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MÉMOIRE DE DEA
septembre 2004
REMERCIEMENTS
Qu’il me soit permis ici d’exprimer toute ma gratitude envers celles et ceux qui
m’ont aidé à mener à bien le présent mémoire de DEA.
Tout d’abord, je tiens à remercier particulièrement Françoise Demaizière pour avoir
accepté de diriger ce travail et m’avoir prodigué conseils et encouragements chaque fois que
cela s’est avéré nécessaire.
Ensuite, mes remerciements vont également aux autres membres du corps enseignant
de l’Université Paris III-Sorbonne Nouvelle dont les séminaires ou interventions ont nourri
ma réflexion.
Par ailleurs, je souhaiterais remercier la société Edulang, mes condisciples
Dominique Blaizot et Isabelle Salengros, ainsi que toutes celles et tous ceux qui m’ont permis
d’étoffer mon corpus de questionnaires et de logiciels.
Enfin, je tiens à exprimer toute ma reconnaissance, d’une part, envers ma tante
Françoise Pluies qui m’a accueilli et soutenu durant cette année de DEA ; d’autre part, envers
Audrey, Meihdi, Hervé, Séverine et Rodolphe car leur soutien moral et leur appui logistique
ont grandement contribué au bon déroulement de cette étude.
SOMMAIRE
Introduction
Nous nous intéressons à l’apprentissage des langues assisté par ordinateur (ALAO) et
dans la présente contribution, nous proposons une réflexion sur le caractère ludique des
ressources multimédias (en ligne ou hors ligne) consacrées à l’apprentissage du français
langue étrangère (FLE).
À travers Internet et les cédéroms, les technologies de l’information et de la
communication (TIC) connaissent depuis quelques années un essor considérable et suscitent
un engouement certain dans les milieux de l’enseignement / apprentissage des langues.
Si nombre d’enseignants n’hésitent pas à monter dans "le train de l’évolution
technologique"1, ils sont aussi légion à pointer les dérives technicistes, à stigmatiser l’absence
de réflexion pédagogique et à considérer comme des "gadgets" ce que certains partisans des
TIC qualifieraient d’"outils".
Afin de tenter de dépasser une vision manichéenne du problème, il nous semble
nécessaire de réfléchir à une utilisation éclairée de ces "nouvelles" technologies et de
s’interroger, entre autres, sur le caractère ludique des activités destinées à l’apprentissage du
FLE dans les environnements multimédias. La dimension ludique affichée ou annoncée est
elle avérée ? Les jeux proposés à l’apprenant de FLE dans ces environnements sont-ils
réellement ludiques et dans quelle mesure le sont-ils ? Comment se présentent ces jeux ou ces
activités ludiques2 ? La composante ludique motiverait-elle l’utilisation des ressources
multimédias par les enseignants de FLE ? Jouer à l’aide des TIC va-t-il de soi pour
l’enseignant ou pour l’apprenant de FLE ? Quels sont les apports et les limites du jeu
multimédia ? Quels sont les critères qui permettraient de mesurer le caractère ludique d’une
activité multimédia ? Faut-il choisir entre jouer ou apprendre ? S’agit-il de deux activités
antagonistes ou complémentaires ? Tel est l’ensemble de questions connexes que nous allons
traiter et auquel nous essaierons d’apporter des éléments de réponse dans les lignes qui
suivent.
Dans une première partie, nous présenterons le cadre théorique ainsi que les notions
et les concepts-clés sur lesquels s’appuie notre réflexion. Puis, dans une deuxième partie, nous
procèderons à une analyse de données collectées dans des cédéroms et des sites Internet ayant
1
Expression que nous empruntons à Maguy Pothier (Pothier, 1998 : 134).
2
Nous emploierons indifféremment ces deux termes, car nous les considérons, avec d’autres, comme
interchangeables. Nous aborderons par la suite les raisons de cette équivalence (voir le point 1.3.4.2.2. "Les
apports du jeu multimédia à l’apprentissage des langues").
1
trait à l’apprentissage du FLE, ainsi que dans des questionnaires recueillis auprès
d’enseignants de FLE. Cette deuxième partie sera, par ailleurs, consacrée à l’interprétation des
résultats ainsi qu’à la proposition de perspectives méthodologiques.
2
3
1. Articulation du jeu, de l’apprentissage et des TIC
Avant de définir le cadre théorique autour duquel notre réflexion s’est organisée et de
répondre, entre autres, à la question "les jeux destinés à l’apprentissage du FLE dans les
environnements multimédias sont-ils réellement ludiques ?", nous allons tout d’abord
expliciter les motivations qui nous ont amené à choisir ce cadre et présenterons l’organisation
de ce dernier.
Premièrement, afin de caractériser la dimension ludique3 des activités proposées à
l’apprenant de FLE, il nous a semblé nécessaire de nous interroger, d’une part, sur la
signification de termes tels que jeu, apprentissage et TIC qui ont été particulièrement
opératoires dans les prémices de notre étude et, d’autre part, sur leur articulation.
Deuxièmement, outre la clarification des notions et des concepts-clés, cette phase
définitoire devrait nous permettre de mieux appréhender voire d’essayer de dépasser les
discours. D’une part, le discours notamment remis en question par Anthippi Potolia et Marie
Anne Mochet selon lequel "parce que c’est du multimédia, c’est mieux, c’est interactif, c’est
ludique" (Potolia & Mochet, 2002 : 26). D’autre part, le discours qui fait l’association entre
l’originalité ou la nouveauté4 des TIC et leur capacité à faciliter l’apprentissage. Cette remise
en cause des discours liés aux TIC est un point commun que nous partageons également avec
d’autres auteurs.
Prenons, par exemple, ces propos de Jean-François Rouet : "selon une idée répandue,
ces systèmes sont intrinsèquement porteurs de nouvelles opportunités d’apprentissage, de par
les nouveaux modes d’accès à l’information qu’ils proposent […]. En intégrant l’usage de ces
systèmes dans les pratiques pédagogiques, on permettrait aux élèves de développer
3
Nous emploierons indifféremment dans le présent travail "caractère ludique", "dimension ludique",
"composante ludique" pour désigner "ce qui relève du jeu" dans une situation donnée. Nous proposerons par
ailleurs "ludicité" avec le même sens. Bien qu’il ne semble pas existé dans la littérature consultée, ce terme
permettrait de faire l’économie des précédents.
4
Afin de nous démarquer des discours sur la nouveauté, nous retiendrons le terme TIC au détriment de celui de
NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), une appellation d’ailleurs considérée
comme ancienne dans le glossaire de la revue ÉLA (ÉLA, n°110 : 136).
4
spontanément de nouvelles compétences de lecture, compréhension, recherche et production
d’informations" (Rouet, 2000 : 9).
Serge Pouts-Lajus, spécialiste des TIC, souligne lui aussi le fait que "la vogue
actuelle du multimédia et d’Internet ne doit pas faire oublier que la construction des
connaissances individuelles exige d’autres moyens que la simple navigation libre dans une
base d’information, fût-elle hypermédia, ou que l’échange de messages électroniques, fût-ce
via un réseau planétaire" (Pouts-Lajus, 1997 : 8).
Françoise Demaizière, didacticienne des langues et spécialiste de l’utilisation des
technologies pour la formation et l’ingénierie de formation, propose comme ces différents
auteurs de dépasser les discours et de ne pas "se laisser inutilement impressionner par le
miroitement médiatique" (Demaizière, 1996 : 27). Selon elle, "ce n’est pas [non plus] parce
que le multimédia devient de plus en plus courant dans la vie quotidienne (dans celle de
certains du moins) que l’on va apprendre d’emblée, sans médiation pédagogique aucune,
grâce à un logiciel multimédia" (Demaizière, 1996 : 26).
Ainsi, à l’instar de ces différents spécialistes, nous souhaiterions nous démarquer des
discours qui ont trait aux TIC en général et au multimédia en particulier. Dans cette optique,
nous n’établissons pas de lien de cause à effet entre la simple utilisation des TIC5 et
l’acquisition de connaissances par l’apprenant6, ni ne prêtons aux "nouvelles" technologies un
caractère ludique qui serait inhérent à leur utilisation7.
Enfin, par notre cadre théorique, nous espérons, d’un côté, mettre en exergue
l’importance d’une réflexion préalable à l’utilisation des TIC pour l’apprentissage des langues
et, de l’autre, inscrire notre recherche dans la continuité des travaux sur l’apprentissage des
langues assisté par ordinateur (ALAO), un domaine défini en ces termes dans un numéro de la
revue Études de linguistique appliquée (ÉLA) coordonné par Thierry Chanier et Maguy
Pothier : "Domaine de recherche et d’application intégrant les systèmes d’information et de
communication en vue de modéliser l’apprentissage d’une langue, ou d’étudier comment ces
systèmes peuvent être utilisés comme outils d’aide à l’apprentissage, ou encore de concevoir
de nouveaux systèmes d’aide à l’apprentissage et d’étudier leurs influences sur cet
apprentissage" (Chanier & Pothier, 1998 : 135).
5
À ce sujet, selon F. Demaizière, le simple parcours d’un cédérom sur tel musée ou tel peintre n’implique pas
forcément qu’on ait appris l’histoire de l’art. Il ne faudrait donc pas ignorer "les frontières entre information,
sensibilisation et formation, savoirs" (Demaizière, 1996 : 26).
6
"Terme générique qui désigne toute personne engagée dans l’acquisition de nouvelles attitudes, connaissances,
habiletés" (Legendre, 1993 : 66). Nous retiendrons le terme d’apprenant, car il évoque une posture active et ne se
limite pas au monde scolaire (Defays, 2003 : 94).
7
Ce dernier point, qui semblerait nous être plus personnel, sera traité plus amplement par la suite (voir page 38 à
page 54).
5
1.1.2. Le jeu : une entrée cohérente
Pour les motifs évoqués ci-après, nous préciserons qu’en plus de viser le
dépassement des discours, dans notre cadre théorique, nous avons adopté le jeu pour point
d’entrée principal. D’une part, du point de vue de l’organisation de notre réflexion, le terme
de jeu semble constituer le meilleur dénominateur commun voire la meilleure charnière8 entre
les différents volets de notre étude : l’apprentissage du FLE et les TIC. Réfléchir à "qu’est-ce
que le jeu ?" pourrait nous permettre d’entreprendre une meilleure description du jeu
multimédia9, d’étudier les rapports entre jeu et apprentissage et donc d’apporter des éléments
de réponse à la question centrale de notre recherche : "les activités destinées à l’apprentissage
du FLE dans les environnements multimédias revêtent-elles un caractère ludique ?".
D’autre part, adopter le jeu comme point de départ de notre discussion garantira,
selon nous, une progression cohérente : aller de ce que nous savons du jeu vers ce que nous
pouvons en faire dans le cadre de l’enseignement / apprentissage des langues.
De même, ce cheminement nous paraît d’autant plus logique que nous considérons
qu’à l’ère des TIC, l’apprenant de FLE semble non seulement devoir s’approprier de
nouveaux contenus d’apprentissage, mais aussi devoir gérer de nouveaux supports
pédagogiques au rang desquels figure le jeu multimédia10.
Sur ce dernier point, les remarques de Louis Porcher sont particulièrement
intéressantes : "ce qui est nouveau, c’est que désormais des individus se proclament
spécialistes de la chose et fournissent des matériels pédagogiques totalement banals sous des
appareillages technologiques radicalement nouveaux" (Porcher, 2004 : 75).
Nous ne partageons que partiellement ces propos de L. Porcher. Certes, nous reconnaissons
que, dans ces nouveaux supports pédagogiques, l’objet d’apprentissage est toujours le même :
la langue. Néanmoins, nous serons moins catégorique quant à cette auto proclamation
"d’individus" qui profiteraient de leur statut pour mystifier l’apprenant.
Pour ce qui est de la mystification, Jean-Jacques Favel semble abonder dans le sens
de L. Porcher lorsqu’il écrit : "La lecture des supports récents destinés à l’école élémentaire
montre bien que […] nombre de pseudo-jeux ne sont que des exercices structuraux déguisés"
8
Cette position du jeu en tant qu’organisateur de notre réflexion est en partie à l’origine du titre de notre travail. 9
Une définition du jeu multimédia est proposée dans la suite du développement (voir page 34). 10 L’analyse que
nous ferons ultérieurement d’un site Internet et de cédéroms consacrés à l’apprentissage du FLE devrait être
éclairante sur ce point.
6
(Favel, 2003 : 57). Deux questions s’imposent à nous : l’habillage technologique est-il réel ou
s’agit-il d’un différend terminologique où les uns appelleraient "exercices" ce que d’autres
désigneraient par "jeux"11 ?
Là encore, des éléments de réponse se trouvent peut-être du côté de l’analyse
ultérieure que nous ferons des activités ludiques ou des jeux proposés sur Internet et dans les
cédéroms.
S’il peut paraître aisé pour tout un chacun de citer sur-le-champ un nom de jeu (qu’il
soit de société, télévisé, radiophonique ou de toute autre nature), il n’en est pas de même
lorsqu’il s’agit de définir clairement la notion de jeu et d’essayer d’en tracer les limites. Aussi,
sans pour autant renoncer à cette entreprise a priori complexe ni réaliser une étude sur le jeu
aussi fournie que celle qui a été notamment menée par Barbara Silverberg-Villez dans sa thèse
(Silverberg-Villez, 1994) ou par Gilles Brougère (Brougère, 1995), nous allons tenter de
délimiter à notre tour cette notion.
Premièrement, nous rappellerons à l’instar de B. Silverberg-Villez que "le jeu a été
un objet d’étude tant pour des historiens, des sociologues, des ethnologues, des psychologues
que des éducateurs et des linguistes" (Silverberg-Villez, 1994 : 3). Face à cette multiplicité
des études sur le jeu et à la diversité des domaines qui s’y sont intéressés, nous avons nous
aussi décidé de ne retenir que les travaux qui se sont "consacrés à l’étude du jeu de façon
précise" (Silverberg-Villez, 1994 : 3), fussent-ils anciens, ainsi que ceux qui ont abordé la
dimension pédagogique du jeu.
Deuxièmement, nous avancerons que la définition du jeu présenterait une certaine
complexité de par la diversité des phénomènes auxquels ce vocable renvoie. À la suite de G.
Brougère, nous pouvons nous interroger sur le point commun "entre deux personnes se livrant
à une partie d’échecs et un chat poussant une balle, entre des pions noirs et blancs sur un
damier et l’enfant berçant une effigie humaine […]. Et si le point commun était l’utilisation
du terme" (Brougère, 1995 : 12). L’hypothèse ne semble pas dénuée d’intérêt, mais elle ne
sera pas l’objet central du présent travail. Il ne s’agira pas tant pour nous de savoir pourquoi la
11
Ce différend terminologique serait une survivance du passé (voir ci-après 1.3.2.4.2. "Le jeu éducatif"). 7
notion de jeu est employée ni "pourquoi des activités aussi différentes ont, dans notre langue
et quelques autres, été désignées du même terme" (Brougère, 1995 : 12) que d’essayer de
répondre à la question : "quelle est la composante ludique12 de l’activité multimédia13 proposée
à l’apprenant de français langue étrangère ?".
Ensuite, nous ferons remarquer qu’en soulignant la complexité et le caractère
polysémique du jeu, nous ne cherchons pas à éluder la réflexion, loin s’en faut. Nous
souhaiterions au contraire faire de ces deux caractéristiques la pierre angulaire de toute
démarche visant à clarifier le terme de jeu ou s’y intéressant.
Par ailleurs, admettre que le jeu peut servir à dépeindre des situations fort différentes
ne nous permettrait pas, selon G. Brougère, de disposer d’un concept de jeu clair et univoque,
mais nous inciterait plutôt à parler d’une notion (Brougère, 1995 : 25). Toutefois, loin de
"jeter le discrédit sur un terme aussi usuel" (Brougère, 1995 : 14), la diversité des situations
qualifiées de jeu et la polysémie du terme impliqueraient d’observer de plus près le contexte
dans lequel il est fait référence au jeu. C’est notamment ce que nous propose de faire G.
Brougère.
En effet, d’après ce spécialiste du jeu en éducation, pour comprendre ce qu’est le jeu,
il pourrait s’avérer utile de s’intéresser à la part d’interprétation du réel que suppose le terme
et d’avoir à l’esprit le fait que le langage fonctionne dans un contexte social. Ces idées sont
notamment développées dans les extraits suivants : "l’utilisation du terme jeu doit [donc] être
comprise comme un fait social : une telle désignation renvoie à l’image du jeu que l’on trouve
au sein de la société où il est utilisé […]. La langue ne livre pas la vérité sur le réel, mais une
interprétation de celui-ci" (Brougère, 1995 : 15).
12
Nous empruntons ce terme à F. Demaizière et à Colette Dubuisson (Demaizière & Dubuisson, 1992 : 55). 13 Par
ellipse, nous désignerons par "activité multimédia" toute activité se déroulant dans un "environnement
multimédia" (voir plus loin la définition de ce dernier terme).
8
(Brougère, 1995 : 25), nous nous distinguons néanmoins de ce spécialiste du jeu en éducation
par certains points.
Tout d’abord, loin de prôner la suspicion à l’égard "des auteurs qui procèdent comme
si un concept de jeu univoque existait" (Brougère, 1995 : 25), nous jugeons plus pragmatique
l’attitude qui consisterait à encourager a priori toute initiative allant dans le sens d’une
définition du jeu fût-ce à en préciser ultérieurement les limitations.
Ensuite, nous serons moins catégorique que G. Brougère lorsqu’il commente les
propos de Ludwig Wittgenstein et qu’il écrit : "il est stérile de vouloir légiférer sur ce qui est
jeu, ce qui ne l’est pas" (Brougère, 1995 : 25). La nuance serait d’autant plus de mise que G.
Brougère semble osciller entre "l’absence de délimitations des concepts" (Brougère, 1995 :
24) voire "l’impossibilité de délimiter le concept de jeu" (Brougère, 1995 : 25) et
l’établissement d’une limite ad hoc, tracée dans "un but particulier" (Brougère, 1995 : 25).
Nous nous rapprochons, quant à nous, de cette limite établie pour les besoins d’une situation
particulière, car une telle conceptualisation nous paraît non pas illusoire ni immuable, mais
nécessaire et opératoire.
En dernier lieu, il ne nous semble pas souhaitable d’entretenir "ce flou" (Brougère,
1995 : 25) autour de la notion de jeu sous prétexte qu’"il n’y a pas de règles a priori qui
prescrivent l’usage légitime du mot jeu" (Brougère, 1995 : 25). L’absence de règles ne
constituerait-elle pas une règle en soi ? En s’appuyant sur l’analyse du discours, n’y aurait-il
pas lieu de tenter d’établir une typologie des "paradigmes désignationnels"14 qui se rapportent
à la notion de jeu ? L’analyse d’interactions verbales notamment entre enseignants et
apprenants ne permettrait-elle pas de dégager "un répertoire didactique"15 qui viendrait
clarifier cette notion de jeu ? Ces quelques remarques nous amènent à nous intéresser à
présent à la façon dont le jeu a été conceptualisé ou défini par divers auteurs.
14
L’expression "paradigmes désignationnels" est employée par Marie-Françoise Mortureux qui travaille sur
l’analyse du discours (Mortureux, 1993 : 123).
15
Abordé lors de la journée d’études organisée par Francine Cicurel à Paris III le 12 février 2004, le terme de
"répertoire didactique" pourrait utilement être étendu, selon nous, à la façon dont l’enseignant amène le jeu dans
la classe.
9
1.3. Définition du jeu et de ses dérivés
En premier lieu, avant d’en venir à une définition du jeu qui servira à étayer nos
analyses ultérieures de sites Internet et de cédéroms, nous allons revenir sur l’acception du jeu
chez différents auteurs16. Ces derniers sont parfois à l’origine de travaux anciens (Huizinga,
1951 ; Chateau, 1967 ; Caillois, 1967), mais nous les avons retenus car ils sont souvent cités
dans la littérature consultée et sembleraient faire office de lectures préliminaires pour qui
s’intéresse au jeu.
En second lieu, comme nous l’avons signalé plus haut17, des spécialistes issus de
domaines hétérogènes ont eu le jeu pour centre d’intérêt : psychologues, psychanalystes
(Chateau, 1967 ; Winnicott, 1975) et didacticiens (Caré & Debyser, 1991 ; Yaiche, 1994 ;
Weiss, 2002), entre autres. L’hétérogénéité des champs d’appartenance de ces auteurs
expliquerait-elle la présence d’éventuelles dissemblances dans les définitions ou assisterions
nous à une migration des notions d’une discipline à l’autre ? Psychologues et didacticiens, par
exemple, ont-ils une même conception du jeu ou se sont-ils réappropriés cette notion en
fonction de leurs besoins particuliers ? Les définitions que nous allons présenter maintenant
renferment peut-être la réponse à ces questions et permettront peut-être d’expliciter les
variations ou les différences d’un auteur à l’autre.
16
Il est à noter que la présente synthèse ne se prétend en rien exhaustive et pourrait profitablement être
complétée par la lecture de travaux comme ceux de G. Brougère (Brougère, 1995) ou de B. Silverberg-Villez
(Silverberg-Villez, 1994) que nous avons déjà cités.
17
Voir page 7.
18
Voir page 9.
10
néanmoins, la valeur heuristique d’une définition du jeu, laquelle permettrait d’"éviter les
confusions" (Brougère, 1995 : 13).
Deuxièmement, toujours selon G. Brougère, pour qu’il y ait jeu la présence d’une
"métacommunication" est nécessaire. À travers cette expression qu’il emprunte à Gregory
Bateson (Bateson, 1977 cité par Brougère, 1995 : 247), G. Brougère propose de qualifier de
jeu les situations dans lesquelles "les partenaires se mettent d’accord sur les modalités de leur
communication et indiquent […] qu’il s’agit d’un jeu" (Brougère, 1995 : 247). D’après lui, «
le jeu n’est possible que si les organismes qui s’y livrent sont capables d’un certain degré de
métacommunication, c’est-à-dire s’ils sont capables d’échanger des signaux véhiculant le
message "ceci est un jeu" » (Brougère, 1995 : 247).
Soulignant cet aspect du jeu chez G. Brougère, nous préciserons, toutefois, que la
métacommunication mériterait de plus amples développements selon nous. Sous quelle forme
se présentent ces signaux ? S’agit-il de signaux verbaux, non verbaux ou autres ? Quelles
conditions présideraient au message "ceci est un jeu" ? Réfléchir à ces questions et expliciter
plus avant les termes de la métacommunication serait d’autant plus souhaitable que le jeu,
selon ce même auteur, n’obéirait pas à "la logique de la désignation scientifique des
phénomènes" (Brougère, 1995 : 14).
Enfin, selon G. Brougère, "de[s] glissement[s] de sens" (Brougère, 1995 : 13)
pourraient être évités et la définition du jeu pourrait être entreprise sous de meilleurs auspices
si la stratification à "trois niveaux" (Brougère, 1995 : 13) de ce terme était prise en compte.
En effet, bien qu’il reconnaisse que "le terme [de jeu] est utilisé et compris en l’absence même
de définition rigoureuse" (Brougère, 1995 : 13), ce chercheur propose, toutefois, de
décomposer le jeu en trois strates :
- à un premier niveau de sens, "un jeu est une certaine situation caractérisée par le
fait que des êtres jouent, ont une activité qui relève de ce que l’on peut dénommer jeu quelle
qu’en soit la définition" (Brougère, 1995 : 13),
- à un deuxième niveau de sens, "le jeu est [aussi] une structure, un système de règles
(game en anglais) qui existe et subsiste en dehors de son effectuation concrète dans un jeu
entendu au premier sens" (Brougère, 1995 : 13),
- à un troisième et dernier niveau de sens, "jeu enfin s’entend comme matériel de jeu,
tel le jeu d’échecs en tant que constitué du plateau et de l’ensemble des pièces qui permettent
de jouer au système de règles appelé également jeu d’échecs" (Brougère, 1995 : 13).
11
Heuristique, lié à la métacommunication ou stratifié à trois niveaux chez G.
Brougère, il paraît intéressant d’interroger à présent la conception du jeu chez d’autres
auteurs.
19
Voir page 9.
20
Nous rejoignons ces propos de R. Caillois, lequel précise de façon intéressante : "il va de soi que prétendre
définir une culture à partir de ses seuls jeux serait une opération téméraire et probablement fallacieuse" (Caillois,
1967 : 140).
21
Nous nous intéresserons à ces apports ensuite (voir page 29).
12
classe ou dans l’apprentissage si ce n’est dans le cadre d’une "activité périphérique"22
(Decuré, 1994 : 16).
Pour finir, nous rappellerons que J. Huizinga a tenté de circonscrire la notion de jeu
et qu’il l’a définie en ces termes23 : « le jeu est une action ou une activité volontaire accomplie
dans certaines limites de temps et de lieu, suivant une règle librement consentie, mais
complètement impérieuse, pourvue d’une fin en soi, accompagnée d’un sentiment de tension
et de joie et d’une conscience d’être "autrement" que la "vie courante" » (Huizinga, 1951 :
57-58). Si elle peut indéniablement être classée parmi les anciennes définitions du jeu, la
façon dont le jeu a été caractérisé par J. Huizinga ne semble pas pour autant être dépassée. Au
contraire, la vision de J. Huizinga paraît constituer un fonds commun dans lequel viendraient
puiser divers auteurs. Ces derniers, par des apports ou des retranchements successifs,
semblent contribuer tant à l’évolution qu’à la réactualisation de la notion de jeu. R. Caillois,
auquel nous allons nous consacrer maintenant, est l’un d’entre eux.
Auteur que nous avons déjà mentionné plus haut notamment pour ses vues analogues
à celles de J. Huizinga, R. Caillois s’est lui aussi essayé à définir le jeu. De cette
caractérisation, nous retiendrons les points suivants.
22
Nous nous distinguerons de cette conception du jeu et adopterons le point de vue de N. Decuré, lequel est
patent dans la citation suivante : "Le jeu n’est pas une activité périphérique dans une classe de langue. Il doit être
central" (Decuré, 1994 : 16).
23
Définition citée dans sa longueur, car elle nous paraît exhaustive quant à la conception du jeu chez J. Huizinga.
24
Chacun de ces adjectifs étant traité plus amplement par R. Caillois (Caillois, 1967 : 42-43). 13
Caillois. Par exemple, ces deux auteurs envisagent tous deux le jeu comme une action
empreinte de liberté : "librement consentie" ou "volontaire" (Huizinga, 1951 : 57-58) pour le
premier et "libre" (Caillois, 1967 : 42-43) pour le second.
En outre, pour ce qui est de la caractérisation du jeu, nous remarquerons que d’autres
auteurs semblent entrer en écho avec les propos de R. Caillois. C’est notamment le cas de G.
Brougère lorsqu’il évoque la complexité à définir ce qu’est le jeu, une "notion aux sens
multiples" (Brougère, 1995 : 11), pour reprendre son expression.
Pour sa part, R. Caillois paraît lui aussi faire état de cette complexité lorsqu’il tente
d’établir une "classification des jeux" (Caillois, 1967 : 45) et lorsqu’il écrit : "la multitude et
la variété infinies des jeux font d’abord désespérer de découvrir un principe de classement qui
permette de les répartir tous entre un petit nombre de catégories bien définies" (Caillois, 1967
: 45). Il semble également souligner la nature complexe de cette entreprise de classification
quand il ajoute : "En outre, ce qui complique tout, on peut jouer à un même jeu seul ou à
plusieurs. Un jeu déterminé peut mobiliser plusieurs qualités à la fois ou n’en nécessiter
aucune" (Caillois, 1967 : 45-46). Cette dernière remarque de R. Caillois nous amène à penser,
comme nous l’avons déjà mentionné précédemment25, qu’en matière de jeu l’absence de
règles constituerait peut-être une règle en soi.
25
Voir page 9.
14
De même, à l’instar de N. Decuré (Decuré, 1994 : 18), nous nous démarquerons
également de R. Caillois lorsqu’il poursuit sa définition26 du jeu et qu’il ajoute : le jeu
"évoque une activité sans contrainte, mais aussi sans conséquence pour la vie réelle. Il
s’oppose au sérieux de celle-ci et se voit ainsi qualifié de frivole. Il s’oppose d’autre part au
travail comme le temps perdu au temps bien employé. En effet, le jeu ne produit rien : ni biens
ni œuvres. Il est essentiellement stérile" (Caillois, 1967 : 9). Outre la critique déjà faite
auparavant à J. Huizinga, concernant l’opposition entre jeu et sérieux, cette définition semble
renfermer d’autres aspects discutables.
Ainsi, en plus de critiquer le cliché selon lequel "jouer n’est pas travailler" (Decuré,
1994 : 18), nous émettrons quelques réserves quant à la frivolité et à la stérilité du jeu, et à
l’absence de conséquence pour la vie réelle. D’une part, à la suite de N. Decuré, nous
avancerons que "le jeu en classe de langue27 doit [au contraire] être considéré comme un
travail productif et utilisé comme tel" (Decuré, 1994 : 18). D’autre part, concevoir le jeu
autrement que comme une activité "frivole" (Caillois, 1967 : 9) permettrait peut-être de faire
évoluer la place accordée au jeu dans l’enseignement / apprentissage des langues en lui
assignant désormais un rôle "central" comme le propose N. Decuré (Decuré, 1994 : 16). De
plus, essayer de faire changer ces représentations28 liées au jeu contribuerait peut-être à faire
mentir le constat29 suivant de Francis Debyser : « habituellement les jeux n’entrent dans la
classe que par la petite porte : l’étroitesse du pertuis fait que ne peuvent y passer que de petits
et pauvres jeux étriqués, tristes jeux des familles, petits mots croisés fades, devinettes palotes,
"histoires" très peu drôles, "quiz" consternants » (Caré & Debyser, 1991 : 10).
Pour compléter nos commentaires concernant le caractère "improductif" et "stérile"
du jeu chez R. Caillois (Caillois, 1967 : 9), nous ajouterons les points suivants. D’un côté,
nous noterons que sa conception du jeu semble rejoindre en partie celle du psychologue Jean
Chateau : pour ce dernier également, le jeu de l’adulte viserait "un délassement", constituerait
"un remède contre l’ennui ou contre la fatigue" et, ne possédant pas "son principe en lui
même", aurait "quelque chose de négatif" (Chateau, 1967 : 37). De l’autre, nous ne
26
Définition non tronquée et citée dans sa longueur, car elle nous semble développer un point de vue important.
27
Nous rajouterons "ou dans le cas de l’enseignement / apprentissage des langues" pour tenir compte du fait,
notamment mis en exergue par F. Demaizière et C. Dubuisson concernant l’enseignement assisté par ordinateur,
qu’"il y a rupture de la loi des unités de la formation classique en se reportant au théâtre : unité de lieu, unité de
temps, unité d’action" (Demaizière & Dubuisson, 1992 : 23) et que la classe ne serait plus forcément l’entité par
excellence.
28
Nous entendons ici "les images et les conceptions que les acteurs sociaux se font d’une langue" (Moore, 2001 :
9).
29
Il sera intéressant, à l’aune de l’analyse des cédéroms et d’un site Internet, de voir si la situation a quelque peu
évolué.
15
manquerons pas de souligner une certaine discordance entre les propos de ces deux auteurs
puisque, loin d’être "stérile" (Caillois, 1967 : 9), le jeu du petit d’homme30 correspondrait
selon J. Chateau à "une anticipation du monde des occupations sérieuses" (Chateau, 1967 :
22), à savoir le monde des adultes, et à l’"affirmation du Moi" (Chateau, 1967 : 37).
30
"Petit d’homme" est une expression désignant l’enfant et qui est notamment employée par le psychologue
Patrick Faugère (Faugère, 1994 : 8).
31
Voir les parties 1.3.4.1.1. et 1.3.4.1.2.
16
rubriques, d’autres auteurs ont également fait montre d’originalité et pourront étayer notre
analyse. C’est notamment le cas de la conception du jeu chez N. de Grandmont (Grandmont,
1997) que nous allons étudier à présent.
1.3.2.4. Le jeu selon N. de Grandmont32
Avant d’aborder ultérieurement la façon dont nous envisageons le jeu, nous allons
nous pencher dans l’immédiat sur la conceptualisation du chez N. de Grandmont (Grandmont,
1997). En effet, sans constituer pour autant une panacée ni un cadre définitoire immuable, la
définition du jeu proposée par N. de Grandmont a retenu notre attention à plus d’un titre.
En premier lieu, nous ferons remarquer que cet auteur mène depuis plusieurs années
une réflexion sur l’utilisation du jeu en pédagogie. Outre les trois ouvrages qu’elle a publiés
en 1995 : Le jeu éducatif, Le jeu ludique et Le jeu pédagogique (Grandmont, 1995a, 1995b,
1995c), N. de Grandmont est également l’auteur de Pédagogie du jeu : jouer pour apprendre
paru en 1997 (Grandmont, 1997).
En second lieu, nous avancerons que le dernier ouvrage33 de cette spécialiste du jeu
en éducation nous a particulièrement intéressé. D’un côté, elle semble y proposer une synthèse
de ses précédents travaux. De l’autre, elle semble faire œuvre originale de par le point de vue
qu’elle y expose. Entre autres, son originalité résiderait dans le fait de mettre en avant "la
fonction pédagogique du jeu" (Grandmont, 1997 : 106). Certes, à l’exemple du psychologue
Jean Chateau et des didacticiens Jean-Marc Caré & Francis Debyser (Caré & Debyser, 1991),
Francis Yaiche (Yaiche, 1994) et François Weiss (Weiss, 2002), différents auteurs ont déjà mis
en lumière "le rôle pédagogique du jeu"34. Toutefois, selon nous, ces auteurs ne semblent pas
avoir autant insisté sur la pédagogie du jeu ou sur la corrélation entre jeu et apprentissage.
De même, évoquant le cadre théorique construit par N. de Grandmont pour les
besoins de son ouvrage Pédagogie du jeu : jouer pour apprendre (Grandmont, 1997), nous
signalerons la dimension heuristique d’un tel cadre et préciserons qu’il contient trois axes
principaux. En effet, du point de vue de cet auteur, "pour que le jeu remplisse sa fonction
pédagogique […], il faut que le pédagogue soit informé des trois niveaux d’intervention
32
Nicole de Grandmont est spécialiste de l’application pédagogique du jeu.
33
C’est du moins l’ouvrage le plus récent auquel nous ayons eu accès.
34
Expression que nous empruntons à J. Chateau (Chateau, 1967 : 180).
17
pédagogique du jeu : 1. niveau ludique […]. 2. niveau éducatif […]. 3. niveau pédagogique
[…]" (Grandmont, 1997 : 106).
Si nous revenons maintenant par le menu sur chacun de ces trois niveaux et si nous
nous intéressons, en particulier, aux trois termes qui leur sont rattachés, nous constatons qu’un
triptyque semble se faire jour. Ce dernier se compose de trois entrées qui vont faire l’objet
d’un prochain développement : le jeu ludique, le jeu éducatif et le jeu pédagogique.
35
Les trois types de jeu semblent pouvoir être utilisés indifféremment et quel que soit l’ordre d’utilisation. N. de
Grandmont souligne, toutefois, que le pédagogue qui parviendrait à distinguer ces trois niveaux et à y recourir de
façon appropriée ajouterait "de la variété à la progression" (Grandmont, 1997 : 75).
36
Idée déjà avancée dans le présent travail (cf. page 14) et que nous tenterons d’étayer par l’analyse ultérieure du
corpus.
37
Voir ci-dessus page 13.
18
1.3.2.4.2. Le jeu éducatif
Deuxième volet de ce triptyque : le jeu éducatif. Ce second type de jeu, qui n’est pas
intrinsèquement différent du jeu ludique, "si ce n’est qu’il se réalise avec un objet, un jouet,
soutenant l’action" (Grandmont, 1997 : 66), présente d’autres caractéristiques. Ces dernières,
notamment mises en avant par N. de Grandmont, méritent d’être relevées et commentées.
Premièrement, le jeu éducatif constituerait "le premier pas vers la structure"
(Grandmont, 1997 : 66), c’est-à-dire vers l’apprentissage de la règle. Il permettrait de
contrôler les acquis, d’évaluer les appris38 et d’observer le comportement des élèves39
(Grandmont, 1997 : 66).
Deuxièmement, il favoriserait l’acquisition de nouvelles connaissances (Grandmont,
1997 : 66).
Ensuite, le jeu éducatif "devrait être distrayant" et "sans contraintes perceptibles" par
le joueur, car la fonction première de ce type de jeu serait de "créer un climat de plaisir"
(Grandmont, 1997 : 64). Sur ce dernier point, N. de Grandmont semble rejoindre d’autres
auteurs. D’un côté, son propos semble converger avec l’opinion de J. Vial, pour lequel la
valeur éducative du jeu doit demeurer une valeur de "surcroît" (Vial, 1981, cité par
Grandmont, 1997 : 64). De l’autre, il paraît s’accorder avec le point de vue de Ferran et al.,
lesquels décrivent le jeu éducatif "comme étant ou devant être un jeu amusant, distrayant,
oublieux des contraintes laborieuses tout en apprenant et en formant l’enfant40" (Ferran et al.,
1978, cités par De Grandmont, 1997 : 65).
Néanmoins, au-delà de ces convergences concernant l’importance de la primauté du
jeu sur la finalité éducative, nous signalerons des divergences. D’une part, N. de Grandmont et
J. Vial semblent diverger quant au terme à retenir, à savoir "jeu éducatif" pour la première
(Grandmont, 1997 : 64) et "jeu didactique" pour le second (Vial, 1981 : 137). D’autre part,
bien que nous partagions avec N. de Grandmont l’idée selon laquelle le jeu aurait sa place
38
Selon N. de Grandmont, "l’appris est la première phase du processus d’apprentissage, alors que l’acquis en est
la troisième et dernière" (De Grandmont, 1997 : 64).
39
Nous reprenons le terme de N. de Grandmont, mais signalons que l’idée d’"apprenant" conviendrait également
ici.
40
Nous étendrons le propos de Ferran et al. (Ferran et al., 1978 cités par Grandmont, 1997 : 65) à l’adulte. De
cette façon, nous prendrions en compte, d’une part, les déclarations des enseignants de FLE, consignées dans
notre corpus, dans lesquelles le jeu s’appliquerait tant à l’enfant qu’à l’adulte. D’autre part, nous respecterions
cette remarque de Winnicott : "c’est en jouant, et peut-être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est
libre de se montrer créatif" (Winnicott, 1975 : 75).
19
dans l’enseignement / apprentissage, nous différons de cette spécialiste pour ce qui est de la
distinction qu’elle établit entre jeu éducatif et jeu pédagogique41.
Enfin, pour clore ce volet sur le jeu éducatif, nous avancerons que le terme serait
ambigu et que le clarifier permettrait de lever tant les réticences que les interrogations
subsistant chez les enseignants rétifs à utiliser le jeu ou critiques à son égard. Le jeu éducatif
est-il avant tout ludique ou serait-ce purement un exercice à finalité éducative ? Les propos de
L. Porcher et de J.J. Favel concernant "les appareillages technologiques" (Porcher, 2004 : 75),
les "exercices structuraux déguisés" ou les "pseudo-jeux"42 (Favel, 2003 : 57) semblent
légitimer nos interrogations et nous conforter dans l’idée qu’il faudrait désambiguïser la
situation.
D’une part, l’éclaircissement et la réponse à nos questionnements pourraient venir de
G. Brougère. En effet, ce chercheur en éducation rappelle, entre autres, que l’ambiguïté du
terme jeu éducatif43 lui serait constitutive. D’après lui, dès son apparition et son application à
l’école maternelle, le terme a entretenu le paradoxe. Il s’agissait pour les institutrices de
proposer à l’élève des exercices qui, tout en ayant l’allure du jeu et en respectant le besoin de
jouer de l’enfant, leur permettraient d’atteindre l’objectif éducatif qu’elles s’étaient assignées
(Brougère, 1995 : 159). Il apparaît donc que la mystification de l’apprenant critiquée plus haut
par L. Porcher et J.J. Favel ou cette "pédagogie de la ruse", pour reprendre une expression de
G. Brougère (Brougère, 1995 : 158), pourrait s’expliquer par un flou terminologique d’origine
ancienne.
D’autre part, N. de Grandmont pourrait également contribuer à clarifier la situation
lorsqu’elle met en exergue les limites du jeu éducatif. Selon elle, afin de ne pas tomber dans
des "jeux d’exercice"44 qui seraient vite synonymes de lassitude (Grandmont, 1997 : 67) ou de
redondance, il serait souhaitable « d’avoir des objets "multi-vocationnels"45 » (Grandmont,
1997 : 67) et de changer de jeu éducatif dès que son fonctionnement aura été saisi par
l’apprenant. En citant, par exemple, le cas du Loto-maison où l’élève doit reconstituer les
différentes pièces de l'habitation, cet auteur nous fait part d’une remarque intéressante :
"lorsque l’élève connaîtra bien chaque pièce d’une maison, il y a fort à parier que ce jeu
perdra de son intérêt" (Grandmont, 1997 : 65).
41
La distinction entre les deux termes sera abordée plus longuement dans la partie 1.3.2.4.3. intitulée "Le jeu
pédagogique".
42
Voir page 6.
43
: Le terme aurait été forgé au début du vingtième siècle par Jeanne Girard, inspectrice des écoles maternelles
(Brougère, 1995 : 157).
44
Tout en soulignant l’antithèse, nous préciserons que nous n’avons pas rencontré le terme "jeux d’exercice"
dans les autres ouvrages consultés.
45
C’est-à-dire "multi-usages".
20
1.3.2.4.3. Le jeu pédagogique
À l’aune des différentes conceptions du jeu que nous venons de décrire, nous
pouvons à présent tenter de proposer à notre tour une définition du jeu. Ce faisant, nous
46
Comme il est rappelé dans l’ouvrage de F. Demaizière et C. Dubuisson, "l’évaluation formative se fait en
cours de route alors que l’évaluation sommative porte sur le produit fini" (Demaizière & Dubuisson, 1992 : 327),
c’est-à-dire qu’elle se fait en fin d’apprentissage.
21
insisterons sur les points suivants. D’une part, nous soulignerons que bien qu’elle nous soit
personnelle, cette vision du jeu fait fond sur certaines caractéristiques mises en exergue par
nos prédécesseurs47. D’autre part, nous préciserons qu’une telle définition n’a aucune
prétention à l’universalité, mais qu’elle relèverait davantage d’une conceptualisation ad hoc
voire d’une limite "tracée dans un but particulier" (Brougère, 1995 : 25)48, à savoir celle de
notre étude.
Nombre d’auteurs ont cherché à caractériser le jeu, à apporter des réponses à la
question "qu’est-ce que le jeu ?". Prenant leur suite, nous mettrons l’accent sur la complexité
à cerner le concept et proposerons la définition suivante.
Tout d’abord, nous distinguerons le jeu à visée purement ludique, c’est-à-dire celui
où le joueur s’extrait ou est extrait de "la vie courante"49 dans le seul but de se procurer un
certain plaisir. Ce type de jeu s’accomplit "en général dans des limites précises de temps et de
lieu" (Caillois, 1967 : 37) et possède ses règles. Évoquées notamment par G. Brougère
(Brougère, 1995 : 13) et par R. Caillois (Caillois, 1967 : 43), ces règles s’opposent
paradoxalement à l’esprit de liberté que présupposerait la situation ludique ou le fait de jouer.
Ensuite, nous avancerons à l’instar de G. Brougère que le jeu ou l’activité ludique
nécessiterait la présence d’une métacommunication (Brougère, 1995 : 247). À travers cette
situation "métacommunicative", le joueur reçoit des signaux verbaux, non verbaux ou autres,
lui indiquant qu’il prend part à un jeu. Certes, dans la mesure où le recours au vocable jeu
peut être purement formel ou relever d’un "jeu de langage" (Brougère, 1995 : 23), l’idée de
métacommunication pourrait, à juste titre, être considérée comme insuffisante pour déterminer
si une situation appartient au jeu ou non. Toutefois, réfléchir à cette dimension
"métacommunicative" pourrait s’avérer heuristique et permettre de répondre à des questions
telles que "ce qui est qualifié de jeu dans la situation présente est-il réellement ludique ?", "le
terme de jeu per se n’est pas employé, mais conviendrait-il dans le cas qui nous occupe ?". Ce
sont, entre autres, ces interrogations qui guideront notre analyse ultérieure de ressources
multimédias (en ligne et hors ligne) consacrées à l’apprentissage du français langue étrangère.
Par ailleurs, outre la métacommunication, d’autres caractéristiques sont à prendre en
compte et pourraient se révéler opératoires à l’heure de définir le jeu. Nous rejoindrons une
fois encore G. Brougère et les trois niveaux de sens dont il fait état dans son analyse
47
Ces caractéristiques sont développées dans la partie 1.3.2. "Définition du jeu chez différents auteurs".
48
Idée déjà avancée dans le présent travail et traitée plus amplement page 9.
49
Expression que nous reprenons de J. Huizinga (Huizinga, 1951 : 57-58).
22
50
(Brougère, 1995 : 13). Ces derniers ont déjà été évoqués auparavant , mais nous les
rappellerons ici pour la clarté de l’exposé. À un premier niveau de sens sont regroupées les
situations où les individus "jouent, ont une activité qui relève de ce que l’on peut dénommer
jeu" (Brougère, 1995 : 13). À un second niveau de sens nous retrouvons le jeu entendu comme
"système de règles (game en anglais)" (Brougère, 1995 : 13). À un troisième et dernier niveau
de sens se trouve le jeu en tant que "matériel" permettant de se livrer à un jeu (Brougère, 1995
: 13).
Pour finir, tentant de résumer notre conception du jeu, nous proposerons les cinq
points suivants.
1) Par jeu, nous entendons tout d’abord une situation "métacommunicative". 2) Le
jeu fait ensuite référence à toute activité ludique située en dehors de la vie courante. C’est le
jeu ludique décrit par N. de Grandmont51.
3) Le terme de jeu sert également à désigner l’activité du joueur ou "activité de
jouer"52 de manière générale. Nous distinguerons ce point du précédent par le fait que le jeu
entrepris peut être ludique ou non.
4) Le jeu correspond par ailleurs au système de règles régissant l’action du joueur.
5) Enfin, nous qualifierons de jeu le matériel qui sert de support à l’action du joueur.
Après nous être penché sur la définition du jeu chez nos prédécesseurs et avoir tenté
de proposer notre vision du concept, il nous paraît maintenant approprié de nous intéresser
aux termes qui sont dérivés du jeu ou qui entretiendraient avec lui une certaine connexité. Ces
quelques éléments de définition pourraient utilement contribuer à démêler l’écheveau
terminologique qui semble se faire jour lorsqu’il s’agit d’aborder la notion de jeu.
Si, dans ces lignes, nous avons souligné à diverses reprises la complexité à définir le
jeu, nous préciserons également que la caractérisation de ses dérivés ne paraît pas moins
50
Cf. page 11.
51
Voir le point 1.3.2.4.1. "Le jeu ludique".
52
Nous empruntons le terme à Barbara Silverberg-Villez. Nous rejoignons cette dernière lorsqu’elle écrit : "dans
le jeu, c’est le contenu qui prédomine, tandis que dans l’activité de jouer, seule la dynamique compte réellement.
Dans l’activité de jouer, […] le vrai contenu devient le joueur". (Silverberg-Villez, 1994 : 88-89).
23
ardue. Quelle serait la ligne de partage entre l’adjectif ludique, la substantivation le ludique et
l’activité ludique ? Quels rapports ces trois termes entretiennent-ils ? Quelle est la limite entre
le jeu et l’activité "ludique", c’est-à-dire relative au jeu ? Ne s’agirait-il pas d’un seul et même
signifié ? À titre de réponse à ces interrogations, nous ferons les remarques suivantes.
Tout d’abord, nous dirons que la catégorisation des dérivés du jeu serait d’autant plus
malaisée que le terme de jeu serait lui-même d’origine polysémique. En effet, d’un point de
vue étymologique, « si notre "jeu" dérive de jocus (plaisanterie, jeu de mot), il traduit bien
souvent ludus » (Brougère, 1995 : 42). Ce dernier terme renvoyant tantôt à la classe (lieu
d’apprentissage de l’écriture et de la lecture) ou à l’exercice scolaire (magister ludi), tantôt au
simulacre (Brougère, 1995 : 43).
Ensuite, au-delà de la polysémie initiale et des difficultés qui en découlent à
caractériser le jeu et ses dérivés, nous avancerons que le jeu aurait une valeur d’hyperonyme
dont seraient dépourvus les termes "ludique", "le ludique" et "l’activité ludique". Ces derniers
relèveraient davantage des parties inférieures de la taxonomie du jeu et sembleraient jouer le
rôle d’hyponymes servant à organiser tant la réflexion que le discours sur le jeu.
Par ailleurs, nous nous pouvons nous référer aux éclairantes définitions que les
dictionnaires ou les auteurs proposent pour les termes "le ludique", "ludique" et "activité
ludique". Selon le dictionnaire Robert, l’adjectif ludique désigne ce qui est "relatif au jeu" (Le
nouveau Petit Robert, 1993 : 1470).
Quant à activité ludique, d’un côté, nous reprendrons, la définition qui nous en est
donnée dans le Dictionnaire du français langue étrangère et seconde : "une activité
d’apprentissage dite ludique est guidée par des règles de jeu et pratiquée pour le plaisir qu’elle
procure" (Cuq, 2003 : 160). De l’autre, nous reviendrons sur les définitions proposées par
Brigitte Cord-Maunoury et G. Brougère. Enseignante spécialisée dans l’utilisation des TIC
pour la formation, B. Cord-Maunoury conçoit les activités ludiques comme des "activités qui
relèvent du jeu c’est-à-dire qui sont organisées par un système de règles définissant un succès
ou un échec, un gain ou une perte" (Cord-Maunoury, 2003)53. G. Brougère semble
partiellement rejoindre la définition de B. Cord-Maunoury puisqu’il souligne lui aussi le fait
que le jeu soit un "système de règles" (Brougère, 1995 : 13), mais qu’il n’évoque pas le gain
ou la perte.
53
Définition proposée par Brigitte Cord-Maunoury (2003) : Internet et pédagogie, état des lieux. Consulté en
juin 2004. http://wwwadm.amp6.jussieu.fr/fp/uaginternetetp/defi_et_concours.htm
24
Concernant le troisième terme, le substantif le ludique, nous reproduirons ci-après la
brève définition que le dictionnaire Robert en propose : "activité libre par excellence" (Le
nouveau Petit Robert, 1993 : 1470).
Enfin, à la lumière de ces diverses définitions et remarques, nous pouvons dire, d’une
part, que le jeu et l’activité ludique semblent renvoyer à un même moment de la séquence
pédagogique (celui où l’apprenant se voit proposer un jeu) et, d’autre part, que l’adjonction du
qualificatif "ludique" conviendrait pour décrire toute situation impliquant le jeu ou un
discours sur le jeu. Nous rejoindrions ainsi des didacticiens tels que Jean-Pierre Cuq, Isabelle
Gruca et Jean-Marc Defays, lesquels paraissent employer indifféremment jeu(x) et activité(s)
ludique(s) dans leurs ouvrages parus en 2003 (Cuq & Gruca, 2003 : 416-417 ; Defays, 2003 :
269) ; et nous abonderions dans le sens de G. Brougère, lequel écrit : « jeu est ce que le
vocabulaire savant appelle "activité ludique" » (Brougère, 1995 : 13).
Abordant les dérivés du jeu, il nous paraît intéressant de nous pencher sur le cas du
préfixe dérivatif "ludo-". Ce dernier semble en effet jouer un rôle particulier dans la
composition des termes connexes au jeu. Parmi ces termes, nous relèverons notamment
"ludothèque", "ludo-éducatif", "ludo-culturel" et "ludo-pédagogie". Nous avons pu constater
que ces mots ne possèdent pas tous une entrée de dictionnaire. Cela serait-il dû à la règle
selon laquelle l’activité lexicographique aurait parfois un temps de retard sur les pratiques
langagières ? Serait-ce dû à la connexité de ces termes avec une notion souffrant de
"discrédit"54 comme celle de jeu ? Si nous ne semblons pas en mesure d’apporter des réponses
précises à ces questionnements dans le cadre du présent travail, nous pouvons néanmoins
développer les points suivants.
En premier lieu, nous soulignerons le fait que dans les dictionnaires consultés, seuls
les termes "ludo-éducatif" et "ludothèque" semblent être utilisés. En consultant l’article
"ludothèque", nous pouvons voir qu’il s’agit d’un nom féminin désignant "un centre de prêt
de jouets et de jeux" (Petit Robert grand format, 1996 : 1309) ou un "établissement où les
enfants peuvent emprunter des jeux et des jouets" (Hachette, 1992 : 891). À l’instar d’Alain
Bideau, nous noterons que bien que quelques adultes participent à ces ludothèques, l’image
reste très attachée à l’enfance (Bideau, 1996 : 13). De même, nous signalerons que le terme
54
Terme que nous empruntons à Jean-Jacques Favel (Favel, 1994 : 49).
25
"maison de jeux" remplace parfois ludothèque dans la littérature sur le sujet. Cependant, "quel
que soit le nom, le but est d’offrir à tous cet objet de culture qu’est le jeu" (Bideau, 1996 : 14).
En second lieu, revenant sur l’entrée de dictionnaire "ludo-éducatif", nous reprendrons les
définitions suivantes. D’après le Petit Robert grand format, "ludoéducatif" désigne ce "qui
vise à éduquer par l’intermédiaire du jeu" (Petit Robert grand format 1996 : 1309) alors que
dans le dictionnaire Larousse, "ludo-éducatif" s’écrit avec un trait d’union et "se dit d’un
logiciel ou d’un cédérom qui permet de s’instruire en s’amusant" (Larousse, 2000 : 607).
Bien que nous nous intéressions à la dimension ludique des logiciels et que nous
adoptions la graphie55 utilisée dans le dictionnaire Larousse, nous préférons retenir la
définition donnée par le Petit Robert grand format. En effet, cette dernière paraît plus neutre
et permettrait de prendre en compte des supports qui sont ludo-éducatifs sans pour autant être
multimédias56. Nous sommes d’autant plus attaché à cette nuance qu’elle pourrait nous aider à
nous démarquer du miroitement médiatique évoqué précédemment57.
Certes, à l’exemple de Thierry Lancien, spécialiste de l’utilisation des nouvelles
technologies pour l’apprentissage des langues, nous avons conscience que « la formule "le
savoir en jouant" est [ainsi] devenue emblématique d’une certaine représentation que
beaucoup se font du multimédia » (Lancien, 1998a : 84). Néanmoins, comme lui, nous
n’ignorons pas le fait suivant : "les milieux de l’édition électronique, les concepteurs et la
presse spécialisée mettent souvent en avant cette potentialité qu’aurait le multimédia de
permettre de s’instruire en s’amusant" (Lancien, 1998a : 84). Tenter de vérifier si cette
potentialité ludique est avérée nous intéressera particulièrement lors de l’analyse du corpus
multimédia.
En dernier lieu, concernant les termes "ludo-culturel" et "ludo-pédagogie", nous
dirons qu’ils semblent eux aussi présents dans les discours, mais absents des dictionnaires
évoqués ci-dessus. S’il s’agissait de les caractériser, nous pourrions dire premièrement que
sous "ludo-culturel" seraient regroupés les produits multimédias ou les sites Internet
permettant à l’usager de jouer tout en acquérant des connaissances d’ordre culturel.
Deuxièmement, pour ce qui est de "ludo-pédagogie", nous avancerons que le terme
désignerait les situations d’enseignement / apprentissage s’appuyant sur le jeu et se
rapprocherait, à cet égard, de ce que N. de Grandmont appelle "la pédagogie du ludique" ou
55
Le Larousse consulté (2000) étant plus récent que le Petit Robert grand format (1993), nous pouvons penser
que "ludo-éducatif" correspondrait davantage à l’usage actuel.
56
C’est le cas notamment du Loto-maison cité page 20.
57
Cf. page 5.
26
"la pédagogie du jeu" (Grandmont, 1997 : 88-102), ou de ce que J.P. Cuq et I. Gruca
nomment "la pédagogie des jeux" (Cuq & Gruca, 2003 : 417).
Si, à la suite de Jean-Louis Chiss, nous ne chercherons pas, dans le présent travail, à
"entrer dans le débat général sur le triptyque langue maternelle / langue seconde / langue
étrangère" (Boyzon-Fradet & Chiss, 1997 : 56), nous nous intéresserons néanmoins à ces
concepts, car ils peuvent nous permettre de mieux cerner ce que nous entendons par FLE. Ce
dernier constitue, rappelons-le, l’un des "volets"58 de notre étude et surtout l’un des critères de
sélection de nos données, à savoir que notre corpus contient des ressources multimédias (en
ligne ou hors ligne) destinées à l’apprentissage du FLE ainsi que des questionnaires recueillis
auprès d’enseignants de FLE.
58
Cf. page 6.
27
De même, outre la langue première d’autres concepts sont parfois utilisés en lieu et
place de celui de langue maternelle : langue source, langue de départ ou encore langue de
référence59 (Cuq & Gruca, 2003 : 91).
Enfin, nous dirons que si le concept de langue maternelle "ne manque pas
d’ambiguïté" et que "le singulier fait question" (Boutan, 2003 : 137-138), il n’en demeure pas
moins indispensable pour appréhender un autre concept : la langue étrangère.
Tout d’abord, à l’instar de J.M. Defays, nous rappellerons que le concept de français
langue étrangère est apparu après la seconde guerre mondiale, mais qu’"on enseigne le
français depuis toujours aux étrangers ou aux non francophones plus généralement […]. On
ne faisait d’ailleurs guère de différence, puisqu’on ne voyait pas dans l’enseignement à des
non francophones matière à une didactique spécialisée : une seule didactique pour une seule
langue" (Defays, 2003 : 29).
Néanmoins, cette situation va évoluer puisque, dans les années soixante, l’on va
moduler l’enseignement selon que le français est la langue maternelle de l’apprenant ou non
et que l’on va distinguer deux champs disciplinaires : la didactique du français langue
maternelle (DFLM), d’une part, et la didactique du français langue étrangère (DFLE), d’autre
part (Cuq & Gruca, 2003 : 93).
Par ailleurs, nous remarquerons que la dichotomie entre le français langue maternelle
(FLM) et le français langue étrangère (FLE) est certes opératoire, mais qu’elle semble de plus
en limitée pour rendre compte de certaines réalités sociolinguistiques. "En effet, FLM et FLE,
malgré les grands progrès qu’ils ont permis, se sont révélés insuffisants pour décrire
l’ensemble des situations d’appropriation du français, notamment dans les régions du monde
où le français, tout en n’étant pas la langue maternelle de la plupart de la population, n’est pas
une langue étrangère comme les autres, que ce soit pour des raisons statutaires ou sociales"
(Cuq & Gruca, 2003 : 94-95). Aussi, a-t-on vu émerger le terme de français langue seconde
pour dépeindre les situations d’"enseignement / apprentissage du français aux élèves
immigrés" (Boyzon-Fradet & Chiss, 1997 : 56).
Ayant tenté de clarifier le terme de FLE et essayé de le situer par rapport à la langue
maternelle et à la langue seconde, nous pouvons à présent nous consacrer aux apports du jeu à
59
Ces concepts sont développés plus amplement dans l’ouvrage de Jean-Pierre Cuq et d’Isabelle Gruca (Cuq &
Gruca, 2003 : 91).
28
l’apprentissage des langues en général et à l’apprentissage du français langue étrangère en
particulier.
60
Le cas du FLE nous intéressera plus particulièrement dans le présent travail.
61
Nous signalerons que l’adaptation du texte anglais nous est personnelle.
29
(Weiss, 2002 : 9), mais de lui assigner un rôle central62 dans la classe de langue (Decuré, 1994
: 16) et dans l’apprentissage. Reconsidérer la place du jeu dans l’apprentissage semble être un
point commun que partagent, entre autres, N. Decuré, F. Weiss63 et F. Debyser. Ce dernier
souligne toutefois la mauvaise qualité des jeux proposés à l’apprenant : étriqués, tristes, très
peu drôles64 (Caré & Debyser, 1991 : 10).
Nous nuancerons ces critiques de F. Debyser en rappelant que la situation semble
avoir évolué et que "les activités ludiques ne sont plus considérées comme un simple gadget
qui clôt une fin de semestre : la pédagogie des jeux n’est plus à faire et tous s’accordent à en
reconnaître les enjeux pédagogiques" (Cuq & Gruca, 2003 : 417).
Par ailleurs, nous avancerons que le jeu participerait positivement de l’apprentissage
des langues si nous nous référons aux remarques suivantes.
a) D’une part, en plus de supprimer l’aspect pénalisant de l’exercice ou l’aspect
rébarbatif que peut avoir parfois l’apprentissage, le jeu rendrait la matière moins astreignante,
instaurerait des relations plus authentiques dans les interactions, dynamiserait les échanges
verbaux entre les participants et permettrait notamment de dépolariser les relations entre
maître et élèves (Cuq & Gruca, 2003 : 417).
b) D’autre part, le jeu rendrait possible une certaine socialisation et permettrait à
l’apprenant de se familiariser avec les autres acteurs de son apprentissage : les co-apprenants
et l’enseignant. Nous allons en partie dans le sens des propos tenus par Jean Chateau, selon
lesquels "par le jeu l’enfant prend contact avec les autres, [il] s’habitue à envisager le point de
vue d’autrui, à sortir de son égocentrisme originel. Le jeu est activité de groupe" (Chateau,
1967 : 181). Toutefois, nous considérons que cette idée de jeu, comme vecteur de la
découverte du groupe, pourrait être étendue à l’apprenant adulte65, car il nous semble que ce
dernier pourrait également lier connaissance plus facilement avec ses pairs au moyen
d’activités ludiques.
c) De même, le jeu pourrait contribuer à l’apprentissage si nous admettons que
l’activité ludique permettrait des "interactions de tutelle" et "un étayage"66 d’un autre ordre
62
Cf. page 13.
63
Ce didacticien propose notamment un schéma méthodologique d’apprentissage au sein duquel les activités
ludiques occupent la cinquième place : résolution de problèmes nouveaux (Weiss, 2002 : 8-9). 64 Cette idée de F.
Debyser est présentée plus amplement page 15.
65
Outre la socialisation, le jeu favoriserait la créativité de l’adulte (cf. page 19).
66
"Interactions de tutelle" et "étayage" sont des notions utilisées par Violaine Bigot, mais développées
initialement par Jerome Bruner (Bigot, 2002 : 67).
30
(dépolarisation des relations entre enseignant et apprenants), ainsi qu’une "co-construction des
connaissances"67 (entre co-apprenants).
d) Pour finir, à la suite de Jean-Pierre Cuq et d’Isabelle Gruca, nous mettrons en
relief quelques avantages à recourir au jeu dans l’apprentissage des langues. D’un côté, le jeu
peut être un auxiliaire précieux dans l’acquisition d’une langue, car un bagage linguistique
minimal permet déjà de créer des combinaisons infinies et d’explorer systématiquement les
possibilités de la langue. De l’autre, la majeure partie des activités ludiques ne nécessitent
aucun matériel et peuvent connaître des variantes pour mieux répondre aux objectifs ou au
niveau de notre public (Cuq & Gruca, 2003 : 418).
Au nombre des activités ludiques qui tentent de sortir l’apprenant de la vie courante
figure la simulation globale. Qualifié de "jeu grandeur nature" par Jean-Marc Defays (Defays,
2003 : 271), ce concept pédagogique a été créé au sein du BELC (Bureau d’études pour les
langues et cultures, CIEP de Sèvres) dans les années 1970 par Francis Debyser puis utilisé,
entre autres, par Jean-Marc Caré et Francis Yaiche auprès de nombreux stagiaires du BELC.
Ces derniers, aidés de leurs formateurs, n’ont eu de cesse de "concevoir et d’améliorer dans
les ateliers de créativité du BELC des simulations globales pour des publics de formation
initiale, de formation continue, d’enfants ou d’adultes, pour des visées d’enseignement
général ou d’enseignement spécialisé" (Yaiche, 1994 : 43). Autre précision sur l’origine des
simulations globales : comme F. Debyser « ne croyait plus en l’efficacité des méthodologies
courantes ni en l’avenir du manuel de langue, il imagina […] donc une activité nouvelle qui
devait faire au maximum "entrer le réel dans la salle de classe" » (Cuq & Gruca, 2003 : 419).
Îles, L’immeuble, Le cirque, L’hôtel, Le quartier, Le village sont autant de simulations
globales qui méritent définition.
Aussi, pour expliquer ce terme de simulation globale, reprendrons-nous la définition
quelque peu longue, mais non moins éclairante que propose F. Yaiche68 : « une simulation
globale est une méthode ou un complément méthodologique qui consiste à faire "débarquer"
sur un lieu-thème l’imaginaire d’un groupe d’élèves et plus particulièrement d’élèves en
langue étrangère ; un lieu qui est en même temps un thème (comme une île, un immeuble, un
67
Nous faisons ici référence à la notion de socio-constructivisme communément attribuée à Lev Vygotski. 68
Auteur d’une thèse sur les simulations globales en didactologie des langues et des cultures soutenue à Paris III
en 1993.
31
village, etc.) sur lequel on va convoquer et fédérer toutes les activités d’expression écrite et
d’expression orale – traditionnellement faites dans la classe de façon atomisée – en les
coordonnant les unes aux autres, que ce soit des activités de réflexion, de débat, de créativité,
ou que ce soit des activités linguistiques et grammaticales ; l’objectif étant de leur donner un
sens, une dynamique combinatoire et cumulative, et de construire collectivement un univers
dans lequel chacun sera partie prenante » (Yaiche, 1994 : 43).
Soulignant son caractère exhaustif, nous retiendrons de cette définition la variété des
activités possibles à l’aide des simulations globales, la dimension tant orale qu’écrite de ces
activités ainsi que le part d’imaginaire qu’elles impliquent. La fiction semble d’ailleurs
primordiale pour ces activités, puisque l’apprenant est invité à faire comme s’"il vivait autre
part que dans l’univers scolaire" et comme s’"il était quelqu’un d’autre" (Yaiche, 1994 : 44).
Si, nous avons retenu les simulations globales pour illustrer l’utilisation des jeux
dans l’apprentissage des langues, c’est, notamment, parce qu’elles procèdent de la mimicry69
ou simulation et parce qu’elles ont été initialement reçues avec scepticisme par "les
responsables chargés de penser la didactique des langues. Au mieux apparaissaient-elles
comme de gentilles et joyeuses expériences pédagogiques, au pire comme de grands jeux sans
conséquences et sans lendemain" (Yaiche, 1994 : 46).
Après plusieurs années d’observation, l’intérêt pédagogique de jeux tels que les
simulations globales semble avoir été reconnu. Les enseignants ont progressivement
découvert que la simulation globale était une technique qui pourrait répondre à des
interrogations telles que "comment sauver sa classe de l’ennui ?", "peut-on apprendre en
jouant ?" (Yaiche, 1994 : 46) ; et qui pourrait, ajouterons-nous, susciter une certaine
motivation70 chez les apprenants.
Enfin, nous ferons remarquer que si nous reconnaissons avec d’autres les apports du
jeu et de la simulation globale à l’apprentissage, nous préciserons, cependant, que ces derniers
n’impliquent pas pour nous de faire l’économie de l’analyse pré-pédagogique. Au contraire,
nous avancerons que la réflexion préalable paraît d’autant plus nécessaire que les jeux
destinés à l’apprentissage des langues sont aujourd’hui également disponibles par le biais
69
Cf. page 16.
70
Parmi "les multiples avantages" à recourir au jeu, N. Decuré note, entre autres, la motivation, le déblocage des
inhibitions et la communication (Decuré, 1994 : 19-20).
32
71
d’Internet ou de produits multimédias , soit des supports discutés. Il s’agirait donc de penser
l’intégration des TIC et du jeu au déroulement de la séquence pédagogique et surtout
d’étudier leur articulation au sein d’un support "nouveau" et "hybride" : le jeu multimédia.
C’est en partie une telle réflexion que nous proposerons à présent.
71
Nous analyserons ultérieurement la composante ludique des environnements multimédias. 72 Selon Didier
Paquelin, l’interactivité désigne une relation d’échange réciproque entre le logiciel et l’utilisateur. L’application
peut être considérée comme interactive "lorsqu’elle donne la possibilité à l’utilisateur d’agir sur son déroulement
et de devenir co-auteur" (Paquelin, 2002 : 4).
73
Évoquée notamment par Emmanuelle Maître de Pembroke et Denis Legros (Maître de Pembroke & Legros,
2002 : 76), la multimodalité désigne la présentation de l’information sous différentes formes. Elle semble
connexe à la multicanalité décrite par Thierry Lancien (Lancien, 1998a : 24).
33
prêter "aux ordinateurs un pouvoir réformateur propre qu’ils n’ont à l’évidence pas" (Pouts
Lajus & Riché-Magnier, 1998 : 10), nous pensons néanmoins qu’ils pourraient contribuer à
élargir l’outillage tant conceptuel que pédagogique de l’enseignant. Par exemple, souhaitant
utiliser un environnement comme le MOO74 dans le cadre d’une séance de français langue
étrangère, l’enseignant devrait non seulement réfléchir à la didactisation du contenu, mais
pourrait également devoir modifier sa pratique pédagogique en devenant un interlocuteur
"virtuel", c’est-à-dire en intervenant en temps réel sur le réseau Internet au moyen d’une
messagerie synchrone.
Enfin, nous préciserons que, si à l’instar des chercheurs du domaine de
l’apprentissage des langues assisté par ordinateur (ALAO)75 nombre d’auteurs ont réfléchi à
l’articulation entre l’apprentissage et l’ordinateur, peu de travaux semblent avoir été consacrés
à la dimension ludique des environnements multimédias. Intitulée Intégrer Internet dans un
enseignement de langue : une simulation ludique et collaborative pour l’apprentissage
d’aspects pragmatiques en français langue étrangère, la thèse de Joséphine Rémon semble
faire partie des exceptions dans le champ de la recherche en FLE (Rémon, 1999). C’est en
partie pour cette raison que nous avons entrepris la présente étude et que nous allons à présent
nous intéresser aux apports et aux limites du jeu multimédia.
74
Environnement virtuel ou monde virtuel, le MOO a notamment été étudié par François Mangenot (Mangenot,
1998a : 210-212) et Chantelle N. Warner (Warner, 2004 : 69-87). Le premier évoque son aspect prometteur :
"environnement[s] d’apprentissage prometteur[s]" (Mangenot, 1998a: 210). La seconde considère le MOO
comme un moyen potentiel d’encourager la communication notamment entre les apprenants de langues (Warner,
2004 : 69).
75
Voir la définition de ce terme page 5.
76
Cf. page 33.
77
Jeux de piste, rallyes, chasses au trésor et cyberenquêtes semblent tous renvoyer à une même activité de
l’apprenant : la recherche d’informations sur Internet au moyen notamment de questionnaires que l’enseignant
34
En outre, nous ferons remarquer que l’absence de définition du jeu multimédia aurait
pour corollaire l’absence de travaux sur les apports du jeu multimédia à l’apprentissage des
langues. Aussi, nous nous appuierons sur les recherches ayant trait au multimédia.
Premièrement, parmi les chercheurs qui se sont intéressés aux apports du multimédia
figure François Mangenot. Cet auteur a notamment établi une "classification des apports
d’Internet à l’apprentissage" (Mangenot, 1998b : 133-146). Par ce "classement raisonné de ce
que les pédagogues ou les apprenants du secteur linguistique peuvent attendre du réseau
Internet" (Mangenot, 1998b : 133), il cherche lui aussi79 à prendre ses distances avec les
discours médiatique et publicitaire qui mettent en avant les possibilités offertes par la Toile80.
Pour lui, Internet constitue à la fois une source d’informations et un média de
communication (Mangenot, 1998b : 133-146). D’un côté, cela représente une source
d’informations tant pour l’enseignant (recherche de données intéressantes pour la classe…)
que pour l’apprenant (consultations de données civilisationnelles) (Mangenot, 1998b : 133-
146). De l’autre, c’est un média de communication avec, en autres, pour l’apprenant comme
pour le pédagogue la possibilité de communiquer en temps réel (dans les salons de bavardage
à l’aide d’une messagerie synchrone) ou en temps différé par le truchement du courrier
électronique (médium asynchrone).
Afin d’éviter une consultation de données "zapping" (Mangenot, 1998b : 134), F.
Mangenot propose, à la suite du didacticien australien David Nunan, d’assigner une tâche à
l’utilisateur. Cette dernière devant "permettre à la fois de guider et de rentabiliser les
recherches sur la Toile" (Mangenot, 1998b : 134).
Enfin, au nombre des apports du multimédia, nous inscrirons la multicanalité
dépeinte, notamment, par Thierry Lancien. Selon ce spécialiste de l’utilisation des "nouvelles"
technologies pour l’apprentissage des langues, ce terme désigne "le fait que coexistent sur un
même support différents canaux de communication" (Lancien, 1998a : 24). Nous noterons
avec T. Lancien que "le phénomène n’est pas en soi nouveau puisque l’audiovisuel […]
articulait déjà des images, des sons et des textes" (Lancien, 1998a : 24) et préciserons que le
lui fournit. Des démarches intéressantes peuvent être consultées sur différents sites. Voir en bibliographie les
références de Brigitte Cord-Maunoury (2003), celles du Centre National de Documentation Pédagogique (nd) et
celles du site canadien perfectic (nd).
78
Dans le numéro des Dossiers de l’ingénierie éducative paru en février 1994, un article intitulé "Jouer en
apprenant" est consacré aux jeux d’aventure et aux logiciels ludiques.
79
Voir le point 1.1.1. "Vers un dépassement des discours".
80
Traduction du mot Web, "la Toile est la partie la plus connue d’Internet, qui comporte également par ordre
d’apparition, […] le transfert de fichiers, le courrier électronique, Telnet, les forums de discussion, les canaux
IRC de bavardage en ligne" (Mangenot, 1998b : 146).
35
multimédia et le jeu multimédia semblent présenter certaines limites que nous allons aborder
maintenant.
36
de soi ? En partie évoquée plus haut avec la notion d’"alphabétisation numérique" empruntée
à Jacques Tardif (Tardif, 2002 : 24), l’importance de la formation au multimédia est soulignée
par différents auteurs. Françoise Demaizière (Demaizière, 2000 : 305-323), Serge Pouts-Lajus
et Marielle Riché-Magnier (Pouts-Lajus & Riché-Magnier, 1998 : 175-183) en font partie.
D’après ces spécialistes de l’utilisation des TIC, former les formateurs permettrait "d’aller au
delà d’une technicisation des pratiques antérieures" (Demaizière, 2000 : 322) et doterait
l’enseignant "de toutes les compétences nécessaires à l’intégration des outils technologiques
dans sa pratique pédagogique" (Pouts-Lajus & Riché-Magnier, 1998 : 175).
Certes, nous partageons l’idée de former les enseignants. Toutefois, nous étendrons
la formation au multimédia à l’apprenant et noterons que le programme de formation des
enseignants ou celui des apprenants pourrait utilement inclure un travail sur leurs
représentations vis-à-vis des TIC. Que pensent-ils des TIC ou du multimédia ? Ces supports
sont-ils essentiellement ludiques à leurs yeux ? Par le biais de l’analyse qualitative de
déclarations d’enseignants de FLE ainsi que l’observation de ressources multimédias, nous
tenterons dans une deuxième partie de répondre à ces interrogations et de mettre en regard le
discours sur la dimension ludique de ces supports et leur composante ludique effective.
1.3.4.2.4. Conclusion
En guise de conclusion, nous dirons que cette première partie nous a permis de
présenter le cadre et les présupposés théoriques qui sous-tendent notre étude. D’une part, il
nous a été loisible d’effectuer une recension des définitions du jeu, d’exposer notre conception
du phénomène et de penser l’articulation entre les activités ludiques et l’apprentissage du
français langue étrangère à travers l’exemple de la simulation globale. D’autre part, nous
avons pu également réfléchir à l’intégration de "nouveaux" supports au sein de la séquence
pédagogique : le jeu multimédia. Ce premier volet de notre travail nous amène à nous poser
différentes questions. Comment se présente concrètement ce "nouveau" jeu ? À quoi tient sa
composante ludique ? Quelle place le jeu occupe-t-il dans la pratique pédagogique des
enseignants de FLE ? La dimension ludique de l’apprentissage serait-elle renforcée par le
recours aux TIC ? L’analyse des données issues d’une enquête menée auprès d’enseignants de
FLE ainsi que l’examen de ressources multimédias que nous allons entreprendre maintenant
apporteront peut-être des éléments de réponse à ces interrogations.
37
DEUXIÈME PARTIE :
ANALYSE ET INTERPRÉTATION DE
DONNÉES LIÉES AU
CARACTÈRE LUDIQUE DES TIC 38
Afin d’essayer de mettre en exergue les représentations84 qui ont cours chez les
enseignants de FLE et de cerner, entre autres, les raisons qui motivent la présence ou
l’absence de TIC dans leur pratique pédagogique (caractère ludique, individualisation des
rythmes ou excès d’informations désorientant l’apprenant), nous avons mené une enquête
auprès de ce public d’enseignants.
Premièrement, nous noterons qu’au lieu de retenir le critère quantitatif, dans notre
enquête, nous avons opté pour une démarche qualitative et l’analyse d’un faible échantillon.
Ce dernier a été constitué sur la base d’un critère principal : le statut d’enseignant de
français langue étrangère.
Deuxièmement, nous préciserons que l’enquête a été réalisée grâce à un médium déjà
évoqué précédemment : le courrier électronique. Il paraît intéressant, dans le cadre d’un
travail portant sur les supports multimédias, de constater que sur les dix questionnaires
analysés six nous sont parvenus par courrier électronique et quatre sous une forme
manuscrite.
Enfin, nous soulignerons le fait que les déclarations des enseignants se limitent aux
traces écrites consignées dans un questionnaire établi ad hoc. Si nous reconnaissons que
l’absence d’explicitations ou de verbalisations peut se faire sentir et que des entretiens semi
directifs auraient pu étayer l’interprétation des données, nous préciserons néanmoins que
l’alternance de questions ouvertes et fermées pourrait pallier en partie ce manque. Au
nombre de 2485, les questions posées ont cherché à présenter les enseignants et leur contexte
d’enseignement (âge, sexe, lieu d’enseignement, statut du français dans le pays où ils
enseignent, entre autres), à décrire la place du jeu dans leur pratique pédagogique et à,
notamment, faire la lumière sur les liens qu’ils établissent entre les TIC et le jeu.
84
Voir la définition de ce terme page 15.
85
Un exemple de questionnaires est disponible en annexes.
39
2.1.2. Analyse des données
Abordant la phase d’analyse de données, nous ne manquerons pas de préciser que les
informations collectées ont été reproduites en annexes et réorganisées pour les besoins de
notre étude. En vue de faciliter l’exploitation des données, nous avons, d’une part, élaboré
une grille de lecture que nous avons appliquée à chaque questionnaire et, d’autre part, conçu
divers tableaux synthétisant les déclarations des enseignants de FLE autour de variables
comme l’expérience de l’enseignement ou la variété des supports pédagogiques utilisés.
Avant de contraster les données des différents enseignants et d’en proposer une
analyse globale, nous effectuerons une présentation individuelle de chaque enseignant sondé.
Nous préciserons que dans le but de nous familiariser avec les données liées aux déclarations
de cet enseignant et de les interpréter par la suite, nous avons établi une grille de lecture des
questionnaires. Cette dernière s’organise autour de trois pôles. Dans un premier ensemble,
les données visent à comparer l’expérience de l’enseignant et sa pratique
40
déclarée du jeu et des TIC. Un deuxième ensemble tente notamment d’analyser le discours
de l’enseignant sur les TIC et sur le ludique (déclare-t-il utiliser le jeu ou les TIC ? Les deux
semblent-ils associés dans son esprit ?). Dans un dernier ensemble, nous retrouvons les
fonctions que l’enseignant attribue au jeu.
Le premier enseignant de FLE que nous allons observer est un homme de 43 ans
disposant d’une très grande expérience pédagogique et travaillant en France.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignant de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Le jeu est une activité qui procure du plaisir et qui n’est pas notée. Il utilise le
jeu de façon occasionnelle
Utilisation du jeu avec les adultes 🖵 Le jeu convient à tous, mais il faut clairement
expliciter la démarche sans infantiliser son public
Utilisation des TIC 🖵 Le multimédia est un outil, mais son utilisation dans l’enseignement /
apprentissage dépend du matériel
disponible
Enseignant très 🖵
expérimenté
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵 Simplicité de la langue et décontraction Moyen d’apprentissage 🖵 Les jeux
sont un moyen d’apprentissage
Dédramatisation / facilitation de la parole possible sans dramatiser la parole
🖵 Cela permet de faire parler le plus de monde
Autre fonction 🖵 Objet de communication 41
La deuxième personne sondée, à laquelle nous allons nous intéresser, est une
enseignante de 32 ans. Elle enseigne le français langue étrangère en Thaïlande et fait état
d’une expérience raisonnable86.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Le jeu est une activité qui procure du plaisir. Elle pratique le jeu de façon
occasionnelle
Utilisation du jeu avec les adultes d’amener les élèves à s’exprimer plus librement
🖵 Que ce soit une classe d’enfants ou d’adultes, ou de travailler la langue d’une façon plus active
le jeu permet de créer une bonne ambiance,
Utilisation des TIC 🖵 Cela permet de proposer des activités plus variées 🖵
Enseignante expérimentée
très
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵 Le jeu est proposé dans la deuxième moitié de séance pour détendre les étudiants
Moyen d’apprentissage 🖵 Cela permet de travailler la langue de façon plus active
Dédramatisation / facilitation de la parole 🖵 Cela permet de stimuler les interactions
86
Expérience raisonnable est une catégorie que nous avons établie pour regrouper les enseignants dont
l’expérience se situe entre 2 ans et 5 ans (voir annexes 1.2. "Grille d’interprétation du questionnaire").
42
2.1.2.2.3. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 3
La troisième personne sondée, dont le cas va nous intéresser à présent, est une
enseignante de français langue étrangère de 29 ans. Elle travaille en Tanzanie et possède une
expérience pédagogique que nous qualifierons de moyenne.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Pour commencer un cours ou terminer une séance de façon moins formelle
Utilisation du jeu avec les adultes 🖵 En adaptant les activités aux adultes
Utilisation des TIC 🖵 Elle a déjà utilisé le site Polar Fle. Elle se sert d’Internet pour préparer ses
cours et s’en sert parfois
dans sa classe
🖵
Enseignante expérimentée
très
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵 Cela permet de se détendre Moyen d’apprentissage 🖵 Cela présente une autre dimension
de la langue et permet de mémoriser ou de mettre en pratique les
structures apprises
🖵
Dédramatisation / facilitation
de la parole
Autre fonction 🖵
43
2.1.2.2.4. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 4
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique)
Dédramatisation / facilitation
de la parole
Autre fonction 🖵
44
2.1.2.2.5. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 5
La cinquième enseignante est âgée de 52 ans. Elle jouit d’une très grande expérience
pédagogique et enseigne le français langue étrangère en France.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Occasionnellement avec les adultes et fréquemment avec les enfants
Utilisation du jeu avec les 🖵 Occasionnellement
adultes
Utilisation des TIC 🖵 Pour faire des recherches ou préparer des dossiers, par exemple
Enseignante très 🖵
expérimentée
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵
Moyen d’apprentissage 🖵 Activité d’apprentissage
Dédramatisation / facilitation de la parole libérer la parole dans les formations d’adultes
🖵 Jeux de rôles et simulation sont utilisés pour
Autre fonction 🖵 Activité de révision
45
2.1.2.2.6. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 6
Âgée de 25 ans, la sixième enseignante dispose d’une expérience pédagogique que
nous qualifierons de moyenne et enseigne le français langue étrangère au Mozambique.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Elle l’utilise fréquemment et le trouve facile à mettre en place, motivant et
souvent drôle
Utilisation du jeu avec les adultes n’hésitent pas à jouer le jeu
🖵 Les adultes sont plutôt enthousiastes et
Utilisation des TIC 🖵 Elle a recours à Internet dans sa classe et s’en sert aussi pour préparer ses
cours
🖵
Enseignante expérimentée
très
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵
Moyen d’apprentissage 🖵 Le jeu permet de brasser les connaissances et de s’approprier la langue et
ses structures d’une
manière motivante
🖵
Dédramatisation / facilitation
de la parole
Autre fonction 🖵
46
2.1.2.2.7. Déclarations de l’enseignant de FLE numéro 7
La septième personne sondée est le deuxième homme de notre échantillon. Il est âgé
de 41 ans, enseigne le français langue étrangère au Tchad et jouit d’une très grande
expérience de l’enseignement.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignant de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Occasionnellement
Utilisation du jeu avec les adultes mais qu’il convient à tous les âges. Tout dépend
🖵 Il trouve que le jeu est réservé aux enfants du public et de la tactique du "prof"
Utilisation des TIC 🖵 Il les utilise parfois, mais au Tchad cela reste un luxe
Enseignant très 🖵
expérimenté
Socialisation / activité de
groupe
Détente 🖵 Moyen d’apprentissage 🖵 🖵
Dédramatisation / facilitation
de la parole
Autre fonction 🖵 Le jeu permet de sortir de l’ordinaire et d’apprendre la langue autrement
47
2.1.2.2.8. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 8
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Elle l’utilise fréquemment
Utilisation du jeu avec les adultes objectifs pour les plus réticents
🖵 Il convient à tous, mais il faut expliciter les
Utilisation des TIC 🖵 Elle utilise Internet en classe 🖵
Enseignante expérimentée
très
48
2.1.2.2.9. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro 9
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Elle l’utilise fréquemment
Utilisation du jeu avec les adultes infantilise, les adultes eux hésitent moins
🖵 Alors que les adolescents trouvent qu’on les
Utilisation des TIC 🖵 Elle a été formée, mais les lieux où elle a travaillé n’étaient pas équipés
🖵
Enseignante expérimentée
très
Les TIC sont un gadget 🖵 🖵 Les deux à la fois, cela dépend de la façon dont on l’utilise, des besoins
des apprenants et des
compétences de l’enseignant
Recours à divers médias 🖵 Elle utilise tout sauf Internet et les cédéroms Recours à peu de
média 🖵
* Fonction attribuée au jeu par l’enseignante de FLE
OUI NON Déclarations de l’enseignante de FLE (si
présentes)
Socialisation / 🖵
activité de groupe
Autre fonction 🖵
49
2.1.2.3.0. Déclarations de l’enseignante de FLE numéro
La dixième personne que nous avons sondée est une enseignante de 43 ans qui
enseigne le français langue étrangère en France.
* Pratique déclarée du jeu et des TIC (au regard de son expérience pédagogique) OUI NON
Déclarations de l’enseignante de FLE (si présentes)
Utilisation du jeu 🖵 Elle l’utilise occasionnellement
Utilisation du jeu avec les adultes tout âge
🖵 Façon ludique et amusante d’apprendre à
Utilisation des TIC 🖵 Sa pratique pédagogique a changé, elle l’utilise parfois en classe
Enseignante très 🖵
expérimentée
Les TIC sont un gadget 🖵 Un outil proposant des documents difficilement disponibles ailleurs
Recours à divers médias 🖵 La télévision, la presse écrite, la radio, la vidéo et Internet de façon
occasionnelle
Recours à peu de média 🖵
Fonction attribuée au jeu par l’enseignante de FLE
OUI NON Déclarations de l’enseignante de FLE (si
présentes)
Socialisation / activité de groupe 🖵 Tous les apprenants participent
Après avoir analysé les déclarations des différents enseignants, nous avons choisi de
retenir, entre autres, l’expérience pédagogique comme élément de comparaison et comme
variable explicative pour certaines de nos données. Ce faisant, nous avons pu constater que
sur les dix enseignants de notre échantillon quatre jouissaient d’une très grande expérience
(Q.5, Q.7, Q.1 et Q.10), quatre autres possédaient une expérience raisonnable (Q.2, Q.4, Q.8
et Q.9) et deux autres (Q.3 et Q.6), enfin, relevaient de la catégorie expérience moyenne.
C’est notamment en nous appuyant sur ce critère que constitue l’expérience que nous allons à
présent interpréter nos données.
Nous précisons que la lettre Q. utilisée dans notre analyse fait référence à un
questionnaire.
de FLE TIC pas les TIC
Enseignants Utilisant les N’utilisant Total
expérience Q.10
Q.1, Q.5, Q.7 et 0 100
Très grande
Q.3 et Q.6 0 100
Expérience raisonnable
Expérience moyenne
Q.2 et Q.8 Q.4 et Q.9 100
Total 80 20 100
À la lumière de ce tableau, nous ferons remarquer que huit enseignants de FLE sur
10 (soit 80 %) déclarent recourir aux TIC dans leur pratique pédagogique et que deux autres
(20 %) disent ne pas les utiliser. Nous signalerons que le motif invoqué par l’une des deux
enseignantes (questionnaire 9) c’est l’absence d’équipement87 au sein des institutions où elle
87
Cela semble rejoindre l’une des limites évoquées page 36.
51
a travaillé. Nous ajouterons, pour finir, que l’expérience pédagogique ne serait pas
déterminante ici si nous prenons le fait que, des plus chevronnés aux moins expérimentés,
tous déclarent utiliser les "nouvelles" technologies dans leur pratique de classe.
Q.10
Expérience
Expérience moyenne Q.3 et Q.6 0 100
Expérience raisonnable
Expérience moyenne
Q.2 et Q.8 Q.4 et Q.9 100 Q.3
Total 50 ou 60 40 ou 50 100
52
Dans le précédent tableau, nous avons pu noter que sur les différents enseignants
interrogés un seul (le questionnaire 10) n’a pas su se prononcer quant au caractère ludique ou
non des TIC. Nous avons pris en compte cette indécision et fait figurer entre parenthèses cet
enseignant dans les deux catégories : la catégorie où les TIC et le ludique sont associés ainsi
que la catégorie ne les associant pas. C’est la raison pour laquelle, contrairement aux autres
tableaux, les données sont cette fois imprécises et oscillent entre 50 % et 60 % (de personnes
déclarant que c’est ludique).
Nous pouvons voir dans le tableau ci-dessus que la totalité des enseignants (100 %)
sondés déclarent utiliser le jeu dans leur pratique pédagogique. "La pédagogie des jeux"
évoquée précédemment (cf. page 27) semble donc être une réalité de terrain.
53
Comme pour le précédent tableau, nous atteignons à nouveau les 100 % de notre
échantillon. En effet, sur dix enseignants interrogés, dix déclarent avoir déjà utilisé le jeu
auprès d’un public adulte. Nous noterons que quels que soient l’âge des apprenants et
l’expérience de l’enseignant, le jeu semble faire partie des supports pédagogiques. Il serait
intéressant voire nécessaire de corroborer ces déclarations par une observation sur le terrain.
Cela nous permettrait peut-être de voir où se situe la différence entre l’enseignant déclarant
jouer occasionnellement et celui recourant fréquemment au jeu. L’absence de matériels serait
elle en cause ? Serait-ce dû à un manque de créativité chez l’enseignant ou à une adaptation
aux besoins de son public ? Comment l’apprenant vit-il l’excès d’activités ludiques ou leur
rareté dans l’apprentissage ? L’observation des pratiques apporterait peut-être des réponses à
ces questions.
Ayant observé le tableau ci-dessus, nous constatons qu’une seule enseignante (10 %)
considère les TIC comme un gadget, mais nous précisons également qu’elle les compte aussi
au nombre des outils. Comme pour le tableau ayant trait à la dimension ludique des TIC88, les
données sont à la fois imprécises et éclairantes. Si entre 0 % et 10 % des personnes sondées
situent les TIC parmi les gadgets, nous noterons néanmoins que 90 % à 100 % d’entre eux
trouvent que ces technologies relèveraient de l’outil. Acceptation de l’outil, mais rejet de la
88
Voir le point 2.1.3.3. intitulé "Association entre les TIC et le ludique chez les enseignants ". 54
89
Voir à ce sujet les points 1.3.3.1. "Notre conception du jeu" et 1.3.3.2.1. "Ludique, le ludique, et l’activité
ludique".
90
Nous partageons en cela les vues de Jean-Marc Defays et de Jean-Emmanuel Le Bray. Le premier proposant
de soumettre à l’apprenant ou à l’enseignant un questionnaire visant à "connaître ses préjugés et ses attitudes"
(Defays, 2003 : 18). Le second suggère de prendre en compte les représentations sociales et de les dépasser en
observant "les usages à chaud" (Le Bray, 2002 : 43).
91
Le caractère institutionnel serait une garantie contre la disparition "intempestive" du site ou contre sa labilité,
phénomène constaté au sujet du réseau Internet.
55
92 93
Alsic et d’autre part nous avons établi notre propre grille d’analyse du ludique . C’est en
partie le résultat de ce va-et-vient que nous proposons à présent.
Produit en 1999 par The Language Centre, le didacticiel Apprendre le français semble faire
partie des produits pédagogiques. Ne disposant pas de
documentation s’y rattachant et n’ayant eu accès qu’au seul
contenu du
didacticiel, nous noterons que, mis à part le titre, nulle
référence ne semble présente quant au public visé ou au
contexte d’utilisation du didacticiel.
Pour continuer sur la présentation générale du
l’absence relative de guidage,
did
acticiel, nous signalerons
uelle constituerait la démarche privilégiée par les laq
En effet, cet écran pourrait dérouter l’usager car les symboles utilisables dans cette
première situation ne semblent pas correspondre à ceux qui servent habituellement à se
déplacer dans un logiciel ou dans un environnement informatique (une flèche vers la droite
pour passer à la fenêtre suivante, par exemple, etc.).
Cette désorientation n’est que passagère puisqu’il lui est possible de mieux
appréhender la structure du produit multimédia et de mieux en saisir le fonctionnement en
cliquant sur le bouton « Aide » symbolisé par un point d’interrogation. En consultant cette
rubrique, l’utilisateur94 a accès à une bande dessinée lui expliquant le rôle des différentes
icônes. Grâce à elles, il peut combiner différents médias. Toutefois, après avoir cliqué sur le
point d’interrogation, il ignore toujours à quoi correspondent les symboles X et ↑. Dans le cas
présent, des connaissances de l’utilisateur extérieures à la situation semblent être mises à
92
La revue Alsic (Apprentissage des langues et systèmes d’information et de la communication) (2004) est
uniquement disponible en ligne.
93
Voir Annexes 2.1. "Grille d’analyse de la composante ludique des ressources multimédias" 94 Nous
emploierons indifféremment, dans notre analyse de ressources multimédias, utilisateur, usager, apprenant et
internaute (ce dernier plus spécifiquement pour le réseau). Ces dernières concernant principalement
l’apprentissage du français (langue étrangère notamment).
56
contribution. En effet, toute personne ayant
déjà utilisé un traitement de texte comme Word
peut deviner que la croix sert ici à fermer
l’application (fonction de ce symbole dans
Word). Quant à la flèche ↑, elle permet soit de
passer à l’écran suivant où les différents thèmes
sont présentés, soit de revenir en arrière
(jusqu’à l’écran initial si l’usager le souhaite) .
Pour finir cette présentation sur l’organisation du produit, nous ajouterons qu’il
comporte douze thèmes des "numéros et abc" aux "couleurs et aux tailles". Pour travailler sur
un thème, l’utilisateur doit au préalable le sélectionner par un simple clic de souris puis
aussitôt choisir un mode de travail. Il indique, par exemple, s’il souhaite associer la souris, le
son et le texte. Ces modes d’association correspondent aux cinq icônes situées à gauche du
point d’interrogation symbolisant le menu "Aide" (voir l’image ci-dessus).
95
Présentation de l’information par différents canaux évoquée précédemment (page 33). 57
ferons remarquer que seule la réponse juste est présentée à l’aide des trois médias (son,
d’image et de texte). L’intention des concepteurs serait d’empêcher ainsi la mémorisation
d’une forme erronée.
Lorsque l’utilisateur choisit de travailler avec cette icône, la machine prononce, selon
le thème dans lequel il se trouve, un nom d’objet, d’animaux, de fruits, d’instruments de
musique, etc. Il incombe alors à l’utilisateur de se servir du clavier de son ordinateur et
d’écrire ce nom. Il est à noter que l’image à identifier est mise en lumière et que les autres
sont placées dans l’ombre. Lorsque l’utilisateur transcrit correctement ce qu’il a entendu, la
machine se contente de répéter le nom d’objet, de fruits, d’instruments de musique, etc.
Lorsqu’il se trompe, la machine émet un bruit de bris de verres, fait apparaître la transcription
de l’utilisateur en rouge, puis fournit la bonne transcription. Seule la réponse juste est à la fois
écrite et dite. Lorsqu’il choisit cette quatrième icône, l’utilisateur effectuerait principalement
un travail de compréhension écrite et d’expression écrite.
58
Nous préciserons par ailleurs que le métalangage semble absent du didacticiel.
Aucun commentaire n’est fourni sur les réponses de l’apprenant. La correction grammaticale
se ferait implicitement. Par exemple, dans un thème comme celui de la nourriture, la machine
dit "des cerises". Charge alors pour l’utilisateur d’écrire "des cerises". S’il n’écrit que
"cerises", ce qui correspond pourtant à l’image affichée à l’écran, son erreur lui est signifiée
avec le pouce (tourné vers le bas) et le bruit (de bris de verres) habituels.
De plus, toujours en ce qui concerne le traitement de l’erreur, nous signalerons que
l’absence de retour pédagogique ou de rétroaction96, autre que par le bruitage et le pouce
tourné vers le haut ou vers le bas, paraît particulièrement discutable dans l’image suivante.
Se
trouvant dans le deuxième mode d’association ("souris et lettres"), l’utilisateur devant tenter
d’associer le texte "bateau de pêche" à l’image qui convient pourrait se trouver désemparé en
cliquant sur la barque et en entendant retentir un bruit de verre et en visualisant un pouce
tourné vers le bas. Devait-il ici saisir la nuance entre les deux embarcations que sont la barque
et le bateau ? Sa désorientation serait-elle due à la polysémie de l’image choisie par le
concepteur ? Nous avons conscience qu’il n’est pas toujours possible d’intégrer dans les
applications multimédias "un module gestion des activités de l’utilisateur qui soit très
développé et précis afin de prendre en compte l’éventail le plus large possible des actions de
l’usager" (Paquelin, 2002 : 7).
Toutefois, dans le cas présent, l’ambiguïté pourrait être levée, selon nous, en ne
proposant à l’apprenant qu’une seule image d’embarcation ou en lui affichant un message
comme "une barque" lorsqu’il cliquera sur cette barque.
96
Dans un article publié dans la revue Alsic, Didier Paquelin rappelle la définition suivante : "la rétroaction
consiste à contrôler, par rapport à un effet attendu clairement défini, un organisme vivant ou une machine à
travers un retour d’informations, appelée rétroaction (feedback en anglais)" (Paquelin, 2002 : 7).
59
Pour finir, nous avancerons l’idée qui suit : l’absence d’une rétroaction exerçant "une
certaine guidance de l’utilisateur dans son activité […] et favorisant la prise de connaissance
[par ce dernier] de la pertinence de ses actions" (Paquelin, 2002 : 7) impliquerait davantage de
vigilance de la part des concepteurs d’applications multimédias quant à l’éventuelle ambiguïté
des contenus proposés. En particulier, lorsque le produit n’est pas utilisé en présence d’un
formateur.
97
Par ce terme, nous entendons une situation où l’utilisateur doit franchir chaque étape de l’application l’une
après l’autre, écran par écran, suivant l’ordre établi par le concepteur.
98
Dans ce sixième point, nous quittons la description des icônes pour décrire le didacticiel à l’aide de notre grille
(voir Annexes 2.1. "Grille d’analyse de la composante ludique des ressources multimédias").
60
composante ludique paraît absente de ce didacticiel. 5) La composante ludique serait absente.
6) Présente un intérêt pour l’apprentissage des langues en particulier l’apprentissage du
lexique en français de par le recours raisonné à la multimodalité. 7) Cela correspondrait à un
exercice classique avec un habillage technologique. 8) L’apprenant ne semble pas jouer. 9) Ce
produit comporte les trois médias. Il est multimodal. 10) Oui. Dans les débuts de
l’apprentissage de la lecture en français langue maternelle, notamment, certains livres
associent l’image et le texte. 11) La version multimédia semble utiliser à bon escient les
différents canaux et présenter l’information sous différentes formes. Une certaine cohérence
se ferait jour, car les différentes icônes traitent un même thème, mais le décline en s’appuyant
sur les différents médias. 12) Non, tel que le produit multimédia Apprendre le français (1999)
se présente actuellement, augmenter la dimension ludique ne paraît pas nécessaire. Il serait
néanmoins intéressant de comparer empiriquement les résultats d’utilisateur acquérant leur
lexique à l’aide de ce produit ou par le biais d’autres produits davantage ludiques. 13) Non.
14) Ne contient aucune précision sur l’âge du public visé. 15) Conviendrait à tous, même si
chez les apprenants de niveau avancé sa fonction première serait avant tout la révision. 16)
Débutant et intermédiaire.
61
et le contenu du didacticiel. Cette volonté de sortir l’apprenant de la vie courante semble
rejoindre la mimicry évoquée par Caillois99 et conférer au produit une composante ludique.
Deuxièmement, nous intéressant à la structure de cette application multimédia, nous
préciserons que son repérage semble facilité par la présentation des différentes parties du
produit et cela dès les premiers écrans. Outre ce repérage, la prise en main serait également
rendue plus facile grâce à la rubrique "Aide" présente à chaque étape.
Ensuite, nous remarquerons que l’utilisateur est libre de choisir le thème qu’il
souhaite aborder. Au nombre de douze, ces thèmes semblent s’organiser de la façon suivante.
L’usager se voit d’abord proposer une vidéo ayant trait au thème en question (l’âge, par
exemple) et à la suite de cette étape d’exposition et de sensibilisation il lui est loisible de
mettre en application ce qu’il vient d’apprendre au travers de différentes activités. Ces
dernières se présentent généralement sous la forme d’images fixes mettant en scène de jeunes
personnages de bande dessinée renforçant ainsi la part de mimicry ou d’identification possible
entre le jeune apprenant et les personnages.
Par ailleurs, tentant d’appliquer certaines catégories de notre grille100, nous dirons
d’une part que le vocable jeu n’est pas présent. D’autre part, nous noterons que Pilote-moi
interactive (2002) proposerait à l’utilisateur (un élève du niveau primaire, de préférence) des
activités relevant du jeu. Leur caractère ludique serait dû à la présence d’une idée de gain ou
de perte. La composante ludique semble renforcée par la manière dont l’erreur est traitée : des
encouragements d’enfants si l’utilisateur réussit et des bruitages semblables à ceux des
dessins animés s’il échoue.
99
Voir page 16.
100
Voir Annexes 2.1. "Grille d’analyse de la composante ludique des ressources multimédias". 62
visualise les différentes parties du didacticiel. Ce repérage initial peut être renforcé et
complété à l’aide d’une icône : la bouée. En cliquant sur ce symbole, l’utilisateur se voit
proposer une explicitation des différentes rubriques et de leur mode de fonctionnement.
Deuxièmement, pour ce qui est de l’application de notre grille101, nous dirons que le
produit Au cœur de la loi (2000) relèverait d’une situation métacommunicative102. En effet, le
vocable "jeux", utilisé dans la documentation fournie par l’éditeur, n’est pas présent dans le
didacticiel, mais y serait sous-jacent. La composante ludique semble particulièrement
ostensible dans la partie "Activités". Par exemple, dans l’activité "Épeler", l’utilisateur
dispose de 30 secondes pour retrouver l’orthographe du mot manquant. S’il y parvient avant
l’arrêt du chronomètre il est applaudi. En revanche, s’il échoue il entend la déception du
public. Cette activité présenterait selon nous une dimension ludique en raison de la présence
du chronomètre, ce dernier pouvant éveiller l’esprit de compétition (agôn) chez l’utilisateur et
susciter un gain ou une perte. Enfin, la dimension métacommunicative, dans cette partie
"Activités" est notamment visible par le classement proposé à l’utilisateur. Selon le nombre de
points obtenus, il obtient soit l’or, soit l’argent, soit le bronze.
En guise de présentation générale, nous dirons que Qui est Oscar Lake ? (2002) est
un didacticiel ayant pour objet l’apprentissage du français à un "niveau débutant" ou "moyen".
Outre le public visé, la documentation accompagnant le produit précise qu’il s’agit d’"une
aventure interactive pour apprendre le français". Nous soulignerons le fait que le titre anglais
se présente différemment : The Ultimate Language Adventure Game.
Tout d’abord, concernant la composante ludique de cette application multimédia,
nous avancerons que la comparaison entre le titre anglais et le titre français est éclairante.
Alors que la métacommunication est visible dans la version anglaise avec le terme Game,
dans le titre français, c’est l’interactivité qui est mise en avant.
Interactif ou ludique ? L’observation du contenu ne permet pas d’avoir une opinion
tranchée sur la question. Néanmoins, nous remarquerons que la "ludicité" déclarée dans le
titre anglais et l’interactivité revendiquée par le titre français semblent limitées. D’une part, en
raison des déplacements limités de l’utilisateur, lesquels se font de façon linéaire (l’interaction
avec le vendeur de journaux n’étant possible, par exemple, qu’à un moment
101
Cf. Annexes 2.1. "Grille d’analyse de la composante ludique des ressources multimédias".
102
Voir la définition de ce terme page 22.
63
précis de l’histoire). Cette linéarité serait selon nous en contradiction avec ces propos de
Didier Paquelin : dans les applications ludiques, "chaque action de l’utilisateur (déplacement,
choix d’un objet) fait évoluer l’environnement visuel et sonore qui lui est proposé" (Paquelin,
2002 : 7).
64
2.2.2. Analyse d’un site Internet : Retrouvez le sourire
65
et recourant à la même question "je peux vous aider ?". Il semblerait que l’intention des
concepteurs soit ici de ne pas entraîner une surcharge cognitive chez l’apprenant débutant en
variant la formulation des questions.
Par ailleurs, nous dirons que le caractère non linéaire participerait de la "ludicité" dans
Retrouvez le sourire. L’internaute a en effet la possibilité de se rendre dans l’épisode de
l’histoire de son choix. La facilité de repérage et d’évolution dans le scénario sont notamment
rendues possibles par les vignettes disponibles au bas de l’écran principal ainsi que par la
visualisation de l’architecture du site. Les éléments de cette architecture sont les suivants : une
rubrique "Guide", une rubrique "Tools" et une rubrique "Units".
Enfin, revenant par le détail sur ces différentes rubriques, nous distinguerons différents
points.
1) La rubrique "Guide" : The Game,Infos +, Grammar, Scenario (voir l’image
ci-dessous)
La première sous-rubrique intitulée "The Game" présente le contexte dans lequel le jeu
se déroule et présente l’énigme à résoudre : où se trouve la Joconde ?
La seconde sous-rubrique, "Infos +", fournit à l’internaute des informations touristiques.
Nous devons préciser ici que Retrouvez le sourire semble posséder un caractère ludo-culturel.
En effet, en tentant de résoudre l’énigme, l’utilisateur apprend également à lire un plan de
métro de Paris, par exemple. "Infos+" contient d’ailleurs diverses informations sur la
gastronomie et les monuments français, entre autres.
La troisième sous-rubrique s’intitule "Grammar". Elle propose un index grammatical
dont les exemples et le vocabulaire sont tirés de l’histoire.
La sous-rubrique suivante s’intitule "Scenario". Dans cette partie, l’histoire sous
tendant l’action du joueur est exposée. Il est à noter que tant la sous-rubrique "Scenario" que
la sous-rubrique "Game" peuvent être imprimées et semblent avoir été pensées pour faciliter
la lecture à l’écran si nous en jugeons par leur disposition en colonnes.
66
2) La rubrique "Watch and Listen"
Dans la rubrique Know How", l’utilisateur peut consulter des phrases traduites du
français vers l’anglais. "Words" propose aussi des traductions et des équivalences, mais cette
fois mot par mot.
Outre la structure du site et les différents outils de repérage que nous venons
d’évoquer, l’histoire de Retrouvez le sourire semble elle aussi contribuer à la dimension
ludique du site. C’est sur le scénario et son déroulement que nous allons nous pencher en
reprenant certaines étapes du scénario.
* 1ère étape : le choix d’une identité
Ce n’est que lorsque l’utilisateur s’est choisi une identité fictive que le jeu peut
commencer. Nous noterons que le choix de l’identité conditionne le déroulement de l’histoire
et cela jusqu’à son dénouement, comme nous le verrons ultérieurement. * 2ème étape : La perte
du bagage
Si la première étape a permis de choisir l’identité du joueur, cette deuxième phase de
l’histoire met en scène le personnage choisi par l’internaute, à savoir la fille ou le garçon. En
arrivant à l’aéroport, ce dernier reçoit un appel téléphonique lui indiquant de ne pas "oublier
sa valise". Cette première instruction vient de Max, personnage pour l’heure mystérieux
donnant des consignes et des rendez-vous à l’internaute.
Au travers de différentes interactions avec les différents services de l’aéroport (les
réclamations, la police ou l’accueil), le personnage fictif parvient à prendre sa valise, mais
découvre que son contenu a changé et doit remplir un formulaire de réclamation. C’est là
l’occasion d’une activité d’expression écrite : le remplissage du formulaire, lequel ne paraît
pas très aisé et peut constituer une difficulté pour l’apprenant. Prévue par les concepteurs du
site, au bout de plusieurs sollicitations (par un curseur clignotant) sans réponse de l’internaute
des indications apparaissent dans le formulaire (nom, bagage, par exemple).
67
* Autre étape : Rendez-vous à l’hôtel
Ayant pour cadre la ville de Paris, Max donne rendez-vous à l’internaute (ou à son
personnage fictif) à l’hôtel François 1er dans le cinquième arrondissement. Suivant les
instructions d’un agent de police, l’internaute rejoint le RER puis l’arrêt Cardinal Lemoine.
Une phase culturelle voire ludo-culturelle est proposée à l’internaute : repérer d’une part, le
bon itinéraire de métro et d’autre part repérer le bon chemin le menant à l’hôtel. Nous
signalerons que le traitement de l’erreur se fait soit par un message vocal du type "bien", soit
par un bruitage d’erreur.
* Étapes suivantes : l’arrivée à l’hôtel, le restaurant, le Louvre et la résolution de
l’énigme
À son hôtel, l’internaute se voit proposer un jeu pour tenter de découvrir le
monument visible de sa chambre. Lorsqu’il réussit le jeu, l’internaute a accès au monument, à
savoir le Panthéon. Dans les phases suivantes du scénario, le joueur quitte le Panthéon pour
aller déjeuner au Vieux Paris comme lui indique un message écrit.
La scène du restaurant semble particulièrement intéressante du point de vue de
l’interactivité et de l’"authenticité". D’une part, lorsque le serveur prend la commande de
l’internaute, chaque réplique de l’internaute entraîne une réaction du serveur : il note la
commande (bruitage d’écriture) sur son carnet. D’autre part, l’utilisateur reçoit un appel
téléphonique ainsi qu’un message. Ce dernier, comme les précédents, se présente sous une
forme manuscrite conférant à la situation une dimension "authentique" et dans une taille de
caractères suffisamment grande pour, semble-t-il, faciliter l’activité de lecture.
Dans le cinquième et dernier chapitre ("Units"), le joueur a rendez-vous au Louvre et
découvre enfin Max ainsi que l’autre personnage (fille ou garçon) présent lorsque le joueur a
choisi son identité fictive. Max, le directeur du musée et les deux joueurs tentent de résoudre
l’énigme, à travers des anagrammes, par exemple. Cette dernière partie au Louvre semble
mettre au jour une forte cohérence du point quant au scénario. En effet, les objets (un coucou
pour le garçon et une clarinette pour la fille) présents au début de l’histoire ont leur rôle à
jouer dans l’élucidation de l’énigme. Une fois résolue cette dernière permet à l’internaute
d’entendre la marseillaise et de recevoir les remerciements de "La France reconnaissante".
68
2.2.3. Conclusion et perspectives méthodologiques
Pour conclure, nous dirons que cette deuxième étape nous a permis d’opérer un
travail sur deux plans. Nous avons, d’une part, tenté de mettre au jour les discours et les
représentations à l’œuvre dans le milieu de l’enseignement du français langue étrangère.
D’autre part, nous nous somme intéressé au contenu de didacticiels de langue et à celui d’un
site Internet.
À l’aune des analyses entreprises, il appert que les pratiques pédagogiques des
enseignants de français langue étrangère présentent une composante ludique, laquelle ne serait
pas uniquement destinée au public enfant mais contribuerait entre autres à la socialisation et à
la créativité des adultes. Par ailleurs, l’observation des didacticiels de langue semble indiquer
que ces produits multimédias ne visent pas le dépaysement et que leur dimension
métacommunicative serait limitée, mais non pas inexistante.
En outre, il semblerait que, du côté du réseau Internet et des sites se présentant
comme relevant du jeu ou revendiquant une certaine "ludicité", la mimicry et l’interactivité
viennent étayer leur dimension ludique. Si du point de vue des discours et des représentations,
l’heure ne semble pas être à la "gadgétisation" des supports multimédias, l’observation des
pratiques de terrain permettrait peut-être de faire la lumière sur le savoir-faire et le savoir-être
des enseignants vis-à-vis du jeu qu’il soit multimédia ou non.
La distanciation, par rapport au ludique déclaré ou affiché, et la mise en exergue d’un
ludique avéré grâce à la réflexion didactique, sont les perspectives méthodologiques que nous
proposons aux enseignants de FLE. Ces perspectives sont réparties dans deux grilles. L’une se
rapportant aux discours sur le jeu en général et le jeu multimédia en particulier, l’autre portant
sur l’évaluation de la composante ludique des ressources multimédias.
69
Conclusion
70
RÉFÉRENCES
Références bibliographiques
Hachette (1992). Paris : Hachette.
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Sites Internet
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TABLE DES ANNEXES
1) Sexe : □ M □ F
2) Âge : …..
3) Enseignez-vous ? Cochez une ou plusieurs réponses.
□ le français langue étrangère (FLE) □ le français langue seconde (FLS) □ le français langue
maternelle (FLM) □ une autre langue ? précisez …………… 4) Dans quel pays
enseignez-vous ? ………………………………….. 5) Depuis combien de temps
enseignez-vous ?
□ moins de 2 ans □ moins de 5 ans □ plus de 5 ans □ plus de 10 ans □ plus de 15 ans
6) Quel est le statut du français dans votre pays (là où vous enseignez) ? Cochez une ou
plusieurs réponses.
□ langue officielle □ langue maternelle □ autre, précisez ………………… 7) Dans
votre pratique pédagogique, utilisez-vous les jeux ?
□ jamais □ parfois □ souvent □ très souvent
8) Si oui, quels jeux utilisez-vous ? Donnez un nom ou des exemples. 9) Si oui, à quel
moment proposez-vous des jeux à vos apprenants ? Dites pourquoi. 10) Les jeux ou les
activités ludiques ont-ils leur place dans la classe de langue ? Justifiez votre réponse.
□ Oui □ Non
11) Pour vous, le jeu est-il réservé aux apprenants enfants ? Justifiez votre réponse.
□ Oui □ Non
12) Avez-vous déjà proposé des jeux ou des activités ludiques à des apprenants adultes ?
□ Oui □ Non
13) Si vous avez répondu oui à la question 12, comment les apprenants adultes ont-ils
réagi ?
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