Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
بقرة اليتامي القبائلية
بقرة اليتامي القبائلية
d e s
O r p h e l i n s
Nadine Decourt
V a c h e
d e s
O r p h e l i n s
conte et immigration
C'est avec un grand bonheur que je préface ce livre. Il n'est pas com-
mun, en effet, d'avoir la chance de profiter des leçons d'une véritable
recherche expérimentale et pionnière ainsi que peut être qualifiée celle
menée par Nadine Decourt.
Bonheur d'autant plus grand que m'est cher et familier le "matériau"
ainsi traité, les contes, tout particulièrement maghrébins.
Bonheur que cette actualité du conte et sa présence aujourd'hui stimu-
lante, réactivée comme ici, dans l'histoire de l'immigration.
Bonheur encore, de voir renaître les joies, le plaisir du contage. Plai-
sir, certes souvent cultivé aujourd'hui, en France, par tous ces nouveaux
conteurs qui se produisent en public, mais ici plaisir retrouvé - ou même
découvert - plus intimement au sein des foyers familiaux, en même
temps que plus collectivement à l'école, établissant ainsi un pont ouvrant
la communication entre ces deux univers des enfants de parents
maghébins immigrés.
Bonheur de cette prise de conscience commune aux enseignants et aux
immigrés et, surtout à leurs enfants, des réelles richesses des contes. Ri-
chesses non seulement de leur contenu, mais aussi des qualités mécon-
nues de leur style oral. Car, pour les enfants maghrébins comme pour
leurs enseignants, cette expérience est révélatrice de bien des mystères
contenues dans la langue maternelle, dans cette forme particulière qu'est
le conte. Enseignants, parents, enfants, tous y découvrent les propriétés
de l'oralité, de ce style oral si élaboré, souvent même sophistiqué, que,
habitués de l'écriture, nous avons depuis longtemps perdu la faculté d'ap-
précier. Style oral que certains de ses spécialistes proposent même de
nommer "orature", ainsi comparable à la "littérature".
Bonheur de ces autres ponts établis entre l'oral et l'écrit et de la dé-
monstration faite de leur comptabilité et de leur complémentarité. S'il y
a, dans cette recherche-action", une redécouverte du conte en langue
maternelle, il y a aussi promotion du conte au rang de véritable médiateur
culturel, puisque, pour les enfants d'immigrés, il vient combler le hiatus
entre la culture orale des parents en langue maternelle et celle, nouvelle,
écrite, transmise à l'école, dans une autre langue.
Bonheur que le possible recours aux sources du "symbolique", don-
nant une nouvelle jeunesse à cette littérature orale, revigorée comme base
de départ vers une ouverture à d'autres acquisitions. Une telle revalorisa-
tion du patrimoine culturel oral maternel permet, du même coup, de
mieux connaître et apprécier la place qu'il occupe partout, dans le patri-
moine universel de l'humanité. Car le conte porte des messages transcul-
turels profonds, présents dans toutes les cultures, tout en prenant, en cha-
cune d'entre elles, des formes différentes étroitement liées à la transmis-
sion culturelle familiale.
A travers la constitution d'un "corpus immigré", à travers le travail
réalisé sur ces contes, il n'y a pas seulement sauvegarde d'un patrimoine,
il y a aussi réappropriation, reconnaissance et partage. Tout comme il
ouvre et entretient un dialogue - difficile, souvent perdu -, au sein du
groupe familial, entre parents et enfants, éventuellement même, comme
c'est le cas ici, entre trois générations, il établit aussi la communication
avec toutes les autres cultures, et, une fois confortée une certaine identité
culturelle, il s'avère apte à prédisposer à d'autres acquisitions.
Le conte, partie de la culture en langue maternelle orale, en contri-
buant à davantage de cohérence entre la culture du foyer, maternelle,
dans la langue de l'inconscient, langue symbole et la culture acquise au
dehors, dans la langue de l'école, des relations extra-familiales, la langue
de la socialisation, le conte, donc, prend ainsi place dans un processus de
résolution des contradictions nécessaire à la construction de l'identité des
enfants de parents immigrés.
Si bien que, sans prétention, mais en avançant toujours résolument
dans la même démarche active, Nadine Decourt réalise une belle démons-
tration : elle a inventé et défriché un chemin fertile, apte à aplanir les
difficultés de l'intégration, à faire dialoguer les cultures dans une estime
mutuelle.
Camille Lacoste-Dujardin
AVANT-PROPOS
1. CLIN : classes expérimentales d'initiation pour enfants étrangers (circulaire du 13 janvier 1970,
BO n° 5 du 29 janvier 1970)
2. CLAD : classes d'adaptation pour enfants étrangers non francophones arrivant en France entre 12
et 16 ans (circulaire du 25 septembre 1973, BO n° 36 du 4 octobre 1973).
l'Enseignement de la Langue et de la Civilisation) et le CRÉDIF (Centre
de Recherche et d'Étude pour la Diffusion du Français).
Les difficultés d'adaptation rencontrées ensuite par les enfants ont été
telles qu'une deuxième approche a été tentée : le détour par les langues
maternelles. Et si, au lieu de redouter les interférences et les habitudes de
la langue maternelle de l'apprenant, on prenait vraiment en compte sa
personne, et partant son identité ? Des cours, dès 1975, ont été mis en
place à la suite d'une série d'accords culturels avec les pays concernés 3.
Des ELCO (Enseignants de Langue et Culture d'Origine), envoyés et
payés par leur pays, ont assuré ces cours, soit pendant le temps scolaire
soit en dehors, aux élèves de même nationalité dont les parents en fai-
saient la demande. Les contenus n'étaient certes pas très précis et ont
permis toutes sortes de dérives, qui attirent aujourd'hui l'attention. Cours
de Coran ? Cours de civilisation ? Méthodes rigides ? Toujours est-il que
les effets pervers ne se sont pas fait attendre. Certains enfants vivaient
mal d'être arrachés pour un temps aux activités de la classe, qu'elles fus-
sent jugées "fondamentales" ou "festives". Entre Algériens, Marocains et
Tunisiens, les choses ne se passaient pas toujours bien, sans parler des
enfants berbérophones et perdus dans la masse. Quant au choix raisonné
de l'arabe littéraire, il ne donnait pas toujours satisfaction. Bien souvent,
la langue maternelle annoncée pouvait se révéler une langue "nationale"
créant un autre effet de rupture et d'étrangeté. Enfin, il était impossible,
dans un établissement scolaire donné, de répondre aux besoins de toutes
les ethnies représentées.
Ces expériences ont eu cependant pour mérite d'attirer l'attention sur
la notion d'identité culturelle. Si l'on ne pouvait agir efficacement par la
langue, on allait essayer par la culture. Prendre en compte la diversité
culturelle, valoriser les enfants à travers les témoignages de leur culture
d'origine, telle a été la nouvelle tentative. R. Berthelier, psychiatre et in-
tervenant régulier au CEFISEM de Lyon, a beaucoup contribué à dégager
ce que l'on pourrait appeler "l'hypothèse interculturelle Des ensei-
gnants ont ouvert leur classe, des parents sont venus conter, faire de la
cuisine ou de la musique, notamment à la maternelle. Des relations se
sont établies entre des écoles et des centres sociaux. Il s'agissait d'ouvrir
l'école aux différences, d'en démontrer à tous la richesse et la légitimité.
3. Circulaire du 9 avril 1975 (BO n° 15 du 13 mai 1975) : "Enseignement des langues nationales à
l'intention d'élèves immigrés dans le cadre du tiers temps pédagogique", première de toute une série
de circulaires.
4. R. BERTHELIER, "L'échec scolaire des enfants de migrants : un problème de langue?", Enfances
et cultures, problématiques de la différence et pratiques de l'interculturel, ANPASE, Toulouse,
Privat, 1986.
U n e circulaire est v e n u e e n 1978 valider tout ce r e m u e - m é n a g e 5 L'idée
m i s e e n a v a n t est d o n c celle d'une reconnaissance, d'une l é g i t i m a t i o n
d'une l a n g u e et d'une culture dévalorisées. C e q u e vise le p é d a g o g u e ,
c'est la possibilité, p o u r des enfants qui vivent l'exclusion, d e n'avoir pas
honte de leurs parents, de trouver leur place dans l'école et d'oser dire
"Je". T e l est le projet des f e m m e s réunies au centre social de M o n t f e r r é à
Saint-Étienne. L a préface de leur recueil de contes en porte fièrement
témoignage :
L a p u b l i c a t i o n , e n 1 9 8 5 , d u r a p p o r t p r é s e n t é p a r J. B e r q u e , s p é c i a l i s t e
du m o n d e a r a b o - m u s u l m a n , au ministre de l'Éducation Nationale, L'im-
m i g r a t i o n à l ' É c o l e d e l a R é p u b l i q u e 7 p r e n d v a l e u r d e s i g n a l d ' a l a r m e . J.
B e r q u e e n effet a p o s é u n n o u v e a u regard sur les enfants "issus d e l'im-
migration" et s u r leurs cultures familiales, conçues n o n en termes de
cultures étrangères ou d'origine m a i s e n termes d'"apports" au patrimoine
français. L e m o u v e m e n t des Beurs et le succès m é d i a t i q u e d e l'associa-
t i o n S O S R a c i s m e , à travers l a p e r s o n n e d ' H a r l e m D é s i r , o n t d o n n é rai-
s o n à l ' a n a l y s e d e J. B e r q u e e t d e v a i e n t s o n n e r l e g l a s d e l ' â g e d ' o r d e
l'interculturel. L e respect des différences cède le pas au "droit à l'indiffé-
rence", revendication révélatrice aujourd'hui des volontés et des difficul-
tés de l'intégration.
C e p e n d a n t le conte sort intact et victorieux des p o l é m i q u e s a u t o u r
d'un interculturalisme perçu de plus en plus c o m m e "pédagogie du cous-
8. B. DE LA SALLE, "La culture maghrébine dans le renouveau du conte", Grand Maghreb, n° 35,
novembre 1984, p. 64-65.
9. Voir là-dessus le témoignage de Marguerite GRUNY : "L'Heure Joyeuse", Dire, n° 3, automne 87,
p. 39 à 41.
10. Voir à ce sujet les actes du colloque "Le renouveau du conte en France et ailleurs", organisé au
Musée National des Arts et Traditions Populaires, Paris, 21-24 février 1989, édité par G. CALAME-
GRIAULE sous le titre Le Renouveau du conte, CNRS, Paris, 1991.
11. Conseil de l'Europe, M. ABDALLAH-PRETCEILLE, Rapport du 40ème séminaire du Conseil de
l'Europe pour enseignants sur l'éducation aux droits de l'homme dans les écoles préélémentaires,
Conseil de la coopération culturelle, DECS/EGT, Strasbourg, 1989, p. 48.
12. Enfants d'ici - Histoires d'ailleurs, Langres, Jeunesse et Sports - AHMI, 1988.
versité, au risque du ghetto. Les ouvrages les plus récents n'offrent guère
de changement par rapport à celui qui inaugura la série, Le Parfum de la
Terre 13 et qui, par chance, rassemble des contes du Mexique, du Brésil,
du Portugal, de l'Italie et du Maghreb. Malgré tous les efforts et toutes les
précautions, il se pourrait fort que le conte, ainsi compris, entre dans un
dispositif pédagogique spécifique à destination d'un public spécifique :
les enfants issus de l'immigration. Les ZEP (Zones d'Éducation Prioritai-
res) pourraient rester longtemps terre d'élection de la littérature orale en
France.
Cependant, chemin faisant, un élément s'est imposé : la nécessité d'un
partenariat. Si le conte était choisi comme support privilégié pour ouvrir
l'école sur l'extérieur, pour nouer des relations avec les familles et désco-
lariser les apprentissages, le pédagogue ne pouvait plus rester seul dans
cette tâche. Des moyens administratifs et financiers (par le biais notam-
ment des Projets d'Action Éducative) ont été donnés : ils ont facilité l'en-
trée en scène d'experts, tels que les conteurs et les ethnologues.
Débats et polémiques
Les démarches ont été le plus souvent intuitives, exposant parfois les
enseignants à de singulières découvertes qui ont fait naître autant de be-
soins en formation. Comment interpréter les contes africains ? Comment
traiter la violence manifestée aux yeux de certains par les contes
d'ogresse ? Les nouvelles terres du conte pulvérisaient tout d'un coup les
certitudes acquises. Plus question d'invoquer B. Bettelheim pour justifier
"les horreurs". Force a donc été de faire retour sur notre propre culture du
conte, de renouer avec une tradition populaire masquée par l'héritage
savant de C. Perrault, d'entrer dans une approche résolument compara-
tive, s'intéressant au conte comme genre mais aussi comme pratique so-
Le conte peut fort bien contester un ordre établi et révéler, plus qu'un
état de faits, des aspirations nouvelles. En outre, le recours au conte ris-
que de s'avérer de plus en plus illusoire dans une société moderne en
rupture avec la tradition orale. Même si un renouvellement des pratiques
du conte s'observe çà et là, ne touche-t-il pas essentiellement le milieu
des bibliothécaires et des enseignants ? Quant au problème soulevé par la
compétence du pédagogue, il a pu se trouver en partie résolu par le parte-
nariat. Il est même arrivé qu'une ethnologue mette ses ressources à la
disposition des enseignants. C'est ainsi que S. Platiel, spécialiste des
contes africains, est venue, pendant plusieurs années, offrir les contes de
sa collecte à des élèves de collège et de lycée de la région parisienne.
Il s ' a g i s s a i t p o u r S . P l a t i e l d e l u t t e r c o n t r e l a x é n o p h o b i e , d e d o n n e r
u n e i m a g e positive des Noirs et de l'Afrique susceptible de revaloriser d u
m ê m e c o u p les M a g h r é b i n s et tous les enfants appartenant à des cultures
en situation de domination. L e deuxième volet de sa démarche consistait
à aider les enfants sur le p l a n langagier. L e conte, dans cette hypothèse,
d o i t p o u v o i r , c o m m e e n A f r i q u e , s e r v i r à é d u q u e r l a p a r o l e ; il y a p e u t -
être m o y e n d e mettre à profit, d a n s le contexte d e l'immigration, u n m o -
d è l e p é d a g o g i q u e l i é à l a t r a d i t i o n o r a l e . Il s e p e u t m ê m e q u ' i l s o i t p a r t i -
c u l i è r e m e n t adapté aux enfants d e m i g r a n t s et leur d o n n e plus qu'à d'au-
tres d e s c h a n c e s d e réussite. S. P l a t i e l a d o n c p r o p o s é u n c o n t a g e qui,
tout e n s'inscrivant dans le t e m p s scolaire, ne devait pas faire l'objet d'un
travail pédagogique, au sens habituel du terme, m a i s devait plutôt laisser
le conte dérouler sa p é d a g o g i e intrinsèque. C h e z les S a n a n d u B u r k i n a
F a s o en effet, les enfants n o n s e u l e m e n t écoutent mais sont invités à
conter à leur tour, à faire preuve de " m i m é t i s m e créatif' :
" Q u a n d l'enfant écoute, au travers des aventures de tous ces héros, c'est en
e f f e t le c o d e s o c i a l et e t h n i q u e d e s a s o c i é t é qu'il i n t è g r e s a n s c o n t r a i n t e et
i n c o n s c i e m m e n t . M a i s d e p l u s q u a n d , d è s son p l u s j e u n e â g e , il est e n c o u -
r a g é à r a c o n t e r d e s h i s t o i r e s qu'il a i m e d e v a n t s e s é g a u x e n â g e , m a i s aussi
d e v a n t les a d u l t e s , tout en " i n t é r i o r i s a n t le m e s s a g e " d u c o n t e , il a p p r e n d
p a r la p r a t i q u e et d a n s u n e s i t u a t i o n d e c o m m u n i c a t i o n qui le c o n f r o n t e à u n
p u b l i c , c e r t e s b i e n v e i l l a n t , m a i s n é a m m o i n s a t t e n t i f et c r i t i q u e , à t r o u v e r les
f o r m u l e s , les i m a g e s , l ' i n t o n a t i o n e t l ' a r t i c u l a t i o n d u d i s c o u r s qui s u s c i t e n t
e t r e t i e n n e n t l'attention, é t o n n e n t , a m u s e n t , c r é e n t le s u s p e n s 1 6
" C e t t e p é r i o d e d ' a s s i m i l a t i o n d u r e e n v i r o n d e u x m o i s (7 à 9 s é a n c e s a u
c o u r s d e s q u e l l e s les é l è v e s n e m e p o s e n t q u e les q u e s t i o n s n é c e s s a i r e s p o u r
c o m p r e n d r e les m o t s q u ' i l s i g n o r e n t : karité, c o é p o u s e , c i r c o n s c i s i o n , griots,
c a n a r i , mil, etc. C e n ' e s t q u e t r è s l e n t e m e n t q u ' i l s p é n è t r e n t d a n s c e t u n i v e r s
é t r a n g e r . P u i s , p e u à p e u , la d i f f é r e n c e d e v i e n t o b j e t d e c u r i o s i t é . F a i s a n t
a l o r s la p a r t d u réel e t d e l ' i m a g i n a i r e , ils v e u l e n t e n s a v o i r p l u s s u r la
réalité. A i n s i a u f u r et à m e s u r e q u e les s é a n c e s s ' a j o u t e n t a u x s é a n c e s , e l l e s
c o m p o r t e n t d e m o i n s e n m o i n s d e c o n t e s et d e p l u s en p l u s d e q u e s t i o n s ; et,
d a n s c e d i a l o g u e qui s'instaure e t c e t a l l e r - r e t o u r c o n s t a n t e n t r e les c o n t e s ,
16. S. PLATIEL, "Conte et spécificité culturelle", in : A. AISSOU, Les Beurs, l'École et la France,
Paris, CIEMI/L'Harmattan, 1987, p. 175.
leurs e x p l i c a t i o n s , les q u e s t i o n s , les r é p o n s e s , les é l è v e s a p p r e n n e n t m i l l e
c h o s e s s u r les S a n a n , l e u r c u l t u r e et leur p a y s 17."
L e c o n t e u r e s t ici e t h n o l o g u e e t p e u t a v o i r r é p o n s e à tout. L e c o n t e
devient alors u n b o n support d'initiation à une culture dont la xénité, qui
plus est, est f o r t e m e n t m a r q u é e p a r u n e a b o n d a n c e de m o t s "exotiques",
lesquels seront (et ce n'est pas u n hasard) parfaitement mémorisés. Les
é l è v e s o n t eu e n v i e d'écrire e u x aussi les contes d a n s u n livre et se s o n t
lancés d a n s u n e restitution particulièrement fidèle. Q u a n t aux enfants
d ' o r i g i n e a f r i c a i n e , d ' a b o r d m u e t s et m é f i a n t s , ils se s o n t m i s à p r e n d r e l a
p a r o l e à p a r t i r d u m o m e n t o ù ils o n t p u c o n s t a t e r l a q u a l i t é d e l a c u r i o s i t é
d e l e u r s p a i r s . Ils o n t p u ainsi r e s s a i s i r l e u r c u l t u r e et l e u r identité. E n f i n
u n d é b l o c a g e des enfants e n difficulté a p u être o b s e r v é tant à l'oral qu'à
l'écrit : d é v e l o p p e m e n t des facultés d'écoute, structuration du langage,
m o d i f i c a t i o n des rapports entre enfants, m a i s aussi des rapports entre
enfants et parents (à qui les enfants ont raconté les contes) sont autant de
points positifs à retenir.
S. P l a t i e l i n s i s t e t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t s u r l ' i m p o r t a n c e d e c e t t e r e s t a u -
ration d u dialogue à l'intérieur de la famille, u n dialogue qui ne peut
a v o i r lieu tant q u e n'est pas l e v é e la h o n t e d e l a l a n g u e et de la culture
d ' o r i g i n e . Q u a n t à s a v o i r à q u i c e t t e e x p é r i e n c e a l e p l u s p r o f i t é , il e s t t r è s
difficile d e le dire. L e s enfants d e l ' i m m i g r a t i o n ont-ils m i e u x réussi que
l e s a u t r e s ? S. P l a t i e l a s e u l e m e n t s o u l i g n é l ' i n s t a u r a t i o n , d a n s l a c l a s s e ,
d ' u n c l i m a t n o u v e a u s o u s l'influence d e c o n t e s qui n e privilégient p a s la
réussite i n d i v i d u e l l e m a i s d o n n e n t le d e r n i e r m o t à la solidarité d u vil-
lage, à la cohésion d u groupe.
Cette expérience m o n t r e bien l'usage p é d a g o g i q u e et didactique qui
p e u t être fait d u c o n t e dans sa spécificité culturelle. L a présence d'une
"vraie" e t h n o l o g u e a sans doute permis d'aller jusqu'au bout d'une démar-
che qui p r e n d du m ê m e c o u p valeur tout à fait exemplaire.
17. S. PLATIEL, "A l'école du conte africain", Le Français aujourd'hui, n° 68, décembre 1984, p. 51-
52.
Figures de médiateurs culturels
Les conteurs sont arrivés dans un premier temps comme les conteurs
d'une culture. Certains y ont puisé une vocation. C'est ainsi qu'une docu-
mentaliste de collège, Christine Adjahi, parce qu'elle était d'origine béni-
noise, a dû répondre à des demandes de plus en plus nombreuses qui l'ont
amenée à renouer, à Lyon, avec les contes de son enfance et à devenir
"conteuse".
Deux types de personnes-ressources intéressent le pédagogue dans le
cercle de plus en plus large des "nouveaux conteurs", définis par V.
Görög 18 Si ce terme ne plaît guère à certains, il n'est pas moins signifi-
catif d'un jeu de l'offre et de la demande entre des conteurs et un nouveau
public citadin, plus ou moins relié à l'école et à ses projets éducatifs. Il y
a d'abord les conteurs qui se réclament d'une culture et s'en font les mes-
sagers. Tel est le cas de la grande conteuse Mimi Barthélémy. Cette der-
nière explique comment son arrivée en France s'est traduite par une dé-
culturation l'amenant jusqu'à l'extinction de voix et comment, par le
conte, elle a pu ressaisir et sa voix et son identité d'haïtienne 19. Ce qui
l'intéresse dans le conte, c'est "parler d'Haïti, être une haïtienne qui parle
de son pays et de sa culture". Catherine Zarcate est à situer à l'autre ex-
trême d'un axe d'opposition qu'elle définit ainsi :
"Je crois qu'il y a deux sortes de conteurs, ceux aux racines terrestres, de
terroir et ceux dont la racine n'est pas une terre mais une idée et dont le ré-
pertoire puise aux sources du monde entier, représentant le terroir de cette
idée 2 0
"Je lis des contes pour mon plaisir. Tout d'un coup j'en trouve un qui me
parle, qui a quelque chose à me dire, à ce moment de mon histoire, de ma
18. V. GÖRÖG, "Qui conte en France aujourd'hui. Les nouveaux conteurs", CLO, n° 11, 1982,
p. 95-116.
19. "Portrait : Mimi Barthélémy", propos recueillis par O. Poubelle, Dire, n° 4, hiver 1987, p. 5-7.
20. "Catherine Zarcate. Portrait d'une conteuse", propos recueillis par O. Poubelle, Dire, n° 1,
printemps 87, p. 7-11.