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Redonner une place à la marche dans nos villes

Bien que la plupart de leurs rues restent essentiellement dévolues à la voiture, les centres
urbains connaissent une multiplication des modes de déplacements : service d’auto-partage,
scooters, vélos, trottinettes en libre-service, monocycles… La coexistence de tous ces
services légers ou partagés finit parfois par tourner à la « jungle », comme s’en alarmaient
dans Libération quatre élus parisiens inquiets des incivilités et des abus auxquels donnent lieu
vélos et trottinettes en free floating (sans station d’attache). Des utilisateurs peu scrupuleux,
c’est un fait, stationnent leur engin un peu n’importe où.

«  Ces vélos et trottinettes en libre-service ont réveillé et exacerbé la question de la rareté de


l’espace public », observe Alexandre Mussche, associé d’une agence de design. « Ils ont
pourtant leur légitimité et sont là pour longtemps, car ils répondent à un certain nombre de
besoins du dernier kilomètre. Ils donnent une belle occasion d’imaginer de nouveaux modes
de partage et de régulation de l’espace public. »

Au-delà même de la question du stationnement des vélos et trottinettes, l’enjeu est de veiller
aux conditions de complémentarité et de compatibilité entre les différentes composantes
d’une réelle multimodalité. Pour Sonia Lavadinho, chercheuse au centre des transports de
l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, l’extension des zones et rues piétonnes n’est pas
la panacée. « Plutôt que de ségréguer l’espace public et séparer chaque mode de
déplacement, il faut au contraire privilégier son partage dans une logique de cohabitation,
avec un ralentissement des vitesses.  »

Pour elle, la rue ne doit plus tant être pensée comme un axe de transit mais comme un espace
où les gens peuvent se rencontrer, chemin faisant. « La vitesse est une question essentielle.
Face à la multiplicité des vitesses, on ne peut pas saucissonner les rues avec autant de voies
qu’il existe de vitesses. L’idée est de privilégier des zones où il n’y a pas d’autre règle établie
d’avance que celle qui dit que c’est le plus faible qui a la priorité. »

«  Redonner une place de choix à la marche dans l’espace public suppose de travailler sur le
confort des traversées. Et de ponctuer la rue d’espaces de repos, bancs, jardins de poche,
afin de promouvoir la rencontre, le lien social, mais également la pause au bénéfice de
publics à mobilité réduite. On sous-estime la marche, mais la marche constitue l’une des
briques essentielles de la ville durable et multimodale », relève-t-elle.

Eric Chareyron, directeur chez l’opérateur de transport public Keolis, convient. Selon lui,
«  si une part des voyageurs optait pour la marche plutôt que de prendre une correspondance
pour une ou deux stations, cela permettrait de désaturer certaines lignes. Mais il faut donner
envie de faire ce dernier kilomètre à pied. Or, la marche est souvent la grande oubliée des
politiques publiques. On développe des zones piétonnes, mais on ne pense pas un vrai plan
de “marchabilité” de la ville, qui donne aux gens et la possibilité et l’envie de se déplacer à
pied. »

Le Monde, le 21 novembre, 2018

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