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Essai sur la structure du Mélange

dans la pensée présocratique

Le vouç et le Mélange
dans le système d'Anaxagore

C'est chez Anaxagore, entre tous les penseurs présocratiques,


que la conception du Mélange prend sa signification ontologique
la plus profonde. Malgré l'apparence d'un dualisme profond du
système d'un côté le mélange primitif, de l'autre le voùç
transcendant nous nous proposons d'établir que voûç et
mélange ne sont pas deux natures absolument hétérogènes et
irréductibles, mais deux entités appartenant à l'univers d'une
même Réalité : l'une (le vooç) représentant la limite, l'autre
(la masse primitive des xp^rtaTa) l'illimité; l'intervention du
vouç ne signifiant autre chose, au fond, que l'adjonction de la
limite à l'illimité, telle que Platon nous la décrira dans ce
dialogue de teneur très anaxagoréenne qu'est le Philèbe.

Points communs entre le vo'oç et le mélange primitif

Montrons tout d'abord qu'on n'a pas le droit, en usant d'un


appareil conceptuel qui était à coup sûr inexistant du temps
d'Anaxagore, de faire entre ces deux substances la distinction
qui sépare la corporéité de l'incorporéité. Il n'est pas difficile
d'établir, à ce propos, que le vouç anaxagoréen peut être considéré
comme un élément corporel : ainsi, par exemple, chez Aristote
vouç et mélange sont tous les deux appelés des éléments *.
Comme le fait remarquer Ross 2 « en appelant le vouç
d'Anaxagore un élément, Aristote le traite comme matériel ». « Et ceci »,
continue Ross, « est justifié par le langage propre d'Anaxagore
qui décrit son vouç comme XercTOTocrov (fr. 12) ».
Et il conclut : « En fait, il avait à l'esprit l'idée d'une substance
immatérielle, mais n'a pas su l'exprimer .» Mais cela est purement
hypothétique. Ce qui est certain, c'est qu' Anaxagore traite le
voôç comme matériel, ainsi que le souligne Burnet qui nous
dit que « l'originalité d'Anaxagore gît beaucoup plus dans sa
1. Meta., A, 8, 989 b 7.
2. Cf. Aristotle's metaphysics, p. 182.
iq

théorie de la matière que dans celle du vouç » 3. Cet auteur 4


rapproche, par ailleurs, le vouç anaxagoréen du feu d'Heraclite.
En effet le vouç nous est décrit, par le fr. 12, comme étant ce
qu'il y a de plus fin et de plus pur, à savoir de moins mélangé ; il
il est, autrement dit, qualifié par des attributs qui caractérisent
justement le feu, d'après ce que nous suggère le texte du Cra-
tyle 5, où le vouç, synonyme du juste (Sixouov), est ce qui
échauffe (xocovtoc).
On pourrait comparer ce vouç-feu au feu prométhéen, dont
la structure profonde est celle de la sagesse.
Le feu que nous décrit le Prométhée d'Eschyle est un feu
astronome et mathématicien, facteur d'omniscience 6. Avant le feu
les hommes, nous dit le Prométhée, étaient des êtres privés de
raison (yv^u//]) 7. Prométhée, grâce au feu, leur enseigne le
nombre, l'astronomie, la grammaire, la navigation, la médecine,
la divination, en somme tous les arts 8.
Ainsi, on peut considérer le vouç, sorte de feu, comme
matériel, et par là détruire toute distinction trop tranchante entre la
spiritualité du vouç et l'exclusive corporéité du mélange
primitif. Entre ces deux entités il y aurait lieu peut-être de faire la
même comparaison que celle que fait Heraclite entre l'instant
parfait du feu et l'ensemble des choses. Pendant l'sx7rupcoaiç
héraclitéenne, le mélange absolument touffu de toutes choses
n'est (ainsi que nous avons essayé de le montrer dans notre
étude sur la structure du mélange chez l'Éphésien) que l'autre
phase du feu logos £uvov ev vouç 9.
De même ici le vouç, qui est ce qu'il y a de plus exempt de
mixtion, peut être considéré dans la plénitude absolue de sa
pureté, comme le symétrique de l'àTCipov du mélange
originaire, infini inextricablement enchevêtré, qui contient toutes les
choses absolument. On pourrait considérer dans le système
anaxagoréen les xpruxcx.Tix. de la masse primitive comme n'étant
que les xépu.axa du vouç ; celui-ci s'avérant être le seul XP^r401
(fr. 12) total, le seul Xpv)u.a - ^purroç (dans le sens héraclitéen)
qui envelopperait, dans l'univers infini de sa dimension, tous

3. L'aurore de la Philosophie grecque, pp. 308-9.


4. Ibid.
5. 413 b-c-d.
6. Cf. les expressions relatives à la sagesse et la science du feu : TO oiv yàp
<5cv8oç TrocVTéxvou wupèç aéXaç, disent Kpàiroç et Bta à Hephaistos (vers 7).
7. Comparer avec fr. 12 : le vouç ... yvc(>fA7]v ys izepï 7ravToç TOfcaav Icr/si.
8. Cf. 252-254 : TuGp syw acpiv &tzoio<x.... àcpoS ye TcoXXàç êx[xa6^aovTai
xé/vaç.
9. Cette équivalence entre le X6yoç-voûç et la totalité des choses est exprimée
par le fr. 90 :
7rupoçxe àvra[xoi67j xà toxvtoc xai 7iûp à7ràvT&>v ôxwa7rep y^puaoxj xP^axa
xal xpiQlAâTtov XPUCT6Ç-
20

les )(p7)u.aTa du mélange, produits de son émiettement 10. Le fr. 5


nous dit que rcàvra toa àsi ; et le/r. 6 que les portions du grand
et du petit sont égales à leur somme.
Autrement dit la somme intégrale de tous les xpy)u.aTa-
xspu.aTa équivaudrait au XP^^ unique du voûç, Être total qui
reste toujours identique à soi-même (fr. 12 : ôu.otov). Il y aurait
là une résonance parménidienne. Anaxagore, qui a
incontestablement subi très fortement l'influence de Parménide (chez qui
le elvou, toujours égal à soi-même, est synonyme du vosïv)
aurait scellé le mélange primitif, tout aussi bien que le voûç,
par le statut de l'Être dans le sens éléatique le plus absolu.
Comme le fait remarquer M. G. Vlastos u, le Clazoménien a
comblé la scission qu'Empédocle avait laissée entre les quatre
éléments d'une part (seul Être d'après son ontologie) et le mélange
constitué à partir d'eux (et qui n'est nullement Être).
Anaxagore, à l'encontre d'Empédocle, pense qu'il n'y a pas de dualité,
il polémique contre l'Agrigentin en proclamant l'Unité ; Être
et mélange (originaire) ne sont plus opposés dans son système,
mais équivalents ou synonymes. Tout en effet est Être, puisque
tout est inengendré et éternel, éternellement égal à soi-même.
Simplicius est, à ce propos, bien explicite. Il nous dit (en
citant It fr. 5) que oûSè yiverat, oùSè çGeipeTod xi tcov Ôjjloio-
(xspeicov, àXX' âet, xo\ aùxà écm (uàvra tact. <kzi) 12.
De même Aristote : àraxvTa Ta ôu.ot,ou,spY) (xaGdatsp ûScop tj
7iûp) ourco y^yveoôat xal àTCoXXuaôat cpvjcri auyxpiaet xal 8ia-
xpiCTsi [xovov, àXXcoç S' ours yiyvsaOat, ours (XTc6XXua0ai, aXXà
SiajxévEiv àtSta 13.
Ces éléments du mélange primitif, d'après le témoignage du
même auteur, ont éternellement préexisté : ISoxst, Se Xéysiv ô
'Ava^ayopaç 6x1 ôu.oû 7càvTtov ovtcov XpTjfxaTwv xal Yjpsu.ouv-
TtùV T0V (ScTOipOV 7Tpo T0Û ^pOVOV, j3ouX7]6elç Ô X0Cr(X07T0!.0Ç voûç
Siaxpïvai xà. eïSv), Ô7rep ôu.oi,ou.sp£iaç xaXeï, x[vy]ctlv aùratç èvs-
7T0[7]a£V.
Ainsi donc le mélange primitif, nous apparaît comme une entité
inengendrée et éternelle au même titre que le voûç.
Aristote lui-même, dans le livre A de la Métaphysique 14, donne
à ce mélange l'appellation de l'Un, alors que dans le livre A de

10. Cf. pour cette notion Parménide 144 b-c (multiplicité infinie de l'Un-en-soi.)
L'Un-qui-est de la 2e hypothèse se morcelle et se détaille (XaxaxexepU-àxiaxai)
par l'Être qui lui est adjoint « en aussi petit que possible, en aussi grand que
possible, en toute variété concevable. Son morcellement surpasse tout. Les parties de
son être sont une infinité. »
11. Cf. son article : The physical theory of Anaxagoras.
12. Phys., 156, 9; ibid., 27, 2 'r\ tû>(Theoph., Phys. Opin., fr. 4, D 478) : Trcxvxa
yàp xà ô{jio(,o[jt.epîj olov uSup ûSwp 't\ XPU°6V» àyévv/jxa eîvaixai àçOapxa.
13. Meta., A 3, 984 a, 11.
14. A 2, 1069 b 15.
21

la même Métaphysique 15, il ne réserve ce nom qu'au vouç seul.


Relevant cette contradiction, Jackson 16 propose de lire ov au
lieu de ev : xal tout' èaxi to 'Ava^ayopou Ôv. Ross répond à
ceci par l'argumentation suivante : « il est vrai que to Iv ne
semble pas avoir été employé par Anaxagore comme un terme
technique pour son principe matériel. Mais ce principe est
appelé un u.iyu.a (Phys., 187 a, 23 ; A 1012 a, 28) et to u.ty(/.a êv
(3ouX£Tai eïvai (de Sensu, 4476, 10) de sorte que to êv n'est
pas une appellation inappropriée pour ce principe matériel ;
et nous voyons dans la Physique 187 a, 21 qu'il est appelé ëv. U
est vrai qu'en contraste avec le voûç il est opposé à l'ëv ; mais
en contraste avec les diverses substances qui sont sorties de lui,
il peut judicieusement être appelé Iv. »
Nous pensons que tout le raisonnement de Ross, pour solide
qu'il soit, ne peut pas détruire le sens de l'affirmation
aristotélicienne : à savoir que le mélange originaire c'est l'Un pour
Anaxagore.
Et en ce qui concerne la remarque de Jackson, il revient au
même, à notre avis, d'appeler ce mélange soit du nom de ëv,
soit de celui de ov. Car nous sommes incontestablement dans
la sphère de l'influence parménidienne. et les deux termes ont
le même sens ; tous les deux concernent une même entité qui
est l'Être-Un que Parménide avait décrit dans son poème,

Nature illimitée du mélange primitif

Nous avons vu jusqu'ici que voûç et mélange originaire sont


des réalités de la même nature.
Cependant, une fois que nous avons mis l'accent sur leur
ressemblance intrinsèque, il serait opportun maintenant de voir
ce qui les spécifie, malgré tout, dans le système.
D'après Aristote, le mélange primitif serait un principe
analogue à l'indéterminé (OdcTspov) platonicien 17, s'opposant à la
simplicité et la pureté absolues du voûç. Ce serait ce qui se pose
« avant toute détermination et avant toute participation à une
forme quelconque » 18. Voici comment dans le même passage
de la Métaphysique, le Stagirite nous décrit cette substance :
Quand rien en effet n'était séparé, on ne pouvait évidemment rien
affirmer de vrai au sujet de cette substance primitive. Je veux dire
qu'elle n'était ni blanche, ni noire, ni grise, ni d'aucune autre couleur ;
15. A, 8, 989 b 17.
16. J. of Ph., XXIX, 139 (citéparD. Ross, Aristotles métaphysics, pp. 351-352.
17. Dans sa traduction de la Métaphysique, M. J. Tricot (p. 40, n. 1) renvoie
pour l'autre des platoniciens (gxepov, <5cXXo), comme \li] ou (J^ V)ëv » à L. Robin,
La théorie platonicienne des Idées et de5 Nombres, p. 660, n° 261.
18. Meta., A, 8, 9896,7.
22

elle était nécessairement incolore, sinon elle aurait eu quelqu'une de


ces couleurs. Pareillement, et pour la même raison, elle n'avait aucune
saveur ni aucune autre propriété de ce genre. Elle ne pouvait avoir ni
qualité, ni quantité, ni détermination quelconque, car quelqu'une
des formes particulières lui eût été appliquée, ce qui est impossible,
tout étant mélangé.
Or cet indéterminé indéfinissable qu'est le puyu,a originaire,
présente tous les caractères d'un oLTteipov 19 qui serait Yindéfi-
niment grand et petit.
A ce titre il peut être comparé avec l'illimité du Philèbe ;
comme ce dernier, il varie aussi bien dans le sens du grand que
du petit. Remarquons en effet l'insistance avec laquelle
Anaxagore, dans les fragments i et 2, manie le terme àrcsipov :
éarsipa... to auaxpov àroipov 9jv... àrcipa sovTa... aTCipov
iaxt xb 7tX9)0oç.
L'infini anaxagoréen ici en question est, tout comme celui du
Philèbe, le {xeïÇov xal ëXaTTOv (cf. fr. 3 : àXX' ëXaaaov àsL.
[xetÇov... xal u,éya xal ou,t,xp6v).
Ce dernier fragment nous dit de la façon la plus explicite
qu'il n'y a pas dans le Mélange originaire de dernier degré ni
de la petitesse, ni de la grandeur, vu qu'il y aura toujours quelque
chose de plus petit que ce qui est petit, ou de plus grand que ce
qui est grand. Ce qui signifie encore qu'aucun %ç>r\\ioi de la
masse primitive ne pourra jamais être considéré en lui-même
soit comme l'infiniment petit, soit comme l'infiniment grand.
Ce double illimité qu'est la masse originaire des xpy)u.aTa tend
donc toujours 20 vers un infiniment petit et un infiniment grand,
limite commune de toute dimension, et dans l'ordre de la
petitesse et dans celui delà grandeur. (C'est cette limite qui, seule,
pourrait constituer l'arrêt de ce mouvement incessant de tension.
En termes du Philèbe 24 d : xb 7too"6v à savoir la limite
ïaxt\ xal 7rpoiov éraxucraTo). Or au cours de ce mouvement sans
répit de l'illimité vers ce qui est réellement, et par soi-même,
l'infiniment petit, la masse des xpruLaxat devient de plus en plus

19. Aristote, dans la Meta, A, 2, 1.069 b, 23 appelle aussi \ùy\ia le ôcTCipov


d'ANAXiMANDRE. A ce propos Ross (Aristotle's metaphysics, p. 352) fait
remarquer que dans la terminologie d'Aristote, le mot [Uyu.cc (qui signifie fusion
complète) est plus propre à être appliqué à l'àTCipov d'ANAXiMANDRE dans lequel les
éléments n'étaient présents que seulement en puissance, qu'à la matière originelle
d'Empédocle et d'Anaxagore dans laquelle ils étaient présents en acte. Cette
dernière était un ouv6exov mécanique plutôt qu'un vrai U,ÏJ[l.cc ».
Nous pensons que tout comme Zeller a réfuté la thèse de Ritter, selon laquelle
le àTOipov d'ANAXiMANDRE était un mélange mécanique dans lequel les éléments
se trouvaient en acte, de même il serait possible d'établir contre Ross (ce que nous
ferons par la suite) que le U.Xy[L<x anaxagoréeu se présente sous la forme d'une
fusion totale (d'une aujiçBapcriç pour parler un langage stoïcien) (cf. le De mix-
tione d'ALEXANDRE d'Aphrodise).
20. Le Philèbe, 24 d, nous dira que l'illimité 7rpox<ûpe! ... où j/ivei
23
minuscule : une particule, un atome contenant dans une sorte
de condensation de plus en plus poussée 21 toutes les choses
absolument ; aTcépjxa qui est éternellement susceptible de
division, c'est-à-dire de diminution. Mais d'un autre côté, par le fait
de tendre constamment vers l'infiniment grand, cette masse
primitive indéfinie ne peut que subir l'effet contraire, à savoir se
raréfier de plus en plus. Les fragments i et 2 nous disent quel'air et
l'éther (c'est-à-dire les xP"*)^aTa les plus raréfiés) tous les deux
parmi les choses « les plus grandes tant par la quantité que par
la grandeur », sont séparés de la masse qui enveloppe le monde.
Nous avons là une indication qui nous permet peut-être de nous
représenter l'état de dilatation constante auquel est soumise la
masse du mélange primitif. Cette masse devient à la limite cet
absolu d'expansion et de raréfaction dans lequel se trouve noyé
le sperme unique de l'infiniment petit ; état caractérisé par
l'évanouissement de tout xp9j|jia, qui évoque par son caractère
d'indétermination foncière22, le vide des Atomistes, synonyme
du non-Être (u,v)Sév) ou bien encore la x^Pa du Timée 23.
Cet état d'extrême dilatation est, par rapport à celui de
l'absolue condensation 24 du ôjxoÔ7càvTa, ce qu'est dans le mathé-
matisme métaphysique d'Anaxagore le toujours plus grand par
rapport au toujours plus petit ; c'est-à-dire équivalent ou
égal (frs 1 et 3), Burnet nous dit à ce propos (cf. Greek Philo-
sophy, From Thaïes to Plato, p. 37) que théoriquement (à savoir
mathématiquement et métaphysiquement) rien n'empêche de
voir même les atomes « aussi grands que des mondes entiers ».
Or telle une sorte d'atome infiniment petit et grand se présente
justement la masse originaire à sa dernière limite de petitesse-
grandeur. Nous avons là un point acuminal, un cas extrême où
les contraires s'identifieraient.

La limite et la transcendance du voûç

Or quelle peut bien être cette limite qui marquerait l'arrêt du


double mouvement auquel est condamnée la grandeur indéfinie
du Mélange ?
ai. Cf. fr. 4 : « Et du moment que ces choses sont ainsi, nous devons supposer
que beaucoup de choses et de toutes sortes sont contenues dans les choses qui
vont s' unissant ...»
22. Caractère identique à celui du sperme infinitésimal, et qui nous est décrit par
Aristote (Meta., A 8, 989 b, 7).
23. Ainsi que l'aétabli Cornford (Principium Sapientiae) le mot X^P01 implique
le X^P^ et *e X<«>pic>u.6ç. Par le fait de tendre vers l'infiniment grand, la masse
primitive des yrp7iu.ccvcc subit une séparation (précosmique) de plus en plus poussée
qui aboutit à la disparition totale de ces derniers.
24. Nous savons qu' Anaxagore a été « un associé de la philosophie d' Anaximène
(cf. Théophraste, Phys. Op., fr. 4 ; Dox., p. 478, DV 46 A, 41) ; philosophie
dans laquelle la raréfection et la condensation jouent un rôle detout premier plan.
24
Elle ne peut être constituée par aucun élément de la masse
des Xp^jjwcTa, puisque ces derniers sont sans limite : et dans
l'ordre du petit, vu qu'ils sont, par définition, éternellement
divisibles25, et dans l'ordre du grand, vu qu'il y aura toujours
« un plus grand que le grand » 26.
Par conséquent il sera à présumer que cette limite devra
consister en quelque chose qui soit absolument séparé des xpV)u,aTa
de la masse primitive : or teljustement nous apparaît le voûç
anaxagoréen 27.
C'est lui en effet qui est, d'après le fragment 12, autonome,
non mélangé avec quoi que ce soit, « seul lui-même par lui-
même ». Ce doit donc être lui qui, dans son infinitude
authentique 28, constitue cette double limite infinie29 vers laquelle tend
sans cesse, éternellement, la masse originaire des xpr)(xaTa: ce
double indéfini (car c'est ainsi qu'il faudra appeler, en dernière
analyse, le mélange primitif réservant le nom d'infini au voûç,
limite illimitée, seul aTcetpov véritable) du grand et du petit.
Les termes par lesquels le fr. 12 nous décrit la substance du
voûç nous suggèrent nettement l'idée d'une transcendance par
rapport aux xprjfjeaTa du mélange originaire.
Le mot è7t' aÛTcîi est à cet égard particulièrement significatif.
stc'
Tandis que tous les autres xp^ara ne sont jamais aÙToïç 30,
mais tendent toujours vers autre chose, vers un infiniment petit
ou un infiniment grand (impossible à atteindre par leur seule
vertu31) le voûç n'est, lui, qu'en vue de soi-même (fr. i2auToxpa-
TÉç). Comme nous le dit le Philèbe 53 d 32, il y a deux catégories
fondamentales de choses, « deux sortes d'êtres : le premier est
25. Fr. 3 : « Il est impossible que ce qui est cesse d'être par la division. »
26. Fr. 3.
27. De même chez Heraclite, le vouç-X6yoç-aoç6V êcm 7tàvfoiv xexoipta-
uivov (fr. 108).
28. Fr. 12 : le vouç est ôcTiretpov.
29. Le [ASlÇov etl'ëXAooov du/»*. 12 signifieraient à ce propos l'infiniment
grand et l'infiniment petit de cette entité qu'est le votiç infini. De même le mot
XcJtxdxotTOV du même fragment suggérerait l'idée de grandeur infinitésimale.
En parlant le langage de la science moderne nous pourrions dire qu'il y aura
toujours possibilité d'aller au delà de toute microstructure matérielle (atome,
noyeau et ainsi de suite) pour s'approcher ainsi de plus en plus des grandes entités
spirituelles.
30. La phrase du fr. 6 : « ors ToùXdcxiaxov u.i\ êcrav sïvai, oùx av
Suv&ixo xcoplo-OîjvOCi, 0Ù8' àv è<p' éàtuxou ysvéoGài signifierait que tant que
les XP^ltôTOC n'auraient pas atteint la limite de l'infiniment petit (c'est-à-dire
précisément le vouç) il n'y aurait pas de possibilité pour eux de se maintenir
et, indépendants, d'être en vue d'eux-mêmes.
31. Le voûç (qui est (icfAStXTOV) est justement cet inaccessible ; aucun XWU.QL ne
peut l'atteindre pour s'y adjoindre. C'est lui par contre, qui atteint toute chose
dans le tréfonds de la masse primitive. Nous avons là un cas d'irréversibilité
foncière.
3a. Dialogue de teneur très anaxagoréenne, ainsi que M. P. M. SCHUHLl'a
souvent fait remarquer.
25
xa6'
en soi et par soi (aùxo êaux6), le second tend toujours vers
autre chose » (to o° àsl ècpiépxvov 33 àXXou). Il est manifeste que
dans la première catégorie se rangerait la masse originaire des
XP^u,ara et dans la deuxième le voûç autonome 3*.

La rencontre de l'illimité avec la limite

En somme dans la première partie des fragments (du i au 10)


nous assisterions à la description du mouvement interne de la
masse originaire du mélange des x?'h[JL(X-x(l tendant
simultanément vers l'infiniment petit et l'infiniment grand du voûç.
Or cette limite commune que constitue dans son infinitude
le voûç, ne sera jamais atteinte par cette progression continue.
Il faudra pour cela un saut brusque*5 qui nous fera sortir de la
masse primitive (en même temps que de cette continuité) ;
bond qui nous est suggéré par cette violence, source de rapidité
que nous décrit le fr. 9 ((3iv)Ç te xal Tax^T^Toç ... pUvjv ...
TaxuTTjç ... TroXXaTtXacrôfùç Taxû).
Nous devons, en conséquence présumer que plus la masse
primitive tend vers l'infiniment petit, et plus les choses, dans leur
élan vers le repos absolu de leur limite-origine 36, se ruent avec
véhémence les unes dans les autres ; la plus petite contenant
chaque fois tous les xp^ju-^a à la fois (raxvTa ôu,oû), la masse
entière du Mélange se mouvant de plus en plus impétueusement
vers son sommet (ou son centre le plus profond) qu'est le voûç
inaccessible.
La vitesse augmente au fur et à mesure que les xpiQfAaTa
s'approchent de cette limite. Aux abords immédiats de celle-ci
nous aurions d'un côté, dans l'ordre du petit, une semence
unique et infinitésimale 37 qui contiendrait, ainsi que nous
l'avons vu, tous les xpruLccxcc absolument ; et de l'autre côté,
dans l'ordre du grand, une X^Pa 38 infiniment grande, dans laquelle
plonge démesurément ce sperme-noyau.
33. Nous soulignons le s<p(s7u) qui revient trois fois dans le/r. 12 pour désigner
la transcendance du vouç : è7r' ètouxoû ... è<p' êûtuxoû ... è<p' ê&uxoû.
34. D'après le Philèbe (54 c) cette sorte d'être ne peut appartenir qu'à « la classe
du Bien ». C'est là justement que trouvent place (échelle finale 666) voûç et
Çp6v7]CTI,Ç.
35. Le voûç qui constitue la limite des XP tttûtT(* implique, en tant que limite, le
saut, la coupure, la discontinuité foncière, tous termes qui expriment son
caractère de transcendance. Ce sera le premier moment de l'apparition du vouç. Le
second moment (ainsi que nous le verrons par la suite ) sera constitué par un
mouvement d'immanence (pénétration des XP^)u,(*Ta par le vouç)).
36. Ur-sprung.
37. Le C(Alxp6v du fr. 12 par où est commencée l'action du vouç.
38. Cf. tous les termes anaxagoréens qui enveloppent cette notion : fr. 12 .
7repixt>>p7]atoç ... 7reptx<«>pYJaàt... 7reptxo>peïv ... TtEpix^pvjoiç ; fr. 15 : ouve-
X<kpiqo-ev ... è&x&p7]ozv (fr- 6 : X^P^ X^P^TJvoct, fr. 8 : xex^>piax*i).
26

Ce sera l'instant parfait de l'acosmie : une sorte d'écroulement


d'affaissement et de dissolution générale (dans l'ordre du grand 39)
qui aboutit au pur chaos, autrement dit à la négation de toute
cosmicité40. On est dès lors dans la région même de cette
rupture (ou transcendance) qui ne peut pas être autre que
l'instantané (è£aicpv/)ç) qui marquera cette sortie41 de l'état de
continuité dont nous parlions un peu plus haut ; ce point de passage
à la limite, l'instant où l'illimité, ayant par un bond « touché »
brusquement sa limite 42, ce sera cette dernière qui fera désormais
irruption dans son sein 43 : ce que nous appelons communément
l'intervention du voûç.
C'est ce dont témoigne Timon le poète dans les
Silles (Cf. fr. 24D) (Diog., II, 6-15) :
xat 7rou 'Ava£ay6p7]v cpào' ëu,u.evat, aXxiu,ov ^pco Noûv, cm
oy) vooç aÙToi, ôç è£a7Ctv7)ç èrcysipaç 7ràvTa ouvscTcp^xco-
csv ô(xoû TETapayuiva 7tp6cr0£v.
Dans cet instant sis hors de tout temps, moment suprême de
transition u et de transmutation, nous assistons à un changement
complet de la situation, à un renversement radical des structures :
Le voûç, qui jusque-là apparaissait comme immobile 45 en
face du mélange chaotique se mouvant 46 sans cesse, deviendra
subitement, en sortant de son plan de transcendance (tel le
Démiurge du Timée 47) mobile 48.
Au moment précisément où les xP'iOu'aTa> s'emboîtant éper-

39. Dans l'ordre du petit on aura le même chaos mais en condensation : à savoir
un état d'obstruction totale.
40. Cet écroulement nous est décrit par Platon dans le Phèdre et dans le
Politique.
Le Phèdre (245 d-è) nous dit que sans l'âme (synonyme du vouç cosmique)
« le Ciel entier », la génération entière viendraient à « s'affaisser ». Et le
Politique (273 d) nous dépeint sous une forme mythique, l'univers, séparé de son
démiurge et pilote, en train de se disloquer « sous la tempête qui le bouleverse
et s'abîmer dans l'océan sans fond de la dissemblance ».
41. Cf. Aristote (Phys. 222 b 15 et suiv.) : « Changer, c'est essentiellement
sortir de son état ; l'instantané c'est cette sortie (xô èxaxàv) s'accomplissant dans une
durée de temps insaisissable (Cf. Parménide, p. 156 c, n. 1).
42. Dans l'extra-temporalité et la transcendance du soudain.
43. Devenant dans cet élan intemporel immanente, de transcendante qu'elle
était.
44. Cf. Parm., 156 d-e-157 a-b : l'instantané nous est décrit comme «le point
de départ de deux changements inverses. Il est « le point d'arrivée et le point de
départ pour le changement du mobile qui passe au repos comme pour celui de
l'immobile qui passe au mouvement ».
C'est dans cette « nature étrange » qu'a lieu le passage de l'Un-Un
transcendant de la ire hyp. à l'Un immanent (dans l'Être et le Non-Être) de la deuxième.
45. Aristote, Phys., 0, 5, 256 b, 24 (D. V., 46, A, 56) : le vouç est àxtvrçxoç.
46. Silles (fr. 24 D) : x e x a p a y u. é v a 7tp6o-0ev.
47. Cf. notice du Timée (par A. Rivaud) p. 38 : Rivaud, se rapportant au
passage 42e du Timée, se demande si « à l'origine des choses l'Idée du Bien est sortie
du monde intelligible sous la figure du Démiurge ».
48. Le Cratyle, 412 d, nous dit que le vouç est xàxicrxov.
— 27 —

dûment les unes dans les autres se voyaient, au bord de


l'immobilité 49, s'évanouir en sombrant à une vitesse effrénée dans la
compacité absolue de l'infiniment petit, ou dans le vide parfait
de l'infiniment grand, le vouç, faisant son apparition 50 tel un
autre Deus ex machina51, communique soudain au mélange
primitif immobilisé toute la violence de son mouvement
insoupçonné et ordonnateur52. C'est ce que suggère, à notre avis, le
fr. 9 qui ne fait en somme que nous décrire l'impétuosité et
l'extrême velouté caractérisant la région où se situe l'action
instantanée du vouç :
Comme ces choses tournent et sont séparées par la force pj
et la rapidité (TàxuxvJToç). Et la rapidité fait la force (phjv Se j
TûtxuTTjç rroieï). Leur rapidité n'est pareille à la rapidité d'aucune des
choses qui sont maintenant parmi les hommes, mais elle est de toute
manière bien de fois aussi rapide (tzowtcùc; 7roXXa7rXàaicoç toc^û è<m)>
Nous pourrions dire que tout comme c'est la rapidité qui fait
la force 53, de même c'est la soudaineté, l'instant foudroyant
qui constituent la vélocité originaire de la révolution 54.
Le vouç, substance infiniment rapide, manifestera, en sortant
de sa transcendance, de toute cette véhémence de rythme qu'aura
la k

et le mouvement du vouç

Le Cratyle, 400 a-b, nous apprend que vouç dans le système


d'Anaxagore est synonyme d'âme ((Jiu^y)).
Cette âme comporte, d'après Heraclite, un logos qui s'accroît
soi-même (fr. 115 : ^u^ç êcm Âoyoç èauxov aû'Çwv) 65. Or le

49. Plus les ympt][L(X.T<x. s'approchent du repos absolu du vouç transcendant, et


plus leur vitesse augmente. A la dernière limite cette vitesse, devenue infinie, sera
égale à celle avec laquelle se produira la « chiquenaude » initiale du VOUÇ (cf. fr. 9).
50. Cf. fr. 66 d'HÉRACLiTE : t6 TCUp (synonyme du X^yoç-voûç) è 7T e X 0 ov
xpiveï xal xaTaX^erat.
51. Métaphysique, A, 4, 985 a, 20.
52. Qui transformera l'acosmie en cosmos.
53. Mouvement ne signifiant autre chose, au fond, que SÙvafUÇ.
54. C'est ce qu'exprime probablement Heraclite lorsqu'il proclame (fr. 64)
que la foudre gouverne l'Univers (Ta Se 7ràvTa otaxCÇei xepauvéç) (Hippolyte,
IX, 10 nous dit que otaxCÇei signifie xaTsuôuvei ou Sioixeî : Xéyet Se ical
9p6vijl,ov touto eïvat t6 7rup — t6 altoviov — synonyme du
xepauvéç — xal xîjç SioixrjaetûÇ TÔSv ÔXcûv aÏTiov). M. Jean Wahl, dans son Étude
sur le Parménide de Platon (p. 170), fait un rapprochement judicieux entre cette
foudre héraclitéenne et l'èÇatcpvvjç platonicien. (Cf. notre article sur Heraclite
(Revue de Métaphysique et de Morale, juillet-septembre 1955.)
55. A comparer avec le passage fameux de la VIIe lettre (341^) : otov àîï6
rcupôç 7nf)S^cravToç è^açOèv 90JÇ èv Tyj t|A>x?) fGv6\i£vov ctùxb ê
îS Tpéçsi.
— 28 —

au£<*)v K a des rapports étroits, d'après le Cratyle, avec l'essence


même de l's^aicpvyjç.
Le passage 414 a-b de ce dialogue nous dit en effet que le
mot même s'épanouir (ôàXXeiv) « semble figurer la
croissance (tyjv aû£/)v) de la jeunesse, dans sa promptitude et sa
soudaineté (on Ta^e^a xal è^aicpviSia ytyveTai) ». Nous
pourrions ainsi dire que le logos du vouç (ou âme) est ce
mouvement 57 qui, ayant comme source la fente de l'instant
extatique qu'est l's£a[<py/]ç, se réalise avec soudaineté, s'accrois-
sant de son infiniment petit (ou repos) 58 à son infiniment grand

C'est de cette façon que le vouç, en tant que porteur de la


limite, agit de deux côtés sur le double illimité de la masse
originaire.
D'un autre point de vue ce vouç, synonyme de l'Être (oùcia)
aura comme autre nom celui de l'impulsion (to o>0ouv).
En effet d'après le Cratyle (401 d-é), le 6)0oiïv est le principe
même du mouvement des choses : Ta ovtoc Leva t. T£ 7ràvTa
xal [xéveiv oùSév to oOv amov xal to àp^yov auT&v sivai
tô d>9ouv.
Or cet <î)0ouv (qui se rattache à la vérité, grâce à son
mouvement ontologique 59) pourrait n'être, à son tour, qu'un synonyme
de ce que le Cratyle (405 c) appelle (en désignant par là le dieu
Apollon) le àsl fJàXX<ov : entité qui, par sa pureté, sa simplicité
(àîcXouv) et sa vérité (àXiqOéç) constitue, avant tout, l'agent de la
révolution céleste (405 d: ô^ou 7r6X7)cnv). Ces termes (<î)9ouv,
6e£a 3cXy), àel pàXXwv) appartenant tous à l'Univers du vouç et de
l'Être, suggèrent tous le dynamisme de l'essence même de
rs£ai<pv7)ç. C'est du sein de cette substance insoupçonnée que
jaillit le mouvement du vouç ou de l'âme. Et c'est justement ce
mouvement, synonyme d'accroissement, qui s'avère la cause de
la génération 60 :

56. Cf. pour cette notion d'accroissement : Banquet, 210 d; £<ù<t6eIç xal a ù ^ r\-
0 e l Ç, lors de l'initiation parfaite en Amour, lorsqu'on est déjà tout près de la
révélation du Beau-Bien dans l'è^atçvTjç (210 e).
57. Cf. pour ce mouvement du vouç (ou de l'âme) les dialogues platoniciens
Phèdre, Sophiste, Lois : l'âme ou vouç, est ce qui se meut soi-même (to aùxo
aùro xivoov).
58. Cf. Sophiste, 249 a-d : le mouvement du vouç n'est pas le mouvement se
faisant indifféremment dans tous les sens : il comporte par contre, d'une façon
nécessaire, le repos, qui en constitue comme une sorte de centre autour duquel il
s'effectue.
59. Cratyle, 421 b: La vérité est définie comme le mouvement divin de l'Être,
àX7)6eia étant entendue comme une course divine ((5cXt) 0e[oc).
60. Dans un même courant de pensée, Platon dira (dans le passage du Phèdre
auquel nous avons déjà fait allusion) que si ce mouvement venait à s'arrêter la
nature entière s'anéantirait. La xiVTjaiç, synonyme de ji£Ta6oXYj et d'àXXotcoctç
(cf. Lois, 894 e) produit la yiveatç.
— 29 —

Le vouç-âme, d'après le Cratyle, 400 a-b, en se mouvant d'une


façon extrêmement rapide, est ce qui cpucriv ojzZ xod &xzl
((puaèjyî) ; l'entité Siaxocr^oucra, è'xoucra, avouera ttjv cpucrtv.
Et ce mouvement ne peut jamais faire défaut, car le vouç, qui
en est la source, est infini (fr. 12) 61.
Or ce mouvement éternel, jaillissant du plus profond de
l'Être qu'est le vouç, ne peut être que circulaire. Car l'Être,
synonyme de l'Esprit, est d'après la totalité de la pensée
présocratique 62 (et tout particulièrement selon celle de Parménide,
dont l'ascendant se fait si fortement sentir chez Anaxagore) de
forme sphérique. *
Ce mouvement sera nommé justement 7r£pi^a>p7)<7iç,
puisqu'il a comme théâtre et champ d'action, cette masse
originaire qui est devenue à la limite, en même temps que le sperme
infinitésimal du 7ràvTa ôfjiou, la X^Pa pure (ou disparition totale
de tout ygyyxct.).
Avec l'intervention du vouç, le 7rpo)(Cûpstv 63 du mouvement
désordonné des choses (corrélatif du UTtoxcopeïv dont nous
parle Mélissos et porteur d'acosmie) deviendra le Ttepi^copsïv (se
mouvoir circulairement dans la X^Pa) de ^ S

Modalité et structure du mouvement du vouç

Dans le Tintée le Monde n'est que le produit de la mixtion du


vouç-père (ou constellation des Idées) et de la /topa-mère.
De même ici, chez Anaxagore, le Cosmos apparaîtra quand le
vouç et la masse primitive — devenue, à l'extrême limite de la
grandeur, la spatialité pure de l'infiniment grand — vont s'adjoindre
pour donner le véritable mixte (ou mélange cosmique) que sera
l'Univers anaxagoréen.
Or cette adjonction du vouç à l'illimité du mélange primitif
(qui se traduit par la 7tspixwp7]<7iç) aura comme modalité (à
l'échelle microscopique) le mouvement de pénétration.
En effet Anaxagore nous dit que la révolution a commencé
<xtzo tou a(xt,xpou (fr. 12) ; nous devons nous attendre, vu que
61. Heraclite dira de même (fr. 45) que l'âme est illimitée :
paxœ iov oûx àv s^siipoio ... oûtcû P<x0ùv X6yov iysi.
62. Cf. Heraclite (fr. 2 et 103) : le Çuv<Sv (synonyme du X6yoç-vo0ç) est
àpyj] xal TOpaç ItcI xiSxXod Ttepiçepeiaç . Parménide, R.P., 120;
Empédocle : f r. 27 et 28 (Le Sphairos).
63. D'après Mélissos (9) seul le xevs6v (ou X^Pa) permet le x»Psïv et Ie
ÛTroxcopeïv : sî (jtiv oôv x^P^ ^ ••• °^ Tc^étov ; ibid (7): Û7TOxtopîjoat
yàp oùx è'xsi oùSa^fj, àXXà tcXscov ècrxtv el \xh> yàp xevs6v ^v, ûns-
X ô> p e 1 àv sîç t6 xev6v ■ xevou Se [X7j è6vtoç oùx ex£L 8*71 ^ n ° X ^ P "h"
osi.
Cf. Diogène d'Apollonie,/t. 2 : ... toxvtoc Taûxa è)t vou aÙToû Ixepoioii-
(xsva ôcXXots àXXoïa Y'veT<xt. xal eiç to aùxo à
nous sommes, avec le contact du vouç, dans la région même de
l'infini, à ce que ce C[xi,xp6v soit — ainsi que nous l'avons déjà
fait remarquer — à la dernière limite de la petitesse : c'est-à-
dire justement l'infiniment petit.
Cette substance infiniment subtile qu'est le vouç (fr. 12 ;
Cratyle, 412 d : Xs^totoctov) a donc attaqué par un mouvement
de pénétration le sperme unique infinitésimal de la totalité des
choses : c'est ce que nous appellerions son action de limitation
dans le sens de l'infiniment petit.
Mais en même temps, cette substance infiniment grande
qu'est ce même vouç, a limité par un mouvement
d'enveloppement u (h TCpixwpTjaiç intégrale) la x^Pa infinie du mélange
originaire : c'est son action de limitation dans le sens de
l'infiniment grand. C'est entre ces deux limites extrêmes que le
mouvement du vouç — qui coïncide avec son logos même —
s'accroissant sans cesse, transforme sur la macro-échelle, la
vection de pénétration65 en révolution circulaire; motion
enveloppante, ayant la même forme sphérique que l'esprit et qui se
développe de plus en plus66 depuis le centre-milieu qu'est le
<7[uxpov (ou TtàvTa ô{xou) jusqu'à la circonférence la plus grande
possible qui entoure la x^Pa infinie 67.
Le vouç, sans être d'une façon permanente mélangé à rien 68,
se mélange à toutes choses grâce à ce mouvement éternel. Le
Cratyle, 412 d, nous dira que c'est de cette façon qu'il accomplit
son œuvre démiurgique : 8ià Se toutou toxvtoç elvcu ti Sie^iov,
81 o5 7iàvTa rà YiyvojAevoc yiyvsaOat..
Or ce mouvement a la structure du mouvement même de la
justice 69 Voici en effet ce que le Cratyle nous apprend à ce sujet :
64. Pour cette notion, cf. Timée, 346 : « Quant à l'âme, l'ayant placée au centre
du corps du Monde, il l'étendit (Iteivsv) à travers le corps tout entier et même
au delà de lui et il en enveloppa le corps. Ibid., 36 e. Le Démiurge étendit à
l'intérieur de l'âme du Monde tout ce qui est corporel (CTCûjxaTOStSéç) et faisant
coïncider le milieu du corps et le milieu de l'âme, il les mit en harmonie. » Nous
appellerons (dans le système d'ANAXAGORE) centre et milieu du (TtOjJLaTOElSéç
(c'est-à-dire du mélange primitif) le (TjJUXp6v qui est aussi centre et milieu du vouç.
(Quant au mot étendit — ë-reivev — il suggérerait l'accroissement, logos même
du voûç).
65. La révolution (7rept,Xk>p7]mç) est à chaque instant au bord de l'infiniment petit,
c'est-à-dire aux confins de l'è^aiçv7]Ç : elle constitue donc à chaque fois un
micromouvement de pénétration attaquant sans cesse le toxvtocÔjaou. (Descartes dira
plus tard que Dieu crée le monde à chaque instant).
66. Fr. 12 : xoct Trept^wp^-t. èrcl tcXéov.
67. Cornford {Principium Sapientiae) a montré que le cercle chez les premiers
Grecs s'avère l'illustration même de Y infiniment grand. Cf. à cet effet Empédocle
(fr. 28) : le Sphairos nous est décrit comme étant « sphérique et rond et tout à
fait infini. »
68. A l'exception de l'univers, ou plutôt de l'ensemble des univers innombrables
(ainsi que nous le verrons par la suite) aucun autre être animé ne possède le VOVJÇ
plus longtemps que pendant un laps de temps limité.
69. Cf. pour cette notion, le seul fragment subsistant d'ANAXlMANDRE ; on y voit
Tel autre déclare se moquer de toutes ces explications : il définit
le juste (t6 Sbtociov) d'après Anaxagore en disant que c'est l'esprit
(vouç) ; indépendant, sans aucun mélange, il ordonne, dit-il, toutes
choses en parcourant tout 70.
Et voilà comment le même Cratyle (413 d-e) nous définit
l'injustice (àSixta) :
L'injustice (àSixîa) est essentiellement l'obstacle à ce qui parcourt
(toû 8iocï6vtoç).
Or nous lisons dans le fr. 12 d' Anaxagore que le vouç
... n'est mélangé avec rien (\xi\xzw.xu.i oùSevl xPWaxl) car s'il
était mélangé avec une chose il participerait à toutes les choses 71 ;
et dans ce cas les choses avec lesquelles le vouç serait mélangé
l'empêcheraient (êxtàXuev) 72} de sorte qu'il n'aurait pouvoir (xpaxsïv) sur
rien de la même manière qu'il l'a maintenant, étant seul en lui-même.
O. Johrens (dans sa thèse die Fragmente des Anaxagoras,
Gottingen, 1939) a montré que ce pouvoir (xpàxoç) du vouç est
l'effet de sa connaissance (yvcofi,1/)) 73.
C'est son omniscience qui confère au vouç ce mouvement
corrélatif de Suvajxiç ou de xpdcToç 74, grâce auquel le vouç peut
pénétrer dans les tréfonds de la masse du mélange orginaire et
faire œuvre de justice. En somme la pénétration du vouç à
travers les xp^M-ara primitifs, cause de la SiaxocfZYjaiç, se réduit
à l'exercice du Sixatov ; l'àSixia consistant en l'empêchement
et l'obstacle présentés à ce mouvement ordonnateur.
Remarquons que cette action du vouç, synonyme de la justice,
est la même que celle exercée chez Platon par la partie supérieure
de l'âme, c'est-à-dire justement par le vouç ; action par laquelle
est définie la Sixouoauvv) platonicienne, d'après la République.

la S l X 7] constituer une structure fondamentale régissant le processus du mélange


intime qu'est l'infini anaximandréen : « Et les choses retournent à ce dont elles
sont sorties (c'est-à-dire de cet infini « substance éternelle tt toujours jeune »)
comme il est prescrit (xarà t6 y^ptcùv) ; car elles se donnent réparation (S L X Y] v)
et satisfaction les unes aux autres de leur injustice (à S i X i a ç) suivant le temps
marqué (xaxà ttjv xou XFoVOU xàÇiv).
Cf. Heraclite, fragments 23, 28, 80, 94.
70. Cratyle, 413 c: xoafxeïv Ta ^pày^aTa Sià Tràvrcov î6vTa.
Comparer avec le fr. 41 d'HÉRACLiTE : êv t6 aoç6v, ... èxu6épvY](js 7ràvxa
8ià7rdcVT6>v; et avec Empédocle fr. 135 : fô [xèv toxvtcov Sià ... Téra-
Tai... avec Timée 34 b : <JmX^v ••• S là tcocvt6ç ts ëxeivsv.
71. Puisque n'importe quelle chose contient toutes les autres à la fois.
72. Cf. De anima d'ARisTOTE (III, 4, 429 a, 18): àvâYXï) éepa, èrel toxvtoc
voeï, àtxiyîj sïvai, &<rtzzç> çtjctIv 'AvaÇayàpaç, t'va xpaxîj touto S' èafiv
ïva yvop^T) ' 7rape[x<patv6(Jisvov yàp xoXûei tô àXXéTptov xai àvTi-
çpdcTTEl. Pour cette notion chez Anaxagore cf. aussi le fr. 4: 7rplv Se
àrcoxpiG^vai TauTa toxvtwv ôjjloû I6vt6)v oùSè XP°i^) 2vSï)Xoç v^v oùSe-
|i£a ' à7rexti)Xue yàp ir) CTÛjxjxt^tç TudcvTwv à
73. Cf. fr. 41 d'HÉRACLiTE : i
74. Cf. Johrens (op. cit.).
— 32 —

Ici aussi il s'agit de faire œuvre de justice, grâce justement au


fait que le vouç (ou Xoyictixov) a pouvoir dominateur 75 sur les
deux autres parties inférieures de l'âme qui relèvent de l'élément
corporel et sensible. En définitive nous pourrions dire que le vouç
grâce à son mouvement de pénétration — et partant de justice —
... dc7ro uspaToç etç 7répaç eùpaxmoç xal Sioxxsï rà

Les Homéoméries

Et maintenant, nous aidant des résultats de cette étude sur la


structure interne du mouvement du vouç, demandons-nous ce
que peuvent représenter au juste les xp^ara du mélange primitif
traversés par le vouç; xpri[i<x.r<x qu'Aristote {de Gen. Corr., A, i,
314 a, 18) appelle 6\ioio[iepri.
Burnet est d'avis à cet égard que le terme ôfjt.oio[i.ep7J n'était
pas employé par Anaxagore lui-même. Il pense que
... si Anaxagore avait employé lui-même le terme d'« homéoméries »,
il serait étrange que Simplicius n'eût pas cité un seul fragment le
renfermant 76.
D'après cet auteur, il semblerait que le mot propre d'
Anaxagore serait [xépsa, ou {xoipai (portions), qui ne désignerait que
les qualités opposées, les opposés classiques.
M. G. Vlastos (The physical theory of Anaxagoras) va encore
plus loin : selon lui, les xP7)P-aT<x-[A£p£a signifieraient, dans le
système anaxagoréen, toutes les qualités absolument, à savoir les
8uvàfxet.ç de la doctrine médicale qu'Empédocle aurait déjà
empruntées. Quant aux semences (a7tép[jt,aTa : seul terme nouveau
en matière métaphysique introduit par le Clazoménien) chacune
d'elles contiendraient toutes les qualités ou o\>và|i,s!,ç, c'est-à-
dire la totalité des portions ((j.oïpat.). Nous proposerions, de
notre côté, de donner tout simplement le nom de sensations et
de qualités sensibles aux ô[i,ot.o^sp7) des xP^M-ara du mélange
primitif.
Nous pensons en effet que ce mélange sur lequel domine le
vouç (ou XoytCTt,x6v, d'après Platon) ne peut être autre que
l'élément sensible qui nous est décrit par la République comme
75. &pyzi\> ou xpocTeTv. Cf. République, 441e : Tcji [xèv XoyioTixô) & p ^ s 1 v
TTpCTOCTYjKei, (âpxeiv a ici le même sens que le terme anaxagoréen XpOCTSÏV). Voici
la définition de la justice d'après Platon, définition qui est d'une teneur très
anaxagoréenne : Rép., 444J : t6 8ixociocTÔvr)V èjXTioieïv xà èv ty) <]>uxfl xaT(k
«pûaiv xaOioxâvat. xpaxelv te xal xpatsioBat ûtc' ocXXtjXgjv
(Cette phrase nous suggère l'idée de lien dans le mélange psychique).
76. L'Aurore de la Ph. gr., pp. 304-305.
— 33 —

v et par le Tintée comme le ctoii.aTosiSéç. Laissé


à lui-même, loin de la domination du vouç, ce mélange présente
tous les traits de l'àcracriaCTTOTàTT] [leï^iç, xcd xpaaiç du
Philèbe 64 a : à savoir d'un mixte mauvais par excellence et
aucunement viable qui, bloqué par le désordre et l'injustice de toutes
les sensations incontrôlées qu'il contient, chemine rapidement
vers la dissolution 77.
Ainsi que nous le dit le fr. 4, le mélange primitif est en effet
obstrué par les sensations ou les qualités sensibles: ... «nous
devons supposer que beaucoup de choses et de toutes sortes, sont
contenues dans les choses qui vont s'unissant, semences de
toutes choses avec toutes sortes de formes, de couleurs et de
saveurs» (xpoiàçxal yjSovàç) 78. Nous aurions ainsi en définitive
une continuité de pensée, en même temps qu'une progression
par rapport aux prédécesseurs: Thaïes, Anaximène, Heraclite
avaient posé comme principe de toute chose l'eau, l'air, le feu ;
autrement dit des qualités sensibles. Empédocle, lui, tout en
gardant ces qualités sensibles (auxquelles il ajouta la terre), avait
conçu et placé au-dessus d'elles le couple Amour-Haine ; c'est-à-
dire un principe relevant du Gu^osiSéç (pour parler un langage
platonicien). Mais Anaxagore est allé beaucoup plus loin encore :
d'un côté il a admis, par un processus de généralisation, la
totalité des qualités sensibles (les homéoméries) ; de l'autre il a
substitué au principe du GufxosiSéç empédocléen, le vouç, supérieur
aux sentiments 79.
Pourtant entre ces qualités et le vouç, il n'y a pas de différence
absolue: les xpYjjjiaTa anaxogoréens ne seraient en définitive,
ainsi que nous l'avons signalé au début de ce travail, que l'aspect
que présenterait le vouç à l'état de morcellement et d'émiet-
tement extrêmes. En tant que les produits d'une telle fragmen-

77. Cf. à ce propos les termes caractéristiques du Philèbe :


pàxxouaai (63 d) ; SiaçOeipoucriv (63 e).
De même le nuisible (PXa6sp6v) et le laid (al<7j(p6v), synonymes de l'injuste
(= èy.n68iG\iu, xou Siocïévxoç Cratyle, 413 d) seront définis par le Cratyle, l'un
comme xô pXàrtTOV xov p"ouv (471 e) l'autre comme xo èfX7ro8î£ov xocl î<Jj(ûov xîjç
p*O7)Ç (416 b). D'après Platon, la viabilité est l'apanage seul des bons mélanges»
ainsi que nous le montre le Philèbe, 64 b : « Ce à quoi nous ne mêlerons pas la vérité
(c'est-à-dire le voûç), cela ne pourra jamais vraiment naître, ni, une fois né,
vraiment exister ».
78. A comparer avec Philèbe, 51 b: XP^axa... ox^tjtaTa (fr. 4 : ESsaç)... xûv
6g\L(ùv xàç TrXsioxaç... (introduction des plaisirs purs). Ce dialogue n'a d'ailleurs
comme thème fondamental que le mélange du vouç avec le plaisir (c'est-à-dire
avec la sensation) ; il pose, autrement dit, le même problème au fond que celui
qui concerne le mélange intégral dans l'anaxagorisme.
79. vouç ou XoyKTXtx6v (en terminologie platonicienne). Platon est allé encore
plus loin qu' Anaxagore lui-même : au delà du vouç (ou Être) il a placé un principe
encore plus élevé : le Bien, synonyme de Ia7ïp6voiadu Timée (30 c) qui est Ètcs-
X7]ç oÙCTÊocç (et, par conséquent, du vouç) d'après la République. VI, 509 b.
tation ils recherchent, sous forme d'illimité sans cesse tendu vers
la limite, l'unité qu'ils ont perdue et qui est représentée par cette
dernière.

La Génération

Avec l'adjonction de la limite à la masse indéfinie des/py^ocra


le vouç va agir sur le sperme infiniment petit du futur univers.
Il pénétrera cet ensemble aoùjxaTQSiSéç, (ensemble de toutes les
qualités sensibles) qui se trouve, aux abords immédiats du vouç,
à l'âge le plus jeune de l'existence cosmique.
En le pénétrant, il va l'animer 80 grâce au mouvement de
dissociation et de séparation 81 qu'il va pratiquer aux tréfonds de sa
totale obstruction 88f. A partir de l'instant foudroyant de l's^atcpvYjç
(modalité temporelle de l'adjonction) on assistera avec
l'animation '— par voie de discrimination — de ce sperme au milieu
de la X^Pa à un développement et à un accroissement constants
des xpY)fA<XTa qu'il contient et qui jusqu'alors y étaient invisibles.
C'est ce dont témoigne le contexte du fragment 10 (Schol. in
Gregor., XXXVÎ, 911, Migne, D) qui nous dit que les choses
Siaxpivecr6ai. aù^av6[i.eva 83. Car elles étaient àcpavï) St,à jjuxpo-
[xépeiav 84, aù£av6[zeva Se xaxà [ztxpôv Staxpivecjôau
En somme cette discrimination (qui est corrélative de
croissance) faisant les choses émerger de leur état de petitesse
invisible, constituera le corps de l'univers avec l'ensemble des êtres
et des choses qui y sont contenus.
Or nous avons déjà vu les rapports étroits existant entre au£y)-
criç et è£od<pvY)ç : la source de l'accroissement c'est l'instantané.
C'est dans la fente de cette structure que se cache, avec le vouç, la
racine nourricière de toutes choses. C'est elle qui, sous le nom de

80. Cf. Sophiste, 248 e 249 a : il y a une relation profonde entre le mouvement,
la vie, l'âme et le vouç au sein du TCavTsX&ç 6v.
Cf. surtout le Cratyle, 399 d : ... « voici à peu près, je crois, la pensée de ceux
qui ont nommé l'âme (^UX*)) : c>est ce I™ Par sa présence (ôxav TcapT)) est pour
le corps cause de la vie ». Or ^^X^l» d'après Anaxagore, s'avère être identique au
Vouç (ibid).
81. Fr. 13 : Et quand le voOç commença à mouvoir les choses, il se produisit une
séparation de tout ce qui était mû...
82. Cause de son inertie.
83. Pour le rapport croissance-dissociation, cf. Lois 893 c et 897 a : ^
xai 96ÊGW xai Siàxpictv xal aûyxptoiv.
84. En termes d'ANAXAGORE :
oûSèv ev8t)Xov -5)v ûtto a^i.xp6Ty]Toç (fr- 0—
...TOCÛTOC TOXVTtOV Ô^JLOU SOVTOJV, OÙSè
XpoiY) svStqXoç by oû8e[jua (fr. 4).
cf. Timée, 50 e (le réceptacle) : %b Trapâmxv oyy\\).a oùSçv
5(eiv ècooi...

35 —
85 qui aime à rester invisible M, constitue la nourrice 87 de
l'Univers (ou ensemble de la génération).
Comme nous le dit le Cratyle, 411 d, l'action du voîiç (
ne signifie autre chose en effet que la volonté du devenir.
L'intellect en soi « est le désir du nouveau (vsou scrtç) 88. Or la
nouveauté des êtres signifie qu'ils sont sans cesse dans le devenir ».
Ainsi lorsque nous lisons dans le fr. 12 que le vouç yvwfXTjv
ys 7repl toxvtôç 7ia<rav to^et, nous devons entendre, avec ce
dialogue, qu'il ne fait en somme qu'étudier et examiner la
génération 89, le devenir qu'il est en train d'instaurer 90 grâce à son
mouvement. Or ce mouvement, étant synonyme de la justice, se
traduira par une action de discrimination 91 (xpicriç, Sidcxpiatç).
Le voue, ou epuenç, tel un àSïjXov suprême, va pratiquer, en
pénétrant l'illimité, une section foudroyante: la tojj.7) 92 impliquée
par l's^attpvTjç. C'est cette action de coupure qui réalisera la
discrimination au sein du mélange infiniment touffu ;
discrimination qui aura comme effet, d'après les doxographes, la réunion
des semblables.
Ainsi Simplicius 93 nous dira que Théophraste rangeait
Anaxagore à côté d'Anaximandre : éxsïvoç (se. A^
yàp (p7)(nv sv Tfl Siaxpiast, tou a7tsipou xà cruyysvYJ
85. <pÙ£O"0ai = croître
86. Fr. 21 a : ce qui se montre est une vision de l'invisible (otjjiç àS7)XfOV Ta
çaiv6[i.sva). Heraclite, de son côté, nous dit que la nature aime à se cacher
(fr. 123 : <pu<nç xpÔTrreaGat, cpiXei). Cf. le travail de M. P. M. Schuhl, Adeles et
Phanères (Homo, Études Phil., Toulouse, 1953)
87. Cf. pour cette notion fr. 114 d'HÉRACLiTE : les lois humaines Tpéç»OVTat
U7TO svoç TOU 6eiou (qui n'est que le logos-vouç héraclitéen). Il y a des
correspondances très profondes entre Tpéçsi, XpocTeï, ê^apxeî, nepiyly^evon. (Heraclite,
fr. 114) (cf. Philèbe, 29 c )
88. A rapprocher avec le Cratyle, 414 a-b : ocu£y]V t&v vétov.
89. Ibid, \x\d : la connaissance (yva>[Ji,7)) exprime essentiellement l'étude et
l'examen de la génération (YOV7JÇ).
go. Cf. fr. 3 de Diogène d'Apollonie : « Car il ne serait pas possible qu'il fût
divisé comme il l'est, sans intelligence (ôcvsu VO7)(Jtoç), de façon à garder les
mesures de toutes choses, de l'hiver et de l'été, du jour et de la nuit, des pluies,
des vents et du beau temps. »
91. Heraclite, fr. 66 : to 7u>p èTCX0ôv xpiveî xoù xaTaX^STai.
Cf. Philèbe, 64 a, où le voOç est juge pour tout ce qui concerne le brassage final
du mélange.
92. Cratyle, 413 b : SiaïovTa xal xàovTa èrciTporoûsiv Ta ôVra. Or il y
a un rapport très étroit entre le fait de brûler et celui de couper (cf. Timée, 61 e-
62 a : ôt^TiQTa, TéjAvei, Staxpîvouaa, xsp^aTÎ^ouaa ; Heraclite fr. 58 : ot
YOÛV loCTpol TÉJJLVOVTSÇ, XOctoVTEÇ...)
Pour le mot TOJAT), cf. fr. 3, ainsi que l'établit Zeller (cf. L'Aurore de la Ph.
gr., p. 297, n. 1).
Cette notion de TO[XY] se rattache à la dialectique de Zenon appartenant à
l'univers de la pensée parménidienne. Elle constitue une des structures les plus
fondamentales de la théorie du mélange anaxagoréen (cf. G. Milhaud, Les Philosophet
géomètres de la Grèce, pp. 132-140 ; R. Mondolfo, L'infinito nel pensiero dei Greci,
pp. 176-188),
93. Phys., 27, 2 ; Théophr., Phys. Opin., fr. 4, D. 478.
-36-

izpbç, àXÀv]Xa, xal ôxt, [i,èv sv xq> Tcavxl /puaôç ^v yivsaôat,


Xpuaov, ôxi Se y?), yvjv.
Et Hippolyte 94 : xivyjctsooç Se fi.sx£X£t.v xà jràvxa î>7tô tou vou
x(.voii[xeva auveAÔEtv ts xà ôjjtoia. C'est justement cette action
séparatrice du vouç qui va engendrer 95 les choses dans l'univers.
Celles-ci, tout en étant toujours des mélanges totaux qui
contiennent toutes les autres choses à la fois 96, sont néanmoins
spécifiées et nommées d'après l'élément dont elles contiennent
le plus. Le fr. 12 nous le dit explicitement :
Chaque chose isolée est et était très manifestement ces choses dont
elle a le plus en elle.
C'est cette prédominance dans le mélange, causée par la réunion
des semblables, qui constitue l'individualité de chaque xp9jpi.<x
dans le Cosmos. On pourrait dire, en parlant un langage
platonicien, que le Même 97 qu'est le vouç, en pénétrant l'Autre 98
(qu'est le mélange primitif) répartit ces îlots d'identité que sont
les choses dans le monde organisé, grâce à la constellation
spirituelle ".
En définitive l'individualité des choses dans l'Univers sera
due au fait que, entre toutes les semences que chaque chose
contient, sa propre semence tient une place à part, grâce à la
prépondérance des qualités (Suvà[j,s!,ç) qui la constituent. Et ceci suivant

94. Refut, I, 8, 1 ; D. 561 (tiré de Théophraste).


95. Simplicius, Phys., 300, 27 : xtjv ylvecriv oûSèv écXXo r> sxxpiaiv
eïvoû 9Y]at,,TY]v 8è exxpicHv utto xtjç xivrjaeoç yîveaQtxi, xtjç Se xiv/jaecùç
aïxiov xov vouv.
96. Fr. 6 : ... « elles doivent être maintenant exactement comme elles étaient
au commencement, toutes ensemble ».
97. F.r 12 : vouç Se -koLç ojioîoç êcmv.
98. Fr. 4 : le mélange originaire nous est décrit comme étant composé d'une
multitude d'innombrables semences qui ne se ressemblent en aucune manière :
oùSèv èoix6rcov àXXrjXoiç ; ïbid: oùSè yàp tov àXXcov oùSèv eoixe to sxepov
tco exepcp (cf. Diogène d'Apollonie, fr. 2 : ... àXXà toxvtoc tocutoc èx toû
aÙToû STepoiou[j.Eva àXXoxe àXXota YlvZT0Ll---)
99. Nous pourrions retrouver les Idées majeures du Sophiste cachées, telles des
structures invisibles, dans les tréfonds du mélange intégral anaxagoréen ;
mélange qui, tel un champ fonctionnel, les crée éternellement. Ainsi dans une
première phase (celle de la transcendance et du mouvement de tension du mélange
primitif vers le vouç) l'Être, le Repos et le Même seraient du côté du vouç, tandis
que le non-Être, le Mouvement et l'Autre représenteraient le Mélange primitif.
Dans une deuxième phase (celle de l'immanence du vouç) il y aurait, ainsi que
nous l'avons déjà signalé, renversement des structures : le vouç serait alors
représenté par le mouvement ainsi que par le non-Être et l'Autre (qui séparent) ; le
mélange primitif, devenu Cosmos sphérique parfait, étant régi par l'Être, le Repos
et le Même.
Quant aux entités intelligibles du Phédon, on pourrait dire que les Idées du
Grand et du Petit domineraient le mélange primitif passé à sa dernière limite (celle
de l'extrême petitesse-grandeur), l'Idée de l'Égal-en-soi représentant le vouç.
Enfin, en ce qui concerne les structures suprêmes de la Justice et de la Mesure,
nous pourrions affirmer que la première régirait la pénétration du vouç à travers
XP^ la seconde l'ensemble de la prédominance.
51
le Xoyoç tyjç; fzi^ecoç sur lequel M. G. Vlastos (article cité) a
fort heureusement insisté 10°. Ce logos du mélange, étant
susceptible d'une infinie variation, il y aura un nombre infini de
combinaisons de qualités, donc de semences, par conséquent de choses
différentes, aptes ainsi à naître dans le Cosmos anaxago-
réen.
C'est à la lumière de ces considérations que nous pouvons
interpréter le fr. 17, qui se rapporte au devenir dans le Cosmos:
... rien ne naît ou n'est détruit, mais il y a mélange et séparation
des choses qui sont.... La naissance n'est autre que mélange et la
destruction séparation 101.
Avec le mouvement en effet de la Siàxpiaiç qu'imprime le
vouç à la masse primitive, nous assistons à une sorte de ruée des
choses semblables se séparant (Siaxptvscrôoci.) de tous les coins
de cette masse pour se rassembler et se réunir (aufifJtiyscrGa!,)
une seconde fois, constituant ainsi, du fait de la prédominance
dans cette nouvelle mixtion, les choses individualisées du
Cosmos.
C'est à ce second mélange qu'est due la génération de ces
choses cosmiques. Et ce serait une seconde séparation (Stà-
xpt/nç) qui, faisant disparaître cette prédominance, deviendrait
la cause de leur destruction (to à7i6XXuc70a!,). En somme on
aurait le schéma suivant:
Premier mélange -> mort Première séparation -> naissance
Deuxième mélange —> naissance Deuxième séparation —> mort
qui exprimerait la loi fondamentale du devenir dans le Cosmos
anaxagoréen.

Univers innombrables

Le Cosmos anaxogoréen lui-même ne pourra être à son tour


qu'un ensemble infini d'Univers.
Nous avons affaire ici, en effet, à un système infinitiste par
excellence. Comme le dit Simplicius (460, 4) : où fxovov to
ôXov (juyu,a <X7r£t,pov àvàyxy] t£> [xsyéGst, Xsysiv ocutov, àXXà
xal sxà<TT/)v ô^,ot,o(i,£p£t,av ôjxoiwç xw ôXco rcàvra x
svu7i:àp5(0VTa, xal oùSè aTOipa (jlovov, àXXà xal àmip (k
ami p a.
Et Aristote (Phys., F' (4) 203 a, 23): otiouvtcov (xopicov svvou
fjuyfxa ôfiotcoç Toi tcocvtI Sià to ôpàv otiouv s^ otououv
yiyvojxsvov.
Dans ce système il n'y a pas de particules ultimes : ainsi que

100. Cet auteur nous renvoie pour le X6yoç TTJç Jjû£eo>ç à Empédocle, B, 96 ;
B, 983 ; cf. aussi Aristote, De part, an., 642 a, 22 ; Théoph., De sens., 1 1 (A 86).
101. Cf., pour une idée analogue, Empédocle, fr. 8 et 9.
nous l'avons vu, les xp^^tûc du mélange primitif ne sont que
des totalités composées et infinies.
Il faut donc s'attendre à ce que la division, œuvre du vouç,
aille à l'infini, au lieu de s'arrêter à des éléments irréductibles,
tels les quatre éléments chez Empédocle.
Aussi loin que la division, pratiquée par le vouç, puisse aller,
il n'y aura jamais dans l'univers du Mélange des régions dans
lesquelles la mixtion ne serait plus qu'une simple juxtaposition,
un ptsixTov de structure mécanique 102.
Les choses, nous dit le fr. 8, « ne sont pas divisées ni coupées
les unes des autres avec une hache ». Tout est dans tout. Chaque
parcelle, aussi petite qu'elle soit, contient toutes les autres.
Toujours chaque homéomérie englobera toutes les autres homéo-
méries à la fois dans une mixtion intime et totale.
La division, se perpétuant indéfiniment, ne séparera que des
totalités puisque, en définitive, chaque élément qu'elle isole,
étant de l'Être 103, enveloppe tous les autres ingrédients du Réel.
Par conséquent nous allons assister chez Anaxagore à une
infinité d'ensembles : chaque parcelle de la totalité est aussi un tout
infini 104, capable de constituer, à son tour, la matrice d'un Univers :
car l'on ne peut pas trouver de meilleur type de totalité
que l'Univers.
Nous devons donc conclure que, pour Anaxagore, il y aura
une infinité des mondes. C'est ce que le/r. 4 nous suggère déjà l05.

102. Ainsi que D. Ross (Aristotle's metaphysics, p. 352) se représente le mélange


anaxagoréen.
103. Frg. 3 : « Car il est impossible que ce qui est cesse d'être par la division. »
104. Cf. Parménide, 158 c-d (4e hyp. : Si l'Un est que sont les Autres ?). Ces
Autres — que nous pourrions comparer avec les Xp7)[AaToc du Cosmos anaxagoréen
{postérieurs à l'action du Vouç) — sont illimités et limités en même temps.
Illimités : « Proposons-nous d'en abstraire par la pensée le plus petit fragment
possible. Ce que nous aurons isolé ainsi, n'ayant aucune part à l'Un, ne sera-t-il
pas nécessairement multiplicité encore et non point un ? ... ne sera-t-il pas
multiplicité illimitée ? » (Parm., 158 c).
Limités : « Et pourtant, dès lors que chaque partie, une par une, est devenue
partie, elle se voit immédiatement limiter et par les autres parties et par le tout ».
De même chez Anaxagore chaque XP^OC dans le Cosmos constitué, tout en étant
multiplicité illimitée, n'en représente pas moins une partie.
105. Tout particulièrement le passage suivant : « ...qu'ils ont un soleil et une
lune et le reste comme chez nous ».
Il y a à ce propos une grande diversité d'opinions. Ainsi dans l'antiquité
Simplicius pense qu'il y a une infinité de mondes, selon le Clazoménien, alors
qu'Aëtius témoigne du contraire.
Parmi les modernes Zeller est aussi un partisan de l'unicité du Cosmos,
tandis que Burnet se range du côté de Yinnumérabilité des mondes (cf. L'Aurore,
p. 311, où, à l'argument de Zeller selon lequel les mots « ailleurs que chez nous »
se rapporteraient à la lune, il répond : « Est-il vraisemblable qu'il se soit trouvé
quelqu'un pour dire que les habitants de la lune « ont un soleil et une lune comme
nous ? »).
Dans son livre // infinito nel pensiero dei Greci, R. Mondolfo, prenant une
attitude intermédiaire, opte pour une pluralité non-infinie des mondes chez Anaxagore.
— 39 —

Temporalité infinie

Nous avons vu comment l'illimité du mélange primitif a


« touché » la limite qu'est le voiïç.
L'adjonction de cet illimité à cette limite, étant advenue dans
l'instantané, il est permis d'affirmer que le Cosmos est né tout
d'un coup 108, avec toute la soudaineté de l'intervention du vouç.
C'est justement cetteaction foudroyante de l'Esprit que va ouvrir
la temporalité. Car avant la Siaxàcr^aiç il n'y avait pas de temps,
à proprement parler. Jusque aux abords immédiats du vooç et
juste avant son intervention, on n'était qu'au sein d'une
temporalité sans cesse réversible.
En effet, il suffit d'interpréter les fluctuations de la masse du
mélange primitif en fonction de la deuxième hypothèse du Par-
ménide {le temps et l'être de V Un) 107 pour voir en elle un être qui,
tout comme l'Un qui est, « est et devient plus vieux et plus jeune
que soi ». Plus vieux dans le sens du grand, plus jeune dans celui
du petit ; mais ne comportant jamais un temps ayant la vection
univoque du temps ordinaire.
Or, à la limite, le mélange primitif deviendra, d'un côté (dans
l'ordre de la grandeur), la /topa infiniment vieille, ce que serait le
Cosmos au moment de sa dissolution 108 et de sa mort ; de l'autre
(dans l'ordre de la petitesse), la semence absolument jeune qui
précède la naissance du Cosmos 109.
Ainsi ce n'est guère que dans la région de l'infiniment petit et
de l'infiniment grand, c'est-à-dire justement dans celle de
l'instantané, que nous rencontrons, avec la temporalité la plus jeune
et la plus vieille, le tout du xpov°Ç qu'enveloppe l'éternité du

106. Pour les Stoïciens aussi, influencés par des idées présocratiques, « le monde
arrive, non pas peu à peu, mais du premier coup à sa perfection » :
« Le monde tout entier dès qu'il a été achevé, ordonné par l'art le plus savant et
le meilleur, aussitôt sorti des mains du créateur, brillant et éclatant dans toutes
ses parties, ne reste pas un moment dans un état d'enfance comme il convient
à la faiblesse de la nature humaine et mortelle, mais atteint, dès son début, son
point de jeunesse et de maturité. »
Cf. Chrysippe et l'ancien Stoïcisme, p. 146, d'É. Bréhier (qui cite Dion Chry-
sostome, or., 38, 51.)
107. Hypothèse dans laquelle l'Un-qui-est se présente comme le mélange de
l'Un et de l'Être. (Cf. notre Causalité du Bien et la métaphysique du mélange
platonicien.)
108. Cf. le mythe du Politique qui nous décrit, au fond, le même état des
choses.
109. Les XpYj^axa du mélange originaire qui tendent à devenir simultanément
plus jeunes et plus vieux que soi, sombrent à la limite dans l'inexistence — existence
totale simultanément par excès de jeunesse et par excès de vieillesse (Illustration
biologique de cet être qu'est la semence unique et infiniment condensée du mélange
primitif et de son processus absolument analogue à celui de l'acte sexuel). Cf. l'infini
d'ANAXlMANDRE, [lXy[La à la façon du mélange originaire anaxagoréen, qui nous
est décrit comme une substance éternellement jeune (Hyppol., Réf., I, 6 ; R. P.,
17 a ; P. V., 2, u, ï)-
Soudain. C'est à partir de ce moment que le temps proprement
dit, produit de la mixtion de la Spatialité et du vouç, parallèle au
Cosmos no, commencera à s'organiser.
L's£ai<pvY)ç-££amv/)ç de la Siax6<T[jt,7)cn,ç (qui constitue,
ainsi que nous l'avons vu, la racine nourricière de l'Univers)
sera sa source, son origine.
C'est ainsi que Simplicius (Phys., 1121, 21) nous dit qu'Anaxa-
gore était parmi ceux qui an' àpxYJç... /povou Soxoucrt, Xéysiv
Ysyovévat, tov x6cr{xov... "yjp£[i.ouvTtov yàp tov 7upô tou XP°~
ûcp'
vov Ttov ovtcov, x[v7](7iv EyyEvÉaOat, çaaiv Ûtco tou vou, ^ç
ycyovsvat tov xoafxov.
L'è^a7rivv]ç-£^a[(pvy)ç originaire, racine de la temporalité,
va se monnayer nl en une série temporelle ininterrompue.
L'alternance que nous remarquons tout le long du fr. 12 entre les
expressions se référant à l'extra-temporalité de l'instantané et celles qui
se rapportent à l'instance graduelle du temps ordinaire est à cet
égard bien significative. Ainsi, par exemple, presque tout de
suite après la phrase : tyjç TCpixcopvjO't.oç tyjç <7Ufj,7ràory)ç vouç
éxpaTTQCTsv, nous lisons : xal TcpwTov dbro tou «Tfxtxpou yjp-
£octo Tzzpixoipeïv, ènl Se nXiov nepix<ùpeZ xal 7repi/ûip^(ret ènl
7rXéov. Par la suite, nous avons de nouveau des expressions d'im-
médiateté : eyvco... SiEXoapiYjO's... é7roi7]cr£v, qui sont alternées
une fois de plus par des termes caractérisant le cours graduel du
Xpovoç : bizoïa. l[xeXXev iaeaQa.1 xal ottoctoc ^v, àcicra vuv [xyj
kaxi xai bnolà s<jti, etc.
Or l'instantané, infiniment petit et infiniment grand de la
Temporalité, illustration parfaite du Toujours, se traduira
dans l'ordre temporel par un temps infini : la limitation de
l'indéfini qu'il réalise (en vue de la Staxocrpi^criç) durera
indéfiniment. La doxographie nous fournit, à ce sujet, deux textes
suggestifs :
Simplicius (Phys., 1185, 9) nous dit que EuSvj[i,oç (fr. 71) \xi\x-
<p£Tou tco 'Ava^ayopa où piovov cm \xf\ TcpoTspov ofeav àp^aa'-
Oat 7T0T£ XÉyEl T7]V XlVVJCTlV, OÙX OTl XOil 7C£pl TOU Sia[X£V£l.V 7]
XY)^£!,V 7T0T£ TOXpÉXlTCV £t7T£tV, XatTCEp OUX OVTOÇ ÇOCVEpOU.
Et (dans Phys., 154, 29) : tov 'Ava^ayopav Xzyziv &na.£,
y£VO[X£VOV TOV X0C7[i,0V £X TOU (jUyfjiaTOÇ SiafXEV£t,V ÀOI,7CÔV Û7T0
TOU VOU £9£CTTC0TOÇ St,Ot,XOU(Jt.£VOV T£ Xal SiaXpt,VO[X£VOV.
La Biccxoayiriaiç durera aussi longtemps que résistera la
complication, l'illimitation du mélange primitif 112.
110. Tout comme c'est le cas dans le Timée.
in. Nous utilisons ici ce terme dans le même sens que celui qu'HÉRACLiTE
donne à l'àvToc[J.oi67) : 7iup6ç te àvTa[xoi6r) xà toxvtoc xal 7iup àreàvrciv
8xa>cTTcep xpuoou /p^ara xal XP7ltJLaT6)V XPUCT^?-
112. Étant donné que la 8iax6o"[ji,7]C7iç va à l'infini et que la possibilité des
combinaisons (selon le X6yoç TTJç [jL^ecùç) est illimitée, dans le Cosmos anaxagoréen
Or la complexité de ce mélange nous est apparue d'une inex-
tricabilité infinie; nous devons par conséquent présumer que,
chez Anaxagore, il n'y aura pas de rythme alternatif en ce qui
concerne sa conception cosmogonique comme c'est le cas pour
Empédocle : La Siaxocr{X7]CTtç (et, avec elle, la temporalité qui
lui est parallèle) se fera chez lui fazatJc, (ainsi que le souligne Aris-
tote) et durera à jamais. Avec son système nous aurons à faire à
une vection toujours directe du temps, à une temporalité
éternellement ouverte, du sein de laquelle jailliront sans fin, par une
sorte de ségrégation spirituelle, les Univers innombrables.

INDEX BIBLIOGRAPHIQUE

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Caractéristique de ce fait est, à ce propos, la petite anecdocte suivante de la vie d'
Anaxagore que nous rapporte Diogène Laerce (II, 10) : Tcp6ç xe tov sItoSvtoc, eî rà
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N. Boussoulas.

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