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LA TRANSCRIPTION LOGISTIQUE
DU
RAISONNEMENT
(Suite et fin *)
*) Voir Revue Nio Scolastique de Philosophie, août et novembre 1924, pp. 299-
324; 417-451.
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1) Les principales lois de l'implication matérielle, dont les logisticiens ont fait
une analyse très fouillée, se trouvent récapitulées dans Principia mathematica,
I, p xiv ; Burali-Forti, Logica matematica, 2e éd., pp 249-251.
Elles se déduisent (Russell) d'une série de propositions primitives et de la
définition de l'implication donnée au n° 17, ou bien (Burali-Forti) de propos
itions qui conduisent à la même conception de l'implication.
L'implication matérielle se vérifie dès que de deux propositions p et q la pre
mière est fausse ou la seconde vraie ; son acception est beaucoup plus large que
celle de la relation P < Q que nous avons définie au n° 9 et qui traduit le sens
ordinaire de la proposition conditionnelle. D'où toute une série de propositions
paradoxales qui ont soulevé de vives critiques. L'implication stricte de M. Lewis
{The calculus of strict implication. Mind, avril 1914, pp. 240 248) correspond
exactement au sens usuel delà proposition conditionnelle. Il semble parfaitement
possible de fonder la logistique sur l'implication stricte; il y a d'ailleurs toujours
moyen de traduire les implications matérielles en termes d'implication stricte.
2) Puisqu'une proposition universelle se traduit par une implication formelle,
la proposition particulière, qui est la contradictoire d'une proposition universelle,
peut se rendre par la négation d'une implication formelle.
3) Les démonstrations7 des logisticiens sont ordinairement abrégées. On trou
vera des exemples de démonstrations in extenso dans Peano, Formulaire, 4e éd.,
p. 15, et Revue de Mathématiques, tome VU, p. 18; Couturat, Revue de Meta-
La transcription logistique du raisonnement 63
dun°6. Les problèmes qui concernent ces relations (Vorlesungen, III, pp. 130sq ,
201 sq.) offrent l'exemple à peu près unique d'une méthode de calcul (appelée
par Schroder le calcul à cinq chiffres) qui résout des problèmes logiques aussi
facilement que des problèmes arithmétiques élémentaires.
1) Le cas où l'on a R2 =-R mérite une mention spéciale. Le rapport /?« = /?
signifie que non seulement R'OR (que la relation est transitive) mais qu'en outre
RiR2: donc que si la relation R existe entre deux termes x et z, il y a entre ces
mêmes termes la relation /?2; qu'il y a donc un terme intermédiaire y avec qui x
ait la relation R, et qui ait la relation R avec z. S'il s'agit d'une série de points
successifs, et qu'on ait pour leur relation 5 de succession le rapport S2 =- S, il y
aura toujours, indéfiniment, entre deux points x et z un point y qui suive x et
soit suivi par z. La série engendrée par S constitue une série condensée, une
suite « continue » de points.
2) Schroder, Vorlesungen, III, pp. 178 sq., pp. 337 sq.
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et les idées; cette correspondance, n'eût-elle même pas été voulue, suffirait à
faire du symbole le signe de l'idée, le représentant de l'idée.
Parfois, pour économiser les explications, un logicien se contentera de définir
l'usage d'un signe, sans préciser s'il y répond une notion. Le procédé a été em
ployé en grand par Burali-Forti qui définit de la sorte (comme « opérateurs »,
Logica matematica, pp. 110 111) les signes des «fonctions» logiques et mathé
matiques Cette manière notninaliste de parler peut prêter à malentendu, mais
les symboles en question ont un sens parfaitement intelligible dans un contexte
donné.
Quand les logisticiens parlent de symboles privés de sens, ils n'entendent pas
par là des symboles auxquels rien ne répond d'intelligible, mais des symboles
dont le &ens va être déterminé indirectement par les lois des déductions, où
ils interviennent. Cf. Couturat, Revue de Métaphysique et de Morale, 1904,
pp. 1044 sq , et 1906, pp. 246 sq.
1) Nous n'insistons pas sur le fait, plutôt accidentel, que parfois l'une ou l'autre
proposition primitive n'est pas réduite en symboles.
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1) L'égalité par définition de deux symboles n'est pas la même chose que
l'identité logique de deux notions Pour plus de simplicité nous avons jusqu'ici
négligé cette distinction d'idées et la distinction correspondante de notations.
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moment contrôlables par l'intuition et qui est d'un caractère purement mathé
matique » (Vorlesungen, I, p. 157).
Tel quel, le calcul de Schroder ne peut être confondu avec les tentatives
informes de de Morgan pour faire intervenir les nombres dans la logique ou
avec la quantification du prédicat de Hamilton. Schroder exclut systématique
ment de son ouvrage les études fondées sur les calculs numériques (Vorlesungen,
I, p. 715); il se montre très opposé à la terminologie et aux conceptions de
Hamilton (Vorlesungen, II, pp. 100-101).
La logistique des classes ne dépend en rien de la science des nombres ; mais
elle est dans les rapports les plus intimes avec la théorie mathématique des
ensembles. Le parallélisme des deux théories a été esquissé dans un article de
Dufumier, Revue de Métaphysique et de Morale, 1916, pp. 623-631. Les non-
mathématiciens trouveront un exposé de la théorie des ensembles dans Couturat,
De l'infini mathématique, pp. 617-655.
1) Voir Principia Mathematica, I, pp. 63 sq. et H. Poincaré, Revue de Méta
physique et de Morale, 1906, pp. 303 sq., ou Science et Méthode, pp. 201 sq.
2) Un autre paradoxe aisé à saisir est celui des classes qui ne sont pas membres
d'elles-mêmes. Les Principia Mathematica (I, p. 63) l'énoncent sous la forme
suivante : Soit w la classe de toutes les classes qui ne sont pas membres d'elles-
mêmes. Alors, si x représente une classe quelle qu'elle soit, « x est un w » équi
vaut à « x n'est pas un x ». Par suite, en donnant à x la valeur w : « w est un w *
est équivalent à « w n'est pas un w ».
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1) Malgré le développement de cette étude nous avons dû plus d'une fois simp
lifier l'exposé et les notations des théories logistiques.
2) Les vulgarisateurs de la logistique lui ont fait plus de mal que de bien en
insistant sur la facilité « mécanique » qu'elle introduit dans les déductions. La
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logistique ne supprime pas la pensée ; elle crée une machinerie qui la facilite.
Ses formules, comme celles des mathématiques, effectuent « mécaniquement »
Jes déductions les plus simples ; elles déchargent l'esprit de cette besogne sans
intérêt et lui permettent ainsi d'aborder des problèmes complexes de raisonne
ment, où l'intelligence trouvera amplement à s'employer. Refuser tout allégement
à la pensée serait aussi déraisonnable que de ne jamais vouloir faire les opéra
tions arithmétiques que sous forme « raisonnée ». Les artisans des cathédrales
construisaient sans l'aide de la machinerie moderne ; s'avisera-t-on, pour la
beauté du geste, de revenir à leurs procédés ?
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1) La logistique produit également selon Russell < toute une révolution dans
la philosophie de l'espace et du temps » en résolvant les antinomies qu'on avait
cru trouver dans la théorie de l'infini et du continu. « Les théories réalistes qu'on
croyait contradictoires ne le sont pas ; les théories idéalistes ont perdu leur raison
d'être ». Russell, L'importance philosophique de la logistique. Revue de Méta
physique et de Morale, 1911. pp. 281-291.
2) Russell, art. cité, p. 290.
3) Ibid., pp. 289-290. Russell parle lui-même (toc. cit.) de réalisme scolastique.
«Le néo-aristotélisme est né», s'exclame en parlant de lui M. P. Boutroux (Revue
de Métaphysique et de Morale, 1913, p. 120).
4) II s'en faut de beaucoup, à vrai dire, que le néo-réalisme de Russell ait
rallié tous les admirateurs de sa logistique. A preuve les critiques de Dufumier,
Les théories logico-mètaphysiques de MM. B. Russell et G. Moore. Revue de
Métaphysique et de Morale, 1909, pp. 620-653; Rougier, Les paralogismes du
rationalisme, Paris, Alcan. 1920, pp. 286-293. — Voir également Winter, Méta
physique et logique mathématique. Revue de métaphysique et de morale, 1905,
pp. 589-619.
5) Dans son étude sur La Philosophie de Leibniz (trad, franc., Paris, Alcan,
1908, p. 54) Russell prétend établir que toute théorie de la substance part du
« praedicatum inest subjecto ». Les critiques d'ordre logique dirigées contre ce
principe atteindraient à la fois le monadisme de Leibniz et tout substantialisme
quel qu'il soit.
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