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(Faux Titre 268) Achmy Halley - Marguerite Yourcenar en Poésie. Archéologie D'un Silence - Editions Rodopi BV. (2005)
(Faux Titre 268) Achmy Halley - Marguerite Yourcenar en Poésie. Archéologie D'un Silence - Editions Rodopi BV. (2005)
en poésie
Archéologie d’un silence
FAUX TITRE
268
Achmy Halley
Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions
de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents
- Prescriptions pour la permanence’.
ISBN: 90-420-1867-4
©Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2005
Printed in The Netherlands
à Jean-Luc, ami fidèle et complice souriant de ces années
yourcenariennes
ÉDITIONS ET ABRÉVIATIONS UTILISÉES
1
QE, p. 1342.
2
Ibid., p. 1343.
3
Ibid., p. 1343.
4
Ibid., p.1343.
5
Ibid., p. 1342.
10 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
1
C’est, en effet, en milliers de pages que se comptent les textes de Marguerite
Yourcenar consacrés à la poésie (poèmes, traductions, commentaires,
correspondance…).
2
Lettre à Yvon Bernier, 4 janvier 1978, cité par Y. BERNIER, « Itinéraire d’une
œuvre », Études littéraires, Québec, Les Presses de l’Université Laval, avril 1979,
p. 10.
14 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
3
E. COCHE DE LA FERTÉ, « Madame Marguerite Yourcenar et les scrupules du
poète », Cahiers des saisons, n° 38, été 1964, p. 301.
INTRODUCTION 15
4
Il aura fallu attendre septembre 2004 pour qu’un colloque international autour du
thème « Marguerite Yourcenar et l’univers poétique » se tienne à Tokyo à l’initiative
de la Société internationale d'études yourcenariennes et de l’Université de Fukushima.
INTRODUCTION 17
5
Michel FOUCAULT, « préface », Folie et déraison. Histoire de la folie à l’âge
classique, cité par Didier ÉRIBON, Michel Foucault, Flammarion, 1989, p. 117.
Page laissée blanche intentionnellement
PREMIÈRE PARTIE
LIRE ET CRITIQUER
Marguerite Yourcenar, lectrice et critique de poésie
Page laissée blanche intentionnellement
I
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE
1
Tout se joue avant six ans, traduit de l’anglais par Yvon GEFFRAY, Robert Laffont,
1972. M. Yourcenar estimait quant à elle que pour un enfant tout est joué à l’âge de
cinq ans, comme elle le précise à J. Chancel au cours de l’émission Radioscopie. Voir
Georges de Crayencour, « Marguerite Yourcenar de 0 à 25 ans », Dossiers du Centre
d’action culturelle de la communauté d’expression française, nos 82-83, décembre
1980-janvier 1981, p. 4.
22 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
d’abord, mais surtout celles, plus informelles, de son père. C’est lui,
en effet, qui prend en charge pour l’essentiel son éducation littéraire
jusqu’à son adolescence, entre Lille, la résidence familiale du Mont-
Noir située dans les Flandres françaises, puis Paris, le Midi de la
France et Monte-Carlo.
Cette instruction marquée par le nomadisme et une certaine
liberté est une des caractéristiques des années d’apprentissage de la
fillette qui bénéficie d’une éducation « buissonnière » de privilégiée.
Yourcenar a fait, à plusieurs reprises, le récit de sa découverte de la
littérature. Il s’en dégage toujours un appétit de connaissance, une
curiosité intellectuelle, un plaisir de la découverte qui ne la quitteront
jamais.
Dès qu’elle sait lire correctement, la fillette appliquée
abandonne les habituelles lectures enfantines des petites filles du
début du siècle dernier, la comtesse de Ségur en particulier, qu’elle
juge sévèrement. Seuls les contes de fées découverts dès sa petite
enfance par la voix de son père et de sa bonne, la touchent. Dès l’âge
de sept ans, elle plonge avec délices dans le bain de la « grande
littérature ». Elle se souvient avoir elle-même acheté, à l’âge de huit
ans, en traduction, Les Oiseaux d’Aristophane à la station de métro
Concorde, dans une collection de poche « à 10 centimes (d’alors) ».
Elle découvre, vers le même âge, Racine, La Bruyère… : « J’ai lu tous
mes classiques dans les éditions à bon marché que j’achetais moi-
même. »1, confie-t-elle à Matthieu Galey. Yourcenar a évoqué dans
ses livres, sa correspondance et dans de nombreux entretiens, ses
premières lectures. Il est donc tout à fait possible de reconstituer
virtuellement sa bibliothèque de jeunesse et de connaître avec
précision les livres qu’elle a lus – ou que son père lui a lus – entre
l’âge de six et dix-huit ans. Elle détaille, notamment dans Sources II2,
les livres formateurs lus dans sa jeunesse. Nous pouvons donc, grâce
aux listes établies par l’auteur, suivre le chemin de ses lectures,
entrevoir l’évolution de ses découvertes et deviner la naissance de
certains de ses goûts qui se confirmeront avec les années.
Parmi les « livres lus entre la sixième et la douzième année »3,
auxquels il convient d’ajouter ce que l’auteur désigne comme les
1
YO, p. 28 et 45.
2
Texte établi et annoté par Élyane DEZON JONES, présenté par Michèle SARDE,
Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 1999.
3
Ibid., p. 217-221.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 23
4
Ibid., p. 222.
5
Ibid., p. 221.
6
S II, p. 223-224.
7
Parmi les lectures de M. Yourcenar à cette époque, il convient d’ajouter des auteurs
tels que Flaubert, Huysmans, Sainte-Beuve, Loti, Barrès, Anatole France, Selma
Lagerlöf… ainsi que de nombreux ouvrages historiques.
8
S II, p. 225-226.
24 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
9
Tous se retrouveront naturellement dans La Couronne et la lyre, l’anthologie de la
poésie grecque ancienne publiée par M. Yourcenar en 1979.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 25
10
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretiens avec Jacques Chancel, Monaco,
Éditions du Rocher, 1999, p. 24. Bien des années avant, elle faisait dire à l’empereur
Hadrien : « mes premières patries ont été les livres », MH, p. 310.
26 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
L’influence du père
11
p. 1346.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 27
12
SP, p. 795.
13
Ibid., p. 934.
14
QE, p. 1290.
15
Ibid., p. 1268.
16
Ibid.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 29
17
SP, p. 932.
18
QE, p. 1290.
19
Ibid.
20
J. A. COMENIUS, Le Labyrinthe du Monde et le paradis du cœur, adaptation
française par Michel de Crayencour, d’après la traduction anglaise du comte Lutzow,
Lille, Imprimerie L. Danel, 1906, 331 p.
21
Voir Marguerite. Yourcenar. L’Invention d’une vie, Gallimard, 1990, p. 64.
30 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
22
Voir S II, p. 41.
23
Tome 6, n° 23, p. 435-449, repris dans Conte Bleu. Le Premier soir. Maléfice, avec
une préface de Josyane SAVIGNEAU, Gallimard, 1993, p. 23-52.
24
Yourcenar, elle-même, quand elle raconte cet épisode, parle d’une « offre,
singulière pour peu qu’on y pense » et note : « Le jeu me tenta », SP, p. 932.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 31
par excellence. Il dépasse pourtant chez un fin lettré comme lui l’effet
des modes et des conditionnements culturels d’une époque.
Mythe personnel ou réalité ? Il semble, en tout cas, que ce soit
sous le signe de la poésie que Marguerite Yourcenar reconstruit dans
ses mémoires la rencontre puis l’histoire d’amour entre son père et sa
mère :
29
YO, p. 47.
30
AN, p. 1105.
31
Fonds Yourcenar.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 33
32
« Le mythe grec de M. Yourcenar », Nord’, n° 5, juin 1985, p. 71-72.
34 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Gabriele D’Annunzio
33
Lettre inédite à Pierre Marchand, 17 octobre 1979, Fonds Yourcenar.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 35
37
Voir YO, p. 46.
38
« Note sur Le Dialogue dans le marécage », Th I, p. 175.
39
Ibid. p. 177.
40
Sur l’influence de Gabriele D’Annunzio sur Le Dialogue dans le marécage, voir
Camillo FAVERZANI, L’Ariane retrouvée ou le théâtre de Marguerite Yourcenar,
Saint-Denis, Université Paris 8, Vincennes Saint Denis, coll. « Travaux et
documents », 2001, p. 47-76.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 37
Maurice Maeterlinck
41
Dans sa « Note sur Le Dialogue dans le marécage », op.cit., p. 175, M. Yourcenar
reconnaît sa dette envers « […] l’émotion poignante et comme balbutiée de
Maeterlinck, que j’avais aim[ée] dans l’adolescence, et dont certains échos traversent
ce petit drame au décor italien et légendaire. » Sur l’influence de Maurice Maeterlinck
sur la pièce, voir C. FAVERZANI, L’Ariane retrouvée ou le théâtre de Marguerite
Yourcenar, ibid.
42
« Entretiens avec des Belges », Bulletin du CIDMY, n° 11, 1999, p. 39.
43
YO, p. 29.
38 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
44
QE, p. 1360.
45
Ibid., p. 1243.
46
Nous savons que ce parcours est inscrit dans l’œuvre même de Maeterlinck qui a
été grandement marqué par les livres de Novalis et d’Emerson. Dans son discours de
réception à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, M.
Yourcenar évoque d’ailleurs « Emerson, que Maurice Maeterlinck appelait le bon
pasteur matinal », voir « Réception de Mme M. Yourcenar. Discours de Mme M.
Yourcenar », Bruxelles, Bulletin de Académie royale de langue et de littérature
françaises, tome XLIX, n° 1, p. 25. [tiré à part]
47
« Entretiens avec des Belges », op.cit., p. 91.
48
Sur les correspondances et les influences de Maeterlinck dans l’œuvre de M.
Yourcenar, on peut lire les audacieuses hypothèses de Maurice DELCROIX, « Avant
le grand silence », Bulletin de la SIEY, n° 19, décembre 1998, p. 157-166.
49
« Wilde rue des Beaux-Arts », PE, p. 502.
50
M. Yourcenar a conservé dix livres de Maeterlinck dans sa bibliothèque, tous
abondamment annotés. Voir Inventaire de la bibliothèque de Marguerite Yourcenar,
op. cit.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 39
Rabindranah Tagore
51
SP, p. 848.
52
TGS, p. 370-376.
53
La fidélité de Yourcenar aux écrivains qui ont accompagné ses premières émotions
littéraires est telle qu’elle intervient, en 1981, auprès du secrétaire perpétuel de
l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, Georges Sion,
afin de sauver de la destruction Orlamonde, la villa de Maeterlinck à Nice. Elle
suggère d’ailleurs de transformer le site en « un beau lieu accessible à tous, et sur
lequel flotterait le souvenir d’un grand poète. » Une manière d’honorer une dette
contractée plus de six décennies plus tôt. Voir lettre à Georges Sion, 5 août 1981,
« Georges Sion, lecteur attentif de M. Yourcenar », Bulletin du CIDMY, n° 13, 2001,
p. 38.
54
YO, p. 56.
40 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
55
Lettre à N. Chatterji, 17 juillet 1964, L, p. 206.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 41
61
Ibid., p. 208.
62
Ibid.
LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE 43
encore vivants au moment où elle les découvre. Ils sont même au faîte
de leur gloire. Fêtés dans les journaux, acclamés dans les théâtres,
dans le cas de Gabriele D’Annunzio et de Maurice Maeterlinck. Ce
qui semble attirer la jeune Marguerite, sans doute là encore guidée par
son père « que toutes les nouveautés tentaient »63, c’est – qu’elle en ait
conscience ou pas – la littérature la plus reconnue, les auteurs les
mieux établis de l’époque. Hasard ou coïncidence, on remarque que
parmi ses auteurs préférés, trois furent couronnés du Prix Nobel
durant la période où elle découvrit leurs œuvres : Maurice Maeterlinck
(1911) ; Rabindranah Tagore (1913) ; Romain Rolland (1916). Ce qui
montre bien les goûts quelque peu conventionnels de l’adolescente qui
ne s’aventure pas encore vers l’inconnu des formes nouvelles. Autre
constat important, les goûts de l’adolescente la portent à s’intéresser
en priorité à des auteurs étrangers dont l’inspiration la fait voyager de
l’Inde, à l’Italie et au symbolisme belge, autant de lieux de la poésie
qui exhalent sans doute pour la jeune fille éprise de dépaysement un
parfum d’exotisme littéraire qui lui fera souvent préférer, à l’âge
adulte, les littératures qui l’éloignent symboliquement de sa culture
d’origine. C’est certainement dès l’adolescente que Yourcenar
considèrera la lecture comme un voyage au-delà des frontières, des
langues et des cultures. Les poèmes de D’Annunzio, de Tagore et de
Maeterlinck, lus très tôt, ne sont donc que les premières étapes qui
marquent le compagnonnage de Yourcenar avec la poésie d’hier et
d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. Des étapes déterminantes pour
l’avenir du jeune écrivain.
63
QE, p. 1346.
Page laissée blanche intentionnellement
II
LES LECTURES DE LA MATURITÉ
1
« M. Yourcenar répond au questionnaire de Marcel Proust », Livres de France, n° 5,
mai 1964, p. 12-13.
2
M. Yourcenar a enseigné le français bénévolement au Hartford Junior College en
1941. Elle a ensuite obtenu un poste d’enseignante à mi-temps au Sarah Lawrence
College, à Bronxville, au nord de New York où elle a exercé de 1942 à 1949 et
quelques mois en 1952.
3
Sur M. Yourcenar, enseignante, voir J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar.
L’invention d’une vie, op. cit., p. 173-179.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 47
4
Voir lettre à Charles Orengo, 28 octobre 1955, Fonds Yourcenar.
5
Voir lettre à Charles Orengo, 8 novembre 1956, Fonds Yourcenar.
48 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
6
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 442.
7
Dans un entretien réalisé en 1987, l’année de sa mort, M. Yourcenar affirme qu’elle
se sent des affinités particulières avec le « Moyen Âge français bien plus » qu’avec les
romantiques ou Baudelaire, comme lui suggère son interlocutrice. Voir « Une
interview de Marguerite Yourcenar », entretien avec Shusha Guppy, The Paris
Review, printemps 1988. PV, p. 393.
8
M. Yourcenar est très sensible aux vers de l’un des premiers poètes français
modernes. Dans ses « Carnets de notes, 1942-1948 », elle rapproche quelques-uns des
vers de Villon de ceux d’un « initié grec dans l’un des plus purs poèmes qu’ait jamais
inspirés la mort », PE, p. 526. Ailleurs, elle décèle dans la ferveur brutale des Negro
Spirituals, « quelque chose de l’émotion nue de Villon », FP, p. 39.
9
« La Bienveillance singulière de M. Yourcenar », entretien avec Josyane Savigneau,
Le Monde, 7 décembre 1984. PV, p. 316.
10
« Ah, mon beau château », SBI, p. 39.
11
Ibid, p. 45.
12
« Lycophron et la poésie cryptique », CL, p. 359.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 49
13
N’oublions pas que cette époque est celle de L’Œuvre au noir, roman tout imprégné
de la littérature de la Renaissance et en particulier de la poésie.
14
« Ah, mon beau château », SBI, p. 45.
15
« Le Cerveau noir de Piranèse », SBI, p. 87.
16
« Voyages dans l’espace et voyages dans le temps », TP, p. 697.
17
« Ah, mon beau château », SBI p. 61.
18
Pierre de RONSARD, « Préface » aux Quatre premiers livres des odes (1550).
50 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
19
Voir Yvon BERNIER, « Les Tombes », Petite Plaisance, Northeast Harbor, Petite
Plaisance Trust, s. d., p. 32.
20
YO, p. 59.
21
« Une exposition Poussin à New York », PE, p. 469-470.
22
Ibid., p. 469.
23
Ibid., p. 470.
24
« Littérature française (pour aider l’imagination) », S II, p. 207.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 51
dramaturges de notre langue… »25, ainsi qu’elle l’écrit à son ami Jean
Schlumberger. Dans son anthologie de la poésie grecque ancienne, La
Couronne et la lyre, elle rapproche les sensuelles épigrammes
amoureuses d’un Paul le Silentiaire, des « jouissances, tantôt brutales,
tantôt alambiquées, des poètes français du XVIIe siècle. »26 Elle fait de
Boileau un des annonciateurs des romantiques en matière de richesse
de la rime et de diversité du vocabulaire27. À la fin de sa vie, parmi les
autres poètes du XVIIe qui l’ont marquée, elle avance le nom du très
oublié et atypique François Maynard, émule de Malherbe connu pour
ses stances amoureuses et ses recueils licencieux. Elle se souvient
surtout d’un poème, « La Belle Vieille »28. Cet exemple témoigne du
goût de Yourcenar pour les petits maîtres, les oubliés des premiers
rangs, poètes qu’elle lit pour y trouver autre chose que ce que
l’héritage « officiel » des lettres dispose sur le premier rayon de nos
bibliothèques. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la
poésie du Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIe siècle.
C’est encore un peu vrai quand elle aborde les lectures
poétiques du XVIIIe qui, au-delà de la figure dominante d’André
Chénier, sont surtout riches de poètes « mineurs », dont les œuvres ont
parfois pour elle un intérêt plus historique ou sociologique
qu’esthétique. Ce qu’elle apprécie dans la poésie du siècle des
Lumières, c’est « cette grâce incisive qui est caractéristique du XVIIIe
siècle »29, qu’elle débusque dans un quatrain de Voltaire. Ailleurs, elle
évoque avec malice Rousseau, non pas Jean-Jacques, le philosophe,
mais Jean-Baptiste, « célèbre celui-là pour des poésies religieuses et
d’agréables épigrammes grivoises. »30
Le XIXe siècle, si riche en révélations et révolutions
poétiques, est également le grand siècle de la poésie pour Marguerite
Yourcenar. C’est la période littéraire avec laquelle elle semble avoir le
plus d’affinités, comme en témoigne les innombrables références à
25
Lettre à Jean Schlumberger, 20 février 1962, dans laquelle elle précise à son
correspondant qu’elle a beaucoup aimé son livre Plaisir à Corneille, « relu tout entier
pour la troisième fois. », L p. 164.
26
CL, p. 476.
27
Voir « La bienveillance singulière de M. Yourcenar », op. cit., PV, p. 316.
28
Voir « Une interview de M. Yourcenar », op. cit., PV, p. 393. Dans une note,
Maurice Delcroix précise que « "La Belle vieille" est un poème conventionnel où un
vieillard presse une veuve de "donner de beaux jours à [ses] derniers hyvers" ».
29
CL, p. 447.
30
« Ah, mon beau château », SBI, p. 66.
52 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Hugo, Verlaine, Rimbaud… qui émaillent ses écrits les plus divers et
certains des entretiens où elle s’exprime sur ses goûts en matière de
poésie française. Les poètes du siècle qui précède le sien sont, en
effet, de constants référents dans son œuvre et dans sa vie. Une lettre
écrite en 1977 à une amie témoigne de cette proximité quasi naturelle
avec certains grands poètes du XIXe siècle qui ont souvent
accompagné ses pensées et ses rêveries. Faisant le récit d’une croisière
en Alaska qu’elle vient d’effectuer, elle propose, par la même
occasion, à sa lectrice, un voyage improvisé au cœur de la poésie
qu’elle préfère :
31
Le dernier vers du poème le « Voyage » est : « Au fond de l’inconnu pour trouver
du nouveau ».
32
Lettre à Jeanne Carayon, 6 juillet 1977, L, p. 552.
33
« Une interview de M. Yourcenar », op. cit., PV, p. 393.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 53
34
Voir SBI, p. 34.
35
Ibid., p. 35.
36
« Sur quelques lignes de Bède le Vénérable », TGS, p. 279.
37
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec Jacques Chancel, Monaco,
Éditions du Rocher, 1999, p. 41.
38
Remarquons que ce sonnet de Nerval, extrait des Chimères, figure dans le « Cahier
de poèmes copiés par Michel » afin d’initier sa fille aux charmes de la grande poésie,
initiation paternelle qui marqua durablement ses goûts poétiques.
39
« Écriture et alchimie dans L’Œuvre au noir », Bulletin de la SIEY, n° 19, décembre
1998, p. 100.
40
« Faust 1936 », PE, p. 510.
41
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », ibid., p. 440.
54 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
fantaisiste que fut Banville »42 dont elle ne sauve qu’un seul poème
« au sujet d’un clown lancé en plein ciel »43. Elle reconnaît, en fait,
qu’il existe bien un écho du « Saut du tremplin » dans l’écriture de
« Sappho ou le suicide », l’un des poèmes en prose de Feux, texte
imprégné d’une ambiance circassienne aux accents de cabaret et de
music-hall.
Les vers de Musset que Yourcenar garde en mémoire sont
intimement associés à ses parents qui les appréciaient. On se souvient
que son père lisait Rolla à ses camarades pendant son service militaire,
œuvre dont il a recopié le prologue dans le cahier de poésie qu’il a
légué à sa fille. Mais l’écrivain romantique est surtout associé dans
l’esprit de Yourcenar à la mort de sa mère que quelques-uns des vers
de Musset semblent annoncer presque cryptiquement. Racontant, dans
Souvenirs pieux, le jour de l’accouchement de Fernande, Yourcenar se
souvient que le bâtiment communal où son père va déclarer sa
naissance « avait été quelque cinquante ans plus tôt la résidence des
champs de la Malibran, l’illustre cantatrice dont la mort prématurée
inspira à Musset un poème que Fernande et lui [Michel de C***]
aimaient et s’étaient plus d’une fois récité l’un à l’autre (Sans doute il
est trop tard pour parler encor d’elle ;/ Depuis qu’elle n’est plus
quinze jours sont passés…) »44.
Alors que l’auteur vient de naître et que sa mère sombre dans
la fièvre puerpérale qui l’emportera dix jours plus tard, la
mémorialiste en appelle aux poignantes « Stances à la Malibran » pour
évoquer le bonheur passé de ses parents sous la patronage poétique de
Musset et l’épilogue de la mort, elle aussi prématurée, de Fernande.
La suite du récit confirme cette volonté de l’auteur, qui cite à nouveau
les vers de Musset après avoir écrit : « Une quinzaine environ après la
mort de Fernande ». 45 En un subtil procédé littéraire fait de vers
répétés comme en écho, l’image de la mère défunte se superpose à
celle de la Malibran, chantée de manière si émouvante par Musset46.
42
« Préface », F, p. 1050.
43
Il s’agit du poème « Le Saut du tremplin » (Odes funambulesques, 1857).
44
SP, p. 726. Il s’agit des deux premiers vers de la première des vingt-sept stances à
la Malibran (Poésies Nouvelles).
45
Ibid, p. 741.
46
M. Yourcenar a également évoqué la célèbre cantatrice dans un de ses poèmes de
jeunesse, « Laeken (Cimetière royal) », où elle est associée cette fois-ci à la mort du
père, qui repose dans le même cimetière que la célèbre cantatrice.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 55
47
« Le cerveau noir de Piranèse », SBI, p. 85.
48
Ibid. p. 105.
49
« Wilde rue des Beaux Arts », PE, p. 501.
50
M. Yourcenar évoque notamment, les « miroirs mallarméens » dans un texte de
1929, « L’improvisation sur Innsbruck ». PE, p. 454.
51
QE, p. 1242.
56 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
plus riches mais aussi les plus secrets entre l’écrivain et la poésie. Son
examen permet de mesurer l’importance qu’elle a eue tout au long de
son existence et de deviner les voies qu’elle a empruntées pour
atteindre le cœur de la vie et de l’œuvre de Marguerite Yourcenar.
52
Voir Yvon BERNIER, Inventaire de la bibliothèque de Marguerite Yourcenar,
op.cit.
53
Sources : Daniel FERRER, Paolo D’IORIO [dir.], Bibliothèques d’écrivains, CNRS
éditions, coll. « Textes et manuscrits », 2001, 255 p. pour P. Valéry et R. Pinget ;
Bibliothèque historique de la ville de Paris pour J. Cocteau ; Élisabeth LEBOVICI,
« Les Splendeurs de Breton à vendre », Libération, 6 novembre 2002, p. 34, pour
Breton.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 57
54
Ces livres, parfois annotés de sa main ou marqués de son nom, ont souvent été
acquis alors que Grace Frick était étudiante, avant sa rencontre avec M. Yourcenar en
1937. La répartition géographique des livres dans la maison est un autre élément à
prendre en compte : Grace Frick avait, en effet, regroupé dans sa chambre les
ouvrages qui lui étaient le plus chers.
58 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
dans certains cas, leur prolongement dans son écriture. Car, comme
l’écrit Daniel Ferrer : « ce que la bibliothèque de l’écrivain permet
d’intercepter et d’appréhender, c’est moins un savoir qu’une série de
relations – relations entre des esprits par l’intermédiaire de textes,
relations entre des textes par l’intermédiaire de manuscrits, relation
entre une écriture et son environnement. »57
57
« Introduction », Bibliothèques d’écrivains, op. cit., p. 8. Les réflexions
développées dans ces pages doivent beaucoup à la lecture de cet ouvrage.
58
Ibid., p. 25.
60 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
59
CL, p. 9-10.
60
OR, p. 524.
61
L’œuvre de M. Yourcenar est pleine de bibliothèques. Ses livres regorgent de
descriptions des bibliothèques de ses personnages ou d’énumérations des livres lus et
appréciés par ceux-ci.
62
Cité par Huguette BOUCHARDEAU, Une autre façon de dire Je. Voyage autour
de ma bibliothèque, Flammarion, 1999, p. 166.
63
Alberto MANGUEL, « Une bibliothèque est un autoportrait », entretien avec
François Busnel, Lire, novembre 2004, p. 118.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 61
64
Pour les références bibliographiques complètes des livres cités dans les pages qui
suivent, voir Yvon BERNIER, Inventaire de la bibliothèque de Marguerite
Yourcenar, op. cit.
65
Soit les recueils, essais, études diverses, biographies, anthologies, revues, plaquettes
hors commerce et autres articles épars consacrés à des poètes et/ou à la poésie.
62 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
66
Il convient de noter que la bibliothèque de Petite Plaisance contient un certain
nombre de livres de ou sur des poètes français en traduction anglaise. Certains
appartiennent à Grace Frick qui était bilingue. D’autres ont été lus par M. Yourcenar
qui les a parfois annotés. En particulier des essais et biographies de poètes célèbres
dont les deux femmes étaient de grandes lectrices. Ce regard d’érudits anglo-saxons
sur le patrimoine poétique français a sans doute attiré M. Yourcenar, curieuse de
confronter les cultures. Ces lectures répondent également chez elle au refus d’un
certain chauvinisme franco-français en matière de littérature qu’elle a régulièrement
dénoncé et dont elle s’est toujours tenue éloignée, comme en témoigne le contenu
résolument cosmopolite de sa bibliothèque de références. Enfin l’intérêt de l’écrivain
pour les questions de traduction explique également le fait qu’elle se plaît à
redécouvrir certains poètes français dans d’autres langues, en particulier l’anglais dont
elle partageait l’usage avec Grace Frick.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 63
67
ON, p. 658.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 65
68
Le texte original de « La chanson d’Henri Maximilien » tel que reproduit dans
Chansons populaires des XVe et XVIe siècles avec leurs mélodies est le suivant :
« Nous estions trois compagnons
Qui allions de la les monts
Nous voulions faire grand chère… »
69
Bibliothèques d’écrivains, op. cit., p. 15.
66 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
70
Il s’agit de « Le Vieux chat et la jeune souris » ; « Le Cochet, le chat et le
souriceau » ; « La Querelle des chiens et des chats et celle des chats et des souris » ;
« Les Souhaits ou la souris métamorphosée en fille ».
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 67
Nouvelle Héloïse sont sur un plan infiniment plus élevé que Mlle de
Maupin. L’auteur sait bien la petite histoire littéraire et pas du tout la
littérature. » Page 206 enfin, Yourcenar souligne un autre manque de
la biographie de Joanna Richardson : « no mention of the erotic poetry
of Gautier himself ». Outre ce livre « extrêmement médiocre »,
Yourcenar possédait deux éditions des célèbres Émaux et camées.
L’une est une édition critique établie par Jacques Madeleine et publiée
en 1927 ; l’autre une édition populaire de très petite taille, comme
l’écrivain semble beaucoup les aimer, éditée en 1929 aux Éditions de
l’Abeille d’or et conservée, comme d’autres petits volumes qui lui
sont chers, dans le meuble-bibliothèque installé à la tête de son lit.
De Gérard de Nerval dont Yourcenar connaissait très bien
l’œuvre, elle possédait trois volumes dont le tome II de ses Œuvres
complètes, dans la Bibliothèque de la Pléiade édité en 1984. Les deux
autres livres, une édition des Filles du feu de 1874 et un recueil de
Pages choisies, publié dans la collection à vocation scolaire des
Classiques Larousse en 1936, indiquent sa fidélité au poète. Ce dernier
volume garde d’ailleurs en mémoire la ou, plus vraisemblablement,
les lectures de Yourcenar qui a effectué sur les pages de garde une
série de dessins au crayon dont il n’est pas certain que l’on puisse les
considérer comme des illustrations du texte nervalien : silhouette d’un
couple nu, de profil, uni par les mains ; autre personnage nu, assis
dans une position de douce rêverie ; femme en pied aux grands yeux
dont une partie du corps seulement est drapé dans un habit dénudant
ses épaules et l’une de ses cuisses ; dessin énigmatique quelque peu
« surréaliste » d’une table à deux tiroirs sur la surface de laquelle se
profile une main brandissant un grand couteau et sur laquelle est posé
ce qui pourrait être un paquet de cigarettes ou d’allumettes, le tout
sous le regard d’un petit chien, installé au premier plan, au pied de la
table. Il nous est difficile d’interpréter de tels croquis qui n’ont peut-
être que peu de rapport avec le livre dans lequel ils sont nés, simples
supports matériels des rêveries de la lectrice qui crée son propre
monde en empruntant à Nerval l’espace de sa poésie.
Remarquons que cette « enluminure » du texte lu par de petits
croquis et autres dessins à l’encre, au feutre ou au crayon est courante
chez Yourcenar74, comme nous le verrons quand nous évoquerons son
74
Notons, par ailleurs, que la pratique yourcenarienne du dessin est également visible
dans ses propres manuscrits dont certains sont truffés de croquis ou de signes
70 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Jean Racine
76
« Aspects d’une légende », Th II, p. 171.
77
« Une exposition Poussin à New York », PE, p. 469.
78
« Avant-propos » [à Électre ou la chute des masques], Th II, p. 16.
79
« La Bienveillance singulière de M. Yourcenar », op.cit., PV, p. 316.
80
« Une interview de Marguerite Yourcenar », op.cit., PV, p. 393.
81
C’est sans doute cela qu’exprime M. Yourcenar quand elle déclare à Matthieu
Galey : « Il est très gênant en France de reprocher quelque chose à Racine. Par
l’incomparable perfection de la langue, c’est notre plus grand poète ». YO, p. 102.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 73
André Chénier
82
Dans son « examen d’Alceste », M. Yourcenar insiste sur le fait qu’Euripide a été
pour bien des auteurs, « un point de départ, une source, et parfois une mine. Un
Racine, un Goethe, un Alfieri sont ses fils ; », Th II, p. 95.
83
On lira en particulier dans Théâtre II sa courte évocation d’Andromaque (p. 15-16),
les deux belles pages sur l’Alceste à peine ébauché par Racine (p. 96-97) et son
analyse de Phèdre (p. 170-171).
84
Voir S II, p. 207.
85
Ibid., p. 70.
86
Ibid., p. 207.
74 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
87
Cité par Édouard Guitton, « Chénier », Le Nouveau dictionnaire des auteurs, vol. I,
op. cit., p. 659.
88
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 445.
89
CL, p. 38.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 75
90
Il n’existe dans l’œuvre de M. Yourcenar nul article ou essai consacré à André
Chénier, ni aucun document laissant penser qu’il pourrait s’agir d’un projet qui
n’aurait pas abouti.
91
Voir « Une exposition Poussin à New York », PE, p. 469.
92
Le vers complet dans l’édition Garnier (1878) est : « Dieu de la vie, et dieu des
plantes solitaires ».
76 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
bien raison d’invoquer les Nymphes : elles l’en ont récompensé : son
vers, aux bons endroits, a des liquidités d’eau. On n’y sent pas la
césure et l’on n’y sent pas non plus que la césure y paraît manquer. »
Page 146, en marge de la fin du poème LXXIV des
Bucoliques, elle remarque : « Ici un vague parfum de Galilée dans ces
fragments d’idylles siciliennes. »
Page 150, au chapitre des « esquisses et projets », Chénier
mentionne la possibilité de consacrer un poème à la belle Scio
devenue folle à la mort de son amant et évoqué par Shakespeare dans
une chanson93 dont Chénier donne une courte traduction. La lectrice se
prend alors à rêver dans la marge : « J’aime à voir les belles jeunes
femmes et les jeunes cavaliers de Shakespeare se retrouver dans cette
galante compagnie mythologique. Celui qui aima passionnément
Ovide aurait aimé André Chénier. »
Page 171, parmi les Élégies, Yourcenar souligne au trait rouge
trois vers de la fin d’un poème dont le titre est « Imité d’une idylle de
Bion » :
non point exquis, non point parfaits, mais d’une molle grâce Louis
XVI où les réminiscences du naturalisme de Jean-Jacques [Rousseau]
se poétisent de souvenirs classiques – et faits pour être récités à mi-
voix par une Julie qui aurait des lettres. »
Page 261 sur laquelle figurent deux courts poèmes traitant de
l’homme qui s’apitoie sur son propre malheur (XLIII) et d’une belle
qui joue de ses charmes pour se faire pardonner par son amant
(XLIV), elle fait cette réflexion : « Rien ne s’allie mieux que le
pessimisme et l’épicurisme – Tous les poètes grecs sont volontiers de
paisibles désespérés. »
Page 308, à propos du premier poème intitulé « Élégie
orientale », elle commente : « Il y a dans Chénier un peu de Méléagre
– très peu – assez de Properce et beaucoup de Dorat mélangé de
Jacques Delille – cela ressemble à la Grèce comme les bruyères de
Trianon ressemblent à Amaryllis. Il est fâcheux que Chénier n’ait pas
donné suite à son projet – Nous eussions eu un point de comparaison
de plus avec Verlaine et Baudelaire. »
Le tome II des Œuvres poétiques contient une seule
annotation digne d’être signalée. Elle se trouve page 25 où Chénier
évoque des projets de composition dramatique, affirmant notamment
que les tragédies doivent s’écrire en alexandrins et les comédies et les
satires « en vers de dix syllabes ». Ce qui fait écrire à Yourcenar :
« Ce Grec du XVIIIe siècle se rattachait par son instinct du rythme aux
vieilles traditions de la race française – Les comédies du Moyen-âge
sont en décasyllabes. »
Victor Hugo
94
Voir en particulier son article « Une exposition Poussin à New York », PE, p. 468-
473, dans lequel elle adopte le procédé inverse, en faisant appel à une multitude
d’écrivains (Descartes, Racine, Corneille, Maurice de Guérin, Vigny, Hugo,
Whitman…) pour faire saisir au lecteur la beauté des tableaux de Poussin.
95
Dans une lettre à Jacqueline Piatier qui avait titré sa critique d’Archives du Nord,
« M. Yourcenar et la légende des siècles » [Le Monde, 23 septembre 1977, p. 1],
l’auteur écrit : « Vous pensez bien que vos allusions à La Légende des Siècles […] me
comblent. […] "Michel" [son père] entre ma douzième et quinzième année, m’a
souvent lu à haute voix, ou fait lire à mon tour "La Terre", "Les Sept merveilles du
monde", "Plein ciel" (pour m’apprendre la diction). », 2 octobre 1977, L, p. 568.
96
« L’Express va plus loin avec M. Yourcenar », entretien avec Jean-Louis Ferrier,
Christiane Collange et Matthieu Galey, L’Express, 10-16 février 1969, PV, p. 84.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 79
97
« M. Yourcenar répond au questionnaire de Marcel Proust », op. cit., p. 13.
98
« Une interview de M. Yourcenar », op. cit., PV, p. 395.
99
P, p. 1508.
100
« Une interview de M. Yourcenar » op. cit., PV, p. 394. Plus de quinze ans
auparavant, elle tenait déjà des propos sensiblement identiques, notamment à
Matthieu Galey : « J’ai toujours beaucoup aimé Hugo, en dépit de toutes les modes
contraires. Je reconnais qu’il y a des moments de pesante rhétorique, mais il y en a
d’éblouissants et d’immenses. », YO, p. 49.
101
Voir L, p. 552.
80 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
elle, « ce qu'on a dit de plus beau sur la condition de poète. »102 Elle
cite volontiers ses vers qui l’accompagnent dans sa vie quotidienne et
dont elle admire la virtuosité et la netteté tranchante :
102
Lettre à Henry Bonnier, 14 octobre 1977, L, p. 569. Dans sa critique louangeuse
d’Archives du Nord pour laquelle M. Yourcenar le remercie, le critique affirme : « La
nostalgie est assurément une attitude inconnue de M. Yourcenar. La nostalgie n’est
plus ce qu’elle était, dirait Simone Signoret. Ce qui compte, aujourd’hui, c’est d’être,
plus que jamais, cet "écho sonore" dont parlait Hugo en grand visionnaire qu’il était. »
Henry BONNIER, « Un parfait écrivain : M. Yourcenar », La Dépêche du Midi, 25
septembre 1977.
103
« Une interview de M. Yourcenar, op. cit., PV, p. 394. M. Yourcenar fait une
légère confusion quand elle évoque la place Vendôme au lieu de l’Arc de Triomphe.
C’est, en effet, du poème « À l’Arc de triomphe » du recueil Les Voix intérieures,
auquel elle a emprunté par ailleurs la formule « le temps, ce grand sculpteur » qu’elle
a extrait les deux vers qu’elle cite. Il s’agit donc d’un alexandrin et demi.
104
« Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné », SBI, p. 25.
105
Ibid., p. 35.
106
P, p. 1508.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 81
107
S II, p. 207.
108
M. Yourcenar donnera même ce titre au recueil d’essais qu’elle publiera en 1983.
Voir TGS, p. 312-316.
109
Attendez que de mousse elles soient revêtues,
Et laissez travailler à toutes les statues
Le temps, ce grand sculpteur !
Les Voix intérieures, poème IV « À l’Arc de triomphe ».
110
Voir SBI, p. 75-108.
111
Le vers de Hugo est : Le noir cerveau de Piranèse. Voir Les Contemplations, Livre
sixième : Au Bord de l’infini, poème XXIII « Les Mages ».
112
« Carnets de notes, 1942-1948 », PE, p. 528.
82 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Charles Baudelaire
113
Dans un entretien, M. Yourcenar affirme : « Pensez à certains écrivains qui avaient
un très grand talent de journaliste, comme Victor Hugo, n’est-ce pas, qui a
merveilleusement décrit le retour des cendres de Napoléon », « M. Yourcenar parle de
L’Œuvre au noir », entretien avec Carl Gustav Bjurström, La Quinzaine littéraire, 16-
30 septembre 1968, PV, p. 60.
114
Voir « Une interview de M. Yourcenar, op. cit., PV, p. 393.
115
Ibid., p. 394.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 83
116
YO, p. 49.
117
Lors de sa dernière interview accordée à un de ses amis en août 1987, elle lui
lance : « Je vous défie, à moins que vous n’ayez fait beaucoup de yoga, de réciter une
stance de quatre lignes de Baudelaire sans étouffer. Votre voix n’ira pas jusqu’au bout
» et tente aussitôt l’impossible exercice. « M. Yourcenar interviewée », entretien avec
Jean-Pierre Corteggiani, Normal, hiver 1987, PV, p. 410.
118
Voir « Marionnettes de Sicile », PE, p. 448. Il s’agit du premier vers du sonnet
« Le Rebelle », un des poèmes ajoutés à la troisième édition des Fleurs du Mal
(1868).
119
« La Dernière olympique », PE, p. 429.
120
Ibid.
121
Ibid.
122
Ibid.
84 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
123
Voir SP, p. 738.
124
Voir Th II, p. 9.
125
Voir, TP, p. 699-701.
126
« Bonheur, malheur », TP, p. 639.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 85
Arthur Rimbaud
127
« Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita-Govinda », TGS, p. 352-
353.
128
« Voyages dans l’espace et voyages dans le temps », TP, p. 700.
129
Il existe une version sensiblement différente dans « Délires II. Alchimie du
verbe », Une saison en enfer : « Elle est retrouvée !/ Quoi ? L’Éternité./ C’est la mer
mêlée/ Au soleil. », Œuvres complètes, édition établie, présentée et annotée par
Antoine ADAM, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, p. 110.
130
« Vers nouveaux et chansons », Œuvres complètes, op. cit., p. 79.
86 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
l’âge adulte. Elle a dû se la répéter bien des fois, non pas pour tenter
de comprendre l’inexplicable vision de Rimbaud, mais pour mieux
habiter son mystère : « On ne comprend pas l’éternité. On la constate.
Le vers de Rimbaud exprime l’étonnement émerveillé devant cette
suprême "Illumination" »131, remarquait-elle en 1979. Mais le vers de
Rimbaud occupait déjà son esprit bien des années plus tôt. Ne peut-on
en deviner la trace dans un court passage de la mort de Zénon, le héros
de L’Œuvre au noir qui, au moment de quitter volontairement la vie,
est submergé d’une myriade de visions allégoriques qui lui font
atteindre l’œuvre au rouge des alchimistes ?
131
YO, p. 222.
132
ON, p. 833.
133
« De la nuit si nulle /et du jour en feu. »
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 87
134
Arthur RIMBAUD, Œuvres complètes, op. cit., p. 934-935.
135
ER, p. 130.
136
Remarquons qu’un autre personnage de L’Oeuvre au noir, Henri-Maximilien
Ligre, poète-soldat et cousin de Zénon, séducteur, voyageur insouciant et esprit
désinvolte peut faire également penser au Rimbaud désillusionné qui quitte la France
pour vendre des armes en Abyssinie. Notons toutefois que le rapprochement se fait
avec un Rimbaud de légende qui touchait sans doute Yourcenar. C’est toutefois en
Zénon qu’elle a dû projeter avec le plus de fermeté la figure du poète admiré.
137
« Unus ego et multi in me. », ON, p. 699.
138
Voir « À la sortie du labyrinthe », Hadrien ou la vision du vide, Rome, Bulzoni
Editore, 1999, p. 52.
139
ON, p. 565.
88 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
140
« Chroniques des romans », La Table ronde, n° 250, novembre 1968, p. 223.
141
Lettre à Jean Onimus, 25 janvier 1969, L, p. 314.
142
Elle reconnaissait toutefois en 1979 : « Il y a peut-être en moi […] en tant que
gène, en tant qu’influence des ancêtres certains caractères flamands. […] C’est bien
possible. Il se peut que j’aie sans le savoir des éléments flamands assez profonds. »,
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, 15 juin 1979, Cassettes
Radio France/France Inter/INA.
143
Lettre à Nicolas Calas, 18 février 1962, L, p. 162.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 89
144
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, 15 juin 1979, op.
cit.
145
Voir notamment Hélène SKOURA, « Arthur Rimbaud-Marguerite Yourcenar :
Affinités électives », Marguerite Yourcenar écrivain du 19e siècle ?, Clermont-
Ferrand, SIEY, 2004, p. 389-392.
146
Béatrice Didier a mis à jour des correspondances historiques, psychologiques,
familiales… entre Rimbaud et Michel de Crayencour dans « Voyage et
autobiographie chez M. Yourcenar », Voyage et connaissance dans l’œuvre de
Marguerite Yourcenar, mélanges coordonnés par Carminella Biondi et Corrado
Rosso, Pise, Editrice Libreria Goliardica, 1988, p. 102.
147
YO, p. 23.
148
Le père de M. Yourcenar est né en 1853 et Rimbaud en 1854.
149
L’Express, décembre 1980, cité dans Cahier du Centre culturel Arthur Rimbaud,
Ville de Charleville-Mézières, n° 7, juin 1981, s. p.
150
Voir « M. Yourcenar et Rimbaud » qui contient l’extrait d’une lettre de M.
Yourcenar à André Lebon, président du Centre culturel Arthur-Rimbaud, de
Charleville-Mézières, sollicitant des précisions sur le rapprochement qu’elle faisait
entre son père et Rimbaud. Elle précise : « Disons simplement qu’en indiquant une
ressemblance entre ces deux hommes – à peu près contemporains – je pensais dans les
deux cas à une robuste origine paysanne très proche pour Rimbaud, plus éloignée
pour mon père, et enfin un suprême et instinctif dédain des opinions et des préjugés
90 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
ambiants, qui fait d’eux, à travers les hauts et les bas de leur existence, des hommes
libres. », Cahier du Centre culturel Arthur Rimbaud, ibid.
151
Voir « Le Cerveau noir de Piranèse », SBI, p. 89.
152
« Séquence de Pâques : une des plus belles histoires du monde », TGS, p. 361.
153
« Diagnostic de l’Europe », EM, p. 1653.
154
SP, p. 846.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 91
155
Voir CL, p. 357.
156
Dans sa lettre du 19 juillet 1974, elle lui écrit : « Avez-vous lu le livre de Jean
Chauvel, La Vie terrestre d’Arthur Rimbaud ? Je le trouve bon. », Fonds Yourcenar.
157
Dans sa lettre du 19 juillet 1974, M. Yourcenar est également élogieuse au sujet du
livre d’Émilie Noulet : « Vous avez bien mérité [mot illisible] Rimbaud ! Voici pour
vous dire avec quel intérêt j’ai lu votre commentaire, ce bateau viking, qu’il aurait
aimé. », ibid.
92 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Maurice de Guérin
158
Voir AN, p. 1031.
159
Lettre à Gaston-Louis Marchal, directeur du Centre d’information et d’orientation
de Castres et de Mazamet (Tarn), 12 février 1978, L, p. 584. À la suite de cet échange
épistolaire, G.-L. Marchal a publié « Marguerite Yourcenar et Eugénie et Maurice de
Guérin », L’Amitié guérinienne, bulletin trimestriel des Amis des Guérin, n°129, été
1978, p. 97-100.
160
« Une exposition Poussin à New York », PE, p. 469.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 93
161
Lettre à G.-L. Marchal, L, p. 585.
162
Henri LEMAITRE, Dictionnaire Bordas de littérature française, Bordas, 1986, p.
353.
163
Voir Maurice de GUÉRIN, Poésie, préface de Marc FUMAROLI, Gallimard, coll.
« Poésie », 1999 [1ère édit. 1984], p. 10.
94 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
164
Lettre à G.-L. Marchal, L, p. 584-585.
165
La formule est de Barbey D’AUREVILLY, Lettres à Trebutien, 2 février 1855,
cité par Marc Fumaroli, op. cit., p. 62.
166
Lettre à G.-L. Marchal, L, p. 585.
167
Ibid.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 95
168
Préface à Maurice de GUÉRIN, Poésie, op. cit., p. 70.
96 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
169
« Rencontre avec Marguerite Yourcenar », entretien avec Francesca Sanvitale,
RAI, 6 janvier 1987, PV p. 364.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 97
Je crois que j’ai des douzaines de patries […] J’ai une passion
pour l’Autriche, j’ai une passion pour la Suède, j’ai une passion
pour le Portugal, j’ai une passion pour l’Angleterre. Et la
littérature anglaise m’a tellement nourrie que c’est certainement
une de mes patries. J’aime beaucoup l’Asie, j’ai étudié les
littératures asiatiques autant que j’ai pu, et par conséquent je me
sens une patrie asiatique autant qu’une patrie européenne. Non, je
ne crois pas aux patries exclusives…172
170
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, 15 juin 1979,
Cassettes Radio France/ France Inter/INA.
171
Ne déclarait-elle pas en 1976 : « Je me sens très profondément de culture française,
mais quand je retourne en Europe, je suis chez moi aussi bien en Autriche ou au
Portugal qu’en France. », « M. Yourcenar s’explique », entretien avec C. Servan-
Schreiber, Lire, juillet 1976, PV, p. 176-177. Au moment de son entrée à l’Académie
française, elle déclarait, encore, au New York Times : « France is one of my cultures
[…] But only one. » [La France est une de mes cultures. Mais une seulement.],
Deborah TRUSTMAN, « France’s first woman "immortal" », New-York Times
Magazine, 18 janvier 1981.
172
Apostrophes, entretien avec B. Pivot, Antenne 2, 7 décembre 1979, PV, p. 251-
252.
173
« La Bibliothèque universelle de M. Yourcenar », L’Universalité dans l’œuvre de
Marguerite Yourcenar, vol. 2, SIEY, 1995, p. 90.
174
« Chronologie », OR, p. XVI.
175
« L’Andalousie ou les Hespérides », TGS, p. 383.
176
YO, p. 47.
98 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
180
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, 15 juin 1979,
Cassettes Radio France/France Inter/INA. Grande voyageuse, M. Yourcenar a fait
sienne la devise qu’elle prête à Zénon, dans L’Œuvre au noir : « Qui serait assez
insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison. », qu’elle a mise en
exergue de son recueil de récits de voyages, Le Tour de la prison. Le voyage est
partout présent dans son œuvre romanesque et poétique qui fourmille de personnages
de grands voyageurs (L’empereur de Mémoires d’Hadrien, Zénon et Henri-
Maximilien dans L’Œuvre au noir, Nathanaël dans Un Homme obscur…). Mais le
premier grand voyageur de l’œuvre yourcenarienne n’est-ce pas Icare qui rêve, dans
100 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
toujours été très liés dans la vie et l’esprit de l’écrivain pour qui lire
c’est voyager et voyager, c’est aussi lire le monde et ses secrets. Sa
bibliothèque garde d’ailleurs les traces de cette relation privilégiée
entre les deux.
Les livres en latin et grec ancien, qui ont été l’une des
nourritures quotidiennes de Yourcenar tout au long de sa vie, occupent
naturellement une très grande place dans sa bibliothèque. Ils
représentent à eux seuls des centaines de volumes disposés, pour la
plupart, sur les étagères de son cabinet de travail, à portée de main
pour la moindre vérification ou la relecture d’un passage de Virgile ou
de Théognis. La poésie antique ainsi que le théâtre y occupent une
place de choix. Nous avons pourtant décidé d’exclure ce corpus de
notre étude de la présence de la poésie étrangère dans la bibliothèque.
Il nous a semblé que ces volumes, souvent utilisés comme documents
de travail pour l’élaboration de certains de ses livres (Mémoires
d’Hadrien, La Couronne et la lyre…) ou, plus généralement, comme
outils de connaissance didactique d’une période historique et
culturelle essentielle dans la pensée yourcenarienne, n’avaient pas la
même valeur que les autres livres de sa bibliothèque. Peut-être aussi
parce que finalement les livres en latin et grec ancien font tellement
partie de la culture de Yourcenar que nous ne pouvons plus parler de
langues étrangères, mais plutôt de véritables langues intimes que l’on
ne peut pas mettre sur le même plan que le portugais ou l’allemand.
Enfin, s’agissant de détailler les multiples rencontres livresques de
Yourcenar avec la poésie du monde dans ce qu’elle a de plus vivant, il
nous paraît préférable de limiter notre analyse aux langues dites
vivantes.
Parmi celles-ci, l’anglais occupe la première place, si l’on
excepte bien sûr le français. L’anglais, c’est évidemment l’autre
langue de Yourcenar qui a élu domicile aux États-Unis où elle a vécu
de 1940 à sa mort en 1987, moins celle de la vie quotidienne que celle
des voyages, mais aussi et surtout celle de la lecture. Outre les auteurs
anglo-saxons qu’elle lit directement dans le texte, l’anglais est
également la langue de la traduction. C’est en effet par le truchement
de cette langue qu’elle a pu avoir accès à un grand nombre de livres
Le Jardin des chimères, de « [p]arcourir un jour les routes de la terre ! » (p. 28), ce
que fera l’auteur de ce vers durant une bonne partie de son existence. Sur M.
Yourcenar et les voyages, voir « Les Voyages de M. Yourcenar », Bulletin du
CIDMY, n° 8, Bruxelles, 1996, 334 p.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 101
La poésie anglaise181
181
Pour simplifier et comme le fait M. Yourcenar, nous entendons ici par « poésie
anglaise » non seulement les œuvres d’écrivains d’Angleterre mais aussi d’Écosse,
d’Irlande et du Pays de Galles.
102 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
182
« Aspects d’une légende et histoire d’une pièce », Th II, p. 170.
183
« Une interview de M. Yourcenar », op. cit., PV, p. 394.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 103
184
TGS, p. 316.
185
« Préface », F, p. 1052.
186
« Un Entretien inédit de M. Yourcenar », Bruges, 1er juin 1971, Bulletin de la
SIEY, n° 19, décembre 1998, p. 26.
187
« Wilde rue des Beaux-Arts », PE, p. 502.
188
Ibid.
104 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
189
Ibid., p. 507-508.
190
Ibid., p. 505.
191
Ibid., p. 509.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 105
192
Il s’agit de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique où
M. Yourcenar a été élue en 1970 à titre étranger et dont Marcel Thiry a été le
secrétaire perpétuel.
193
« Examen d’Alceste», Th II, p. 95.
106 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
194
Nous entendons par là que diverses marques (nom inscrit, dates, dédicaces…) nous
indiquent que ces documents ont été acquis par G. Frick, le plus souvent avant qu’elle
ne partage la vie de M. Yourcenar, à partir de fin 1939.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 107
dans lequel le poète est associé à un autre grand écrivain anglais dont
il était l’ami. Il s’agit d’un ouvrage italien, Shelley and Byron in Pisa,
un album publié par la RAI, la télévision publique italienne195.
Comme pour D’Annunzio ou Maeterlinck, l’intérêt pour
Byron remonte aux années de jeunesse. Dans un texte consacré à
Ravenne écrit en 1935, elle évoque la figure légendaire du poète lors
de son séjour dans la ville italienne qu’elle réinvente en s’inspirant des
artistes qui l’ont chantée. Comme elle le fait souvent, elle ressuscite
de manière vivante et anecdotique le poète, méditant au rythme des
pas de sa monture, las de la ville, de la vie et de celle qu’il a aimée196.
Pas moins de neuf livres concernent la poésie de William
Wordsworth, l’un des plus célèbres représentants du romantisme
anglais. Il s’agit principalement de ses œuvres les plus représentatives
et de recueils de morceaux choisis : The Poetical Works, Poems in
Two Volumes, The Prelude, Poems of Wordsworth, ainsi que le livre
qui marque l’avènement du romantisme anglais, Lyrical Ballads, écrit
avec son ami Coleridge. La plupart comporte des marques de lecture
de Yourcenar et de Grace Frick. Les trois autres documents sont une
analyse d’un célèbre poème de Wordsworth, « Wordsworth’s
Michael » dont l’auteur est Martha Hale Shackford, une ancienne
condisciple de Grace Frick au Wellesley College, dont la bibliothèque
de Petite Plaisance renferme onze textes, essentiellement des essais et
articles concernant la poésie. Également annotés par les deux
utilisatrices de la bibliothèque, deux essais d’Émile Legouis traduits
en anglais : The Early Life of William Wordsworth 1770-1798. A
Study of « The Prelude » et une évocation à caractère plus
biographique concernant la liaison française du poète, William
Wordsworth and Annette Vallon.
Le plus célèbre couple de poètes de la littérature anglo-
saxonne du XIXe siècle formé par Elizabeth Barrett Browning et son
mari Robert Browning est également très présent. Bien que la carrière
littéraire de Robert Browning fût plus longue et sa renommée plus
grande que celle de son épouse, les œuvres d’Elizabeth Barrett
Browning sont plus nombreuses dans la bibliothèque de Petite
Plaisance. Figurent, en effet, en bonne place ses poèmes en quatre
195
M. Yourcenar possédait d’autres ouvrages de la même collection consacrée à des
grands noms de la littérature mondiale (Rilke, Valéry…) associés à des villes
italiennes où ils ont vécu.
196
Voir « Ravenne ou le péché mortel », PE, p. 488-489.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 109
volumes publiés sous le titre Poems mais aussi une anthologie de ses
vers les plus fameux, Poetical Works et une édition de ses célèbres
Sonnets from the Portuguese. La grande épistolière est également
présente à travers la correspondance passionnée qu’elle a échangée
avec son mari, The Letters, publiée en deux volumes, ainsi que par un
choix de lettres, Letters from Elisabeth Barrett to B. R. Haydon,
éditées par Martha Hale Shackford, auteur par ailleurs d’un essai, E.
B. Browning. R. H. Horne. Two Studies, également présent dans la
bibliothèque. Quant à l’œuvre de Robert Browning, elle est présente
seulement à travers deux anthologies : The Shorter Poems of Robert
Browning et The Complete Poetic and Dramatic Works.
Parmi les autres géants de la poésie anglaise, quatre poètes
sont également très présents : George Meredith, John Keats, Samuel
Taylor Coleridge et William Blake. La bibliothèque de Petite
Plaisance contient cinq volumes consacrés à l’œuvre poétique de
George Meredith, l’un des écrivains particulièrement étudiés par
Grace Frick dans le cadre de sa thèse restée inachevée. Il n’est donc
pas étonnant que la plupart des volumes de ce poète au paganisme
joyeux se trouvent dans la chambre de celle-ci. Yourcenar a goûté la
beauté des vers de John Keats qu’elle rapproche de Maurice de
Guérin197. Parmi les documents concernant Keats figurent deux
éditions différentes de The Poetical Works annotées par Grace Frick,
un volume de correspondance, Letters to his Family and Friends, ainsi
que deux articles tirés de revues savantes qui semblent garder la
marque des lectures croisées de Yourcenar et de sa compagne. Du
complice de Wordsworth, S. T. Coleridge, Yourcenar possédait
l’essentiel de l’œuvre poétique dont un volume de The Poems contient
quelques annotations de la main des deux femmes. Elles ont
également lu son autobiographie spirituelle qui fonde sa conception de
la poésie, Biographia literaria, assortie d’un article de Margaret
Sherwood sur « Coleridge’s Imaginative Conception of the
197
Dans une lettre à Gaston-Louis Marchal datée du 12 février 1978, M. Yourcenar
écrit : « L’Angleterre a plus que nous le sens de la beauté et du mystère des poètes
morts jeunes (Keats, à qui Guérin fait souvent penser, Shelley, Chatterton, Rupert
Brooke) ;… », L, p. 585.
110 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
198
Notons que ce document, comme quelques autres, est publié à la Wellesley Press
soit les presses universitaires du Wellesley College où Grace Frick a été étudiante
dans les années 1920.
199
Dans son essai sur J. L. Borges, évoquant « la vision [de l’artiste] visionnaire ou de
l’halluciné », M. Yourcenar remarque : « Blake, là où il n’est pas sublime, semble
longuement se griser de ces mêmes rapsodies sacrées. », « Borges ou le Voyant », PE,
p. 574. Par ailleurs, nous savons qu’elle a fait son miel de la « bonne biographie » du
poète par Michael Davis, William Blake, a New Kind of Man (1977) empruntée à la
bibliothèque du Bangor Seminary et qui a fait l’objet d’une courte fiche de lecture de
M. Yourcenar sous le titre « Mystique de Blake ». Voir S II, p. 173.
200
Il s’agit de son évocation d’Antinoüs : « Eager and impassionated tenderness,
sullen effeminacy ». M. Yourcenar note que « Shelley, avec l’admirable candeur des
poètes, dit en six mots l’essentiel, là où la plupart des critiques d’art et les historiens
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 111
évoque sa fin tragique sur une plage italienne où Byron assiste aux
« feux du bûcher de Shelley »201. L’exemplaire de ses œuvres
complètes est annoté par Marguerite Yourcenar et Grace Frick. Un
autre épais recueil de morceaux choisis, offert à Yourcenar en 1927,
comme l’indique une note écrite de sa main, contient quelques
marques au crayon rouge, vestiges probables de ses premières lectures
de celui que Matthew Arnold a immortalisé sous les traits d’un « ange
inefficace battant de ses ailes lumineuses le vide ». Les œuvres de
Algernon Charles Swinburne ont été également des nourritures
précoces pour Yourcenar qui a découvert ses poèmes dans sa jeunesse
et dont elle a conservé deux anthologies de ses vers. Quelques autres
poètes ont trouvé place avec un seul titre sur les étagères de la
bibliothèque. Il s’agit de George Eliot, Francis Thompson, Walter
Savage Landor, John Henry Newman et Thomas Hardy dont l’écrivain
appréciait surtout l’œuvre romanesque.
Nous avons remarqué que les anthologies étaient nombreuses
dans la bibliothèque de Yourcenar. Celles en langue anglaise
dominent largement et couvrent toutes les époques et tous les aspects
de la poésie anglo-saxonne. Simples recueils de morceaux choisis,
manuels de vulgarisation ou livres destinés à améliorer la culture
littéraire des étudiants, ils ont été très consultés par les deux lectrices.
Notons parmi les dizaines de volumes non encore examinés deux
ouvrages exclusivement consacrés au sonnet, The Penguin Book of
Sonnet et Sonnets, tous deux largement annotés, en particulier par
Grace Frick. D’autres titres qui proposent des approches très larges de
la poésie peuvent être assimilés à des ouvrages de référence tels The
Oxford Book of English Verse qui contient un choix des meilleurs
poèmes anglais de 1250 à 1900 ; British Poetry and Prose en deux
volumes qui contiennent également plusieurs marques de lecture ; The
English Heritage ; Great English Poets ; English Literature with
Illustrations from Poetry and Prose et A Treasury of Irish Poetry in
the English Tongue. D’autres anthologies se consacrent à un aspect
particulier du vers anglais : Lyric Love, an Anthology ; The Faber
Book of Reflective Verse acquis par Yourcenar à la fin de sa vie ; The
Golden Treasury, un choix des meilleurs chants et poèmes lyriques de
la langue anglaise dont la bibliothèque abrite deux éditions. La
La poésie américaine
202
Rappelons que le Maine où la mémoire de l’auteur d’Évangéline est encore vivace
est l’état dans lequel a vécu M. Yourcenar. On lui a même décerné le titre de Doctor
Honoris Causa du Bowdoin College, situé à Brunswick, université dans laquelle
Longfellow fit ses études, enseigna et devint l’ami de Hawthorne, autre gloire
littéraire du Maine. Il existe d’ailleurs un Fonds Yourcenar à la Hawthorne-
Longfellow Library de Bowdoin College, essentiellement alimenté par des documents
donnés par M. Yourcenar à partir de 1960.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 113
La poésie orientale
203
L’Orient littéraire de M. Yourcenar comprend essentiellement le Japon, la Chine,
l’Inde, la littérature arabe et persane et s’étend jusqu’aux confins des pays
balkaniques, voire jusqu’à l’Andalousie de la période musulmane.
204
« Une Autre M. Yourcenar », entretien avec Nicole Lauroy, Femmes
d’aujourd’hui, mai 1982, PV p. 309.
114 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
La poésie japonaise
205
S. II, p. 217.
206
M. Yourcenar fait le récit de cette « première émotion littéraire » dans Quoi ?
L’Éternité. Voir QE, p. 1347.
207
Lettre à Alexis Curvers et Marie Delcourt, 18 mai 1955, HZ, p. 473.
208
Radioscopie Marguerite Yourcenar, Éditions du Rocher, op. cit., p. 41.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 115
209
Voir Mishima ou la vision du vide, EM, p. 263 dans lequel l’auteur décrit
Patriotisme, le film que Mishima a tiré de sa propre nouvelle, « une des plus
remarquables » selon M. Yourcenar.
210
« La Noblesse de l’échec », TGS, p. 322-323. Dans cet essai, Yourcenar salue
l’ouvrage La Noblesse de l’échec, du spécialiste et traducteur japonisant Ivan Morris,
qui a été pour elle une autre voie d’accès aux richesses littéraires du Pays du soleil
levant.
211
« Kabuki, bunraku, nô », TP, p. 649.
212
Ibid., p. 648.
213
« Bosquets sacrés et jardins secrets », TP, p. 678.
214
« La Noblesse de l’échec », TGS, p. 321.
215
« La Loge de l’acteur », TP, p. 685.
116 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
216
Ibid.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 117
La poésie chinoise
La poésie arabo-persane
animaux ont tremblé pour leur avenir lorsque Dieu créa l’être humain
et qualifie cette fable d’ « admirable vision de poète »217. Comme pour
beaucoup de textes qu’elle a lus attentivement et juge essentiels, elle a
consacré une fiche de lecture aux Mille et une nuits qu’elle aborde
dans la traduction de Mardrus. Elle analyse en particulier le tome V.
Sous le titre « influence de la poésie arabe sur Gide », elle note : « la
forme poétique de certaines tirades des Nourritures terrestres
emprunte sans plus aux 1001 nuits […] On voit que cette atmosphère
poétique aura servi aussi à Gide à idéaliser les rapports avec les petits
voyous arabes de L’Immoraliste »218. Plus loin, elle écrit : « Poème
pédérastique récité par le Génie devant K endormi. Beaux vers, de
type plus arabe que persan. »219 De telles notations qui jettent des
ponts entre les cultures et les époques témoignent de la profonde
imprégnation de la littérature arabo-persane chez un poète ayant très
tôt goûté les « pâmoisons de la poésie arabe et persane »220 qui lui ont
inspiré certains de ses premiers poèmes. Cette sensibilité à l’art
mélodieux des poètes arabes et persans du passé, Yourcenar l’exprime
en particulier dans son essai « L’Andalousie ou les Hespérides », dans
lequel l’évocation de l’histoire tourmentée, de la culture et des
vestiges des monuments andalous est l’occasion pour elle de
mentionner l’âme des poètes dont chaque pierre garde la trace. La
visite du palais en ruines de Medina Alzahara, situé près de Cordoue,
lui fait penser à « une Asie plus immémoriale que l’Islam, à l’Iran
achéménide, aux vers mélancoliques des poètes persans sur les
demeures royales hantées désormais par l’onagre et la gazelle qu’on
évoque dans ces salles nues »221. Car l’Andalousie qu’elle recréait en
1952 après sa visite de la région est avant tout pour l’écrivain-
voyageur, « [t]erre de poètes surtout en ce qu’elle a été
perpétuellement aimée et recréée à distance, dans les plaintes des
poètes arabes pleurant Grenade perdue… »222 Parmi les « délices » de
la visite de Grenade, il y a « ce rossignol qui chanta toutes les nuits,
217
« Qui sait si l’âme des bêtes va en bas ? », TGS, p. 370.
218
Fonds Yourcenar.
219
Ibid.
220
Voir « Paul le Silentiaire », CL, p. 476. Dans la brève présentation du poète grec
du VIe siècle de notre ère, M. Yourcenar note que certains de ses vers « font parfois
songer aux pâmoisons de la poésie arabe et persane… ».
221
TGS, p. 383.
222
Ibid., p. 389.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 119
cette gorge brune gonflée de sons nous en apprit tout autant sur la
poésie arabe que les inscriptions de l’Alhambra. »223
C’est en poète qu’elle visite cette Andalousie si marquée par
les arabesques et la musique des poètes des civilisations arabe et
persane qu’elle aime tant. Mais c’est sans doute en philosophe qu’elle
s’est particulièrement imprégnée du soufisme, une des manifestations
de la civilisation islamique qui trouvait chez elle le plus de
résonances224. Elle a lu le remarquable Reading from the Mystics of
Islam, de Margaret Smith, édité à Londres en 1972 et fait le
commentaire suivant : « Peu de grands textes, mais quelques beaux
passages des Soufis. Jalal Al-Din Rumi […] comme toujours l’un des
plus grands… »225 dont elle cite plusieurs vers sur la mort des amants
qui vont rejoindre Dieu, le véritable Aimé dans la tradition soufie :
« Ô amants ! Le temps est venu de quitter le monde ; […] Ô cœur,
pars rejoindre le Bien-Aimé. Ô ami, va vers l’Ami… »226 Elle retient
également de la lecture du livre de Margaret Smith quelques vers d’un
autre poète soufi fameux, Abd Al Karim Jili, dont on comprend qu’ils
l’ont touchée tant ils expriment une conception spirituelle de la vie
proche de la sienne227. Cette grandeur de la poésie soufie, elle
l’entrevoit également dans les textes de trois figures féminines :
223
Ibid., p. 389-390.
224
Dans un entretien réalisé en avril 1987, M. Yourcenar explique ce qui l’attire dans
le soufisme : « C’est une philosophie qui conçoit le Divin comme l’essence de la
perfection, comme l’Ami… », voir « Une interview de M. Yourcenar », op.cit., PV, p.
398.
225
« Notes de lectures : Livres sur les religions orientales », S. II, p. 136-137.
226
Traduction de l’anglais d’Élyane Dezon Jones, ibid., p. 138. Il est fort probable que
c’est à ce même poème de Djelal Eddin El-Roumi que M. Yourcenar fait référence
dans son essai « Sur quelques thèmes de la Gita-Govinda », quand elle évoque le
« tremblant et confiant dialogue que d’autres poètes ont engagé avec la personne
divine, tel ce chant poignant des soufis qui, dans la Perse de ce même XIIe siècle,
évoquait tendrement l’unique Aimé », TGS, p. 355. Notons que c’est également au
même poète et toujours au sujet de l’inexplicable « Ami » qu’elle fera appel pour
résumer ce qu’elle considère comme la « Sagesse Soufie » dans son dernier livre La
Voix des choses. Voir, VC, p. 83.
227
Nous reproduisons le texte du « poème » de Abd Al Karim Jili dans la traduction
qu’en donne Élyane Dezon Jones dans Sources II, p. 138-139. « Je suis l’Existant et le
non-existant/ Ce qui n’aboutit à rien et ce qui demeure/ Je suis ce qui est senti et ce
qui est imaginé/ Je suis le serpent et le charmeur/ Je suis le délié et l’entravé/ Je suis
ce qui est bu et celui qui donne à boire/ Je suis trésor et je suis pauvreté/ Je suis ma
création et le Créateur. »
120 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
228
M. Yourcenar évoquera une nouvelle fois dans un entretien réalisé en 1987 la
figure de la « princesse moghol nommée Jahanara, […] une poétesse admirable. » Si
l’on en croit son interlocutrice, M. Yourcenar aurait même songé à lui consacrer un
essai. Ce que l’intéressée ne dément pas dans sa réponse. Voir « Une interview de M.
Yourcenar », entretien avec Shusha Guppy, op. cit., PV, p. 388 et 398. Dans le même
entretien (p. 396), elle signale qu’elle lit « en ce moment », soit en avril 1987, « un
énorme livre d’un poète soufi marocain », preuve de son intérêt durable pour ce
courant de la mystique musulmane. Nous savons, par ailleurs, que M. Yourcenar s’est
rendue sur la tombe de la princesse Jahanara et d’un autre poète soufi, Amir Khusrau,
lors de son séjour à New Delhi, en février 1983. Voir « Les Voyages de M.
Yourcenar », Bulletin du CIDMY, n° 8, décembre 1996, p. 145.
229
S II, p. 139.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 121
230
La connaissance approfondie que M. Yourcenar avait de la poésie mais aussi de la
spiritualité arabo-islamique est attestée par les très nombreux ouvrages non
directement poétiques qu’elle possédait : nombreux traités sur le soufisme, édition en
français du Coran, biographie de Mahomet, ouvrages du célèbre islamologue Louis
Massignon, essai sur la place de la pensée arabo-musulmane dans l’histoire…
122 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
La poésie indienne232
231
Dans les « Carnets de notes » de Mémoires d’Hadrien, M. Yourcenar avoue :
« Seule, une autre figure historique m’a tentée avec une insistance presque égale :
Omar Khayyam, poète, astronome. Mais la vie de Khayyam est celle du
contemplateur pur : le monde de l’action lui a été par trop étranger. D’ailleurs, je ne
connais pas la Perse et n’en sais pas la langue. », OR, p. 525.
232
Ce terme s’entend comme la littérature issue de la tradition poétique du sous-
continent indien et comprend donc aussi la poésie du Tibet, du Bengladesh…
233
Lettre à N. Chatterji, 17 juillet 1964, L. p. 207.
234
« Sur quelques thèmes de la Gita-Govinda », TGS, p. 354.
235
« Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gita-Govinda », Émile-Paul,
1957, 11 p. Le même essai est publié simultanément dans Les Cahiers du Sud, n° 342,
tome 45, septembre 1957, p. 218-228.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 123
La poésie portugaise
236
Voir lettre à Jeanne Carayon, 27 avril 1974, citée par J. SAVIGNEAU, Marguerite
Yourcenar. L’Invention d’une vie, op.cit., p. 278. Une autre lettre témoigne de la
connaissance approfondie qu’avait M. Yourcenar de la culture portugaise, qu’il
s’agisse de la peinture, de la musique traditionnelle ou de l’œuvre de son poète le plus
célèbre, Luis de Camões. Voir lettre à Dominique de Ménil, 6-22 novembre 1967, L
p. 268.
124 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
La poésie espagnole
237
Michel MOURRE, « Camoens », Le Nouveau dictionnaire des auteurs, vol. I,
op.cit., p. 541
238
Voir lettre à Marc Brossollet, 25 août 1962, L p. 168.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 125
La poésie italienne
239
Lettre inédite à Françoise Capdet, Archives F. Capdet.
240
Dans une lettre adressée à Émilie Noulet, elle écrit : « J’ai lu, dans une Anthologie
catalane de Mathilde Bensoussan, récemment parue chez Denoël, de beaux vers bien
traduits, il me semble, de José Carner… » [époux d’Émilie Noulet], 19 juillet 1974,
Fonds Yourcenar.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 127
Il est donc naturel que ces quelques vers relus tant de fois,
figurent sous le titre « Sagesse de Dante »246 dans La Voix des choses,
recueil de courts textes qui l’ont accompagnée tout au long de son
existence. Quelques vers plutôt énigmatiques extraits du Chant V du
241
« Wilde rue des Beaux-Arts », PE, p. 501. Dans le même texte, elle note, à propos
du bannissement social de Wilde dans l’Angleterre pesamment victorienne, « il
accepte du XIXe siècle la dureté qu’il trouvait naturelle à Dante. », p. 500.
242
CL, p. 39.
243
Genèse de l’Odysée : le fantastique et le sacré, PUF, 1954. Dans cet essai, Gabriel
Germain insiste sur le fait que le chef-d’œuvre d’Homère est davantage une aventure
terrestre que maritime. Ce à quoi M. Yourcenar répond : « En dépit de vos justes
statistiques qui nous rappellent que la plus grande partie du poème se passe sur la terre
ferme, l’Odyssée demeure pour moi, que je le veuille ou non, le poème de l’aventure
maritime… », lettre à Gabriel Germain, 6 janvier 1966, L, p. 236.
244
Ibid.
245
Lettre à Lidia Storoni Mazzolani, 22 août 1968, ibid., p.289-290.
246
Voir VC, p. 76-77.
128 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
247
« Siena mi fe’, mi difece Maremme. » DANTE, La Divina Commedia. Purgatorio,
V, 134.
248
« Note sur Le Dialogue dans le marécage », Th I, p. 175.
249
Cité par Vincenzo PERNICONE, Le Nouveau dictionnaire des auteurs, vol. I, op.
cit., p. 811.
250
PE, p. 481.
251
Ibid., p. 60.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 129
La poésie allemande
252
Parmi les influences de la jeunesse qui ont abouti, dans son œuvre, au « style
orné » qui a succédé à la retenue janséniste de son premier roman, Alexis ou le traité
du vain combat (1929), M. Yourcenar reconnaît, entre Barrès et Suarès, celle des
« peintres et poètes baroques de l’Italie… », voir YO, p. 47.
253
Ibid., p. 50.
254
Voir « Chronologie », OR, p. XVI.
255
Lettre à Wilhelm Gans, 24 janvier 1970, L. p. 345.
256
« Faust 1936 », PE, p. 510.
257
Ibid.
130 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
258
Ibid., p. 515.
LES LECTURES DE LA MATURITÉ 131
est comme l’instrument mécanique accordé à cet effet, des états d’âme
et des tableaux intérieurs, des visions et des pensées – peut-être aussi
des danses spirituelles etc… – La poésie est l’art d’exciter. »
À l’évidence, ces réflexions de Novalis ont trouvé un écho
particulier chez elle. En encadrant ces notes, la lectrice fait acte
d’appropriation du texte lu. Car isoler au crayon rouge un fragment de
Novalis, c’est assurément pour Yourcenar se rapprocher de la pensée
émise par un autre poète, et finalement la recréer plus d’un siècle
après sa première naissance. Le lecteur qui assimile un texte ne
devient-il pas, grâce à l’alchimie de la lecture, l’autre auteur de
l’œuvre ainsi réinventée ?
Yourcenar et la modernité
1
Voir « Articles non recueillis en volume », EM, p. 1649-1655.
2
Bibliothèque universelle et revue de Genève, juin 1929, p. 745-752.
3
« Chronologie », OR, p. XVII.
4
EM, p. 1649.
5
Ibid.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 135
6
Ibid., p. 1650.
7
Ibid.
8
Ibid.
9
Ibid., p. 1651.
10
Ibid.
11
Ibid., p. 1651 et 1653.
12
Ibid., p. 1653.
136 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
son époque qu’il juge sévèrement. Plus qu’un simple écrit de jeunesse
dont Yourcenar reconnaîtra à la fin de sa vie la naïve ambition et le
diagnostic erroné19, cet essai est une photographie de l’état d’esprit de
la femme de lettres lorsqu’elle se lance, à contre-courant, dans la
carrière littéraire. Ce texte, tout plein d’affirmations souveraines et de
jugements péremptoires, fourmille d’informations jusque dans la
maladresse du constat yourcenarien. Cette exacerbation narcissique de
l’ego de l’artiste, ce rejet des pratiques littéraires anciennes et du
patrimoine universel de la culture, ce bris des formes, cette dissolution
du sens, cet abandon de la raison et de la connaissance au profit de la
tyrannie de l’inconscient, cette tentation du chaos… mis à jour par
Yourcenar en 1928, elle ne cessera de les épingler au cours de son
existence. Comme dans de nombreux domaines, l’écrivain est resté
fidèle aux jugements, opinions et enthousiasmes de sa jeunesse.
Impasses de la psychanalyse…
19
Dans une note rédigée en 1982 qui figure à la fin de Diagnostic de l’Europe dans
l’édition de la Pléiade, l’auteur précise : « Comme presque tous les coups d’œil sur
l’avenir, et même sur le présent, celui-ci était faux. […] Les prévisions étaient fausses
parce que j’imaginais une ère de discipline qui allait suivre : c’est au contraire un
chaos bien plus total qui était vrai, et qui fait paraître 1928 comme une période
d’encore quasi-stabilité. », Ibid.
20
Ibid., p. 1653.
21
Dans les préfaces de ses trois pièces à sujet mythologique dans lesquelles elle
analyse en détail l’évolution des héros et thèmes inspirés de la mythologie grecque à
travers les siècles et la littérature, elle s’en prend systématiquement à la relecture des
138 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
24
M. Yourcenar a conservé dans sa bibliothèque deux livres de Freud : Un souvenir
d’enfance de Léonard de Vinci et Totem and tabou, ainsi que deux ouvrages de Jung :
Alchemical studies et Présent et avenir.
25
« Une interview de Marguerite Yourcenar », entretien avec Shusha Guppy, op. cit.,
PV, p. 387.
26
Sur l’interprétation freudienne des rêves, M. Yourcenar remarque notamment : « Le
freudisme a trop cru à l’inamovibilité du symbole. […] Le freudisme a trop cru à
l’unité du symbole. Le freudisme n’a pas assez vu dans le symbole son élément de
métaphore, de pur jeu esthétique. Il tend à lui attribuer une intensité obsessionnelle
qu’il n’a pas toujours. », « Dossiers des Songes et les sorts. Notes destinées à s’ajouter
à la préface», SS, p. 1619.
140 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
fermeture. Car il existe des gouffres plus périlleux, plus agités et plus
habités que ceux décrits par les théoriciens et les poètes férus de
psychanalyse : « Que nous sommes plus profonds que les apparences
le font croire, plus profonds même que cet "inconscient" semé de
chausse-trapes auquel la psychologie contemporaine limite nos
abîmes !»27 écrit-elle à propos de la poésie d’Hortense Flexner. Cet au-
delà de l’inconscient freudien, elle l’a sans doute rencontré à travers
son contact approfondi avec les spiritualités extrême-orientales. Le
bouddhisme zen, notamment, duquel Yourcenar se sentait très proche
a pour but de mener le sujet qui s’y livre totalement à la vision de sa
nature profonde et à l’Éveil parfait ou Illumination (satori), qui
symbolise la suprême délivrance. Sa finalité, atteinte après d’austères
exercices de concentration et de recueillement, est d’abolir les
distinctions entre le Je et le Tu, le sujet et l’objet, le vrai et le faux, le
fini et l’infini. La lecture et la méditation des koans28 de la tradition
zen a sans doute été pour l’écrivain d’un grand secours psychique et
spirituel. Tout comme sa fréquentation de la mystique soufie et
d’autres disciplines mentales venues d’Orient qui atteignent, selon
elle, plus profondément la nature intime de l’homme.
Surréalisme et modernité
27
« En guise d’avant-propos », PCF, p. 14.
28
C’est sous ce signe que M. Yourcenar place le premier tome de sa trilogie familiale,
Le Labyrinthe du monde, en inscrivant en exergue de Souvenirs pieux, un célèbre
koan zen : « Quel était votre visage avant que votre père et votre mère se fussent
rencontrés ? ».
29
Lettre à Nicolas Calas, 18 février 1962, L, p. 161.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 141
Cette « orbite », autour de laquelle elle nie avoir jamais gravité, est
comme une autre planète pour elle. L’image peut même se
comprendre dans le sens que la physique donne au mot orbite, c’est-à-
dire une « trajectoire fermée décrite par un corps animé d’un
mouvement périodique » selon le dictionnaire. Car pour Yourcenar le
surréalisme est avant tout un mouvement refermé sur lui-même, qui
tourne à vide, isolé, presque autiste. Elle se sert d’ailleurs d’une
métaphore de l’isolement dans le silence des fonds marins en 1943
quand elle décrit « [l]es surréalistes, qui se construisaient au fond de
l’océan du rêve un univers aussi personnel qu’une cloche à
plongeur »30.
C’est sans doute dans l’essai qu’elle a consacré à Roger
Caillois auquel elle a succédé à l’Académie française, qu’elle a
développé le plus clairement sa position vis-à-vis du surréalisme.
L’analyse du court engagement de « L’homme qui aimait les pierres »
aux côtés de Breton et de ses acolytes donne en effet à
l’académicienne l’occasion de dresser un bilan bref et accablant du
mouvement surréaliste. Derrière le masque de Caillois qui lui sert
d’alibi, c’est Yourcenar elle-même qui s’exprime tant il semble
qu’elle prête ses propres idées au poète dont elle fait le portrait
intellectuel. Le procédé n’est pas rare chez celle qui a confié certains
de ses propres sentiments et opinions à un empereur romain. Après
avoir brièvement évoqué les raisons qui ont attiré Caillois du côté de
la révolution surréaliste, elle détaille celles qui lui ont rapidement fait
sentir la différence entre le côté factice et fabriqué des procédés
poétiques surréalistes, et « l’étrange et l’inexpliqué véritables »31, que
Roger Caillois atteindra par d’autres voies :
30
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 445.
31
« L’homme qui aimait les pierres », PE, p. 538
32
Ibid.
142 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
33
« Dossiers des Songes et les sorts. Notes destinées à s’ajouter à la préface», SS, p.
1611-1612.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 143
34
Ni article ni essai, il s’agit, comme la plupart des textes regroupés dans le volume
posthume Sources II, de simples notes de lecture à usage privé, révélatrices, par bien
des aspects, du cheminement de la réflexion yourcenarienne en matière de littérature
et de spiritualité.
35
C’est à Florence, en 1952, que M. Yourcenar acheta dans sa version originale le
livre de l’orientaliste italien Julius Evola, « un de ces ouvrages qui pendant des années
vous alimentent, et, jusqu’à un certain point, vous transforment. » L’ouvrage qui a
connu un énorme succès sera traduit en français en 1971 sous le titre Yoga tantrique,
aux éditions Fayard. M. Yourcenar publie d’ailleurs un compte rendu élogieux du
livre sous le titre « Des recettes pour un art du mieux-vivre », dans Le Monde du 21
juin 1972. Cet article sera repris, en 1983, sous le titre « Approches du tantrisme »,
dans son recueil d’essais, Le Temps, ce grand sculpteur, voir EM, p. 398-403.
36
Traduction Nathalie CASTAGNÉ. Cité dans « La poursuite de la sagesse », S II,
p. 85.
37
Ibid.
144 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
38
Ibid.
39
Voir lettre à Jacques Brosse, op. cit., L, p. 321.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 145
42
Documents Atelier André Breton.
43
C’est dans une lettre à M. Yourcenar que P. Alechinsky mentionne à sa
correspondante qu’il a feuilleté l’exemplaire de Mémoires d’Hadrien que possédait
Breton, précisant que celui-ci « gardait un petit nombre de livres dans sa maison de
campagne, réduit aux préférés, d’où ma joie de vous y trouver ». Voir lettre du 17
octobre 1976, Archives P. Alechinsky.
44
M. YOURCENAR, lettre à P. Alechinsky, 14 décembre 1976, Archives P.
Alechinsky. La réponse rédigée par Yourcenar s’étant égarée parmi les papiers de G.
Frick malade qui a tardé à la poster, l’écrivain a ajouté sous sa signature une note
expliquant ce retard et conclue, avec malice : « Breton croirait peut-être que de
malignes influences jouent pour nous empêcher de communiquer ! ».
45
Voir J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit.,
p. 263. Notons que Yourcenar rencontra à quelques reprises et échangea quelques
lettres et quelque livres avec l’inspiratrice du personnage de « la dame au gant » de
Nadja, le poète surréaliste Lise Deharme qu’elle a sans doute croisé dans les années
1950 dans le salon de Natalie Barney. Si dans la première lettre qu’elle adresse à Lise
Deharme, elle dit connaître ses ouvrages surréalistes (« vos récits à la fois fantastiques
et charmants »), c’est à l’occasion de la parution de son pamphlet en faveur des
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 147
animaux, …et la Bête (Fasquelle, 1957) qu’elle lui écrit son admiration. Voir L,
p. 134-135.
46
Voir ibid., p. 174.
47
« Regard sur le surréalisme », Histoire de la poésie française. La poésie du XXe
siècle, vol. 2 Révolutions et conquêtes, Albin Michel, 1982, p. 253.
148 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
48
CL, p. 99.
49
C’est dans une carte de Noël, non datée, de l’année 1971, adressée à son ami le
poète grec surréaliste et critique d’art Nicolas Calas qu’elle exprime, en toute liberté,
son rejet de l’art actuel : « L’art contemporain m’est de plus en plus inamical parce
qu’il me paraît [mot illisible] d’un intellectualisme presque scholastique et de ce Moi
démesuré de l’homme moderne que je ne supporte plus. », Fonds Yourcenar.
50
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 443.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 149
sujet revient dans ses prises de parole les plus diverses (essais,
entretiens, correspondance…) à des dizaines d’années d’intervalle.
Deux domaines sont particulièrement mis en avant, celui de la
peinture et celui de la littérature, disciplines artistiques qu’elle associe
volontiers. L’évolution de l’art musical moderne lui inspire également
de sévères réflexions, encore que parfois, dans ce domaine, ses
critiques soient plus nuancées. Mais le siècle de Freud et de Breton
demeure pour elle la période « où l’homme fait exploser la nature,
arrête ou précipite l’évolution des formes… »51, comme elle le signale
en 1942, année pendant laquelle elle traverse une grave crise, en
raison de la situation chaotique du monde mais aussi de
questionnements aigus sur l’avenir de sa carrière d’écrivain. Car
Marguerite Yourcenar s’est sans doute souvent posé la question de la
nécessité de construire, pierre à pierre, une œuvre cohérente dans un
monde voué à la destruction, à la confusion, et qui se complaît dans le
vide, combat qu’elle jugeait certainement parfois perdu d’avance, tant
il lui semblait que la « fatalité du mal » imprégnait toutes les grandes
œuvres de son temps.
Cette vision extrême de l’art contemporain prend souvent dans
ses écrits intimes une violence dans le jugement qui nous éclaire
crûment sur sa façon de considérer l’art de son siècle. Dans une brève
note de lecture qu’elle rédigea sans doute dans les années 1960, à
propos du livre de l’Américain Thomas Merton, Seeds of Destruction
(1964), elle s’intéresse particulièrement à un passage où l’auteur
commente l’assassinat du président J. F. Kennedy : « là où les âmes
sont pleines de haine et où les imaginations se complaisent à des
images de cruauté, de tourments, de supplices, de revanche et de mort,
la violence et la mort inévitablement viendront. »52 Après avoir cité le
texte original et sa traduction en français, Yourcenar fait le
commentaire suivant : « J’applique cette sombre phrase à la littérature
et aux arts visuels de notre temps. Presque tout ce qui a été écrit, peint,
composé ou joué depuis 1945 appelle la destruction et en jouit par
avance. Kali-Yuga. »53 De la même période date une lettre, étonnante
51
« Carnets de notes, 1942-1948 », PE, p. 527
52
Thomas MERTON, Seeds of destruction, New York, Farrar Strauss and Giroux,
1964, [traduction M. YOURCENAR], voir S II, p. 330.
53
Ibid. Dans la tradition hindouiste, Kali-Yuga désigne l’âge sombre, cycle humain
marqué par un obscurcissement graduel, et dans lequel le monde se trouve depuis déjà
plus de six mille ans.
150 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
60
Ibid., p. 241-242.
61
Ibid., p. 243.
152 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
« Je n’aime pas les poètes, disait Nietzsche, ils troublent toutes les
eaux pour les faire paraître plus profondes. » Je n’aime pas non
plus ceux qui ajoutent des complications mortes aux complexités
vivantes, ni ceux qui détournent les yeux du sang qui coule, mais
qui hurlent de joie quand ils ont barbouillé de rouge une tête de
poupée. Que me parlez-vous d’actes gratuits, quand je puis à peine
suffire aux actes indispensables, que me parlez-vous de l’absurde
dans un monde où l’amour et la mort ont leur cours comme les
saisons, leurs lois comme le lever des astres ? Et qu’ai-je à faire
des squelettes du roman noir et des montres flasques de Dali, moi
qui, comme toute le monde, porte en moi mon squelette et mon
horloge ?63
62
Nous avons constaté que les termes balbutier, balbutiement, balbutiant… sont
souvent employés par M. Yourcenar pour désigner l’activité du poète moderne,
comme dans son essai sur Pindare où elle oppose la « poésie souvent balbutiante » de
ses contemporains aux « beaux rythmes variés des poèmes helléniques ». Voir P,
p. 1447.
63
« Carnets de notes, 1942-1948 », PE, p. 527-528.
64
« Lycophron et la poésie cryptique », CL, p. 357-359.
65
Cette idée est chère à M. Yourcenar qui l’exprime à plusieurs occasions, comme
dans la « Préface » de La Couronne et la Lyre dans laquelle elle écrit : « Depuis plus
d’un demi-siècle, le vers dit libre […] règne à peu près sans conteste sur la poésie
occidentale, et, de révolutionnaire qu’il était, est devenu traditionnel. », CL, p. 42-43.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 153
66
« La Bienveillance singulière de Marguerite Yourcenar », entretien avec
J. Savigneau, op.cit., PV, p. 316-317.
67
Notons que les déclarations très personnelles de M. Yourcenar ont quelque peu
surpris le petit monde médiatico-littéraire lors de leur parution. Le critique Jérôme
Garcin, en particulier, s’est étonné dans sa chronique hebdomadaire dans Le
Provençal (16 décembre 1984) que la première académicienne française ait déclaré
que la poésie de René Char et Yves Bonnefoy relève de l’expérimentation de
laboratoire : « En vérité, ce jugement, venant d’elle, femme ouverte aux autres
m’étonne et me choque. On peut aimer, c’est mon cas, la pureté classique d’un Lully,
d’un Mozart ou du Racine de Bérénice, et trouver chez Char ce qu’il y a de plus haut,
de plus lumineux, de plus rare dans le démarche poétique. Je n’en dirai pas autant,
malheureusement, des Charités d’Alcippe. ». Une semaine plus tard, il récidive avec
plus de virulence, dans l’hebdomadaire L’Événement du Jeudi (20-26 décembre
1984) : « Certes, que je donne sans hésiter tous les poèmes de Marguerite Yourcenar
contre un seul aphorisme de René Char ne révèle que ma seule subjectivité. Mais que
l’auteur des Mémoires d’Hadrien n’ait rien de mieux à faire que de s’en prendre à
trois écrivains qui font l’honneur de notre littérature relève d’une mesquinerie dont je
ne la croyais guère capable. ».
154 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
68
Dans une lettre au romancier, poète et directeur de la revue de poésie belge La Flûte
enchantée, Alexis Curvers, elle écrit à propos de son roman Printemps chez les
ombres : « Alexis, j’ai lu avec délices Printemps chez les ombres et cela, pour moi,
signifie d’autant plus que, d’instinct, je me refuse aux romans et ne parviens que
rarement à finir ceux que, pourtant, je commence à lire. », Lettre à Alexis Curvers et
Marie Delcourt, 15 août 1955, HZ, p. 479.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 155
nous laissons pas aller aux caprices de la mode. »69 On peut penser
qu’une part de son agacement en ce qui concerne les mouvements
littéraires de son temps vient justement de ce déferlement de
manifestes dans lesquels les disciples de la plus récente « religion »
poétique s’autoproclament « nouveaux », « révolutionnaires »,
« novateurs »…, un aspect qui devait faire sourire l’écrivain dont le
sens profond de l’Histoire lui faisait relativiser la portée véritable de
ces épiphénomènes sans lendemain. De la même façon, elle s’est
toujours méfiée des groupes, des écoles, des mouvements qui
formatent et enferment les poètes et la poésie plutôt qu’elles ne font
éclore le meilleur en chaque individualité. Sauvagement solitaire et
marginale, Yourcenar ne pouvait prêter une quelconque attention aux
mouvements poétiques de son temps dont elle s’est tenue le plus loin
possible70. À l’instar d’un François Mauriac, elle a toujours refusé tout
« dérèglement de l’esprit érigé en système. »71
Une autre remarque s’impose. Nous savons qu’un des grands
reproches qu’elle fait au poète moderne est de s’être laissé aller à
l’expression quasi maladive de son ego dans ce qu’il a de plus
narcissique et de plus stérile. Ce « Moi démesuré de l’homme
moderne » qu’elle a en horreur est responsable, selon elle, d’une partie
de l’échec du poète qui a troqué sa tour d’ivoire pour la circonférence
de son nombril. Adepte, à la manière de Flaubert, de la plus totale
impersonnalité dans sa propre écriture, elle a toujours craint « de
laisser couler hors de soi cette espèce d’abominable ectoplasme qui est
l’image que nous nous faisons de nous-mêmes et qui englue une
grande partie de la poésie et du roman d’aujourd’hui »72. Sans doute
pense-t-elle que le poète de son temps aurait avantage à se munir de
69
Cité par Jacques CHANCEL, « Marguerite de Monts-Déserts », Tant qu’il y aura
des îles, Le Livre de poche, 1981 [1ère éd. 1980], p. 387.
70
À la question d’un critique qui lui fait remarquer qu’elle n’a jamais adhéré à une
école ou à mouvement littéraire, M. Yourcenar répond en 1977 : « Je n’en vois aucun
qui corresponde à la réalité. Je dois dire que je constate avec de plus en plus
d’impatience combien nous sommes prisonniers des mots, des systèmes, de nos
façons de voir et de penser, à quel point l’image directe de la réalité est rare. À mon
avis c’est elle qui fait les très grands artistes. », « Marguerite Yourcenar dans son île
de Mont-Désert : "je me suis éloignée de la politique" », entretien avec Jean
Montalbetti, Le Figaro littéraire, 26 novembre 1977, PV p. 195.
71
François MAURIAC, Mémoires intérieurs, Le Livre de Poche, 1972 [ 1er éd. 1959],
p. 50.
72
« Marguerite Yourcenar s’explique », entretien avec Claude Servan-Schreiber, Lire,
juillet 1976, PV, p. 185.
156 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
73
« Approches du tantrisme », TGS, p. 403.
74
Symbole et instrument du bouddhisme tantrique du Tibet auquel M. Yourcenar fait
régulièrement référence pour exprimer son anti-égotisme profond. Elle avait même
songé à se faire offrir en guise d’épée, lors de son élection à l’Académie française,
« un poignard-à-tuer-le-Moi » mais y a renoncé, craignant une mauvaise interprétation
de son geste. Voir PV, p. 360.
75
MH, p. 458.
76
« Lettre à Alain Bosquet », 6 juin 1963, Le Magazine littéraire, n° 283, décembre
1990, p. 30.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 157
77
Un premier état de notre recherche sur ce sujet a été publié sous ce même titre dans
le Bulletin de la SIEY, n° 22, décembre 2001, p. 205-225.
158 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
78
Lettre à Jacques Masui, 24 novembre 1975, L, p. 482.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 159
Seul,
Être à soi-même son pain.
79
La manière à la fois désinvolte et agacée avec laquelle M. Yourcenar commentait
un vers de Saint-John Perse peut raisonnablement faire penser cela. À la critique
Monique Houssin, qui lui demandait, en 1987, « Et comment expliquez-vous ce que
Saint-John Perse écrit dans le poème Exil : « J’habiterai mon nom » ?, elle répond :
« Son nom ? À condition que cela l’intéresse, pourquoi pas ? Mais est-ce que mon
nom m’intéresse ? Il faut bien en avoir un, ne serait-ce que pour signer des livres et
des chèques ! », « Entretien exclusif avec Marguerite Yourcenar », entretien avec
François Hilsum et Monique Houssin, L’Humanité-Dimanche, 13 mars 1987, p. 13.
160 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
80
M. Yourcenar cite ce précepte à la fin des entretiens avec Matthieu Galey, YO,
p. 334.
81
Voir entretien de l’auteur avec Silvia Baron Supervielle, Paris, 10 octobre 2002.
82
Le seul autre volume de Claudel que M. Yourcenar possédait est un exemplaire de
la version définitive de L’Annonce faite à Marie publiée dans la collection Folio, aux
éditions Gallimard en 1972. Dans une lettre au critique Jacques Brenner à propos de
son livre Histoire de la littérature française de 1940 à nos jours dans lequel il écrit
« [i]l faut accepter Claudel avec son sectarisme et ses incompréhensions. Peut-être
était-ce la rançon de son génie. » [p. 36], M. Yourcenar lui répond : « A vrai dire, non,
je ne crois pas qu’il faille accepter de Claudel son sectarisme et ses
incompréhensions. » Voir lettre inédite du 21 novembre 1978, Librairie Henri Vignes,
Catalogue n° 41, « Littérature (P-Z) », Automne 2002, p. 48. L’année d’après,
évoquant les grands prédécesseurs qui ont marqué ses jeunes années, elle affirme à
nouveau : « Je n’ai jamais mordu à Péguy ; je n’aimais pas son christianisme agressif,
de même que j’ai détesté celui de Claudel. Ni l’un ni l’autre n’existaient vraiment
pour moi. », YO, p. 50. De fait, Charles Péguy est totalement absent de la
bibliothèque de M. Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 161
83
Voir lettre à J. Brosse, 6 juin 1969, L, p. 321.
84
Il s’agit d’un texte intitulé « Souvenir déterminant de René Daumal » dans lequel le
poète, peu avant sa mort, détaille l’expérience qui a fondé ses recherches intérieures
pour atteindre l’au-delà de la conscience humaine, exploré avant lui par les grands
mystiques orientaux et occidentaux et par des poètes (Milosz, William James…). Le
texte de Daumal qui a tant touché M. Yourcenar, se termine par cette phrase qui
semble également résumer son itinéraire artistique et spirituel : « Voici, il y a une
porte ouverte, étroite et d’accès dur, mais une porte, et c’est la seule pour toi. »
85
Lettre à Jacques Masui, Noël 1973, L, p. 418.
86
Le Nouveau dictionnaire des auteurs, vol. I, op. cit., p. 825.
162 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
87
Faisons remarquer qu’Eurydice deux fois perdue a été publié en 1930 chez Plon. En
1931, M. Yourcenar publiait son deuxième roman sous le titre La Nouvelle Eurydice,
chez Grasset.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 163
88
C’est peut-être par l’intermédiaire du philosophe Gabriel Marcel, avec lequel les
deux écrivains étaient liés, que M. Yourcenar est entrée en contact avec les poèmes de
captivité de J. Wahl. Nous savons par ailleurs que le philosophe juif a été contraint de
s’exiler aux États-Unis après avoir échappé à la déportation. Il est donc de l’ordre du
possible que les deux écrivains se soient croisés lors d’une soirée qui réunissait la
colonie intellectuelle française en exil à New York. Enfin, s’agissant d’un document
ronéotypé, comme l’étaient souvent les textes diffusés clandestinement sous
l’Occupation, on peut supposer que ces feuillets de poésie à petit tirage ont été
distribués dans les milieux littéraires amis pour faire connaître les poèmes de guerre
de Wahl.
89
Remarquons que les poèmes de Jean Wahl sont classés dans la bibliothèque de
Petite Plaisance entre une plaquette sur Hiroshima que M. Yourcenar conservait en
trois exemplaires et deux ouvrages sur Auschwitz.
164 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Parmi les autres poèmes pour lesquels la lectrice a marqué son intérêt
se mêlent plaintes, prières, moments d’espoir et méditations
philosophiques desquelles elle ne pouvait que se sentir proche.
Il est certain que Yourcenar se sent plus en accord avec la
poésie des camps de Jean Wahl qu’avec les extravagances formelles et
autres acrobaties intellectuelles des poètes de la modernité
revendiquée qui se demandent, avec Adorno, s’il est encore possible
d’écrire de la poésie après Auschwitz. Aux cris égotistes petits-
bourgeois qu’elle croit déceler dans bien des vers de la modernité, elle
préfère sans doute les plaintes, chants de révolte et autres méditations
humanistes des poètes qui souffrent, tel Jean Wahl, et font de leurs
poèmes des actes de combat en faveur de la dignité humaine.
Yourcenar a rencontré les poèmes de Jean Wahl à la même période
par un autre canal. En effet, plusieurs poèmes du poète-philosophe
prisonnier ont été publiés dans le numéro de janvier 1944 de la revue
Lettres françaises dirigée depuis Buenos Aires par Roger Caillois, et
dans laquelle figure « Mythologie », un essai de Yourcenar. C’est
donc également à la lecture de ce numéro conservé dans sa
bibliothèque, qu’elle a découvert aux côtés de ceux de Claude Roy et
de Maurice Fombeure, les courts poèmes de Wahl90 pour lesquels elle
avait un attachement particulier.
Comme on le constate avec l’exemple des poèmes de guerre
de Jean Wahl, le livre au sens strict du terme n’est pas le seul vecteur
de connaissance utilisé par Yourcenar pour se tenir au courant des
diverses formes d’expression poétique de son époque. Ainsi, l’absence
de recueil de tel ou tel poète de la modernité sur les rayons de sa
bibliothèque ne signifie pas pour autant qu’elle ne connaissait pas son
œuvre. Nous avons, en effet, noté, lors de notre examen de la
bibliothèque, qu’elle a conservé un grand nombre de revues littéraires
dont la plupart font une large place à la poésie. Il semble donc évident
90
Les poèmes de J. Wahl, p. 35-36, comme ceux de C. Roy et M. Fombeure font
partie de l’ « Anthologie de la nouvelle poésie française » publiée par fragments dans
plusieurs numéros des Lettres françaises, à partir de poèmes édités sous l’occupation
par Pierre Seghers et dans les Cahiers du Sud, de Jean Ballard. Il est certain que M.
Yourcenar a découvert bon nombre de poètes appartenant à cette « nouvelle poésie
française », née autour de la seconde guerre mondiale, à travers les pages des Lettres
françaises dont elle a conservé trois numéros dans sa bibliothèque. Notons que quatre
poèmes de J. Wahl reproduits par les Lettres Françaises (« La Justice » ; « Soirée
dans les murs – août 1941 » ; « Mais nous serons bien un ou deux » et « Sur la dure
hauteur ») figurent également dans le dactylogramme conservé par M. Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 165
91
Parmi les autres revues présentes, notons un ou plusieurs numéros de La Revue des
deux mondes, les Cahiers des saisons, La Flûte enchantée, Lettres françaises, La
Licorne, Le Milieu du siècle, Preuves, Les Quatre dauphins, La Table ronde, La Voix
des poètes …
92
Remarquons que si M. Yourcenar a longtemps été fidèle à la revue animée par Jean
Ballard, Les Cahiers du Sud, à laquelle elle a confié de nombreux textes, en 1956, elle
émet tout de même quelque réserve sur l’évolution de cette dernière, lorsqu’elle
confie à son ami Aziz Izzet : « La seule revue semi-régionale que je connaisse et qui
mérite le nom de revue est Les Cahiers du Sud, qui a ses qualités à soi, mais qui est
plongée depuis quelques années jusqu’au cou dans la littérature poétique la plus
vague. » Lettre à Aziz Izzet, 25 mars 1956, HZ, p. 524.
166 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
93
Voir YO p. 49.
94
Voir « Carnets de notes » de Mémoires d’Hadrien, OR, p. 539. Dans ses entretiens
avec Patrick de Rosbo, elle précise : « Chaque fois qu’il est question du problème,
pour moi si important, de la ré-écriture, je suis tentée de citer une fois de plus
l’admirable phrase du poète irlandais Yeats : "C’est moi-même que je corrige en
corrigeant mon œuvre". Cette phrase définit complètement mon point de vue sur le
sujet. », ER, p. 19-20.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 167
95
Rémy Poignault suggère d’ailleurs que M. Yourcenar pourrait s’être inspirée d’un
vers de Yeats dans un passage de « Patrocle ou le destin », extrait de son livre Feux,
quand elle évoque une Hélène qui « peignait sa bouche de vampire d’un fard qui
faisait penser à du sang », image qui associe Éros et Thanatos, à l’instar de Yeats qui
fait d’Hélène, « une fille […] aux lèvres pourpres de deuil ». Voir L’Antiquité dans
l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire, tome I, Bruxelles,
Latomus, 1995, p. 49.
96
Comme pour bien des éléments biographiques de ses « années noires » (1939-
1949), M. Yourcenar est toujours restée évasive sur les circonstances de sa rencontre
avec Auden. À ce sujet Yvon Bernier, l’ami et collaborateur des dernières années,
précise : « Je crois qu’elle a rencontré Auden, mais elle a été très laconique dans sa
réponse à ma question sur lui et sur Isherwood. J’ai senti qu’il ne fallait pas insister,
mais il est connu qu’elle éludait volontiers. » Lettre à l’auteur, 24 octobre 2002.
97
The Portable Greek Reader, New York, Viking Press, 1948. Voir lettre à Jean
Ballard du 5 août 1951, L, p. 93.
98
En effet, le poème de Cavafy, « Expecting the Barbarians » [« En attendant les
barbares », dans la traduction de M. Yourcenar] a été publié avec l’indication
suivante : « translated by Marguerite Yourcenar and W. H. Auden » dans la revue
Decision, [vol.1, n° 2, 1941, p. 43] fondée par Klaus Mann à son arrivée à New York
puis repris dans l’anthologie consacrée à la littérature européenne par Klaus Mann et
Hermann Kesten sous le titre Heart of Europe [New York, L. B. Fischer Publishing
Corp., 1943, p. 285-286]. Cette formule qui prête à confusion pourrait faire penser
168 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
qu’il s’agit d’une co-traduction des deux poètes. En fait, W. H. Auden s’est servi de la
traduction en français de Yourcenar comme source de sa traduction en langue
anglaise, comme le précise plusieurs annotations manuscrites de Grace Frick sur un
exemplaire du livre offert par M. Yourcenar à Y. Bernier. Voir Archives Y. Bernier.
99
Sollicitée par Édouard Roditi en 1952, Yourcenar devait refuser, faute de temps, de
traduire en français certains poèmes de M. Moore. Voir lettre à E. Roditi, 4 mai 1952,
HZ, p. 149.
100
Voir Radioscopie, Marguerite Yourcenar, éditions du Rocher, op. cit., p. 112.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 169
101
Lettre à Jacques Lacarrière, 28 mars 1964, Fonds Yourcenar. Remarquons que le
volume de poèmes de Séféris n’est qu’à moitié coupé, comme c’est le cas pour
d’autres documents de la bibliothèque. Dans ce cas précis, il ne s’agit sans doute pas
d’un signe de désintérêt de M. Yourcenar. Sans doute a-t-elle pu juger de la qualité
des vers et de la traduction en parcourant les premières pages du livre.
102
Voir Achmy HALLEY, « Marguerite Yourcenar, lectrice de Nikos Kazantzaki »,
Le Regard crétois, n˚ 28, décembre 2003, p. 43-38.
103
Comme souvent, M. Yourcenar déforme les titres qu’elle cite. Le titre exact est
Odyssée.
104
Lettre à Aziz Izzet, 26 août 1959, Fonds Yourcenar.
170 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
105
Le 20 juin 1982, elle leur écrit : « Je devine à peine l’allemand, mais j’ai trouvé
votre traduction non seulement fidèle autant que j’en puis juger, mais mieux que
fidèle, c’est à dire épousant parfaitement l’esprit de l’œuvre. […] J’ai trouvé
excellente aussi la préface d’Eryck de Rubercy… l’introduction me paraît à la fois
informative, et réservée, comme l’œuvre elle-même. » Cité par Dominique Le Buhan,
lettre à l’auteur, 22 novembre 2002.
106
Il n’existe, en revanche, aucune trace dans la bibliothèque de M. Yourcenar de sa
lecture de Paul Célan, l’autre grand poète juif d’expression allemande de l’après-
Auschwitz. Si M. Yourcenar a répondu à une de ses lettres et l’a rencontré à deux
reprises à Paris en 1954, ce contact concernait la traduction en allemand de son essai
sur Cavafy que devait effectuer Célan et qu’il ne réalisera finalement pas. Voir lettre
de M. Yourcenar à Paul Célan, 25 octobre 1959, Fonds Yourcenar et HZ, p. 351,
note 2.
107
Voir YO, p. 66. Camillo Faverzani émet l’hypothèse qu’un autre livre de M.
Yourcenar, sa pièce Le Dialogue dans le marécage, pourrait avoir été influencé par le
poème dramatique de Rilke, La Princesse blanche. Voir C. FAVERZANI, L’Ariane
retrouvée ou le théâtre de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 57-58.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 171
112
Voir « Critique. Œuvres de jeunesse des poètes », SII, p. 215-217.
113
« L’Andalousie ou les Hespérides », TGS, p. 389.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 173
Mais j’ai tenu à consigner ce qui précède pour vous montrer que le
souvenir du poète reste là-bas intensément vivant. […]
Ce que je voudrais surtout vous décrire, c’est qu’en quittant le lieu
qui nous a été désigné […], je me suis retournée pour regarder
cette montagne nue, ce sol aride, ces quelques jeunes pins
poussant avec vigueur dans la solitude, ces grands plissements
perpendiculaires du ravin par lesquels ont dû s’écouler autrefois
les torrents de la préhistoire, la Sierra Nevada déployée à l’horizon
dans sa majesté, et je me suis dit qu’un tel endroit fait honte à la
camelote de marbre et de granit de nos cimetières, et qu’on envie
votre frère d’avoir commencé sa mort dans ce paysage
d’éternité.[…] il est certain qu’on ne pourrait imaginer pour un
poète un plus beau tombeau.115
114
Voir « Une interview de Marguerite Yourcenar », entretien avec S. Guppy, op. cit.,
PV, p. 395.
115
Lettre à Isabel García Lorca, 10 mai 1960, L, p. 146-147.
174 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
116
Lettre à Marcel Hennart, 1er mars 1966, Fonds Yourcenar.
117
Voir lettre à Jacques Masui, 22 mars 1975, L, p. 457.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 175
sur le Prince d’Emgion118 dont elle possédait les trois tomes édités par
Gallimard entre 1973 et 1979. À la fin de sa vie, elle évoquera
l’écrivain suédois parmi les poètes modernes dont l’œuvre a compté
pour elle, regrettant de ne pas être parvenue à attirer l’attention de ses
amis français sur les poèmes d’amour mystique d’Ekelöf119. Comme
lui, Yourcenar a goûté dès sa jeunesse le vertige métaphysique de la
pensée soufie, s’est imprégnée des formes artistiques de la Grèce
ancienne et des cultures méditerranéennes, s’éloignant, semble-t-il, de
l’avant-garde qu’il avait côtoyée à Paris puis en Suède au début des
années trente, pour atteindre, avec sa dernière œuvre en trois parties,
ce que son traducteur Carl Gustav Bjurström nomme « la simplicité
dans l’approfondissement »120, une qualité proche de la quête
yourcenarienne d’une poésie authentique qui dépasse les modes et les
époques.
De la Grande-Bretagne aux États-Unis, de l’Allemagne à la
Grèce, de l’Espagne à la Suède ou l’Italie… nous avons mis au jour
quelques-uns des poètes de la modernité dont les œuvres occupent une
place de choix dans la bibliothèque de Yourcenar, sans doute parce
qu’elle a trouvé en eux quelque écho de cette poésie profonde qu’elle
recherche en toute chose. Au-delà des quelques individualités
marquantes que nous venons de citer, le XXe siècle poétique est
également représenté à travers la présence de nombreuses anthologies
dont nous avons déjà noté qu’elles étaient un moyen de connaissance
de la poésie très apprécié par Yourcenar. En ce qui concerne la poésie
étrangère, l’anthologie joue un rôle similaire à celui de la revue dans
le domaine de la poésie moderne et contemporaine d’expression
française. Elle ouvre de nouveaux horizons de connaissance et de
plaisir, multiplie les rencontres avec l’Autre et élargit, grâce à la
multiplicité des voix qui s’expriment dans ces recueils de textes plus
ou moins représentatifs de telle ou telle production poétique nationale,
le panorama de la littérature dont Yourcenar tente d’avoir la vision la
plus large possible.
118
Répondant à un questionnaire de Jean Chalon qui lui demandait « Quels sont les
contemporains des années 70 que vous avez découverts ? », elle cite, parmi d’autres
noms, celui de Gunnar Ekelöf, pourtant mort en 1968. Voir lettre à J. Chalon, 29 mars
1974, L, p. 420.
119
Voir « Une interview de Marguerite Yourcenar », entretien avec Shusha Guppy,
op. cit., PV, p. 395.
120
« Ekelöf, Gunnar », Le Nouveau dictionnaire des auteurs, vol. I, op. cit, p. 990.
176 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
121
Voir en particulier Quelques Portraits-Sonnets de femmes (1900), Poems et
poèmes, autres alliances (1920)
122
Natalie BARNEY, lettre à M. Yourcenar, 1er juin 1952, Fonds Barney. Dans sa
lettre, Natalie BARNEY reprend presque textuellement les termes du texte du bulletin
de souscription qu’elle a sans doute rédigé elle-même et glissé dans l’exemplaire
conservé par M. Yourcenar : « Renouant la tradition de Sappho, renouvelant ses
thèmes passionnés, ressuscitant leur objet même, voici un texte complet,
contemporain, une suite de poèmes adressés par une poétesse célèbre à une poétesse
étrangère, son amie. Sappho renaît ainsi "toute entière à sa proie attachée !" […] Voilà
pourquoi ce roman en vers, intimement vécu, doit être lu avec la gravité qu’inspirent
tous les témoignages directs de sincérité, de douleur et d’amour. Et parce qu’ils nous
sont transmis par de si beaux vers ; peut-être les plus beaux que cette grande poétesse
française ait écrits. »
123
Lettre à N. Barney, 3 juin 1952. Fonds Barney. L’allusion au « traité » est une
référence à son premier roman, Alexis ou le Traité du vain combat que Natalie Barney
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 179
J’ai relu ces jours-ci les poèmes que vous avez fait publier l’an
dernier, et les ai aimés plus qu’à la première lecture, bien que le
romantisme un peu brutal (je veux dire dépourvu de nuances) de
votre amie me choque parfois ou du moins m’est étranger – (Je
parle bien entendu littérature, et non morale) – Comme toute
aventure d’amour comprend deux personnes, ce qu’on voudrait,
d’ailleurs, ce sont les notes, le journal, ou les poèmes de l’autre.
On n’a que son silence.124
évoque dans la lettre qui accompagne l’envoi de Nos Secrètes amours, le comparant
avantageusement au Corydon de Gide.
124
Lettre à N. Barney, 16 juillet 1953, Fonds Barney.
125
Voir lettre du 1er janvier 1967, Fonds Barney.
180 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
[Q]uand mon tour est venu de réciter quelque chose, j’ai pris ces
quatre vers de vous que j’aime comme vous savez : « Seul
geste… »130 que j’ai présentés comme un beau poème, le plus
court à ma connaissance de la langue française par une femme qui
a passé ici quelques étés de sa jeunesse. Si ces dames avaient été
plus préoccupées qu’elles ne le sont de littérature française, je leur
aurais dit, d’abord, que ce vers de deux pieds est si rarement
employé en français, que je ne connais d’autre exemple qu’une
strophe d’Hugo131 ; si on m’avait interrogée davantage, je crois
que j’aurais répondu qu’on pouvait dire de Natalie Barney ce
qu’Oscar Wilde a dit de lui-même, c’est-à-dire qu’elle avait mis
son génie dans sa vie et son talent dans ses œuvres, combinaison
peut-être plus rare que la combinaison contraire.
Le poème a plu, comme il plaît toujours132, et j’attendais les
commentaires avec une infinie attention […] Mrs. Belmont [la
126
Voir carte de vœux 1965, s. d., Fonds Barney.
127
Voir lettre du 27 décembre 1957, Fonds Barney.
128
Voir lettre du 15 juin 1953, Fonds Barney.
129
Carte s. d., Fonds Barney.
130
« Seul geste/Humain/Qui reste :/Ces mains. » Quatrain de N. Barney, extrait des
Nouvelles pensées d’une Amazone, Mercure de France, 1939, p. 204. Dans
l’exemplaire que lui a offert l’auteur en janvier 1952, Yourcenar a marqué d’une croix
ces quatre vers qu’elle aimait particulièrement.
131
M. Yourcenar pense sans doute au poème « Les Djinns » (Les Orientales) dont la
première et la dernière strophes sont constituées de vers de deux syllabes.
132
Ce détail laisse penser que ce n’est pas la première fois que M. Yourcenar lit en
public ou devant des proches le court poème de N. Barney.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 181
133
Lettre du 17 août 1965, L, p. 225-226.
134
Lettre du 29 juillet 1963, L, p. 189.
182 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
poésie135. Milosz, dont Natalie Barney a été très proche, était un autre
sujet de conversation poétique entre les deux femmes. Admirative de
l’œuvre de l’auteur des Sept solitudes, Yourcenar aimait interroger son
amie à son sujet136. Cette amitié, presque hors du temps, nous en
apprend beaucoup sur la touche de poésie qui teintait souvent ses
amitiés littéraires et sur le type de société poétique qu’elle aimait
fréquenter, le salon mondain de Natalie Barney dans les années 1950-
1960 n’étant plus l’antichambre de l’avant-garde comme il a pu l’être
au tout début du XXe siècle. Il était plutôt le vestige d’un temps que
Yourcenar était trop jeune pour avoir vraiment connu mais qui devait
la fasciner, même si elle avouait avoir peu de sympathie pour la Belle
Époque.
Bien d’autres amitiés des années 1950-1980 s’inscrivent
résolument sous le signe de la poésie. Celle par exemple qui la lia
avec l’écrivain et critique littéraire Jean Chalon qui lança le rappel de
son élection à l’Académie française en publiant dans Le Figaro en
1977, une lettre ouverte à son secrétaire perpétuel. C’est en tant que
journaliste que Jean Chalon fit la rencontre de Yourcenar dans les
années 1960. Mais très vite leur relation, sans doute en partie grâce à
leur amie commune, Natalie Barney, prit un tour beaucoup plus
personnel où la poésie avait largement sa place. Ainsi Jean Chalon se
souvient :
Nous avions tous les deux la passion des poètes dont nous parlions
souvent. Je lui disais : « Les poètes ont toujours le dernier mot ».
Ce qui la faisait sourire. Elle était d’accord avec moi et pensait
assurément que la poésie était au-dessus de tout et que c’est
l’œuvre des poètes, qu’elle citait volontiers, qui restera. Elle avait
la passion de la poésie et des poètes.137
135
Dans une lettre du 26 juin 1958, M. Yourcenar remercie son amie et mécène :
« J’ai été infiniment touchée du projet que vous m’annoncez : celui de me donner
pour 1958 ce prix Renée Vivien, qui perpétue, de façon si émouvante, la mémoire de
la jeune poétesse à l’œuvre et au souvenir de laquelle vous êtes si admirablement
fidèle. Que de bonnes grâces, de bon vouloir, et d’énergie dans l’amitié. » Fonds
Barney.
136
Témoignage de J. Chalon, entretien avec l’auteur, Paris, 29 juillet 2002. Témoin
privilégié de la relation N. Barney-M. Yourcenar, Jean Chalon évoque cette amitié
dans son ouvrage Chère Natalie Barney, contenant une lettre-préface de Yourcenar,
Flammarion, 1992 [1er éd. 1976], 360 p.
137
Ibid.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 183
138
8 août 1978, Archives Jean Chalon.
139
Lettre à Jean Chalon 29 novembre 1979, L p. 622. Le poème de Jean Chalon
évoque en fait l’arbre d’un autre jardin public parisien sous le titre « Sur un arbre du
Luxembourg, en hiver. » que nous publions avec l’aimable autorisation de son auteur :
« Un arbre /Les mains jointes/ Fait sa prière/ Mais ce n’est pas/ L’arbre de la croix./
C’est un arbre/ Tout nu/ Tout pauvre/ Tout triste/ U n arbre/ Sans feuille/ et sans
oiseaux/ Un arbre qui/ Les mains jointes/ Fait sagement/ Sa prière d’arbre./ Arbre de
brume/ Brume des arbres/ Brume partout/ Même au plus profond de moi-même/ Qui
ne suis plus rien/ Qu’un peu de brume et d’arbre… »
140
Carte du 26 octobre 1979, Archives Jean Chalon. Quelques mois plus tôt, dans une
carte où elle évoque le livre que vient de publier Jean Chalon, L’Avenir est à ceux qui
s’aiment ou l’alphabet des sentiments, [Stock, 1979, 220 p.], elle écrit : « J’ai
beaucoup aimé certaines de vos pensées, membra disjecta du poète, et peut-être
(allez-vous sourire ?) du mystique que vous êtes né, (comme on est né Rohan ou
Dumont) et que sous le Tout-fait de Paris vous êtes encore. », 24 mai 1979. Archives
Jean Chalon.
141
Lettre à l’auteur, 30 juillet 2002.
184 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
142
Cité par Paul MORAND, Journal inutile, tome I, Gallimard, coll. « Les Cahiers de
la NRF », 2001, p. 222.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 185
Dans les lettres que les deux femmes échangent jusqu’à l’été
1987, la poésie est toujours présente. Yourcenar promet à sa
correspondante de lui offrir un des rares exemplaires de la première
édition jamais commercialisée des Charités d’Alcippe et autres
poëmes auquel elle ajoute, à la main, des poèmes inédits, cadeau
qu’elle réserve à ses plus chers amis et à ceux qui partagent avec elle
le goût de la poésie. Elle cite Valéry et Racine et évoque plusieurs fois
Jorge Luis Borges dont elle vient de découvrir l’œuvre. Silvia Baron
Supervielle, amie et traductrice de son célèbre compatriote se souvient
d’avoir souvent évoqué avec Yourcenar l’œuvre de Borges, en
particulier sa poésie144. La traduction en espagnol des Charités
d’Alcippe qui paraît en 1982 à Madrid – soit deux ans avant l’édition
définitive française – et que Yourcenar suit attentivement, encourage
et approuve lui donne l’occasion d’évoquer régulièrement dans ses
lettres la question de la traduction de la poésie qui la passionne. Quant
à l’œuvre poétique de sa nouvelle amie qui lui a offert ses recueils
Plaine Blanche145et Espace de la mer146, elle indique à sa
correspondante à propos du premier, j’aime certains de vos poèmes,
toujours si tristes »147. C’est également la tristesse qui la marque à la
lecture de l’œuvre du poète argentin Alejandra Pizarnik que Silvia
Baron Supervielle a traduite et qu’elle lui fait découvrir. Après la
lecture de l’anthologie de ses poèmes, Les Travaux et les nuits148,
Yourcenar écrit : « Je n’ai pas beaucoup aimé les vers d’Alejandra
Pizarnik, pas parce qu’ils sont tristes, mais à cause de leur tristesse
fermée. Peut-être faudrait-t-il en savoir plus sur la personne »149. C’est
cette même « tristesse fermée », donc non communicable à autrui,
qu’elle reproche à nombre de poètes contemporains dont elle a des
143
Lettre à S. Baron Supervielle, 15 juin 1980, Archives S. Baron Supervielle.
144
Entretien avec l’auteur, Paris, 11 octobre 2001.
145
Éditions Cármen Martínez, 1978, s. p. M. Yourcenar n’a pas conservé ce livre.
146
Losne, Thierry Bouchard, 1981, 46 p. L’exemplaire avec envoi de l’auteur
conservé dans la bibliothèque de Yourcenar n’est pas coupé.
147 er
1 août 1982, Archives S. Baron Supervielle.
148
Il s’agit d’un recueil des principales œuvres poétiques (1956-1972) de A. Pizarnik.
Traduit par S. BARON SUPERVIELLE et Claude COUFFON, Paris, éd.
Granit/Unesco, coll. « du Miroir », 1986, 264 p. Poète argentin (1936-1972) qui vécut
quelques années en France où elle se lia avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio
Paz et Julio Cortázar, sa poésie qui exprime une angoisse existentielle et un mal de
vivre profond qui la conduisirent au suicide, déconcerta sans doute Yourcenar.
149
Carte postale non datée [automne 1986], Archives S. Baron Supervielle
186 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
150
Entretien avec l’auteur, op. cit.
151
Sur le récit de cette rencontre par Eugénio de Andrade voir J. SAVIGNEAU,
Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 277-278.
152
Voir lettres de Eugénio de Andrade à M. Yourcenar, 1960-1982, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 187
153
Traduction française de Bruno TOLENTINO et Robert QUEMSERAT, en
collaboration avec l’auteur, Porto, Editorial Inova limitada, 1971, 85 p.
154
Lettre à Eugénio de Andrade, 25 avril 1971, L, p. 379-380.
188 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
155
Voir entretien avec l’auteur, Paris, 25 mars 2004.
156
Ibid.
157
Ibid.
158
Lorsque elle a su que Borges était malade, Yourcenar a décidé de faire le voyage
de Paris à Genève pour passer la journée avec lui. Ému à l’annonce de cette visite le
voyant aveugle aurait demandé à Maria Kodama d’aller acheter un bouquet de fleurs
bleues, « de la couleur des yeux de Yourcenar ». Voir ibid.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 189
159
Cité par Hector BIANCIOTTI, Comme la trace de l’oiseau dans l’air, Gallimard,
« Folio », 2002, p. 260.
160
Ibid. Dans son essai, « Borges ou le Voyant », Yourcenar consacre quelques lignes
à l’épouse de Borges qu’elle compare effectivement à Béatrice mais aussi à Antigone
et Cordélia. Voir PE, p. 577.
161
H. Bianciotti fait le récit de cette rencontre qui eut lieu à Paris, à l’hôtel Ritz, dans
Comme la trace de l’oiseau dans l’air, op.cit., p. 258-263. Voir également rencontre
avec l’auteur, Paris, 20 juillet 2002.
162
Voir Silvia Baron Supervielle, entretien avec l’auteur, Paris, 11 octobre 2001.
163
Lettre à S. Baron Supervielle, 15 juin 1980, Archives S. Baron Supervielle.
190 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
j’aime beaucoup Borges »164. Dans une lettre expédiée en juin 1984,
elle remercie sa correspondante pour lui avoir fait le récit d’une
rencontre avec Borges, à Buenos Aires, durant laquelle elle a lu au
poète aveugle sa traduction en français de son recueil de poèmes Les
Conjurés et ajoute : « Borges et Maria m’ont téléphoné ce matin [27
juin 1984] de New York et ça a été pour moi une véritable joie. Ces
êtres là consolent un peu du monde tel qu’il est. »165 Yourcenar a été
profondément touchée par la mort de Borges. Dans le télégramme de
condoléances qu’elle adresse le 15 juin 1986 à Maria Kodama, elle
écrit : « Je pense à lui avec une infinie tristesse, et aussi avec joie, car
il laisse derrière lui une œuvre merveilleuse. »166 La carte qu’elle
adresse, en juillet 1986, à Silvia Baron Supervielle, en témoigne
également :
164
Lettre à S. Baron Supervielle, 13 mars 1981, Archives S. Baron Supervielle.
165
Lettre à S. Baron Supervielle, 27 juin 1984, Archives S. Baron Supervielle.
166
Voir Fonds Yourcenar.
167
Carte postale non datée à S. Baron Supervielle, [juillet 1986], Archives S. Baron
Supervielle.
168
S. Baron Supervielle prête cette formule non signée à Yourcenar qui l’aurait fait
inscrire sur la couronne mortuaire qu’elle fit envoyer aux obsèques de Borges à
Genève. Voir S. BARON SUPERVIELLE, La Ligne et l’ombre, éditions du Seuil,
1999, p. 75.
169
M. YOURCENAR, carte postale non datée à S. Baron Supervielle, [juillet 1987],
Archives S. Baron Supervielle.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 191
170
Voir « Borges ou le Voyant », PE, p. 571-584, où il est majoritairement question
de sa poésie.
192 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
171
Voir entretien avec l’auteur, Paris, 11 octobre 2001. Signalons également l’article
de Maria José VASQUEZ DE PARGA, dont le titre utilise également l’image du
miroir : « Lecture de Jorge Luis Borges et de Marguerite Yourcenar à travers le
miroir », Lectures transversales de Marguerite Yourcenar, Tours, SIEY, 1997, p. 99-
110. Contrairement à Silvia Baron Supervielle, Maria José Vasquez de Parga décèle
de nombreux points de contact entre l’œuvre de Borges et celle de Yourcenar.
172
Si l’on sait que Yourcenar avait une grande admiration pour l’œuvre de son ami,
on ignore souvent que l’auteur du Livre de Sable goûtait également la prose
yourcennarienne, en particulier Mémoires d’Hadrien, L’Œuvre au Noir et Feux dont
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 193
[j]’ai été frappée aussi par la comparaison entre les « prières » que
des espions auraient entendu Campanella faire en prison et les
poèmes, parfois très beaux, du même, un des rares exemples
Maria Kodama lui a lu de larges extraits : « le jeu consistait souvent à ne pas lui
révéler le nom de l’auteur que je lui lisais, se souvient-elle ; lorsque je lui lisais
quelques pages de Yourcenar, il disait : C’est une prose magnifique, c’est l’œuvre
d’un grand écrivain. Il était à la fois surpris et impressionné lorsque je lui révélais que
c’était l’œuvre d’une femme. » Voir entretien avec l’auteur, op. cit.
173
Voir lettre à l’auteur, 4 août 2001.
174
Lettre à Walter Kaiser, 13 novembre 1978, Fonds Yourcenar.
194 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
175
Lettre à Walter Kaiser, 5 décembre 1978, ibid.
176
Lettre à Walter Kaiser, 29 octobre 1978, L, p. 593.
177
Voir lettre à l’auteur, op. cit.
178
Ibid.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 195
179
Lettre à Pierre Seghers, 4 février 1961, Fonds Yourcenar.
180
Lettre de Pierre Torreilles à l’auteur, 2 août 2002.
196 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
181
Ibid.
182
Voir Fonds Yourcenar.
183
MVV, p. 245.
184
Elle cite ce titre, parmi quelques autres, en réponse à Jean Chalon qui lui demande
« quels sont les contemporains des années 70 que vous avez découverts ? ». L, p. 419.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 197
songe aux poètes italiens Aldo Capasso dont les débuts ont été salués
par Valery Larbaud et Jules Supervielle, animateur de la revue
littéraire italienne Realismo Lirico avec laquelle elle se sentait « en
grande sympathie »185, et dont elle a conservé le recueil Pour
enchanter la mort (Seghers, 1965), ou à Manrico Murzi, traducteur
des Charités d’Alcippe en italien, poète lui-même et ami dont elle
possédait un recueil de ses vers en italien, Forme nell’aria. Que l’on
songe également à bien d’autres poètes non francophones qui ont
croisé son chemin comme les Américains Edouard Roditi, critique
d’art, traducteur et poète dont elle possédait deux recueils en anglais et
le Prix Pulitzer de poésie Richard Howard, critique lui aussi,
traducteur des Fleurs du mal, qui a collaboré avec Yourcenar à la
traduction de son recueil d’essais, Sous Bénéfice d’inventaire.
Les relations privilégiées de Yourcenar avec la Belgique, où
elle a été élue en 1971, à l’Académie royale de langue et de littérature
françaises, comme membre étranger, l’ont amenée à entrer en contact
avec de nombreux poètes de son pays natal. Proches ou non des
cercles académiques belges, il est certain que plusieurs de ces poètes
avec lesquels elle a correspondu et qu’elle rencontrait volontiers lors
de ses passages en Belgique ont compté pour elle. Citons Carlo
Bronne dont elle possédait de nombreux livres et avec lequel elle a
entretenu une correspondance fournie. Parmi les autres poètes
membres de l’Académie royale de langue et de littérature françaises,
elle a également été proche du poète Marcel Thiry dont elle possédait
deux livres, Âges et Attouchements des sonnets de Shakespeare, qui
ont retenu son attention. Après sa mort en 1977, elle écrit à sa veuve :
« Je garde de ces rencontres un amical souvenir, et ses poèmes, déjà
m’avaient charmée […] Mais les villes, mêmes belles, sont toujours
inférieures à ce que le rêve des poètes les fait. »186 Ses fréquentations
belges comprennent également le couple belgo-catalan Émilie Noulet-
José Carner dont elle était également proche. Elle appréciait le talent
de critique d’Émilie Noulet dont elle a lu avec attention l’essai Le Ton
poétique (José Corti, 1971)) et ses commentaires sur les Cahiers de
Paul Valéry. Que l’universitaire belge a bien connu. Paul Valéry a
185
Lettre à Aldo Capasso, 14 mars 1966. Fonds Yourcenar.
186
Lettre à madame Marcel Thiry, 14 octobre 1977, Fonds Yourcenar. La ville à
laquelle M. Yourcenar fait référence est Vancouver. Elle fait allusion ici à un des
premiers recueils de poèmes de Marcel Thiry, Toi qui pâlis au nom de Vancouver
(1924).
198 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
187
Lettre à Aldo Capasso, 14 mars 1966, Fonds Yourcenar.
188
« Marcel Hennart : hommage au poète et au traducteur », Bruxelles, Le Mensuel
littéraire et poétique, n° 289, mars 2001, p. 28.
189
M. Yourcenar fait allusion à la phrase qui ouvre le poème « Vague », p. 40 :
« Marbres mouvants, sur la peau de vos bras chargés d’écume, je déchiffrais la
changeante géographie de vos veines saillantes. »
190
M. Yourcenar évoque le premier poème du recueil, « Oiseau mort », p. 9 dont la
dernière phrase est : « Tu disparais, tu t’échappes, tu m’habites indéfini, ombre à
forme d’oiseau, mourant sans fin tout au bas de la berge. » Lettre à Marcel Hennart,
1er mars 1966, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 199
191
M. Yourcenar fait référence au poème de facture traditionnelle d’Alexis
CURVERS, « Ma fille », publié dans le premier numéro de La Flûte enchantée, en
1953, p. 13-15.
192
Il s’agit d’une série de onze poèmes de trois ou quatre vers, manière de haïkus au
ton grave ou ironique autour de thèmes aussi différents que la musique militaire, le
suicide, l’automne, ou un jeu de cartes. Ibid, p. 11-13.
193
M. Yourcenar fait allusion au poème de forme classique « Entraînement » dans
lequel Paul Dresse évoque deux jeunes coureurs qui s’entraînent dans les bois à la
tombée du jour et que le poète métamorphose en « demi-dieux », p. 6-7.
194
Il s’agit de « Stances », un poème anonyme du XVIIe siècle. Lettre à Alexis
Curvers, 25 janvier 1954, HZ, p. 295.
195
Dès sa création, La Flûte enchantée marque son intérêt pour l’œuvre de M.
Yourcenar. Dans son premier numéro figure sous la rubrique « À lire toutes affaires
cessantes », Mémoires d’Hadrien. C’est après avoir reçu ce premier numéro que
200 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
l’écrivain décide de confier à Alexis Curvers qui l’a sollicitée sa traduction de « Trois
épigrammes de Callimaque », publiée dans le n° 2, p. 36.
196
Parmi les quelques points de contact quasi « accidentels » avec des poètes français
de premier plan, on notera, en particulier, la lettre que M. Yourcenar a adressée au
poète Pierre Emmanuel pour le féliciter après sa « courageuse démission » de
l’Académie française en 1975 [voir L, p. 486-487], ou une carte d’Yves Bonnefoy la
remerciant pour l’envoi de sa traduction des poèmes d’Hortense Flexner, unique
contact entre les deux écrivains dont se souvienne Y. Bonnefoy [voir lettre à l’auteur,
25 juin 2002].
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 201
197
Voir lettre de Léopold SÉDAR SENGHOR à M. Yourcenar, 24 décembre 1984,
Fonds Yourcenar.
198
Voir ses déclarations à Jacques Pessis auquel elle affirme : « J’attends avec
impatience l’élection de Léopold Senghor. Il s’agit, à mon sens, pour des questions de
racisme, d’un événement encore plus important que mon entrée sous la coupole. »,
« Marguerite Yourcenar immortalise sa voix », Le Parisien libéré, 25 avril 1983. Voir
également Mary BLUME, « Yourcenar : The Gospel Truth », International Herald
Tribune, 20 mai 1983, p. 7W.
199
Cité par Claire DEVARRIEUX, « Seul le rythme transforme le cuivre en or »,
Libération, 21 décembre 2001, p. 13.
200
Ibid.
202 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
une vibration qui se prolongera à travers les autres (ou par dessus
leurs têtes, peu importe), et qui, venant d’eux, est plus qu’eux.201
201
Lettre à Dominique Le Buhan, 23 décembre 1978. Citée par Josyane
SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 258-259.
202
Note à madame K. Mikander, 17 janvier 1970, ibid., p. 257-258. Yourcenar a
inscrit ses conseils a une jeune poète à la fin d’un exemplaire de sa traduction des
poèmes de Hortense Flexner qui venait de paraître. Elle l’a accompagnée de cet
envoi : « À Mme Mikander qui a le sens exquis de la poésie, ces poèmes que je trouve
très beau (dans l’original) et dans lesquels elle trouvera ça et là ce sentiment qu’elle
partage, de compassion envers les créatures vivantes. » C’est assurément l’empathie
exprimée par K. Mikander dans ses poèmes à l’égard de la souffrance animale qui a
touché Yourcenar. Quelques mois après leurs quelques échanges épistolaires, elle
apprit la mort subite de sa correspondante inconnue, enterrée au Maroc. Le 19 août
1970, elle écrit à monsieur Mikander : « ses dons poétiques étaient grands […] Je ne
connais pas ce pays [le Maroc], qui doit être très beau. Et si je m’y rends, comme je
me le propose quelquefois, je tâcherai d’aller saluer, au cimetière de Meknès, la
tombe de ce doux poète si indignée par la cruauté et la brutalité humaine. ». Voir
Fonds Yourcenar.
203
Voir J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p.
258. Dans sa réponse du 17 février 1970, madame K. Mikander exprime son
204 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
admiration pour les poèmes d’Hortense Flexner et conclut : « Je veux suivre vos
conseils, madame ». Voir Fonds Yourcenar.
204
M. Yourcenar exprime dans une lettre à Gabriel Germain sa préoccupation face
aux « sérieuses difficultés » que connaît André Connes qui selon elle faisait preuve
d’une « excessive confiance en la vie, et en soi, qui semblaient promises à des "coups
durs." » Elle demande également à son correspondant de le remercier pour les poèmes
sur lesquels elle n’a pas encore eu le temps de lui donner son avis. Voir lettre à
Gabriel Germain, 15 juin 1969, L, p. 332. Mort prématurément, André Connes est
l’auteur d’un recueil posthume qui renferme certains poèmes soumis au cours des
années à M. Yourcenar. Disciple de Gabriel Germain, poète tourmenté hanté par le
silence et la mort, il écrit en vers libre des poèmes d’une tonalité moderne qu’il dédie
« à ceux qui sont morts d’avoir cherché la vérité ». Voir André CONNES, Toute nuit
hantée, Lausanne, L’Âge d’homme, 1982, 88 p. [Préface Vladimir VOLKOFF].
205
Lettre inédite à André Connes, 5 juin 1970, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 205
propre voix poétique. Huit ans plus tard, André Connes soumet à
nouveau des vers à l’écrivain qui n’est guère plus indulgente :
206
Lettre inédite à André Connes, 23 novembre 1978, ibid.
207
À plusieurs reprises dans sa lettre dactylographiée de quatre pages, M. Yourcenar
insiste sur le temps et l’énergie qu’a nécessités sa réponse. Elle ajoute d’ailleurs à la
main sous sa signature : « P. S. J’ai refait trois fois cette lettre. Vous comprendrez
pourquoi on ne répond pas. » Voir lettre à Dominique Le Buhan, 23 décembre 1978,
Fonds Yourcenar. Une partie de cette lettre est reproduite par J. SAVIGNEAU,
Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit., p. 258-259.
206 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Je ne pense pas que le vers français ait épuisé ses virtualités : c’est
nous qui pour le moment sommes incapables de tirer parti de
celles-ci. […]
Il y a certes toujours danger que les contraintes deviennent des
routines, mais leur absence fait retomber le poète en pleine prose :
tantôt une prose d’exclamations et d’éjaculations, prose
désarticulée, qui va dans le sens de la dislocation syntaxique que
vous déplorez, tantôt, ce qui est peut-être pis encore, prose du type
« informatique », sans lymphe ni sang. […]
Il y a, d’une part, la prose, infiniment plus riche en crypto-rythmes
qu’on ne l’imagine d’ordinaire, et d’autre part, le vers, soutenu par
ses répétitions et ses séquences de sons bien à lui. Entre les deux,
il me paraît que le poète moderne ne sait plus choisir.208
208
Ibid.
209
Cité par Étiemble dans son chapitre intitulé « L’Imposture du vers libre », contenu
dans l’anthologie qui regroupe ses poèmes, Le Cœur et la cendre. 60 ans de poésie,
Les Deux animaux, 1984, p. 123. Dans la préface de ce livre que Yourcenar possédait,
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 207
212
Lettre à Dominique Le Buhan, 23 décembre 1978, op. cit.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 209
Je suis frappée du fait que tous les poètes qui m’écrivent obéissent
encore, après plus d’un siècle, à l’esthétique de Rimbaud (et
jamais du Rimbaud du Bateau Ivre, mais toujours de celui des
Illuminations et de la Saison en Enfer, plus facile à croire imiter,
bien qu’en réalité inimitable). J’ai la sensation que ces mêmes
poètes, cent ans plus tôt, eussent imité Lamartine, et cent ans plus
tôt encore, Racine, avec les mêmes débattables résultats.213
213
Ibid.
214
Remarquons que le dialogue entre le poète novice et l’écrivain consacré s’est
poursuivi dans les années 1980. Dans une lettre datée du 20 juin 1982, M. Yourcenar
écrit à Dominique Le Buhan « Merci d’avoir parfois repensé aux réflexions peut-être
hâtives que je vous avais adressées à propos de vos propres vers. » Cité par
Dominique LE BUHAN, lettre à l’auteur, 22 novembre 2002. Notons enfin que si M.
Yourcenar n’a pas conservé le volume de vers de Le Buhan Vis Contemplativa, elle
possédait dans sa bibliothèque plusieurs de ses traductions, réalisées en collaboration
avec Eryck de Rubercy, de grands poètes (Stefan George, Jens Peter Jacobsen…) ou
sa traduction et sa présentation de Commémoration de Hölderlin, de Max Kommerell.
Dans ses lettres, elle exprime d’ailleurs son enthousiasme pour le travail des deux
traducteurs.
215
Cité par Gisèle FREUND, Mémoires de l’œil, éd. du Seuil, 1977, p. 88.
210 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Pour les poèmes (et ici je crains de vous désoler) je vais être très
sévère. C’est que la poésie ne se justifie que par cette excellence
de structure, de contrepoint, de forme qui donne à nos fuyantes
émotions et pensées une expression inaltérable : excusez cette
affirmation pompeuse d’une vérité qui vous est aussi chère qu’à
moi. Or, vos poèmes de ce temps-là (car le récent sonnet paru dans
La Flûte enchantée atteint à une condensation et à une netteté bien
plus grande) me semblent rester en deçà de cette excellence
formelle nécessaire, et l’ouvrier s’est arrêté (par découragement ?
ou pour mieux rêver ?) à mi-chemin de son œuvre. Me voilà bien
ennuyée d’avoir à vous donner pour toute nouveauté les conseils
de Boileau, ou d’Horace…216
216
Lettre à Alexis Curvers et Marie Delcourt, 15 août 1955, HZ, p. 480-481.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 211
C’est sans doute parce qu’elle les considère comme des poètes
« de tous les temps » que Marguerite Yourcenar est particulièrement
attachée à l’œuvre et à la démarche artistique de trois grands noms de
la poésie française du siècle dernier : Guillaume Apollinaire, Paul
Valéry et Jean Cocteau. Ils sont, selon elle, les dignes continuateurs
des Racine, Chénier, Hugo, Baudelaire, Rimbaud et Maurice de
Guérin, qui constituent, nous l’avons vu, son panthéon littéraire
intime. Apollinaire, Valéry et Cocteau incarnent donc le meilleur de la
poésie française du XXe siècle selon Yourcenar et forment un trio de
contemporains capitaux auxquels elle revient toujours. C’est dans une
lettre à un poète inconnu dans laquelle Yourcenar a sévèrement jugé
les nouveaux vers qu’il lui a soumis, qu’elle précise ses goûts en
matière de poésie moderne : « je ne vois guère à notre époque à citer
que Valéry, Apollinaire ; certains vers de Cocteau comme Plain-
217
Lettre à D. Le Buhan, 23 décembre 1978, op. cit.
212 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Chant. »218 écrit-elle en 1978. C’est la première fois qu’elle réunit ces
trois noms pour définir ce qu’elle considère comme la grande et vraie
poésie de son siècle.
Guillaume Apollinaire
218
Lettre à André Connes, 23 novembre 1978, citée par J. SAVIGNEAU Marguerite
Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 259.
219
DR, p. 279.
220
Voir « Une interview de Marguerite Yourcenar », op. cit., PV, p. 395.
221
Voir YO, p. 49.
222
Entretien avec l’auteur, Paris, 30 août 2001.
223
La Table ronde, coll. « Les vies perpendiculaires », 1968, 386 p.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 213
224
Voir lettre à Denise Bengnot, 8 janvier 1969, Fonds Yourcenar.
225
Lettre à Denis Bengnot, Ibid.
226
Voir en particulier lettres du 29 mars et du 29 octobre 1952, Fonds Yourcenar.
227
Lettre à Jeanne-Yves Blanc, 18 août 1915. Cité par Michel DÉCAUDIN,
« L’écrivain en son temps », Apollinaire en somme, Honoré Champion éditeur, 1998,
p. 178.
214 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Paul Valéry
228
Cité par Claude LAUNAY, Paul Valéry, Lyon, La Manufacture, 1990, p. 120.
229
Lettre à Émilie Noulet, 20 novembre 1973, L, p. 416-417.
216 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
230
Dans l’échelle de valeur yourcenarienne, ils sont toutefois moins grands
qu’Homère et Tolstoï. Voir « La Poursuite de la sagesse », S II, p. 70.
231
Jeanine DELPECH affirme dans Les Nouvelles littéraires du 22 mai 1952 que le
premier roman de M. Yourcenar, Alexis ou le Traité du vain combat lui valut, à sa
parution en 1929, « l’admiration de Valéry ». Voir PV, p. 28. Il n’existe, à notre
connaissance, aucune trace écrite de cette admiration.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 217
232
Voir « Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 443.
233
« Les Tragiques D’Agrippa d’Aubigné », SBI, p. 35.
234
« Alexis ou le Traité du vain combat par Marg. Yourcenar (Au Sans-Pareil) », Les
Nouvelles littéraires, 29 avril 1930, p. 3.
235
« Préface » écrite en 1967, F, p. 1049.
236
Ibid., p. 1055. Dans une note à la préface de 1967, M. Yourcenar explicite
l’allusion au « grand sophiste » : « De cet intérêt pour l’œuvre de Valéry, une allusion
à "l’admirable Paul" dans le premier groupe de pensées fait preuve. La formule
valéryenne dont cette pensée prend le contre-pied se trouve dans Choses tues, 1932. »,
ibid., p. 1049.
218 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
237
Voir lettre du 20 novembre 1973, L, p. 416.
238
Lettre à Gabriel Germain, 15 juin 1969, ibid., p. 331.
239
Voir YO, p. 205.
240
Lettre à Silvia Baron Supervielle, 11 juillet 1980, Archives S. Baron Supervielle.
241
Le volume contient les poèmes d’Album de vers anciens et de Charmes.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 219
242
Elle a d’abord écrit « Narbonne », qui est barré pour le remplacer par « Sète ». Le
premier vers du « Cimetière marin » est : « Ce toit tranquille, où marchent des
colombes, ».
220 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Poésie, tu es danse.
Danse, tu demandes la grâce
Mais la grâce ne peut paraître
dans les actes difficiles, si
la plus grande force, n’est pas
acquise, tout d’abord...
Mais la vraie force de l’esprit
est la faculté de
243
Nous avons découvert dans la bibliothèque de Petite Plaisance, entre les pages de
The Oxford Book of French verse, une feuille de carnet sur laquelle Yourcenar avait
dactylographié le poème « Le Vin perdu ».
244
Lettre à Émilie Noulet du 20 novembre 1973, L, p. 417.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 221
Jean Cocteau245
245
Une première version de ce texte est parue sous le titre « Yourcenar et Cocteau.
Une amitié à part », dans le Bulletin de la SIEY, n˚ 24, décembre 2003, p.149-171.
246
À J. Chancel qui lui demande, en 1979, « Que pensez-vous d’un poète comme
Cocteau, […] si critiqué de son vivant ? », elle répondait : « Je le considère comme un
très grand poète ! ». Radioscopie Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 41.
247
La citation exacte qu’elle rétablira dans son recueil de pensées, La Voix des choses,
est : « Le Temps des hommes est de l’Éternité pliée… »
248
CG, p. 90.
222 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
249
Lettres françaises, n˚ 11, Buenos Aires, janvier 1944, p. 44. Il est intéressant de
noter que Yourcenar supprimera ce passage lorsqu’elle révisera son texte, en 1971. Il
ne figure donc pas dans la version définitive de l’essai publiée sous le titre
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », dans En Pèlerin et en étranger
(1989). Voir EM, p. 440-445.
250
« Préface », F, p. 1049.
251
« Entretiens littéraires avec Jacques Goossens », RTBF, 1er décembre 1971. Voir
« Entretiens avec des Belges », op. cit., p. 117.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 223
252
YO, p. 93.
253
MVV, p. 208.
254
YO, p. 93-94.
224 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
259
« Préface », CL p. 13.
260
« Préface », F p. 1049.
261
« Carnet de notes d’Électre », Théâtre de France, n° 4, 1954, p. 27.
262
Jean COCTEAU, Mercure de France, 15 mars 1923, p. 753. Cité par
R. POIGNAULT, L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature,
mythe et histoire, op. cit., p. 8
226 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
masque de plâtre ont été remplis par une main et par une voix.
Second acte d’Œdipe, scènes de l’opération ou du miroir dans
Orphée, moments où nous entrons, par des moyens sans doute
illicites, dans des régions dangereuses où habite autre chose que
l’homme. Les dieux n’y sont peut-être pas, mais on y rencontre
leurs terribles serviteurs, la Sphinge, Anubis, La Mort. Il en est de
Cocteau comme de ces médiums dont leurs adeptes eux-mêmes
reconnaissent qu’il leur arrive de tricher, mais précisément parce
qu’ils savent. Ils n’imitent si bien les spectres que parce qu’ils les
ont beaucoup fréquentés.263
263
« Carnet de notes d’Électre », op. cit., p. 28.
264
Lettre à Gabriel Germain, 11 janv. 1970, L, p. 341. En 1979, M. Yourcenar dira
encore à Matthieu Galey, « prenez La Machine infernale, il y a des scènes
inoubliables, comme le double moment de demi-sommeil du fils et de la mère, bien
qu’il y ait aussi des platitudes de petit théâtre. », YO, p. 93.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 227
265
Lettre à Alexis Curvers et Marie Delcourt, 15 août 1955, HZ, p. 483. Dans le n° 5
de sa revue La Flûte enchantée, A. Curvers a signalé Clair-Obscur de Jean Cocteau à
la rubrique « À lire toutes affaires cessantes ».
266
Jean COCTEAU, Œuvres poétiques complètes, [dir. Michel DÉCAUDIN],
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, p. 855.
228 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
267
Cité par David GULLENTOPS, « Clair-Obscur. Notice », Jean COCTEAU,
Œuvres poétiques complètes, ibid., p. 1759.
268
« Clair-Obscur. Pour Jean Cocteau » a été publié pour la première fois dans Les
Charités d’Alcippe et autres poëmes, Liège, La Flûte enchantée, 1956, p. 20, et repris
à l’identique dans l’édition revue et augmentée publiée par Gallimard, en 1984, p. 74.
M. Yourcenar l’a sélectionné pour faire partie de cinq de ses poèmes figurant dans
l’anthologie, Thalatta (hommage à la mer), Luxembourg, Éditions internationales
Euroeditor, 1985, p. 304.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 229
toute leur force d’un seul coup et céder la place, alors que l’art doit
répandre la sienne peu à peu, sur un espace de plusieurs siècles. »
Page 167 : « Douter de tout, c’est aussi douter du doute. Voilà ce qui
guette les incrédules », et « Les Parisiens ne peuvent admettre qu’on
se passe d’eux, qu’on vive à la campagne ; ils pensent qu’on y cache
un vice. Aimer Paris, c’est aimer une mante religieuse qui vous dévore
pendant l’amour. »
On conçoit aisément que Yourcenar ait pointé cette dernière
pensée, elle qui a choisi de fuir le monde littéraire parisien pour se
réaliser ailleurs et qui venait de vivre, au moment où elle lisait ces
lignes, la déferlante médiatico-littéraire sans précédent qui a
accompagné la réception de la première femme à l’Académie
française, en 1981. Les autres passages pointés en marge du texte
d’Essai de critique indirecte et du Mystère de Jean l’oiseleur,
soulignent les nombreux points de convergence qui existent entre les
deux écrivains. Citons en particulier leur interrogation commune sur le
monde du rêve et du sommeil, sur les missions du poète et ses liens
avec des forces supranaturelles ou sur leurs convictions que l’art
véritable est seul capable de franchir les siècles. C’est sans doute cette
croyance qui leur a fait construire, chacun à sa manière, une œuvre qui
se situe, dans son ensemble, hors des modes et des normes esthétiques
de leur temps. C’est peut-être parce que chacun a reconnu en l’autre
un poète libre qu’a existé, au-delà des livres, une estime mutuelle et
peut-être même une véritable amitié
On peut regretter que la relation personnelle entre Cocteau et
Yourcenar soit assez peu documentée. Les biographes de Marguerite
Yourcenar et de Jean Cocteau nous apprennent très peu de choses sur
la relation des deux écrivains. Il n’est, notamment, nulle part fait
mention de Yourcenar dans la monumentale biographie de Claude
Arnaud, éditée chez Gallimard, en 2003, à l’occasion du quarantième
anniversaire du la mort de Cocteau. Nous savons cependant que les
deux écrivains se sont rencontrés à plusieurs reprises au cours des
années 1930 puis au début des années 1950, qu’ils ont échangé
quelques lettres et surtout des livres. Il semblerait qu’il n’existe
d’ailleurs nulle mention concernant Yourcenar dans les écrits de Jean
Cocteau publiés jusqu’à ce jour. Les trois volumes de son journal Le
Passé défini qui couvrent les années 1951-1954 n’évoquent à aucun
moment l’auteur de Mémoires d’Hadrien, ni d’ailleurs le tome IV
232 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
269
Pierre CHANEL, éditeur des trois tomes du Passé défini, chez Gallimard, précise :
« Le nom de Yourcenar ne semble figurer dans aucun livre publié de Cocteau, pas
même dans Le Passé défini jusqu’en 1955. » Lettre à l’auteur, 20 juillet 2002.
270
Cocteau reprend ici la dernière phrase de Mémoires d’Hadrien.
271
Lettre non datée à M. Yourcenar [1952], Fonds Yourcenar.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 233
272
Ibid.
273
Notons que Cocteau possédait un autre exemplaire du roman, sans envoi. Il s’agit
de la réédition en 1955 d’Alexis par le Club français du livre dont il recevait les
volumes.
234 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
les deux pièces, Le Mystère d’Alceste et Qui n’a pas son Minotaure ?
La dédicace, disposée au-dessus et au-dessous du nom de l’auteur
figurant au centre de la page, est, volontairement ou non, à double
sens : « à Jean Cocteau pour qu’il guérisse [MARGUERITE
YOURCENAR] et qu’il dure dans un monde qui a besoin de poètes.
M. Y. » Demande-t-elle au poète de la guérir ou, ayant pris
connaissance de son état de santé suite à sa crise cardiaque d’avril
1963, lui souhaite-t-elle poétiquement un rapide rétablissement ? Il est
difficile de trancher.
On possède très peu d’informations sur les circonstances et la
date de la première rencontre des deux écrivains. Si Yourcenar
découvre l’œuvre de Cocteau à partir du milieu des années 1920, ce
n’est sans doute pas avant le début ou le milieu des années 1930
qu’elle fait sa connaissance. Peut-être même plutôt autour de 1936-
1937. Si Cocteau n’a laissé, semble-t-il, que peu de traces de sa
relation avec Yourcenar, elle est restée elle-même assez vague à ce
sujet, comme elle le fera pour bien des événements de sa vie durant les
années 1930, décennie de rencontres passionnées, d’activité littéraire
intense et de nomadisme international durant laquelle elle fréquente,
par intervalle, les milieux littéraires parisiens qui ont découvert son
œuvre à partir de 1929 avec la publication de son premier roman,
Alexis ou le Traité du vain combat. Elle a donc eu l’occasion de
croiser le déjà très public Cocteau dont elle suit avec attention la
carrière poétique et dramatique très active. Elle fréquente par ailleurs
les éditions Grasset qui publient la plupart de ses livres dans les
années 1930 et sont également un des éditeurs privilégiés de Cocteau
durant ces années-là. Ils ont d’ailleurs un ami commun dans la maison
en la personne d’André Fraigneau, « défenseur » des manuscrits de
Yourcenar auprès de Bernard Grasset. Mais, selon lui, ce n’est pas par
son intermédiaire qu’elle a fait la connaissance de Cocteau 274.
Affirmation tardive qu’il convient de considérer avec la plus grande
réserve275. Yourcenar était, par ailleurs, également liée dans la seconde
274
À la fin de sa vie, A. Fraigneau devait confier à J. Savigneau, à propos de M.
Yourcenar : « Elle ne connaissait pas mes amis. Ce n’est pas par mon entremise
qu’elle a fait la connaissance de Cocteau, auquel j’étais très lié. C’est plus tard. Elle
n’a jamais partagé nos soirées. Elle n’est jamais venue avec nous au Bœuf sur le
toit. » Voir Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 112-113.
275
On peut, en effet, raisonnablement douter des affirmations tardives d’André
Fraigneau, qui comme Yourcenar elle-même, semble avoir tenté, après leur
« brouille », de minimiser l’importance et l’intensité de leur relation dans les années
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 235
1930. Il est donc dans l’ordre du possible que c’est par l’entremise de Fraigneau que
Yourcenar et Cocteau se sont rencontrés.
276
YO, p. 93-94.
277
Cité par J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p.
409.
236 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
278
M. YOURCENAR, « Commentaire sur moi-même », publié par J. SAVIGNEAU,
ibid., p. 506. Après la déclaration de guerre, Cocteau s’installe, en effet, pendant
quelques jours, au Ritz, auprès de son amie Coco Chanel.
279
Il est vraisemblable que M. Yourcenar fait allusion à la courte et louangeuse lettre
de Cocteau au sujet de Mémoires d’Hadrien qu’il venait donc de lui adresser. Il se
peut aussi qu’elle évoque une autre lettre ou, pourquoi pas, une conversation qu’ils
auraient eue lors de la soirée chez Emmanuel Boudot-Lamotte.
280
M. Yourcenar fait référence à la polémique qui a suivi la création de la pièce de
Cocteau. Après avoir quitté la salle sans applaudir le soir de la première, François
Mauriac a publié le 29 décembre 1951 dans le Figaro Littéraire une féroce diatribe
dans laquelle il accuse Cocteau de blasphème. Celui-ci réplique à Mauriac dans
France-Soir du 30 décembre sous le titre « Je t’accuse ! ». Voir « Dossier Bacchus »,
Jean COCTEAU, Le Passé Défini, vol. I (1951-1952), texte établi et annoté par Pierre
CHANEL, Gallimard, 1983, p. 98-139.
281
Surnom d’Emmanuel Boudot-Lamotte.
282
HZ, p. 117.
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 237
283
Marguerite Yourcenar, une vie, une oeuvre, une voix, entretien avec Matthieu
Galey, réalisation Michel Hermant, ORTF, 1972, document INA, 63 minutes.
284
M. YOURCENAR, Lettre à Jeanne Carayon, 13-15 novembre 1975, L, p. 477.
Quelques années plus tard, elle évoque pour caractériser la même chanson « le poème
si mélancolique de Bob Dylan », voir lettre à Georges de Crayencour, 21 septembre
1977, L, p. 566.
285
Rappelons que Yourcenar a inscrit en exergue de la troisième partie d’Archives du
Nord consacrée à son père, les premiers vers du poème de Dylan [AN, p. 1103],
qu’elle choisira comme titre de la traduction en anglais de cet ouvrage le début d’un
YOURCENAR ET LA POÉSIE DE SON TEMPS 239
vers de la même chanson (How many years…). Enfin, elle citera à nouveau ce beau
poème sous le titre « Sagesse de Bob Dylan », dans La Voix des choses [VC, p. 64],
recueil intime qui regroupe certains des textes qui lui sont le plus chers.
286
Lettre à Jeanne Carayon, 13-15 novembre 1975, L, p. 477-478.
287
Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, Monaco, éditions
du Rocher, op. cit., p. 96.
288
En 1976, Yourcenar explique à son amie Jeanne Carayon que la chanson qu’elles
aiment toutes les deux vient d’être interdite par le gouvernement de la Corée du Sud
qui la juge « séditieuse » et lui précise : « C’est d’ailleurs un honneur pour Dylan,
poète inégal, mais bouleversant là où il est grand. » Voir lettre du 18 janvier 1976, L,
p. 486.
289
Lettre à Dominique Aury, 25 octobre 1977, citée par l’auteur dans « Marguerite
Yourcenar et la poésie populaire : des chants grecs anciens à Bob Dylan », Bulletin de
la SIEY, n˚ 23, décembre 2002, p. 124.
240 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
parisienne si elle préfère les vers de Bob Dylan à ceux de René Char
ou d’Yves Bonnefoy.
IV
MARGUERITE YOURCENAR
CRITIQUE DE POÉSIE
1
Lettre à N. Calas, 18 février 1962, L, p. 162-163.
2
Yves-Alain FAVRE, « Marguerite Yourcenar dans le labyrinthe de l’art », Voyage et
connaissance dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Pise, Libreria Goliardica, coll.
« Histoire et critique des idées », 1988, p. 113.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 243
3
Lettre à Jeanne Carayon, 25 juillet 1975, L, p. 464.
4
« Carnet de notes » de Mémoires d’Hadrien, MH, p. 530.
244 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
5
Voir SBI, p. 30-31.
6
Ibid., p. 35.
7
Voir « Wilde rue des Beaux-Arts », PE, p. 499-509.
8
Voir « Le Cerveau noir de Piranèse », SBI, p. 75-108.
9
Voir « Une exposition de Poussin à New York », PE, 468-473.
10
Henk HILLENAAR, « Les essais de Marguerite Yourcenar : analogie et éternité »,
Voyage et connaissance dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 125.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 245
11
Jean ROUDAUT, « Une autobiographie impersonnelle », La Nouvelle Revue
Française, n° 310, novembre 1978, p. 76.
12
Lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar.
246 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
19
Ibid., 1455.
20
Ibid., p. 1483-1484.
21
« Carnets de notes », MH, p. 528.
248 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
22
Jean BLOT, Marguerite Yourcenar, Seghers, 1980, p. 46.
23
Ibid., p. 55.
24
Ibid., p. 1485.
25
Ibid., p. 1486.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 249
Les poètes, à demi perdus dans la vie élémentaire, sont comme les
prêtres de Dodone : ils prennent pour truchements de leurs oracles
les chênes mystérieux auxquels parlent les vents.26
[…]
La solitude, obscure ou glorieuse, est l’atmosphère des poètes. Ils
s’en protègent. Elle les isole.27
26
Ibid., p. 1508.
27
Ibid., p. 1510.
28
Ibid., p. 1518.
29
Voir « L’Esprit des livres », Nouvelles littéraires, 19 décembre 1936.
250 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Cet ouvrage ne nous donne aucune clarté sur Pindare, et, ce qui est
peut-être pire, ne nous donne aucune envie de le lire. […] Mme
Yourcenar connaît pourtant beaucoup de choses, et ne nous
épargne pas bien des détails sans grand intérêt. Mais il lui manque
d’abord […] le sens de la vie. Ce qui fait que cette entreprise si
curieuse, que nous avions abordée avec la plus grande sympathie,
n’est dans l’ensemble qu’un froid devoir de bonne élève- mettons
un diplôme d’études supérieures. […] C’est bien le plus grand
reproche que nous puissions faire à Mme Yourcenar : ni par ses
traductions ni par ses commentaires, elle n’a rapproché de nous
l’ancien poète. Il nous demeure aussi étranger qu’auparavant, plus
étranger encore, car nous ne comprenons dans le livre de son
récent exégète rien de ce qui l’a poussé à écrire et à vivre.30
30
Robert BRASILLACH, « La Causerie littéraire », L’Action française, 2 juin 1932.
Repris dans Œuvres complètes, tome XI, édition annotée par Maurice BARDÈCHE,
Au Club de l’honnête homme, 1964, p. 271-274.
31
G. TRUC, « L’Œuvre de Marguerite Yourcenar : 1929-1938 », Études littéraires,
avril 1979, Les Presses de l’Université Laval, p. 24.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 251
32
M. YOURCENAR, lettre à Simon Sautier, 8 octobre 1970, L, p. 360.
33
M. YOURCENAR, lettre à Yannick Guillou, 18 novembre 1985, L, p. 664.
34
YO, p. 38.
35
M. YOURCENAR, lettre à Patrick de Rosbo, 25 août 1969, Fonds Yourcenar.
36
Lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar.
37
Voir en particulier les lettres du 6 février et du 14 mars 1956, Fonds Yourcenar.
38
Voir dossier « Affaires courantes (suite) », Fonds Yourcenar.
39
Lettre à Jacques Brenner, 6 septembre 1965. Citée dans « Littérature (P-Z) »
Librairie Henri Vignes, catalogue n° 41, automne 2002, p. 47.
252 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
40
SII, p. 41.
41
Voir « Marguerite Yourcenar. Entretiens avec des Belges », op. cit.
42
CL, p. 165.
43
Ibid., p. 162.
44
Michel GRODENT, « L’hellénisme vivant de Marguerite Yourcenar », Revue de
l’université de Bruxelles, n° 3-4, 1988, p. 57.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 253
45
Maurice LEBEL, « Marguerite Yourcenar traductrice de la poésie grecque »,
Études littéraires, Presses de l’université Laval, avril 1979, p. 68-69.
46
François WASSERFALLEN, « Aspects de la temporalité dans la poésie de
Marguerite Yourcenar avant 1939 », Bulletin de la SIEY, n° 8, juin 1991, p. 65.
47
P, p. 1447.
254 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
elle l’écrit dans son Pindare. Aux jeux d’enfants des surréalistes, elle
préfère les jeux sacrés des athlètes et héros grecs et l’immortelle
perfection pindarique.
48
Voir « Œuvres de Marguerite Yourcenar », S II, p. 42.
49
Voir « Note de l’auteur », ON, p 846.
50
« Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné », SBI, p. 22.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 255
51
Ibid., p. 24.
52
Ibid., p. 22.
53
Ibid., p. 34.
256 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
faits divers de son époque, pour les recomposer tant bien que mal
en termes de justice et d’ordre éternels.54
54
Ibid., p. 26.
55
Ibid., p. 35.
56
Voir Ibid.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 257
57
Voir Tsutomu IWASAKI. « Séjour au Japon de Marguerite Yourcenar », Les
Voyages de Marguerite Yourcenar, Bulletin du CIDMY, n° 8, 1996, p. 242.
258 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
mais aussi de son éthique de vie qui a inspiré, depuis le XVIIe siècle,
des générations de poètes japonais. Comme l’écrit Tsutomu Iwasaki,
traducteur de l’œuvre de Yourcenar en japonais et qui lui a servi de
guide et d’interprète durant ses pérégrinations à travers le Japon,
« Marguerite Yourcenar voulait suivre au moins partiellement les
traces de ce poète japonais, dont elle connaissait très bien la vie et
aimait les poèmes. D’ailleurs Basho préconisait, non pas la recherche
des traces des anciens elles-mêmes, mais la recherche de ce qu’ils
cherchaient. Je crois que le même esprit la poussait à ce voyage. »58
Ensemble, ils visitent Fukagawa, quartier populaire historique de
Tokyo où a vécu Basho, avant d’entreprendre son célèbre voyage dans
le Nord, en 1689. Ensuite, Yourcenar parcourt en quelques jours les
principales étapes de ce long voyage. Comme lui, près de trois siècles
plus tôt, elle contemple la magnifique baie peuplée d’îlots rocheux de
Matsushima, dont la beauté avait tellement impressionné le poète-
voyageur, qu’il dut renoncer à écrire son traditionnel haïku, en
hommage à la splendeur de la nature. Elle se rend également à
Hiraïzumi, qui représente l’extrémité nord du voyage de Basho,
célèbre pour son temple au toit couvert de feuilles d’or, Konjiki-dô,
qu’elle visite parmi la foule des touristes. Elle lui préfère la sérénité de
la colline boisée de cryptomères sacrés plusieurs fois centenaires
entourant le sanctuaire, que Basho a sans doute admiré avant elle.
Dans l’enceinte d’un temple bouddhiste voisin, Môtsûji, elle se
recueille devant une stèle en pierre naturelle sur laquelle est gravé un
des plus célèbres haïkus de Basho. Alors que Tsutomu Iwasaki
commence à lui traduire le poème : « Les herbes de l’été… »,
Yourcenar l’interrompt en citant de mémoire les deux vers suivants :
« Voici tout ce qui reste/ Des rêves des guerriers morts. » Le
« pèlerinage » se poursuit par une courte escale dans la petite station
thermale de Naguro où Basho est passé. À Ueno, ville natale du poète,
elle se promène autour du château. À Kyoto, elle tient à visiter
Rakushisha, la pauvre masure de Mukaï Kyoraï, l’un des plus célèbres
disciples de l’auteur japonais, qui y accueillit son maître et dont
l’évocation clôt de manière touchante « Basho sur la route »59.
Ce texte est né de ce voyage et en suit les principales étapes.
La vie et l’œuvre du maître de l’extase poétique et de la méditation
58
Ibid., p. 226.
59
Sur le récit du voyage de Yourcenar sur les traces de Basho, voir ibid, p. 219-243.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 259
60
« Basho sur la route », TP, p. 600.
61
Ibid., p. 599. Il s’agit d’une traduction de Marguerite Yourcenar d’après une version
en anglais, langue dans laquelle Yourcenar semble s’être familiarisée avec la
littérature japonaise, les écrits de Basho en particulier.
260 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
62
Ibid., p. 601-602.
63
Yourcenar évoque l’ultime haïku composé par Basho, juste avant de mourir :
« Tombé malade en voyage/ En rêve, je me vois errant/ Sur la plaine morte. »
64
« Basho sur la route », TP, p. 602.
65
Ibid., p. 600.
66
Ibid., p. 604.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 261
67
YO, p. 39.
68
« Entrevue avec Marguerite Yourcenar », entretien avec Denise Bombardier,
Télévision de Radio Canada, 2 juin 1985. PV, p. 336.
262 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
n’en demeure pas moins que la poésie qu’elle apprécie doit conserver
quelque chose du mystère des origines et de la magie des premières
paroles prononcées par l’homme. Évoquant la pratique religieuse de la
psalmodie dans le bouddhisme tantrique, elle rappelle que la poésie, à
l’origine, avait sans doute la valeur d’un mantra : « songeons […] que
la poésie elle aussi est faite, ou le fut aux temps où elle se souvenait de
ses origines magiques, de répétitions quasi incantatoires de sons et de
rythmes »69. Pour l’auteur des Charités d’Alcippe, la poésie est donc
une incantation70, presque un rite magique. De là, sa préférence pour la
poésie rimée et rythmée qui met le lecteur plus intimement en
harmonie avec le monde du poème qu’il lit :
69
« Approches du tantrisme », TGS, p. 401.
70
Voir YO, p. 210.
71
Ibid., p. 209-210.
72
« Marguerite Yourcenar répond au questionnaire Marcel Proust », Livres de
France, n° 5, mai 1964, p. 13.
73
QE, p. 1331.
YOURCENAR, CRITIQUE DE POÉSIE 263
74
S II, p. 75.
75
Lettre à J. Chalon, 29 mars 1974, L, p. 419.
76
Voir lettre à Jeanne Carayon, 6 juillet 1977, L, p. 552,
77
Lettre à Jean-Paul Allardin, 5 février 1970, L, p. 346.
78
Roger CAILLOIS, Approches de la poésie, Gallimard, 1993 [1e éd. 1978], p. 144.
79
Ibid., p. 233.
264 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
discours académique. L’un d’eux l’est plus que les autres : Approches
de la poésie (Gallimard, 1978). Ce recueil d’essais écrits entre 1944 et
1977, propose une vision d’ensemble de la conception de la poésie de
Caillois, souvent proche de celle de Yourcenar. D’ailleurs, les très
nombreuses marques de lecture inscrites dans le livre révèlent
certainement l’empathie profonde de la lectrice, qui approuve ou
partage les pensées de l’auteur. Quelques passages d’Approches de la
poésie, choisis parmi tant d’autres, pointés au feutre noir ou rouge par
Yourcenar, auraient pu être écrits par elle :
chose de commun entre Homère et Mallarmé. »80 Cet invisible fil qui
relie tous les poètes, à travers les époques et les pays, les langues et les
cultures, Yourcenar l’a sans doute davantage senti que la plupart des
poètes de la modernité qui ont souvent prôné une rupture radicale avec
le passé. Mais ne les rejoint-elle pas lorsqu’elle avance que, loin d’être
un des compartiments de l’imaginaire, la poésie est un alvéole de la
réalité ?
C’est d’ailleurs un autre aspect essentiel de la conception
yourcenarienne de la poésie. Pour Yourcenar, « [l]a poésie est un
effort pour se rapprocher de l’essence de la réalité »81, comme elle l’a
régulièrement répété, sous des formulations différentes, tout au long
de son existence. Dans une lettre adressée à Natalie Barney en 1955,
elle loue le « sens des réalités » de l’Amazone et note entre
parenthèses « (la poésie aussi en est une) »82. En 1971, à un journaliste
qui l’interroge sur sa passion de la poésie, elle débute sa réponse par le
préambule suivant : « en un sens tout est présent ou, si vous voulez,
tout est passé, tout, également, est poésie ou tout est également réalité.
C’est dire que toute grande réalité rejoint la poésie. Et que toute
grande poésie est forcément une forme de la réalité »83. Cette
« démonstration » un peu vague se comprend mieux lorsque l’on
considère, dans sa globalité, l’univers esthétique et littéraire de
l’écrivain, qui inscrit constamment la poésie, sous les multiples
visages qu’il lui reconnaît, au cœur du monde et de la vie des
hommes. Si cette réalité n’est pas toujours « visible » par le plus grand
nombre, le poète la devine partout, sous l’apparence des choses, des
situations et des êtres. Il s’agit donc d’une réalité profonde, intime,
parfois impalpable mais bien présente et constitutive de l’essence
même de la poésie. Cette rencontre entre le réel et l’imaginaire, qui
s’opère au sein même de la poésie, ne puise pas ses sources dans la
pensée occidentale qui, le plus souvent, compartimente les concepts et
les réalités et oppose artificiellement ces deux domaines pourtant
intimement liés aux yeux de Yourcenar. Elle l’emprunte plutôt aux
traditions philosophiques non cartésiennes de l’Orient, au bouddhisme
et au soufisme en particulier, qui lui ont appris qu’au-delà des
80
Ibid., p. 170.
81
« Rencontre avec Marguerite Yourcenar », entretien avec Jean-Claude Texier, La
Croix, 19-20 septembre 1971, PV, p. 128-129.
82
Lettre à N. Barney, 5 juillet 1955, Fonds Barney.
83
Entretiens avec des Belges, op. cit., p. 99.
266 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
84
Lettre à Jean Chalon, 29 mars 1974, L, p. 420.
85
PE, p. 488.
86
R. CAILLOIS, Approches de la poésie, op. cit., p. 120.
SECONDE PARTIE
ÉCRIRE ET TRADUIRE
Marguerite Yourcenar, poète et traductrice
Page laissée blanche intentionnellement
La première partie de notre étude a mis au jour la relation
intime que Marguerite Yourcenar a entretenue avec la poésie des
autres à travers sa pratique de la lecture et de la critique. La seconde
partie va tenter de montrer combien sa propre poésie tient une place
essentielle dans sa création littéraire mais aussi dans son rapport au
monde et dans l’élaboration de sa propre pensée esthétique.
Marguerite Yourcenar, poète. La critique et l’histoire littéraire
moderne et contemporaine qui s’intéressent à l’œuvre de l’auteur de
L’Œuvre au noir et du Labyrinthe du monde oublient souvent cet
aspect de sa production. On évoque avant tout Marguerite Yourcenar
romancière, nouvelliste, historienne, mémorialiste, essayiste,
traductrice, anthologiste, helléniste… Beaucoup plus rarement, voire
jamais, Marguerite Yourcenar poète, malgré ses nombreux poèmes
publiés dans des revues et en volumes. Marginale à première vue,
l’œuvre poétique de l’écrivain contient sans nul doute une part intime
de sa sensibilité artistique. Il importe donc de réparer une injustice en
replaçant son œuvre poétique au cœur de son écriture. Elle est d’une
utilité certaine pour appréhender le fonctionnement interne de
l’ensemble de sa production artistique et comprendre les méandres de
la naissance de son œuvre. Car la poésie est la première voie
empruntée, dès l’adolescence, par Marguerite Yourcenar. Elle
contient, en quelque sorte, les clés de sa vocation d’écrivain qui
prendra par la suite bien d’autres formes. Pour Yourcenar, comme
pour beaucoup d’écrivains de sa génération, au commencement était le
poème. On ignore trop souvent que dans le cas de l’auteur de
Mémoires d’Hadrien cette connivence secrète avec la poésie ne s’est
jamais estompée, même si elle a pris des formes multiples et
changeantes au cours des sept décennies d’écriture de Yourcenar.
Si la romancière a écrit de nombreux poèmes, elle en a
également beaucoup traduit. Véritable passion, la traduction fait partie
intégrante de l’écriture créatrice yourcenarienne, traduire un poème
étant pour l’écrivain une autre manière de l’écrire. Il semble donc
logique de situer le chapitre sur Marguerite Yourcenar traductrice,
dans le prolongement de l’analyse de sa propre poésie, vaste et riche
continent yourcenarien quasiment inconnu, en tout cas largement
ignoré.
Page laissée blanche intentionnellement
I
LES POÈMES DE JEUNESSE
1
Il n’a été rendu public qu’après la mort de son auteur, par J. SAVIGNEAU dans sa
biographie Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie. Voir « Sonnet offert par
Marguerite Yourcenar à sa gouvernante, Camille Debocq, pour Noël, en 1915 », op.
cit., p. 491.
2
Nous pouvons raisonnablement supposer que ce poème de 1915 n’est pas l’unique
production poétique de la petite Marguerite et qu’à cette époque-là, elle composait
déjà des vers qu’elle offrait peut-être à son entourage, en particulier à son père, et
n’ont sûrement pas été conservés.
272 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
inlassablement des gammes pour parfaire son art, elle compose des
centaines de vers d’un académisme marqué, qui imite maladroitement
l’art beaucoup plus abouti de ses prestigieux et écrasants modèles
d’alors.
De par son éducation littéraire, ses goûts personnels et peut-
être aussi l’air du temps et l’esprit de l’époque, il paraît naturel qu’une
toute jeune fille comme Marguerite Yourcenar débute sa carrière
littéraire par la poésie, comme elle le soulignait bien des années plus
tard :
4
YO, p. 54.
274 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
5
Si conformément à la plupart des déclarations de l’auteur, on retient l’âge de seize
ans (1919), comme la période d’écriture du Jardin des Chimères, le poème pourrait
avoir été commencé plus tôt, comme le laisse penser une lettre de M. Yourcenar qui
précise à sa correspondante que ses deux premiers livres ont été écrits « entre ma 14e
et ma 15e année : Le Jardin… date de 1918. » Voir lettre à Olga Peters, 20 mai 1950,
Fonds Yourcenar.
6
J. Savigneau suggère que l’intense activité poétique de l’adolescente aurait pu se
faire au détriment des travaux scolaires et de la préparation à l’examen dont elle
obtiendra la première partie avec une modeste mention « Passable ». Voir Marguerite
Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit. p. 63.
7
« Chronologie », OR, p. XV.
8
Peintre très apprécié par Yourcenar qui se souvient que lors de son séjour en
Belgique en 1956, elle est allée « rendre [ses] respects aux Breughels du musée d’Art
ancien » de Bruxelles, en particulier à « La Chute d’Icare tombant du ciel pendant
qu’un rustique que ce premier accident d’avion n’intéresse pas continue ses
semailles. », SP, p. 738.
9
YO, p. 53.
LES POÈMES DE JEUNESSE 275
10
« Zone », Alcools (1913).
11
Lettre à Denys Magne, 15 avril 1973, Fonds Yourcenar.
276 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Icare revisité
12
JC, p. 17.
LES POÈMES DE JEUNESSE 277
dialogue s’instaure entre Icare et les trois nymphes qui lui conseillent
de renoncer à chercher à atteindre la Chimère, ce « mirage
éphémère », cette « Bête insaisissable ». Mais Icare ne peut renoncer à
son projet et s’éloigne des nymphes tandis que Pan reprend son chant
allègre qui clôt la scène.
Scène II (« La Source »), seul, agenouillé près d’une source,
Icare exprime à mi-voix son désir de quitter la prison où il est enfermé
avec son père et de connaître la liberté des grands espaces :
13
Ibid., p. 28.
14
Ibid., p. 39.
278 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
15
Ibid., p. 58.
16
Ibid., p. 103.
17
Ibid., p. 104.
LES POÈMES DE JEUNESSE 279
18
Ibid., p. 114.
19
Ibid., p. 117.
20
« La légende d’Icare vue par Marguerite Yourcenar », Retours du mythe. Vingt
études pour Maurice Delcroix, [dir. Christian BERG, Walter GEERTS, Paul
PELCKMANS, Bruno TRISTMANS], Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1996, p. 211.
280 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
d’une œuvre en gestation dont Le Jardin des Chimères serait bien plus
que le premier chaînon. Il en est en quelque sorte une des clés.
Camillo Faverzani considère Le Jardin des Chimères comme
un « prologue du théâtre yourcenarien »21. D’autres critiques classent
carrément ce « poème dialogué » parmi le théâtre de Marguerite
Yourcenar22 au même titre que Qui n’a pas son Minotaure ? et Le
Dialogue dans le marécage. François Wasserfallen insiste, pour sa
part, sur le choix du « poème dramatique » comme véhicule de la
pensée poétique de la jeune Yourcenar. Il note que cette « forme [est]
caduque » dans les années vingt : « Employée ici sans aucune ironie,
elle est le stigmate premier de l’imitation formelle »23. Le choix du
poète qui présente son évocation d’Icare comme une « légende
dramatique » situe, en fait, sa première œuvre publiée aux confins de
la poésie et du théâtre, sur cette frontière floue des genres qui sera une
des caractéristiques de nombre de ses textes. Dans Le Jardin des
Chimères, les personnages (Icare, Dédale, Pan, Eucharis, Earina,
Rhodeia, Hélios et les différents chœurs) mêlent leurs voix et
dialoguent en vers selon les conventions théâtrales les plus sommaires.
La progression de l’action est structurée en deux parties plutôt qu’en
deux actes mais elle est divisée en neuf scènes. Si le jeune poète a
choisi d’organiser son long poème en scènes et tableaux, c’est sans
doute pour discipliner son inspiration. L’expression théâtrale ne
semble ici qu’une armature commode qui permet à l’écrivain
inexpérimenté, au souffle poétique encore court, d’organiser son
poème dans une forme qui le soutient.
On notera avec intérêt les très nombreuses indications
scéniques intercalées entre les vers. Ces didascalies souvent très
longues, logiques dans un texte qui se réclame de l’écriture
dramatique, constituent en fait des fragments de textes en prose à
l’intérieur même d’une œuvre versifiée. Au-delà de leur rôle
informatif (indication de décor, d’atmosphère, de gestuelle ou de
costume des personnages), le jeune poète a fait de ces petits textes,
21
L’Ariane retrouvée ou le théâtre de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 37.
22
Voir par exemple Cécile TURRETTES qui parle du Jardin des Chimères comme
d’une « pièce » ou du « premier texte théâtral » de M. Yourcenar. Voir « Électre ou la
chute des masques et le renouveau de la tragédie », Bulletin de la SIEY, n° 19,
décembre 1998, p. 75.
23
François WASSERFALLEN, « Aspects de la temporalité dans la poésie de
Marguerite Yourcenar avant 1939 », Bulletin de la SIEY, n° 8, juin 1991, p. 55.
LES POÈMES DE JEUNESSE 281
24
JC, p. 119. Voir autres exemples p. 31, 42, 71, 74, 108…
282 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
25
Ibid., p. 15
26
Ibid., p. 17.
27
Ibid.
28
Ibid., p. 45.
29
Ibid., p. 51.
30
Ibid., p. 79.
31
Ibid., p. 77.
32
Ibid., p. 118.
LES POÈMES DE JEUNESSE 283
33
Ibid., p. 119.
34
À seize ans, M. Yourcenar ne possède pas encore l’art qui lui a permis dans
Mémoires d’Hadrien de « [r]efaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle
ont fait du dehors. », voir « Carnets de notes », MH, p. 524
35
JC, p. 16.
284 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
36
Ibid., p. 30.
37
Ibid.
38
Ibid.
39
Ibid., p. 74.
40
Voir à ce sujet l’article d’Elena PESSINI, « Le Mythe de l’île dans l’œuvre de
Marguerite Yourcenar », Roman, histoire et mythe dans l’œuvre de Marguerite
Yourcenar, Tours, SIEY, 1995, p. 353-355
LES POÈMES DE JEUNESSE 285
construire des ailes pour que son fils et lui s’élèvent au dessus du
Labyrinthe, il a désormais abandonné définitivement ce projet
chimérique. Il ne guidera pas Icare dans ses premiers battements
d’ailes. Il ne lui conseillera pas de ne pas trop s’approcher du soleil
afin que la cire de ses ailes ne fonde pas. Il ne l’enterrera pas, comme
le raconte la tradition, avant de s’enfuir en Sicile pour échapper à la
colère de Minos. Le Dédale de Yourcenar diffère de celui de la fable
grecque en cela que le Labyrinthe qu’il a construit sera son tombeau.
Plus peut-être que la mort d’Icare, celle de Dédale prend des aspects
de sacrifice librement consenti. Si l’on ne peut proprement parler de
suicide, l’émouvante mort de Dédale, à la scène V de la première
partie du poème, ressemble à un souhait pressant (« Comme il tarde à
venir, ce sommeil reposant/ Du cauchemar absurde et triste de la
vie ! »48), une délivrance. Dédale souhaite sa mort, comme le fera, bien
plus tard, Zénon dans L’Œuvre au noir, qui, en se suicidant dans sa
prison, « prend refuge dans la mort »49, comme Yourcenar le précise
en 1982. Commentant la scène de la mort douce et libératrice du père
d’Icare, Rémy Poignault affirme :
48
Ibid., p. 62.
49
« Voyages dans l’espace et voyages dans le temps », TP, p. 693.
50
« La légende d’Icare vue par Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 221.
LES POÈMES DE JEUNESSE 287
51
JC, p. 40.
52
Ibid.
53
Pensons au nomadisme impérial d’Hadrien, aux voyages subis par Nathanaël, dans
Un Homme obscur mais surtout aux pérégrinations incessantes de cet « aventurier du
savoir » qu’est Zénon auquel M. Yourcenar fait prononcer une phrase qu’elle fera
sienne : « Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa
prison ? », ON, p. 564.
54
« Voyages dans l’espace et voyages dans le temps », TP, p. 700.
288 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
59
Ibid., p. 101.
60
Ibid.
61
Ibid., p. 118.
290 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
62
Ibid., p. 116.
63
Ibid., p. 117.
64
Ibid.
65
PE, p. 523.
LES POÈMES DE JEUNESSE 291
De l’œuvre au livre
66
JC, p. 35.
292 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
premier poème d’une adolescente qui tente une timide entrée dans le
monde de l’édition parisienne, au début des années 1920. Comme le
reconnaîtra bien plus tard Yourcenar, son père fut « un admirable
conseiller littéraire, complètement dédaigneux de toutes les modes du
moment, imbu des meilleures traditions de la langue et de la littérature
françaises »67. Il n’existe nul conflit de génération, nulle bataille
esthétique entre un vieux monsieur né au milieu du XIXe et une jeune
fille née au début du XXe siècle. Au contraire. L’influence du père est
telle qu’il semble que la jeune Marguerite a adopté et assimilé les
goûts et les préférences littéraires de son père et que la différence
d’âge et de génération n’a guère été un obstacle pour que ces deux
amoureux de poésie se rejoignent sur la question du Beau, en tout cas
jusqu’à la fin de l’adolescence de l’auteur du Jardin des Chimères.
Lorsqu’elle compose ses premiers poèmes, Yourcenar vit
encore seule avec son père68 à qui elle lit sans doute ses premières
tentatives d’écriture. Il est donc le témoin privilégié de l’activité
poétique intense de sa fille dans la deuxième moitié des années 1910
et l’encourage sûrement à persévérer dans les voies de l’écriture dont
il a goûté lui aussi, en dilettante cultivé, de manière éphémère, les
délices. C’est donc lui qui lui propose naturellement de faire paraître à
compte d’auteur son premier poème. Il ne semble pas que Yourcenar
ou son père ait entrepris de soumettre le manuscrit au comité de
lecture d’une maison d’édition publiant de la poésie, afin de faire
paraître le livre à compte d’éditeur. La méconnaissance du milieu
littéraire, la difficulté à remonter les filières éditoriales qui comptent
ainsi que la répugnance aristocratique de Michel de Crayencour à
soumettre la publication du premier livre de sa fille à l’approbation
d’un éditeur, espèce dont il garde un mauvais souvenir, expliquent
sans doute qu’ils aient opté d’emblée pour le compte d’auteur qui leur
garantit finalement plus de liberté. Sans doute craignent-ils également
de recevoir la fatidique lettre de refus qui aurait découragé le poète
novice, auteur d’un poème certes ambitieux mais non exempt de
maladresses. Et puis la publication à compte d’auteur est une formule
très répandue dans l’édition française de ces années-là. Même les
67
Cité par J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit.,
p. 64-65.
68
À partir du début des années 1920, il partagera sa vie avec une Anglaise, Christine
Brown-Hovelt qui deviendra en 1926 sa troisième épouse et à laquelle M. Yourcenar
dédiera Les Dieux ne sont pas morts et Pindare.
LES POÈMES DE JEUNESSE 293
69
Voir J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit., p. 69
70
Ibid.
294 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
71
Ibid.
72
Ibid.
73
Ibid., p. 70.
LES POÈMES DE JEUNESSE 295
74
Ibid.
75
Voir fac-similé du contrat d’édition du Jardin des Chimères, « Marguerite
Yourcenar état civil », Bulletin du CIDMY, n° 12, 2000, p. 94-95.
296 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Réception de l’oeuvre
76
Voir Michel WINOCK, Le Siècle des intellectuels, « Les Années Barrès » , éd. du
Seuil, 1997, p. 146-147.
298 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
77
Voir en particulier J. Savigneau qui écrit : « on peut s’étonner que cette jeune fille
éprise de littérature ait délibérément choisi ses modèles dans le XIXe siècle le plus
compassé et ait, semble-t-il, méconnu la formidable révolution poétique dont elle était
la contemporaine : Alcools a paru en 1913 et le surréalisme est en train de naître. Peut-
être faut-il voir dans ce décalage les conséquences d’un certain provincialisme ou,
plus encore, celle d’une vie à ce point écartée de toute société que seules y
parvenaient les références "classiques" dont Michel était nourri. », Marguerite
Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 68.
78
Voir Robert SABATIER, « Mouvances de la tradition », Histoire de la poésie
française. La Poésie du vingtième siècle.1-Tradition et évolution, op. cit., p. 9-193 et
Éliane TONNET-LACROIX, « Les Appels de Minerve : à la recherche de l’ordre
perdu », Après-guerre et sensibilités littéraires (1919-1924), Publications de la
Sorbonne, 1991, p. 215-236.
LES POÈMES DE JEUNESSE 299
génie poétique est salué par Gide et Valéry ? Le premier quart du XXe
siècle est marqué par le retour du « rêve grec » qui imprègne la
création de nombreux artistes. Tandis que Yourcenar s’identifie à
Icare, Cocteau revisite l’Antigone de Sophocle (1922). Picasso drape
ses modèles à la mode antique. Valéry fait revivre la figure de Socrate
dans ses célèbres dialogues et chante la Méditerranée éternelle dans Le
Cimetière marin (1920). La même année, l’auteur adulé de La Jeune
Parque accepte de faire partie, avec Anna de Noailles et quelques
autres poètes, de la « Nouvelle Pléiade » fondée par Joachim Gasquet,
attaché aux formes traditionnelles du vers français. « Les poètes de la
"Pléiade" veulent défendre le sérieux de la poésie contre la tentation
décadente, comme l’avaient fait Ronsard et ses amis contre les jeux
des Grands Rhétoriqueurs »79, explique Éliane Tonnet-Lacroix. Cette
« renaissance classique » n’est pas seulement le fait de la mouvance
traditionaliste et nationaliste, proche de Charles Maurras, défenseur
influent de l’École romane et représentant le plus fermé du néo-
classicisme qui irrigue la littérature française des années 1900-1920.
Durant cette période, nombreux sont les écrivains qui aspirent à un
renouveau de l’âge classique, comme Jacques Rivière dans le
programme qu’il assigne à la Nouvelle Revue Française en 191980.
Celle-ci, en effet, s’autoproclame le lieu d’expression du « classicisme
moderne » qu’un auteur comme Marcel Proust symbolise parfaitement
en « surgeon moderne de la tradition classique »81. René Crevel lui-
même voit dans la « mode » néo-classique des années 1920 une
chance pour la littérature : « Rien de souhaitable en vérité, comme un
nouveau classicisme qui établirait les principes d’une éthique
suffisante. »82 Comme le résume justement Éliane Tonnet-Lacroix,
« la notion de "classicisme", prise dans un sens assez large et dotée
d’une valeur éthique, permet à certains d’exorciser leur désordre
intérieur. Par là, cette nostalgie du "classicisme" est bien plus qu’une
simple mode. Elle traduit avec acuité le besoin de santé d’une époque
malade. »83
79
Après-guerre et sensibilités littéraires (1919-1924), Ibid.
80
Voir « La NRF », La Nouvelle revue française, juin 1919. Cité par E. TONNET-
LACROIX, Après-guerre et sensibilités littéraires (1919-1924), Ibid., p. 217.
81
E. Tonnet-Lacroix prête ce jugement à Jacques Rivière. Ibid., p. 221.
82
« Les Soirées de Paris », La Revue européenne, juillet 1924, p. 71. Cité par E.
TONNET-LACROIX, Après-guerre et sensibilités littéraires (1919-1924), op. cit.,
p. 219.
83
Ibid.
300 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
84
Même s’il s’agit d’un ouvrage publié à compte d’auteur, la Librairie Académique
Perrin a effectué un service de presse du Jardin des Chimères auprès des principaux
critiques littéraires en charge de la rubrique poésie, comme le prévoit l’article VI du
contrat d’édition. Voir « Marguerite Yourcenar état civil », op. cit., p. 95.
85
Denys MAGNE, « Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit.,
p. 94.
86
Lettre à Denys Magne, 17 juillet 1975. Citée par D. MAGNE dans Bibliographie
critique de Marguerite Yourcenar, Fonds Yourcenar, p. 157. [tapuscrit]. En 1979, elle
revenait sur l’article défavorable qui accueillit son premier livre : « "très ambitieux,
très long et très ennuyeux" – je cite exactement, je crois, la critique qu’en avait faite
un homme poli et distingué, un écrivain un peu précieux mais délicat, à la mode à
cette époque-là, Jean-Louis Vaudoyer. Ce jugement n’était pas faux. », YO, p. 52.
LES POÈMES DE JEUNESSE 301
87
Lettre à N. Chatterji, 17 juillet 1964, L, p. 205.
88
L’écrivain séjourne en effet en France au printemps 1921, au moment de la sortie
du Jardin des Chimères et prononce le 21 avril une conférence au musée Guimet à
l’invitation de l’Association française des Amis de l’Orient qui obtint un succès et des
échos retentissants.
89
La devise de l’université de Visva-Bharati créée par Tagore indique l’état d’esprit
du lieu : « Où le monde entier trouve son nid commun ». La volonté de cet artisan du
rapprochement Orient-Occident qui a toujours séduit M. Yourcenar était d’établir « un
foyer pour le monde entier. L’homme doit y trouver un carrefour et un lieu de
rencontre des différents courants de pensée. » Dans les années qui ont suivi sa
création, poètes, artistes, penseurs et célébrités de tous les horizons ont fait le voyage
à Shantinikétan. Voir Sylvie LINÉ, Tagore Pèlerin de la lumière, op. cit., p. 200-213.
90
Voir en particulier la lettre du 17 juillet 1964 à N. Chatterji, L, p. 205, les entretiens
avec M. Galey, YO, p. 57 et une interview accordée en 1980 à Claude Servan-
Schreiber [F-Magazine, mars 1980], PV, p. 285.
91
Lettre à N. Chatterji, op. cit., L, p. 205.
92
Voir YO, p. 57.
302 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Autocritique sévère
93
Il semblerait pourtant que le jeune écrivain a conservé quelques exemplaires de son
premier livre qu’il continuera à offrir, après 1925, à certains de ses proches, comme
en témoigne l’exemplaire du Jardin des Chimères conservé à la British Library
(Londres), comportant un envoi daté du 19 juillet 1929 adressé à un membre de la
famille maternelle de Yourcenar, le baron Arnold de Cartier de Marchienne, et dans
lequel l’auteur évoque « le plus ancien, et par conséquent le plus jeune de mes
livres. »
94
Voir « L’Ordre des choses de Marguerite Yourcenar », entretien avec C. Servan-
Schreiber, op. cit., PV, p. 285.
95
M. Yourcenar indique en 1979 : « Bien sûr, il faut apprendre son métier, seulement,
quand on est musicien, on fait des gammes en chambre, et on n’ennuie que sa famille,
tandis qu’hélas un jeune écrivain publie quelquefois trop vite… Je crois qu’il aurait
mieux valu jeter au panier ces premières productions. », YO, p. 53. « Un écrivain
publie toujours trop tôt », est d’ailleurs un des leitmotiv de M. Yourcenar qui a
souvent conseillé aux jeunes auteurs sollicitant son avis de prendre leur temps avant
de livrer au public leurs premiers écrits.
LES POÈMES DE JEUNESSE 303
96
Lettre à Patrick de Rosbo, 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
97
Voir en particulier lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar ; lettre à
Denys Magne, 15 avril 1973, Ibid. ; entretien avec Matthieu Galey, YO p. 53.
98
Lettre non envoyée à Patrick de Rosbo, s. d., Fonds Yourcenar.
99
Dans sa lettre à P. de Rosbo du 24 avril 1969, M. Yourcenar faisait remarquer à son
correspondant : « Ces deux ouvrages [Le Jardin des Chimères et Les Dieux ne sont
pas morts] ont disparu, comme vous l’aurez vu, de ma liste ouvrages du même auteur
parce qu’ils sont, tous deux, des juvenilia, sans importance pour tout autre que moi (et
encore) ou pour un biographe zélé… », ibid. Ils figurent tout de même à la rubrique
« du même auteur » dans Alexis ou le Traité du vain combat (1929). C’est seulement à
partir de son deuxième roman, La Nouvelle Eurydice (1931) qu’elle ne les
mentionnera plus.
304 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
comme des palimpsestes qui contiendraient en leur cœur les voix des
poètes qui les ont inspirés. Parmi eux Hugo, dont Yourcenar reconnaît
qu’il a beaucoup influencé, « presque jusqu’au plagiat »100, la forme du
Jardin des Chimères. Ainsi, répond-elle à Denys Magne en 1973 à
propos des hypothèses qu’il avance quant aux artistes qui ont pu
influencer l’écriture de son premier livre :
100
YO, p. 52.
101
JC, p. 115.
102
Lettre à Denys Magne, 15 avril 1973, Fonds Yourcenar, op. cit.
103
Dans la lettre inédite destinée et non envoyée à P. de Rosbo en 1970, M.
Yourcenar évoque « ce livre enfantin, au style entièrement imitatif (ce qui est naturel,
étant donné l’âge de l’auteur) ». Fonds Yourcenar.
104
« Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », Études Littéraires, avril
1979, Les Presses de l’Université Laval, p. 93-94.
105
« Le Mythe de l’île dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar », Roman, histoire et
mythe dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Tours, SIEY, 1995, p. 353.
LES POÈMES DE JEUNESSE 305
106
« Du labyrinthe d’Icare au labyrinthe de Thésée », Marguerite Yourcenar et la
Méditerranée, op. cit., p. 24.
107
Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 67. J. Savigneau englobe
dans son appréciation Les Dieux ne sont pas morts.
108
Marguerite Yourcenar à la surface du temps, Amsterdam/Atlanta, Rodopi, 1994,
p. 40-41.
109
YO, p. 54.
306 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
les mille deux cents vers de son poème, mais aussi sur les rêves
littéraires en gestation, la direction que va prendre avec le temps sa
poésie et son œuvre entière. Le Jardin des Chimères ne fait pourtant
pas partie de ce que Yourcenar a nommé durant toute son existence
« mes projets de la vingtième année ». Le poème est antérieur aux
projets romanesques de grande envergure, aux ambitieuses fresques
philosophico-historiques ébauchées puis abandonnées, reprises sous
d’autres formes à des années d’intervalles pour donner quelques-uns
des livres les plus aboutis de l’œuvre yourcenarienne. C’est un adieu à
l’enfance. L’ouvrage dans lequel une adolescente emprunte le masque
d’Icare pour dire son besoin de rêve et d’absolu. Un livre composé
durant une période vulnérable durant laquelle l’écrivain inexpérimenté
laisse couler de ses vers encore maladroits, sans le savoir vraiment, un
peu de lui-même et beaucoup de ce qu’il rêve d’être et d’écrire. Plus
de trente ans après l’écriture de sa légende icarienne, l’écrivain qui a
atteint la pleine maturité de son talent, mesure rétrospectivement
l’importance de son premier livre :
110
Lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar.
111
Lettre non envoyée à P. de Rosbo, s. d., Fonds Yourcenar.
112
Lettre du 15 avril 1973, Fonds Yourcenar.
LES POÈMES DE JEUNESSE 307
113
Joël DUBOSCLARD, « Le Mythe grec de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 72.
114
« Examen d’Alceste », Th II, p. 94.
308 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Une île c’est une espèce de configuration qui peut être entièrement
spirituelle. Je suppose qu’un écrivain qui aime écrire dans un café,
la table du café pour lui représente une île.
[Jacques Chancel : Une île ce n’est pas une évasion ?]
Ah, non, sûrement pas. C’est plutôt une concentration.117
115
« Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 440.
116
« Avant-propos », Th II, p. 19.
117
Radioscopie Marguerite Yourcenar, 15 juin 1979, Cassettes Radio France, op. cit.
Notons que la psychanalyse à laquelle nous savons que M. Yourcenar était plutôt
hostile propose d’autres sens à la symbolique de l’île qui ouvrent de nouvelles
perspectives de lecture. Figure qui occupe le centre de l’inconscient et anime le centre
spirituel où naît toute vie, l’île selon Jones représente « l’image mythique de la
femme, de la vierge, de la Mère ». Jung dont les analyses étaient appréciées par M.
Yourcenar fait de l’île l’espace mental de la « libido incestueuse », qu’elle soit rêvée
ou qu’elle renvoie à l’archétype de la grand-mère. Dans cette perspective, se réfugier
LES POÈMES DE JEUNESSE 309
Pour Icare et Dédale en tout cas, l’île de Crète est avant tout
une prison. Prison acceptée par le père et refusée par le fils qui ne peut
se résigner à cette solitude forcée, hors du monde et de ses promesses
de liberté. Dès ce premier livre, Yourcenar semble affirmer qu’on ne
peut échapper à l’île-prison que chacun porte en soi. Pas plus Dédale,
transformant l’île-labyrinthe en tombeau, que son fils qui, croyant y
échapper par les airs, retombe aussitôt. Comme le fait remarquer
Elena Pessini :
dans une île comme l’a fait Yourcenar et plusieurs de ses personnages romanesques,
c’est effectuer une sorte de « regressus ad uterum » et rechercher dans ses origines le
principe primordial de sa propre vie. Voir Michel CAZENAVE [dir.], Encyclopédies
des symboles, Le Livre de Poche, coll. « La Pochothèque », 1996, p. 320-321.
118
« Le Mythe de l’île dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 354-355.
119
Voir MH, p. 483.
310 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
120
Ibid., p. 500-501.
121
Ibid., p. 501.
122
« Le mythe de l’île dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 361.
LES POÈMES DE JEUNESSE 311
123
JC, p. 28.
124
Ibid., p. 99.
125
COMENIUS, Le Labyrinthe du Monde et le Paradis du Cœur, op. cit., p. 16.
312 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
126
Ébauchée vers 1933 sous forme d’un jeu littéraire avec ses amis André Fraigneau
et Gaston Baissette, d’abord publiée en 1939 dans Les Cahiers du Sud sous le titre
Ariane et l’Aventurier, reprise par l’auteur, en 1944, révisée en 1956-1957, Qui n’a
pas son Minotaure ? est finalement parue en volume en 1963.
127
« Aspects d’une légende », Th II, p. 178.
128
Ibid., p. 179.
129
C’est Autolycos qui à la scène VII, après que son maître Thésée, confondant sa
propre image avec celle de son père, a brisé le fragile édifice crétois, s’exclame : « Le
peu qui reste de ce fameux Labyrinthe n’est guère formidable. Est-ce contre ces murs
de carton-pâte, contre ces parois plaquées de miroirs déformants que Thésée s’est
battu ? », QM, Th II, p. 215.
130
Ibid., p. 178.
LES POÈMES DE JEUNESSE 313
131
La pièce s’ouvre d’ailleurs sur les hésitations de sire Laurent qui demande à son
compagnon de voyage : « Frère Candide, êtes-vous sûr que nous ne nous soyons pas
trompés de route ? ». À quoi celui-ci répond : « Je ne le pense pas, Monseigneur. Mais
on n’est jamais sûr de ne pas s’être trompé de route. », DM, Scène I, Th I, p. 181.
132
Voir Encyclopédie des symboles, op. cit., p. 348-349.
133
« Du Labyrinthe d’Icare au labyrinthe de Thésée », op. cit., p. 29.
134
JC, p. 78.
135
Ibid., p. 74.
314 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
136
Le Divan, vol. 12, septembre-octobre 1924, p. 430.
137
Le Manuscrit autographe, n° 24, novembre-décembre 1929, p. 112. Voir version
définitive, CA II, p. 7-12.
138
Revue mondiale, 15 juin 1930, p. 401. Voir version définitive avec plusieurs
variantes, CA II, p. 65.
139
PS, Th I, p. 151.
140
Voir JC, p. 74-79.
LES POÈMES DE JEUNESSE 315
l’amour véritable, celui des hommes. Pour cela, elle n’hésite pas, elle
aussi, à vouloir s’élever au dessus de sa condition et quitter la mer
pour la terre ferme : « Je désire des jambes humaines comme certains
hommes, dit-on, ont désiré des ailes » dit-elle à la Sorcière des eaux
qui, comme Dédale tentant en vain de décourager son fils, condamne
le geste de l’impertinente : « Tu commets le crime suprême : tu veux
changer d’élément, changer d’espèce. » N’était-ce pas également la
volonté d’Icare qui voulait se transformer en oiseau libre de ses
mouvements ? D’ailleurs la Petite Sirène ne le rejoint-elle pas quand,
à la fin de la pièce, elle préfère répondre à l’appel des Oiseaux-Anges
qui lui promettent de voler avec eux « par-delà l’écume, par-delà
l’espace ! Dans la tempête ! Dans le soleil !… »141 plutôt que de
regagner sa maison sous les vagues ?142
141
PS, Th I, p. 172-173.
142
Voir ibid., p. 171-172.
143
Voir JC, p. 60-63.
144
YO, p. 53.
316 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
poème. Elle indique également que cette publication s’impose car elle
compte longuement évoquer dans le troisième tome du Labyrinthe du
monde, Quoi ? L’Éternité ces deux passages dignes d’être sauvés du
naufrage de son premier livre. 145
Le seul passage qui puisse encore me toucher est celui (le premier
de mes nombreux portraits de vieillards) où le vieux Dédale attend
la mort dans une chambre du labyrinthe de Crète. Très influencé
par Faust, j’imagine, et peut-être n’a-t-il gardé une certaine valeur
pour moi que parce que mon père, qui avait gardé quelque
attachement pour ce livre enfantin, me rappela plusieurs fois cette
page sur son lit de mort.146
145
Voir lettre à Claude Gallimard, 28 novembre 1978, Fonds Yourcenar.
146
Notes envoyées à P. de Rosbo le 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
LES POÈMES DE JEUNESSE 317
Le Jardin des chimères est le devoir soigné d’une bonne élève qui
a lu La Légende des siècles et tente de donner une dimension
philosophique nouvelle au mythe d’Icare : il annonce ainsi les
réévaluations mythologiques qui formeront la matière d’une part
essentielle du théâtre de Yourcenar. […] Cloîtrée dans son rêve
littéraire, la jeune mythographe n’a pas encore pris la juste mesure
de la réalité grecque, faite de légendes qui ne veulent pas mourir
mais aussi de chair et de sang. L’ironie lui fait défaut qui
permettra plus tard de relativiser le mythe. Du moins découvrons-
nous ici comme une amorce de quelques thèmes déjà obsédants.
Icare, le héros prométhéen attiré par la clarté solaire, est un être de
désir que son amour de l’absolu met en marge d’une société
peureuse ; il a des fièvres intellectuelles qui font songer à ces
expérimentateurs que seront Hadrien et Zénon.149
C’est en cela que l’on peut parler de précocité d’un poète non
encore libéré du carcan de l’imitation et des influences flagrantes,
mais qui pressent déjà que les questions qu’il se posait à seize ans le
hanteront durant toute son existence. C’est d’ailleurs une des
caractéristiques majeures de l’œuvre de Yourcenar qui n’a cessé de
reprendre les mêmes thèmes, de réinterroger les mêmes questions,
d’investir les mêmes territoires, mais sous des éclairages, des angles
d’approche chaque fois différents. Quête d’absolu, de liberté spatiale
et spirituelle, solitude de l’homme face à sa destinée, parcours
chaotique de celui-ci portant en lui le labyrinthe-prison dans lequel il
147
Ibid.
148
« Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 95.
149
« L’hellénisme vivant de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 55-56.
318 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
150
Lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar.
151
Voir notes envoyées à P. de Rosbo le 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
152
« Aspects de la temporalité dans la poésie de Marguerite Yourcenar avant 1939 »,
op. cit. p. 57.
LES POÈMES DE JEUNESSE 319
153
« Prière », DPM, p. 199.
320 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
fille à tenter leur chance ailleurs154. Les Dieux ne sont pas morts paraît
donc en 1922 aux éditions Sansot/R. Chiberre éditeur, toujours sous la
signature « Marg Yourcenar ». Le titre, bien dans l’air du temps,
pourrait être, comme le suggère Michèle Goslar155, une réponse à la
biographie romancée de Julien l’Apostat, La Mort des Dieux, de
l’écrivain russe Dimitri de Merejkovski parue en 1900 et lue avec
application par l’adolescente. Il est possible qu’elle ait été également
inspirée par des titres emblématiques de l’époque comme Le
Crépuscule des Dieux de Richard Wagner (1876), Le Crépuscule des
idoles de Nietzsche (1888), ou encore Les Dieux ont soif d’Anatole
France (1912). Alors que Le Jardin des Chimères était dédié à son
père, son deuxième livre l’est à celle qui n’est pas encore la troisième
épouse de celui-ci, dans une étonnante formule : « A ma précieuse
amie Christine Hovelt » . La rubrique « Du même auteur » comporte
Le Jardin des Chimères qu’elle n’a pas encore renié et annonce « en
préparation » deux titres : « Le Labyrinthe du Monde, de Comenius
(1623), traduction. » et « L’Holocauste ». Aucune de ces deux
publications ne verra le jour.
154
Rappelons également qu’au début du siècle dernier la Librairie académique Perrin
est surtout spécialisée dans les ouvrages d’histoire et les livres de mémoires alors que
Sansot a publié à compte d’auteur de nombreux poètes en vue.
155
Voir Marguerite Yourcenar. « Qu’il eût été fade d’être heureux », op. cit., p. 101.
156
« Le Retour d’Aphrodite », DPM, p. 127.
LES POÈMES DE JEUNESSE 321
157
« Les Rafales », ibid., p. 9-11.
158
N’oublions pas que l’adolescente compose ces poèmes durant la première guerre
mondiale.
159
DPM p. 11.
160
Ibid., p. 15.
322 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
l’adolescente était sans doute de faire tenir en quelques pages tous les
enseignements de cette Grèce ancienne qu’elle admire, d’évoquer tous
les penseurs et poètes qui firent sa renommée, de parcourir ses
paysages les plus célèbres. Ce qui passionne Yourcenar entre 1915 et
1920, ce n’est pas la naissance de l’Art Nouveau et les premiers pas
des écrivains de la Nouvelle Revue Française, c’est « Vivre au siècle
de Praxitèle »161, « Adorer Cypris immortelle »162, « Écouter les vers
d’Euripide »163, ou encore « Entendre rire Aristophane ! »164. Cette
admiration sans borne et sans nuance prend, comme dans bien
d’autres poèmes, des allures d’inventaire des merveilles. Telle l’élève
studieuse et appliquée qui veut étaler son savoir, elle transforme son
poème en véritable « Who’s Who » de l’Antiquité grecque mêlant
dieux, héros, artistes et penseurs admirables qui dessinent son
panthéon personnel, peuplé des figures légendaires de l’époque : Éros,
Thanatos, Platon, Socrate, Euripide, Aristophane, Phidias, Praxitèle,
Pallas, Agathon… Au-delà des personnages mythiques ou historiques
qu’elle met en avant dans « Regrets helléniques », c’est tout l’art de
vivre qui s’est développé sur les bords de « la mer rieuse
d’Athènes »165 qu’elle entend célébrer dans ce pays où elle rêve
d’ « Avoir sa petite maison,/ Son jardin aux fraîches fontaines/
Coulant sans bruit sur le gazon… »166 On songe à certains vers de
Louise Colet qui succomba, elle aussi, plus d’un demi siècle plus tôt, à
la magie des ruines et des divinités athéniennes167.
Bien d’autres poèmes des Dieux ne sont pas morts évoquent
cette Grèce bucolique et spirituelle où les divinités descendent
volontiers de leur Olympe pour dialoguer avec les mortels.
« Autrefois », plus qu’un autre poème, restitue l’enchantement de ces
antiques « cités de rêve et de délices » dont le poète se demande s’il
les a connues ou si elles existent seulement dans son cœur :
161
Ibid., p. 16
162
Ibid.
163
Ibid., p. 19.
164
Ibid.
165
Ibid., p. 16.
166
Ibid.
167
Voir en particulier le poème de Louise Colet, « Aux clartés du matin » (Ce qu’on
rêve en aimant, 1854).
LES POÈMES DE JEUNESSE 323
172
Parmi les autres poèmes des Dieux ne sont pas morts qui célèbrent explicitement la
civilisation hellénique, notons « L’Iliade », p.39, « Le Marchand de statuettes
d’argile », p. 63, « Paroles d’Ariane », p. 75-76, « Sous L’oranger », p. 79,
« L’Holocauste », p. 95, « Antibes », p. 99, « Lecture au crépuscule », p. 114, « Le
Retour d’Aphrodite », p. 125-127, « L’île des bienheureux », p. 153-155, « La
Joueuse de sistres », p. 167, « Aphrodite Ourania », p. 179-187, « Prière », p. 199,
« Ode à la gloire », p. 211-213.
173
Ibid., p. 83.
174
Ibid., p. 34.
175
Ibid.,
176
Voir « Chronologie », OR, p. XV.
177
Voir en particulier « Le Trophée d’Auguste », DPM, p. 100.
LES POÈMES DE JEUNESSE 325
Mais les dieux gréco-romains ne sont pas les seuls à hanter les
rêves du poète. Par une sorte de syncrétisme littéraire et de brouillage
de la chronologie historique, il introduit dans Les Dieux ne sont pas
morts des divinités orientales et fait même une place à la civilisation
chrétienne. Plusieurs poèmes, en effet, abandonnent toute référence à
l’Antiquité pour visiter d’autres territoires. La suite de poèmes
« Broderies persanes », propose une plongée poétique parmi les
Sultanes et les jets d’eau magiques des jardins d’Orient. Dans
178
Ibid., p. 159.
179
Ibid.
180
Ibid., p. 149.
326 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
181
Ibid., p. 134.
182
Ibid., p. 135.
183
Ibid., p. 137.
184
Ibid., p. 109.
LES POÈMES DE JEUNESSE 327
185
Ibid., p. 110-112.
186
Ibid., p. 113.
187
Ibid., p. 114.
188
Ibid., p. 109.
189
Ibid., p. 110.
190
Ibid., p. 111.
191
Ibid., p. 113.
192
« L’An nouvel » et « L’étoile éteinte », ibid., p. 117-120.
193
Voir en particulier « L’An nouvel », ibid., p. 117-118.
194
Voir « Visions », ibid., p. 148.
195
Ibid., p. 128.
196
Voir « Saint Sébastien », ibid.
328 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
197
Un autre poème, « Le Château merveilleux » est assurément de la même
inspiration. Ibid., p. 110-112.
198
Ibid., p. 24.
199
Ibid., p. 26.
200
Ibid., p. 23.
201
Ibid., p. 24.
202
Ibid.
203
Ibid., p. 25.
204
Ibid.
205
Ibid., p. 24.
LES POÈMES DE JEUNESSE 329
206
Ibid., p. 26.
207
Ibid., p. 44.
208
Ibid., p. 99.
209
Remarquons que l’écrivain supprimera ce vers dans la version très remaniée du
sonnet qu’elle effectua en 1934 et qu’elle publiera dans les deux éditions des Charités
d’Alcippe sous le titre « Colonie grecque ». Voir CA II, p. 57.
210
« Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 107.
330 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
211
DPM, p. 99.
212
Ibid., p. 100.
LES POÈMES DE JEUNESSE 331
« (Pour les rêveurs amis des secrets et des charmes, /Tout miroir a
gardé les Ombres de jadis) »213.
Ces ombres de jadis, Yourcenar les a souvent retrouvées en
contemplant les chefs-d’œuvre de la statuaire antique, puissant
véhicule de son imagination baignée d’hellénisme. Dans le sonnet
« L’Apparition », elle réanime la statue endormie de « [l]’éphèbe
Antinoos aux jardins de Tibur »214, personnage qui sera bien des
années plus tard une des figures les plus émouvantes de Mémoires
d’Hadrien, et qui fait son « apparition » dans l’œuvre yourcenarienne
avant l’illustre empereur. Lorsqu’elle compose ce sonnet, elle n’a pas
encore foulé le sol italien ni visité la Villa Adriana, qu’elle ne
découvrira qu’en 1924. C’est donc sans doute à partir d’une
reproduction qu’elle recrée poétiquement la statue du favori d’Hadrien
« parmi les débris détachés de sa stèle »215 :
213
Ibid., p. 123.
214
Ibid., p. 71.
215
Ibid.
216
Ibid.
217
« Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 104.
332 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
218
DPM, p. 203.
219
Ibid.
220
Ibid.
221
Ibid., p. 204.
222
« La joueuse de sistres », ibid., p. 167.
LES POÈMES DE JEUNESSE 333
Il existe donc dès Les Dieux ne sont pas morts, une méditation
intime sur le temps, son œuvre, ses ravages mais aussi ses promesses
et ses possibilités infinies. Elle se double d’une intense poétique des
ruines que Yourcenar cultivera tout au long de son existence. Comme
nous l’avons souligné, ce deuxième livre publié est déjà plein
d’espaces en décomposition, palais en ruines, temples oubliés, cités
ensevelies, statues mutilées… dont elle fait dès cette époque la source
de sa rêverie poétique. Car la « chance » qu’a eue la jeune fille,
comme elle le confie à Matthieu Galey, c’est d’avoir découvert
« l’Antiquité sur le terrain » et pas seulement dans les livres, en
visitant les sites gréco-romains du sud de la France et de l’Italie :
223
L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., vol. 2, p. 952 et 954.
224
YO, p. 56.
334 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
pas morts, qu’il n’en ait pas toujours été ainsi. Car à côté des dieux et
héros de l’Antiquité, de nombreuses figures féminines mythiques ou
historiques, de tous les temps et de civilisations différentes, lui ont
inspiré de très nombreux vers et sont le sujet d’ambitieux poèmes. Il
semble, en fait, que l’adolescente qui se cherche des modèles dans
l’histoire, la mythologie et la littérature universelles, ait,
consciemment ou pas, privilégiée les incarnations féminines qui
peuplent l’ensemble du recueil. « Nymphes amoureuses »225,
« prêtresses aux gestes calmes »226, « Déesses de la Terre »227,
« danseuses de l’Inde »228 ou encore « Sirène endormie »229, elles
tissent à l’intérieur du recueil une série de liens secrets et de
correspondances. Quand elle rêve de vivre au cœur de la glorieuse
Athènes, c’est bien sûr pour côtoyer Socrate ou Praxitèle, c’est aussi
pour vivre au siècle de « la savante Aspasie »230, pour adorer « Cypris
immortelle »231 et devenir l’amie de « Diotime aux yeux de clarté »232.
Il est presque logique de lire, dans une très emphatique prière adressée
à « ma riante Hébé », que l’adolescente se tourne vers la fille de Zeus,
déesse de la jeunesse, pour lui offrir ses premiers vers afin de la
remercier de lui avoir « versé le vin de poésie »233. C’est sous le
patronage de Catulle, dont elle dit s’être inspirée, qu’elle dresse un
autel au violent masochisme d’Ariane, qui implore l’inconstant
Thésée de faire d’elle son esclave, dans ses implorantes « Paroles
d’Ariane »234. Comme le note Denys Magne, dans ce poème
l’expression précoce de la soumission féminine à la passion et à l’être
aimé est peut-être annonciatrice de certains épisodes de Feux ou du
caractère de Sophie, l’héroïne du roman Le Coup de Grâce235. De la
même manière, on ne peut s’étonner de voir la jeune Yourcenar mettre
en avant une très fascinante impératrice d’Orient236 et beaucoup
225
« Les Rafales », DPM, p. 9.
226
« Regrets helléniques », ibid., p. 17.
227
Ibid., p. 19.
228
« Le Palais du passé », ibid., p. 25.
229
« Placidum mare », ibid., p. 172.
230
« Regrets helléniques », ibid., p. 15.
231
Ibid., p. 16.
232
Ibid.
233
« Prière », ibid., p. 199.
234
Ibid., p. 75-76.
235
Voir « Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 102.
236
Voir « Théodora », DPM, op. cit., p. 109.
LES POÈMES DE JEUNESSE 335
d’autres femmes qui ont marqué l’histoire ancienne et les rêves des
poètes237.
Une figure récurrente semble toutefois dominer Les Dieux ne
sont pas morts, celle de la déesse Aphrodite à laquelle sont consacrés
pas moins de trois poèmes qui mettent en scène, sous divers masques
et métamorphoses, la plus illustre séductrice de la mythologie. Ces
trois longs poèmes témoignent de la fascination que devait susciter
chez l’adolescente ce mythe protéiforme qu’elle revisite en explorant
les divers aspects qu’il a pris à travers le temps et les civilisations
anciennes. Ce qui caractérise la vision yourcenarienne de la déesse,
c’est qu’elle incarne une multitude de silhouettes féminines dont
Yourcenar dessine les contours. Dans le poème « Le Retour
d’Aphrodite », elle annonce une sorte de résurrection de l’antique
déesse à la « tranquille beauté »238 qui retrouve la virginité de sa
naissance marine. Pureté, nudité pudique, adoration universelle…
c’est un aspect paisible et rassurant d’Aphrodite que célèbre le poème
qui annonce un retour plein de promesses de la « Déesse adorée aux
pays du Levant »239.
En fait, le retour annoncé de la déesse grecque est une
métamorphose, voire une naissance : celle de Vénus. Même si
l’incarnation latine de l’Aphrodite grecque n’est nommée nulle part,
c’est bien elle qu’il s’agit de fêter. La fin du poème annonce d’ailleurs
une nouvelle incarnation de la déesse vierge et pure en Marie, telle
que l’ont imaginée les peintres de la Renaissance italienne dont les
représentations de Vénus et de la Madone ont dû influencer la vision
du poète. Ce que célèbre Yourcenar en ce « Retour d’Aphrodite »,
c’est une sorte de passage de témoin entre « la Muse nouvelle et
l’antique Madone »240 du dernier vers.
Le cycle des « incarnations » s’amplifie dans le très long
poème consacré à « Aphrodite Ourania », dans lequel le poète revient
à la source classique qui fait d’Aphrodite Ourania la déesse de
237
Parmi ces dizaines de figures féminines éparpillées dans l’ensemble du recueil,
citons Charmide, Séléné, Artémis, Léda, Daphné, Cassandre, Marie… sans compter
les nombreuses évocations de femmes anonymes, danseuses, musiciennes, paysanne,
vieille mendiante, sultanes, princesses… qui partagent avec les déesses et les figures
mythiques l’espace poétique yourcenarien.
238
DPM, p. 127.
239
Ibid., p. 126.
240
Ibid., p. 127.
336 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
l’amour pur, fière de sa « splendeur que nul désir n’atteint »241. C’est
une « céleste Aphrodite »242 éternelle et maîtresse de l’univers, du
temps et du destin des hommes, que le poète chante en pas moins de
132 alexandrins. Tout vit à son rythme et selon son bon vouloir :
241
Ibid., p. 179.
242
Ibid., p. 182.
243
Ibid., p. 180-181.
244
Ibid., p. 181.
245
Ibid., p. 184.
246
Ibid.
247
Ibid.
248
Voir « Marie-Madeleine ou le Salut », F, p. 1095-1103.
LES POÈMES DE JEUNESSE 337
Marie »249) et alors que des siècles plus tard, la Raison triomphe,
Aphrodite achève ses métamorphoses :
249
DPM, p. 185.
250
Ibid.
251
Ibid., p. 186.
252
Ibid.
253
Ibid., p. 57.
254
Ibid., p. 58.
255
Ibid.
338 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
256
Ibid., p. 59.
257
Ibid., p. 52.
258
Ibid., p. 56.
259
Ibid., p. 60.
260
Ibid., p. 52.
261
Ibid.
262
Remarquons qu’outre les trois poèmes où Aphrodite est le thème central, la figure
multiple de la déesse est présente dans l’ensemble du recueil. Voir en particulier les
poèmes suivants : « L’Iliade », p. 39 ; « Aujourd’hui », p. 91 et « La Joueuse de
sistres », p. 167.
LES POÈMES DE JEUNESSE 339
263
« Marguerite Yourcenar ou la longue fidélité », Bulletin de la SIEY, n° 2, juin
1988, p. 21.
264
DPM, p. 123.
265
Ibid.
266
Ibid. Notons que le célèbre couple inspire un autre sonnet à Yourcenar, sous le titre
« Dante et Béatrice », ibid. p. 124.
267
Ibid.
268
Sur l’influence des poètes italiens du Moyen Âge et de la Renaissance sur
plusieurs œuvres de jeunesse de M. Yourcenar, voir Camillo FAVERZANI, « Une
origine de l’expérience poétique chez Marguerite Yourcenar : l’œuvre de Dante »,
Origine et finalité de l’œuvre poétique, textes réunis et présentés par Alain
SUBERCHICOT, Clermont-Ferrand, Centre de recherche sur les littératures
modernes et contemporaines/Université Blaise Pascal, 1992, p. 77-99.
340 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
269
« Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 101-102.
270
« Paganisme », DPM, p. 68.
LES POÈMES DE JEUNESSE 341
Plus que Le Jardin des Chimères, Les Dieux ne sont pas morts
est un ballon d’essai, un champ d’expériences poétiques, le brouillon
de l’œuvre non encore accouchée. Si son premier livre publié, dont la
construction montre bien l’ambition, trahit l’influence assumée de
Hugo et des romantiques, Les Dieux ne sont pas morts semble devoir
beaucoup aux poètes du Parnasse qu’elle rejettera plus tard. Ou encore
aux symbolistes, en particulier Maeterlinck, comme le souligne Denys
Magne271. Mais le Hugo des Orientales s’y fait aussi parfois sentir,
selon Pierre L. Horn272 ou encore le Baudelaire des rêveries exotiques
et des parfums d’ivresse. Yourcenar reconnaissait elle-même que dans
ces poèmes sages et appliqués « on retrouvait un peu tous les poètes
de la fin du XIXe siècle »273. Naturellement, le poète inexpérimenté est
victime de ses premières amours poétiques dont la trace est encore
trop visible dans l’ensemble du recueil.
Tout aussi discrètement accueilli que Le Jardin des Chimères,
le volume suscite tout de même quelques échos contrastés dont
Yourcenar ne gardera que peu de souvenirs. « Pour Les Dieux ne sont
pas morts, je ne me souviens plus, mais il y eut des éloges, plus que
n’en méritaient ces malheureux vers, et aussi, à ce qui me semble, un
ou deux éreintements. » écrit-elle à Denys Magne274. Dans Le Divan,
François Serzais affirme : « Mme Marg. Yourcenar sait […] faire
preuve d’une habileté heureuse et d’une sensibilité un peu convenue
mais attirante »275. Le livre retiendra également l’attention du poète
traditionaliste et critique André Fontainas qui lui consacra un article
plutôt favorable dans le Mercure de France :
271
Voir « Deux œuvres de jeunesse de Marguerite Yourcenar », op. cit., p. 107-108.
272
Voir Marguerite Yourcenar, Boston, Twayne Publishers, 1985, p. 86.
273
YO, p. 53.
274
Voir lettre du 17 juillet 1975. Citée par D. Magne dans Bibliographie critique de
Marguerite Yourcenar, op. cit.
275
« Memento », Le Divan, n° 82, septembre-octobre 1922, p. 449.
342 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
276
André FONTAINAS, « Revue de la quinzaine : les poèmes », Mercure de France,
n° 597, 1er mai 1923, p. 749-750.
277
Voir note envoyée à P. de Rosbo le 24 avril 1969, Fonds Yourcenar. Remarquons
que l’envoi au pilon de ce deuxième livre se déroule dans un contexte très différent du
premier. C’est après la mort de son père que M. Yourcenar décide de faire détruire les
exemplaires d’un livre dans lequel elle ne se reconnaît plus et dont les nombreux
invendus devait lui rappeler l’échec de ses premières tentatives littéraires. Il s’agit
pour la jeune femme de solder son passé, au moment où elle devient une adulte qui
doit s’assumer entièrement après le deuil paternel et s’apprête à publier son premier
roman, promesse d’un nouveau départ pour sa carrière d’écrivain.
278
Ibid.
279
YO, p. 53.
280
Lettre à Olga Peters, 20 mai 1950, Fonds Yourcenar.
281
Lettre à Denys Magne, 15 avril 1973, Fonds Yourcenar.
LES POÈMES DE JEUNESSE 343
282
Marguerite Yourcenar à la surface du temps, op. cit., p. 40.
283
L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire,
vol. 2, op. cit., p. 941.
284
Blanca ARANCIBIA, « Marguerite Yourcenar ou la longue fidélité », op. cit.,
p. 23.
344 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
N’y a-t-il pas déjà dans ces quelques vers ambitieux tout le
programme littéraire et existentiel de Yourcenar ?
285
DPM, p. 212-213.
286
Voir Anne MOUNIC, « Le Sens du merveilleux ou les mythes grecs en poésie
moderne à travers les exemples d’Edwin Muir, Robert Graves et Ruth Fainlight »,
Desmos, n°10-11, octobre 2002, p. 158-161.
287
Rappelons que M. Yourcenar, âgée de onze ans au début du conflit, a toutefois
connu l’exil en Angleterre puis le Paris de la guerre.
288
DPM, p. 89.
LES POÈMES DE JEUNESSE 345
Fin 1922, alors qu’elle n’a pas encore vingt ans, Marguerite
Yourcenar a déjà à son actif deux œuvres poétiques éditées, Le Jardin
des Chimères et Les Dieux ne sont pas morts dont elle affirmait encore
à la fin de sa vie que son père n’aurait pas dû les faire paraître289. Mais
en ce début des années 1920, le jeune poète a encore bien des illusions
et des projets de recueils de poèmes en préparation. Comme nous
l’avons signalé, lorsqu’elle fait paraître ses deux premiers livres, elle
indique à ses lecteurs potentiels qu’ils doivent s’attendre à découvrir
prochainement chez leur libraire d’autres titres de la novice « Marg
Yourcenar » : La Belle au bois dormant, L’Holocauste, L’Épée et le
miroir, Irène aux Cygnes blancs. Aucun de ces titres ne verra le jour.
Nous savons toutefois que Yourcenar a bien entrepris à cette époque
la composition du livre intitulé L’Holocauste dont un extrait est publié
dans Les Dieux ne sont pas morts. Il s’agit d’un nouveau poème
dialogué à la gloire de la culture grecque ancienne, à la manière du
Jardin des Chimères, dans lequel le « chœur des citharistes » célèbre
la « [l]yre d’or, volupté des fêtes !/ Orgueil sonore des poètes »290.
On ignore pourquoi Yourcenar n’a pas tenu son programme
de publications poétiques annoncé à la rubrique « en préparation » de
ses deux premiers livres. Peut-être l’accueil plutôt tiède et la diffusion
confidentielle du Jardin des Chimères et des Dieux ne sont pas morts
l’ont-elle découragée d’affronter à nouveau l’épreuve de l’édition à
compte d’auteur. Sans doute ne veut-elle pas faire supporter à son
père, qui connaît depuis quelques années des problèmes financiers, le
coût d’une telle entreprise, qui put lui paraître un luxe inutile. Il se
peut également qu’elle ait très vite tiré les leçons de ces publications
hâtives, jugeant déjà sa production peu digne de passer à la postérité.
Par ailleurs, c’est après la publication de ses deux tentatives d’écriture
poétique, qu’elle s’attelle sérieusement aux grands chantiers
romanesques qu’elle a nommés par la suite « mes projets de la
vingtième année ». Elle commence également à voyager hors de
France, en Italie qu’elle découvre en 1922, mais aussi en Suisse, en
Allemagne…
289
Voir « Une interview de Marguerite Yourcenar », entretien avec Shusha Guppy,
op. cit., PV, p. 380.
290
DPM, p. 95-96.
346 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
291
L’Humanité, 13 juin 1926, p. 2. Repris dans « Marguerite Yourcenar », catalogue
de la Librairie-Galerie René Kieffer, Paris, 1994, p. 2-4.
292
Ibid., p. 4.
293
« Chronologie », OR, p. XVI.
LES POÈMES DE JEUNESSE 347
294
Pour la liste et les références bibliographiques complètes des poèmes, voir
« Poèmes publiés dans des revues » dans la bibliographie figurant en fin de volume.
350 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
295
Voir Bibliographie critique de Marguerite Yourcenar, Fonds Yourcenar, p. 113.
296
Il s’agit de « Les Mains invisibles », « Rosae Angelicae », « In Memoriam
Musarum », « Dolor Marmor » et « La Citerne du temps ».
LES POÈMES DE JEUNESSE 351
cas chez Yourcenar, les deux mondes se rejoignent pour n’en faire
qu’un dans le cœur du poète. Trois sculptures admirées à Florence lui
inspirent une « Trilogie héroïque » accueillie par la revue Poésie en
1925. Il s’agit de trois sonnets écrits, « [e]n mémoire de deux bronzes
et d’un marbre florentins. » Le premier, « Persée » que le poète a
sous-titré « L’Artiste » s’inspire du célèbre bronze de Cellini conservé
à la Loggia dei Lanzi297. Comme il le fait souvent quand il s’agit d’une
œuvre d’art dont il entend livrer les secrets, le poète se glisse à
l’intérieur de la culture cellinienne et de l’âme de Persée pour évoquer
sa lutte victorieuse contre « la Méduse invulnérable au fer ». Si
Yourcenar respecte le moindre détail du mythe, elle va plus loin que la
lisse admiration de la beauté plastique de la sculpture de Cellini qui
célèbre le courage, la gloire et la beauté triomphale de Persée. Son
poème s’attarde plutôt sur l’aspect sombre de la victoire avec des
images violentes de « nocturne enfer », de cadavre, de « seins
meurtris », de « sang voluptueux [qui] empoisonne la mer »… Car le
crime de Persée se confond ici avec un acte d’amour barbare :
« Amant ou meurtrier, l’ivresse est toujours brève. »
Le deuxième sonnet, « David », qui a pour sous-titre « Le
Croyant », renferme lui aussi un monde violent et implacable. Baigné
du sang du péché, du remords de la « faute et la douleur » et de
l’ « âme insatisfaite » du roi d’Israël, il contraste avec la beauté calme
et hautaine du marbre de Michel-Ange qui l’a inspiré. Seul le
troisième sonnet, « L’Idolino », sous-titré « L’Athlète » restitue une
image parfaite et sereine de la beauté antique, telle que Yourcenar l’a
si souvent célébrée dans ses poèmes de jeunesse, inspirés de marbres
ou de bronzes admirés dans les musées européens. On retrouve
d’ailleurs, dans d’autres poèmes que ceux de la « Trilogie héroïque »,
cette interrogation de l’œuvre d’art, considérée à la fois comme
étincelle du rêve ou de la méditation poétiques et moyen d’atteindre le
cœur des choses, qui caractérise un certain nombre de ses écrits. Ainsi
dans le sonnet « Dolor Marmor », écrit en 1924 et publié en 1928 dans
La Revue des jeunes, elle interroge les blocs de marbre de Carrare
avant que le maillet du sculpteur ne leur ait donné vie : « Tout pleure
la douleur des marbres / Rêvant en vain d’être sculptés.»
297
Lorsqu’elle republie ce sonnet dans la seconde édition des Charités d’Alcippe
(1984), M. Yourcenar modifie légèrement le titre qui devient « Persée de Cellini ».
Voir CA II, p. 61.
352 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
298
En 1973, elle écrit à D. Magne : « J’ai été touchée de votre goût pour Endymion,
que je crois en effet un de mes meilleurs poèmes ». Voir Lettre à Denys Magne, 15
avril 1973, Fonds Yourcenar.
LES POÈMES DE JEUNESSE 353
299
Lettre à Jean Roudaut, 18 novembre 1978, L p. 596-597.
LES POÈMES DE JEUNESSE 355
300
Voir CA I, p. 14-15 et CA II, p. 26.
301
Voir CA II, p. 27.
356 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
demeurera une question centrale dans son œuvre, il prend une place
particulièrement grande dans les poèmes des années 1920-1930. Ne
va-t-elle pas choisir en 1933, comme titre à l’un de ses livres, La Mort
conduit l’attelage, formule qui caractérise certains aspects de sa
poésie de ces années-là. En janvier 1929, elle donne à La Revue
mondiale « Quatre épigrammes funéraires imitées de Michel-Ange »
qui s’inspirent des poèmes composés par l’auteur de Rime à la mort de
son bien-aimé Cecchino Bracci. Il s’agit de quatre quatrains qui
forment un dialogue post-mortem entre l’amant inconsolable (« Si
c’était pour mourir pourquoi m’avoir aimé ? »), le disparu (« Mon
souvenir en toi n’est qu’un songe attristé ») et la mort (« Mort, tu
m’empêches d’être ! Oubli, d’avoir été ! »). Deux ans plus tard,
Yourcenar reprendra son dialogue avec Michel-Ange dans un court
texte en prose, « Sixtine » (1931), dans lequel l’amour et la mort sont
encore intimement liés.
Si la mort est douleur et séparation, elle est aussi le lieu
paisible des ultimes retrouvailles des amants réunis dans la tombe,
comme dans « Une cantilène de Pentaour », poème composé en 1924,
publié quelques années plus tard dans la revue Point et Virgule et pour
lequel son auteur aura toujours une tendresse particulière302. La
référence au poème épique et lyrique dit de Pentaour, célébrant la
victoire de Ramsès II contre les Hittites, lors de la fameuse bataille de
Qadesh, plonge le lecteur au temps des anciens Égyptiens et de leur
fascinant culte des morts. Ici, le grand départ se fait caresse et
consolation :
302
Dans une carte postale inédite adressée de Louxor à Silvia Baron Supervielle le 29
janvier 1982, représentant des « Tombes de Nobles : Peintures murales dans la tombe
de Nakht », M. Yourcenar écrit : « Amicales pensées et aussi le souvenir de la
cantilène de Pentaour ». Voir Archives S. Baron Supervielle. La fresque de la tombe
de Nakht représentée sur la carte postale est une scène de banquet funéraire célèbre où
trois musiciennes suivent un porteur d’offrandes, d’où sans doute la référence quelque
peu cryptique au poème « Une Cantilène de Pentaour », écrit presque soixante ans
plus tôt.
358 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
303
Voir R. B PARKINSON, « Textes ou poèmes ? Quelques perspectives nouvelles
sur les œuvres littéraires du Moyen Empire », traduit de l’anglais par Laurent
COULON, Égypte Afrique & Orient, n˚ 31, octobre 2003, p. 47-50.
304
Ibid., p. 48.
LES POÈMES DE JEUNESSE 359
306
Voir « Album de vers anciens », Fonds Yourcenar, op. cit. Repris par Michèle
GOSLAR, Marguerite Yourcenar. « Qu’il eût été fade d’être heureux », op. cit.,
p. 109.
307
Ibid.
LES POÈMES DE JEUNESSE 361
308
Vous, Marguerite Yourcenar. La passion et ses masques, Robert Laffont, 1995,
p. 51-52.
309
Voir Marguerite Yourcenar. « Qu’il eût été fade d’être heureux », op. cit.
310
Voir lettre à Jeanne Carayon, 3 août 1973, L, p. 406.
362 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
311
Il est intéressant de rapprocher les poèmes pleins de dévotion et de lyrisme
consacrés à Jeanne de Vietinghoff-Isolde en 1929 et le tombeau en prose qu’elle lui
consacre la même année sous le titre « En mémoire de Diotime : Jeanne de
Vietinghoff » [voir TGS, p. 408-414]. Contrastant avec les émotions exacerbées des
poèmes, il s’agit d’un hommage à la riche personnalité, aux vertus et à la bonté de
« cette femme exceptionnelle » qui n’a cessé d’incarner aux yeux de Yourcenar « la
noblesse de l’âme » et dont les livres exprimaient « le poème de la vie ». Non plus
Isolde mais Diotime, l’initiatrice de Socrate qui a su conjuguer passions terrestres et
quête de l’infini, J. de Vietinghoff incarne parfaitement ce « génie du cœur » que
Yourcenar recherchera en chaque être qu’elle croisera. Sur les détails des rapports
entre J. de Vietinghoff et M. Yourcenar, on peut lire le chapitre intitulé « Jeanne de
Vietinghoff, Diotime », M. GOSLAR, Marguerite Yourcenar. « Qu’il eût été fade
d’être heureux », op. cit., p. 77- 92.
LES POÈMES DE JEUNESSE 363
Thème à romance
A quolibet,
La nuit immense
N’est qu’un gibet.
312
Ibid., p. 89.
313
Voir « Album de vers anciens », Fonds Yourcenar.
364 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
[…]
Spectateur ivre
Du temps perdu,
Rien ne délivre
Pierrot pendu.
314
Ibid.
LES POÈMES DE JEUNESSE 365
dessiner ses poèmes, mêlant mots et formes. Mais le plus souvent ces
expérimentations formelles sont seulement visibles sur le manuscrit,
comme c’est le cas pour « Pierrot pendu ». Il est difficile de deviner le
point de départ de ce poème-jeu qui demeure un cas unique dans la
poésie de jeunesse de Yourcenar. Il semble toutefois que le thème la
poursuivait dans ses années de jeunesse, comme l’atteste un autre de
ses dessins qui représente à nouveau un Pierrot pendu. Il s’agit d’un
ex-libris que la jeune fille a dessiné à l’encre, sur la page de garde
d’un document intitulé « Cahiers – Poèmes grecs 1918-1979 » qu’elle
a conservé dans sa bibliothèque. Au cœur d’une nuit étoilée, Pierrot
pend au bout du gibet. Sous ses pieds, sur le sol, des livres sont
entassés. Le long de l’échelle posée contre le gibet, elle a écrit « ex-
libris Marguerite Yourcenar ». Au-dessus et au-dessous du carré
abritant le dessin, elle a inscrit : « Aspice Pierrot pendu/ Qui librum
n’a pas rendu/ Si librum reddidisset/ Pierrot pendu non fuisset. » Les
trois variations autour du thème de « Pierrot pendu » datent du tout
début des années 1920, durant lesquelles le poète multiplie les
expériences et élargit le territoire de son inspiration. Sans abandonner
l’héritage des anciens, il adopte dans certains poèmes un ton léger ou
ironique et joue avec les rythmes et les rimes en toute liberté, comme
dans « Pierrot Pendu ».
Ailleurs, son inspiration prend une tout autre direction,
comme dans « La Faucille et le marteau », publié dans L’Humanité, en
novembre 1926. Étonnant poème à saveur politique, unique dans la
production yourcenarienne, dans lequel le poète s’engage dans la voie
de la révolution pour sauver « les bouches universelles » et appelle de
ses vœux la construction « des cités à naître ». Quelques mois plus
tôt, Yourcenar avait publié dans le quotidien communiste créé par
Jaurès un texte en prose « L’homme couvert de dieux », allégorie par
laquelle elle racontait l’émancipation de l’homme à travers les siècles.
Avec « La Faucille et le marteau », elle entonne un chant à la gloire du
labeur nécessaire à l’homme pour inventer un monde nouveau. Le
poète utilise une imagerie rustique et grandiloquente dans laquelle la
faucille du paysan qui sème et récolte les graines de l’avenir se marie
avec le marteau du forgeron qui façonne les outils de sa révolte. Il
emploie une rhétorique violente et pompeuse, étonnamment conforme
aux envolées néo-bolcheviques d’un Henri Barbusse, l’auteur
emblématique du Feu (1916), figure dominante parmi les intellectuels
366 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
315
Notre analyse se base uniquement sur les revues dans lesquelles M. Yourcenar a
publié des vers entre 1924 et 1935. Il est toutefois probable qu’elle a sollicité, comme
bien des poètes inconnus avides de publier, d’autres périodiques qui n’ont pas retenu
ses poèmes.
LES POÈMES DE JEUNESSE 369
316
Le Rouge et le Noir, avril-mai 1929, p. 174.
370 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
319
Voir A. HALLEY, « Un texte oublié de Marguerite Yourcenar », Bulletin de la
SIEY, n˚ 24, décembre 2003, p. 23-27.
372 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
320
Lettre à Natalie Barney, 29 juillet 1963, L, p. 187-188.
321
Yourcenar emploie sans doute volontairement l’expression « poésie pure »
inventée par J. Royère et qui sera très importante pour elle.
LES POÈMES DE JEUNESSE 373
322
Yourcenar fait référence au virage néo-fasciste qu’a pris Jean Royère et La
Phalange à partir du début de 1938 lorsque la revue devient l’organe d’une autoritaire
« unité latine » et ouvre largement ses colonnes à Franco et Mussolini. Rappelons que
le seul poème que Yourcenar ait publié dans La Phalange l’a été dans le numéro du
15 décembre 1935, époque où la revue vouée au « néo-symbolisme élargi » est encore
honorablement considérée pour avoir publiée Larbaud, Milosz, Fargue, Fort…
323
Yourcenar fait référence au Prix Femina qui vient de lui être décerné pour
L’Œuvre au noir.
324
Lettre à Denise Bengnot, 8 janvier 1969, Fonds Yourcenar.
374 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
325
« L’Express va plus loin avec Marguerite Yourcenar », entretien avec Jean-Louis
Ferrier, Christiane Collange et Matthieu Galey, L’Express, 10-16 février 1969. PV, p.
73.
326
« Entretien avec Marguerite Yourcenar », entretien avec Françoise Faucher,
Télévision de Radio Canada, 27 janvier 1975. PV, p. 144.
LES POÈMES DE JEUNESSE 375
Relire, réécrire…
Poésie en chantier
1
OR [éd. 1991], p. 853.
2
« Marguerite Yourcenar et la perfection », Livres de France, n° 5, mai 1964, p. 2.
3
« Avec Marguerite Yourcenar à Paris », Le Figaro littéraire, 3 octobre 1959. PV,
p. 46.
4
Voir « Notes envoyées à Patrick de Rosbo », 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 379
5
Paul VALÉRY, « Littérature », Tel quel, Œuvres II, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1993 [1ère éd. 1960], p. 553.
6
Voir Fonds Yourcenar.
7
Lettre à Denys Magne, 15 avril 1973, Fonds Yourcenar.
380 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
8
Voir dossier « Affaires courantes », Fonds Yourcenar.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 381
9
Lettre à A. Curvers, 2 septembre 1956, HZ, p. 572.
10
Ibid
11
A. Curvers fait référence à la lettre de M. Yourcenar du 25 janvier 1954 dans
laquelle elle fait allusion à son sonnet « Ma fille », publié dans le premier numéro de
La Flûte enchantée.
12
A. CURVERS, lettre à M. Yourcenar, 29 septembre 1956, Fonds Yourcenar.
382 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
13
Lettre à C. Orengo, 2 septembre 1956, Fonds Yourcenar.
14
Dans un texte autographe de trois pages dans lequel elle résume les problèmes nés
suite à la publication de ses poèmes à La Flûte enchantée, M. Yourcenar écrit :
« J’acceptai sachant que je n’étais pas prête encore pour publier l’ensemble de mes
poèmes, et considérant cette entreprise comme une sorte de ballon d’essai. » Voir
Fonds Yourcenar, dossier « Affaires courantes ».
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 383
15
A. CURVERS, lettre à M. Yourcenar, 14 octobre 1956, document CIDMY.
16
Voir lettre à C. Orengo, 2 septembre 1956, Fonds Yourcenar.
17
Dans une lettre datée du 11 septembre 1956, il lui écrit : « Je suis très sensible à
l’offre que vous voulez bien me faire de réserver le recueil de poèmes aux éditions du
Rocher. C’est avec la joie que vous devinez que je vous réponds "d’accord" ».
Yourcenar lui répond le 22 septembre pour conclure l’affaire : « Nous voilà en
principe d’accord pour le projet Rocher […] Je vous remettrai le manuscrit des
Charités d’Alcippe cet automne. » Voir Fonds Yourcenar.
384 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
18
Voir lettre à A. Curvers, 15 septembre 1956, HZ, p. 575.
19
Voir « Chronologie », OR, p. XXVI. Il convient de noter que la datation précise des
poèmes de M. Yourcenar est problématique, tant les sources à notre disposition sont
peu fiables. Il s’agit principalement des dates de publication dans les revues mais
également des dates d’écriture et de modifications que l’auteur a fait figurer dans
l’édition définitive des Charités d’Alcippe (1984) ainsi que celles mentionnées dans
son cahier inédit intitulé Album de vers anciens. Nous avons pu vérifier que de
nombreuses dates étaient souvent imprécises, voire totalement fantaisistes, ce que
confirme Yvon Bernier qui a établi avec M. Yourcenar l’édition de 1984 des Charités
d’Alcippe. Voir entretien avec l’auteur, Québec, 19 avril 1998.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 385
20
Le titre choisi par M. Yourcenar était « Cinq sonnets pour une morte ».
21
CA I, p. 25.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 387
effectué, et peut-être aussi le clin d’œil malicieux d’un auteur qui aime
faire se rencontrer fidélité aux modèles anciens et innovation. Avec
« Poëme pour une poupée russe », nous touchons à la veine ludique et
légère que prend parfois la poésie de Yourcenar. Nous pouvons sans
doute rapprocher cette riante et colorée poupée russe des résonances
musicales et légères du poème « Pierrot pendu », écrit dix ans
auparavant. Comme dans ce poème, la gravité clôt « Poëme pour une
poupée russe ». Pierrot pendu, et la poupée russe, à l’image de
l’homme, ne sont que de dérisoires pantins :
22
Ibid.
23
Ibid, p. 19.
24
Ibid, p. 18.
388 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
25
Ibid
26
Ibid, p. 19.
27
Sur cette question, voir notamment Joan E. HOWARD, Sacrifice in the works of
Marguerite Yourcenar. From violence to vision, Carbondale, Southern Illinois
University Press, 1992, 324 p.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 389
28
CAI, p. 20. Notons qu’une coquille a remplacé « Apollo » par « Apollon ».
29
Voir dossier « Affaires courantes », Fonds Yourcenar.
30
CA I, p. 17.
390 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
ont inscrit leur marque dans ces paysages et ces sites, première étape
de la découverte de l’Antiquité pour la jeune Marguerite Yourcenar.
En publiant en 1956 dans un recueil à caractère anthologique
un choix de ses « meilleurs » poèmes, tout au moins ceux qui
l’accompagnent parfois depuis plusieurs décennies, le poète ne renie
rien. Il reste fidèle à un art presque immuable qui fait de la poésie un
chant intemporel capable d’émouvoir les hommes d’hier et
d’aujourd’hui. Qu’importe à Yourcenar que le chant qu’elle entonne
dans Les Charités d’Alcippe et autres poëmes puisse paraître
anachronique à l’ère du Nouveau roman et des expériences poétiques
post-surréalistes. Au-delà de la motivation littéraire qui lui fait
publier, au milieu des années cinquante, un ensemble de poèmes néo-
classiques atteignant à ce qu’elle considère comme une certaine
perfection formelle, on peut envisager cette publication comme un
acte de résistance, une entreprise militante dont le but serait de rendre
justice à la séculaire tradition du vers français qu’elle aime tant. Son
recueil se lirait alors comme une touchante recherche du vers perdu.
C’est ce qui ressort de la lecture d’un document inédit. Il s’agit du
prière d’insérer rédigé par Marguerite Yourcenar pour accompagner
Les Charités d’Alcippe et autres poëmes, texte qui n’a sans doute
jamais été imprimé, ni diffusé :
Tout est là. Plus que le simple texte de présentation d’un livre
à paraître, cet énoncé rédigé par Yourcenar est une sorte de profession
de foi en faveur de la poésie ou encore un tract argumenté destiné à
convaincre. L’auteur y affirme clairement ses choix, pour la première
31
Voir Fonds Yourcenar.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 391
32
Dossier « Affaires courantes », Fonds Yourcenar.
392 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
33
Lettre à C. Orengo, 29 février 1957, Fonds Yourcenar.
34
À la fin du conflit, en 1965, M. Yourcenar chargera son avocat Maître Marc
Brossollet de déposer auprès de Charles Orengo, 200 exemplaires de la plaquette. Ils
disparurent à la mort de celui-ci. Sur le règlement du conflit Yourcenar-Curvers, voir
Fonds Yourcenar, dossier « Affaires courantes » ; Marc BROSSOLLET, Dossier
« Litige Yourcenar-Curvers » [document inédit et confidentiel], Archives
M. Brossollet ; entretien de l’auteur avec Maître Marc Brossollet, Paris, 13 février
2003.
35
Lettre à N. Barney, 27 décembre 1956, Fonds Barney.
36
Lettre à C. Orengo, 29 février 1957, Fonds Yourcenar.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 393
37
Voir notamment lettre à Natalie Barney, 27 décembre 1956, Fonds Barney.
38
Lettre à M. Yourcenar, 22 février 1957, Fonds Yourcenar.
39
Voir disque contenant une lecture par M. Yourcenar de « Marie-Madeleine ou le
Salut », extrait de Feux ainsi que des poèmes suivants : « Les Charités d’Alcippe »,
« Vers orphiques » et « Hospes Comesque », extraits des Charités d’Alcippe et autres
poëmes que complètent deux poèmes inédits, « Quia Hortulanus esset » et « Signes ».
New York, Gotham Recording Corporation, 1957, GRC-4877.
394 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
40
Lettre à Silvia Baron Supervielle, 15 juin 1980, Archives S. Baron Supervielle.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 395
41
Voir « Projets 1973 », S II, p. 41.
42
Lettre à D. Magne, 15 avril 1973, Fonds Yourcenar.
43
OR, p. XXXV.
44
Voir lettre à Claude Gallimard, 7 juillet 1975, Archives Gallimard.
45
Ibid
46
Voir lettres à Silvia Baron Supervielle, 15 juin 1980 et 13 mars 1981, Archives
S. Baron Supervielle. On comprend aisément qu’en 1980-1981, années marquées par
son élection et sa réception à l’Académie française, M. Yourcenar n’ait guère eu le
temps de mener à bien l’édition définitive de ses poèmes.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 397
Vous avez raison, ces poèmes sont jeunes, mais moi, qui me méfie
de plus en plus de l’expression « littéraire » des émotions, je
commence à ré-aimer leur simplicité. Et puis, comme vous le
dites, la plupart des thèmes de mon œuvre future sont là. Il est
stupéfiant qu’au cours de sa vie un poète, toujours re-sent la même
chose. C’est à s’étonner que le cœur tienne le coup.50
50
Lettre à S. Baron Supervielle, 15 juin 1980, Archives S. Baron Supervielle.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 399
54
CA II, p. 58.
55
CA II, p. 62.
56
Ibid M. Yourcenar évoquait plus sobrement dans la première version de
« L’Idolino » parue en 1925, « [l]a courbe de l’épaule et la courbe du rein. »
57
Ibid, p. 37.
58
Ibid
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 401
59
Voir notamment l’évocation du Christ lors de l’épisode du Chemin de croix dans le
poème « Visions », DPM, p. 148.
60
CA II, p. 36.
61
Ibid, p. 35.
62
Ibid
63
Ibid, p. 36.
402 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
64
Ibid, p. 69-70.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 403
65
Ibid, p. 69.
66
Ibid, p. 69-70.
404 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
67
Voir « L’Impossible passion », J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar,
L’Invention d’une vie, op.cit., p. 108-121.
68
Voir ibid., p. 113.
69
CA II, p. 48.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 405
Ton nom, comme un bel enfant nu qui s’est roulé dans toutes les
fanges ;
Ton nom, qui me meurtrit la bouche.
Ton nom avec qui je couche
Comme avec un talisman ;
Ton nom comme la sentence qui me condamne au banissement
Ton nom que je geins comme une mendiante qui continuerait ses
plaintes aux portes de la ville en flammes ;70
Ton nom, qui est avec ton souvenir la seule chose que tu ne
puisses pas me reprendre,
[…]
Ton nom, dont chaque lettre est l’un des clous de ma passion ;
Ton nom, le seul dont je me souviendrai le matin de la
Résurrection.71
73
CAII, p. 52
74
Voir ER, p. 169-170. Un extrait du poème est paru, dès 1964, en conclusion d’un
article d’Étienne COCHE DE LA FERTÉ, « Madame Yourcenar et les scrupules du
poète », Cahiers des saisons, n° 38, été 1964, p. 305.
75
ER, p. 168-169.
76
Outre de légères modifications stylistiques, lexicales et un remaniement de l’ordre
des distiques qui forment le poème, « Signes » comprend deux distiques qui ne seront
pas repris dans les versions imprimées du « Visionnaire » : « J’ai vu dans les bois/ La
bête aux abois […] J’ai vu sur la route/ La peine et le doute. » Voir disque de poèmes
produit par la Gotham Recording Corporation, op. cit.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 407
Le poète, cette fois, est senti sous la seule forme d’un regard, et il
m’est difficile de ne pas penser à l’œil qui, dans L’Œuvre au noir,
« équilibrait l’abîme ». Il m’est aussi impossible de ne pas
comparer le « noir dieu » mentionné assez cryptiquement au
dernier vers et le « je ne sais quel dieu » qu’appréhende en soi
Zénon dans sa prison. Et c’est sans doute s’efforcer de résoudre un
faux problème que de spéculer s’il s’agit là d’une grande force
obscure qui s’empare de nous et nous emporte, ou au contraire de
ce qu’il y a de meilleur, de plus aiguisé, et de plus transparent en
nous.78
77
CA II, p. 77-78.
78
ER, p. 169.
408 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Un testament poétique
79
Y. BERNIER, « Marguerite Yourcenar poète », En Mémoire d’une souveraine :
Marguerite Yourcenar, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 1990, p. 91.
80
CA II, p. 79.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 409
que celle qui lui a servi à écrire ses poèmes de jeunesse. Les Charités
d’Alcippe qui résume une vie de poésie est bien dans l’esprit de son
auteur son testament poétique, qu’il convient de rendre public, afin
que ses lecteurs puissent se rendre compte du cheminement parallèle,
des décennies durant, de son œuvre en prose et de sa poésie. Lors de la
sortie du livre, Yourcenar expliquait la raison d’une telle publication à
Josyane Savigneau qui s’étonnait de la voir faire paraître en 1984 un
tel recueil de vers « classiques » :
Ces vers ont été écrits tout au long de ma vie et jamais mis
vraiment dans le commerce. Ils m’importent parce qu’ils
constituent, quelquefois presque prophétiquement, une prévision
de ce que j’allais écrire dans mes œuvres de prose. Dans d’autres
cas ils disent exactement la même chose autrement.81
Plus de dix ans plus tôt, elle déclarait déjà, à propos des
poèmes de la première édition de son recueil : « J’ai mis là
directement un certain nombre d’émotions et de pensées que je n’ai
exprimées ailleurs que sous le couvert de personnages ou quand les
événements narrés semblaient les justifier. »82 Encore et toujours ce
lien intime entre œuvre versifiée et prose qui ne cessent de se répondre
secrètement. Sans doute, est-ce pour cette raison qu’elle tenait tant à
ce que lui survive ce qu’elle considérait comme la meilleure part de sa
poésie.
En effet, lorsque nous employons l’expression de « testament
poétique » pour qualifier l’édition Les Charités d’Alcippe, c’est
presque au sens littéral. L’édition définitive, publiée en 1984 chez
Gallimard, représente bien, selon Yourcenar, comme nous l’avons
déjà souligné, « toute la production poétique dont elle souhaite garder
trace. » D’ailleurs avant même qu’elle ait réussi à mener son projet
éditorial à terme, sa volonté est claire. Dès l’automne 1978, elle
annonce à Claude Gallimard, qui désire savoir comment elle envisage
l’édition de ses œuvres complètes dans La Bibliothèque de la Pléiade,
qu’elle tient à ce qu’une centaine de pages soit réservée, dans le
second volume, à ses poèmes regroupés sous le titre Les Charités
d’Alcippe.83 Un an plus tard, elle précise à son éditeur qu’elle a déposé
81
« La Bienveillance singulière de Marguerite Yourcenar », op. cit., PV, p. 315.
82
Lettre à Jeanne Carayon, 29 octobre 1973, L, p. 414.
83
Voir lettre à Claude Gallimard, 28 novembre 1978. Il existe d’ailleurs un
exemplaire des Charités d’Alcippe et autres poëmes, corrigé et comportant de
410 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
86
Ibid, p. 311-312.
412 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
87
J. GARCIN, « Marguerite Yourcenar et les chants noirs », Le Provençal, 16
décembre 1984.
88
Voir « La bienveillance singulière de Marguerite Yourcenar », op. cit., PV, p. 313
89
Voir en particulier Jean PACHE, « Marguerite Yourcenar entre blues et sonnets »,
24 heures, 4 janvier 1985.
90
Voir « Le Journal de Jean-José Marchand », La Quinzaine littéraire, 1er-15
décembre 1984.
91
J. GARCIN, op. cit. Lorsqu’il parle de « via media pour laquelle Marguerite
Yourcenar affiche une sévérité exagérée », le journaliste fait allusion aux déclarations
de M. Yourcenar, publiées dans Le Monde, concernant A. Breton, Y. Bonnefoy et
R. Char.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 413
92
J. TORDEUR, « Yourcenar : "ce chaud morceau de l’âme" », Bruxelles, Le Soir, 24
janvier 1985.
93
Voir « Marguerite Yourcenar. Voici le miel qui suinte », L’Humanité Dimanche, 21
décembre 1984.
94
Voir « Toute l’âme noire », Bruxelles, La Dernière heure, 6 décembre 1984.
95
Ibid
96
Voir H. B., « Poèmes et chants selon Marguerite Yourcenar », Le Méridional, 27
janvier 1985.
97
Voir « Yourcenar (M). Les Charités d’Alcippe », New French Book, 1985/3.
98
Voir Pierre DESCAMPS. « Les Charités d’Alcippe par Marguerite Yourcenar », La
Feuille de Valenciennes, 23 mars 1985.
99
Voir « Marguerite Yourcenar. Les Charités d’Alcippe », La Passerelle, n° 52, 1984.
414 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
100
Y. BERNIER, « Yourcenar poète », Montréal, Spirale, n° 48, décembre 1984,
p. 19. Repris dans Y. BERNIER, En mémoire d’une souveraine : Marguerite
Yourcenar, op. cit., p. 94.
101
Lettre à Jeanne Carayon, 29 octobre 1973, L, p. 414.
102
Cité par Monique HOUSSIN, « Paroles inédites », L’Humanité Dimanche, 27
décembre 1987.
103
Voir dossiers de presse 1984-1985 concernant Les Charités d’Alcippe et Blues et
Gospels, Archives Gallimard.
LES CHARITÉS D’ALCIPPE, L’ŒUVRE D’UNE VIE 415
104
Voir J. Savigneau, « La bienveillance singulière de Marguerite Yourcenar », op.
cit., PV p. 316.
105
Ibid
106
Yves-Alain FAVRE, « Marguerite Yourcenar ou la sérénité tragique », La Revue
universelle des faits et des idées, n° 93, avril 1983, p. 45-46.
416 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
107
Léopold SÉDAR SENGHOR, lettre à M. Yourcenar, 24 décembre 1984, Fonds
Yourcenar.
108
Edith et Frederick FARRELL, « "Autrui cet ennemi, […] Moi, cet étranger" »,
Marguerite Yourcenar. Écritures de l’autre, sous la direction de J. P BEAULIEU,
J. DEMERS et A. MAINDRON, Montréal, XYZ éditeur, 1997, p. 77.
III
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES
ET VERS LIBRE
1
F, p. 1055.
2
Voir lettre à M. K. de Radnotfay, 14 août 1954, L, p. 113.
3
Lettre à Alexis Curvers et Marie Delcourt, 15 août 1955, HZ, p. 482-483.
4
Voir lettre à Patrick de Rosbo, 25 août 1969, Fonds Yourcenar.
5
YO, p. 97.
6
« Chronologie », OR, p. XIX.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 419
7
« Avertissement », Feux, Grasset, 1936, p. 9.
8
« Préface », F, p. 1047.
9
Voir lettre à M. K de Radnotfay, op. cit., L, p. 133.
10
Voir lettre à Simon Sautier, 8 octobre 1970, L, p. 359.
11
Voir lettre à Jean Chalon, 29 mars 1974, L, p. 420.
12
Voir Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, éditions du
Rocher, op. cit., p. 42.
420 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
13
YO, p. 96.
14
YO, p. 197.
15
Voir « Bernard Pivot rencontre Marguerite Yourcenar », Apostrophes, Antenne 2, 7
décembre 1979, PV, p. 249.
16
Voir en particulier dans la première édition des Charités d’Alcippe et autres poëmes
(1956). Par ailleurs, dans une bibliographie qu’elle envoie en 1950 à une essayiste qui
projetait d’écrire une étude sur son œuvre, elle fait figurer Feux sous la rubrique
« novels and short stories ». Voir lettre à Olga Peters, 8-24 mars 1950. De la même
manière, dans une autre bibliographie établie en 1963 pour la revue Livres de France,
M. Yourcenar classe, à nouveau, son livre avec les « Romans et nouvelles ». Voir
Fonds Yourcenar.
17
Voir lettre à Claude Gallimard, 28 novembre 1978, Fonds Yourcenar.
18
Dans sa lettre à Claude Gallimard, M. Yourcenar suggère que Feux soit situé
« entre Denier du rêve et Nouvelles orientales, dont il est contemporain, non certes
par respect pour la chronologie, mais parce qu’il y a entre ces trois ouvrages des
rapports thématiques, et aussi de technique littéraire. », Ibid.
19
Projet de quatrième de couverture pour l’édition définitive de Feux, publiée en 1974
chez Gallimard. Voir Fonds Yourcenar. La formule figure d’ailleurs depuis cette date
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 421
27
Voir « "J’immobiliserai ton âme". La nouvelle dans l’œuvre de Marguerite
Yourcenar », Bulletin de la SIEY, n° 22, décembre 2001, p. 57-74.
28
« Marguerite Yourcenar lauréate du prix Femina d’été », Le Phare Dimanche, 22
juin 1952. Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de Marguerite Yourcenar »
Bulletin du CIDMY, n° 13, 2001, p. 53.
29
« Alceste et Ariane », Le Phare, 4 août 1963. Repris dans « Georges Sion, lecteur
attentif de Marguerite Yourcenar », ibid., p. 55.
30
« Marguerite Yourcenar. La sagesse faite femme », Le Phare, 11 juillet 1971.
Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de Marguerite Yourcenar », ibid., p. 69.
31
« M. Yourcenar : Souvenirs pieux. Au pays de mon père… », Le Soir, 8 mai 1974.
Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de Marguerite Yourcenar », ibid., p. 76.
32
« Lire Marguerite Yourcenar », Dossiers du CACEF, décembre 1980-janvier 1981.
Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de Marguerite Yourcenar », ibid., p. 89.
33
Voir « Marguerite Yourcenar ou la Vie recomposée », La Revue générale, février
1988. Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de Marguerite Yourcenar », ibid.,
p. 108.
34
Daniel LEUWERS, « Feux et contre-feux », Sud, numéro hors-série « Marguerite
Yourcenar, une écriture de la mémoire », 1990, p. 253.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 423
35
Ibid., p. 249.
36
Voir « Aspects d’une légende », Th II, p. 177.
37
YO, p. 92.
424 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
38
Voir Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 95.
39
YO, p. 92.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 425
40
Voir « Aspects d’une légende et histoire d’une pièce », préface à Qui n’a pas son
Minotaure ?, Th II, p. 176. Rappelons qu’autour des années 1932-1934, Yourcenar
s’est prêtée, avec la complicité de ses amis André Fraigneau et Gaston Baissette, à un
« petit jeu littéraire » consistant pour chacun des participants à écrire sa version du
mythe du Labyrinthe, en adoptant le point de vue de Thésée (Baissette), du Minotaure
(Fraigneau) et d’Ariane (Yourcenar). Le résultat de cet « amusement » entre trois
écrivains complices, fascinés par le miracle grec, a été pour Yourcenar, « Ariane et
l’Aventurier », publié avec les contributions de Baissette et de Fraigneau dans les
Cahiers du Sud, en août-septembre 1939. Quelques années plus tard, Yourcenar
réécrira cette « fantaisie littéraire » qui deviendra Qui n’a pas son Minotaure ?
« Divertissement sacré en dix scènes ».
41
« Avertissement », réédition de Feux, Plon, 1957, p. 1 et 3.
426 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
42
Voir notamment « Mythologie grecque et mythologie de la Grèce », PE, p. 440-
445.
43
Voir « Avant-propos » à Électre ou la Chute des masques, Th II, p. 19. Notons que
M. Yourcenar utilise également la très parlante expression « chèque en blanc » dans
une lettre qu’elle adresse à Gabriel Germain le 11 janvier 1970. Voir L, p. 341.
44
« Carnet de notes d’Électre », Théâtre de France, n° 4, 1954, p. 27.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 427
45
Sur Le Voyage en Grèce (1934-1939), voir Yves CHEVREFILS-DESBIOLES, Les
Revues d’art à Paris 1905-1940, Ent’revues, 1993, p. 149.
46
« Préface », F, p. 1048-1049.
428 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
51
Voir L, p. 538.
52
« Préface », F, p. 1048.
53
Ibid., p. 1050-1051.
54
F, p. 1057.
430 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
55
Ibid., p. 1059.
56
Voir ibid., p. 1075-1076.
57
Ibid., p. 1079.
58
Ibid., p. 1086.
59
L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire,
op. cit., p. 101.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 431
60
« Préface », F, p. 1048.
61
Ibid., p. 1049.
62
« Chronologie », OR, p. XIX.
63
ER, p. 153.
64
« Préface », F, p. 1048.
65
Ibid., p. 1052.
432 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
comme des « audaces verbales »66 et des jeux langagiers, qu’elle ose
ici avec une insistance nouvelle, doit sans doute quelque chose aux
joutes verbales et au dérèglement psychique expérimentés par Breton
et ses acolytes. Sans doute faut-il y voir l’ascendant de son ami
surréaliste Andréas Embiricos, très présent au moment de la rédaction
de Feux, comme le suggère Michel Grodent67 ou Anne-Yvonne Julien
qui est plus catégorique : « Il est certain que celui qui écoutait
volontiers les sirènes freudiennes et jungiennes et qui militait, comme
tous ses amis surréalistes, pour la libération des forces inconscientes
de l’être, a influencé durablement l’imagination visuelle de
Marguerite Yourcenar. »68
L’auteur préfère pourtant situer son esthétique entre le
baroque et l’expressionnisme, double patronage sous lequel il tente de
placer Feux, allant jusqu’à résumer l’esprit de son livre par la formule
« expressionnisme baroque »69 :
Lectures de Feux
71
Voir ibid., p. 1047.
72
F, p. 1055, 1062, 1069, 1078.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 435
73
A.-Y. JULIEN, Marguerite Yourcenar ou la signature de l’arbre, op. cit., p. 62.
74
Ibid., p. 63.
75
F, p. 1129.
76
R. POIGNAULT, Marguerite Yourcenar et l’Antiquité. Littérature, mythe et
histoire, op. cit., p. 164.
436 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
82
A.-Y. JULIEN, Marguerite Yourcenar ou la signature de l’arbre, op. cit., p. 59.
438 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
83
Voir M. YOURCENAR, The Alms of Alcippe, traduction Edith R. Farrell,
« Introduction » C. Frederick Farrell, op.cit., 1982, p. 7.
84
Voir M. YOURCENAR, Suite d’estampes pour Kou-Kou-Haï, avec des gravures
sur bois de Nancy McCORMICK, Seal Harbor (Maine), High Loft, MCMLXXX, 23
p. [tirage limité à 180 ex.]
85
« À propos d’une republication de ces pages », PE, p. 479.
86
Ibid., p. 480.
87
Lettre à P. de Rosbo, 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
88
Voir S II, p. 41.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 439
89
Lettre à P. de Rosbo, 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
90
Voir S II, p. 41. M. Yourcenar abandonnera l’idée de joindre « Sixtine », à la
réédition de Feux (1974). Le texte sera finalement inclus dans le recueil d’essais, Le
Temps, ce grand sculpteur (1983).
91
Lettre à P. de Rosbo, 24 avril 1969, Fonds Yourcenar.
92
Ibid.
93
Ibid.
94
Voir S II, p. 41, note 2.
95
YO, p. 130.
96
« Chronologie », OR, p. XX.
97
« Préface », SS, p. 1541.
440 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
98
« L’Esprit des livres », Les Nouvelles littéraires, 8 octobre 1938.
99
YO, p. 105.
100
« Dossier des Songes et les sorts », SS, p. 1629.
101
Maria CAVAZZUTI, « Les Songes et les sorts : mythologie du moi, miroir de
l’universalité », L’Universalité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, vol. 2, Tours,
SIEY, 1995, p. 109-110.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 441
102
M. YOURCENAR, Écrit dans un jardin, Montpellier, Fata Morgana, 1992 [1er éd.
1980], s. p. Texte repris, avec quelques légères modifications, dans Le Temps, ce
grand sculpteur (1983). Voir TGS, p. 404-407.
103
Voir lettres à Bruno Roy, 20 septembre 1980 et 19 janvier 1981, Archives Fata
Morgana.
104
« Méditations dans un jardin », SII, p. 234.
105
Voir « Présentation », ibid., p. 21.
442 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
106
« Marguerite Yourcenar s’explique », entretien avec Claude Servan-Schreiber, op.
cit., PV, p. 178.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 443
vous êtes toujours aux frontières des choses. D’abord vous êtes
née à la frontière de la France et de la Belgique. Ici, dans cet État
du Maine, [vous êtes] à l’extrême frontière au nord-est des États-
Unis, pas loin de la frontière du Canada, [Dans] les deux livres
autobiographiques dont nous allons parler dans un instant, c’est-à-
dire Archives du Nord et Souvenirs pieux, vous étudiez les
frontières de votre famille. Tous vos livres, on ne peut pas les
ranger dans un genre parce qu’ils sont aux frontières de l’histoire,
du roman et de la poésie. Mais où qu’on vous place, vous ne restez
jamais au centre, vous vous échappez, vous êtes toujours aux
frontières.108
107
Marguerite Yourcenar ou la signature de l’arbre, op. cit., p. 183.
108
Bernard PIVOT, « Bernard Pivot rencontre Marguerite Yourcenar », op. cit., PV,
p. 255-256.
109
Benedetto CROCE, Estetica, 1902. Cité par Yves STALLONI, Les Genres
littéraires, Nathan, 2001, p. 119.
444 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Seul importe le livre, tel qu’il est, loin des genres, en dehors des
rubriques prose, poésie, roman, témoignage, sous lesquelles il
refuse de se ranger et auxquelles il dénie le pouvoir de lui fixer sa
place et de déterminer sa forme. Un livre n’appartient plus à un
genre, tout livre relève de la seule littérature, comme si celle-ci
détenait par avance, dans leur généralité, les secrets et les formules
qui permettent seuls de donner à ce qui s’écrit réalité de livre.
Tout se passerait donc comme si les genres s’étant dissipés, la
littérature s’affirmait seule, brillait seule dans la clarté mystérieuse
qu’elle propage et que chaque création littéraire lui renvoie en la
multipliant.110
110
Maurice BLANCHOT, « Où va la littérature », Le Livre à venir, Gallimard, coll.
« Idées », 1959, p. 293.
111
Voir Tsvetan TODOROV, « La poésie sans le vers », La Notion de littérature, éd.
du Seuil, coll. « Points », 1987, p. 71-72.
112
Voir lettre de Silvia Baron Supervielle à M. Yourcenar, 25 juin 1981, Fonds
Yourcenar.
113
Voir YO, p. 210.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 445
114
Henriette LEVILLAIN, « Le thème de la frontière », Mémoires d’Hadrien de
Marguerite Yourcenar, Gallimard, coll. « Foliothèque », 1992, p. 60.
115
Voir « Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar. Réception critique (1951-
1952) », Bulletin du CIDMY, n° 14, octobre 2002, 172 p.
116
Thomas MANN, lettre à Charles Kerenyi, 19 janvier 1954, cité par
J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’Invention d’une vie, op. cit., p. 230.
117
« Note », MH, p. 543.
446 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
126
Voir Rémy POIGNAULT, « Hadrien et les hommes de lettres contemporains »,
L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et histoire, op.
cit., en particulier p. 536-537, concernant un échange « poétique » entre le poète
Florus et Hadrien et p. 550-552, au sujet d’un poème de circonstance de Pancratès.
127
Voir « Sur un trophée de chasse offert au temple de l’Amour, à Thespies », CL,
p. 403.
128
Voir MH, p. 408.
129
Ibid., p. 515.
448 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
les deux dernières phrases ont été écrites par l’auteur de Mémoires
d’Hadrien, le début du paragraphe étant l’adaptation en prose d’un
poème de l’empereur, extrait de la Vita Hadriani :
132
Anne-Yvonne JULIEN, L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Gallimard,
coll. « Foliothèque », 1993, p. 13.
133
Ibid., p. 14.
134
Ibid., voir p. 75-77.
135
Cité par Anne-Yvonne JULIEN, ibid., p. 80.
136
Ibid., p. 136.
137
ER, p. 124.
450 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
138
Interrogée en 1971, en cours de rédaction du premier tome du Labyrinthe du
monde, Souvenirs pieux, M. Yourcenar avait quelque difficulté à situer clairement son
texte : « c’est un petit peu situé entre l’essai et le poème ou le roman. C’est peut-être
plus près de l’essai. ». Voir « Un entretien inédit de Marguerite Yourcenar », Bulletin
de la SIEY, n° 19, décembre 1998, p. 45.
139
M. YOURCENAR, lettre à Yannick Guillou, 5 octobre 1986, L, p. 677.
140
Voir QE, p. 1244.
141
Simone PROUST, Quoi ? L’Éternité de Marguerite Yourcenar, Gallimard, coll.
« Foliothèque », 2001, p. 47.
142
Voir « Conclusion », ibid., p. 130-131.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 451
143
ER, p. 164-165.
144
Voir Bruno BLANCKEMAN, « "J’immobiliserai ton âme". La nouvelle dans
l’œuvre de Marguerite Yourcenar », Bulletin de la SIEY, n° 22, décembre 2001,
p. 57 -74.
145
Voir Stéphanie SMADJA, « Kâli décapitée. À la rencontre de la prose et de la
poésie », Bulletin de la SIEY, n° 21, décembre 2000, p. 53-71.
146
Marc-Jean FILAIRE, « Comment Wang-Fô fut sauvé, Récit d’une disparition et
disparition du récit », Bulletin de la SIEY, n˚ 24, décembre 2003, p. 73.
147
Ibid., p. 60.
148
Maria CAVAZZUTI, « La Petite sirène : solipsiste de l’amour », Marguerite
Yourcenar. Écritures de l’Autre, op. cit., 1997, p. 262.
149
Voir Camillo FAVERZANI, « Le Dialogue dans le marécage : œuvre poétique ou
œuvre dramatique ? », Rencontres autour du théâtre de Marguerite Yourcenar,
Bulletin de la SIEY, n° 7, novembre 1990, p. 41-59.
452 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
150
Voir Yves STALLONI, « Le mythe de l’œuvre unique », Les genres littéraires, op.
cit., p. 119.
151
Remarquons que M. Yourcenar signale avoir écrit au milieu des années 1930,
« [t]rois ou quatre poèmes en vers libres, dont l’un "Le Poème du joug" a été inclus
dans Les Charités d’Alcippe. » Affirmation qui prête à confusion puisque « Le Poème
du joug » publié en 1935, et qui enchaîne les rimes plates, n’est nullement ce que l’on
considère communément comme un poème en vers libre. Voir « Chronologie », OR,
p. XIX.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 453
Vent de mer
la nuit
dans une île.
[…]
Le chameau
boiteux
152
« Les Trente-trois Noms de Dieu », La Nouvelle Revue Française, n° 401, juin
1986, p. 111-117.
454 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
qui traversa la
grande ville encombrée
allant vers sa mort
[…]
Le torse
humain
[…]
Un aveugle
qui chante
et un enfant
infirme.153
153
TND, p. 9, 12, 15 et 17.
154
Michèle Goslar avance même que Jerry Wilson pourrait être l’auteur de « ces bris
de vie » notés dans un de ses carnets, et que Yourcenar se serait contentée de réunir et
de parapher. Voir Marguerite Yourcenar. « Qu’il eût été fade d’être heureux », op.
cit., p. 324. Cette hypothèse est peu crédible quand on sait qu’au cours de leurs
voyages, il arrivait souvent à Jerry Wilson de noter une formule, un vers ou une parole
prononcés devant lui par M. Yourcenar. Ce qui est plus probable c’est qu’au moment
de la composition des « Trente-trois Noms de Dieu », la voix et les images des deux
compagnons se soient rencontrées au cœur du poème. Il n’en reste pas moins que
Yourcenar est seule responsable de la transcription poétique finale de ces échanges
intimes.
155
TND, p. 18.
156
Voir « Merenda Day, la femme aux chiens », BG, p. 26-37.
157
TND, p. 13.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 455
158
Voir note adressée à Silvia Baron Supervielle, 16 août 1986, Archives Silvia Baron
Supervielle.
159
Voir « Les Voyages de Marguerite Yourcenar » Bulletin du CIDMY, op. cit.,
p. 131.
160
« Le Livre d’adresse », TND, p. 25.
161
Ibid., p. 18.
162
Lettre à S. Baron Supervielle, 13 mars 1981, Archives S. Baron Supervielle.
163
« Rencontre avec Marguerite Yourcenar » [18-20 juin 1986], entretien avec
Francesca Sanvitale, RAI, 6 janvier 1987, PV, p. 373.
456 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
164
Voir TND, p. 12.
165
Voir ibid., p. 21.
166
Voir Les Voyages de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 130. Dans son carnet de
voyage, à la date du 18 janvier 1982, J. Wilson mentionne la visite du Musée égyptien
et note qu’une des œuvres les plus appréciées par Yourcenar et lui-même représente
des « oiseaux des marais » (« marsh birds »). Document CIDMY.
167
Voir TGS, p. 370-376.
168
Voir S II, p. 236-238.
169
TND, p. 10, 11, 13 et 17.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 457
170
Ibid., p. 14-15.
171
Ibid., p. 21.
172
Ibid., p. 24-25.
458 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
173
QE, p. 1254. Voir Simone PROUST, « Aventure et création », Quoi ? L’Éternité
de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 68-73.
174
QE, p. 1255.
175
Quoi ? L’Éternité de Marguerite Yourcenar, op. cit.,p. 73.
176
QE, p. 1321.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 459
177
Quoi ? L’Éternité de Marguerite Yourcenar, op. cit.,p. 135.
178
Lettre à M. Yourcenar, 11 août 1986. Cité par A. HALLEY, « Marguerite
Yourcenar poète vêtu d’espace », TND, p. 42.
179
Lettre à M. Yourcenar, 1er août 1986, Fonds Yourcenar.
180
« Un exemple de poésie moderne », in « Marguerite Yourcenar. La Voix du
siècle », La Revue des deux mondes, novembre 1997, p. 76.
460 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
181
« Les hommes vêtus d’espace », TND, p. 29-36.
POÈMES EN PROSE, PROSES POÉTIQUES… 461
182
« Préface », SS, p. 1540.
183
Ibid.
Page laissée blanche intentionnellement
IV
MARGUERITE YOURCENAR
TRADUCTRICE DE POÉSIE
1
« Les charmes de l’innocence. Une relecture d’Henry James », PE, p. 557.
464 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
expliquant, « qu’un homme ait écrit un des très beaux vers qui
m’émeuvent, sur la vie, la mort, l’amour, la politique, ou que ce soit
moi qui les écrive, franchement je ne vois pas la différence. Nous
avons exprimé quelque chose qui devait être exprimé, c’est tout. »7 En
août 1987, quelques mois avant sa mort, elle développera la même
idée dans son ultime entretien :
Qu’un vers convenable ait été écrit par moi ou qu’il ait été écrit
par Cavafy, aucune importance. J’ai dit souvent, et ce n’est pas un
paradoxe, que de toute façon on traduit toujours, que lorsque je
tâche de décrire un personnage, je décris d’après une image de lui
en partie dessinée par des mots qui sont dans mon esprit, et je dois
m’asseoir à la table et mettre ça sur papier de manière que ce soit
compris du lecteur. C’est une traduction, ce n’est pas tout à fait ce
que j’ai dans l’esprit. [Ce l’est] presque, le plus possible et le
mieux possible, mais c’est tout de même la traduction d’une
pensée fluide, [par] des signes noirs sur fond blanc. Et quant au
nom qu’on met en bas, je n’y attache aucune importance.8
7
« Bernard Pivot rencontre Marguerite Yourcenar », Apostrophes, Antenne 2, 7
décembre 1979. PV, p. 254-255.
8
« Marguerite Yourcenar interviewée », entretien avec Jean-Pierre Corteggiani,
Normal, hiver 1987. PV, p. 400-401.
466 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
9
« Endymion », CA II, p. 40.
10
Cité par René de CECCATTY, « Leyris, poète des poètes », Le Monde des livres,
21 juin 2002, p. IV.
11
Lettre à Liliane Wouters, 3 septembre 1971, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 467
12
Voir « Leyris, poète des poètes », op. cit.
13
Lettre à Lidia Storoni Mazzolani, Noël 1962, L, p. 169.
14
Lettre à Silvia Baron Supervielle, 18 août 1980, Archives S. Baron Supervielle
468 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
15
LEBRUN, « Sur les traductions en vers », Petits poètes français depuis Malherbes
jusqu’à nos jours, tome I, Auguste Desrez Imprimeur-Éditeur, 1838, p. 564.
16
J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit., p. 123.
17
Voir lettre du 12 septembre 1955, HZ, p. 490.
18
« Les charmes de l’innocence. Une relecture d’Henry James », PE, p. 556.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 469
19
Voir YO, 204-205.
20
Voir « Marguerite Yourcenar répond au questionnaire Marcel Proust », Livres de
France, mai 1964, n° 5, p. 12.
21
« Préface », Rainer Maria RILKE, Poèmes à la nuit, op. cit., p. 7.
470 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
22
Cité par René de CECCATTY, « Adonis, poète charmeur de poussière », Le
Monde, 13 août 2003, p. 20.
23
YO, p. 206.
24
Lettre à Natalie Barney, 26 juin 1958, Fonds Barney.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 471
25
YO, p. 205.
26
Ibid., p. 206.
27
PCC, p. 149.
472 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
28
Voir Vassiliki DICOPOULOU, « Interview de Constantin Dimaras réalisée par
nous à Athènes en mars 1989 », Marguerite Yourcenar et la Grèce, Thèse de doctorat
réalisée sous la direction de Marius-François Guyard, Sorbonne/Paris IV, 1993,
p. 221.
29
« Entretien avec Constantin Dimaras », propos recueillis par Odile Gandon, Dossier
Marguerite Yourcenar, Magazine littéraire, n° 153, octobre 1979, p. 17.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 473
30
Ibid., p. 17-18.
31
Constantin DIMARAS, « À la barre du témoin », Marguerite Yourcenar : la voix
du siècle, La Revue des deux mondes, novembre 1997, p. 64.
474 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
32
Ibid.
33
M. Yourcenar fait référence au poème de Cavafy, « Les Dieux désertent Antoine ».
34
Lettre à C. Dimaras, 12 septembre 1955, HZ, p. 490.
35
Cité par J. SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit.,
p. 119.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 475
36
PCC, p. 163.
37
« Un Grec d’Autrefois », L’Express, 10 juin 1999, p. 111.
38
« Faut-il tout retraduire ? », Lire, février 1997, p. 41.
39
Voir en particulier Hélène IOANNIDI, « Le travail du poète et le problème de la
traduction », Critique, n° 299, avril 1972, p. 354-368 ; Maria ORPHANIDOU-
FRÉRIS, « Traduire ou réimaginer Cavafy ? », p. 333-342, et Christiane
PAPADOPOULOS, « Les poèmes de Cavafy traduits par Marguerite Yourcenar »,
p. 343-362, Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction, Tours, SIEY,
2000.
40
Entretien avec l’auteur, Montpellier, 10 novembre 2001.
41
Entretien avec l’auteur, Paris, 20 juillet 2002.
42
Georges CATTAUI, Constantin Cavafy, Seghers, coll. « Poètes d’aujourd’hui »,
1984 [1ère éd. 1964], p. 68.
476 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
43
« La Dame dans l’île », Le Nouvel Observateur, 25-31 décembre 1987, p. 63.
44
PCC, p. 56-57.
45
YO, p. 205.
46
Ibid.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 477
famille ! Donc, c’était plus simple d’avoir ses idées, ses pensées
sur la vie, en prose.47
assumé »53, avance l’helléniste Michel Grodent. Selon lui, il est tout à
fait possible, par exemple, d’ « observer Hadrien dans le miroir de
Cavafy »54. Il semble, en effet, que l’étude et la traduction de la poésie
cavafienne aient grandement influencé philosophiquement la figure de
l’empereur philhellène, comme le remarque notamment Anita
Weitzman, qui s’est appliquée à mettre en évidence les traces laissées
par le poète grec dans l’œuvre la plus célèbre de Marguerite
Yourcenar55. Il existerait donc dans l’œuvre de Yourcenar un avant et
un après Cavafy.
On pourrait également soutenir qu’il existe, en ce qui
concerne la reconnaissance internationale de l’œuvre du poète
d’Alexandrie, un avant et un après Yourcenar. En traduisant Cavafy
en français entre 1936 et 1939, Yourcenar fait œuvre de pionnière.
Elle est, en effet, la première à proposer une version française des
poèmes de Cavafy jusqu’alors seulement accessibles aux lecteurs
grecs à partir de l’édition canonique de 1935 ou, dès le milieu des
années vingt, mais de manière fragmentaire et confidentielle, aux
amateurs de langue anglaise, grâce à quelques présentations et
traductions éparses dues à l’engouement de E. M. Forster, T. S. Eliot,
W. H. Auden et quelques autres. En France, il faut attendre janvier
1940 pour que la revue Mesures publie quatre poèmes co-traduits par
Yourcenar et Dimaras, accompagnés d’une présentation de Yourcenar
qui introduit le grand poète auprès des lecteurs francophones. En
1944, elle propose un nouveau choix de poèmes traduits dans la revue
Fontaine, éditée à Alger par Max-Pol Fouchet. En 1954, elle fera
également paraître de nouveaux échantillons de ses traductions dans
La Table ronde et Preuves. Entre-temps, d’autres traducteurs se sont
emparés des poèmes de Cavafy, participant également à la découverte
du poète par les lecteurs francophones56. Au milieu des années
53
Michel GRODENT, « L’Hellénisme vivant de Marguerite Yourcenar », op. cit.,
p. 62.
54
Ibid.
55
Anita WEITZMAN, « Présence de Cavafy dans Mémoires d’Hadrien », Tours,
Bulletin de la SIEY, n° 19, décembre 1998, p. 85-97. Voir également Georges
FRÉRIS, « Décadence et conception de l’histoire de Cavafy dans Mémoires
d’Hadrien », Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction, op. cit., p. 65-
75.
56
À la suite des premières traductions signées M. Yourcenar et C. Dimaras, Cavafy a
été présenté en français par Samuel BAUD-BOVY (« Constantin Cavafy », Poésie de
la Grèce moderne, Lausanne, Éditions la Concorde, 1946), Théodore GRIVA
480 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
60
Alexandre D. SINGOPOULOS, lettre à M. Yourcenar, 30 janvier 1954, Fonds
Yourcenar.
61
Lettre à M. Yourcenar, 21 février 1954, Fonds Yourcenar.
482 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
62
Lettre à C. Dimaras, 12 septembre 1955, HZ, p. 490.
63
« Bibliographie résumée », PCC, p. 265.
64
Lettre à C. Gallimard, 7 juillet 1975, Archives Gallimard. Présentation critique de
Constantin Cavafy fera finalement sont entrée dans la collection « Poésie/Gallimard»,
augmentée de nouvelles traductions en 1978 et connaîtra un grand succès. Depuis
2003, la collection « Poésie/Gallimard », s’est enrichie d’une nouvelle traduction de
l’œuvre poétique de C. Cavafy, beaucoup plus « orthodoxe » que celle de M.
Yourcenar qu’elle a, en fait, remplacée. Voir Dominique GRANDMONT, En
attendant les barbares et autres poèmes, de C. Cavafis, Gallimard, coll.
« Poésie/Gallimard », 2003, 324 p.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 483
65
Lettre à C. Dimaras, 23 décembre 1978, Fonds Yourcenar.
484 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
66
« Émilien Monaë, Alexandrin, 628-655 après Jésus-Christ », PCC, p. 157.
67
Ibid., p. 74. Dans la chronologie qui figure à la fin de l’ouvrage, M. Yourcenar situe
la composition de « Cierges », « avant 1911 », tout comme le poème « Prière »,
p. 267.
68
« À l’église », composé en 1912, ibid., p. 107.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 485
69
Lettre à Jorge de Sena, s. d. [1970 ?], Fonds Yourcenar.
70
Lettre à Denys Magne, 20 avril 1973, Fonds Yourcenar.
486 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
71
Voir « Chronologie », OR, p. XXIII.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 487
d’un poète dont elle a mis à jour les rapports étroits et complexes entre
le présent et le passé. Pour elle, il n’y a pas de véritable rupture entre
les poètes néo-helléniques du début du XXe siècle et les aèdes des
temps anciens puisque, comme elle le note dans la préface de La
Couronne et la lyre, « Palamas, Sikélianos, Cavafy, Kazantzakis,
Séféris […] se rattachent au monde antique par une série de lignes
tantôt sinueuses et tantôt brisées. »72 C’est donc une sorte de voyage
poétique à rebours qu’elle entreprend, en passant de la Grèce
alexandrine de Cavafy à celle d’Homère qui ouvre La Couronne et la
lyre.
Si l’on en croit Yourcenar, elle ne songeait nullement à
publier une quelconque anthologie lorsqu’elle a commencé à traduire,
pour son seul plaisir, les premiers poèmes grecs qui allaient servir
d’amorce à La Couronne et la lyre. Exilée aux États-Unis, loin de la
civilisation méditerranéenne et des valeurs universelles qui ont été les
piliers de sa culture, ébranlée par le conflit mondial qui secouait alors
l’Europe, Yourcenar traverse une période difficile marquée par le
doute, la dépression et une certaine stérilité créatrice, comme en
témoigne la tonalité de ses carnets de notes de ces années-là 73. Et
puisqu’il lui semble alors trop difficile d’écrire elle-même, elle va se
servir de la traduction comme d’une bouée de sauvetage, pour
conserver au milieu de la tempête, la tête hors de l’eau. Et puisque le
monde est à feu et à sang, elle va se replonger dans cette Grèce
hautement civilisée qui a été, selon elle, « le grand événement (peut-
être le seul grand événement) de l’histoire de l’humanité »74. Au
moment où elle commence à traduire des poèmes grecs anciens, elle
se consacre également à ses premières traductions de negro spirituals,
autre dépaysement prosodique qui vient adoucir les difficultés
personnelles et la barbarie du temps. Encore une fois, Yourcenar se
replie sur la poésie lorsqu’il s’agit de revenir aux paroles essentielles,
que ce soit l’héritage savant et universel des poètes antiques, ou à la
quête de transcendance et l’amour du Christ qui s’expriment dans la
poésie populaire des esclaves noirs américains.
Pudique, Marguerite Yourcenar a affirmé qu’elle avait
commencé à traduire des poèmes grecs, « en guise de délassement ou
72
« Préface », CL, p. 13.
73
Voir en particulier « Carnets de notes, 1942-1948 », PE, p. 529.
74
M. YOURCENAR, lettre à Ethel Thornbury, 9 décembre 1954, L, p. 114.
488 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
d’exercices »75. Presque par jeu, pour satisfaire son amour de la poésie
et exercer ses talents de styliste avide de les confronter à la complexe
prosodie grecque :
75
« Chronologie », OR, op. cit.
76
« Préface », CL, p. 9.
77
« Notes », ibid., p. 500.
78
« Préface », ibid., p. 41.
79
Voir YO, p. 209.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 489
poète du siècle des Lumières, Lafosse, dont elle retient surtout les
arguments en faveur de la traduction en vers, condamnée, rappelle-t-
elle, par la célèbre Madame Dacier, qui soutenait qu’une traduction en
vers ne pouvait guère être fidèle. Yourcenar qui a choisi de traduire
les poèmes grecs anciens en vers rimés ou assonancés s’en remet, au
contraire, à l’avis de Lafosse, qu’elle cite en présentant son plaidoyer
comme un argument de poids qu’elle entend imposer :
« Je dis plus, et c’est une vérité que je ne crains pas qu’on réfute :
les Vers ne doivent être traduits qu’en Vers. On ne saurait les
mettre en Prose, quelque excellente que cette Prose soit, sans
qu’on leur fasse perdre beaucoup de leur force et de leur agrément.
Un Poète, à qui l’on se contente, en le traduisant, de laisser ses
pensées toutes seules destituées de l’harmonie ou du Feu des Vers,
n’est plus un poète, c’est le cadavre d’un Poète. Ainsi, toutes ces
traductions de Vers en Prose, qu’on nomme fidèles, sont au
contraire très infidèles, puisque l’Auteur qu’on y cherche y est
défiguré. »80
80
LAFOSSE, cité par M. Yourcenar, « Préface », CL, p. 40.
81
Ibid., p. 42.
490 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Pour les poètes grecs anciens, dont la poésie, selon elle, se réclame
plus intimement du chant, il lui a semblé que les virtuosités et la
variété de la métrique française étaient plus susceptibles de leur
convenir :
Avec les poètes grecs anciens, j’ai tâché d’adapter une métrique
qui fût le plus proche possible de celle du poète grec, et ce n’est
pas facile en français. La métrique grecque est infiniment plus
compliquée que la nôtre, même aux époques du plus grand
raffinement poétique, comme le XVIIe siècle. J’ai donc essayé de
maintenir pour les narrations une mélodie continue, un rythme
dans lequel les vers donnent l’illusion de glisser les uns dans les
autres, avec des césures variées. Ainsi le rythme du vers
proprement dit, tel qu’on le comprend, se mêle au rythme de la
phrase. C’était une manière de briser nos habitudes à nous, tout en
conservant une forme ordonnée pour traduire ces poètes qui ont
écrit dans une métrique régulière et savante.82
82
YO, p. 208.
83
Voir CL, p. 40-45 mais aussi « Notes », p. 499-501.
84
Ibid., p. 43.
85
Ibid., p. 42.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 491
traductrice qui veut faire partager au plus grand nombre les trésors de
la poésie antique, que celles d’un poète épris de classicisme qui entend
offrir au lecteur une leçon de poésie. Ainsi, la tonalité des arguments
qu’elle développe en faveur de la traduction en vers n’est ni plus ni
moins qu’un décalque de sa propre conception de la poésie telle que
nous l’avons analysée précédemment. Après avoir fait un sort au vers
libre et au poète moderne86, elle se croit obligée de refaire l’éducation
poétique de son « public », afin qu’il soit réceptif à la forme des
poèmes qu’il va lire dans La Couronne et la lyre, car
86
Ibid., p. 42-43.
87
Ibid., p. 43.
492 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
88
Ibid., p. 9-10.
89
Voir L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature, mythe et
histoire, op. cit., p. 568.
90
Ibid., p. 549-550.
91
CL, p. 408.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 493
92
Lettre à Natalie Barney, 15 juin 1953, Fonds Barney.
93
« Avec Marguerite Yourcenar à Paris », entretien avec Paul Guth [décembre 1956],
Le Figaro littéraire, 3 octobre 1959. PV, p. 44.
94
Voir lettre à Jean Ballard, 5 août 1951, L, p. 90-93.
494 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
veut donner à son travail, sans que pourtant, si on la croit, elle ait
encore décidé de l’unifier pour en faire une anthologie :
98
Voir « Poèmes grecs », Fonds Yourcenar.
99
Lettre à N. Barney, 1er janvier 1967, Fonds Barney.
100
Lettre à C. Orengo, 10 juillet 1970, Fonds Yourcenar.
101
Lettre à C. Orengo, 31 juillet 1970, ibid.
496 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
102
Lettre à C. Gallimard, 7 juillet 1975, Archives Gallimard.
103
Lettre à Étiemble, 28 février 1972, Fonds Yourcenar.
104
Jacques LACARRIÈRE, « Yourcenar : le voyage à Cythère », L’Express, n° 1473,
6 octobre 1979, p. 85.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 497
105
« Préface », CL, p. 39-40.
498 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
même chose devrait être vraie pour les œuvres littéraires, sitôt
qu’on les dégage des solennelles routines qui les entourent.106
106
Lettre à Claude Gallimard, 7 avril 1979, Fonds Yourcenar.
107
Dans son numéro du 10 janvier 1980, Les Nouvelles littéraires consacre un
reportage au phénomène éditorial de ce début d’année, sous le titre « Un surprenant
best-seller », dans lequel des libraires tentent d’expliquer le succès populaire de cette
anthologie de poèmes grecs anciens que les lecteurs achètent sur le seul nom de
Yourcenar.
108
Lettre à Paule Neuvéglise, 18 janvier 1980, Fonds Yourcenar.
109
R. POIGNAULT, L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar. Littérature,
mythe et histoire, op. cit., p. 15.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 499
110
Lettre à Claude Gallimard, 7 avril 1979, Fonds Yourcenar.
111
Jacques FRANCK, « Marguerite Yourcenar. La Couronne et la lyre », La Libre
Belgique, 21 novembre 1979.
112
« La Couronne et la lyre », Prométhée, nos 41-42, septembre-décembre 1979.
113
Claude-Michel CLUNY, « Le Vin des dieux », Le Quotidien de Paris, 28
décembre 1979, p. 20.
114
Denys MAGNE, « Yourcenar la Grecque », Éléments pour la civilisation
européenne, février-mars 1980.
115
Jean-Michel MAULPOIX, « Douze siècles de poésie grecque », La Quinzaine
littéraire, 16 novembre 1979.
116
Jacques LACARRIÈRE, « Yourcenar : le voyage à Cythère », op. cit., p. 84.
117
Jean GUITTON, « L’admiration de Jean Guitton », Le Monde, 11 janvier 1980,
p. 15.
500 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Une traduction en vers rimés n’est plus une traduction mais une
adaptation. Traduire en vers réguliers peut donner, chez un poète
de génie, des résultats splendides, témoin la transposition en
alexandrins, vers pour vers, des Bucoliques de Virgile par Valéry.
Elle est aussi précise que brillante. Mais elle n’est pas rimée.
D’autre part si les « adaptations » de Marguerite Yourcenar sont
dans une langue solide et sobre, elles tendent à effacer la diversité
du ton de chaque poète. Eschyle et Sophocle en alexandrins se
fondent dans l’anonymat d’un discours sans accent, alors qu’en
dix vers Corneille et Racine trahissent chacun leur voix inimitable.
Cela dit, ce beau livre fervent […] respire de bout en bout ce que
Ritsos appelle la grécité.120
123
Notons que le critique du Monde, rattache, lui, le style de la traduction de
Yourcenar « aux maîtres nombreux attachés avant elle aux modèles antiques : Chénier
ou le Parnasse, mais aussi Hugo. » Jean BOLLACK, « En beau français », Le Monde,
11 janvier 1980, p. 15.
124
Voir George STEINER, « The First académicienne », The Times Literary
Supplement, 4 avril 1980.
125
Bulletin des lettres, 15 décembre 1979.
126
Voir CL, p. 116-117.
127
Florence DUPONT, L’Invention de la littérature. De l’ivresse grecque au texte
latin, La Découverte, coll. « Poche », 1998 [1ère éd. 1994], p. 292.
128
Ibid., p. 293.
502 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
129
Voir Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretien avec J. Chancel, éditions du
Rocher, op. cit., p. 114.
130
Lettre à Roger Lacombe, 8 février 1967, L, p. 255.
131
Lettre à André Lebon, 3 février 1980, L, p. 627.
132
Jacques LACARRIÈRE, « Yourcenar : le voyage à Cythère », op. cit., p. 85.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 503
133
« Chronologie », OR, p. XXI.
504 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
134
Remarquons toutefois que la première allusion à la musique noire dans l’œuvre de
Marguerite Yourcenar se trouve dans son essai « Diagnostic de l’Europe » écrit en
1927-1928 et publié en 1929 dans la Revue de Genève. Décrivant ce qu’elle considère
comme la décadence de la culture européenne, elle écrit : « Et, scandant les phrases
bruyantes et heurtées de cette étonnante agonie, la musique afro-américaine, passion
subite, emporte à la rencontre d’un monde barbare un monde qui redevient barbare. »
EM, p. 1654. Dix ans plus tard, sa rencontre véritable avec la musique afro-
américaine lui fera réviser totalement ce jugement sévère quelque peu caricatural.
135
« Avant-propos », BG, p. 5-6.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 505
136
Voir « Chronologie », OR, p. XXII-XXIII.
137
« Avant-propos », BG, p. 6.
138
Voir en particulier, ibid., p. 6-7 et YO, p. 201-202.
506 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
139
Voir ON, p. 610.
140
« Commentaires », FP, p. 7.
141
Ibid.
142
Ibid., p. 39.
143
Ibid., p. 49.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 507
144
YO, p. 203.
145
Sur ce sujet, on peut se reporter à notre article, A. HALLEY, « Marguerite
Yourcenar et la poésie populaire : des chants grecs anciens à Bob Dylan », Bulletin de
la SIEY, n° 23, décembre 2002, p. 111-124.
146
« La Bienveillance singulière de Marguerite Yourcenar », op. cit. PV, p. 313-314.
508 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
147
Rappelons que l’écrivain allemand J. G. Herder (1744-1803), chantre nationaliste
et promoteur de la poésie populaire, fut un ardent opposant à l’imitation des
classiques, à l’usage du latin et aux références à la Mythologie. Selon les théories
qu’il développa dans divers ouvrages dont Voix des peuples à travers leurs chants
(1779), la véritable poésie naît du « génie des peuples » et non des salons littéraires.
Son influence qui s’étendit à toute l’Europe se fit sentir, en particulier, par le
mouvement de revalorisation des folklores nationaux, des chants et de la poésie
populaire, « miroir du peuple » qu’il convient, selon lui, de diffuser le plus largement
possible comme porte-drapeau de la culture d’une nation. Voir Pascale CASANOVA,
« La révolution herderienne », La République mondiale des lettres, Le Seuil, 1999, p.
110-118.
148
YO, p. 204.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 509
149
« Marguerite Yourcenar et la musique noire », entretien avec Sophie VIAL,
op. cit., p. 152.
150
« Commentaires », FP, p. 30.
510 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
151
Lettre à Jeanne Carayon, 29 octobre 1973, L, p. 414.
152
« Commentaires », FP, p. 48.
153
Ibid., p. 44.
154
Voir Lucile DESBLACHE, « Fleuve profond, sombre rivière : un exemple de
traduction comme expression de créativité littéraire », Marguerite Yourcenar.
Écriture, réécriture, traduction, op. cit., p. 370-372.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 511
155
Georges SION, « Lire Marguerite Yourcenar », Dossiers du CACEF, nos 82-83,
décembre 1980-janvier 1981, p. 20-27. Repris dans « Georges Sion, lecteur attentif de
Marguerite Yourcenar », Bulletin du CIDMY, op. cit., p. 92-93.
156
« Avant-propos », BG, p. 8.
512 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
157
« Chronologie », OR, p. XXVII
158
Voir en particulier FP, p. 29-30.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 513
159
Lettre à Gaston Gallimard, 18 janvier 1964, Archives Gallimard.
160
Ibid, 13 mars 1964.
161
Ibid, 31 mars 1964.
514 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
fait sentir durant les années soixante par l’émergence d’une littérature
post-coloniale dont le combat et le message ne sont pas si éloignés des
poèmes de la libération afro-américaine traduits par Marguerite
Yourcenar. Cela explique sans doute l’intérêt qu’a suscité son livre
dans la presse africaine, qui souligne, comme Jeune Afrique, le « beau
courage »162 dont a fait preuve Yourcenar en révélant au monde
francophone les poignants chants de révolte des Noirs américains.
Dans le magazine La Vie africaine, Olympe Bhêly-Quenum souligne
l’importance d’un tel recueil de traductions pour la reconnaissance de
la culture afro-américaine :
165
Alain BOSQUET, « Plaisir des anthologies poétiques », Combat, 7 janvier 1965.
166
Jacques BRENNER, « Fleuve profond, sombre rivière de Marguerite Yourcenar »,
Paris-Normandie, 15 janvier 1965.
167
Daniel BERGER, « Fleuve profond, sombre rivière par Marguerite Yourcenar »,
Les Nouvelles littéraires, 4 mars 1965.
168
Annie BRIERRE, « Poésie et prose anglo-américaine », La Table ronde, mai 1965.
169
Sur la publication en français des premières études et traductions de spirituals, voir
Lucile DESBLACHE, « Fleuve profond, sombre rivière : un exemple de traduction
comme expression de créativité littéraire », Marguerite Yourcenar. Écriture,
réécriture, traduction, op. cit., p. 370-372.
516 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
170
Voir Lucile DESBLACHE, ibid., p. 370.
171
Lettre à C. Gallimard, 2 septembre 1965, Archives Gallimard.
172
Bernard MANCIET, lettre à M. Yourcenar, 30 juillet 1969, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 517
suis donc pas à son égard dans l’état d’amicale sympathie qui a
inspiré les traductions de Fleuve Profond, auxquelles je ne me
sens pas capable de donner aujourd’hui une suite.173
173
Lettre à B. Manciet, 8 octobre 1969, Fonds Yourcenar.
174
« Chronologie », OR, p. XXXI.
518 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
formes que prit, à la fin de la vie de l’écrivain, son intérêt marqué pour
la poésie populaire afro-américaine.
Sans doute encouragée et guidée par Jerry Wilson, Yourcenar
se familiarise alors avec le gospel et le blues. Ils effectuent ensemble
plusieurs voyages dans le Sud des États-Unis, en particulier en
Géorgie et dans l’Arkansas d’où Jerry Wilson est originaire, et
rencontrent de nombreux chanteurs de gospel et musiciens de blues
avec lesquels Yourcenar tisse des liens profonds. Elle recueille auprès
d’eux des récits ayant trait à la vie et aux souffrances des Noirs
américains, et des textes de gospel et de blues qu’elle traduira. À
Memphis, elle rencontre le Révérend W. Herbert Brewster, auteur de
gospels célèbres et ami de Martin Luther King, qu’elle décrit comme
un « grand poète en termes de lyrique sacrée, tout comme naguère
Guido Gezelle en Flandre, Gerard Manley Hopkins en Angleterre, et
autrefois les admirables auteurs d’hymnes anglais du XVIIIe siècle
dont les Spirituals sont sortis »175. Elle sympathise également avec
Obie Eatman, ouvrier agricole qui lui raconte comment est née sa
vocation de musicien autodidacte176, et recueille les récits d’une vieille
dame, Merenda Day, qui se souvient de l’ambiance des honky tonks,
ces baraques misérables et malfamées où l’on jouait jadis le vrai
blues177.
Ces rencontres déterminantes donnent une autre dimension à
l’approche yourcenarienne de la culture noire américaine. Ce n’est pas
dans des recueils érudits que l’écrivain trouve la matière de ses
traductions, comme il l’avait fait pour Fleuve profond, sombre rivière,
mais sur les lèvres mêmes des chanteurs et des auteurs de blues et de
gospels qu’il côtoie. Ces échanges de poète à poète, ces discussions
sur l’art du gospel et l’univers du blues avec quelques-uns de leurs
plus authentiques représentants, ces improvisations, a capella, sur le
pas d’une pauvre maison du Sud ou les prédications du Révérend
Brewster – dont elle a écrit qu’il était « cette chose rare : un poète
vivant »178 – auxquelles elle assiste à Memphis, lui ouvrent de
nouvelles voies pour mieux s’imprégner du chant noir. C’est bien un
175
« Avant-propos », BG, p. 10.
176
Voir « Vocation d’un musicien », BG, p. 130-131.
177
Voir « Merenda Day, la femme aux chiens », ibid., p. 36-38.
178
Voir texte figurant sur la pochette du disque 33 tours, de Marion WILLIAMS et
Marguerite YOURCENAR, Precious memories, conçu et réalisé par Jerry WILSON
avec la collaboration d’Anthony HEILBUT, Auvidis, coll. « Gospel Greats », 1983.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 519
art vivant, même si elle a conscience qu’il est menacé, qu’elle désire
assimiler et restituer. Cela explique sans doute pourquoi Yourcenar ne
privilégie pas forcément le livre pour faire partager ses récentes
découvertes en matière de poésie populaire.
Sa rencontre avec la chanteuse de gospel, Marion Williams,
charismatique interprète qui a participé au spectacle de Jerry Wilson,
Gospel Caravan, est elle aussi déterminante. Figure singulière qui a
marqué l’âge d’or du gospel dans les années 1945-1960, Marion
Williams, passée maître dans l’art pur et austère du chant a capella, a
été une des plus remarquables solistes des célèbres Clara Ward
Singers, puis créa son propre groupe, The Stars of Faith, pour terminer
sa carrière comme soliste, se faisant l’apôtre du gospel sur de
nombreuses scènes américaines et européennes. En 1982, à
Philadelphie, Yourcenar enregistre avec elle un disque de gospels sous
le titre Precious Memories, édité en France par Auvidis, en 1983. Sur
la face A, Marion Williams chante a capella quelques-uns des plus
émouvants gospels de son répertoire. Comme le note Yourcenar dans
le texte qui figure sur la pochette du disque, « [l]e Gospel robuste et
fervent, né de l’église avec son formidable murmure sans parole et à
bouche fermée par lequel Marion Williams obtient tout naturellement
l’effet du grondement des vagues ; jamais plus beau que lorsque
chanté, comme c’est le cas ici, a cappella, entièrement dépendant du
seul souffle humain »179. Sur la face B du disque, Yourcenar dit, de
manière parfois empruntée et emphatique mais toujours émouvante,
quelques-unes de ses traductions de gospels ainsi que des courts récits
de vie recueillis par elle-même et qu’elle publiera en 1984 dans
l’album Blues et Gospels. Elle a conscience de ne pas être une
récitante ou une comédienne capable de rivaliser avec le talent de
Marion Williams. Sa participation à Precious Memories a surtout une
valeur documentaire et pédagogique, comme elle le précise :
179
Ibid.
520 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
180
Voir texte figurant sur la pochette de Precious Memories, op. cit.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 521
181
« Marguerite contre le KKK », Le Quotidien de Paris, 23-24 avril 1983.
182
« Chanter, dit-elle », Différences, n° 22, avril 1983, p. 11.
183
« En prison sur cette terre » entretien avec Jean-Pierre Maurel, France-Catholique,
1er janvier 1988. [entretien réalisé en avril 1983].
184
« Marguerite Yourcenar : Le Rythme et la raison », émission Les Musiques des
hommes, série d’entretiens avec Jacques ERWAN, France Culture, 18 janvier 1984.
522 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
185
Ibid.
186
Film d’Antoine GAUDEMAR et Pierre DESFONS, avec la participation de Sabine
MIGNOT et Jerry WILSON, TF1, 18 janvier 1984.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 523
187
Lettre à N. Barney, s. d [carte de vœux pour 1965], Fonds Barney.
524 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
188
« En guise d’avant-propos », PCF, p. 7.
189
« Marguerite Yourcenar s’explique », entretien avec Claude Servan-Schreiber,
Lire, juillet 1976. PV, p. 177.
190
Voir correspondance entre Hortense Flexner-Wyncie King et Marguerite
Yourcenar-Grace Frick, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 525
191
Lettre à Patrick de Rosbo, 9 janvier 1969, Fonds Yourcenar.
526 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
192
Lettre à H. Flexner, 8 août 1963, Fonds Yourcenar.
193
Ibid.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 527
194
Marie-Claire BLAIS, entretien avec l’auteur, Montréal, 23 mai 1998.
195
Marie-Claire BLAIS, « Carnet 50 », Parcours d’un écrivain. Notes américaines,
Montréal, VLB éditeur, 1993, p. 213. Marie-Claire Blais évoque à nouveau la réunion
amicale du 21 juillet 1966 à Petite Plaisance sous le titre « Un souvenir » dans Les
Adieux du Québec à Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 23-26.
196
Lettre à Bruno Roy, 16 janvier 1968, Fonds Yourcenar.
197
Lettre à Bruno Roy, 25 mars 1968, Fonds Yourcenar. Notons que M. Yourcenar
évoquera dans son avant-propos à la traduction des poèmes de sa femme, l’œuvre
picturale de l’époux d’H. Flexner dont elle et Grace Frick ont conservé les
528 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Enfin, au cas où vous vous intéressiez à ces poèmes, soit dans les
deux langues, soit en traduction seulement, la question date aurait
aussi une certaine importance pour moi (bien contrairement à mes
habitudes) du fait qu’Hortense Flexner est très âgée et que je ne
voudrais pas lui faire attendre par trop longtemps cette espèce
d’hommage.200
202
Lettre à P. Seghers, 23 octobre 1968, Fonds Yourcenar.
203
Voir lettre à C. Orengo, 27 février 1969, Fonds Yourcenar.
204
Lettre à C. Gallimard, 3 mars 1969, Archives Gallimard.
205
Lettre à C. Gallimard, 22 septembre 1969, Archives Gallimard.
530 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
206
Patrick de ROSBO, « Marguerite Yourcenar. Présentation critique d’Hortense
Flexner, suivie d’un choix de poèmes », Le Monde, 3 janvier 1970.
207
Parmi les dizaines d’articles publiés, une grande majorité insiste davantage sur
l’événement littéraire que représente le fait qu’un écrivain célèbre s’intéresse à
l’œuvre jugée parfois hermétique d’une vieille « poétesse » américaine inconnue,
plutôt qu’aux qualités littéraires des poèmes d’Hortense Flexner, au grand désespoir
de Marguerite Yourcenar.
208
Lettre à Patrick de Rosbo, 9 janvier 1970, Fonds Yourcenar.
209
Lettre à Patrick de Rosbo, 6 décembre 1969, Fonds Yourcenar.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 531
210
Réponse à un questionnaire de Ljerka Mifka, 1er août 1970, document CIDMY.
211
M.-C. BLAIS, « Un souvenir… », Les Adieux du Québec à Marguerite Yourcenar,
op. cit., p.26.
212
J. ROUDAUT, « Une autobiographie impersonnelle », La Nouvelle Revue
Française, n° 310, novembre 1978, p. 77.
532 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
213
Remarquons que si les relations personnelles semblent s’être détériorées après la
publication de la traduction des poèmes d’H. Flexner, entre M. Yourcenar, Grace
Frick et le poète décédé en 1973 [Voir correspondance inédite Hortense Flexner-Mary
Meigs, Archives M. Meigs], Yourcenar ne cessera de louer l’immense talent de son
ancienne amie. Outre la réédition remarquée de Présentation critique d’Hortense
Flexner, en 1979, elle a rendu hommage à la poésie minérale d’H. Flexner, en
tournant durant l’été 1984 dans l’île de Sutton si bien chantée par le poète américain,
un documentaire, L’île heureuse, diffusé le 3 mars 1985, sur Antenne 2. Réalisé par
Sabine Mignot et Jerry Wilson, ce film médiocre montre notamment M. Yourcenar en
train de dire des poèmes d’ H. Flexner dans le décor naturel qui les a vus naître.
214
« En guise d’avant-propos », PCF, p. 20.
215
Laurence COSSÉ, « Amrita Pritam, un esprit libre », Le Monde, 15 juillet 1983.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 533
Fille unique, Amrita Pritam est née en 1919 dans une famille
sikhe orthodoxe, originaire de la province de Lahore. Son enfance se
passe dans un milieu à la fois littéraire -son père est instituteur et
poète- et très religieux. Sa mère, qui enseigne également, meurt quand
sa fille a onze ans. Son père, qui s’occupe alors d’elle, l’isole du reste
du monde et lui inculque les principes rigides qui régissent à la fin des
années vingt, l’éducation des petites filles sikhes. Très tôt fascinée par
la lecture et la poésie, elle écrit son premier poème à l’âge de dix ans
et comprend qu’elle est de celles qui devront « lutter pour chanter »
lorsque son père déchire ses premiers vers et lui donne une gifle pour
la décourager de recommencer. Fiancée, selon la coutume, alors
qu’elle avait quatre ans, Amrita Pritam est mariée de force à seize et
prend alors pleinement conscience de l’injustice et de la violence que
subissent les femmes de son pays, victimes, comme elle, d’un
patriarcat autoritaire qui les oppresse. Son premier recueil de poèmes
publié en 1936 fait scandale. Alors qu’à l’époque, les deux seules
femmes de lettres reconnues de langue pendjabi traitent exclusivement
de sujets religieux, et que les poètes célèbrent la beauté innocente et la
grâce florale de la femme pendjabi, les vers d’Amrita Pritam, qui
expriment la quête libératrice de la femme indienne, choquent le
monde des lettres de son pays. Dès lors, l’écrivain mènera un combat
opiniâtre pour faire entendre sa propre voix et celles des femmes
réduites au silence, ou à la mort, à travers ses poèmes, ses nombreux
romans et nouvelles qui connaissent, au fil des ans, une diffusion
considérable et sont traduits dans quatorze langues de l’Inde, mais
aussi en anglais, en russe, en japonais…
Paradoxalement, alors que le nom de cette pionnière qui a
œuvré pour la liberté d’expression en Inde, a longtemps fait scandale
dans une société et un monde littéraire corsetés, dans lesquels la
femme n’avait pas vraiment le droit de s’exprimer, dès les années
cinquante, le succès de ses livres est tel qu’elle devient une
personnalité incontournable de la littérature pendjabi. En 1953, elle est
la première femme à recevoir le prestigieux Prix Sahitya Akademi –
l’équivalent du Goncourt – pour son long poème Sunehre (Le
Message), devenu un classique de la littérature pendjabi216.
216
D’autres distinctions prestigieuses établiront la notoriété d’Amrita Pritam dont la
médaille Padma Shri en 1969 et le Bhartiya Jnan Award, en 1982.
534 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
217
Il semble même que Yourcenar ait eu ce projet, avant son départ pour l’Inde,
comme elle l’a confié à la journaliste Sophie Vial. Elle lui aurait donné comme raison
de son voyage : « quelques poètes à aller voir de plus près. Et à traduire. » Voir
« Marguerite Yourcenar et la musique noire », entretien avec Sophie VIAL, Marie
France, février 1984, p. 152.
218
Rajesh SHARMA, entretien avec l’auteur, Paris, 14 janvier 2003.
219
Nous traduisons. Voir réponse à un questionnaire de l’auteur transmis par le
Dr Mohanjit, New Delhi, décembre 2002. Dans sa réponse, Amrita Pritam, fait par
ailleurs référence à une histoire de la tradition soufie qui relate la rencontre de deux
célèbres poètes de la mystique musulmane, Farid et Kabir. Au lieu de l’intense et
profond dialogue qu’attendaient les disciples des deux saints hommes, Farid et Kabir
n’ont fait qu’échanger des propos aimables et de larges sourires. L’un des disciples de
Kabir s’en étonna auprès de son maître : Quoi, deux grands hommes se rencontrent et
ils n’ébauchent aucun véritable dialogue ! Kabir aurait alors répondu : il y a bien sûr
eu un dialogue qui a pris la forme d’un sourire !
Amrita Pritam place donc sa relation avec M. Yourcenar au même niveau.
536 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
220
Voir Rajesh SHARMA, entretien avec l’auteur, op. cit.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 537
221
M. YOURCENAR, « Amrita Pritam : Poèmes », La Nouvelle Revue Française,
n° 365, juin 1983, p. 166.
222
Ibid.
223
Ibid.
224
Il s’agit des poèmes « Attente », et « Le Gagneur de pain », ibid., p. 175-176 et
p. 177-178.
225
« La conspiration du silence », ibid., p. 173.
538 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Dieu :
Rien qu’un marchand de chair en gros. 226
226
« Pouvoir », ibid., p. 174.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 539
227
« Le Gagneur de pain », ibid., p. 177-178.
228
Nous traduisons : « Avec un grand respect pour le poète qui est en Marguerite
Yourcenar ».
229
Le nom d’Amrita Pritam figure, en effet, parmi de nombreux autres sujets qu’elle
souhaitait aborder dans son livre inachevé Le Tour de la Prison, à la fin de son carnet
540 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
blues au début des années quatre-vingt. Quarante ans plus tôt, c’est
avec la complicité de Grace Frick qui participe activement à
l’élaboration de Fleuve profond, sombre rivière, qu’elle prend
conscience de la beauté étrange du spiritual. Pareillement c’est grâce à
son ami Constantin Dimaras qu’elle entre en contact avec la poésie de
Cavafy. C’est en devenant l’intime d’Hortense Flexner, qu’elle
pénètre, peu à peu, les méandres secrets de son œuvre. C’est encore,
après avoir rencontré Amrita Pritam, qu’elle décide de traduire ses
poèmes et demande à Rajesh Sharma de faire office de passeur entre
la langue et la culture pendjabi et elle. Il est important d’insister sur la
dimension humaine qui caractérise la plupart des « rencontres » et des
traductions de poésie de Marguerite Yourcenar. Pour elle, cette quête
de la parole étrangère, cette tentative de saisir l’essence du poème
écrit par un autre en le traduisant, n’est pas seulement une démarche
solitaire ou un exercice de style purement intellectuel dans lesquels
elle s’enfermerait. Au contraire, dans la plupart des cas, traduire la
poésie est promesse d’ouverture, de dialogue, de confrontation – avec
le poète qu’elle traduit mais aussi avec son co-traducteur –, de
voyages symboliques parmi les mots, mais aussi les paysages qui les
ont vu naître, les êtres qui les ont murmurés ou écrits. Cet aspect, trop
peu pris en compte par la critique, est pourtant essentiel pour bien
comprendre la conception yourcenarienne, vivante et dynamique, de la
traduction de la poésie.
231
Voir L, p. 419.
232
« Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné », SBI, p. 35
542 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
233
Voir YO, p. 61.
234
PE, p. 526.
235
On pourrait leur ajouter un vers cité dans les « Carnets de notes, 1942-1948 » (« Je
suis de la même nature que le ciel »), issu sans doute d’une première traduction, que
l’ont ne retrouve dans aucune des six versions yourcenariennes connues. Ibid.
236
Voir CA I, p. 16-17.
237
Voir Disque « Marie-Madeleine ou le Salut, Les Charités d’Alcippe et quatre
poèmes », op. cit.
238
Voir CL, p. 314.
544 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
239
Voir CA II, p. 17-18.
240
Voir VC, p. 85.
241
Loredana PRIMOZICH, « Marguerite Yourcenar et l’orphisme. Quelques
réflexions », Le Sacré dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Tours, SIEY, 1993,
p. 316.
242
YO, p. 209.
YOURCENAR, TRADUCTRICE DE POÉSIE 545
1
Anne-Yvonne JULIEN, Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, [dir.
Michel JARRETY], PUF, 2001, p. 883.
2
Voir notamment YO, p. 209.
3
« Lettres à Mademoiselle S. » [Léonie Siret], 20 juillet 1969, La Nouvelle Revue
Française, n° 327, avril 1980, p. 189.
548 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
1
La cérémonie en mémoire de Marguerite Yourcenar dont elle avait réglé tous les
détails comportait, notamment, la lecture du poème de Ryo-Nan, lu en anglais :
« [Quatre-vingt-quatre] fois ces yeux ont contemplé les scènes changeantes de
l’automne, / J’ai assez parlé du clair de lune/ Ne me demandez plus rien,/ Mais prêtez
seulement l’oreille aux voix des pins et des cèdres quand le vent se tait. ».Traduction
M. Yourcenar, VC, p. 78. Voir également « Memorial Service for Marguerite
Yourcenar, January 16, 1988 », dactylogramme de Marguerite Yourcenar, Archives
Y. Bernier.
2
Y. BERNIER, En mémoire d’une souveraine. Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 95.
CONCLUSION 549
3
Blanca ARANCIBIA, « Un arbre aux multiples ramures », Lectures transversales de
Marguerite Yourcenar, Tours, SIEY, 1997, p. 205.
4
« La poésie comme traduction ; la poésie comme lieu de la contrainte ; la poésie
comme lieu de la musique », voir ibid.
5
Ibid., p. 207.
550 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
6
Les exemples dans lesquels Yourcenar utilise l’expression « poésie pure » sont
nombreux : « monde de la poésie pure », ER, p. 38 ; « ouvrages de poésie pure », L,
p. 359 ; « une ligne mélodramatique ou poétique pleine et pure », Th II, p. 103 ;
« pour se muer en la poésie la plus pure », Th II, p. 165… sans compter l’emploi
également courant chez elle, d’expressions telles que « énergie pure », S II p. 70 ou
« pensée pure », PV, p. 140.
7
« La poursuite de la sagesse », S II, p. 87.
8
Voir Michèle TOURET [dir.], « Poésie pure et pureté de la poésie », Histoire de la
littérature française du XXe siècle, tome I : 1898-1940, Rennes, Presses universitaires
de Rennes, 2000, p. 236-238.
CONCLUSION 551
9
Marguerite Yourcenar était hospitalisée dans un état grave quand elle reçut le
premier exemplaire de La Voix des choses. Selon le témoignage de Dee Dee, son
infirmière : « [q]uand elle a vu le livre […] elle l’a parfaitement identifié. Elle le
serrait contre elle, le portait à ses lèvres. Elle était heureuse, elle avait ce sourire
magnifique que nous lui avons connu. » Cité par J. SAVIGNEAU, Marguerite
Yourcenar. L’invention d’une vie, op. cit., p. 456.
10
« Oui, la voix des choses », c’est ce que lui aurait dit J. Wilson, à propos du bruit
« léger, fatal, irréparable » selon les mots de Yourcenar, fait par le chute de la
précieuse plaque de malachite qui venait de lui échapper des mains, alors qu’elle était
hospitalisée et que son jeune ami lui avait apporté l’objet fragile qui symbolisait leur
amitié. Voir VC, p. 7, et PV, p. 407.
11
VC, p. 7. À Jean-Pierre Corteggiani, elle précise : « Ce sont des carnets de notes sur
lesquels j’ai inscrit toute ma vie – je continue d’ailleurs – des phrases des idées, qui
me semblaient particulièrement belles, et satisfaisantes, et suffisantes, si on n’a pas
d’autres livres avec soi, pour les relire le soir. », PV, p. 407.
12
Jean ROYER, « Le testament spirituel de Marguerite Yourcenar », Le Devoir, 27
février 1988.
552 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
pages, formant le cortège des poètes amis lus, relus et médités par
Yourcenar, tout au long de son existence. On ne s’étonnera pas de la
grande diversité des auteurs et des traditions poétiques cités, qui ne
fait que refléter le très large éventail des goûts de Marguerite
Yourcenar, en matière de poésie. Livre bilan, La Voix des choses, clôt
un long compagnonnage avec les pensées et la musique des poètes
dont elle a retenu la sagesse qui s’exprime dans les fragments
sélectionnés. Vers orphiques qu’elle ne cessera de questionner,
traditions poétiques et mystiques extrême-orientales, grands poètes
universels (Dante, Blake), contemporains capitaux (Rilke, Cocteau),
chantre de la poésie contestataire emblématique de la jeunesse d’un
monde en mutation (Bob Dylan)…, les poètes et les vers rassemblés
dans La Voix des choses, révèlent intimement les choix de
l’anthologiste qui s’efface pour leur faire une place dans son œuvre.
Dans ce livre très personnel, où, comme le dit Yourcenar « [i]l n’y a
pas un mot de moi »13, le poète finit par se fondre et se confondre avec
les voix qu’il fait revivre. Nous assistons symboliquement à
l’effacement de sa propre parole au profit de celles, multiples et
contrastées, des poètes dont elle se sent proche et dans lesquels elle
finit par se dissoudre. Paradoxalement, c’est peut-être dans ce livre où
elle n’a pas écrit un seul vers, qu’elle est la plus présente. La
dissolution du Moi yourcenarien au cœur des vers de Blake, Rilke,
Cocteau, Dylan…semble même l’aboutissement naturel d’une femme
qui a très tôt eu conscience d’être unique et, en même temps, de
contenir, au fond d’elle même, des multitudes, selon la formule dont
elle a fait une de ses devises : Unus ego et multi in me.
Avec La Voix des choses, Yourcenar rejoint donc ces
multitudes de poètes qu’elle a portées en elle toute sa vie. Elle devient
l’un d’eux. C’est peut-être cela aussi, le « retrait » de la poésie que
nous évoquions dès l’introduction de notre essai. Ce retrait de la
poésie de Marguerite Yourcenar, par rapport à l’ensemble de son
œuvre, nous l’avons interrogé tout au long de notre étude. La poésie
est-elle si en retrait que cela dans l’œuvre yourcenarienne ? Est-elle
vraiment un « sous-produit »14 selon l’expression de Yourcenar qui
l’emploie d’ailleurs aussi pour parler du bonheur ? Il n’est pas
13
PV, p. 407.
14
Voir lettre à Jean Roudaut, auquel elle écrit le 18 novembre 1978 : « J’ai joué ma
carrière d’écrivain sur la prose, de sorte que le vers n’est plus qu’un sous-produit ». L,
p. 596.
CONCLUSION 553
15
Lettre du 4 janvier 1978 citée par Yvon BERNIER, « Itinéraire d’une œuvre »,
Études littéraires, op. cit. p. 10.
16
YO, p. 197.
17
« Je pense que Yourcenar, comme Mauriac d’ailleurs, était un poète rentré, qu’elle
aurait aimé être reconnue pour sa poésie. », entretien avec l’auteur, Paris, 29 juillet
2002.
18
Cité par Violaine MASSENET, François Mauriac, Flammarion, 2000, p. 219.
554 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
19
Léopold Sédar SENGHOR, « Un exemple de poésie moderne », La revue des deux
mondes, op. cit., p. 77.
20
Dans un message non daté [1957-1958 ?] qui accompagne l’envoi de deux disques
dont l’un est celui où M. Yourcenar lit ses propres poèmes (Gotham Recording
Corporation, 1957), l’écrivain écrit : « À Natalie Clifford Barney, en remerciement
CONCLUSION 555
pour son sympathique accueil, cette carte de visite de la voix (le premier de ces deux
disques contient d’ailleurs une hésitation qui ressemble à une rature ; soyez-y
indulgente, comme au brouillon un peu barbouillé d’un poème. » Fonds Barney,
NCB. C. 2408.
21
Lettre de F. Mauriac à L.-P. Fargue, 5 octobre 1942, cité par Jean-Paul GOUJON,
Léon-Paul Fargue, Gallimard, 1997, p. 258.
Page laissée blanche intentionnellement
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
VI- ANTHOLOGIES
Thalatta (hommage à la mer), Luxembourg, Éditions internationales
Euroeditor, coll. « Les Carrés », 1985. Contient cinq poèmes de M.
Yourcenar : « Cantilène pour un joueur de flûte aveugle », « Clair-
Obscur : Pour Jean Cocteau », « Drapeau grec », « Le Visionnaire ».
« Écrit au dos de deux cartes postales ». p. 303-307.
562 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
AUTRES ŒUVRES
I- ROMANS ET NOUVELLES
Alexis ou le Traité du vain combat, Paris, Au sans pareil, 1929, 185 p.
La Nouvelle Eurydice, Paris, Grasset, 1931, 241 p.
Denier du rêve, Paris, Grasset, 1934, 237 p.
La Mort conduit l’attelage, Paris, Grasset, 1934, 241 p.
Nouvelles orientales, Paris, Gallimard, 1938, 195 p.
Le Coup de grâce, Paris, Gallimard, 1939,171 p.
Mémoires d’Hadrien, Paris, Plon, 1951, 323 p.
L’Œuvre au noir, Paris, Gallimard, 1968, 343 p.
Anna, soror…, Paris, Gallimard, 1981, 165 p.
Comme l’eau qui coule, Paris, Gallimard, 1982, 272 p.
[Comprend : Anna, soror…, Un Homme obscur, Une Belle matinée]
Un Homme obscur suivi de Une Belle matinée, Paris, Gallimard,
1985, 234 p.
Le Conte bleu. Le Premier soir. Maléfice, Gallimard, 1993, XXII –
88 p.
II- MÉMOIRES
Trilogie Le Labyrinthe du monde :
Souvenirs pieux, Paris, Gallimard, 1974, 309 p.
Archives du Nord, Paris, Gallimard, 1977, 383 p
Quoi ? L'éternité, Paris, Gallimard, 1988, 347 p.
III- THÉÂTRE
Électre ou la chute des masques, Paris, Plon, 1954, 137 p.
Le Mystère d'Alceste et Qui n'a pas son Minotaure ?, Paris, Plon,
1963, 279 p.
Théâtre I, Paris, Gallimard, 1971, 207 p.
[Comprend : Rendre à César, La Petite Sirène, Le Dialogue dans le
marécage]
BIBLIOGRAPHIE 563
V- TRADUCTIONS
Les Vagues [The Waves], Virginia Woolf, Paris, Stock, 1947, 347 p.
Ce que savait Maisie [What Maisie knew], Henry James, préface
d'André Maurois, Paris, Robert Laffont, 1947, 347 p.
Le Coin des « Amen » [The Amen corner], James Baldwin, Paris,
Gallimard, 1983, 117 p.
Cinq Nô modernes [Kindai nogaku-shu], Yukio Mishima, Paris,
Gallimard, 1984, 168 p. [en collaboration avec Jun Shiragi].
Le Cheval noir à tête blanche, contes d’enfants indiens traduits et
présentés par Marguerite Yourcenar, Paris, Gallimard Jeunesse, 1985,
s. p. [Édition retirée du commerce].
564 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
VII- CORRESPONDANCE
« Lettre à Alain Bosquet », Marginales, n° 125, avril 1969, p. 85-86.
« Lettres à Mademoiselle S. », La Nouvelle revue française, n° 327,
avril 1980, p. 181-191.
Lettres à ses amis et quelques autres, édition établie par Michèle
Sarde et Joseph Brami, Paris, Gallimard, 1995, 717 p.
« Correspondance de Marguerite Yourcenar avec maître Jean
Eeckhout », présentée par Rémy Poignault, Bulletin de la SIEY, n° 20,
décembre 1999, p. 21-47.
« Correspondance entre Marguerite Yourcenar et Jean Denègre »,
Bulletin de la SIEY n° 21, décembre 2000, p. 13-26.
D’Hadrien à Zénon. Correspondance 1951-1956, texte établi et annoté
par Colette Gaudin et Rémy Poignault, avec la collaboration de Joseph
Brami et Maurice Delcroix, édition coordonnée par Élyane Dezon-
Jones et Michèle Sarde, préface de Josyane Savigneau, Paris,
Gallimard, 2004, 630 p.
BIBLIOGRAPHIE 565
ÉTUDES YOURCENARIENNES
I- OUVRAGES
ALLAMAND, Carole. Marguerite Yourcenar. Une écriture en mal de
mère, Paris, éd. Imago, 2004, 196 p.
BEAUSSANT, Philippe ; BENOIT-DUSAUSOY, Annick ;
FONTAINE, Guy ; DEVOLDERE, Luc. Marguerite Yourcenar. Une
enfance en Flandre, Photographies de Louis Monier, Paris, Desclée de
Brouwer, 2002, 144 p.
BERNIER, Yvon [dir.]. Les Adieux du Québec à Marguerite
Yourcenar, Québec, Les Presses laurentiennes, coll. « Les Grands
destins », 1988, 177 p.
BERNIER, Yvon. En mémoire d'une souveraine, Marguerite
Yourcenar, Montréal, éditions du Boréal, coll. « Papiers collés »,
1990, 166 p.
BLOT, Jean. Marguerite Yourcenar, Paris, Seghers, coll. « Écrivains
d'hier et d'aujourd'hui », 1971, 187 p.
BONALI FIQUET, Françoise. Réception de l’œuvre de Marguerite
Yourcenar, Tours, SIEY, 1994, 239 p.
BOUSSUGES, Madeleine. Marguerite Yourcenar. Sagesse et
mystique, Grenoble, éd. des Cahiers de l'Alpe, Société des écrivains
dauphinois, 1987, 258 p.
DEPREZ, Bérengère [dir.]. La Ville de Marguerite Yourcenar,
Bruxelles, Éditions Racine/Académie de langue et littérature
françaises, 1999, 320 p.
DEZON-JONES, Élyane ; POIGNAULT, Rémy. Mémoires
d’Hadrien. Marguerite Yourcenar, Paris, Nathan, coll. « Balises »,
1996, 128 p.
DUMAIS-LVOWSKI, Christian. La Promesse du seuil. Un voyage
avec Marguerite Yourcenar, photographies de Saddri Derradji, Arles,
Actes Sud, coll. « Archives privées », 2002, 112 p.
FARRELL, C. Frederick Jr, FARRELL, Edith R. Marguerite
Yourcenar in counterpoint, Lanham-New York-London, University
Press of America, 1983,118 p.
FAVERZANI, Camillo. L’Ariane retrouvée ou le théâtre de
Marguerite Yourcenar, Saint-Denis, Université Paris VIII, coll.
« Travaux et documents », 2001, 188 p.
566 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Lectures :
« Marie-Madeleine ou le salut » suivi de « Les Charités d’Alcippe et
quatre poèmes », lecture de Marguerite Yourcenar, Disque Gotham
Recording Corporation, New York, 1957. [Réf. 4877].
« Precious Memories », par Marion Williams et Marguerite
Yourcenar, réalisation Jerry Wilson, Paris, Auvidis, coll. « Gospel
Greats », 1983. [Réf. AV 4906].
582 MARGUERITE YOURCENAR EN POÉSIE
Sion, Georges 39, 422, 510- Théocrite 24-25, 66, 180, 467,
511 498
Siret, Léonie 547 Thérive, André 370
Skoura, Hélène 89 Thévenet, Jean 33
Smadja, Stéphanie 451 Thiry, Marcel 105, 197, 198,
Smith, Margaret 119 200, 381
Socrate 299, 322, 334, 362 Thompson, Francis 111, 551
Sophocle 24-25, 32, 227, 299, Thomson, James 110
493, 500 Thornbury, Ethel 487
Sosan, Maître 116 Tibère 352
Soupault, Philippe 110, 140, Titien 350
297, 369 Todorov, Tsvetan 444
Southampton, Lord 350 Tolentino, Bruno 187
Soyinka, Wole 176 Tolstoï, Léon 24, 73, 216, 225
Spaziani, Maria Luisa 63 Tonnet-Lacroix, Éliane 299
Spenser, Edmund 102 Tordeur, Jean 412-413
Stalloni, Yves 443, 452 Torreilles, Pierre 196
Stefan, George 170, 209, 238 Toulet, Paul-Jean 160, 297,
Steiner, George 500-501 364, 368
Storoni Mazzolani, Lidia 127, Touret, Michèle 550
467 Traz, Robert de 428
Straton de Sardes 492 Triadu, Joan 105
Stravinsky, Igor 145 Tristmans, Bruno 279
Suarès, André 129, 426 Truc, Gonzague 68, 250, 428
Suberchicot, Alain 339 Trustman, Deborah 97
Suétone 244 Turrettes, Cécile 280
Supervielle, Jules 160, 197, Tzara, Tristan 297
369 Valéry, Paul 56, 70, 73, 108,
Sureau, François 475 181, 185, 198, 211-212,
Swift, Jonathan 106 215-221, 227, 238, 244,
Swinburne, Algernon Charles 256, 299, 373, 379, 410,
106-107, 111, 166, 244 413, 426, 428, 497, 500,
Tagore, Rabindranah 34, 39- 550
43, 95, 167, 181, 300-301 Vallon, Anette 108
Tanguy, Yves 144-145 Vasquez de Parga, Marie-José
Taylor, John 109, 208 192
Tennyson, Alfred 110 Vaudoyer, Jean-Louis 300
Texier, Jean-Claude 265, 446 Vaughan, Henry 106
Vercier, Bruno 421, 446
INDEX 599
Yourcenar qui m’ont apporté leur soutien et leur aide précieuse, ont
répondu à mes questions, et m’ont, pour certains, ouvert
généreusement leurs archives. Je pense en particulier à Pierre
Alechinsky, Silvia Baron Supervielle, Hector Bianciotti, Marie-Claire
Blais, Yves Bonnefoy, Françoise Capdet, Jean Chalon, Pierre Chanel,
André Delteil, Joan E. Howard, Walter Kaiser, Maria Kodama,
Dominique Le Buhan, Alberto Manguel, Mary Meigs, Dr Mohanjit,
Richard Parkinson, Amrita Pritam, Bruno Roy, Colette Seghers,
Rajesh Sharma et Pierre Torreilles.
Je tiens à associer à ces remerciements tous ceux qui ont
facilité mes recherches au sein de divers organismes publics et privés :
merci donc au personnel de la Houghton Library de l’université
Harvard, à celui de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et de son
directeur Yves Peyré qui m’a autorisé à reproduire des extraits inédits
des lettres de Marguerite Yourcenar à Natalie Clifford Barney, à
Michèle Goslar et Marc-Étienne Vlaminck, du Centre international de
documentation Marguerite Yourcenar.
Comment ne pas évoquer l’aide et le soutien amicaux que
m’ont apportés nombre de mes proches dont la complicité, la justesse
des observations et des conseils ont été d’un grand secours à chaque
étape de mon travail. Je pense tout particulièrement à Pascale
Abraham, Jean-Luc di Cesare, Laïziz Hadjadj, Mitsuko Jurgenson,
Jean-Luc Toula-Breysse et Anne Ulpat.
Enfin, il me plaît d’associer à ce livre le souvenir et la
mémoire de deux personnes qui me sont particulièrement chères, ma
mère et le poète Anne-Marie de Backer.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.............................................................................9
I. LA DÉCOUVERTE DE LA POÉSIE...........................................21
Une éducation littéraire classique et buissonnière.............................21
L’influence du père .........................................................................26
Les engouements de l’adolescence...................................................34
CONCLUSION .............................................................................547
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................557
INDEX..........................................................................................585
REMERCIEMENTS .....................................................................601