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Chapitre V

La France sous le Premier Empire

Avec le régime impérial, la France est revenue aux traditions monarchiques et à


l’absolutisme, car Napoléon gouvernait à l’aide de ses fonctionnaires, sans tenir compte de la
Constitution. Les libertés démocratiques avaient disparu, et l’égalité des citoyens était
sensiblement altérée, par la création d’une nouvelle couche sociale, la noblesse impériale.
Napoléon avait une personnalité extraordinaire, une ambition et un besoin permanent
d’agir, doublés d’une mémoire prodigieuse et d’un désir de gloire sans limites. Rien ne lui
semblait irréalisable et il est arrivé à rêver même d’un empire immense, placé sous sa
domination.
Le spectacle troublant des années de la Révolution, la manière brusque dont il avait pris
le pouvoir et l’admiration générale dont il avait joui pendant son ascension, au temps du
Directoire et du Consulat, lui avaient inspiré une très grande confiance en soi-même et un
profond mépris pour les autres. C’est la raison pour laquelle il allait peu à peu perdre le sens de
la mesure et commettre de graves erreurs : le mépris de ses collaborateurs allait le conduire à
n’accepter aucun conseil, et le mépris de ses ennemis allait l’entraîner à sa perte. Seul son
jugement lui semblait bon et il n’acceptait aucune initiative venant d’autrui.
La Cour impériale fut organisée comme celle d’un roi. La famille de Napoléon constitua
une dynastie de Princes Français, dans la lignée de laquelle la couronne devait être transmise de
façon héréditaire. L’Empereur était entouré de six Grands Dignitaires : le Grand Electeur,
l’Archichancelier d’Empire, l’Architrésorier, le Connétable et le Grand Amiral. Les fonctions de
ceux-ci étaient seulement honorifiques. Quatorze maréchaux d’Empire, nommés le 19 Mai 1804,
et huit inspecteurs et colonels généraux formaient les Grands Officiers militaires. Il y avait
encore les six Grands Officiers civils : le Grand Aumônier, le Grand Maréchal du Palais, le
Grand Chambellan, le Grand Ecuyer, le Grand Veneur et le Grand Maître des Cérémonies.
La Maison militaire de l’Empereur comprenait quatre colonels généraux et la Garde
Impériale. Il y avait aussi de nombreux préfets du palais, de chambellans, d’écuyers, de pages,
qui étaient les domestiques du souverain. L’ensemble de la Cour était complété par une Maison
de l’Impératrice et une Maison pour Madame Mère (la mère de l’Empereur) et d’autres pour les
princesses et les princes d’Empire. Tous ces courtisans bénéficiaient de traitements
considérables, de dotations et de gratifications diverses et ils devaient, en échange, se conduire
selon une étiquette aussi rigide que celle des anciennes cours royales. Ainsi, les titulaires de
certaines fonctions furent de droit princes, comtes ou barons ; d’autres membres de la Cour,
chargés de certains services privés, furent récompensés par l’octroi d’un titre nobiliaire.
Cependant, l’ancienne noblesse restait supprimée.
La famille de l’Empereur était fort nombreuse1. La mère de Napoléon, Marie Letizia
Bonaparte, était une femme de caractère énergique, mais très simple d’allure, parlant peu le
français. Malgré le titre de Madame Mère, qu’elle reçut pendant l’Empire, elle mena une vie
retirée, à l’écart de la Cour. Refugiée à Rome en 1815, à la chute de l’Empire, elle y mourut en
1836.
L’Impératrice Joséphine (qui avait, de son premier mariage avec le vicomte Alexandre de
Beauharnais, un fils, Eugène, que Napoléon fit vice-roi du royaume d’Italie, et une fille,
Hortense, mariée en 1802 avec un des frères de Napoléon, Louis, futur roi de Hollande) était
celle qui souhaitait que son époux menât une politique de réconciliation avec l’ancienne
noblesse. Joséphine fut répudiée en 1809, parce qu’elle n’avait pas donné d’héritier à Napoléon ;
elle vécut le reste de sa vie à la Malmaison, où elle mourut peu après l’abdication de l’Empereur,
le 29 Mai 1814.
En ce qui concerne les frères de Napoléon, on pourrait dire qu’ils ont été parmi ses plus
proches collaborateurs et en ont été grandement récompensés : Joseph, le frère aîné, qui avait
participé à la préparation du coup d’Etat du 18 Brumaire et avait été chargé de plusieurs missions
diplomatiques, fut fait par Napoléon, roi de Naples (1806-1808) puis roi d’Espagne (1808-1813).
Après la défaite de Waterloo, Joseph vécut aux Etats-Unis, puis en Angleterre et à Florence,
jusqu’à sa mort en 1844. Lucien Bonaparte avait été membre, puis président du Conseil des
Cinq-Cents et en cette qualité, il avait été l’artisan du succès du coup d’Etat du 18 Brumaire ; il
fut ministre de l’Intérieur en 1799, puis ambassadeur en Espagne en 1800 et membre du Tribunat
pendant le Consulat. A cause du pouvoir autoritaire exercé par Napoléon, il se brouilla avec
celui-ci, se réfugia en Italie en 1804 et ne se réconcilia avec l’Empereur qu’au moment des Cent-
Jours. Louis Bonaparte fut, au début, aide de camp de Napoléon pendant les campagnes d’Italie
1
Les informations sur la famille Bonaparte ont été recueillies dans Le Robert Encyclopédique des Noms Propres,
éd. cit., p. 304.
et d’Egypte. En 1802, il épousa, contre son gré, Hortense de Beauharnais (avec laquelle il eut
trois enfants, dont Louis Napoléon, le futur Napoléon III). En 1808, Napoléon le fit roi de
Hollande, mais Louis entra en conflit avec l’Empereur (en refusant d’appliquer le Blocus
continental contre l’Angleterre) et il abdiqua en 1810. Jérôme Bonaparte, marié en 1807 avec la
princesse Catherine de Wurtemberg, fut nommé par Napoléon roi de Westphalie la même année.
Mais, incapable de gouverner, il perdit son trône en 1814. Après la chute de l’Empire il vécut à
l’étranger et ne revint en France qu’en 1848, quand il profita de l’ascension de son neveu Louis
Napoléon (le futur Napoléon III), qui lui donna successivement les titres de gouverneur des
Invalides, Maréchal de France et Président du Sénat. Quant aux sœurs du Napoléon, Marie-Anne
(dite Elisa Bonaparte), Marie-Paulette (dite Pauline Bonaparte) et Marie-Annonciade (dite
Caroline Bonaparte) elles étaient toutes les trois des femmes énergiques, actives et ambitieuses.
En 1805, Napoléon fit Elisa princesse de Lucques et de Piombino, puis la couronna, elle et son
mari (l’officier Félix Bacciochi) sous le titre de Grande Duchesse de Toscane ; elle fut une
excellente administratrice de ses Etats. Pauline, veuve en 1802, du général Charles Leclerc,
épousa en 1803 le prince romain Camille Borghèse et devint la princesse Borghèse ; elle se
sépara bientôt de lui et vécut libre et indépendante. Napoléon la fit duchesse de Guastalla en
1806. Elle était très attachée à Napoléon, qu’elle rejoignit à l’Ille d’Elbe en 1814. A la chute de
l’Empire elle se réfugia à Florence où elle mourut en 1825. Caroline, la troisième sœur de
Napoléon, épousa Murat en 1800 et elle exerça une forte influence sur celui-ci. Reine de Naples
en 1808, elle favorisa les arts et la vie culturelle de son royaume. Après la mort tragique de son
mari (fusillé en Calabre en 1815) elle prit le titre de comtesse de Lipona, elle se retira à Florence
et y vécut jusqu’en 1839.
Pour donner à sa Cour de l’éclat et pour consolider son pouvoir, Napoléon créa une
noblesse impériale. Ainsi, en 1806, Napoléon donna à certains de ses ministres et de ses
maréchaux des fiefs dans les régions conquises en Italie : Cambacérès devint duc de Parme,
Fouché duc d’Otrante, Talleyrand prince de Bénévent. Le gouvernement impérial n’apporta pas
de profondes modifications sur le plan politique, car les pouvoirs de Bonaparte étaient déjà très
grands depuis le Consulat. Le calendrier républicain disparut au 1 er janvier 1806 ; le Tribunat fut
supprimé en 1807. Les sessions du Corps législatif furent de plus en plus rares et réduites à
quelques semaines. L’Empereur légiférait de plus en plus par de décrets et des sénatus-
consultes. Les sénateurs étaient d’une docilité exemplaire (car Napoléon s’assurait de leur
soumission complète en leur accordant des sénatoreries, c’est-à-dire des domaines fonciers à
titre viager).
Le Gouvernement impérial fut donc une dictature personnelle, car le travail du Conseil
d’Etat et des ministres n’étaient plus qu’un travail de préparation ou d’exécution, l’Empereur se
réservant, en toute chose, le droit de décision.
La liberté individuelle n’était plus garantie : les suspects pouvaient être arrêtés et
incarcérés « par mesure de sûreté » par une simple décision administrative. Une police immense
enveloppa la ville de Paris et les départements, étant renforcée par de nombreux agents secrets,
au service-même de l’Empereur. La liberté de la presse ne fut pas respectée, non plus. Dès le
Consulat, la censure des livres, des journaux et des pièces de théâtre avait été déférée aux
Ministères de la Police et de l’Intérieur. En 1810, Napoléon donna un décret qui constitua la
Direction générale de l’Imprimerie et de la Librairie : Pour être libraire ou imprimeur il fallait
posséder un brevet et prêter serment de fidélité au gouvernement. A Paris, les journaux furent
réduits à quatre et leurs directeurs furent désignés par le Gouvernement. En province les
journaux furent remplacés par une feuille d’annonces par département, où l’on ne tolérait aucune
allusion politique. Le « Mercure de France » fut supprimé à la suite d’un article ouvertement
hostile au régime impérial, signé par François René de Chateaubriand. L’article, publié le 4
juillet 1807, est un témoignage éloquent de la révolte de Chateaubriand face aux injustices du
régime impérial :

«  Lorsque dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la
voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa
faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance du peuple. C’est en
vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ; il croît inconnu auprès des cendres de
Germanicus et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. Si
le rôle de l’historien est beau, il est souvent dangereux, mais il est des autels comme celui
de l’honneur, qui, bien qu’abandonnés, réclament encore des sacrifices ; le Dieu n’est point anéanti
parce que le temple est désert. Partout où il reste une chance à la fortune, il n’y a point d’héroïsme
à la tenter ; les actions magnanimes sont celles dont le résultat prévu est le malheur et la mort.
Après tout, qu’importent les revers si notre nom prononcé dans la postérité va faire battre un cœur
généreux deux mille ans après notre vie ? »2
2
Chateaubriand, Œuvres choisies. Mémoires d’outre-tombe, Paris, Bibliothèque Larousse, t. III, 1910, p. 94.
Napoléon instaura une censure très stricte aussi à la littérature : il s’acharna contre les
Idéologues3 parce que ceux-ci étaient libéraux en politique et opposés au catholicisme. Dès 1803,
Napoléon avait fait supprimer à l’Institut de France la classe des Sciences morales et politiques,
où les Idéologues étaient nombreux. En plus, les œuvres des deux grands écrivains français de
l’époque, Mme de Staël et Chateaubriand, furent interdites, parce qu’ils y attaquaient
ouvertement le régime dictatorial de l’Empereur. Napoléon, qui souhaitait maintenir la France
sous un contrôle très strict, s’intéressa aussi à l’enseignement : il voulait que l’école formât la
jeune génération dans un esprit de discipline, afin d’avoir, à l’avenir, des fonctionnaires capables
et dévoués. C’est pourquoi il organisa, en 1808, l’Université, c’est-à-dire un corps spécial
d’enseignants, auxquels il donna le monopole d’enseigner. L’Université comprenait tant les
établissements d’enseignement de l’Etat (écoles primaires, collèges, lycées et établissements
d’enseignement supérieur) que des écoles privées, que l’Etat autorisait et contrôlait.
A la tête de l’Université, Napoléon nomma un Grand Maître et il fit diviser l’Empire en une
quarantaine de circonscriptions universitaires (ou Académies), dirigée chacun par un Recteur.
L’Empereur s’intéressa particulièrement aux collèges et aux lycées où étaient instruits les
fils de la bourgeoisie. La formation des professeurs de lycée était assurée par l’Ecole Normale,
fondée à Paris en 1808. L’enseignement supérieur était dispensé dans des Ecoles spéciales
(comme l’Ecole Polytechnique, l’Ecole des Arts et Métiers de Chalon, le Collège de France) ou
dans les Facultés de Théologie, Médecine, Droit, Lettres et Sciences.
Napoléon exigeait aussi, de la part de l’Eglise, de former des générations loyales et
dociles. Au début, il autorisa la formation de quelques congrégations et eut une quelconque
libéralité envers les Jésuites. Mais ses intérêts politiques mirent fin à cette bonne entente :
voulant fermer l’Italie au commerce anglais, Napoléon fit occuper un à un les Etats pontificaux.
En réplique, le Pape Pie VII refusa d’accorder l’institution canonique aux évêques nommés par
3
Les Idéologues étaient, à la fin du XVIII e siècle, un groupe de philosophes que l’on peut considérer comme les
héritiers de la méthode d’analyse et des valeurs que l’Encyclopédie de Diderot véhiculait. Leurs représentants les
plus marquants étaient Condorcet, Destutt de Tracy, le médecin G. Cabanis et les philosophes Volney et Maine de
Biran. S’ils n’ont pas constitué une école au sens classique du terme – à cause de la situation politique trouble et
essentiellement défavorable – ils partageaient au moins la conviction que toute métaphysique est vaine, que l’esprit
critique est essentiel dans les sciences et que la sensibilité est l’expression de la vitalité dans  l’homme. Les
Idéologues ont fondé un matérialisme psychologique, en affirmant que penser, c’est sentir. Apres la Terreur, ils ont
créé les différentes institutions de l’instruction publique, comme l’école normale et les écoles centrales, résolument
laïques. En 1794 ils ont organisé l’Institut de France, qui allait devenir le bastion du nouvel esprit scientifique.
Malheureusement, ni la dictature républicaine, ni l’Empereur Napoléon Ier n’ont fait grâce à leur liberté
intellectuelle.
l’Empereur et, en conséquence, à partir de 1808, certains évêchés restèrent sans titulaires. La
riposte de Napoléon fut d’occuper Rome, la dernière ville où s’exerçât le pouvoir du Pape (en
1809). Furieux, le Pape donna une sentence d’excommunication contre tous ceux qui lui avaient
enlevé ses Etats. Bien que le nom de Napoléon ne figurât pas explicitement dans la bulle
d’excommunication, l’Empereur fit arrêter et incarcérer le Pape près de Gênes, à Savone (juillet
1809).
A son retour de la campagne de Russie (en 1813), Napoléon, qui avait fait transférer le
Pape à Fontainebleau, le détermina à signer un arrangement provisoire, qu’il fit publier
immédiatement, sous le nom de Concordat de Fontainebleau (en février 1813). Le Pape
protesta aussitôt, mais l’Empereur rendit obligatoire le nouveau Concordat et fit punir tous ceux
qui s’y opposaient. Peu après, ses défaites militaires en Allemagne et en France, l’obligèrent à
renvoyer le Pape à Rome (en mars 1814).
Ainsi, par ses mesures dictatoriales et répressives, Napoléon a détruit ce qu’avait réalisé
dans le domaine religieux le Premier Consul ; la plupart des catholiques se détacha de lui et se
rallia aux royalistes.

La vie économique en France, sous le Premier Empire


L’Empereur pensait que les masses populaires étaient plus sensibles à la bonne
administration du pays et à l’amélioration de leur niveau de vie qu’à la politique. Il comptait
obtenir le dévouement de son peuple tant par le bien-être que par la gloire militaire.
Après la proclamation de l’Empire et le rétablissement de l’ordre à l’intérieur du pays, les
paysans profitèrent des avantages donnés par la Révolution : ils ne devaient plus payer de dîmes
et ils purent acquérir des biens nationaux (les propriétés de l’Eglise et celles des émigrés). Le
développement de la vie rurale fut favorisé par une administration régulière et vigilante, une
monnaie stable et des travaux de réparation des routes. En agriculture, les récoltes de blé furent
abondantes jusqu’en 1810 ; l’augmentation considérable du bétail attestait les progrès de
l’élevage. La grande nouveauté agricole fut l’introduction de la culture de la betterave fourragère
et sucrière (qui nourrissait les bestiaux et fournissait le sucre). Les plantations de chicorée au
Nord et en Belgique permirent de remplacer le café, et celles de pommes de terre se sont
généralisées vers 1814. Le tabac fut cultivé dans le Midi sous le contrôle de l’Etat, qui en décréta
le monopole. Ces mesures prises en agriculture avaient pour but de remplacer par des produits
autochtones ce que la France ne pouvait pas importer à cause du Blocus continental (institué le
21 novembre 1806).
L’industrie bénéficia aussi du grand élargissement du marché français, suite à
l’occupation, par les armées françaises, de la moitié de l’Europe. Elle bénéficia davantage de
l’absence de la concurrence anglaise, grâce au Blocus continental.
Le machinisme, qui avait commencé à apparaître en France avant 1789, se développait,
surtout dans l’industrie textile. L’industrie métallurgique commença à utiliser, à l’exemple de
l’Angleterre, le coke pour traiter le minerai de fer. Les premières grandes constructions en fer
furent, à Paris, le Pont des Arts et la coupole de la Halle au blé (1807). Enfin, une nouvelle
branche de l’industrie apparut : l’industrie chimique (qui fabriqua l’eau de Javel, la soude
artificielle et le gaz d’éclairage). Une partie de ces succès était due à la protection que les
entreprises recevaient de la part de l’Etat. Des foires-expositions favorisèrent la diffusion des
nouveaux produits de l’industrie. Lorsque certaines fabriques ou entreprises étaient en difficulté,
des commandes de l’Etat les aidaient à se rétablir. Ce fut le cas, en 1810, des soieries de Lyon, et
en 1811, des fabriques de meubles du faubourg Saint-Antoine de Paris.
Napoléon prit toutefois des mesures très sévères à-propos des ouvriers : le Code pénal de
1810 fit des « coalitions » un délit puni de prison, et les tentatives de grève furent durement
réprimées. Tous les ouvriers étaient obligés de posséder, comme en 1789, un livret ouvrier
délivré par la police, où le patron devait inscrire les mois de travail effectués dans son entreprise
et les sommes d’argent qui leur avaient été données.
Un aspect de la vie économique auquel Napoléon s’intéressa vivement, fut constitué par
les grands travaux d’utilité publique et économique : l’aménagement du port d’Anvers, qu’il
inaugura en 1810, la grande digue de Cherbourg (qui transforma une baie ouverte aux vents du
large en une rade abritée), la construction des canaux de Saint-Quentin (entre la Somme et
l’Escaut) et celui du Rhône au Rhin, le réaménagement des routes, qui furent prolongées au-delà
des anciennes frontières, en Belgique et jusqu’au Rhin, quatre grandes voies carrossables qui
traversaient les Alpes.
Le sens de la grandeur qui animait Napoléon le poussa à commander des travaux d’utilité
publique autant que d’embellissement dans les villes, et surtout à Paris. Il souhaitait que Paris
devînt la capitale de l’Europe et, pendant quinze années, ses architectes préférés travaillèrent
pour en faire une ville impériale : Percier et Fontaine construisirent l’Arc de Triomphe du
Carrousel ; Vignon dessina le Temple de la Gloire (l’église la Madeleine) ; Chalgrin projeta
l’Arc de Triomphe de l’Etoile, situé dans une place monumentale, couronnant l’avenue des
Champs Elysées. Napoléon fit encore construire les ponts d’Austerlitz, des Arts, d’Iéna et des
édifices commémoratifs, comme la Colonne de la Grande Armée sur la place Vendôme et la
Colonne du Châtelet.
En ce qui concerne les finances, Napoléon, secondé de ses ministres Gaudin (aux
Finances) et Mollien (au Trésor) surveilla avec attention la comptabilité publique ; en 1807, il fit
créer la Cour des comptes, pour vérifier tous les titres de dépenses, et il donna à la France une
monnaie stable, le franc germinal et des billets de banque. Le budget de la France sous le règne
de Napoléon fut soutenu aussi par des recettes extraordinaires, provenant soit de la vente de
biens nationaux ou de biens des communes, soit des emprunts des capitaux privés, soit par les
contributions de guerre imposées aux pays vaincus.
Commentaires de textes et d’œuvres d’art

François René de Chateaubriand,


de l’Essai sur les révolutions aux Mémoires d’outre-tombe

La vie de François René de Chateaubriand (1768-1848), indissolublement liée à l’histoire


de France de la première moitié du XIX e siècle, a l’allure passionnante d’un roman. Il naquit à
Saint-Malo en 1768, étant le dixième enfant du comte de Chateaubriand. Après une adolescence
agitée, partagée entre ses études dans plusieurs collèges bretons et le château familial de
Combourg, le jeune sous-lieutenant séjourna quelque temps à Paris, où il fréquenta les écrivains
de renom de l’époque et assista aux premières manifestations révolutionnaires de 1789.
En avril 1791, il s’embarqua à Saint-Malo pour un voyage d’exploration de l’Amérique ;
ce fut une chance pour lui, car ce voyage lui ouvrit de nouvelles perspectives sur le vaste monde
et l’éloigna des troubles révolutionnaires et des persécutions auxquelles les nobles étaient en
butte pendant ces jours de férocité et de vengeance aveugle. Il se rembarqua précipitamment
pour le Havre le 10 décembre 1791, à la nouvelle de l’arrestation du roi. Revenu en France, il
épousa en 1792 une jeune fille bretonne, Céleste Buisson de la Vigne, puis connut une courte
carrière militaire comme officier émigré, ayant rejoint à Coblence l’armée des Princes. Blessé à
Thionville, il erra quelque temps en Belgique ; entre 1793 et 1800 il vécut en exil, en Angleterre,
menant la vie de privations des émigrés. Son retour en France était alors impossible : son frère
aîné périt sur l’échafaud révolutionnaire en 1793. C’est à cette époque de malheur et d’indigence
que Chateaubriand commença sa carrière littéraire : en 1797, il publia à Londres, l’Essai sur les
révolutions, qui se présente comme une analyse historique ou le sujet énonciateur apparaît dans
toute sa détresse. Parce qu’on lui avait dérobé son passé d’aristocrate, parce qu’il était séparé de
sa famille persécutée en France, et qu’il vivait dans une extrême pauvreté, il se sentait un paria
de la société. Le projet initial de ce livre avait été d’expliquer, par une comparaison avec les
révolutions antiques et anglaise, la Révolution française de 1789, dont il pressentait déjà la
marche irréversible. Mais par-delà les réflexions philosophiques et idéologiques dont le livre
était parsemé, l’écrivain présente aussi le drame d’une génération, durement éprouvée par la
violence, les injustices et les excès révolutionnaires. L’histoire qu’il raconte est constamment
envahie par la présence du je narrateur, avec son chagrin et ses soucis.
Ce n’est qu’en mai 1800 que Chateaubriand revint en France, après que le Premier
Consul, Napoléon Bonaparte eut affirmé sa volonté de pacifier les esprits, d’unir tous les
Français (en mai 1800, il raya d’un seul coup 52000 émigrés de la liste de proscription). Ce fut
l’époque à laquelle Chateaubriand se rallia, momentanément, à Bonaparte. Il publia Atala (en
1801), René et Le Génie du Christianisme (en 1802) qui lui apportèrent la célébrité et la
sympathie du Premier Consul. Il faut dire que, par Le Génie du Christianisme, connu comme une
apologie de la religion chrétienne, Chateaubriand était revenu à la foi, au culte catholique, mais
qu’il servait aussi les intérêts politiques du Premier Consul, qui avait conclu en 1801 le
Concordat avec le Pape Pie VII.
Pour le récompenser de son ralliement à sa politique, Napoléon Bonaparte nomma
Chateaubriand secrétaire d’ambassade à Rome (où le cardinal Fesch, le propre oncle du Premier
Consul, était ambassadeur) puis ministre de France près la république du Valais (en Suisse).
Mais Chateaubriand ne résista pas longtemps dans cette carrière politique : le 21 mars 1804 il
donna sa démission de ministre de France dans le Valais, au lendemain de l’exécution du duc
d’Enghien (accusé par Bonaparte d’avoir comploté contre lui avec Cadoudal et les émigrés
fanatiques de Londres).
Chateaubriand partit de nouveau en exil, étant désormais profondément hostile à ce
régime despotique, bientôt impérial, qui allait durer jusqu’en 1814.
Cette année-là, Chateaubriand écrivit une brochure intitulée De Bonaparte et des
Bourbons, où il apprenait aux Français la vérité sur l’ancienne famille royale (les Bourbons)
héritière légitime du trône de France.
Nous reproduisons ici un passage des Mémoires d’outre-tombe à propos de cet ouvrage :

« Louis XVIII déclara, je l’ai déjà plusieurs fois mentionné, que ma brochure lui avait plus profité
qu’une armée de cent mille hommes ; il aurait pu ajouter qu’elle avait été pour lui un certificat de
vie. Je contribuai à lui donner une seconde fois la couronne, par l’heureuse issue de la guerre
d’Espagne. »4

Dans les phrases citées ci-dessus, on observe que Chateaubriand affirme, sans fausse
modestie, qu’il a contribué à la Restauration des Bourbons. Mais ce qui nous a semblé plus

4
Chateaubriand, Œuvres choisies. Mémoires d’outre-tombe, éd. cit., p. 98.
frappant encore, c’est le fait que Chateaubriand ait reconnu que Bonaparte, dont il était l’ennemi
déclaré, avait apprécié avec impartialité cet écrit, raison pour laquelle il déclare : « Mon
admiration pour Bonaparte a toujours été grande et sincère, alors même que j’attaquais Napoléon
avec la plus grande vivacité »5.
La renommée de Chateaubriand était de plus en plus grande. En 1811 il fut élu à
l’Académie française, mais, ne voulant pas changer son discours de réception (qui était en fait un
réquisitoire contre l’Empire) il ne fut pas reçu à l’Académie.
A la chute de l’Empire, en 1815, il fut élu Pair de France et continua une carrière
politique brillante, qui, cependant, ne lui épargna pas des revers de fortune et des adversités.
Parallèlement, il continua sa carrière littéraire, en publiant Les Martyrs (en 1809), année pendant
laquelle il commença aussi ses Mémoires d’outre-tombe, vaste œuvre dans le genre
autobiographique, qui, selon sa volonté, ne devaient être publiés qu’après sa mort. Quarante ans
séparent les premiers mots des dernières lignes de ses Mémoires. La période la plus intense de
rédaction de cette œuvre est comprise entre 1822-1832. L’auteur est en même temps héros de son
histoire, témoin d’événements historiques ou privés et portraitiste de personnages qu’il a connus
de près ou de loin.
La publication des Mémoires d’outre-tombe commence dans « La Presse » malgré
l’opposition de Chateaubriand, en 1848, pendant les derniers mois de sa vie.
Dans les lignes suivantes, nous donnerons un petit commentaire d’un texte extrait du livre
XXIV de la troisième partie des Mémoires d’outre-tombe6 (Chapitre 8, Inutilité des vérités ci-
dessus exposées), où Chateaubriand fait le bilan de l’épopée napoléonienne et où il s’attache « à
peindre les personnages en conscience », c’est-à-dire avec toute sa bonne-foi et la fidélité de ses
souvenirs.
Le lecteur peut douter de son objectivité quand il brosse le portrait de Napoléon, mais ne
peut nier le fait que Chateaubriand ait composé là l’une des plus belles pages, dans le genre des
mémoires. Se positionnant en historien lucide contre le mythe de l’Empereur, se dressant en
adepte de la liberté contre « le despotisme de sa mémoire » l’écrivain cède pourtant à la
fascination exercée sur tous les hommes par l’Empereur, ce qui rend encore plus présente son
image et plus attachante sa légende. Les lignes suivantes portent témoignage de cette étrange

5
Ibidem, p. 99.
6
Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe,
http://www.ebooksgratuits.com/ebooksfrance/chateaubriand_memoires_outre-tombe.pdf, visité le 1er octobre 2014.
fascination de Napoléon sur l’esprit et la raison de Chateaubriand, bien qu’il fût l’un de ses
opposants les plus acerbes :

« Bonaparte n’est plus le vrai Bonaparte, c’est une figure légendaire compose des lubies du poète,
des devis du soldat et des contes du peuple : c’est le Charlemagne ou l’Alexandre des épopées du
moyen âge que nous voyons aujourd’hui. Ce héros fantastique restera le personnage réel : les autres
portraits disparaîtront. Bonaparte appartenait si fort à la domination absolue, qu’après avoir subi le
despotisme de sa personne, il nous faut subir le despotisme de sa mémoire. Ce dernier despotisme
est plus dominateur que le premier, car si l’on combattit quelquefois Napoléon alors qu’il était sur
le trône, il y a consentement universel à accepter les fers que mort il nous jette. Il est un obstacle
aux événements futurs : comment une puissance sortie des camps pourrait-elle s’établir après lui ?
n’a-t-il pas tué en la surpassant, toute gloire militaire ? Comment un gouvernement libre pourrait-il
naître, lorsqu’il a corrompu dans les cœurs le principe de toute liberté ? Aucune puissance légitime
ne peut plus chasser de l’esprit de l’homme le spectre usurpateur. » (p. 682)

Dans cette première partie du texte, Chateaubriand compare Napoléon aux figures
mythiques des empereurs Charlemagne et Alexandre ; comme eux, il a atteint l’apogée dans la
conscience collective de l’humanité, au-delà des notions du bien et du mal. Chateaubriand
explique ce phénomène de sublimation des exploits du Napoléon par le pouvoir despotique,
écrasant, qu’il exerce même après sa disparition physique sur la mémoire collective : on oublie
ses méfaits pour ne se souvenir que de sa grandeur. Ainsi, Chateaubriand reconnaît que la
légende de Napoléon, qui est apparue dans l’adversité, s’est développée rapidement et a acquis
une popularité extraordinaire. Dans un passage ultérieur, Chateaubriand enchaîne une autre idée :
celle du génie de l’administrateur de l’Etat et de la puissance morale extraordinaire qui animait
Napoléon et par laquelle il a su fléchir devant lui tant d’hommes orgueilleux, révoltés ou
présomptueux :

« Bonaparte n’est point grand par ses paroles, ses discours, ses écrits, par l’amour des libertés qu’il
n’a jamais eues et n’a jamais prétendu établir ; il est grand pour avoir créé un gouvernement
régulier et puissant, un code de lois adopté en divers pays, des cours de justice, des écoles, une
administration forte, active, intelligente, et sur laquelle nous vivons encore ; il est grand pour avoir
ressuscité, éclairé et géré supérieurement l’Italie ; il est grand pour avoir fait renaître en France
l’ordre du sein du chaos, pour avoir relevé les autels, pour avoir réduit de furieux démagogues,
d’orgueilleux savants, des littérateurs anarchiques, des athées voltairiens, des orateurs de
carrefours, des égorgeurs de prisons et de rues, des claque-dents de tribune, de clubs et
d’échafauds, pour les avoir réduits à servir sous lui ; il est grand pour avoir enchaîné une tourbe
anarchique ; il est grand pour avoir fait cesser les familiarités d’une commune fortune, pour avoir
forcé des soldats, ses égaux, des capitaines, ses chefs ou ses rivaux, à fléchir sous sa volonté  ; il est
grand surtout pour être né de lui seul, pour avoir su, sans autre autorité que celle de son génie, pour
avoir su, lui, se faire obéir par trente-six millions de sujets à l’époque où aucune illusion
n’environne les trônes. » (p. 682)

Dans cette page consacrée au portrait de Napoléon I er, Chateaubriand emploie un style
oratoire ; la répétition insistante des mots « il est grand », loin d’être agaçante, est tout au
contraire porteuse d’un sens de plus en plus fort, de plus en plus impressionnant pour le lecteur,
lui faisant découvrir, en crescendo, la grandeur incontestable de l’Empereur. Par ce style
oratoire, malgré le parti-pris d’impartialité affirmé dès le début du texte par l’auteur,
Chateaubriand contribue à renforcer le mythe napoléonien, à assurer, malgré soi, la survivance
de la gloire de l’Empereur.
La Colonne Vendôme (la Colonne de la Grande Armée)

La Place Vendôme est un chef d’œuvre de l’architecte Jules Hardouin-Mansart. Cette


place, nommée ainsi parce que la maison du duc de Vendôme s’y trouvait, a été créée entre 1686
et 1720, afin d’encadrer la statue équestre de Louis XIV (œuvre réalisée en 1699 par le sculpteur
Girardon) détruite par la suite, comme tant d’œuvres d’art, pendant la Révolution.
La place, d’une élégante simplicité, a une forme octogonale, étant entourée d’édifices qui
s’ouvrent en larges arcades au rez-de-chaussée. En son centre s’élevé aujourd’hui la célèbre
colonne érigée par Gondouin et Lepère entre 1806 et 1810, en l’honneur de Napoléon I er.
Construite sur le modèle de la Colonne de Trajan à Rome, elle mesure 44 mètres de haut et son
fût en pierre est recouvert d’une succession de bas-reliefs fondus dans le bronze des 1200 canons
pris à l’ennemi lors de la bataille d’Austerlitz (1805). Par ces bas-reliefs, le sculpteur Bergeret a
voulu transmettre aux générations futures l’histoire des campagnes napoléoniennes de 1805 à
1807. Au sommet de la colonne, Antoine-Denis Chaudet érigea une statue de Napoléon en
empereur romain ; cette statue ayant été abattue en 1814, lors de la première abdication de
l’Empereur, elle fut remplacée par celle d’Henri IV. Plus tard, en 1863, une réplique de la statue
de Napoléon eut le même sort que la première, étant à son tour abattue en 1871, pendant la
Commune de Paris. Trois ans plus tard, elle fut définitivement replacée au sommet de la colonne.
Figure 8 : La Colonne Vendôme (La Colonne de la Grande Armée)
L’Arc de Triomphe du Carrousel

Construit d’après un dessin de Charles Percier et de Pierre-François Léonard Fontaine


entre 1806 et 1808, ce monument était destiné à célébrer les victoires de Napoléon Ier en 1805. Il
est inspiré par l’architecture et la décoration de l’arc de Septime Sévère, à Rome. Des colonnes
de marbre rouge encadrent ses trois arcades et chacune de ses faces est richement ornée de bas-
reliefs rappelant les victoires impériales. Au sommet de l’arc, on avait placé les quatre chevaux
dorés que Napoléon avait fait enlever, en mai 1797, de la Cathédrale Saint-Marc de Venise (et
qui furent rendus à Venise en 1815, après la chute de l’Empire). Les originaux furent alors
remplacés par des copies, auxquelles on ajouta, en 1828, un quadrige avec la statue de la paix,
réalisé par le sculpteur François-Joseph Bosio.
Ce char antique, auquel les quatre chevaux sont attelés de front, est dirigé par une femme
ayant le bras gauche élevé, comme pour saluer le peuple et lui apporter la paix et la prospérité.
Le quadrige et les chevaux sont flanqués par deux autres statues dorées, représentant des anges
ailés, calmes et sereins, qui n’ont rien de guerrier. Ce groupe statuaire élancé, suggérant – malgré
son immobilité séculaire – le dynamisme, la marche en avant, est posé au-dessus d’un fronton
rectangulaire sur lequel sont gravés en lettres dorées, mais en un style lapidaire, les grands faits
d’armes de Napoléon et de son armée :

« L’Armée française embarquée à Boulogne menaçait l’Angleterre.


Une troisième coalition éclate sur le continent.
Les Français volent de l’océan au Danube.
La Bavière est délivrée. L’armée autrichienne prisonnière à Ulm.
Napoléon entre dans Vienne. Il triomphe à Austerlitz.
En moins de cent jours la coalition est dissoute. »

L’intention de glorifier l’Empereur et sa Grande Armée est évidente et semble légitime dans un
régime totalitaire. Pourtant, le monument dégage un tel équilibre souriant, ouvrant ses trois
arcades sur le Jardin de Tuileries et le Palais du Louvre, que le simple spectateur oublie la portée
édifiante et guerrière pour n’en retenir que sa beauté.
Figure 9 : L’Arc de Triomphe du Carrousel

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