Eglise est coextensive à la
seconde évangélisation de l’Afrique »
La solution de la crise africaine dans la perspective des
évêques catholiques passe par la conscientisation des
Africains devenant responsables de leur propre
développement.
La seconde évangélisation du continent où Jésus-Christ
s’incarne et assume les mutations socio-économiques,
politiques et culturelles en cours est le nouveau paradigme
de l’acte missionnaire de l’Eglise catholique.
Le mérite des évêques catholiques est d’avoir trouvé des
remèdes au continent africain malade et sous perfusion.
L’assemblée spéciale du synode des évêques pour
l’Afrique a été le lieu d’une évaluation critique de la crise
africaine.35

35
Les évêques d’Afrique parlent 1969-1992. Documents pour le
synode africain. Textes réunis par Maurice Cheza, Henri Derroitte,
René Luneau, Paris, Centurion, 1992, 443p. / Le Synode africain
Histoire et textes Editions Karthala, Paris, 1996,425p. .

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 124


La seconde évangélisation du continent s’impose pour
offrir à l’homme africain blessé, malade, appauvri et
marginalisé une communauté où il se sent respecté et
protégé. Le souci des évêques est de transformer par
l’annonce de l’évangile les relations traditionnelles de
solidarité en Afrique en une communauté reflétant l’idéal
divin de la vie trinitaire.
Non seulement le Synode a parlé de l’inculturation,
mais il l’a appliquée en prenant, pour l’évangélisation
de l’Afrique, l’idée-force de l’Eglise Famille de Dieu.
Les Pères y ont vu une expression particulièrement
appropriée de la nature de l’Eglise pour l’Afrique.
L’image en effet, met l’accent sur l’attention à l’autre,
la solidarité, la chaleur des relations, l’accueil, le
dialogue et la confiance. La nouvelle évangélisation
visera donc à édifier l’Eglise-Famille, en excluant tout
ethnocentrisme et tout particularisme excessif, en
prônant la réconciliation et une vraie communion entre
les différentes ethnies, en favorisant la solidarité et le
partage en ce qui concerne le personnel et les
ressources entre Eglises particulières, sans
considération indue d’ordre ethnique 36
Cette manière existentielle d’être une grande famille est
sans doute la contribution spécifique des évêques
catholiques aux défis pastoraux de la crise multisectorielle
africaine. La famille élargie africaine, lieu vital des
expériences sociopolitiques, économiques et culturelles,
évangélisée en profondeur, peut devenir un espace
d’émergence de la promotion humaine en vue du

36
JEAN-PAUL II, Exhortation Post-Synodale ECCLESIA IN
AFRICA sur l’Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers
l’an 2000, Kinshasa, Medias Paul, 1995, N° 63.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 125


développement intégral de l’homme et de tout l’homme
africain.
Le développement intégral de l’homme africain passe par
la prise en compte de son contexte global de vie déterminé
par les situations dramatiques : mortalité infantile,
famines, insécurités alimentaires, exode rural massif,
croissance urbaine, épidémie du sida, maladies,
analphabétisme, ignorance, difficultés de scolarisation,
conflits intercommunautaires sanglants, dégradation des
secteurs de production économique, dislocation du lien
social, phénomènes de déplacement de populations,
désertification et désastres écologiques.
Les petites communautés chrétiennes vivantes peuvent
devenir des lieux d’évangélisation et d’application de
l’enseignement social de l’Eglise aux situations
particulières de leur environnement humain et
géographique. Elles peuvent devenir des lieux vitaux
d’éducation civique et évangélique en développant les
valeurs du dialogue, de la concertation, de la collaboration
et de la participation libre et responsable.
En proposant les valeurs évangéliques à l’ensemble des
communautés africaines, sans distinction d’ethnies, de
religions et d’idéologies, L’Eglise-Famille de Dieu peut
contribuer à la promotion du règne de justice, de paix, de
solidarité, de fraternité et de liberté vécu sous le mode du
bien commun valable et valide pour tous.
Prenant à cœur, les problèmes de promotion humaine, les
petites communautés chrétiennes vivantes, seront de plus
en plus des instruments d’action et de transformation de la
crise africaine.
Les Pères ont reconnu d’emblée que l’Eglise-Famille
ne pourra donner sa pleine mesure d’Eglise que si elle
se ramifie en communautés suffisamment petites pour
permettre des relations humaines étroites. Ces
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 126
communautés ont été caractérisées de manière
synthétique par l’Assemblée : elles devront être
d’abord des lieux de leur propre évangélisation, pour
porter ensuite la Bonne nouvelle aux autres ; elles
devront être des lieux de prière et d’écoute de la Parole
de Dieu, de responsabilisation des membres eux-
mêmes, d’apprentissage de la vie en Eglise, de
réflexion sur les divers problèmes humains à la lumière
de l’Evangile. Et surtout on s’y efforcera de vivre
l’amour universel du Christ qui surpasse les barrières
de solidarités naturelles des clans, des tribus ou des
groupes d’intérêt37
En s’engageant à créer des communautés ecclésiales
vivantes de caractère familial aptes à mener des actions
d’évangélisation et de développement intégral de l’homme
africain au niveau du village, du quartier et des secteurs de
ville, la hiérarchie catholique veut encourager des projets
communs générateurs de revenus et des institutions
d’éducation, de santé et de réhabilitation des personnes
bafouées dans leur dignité d’enfants de Dieu.
Le cardinal Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi,
archevêque de Kinshasa prône « la nécessité de travailler
pour que l’avenir des générations à venir soit prometteur
et porte beaucoup de fruits ; cela n’est possible que par
une authentique éducation de la jeunesse à la paix, à la
justice, à l’entente, à la réconciliation, à l’honnêteté, à
l’effort, au respect, au dialogue contradictoire (la
palabre) »38.

37
Ecclesia in Africa n° 89.
38
Cardinal Frédéric Etsou Nzabi Bamungwabi « Les défis et les
enjeux pastoraux de l’éducation de la jeunesse dans l’Eglise-Famille
de Dieu » in L’éducation de la jeunesse dans l’Eglise-Famille en
Afrique, Semaines théologiques de Kinshasa, Facultés Catholiques de
Kinshasa, 2001.p.10.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 127


Entre 1990 et 2005, les évêques catholiques dans leurs
lettres pastorales occasionnelles au niveau de leur diocèse
et dans leurs déclarations communes dans les conférences
nationales et régionales ou dans le cadre plus large de leur
symposium (SECAM), ont élaboré à nouveaux frais des
réflexions créatrices et des actions de promotion humaine
pour préconiser des stratégies de sortie de crises. Plus
proches et plus mêlés à la tragédie de leur famille élargie,
victime et coupable de la crise, les évêques catholiques ont
proposé les valeurs fondamentales de l’évangile, à savoir,
la fraternité universelle, le partage, la solidarité inclusive,
la promotion de la justice et la recherche de la paix
comme des voies d’action de promotion humaine et de
transformation sociale. Les pasteurs de l’Eglise catholique
présentent la dimension sociale de l’évangile comme un
message vivifiant qui élève et purifie la sagesse des
peuples africains dont les vénérables traditions sont axées
sur le sens aigu de la solidarité et de la vie
communautaire.
En examinant de manière réaliste les situations de crises
africaines à travers une analyse sociale du passé et
éclairant le présent par la Parole de Dieu, les évêques
catholiques envisagent le futur avec espérance comptant
sur le sens de la responsabilité historique de leurs frères et
sœurs africains. Ils déplorent non seulement la pauvreté
socio-économique et anthropologique du continent mais
l’image pitoyable qu’offre l’Afrique dans le concert des
nations. L’indigence des peuples africains fait l’objet
d’une analyse socio-historique conduisant à la
reconnaissance des facteurs internes et externes freinant le
développement intégral de l’homme africain bafoué dans
sa dignité et exposé sans défense aux impasses de la crise
multisectorielle.
En invitant les africains à œuvrer pour l’amélioration de
leur condition de vie à travers la maîtrise des techniques
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 128
de production agricole, de combat d’épidémies et d’accès
à l’eau potable, les évêques catholiques insistent sur
l’éducation comme facteur d’humanisation de
l’environnement. La démocratie comme mode
d’organisation sociale et politique est encouragée comme
un espace de liberté pouvant susciter une économie
centrée sur les besoins réels des populations africaines.

3- La vision socio-théologique de
l’enseignement des évêques sur la crise
africaine
Quel est le message essentiel qui se dégage de
l’enseignement des évêques sur la crise africaine ? Que
signifiait « la crise africaine » pour les évêques ?
Comment et pourquoi « la solidarité intégrale » peut-elle
être considérée comme l’expression adéquate pour
désigner la solution de la hiérarchie catholique à la crise ?
Pour répondre à cette triple question, nous nous proposons
d’interpréter la réponse des évêques à la crise africaine en
fonction du thème de la « solidarité intégrale ».
En choisissant l’image de la famille comme idée-force de
son activité missionnaire, l’Eglise de Dieu en Afrique a
consacré le thème de la « solidarité intégrale » comme un
enjeu socio-théologique important pour l’évangélisation
en profondeur du continent.
Ce modèle d’Eglise veut enraciner l’évangile dans les
cultures africaines en élargissant et en universalisant la
solidarité vécue au niveau de la consanguinité parentale et
de la communion fraternelle.
En effet, la famille élargie en Afrique est le lieu
d’expression de l’identité généalogique et d’alliances
interpersonnelles. Rempart contre l’isolement et les
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 129
difficultés existentielles, la famille élargie est l’espace de
la solidarité, des droits et devoirs des membres unis par
une origine commune ou une alliance interpersonnelle.
L’entraide, l’hospitalité, la fraternité, le partage, les
relations de bienveillance réciproque, le culte du lien
ancestral et le soutien inconditionnel sont les sept piliers
de la solidarité africaine.
Le message essentiel des évêques catholiques sur la crise
africaine est de raviver dans les cœurs et mentalités
d’Africains cette foi existentielle d’appartenance à une
famille élargie dont on reste solidaire en travaillant pour
son bien commun.
La solidarité intégrale devient ainsi une solution à la crise
africaine. La crise africaine n’est qu’un manque notoire de
solidarité. Ce manque de solidarité se fait sentir par la
peur de l’autre qui ne se sent plus accueilli, valorisé et
accepté comme frère ou sœur. Isolé dans la bulle de
l’avoir, le frère ennemi devient le complice d’un système
économique oppressif qui engendre la pauvreté endémique
et la misère sociale. Si tous les africains se comportaient
comme des frères et sœurs appartenant à une même
famille élargie, nous éviterions les affrontements
fratricides, les rivalités ethniques et les génocides culturels
et économiques.
En effet, la crise profonde que traverse le continent depuis
1990 a déjà provoqué le ralentissement des activités de
production économique et une déstructuration sociale ne
laissant le champ libre qu’au secteur informel.
La famille est la première victime de la crise. En tant que
modèle de socialisation, la famille, cellule de base où
s’acquièrent les valeurs fondamentales ne joue plus en
situation de crise son rôle d’intégration à la communauté
plus élargie du lignage et de la nation.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 130


Sous la pression des structures désarticulées de
l’économie, du social et du politique, la famille perd le
contrôle social qu’elle exerce sur ses membres
désemparés. Ainsi s’affaiblit la solidarité familiale qui
génère les enfants de la rue, le phénomène des enfants
soldats, la criminalité, la prostitution et le désœuvrement
des jeunes laissés pour compte.
Les évêques en insistant sur la solidarité et le
ressourcement de la tradition socio-familiale veulent
recomposer le tissu social disloqué et recréer une
ambiance fraternelle propice à la résolution commune des
problèmes de la crise africaine.
Dans cette perspective socio-théologique, les petites
communautés chrétiennes vivantes peuvent devenir des
lieux de responsabilités et d’assistance mutuelle. Lieux de
coopération pour faire face aux difficultés de la crise, les
petites communautés chrétiennes vivantes en prenant le
relais des associations traditionnelles de solidarité peuvent
réinstaurer la participation, le partage, le dévouement,
l’accueil, l’hospitalité, la réciprocité et la fraternité.
Les petites communautés chrétiennes vivantes comme
espaces de vie sociale, politique, économique et culturelle
sont les ré-africanisations des valeurs évangéliques
correspondant à l’univers symbolique reconverti de
l’environnement subsaharien.
Ces communautés ont le mérite d’instrumentaliser la
tradition socioculturelle africaine aux impératifs du
développement économique. Ce développement sera
possible grâce à la globalisation de la solidarité qui passe
par la conversion éthique au bien commun envisagé dans
un contexte plus large de la mondialisation des échanges
humains.
Les évêques catholiques d’Afrique valorisent ainsi la
culture comme un cadre dynamique qui accueille
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 131
l’évangile et la modernité dans un processus de remise à
jour du terreau préexistant de la solidarité.
Ainsi l’enjeu socio-théologique de la crise africaine dans
la perspective des évêques catholiques est de reconfigurer
la solidarité comme une participation de l’humanité au sud
du Sahara à la vie divine inaugurée par le Christ. En effet,
l’œuvre du Christ rassemblant les enfants de Dieu en une
famille unique est privilégiée dans la stratégie pastorale
des évêques comme option spirituelle s’intéressant à
l’avenir de l’Afrique. Ainsi les aspirations sociales et
économiques de l’Afrique trouvent-elles leur
épanouissement légitime dans le projet d’auto-promotion
humaine du christianisme à visage subsaharien.
L’enseignement des évêques catholiques sur la crise
africaine porte sur le projet mobilisateur d’une Eglise-
Famille de Dieu réhabilitant la solidarité génératrice d’une
vie fraternelle dont Jésus-Christ est l’inspirateur le plus
authentique.
La gestion de la crise africaine à travers les conférences
nationales, les forums de réconciliation, les projets de
promotion humaine et la conscience d’appartenir à une
famille élargie sans distinction d’ethnie, de religion et
d’idéologie répondent aux attentes des évêques
catholiques qui mettent leur espérance dans la solidarité
intégrale comme la finalité de la société humaine voulue
par Dieu en Jésus Christ.
Cette société humaine voulue par Dieu est celle du
nouveau peuple de Dieu réuni en famille par le Fils aîné
du Père, Frère aîné de toute la création, Premier né d’entre
les morts dont la conduite salutaire est à suivre à travers
les pas du prédicateur itinérant du royaume de Dieu,
crucifié et ressuscité dont l’Esprit répandu sur toute chair
restaure le lien d’amour noué par Dieu avec le genre
humain.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 132


Ainsi la solidarité intégrale en Afrique n’est pas seulement
un mouvement fraternel extensif mais un véritable projet
d’édification des sociétés africaines d’aujourd’hui et de
demain organisées en vue de la communion avec le Dieu
Trinitaire.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 133


Chapitre IX
De la Sagesse des Ancêtres à la Parole de
Dieu

L’Afrique traditionnelle, préindustrielle, majoritairement


rurale, avait comme modèle de vie et de pensée, la sagesse
rituelle et sacrale des ancêtres encourageant un style de
relations humaines perçu par la modernité rationnelle des
attitudes régressives et stagnantes39.
L’émergence d’une Afrique urbaine en voie de
modernisation bouleverse les rapports socio-économiques
et culturels du monde traditionnel en attente d’une parole
neuve de changement et de transformation.
A la suite de la faillite de la sagesse des ancêtres face à la
complexité des réalités sociales de l’Afrique moderne,
comment parler du Dieu de Jésus Christ dans une annonce
et dans une proclamation qui tentent de saisir à sa source
la situation politique et économique de nos contemporains
au sud du Sahara ?
Comment l’évangile du salut confié au peuple prophétique
de Dieu en Afrique, proclamé en contexte africain peut-il
susciter « le royaume de Dieu » ?
Quels sont en Afrique Subsaharienne les signes des temps
annonciateurs d’un renouvellement radical des pratiques
ecclésiales de la transmission de la Parole de Dieu?
Nous aborderons le problème de la transmission de la
Parole de Dieu sous l’angle de la parole d’espérance

39
Axelle KABOU, Et si l’Afrique refusait le développement ? , Paris,
l’Harmattan, 1991, p. 12.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 134


suscitée par l’annonce du Royaume de Dieu dans les
réalités les plus profondes des cultures subsahariennes.
Notre analyse phénoménologique de la réalité religieuse et
sociale en Afrique subsaharienne se veut compréhensive,
thématisante et enracinée dans l’existence concrète des
hommes et des femmes dans le grand espace socioculturel
de l’Afrique subsaharienne.
La phénoménologie du langage que nous suivrons
s’inspire des travaux de Martin Heidegger, Hans-Georg
Gadamer, Maurice Merleau-Ponty et William J. Ong.
Nous ferons peu mention de la philosophie analytique, de
la linguistique structurale et des théories de la
communication.
Notre approche théologique est d’aller au delà des écoles
christologiques d’Alexandrie et d’Antioche en présentant
la connaissance et la pratique de la religion chrétienne en
Afrique au sud du Sahara comme une herméneutique
critique et novatrice de la Parole créatrice, rédemptrice et
transformatrice de Jésus-Christ.

1- Les paroles africaines des aînés et des


ancêtres face à la révélation chrétienne
de l’humanisation fructueuse de la terre
et de l’instauration du Royaume de Dieu.
La vie en Afrique traditionnelle était dominée par le
caractère rituel et sacré de la parole des aînés et des
ancêtres, protecteurs du lien social et religieux. La parole
des aînés et des ancêtres était au service de la survie du
groupe menacé par les famines, les épidémies, la mortalité
infantile et le désordre moral de la vie sociale. Puissant
instrument de communication sociale et religieuse, la
parole des aînés et des ancêtres assure la protection du
groupe et suscite la force pour vivre ensemble. Cette
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 135
parole se sacralise dans les interdits, les obligations
personnelles, les coutumes et les gestes quotidiens de
l’espace relationnel. La parole des aînés et des ancêtres
incarne la dimension sociale et religieuse de la vie
traditionnelle. Cette parole venant du monde invisible des
esprits humains qui ont franchi l’autre rive de la vie a une
signification humaine pour les vivants. Elle est au service
de la survie du groupe. La parole des ancêtres et des aînés
est performative et a une mission déterminée en fonction
de l’espace social et religieux où elle est proférée. Les
émetteurs de la parole en Afrique traditionnelle sont
conscients de jouer un rôle social et religieux.
L’Africain traditionnel au sud du Sahara vit en étroite
communion avec la parole des aînés et des ancêtres. Les
rites d’initiation dans les sociétés traditionnelles avaient
l’art d’imprimer dans les mémoires, l’expérience de la
transcendance d’une parole sacrée qui établit une relation
avec le monde invisible des ancêtres et des esprits.
Ces religions fondamentalement anthropocentriques de la
parole rituelle sont centrées sur la prospérité de l’être
humain dans son groupe. La parole rituelle a pour fonction
de renforcer la puissance vitale des membres du groupe
dans le combat dramatique contre les forces négatives de
la destruction du lien social et religieux.
En Afrique Subsaharienne, responsables de cultes, chefs
traditionnels, chefs de terre, magiciens, devins et
guérisseurs sont actifs dans la manipulation de la parole
rituelle au bénéfice de la communauté. La parole rituelle
dans le contexte des sociétés traditionnelles
subsahariennes est la marque d’une quête réelle de la
transcendance. La parole rituelle dans le vécu religieux et
social des communautés subsahariennes est une parole
d’orientation et d’action visant l’humanisation du monde
physique qui conditionne la survie et la transmission de la

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 136


vie. La parole rituelle reflète le monde historique et social
de l’africain au sud du Sahara tentant de donner un sens au
mystère de la vie en élaborant les lois communautaires.
Cette parole créée la cohésion du groupe et l’art de vivre
et de survivre ensemble. La parole rituelle est la sagesse
des ancêtres fixée dans le cérémonial des vivants
invoquant leur secours pour maintenir le mystère de la vie
dans les limites de l’espace social et religieux.
Les religions subsahariennes de l’éthique de la survie sont
au service des communautés et de leurs besoins. Elles
utilisent la parole rituelle des ancêtres et des aînés pour
dépasser les situations critiques de la vie sociale et
religieuse. La parole rituelle des ancêtres et des aînés
promet le salut de la communauté et le bonheur de tous
ceux qui s’appuient sur l’éthique de la survie. Elle est une
parole de sagesse, de communion et de réconciliation.
Cette parole utilitaire ne s’est jamais élevée au rang d’un
discours religieux, métaphysique, éthique ou politique.
Elle a surtout pris les formes d’un langage narratif,
litanique, sapientiel et législatif.
Que peut apporter la révélation chrétienne aux religions de
la parole rituelle des ancêtres et des aînés ? La Parole de
Dieu doit-elle se greffer sur la parole rituelle
subsaharienne ? Est-il possible de concevoir une
christologie de la parole en respectant l’espace culturel de
la parole rituelle des aînés et des ancêtres ?
La parole est un acte de médiation d’une présence. La
parole proférée vient d’un corps vivant situé dans le temps
et dans l’espace. La parole en tant que médiation d’une
présence relie ceux qui l’écoutent dans un acte de
communion. La parole rituelle des ancêtres proférée par
un vivant, un aîné de la communauté, a le pouvoir de lier
le passé au présent. Cette parole rituelle rend présente la
sagesse des ancêtres venant au secours de leurs

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 137


descendants en situation de crises sociales et religieuses.
La parole des ancêtres proférée par un aîné de la
communauté, rassemble les faits significatifs du passé
pour les rendre manifestes aux descendants des ancêtres
afin qu’une communication soit établie entre le monde
invisible et le monde visible. L’acte de parole en contexte
traditionnel est un événement dynamique qui révèle la
sagesse des ancêtres. Cette sagesse a le pouvoir
d’instruire, d’informer et de former le lien social et
religieux. La parole des ancêtres rassemble les
descendants et les met en présence de leur monde
invisible. En contraste avec la parole rituelle d’usage
social et religieux du contexte subsaharien, Jésus dans la
conscience ecclésiale, est la Parole divine dont les œuvres
donnent la vie (1 Jn 1 : 1-3). Cette Parole d’autorité,
absolue et décisive devient une personne historique en
l’homme Jésus. Jésus est la parole vivante qui révèle Dieu.
Dans la tradition johannique, les œuvres de Jésus sont les
paroles en actes de celui qui est plus grand que la Torah.
Jésus est ainsi la Parole de Dieu qui apporte la vie en
plénitude. Jésus est l’événement parlé de Dieu à travers
ses œuvres historiques. Il est ce qu’il dit et ce qu’il fait
dans le monde. Dans son ministère de proclamation du
message du Royaume, Jésus profère des paroles de salut et
pose des actes de salut :
Jésus parcourait toute la Galilée, enseignant dans les
synagogues, prêchant la bonne nouvelle du royaume, et
guérissant toute maladie et toute infirmité parmi le
peuple. Sa renommée se répandit dans toute la Syrie, et
on lui amenait tous ceux qui souffraient de maladies, de
douleurs de divers genres, des démoniaques, des
lunatiques, des paralytiques ; et il les guérissait. Une
grande foule le suivit, de la Galilée, de la Décapole, de
Jérusalem, de la Judée, et d’au-delà du Jourdain » (Mt
4 : 23-25).

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 138


Prédicateur de la Parole de Dieu avec autorité et pouvoir,
Jésus suscite la foi qui apporte la santé, la sécurité et le
salut. Les actes de guérison de Jésus consolident la
communauté dans le bien-être et anticipent la participation
de tous à la cité de Dieu animée par l’esprit sa future
bonne gouvernance porteuse de salut définitif. .
La présence de Jésus suscite un nouveau mode
d’existence. La parole de Jésus est une parole d’autorité
qui manifeste le pouvoir de Dieu dans la vie personnelle et
sociale des sujets croyants. La parole de Jésus est une
parole de grâce qui libère, sauve, justifie, réconcilie,
pardonne et adopte. Parole de foi qui met en présence de
Dieu, la parole vivante de Jésus ouvre l’espace d’une
liberté rédemptrice.
Les religions de parole rituelle sont des liens de piété.
Elles ont pour objets les relations que les êtres humains au
sud du Sahara entretiennent avec le monde invisible des
ancêtres. Les bons ancêtres sont des intermédiaires entre
les vivants et le mystère inaccessible de toute vie humaine.
La parole rituelle des ancêtres est l’expression de leur
affection pour les descendants qui continuent le combat
dramatique de la vie.
La révélation du mystère du royaume de Dieu caché en
Dieu et désormais accessible par l’annonce et l’écoute de
l’évangile est l’événement le plus décisif pour l’humanité
tout entière. En effet :
Il a plu à Dieu dans sa sagesse et sa bonté de se révéler
en personne et de faire connaître le mystère de sa
volonté (Ep 1,9) grâce auquel les hommes, par le
Christ, le Verbe fait chair, accèdent dans l’Esprit Saint

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 139


auprès du Père et sont rendus participants de la nature
divine (Ep 2,18 ; 2P1, 4)40.
L’évangile de la révélation de Dieu est aujourd’hui à la
portée de l’Africain au sud du Sahara. Le voile posé sur
l’énigme du monde déchiffré partiellement par la parole
rituelle des ancêtres subsahariens livre son nom et son
visage dans la tradition biblique reçue dans la foi par des
sujets interpellés dans leur cheminement existentiel et
historique. En s’en remettant entièrement et librement à
Dieu qui se révèle comme mystère de la vie, les sujets
croyants à la faveur d’une expérience singulière de
rencontre avec Jésus-Christ sur fond de guérison sont
appelés à la foi. En devenant des disciples de Jésus-Christ,
les sujets croyants engendrés par la parole de Dieu qui
guérit et qui sauve sont délivrés de leur perception limitée
de la réalité de Dieu. Ils entrent dans la perspective de
Dieu en découvrant la vision que Dieu a de l’être humain
qu’il a créé à son image et à sa ressemblance. Les sujets
croyants sont éclairés par la Parole de Dieu sur le projet
divin d’humanisation du monde à transformer en royaume
de Dieu (Gn 1,28). Le royaume de Dieu implique
l’humanisation fructueuse de la terre sur fond de
prospérité partagée avec la diffusion du bien-être pour
tous dans une ambiance de paix et de sécurité. Le royaume
de Dieu est la condition de possibilité de la fraternisation
de l’humanité à l’échelle de la planète en vue de la lutte
commune contre la pauvreté, l’ignorance, la maladie, la
famine, le dénuement matériel, le terrorisme, la guerre,
l’inégalité et toutes les formes d’oppressions et
d’exploitations sans compensations.

40
Vatican II, Dei Verbum,, chap.1

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 140


L’avènement du royaume de Dieu mettra fin aux systèmes
politiques oppressifs. Il exige l’engagement du sujet
croyant. L’africain au sud du Sahara dans le contexte de la
révélation chrétienne ne peut plus se contenter de l’éthique
de survie fondée sur la parole rituelle intemporelle des
ancêtres dans la perspective limitée de leur univers sacral.
L’Africain au sud du Sahara ayant aujourd’hui accès à la
volonté de Dieu manifestée dans la personne de Jésus-
Christ doit prendre ses distances par rapport à l’éthique de
la survie. En adoptant une éthique de conviction fondée
sur l’expérience de foi en Jésus-Christ et une éthique de
responsabilité fondée sur l’analyse socio-politique de
l’environnement naturel et social à transformer selon les
impératifs de l’humanisation fructueuse de la terre et de
l’instauration du royaume de Dieu, l’Africain au sud du
Sahara dépassant la religiosité de la survie des ancêtres
pourra entrer dans l’ère de la reconstruction de l’Afrique
tant prônée par Kä Mana41 dans son beau livre-
programme42.
La Parole de Dieu concerne le Dieu Un et Trine de la
tradition chrétienne. Ce Dieu de communion est actif dans
l’œuvre de la révélation du mystère de la vie humaine. Ce
Dieu parle au pluriel en faisant l’être humain à son image
et à sa ressemblance. L’univers doit son origine et sa vie à
la parole divine : « Au commencement était le Verbe, le
Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu » (Jn 1,1). Le
Verbe incarné du Père communique le message
évangélique du salut par le souffle de l’Esprit Saint
animant le corps ecclésial de Jésus-Christ. Jésus-Christ

41
Kä Mana, L’Afrique va-t- elle mourir ? Bousculer l’imaginaire
africain. Essai d’éthique politique, Paris, Cerf, 1991.
42
Kä Mana, Théologie africaine pour temps de crise. Christianisme et
reconstruction de l’Afrique, Paris, Karthala, 1993.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 141


dans son mystère pascal porte à sa plénitude la révélation
de Dieu en accomplissant de façon décisive et
insurpassable la parole des prophètes du peuple de Dieu.
Jésus-Christ n’est pas un « principe », ni
un « programme ». Jésus n’annonce pas seulement une
doctrine de vérité comme un autre prophète ou un
philosophe ; il est la vérité divine qui se révèle43.
Jésus-Christ est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,
6). Il est le mystère de l’autocommunication personnelle
du Père au monde. Le corps ecclésial de Jésus-Christ
poursuit la mission d’annoncer l’évangile avec le don de
l’Esprit Saint qui fait parler et fait accéder à l’ordre de la
gratuité du salut. Le peuple de Dieu tout entier qui a reçu
l’Esprit prophétique de Jésus ressuscité est responsable de
l’annonce de l’évangile. En tant que sujets actifs de
l’annonce et de l’écoute de la Parole de Dieu, les fidèles
chrétiens selon leurs fonctions et charismes assurent le
ministère de la Parole dans le respect de leur condition
canonique.

2- Proclamer Jésus-Christ dans


l’enracinement historique de la
dimension socio-politique de l’Afrique
moderne
Le projet de proclamer la Parole de Dieu en Afrique
moderne doit viser la personne humaine insérée dans une
communauté politique et économique. L’africain
d’aujourd’hui au sud du Sahara n’est plus disposé à
accepter la stabilité et l’immobilisme comme les valeurs
d’un univers résistant au progrès technologique et à la

43
Jean-Paul II, Exhortation apostolique. Catechesi tradendae, n° 5.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 142


croissance économique. Impatient de prendre en main sa
destinée pour la construction de son avenir, l’Africain
d’aujourd’hui au sud du Sahara est à la recherche d’une
parole créatrice d’espérance et de conditions spirituelles
pour l’avènement d’un royaume de paix et de justice.
Ce contexte d’attente d’une parole neuve de changement
et de transformation impose à tous les prophètes de
l’évangile en Afrique Subsaharienne une herméneutique
du soupçon de tout discours éloigné des préoccupations de
l’environnement socio-économique. Proclamer Jésus-
Christ dans l’enracinement historique de la dimension
socio-politique de l’Afrique Subsaharienne doit susciter
l’espérance au cœur des réalités culturelles à interpréter
pour y actualiser le message évangélique de façon critique
et prophétique. Ainsi les destinataires de la proclamation
de Jésus-Christ en Afrique Subsaharienne sont les
marginalisés de l’histoire contemporaine du monde, privés
de leur dignité d’êtres humains créés à « l’image de
Dieu » (Gn 1,26).
Les marginalisés du monde contemporain en Afrique
Subsaharienne sont exclus de la prospérité économique.
Ils sont les victimes d’une désintégration du tissu social
occasionnée par le manque de transparence et de bonne
gouvernance dans la vie publique.
L’Eglise d’Afrique doit relever le défi de l’injustice, de
corruption, de l’exploitation en Afrique même, elle n’a
pas d’autres choix que de remplir sa mission
prophétique, sous peine de renier sa prétention d’être
l’Eglise de Jésus-Christ44.

44
Desmond TUTU, Prisonnier de l’espérance, Paris, Le centurion,
1984, p. 77.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 143


L’avènement d’une parole prophétique exprimant
l’expérience de pauvreté matérielle et anthropologique du
marginalisé atteint dans sa dignité de personne humaine
créée à l’image de Dieu dans le processus de la modernité
est sans doute l’un des thèmes majeurs de la théologie
chrétienne africaine à l’aube du nouveau millénaire.
La théologie chrétienne en Afrique subsaharienne à l’aube
du nouveau millénaire s’intéresse à la transformation
radicale des structures sociales et économiques
responsables des pandémies, des saccages de
l’environnement et de la précarité des revenus. La
théologie prophétique de la transformation socio-
économique est une analyse critique de la réalité politique
dans la perspective d’une interprétation de la Parole de
Dieu en liaison intrinsèque avec la vie temporelle et
collective de l’Afrique subsaharienne. L’objet de la
théologie chrétienne africaine de la transformation socio-
économique est de susciter des engagements dans des
situations particulières pour faire avancer la cause du
« Royaume de Dieu » à travers « l’interprétation des
signes du temps ».
Le royaume de Dieu est le déploiement de la Parole de
Dieu dans le temps des espaces culturels africains pour
faire participer les hommes et les femmes au sud du
Sahara à la vie de Dieu communiquée par Jésus-Christ et
vécue en situation économique et sociale. Cet appel de
Dieu à partager sa vie est une invitation à entrer dans le
royaume de Dieu par l’expérience de la conversion
permanente éliminant dans le monde l’injustice,
l’oppression et la violence. La dimension politique du
royaume de Dieu en prenant au sérieux la réalité sociale
au sud du Sahara est dans le Christ, un appel à une vie
nouvelle. Cette vie nouvelle animée par le dynamisme de
l’Esprit Saint est la transformation personnelle et sociale
de l’africain au sud du Sahara selon sa relation
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 144
constitutive à Dieu et la mise en œuvre des espérances et
des enjeux socio-historiques de son espace culturel. Le
royaume de Dieu en transformant l’humain subsaharien
par la présence de la Parole de Dieu dans le monde,
respecte l’autonomie de l’effort humain à assurer le salut
de la planète par la démocratie libérale, l’économie de
marché et la politique de l’élimination de la pauvreté à
travers les stratégies d’une redéfinition des relations
internationales.
L’Afrique subsaharienne en entrant en contact avec la
modernité rationnelle et la Parole de Dieu incarnée par la
mission chrétienne, est appelée à une relecture critique de
ses cultures traditionnelles. Au lieu de vivre de la parole
intemporelle d’un autre, de l’aîné ou de l’ancêtre,
l’Africain au sud du Sahara est appelé à naître à sa propre
parole en prenant conscience de sa capacité à transformer
la nature et la société selon la rationalité moderne,
analytique, calculatrice et opératoire.
Une nouvelle vision de soi et du monde traditionnel est
nécessaire en Afrique subsaharienne pour susciter et
implanter une nouvelle culture du savoir scientifique et
technique.
L’Africain au sud du Sahara doit cesser de vivre par
procuration et accepter les défis d’une foi responsable qui
passe par le biais de la Parole de Dieu qui donne le
courage d’être. En effet, selon Paul Tillich
Le courage est une participation à l’affirmation de soi
de l’être lui-même, il participe à cette puissance de
l’être qui l’emporte sur le non-être. Celui qui accueille
cette puissance dans un acte de foi mystique, de foi

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 145


personnelle ou de foi absolue a conscience de la source
de son courage d’être.45
L’Africain au sud du Sahara est ainsi appelé à se laisser
saisir par la présence spirituelle de la Parole de Dieu qui
vient à lui dans la nouveauté de celui qui résume la loi et
les prophètes d’Israël et qui porte les paroles rituelles des
ancêtres à leur accomplissement à travers son corps
ecclésial, lieu de sa présence et de son ouverture aux
cultures subsahariennes.

3- La transmission de la Parole de Dieu


dans l’espace d’une culture de la parole
La parole évangélique de Jésus-Christ propose une
nouvelle existence historique à l’Africain au sud du
Sahara. L’avènement du royaume de Dieu est postulé
comme la nouveauté que Dieu veut instaurer au cœur de
l’histoire subsaharienne. Le royaume de Dieu est opposé
au mal, au péché, aux forces d’oppression, d’exploitation
et d’aliénation. La Parole évangélique de Jésus-Christ est
une parole créatrice d’une nouveauté qui dépend
absolument du pouvoir de Dieu. Le royaume de Dieu est
ainsi le projet de Dieu et la transformation du monde dans
la perspective de Dieu (Is 43, 19). En prenant l’histoire
subsaharienne comme le lieu de la réalisation des
promesses divines, le christianisme veut susciter une
nouvelle évaluation de l’expérience socio-religieuse dans
cette partie du monde en l’ouvrant à une parole
prophétique, celle de Jésus-Christ, le prince des prophètes
d’Israël et des nations. Un discernement des signes des
temps s’impose à l’Eglise, peuple prophétique de Dieu.

45
Paul Tillich, Le courage d’être, (1952), Paris, Casterman, 1962,
p.173.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 146


Le deuxième concile du Vatican exprime de manière
éloquente la vision dans laquelle l’Eglise peut transmettre
la Parole évangélique de Dieu :
L’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les
signes des temps et de les interpréter à la lumière de
l’Evangile, de telle sorte qu’il puisse répondre, d’une
manière adaptée à chaque génération, aux questions
éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et
future, et sur les relations réciproques. Il importe donc
de connaître et comprendre ce monde dans lequel nous
vivons, ses attentes, ses aspirations… .46
La Parole évangile de Jésus-Christ doit être en Afrique
subsaharienne une parole neuve qui prenant le relais des
paroles anciennes, inscrit dans la trame de la vie
quotidienne la logique de l’espérance et l’éthique de la
responsabilité par une analyse critique des situations
socio-économiques. Ce qui compte écrit Jean-Marc Ela
C’est un effort pour dégager la signification actuelle de
la parole de Dieu et du dessein de salut à partir de
l’intelligence historique que l’Africain prend de lui-
même et du monde. Nous devons exercer cette fonction
« herméneutique » de la théologie au moment où nous
sommes invités à nous comprendre à la lumière de « la
révélation et à percevoir le sens profond des situations
et des événements qui marquent notre destin
historique.47
En prenant au sérieux les contextes culturels de l’Afrique
subsaharienne et en analysant les réalités qui en découlent,
L’Eglise en lisant les signes des temps doit promouvoir la

46
La Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps,
Gaudium et Spes, n° 4
47
Jean-Marc Ela, Ma foi d’Africain, Paris, Karthala, 1985, p.202.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 147


culture de la parole. L’Eglise doit devenir l’espace social
et religieux d’une culture de la parole. Elle doit devenir le
lieu d’expression des angoisses, des peurs, des joies, des
peines, des souffrances, des espoirs et des aspirations.
L’Eglise doit devenir aussi le lieu d’échange des
intentions, des motivations et des projets personnels et
communautaires. Les communautés ecclésiales de base
pourraient concourir au maintien et au développement de
la culture de la parole.
L’Eglise est dans le monde subsaharien, le Corps de Jésus
ressuscité dont la présence est actualisée à travers la
proclamation de ses paroles et de ses œuvres historiques
de salut. Lieu de conviction de foi, de responsabilité et de
liberté, l’Eglise en Afrique subsaharienne est l’espace du
monde où Jésus ressuscité est proclamé en vue de la
transformation du monde traditionnel.
Dans l’Eglise, portion de l’humanité répondant de manière
explicite à l’appel du Dieu de la révélation chrétienne,
Jésus ressuscité y est présent en attendant d’entraîner tout
le monde subsaharien à la communion dans la célébration
du culte de la Parole de Dieu.
L’Eglise en tant que corps social et spirituel de Jésus
ressuscité est la communauté où sa seigneurie et sa
présence dans le monde sont déjà reconnues et célébrées.
En interprétant les signes des temps sous le mode du
développement de la culture de la parole prophétique qui
défend les pauvres et promeut la justice, l’Eglise veut
étendre l’influence de la présence de Jésus ressuscité aux
réalités du monde subsaharien en voie de transformation
en réalité eschatologique du royaume.
Jésus ressuscité selon Karl Rahner représente
le foyer par lequel l’autocommunication personnelle de
Dieu par la Parole est établie comme une irrévocable
présence de Dieu dans le monde. En Jésus, individu
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 148
singulier, l’histoire du monde a atteint sa pleine
perfection absolue et insurpassable.48
Ainsi en Jésus-Christ, Dieu a établi définitivement sa
demeure en Afrique subsaharienne par sa parole qui
réforme et transforme la parole rituelle de communion et
de réconciliation en une parole prophétique, créatrice,
rédemptrice et unificatrice.

48
Karl RAHNER, Theological Investigation, Vol. V, pp 11-15, 174-
175, 179-183, 188.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 149


Chapitre X
Sorcellerie et Malaise Africain

Les forces vitales occultes jouent en Afrique


subsaharienne un rôle clé dans tous les secteurs de la vie
politique, économique, sociale, morale et culturelle.
La sorcellerie est une forme de rapport social qui attribue
aux manipulateurs des forces vitales occultes, des
pouvoirs malveillants, secrets, indirects, sur autrui.
Les manipulateurs des forces vitales occultes et les
confréries de médecin- sorciers promettent par des actions
ésotériques, richesse, prestige, santé et réussites
spectaculaires aux membres de leur société dans leur
course au pouvoir et au mieux-être.
Pour ceux qui bénéficient de la manipulation des forces
vitales occultes, la sorcellerie est une puissance qui trouve
des alliés parmi les couches entreprenantes des sociétés
africaines.
Les sorciers maléfiques sont désignés comme des causes
de malheur individuel et collectif par l’imaginaire social.
Ils représentent une menace pour leurs victimes qui
s’enferment dans la peur et l’angoisse.
Le phénomène de la sorcellerie sert d’explication ultime
aux usages des forces secrètes en vue d’opérer des
agressions dans la vie sociale. Maladies, accidents, échecs,
infortunes diverses, décès sont imputés à la sorcellerie
maléfique.
Notre approche de la sorcellerie en Afrique subsaharienne
se limitera aux formes de sorcellerie maléfique qui
bouleversent la vie des victimes et constituent la grille de
lecture pour les malheurs et souffrances de la vie
quotidienne.
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 150
Le recours aux forces vitales occultes par les africains
vivant dans la logique de la peur ou aspirant au bonheur
immédiat, sans maladies et sans conflits a mis en place des
pratiques mystérieuses et excentriques de sorcellerie.
La sorcellerie correspond aux réseaux personnels plus
étendus des africains cherchant la protection contre la
malveillance et l’inimitié de leurs compétiteurs.
Association clandestine, la sorcellerie rassemble des
détenteurs de pouvoirs importants qui ont des liens avec
les esprits, les ancêtres et les objets magiques.
Le développement de ce réseau relationnel suscite un
discours sur la sagesse et les secrets des ancêtres
conservés dans le cercle restreint des manipulateurs des
forces occultes.
Le discours de la sorcellerie en Afrique subsaharienne
encourage l’ambition personnelle et le mécanisme
individuel d’autoprotection contre les rivaux de la
compétition politique, économique et sociale.
Les médecins de la tradition africaine alimentent l’univers
caché de la sorcellerie par l’usage des herbes, des écorces
et des osselets divinatoires. Ils ouvrent aux potentiels
candidats au pouvoir l’initiation requise par des
cérémonies rituelles et des pratiques perverses et secrètes.
La sorcellerie en Afrique subsaharienne suit la même
logique que la sorcellerie décrite par Margaret Murray
dans son article de la 14eme édition de l’encyclopédie
britannique (1929).
En quoi le phénomène de la sorcellerie en Afrique
subsaharienne est-il un terme équivoque désignant le mal
africain et l’inhumanité de l’homme envers ses
semblables ?
Quel est le malaise endémique que crée le phénomène de
la sorcellerie en Afrique subsaharienne ?

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 151


L’Eglise catholique a-t-elle une stratégie pour rassurer ses
fidèles contre le malaise multidimensionnel du phénomène
de la sorcellerie ?

1- La Sorcellerie, un terme équivoque


désignant le mal africain et l’inhumanité
de l’homme envers ses semblables.
Les médecins de la tradition africaine ont été longtemps
connus dans la littérature comme sorciers, charlatans ou
féticheurs. Le caractère initiatique et ésotérique de leur art
médical suscite des soupçons sur leur éventuelle
participation aux activités de la sorcellerie.
Dans son investigation sur la sorcellerie, le Père Jésuite
Camerounais, Meinrad Pierre Hebga est convaincu « que
certains individus sont doués d’une force paranormale
dont la nature n’a pas encore été déterminée, force qui est
probablement naturelle, une sorte d’énergie spéciale, mais
qui dans certains cas pourrait bien être supraterrestre »49.
Pour Meinrad Pierre Hebga,
Le sorcier (la sorcière) est une personne habitée, même
à son insu, par un pouvoir maléfique qui la pousse à
détruire, à tuer. La sorcellerie est l’ensemble des
activités mauvaises du sorcier. Elle s’inscrit dans la
sphère du mal. Nous y rangeons imprécations,
malédictions, envoûtements, jets de sorts, combats
invisibles, cannibalisme mystique, métamorphose
d’hommes en animaux50.

49
Meinrad Pierre HEBGA, Sorcellerie, Chimère dangereuse… ?
INADES Editions, Abidjan, 1979, p.287.
50
Ibidem, p.16.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 152


Ainsi la sorcellerie rend une personne maléfique. Cette
personne a la passion de détruire et répand des malheurs
sous le mode de la répétition en causant des dommages
aux personnes et aux biens matériels. Cette personne
perverse dévitalise et dépersonnalise ses victimes en
mangeant leur énergie. Les victimes confuses et déprimées
de la sorcellerie vivent dans le soupçon et l’accusation du
sorcier. La personne maléfique est accusée de crimes
secrets ou publics. Le sorcier inspire partout la crainte et
expose ses victimes au danger de la maladie et de la mort.
Il est contre la sécurité des membres de la société et
orchestre des actes d’hostilité et d’inimitié qui détériorent
les conditions de vie du milieu. Facteur de mort et de
destruction, le sorcier utilise les forces occultes pour
contrôler la vie de ses victimes. Le pouvoir de nuire du
sorcier est inné. Dans certains cas, ce pouvoir est transmis
héréditairement ou acquis par instruction ou par initiation.
La sorcellerie acquise dans la tradition anti-sorcière est
exercée au terme d’une initiation longue et difficile. Le
médecin-sorcier est instruit par les esprits des ancêtres.
Les potions sacrées lui donnent un pouvoir mystérieux de
combattre les effets pervers d’actes de sorciers.
E. E. Evans –Pritchard dans son étude de la société Zandé
dans le sud du Soudan montre comment les Azandés se
trouvent engagés dans la pratique de la sorcellerie51. Le
sorcier hérite de la faculté de nuire à son semblable. Il a en
lui une substance ensorcelante qui le conduit à détruire
autrui. La présence de tels êtres maléfiques suscite la peur
et le désir de protection. La peur de la sorcellerie étouffe
l’aspiration des africains à une vie meilleure. Elle paralyse

51
E.E. Evans-PRITCHARD, Sorcellerie, Oracles et magie chez les
Azandé. Editions Gallimard, 1972.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 153


les relations sociales et dispose les africains à une
résignation fataliste. Elle crée partout en Afrique un
climat de méfiance et d’insécurité. La peur de la
sorcellerie suscite un climat de mort, de division et de
destruction.
La sorcellerie est une forme de prise de conscience sociale
de la présence structurelle du mal dans les communautés
africaines. Pour Marc Augé, la sorcellerie est
l’ensemble des croyances structurées et partagées par
une population donnée touchant à l’origine du
malheur, de la maladie ou de la mort et l’ensemble des
pratiques, de thérapie et de sanctions qui
correspondent à ces croyances52.
Le mal de la sorcellerie introduit la méfiance dans les
rapports humains. La sorcellerie effrite la solidarité
ancestrale. Elle rend l’environnement dangereux. La
sorcellerie concourt à la dégradation du bien-être collectif.
La sorcellerie détruit des liens familiaux et les types de
responsabilité sociale qu’implique l’entraide spontanée.
Elle déstabilise les rapports interpersonnels et pousse à
l’individualisme et au repliement sur soi-même. Exorciser
le sorcier consistera à rétablir la confiance entre la société
et les forces occultes. Les forces occultes doivent être
étudiées et démystifiées pour permettre de clarifier leur
signification symbolique au niveau de la santé et de la vie
commune.
L’avidité humaine et le principe de la compétition sont
responsables du phénomène de la prolifération de la
sorcellerie en Afrique subsaharienne. L’ignorance des
forces occultes donne un pouvoir absolu à ceux qui les

52
Marc AUGE, « Les Croyances ă la sorcellerie » in Construction du
monde, Maspero, Paris 1974, p.55.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 154


manipulent. Les détenteurs de forces occultes alimentent
des rumeurs sourdes au profit de leurs entreprises de
déstabilisation. Ils véhiculent des histoires compromettant
la dignité et le respect de la vie humaine.
Le phénomène social de la sorcellerie diffuse la haine. Il
génère des tensions profondes dans la victime. Il perturbe
la vie physique et psychique de l’individu en proie à la
crainte morbide. L’idéologie égalitariste de la sorcellerie
est de ramener au niveau de la médiocrité tous ceux qui
tentent de s’élever au dessus de la masse. La sorcellerie
travaille contre l’émergence et l’éclosion de personnes
autonomes, lucides, passionnées du progrès social. La
sorcellerie élimine par empoisonnement. Elle constitue
selon l’imaginaire populaire, l’une des causes majeures de
la mortalité en Afrique subsaharienne.

2- La sorcellerie et la réalité endémique du


malaise africain
Le phénomène de la sorcellerie est le miroir déformé des
rapports sociaux en Afrique subsaharienne.
La peur de la sorcellerie a détruit la cohésion sociale dans
les villages. Elle a rendu impossible la vie commune dans
les espaces urbains. Les sectes et les mouvements
ésotériques sont les bénéficiaires de l’angoisse
psychologique suscitée par la peur de la sorcellerie. Elles
promettent soutien mutuel, chaleur humaine, protection,
exorcisme et assistance psychologique aux victimes de la
sorcellerie.
Le désarroi et l’image horrible des victimes de la
sorcellerie révèlent une souffrance humaine ayant de
tragiques conséquences économiques et sociales.
Les populations vulnérables aux activités sorcières sont
les indigents, les veuves, les orphelins et les couches

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 155


marginalisées de la société. Toutes les victimes de la
sorcellerie mènent une existence pénible. La sorcellerie est
une manœuvre de contrainte qui soumet la victime à une
paupérisation croissante. Elle crée des attitudes de
soupçon et d’agressivité. Elle symbolise la destruction des
liens de solidarité. La sorcellerie monte les individus les
uns contre les autres. Elle intimide et elle terrorise les
personnes vulnérables de la société. La sorcellerie est la
mère des conflits en Afrique subsaharienne. Le lieu de
prédilection de la sorcellerie est la famille. Selon Peter
Geschiere
La sorcellerie semble presque toujours naître de
l’intériorité familiale. C’est pourquoi elle est une
menace omniprésente et presque inéluctable. A maints
égards, la sorcellerie est le côté noir de la parenté :
c’est la prise en compte du fait effrayant qu’il y a de la
jalousie, et donc de l’agression, à l’intérieur de la
famille, où ne devraient régner que confiance et
solidarité» 53
La sorcellerie est un discours mystifiant qui retarde le
processus d’un développement durable. Facteur de risque,
la sorcellerie engendre la pauvreté, les mortalités et les
injustices sociales.
En réhabilitant la solidarité au sein des groupes humains,
les actions sorcières cesseront de traumatiser les personnes
vulnérables. La confiance mutuelle restaurée contribuera
au développement des activités sociales basées sur la
coopération, le dialogue et la discussion. Le bien commun
recherché par tous pour le bonheur de tous éliminerait la

53
Pierre GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique, Karthala,
Paris, 1995, p.18.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 156


tendance néfaste d’exploiter les forces occultes pour
obtenir l’influence au sein de la société.
Le défi de la sorcellerie en Afrique subsaharienne
confronte les victimes à la peur et au stress. Le mal-être de
la victime de la sorcellerie l’accule au fatalisme. Le sujet
victime de la sorcellerie renonce à toutes pensées critiques
et adopte la croyance aux forces occultes sous le mode de
l’exagération. La pensée objective est éclipsée en faveur
de la suggestion sorcière. La victime de la sorcellerie
renonce à l’analyse sociale de sa situation. Elle ne se sent
plus responsable de sa vie et développe un discours
accusateur qui l’enferme dans la dialectique de
l’impuissance. Le monologue de celui qui est atteint par la
sorcellerie se double d’un attachement irrationnel au
medecin-sorcier qui le prend en main. Déchargé de toutes
responsabilités, le sujet victime de la sorcellerie se
comporte comme une personne qui ne peut plus vivre par
elle-même. Le danger de mourir que suscite la sorcellerie
réduit la victime aux techniques de manipulation du
médecin-sorcier. Les chantages et les menaces de la
sorcellerie rendent la personne ensorcelée perméable à
toutes les formes de phobies.

3- La stratégie pastorale de l’Eglise


Catholique
Pour favoriser la paix et l’harmonie communautaires,
l’Eglise Catholique propose l’expérience de la foi en
Christ, personne vivante, symbole de la vie en plénitude
contre toutes les formes d’inhumanité de la société
séculière et religieuse.
Le Christ durant son ministère public a guéri les
personnes porteuses des forces de destruction et de
division.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 157


Le Christ ressuscité est disponible pour affermir la foi de
ses disciples en la protection divine qui rend vaine toute
crainte, toute peur, toute phobie et toute angoisse par
rapport aux forces occultes. L’Eglise catholique a reçu du
Christ ressuscité la mission universelle de transmettre par
la Parole de Dieu et les sacrements la vie d’harmonie avec
Dieu, le semblable et soi.
Face au malaise de la sorcellerie en Afrique
subsaharienne, L’Eglise catholique doit annoncer le salut
de l’homme en Christ. Ce Christ par qui toutes les forces
créatrices connues ou secrètes contribuent au
développement d’une communion universelle.
Le salut de l’homme s’opère à travers la pratique
quotidienne de l’amour par la solidarité et le dialogue au
sein des communautés humaines éprises du sort individuel
de leurs membres. L’Eglise Catholique a le devoir de
libérer les hommes et les femmes de notre Afrique de la
peur de la sorcellerie. Cette libération sera le fruit d’une
formation chrétienne à la Parole de Dieu qui libère et
guérit. Cette libération divine est aussi liée à la
constitution de communautés chrétiennes d’amour, de
partage et de compassion initiant ses membres à la
confiance mutuelle. Le témoignage de vie chrétienne dans
une Afrique saturée de forces occultes doit limiter l’action
sorcière en proposant une praxis chrétienne fondée sur
l’amour du prochain. Une rencontre authentique du Christ
ressuscité avec l’homme et tout l’homme africain doit
explorer avec prudence et réserve le domaine de la
sorcellerie.

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Le Père Jésuite Meinrad Pierre Hebga par ses nombreux
écrits54a largement contribué à la connaissance du
phénomène social de la sorcellerie. Il a proposé un
discours africain sur ce phénomène inquiétant.55 En
explorant les arcanes de la sorcellerie, le Père Meinrad
Pierre Hebga a découvert l’univers sinistre des sorciers
malfaisants qui utilisent leur faculté supranormale pour
nuire. Récemment, l’un de ses disciples, Paul Christian
Kiti a publié une magnifique synthèse de sa pensée sur le
phénomène de la sorcellerie56.
Le Père Meinrad Pierre Hebga a livré son expérience
pastorale de guérison des victimes de la sorcellerie dans
un ouvrage classique57 qui honore la prière de délivrance
comme un acte de foi contre les forces obscures et secrètes
du mal. Sans recourir aux recettes de la cure magique de la
tradition africaine, le Père Meinrad Pierre Hebga propose
une action anti-sorcière aux « recteurs cosmiques des
ténèbres présentes, aux existences spirituelles méchantes
qui sont dans les cieux supérieurs » (Ep 6,12). Trente ans
d’approche pastorale de l’action anti-sorcière doublée de
la recherche scientifique et théologique sur la sorcellerie a
conduit le Père Meinrad Pierre Hebga à créer la pratique

54
Meinrad HEBGA, Rationalité d’un discours Africain sur les
phénomènes paranormaux et conception pluraliste du composé
humain. Thèse de doctorat d’Etat en Philosophie soutenue sous le
patronage du Professeur Pierre AUBENQUE, Université de Paris IV
(Sorbonne ), Tome 2, Janvier 1986, 345p.
55
Meinrad HEBGA, La rationalité d’un discours africains sur les
phénomènes paranormaux, Paris-brest, l’Harmattan 1998, 364p.
56
Paul Christian KITI, Du paranormal au malaise multidimensionnel
de l’Afrique. Une réflexion à partir de la pensée de Meinrad Hebga
L’harmattan, 2004, 222p.
57
Meinrad HEBGA, Sorcellerie et Prière de délivrance, Paris,
Présence Africaine – Abidjan, INADES Editions, 1982, 214p.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 159


de la diaconie dans le cadre de l’Eglise chrétienne. Les
ministres de la prière de la délivrance par l’écoute des
victimes de la sorcellerie parviennent par l’éclairage
biblique et l’imposition des mains à les libérer des forces
du mal. En formant des thérapeutes spirituels chrétiens
dans le cadre de la fraternité Ephphata du renouveau
charismatique fondée en 1976, le Père Meinrad Pierre
Hebga a crée un front d’exorcisme et de prière de
délivrance pour combattre avec fermeté la sorcellerie
maléfique en Afrique subsaharienne.
L’Eglise catholique par son système d’aveu individuel de
la faute contre le prochain peut aider les sorciers
maléfiques repentants à trouver le chemin de la
réconciliation avec leurs communautés.
L’Eglise catholique par son système éducatif, peut
concourir à l’émergence d’individualités fortes, libres,
autonomes, dotées du sens critique et du sens de
responsabilité. Ces individus libres des fantasmes et des
éléments préjudiciables à la santé psychosomatique
peuvent faire face aux épreuves de la vie sans s’anéantir
dans la logique de la peur et de l’accusation obscurantiste
sorcière.
Une éducation saine fondée sur la réalité objective du
monde et qui prévient la dépersonnalisation,
l’immaturation et l’irresponsabilité doit prendre le relais
de l’éducation traditionnelle plus apte à inscrire le fait
social dans un imaginaire générateur de croyances
étranges et de phobies.
La catéchèse chrétienne doit présenter le phénomène
social et culturel de la sorcellerie en insistant sur sa nature
et sur ses formes. Elle doit offrir des repères pour s’en
défendre.
Pour les chrétiens, la sorcellerie n’est pas une divinité
toute puissante et absolue. Elle n’est qu’une manipulation
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 160
des forces vitales occultes qui perpétuent le désordre, le
déséquilibre et la désintégration de la personne en temps
de crises.
Une vision spirituelle chrétienne de la dignité de la
personne humaine gagnerait à situer la sorcellerie comme
une entreprise de destruction humaine. La sorcellerie est
une institution oppressive qui révèle un manque d’amour
du prochain. Elle est l’idéologie de la haine envieuse, de la
jalousie, et de désir de domination. La sorcellerie véhicule
des forces maléfiques et ne contribue en rien à
l’épanouissement de la personne humaine dans les
communautés sous son influence. Elle est le contraire de
l’amour.
Le fait social de la sorcellerie en Afrique subsaharienne
est contraire au projet d’amour de Dieu et du prochain. La
sorcellerie est contraire à la vie en plénitude qu’offre le
Christ. Détruisant le fondement de toute solidarité, la
sorcellerie dégrade l’humanité par la peur morbide qu’elle
suscite et par l’étouffement de tout épanouissement de la
personne humaine chosifiée et anéantie par les
empoisonnements et par les assassinats psychologiques.
La sorcellerie en Afrique subsaharienne crée un malaise
endémique, négateur de la vie humaine et du projet
d’amour de Dieu.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 161


Épilogue
La Théologie chrétienne africaine de la
communion fraternelle dans l’Église,
Famille de Dieu en Afrique
subsaharienne

La théologie chrétienne africaine de la communion tire ses


lettres de noblesse de la première épître de saint Jean qui
annonce la venue du Logos dans le monde afin que
l’humanité par la foi soit en communion avec le Père et
avec son Fils Jésus-Christ (1Jn 1,3).
Cette communion sainte avec le Père et le Fils Jésus-
Christ par leur Esprit d’amour est la caractéristique
première de la famille de Dieu dans les Églises locales de
l’Afrique subsaharienne.
Les membres de l’humanité en Afrique subsaharienne ont
été sans espérance avant la venue du Logos dans le monde
(Eph 2 :12). Leur univers titubait sous le poids de leurs
désordres et faiblesses. Ils étaient en inimitié les uns avec
les autres. L’ignorance de Dieu a conduit les membres de
l’humanité en Afrique subsaharienne à diviniser la nature
et les forces vitales de l’univers. Instables et vulnérables
dans un environnement hostile, ils ont confié leur
protection aux esprits qui hantent leur imaginaire collectif.
Ils ont élaboré des systèmes de croyances pour assurer
leur survie au sein d’un monde perçu comme menaçant
leur sécurité. Vivant dans la peur et dans l’angoisse, les
africains au sud du Sahara ont projeté leurs peurs et leurs
angoisses sur leurs semblables accusés de sorcellerie.
Certains africains vont jusqu’à vendre leurs semblables
durant la période de commerce triangulaire. D’autres
africains n’ont pas hésité à exploiter et à opprimer leurs
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 162
semblables durant la période coloniale et néo-coloniale.
Mais depuis la fin de la guerre froide, un vent de
renouveau souffle sur l’Afrique subsaharienne. Les droits
absolus de la personne humaine sont revendiqués,
l’autoritarisme est dénoncé et un désir de construire une
fraternité universelle au-delà des horizons ethniques et des
conditions sociales et économiques se fait jour. Les
Églises locales de l’Afrique subsaharienne confrontées à
l’oppression des états postcoloniaux, à l’exploitation
économique sans compensation des acteurs économiques
véreux et au phénomène croissant de la pauvreté
endémique de masse, ont fait l’option préférentielle d’une
Église qui soit la présence du Dieu Trinitaire au cœur de
l’humanité souffrante. Ce désir de construire la famille de
Dieu en Afrique subsaharienne est la conséquence de
l’initiative du Dieu Trinitaire se penchant avec
compassion sur le sort des pauvres et opprimés du
continent. En effet, le Dieu Trinitaire a entendu le cri de
détresse de ses enfants. Il a choisi les Églises prophétiques
d’Afrique subsaharienne pour faire parvenir à son peuple
la bonne nouvelle de sa délivrance. La bonne nouvelle
concerne l’incarnation de son Fils éternel qui devient un
homme authentique pour créer à nouveau un pont entre le
Dieu Trinitaire et l’humanité souffrante.
La communion des membres de l’humanité subsaharienne
avec le Dieu Trinitaire est la condition pour accueillir la
paix qui est la présence de l’amour de Dieu dans les cœurs
et dans les esprits. Seule la constitution de la famille de
Dieu en Afrique subsaharienne peut garantir la paix dont
les fruits sont : la confiance mutuelle, la fraternité, la
concorde, l’amitié, la sécurité et la tranquillité de cœur et
d’esprit. La paix est la communion que le Dieu Trinitaire
veut établir avec chacune de ses créatures au sein de sa
famille réconciliée au sein du cosmos. Cette paix est le but
ultime que poursuit la théologie chrétienne de la
Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 163
communion. Théologie de l’harmonie, la théologie
africaine de la communion réfléchit sur les conditions de
possibilités d’une économie prospère, d’une sécurité plus
grande pour tous et d’une résolution pacifique des conflits
qui produisent les réfugiés, les personnes déplacées et les
antagonismes sociaux.
La Théologie chrétienne africaine de la communion au
sein de la famille de Dieu est une manière radicale de
vivre avec la vision de foi esquissée par le Logos incarné
au cours de son ministère au cœur de l’histoire humaine.
Au seuil du troisième millénaire de la foi chrétienne,
l’Afrique subsaharienne à travers la structure de l’Église,
famille de Dieu peut travailler au renouveau des structures
légales et politiques des sociétés africaines d’aujourd’hui
et de demain.
Par une participation responsable aux débats de société et
par l’éducation à la promotion du bien commun, l’Église,
famille de Dieu, peut défendre le principe de la bonne
gouvernance. Elle peut s’organiser pour la protection de
la famille, église domestique et pierre angulaire de la
société civile. L’Église, famille de Dieu a le devoir moral
de défendre les libertés publiques et le bien-être des
populations. Elle doit encourager l’élaboration des lois
justes qui garantissent aux citoyens leur engagement
responsable dans la vie des communautés.
L’Église, famille de Dieu, dans le cadre de la pratique de
l’amour du prochain, doit organiser des associations sur la
base du volontariat pour répondre aux besoins sociaux et
promouvoir des projets d’intérêt commun. Elle doit être
l’Église des pauvres ayant le souci d’offrir ses services de
charité, de compassion et de miséricorde. Ainsi rendra-t-
elle effective la communion fraternelle au sein de la
famille de Dieu où tous sont fils dans le Fils et où tous
glorifient le Père, par le Fils dans l’Esprit.

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 164


Bibliographie Sélective
ALETTI, J.-N., Jésus-Christ fait-il l’unité du Nouveau
Testament ? Paris, Desclée, 1994.
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Dieu et Christologie, Paris, Cerf, 1974.
CAMELOT. P. Th., Ephèse et Chalcédoine, Paris, Orante,
1962.
CERTEAU, M. De., L’Écriture de l’histoire, Paris,
Gallimard, 1978.
-------------------, Chemins de Christologie africaine,
(Nouvelle édition, revue et complétée)
Paris, Desclée, 2001.
DENEKEN, M., La Foi pascale. Rendre compte de la
Résurrection de Jésus aujourd’hui, Paris,
Cerf, 1997.
DORÉ, J., (et alii), « Christologie », Initiation à la
pratique de la théologie, t.II, Dogmatique
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DUMEIGE, G., (éd.) Textes doctrinaux du Magistère de
l’Église sur la foi catholique, Paris,
Orante, 1975.
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Introduction à la christologie, Paris, Cerf,
1995.
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1968 ; II Le Messie, « Cogitatio Fidei »
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l’interprétation, Paris, Cerf, « Cogitatio
Fidei » 120, 1983.
GRILLMEIER, A., Le Christ dans la tradition chrétienne.
DE l’âge apostolique à Chalcédoine
(451), trad. De l’anglais, Cerf, 1973. Voir
aussi les volumes suivants de la même
série, parus en 1990, 1993 et 1996.
GUILLET, J., Jésus devant sa vie et devant sa mort, Paris
Aubier, 1971.
----------------, La foi de Jésus-Christ, Paris, Desclée, 1979.
----------------, Entre Jésus et l’Église, Paris, Seuil, 1985.
JÜNGEL, E., Dieu, mystère du monde, I et II (trad. De
l’allemand), Paris, Cerf, 1983.
KASPER, W., Jésus le Christ (trad. De l’allemand), Paris,
Cerf, 1976.
LÉON-DUFOUR, X., Résurrection de Jésus et message
pascal, Paris, Seuil, « Parole de Dieu » 18,
1979.
METZ, J.-B., La Foi dans l’histoire et la société, Paris,
Cerf, « Cogitatio Fidei » 200, 1988.
MOINGT, J., L’homme qui venait de Dieu, Paris, Cerf,
1993.
MOLTMANN, J., Le Dieu crucifié. La croix du Christ,
fondement et critique de la théologie
chrétienne (trad. De l’allemand), Paris,
Cerf-Mame, 1974.
------------------, Jésus, le messie de Dieu (trad. De
l’allemand), Paris, Cerf, 1993.

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PANNENBERG, W., Esquisse d’une christologie, (trad.
De l’allemand), Paris, Cerf, 1971 ;
nouvelle édition, avec une postface de
l’auteur : Cerf, 1999.
PERROT, Ch., Jésus et l’histoire, Paris, Desclée, « Jésus
et Jésus-Christ » 11, 1979.
------------------, Jésus, Christ et Seigneur des premiers
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RAHNER, K., « Problèmes actuels de Christologie »
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dans Écrits théologiques, I, Paris, DDB,
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------------------, Traité fondamental de la foi. Introduction
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SCHILLEBEECKX, E., « Jésus de Nazareth, le récit d’un
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SESBOÜÉ, B., Jésus-Christ dans la tradition de l’Église,
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------------------, Jésus-Christ l’unique médiateur, t.2, Les
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------------------, Pédagogie du Christ. Éléments de
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-----------------, Jésus-Christ à l’image des hommes. Brève
enquête sur les représentations de Jésus à

Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 167


travers l’histoire, 2eme édition revue et
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SOBRINO, J., Jésus en Amérique latine. Sa Signification
pour la foi et la christologie, Paris, Cerf,
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Jean-Marie Hyacinthe Quenum | Page 168


Numéros de revues
-Recherches de Science Religieuse, année 1977 (« visages
du Christ »).
-Concilium 269, année 1997 (« La redécouverte de
Jésus »).
-Recherches de Science Religieuse 87/3 (1999),
« L’exégèse de la théologie devant Jésus-Christ » (1), avec
les articles de Ch.Perrot, J. Schlosser, D. Marguerat, J.-N.
Aletti ;
-Recherches de Science Religieuse, 88/4 (2000),
« L’exégèse et la théologie devant Jésus-Christ » (2), avec
les articles de Ch. Duquoc, J. Moingt, H.-J. Gagey, H.
Laux, R. Virgoulay, A. Fossion et J. Guillet.
- « Les Bulletins de christologie » (B. Sesboüé, puis M.
Fédou) parus dans les Recherches de Science Religieuse

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