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SPKG SPRACHE - KULTUR - GESELLSCHAFT 16

16

Cécilia Bernez Grammaire des couleurs


Cécilia Bernez

Grammaire des couleurs

Cet ouvrage propose une analyse inédite (bleu de Prusse, rouge tyrien). Un nom
du lexique chromatique : le mot de cou- étant toujours intégré, la relation entre
leur y est analysé systématiquement dans propriété chromatique et référent (nom
une perspective syntactico-sémantique commun, nom propre) est au centre de la
ainsi que constructionnelle. Première- description.
ment, l’étude se focalise sur la place
d’unités comme rouge au sein du lexique

Cécilia Bernez
en les comparant aux noms de qualité Cécilia Bernez enseigne le français
auxquels ils sont à tort assimilés, puis langue étrangère, et notamment la
aux autres termes chromatiques, noms grammaire, à l’université de Magde-
(couleur, nuance…) et verbes (colorer, bourg. Ses recherches concernent le
nuancer…). La seconde partie définit les
unités chromatiques issues d’opérations
lexique chromatique en langue française
et s’occupent particulièrement de la Grammaire des couleurs
de construction : la conversion (fram- description des opérations construction-
boise), la composition (rouge opéra, vert nelles permettant de créer de nouvelles
Véronèse) et l’assemblage syntaxiforme unités.

ISBN 978-3-631-65453-8

www.peterlang.com
SPKG SPRACHE - KULTUR - GESELLSCHAFT 16
16

Cécilia Bernez Grammaire des couleurs


Cécilia Bernez

Grammaire des couleurs

Cet ouvrage propose une analyse inédite (bleu de Prusse, rouge tyrien). Un nom
du lexique chromatique : le mot de cou- étant toujours intégré, la relation entre
leur y est analysé systématiquement dans propriété chromatique et référent (nom
une perspective syntactico-sémantique commun, nom propre) est au centre de la
ainsi que constructionnelle. Première- description.
ment, l’étude se focalise sur la place
d’unités comme rouge au sein du lexique

Cécilia Bernez
en les comparant aux noms de qualité Cécilia Bernez enseigne le français
auxquels ils sont à tort assimilés, puis langue étrangère, et notamment la
aux autres termes chromatiques, noms grammaire, à l’université de Magde-
(couleur, nuance…) et verbes (colorer, bourg. Ses recherches concernent le
nuancer…). La seconde partie définit les
unités chromatiques issues d’opérations
lexique chromatique en langue française
et s’occupent particulièrement de la Grammaire des couleurs
de construction : la conversion (fram- description des opérations construction-
boise), la composition (rouge opéra, vert nelles permettant de créer de nouvelles
Véronèse) et l’assemblage syntaxiforme unités.

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SPRACHE - KULTUR – GESELLSCHAFT 16

Beiträge zu einer anwendungsbezogenen


Sozio- und Ethnolinguistik

Hrsg. von Prof. Dr. Sabine Bastian


und Prof. Dr. H. Ekkehard Wolff
Cécilia Bernez

Grammaire des couleurs


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La Deutsche Nationalbibliothek a répertorié cette publication dans
la Deutsche Nationalbibliographie ; les données bibliographiques
détaillées peuvent être consultées sur Internet à l’adresse
http://dnb.d-nb.de.

Zugl : Leipzig, Univ., Diss., 2014

15
ISSN 2195-3678
ISBN 978-3-631-65453-8 (Print)
E-ISBN 978-3-653-04653-3 (E-Book)
DOI 10.3726/978-3-653-04653-3
© Peter Lang GmbH
Internationaler Verlag der Wissenschaften
Frankfurt am Main 2014
Tous droits réservés.
Peter Lang Edition est une marque d’éditeur de Peter Lang GmbH.
Peter Lang – Frankfurt am Main · Bern · Bruxelles · New York ·
Oxford · Warszawa · Wien
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tions, traductions, microfilms, l’enregistrement et le traitement dans des
systèmes électroniques.
Cette publication a fait l’objet d’une évaluation par les pairs.
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Remerciements

Mes premiers remerciements s’adressent aux professeurs à qui je dois cette pas-
sion pour la langue et la recherche sur ses fonctionnements et qui sont donc à
l’origine de ce travail.
Je pense particulièrement à Madame Corbin dont les séminaires de morpholo-
gie ont définitivement décidé de ma spécialisation et à Madame Van de Velde qui
a su élargir mes perspectives, du domaine du mot à celui de la phrase.
Je remercie aussi madame Bastian qui depuis notre première rencontre m’a fait
confiance et m’a toujours encouragée.
Je souhaite également exprimer toute ma reconnaissance à monsieur Kleiber
pour avoir immédiatement accepté de participer à mon aventure colorée. Ses
réponses toujours rapides, ses conseils et ses encouragements m’ont été d’une
grande aide pour surmonter les moments de doute et achever ce projet.
Je remercie, par ailleurs, mes trois chères amies, Anne, Annicka et Tina, vérifi-
catrices orthographiques (et parfois sémantiques) qui ont toujours trouvé le temps
de rentrer dans le monde du mot chromatique qui devait pourtant parfois être pour
elles très abstrait.
Évidemment, je n’oublie pas Thomas qui a accepté sans se plaindre de me voir
dans (ou sous) mes livres, recluse dans mon bureau devant mon ordinateur, loin
de notre Bonhomme, qui lui aussi a toujours été indulgent envers mon manque de
disponibilité.
Je remercie enfin tous ceux qui m’ont aidée à façonner mes hypothèses en étant
« cobayes linguistiques » de mes constructions (parfois douteuses), en me faisant
part de leur trouvaille quand ils rencontraient une dénomination intéressante ou en
m’écoutant parler (inlassablement) de mes passionnantes couleurs.

5
Sommaire

Sommaire.......................................................................................................... 7
Abréviations...................................................................................................... 19
Introduction Générale....................................................................................... 21
Partie 1 – Le Lexique Chromatique Non-Construit.......................................... 29
Chapitre I – Le Nom de couleur, une catégorie à part...................................... 31
1. Définition du nom de couleur dans le cadre élaboré
par Flaux & Van de Velde (2000)............................................................... 32
1.1. Le nom de couleur est un nom de qualité........................................... 32
1.2. Le nom de couleur est (i) un nom abstrait à
(ii) interprétation intensive................................................................. 32
2. Contre - argumentation.............................................................................. 33
2.1. Le NCconv. n’est pas un nom de qualité............................................ 34
2.1.1. L’article partitif........................................................................ 34
2.1.2. La pluralisation........................................................................ 35
2.1.3. La localisation de la qualité..................................................... 39
2.1.4. Le génitif de qualité................................................................. 40
2.2. Le NCconv. n’est pas un nom intensif................................................ 43
2.2.1. Définition et caractéristiques du nom intensif
selon Flaux & Van de Velde (2000)......................................... 43
2.2.2. Application de ces tests aux termes chromatiques.................. 44
2.3. Adjectif et couleur : graduable ou non graduable ?............................ 47
2.3.1. Référent graduable, adjectif non graduable
selon Whittaker........................................................................ 47
2.3.2. Pourquoi cette association Intensité-Couleur
semble-t-elle incontestable et aller de soi ?............................. 50
2.4. Très en couleur. Les hypothèses envisagées,
critiquées par Kleiber (2007a)............................................................ 54
2.4.1. Analyse de Whittaker (1994, 2002)........................................ 54
2.4.1.1. Prémisses de son hypothèse dans
celle de Milner (1978).............................................. 54
2.4.1.2. Extension explicative dans la
démonstration de Whittaker...................................... 55

7
2.4.1.3. Théorie de l’argumentation...................................... 57
2.4.2. Analyse de Noailly.................................................................. 59
2.5. Contre-arguments de Kleiber.............................................................. 60
2.5.1. Interprétation première chromatique....................................... 60
2.5.2. Très bleu vs très français........................................................ 61
2.5.3. Statut de l’adjectif bleu non modifié....................................... 61
2.5.4. Bleu vs grand.......................................................................... 62
2.6. Hypothèse de Kleiber......................................................................... 63
2.6.1. Des couleurs en continuum..................................................... 63
2.6.2. Nuance de couleur = degré de couleur ?................................. 64
2.6.3. Caractère multidimensionnel de la couleur............................. 64
2.6.4. Graduation possible................................................................. 65
3. Autre hypothèse......................................................................................... 67
3.1. Lacunes dans les analyses antérieures................................................ 67
3.2. Corpus général.................................................................................... 68
3.3. Cadre définitionnel : Intensité et Déneutralisation............................. 71
3.3.1. Notion générale d’intensité..................................................... 71
3.3.2. Intensité définie par Roméro (2007)........................................ 72
3.3.3. Les notions d’état neutre et de déneutralisation..................... 74
3.3.4. Hypothèse d’une adaptation sémantique de très..................... 75
3.4. Analyse générale................................................................................. 75
3.4.1. Vers une adaptation sémantique de très
selon le référent....................................................................... 75
3.4.2. Description des variations sémantiques de très....................... 76
3.4.3. Différenciation référentielle.................................................... 77
3.5. Application aux données..................................................................... 78
3.5.1. Premier groupe - Corpus et organisation des exemples.......... 78
3.5.1.1. Particularité de la propriété chromatique
par rapport à son référent : couleur
naturelle et variable.................................................. 81
3.5.1.2. Évaluation du caractère processif : corpus et
propriété de la qualité chromatique en procès.......... 82
3.5.1.3. Analyse de trois contre-exemples............................. 84
3.5.1.4. Sous-groupe : référent dont la couleur
est immuable............................................................. 86
3.5.1.5. Et le ciel, l’herbe ou le linge ?.................................. 90
3.5.2. Couleur non naturelle - Absence de continuum
(Groupes 2 et 3)....................................................................... 91

8
3.5.2.1. Référence chromatique hétérogène - Intensité
à médiation quantitative........................................... 92
3.5.2.2. Corpus d’analyse...................................................... 94
3.5.2.3. Lecture quantitative.................................................. 95
3.5.2.3.1. Application d’une mesure pour
construire l’intensité à portée
quantitative.............................................. 95
3.5.2.3.2. Restriction sur la couleur :
aptitude à être autre................................. 96
3.5.2.3.3. Restriction sur le support......................... 98
3.5.3. Référence homogène - Intensité à médiation axiologique...... 100
3.6. Applications sur les exemples du corpus............................................ 101
4. Référent-couleur vs Référent-qualité ?...................................................... 104
4.1. Redéfinition de la notion d’abstraction............................................... 104
4.2. Application aux NChr......................................................................... 105
4.2.1. Immatériabilité en commun.................................................... 105
4.2.2. Accessibilité aux sens.............................................................. 105
4.2.3. Non autonomie référentielle.................................................... 106
5. Les noms de matière.................................................................................. 107
5.1. Détermination et quantification.......................................................... 107
5.1.1. L’article partitif et article solidaire.......................................... 107
5.1.2. Un peu..................................................................................... 108
5.1.3. Nom métonymique comme quantifieur................................... 108
5.2. Influence de l’adjectif classifiant........................................................ 109
5.3. Complément spécifiant....................................................................... 111
5.4. Ce n’est pas un nom de matière.......................................................... 114
Chapitre II – Acolytes de Couleur : Entre Nuance, Ton,
Teinte et Coloris........................................................................... 117
1. Couleur et hiérarchie.................................................................................. 119
1.1. Description de couleur = massif abstrait............................................ 119
1.2. Emploi dénombrable........................................................................... 121
1.3. Couleur-lumière - Couleur-matière..................................................... 122
2. Description de nuance................................................................................ 123
2.1. Nuance et couleur comme nom-chapeau d’une classe
mais à des niveaux différents.............................................................. 123
2.1.1. Relation d’identité................................................................... 123
2.1.2. Addition de couleurs............................................................... 124

9
2.2. Spécificité de nuance : non-autonomie référentielle ni
linguistique (une nuance de bleu)....................................................... 126
2.3. Nuance est un hyponyme de couleur.................................................. 127
2.3.1. Hiérarchie du lexique : deux axes........................................... 127
2.3.2. Sens de l’hypéronymie............................................................ 128
2.3.2.1. Rapport de domination............................................. 128
2.3.2.2. Constance et uniformité dans la relation.................. 129
2.3.2.2.1. Au niveau référentiel............................... 129
2.3.2.2.1.1. « Sorte de »......................... 129
2.3.2.2.1.2. Au niveau sémantique :
gain informationnel............ 131
2.3.2.2.2. Implications syntaxiques......................... 131
3. Ton et une autre façon de découper la couleur........................................... 133
3.1. Emplois synonymiques....................................................................... 134
3.2. Critères distinctifs de ton.................................................................... 135
3.2.1. Pluralisation spécifique........................................................... 137
3.2.2. Pas de hiérarchie-être, pas d’hyponymie................................. 139
3.3. Ton vs Nuance..................................................................................... 139
3.3.1. En termes d’autonomie par rapport à couleur......................... 139
3.3.2. Absence de dénomination....................................................... 140
3.3.3. Détermination par un article défini : création
d’une classe............................................................................. 140
4. Teinte-coloris : spécification de la couleur................................................. 142
4.1. Coloris................................................................................................. 142
4.1.1. Sens plus restreint.................................................................... 142
4.1.2. Choix du référent et étymologie.............................................. 142
4.1.3. Ce que dit la préposition.......................................................... 144
4.2. Teinte.................................................................................................. 145
4.2.1. Teinte = couleur ?.................................................................... 146
4.2.2. Spécificité de teinte [-abstrait][+procès]
vs couleur [+abstrait][-procès]................................................ 147
4.2.3. Teinte vs coloris/teinture......................................................... 150
4.2.4. Teinte vs coloration................................................................. 151
4.3. Sens figurés......................................................................................... 152
Chapitre III – Le Lexique Verbal...................................................................... 157
1. Colorier...................................................................................................... 161
1.1. Agent humain...................................................................................... 162

10
1.2. Verbe à objet interne........................................................................... 163
1.3. Sujet syntaxique potentiel................................................................... 165
2. Teindre et teinter........................................................................................ 169
2.1. Définitions lexicographiques.............................................................. 169
2.2. Description et analyse des données.................................................... 173
2.2.1. Sujet humain : préposition comme trait distinctif................... 173
2.2.2. L’objet..................................................................................... 175
2.2.3. Intensité, durée du procès........................................................ 176
2.2.4. Emplois littéraires................................................................... 176
2.2.5. Sens figurés............................................................................. 178
3. Teindre et colorier...................................................................................... 179
4. Colorer vs colorier, teindre, teinter............................................................ 180
5. Nuancer...................................................................................................... 183
6. Les verbes désadjectivaux.......................................................................... 184
6.1. Théorie de Levin & Rappaport........................................................... 186
6.2. L’argument externe............................................................................. 187
6.3. La cause externe................................................................................. 188
6.4. Restriction sur le sujet........................................................................ 188
6.4.1. Sens étendu → activité............................................................ 188
6.4.2. Procès naturel forcé................................................................. 190
6.4.3. Sujet de tournure intransitive.................................................. 191
7. Colorer vs nuancer et les verbes désadjectivaux....................................... 194
7.1. Propriétés identiques........................................................................... 194
7.2. Hypéronymie...................................................................................... 195
8. Le lexique verbal négatif chromatique....................................................... 199
8.1. Préfixe dé-........................................................................................... 200
8.1.1. Problème définitionnel selon Gary-Prieur (1976)................... 200
8.1.2. Résolution de Gary-Prieur....................................................... 201
8.2. Déteindre et décolorer........................................................................ 202
8.2.1. Emplois synonymiques........................................................... 202
8.2.2. Emplois singuliers................................................................... 203
8.2.2.1. Définitions lexicographiques.................................... 203
8.2.2.2. Mise en contexte....................................................... 204
8.2.3. Propriétés discriminatoires et focalisation du procès.............. 206
8.2.3.1. Focalisation des procès de décolorer et déteindre.... 206
8.2.3.2. Confirmation avec exemples.................................... 207
8.2.3.3. Répercussion sémantique sur les sens figurés.......... 208

11
8.2.4. Relations aux bases verbales à valeur positive........................ 209
8.2.5. Applications à l’analyse de Gary-Prieur................................. 211
8.3. *Décolorier, *dénuancer et *déteinter............................................... 212
8.3.1. Hypothèse de Boons (1984).................................................... 212
8.3.2. Applications de l’analyse de Boons........................................ 213
8.3.3. Déblanchir, débleuir, déjaunir, dénoircir,
dérougir, déverdir.................................................................... 214
8.3.3.1. Séquences rares et fortement contraintes................. 214
8.3.3.2. Sens spécialisés (déblanchir,
débleuir, déverdir).................................................... 215
8.3.3.3. Dérougir, déjaunir, dénoircir : contraintes et
distributions.............................................................. 215
Partie 2 – Le Lexique Chromatique Construit.................................................. 221
Chapitre I – Élaboration Du Corpus ; Problèmes
Et Critères Adoptés........................................................................................... 223
1. Nombre et dénomination de couleurs........................................................ 223
1.1. Nombre infini de couleurs.................................................................. 223
1.2. Une productivité trop florissante........................................................ 224
1.3. Répercussions sur le corpus................................................................ 227
2. Catégorisation grammaticale des séquences du type tilleul,
vert pomme, rose mexicain et jaune de Naples.......................................... 228
2.1. Feuille morte, vert pomme et jaune de Naples : une unité
polylexicale ou plusieurs unités ?....................................................... 229
2.2. Catégorisation des unités.................................................................... 230
2.2.1. Propriétés combinatoires syntaxiques..................................... 233
2.2.1.1. Position épithète et attribut....................................... 234
2.2.1.2. Modification adverbiale............................................ 236
2.2.2. Propriétés sémantiques............................................................ 237
2.2.2.1. Positions épithète et attribut..................................... 237
2.2.2.2. Modification adverbiale - Structure comparative..... 239
2.2.3. Propriétés combinatoires d’ordre morphologique................... 240
2.2.4. Propriétés flexionnelles........................................................... 244
2.2.4.1. La flexion de genre et de nombre............................. 244
2.2.4.1.1. La marque du nombre............................. 244
2.2.4.1.2. La flexion de genre.................................. 245
2.2.4.1.3. Hypothèses sur les raisons de
l’invariabilité........................................... 246

12
2.2.4.1.3.1. « Point de vue »
des grammaires
traditionnelles..................... 246
2.2.4.1.3.2. L’ellipse comme explication
de l’invariabilité
Guillemard (1998).............. 247
2.2.4.1.3.3. Hypothèse de Tesnière
(selon Corblin, 1995 :
232–237)............................. 249
2.2.4.2. Règles de grammaire vs usage................................. 251
2.2.5. Catégorisation dans les dictionnaires...................................... 252
2.2.5.1. Aucune information catégorielle.............................. 252
2.2.5.2. Catégorisation des unités monolexixales.................. 254
2.2.5.3. Catégorisation des unités polylexicales
(définitions extraites du Grand Robert
électronique, désormais GRE).................................. 255
3. Répercussions sur l’élaboration du corpus................................................. 256
3.1. Justification quant aux lacunes face à la catégorisation...................... 256
3.2. Emplois distincts................................................................................. 257
Chapitre II – Les Opérations Constructionnelles de Termes de Couleur.......... 261
1. Constituants et constitués........................................................................... 261
1.1. L’unité constituée................................................................................ 261
1.1.1. Corpus de Dubois & Grinevald (2003)................................... 261
1.1.2. Réorganisation du corpus........................................................ 263
1.2. Le N1 : premier élément des unités polylexicales.............................. 266
1.2.1. N1 = couleur............................................................................ 266
1.2.2. N1 = TdeC............................................................................... 268
1.3. Le référent du N2................................................................................ 271
2. Les opérations de construction................................................................... 274
2.1. Des unités polylexicales à différencier : vert pomme, jaune
de Naples/rose mexicain et cuisse de nymphe émue........................... 274
2.2. La composition................................................................................... 275
2.3. L’assemblage syntaxiforme................................................................ 276
2.3.1. Argument sémantico-référentiel.............................................. 279
2.3.1.1. Le référent de [TdeC + de + N2].............................. 279
2.3.1.2. Le premier terme...................................................... 281
2.3.1.3. Le dernier terme....................................................... 281

13
2.3.1.4. De............................................................................. 282
2.3.1.4.1. Description de De.................................... 282
2.3.1.4.2. De en couleur.......................................... 283
2.3.2. Arguments morphologiques.................................................... 284
2.3.2.1. Nécessité de TdeC comme N1.................................. 285
2.3.2.2. Nécessité de de......................................................... 285
2.3.2.3. Nécessité de [N1 de]................................................. 286
2.3.2.4. Caractère de productivité.......................................... 286
2.3.3. Arguments syntaxiques........................................................... 287
2.3.4. Structure et statut syntaxique.................................................. 288
2.3.4.1. Hypothèse pour Jaune de Naples............................. 288
2.3.4.2. Hypothèse pour Couleur de sparadrap.................... 289
2.3.4.2.1. Comportements différents....................... 289
2.3.4.2.2. Relation établie par de............................. 289
2.3.4.3. Hypothèse pour Blanc de lait................................... 291
2.3.5. [TdeC + Adj.] - Adjectif et base : nom commun
vs nom propre.......................................................................... 292
2.3.5.1. Analyse de Molinier (2006)...................................... 294
2.3.5.2. Construction morphologique ou syntaxique ?.......... 296
2.3.5.2.1. Influence de la conceptualisation
du locuteur............................................... 296
2.3.5.2.2. Opération constructionnelle.................... 298
2.3.5.2.3. Rose mexicain vs *Rose du Mexique....... 299
2.4. La conversion...................................................................................... 300
2.4.1. Traitements erronés................................................................. 300
2.4.1.1. Contre l’ellipse......................................................... 302
2.4.1.1.1. Premier argument contre l’ellipse........... 302
2.4.1.1.2. Second argument..................................... 302
2.4.1.1.3. Bête.......................................................... 303
2.4.2. La conversion : une opération constructionnelle
d’unités lexicales..................................................................... 304
2.4.2.1. Définition.................................................................. 304
2.4.2.2. Instruction sémantique de l’OC................................ 305
2.4.2.2.1. Sorte de métaphore (Melis-
Puchulu, 1988)........................................ 305
2.4.2.2.1.1. Définition de la
métaphore........................... 306
2.4.2.2.1.2. Problème définitionnel........ 307

14
2.4.2.2.1.3. Comparaison....................... 307
2.4.2.3. Unités concernées : contre Molinier (2006)............. 308
2.4.2.4. Domaine spécialisé (Nom recteur)........................... 308
Chapitre III – Hypothèse d’un Gradient de Propriétés.................................... 311
1. Propriétés et référents................................................................................. 312
1.1. Adaptation de la notion de propriété stéréotypique............................ 312
1.2. Deux sortes de typicité........................................................................ 313
1.3. Propriété et typicité- Restrictions linguistique et référentielle........... 314
1.3.1. Restriction linguistique - En langue française......................... 314
1.3.2. Restriction référentielle - Unicité linguistique de Pi............... 314
2. Propriété et processus morphologique d’activation associé...................... 315
2.1. Exemples de conversion selon les propriétés...................................... 316
2.1.1. Propriétés comportementales.................................................. 316
2.1.2. Propriétés formelles................................................................. 318
2.1.2.1. Référents animés...................................................... 318
2.1.2.2. Référents non animés............................................... 319
2.1.3. Propriétés chromatiques.......................................................... 320
2.2. Observations....................................................................................... 320
3. Hypothèse du gradient de propriétés.......................................................... 322
3.1. Définition du gradient......................................................................... 322
3.2. Illustrations/Justifications/Applications.............................................. 323
3.2.1. Propriété unique : typicité inhérente = conversion.................. 324
3.2.1.1. Nom de base = colorant............................................ 325
3.2.1.2. Nom de base = pierre (semi-) précieuse................... 327
3.2.1.3. Nom de base = animal (ou partie d’animal)............. 328
3.2.1.4. Nom de base = végétal (fleur, fruit, légume, arbre)..... 329
3.2.1.4.1. Nom de base = fleur................................ 329
3.2.1.4.2. Nom de base = fruit ou légume............... 330
3.2.1.4.3. Nom de base = arbre................................ 330
3.2.1.5. Nom de base = objet................................................. 331
3.2.2. Critère de fonctionnalité.......................................................... 332
3.2.3. Critères dérivés du « critère de fonctionnalité »
(fréquence et visée)................................................................. 334
3.2.3.1. Concurrence de propriétés chromatiques................. 334
3.2.3.2. Concurrence de différentes propriétés...................... 337
3.2.3.2.1. La dureté.................................................. 337
3.2.3.2.2. Le comportement..................................... 338

15
3.2.3.2.2.1. Métaphore sur le nom......... 338
3.2.3.2.2.2. Métaphore sur le verbe....... 339
3.3. Composition - Typicité latente : nécessité d’un
support sémantique............................................................................. 340
3.3.1. Propriétés concurrentes........................................................... 341
3.3.2. Propriétés chromatiques du référent de N2
originellement non activables.................................................. 342
3.3.3. Valeurs subjectives.................................................................. 343
4. Traitement du nom propre.......................................................................... 345
4.1. Quelques exemples............................................................................. 345
4.2. Nom propre et problématique............................................................. 346
4.2.1. Premier problème : reconnaissance du nom propre................ 346
4.2.2. Noms propres étudiés.............................................................. 348
4.3. Statut du nom propre dans les grammaires traditionnelles................. 349
4.4. Marginalité du nom propre remise en question.................................. 352
4.4.1. Du point de vue syntaxique..................................................... 352
4.4.2. Du point de vue sémantique.................................................... 352
4.4.2.1. Kleiber et le « prédicat de dénomination »............... 352
4.4.2.2. Notion de contenu..................................................... 353
4.4.2.3. Nom propre = toponyme.......................................... 354
4.4.2.3.1. Notion de contenu appliquée
aux toponymes......................................... 355
4.4.2.3.2. Application aux mots chromatiques........ 356
4.5. Comparaison avec adjectif anthroponymique construit..................... 356
4.5.1. Anthroponyme et suffixation : -esque, -ien, -iste, -ique.......... 357
4.5.1.1. Le suffixe –esque...................................................... 357
4.5.1.2. Le suffixe –ique........................................................ 358
4.5.1.3. Le suffixe –iste vs le suffixe -ien.............................. 359
4.5.2. Application et comparaison avec formes issues
de composition........................................................................ 360
4.5.2.1. *Brun van dyckiste................................................... 360
4.5.2.2. °Rouge tiepolien/°tiepolesque/°tiepolique................ 360
4.5.2.3. Rose mexicain vs °Brun vandyckien......................... 362
4.5.3. Cas litigieux : reflet du locuteur.............................................. 364
Conclusion Générale......................................................................................... 369
Bibliographie Générale..................................................................................... 383
Annexes............................................................................................................. 395

16
Annexe I – Liste des exemples utilisés dans le texte........................................ 397
Partie 1 – Le lexique chromatique non-construit.............................................. 397
Chapitre I – Le nom de couleur, une catégorie à part....................................... 397
Chapitre II – Le lexique nominal...................................................................... 408
Chapitre III– Le lexique verbal......................................................................... 413
Partie 2 – Le lexique chromatique construit..................................................... 420
Chapitre I – É
 laboration du corpus : Problèmes
et critères adoptés.......................................................................... 420
Chapitre II – L
 es opérations constructionnelles de
termes de couleur......................................................................... 423
Chapitre III – Hypothèse d’un gradient de propriété....................................... 427
Annexe II – Corpus supplémentaire [très + TdeC]........................................... 432
1. Très + TdeC simple.................................................................................... 432
1.1. Très blanc............................................................................................ 432
1.2. Très jaune............................................................................................ 432
1.3. Très rouge............................................................................................ 434
1.4. Très vert............................................................................................... 434
2. Très + TdeC construit................................................................................. 435
2.1. Très + TdeC complexe monolexical................................................... 435
2.1.1. Très marron............................................................................. 435
2.1.2. Très mauve.............................................................................. 435
2.1.3. Très orange.............................................................................. 435
2.2. Très + TdeC complexe polylexical..................................................... 436
2.2.1. Très bleu ciel/roi/de Prusse..................................................... 436
2.2.2. Très rouge bordeaux/vermillon............................................... 436
2.2.3. Très vert pomme/sapin/menthe/olive...................................... 437
Annexe III– Corpus additionnel........................................................................ 438
1. Exemples illustrant la composition............................................................ 439
1.1. En position adjectivale........................................................................ 439
1.1.1. Avec un nom commun............................................................. 439
1.1.2. N2 = Nom propre.................................................................... 446
1.1.3. Nom propre communisé.......................................................... 448
1.2. En position nominale (avec pour N2 un nom commun
ou un nom propre).............................................................................. 449
1.3. Composition et deux couleurs possibles comme
support sémantique............................................................................. 451

17
2. Exemples illustrant la Conversion............................................................. 453
2.1. En position adjectivale........................................................................ 453
2.2. En position nominale.......................................................................... 460
2.3. Quelques rares cas de conversion de nom propre............................... 461
3. Exemples de concurrences d’emplois en composition
et en conversion......................................................................................... 462
4. Exemples illustrant l’assemblage syntaxiforme......................................... 464
4.1. [TdeC + de + N].................................................................................. 464
4.1.1. N = Toponyme......................................................................... 464
4.1.2. N ≠ Toponyme......................................................................... 465
4.1.2.1. [TdeC + de +N] = Nom de colorant......................... 465
4.1.2.2. [TdeC + de +N] ≠ Nom de colorant......................... 465
4.2. [TdeC + Adj.]...................................................................................... 466
4.2.1. Base toponymique................................................................... 466
4.2.2. Base non toponymique............................................................ 467
5. Exemples avec couleur (avec ou sans la préposition de).............................. 467
6. Exemples illustrant la multiplicitÉ de constructions possibles..................... 468

18
Abréviations

AdjChr. : Adjectif chromatique


AdjQual. : Adjectif de qualité
Adj. : Adjectif
AS : Assemblage syntaxiforme
N : Nom
NCconv : Nom issu d’une conversion
NChr. : Nom chromatique
NExt. : Nom extensif
NInt. : Nom intensif
NMat. : Nom de matière
NQual. : Nom de qualité
NQuant. : Nom quantifieur
OC : Opération constructionnelle d’unités lexicales
Pi : Propriété
Prep : Préposition
TdeC : Terme de couleur
V : Verbe
* : Marque une occurrence (ou une séquence) comme agrammaticale
° : Marque une occurrence comme régulièrement construite, mais
attestée nulle part
? : Marque le doute et l’hésitation face à une occurrence

19
Introduction Générale

« Objet fascinant et combien complexe, la couleur est partout : dans la nature, la


culture et l’industrie ; on l’étudie dans les sciences dures comme les sciences molles. »

Cette citation de G. Roque1, spécialiste de la couleur en philosophie et en art,


illustre la place que la couleur occupe au sein du monde aussi bien naturel que
scientifique. Le sujet semble, alors, peu original vu le nombre d’études le concer-
nant. Relativement au domaine de la langue, un récent regain d’intérêt est d’ail-
leurs à noter. Notre analyse saura toutefois se distinguer des études existantes
par sa singularité : premièrement en ce qui concerne l’objet d’étude (les mots de
couleur) et donc les domaines d’étude concerné (la sémantique, la syntaxe et la
morphologie constructionnelle) et deuxièmement par l’exhaustivité2 du matériel
analysé (mots non-construits et construits).

La couleur, thème interdisciplinaire, a donné lieu à de nombreuses recherches


dans des domaines variés (chimie, physique, optique, anthropologie, philosophie,
linguistique… sans oublier les domaines qui lui sont propres comme la colorimé-
trie ou la coloristique). Pour ne citer que quelques études, les philosophes et phy-
siciens, par exemple, se sont penchés sur le phénomène de la couleur en lui-même
et ont tenté de répondre à la question de ce qu’est la couleur ; les ethnologues ou
les sémioticiens en cherchent les symboles et tentent de définir les symboliques ;
les historiens expliquent la conception que nous avons aujourd’hui des couleurs et
leur place dans la société à travers le temps.
Le linguiste, de son côté, n’est pas en reste. Néanmoins, comme le remarque
Wyler dans l’introduction de son ouvrage «  Colour and langage  »  (1992  : 8),
paradoxalement, peu d’études traitent les aspects « vraiment » linguistiques de la
couleur :

1 http://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doschim/decouv/couleurs/tout_couleur.html (consulté
le 20.08.2013).
2 L’exhaustivité est à comprendre comme la totalité des moyens propres à dénommer
ce qui constitue le lexique chromatique (adjectifs, substantifs et verbes) en français,
autrement dit les différents types de mots (et non tous les mots) qui peuvent désigner
une couleur ou un procès ayant trait à la couleur.

21
« [I] realise than when people discuss colour and language they often concentrate on
the phenomenon of colour rather than of language. That is to say they argue about
perception, the segmentation of the colour continuum, emotional response, and much
less about the linguistic aspects of colour ».

Slodzian (1993 : 34), qui énumère dans un article les études linguistiques les plus
représentatives faites autour du phénomène de la couleur, explique en effet que
le linguiste se sert du matériel lexical chromatique3 comme outil et non comme
objet :
« toute tentative de fonder une sémantique du perceptuel repose massivement sur
l’analyse de la dénomination des couleurs ». 

Par exemple, Berlin & Kay (1969) puis Wierzbicka (1988, 1996), dans le cadre
d’une analyse visant à prouver l’existence de termes universaux qui seraient
une base commune à toutes les langues, utilisent les mots chromatiques comme
domaine d’investigation. Suite à des questionnements concernant la reconnais-
sance d’une « couleur » et à son repérage sous une étiquette lexicale, ils tentent de
dresser une liste de termes communs à toutes les langues des civilisations étudiées.
Rosch-Heider (1971), de même, afin de justifier son hypothèse d’un exemplaire
prototypique4 subordonnant chaque catégorie conceptuelle se sert de la déno-
mination des couleurs pour illustrer ses hypothèses. Plus récemment, Dubois &
Grinevald (1999, 2003), dont le but est d’abord de remettre en question l’hypo-
thèse des universaux, présentent une description beaucoup plus centrée sur le mot
en lui-même : comme elles se donnent pour objet de montrer que la construction
d’une dénomination chromatique dépend du domaine de pratique dans lequel elle
sera utilisée (et donc créée, lorsqu’elle est inédite), elles sont amenées à réperto-
rier les mots chromatiques des différents domaines (cosmétique, peinture, etc.) et
d’en analyser les formes pour réussir à associer des types de combinaisons à des
domaines de pratiques. Bien que leurs analyses aient présenté un grand intérêt
pour notre recherche, nous ne nous situons pas dans le même domaine. Elles y
mettent en relief des procédés cognitifs et les couleurs leur servent de support pour
des tests visant à établir une relation entre ce qui est perçu et ce qui est dit, tandis

3 Nous définissons chromatique comme : « qui a rapport à la couleur ». De fait, nous


qualifierons de chromatique, des verbes, des noms ou des adjectifs qui ont un sens en
rapport avec la couleur. Toutes ces unités forment le lexique chromatique.
4 L’exemplaire prototypique permet de regrouper des entités différentes selon leur
degré de ressemblance avec ce modèle : une entité peut être dénommée de la même
façon qu’une autre parce qu’elle partage assez de propriétés pertinentes pour y être
assimilée.

22
que la nôtre a pour objet (aussi bien dans le sens d’objectif que de matériel) l’unité
lexicale elle-même et pour elle-même.
Tornay (1978), avec l’ouvrage collectif « Voir et nommer les couleurs », a été
un des premiers à vraiment essayer de focaliser les études de la couleur sur le
lexique. Mais souvent les analyses5 ne sont qu’un outil pour confirmer ou infir-
mer les hypothèses universalistes. Nous pouvons certes également mentionner
certains travaux traitant un point particulier du lexique chromatique, comme la
graduation et ses difficultés (ou plutôt singularités) par exemple (Noailly : 2005,
Kleiber : 2007b ou 2009). Néanmoins, notre travail se veut beaucoup plus complet
que toutes ces analyses étroitement centrées sur un aspect particulier.
Comme le titre de notre étude l’indique, nous voulons présenter une « gram-
maire des couleurs » ; nous entendons grammaire dans le sens défini dans le dic-
tionnaire Le petit Robert :
« Une étude systématique des éléments constitutifs d’une langue ».

Les analyses de Molinier (2001, 2005, 2006) pourraient entrer dans ce cadre puisque
ce linguiste se donne pour objet de classifier les termes chromatiques, mais bien
que le matériel soit identique, notre classement se différencie du sien car nous
déterminons les catégories des unités sur des critères touchant la structure mor-
phologique profonde de l’unité lexicale et nous distinguons ces unités non seule-
ment entre elles mais aussi du reste du lexique.

La grammaire que présente ce travail englobera une analyse en deux parties du


lexique chromatique nominal et adjectival (les deux étant formellement très liés,
puisque dans ces deux emplois syntaxiques, les formes de surface, graphique et
phonique, sont similaires) ainsi que verbal. La division en deux parties se justi-
fiera par le degré de complexité constructionnelle des unités lexicales : tandis que
la première concernera les « termes chromatiques de base », la seconde traitera
essentiellement du lexique construit et plus particulièrement des opérations de
construction permettant de créer une unité chromatique6. Sur les trois opérations
qui existent, deux forment des unités constituées de plusieurs éléments, dont le
premier est une des unités décrites dans la première partie (d’où l’ordre choisi de
la présentation). C’est pourquoi nous utilisons la notion « de base » en terme de

5 Elles concernent d’ailleurs rarement la langue française (sauf Meunier, 1978).


6 Cette dichotomie structurelle se situe au sein de la catégorie de l’adjectif de couleur
(non-construit : rouge vs construit : rouge opéra). Le lexique dérivé de ses bases, soit
nominal (le rouge vs le rouge opéra) soit verbal (rougir), sera également traité.

23
degré de complexité morphologique et non comme dans la conception cognitiviste
des universaux (même si presque les mêmes adjectifs sont concernés).

Ainsi, la première partie regroupera des adjectifs non issus d’une opération de
construction du type blanc, bleu, jaune, noir, rouge, vert. Corrélativement, il sera
question des noms construits sur ces bases (le blanc, le bleu, le jaune, le noir, le
rouge, le vert) ainsi que des verbes dérivés (blanchir, bleuir, jaunir, noircir, rougir,
verdir). Afin de compléter cette description du lexique chromatique sur base
simple, ces unités seront comparées aux autres termes du lexique chromatique
nominal et verbal : couleur, nuance, ton, coloris et teinte, ainsi que colorer,
colorier, teindre, teinter et nuancer.
L’objectif de cette première partie sera de décrire le statut particulier des termes
chromatiques au sein du lexique en général en nous fondant sur les différences qui
existent entre les noms de couleur et les noms de qualité qui leur sont communément
associés. En soumettant les noms chromatiques à différents tests de l’ordre de la
syntaxe et de la sémantique basés principalement sur la définition du nom de qualité
développée par Van de Velde (1995) et Flaux & Van de Velde (2000), nous tenterons
de justifier si les termes chromatiques, comme Kleiber (2007a, 2011) le propose, for-
ment une catégorie propre et qu’il est ainsi vain d’essayer de les assimiler à d’autres
termes. Nous illustrerons notre démonstration en présentant les particularités de la
graduation avec ces unités. Nous tenterons en discutant les conclusions de Whittaker
(1994, 2002), Noailly (2005) et de Kleiber (2007a, 2009) d’expliquer comment la
relation des couleurs à l’intensité (et corrélativement des mots de couleur à la gra-
duation linguistique) illustre leur statut ambivalent, aussi bien lexical que référentiel.
Le second point important de cette première partie sera la corrélation que
nous essaierons de déterminer entre le lexique nominal et le lexique verbal. Nous
formulons l’hypothèse d’une organisation symétrique des termes des deux caté-
gories lexicales que nous vérifierons en analysant comment ils se complètent et se
distinguent. Nous nous servirons principalement des définitions lexicographiques
et des traits définitoires distinctifs ainsi que de la notion d’hypéronymie afin
d’observer si une relation hiérarchisée relie les différentes unités.

La seconde partie concernera le lexique chromatique construit. Nous analyse-


rons les termes du point de vue de leur structure morphologique et de l’opération
constructionnelle (désormais OC)7 qui les a construits. Contrairement à ceux qui

7 Contrairement à de nombreux linguistes spécialisés dans l’étude de la construction


d’unités lexicales, nous ne parlons pas d’opération morphologique mais d’opération

24
ont tenté de définir la relation établie dans la langue entre ces entités (c’est-à-dire
les couleurs) et les unités qui les dénomment, nous voulons rendre compte de ce
que Saussure appelle la motivation du signe. Des unités telles que celles de notre
première partie, ne sont pas définissables dans la mesure où on ne peut décrire leur
sens, comme l’explique Wittgenstein (1983 : 18)8 :
« si l’on nous demande : «  Que signifient les mots rouge, bleu, noir, blanc ? » nous
pouvons bien entendu montrer immédiatement des choses qui ont de telles couleurs,
mais notre capacité à expliquer la signification de ces mots ne va plus loin ! ».

En revanche, les unités étudiées dans cette partie sont construites morpholo-
giquement, leur forme est motivée comme l’explique par exemple Kerleroux
(2000 : 89) :
« Le sens d’un mot construit est construit en même temps que sa structure morpholo-
gique et compositionnellement par rapport à celle-ci ».

Il sera donc possible d’expliciter le sens (ou la signification pour reprendre le


terme de Wittgenstein) de l’unité puisqu’il est prédictible par rapport au sens de la
base et au sens de l’opération de construction qui construit l’occurrence.

Nous nous sommes intéressée aux adjectifs chromatiques construits qui ne dé-
signaient pas antérieurement de la couleur. Ont par conséquent été exclus les
adjectifs évaluatifs du type de bleuâtre, jaunasse, argenté, etc. issus de l’adjonc-
tion d’un suffixe comme –âtre, -asse ou –é sur une base adjectivale bleu, jaune,
argent9, ainsi que les adjectifs bleu-gris ou gris clair.
Les adjectifs qui restent ont tous la particularité d’utiliser une unité pouvant être
catégorisée par ailleurs comme nom : saumon dans saumon, sparadrap dans rose
sparadrap, Naples dans jaune de Naples ou Mexique dans rose mexicain. Notre
description se situe dans le cadre théorique du lexique construit développé par
Corbin (1987, à paraître). Nous reprendrons sa terminologie et accepterons sans

constructionnelle, parce que dans le cadre dans lequel nous nous situons, l’assem-
blage syntaxiforme fait partie des opérations de construction de mots et est défini
comme para-morphologique puisqu’il emprunte du matériel à la syntaxe et n’a pas
accès aux unités infra-lexicales. De fait, ne seront des opérations morphologiques
qu’un sous-groupe des opérations constructionnelles, à savoir celles qui n’utilisent
que du matériel lexical et infralexical (affixes).
8 Cité par Slodzian (1993 : 32).
9 Lui-même issu d’une opération constructionnelle qui celle-ci nous intéresse, puisque
effectuée sur une base nominale.

25
les discuter les termes de son modèle d’organisation, dans lequel nous inclurons
les unités chromatiques10.
Nous postulons qu’ainsi existent trois dispositifs linguistiques susceptibles de
construire des unités lexicales désignant des propriétés chromatiques. Deux des
trois construisent des unités polylexicales dont le premier élément est un TdeC11
comme ceux analysés dans la première partie :

(i) la composition définie comme un opérateur qui, en unissant graphique-


ment et sémantiquement deux unités (un TdeC comme rose et un substantif
comme sparadrap par exemple), en crée une troisième : rose sparadrap
dans par exemple un pull rose sparadrap ;
(ii) l’assemblage syntaxiforme12 est un opérateur construisant une unité avec du
matériel lexical (bleu et Prusse) mais intégrant également du matériel syntaxique
(de), particularité qui distingue ce procédé constructionnel de la composition qui
ne sélectionne que du matériel lexical. Le premier élément de l’unité construite
est également un TdeC « de base » : bleu de Prusse est issu de cette OC ;
(iii) la dernière opération est la conversion qui, construit une unité de même
forme (phonique et graphique) que sa base mais de catégorie grammaticale
différente. Par exemple, il existe le nom saumon qui réfère à un poisson ;
mais dans la séquence une voiture saumon, saumon est un adjectif, désignant
une propriété chromatique, construit par conversion sur le substantif homo-
nyme. Cette homonymie est à la source de nombreuses questions sur le statut
syntaxique de ce type d’unités que nous aurons l’occasion de justifier.

En premier, afin de justifier notre hypothèse de l’existence d’unités lexicales


construites, il nous faudra définir le statut catégoriel de ces séquences  : selon
nous, elles sont toutes construites par une règle de construction et ne proviennent
pas d’ellipse. Suite à une description des différentes positions méthodologiques
à l’égard de ces « expressions », nous souhaitons montrer que les séquences sont
soit des adjectifs soit des substantifs au même titre que rouge et vert et qu’elles ont
toutes droit à une place à leur côté dans la grammaire.

10 Suite au décès de cette linguiste avant la parution de son ouvrage Le lexique construit,
comme nous tenons à rester dans la cadre qu’elle a élaboré, nous nous servons
d’extraits de textes qu’elle nous a fournis à titre personnel.
11 Mis pour Terme de Couleur. Nous utilisons la notion non spécifiée de terme parce que
le mot peut être un nom ou un adjectif.
12 La notion et la dénomination sont propres à D. Corbin (à paraître). Elle se démarque
d’ailleurs en ce point des autres théories sur la construction de mots.

26
L’objectif des chapitres qui suivront vise à présenter davantage qu’une simple des-
cription d’OC et d’éléments pouvant être sélectionnés par les différentes OC. En
effet, au fil de la recherche, deux questions se sont présentées en plus de celles ne
concernant que l’instruction sémantique de l’OC comme (i) les conséquences lin-
guistiques de l’organisation des propriétés attribuées à un référent et (ii) l’emploi
possible du nom propre dans les mêmes conditions qu’un nom commun (notam-
ment en composition : bleu Bahamas, rouge Tiepolo vs blanc neige).

À la lumière des relations entre le substantif figurant dans le mot construit et la


propriété chromatique du référent de ce substantif, nous isolerons l’assemblage syn-
taxiforme (désormais AS) qui se base sur une relation d’origine et non sur une com-
paraison comme en composition et en conversion. Le fait que ces deux dernières
instaurent la même relation, sans que l’application dans une structure implique son
utilisation possible dans l’autre, incite à se demander à quel niveau se situe la diffé-
rence et sur quoi se fonde la sélection d’un nom par une des deux OC.
Selon nous, la justification se trouve dans l’existence d’une relation systéma-
tique qui s’établit entre un type de propriété et l’OC appropriée. Ce type de pro-
priété se définissant par la place que celle-ci occupe au sein de l’ensemble consti-
tué par toutes les propriétés associées à une entité. Nous émettons l’hypothèse
d’un gradient de propriétés, sorte d’échelle sur laquelle s’organisent les propriétés
en termes de plus ou moins grande représentativité du référent. Cette analyse13
se destine à montrer, suite à l’observation de cas de conversions possibles et de
conversions impossibles, ainsi que de comparaisons de propriétés en concurrence
(formelle, comportementale, chromatique) pour un même référent, si le principe
organisateur de propriétés susmentionné peut expliquer et justifier le choix de la
propriété chromatique sélectionnée par une conversion.

Enfin deux des OC sélectionnent soit des noms propres, soit des noms communs :
rouge Tiepolo/rouge opéra et bleu de Prusse/rouge de fer ou rose mexicain/rouge
incendiaire. Il nous a, alors, paru intéressant de nous interroger sur cette simili-
tude d’emplois qui contredit de nombreuses observations quant à la dichotomie
traditionnellement évoquée entre nom propre et nom commun qui ne peuvent
selon certains linguistes (cf. notamment les grammaires traditionnelles) être traités
conjointement. En nous appuyant sur les hypothèses notamment de Kleiber (1981)

13 Nous répétons que cette analyse ne se veut pas cognitive et que par conséquent, elle ne
traitera pas de la question de caractérisation comme typique d’une propriété attribuée
à un référent.

27
et de Gary-Prieur (1991, 1994), nous confronterons les séquences intégrant un
nom propre à celles utilisant un nom commun pour voir si les deux types de nom
peuvent être assimilés ou si au contraire, le statut du nom a une incidence sur la
structure et le sens construits.

Au terme de cette description, nous espérons que nous aurons réussi à présen-
ter le lexique chromatique dans sa totalité, aussi bien les particularités propres
aux unités lexicales non construites qui font des termes de couleur une catégo-
rie à part entière, que les possibilités de construire de nouvelles unités dans le
domaine lexical chromatique en français. Nous parlons de la totalité des moyens
de dénomination qui n’est pas à confondre avec l’exhaustivité des termes qui n’est
évidemment pas possible. Ce domaine lexical comme nous allons le voir tout au
long de ce travail et plus particulièrement dans le premier chapitre, se singularise
de tout autre domaine et laisse place, comme nous le verrons notamment dans la
deuxième partie, aux volontés du locuteur, ce qui parfois donne naissance à des
créations qui semblent exclues du système, mais qui ne suffisent pas à remettre
en cause le système que nous décrivons et les tendances (en tant que règles d’un
système aptes à être parfois transgressées) que nous avons repérées et que nous
présentons dans cette thèse.

28
Partie 1
Le Lexique Chromatique
Non-Construit
Chapitre I – L
 e Nom de Couleur, Une
Catégorie À Part

Cette première partie a pour objet de mettre en relief la singularité du lexique


chromatique non-construit. Il ne s’agit pas de tout le lexique non-construit mais
du lexique lié aux adjectifs non-construits (blanc, bleu, jaune, noir rouge, vert) :
cette analyse traitera alors aussi bien les adjectifs que les dérivés nominaux
(le blanc, le bleu, le jaune, le noir le rouge et le vert) ou encore verbaux (blanchir,
bleuir, jaunir, noircir, rougir, verdir). Dans un premier chapitre, nous situerons les
noms de couleur par rapport aux noms de qualité auxquels ils sont communément
mais à tort associés. Les second et troisième chapitres replaceront les termes chro-
matiques au sein du lexique chromatique en général. D’abord seront présentés les
termes chromatiques généraux appartenant au lexique nominal couleur, coloris,
nuance, teinte et ton : nous décrirons en quoi ils diffèrent les uns des autres et de
quelle manière ils se complètent. De façon parallèle et complémentaire, le cha-
pitre suivant consistera en une étude du lexique verbal colorer, colorier, nuancer,
teindre, teinter et les verbes désadjectivaux (blanchir, rougir, noircir…) afin de
mettre en relief leur singularité dans ce domaine aussi.

Les noms de couleur construits morphologiquement par conversion (désormais


NCconv.) sur des adjectifs morphologiquement simples (blanc, bleu, gris, jaune,
noir, rouge, vert), malgré leur statut de nom de qualité par excellence, ne se com-
portent pas d’un point de vue syntactico-sémantique comme des noms de qualité,
tels que par exemple gentillesse, beauté, calme ou saleté.
Nous empruntons à Flaux & Van de Velde (2000) les critères caractéristiques
attribués aux noms de qualité puis aux noms intensifs14 en général (le nom de qua-
lité étant un nom intensif) développés dans leur ouvrage Les noms en français :
Esquisse de classement afin de comparer les NCconv. aux autres noms de qualité
(désormais NQual.) et finalement montrer qu’ils n’appartiennent ni à la classe des
NQual. ni même à celle des noms intensifs (NInt.). Nous verrons, dans une dernière
partie, qu’ils se rapprochent, comme Van de Velde le suggère (1995 : 146–157), des
noms de matière (NMat.) sans pouvoir toutefois y être complètement assimilés. Les
NCconv. semblent, comme Kleiber (2007a, 2011) le conclut, former une catégorie
qui leur est propre.

14 La notion sera expliquée ci-dessous.

31
1. Définition du nom de couleur dans le cadre
élaboré par Flaux & Van de Velde (2000)
1.1. Le nom de couleur est un nom de qualité
Dans la tradition philosophique et ce depuis l’Antiquité, la couleur se conçoit
comme LA qualité sensible par excellence ou comme la définit Van de Velde
(1995  :  141) le «  parangon des qualités  ». Elle est en effet une des propriétés
d’objets qui nous entourent (avec la forme et la taille15) la première perçue par tout
sujet voyant ; de là, sa définition en tant que qualité et son corrélat syntaxique de
catégorisation au sein des adjectifs. Peu de grammaires ne citeraient pas quelques
adjectifs chromatiques pour illustrer cette classe grammaticale.
Morphologiquement, un nom dérivé de l’adjectif existe, il est de même forme
graphique et phonique :

1)  Elle a une robe bleue


2)  Le bleu de sa robe me plaît beaucoup

En outre s’ajoutent des noms de couleur suffixés comme blancheur, noirceur, rou-
geur, verdeur.

1.2. Le nom de couleur est (i) un nom abstrait à


(ii) interprétation intensive.
(i) La notion d’abstraction utilisée ici est celle développée dans la philosophie
de Descartes. Il la définit comme une des trois divisions de la connaissance.
Une d’elles appartient au domaine du concret : elle consiste à diviser les objets
en parties constitutives, le corps et ses membres par exemple ; les deux autres
relèvent du domaine de l’abstraction et s’opposent en ce que l’une dépend du réfé-
rent lui-même (l’objet est en soi une abstraction) tandis que l’autre ne résulte que
d’emplois particuliers phrastiques. Par exemple, on peut parler de façon abstraite
de l’homme ou du triangle en considérant les référents comme des généralités et
non plus comme des individus. Ce passage à l’abstraction résulte de l’emploi de
l’article générique : un homme n’est pas une abstraction, mais il le devient dans

15 Minsky (1988) dans le cadre d’une étude de la position de l’adjectif en anglais cite
justement ces trois catégories référentielles (shape, size, color) comme définissant les
propriétés définitoires des objets.

32
l’homme. Par contre, il existe des noms abstraits en soi (et ce sont ceux qui nous
intéressent), et la notion d’abstraction dans ce cas :
« consiste à séparer d’une chose l’une de ces propriétés en faisant comme si celle-ci
était réellement isolable, comme lorsque le géomètre isole la longueur d’une chose,
et la considère séparément, sans faire attention à la largeur et à la profondeur, dont
elle est pourtant solidaire » (Flaux & Van de Velde, 2000 : 30).

La couleur est une abstraction puisqu’imaginer la couleur d’un objet sans cet objet
nécessite inévitablement un calcul mental. Le NCconv. est donc, dans cette pers-
pective philosophique, un nom abstrait.

(ii) Comme le remarquent Flaux & Van de Velde (2000 : 32), la notion d’inten-
sité ne concerne pas les noms dans les grammaires traditionnelles, elle y est en
revanche exploitée dans les chapitres sur l’adjectif qui peuvent varier en intensité
et il existe de plus une classe d’adverbes d’intensité. Cette notion s’avère pourtant,
selon ces deux auteurs, également pertinente dans le domaine du lexique nominal
puisqu’elle est discriminatoire dans la mesure où elle permet de distinguer des
sous-groupes au sein des noms abstraits : les noms d’activité, comme marche ou
danse, s’opposeront à bonté, en ceci que les premiers ne sont pas intensifs tandis
que le second, issu d’un adjectif pouvant varier en intensité (plus ou moins bon),
l’est. D’autre part, ce critère peut permettre d’affiner les descriptions puisqu’il
peut s’appliquer à tout type de noms, qu’il soit dénombrable, indénombrable, abs-
trait ou concret.
Le NCconv., comme le NQual., possède ce trait intensif puisque la qualité peut
varier en « plus » ou en « moins » :

3)  Il est très rouge parce qu’il a couru longtemps


4)  Le ciel était plus bleu hier

Nous verrons toutefois que cette possibilité de graduer l’adjectif chromatique


n’est pas si prévisible :

5) *Mon pull est plus bleu

2. Contre-argumentation
L’objet de l’analyse suivante est de montrer que malgré l’opinion commune,
la langue ne traite pas le NCconv. comme un NQual. La description de l’unité

33
chromatique se divisera en trois parties : elle sera d’abord comparée aux NQual.,
puis aux NInt. en général selon les définitions élaborées par Flaux & Van de
Velde (2000), puis aux noms de matière. Nous verrons dans un premier temps
que face aux critères caractéristiques des représentants de la classe des NQual.,
les NCconv. ont un comportement atypique. Ce qui se confirmera par le rapport
particulier à l’intensité qu’ils entretiennent  : une analyse de l’adverbe très en
contexte chromatique (très rouge, très bleu) illustrera ce propos et montrera que
la graduation, caractéristique des propriétés, n’est pas si naturelle et constante
avec une unité de couleur. Il s’avère alors que leur comportement présente avec
les NMat. des similitudes. Néanmoins, suite à une comparaison avec les caracté-
ristiques des unités de cette catégorie, la ressemblance ne s’avérera qu’apparente.

2.1. Le NCconv. n’est pas un nom de qualité


Nous utiliserons quatre critères qui, dans la description des noms de Flaux & Van de
Velde (2000), caractérisent les NQual. : (i) la compatibilité sémantique avec l’article
partitif, (ii) une pluralisation particulière, (iii) un emploi contraint dans une structure
locative et (iv) un emploi systématique dans une construction de génitif de qualité.

2.1.1. L’article partitif


Telle que nous définissons l’abstraction (cf. § 1. 2. (i)), les objets abstraits n’ont
de façon caractéristique aucune délimitation dans l’espace, sinon un calcul mental
ne serait pas nécessaire pour les concevoir isolément, indépendamment de leur
support. De fait, quand nous les nommons, nous faisons référence à des quanti-
tés indéterminées d’ « objet ». Ainsi, un article compatible avec cette notion de
non-sécable, d’indénombrable s’impose ; ce rôle est rempli par l’article partitif :

6)  Il nous faut du rouge


7)  Il nous faut du calme/du courage/de la tendresse

Dans ces deux exemples, l’article partitif du détermine de façon similaire rouge
et calme : il signifie univoquement que la quantité du référent indénombrable de
rouge16 et de calme est considérée comme indéterminée.

16 L’écriture en gras dénote que nous parlons du référent, de l’objet extra-linguistique


(le signifié de Saussure), ce qui s’oppose à l’écriture italique qui indique qu’il est
question du terme en langue (le signifiant).

34
En plus de cet emploi régulier du partitif, tous les NQual. ont la particularité
d’imposer l’article indéfini singulier un17 dès qu’une expansion (adjectivale ou
autre) les complète :

8) Il a un calme étonnant/Un courage qui m’étonnera toujours brûlait en lui/Une


maman a une tendresse sans fin pour son enfant
9)  Un rouge étonnant éclairait le ciel

Il semble que rouge partage cette propriété avec les noms de qualité. Mais nous
allons voir via des caractéristiques propres à la pluralisation des NQual. qu’il en
est tout autrement.

2.1.2. La pluralisation
La possibilité d’utiliser l’article indéfini singulier dans ces structures [un + N + 
expansion] n’a pas nécessairement pour corrélat un emploi pluriel ; cet article un
n’est pas une marque d’individuation référentielle, comme le confirme la distribu-
tion non systématique de la pluralisation :

10) *Il y a des calmes que je ne supporte pas/*Ma mère ne nous a jamais fait
de(s) tendresses
11) Il m’a fait des tas de gentillesses/Il y avait des saletés partout

Néanmoins, Flaux & Van de Velde (2000 : 7), dans un souci d’économie de règles
et d’exceptions et rejetant l’idée d’une langue constituée seulement d’idiosyncra-
sies, affirment que tous les NQual. ont un pluriel potentiel même s’il n’est pas
actualisé dans la langue :
« tous les NQual. peuvent avoir un pluriel quoiqu’ils soient foncièrement indénom-
brables, et leur sens change alors de manière très régulière (…) de « qualité d’une
chose » à « chose qualifiée » ».

Notons que la «  chose qualifiée  » peut appartenir au domaine de l’abstraction,


comme au domaine du concret. Des bontés ou des imprudences par exemple ne
relève pas d’une concrétisation au même titre que des saletés : alors que bontés
ou imprudences reste du domaine de l’abstraction, saletés se concrétise. Bonté et
imprudence dénotent l’acte d’être bon ou d’être imprudent : en effet, seul un acte

17 Cet article un n’est pas le corrélat singulier de des puisque certains NQual. ne
présentent pas de pluralisation possible : *Il y a des calmes que je n’aime pas.

35
peut être qualifié de bon ou d’imprudent, et l’acte, selon la définition de l’abs-
traction choisie est abstrait (Flaux & Van de Velde, 2000 : 82). Saleté, en passant
d’un emploi indénombrable à dénombrable, relève, par contre, d’un passage de
l’abstrait au concret : en emploi singulier, la saleté, désigne « le fait d’être sale »
et en emploi dénombrable, des saletés signifie « des choses sales ».

Comme nous l’avons expliqué, l’abstraction consiste en une séparation virtuelle


(puisque résultant d’un calcul mental) de la qualité de son support, la pluralisation
permet de façon régulière à une qualité de retrouver un support18. Toute qualité
peut ou pourrait par définition retrouver un support ; par conséquent, lorsque le
pluriel n’est pas attesté, il est toutefois potentiellement possible, l’agrammatica-
lité relevant davantage du domaine référentiel que du domaine linguistique. Elles
illustrent cette hypothèse avec le cas de blancheur qui ne s’emploie pas comme
dénombrable :
« la régularité virtuelle de ce passage n’implique cependant pas que toutes les
possibilités soient exploitées (il n’y a pas d’emploi concret de blancheur attesté) »
(2000 : 7).

Cependant, on pourrait, il est vrai, envisager un référent : blancheur pourrait dési-


gner par exemple « une chose blanche dans le ciel » comme une étoile.
Un second type de pluralisation est actualisable et celui-ci n’est pas tant pré-
visible : le NQual. dénombrable acquiert un usage dénotatif et désigne alors une
« chose » à l’extension définitoire plus restreinte : l’objet dénommé aura un emploi
plus spécifique, plus précis d’un point de vue référentiel. Par exemple, beauté
désigne une « chose belle » puis par usage dénotatif « une femme belle », comme
le définit le lexicographe :
« 1. Caractère de ce qui est beau 2. SPÉCIALT qualité d’une personne belle 3. Une
beauté : une femme très belle 4. AU PLUR. Les beautés : les belles choses, les
beaux détails d’un lieu, d’un objet, d’une personne, d’une œuvre » (s. v. BEAUTÉ,
Dictionnnaire électronique Robert, désormais PR).

Avec les sens 1 et 2, nous trouverions beauté déterminé par l’article partitif, il
est question de la qualité abstraite attribuée à d’autres objets (un paysage, une
femme, un tableau) caractérisés comme ayant cette qualité, ainsi que l’illustrent
les exemples des sous-entrées 1 et 2 :

18 Le support n’est d’ailleurs pas toujours prévisible comme l’illustre rougeur, la qualité
s’applique accidentellement àun seul objet, la peau.

36
1. Le sentiment de la beauté, la beauté d’un paysage, d’un tableau
2. La beauté d’une femme

Les sous-entrées 3 et 4 définissent le NQual. compatible avec le nombre : sous 3,


il est clair qu’une femme peut être suivie d’une seconde puis d’une troisième, et
ainsi de suite et pour 4, le pluriel est obligatoire comme le stipule le lexicographe.
Dans ce sens, il est bien question de choses qualifiées, de choses concrètes dénom-
brables : les détails du lieu ou l’individu « femme belle ».
Le même schéma est repérable dans la définition lexicographique de l’occurrence
saleté :

« 1. Caractère de ce qui est sale 2. La saleté : Ce qui est sale (…). Une, des saletés :
chose qui salit, qui souille 4. FAM. Chose sans aucune valeur qu’on méprise, qui
déplaît » (s. v. SALETÉ, PR).

Sous 1 et dans la première partie de 2, comme dans la définition lexicographique


de beauté, il est fait référence au NQual. dans son emploi essentiellement sin-
gulier défini, compatible avec l’article partitif, référant à la qualité elle-même.
Dans la dernière partie de 2, un indice syntaxique (changement de déterminants :
passage de la saleté à une/des saletés) et un autre sémantique (définition de
l’unité lexicale) soulignent le changement : comme le lexicographe le définit,
il est question de « chose ». Sous 4, c’est une extension du sens de « chose qui
salit » : logiquement (dans notre culture) si la chose salit, elle mécontente d’où
le dernier sens attesté.

En résumé, la pluralisation des NQual. s’accompagne d’une dérivation référen-


tielle de l’abstrait au concret ou dans certains cas de l’abstrait à l’abstrait quand
la qualité porte sur un acte ; sémantiquement, elle signifie le passage de « qualité
de chose » à « chose qualifiée ». Nous avons de plus remarqué d’une part, pour
certains noms,  un usage possible dénotatif, accidentel et donc imprévisible et,
d’autre part, une absence de pluralisation qui ne s’explique ni linguistiquement,
ni référentiellement. La pluralisation des NCconv. entraîne-t-elle les mêmes varia-
tions sémantiques et référentielles ?
Comme le montrent les exemples suivants, la pluralisation de rouge est peu
contrainte :

12)  Il a utilisé quelques rouges


13)  Il a utilisé plusieurs rouges
14)  Il a utilisé deux rouges

37
Au vu des propositions lexicographiques :
« 1. La couleur rouge 2. Colorant rouge, pigment donnant une couleur rouge 3. Cou-
leur, aspect du métal incandescent 4. Teinte rose ou rouge que prennent les peaux
claires sous l’effet d’un agent physique, d’une émotion19 » (s.v. ROUGE, PR),

il ressort des définitions que rouge désigne soit la qualité dans les sous-entrées 1),
3), 4), soit le colorant, le pigment sous 2).
Nous pourrions suggérer que l’emploi pluriel réfère à ce colorant lui-même
(qui serait alors le support retrouvé), or dans une phrase telle que :

15)  Le ciel est magnifique avec tous ces rouges différents

il n’est évidemment pas question de colorants puisqu’ils ne pourraient être dans


le ciel. Il s’agit donc bien de pures qualités chromatiques. Contrairement à la
concrétisation qu’engendre régulièrement la pluralisation des NQual. accompa-
gnée d’un passage de «  qualité  » à «  chose possédant cette qualité  », avec la
couleur, on reste dans le domaine de la qualité : la pluralisation s’avère donc
différente. Cette observation se confirme avec l’utilisation de l’adjectif autre qui
permet de distinguer une espèce d’une autre ; par définition, il n’est donc com-
patible qu’avec un nom dont le référent a des sous-espèces. Il est donc incompa-
tible avec les NQual., mais s’avère tout à fait combinable à un nom chromatique
(désormais NChr.) :

16)  *C’est une autre saleté dans cette pièce


17)  *Il a une autre bonté depuis qu’il a eu ce grave accident
18)  C’est un autre rouge que je veux

Ceci suggère que les NQual. n’ont pas de sous-espèces, ce sont selon Van de
Velde sans doute les seuls noms du lexique à être des noms d’espèces dernières.
De fait, toute pluralisation du terme comme corrélat linguistique d’une référence
dénombrable est inadéquate. Le nom de couleur n’est donc pas, à la différence des

19 Dans l’article figure une cinquième entrée  : «  5. Partie de l’échelle d’un témoin,
colorée en rouge pour montrer qu’on atteint un seuil critique ». Nous n’en tiendrons
pas compte parce que bien qu’elle nous permette de rapprocher rouge des autres noms
de qualités en correspondant au schéma « qualité de chose » vers « chose qualifiée »,
elle nous semble douteuse et cette hésitation est confirmée par l’absence de cette
signification dans d’autres dictionnaires.

38
NQual., un nom d’espèces dernières. Le procédé morphologique de composition20
confirme cette conclusion : on peut trouver du rouge carmin, du rouge opéra, etc.
L’emploi de rouge en premier terme de composé met en évidence le fait qu’il
s’agit bien de rouge et de sous-espèces de rouge.

La partie suivante traite d’une propriété commune à tous les NQual. : comme reflet
linguistique de la relation d’inhérence avec le référent dont la qualité dépend, les
noms entrent dans une structure qui localise la qualité par rapport à ce référent ou
support.

2.1.3. La localisation de la qualité


De façon régulière, la qualité peut se trouver localisée dans un sujet par le biais
d’un prédicat prépositionnel dans lequel le référent du NQual. est situé « en ou
chez un support » dans le cas de référent animé :

19)  Il y a beaucoup de tendresse chez cette femme


20)  On trouve en lui beaucoup de courage

ou dans, lorsque le support est [- animé] :

21)  Il y a une telle force dans ces propos

Ces structures locatives connaissent selon Flaux & Van de Velde (2000 : 85) une
seule restriction ; une qualité sensible (accessible au sens) ne peut être localisée
dans une chose physique :

22) *Il y a de la mollesse dans ce matelas


23)  Il y a tant de charme dans ce paysage

Or la qualité chromatique est une qualité sensible. Par conséquent, au vu de cette


restriction, elle devrait théoriquement ne pas pouvoir entrer dans une structure
locative si le lieu de la localisation est lui également physique, pourtant  rien
n’interdit :

20 La composition est une des opérations de constructions de mots qui permet de


construire des unités chromatiques (rouge opéra). Nous la définissons au sein du
second chapitre de ce travail, au côté de l’assemblage syntaxiforme (bleu de Prusse)
et de la conversion (orange).

39
24)  Il y a du rouge dans ce tableau

La grammaticalité de cet exemple montre une nouvelle fois que la qualité chroma-
tique n’est pas considérée dans la langue comme une qualité comme les autres. Le
critère suivant va de même confirmer cette atypicité.

2.1.4. Le génitif de qualité


Le génitif de qualité est une structure héritée du latin dans laquelle un nom de qua-
lité suivi de n’importe quel type d’expansion (adjectivale ou non) entre dans une
construction au génitif. Un rapprochement analogique avec l’adjectif de la même
famille morphologique s’impose puisque le groupe au génitif a les caractéristiques
syntaxiques de l’adjectif : il peut être aussi bien en position épithète qu’attribut.
Le groupe a également les propriétés de l’épithète dans la mesure où il ne tolère
aucune séparation (par une structure emphatique de mise en relief par exemple)
du nom qui le régit (cf. ex. 27). En français contemporain, langue qui n’est plus
casuelle, la marque du génitif se « retrouve » dans la préposition de21 (les préposi-
tions ayant pris le relais des désinences casuelles) :

25) Il est d’un calme étonnant/Elle est d’une tendresse qui me ravit
26) C’est un homme d’une grande prudence/On trouve partout des hommes d’une
gentillesse incroyable
27) *C’est d’une grande prudence qu’est cet homme/*C’est d’une gentillesse
incroyable qu’on trouve partout des hommes

Ces structures sont en distribution complémentaire avec l’adjectif morphologique-


ment relié modifié par l’adverbe très :

28)  Il est très calme/Elle a beaucoup de tendresse


29)  C’est un homme très prudent/On trouve partout des hommes très gentils

Ce critère est décisif dans la mesure où il distinguera les NQual. des NMat. qui eux
aussi entrent dans une telle construction :

30)  La table est d’un bois vert

21 Nous nous excusons de cette explication sommaire, mais ce n’est pas notre propos ici.

40
mais qui, par contre, ne se double d’aucune glose adjectivale. Il s’avère effec-
tivement qu’en français, il n’existe plus d’adjectif pouvant référer à la matière
constitutive d’un objet22.
Les Nchr. entrent également dans cette structure :

31) Cette robe est d’un rouge flamboyant/C’est une robe d’un rouge flamboyant
32) Cette moquette est d’un rouge étonnant/C’est une moquette d’un rouge
étonnant

En surface, les NCconv. et les NQual. semblent se comporter similairement. Néan-


moins sémantiquement, la relation entre le NQual. et l’adjectif ne nous paraît pas
complètement identique à celle entretenue entre le Nchr. et l’adjectif. D’abord
dans la plupart des paraphrases avec les NQual., l’adjectif sera modifié par un
adverbe d’intensité :

33)  Cet homme est d’une grande noblesse/Cet homme est très noble
34)  C’est une femme d’intelligence médiocre/C’est une femme peu intelligente
35)  Cet enfant est d’un calme relatif/Cet enfant est assez calme

Comme l’expliquent Flaux & Van de Velde (2000  : 76), l’adjectif adjoint
au NQual. ne le qualifie pas vraiment  ; ce n’est pas que la qualification soit
impossible, c’est qu’elle est rare dans la langue. Le plus souvent, les adjectifs
modifiant les noms désignent des degrés d’intensité  : une douceur angélique
est une très grande douceur, une profonde tristesse est une grande tristesse.
Ceci s’explique par leur caractère non-autonome23. La qualité n’existe pas elle-
même, d’où son statut de chose abstraite : elle n’est repérable que par rapport
à son support et lorsqu’on veut la juger ou l’estimer, ce n’est possible qu’en
lui attribuant des degrés d’intensité selon l’effet (physique ou non physique)
qu’elle produit.
De même confirme cette hypothèse l’absence de relation antonymique entre
grand amour et petit amour : ceci prouve qu’effectivement l’adjectif qualificatif
n’est pas pris dans son sens premier.

22 Il existe bien des adjectifs comme farineux, laiteux, mais ils n’indiquent pas la pré-
sence de la matière mais une ressemblance (consistance, couleur) avec la matière : une
pomme farineuse n’est pas constituée de farine.
23 Ce ne sont pas des entités aussi autonomes que celles désignées par les N concrets,
qui eux dénomment les substances, dans les sens défini dans les grammaires tradition-
nelles, comme celle de Beauzée ou des grammairiens de Port-Royal.

41
Dans de rares cas, l’adjectif qualificatif ne pourra être interprété en ces
termes de grandeur, mais l’interprétation normale qualitative ne conviendra pas
non plus : par exemple dans un amour jaloux (exemple emprunté à Flaux &
Van de Velde), jaloux ne signifie pas un degré d’intensité, il ne permet pas de
décider si l’amour est grand ou moindre. Mais quoi qu’il en soit, il n’est pas
non plus interprétable en terme de qualification, un amour jaloux n’est pas un
amour qui est jaloux, l’amour ne pouvant être logiquement (au sens philoso-
phique du terme) jaloux. La meilleure paraphrase serait un amour accompagné
de jalousie.
Pour les NCconv., la paraphrase intensive ne semblepas exacte :

36)  Une robe d’un rouge étonnant

n’est pas forcément très rouge. En outre, et ce deuxième argument nous paraît pri-
mordial dans le cadre de cette distinction, la séquence une robe d’un rouge éton-
nant peut être paraphrasée par une robe d’un rouge qui est étonnant. Le prédicat
attributif témoigne que l’adjectif qualificatif qualifie sans aucun doute la propriété
chromatique24.

Les comparaisons ci-dessus tendent à rejeter l’assimilation du NCconv. au NQual.


Les comportements syntaxique et sémantique du NCconv. se distinguent de celui
des NQual. : il ne partage pas les caractéristiques de ce type de nom. Une dernière
singularité du NQual. qui l’oppose à tout autre type de noms ressort de son rap-
port tout à fait particulier à l’intensité. Par définition, les NQual. sont des noms
intensifs puisqu’ils sont dérivés d’adjectifs qui peuvent varier en degré d’intensité,
en termes de plus ou moins. Une des caractéristiques remarquables de ces noms
intensifs est l’annulation de la distinction qualité-quantité au profit de la seule
valeur d’intensité.
Nous allons donc achever de différencier ces deux types de noms en montrant
que les NCconv. se démarquent encore au vu de cette propriété et par conséquent
s’oppose définitivement aux noms de qualité.

24 On pourrait évoquer comme contre-exemple, un amour étonnant qui est effectivement


un amour qui est étonnant. Certes, avec ce type d’adjectifs, le comportement des
adjectifs est similaire. Cependant, ce qui différencie les Nchr. des NQual., c’est que
pour les premiers, seule cette interprétation attributive est possible.

42
2.2. Le NCconv. n’est pas un nom intensif
2.2.1. Définition et caractéristiques du nom intensif
selon Flaux & Van de Velde (2000)
Flaux & Van de Velde (2000) distinguent les noms intensifs (ceux susceptibles
d’être évalués en termes de grandeur intensive) des noms extensifs (ceux sus-
ceptibles d’être évalués en terme de quantité). Ces notions sont essentielles dans
leur description du lexique nominal, car ce sont les propriétés qui singularisent les
noms de qualités qui sont nécessairement intensifs par rapport aux autres noms
(événements, matières, etc.) qui, eux, sont extensifs.
Dans leur définition, le référent d’un nom intensif n’a d’extension ni spatiale25,
ni temporelle contrairement à un nom extensif qui, soit comme chaise ou sauce, a
une extension spatiale, soit comme marche ou sonate, une extension temporelle.
Morphologiquement, le nom intensif est souvent relié à un adjectif, et c’est en hé-
ritage du lien sémantique qui le lie à travers l’opération morphologique appliquée
à sa base qu’il possède cette disposition sémantique à être intensifié : la plupart des
adjectifs sont par définition susceptibles d’être graduables en terme d’intensité,
par conséquent, les noms qui en procèdent le sont également.

Une des caractéristiques discriminatoires de ce type de noms en contraste avec les


noms extensifs est l’annulation de la distinction entre quantité et qualité dans des
tournures exclamatives :
« La distinction valide dans le domaine de l’extensivité entre la catégorie de la qualité
et celle de la quantité, s’abolit dans le domaine de l’intensité » (2000 : 32).

Afin de justifier leur hypothèse, elles appliquent sur des noms intensifs des spéci-
fieurs qui, avec des noms extensifs comme bois,  marquent cette distinction :

Tableau 1. Différenciation distributionnelle de l’expression de la quantité et de la qualité avec un


Nmat.

Quantité Qualité
Que de bois ! Quel bois !
J’ai rarement vu autant de bois ! J’ai rarement vu un tel bois !

25 On repère déjà là une esquisse de problème : les couleurs « s’étendent » sur l’objet qui
les possède, elles ont donc dans une certaine mesure une extension spatiale, même si
elle est fortement dépendante de l’objet-porteur.

43
Elles montrent ainsi qu’effectivement, seule réside une interprétation intensive
qui ne peut s’évaluer en termes ni de qualité, ni de quantité mais plutôt en tant
que haut degré de, comme le suggère la glose avec l’adverbe type dénotant cette
valeur très26 :

37) Que de gentillesse ! = Quelle gentillesse ! = Quel haut degré de gentillesse ! =


Il est très gentil !
38) J’ai rarement vu autant de gentillesse ! = Je n’ai jamais vu une telle
gentillesse !

Comme décrit précédemment, les termes chromatiques se marginalisent déjà par


rapport aux noms de qualité ; bien que théoriquement, ils semblent être des noms
intensifs (ils paraissent en effet plus proches de beau que de sauce et sont généra-
lement ainsi classés), il s’avère pourtant que leur catégorisation comme tels n’est
pas si évidente comme le confirme le maintien de la distinction quantité-qualité27.

2.2.2. Application de ces tests aux termes chromatiques


Face à la paire synonymique de que de gentillesse avec quelle gentillesse, aucune
paire n’est disponible avec un terme de couleur :

39a)  Quel rouge ! vs 39b) Que de rouge dans ce tableau !

La première occurrence signifie incontestablement la qualité  : le locuteur émet


un énoncé exclamatif où il évalue la nature de la qualité (positivement ou
négativement). Sans modifier le sens, on pourrait préciser avec l’adjectif étonnant,
merveilleux ou horrible ou tout autre adjectif à valeur évaluative mêlant à la fois
surprise et subjectivité du locuteur.
En revanche, le second énoncé évalue la quantité de la couleur. Une glose
possible serait :

26 Très est un « adverbe d’intensité marquant le superlatif absolu. À un haut degré de »,
(s.v. TRÈS, PR).
27 Cette remarque a déjà été faite : Van de Velde (1995 : 157), après avoir écrit que les
adjectifs de couleur sont graduables et même remarque-t-elle avec une « facilité éton-
nante » (ce qui les classe implicitement dans la catégorie des intensifs), reconnaîtra
postérieurement aux NChr. un comportement tout à fait particulier qui les fait osciller
entre deux catégories de noms : les noms de qualités (intensifs) et les noms de matière
(extensifs, justifié par leur étendue spatiale).

44
40a)  Il y a beaucoup de rouge dans ce tableau

ou encore :

40b)  Il y a une grande quantité de rouge dans ce tableau

Cet exemple est à différencier de :

41a)  Il y a beaucoup de gentillesse dans ses propos

où beaucoup de dénote un haut-degré de gentillesse et non une grande quantité de


gentillesse, comme le suggère l’incongruence de l’exemple suivant :

41b)  ?Il y a une grande quantité de gentillesse dans ses propos

Quantité par définition ne peut s’appliquer à de tels noms, comme le spécifient les
deux définitions suivantes :
« Propriété de ce qui peut être compté ou mesuré » (s. v. QUANTITÉ, PR)
« Nombre ou mesure déterminant des choses considérées dans un ensemble
homogène ou dans une portion de matière » (s. v. QUANTITÉ, Trésor de la langue
française, en ligne, désormais TLFE).

La notion de quantité ne convient qu’à des « choses » qu’il est possible de comp-
ter ou de mesurer, par conséquent des individus ou des « portions de matière »,
c’est-à-dire des objets extensifs dans la terminologie de Flaux & Van de Velde
(2000). Corrélativement à une quantification potentielle, s’ajoute la contrainte
référentielle propre aux objets quantifiables, l’« étendue ». Autrement dit, et c’est
là un argument décisif qui séparera les noms chromatiques des noms intensifs,
pour qu’une valeur quantitative soit possible, le référent doit avoir une certaine
étendue, ce qui infère l’axiome : la couleur a une étendue puisqu’une interprétation
quantitative est envisageable. Cette notion est d’ailleurs repérable dans l’exemple
suivant où l’étendue est confirmée par la précision locative :

42)  Que de rouge dans ce tableau, ici, et ici et encore là !

Toutefois cette propriété d’étendue, dans un contexte chromatique, s’avère parti-


culière puisque :

(i) d’une part, elle n’est pas compatible avec tous les référents :

45
43)  *Que de rouge sur son visage !

(ii) d’autre part, elle n’est pas l’unique lecture, comme le montre la complémen-
tarité avec une paraphrase contenant le modifieur très (propre à intensifier) qui est
possible sans être systématique. Ceci révèle deux choses  : d’abord l’hypothèse
d’une annulation des valeurs qualitatives et quantitatives comme pour les NInt. est
exclue ; par ailleurs, très peut avoir une valeur qualitative :

44a) Que de rouge dans la nouvelle collection d’été de la Redoute = 44b)


La nouvelle collection d’été de la Redoute est très rouge
45a)  *Que de rouge sur son visage vs 45b) Son visage est très rouge28

Apparemment la compatibilité du modifieur très avec un adjectif chromatique


(désormais AdjChr.) est, elle aussi, soumise à contrainte(s). La combinaison
[très + AdjChr.] semble revêtir des valeurs différentes selon les contextes (ce que
nous confirmerons ultérieurement grâce à des comparaisons avec des phrases
synonymes ou antonymes) :

46)  Esteban est très rouge


47)  Le ciel est très bleu
48)  ?Cet éléphant est très gris
49)  ?Ce pull est très orange

Les remarques ci-dessus montrent que vraisemblablement les AdjChr. se


démarquent des adjectifs de qualité (AdjQual.) également dans leur comportement
face à l’intensité ou la graduation29. Le blocage peut se situer à deux niveaux : soit
il est linguistique, soit il est référentiel. Whittaker (2002) va offrir une première

28 Nous n’avons trouvé aucun exemple de structures incluant très qui pourraient être
reprises par une phrase exclamative commençant par Que de…
29 Graduation et intensité sont employés univoquement dans de nombreux travaux, la
graduation n’étant souvent considérée, comme Kleiber le constate (2007 : 249), que
comme« le versant variationnel de l’intensité. Un phénomène qui relève de l’intensité
est un phénomène qui connaît une variation en degrés. Et inversement, les sujets sus-
ceptibles de graduation sont généralement également traités comme des sujets expri-
mant ou se ramenant à l’intensité ». Il propose dans la suite de l’article une différen-
ciation des deux selon le sens attribué à intensité. Nous nous contentons de l’opinion
générale pour l’instant. Nous reviendrons plus tard sur sa remarque concernant les
deux sens d’intensité.

46
explication confirmée par l’opinion commune résumée par Kleiber, mais qu’il
rejette dans sa propre hypothèse sur le sujet. Finalement, l’analyse de l’intensifieur
par excellence très combiné à ces séquences sous différentes perspectives illustre-
ra les contraintes qui pèsent sur la couleur pour entrer dans un contexte intensif.

2.3. Adjectif et couleur : graduable ou non graduable30 ?


2.3.1. Référent graduable, adjectif non graduable selon Whittaker
Pour qu’un adjectif soit compatible avec l’adverbe très ou tout autre intensi-
fieur, il faut qu’il soit intensif dans la terminologie de Flaux & Van de Velde
(2000) ou graduable. La restriction des emplois de l’adverbe très avec un
AdjChr. invite à se demander si la couleur n’est pas graduable ou si l’adjectif
n’est pas graduable.
Selon Whittaker, dans son ouvrage traitant de la notion de graduation31, il n’y a
aucun doute référentiellement parlant, le problème est linguistique. Les couleurs
vont être un exemple efficace pour la logique de sa théorie. Elle base en effet sa
théorie sur 4 aspects différents de la graduation (référentiel, syntaxique, lexical
et argumentatif). Elle pose que chacun doit être considéré de façon indépendante
parce que comme l’illustrent les couleurs (graduables dans le monde mais pas
dans la langue), la graduation dans un domaine n’entraîne pas nécessairement
une graduation dans un des autres, même s’ils partagent la même définition fon-
damentale stipulant que :

30 Elle attire l’attention au début de son ouvrage sur le fait que plusieurs termes (gra-
dable ou graduable et gradabilité ou graduabilité) sont en co-usage sans que l’un des
emplois se justifie plus que l’autre. Elle explique alors que son choix terminologique
est (2002 : 18) : « tout aussi arbitraire que la pratique suivie dans les ouvrages que
j’ai consultés ». Dans un souci de cohésion morphologique dans la terminologie, nous
portons notre choix sur les termes graduer/graduation/graduable/graduabilité.
31 Remaniement de sa thèse de Doctorat, soutenue en Norvège en 1998, où elle passe
en revue d’un œil critique les différentes applications de la notion de graduation au
domaine de l’adjectif parce qu’il est le meilleur représentant de „choses“ graduables.
En illustrant avec des adjectifs, elle répertorie 4 façons de concevoir la graduation :
référentielle, syntaxique, lexicale ou argumentative. Elle explique les avantages et les
inconvénients de chaque cadre et à la fin opte pour une description de la graduation
dans la cadre de la théorie argumentative (Ducrot, 1988) : c’est selon elle la plus adé-
quate à expliciter le phénomène.

47
« la gradation, c’est-à-dire le fait de scinder un phénomène32 donné en degrés »
(2002 : 1).

Dans une perspective linguistique, selon cette définition, on peut avoir recours au
terme de graduation dès qu’une occurrence désigne un référent qui peut se diviser
en unités. Afin d’illustrer cette notion, la représentation scalaire (même si elle est
critiquée33) est souvent utilisée : cette représentation évoque l’idée d’une échelle
qui, avec ses barreaux, reflète les différents degrés. Le concept peut aussi bien
s’appliquer à des noms qu’à des adjectifs qui seront mesurés et comparés, comme
l’implique le processus pragmatique de la graduation, tel que Kleiber le définit
(2007a : 33) :  
«  la gradation engage définitoirement la comparaison, puisqu’elle équivaut (…) à
la possibilité d’avoir des occurrences x d’une même catégorie X, qui tout en restant
à l’intérieur de la catégorie X, varient quant à la « quantité » ou « grandeur » de X
présentée. La notion de gradation ou de degré a ainsi pour socle des comparaisons
entre les occurrences x d’une même catégorie X qui aboutissent à des jugements
quantitatifs en termes de plus X et de moins X ».

On mesurera dans le cas des noms la quantité et dans le cas des propriétés la gran-
deur ou l’intensité. Le matériel linguistique sera conséquemment différent afin de
s’adapter à la catégorie lexicale (et corrélativement sémantique) du terme gradué.
S’opposent comme le décrit Dostie (2010  : 5–6) les intensifieurs et les quanti-
fieurs :
« L’intensifieur indique la « quantité34 de la qualité » (Kleiber, 2007b : 251) associée
à une propriété X quelconque, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une sorte d’instrument qui
donne la mesure des traits (définitoires) de ce X, qui en précise les grandeurs en
termes de « grandeur » (petite, moyenne, grande). Par exemple, si l’on dit de Malina
qu’elle est très intelligente, cela signifie qu’elle possède en grande quantité les attri-
buts qui sont ceux que l’on relie normalement à l’intelligence »

32 Elle emploie le terme général phénomène parce qu’au début de son ouvrage, elle
répertorie les différents domaines où la notion de graduation peut être employée sans
se restreindre au domaine linguistique (elle cite par exemple l’usage de « vision gra-
duelle » en psychologie pour référer à l’identité sexuelle).
33 Pour une analyse critique, nous renvoyons à l’ouvrage de Whittaker (2002).
34 À l’instar de Van de Velde (1995) et Flaux & Van de Velde (2000), nous préférerons le
terme d’intensité à « quantité de qualité » pour les adjectifs ou noms dont la grandeur
est mesurée. Le terme quantité désignera la mesure des objets extensifs tandis que
l’intensité désignera les degrés de choses non extensives. Cette remarque prendra
toute son importance dans la suite de l’exposé.

48
« Le quantifieur signale le nombre d’entités X (dans le cas du nom) ou d’événements
X (dans le cas du verbe) ou encore leur importance quantitative (ex : beaucoup de
chagrin/peu d’idées) » (ibid.).
Comme nous l’avons dit, Whittaker applique la notion de graduation aux adjec-
tifs, elle définit alors les caractéristiques de l’adjectif graduable. D’un point de vue
référentiel, il doit désigner :
« une propriété que l’on peut posséder à plusieurs degrés, et les référents virtuels35 se
laissent donc ranger sur une échelle selon le degré auquel ils possèdent la propriété
en question. Ces adjectifs s’opposent, nous l’avons vu, à une autre catégorie d’adjec-
tifs dont les référents virtuels ne se laissent pas ranger de cette manière, à savoir les
adjectifs non-graduables » (2002 : 57).
Sur une échelle se classent donc les entités36 selon l’intensité de la qualité qu’elles
possèdent. Une personne qualifiée par l’adjectif grand peut être plus ou moins
grande. Elle oppose ces adjectifs aux adjectifs non-graduables, ceux pour lesquels
une graduation est difficilement envisageable, comme célibataire : une personne
peut plus difficilement être plus ou moins célibataire37.
Du côté de la langue, Whittaker parle de la graduation syntaxique et comme
l’explicite Rivara (1993 : 40) :
« (…) est graduable tout adjectif qui admet un adverbe de degré (très extrêmement),
le comparatif et le superlatif (plus rapide que, le plus rapide de tous) ».
Si un adjectif s’intègre à ces schémas syntaxiques, il est supposé que corrélativement
le référent de cet adjectif (la qualité dans le monde sensible) soit aussi graduable, ceci
en adoptant l’hypothèse que la langue reflète le monde, autrement dit, ce que le réfé-
rent est et comment il est. Rivara partage cet avis et poursuit ainsi son raisonnement :
« l’identification d’un adjectif graduable ne pose(-t-elle) pas de problème réel  (…).
Cette propriété syntaxique reflète directement la propriété définitoire du graduable :
est graduable une propriété que l’entité peut posséder à des degrés divers » (ibid.).
Whittaker s’oppose à cette position en expliquant qu’on aurait tort de croire que
cette propriété extra-linguistique a systématiquement pour corrélat linguistique
une graduation syntaxique. Il existe des restrictions :

35 C’est l’ensemble des entités qui peuvent posséder cette propriété.


36 L’adjectif est par définition non autonome. De fait, lorsque la qualité qu’il désigne est
évaluée (graduée), elle le sera forcément par rapport à l’objet qui la possède. C’est la
grandeur de la qualité possédée par l’entité qui est estimée.
37 Encore que Lyons (1978 : 278–279), cité par Whittaker (2002 : 13), dit en prenant
l’exemple de célibataire, que tout adjectif peut être gradué « si l’on tient compte des
connotations de ce mot ».

49
« Un adjectif désignant une propriété graduable n’admet pas nécessairement n’importe
quel adverbe de degré, ni les formes comparative et superlative » (2002 : 4).

En effet, de même qu’il y a des référents dont le nom est indénombrable alors que
les référents sont comptables comme le fameux exemple du riz et de ses grains, il
existe des référents qui semblent (ou sont) dans le monde sensible graduables mais
dont la graduation semble bloquer en langue.
Comme déjà mentionné ci-dessus, dans sa démonstration, elle utilise les ad-
jectifs de couleur pour justifier cette asymétrie. Les couleurs peuvent être « scin-
dées  », découpées, et de fait devraient intégrer des structures syntaxiques gra-
duelles. Pourtant, ce n’est pas le cas ; d’abord :
« les adjectifs de couleur sont généralement considérés comme des spectres à inten-
sité variable, objectivement mesurables » (2002 : 83).

En plus :
« [ils] peuvent désigner des propriétés graduables dans la mesure où il existe, pour
chaque couleur, des nuances plus ou moins éloignées de la couleur focale » (2002 : 4).

Donc :
« ces adjectifs désignent des propriétés ontologiquement graduables : chaque couleur
correspond à un spectre à intensité variable » (2002 : 82).

Pourtant :
« les adjectifs de couleur sont (…) des exemples de la meilleure veine d’adjectifs
non-graduables. En effet, ces adjectifs ne sont graduables que dans des cas très par-
ticuliers » (2002 : 83).

Kleiber (2007a), quoique d’un avis différent qu’il exposera dans la suite de son
article, relate l’opinion commune qui confirme la conclusion de Whittaker : les
couleurs semblent être des entités graduables, il est par conséquent très étonnant
que la graduation syntaxique soit si difficile.

2.3.2. Pourquoi cette association Intensité-Couleur semble-t-elle


incontestable et aller de soi ?
Dans son analyse du caractère non-graduel des adjectifs de couleur, Kleiber38 émet
ce constat paradoxal :

38 Nous reprenons ici majoritairement les arguments de G. Kleiber que nous étoffons de
nos propres illustrations.

50
« Rien ne s’oppose à ce que les adjectifs de couleur puissent être modifiés par les
adverbes de degré ou d’intensité, mais tout pousse au contraire, à ce que ce soient les
premiers qui puissent l’être » (2007a : 12).

Il explicite ensuite quelques raisons quant à la vivacité de cette croyance toutefois


inexacte. D’abord, il explique que la représentation généralement donnée des cou-
leurs pousse à les considérer comme des entités qui se divisent en degrés, comme
le suggèrent le spectre des couleurs  et sa représentation en cercle :

Il est implicite dans ces représentations que chaque catégorie de couleurs


s’organise les unes par rapport aux autres en un continuum homogène :

– soit mis en évidence par une représentation circulaire dont la notion même
évoque l’idée de suite sans début ni fin,
– soit explicité par les chiffres de l’illustration à droite : l’ensemble des nuances
correspondant à une catégorie de couleurs (vert, rouge, etc.) se situe entre deux
mesures d’ondes (par exemple bleu entre 460 et 520 manomètres). Technique-
ment les chiffres se suivent, donc logiquement ce qu’ils mesurent également,
d’où une impression de continuité.

Ce principe classificatoire se reflète également dans les définitions lexicogra-


phiques dans lesquelles les lexicographes évoquent une division en degrés des
couleurs fondamentales ou des degrés pour définir les nuances ou les tons  :
« Les nuances, qui sont les degrés de tons d’une même couleur » (s. v. NUER, Le
Dico des mots de la Couleur, désormais DMC)
« Le ton est plus précisément, pour les peintres, le degré d’intensité d’une couleur »
(s. v. TON, DMC).

En outre, les couleurs sont des qualités d’objets comme beau ou grand ; en tant
que telles, il semble évident qu’elles puissent de façon similaire être graduées.

51
D’ailleurs, les adjectifs chromatiques sont souvent donnés dans les grammaires
ou autres livres spécialisés comme exemples prototypiques illustrant la classe ad-
jectivale. Et puisqu’une des caractéristiques prototypiques des éléments de cette
classe, comme le décrit Goes (1999)39, est justement la graduation, on leur attribue
d’emblée cette propriété.
En plus, comme l’argumente Noailly (2005), toutes les formes composées
(bleu clair, jaune pâle) constituent des preuves de la possibilité d’une certaine
graduation dans l’organisation des couleurs puisque chaque unité ainsi composée
signifie une nuance ou un degré d’une couleur focale. De même, Van de Velde
(1995 : 153–154, note 144), bien qu’elle entrevoie des « résultats [pas] aussi
naturels avec tous les adjectifs » (une mer très verte, un ciel très rouge vs ??une
lumière très violette, ??un manteau très gris40) souligne toutefois quelques pages
après :
« la facilité avec laquelle on leur adjoint des adverbes d’intensité » (1995 : 157).

Elle cite aussi des suffixes, comme –âtre dans jaunâtre, rougeâtre qui signifie « la
possession à un faible niveau d’intensité, d’une couleur déterminée  ». Or envi-
sager un faible niveau d’intensité revient à en concevoir un plus élevé et donc à
admettre la graduation.
De plus, comme le dit justement Kleiber (2007a : 12), très rouge ne sonne pas
« faux » à l’oreille, ce n’est que lorsque le nom recteur est apposé que l’agramma-
ticalité s’entend. Et ceci pas de façon systématique puisqu’on trouve par ailleurs
des exemples grammaticaux, aussi bien dans des ouvrages spécialisés que dans
des œuvres littéraires ; cependant il faut remarquer que les mêmes séquences sont
souvent citées et que ce sont justement les quelques seules qui ne posent aucun
problème :

50a)  Un ciel très bleu/Des eaux très bleues


50b)  Il a couru, il est très rouge
50c)  L’herbe est plus verte en Irlande qu’en Angleterre
50d)  Il a les dents plus jaunes que les miennes

39 Les autres caractéristiques sont la prédicativité, l’antéposition et la postposition


(Goes : 1999).
40 Elle suppose que d’une part le type de couleur joue un rôle : les couleurs fondamen-
tales (rouge, vert, noir…) semblent poser moins de problèmes ; d’autre part, la nature
de l’objet a aussi son importance puisque très gris peut qualifier le ciel mais pas un
manteau, or très violet ne peut s’appliquer ni à l’un ni à l’autre.

52
Il n’est toutefois pas mentionné que la compatibilité entre intensité/graduation et
couleur est fortement contrainte et que la langue refuse des combinaisons telles que :

51a)  ?Un pull très rouge


51b)  ?Des chaussures très marron
51c)  ?Les éléphants d’Afrique sont plus gris que ceux d’Asie
51d)  ?Cette armoire est plus rose que celle-là
51e)  ?Quelle voiture rouge ! 41

En résumé, il semble que ce soit possible, mais de fortes contraintes pèsent sur
les cas attestés. Afin d’expliquer les restrictions, plusieurs linguistes se sont pen-
chés sur cette « énigme… très colorée » pour reprendre les termes de Kleiber42.
L’adverbe modifieur a, en effet, déjà fait couler beaucoup d’encre à cause de
(ou grâce à) ce comportement tout à fait atypique en milieu chromatique. Après
avoir exposé les analyses de Whittaker (2002) et de Noailly (2005), y avoir
confronté les critiques de Kleiber (2007a) et décrit son hypothèse, nous critique-
rons à notre tour les résultats avant de présenter notre hypothèse quant à l’inter-
prétation de très combiné à un adjectif chromatique. Nous montrerons que selon
le type de référents et certaines caractéristiques de la propriété chromatique, une
adaptation du sens de l’adverbe de haut-degré est nécessaire : il va moduler entre
trois variantes sémantiques afin de désigner des relations non homogènes tout en
gardant son sens nucléaire.

41 Kleiber et Van de Velde refusent de tels exemples, nous ne sommes pas si catégo-
riques : d’autres linguistes les attestent, comme le manteau ou foulard très rouge
utilisé comme exemples par Goes (1999 : 235) et sur internet, on trouve d’autres
séquences similaires. Nous fier aux données trouvées sur Internet pourrait nous être
reproché ; cependant nous pensons que si une séquence a été prononcée ET comprise
par d’autreS locuteurS, elle n’est ni un abus langagier, ni un barbarisme : elle existe
(qu’elle soit attestée ou non). La séquence est selon nous potentiellement attestable.
Citons en exemple le cas de très orange. Kleiber à la fin de son article se questionne
sur l’incompatibilité entre l’adverbe de haut-degré et les adjectifs chromatiques
construits comme orange ou marron. Or sur la page http://www.geckocavern.com/
documentation/gecko-leopard/phases.html, une personne décrit des lézards : leur
couleur joue un rôle particulier dans la distinction des différentes espèces. Vient alors
la description du lézard gecko à la queue très orange. Cette séquence ne pose dans ce
contexte aucun problème d’interprétation.
42 C’est le titre de son article (2007a).

53
2.4. Très en couleur. Les hypothèses envisagées,
critiquées par Kleiber (2007a)
2.4.1. Analyse de Whittaker (1994, 2002)
2.4.1.1. Prémisses de son hypothèse dans celle de Milner (1978)
Whittaker a complété les esquisses d’explication proposées par Milner
(1978 : 304). Ce dernier n’étudie la compatibilité de l’adjectif de couleur avec la
notion d’intensité que dans le contexte particulier des structures exclamatives ; il
constate la dichotomie suivante :

52a)  Quel ciel bleu ! Quelle eau bleue !


52b) *Quel papier bleu ! *Quel ciel blanc !43

Dans son étude des structures exclamatives, il a déjà montré que seuls les adjec-
tifs non-classifiants44 peuvent intégrer ces structures exclamatives. Si l’adjectif est
classifiant, il ne permet pas la portée d’une interprétation exclamative. Or, l’ad-
jectif de couleur est un adjectif classifiant puisque la propriété qu’il dénote permet
de classer l’entité qui la possède dans une catégorie où tous les éléments qui y
sont regroupés partagent cette qualité ; tous les éléments par la possession de cette
propriété s’opposent à tous ceux qui n’ont pas une telle propriété. Une robe bleue
s’oppose à une robe verte, et la robe bleue sera dans la même catégorie qu’un

43 Nous ne sommes pas d’accord avec les acceptabilités de Milner : Quel ciel bleu ! nous
semble tout aussi concevable que Quel ciel blanc ! (cf. note 41).
44 Classifiants/non classifiants sont deux termes de Milner (1978). J. Moeschler &
A. Reboul dans le Dictionnaire encyclopédique de pragmatique aux éditions du Seuil
(Paris) en donnent une définition résumée (1994 : 380): « Un terme classifiant a les
propriétés suivantes : il détermine par lui-même son référent ; son emploi attribu-
tif permet une interprétation qui établit l’appartenance ou la non-appartenance à une
classe ou à une sous-classe (par opposition à un autre terme classifiant) ; on ne peut lui
substituer un autre terme classifiant sans modifier radicalement le sens de la phrase.
Un terme non classifiant a les caractéristiques suivantes : il ne détermine pas par lui-
même sa propre référence ; dans son emploi attributif, il peut constituer une insulte ;
il n’établit pas l’appartenance à une sous-classe ; on peut, dans une certaine mesure,
lui substituer un autre terme non classifiant sans altérer le sens de la phrase de façon
notable ». Cette notion s’applique aussi bien à des noms qu’à des adjectifs. Milner
avait ajouté un troisième groupe où l’adjectif est dit mixte lorsqu’il peut soit classifier
soit qualifier. Par exemple, sont classifiants carré ou public, sont qualifiants abomi-
nable ou coquet et sont mixtes mauvais ou grand.

54
petit lutin bleu ou qu’une tasse bleue. Il conclut alors que les adjectifs de couleur,
d’abord adjectifs classifiants, dans et par cette structure exclamative deviennent
non-classifiants, ce qui justifie la grammaticalité de ces séquences. Le passage de
classifiant à non-classifiant présuppose un changement sémantique ; il n’est plus
seulement question de la couleur classifiante, comme propriété distinctive, elle
devient en effet qualitative dans la mesure où elle se dote d’un trait valorisant :
« Un ciel bleu n’est pas la description objectivement neutre du ciel, mais implique
une appréciation positive, un ciel blanc45 est une notation visuelle, sans portée valori-
sante ; bleu a évidemment la même valeur quand il qualifie l’eau ; en revanche quand
il qualifie papier, par exemple, on retrouve une détermination neutre, dépourvue de
toute appréciation » (Milner, 1978 : 303–304, cité par Kleiber (2007a : 17)).

Afin de rendre compte de l’agrammaticalité de certaines combinaisons (*Quel


papier bleu !), il explique que néanmoins, la possibilité de ce passage de classi-
fiant à non-classifiant dépend fortement du porteur de la couleur et de la propriété
chromatique.

2.4.1.2. Extension explicative dans la démonstration de Whittaker


Whittaker étend l’analyse de Milner en testant les adjectifs de couleur dans
d’autres schémas distributionnels relevant aussi de la graduation : les structures
comparatives et celles avec des adverbes de graduation.
Elle émet l’hypothèse, comme nous l’avons dit plus haut, que les couleurs sont
ontologiquement graduables (nuances, objectivement mesurables) mais que cette
graduation n’a pas de corrélat direct en langue. Cependant elle est témoin que la
graduation est parfois possible. Le cadre qu’elle s’est imposé l’oblige à attribuer
à très la raison du changement sémantique de l’adjectif de couleur qui, lorsqu’il
est précédé d’un intensifieur, ne désigne plus de la couleur. Elle postule en effet
que graduation syntaxique et graduation référentielle sont indépendantes et les
adjectifs de couleur en sont l’illustration et la preuve. De fait, si la graduation est
possible, son postulat est réfuté. Il faut par conséquent qu’elle trouve un moyen de
montrer que l’adverbe de degré n’en est plus un dans ces contextes. Il faut alors
qu’elle dégage quelle autre signification il revêt. Elle va émettre l’hypothèse que le
cas des adjectifs de couleur modifiables (dans le sens où ils sont compatibles avec

45 Selon nous, les deux séquences sont également acceptables : si le ciel est bleu, il va
faire beau, s’il est blanc, il va neiger. Un ciel gris pourrait aussi s’expliquer selon
l’hypothèse de Milner, puisque la séquence signifie selon Van de Velde (1994 : 154,
note 144) « un ciel qui annoncerait la pluie ».

55
un schéma syntaxique graduel) est assimilable aux adjectifs ethniques tels que
français. Pour ce type d’adjectif, la modification par très est elle aussi singulière.
L’adverbe dans ce cas ne signifie pas non plus le haut-degré de la propriété, preuve
en est : le référent-porteur n’a pas nécessairement cette propriété. Dans :

53a)  Pierre est très français

Pierre n’est pas forcément français, comme le confirme la séquence suivante :

53b)  Peter, cet immigré britannique, est très français

L’adverbe construit avec ce type d’adjectifs entraîne un changement de sens qui


de la propriété « avoir la nationalité française » signifiera « avoir les propriétés
caractéristiques/prototypiques attachées à la nationalité française  ». Très peut
donc, selon Whittaker, dénoter, en plus du haut-degré de la propriété, que l’adjec-
tif a un emploi spécial :
« Il semblerait (…) que l’adverbe très a ici (= dans l’emploi Le garçon est-il très fran-
çais ?) non une fonction de marquer le haut degré, mais plutôt une fonction plus géné-
rale qui est de marquer qu’il s’agit d’un emploi particulier de l’adjectif » (2002 : 114).

Elle aboutit à la même conclusion que Milner mais l’énonce en d’autres termes,
l’adjonction de très à l’adjectif français marque :
«  le passage d’un emploi sous-classificateur [=classifiant] à un emploi qualifiant
[=non classifiant] » (2002 : 203).

L’adjectif de cette façon ne permet plus aux entités de s’opposer à d’autres grâce à
la possession de la propriété, mais il dénote une relation vue comme spéciale entre
le référent-porteur et la propriété qu’il signifie.
Cette relation que Milner avait peu décrite (juste la mention d’appréciation
positive, de jugement valorisant) est approfondie dans la thèse de Whittaker.
Selon elle, l’emploi de très signifie que la couleur est considérée comme un
symptôme, comme le signe d’autre chose :
« on peut constater que là où cet emploi scalaire (= avec très) est acceptable, il est
toujours possible d’établir un rapport entre la couleur et un autre phénomène : un ciel
bleu est signe de beau temps, un nez rouge peut être signe d’alcoolisme, de froid, du
fait que la personne a pleuré, etc. ; l’herbe verte peut être signe de la fertilité du sol
et de l’humidité du climat, le linge blanc est signe de propreté et ainsi de suite. Nous
avons choisi de parler de symptôme pour décrire ce rapport et souligner qu’il s’agit
là d’un véritable lien entre la couleur et cet autre phénomène » (1994 : 647, cité par
Kleiber (2007a : 19)).

56
La théorie de l’argumentation va confirmer son hypothèse et va lui donner les
moyens d’expliciter également les séquences agrammaticales, du type de *très
bleu roi, *très vert pomme où l’adjectif chromatique ressortit à la composition46.

2.4.1.3. Théorie de l’argumentation


En appuyant sa démonstration sur la théorie de l’argumentation (Ducrot, 1988),
elle propose de reformuler les séquences [très + AdjChr.] en termes de topoi47. La
phrase exclamative :

54a)  Quel ciel très bleu ! 

se gloserait par :

54b)  « + le ciel est bleu, + il fait beau »,

ce qui la conduit à la reformulation générale [très bleu donc X] où X est la :


« conclusion que l’on peut tirer à partir du rapport entre l’adjectif et son support
référentiel. Une telle formulation s’impose toujours lorsqu’un adjectif typiquement
sous-classificateur est syntaxiquement gradué » (2002 : 208).

Grâce à cette analyse, elle est en mesure d’affirmer plusieurs faits  : d’abord
l’absence de très dans sa reformulation montre qu’il n’a pas le sens habituel de
marqueur de haut degré puisque ce sens est évincé dans la reformulation ; deuxiè-
mement comme le résume Kleiber, la couleur est alors considérée comme « une
conclusion que l’on peut tirer de la possession de la couleur par tel ou tel réfé-
rent  » (Kleiber,  2007a), ce qui implique que la nuance de la couleur n’est plus
si importante ; ce qui confirme que l’adjectif de couleur ne dénote plus dans ce
schéma distributionnel de la couleur mais ce que la couleur implique de particulier
par rapport à l’état du référent-support. Cet argument va également lui permettre
d’expliquer pourquoi la graduation se révèle toujours impossible avec les adjectifs
composés du type bleu clair ou vert émeraude :

46 Cf. note 20.


47 Définition du topos : « outil descriptif permettant de rendre compte du sens des mots
par le biais des conclusions qu’ils autorisent. Le topos est composé de deux prédicats
graduels qui entretiennent entre eux un rapport graduel. Ainsi, l’adjectif économe est
décrit par Ducrot à l’aide du topos suivant : « moins on dépense de l’argent, mieux
c’est », et s’oppose à l’adjectif avare qui lui est fondé sur le topos inverse : « moins
on dépense de l’argent, moins c’est bien » (Whittaker, 2002 : 3).

57
55a)  ?Un ciel très bleu clair
55b)  ?Une prairie très vert émeraude

En effet, si la notion de couleur n’est plus signifiée, il s’ensuit que toute précision
de cette couleur est inutile, d’où une incompatibilité avec les composés qui juste-
ment ont pour fonction de préciser les nuances de couleurs.
Elle remarque enfin que les noms composés ne sont pas les seuls à être incom-
patibles avec très. Elle suggère que pour que la « graduation » (qui n’en est pas
réellement une) soit envisageable, il faut qu’extra-linguistiquement, la couleur du
référent soit le symptôme de quelque chose afin que le locuteur puisse, suite à un
calcul pragmatique, construire un lien « symptomatique » entre la couleur et le
référent du nom recteur (ciel bleu pour le beau temps, ou herbe verte pour la ferti-
lité, l’humidité), sinon comme l’explique pour elle Kleiber (2007a : 19) :
« La gradation échoue précisément là où la couleur ne peut être vue comme étant le
signe d’un autre état de choses. Ou, autrement dit, dans la plupart des cas où la cou-
leur ne représente pas le symptôme d’un autre phénomène ».

Whittaker donne des exemples (2002 : 207) :


« Il est plus difficile d’envisager un contexte où la blancheur d’un livre ou la couleur
rouge d’une robe serait symptôme de quoi que ce soit ».

C’est pourquoi elle fait précéder ces deux séquences d’un point d’interrogation
(2002 : 206) :

56a)  ?La robe de Marie est très bleue


56b)  ?Le livre est très blanc

Néanmoins elle ajoute quelques lignes plus loin que ces énoncés ne sont pas tota-
lement exclus parce que quoi qu’il en soit :
« Tout emploi conduirait cependant à chercher une lecture « symptomatique » qui
soit pertinente dans le contexte donné. Ainsi l’énoncé Quelle robe rouge ! servirait
à mon avis, à signaler soit l’admiration, soit le dédain : la couleur étant vue comme
signe de bon ou mauvais goût » (2002 : 207).

Elle suppose que le locuteur confronté à une telle phrase chercherait et trouverait
sans aucun doute de quoi la couleur pourrait être le symptôme. Comme elle, il
nous semble que les exemples potentiels sont beaucoup plus nombreux que ceux
généralement envisagés. En revanche, nous n’y voyons pas le même processus
pragmatique (cf. notre hypothèse, § 3.). Noailly, quant à elle, n’évoque pas la pos-
sibilité de ces exemples. Elle remarque que ce sont toujours les mêmes collocations

58
qui sont utilisées et c’est justement cette idée de régularité qui constituera la base
de son hypothèse.

2.4.2. Analyse de Noailly


Noailly (2005) propose comme Milner ou Whittaker un changement du statut de
l’adjectif pour expliquer les emplois particuliers de l’adverbe d’intensité avec les
adjectifs de couleur. Elle a remarqué qu’en général, les mêmes exemples étaient
récurrents et qu’ils relevaient de stéréotypie : le ciel très bleu pour exprimer le beau
temps, la campagne très verte pour désigner une fertilité particulière. Cependant,
elle précise que beaucoup d’autres relations pourraient également être recalcu-
lées : le froid ou l’ivresse pour le nez rouge ou la limpidité, la pureté rattachées au
bleu. Selon elle, c’est le passage de l’adjectif de la catégorie de catégorématique à
syncatégorémique48 qui permet au locuteur de construire une telle interprétation.
En effet, l’adjectif de couleur est par définition catégorématique, comme rectan-
gulaire, érudit. Ces adjectifs partagent la particularité d’avoir une signification
en eux-mêmes stable : aucun contexte n’est nécessaire pour définir l’adjectif. En
d’autres termes, la propriété qu’ils désignent n’est pas relative comme elle le serait
pour les adjectifs syncatégorématiques qui n’ont de signification que par rapport
aux référents qu’ils qualifient et aux autres référents de la même classe. L’exemple
typique donné pour illustrer cette catégorie est grand : un éléphant peut être quali-
fié de grand en comparaison à d’autres animaux mais peut être petit par rapport à
d’autres éléphants. Un même référent peut partager deux qualités contradictoires
selon le terme de comparaison choisi. Comme l’explique Kleiber (2007a : 21), un
tel schéma n’est envisageable avec un adjectif de couleur, si la propriété définie
est rouge par rapport au référent X, il est inconcevable que cette propriété soit
« autre » avec le référent Y.
En revanche, lorsqu’il y a modification par très, selon Noailly, la propriété de
couleur semble se comporter comme celle d’un adjectif du type de grand : X
est grand si X est plus grand que les autres X ou éléments du même type. Il y a
une idée de dépassement de la norme que Noailly retrouve dans les combinaisons
[très + AdjChr.]. Le ciel est très bleu quand il est plus bleu que normalement. Elle
explique que :
« l’intensité de cette couleur est supérieure à ce qui paraît devoir être la norme, pour
la catégorie de référents dont il s’agit. (…) De même qu’un petit éléphant est petit

48 Elle utilise une autre terminologie : intersectif pour catégorématique et non intersectif
pour syncatégorémique.

59
pour un éléphant, de même un sable très jaune est plus jaune que ne l’est en moyenne
le sable, et un ciel très bleu, plus bleu qu’un ciel standard » (2005 : 272).

Ce recours à la notion de syncatégorématique et donc de relativité de la propriété


lui permet en outre d’expliquer pourquoi la graduation des couleurs est si rare : la
relation s’établit sur une comparaison d’éléments. Dans le domaine des couleurs,
ce serait une comparaison des différentes couleurs d’un référent dont une des cou-
leurs serait le « signe » de quelque chose ; pour cela il est indispensable qu’une
couleur soit associée directement et antérieurement au référent, ce qui n’est le cas
que de peu de référents, d’où la stéréotypie et la rareté des exemples souvent cités :
« À l’inverse, aucune couleur préétablie ne peut être affectée aux robes, couver-
tures de livres, moquettes et autres artefacts. Aucun préjugé n’affectera alors leur
description ».

Ces hypothèses bien qu’intéressantes présentent toutefois quelques problèmes,


comme Kleiber le remarque. Il propose une autre issue que nous critiquerons à
notre tour avant de proposer notre propre explication.

2.5. Contre-arguments de Kleiber


2.5.1. Interprétation première chromatique
Kleiber (2007a) ne cautionne pas les hypothèses de ces auteurs. Selon lui, les
présomptions d’un changement de type d’adjectif, que ce soit de classifiant à
non-classifiant chez Milner, de classificateur à qualifiant chez Whittaker ou de
catégorématique à syncatégorématique chez Noailly, ne se justifient pas.
Il n y a aucune raison d’octroyer à l’adverbe de haut-degré la possibilité de faire
basculer « occasionnellement » un adjectif d’une catégorie à l’autre alors que ce
changement ne semble pas systématique comme le prouvent ces exemples :

57a)  Elle a des cheveux très blonds/très bruns/très noirs


57b)  Elle a des yeux très gris/très verts/très bleus
57c)  Elle a une peau très blanche
57d)  Elle a des dents très blanches
57e)  Il a un sang très rouge (2007a : 22)

dans lesquels l’adjectif garde sans aucun doute la même signification et donc le
même fonctionnement. On ne décèle aucun changement entre le sens de blond
dans des cheveux blonds ou des cheveux très blonds. La qualité est dans ces

60
exemples toujours chromatique et seulement chromatique : aucune lecture en
termes de symptômes (cf. Whittaker) n’est recalculable.
Kleiber ajoute qu’en outre, même lorsqu’effectivement une interprétation
symptomatique serait envisageable, il n’en reste pas moins que l’adjectif ressort
toutefois du domaine de la couleur. Dans :

46)  Esteban est très rouge

l’adjectif même en pouvant, dans certains contextes, sous-entendre une idée de


colère, de froid signifie en premier la couleur. Une glose comme celle qui suit ne
serait jamais associée comme synonyme :

58)  Il est en colère

Ce même argument (le maintien de la signification chromatique) lui sert aussi à ré-
futer l’argument de Whittaker concernant la similitude avec les adjectifs ethniques
du type de français.

2.5.2. Très bleu vs très français


Comme nous l’avons dit plus haut, Whittaker suppose que très en combinaison
avec bleu comme avec français permet d’activer d’autres propriétés en « effa-
çant » certaines propriétés définitionnelles de l’adjectif : très français ne signifie
pas le haut degré d’appartenance à une nationalité, mais la possession de pro-
priétés stéréotypiques associées à la nationalité (cartésianisme, galanterie, chau-
vinisme…). Elle justifie l’idée d’« effacement » des propriétés initialement asso-
ciées à l’adjectif par le fait que Pierre qui est de nationalité anglaise puisse être
« très français » : l’origine ethnique signifiée par le sens de base de l’adjectif a
disparu. Cette comparaison ne satisfait pas non plus Kleiber, puisque comme il le
démontre, l’adjectif de couleur ne perd pas ses traits définitoires originels : un ciel
bleu est toujours bleu, qu’il soit bleu ou très bleu et comme le remarque Kleiber
(2007a : 23) même avec la meilleure des lessives, du linge rouge ne sera pas très
blanc même s’il est très propre.

2.5.3. Statut de l’adjectif bleu non modifié


Dans toutes les analyses que Kleiber a étudiées, il est explicitement dit et répété
que le bleu (et non, seulement le très bleu) est signe de beau temps ou le vert celui
de fertilité. Ce qui sous-entend par conséquent que la couleur d’origine associée

61
au référent est déjà considérée comme « symptôme » pour reprendre les termes
de Whittaker. Se pose alors la question du statut de l’adjectif non modifié ? S’il
est déjà « symptôme », est-il toutefois encore classifiant ou est-il déjà qualifiant ?
Autre hypothèse envisageable : serait-il classifiant ET qualifiant ? Cette confusion
pose un problème sur la cohérence des hypothèses statuant un changement de
catégorie de l’adjectif puisque les jalons sont durs à poser et la solution de suppo-
ser à l’adjectif chromatique un statut bivalent selon le nom recteur semble assez
coûteux théoriquement.

2.5.4. Bleu vs grand


Face à l’assimilation proposée par Noailly de l’adjectif chromatique à des
adjectifs du type de grand, Kleiber met en évidence que ces adjectifs ont un
comportement tout à fait différent. D’abord, grand est syncatégorématique  :
il ne peut pas catégoriser les entités qu’ils qualifient parce que son intension
dépend des noms recteurs. Ce caractère de dépendance se reflète dans certains
énoncés qui bien qu’a priori paradoxaux sont possibles : l’éléphant est un grand
animal mais cet éléphant-là est petit. Une même entité peut être qualifiée par
deux adjectifs qui sont pourtant a priori contradictoires. La possibilité est due
au sens de l’adjectif : il va qualifier une entité en s’appuyant sur une compa-
raison avec les autres entités de la même classe. Noailly arrive à ce rapproche-
ment parce que la séquence un ciel très bleu implique une comparaison entre le
bleu du ciel « normal » et l’occurrence de ciel lors de l’émission de la phrase.
Comme avec les adjectifs syncatégorématiques s’opère une comparaison entre
les entités d’une même classe. Sauf qu’elle est imposée par très et non pas par
l’adjectif bleu, ce qui constitue d’ailleurs le mode de signification habituel de
l’adverbe. De fait, Kleiber en arrive à la conclusion que tout est « normal »,
très a exactement le sens qu’il possède dans des contextes non problématiques
où il établit une :
«  comparaison avec une « quantité ou une intensité comme étant la norme  »  »
(2007a : 27).

Les analyses de Noailly et Whittaker sont donc rendues caduques, ce qui conduit
Kleiber à se demander (2007a : 27) :
« pourquoi les adjectifs de couleur, s’ils sont ontologiquement gradués, ne peuvent
être soumis à un adverbe de degré de manière « absolue », c’est-à-dire dans le cadre
de leur propre catégorie, mais uniquement dans le cadre d’une relation relative qui
s’établit à l’intérieur de la couleur déjà possédée par un porteur que dans certaines
contextes ».

62
Kleiber tente une approche explicative, approche puisqu’incomplète, comme il le
notifie lui-même à la fin de son article :
« L’énigme n’est donc pas totalement résolue… » (2007a : 40).

2.6. Hypothèse de Kleiber


Sa réponse, des plus inattendues, va permettre d’envisager les faits d’un tout autre
point de vue. Dans la suite de son article, il démontre que ce qui rend bancales
et insatisfaisantes les analyses précédentes est dû au fait qu’ontologiquement et
« contrairement à ce qui est généralement avancé » (2007a : 28), les couleurs ne
sont justement pas des entités graduables :
« Si les adjectifs de couleur répugnent à se combiner avec des marques de gradation,
c’est tout simplement parce que les entités qu’ils dénotent ne sont pas des entités
graduables » (ibid.).

Il reprend, pour les réfuter, les arguments qu’il avait définis dans la première partie
de son article49 comme étant les preuves indubitables de l’aptitude à la gradualité
des adjectifs de couleur : notamment (i) le continuum des couleurs sur le spectre et
(ii) les adjectifs construits à sens évaluatif (du type de bleu clair, blanchâtre) et l’as-
similation erronée communément établie entre les notions d’évaluation et de degré.

2.6.1. Des couleurs en continuum


Comme présenté ci-dessus (cf. 2.3.2.), les différentes représentations de
l’organisation chromatique suggèrent une apparente progression en degrés sur
un continuum homogène. Comme c’est une des conditions de la graduation, ceci
mène à la conclusion que les couleurs se suivent de façon continue. Or ni l’idée
de degré, ni celle de continuum associées aux couleurs n’est légitime, comme l’il-
lustre la combinaison avec l’adverbe comparatif plus. Plus signifie que la qualité
est davantage ; sur une représentation scalaire (la plus commune pour illustrer ce
type d’adverbes), le degré de possession se dirige vers le haut et vers l’infini, il est
toujours possible d’être « encore plus », ce qu’illustre l’enchaînement suivant :

59) Le lait est chaud, le thé encore plus et la soupe encore beaucoup plus, elle est
même bouillante

49 Développement critique que nous avons, en partie, relaté dans les paragraphes sous § 2.4.

63
Cet exemple met en relief un continuum allant de plus chaud à bouillant en évo-
quant une chaleur intermédiaire (pour le thé). Une continuité qualitative existe entre
les qualités des trois référents lait, thé et soupe. Avec les couleurs, en imaginant
toujours qu’elles se classent en continuum, le même schéma devrait être envisa-
geable. Or un tissu bleu quand il est plus/davantage bleu ne devient pas vert : on ne
passe pas d’une catégorie qualitative à une autre, comme c’était le cas entre chaud/
très chaud/bouillant. En outre, pour ce type d’adjectifs, le passage d’une catégo-
rie à une autre se fait (chaud à bouillant) mais sans le renoncement à la catégorie
initiale : alors que la soupe qui est bouillante est donc forcément chaude, le tissu
qui est davantage vert ne sera pas « donc nécessairement bleu ». Contrairement au
lien sémantique qui lie chaud à bouillant, bleu et vert sont indépendants. La notion
de continuum contradictoire à celle d’autonomie s’avère par conséquent erronée.

2.6.2. Nuance de couleur = degré de couleur ?


La notion de degré est également intuitivement justifiée par l’existence de nuances
de couleurs (rouge bordeaux, bleu clair ou jaunâtre).
Cependant, les nuances dans chaque sous-catégorie ne sont pas classées de fa-
çon hiérarchique : un bleu roi n’est pas plus bleu qu’un bleu azur, de même qu’un
bleu clair n’est pas plus bleu qu’un bleu foncé. Les deux couleurs se distinguent en
termes de différence qualitative mais elles sont appréhendées sur le même plan par
rapport à la couleur focale. Les nuances sont toutes co-hyponymes.
En ce qui concerne les adjectifs évaluatifs suffixés en -âtre cités par Van de Velde,
Kleiber cite Molinier (2005 : 145), qui remarque que jaunâtre n’est pas un degré
de jaune puisque les enchaînements suivants ne sont pas contradictoires :
« cette substance n’est pas (blanche+jaune+bleue), elle est blanchâtre + jaunasse +
bleutée ».

L’énonciation d’une telle suite de séquences explicite que ce qui est blanchâtre
n’est pas blanc, donc ne peut pas non plus logiquement être un degré de blanc.
Kleiber propose ensuite une explication de ce blocage graduel, en tenant compte
des propriétés référentielles de la couleur.

2.6.3. Caractère multidimensionnel de la couleur


La couleur est multidimensionnelle dans la mesure où c’est une entité physique
qui peut :
« se définir selon trois données, dites « facteurs de perception ». Ce sont la tonalité, la
clarté, la saturation » (Philippe Carron, L’enseignement de la couleur).

64
Cette terminologie est celle des professionnels de la couleur. Dans d’autres do-
maines, comme en colorimétrie, au lieu de saturation, on préférera le terme de pu-
reté. En langage courant, on dira vivacité ou intensité. L’intensité dans ce contexte
n’est pas l’intensité au sens linguistique liée à la graduation syntaxique dont nous
discutons depuis le début de ce chapitre50. Dans la théorie des couleurs, l’intensité
(ou saturation) de la couleur est :
« fondée sur la pureté de la couleur ; une teinte hautement saturée a une couleur vive
et intense tandis qu’une teinte moins saturée paraît plus fade et grise. Sans aucune
saturation, une teinte devient un niveau de gris » (s. v. SATURATION DES COU-
LEURS, Wikipédia).
Cette propriété, comme les deux autres, se mesure : la pureté maximale (sans
blanc) équivaut à 100% et l’ajout de blanc saturera la couleur. Si ces propriétés
se mesurent, elles sont graduables et peuvent donc être évoquées en plus et en
moins : une couleur qui varie en saturation sera plus ou moins intense, si elle varie
en luminosité, elle sera alors plus ou moins claire… Par conséquent, comme cha-
cune de ses propriétés se mesure en termes de grandeur intensive (très vive, très
intense, très chaude…), la seule mention de l’adjectif de couleur ne permet pas
de choisir sur quelle propriété (tonalité, clarté ou saturation) faire porter le haut-
degré, d’où la difficulté de graduer.

Une fois qu’il a réfuté les deux indices communément évoqués pour justifier le
caractère graduable des couleurs et qu’il a proposé une raison potentielle au pro-
blème posé par la graduation des AdjChr., il est confronté aux exemples où très se
combine toutefois avec eux : un ciel très bleu, des cheveux très blonds… Il est né-
cessaire qu’il explique les raisons pour lesquelles la combinaison [très + AdjChr.]
est attestée dans des contextes où théoriquement (selon ce qu’il explique en tous
cas), la graduation devrait être bloquée à cause de raisons référentielles. La cause
réside-t-elle dans l’intension du nom recteur ou dans celle de l’adverbe ?

2.6.4. Graduation possible


Pour expliquer l’asymétrie distributionnelle, Kleiber se base sur la disponibilité de
très bleu pour ciel mais pas pour voiture. Il rappelle d’abord que très :
« exprime le haut-degré, implique une comparaison avec une norme implicite et marque
que l’entité à laquelle il s’applique se place au-dessus de cette norme » (2007a : 35).

50 Selon Kleiber, cette confusion lexicale est également une des causes de l’assimilation
des deux notions couleur et graduation.

65
En ce qui concerne voiture, la compatibilité graduelle se heurte au caractère multi-
dimensionnel des propriétés d’une couleur, comme déterminé ci-dessus. Qu’est-ce
qui est très : la tonalité, la clarté ou l’intensité ? Dans le cas de ciel, ne se pose
pas cette question puisqu’un certain bleu est associé au ciel (ce qui manque à voi-
ture, à laquelle toutes les couleurs peuvent être associées) ; et qu’à côté de cette
couleur correspondent également dans la conception du locuteur les changements
potentiels de teintes, qui sont considérés comme normaux et sont donc connus. De
fait, lorsque la teinte change, le locuteur sait sur quelle propriété perceptuelle le
changement porte, et donc sur quoi va porter la graduation syntaxique.
Le caractère multidimensionnel attribué à la couleur retrouve avec de tels
référents une dimension unique provoquée par l’évidence de la désignation d’une
seule et unique propriété. La qualité graduée se prescrit dans ce cadre sur le conti-
nuum homogène soit de la tonalité, soit de la saturation, soit de la clarté, ce qui
autorise la graduation syntaxique.

L’hypothèse de Kleiber est tentante. Néanmoins, elle ne justifie que les exemples
récurrents prairie très verte, sang très rouge ou cheveux très blonds, elle n’ex-
plique malheureusement pas l’attestation d’exemples du type de :

60a)  Ce site internet est très orange51


60b)  Un taboulé de quinoa très vert
60c)  Les lunettes très très bleu ciel

Il est vrai que ces séquences semblent intuitivement « différentes », pourtant le fait
qu’elles soient disponibles impose qu’elles soient traitées au sein d’une description
de la combinaison [très + AdjChr.]. L’analyse à laquelle nous allons procéder main-
tenant montrera à son terme que contrairement aux propos de Kleiber, la graduation
syntaxique est possible avec les adjectifs de couleur. Mais le sens qu’elle construit
est différent selon le type de référent et la façon dont il « porte » la couleur. Séman-
tiquement, dans certains contextes elle s’assimilera au fonctionnement pragmatique
des adjectifs de qualité ; dans d’autres, les contraintes référentielles pesant sur la pos-
sibilité d’une graduation référentielle (à savoir la présence d’un continuum) n’étant
pas remplies obligeront l’adverbe à s’adapter sémantiquement afin de maintenir son
sens nucléaire de marqueur intensif (dans le sens d’intensité que nous allons redé-
finir) et de rester dans le domaine chromatique. La relation entre le référent-porteur
et la couleur mène à l’une ou l’autre lecture, c’est pourquoi notre analyse se base
essentiellement sur les propriétés de la couleur par rapport à son référent.

51 Les trois exemples sous 60) sont extraits de www.google.fr.

66
3. Autre hypothèse
3.1. Lacunes dans les analyses antérieures
Les analyses concernant la modification «  intensive  » des adjectifs de couleur
menées jusqu’ici négligent plusieurs points qui nous paraissent pourtant particu-
lièrement significatifs :
(i) D’abord concernant le degré de « normalité » des exemples : il nous semble
que, dans les analyses antérieures, ne sont pas justifiées clairement (même si le
fait est mentionné) les raisons pour lesquelles certaines séquences semblent plus
naturelles que d’autres. Des yeux très rouges offre une lecture non problématique
et naturelle par rapport à  Une voiture très rouge ou Une PS3 Slim très jaune
(Google)52.
(ii) De plus, nous avons remarqué que les exemples cités sont souvent les
mêmes (le ciel très bleu, l’herbe très verte, le linge très blanc)53 et le jugement
de non-attestation au regard des exemples rejetés nous paraît souvent injustifié.
Preuve en est des divergences d’attestions selon les auteurs (cf. supra note 41).
Parfois un contexte est effectivement nécessaire pour que la modification adver-
biale soit possible, mais cette difficulté et non cette impossibilité est aussi révéla-
trice de la relation établie entre l’AdjChr. et le modifieur.
(iii) Puis, il nous paraît fondamental de prendre en compte la relation entretenue
entre la propriété chromatique et le référent :

– d’un côté, le caractère de la couleur par rapport à son référent-porteur : si elle


est naturelle ou non ;
– de l’autre, le type de référent dont la couleur est évaluée : le référent peut être
homogène (en constituant une masse) ou hétérogène (composé d’éléments
distincts).

À la lumière de ces trois remarques, nous postulons que le type de référent et


la façon dont il « possède » sa couleur sont la cause des variations de degré de

52 Van de Velde ou Milner évoque le problème comme une contrainte sans l’expliquer.
Kleiber (2007a) en parle pour réfuter les thèses de ses collègues, mais ne s’en sert pas
dans son analyse.
53 Noailly (2005) remarque que ce sont souvent les mêmes exemples qui sont cités, et de
là construit son hypothèse engageant l’obligation d’une couleur stéréotypique asso-
ciée au référent pour qu’un AdjChr. admette la modification.

67
compatibilité entre l’AdjChr. et l’adverbe très. Nous définirons trois types de
relation référent/couleur qui chacune mènera à une interprétation particulière de
l’adverbe très : (i) pour un type de référent, la propriété chromatique a une inter-
prétation graduelle potentielle. L’usage et la signification de très sont alors « nor-
maux », d’où une lecture naturelle et non problématique, dans le sens où aucun
contexte particulier ne doit être ajouté pour faciliter ou expliciter l’interprétation.
(ii) Parallèlement, nous décrirons les cas où malgré l’impossibilité d’une lecture
référentielle graduelle, l’utilisation de très s’avère toutefois grammaticale. Nous
justifierons cette grammaticalité par une adaptation du sens de l’adverbe, afin de
garder le trait sémantique nucléaire qui lui est récurrent de « déneutralisation »,
tel que nous définirons le concept.

3.2. Corpus général


Comme le montre la taille de ce corpus (complété par d’autres exemples joints
en annexe), beaucoup plus de possibilités existent que celles jusqu’ici analy-
sées54. Ce corpus met de plus en relief la variété des « sens » établis par la com-
binaison de [très  + AdjChr.]. Nous utiliserons encore d’autres exemples dans
notre analyse, cependant au terme de notre démonstration, nous classerons les
séquences ci-dessous dans un tableau afin d’illustrer l’organisation résultant de
notre hypothèse.

1. Blanc
a) «  Pichon maltais très blanc avec nœuds rouges  » (http://fr.fotolia.com/
id/16320534, consulté le 29.06.13)
b) «  Bonnet ancien fait main bon état très blanc Poupée poupon collection  »
(www.ebay.de, consulté le 29.06.13)
c) «  Plage de sable très blanc » (www.tripadvisor.de, consulté le 29.06.13)
d) «  Granulat de marbre très blanc, provenant d’une carrière en Grèce » (http://
www.hellopro.fr, consulté le 29.06.13)

54 Remarquons toutefois la rareté d’unités dans la source Frantext. Toutes les séquences
ont été recensées via le moteur de recherche Google. Nous avons corrigé les fautes
d’orthographe (ou de frappe), mais nous n’avons jamais modifié la syntaxe.

68
2. Bleu
a) «  Lentille bleu très bleu sur yeux marron » (www.forum.doctossimo.fr, consulté
le 29.06.13)
b) «  C’est très bleu tout ça [une robe de Michelle Obama] » (www.people.pre-
miere.fr, consulté le 29.06.13)
d) «  L’arrivée prochaine de manettes bleues et rouge pour sa console (…) un bleu
« euh » très bleu et un rouge, « euh » très rouge » (http://www.gamalive.com,
consulté le 29.06.13)
e) «  Mon regard très bleu  » (http://www.flickr.com/photos/30907260@N04/
2894810386, consulté le 29.06.13)

3. Jaune
a) «  Madrid : la devanture jaune, mais alors très jaune du vaca veronica de
madrid » (www.tripadvisor.de, consulté le 29.06.13)
b) «  bout des ongles très jaunes, que faire ? » (http://forum.doctissimo.fr, consul-
té le 29.06.13)
c) «  Ces personnages [Les simpsons] très jaunes, ils sont aussi très drôles »
(www.pointblog.fr, consulté le 29.06.13)
d) «  L’or titré en 22K est très jaune  » (www.ma-bague-de-fiancailles.com,
consulté le 29.06.13)
e) « puis deux photos d’elle [femelle python royal], encore très jaune » (www.
reptilic.com, consulté le 29.06.13)
f) «  il [le bébé] refuse le sein ou le biberon ou est toujours somnolent ; il perd
beaucoup de poids (plus de 10% de son poids à la naissance) ; ou, il est très
jaune » (http://www.ncbi.nlm.nih.gov, consulté le 29.06.13)

4. Noir55
a) « Un mascara très très noir » (www.forum aufeminin.fr, consulté le 29.06.13)
b) « khol très noir et qui tient bien » (www.bladi.net, consulté le 29.06.13)
c) « Bonnet en laine d’alpaga très noir » (www.leboncoin.fr, consulté le 29.06.13)
d) « Maillot de bain très noir » (www.frost.moyblog.net, consulté le 29.06.13)

55 Nous n’avons pas recensé les séquences où le sens figuré de noir évoquant la tristesse,
le malheur etc. est activé.

69
e) « La teinture abysse est bleu foncé en fait. Sur la plupart des armures elle fait
très noire, sur d’autres elle fait limite violet » (www.forums.jeuxonline.info,
consulté le 29.06.13)

5. Vert
a) «  À la deuxième place [du concours], j’ai nommé @lealanis ! C’est très vert,
mais ça rend bien, les vêtements s’accordent très bien entre eux  » (www.
amoursucre.com, consulté le 29.06.13)
b) «  Ukyon avait donc les cheveux très longs et très verts  » (www.kaiba-copr-
battle.forumsactifs.com, consulté le 29.06.13)
c) «  Un paysage très vert et fleuri  » (www.promovacances.com, consulté le
29.06.13)
d) «  Dax (40) buste très vert de l’empereur Baracalla » (www.flicker.com, consul-
té le 29.06.13)
e) «  bonjour petite question la couleur en haut très vert ou turquoise. Merci  »
(www.vivelesrondes.fr, consulté le 29.06.13)

6. Marron56
a) «  Site de rencontre gratuit pour rencontrer une femme brune-aux-yeux-très-
marron, rencontres gratuites » (www.meetcrunch.com, consulté le 29.06.13)
b) «  Bonjour, voila mon chti problème. J’ai la peau mate et je bronze très facile-
ment du corps : je suis vraiment très marron » (www.forum.aufeminin.com,
consulté le 29.06.13)
c) « [dans un aquarium] Mes plantes sont très marron et mes cailloux aussi  »
(www.aquaportail.com, consulté le 29.06.13)

7. Orange
a) «  Un repas très orange  » (www.skynet.be/lili…/detail_repas-tres-orange?,
consulté le 29.06.13)
b) «  Si le feu était orange même très orange, tu ne l’as pas grillé  » (www.
Fr.answers.yahoo.com, consulté le 29.06.13)

56 Marron et orange sont des unités morphologiquement complexes : l’adjectif est


construit sur le substantif désignant le fruit. Nous les présentons toutefois ici pour
montrer que les emplois sont les mêmes. Ce qui conduit à s’opposer à Whittaker qui
justifiait l’agrammaticalité de très vert pomme qui en réalité est un énoncé correct,
comme le montrent les exemples sous 8.

70
c) «  mais il faut bien reconnaître que celle-là [une petite grenouille toute orange]
elle est très… orange » (www.fou-de-voyage.com, consulté le 29.06.13)
d) «  Toujours idem que pour la phase Citron et orange mais couleur de fond très
orange » (www.batraciens-reptiles.com, consulté le 29.06.13)
e) «  S’il n’y a pas assez de dioxygène, la combustion est alors incomplète, la
flamme est très orange  » (www.pignolos.pagesperso-orange.fr, consulté le
29.06.13)
f) «  27 janv. 2011 – Peut-être que megaupload va changer sa charte graphique :
c’est un site très orange quand même » (www.degroupnews.com, consulté le
29.06.13) 
g) «  perso il m’arrive d’avoir la langue orange de temps à autre. Elle est vrai-
ment très orange pas juste un peu mais vraiment très orange » (www.forum.
doctissimo.fr, consulté le 29.06.13)
h) «  2 mars 2011 – Variété de tomates moyennes régulières très orange » (www.
dafal.fr, consulté le 29.06.13)

8. Unités polylexicales
a) «  Prenez celui [un restaurant] en bas de chez moi. Il vient d’être remis à neuf, et est
vraiment sympa : design, très lumineux et cosy, avec un mélange de coins canapés
et de chaises en hauteur, dans un univers très “vert pomme” axé sur la diététique,
la nature, le frais » (www.grandmath.canalblog.com, consulté le 29.06.13)
b) «  Le polo vert pomme est très vert pomme  »  (www.forum.metalorgie.com,
consulté le 29.06.13)
c) «  L’eau de ma piscine est très vert anis et trouble  » (www.bricolage.linter-
naute.com, consulté le 29.06.13)
d) «  Pour moi, l’ « habillage » était évident : du tissu à fleurs roses en majorité sur
fond très bleu azur »  (www.alittlemarket.com, consulté le 29.06.13)
e) «  Nintendo officialise l’arrivée en France de Kirby Mass Attack en nous distri-
buant des images à la teinte très rose bonbon » (www.jeuxactu.com, consulté
le 29.06.13)

3.3. Cadre définitionnel : Intensité et Déneutralisation


3.3.1. Notion générale d’intensité
Comme Kleiber (2007b), nous nous arrêtons sur la notion d’intensité parce que
la définition floue qu’on lui assigne communément est insatisfaisante pour notre

71
propos. Dans un article (2007b) qu’il consacre à ce concept, il explique que
l’intensité est un thème qui a « le vent en poupe » (2007b : 1) mais qui, sans que
cela semble poser problème, n’a jamais été clairement défini :
« l’intensité est un concept basique primaire, qui sert à définir les autres, mais qui est
difficilement définissable lui-même » (2007b : 1–2).
Il démontre que le terme intensité offre deux interprétations : d’un côté, la « déter-
mination quantitative d’une propriété » (ibid.) ou ordre de grandeur d’une quali-
té ; de l’autre, la dénomination d’une propriété, l’« intensité-détermination », par
exemple l’intensité de la lumière, d’un son, etc. Il conclut que dans le cas des cou-
leurs, il n’est question d’intensité que comme « intensité-détermination » : c’est
une propriété de la couleur, qui se définit en terme de luminosité ou de clarté. Il
explique que la difficulté à combiner très avec les adjectifs de couleur trouve son
origine dans cette dichotomie sémantique : très est un modifieur dans le domaine
de l’intensité-propriété, or si l’intensité de la couleur ne relève pas de ce domaine,
il est logique que très ne s’en accommode pas.
Cette remarque, bien que très pertinente, n’explique cependant pas pourquoi
la combinaison [très + AdjChr.] est parfois non seulement possible mais en plus
s’avère complètement comparable à toute autre combinaison [très  + Adj.] (des
yeux très rouges). Elle ne justifie pas non plus pour quelle(s) raison(s) elle demeure
possible dans des contextes toutefois remarquablement particuliers (une voiture
très rouge). C’est pourquoi nous maintenons qu’une notion d’intensité-propriété
même si elle n’est certes pas définissable exactement comme celle appliquée à
des adjectifs comme petit ou grand, est aussi repérable dans le domaine chroma-
tique. Nous nous appuierons sur la définition de Roméro (2007) pour justifier notre
position en montrant que, malgré la multiplicité des relations sémantiques ins-
truites par très, nous restons toutefois dans le domaine de l’intensité, seul le moyen
utilisé pour accéder à ce sens différera comme nous l’expliquerons ci-dessous.

3.3.2. Intensité définie par Roméro (2007)


L’intensité, comme le remarque Romero (2007 : 57)57 à la suite de Kiesler (2000)
est un procédé linguistique très utilisé et très diversifié :
« les quelques moyens qu’une grammaire a vocation à présenter comme réservés à
l’expression de l’intensité seront bien peu de chose comparés à la grande richesse de
procédés réellement mis à disposition par la langue et exploités par les locuteurs ».

57 Elle y consacre sa thèse de doctorat en 2001,  L’intensité en français contemporain :


analyse sémantique et pragmatique.

72
Dans sa thèse, elle cherchait les caractéristiques des nombreux éléments qui ont pu
être regroupés dans cette catégorie afin d’en définir l’unicité. Selon Kiesler (2000,
cité par Romero 2007 : 58) sont du ressort de l’intensité :
« mise en relief/évidence/lumière/valeur/vedette/emphase, l’intensification, le renfor-
cement, la topicalisation, la focalisation, l’accentuation, l’insistance, la saillance ».

Elle utilise deux citations de Kiesler (2000) pour poser les bases définitionnelles
de la notion, d’abord du point de vue de l’expression :
«  Un énoncé neutre, non marqué (En) est modifié (transformé), par un processus
de modification au moyen de procédés de mise en relief (x), en un énoncé mettant
en relief, marqué (Em) ; la mise en relief (H) consiste en ce processus » (Roméro,
2007 : 58),

puis d’un côté plus pragmatique :


«  La mise en relief est toute transformation s’effectuant pendant un processus de
production linguistique, laquelle se manifeste sur le plan locutionnaire de l’énoncé –
qui, orienté téléologiquement de façon consciente ou inconsciente, a pour but une
intensification de l’effet perlocutionnaire visé par l’énoncé » (ibid.).

Il ressort de ces deux définitions qu’exprimer l’intensité revient à modifier un pre-


mier énoncé en y appliquant un procédé intensifiant ; cet énoncé se trouvera alors
modifié en terme d’intensité. Mais de quel ordre est cette modification ?
Selon la définition générale58 qu’elle propose du terme, elle l’assimile d’abord à
une tension en s’appuyant sur le sens de la racine commune aux deux termes (tens-). 
Elle affine ensuite sa description en précisant que toute expression d’intensité est
l’appréhension d’un écart. Elle explique :
« l’intensité d’un phénomène X résulte de l’appréhension de l’écart (ou de la diffé-
rence) entre deux états x1 et x2 relatifs à ce phénomène » (2007 : 59).

Un premier état est donc supposé, suivi d’un second, qui, pour le dire simplement,
aura quelque chose en plus d’un point de vue qualitatif ou quantitatif. Elle ex-
plique en effet que l’intensité peut s’appréhender à ces deux niveaux, qui peuvent
d’ailleurs occasionnellement se recouper.
Elle étaye sa démonstration sur l’intensité quantitative par une échelle, moyen
propre à montrer ce que nous avons dénommé le plus, elle insiste en effet sur le
fait qu’il faut un moins, un plus petit :

58 Définition qui se doit d’être aussi générale pour couvrir la variété des différents
moyens propres à intensifier.

73
« une échelle est un ensemble a priori infini d’éléments ordonnés dont un plus petit »
(2007 : 60).
Et dans le cas de l’intensité qualitative, elle postule la production illocutoire d’un
contraste (que ce soit par des moyens métalinguistiques, poétiques…).
Ce qui nous intéresse particulièrement est la notion de distance entre deux
énoncés impliquée dans celle d’écart ou de contraste. Elle présuppose la préexis-
tence à l’énonciation intensive d’un énoncé pragmatiquement recalculable non
intense, non marqué.
Cette définition va nous permettre d’expliquer tous les emplois du modifieur
très combiné à un adjectif de couleur en terme d’intensité, bien qu’ils ne se situent
pas tous au même niveau.

3.3.3. Les notions d’état neutre et de déneutralisation


L’adverbe très est défini comme l’adverbe de haut-degré : il signifie qu’il existe
une grande distance ou un grand écart entre la représentation neutre de l’entité et
celle présentée dans un énoncé où sa qualité sera modifiée par très. Une fille très
petite est une fille décrite comme non seulement petite, mais en plus dépassant
la taille considérée comme l’état neutre (ou l’état considéré comme neutre) de la
propriété signifiée par « petit ».
En utilisant très, on compare donc deux états en marquant l’écart, la distance ou
le contraste, entre un état non modifié et un état modifié. Nous appellerons cet état
originel, l’état neutre. Au fil des lectures, nous avons remarqué que lorsqu’on veut
linguistiquement expliciter la relation établie dans une comparaison entre deux états,
la terminologie disponible est parfois ambiguë. Pour l’état de base, non modifié,
on parle de norme, d’état 0, de représentation stéréotypique également ou encore
d’Erwartungsbild (Wunderlich, 197359). Cet état est effectivement l’état dans lequel
on s’attend à trouver le référent « normalement », « naturellement ». Mais toutes ces
notions nous posent problème dans la mesure où lors d’une comparaison entre par
exemple, les états des yeux dans les yeux rouges et les yeux très rouges, considérer
les yeux rouges comme état normal ou stéréotypique est ontologiquement contradic-
toire. C’est pourquoi nous préférerons la notion de neutralité et nous reconnaissons
à très un principe de déneutralisation (pour être plus précis que le terme de modifi-
cation). Cette notion implique celle d’anormalité définitoirement reliée à l’adverbe
très, mais elle a l’avantage de poser un jalon différent sur le statut originel, que la
notion d’anormalité, de par le terme même, rendait difficile à entrevoir. L’état est

59 Wunderlich Dieter (1973), « Redeerwähnung », in Funk-Kolleg, pp. 134–143.

74
neutre dans le sens où il est considéré communément et en toute objectivité dans son
état « originel » non modifié (que j’oppose ici à normal) et l’état sera déneutralisé
dans le sens de « rendu non neutre par rapport à l’état neutre d’origine ».
Ce principe de déneutralisation d’un état dit neutre sera le trait sémantique
nucléaire de très : dans chaque emploi, malgré les variantes sémantiques, il sera
en effet identifiable.
Définitoirement, l’état neutre doit être graduable pour pouvoir être exprimé
comme distancé par un état déneutralisé. Or comme l’a montré Kleiber les cou-
leurs ne le sont pas. Pourquoi très est-il alors parfois compatible ?
Il semble que l’adverbe s’adapte selon les contextes aux éléments présents (ou non
justement) afin de maintenir le trait sémantique nucléaire qui lui est attribué.

3.3.4. Hypothèse d’une adaptation sémantique de très


Cette adaptation est un réajustement entre la couleur désignée en relation avec
le référent-support et le sens nucléaire de très. Dans tous ses emplois, le sens de
très est toujours (plus ou moins) proche de son rôle habituel de marqueur de haut-
degré ou marqueur d’écart, mais cet écart bien que concernant toujours la couleur
sera exprimé via différentes médiations (qualitative, quantitative ou axiologique)
selon les possibilités offertes par la combinaison [référent + très + AdjChr.]. Ces
trois médiations représentent les « moyens » grâce auxquels l’adverbe va pouvoir
puiser des éléments informatifs dans différents domaines (la qualité, la quantité ou
l’axiologie) pour garder son sens nucléaire de déneutralisation et pouvoir s’appli-
quer à tout adjectif de couleur.
Ces trois catégories de médiation vont permettre d’organiser les occurrences
[très + AdjChr.] selon les adaptations sémantiques de très et vont en même temps
justifier les raisons d’attestations estimées comme plus ou moins naturelles.
Afin d’ordonner les séquences dans chacune de ces classes, nous avons procédé
à différents tests que nous décrirons ci-dessous. À chaque fois, nous exposerons
les éléments en contraste et les stratégies adaptatives de l’adverbe afin d’expliquer
cette compatibilité « occasionnelle ».

3.4. Analyse générale


3.4.1. Vers une adaptation sémantique de très selon le référent
La première observation des exemples recensés laisse entrevoir une divergence
sémantique dans la relation établie entre très et la conception de la couleur selon

75
les différents contextes référentiels où l’adverbe se trouve. Nous avons procé-
dé à une série de tests basés sur des paraphrases ou au contraire des séquences
antonymiques afin de mettre en relief ces variations sémantiques. La première
impression est avérée : face à la combinaison [très + AdjChr.], la distribution de
paraphrases ou phrases contraires n’est absolument pas complémentaire ; cette
divergence avère la présence d’une différence sémantique des différentes combi-
naisons qui selon nous, est causée par la relation de la couleur à son référent : très
varie sémantiquement selon le nom qui régit l’adjectif parce que le référent de ce
nom a ou n’a pas une couleur qu’il est possible de graduer.
Nous avons repéré trois types de variantes sémantiques qui correspondent à
plusieurs ensembles de types de référents qui vont se distinguer selon des dicho-
tomies basiques telles que possession d’une couleur naturelle ou non naturelle et
référent homogène ou référent hétérogène.

3.4.2. Description des variations sémantiques de très


Suite à l’observation du corpus, nous avons identifié que l’adverbe instruisait plu-
sieurs types de sens distincts. En comparant les exemples à des phrases synonymes
ou antonymes, ressortent trois groupes.
D’abord la phrase avec très s’opposera à une séquence avec un peu :

61a)  Il a les yeux très rouges vs 61b) Il a les yeux un peu rouges

Ce test permet de distinguer deux groupes selon que les deux séquences sont syno-
nymes ou contraires. Sémantiquement, très et un peu sont liés antonymiquement ;
une modification par très se glose par [Nég. + un peu] :

62a)  Il a les yeux très rouges = 62b) Il n’a pas les yeux (qu’)60 un peu rouges

Malgré cette opposition lexicale, selon le contexte et l’acte illocutoire recherché,


les deux séquences peuvent, grâce à une opération rhétorique (recourant addi-
tionnellement significativement à l’intonation), signifier semblablement, le tout se
dotant d’une valeur fortement connotée (généralement ironique) :

60 Nous avons préféré ajouter qu’ afin d’éviter toute confusion avec la négation
totale : il n’a pas les yeux un peu rouges pourrait signifier qu’il n’a pas les yeux
rouges du tout.

76
63a)   T  a voiture est très rouge (quand même) ! = 63b) Ta voiture est un peu
rouge (quand même) !
vs 61a)  Il a les yeux très rouge ≠ 61b) Il a les yeux un peu rouges.

Ces deux ensembles s’opposent au dernier par l’impossibilité d’une séquence


parallèle avec que de :

64a)  Cette collection est très rouge = 64b) Que de rouge dans cette collection !
65a)  Ses yeux sont très rouges ≠ 65b) *Que de rouge dans ses yeux !
66a)  Sa voiture est très rouge ≠ 66b) *Que de rouge sur sa voiture !

Ce critère est discriminatoire pour la troisième catégorie. La parité du couple que


de/très a déjà été abordée dans la partie précédente. Flaux & Van de Velde (2000)
l’utilisaient comme test distinguant les noms intensifs des autres parce que pour ces
noms, l’opposition quantité (normalement signifiée par que de) et qualité (signifiée
par [quel + N] ou [très + Adj.]) s’annule pour ne désigner que de l’intensité.
Nous avions testé sur nos exemples et nous nous étions aperçue que la distinc-
tion qualité-quantité existait toujours :

39a)  Quel rouge ! (qualité) vs 39b) Que de rouge dans ce tableau ! (quantité) 

Logiquement, puisque l’adverbe très signifie une modification de la qualité, il


devrait être équivalent à Quel rouge !. Or Quel rouge dans cette collection ! a un
sens différent. La question qui se pose est donc de définir les raisons pour lesquelles
que de et très semblent similaires alors que la distinction quantité/qualité est exis-
tante et qu’une séquence avec quel (lorsqu’elle est possible) est sémantiquement
différente.
Cette disparité sémantique reflète corrélativement une différenciation référen-
tielle (au niveau aussi bien de la couleur que du référent-porteur).

3.4.3. Différenciation référentielle


Aux trois variations sémantiques attribuées à très correspondent trois groupes
référentiels. Chacun regroupe une catégorie d’objets qui partagent une propriété
essentielle, qui imposera une des interprétations de très.
Deux caractéristiques de la couleur et des référents vont influencer la lecture de
l’adverbe : d’abord si la couleur est naturelle ou non. Deuxièmement, si le support
de la couleur est homogène ou hétérogène. Ces deux paires de traits seront la base
du classement des lectures à médiation qualitative, quantitative ou axiologique.

77
Premièrement, nous définirons les cas résultant d’une médiation qualitative,
qui sont assimilables à tout adjectif désignant une qualité : ceci concerne les
référents-porteurs d’une couleur naturelle, inscrite dans un continuum (proces-
sif ou complémentaire). Ensuite, nous décrirons les cas où la couleur n’est plus
naturelle, ce qui exclut toute idée de continuum. Une lecture intensive à médiation
quantitative sera envisageable pour les référents hétérogènes tandis que seule la
lecture à médiation axiologique s’offrira aux AdjChr. qui n’autorisent ni une lec-
ture qualitative, ni une lecture quantitative.

3.5. Application aux données


3.5.1. Premier groupe - Corpus et organisation des exemples
Comme déjà mentionné ci-dessus, les exemples sont plus variés que ceux illus-
trant en général les études de [très + AdjChr.]. Voici les exemples61 qui vont nous
servir dans notre analyse :

a)62 Corpus d’investigation pour l’analyse très

a1) «  Ma fille Sarah a les joues très roses voire rouges » (http://www.babyfrance.
com, consulté le 29.06.13)
a2) «  C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux très rouges dès que je bois plus
de 5 bières » (http://forum.hardware.fr, consulté le 29.06.13)
a3) « J’ai les dents très jaunes alors que je les lave minimum 2 fois par jour et que
je ne fume pas » (forum.aufeminin.fr, consulté au 29.06.13)
a4) «  Avant la remise en service de ma Celine 9 [une piscine], je dois régler un
gros souci ; à savoir que j’ai une eau très verte avec algue (vase) partout
(…) » (http://www.montage-waterair.com, consulté le 29.06.13)
b1) «  vers 16h avec un yaourt et une banane très verte ou un peu de pain complet »
(forum.espace-musculation.com, consulté le 29.06.13)
c1) «  Dans les films asiatiques, les héroïnes ont la peau très blanche » (http://
forum.aufeminin.com, consulté le 29.06.13)

61 Nous avons fait exprès de ne pas utiliser les exemples cités sous 3.2. pour étayer
le corpus et ainsi démontrer ce que nous avançons quant à la variété des séquences
possibles.
62 La séparation en sous-parties s’expliquera par la suite.

78
c2) «  Mais certaines filles sont très très belles avec une  peau très blanche  »
(forum.doctissimo.fr, consulté le 29.06.13)
c3) «  C’est ce qui explique que la peau très blanche des bébés soit extrêmement
sensible au rayonnement des ultraviolets » (www.doctossimo.fr, consulté le
29.06.13)
d1) «  Une urine très jaune signifie que vous êtes déshydraté et que vous ne
buvez pas assez d’eau » (http://www.web-docteur.com/172.htm, consulté le
29.0613)
d2) «  J’ai les cheveux très noirs » (www.yabiladi.com, consulté le 29.06.13)
d3) «  Pour ma part j’ai les yeux (très) verts, mais comme je suis très myope,
j’eusse préféré qu’ils fussent moins verts mais de meilleure qualité » (http://
fr.answers.yahoo.com, consulté le 29.06.13)
d4) «  Grâce au système de blanchiment Laser, il est désormais possible de
rendre vos dents très blanches en une seule séance et en 1 heure » (www.
esthetica.fr, consulté le 29.06.13) vs d5) « Par contre, ses 2 frères ont les
dents très blanche (dents de lait) » (http://forum.magicmaman.com, consulté
le 29.06.13)
e1) «  Avez-vous d’autres méthodes pour garder un linge très blanc ? » (forum.
aufeminin.com, consulté le 29.06.13) vs e2) « Je le [mon linge] trouve très
gris » (http://www.linternaute.com, consulté le 29.06.13)
e3) «  Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions (beau
temps), car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel très bleu  »
(fr.questmachine.org, consulté le 29.06.13)
e4) «  Maintenant s’étend devant nous une immense prairie très verte, avec des
carrés de terre noire (…) » (Flaubert, Notes de voyages)
f)  « La queue du lézard est très orange » (http://www.geckocavern.com, consul-
té le 29.06.13).

Nous avons déduit l’appartenance de ces séquences à une même catégorie grâce
à la conjoncture de plusieurs facteurs. D’abord, une transformation de très par un
peu qui entraîne un sens d’intensité modifié à l’inverse :

a1)  Ma fille Sarah a les joues un peu roses


a2)  C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux un peu rouges 
a3)  J’ai les dents un peu jaunes 
a4)  (…) à savoir que j’ai une eau un peu verte
b)   (…) un yaourt et une banane un peu verte 
c1)  (…) les héroïnes ont la peau un peu blanche

79
c2) ?Mais certaines filles sont très très belles avec une peau un peu blanche
c3) ?C’est ce qui explique que la peau un peu blanche des bébés 
d1) Une urine un peu jaune signifie que vous êtes déshydraté et que vous ne
buvez pas assez d’eau
d2) ?J’ai les cheveux un peu noirs
d3) J’ai les yeux (un peu) verts
d4) ?Il est désormais possible de rendre vos dents un peu blanches vs d5) ?(…)
ses 2 frères ont les dents un peu blanches (dents de lait)
e1) ?Avez-vous d’autres méthodes pour garder un linge un peu blanc ? vs e2) Je
le [mon linge] trouve un peu gris
e3) Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions (beau
temps), car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel un peu bleu
e4) Maintenant s’étend devant nous une immense prairie un peu verte, avec des
carrés de terre noire (…) 
f)   La queue du lézard est un peu orange

Certaines séquences supportent moins bien la transformation (d’où le point d’in-


terrogation marquant notre hésitation) mais comme elles n’acceptent absolument
pas le test impliquant que de comme introducteur de séquence exclamative et que
l’acte illocutoire n’engage pas nécessairement le locuteur de façon marquée, il
nous semble approprié de les répertorier dans cette catégorie :

67a)  *Que de jaune sur les dents de cet homme !


67b)  *Que de vert sur cette banane !
67c)  *Que de bleu dans le ciel !

Noailly et Whittaker se demandaient s’il s’agissait toujours de couleurs quand une


modification par très était opérée : il est indéniable, dans ces exemples, que très
modifie l’adjectif et signifie le haut-degré de la couleur. Une peau très blanche
est une peau qui a la propriété d’être plus blanche que l’état neutre (tel que nous
l’avons défini) signifié par une peau blanche.
Très combiné à ces séquences désigne un écart entre une couleur à un état
neutre et cette même couleur à un état déneutralisé. Cet écart ressemble fort à la
distance qui séparerait n’importe quelle qualité de sa variante modifiée en intensité
par très : très petit, par exemple, par rapport à petit. C’est la raison pour laquelle
nous appellerons cette intensité « intensité à médiation qualitative » : il n’est seu-
lement question de qualité et de qualité modifiée. Mais quelle est la singularité de
ces occurrences pour permettre cette interprétation ? Une description des référents

80
et de la relation qu’ils entretiennent avec la couleur va justifier la « normalité »
apparente de ces occurrences.

3.5.1.1. Particularité de la propriété chromatique par rapport à son référent :


couleur naturelle et variable
Dans tous les exemples, les couleurs sont naturelles au référent ; naturelles étant
entendu tel que le définit le TLFE :
« qui est dans et appartient à la nature ; qui n’est pas le produit d’une pratique
humaine » (s. v. NATUREL, TLFE).

Ce sont des propriétés63 inhérentes de celui-ci dans le sens où elles ne sont le


résultat d’aucune action extérieure volontaire.

Par ailleurs, la couleur désignée n’est souvent pas la seule couleur disponible
pour le référent : les yeux peuvent être verts, bleus, marron, gris, etc., la banane
peut être verte, jaune, noire. Ces couleurs potentielles se situent à deux niveaux
différents : soit elles peuvent apparaître à différentes étapes de l’évolution d’un
même individu (la banane est verte, puis jaune, puis noire), soit elles sont
inconcevables pour un même et unique individu (les yeux sont bleus ou marron,
ils ne peuvent passer de bleu à marron). Autrement dit, chaque couleur peut être
variable ou immuable. Linguistiquement, ce fait a pour corrélat une parallèle
verbale qui reflète l’évolution processive latente de la propriété. Dans le cas des
dérivés verbaux d’adjectifs chromatiques, quelques verbes sont disponibles :
blanchir, bleuir, jaunir noircir, rougir et verdir. Néanmoins comme nous le ver-
rons dans la partie que nous leur dédions, ces verbes sont fortement contraints,
ils ne peuvent s’appliquer qu’à un type restreint d’agents dans des situations bien
définies. Ainsi, pour vérifier le caractère processif des propriétés chromatiques
dans les exemples de notre corpus, nous les testerons en les insérant dans un
contexte verbal régi par devenir, verbe qui comme le définit le TLFE correspond
exactement au sens que nous voulons identifier :
« Être engagé dans un processus évolutif devant aboutir à un changement d’état »
(s. v. DEVENIR, TLFE).

63 Même si elles n’ont pas le comportement des noms de qualités, nous continuerons à
les appeler ainsi par commodité et pour répondre à notre logique intuitive.

81
3.5.1.2. Évaluation du caractère processif : corpus et propriété de
la qualité chromatique en procès
Corpus
a1) Ma fille Sarah a les joues qui sont devenues très roses
a2) C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux qui deviennent très rouges 
a3) J’ai les dents qui deviennent très jaunes 
a4) (…) à savoir que j’ai une eau qui devient très verte
b) (…) *une banane qui devient très verte 
c1) (…) les héroïnes ont la peau qui devient très blanche
c2) ?Mais certaines filles sont très très belles avec une peau qui devient très
blanche
c3) *C’est ce qui explique que la peau des bébés est devenue très blanche
d1) Une urine qui devient très jaune signifie que vous êtes déshydraté et que
vous ne buvez pas assez d’eau
d2) ?J’ai les cheveux qui sont devenus très noirs
d3) *J’ai les yeux qui sont devenus très verts
d4) Il est désormais possible que vos dents deviennent très blanches vs
d5) (…) *ses 2 frères ont les dents qui deviennent très blanches (dents de lait)
e1) ?Avez-vous d’autres méthodes pour que le linge devienne très blanc ? vs 
e2) Je [mon linge] trouve que mon linge est devenu très gris
e3) Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions (beau temps),
car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel qui devient très bleu
e4) Maintenant s’étend devant nous une immense prairie qui était devenue très
verte (après ces pluies torrentielles)  
f) La queue du lézard est devenue très orange (après cette maladie)

Il ressort de ces reformulations que dans presque tous les exemples, la propriété
s’inscrit dans un processus évolutif 64 (eau très verte, yeux très rouges, dents très
blanches). Nous chercherons d’abord les points communs des référents de ces
séquences, que nous comparerons ensuite à ceux dont la désignation n’acceptent
pas (ou moins bien) un contexte processif : les yeux verts, la queue orange, les
cheveux noirs, la peau blanche du bébé.

64 Nous entendons par évolutif que le processus s’appliquant au référent marque une
évolution naturelle d’un état à un autre, dont les phases peuvent être clairement déter-
minées ; la position chronologique n’ayant pas d’importance (soit de phase initiale à
phase finale ou de phase finale ou en cours à phase initiale).

82
Propriété de la qualité chromatique en procès
La possibilité d’engager la propriété chromatique dans un procès signifie réfé-
rentiellement que la couleur évolue. La notion d’« évolution » est ici révélatrice
puisqu’elle justifie l’idée de suite chromatique et donc de continuum, contrainte
référentielle pesant sur la graduation syntaxique. Cette continuité se situe au
niveau des nuances d’une couleur qui peuvent « se suivre » au cours d’un proces-
sus naturel. La notion de « processus naturel » implique que les nuances contrai-
rement aux couleurs sont dépendantes les unes des autres : il n’y a pas d’espaces
« vides », de coupures entre elles. Cette conception serait, au contraire, inenvisa-
geable au niveau des différentes couleurs potentielles associées à un référent. En
effet, souvenons-nous de la démonstration de Kleiber qui énumérait les raisons
pour lesquelles les couleurs ne sont pas des entités graduables. Un des arguments
est justement que chaque dénomination correspond à une sous-catégorie de cou-
leurs indépendantes des autres (ce qui exclut toute existence de continuum entre
les couleurs). La totalité des couleurs d’un référent ne « se suivent » pas nécessai-
rement. L’enchaînement suivant serait en effet complètement absurde :

68a)  ?L’eau a tellement jauni qu’elle est verte/marron maintenant

La phase où l’eau est marron n’est pas nécessairement déterminable d’un point de
vue chronologique par rapport à celle où l’eau est jaune ou verte. En revanche, une
chronologie est possible au sein d’une couleur :

68b)  Hier l’eau était un peu verte et aujourd’hui elle est très verte
68c)  L’eau est très verte par rapport à hier

Par ailleurs, plusieurs continuums chromatiques différents peuvent donc être as-
sociés à un référent unique, selon la couleur au sein de laquelle les nuances com-
parées se placent :

69a)  L’eau est très jaune


69b)  L’eau est très marron

Si l’eau a la possibilité d’être très, elle l’a aussi d’être plus ou moins et ceci toujours
via un continuum. À partir de là, toute forme de graduation est de même explicable :

70a)  L’eau de ce lac est plus verte que celle de celui de Genève
70b)  L’eau est moins marron ce matin
70c)  L’eau de mes tortues est un peu jaune depuis une semaine

83
De plus, l’adverbe très marque un haut-degré qui n’est pas nécessairement
l’« ultime » degré. Comme avec tout autre adjectif de qualité, il n’existe pas de
degré maximal ; le haut-degré peut être tiré indéfiniment vers l’infini comme dans
le cas des adjectifs de qualité comme beau :

71a)  Pierre est très beau, mais Esteban l’est encore plus
71b) L’eau de ce lac est très verte, mais celle de l’étang à côté de chez moi l’est
encore plus

Rien n’exclurait en effet d’entendre :

71c)  Je n’aurais jamais cru que de l’eau puisse être si verte

qui suggère qu’il peut être difficile d’imaginer le haut-degré le plus haut dans la
conception absolue d’une couleur et c’est justement parce qu’il n’y en a pas. Cette
remarque tend à montrer qu’il est question de qualité ici, dont le jugement portera
sur l’écart ou le contraste entre une couleur à un état neutre et la couleur désignée
par [très + AdjChr.] à l’état déneutralisé. L’écart peut être illustré référentiellement
sur le continuum possible de nuances au sein d’une couleur qu’un référent peut
avoir dans le cadre d’un procès naturel. Nous verrons que les exemples des par-
ties suivantes n’autoriseront pas une telle description, ce qui leur interdira l’inter-
prétation à médiation qualitative. Mais qu’en est-il des contre-exemples évoqués
ci-dessus ?

3.5.1.3. Analyse de trois contre-exemples 


1. ?La banane devient verte
Le cas de la banane très verte n’est un contre-exemple qu’en apparence, le pro-
blème ne se posant pas dans la langue mais dans la référence : la banane ne devient
pas verte puisqu’elle est de cette couleur à l’origine, donc antérieurement à tout
procès. La verbalisation implique le résultat d’un procès, d’où l’incompatibilité
avec la description de l’état d’origine. La couleur du fruit indique toutefois des
étapes de son développement : la banane est verte, puis jaune, puis noire. Son
inscription dans un procès justifie que la banane puisse être (encore) un peu verte,
un peu noire ou encore :

72) «  Chaque palette est ouverte, si une banane un peu jaune est découverte,
c’est toute la palette qui est recalée et classée impropre à la vente ! » (www.
tortue.com, consulté le 29.06.13)

84
Et donc corrélativement avec un sens inverse : très verte, très jaune65 (critère d’ac-
ception dans ce groupe).
De plus, l’impossibilité d’un doublon introduit par que de :

73)  *Que de jaune sur cette banane !

confirme la place de cet exemple au sein de cette classe.

2. La peau blanche des héroïnes de films asiatiques


et celle du bébé
D’autres exemples sont problématiques dans la mesure où pour des combinaisons
[Référent-support + très + AdjChr.], la notion de procès n’est applicable que dans
certains contextes. L’exemple de la peau blanche illustre ce cas de figure :

c1)  (…) les héroïnes ont la peau qui devient très blanche
c2) ?Mais certaines filles sont très très belles avec une peau qui devient très
blanche
c3)  *C’est ce qui explique que la peau des bébés est devenue très blanche

Dans le premier exemple, il n’y a aucun doute : la couleur de la peau est le résultat
d’un procès. Nous comprenons que le changement de couleur de la peau est dû à
des produits cosmétiques ou des traitements. Dans le second exemple, sans être
explicité, ce procès peut être sous-entendu : utilisation de fond de teint, se cacher
du soleil afin d’obtenir l’état d’une peau très blanche. Dans le dernier exemple
de cette série, la lecture processive se révèle par contre totalement inadéquate,
le bébé n’entreprend sans le moindre doute aucune action pour avoir la peau très
blanche. Cette couleur est la couleur d’origine et exclut toute idée de procès. Or
cet exemple rappelle le cas de la banane très verte qui évoquait également la cou-
leur d’origine. Nous avions montré que la couleur s’inscrivait toutefois dans un
processus évolutif en parallèle avec la maturité du fruit. Cette même hypothèse
s’applique à la peau du bébé : toute peau est nécessairement vouée à changer de

65 Nous ne mentionnons pas très noire parce que la manière de représentation de cette
couleur (couverture globale par le biais d’addition de taches) implique une lecture dif-
férente de très. L’adverbe exprimera de l’intensité par le biais de la quantification des
taches. C’est pour cela que nous l’appellerons « l’intensité à médiation quantitative ».
Nous la décrivons dans le § 3.5.2.1.

85
couleur (brunir, devenir grise, devenir rouge). Ce référent a une couleur variable,
qui s’inscrit donc définitionnellement dans un processus évolutif.

3.5.1.4. Sous-groupe : référent dont la couleur est immuable


Face aux « faux » contre-exemples explicités ci-dessus qui, malgré l’impossibi-
lité d’une verbalisation, s’inscrivent dans un procès, ce qui justifie la possibilité
d’être gradué chromatiquement et donc la compatibilité avec très, restent les
occurrences sur lesquels l’impossibilité de reformuler avec devenir est référen-
tiel : aucune transformation évolutive ne peut s’appliquer à la couleur puisqu’avec
ce référent, la couleur est immuable, comme les yeux verts, la queue orange du
lézard… Comment alors justifier très dans ces contextes contradictoires, puisque
le manque de procès reflète le manque de continuum et donc implique logique-
ment l’incompatibilité avec très ?
Au regard de notre hypothèse sémantique associée à très, pour justifier son
emploi, il doit être question de deux couleurs : la couleur déneutralisée, celle de
l’occurrence et une couleur associée au référent jugée comme neutre. Reste à
définir cette couleur neutre.
La couleur de tous ces référents est naturelle et une ou plusieurs couleurs66 sont
attribuables à l’avance67 à l’ensemble des occurrences, mais seulement une seule
et unique à un individu à quelque moment que ce soit (ce qui exclut irrémédiable-
ment toute idée de procès). Ces couleurs disponibles ont plusieurs caractéristiques.
D’abord, elles s’organisent en termes de plus représentatives du référent en
question à moins représentatives. Certains verts seront particulièrement associés
aux yeux, tandis qu’ils ne le seront pas ou plus difficilement à l’eau. Nous parle-
rons de couleur focale propre à chaque référent.
Une observation des représentations de l’organisation des couleurs dans les théo-
ries cognitivistes (notamment Berlin & Kay68 (1969) ou encore certains travaux de
Rosch-Heider, 1971) illustrera cette idée bien que le but de leurs recherches diverge
du nôtre. Leur domaine de recherche concerne l’existence unanime de termes de
base catégorisant le domaine chromatique. Afin de vérifier le partage extra-culturel

66 Au référent yeux, sont associables le bleu, le vert, le marron, le gris par exemple. Pour
le ciel serait envisageable le gris, le blanc, le bleu, voire le rose ou le rouge.
67 Ce qui implique un savoir commun partagé antérieur à la vision de l’objet.
68 La première hypothèse date de 1969 : elle est relatée dans Basic color terms:Their
universality and evolution ; toutes les études suivantes sont trop nombreuses pour être
répertoriées. Nous renvoyons à leurs travaux pour des informations plus précises et à
ceux de Dubois (1991) ou Dubois & alii (1997) pour des critiques.

86
de l’organisation des couleurs via leur dénomination : les personnes interrogées
devaient dénommer la couleur de la pastille qui leur était présentée. Il s’avère suite
à l’organisation des réponses que plusieurs nuances peuvent avoir la même déno-
mination mais que les résultats ne sont pas toujours unanimes. Certaines nuances
n’appartiennent en effet que « plus ou moins » à une catégorie : le locuteur avec ses
connaissances est le seul juge de l’appartenance à la catégorie ou non. Nous n’en-
trons pas dans les détails mais nous souhaitons juste souligner que ceci implique
que certaines nuances sont considérées comme plus «  focales  » (dans le sens de
plus typiques ou plus neutres) que d’autres69. Il en va de même pour les couleurs
possibles attribuées au référent, elles sont plus ou moins typiques. On imagine donc
un amalgame de nuances dites focales et autour d’elles, d’autres nuances possibles
mais moins neutres. Elles s’organisent de façon nébuleuse et corrélativement à la
réduction de leur neutralité vis-à-vis de la couleur neutre s’éloignent du noyau focal.
L’éloignement des nuances ne se fait pas sur une ligne unique mais sur plusieurs
lignes organisées en étoile autour du noyau. Chaque direction les mène vers un autre
noyau focal70, duquel la nuance se rapproche en s’éloignant de celui d’origine.
La représentation que nous avons des couleurs selon cette conception serait en
n’illustrant que trois couleurs :

69 Ceci toutefois dépend du locuteur et du cadre dans lequel il a appris à concevoir et à


organiser les couleurs.
70 Un bleu qui est de moins en moins bleu tend vers le vert (sans devenir lui-même vert,
puisqu’il est bleu), un bleu qui est de plus en plus rouge tend vers le violet.

87
Dans chaque « forme » est regroupé un certain nombre de nuances typiques
de la couleur catégorisatrice (portant sa dénomination)71. La forme est informe
parce que les limites de chaque catégorie sont floues. En partance de chaque
noyau, les nuances, représentantes de moins en moins typiques de la couleur,
s’éloignent de façon centrifuge. L’organisation stellaire des « voies » empruntées
par les nuances illustrent la multitude de teintes possibles selon le noyau focal
vers lequel elle se dirige.
Selon notre conception, les différentes nuances s’organisent sur deux niveaux
selon leur degré de typicité : les deux niveaux ne s’excluent pas, une nuance appar-
tient aux deux selon le terme avec lequel elle sera comparée (la couleur focale ou
les autres couleurs potentiellement associables au référent). L’axe vertical repré-
sente l’éloignement de la couleur focale, il est donc question du caractère plus ou
moins neutre de la nuance72 en relation avec la couleur focale. Sur l’axe horizontal
se situent les nuances qui ne peuvent se différencier en termes d’éloignement à la
couleur focale, donc d’un état considéré comme neutre. Elles sont représentantes
à un niveau similaire de la couleur focale. Ces deux axes sont pertinents dans la
mesure où ils expliquent que malgré l’impossibilité de juger de l’adéquation d’un
tel énoncé :

74)  Bleu azur est plus bleu que bleu roi

il est quand même possible d’estimer que :

75)  Ma voiture est plus bleue que la tienne

Cette représentation de l’organisation des couleurs va nous permettre d’expliquer


le mécanisme de très avec les AdjChr. désignant des couleurs immuables, exclus
par conséquent définitoirement de tout contexte processif.
Le noyau focal est l’ensemble des nuances typiques relativement à un
référent : par exemple tous les verts associables à l’œil. Ce noyau est propre
à chaque référent  : les verts représentatifs des yeux diffèrent de ceux singu-
larisant l’eau. Sur les axes centrifuges se situent les nuances potentiellement

71 On retrouve l’idée déjà évoquée de nuances co-hyponymes au sein d’une catégorie.


72 On retrouve l’idée d’une représentation scalaire, représentation rejetée pour les
couleurs. En effet, même si la nuance est plus proche de la focale, elle ne sera pas
forcément plus de cette couleur (plus dans le sens de haut-degré comme avec grand
ou petit), elle sera « plus proche de la couleur focale ».

88
disponibles pour ce même référent, cependant de façon moins typique, moins
neutre. Sont incluses également des nuances qui ne seraient pas forcément
spontanément associées, possibilité justifiée par l’énoncé potentiel  évoquant
une nuance inattendue :

76)  Des yeux si bleus, je n’aurais jamais cru que cela puisse exister

Cette représentation illustre le continuum complémentaire propre aux couleurs :


toutes les couleurs se complètent afin de construire un ensemble de couleurs sus-
ceptibles d’être attribuées à un référent, d’où l’existence de termes propices à une
comparaison.
Selon cette hypothèse, la couleur neutre serait définie comme un ensemble de
nuances considérées comme typiques d’un référent. En marge de cet ensemble
se trouvent les nuances moins représentatives mais toujours associables. Le tout
forme un continuum complémentaire73 de couleurs et nuances relatif à un référent.
Lorsque le locuteur énonce que la couleur du référent qu’il veut qualifier s’éloigne
de la couleur focale, il affirme alors qu’elle est déneutralisée, il emploiera par
conséquent très qui ne signifie pas que la couleur est représentée à un haut degré
(comme le sens basique de cet adverbe), mais qui situe la couleur comme s’éloi-
gnant à un haut-degré (beaucoup) de la propriété typique, c’est-à-dire neutre par
rapport à la couleur focale74. Ce contraste excessif implique souvent (mais pas
nécessairement) une valeur subjective d’étonnement, d’où soit une paraphrase
possible avec un génitif de qualité où le nom de couleur est apposé à un adjectif
axiologique marquant la surprise :

77a)  Ces yeux sont d’un vert étonnant


77b)  La queue de ce lézard est d’un orange surprenant

soit une reformulation synonyme énonçant une surprise :

77c)  Il est surprenant de voir un lézard avec une queue de cette couleur

73 En opposition au continuum processif évoqué précédemment.


74 Notons que pour la queue du lézard, toutes les nuances d’orange semblent non focales.
Ceci parce que dans notre conception du reptile, il est « vert, gris » ou « jaunâtre »
(s.v. LÉZARD, TLFE). Cependant, il y a des couleurs associées, qui sont naturelles,
ce qui différencie cet exemple de ceux comme une voiture très rouge dont il sera
question dans la partie suivante.

89
Mais à la différence des combinaisons impliquant une couleur non naturelle
(cf. partie suivante) cet étonnement n’est pas nécessaire : il est disponible et ne
sera imposé que selon l’acte illocutoire désiré. D’ailleurs, la description du lézard
dans son contexte sur le site Internet qui lui est dédié n’active pas cette lecture.

3.5.1.5. Et le ciel, l’herbe ou le linge ?


Nous avons donc émis deux hypothèses pour expliquer la combinaison de
[très + AdjChr.] quand l’adjectif désigne une couleur naturelle selon le caractère
immuable ou non de la propriété chromatique. Soit très est possible parce qu’il y a
un continuum processif (suite des couleurs possibles pour un même référent à des
moments chronologiquement différents, les propriétés sont alors variables), soit
l’adverbe doit son interprétation au continuum complémentaire (un ensemble de
propriétés disponibles est associé au référent mais une seule s’y applique à quelque
moment que ce soit, la propriété est immuable). Pour le ciel ou l’herbe, la couleur
du référent se place sans aucun doute dans une évolution processive (cyclique).
Même si le locuteur ne connaît pas les raisons encyclopédiques des variations chro-
matiques du ciel, il sait que lorsque le ciel est blanc, il risque de neiger, lorsqu’il
est gris, la pluie s’annonce et lorsqu’il est bleu, aucun danger météorologique ne
menace le randonneur (d’où l’interprétation symptomatique de Noailly ou Whit-
taker75). Ces variations chromatiques sont le reflet de l’évolution processive des
couleurs du référent. De fait, un continuum processif est disponible, et l’utilisation
de très s’explique pour les mêmes raisons que pour les yeux rouges.
En ce qui concerne l’exemple du linge, il s’apparente aux exemples de la peau
très blanche ou de la banane très verte. La couleur signifiée est la couleur d’origine
qui est indubitablement (malheureusement pour la méticuleuse ménagère) vouée à

75 Cependant, cette interprétation n’était imputable qu’au seul référent ; pour le ciel bleu
ou l’herbe verte, la couleur de ces référents évoque implicitement quelque chose : ce
sont des éléments de la Nature qui réagissent à leur environnement et dont les modula-
tions chromatiques ont nécessairement une cause. Cette cause, même quand elle n’est
pas connue du locuteur lambda, est « reconnue », discernée. Suite à un apprentissage
plus ou moins conscient (savoirs culturel), l’observateur, sans connaître les raisons
scientifiques, peut déduire une relation entre l’occurrence telle qu’il la voit et ce que
la couleur désigne ou pourrait désigner. C’est pourquoi cette interprétation sympto-
matique s’offrait comme explication. Mais elle n’était pas propice à justifier tous les
exemples. Whittaker a tenté de l’élargir à tous les cas : elle évoque par exemple un
symptôme de mauvais ou de bon goût pour une robe très rouge, hypothèse très vague
et principalement liée à la lecture exclamative.

90
changer : toute ménagère le sait, le linge s’inscrit dans un processus évolutif chro-
matique tel que suite à plusieurs lavages, le linge blanc n’est plus blanc mais gris
(cf. l’exemple e2) : Je trouve que mon linge est devenu très gris). L’argument recon-
naissant un symptôme de propreté dans cette séquence ne nous semble pas valable.
La notion de propreté est peut-être évoquée mais d’une part la lecture chromatique
domine : du linge très blanc signifie que le linge est très blanc avant de déclarer qu’il
est très propre. Comme le remarque Kleiber, le rapprochement sémantique de linge
très propre à linge très blanc n’est qu’apparent, puisque du linge rouge même s’il est
très propre ne sera jamais du linge très blanc. Il faudrait, de plus, qu’un tel rappro-
chement soit également disponible à un niveau inférieur (comme le suppose l’em-
ploi de l’adverbe très) entre du linge blanc et du linge propre. Or ce n’est pas le cas.
D’autre part, la lecture plus analogique que synonymique s’explique symboli-
quement. Comme Pastoureau dans Pastoureau & Simonet (2005 : 50–51) le dit, le
blanc était un symbole de propreté. Tous les linges qui touchaient le corps devaient
être blancs, le blanc s’opposant au noir, et donc analogiquement au sale. De fait, ce
sens hérité des croyances perdure.

Appartiennent donc à cette première classe les référents qui ont une couleur natu-
relle, variable ou non. La possession d’une couleur naturelle permet une lecture en
continuum (processif ou complémentaire) qui justifie d’une part l’emploi de très
et d’autre part le caractère plus naturel des énoncés, puisque les exemples s’assi-
milent à toutes les autres utilisations de très avec un adjectif de qualité. Ils se dif-
férencient des emplois décrits dans la partie suivante, dans le sens où un contexte
est parfois nécessaire et leur acception suscite des discussions. Nous reprenons
pour justifier notre choix quant à leur grammaticalité les propos de Whittaker qui
affirme que toute combinaison est possible, le calcul pragmatique menant à l’in-
terprétation est seulement plus ou moins aisé. Whittaker a réussi à appliquer à ces
exemples aussi la notion de symptômes chère à son hypothèse, mais nous pensons
que puisqu’elle était inutile pour justifier les cas précédents compte tenu du
recalcul en continuum, elle le sera aussi ici malgré l’inappropriation d’une lecture
processive. Nous allons expliquer l’emploi de très dans ce milieu complètement
inadéquat par le maintien du sens nucléaire de très, à savoir comme nous l’avons
défini ci-dessus, la déneutralisation de la qualité chromatique.

3.5.2. Couleur non naturelle - Absence de continuum (Groupes 2 et 3)


La lecture processive nous a permis d’expliquer l’emploi de très dans des
contextes où la couleur, puisque naturelle, donne lieu à une interprétation en

91
continuum (processif ou complémentaire). Mais comment expliquer l’utilisation
de très alors qu’aucun procès n’est repérable, notamment lorsque la propriété
chromatique n’est pas naturelle, comme par exemple, pour les objets fabriqués,
qui sont des référents pour lesquels il est définitoire que la couleur n’entre pas
dans un processus évolutif. L’objet peut changer de couleur mais rarement de
façon naturelle (à moins que ce ne soit la matière elle-même qui évolue et alors il
est question de l’évolution d’une propriété propre à la matière et par conséquent
naturelle ; et si le changement résulte d’un procès volontaire extérieur, il n’est par
définition plus naturel).
Nous avons repéré deux types de référents qui vont conduire à deux adaptations
sémantiques de très selon que la référence est homogène ou hétérogène76.
Selon la définition de Roméro (2007), l’intensité désigne une distance qui se
situe soit au niveau de la qualité (un contraste), soit au niveau de la quantité (un
écart). Dans le domaine chromatique, la tendance serait de penser que seule la
notion de contraste peut s’appliquer (comme pour les adjectifs de qualité). Or tout
en maintenant un lien avec le domaine chromatique (autrement dit, on reste dans
la couleur), un certain type de référents imposent une lecture quantitative : c’est en
effet la seule lecture intensive possible avec les référents hétérogènes.

3.5.2.1. Référence chromatique hétérogène - Intensité à médiation quantitative


Un des critères les plus importants pour Flaux & Van de Velde concernant la dis-
tinction des NInt. des autres noms est l’annulation de l’expression de la qualité
et de la quantité avec le nom intensif (cf. §. 2.2.1.). Que de tristesse et Quelle
tristesse désignent pareillement un haut degré de tristesse comme le confirme la
reformulation suivante :

78)  Il est très triste

Les termes chromatiques n’entrent pas dans cette organisation tripartite. D’abord
Quel rouge ! et Que de rouge ! s’opposent en termes de qualité et de quantité.
D’autre part, la complémentarité de très avec les séquences exclamatives intro-
duites par que de ou quel est disparate. Soit très est synonyme77 :

76 Homogène renvoie à un tout constitué d’un seul et unique élément ; hétérogène


renvoie à un tout composé d’éléments distincts constituant ensemble le tout.
77 Ou disons plutôt « presque-synonyme », afin ne pas ouvrir un débat qui n’aurait pas sa
place dans notre étude sur la possibilité d’une synonymie parfaite ou non compte-tenu
du principe d’économie de la langue.

92
(i)  d’ une séquence en que de mais pas en quel :

64a) Cette collection est très rouge ( !78) = 64b) Que de rouge dans cette collec-
tion != 64c) *Quel rouge, cette collection !

(ii)  d’ une séquence en quel mais pas en que de :

47) Le ciel est très bleu ( !)= 52a) Quel ciel bleu ! ≠ 67c)* Que de bleu dans
ce ciel !

(iii)  de ni l’une, ni l’autre :

45b) Son visage est très rouge (!) ≠ 79) *Son visage, quel rouge ! ≠ 45a) *Que de
rouge sur son visage !

(iv) de l’une ou l’autre (avec des lectures différentes) :

80a)  Ce tableau est très rouge (!) ≈ 39a) Que de rouge sur/dans ce tableau !
80a)  Ce tableau est très rouge (!)≈ 80b) Quel rouge, sur ce tableau !

Il ressort de ces exemples que très en plus du sens d’intensité à médiation quali-
tative (comme exprimé dans les exemples 47, 45b) et 80a/80b) peut signifier une
intensité à portée quantitative (exemple 80a/39a) puisqu’il entre dans des struc-
tures parallèles à [Que de + Adj.], que de introduisant de la quantité79. Évoquer
une valeur de médiation quantitative pour les couleurs semble a priori absurde
et contradictoire : en tant que référents massifs, elles sont dépourvues de forme
inhérente, de limites dans la langue et sont par conséquent intrinsèquement indé-
nombrables, donc non quantifiables. Pourtant, la reformulation recourant à que
de ne laisse aucun doute quant à cette interprétation, ce qui se confirme par la
possibilité d’une glose verbale employant beaucoup comme variante adverbiale
de que de :

78 Nous mettons le point d’exclamation entre parenthèses parce que l’interprétation ex-
clamative est plus ou moins nettement marquée selon l’acte illocutoire visé.
79 Une annulation des deux valeurs quantité/qualité ne peut être évoquée puisqu’aucune
séquence introduite par quel n’est parallèle, fait justifiant le maintien de la distinction
quantité/qualité.

93
39b) Que de rouge dans ce tableau != 40a) Il y a beaucoup de rouge80 dans ce
tableau !
81a)  Que de vert en Irlande ! = 81b) Il y a beaucoup de vert en Irlande !

Cependant, les contextes s’avèrent très restreints :

82a)  *Que de rouge sur cette moquette!


67c)  *Que de bleu dans le ciel !81

Nous allons voir les stratégies élaborées dans la langue afin de lever le paradoxe
couleur/quantité et d’associer les deux concepts.

3.5.2.2. Corpus d’analyse


Une analyse comparative des exemples suivants va mettre en relief les contraintes
régissant la compatibilité potentielle couleur/quantité :

44a) Que de rouge dans la nouvelle collection d’été de cette année ! = 44b) La


nouvelle collection est très rouge (!)
80b)  Que de rouge dans ce tableau ! = 80a)  Le tableau est très rouge !82
81a)  Que de vert en Irlande ! = 81c) L’Irlande est très verte (!)
82a) *Que de rouge sur cette moquette ! ≠ 82b) La moquette est très rouge (!)
83a) *Que de rouge dans ce sang ! ≠ 83b) Ce sang est très rouge (!)
67c)  *Que de bleu dans le ciel ! = 47) Le ciel est très bleu (!)
84a) *Que d’orange sur la queue du lézard ! = 84b) La queue du lézard est très
orange (!)

80 Il n’est pas question ici de la désignation de couleurs en tant qu’individus comme le


pluriel le suggérerait : Que de rouges (de nuances différentes de rouge) dans le ciel ce
soir !
81 Notons que pour ces deux exemples, une variante avec très est possible, qui corres-
pondrait à une glose introduite par quel : Quel rouge, cette moquette !/Quel bleu, ce
ciel !
82 Malgré la similitude de ces deux paires d’exemples, ils présentent une différence
notable : seul l’exemple Ce tableau est très rouge permet deux lectures. Soit on a
une interprétation similaire à Quel rouge, (sur) ce tableau ! Il est alors question d’un
jugement qualitatif portant sur la couleur : le rouge utilisé sur ce tableau est intense
ou étonnant. Soit la lecture est synonyme de Que de rouge ! L’évaluation n’est plus de
l’ordre de la qualité mais de la quantité. Avec le second exemple La collection est très
rouge, toute interprétation qualitative est exclue.

94
Notre postulat de base semble se confirmer  : la relation entre le référent et la
couleur se révèle décisive et elle sera la clef de la grammaticalité et de la variante
sémantique de très ; par exemple, rouge associé à tableau, moquette ou sang in-
fluence distinctement l’emploi de très, qui sera paraphrasable par que de ou non.
Quelle singularité possède le référent pour qu’une lecture quantitative soit envi-
sageable ?

3.5.2.3. Lecture quantitative


3.5.2.3.1. Application d’une mesure pour construire l’intensité
à portée quantitative
La couleur désigne définitoirement un référent indénombrable : c’est un tout sans
limites fixes et de quantité indéterminée. Selon Flaux & Van de Velde (2000 : 66) :
« La mesure est la médiation qui permet d’appliquer le nombre à l’indénombrable ».

Selon elles, pour quantifier un référent non dénombrable, on va le mesurer, lui


donner une limite. La mesure peut être exacte (un litre d’eau) ou approximative
(un tube de colle, un nuage de lait). Pour les NQual., même si une mesure
approximative est possible, elle n’en demeure que symbolique puisqu’ils restent
concrètement non quantifiables : une once de tendresse, une portion d’amour, etc.
ne peut pas être pesé. À la différence de ces noms, les référents des NCconv. sont
visibles. Cette caractéristique est, semble-t-il, une des causes des divergences qui
les séparent des noms de qualités. L’appréhension de ces deux types de référents
ne peut être identique puisqu’ils se réalisent différemment dans le monde réel et se
donnent, de fait, également différemment au locuteur. C’est pourquoi la notion de
mesure s’appliquera distinctement à l’un et à l’autre : même si elle n’est pas aussi
concrète que pour les noms extensifs (désormais NExt.), elle le sera beaucoup plus
pour les NCconv. que pour les NQual. Ainsi, pour mesurer la couleur, on dénombre
la seule chose « comptable » en relation avec les couleurs, c’est-à-dire la quantité
de surface qu’elle recouvre : l’objet-porteur a donc un rôle important de support
quantitatif. Cependant ce n’est pas lui qui est mesuré, mais la surface colorée qui le
recouvre : dans 81a) avec le référent Irlande, on recense les surfaces vertes comme
les bois, l’herbe, les parcs, etc. ; avec la collection (ex. 44a), on comptabilise les
surfaces rouges : les vêtements, les accessoires de mode, etc. ; les objets constitutifs
n’étant pas nécessairement uniquement de la couleur verte ou rouge.
Grâce à cette stratégie quantitative, le locuteur va pouvoir porter un jugement
(subjectif ou objectif) sur la convenance quantitative en termes d’état neutre et
d’état déneutralisé de l’étendue chromatique (via les surfaces de couleur). L’inten-
sité, telle que nous l’avons définie, signifie cet écart : l’état neutre est l’état jugé

95
par le locuteur comme présentant la quantité appropriée d’étendues de cette cou-
leur. L’état déneutralisé correspond à l’état dans lequel la quantité n’est plus jugée
comme appropriée, convenable (jugement consensuel ou individuel). L’adverbe
très, qui garde son sens d’excès, de plus (cf. la représentation scalaire, où très di-
rige l’intensifié vers le haut), lorsqu’il se combine avec la notion d’inconvenance,
se réalisera en termes de trop, ce qui pourra mener à une lecture connotée d’une
réaction affective (surprise, étonnement) du locuteur83.

Comme nous l’avons postulé, chaque variation sémantique que nous attribuons à
très est le résultat d’une adaptation de son sens nucléaire pour pouvoir être asso-
ciable tout référent, quelque soit son type de réalisation. Pour exprimer une inten-
sité à médiation qualitative, le référent doit s’inscrire dans un continuum soit pro-
cessif (les yeux très rouges), soit complémentaire (les yeux très verts). Quelle(s)
restriction(s) pèse(nt) sur le référent et sa couleur pour qu’ils puissent donner lieu
à une intensité à médiation quantitative ?

3.5.2.3.2. Restriction sur la couleur : aptitude à être autre


Corrélativement au principe de « convenance quantitative » d’une couleur s’éta-
blit une idée de comparaison entre un état, dans lequel une couleur est en quantité
appropriée et un où elle ne l’est pas. La notion de comparaison implique alors
corrélativement deux états de l’objet : soit la couleur recouvre sa surface, soit elle
ne la recouvre pas. En d’autres termes, pour que la comparaison soit possible, il est
nécessaire que puissent être envisagées une ou plusieurs autres couleurs à l’endroit
recouvert par la couleur évaluée dans la séquence exclamative [Que de + N]. Cette
concurrence potentielle obligatoire de couleurs explique l’agrammaticalité de :

83a)  *Que de rouge dans son sang !


85)   *Que de jaune sur ses dents !

Le sang n’est biologiquement que d’une couleur homogène : donc aucune autre
couleur n’est potentiellement concurrente ; si la couleur varie, elle changera pour
la totalité du référent. Ainsi, aucune comparaison n’est possible, ce qui bloque
l’interprétation quantitative. Le même problème émerge dans le cas du référent les
dents : la coloration est homogène, donc inapte à être un terme de comparaison
menant à une interprétation quantitative. L’exemple suivant semble incongru :

83 Cette valeur est d’ailleurs par définition fortement marquée dans les tournures exclama-
tives, ce qui renforce encore cette interprétation dans les paraphrases engageant très.

96
82a)  *Que de rouge sur cette moquette !

néanmoins il redevient grammatical quand un contexte exprimant la non-unifor-


mité latente chromatique du référent est ajouté :

Que de rouge sur cette moquette bariolée ! = 82d) Cette moquette bariolée
82c) 
est très rouge !

L’ajout de l’adjectif bariolée explicite la présence d’autres couleurs, donc la


possibilité d’envisager une couleur différente à celle présentée. Celles-ci repré-
sentent alors les termes de la comparaison, éléments basiques à l’expression
d’un écart.
Remarquons que lorsque la concurrence chromatique est évidente, les couleurs
non évaluées peuvent rester implicites. La séquence :

39b)  Que de rouge dans ce tableau !

signifie que l’étendue recouverte par la couleur rouge recouvre une étendue
supérieure à l’étendue estimée comme neutre. Il n’est pas mentionné quelle(s)
couleur(s) ni quelle quantité conduirait à considérer un état comme neutre.
Cependant, même si aucune information n’est fournie, leur existence ne laisse
aucun doute. Ce qui mène à l’interprétation sous-jacente : il y aurait dû avoir une
autre couleur à la place du rouge afin que la quantité de cette couleur soit considé-
rée comme neutre. Ce qui explique l’agrammaticalité de :

67c)  *Que de bleu dans le ciel !

Bien que d’autres couleurs soient associables au référent (le ciel peut être pareil-
lement blanc ou gris), elles sont chacune une couleur qui va être associée au ciel
dans sa totalité (nous le percevons en tous cas ainsi) : le ciel n’est pas bleu par-ci
et par-là. L’une ne peut pas, par conséquent, en remplacer partiellement une autre.
Parallèlement, la lecture quantitative est absurde : en quoi pourrait être déneutrali-
sée une couleur, dans le sens d’ « estimée comme une quantité inappropriée » alors
qu’elle est la couleur unique du référent (à un moment donné) et qu’elle recouvre
la totalité du référent ? De même pour le gris ou le blanc qui sont des couleurs
uniformes du ciel, d’où l’agrammaticalité :

86a)  *Que de gris dans le ciel !


86b)  *Que de blanc dans le ciel !

97
Face à ses exemples, ceux avec rose ou rouge ne sonnent pas aussi mal, bien
qu’encore douteux :

86c)  ?Regarde le ciel, que de rouge !


86d)  ?Regarde le ciel, que de rose !

Une des premières raisons est justement que les couleurs désignées par rose et
rouge lorsqu’elles sont associées au ciel, peuvent se concevoir comme ne s’éten-
dant pas sur la totalité du référent. Il y a, si on peut dire, une couleur de fond
qui sera justement le bleu, le blanc ou le gris. L’étendue pourrait par conséquent
être d’une autre couleur, d’où la possibilité d’une interprétation déneutralisée. La
quantité pourrait porter sur les trainées de couleur, de la même façon que sur la
moquette bariolée ou sur le tableau. Pourtant, reste encore le non-naturel d’un tel
énoncé à expliquer (marqué typographiquement par le point d’interrogation pré-
cédant nos exemples). Il y a une différence significative au niveau de l’attestation
entre cette séquence et Que de rouge dans la collection d’été !. Nous l’attribuons
à la nécessité d’une référence hétérogène.

3.5.2.3.3. Restriction sur le support


Cette contrainte concerne les étendues de couleur, c’est-à-dire la façon dont la
couleur est ou se « pose » sur le support. Que de avec le terme chromatique semble
avoir une interprétation entre celle qu’il a avec le NQual. et celle qu’il a avec un
NExt. Un emploi, sur le modèle des NExt., serait toujours potentiellement pos-
sible avec le nom au pluriel ; la quantité ne concernerait alors que les différentes
nuances associées à une couleur :

87)  Que de rouges dans ce tableau !

sous-entendu sortes de rouge ou rouges différents comme dans le cas des NExt.
Avec la non-pluralisation, il n’est plus question de la quantité (du nombre) de
différentes couleurs mais de la quantité d’étendues de cette couleur (sans se
soucier des nuances). Afin de la mesurer, nous avons vu qu’il fallait additionner
les étendues de couleur via leurs supports. Dans tous les exemples que nous
avons trouvés, l’étendue colorée ne semble pas pouvoir être seulement une
étendue homogène, il faut qu’elle soit le résultat d’une addition de plusieurs
étendues hétéroclites. Pour certains référents, qui ont une référence hétérogène,
cette somme d’étendues est assimilable à la somme d’éléments constituants de
la couleur signifiée : ce n’est ni la collection ni le tableau qui sont rouges, mais

98
les éléments composant ces objets, dont les superficies vont être additionnées
pour construire l’étendue chromatique évaluée et comparée. Pour d’autres
référents qui n’ont pas ontologiquement de référence hétérogène, il va falloir
que la couleur s’applique sur eux de façon hétérogène. Par exemple, dans le cas
du tableau, il sera question de plusieurs étendues, délimitées (objets peints : une
chaise rouge, une table rouge, une pomme rouge…) ou non (tache rouge, trainée
rouge, etc). Sur un blog, une dame décrit un ensemble qu’elle a cousu pour sa
fille. Elle le qualifie de « très rouge ». Or, le pantalon est rouge mais la tunique
est blanche, cependant avec de nombreuses petites fleurs dont une des couleurs
est le rouge. La quantité jugée comme « inconvenante » réfère donc à la taille
de l’étendue totale des éléments constitutifs de cette couleur, qui doivent être en
nombre suffisant pour être jugés assez nombreux pour que l’étendue se laisse
considérer de taille remarquable, soit non neutre. Sans doute sous l’influence
des emplois de que de avec des NExt., avec les NChr., les supports sont toujours
implicitement présents :

88)  Que de rouge ! = Que de/étendues/rouges ! = Que de « choses » rouges !

Cette contrainte essentielle de référence hétérogène justifie l’agrammaticalité de


l’exemple suivant dans lequel la queue du lézard est décrite uniformément orange
(la photo sur la page Internet justifiant cette lecture) :

89a) *Que d’orange sur la queue du lézard !

Aucune référence hétérogène ne peut être imaginée. En revanche, sur un blog


concernant les chevaux, il est question d’un cheval blanc-gris tacheté de marron,
une participante s’exclame :

90)  Que de marron !

La quantité concerne la couleur par le biais du grand nombre de taches de cette


couleur couvrant l’animal. Il serait alors de même concevable d’appliquer cette
distribution chromatique au lézard, ce qui autoriserait la combinaison [Que  de + 
NCconv.]. Si la queue est, par exemple, grise avec beaucoup de taches oranges,
alors les deux contraintes seraient respectées : une autre couleur possible (la cou-
leur de fond de la queue) et une référence hétérogène matérialisée par les taches.
L’occurrence ne poserait plus de problème :

89b)  Que d’orange sur sa queue !

99
Face à ses exemples, restent les occurrences qui ne permettent une lecture ni quan-
titative, parce que les référents sont homogènes, ni qualitative parce que les cou-
leurs n’étant pas naturelles, aucun continuum n’est possible. Par exemple :

91a)  Ta voiture est très rouge !


91b)  Ta robe est très bleue !

Nous postulons qu’à défaut d’avoir une portée qualitative ou quantitative, l’inten-
sité impliquée par très ne peut porter que sur ce qu’il reste, c’est à-dire la visée de
l’acte illocutoire.

3.5.3. Référence homogène - Intensité à médiation axiologique


Lors de l’utilisation de très combiné à un AdjChr. quand l’adjectif désigne une
propriété chromatique non naturelle, comme il s’agit toujours de couleur, nous
pensons qu’une distance est instaurée entre la couleur en question qui est déneu-
tralisée (cf. notre définition de très) et une couleur neutre. Seulement le principe
de déneutralisation ne va pas pouvoir se baser sur la distance entre deux couleurs,
puisque que comme la couleur n’est pas naturelle au référent, aucune couleur
neutre n’est recalculable. Sur quoi porte alors la déneutralisation ?
D’abord, une « quasi-synonymie » assez étonnante et révélatrice est à remarquer :

92a)  Elle est très rouge, ta voiture !


92b)  Elle est un peu rouge, ta voiture !
92c)  Elle est rouge rouge, ta voiture !

On constate que l’intention du locuteur importe plus que les mots employés puisque
très peut être quasi-synonyme de un peu, normalement de sens opposé. Les moyens
utilisés (euphémisme ou répétition) divergent donc mais atteignent la même fina-
lité, à savoir l’expression d’un jugement en terme d’excès du locuteur quant au
caractère inapproprié de la propriété chromatique : c’est la visée de l’énoncé.
Il est très gênant à partir de là d’attribuer le sens habituel de très, puisqu’il
peut être employé parallèlement à un peu. Les deux ont toutefois un point com-
mun (et non des moindres) : ils marquent un écart par rapport à une norme ou
à un état neutre, un de façon positive (très) et l’autre négative (un peu). Le der-
nier exemple va achever de cerner le sens de ces combinaisons « atypiques ».
La réitération rouge rouge est aussi un moyen répertorié par Kiesler (2000)
pour émettre un énoncé intensif. Par la répétition, le locuteur insiste sur le côté
excessif de la propriété.

100
Comme nous l’avons vu dans les travaux de Roméro (2007), la notion
d’intensité est très large et diversifiée. Elle définit un écart entre un état neutre et
un autre déneutralisé. L’état neutre ici, à la différence de ceux pouvant être asso-
ciés à des référents ayant une ou plusieurs couleurs naturelles spontanément asso-
ciées, n’est pas si facilement recalculable. Comme le montrent les enchaînements
possibles suivants :

92d) Ta voiture est très rouge, tu aurais pu la choisir plus claire/moins pétante/
plus discrète/verte/blanche

Dans cet exemple, les variantes engageant des teintes différentes sont nombreuses,
trop nombreuses. Certes, toutes partagent un point commun : l’idée d’une couleur
(plus) appropriée dans le monde conceptuel du locuteur. Mais ce point convergent
semble trop vague pour servir de continuum complémentaire. Donc, aucune
comparaison ne peut être à l’origine de la déneutralisation de la couleur. Comme
nous l’avons mentionné ci-dessus, l’intention visée est plus importante que les
mots, c’est pour cela que nous supposons que la déneutralisation sera produite via
l’énoncé et l’acte illocutoire visé par le locuteur. La couleur en l’occurrence n’est
plus considérée comme neutre, non parce qu’elle est mise à distance d’une couleur
neutre, mais parce que c’est l’objectif de l’énonciateur : c’est pour cela que nous
avons appelé cette intensité, intensité à médiation axiologique. Ce qui explique
que ces énoncés sont nécessairement exclamatifs, contrairement à ceux engageant
un continuum conduisant à une interprétation « typique » de très.

3.6. Applications sur les exemples du corpus


Tableau 2.  Organisation des exemples selon le type d’intensité exprimé par très

1) Intensité à média- 1a)  pichon maltais très blanc


tion qualitative 1b)  bon état très blanc [un bonnet]
1c) sable très blanc
1d)  granulat de marbre très blanc
2a)  lentille bleu très bleu sur yeux marron
3b)  bout des ongles très jaunes
3d)  l’or titré en 22K est très jaune
3e) femelle python royal, très très jaune 3f) ou, il
est très jaune [le bébé]
4a)  mascara très très noir

101
4b) khol très noir
6a)  une femme brune-aux-yeux-très-marron
6b)  je suis vraiment très marron [la peau]
6c)  mes plantes sont très marron 
7a)  un repas très orange
7e)  la flamme est très orange
7g)  la langue (…) est vraiment très orange
7h)  variété de tomates moyennes régulières très orange
8c)  l’eau de ma piscine est très vert anis 
2) Intensité à média- 2b)  un look très bleu
tion quantitative 2e)  mon regard très bleu
5a) c’est très vert [les vêtements]
5c)  un paysage très vert et fleuri
7d)  mais couleur de fond très orange [un tissu]
7f)  c’est un site très orange quand même
8a) dans un univers très « vert pomme » axé
[le restaurant]
8e)  des images à la teinte très rose bonbon
3) Intensité à média- 2c) c’est très bleu tout ça [une robe]
tion axiologique 2d) un bleu « euh » très bleu et un rouge, « euh » très
rouge [la manette]
3a)  la devanture jaune, mais alors très jaune 
3c)  les Simpson des personnages très jaunes 
4c)  la couleur du vêtement est un noir très noir
4d)  maillot de bain très noir
4e) sur la plupart des armures elle fait très noir
[la teinture]
4f)  bonnet en laine d’alpaga très noir
5b) Ukyon avait donc les cheveux très longs et
très verts
5d) buste très vert
5e)  la couleur en haut très vert [le tee-shirt]
7b)  si le feu était orange même très orange
7c)  elle est très… orange [une petite grenouille]
8b)  le polo vert pomme est très vert pomme 
8d) du tissu à fleurs roses en majorité sur fond 
très bleu azur 

102
Bilan
Dans cette partie, nous voulions décrire la relation entre très et l’AdjChr. afin de
vérifier s’il pouvait être catégorisé au sein des adjectifs intensifs ou non. Il s’avère
que contrairement aux analyses antérieures qui tendaient à montrer que la gradua-
tion (et notamment la combinaison avec très) est complètement atypique avec les
AdjChr. (elle changeait même le statut de l’adjectif), nous pouvons conclure au
terme de notre analyse que la combinaison [très + AdjChr.] n’est pas si anormale :
l’adjectif désigne toujours de la couleur et très signifie toujours l’intensité. Certes
le lien entre intensité et couleur ne se calcule pas toujours aussi directement que
celui entre très et un adjectif de qualité tel que petit, mais grâce à différentes
stratégies langagières (trois en tout, dépendant de la relation entre la couleur et
le référent-support), les deux seront toutefois systématiquement sémantiquement
reliés pour signifier une combinaison des deux. Pouvons-nous alors à partir de
cette observation conclure que l’AdjChr. est un intensif ?
Non, parce que seule une de ces stratégies s’avère comparable aux AdjQual. en
relevant complètement du domaine de la qualité. Nous avons en effet déterminé
trois types d’intensité pour les combinaisons de [très  + AdjChr.], dont une est
celle qui correspond au NInt., l’intensité à médiation qualitative. De fait, nous
avons montré que, lorsqu’il s’applique à un certain type de référent, l’AdjChr. est
intensif. Ce qui explique la normalité de ces exemples par rapport à d’autres : ils
sont plus naturels (dans le sens de la non-nécessité d’un contexte particulier) parce
qu’ils calquent leur fonctionnement pragmatique sur les AdjQual. Et même s’ils
sont rares à cause des contraintes pesant sur le référent (couleur naturelle inscrite
dans un procès) et cette conclusion va à l’encontre de ce que Kleiber affirmait, la
graduation référentielle est dans certains contextes appropriés (inscription dans un
continuum) possibles dans le domaine.
Cependant, concernant les deux autres cas, l’intensité à médiation quantitative
ou axiologique, même si nous leur attribuons la notion d’intensité84, il est clair
qu’elle est différente de celle impliquée dans la définition des NInt. De fait, dans
de nombreux contextes, l’AdjChr. n’est pas un intensif.  
En conclusion, nous pourrions dire qu’au terme du développement que nous
venons de présenter, les termes chromatiques ne peuvent syntaxiquement être
assimilés aux unités désignant des qualités. Pourtant référentiellement les deux

84 Il nous semblait important de trouver un dénominateur commun aux emplois de l’ad-


verbe en milieu chromatique, et ceci a été possible grâce à la notion telle que nous
l’avons redéfinie d’intensité qui s’adapte selon les contextes.

103
sont identiques. Il est évident que cette bivalence n’est pas satisfaisante, puisqu’elle
ne fait que poser un autre problème : pourquoi référentiellement la couleur est-elle
parfois qualité, parfois non ? En cherchant à résoudre la complexité de notre ul-
time déduction, nous nous sommes aperçue qu’elle n’était vraie que dans le cadre
où nous nous sommes placée. Il s’avère en effet que la définition que nous avons
choisie initialement de l’abstraction occulte deux différences fondamentales qui
distinguent les couleurs des qualités. Kleiber (2011) dans un article où il démontre
que le Nchr. n’est pas un NQual.85, met en avant deux différences référentielles
fondamentales concernant l’« immatérialité massive » qui vont séparer définitive-
ment les deux. Parallèlement, un rapprochement va s’opérer avec les NMat. Mais
n’étant que partiel, il ne permettra pas non plus de les catégoriser comme tels.

4. Référent-couleur vs Référent-qualité ?
4.1. Redéfinition de la notion d’abstraction
Le point de départ de notre analyse était une similitude apparente entre les noms
de qualité et les noms de couleur parce que les deux semblaient de même abstraits
et non extensifs. Selon le cadre théorique de Flaux & Van de Velde (2000), le nom
de qualité est un nom abstrait intensif. Il est abstrait dans le sens où nous l’avions
expliqué en début de ce chapitre parce qu’il ne peut être représenté conceptuelle-
ment sans le support auquel il appartient. Il est donc ontologiquement non auto-
nome : il dépend d’un autre référent par lequel il existe. Cette définition de l’abs-
traction héritée de Platon est propre au cadre théorique de ces deux linguistes.
Cependant dans les parties précédentes, nous avons montré que linguistique-
ment, les noms de couleur se séparent des noms de qualité et des noms intensifs
en général. On peut alors se demander si ceci ne serait pas un reflet du monde
extra-linguistique, ce qui suggérerait que la définition que nous avons adoptée
au début n’est finalement pas satisfaisante. Or, justement, l’abstraction peut se
définir selon des perspectives différentes  : de nombreux travaux à ce sujet ont
déjà été publiés86. Et effectivement, en utilisant d’autres critères à la définition de
l’abstraction, émerge une différence référentielle entre les deux référents couleur

85 Il l’appelle nom de propriété, mais comme nous l’avons défini dans l’introduction
nous utilisons qualité et propriété de façon synonyme.
86 Cf. notamment les travaux de Kleiber à ce sujet (1994, 1996) et l’ouvrage dédié à cette
notion Les noms abstraits (1996).

104
et propriété. Kleiber (1996) explicite dans l’introduction de l’ouvrage Les noms
abstraits que l’opposition abstraction/concret peut également se refléter dans les
dichotomies matériel/immatériel et accessible au sens/inaccessible aux sens.
À la lumière de cette nouvelle optique, les noms de couleurs ne peuvent plus
appartenir à la même catégorie que les noms de propriétés : comme les propriétés,
les couleurs sont, certes, immatérielles mais contrairement aux propriétés, elles
sont accessibles au sens et autonomes référentiellement.

4.2. Application aux NChr.


4.2.1. Immatériabilité en commun
Comme le décrit Kleiber (2011 : 88), la propriété comme la couleur est immaté-
rielle. Le justifient deux faits :

(i) leurs deux dénominations entrent dans des paradigmes impliquant l’immatérialité :

93a)  Le rouge/La tendresse est immatériel(le), impalpable


93b)  On ne peut toucher, manipuler ni la tendresse, ni le rouge

(ii) leur emploi, par ailleurs, incongru dans des paradigmes impliquant des pro-
priétés matérielles impliquant la forme ou la taille :

94)  *Une couleur/*Une tendresse ronde, plane, géométrique…

4.2.2. Accessibilité aux sens


En ce qui concerne l’accessibilité aux sens, la couleur s’oppose à la gentillesse
(par exemple) puisque la couleur est justement la :
« qualité de la lumière que renvoie un objet et qui permet à l’œil87 de le distinguer
des autres, indépendamment de sa nature et de sa forme » (s. v. COULEUR, TLFE)

ou encore :
«  la perception subjective qu’a l’œil d’une ou plusieurs fréquences d’ondes lumi-
neuses » (s. v. COULEUR, Wikipédia).

87 C’est nous qui soulignons.

105
Elle est donc définitoirement accessible au sens, puisqu’elle « passe » par l’œil. La
gentillesse n’est perceptible qu’a travers les actions des agents qui en témoignent.
Seule l’action peut être qualifiée de gentille, pas celui qui en témoigne, d’où la
possibilité de l’énoncé suivant :

95a) C’est gentil d’être venu

mais pas de celui-ci :

95b) *C’est peureux de ne pas être venu

parce que peureux qualifie un sujet animé et non une action.


De fait, la divergence concernant la quantification de la quantité d’une propriété
ou de celle d’une couleur se révélera significative : ce n’est pas parce que Esteban
ET Jacques sont tristes ou gentils tous les deux, qu’il y a plus de tristesse ou de
gentillesse. Par contre si chez Esteban, la table et le meuble sont rouges, ce sera plus
rouge chez lui que chez Malina où seule la table est rouge. Cette remarque montre
d’une part que la couleur est visible (ce qui semble évident), et que deuxièmement
elle est très liée à son support puisque c’est par lui qu’elle est perceptible, d’où le
caractère abstrait qu’on lui attribue souvent, mais à tort comme l’argumente Kleiber.

4.2.3. Non autonomie référentielle


Cette remarque nous amène à aborder le caractère de non autonomie référentielle
de la qualité chromatique. Il est souvent dit que la couleur ne peut être détachée de
son support. Il est vrai que :
« Si l’on prend une voiture bleue, par exemple, il est clair que l’on ne peut enlever
(littéralement) cette couleur sans enlever encore autre chose, c’est-à-dire une partie
concrète du support, puisqu’enlever la couleur revient au moins à enlever d’une
matière ou d’une autre, sinon la carrosserie, du moins la peinture qui elle est bien
une substance matérielle » (Kleiber, 2011 : 99),

mais par contre, la couleur peut être représentée pour elle-même, comme par
exemple dans un nuancier. Il reste, certes, un support (le papier, la pastille),
cependant la reconnaissance de la couleur ne dépend pas de ce support : la couleur
est donc considérée pour elle-même et par elle-même. On ne peut plus, par consé-
quent, parler de dépendance référentielle.
Cependant le support, même si la couleur n’en est pas référentiellement dépen-
dante, reste très important comme l’ont montré les glissements vers le quantitatif

106
via l’adverbe très dans des exemples comme une collection très rouge. Nous avions
décrit un retour aux supports, puisque synécdoquement, ce sont eux qui sont quan-
tifiés, et non la couleur. Ces séquences, en illustrant le caractère spatial des noms de
couleur, incitaient à les rapprocher des noms de matières.
Nous allons donc procéder à une comparaison avec les noms de matière. Nous
constaterons que les noms de couleur partagent certaines de leurs propriétés, mais
gardent néanmoins leur singularité linguistique.

5. Les noms de matière


Dans l’organisation du lexique élaborée par Flaux & Van de Velde (2000 : 63), est
nom de matière un nom qui désigne une substance concrète discontinue : beurre
ou sable par exemple.
Le premier problème qui se pose est le caractère concret de la couleur : certes
elle est accessible aux sens mais toutefois impalpable. Comme le soulignent Van
de Velde (1995 : 149) :
« Il n’en reste pas moins, il est vrai, que si l’eau est une matière, le rouge n’est pas
une matière mais une couleur ».

Comparer du rouge à du beurre pose un problème basique de conceptualisation.


Linguistiquement pourtant, plusieurs points les rapprochent.

5.1. Détermination et quantification


5.1.1. L’article partitif et article solidaire
Les noms de matière en tant que substance concrète discontinue sont des plus
propices à se combiner à l’article partitif, article qui quantifie une quantité indéter-
minée, une substance sans limite inhérente :

96a) Il y a du sable = Il y a une quantité indéterminée de sable

Le schéma sera identique pour le NChr. :

96b) Il y a du rouge = Il y a une quantité indéterminée de rouge

En outre (et c’est un fait des plus étonnants), avec les NMat., l’article partitif
sera possible avec tous les noms de la hiérarchie espèce/genre, du nom d’espèce
dernière au nom de genre ultime, matière :

107
97a)  Il y a de l’acajou
97b)  Il y a du bois
97c)  Il y a de la matière bois

Or comme le remarque Van de Velde (1995 : 150) :


«  Une telle possibilité n’existe généralement pas pour les noms hypéronymes de
qualités et d’états. Quelques noms, comme vertu ou sentiment, peuvent bien s’utiliser
avec le partitif mais ils redeviennent alors noms d’espèce dernières : avoir de la vertu
n’est pas avoir n’importe quelle vertu ».

Il s’avère que le nom de couleur fonctionnera comme le nom de matière :

98a)  Il y a du rouge
98b)  Il y a de la couleur

Van de Velde (ibid.) insiste sur la différence entre le NQual. (vertu par exemple)
et le NChr. :
« ajouter de la couleur dans ce décor, c’est bien ajouter n’importe quelle couleur ».

5.1.2. Un peu
Le quantifieur un peu spécifique des noms indénombrables pourra également
déterminer les deux types de noms :

  99a)  Il y a un peu de sucre sur la table


  99b)  Il y a un peu de rouge dans ce tableau
vs 99c)  *Il y a un peu d’amis qui viennent

5.1.3. Nom métonymique comme quantifieur


Les matières n’ont pas de limites inhérentes dans la langue bien qu’elles en pos-
sèdent indéniablement toujours dans le réel. Pour leur donner une frontière quand
elles sont évoquées dans le discours, on utilisera un nom métonymique88 comme
quantifieur (NQuant.) :

100a) Un ruisseau de sang


100b) Un nuage de fumée

88 Ce nom est en général un nom désignant un objet inanimé et naturel.

108
La même stratégie de « délimitation » sera utilisée pour les noms de couleur :

100c)  Une traînée de bleu


100d)  Un fond de rouge
100e)  Une touche de blanc

Dans ces exemples, sang, fumée, bleu, rouge et blanc sont les noms têtes et ruis-
seau, nuage, traînée, fond ou touche sont les noms spécifieurs. Une des caractéris-
tiques des noms de matière est la fragilité de l’équilibre entre le statut de nom tête
et celui de complément. Il suffit souvent de modifier la préposition de par en pour
faire basculer le nom tête en complément et réciproquement :

101a)  Il ne me reste plus qu’un cube de glace


101b)  Il y a dans la vitrine un très beau cube en glace

Dans le premier exemple, cube est le nom tête alors qu’il est le complément spéci-
fieur dans le second exemple comme l’illustre le test de dislocation :

102a)  Il ne m’en reste plus qu’un cube, de glace


102b)  Il y en a un de très beau en glace, de cube

Il s’avère que l’équilibre est tout aussi précaire avec les noms de couleurs entre
une séquence [NQuant. + de + NCconv.] et [NQuant. + AdjChr.] :

103a)  Je vois une tache grise dans le ciel


103b)  Je vois une tache de gris dans le ciel

Comme le montre la transformation suivante, le rapport est inversé :

104a) Ne vois-tu pas de gris au fond du ciel ? Si, j’en vois une trainée
104b) Ne vois-tu pas une tache au fond du ciel ? Si, j’en vois une grise (Van de
Velde, 1995 : 153 )

5.2. Influence de l’adjectif classifiant


L’adjectif classifiant a des incidences remarquables sur la syntaxe du nom de ma-
tière. Avec les autres noms, il entraîne la présence de l’article indéfini :

105a)  Elle a du courage


105b)  *Elle a du courage étonnant
105c)  Elle a un courage étonnant

109
Or l’article ne s’impose pas avec un nom de matière :

105d)  Une table de bois blanc

Naturellement tout autre type d’adjectif obligerait la présence d’un article indéfini :

105e)  Une table d’un bois ravissant


105f)  *Une table de bois ravissant

La même caractéristique apparaît avec les NChr. lorsqu’un adjectif classifie le


nom de couleur :

106a)  Une robe vert89 clair

De même que pour les noms de matière, tout autre adjectif imposerait l’article
indéfini :

106b)  Une robe d’un vert vilain

Comme les contre-exemples le montrent, l’emploi de l’article indéfini (ou d’un


autre quantifieur) est obligatoire dès que l’adjectif est spécifiant. Les référents
sont alors signifiés en tant qu’individus. Ce phénomène dénommé par Husserl
« singularité spécifique » donne à la langue la possibilité de limiter une substance
continue en la différenciant des autres substances du même nom par une qualité
spécifiante. Alors elle devient espèce90 :

107a)  J’ai bu du vin


107b)  *J’ai bu du vin délicieux
107c)  J’ai bu un vin délicieux

La couleur peut de même devenir une singularité :

108a)  J’ai vu du bleu


108b)  J’ai vu un bleu épatant
108c)  ?J’ai vu un bleu clair

89 Nous discuterons plus précisément de la catégorie lexicale de vert dans ce type


de structure dans une partie dédiée aux composés morphologiques de ce type (cf.
§ 2.3.5, Partie 2, Chap. I).
90 Même si cette hypothèse semble discutable, ce qui nous importe ici est surtout la
symétrie entre les deux types de noms.

110
5.3. Complément spécifiant
Les NMat. et les NChr. partagent également des propriétés propres à leur
complémentation. Ils entrent dans des compléments introduits par en. Cette
préposition (en la définissant brièvement) signifie (entre autres) la matière
d’origine en la conceptualisant comme intériorisée selon Guillaume, cité dans
le TLFE :
« 5. [En introduit un compl. circ. de matière] J’ai les intérieurs en duvet de canard
(Aymé, Cléramb., 1950, p. 168) :
22. En fonte, en terre, en grès, en porcelaine, en aluminium, en étain, que de mar-
mites, de poêles, de pot-au-feu, de fait-tout, de cassolettes, de soupières, de plats,
de timbales, de passoires, de hachoirs, de moulins, de moules, de mortiers! Beau-
voir, Mém. j. fille, 1958, p. 77. (…)
2.  En,  introduisant un compl. de matière, traduit toujours une «  intériorisation  »  :
une table faite avec du bois devient une table en bois de la même manière qu’ « un
livre qu’on jette dans le feu ne tarde pas à être en feu » (Guillaume, Le Problème de
l’article et sa solution dans la langue française, Paris, Nizet, 1919, p. 188) » (s.v.
EN, TLFE).
Avec cette signification, elle est souvent remplaçable par de :

109)  La table est en bois = La table est de bois

ce que le lexicographe explique ainsi dans une remarque à la fin de l’article :


« Rem. 1. En marque plus précisément la matière que de. Seul de peut s’employer
dans un sens fig. un homme de fer, des chevaux de bois. On dit néanmoins un tigre en
papier, un garçon en or : Ah! Oui, ce qu’il était gentil, hein ? et doux et pas fier. Un
garçon en or, ce petit saint François (Aymé, op. cit., p. 199) ; mais dans ces expr. fig.,
la matière fictive prend un aspect réel » (ibid.). 

Les NChr. peuvent aussi, dans certaines conditions, être introduits par en, et de
s’avère impossible :

110a)  J’ai vu cette robe en bleu


110b)  *J’ai vu cette robe de bleu

Cette compatibilité avec la préposition pourrait suggérer que la langue considère


la couleur comme une matière. Cependant, l’emploi est beaucoup plus contraint
qu’avec les matières comme vont le montrer les remarques ci-dessous.
Premièrement même si l’emploi de la préposition entraîne un sens différent, il
n’est pas exclusif avec le NChr. :

111
111a) La table est en bois
111b) *La table est bois
111c) La fille est en bleu
111d) La fille est bleue

Au regard de ces deux exemples, on a envie d’expliquer l’emploi de en comme


le reliquat du groupe verbal habillé en mais premièrement, définir la relation qui
existerait avec en bois serait alors difficile et deuxièmement, comment expliquer
les séquences suivantes où l’hypothèse d’une élision du participe passé est insou-
tenable :

112a) J’ai vu ce livre en bleu


112b) J’ai choisi cette robe en bleu

Il est remarquable que pour certains couples, selon le contexte, la différence


sémantique ne soit pas si évidente (même s’il y en a une) :

113a) Elle a choisi sa robe en bleu clair


113b) Elle a choisi sa robe bleu clair

Le changement de verbe suffit à rendre perceptible une différence :

114a) Elle a vu cette robe bleu clair


114b) Elle a vu cette robe en bleu clair

En ce qui concerne les deux dernières séquences, il est tout à fait exclu d’évo-
quer une synonymie. Pour le premier exemple, deux interprétations s’offrent au
locuteur. Soit bleu clair est un adjectif adjoint au complément robe et alors il fait
référence à une certaine robe qui possède cette propriété, interprétation mise en
valeur par cette reformulation (mise en relief) :

114c)  C’est cette robe bleu clair qu’elle a vue

La mise en relief de l’ensemble [N + Adj.] montre que les deux mots forment un
groupe dont les éléments sont inséparables : le caractère de dépendance de l’ad-
jectif et la relation qu’il établit avec ce nom dans ce contexte l’oblige à rester dans
l’environnement syntaxique du nom.
La deuxième interprétation serait une lecture attributive de bleu clair par rap-
port à l’objet robe. Cette construction contrairement à la précédente ne crée pas

112
une dépendance si forte entre le nom et l’adjectif d’où la possibilité de séparer
les deux éléments dans la transformation similaire (par principe) à la première
interprétation :

114d) C’est bleu clair qu’elle a vu cette robe (et non vert turquoise)

De même, il est possible de changer de place l’adjectif :

114e) Elle a vu bleu clair cette robe

La deuxième a une autre lecture qui, elle, est unique. Il est question concrètement
de deux référents robes : il y a la robe présente au moment de l’énonciation (qui
n’est pas bleu clair) et la robe absente au moment de l’énonciation qui est/était
bleu clair. La différence est désormais perceptible entre les deux exemples ; le
premier autorise les deux interprétations : elle a choisi la robe qui est bleu clair
ou elle a choisi la robe de cette couleur particulière qui est le bleu clair. Et le deu-
xième ne permet que la lecture du choix de la couleur particulière, et non d’une
autre disponible (jaune ou vert).
Leeman (1997 : 138) explicite cette différence sémantique dans la définition
qu’elle développe de la préposition en. Elle explique que :
«  en ne s’accommode pas des noms désignant une propriété naturelle, mais de ceux
qui indiquent un état, c’est-à-dire la situation résultant d’une action, d’un processus
extérieur à l’entité qualifiée. Par exemple, le vase a volé en éclats, éclats désigne
l’état du vase au terme d’une transformation qui l’affecte. De même, dans voir les
choses en grand, les choses ne sont pas grandes intrinsèquement, mais seulement
dans la vision qu’en a le sujet ».

De fait, lorsque la préposition est utilisée, la couleur est considérée comme non-
intrinsèque au référent-porteur. Dans le cas des couleurs, cette non-inhérence est
le reflet de la multiplicité des couleurs disponibles pour le référent en question.
Évoquer un référent en mentionnant en bleu revient à dire qu’il existe aussi dans
d’autres coloris. Ceci implique également que en désigne nécessairement une
coloration non naturelle puisqu’il est le résultat d’un procès :

115)  ?Je préfère les yeux en vert

La seule lecture possible pour cet énoncé engagerait des yeux non naturels
puisqu’aucun procès avec un tel résultat ne serait calculable sur un référent
naturel : il pourrait être question d’une représentation, d’un dessin. Cependant,
le référent n’est pas nécessairement naturel, il faut juste qu’il permette un procès

113
dont la coloration est la finalité. Le procès peut être plus ou moins implicite : elle
est en bleu prend en compte le procès de s’habiller mais la phrase énonce un état
(cf. la citation de Leeman). Il est aussi intéressant de noter (et c’est la cause du
manque de netteté parfois de la différence sémantique entre une phrase avec en et
une sans la préposition) que référentiellement, le résultat est identique, dans ces
deux séquences le livre est bleu :

116a)  Je veux le livre bleu


116b)  Je veux le livre en bleu

Avec la préposition, une distance s’établit entre la propriété et le référent parce


qu’elle n’est pas intrinsèque. Est-ce que cela signifie que sans préposition, elle
est vue comme inhérente ? C’est difficile de répondre à cette question puisque
d’un côté, compte tenu des résultats de la comparaison avec les NQual., il
est impossible de les assigner à la même catégorie ; mais lui refuser ce statut
semble aussi contre-intuitif, la couleur depuis toujours est considérée comme la
qualité par excellence. La cause de cette équivoque est sans doute la différence
qui les sépare radicalement des noms de matière : la dimension exploitée par
l’étendue.

5.4. Ce n’est pas un nom de matière


Nous venons de voir que plusieurs critères rapprochent les noms de couleur des
noms de matière : combinaison avec le partitif de noms de genre, d’espèce ou
d’espèce dernière, utilisation de un peu, équilibre fragile du nom tête et du spé-
cifieur, influence de l’adjectif classifiant, complément spécifiant. Cependant il est
gênant de les y assimiler, intuitivement, le fait qu’elle ne soit pas palpable pose
un problème.
Comme la définition ci-dessous le définit, la matière est une :
« Substance dont sont faits les corps perçus par les sens et dont les caractéristiques
fondamentales sont l’étendue et la masse » (s. v. MATIÈRE, TLFE).

Pour être matière, il faut donc une masse, or la couleur n’en a pas comme le reflète
les quantifieurs métonymiques possibles :

100c)  Une traînée de bleu


100d)  Un fond de rouge
100e)  Une touche de blanc

114
Tous sont du même champ lexical, à savoir la surface. La définition de ce terme
surface confirme le manque de masse91, dont le volume est une propriété :
« Partie extérieure d’un corps, qui circonscrit le volume occupé par celui-ci » (s. v.
SURFACE, TLFE).

La couleur par sa capacité à être perçue s’éloigne des NQual. et se rapproche des
NMat. :
« non seulement les noms de couleur s’écartent des noms de qualités de la même
manière que les noms de matière, mais ils partagent positivement la plupart de leurs
propriétés » (Van de Velde, 1995 : 152),

cependant le manque d’une des dimensions propres à la matière, la troisième


dimension, fait toute leur singularité, ce qui se reflète par un traitement singu-
lier dans la langue. Le nom de couleur est un nom de couleur comme le conclut
Kleiber à la fin de son article.

Conclusion du chapitre
La couleur est intuitivement considérée comme une qualité, cependant le com-
portement linguistique des termes chromatiques tend à montrer que son statut de
qualité92 n’est pas considéré au même niveau que celui d’un adjectif comme beau
ou petit. Syntaxiquement ou référentiellement face à la graduation, la couleur a
une place atypique par rapport aux qualités. Parfois, elle se rapprocherait même
plus de la matière. Ce qui peut s’expliquer d’une part par son accessibilité aux sens
et peut être aussi par le statut qu’elle avait dans l’histoire. La couleur comme en
témoigne l’étymologie de son nom était une « chose » qui cachait, qui couvrait.
Elle était donc considérée comme extrinsèque aux objets. C’est peut-être la cause
de ce comportement particulier. Cependant le fait qu’elle puisse d’une part être
intrinsèque pour les objets naturels (qui permettent d’ailleurs un comportement
de qualité, cf. la graduation) et d’autre part conceptuellement assimilable à une
propriété d’objet créent une sorte de confusion qui est sans doute la source des
difficultés à la catégoriser lexicalement.

91 MASSE : « L’ensemble physique que constitue dans l’espace cette chose, cet objet,
caractérisé par son volume, sa rigidité, sa densité, etc. » (s.v. MASSE, TLFE).
92 Se pose ici la question philosophique de savoir si oui ou non, la couleur est une qua-
lité… doit-on écouter la langue ou la pensée ?

115
En invoquant une spécificité au regard aussi bien du comportement linguistique
que de son mode de référence, il est envisageable de faire des noms de couleurs
une classe à part entière. Les linguistes ont toujours cherché à les comparer et les
classer dans ce qu’ils croyaient le plus approprié, mais apparemment la langue les
perçoit autrement.

Dans le chapitre suivant, nous voulons présenter les autres termes qui désignent de
la couleur mais d’une façon plus « générale » et qui constituent avec les noms que
nous venons d’étudier la totalité du lexique nominal chromatique non construit :
couleur, coloris, nuance, teinte et ton. Dans cette partie, nous nous pencherons
davantage sur l’aspect sémantique des termes de couleur que sur leur statut syn-
taxique. L’objet est en effet de décrire l’organisation des termes les uns par rapport
aux autres afin de comprendre de quelle manière ils s’opposent et se complètent.
Afin que l’étude du lexique non construit soit complète, nous procéderons finale-
ment à une analyse des verbes associés colorer, colorier, nuancer, teinter, teindre et
des verbes désadjectivaux (blanchir, bleuir, jaunir, noircir, rosir, rougir et verdir)
avec l’intention de mettre en relief la symétrie de l’organisation du lexique nomi-
nal et celle du lexique verbal et donc la singularité du lexique verbal désadjectival.

116
Chapitre II – Acolytes de Couleur : Entre
Nuance, Ton, Teinte et Coloris

Il s’avère relativement difficile de définir les unités chromatiques coloris, nuance,


teinte et ton parce que toutes désignent de la couleur, au sens le plus général pos-
sible. Preuve en est de la substitution presque toujours possible de chacune d’elles
avec le terme générique couleur. Cependant, chacune spécifie la couleur, en préci-
sant sur quels critères elle est alors évoquée. Les exemples qui interdisent les subs-
titutions entre unités dans des emplois soi-disant (presque) synonymiques montrent
que chaque unité a effectivement une propriété sémantique qui la distingue des
autres. Cette polysémie relative occasionnelle ne facilite pas leur description : dans
les dictionnaires, matériel de référence dans notre étude puisque regroupant les
données qui sont les sources de notre analyse, les unités servent à se définir les unes
les autres et sont mises en relation de façon non consensuelle.

Exemples de relations entre les unités dans les définitions


lexicographiques
Dans le Trésor de la Langue française (désormais TLF), toutes les entrées défi-
nissant Teinte commence par Couleur (qui)… Dans le Larousse (désormais Lar.),
la teinte est une «  nuance de couleur  ». Dans le TLF encore, nuance est don-
née comme synonyme de ton. Dans un second emploi, c’est une sorte de teinte :
« Teinte qu’on peut distinguer d’autres, à l’intérieur d’une même couleur ». Dans
le Lar., la couleur est un « ton ou une teinte ».

Face au manque de clarté, il est clair qu’elles entretiennent entre elles une relation
qu’il nous semble intéressant de décrire.
Certains mots du lexique peuvent être ordonnés hiérarchiquement : ils s’orga-
nisent entre eux de telle façon que leurs sens peuvent se déduire les uns des autres.
C’est ce que Saussure (1976 : 71) dénomme rapports associatifs93 :
« en dehors du discours, les mots offrant quelque chose de commun s’associent dans
la mémoire et il se forme ainsi des groupes au sein desquels règnent des rapports très
divers ».

93 Saussure (1976 : 170) oppose aux rapports associatifs les rapports syntagmatiques,
c’est-à-dire ceux qui sont « fondés sur le caractère linéaire de la langue, qui exclut la
possibilité de prononcer deux éléments en même temps ».

117
Ces rapports se définissent entre autres en termes d’antonymie, de synonymie, d’op-
position, d’hypéronymie (cf. par exemple Lyons (1978) et sa description du lexique).
Nous voulons présenter dans cette partie la manière dont s’organisent des
termes chromatiques tels que coloris, nuance, teinte et ton d’abord entre eux et
ensuite par rapport à couleur. Nous avons choisi ces unités car d’une part, elles ont
des emplois semblant synonymiques comme l’illustrent les exemples ci-dessous
où elles peuvent être remplacées les unes par les autres sans modification séman-
tique importante :

1a) « La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais


d’un pouce, d’un ton roussâtre ou brun » (Le Monde, 1.8.97)94
1b) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une couleur roussâtre ou brun
1c) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’un coloris roussâtre ou brun
1d) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une nuance roussâtre ou brun
1e) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une teinte roussâtre ou brun

D’autre part, dans certains contextes, au contraire, toute interchangeabilité est


exclue :

2a)  Je voudrais cette écharpe en couleur


2b) *Je voudrais cette écharpe en coloris
2c) *Je voudrais cette écharpe en nuance
2d) *Je voudrais cette écharpe en teinte
2e)  *Je voudrais cette écharpe en tons

L’objet sera de montrer que :

(i) couleur est un hypéronyme de nuance ;


(ii) bien que nuance et ton partagent la même fonction sémantique, à savoir celle
d’introduire des divisions dans une couleur, ils ne le font pas de la même façon :
linguistiquement ton contrairement à nuance n’est pas un hyponyme de couleur ;

94 La plupart des exemples de cette partie sont tirés de la base de données répertoriant
des articles du journal Le Monde datant des années 1997 et 1998.

118
(iii) enfin nous montrerons que teinte et coloris bien que sémantiquement très
proches l’un de l’autre et également de couleur ne sont synonymes ni entre eux,
ni de couleur.

Nous procéderons en trois parties : après une description du terme couleur, nous
lui opposerons celles de nuance et de ton. Nous finirons avec une description des
spécificités de teinte et coloris.

1. Couleur et hiérarchie
Dans son ouvrage « Éléments de sémantique », Lyons (1978 : 239) décrit le lexique
en se basant sur les relations qu’entretiennent les termes entre eux : une partie
concerne la synonymie, une autre les contraires, etc. Selon lui, c’est la preuve de
la présence d’ « une structure hiérarchique du vocabulaire » puisque ces relations
sont récurrentes et systématiques. Le type de relations possibles entre les mots
(organisés hiérarchiquement ou non) est un thème également abordé dans l’étude
des tropes : entre autres la synecdoque, la méronymie, la métonymie, etc. Celle
qui nous intéresse dans le cadre de cette analyse est l’hypéronymie puisque nous
postulons que couleur est l’hypéronyme de nuance. Comme le dit Lyons (1978 :
239), on peut :
« représenter formellement l’ordonnancement hiérarchique des lexèmes sous forme
d’une structure arborescente ».

Les termes de chaque embranchement comme il est prévisible ont des propriétés
sémantiques et syntaxiques propres à leur catégorie. Ceci constituera le thème de
la partie suivante.

1.1. Description de couleur = massif abstrait


En adoptant les termes de la hiérarchie de Rosch-Heider (1976) ou Wierzbicka
(1988), les termes que nous analysons se répartissent sur trois niveaux :

la couleur (niveau superordonné)


   ↓
les couleurs
   ↓
les nuances

119
Il y a au niveau superordonné la couleur avec l’intension la plus large, c’est-à dire
dans le sens le plus général possible que l’unité puisse posséder. La couleur en
général réfère à une entité générale qui s’oppose à tout ce qui n’est pas couleur, et
notamment au noir, au blanc et au gris95. Le lexicographe le confirme :
« Dans le langage courant, ce qui s’oppose au noir, au gris et au blanc : Le linge blanc
et le linge de couleur » (TLF).

Dans la syntaxe, ceci se traduit par un emploi possible avec un article partitif :
il préférerait de la couleur dans son salon.
Couleur a toutes les propriétés des termes massifs que ce soit d’un point de vue
référentiel ou linguistique. Référentiellement, l’objet dénommé couleur n’a pas de
contour hormis les limites qui vont lui être assignées par l’objet sur lequel il porte,
comme le précise Kleiber (1994 : 60) :
« la forme que l’on associe aux occurrences de N massifs provient de la conjonction
d’un conditionnement extérieur, à savoir d’un autre référent matériel ayant lui une
forme intrinsèque (…) et de propriétés liées à la forme intrinsèque du type «  ma-
tière » ».

Linguistiquement l’emploi du partitif est une caractéristique des termes mas-


sifs : le partitif permet de prélever une quantité indéterminée sur un ensemble
non-sécable. Wilmet (1988) démontre que souvent massif rime avec généricité. Le
comportement de couleur rappelle d’autre part celui des noms de matière (cf. la
construction avec la préposition en : en couleur/en bois). Être en couleur revient à
dire n’être ni noir ni blanc (éventuellement ni gris), trois propriétés qui ne sont pas
considérées comme des couleurs.
Mais l’interprétation indénombrable n’est pas exclusive. Comme de nombreux
noms massifs, couleur dispose également d’emplois dénombrables :

3)  Je voudrais ces deux couleurs-là

Galmiche (1988 : 73) explique que le passage de l’indénombrable au dénombrable


entraîne de façon quasi-systématique un changement sémantique : les noms dénom-
brables sont définis comme « référant à des espèces ou sous-espèces ».

95 Lyons (1978 : 335–336) ne classe ni noir, ni blanc ni gris de la même façon que vert,
rouge, jaune et bleu. Les premiers sont décrits sur une échelle alors que les derniers
forment un cycle, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés en termes de successivité,
de manière hiérarchique, contrairement aux termes regroupés dans une série ou sur
une échelle qui ont un ordre qui va du plus au moins.

120
Quand la couleur devient les couleurs, le référent couleur n’est plus considéré
comme une conception générale qui l’oppose à ce qui n’est pas couleur et notam-
ment le noir et le blanc mais comme des individus, des spécificités, dans la mesure
où le caractère dénombrable permet d’identifier chaque couleur comme une
espèce ou une sous-espèce au sein du genre désigné par la couleur.

1.2. Emploi dénombrable


Schématiquement, ces espèces sont souvent représentées sur un cercle (cf. le
cercle chromatique de Chevreul) : les couleurs se suivent, se relaient et se
rejoignent. Elles forment un continuum, où les limites entre chaque couleur sont
floues puisque conceptuellement, au niveau dénominatif, elles peuvent se super-
poser à cause de la décision arbitraire consensuelle des limites des entités dénom-
mées96 : lorsqu’une couleur finit, une autre prend le relais, mais rien ne précise
« concrètement » aux yeux du locuteur le début et la fin d’une couleur. La langue
donne le moyen de délimiter chaque espèce  : c’est la dénomination qui borne
chaque couleur. Sur le spectre est appelée par exemple vert la suite de couleurs qui
répond à cette dénomination.
Chaque couleur de la « suite de couleurs » peut97 ensuite être elle-même dénom-
mée : ce sont les nuances d’un couleur. Au sein de la suite de couleurs qui peuvent
être appelées vert, il y a différents types de vert  : par exemple le vert épinard,
le vert kaki, le vert Véronèse, etc. Ce seront les espèces dernières parce qu’elles
ne peuvent pas elles-mêmes regrouper de sous-espèces : ces termes se situent au
niveau le plus bas de la représentation hiérarchique du lexique98.
La répartition entre espèce (le type de couleur dans sa généralité : le vert, le
rouge, etc.) et espèce dernière (toutes les nuances de cette couleur) n’est pas seu-
lement pertinente dans cette représentation hiérarchique du lexique. Elle se reflète

96 Il émerge parfois des conflits entre locuteurs qui ne réussissent à s’arranger sur la caté-
gorie et donc la dénomination de la couleur : tel objet, sst-il bleu ou vert ? On constate
d’ailleurs des résolutions différentes : les deux couleurs précitées sont parfois rangées
sous une dénomination unique (langue celtique par exemple).
97 J’insiste sur pouvoir, parce que d’un point de vue théorique, toutes les couleurs
peuvent avoir un nom : la langue fournit les outils morphologiques nécessaires pour
construire des dénominations. Mais pratiquement, elles ne répondent pas toutes à un
nom : si le besoin n’a jamais été ressenti, alors la dénomination est encore absente,
mais potentiellement existante.
98 Le fait de pouvoir les qualifier de clair, foncé, lumineux ne crée pas de sous-espèces.

121
aussi bien dans une perspective scientifique que linguistique : d’un point de vue
scientifique, on parle du rouge, du vert, etc. comme des couleurs de base, ce sont
elles qui vont servir au mélange. Et linguistiquement (cf. notamment les analyses
de Berlin & Kay (1969) ou Wierzbicka (1988) ainsi que notre description dans la
deuxième partie de ce travail), le nom des couleurs de base va servir à construire le
nom des nuances : rouge dans rouge de Naples, jaune dans jaune paille.
Ces mots construits sont les noms des membres de la classe du niveau le plus
bas de la hiérarchie que nous décrivons : les noms d’espèce dernière. Ils sont
regroupés dans la classe désignée par le nom nuance :

Le rouge de Naples [nom d’espèce dernière] est une nuance de rouge [nom
d’espèce]
Cette dichotomie linguistique s’explique dans la double conception du mot
couleur, comme couleur-lumière ou couleur-matière, notamment décrite par Guil-
lemard (1998) dans le DMC.

1.3. Couleur-lumière - Couleur-matière


La notion de couleur peut avoir deux interprétations : soit qualité d’une chose, soit
matière. L’une en termes de propriété d’objets, c’est la couleur-lumière comme la
définit Guillemard dans le DMC (1998 : 241) :
« [c’est la] couleur qui résulte directement de la décomposition de la lumière. Cette
expression est à peu près synonyme de couleur spectrale ».

Cette conception correspond à l’emploi indénombrable. Les différentes couleurs


sont considérées comme des individus distincts se complétant ou s’opposant les
uns les autres. La possibilité d’individualiser implique linguistiquement celle de
dénombrer.
Ceci s’oppose à la couleur-matière qui est (ibid.) :
« [la] couleur résultant de la présence ou de l’emploi de pigments. Cette expression
est à peu près synonyme de couleur pigmentaire ».

Lorsque la couleur est envisagée en tant que matière homogène, on parle de


couleur-matière : c’est la peinture, les pigments sur la palette du peintre. Ce sens
permet l’utilisation du partitif puisque l’homogénéité entraîne linguistiquement
l’usage d’un partitif. L’emploi avec ce sens est tout à fait lexicalisé, par exemple
dans :

Il y a de la couleur plein la table

122
La couleur en tant que qualité n’est pas ici évoquée  : peu importe qu’il n’y ait
que du rouge ou quinze couleurs différentes. Ce qui importe est la présence d’une
substance recouvrant la table qui ne soit ni blanche, ni noire.
Cette opposition couleur-blanc/noir qui attribue au noir et au blanc un statut
particulier au sein du lexique chromatique se confirmera dans la partie concernant
les verbes chromatiques.
Maintenant que nous avons décrit les particularités de couleur, nous allons
comparer cette unité à nuance. Nous montrerons en quoi les termes couleur et
nuance se ressemblent ou au contraire se distinguent. Ils s’apparentent dans la
mesure où les deux sont des noms de classe et ils diffèrent parce que ces classes
s’ordonnent hiérarchiquement. Couleur est le terme superordonné à nuance : de
fait, il a des propriétés propres à l’hypéronymie comme par exemple l’emploi
générique.

2. Description de nuance
2.1. Nuance et couleur comme nom-chapeau d’une
classe mais à des niveaux différents
Les unités nuance et couleur servent de noms de classe. Nous allons premièrement
observer les points communs que cette position entraîne : une relation d’identi-
té entre couleur ou nuance et le nom chromatique et deux interprétations face à
l’« addition » des référents.

2.1.1. Relation d’identité


On peut mettre en parallèle (sémantiquement et syntaxiquement) la relation éta-
blie entre le nom de classe et les noms des membres de la classe :

4)  Une robe d’une couleur rouge


5)  Une robe d’une nuance sang de bœuf

Il est question dans l’exemple 4) de la couleur ayant pour dénomination rouge et


de même dans l’exemple 5), de la nuance qui a pour dénomination sang de bœuf.
Par contre, alors que couleur rouge peut être pluriel :

6) Il a vu des chemises dans des couleurs rouges

123
Il est impossible de trouver nuance sang de bœuf au pluriel :

7) *Il a vu des chemises dans des nuances sang de bœuf

Sang de bœuf, comme nom d’espèce dernière, est le nom de la catégorie la plus
basse dans la hiérarchie décrite par Rosch-Heider (1976). Comme le stipule
Galmiche (1988 : 39), plus on descend dans la hiérarchie, plus la notion est
spécifique ; elle atteint finalement le « niveau ultime de singularité maximale ».
Cette unité lexicale est le résultat d’une construction morphologique qui prévoit
une comparaison avec la couleur d’une entité. Or il est essentiel que la couleur
de ce référent soit unique (ou considérée comme telle99) pour que tout locuteur
puisse retrouver la qualité en question. De fait, toute pluralisation est incompa-
tible avec cette nécessité d’unicité. Par contre, comme on l’a vu, rouge est le
nom qui rassemble des éléments qui portent des noms qui peuvent être construits
sur ce même mot : rouge sang, rouge cramoisi, rouge framboise, etc. ce qui
implique qu’il y a plusieurs types, d’où une pluralisation envisageable.

2.1.2. Addition de couleurs


Nuance et couleur partagent une deuxième caractéristique : ils permettent deux
lectures différentes lorsqu’ils apparaissent dans un contexte où ils doivent s’ad-
ditionner.
Le double statut de massif et dénombrable de couleur entraîne deux inter-
prétations différentes lorsqu’on « additionne » les couleurs : il y a soit addition-
mélange, soit addition-association.

(i) en considérant la couleur dans une perspective massive et homogène, c’est-à-


dire en l’assimilant à une matière colorée et non plus à des propriétés de choses,
une couleur A plus une couleur B donne une autre couleur C comme une nuance A
avec une nuance B donne une nuance C :

8a)  En « additionnant » (= mélangeant) du jaune et du bleu, on obtient du vert


8b) En « additionnant » (= mélangeant) une nuance de bleu et une nuance de
jaune, on obtient une nuance de vert

99 La couleur n’est unique que par convention : un même terme recouvre plusieurs
réalités désignées de façon conventionnelle comme appartenant à un même ensemble.

124
(ii) en considérant les couleurs dans leur interprétation dénombrable, une couleur
plus une autre couleur donne deux couleurs :

9a)  Ma voiture est de deux couleurs ( : vert et jaune)

Dans ce type d’addition-association, pour nuance, il est préférable de mentionner


de quelle(s) couleur(s) il s’agit100 et les nuances «  additionnées  » (=associées)
appartiennent ou non au même groupe chromatique :

9b)  ?Ma voiture est de deux nuances


9c)  Ma voiture est d’une nuance de bleu et d’une nuance de vert
9d)  Ma voiture est de deux nuances de vert

La raison qui empêche l’emploi de nuance sans le nom de couleur désignant la


couleur de la nuance est similaire à celle qui explique l’absence d’emploi massif
de nuance qui s’illustre par l’agrammaticalité d’un emploi partitif :

10a)  *Je veux de la nuance


10b)  *Il y a de la nuance sur la table

Il est justifié de se demander ce qui bloque les emplois sous 10). Une hypothèse
consisterait à mettre en cause la lexicalisation puisque référentiellement, nuance
peut désigner une matière, d’où l’exemple 8b). Rien n’empêche d’ajouter une
nuance vert olive à une nuance beige, il en résulterait sans aucun doute une troi-
sième nuance (ou une couleur) :
Le peintre a mélangé une nuance vert olive avec une nuance beige pour créer
une nuance de vert amande
Il s’avère que si le contexte est propice, la lecture est possible. Dans les
exemples 10), le manque de contexte pose problème : être sur la table ou juste en
mention générale de matière n’est pas assez spécifique et ne permet pas cette lec-
ture homogène. En plus, le fait que nuance est une sous-espèce de couleur bloque
certainement également cette interprétation : pour que la phrase soit interprétable,
il faut que la précision que ce soit une sous-espèce se justifie, or ce n’est pas le cas
ici. L’exemple est par conséquent incongru. De la même façon s’explique l’amé-
lioration de l’exemple 9a) par 9d) qui justifie l’emploi du nom de sous-espèce en
nommant le nom de la couleur.

100 Nous verrons dans la description de nuance (partie suivante) les raisons de cette
préférence.

125
La notion de mélanger peut induire, en revanche, ce sens de matière et per-
mettre ainsi de considérer la nuance comme matière (et d’entrer dans des struc-
tures similaires à couleur). Nous pouvons alors parler de nuance-matière comme
la couleur-matière évoquée par Guillemard101.

En tant que sous-espèce, tout en partageant des propriétés (linguistiques et extra-


linguistiques du terme superordonné couleur) comme l’interprétation homogène
ou hétérogène, l’unité nuance a des spécificités propres à sa classe que nous allons
décrire dans la partie suivante.

2.2. Spécificité de nuance : non-autonomie référentielle ni


linguistique (une nuance de bleu)
Comme nous venons de l’évoquer avec l’obligation que présente nuance à figurer
accompagné du nom de la couleur dont elle est la nuance (exemple 9b)), la nuance
est référentiellement non autonome, elle dépend d’une couleur, ceci se reflète dans
la langue de plusieurs manières.
La combinaison de nuance suivie d’un nom de couleur de base (vert, bleu, etc.)
est agrammaticale. La nuance ne peut être qualifiée102 par un adjectif de couleur
de base (bleu, vert), il faut nécessairement une relation d’appartenance introduit
par de :

11a) *Cette robe est d’une nuance bleue


11b)  Cette robe est d’une (certaine) nuance de bleu

Cette relation construite par la préposition s’associe à deux choses : d’une part,
une possibilité de construire avec les deux termes une prédication d’appartenance
(ex. 12)) et d’autre part, à l’inverse avec une impossibilité de construire une pré-
dication attributive :

101 Par contre, comme nous le verrons dans le § 3, ton ne fonctionne pas ainsi : un ton
additionné à un ton donnera toujours deux tons. Il est, en effet, plus difficile de
concevoir le ton comme de la matière. Ce qui s’illustre dans l’agrammaticalité de cet
exemple : *Il y a du ton plein la table alors qu’on pourrait dire Il y a de la couleur
plein la table après une activité peinture avec de jeunes enfants par exemple quand
une substance colorée (une ou plusieurs couleurs) recouvre la toile.
102 Sauf par des adjectifs chromatiques qualifiant eux-mêmes les couleurs  : nuance
bleutée, nuance verdâtre, etc.

126
12)  Le bleu a des nuances, et l’une d’entre elles est la couleur de cette robe
13)  * La nuance de cette robe est bleue

Ceci implique que, premièrement, couleur et nuance ne sont pas synonymes


comme pouvaient le suggérer 1b) et 1d) où les deux termes semblaient interchan-
geables :

1)  La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais


d’un pouce, d’une couleur/nuance roussâtre ou brune…

deuxièmement, il existe bien une relation de dépendance qui correspond à une


relation hiérarchique entre nuance et le nom de couleur (bleu, vert, etc.)

2.3. Nuance est un hyponyme de couleur


Au vu de la relation de domination établie entre couleur et nuance et de la dépen-
dance syntaxique et sémantique que celle-ci entraîne, nous émettons l’hypothèse
qu’une relation hypéronymique relie les deux termes.
Après avoir défini la notion d’hypéronymie en nous basant principalement
sur une définition de Lyons (1978), nous serons en mesure de confirmer notre
intuition.

2.3.1. Hiérarchie du lexique : deux axes


L’idée que le lexique est ordonné hiérarchiquement n’est pas nouvelle puisqu’elle
apparaît déjà dans les textes d’Aristote (cf. Tamba, 1991 : 88) avec les notions de
genre et espèce toujours présentes dans la tradition scolastique même si remaniées
depuis.
Selon Baldinger (1984 : 95), le lexique est hiérarchisé sur deux axes :
« il y a des objets mentaux que nous pouvons disposer de manière horizontale (cabane,
maison, palais), d’autres de manière verticale (maison → édifice →…chose ; canoë →
bateau →…chose ; arbre → plante → … chose ». 

Kleiber (1990) reprend cette dichotomie et ajoute que s’ :


« oppose la dimension horizontale des catégories et des prototypes à la dimension
verticale des niveaux de classifications hiérarchiques interne à une catégorie » (cité
dans Tamba, 1991 : 43).

127
Une conception similaire est présente chez Lyons dans l’opposition entre les rela-
tions antipodales et orthogonales103.
La dimension verticale, celle qui nous intéresse particulièrement, classe les
mots, si on se place dans une perspective linguistique en termes de plus ou moins
spécifique ou si on préfère un point de vue référentiel de classe et de sous-classe.
Nous ne nions pas l’intérêt de distinguer les deux types de relations. La dimension
horizontale va permettre d’expliquer l’origine d’un même comportement linguis-
tique pour des termes différents : par exemple, expliciter les raisons qui permettent
à des unités telles que rouge de Naples et rouge sang, bien que différentes d’un
point de vue constructionnel104, de pourtant partager des propriétés syntaxiques
caractéristiques de la classe à laquelle ils appartiennent.
La notion de hiérarchie présuppose comme le dit Cruse (1989 : 113–115) qu’il
y a une relation constante et uniforme de domination entre les termes. La relation
qui lie couleur à nuance est définie par Lyons (1978 : 236) comme un :
« rapport paradigmatique de sens qui (…) lie un lexème plus spécifique [hyponyme]
à un lexème plus général ou superordonné [hypéronyme] ».

Il appelle cette relation hypéronymie.

2.3.2. Sens de l’hypéronymie


2.3.2.1. Rapport de domination
Comme dans toute relation hiérarchique, les termes se classent sur plusieurs
niveaux entre le sommet (le terme le plus général) et la base (le terme le plus spé-
cifique). Selon le postulat fondamental énoncé par Rey-Debove cité par Galmiche
(1990 : 35) :
« (est) superordonné tout mot désignant une classe de la chaîne des classes lorsque
cette classe subsume des sous-classes très disparates portant elles-mêmes un nom ».

Nous ne nous arrêtons pas sur les deux reproches que Galmiche fait à cette
définition : premièrement, que toutes les classes n’ont pas de nom (que ce soit une

103 Nous ne nous arrêtons pas sur sa terminologie qui est pourtant problématique parce
qu’ambiguë puisque ce qu’il dénomme relation orthogonale est ce qui est appelé
ailleurs relation horizontale. Mais ce n’est pas le lieu ici d’en discuter.
104 Rouge sang est construit par composition : c’est un procédé linguistique qui permet
de construire des unités sans marquage syntaxique alors que rouge de Naples est issu
de ce que Danielle Corbin appelle l’assemblage syntaxiforme (à paraître), opérateur
constructionnel qui se sert aussi bien d’outils lexicaux que syntaxiques.

128
lacune d’ordre linguistique ou une simple méconnaissance du locuteur) ; deuxiè-
mement, que la notion de « chaîne des classes » évoque selon lui un « principe
d’emboîtements successifs » : il y a donc un haut et un bas, un mot qui est au som-
met et un qui est à la base. Il constate alors que le sommet n’est pas toujours facile
à trouver. Ce qui se confirme par le nombre de travaux en effet écrits sur les noms
comme chose, entité qui semblent être les noms de classe les plus génériques donc
au niveau le plus élevé dans la hiérarchie (cf. Vendler (1967), Kleiber & Riegel
(1978) ou Galmiche (1983, 1990)). Cependant, ces deux problèmes ne concernent
pas notre propos puisque nous postulons que couleur est le terme hypéronyme et
donc se trouve au sommet. En ce qui concerne les dénominations, même s’il est
vrai que toutes ne sont pas nommées105, elles sont toutes susceptibles de l’être
puisque la langue fournit les moyens de créer des noms, comme nous le verrons
dans la seconde partie de ce travail.
Kleiber (1990) note que, plus on monte dans la hiérarchie, plus on va vers la
généralité, vers le minimum d’informations (cf. également Wierzbicka). Ce qui
n’est pas étonnant puisqu’il est prévisible qu’un hypéronyme ait un sens suffi-
sament large pour être capable de regrouper dans une même classe des membres
assez disparates pour être des espèces différentes. De leur côté, les hyponymes
sont des noms qui ont un sens plus restreint, plus spécifique, ce qui s’illustre pour
les couleurs par une impossibilité de les trouver au pluriel : *les jaune paille.

2.3.2.2. Constance et uniformité dans la relation


Cette relation hiérarchisée peut être décrite de deux points de vue :
(i) extra-linguistique, s’il est question de la relation qu’entretiennent les différents
objets entre eux ;
(ii) linguistique, si on décrit les structures syntaxiques que les relations impliquent.

2.3.2.2.1. Au niveau référentiel


2.3.2.2.1.1. « Sorte de »
Tamba (1994  : 45) attribue aux termes qui entretiennent une relation hypérony-
mique la composante définitionnelle d’ordre relationnel de type « sorte de ». Le
terme sorte est défini par le dictionnaire Petit Robert comme la « matière qui per-
met de caractériser un objet individuel parmi d’autres », d’opérer une extraction qui

105 Guillemard (1997 : 284) en dénombre environ quinze millions, c’est la quantité que
peut générer un ordinateur.

129
met en avant un élément spécifique au sein d’une classe ; sorte dénote un élément
spécifique qui répond à la notion générique :

14a)  Le chat angora est une sorte de chat


14b)  Le chat est une sorte d’animal
14c)  Le rouge est une sorte de rouge
14d)  Le rouge sang est une sorte de couleur

Comme ces exemples l’illustrent et comme le constatent Levrat & Sabah (1990),
la séquence sorte de est problématique dans la mesure où elle ne permet pas de
distinguer les différentes niveaux de la catégorisation : elle peut paraphraser soit la
relation d’inclusion entre classes (chat et animal), soit la relation d’appartenance
entre classe et sous-espèce (rouge et rouge sang).
Pourtant syntaxiquement, cette différenciation mérite d’être prise en compte
comme l’ont remarqué Kleiber & Tamba (1990) : chat n’entretient pas avec chat
angora la même relation que chat et animal. Chaque terme a des propriétés spé-
cifiques qui dépendent de la catégorie dans laquelle il se trouve  : nous avons
par exemple déjà noté que l’hypéronyme couleur a un emploi massif tandis que
nuance n’a qu’un emploi dénombrable. Nous pouvons ajouter qu’il y a tautologie
si on veut construire une phrase attributive entre deux noms de classe : 

15a)  ?Le chat angora est un chat 


15b)  ?Le rouge sang est un rouge

Par contre, aucune tautologie entre nom de classe et nom de sous-espèce :

16a)  Le chat est un animal


16b)  Le rouge est une couleur

Cette anomalie disparaît si on explicite la spécificité de l’élément inclus par rap-


port aux autres éléments de la classe en ajoutant un contexte spécifiant :

17a)  Le chat angora est un chat qui a de longs poils


17b)  Le rouge sang est un rouge très vif

Malgré ces divergences, nous retiendrons que toute relation hypéronymique se


définit de façon minimale par la composante de type « sorte de » qui crée un gain
informationnel pour la sous-espèce ou l’espèce dernière qui prouve que la relation
est hypéronymique et non synonymique.

130
2.3.2.2.1.2. Au niveau sémantique : gain informationnel
D’un point de vue sémantique, bien qu’on puisse dire à la fois « toute nuance est
une couleur » et « toute couleur peut être une nuance », l’inversion phrastique ne
rime pas avec synonymie (cf. par exemple les emplois qui excluent toute inter-
changeabilité) : nuance a un trait sémantique que couleur n’a pas. La notion de
gain informationnel est très exploitée dans la description de l’hyponyme : il est
plus complet d’un point de vue sémantique que l’hypéronyme qui est souvent
général donc par définition plus vague.
Tamba (1991) précise qu’une des propriétés des termes subordonnés d’une re-
lation d’hyponymie est le fait que :
« (c’est) leur signifié intrinsèque de relation qui les prive d’autonomie sémantique et
les met sous la dépendance interprétative de leur co-domaine relationnel ».

Ceci explique la nécessité pour nuance d’apparaître dans un contexte où un sup-


port sémantique est mentionné. En effet, contrairement à couleur qui est autonome
sémantiquement, nuance a besoin d’un support sur lequel s’appuyer (cf. § 2.2.1.) ;
ce support est une couleur : une nuance est nécessairement rattachée à une couleur,
ce qui se traduit linguistiquement par une obligation d’être dans un contexte qui
spécifie la couleur dont elle est la nuance.
Ce terme se trouvera donc fréquemment dans des groupes prépositionnels où la
couleur de base est introduite par de :

18a) *Une robe de nuance


18b)  Une robe de nuance de bleu

contrairement au même exemple avec couleur :

18c)  Une robe de couleur

2.3.2.2.2. Implications syntaxiques


Lyons définit (1978 : 237) ce type de relations par deux propriétés. Ces critères
s’appliquent parfaitement aux termes de couleur.

1) L’hypéronymie est une relation orientée unilatérale : si X est hypéronyme de


Y alors Y n’est pas hypéronyme de X. « X est écarlate implique X est rouge alors
que l’implication inverse ne s’implique généralement pas » (1970 : 347). Il se sert
de cet axiome pour distinguer l’hypéronymie de la synonymie qui est une relation
bilatérale.

131
2) L’hypéronymie est une relation transitive : si X est hyponyme de Y et Y est
hyponyme de Z alors X est hyponyme de Z. Rouge sang est hyponyme de rouge,
rouge est hyponyme de couleur, alors rouge sang est hyponyme de couleur.

Cette transitivité donne également lieu à une distribution similaire de proprié-


tés : l’hypéronyme et les hyponymes vont avoir en commun des propriétés que
ce soit en termes de syntaxe, de compatibilité lexicale ou de constructions mor-
phologiques. Par exemple, selon Kleiber & Tamba (1990 : 31) cité dans Tamba
(1991 : 46) :
« ils vont partager le réseau de relations établies à partir de lui [l’hypéronyme] : ses
parties constitutives (par exemple, pétale, tige, pour fleur et ses hyponymes rose,
pivoine, etc.), ses propriétés définitoires (pousser, parfum, se faner), ses dérivés (fleu-
rir), etc. Pour un hypéronyme de catégorie abstraite [comme couleur], c’est imposer
à ses subordonnés, ses seuls traits classificatoires, parfois limités à une propriété
distinctive (ex. quadrupède : avoir quatre pattes, etc.) ».
Tous les prédicats qui peuvent s’appliquer à couleur vont pouvoir s’appliquer
à nuance (cf. la notion de couleur/nuance-matière) : une couleur est claire, une
nuance est claire, etc. On trouve par contre des distinctions qui s’illustrent syn-
taxiquement par exemple dans *en couleur mais pas *en nuance, mais ceci est dû
au gain informationnel qui corrélativement bloque l’emploi massif du terme et à
la non-autonomie de nuance.
D’un point de vue constructionnel, comme l’a remarqué entre autres Tamba
(1991 : 46) :
« les noms de sous-classes sont souvent formés par composition à partir du nom de
classe, motivant de la sorte la dénomination classifiante ».

Par exemple, rouge sang sur rouge, le nom ajouté spécifie le nom de base.

3) D’autre part, la relation hypér-/hyponymie est une relation qui a été définie
notamment par Bever & Rosebaum (1971 : 17) comme une hiérarchie-être qui
s’exprime selon Kleiber & Tamba (1990 : 17) :
« comme son nom l’indique (…) [par] une phrase attributive qui exprime en langage
naturel une hiérarchie entre deux classes qui est vraie a priori et communément
admise ».

L’hyponyme est ce qui est désigné par l’hypéronyme. Ce qui explique pourquoi
nombre de propriétés sont partagées (même si toutes ne le sont pas, nous ne
reviendrons pas sur les longues discussions sur les prototypes, (cf. notamment
Kleiber, Galmiche). Nous retiendrons seulement que l’hyponyme a des propriétés

132
partagées par son hypéronyme sans nous demander lesquelles ni en quoi elles
sont nécessaires.
La hiérarchie-être implique un certain nombre de caractéristiques qu’énumèrent
Kleiber & Tamba (1990 : 17) :

(i)  on ne peut pas la nier sans qu’il en découle automatiquement une contradic-
tion : *Le rouge (sang) n’est pas une couleur ;
(ii) le SN sujet est nécessairement générique, une tautologie résulte d’une spécifi-
cation : *Ce rouge (sang) est une couleur ;
(iii) le SN sujet ne peut être déterminé par un quantificateur universel : *Tous les
rouges sont des couleurs.

Kleiber & Tamba concluent alors qu’ :


« il y a relation d’hyponymie entre X et Y si la phrase C’est un X ou C’est du X im-
plique unilatéralement la phrase C’est un Y ou C’est du Y, X étant l’hyponyme et Y
l’hypéronyme ou superordonné ».

Les noms de couleur entrent dans ces schémas structurels :

C’est du rouge sang implique C’est du rouge

Nuance est donc un terme hyponyme de couleur : une nuance est une « sorte de
couleur ». Référentiellement, ce mot est le nom de la sous-classe des éléments qui
découpent le spectre de la couleur pour extraire un et un seul individu en précisant
la qualité dont on parle.

3. Ton et une autre façon de découper la couleur


Les tons, comme les nuances, fournissent un moyen de découper le spectre de la
couleur pour désigner un individu particulier, cependant ils le font dans une pers-
pective tout à fait différente. En outre, la relation qu’ils entretiennent avec couleur
est elle aussi distincte : ton n’est pas un hyponyme de couleur. Ces divergences
se reflètent de diverses façons dans la langue : premièrement un emploi possible
de ton au pluriel avec des noms d’espèce dernière (des tons jaune paille/*des cou-
leurs/nuances jaune paille), deuxièmement, l’absence de dénomination (un ton
n’a pas de nom) et troisièmement, l’influence particulière de certains adjectifs sur
la détermination du groupe nominal.

133
3.1. Emplois synonymiques
Le lexicographe du TLF décrit ton comme synonyme de teinte, couleur et nuance
dans un renvoi à la fin de l’article. Voici deux exemples où les quatre termes
semblent en effet interchangeables :

19a) « Et Intrawest joue gros pour tout refaire : les équipements sont rénovés, on
reconstruit rues et maisons, en donnant aux « condos » (immeubles à appar-
tements) une apparence de résidences privées, on invente même un « vieux »
village, le tout dans des tons mariant le blanc et le pastel, dont le célèbre
rose-ananan (rose bonbon) » (Le Monde, 2.1.97)
19b) Et Intrawest joue gros pour tout refaire : les équipements sont rénovés, on
reconstruit rues et maisons, en donnant aux « condos » (immeubles à appar-
tements) une apparence de résidences privées, on invente même un « vieux » 
village, le tout dans des [couleurs/nuances/teintes] mariant le blanc et le
pastel, dont le célèbre rose-ananan (rose bonbon)

Mais la notion de ton ne recouvre que partiellement celle de couleur et de teinte


comme l’illustre l’agrammaticalité de cet exemple :

20a) « Il s’appelle chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement par-
fumé de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept tons de peau »
(Le Monde, 12.3.98)
20b) Il s’appelle chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement parfumé
de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept [*couleurs/*teintes]
de peau

La peau ne peut pas être de sept couleurs, par contre elle pourra être de sept tons :
mat, pâle, hâlé… tous ces adjectifs définissent en fait des types (de couleur) de
peau. Remarquons que l’exemple serait possible avec nuance :

20c) Il s’appellt chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement par-
fumé de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept nuances de
peau

Il serait alors tentant d’assimiler ton à nuance et de calquer la relation « sorte de »
avec couleur. Cependant nous allons voir que cette relation n’est qu’en surface
similaire parce que les « sortes » ne s’extraient pas au même niveau. Comme le Lar.
le stipule effectivement, les deux unités entretiennent une relation de dépendance

134
qui exclut toute analyse en termes de synonymie. Selon cet ouvrage lexicogra-
phique, nuance désigne :
« Chacun des degrés des tons différents d’une même couleur ».

Selon Guillemard (1998 : 399–400), la tonalité est une des trois propriétés fon-
damentales de la couleur (avec la saturation et la luminosité106, appelée aussi
valeur). Les tons sont les degrés d’intensité107 d’une couleur  : ils spécifient la
couleur en lui attribuant une propriété qui va permettre de la distinguer des autres.
Cette propriété est une qualité que présente aussi nécessairement une autre cou-
leur. De là, ressortent deux conclusions très importantes : une couleur a plusieurs
tons et un même ton peut être désigné pour plusieurs couleurs ; par exemple,
la couleur jaune de Naples se décline dans les tons (de) jaune de Naples clair,
moyen, foncé, terne, mat, etc. Et peuvent être également clairs, moyens, foncés,
ternes, mats le rouge Tiepolo et le rose sparadrap. Le fait que ton désigne des pro-
priétés, et non des « sortes » de couleur comme nuance, se reflète dans la langue
par la possibilité d’un emploi au pluriel avec des noms d’espèces dernières ; ceci
explique également les raisons de la difficulté à opérer une addition-mélange de
tons (tel que nous l’avons défini ci-dessus § 2.1.2) qui se confirme par le manque
de dénomination.

3.2. Critères distinctifs de ton


Comme le remarque Guillemard (1998 : 399), ton est un :
« Mot souvent employé de façon un peu vague108 comme équivalent de couleur ».

Cette liberté ou confusion amène à penser que selon le contexte, ton peut avoir
deux interprétations ; une très proche de couleur, nuance ou teinte :

106 Techniquement parlant, la saturation correspond au pourcentage de blanc dans la cou-


leur tandis que la luminosité est le pourcentage de noir (www.colorimetrie.be, consul-
té le 29.06.13).
107 Les définitions de Guillemard posent ici quelques problèmes : alors qu’elle dit que un
ton désigne un degré d’intensité, elle classe la tonalité en l’opposant à la saturation
et à la luminosité qui est appelée par ailleurs l’intensité. Ceci accentue et dévoile la
confusion entre les différents termes.
108 C’est nous qui soulignons.

135
21a) «  Les papiers sont d’une grande variété, du ton [de la couleur] ivoire au
vert léger et n’ont rien à voir avec la pauvreté des papiers d’aujourd’hui »
(Le Monde, 3.5.97)
21b) «  Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou
de métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent,
avec parfois l’irruption d’un rouge vif ou d’un ton [d’une couleur/d’une
teinte] aubergine, mais toujours uniformément unis : l’imprimé est banni »
(Le Monde, 10.3.97)

et une seconde plus spécifique qui s’illustre notamment par une possibilité d’être
au pluriel :

21c)  les tons jaune paille vs *les nuances jaune paille

L’exemple ci-dessous est propice à activer les deux sens :

22a)  Elle voulait une robe deux tons

La robe est soit (i) d’une couleur dans deux tonalités différentes109, rouge clair et
rouge intense par exemple, d’où la possibilité de dire :

22b)  Elle voulait une robe rouge deux tons

(ii) soit de deux couleurs différentes, par exemple un ton de rouge et un ton
de bleu dans une lecture identique à couleur. Nous avions appelé ceci l’addi-
tion-association, interprétation également potentielle avec couleur ou nuance.
Remarquons de suite, même si l’explication ne viendra que par la suite que
la deuxième interprétation possible avec couleur (voire nuance) d’addition-
mélange se révèle en revanche avec ton tout à fait inadéquate. Des tons ne
peuvent s’additionner pour donner un autre ton : il serait difficile de « calculer
la somme » d’un ton mat ajouté à un ton éclatant. Nous reviendrons sur cette
observation ci-dessous après avoir expliqué le caractère particulier de ton trait
à la pluralisation, dont la conclusion nous permettra d’éclaircir les raisons du
refus d’une addition-mélange.

109 C’est le procédé appelé en peinture ton sur ton.

136
3.2.1. Pluralisation spécifique
Face aux distributions similaires, ton s’éloigne de couleur et de nuance en ce qui
concerne l’expression de la pluralisation dans la mesure où au pluriel, il est com-
patible avec un nom d’espèces dernières, ce qui se révèle impossible avec couleurs
ou nuances comme le confirment les exemples suivants :

23a) « La planche de bord délaisse le bleu lavande pour un élégant ton [cou-
leur]110 muscade et les boutons de commande virent au jaune anis  » (Le
Monde, 21.9.98)
23b) La planche de bord délaisse le bleu lavande pour d’élégants tons muscade
et les boutons de commande virent au jaune anis
23c) ?La planche de bord délaisse le bleu lavande pour d’élégantes couleurs
muscade et les boutons de commande virent au jaune anis
24a) «  Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec
parfois l’irruption d’un rouge vif ou d’un ton [couleur] aubergine, mais
toujours uniformément unis : l’imprimé est banni » (Le Monde, 10.3.97)
24b) Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec
parfois l’irruption d’un rouge vif ou de (différents) tons aubergine, mais
toujours uniformément unis : l’imprimé est banni
24c) *Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec
parfois l’irruption d’un rouge vif ou de (différentes) couleurs aubergine,
mais toujours uniformément unis : l’imprimé est banni
25a) «  Le sol est en marbre blanc, les murs peints dans des tons [*couleurs]
crème » (Le Monde, 25.8.97)
25b) «  Dans ce grand salon, deux pianos, une bibliothèque, des meubles aux tons
[*couleurs] acajou » (Le Monde, 20.7.98)
25c) «  Dans les hauteurs, autour d’une sorte de cour intérieure au contraire très
clame et reposante, aux tons [*couleurs] jaune paille, l’ensemble des loges
et des bureaux a été disposé sur deux étages » (Le Monde, 27.1.98).

110 Il est intéressant de noter que dans de tels contextes, couleur comme ton peut être
suivi de la préposition de : d’une couleur d’aubergine, d’une couleur de muscade/d’un
ton d’aubergine, d’un ton de muscade.

137
Jaune paille, acajou et crème désignent des couleurs spécifiques (espèces der-
nières) : le nom de couleur est construit sur la dénomination d’un objet auquel
tout locuteur associe de façon spontanée et communément une couleur111. Le jaune
paille est appelé ainsi parce qu’il désigne un jaune qui rappelle la couleur de la
paille. L’interprétation est possible parce que justement l’objet auquel est associée
la couleur a une couleur considérée comme spécifique. Une relation d’identité est
établie entre le nom de couleur (jaune paille, crème…) et couleur. Comme la cou-
leur, considérée comme prototypique, est unique, couleur a alors d’un point de vue
syntaxique l’obligation d’apparaître au singulier. Or avec ton, le pluriel est possible.
Les exemples ci-dessous témoignent de même de cette aptitude :

26a) «  En regardant les rideaux mauves et les fauteuils avachis recouverts de ce


tissu d’un rose écœurant et usé, la moquette d’un autre ton de rose (…) »
(R. Sabatier, Les fillettes chantantes, 1980) (Frantext)
26b) «  Deux ou trois tons de gris de perle, harmonieusement fondus, le noyaient
d’un bout à l’autre, et sur ce fond vaporeux passaient lentement des nuages »
(T. Gauthier, Mademoiselle de Maupin, 1835) (Frantext)
26c) «  Il ne remarqua point la flétrissure des joues couperosées sur les pommettes,
et auxquelles les ennuis et quelques souffrances avaient donné des tons de
brique » (H. de Balzac, Les illusions perdues, 1837) (Frantext).

L’adjectif autre dans 26a) implique qu’un choix est opéré entre plusieurs objets
qui, bien que distincts, répondent au même nom. Ceci entre, par définition, en
contradiction avec les noms d’espèce dernière. Que cela fonctionne avec ton
confirme que la relation entre ton et le nom de couleur (rose ou jaune paille) ne
ressort pas de l’ordre de l’identité (comme couleur rose).
Dans le contexte de cette comparaison qui décrivait la relation horizontale entre
[ton/couleur] et le nom de couleur [rose/jaune paille], nuance semble se situer
entre les deux unités dans la mesure où le pluriel s’avère possible devant un nom
d’espèce :

26d) En regardant les rideaux mauves et les fauteuils avachis recouverts de ce tis-
su d’un rose écœurant et usé, la moquette d’une autre [nuance] de rose (…)

L’impossibilité d’un même emploi avec un nom d’espèce dernière s’explique dans
les mêmes termes que couleur : l’espèce dernière est unique et de par la présence

111 Ce procédé linguistique sera décrit dans la deuxième partie de cette étude.

138
d’une relation d’identité, la pluralisation est bloquée. Par contre, comme décrit
ci-dessus, la couleur a des nuances, donc le rose a des nuances, d’où un emploi
normal et justifié de l’adjectif autre.
Alors, une couleur a des tons, comme une couleur a des nuances : cependant la
relation entre ton est couleur est-elle identique à celle entre nuance et couleur ?

3.2.2. Pas de hiérarchie-être, pas d’hyponymie


Dans de nombreux exemples, ton rappelle le fonctionnement sémantique et syn-
taxique de nuance, ce qui n’est qu’illusoire puisque les deux sont compatibles dans
une même séquence stipulant une hiérarchie : « le ton d’une nuance de bleu ou les
nuances (…) sont les degrés de tons d’une même couleur  » (Guillemard, 1998 :
284). La complémentation nominale [le X de Y] d’une part et la structure attributive
d’autre part implique qu’une relation hiérarchique (marquée syntaxiquement par la
mention de de) relie les deux unités ; conséquemment toute synonymie est exclue.
Selon notre hypothèse (cf. les paragraphes précédents), nuance est un hyponyme
de couleur. Comme il a été décrit ci-dessus, les tons sont des nuances particulières
(spécifiées par l’adjectif) au sein de couleurs différentes. Mais contrairement à ce
que suggère la phrase ci-dessus, les tons et les nuances, même s’ils réfèrent à la
même propriété chromatique, ne la désignent pas de la même façon. La différence
est visible dans la relation établie avec le mot couleur. Les deux entretiennent
une relation hiérarchie-avoir : une couleur a des nuances et une couleur a des
tons. Cependant seule la relation avec nuance établit conjointement une relation
hiérarchie-être : la nuance est une couleur, mais le ton n’est pas une couleur. Pour
Bever & Rosenbaum (1971), cette hiérarchie-être introduit une relation hypérony-
mique : si X est hypéronyme de Y alors Y est un X, si animal est hypéronyme de
chien, alors le chien est un animal. Or puisque cette relation attributive ne s’établit
pas entre ton et couleur, alors ton n’est pas un hyponyme de couleur.
En quoi une nuance se différencie-t-elle d’un ton alors ?

3.3. Ton vs Nuance


3.3.1. En termes d’autonomie par rapport à couleur
Ton n’est pas aussi autonome syntaxiquement et sémantiquement que couleur :

27a) *Je le voudrais en ton


27b)  Je le voudrais en couleur

139
Il n’est pas non plus aussi dépendant que nuance. Nuance est entièrement rela-
tionnel : il faut nécessairement que la nuance soit rattachée à une couleur. Ton a
besoin d’un support mais qui ne s’exprime pas exclusivement par le nom d’une
couleur. La spécification peut être apportée par un adjectif qui crée une classe dans
un énoncé tel que :

28a)  Je voudrais un ton plus clair


29b)  Je voudrais une nuance plus pastel

Dans la première phrase, aucune couleur n’est spécialement attendue : plusieurs


couleurs sont envisageables si elles répondent à la propriété énoncée. Tandis que
dans la seconde, comme le prévoit le caractère non-autonome de nuance, il est
question d’une nuance de la couleur de l’objet que le locuteur voit.
Se retrouve ici l’hypothèse que les tons regroupent plusieurs couleurs qui par-
tagent une même propriété.
Ce qui se confirme linguistiquement de deux manières : l’absence de dénomi-
nation et la portée de certains adjectifs autorisant un article défini pour déterminer
le groupe nominal.

3.3.2. Absence de dénomination


Comme aucun référent unique n’est visé, mais une série de différents éléments po-
tentiellement désignables, ceci entraîne l’absence de dénomination : les différents
tons n’ont aucun nom, contrairement aux nuances auxquelles il est possible d’attri-
buer une désignation spécifique (leur nombre infini ne permet pas d’envisager une
quelconque exhaustivité dans le domaine mais théoriquement, elle est envisageable
puisque la langue donne les moyens, comme nous allons le voir dans la seconde
partie de cet ouvrage, de désigner les différentes nuances). Cette singularité explique
pourquoi l’addition-mélange (cf. § 3.1.) est exclue. Le fait qu’aucun nom ne soit
disponible explique en partie que le calcul soit inconcevable. Comment pourrait se
résoudre l’addition d’un ton clair ajouté à un ton étincelant ? Quelle serait la proprié-
té du ton de la « somme » ? Le manque lexical exclut ce type d’addition.
Ce renvoi à une propriété autorise également un emploi singulier de l’article
défini qui serait agrammatical avec nuance ou couleur.

3.3.3. Détermination par un article défini : création d’une classe


La portée de certains adjectifs distingue catégoriquement ton de nuance (de
même que de couleur) comme l’illustrent les exemples suivants. La modification

140
adjectivale entraîne des conséquences différentes sur la détermination du groupe
nominal :

30a)  Je voudrais cette robe dans des/les tons pastel


30b)  Je voudrais cette robe dans des/*les couleurs pastel
30c)  Je voudrais cette robe dans des/*les nuances pastel
31a)  Je voudrais cette robe dans des/les tons clairs
31b)  Je voudrais cette robe dans des/*les couleurs claires
31c)  Je voudrais cette robe dans des/*les nuances claires

L’emploi possible de l’article défini témoigne du fait que l’adjectif est déterminant
en ce qui concerne ton, alors qu’il ne l’est ni pour couleur, ni pour nuance.
L’adjectif permet, en fait, de construire une classe qui regroupe des nuances
différentes qui ont la particularité d’avoir la propriété désignée par l’adjectif : si
sont évoqués des tons sombres, des tons pastel, il est question en réalité de toutes
les nuances de couleurs qui ont la particularité d’avoir la propriété désignée par
sombre ou pastel. Cette classe réunit donc des couleurs différentes.

Bien que ton, nuance et couleur puissent dans certains contextes être utilisés indif-
féremment, ton et nuance possèdent chacun des traits sémantiques en plus de ceux
de couleur112. L’objet sélectionné n’est pas du même type pour nuance et ton. Pour
les deux, une idée de division (séparation ou découpage) est manifeste : chaque
unité permet d’extraire des éléments du spectre de la couleur, cependant tandis que
choisir une nuance revient à choisir une des couleurs parmi celles qui se suivent
sur le spectre, diviser en tons permet de dégager plusieurs couleurs sélectionnées
sporadiquement sur le spectre de la couleur : sont prélevées certaines couleurs ou
plus précisément nuances qui vont former une classe d’éléments, dont la propriété
commune est la qualité désignée par le modifieur. La classe des tons pastel ras-
semble toutes les couleurs qui ont la propriété [être pastel] : un ton regroupe des
couleurs, ce qui explique la préférence du pluriel. Tandis que nuance sélectionne
une espèce dernière, ton choisit plusieurs couleurs qui ont la particularité de parta-
ger la même propriété. Nuance dépend d’une couleur, ton dépend d’une propriété.
C’est pourquoi il est impossible de parler d’hypéronymie pour ton qui est certes
lié à couleur mais pas en termes de sous-classe comme l’illustrait l’impossibilité
de former une phrase attributive (le ton n’est pas une couleur).

112 Spécification qui confirme le statut d’hyponyme de nuance et qui distingue ton de
couleur.

141
4. Teinte-coloris : spécification de la couleur
Teinte et coloris ne partagent définitivement pas les mêmes fonctions sémantiques
que nuance et ton : alors que l’information supplémentaire concernant les sens de
ton et nuance porte sur une manière particulière d’extraire des « segments de cou-
leurs » sur le spectre de la couleur, celle contenue dans l’intension de teinte et coloris
précise l’origine de la couleur et le type d’objets sur lequel la couleur est appliquée.

4.1. Coloris
4.1.1. Sens plus restreint
Coloris est très proche sémantiquement de couleur comme l’illustrent les phrases
ci-dessous où les deux peuvent être utilisés indifféremment :

32a)  J’aime la couleur de cette voiture


32b)  J’aime le coloris de cette voiture
33a)  Il y a tellement de couleurs disponibles pour ce modèle
33b)  Il y a tellement de coloris disponibles pour ce modèle

Néanmoins ce ne sont pas des synonymes puisque certains contextes interdisent


cette interversion :

34a)  Une robe en couleur


34b)  *Une robe en coloris

L’impossibilité d’utiliser coloris seul montre que ce mot n’a pas un sens aussi
large que couleur et qu’il ne s’oppose pas de la même façon que couleur à noir et
blanc. Il n’exprime pas seulement l’idée de couleur. C’est pourquoi une modifica-
tion de coloris par un adjectif, qui entraîne une restriction de sens sur la phrase, la
rend plus acceptable :

35a)  Une robe en différentes couleurs


35b)  une robe en différents coloris

4.1.2. Choix du référent et étymologie


Ce n’est pas la seule contrainte qui pèse sur coloris

36a)  J’aime la couleur de ces yeux


36b)  *J’aime le coloris de ces yeux

142
Une contradiction apparaît alors entre la définition de coloris donnée dans les dic-
tionnaires Larousse ou Robert et les emplois que nous avons répertoriés. Il y est
stipulé que coloris désigne premièrement :
« (l’) effet qui résulte du choix et de l’usage des couleurs » (Lar.)
« (l’) effet qui résulte du choix, du mélange et de l’emploi des couleurs dans un
tableau » (PR).

Deuxièmement, il est écrit que coloris convient pour la carnation, la couleur


du visage, des fruits. Or, dans tous les exemples que nous avons rencontrés,
coloris ne désigne que la couleur de produits manufacturés : voiture, tapisserie…
De plus, l’intuition va à l’encontre des lexicographes, la phrase le coloris d’une
pêche semble douteux pour parler de la couleur originale d’une vraie pêche (en
opposition à une pêche en plastique de décoration).
Cette restriction a sans doute des origines étymologiques  : coloris est un
emprunt à l’italien colorito (forme de participe passé) qui est construit sur le verbe
colorire (colorer). L’obligation d’être appliqué sur un objet manufacturé implique
qu’il faille qu’il y ait un procès, l’objet n’obtient sa couleur qu’après qu’elle lui
a été «  donnée  » (si on reprend la définition de colorer/colorier de Guillemard
comme « donner de la couleur »).
Selon Guillemard (1998 : 119) qui reprend la définition du Dictionnaire éty-
mologique du français, la différence sémantique entre colorer et colorier est très
ténue113 (on emploie souvent l’un pour l’autre) : les deux signifient « donner de la
couleur », mais colorer, qui date du XIIe siècle, a subi une modification phoné-
tique au XVIe au contact du verbe italien colorire. À la transformation phonétique
s’ajoute une modification sémantique  : les deux désignent un procès mais seul
colorier implique nécessairement une intention qu’on retrouve dans le nom de
coloris. Coloration est le nom construit sur colorer, verbe qui désigne un procès
plus neutre dans la mesure où seul importe la modification de la couleur de base.
Seule l’étymologie va permettre d’expliquer pourquoi l’exemple suivant ne
convient pas :

37a)   *Le coloris des cheveux

Il y a un procès qui modifie la propriété chromatique, il y a une intention ; pourtant


coloris et cheveux sont incompatibles. Le blocage se situe au niveau du référent

113 Nous montrerons plus précisément les restrictions qui différencient les deux dans la
partie suivante concernant le lexique verbal chromatique.

143
modifié. En plus du sens de modification chromatique intentionnelle, le sens s’est
spécialisé pour s’appliquer principalement à des référents fabriqués114 : une voi-
ture, une robe, un tableau, etc.
Cet exemple sera acceptable avec coloration :

37b) La coloration des cheveux

Coloration est le substantif construit sur colorer. Il s’applique à tout type de procès
volontaire ou non (coloration du ciel/coloration des cheveux) qui donne lieu à une
modification chromatique. Comme la construction morphologique le suggère (nom
déverbal en -tion), la notion de procès est toujours présente dans le nom. Avec coloris,
le procès n’est pas si présent dans le sens du nom : le principal est que la couleur soit
non naturelle et qu’elle soit potentiellement une parmi d’autres possibles.

Nous allons voir que teinte se définit dans les mêmes termes : on peut de même
parler de la teinte des cheveux et la spécificité de teinte par rapport à couleur s’ex-
prime également en termes de procès, mais les restrictions ne sont pas tout à fait
identiques à celles de coloration et coloris.

4.1.3. Ce que dit la préposition


Avec coloris, il est possible d’employer plusieurs prépositions avec une préfé-
rence notamment pour dans :

38a)  Je voudrais ce pantalon d’une couleur plus claire


38b)  ?Je voudrais ce pantalon d’un coloris plus clair
38c)  Je voudrais ce pantalon dans un coloris plus clair

Le groupe [être d’une + Adj. + N] peut être parfois équivalent d’une structure


[être + adverbe + Adj.]. C’est dire que la proximité relationnelle établie entre la
propriété désignée par le complément et le sujet. Or utiliser dans connote une cer-
taine distance entre les deux qui se traduit par une indépendance référentielle. Les
deux exemples suivants illustrent cette idée de distanciation :

114 Le sens de «  référent fabriqué  » est très large  : ce sont tous les objets élaborés et
construits, des objets créés et fabriqués par l’homme, allant d’un produit manufacturé à
une œuvre d’art. Tous ces référents impliquent que la couleur qu’ils ont est une couleur
non nécessairement naturelle qui peut donc se décliner intentionnellement en plusieurs
couleurs qui de par leur particularité non naturelle répondront au nom de coloris.

144
39a)  Je le voudrais d’une seule couleur
39b)  Je le voudrais dans une seule couleur

Le premier exemple signifie que le locuteur désire que l’objet (« le ») soit « d’une
couleur unie », s’opposant à « de deux, trois ou plus de couleurs ». La propriété
s’applique au référent de l’objet, c’est ce que nous entendions ci-dessus par
« proximité ». En revanche, dans le second exemple, une distanciation s’opère
puisque ce n’est plus la propriété de l’objet qui est directement définie, mais le
critère de choix : le locuteur veut cet objet une seule fois, en opposition à cet
objet et les objets similaires qui se déclinent dans d’autres variantes. On constate
que le message porté par la séquence 39b) ne vise pas la mention de la propriété
en soi, mais oppose le référent à d’autres du même modèle. C’est ce que nous
entendions par « distanciation » par rapport à la désignation de la qualité.
Si en est substitué à dans précédant couleur :

39c)  Je le voudrais en une seule couleur

les deux interprétations sont alors possibles. En revanche, avec coloris, seule une
lecture en termes de couleur unie sera envisageable :

39d)  Je le voudrais en un seul coloris

Cette opposition confirme que le coloris n’est pas intrinsèque au référent, qu’il est
ajouté, alors que la couleur est donnée comme propriété inhérente à l’objet. Parler
de coloris revient à parler du procès qui a été effectué et du procès qui aurait pu
être effectué parce que ceci implique que d’autres couleurs sont disponibles ou
auraient pu être disponibles (puisque c’est un objet manufacturé, potentiellement
il peut être envisagé dans n’importe quel coloris).

4.2. Teinte
Comme pour toutes les autres occurrences étudiées, la large gamme d’emplois de
teinte ajoute des difficultés à notre analyse.
En contexte de spécialiste de la couleur, la teinte est une des propriétés de la
couleur complétant la saturation et la luminosité :
« La teinte est choisie en fonction du choix de la matière colorante, la saturation en
fonction du degré de pouvoir colorant et de la quantité de matière blanche ajoutée, la
luminosité en fonction de la luminosité propre de la couleur, fraction de matière noire
contenue dans le mélange » (www.colorometrie.be, consulté le 29.06.13).

145
Ces définitions s’appliquent pour les couleurs matérielles. Dans le dictionnaire
Wikipédia, elle est ainsi définie :
« La teinte est la forme pure d’une couleur, c’est-à-dire sans adjonction, ni de blanc,
ni de noir, ni de gris ».

Dans le DMC, Guillemard est beaucoup plus vague :


« Une teinte, quelle qu’elle soit, est une couleur ».

Le TLF précise davantage en mettant en valeur les différents emplois :


« A) Peint. Couleur résultant du mélange de plusieurs couleurs (p. oppos. à
couleur pure).
  B)  Couleur considérée selon son degré d’intensité.
  C)  Couleur plus ou moins nuancée (pure ou résultant d’un mélange) ».

Le Lar.  propose un bref résumé des emplois possibles :


« Nuance d’une couleur, qui dépend soit du pigment employé, soit du mélange de la
couleur de base avec une certaine proportion d’une autre couleur ».

Dans le TLF, le lexicographe ajoute un sens figuré qui est qualifié de vieilli :
« Nuance légère, petite dose de quelque chose : Dans sa réponse, il y a une teinte
d’ironie ».

Comme l’illustrent ces (extraits de) définitions, le terme teinte peut avoir de nom-
breux emplois avec des sens similaires à couleur ou nuance115. Nous essaierons
toutefois dans une première partie de distinguer teinte de couleur en nous appuyant
sur les contraintes qui pèsent sur les emplois phrastiques ; suivra une comparaison
de teinte et de nuance. Nous finirons enfin avec coloris, teinture et coloration qui
s’éloignent des autres termes étudiés, tout en partageant une propriété avec teinte.

4.2.1. Teinte = couleur ?


Les deux mots couleur et teinte sont sémantiquement très proches, ils sont perçus
comme synonymes dans plusieurs phrases :

40) « Les premières images sont dominées par des couleurs neutres ; les dernières
par des teintes plus vives, comme dans la salle de dessin, dominée par un
tableau monochrome bleu qui l’adoucit et donne une profondeur à l’espace »
(Le Monde, 11.1.97).

115 Dans la définition du TLF de nuance, teinte est donné comme synonyme.

146
Ils sont par conséquent souvent interchangeables :

41a) «  Canon a ainsi divisé sa densité par quatre afin d’obtenir des pastels de
teinte variable, en superposant jusqu’à trois gouttes sur un même point »
(Le Monde, 1.2.97)
41b) Canon a ainsi divisé sa densité par quatre afin d’obtenir des pastels de
couleur variable, en superposant jusqu’à trois gouttes sur un même point

Ces deux unités partagent par ailleurs nombre de propriétés :


(i) aucune des deux ne peut être le premier terme d’un groupe avec un complé-
ment de nom désignant de la couleur et introduit par de :

42a) *La couleur de gris


42b) *La teinte de gris

Mais les deux séquences deviennent grammaticales si le complément du nom est


remplacé par un adjectif :

42c)  La couleur grise


42d)  La teinte grise

Une paraphrase attributive s’avère de même envisageable :

42e)  (Le) Gris est une couleur


42f)  (Le) Gris est une teinte

(ii) Ces deux termes ont d’autre part les mêmes collocations : la couleur de (la)
peau, la teinte de (la) peau
Teinte comme couleur entretient une relation d’identité avec l’unité qui
l’accompagne (gris).
Cependant les deux s’opposent également sous d’autres perspectives.

4.2.2. Spécificité de teinte [-abstrait][+procès] vs couleur


[+abstrait][-procès]
Dans certains contextes, seule l’unité couleur peut être utilisée :

43a)  une peau de couleur vs *une peau de teinte


43b)  une touche de couleur vs *une touche de teinte
43c)  une traînée de couleur vs *une traînée de teinte

147
Tous ces emplois sont caractéristiques de l’emploi massif de couleur. Dans le
premier exemple, il est question de la couleur qui s’oppose à blanc116. Dans les
deux autres séquences, les spécifieurs (traînée de, touche de) permettent d’opérer
un découpage dans le référent massif (et donc par définition homogène et sans
contour) qui autoriserait ensuite le dénombrement de l’indénombrable. Le fait que
ces déterminants sont agrammaticaux montrent que teinte ne réfère pas à de l’in-
dénombrable comme couleur.
Teinte ne possède pas le caractère abstrait de couleur qui lui permet d’être
utilisé dans un emploi général pour exprimer comme nous l’avons vu ci-dessus
qu’il est question de n’importe quelle couleur pourvu qu’il y ait couleur, en
opposition au noir et blanc.
Par ailleurs, les deux peuvent être utilisés dans une structure relationnelle de
possession :

44a)  La teinte de cette couleur me plaît beaucoup

La possibilité d’avoir une complémentation en de implique qu’une relation s’éta-


blit entre les deux objets ; c’est une relation d’appartenance paraphrasable par une
structure avec le verbe avoir :

44b) Cette couleur a une teinte qui me plaît

Teinte aurait un sens similaire à nuance dans ce contexte. Néanmoins, d’une part,
teinte ne découpe pas le spectre chromatique à la manière de nuance. D’autre part,
l’idée de procès que nous avons repérée avec teinte n’est pas incluse dans le sens
nuance :

45) Ses yeux ont une jolie nuance de vert

De plus, teinte reste sémantiquement plus proche de couleur : l’unité semble même
désigner la représentation concrète de la couleur. Ceci pourrait s’expliquer par son
origine verbale et donc l’importance mise sur le résultat qui se traduit syntaxique-
ment par l’obligation de compléter le verbe par un complément résultatif117 :

116 Il n’est évidemment pas question de n’importe quelle couleur puisque le référent dont
le nom est qualifié (la peau) ne peut être que de couleurs bien définies.
117 Cf. le chapitre suivant concernant le lexique verbal.

148
46a) *Le ciel se teinte
46b)  Le ciel se teinte de rose

Remarquons d’autre part, que couleur peut presque toujours se substituer à teinte,
cependant l’inverse n’est pas vrai. Par conséquent, nous pouvons affirmer que
teinte a un sens plus restrictif.
Les deux exemples suivants montrent que corrélativement à cette restriction
sémantique, teinte et couleur n’ont pas les mêmes distributions syntaxiques :

47a) *De teinte or vs de couleur or


47b) *Une robe en teinte vs une robe en couleur

L’agrammaticalité du premier exemple s’explique par le fait que le mot n’est pas
assez général (puisqu’une restriction sémantique pèse sur lui) pour entrer dans
cette construction que nous appelons dans le second chapitre «  facilisante  »
puisque cette stratégie langagière permet de désigner une couleur (qui n’a pas
encore de dénomination) avec n’importe quel N du moment que le référent dési-
gné par celui-ci possède une couleur assez typique pour qu’elle soit immédiate-
ment pragmatiquement recalculable par l’interlocuteur.
Le second exemple est agrammatical parce que comme expliqué ci-dessus,
dans cette séquence, couleur a un emploi abstrait qui permet d’opposer toutes
les couleurs (ou n’importe quelle couleur) au noir et blanc (et gris) qui eux, ne
sont pas considérés comme des couleurs (cf. note 94 : Lyons définit d’un côté les
couleurs et de l’autre le noir, le gris et le blanc). Or teinte ne peut pas désigner
la couleur de façon si générale et abstraite donc l’interprétation est bloquée et la
structure, agrammaticale.
En plus de ces quelques propriétés restrictives que nous avons définies au
regard de l’unité couleur, nous en avons décelé une autre. Il s’avère que teinte a
des objets préférentiels, dans la mesure où il est « moins étrange » d’évoquer la
teinte des cheveux ou la teinte du mur que la teinte des yeux. Cette dichotomie
illustre la nécessité d’un référent dont la couleur est réversible (les cheveux, le
mur vs les yeux). S’il était question de la couleur artificielle de lentilles de contact
pour les yeux, et que par conséquent, la couleur était réversible, l’exemple serait
acceptable :

48) La teinte de ces lentilles de contact est étonnante

Nous émettons l’hypothèse que ce caractère de réversibilité va de pair avec un


caractère processif qui aurait son origine dans le fait que teinte est construit sur

149
la base verbale teindre. Cependant, cette origine n’est que partiellement marquée
dans la langue puisque d’une part, la mention d’un agent ou d’une cause n’est pas
nécessaire, comme l’illustre l’exemple suivant, dans lequel la cause de la colora-
tion n’est pas présentée :

49a)  Le ciel se teinte de rose


49b)  Les feuilles se teintent à l’arrivée de l’automne

D’autre part, aucun procès n’a nécessairement eu lieu, une couleur d’origine peut
être désignée comme par exemple lorsqu’est mentionnée :

50)  La teinte des cheveux

La possibilité d’utiliser teinte précise seulement qu’un procès est potentiel avec ce
type de référent, dont la couleur se transformerait.
Dans sa définition de teinte, Guillemard (1998 : 391) distingue teinte de teinture.
Le premier est le nom construit sur teinter et le second sur teindre. Comme pour
coloris et coloration, la distinction se traduit en termes de présence ou absence
d’agent. Tandis que teinture et coloris impliquent nécessairement la présence d’un
agent (même s’il est implicite), teinte comme coloration dénotent principalement
qu’une transformation a eu lieu.

4.2.3. Teinte vs coloris/teinture


Coloris s’applique à des couleurs apposées à des produits manufacturés. Par défi-
nition, les produits manufacturés impliquent un procès humain et de fait, la mise
en couleur une volonté humaine également. L’agent peut rester implicite, mais il
est définitionnellement toujours actif. Le cas de teinture s’avère similaire, comme
l’explicite cette définition tirée du TLF :
« 1. Action de teindre (un textile ou un matériau), opération ayant pour but de fixer,
par pénétration, un colorant, dans la matière traitée ; résultat de cette action
2. Par Mét. Substance colorante et soluble, solubilisée ou dispersée, composée de
matières végétales ou chimiques, servant à cette opération ».

Pour appliquer cette substance, un agent est évidemment toujours nécessaire, qu’il
soit mentionné ou non dans la phrase.
La différence avec teinte réside dans cet agent invisible actif : comme nous
l’avons mentionné, pour teinte, seule l’idée de procès potentiel est nécessaire
(avec ou sans cause ni agent). Le sens de teinte est alors bien plus large que celui
de teinture, de même que de coloris qui impliquait « produit manufacturé ».

150
4.2.4. Teinte vs coloration
La définition de coloration proposée par Guillemard (1998 : 118) montre que pour
cette unité, de même que pour les autres, les applications référentielles sont multi-
ples et la synonymie avec les autres unités est également partielle :
« Action de colorer. Mais le terme coloration peut aussi être simplement un synonyme
approximatif de couleur. Le mot coloris a un sens voisin. Cependant, il sous-entend
souvent une intention, alors que la coloration et généralement naturelle ».

Le fait que ce soit un synonyme approximatif de couleur s’explique par le haut


degré de généricité déjà évoqué qui permet à ce terme de se substituer de façon
régulière aux autres, tout en omettant la précision sémantique informationnelle
propre au mot remplacé. Dans le TLF, en plus de couleur, coloration est donné
comme synonyme de teinte. Pourtant, conformément au principe d’économie de la
langue qui établit qu’aucune unité n’a de synonyme parfait, le sens de coloration se
doit d’apporter une information sémantique supplémentaire. Ce gain informationnel
porte sur l’origine processive du nom. Coloration émane morphologiquement du
verbe colorer et conséquemment désigne premièrement, comme le décrit le TLF :
«  A.− Action de colorer.
   B.− P. méton. 1.  Fait d’être coloré, qualité de ce qui est coloré.
     2.  En partic. (avec valeur intensive). Teinte, couleur.
       a)  En parlant de la peau, du visage 
       b) En parlant d’un tableau ».

Les exemples donnés pour illustrer le sens de teinte ou couleur en parlant du


visage se révèlent à chaque fois signifier un changement de couleur, l’aspect pro-
cessif est toujours impliqué :
«  7. … ses joues, naturellement pâles, avaient cette légère coloration fiévreuse que
donne l’âme inquiète à son enveloppe au moment d’une douleur ou d’une émotion.
Lamartine, Nouvelles Confidences, 1851, p. 29.
8. La petite princesse habitait une chambre spacieuse (…). Elle y passait les heures
nocturnes sur un lit de soie bleuâtre où la peau de ses jeunes membres, déjà finement
teintée, prenait une coloration encore plus sombre. Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 167.
9. Cette déclaration [de Jean de la Fontange] la toucha jusqu’au fond de l’âme…
Elle [Sabine] fut parcourue d’un frisson et sentit la coloration de son visage changer,
sans savoir s’il rougissait ou devenait pâle. Lacretelle, Les Hauts ponts, t. 1, 1932,
p. 68 ».

De même, dans le domaine pictural, un procès est nécessairement à l’origine de la


couleur. Cette notion de procès rapproche teinte de coloration, pourtant les deux
se situent dans des perspectives différentes : teinte appuie sur le résultat du procès

151
tandis que coloration insiste sur le procès en cours. C’est pour cela que dans notre
système d’associations lexicales, teinte semble moins proche de coloration que de
couleur, voire de nuance.

Avant de clore cette partie concernant le lexique nominal, nous aimerions faire remar-
quer que toutes ces unités ont des emplois possibles hors du domaine chromatique.

4.3. Sens figurés


Il est très intéressant de noter que toutes les unités peuvent désigner des référents
d’un domaine autre que le domaine chromatique :

COLORATION : « Nuance dans le timbre de la voix, nuance d’un son : Colora-


tion grave » (Lar.)
COLORATION : « Coloration de la voix, d’un sentiment, aspect particulier,
nuance » (PR)
COLORIS : « Effet résultant de l’emploi des instruments, des sons, des timbres.
(…) Tonalité générale d’une œuvre » (TLF)
COULEUR : « Éclat, brillant du style, de l’expression, d’une situation, d’un évé-
nement » (Lar.)
TEINTE : « Nuance légère, petite dose de quelque chose : Dans sa réponse, il y a
une teinte d’ironie » (Lar.)
NUANCE : « (i) Chacun des degrés différents des sons, des parfums, des saveurs :
Les nuances d’un morceau de musique. (ii) Différence légère, peu sensible entre
des sentiments, des opinions, etc., de même nature : Les nuances de la pensée.
(iii) Trace légère d’un sentiment, ce qui s’ajoute pour modifier légèrement : Une
nuance de regret dans son approbation » (Lar.)
NUANCE : « (Variété ou variante fondée sur une) différence de détail, souvent sub-
tile et difficilement discernable, entre deux ou plusieurs choses ou états par ailleurs
semblables, ou entre les divers états d’une même chose. (…) Quantité très faible et
presque indiscernable de quelque chose (à l’intérieur de quelque chose) » (TLF).

Suite à l’observation de ces sens, deux groupes se forment : nuance et teinte d’un
côté s’opposant aux autres. Bien que tous partagent un sens commun de « caractère,
aspect », comme celui qu’on trouve dans ces diverses citations :

152
« tout mon être, mes sens et mon intelligence me portent à admirer l’œuvre (…) que
je vais analyser [Germinie Lacerteux]. Je trouve en elle les défauts et les qualités qui
me passionnent (…) une audace large et superbe, une vigueur extrême de coloris et
de pensée… » (Zola, Mes haines) (TLF)
« les samedis pour moi ont changé de couleur depuis que je sais que je ne te trouverai
pas le soir en venant dîner » (Rivière, Correspondance [avec Alain-Fournier]) (TLF)
« L’admirable Toccata de Bach est exécutée par l’Orchestre de Philadelphie, encore
qu’écrite pour orgue (…). Il ne me paraît pas que la musique de Bach ait à gagner
beaucoup dans ces colorations que lui donne l’orchestration, si bien appliquée
qu’elle puisse être… » (Gide, Journal) (TLF)
« Mais il avait le goût du mot juste et de la nuance précise » (Chardonne, Roma-
nesques) (TLF)
« Sa parole avait pris une teinte douce et comme restreinte, dans ce même calme qui
avait tant frappé Augustin » (Malègue, Augustin, t. 1) (TLF),

un renvoi particulier entre nuance et teinte est opéré par le lexicographe qui traite les
deux occurrences comme synonyme : une teinte de = une nuance de. Les deux unités
partagent en effet un emploi particulier qui les distingue des autres. Elles peuvent ser-
vir de quantifieurs précédant un groupe prépositionnel introduit par de : une nuance
d’ironie, une teinte d’ironie. Dans ces séquences, les deux occurrences mettent en
relief que l’ironie est minime, non ostentatoire. Dans ces structures, nuance et teinte
ont des emplois dits non autonomes n’étant pas le noyau du groupe nominal. Contrai-
rement à elles, les autres unités ne peuvent avoir que des emplois syntaxiquement
autonomes, autrement dit, être noyaux. En aucun cas, ils ne pourraient quantifier.
Au regard de teinte, cette information sémantique [petite quantité] se retrouve
dans le contenu sémantique du verbe à l’origine :
TEINTER : « Donner une coloration légère » (TLF)
TEINTER : « Couvrir uniformément d’une teinte légère, colorer légèrement » (PR).

Cette notion a même influé sur la durée du résultat qui est lui aussi «  léger  »,
donc court118. La justification d’une telle information se trouve dans l’étymolo-
gie comme le TLF le mentionne avec l’une des premières occurrences de teinte
dans un texte relevée en 1820 :
« 1820 une teinte de « une nuance légère de telle couleur ».

En ce qui concerne nuance, la justification n’est pas si aisée. On pourrait émettre


l’hypothèse que comme la nuance à l’origine désigne :

118 Les lunettes se teintent au soleil plus qu’elles ne se colorent : cette observation sera
traitée au sein de l’analyse du lexique verbal.

153
« 1380 « chacun des degrés par lesquels peut passer une même couleur » (Inventaire
du mobilier de Charles V) » (TLF)

et que la notion de degré, comme on l’a vu dans les définitions ci-dessus, est par-
fois « une différence de détail », c’est-à-dire que les degrés sont très proches les
uns des autres (à un détail près), chaque degré dépendant d’un détail seulement ne
recouvre par conséquent qu’un petit espace référentiel d’où le rapport à la « quan-
tité faible presque indiscernable » ; de là, le sens de cette unité comme quantifieur.
Bien que coloration partage (au moins partiellement) le sens de nuance, puisque
le terme est donné comme synonyme, un emploi comme quantifieur est tout à fait
exclu.
En comparaison, couleur se distingue de toutes ces unités : le lexicographe
évoque « l’éclat », « le brillant », l’intensité qui s’oppose donc à la « légèreté ».
Du côté référentiel, toutes les unités semblent applicables à une multitude de réfé-
rents : des sons, des sentiments, etc.

Conclusion du chapitre
À ce stade de l’analyse, nous sommes parvenue à une répartition en trois groupes
des termes décrits :
(i) Il y a d’abord le terme superordonné couleur, général et abstrait qui peut
souvent remplacer les autres termes (avec cependant définitionnellement une perte
informationnelle).
(ii) Ensuite, les autres termes  se répartissent en deux groupes : il y a d’un côté
ton et nuance qui servent à découper le spectre de la couleur. Nuance découpe le
spectre en délimitant des sortes de couleur au sein d’une couleur (d’où une rela-
tion d’appartenance entre la nuance et la couleur mais aussi une relation d’identité
impliquée par le caractère transitif imposé dans toute relation hypéronymique)
alors que ton regroupe des couleurs (d’où une préférence pour le pluriel) en leur
assignant à toutes une propriété commune (d’où la possibilité d’appliquer plu-
sieurs tons à une même couleur). Les référents résultant d’un groupement par ton
peuvent être appelées nuances. Ton désigne essentiellement le critère de regrou-
pement de ces nuances.
(iii) De l’autre côté, on a teinte et coloris qui explicitent la façon dont est consi-
dérée la couleur. Une idée de procès est connotée par chacun de ces termes : ce qui
est dû à leur origine verbale. La couleur doit être perçue comme réversible, modi-
fiable. Teinte s’oppose à teinture comme coloration s’oppose à coloris : seulement
dans le cas des seconds, la présence d’un agent est obligatoirement impliquée.
Teinte et coloration n’excluent pas l’idée d’intention mais ne l’exigent pas.

154
Nous sommes désormais en mesure d’améliorer le schéma présenté au début de
ce chapitre :

LA couleur est le terme hypéronyme qui regroupe deux sous-classes  : LES


couleurs qui sont des espèces (rouge, bleu, etc.) et les nuances qui sont des espèces
dernières (vert pomme, jaune de Naples, etc.). Référentiellement, les tons sont des
nuances qui s’en distinguent sémantiquement par le critère par lequel elles sont
extraites du spectre chromatique (rapport à couleur ou à propriété). Teinte, colo-
ration, coloris et teinture vont de même désigner des couleurs (ou des nuances),
mais chaque unité a dans son intension (au moins) une information supplémentaire
concernant sa réalisation : elle est issue d’un procès, ce qui importe est le résultat
du procès (teinte) ou le procès, avec agent (coloris/teinture) ou non (coloration).
Ces termes ne peuvent être classés sur l’axe vertical qui organise couleur, couleurs
et nuances. Elles se situent en amont de couleurs, sur un axe horizontal définissant
que la relation qui les unit n’est plus de l’ordre de l’hypéronymie, puisqu’elles ne
sont pas des sous-classes, mais des variantes qui se distinguent et se complètent
pour pouvoir accentuer (ou mettre en relief) tous les types d’informations dési-
gnables par un terme chromatique.

155
Chapitre III – Le Lexique Verbal

Dans l’optique que nous avons adoptée stipulant que les termes du lexique d’un
même champs lexical s’organise relationnellement les uns par rapport aux autres,
suite à la description de l’organisation des noms chromatiques, nous allons nous
tourner vers le domaine verbal et décrire les verbes qui désignent un procès
dénotant une modification de la couleur d’un objet (nous appellerons désormais
ces verbes les verbes chromatiques). Nous voulons montrer que de même que cou-
leur, le verbe dérivé colorer est l’unité dont le sens est le plus général, autrement
dit le verbe ayant le sens le moins contraint.
Nous avons 4 verbes qui forment deux paires d’unités proches phonétiquement :
colorier/colorer et teindre/teinter ainsi que les désadjectivaux comme blanchir,
bleuir, jaunir, noircir, rosir, rougir et verdir. Nous évoquerons également nuancer
et analyserons si la relation d’hyponymie entre nuance et couleur se retrouve dans
le lexique verbal entre nuancer et colorer.
Dans la perspective sémantique que nous adoptons, les paires se composent
différemment : d’un côté colorer/teinter et de l’autre colorier/teindre119. Nuancer
se rapprocherait du premier groupe. Cette première division, que nous opérons
intuitivement en tenant essentiellement compte du contenu sémantique des verbes,
trouvent corrélativement toute sa légitimité au regard du côté syntaxique. En nous
basant sur les hypothèses de Levin & Rappaport120, qui stipulent que le sens d’une
unité se reflète dans sa distribution syntaxique et en utilisant un de leurs tests 
(l’alternance causative), nous allons montrer que le regroupement reste identique.
La possibilité d’entrer dans une alternance causative pourrait effectivement être
révélatrice de différences ou au contraire de similitudes. Syntaxiquement, pour le
français, cette alternance se réalise de deux façons : d’abord, l’objet sémantique
prend la position du sujet et occasionnellement le pronom se accompagne obliga-
toirement le verbe. Il s’avère que pour colorier et teindre, aucune alternance n’est
envisageable : Esteban colorie le dessin/*Le dessin (se) colorie ; pour teinter,
colorer et nuancer, elle est possible mais seulement avec l’addition de se : Le
soleil colore la mer/La mer se colore, Le soleil teinte les nuages/Les nuages se
teintent au soleil, Du vert nuance les trainées de bleu/Les traînées de bleu se

119 Nous ne parlons pas de peindre qui se comporte comme colorier. La différence est
référentielle et concerne l’instrument qui diffère tout en étant aussi spécial.
120 Nous décrirons plus précisément ci-dessous leur théorie.

157
nuancent de vert ; pour les verbes désadjectivaux, les arguments permutent sans
que le verbe ne soit affecté d’un pronom : Le froid bleuit les articulations/Les
articulations bleuissent.
De fait, le lexique verbal chromatique se divise en trois groupes : les verbes
désadjectivaux, les verbes colorer, teinter et nuancer et les deux restants colorier
et teindre. Cette partie a essentiellement pour objet de décrire le comportement
tout à fait exceptionnel des verbes dérivés d’adjectifs de couleur en comparaison
aux autres verbes du même champ lexical. Cette constatation n’est pas nouvelle
puisqu’elle était déjà visible dans la répartition du lexique verbal effectué par Le-
vin (1993) et Levin & Rappaport (1994 et 1996).

Ces auteurs se placent dans le cadre théorique de l’Universal Alignement Hypo-


thesis développée par Perlmutter (1978). Cette hypothèse se fonde sur le principe
que l’interdépendance de la syntaxe et de la sémantique est si importante que le
sens d’un verbe permet de prédire son environnement argumental ; en d’autres
termes, le comportement syntaxique d’un verbe, la relation qu’il entretient avec
les autres actants de la phrase, est prévisible grâce à ses propriétés sémantiques.
Dans son ouvrage de 1993, B. Levin a classé 3000 verbes du lexique anglais.
Elle a justifié ainsi son hypothèse de dépendance très étroite entre le sens du
verbe et son comportement syntaxique. En effet, selon elle, chaque verbe ren-
ferme une représentation lexicale sémantique et une représentation lexicale syn-
taxique, la représentation syntaxique dépendant fortement de la représentation
sémantique. Ce qui signifie que selon le sens d’un verbe, non seulement un cer-
tain type d’arguments est disponible de façon systématique mais également et
c’est là l’originalité de la théorie de Levin un type d’alternances syntaxiques sera
possible. L’alternance est ici entendue comme une transformation syntaxique, un
ou plusieurs schémas distributionnels différents disponibles pour le verbe. Par
exemple, pour le verbe jaunir, en plus de la séquence :

1a)  Le temps a jauni le papier

est disponible :

1b)  Le papier jaunit

Le complément d’objet le papier est devenu le sujet syntaxique. Cette transforma-


tion serait, en revanche, impossible pour teindre :

2a)  Malina teint ses cheveux


2b)  *Les cheveux teignent

158
Dans la théorie de Levin, ce blocage s’explique par le sens du verbe. Ainsi le verbe
pourra être classé dans un ensemble qui regroupe les verbes ayant les mêmes dis-
ponibilités syntaxiques qui, toujours dans cette théorie, sont le reflet d’un contenu
sémantique similaire.
De cette manière, elles ont pu montrer que les verbes désadjectivaux chromatiques
ont une propriété propre à leur morphologie : ils se rencontrent dans des tournures
causatives sans marqueur. Comme l’ont analysé les deux linguistes, cette caractéris-
tique est partagée par la plupart des verbes construits sur des adjectifs qui désignent
des propriétés variables dont la cause est externe et non d’origine humaine.
Nous mettrons ainsi en relation la valence du verbe et son sens référentiel en
nous basant sur leur hypothèse, c’est-à-dire les différences sémantiques possibles
de l’argument en position syntaxique de sujet.
Nous verrons que les autres verbes s’opposent et se complètent entre eux au
niveau sémantique, mais que colorer est une sorte d’hypéronyme de tous. Nous
terminerons par un détour par les verbes antonymes (décolorer, déteindre) ou jus-
tement l’absence de verbes antonymes (*déteinter, *décolorier et *déblanchir)
pour encore préciser nos résultats.

Un détour par les définitions lexicographiques


L’observation des ouvrages lexicographiques nous a conduit à deux observations :
d’abord, confirmer que tous les verbes chromatiques sont sémantiquement forte-
ment en relation les uns aux autres et se complètent et deuxièmement, la possibi-
lité de former des sous-groupes d’unités.
Comme le montre la relation cyclique illustrée dans les définitions lexicogra-
phiques via les renvois, toutes les unités verbales sont étroitement liées entre elles.
La différenciation ne semble pas catégorique dans la mesure où les dictionnaires
observés ne donnent pas les mêmes résultats. Dans les définitions du Dictionnaire
Vivant de la Langue Française121, tous les termes décrits sont très proches séman-
tiquement et les uns servent à définir les autres, ce qui semble montrer qu’ils sont
considérés comme potentiellement synonymes :

– à colorier, le lexicographe associe comme synonymes : colorer, teindre, teinter


(ainsi que peindre) ;
– dans la définition de colorer, on retrouve colorier, teindre, teinter, mais aussi
bleuir, blanchir, jaunir, rosir, rougir, verdir ;

121 Dictionnaire en ligne duquel nous avons tiré ces listes de synonymes (www.dvlf.uchi-
cago.edu).

159
– le lexicographe propose entre autres pour teinter : colorer, colorier (ou encore
peindre), noircir ;
– et enfin à teinter sont associés colorer, colorier (et peindre), teindre.

Une vision différente est donnée par d’autres dictionnaires. Dans le TLFE sont
donnés comme synonymes du verbe colorier (choix sur ce verbe tout à fait
arbitraire) :
«  colorer, peindre, carminer, enluminer, peinturlurer, teindre et teinter  » (s. v.
COLORIER, TLFE).

Au contraire, dans le Dictionnaire des synonymes Le Robert, colorier n’a pas


d’entrées ; ce qui implique que selon les lexicographes de ce dictionnaire, que le
verbe n’a aucun synonyme. Par contre, sous colorer, on trouve :
« 1.  Teindre122, pigmenter, teinter
  2.  Colorier, peindre
 3. Empreindre, charger, teinter » (s. v. COLORER, Dictionnaire des synonymes,
Le Robert).

Il nous semble pourtant indubitable que ces renvois ne relèvent pas de synonymie,
comme le montrent d’autres définitions. On constate, par exemple en lisant la
définition de coloris qui étymologiquement est la base du verbe colorier, qu’il ne
peut s’agir que d’un seul type de manifestation chromatique selon la définition de
la sous-entrée 1. qui est le résultat d’un choix, par conséquent qui est intentionnel,
ce qui implique la présence d’un agent animé à l’origine :
« 1615 ; adj, XVIe italien colorito, de colorire « colorier ». 1. Effet visuel qui résulte du
choix, du mélange et de l’emploi des couleurs dans un tableau. « La vigueur et l’éclat
du coloris » DIDEROT. Beauté d’un coloris. La gamme de coloris d’un peintre.→
palette. 2. Couleur (du visage, des fruits) → carnation. Le coloris d’une pêche. Le
coloris des joues. → 1. teint. 3. FIG. Éclat d’un style imagé et vivant. couleur. « Le
style français qui a le plus de coloris » STENDHAL » (s. v. COLORIS, PR).

De même, le verbe colorier ne pourrait remplacer le verbe colorer dans certains


exemples :

3a)  L’automne colore les feuilles d’un vert tendre


3b)  *L’automne colorie les feuilles

122 Le mot en gras est le « premier synonyme », tel qu’il est expliqué dans la préface de
l’ouvrage.

160
Il est en outre remarquable d’une part, la mention dans un dictionnaire de certains
verbes et d’autre part, l’absence d’autres verbes. De l’observation par exemple
de colorer se laissent déduire deux choses : d’abord colorer a un trait sémantique
contraignant qui lui permet d’être associé à jaunir, bleuir, verdir, rosir, rougir ce
qui n’est pas le cas de colorier ni teindre. Deuxièmement, le fait que blanchir et
noircir ne se retrouvent pas dans cette énumération nous invite également à isoler
les deux formes. Pour confirmer cette observation, blanchir est par ailleurs cité
comme antonyme de colorer : le blanc est contraire à la couleur. Tandis que noircir
n’apparaît nulle part.

Évidemment, ces verbes ont un trait sémantique commun : la couleur. Mais le


procès qu’ils décrivent signifie des manifestations particulières de la couleur, se
distinguant par les conditions engagées pour la réalisation du procès : la présence
d’un agent animé ou non, d’une cause externe ou interne, d’un type de support.
Colorer est le moins exigeant de ces verbes123, c’est pour cette raison que nous
pensons lui attribuer le statut d’hypéronyme.

Après ce détour assez général par les dictionnaires qui justifie l’intérêt de notre
travail et notre démarche, nous allons procéder à une analyse détaillée de chaque
verbe en le comparant aux autres pour en distinguer les similitudes et les diffé-
rences. Nous procéderons en deux étapes : la première partie se composera d’une
description individuelle de colorier, d’une description de teindre en comparaison
de teinter suivie d’une comparaison de colorier et teindre. Puis, nous définirons
colorer en l’opposant aux trois unités précédentes. Nous commencerons la deu-
xième partie en examinant en premier nuancer, puis les verbes désadjectivaux.
Nous terminerons en les confrontant à colorer.

1. Colorier
La définition de colorier dans le TLFE est la plus courte des quatre. Ceci donne
déjà un indice important sur le type de procès qu’il désigne : il est défini de façon
plus restreinte, ce qui implique corrélativement des contraintes référentielles plus
importantes restreignant les conditions de réalisation du procès. Nous allons com-
parer ce verbe aux autres verbes mais plus particulièrement à teindre parce qu’il

123 Moins exigeant dans le sens où pèsent sur lui le moins de contraintes concernant le
type de sujet ou d’objet qu’il régit.

161
semble en être le plus proche par l’obligation (ou quasi-obligation) qui pèse éga-
lement sur teindre de signifier un procès dont l’origine est humaine et volontaire.
Cette partie se divisera en trois : d’abord une description de la présence indis-
pensable d’un agent humain, ensuite la spécificité de ce verbe en tant que verbe à
objet interne et nous terminerons en définissant les différents sujets qui peuvent
accompagner le verbe colorier. Ces différentes analyses permettront à la fin de
l’isoler des 4 autres verbes de façon définitive.

1.1. Agent humain


Comme les autres verbes, ce verbe est transitif et il signifie selon le TLFE :
«  Appliquer des couleurs sur un objet, une surface  ; mettre en couleur  » (s. v.
COLORIER, TLFE).

Le verbe appliquer utilisé dans la définition lexicographique informe sur le type


de sujet nécessaire au procès : il doit être humain et volontaire.
Comme nous allons voir ci-dessous, colorier est le seul verbe qui implique
référentiellement nécessairement une présence humaine ; il est certes possible
d’omettre la mention de l’agent dans une tournure passive en utilisant le nom de la
localisation comme sujet syntaxique :

4)  Ce dessin/Le (motif du)canard se colorie bien (à cet âge-là)

mais la présence humaine reste implicite puisqu’une activité est signifiée ; l’argu-
ment instrument peut également être porté par le sujet syntaxique :

5)  Ces feutres colorient bien/mieux que ceux-là

Cependant, de telles structures restent rares ; seules 2 occurrences ont pu être


répertoriées sur le moteur de recherche Google124 :
« Le grand, je l’habille avec des vêtements passés par une copine, quelques achats de
notre part. Il s’en fout des marques. Idem pour les affaires scolaires, il s’en cogne, du
moment que les feutres colorient bien lol » (http://forum.psychologies.com, consulté
le 29.06.13)

124 Nous nous sommes permis de corriger les fautes d’orthographe et de frappe, mais
n’avons jamais changé la syntaxe.

162
« Tu dis dessin Et déjà Les feutres colorient sur ta feuille. Tu dis récré Et déjà Tu
joues avec nous dans la cour » (http://jeunes.unicef.fr, consulté le 29.06.13)125

Quoi qu’il en soit, d’un point de vue référentiel, un agent humain est toujours à
l’origine du procès et il s’engage volontairement dans le procès. La présence d’un
agent, même implicite, distingue cette tournure des énoncés avec les autres verbes,
où seules des propriétés d’objet sont spécifiées qui ne dépendent pas d’une action
humaine :

6a)  Le raisin teint les doigts


6b)  La cochenille teinte en rouge/bien
6c)  Les reflets du soleil colorent la mer d’orange

En outre, dans le PR est ajoutée une précision discriminante très importante au


regard des autres verbes :
«  Appliquer des couleurs sur une surface (SPECIALT du papier)  » (s. v.
COLORIER, PR).

Le lieu où se réalise le procès (la surface) est ici précisé (particulièrement du


papier). Une telle spécificité n’est pas exigée avec les autres verbes  : les lieux
sont des plus variés, n’étant aucunement restreints. Le dictionnaire Lar. complète
encore cette définition :
« Appliquer des couleurs dans les espaces délimités par les contours d’un dessin ».

Il est remarquable que la mise en couleur soit pour ce verbe des plus limitées. Cette
exigence confirme la nécessité d’un agent humain et volontaire : il faut mettre en
couleur un espace déterminé, ce qui nécessite une habilité et une volonté d’action.
Cette singularité portant sur l’objet l’isole des autres verbes.

1.2. Verbe à objet interne


Dans l’hypothèse de Levin & Rappaport (1994), ce verbe est comparé au « butter-
verb » avec l’idée qu’au terme du procès une surface (syntaxiquement l’objet du
verbe) est recouverte d’une matière signifiée par la base du verbe, le beurre pour
beurrer ou la couleur/le coloris pour colorier.

125 La phrase « En plus j’adore la manière dont ces feutres colorient! JE VEUX LES
MEME!!  » (http://myssbluestar.deviantart.com) avait également été trouvée, mais
n’est désormais plus accessible.

163
Une différence est toutefois à noter. Même si les deux verbes beurrer et colorier
ont des localisations bien spécifiques : ne se beurre qu’un nombre restreint d’ob-
jets (une tartine, un sandwich, du pain) comme ne se colorie qu’un type de choses
(un canard, un dessin), pourtant seul colorier accepte l’omission de la mention de
l’objet :

Qn beurre qc vs *qn beurre


Qn colorie qc/qn colorie

Colorier est catégorisé parmi les verbes transitifs à objet interne126. L’objet est
dans la composante lexicale du verbe. Selon Fellbaum & Kegl (1989)127 cité par
Roberge (2004 : 5), les verbes tels que manger dans :

7a)  J’ai déjà mangé


7b)  J’ai mangé une soupe

ont deux sens selon l’emploi inergatif (intransitif)128 ou transitif :


« (13a) Manger1 : inergatif, manger un repas, incorpore la composante “objet”
(13b) Manger2 : transitif, avaler de la nourriture d’une certaine manière, incorpore la
composante “manière” ».

La composante « objet » déjà présente dans le sens du verbe inergatif permettrait


sa non-mention129. Son absence dans le second exemple induirait qu’il s’agisse
d’un deuxième sens avec lequel sa mention phrastique est obligatoire. Dans la
même perspective, colorier signifierait deux choses différentes  : dans un em-
ploi inergatif, il désignerait le procès comme une activité faite pour elle-même

126 Cette construction est aussi appelée à objet nul (cf. Yves Roberge, 2004). Nous n’en-
trons pas dans les détails du choix de la dénomination ou de la particularité de ces
verbes, nous nous en tenons au fait qu’il a un emploi transitif et un emploi intransitif
sans changement de sujet syntaxique. Cette propriété opposera colorier aux autres
verbes qui sont essentiellement transitifs et aux verbes désadjectivaux qui ont égale-
ment un emploi intransitif mais avec passage de l’objet en position sujet.
127 FELLBAUM, C. & KEGL, J (1989), «  Taxonomic structures and cross-category
linking in the lexicon”, in Escol, pp. 93–104.
128 S’appelle inergatif un verbe qui admet l’omission du complément tout en gardant
pour sujet syntaxique le sujet qu’il aurait dans une tournure transitive.
129 Roberge (2004) critique cette position, mais elle nous satisfait dans le cadre de nos
propos. De plus, une analyse des objets internes en tant que complément de verbes
transitifs s’éloigne trop de notre propos pour être menée ici.

164
(comme marcher ou danser) tandis que dans un emploi transitif, la localisation,
indifférente dans le cas d’une structure inergative du procès, serait mise en relief.
En d’autres termes, ce qui importe serait « ce qui est coloré » et non plus le pro-
cès en lui-même de s’adonner à cette activité. Ceci justifie sans doute le fait que
beurrer tolère difficilement cet emploi inergatif ; il paraît en effet peu probable
que le procès soit considéré comme une activité : ce qui est importe est la surface
qui est beurrée.
Les autres verbes (teinter ou colorer) n’admettent pas cette tournure : ils n’ont
pas d’objet interne. Dans le cas de teindre, en construisant un contexte particu-
lier, l’omission de l’objet est envisageable mais reviendrait à considérer le procès
comme une activité à part entière (de même que pour colorier) ; dans ce contexte,
l’activité, ne se concevant pas comme une activité ponctuelle, signifierait alors la
profession :

8a)  Il teint toute la journée


8b)  Il a teint toute sa vie

1.3. Sujet syntaxique potentiel


Une autre distribution des rôles thématiques permettrait un emploi intransitif avec
teindre. Il faudrait dans ce cas-là que la position sujet soit remplie par l’argument
porteur du rôle d’instrument :

9a)  La cochenille teint (bien)


9b)  L’indigo teint

Dans ces phrases, la matière est donnée comme ayant la propriété de remplir le
procès, c’est sa fonction pragmatique. Parallèlement sera possible (même si un
peu incongrue) avec colorier la séquence déjà citée ci-dessus :

5)  Ces feutres colorient bien

La mention obligatoire de l’adverbe reflète la différence de sens des deux procès


et confirme ce que nous venons de dire. Dans le cas de teindre, la mention d’une
évaluation n’était pas obligatoire puisqu’il était question d’une caractéristique de
la matière dans le sens de :

Cette matière a la propriété physique de teindre, elle peut être utilisée pour teindre

165
L’utilisation du verbe modal pouvoir dans la phrase explicative ci-dessus montre
que cet usage est une possibilité mais la cochenille est d’abord une plante, avec
laquelle on a constaté qu’il est possible de teindre. La cochenille ne porte pas en
elle cette fonction particulière. Pour cela, il faudrait qu’elle ait été conçue dans ce
but, ce qui n’est évidemment pas le cas. Les feutres, en revanche, sont construits
(produits) avec la finalité ou la fonction de colorier. Par conséquent, en voulant
évoquer leur caractéristique, comme ce ne peut être en termes de propriété d’ob-
jet rendant quelque chose de possible (défini par « ayant la possibilité de (parmi
d’autres éventuellement)  »), ce sera en termes de qualité («  répondant plus ou
moins bien à la fonction prédestinée de ») d’où l’idée de jugement qui peut être
rattachée à l’occurrence : le but est atteint ou non. Dans cet exemple, le sens de
colorier perd son sens de base (« pratiquer une activité qui a pour désignation
colorier ») pour ne signifier que fonctionner d’où le caractère indispensable de la
mention de l’adverbe qui évalue le procès.
Il s’avère de plus que le type de sujets possibles dans cette construction, c’est-à-
dire les instruments possibles pour le procès, sont restreints : ce doit être un objet
de la forme d’un crayon, munie d’une mine (crayon de couleur ou feutre) ou d’un
bout qui colore (pastel)130. Alors que pour teinter et colorer, il n’est plus forcé-
ment seulement question d’instrument mais parfois également d’origine, comme
le confirme l’incongruence de l’emploi avec la préposition caractéristique d’un
complément instrumental avec :

10a)  *Il teinte ses lunettes avec le soleil


11a)  *La mer se colore avec les reflets du soleil

Serait préférable l’emploi dans ces tournures passives de la préposition à qui mar-
querait alors une sorte de localisation qui expliquerait la cause ou de qui signifie-
rait l’agent involontaire du procès, donc l’origine ou la cause :

10b) Ses lunettes se teintent au soleil (c’est lorsqu’elles sont au soleil qu’elles se


teintent)
11b)  La mer se colore des reflets du soleil

130 Il est mentionné dans les différents lexiques que colorier peut se faire avec de la pein-
ture. Dans ce sens, il s’opposerait à dessiner. Il s’avère que ce sens est précisé comme
vieux et que nous ne l’avons trouvé nulle part, ni dans nos recherches sur un moteur
de recherche comme Google, ni sur la base de données Frantext. Nous ne tenons donc
pas compte de ce sens qui nous semble « inhabituel ».

166
De là, se déduit le type d’origine potentielle du procès : humaine ou non. Comme
colorier désigne une activité, le sujet sera humain : c’est quelqu’un qui colorie. Le
seul cas où cet humain pourra ne pas être mentionné est lorsque l’instrument est
en position sujet. Alors, le verbe modifie son sens pour ne viser que le fonction-
nement (bon ou mauvais) de l’instrument. Pour les autres verbes, lorsqu’un sujet
syntaxique est non humain, il désigne l’instrument de la coloration (cochenille,
type de teinture) ou l’origine (le soleil…). Tous ces types de référents peuvent être
rassemblés sous le nom de cause externe du procès (ce qui est à différencier des
sujets de colorier) :

12a)  Des reflets rouges teintent/colorent le ciel


13a)  Le jus de raisin teint les doigts131

Syntaxiquement les deux types d’arguments sont distincts dans la mesure où


seules les causes entrent dans des structures passives :

12b)  Le ciel est coloré par les reflets du soleil


13b)  Les doigts sont colorés par la cochenille
14)  *Le dessin est (bien) colorié par les feutres

En revanche, une tournure passive est possible lorsque le sujet syntaxique porte
l’argument de localisation. Dans ce cas peut ne pas être mentionnée la cause (le so-
leil couchant, des propriétés atmosphériques), ni l’agent (dans le sens de personne
active) dans le cas de colorier :

15a)  Le coton est facilement teint


15b)  Le ciel est coloré les soirs d’été
15c)  La mer est teintée de rose au soleil couchant
15d)  Le dessin est bien colorié132

Ce qui signifierait que cette « localisation » possède la propriété caractéristique


au préalable, intrinsèquement, l’aptitude de «  subir  » ce procès avec une fin
satisfaisante. La subjectivité d’un tel énoncé se confirme par l’ajout préférable

131 Nous reparlerons de ces emplois au sein du § 2. concernant teindre et teinter.


132 Le dessin est bien colorié signifie en fait que l’agent a colorié le dessin de façon satis-
faisante, seule la personne peut être responsable de cet acte. La cochenille teint bien
le coton signifie que la cochenille a des propriétés physiques/naturelles lui permettant
de colorer de façon satisfaisante ce type de matière.

167
d’un adverbe évaluatif bien, mal ou facilement Cette tournure est en général don-
née comme parallèle à une tournure passive pronominale :

16a)  Le coton se teint facilement


16b)  Le ciel se colore les soirs d’été
16c)  La mer se teinte de rose au soleil couchant
16d)  Ce dessin se colorie facilement

L’observation de la tournure active équivalente révèle la raison de la différence


entre l’acception de cette tournure avec colorier, avec un argument de loca-
lisation comme sujet, mais pas celle où l’argument sujet syntaxique était un
instrument :

17a)  On peut bien teindre ce tissu


17b)  On peut facilement colorier ce dessin (à cet âge-là)

L’utilisation de pouvoir signifie que le procès est jugé, évalué comme possible.
Dans le cas de la mention de l’instrument (crayon, feutre), la phrase est inaccep-
table à cause de son inadéquation sémantique parce que le jugement en lui-même
est étrange puisque l’objet, destiné à être instrument, n’a pas, logiquement, à être
évalué à ce niveau-là.
Le classement de Levin & Rappaport confirme nos déductions. Ces linguistes
ont classé ce verbe avec écrire dans une catégorie caractérisée par :
« animate intentional et volitional agent as subject ».

Ce sont aussi les deux traits que nous avons mis en avant pour isoler ce verbe :
la présence d’un animé qui a une intention et d’un sujet comme agent volontaire.

Maintenant nous allons procéder à la comparaison de teindre et teinter qui


bien que très semblables, phonétiquement, étymologiquement ainsi que séman-
tiquement, désignent deux procès qui peuvent être différents133. Nous déve-
loppons notre analyse sur les définitions lexicographiques du TLFE qui nous
ont semblé les meilleures sources pour présenter leurs similitudes et leurs
différences.

133 Peuvent, parce qu’on trouve dans les lexiques des emplois similaires.

168
2. Teindre et teinter
Suite à l’observation des verbes chromatiques dans le dictionnaire, nous nous
sommes aperçue que teinter et teindre partageaient la même base latine : tingere.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de les confronter afin de déterminer
le (ou les) trait(s) sémantique(s) qui les sépare(nt) et qui justifie(nt) la formation de
deux unités lexicales différentes. Les similitudes des deux verbes sont évidentes
lorsqu’on lit les définitions du TLFE. Nous allons pouvoir déduire de la comparaison
des deux définitions à quel niveau les divergences spécificatrices apparaissent.
Au terme d’une observation globale des deux définitions lexicographiques du
TLFE, nous avons constaté que les deux articles ont la même structure. Chaque
entrée a trois sous-entrées organisées de façon parallèle : chaque unité a une entrée
A, une entrée B et une entrée C ; les entrées A et B se distinguent selon le type de
sujet : qqn ou qqc, [-humain] et [+humain] et C définit le sens figuré.

2.1. Définitions lexicographiques


1. TEINDRE (La typographie est celle du TLFE)
A. − 1. Empl. factitif. Qqn teint qqc.1à (avec, de) qqc.2. Imprégner d’une subs-
tance colorante (d’origine végétale, animale, minérale ou chimique) afin de chan-
ger la couleur naturelle.
a) [L’obj. dir. désigne un textile ou un autre matériau] Teindre du drap, du fil,
de la laine, de la soie ; teindre la corne, le cuir, la fourrure, l’ivoire ; teindre du
papier, des textiles synthétiques. Depuis longtemps on savait, dans ces contrées
[ibériques], travailler les peaux, les tanner, les assouplir et les teindre au moyen
de substances végétales diverses (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921,
p. 290). Des hommes par exemple qui auront à filer, à tisser, à teindre des étoffes,
se placeront près d’eaux courantes pures (Brunhes, Géogr. hum., 1942, p. 85).
♦ Drap teint en laine. « Drap dont la laine a été teinte avant d’être employée à
fabriquer l’étoffe » (Ac. 1835–1935).
♦ Teindre en + subst. désignant la couleur obtenue. Des pièces uniques (…)
comme l’Évangile sur vélin teint en pourpre, couleur rose séchée, du VII e siècle
(Morand, New-York, 1930, p. 135).
Empl. pronom. à sens passif. Accepter, prendre les colorants. Le maroquin (…) est
par excellence le cuir de reliure ; il est très résistant, mais très cher. Il se teint en
toutes couleurs (Civilis. écr., 1939, p. 12–3).

169
♦ Teindre de + subst. désignant la substance colorante. Le mouchoir bleu de sa
femme est de coton et teint d’indigo (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 131).
− En partic. Teindre en + subst. désignant la couleur obtenue. Faire prendre à une
étoffe, à un vêtement déjà teints, une coloration nouvelle en les plongeant dans une
substance colorante. Faire teindre une robe en vert. Bon-papa mourut à la fin de
l’automne, après une interminable agonie ; ma mère s’enveloppa de crêpe et fit
teindre en noir mes vêtements (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 174).
b) [L’obj. dir. désigne les cheveux, la barbe, les ongles d’une pers.] Ce pied (…)
dont on teignait les ongles avec le jus des coquillages et que les hommes en joie
appuyaient contre leurs lèvres (Flaub., Tentation, 1849, p. 221). Une dame
« comme il faut » ne devait ni se décolleter abondamment, ni porter des jupes
courtes, ni teindre ses cheveux (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 82).
− Empl. pronom. réfl. indir. Le généralissime égyptien, sortait du bain et se faisait
teindre la barbe au henné (Grousset, Croisades, 1939, p. 356). Ils m’ont accusé en
riant de me teindre les cheveux (J. Green, Journal, 1945, p. 203).
♦ Se teindre (les cheveux, la barbe) en + subst. désignant la couleur obtenue. Abd-
el-Kader se teint la barbe et les cils en noir, ce qui est assez drôle pour un si saint
homme (Mérimée, Lettres ctessede Montijo, t. 2, 1865, p. 278).
♦ Absol. Vous connaissez Ragotte. Est-ce qu’elle se teint ? (Renard, Journal, 1909,
p. 1227). Se teindre en + subst. désignant la couleur obtenue. Je m’étais fait pla-
tiner les cheveux… (…). Mais je n’avais pas pensé, qu’une fois décolorée, il fau-
drait, ou continuer, ou alors se teindre en noir, en attendant que les cheveux ne
repoussent (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 319).
− Empl. pronom. à sens passif. − Andrea, murmurait cependant Bastien, Andrea
avait les cheveux blonds ; mais les cheveux se teignent, et c’est bien lui! C’est lui, je
le jurerais sur le salut de mon âme! (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 309).
2. Qqc.2teint qqc.1.[Le suj. désigne une substance colorante] Communiquer sa
couleur à, colorer de manière durable ou définitive. Le brou de noix, le jus de
raisin, de mûres teignent les mains. La pourpre de Tyr teint l’ivoire de l’Inde, ou
la laine la plus blanche de Milet (Chateaubr., Martyrs, t. 3, 1810, p. 163). À cette
matière colorante ou pigment qui teignait le chloroplaste on donne le nom de
chlorophylle (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 49).
3. Au part. passé. [Corresp. à supra 1 ou 2] Les petites marchandes de cigarettes
de Péra (…) ont le bout des ongles teint en rouge (Larbaud, Barnabooth, 1913,
p. 306). Son visage exigu [d’un vieillard] s’encadrait de favoris teints (Arnoux,
Roi, 1956, p. 102).

170
− En partic.
♦ Synon. de maquillé. Les femmes avec (…) leurs doigts rougis de henné, leurs yeux
teints de kohl, regardent (…) dans des attitudes pensives, empreintes de cette grâce
triste et de cet éclat sombre des pays chauds (Barrès, Cahiers, t. 4, 1905, p. 7).
♦ Être teint(e). Avoir les cheveux teints. À l’autre table (…) un très jeune homme et
une femme plus âgée causaient à mi-voix, lui maigre et brun (…) elle vieillie, teinte
et fardée, avec un visage d’Institut de beauté (Bourget, Drame, 1921, p. 138).
B. − P. anal., littér. Qqc.2teint qqc.1de/en qqc.3
1. Colorer. − Vial, as-tu vu les raisins de la vigne ? As-tu vu que les grappes
sont déjà massives et teintes en bleu, si serrées qu’une guêpe n’y entrerait pas ?
(Colette, Naiss. jour, 1928, p. 47). La vigne (non taillée encore) teignait les col-
lines d’un rose qui n’a pas de nom (Mauriac, Journal 3, 1940, p. 294).
♦ Empl. pronom. Le cavalier passa (…) Quand il eut passé, elle soupira longue-
ment (…) puis (…) dit à demi-voix : − Mon mari! Sur ce mot, son visage se teignit
de pourpre (Feuillet, Mariage monde, 1875, pp. 38–39).
2. En partic.
a) [Le suj. désigne une source lumineuse] Donner une coloration nouvelle.
La lune luit sur le gazon, et teint au loin le flanc bleuâtre des collines (Nerval,
Lorely, 1852, p. 45). La clarté rougeâtre et fumeuse d’une petite lampe de terre,
qui teignait encore les objets atteints par elle (Gobineau, Nouv. asiat., 1876, p. 94).
− [Le compl. prép. précise la coloration] La pleine lune semblait teindre en jaune
le vieux bâtiment sombre (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Confess. femme, 1882,
p. 801). Dès que le soleil décline, teignant de pourpre les eaux, elles [les bécasses]
se hâtent vers la source prochaine (J. Pesquidoux, Chez nous, 1921, p. 209).
♦ Empl. pronom. à sens passif Je regarde l’avenue, le talus brûlé, se teindre des
couleurs de l’aube (Colette, Entrave, 1913, p. 265).
b) [Le suj. désigne du sang] Couvrir, maculer. Qu’aperçois-je sur la bruyère ?
Hélas! Deux guerriers teints de sang… La mort a fermé leur paupière ; Le glaive
est encor dans leur flanc (Baour-Lormian, Ossian, 1827, p. 116).
− Au fig. Etre teint de sang, avoir les mains teintes de sang. Avoir ordonné ou
commis des meurtres. Si ces mains (…) ne sont pas teintes d’un sang innocent,
j’en remercie le hasard (Mérimée, Théâtre Cl. Gazul, 1825, p. 111). L’exil (…)
C’est la peine infligée à l’innocent, au juste, Et dont ce condamné, sous Tarquin,
sous Auguste, Sous Bonaparte, rois et césars teints de sang, Meurt (Hugo, Année
terr., 1872, p. 302).

171
C. − Au fig. Qqn teint qqc.1(de qqc.2). Imprégner, marquer d’un caractère, d’une
manière d’être. Teignant votre nature aux mœurs de tous les hommes Voyageurs,
vous irez comme d’errants flambeaux (Hugo, Rayons et ombres, 1840, p. 1060).
Dans la perception sensible, nous réagissons pour teindre de notre caractère
subjectif l’impression éprouvée (Blondel, Action, 1893, p. 214).
− Empl. pronom. Comme les imaginations étaient remplies des chansons des trou-
badours et des aventures des croisades, les mœurs se teignirent de ces couleurs
(Chateaubr., Ét. ou Disc. hist., t. 4, 1831, p. 6). C’est surtout une riche nature
morale [Sisgondi], sympathique, communicative, qui se teint des milieux où elle vit,
qui emprunte et qui rend aussitôt (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 6, 1863, p. 28).

2. TEINTER
A. − Empl. factitif. Qqn teinte qqc.1de qqc.2
1. Couvrir d’une teinte. Teinter de rouge, de jaune, certaines parties d’un plan
(Ac. 1835–1935). Quand vous teintez des cuirs, essayez votre teinture sur un mor-
ceau de peau sacrifié à cet effet, pour bien vous rendre compte de ce que vous
faites, car il n’est rien de capricieux comme les colorations (Closset, Trav. artist.
cuir,1930, p. 42). L’ébéniste augmente sensiblement la gamme de ses couleurs en
teintant ses bois (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 90).
♦ Empl. pronom. à sens passif. Il faut rappeler aussi que le produit bien connu,
breveté sous le nom de cellophane, est une cellulose pure, régénérée de la viscose
et peut s’obtenir en lames épaisses et se teinter (Cl. Duval, Verre, 1966, p. 118).
− LITHOGR. « Colorer la pierre à la sanguine ou avec tout autre produit pour
permettre au graveur de mieux suivre la trace de son burin » (Des.-Muller Impr.
1912). Certains graveurs teintent leurs planches à la sanguine et d’autres pré-
fèrent le noir de fumée (Chelet, Lithogr., 1933, p. 74).
− P. métaph. L’influence du « machiavélisme », qui gagna rapidement tous les
milieux dirigeants d’Europe, allait teinter jusqu’à nos jours d’une couleur indélé-
bile la notion de diplomatie (Chazelle, Diplom., 1962, p. 19).
2. Ajouter à une teinte, à une substance, une autre teinte ou une solution colorante,
afin d’en modifier la coloration. Pour être certain de procéder à un encol-
lage vraiment total, teinter légèrement la colle (même absorbée, elle se verra)
(Bonnel-Tassan 1966, p. 149).
B. − Qqc.2teinte qqc.1de, en qqc.3[Le compl. prép. précise la couleur donnée par
l’agent]

172
1. Colorer. On s’attabla beaucoup plus pour causer que pour manger et boire,
malgré les pâtisseries à croûte d’or, le vin d’or aussi, (…) qui teintait à peine le
verre (Pesquidoux, Livre raison, 1932, p. 4). La chlorophylle, qui teinte les feuilles
en vert chez les plantes exposées à la lumière, ne s’est pas formée à l’obscurité
(Camefort, Gama, Sc. nat., 1960, p. 315).
− Empl. pronom. à sens passif. Le cou de Poil de Carotte se teinte d’une crasse
bleue comme s’il portait un collier (Renard, Poil Carotte, 1894, p. 294).
2. Littéraire
a) [Le suj. désigne une source lumineuse] Donner une coloration légère à. Tout était
dans le noir, sauf une lueur de veilleuse qui teintait d’un reflet d’ocre une fenêtre
(Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1406). Le soleil couchant teintait de roux la
table réservée aux lectrices, la porte, le dos des livres (Sartre, Nausée, 1938, p. 202).
b) Empl. pronom. à sens passif. Synon. de se nuancer. Aux premières lueurs du
jour (…). Le fleuve se teintait de reflets roses et mauves (Rolland, J.-Chr., Matin,
1904, p. 121). Le soleil en sortit [des grandes Alpes] (…) l’air s’était teinté de rose
(Pourrat, Gaspard, 1930, p. 275).
C. − Au fig., empl. pronom. Prendre ou présenter tel caractère. Il y a loin de cet
attachement à la cité (…), au patriotisme qui est une vertu de paix autant que de
guerre, qui peut se teinter de mysticité mais qui ne mêle à sa religion aucun calcul
(Bergson, Deux sources, 1932, p. 294). Le droit se trouve souvent amené à tran-
cher des questions ayant trait à la santé. Dans le passé ces questions se teintaient
de morale (David, Cybern., 1965, p. 96).

2.2. Description et analyse des données


2.2.1. Sujet humain : préposition comme trait distinctif
En premier lieu, sous la sous-entrée initiale, les deux unités sont définies par rap-
port à la structure factitive dans laquelle elles s’intègrent avec un sujet humain,
ainsi schématisé en termes de syntaxe :

Qqn teint qqc de qqc.

Dans le cas de teindre, en plus de la préposition de, deux autres sont envisageables :
à ou avec. La préposition de est donnée entre parenthèses au côté de avec : à est
la préposition première. Cette différence de prépositions s’explique de suite grâce
aux termes utilisés pour définir les unités. Teindre signifie :

173
«  Imprégner d’une substance colorante (d’origine végétale, animale, minérale ou
chimique) afin de changer la couleur naturelle134 »

tandis que teinter désigne le procès de :


« Couvrir d’une teinte »

Pour teinter, la préposition est toujours de. C’est la même que celle utilisée par
exemple dans :

18a)  Le vent couvre la route de feuilles


18b)  Elle orne la table de fleurs

Ces compléments en de forment un groupe particulier de compléments. Les


feuilles, la teinte, les fleurs définissent ce avec quoi le procès se réalise. Cepen-
dant, à la différence des compléments introduits par avec, ils dépendent fonda-
mentalement du verbe et forment avec lui le noyau verbal, d’où l’incongruence de
tels exemples où ils sont omis :

19a)  *Le vent couvre la route


19b)  *Elle orne la table

Ce caractère de nécessité dans la phrase l’oppose aussi au complément résultatif


introduit par l’élément en puisque ces compléments, comme ceux régis par avec,
sont facultatifs. D’un point de vue sémantique, le fait que le complément soit
obligatoire ou non précise le sens du verbe. Dans le cas de teindre, le complément
prépositionnel introduit par en exprime le résultat du procès. Qu’il ne soit pas es-
sentiel montre que le procès en lui-même est plus important que le résultat, c’est-
à-dire la couleur résultante. Ce qui importe est ce qui a subi le procès (le matériau)
et ce qui en est la cause (la substance colorante). En revanche, concernant teinter,
la couleur est essentielle, le complément ne peut être omis. Le but du procès n’est
pas la transformation de la couleur comme avec teindre, mais la couleur qui va
«  cacher  » la couleur d’origine135. La possibilité d’utiliser d’autres prépositions

134 C’est nous qui soulignons. Ce sera le cas tout au long de cette partie.
135 Cette opposition prépositionnelle montre encore autre chose : le procès de coloration
avec la préposition en focalise sur l’idée de transformation en mettant en avant le
résultat (soit la nouvelle couleur) : par exemple, le vase est en mille morceaux, c’est la
transformation de « vase en un morceau » à « vase en mille morceaux » qui importe.
Avec de, le résultat est donné comme passif, comme les arbres qui bordent une route
bordée d’arbres (cf. Leeman, 1997).

174
ne va pas à l’encontre de ce que nous supposons puisque le complément garde
son obligation de présence136 comme le montrent les exemples que nous verrons
ci-dessus dans la sous-entrée B.
Cet emploi factitif se double d’un emploi pronominal à sens passif :
« Le maroquin (…) est par excellence le cuir de reliure ; il est très résistant, mais très
cher. Il se teint en toutes les couleurs (Civilis. écr., 1939, p. 123) »
« Il faut rappeler aussi que le produit bien connu, breveté sous le nom de cellophane,
est une cellulose pure, régénérée de la viscose et peut s’obtenir en lames épaisses et
se teinter (Cl. DUVAL, Verre, 1966, p. 118) ».

Dans ces structures, l’objet qui va être « mis en couleur » est le sujet syntaxique.
Les mêmes commentaires concernant les prépositions en, avec et de peuvent être
également observés.

2.2.2. L’objet
Les sous-parties 1a) et 1b) de la sous-entrée A de teindre se complètent selon le
type d’objet qui subit le procès : une partie du corps ou un autre objet (textile ou
autre matériau). Aucune distinction de ce type n’apparaît dans la définition de
teinter : le type d’objet ne semble pas être restreint.
Pour finir, nous voudrions attirer l’attention sur une différence de données dans
les deux articles qui éclaire sur le sens référentiel de ces deux verbes. Il s’avère
que seulement dans la définition de teindre est spécifié le type de complément
possible :
« [L’obj. dir. Désigne un textile ou un autre matériau] Teindre du drap, du fil, de la
laine, de la soie ; teindre la corne, le cuir, la fourrure, l’ivoire ; teindre du papier, des
textiles synthétiques. »
« [L’obj. dir. Désigne les cheveux, la barbe, les ongles d’ une pers.] ».

Cette restriction sur les objets qui peuvent être teints est une première distinction
importante entre les deux verbes. Deuxièmement, tous les procès supposés sur de
tels objets nécessitent une action humaine volontaire à l’aide d’un instrument appe-
lé teinture. Dans la description que nous avons faite, nous avons émis l’hypothèse
d’un emploi particulier et peu commun dans d’autres contextes. Il est toutefois

136 Sauf dans des cas particuliers et peu nombreux comme par exemple : le ciel teinte
la mer. La couleur produite est de suite recalculable, elle n’a alors pas besoin d’être
nommée. Dans tout autre cas où le résultat n’est pas si transparent, elle devra être
mentionnée.

175
mentionné dans tous les dictionnaires recensés et chaque fois sous la mention litté-
raire ; par exemple dans le Lar. :
« Soumettre quelque chose à l’action d’une substance qui lui fait prendre une couleur
déterminée : Teindre un habit en noir. Le brou de noix teint les doigts. Littéraire.
Imprégner quelque chose de telle couleur, le colorer : La lumière du soleil teignait la
mer en vertémeraude »
ou dans le PR :
« Imprégner d’une substance colorante par teinture (…). – Teindre les cheveux. –
Pass. Ce bois se teint mal. 2. LITTÉR. Colorer, teinter. « Jonque de nuages teinte
d’un violet épais  » COLETTE.-PRONOM  : «  Les sainfoins se teignaient d’ama-
rante » Fromentin ».

En imaginant remplacer le verbe teindre dans ces contextes par teinter, il serait
vraiment difficile d’expliquer la différence. Selon ce même dictionnaire (PR), la
différence se situerait au niveau de l’intensité de la coloration, pour teinter, elle
serait plus légère comme ce qui était décrit dans un des sens du TLFE :
« Couvrir uniformément d’une teinte légère, colorer légèrement »137.

2.2.3. Intensité, durée du procès


Les sous-parties 2 appartenant à l’entrée A mettent l’accent sur des particularités
sémantiques différentes des deux verbes. Le sens de teindre insiste sur la durée
définitive du résultat du procès :
« Communiquer sa couleur à, de manière durable ou définitive »

tandis que dans la deuxième on accentue l’idée de mélange au terme de la mise en


contact de l’objet qui teinte et de l’objet teinté :
« Ajouter une teinte à une substance, une autre teinte ou une solution colorante, afin
d’en modifier la coloration ».

2.2.4. Emplois littéraires


Sous l’entrée B (donnée comme littéraire et par analogie pour teindre et non spé-
cifiée pour teinter), le schéma distributionnel est identique :

Qqc teinte qqc de, en qqc

137 Cf. l’emploi figuré de teinte dans la partie précédente.

176
Les deux unités partagent la première définition, qui est une description donnée
comme synonyme de colorer. Néanmoins si les deux sont grammaticales dans
ce contexte selon le lexicographe, il nous semble que ce ne soit plus le cas
aujourd’hui ; cet emploi de teindre semble en effet quelque peu désuet et nous
doutons de son utilisation spontanément :
« B. – P. anal., litté. Qqc teint qqc de/en qqc. 1. Colorer (…) La vigne teignait les
collines d’un rose qui n’a pas de nom (MAURIAC, Journal 3, 1940, p. 294) » (s.v.
TEINDRE, TLFE)
« B. Qqc. Teinte qqc de, en, qqc. [Le complément prép. précise la couleur donnée
par l’agent] (…) Le vin d’or aussi, (…) qui teintait à peine le verre (PESQUIDOUX,
LIVRE raison,1932, p. 4). La chlorophylle, qui teinte en vert chez les plantes expo-
sées la lumière, ne s’est pas formée à l’obscurité (CAMEFORT ; GAMA ; Sc. Nat.,
1960, p. 315) » (s. v. TEINTER, TLFE).

La possibilité d’une tournure pronominale à sens passif est également mention-


née. Nous émettons toutefois les mêmes hésitations que celles évoquées ci-dessus.
Nous justifions notre doute sur le fait qu’il est précisé que c’est « un emploi litté-
raire et par analogie » :
« Le cavalier passa (…). Quand il eut passé, elle soupira longuement (…) puis dit à
demi-voix : - Mon mari ! Sur ce mot, son visage se teignit de pourpre (FEUILLET,
Mariage monde, 1875, pp. 38–39) »
« Le cou de Poil de Carotte se teinte d’une crasse bleue comme s’il portait un collier
(RENARD, Poil Carotte, 1894, p. 294) ».

Un autre paramètre est décrit, lorsque le sujet désigne une source de lumière :
« La lune luit sur le gazon, et teint au loin le flanc bleuâtre des collines (NERVAL,
Lorely, 1852, p. 45). La clarté rougeâtre et fumeuse d’une petite lampe de terre,
qui teignait encore les objets atteints par elle. (GOBINEAU, Nouv. Asiat., 1876,
p. 94) »
« Tout était dans le noir, sauf une lueur de veilleuse qui teintait d’un reflet d’ocre
une fenêtre (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1406). Le soleil couchant
teintait de roux la table réservée aux lectrices, la porte, le dos des livres. (SARTRE,
Nausée, 1938, p. 202) ».

De même que suggéré ci-dessus, l’exemple avec teindre semble moins naturel.
Un emploi pronominal à tournure passive est également disponible :
«  Je regarde l’avenue, le talus brûlé, se teindre des couleurs de l’aube. (Colette,
Entrave, 1913, p. 265) »
« Aux premières lueurs du jour (…). Le fleuve se teintait de reflets roses et mauves
(Rolland, J.- Chr., Matin 1904, p. 121). Le soleil en sortit [des grandes Alpes] (…)
l’air s’était teinté de reflets de rose. (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 275) ».

177
Remarquons que malgré la similitude de cause à l’origine de la coloration (la lu-
mière), le procès se réalise différemment. Tandis que pour teindre, on reste dans le
sens de base de changement total de couleur :
« Donner une coloration nouvelle »,

avec teinter, le lexicographe met en relief la « discrétion » de la mise en couleur :


« Donner une coloration légère à ».

Cette spécificité qualitative ne se retrouve d’ailleurs dans aucune autre sous-en-


trée, alors qu’elle est omniprésente dans d’autres dictionnaires comme nous le
verrons ci-dessous.
Cette divergence sémantique se reflète en syntaxe : teindre avec ce sens et im-
pliquant cette cause (lumière) peut introduire un complément précisant la colora-
tion introduit soit par de, soit par en :
« La pleine lune semblait teindre en jaune le vieux bâtiment sombre (Maupass.,
Contes et nouv., t. 1, Confess. Femme, 1882, p. 801). Dès que le soleil décline, tei-
gnant de pourpre les eaux, elles [les bécasses] se hâtent vers la source prochaine
(PESQUIDOUX, Chez nous, 1921, p. 209) ».

Aucune variante prépositionnelle n’est proposée dans la définition de teinter : le


verbe appelant pour des raisons sémantiques un complément particulier, dont la
nécessité se marque par la préposition de (cf. ci-dessus).

2.2.5. Sens figurés138


À ces sens concrets s’ajoute pour chaque unité un sens figuré qui semble être en
quelque sorte inversé :
« Prendre ou présenter tel caractère » (s. v. TEINTER)
« Imprégner, marquer d’un caractère, d’une manière d’être » (s. v. TEINDRE).

Avec ce sens, seule la préposition de est possible avec teindre :


« Qqn. teint qqc. (de qqc.) (…) Dans la perception sensible, nous réagissons pour
teindre de notre caractère subjectif l’impression éprouvée (BLONDEL, Action,
1893, p. 214) ».

138 Il est, d’ailleurs, également intéressant que seul colorier n’ait pas d’emploi figuré, ce
qui s’explique sans doute par l’importante restriction sémantique (obligation d’avoir
un sujet humain volontaire, un instrument et une localisation spécifique) pesant sur
ce verbe.

178
L’utilisation exclusive de la préposition de confirme ce que nous avons supposé
ci-dessus. Dans cet emploi figuré, le résultat est important puisque la phrase en
dépend (non seulement le sentiment n’est pas connu avant d’être mentionné mais
en plus c’est sur lui que porte l’intérêt illocutoire d’une telle phrase) ; de fait, de
sera utilisé parce que dans ce contexte, le complément est indispensable.

Bilan
Ainsi nous conclurons cette comparaison en confirmant l’hypothèse que nous
avons formulé au départ : les verbes ont des sens différents même s’ils ont des
emplois similaires. Teindre peut permuter avec teinter en contexte littéraire : les
deux emplois ne nous paraissent pas, cependant, aussi naturels l’un que l’autre139.
Teinter peut de même remplacer teindre dans certains contextes, par exemple « Je
regarde l’avenue (…) se teindre [se teinter] des couleurs de l’aube ». Néanmoins
teindre reste le verbe le plus spécifique pour dénommer un procès de coloration
à l’aide de teinture à cause agentive. Le support de même est plus déterminé : du
tissu, cuir, etc. ou une partie du corps et notamment les cheveux, comme le montre
la possibilité caractéristique dans ce cas-là d’omettre le lieu. Il est si implicite que
sa mention est redondante. La durée du résultat du procès est nettement plus courte
avec teinter qui en outre, signifie avec insistance que la coloration est légère. L’ab-
sence d’agent humain volontaire nécessairement impliqué rapproche ce verbe des
verbes désadjectivaux, comme nous allons le voir ci-dessous.
De plus, il a été intéressant de noter que comme le stipulent Levin & Rappaport,
d’un point de vue syntactico-sémantique, les particularités référentielles propres à
chaque verbe se reflètent dans les contextes syntaxiques dans lesquels ils entrent. Par
exemple, teinter est toujours suivi d’un groupe prépositionnel en de qui mentionne
la couleur parce que le résultat est plus important que le changement en lui-même.

3. Teindre et colorier
Ces deux verbes partagent une propriété (qui en inférera d’autres) qui va définiti-
vement les isoler des verbes teinter et colorer.

139 Ajoutons d’ailleurs que la similitude phonétique des deux unités est peut être également
à l’origine d’une confusion qui permettrait aux deux termes d’apparaître dans les mêmes
contextes. En outre, le fait qu’ils soient, en plus, proches sémantiquement réduit le
caractère incongru de l’utilisation dans certains contextes toutefois sujets à question.

179
La cause du procès est nécessairement agentive. Le sujet syntaxique est donc
souvent [+animé]  : la personne qui réalise le procès défini comme volontaire.
Cependant, il peut être omis pour que soit l’instrument soit nommé :

 5)  Ces feutres colorient bien/mieux que ceux-là


9b)  La cochenille teint bien

soit la localisation :

16a)  Le coton se teint facilement


   4)  Ce dessin/Le (motif du) canard se colorie bien à cet âge-là

Dans les deux cas, un instrument est également nécessaire : pour colorier, un objet
de type crayon et pour teindre de la teinture. Ce qui implique par définition la
présence d’un agent puisqu’un instrument en nécessite un. Cet argument est obli-
gatoire avec colorer et teinter.
De plus, les localisations sont en nombre plus limité puisque ce sont des
« lieux » qui doivent rendre possible le procès, or tout n’est pas « teignable » ni
« coloriable » : on ne peut pas teindre une chaise ni colorier un (vrai) nuage. Dans
les cas de teindre, le type de localisation se restreint à un tissu ou à des poils/che-
veux ; pour colorier, ce sera un contour quelconque dans lequel on applique une
couleur. Teinter et colorer comme nous allons le voir n’oblige aucune restriction.
En somme : tout peut teinter (ou colorer) n’importe quoi mais seuls certains
objets peuvent teindre ou colorier d’autres objets spécifiques (particulièrement
des surfaces).
La partie suivante concerne colorer que nous allons comparer aux trois unités
que nous venons de voir.

4. Colorer vs colorier, teindre, teinter


Colorer est un verbe transitif. Il ne pèse aucune restriction ni sur le sujet ni sur
l’objet qui peuvent être [± animé] :

20a)  Julie colore son jean/ses cheveux


21a)  Le coucher de soleil colore le ciel

Pragmatiquement tout peut colorer n’importe quoi. Cette diversité distribution-


nelle a des répercussions également sur le résultat d’une recherche lexicale que

180
nous avons entreprise : en voulant recensant les occurrences de colorer et colorier
(incluant leurs formes fléchies) dans l’ensemble des définitions du PR, il s’est
avéré que colorier n’apparaît que dans peu de définitions contrairement à colorer
qui sert à définir une cinquantaine d’unités lexicales.
D’un point de vue sémantique, le sujet syntaxique tiendra un rôle d’agent que
ce soit ce qui cause la coloration ou la couleur elle-même, dans le sens où il
désigne l’origine ou la cause de la coloration :

20b)  Le soleil/Du rose colore le ciel


21b)  La honte colore les joues de Malina

Cette valence (cause ou origine) se marque syntaxiquement par la possibilité pour


les sujets des tournures transitives (le soleil/la honte) d’être réintroduits par des
prépositions exprimant l’agent ou la cause, à cause de ou avec :

20c)  Le ciel se colore (de rouge) à cause/avec le soleil


21c)  Les joues de Malina se colorent (de rouge) à cause de la honte

La couleur pourrait être introduite par un complément en de, comme avec teinter, sauf
que ce complément n’est pas essentiel avec colorer alors qu’il l’était avec teinter :

20d)  ?Le ciel se teinte à cause du soleil

Lorsque le sujet syntaxique n’est plus ni la cause ni l’origine, ce sera le lieu de la


coloration : le ciel ou les joues. Ces emplois impliquent un passage à une tournure
intransitive et une pronominalisation du verbe. Selon Levin (1991 : 36), le pronom
réfléchi souligne que :
« the action described by the verb in the intransitive variant alternation is understood
to be directed toward the subject of the verb ».

En d’autres termes, le pronom marque un retour du sujet vers le procès. Ce n’est


pas le pronom datif relié au verbe se teindre et qui désigne, comme le confirme la
différence de valence, le possesseur de l’objet–lieu de la coloration.
Avec :

22a)  Malina se teint les cheveux

le pronom pourrait être remplacé par un pronom génitif :

22b)  Malina lui teint les cheveux

181
Ce qui implique que « se » ou « lui » avec teindre désigne le possesseur du lieu
de coloration et le sujet syntaxique en désigne l’origine. Dans le cas de colorer, la
même analyse est impossible, puisque le sujet syntaxique n’est pas l’origine mais
le lieu :

23a)  Le ciel se colore

Nous remarquons d’ailleurs qu’un emploi intransitif est alors possible. Avec se
teindre, il n’était possible que parce que le contexte était clairement donné : on ne
peut se teindre que les cheveux.
Dans le cas de colorer, une tournure similaire serait impossible :

23b) *Malina se colore

Comme nous l’avons mentionné au début, peu de restrictions pragmatiques


pèsent sur le verbe : tout peut tout colorer. De fait, la mention de la localisa-
tion semble indispensable. Ce qui oppose les deux exemples le ciel se colore et
*Malina se colore relève de ce que le ciel est spontanément interprétable comme
la localisation tandis que la quantité de possibilités de localisation définie par
Malina bloque l’emploi intransitif et exige la mention d’un lieu. Malina n’appa-
raît plus, dès lors, comme lieu mais comme agent. Il est alors significatif que se
colorer en emploi transitif n’accepte pour sujet qu’un agent du procès, de même
que se teindre. En emploi intransitif, le sujet syntaxique aura par contre le rôle
thématique de lieu :

24a)  Ses joues se colorent


24b)  L’eau se colore peu à peu

Dans ce cas-là, la mention de la cause ou origine n’est pas exigée.


Cette dernière remarque montre en fait que ce qui importe avec colorer est la
mention du lieu, donc ce qui est coloré et que la couleur finale ou la cause ne pré-
sente que peu d’importance. L’essentiel est la présence nouvelle de couleur, quelle
qu’elle soit. Dans la typologie de Levin & Rappaport, il s’avère que les verbes de
ce type permettent de telles tournures parce que la cause est interne. Nous allons
voir plus précisément leur théorie et ce qu’elle implique dans la partie suivante
traitant des verbes désadjectivaux.
Nous conclurons en disant que teinter partage avec colorer (dans certains
contextes) une propriété qui les distingue de colorier et teindre ; ces derniers :

182
« describe changing the color of an entity, usually by the application of some coating
that covers the surface of an entity and therefore, changes its color » (Levin, 1993 :
169).

Ce qui s’illustre sémantiquement par la possibilité pour teinter et colorer d’avoir


des sujets [-animé] alors que colorier et teindre exigent des sujets [+humain]140
parce qu’une application nécessite par définition un agent humain. D’autre part,
le changement de couleur pour teinter et colorer n’a pas nécessairement de cause
explicite alors qu’une volonté est indispensable pour teindre et colorier.

5. Nuancer
Selon les différents répertoires lexicographiques que nous avons examinés, le
verbe nuancer désigne le procès général de « utiliser des nuances » :
«  1. [Le suj. désigne l’agent] Modifier légèrement une teinte, soit en lui donnant
une intensité plus ou moins grande, soit en en variant modérément les composantes.
a) Qqn nuance qqc.de qqc. b) Qqn1nuance qqc. c)− Qqc.nuance qqc.
3. Emploi pronom. Acquérir des variations d’intensité ou de légères différences
de teinte dans sa couleur. a) Qqc.se nuance de qqc.(nom de couleur).b) Qqc.2se
nuance » (TLFE)
« de nuance, 1. Colorer en parcourant progressivement la gamme des nuances dans
une couleur ; assortir les nuances. Nuancer un couleur. Bleu nuancé de vert » (PR)
« Ménager des graduations dans les couleurs : Nuancer les bleus dans un tableau »
(Lar.)
« Nuancer de : jouer sur la nuance/se nuancer de : prendre des nuances différentes »
(DMC).

Le contenu sémantique commun à toutes ces définitions concerne la modification,


le changement comme le confirment les unités lexicales extraites des définitions :
« modifier », « variant », « variations », « différences » dans le TLFE, « parcou-
rant progressivement la gamme » dans le PR, « graduations » dans le Lar. et de
nouveau l’adjectif « différentes » dans la définition de Guillemard. La notion de
« légèreté » n’apparaît que dans les définitions élaborées dans le TLFE, mais au
vu de principes morphologiques, le contenu sémantique du verbe se construit en
même temps que la forme morphologique, les deux prenant pour base le contenu
sémantique et la forme de la base. De fait, le gain informationnel que nous avions
défini lors de la comparaison entre couleur et nuance qui mettait en avant la notion

140 Sauf si le sujet est l’instrument qui teint : la cochenille teint bien (exemple 20b).

183
d’étroitesse, de petitesse de l’espace de chaque degré (dénommé par nuance) est
transmise dans le sens du verbe. C’est ce qui implique cette « légèreté » et sans
doute le but recherché par l’auteur de la définition par l’utilisation de l’adverbe
« progressivement ».

6. Les verbes désadjectivaux


Les verbes désadjectivaux sont construits morphologiquement par conversion141
sur des adjectifs de couleur, nous avons recensé blanchir, bleuir, jaunir, noircir,
rougir, verdir.
Une première observation concerne le nombre d’unités recensées. Tandis
que, comme nous l’avons déjà plusieurs fois mentionné, la langue permet mor-
phologiquement la construction de nouvelles unités très facilement dans le
domaine nominal, le nombre si bas de verbes existants est alors remarquable. Ce
nombre paraît de plus bien défini : il semble en effet que la base de ces verbes
ne puisse être un adjectif construit (*marroner, *framboiser142, *moutarder),
ce qui exclut toute nouvelle construction143. Notre seconde remarque concerne
l’environnement thématique de ces unités, qui s’avère fortement restreint : de

141 Pour une discussion sur l’opération morphologique, nous renvoyons à une question à
laquelle Timmermann (2002 – note 2, p. 84) répond en ces termes : « La série des verbes
de couleur en –ir est-elle le résultat de la conversion ou de la dérivation ? Cette question
est loin de faire l’unanimité parmi les linguistes. Si p. ex. D. Corbin (1987 : 234, 434,
479 et 539) range blanchir (comme pars pro toto) parmi la conversion, U. Wandruszka
(1976 : 82) range les verbes de couleur tels, blanchir, rougir, verdir, jaunir etc.,  sous
la suffixation. Quant à nous, si la position de D. Corbin nous paraît de loin préférable,
c’est que –ir ne représente nullement un suffixe ; il s’agit là évidemment d’une dési-
nence (qui entre dans le paradigme grammatical d’un même mot). Cf. pour la différence
entre affixe et désinence, A. Martinet (1960 : 136 sq.), F. Rainer (1993 : 35 sqq.) et
U. Wandruszka (1976 : 14 sqq) ». Nous admettons comme lui l’hypothèse de D. Corbin.
142 P. Delerm, néanmoins, écrit : « C’est drôle, les voitures ont allumé leurs phares, et le
feu rouge se framboise au bout de l’avenue. », (Trottoir au soleil, 2011, p. 142–143),
cependant aucun dictionnaire ne fait mention de ce verbe.
143 Quelques exemples paraissent cependant contredire cette hypothèse, tels que ocrer ou
oranger, roser mais ils sont d’une part peu nombreux d’autre part pas référencés dans
tous les dictionnaires (dans le TLFE et seulement roser dans le PR). Nous évoquerons
juste une raison étymologique qui de même autorise certains adjectifs chromatiques
construits à s’accorder exceptionnellement en genre et en nombre (rose(s), orange(s)
vs marron, moutarde).

184
lourdes contraintes pèsent sur les arguments, ce qui restreint le choix du sujet et
du complément.
Au regard des définitions lexicographiques et des renvois synonymiques qui
tendaient à montrer une certaine synonymie comme chaque verbe renvoie cycli-
quement à un autre (cf. le détour par les dictionnaires dans l’introduction à cette
partie), nous avons remarqué qu’au sein de cette catégorie de verbes morpho-
logiquement identiques se dessinent deux sous-ensembles. Nous avons en effet
constaté que colorer possède un trait sémantique lui permettant d’être relié à jau-
nir, bleuir, verdir, rosir, rougir. Les deux verbes blanchir et noircir ne se retrou-
vaient pas dans cette énumération. Blanchir est en revanche cité comme antonyme
de colorer : le blanc est opposé à la couleur. Tandis que noircir n’apparaît nulle
part. Ces deux dernières remarques ont conduit à isoler ces deux verbes des autres.
Jugement qui se justifie au regard de l’environnement argumental  : ce sont les
deux seuls verbes dont le sujet peut être un agent [+animé], pour les autres si le
sujet est [+animé], il est patient et non agent :

25)  Julien noircit les cases


26)  Julien rougit

En ce qui concerne les verbes chromatiques, les variations sémantiques suscep-


tibles d’entraîner une structure argumentale particulière touchent les propriétés de
ce qui cause la modification chromatique ; en d’autres termes, pour une descrip-
tion de ce type de verbes, il faut tenir compte du degré d’agentivité ou de causalité
impliqué dans le procès.
On observe en effet que selon le type de cause, le verbe entre dans trois struc-
tures différentes :

(i)  une tournure exclusivement transitive : Julien noircit les cases


(ii) une structure qui peut alterner entre une forme transitive et une forme
intransitive :

27a)  L’infection rosit/rougit le blanc de ses yeux


27b)  Le blanc de ses yeux rosit/rougit

(iii) enfin une tournure exclusivement intransitive :

28) Quant au gazon du tramway, ajoute-t-il, s’il jaunit, ce n’est pas grave.


Il reverdira en septembre

185
Comme nous le verrons par la suite, colorer a les mêmes possibilités distribu-
tionnelles.
Nous commencerons par décrire les verbes qui alternent pour ensuite déduire
les contraintes qui pèsent sur ceux qui ne sont que transitifs et sur ceux qui ne sont,
au contraire, qu’intransitifs.

6.1. Théorie de Levin & Rappaport


Levin & Rappaport, dans leur description du lexique verbal, classent les verbes
chromatiques parmi les verbes de changement d’état. Comme l’avait remarqué
Dixon (1982144, cité par Levin 1991 : 96), ces verbes sont souvent d’un point
de vue morphologique désadjectivaux. La qualité signifiée par la racine est une
caractéristique physique, une couleur ou une température. Sémantiquement, une
modification chromatique désigne par excellence un changement d’état.
Un autre point se révèle important : ces adjectifs sont comme les a dénommés
Carlson (1977) des «  stage-level adjectives  ». Ils s’opposent aux «  individual-
level adjectives » qui désignent des propriétés inhérentes immuables ou perma-
nentes. Les adjectifs qui construisent des verbes de changement d’état nomment
des « temporary properties or transitory activities of entities ». Implicitement ceci
signifie qu’un argument pour qu’on puisse lui appliquer un verbe de ce type doit
désigner un objet dont la couleur n’est que temporaire.
Ensuite, comme le prévoit le cadre théorique de Levin & Rappaport, selon
lequel le partage de propriétés sémantiques reflète des distributions syntaxiques
similaires, tous ces verbes ont une disposition syntaxique commune  : ils parti-
cipent à ce qu’on appelle l’alternance causative ou inchoative (ceci soumis toute-
fois à certaines conditions).
Cette transformation syntaxique se définit comme l’alternative qu’un verbe a
d’entrer dans une tournure intransitive qui est une variante de sa tournure transi-
tive. L’argument externe de la tournure transitive, c’est-à-dire le terme en position
sujet et qui désigne thématiquement la cause est alors omis, ce qui laisse un vide
syntaxique qui sera rempli par le seul argument qui reste, autrement dit l’argument
interne du verbe, celui qui occupait la position objet de la forme transitive comme
dans le couple d’exemples 27a) et 27b) : L’infection rosit/rougit le blanc de ses
yeux et le blanc de ses yeux rosit ou rougit.

144 DIXON, Robert M. W. (1982), Where Have All the Adjectives Gone ? and other
Essays in Semantics and Syntax, Berlin, Mouton de Gruyter.

186
Cet argument interne est le lieu où s’opère la coloration.
Comme énoncé dans l’hypothèse avérée de Jackendoff (1990)145, un rôle thé-
matique et un seul est assigné à chaque argument et l’argument conserve ce même
rôle quelles que soient les positions syntaxiques qu’il occupe. De fait, le rôle thé-
matique de thème qui est assigné à l’argument objet de la forme transitive, soit
l’argument interne est aussi attribué à l’argument sujet de la forme intransitive.

6.2. L’argument externe


L’argument externe, c’est-à-dire le sujet de la forme transitive qui sera effacé lors
du passage à la forme intransitive, désigne la cause du procès. Cette cause est don-
née comme responsable du procès de l’extérieur : elle est, en fait, un intermédiaire
entre l’argument interne et le procès dans la mesure où c’est elle qui active la ou
les propriétés de l’objet désigné par l’argument interne qui vont permettre la réali-
sation du procès. Levin l’oppose à cause interne qui désigne la cause d’un procès
dont le déroulement ne dépend que des seules propriétés de l’objet qui a sa couleur
modifiée. Par exemple, selon cette théorie, dans :

29)  L’emploi d’un anti-mousse ternirait et jaunirait la surface du marbre

l’emploi d’un anti-mousse désigne une cause externe parce que le marbre n’a
pas de façon intrinsèque toutes les propriétés inhérentes pour accomplir le procès
par sa seule action. Il s’avère que les causes impliquées dans des tournures qui
alternent possèdent toujours la spécificité d’être des causes externes. Levin (1993)
émet l’hypothèse que :
« we thus assume that the intransitive verbs which have transitive uses are externally
caused, while those intransitive verbs which do not are internally caused ».

Ce qui s’explique aisément puisque si la cause est interne, référentiellement l’objet


a la possibilité de changer de couleur seul, grâce à l’action de ses propriétés intrin-
sèques. Par conséquent linguistiquement aucune cause n’est et ne peut être mention-
née. Par définition, le verbe n’a alors qu’un argument, comme dans les exemples :

30a)  Le feu rougit


30b)  L’herbe verdit

Aucune alternance n’est de fait envisageable.

145 À la suite de Fillmore (1967, 1971).

187
6.3. La cause externe
Remarquons que la seule notion de cause externe n’est pas un critère suffisant
pour une définition de l’alternance. Elle n’explique pas, par exemple, la différence
qui existe pourtant entre les deux paires d’exemples sous 31a) et 31b). Tandis que
le premier permet une alternance :

31a)  La mousse verdit le toit


31b)  Le vieux toit verdit

Le nom volet du second couple d’exemples ne peut absolument pas occuper la


position sujet :

32a)  ?Julien verdit les volets


32b)  *Les volets verdissent (grâce à l’action de Julien)

Dans les deux couples, la modification est due à une cause externe, mais pour que
cette cause puisse être lexicalement effacée, il faut, comme le stipulent les règles
générales d’effacement, qu’elle soit prévisible. En d’autres termes, lorsque le pro-
cès est évoqué, la cause doit pouvoir lui être spontanément associée. Or Julien dans
le second exemple est l’agent d’un procès qui est considéré comme non naturel en
ce qui concerne le référent volet. De fait, il n’est ni prévu ni prévisible. L’agent doit
par conséquent être mentionné puisqu’il n’est pas recomposable pragmatiquement.

6.4. Restriction sur le sujet


Les sujets humains sont assez peu courants dans les tournures transitives : lors
de nos recherches pour constituer le corpus sur des bases de données comme Le
Monde 97–98 ou des moteurs de recherche sur Internet, les résultats pour des
combinaisons où une première ou deuxième personne est engagée dans le procès
sont assez bas voire nuls (comme avec jaunir, verdir, brunir ou rougir). Des énon-
cés comme 33a) *Malina rougit son mur ou 33b) *Julien jaunit le canard de son
dessin sont en effet inacceptables.

6.4.1. Sens étendu → activité


Nous avons cependant trouvé d’autres verbes avec lesquels ce type de sujet est
possible :

188
(i) avec bleuir dans le sens de « surligner » :

34a) «  Bleuissez avec le curseur la partie à sélectionner » (entendu dans un cours


d’informatique) 
34b) «  Je bleuis et désature les teintes de la tour pour créer l’illusion d’éloi-
gnement  » (http://lueurscaptives.free.fr/S/Martin/martin.htm, consulté le
23.06.13) ;

(ii) avec verdir, dans le sens de « fleurir » par exemple :

35a) «  Enfin, nous verdirons l’intérieur de l’école par l’ajout de plantes vertes »
(lu sur le programme de réaménagement d’une école).

Et un second exemple avec un sens figuré (assez récent) de verdir, en rapport avec
l’écologie :

35b) «  Verdissons notre électricité grâce au soleil et à l’APEVES  » (http://


groupes.sortirdunucleaire.org/Verdissons-notre-electricite-grace, consulté le
29.06.13) ;

(iii) avec noircir dans le sens de « griffonner » :

36a) «  Ensuite, tu reportes les indications de l’énoncé dans les cases, par exemple
tu noircis les cases impossibles et tu mets une croix dans les cas certains »
(http://fr.answers.yahoo.com/question, consulté le 29.06.13)
36b) «  Je n’en finissais pas d’écrire, je noircissais des dizaines de pages et je
sentais que cela me faisait du bien » (B. Fauren, Camille, books.google.de,
consulté le 29.06.13) ;

(iv) avec blanchir dans le sens de « nettoyer » :

37) «  [En parlant de linge] laver, rendre propre 5. En province, une femme de


chambre doit savoir blanchir et repasser le linge fin. Balzac, Les Illusions
perdues, 1843, p. 693 » (s. v. BLANCHIR, TLFE).

Or, aucun des emplois de ces verbes ne désigne un procès naturel de modification
chromatique. Ils désignent des procès qui nécessitent des agents puisque ce sont
des activités (écrire, planter des fleurs, nettoyer), ce qui explique la compatibilité
avec un sujet [+humain] et agentif.

189
6.4.2. Procès naturel forcé
À la lumière de la remarque ci-dessus, observons ces deux exemples qui vont
affiner la description des contraintes :

38) *Julien se jaunit les dents en fumant


39)  Esteban se noircit les dents pour se déguiser

Seul le deuxième exemple ne pose pas de problème, nous allons tenter d’en expli-
quer les raisons.
Les éléments de la phrase 38) donnent lieu à deux interprétations en contra-
diction : la première pose Julien comme agent dans le sens défini par Blake dans
son ouvrage Cases (1994) : c’est celui qui agit pour que le procès se réalise et la
deuxième énonce que les dents jaunissent et ce donc par un procès naturel. Or, par
définition Julien ne peut être agent d’un procès naturel.
Ruwet constate de même (1972 : 172) l’agrammaticalité de :

40)  *Le colonel a fondu trois sucres dans son café

et explique que :
« la part du colonel dans le processus tient seulement au fait qu’il a mis du sucre dans
son café : le fait que le sucre a fondu tient à des causes qui échappent à son contrôle ».

Le fait que le sujet exerce une action indirecte sur la réalisation du procès dont il
n’a ni contrôle, ni maîtrise bloque un emploi transitif du verbe. Par contre si Julien
au lieu d’être l’instigateur assume son rôle d’agent comme dans l’exemple :

41)  Julien se jaunit les dents pour se déguiser

le procès n’étant plus naturel (le jaunissement des dents est voulu pour un
déguisement) et qu’il est totalement pris en charge par Julien, il n ‘y a donc plus
de contradiction entre procès agentif et procès naturel. Dans ce type d’exemples,
l’agent « force » le naturel. Cependant pour que l’interprétation soit possible, il
faut nécessairement que la modification relève de propriétés naturelles, ce qui
explique les différents degrés de grammaticalité des exemples suivants :

42a)  Malina se blondit les cheveux


42b)  Nicolas se noircit les cheveux
42c)  *Malina se rougit les cheveux146

146 Les cheveux peuvent être noirs naturellement, mais pas rouges.

190
Le dernier exemple pose problème dans la mesure où le procès n’est pas naturel
en soi : les cheveux ne peuvent pas rougir, donc le sujet humain ne peut forcer
aucun naturel. Corrélativement, il ne peut pas prendre le procès en charge, d’où
l’agrammaticalité. Ceci explique aussi l’impossibilité :

42d) *Malina se bleuit les ongles


42e)  *Malina se rougit les ongles

Dans sa description du lexique verbal chromatique, Timmermann (2002) a égale-


ment remarqué que la couleur devait être naturelle. Il explique que même si les ad-
jectifs peuvent désigner des couleurs naturelles ou non, les verbes ne s’appliquent
qu’à des couleurs naturelles :
« les verbes de couleur dénotent prototypiquement147 une couleur naturelle148. (…) En
définissant leur sens (…), on en arrive à la conclusion qu’ils sont beaucoup moins
aptes à dénoter une couleur artificielle, c’est-à-dire une couleur de production indus-
trielle149 » (2002 : 83).

6.4.3. Sujet de tournure intransitive


La fréquence d’apparition d’un sujet [+humain] est la plus élevée dans des tour-
nures exclusivement intransitives du type Thomas rougit, cette tournure n’exclut
toutefois pas les sujets [-humain] :

43) «  Mon hibiscus est suicidaire. Bien que fraîchement taillé, rempoté, il jaunit
au moindre verre d’eau que je lui propose »
44) « Le plastique vieillit mal (il jaunit et devient cassant), et vous ne pourrez pas
garder très longtemps votre cage ».

147 Timmermann (2002  : 84) ajoute en guise d’avertissement que «  la notion de pro-
totypicalité fait apparaître que ce sens n’est pas une vérité incontestable ; il accuse
uniquement une tendance où l’exception confirme la règle ».
148 Ce peut être une source naturelle de lumière (lumière feu chaleur) ou bien un animé
(être humain, animal), une plante ou bien une entité naturelle (feu, pierre) ou encore
une coloration non intentionnelle.
149 Sauf noircir, blanchir et apparemment verdir, bien que les exemples avec ce verbe
soient encore rares.

191
Dans ces exemples, les procès dénotent des modifications chromatiques qui af-
fectent des propriétés qui sont considérées comme inhérentes au sujet, qui font
partie de ses propriétés caractéristiques, définitoires et donc elles sont poten-
tiellement activables. Ce sont des verbes à cause interne dans la typologie de
Levin & Rappaport. L’hibiscus comme le plastique a la possibilité de jaunir, sans
cause externe explicite. Dans l’optique de Levin, la cause interne comme son nom
l’indique est une propriété intrinsèque de l’objet, elle a conséquemment pour
caractéristique la propriété syntaxique de ne pas être mentionnée en contexte. Les
verbes n’ont qu’un seul argument qui désigne l’objet qui change de couleur.
Il est convenu de séparer ces tournures de celles du type de 27b) Le blanc des
yeux rougit en stipulant que puisqu’on peut dire 27a) L’infection rougit le blanc
des yeux, le blanc des yeux est en fait l’objet sémantique, l’objet affecté par le pro-
cès. Corrélativement l’impossibilité de construire une alternance transitive pour
les exemples tels que ceux donnés sous 30b) L’herbe verdit ou 30a) Le feu rougit
amène à analyser herbe ou feu différemment, c’est à-dire comme le sujet à la fois
formel et sémantique.
Or sémantiquement, les deux types (les yeux et le feu) sont analysables de la
même façon puisqu’ils entretiennent avec le verbe la même relation sémantique, ce
qui se reflète dans le rôle thématique de thème qui peut à tous deux leur être assigné.
Cette constatation nous invite à nous questionner sur la pertinence, en ce
qui concerne le lexique verbal chromatique, de la division élaborée sur le cri-
tère de cause interne et cause externe. Selon nous, en fait, tous les noms qui
peuvent entrer dans un prédicat qui dénote un procès de modification chroma-
tique désignent des objets qui ont la possibilité inhérente de changer de couleur,
ils ont donc tous intrinsèquement une cause interne. C’est ce que sous-entend,
d’ailleurs, les renvois aux notions de prévisibilité ou de procès naturel évoqué
par Levin & Rappaport. La cause externe agit en fait sur la cause interne qui
déclenche le procès. Si le froid peut bleuir les doigts, c’est d’abord parce que les
doigts peuvent bleuir.
Ce déclencheur n’est par contre pas toujours lexicalisable : il est difficile d’en-
visager par exemple une cause pour L’herbe verdit ou Le feu rougit même si prag-
matiquement il y en a nécessairement une. C’est d’ailleurs là que se situe la diffé-
rence entre les verbes qu’on oppose en terme d’inergativité (le sujet formel est le
sujet sémantique) et d’inaccusativité (le sujet formel est l’objet sémantique) ; c’est
le degré de difficulté à lexicaliser la cause en position sujet :

45a) Ils vont tout faire pour que le fait que Malina rougisse (de honte) passe inaperçu
45b)  * Ils vont tout faire pour que la honte qui rougissait Malina passe inaperçue

192
46a)  C’était terrible ; au fur et à mesure, Thomas bleuissait (de froid)
46b)  *C’était terrible ; au fur et à mesure, le froid bleuissait Thomas

Néanmoins cette difficulté ne porte pas, selon ces exemples, que sur la cause elle-
même. Puisque, bien qu’une cause soit dans chacun de ces exemples recalculable,
comme le montrent les exemples ci-dessous où une cause est intégrée au prédicat
verbal dans un complément prépositionnel, il s’avère pourtant que, dans certains
contextes, elle ne puisse apparaître en position sujet. Le verbe est alors essentiel-
lement intransitif :

47)  Malina rougit de honte


48)  Thomas bleuit de froid

Pourtant, la modification chromatique est naturelle et la cause externe est donc


non-agentive (cf. § 4.2.), les exemples devraient par conséquent fonctionner : il
n’existe a priori aucune raison pour que la cause ne puisse apparaître en position
de sujet syntaxique (comme l’infection).
En fait, une variante de ces exemples va nous éclairer sur une propriété néces-
saire de l’argument interne du verbe de couleur ; le patient ne peut être signifié par
un [+humain], qu’elle que soit la cause :

49a)  *Le froid bleuit Thomas


49b)  *Le soleil noircit Malina

L’agrammaticalité est rétablie dès que le processus de métonymie disparaît et que


la partie est nommée :

50a)  Le froid bleuit les doigts de Thomas


50b)  Le soleil noircit la peau de Malina en quelques heures
50c)  La honte qui rougissait déjà ses joues le fit baisser la tête

En conclusion, nous poserons donc l’alternative qu’induit notre analyse : soit nous
justifions le blocage en disant que la langue exceptionnellement, par accident, ne
permet pas de reconstruire une forme transitive malgré la présence de tous les
éléments nécessaires (transformation naturelle, cause non-agentive) ; soit nous
admettons que ceci est une illustration dans la langue de la différence qu’opère la
langue entre sujet [+humain] et sujet [-humain].
Comme nous l’avons vu, dans certaines situations, l’utilisation d’un dérivé
adjectival est sans conteste problématique. En solution à ces blocages, la langue

193
fournit le verbe colorer qui permet également de désigner un procès de modifica-
tion chromatique. La couleur obtenue au terme du procès pourra être mentionnée
dans une construction résultative. De fait, à la place de l’exemple agrammatical :

42c) *Malina se rougit les cheveux

est envisageable :

51) Malina se colore les cheveux en rouge

Dans la partie concernant le lexique nominal, nous avons conclu que nuance ainsi
que les noms de couleurs rouge, vert, etc. sont des hyponymes de couleur, cepen-
dant à des niveaux différents. Nous avons expliqué que la différence est due au
différent statut des noms : seul nuance est un nom de classe. Les unités qui sont
rassemblées dans la catégorie (rouge de Naples, rouge Tiepolo, rouge opéra) sont
des hyponymes de l’unité superordonnée couleur, comme le nom d’espèce rouge
l’est aussi. Mais elles ne sont pas au même niveau que rouge puisqu’elles en sont
également des hyponymes.
Sémantiquement, nous avons conclu que tandis que rouge désigne une sorte
de couleur, nuance est le nom de la classe et désigne la catégorie dans laquelle se
situe la couleur dont on parle, couleur qui a la particularité d’être spécifiée par rap-
port aux autres couleurs appartenant à un groupe dénommé par le nom d’espèce
(rouge, vert, jaune, etc.).
Ces noms servent de base pour des verbes nuancer et rougir, verdir, etc. Nous
allons maintenant examiner si les différents niveaux organisant le lexique nominal
sont maintenus dans le domaine verbal.

7. Colorer vs nuancer et les verbes désadjectivaux


7.1. Propriétés identiques
Comme c’est le cas pour de nombreux verbes en français, l’alternance causative
est marquée morphologiquement par l’insertion obligatoire d’un pronom se. La
tournure est alors identique en surface à une tournure moyenne, mais ce pronom
réflexif n’implique pas comme ce type de tournure d’agentivité150. Ce pronom est

150 Je renvoie à un article de Fellbaum et Zribi-Hertz (1989) pour une analyse détaillée
des différences.

194
aussi possible mais facultativement devant un verbe désadjectival et il n’introduit
pas nécessairement de variation sémantique :

52a)  Les dents jaunissent à force de fumer


52b)  Les dents se jaunissent à force de fumer

Pour teinter, l’alternance causative similaire à celle de colorer est obligatoirement


marquée par le pronom se :
« (…) les cimes se nuançaient de teintes safranées (…) »151 vs des teintes safranées
nuançaient les cimes
« les collines se nuancent de gris, de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre (…) » vs
du gris, du jaune clair, du violet, du gris bleuâtres nuancent les collines
« (…) où le moindre objet se nuance de mille teintes grasses » vs mille teintes grasses
nuancent le moindre objet

Les dérivés désadjectivaux, comme colorer, entrent dans les trois tournures
avec les mêmes conditions comme notamment l’impossibilité d’avoir une
tournure intransitive correspondant à une tournure transitive si la cause est
agentive :

53a)  Malina se colore les cheveux


53b)  *Ses cheveux se colorent

7.2. Hypéronymie
Nous utiliserons la définition donnée par Kleiber & Tamba (1990 : 18) qui à l’ori-
gine ne concerne que les noms :
« Il y a relation d’hyponymie entre X et Y si la phrase C’est un X ou C’est du X im-
plique unilatéralement la phrase C’est un Y ou C’est du Y, X étant l’hyponyme et Y
l’hypéronyme ou superordonné ».

Ils y insèrent la représentation de Cruse152 « [A is f(x)] » afin de pouvoir inté-


grer dans cette définition les verbes et les adjectifs. F(x) est la représentation
syntaxique minimale de l’item lexical et il fonctionne comme complément du
verbe être.

151 Les trois phrases d’exemples illustrent les définitions données dans le TLFE.
152 CRUSE, D. Alan : Lexical Semantics, Cambridge, Cambridge University Press. 1986,
rééd. 1989.

195
Ainsi, un traitement homogène des couples tulipe/fleur et assassiner/tuer ou
rouge/écarlate est également envisageable :

54a)  C’est une tulipe ⊃ C’est une fleur


54b) C’est l’homme qui a assassiné quelqu’un ⊃ C’est l’homme qui a tué
quelqu’un
54c)  C’est une fleur écarlate ⊃ C’est une fleur rouge

Parallèlement, ils complètent par des occurrences verbales :

54d)  C’est la lumière qui rougit le donjon ⊃ C’est la lumière qui colore le donjon153

En suivant ce principe, si on substitue colorer à nuancer dans les exemples cités


dans le TLFE, la permutation est de même acceptable :

    55a) «  On croit encore dans beaucoup d’écoles qu’il suffit d’étendre des
teintes aériennes, de les nuancer tantôt d’azur et tantôt de gris pour ex-
primer la grandeur des espaces (Fromentin, Maîtres autrefois). Par delà
la balustrade (…) il y a un bois sans âge qu’avril a seulement nuancé
d’un vert plus jeune et plus tendre  (Guéhenno, Journal « Révol. », 1938,
p.110) » (TLFE)
vs 55a’) ( …) suffit d’étendre des teintes aériennes, de les colorer tantôt d’azur
et tantôt de gris (…) (Fromentin, Maîtres autrefois, 1876, p.1169). Par
delà la balustrade (…). (…) a seulement coloré d’un vert plus jeune et
plus tendre
    55b) «   Hortense, ainsi prévenue, reconnut alors l’artiste à la rougeur qui
nuança son visage (Balzac, Cous. Bette, 1846, p.78). Les teintes fraîches
et pures qui nuancent ses joues et son col [d’Hersilie dans les Sabines de
David] lui donnent les couleurs de la vie (Gautier, Guide Louvre, 1872,
p.7) » (TLFE)
vs 55b’) H ortense, ainsi prévenue, reconnut alors l’artiste à la rougeur qui colora
son visage. Les teintes fraîches et pures qui colorent ses joues et son col
    55c) « De grands arbres séculaires, dont les cimes se nuançaient de teintes
safranées (Gautier, Fracasse, 1863, p.89). Les collines se nuancent de
gris, de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre, arêtes vives (Fromentin,
Voy. Égypte, 1869, p.52). La lumière est précisément le contraire de celle

153 Tous ces exemples sont de Tamba & Kleiber.

196
de l’Île-de-France, cette dernière enveloppante et comme matérielle où
le moindre objet se nuance de mille teintes grasses (Gilles de La Tou-
rette, L. de Vinci, 1932, p.2). » (TLFE)
vs 55c’) ( …) les cimes se coloraient de teintes safranées. Les collines se colorent
de gris, de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre, arêtes vives(…) le
moindre objet se colore de mille teintes grasses

Une perte informationnelle est toutefois remarquable ; avec colorer, l’idée de


légèreté, l’idée de progression (donc de camaïeu) ou encore celle de proximité
des couleurs concernées ne sont pas sensibles comme l’illustrent les exemples ci-
dessous :

    56a) «  Quelques hêtres (…) plus printaniers que leurs frères, commencent à
se nuancer sur la masse noire de la plantation qui borde l’étang (M. de
Guérin, Journal, 1833). Un jet de soleil pénétra le bois : les troncs des
bouleaux, annelés et lisses, blanchirent ; tout le fourré se nuança (Martin
du G., Devenir, 1909,) » (TLFE)
vs 56a’) Quelques hêtres (…) commencent à se colorer (…) tout le fourré se colora
    56b) «  (…) Les verdures se nuançaient à l’infini. (Pergaud, De Goupil,
1910) » (TLFE) vs 56b’) (…) Les verdures se coloraient à l’infini

Cette perte informationnelle est définitionnelle de la relation hypo-/hypéronyme.


Un terme hyponyme est plus informatif. Corrélativement un type hypéronyme est
plus générique comme l’explicite entre autres Rosch-Heider (1976 : 30) : au plus
un terme est haut sur l’échelle de l’hypéronymie, au plus son degré d’abstraction
est élevé. Colorer désigne le procès de façon la plus générique possible, c’est-
à-dire la mention d’une transformation chromatique sans spécifier la couleur du
résultat, et c’est l’information donnée en plus par le verbe hyponyme. Générale-
ment les verbes hyponymes sont des explicitations du procès qui sont paraphra-
sables par le verbe hypéronyme et une détermination spécifiante :

57)  Assassiner : c’est « tuer quelqu’un volontairement »

Les verbes désadjectivaux précisent la couleur résultante qui reste inconnue avec
la seule mention du verbe colorer. Syntaxiquement, ce dernier peut remplacer
chacun des autres termes, en employant l’adjectif de couleur utilisé comme base
du verbe désadjectival dans une construction résultative :

58)  rougir = se colorer de/en rouge.

197
En ce qui concerne nuancer, l’information non incluse par colorer est justement ce
qui caractérisait nuance par rapport à couleur. Nuance ne désigne pas un type de
couleur, mais le nom de la classe d’un type de couleurs, dont le rassemblement dans
la classe de noms d’espèces dernières implique l’ultime précision du genre (de cette
couleur). Nuance précise aussi que les référents dénommés, sans forcément préci-
ser la couleur, qui sont considérés comme d’une part appartenant à des sous-catégo-
ries et d’autre part correspondant à un « petit » espace chromatique parmi d’autres
espaces chromatiques appelées aussi nuance qui se différencient les uns des autres
par une différence de ton, qui peut être en soi (concrètement) un détail (peut-être
même indiscernable à l’œil nu). La singularité sémantique, autrement dit le gain
informationnel, de l’unité réside donc dans la diversité des éléments qui, dans un
contexte processif, revêt le sens de transformation, modification, changement, au-
trement dit, passage de l’un à l’autre des éléments de cette variété.

Suite à ces observations, nous concluons que colorer est bien hypéronyme des
verbes désadjectivaux et du verbe nuancer, mais à deux niveaux différents comme
c’était également le cas pour leur dérivés morphologiques dans le lexique nominal.
Alors que les désadjectivaux explicitent la couleur résultante, nuancer informe sur
la manière de colorer.
Les arguments en faveur du caractère hypéronymique de colorer portent sur sa
lecture plus générale et corrélativement le gain informationnel des autres verbes :
d’abord, le procès s’applique de façon aussi bien naturelle que non naturelle
(contrairement aux verbes désadjectivaux) ; puis le résultat chromatique du procès
ne doit pas être mentionné (information donnée par les verbes à base adjectivale
ou à préciser obligatoirement avec teinter) ; aucune indication n’est donnée sur
la couleur résultante par rapport aux autres couleurs (à la différence de nuance).

Bilan
Bien que d’un point de vue phonétique, colorer et colorier semblent aussi proches
l’un de l’autre que teindre et teinter, d’un point de vue sémantique, teindre est à
rapprocher de colorier et colorer de teinter, auxquels nous avons associé nuancer.
Colorier et teindre sont similaires dans la mesure où ce sont les seuls verbes qui
nécessitent un agent humain. Les autres partagent de nombreux emplois, cepen-
dant colorer possède le sens plus général, ce qui en fait un hypéronyme. Mais les
hyponymes ne sont pas tous à placer sur le même plan  : nuancer insiste sur la
façon de colorer tandis que les verbes désadjectivaux mettent en relief le résultat.
Le verbe teinter se situe entre les deux : d’un côté, le résultat est important, d’où

198
l’obligation de le mentionner et de l’autre, le sens du verbe inclut des informations
sur la durée et l’intensité du procès.
Avant de conclure notre description du lexique verbal chromatique, et toujours
dans la perspective d’étudier comment les mots s’organisent les uns par rapport
aux autres, nous pensons qu’une analyse des verbes à sens négatif en parallèle des
définitions que nous avons données pour les verbes positifs pourrait se révéler
intéressante.

8. Le lexique verbal négatif chromatique


L’affixe dé- est un des préfixes négatifs les plus productifs  dans ce domaine  :
sceller/desceller, coller/décoller, boutonner/déboutonner. En nous intéressant à
ce préfixe dans le domaine chromatique, nous avons observé qu’il n’est pas en
distribution similaire avec tous les verbes : face aux deux paires colorer/décolo-
rer et teindre/déteindre (qui selon les sources dictionnairiques vérifiées semblent
d’ailleurs très proches sémantiquement), les occurrences * décolorier, *dénuancer
ainsi que *déteinter sont agrammaticales. En ce qui concerne les verbes désadjec-
tivaux, les acceptions sont plutôt exceptionnelles : déblanchir, débleuir, déjaunir,
dénoircir, dérougir, déverdir. Les occurrences ne sont citées que dans un des dic-
tionnaires de référence. Par ailleurs, l’espace référentiel de ces unités attestées est
très restreint154.
Afin d’expliquer la singularité de la distribution du préfixe au sein du domaine
verbal chromatique, nous utiliserons particulièrement l’article de Gary-Prieur
(1976) intitulé « Déboiser et déboutonner : remarques sur la construction du sens
des verbes dérivés par dé- » et celui de Boon (1984) « Sceller un piton dans le mur ;
desceller un piton du mur : pour une syntaxe de la préfixation négative ». Ces deux
linguistes décrivent les contraintes pesant sur les constructions morphologiques
utilisant cet affixe. À l’aide des observations faites dans les dictionnaires, nous
décrirons le sens des verbes chromatiques négatifs construits à l’aide du préfixe,
puis nous expliquerons les raisons du blocage des verbes non-constructibles. Ces
observations nous permettront enfin de confirmer sur quatre points les conclusions
de notre analyse précédente : (i) restriction sémantique en termes de nécessité d’un
agent pour teindre et colorier, (ii) importance du procès pour teinter et nuancer,
(iii) sens plus général de colorer et (iv) singularité des verbes désadjectivaux.

154 Encore plus, d’ailleurs, que les verbes chromatiques positifs.

199
8.1. Préfixe dé-
Selon J. Martinet (1985), la langue française fournit deux affixes homonymes
dé- issus de deux préfixes latins distincts : dis- qui exprime l’antonymie et dé-,
marque de l’ablatif qui exprime une idée d’excès. L’absence de composante sé-
mantique exprimant l’excès pour décolorer et déteindre nous amène à ne tenir
compte que du premier sens.
Le préfixe dé- fait partie d’un groupe rassemblant les préfixes dits de sens néga-
tif (ou à valeur négative) : il complète dans le domaine verbal des préfixes comme
in-/im-/il-, un- ou non- qui s’appliquent à des bases adjectivales ou nominales. Le
Lar. le définit ainsi :
« Dé, dés, des- : Préfixes (du préfixe latin dis-) entrant dans la composition de nom-
breux mots pour exprimer la cessation d’un état ou d’une action, ou l’état, l’action
inverses : défaire, dessouder, désintéresser ».

Décolorer serait l’action inverse de colorer et déteindre de teindre. Alors que pour
le premier exemple, la définition, bien que sommaire, est suffisante, « mettre de
la couleur/enlever la couleur », déteindre ne signifie pas exactement « enlever la
teinture ». L’analyse de M.-N. Gary-Prieur va préciser cette relation entre le verbe
construit et sa racine.

8.1.1. Problème définitionnel selon Gary-Prieur (1976)


M.-N. Gary-Prieur s’est penchée sur le contenu sémantique de l’opérateur mor-
phologique dé- suite à l’observation qu’une règle morphologique sur ce préfixe
énoncée par D. Corbin155 ne fonctionnait ni avec déboiser ni avec déboutonner.
Selon Corbin :
« Déf I : dé- peut être paraphrasé par « inverser le processus exprimé par V »
Déf II : dé- peut être paraphrasé par « enlever un objet » - l’objet étant le référent du
nom de base »

cependant, comme le remarque Gary-Prieur (1976 : 101) :


« La définition I s’applique bien à déboutonner (faire l’opération inverse de celle qui
consiste à boutonner) mais pas à déboiser : les processus mis en œuvre pour accom-
plir l’action exprimée par déboiser n’ont rien en commun avec ceux qui permettent
d’accomplir l’action de boiser. La définition II s’applique bien à déboiser (enlever
des bois) mais pas à déboutonner, qui ne signifie pas « enlever des boutons » ».

155 Aucune référence n’est donnée par Gary-Prieur.

200
Gary-Prieur (1976 : 103) tente alors de trouver une définition unique remplaçant
les deux proposées par Corbin et ainsi montrer que le préfixe dé- « fonctionne
sémantiquement de la même façon » avec les deux verbes (sous-entendu TOUS
les verbes).

8.1.2. Résolution de Gary-Prieur


Elle propose (1976  : 109) une définition provisoire qui s’applique à la fois à
déboiser et déboutonner :
« dé- inverse la séquence V SN dans la définition du verbe de base ».

Elle pose toutefois le problème de décapsuler qui, contrairement à déboutonner,


implique que le référent du Nom de base (capsule) est enlevé/séparé/éloigné tandis
que le bouton n’est pas séparé du manteau. Le procès des deux verbes est pour-
tant très souvent décrits de manière semblable : « ouvrir et fermer un manteau/
ouvrir et fermer une bouteille ». Elle parvient néanmoins à justifier sa définition
en expliquant que la représentation communément donnée pour les deux paires
d’occurrences en termes d’« ouvrir et fermer » est en réalité trompeuse ; ce contenu
sémantique n’est pas selon elle principal pour dé-capsuler puisqu’ :
« on peut très bien décapsuler une bouteille sans l’ouvrir, si la capsule recouvre un
bouchon, par exemple. L’équivalence entre décapsuler et ouvrir est donc d’ordre
empirique, et non linguistique. (…)  Pour boutonner/déboutonner, l’idée d’ouvrir/
fermer est contenue dans le processus qui constitue la signification linguistique des
verbes » (1976 : 112–113).

Elle conclut alors que capsuler signifie « mettre une capsule » où capsule n’est
pas un instrument comme bouton156, ce qui entraîne la variation référentielle de
séparation définitive (capsule) ou non (bouton)  ; de plus, selon son hypothèse
stipulant que la signification de dé- se définit en termes de procès inverse, le verbe
« inverse » de décapsuler est bien « mettre la capsule » dans le sens de la rappro-
cher, d’où enlever la capsule aura le sens de l’éloigner pour le verbe préfixé. Pour

156 Elle a expliqué en reprenant les hypothèses de Fillmore (1967, 1971) qu’une phrase
ne peut contenir qu’une et une seule fois un rôle thématique ; de fait l’impossibilité
de dire  *Il a fermé son manteau avec des boutons avec ses mains s’explique parce
que avec des boutons et avec ses mains désignent tous deux des groupes partageant le
même rôle thématique d’instrument. En revanche, la grammaticalité de Il a enlevé la
capsule avec un décapsuleur confirme que capsule n’est pas un instrument puisque le
rôle est déjà porté par décapsuleur.

201
déboutonner, elle ajoute que le sens d’ « ouvrir et fermer » est conceptuellement
impliqué dans le procès, d’où l’idée d’un procès qui ferme et non qui ôte le réfé-
rent bouton.

Nous retiendrons deux choses de l’article de Gary-Prieur157. Premièrement, la no-


tion d’inversion de procès s’entend de manière très abstraite et générale : le procès
du verbe en dé- n’est pas seulement similaire au procès du verbe de base qui se
déroulerait à l’envers. Déboiser n’a rien à voir pragmatiquement avec boiser : on
n’utilise pas les mêmes instruments, on ne fait pas les mêmes gestes, etc. Deuxiè-
ment, il faut tenir compte des informations contenues dans le verbe de base parce
que le sens du verbe construit est dépendant du sens du verbe non construit (ce
qui explique les variantes de sens négatif : enlèvement, séparation, division ou
éloignement). À la lumière de ces éléments, après un détour lexicographique, nous
allons définir la relation de teindre et colorer par rapport à déteindre et décolorer.

8.2. Déteindre et décolorer


8.2.1. Emplois synonymiques
Les deux verbes déteindre et décolorer ont (entres autres158) un emploi transitif
direct. Dans certains contextes, ils sont interchangeables sans que le sens de la
phrase ne paraisse significativement modifié :

    59a) « La pluie, l’humidité, l’abandon et l’absence de lumière au fond de cette


étroite coupure, avaient peu à peu fait déteindre les façades et couler le
badigeon » (Gautier, Italia, Voyage en Italie) (TLFE)
vs 59a’) L  a pluie, l’humidité, l’abandon et l’absence de lumière au fond de cette
étroite coupure, avaient peu à peu fait (se) décolorer les façades et cou-
ler le badigeon

Dans le Lar, décolorer est cité comme synonyme de déteindre dans un emploi
intransitif :
« Vb intransitif : Perdre de sa teinture, de sa couleur ; se décolorer : Tissu qui déteint
au lavage »

157 Nous verrons qu’il existe d’autres contraintes dans la partie concernant la non-
existence de *déteinter et *dénuancer.
158 Leur sont attribués aussi un emploi transitif indirect (déteindre sur) et un emploi
intransitif (tissu qui déteint/(se) décolore).

202
Par ailleurs, l’exemple du Lar. illustrant l’emploi transitif de déteindre est simi-
laire à celui qui accompagne la définition de décolorer :

60a)  « Le soleil a décoloré les rideaux »


60b)  « Le soleil a déteint les rideaux ».

En marge de cette apparente similitude, il existe cependant de nombreux contextes


où l’interversion conduit à des incorrections grammaticales.

8.2.2. Emplois singuliers


Voici quelques exemples où la substitution de l’une des occurrences à l’autre est
consignée :

    61a) «  Le séjour (…) d’une feuille dans l’alcool décolore complètement les
chloroplastes (Plantefol, Bot. et biol. végét.,t. 1, 1931, p. 49). Ce que
je reproche à l’été, c’est son impitoyable lumière qui décolore tout ce
qu’elle touche (Green, Journal, 1934) » (TLFE)
vs 61b) * Le séjour (…) d’une feuille dans l’alcool déteint complètement les chlo-
roplastes
vs 61c) * Ce que je reproche à l’été, c’est son impitoyable lumière qui déteint
tout ce qu’elle touche
   62a) « Cette lessive décolore le linge » (PR)
vs 62b) ?Cette lessive déteint le linge 

8.2.2.1. Définitions lexicographiques


Les unités sont ainsi définies dans les différents dictionnaires :
(i) décolorer
« Vb transitif : Effacer, affaiblir la couleur originelle de quelque chose » (Lar.)
« Du latin, decolorare. Altérer, effacer la couleur de » (PR)
« Priver de couleur ; altérer, affadir les couleurs » (TLFE)

(ii) déteindre
« Vb transitif : Faire perdre de sa couleur à une matière »  (Lar.)
«1220 de teindre. V. tr. Faire perdre sa couleur, sa teinture à » (PR)
« Emploi trans. dir. Enlever la couleur ou la teinture de » (TLFE)

Les définitions des deux séquences présentent des contenus sémantiques assez
proches : quelle est la différence selon les lexicographes du Petit Robert entre

203
«  faire perdre sa couleur  » (s v. DÉTEINDRE) et «  effacer la couleur  »  (s. v.
DÉCOLORER) ? Ou pour ceux du TLFE, entre «  enlever la couleur  » (s v.
DÉTEINDRE)  et « priver de couleur » (s. v. DÉCOLORER) ?
Cependant, décolorer se démarque par le trait «  affadir  », «  altérer  » et par
l’opposition suggérée entre « couleur originelle » (s. v. DÉCOLORER, Lar.) et
« teinture » (s v. DÉTEINDRE, PR).
Grâce aux occurrences observées en contexte rassemblées essentiellement
grâce au moteur de recherche Google, nous allons apporter quelques précisions à
ces dichotomies.

8.2.2.2. Mise en contexte


• Décolorer
(i) Objet naturel
63a) «  Or celui-ci [un pigment bleu] est instable et se décolore en quelques an-
nées » (http://www.pourlascience.fr, consulté le 29.06.13)
63b) «  Le ciel s’écroule, (…) le ciel se décolore (…) le ciel est trop sombre »
(Nana Mouskouri, Adieu Angelina)
63c) «  Pourquoi les feuilles de vigne rouge se décolorent-elles en rouge (…) ? »
(Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique, Vol.4, books.
google.de, consulté le 29.06.13)
63d) «  Le ciel rouge du soir qui annonce le beau temps n’est donc une indica-
tion certaine que si le ciel est sans nuages et ne se décolore pas » (www.
Alertesmeteo.com, consulté le 29.06.13)
63e) «  Au secours, ma veuve noire [un poisson] se décolore » (http://forum.doc-
tissimo.fr, consulté le 29.06.13)
63f) «  Le caméléon dissout dans l’eau donne une liqueur verte qui, par l’ébul-
lition, devient rouge et décolore le sulfate d’indigo. (…) Le produit distil-
lé ne décolore pas l’indigo, mais le liquide le décolore instantanément »
(Bulletin universel des sciences et de l’industrie. 1 : bulletin des sciences
mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques, band 16, p. 202,
books.google.de, consulté le 29.06.13)
63g) «  L’herbe ainsi mouillée se décolore » (Cours complet d’agriculture Théo-
rique. Pratique, Économique et de médecine, Francois Rozier, leopold.
p. 677, books.google.de, consulté le 29.06.13)
63h) «  Le papier peint s’est décoloré » (s.v. DÉCOLORER, PR)
63i) «  Décolorer ses cheveux à l’eau oxygénée » (http://teemix.aufeminin.com,
consulté le 29.06.13)

204
(ii) Objet manufacturé
64a) « Vêtement pour enfants. Ne décolore pas au lavage » (http://www.bblala.
com, consulté le 29.06.13)
64b) «  Si le vêtement est décoloré par la transpiration » (http://depiedencap.
leforum.eu, consulté le 29.06.13)
64c) «  Mais j’ai l’impression que le savon et la javel ont décoloré par endroit le
T-shirt » (http://www.toutpratique.com, consulté le 29.06.13)
64d) «  T-shirt homme décoloré » (http://www.clochtard-crasvat.com, consulté le
29.06.13)
64e) « 29.01.2012 – Le linge, les rideaux voire les peintures de carrosseries qui
seraient décolorés par son effet nocturne « dévastateur » en font partie »
(http://tatoufaux.com, consulté le 29.06.13)
64f) «  Peinture qui se décolore (…) Je possède un break Opel Astra 2,2 DTI
Fashion année 2003, de couleur Rouge, et au fil du temps j’ai vu la couleur
pâlir de plus en plus, au point de devenir presque rose (…) » (http://opel.
discutbb.com, consulté le 29.06.13).

Les arguments susceptibles de régir le verbe décolorer réfèrent soit à des objets
naturels (ciel, herbe, feuille, poisson, pigment (caméléon), cheveux), soit à des
produits manufacturés (papier peint, peinture, vêtement).

• Déteindre
Dans le cas de déteindre, la plupart des occurrences que nous avons recensées
concernent des vêtements (ou du linge en général), des chaussures, ainsi que
quelques exemples avec les cheveux159 :

65a) «  Attention lors du séchage de vos vêtements qui déteignent  » (http://


www.10-trucs.com, consulté le 29.06.13)
65b) «  J’ai acheté il y a quelques temps des supers belles ballerines mais le souci
c’est qu’elle déteigne [sic] sur mes pieds ou mes bas du coup je les mets
plus » (http://www.onenparle.org, consulté le 29.06.13)

159 Le résultat d’une recherche que j’ai effectuée sur le moteur de recherche Google
confirme cette observation d’emplois plus restreints pour déteindre que pour déco-
lorer. J’ai exigé des séquences avec les unités soit « déteindre », soit « déteignent »
soit « déteint » sans qu’apparaissent à proximité ni « linge », ni « vêtement(s) », ni
« chaussures » : il s’avère alors que les seules propositions du moteur émanent de sites
pour la conjugaison du verbe déteindre.

205
65c) «  La teinture et le fini des billes sont très durable [sic] et elles ne déteindront
pas dans votre cou » (http://www.bidzshop.com, consulté le 29.06.13)

Au vu de ces contextualisations, décolorer a la possibilité d’apparaître dans des


contextes très variés  : sa signification est compatible avec davantage de types
d’arguments, que ce soit des objets naturels ou non. Nous affirmons donc que de
même que colorer par rapport à teindre, décolorer présente un sens plus large que
déteindre. Corrélativement, déteindre a un sens plus restreint et donc gagne en in-
formations. Nous avons répertorié deux propriétés contraignantes pour déteindre
en comparaison à décolorer : (i) la couleur qui subit le procès est donnée comme
non naturelle160 et (ii) sémantiquement, le gain informationnel se traduit par l’ajout
de conséquences au procès : un objet qui déteint teint un autre objet, ce qui a sans
doute son origine dans la lecture processive de teindre.

8.2.3. Propriétés discriminatoires et focalisation du procès


Selon le type de référents sur lesquels le procès déteindre s’applique dans nos
exemples, le plus souvent, il est question d’un objet préfabriqué (vêtement,
linge, chaussure). Pour ce type d’objets, la couleur est une propriété accidentelle
puisqu’elle est ajoutée, autrement dit il y a teinture. De fait, le verbe déteindre
semble avoir le sens proposé par le Lar. de « perte de la teinture ». Comme déjà
précisé ci-dessus, décolorer peut très souvent le remplacer (l’inverse n’est pas
vrai puisque le sens de déteindre est plus restreint), néanmoins bien que possible,
cet emploi serait corrélatif à une perte d’informations parce que déteindre désigne
plus qu’une « simple » perte de couleur.

8.2.3.1. Focalisation des procès de décolorer et déteindre


Selon les lexicographes, contrairement à déteindre, le procès désigné par décolo-
rer se focalise sur la modification de la couleur ; ceci rappelle les conclusions que
nous avions faites à propos de colorer : selon notre analyse, l’information princi-
pale du verbe portait sur la modification, non pas sur le résultat lui-même (comme
teinter). Or, comme Boons (1984 : 116) le stipule :
« (…) le procès dénoté par Pfx-V contient donc l’information nucléaire du procès dé-
noté par V. En somme, le préfixe serait un opérateur contraint d’accepter comme un
tout tout un énoncé qu’il insère tel quel, de l’extérieur, dans un propos plus vaste ».

160 C’est ce que sous-entend le Lar. en évoquant la couleur originelle.

206
Autrement dit, le sens (ou information nucléaire) et donc par définition les res-
trictions l’accompagnant qui pèsent sur le verbe non préfixé sont les mêmes que
celles contraignant son dérivé verbal à valeur négative. De fait, décolorer de même
informe qu’il y a une transformation de la couleur. Nous supposons que le caractère
négatif lié à la modification est dû au sens générique négatif du préfixe dé- (cf. le
début de cette partie).
En ce qui concerne déteindre, bien qu’une variation de la couleur puisse être
envisageable, elle n’est pas essentielle : le verbe insiste sur le procès et ses consé-
quences, autrement dit le résultat.

8.2.3.2. Confirmation avec exemples


La différence sémantique entre les deux unités décolorer et déteindre est significa-
tive dans cette paire d’exemples :

    64a) «  Vêtement pour enfants. Ne décolore pas ! » (http://www.bblala.com,


consulté le 29.06.13)
vs 64a’) Vêtement pour enfants. Ne déteint pas !

Dans le premier exemple, il est question de la « perte/altération de couleur » d’un


vêtement : la couleur de ce vêtement ne ternira pas, elle restera similaire à la cou-
leur d’origine. Dans le deuxième exemple, la modification chromatique n’est pas
induite automatiquement : la couleur du vêtement peut ou non être modifiée, cette
information n’est ni précisée, ni essentielle. Il est surtout spécifié que la couleur du
vêtement ne risque pas de « contaminer » les autres vêtements. La focalisation se
tourne vers l’aspect processif actif du procès menant au résultat : quand quelque
chose déteint, il se passe autre chose dont le résultat est visible sur au moins un
autre objet, celui qui est teinté. Se retrouve dans le verbe « déteindre » la valeur
processive du verbe de la base teindre. Cette dernière remarque est appuyée par le
fait qu’un agent est assez souvent sous-entendu, comme le suggère la compatibi-
lité régulière de déteindre avec une structure causative qui ne sera pas nécessaire-
ment aussi facile avec décolorer161 :

66a)  Le soleil a fait déteindre le linge


66b) ?Le soleil a fait décolorer les rideaux vs 66b’) Le soleil a décoloré les
rideaux

161 Dans les définitions lexicographiques, cette idée est confirmée  : «  faire perdre sa
couleur ».

207
Il est intéressant par ailleurs de noter que le sens de « propagation de couleur » peut
également se rencontrer lorsque le référent porteur de la couleur de base n’est pas
un produit manufacturé et que la couleur est alors considérée comme naturelle :

67) «  (…) Les couronnes de lauriers et de chênes déteignent, à la pluie sur le


front et les joues des fillettes, qui deviennent horriblement livides » (France,
Pierre Nozière) (TLFE).

Le verbe met en relief le procès et le résultat : la « teinture » du front et des joues


des jeunes filles. Il n’est pas important de savoir si le laurier a ou non changé de
couleur, comme il n’est pas nécessaire de savoir si la couleur est originale ou non.
Étonnamment, ce sens constitue la seconde sous-entrée de déteindre dans le
TLFE et le PR :
«  B.− Emploi intrans. [Suivi d’un compl. péj.] Déteindre sur qqc. (ou sur qqn).
Donner à quelque chose (ou à quelqu’un) une partie de sa couleur » (TLFE)
« 2. V. intr. (1636) Perdre sa couleur. Se décolorer, passer. (…) déteindre sur : com-
muniquer une partie de sa couleur, de sa teinture à » (PR).

Guillemard (1998 : 393) n’en fait même pas mention :


« une couleur, un objet sont déteints s’ils ont perdu leur teinte d’origine ».
Seul le lexicographe du Lar. a choisi de définir ce sens en premier :
« Communiquer de sa couleur à quelque chose : Ton pantalon rouge a déteint sur les
serviettes » (Lar.).
Selon nous, cette «  contamination chromatique  » est pourtant une information
essentielle concernant le verbe déteindre, ce qui se confirme dans la définition
du sens figuré : c’est effectivement cette notion de « partage de couleur » qui est
activée. Un sens figuré est aussi mentionné pour décolorer, néanmoins, comme va
le montrer la comparaison présentée ci-dessus, la focalisation différente des sens
propres des verbes se reflète également dans l’information sémantique principale
désignée par le verbe au sens figuré.

8.2.3.3. Répercussion sémantique sur les sens figurés


Le sens figuré de décolorer n’est mentionné que dans le TLFE :
•  Décolorer
« B.− Au fig.
1. Altérer, modifier la couleur de quelque chose. Mon imagination colorait et
décolorait quelquefois mes illusions (Staël, Corinne,t. 2, 1807, p. 410).

208
2. Priver de beauté, d’éclat ; priver de signification. Mes jours, que le deuil déco-
lore, Glissent avant d’être comptés (Lamart., Harm., 1830, p. 426).
2. L’âge d’innocence a sa poésie, l’âge mûr a la sienne, et telle est la supériorité
de celle-ci, qu’en se révélant à nous, elle flétrit, elle décolore, elle anéantit le charme
de la première. (Jouffroy, Mél. philos., 1833, p. 320).
Emploi pronom. Perdre son éclat. Tous les événements de l’existence qui, au-
trefois, resplendissaient à mes yeux comme des aurores, me semblent se décolorer
(Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Suicides, 1883, p. 824).
− En partic., dans les domaines de l’expr. artistique. Décolorer le style.
♦ Emploi pronom. Toutes les expressions d’Homère se décolorent et deviennent
froides, muettes et sourdes (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 487)
3. … restituer leur sens plein à quelques mots français, comme droiture et probité,
que nous avons laissé se décolorer dans le magasin des accessoires romantiques!
(Martin du Gard, Jean Barois, 1913, p. 326) » (TLFE)

•  Déteindre
« Avoir sur quelqu’un une certaine influence, le marquer durablement : Sa jeunesse
difficile a déteint sur toute son existence » (Lar.)
« Fig. 1845. Avoir de l’influence sur » (PR)
« Au fig. et fam. Déteindre sur.Laisser les traces de son influence sur. La poésie est
faite pour nous dépayser, (…) non pour déteindre sur la vie (Renan, Feuilles dét.,
1892, p. 232)
4. Mais quand les mêmes amis l’eurent, en outre, convaincue (…) que son amant
finirait par déteindre sur elle, qu’à vivre avec lui elle gâchait son avenir d’artiste, à
son mépris pour Saint-Loup s’ajouta la même haine que s’il était obstiné à vouloir
lui inoculer une maladie mortelle. (Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918,
p. 783) » (TLFE)

Les conclusions que nous venons de tirer pour différencier les deux types de foca-
lisations des procès se reflètent dans les exemples avec le sens figuré : déteindre
signifie influencer, il y a alors effectivement nettement l’idée de « propagation ou
contamination », tandis que décolorer désigne de la même façon qu’avec le sens
propre une idée de perte d’éclat, d’altération négative.

8.2.4. Relations aux bases verbales à valeur positive


La relation entre les verbes de chaque paire, colorer/décolorer et teindre/dé-
teindre, est très intéressante et très différente. Tandis que déteindre semble un
verbe contraire à teindre puisqu’il signifie explicitement « enlever la teinture (pour
l’appliquer ailleurs) », décolorer et colorer ne semblent pas de sens strictement
contraire comme « mettre et enlever la couleur » puisque le procès de décolorer
ma voiture ne signifie pas « enlever la couleur et la rendre blanche ».

209
Cependant, suite à une observation plus minutieuse, quelques réserves sont
aussi à énoncer pour déteindre et teindre. Si cette hypothèse s’avérait, ceci impli-
querait que tous les procès avec teindre pourraient être mis en parallèle avec un
procès (soi-disant contraire) évoqué par déteindre, or comme le montre l’exemple
ci-dessous, ceci n’est pas vrai :

68a) Marie se teint les cheveux


68a’) *Marie se déteint les cheveux
68b) J’ai teint mon jean en noir
68b’) *J’ai déteint mon jean

Deux choses ressortent de ces exemples :


(i) d’abord pour les cheveux ne s’emploiera que décolorer :

69)  Marie se décolore les cheveux

Dans les dictionnaires vérifiés, un emploi collocationnel avec cheveux est toujours
mentionné dans la définition de décolorer :
« 2. Spécialt Décolorer les cheveux, leur ôter leur couleur naturelle » (PR)
« Faire subir aux cheveux une décoloration, éclaircir leur nuance naturelle » (Lar.)
«  [Avec un pron. réfl. indir. remplaçant l’adj. poss. lorsque l’obj. dir. désigne une
partie du corps] Se décolorer les cheveux » (TLFE).

Selon ces définitions, le verbe signifie « changer la couleur de base en la rendant


plus claire », voire très claire. Selon le Lar., la décoloration est une :
« destruction, perte ou affaiblissement de la couleur naturelle » (Lar.).

Suite à l’observation des emplois de ce substantif par les internautes, les


quelques premières pages de résultats ne concernent que les cheveux. La dé-
coloration est alors clairement présentée comme le nom d’un procès qui rend
les cheveux «  sans couleur  », c’est-à-dire blond (et non blanc, dans le do-
maine capillaire). C’est un des seuls référents qui permettent spontanément
cette approche où la couleur résultante est précisée comme complètement
perdue, incolore. La même lecture serait aussi envisageable, mais non obliga-
toire, avec d’autres référents comme des pigments ou des produits utilisés en
chimie.
(ii) La deuxième remarque concerne l’impossibilité de déteindre volontaire-
ment quelque chose de teint. D’un point de vue référentiel, ceci ne semble pas
impossible, mais linguistiquement, dès qu’est signifié un retrait de couleur, on

210
utilise de préférence décolorer162 sauf si c’est un objet non naturel, dont la couleur
est implicitement extrinsèque. Ce qui explique que le sens de déteindre est incom-
patible avec celui de cheveux parce que même si la couleur n’est pas naturelle, elle
est toutefois considérée comme intrinsèque.
Le deuxième exemple montre que ce n’est pas la seule contrainte : malgré
le caractère non intrinsèque de la propriété chromatique du référent jean, la
séquence fonctionne mal. Cette fois, le sujet syntaxique est en cause. Il peut diffi-
cilement être un agent ; le sujet syntaxique doit être le lieu ou la cause :

70a)  Le jean a déteint


70b)  Le soleil déteint les rideaux

Si l’agent doit être mentionné, il apparaîtra alors dans une structure causative163
qui spécifie qu’il est à l’origine du procès :

70c)  Marc a fait déteindre son jean

8.2.5. Applications à l’analyse de Gary-Prieur


Selon ces observations, la préfixation par dé- des verbes chromatiques correspond
à l’analyse de Gary-Prieur. D’abord, il est question dans les deux cas d’un procès
inverse.
De plus, les verbes construits ont des propriétés similaires à celles de leur base.
Décolorer a le sens le plus large, comme colorer ; le procès s’applique à tout type
de sujet avec ou non mention de la cause. L’information principale porte sur le fait
qu’il y a transformation de couleur (pas essentiellement sur la couleur résultante
ni sur l’origine) ; enfin l’information ajoutée par dé- stipule que la décoloration est
considérée comme négative : référentiellement, il y a moins de couleur, autrement
dit, la couleur est plus claire.
En ce qui concerne déteindre, le procès désigné est le procès inverse de teindre
« mettre de la teinture » qui peut être, dans certains contextes, similaire à colorer/
décolorer, sauf qu’en plus, l’agentivité nécessaire dans le verbe de base se retrouve
dans le verbe construit, ce qui implique cette notion de « re-déposition » ailleurs
de la teinture. Cette information est prédictible par rapport au sens de la base parce
que contrairement à la couleur qui n’a pas nécessairement de consistance concrète,

162 Préférence parce que, certes, presque tout est possible.


163 Comme faire faire.

211
la teinture est une masse homogène qu’il est possible de toucher. De fait, si elle
est enlevée ou séparée d’un lieu, elle ne peut « rester dans l’air », il faut qu’elle se
re-dépose quelque part. Certes, ce sens n’est pas toujours activé, mais comme le
montre l’emploi figuré qui y fait référence, il fait partie de l’information nucléaire.
Nous voulons maintenant expliquer les cas où cette préfixation est impossible.
Gary-Prieur, à la fin de son article, évoque des incompatibilités sémantiques (*dé-
savorter, *décesser), que Boon (1984) explicite dans un article. À l’aide de son
analyse, nous allons montrer que l’agrammaticalité des unités *décolorier, *dé-
nuancer et *déteinter est prédictible.

8.3. *Décolorier, *dénuancer et *déteinter


8.3.1. Hypothèse de Boons (1984)
Dans son article « Sceller un piton dans le mur ; desceller un piton du mur. Pour
une syntaxe de la préfixation négative », Boon se base sur l’article de Gary-Prieur
cité ci-dessus, dont il critique principalement la contrainte due aux incompatibi-
lités sémantiques. Finalement, il propose sa propre analyse qui nous semble in-
téressante et appropriée pour expliquer l’incompatibilité du préfixe avec certains
verbes chromatiques.
D’abord, suite à l’observation que les couples sceller/desceller, clouer/dé-
clouer, loger/déloger, embarquer/débarquer ne présentent aucune autre informa-
tion en commun que :
« l’idée très abstraite d’un état initial à un état final » (1984 : 99),

il redéfinit la notion de réversibilité : elle doit être très abstraite et ignorer la ges-
tuelle, les instruments ; on ne garde du procès « que l’état de choses considéré
comme son résultat, ou son point de départ » (1984 : 97). Il évoque alors un état
final (Ef) et un état initial (Ei) et un point de départ au procès considéré comme :
« l’ensemble des conditions qui doivent être remplies pour qu’il puisse avoir lieu »
(1984 : 97).

Il schématise (ibid.) ensuite ainsi ce type de procès :


« Tout procès qui comporterait une « amplitude aspectuelle » suffisante pour repré-
senter le passage d’un état initial à un état final peut être figuré par le graphe :

212
Il explique que :
« La flèche « m » représente l’information médiane (celle qui concerne tout ce qui
se passe pendant le déroulement du procès, considéré en lui-même à l’exclusion des
deux extrêmes »164.

Il montre que pour qu’un verbe puisse être préfixé par dé-, cette information
médiane ne doit pas être signifiante : il prend l’exemple du verbe *désinjecter qui,
explique-t-il, n’existe pas parce que le verbe injecter suppose l’utilisation d’un ins-
trument. Cet instrument fait partie de l’information médiane, d’où l’agrammaticali-
té de l’unité *désinjecter. Cette règle nous permet d’expliquer l’agrammaticalité de
*décolorier, verbe qui, comme nous l’avons montré ci-dessus, est très contraint ;
une des contraintes concernait justement l’utilisation d’un instrument particulier
(en plus, d’un support particulier). La question se pose alors de comprendre les rai-
sons pour lesquelles déteindre est possible, puisque de même que colorier, comme
nous l’avons décrit, le procès nécessite un agent, un support et un instrument spéci-
fiques. La différence réside dans le degré de responsabilité de l’agent. Il est certes
présent avec teindre mais la teinture a elle-même la propriété de (pouvoir) teindre :
l’instrument est plus « autonome » que l’instrument servant à colorier (ce que nous
avions montré par l’utilisation plus facile de l’instrument en sujet syntaxique avec
teindre que colorier). Cette relative non-importance portée à l’agent s’illustre dans
le sens du verbe déteindre tel que nous venons de le définir : ce qui importe est la
re-déposition de la couleur ailleurs, et ceci sans agent. De fait, cette information
médiane n’est pas assez importante pour bloquer le dé-verbe, alors qu’elle l’est
pour colorier, dont l’agent est indispensable.

8.3.2. Applications de l’analyse de Boons


La langue refuse les deux occurrences *déteinter et *dénuancer : selon Boons,
un verbe préfixé par dé- ne peut contenir d’informations médianes. La préfixa-
tion ne sera possible que quand le V a (logiquement) une polarité qui pourra être

164 Il émet l’hypothèse que tous les verbes peuvent être décrits par leur polarité initiale,
médiane ou finale  : «  ces trois types d’information fournissent une classification
naturelle des verbes locatifs, ainsi que, vraisemblablement, de classes importantes
de verbes non locatifs et de prédicats sémantiques non verbaux (adjectifs, noms pré-
positions), locatifs ou non locatifs » (1984 : 101). Cette classification se fonde sur le
principe de « polarité aspectuelle » « qui règle la présence dans le verbe de ces trois
types d’information » (ibid.). En général, les verbes sont soit l’un soit l’autre, et s’ils
sont les deux, il pèse alors sur eux de fortes contraintes.

213
inversée par le dé-V : polarité finale vs polarité initiale. De fait, si le verbe a une
polarité médiane, la réversibilité n’a rien sur quoi porter. Or comme décrit dans
les parties précédentes, les verbes teinter et nuancer ont un sens moins général
que colorer  ; corrélativement, ils sont plus informatifs  : l’un sur la façon de
choisir la couleur (nuancer), l’autre sur l’importance du résultat et l’intensité
de la couleur (teinter). Ce gain informationnel constitue l’information médiane
et bloque une préfixation en dé-. De surcroît, si on tient compte du degré de
réalisation d’un potentiel dé-verbe, il s’avère impossible pragmatiquement de
trouver une description qui pourrait correspondre à ces verbes qui indiquent
que la couleur subit une variation et dont le dé-verbe désignerait alors le procès
inverse de « varier ». Il ne pourrait pas désigner seulement l’absence de varia-
tion à cause des informations médianes qui construisent le sens du verbe. Ce qui
importe n’est pas la variation, mais la manière de varier pour nuancer et le but
de la variation pour teinter.

8.3.3. Déblanchir, débleuir, déjaunir, dénoircir, dérougir, déverdir


8.3.3.1. Séquences rares et fortement contraintes
Cette contrainte explique de même la rareté des verbes chromatiques négatifs sur
base originellement adjectivales.
Bien que nous ayons trouvé six occurrences  : déblanchir, débleuir, déjaunir,
dénoircir, dérougir, déverdir, nous voudrions toutefois signaler leur caractère peu
commun qui s’illustre par l’inégale distribution dans les répertoires lexicogra-
phiques. Le TLFE ne mentionne que :
« DÉROUGIR : cesser d’être rouge »
« DÉBLEUIR : en argot, Affranchir » ;

le Lar. ne cite que :


« DÉJAUNIR : enlever la couleur jaune de quelque chose (linge, cheveux) »
« DÉVERDIR : opérer le déverdissage »
« DÉROUGIR : litt. Perdre sa rougeur » ;

et le PR n’en choisit qu’une seule :


« DÉROUGIR : perdre sa couleur rouge [personne, partie du corps, chose] ».

Une recherche générale sur le moteur de recherche de Google n’a pas été beau-
coup plus fructueuse. Nous avons trouvé déblanchir mentionné dans Dictionnaire
vivant de la langue française qui cite Emile Littré, Dictionnaire de la langue fran-
çaise (1872–1877) :

214
« DÉBLANCHIR : (i) Enlever la croûte qui se forme à la surface des métaux en
fusion. Ôter la croûte d’étain des tables de plomb. (ii) Détacher le flan de dedans une
pièce de monnaie à l’aide du coupoir ».

Dénoircir est de même répertorié dans soit le Dictionnaire de l’académie fran-


çaise (1932–1935), soit le Emile Littré, Dictionnaire de la langue française
(1872–1877), respectivement :
« DÉNOIRCIR : Dépourvoir un objet de sa couleur noire »
« DÉNOIRCIR : Oter la couleur noire ».

Déverdir a une entrée dans Emile Littré, Dictionnaire de la langue française


(1872–1877) :
«  DÉVERDIR : Terme de métier. Perdre la couleur verte, en parlant des étoffes
sortant de la cuve au pastel, l’air leur enlevant la teinte verte, pour leur faire prendre
un ton bleu ».

Face à ce nombre très limité de verbes préfixés sur des verbes désadjectivaux, il
est remarquable qu’en outre, la plupart des sens soient spécialisés.

8.3.3.2. Sens spécialisés (déblanchir, débleuir, déverdir)


Déverdir ne s’emploie que pour nommer le procès forcé de faire mûrir les fruits.
Débleuir est un terme d’argot qui ne s’emploie que pour parler des novices qui s’af-
franchissent. Déblanchir désigne un procès tout à fait particulier dans le domaine
des métaux. À part déverdir, la relation de ces unités à la couleur désignée par la base
adjectivale n’est pas concrète. Pour déblanchir et débleuir, ce sont des sens figurés.
Pour dérougir, déjaunir et dénoircir, la couleur est concrètement impliquée
dans le procès.

8.3.3.3. Dérougir, déjaunir, dénoircir : contraintes et distributions


Pour ces trois verbes, une description du sens en termes de procès inverse est tout
à fait envisageable : une chose rougit = elle devient (plus) rouge et une chose dé-
rougit = elle devient <pas/moins rouge>. En d’autres termes, quelque chose qui
dérougit est quelque chose qui était rouge et qui ne l’est plus ou moins. Cependant,
on se rend compte spontanément que, bien qu’aucune mention ne soit ajoutée sur
le type de référents compatibles dans les dictionnaires, peu de « choses » peuvent
dérougir et il en sera de même de déjaunir et dénoircir. Les résultats assez bas et
peu variés de la recherche sur Google confirment cette observation.
Nous avons en effet observé la particularité du lien entre la propriété chro-
matique et le référent : un pull peut difficilement déjaunir alors que cette lessive

215
déjaunit les draps ou encore un pantalon ne peut dérougir tandis que l’eau a finale-
ment dérougi (exemple de Boons). Comme Gary-Prieur et Boons l’ont remarqué,
les contraintes qui pèsent sur les dé-V sont conformes à celles pesant sur le verbe
de base.
Dans la partie précédente, nous avons vu que les verbes chromatiques à base
adjectivale sont fortement contraints : il faut que la couleur soit naturelle, dans le
sens où même si elle est causée par une source extérieure, elle reste le résultat d’un
procès naturel. Corrélativement à cette règle, il est nécessaire que la couleur soit
une propriété potentielle du référent : pour que quelque chose rougisse, il faut que
« être rouge » soit une propriété potentielle au terme d’un procès dans le dévelop-
pement naturel de l’objet. Elle doit être aussi remédiable : un procès apte à rétablir
la couleur d’origine est envisageable.
Les usages des verbes préfixés par dé- sont parallèles ; pour qu’un procès in-
verse soit envisageable, il est nécessaire que le procès premier soit possible :

71a)  L’eau peut rougir/Le linge peut jaunir


71b)  *Le pantalon rougit/*Le pull jaunit

Ce qui explique la raison de l’agrammaticalité de la séquence suivante :

71c) *Ma mère a réussi à dérougir le pantalon que j’avais accidentellement coloré

Comme prévu, le sujet syntaxique des verbes déjaunir, dérougir ou dénoircir ré-
fère à des objets dont la couleur mentionnée par la racine verbale est une propriété
accidentelle du référent. Autrement dit, les objets sont jaunes, rouges ou noirs
suite à un procès qui les a accidentellement colorés : les draps blancs jaunissent,
les dents jaunissent, le visage rougit, les couverts en étain noircissent. L’utilisation
du verbe préfixé par dé- nomme le procès inverse du procès colorisant. Ce procès
n’offre aucune information sur les moyens employés pour « décolorer ». Il stipule
juste l’état final : l’objet au terme du procès est jaune, rouge ou noir et il ajoute
que cette propriété chromatique n’est pas essentielle au référent (autrement dit, ce
n’est pas la couleur originelle). De fait, cette description rentre dans le cadre de
l’hypothèse énoncée par Boons. En outre, ceci explique que les dents ne déblan-
chissent pas lorsqu’elles jaunissent, puisque le blanc est la couleur originelle ; par
contre, ceci n’explique pas pourquoi on ne peut pas déverdir les volets qui ont
verdi avec le temps.
On pourrait envisager qu’il faille que le procès de coloration soit naturel, qu’il
soit impliqué potentiellement dans le développement chromatique d’un objet :

216
hypothèse réfutée car le ciel ne peut ni dégriser, ni dénoircir…on pourrait alors
imaginer que le retour à la couleur originelle ne soit pas naturelle : alors pourquoi
ne peut-on pas déverdir le volet ?
La dernière question qui se pose alors est de se demander si le blocage résulte
d’un blocage pragmatique ou d’un problème linguistique ?
À la lumière du verbe déverdir, nous avons envie d’opter pour la deuxième
solution. En partant du principe que le verbe déverdir existe pour les bananes
(rendre les bananes « pas/moins vertes »), rien n’empêcherait à notre avis qu’il soit
compréhensible pour les volets :

72) ?J’ai acheté un produit pour déverdir les volets

Bilan
Les deux verbes déteindre et décolorer se distinguent principalement par la fina-
lité du procès. Pour déteindre, ce n’est pas l’altération (partielle ou totale) de la
couleur qui est concernée ou désignée sinon, le passage de la couleur d’un endroit
à un autre. Il n’est pas question de la perte ou de l’altération de couleur du laurier
dans notre exemple, mais bel et bien du passage de sa couleur/teinture d’un endroit
(le laurier) à un autre (le visage).
Bien que la majorité des lexiques que nous avons consultés ait choisi de classer
ce sens comme secondaire, nous postulons que c’est le sens premier de déteindre
et c’est ce qui l’oppose catégoriquement à décolorer. Les occurrences que nous
avons trouvées qui coïncident pour les deux verbes ne sont que des accidents de
la langue qui ont sans doute leur origine dans la confusion régnant dans le lexique
chromatique. Ce qui se confirme selon nous d’abord par la rareté des possibilités
de pouvoir substituer les deux séquences, puis par la relation sémantique néces-
saire qui s’établit entre le verbe de base et son dérivé (l’opération de construction
morphologique prévoit cet emploi) qui se traduit par la présence d’une valeur pro-
cessive ; de plus, ce trait sémantique se retrouve dans le sens figuré du verbe ; enfin
par l’incongruence des séquences ci-dessous qui, il nous semble, ne seraient pas
spontanément énoncées malgré leur similitude (certes parfois) avec les exemples
illustrant les termes dans les dictionnaires :

73a)  ?Le tronc de l’arbre déteint avec l’hiver


73a’)  Le tronc de l’arbre se décolore avec l’hiver
73b)  ?La peinture de ma voiture déteint avec le soleil
73b’)  La peinture de ma voiture se décolore avec le soleil

217
Nos conclusions concernant les verbes désadjectivaux confortent en un point
l’analyse de Boons : les contraintes pesant sur les verbes non préfixés se reflètent
dans celles des verbes préfixés. Dans la partie précédente, nous avions vu que les
verbes désadjectivaux se singularisent au sein du domaine chromatique. Ici, de
même, ils occupent une place tout à fait particulière, si particulière que nous ne
sommes pas parvenue à en expliquer complètement les acceptabilités.

Conclusion de la première partie


Nous avons d’abord montré que les noms et adjectifs de couleur, bien que
désignant une qualité (voire LA qualité) ne se comportent pas syntactico-
sémantiquement parlant comme les autres adjectifs auxquels ils sembleraient pour-
tant au premier abord être similaires (différence référentielle au niveau de la plu-
ralisation, localisation de la qualité, génitif de qualité, graduation). Nous avons
conclu qu’ils forment en fait une classe à part entre la classe des noms de qualités et
celle des noms de matière (ce qui se confirme par une lecture qualitative ou quanti-
tative mise en relief par la combinaison avec l’adverbe très), ne pouvant s’identifier
ni à l’une ni à l’autre mais partageant toutefois quelques propriétés de chacune.
Nous avons ensuite mené une description du lexique nominal et verbal chro-
matique. Premièrement, nous avons décrit ce qui rapprochait des unités comme
couleur, coloris, nuance, ton et teinte et ce qui au contraire les distinguer. Le
terme couleur s’est avéré être le terme hypéronyme. Néanmoins, les hyponymes
ne se rangent pas tous au même niveau. Le gain informationnel (propre au statut
d’hyponyme) se révèle à différents niveaux : la nécessité d’un agent pour teinte et
coloris les sépare de nuance et ton qui eux, présentent la couleur énoncée comme
la partie d’un tout, soit le spectre chromatique soit un ensemble de couleurs réu-
nies sous un même chapeau qualitatif (pastel, clair, etc.). Dans la deuxième par-
tie, nous avons comparé nos conclusions aux unités du domaine verbal (colorer,
colorier, nuancer, teindre, teinter) afin de vérifier si la hiérarchie régnant dans
le domaine nominal se reflétait au niveau verbal. Il s’est alors avéré que colorer
assume également le rôle d’hypéronyme. L’unité a effectivement un sens plus gé-
néral que les autres : il n’est question ni du résultat ni de la durée ni de l’intensité
du procès, il n’y a aucune contrainte sur ses arguments (tout peut tout colorer). Son
sens, bien que très proche de celui de teinter, s’en différencie par la notion d’inten-
sité incluse dans le sens de teinter. Colorier et teindre impose une origine agentive
au procès, non obligatoire pour les autres verbes. De plus, ce que nous avions défi-
ni pour nuance lors de la comparaison entre nuance et couleur se confirme dans le
lexique verbal. La notion incluse dans le nom d’étroitesse, de petitesse de l’espace

218
de chaque degré dénommé par nuance est transmise dans le sens du verbe, qui se
définit en termes de « légère modification » selon les références dictionnairiques.
La description des verbes désadjectivaux a mis en valeur leur singularité par
rapport aux autres verbes. Du point de vue des arguments, ils sont fortement
contraints dans la mesure où le sujet ne sera un [+ animé] avec un rôle d’agent que
dans des conditions particulières. En effet, le verbe signifie principalement un pro-
cès naturel et est, par définition, incompatible avec ce type de sujet. Pour résoudre
cette incompatibilité, soit le sens du verbe s’est étendu pour signifier une activité
soit un contexte stipulant que le procès est forcé a été ajouté.
Par ailleurs, contrairement à la distinction de Levin & Rappaport entre cause
interne et cause externe, nous avons proposé que dans tous les cas, les référents
ont une propriété intrinsèque qui permet la coloration, c’est-à-dire une cause in-
terne. Cette cause sera toujours stimulée par une cause externe. La différence d’un
emploi transitif ou intransitif du verbe s’explique alors surtout par la facilité à
nommer la cause externe qui va stimuler la cause interne.

Pour conclure cette partie concernant le lexique verbal, nous avons finalement
observé les verbes chromatiques négatifs : déteindre, décolorer face à l’absence
de *décolorier, *dénuancer et *déteinter. Grâce aux travaux de Boons qui stipule
que le préfixe dé- ne peut pas s’appliquer à des verbes à information médiane,
nous avons confirmé que les verbes colorier, teinter et nuancer se distinguent
des autres par le gain informationnel (concernant l’intensité de la couleur, l’obli-
gation d’une présence agentive ou l’importance du résultat qui constituent les
informations médianes) qu’ils donnent. Déteindre complète décolorer en ajoutant
l’information sémantique de « transfert de couleur » (basé sur le caractère proces-
sif du verbe de base teindre) absente avec décolorer. En ce qui concerne les verbes
désadjectivaux, cette partie a confirmé le statut particulier qu’ils ont en mettant en
relief l’irrégularité de leur distribution et la rareté de leur répertoriation dans les
dictionnaires (déjaunir, dérougir, dénoircir vs déblanchir, débleuir, déverdir) ainsi
que les difficultés à expliquer les blocages linguistiques, alors que pragmatique-
ment, le procès est possible : pourquoi une banane peut-elle être déverdie mais
non des volets ?

La seconde partie va s’opposer à la première en termes de domaine d’étude lié


au niveau de complexité constructionnelle des unités étudiées : tandis que ce qui
précède concernait les unités chromatiques liées à une base non construite (jaune,
rouge, vert, etc.) dans un cadre essentiellement syntaxique, la partie suivante
recensera et analysera les procédés morphologiques qui permettent de construire

219
des unités chromatiques. Nous verrons qu’il existe trois opérations de construction
qui ont chacune la particularité d’inclure un terme par ailleurs catégorisé comme
nom : (i) la composition : rouge Tiepolo, (ii) l’assemblage syntaxiforme : bleu de
Prusse et (iii) la conversion : saumon.
Nous décrirons pour chacune d’elles le type de référents dont le nom peut
intégrer une de ces constructions en explicitant les propriétés discriminatoires
propres à chaque opération constructionnelle.

220
Partie 2
Le Lexique Chromatique
Construit
La seconde partie concernera les unités qui désignent des propriétés chromatiques
et qui partagent toutes le point commun d’utiliser dans leur dénomination le nom
d’une autre entité (objet, individu, localisation) : par exemple, saumon, rouge
opéra, rouge Tiepolo/tiepolo, jaune de Naples ou gris d’acier.
Dans un premier chapitre, nous présenterons les problèmes qui se sont posés
lors de l’élaboration du corpus, ce qui justifiera la non-exhaustivité du corpus et
les restrictions supplémentaires que nous imposerons lors de la sélection des diffé-
rentes unités : l’attestation (via l’utilisation) d’une unité chromatique ne suffit pas
à ce que nous l’acceptions dans le corpus (par exemple, rouge Je t’adore ou Bleu
Midnight ne seront pas retenus).
Ensuite, en montrant que des combinaisons telles que jaune de Naples et vert
pomme constituent un tout et donc un individu lexical, nous pourrons conclure
que ces séquences peuvent être catégorisées comme adjectif. Nous analyserons
parallèlement les occurrences telles que abricot, fraise et montrerons que même
si d’une part, il leur manque une des propriétés stéréotypiques des membres de
cette catégorie et d’autre part qu’une certaine confusion règne dans les ouvrages
grammaticaux ou dictionnairiques, elles ont deux emplois165 : un nominal dans
J’ai mangé une fraise et un second adjectival dans La peinture fraise du salon est
magnifique !
Suite à cette démonstration, il nous faudra justifier d’un côté la possibilité de
combiner des unités [TdeC + Nom] ou [TdeC + de + Nom] et d’un autre, le chan-
gement catégoriel. Nous évoquerons l’existence d’opérations morphologiques :
nous décrirons alors les trois procédés de construction d’unités lexicales possibles
dans le domaine chromatique.
Finalement, nous souhaitons approfondir quelques points relatifs aux construc-
tions qui nous semblent dignes d’intérêt : d’abord la remise en question de la
dichotomie traditionnelle opposant les noms propres des noms communs. Nous
constaterons qu’elle n’a pas toujours lieu d’être dans le domaine chromatique où
les deux sont traités par la langue de manière univoque. Deuxièmement, nous
décrirons les conditions pesant sur le référent du nom de base et plus particu-
lièrement (comme nous le verrons) sur sa propriété chromatique, qui décideront
de l’opération morphologique choisie pour construire l’unité chromatique. Nous
observerons que tout dépend de la conceptualisation conjoncturelle de la propriété
par rapport au référent du nom de base.

165 Ce critère est essentiel si nous voulons ensuite parler de procédés morphologiques de
construction de mots.

222
Chapitre I – É
 laboration du Corpus ;
Problèmes et Critères Adoptés

Avant de décrire les différentes opérations de construction de mots, nous nous de-
vons de préciser quelques points concernant notre corpus d’unités. Il est essentiel
que nous justifiions le contenu non-exhaustif de la liste d’unités que nous avons
analysées.
La première raison est d’ordre pratique : il existe un nombre infini de termes
potentiels de couleur dans «  ce secteur de trésor terminologique du français  »,
comme l’appelle Verbraeken (1991). La seconde est d’ordre méthodologique : cer-
tains phénomènes influencent les créations lexicales, comme l’impact commercial
visé ; cette mainmise marketing fausse les données du système que nous voulons
décrire, puisque la nouvelle unité n’est pas créée de façon neutre, juste afin de
combler une « simple » lacune langagière.
Ces deux points entraîneront plusieurs conséquences sur l’élaboration du
corpus et les limites supplémentaires que nous nous sommes imposées pour le
constituer.

1. Nombre et dénomination de couleurs


1.1. Nombre infini de couleurs
Avant de commencer son article sur les termes de couleur, Verbraeken (1991 : 173)
se demande :
« Combien y a-t-il de couleurs ? ».

Il admet de suite que la question n’est pas simple puisqu’ :


« aux couleurs primaires et binaires s’ajoute, comme on sait, toute une nébuleuse de
tons intermédiaires ».

Chevreul (1849) recensait 14 400 tons166 et les cartes graphiques pour ordinateurs
fournissent un choix de 32 millions de couleurs. Indergand (1994, cité par Dubois

166 Il compte 720 couleurs et fait correspondre à chacune 20 niveaux de saturation


possible (teneur en blanc et noir).

223
& Grinevald, 2003 : 110) a dénombré, pour le seul domaine des carrosseries de
voitures, 40 000 couleurs commercialisées par les usines Valentine.
Verbraeken (ibid.) conclut alors que la langue ne peut pas suivre :
« il y en a d’innombrables autres [des couleurs] que la terminologie ne capte pas ; il
n’y a pas un terme par nuance possible, tant s’en faut ».

C’est pourquoi il poursuit son article en critiquant la non-exhaustivité du


recensement élaboré par certains auteurs comme par exemple Kristol167 (1978). Il
explique que, de toute façon :
« il serait d’ailleurs vain d’envisager l’élaboration d’une liste complète, car à n’im-
porte quel moment, n’importe quel auteur ou n’importe quel fabricant de couleur
peut inventer un nouveau terme, en lançant une désignation de fantaisie ou en choi-
sissant une référence analogique en principe acceptable mais jusqu’alors inédite ».

Il est, alors, évident et indiscutable que notre corpus n’est pas non plus exhaustif.
D’autant plus, qu’un second paramètre est à prendre compte.

1.2. Une productivité trop florissante


Face au besoin langagier toujours potentiel d’un locuteur désirant désigner une cou-
leur n’ayant pas encore de désignation, la langue offre trois procédés de construction
que nous décrirons dans la suite de ce travail. Chaque opération constructionnelle
(désormais OC) est régie par des contraintes qui lorsqu’elles sont respectées per-
mettent une production infinie corrélativement au nombre infini de couleurs. Dubois
& Grinevald (2003 : 104) justifient, d’ailleurs, justement leur étude par cette produc-
tivité et cette fréquence toujours grandissantes d’unités chromatiques :
« Cette étude des dénominations des couleurs dans diverses pratiques visait à montrer
la richesse linguistique des procédés utilisés par la langue française pour désigner les
phénomènes omniprésents de la couleur dans la culture française actuelle ».

Suite à plusieurs analyses de dénominations de couleur au sein de domaines diffé-


rents spécifiques, Dubois & Grinevald168 ont mis en relief la créativité florissante des
« designers de la dénomination », comme par exemple dans le domaine des peintures
de carrosseries, où l’évolution créative est très significative. Sur un échantillon d’une

167 Kristol (1978) recense 166 termes de couleur qu’il a répertoriés dans les œuvres de
Camus, Chappaz, Pagnol et Ramuz.
168 Ces deux linguistes ont mené plusieurs analyses afin de montrer qu’il existe un lien
entre le lieu de pratique de la couleur et la dénomination. C’est-à-dire que les procédés

224
couleur sur trois marques de voitures différentes des années 1970 à 1999, la différence
de dénominations reflète incontestablement le nouvel impact de l’aspect commercial
sur ce type d’unités. En étendant leurs observations à d’autres domaines où se mani-
feste également cette créativité influencée par des critères extérieurs à la couleur qui
n’est alors plus considérée seulement pour elle-même, elles expliquent (2003 : 99) :
« Il est particulièrement intéressant de noter le changement de stratégie de dénomi-
nation entre les années 1970 et la fin des années 1990 où l’on retrouve dans le choix
des qualificatifs des effets de marketing semblables à ceux d’autres pratiques, comme
celles des couleurs de vernis à ongles et de rouges à lèvre, voire de teintures de cheveux
pour les « jeunes », et ce en contraste évident avec les dénominations de couleurs pour
artistes, stabilisées dans la désignation d’un matériau également fixé par une tradition ».

Elles illustrent leur propos avec ce tableau (ibid.) :

Tableau 3. (Emprunté à Dubois & Grinevald) Évolution sur 18 ans des noms de couleur
de carosseire selon trois marques de voitures
1971–1972 1973–1974 1975–1976 1977 1999
VW Marine Olympe Eau Bahia Windsor métal
Niagara Orient Miami Bahamas Intense métal
Saphir Lagune Indigo nacré
océan Jazz nacré
Mystique nacré
Moonlight nacré
Peugeot Métallisé Spatial Clair métallisé De Chine
Pastel Métallisé Galaxie Santorin
Océan Pharaon
Impérial
De Rhodes
Renault Moyen 442 Métallisé Myosotis
Métallisé 126 411 Méthyl
456 Clair 410 Ciel
Clair 446 foncé Tabago
foncé Lazuli
Volt

linguistiques activés diffèrent selon le type d’objets possédant la propriété chromatique


qui doit être nommée. Elles se sont penchées sur 5 domaines particuliers : la peinture
artistique et décorative, la laine, les teintures pour cheveux, les vernis et rouges à lèvres
et les carrosseries de voiture. Elles ont mené des comparaisons et ont entre autres mon-
tré que le registre utilisé dans un domaine spécialisé comme la peinture d’art est plus
développé que celui des peintures de décoration.

225
Il est rapidement observable que dans des dénominations telles que Jazz nacré,
Tabago ou Volt, la relation à un référent ne se calcule pas aussi facilement que
celle avec ciel ou océan. Il s’avère que la dénomination est devenue un élément
si important du concept de vente que la créativité est à son paroxysme ; de fait,
l’effet visé par la nouvelle unité est davantage de l’ordre de la suggestion, de l’ef-
fet illocutoire souhaité que de la linguistique. Ainsi, il nous semble que ces unités
n’entrent plus dans le cadre de notre étude : un vernis par exemple s’appelant
Rouge Je t’adore ou Rouge Clin d’œil n’illustrera pas efficacement nos propos,
puisque à l’évocation de ces expressions, la relation entre Je t’adore ou Clin d’œil
et le rouge se construit davantage par « références culturelles partagées », comme
les appellent Dubois & Grinevald (2003 : 105), que par comparaison « concrète »
comme dans vert pomme ou abricot. La couleur n’est pragmatiquement pas
recalculable, seule l’émotion qu’elle doit susciter. Ce procédé est certes très inté-
ressant, mais nous préférons ne pas le traiter parce que comme nous l’avons dit
dans l’introduction générale, notre étude ne se concentre pas sur le côté cognitif
ou psycholinguistique du phénomène de la couleur. Nous ne garderons que les
unités qui permettent un calcul rapide et partagé par tout locuteur (preuve de son
appartenance à un système), ainsi capable de retrouver la propriété chromatique
désignée.
Un autre argument est en faveur de cette perte de motivation linguistique cau-
sée par l’influence économique. Les deux linguistes montrent que dans certains
domaines, les créateurs de désignations, afin de marquer la singularité de la gamme
de produits, ont choisi des dénominations appartenant au même champ lexical.
Elles expliquent (2003 : 96) que :
« Les termes utilisés dans les dénominations de teinture de cheveux par le biais de la
mention d’objets colorés pris comme référents relèvent de domaines très variés, mais
homogènes à l’intérieur d’une gamme de produits, en en constituant en quelque sorte
la « signature » commerciale. Par exemple, la gamme « Récital » de l’Oréal décline
des dénominations géographiques (Brasilia, Alicante, Bruges, Santa-Cruz, Hollywood,
Tahiti, Virginie, Scandinavie, Floride, etc.), tandis que la gamme « Nantéa » de Garnier
parcourt la sémantique de produits alimentaires, majoritairement dans le domaine des
fruits (myrtille, mûre sauvage, cassis, nectarine, macadamia, paprika mais on trouve
aussi capuccino, praline, vanille, camomille, réglisse, miel, etc.) ».

Or cette importance primordiale portée à l’appartenance au champ lexical est une


contrainte supplémentaire et extérieure qui influencera le choix du type de réfé-
rents : l’utilisation de l’unité ne se fait plus seulement sur des critères linguistiques.
Ceci joue contre le caractère naturel normalement impliqué par l’appartenance à un
système. Ce qui implique que leur acception dans notre corpus doit être modérée.

226
Le fait qu’elles soient créées sous l’influence d’autres restrictions n’empêche pas
toutefois qu’elles soient compréhensibles et recalculables, d’où leur place malgré
tout dans notre corpus, tout en signalant que le choix est un peu influencé par des
contraintes extérieures, d’où peut-être quelques particularités, comme la présence
d’hapax comme capuccino. En revanche, elles citent (2003 : 97) d’autres exemples
dans le domaine des teintures de cheveux qui seront immédiatement évincés de
notre liste, à cause du passage à une autre langue que le français :
Hot Ginger, Midnight Ruby, Deep blue, etc…

1.3. Répercussions sur le corpus


Ces deux premiers points169 justifient d’abord que le corpus ne soit pas exhaus-
tif : la liste pourrait encore et toujours être complétée. Deuxièmement, l’absence
de mots pourtant existants ne pourra nous être reprochée puisque comme nous
l’avons expliqué, nous préférons éviter d’inclure au sein de notre corpus les unités
dont la construction est trop influencée par des motivations externes comme celles
à but commercial. Nous ne traiterons par conséquent seulement les séquences dont
le lien entre le nom et la propriété chromatique est facilement recalculable, n’en-
gageant aucune notion évocatrice mais des propriétés chromatiques concrètes.
Nous utilisons donc principalement des unités trouvées sur le moteur de recherche
Google, dans la base de données Frantext et la littérature plus contemporaine, dans
les journaux ou même entendues. Nous nous servons également des dictionnaires
de Guillemard (1998) et ceux de Mollard-Desfour (2002, 2008, 2009, 2009, 2010,
2012). Nous sommes, certes, seule juge des limites du principe et du rejet ou non
d’une unité, cependant la cohésion régnant dans notre corpus est une bonne preuve
de la cohérence de notre principe.

169 Un troisième point est à noter même s’il ne nous concerne pas directement : Dubois
& Grinevald (2003  : 104) ont remarqué que selon les nuanciers, la dénomination
correspondante à une même pastille de couleur pouvait être différente. Ceci ne
représente pas un problème pour notre étude dans la mesure où la représentation de
la propriété chromatique ne nous importe pas, puisque seul nous intéresse le lien
entre le référent du nom utilisé dans la construction et la propriété chromatique ainsi
dénommée. Cette observation montre aussi la grande liberté au regard de la construc-
tion d’unités de couleur.

227
2. Catégorisation grammaticale des séquences du
type tilleul, vert pomme, rose mexicain et
jaune de Naples
Afin de pouvoir justifier qu’il existe, comme nous le stipulons, trois OC qui
construisent des termes chromatiques en utilisant une unité référant à un objet, il
faut d’abord montrer que ces unités ont bien deux emplois différents :

1a) Il y a des tilleuls le long de la route vs 2a) Il [le tee-shirt] est tilleul/Vert, taille
48 (http://www.vivelesrondes.com, consulté le 2.08.13)
1b) Les pommes sont dans le panier vs 2b) Le corps de la chenille de 1er stade est
vert pomme terne (http://www.linguee.fr, consulté le 2.08.13)
1c) Je suis allée à Naples vs 2c) Tout ce qui est jaune sur le scan est jaune de
Naples (http://modelisme-naval-bois.lebonforum.com, consulté le 2.08.13)

Pour vert pomme et jaune de Naples, il faut montrer que ces combinaisons
d’éléments forment une et une seule unité. Ensuite, grâce au principe
d’endocentricité170 qui stipule qu’une unité issue de composition sera de la même
nature catégorielle que l’élément-tête qui la construit, il sera aisé de catégoriser
vert pomme comme vert et jaune de Naples comme jaune. Ce sera un peu plus
ardu pour des séquences comme tilleul ou abricot puisqu’aucun autre mot déjà
connu (comme un terme de couleur, désormais, TdeC) peut indiquer le choix de
la classe grammaticale. Chaque séquence intègre deux positions différentes dans
la phrase. Elle est d’abord171 un substantif, puis elle apparaît sous la même forme
dans une position normalement attribuée aux adjectifs. À la lumière de l’analyse
de Kerleroux (1996) qui oppose deux types de procédés selon que l’unité occupe
une position syntaxique autre que la sienne sans pour autant prendre les proprié-
tés des unités de la classe ou au contraire en en adoptant les caractéristiques, nous
serons en mesure de montrer que concernant tilleul et les autres TdeC en emploi
absolu, il y a bien deux unités de catégories grammaticales différentes, à savoir
un substantif et un adjectif.

170 Le principe énoncé dans la théorie X-Barre stipulant qu’un syntagme est de la catégorie
de sa tête (comme [L’(étudiant)] est nom) s’applique de même en morphologie
constructionnelle.
171 L’ordre chronologique ne fait aucun doute : elle est d’ailleurs uniformément ainsi
recensée dans les lexiques terminologiques.

228
2.1. Feuille morte, vert pomme et jaune de Naples :
une unité polylexicale ou plusieurs unités ?
Au regard d’arguments syntaxiques et sémantiques, nous allons voir que chacune
de ces unités est un individu lexical constitué de plusieurs éléments qui composent
un tout dont les constituants, si on les sépare ne référeront plus à ce tout. Molinier
(2006), dans son essai de classification des termes de couleur en français propose
(2006 : 260) de classer ce qu’il appelle les adjectifs de couleur catégorisateurs172
bleu, vert, orange, indigo, lie-de-vin, aile de corbeau, bleu marine, vert pomme,
lilas, prune, abricot, aubergine, etc. dans un même ensemble. Sont donc réunis
(1) des adjectifs «  reconnus  », comme bleu et vert, (2) des mots qui réfèrent à
des objets, (2a) soit utilisé en emploi absolu, de composition simple abricot (2b)
soit en emploi absolu de composition complexe lie-de-vin, aile de corbeau (2c)
soit accompagné d’un terme de couleur vert pomme, bleu marine. Il considère
par conséquent qu’elles sont toutes à traiter pareillement et qu’elles sont donc
toutes un et un seul individu lexical. Nous postulons en plus que toute séquence
construite de façon similaire sera également rangée dans cet ensemble et aura de
même ce caractère unitaire.
Dans son énumération n’apparaît aucun exemple avec un nom propre (rouge
Tiepolo, bleu Bahamas) ou utilisant des procédés similaires à ceux utilisés en syn-
taxe jaune de Naples, rose mexicain. C’est pourquoi, afin de justifier leur appar-
tenance à une catégorie similaire, nous allons utiliser les tests qu’il a élaborés
auxquels nous inclurons rouge Tiepolo, bleu Bahamas, jaune de Naples et rose
mexicain.
Pour chaque test, nous citons les exemples de Molinier (2006 : 260–266) dans
une première parenthèse et les nôtres dans une seconde :

3a) Cette couleur est la couleur (bleue + rouge +jaune + verte + orange +


violette + indigo + lie de vin) (rouge Tiepolo + bleu Bahamas + jaune de
Naples + rose mexicain)
3b) Cette robe est d’une couleur (bleue + rouge +verte+abricot) (rouge Tiepolo +
bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain) ravissante

172 Il les oppose aux adjectifs de caractérisation générale des couleurs qui donnent des
indications sur la brillance, l’intensité par exemple. Nous nous servirons de cette
dichotomie plus tard. Pour l’instant ne nous intéresse seulement le fait qu’il ait classé
ensemble des unités comme bleu, vert pomme et lie-de-vin.

229
3c) Cette robe est de couleur (bleue + rouge + verte + abricot + prune) (rouge
Tiepolo + bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain)
3d) Cette robe est (bleue + rouge + verte + abricot + prune) (rouge Tiepolo +
bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain).

Selon ces acceptions, toutes les unités (qu’elles soient polylexicales ou non)
entrent dans des distributions similaires. En outre, pour tester l’intégrité des unités
polylexicales, les tests de dislocation sont également très probants :

4a)  Elle est de quelle couleur ? Jaune de Naples


4b)  ?Elle est jaune comment ? De Naples
4c)  Elle est de quelle couleur ? Vert pomme
4d)  ?Elle est vert comment ?  Pomme
4e)  Elle est de quelle couleur ? Rose mexicain
4f)  ?Elle est rose comment ? Mexicain

Le caractère incongru tend à montrer que ces unités fonctionnent dans leur
ensemble, qu’elles sont davantage liées que seulement par la syntaxe. Dans
les exemples que nous avons trouvés dans l’article de Veerbraeken (1991),
certaines unités sont, d’ailleurs, écrites avec un trait d’union : tête-de-maure,
queue-de-vache, etc. Cet argument est naturellement à modérer, compte tenu
du caractère prescriptif de l’orthographe, cependant il n’en reste pas moins un
indice.

2.2. Catégorisation des unités


Concernant la classe grammaticale de ces unités, comme nous l’avons mentionné
ci-dessus, la question ne se pose pas pour les emplois non absolus puisqu’en vertu
du principe d’endocentricité, si une des unités désigne une sous-espèce de l’autre,
les deux sont de catégorisation identique. De fait, si vert est un adjectif et que vert
pomme est un type de vert (cf. l’organisation des couleurs, Partie 1, Chap. II), alors
les deux sont à catégoriser pareillement. Le même principe s’applique à jaune de
Naples, rouge Tiepolo, bleu Bahamas et rose mexicain173.

173 Nous reparlerons ci-dessous de ces combinaisons [TdeC + Adj.] qui sont, selon nous,
à la limite de la morphologie et de la syntaxe, selon la base de l’Adj (cf. § 2.3.5.2.
Partie 2, Chap. II).

230
En ce qui concerne les séquences en emploi absolu, la démonstration est plus
complexe. Selon Kerleroux (1996 : 27) chaque position dans la phrase est typique
d’unités d’une certaine catégorie lexicale. Il est en effet possible d’associer à une
position phrastique une certaine classe de mots : les propriétés propres à la catégo-
rie lexicale d’une unité lui permettent d’occuper un nombre fini de positions syn-
taxiques ; de même, chaque position, selon ses propriétés, est disposée à recevoir
un nombre fini de types de catégories :
« la position qui attribue la position sujet de phrase peut dans ces conditions être af-
fectée d’une étiquette catégorielle [N’’] parce qu’elle accueille préférentiellement des
séquences qui se définissent, de par leurs propriétés intrinsèques, comme appartenant
à l’étiquette N’’ ».

Dans l’exemples 1a), l’article défini est un spécifieur nominal (pour reprendre
les termes de la théorie X-barre), ce qui semble indiquer que tilleul soit un nom.
Cependant, il est préférable de ne pas immédiatement catégoriser ces expressions
comme telles car comme l’ajoute Kerleroux, l’analyse en termes de position ne
suffit pas :
« on ne peut conclure ni de la position au terme, ni du terme à la position » (1996 : 27).

Ceci à cause d’un procédé syntaxique qu’elle décrit et qu’elle nomme distorsion
catégorielle qui autorise une unité à être « exceptionnellement » dans une position
contradictoire à sa catégorie lexicale. Kerleroux (1996 : 21) suppose que chaque
unité appartient de façon inhérente à une catégorie lexicale :
« on fait donc l’hypothèse que l’assignation d’une catégorie [à une unité] est fixe et
se fait dans et par le lexique ».

L’appartenance catégorielle étant une des trois propriétés inhérentes à l’unité :


« les propriétés intrinsèques, donc individualisantes, des termes sont la forme phono-
logique, le sens lexical et l’appartenance catégorielle » (ibid.).

Elle se définit par rapport à la structure argumentale de l’unité  : ce seront les


propriétés combinatoires de l’unité (en termes de spécifieurs à droite et de com-
pléments à gauche) qui détermineront la catégorie lexicale dont elle dépend intrin-
sèquement.
Par exemple, comme l’explique Kerleroux (1996 : 165), l’unité courageux est
un adjectif ; un est un spécifieur nominal, incompatible par nature avec un adjectif.
Or la phrase suivante ne pose aucun problème :

5)  Il est d’un courageux

231
Cependant cette compatibilité ne suffit pas à justifier un changement catégoriel
de courageux qui appartiendrait alors à la catégorie des substantifs. En effet, si
d’autres spécifieurs nominaux comme tel tentent d’être combinés, il s’avère que
les résultats divergent :

6) *Il est d’un tel courageux

Kerleroux en conclut que l’unité courageux apparaît dans une position nominale
mais qu’elle n’en acquiert pas pour autant les propriétés intrinsèques des membres
de la catégorie des substantifs puisqu’elle ne peut être déterminée par n’importe
quel spécifieur nominal. Elle ne peut donc pas être recatégorisée comme substan-
tif : c’est un cas de distorsion catégorielle.
Parallèlement à cette hypothèse, nous allons vérifier le statut des occurrences
qui nous intéressent. La définition d’individu lexical de Corbin (à paraître) nous
semble particulièrement adaptée pour mener une description optimale des uni-
tés. Elle attribue, en effet, à chaque unité linguistique un ensemble de propriétés
concernant la forme, le sens, la structure, l’histoire, la flexion et les propriétés
combinatoires. La conjoncture de toutes va décider de leur statut linguistique (et
donc de leur classe grammaticale). Afin d’éviter toute ambiguïté, nous préférons
redéfinir deux points de cette définition avant de procéder à l’analyse :

(i) forme et structure ne se confondent pas : forme est à saisir en tant que phonie et
graphie de l’unité lexicale tandis que structure renvoie au degré de complexité
constructionnelle (si l’unité est construite d’un point de vue morphologique
ou non) ;
(ii) la notion de combinaison s’opère entre deux termes qui peuvent appartenir
à deux domaines différents  : soit syntaxique, soit morphologique. Dans le
premier cas, il est question de l’unité et de son environnement potentiel dans
la phrase ; dans le second cas, il s’agit de ses disponibilités constructionnelles
à l’intérieur d’un mot. Ces deux types de combinaisons ne se recoupent pas,
nous les traiterons conséquemment dans des parties distinctes.

Par ailleurs, nous n’évoquerons pas dans la description qui suit, les propriétés
formelles et étymologiques énoncées dans la définition de Corbin parce qu’elles
se situent dans la problématique même de cette partie. En effet, le fil d’Ariane de
cette partie est la question à laquelle nous tentons de répondre concernant juste-
ment la forme : « Combien y a-t il d’individu lexical correspondant à la forme
unique phonique et graphique de tilleul dans les énoncés 1a) et 1b) ?  ». Deux
solutions sont envisageables : il y en a un seul et il faut alors rendre compte de son

232
aptitude à occuper deux positions syntaxiques différentes. En revanche, si nous
émettons l’hypothèse qu’il en existe deux distincts, il faudra expliquer la relation
entretenue entre les deux unités. Seulement une fois que nous aurons justifié une
de ces possibilités, nous serons en mesure de parler de l’histoire du mot et donc
de son étymologie.

La trame des paragraphes suivants est assez complexe à cause des conclusions
contradictoires des descriptions syntaxiques et sémantiques  : l’observation de
l’environnement syntaxique (épithète, attribut et graduation174) des unités ne suf-
fira pas à les catégoriser comme adjectifs, ce qui sera conforté par ailleurs par
l’absence de deux des propriétés typiques de l’adjectif (flexion et combinaisons
dérivationnelles). Par contre, leurs propriétés sémantiques montreront que référen-
tiellement, ces unités s’assimilent à des adjectifs en désignant comme n’importe
lequel d’entre eux une propriété d’objet.

2.2.1. Propriétés combinatoires syntaxiques


Pour l’ensemble de la démonstration, nous utiliserons le corpus ci-dessous :

7)  « Un carrick cannelle à cinq collets » (Goncourt, Journal, 1851)


8)  « Des courtines de soie émeraude » (Huysmans, Là-bas, 1891) (Frantext)
9)  «  Il porte un pantalon de Tergal noir brillant, à plis et pinces, n’a pas ôté son
cuir gris à soufflets, il est dessous en chemise blanche à rayures grenade,
pistache, avec cravate-polyester-vert-wagon raide comme une arme offen-
sive » (L. Lang, Les Indiens, 2001) (Frantext)
10)  « Des oriflammes de soie cramoisie, pourpre, cerise, rose, grenat, vermil-
lon, carmin : tous les tons de rouge » (Malraux, Les conquérants, 1928)
(Frantext)
11) «  Peu importe la veine, ce qui coule est vermillon » (Disiz, Le poids d’un
gravillon, 2012)
12a) « Aujourd’hui, c’est journée rouge chez Pshiiit. Enfin, pas tout à fait
rouge, je dirai plutôt framboise » (http://pshiiit.com/tag/vernis-framboise,
consulté le 2.08.13)

174 On pourrait objecter que la graduation ne relève pas de la syntaxe mais de la séman-
tique puisque c’est le sens de la propriété (et donc son intension) qui permet ou non
la graduation. Néanmoins ce phénomène bien que sémantique se manifeste dans la
syntaxe : les unités qui permettent de graduer sont des adverbes et l’adverbe est un
spécifieur typique de l’adjectif.

233
12b) °Sa robe est plus framboise que groseille, elle est plutôt fraise d’ailleurs !
13a) «  Dans les couleurs : noir, blanc, corail (plus foncé/flashy que la veste qui
est assez saumon) » (www.carolinedaily.com, consulté le 2.08.13)
13b) °Mais arrête, c’est déjà assez saumon175 !

Dans les exemples de 7) à 9), dans le cadre d’une description strictement dis-
tributionnelle, les unités cannelle, émeraude et pistache sont placées derrière
un substantif. Dans l’exemple 10), des formes de même type se suivent. Dans
l’exemple 11), elle suit la copule est. Dans 12) et 13), un adverbe (plus, plutôt,
assez) les précède.

2.2.1.1. Position épithète et attribut


En nous basant sur l’hypothèse de Kerleroux (1996) selon laquelle une unité
possède des propriétés intrinsèques (comme un environnement phrastique pré-
dictible), nous allons décrire, ci-dessous, les propriétés combinatoires d’ordre
syntaxique d’unités comme cannelle, vermillon, framboise, etc. afin de définir à
quelle catégorie lexicale elles appartiennent et si ces unités sont le fruit d’une opé-
ration de construction d’unités ou d’une distorsion catégorielle.
La position à droite du substantif ou d’une copule sont deux positions possibles
pour un adjectif comme le signale Bally (1950 :13) :
« [L’adjectif] doit être actualisé par la copule pour constituer un prédicat : cette robe
est rouge ; comme épithète, il forme avec son substantif un virtuel complexe (robe
rouge), qui ne peut être actualisé que dans son ensemble ».

Cependant, certains substantifs occupent également ces positions syntaxiques :

14a)  Un ticket restaurant


14b)  Un problème cheveu

Bien que ces unités occupent une position épithète (définie comme « juxtaposé à
un substantif »), Noailly (1990) affirme qu’elles restent des substantifs. La relation
entre les deux expressions linguistiques (ticket et restaurant ; problème et cheveu) ne
peut être assimilée à celle qui lie femme et petite dans une femme petite où petite est
incontestablement un adjectif qualificatif. Comme l’explique Noailly (1999 : 16) :

175 Contexte possible : deux personnes peignent sur la même feuille et l’une des deux
demande à l’autre de changer de couleur.

234
« on ne saurait parler d’adjectivation de N2176, si on associe à ce terme l’idée d’une
altération sémantique du contenu substantival. En revanche, on est bien dans le cas
d’un « substantif épithète ».

Selon elle, pour qu’il y ait changement de catégorie (en l’occurrence passage de
substantif à adjectif), le contenu sémantique doit nécessairement être modifié
(pour s’adapter au sens propre à chaque mode de référence). Or, l’unité cheveu a
un sens similaire dans les deux séquences suivantes :

15a)  J’ai les cheveux longs


15b)  Une lotion spéciale pour problème cheveu

Dans 15a) ou 15b), cheveu réfère à la même entité définie ainsi par le Petit Robert :
« Poil qui recouvre le crâne de l’homme) (s. v. CHEVEU, PR).

Par conséquent, la possibilité d’intégrer une position épithète ne suffit pas à caté-
goriser avec certitude une unité comme adjectif.
Pareillement, la position attribut ne constituera pas non plus un indice satisfai-
sant. Dans les séquences suivantes, l’unité médecin, malgré sa position attribut ou
épithète, n’est pas un adjectif :

16)  Il est médecin


17)  Il a un fils médecin

Bien qu’identiques en termes de position syntaxique, le type de référence de petit


et médecin n’est pas similaire :

18)  Il a un fils petit

Les deux unités réfèrent différemment : elles n’associent pas au nom recteur le
même type de propriétés, comme nous le verrons dans le paragraphe § 2.2.2.1.
De l’observation de ces deux positions syntaxiques, aucune conclusion
satisfaisante ne peut être tirée. La compatibilité avec la graduation pourrait
être satisfaisante dans la mesure où les adverbes graduant sont des spécifieurs
typiques de l’adjectif. Cependant, au regard des conclusions de la partie précé-
dente (Partie. 1, Chap. I) où nous avons montré la singularité de la graduation

176 N2 est le substantif en deuxième position dans le groupe nominal, soit restaurant ou
cheveu.

235
au sein du domaine chromatique, nous prévoyons que, de même dans ce cas-ci,
les résultats s’avèrent particuliers.

2.2.1.2. Modification adverbiale


Dans les exemples 12) et 13), un adverbe (plus, plutôt, assez), spécifieur typique
des adjectifs, précède l’unité étudiée. Le même problème se pose que dans le
paragraphe précédent. Deux termes sont comparés et ils peuvent appartenir à toute
classe de mots ; on peut comparer :

19a)  des procès et donc des verbes : Il court plus qu’il ne marche
19b)  des objets et donc des substantifs : Ma jupe est plus rouge que la tienne
19c) des propriétés d’objet et donc des adjectifs : Elle est plus rouge que verte
ta voiture

De même avec plutôt :

20a)  Plutôt courir demain que de me dépêcher maintenant !


20b)  J’aimerais plutôt un chien qu’un chat
20c)  Elle préférerait une chemise plus légère que celle en coton

En outre, nous savons que nos unités ne sont pas des verbes. Il apparaît de plus
qu’elles apparaissent sans article, ce qui pourrait être un indice en faveur de
l’adjectif. Cependant cet argument n’est qu’illusoire puisque facilement réfu-
table par les séquences dans lesquelles il semble intuitivement erroné de consi-
dérer les noms comme adjectifs même si ils ne sont pas déterminés :

21a)  Esteban est plus montagne que mer


21b)  Elle est plus café que thé

Finalement, cette première sous-partie ressemble plus aux termes d’une pro-
blématique qu’à une description apportant des informations sur la catégorisa-
tion des énoncés chromatiques. Ceci étant dû à ce que Kerleroux (1996 : 27)
appelle les positions polycatégorielles qui admettent des unités de différentes
catégories. Cependant, chaque unité possède des propriétés sémantiques qui
l’adjoignent à d’autres unités partageant le même mode de référence. Par mode
de référence, nous entendons « mode ou façon (d’être/de se réaliser) de ce qui
est énoncé  ». Par exemple, un substantif désigne un objet concret ou abstrait
qui peut être considéré de façon autonome ; ce qui le distingue de l’adjectif qui

236
désigne une propriété d’objet, c’est-à-dire une qualité qui ne peut être consi-
dérée indépendamment de l’entité à laquelle elle est associée (cf. Arnauld &
Lancelot, 1660 : 47).
L’analyse sémantique qui suit est construite parallèlement à la partie précé-
dente : nous allons décrire d’un point de vue sémantique les unités qui nous
intéressent dans les différentes positions syntaxiques (épithète, attribut et modifié
par un adverbe), en comparant la relation qu’ils entretiennent avec les membres
de leur environnement à celle entretenue entre le nom recteur et un adjectif pro-
totypique confrontée à celle entre un nom recteur et un autre substantif. Nous
conclurons de leur ressemblance à l’une ou l’autre catégorie.

2.2.2. Propriétés sémantiques


2.2.2.1. Positions épithète et attribut
Selon Riegel & alii (1994 : 355), l’aspect sémantique de l’adjectif se définit ainsi :
« [les adjectifs] indiquent une caractéristique essentielle ou contingente (un homme
irascible/furieux) du terme auquel ils se rapportent : forme dimension, couleur, pro-
priété (concrète ou abstraite) au sens large du terme, etc. ».

Selon Grevisse (1988 : 864) :


« Du point de vue sémantique, l’adjectif exprime une manière d’être, une qualité de
l’être ou de la classe désignés par le nom auquel il se rapporte ».

Un adjectif désigne des propriétés, il dépend alors sémantiquement de l’unité dé-


signant le référent auquel sont attribuées les qualités. Syntaxiquement, il n’est, par
conséquent, pas autonome, puisqu’il dépend le plus souvent d’un nom (mais pas
exclusivement : pleurer est salutaire, l’adjectif salutaire dépend d’un verbe) ; ce
nom est la dénomination du référent sur lequel s’appliquent les propriétés. Selon
Riegel & alii (ibid.) :
« le terme auquel ils se rapportent »,

c’est-à-dire le nom associé à l’épithète ou l’attribut.


Selon ces définitions, dans :

17)  Il a un fils médecin


18)  Il a un fils petit

si médecin est un adjectif, il doit comme petit assigner à fils des propriétés : petit
qualifie le référent fils en lui donnant la propriété « être petit ». Or, la relation

237
entre fils et médecin ne peut s’expliciter en termes de propriété : médecin n’as-
socie pas une qualité au référent fils mais le classe dans une certaine catégorie
référentielle dénommée médecin. Au regard de l’hypothèse de Noailly et d’alté-
ration sémantique impliquée pour tout changement catégoriel, médecin, que ce
soit dans 17) ou 18), ne semble pas avoir un sens différent. Ce qui s’explique
d’ailleurs par la singularité propre aux noms d’activité d’être employés avec
ou sans déterminant tout en gardant le même sens et par conséquent leur statut
nominal.
En ce qui concerne cannelle, dans ces deux exemples :

22)  J’ai acheté de la cannelle


7a)  Un carrick cannelle à cinq collets

le mode de référence dans les deux emplois diverge. Dans le premier exemple,
un procès a été opéré (acheter) et il porte sur le référent cannelle. La dénomi-
nation de cette entité permet de la classer dans une classe d’entités dénommées
comme elle, qui représente un ensemble d’objets partageant le fait d’être cette
entité, soit de la cannelle. Il est question d’un objet visible, qu’on peut toucher,
qu’on peut sentir. Dans l’énoncé 5), cannelle attribue au référent carrick une
propriété chromatique, cette qualité étant définie comme ressemblant à celle
de la cannelle. Chaque séquence active un type de référence distinct  : d’un
côté une entité, de l’autre, une propriété d’objets ; une altération sémantique
singularise donc les deux unités. Néanmoins, cette observation n’est encore
qu’un indice puisque deux unités désignées par la même forme phonique et
graphique référant à deux entités distinctes ne sont pas nécessairement de
catégories lexicales différentes : par exemple, les deux unités poire, le « fruit
du poirier  » et poire «  l’objet de forme analogue  » (s. v. POIRE, PR) sont
des substantifs. Mais contrairement à nos unités, elles réfèrent toutes deux de
façon similaire, pour reprendre les termes d’Arnauld & Lancelot (1662 : 47),
elles ont le même mode de signification : les substantifs désignent des subs-
tances, les adjectifs désignent des « manières de chose ou mode, ou attribut ou
qualité, ce qui étant conçu dans la chose, et comme ne pouvant subsister sans
elle, la détermine à être d’une certaine façon  ». Il est question de substance
dans « acheter de la cannelle » alors qu’avec le carrick, il s’agit de « manière
d’être ». Si les deux diffèrent par leur mode de signification, il semble alors co-
hérent de marquer syntaxiquement cette différenciation par la catégorie gram-
maticale : il existe cannelleN et cannelleA. La suite va confirmer cette première
hypothèse.

238
2.2.2.2. Modification adverbiale - Structure comparative
Cette analyse se fonde sur la confrontation de ces unités de catégorie différente
dans des séquences comparatives de structure syntaxique [sujet + être + plus + X +
que+ Y]177 :

19b)  Ma jupe est plus rouge que la tienne


19c)  Elle est plus rouge que verte ta voiture
21a)  Esteban est plus montagne que mer

Dans le premier exemple, la comparaison est établie entre deux entités (désignées
par des substantifs déterminés), ma jupe et ta jupe (qui figure dans l’exemple
sous la forme pronominale la tienne), c’est-à-dire en reprenant les termes des
schémas ci-dessus entre le référent du sujet et celui de Y. Dans le second exemple,
elle s’établit entre les unités montagne et mer (substantifs également mais non dé-
terminés), soit X et Y. Dans le dernier exemple, la comparaison est de même entre
X et Y, qui sont par contre des adjectifs. Ce qui va nous permettre de décider si
framboise et fraise sont des adjectifs ou des noms en distorsion catégorielle ressort
du sens impliqué dans ces séquences :

12b)  °Sa robe est plus framboise que groseille, elle est plutôt fraise d’ailleurs !

Seuls les deux derniers exemples 19c) et 21a) nous intéressent puisqu’avec fram-
boise et fraise, la comparaison est de même entre X et Y. Il s’avère que dans le
cas des adjectifs, comme il l’est prédictible, la comparaison s’établit entre des
propriétés et plus précisément en termes de possession/présence de la propriété
(qualité d’être jaune ou vert) sur une seule entité (voiture) et il est évalué laquelle
domine (soit en terme de quantité, soit en terme de qualité178). Lorsque ce sont des
substantifs, la notion de propriété n’existe plus : ce sont des situations « aller à la
mer » et « aller à la montagne » ou pour 21b) Elle est plus café que thé, « préférer
le café » ou « préférer le thé ». Comme dans l’exemple 12b), il s’agit de qualités,
le locuteur tente de calculer le degré de présence des différentes propriétés « être
framboise » et « être groseille » dans (ou sur) le référent robe. De fait, il nous
paraît juste de les classer parmi les adjectifs.

177 Nous parlons de structure de surface. Dans la structure profonde, ce sont des prédicats
qui sont comparés : ma robe est plus rouge que ta robe ne l’est, ma voiture est plus
verte qu’elle n’est jaune et Esteban est plus montagne qu’il n’est mer.
178 Nous renvoyons à l’analyse antérieure de [très + AdjChr.] pour une différenciation et
explication (cf. Partie 1, Chap. I).

239
Le dernier critère nous a déjà posé problème dans la partie précédente. Nous
avons vu que la graduation était atypique pour les adjectifs de couleur, ce qui
s’expliquait par le statut singulier de ces unités : entre nom abstrait de qualité
et nom concret de matière, s’opposant toutefois à ces référents par l’absence de
troisième dimension. Nous avons montré que la conjoncture de ces propriétés a
une répercussion très intéressante en ce qui concerne la graduation puisqu’elle va
permettre à celle-ci de s’appliquer sur le caractère soit qualitatif soit quantitatif de
la couleur. Et lorsqu’aucun des domaines n’est exploitable, la graduation portera
sur le jugement du locuteur.
Les difficultés rencontrées avec les adjectifs de couleur typiques (et reconnus
comme rouge, vert, etc.) se reflètent ici. C’est pourquoi nous ne choisissons que
quelques exemples « basiques » qui vont nous permettre d’illustrer notre hypothèse.
Suite à l’observation d’exemples avec l’adjectif typique jaune et l’unité étudiée
saumon :

23a)  ?Ce pull est assez saumon


23b)  ?Ce pull est assez jaune
13b)  Mais arrête, c’est déjà assez saumon !
24)  Mais arrête, c’est déjà assez jaune !
24a)  ?Cette tapisserie est trop brique, elle ne me plaît pas !
24b)  Cette tapisserie est trop jaune, elle ne me plaît pas !
25a)  ?Elle est moins brique, la tienne !
25b)  Elle est moins jaune, la tienne !

la graduation semble également possible, même si comme avec les adjectifs de


couleur, elle est singulière et nécessite parfois un contexte (c’est ce que nous
signalons avec le point d’interrogation). Ce n’est d’ailleurs pas le seul domaine où
ces unités sont particulières : au niveau des combinatoires morphologiques elles
s’opposent de même aux adjectifs typiques.

2.2.3. Propriétés combinatoires d’ordre morphologique


Il s’agit ici des opérations constructionnelles de mots pouvant s’appliquer aux
unités. Nous en évoquerons deux qui nous semblent essentiels pour le domaine
de la couleur : (i) le passage d’adjectif à substantif par conversion (Ma voiture
est rouge et J’aime le rouge) et (ii) la suffixation évaluative (avec –âtre comme
bleu → bleuâtre ou –asse comme jaune → jaunasse).
Dans le cas d’un emploi adjectival et nominal, les choses sont compliquées
dans le cas de nos séquences puisque nous essayons déjà de distinguer les deux

240
emplois. Sauf que comme nous l’avons vu, les propriétés sémantiques apportent
des éclaircissements. Nous avons trouvé des exemples tels que :

26) « et la couleur est sublime avec du chocolat, du noir, du kaki!  » (Viveles-


rondes.com, consulté le 2.08.13).

Il n’est pas question de l’entité chocolat-sucrerie mais bien d’une propriété chro-
matique179. Chocolat entre ici dans une énumération au côté de le noir et le kaki.
Cette possibilité ne peut s’expliquer que par le statut similaire des trois unités :
chocolat est donc dans cet emploi un substantif alors qu’il serait également caté-
gorisé selon notre hypothèse comme adjectif dans :

27a) « Chausson beige voiture chocolat » (www.billesdeclown.com, consulté le


2.08.13)
27b) « Maxi jupe chocolat » (www.mayssa.com, consulté le 2.08.13).

De même :

28a) «  Bonjour, vous devriez regarder comment irait une couleur moins vive que
le framboise, qui tendrait vers le bordeaux, presque couleur brique, et le
chocolat c’est une bonne idée bon courage  » (http://forums.france5.fr/la-
maison-france5/Decoration/encore-conseils-couleurs-sujet_1788_1.htm,
consulté le 2.08.13)
28b) «  Je pense qu’il faudrait un ton plus froid que le groseille pour équilibrer les
harmonies » (www.decomoderne.fr, consulté le 2.08.13)
28c) «  Ajoute le brun petit à petit en très petites quantités afin de ne pas dépasser
le stade du brique » (fr.answers.yahoo.com, consulté le 2.08.13)
28d) «  Les grenadine et menthe font un cocktail rafraîchissant » (Les pièces de
la maison, Catalogue de Corona peinture)
28e) «  Le vert met en valeur le brique » (Couleurs et harmonies, catalogue de
Corona peinture).

En ce qui concerne la suffixation évaluative, elle s’applique à certaines séquences :

29a) RoseA → rosâtreA
29b)  OliveA → olivâtreA

179 Nous avons vu dans les parties précédentes que cette altération sémantique est
prédictible.

241
Par contre, on ne trouve pas les séquences :

30a)  *Briquâtre, *briquasse


30b)  *Saumonâtre, *saumonasse
30c)  *Ivoirâtre, *ivoirasse
30d)  *Coraillâtre, *coraillasse
30e)  *Bouton d’orâtre, bouton d’orasse

Elles semblent d’ailleurs tout à fait inacceptables, ce qui ne s’explique pas. Sauf
pour bouton d’or dont l’agrammaticalité pourrait être justifiée par un blocage
formel : il est en effet difficile en français d’affixer les unités polylexicales. Par
exemple, comment appeler l’individu qui fait de la biologie moléculaire : un bio-
logiste moléculaire ou un biologie moléculariste ? Cependant, ceci ne justifie pas
l’agrammaticalité des autres. Surtout au regard de celles ci-dessous, également
non attestées, qui nous semblent pourtant moins « inconcevables » :

31a) °Orangeâtre180
31b) °Marronasse
31c)  °Mauvâtre, mauvasse

Nous avons d’ailleurs trouvé un hapax de maronnasse :


« Avec ce jeune homme barbu [Georges Lucas], tennis effondrés, chemise à carreaux,
shetland vert wagon et Levi’s maronnasse, le glamour hollywoodien en prend un
vieux coup ! » (Le Point, 8.9.1980) (Le vert).

Le blocage est de fait difficile à expliquer, d’autant plus que ces unités peuvent
entrer dans une construction morphologique ou para-morphologique181.
Certes peu peuvent servir de base (olive, orange, rose, ivoire), en revanche

180 Le signe diacritique ° indique que nous avons construit l’unité selon les règles de
construction et qu’elle est donc « potentiellement attestable ».
181 Nous entendons para-morphologique dans le sens défini par Corbin (à paraître). Les
procédés regroupés sous ce terme s’opposent aux procédés morphologiques dans la
mesure où ils n’ont pas accès aux unités infralexicales (les affixes). Ils ont par contre
accès « à des atomes syntaxiques auxquels n’a pas accès la morphologie, à savoir les
unités lexicales à sens instructionnel (déterminants, prépositions, etc.)  ». De plus,
« sans que ce soit une nécessité, les opérations syntaxiformes peuvent manipuler des
formes fléchies » alors que les opérations morphologiques n’utilisent que des unités
sous leur forme identitaire (la forme identitaire d’une unité étant sa forme de base en
quelque sorte, non fléchie, non affixée, hors contexte).

242
nombreuses sont celles qui peuvent servir de constituants à des unités polylexi-
cales construites :

(i)   soit par composition : rose saumon, bleu lavande


(ii)  soit par assemblage syntaxiforme : orange pâle, pêche trop mûre, vert mentholé

Ensuite, d’autres suffixes, exprimant la ressemblance (forme, matière, couleur)


notamment, sont possibles :

IVOIRIN : « A. Qui est d’ivoire ou qui a l’apparence de l’ivoire (…) B. Qui a la
couleur de l’ivoire » (TLFE)
SAUMONÉ : «  − [En parlant d’un poisson, en partic. d’une truite] Dont la chair a
une couleur rosée comme celle du saumon B. Dont la teinte rappelle celle du rose
saumon. Synon. Saumon » (TLFE)
ROSACÉ : « Dont les éléments sont disposés comme les pétales de rose » (TLFE).

Le blocage relève vraisemblablement d’une incompatibilité de l’instruction


sémantique de l’affixe et de celle de l’unité de base. Comme nous allons le voir
plus précisément dans les parties concernant les opérations morphologiques, la
propriété chromatique désignée par brique ou saumon désigne référentiellement
un segment du spectre chromatique très étroit par rapport à bleu, vert ou même
rose et orange qui peuvent référer à des ensembles de nuances au sein d’une cou-
leur. Avec saumon, une seule couleur/nuance est désignée et même si elle peut
différer selon la perception individuelle, elle est considérée comme unique : c’est
la couleur du saumon ou de la brique. Linguistiquement, s’opposent ici les noms
d’espèces dernières des noms de genre. De fait, il semble logique que sémantique-
ment aucune nuance ne puisse avoir tendance à être comme elles puisqu’elles sont
des espèces dernières. Cependant cette remarque est à prendre avec modération
puisque l’affixe fonctionne avec certaines occurrences. À propos des occurrences
affixées, nous avons remarqué qu’elles semblent plus lexicalisées que les autres :
rose, orange. Peut-être est-ce un signe du degré plus élevé de lexicalisation et donc
de « plus grande normalité » de l’unité qui aurait désormais un statut égal à celui
des adjectifs non construits. De fait, le comportement sémantique et syntaxique se
calquerait sur les unités normales : elles désigneraient alors un ensemble regrou-
pant des nuances et se laisseraient parallèlement graduer dans les mêmes condi-
tions que les unités normales. La flexion en genre et nombre est un autre indice
des différents niveaux de cette lexicalisation : les unités construites ne l’admettent
généralement pas, mais aucune contrainte prescriptive ne pèse sur rose.

243
2.2.4. Propriétés flexionnelles
Comme le dit Goes (1993 : 13) :
« L’adjectif prototypique nous apparaît comme une partie du discours dont la fonc-
tion principale est l’assignation d’une qualité à un support, une substance. Ceci
implique son incidence externe (…). Du point de vue morphosyntaxique, (…) l’in-
cidence externe [se traduit] par l’accord en genre et en nombre avec le substantif ».

Or les unités de notre corpus (monolexicale et polylexicale) n’admettent aucune


flexion ni en genre, ni en nombre :

32a)  Une robe tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples


32b)  Des robes tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
32c)  Un chapeau tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
32d)  Des chapeaux tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples

et comme nous l’avons dit, ce phénomène semble être à l’origine des questions
portant sur leur catégorisation.
De fait, nous allons tenter de voir les raisons de cette invariabilité. Après
avoir exposé et réfuté la thèse de l’ellipse comme explication de l’invariabilité
proposée par Guillemard (1998), nous présenterons celle de Tesnière qui est plus
convaincante.

2.2.4.1. La flexion de genre et de nombre


2.2.4.1.1. La marque du nombre
Selon nos conclusions, les unités sont des adjectifs. En tant que tels, elles
devraient posséder les propriétés typiques des membres de la catégorie comme
une flexion de genre et de nombre dépendant du nom recteur, comme l’écrivent
Riegel & alii (1994 : 358) dans leur définition de l’adjectif prototypique :
« selon la formule consacrée, « l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le
nom auquel il se rapporte ». Pour le nombre, l’adjectif fonctionne comme le nom : il
oppose une forme du singulier à une forme du pluriel. Pour le genre, le marquage est
différent : le nom possède généralement un genre constant (masculin ou182 féminin),
alors que l’adjectif présente un genre variable (masculin et féminin) ».

La flexion de nombre en français est l’ajout d’une marque graphique, en géné-


ral un /s/ final (parfois un /x/ ), qui n’altère pas la forme phonologique de l’unité

182 C’est Riegel & alii qui soulignent.

244
lexicale (hormis quelques formes irrégulières : par exemple al/aux, comme dans
la paire normal/normaux) :

33a)  Un chapeau vert [vεr]


33b)  Deux chapeaux verts [vεr]

Cette flexion ne modifiant ni la forme phonique ni l’écriture n’étant qu’une repré-


sentation secondaire de la langue comme le dit Saussure (1976 : 51) :
« L’écriture voile la vue de la langue »,

il est arbitraire de se baser sur la graphie de la marque du pluriel pour justifier notre
choix quant au statut de l’unité construite. La flexion ne dépend que d’une règle de
grammaire prescriptive qui interdit l’accord pour des séquences telles que :

34a) crème dans « de monotones hôtels crème à colonnades de stuc » (Morand,


Londres) (TLFE)
34b) brique dans « Ces étoffes rouge-brique (…) qui sont une marque distinctive
dans les tableaux des Le Nain » (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis) (TLFE).

Cependant cette prohibition n’est qu’un accord tacite entre grammairiens et comme
nous allons le voir dans la partie suivante « Règles de grammaire et usage », elle
s’oppose à l’intuition de certains locuteurs, qui bien qu’érudits183, fléchissent les
formes en question, comme par exemple A. Camus ou F. Werber qui écrivent :
« Forêts de cocotiers royaux dont les pieds trempent dans des lagunes émeraudes »
(Camus, Été)
« Les pommettes du jeune homme sont pivoines » (Werber, Troisième humanité).

2.2.4.1.2. La flexion de genre


L’absence de flexion de genre est, elle aussi, pour les unités chromatiques
construites, proscrite des grammaires. Cependant, au contraire de la flexion de
nombre, elle nous pose un problème puisqu’elle entraîne des variations phoniques :
mignon, mignonne, vert, verte sauf si l’adjectif se termine également par un -e
muet (rouge/rouge). Certes de nombreuses unités que nous avons répertoriées se
terminent par un –e muet : cerise, framboise, groseille et d’autres présentent des

183 Les citations émanent d’écrivains ou de journalistes, c’est-à-dire de personnes suppo-


sées connaître la langue et ses règles.

245
terminaisons qu’il semble difficile de féminiser : acajou, cachou184, bouton d’or.
Cependant de nombreuses formes ne présentent a priori aucun facteur qui bloque-
rait la marque du féminin :

35a)  vert/verte vs grenat/*grenate


35b) mignon/mignonne vs marron/*marronne

Le nombre de formes « fautives » recensées se révèle moins élevé que celui avec
le pluriel. La variation phonique en est sans doute à l’origine : elle implique néces-
sairement un autre niveau de « responsabilité » du locuteur qui opterait pour une
flexion de féminin. Cependant que le locuteur rejette la flexion de façon intuitive,
gêné par l’incidence de l’accord sur la phonie, laisse penser que l’invariabilité a
des raisons.
Comment les grammairiens justifient-ils cette restriction ?

2.2.4.1.3. Hypothèses sur les raisons de l’invariabilité


2.2.4.1.3.1. « Point de vue » des grammaires traditionnelles
Le titre de ce paragraphe se laisse interpréter de deux façons, parallèlement aux
deux types de justifications observables dans les grammaires.
Soit comme Grevisse (1986 : 156), les grammairiens n’ont « point de vue »,
dans le sens où ils n’expliquent rien ; ils ne font qu’énumérer les cas où l’accord
n’est pas toléré185. Soit contrairement à ces grammaires descriptives, les gram-
mairiens tentent, plus ou moins brièvement, de donner leur « point de vue » sur
d’éventuelles raisons à l’absence d’accord.
Riegel & alii (1994 : 358), sans expliquer les raisons, mettent en cause la
construction morphologique186 :
« Des éléments appartenant à d’autres classes grammaticales, variables ou inva-
riables, peuvent acquérir le statut d’adjectif qualificatif grâce au phénomène de trans-
fert (conversion) communément appelé « dérivation impropre ». (…) la dérivation
impropre explique certaines particularités orthographiques : adjectifs invariables
(noms de couleur, adverbes)… ».

184 Le PR atteste toutefois choute, d’où une forme potentielle ?acajoute et ?cachoute.


185 Ce peut être l’objet visé de la grammaire qui se veut descriptive et non explicative.
186 Tesnière (cf. § 4.1.3.3. de ce chapitre) évoquera des raisons similaires mais tentera en
plus de les expliquer.

246
Noailly (1990 : 44) cite l’opinion communément acceptée :
« Les dictionnaires des difficultés de la langue française « conseillent » de ne pas
accorder N2 à N1 dans ces cas-là voulant marquer par cette interdiction les limites
qu’il convient de fixer à l’adjectivation des substantifs. Cela commence par les adjec-
tifs de couleur et s’étend aux autres cas ».

Selon elle, la non-flexion rappellerait l’origine des occurrences : ces unités, avant
d’être adjectifs, étaient des noms. Cependant, elle modère l’interdiction : il est
« conseillé », ce qui implique que l’accord peut avoir lieu (même s’il faut recon-
naître que le non accord est sûrement plus fréquent : c’est d’ailleurs cet usage qui
est enseigné dans les écoles).

Face à ces «  explications sommaires  », d’autres auteurs ont tenté d’expliquer


l’invariabilité plus linguistiquement. Ils justifient le non accord par le procédé
employé pour construire les unités : (i) soit comme une conséquence de l’ellipse
comme le propose Guillemard, ce qui ne nous satisfait pas ; (ii) soit comme résul-
tat d’« une dérivation impropre », comme Tesnière l’évoque dans son hypothèse ;
au contraire de Riegel & alii, Tesnière cherche précisément le lien qui unit l’unité
de base et l’unité «  translatée  » comme il l’appelle et dans quelle mesure cette
relation serait à l’origine de l’invariabilité.

2.2.4.1.3.2. L’ellipse comme explication de l’invariabilité Guillemard (1998)


Selon Guillemard (1998), l’invariabilité s’expliquerait comme résultant de l’ellipse
à l’origine de l’unité construite :
« Les noms ou syntagmes nominaux187 désignant des couleurs d’origine animale, vé-
gétale ou minérale restent généralement invariables, car on considère que la locution
« couleur de … » est sous entendue. Cette règle, comme toutes les règles, est sujette
à des exceptions188 (…) ».

Selon elle, dans la séquence :

36a)  Une robe grenat

187 Elle parle de noms ou syntagmes nominaux, mais lorsqu’elle énumère les exceptions,
elle cite par exemple : des lèvres incarnates où incarnat est en position adjectivale.
Par conséquent, on peut déduire qu’elle inclut les adjectifs et syntagmes adjectivaux.
188 Remarquons avec quel talent les auteurs se déchargent de toute difficulté quant aux
différences d’acceptations de l’accord.

247
est sous-entendue « couleur de » :

36b)  Une robe couleur de grenat

ce qui justifierait le non-accord. Cette analyse était déjà proposée par Togeby
(1982 : 270) :
« primitivement, les substantifs de couleurs se construisaient comme épithète par
l’intermédiaire du mot couleur : mon imperméable couleur de sable (Butor, Emploi 9)
les vieilles façades couleur de suie (Porché, Beaudelaire 8) quand il revit les murs cou-
leur de café (Green, chaque 295) un grand nœud de satin couleur paille (Fraigneau 13)
2. C’est ce qui explique qu’en général, les substantifs de couleur ne se mettent pas au
pluriel après un substantif au pluriel : Leurs éclatants pelages acajou, noirs, pourpre,
bronze et feu (Simon, Histoire 87) dans ses chaussettes amarante (Perret, Caporal
250) Michèle, une ravissante blonde aux yeux marron (France soir 13–1–68, 5) ».

Cette analyse serait éventuellement envisageable pour les unités simples (c’est-à-
dire les unités complexes mais monolexicales du type de grenat ou rose), cepen-
dant elle pose problème dès qu’elle est étendue à l’ensemble des unités construites
qui désignent des propriétés chromatiques.
Dans l’unité polylexicale vert pomme, le premier constituant vert se comporte
comme un adjectif typique en position d’épithète :

37a)  Un chapeau vert, des chapeaux verts/une robe verte, des robes vertes

or il devient invariable lorsqu’il est en composition. Il ne s’accorde ni avec le nom


recteur de l’unité polylexicale (robe), ni avec le nom qui le suit (pomme) et avec
lequel il constitue une unité complexe :

37b)  Une robe vert pomme


37c)  *Une robe verte pomme

En admettant l’hypothèse envisagée par Guillemard, même si elle ne cite pas ex-
plicitement ce type d’unités, il en découle que si l’ellipse est rétablie, deux gloses
seraient possibles :

37d) Une robe couleur verte de la pomme


37e) Une robe verte couleur de pomme189

189 On pourrait gloser par Une robe du vert de la pomme ou Une robe d’un vert comme
celui de la pomme où vert est un nom, ce qui expliquerait donc le non-accord. Mais
ces paraphrases ne fonctionnent plus parallèlement à celles émises pour les formes

248
Dans ces deux paraphrases, vert est au féminin, puisque dans cette logique tous
les premiers constituants de composé seraient féminins comme ils s’accordent à
couleur (cf. Une chemise couleur verte) ou variables s’ils s’accordent comme des
adjectifs prototypiques au nom recteur :

37a)  Un chapeau vert pomme vs 37c) *Une robe verte pomme

De fait, il est indéniable que cette hypothèse est insoutenable pour justifier l’inva-
riabilité des unités converties parce qu’elle ne permet pas de répondre de tous les
cas, comme celui des unités issues de composition où elle ne peut être rétablie sur
le modèle des unités monolexicales sans poser un problème de genre.

2.2.4.1.3.3. Hypothèse de Tesnière (selon Corblin, 1995 : 232–237)


Pour expliquer le caractère invariable de ces séquences, Tesnière se base sur les
propriétés qu’il a attribuées à ce qu’il appelle la translation, c’est à dire comme
Corblin le résume :
« une translation n’est pas par définition un changement de catégorie ; une transla-
tion tient seulement au fait qu’une catégorie tient la place « naturelle » d’une autre
catégorie : ici un nom tient la place naturelle d’un adjectif » (Corblin, 1995 : 233).

À partir de cette définition de la translation, Corblin (ibid.) développe et définit :


« (…) la translation comme « naturalisation » : la catégorie de départ acquiert les
droits et devoirs de la catégorie d’arrivée, mais non ses propriétés. En l’occurrence,
le nom a un genre inhérent, à la différence de l’adjectif, et il ne peut tolérer comme
l’adjectif, de voir son genre assigné par un nom du contexte. La conclusion, dit
Tesnière, est que le nom translaté en adjectif reste invariable ».

Il entend par droits et devoirs la place dans la phrase, soit ici la place déterminée
par la fonction d’épithète et le sens de base de la catégorie d’arrivée, soit le sens
d’un adjectif, c’est-à-dire la nomination des propriétés. En revanche, il n’admet
pas les mêmes propriétés, ici il parle de flexion, le genre ne peut pas dépendre du
contexte, puisqu’ :
« un nom, lorsqu’il est translaté garde « son genre lexical » » (ibid.).

Par conséquent, il ne peut s’accorder avec un nom puisqu’un substantif a un et


un seul genre, il est féminin ou masculin. Le genre est inhérent au substantif, il

monolexicales avec « couleur de » et pose donc un problème de cohérence pour la


réfutation de l’hypothèse.

249
ne dépend que de lui-même. Par conséquent, même quand l’unité est transla-
tée, elle est employée différemment dans la syntaxe (ici en épithète) mais elle
garde certaines propriétés qui lui étaient intrinsèques dans sa fonction initiale, par
exemple, son genre unique si elle était substantif.
Corblin (1995 : 134) signale que :
«  Tesnière se contente de dire que le substantif «  devient  » en tant qu’adjectif,
invariable, restant selon ses propres termes au plan des marquants morphologiques
et sans se prononcer sur le genre et le nombre de l’élément translaté ».

Néanmoins, Corblin trouve non satisfaisant d’affirmer que dans la séquence :

38)  Une robe marron

le nom recteur est féminin et le nom translaté est masculin. En reprenant la logique
de Tesnière, il attribue alors à l’adjectif une valeur par défaut donnée par le nom
recteur :
« [le nom translaté] reçoit une valeur par défaut, dont la manifestation formelle est
identique au masculin »,

ce qui implique que le nom translaté en adjectif n’ait pas de genre, il est en quelque
sorte neutre et le genre de l’unité translatée est attribué par le nom recteur.
Ainsi, Corblin justifie le non-accord par la construction : c’est le procédé de
construction qui bloque la variation flexionnelle, puisque le nom translaté garde
ses propriétés initiales.
Cette hypothèse est beaucoup plus satisfaisante que celle de l’ellipse. Mais
alors, une question se pose que Noailly (1990 : 13) formule en ces termes :
« [cela] nous amène et nous oblige à redéfinir les rapports si subtils du substantif et de
l’adjectif en français contemporain. Comment se décident les rôles respectifs dans des
groupes comme un gris acier, une coquette potiche, un calme modèle ? Les transferts
(ou transposition chez Bally ou translation chez Tesnière) sont dans notre langue si
aisée, si omniprésents qu’on peut se demander (…) où se situe la différence ».

Ces séquences peuvent-elles être considérées comme des adjectifs ? Où se situe la


frontière, à quel moment l’unité change-t-elle de catégorie grammaticale ?
Comme vont l’illustrer les citations dans la partie suivante, certains auteurs
sont en faveur du « changement de catégorie ». En effet, en accordant l’unité
avec le nom recteur et en allant ainsi à l’encontre des prescriptions de la gram-
maire traditionnelle, ils jugent que ces unités ont changé de catégorie et qu’elles
se placent régulièrement aux côtés des adjectifs prototypiques. Cependant,
l’existence de ces deux usages (prescriptif et «  intuitif  ») dénote une certaine

250
hésitation quant à leur statut, ce qui justifie l’utilisation du verbe conseiller dans
la citation de Noailly ci-dessus.

2.2.4.2. Règles de grammaire vs usage


La « règle » de grammaire qui vient d’être discutée n’est pas toujours suivie, ce qui
prouve qu’elle suscite une incompréhension de la part des locuteurs qui cherchent
à régulariser ces unités en les accordant et ainsi les assimilent à des adjectifs. Des
« exceptions » ont été recensées par Grevisse (1986 : 882) :

39a) «  Chevaux pies » (V. Hugo, L’homme qui rit, 1869)


39b) «  Tuniques jonquilles, violettes, amarantes, oranges  » (J. et J. Tharaud,
Rabat, 1919)
39c) «  On dit que la robe est noire-pie » (M. Diffloth, Zootechnie, races bovines,
1922)
39d) «  Des oies vermillonnes » (J. Giraudoux, Suzanne et le pacifique, 1921)
39e) «  La giroflée marronne aime le vent de mer » (Jammes, Clairières dans le
ciel, 1916).

Noailly cite :

39f) « Des jeans carottes » (Le Monde, 17.2.82)

et Togeby (ibid.) explique que :


« (…) puisque la différence ne s’entend pas, on trouve aussi le pluriel : des vagues
cafés au lait battaient le grand Bé (Beauvoir, Force 114) Le soleil illuminait de reflets
feux sa chevelure rousse (Daniel-Rops, Mort 34) ses yeux marrons, vigilants (Saint
Pierre, Prêtres 88) On écrit chevaux pie (Malraux) ou chevaux pies (Butor) ».

Tous ces exemples montrent que l’accord n’est pas absolument inconcevable que
ce soit en genre ou en nombre (la giroflée marronne/des jeans carottes) ou dans
une forme monolexicale ou polylexicale (tuniques jonquilles/la robe noire-pie).
L’argument évoqué par Togeby concernant la facilité d’une modification en
nombre puisque muette est alors erronée comme le montrent maronne et vermillonne
ou encore les exemples suivants trouvés grâce au moteur de recherche Google :

40a) «  La beauté d’une robe verte pomme  » (http://www.autopromopro.com,


consulté le 2.08.13)
40b) « Robe verte pomme grany smith » (http://www.flickr.com, consulté le 2.08.13)
40c)  « Veste en velours violette prune » (http://leboncoin.fr, consulté le 2.08.13)

251
Voici toutefois, pour bien montrer que ces accords suivent l’intuition du locu-
teur, ce que nous avons observé sur un site qui propose des robes de différents
verts. Une robe est qualifiée de verte pomme et une autre de vert anis (http://www.
robedesoireepascher.fr, consulté le 2.08.13). Il est légitime de se demander ce qui
a motivé le locuteur à choisir une fois le genre féminin et l’invariabilité quelques
lignes plus loin. On peut d’ailleurs aussi se demander entre quels membres l’ac-
cord est opéré : verte comme pomme et vert comme anis ? Difficile de répondre
à ces questions ; de toutes façons, ce n’est pas notre propos : ce qui nous intéres-
sait surtout était de montrer que la grammaire et l’usage sont en discordance, ce
qui tend à montrer qu’une catégorisation comme adjectif est prépondérante pour
certains locuteurs (moins marqués par les prescriptions de la grammaire) qui en
accordant se laissent influencés par leur sentiment linguistique. Il s’avère que c’est
également le choix des lexicographes en général.

2.2.5. Catégorisation dans les dictionnaires


Dans les premières phrases de son article traitant des problèmes rencontrés dans
le traitement lexicographique des termes de couleur, Mollard-Desfour (1990 : 69)
cerne le problème en décrivant ce à quoi elle fut confrontée lors de son étude des
unités chromatiques au sein du dictionnaire TLF :
« L’examen des termes de couleur dans les dictionnaires du XIXe et XXe s. met en
lumière de nombreuses lacunes dans le traitement lexical de ces termes : oublis,
ambiguïté ou contradictions dans les définitions des nuances… ».
Elle remarque que même un grand dictionnaire de renom tel que le TLF n’est pas
à l’abri et en explique (ibid.) les raisons :
« Le TLF n’évite pas toujours ces lacunes dues à l’extrême diversité et complexité
d’un lexique en perpétuelle évolution, à ses référents : référents souvent techniques,
culturels, historiques…, à l’évolution sémantique de la teinte, à la valeur subjective
de la couleur liée à la valeur descriptive …».
Certains dictionnaires adoptent alors la stratégie la plus simple : l’absence d’infor-
mations pour être sûrs de ne pas se tromper.

2.2.5.1. Aucune information catégorielle


Tous les dictionnaires ne sont pas égaux face au contenu informatif des séquences
chromatiques qu’ils définissent. Par exemple, tout reste très vague dans le DMC.
Guillemard ne s’attarde pas à catégoriser les unités qu’elle décrit : souvent elle
ne spécifie pas la catégorie de la séquence définie. Elle précise simplement dans
l’avant-propos que :

252
« les noms ou syntagmes nominaux désignant des couleurs d’origine animale, végé-
tale ou minérale restent généralement invariables ».

Elle parle soit de substantifs si nom est pris dans le « sens propre », soit de subs-
tantifs et d’adjectifs si elle divise comme certains linguistes la catégorie nommée
nom en substantifs et adjectifs. Elle ajoute ensuite que :
« les exceptions sont théoriquement les mots fauve, rose, écarlate, mauve, incarnat
qui s’accordent avec le nom ».

À présent, elle parle de mots, serait-ce le reflet d’une hésitation de sa part quant
à la catégorie dans laquelle placer ces unités ? Cependant, en évoquant un accord
possible avec le nom, il semblerait qu’elle évoque des adjectifs.
Dans les définitions, elle est de même très peu précise, par exemple concernant
bouton d’or, elle écrit juste (1998 : 295) que :
« C’est une fleur, jaune évidemment, mais aussi le nom de sa couleur » (s. v. OR, DMC).

Dans l’exemple qui illustre sa définition, il s’avère que l’unité est en position
d’attribut donc elle évoquait un adjectif :
« Le salon était bouton d’or avec des tapis bleus. » (Élisabeth de Clermont-Tonnerre,
Mémoire : Au temps des équipages, 1928) (DMC).

En revanche pour coquille d’œuf, elle décrit la couleur (1998 : 123) sans aucune
remarque sur l’emploi phrastique et sans donner d’exemples :
« Blanc légèrement teinté de beige rosé qui est en général la couleur des coquilles
d’œufs, même si dans certains pays, notamment au Québec, les coquilles sont inva-
riablement blanches, d’un blanc pur et uni, et si en France on trouve des œufs allant
du blanc jaunâtre au roux foncé » (DMC).

Ce recueil qui se déclare être un dictionnaire se révèle assez peu « dictionnai-


rique  », il manque en effet au moins une information dictionnairique des plus
significatives dans la définition d’un mot  : sa catégorisation. Nous avons alors
observé les définitions dans deux autres dictionnaires qui se révèlent plus informa-
tifs : le Nouveau Petit Robert et le Grand Robert électronique190.
Notre analyse va se scinder en deux : d’abord, nous allons présenter comment
les lexicographes analysent les unités monolexicales telles qu’aubergine et ensuite
les unités polylexicales comme jaune de Naples ou rouge opéra.

190 L’objet du recueil de Guillemard est de lister le maximum de termes entretenant une
relation avec la couleur. Elle énumère et décrit la couleur, mais se soucie guère des
informations linguistiques.

253
2.2.5.2. Catégorisation des unités monolexixales
Suite à l’observation des définitions du NPR, trois traitements sont discernables191.

1) Premier traitement
AUBERGINE n. f. et adj. inv
1. Plante potagère (solanacées), originaire de l’Inde, cultivée pour ses fruits. Fruit
oblong et violacé de cette plante, consommé comme légume.
2. Adj. inv. De la couleur violet foncé de l’aubergine. Des costumes aubergine.

JONQUILLE n. f. et adj. inv.


1. N. f. Variété de narcisse à fleurs jaunes et odorantes, dont les feuilles rappellent
celles du jonc. – Spécialt La fleur elle-même. Bouquet de jonquilles.
2. Adj. inv. De la couleur (jaune vif) de cette fleur. Jaune jonquille. Rubans jonquille.
N. m. Peint. Couleur secondaire avec du blanc et du jaune. Un beau jonquille.

2) Second traitement
CANARI n. m
Serin des canaries (fringillidés), à la livrée jaune et brun olivâtre. Chant du canari.
Canaris en cage. – Adj. inv Des robes jaune canari.

1. FRAISE n. f.
1. Fruit rouge, dont la partie comestible est un réceptacle épanoui en masse
charnue qui porte les akènes.
Adj. inv. De la nuance de rouge propre à la fraise. Des rubans fraise, fraise écrasée.

3) Troisième traitement
CACHOU n. m.
1. Matière colorante brune (autrefois végétale) utilisée pour la teinture du coton.
2. Extrait astreignant du fruit d’un acacia d’Asie ou de la noix d’arec. Par ext.
Cour. Pastille parfumée au cachou. Un cachou. Boîte de cachous.
3. Adj. inv. De la couleur brun-rouge du cachou. Des bas cachou.

Pour les occurrences aubergine ou jonquille, l’adresse est suivie de la catégorisa-


tion : le lexicographe a choisi de leur attribuer les deux catégories (n.m. et adj.). La

191 Nous renvoyons à l’article de Mollard-Desfour (1990) pour une étude précise et très
large de tous les problèmes possibles au sein des définitions dictionnairiques.

254
définition se divise en deux parties : l’une décrivant le référent du substantif suivie
d’une seconde décrivant la propriété exprimée par l’adjectif.
Parfois (cf. s. v. FRAISE et CANARI), l’adjectif est donné en fin de défini-
tion, séparée de la définition principale (le nom) par un marqueur, tel le tiret par
exemple. La catégorie adj. n’est pas mentionnée au début de l’article.
Enfin, pour l’occurrence cachou, le traitement ressemble au précédent, hormis
que même si la catégorie n’est pas signalée directement après l’adresse, une place
à part lui est réservée dans la définition où elle apparaît dans une partie isolée
(paragraphe distinct, numéroté).

La variation de traitements indique que les choix du lexicographe ne sont pas


clairs  : rien ne justifie la préférence d’un procédé descriptif plutôt qu’un autre.
Cependant, malgré les places distinctes que ces unités occupent dans la micros-
tructure, elles sont toutes catégorisées pareillement. Selon les lexicographes, ce
sont des adjectifs qui ont la particularité d’être invariables.
Cette analogie catégorielle ne s’avère pas aussi nette dans les définitions de
formes polylexicales.

2.2.5.3. Catégorisation des unités polylexicales (définitions extraites du Grand


Robert électronique, désormais GRE)
Nous avons observé des traitements différents pour des unités qui paraissaient
pourtant semblables comme bleu drapeau et bleu roi. Le seul point commun parta-
gé par les deux est leur place au sein d’un article concernant le N2, respectivement
drapeau et roi.

DRAPEAU n. m.
(…) - Adj. inv. Bleu drapeau : le bleu du drapeau tricolore

ROI n. m.
(…) Appos. BLEU ROI : bleu très vif, outremer. Des uniformes bleu roi

Plusieurs problèmes émergent : d’abord, bleu drapeau est précédé de la mention


adj. inv., or le lexicographe parle-t-il de la locution entière, c’est-à-dire les deux
unités juxtaposées ou seulement de drapeau (puisque la séquence se trouve dans
la microstructure de cette unité) ?
S. v. ROI est cité bleu roi : le même traitement que bleu drapeau est attendu.
Mais, à la place de la catégorie n’est mentionnée que sa place dans la phrase : en
apposition. La même question que précédemment se pose : quelle unité est en

255
apposition : roi ou bleu roi ? Et une deuxième question s’ensuit : pour quelles rai-
sons bleu roi n’est pas un adj. inv. au même titre que bleu drapeau ? Comme pour
les unités monolexicales, le choix du lexicographe n’est pas explicite. Ceci nous a
obligée à élaborer des stratégies pour élaborer notre corpus.

3. Répercussions sur l’élaboration du corpus


3.1. Justification quant aux lacunes face à la catégorisation
Face au manque de précisions dans les définitions, comme celles de coquille
d’œuf, bleu roi et bleu drapeau, nous avons émis l’hypothèse que si une unité peut
être catégorisée comme adjectif alors toutes celles construites de façon similaire
auront la même distribution.
Par exemple, dans le lexique établi par Mollard-Desfour (1998), elle cite s. v.
PRUSSE :
« généreusement semé de pivoines bleu de Prusse » (J. Green, Journal, 1935–1939,
1939) (Frantext).

Résultant de notre hypothèse, l’unité jaune de Naples, composée exactement


comme bleu de Prusse, d’un terme de couleur de base, de la préposition de et d’un
toponyme aura également cet emploi adjectival, même si nous n’avons encore
trouvé aucun exemple. Ainsi nous reconnaissons comme acceptable :

41)  °Une tapisserie jaune de Naples

Dans Matériaux pour l’histoire du vocabulaire français (désormais MVF) est


mentionné :
« Les soies légères aux transparences de cristal vert Nil, ciel indien, rose mai, bleu
Danube » (E. Zola, Au bonheur des dames, 1883) (Frantext).

De fait bleu Bahamas parallèlement à vert Nil sera reconnu acceptable en position
adjectivale :

42) °Une jupette bleu Bahamas

Nous avons également dû prendre position pour résoudre la dernière difficulté


rencontrée : les acceptions ne sont pas toutes identiques selon les ouvrages de
référence vérifiés.

256
3.2. Emplois distincts
Les unités construites peuvent être de trois formes : (i) emploi absolu comme rose
(ii) emploi en composition comme rouge opéra (iii) emploi en assemblage syn-
taxiforme comme jaune de Naples.
Une même unité peut entrer dans deux ou même trois structures différentes.
Le NPR cite rouille en emploi absolu, tandis que J. B. Nacray cité par Guillemard
l’appose à couleur :

43a) «  Le tout sans retirer les mains de sa veste couleur rouille » (J. B. Nacray,
La vie duraille, 1985) (DMC)
43b)  « Costume de sport gris et rouille » (s. v. ROUILLE, NPR).

Il existe des unités qui doivent obligatoirement être apposées à couleur pour
signifier la couleur, pour lesquelles tout emploi absolu est interdit. Cette contrainte
est significative et discriminatoire : elle fait partie de la définition que nous allons
donner des contraintes de sélection de chaque opérateur constructionnel. Nous
allons en effet montrer que le choix de chacun est en relation avec la concep-
tualisation de la propriété chromatique du référent dont le nom est utilisé. Or si
le corpus, c’est-à-dire les bases sur lesquelles nous fondons nos hypothèses sont
erronées, la justesse de notre travail est remise en cause. De fait, nous ne nous
fierons pas « les yeux fermés » seulement aux dictionnaires et aux acceptations
qu’ils proposent. Un dictionnaire ne peut recenser tous les usages. Nous avons
en outre déjà évoqué le nombre infini d’unités chromatiques potentielles. Elles
n’ont peut-être encore jamais été évoquées mais si elles sont émises et comprises,
cela signifie qu’elles sont correctes, et donc selon nous «  attestables  » à défaut
d’être attestées. C’est pour cette raison que nous nous permettrons de construire
des unités qui pourraient potentiellement exister afin d’illustrer nos observations.
Nous parlerons donc d’°une robe poire et d’°une robe poireau : le signe diacritique
précédant la séquence indique que l’exemple est non authentique mais qu’il cor-
respond aux règles systématiques de construction de telles unités.

Nous avons de plus remarqué une certaine liberté dans la création d’unités chroma-
tiques, ce qui ne facilite aucunement la cohésion générale définitionnelle. L’unité
jaune canard cité par Guillemard (1998 : 94) en est un parfait exemple. Cette séquence
a été utilisée par Jacques Rivière dans Correspondance avec Alain-Fournier192.

192 Des gants jaune canard, cité également dans le TLFE s. v. CANARD.

257
Guillemard s’étonne puisqu’il n’existe pas a priori de race de canards jaunes. Elle
suppose que l’auteur réfère à jaune poussin (les très jeunes canards sont également
jaunes). Quoi qu’il en soit, même si le locuteur ne connaît pas d’espèces de canards
jaunes, en entendant cette expression, il cherche un canard jaune : la construction
implique ce calcul pragmatique. Dans ce même article concernant canard, Guille-
mard décrit bleu-canard en l’associant à la couleur bleu-vert du cou des canards.
Elle ajoute que cette particularité a donné son nom un type de canard : le colvert.
Elle s’étonne alors finalement que seul soit attesté bleu canard et non vert canard.
Mais dans la perspective créative que nous nous autorisons, rien n’empêche a priori
d’évoquer des teintures vert canard. Ce qui se confirme grâce à une bloggeuse
(http://www.carolinedaily.com, consulté le 2.08.13) qui n’hésite pas à titrer sa page :

44)  Un jean vert canard !

Ces quelques remarques suffisent à défendre la façon dons nous avons conçu notre
corpus : d’une part, elles justifient notre créativité et d’autre part, elles excusent le
manque d’exhaustivité.

Conclusion du chapitre
Ce chapitre, en justifiant l’élaboration du corpus, a montré que les unités du type
d’abricot, de rouge Tiepolo/tiepolo ou de jaune de Naples sont à classer comme
adjectifs tels que bleu et rouge. D’un point de vue sémantique, elles désignent des
propriétés :

45) « Parallèle et face au bar, à gauche, une longue banquette en moleskine vert


printemps longeait quatre tables en formica » (J. Teulé, Darling, 1998).

Syntaxiquement elles peuvent être modifiées par un adverbe comparatif ou inten-


sif, elles peuvent être en position épithète, attribut ou en apposition, elles entrent
dans des structures les coordonnant avec d’autres adjectifs :

46) Une robe est framboise, plutôt framboise que cerise, presque framboise
(Noailly, 1991 : 54)
26) «  et la couleur est sublime avec du chocolat, du noir, du kaki!  » (Viveles-
rondes.com, consulté le 2.08.13).

Le fait qu’elles soient invariables n’est qu’une particularité due à la construction


utilisée, singularité d’ailleurs parfois rejetée par les locuteurs qui n’hésitent pas à
les accorder même lorsque l’accord touche l’intégrité phonique :

258
39d) « Des oies vermillonnes » (J. Giraudoux, Suzanne et le pacifique)
«  La giroflée marronne aime le vent de mer  » (Jammes, Clairières dans
39e) 
le ciel).

De fait, si nous les catégorisons comme adjectifs, nous présumons qu’une opé-
ration de construction de mots permet de construire de nouvelles unités sur (ou
avec) des bases nominales. Nous en avons répertorié trois que nous exposons dans
la partie suivante : la conversion, la composition et l’assemblage syntaxiforme.

259
Chapitre II – Les Opérations Constructionnelles
de Termes De Couleur

1. Constituants et constitués
1.1. L’unité constituée
1.1.1. Corpus de Dubois & Grinevald (2003)
Nous empruntons le corpus ci-dessous à Dubois & Grinevald (2003) : il est tel-
lement précis et détaillé qu’il nous semble dommage de ne pas profiter de cette
source ; il ne concerne que le domaine des peintures artistiques et décoratives,
mais donne un aperçu général de ce qui est possible dans tous les autres domaines.
Elles utilisent (2003 : 83) :
« quatre nuanciers de peinture artistique (deux marques de peinture à l’huile (Sen-
nelier et Blockx) et deux marques d’aquarelle (Sennelier et Schmincke), et quatre
nuanciers de peintures décoratives de deux marques différentes (Avi et Valentine),
chacune présentant deux sous-produits différents : laque brillante et laque satinée ».

Comme elles le disent elles-mêmes (ibid.) :


« Ce sont des représentations normées, codifiées, re-matérialisées de manière systé-
matique, des couleurs ».

Le fait qu’elles soient « normées » ou « codifiées » pourrait poser un problème si la


représentation n’était que symbolique et donc abstraite et subjective, si elle n’im-
pliquait de fait aucune raison « logique et concrète » (s’opposant à « symbolique et
arbitraire »), dans le sens où elles n’appartiendraient à aucun système, ce qui em-
pêcherait tout calcul pragmatique pour interpréter une unité jamais entendue. Or
si un locuteur lorsqu’il voit ses occurrences réussit à identifier une couleur, c’est
parce qu’elles suivent les règles d’un système général. La généralité entraînant à
son tour la possibilité pour tout locuteur d’appliquer ces relations construisant des
termes de couleur quel que soit le domaine.
Elles présentent (2003 : 86) un tableau recensant toutes les occurrences et sché-
matisant leur structure interne193 :

193 C’est le « Tableau 3. 4. Inventaire des constructions polylexicales dans les deux
pratiques (les termes de couleur, noms ou adjectifs, sont uniformément libellés
TdeC) » qu’elles présentent dans leur article.

261
Tableau 4. (Emprunté à Duboi s& Grinevald) Structures possibles dénommant
une couleur194
Peinture artistique
Exemples Formes syntaxiques
1. rouge écarlate TdeC194 + adjectif
2. bleu montagne TdeC + nom commun
3. vert Fragonard TdeC + nom propre
4. bleu de manganèse TdeC + prep + nom commun
5. bleu de Paris TdeC + prep + nom propre
6. cadmium rouge Nom commun + TdeC
7. terre verte Nom commun + TdeC
8. vert anglais moyen TdeC + adjectif+adjectif
9. rouge cadmium clair TdeC + nom commun + adjectif
10. bleu cobalt imitation TdeC + nom commun + nom commun
11. rouge corail Hélios TdeC + nom commun + nom propre
12. vert Véronèse substitut TdeC + nom propre + nom commun
13. vert oxyde de chrome TdeC + nom commun + prep + nom commun
14. rouge vermillon de Chine TdeC + nom commun (TdeC) + prep + nom propre
15. vert de Chine clair TdeC + prep + nom propre + adjectif
16. laque outremer foncé Nom commun + TdeC + adjectif
17. teinte bleue de cobalt Nom commun + TdeC + prep + nom commun
18. ton rouge de Saturne Nom commun + TdeC + prep + nom propre
19. laque vert d’Orient Nom commun + TdeC + prep + nom propre
20. laque d’alizarine rouge Nom commun + TdeC + nom commun + TdeC
21. vert anglais extra clair TdeC adjectif + adverbe + adjectif
22. rouge de cadmium clair véritable TdeC + prep + nom commun + adjectif + adjectif
23. ton rouge de cadmium clair Nom com. + nom commun + adjectif
Peinture décorative
1. vert Provence TdeC + nom propre
2. rouge signal TdeC + nom commun
3. vert foncé TdeC + adjectif
4. vert d’eau TdeC + prep + nom commun

Dans notre cadre théorique, les données vont s’organiser différemment.

194 TdeC mis pour Terme de couleur – Notion pratique que nous utilisons égalment,
comme elle permet de regrouper substantif et adjectif, les deux étant possibles.

262
1.1.2. Réorganisation du corpus
Selon notre perspective d’étude, d’un point de vue structurel, toutes ces unités se
rangent dans trois catégories195 :

Tableau 5.  Types d’opérations et exemples

Conversion (Nom Composition ([TdeC + Nom Assemblage syntaxiforme


commun en emploi commun/Nom propre]) ([TdeC + de + Nom propre/
absolu, converti en Nom commun] ou [TdeC +
adjectif) Adj. sur base toponymique])
Cadmium Bleu montagne, rouge Rouge de cadmium, bleu de
écarlate cobalt
Terre verte Vert Véronèse, vert Vert d’Orient, bleu de Paris
Fragonard
Vert Provence Vert d’eau
Teinte rouge de cadmium, Vert anglais
ton rouge de Saturne

Il est intéressant de noter que ces structures sont justement les seules qui seront
utilisées pour dénommer des peintures décoratives (2003 : 87) :

Tableau 6. (Emprunté à Dubois & Grinevald) Répartition des types de structures selon le
domainede pratique

Peintures Artistiques Décoratives


TdeC + adj 12 48
TdeC + nom commun 8 33
TdeC + nom propre 5 7
TdeC + prep + nom commun 8 4
% total des 4 formes 33 92

Nous avons complété par celles où aucun TdeC n’apparaît. Nous avons
plusieurs exemples dans les nuanciers Dulux Valentine par exemple  : abricot,
coquille d’œuf, pêche, etc. Ainsi que lorsqu’un TdeC précède la préposition et un
nom propre comme jaune de Naples.

195 Nous verrons que Molinier (2006) propose une autre organisation. Il traite également
toutes les unités constituées de plusieurs éléments, par exemple jaune de Naples, vert
pomme et aile de corbeau (cf. § 2. 1. de ce chapitre).

263
Afin d’arriver à nos trois catégories, nous avons «  épuré  » les données de
Dubois & Grinevald (2003). Dans leur démonstration, elles expliquent elles-
mêmes que :
« la pratique artistique est caractérisée par une très grande variété de constructions196,
dont certaines atteignent un degré de complexité inusité dans la langue commune, en
comparaison avec la relative simplicité des constructions utilisées pour la peinture
décorative ».

Or cette complexité est due à la mention d’unités qui accompagnent un noyau qui
à lui seul désigne une propriété chromatique, le reste ne servant qu’à porter une
évaluation sur la couleur. Ce sont des ajouts pour préciser la propriété chromatique
en termes de « plus ou moins de la couleur » avec par exemple (extra) clair, moyen
ou foncé ou pour spécifier le colorant lui-même comme avec substitut, imitation
ou véritable. Molinier (2006 : 274) appelle ce type d’unités les adjectifs de couleur
catégorisateurs et les définit comme :
«  des adjectifs dont le rôle est de qualifier l’aspect général d’une couleur (clarté,
saturation, luminosité, éclat, effet psychologique produit, etc.) ».

Syntaxiquement, ces ajouts sont des unités qui n’appartiennent pas à l’intégrité
de l’unité lexicale, mais qui la complètent. Selon les tests que Molinier applique
(2006  :  261), elles entrent par exemple dans la structure Cette couleur est Adj
mais donnent des séquences agrammaticales lorsqu’elles apparaissent dans Cette
couleur est la couleur Adj :

Cette couleur est (claire + foncée+ vive + sombre + pâle + mate + terne +
1a) 
lumineuse + criarde + verdâtre + …)
1b) *Cette couleur est la couleur (claire + foncée+ vive + sombre + pâle + mate +
terne + lumineuse + criarde + verdâtre + …)

196 Note explicative de Dubois & Grinevald (2003 : 88) : « À cette information qui spé-
cifie la nuance d’une couleur de base peut s’ajouter une information relative au degré
d’intensité de cette couleur exprimée sous forme adjectivale (clair, foncé, moyen).
Enfin, la composante construite autour d’un terme de couleur peut se trouver elle-
même enchâssée dans une mention initiale de la matérialité de cette couleur (terre,
laque) ou d’une gamme de couleur (ton, teinte). Elle peut être aussi suivie d’une
appréciation de la qualité du pigment mentionné (véritable, imitation), manifestant
l’évolution des pratiques et le passage de l’utilisation de pigments naturels à leur
imitation avec le développement de la chimie des colorants ».

264
Seul un adjectif de couleur comme bleu, vert, jaune, etc. peut intégrer la séquence
Cette couleur est la couleur Adj parce que la relation entre couleur et l’adjectif
n’est pas une relation prédicative, comme le confirment :

2a) *La couleur est bleue vs La couleur est claire


2b) *Cette robe est d’une couleur (qui est) bleue vs Cette robe est d’une couleur
(qui est) claire

mais une relation de spécification. Selon Molinier qui s’appuie sur l’hypothèse de
Gross (1981), le fait qu’on puisse dire :

3a)  Cette robe est de couleur bleue

comme il serait possible d’énoncer :

4a)  Ce meuble est de style Louis XV


5a)  Max est de nationalité allemande

qui seraient des équivalents des mêmes structures réduites au verbe être :

3b)  Cette robe est bleue


4b)  Ce meuble est Louix XV
5b)  Max est allemand

mais non de :

4c)  *Le style de cette commode est Louis XV


5c)  *La nationalité de Max est allemande

montre que être de couleur comme être de style ou être de nationalité sont des
verbes supports spécifiques :
« dont le rôle est uniquement de préciser l’univers de discours dans lequel prend
place le jugement » (Molinier, 2006 : 263).

C’est pour cette raison que l’omission ne modifie pas le sens, l’adjectif désignant
déjà le domaine dont il est question. Par contre, lorsque l’adjectif est catégori-
sateur (ou évaluatif), couleur doit être mentionné parce que l’adjectif entretient
une relation prédicative avec couleur. Or cette relation prédicative appartient au
domaine de la syntaxe, il nous semble alors que c’est un argument suffisant pour

265
refuser de considérer ces adjectifs comme composants de l’unité chromatique,
mais une mention additive évaluative197.
Nous avons également enlevé laque mais gardé teinte ou ton qui s’apparente
nous semble-t-il d’un point de vue constructionnel à couleur (qui ne figure d’ail-
leurs pas dans ce corpus) que nous définirons dans la suite de cette analyse comme
un support sémantique possible pour construire une désignation chromatique le
plus facilement. Laque, en revanche, donne une information sur le type de peinture
en précisant le type de colorant, ce qui l’exclut de notre corpus puisque cette unité
ne fait pas partie selon nous de la dénomination chromatique.

De cette première représentation ressort que le nom d’une entité autre que de la
couleur est toujours présent dans l’unité chromatique finale. Il sera ou non accom-
pagné d’un TdeC ou d’un des termes plus généraux couleur, teinte ou ton.

1.2. Le N1 : premier élément des unités polylexicales


1.2.1. N1 = couleur
Le terme couleur (de la même façon que ton ou teinte en suivant les restrictions
sémantiques présentées dans la partie précédente : teinte fraise écrasée, tons sau-
mon.) peut apparaître en position initiale du groupe de mots désignant de la cou-
leur : par exemple une robe couleur framboise. Nous ne l’assimilerons toutefois
pas aux séquences du type rouge framboise parce que la similitude de structures
de surface n’est qu’apparente, ce qui s’illustre dans les comportements distincts
suivants qui sont le reflet d’une relation sémantique entre les différents éléments.
D’abord, il est remarquable que couleur s’intègre à différents environnements
phrastiques ; le terme est suivi ou non de la préposition de et parfois il est même
omis sans imposer une variation sémantique :
«  Une église, couleur de fraise écrasée, est exquise  » (H. Hoppenot, Journal
1918–1933 : Rio de Janeiro, Téhéran, Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Berlin,
Beyrouth-Damas, Berne, 2012) (Frantext)
« On le rencontrait souvent dans son tour de ville quotidien, mince silhouette perdue
dans un manteau couleur de crachin » (M. Ozouf, Composition française : retour
sur une enfance bretonne, 2009) (Frantext)

197 Nous verrons l’importance de cette observation lors de l’étude de séquences comme
rose mexicain où l’adjectif n’est ni évaluatif ni prédicatif. La combinaison [TdeC + Adj.]
forme alors une et une seule unité lexicale.

266
*On le rencontrait souvent dans son tour de ville quotidien, mince silhouette perdue
dans un manteau crachin 
« Puis, une fois le gros des cheveux couleur blé mûr éparpillé à terre, il rasa avec
minutie ce crâne qu’il chérissait, éprouvant davantage qu’un simple plaisir de
coiffeur » (J. Lanzmann, La Horde d’or, 1994) (Frantext)
?Puis, une fois le gros des cheveux blé mûr éparpillé à terre, il rasa avec minutie ce
crâne qu’il chérissait, éprouvant davantage qu’un simple plaisir de coiffeur
« L’avion atterrit dans le vent, parmi les roseaux. Stratis Anastaselis nous attendait à
l’aérogare avec sa voiture américaine couleur framboise panachée d’un toit crème »
(M. Déon, Le Rendez-vous de Patmos, 1965) (Frantext)
L’avion atterrit dans le vent, parmi les roseaux. Stratis Anastaselis nous attendait à
l’aérogare avec sa voiture américaine framboise panachée d’un toit crème

L’omission de couleur s’explique par la possibilité de l’activation de la propriété


par l’opérateur de construction appelé conversion que nous définirons ci-dessous :
une robe abricot, un pantalon saumon. L’agrammaticalité de *un manteau crachin
montre que des contraintes ne sont pas remplies par crachin.
Le fait qu’on puisse ou non utiliser la préposition de sans qu’il y ait de chan-
gement de sens donne un signe de la singularité de la combinaison. On pourrait
trouver par exemple le même type de séquences avec des unités désignant un
autre sens perceptuel (goût ou odorat) un parfum de rose, un goût de muscade.
Au regard d’une comparaison avec ces expressions survient rapidement une dif-
férence puisque la préposition ne peut être omise, ce qui fonctionne par contre
avec couleur : couleur blé, couleur framboise. L’omission est en effet beaucoup
plus difficile avec goût ou parfum : *parfum rose, *goût muscade198.
Il s’avère en plus que le sens communément instruit par la préposition de ainsi
défini dans le TLFE :
« De exprime le point de départ » (s.v. DE)

est aussi activé lorsque la préposition est omise : il est toujours question de la cou-
leur du blé ou de celle des framboises écrasées. De fait, même si couleur semble
apparaître en N1 au même titre que bleu ou rouge, l’instruction sémantique activée
par la composition dans la relation [TdeC + N2] qui établit une comparaison ne se
retrouve pas lorsque couleur introduit la séquence. Il est vrai qu’on trouve aussi
des TdeC suivis de la préposition de : bleu d’azur. Ceci ressemble certes fortement

198 On pourrait trouver ces séquences sur des bombes désodorisantes ou sur des produits
alimentaires. Mais ce n’est que le début d’une tendance encore timide dans la langue,
vu le nombre restreint d’exemples et l’exclusivité des domaines où elles apparaissent.

267
à couleur d’azur. Mais même lorsqu’une préposition s’insère entre le TdeC et le
N2 (bleu d’azur) la relation est toujours de l’ordre de la comparaison (cf. § 2.3.
4.3. de ce chapitre). Avec couleur, l’idée d’origine est sémantiquement toujours
recalculable : un pull rouge opéra n’est pas un pull rouge de l’opéra tandis qu’une
couleur framboise est une couleur de framboise.
En outre, l’absence d’article défini (couleur du blé/couleur de blé) indique le
caractère presque figé des séquences.
C’est pour ces raisons et notamment la différence sémantique instaurée par la
combinaison, que l’assimilation de couleur (de) N2 à [TdeC + N2] ne peut être
satisfaisante : les unités conjointes ne construisent pas une unité issue de composi-
tion mais elles sont unies par la syntaxe (cf. § 2.3.1. de ce chapitre).
Cette mention de couleur (ou teinte ou ton) permet en tous cas, de référer im-
médiatement à de la couleur et sans contrainte, c’est pour cela que nous la consi-
dérons comme une stratégie facilisante.

1.2.2. N1 = TdeC
Dans les unités polylexicales, le N1 est un TdeC. Molinier les appelle « les AdjC
[= adjectif de couleur] sémantiquement primitifs ou fondamentaux » dans la même
optique que Berlin & Kay (1969). Comme il le précise, Guillemard (1998) choisit
l’appellation couleurs de base199. Elle en dénombre onze (1998 : 7) : bleu, rouge,
orange, jaune, vert, violet, noir, blanc, gris, marron, rose. Dans les corpus de
Dubois & Grinevald, marron n’est pas cité contrairement à brun (brun Van Dyck
par exemple).
Selon Molinier (2006 : 270), un indice de leur singularité par rapport aux autres
couleurs est l’impossibilité de les inclure comme sujet de être une sorte de :
« Le blanc est une sorte de ?, Le noir est une sorte de ?, Le gris est une sorte de (…) ».
Dans une note, il explicite :
« Nous interprétons être une sorte de, une espèce de, un genre de, comme présenter
une certaine ressemblance avec, avoir une certaine parenté avec, et non comme être
une variété de »

199 Bien que Molinier (2006 : 270) explique qu’ils correspondent aux Basic color Terms
de Berlin & Kay (1969) qui sont « censés être universels et apparaître dans cet ordre,
dans les diverses langues », Dubois & Grinevald (2003 : 83) montrent qu’il ne faut pas
les y assimiler puisque comme il ressort de leur analyse, les termes de couleur n’ap-
paraissent pas comme N1 dans le même ordre selon la pratique envisagée (peinture
décorative ou artistique, laine ou cosmétique), ce qui tend à contredire leur universa-
lité. Notre liste finale est elle aussi encore différente.

268
Il ajoute que :
« cette propriété correspond à l’une des quatre propriétés posées par Berlin & Kay
(1969 : 6) pour définir les basic color terms : ils ne sont pas subsumables sous le
sens d’un autre terme. On rappelle les trois autres : ils sont monolexématiques200, ils
s’appliquent à diverses classes d’objets, ils sont produits spontanément et par tous les
locuteurs, et constamment appliqués ».

Or, à la page suivante, lorsqu’il définit les couleurs primitives d’un point de vue
scientifique, il est obligé d’isoler marron et rose qui ne sont ni des couleurs pri-
maires (bleu, rouge, jaune) ni des couleurs secondaires (vert, violet, orange) et qui
peuvent alors se définir par rapport à d’autres couleurs, ce qui indique contraire-
ment à ce qu’il avance quelques lignes au-dessus qu’elles ne peuvent être désignées
comme couleur de base puisqu’elles « sont des sortes de » :
« marron peut se définir comme un noir assombri et le rose comme un rouge peu
saturé » (2006 : 271).

Dans cette optique scientifique, il se voit obligé d’exclure également noir, blanc et
gris qui ne sont pas des couleurs. Cette contradiction entre classement linguistique
(elles se traitent pareillement) et classement scientifique (ce ne sont pas des cou-
leurs) nous semble un peu gênante.
Si division il y a au sein de ces unités, nous la situerions à un autre niveau, c’est-
à-dire à un niveau morphologique. Il s’avère en effet que nous avons trouvé peu
d’exemples avec marron, orange, rose et violet comme N1. Selon le corpus de Du-
bois & Grinevald (2003 : 84), violet est employé 19 fois sur 296 dans le domaine
de la peinture artistique et jamais dans celui de la peinture décorative. Nous avons
trouvé violet évêque, violet monseigneur et Molinier cite violet prune ; selon les
mêmes corpus, aucun exemple avec marron. Or Mollard-Desfour dans l’ouvrage
concernant le rouge cite marron brique et marron bordeaux. 7% des exemples
de désignations de peinture artistique commencent par orange, mais aucune des
peintures décoratives ; rose semble se comporter différemment compte-tenu du
nombre d’occurrences attestées [rose + N2] (14% des peintures artistiques et 12%
des peintures décoratives).
Le point commun de ces 4 unités, et ce qui les distingue par ailleurs radicale-
ment de toutes les autres, est leur origine constructionnelle commune : elles sont
le produit d’une conversion. Dans un premier temps, nous avons voulu les retirer
dans un souci de cohésion méthodologique : il nous semblait effectivement peu
cohérent de traiter des unités sur le même plan alors qu’elles se différencient

200 Ils sont non complexes d’un point de vue morphologique.

269
au niveau structurel, puisqu’elles sont complexes d’un point de vue morpholo-
gique (résultant d’une opération de construction de mots) alors que les autres
sont simples : jaune, rouge, etc. Cependant au regard des exemples que nous
avons trouvés, elles se comportent de façon similaire aux unités structurellement
simples : il n’y a donc aucune raison de les exclure même si les exemples sont
moins nombreux.
La question est alors de chercher les raisons du nombre restreint d’occurrences :
est-ce le statut constructionnel de rose, orange, marron et violet qui entraîne cette
restriction d’emplois ou les unités sont-elles « accidentellement » absentes des dif-
férents corpus observés pour des raisons référentielles ? Par exemple, il se pourrait
que la couleur orange ne rassemble pas autant de nuances que le vert et de fait, une
évaluation en termes de clair, foncé suffirait peut-être.
Au contraire, nous postulons que le problème n’est pas linguistique comme le
montre la productivité de séquences (attestées ou attestables) incluant rose : rose
thé, rose bonbon, rose saumon, rose Cartland, °rose meringue, °rose malabar…
ce qui pourrait se justifier, à tort nous semble-t-il, par le degré de lexicalisation
plus élevé de cette unité dans la langue. Un des arguments donnés pour illustrer
cette hypothèse est la variabilité possible en genre et en nombre de rose/roses tan-
dis qu’elle est agrammaticale pour les autres (*oranges, *marrons)201. Cependant
comme nous l’avons vu, ce critère prescriptif est parfois remis en question, d’où
une remise en cause de statut particulier.
Et effectivement, la raison est accidentelle. Nous avons par exemple trouvé de
nombreux exemples avec orange : sur un site pour de la laine, une laine est quali-
fiée de « orange feu » (www.webmarchand.com, consulté le 2.08.13) ; sur www.
lexuomo.com (consulté le 2.08.13), un cardigan « orange feu » est aussi proposée
à la vente. Sur le site www.colorare.fr (consulté le 2.08.13), une des couleurs pré-
sentées est le « orange casimir » et la voiture à vendre d’un internaute présente
elle aussi une couleur désignée par « orange casimir ».
Ces exemples suffisent à montrer que ces unités ne posent en fait aucun
problème, que leur absence des corpus déjà établis n’est qu’accidentelle et

201 Violet/violette a un parcours constructionnel compliqué qui explique l’apparente


variabilité en genre et en nombre. Violet est issu de la conversion du nom violette,
dénomination de la petite fleur. Sa finale ressemblant fort à une terminaison
adjectivale (replet/replète, rondelet/rondelette) a sans doute entrainé une assimi-
lation et l’adjectif bien qu’issu de conversion a «  copié  » le comportement d’un
adjectif (première fois au masculin en 1456 avec une première apparition en 1228
dans cet emploi adjectival, selon le TLFE).

270
qu’elles peuvent bien, de fait, être utilisées comme premier terme d’unités
polylexicales.
Les premiers termes des unités polylexicales de notre corpus peuvent alors être :

1. blanc (comme dans blanc d’ivoire, blanc neige)


2. bleu (comme dans bleu horizon, bleu de Prusse)
3. brun (comme brun Van Dyck, brun cigare, brun havane)
4. gris (comme dans gris souris, gris d’acier)
5. jaune (comme dans jaune moutarde, jaune de Naples)
6. marron (comme dans marron kiwi, marron brique)
7. noir (comme dans noir d’ivoire, noir jais)
8. orange (comme dans orange Casimir, orange de Malte)
9. rose (comme dans rose bonbon, rose d’Inde)
10. rouge (comme dans rouge opéra, rouge de cadmium)
11. vert (comme dans vert sapin, vert d’eau)
12. violet (comme dans violet évêque, violet de cobalt)

Comme le montrent les exemples illustrant la liste de N1 possibles, la référence du


N2 est très variée. Quelques contraintes selon les OC d’unités lexicales de mots
sont néanmoins repérables.

1.3. Le référent du N2202


Suite à l’observation de notre corpus le référent est par exemple203 :

Tableau 7. Opérations constructionnelles et référents associables

Conversion Composition Assemblage


syntaxiforme
Type de référence Nom commun
Un arbre  Tilleul Vert sapin Noir d’ébène
Une fleur  Lilas Rose capucine Rouge de fraise
Un fruit  Framboise Violet prune

202 Pour plus de cohérence, nous appellerons également N2 le TdeC issu de conversion
(tilleul) même s’il n’y pas de N1 dans le produit construit.
203 Cf. en annexe figure un corpus plus vaste.

271
Conversion Composition Assemblage
syntaxiforme
Un légume  Aubergine Vert épinard
Une pierre (semi-) Rubis Vert émeraude Bleu de saphir
précieuse
Un métal  Acier Bleu/gris acier Gris d’acier
Un animal  Taupe, pie Gris souris
Un artefact  Absinthe, bordeaux Rose bonbon
Symbolique Brun automne, jaune
soleil//vert espoir, gris
tristesse
Nom propre
Un individu  (schiap, Rouge Tiepolo/tiepolo
pompadour)
Une marque Rose Tagada
Un toponyme  (bordeaux) Bleu Bahamas Jaune de Naples,
rose mexicain

Plusieurs observations au regard de ce tableau :

(i) Premièrement la composition est l’OC la plus « libre » dans la mesure où


c’est la seule OC dans laquelle tous les types de référents peuvent être impli-
qués. Au contraire, l’assemblage syntaxiforme se révèle très contraint : les
seuls référents possibles sont des noms d’objets et des noms d’entités géo-
graphiques. La conversion se situe entre les deux : elle n’est possible qu’avec
des noms communs concrets204.
(ii) Même si l’OC peut activer les propriétés d’un type de référents, elle ne le
peut pas avec tous les référents de ce type : *une robe vache, *une moquette
jaune de moutarde.
(iii) Certaines unités entrent dans deux constructions différentes : par exemple,
lavande et caramel en composition bleu lavande, jaune caramel ou en
conversion lavande, caramel ; ou dans trois : en conversion, on trouve acier,

204 Il y a quelques exemples où le nom commun vient d’une base qui était un nom propre
suite à une antonomase : bordeaux, pompadour ou schiap par exemple.

272
en composition gris acier et issu d’assemblage syntaxiforme gris d’acier ;
certaines apparaissent issues d’une même construction mais différemment
accompagnées : vert canard et bleu canard ou bleu acier et gris acier. Tandis
que d’autres n’intègrent obligatoirement qu’une seule construction : rouge
opéra/rouge Tiepolo/Bleu de Prusse.

De ces premières remarques se dessine un premier schéma de contraintes :

(i) seuls des noms communs concrets peuvent être utilisés en conversion
(ii) aucun anthroponyme n’entre dans une structure ressortissant à un assem-
blage syntaxiforme
(iii) on peut également se demander si la relation instruite par l’OC est identique
selon qu’un nom commun ou un nom propre est utilisé (rouge Tiepolo vs
rouge opéra) et entre différentes OC : bleu Bahamas vs Bleu de Prusse.
(iv) la composition et la conversion partagent la même instruction sémantique
(comparaison) pour construire des unités chromatiques. Pourtant elles
s’opposent en ceci que seule la composition utilise vraiment tout type de
noms : concrets et abstraits205, non commun et nom propre.

De ces observations se pose la problématique qui sera traitée dans la partie sui-
vante. Puisque tous les types de référents sont possibles, quel est le trait particu-
lier de la qualité chromatique qui lui impose l’intégration à l’un ou l’autre schéma
constructionnel ? Et de là, comment est-ce possible qu’un nom soit choisi par
différentes OC ? En outre l’emploi d’un nom propre ou d’un nom commun s’as-
simile-t-il ou la dichotomie traditionnelle est-elle aussi présente dans le domaine
chromatique ?

Avant de répondre à ces questions, nous voulons décrire chaque opération : type
de constituants et instruction sémantique. Nous commençons par les opérations
de construction de formes polylexicales : la composition et l’assemblage syntaxi-
forme qui partagent la nécessité d’utiliser un TdeC comme N1. En dernier sera
présentée la conversion.

205 Avec la restriction évidemment toutefois de posséder une couleur apte à construire un
élément de comparaison recalculable.

273
2. Les opérations de construction
2.1. Des unités polylexicales à différencier : vert pomme,
jaune de Naples/rose mexicain et cuisse de
nymphe émue.
Selon l’hypothèse de Molinier (2006 : 272–273), les unités issues de composition
comme rouge opéra sont à classer avec toutes celles constituées de plusieurs élé-
ments, dont le rpemier n’est pas nécessairement un TdeC : jaune de Naples, cuisse
de nymphe. Ils les appellent les unités autonomes composées partant du principe
qu’elles sont formées de plusieurs éléments. Il les divise ensuite en deux groupes
selon que le premier terme est un TdeC ou non. Cependant, selon nous, la diffé-
rence de type de constituants est également un critère à prendre en considération
et dont l’importance justifiera de ne pas les catégoriser dans une même classe : la
relation établie entre des noms (vert pomme), un nom et un adjectif (rose mexicain)
ou des noms reliés par des prépositions (jaune de Naples) changent la relation
établie entre les constituants et impliquent donc une instruction sémantique parti-
culière de l’OC206.

Selon le cadre théorique dans lequel nous nous plaçons, et ce dans une optique
visant essentiellement à décrire le système de construction d’unités lexicales, pour
former une unité polylexicale désignant de la couleur, la langue offre deux opéra-
tions morphologiques : la composition et l’assemblage syntaxiforme207.

206 En outre, d’un point de vue pragmatique, le rapport du locuteur face au recours à
l’une ou l’autre construction semble différent : comme le remarquent Dubois &
Grinevald (2003), la pratique dans laquelle la dénomination est nécessitée (et utilisée)
est corrélative au choix de la construction engendrant un ajustement de complexité
linguistique à la complexité du domaine.
207 S’ajoute la conversion, une OC monolexicale, dans la mesure où elle ne « combine
pas des éléments ». Par contre, elle peut s’appliquer sur des éléments déjà combinés.
Elle permet donc de construire des unités comme abricot de la même façon qu’elle
construit cuisse de nymphe, aile de corbeau. Sur ce point, nous nous séparons de D.
Corbin qui distingue feuille morte ou café-au-lait de aile-de-corbeau, dans la mesure
où seule les premiers ont un référent précisé comme tel (un des arguments est la pos-
sibilité de trouver l’unité dans un dictionnaire). Nous pensons que dans les deux cas,
l’unité est construite avant d’être convertie, même si la désignation n’est pas encore
devenue une dénomination et qu’elle n’a donc pas (encore) nécessairement sa place
au sein d’un ouvrage terminologique.

274
2.2. La composition
Nous commençons cette description par la composition car comme il ressort du
tableau ci-dessus (cf. § 1.3), c’est la seule opération constructionnelle qui intègre
tous les types de référents, que ce soit d’un point de vue référentiel, des noms
concrets ou abstraits ou d’un point de vue linguistique, des noms communs ou
des noms propres. Cette plus large variété de constructions reflète selon nous une
plus grande liberté qui se traduira en termes linguistiques par de moins lourdes
contraintes pesant sur les unités lexicales susceptibles d’intégrer un produit résul-
tant de cette OC. Sont issus de composition par exemple :

6)  « Donne chute de moquette neuve bleu roi » (www.donnons.org, consulté le


2.08.13)
7a) «  La collection connaît ensuite quelques trous d’air. robe en maille et collant
tricoté coordonné rose sparadrap (aïe. […]), pantalon vert pistache » (http://
news.madame.lefigaro.fr, consulté le 2.08.13)
8a) « Jupe à rayures vert prairie » (de.dewanda.com, consulté le 2.08.13).

Cette construction consiste à associer d’un point de vue formel (morphologi-


quement) et sémantique deux unités lexicales initialement autonomes afin de
construire une unité complexe ; en ce qui concerne les unités chromatiques, le
premier terme est un terme de couleur dont le sens est hypéronymique de celui de
l’adjectif construit et le second terme est un substantif. L’interprétation et éven-
tuellement la structure (et plus précisément l’ordre linéaire d’apparition dans la
phrase) ne sont, alors, plus nécessairement conformes à ce qu’elles seraient si
les constituants se trouvaient assemblés par la syntaxe. Les unités lexicales rose
et sparadrap, sont associées pour former l’adjectif chromatique rose sparadrap,
unité qui désigne une nuance de rose. Unies par des règles relevant de la formation
de phrase, comme dans l’énoncé :

7b)  Un rose sparadrap lui ornait le menton

rose sparadrap signifierait que la propriété rose est appliquée à sparadrap. Les
deux unités simples utilisées gardent leur forme intègre dans le composé mais
certaines de leurs caractéristiques peuvent être modifiées. Cette opposition struc-
turelle est en effet visible208 lorsqu’un accord en genre et/ou nombre est imposé

208 Nous renvoyons au début de ce chapitre pour une analyse de cette particularité.

275
par les règles syntaxiques et « déconseillé » pour les unités composées. Aucune
ambiguïté n’est possible entre le syntagme nominal verte prairie et l’adjectif com-
posé vert prairie :

8a) « Jupe à rayures vert prairie » (de.dewanda.com, consulté le 2.08.13)


8b)  Il aimait se promener dans de vertes prairies

L’adjectif ne sera fléchi que lors d’un assemblage relevant de syntaxe.


La relation sémantique établie entre la propriété du référent du N2 (prairie)
et la propriété chromatique est de l’ordre de la comparaison : les jupes sont de la
couleur verte telle que le sont également les prairies. En ce qui concerne les noms
propres, nous verrons dans la partie suivante qu’il s’agit de même d’une compa-
raison de propriétés.
Il arrive que le calcul pragmatique ne soit pas si simple et qu’il nécessite des
connaissances culturelles : bleu layette, rouge opéra. Mais le principe est toujours
identique et le locuteur en entendant ce type d’unités cherchera la ressemblance
comme impliquée par l’utilisation de cette OC. Nous verrons plus précisément le
type de propriétés envisageables dans le chapitre III.

2.3. L’assemblage syntaxiforme


Le second procédé que fournit la langue, dont nous empruntons la dénomination
assemblage syntaxiforme à Corbin (à paraître), construira des termes du type de
gris d’acier, rose mexicain ou jaune de Naples :

9a) «  Un ciel gris d’acier  » (http://louis-antoine83.over-blog.com, consulté


le 2.08.13)
9b) « Sac Rose Mexicain - Tissé Et Tressé En Nylon » (www.primeminister.com,
consulté le 2.08.13)
9c) «  HERMES Paris made in france Sac « Kelly » 32 cm en veau Epsom rose
Tyrien, piqué sellier blanc » (www.artfact.com, consulté le 2.08.13)
9d) «  Il porte un ruban noué dans ses cheveux et revêt sur sa robe jaune de
Naples une étoffe rouge rayée de bandes de bleu violet » (http://jeanpierrele-
bihan.over-blog.com, consulté le 2.08.13).

L’assemblage syntaxiforme est une opération de construction de mots présente


exclusivement dans la théorie sur le lexique construit de D. Corbin (à paraître) :

276
« Ma façon de différencier le domaine des unités composées et celui des unités syn-
taxiformes est, à ma connaissance, originale ».

Selon elle, les unités du type de bleu de Prusse, pousse-au-crime ou encore boit-
sans-soif ne sont pas ce que Fradin appelle des logofigements (1993). Corbin
(à paraître) explique :
« Il y a un relatif consensus sur l’idée qu’il n’y a pas solution de continuité entre
un « bout d’énoncé » et l’unité lexicale correspondante et que la transition peut se
décrire sous la forme d’un « figement » ; les unités syntaxiformes naîtraient dans le
discours, où elles se « figeraient » avant d’entrer dans le lexique ».

Elle émet alors l’hypothèse :


«  Je regroupe sous le nom d’assemblage syntaxiforme un ensemble d’opérations
constructionnelles non morphologiques dépourvues de moyens structurels spéci-
fiques, c’est-à-dire qui construisent des unités lexicales en empruntant à la syntaxe
les outils qu’elles n’ont pas ».

Elle critique cette notion de figement, en expliquant qu’elle ne résout rien mais
crée un problème supplémentaire : comment et pourquoi certain bouts d’énoncés
pourraient-ils se figer ? En gardant l’objectif qu’elle s’était donné tout au long de
ses recherches antérieures de :
« distinguer le mode d’introduction d’une unité lexicale dans l’usage, c’est-à-dire son
association stable à un référent, et le mode de construction de cette unité, c’est-à-dire
l’opération constructionnelle qui prédispose une expression linguistique à pouvoir
devenir une unité lexicale » (ibid.),

elle cherche aussi pour ces séquences leur mode d’introduction dans le lexique.
Elle suppose alors que :
« les unités lexicales syntaxiformes sont, du point de vue de leur mode de construc-
tion, les produits d’opération constructionnelles. Elles ne sont pas construites par la
syntaxe, mais avec les moyens de celle-ci » (id.).

Elle justifie son point de vue en supposant que :


« ces opérations « non-savantes » et très peu contraintes structurellement, offrent un
espace de liberté que la morphologie ne peut offrir » (id.).

Elle illustre alors en donnant des exemples de domaines où cette opération


constructionnelle sera privilégiée :
« De là, vient que l’assemblage syntaxiforme est une source intarissable de dénomi-
nations et de caractéristiques expressives à laquelle puisent notamment les terminolo-
gies spécialisées : il offre le moyen de créer à la demande à la fois des dénominations

277
descriptives beaucoup plus précises que celles que les moyens morphologiques
autorisent et donc appropriées aux sous-catégorisations techniques et scientifiques
(ex. système de gestion de base de données, érythrodermie desquamatique des nour-
rissons (…) et des « façons de dénommer » ou de caractériser par un sobriquet (ex. un
boit-sans-soif, un pue-la-sueur, un °cherche-midi-à-14-heures (…)» (id.).

C’est donc une opération paramorphologique qui construit des unités lexicales
qui non seulement emprunte du matériel à la syntaxe, comme des prépositions,
des déterminants ou des formes fléchies (autrement dit, non identitaires comme
elles doivent l’être en morphologie), des suites organisées similairement à une
association syntaxique comme nom et adjectif ou verbe et complément, mais
en plus dont les éléments conservent l’interprétation qu’ils auraient s’ils étaient
associés dans une phrase :
« Les opérations syntaxiformes utilisent les structures et les modes d’interprétation
de la syntaxe ».

Cette dernière observation justifie le classement de rose mexicain dans cette


catégorie. À chaque fois, il y a construction d’une nouvelle unité lexicale. Par
exemple, les unités boit-sans-soif et je m’en foutiste résultent de cette opération.
Ces séquences sont considérées comme des unités construites puisque l’ensemble
des constituants forme un ensemble qui désigne un et un seul référent. Corrélati-
vement, les unités ont les propriétés de la catégorie que la nouvelle unité intègre.
Pour un nom, l’unité pourra par exemple être déterminée par un article ou un pro-
nom, comme un substantif typique :

10a)  Quel je m’en foutiste, cet étudiant !


10b)  Deux boit-sans-soif sont venus hier, ils m’ont vidé le bar

Ce sont des noyaux syntaxiques : ceci implique que tous les constituants formant
un tout ne peuvent en aucun cas être séparés ; ils peuvent alors s’inscrire dans
n’importe quelle position syntaxique (sujet, objet) :

11a)  Je n’aime pas les [j’m’en foutiste]COD


11b)  Un [boit-sans-soif]SUJET est un ivrogne

Ces unités peuvent de fait apparaître dans la nomenclature d’un dictionnaire :


« BOIT-SANS-SOIF n. inv. (1904 ; de qui boit sans (avoir) soif). Fam. Ivrogne. Des
boit-sans-soif » (PR)

De étant une préposition et donc du matériel syntaxique, nous avons alors d’abord
(à tort) regroupé toutes les unités dans lesquelles cette unité figure (jaune de

278
Naples, rouge de fer, vert d’eau et couleur de sparadrap) dans cette catégorie. Or
suite à une analyse sémantico-syntaxique, il s’est avéré, que toutes les séquences,
même si elles partagent une structure de surface similaire [N1 + de + N2] ne
ressortissent pas toutes à la même opération, ce qui s’illustre par des différences
sémantiques concernant notamment la relation établie par N2 avec la propriété
chromatique. En nous basant sur des critères sémantico-référentiels, puis morpho-
logiques et enfin syntaxiques, nous montrerons qu’en réalité, elles se distinguent
en trois catégories.
Pour parler de chacun de ces ensembles, une expression modèle sera utilisée :
1) jaune de Naples ou rouge de fer, ce sont toutes les séquences qui dénomment
généralement un pigment colorant et une propriété chromatique, ce qui n’est pas
le cas des séquences suivantes qui ne désignent pas un colorant : 2) bleu de saphir
ou blanc de lait. Le troisième groupe rassemble les séquences introduites par le
terme hypéronyme couleur : 3) couleur de sparadrap.

2.3.1. Argument sémantico-référentiel


2.3.1.1. Le référent de [TdeC + de + N2]
Chaque séquence peut être en position nominale ou adjectivale209 :

(i) Position nominale

12a) «  Le bleu de Prusse est une couleur synthétique créée accidentellement


par le peintre Heinrich Diesbach au début du dix-huitième siècle » (www.
timbresrares.over-blog.com, consulté le 2.08.13)
12b) «  D’épais nuages d’un gris d’étain défilaient au-dessus des têtes tandis que
Harry, Ron et Hermione, assis à la table du petit déjeuner étudiaient leur
emploi du temps » (J. K. Rowling, Harry Potter et la coupe de feu, 2000)
12c) «  Ses coloris [d’une fleur] vont du jaune au violet en passant par le rouge
tyrien (rouge-pourpre) et le rose  » (www.jardindepapounet.fr, consulté le
2.08.13)
12d) «  L’été, de petites péniches adéquates, en acier, carrées ou rondes, pro-
mènent sur le canal des Anglo-Saxonnes qui, exposées au soleil, prennent
une couleur de crevettes ébouillantées » (M. Depussé, Les morts ne savent
rien, 2006) (Frantext)

209 Ces deux positions se définissent sur un critère purement distributionnel, c’est-à-dire
seulement par la présence ou l’absence de déterminant devant le TdeC.

279
(ii) Position adjectivale

13a) «  Comme c’était le dimanche, les bœufs étaient à l’étable et les laboureurs
sur le pas de la porte, dans leurs habits de fête, c’est-à-dire en gros drap
bleu de Prusse, de la tête aux pieds » (G. Sand, Le meunier d’Angibault,
1845) (Frantext)
13b) «  De simples rayures gris d’étain pour une décoration design avec ce papier
peint » (www.papierspeintsdirect.com, consulté le 2.08.13)
13c) «  revendications multiples préadultes, fuite de la capitale, descente, l’air
pur, « la vraie vie », alternatives artisanales, mauve et rose tyrien, le
bonheur, le paradis, cette maison-ci, puis éclatement encore, chacun pour
soi, naissance de la première jolie fillette » (J.-L. Lagarce, Derniers remords
avant l’oubli, 1988) (Frantext)
13d) «  Ils portent des vêtements couleur de poussière, et quand ils se couchent
sur le sol, quand ils s’enroulent dans la couverture qui leur sert de manteau,
ils disparaissent » (A. Jenni, L’Art français de la guerre, 2011) (Frantext).

La séquence désigne donc une propriété chromatique de deux manières : soit en


nécessitant un support sur lequel porter son incidence210 (position adjectivale), soit
en se désignant pour elle-même (position nominale).
Or parmi ces séquences, seulement celles du type bleu de Prusse ou jaune de
cadmium, quand elles sont en position nominale, nomment d’une part une couleur
(Le bleu de Prusse dans ce tableau donne une touche de clarté) et d’autre part le
colorant (Le bleu de Prusse coûte plus cher que le jaune de cadmium). Les autres
séquences ne désignent que des couleurs. En se référant aux typologies de Dubois
& Grinevald (2003), les unités résultant de cette construction sont deux fois plus
nombreuses dans le domaine de la peinture artistique que dans celui de la peinture
décorative. En outre, le seul exemple dans ce second domaine qu’elles fournissent
est justement un cas exceptionnel d’emplois figés (vert d’eau). Dans la pratique de
la peinture décorative ou dans les cosmétiques et même dans les noms de peinture
de carrosseries, cette construction n’est que peu productive211 : la plupart des unités

210 Dans le sens où l’entend Guillaume (1973).


211 Seules deux occurrences bleu de Chine et bleu de Rhodes sont recensées pour les noms
de peintures de carrosserie au sein de 46 dénominations. Non seulement le nombre
est plus que limité mais en plus, les deux occurrences précitées sont des désignations
propres à une marque (Peugeot) et employées la même année (1999), ce qui laisse
supposer des raisons liées à une politique de marketing.

280
[N + de + N] réfèrent à des colorants plutôt qu’à une propriété chromatique. Néan-
moins quelques unités semblent se distinguer comme noir de jais, blanc d’ivoire,
bleu d’azur ou vert d’eau, qui ne désignent pas des pigments mais des propriétés
chromatiques : nous expliquerons ci-dessous plus précisément cette particularité.

2.3.1.2. Le premier terme


Le premier terme peut être un :

(i)  un TdeC : jaune (de Naples), bleu (de ciel), rouge (de fer)
(ii)  le terme hypéronyme couleur

Une dichotomie s’opère au sein des séquences introduites par un TdeC : dans bleu
de ciel, bleu est une propriété définitoire212 du référent du N2 ciel tandis que rouge
ou jaune ne sont pas des propriétés spontanément associées à Naples ou fer.
Le terme hypéronyme et le TdeC sont complémentaires dans la mesure où ils
ne sont interchangeables que dans une structure sur les trois. Pour les séquences du
type de 2) blanc de lait, aussi bien couleur que blanc peuvent être utilisés sans que
le sens ne soit modifié. En revanche, couleur de Naples ou couleur de fer ne renvoie
pas nécessairement au même référent que jaune de Naples ou rouge de fer. En outre,
*rose de sparadrap serait agrammatical. En fait, couleur peut accompagner n’im-
porte quel nom dès lors que son référent a une couleur définitoire. En revanche, les
noms doivent répondre à un certain nombre de critères pour compléter la séquence
[TdeC + de]. Comme nous l’avons déjà vu, en évoquant le principe d’endocentricité
qui stipule qu’une unité polylexicale est de la même catégorie que son nom tête, nos
unités ont alors un emploi adjectival ou nominal, puisque le nom tête (rouge, vert)
est soit un adjectif, soit un nom. Ce qui ne pose en soi aucun problème. En revanche
il est plus difficile de stipuler que couleur soit également catégorisé comme adjectif.
Ce qui se confirme par un emploi adjectival typique prohibé : *Il est couleur. Le
complément s’avère indispensable : Il est couleur de sparadrap.

2.3.1.3. Le dernier terme


Le dernier terme est un substantif dont le statut de nom propre ou de nom commun
est discriminatoire puisqu’il aura des incidences sur la relation entretenue entre le
référent de N2 et la propriété chromatique.

212 Est définitoire une propriété lorsqu’elle fait partie de l’ensemble des propriétés associé
de façon systématique (c’est-à-dire de façon régulière et générale) à un référent.

281
(i)  S i c’est un nom propre, il apparaîtra exclusivement dans la structure 1) jaune
de Naples. Ce nom propre est plus précisément un toponyme. Ce peut être un
nom de ville ou un nom de pays.
(ii) Les trois types de séquences par contre acceptent un nom commun. Ce nom
désigne tout référent (fer, ciel, sparadrap).

2.3.1.4. De
2.3.1.4.1. Description de de
Moignet (1976 : 217)213 définit ainsi la préposition :
« C’est une partie de la langue non prédicative, porteuse d’un sens hautement abs-
trait des données de l’expérience, capable d’établir un rapport syntaxique entre
deux éléments que ne peuvent conjoindre les mécanismes de l’incidence tels qu’ils
fonctionnent entre parties de langue prédicatives, (la) préposition vient combler
un diastème et son incidence est bilatérale : elle se trouve en rapport avec deux
éléments de l’énoncé qui sans elle ne formeraient pas un ensemble de discours lié
et intelligible ».

Moignet se situe sans conteste dans la descendance de Guillaume (1973) qui


explique de la même façon le rôle de la préposition. Elle sert à remplir un vide
(un diastème). Lorsque deux termes ne peuvent être pragmatiquement liés (jaune
et Naples par exemple : ?jaune Naples ne renverrait pas au même référent si la
séquence existait214) alors un intervalle que la préposition vient combler se crée.
La préposition sélectionnée est celle qui s’adaptera le mieux au sens recherché.
Une même préposition peut d’ailleurs être utilisée pour établir plusieurs rela-
tions sémantiques. Selon Vendryes (1921 : 99), plus une préposition est abstraite,
plus nombreux sont les diastèmes de sens différents qu’elle peut remplir, il parle
alors de mot vide215 :

213 Cité dans Soutet (1986 : 17).


214 On trouve certes rouge Pompéi, mais la relation établie entre la propriété chroma-
tique et Pompéi est de l’ordre de la comparaison. De plus, rouge Pompéi n’est pas
bi-référentiel : la séquence ne désigne pas un colorant. Nous renvoyons à la descrip-
tion de la composition, ci-dessous, pour plus d’informations.
215 Pour lui, ce n’est pas de la polysémie mais de l’absence de sens. C’est parce qu’elle
n’a pas de sens qu’elle peut signifier plusieurs relations distinctes. Brunot (1936) parle
de mot outil et Bally (1965 : 104) de tonalité identique. Cette notion de mot vide est
toutefois très controversée : si la préposition n’a pas de sens, comment expliquer,
comme se demande Pottier (1959 : 1) la différence entre une tasse à thé et une tasse
de thé ?

282
« le caractère de mot vide est l’abstraction ; plus il s’affirme comme mot vide, plus il
augment sa valeur abstraite ».

Et de est selon Togeby (1984 : 39) :


« la plus fréquente et la plus abstraite des prépositions françaises. Elle peut corres-
pondre à presque toutes les autres prépositions, le sens étant fourni par le contexte ».

Soutet (1986 : 17) partage le même avis :


« [de fait partie des] prépositions à sémantèse très abstraite et forte polysémie ».

Moignet qui, en revanche, ne la considère pas comme une préposition vide


(1976 : 221) explique sa polysémie et sa polyfonctionnalité :
« [elle] tient à l’affinité profonde qui existe entre sa sémantèse propre d’éloignement,
et le sens rétrospectif de l’opérativité qui caractérise toute préposition216 ».

La sémantèse, pour ceux qui considèrent que la préposition a un contenu


sémantique, se divise en trois effets de sens qu’Engelbert (1992) délimite ainsi :
1) déterminatif (origine temporelle, locative), 2) partitif (certains de nos regards)
et 3) notoire (la nuit du carrefour). Il y en avait un quatrième, le comparatif, mais
il n’a pas, selon cette même linguiste, survécu à l’ancien français. C’est pourtant
le sens de la relation entre bleu et saphir dans bleu de saphir.

2.3.1.4.2. De en couleur
Dans deux des cas, une comparaison est établie entre les deux constituants.
À l’énonciation de blanc de lait, le locuteur exprime que la qualité qu’il désigne
est « blanche comme le lait ». Le même calcul pragmatique est opéré avec les
séquences commençant par couleur. En revanche, jaune et Naples ou rouge
et fer n’entretiennent pas la même relation comme le suggèrent clairement
les séquences jaune d’argent et noir d’ivoire. La propriété chromatique jaune
n’est pas une qualité du référent argent, de même que l’ivoire n’est pas noire.
Par ailleurs, le fait que blanc de céruse soit donné comme synonyme de blanc
d’argent, blanc de saturne ou blanc de plomb ou encore que blanc de Meudon
désigne la même chose que blanc d’Espagne ou blanc de Troyes indique que

216 Soutet (1986 : 17) explique cette remarque : toute préposition implique une opération
régressive dont le régime (constituant syntagmatique de droite) est le point de départ
et le support d’avant (le constituant syntagmatique de gauche) est le point d’aboutis-
sement. Rappelons que ces linguistes se situent dans un cadre théorique particulier, la
psychomécanique, qui fait de la langue une substance toujours en mouvement, d’où
l’idée de mouvement de l’arrière à l’avant.

283
les deux éléments entretiennent une relation autre. Comme nous l’avons vu,
ces séquences désignent également un colorant, le N2 désigne alors le point de
départ de ces colorants et ceci dans deux perspectives différenciées par le statut
du N2 :

(i)  s oit d’un point de vue toponymique : le colorant est créé dans la ville ou le
pays mentionné217.
(ii) soit d’un point de vue compositionnel : si le N2 est un nom commun, il dé-
signe en général une matière qui entre dans la composition du pigment, l’ori-
gine est alors compositionnelle218.

À la différence de l’utilisation d’un toponyme en composition, comme le men-


tionnent Dubois & Grinevald (2003  : 90), dans un assemblage syntaxiforme la
référence au lieu d’origine se fait :
« dans une exigence de précision et d’exactitude de provenance quant à la couleur
désignée ».

Ce type d’informations (composition et origine locative) nécessitent des connais-


sances encyclopédiques, ce qui explique les raisons pour lesquelles ces unités
appartiennent essentiellement aux domaines spécialisés traitant de la couleur.
Comme nous l’avons dit, ces séquences construites désignent souvent des pig-
ments et de fait appartiennent à :
« à un ensemble de pratiques traditionnelles très précises de fabrication de ces
couleurs219 » (Dubois & Grinevald, 2003 : 88).

2.3.2. Arguments morphologiques


Ces trois types de séquences se distinguent également au vu du degré distinct de la
nécessité de leurs constituants.

217 Il y a quelques cas où la qualité est caractéristique du lieu dénommé. Elles entrent
alors en concurrence avec des séquences [Tdec + Adj. sur base toponymique] (rose
mexicain) (cf. ci-dessous).
218 Notons qu’aucun anthroponyme n’a été répertorié.
219 On se souviendra des propos de Corbin qui stipulait justement l’utilisation de l’assem-
blage syntaxiforme dans des domaines spécialisés (cf. § 2. 3. de ce chapitre).

284
2.3.2.1. Nécessité de TdeC comme N1
Un N1 est indispensable pour les séquences 1) : de Naples dans Une moquette
de Naples ne désigne plus de la couleur. Le segment prépositionnel introduit une
notion d’origine : la moquette est originaire de Naples.

Au sein des unités du second groupe, une dichotomie est remarquable. Des sé-
quences qui semblent pourtant similaires (identité au niveau des constituants et
de leurs dispositions sémantico-référentielles) se comportent différemment : alors
qu’on peut dire sans problème des yeux de saphir ou des cheveux de jais, il est
impossible d’interpréter *une robe de mer ou *une voiture d’algue.
D’autre part, certaines omissions ne sont possibles qu’avec certains noms
recteurs : alors qu’une peau de lait ou de linceul sont significatives ? Une moquette
de lait ou de linceul se heurterait à des difficultés d’interprétation. Cette structure
n’est pas sans rappeler des yeux de chat où la préposition de établit une comparai-
son : des yeux comme ceux d’un chat.
En ce qui concerne les structures avec couleur : les acceptations rejoignent
celles du groupe 2) vert d’eau. Couleur ne sera de même pas obligatoire si N2
entre aussi dans le groupe 2). En revanche si le dernier terme ne peut apparaître
après un [TdeC + de], couleur sera indispensable : *vert de kiwi est agrammatical
donc *une robe de kiwi220 également.

2.3.2.2. Nécessité de de
Le segment de ne présente pas les mêmes disponibilités selon les séquences : par
exemple, couleur de sparadrap est aussi acceptable que couleur sparadrap. De
même sont attestés bleu de ciel ou bleu ciel. Par contre, il est impossible d’omettre
de avec les séquences de type 1) sans modifier le sens : Naples dans *jaune Naples
ou fer dans rouge fer, s’ils avaient un corrélat référentiel, établiraient une relation
comparative propre à l’OC de composition (vert pomme).
Comme ci-dessus, une division est à noter au sein des unités de la structure 2) :
alors que bleu ciel, bleu saphir, blanc ivoire, noir ébène sont synonymes de struc-
tures avec de, des séquences telles que *blanc lait, *vert eau, *vert mer sont
inacceptables.

220 Remarquons que une robe kiwi ne serait, en revanche, pas exclu (cf. la conversion,
§ 2.4. ci-dessous).

285
2.3.2.3. Nécessité de [N1 de]
Pour la troisième fois, la structure jaune de Naples marque sa différence, son uti-
lisation sans les premiers termes est tout à fait agrammaticale : *une moquette
Naples. Les séquences du type 1) doivent nécessairement rester dans leur forme
intégrale pour désigner de la couleur.
On retrouve le même comportement que celui décrit dans les deux paragraphes
ci-dessus. Certaines unités de la structure 2) acceptent la variation, d’autres non :
des yeux saphir/*un teint lait.
Notons en outre que ce ne sont pas toujours les mêmes occurrences qui acceptent
la modification : par exemple bleu de roi est synonyme de bleu roi, en revanche
aucun calcul pragmatique n’autoriserait l’omission d’un des autres constituants :
*un pull roi.

2.3.2.4. Caractère de productivité


Ce dernier paragraphe traite des possibilités que possède n’importe quel locuteur
pour produire une séquence similaire à l’une de ces structures (dans le sens de
« créer, construire une unité »).
La première structure a une productivité restreinte mais infinie. Restreinte dans
la mesure où ces occurrences ne sont susceptibles d’être construites que par un
nombre restreint de personnes : celles en l’occurrence spécialisées en produit
colorant. Infinie parce que la séquence est prévisible puisqu’il est possible de créer
n’importe quelle couleur à n’importe quel moment.
Il est de même possible de construire n’importe quelle séquence sur le modèle
de la structure 3). Pour cela, il suffit de choisir un référent qui possède une couleur
qui lui est associée de façon commune et régulière :
« Vitraux couleur de fruits confits » (Le Monde, 28.10.98)
« Les tee-shirts et les casquettes couleur de sorbets » (Le Monde, 27.05, 98).

Par contre il semble qu’aucune construction ne soit possible sur le modèle de


blanc de lait, par exemple *vert de kiwi, *jaune de moutarde ou *rose de
guimauve. Ce type de séquences semble en effet archaïque. Souvent, ce sont d’ail-
leurs les mêmes qui se répètent et plus généralement dans des collocations : noir
de jais ou d’ébène et associé à cheveux ou à couleur de peau, bleu de saphir pour
qualifier des yeux, la plupart des expressions avec blanc pour le teint.
On peut imaginer que la structure en de a disparu en même temps qu’elle a dis-
paru de la langue (cf. Engelbert). En plus, la composition existait pour pallier tout
manque linguistique et relayer la structure morte.

286
La conclusion rejoint celle de la partie précédente. Les séquences du type de jaune
de Naples se distinguent également des autres d’un point de vue morphologique.
Quelques points communs existent entre blanc de lait et couleur de sparadrap,
mais le fait que la production des séquences sur le modèle de blanc de lait ne soit
plus envisageable va jouer un rôle discriminatoire important.

2.3.3. Arguments syntaxiques


Comme le montre ce tableau. Les trois structures apparaissent aussi bien en posi-
tion nominale qu’adjectivale :
Tableau 8.  Structure et distribution syntaxique
221

Jaune de Naples/ Blanc de lait/ Couleur de


rouge de fer bleu de saphir sparadrap
1. Position Épithète Soleil éclabous- Ses grands yeux Les deux flèches
adjectivale sant, ciel bleu de vert de mer couleur d’or de la
méthy-lène (Fallet)/ prirent une ex- cathédrale (Gracq)
dans une maison pression rêveuse
aux volets bleu de (Green)
Prusse (Fallet)
Attribut Le ciel est bleu de Ses yeux étaient Les toits sont
méthylène (Beck) vert d’algue couleur de
(Sabatier) prunelle (Gide)
2. Position Article Le cran figé d’une L’écran s’éclaire Une baie d’enfer
nominale indéfini Méditerranée d’un et devient d’un d’une couleur de
bleu de lessive blanc de linceul rubis saupoudrée de
(Gracq) (Duras) plâtre (Boulanger)
Article Le bleu de Chartres Le jaune d’or La couleur d’olive
défini se fondait tendrement des fruits vus et de raisin du mets
avec des rouges et transportent avait été celle de
des ors éteints (De aux Hespérides la robe préférée de
Beauvoir) (Déon) Mme Banod
(Boulanger)221
Autre N’était-il plus J’ai vu s’ouvrir La tiédeur de sa
détermi couleur que ce jaune la nuit première texture élastique et sa
-nant d’orpiment ? (Saint- et tout son bleu couleur miel sombre
John Perse) de perle vraie (Le Monde, 24.04.98)
(Saint-John Perse)

221 Sans le complément génitif « du mets », la séquence serait douteuse ? la couleur


d´olive. Le complément d´olive ne fonctionne pas comme une adjonction restric-
tive. L´adjectif possessif est de même anaphorique à un complément de ce type.

287
Jaune de Naples/ Blanc de lait/ Couleur de
rouge de fer bleu de saphir sparadrap
3. En (peint en…) Le dessin (…) est Peinte en bleu *peint en couleur
exécuté en bleu et en de nuit (Green) de sparadrap/peint
violet de manganèse de la couleur du
(Fontaine)/une église sparadrap
peinte en bleu de
Prusse

La remarque la plus importante ressortant de ce tableau concerne l’agramma-


ticalité de *en couleur de sparadrap. Elle va induire un isolement définitif de ce
type de séquences des autres. Cette préposition introduit en effet de façon typique
des compléments adjectivaux qui désignent de la couleur : peindre en jaune de
Naples, être en bleu.
Nous en concluons que les séquences de type 3) ne sont pas des adjectifs même
si elles apparaissent occasionnellement dans de telles positions : ce paradoxe posi-
tionnel et catégoriel relève de distorsion catégorielle (cf. Kerleroux, 1996 et notre
explication ci-dessous dans l’analyse de la conversion).

Nous allons maintenant tirer des conclusions de ces observations afin de statuer de
la nature de chaque séquence.

2.3.4. Structure et statut syntaxique


2.3.4.1. Hypothèse pour Jaune de Naples
Différents points les isolent des autres :

(i)   elles sont les seules à être bi-référentielles ;


(ii)  ce n’est pas le même sens qui est établi entre les constituants : c’est une
relation d’origine tandis qu’une comparaison associe les éléments des autres
occurrences ;
(iii) on ne peut pas toucher à l’intégrité de la séquence : tous les constituants sont
indispensables d’un point de vue morphologique et sémantique.

La dernière observation implique que la séquence jaune de Naples ou rouge de


fer est une unité, ce qui explique qu’il soit impossible de séparer les éléments. Je
propose de décrire cette unité comme étant le résultat de ce qu’appelle D. Corbin
(à paraître) un assemblage syntaxiforme. Les noms du type de jaune de Naples,
bleu de Prusse sont construits par cette OC qui se sert aussi bien d’outils lexicaux

288
que de matériel syntaxique (comme une préposition) et ils désignent des colo-
rants. Un adjectif en est converti qui conformément au sens instruit par ce procédé
constructionnel désigne une qualité stéréotypique du référent du nom duquel il
vient : la qualité typique est la propriété chromatique.
Couleur de sparadrap n’entre pas dans ce schéma.

2.3.4.2. Hypothèse pour Couleur de sparadrap


2.3.4.2.1. Comportements différents
Comme nous l’avons vu, ces structures introduites par couleur n’ont pas le même
comportement que les autres. Elles ne peuvent apparaître dans les deux positions
syntaxiques nom et adjectif alors qu’il n’y a aucun problème pour noir de jais
ou bleu de Prusse. En effet, en observant qu’elles ne pouvaient entrer dans un
complément prépositionnel introduit par en, nous avons émis l’hypothèse qu’elles
ne sont pas des adjectifs. Elles sont en distorsion catégorielle, c’est-à-dire que
couleur ne peut être dans cette position adjectivale que sous certaines conditions
et n’avoir aucune propriété de l’adjectif sinon la position.
De plus, si elles peuvent être catégorisées comme nom, elles ne peuvent
absolument pas être précédées de l’article défini  : *la couleur de sparadrap.
Seulement la suite une couleur de sparadrap est grammaticale. Or, si couleur de
sparadrap était une et une seule unité comme jaune de Naples, il serait possible
de déterminer l’ensemble couleur de sparadrap par n’importe quel article, défini
ou non, puisqu’il référerait à une entité qui pourrait être individualisée dans le
monde et donc déterminée dans la langue. Par conséquent, nous affirmons que
couleur de sparadrap n’est pas une unité, autrement dit, les termes ne sont pas
agencés par la morphologie mais par la syntaxe. Quel est alors le statut syn-
taxique de [de N2] ?

2.3.4.2.2. Relation établie par de


Selon une hypothèse de Tesnière (1959), fréquemment reprise, les compléments
introduits par de sont souvent assimilés à des syntagmes à valeur épithétique, ce
qui signifie qu’ils peuvent acquérir la position syntaxique ainsi que les valeurs
sémantiques d’une épithète. Tesnière observe que de Pierre a la même valeur
sémantique que rouge dans le livre de Pierre et le livre rouge :
« Dans les deux, le subordonné joue le même rôle d’épithète du mot livre. Qu’ils
‘agisse du livre de Pierre ou du livre rouge, on a affaire à l’expression d’une des qua-
lités du livre considéré qui est destinée à le distinguer des autres livres » (Tesnière,
1959 : 364).

289
Les guillaumiens ont ajouté un bémol à cette hypothèse : ils admettent que cer-
tains compléments introduits par de ont une valeur épithétique, mais pas tous et
notamment pas celui cité dans l’exemple de Tesnière. Ce type de complément
(comme dans le chien du berger) est défini comme dénotant «  l’appartenance
réelle ou une dépendance actancielle » (Saint-Gelais, 1984 : 58) et n’a donc pas
pour les guillaumiens de valeur qualifiante. Ce qui explique la présence d’un
article défini.
Cette distinction va nous permettre de décrire la relation entre couleur et de
sparadrap en comparant cette séquence à couleur du sparadrap. Dans le dernier
exemple qui équivaut à le livre de Pierre, le complément en de n’a aucune valeur
qualifiante, une relation d’appartenance réelle (le sparadrap a une couleur) est
établie par de. Dans leur hypothèse, la présence de l’article défini devant N2 est un
critère de distinction : Saint-Gelais (1984) explique ce phénomène comme étant
le reflet de la virtualisation de N2, virtualisation étant entendue comme l’éloigne-
ment du contenu référentiel de N2 par rapport à son contenu initial. Pour reprendre
les termes de Guillaume : l’absence ou la présence d’article est « l’indice du seuil
de partage entre la valeur qualifiante et la valeur non-qualifiante du substantif
déterminant » (Saint-Gelais, 1984 : 58). Ici, il n’y a pas d’article (couleur de Ø
sparadrap), les compléments sont donc qualifiants. Contrairement à couleur du
sparadrap, quand on utilise l’expression couleur de sparadrap, on fait référence
d’une façon plus abstraite au sparadrap. On ne pense plus complètement le spa-
radrap comme objet, on extrait juste la partie du sens total qui nous intéresse, en
l’occurrence, la propriété chromatique.
Nous avons noté par ailleurs le caractère facultatif de la préposition de. Ces
structures avec et sans de, sont en distribution complémentaire. Couleur spara-
drap peut être précédé de la : la couleur sparadrap et peut apparaître derrière en :
il l’a peint en couleur sparadrap.
Sparadrap dans ce cas-là et seulement dans celui-ci peut être remplacé par un
terme de couleur : couleur grise, couleur verte. Serait agrammatical *couleur de
gris ou *couleur de vert. La structure avec de ne peut en fait s’utiliser que lorsque
le N2 réfère à une entité à laquelle on peut associer une couleur. Ce de nécessite
une relation d’appartenance : le sparadrap a une couleur et il est question de
cette couleur. Ce qui explique que la structure en de ne fonctionne pas avec des
termes de couleur, aucune relation d’appartenance ne peut être établie. En d’autres
termes, le bleu n’a pas de couleur, il est couleur.
Cette relation d’appartenance se manifeste dans un autre cas. Le pronom inter-
rogatif quel demande en réponse la désignation d’un membre de l’espèce nommée
par le N qui suit le pronom interrogatif. À la question Quelle couleur préfères-tu ?

290
on obtiendra la réponse Le bleu ou Celle du sparadrap. Tandis que bleu s’emploie
seul, on aura une reprise anaphorique par le pronom démonstratif celle si on veut dési-
gner une couleur en se référant à une entité qui ne désigne pas de la couleur : une struc-
ture établissant une relation d’appartenance est indispensable, matérialisé par celle du.

2.3.4.3. Hypothèse pour Blanc de lait


La question qui se pose est de savoir de quel type de structures se rapproche le plus
blanc de lait. Est-ce le résultat d’une combinaison au niveau de la syntaxe comme
couleur de sparadrap ou plutôt une association régie par des règles morpholo-
giques comme jaune de Naples ?

Au regard de la compatibilité en termes de détermination, il semblerait que blanc


de lait soit une et une seule unité, compte tenu des emplois différents avec article
défini ou indéfini : elle a préféré le vert d’algue, elle ne voulait pas d’un vert de
mer. Les unités noir de jais, bleu d’azur ou gris d’acier se distinguent des autres
par la possibilité que présente le N2 à figurer en N2 de composition et même par-
fois comme résultat d’une conversion : gris d’acier, gris acier, acier ou noir de
jais, noir jais, les trois désignant la même propriété chromatique222 :

14a) «  Nuage gris d’acier  » (http://ossiane.blog.lemonde.fr/category/le-gris,


consulté le 2.08.13)
14b) «  Plan de travail en résine de synthèse gris acier  » (www.leroymerlin.fr,
consulté le 2.08.13)
14c) «  Lily joue de son regard acier et de sa crinière pour nous envoûter » (http://
www.puretrend.com, consulté le 2.08.13)

La relation entre la propriété chromatique et le N2 dans [TdeC + de + N2], comme


nous l’avons observé, est de deux types selon que le nom du référent est un nom
commun ou un nom propre. Dans le cas du nom propre, l’origine est locative : bleu
de Berlin, bleu de Prusse ; lorsque le nom est commun, elle est compositionnelle :
noir d’ivoire, bleu de cobalt.
Or, l’instruction de la conversion et de la composition relève de comparaison.
Si les trois séquences désignent de la même façon, il a fallu privilégier un des
sens : soit origine, soit comparaison. Ce dernier a été sélectionné.

222 Nous entendons par même couleur, la même couleur conceptuellement, concrètement
elle peut différer selon la perception individuelle du locuteur, par contre, d’un point
de vue linguistique, le même principe est appliqué dans les trois cas.

291
Plusieurs choses ayant trait à ces séquences sont remarquables et vont expliquer
leur existence ; d’abord elles sont plutôt d’un emploi littéraire, puis elles semblent
pratiquement figées. Il est difficile en effet d’imaginer construire librement : *rose
de saumon, * jaune de moutarde ou *rouge de tomate. Ceci s’explique étymologi-
quement : de pouvait également construire une comparaison comme dans des yeux
de chat par exemple dont une paraphrase pourrait être des yeux tels ceux d’un chat.
Puis comme Soutet (1986 : 19) le mentionne : « le de introducteur du complément
du comparatif a disparu » de l’ancien français au français moderne. Ce procédé
est ancien et c’est la raison pour laquelle les expressions semblent figées et que
la combinaison n’est plus productive. Comme la composition offre une relation
comparative, et qu’en plus, elle est très libre, il semblerait qu’elle ait prit le relais
naturellement à la disparition de la structure comparative introduite par de.

La deuxième structure qui peut être formée par un assemblage syntaxiforme est
l’association d’un [TdeC + Adj.] : rose mexicain par exemple. Dans le corpus
figurent également rouge incendiaire, jaune solaire, vert pisseux. Nous allons voir
que de même que pour les suites [TdeC + de + N2], le statut du nom (propre
ou commun) utilisé comme base n’est pas sans conséquence. Alors que pour les
séquences avec de, la différence portait sur l’origine qui se révélait de deux types
selon une base toponymique ou compositionnelle ; dans le cas des [TdeC + Adj.],
la différence se situe au niveau morphologique : le type de nom de base influe sur
le caractère unitaire ou non de la séquence. Ce qui se traduit par une dichotomie
en termes de morphologie et de syntaxe.

2.3.5. [TdeC + Adj.] - Adjectif et base : nom commun vs nom propre


Le TdeC peut être accompagné d’un adjectif construit sur une base désignant (i)
soit une entité géographique : rose mexicain, rouge tyrien, rouge brugeois, (ii) soit
une base non toponymique et elle désigne alors tout type d’objet : un incendie
dans rouge incendiaire, l’électricité dans bleu électrique, un marécage dans vert
marécageux ou encore de la pisse dans vert pisseux. Nous avons observé que
l’utilisation d’un des deux types de base peut entraîner un traitement différent du
point de vue constructionnel. Lorsque la base réfère à un lieu, les deux constituants
composent une unité lexicale issue d’un assemblage (paramorphologique) syn-
taxiforme, qui certes n’a pas le même sens qu’une séquence [TdeC + de + N] mais
qui n’en partage toutefois pas moins le type d’OC. En revanche, si la base est un
nom commun, la séquence se situe à la limite de la construction morphologique et
de la construction syntaxique dans la mesure où il n’est pas toujours clair s’il s’agit

292
d’une et une seule unité composée de deux éléments ou de deux unités associées
en syntaxe. Les deux options pour une même combinaison vont d’ailleurs s’avérer
possibles.

Exemples avec des bases toponymiques


Bleu antillais Rouge brugeois Rose/rouge indien
Rose/rouge turc Rose mexicain Rose tyrien
Vert anglais…

Exemples avec des bases non-toponymiques223 


15a) « Trois musiciens aux chemises de satin bleu électrique du plus mauvais
goût » (Giraud, La coupure, 1966) (Frantext)
15b) Vert marécageux (Mollard-Desfour)
15c) Bleu royal (Pantone® book of color, Mollard-Desfour)//bleu roi
15d) « Le bleu nocturne de la robe » (R. Martin du Gard, Les Thibault,
1936)//« gaze bleu-nuit » (P. Loti, Mme. Chrysanthème, 1887) (Frantext)
15e) « Des livres flamboyants de couleurs primaires : bleu éclatant, rouge incen-
diaire, jaune solaire » (S. King, Minuit 4, 1990)
15f)  Vert impérial (=vert empire) (www.pourprechroma.com, consulté le 2.08.13)
15g)  Jaune impérial (www.pourprechroma.com, consulté le 2.08.13)224
15h)  « Du vert pisseux d’Hollywood » (Renaud, Dans ton sac, 1991).

Comme le montre Molinier (2006), des adjectifs comme clair, foncé évaluent
la couleur, de même semble-t-il que marécageux, pisseux ou royal. Or il résulte
de l’observation des différents exemples que toutes les séquences [TdeC + Adj.]
ne sont pas à traiter comme clair, foncé  : certaines ressortissent à la syntaxe et
d’autres à la morphologie. Seules ces dernières seront alors à considérer comme
des unités lexicales.

223 Mollard-Desfour (2009) cite rouge zefirellien, qui désigne un rouge caractéristique
des films du réalisateur Zeffir. Mais de tels exemples avec des anthroponymes restent
assez rares.
224 Les exemples 15f) et 15g) ne sont répertoriés ni par Guillemard, ni par Mollard-
Desfour.

293
2.3.5.1. Analyse de Molinier (2006)
Dans son analyse du lexique chromatique, Molinier distingue les adjectifs de
couleur comme bleu, vert, jaune, lie de vin, abricot, vert pomme225 qu’il appelle
les adjectifs de couleur catégorisateurs qu’il oppose aux nombreux226 adjectifs
de catégorisation générale, qui évaluent la couleur : clair, foncé, vif, sombre,
pâle, mat, terne, lumineux, criard, verdâtre, etc. (2006 : 261). Contrairement aux
adjectifs de couleur catégorisateurs, ils entrent dans la structure :

16) Cette robe est d’une couleur Adj

et sont assimilés à des adjectifs appréciatifs comme ravissant, magnifique,


splendide.
Au sein de cette classe, il distingue trois groupes selon la relation entretenue
avec la couleur ; il existe selon lui (2006 : 264) des adjectifs spécificateurs directs
comme clair et foncé qui :
« s’emploient auprès d’un adjectif quelconque, avec statut non prédicatif, pour
apporter des spécifications concernant essentiellement la clarté et la saturation »

comme dans :

17a)  Ce foulard est bleu (clair+foncé+sombre+vif+pâle)

Ils sont impossibles adjoints à un substantif :

17b)  *Ce foulard est d’un bleu clair

Ils acceptent par contre d’entrer dans la structure être de couleur :

17c)  Ce foulard est de couleur (claire + foncée+ sombre + vif + pâle)

Il explique (2006 : 264) que être de couleur est un verbe support (il reprend la ter-
minologie de Gross, (1981), cf. § 1. 1. 2. de ce chapitre) qui équivaut à être. Cette

225 Même si nous ne regrouperions pas les unités de la même façon, les deux parties qu’il
distingue nous semblent cohérentes. Cependant, dans le cadre de notre étude, nous
y ajouterions encore des sous-catégories distinguant les unités sur le plan morpho-
logique, c’est-à-dire par rapport à l’opération utilisée pour les construire. Dans son
optique descriptive, cette différenciation n’était pas essentielle.
226 Il en dénombre environ 500.

294
équivalence sémantique malgré l’absence du terme couleur montre que sa men-
tion est non nécessaire et s’explique par sa présence dans l’intension de l’adjectif.
Corrélativement, si la structure ne peut être utilisée, c’est parce que l’adjectif n’a
pas dans son intension ce sens spécifique, comme par exemple :

17d)  *Ce foulard est de couleur ravissante

Le second groupe d’adjectifs réunit les adjectifs dits approximants :


« qui ont essentiellement pour fonction d’indiquer la tendance vers une couleur iden-
tifiée par un Adj C ou la présence d’une simple nuance d’une couleur identifiée par
un Adj C » (ibid.).

Cette unité est nécessairement :


« un adjectif de couleur formé par dérivation suffixale sur un Adj C » (id.)

comme bleuâtre, verdâtre, cendrée, laiteuse, jaunasse, bleuté, azurin, jaunet, etc.
Ils acceptent logiquement comme les spécificateurs d’intégrer la structure être de
couleur Adj :

17e) Elle est de couleur verdâtre, laiteuse, cendrée

Le troisième groupe d’adjectif catégorisateurs regroupe tous ceux qui peuvent


évaluer, et éventuellement entre autres la couleur (lumineux, fade, terne…), ce
qui implique l’obligation de les intégrer dans une structure prédicative (marquée
syntaxiquement par qui est). De là, s’explique donc l’impossibilité de les trouver
dans une structure être de couleur Adj :

17f)  *Etre de couleur lumineuse, terne, fade


17g)  Être d’une couleur (qui est) lumineuse, terne, fade

Les adjectifs qui nous intéressent sont de ce type :

17h)  *Être de couleur incendiaire, marécageuse, pisseuse

Ces adjectifs contrairement à clair ou foncé peuvent désigner maintes propriétés


n’ayant pas nécessairement trait à la couleur, ce qui conduit logiquement, si une
évaluation chromatique désire être portée, à la nécessité d’un support explicitant
sur quoi porte l’évaluation, soit le TdeC. Ils sont en ces termes différents des adjec-
tifs qui peuvent référer indépendamment à une propriété chromatique : incendiaire

295
et verdâtre ne réfèrent effectivement pas à de la couleur dans les mêmes conditions.
Avec incendiaire, un calcul supplémentaire est nécessaire et une évaluation sub-
jective est en plus inférée. Ceci sera possible avec tous les adjectifs identifiables à
incendiaire en combinaison chromatique, mais non imposé à ceux qui existent en
parallèle à une unité issue de composition : bleu royal/bleu roi, vert impérial/vert
empire.
Cette autonomie s’illustre par ailleurs dans le décalage entre la couleur du réfé-
rent du nom de base et la couleur désignée : le meilleur exemple étant vert pisseux,
où le référent pisse n’est pas de la couleur verte. Un second argument en faveur
de cette observation serait la possibilité d’associer plusieurs couleurs au même
adjectif :

18a) Rose incendiaire, orange incendiaire, rouge incendiaire, jaune incendiaire,


« explosant les étoiles dans un feu d’artifice fait de bleu, du bleu incendiaire
de tes yeux » (www.douleuramoureuse.free.fr, consulté le 2.08.13)
18b)  Un brun/vert marécageux, un jaune/blanc/gris pisseux

Reste la question du procédé à l’origine  : ressortit-il à la syntaxe ou à la


morphologie ?

2.3.5.2. Construction morphologique ou syntaxique ?


À première vue et dans l’optique de Molinier, la combinaison du TdeC et de l’ad-
jectif relève de la syntaxe. Cependant, nous avons observé que la conclusion ne
peut pas être si catégorique.

2.3.5.2.1. Influence de la conceptualisation du locuteur


Au côté de la signification première de l’adjectif s’est construite une évaluation
subjective qui ne disparaît pas au contact de TdeC : à incendiaire, par exemple,
s’ajoute la notion de provocation, à marécageux ou pisseux, un jugement connoté
fort négativement. De fait, la prédicativité n’est plus totalement inconcevable :

19a)  Le rouge de sa robe était incendiaire


19b)  Le vert de son pantalon était pisseux

Cette tendance explique également une possibilité de dislocation, qui refléterait


l’autonomie des deux éléments :

20)  Incendiaire, le rose de ses cheveux !

296
Donc, la relation entre TdeC et Adj. est de l’ordre de la syntaxe.
Par contre, il existe des séquences [TdeC + N] parallèles à [TdeC + Adj.]
comme bleu roi et bleu royal, données comme synonymes dans le dictionnaire de
Guillemard par exemple :
« Bleu vif et franc, nettement plus clair que le bleu marine, et qui était la couleur
des rois de France. (…) On dit aussi plus rarement, bleu royal » (s. v. ROI (BLEU),
DMC).

Rien n’empêche d’ailleurs d’imaginer une construction morphologique vert


marécage ou rouge incendie. Ces composés [TdeC + Adj.] ne désignent que de la
couleur comme les définit Mollard-Desfour dans les dictionnaires respectivement
Le Vert et Le rouge :
« P. RÉF. à la nuance verte des marécages, terrains spongieux saturés d’eau où
poussent en abondance des plantes aquatiques. (…) vert sombre (…) »
« P. RÉF. à l’éclat et aux couleurs rougeoyantes du feu, des flammes ».

La même définition est certes donnée pour les séquences [TdeC  + Adj.] dans ce
même dictionnaire, cependant il nous semble toutefois remarquable que tout carac-
tère subjectif a disparu227 pour ne laisser place qu`à l’instruction sémantique prédite
par l’OC, à savoir la comparaison. Dans cette perspective, bleu royal peut désigner
de deux façons : soit bleu roi et bleu royal désignent la même chose, à savoir une
propriété chromatique clairement définie, les deux constituants sont alors reliés par
un procédé morphologique ; soit bleu et royal sont associés en syntaxe, ce qui permet
à royal, dans un contexte particulier, comme par exemple, particulièrement marqué à
l’oral, de souligner davantage l’aspect subjectif et ainsi désigner une propriété prédi-
cative de la couleur, l’évaluant en terme de prestige, de splendeur ou de panache. La
même chose pourrait être déduite de vert impérial, rouge incendiaire, etc.
Il s’avère alors que lorsque l’adjectif évalue, il a un statut prédicatif par rapport
au TdeC et que l’unité ne peut être décrite comme formant un tout puisque ses
éléments en sont reliés par des moyens syntaxiques. Cependant la frontière est très
ténue, puisqu’un changement de conceptualisation du locuteur (d’une évaluation
subjective à une comparaison où l’axiologique est inexistant ou peu pertinent)
peut faire passer à la combinaison les frontières de la syntaxe et appartenir alors au
domaine de la morphologie. Cette analyse ne concerne que les adjectifs sur base
non-toponymique ; en ce qui concerne les bases toponymiques, le traitement sera
nécessairement au sein de la morphologie.

227 Ou presque comme nous allons le montrer dans la dernière partie de ce chapitre. Il
n’est en tous cas pas essentiel.

297
2.3.5.2.2. Opération constructionnelle
Comme nous allons le montrer par ailleurs, la dichotomie usuelle nom propre/nom
commun n’est pas discriminatoire en ce qui concerne les unités issues de compo-
sition dans le domaine chromatique, nous avons, alors, d’abord supposé qu’il en
était de même dans avec cette structure et que rose mexicain pouvait être traité
comme vert marécageux ou rouge incendiaire.
Or les deux types d’exemples ne sont pas similaires. Plusieurs emplois
syntaxiques confirment cette hypothèse :

(i) l’emploi de l’article défini semble difficile avec un adjectif construit sur un nom
commun :

21a) *Le rouge incendiaire


21b) *Le vert marécageux
vs 21c) Le rose mexicain/Le rose indien
21d) Un rouge incendiaire vs *Un rose mexicain

(ii) La dislocation s’avère de même beaucoup plus problématique :

22a)  *Il est tellement mexicain, ce rose !


22b)  *C’est quoi comme rose ? Mexicain

Ainsi que l’insertion d’un adverbe :

22c)  *Un rose très mexicain


22d)  *Un rose très indien

(iii) Enfin, l’application des tests de Molinier aux séquences constituées d’un
toponyme, a mené à des résultats différents :

23a)  *Être d’une couleur mexicaine


23b)  *Être de couleur mexicaine

Ces trois remarques suffisent à montrer la divergence qui existe entre les deux
types d’adjectifs. Avec un toponyme, la construction ressortit sans aucun doute
à la morphologie : une unité est construite, ce qui explique l’impossibilité de
toucher à l’intégrité de la séquence par l’ajout d’un adverbe ou la séparation des
constituants. De même, la relation entre les deux éléments n’est pas de l’ordre
de la prédication. La question qui reste par conséquent est la différence existant

298
entre ces unités et les constitués [TdeC + de + toponyme]. Il s’avère qu’elle est
de l’ordre du domaine de la pratique.

2.3.5.2.3. Rose mexicain vs *Rose du Mexique


Différencier rose indien et rose d’Inde se révèle très ardu. Grinevald et Dubois
(2003 : 90) proposent pour bleu breton ou rouge basque que de telles expressions
ne nécessitent pas autant de connaissances encyclopédiques :
« tandis que pour la peinture décorative il s’agit de susciter une évocation sans exi-
gence de précision référentielle et dans un contexte plus régional et accessible, à la
fois plus familier et plus imprécis (bleu breton, rouge basque) »,

elles ne se placent pas, par conséquent, au même niveau que les [TdeC + de + N].
Cette variation sémantique peut s’expliquer par le recours à la légitimation d’une
variante constructionnelle : [de + N] vs [adjectif].

Pour notre part, nous avons observé que l’instruction sémantique mêle le sens de
l’assemblage syntaxiforme, en évoquant l’origine mais aussi celui de la comparai-
son ; cet amalgame sémantique se reflète dans les définitions. Par exemple, rose
indien dans la définition du DMC :
« C’est un rose assez vif, tirant légèrement sur le mauve, que l’on trouve très souvent
parmi les motifs imprimés sur les foulards et autres soieries en provenance de l’Inde »

ou rose mexicain :
« rose vif assez proche du rose indien, en plus cru, rappelant certaines teintes que l’on
trouve dans les objets artisanaux mexicains. Quant à Ginette, elle porte un maillot
rose mexicain (Michel Tremblay, Le cœur éclaté, 1993) ».

Dans chaque définition apparaît un syntagme ayant trait à la comparaison :


« rappelant cette teinte » « qu’on trouve parmi ».

Opposé à cela, les exemples du type de jaune d’Inde qui comme décidé par l’OC
désigne un colorant, et où le toponyme indique, comme prévu, le pays d’origine
de la fabrication du pigment :
« [c’] est une teinture naturelle orange. Elle est tirée de l’urine de vaches nourries
de feuilles de manguier et assoiffées pour mieux concentrer la couleur…  » (s. v.
INDIEN, DMC).

Pour conclure ce paragraphe sur cette OC assez complexe, nous voulons attirer
l’attention sur ce que nous avons appelé dans l’introduction générale, les tendances
du système morphologique que nous décrivons. Notre analyse se veut précise et

299
juste, cependant comme nous l’avons expliqué, elle se confronte à la grande liberté
du domaine et donc aux choix peut-être subjectif influencé par la créativité indivi-
duelle : rouge turc est donné dans l’ouvrage de Mollard-Desfour comme synonyme
de rouge d’Andrinople, variante également de rouge Andrinople. Cependant de tels
exemples ne remettent pas en cause toute notre analyse qui ne se donne comme
objet que l’établissement des grandes lignes d’un système aux prises d’un locuteur
également décisionnaire de l’OC qu’il choisit, influencé par son savoir ou ses expé-
riences et sans doute aussi ses goûts.

2.4. La conversion
2.4.1. Traitements erronés
Les linguistes les plus radicaux (ou expéditifs) ont refusé d’accorder à la conver-
sion une place dans la grammaire en la dénigrant en tant que simple changement :
« placez l’article devant n’importe quel mot, cela suffit pour lui donner le caractère
de substantif » (Meyer-Lubke, 1974 : 479)
ou comme génératrice de mots non aboutis : pour ce même linguiste, des adjectifs
en position nominale ne sont pas « des mots complètement devenus substantifs »,
or le chercheur ne doit s’occuper que de vrais mots.
Pour d’autres qui acceptaient de voir en elle un procédé linguistique intéressant,
la conversion ne relevait pas de morphologie mais de syntaxe : Diez (1872–1876)
et Nyrop (1936 : 638) la considéraient comme l’attribution à un mot d’une nouvelle
fonction ; plus récemment, Garde-Tamine (1988 : 65) poursuit dans cette perspective.
Quand une place lui a été finalement concédée en morphologie, la conversion
a longtemps été traitée (et l’est encore parfois) au sein de la dérivation impropre,
classe rebut où tout ce qui ne ressortissait ni à l’affixation ni à la composition était
rangé. Comme le constate entre autres Kerleroux (1996), qui étudie le problème,
l’hétérogénéité des éléments d’une classe n’est pas d’un point de vue théorique
particulièrement satisfaisant. En effet, des produits linguistiques résultant de pro-
cédés morphologiques aussi bien que para-morphologiques sont rassemblés sous
une étiquette commune. On trouve par exemple des unités relevant :

(i) de déflexisation (rireV → rireN228) : la base est la forme instanciée (fléchie)


d’une unité, c’est-à-dire une forme que l’on trouve dans le discours (contrai-
rement à la forme identitaire qui est la forme « neutre »),

228 Se lit le verbe rire est la base du substantif rire.

300
(ii) de conversion (orangeN → orangeA) : la base est la forme identitaire de l’uni-
té lexicale (la forme instanciée serait oranges),
(iii) d’assemblage syntaxiforme (rendez-vous, bon à rien, bleu de Prusse) : il y a
parmi les constituants des matériaux qui appartiennent à la syntaxe (unités à
sens instructionnel, par exemple des prépositions, des déterminants).

Ces trois types d’opérations diffèrent en plusieurs points  ; elles n’exigent pas
le même type de base  : tandis que la conversion n’opère que sur des formes
identitaires, la déflexivation ou l’assemblage syntaxiforme ont accès aux formes
instanciées (rendez). De même, seul l’assemblage syntaxiforme utilise des unités
syntaxiques, comme les prépositions. De fait, il est théoriquement inapproprié de
les classer dans une seule catégorie.

En plus de ce problème dû à l’hétérogénéité des constituants de la classe régnait


une certaine confusion interdomaniale entre la syntaxe et la morphologie229 : bien
qu’elle fût décrite comme le résultat d’une opération constructionnelle, l’explica-
tion appartenait au domaine de la syntaxe. Par exemple, Riegel & alii (1994 : 168)
posent que :
« Par conversion (…) de nombreux adjectifs, au départ épithètes d’un nom ensuite
effacé, ont donné naissance à de véritables noms ».

Or, comme l’observe Corbin (entres autres 1987), la conversion est une opération
constructionnelle tandis que la notion d’effacement appartient à la syntaxe : par
conséquent, les notions de conversion et d’effacement sont définitionnellement
incompatibles. En outre, cette hypothèse d’une ellipse souvent évoquée afin de
justifier l’origine de ces unités, est insoutenable. Après avoir présenté dans un pre-
mier temps les arguments réfutant cette hypothèse (synonymie avec la séquence
avant l’ellipse, ellipse due à la récurrence de l’unité et reconnaissance de la partie
élidée), nous confronterons les séquences aux analyses de l’ordre de la morpholo-
gie constructionnelle.

229 Même si nous reconnaissons que les deux domaines sont en perpétuelle interférence
puisque comme l’observe Kerleroux (1996  : 390), ils sont «  rassemblés dans un
« lieu » unique qui est la grammaire de la langue ou la compétence du locuteur »,
les deux divergent sur deux points essentiels : d’abord au regard des unités qu’elles
sollicitent, ensuite de celui des règles structurant ces unités.

301
2.4.1.1. Contre l’ellipse
2.4.1.1.1. Premier argument contre l’ellipse
Selon les partisans de l’ellipse, les séquences saumon, lavande ou corail seraient
le résultat d’une ellipse de couleur ou d’un nom de couleur :

24a)  Saumon/Rose saumon/Couleur saumon


24b)  Lavande/Bleu lavande/Couleur lavande
24c)  Corail/Rose corail/Couleur corail

Ils expliquent que le premier terme a pu être effacé tant est claire pragmatiquement
qu’il est question de (cette) couleur. Les trois variantes devraient par conséquent
être synonymes.
Or, dans certains nuanciers, deux couleurs différentes sont associées aux deux
dénominations : par exemple, dans le nuancier de la marque de peinture Dulux
Valentine, rose corail et corail présentent deux nuances distinctes. Nous avons
trouvé aussi dans des catalogues de prêt-à-porter des articles déclinés sous la cou-
leur lavande et sous la couleur bleu lavande, les deux étant bien entendu référen-
tiellement non identiques.

2.4.1.1.2. Second argument


Une autre justification de l’ellipse est la récurrence de l’occurrence qui aboutit à
une redondance inutile. Cependant, les séquences suivantes230 réfutent d’emblée
cette position :

25a) °Elle portait une robe fromage MacDo


25b) °Elle avait une chemise Ketchup

dans la mesure où elles ne posent aucun problème d’interprétation bien qu’elles


n’aient pourtant sans doute jamais été ni prononcées, ni entendues. L’argument
justifiant l’effacement du N1 par la haute fréquence de l’expression en disocurs ne
fonctionne donc pas.
Reste un troisième problème que pose l’analyse par l’ellipse : comment retrou-
ver le terme élidé ?

230 Nous avons volontairement choisi des exemples dont la probabilité de production est
faible.

302
2.4.1.1.3. Bête
Pour les termes chromatiques, la question se posait déjà de savoir si couleur ou
un nom de couleur (rouge, vert, jaune, etc.) était à recalculer dans l’expression à
l’origine. On aurait envie de dire couleur, puisque c’est le terme le plus général,
mais alors ceci n’explique pas la relation entre rose corail et corail. Les deux
termes appartiennent certes au même champ sémantique, le nom de couleur
n’apportant qu’une précision, néanmoins il est assez inconvénient d’admettre un
principe si vague. En outre, d’un point de vue théorique, le postulat devrait être
identique pour tout adjectif dénominal ayant pour singularité d’avoir une forme
graphique et phonique identique dans deux catégories différentes231. Résulte de
cette remarque que pour l’unité bête dans :

26a)  Une fille bête

une séquence devrait être recalculable pour rétablir l’ellipse. Or aucun terme ou
syntagme commun ne pourraient être, nous semble-t-il, sous-entendu pour tous
ces emplois :

26a)  Une fille bête


27a)  Un air bête
28a)  Une histoire bête

Ni ayant le comportement d’une ni similaire à une ne ferait sens :

26b)  Une fille [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête


27b)  Un air [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête
28b)  Une histoire [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête

En outre, il est remarquable que bête ci-dessous (adjectifs apparemment) ne couvre


pas la même référence que bête en emploi nominal dans :

29a)  La bête vit dans les bois


29b)  J’aime les bêtes

231 Puisque si la thèse de l’ellipse est admise, celle de la conversion est réfutée. Par consé-
quent serait expliqué par ellipse tout ce que nous appellerions conversion, telle l’opé-
ration appliquée à la séquence bête.

303
Il semble donc que premièrement, le passage de bêteN à bêteA implique beaucoup
plus qu’une ellipse comme le montre la variation sémantique entre les deux unités.
De même, dans le cas de termes chromatiques, il y a passage de désignation de
référents à dénomination de propriétés. La variété sémantique explique la difficulté
à retrouver un terme commun, ce qui réfute, selon nous, l’hypothèse de l’ellipse.
Si plusieurs séquences peuvent en être à l’origine, il est difficile de comprendre
et d’admettre comment les différents locuteurs réussissent à les recalculer et à
s’entendre. Nous pensons par ailleurs que la modification sémantique s’explique
au niveau morphologique des séquences. Il existe en effet dans la langue un opé-
rateur de construction de mots qui permet de construire de telles unités (également
hors du domaine chromatique) : c’est la conversion.

Nous posons alors l’hypothèse que pour ces unités (ainsi que pour n’importe quelle
type d’unités  : feuille morte, rouge Tiepolo, rose mexicain ou bleu de Prusse),
aucun mot n’a été effacé : toutes ces unités sont des unités « achevées » (et non
« démembrées »), étant le résultat d’opérations morphologiques de construction
de mots.

2.4.2. La conversion : une opération constructionnelle


d’unités lexicales
2.4.2.1. Définition
En plus des différents traitements (cf. ci-dessus), l’opération que nous étudions
a connu plusieurs dénominations : notamment translation, transfert. Nous l’ap-
pellerons conversion232 à l’instar de D. Corbin, qui l’a étudiée dans le cadre de
sa théorie sur la structuration du lexique (1987, à paraître) et qui la définit ainsi :
« [la conversion] consiste à reproduire la forme identitaire de la base, structurellement
à introduire un degré de complexité supplémentaire en construisant un mot de catégo-
rie lexicale différente de la base, et sémantiquement à construire un sens spécifique,
variable selon les combinaisons catégorielles entre base et mot construit » (à paraître).

La conversion se définit alors sous trois angles :

(i) d’abord d’un point de vue formel : la forme de l’input est identique à celle de
l’output. Ceci, comme nous l’avons mentionné dans l’introduction constitue

232 R. Lieber (1981) dans On the organisationof lexicon (Thèse de doctorat, MIT Press)
la dénommait ainsi également.

304
une partie de la problématique puisqu’il faut prouver que sous une et une
seule forme graphique et phonique, il y a bien deux individus lexicaux ;
(ii) d’un point de vue structurel, les deux unités sont de catégorie lexicale distincte,
ce qui justifie l’existence de deux individus lexicaux. Cependant les deux uni-
tés ne sont pas homonymes : elles sont liées sémantiquement et structurelle-
ment entre elles, comme le suggère la dernière partie de la définition ;
(iii) contrairement aux homonymes qui ont des sens distincts, impossibles à relier
entre eux, une unité issue de l’application d’une conversion a un sens prédic-
tible. La notion de sens spécifique implique celle de prédictibilité. Comme
l’opération est régulière, le rapport entre les deux unités est calculable, et
ceci selon la relation sémantique instaurée entre les deux unités, via d’une
part l’intension de la base et d’autre part les prédispositions imposées par
l’étiquette catégorielle.

Selon cette définition, la conversion a une instruction sémantique qui permet de


construire régulièrement des unités de même forme phonique et graphique que
leur base et la relation sémantique qu’elle instaure entre les deux unités est pré-
dictible d’une part, grâce au sens instruit par l’opération constructionnelle, d’autre
part grâce à l’intension de la base.

2.4.2.2. Instruction sémantique de l’OC


L’objet de l’analyse qui suit est de décrire l’instruction sémantique dans la relation
N → A. Suite à l’observation de la relation entretenue entre le référent du nom recteur
et le référent du nom de base de l’unité convertie, nous allons montrer que de même
que pour la composition, à l’instar de Mélis-Puchulu (1988), « une sorte de méta-
phore » s’établit. Suivra une partie concernant les unités concernées suivie d’une sur
les noms recteurs parfois privilégiés et enfin nous terminerons sur les qualités asso-
ciées au référent du nom de base qui sont susceptibles de varier selon le nom recteur.

2.4.2.2.1. Sorte de métaphore (Melis-Puchulu, 1988)


La conversion est la dernière OC possible pour créer un terme chromatique. À la
lumière du tableau (cf. § 2.3.3. Partie 2, Chap. 2), il ressort que, comme pour les
unités issues de composition, le nom entrant dans l’output peut référer très diver-
sement : un animal, un métal, une pierre (semi-)précieuse, un végétal (arbre, fleur,
fruit, légume). Par contre, comme déjà mentionné ci-dessus, seuls des référents
désignés par des noms communs fonctionnent et ils réfèrent nécessairement à des
objets concrets (en opposition à des concepts symboliques et abstraits comme
tristesse, catastrophe, etc.).

305
Mélis-Puchulu (1988 : 21) tente de démontrer que pour tout adjectif dénominal
s’établit une relation sémantique métaphorique ou partiellement métaphorique
entre le nom recteur (désormais Nr) et le nom de base (Nb) de l’adjectif construit.
Elle définit ainsi les deux types de sens :
« J’appelle sens métaphorique le sens paraphrasable par « qui ressemble à Nb » et
sens partiellement métaphorique le sens paraphrasable par « qui, par X, ressemble à
Nb » ou « qui a la (ou le) X1 de Nb », X1 étant une propriété du Nb (forme, fonction,
couleur, nature, aspect structure, goût, odeur…) ».

En utilisant les termes de Mélis-Puchulu, dans le cas des adjectifs chromatiques,


le sens est partiellement métaphorique puisqu’une propriété (X1) appartenant au
référent du nom de base est en jeu : la séquence pourrait être paraphrasée par un
pull qui a la même propriété chromatique qu’une brique.
Nous insistons toutefois sur « est une sorte de métaphore » parce que les deux
procédés ne sont pas identiques  : d’abord d’un point de vue définitionnel, mé-
taphore et opérateur morphologique ne peuvent être traités sur le même plan.
Deuxièmement, d’un point de vue catégoriel, les deux phénomènes n’ont pas les
mêmes incidences sur les unités et leur classification lexicale : la métaphore crée
un sens, l’opération construit un mot. Enfin sémantiquement, les deux procédés
n’activent pas les mêmes propriétés des référents du nom, comme nous le verrons
plus particulièrement lors du traitement de propriétés en concurrence dans le cha-
pitre suivant.

2.4.2.2.1.1. Définition de la métaphore


Selon Du Marsais (1730 : 112), la métaphore est :
« une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un
mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui
est dans l’esprit ».

Ce procédé rhétorique autorise à utiliser la dénomination d’un référent pour en


désigner un différent considéré comme comparable parce qu’ils partagent une pro-
priété. Dans la séquence :

Paul est un cochon

le référent Paul est comparé à un membre de la catégorie d’animaux dénommés


cochon car le locuteur considère que Paul partage avec eux une qualité, en l’oc-
currence la saleté. La conversion semble fonctionner de même puisqu’elle permet
d’utiliser le nom d’un référent pour en désigner un autre. Dans :

306
Une robe brique

la dénomination de l’entité brique désigne autre chose qu’elle-même (c’est-à-dire


l’objet rectangulaire qui sert à construire des murs), ceci étant possible par l’ana-
logie de propriétés chromatiques. Bien qu’a priori les deux exemples semblent
être à traités conjointement, brique et cochon dans ces contextes ne relèvent pas
du même procédé.

2.4.2.2.1.2. Problème définitionnel


Il est toutefois gênant de rendre compte de la conversion en terme de procédé
rhétorique parce que la métaphore « joue » avec les mots ; elle ne construit pas
d’unités lexicales.
La métaphore utilise des notions symboliques qui apparaissent lorsque dans
la phrase la dénomination d’une entité est remplacée par celle d’une autre qui lui
est associée par analogie symbolique233 de propriétés. Ce mécanisme est certes
linguistique puisqu’il est question de dénomination et de référence, mais pas mor-
phologique : aucune unité lexicale ne résulte du procédé. Au contraire, la conver-
sion construit de nouvelles unités lexicales, combinant un changement sémantique
et structurel (même si la forme graphique ou phonique de départ est identique
à celle d’arrivée), qui entraîne un changement catégoriel. Cette incidence sur la
catégorisation, preuve irréfutable qu’une nouvelle unité est construite, reflète la
différence fondamentale entre la métaphore et la conversion. Bien que les deux
établissent une comparaison par le biais de propriétés en commun, les termes de
comparaison sont différents : la métaphore compare deux référents de même caté-
gorie lexicale et donc de même type (un homme et un animal dans le cas de Paul
est un cochon) alors que la conversion, procédé plus complexe, compare deux
entités, retient une propriété d’un élément de la comparaison et utilise sa dénomi-
nation pour nommer la propriété en question.

2.4.2.2.1.3. Comparaison
De même que pour la composition, une comparaison s’établit entre la propriété
chromatique désignée par le nom qui sera converti et la qualité chromatique du

233 Nous soulignons symbolique puisque toute analogie n’est pas de cet ordre, même si
elle tend à l’être : par exemple, une couleur peut être désignée par le nom d’un objet
concret par analogie chromatique. Pourtant, brique entrant dans ce schéma n’est pas
le symbole du rouge. L’inverse n’est pas vrai non plus, le rouge n’est pas symbole de
brique. Pour la métaphore, l’analogie est toujours symbolique.

307
nom recteur. Une robe abricot est une robe qui possède la même propriété chroma-
tique que l’abricot. Dans le chapitre suivant, des unités appartenant à chacun des
deux groupes seront confrontées, ainsi seront cernées les contraintes pesant sur la
propriété du référent du nom converti ou du N2 dans une composition afin d’être
activée par l’une ou l’autre des OC.

2.4.2.3. Unités concernées : contre Molinier (2006)


Aile de corbeau ou cuisse de nymphe ne se traite pas, selon Molinier (2006), de la
même façon qu’abricot à cause du nombre d’éléments les constituant. Or, selon
notre point de vue, les deux types d’unités sont structurellement équivalents : dans
un cas, l’OC est appliquée à abricot et dans l’autre, à l’ensemble cuisse de nymphe
qui a été pris dans sa totalité comme input. Il s’avère en effet que le référent dont il
est question est « cuisse de nymphe » et non juste cuisse ou seulement nymphe.
La multiplicité des éléments n’est qu’un « accident » ou « aléa » linguistique ayant
pour conséquence que le référent de cuisse de nymphe est désigné par trois mots
et non un seul comme abricot. Ce qui pourrait se confirmer premièrement par des
positions syntaxiques similaires entre les deux : Une robe abricot/Une robe cuisse
de nymphe ou J’aime la couleur abricot/J’aime la couleur cuisse de nymphe. Il
serait de même envisageable d’ajouter aux deux une information évaluative via un
adjectif : Elle avait une cravate abricot clair/cuisse de nymphe clair. Le fait en outre
de trouver cuisse de nymphe au sein d’une énumération prouve que la séquence par-
tage le statut des celles apposées : « soutenant toutes sortes d’ustensiles allégoriques
sur des fonds vert pomme, cuisse de nymphe, ventre de biche » (T. Gautier, Voyage
en Espagne, 1843, Frantext). Un deuxième argument en faveur de l’intégrité de
cuisse de nymphe serait la difficulté de modifier un des termes : on ne pourrait avoir
*jambe de nymphe, *cuisse d’ondine ou encore *cuisse de jolie nymphe.

2.4.2.4. Domaine spécialisé (Nom recteur)


Il est immédiatement remarquable suite à la lecture des mots du corpus que des
domaines sont privilégiés : de nombreux exemples apparaissent dans des écrits
concernant les vêtements, la décoration, la peinture.
Il s’avère en plus que certains adjectifs ne s’appliquent qu’à un type d’objets.
L’adjectif caille est restreint à la désignation des couleurs des plumes de la
volaille, ce qui peut s’expliquer référentiellement. De même que chair qui désigne
une couleur peau essentiellement pour des tissus. En revanche, il est plus difficile
de trouver une raison à l’emploi quasi exclusif de beurre frais pour désigner spé-
cialement la couleur des gants.

308
Quoiqu’il en soit, les restrictions collocatives sont référentielles plus que lin-
guistiques puisque l’unité a été construite, de fait nous ne tiendrons que peu compte
de cette observation. Elle permet surtout de justifier le grand nombre d’exemples
avec des vêtements.

Conclusion du chapitre
Dans cette partie ont été décrites les trois opérations morphologiques permettant
de construire des unités chromatiques.
D’abord la composition qui combine un terme de couleur et un nom. Cette OC
est la plus productive dans la mesure où le substantif peut désigner tous les types
de référents : concret (vert épinard) ou abstrait (gris tristesse), nom commun (bleu
roi) ou nom propre désignant un anthroponyme ou un toponyme (rouge Tiepolo/
bleu Bahamas).
La seconde OC à l’origine d’unités polylexicales est l’assemblage syntaxiforme
(terme que nous avons repris de la terminologie du cadre théorique de Corbin, à
paraître). Une unité chromatique est suivie d’items qui pourraient lui être égale-
ment adjoints par des procédés syntaxiques, soit avec l’utilisation de préposition
(jaune de Naples) soit dans une combinaison [N + Adj.] comme rose mexicain.
Comme ces combinaisons peuvent être identiques en étant construites dans deux
domaines distincts, à savoir la syntaxe et la morphologie, il a fallu en premier, jus-
tifier leur domaine d’appartenance. Une description de la relation entretenue entre
les deux éléments appuyés par quelques tests nous a amenée à répertorier trois
catégories de relations qui forment des ensembles généraux selon les propriétés
des adjectifs :

(i) si l’adjectif est un toponyme, alors la séquence est une unité lexicale : rose
mexicain. La différence avec [TdeC + de + nom] s’expliquerait en terme
de facilité, de moindre spécialisation du terme avec comme conséquence
un sens « plus facile » à (re)calculer pour le locuteur puisque basé sur une
comparaison (et non des connaissances encyclopédiques), dont le toponyme
ne désigne que l’origine ;
(ii) les deux groupes suivants regroupent des adjectifs construits sur une base
non toponymique. L’appartenance à l’un ou l’autre domaine n’est pas si
tranchée qu’avec les éléments de (i). L’alternative est possible entre l’un et
l’autre domaine ; le type d’adjectif est alors décisif :
(iia) soit il peut déjà désigner ou évaluer sans qu’une couleur particulière soit
nécessaire : vert pisseux, couleur pisseuse et alors le côté subjectif de

309
l’intension de l’adjectif se maintient et l’évaluation est principalement
connotée par l’avis du locuteur. Syntaxiquement l’autonomie de la prise de
position du locuteur crée une distance (cf. test de dislocation) qui va à l’en-
contre de l’existence d’une seule unité ;
(iib) soit il existe parallèlement une séquence [TdeC + N] comme vert empire et
vert impérial, bleu nuit et bleu nocturne ou bleu roi et bleu royal : les deux
séquences sont synonymes, de fait la subjectivité n’est plus essentielle même
si toujours possible comme dans (iia).

La troisième et dernière OC est la conversion : c’est une opération qui du point de


vue de l’instruction sémantique ressemble à la composition sauf qu’elle construit
sur une base monolexicale, elle ne combine pas les éléments : aucun terme de
couleur n’est nécessaire (abricot, myrtille). L’instruction sémantique ressemble à
une métaphore en activant une propriété du référent du nom utilisé, mais elles s’en
distinguent en plusieurs points, et notamment le degré constructionnel : seule la
conversion crée une nouvelle unité.
Concernant cette OC, comme elle se présente tel un doublet de la composition
avec selon nos premières observations davantage de contraintes, il sera intéres-
sant de cerner les restrictions qui pèsent sur le référent (et sa propriété chroma-
tique) et qui lui permettront d’être activé par cette OC. Quelles sont les raisons qui
semblent rendre obligatoires la mention du TdeC ?
Nous verrons, dans une première partie, les particularités des propriétés dont
la composition est nécessairement à l’origine de l’activation. Au terme de cette
analyse, nous aurons ainsi montré les particularités des deux OC et de fait décrit
les contraintes pesant sur la conversion.
Nous avons par ailleurs remarqué qu’en conversion, aucune unité n’est
construite ni sur un nom propre234 ni sur un nom abstrait. Nous décrirons dans une
dernière partie si cette similitude d’emploi reflète également une ressemblance
identitaire : les deux types de noms, commun et propre, sont-ils ou non à traiter
au même niveau, ce qui irait à l’encontre de plusieurs hypothèses linguistiques ?

234 Du moins directement, puisque la possibilité est offerte suite à une antonomase.

310
Chapitre III – Hypothèse d’un Gradient
de Propriétés

L’étude présentée ici se place dans un cadre de morphologie constructionnelle : elle


a pour objet de rendre compte des différents moyens constructionnels qu’utilise
la langue pour désigner de la couleur, et plus précisément (à ce stade de notre
analyse) en vertu de quel(s) critère(s) une propriété (désormais Pi) chromatique
sera activée par une conversion (OC appliquée à saumon dans un pull saumon) plu-
tôt que par une composition (vert épinard dans un pull vert épinard)235. Quelle(s)
contrainte(s) est (ou sont) imposée(s) par l’OC à la Pi chromatique du référent du
nom de base pour pouvoir être activée ?
Trouver ces contraintes d’association d’une Pi à une OC permettra de rendre
compte de la manière dont la langue organise les différentes Pi pouvant être attri-
buées à un même référent, notamment lorsqu’une entité est perçue comme posses-
seur-stéréotype236 de plus d’une Pi. Les différentes Pi associées à une entité sont-
elles toutes considérées au même niveau ou sont-elles classées hiérarchiquement ?
Finalement, s’il y a hiérarchisation, a-t-elle une incidence sur le choix de l’OC ?
Nous nous plaçons toujours dans l’optique définie en début de chapitre : nous
avions évoqué les confusions et lacunes dictionnairiques ajoutées à la « liberté »
proliférante de production afin de justifier notre modération quant aux notions
d’attesté et non-attesté.
Par exemple, bien que les séquences qui suivent ne figurent pas dans les
dictionnaires (vérifiés) :

1a) °Une chemise mangue


2a) °Une voiture myrtille

235 Un assemblage syntaxiforme est aussi possible, mais comme nous l’avons défini dans
une analyse antérieure (cf. chapitre précédent), l’instruction sémantique implique
une relation d’origine. Aucune propriété n’est activée sur la base d’une comparaison,
comme pour la conversion et la composition.
236 Il est essentiel de ne pas perdre de vue l’objet fixé dans notre analyse : nous ne nous
posons pas la question de savoir comment la qualité du référent fait de celui-ci un
possesseur-stéréotype de cette qualité puisque ceci relève du domaine cognitif ; peu
nous importe de savoir pour quelles raisons, il est pertinent pour la langue que la pie
soit loquace et non le rossignol.

311
une interprétation n’est absolument pas exclue :

1b) °J’aimerais bien la chemise mangue plutôt que celle ananas !


2b) °J’ai une voiture myrtille

Le procédé est même encore plus productif avec des unités issues de composition.
Par conséquent, ici de même que dans la partie précédente, au regard des nom-
breux cas non-attestés mais cependant pas forcément « inattestables », nous utili-
sons des exemples aussi bien attestés que non pour notre démonstration.

Dans un premier temps, nous redéfinirons plusieurs notions utiles pour la suite
de notre exposé  : propriétés linguistiquement pertinentes ou stéréotypiques qui
selon nous se diviseront en typicité latente ou inhérente ; nous évoquerons éga-
lement l’unicité linguistique de la propriété. Après ces points méthodologiques,
nous présenterons notre hypothèse de l’existence d’un gradient de propriétés, dont
l’organisation se reflétera dans les OC qui seront sélectionnées pour désigner de
la couleur.

1. Propriétés et référents
1.1. Adaptation de la notion de propriété stéréotypique
À tout référent est associé un ensemble de Pi qui servent à le décrire : ces qualités
peuvent être aussi variées que les diverses « choses » qu’il y a à dire sur un objet237.
Il peut s’agir d’informations sur sa forme, sa couleur, sa fonctionnalité, etc., tout
dépendant de quel point de vue il est considéré. Par exemple, l’entité dénommée
pie sera décrite d’un point de vue scientifique comme un oiseau de la famille
des corvidés ; d’un point de vue descriptif, il sera mentionné qu’elle est noire et
blanche ou que sa queue a une forme particulière ; d’un point de vue symbolique,
on dira qu’elle est voleuse et loquace. Dans le cadre de cette étude, il sera essen-
tiellement question des Pi linguistiquement pertinentes.
Une Pi est définie comme pertinente pour la langue lorsqu’elle peut être à l’ori-
gine d’une quelconque opération linguistique : elle peut être activée soit par un
procédé morphologique (conversion, suffixation), soit par un procédé stylistique
(métaphore). Sans la connaissance de cette qualité, la séquence énoncée n’est pas

237 Nous verrons que ceci s’applique également aux individus.

312
interprétable : par exemple, sans savoir qu’une pie est de façon caractéristique
noire et blanche, la séquence une voiture pie est ininterprétable.
La définition dictionnairique de pie extraite du NPR illustre justement notre pro-
pos car y figurent toutes les Pi linguistiquement pertinentes associées à l’animal :
« Oiseau à plumage noir et blanc à longue queue. La pie jacasse, jase. Elle vole les
objets brillants qu’elle emporte dans son nid. Loc. fam. Femme bavarde comme une
pie (…) C’est une vraie pie » (s. v. PIE).

Comme il ressort de cette définition, le référent pie possède plusieurs Pi linguis-


tiquement pertinentes : son caractère loquace, sa kleptomanie, sa couleur et la
forme de sa queue. Ces qualités se manifestent dans la langue par des moyens
différents :

(i) des procédés syntaxiques métaphorique dans des expressions du type bavard
comme une pie, voleur comme une pie ;
(ii) des dérivations sémantiques du verbe qui désigne le procès effectué par
l’animal : les verbes jaser ou jacasser sont utilisés pour désigner un type
particulier de discours assimilé à celui de l’animal, comme dans : C’est fini
de jacasser bêtement, les filles !
(iii) des moyens morphologiques en construisant de nouvelles unités : une vache
pie, une veste queue de pie.

Au référent pie sont donc associées au moins quatre Pi linguistiquement perti-


nentes ; or, selon Corbin (1987 : 182) :
« les propriétés culturellement associées aux catégories extralinguistiques lors-
qu’elles sont linguistiquement pertinentes »

sont les Pi stéréotypiques. De fait, puisque ces quatre Pi sont pertinentes linguisti-
quement, elles peuvent être également qualifiées de stéréotypiques.

1.2. Deux sortes de typicité


Suite aux nombreux débats touchant la définition de stéréotypie ainsi que des
clauses d’attribution de cette caractéristique à une qualité, nous ne voulons pas
inciter à une nouvelle discussion qui ne trouverait pas sa place dans notre travail.
Nous préférerons alors parler dans le cas de nos unités de typicité. Nous en dis-
tinguons deux sortes selon le degré de « facilité communément partagée par les
locuteurs » à les associer aux référents :

313
(i) la typicité inhérente, attribuée aux qualités qui sont représentatives d’un réfé-
rent en tant que propriétés « stéréotypiques » associées à une entité spontané-
ment et communément par tout locuteur lambda d’une langue et d’une culture
donnée ;
(ii) la typicité latente  : c’est le caractère d’une qualité susceptible de devenir
typique (« stéréotypique ») lorsqu’elle est activée par un processus linguis-
tique particulier et approprié à l’activation de ce type de propriétés. Ce pro-
cessus linguistique correspond à une mise en contexte indispensable à la
reconnaissance de la propriété. Dans le domaine chromatique, le support
sémantique se matérialise par le TdeC, élément indispensable à la sortie de
l’état de la latence de la qualité.

1.3. Propriété et typicité- Restrictions linguistique


et référentielle
1.3.1. Restriction linguistique – En langue française
Premièrement, il est important de préciser que notre travail ne concerne que la
langue française. Comme le suggèrent (entre autres) Desporte & Martin-Berthet
(1995), la stéréotypie se définit au sein d’une culture à un moment donné. Elles
comparent, dans leur article, la présence de noms d’animaux dans des proverbes
français et espagnols. Le développement de l’article présente une mise en parallèle
de diverses expressions afin de déterminer si les Pi stéréotypiques sont communes
aux différentes cultures. Elles concluent finalement que peu de correspondances
sont remarquables : la stéréotypie n’est donc pas universelle.

1.3.2. Restriction référentielle - Unicité linguistique de Pi


La conversion et la composition sont des opérateurs morphologiques de construc-
tion d’unités lexicales  : par définition ceci implique un processus linguistique
régulier qui permette de construire des unités dont le sens est prédictible d’une part
par rapport au sens du nom de base, d’autre part par rapport à celui de l’opérateur.
Ainsi, l’adjectif construit est interprétable par tout locuteur.
Les adjectifs de notre étude désignent de la couleur, il est alors supposé que
la qualité chromatique soit associée régulièrement, communément au référent du
nom de base (afin d’être interprétable). La couleur se doit alors d’être unique dans
le sens où le locuteur ne tient pas compte des variations possibles, des nuances
de chaque référent : il se construit une couleur moyenne en additionnant (et cela

314
inconsciemment) toutes les variations perçues. Cette qualité est alors unique et
typique de l’objet.
Le monde entourant le locuteur influence particulièrement le choix d’associa-
tion de typicité à l’entité : des différences d’interprétation dues à des variations
culturelles peuvent être alors remarquées, comme l’observe Guillemard (1998 :
123) à propos de la couleur coquille d’œuf :
« Blanc légèrement teinté de beige rosé qui est en général la couleur des coquilles
d’œufs, même si dans certains pays, notamment au Québec, les coquilles d’œufs sont
invariablement blanches, d’un blanc pur et uni, et si, en France, on trouve des œufs
allant du blanc jaunâtre au roux foncé ».

Malgré ses divergences, la propriété chromatique activée par la conversion réfère


à une couleur unique définie au sein de l’ensemble total de propriétés potentielles
du référent, et ceci influencé par l’environnement culturel du locuteur.

2. Propriété et processus morphologique


d’activation associé
Deux hypothèses sont possibles pour rendre compte de la relation entre la sélec-
tion de la construction qui établira la comparaison et une multiplicité de Pi :

(i) soit à chaque type de qualités (forme, couleur ou comportement) correspond


une construction : si une propriété A est activée par la langue dans une construc-
tion A’ alors toute propriété de type A sera activée par une construction A’ ;
(ii) soit la sélection de la construction ne dépend pas du type de qualité.

La première hypothèse peut être rapidement réfutée. Les exemples ci-dessus


illustrent que type de Pi et construction ne sont pas liés puisque des qualités
identiques (chromatique, comportementale ou formelle) sont activées par des
opérateurs de construction différents :
a) Dans les exemples 3), 4) et 5), une Pi chromatique est à chaque fois activée
(rose sparadrap, saumon, rouge (…) tomate), mais par un procédé différent
(composition, conversion, comparaison syntaxique) :

3)  Cette jupe rose sparadrap ne va pas bien avec ce pull rouge
4)  La peinture de ma chambre est saumon
5)  Cette fille là-bas est rouge comme une tomate

315
b) Ce sont des Pi comportementales qui sont activées dans les exemples 6) et 7),
et ceci, également, grâce à différents procédés (conversion, comme bête ou
comparaison syntaxique comme bavarde comme une pie)238 :

6)  Quelle fille bête !


7)  C’est une fille bavarde comme une pie

c) Des Pi formelles sont énoncées dans les séquences ci-dessous, une fois par compa-
raison syntaxique (en forme de citron), une fois par conversion (chauve-souris) :

8)  Julie a acheté une robe en forme de citron


9)  J’aime bien sa chemise chauve-souris

Il ressort de ces séquences deux observations remarquables corrélatives :

(i)  les procédés utilisés peuvent diverger pour énoncer une propriété similaire ;
(ii)  corrélativement, une même construction peut désigner tout type de propriétés.

Mais la construction est-elle vraiment identique avec tous les types de propriétés ?

2.1. Exemples de conversion selon les propriétés


2.1.1. Propriétés comportementales

Exemples
10a)  Une question chien
10b)  Une question vache
10c)  Une fille bête
10d)  Un regard cochon

Comme l’illustrent ces séquences, lorsqu’une propriété comportementale est


activée par la conversion, une sorte d’abstractisation est opérée sur le sens hérité
de la base. L’unité chien n’est pas spontanément interprétable par rapport au sens
de la base nominale.

238 Nous n’avons trouvé aucun exemple de composition : *têtu âne, *moche pou…

316
Selon Noailly (1999 : 56), il est même parfois impossible d’associer le sens de
la base nominale et celui de l’adjectif de même forme :
« L’adjectivation y est parfaitement aboutie (…) mais que reste-t-il de la métaphore
initiale ? Mis à part les cas, bien clairs, de crampon et poison, on hésite à maintenir
une quelconque parenté, autre qu’homonymique, entre le substantif d’origine de l’ap-
préciatif (…). L’énigme qui nous reste, c’est donc l’éventuelle relation sémantique ini-
tiale, de ces noms pris comme substantifs à leur acception dépréciative d’adjectifs ».

Elle se demande alors à raison s’il faut considérer les deux unités comme homo-
nymiques et non plus dérivées l’une de l’autre. Cette hypothèse nous semble coû-
teuse puisqu’elle nie alors ainsi la relation originelle établie entre les deux. Nous
postulons que l’opération morphologique construit le sens, ce qui se confirme par
la régularité des relations sémantiques de ces exemples :

11a) «  Un effet, un succès bœuf » (s. v. BOEUF, PR)


11b) « Un jeu de rôle bien bourrin » (s. v. BOURRIN, PR)
11c) «  Des peintres cochons  » (Ch. Baudelaire, Pauvre Belgique, 1908)
(s. v. COCHON, TLFE)
11d) «  Il y a des chances pour qu’on ne les revoie pas demain matin, faisait
Félicien exalté et en suçotant son mégot, l’œil vache » (Bl. Cendrars, Bour-
linguer, 1948) (s. v. VACHE, TLFE)
11e) « Il venait de lui surgir dans la tête [du proviseur] une idée vache » (R. Que-
neau, Les enfants du limon, 1938) (s. v. VACHE, TLFE).

Comme l’illustrent les définitions, le sens de chaque unité est très abstrait par
rapport au sens de base :

BŒUF : « très grand et étonnant » (s. v., BŒUF, PR)


BOURRIN : « 2. adj. FAM. Qui utilise la force brutale, dénote le manque de
délicatesse, de nuance » (s. v. BOURRIN, PR)
COCHON  : «  A.− [Appliqué à une pers. (cf. supra I B 2 b)] Qui est porté au
vice, à la débauche, qui manque à la décence dans ses actes, ses écrits, ses propos.
2. Qui exprime, révèle le vice ou y incite (…) P. ext. Frivole » (s. v. COCHON,
TLFE)
VACHE : « 1. Souvent péj., fam. Qui a un aspect bovin, inexpressif, sans intelli-
gence. 2. Pop., fam. Très méchant, sévère, sans pitié » (s. v. VACHE, TLFE)

Le sens de cochon dans 11c) est synonyme d’obscène ; or un cochon n’est pas obs-
cène, il est sale. Il semble que du sens de [sale-concret], on soit passé à [sale-abstrait],

317
c’est-à-dire lubrique. De même, pour bœuf, n’est retenue que la grosseur mais de
façon abstraite, puisque apte à s’appliquer à un événement. Bourrin sélectionne la
force du cheval, mais délimitant le sens pour ne garder que la brutalité, la rudesse.
Vache peut activer deux propriétés, soit en relation avec l’apparence de l’animal, soit
en association avec la force de sa ruade239.
La distance entre la propriété de base et la manière dont elle se révélera par (et
dans) l’adjectif construit est remarquable, néanmoins régulière. C’est peut-être la
particularité de l’OC lorsqu’elle active des propriétés de ce type, ce qui explique-
rait la non-existence de :

12a)  * Il est fourmi


12b)  * Il est écureuil

dans lesquelles la propriété activée serait trop « concrète » : la fourmi est vraiment
travailleuse et l’écureuil réellement économe. Si nos exemples ne suffisent pas à
prouver cette hypothèse qui reste à être approfondie, ils montrent toutefois que la
conversion ne sélectionne qu’une et une seule propriété, il ne peut y avoir d’ambi-
guïtés, ce qui, comme nous allons le voir dans la partie suivante, diffère lors d’une
concurrence forme et couleur.
En outre, si le locuteur souhaite désigner une propriété chromatique comme
similaire à celle du cochon, il aura recours à la composition :

13)  Une robe rose cochon

2.1.2. Propriétés formelles


2.1.2.1. Référents animés
Contrairement à la partie précédente, les référents concernés dans le cas de pro-
priétés formelles sont essentiellement des non-animés. Il semble en effet difficile
d’associer à un animé (homme ou animal) une forme particulière qui pourrait ser-
vir de termes de comparaison. Quelques exemples existent pourtant, comme la
chèvre qui par métaphore dénommera un autre objet que l’animal :

239 L’expression être vache viendrait du fait qu’« il lui [à la vache] arrive parfois de „donner
un coup de pied en vache“, c’est-à-dire de faire soudainement une ruade latérale d’une
seule patte. C’est ce geste, forcément très douloureux pour celui qui prend le coup de
sabot par surprise, qui a aussi fait considérer l’animal comme sournois ou méchant. »
(www.expressio.fr, consulté le 31.07.13)

318
« 2 (1753) Techn. Appareil de levage composé le plus souvent de trois poutres dispo-
sées en pyramide triangulaire dont le sommet soutient une poulie manœuvrée à l’aide
d’un treuil » (s. v. CHÈVRE, TLFE)

comme le précise le TLFE :


« P. anal. Avec la forme de la tête de la chèvre ou de son échine »,

ou le saumon :
« 1. Lingot de métal (cuivre, étain, fonte, zinc, le plus souvent, plomb) obtenu en
fonderie » (s. v. SAUMON, TLFE)

Nous avons observé un exemple de conversion :

14) « Une chemise aux manches chauve souris » (s. v. CHAUVE-SOURIS, PR)

défini comme :
« Manche longue à très large emmanchure » (s. v. CHAUVE-SOURIS, PR).

Au vu du peu d’exemples, nous supposons que lorsqu’un nom d’entité animée est
converti, la propriété sélectionnée sera majoritairement soit comportementale soit
chromatique, mais qu’il y a peu de chances qu’elle soit formelle.

2.1.2.2. Référents non animés


Exemples
15a)  Des pommes paille
15b)  Un chapeau melon
15c)  Une jupe portefeuille, cloche, corolle, ballon, pivoine
15d)  Une robe trapèze, sac, cage, tente, cheminée
15e)  Des manches gigot, ballon, chauve-souris
15f)  Des talons aiguille, bobine240

Les adjectifs convertis désignent de la forme : un chapeau en forme de melon, une


jupe en forme de ballon, des talons en forme d’aiguille…
Les contraintes semblent par ailleurs plus pesantes pour ces adjectifs de forme,
comme le montre la cooccurrence entre nom recteur et adjectif de forme. Il est
peu évident en effet de trouver d’autres entités qu’une jupe ou un lit qui puissent

240 Les 4 dernières séries d’exemples sont empruntées à Noailly (1990 : 55).

319
être qualifiés de portefeuille. Cloche semble ne pouvoir qualifier qu’un chapeau,
un parapluie, à la limite une jupe. La cooccurrence s’explique alors par nécessité
référentielle : les formes des entités ne pouvant que rarement être réincarnées par
d’autres.

2.1.3. Propriétés chromatiques


Les exemples sont nombreux (cf. la liste non exhaustive en annexe), le référent
peut être animé ou non animé, il sera toujours concret :

16a) « Le gilet de tricot cachou (…) disparaît sous un dolman saphir » (Colette,
L’Envers du Music-hall, 1913) (Le Bleu)
16b) « Une Andalouse (…) faisait flotter deux foulards, l’un caroubier, l’autre
cerise, qu’elle tenait du bout des doigts  » (A. Gide, Journal 1889–1939,
1939) (Le Rouge)
16c) « Le talent de Mad Carpentier [la couturière] a créé une collection très per-
sonnelle. Un bleu pervenche adoucit un bleu ardent. Ailleurs, un violet et un
bleu bleuet se marient, tandis que l’aigue-marine et le coquelicot s’oppose-
ront » (L’œuvre, 10.3.1941) (Le Bleu)
16d) « J’avais mis ma robe hirondelle. Les autres femmes d’ici sont en bleu foncé
et, je dois le dire, sans chic » (P. Morand, L’Europe galante, 1925) (Le Noir)

2.2. Observations
Même si le cas avec des propriétés comportementales est un peu plus complexe
que les autres puisqu’en plus de la comparaison, se greffe un processus d’abstrac-
tisation, le principe constructionnel de l’OC avec les trois types de propriétés est
semblable : une comparaison est opérée entre la propriété du référent du nom de
base de l’adjectif et la propriété du nom recteur.
L’ambiguïté possible avec certains adjectifs pouvant désigner de la forme ou de
la couleur est une preuve de cette identité constructionnelle (aussi bien formelle
que sémantique). Par exemple, l’évocation d’endive dans cette séquence conduit à
une ambiguïté sémantique :

17a) Julien baissait son visage endive

Face à la double interprétation envisageable, le locuteur ne sait pas s’il doit


comprendre que le visage est blanc ou s’il s’agit d’une analogie formelle et que

320
le visage a la même forme que le légume. Selon les dictionnaires ou Guillemard
(1998 : 160), l’analogie chromatique est sélectionnée :
« se dit d’un visage aussi livide que la chicorée blanchie artificiellement et connue
sous le nom d’endive » (DMC)
« P. anal. [P. réf. à la couleur et au mode de culture par étiolement de l’endive]
(Personne au) teint pâle, blafard. Ils jouaient ensemble toute l’année, derrière les
carreaux (…). De teint, c’étaient des vraies endives (Céline, Mort à crédit, 1936,
p. 78). Il (…) était habillé de noir (…) ce qui faisait ressortir son teint d’endive
et le rose de ses yeux de lapin blanc (Vialar, Clos Trois Mais.) » (s. v. ENDIVE,
TLFE).

Toute ambiguïté pourrait être levée par un contexte (nous entendons par contexte
toute expansion : d’un adjectif premier terme de composé ou d’une relative qui
expliciterait la situation) :

17b) Julien baissait son visage endive, prêt à vomir si le manège ne s’arrêtait


pas/Julien baissait son visage blanc endive
17c) Julien baissait son visage endive, au nez aquilin et aux orbites saillantes/
Julien baissait son visage en forme d’endive

L’interprétation des exemples ci-dessous s’avère également discutable :

18a)  Une robe poire


18b)  Une jupe pivoine
18c)  Une cravate ficelle
18d)  Un pantalon carotte241

Poire pourrait aussi bien désigner une nuance de jaune qu’une forme arrondie en
bas et resserrée en haut comme celle du fruit (cf. le siège dénommé poire) ; pivoine
désigne une nuance de rose ou de rouge ou une forme particulière connue des cou-
turières. Comme le signale Noailly (1990 : 55, n. 29) : ficelle désigne une couleur
bise ou la longitude du vêtement, carotte peut désigner soit une nuance d’orange,
soit «  une forme évasée en haut/étroite en bas  ». Seul le contexte permettra de
choisir l’une ou l’autre propriété.
La conversion n’a préféré aucune propriété, elle considère les deux sur le
même niveau. Ce n’est évidemment possible que lorsque les deux propriétés
sont pertinentes. Les séquences de la première liste, par exemple, n’autorisaient

241 Les deux derniers exemples sont de Noailly (1990 : 55, note 29).

321
aucune ambiguïté car les référents des noms de base des adjectifs convertis ne
présentaient aucune couleur singulière (cloche, corolle, etc.), contrairement à
carotte, ficelle, etc.

De ceci, nous pouvons conclure trois cas de figure, sur le modèle de chauve-sou-
ris, de citron et de ficelle.

(i) Au référent chauve-souris est associée une seule propriété et elle concerne
la forme. Cette propriété est plus importante linguistiquement que celle de
couleur (ou de comportement), puisque ce n’est pas celle-ci qui est désignée
par la conversion ;
(ii) au référent citron est associée une propriété de couleur qui prédomine sur la
qualité de forme ;
(iii) au référent ficelle sont associées conjointement une propriété de forme et
une chromatique, les deux étant recalculables de la même façon, d’où une
ambiguïté potentielle.

À la lumière de ces trois observations, se dessine le schéma d’une organisation


des propriétés entres elles qui serait par ailleurs en relation avec le choix privilégié
opérée par la conversion quant à la propriété qu’elle activera.

3. Hypothèse du gradient de propriétés


3.1. Définition du gradient
Considérant qu’un type de propriétés ne sélectionne pas une et une seule OC, et
qu’inversement une construction n’a pas le monopole d’un type de propriétés,
nous pouvons affirmer que construction et type de propriétés ne sont pas en rela-
tion de biunivocité. Le procédé linguistique utilisé sera (généralement242) différent
selon la propriété activée. Subsiste alors une question dans la mesure où une même
construction peut activer différents types de propriétés : la conversion active une
qualité soit chromatique, soit comportementale, soit formelle. Quelle est alors la
relation entre la propriété activée et la construction utilisée ?

242 Généralement puisque comme nous l’avons mentionné ci-dessus, nous avons repéré
un cas d’ambiguïté où une unité peut désigner soit de la forme soit de la couleur : une
cravate ficelle, un pantalon carotte (exemples de Noailly, 1990).

322
Nous supposons que c’est au sein même de l’ensemble de propriétés associé au
référent que se joue cette sélection. Nous émettons l’hypothèse que chaque pro-
priété d’une entité est classée sur une échelle, chaque échelon correspondant à un
« degré de pertinence » (linguistique). Le degré de pertinence est calculé dans et
par la langue par rapport à la représentativité de la qualité vis-à-vis de l’entité qui
la possède et la possibilité de l’activer.
Dans cette hypothèse (et suite à nos observations), la propriété chromatique
pourra être désignée par une unité convertie lorsqu’elle se place plus haut que les
autres propriétés sur cette échelle. Nous ne généralisons pas à tout type de Pi ; une
propriété, par exemple, formelle pertinente pour la langue comme la forme de la
pomme n’autorisera pas pour autant pomme une position adjectivale : *un lustre
pomme ne sera jamais un lustre en forme de pomme. Par contre, le fait que *un
lustre pomme ne désigne pas non plus un lustre de la couleur de la pomme im-
plique dans notre hypothèse que la propriété chromatique de l’entité pomme, bien
que pertinente pour la langue puisqu’il existe vert pomme, ne l’est pas au plus haut
niveau, puisqu’un recours à un support sémantique s’avère indispensable pour
qu’une association en terme de couleur soit faite.

3.2. Illustrations/Justifications/Applications
Lors de la description des OC possibles, la conversion fut décrite parallèlement à la
composition parce que les deux instructions sémantiques se rejoignent dans la me-
sure où elles procèdent d’une comparaison entre une des propriétés du référent du
N2 ou nom converti et la qualité désignée par l’unité construite. Il nous semble que
ces deux OC représentent un exemple mettant en relief le gradient de propriétés.
Nous avons repéré trois points intéressants concernant les conjonctures des
deux OC :

(i)  c ertaines unités n’apparaissent que dans une des deux structures et notamment
en composition : vert pomme/*pomme, rouge opéra/*opéra ;
(ii) certaines unités apparaissent dans deux structures différentes mais désignent
pourtant la même propriété comme moutarde ou jaune moutarde, vert épinard
ou épinard ou encore :

19a) Rouge tomate : « Samia émerge la première, drapée dans une maxi-


serviette rouge tomate » (Fr. Lasaygues, Vaches noires, hannetons et autres
insectes, 1985) (Le rouge)
19b) Tomate : « Une femme (…) entre en tenant d’une main une valise de paille
et un cabas, de l’autre main un garçon d’une dizaine d’années qui porte

323
lui-même un panier recouvert d’un foulard tomate » (M. Butor, La modifi-
cation, 1957) (Le rouge) ;

(iii)  les unités désignent des qualités différentes selon l’OC sélectionnée :

20a) «  Le visage bizarrement allongé des convives, le flacon caca d’oie d’un
moutardier apparaissait, d’une couleur indécise, flottant entre le violet et le
vert prune, noyé qu’il était par l’ombre tombée d’une bouteille (…) » (J.-K.
Huysmans, En ménage, 1881) (Frantext)
20b) «  Pauvre Madame C..! Vous avez protégé père des conséquences straté-
giques d’un acte inconsidéré, en l’abritant sous votre jupe prune à raies
rouges » (R.-V. Pilhes, La Rhubarbe, 1934) (Frantext).

Or selon Guillemard (1998 : 333) l’adjectif prune désigne :


« une variété d’un bleu foncé très nettement violacé ».

Ce qui nous intéresse particulièrement est lorsque seule la composition est possible
ainsi que quand les deux unités mènent à un sens différent selon l’OC. Ces deux
emplois potentiels et les différentes contraintes qui s’y attachent vont illustrer le
gradient de propriétés dans la mesure où ils présentent les cas où la propriété, qui
est de typicité latente, a besoin d’un support pour être signifiée et donc ou de fait,
se situe à un niveau inférieur sur le gradient de propriétés.

Selon notre hypothèse, la conversion est l’OC sélectionnée pour désigner une proprié-
té chromatique quand cette qualité est la plus pertinente par rapport à toutes les pro-
priétés associées à l’entité. Nous avons repéré de nombreuses occurrences où seule
une propriété chromatique est associable au référent du nom de base. Or dans tous ces
cas, la conversion va activer la propriété chromatique. Ceci illustre notre hypothèse :
si la propriété est seule, elle est nécessairement la plus haute et si elle est effective-
ment choisie par la conversion, les deux sont bien reliées comme nous le stipulons.

3.2.1. Propriété unique : typicité inhérente = conversion


Ce qui suit illustre les cas de conversion sans ambiguïtés : seule une propriété
chromatique est interprétable. Ce que nous pouvons par ailleurs expliquer : seule
la propriété de couleur est pertinente pour les différents référents243.

243 Cette partie permet par ailleurs de présenter la variété de référents dont la dénomination
peut être convertie pour nommer une propriété chromatique.

324
Afin de clarifier les données, les différents cas sont typologisés selon la caté-
gorie référentielle à laquelle appartient le nom de base (colorant, pierre, animal,
végétal, « objet244 »).

3.2.1.1. Nom de base = colorant


Exemples
Carmin Pourpre
Garance Sépia
Indigo Vermillon…
Ocre

Les référents des noms de base sont des noms de colorants ; un colorant étant une :
«  Substance colorée qui peut se fixer à une matière. Colorant naturel organique
extrait de plantes, de coquillages, d’animaux ou colorant minéral. Colorants alimen-
taires synthétiques ou naturels » (s. v. COLORANT, NPR).

Ils sont produits à partir d’une substance colorante animale ou végétale :

• Liste A

CARMIN « Matière colorante de la gamme des rouges, tirée à l’origine de la


cochenille » (s. v. CARMIN, TLFE)
INDIGO « Matière colorante bleu violacée, extraite par fermentation ou ébulli-
tion des feuilles et des tiges de l’indigotier ou fabriquée par synthèse » (s. v.
INDIGO, TLFE)
OCRE « Substance colorante naturelle, d’un jaune plus ou moins accentuée,
constituée par de l’argile et des oxydes de fer hydraté (ocre jaune), anhydre
(ocre rouge/sanguine), parfois mélangés d’oxyde de manganèse (ocre brune),
qu’on emploie notamment en peinture et dans l’industrie des colorants » (s. v.
OCRE, TLFE)
POURPRE « Substance colorante d’un rouge vif et soutenu, à l’origine tirée d’un
coquillage, le murex » (s. v. POURPRE, TLFE)
« Poudre fine de cinabre, d’un rouge éclatant tirant plus ou moins sur l’orangé
notamment en peinture et pour la fabrication des fards » (s. v. VERMILLON,
TLFE)

244 Le nom de la catégorie est certes vague, mais ce n’est que le reflet de la disparité des
éléments constituant la classe.

325
• Liste B

SEPIA « A. [N. sc. de la seiche] B. Substance colorée, de teinte brune, extraite
d’une poche de la seiche et qui est utilisée pour le dessin au lavis » (s. v. SEPIA,
TLFE)
GARANCE « Plante (Rubiacées) grimpante et vivace, ayant pour variété principale
la garance tinctoriale, dont la racine fournit une matière colorante  » (s. v.
GARANCE, TLFE)

Suite à l’observation de ces définitions, deux ensembles se sont découpés. D’un


côté les colorants : dans la définition, c’est la première information (et parfois la
seule) donnée. Les entités ne sont donc que des produits colorants.
En revanche, dans la liste B apparaissent un animal, la seiche et une fleur, la
garance (et non un colorant). C’est le premier élément définitoire dans le TLFE.
Cependant ils n’appartiennent pas aux paragraphes respectivement 1.3. et 1.4 ci-
dessous qui regroupent des noms d’animaux ou de leurs parties (chevreuil, aile(-)de
(-)pie, aile(-)de(-) corbeau) ou de végétaux (bouton d’or, aubergine, groseille),
car, contrairement aux constituants de ces catégories, ces entités sont vouées à
une utilisation colorante : on extrait spécialement l’encre dans ce but. De même
comme l’explicite le NPR, la garance était cultivée avec cet objectif :
« Plante herbacée (rubiacées) des régions chaudes et tempérées, cultivée autrefois
pour la matière colorante rouge » (s. v. GARANCE, NPR).

De fait, le procès opéré sur la garance est similaire à celui effectué sur les feuilles
d’indigo. Vermillon et sépia sont à traiter pareillement : il y a un animal et on
lui « fait quelque chose » afin d’obtenir un produit colorant. Bien que le choix du
lexicographe diffère quant à la place de la notion de « colorant », toutes ces unités
appartiennent dans notre propos à la même catégorie colorant puisque le fait
qu’elles réfèrent à des colorants est plus important pour la langue que leur origine
animale ou végétale. Ce qui se confirme par la propriété activée par l’OC  : la
conversion s’applique sur le nom du colorant pour en faire un adjectif et non sur
le nom du référent animal ou végétal. Preuve en est avec sépia qui n’est pas de la
couleur du sépia (la seiche étant blanche). Ces exemples se distinguent donc de
chevreuil ou lilas, dont les référents du nom de base ne sont en aucun cas à l’ori-
gine d’une matière colorante : la conversion active alors la propriété visible du
référent (couleur de sa peau ou des pétales) et de fait, la base est sans aucun doute
le nom de la plante ou de l’animal, origine de la comparaison.
Par conséquent, si ces adjectifs sont issus de substantifs qui désignent des colo-
rants et dont l’objet fonctionnel est la mise en couleur, il est prévisible qu’aucune

326
autre propriété (formelle ou comportementale245) ne puisse être activée puisque
seule la couleur (du résultat) importe.

Cependant, nous avons vu que généralement les adjectifs dont la base est un nom
de colorant sont principalement des résultats d’assemblage syntaxiforme : jaune
de cadmium, rouge de fer, rouge de mercure, bleu de smalt, bleu de houille… Or
nous voyons que des noms de colorants peuvent aussi être désignés par des noms
monolexicaux. La distinction entre les deux constructions porte sur la relation
entre l’entité et la couleur : dans le cas des assemblages syntaxiformes comme
jaune de cadmium, l’entité cadmium est un des composants à l’origine du
colorant et n’est pas, par conséquent, nécessairement de la couleur signifiée : le
cadmium est blanc argent alors que le jaune de cadmium est jaune, tandis que
pour garance ou indigo, c’est davantage une relation comparative entre l’entité
désignée par N et la propriété chromatique qui est entretenue, même si elle est
aussi compositionnelle.

3.2.1.2. Nom de base = pierre (semi-) précieuse


Exemples
Améthyste Péridot
Émeraude Rubis…
Outremer246

Les référents de ces unités en emploi nominal sont des pierres utilisées en joaillerie.
Nous avons exclu deux sortes de pierres :

245 La consistance pourrait certes être évoquée puisqu’il y a sans doute des produits plus
ou moins épais ou liquides, mais il semble que linguistiquement, elle ne soit pas perti-
nente dans le cas de colorants. Par ailleurs, elle ne serait pas activée par la conversion,
mais par une suffixation de -eux.
246 Il est tiré de la pierre dénommée outremer, plus connue sous le nom de Lapis-Lazuli
(Guillemard, 1998 : 299), un colorant qui, par métonymie, porte le même nom que la
pierre dont il est tiré. De fait, l’adjectif chromatique est issu soit du nom de la pierre
(comme améthyste), soit de celle du colorant (comme carmin). La séquence pourrait
donc figurer également au sein des colorants dans le corpus dans le § 1. 1. La diffé-
rence importe, finalement, peu puisque ce qui est essentiel ici relève du nombre de
propriétés en relation avec le référent du nom pouvant être activée par une conver-
sion : que ce soit un colorant ou une pierre, la propriété sera unique et chromatique.

327
(i) celles qui peuvent être de plusieurs couleurs : par exemple, le spinelle qui se
décline en rouge, bleu-violet ou vert ; de même la couleur du topaze varie du
blanc au jaune, qui est parfois même rose, violet ou encore verdâtre.
(ii) celles pour lesquelles est spécifiée dans la définition lexicographique (ici plus
particulièrement le NPR) une propriété de dureté (comme grenat, jade ou
saphir). Ces exemples seront traités dans le § 3.2.3.2.

Pour les autres séquences dont le référent des noms de base n’a aucune particulari-
té sinon celle de sa couleur qui constitue d’ailleurs l’intérêt qui lui est porté, il est
clair que seule cette propriété chromatique pourra être activée.

En outre, certaines de ces unités sont également employées en assemblage


syntaxiforme : bleu d’outremer, vert d’émeraude. Cependant nous avions montré
que ces séquences étaient le résultat d’un emploi particulier de la préposition de qui
établissaient des relations comparatives (des yeux de chat, des yeux d’amande) :
le sens est donc similaire.

3.2.1.3. Nom de base = animal (ou partie d’animal)


Exemples
Aile (-) de (-) corbeau
Chevreuil247 « Beige rosé qui rappelle le pelage du chevreuil » (DMC)
Corbeaux248…

Peu d’unités apparaissent dans cette catégorie249 ; en plus, chevreuil (pour ne


prendre qu’un exemple) n’est pas répertorié dans tous les lexiques (absent du PR
ou du TLF, mais présent dans le DMC). Il est donc difficile de généraliser mais
comme nous l’avons dit, nous ne faisons que présenter les différentes possibilités
de la langue et la possibilité, prouvée par ce seul exemple, existe.

247 Fauve désigne la couleur avant de désigner le groupe d’animaux dont le pelage est de
cette teinte.
248 Mollard-Desfour précise : « en parlant du système pileux, des cheveux, de la barbe »
(Le noir).
249 Les noms d’animaux sont en majorité dans la partie 2 : soit ils ont d’autres propriétés
pertinentes pour la langue : taupe ou caille dans Myope comme une taupe et Ma petite
caille soit ils sont de plusieurs couleurs : le saumon peut être rose (chair) ou bleu-gris
(écaille).

328
Concernant chevreuil, il n’apparaît nulle part dans la langue qu’une autre pro-
priété ne puisse être stéréotypique250 de cet animal. Grévérand (1988), auteur qui
a répertorié de nombreuses expressions dans lesquelles figurent des noms d’ani-
maux, ne le mentionne pas. Les propos de différents lexicographes le confirment :
«  Mammifère ongulé (Cervidés), assez petit (0, 70 m au garrot), à robe fauve et
ventre blanchâtre » (s. v. CHEVREUIL, PR)
« Zool. Mammifère sauvage, ruminant, ongulé, de la famille des cervidés, à la robe
fauve, au ventre blanchâtre, aux bois peu ramifiés et dont la chair est très appréciée »
(s. v. CHEVREUIL, TLFE)
« Petit mammifère ruminant des régions tempérées d’Eurasie, aux cornes courtes »
(s. v. CHEVREUIL, Grand Larousse de la Langue Française).

Il ressort de ces définitions que cet animal est un ongulé, qu’il rumine, qu’il est de
couleur fauve. Au regard de l’absence d’expressions ou de proverbes, il semble
que seule cette dernière qualité soit pertinente pour la langue. De même, pour les
ailes de corbeau251.

3.2.1.4. Nom de base = végétal (fleur, fruit, légume, arbre)


3.2.1.4.1. Nom de base = fleur
Exemples
Bouton d’or Lavande
Capucine Mauve
Fuchsia Primevère…
Jonquille

Bien qu’il existe quelque exemples de fleurs dont la forme est pertinente linguis-
tiquement (cf. la rose et rosacé (s. v. ROSACE, TLFE) : « (…) figure symétrique
(…) ayant plus ou moins la forme d’une rose », la tulipe (s. v. TULIPE, TLFE) :
« Pièce arrondie, globe en verre dont on recouvre une lampe dans divers systèmes
d’éclairage » ou encore la pivoine, forme de modèle connue des couturières), la
plupart n’ont que leur couleur reconnue par la langue, ce qui explique leur emploi
en conversion.

250 Pour qu’une propriété soit considérée comme stéréotypique, il faut qu’elle soit
reconnue linguistiquement pertinente et donc être à l’origine d’un procédé linguistique
morphologique (affixation, conversion) ou non (dérivation sémantique telle que méta-
phore par exemple).
251 Aile de pie est également possible.

329
En revanche d’autres exemples d’unités construites sur des noms de fleurs se-
ront étudiés ci-dessous (§ 3.2.3.1) parce que souvent plusieurs couleurs peuvent
leur être attribuées.

3.2.1.4.2. Nom de base = fruit ou légume


Exemples
Airelle Mandarine
Aubergine Quetsche
Groseille Tomate…
Orange

Cette liste est très longue : peu de noms de fruits sont exclus. En plus des exemples
1a) et 2a) que nous avions construits, nous pouvons facilement en ajouter d’autres
inédits :

1a) °Un chemise mangue


2a) °Une voiture myrtille
21a) °Un pull nectarine fera l’affaire
21b) °Un pull nectarine très mûre fera bien l’affaire

Néanmoins certains sont exclus :

22) *Une jupe pomme

Quelques-uns présentent en effet une forme typique comme la pomme (cf. la


pomme d’arrosoir), ce qui bloque toute utilisation du nom en conversion.

3.2.1.4.3. Nom de base = arbre


Exemples
Acajou Ébène
Amarante252 Sorbier…

252 Selon le TLFE, amarante désigne soit « la fleur d’automne rouge pourpre velouté »
d’une plante dycotylédone, soit «  un bois d’une espèce de peltogyne (…) (bois
violet) ». La comparaison est faite avec la couleur de ce bois (cf. s. v. AMARANTE,
DMC).

330
Un bois peut être réputé pour plusieurs de ses caractéristiques : sa souplesse
comme l’osier, sa robustesse comme le chêne ou sa couleur comme ceux de notre
corpus.
S. v. ÉBÉNESTERIE, il est écrit que les ébénistes n’ont, d’abord, fait que des
meubles de luxe, plus « décoratifs qu’utilitaires » (NPR). Ils utilisaient alors « de
l’ébène ou des bois exotiques » comme l’amarante ou l’acajou. Ces bois sont donc
connus pour leur couleur, ce qui explique sans doute la raison pour laquelle la
langue n’a retenu que cette propriété.

3.2.1.5. Nom de base = objet


La dénomination objet est aussi vague que les différents types de référents qui
constituent ce paragraphe. En réalité, ce sont toutes les entités qui ne peuvent être
regroupées ailleurs et qui ne permettent pas d’être catégorisées dans des sous-
classes pertinentes.

Exemples
Arc–en-ciel Champagne Jaune d’œuf Réglisse
Bordeaux Chaudron Madère Tango
Caca Chaume Moka Tilleul
Cachou Cognac Paille Verveine253…
Café-au-lait Feuille morte Porto
Chair Havane Praline

Commençons par une remarque préalable concernant réglisse. La propriété chro-


matique désignée par réglisse est selon Guillemard (1998 : 342) celle du :
« jus à saveur douceâtre extrait d’une plante utilisée en médecine, mais également
en confiserie ».

Bien que presque identique à garance, les deux unités ne sont pas classées
ensemble parce que réglisse ne désigne pas un colorant.

253 Tilleul aurait pu servir à illustrer la confusion régnant dans les définitions. Il est
question dans le DMC (s. v TILLEUL) de la couleur des fleurs de l’arbre ainsi
dénommé. Il est stipulé dans le NPR : « Arbres à fleurs blanches ou jaunâtres ». Or
tilleul désigne une nuance de vert (cf. TLFE ou www.pourpre.com). Une confusion
s’est apparemment produite et que de même que pour verveine, il s’agit de la couleur
de la tisane à base de ces feuilles : « la couleur de la tisane préparée avec les feuilles
de verveine » (s. v. VERVEINE, DMC). 

331
Suite à l’observation des exemples, on constate que la plupart des exemples
réfèrent à des aliments ou des boissons (bordeaux, cachou, café-au-lait, jaune
d’œuf, praline, réglisse, etc.). Bien qu’ils aient par nature une odeur et un goût,
l’adjectif converti pourra, cependant, ne désigner qu’une propriété chromatique
et non une propriété ni olfactive ni gustative. En ce qui concerne les autres, la
plupart ne sont pas des objets manufacturés (sauf chaudron) : il n’y a pas lit,
livre, mur, manteau, etc.  ; tous partagent par définition la caractéristique de
posséder une couleur particulière. Ce qui explique que *murA et *manteauA
ne soient pas possibles, puisque de tels types de référents peuvent être de
n’importe quelle couleur, dont aucune d’ailleurs ne pourrait être représenta-
tive comme le montre l’agrammaticalité morphologique de *rouge manteau ou
*bleu lit.

À côté de ces entités à propriétés chromatiques uniques, nombreuses sont celles


qui sont de multiples couleurs, simultanément (le kiwi est soit vert soit marron)
ou non (les pétales d’un fleur selon l’espèce). Malgré la multiplicité, il est remar-
quable que le nom accepte toutefois la conversion. Selon notre hypothèse, cela
signifie que la qualité chromatique désignée par l’unité convertie se situe à un
niveau supérieur aux autres couleurs. Nous avons relevé un critère reflétant le
caractère anthropocentrique de la langue qui explique pour quelle raison saumon
est une nuance d’orange et non une teinte gris-bleutée comme les écailles du pois-
sonou un pull kiwi est vert et non marron : la fonctionnalité.

3.2.2. Critère de fonctionnalité


Certaines entités ont deux couleurs distinctes simultanément comme le kiwi qui
peut être qualifié de vert ou de marron :
KIWI : « Fruit d’un arbuste ligneux, très savoureux, à très forte teneur en vitamine
C, d’aspect velu, brun, à la chair acidulée, verte » (TLFE)
selon qu’il s’agit de la peau ou de la chair du fruit. La conversion n’activera
qu’une seule des deux propriétés (le vert), la désignation de la seconde propriété
ayant recours à la composition.

Exemples
Kiwi Prune
Marron Saumon…
Pistache

332
À l’expression linguistique saumonA est associée une nuance d’orange qui est celle
de la chair du poisson, à kiwi ou pistache, une nuance de vert, à marron une nuance
de brun. Pour quelle raison la langue a-t-elle sélectionné cette propriété et non
celle de la peau ? Est-ce dû à la particularité de la couleur ? La couleur de la chair
du saumon est-elle plus intéressante au niveau perceptuel, plus singulière que celle
de la peau du poisson ? Si nous admettons cette hypothèse, nous reconnaissons
que la langue choisit les entités dont la dénomination va être convertie selon la
singularité de leur couleur.
Cette première hypothèse trouve immédiatement un contre-argument. Toutes
les couleurs ont en effet leur propre spécificité (que ce soit le vert d’une pomme,
le jaune d’un capuchon de crayon ou le rose de la peau du cochon) : aucune n’est
exactement semblable à une autre254. Et malgré cette spécificité, la conversion
n’activera pas nécessairement cette qualité :

23) *Une robe cochon(NE)

L’hypothèse que nous proposons met en relief le caractère anthropocentrique de


la langue. Il s’avère en effet que pour les adjectifs de cette classe, la couleur rete-
nue par la langue est celle de la partie « utile » à l’homme : c’est-à-dire la partie
comestible. Ce sera la couleur de la chair du poisson (saumon), l’« intérieur »
du fruit lorsqu’il y a une peau à peler ou une coquille (kiwi, pistache). Cette
précision a toute son importance puisque pruneA désigne une couleur similaire
à celle de la peau et non à la chair du fruit, ce qui s’explique par le fait que la
peau aussi bien que la chair est comestible. De même, pour banane ou tomate, la
couleur retenue est celle du fruit à maturité correspondant au moment où ce fruit
est propice à l’homme.
Marron n’entre pas dans ce modèle : selon notre hypothèse, l’adjectif devrait
désigner un type de blanc-beige et non une nuance de brun, puisque la partie né-
cessaire à l’homme est le fruit qui est sous l’écorce. Nous proposons que l’exis-
tence de la cupule soit à l’origine de cette différence. La partie fonctionnelle pour
l’homme est sous cette cupule verte et elle est marron. Certes un changement se
produit encore ensuite (du marron au blanc), mais il est peut-être perçu comme
moins important que le retrait de la cupule.
Ce critère fonctionnera également pour expliquer les raisons de la typicité inhé-
rente d’une propriété chromatique lorsque plusieurs propriétés semblent pourtant

254 Nous excluons les artefacts conçus à la chaîne et qui ont par conséquent la singularité
d’être tous exactement de la même couleur.

333
« importantes », qu’elles soient elles aussi chromatiques, formelles ou compor-
tementales. Il va apparaître que la langue utilise d’autres procédés linguistiques
pour activer les autres propriétés si elles sont vraiment pertinentes pour la langue.

3.2.3. Critères dérivés du « critère de fonctionnalité »


(fréquence et visée)
3.2.3.1. Concurrence de propriétés chromatiques
Exemples
Hortensia Lilas Topaze
Jacinthe Spinelle Turquoise…

Au terme de nos recherches, nous avons remarqué qu’il y a deux types de traite-
ments lorsque l’entité possède plusieurs teintes :

(i) soit la langue en choisit une, dont le choix ne suscitera aucune hésitation pro-
bable du locuteur, qui sera activée par la conversion. Par exemple, la fleur
dénommée lilas peut être blanche ou mauve :
« Arbuste (oléacées) aux fleurs très parfumées, mauves ou blanches255, disposées en
grappes » (s. v. LILAS, NPR).

Cependant, malgré cette concurrence chromatique dans le monde, lilasA dans Une
robe lilas désigne une teinte mauve.
De même la jacinthe est définie comme :
« Plante bulbeuse, vivace à feuilles linéaires et à hampe florale le plus souvent unique
portant une grappe de fleurs colorées et parfumées. Jacinthe bleue, rose, mauve. (…)
Couleur tirant sur le mauve (…) ».

Les photos présentées pour (couleur) jacinthe résultant de la recherche sur Google
mettent en relief pour la plupart des nuances de bleu.

(ii) Soit aucun choix n’est opéré et la teinte désignée par l’adjectif converti reste
alors assez vague : il est seulement certain que c’est une teinte similaire à l’une
de celles potentielles du référent du nom de base. Ce qui se confirme par les
différentes couleurs désignées par hortensia (cf. Google ou des nuanciers) :

255 C’est nous qui soulignons dans cette définition et la suivante.

334
« Arbuste ornemental, originaire d’Extrême-Orient, dont les fleurs, bleues, roses ou
blanches, sont regroupées en grosses inflorescences arrondies. (…) Adj. Couleur de
cette fleur » (s. v. HORTENSIA, TLFE).

Le lexicographe du TLFE mentionne l’adjectif et le définit comme de la couleur de


cette fleur, sauf que quelques lignes plus haut, il a énuméré trois couleurs. Laquelle
choisir pour la conversion ?
En cherchant à quelle couleur l’adjectif hortensia correspond sur le moteur de
recherche Google, nous avons surtout trouvé des objets roses (pelotes de laine
notamment), mauves ou violets.
Guillemard observe que c’est un :
« Mot pouvant désigner diverses couleurs, les hortensias, (…), étant de teintes
variées qui vont du presque blanc au pourpre, en passant par divers tons de rose et
de bleu. J’étais charmé d’apercevoir (…) un jeune homme en toque de velours noir,
en jupe hortensia  » (Marcel Proust, Le côté de Guermantes) Cette jupe pouvait
être de n’importe laquelle des couleurs des hortensias. Marcel Proust parle ailleurs
(Les hortensias normands) des « beaux hortensias roses » du marquis et de la mar-
quise d’Eyragues et évoque les hortensias bleus dans une allusion à un poème de
Montesquiou256 ».

La possibilité de déroger au caractère de typicité inhérente, principale contrainte


de la conversion, et de désigner pourtant une Pi chromatique, relève sans doute
d’une assimilation du système linguistique incorporé par le locuteur. Comme le
montre le corpus, de nombreuses fleurs peuvent être utilisées. Très souvent les
fleurs ont en effet une couleur typique (le pissenlit est jaune, le bleuet est bleu),
d’où la fréquence élevée de l’emploi de leur nom en conversion. De fait, le locu-
teur habitué à ce micro-système, confronté au nom d’une fleur en position adjec-
tivale, interprète régulièrement en termes de couleur, au risque de se tromper de
couleur ou de ne reconnaître aucune couleur257 si la fleur en a plusieurs ou s’il ne
connaît pas la fleur.

Les pierres précieuses sont parfois également de plusieurs couleurs, comme le


spinelle ou le saphir. Le spinelle selon le PR est :
« Aluminate naturel de magnésium de couleur rouge, bleu-violet, ou verdâtre, utilisé
en joaillerie » (s. v. SPINELLE, PR).

256 « Ces hortensias bleus nous ont beaucoup frappé, car le bleu est chimère des
horticulteurs », épigraphe de Robert de Montesquiou, cité par Guillemard (1998 : 76).
257 Ceci serait très intéressant dans le cadre d’une étude ayant pour objectif de montrer
que la langue est un système que le locuteur acquiert, puisque c’en serait une preuve.

335
Le guide du créateur Cartier (http://www.cartier.fr, consulté le 2.08.13) confirme
cette pluralité chromatique :
« Les spinelles sont un groupe de pierres transparentes de différentes couleurs : rouge
pivoine ou cerise, jaune, vert, bleu… »

et apporte une précision qui explique la typicité :


« Le plus recherché est le rouge cerise, qui ressemble au rubis avec lequel il a été
confondu jusqu’au milieu du XIXe siècle ».

Le lexicographe du TLFE le mentionne également comme « généralement rouge »


et effectivement pour Apollinaire (comme pour de nombreux autres auteurs), cette
propriété est sélectionnée :
« Cerise, airelle, Est ta bouche rouge ou spinelle ».

En cas de nécessité de précision, le locuteur aura recours à la composition : on


trouve par exemple spinelle précédée de rouge, jaune ou bleu selon la couleur
visée.
Le saphir est également décrit de plusieurs couleurs :
« Pierre précieuse, forme naturelle cristallisée et très dure de corindon transparent
bleu, jaune ou vert (lorsqu’il est coloré de cobalt) » (s. v. SAPHIR, PR).

Par contre, en emploi adjectival, il ne désignera que du bleu, la couleur la plus


utilisée en joaillerie. On retrouve alors le caractère anthropocentrique de fonction-
nalité évoqué ci-dessus.

Cette hypothèse s’intègre à celle du gradient de propriétés. Il résulte que les entités
de couleurs différentes vont organiser différemment les variantes chromatiques.
Si plusieurs couleurs se complètent sur une entité, celle placée le plus haut sur le
gradient sera celle qui est fonctionnelle pour l’homme. Si les différentes teintes ne
sont pas simultanées, deux traitements sont envisageables : soit une est considérée
comme plus représentative (plus utilisée, plus commune) comme pour lilas ou
jacinthe, elle est alors aussi à un échelon plus élevé que les autres sur le gradient,
soit aucune n’est plus typique que l’autre (hortensia) et elles sont toutes au même
niveau sur l’échelle et crée une ambiguïté (cf. ficelle). Ce niveau est en outre assez
haut comme le montre la non-nécessité d’un support sémantique, toute autre pro-
priété potentiellement associée à l’entité étant moins représentative.
Bien que nous ne puissions justifier les raisons de la possibilité de choisir ou
non une et une seule couleur comme pour lilas ou rose par exemple, nous émet-
tons l’hypothèse que la couleur peut devenir typique car elle est sans doute plus

336
représentative de l’entité (ou qu’elle l’a été à une époque), ce qui se confirme
par la possibilité d’être employée en conversion  ; nous retrouvons le caractère
anthropocentrique de la langue. On pourra nous reprocher ce serpent qui se mord
la queue dans la mesure où l’hypothèse sert à prouver le résultat qui justifie lui-
même l’hypothèse. Mais ne voulant entrer dans un autre cadre que le nôtre et ne
cherchant qu’à décrire le système de construction de mots, nous nous contenterons
de cette supposition258, en ajoutant que le critère est moins visible que celui de
fonctionnalité mais évidemment présent (il y a nécessairement une raison).
Lorsque d’autres propriétés que celle de couleur peuvent être attribuées à une enti-
té comme la dureté pour une pierre (jade) ou un comportement particulier (cochon),
la langue s’organise de même selon le degré de typicité de la propriété. Si une autre
propriété s’avère de typicité inhérente et plus pertinente (pas comme la dureté de
la pierre par exemple), ceci se reflétera par l’impossibilité de désigner la propriété
chromatique par un adjectif converti.
Peu sont les cas d’ambiguïté parce que les propriétés de types différents ne sont
généralement pas du même niveau sur le gradient, sauf quelques cas de concur-
rence forme/couleur.

3.2.3.2. Concurrence de différentes propriétés


3.2.3.2.1. La dureté
Certaines pierres sont réputées pour leur dureté, comme le jade :
« Pierre très dure du genre amphibole, à plusieurs variétés, dont la jadéite et la
néphrite, de couleur vert sombre, olivâtre ou blanchâtre, et plus ou moins
translucide » (s. v. JADE, TLFE).

Cette propriété n’est cependant pas pertinente pour la langue, aucune séquence
valorisant cette qualité n’est satisfaisante :

24) *Un caillou dur comme le jade

Cette qualité bien qu’importante pour le joaillier, ne constitue pas la description


typique de ce type de référents. L’idée de fonctionnalité peut de nouveau être ap-
pelée ; comme le mentionne le TLFE, le jade est :
«  [une] pierre, servant à la confection de bijoux et d’objets d’art  » (s. v. JADE,
TLFE).

258 Nous regrettons ce choix vu l’importance et l’intérêt d’une telle question.

337
C’est sans aucun doute l’information la plus importante concernant le « rapport »
que la pierre entretient avec l’homme. Comme le bois (cf. § 3.2.1.4.3), elle est
utilisée pour l’ornement, la décoration, ce qui importe est alors l’aspect et plus
précisément sa couleur. De fait, il est prévisible que ce soit cette propriété et seule-
ment celle-ci qui lui soit associée. D’où un emploi sans support sémantique, donc
en conversion.

3.2.3.2.2. Le comportement
Ce paragraphe regroupe les unités qui ont un référent auquel est associée, en plus
de la propriété chromatique, une propriété comportementale.
Par définition, les référents des noms de cette partie sont des animés (puisque
un non-animé ne peut avoir de comportement) et plus précisément des animaux259.

Exemples
Caille Pie Taupe
Canari Poussin Tourterelle…

Toutes ces unités ont la particularité d’activer deux propriétés différentes selon le
procédé linguistique sélectionné. D’un côté, la conversion activera une qualité de
couleur :

25a)  Ma sœur a des gants canari


25b)  Esteban préférerait la peinture poussin pour la cuisine
25c)  Le fermier d’à côté nous a montré ses poules caille
25d)  J’ai vu une vache pie
25e)  Julie a une voiture tourterelle

De l’autre, il est possible de désigner une propriété comportementale grâce à un


procédé métaphorique construit en syntaxe, qui porte soit sur le nom soit sur le
verbe selon l’entité.

3.2.3.2.2.1. Métaphore sur le nom


Les unités canari et poussin, par exemple, peuvent être utilisées pour apostropher
quelqu’un :

259 Nous verrons dans la partie suivante ce qu’il advient des noms propres d’individus qui
selon notre corpus n’apparaissent qu’en composition.

338
26a)  Mais si, tu peux y aller, mon canari !
26b)  Bon, tu fais tes devoirs maintenant, mon poussin !

La possibilité de nommer une autre entité que l’animal résulte d’une métaphore :
une des propriétés (ici, comportementale : le fait que l’animal soit petit, mignon)
est sélectionnée et va par métaphore être associée à d’autres référents. Cette possi-
bilité d’association confirme la pertinence linguistique de cette propriété (telle que
nous l’avons défini ci-dessus).

3.2.3.2.2.2. Métaphore sur le verbe


La métaphore peut également porter sur le procès relatif à ces animaux : par
exemple caqueter, jaser et roucouler260 respectivement pour caille, pie et tourte-
relle. Ils peuvent alors s’appliquer à des humains :

27a)  La voisine est encore en train de caqueter !


27b)  Les deux gamines jasaient comme leur mère !
27c)  Les deux amoureux roucoulaient sous les arbres !

De même que ci-dessus, la possibilité d’activer ces propriétés confirme leur perti-
nence dans la langue.
En ce qui concerne la pie, comme déjà mentionné, plusieurs qualités sont asso-
ciées, la kleptomanie, la forme de sa queue et sa couleur :

28a)  Elle est voleuse comme une pie


28b)  Le chef d’orchestre n’a pas mis sa veste queue-de-pie
28c)  Les policiers américains ont des voitures pie

Il résulte de ces exemples que la conversion active des propriétés chromatiques


tandis qu’un procédé métaphorique (et donc syntaxique) sélectionne des proprié-
tés liées au comportement. Ce n’est pas systématique puisque la conversion peut
également utiliser ces propriétés comme dans une fille bête.
Dans notre hypothèse, ceci montre que les propriétés chromatiques de ces en-
tités sont placées plus haut, ce qui leur permet d’être activées par une conversion
à la différence de cochon ou vache, qui ne pourrait sans support sémantique dési-
gner de la couleur. Le fonctionnement est similaire à celui ocnfrontant plusieurs
propriétés chromatiques.

260 C’est aussi le nom du procès associé au pigeon. La connotation amoureuse est due à
la fidélité de l’animal.

339
Parallèlement à la plupart de ces exemples pour lesquels la conversion est possible
existent des séquences issues de composition. Elles se distribuent en deux catégo-
ries : soit le sens de l’unité convertie et celui de la composition est synonyme, soit
il est différent. Dans ce cas-là, le support sémantique a deux rôles à remplir : soit il
« sauve » une couleur, soit il en crée une nouvelle pour une entité qui a une autre
Pi de typicité inhérente.

3.3. Composition – Typicité latente : nécessité d’un


support sémantique
Le référent du N2 a certes la couleur désignée, (parfois plusieurs peuvent même
lui être associées selon le TdeC, bleu canard, vert canard), mais aucune ne lui
est spontanément associée. De fait, afin qu’une référence à la propriété chroma-
tique soit possible, il faut qu’un « contexte » soit ajouté pour préciser la propriété
visée et ainsi permettre une interprétation chromatique. Ce contexte est le nom de
couleur, premier terme de composé : c’est le support sémantique qui autorisera le
locuteur à établir un lien entre la propriété chromatique du référent du non recteur
et celle de N2.
En composition (comme lors d’un assemblage syntaxiforme), ce TdeC comme
N1 est nécessaire. Nous renvoyons au chapitre précédent pour une description
détaillée de ce constituant. Nous l’avons appelé support sémantique car il permet
à une unité de désigner de la couleur, alors qu’elle ne le pourrait en emploi absolu :
de là, l’idée de soutien sémantique.
Le fait d’utiliser un support sémantique (rose cochon) montre selon notre hypo-
thèse que la propriété chromatique (si elle n’est pas par ailleurs activée en conver-
sion) est pour ce référent de typicité latente et qu’elle ne se situe pas plus haut
que les autres propriétés sur le gradient de Pi. Le support sémantique est alors
indispensable à l’activation de la Pi chromatique. Dans ce cas, il « sauve » la cou-
leur. Il construit sa référence quand sans lui, elle ne pourrait être recalculée : soit
elle est une parmi d’autres sans spécificité bleu drapeau, soit elle s’oppose à une
propriété de typicité inhérente (chromatique ou non) rose cochon, bleu lavande ou
marron kiwi (concurrence avec une propriété chromatique qui répond au critère
fonctionnel).
Le support peut jouer un second rôle : il peut également servir à préciser la qua-
lité de couleur. Dans ce cas, la Pi chromatique apparaît dans un emploi parallèle en
conversion qui partage le même sens. Il y a deux cas de figure : soit comme pour
hortensia ou pour endive, la confusion ou l’ambiguïté (forme/couleur) est levée,

340
soit comme pour rose saumon, la teinte saumon est précisée (la tendance). Ces cas
sont différents de kiwi et marron dans lequel la couleur marron du kiwi est sauvée
par le support puisque seule la nuance de vert serait nommée en conversion.
Dans tous les cas, la couleur est de typicité latente, puisqu’elle existe, contrai-
rement à celle inexistante comme pour un lit ou un manteau, entités pour lesquels
aucune couleur ne peut être associée même en contexte. Ce qui se justifie par
l’incongruence de la séquence quel que soit le TdeC : *rouge lit, *violet lit, *vert
manteau.

3.3.1. Propriétés concurrentes


Pourraient être regroupés dans cette partie tous les corrélats d’exemples des parties
précédentes auxquels on ajouterait un TdeC et dont le sens de l’unité construite ne
correspondrait pas (ou pas tout à fait) à la couleur désignée par l’adjectif converti.
Est ainsi possible :

(i)  la mention de la couleur de la partie non fonctionnelle

Si le locuteur désire désigner la couleur non-fonctionnelle, il a alors recours au


support sémantique, ainsi si une robe kiwi est verte, elle peut très bien s’assortir à :

29) °des chaussures marron kiwi

(ii) la mention d’une couleur moins représentative que la couleur en conversion :

30) « Les voiles des barques qu’on voit à l’horizon sont plutôt couleur d’ocre ou
jaune saumon que blanches   » (V. Hugo, L’Archipel de la Manche, 1883)
(Wikisource)

(iii) une précision sur la nuance de la couleur :

Guillemard, toujours à propos de prune, dit qu’ :


« on précise parfois, plus rarement, bleu prune :

31) « Je me les présentais [le duc et la duchesse de Guermantes] tantôt de nuances


changeantes, comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail ou il passait du
vert chou au bleu prune… » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913)
(DMC) ».

341
Sont aussi obligatoirement accompagnés d’un support sémantique les noms
dont l’entité à laquelle ils réfèrent ont ou non des couleurs, mais en tous cas
n’en présentent aucune de particulière. Il y a des noms communs concrets (rose
bonbon), mais également des abstraits (gris tristesse). Le cas des noms abstraits
nous semblent particulièrement représentatifs de la nécessité d’un support : en
effet, quelle couleur peut être attribuée à quelque chose qui n’a pas de matière ?
Nous verrons que la même explication vaut pour les noms propres si on rejette
la conceptualisation traditionnelle erronée qui les présente comme vide de sens
(et de propriétés) comme dans les grammaires traditionnelles.

3.3.2. Propriétés chromatiques du référent de N2 originellement


non activables
Exemples
Bleu cocotier Rose bonbon Rose pétale
Bleu poudre Rose capote Rose sparadrap
Jaune papillon Rose/blanc dentifrice Rouge opéra …

Afin de justifier cette hypothèse de manque de propriétés susceptibles d’être


associées, nous avons consulté les définitions lexicographiques du TLFE et du
PR et dans aucune des définitions apparaît nettement la mention d’une couleur
particulière :

COCOTIER : « Palmier tropical dont il existe un grand nombre d’espèces, la plus


connue, le cocotier commun, se composant d’un tronc grêle atteignant une hauteur
de 25 mètres, couronné d’un faisceau de larges feuilles vertes portant des fruits
disposés en grappes (noix de coco) » (TLFE)
COCOTIER : « Palmier au tronc élancé (arécacées) surmonté d’un faisceau de
feuilles. Et qui produit de la noix de coco » (PR)
DENTIFRICE « n. m.  : Préparation propre à nettoyer et à blanchir les dents.
Tube de dentifrice. Dentifrice au fluor. –Appos. Pâte, poudre, eau dentifrice » (PR)
DENTIFRICE : « Préparation destinée à nettoyer et à blanchir les dents. Un tube
de dentifrice. Il était propre, soigné, sentait bon l’eau de toilette et le dentifrice
(Druon, Gdes fam.,t. 1, 1948, p. 185) » (TLFE)
OPÉRA : « A. Chose difficile à réaliser  ; chose excellente, œuvre admirable,
chef d’œuvre. B. Œuvre dramatique lyrique entièrement chantée, interprétée avec
accompagnement d’orchestre et mêlée éventuellement de ballets » (TLFE)

342
OPÉRA : « Poème, ouvrage dramatique mis en musique, dépourvu de dialogues
parlés, qui est composé de récitatifs, d’airs (→ chant, bel canto…), de chœurs
et parfois de danse (  → ballet) avec accompagnement d’orchestre(cf. Drame
lyrique). Grand opéra ou opéra sérieux (it. Opera seria), dont le sujet est tragique.
Opéra bouffe, dont les personnageset le sujet sont empruntés à la comédie. →
opéra-comique, opérette. (…) » (PR).

Comme aucune couleur n’est immédiatement associable, la présence d’un support


se révèle par conséquent indispensable.

3.3.3. Valeurs subjectives


Cette absence d’autonomie référentielle chromatique s’explique alors aisément
avec les noms abstraits.
Bien que les exemples soient assez nombreux, ils doivent être fortement contex-
tualisés pour être interprétables.

Exemples

32a) ROSE ÉMOTION « Surtout ne glissez pas le peignoir rose-émotion


dans vos bagages : les chambres [du Negresco] sont vérifiées avant votre
départ ! » (Elle, 23.7.1979) (Le Rose)
32b) ROSE ENFANCE/BLEU VERTU « Mais des barbouzeux frétillent car,
badinant du tutu, entrent deux petites filles, rose enfance et bleu vertu, pour
baller la séguedille et le montulevoitu » (Rabiniaux, L’Honneur de Pédon-
zigue) (Le Rose).

Ces deux exemples suffisent à confirmer que sans support sémantique, les N2
émotion, enfance et vertu, ne sauraient désigner de la couleur. Il est aussi remar-
quable que la désignation chromatique n’est pas aussi déterminée et précise ou
« unique » qu’avec un nom concret. Les N2 explicitent davantage un sentiment
du locuteur par rapport à la qualité chromatique qu’il veut dénommer qu’ils ne la
précisent : la teinte rose n’est pas perçue différemment avec l’ajout de enfance,
la bleue non plus avec vertu ; il se construit par contre dans la conceptualisation
du lecteur une image du sentiment de l’écrivain évoqué par l’enfance, la douceur,
l’innocence comme Mollard-Desfour l’explique :
«  P. réf. aux valeurs fig. du rose, qui connote la douceur, la tendresse, l’enfance,
la jeunesse ».

343
La « comparaison subjective » peut aussi se fonder sur des valeurs symboliques
attribuées aux couleurs : vert espoir, noir tristesse…
Il est possible également qu’un nom plus concret active ces valeurs subjectives
comme rose crétin :

32c) «  La chambre d’amis venait de devenir nursery. Tous les meubles sur le
palier. Le lit de ma mère mis au rebut. La coiffeuse par Ruhlmann revendue
à vil prix. Et ce qui avait été épargné du mobilier repeint en rose-crétin »
(J. Vautrin, Baby Boom, 1987) (Le Rose).

Elle explique que le personnage « a une véritable répulsion pour le rose layette »
et critique ainsi cette habitude d’associer un nouveau-né à une couleur (rose ou
bleu) selon son sexe. Encore une fois, ce n’est pas une précision de la couleur qui
est présentée mais nettement l’opinion du personnage.

Il arrive également que bien que la couleur soit précisée (le N2 a donc une visée
qualitative chromatique), d’autres propriétés viennent se greffer au sens chroma-
tique. Il nous semble en effet que caca d’oie se trouverait difficilement dans un
article décrivant la merveilleuse robe que porte une actrice connue pour une céré-
monie quelconque, alors que dans l’emploi suivant :

33) «  Assise sur un banc, rue de la Folie-Régnault, c’était une clocharde édentée,
vêtue d’une robe de chambre caca d’oie, poussant une voiture d’enfant pleine
de hardes diverses, et répondant au sobriquet de la Baronne » (G. PEREC,
La Vie mode d’emploi : romans, 1978) (Frantext).

En plus de désigner la couleur, le choix de cette dénomination ne fait qu’insister


sur l’apparence misérable et répugnante de cette pitoyable femme. De même, la
couleur d’un pull vert épinard n’est pas aussi bien cotée et appréciée qu’un pull
vert empire.
Similairement, comme dans l’énonciation d’un peignoir rose douceur :

34) «  Tout simple, mousseux, moelleux, il [un peignoir] est délicieusement enve-
loppant. Blanc éclatant pour une belle mine, ou rose douceur pour la bonne
humeur, il est le luxe de l’après-bain » (Elle, 16.8.1982) (Le rose)

certes le rose est imaginé comme pastel, doux, la couleur est donc précisée. Mais
il semble que la matière soit aussi définie. Selon nous, un processus semblable se
révèle avec une culotte ivoire qui en plus d’être de la couleur de la matière pourra

344
être satinée. La robe abricot pourrait être de façon préférentielle hors contexte
imaginée comme une robe d’été. Le nom recteur est évidemment très important
puisqu’un pull ivoire n’activera pas (ou plus difficilement) cette propriété.

Nous terminons ici avec ces observations qui même si elles semblent au premier
abord subjectives et superflues mériteraient, nous n’en doutons pas, une étude plus
approfondie (mais ceci dans un cadre plutôt cognitif). Nous voulions surtout mon-
trer avec ces quelques exemples les possibilités qu’offre la langue à l’énonciation
d’un TdeC.
Ces exemples ont illustré que le comportement d’un nom abstrait n’est pas
complétement assimilable à celui d’un nom concret. La présence de noms propres
(anthroponyme ou toponyme) parmi les formes issues de composition nous a ame-
né à nous questionner sur leur statut : sont-ils plutôt comme des noms abstraits ou
peut-on les traiter comme des noms concrets ? La description de la relation qu’ils
entretiennent avec la propriété chromatique énoncée nous permettra de les assimi-
ler au nom commun concret, puisqu’ils partagent, contrairement aux hypothèses
des définitions traditionnelles, les caractéristiques catégorielles de ces noms.

4. Traitement du nom propre


4.1. Quelques exemples
1. Peintres
Bleu Klein Bleu Picasso Jaune Monet
Bleu Majorelle Bleu Wedgwood Rose Tiepolo
Bleu Nattier Brun Van Dyck Vert Véronèse…

2. Marques
Rose chamallow Rose Tagada Rose Malabar Jaune Carambar…

3. Autres
Bleu Colette Rose Mistinguett Vert Louis XV261…

261 Occurrence propre au vocabulaire du peintre V. Van Gogh (DMC).

345
4.2. Nom propre et problématique
4.2.1. Premier problème : reconnaissance du nom propre
Suite à notre première observation, dans une unité construite désignant une pro-
priété chromatique, deux types d’entités peuvent référer à des noms propres, soit
des entités géographiques (des villes, des pays, des espaces aquatiques…), soit
des individus réels ou fictifs (auxquels nous associons les marques). Les diverses
entités se distribuent différemment selon les OC. Dans un assemblage syntaxi-
forme ne sont possibles que des noms d’entités géographiques jaune de Naples ou
rose mexicain262; la composition inclut les deux rouge Tiepolo et bleu Bahamas.
Aucun exemple de nopm propre n’a été relevé dans le corpus composé d’unités
chromatiques converties.
Bien que cette dernière observation nous ait paru évidente et indéniable, nous
nous sommes vite aperçue que cette remarque ne résultait que d’un aveuglement
influencé par le carcan prescriptif dans lequel inconsciemment nous sommes. En
effet, l’absence de nom propre a été conclu par l’absence de forme introduite par
une majuscule : dans le système typographique que nous utilisons en français, il
est en effet stipulé que graphiquement la lettre initiale d’un nom propre est une
majuscule. Or des occurrences extraites du corpus de la conversion comme bor-
deaux, corinthe ou magenta reflètent pourtant le contraire : ces noms désignent
également par ailleurs des entités géographiques, ce sont des toponymes et dans
ces emplois, ils sont introduits également et selon la règle par une majuscule :

35a)  La ville de Bordeaux est très connue


35b)  La bataille de Magenta fut une bataille sanguinaire
35c)  Corinthe est une ville de Grèce où sont produits de fameux raisins secs

Cependant suite à un procédé linguistique, un nom catégorisé comme nom propre


puisque répondant à la définition de telles unités peut par métaphore ou métony-
mie désigner une « autre » entité en rapport avec le lieu qui sera, elle, dénommée
par un nom commun. Bordeaux par exemple est le nom d’une région où sont pro-
duits des vins263, ces vins par métonymie portent le nom de la région, comme dans
la séquence suivante :

35d)  On a servi un bon bordeaux dans ce restaurant

262 Cf. note 223.


263 « Vin produit dans les vignobles de la région de bordeaux » (s. v. BORDEAUX, TLFE).

346
Le retrait de la majuscule marque le changement référentiel de « ville de Bor-
deaux » à « vin(s) de cette région ».

En conversion, seuls des noms sans majuscule apparaissent : cela signifie qu’aucun
nom propre n’est possible ou alors qu’une antonomase préalable est obligatoire.
Mollard-Desfour répertorie plusieurs noms propres en composition qui
apparaissent selon ses sources sous une variante typographique : rouge Tiepolo ou
rouge tiepolo, rose Lolita/lolita, rose Pompadour/pompadour. D’autres sont issus
d’antonomase : rose mistinguett, rose schiap264.
Ces variantes ne sont pas possibles avec tous les noms propres, ceci suggère,
semble-t-il, qu’elles reflètent une évolution. Les exemples avec corinthe265 en sont
témoins :

36a) «  La robe raisin de Corinthe, le grand chapeau chancelant » (Colette, La


femme cachée, demi-fous, 1924) (Le rouge)
36b) «  Pour les toilettes élégantes (…) : gris ramier, raisin de Corinthe, marron
(…) » (La mode illustrée) (Le rouge)
36c) «  Le velours restera tout à fait en faveur et j’en ai vu de ravissants dans tous
ces tons nouveaux, dont nous raffolons : corinthe, améthyste (…) » (Fémina,
août 1926) (Le rouge).

Nous émettons l’hypothèse sans pouvoir outre mesure la prouver que le nom propre
lorsqu’il est employé en composition a alors potentiellement accès à une antono-
mase et qu’il peut après un temps (non défini et non définissable, peut-être suite à
une fréquence supérieure d’utilisation) devenir un nom commun. Seulement à par-
tir de ce moment, il peut se voir offrir un accès à la conversion, comme corinthe ou
pompadour. La première observation est alors à reformuler : la conversion admet
des noms propres que lorsqu’ils sont déjà le résultat d’une antonomase.

264 « P. REF. à la couleur rose, couleur fétiche d’Elsa Schiaparelli, surnommée par
troncation du nom, Schiap. Styliste italienne (1890–1973), installée à Paris, où elle
créa une maison de Haute-Couture, elle prit le contre-pied du classicisme de Coco
Chanel qui régnait à l’époque, et fit preuve d’originalité et d’audace, notamment en
adaptant à la mode des grands courants artistiques de son époque (art déco, dessins de
Cocteau, œuvre de Dali… qui se retrouvent dans les étoffes, les boutons en forme de
lèvres, d’écrevisse, ou de caniche, les poches-tiroirs, les chapeaux-boites…) » (s. v.
SCHIAP, Le rose).
265 Rouge-brun très foncé proche du noir des raisins séchés, dits de Corinthe (Le rouge).

347
4.2.2. Noms propres étudiés
Dans une unité issue d’un AS, le nom propre établit avec la propriété chromatique
une relation d’origine locative de la substance colorante, qui se précise en une com-
paraison à un élément qui porte cette substance lorsque le toponyme apparaît dans
une forme adjectivale (rose mexicain). Dans cet usage, la référence du toponyme est
identique à celle en emploi hors domaine chromatique : il est fait référence exac-
tement de la même façon à une ville ou un lieu que lors d’un emploi dans une
séquence non construite266. Cette similitude est due sans aucun doute à l’identité
parallèle formelle : c’est pourquoi toutes les formes considérées comme aprobléma-
tiques ont été traitées dans la partie concernant la description de ce type de noms.
Par contre, dans le cas de composition, les deux unités n’étant associées par au-
cun lien visible, la même démarche ne peut être suivie. Par conséquent, il est justifié
de se demander si dans une occurrence comme bleu Bahamas ou rouge Tiepolo,
Bahamas réfère-t-il à Bahamas comme dans Je suis allée au Bahamas l’été dernier
et Tiepolo désigne-t-il le même référent que dans Ce peintre s’appelle Tiepolo ? Une
seconde question se greffe alors à celle-ci. Dans un AS, la notion d’origine se recal-
culait pareillement, que le nom soit un nom propre ou un nom commun : comme la
substance cadmium est à l’origine compositionnelle dans rouge de cadmium et le
lieu Prusse à l’origine locative dans bleu de Prusse. Est-il, dans la même optique,
envisageable de décrire de la même façon la relation entretenue entre le TdeC et le
N2, dans le cas de rouge Tiepolo à bleu ciel qui formellement est similaire ? Si nous
admettons ceci, le statut singulier de nom propre comme « vide sémantique » prôné
par de nombreux linguistes est donc à remettre en question.
Une autre question qui s’est posée, est la raison de l’absence d’anthroponyme
dans un AS (ni dans leur forme intègre ni sous forme d’un adjectif suffixé) et cor-
rélativement de la possibilité de leur présence en composition. Après une descrip-
tion de quelques suffixes adjectivaux sur base anthroponymique, nous montrerons
en quoi se distingue le sens en composition. Nous précisons toutefois l’existence
de quelques hapax.

266 Dans la partie précédente, nous avons déjà justifié que jaune de Naples est une et
une seule unité et qu’elle ressortit au domaine de la morphologie plutôt que de celui
de la syntaxe. Le sens de chaque élément ainsi que la relation qu’ils entretiennent
entre eux sont identiques à celui lors d’une utilisation phrastique, cependant le fait
qu’il ne puisse être question du *jaune de l’est de Naples, que jaune perde sa carac-
téristique de variabilité (même si elle est surtout prescriptive) en genre et en nombre
ou encore la mention tel quel dans un recueil terminologique indique qu’il y a eu
changement de domaine.

348
D’abord, nous présenterons le statut des noms propres selon les grammaires tra-
ditionnelles (Grevisse), ensuite selon Kleiber et Gary-Prieur qui proposent une
approche tout à fait différente en contestant la marginalité de ces séquences. Grâce
à leurs hypothèses, nous décrirons les noms d’individu ou de marque en compo-
sition. Nous justifierons par ailleurs ce qui bloque l’emploi d’un adjectif puisque
la langue fournit plusieurs suffixes pour en construire et qu’aucun, pourtant, n’a
été sélectionné (par exemple –ien dans chiraquien, ou –esque dans ingresque, ou
encore -iste dans mitterrandiste).

4.3. Statut du nom propre dans les grammaires


traditionnelles
Au début de son ouvrage qui a, justement, pour objet de « démarginaliser » le nom
propre, Gary-Prieur (1994 : 3) résume la position communément adoptée à l’égard
du nom propre contre laquelle elle s’opposera ensuite :
« on retrouve comme une constante l’idée de marginalité et d’isolement ».

Elle avait fait le même constat quelques années auparavant :


« le nom propre quelle que soit la perspective selon laquelle on l’aborde, s’est
constamment trouvé repoussé dans les marges, marges de la linguistique ou marges
de la catégorie du nom commun » (1991b : 13).

Dans cet article, elle observait alors que même Saussure n’en parle que très peu et
qu’il ne le fait que lorsqu’il veut justifier les cas impossibles d’analogie :
« les seules formes sur lesquelles l’analogie n’ait aucune prise sont naturellement les
noms propres, spécialement les noms de lieu (…) qui ne permettent aucune analyse
et par conséquent aucune interprétation de leurs éléments » (1916 : 237).

En d’autres termes :
« un nom propre n’apporte aucune information sur l’objet qu’il nomme, il n’a aucun
contenu descriptif, il n’est associé à aucun concept » (Gary-Prieur : 1994 : 11).

C’est effectivement les propos usuels dans les grammaires traditionnelles, Grevisse
(1986 : 751), par exemple, explique :
«  Le nom propre n’a pas de signification, de définition  ; il se rattache à ce qu’il
désigne par un lien qui n’est pas sémantique, mais par une convention qui lui est
particulière ».

349
Par conséquent, s’il n’a « ni définition, ni signification » puisqu’il n’est associé à un
objet du réel que par convention, il est conclu que le nom propre n’a pas de sens.
Cette marginalité se justifie souvent d’un point de vue syntaxique, en termes
d’abord de flexion et deuxièmement de détermination. La notion de lien conven-
tionnel implique en outre que le nom propre est invariable, il est d’un genre donné
également par convention selon le référent qu’il désigne : Marie est féminin car
l’objet « Marie » est de sexe féminin.
D’autre part, le nom propre ne peut être précédé de l’article (ou du moins peut
apparaître sans article), ce qui le sépare radicalement des noms communs, pour
lesquels une détermination (définie ou indéfinie) s’avère indispensable. Cette sin-
gularité s’explique aisément comme le remarque Gary-Prieur (1994 : 4) énonçant
la croyance commune qu’elle contredira par la suite :
« La possibilité d’employer un nom propre sans déterminant en position référentielle
est liée au statut logique du nom propre qui, parce qu’il renvoie à une idée singulière
n’a pas besoin de déterminant pour spécifier son extension ».

Le nom propre réfère à une entité unique, que ce soit un anthroponyme ou un


toponyme : la déterminer par un déterminant est alors redondant.
Cette analyse est problématique concernant notre étude puisqu’elle exclut toute
explication justifiant la présence d’un nom propre en composition en empêchant
d’attribuer un comportement similaire de Tiepolo et sparadrap dans respective-
ment rouge Tiepolo et rose sparadrap. En effet, si le nom propre n’a pas de signi-
fication, il ne possède pas non plus de propriétés et il ne peut donc qualifier comme
Noailly (1994 : 90) le confirme :
« puisque le nom propre lui-même ne donne pas d’indication sur l’objet qu’il dénote,
puisqu’il n’est aucunement descriptif, il ne peut servir à qualifier, si qualifier est bien,
comme je l’ai dit, apporter une caractérisation descriptive ».

Dans le cadre de son analyse des combinaisons du type [N1 N2] comme problème
cheveu ou ticket restaurant, Noailly (1991) classe en quatre groupes les relations
que peuvent entretenir un nom recteur et ce qu’elle appelle le substantif épithète
qui l’accompagne. Selon elle, la relation s’établissant avec un nom propre n’est
que deux types : puisqu’il n’est pas apte à qualifier, soit il identifie, soit il complète
le nom recteur comme dans les séquences suivantes :

– Le président Pompidou
– La stratégie Mitterrand

Pompidou limite le sens de président en l’actualisant mais sans le caractériser. En


revanche, Mitterrand caractérise stratégie en désignant l’origine de son référent.

350
Dans cette perspective, Tiepolo complète rouge plus qu’il ne l’actualise puisque
l’anthroponyme caractérise rouge en en définissant également l’origine. Dans
cette optique et dans le souci de décrire un système et donc d’unifier les données,
la même description devrait être appliquée à la relation entre rose et sparadrap ou
celle entre jaune et serin, ce qui ne semble pourtant pas convaincant.
D’ailleurs, selon cette hypothèse, la relation associant rose et sparadrap dans
rose sparadrap a une valeur qualificative : sparadrap qualifie l’unité rose dans le
sens où il la modifie en lui attribuant une caractéristique complémentaire, du type
de clair par rapport à rouge dans rouge clair. Si le nom propre ne peut qualifier,
il faudrait alors stipuler qu’il existe deux relations différentes entre les deux com-
posants (TdeC et N2) et corrélativement deux instructions sémantiques activées
par la composition, qui se distribueraient différemment selon le statut du nom.
Ceci nous semble insatisfaisant, d’abord parce que trop coûteux d’un point de
vue méthodologique et d’un point de vue intuitif, la référence chromatique (et le
fonctionnement pour la calculer) impliquée par Tiepolo et sparadrap en relation
avec une propriété chromatique ne semble pas si éloignée.
Si le problème est inversé et qu’on tente d’associer à la combinaison rouge et
Tiepolo la même relation que celle entre jaune et serin, il devient impossible de
continuer à postuler que le nom propre n’a pas de sens. Et justement, certains lin-
guistes, contrairement aux grammaires traditionnelles, attribuent un sens au nom
propre, même s’ils s’accordent pour reconnaître qu’il n’est pas complètement
assimilable à celui d’un nom commun. Lyons cité par Gary-Prieur (1994 : 6) par
exemple explique qu’ils ont :
« un type de signification unique et spéciale qui les distingue, en tant que classe, des
noms communs ».

Selon lui, le nom propre s’oppose au nom commun par la spécificité de son sens
et non parce qu’il n’en a pas. Gary-Prieur (1994), à l’instar de Kleiber267, réfute
également la constante communément acceptée : elle affirme que non seulement le
nom propre a un sens mais qu’en plus, en avançant des arguments contre Noailly,
qu’il est apte à qualifier. Elle montre que certes, dans la séquence Une coiffure
Louise Brooks, le nom propre n’a plus la fonction désignative qu’il a autrement
puisqu’il n’est plus référentiel comme lorsqu’il désigne l’individu nommé Louise

267 Kleiber a écrit (1981 : 404) que « par rapport aux autres unités lexicales, noms com-
muns en particulier, ils [les noms propres] occupent une place spécifique et marginale
dans la structure sémantique d’une langue », ce qui n’équivaut pas selon lui à une
absence de signification.

351
Brooks, mais qu’il désigne pourtant évidemment « quelque chose ». Elle prouve
alors, que syntaxiquement les noms propres ne méritent pas cet isolement, ce qui
nous permettra d’appliquer une et une seule définition à l’instruction sémantique
de la composition quel que soit le type de noms.

4.4. Marginalité du nom propre remise en question


4.4.1. Du point de vue syntaxique
Contrairement aux grammaires qui singularisent les noms propres des noms com-
muns en argumentant qu’ils n’admettent pas la détermination, Gary-Prieur (1994)
objecte en présentant des exemples dans lesquels les noms propres sont modifiés
par toute sorte de déterminants (articles définis, indéfinis, partitifs, adjectifs pos-
sessifs ou démonstratifs), de même que des noms communs pourraient l’être :

37a) Les Pierre sont des êtres stables


37b) Un Bernard a téléphoné
37c)  Cette musique, c’est du Bach
37d)  Ils s’en repentiront lui et son Audrey
37e)  Une gamine, cette Nella

En plus de ce premier argument limitant la marginalité du nom propre en les


insérant dans des distributions syntaxiques communes aux noms communs, Gary-
Prieur, à la suite de Kleiber (1981), va redéfinir leurs propriétés sémantiques et les
rapprocher définitivement des noms communs.

4.4.2. Du point de vue sémantique


4.4.2.1. Kleiber et le « prédicat de dénomination »
Kleiber (1981  : 329) propose que le nom propre possède un sens qu’il définit
comme étant « l’abréviation du prédicat de dénomination ». Le nom propre peut
être glosé selon ce linguiste par « être appelé N/x/».
C’est ainsi que la séquence suivante :

38a)  Paul arrive

se paraphraserait par :

38b)  Le/x/qui est appelé Paul arrive

352
Il confirme son hypothèse avec la non-acceptabilité d’exemples tels que :

38c)  *Comment s’appelle Kirk Douglas ?


38d)  *Les Albert n’ont pas de nom

L’anomalie est due soit à une tautologie : si le nom propre a le sens « être
appelé/x/» alors la séquence ne peut contenir le verbe s’appeler sans avoir pour
conséquence une répétition abusive qui rend la phrase caduque ; soit comme dans
le deuxième exemple, l’anomalie est le résultat d’une contradiction : deux prédi-
cats incompatibles se confrontant dans une même phrase la rendent insensée. Ces
exemples montrent que le nom propre a un sens.
La notion de prédicat de dénomination ne satisfait pas Gary-Prieur (1994) qui
la juge insuffisante puisqu’elle ne permet pas d’expliquer toutes les séquences
incluant un nom propre, comme par exemple :

39a)  Laforgue vient de découvrir Laforgue


39b)  Goethe est devenu Goethe
39c)  Une coiffure Louise Brooks

Bien que les phrases soient acceptables et qu’elles fassent sens, la paraphrase
suggérée par Kleiber ne fonctionne pas :

*Le/x/qui appelé Laforgue vient de découvrir le/x/appelé Laforgue

Gary-prieur va alors développer une notion de contenu attaché au nom propre afin
de compléter l’hypothèse de Kleiber et ainsi d’expliquer toutes les occurrences.

4.4.2.2. Notion de contenu


Gary-Prieur (1994  : 41) commence par définir le sens du nom propre avec les
termes de Kleiber et du prédicat de dénomination :
« J’entendrai par sens une propriété qui caractérise le nom propre en tant qu’unité
de la langue ».

Mais elle ajoute à cette définition sémantique du nom propre la notion de contenu :
« [j’] appelle contenu d’un nom propre un ensemble de propriétés du référent initial
associé au nom propre qui intervient dans l’interprétation de certains énoncés conte-
nant le nom propre ».

Elle nomme référent initial la première entité dénommée par le nom propre,
l’individu qui porte cette appellation. À la lumière de ce nouvel aspect, elle peut

353
conclure que des propriétés sont attribuées ou attribuables au nom propre. Par
conséquent, l’hypothèse émise ci-dessus selon laquelle certaines dénominations
de référents ayant des propriétés caractéristiques sont sélectionnées par la langue
pour dénommer des propriétés appartenant à d’autres entités considérées comme
identiques, peut fonctionner avec les noms propres.
Dans cette perspective, le contenu de Tiepolo inclurait une propriété chroma-
tique, retenue parce qu’elle est typique de l’œuvre du peintre. La relation impli-
quée est alors identique à celle avec sparadrap.
En ce qui concerne le type d’individu, l’anthroponyme est principalement un
peintre, mais il peut désigner une marque également : rose Malabar, rose Taga-
da (pour rose fraise Tagada), jaune Carambar ou des personnes célèbres : bleu
Colette, vert Louis XV, rose Cartland. La reconnaissance de la couleur est moins
aisée pour un nom propre que dans le cas de mention de fruits (myrtille) ou de
légumes (aubergine) parce que la référence n’est pas visuelle, mais le calcul pour
atteindre le sens construit est similaire. Même sans les connaître, le locuteur com-
prend l’unité construite : il y a un lien entre Colette et bleu qui implique une com-
paraison chromatique. Ces exemples pourraient être rapprochés de bleu roi ou rose
layette : ces deux occurrences nécessitent également des connaissances culturelles.
Cette difficulté à retrouver la couleur exacte sans connaissance préalable est
une des raisons pour lesquelles aucun nom propre n’apparaît en conversion : la
couleur n’est pas stéréotypique du référent, elle fait partie d’un ensemble de pro-
priétés qui nécessitent des contextes pour être activées, de fait la mention d’un
support sémantique, incarnée par le TdeC comme N1 est obligatoire.

4.4.2.3. Nom propre = toponyme


Un toponyme peut être utilisé dans plusieurs types de construction :

(i)  [TdeC + de + Toponyme] comme jaune de Naples


(ii)  [TdeC + Toponyme] comme bleu Bahamas
(iii)  [TdeC + adjectif sur base toponymique] comme rose mexicain

Nous intéressent maintenant uniquement les occurrences issues de composition


puisque comme nous l’avons vu, le toponyme en AS désigne le même référent
qu’en tout contexte en précisant la localisation de l’origine du pigment colorant
avec ou sans comparaison.
Il nous importe ici de reconnaître au toponyme un contenu afin de justifier son
emploi en composition dans les mêmes circonstances qu’un nom commun ou un
anthroponyme.

354
Exemples
Bleu Bahamas Bleu Méditerranée
Bleu Danube Vert Nil…

4.4.2.3.1. Notion de contenu appliquée aux toponymes


Dans sa description du nom propre, Gary- Prieur (1994) ne parle que des noms
d’individus. L’objet de cette partie est de montrer que la notion de contenu, telle
qu’elle la définit, c’est-à-dire un ensemble de propriétés associé à un individu
et donc à la mention de son nom, peut s’appliquer à un toponyme. Ces proprié-
tés réfèrent à des qualités caractéristiques de l’individu, de son œuvre, de son
caractère… Peut-on associer de même des propriétés à un toponyme ?
Au regard de cet extrait de chanson :

40a)  « Tu rêvais de Byzance


  Mais c’était la Pologne
  Jusque dans tes silences » (Renaud, Petite conne, 1985)

il est de suite perceptible que les toponymes (Byzance et Pologne) n’ont pas seu-
lement une valeur désignative, ils ne réfèrent pas à l’entité géographique comme
dans la séquence :

40b)  J’ai vécu 5 ans en Pologne

Ce qui implique que le toponyme peut également référer à autre chose qu’à
l’entité géographique elle-même. Byzance dans cet extrait (comme dans l’ex-
pression « C’est/C’était Byzance ») ne désigne pas seulement la ville, mais fait
référence plus particulièrement à l’état du lieu à une époque où l’empire était
riche. Les qualités attribuées à cette période sont alors attribuées au toponyme,
qui par métaphore, évoque une idée d’abondance et d’opulence, voire de luxe.
Cet exemple montre que la langue a sélectionné des propriétés associées à l’en-
tité « Byzance » considérées comme stéréotypiques et recalculables à la seule
mention du nom. De même, pour Pologne, le chanteur n’évoque pas le pays,
mais des qualités communément associées à ce pays en mémoire d’une certaine
époque de tristesse, pauvreté et misère. Or ces qualités associables sont les pro-
priétés d’un contenu, exactement comme le définissait Gary-Prieur. Il est donc
possible d’associer au toponyme un contenu, dans les mêmes termes que celui
propre à l’anthroponyme.

355
4.4.2.3.2. Application aux mots chromatiques
Le référent du nom géographique désigne souvent un espace aquatique (Méditer-
ranée, Nil, Danube). Les Bahamas sont un archipel d’îles, il ne s’agit donc pas à
proprement parler d’eau mais la notion est toutefois présente puisqu’un archipel
est un ensemble d’îles au milieu d’une zone aquifère délimitée.
À Bahamas sont associées les propriétés stéréotypes de ce genre d’endroit  :
la mer, les cocotiers, le soleil, le sable chaud… Ces propriétés étant diverses, un
contexte est nécessaire qui se matérialise par le TdeC en N1, qui joue le rôle de
support sémantique. Seulement grâce à ce contexte, le composé est interprétable.
De fait, bleu Bahamas, rouge Tiepolo et rose sparadrap s’inscrivent dans le
même schéma constructionnel et la relation unissant les différents éléments de
l’unité polylexicale s’explique de la même façon.

4.5. Comparaison avec adjectif anthroponymique construit


Il est remarquable que si peu d’anthroponymes aient été recensés dans un AS,
que ce soit comme base adjectivale (*rouge tiepolien) ou dans sa forme intègre
(*jaune de Monet). Dans le cas de [de + Nom], il est possible de se demander
pour quelles raisons l’origine ne pourrait être humaine, désignant la personne à
l’origine du produit. Il semble que la langue (ou les spécialistes du domaine) ne
reconnaisse pas cette information comme essentielle dans la reconnaissance du
produit colorant : le lieu importe davantage.
Des anthroponymes sont utilisés en composition, cependant, le sens diffère
quelque peu, puisque la relation qui unit brun à Van Dyck dans brun Van dyck
spécifie que cette couleur est typique dans l’œuvre de ce peintre et non qu’il en
est le créateur. Cette remarque entraine une autre question : si la relation entre les
éléments dans [TdeC + Anthroponyme] se définit comme une couleur typique de
son œuvre, elle rappelle celle de la description de [TdeC + Adj. sur base nomi-
nale], rose mexicain : une comparaison est en effet effectuée avec un lieu parti-
culier où le pigment est utilisé de façon assez singulière pour être typique. Pour
quelles raisons Mexique apparaît-il sous sa forme adjectivale ? Ou inversement
pour quelles raisons, cette similitude sémantique ne se reflète pas dans l’OC sé-
lectionnée puisqu’il existe également des suffixes permettant de construire des
adjectifs sur des noms d’individus :

– esque : goyesque, ingresque, raphaélesque, rembranesque, titianesque


– ien : picassien, davidien, cézannien

356
–  iste : ingriste, poussiniste, raphaéliste
–  ique : raphaélique268

Noailly (1991 : 102) justifie le non-recours à la suffixation en expliquant qu’:


« en position de N2, le nom propre fournit un excellent complément direct le vote
Mitterrand, la stratégie Pasqua, le gouvernement Rocard. Il évite d’avoir recours
à l’adjectif de relation dérivé du nom propre souvent délicat à former et rarement
attesté, ou à la complémentation prépositionnelle plus longue ».

Cette explication est fausse : comme il sera décrit dans la partie suivante, l’ab-
sence de suffixation est un choix linguistique, dont la raison ne réside pas au
niveau d’une difficulté langagière à construire mais bien au niveau du sens que les
différentes constructions impliquent.

4.5.1. Anthroponyme et suffixation : -esque, -ien, -iste, -ique


4.5.1.1. Le suffixe –esque
Temple (1998 : 124) propose deux sens au suffixe –esque- lorsqu’il est appliqué
à un nom d’individu269 dépendant de la référence de l’anthroponyme. La langue
fait une différence s’il s’agit d’un être fictif (Don juan, personnage d’une pièce
de Molière ou Prudhomme, personnage d’une pièce de Monnier) ou d’un être
réel (elle prend l’exemple des peintres Le Caravage et Jordan). Si la base est un
personnage de création, alors l’adjectif suffixé sur l’anthroponyme désignera des
propriétés stéréotypiques de l’individu nommé par la base, comme donjuanesque
ou prudhommesque :

DONJUANESQUE : « propre à un don Juan » « Séducteur, le plus souvent libertin


et sans scrupules » (TLFE)
PRUDHOMMESQUE : « Qui dit des platitudes sur un ton empathique et senten-
cieux » (TLFE) (sous-entendu à la manière du personnage Prudhomme).

268 Ces adjectifs sont extraits d’une partie annexe du petit Robert (1988) listant des
«  dérivés des noms propres  ». Je n’ai choisi que des noms de peintres puisque ce
sont les cas les plus usités en composition. Est également cité Louis quatorzien, mais
aucun sur Colette ni sur Tagada, Carambar ou Malabar.
269 Ce suffixe s’applique aussi à des noms communs : éléphantN → éléphantesqueAdj et
il sélectionne alors une propriété stéréotypique du référent, comme la grosseur de
l’éléphant.

357
Par contre, lorsqu’il s’agit d’un peintre, les adjectifs construits comme caravagesque
et jordanesque :
« désignent quant à eux les propriétés de l’œuvre de base produite par le référent de
leur base (cf. CARAVAGESQUE270 : « Du peintre italien surnommé Le Caravage ;
qui caractérise sa technique picturale » ; JORDANESQUE : « Gros et rouge, rubi-
cond (comme sont les personnages peints par Jordan ») ».

Les propriétés de l’œuvre de base désignent un ensemble assez large qui peut aussi
bien concerner des qualités de la technique du peintre (cf. s. v. CARAVAGESQUE)
que la présence d’objets peints ou présents dans l’œuvre du peintre de façon assez
récurrente pour en être caractéristiques (cf. s. v. JORDANESQUE).

4.5.1.2. Le suffixe –ique


Le suffixe -ique a la particularité d’appartenir au lexique de domaines spéciali-
sés. Les propriétés qu’il signifie lors de son adjonction sont vues comme scienti-
fiques, donc objectives : un éloignement entre le locuteur et l’entité désignée par
la base est alors signifiée (ce qui l’isole de –esque, qui implique des propriétés
plus subjectives).
Selon le PR, un seul nom de peintre est suffixé par –ique : raphaélique271 et
contre toute attente, il est défini dans le TLFE comme synonyme de raphaélesque :
« Qui est propre au peintre Raphael ou qui rappelle les particularités de la peinture
de cet artiste ».

Selon la rubrique étymologique de ce même recueil :


« Étymol. et Hist. I. 1810 raphaélique « qui rappelle les types de personnages peints
par Raphaël » (Stendhal, loc. cit.). II. ».

Il est assez difficile de différencier selon ces propos raphaélique de jordanesque


qui tous deux désignent des propriétés attribuées de manière caractéristique aux
personnages des peintures. Une étude approfondie mériterait d’être menée, cepen-
dant en ce qui nous concerne cette définition sommaire, même si elle est problé-
matique, suffit puisque le peu d’occurrences avec un nom de peintre nous incite à
ne pas traiter ce suffixe.

270 Les citations sont extraites du Grand Robert de la langue française.


271 Remarquons que la même base peut être suffixée par –esque (raphaëlesque) ou -iste
(raphëliste).

358
4.5.1.3. Le suffixe –iste vs le suffixe -ien
Vancombelke (1997) mène une analyse confrontative des deux suffixes –iste et –ien
puisque selon lui, les deux sont complémentaires comme ils ne se distinguent
sémantiquement qu’en un point : l’un ou l’autre suffixe sera sélectionné selon que
la relation entretenue entre le nom recteur et l’individu dont le nom sert de base à
l’adjectif construit est intrinsèque ou extrinsèque.
D’un point de vue morphologique, ils s’isolent des autres par la possibilité
d’une conversion nominale de l’adjectif construit :

IngresN → ingristeAdj → ingristeN


BrownN → brownienAdj → brownienN
RaphaëlN → raphaélienAdj → raphaélienN

Selon l’analyse de Vancombelke (1997 : 105), le suffixe –iste :


« développe une force centrifuge, la relation au nom de base est une relation d’appar-
tenance extrinsèque (d’extériorité) ou d’origine (…). -Iste doit être associé soit à une
relation d’origine par rapport au nom propre, soit à une relation d’appartenance à ce
qui est déjà externe au nom propre, par exemple sa doctrine ».

Alors si la base réfère à un peintre, le suffixe établit une relation d’origine ou d’ap-
partenance entre le référent du nom recteur et ce peintre, mais le référent du nom
recteur devra être considéré comme externe, extrinsèque à l’individu nommé par
la base de l’adjectif. Parallèlement à sa définition de –iste, Vancombelke propose :
« -ien permet de créer entre le nom de base et le nom recteur une force centripète qui
maintient un lien étroit entre les deux noms (appartenance, ressemblance, proximité)
(…) La force centripète associée au suffixe –ien ne le rendrait pas autonome par rap-
port au nom de base, d’où le support nécessaire d’un nom recteur et l’appartenance
première à la catégorie adjectif ».

Les deux séquences suivantes illustrent cette opposition :

41a)  Le parti mitterrandien


41b)  Le parti mitterrandiste

Chaque adjectif qualifie le parti différemment par rapport à la relation entretenue


avec Mitterrand. Dans le prmeier exemple, le parti est défini comme appartenant à
Mitterrand de façon intrinsèque, la relation est si proche que le politicien est pré-
sent de façon concrète : en d’autres mots, il en est l’instigateur direct. Contraire-
ment au second exemple, dans lequel la relation avec Mitterrand est extrinsèque, il

359
n’est présent que de l’extérieur : un parti reprend seulement les idées du politicien,
sans que sa présence ne soit concrète.
Nous allons maintenant tenter d’appliquer ces suffixes à des anthroponymes
associés à des couleurs dans des exemples attestés. Si la suffixation pose pro-
blème, nous tenterons d’isoler les raisons du blocage ; si elle est satisfaisante, nous
pointerons les différences avec un emploi du nom d’individu dans sa forme intègre
(en composition).

4.5.2. Application et comparaison avec formes issues de composition


Suite à l’application des suffixes –ique, -ien, -iste et -esque aux trois formes que
nous avons choisies rouge Tiepolo, brun Van Dyck et vert Véronèse, il s’avère que
seul –iste pose problème tandis que les autres construisent des unités attestables.
Restera à justifier des différences sémantiques entre les différents emplois, formes
intègres et formes construites.

4.5.2.1. *Brun van dyckiste


Ce suffixe semble inapproprié :

42a)  *Brun van dyckiste


42b)  *Rouge tiepoliste
42c)  *Vert véronésiste/véroniste

Ce blocage est dû à une incompatibilité entre le nom recteur, la couleur et le sens


instruit par l’affixe. L’adjectif construit détermine le nom recteur comme étant une
entité qui est à l’origine de l’individu nommé par la base de l’adjectif. Cependant
afin que cette relation d’origine puisse être évoquée par le suffixe –iste, il est in-
dispensable que le référent du nom recteur soit extrinsèque à l’individu nommé. Il
faudrait que la couleur soit considérée comme non inhérente au peintre. Or dans le
contenu du nom propre (cf. la définition de contenu § 4.2.2.2. de ce chapitre) sont
rassemblées toutes les entités qui peuvent être associées à l’individu, comme une
couleur particulièrement utilisée dans l’œuvre. Cette propriété est donc inhérente à
l’individu, d’où une incompatibilité avec l’instruction sémantique du suffixe - iste.

4.5.2.2. °Rouge tiepolien/°tiepolesque/°tiepolique


Au regard des paires d’exemples, rouge Tiepolo et °rouge tiepolien ou bleu Raphël
et °bleu raphaélique ou encore marron Rembrandt et marron °Rembranesque, la dif-
férence sémantique n’est pas flagrante parce que chaque forme (intègre ou suffixée)

360
qualifie le nom recteur et désigne une propriété propre à l’individu désignée par le
nom de base.
L’objet de cette partie va consister à établir si l’énonciateur désigne la propriété
chromatique de l’entité service à thé de la même façon dans les deux séquences
suivantes :

43a)  Je veux un service à thé brun van dyckien


43b)  Je veux un service brun Van Dyck

Gary-Prieur (1994) qui mène une étude où elle oppose des noms propres suffixés
par –ien à des anthroponymes restés dans leur forme intègre va nous permettre
de justifier notre position. Selon nous, les deux séquences suivantes ne sont pas
synonymes dans la mesure où la relation entre gaullien et ton se distingue de celle
entre de Gaulle et ton :

44a)  Un ton très gaullien


44b)  Un ton très de Gaulle

Bien qu’elle ne traite qu’un seul suffixe, la description qu’elle donne de l’unité qui
reste dans sa forme intègre nous permettra de généraliser la différence aux autres
suffixes.
Elle émet l’hypothèse (1994 : 91) que lorsque le nom d’individu n’est pas suf-
fixé, le référent initial est davantage présent, tandis que lorsqu’il l’est, seule une
relation de similitude se construit :
« dans « un ton très Gaulle », la présence du référent initial est beaucoup plus forte.
Dans « un ton très Gaullien », l’adjectif n’indique qu’une relation à de Gaulle, une
ressemblance. Le nom propre, lui-même, au contraire, qualifie par l’évocation directe
du référent. Dans « un ton très de Gaulle », il ne s’agit pas d’un ton qui évoque de
Gaulle mais du ton qui a toutes les propriétés de celui de de Gaulle. Il y a donc là une
sorte d’identification : un ton de Gaulle est un ton identifié à celui de de Gaulle ».

En transposant son analyse aux exemples du domaine chromatique, l’utilisation


de Van Dyck dans brun Van Dyck induirait l’idée d’une présence plus soutenue du
référent initial dans l’énoncé.
Syntaxiquement les deux études sont différentes  : elle étudie des séquences
[article + N + anthroponyme suffixé/non suffixé] qui forment des syntagmes no-
minaux. Notre étude concerne des adjectifs morphologiquement construits par
composition. Cependant, la relation entre les deux composants est identique se
définissant en termes de qualification : le référent couleur est caractérisé par le

361
second terme. Van Dyck ou Tiepolo donne au référent du nom chromatique une
spécificité, tout comme de Gaulle détermine le référent ton. Cette hypothèse se
confirme quand on enlève l’adverbe très au regard de l’influence sur l’article :

44c) *Un ton de Gaulle vs 44c’) Le ton de Gaulle


44d)  Un ton gaullien

L’article indéfini n’est possible que lorsque l’adjectif est suffixé. L’obligation
d’utiliser un article défini dans Le ton de gaulle montre la spécificité du référent :
ce ton est unique. Inversement, pouvoir utiliser l’article indéfini présuppose une
pluralité qui montre que l’extension plus large du nom même qualifié. Plusieurs
tons différents peuvent être qualifiés de gaullien, parce qu’ils ont une propriété ou
une caractéristique ressemblant à celles du ton lorsque de Gaulle parlait. Ceci jus-
tifie que la relation entre le nom recteur et l’individu n’est qu’une ressemblance,
n’importe quel ton pouvant ainsi être qualifié.
Selon cette analyse le brun Van dyck se différencierait du brun van dyckien
dans la mesure où un brun qualifié de van dyckien a pour référent une gamme de
bruns dans laquelle on a sélectionné un brun qui se rapproche des bruns utilisés
par Van Dyck parmi d’autres qui pourraient également être définis comme brun :
l’adjectif désigne alors la propriété « être proche des tons utilisés par Van Dyck
dans ces toiles ». Exactement comme un ton gaullien, ce n’est qu’une relation de
ressemblance. En revanche le brun Van Dyck n’a qu’une réalisation réelle, c’est
exactement celui utilisé par Van Dyck. Cette proximité et présence du référent se
reflètent parfois par l’ajout d’un trait d’union comme dans bleu-Nattier.
Par contre, il est possible de parler d’un brun Van Dyck (et d’un rose mexicain)
contrairement à *un ton de Gaulle. De même que Bleu-Nattier, brun Van Dyck
désigne un type de nuances, c’est une unité lexicale qui permet différentes déter-
minations (défini ou indéfini).

4.5.2.3. Rose mexicain vs °Brun vandyckien


Face à cette improbabilité de trouver des anthroponymes sous forme adjectivale, il
est étonnamment possible de trouver des toponymes suffixés : rose mexicain, rose
tyrien, rouge indien, rouge brugeois, etc. Comme nous l’avons vu la relation à la
localisation est de l’ordre de la comparaison : c’est un rose comme celui utilisé
au Mexique sur les tissus, c’est un rouge comme celui des édifices des bâtiments
de Bruges, etc. Au regard du corpus, la base nominale désigne souvent un nom
de pays (Inde, Turquie, Mexique), sauf rose tyrien et rouge brugeois, exceptions
puisque généralement les noms de ville sont précédés de la préposition de (bleu de

362
Deft, rouge de Venise, jaune de Naples…). Une différence sémantique est cepen-
dant à noter : il semble que dans le cas où le TdeC apparaît avec un adjectif, il ne
puisse en aucun cas désigner un colorant. Or le [TdeC + de +N] désignent le plus
souvent un colorant.
La raison d’un emploi sous forme d’adjectif et non sous forme intègre en com-
position (°rouge Bruges, °Rose Mexique, °Rouge Tyr) n’est pas claire. Peut-on
postuler que la présence du renvoi à la localisation dans bleu antillais est plus
atténuée que dans bleu Bahamas ? Intuitivement, il est perceptible qu’elle est plus
restreinte et moins évocatrice : Bahamas renvoie à la couleur de la mer, mais aussi
indirectement au soleil, aux vacances. Nous avons déjà évoqué dans la partie pré-
cédente les propriétés qui se greffent à celles de couleur pour donner un sentiment
en plus de la référence chromatique, et ceci seulement en composition ou conver-
sion (cf. § 3. 3. 3. de ce chapitre). L’assemblage syntaxique construit comme l’ont
remarqué Dubois & Grinevald des unités du domaine spécialisé de la peinture.
D’ou l’importance donnée aux informations «  scientifiques  » comme l’origine
locative du colorant ou sa composition. Lors de l’emploi d’un adjectif, comme
nous l’avons dit, l’information porte sur l’origine mais davantage au niveau du
lieu de son utilisation (objet typique de cette teinte) que de sa conception. Au
contraire de la composition, lors de l’emploi d’un adjectif, on note l’absence
d’informations évocatrices, ce qui est commun à tous les produits d’une AS.
Cette hypothèse bien que tentante n’explique pas le choix d’un emploi soit
sous forme adjectivale soit sous forme intègre de l’anthroponyme et du toponyme.
Cette distinction est-elle due au type de référents alors qu’ils avaient un compor-
tement décrit de façon similaire jusque-là ?

Les deux adjectifs désignent une qualité en relation avec la base nominale. Dans
les deux cas la relation est de l’ordre de l’origine mais elle est beaucoup plus
variée dans le cas des anthroponymes : pour un lieu, elle est fondamentalement lo-
cative alors que pour un anthroponyme, la qualité « s’adapterait » selon la relation
supposée entretenue avec le nom recteur. Mais, en quoi, cela serait-il utile puisque
cette relation est déjà possible grâce à la composition ? Cette OC permet d’ailleurs
d’activer tant de types de relations : dans le cas de bleu Colette, ce sont des potiers
de son village natal, qui connaissant la préférence de la romancière pour le bleu,
ont en hommage nommé une couleur de son nom. Pour un peintre, ce serait une
couleur caractéristique de son œuvre. Lorsqu’une marque est énoncée, la relation
est vraiment similaire à celle avec un nom commun : la couleur est caractéristique
d’un des produits de la marque, par exemple le rose des fraises Tagada ou du
fameux chewing-gum Malabar.

363
4.5.3. Cas litigieux : reflet du locuteur
Nous conclurons cette partie traitant du nom propre par quelques cas probléma-
tiques dans la mesure où ils « piétinent » les frontières du système que nous avons
tenté de décrire, mais ceci n’est, selon nous, qu’un reflet logique de l’influence du
locuteur, et sa créativité ne met pas en péril les lignes fondatrices du système tel
que nous les avons présentées. Ceci montre également que la langue est entre les
« mains » de celui qui parle et que parfois certaines règles qui régissent se mêlent
et se confondent plus qu’elles ne s’opposent.
Dans la partie précédente, nous avons décrit les raisons pour lesquelles un an-
throponyme n’apparaissait qu’en composition. Or Mollard-Desfour cite rouge
zefirellien (qualifié de rare) comme une teinte ressemblant à celle fréquemment
utilisée par le cinéaste Zeffirelli dans le décor de ses films-opéras :

45) «  La scène tourbillonne entre Rubens, Carpaccio et Le Titien, se clôt en plein


Véronèse. Ici ou là des rouges zeffireliens » (L’Express, 25.2.87) (Le rouge).

Cet exemple n’est qu’à moitié problématique puisque le journaliste en choisissant


la forme marquée du pluriel pour rouge et donc d’accorder l’adjectif explicite
que selon lui ce sont deux unités lexicales ; zefirellien fonctionnerait comme les
adjectifs catégorisateurs approximants de Molinier. En outre, sans tenir compte
de cette observation subjective (vu le caractère prescriptif de l’accord), cette
séquence montre surtout que dans certains contextes, un adjectif pourrait être uti-
lisé. Selon nous, sa rareté s’explique par le manque de besoin d’une telle tournure
face à la composition qui suffit.

Nous avons répertorié des cas comme bleu Delft qu’on trouve parallèlement à
bleu de Delft, les deux désignant exactement la même propriété. Les deux emplois
équivalents, soit en composition soit en assemblage syntaxiforme, montrent que
les limites parfois entre l’une ou l’autre ne sont pas si nettes. En fait, la couleur
dont il est question est selon Guillemard (1998 : 144) :
« Couleur d’un bleu assez soutenu, tirant légèrement sur le mauve, caractéristique
des motifs variés qui constituent le décor des objets en faïence fabriqués à Delft, en
Hollande » (s. v. DELFT, DMC).

Selon nos hypothèses, un adjectif sur le modèle de rose mexicain serait aussi pos-
sible. Cependant, deux raisons peuvent être évoquées pour justifier la composition :
il est d’une part clair que l’adjectif construit sur Delft est plutôt difficile à retrouver,
ce qui peut être une cause de la non-construction. D’autre part, la composition est

364
tout à fait appropriée et s’explique aisément comme bleu faïence. Mais l’utilisation
d’une structure [TdeC + de + Toponyme] peut aussi s’expliquer par mimétisme :
comme nous l’avons déjà dit, les noms de ville sont essentiellement utilisées dans
cette structure.
Un autre exemple serait des dénominations données comme synonymes : rouge
indien, rouge d’Inde, rouge turc. Nous remarquons que le système n’est pas com-
plet : pour quelles raisons ne trouve-t-on pas *rouge de Turquie ?
Ces quelques exemples sont-ils à considérer comme des exceptions ? Nous
pensons surtout que ce sont des variantes possibles fournies par la langue (mettant
en cause la combinaison du sens instruit de l’OC et des libertés272 du locuteur), qui
ne posent aucun problème dans la mesure où le résultat sémantique de la construc-
tion est toujours prédictible.

Conclusion du chapitre
Au terme de cette analyse, nous pensons avoir réussi à décrire ce qui distingue
les trois opérateurs constructionnels d’unités chromatiques, l’assemblage syntaxi-
forme, la composition et la conversion.
L’assemblage syntaxiforme établit une relation d’origine entre la propriété
chromatique et le N2. Le statut du N2 est déterminant, puisque selon que le nom
est un nom commun ou un nom propre, la relation entretenue entre les différents
constituants de l’unité construite est distincte : si c’est un nom propre (jaune de
Naples), l’origine est locative, si c’est un nom commun (rouge de cadmium), elle
sera compositionnelle. Lorsque le dernier constituant de l’unité construite est un
adjectif (rouge incendiaire, rose mexicain) : le type de nom est discriminatoire.
D’un point de vue morphologique, seule l’ensemble sur la base toponymique est
sans équivoque une et une seule unité. Avec un adjectif construit sur un nom com-
mun, le doute est possible. La visée de l’acte illocutoire inflence le domaine de
construction : si le locuteur est neutre, l’assemblage est du ressort de la construc-
tion de mots, s’il évalue la couleur, la construction s’opère en syntaxe. Le sens
sera par ailleurs différent d’une séquence [de + N], dans la mesure où l’origine est
doublée d’une comparaison : le rose mexicain est un rose semblable à celui qu’on
trouve sur les tissus traditionnels du Mexique.
La composition et la conversion se distinguent de l’assemblage syntaxiforme car
la relation entretenue entre la propriété et le N2 n’est plus de l’ordre de l’origine

272 Ces libertés ayant évidemment des contraintes qui sont respectées puisque l’unité est
prévisible et donc compréhensible.

365
mais de la comparaison. Cependant, les deux OC sélectionnent un type particulier
de propriétés. La différenciation a été concrétisée par son application sur un modèle
scalaire.
Nous avons émis l’hypothèse que chaque entité a des propriétés qui sont plus
ou moins pertinentes pour et dans la langue, et que selon le degré de la typicité,
inhérente ou latente, une OC sera sélectionnée.
Suite à nos observations, la conversion est l’OC la plus contrainte ; au contraire,
la composition est la plus productive, il est facilement possible de construire un
nouveau terme de couleur, comme l’illustrent ces exemples (sans doute) jamais
entendus :°bleu schtroumpf, °vert Joda, °vert Valda. Au regard des deux types
de typicité attribuées aux propriétés, chacune est caractéristique d’une opération
morphologique. Si la propriété est d’une typicité latente alors seule la composition
pourra l’activer comme l’unité TGV qui ne pourrait être utilisée en conversion :

10a)  °Prends le livre avec la couverture orange TGV


10a’)  *Prends le livre avec la couverture TGV

Au contraire, si la propriété est d’une typicité inhérente, alors pourra être utilisée
la conversion, mais cependant sans exclure la composition :

46a)  Une robe moutarde


46b)  Une robe jaune moutarde

Cette dichotomie confirme que les restrictions pesant sur la conversion sont plus
fortes puisqu’aucun support sémantique n’est nécessaire : c’est comme si la pro-
priété se suffisait à elle-même pour désigner de la couleur juste avec la mention
du nom du référent la possédant. Ce sera le cas notamment lorsque c’est la seule
propriété pertinente compte tenu du référent : propriété unique (garance, rubis) ou
propriété de partie fonctionnelle (kiwi, saumon).
Lorsque la qualité n’est pas la plus haute sur le gradient, un support séman-
tique est nécessaire. Nous avons repéré deux cas de figure : (i) soit la composition
aide la conversion dans la mesure où elle lève toute ambiguïté. Elle permet alors
de spécifier qu’il est question de couleur (ficelle) ou de la couleur dont il s’agit
(hortensia). La conversion pourrait également être possible parce que les proprié-
tés se situent sur un même niveau que les autres en concurrence, qu’elles soient
chromatiques ou non (principalement formelles) ; (ii) soit la composition sauve la
couleur : la propriété est si basse sur le gradient que sans support sémantique, elle
ne pourrait être activée (bleu drapeau, rouge opéra).

366
Nous avons terminé en montrant qu’une assimilation entre nom propre et nom
commun est envisageable, puisqu’aux noms propres, grâce à la notion de contenu,
des propriétés peuvent également être associées. Ces propriétés par ailleurs étant
toutefois si diversifiée qu’un support sémantique est indispensable à la lecture
chromatique.

367
Conclusion Générale

Cette thèse avait pour objet de décrire le lexique chromatique en français et plus
précisément les différents systèmes auxquels les termes de couleur appartiennent :
celui organisant soit les noms de même catégorie sémantique, soit les termes de
couleur entre eux (au niveau nominal et verbal), soit les opérations construction-
nelles. L’adjectif273 qui est la base organisatrice de l’analyse peut être d’un point
de vue morphologique non-construit (jaune, rouge, vert, etc.) ou construit (rouge
de Naples, rose mexicain, rouge Tiepolo). L’étude s’est alors divisée en deux selon
cette dichotomie : dans la première partie ont été traitées les unités non issues
d’une opération constructionnelle de mots ainsi que leurs dérivés nominaux et ver-
baux ; dans la seconde a été analysé le lexique construit. Un des constituants des
unités construites peut être une des occurrences décrites dans la première partie,
d’où cet ordre de présentation de l’analyse.

Dans la première partie, constituée de trois chapitres, nous avons décrit les diffé-
rents systèmes intégrant un terme en relation avec un adjectif non-construit utilisé
pour désigner de la couleur. Il y était question du lexique nominal dans les deux
premiers chapitres et du lexique verbal dans le dernier. Le terme couleur doit être
entendu au sens large puisqu’en plus des mots de couleur (jaune, rouge, vert, etc.)
étudiés dans le premier chapitre, nous avons proposé, dans le second chapitre, une
description des mots spécifiant les types de réalisations couleurs, comme couleur,
coloris, nuance, teinte ou ton qui a été suivie dans le dernier chapitre d’une ana-
lyse des verbes dérivés de ces noms (colorer, colorier, nuancer, teinter, teindre et
les verbes désadjectivaux blanchir, bleuir, jaunir, noircir, rougir, verdir).

D’abord, nous avons mis en évidence le statut très particulier (au niveau syntac-
tico-sémantique) des noms de couleur (jaune, rouge, vert, etc.) qui n’intègrent
que partiellement des catégories de mots déjà existantes : ce ne sont ni des noms
de qualité comme cela est à tort communément supposé, ni des noms de matière
(catégorie à laquelle ils pourraient être partiellement rapprochés). Leur ambiva-
lence linguistique trouve son origine dans les référents eux-mêmes qui se réalisent

273 Mais nous aurions pu choisir le nom puisque les deux sont formellement et phonéti-
quement similaires. Mais comme l’adjectif est la base morphologique du nom, il est
logique de s’y référer.

369
dans le monde également d’une façon singulière. En effet, la couleur est perçue
sur deux dimensions : ce n’est alors pas assez pour être de la matière mais déjà
trop pour n’être qu’une qualité. L’analyse274 de l’adverbe très suivi d’un adjectif
de couleur a justement illustré cette position intermédiaire en mettant en relief la
possibilité d’une interprétation soit qualitative (Quel rouge dans ce tableau ! Quel
vert, ces yeux !), soit quantitative (Que de rouge dans cette collection !) selon
d’un côté, ce qui est coloré (référents homogène ou hétérogène) et de l’autre, la
coloration elle-même (naturelle ou non et évolutive ou non). Une troisième inter-
prétation s’y ajoute, si ni l’une ni l’autre de ces lectures ne se prête à l’énoncé :
nous l’avons appelé la médiation à valeur axiologique qui permet d’expliquer
des séquences comme : Elle est très rouge cette jupe ! Ce traitement nous a per-
mis, à l’encontre des hypothèses de Noailly (2005) et de Whittaker (1994, 2002)
de démarginaliser le phénomène de graduation dans le domaine chromatique en
montrant que très désigne toujours de l’intensité, qui s’exprimera en quantité ou
en qualité selon la conceptualisation de la couleur par rapport au référent-porteur.
Nous avons pu conclure au vu de ces particularités que les noms de couleur ne
peuvent être intégrés à aucune catégorie sémantique de mots déjà existantes : ils
forment une catégorie à part.

Dans un deuxième temps, en partant de la relation d’hypéronymie entre couleur et


les TdeC du chapitre précédent, nous avons voulu examiner comment s’organise
le reste du lexique chromatique nominal. Nous nous sommes penchée sur les oc-
currences couleur, coloris, nuance, teinte, ton. En a résulté que (la) couleur est le
terme superordonné aux deux noms de classe (les)couleurs et nuances : il est plus
général (cf. emploi possible du partitif) et désigne l’ensemble des couleurs et des
nuances. En ceci, il s’oppose à blanc et noir ; son intension est la plus étendue.
De fait, il peut généralement remplacer les autres occurrences. Nous avons ensuite
cherché à intégrer dans ce modèle les trois autres occurrences coloris, ton, teinte.
Elles ne pourront être placées sur l’axe vertical défini ci-dessus (couleur – cou-
leurs – nuance) parce que ce ne sont pas des « sortes » de couleurs. Elles se situent
sur un plan horizontal : ton au côté de nuance parce que les deux unités extraient
des segments de couleur, et coloris et teinte au côté de couleurs parce qu’ils dé-
signent des façons de colorer.
Ton et nuance servent en effet à découper dans le spectre de la couleur. Ils
extraient tous deux des « spécimens » de couleurs, mais de manière différente :

274 Ou plutôt ré-analyse puisque le thème a déjà été plusieurs fois traité, cf. Noailly
(2005), Whittaker (1994, 2002) et Kleiber (2007a, 2007b).

370
nuance dégage un et seulement un segment chromatique au sein d’une suite de
couleurs sur le spectre alors que ton prend sporadiquement plusieurs segments (ou
nuances) qui sont regroupés parce qu’ils partagent une propriété similaire (celle
d’être clairs, d’être pastel, etc.), d’où un emploi pluriel privilégié contrairement à
nuance qui préfère le singulier (une nuance pêche/des tons roses).
De leur côté, coloris et teinte ne découpent pas dans le spectre de la couleur
mais explicitent les origines de la couleur et précisent le type d’objet qui la porte.
Coloris ne s’appliquera à une couleur que si elle est celle d’un produit manu-
facturé ; ceci s’explique sans doute étymologiquement : de l’italien colorire qui
signifie colorier et implique une idée de procès et corrélativement la présence
d’un agent. Teinte, moins général que couleur, ne s’oppose ni au noir ni au blanc
ce qui engendre l’agrammaticalité : *Je l’ai en teinte. Selon les définitions lexico-
graphiques, l’accent est mis sur la légèreté de la couleur et le caractère potentielle-
ment réversible de la couleur même si elle est naturelle (teinte des cheveux/*teinte
des yeux).
Nous avons terminé la première partie par une description du lexique verbal
(colorer, colorier, nuancer, teindre, teinter et les verbes désadjectivaux comme
blanchir, bleuir, jaunir, noircir, rougir, verdir) en parallèle à celle du lexique no-
minal. L’objet était de vérifier si le système du domaine nominal reflète celui du
lexique verbal. Notre analyse a d’une part confirmé cette hypothèse et d’autre part
mis en relief l’aspect de complémentarité et de complétude de tous les verbes qui
finalement permettent de dénommer tous les procès envisageables, de la même fa-
çon que les noms permettent de dénommer tous types de réalisation chromatique.
Notre analyse se plaçait dans le cadre théorique de la théorie sémantico-syn-
taxique de l’Universal Alignement Hypothesis de Levin & Rappaport (1994).
Selon ces deux linguistes, la syntaxe d’un verbe reflète son sens  : si plusieurs
verbes intègrent des structures argumentales qui permettent les mêmes transforma-
tions syntaxiques (elles proposent différents tests transformationnels), il est pré-
visible qu’ils partagent aussi des traits sémantiques. Le test révélateur dans le cas
des verbes chromatiques est une transformation qu’elles appellent la tournure cau-
sative : l’objet de la tournure transitive devient le sujet syntaxique de la séquence
construite avec le même verbe mais dans un emploi intransitif ; ce passage de tran-
sitivité à intransitivité se réalise sans changement de voix. En français, le pronom
se peut, dans certains cas, s’insérer dans la structure intransitive. Dans le domaine
lexical chromatique, il est observable que le sujet de la tournure transitive, qui
porte le rôle thématique de cause, peut effectivement être omis. L’objet désignant
le lieu de la coloration devient alors sujet de la forme intransitive. Trois groupes se
forment alors : d’un côté, tous les verbes désadjectivaux (blanchir, rougir, etc…)

371
pour lesquels la transformation n’implique aucun changement ; ensuite colorer et
teinter qui tous deux apparaissent accompagnés de se ; enfin colorier et teindre
pour lesquels aucune transformation n’est envisageable. Comme Levin & Rap-
paport le supposent, les verbes présentant les mêmes disponibilités syntaxiques
partagent de fait des traits sémantiques.
Colorier et teindre se distinguent des autres par l’importance de l’instrument
qui colore, la présence d’un support particulier et l’action d’un agent humain dans
les procès qu’ils énoncent. L’agent est parfois omis avec teindre lorsque le sujet
est l’instrument : la cochenille teint bien/mal. Il est alors question de la finali-
té fonctionnelle de l’instrument. La présence de l’agent humain reste toutefois
sous-entendue dans la mesure où la teinture est une activité pour laquelle ce der-
nier est indispensable.
Nous avons ensuite attiré l’attention sur la promiscuité phonétique, graphique
et sémantique des deux verbes teindre et teinter qui s’explique par une étymologie
commune : ils sont issus du latin tingere. Les deux formes sont en plus très souvent
interchangeables. Cependant, seul teindre désigne le procès de coloration à l’aide
de teinture. Le type de support est d’ailleurs plus restreint : ne sont teignables que
les cheveux ou des tissus. Avec teinter, l’accent est mis sur la réduction de la durée
du procès et sur le caractère léger de la coloration. De plus, pour ce verbe, aucun
agent humain n’est nécessaire, ce qui va le rapprocher des verbes désadjectivaux.
Les verbes désadjectivaux face à la productivité potentielle élevée dans le
domaine lexical chromatique comme nous le montrons dans la seconde partie de
cette étude sont paradoxalement en nombre défini et bas : blanchir, bleuir, jaunir,
noircir, rougir et verdir ; en plus, aucune opportunité de nouvelles occurrences
n’est envisageable (*canarier, *marroner ou *moutarder pour « mettre de la cou-
leur respectivement canari, marron  ou moutarde »). Suite à l’observation des
définitions lexicographiques, nous avons remarqué que blanchir et noircir se dis-
tinguent des autres : d’abord le verbe colorer n’apparaît pas dans leur définition
lexicographique et deuxièmement ce sont les seuls verbes qui peuvent avoir un
sujet [+animé] avec un rôle thématique d’agent. Pour les autres verbes, le sujet,
s’il est animé, sera patient : Julien noircit les cases vs *Julien rougit les cases mais
Julien rougit.
Les verbes désadjectivaux ont la particularité d’intégrer les trois structures
de l’alternance définie ci-dessus (transitive, intransitive et intransitive avec le
marqueur pronominal) selon le rôle thématique des arguments. Si la cause est
énoncée, le verbe est transitif, parce que la cause est nécessairement en position
sujet (Le froid bleuit les doigts de Thomas). Le complément est alors la localisa-
tion de la coloration. Si seule la localisation est mentionnée, le verbe est intransitif

372
(Le feu rougit). La différence s’explique selon Levin & Rappaport par le caractère
interne ou externe de la cause : si elle est interne au référent qui se colore, elle ne
peut être matérialisée en mots et donc le verbe est intransitif (Le feu rougit). Au
contraire, si elle est externe, il faut la mentionner pour expliciter l’origine de la
coloration. Cependant, tous les référents qui se colorent ont nécessairement une
cause interne qui est stimulée par une cause externe. C’est pourquoi selon nous, la
différence en langue entre l’emploi de l’une ou l’autre structure résulte avant tout
de la difficulté pragmatique de nommer cette cause stimulante.
Nous avons, par ailleurs, observé que ces verbes étaient fortement contraints.
Pour que le sujet dans une structure transitive soit [+ animé], il faut soit que le pro-
cès désigne par extension sémantique de l’intension une activité (Nous verdirons
les écoles), soit qu’il s’agisse d’un « procès naturel forcé ». Si le procès est naturel,
il ne peut définitoirement y être impliqué un instigateur humain. Or si le contexte
explicite que le procès naturel est forcé, la séquence sera acceptable : *Julien se
jaunit les dents en fumant vs Julien se jaunit les dents pour se déguiser. Le procès
doit être potentiellement naturel comme le montre l’agrammaticalité de l’exemple
suivant : *Malina se rougit les ongles pour se déguiser. La singularité des termes
simples énoncée plus tôt s’est trouvée complétée par les particularités également
remarquables des verbes désadjectivaux (blanchir, bleuir, jaunir, noircir, rougir,
verdir).

Au terme de ces descriptions individuelles de tous les verbes chromatiques, nous


avons souhaité décrire comment ils s’organisent et surtout si cet ordre reflète celui
du lexique nominal. En reprenant une définition de l’hypéronymie de Kleiber &
Tamba (1990), nous avons conclu que colorer comme couleur est un hypéronyme
de nuancer et des verbes désadjectivaux. Les autres verbes (teindre, teinter, colo-
rier) se classent de manière horizontale, chacun nommant une manière de colorer
en y ajoutant des informations la spécifiant, soit en terme de durée, d’intensité,
d’instrument ou d’agent.

Nous avons achevé ce chapitre par une description des verbes dits négatifs pré-
fixés par dé-. Dans l’optique de décrire les systèmes et l’organisation des termes
les uns par rapport aux autres, l’objet était d’illustrer que le sens de ces verbes
(décolorer, déteindre) ainsi que l’impossibilité de les construire (*décolorier,
*déteinter et *dénuancer) s’expliquent grâce à la définition des verbes positifs
telle que nous l’avions donnée précédemment. Grâce aux définitions lexico-
graphiques, nous avons pu déterminer les différences entre les verbes existants
décolorer et déteindre : comme pour le verbe positif colorer qui signifie une

373
modification de la couleur, sans donner d’informations ni sur l’instrument, ni
sur la cause, ni sur le résultat, avec décolorer, l’aspect processif prédomine. Il
importe plus que le résultat. Pour déteindre comme pour teindre, le résultat est
essentiel (*il teint). Déteindre signifie un transfert de la couleur d’un endroit
à un autre. C’est le dépôt de la couleur sur un autre support, c’est-à-dire la
conséquence, donc le résultat du procès, qui est pris en compte. Les sens figurés
mettent en relief ces deux sens : décolorer signifie « perdre son éclat » tandis que
déteindre  désigne le fait d’influencer quelqu’un avec ses idées, « sa couleur ».
A priori teindre ne semble pas le contraire de déteindre : on ne déteint pas
quelque chose qu’on a teint. Pourtant des traits sémantiques du verbe positif se
retrouvent dans le procès négatif, comme la présence d’une couleur extrinsèque.
Pour qu’un transfert de couleur accompagné d’une re-déposition sur un autre sup-
port se réalise, il faut que la couleur soit extrinsèque (ou qu’elle puisse le devenir
en tous cas) pour pouvoir se séparer du support. Dès que la couleur est intrinsèque
(ou considérée comme telle), le verbe décolorer sera sélectionné. C’est la raison
pour laquelle les cheveux sont décolorés et non déteints. La couleur des cheveux,
même si elle est factice, est considérée comme naturelle.
L’application des analyses du suffixe dé- (Boons, 1984 et Gary Prieur, 1976),
a justifié l’impossibille existence des verbes *déteinter, *dénuancer, *décolo-
rier parce que les verbes positifs comportent des informations médianes. Or
l’instruction sémantique du suffixe dé- ne peut s’appliquer que sur un V sans
polarité médiane, c’est-à-dire un verbe qui ne donne aucune information ni sur
l’instrument, ni sur la gestuelle etc. ; un état initial ou un état final au procès
est nécessaire et suffisant ainsi qu’un point de départ pour un potentiel procès
réversible. Comme nous l’avons montré, les verbes positifs teinter, nuancer et
colorier se distinguent de colorer parce qu’ils explicitent le procès. Colorier
précise l’emploi d’un instrument spécifique, teinter et nuancer donnent des
indications sur la couleur résultante ainsi que sur le mode de réalisation du
procès. Un dé-V est de fait exclu.
De leur côté, les verbes désadjectivaux maintiennent leur statut singulier : les
corrélats négatifs sont très contraints et rarement répertoriés dans les lexiques. En
outre, trois d’entre eux désignent des procès non-chromatiques (déverdir, déblan-
chir, débleuir), ce qui explique la compatibilité avec des sujets [+ animé], exac-
tement comme dans le cas des verbes positifs (bleuir la zone marquée ou verdir
les écoles). Les trois autres (déjaunir, dérougir, dénoircir) désignent des procès de
changement de couleur, mais restent très particuliers. Référentiellement comme
on l’a vu, peu de choses peuvent rougir (comme l’illustre les fortes contraintes
pesant sur le sujet), donc corrélativement peu de choses peuven dérougir.

374
Ainsi, la première partie insistait sur la particularité des termes chromatiques
non-construits qui n’intègrent pas un groupe de même catégorie sémantique
comme celui des propriétés, mais qui s’organisent dans leur propre système, au
sein d’une catégorie grammaticale et entre eux.

La seconde partie était consacrée aux unités chromatiques construites. Dans un


premier temps, nous avons énoncé les différents problèmes que posait une telle
description. D’abord, il existe un nombre infini de couleurs et par conséquent un
nombre infini de noms ou adjectifs potentiels de couleur, d’unités attestables en
somme. En plus, la production lexicale dans ce domaine est très élevée : il est si
facile de créer un mot de couleur que la dénomination est même devenue un ins-
trument marketing. Ainsi avons-nous justifié d’une part, que le corpus ne soit pas
exhaustif et d’autre part, notre choix d’exclure certaines formes comme Midnight
Blue ou rouge très chic.
Nous ne nous sommes pas non plus fiée les yeux fermés aux ouvrages dic-
tionnairiques qui sont normalement pourtant des ouvrages de référence. Dans
le domaine chromatique, la confusion règne comme l’illustre un article de
Mollard-Desfour (1990) dans lequel elle explique que le choix des attestations
diffère selon les différents ouvrages, que le traitement d’unités structurellement
identiques ne coïncide pas même au sein d’un même ouvrage, que la définition
d’une couleur (cf. son renvoi référentiel) est variable selon les répertoires et que
l’organisation terminologique et la place de l’unité au sein d’une entrée ou d’une
sous-entrée ne présente aucune cohésion.
Nous avons, par conséquent, utilisé des documents authentiques de référence
(Frantext, Le Monde) mais aussi le moteur de recherche Google qui permet de
confirmer ou d’infirmer rapidement une hypothèse, et parfois notre propre intui-
tion lorsque nous avions besoin d’un exemple précis et qu’il n’était attesté nulle
part malgré sa correction structurelle. Il s’avère d’ailleurs que lorsque nous avons
commencé ce travail, nous avons construit des exemples pour nos besoins et qu’au
cours des recherches, nous les avons trouvés énoncés par d’autres (mirabelle,
orange Casimir), ce qui d’un côté justifie notre démarche « créative » et de l’autre
reflète l’existence du système que nous avions pour objet de décrire.

Après ces précisions méthodologiques, nous avons procédé dans le second


chapitre à la description des trois opérations constructionnelles permettant de
construire un adjectif (puis un substantif par conversion) désignant une propriété
chromatique. Suite à l’observation du corpus, nous avons déterminé que d’un
point de vue formel, deux des trois opérations constructionnelles (la composition

375
et l’assemblage syntaxiforme) forment des unités pluriconstituées de forme
[TdeC + N2], [TdeC + de + N2] ou [TdeC + Adj.]. Les unités résultant de la troi-
sième OC, la conversion, sont des séquences monolexicales (sans TdeC comme
N1), formellement similaires (graphique et phonique) à un substantif.
La problématique que nous souhaitions traiter dans cette partie concernait les
relations entre la propriété chromatique désignée par l’unité construite et celle du
référent du nom qui entre dans la construction.

Nous avons commencé par observer les différents constituants. Le N1 peut être
de deux types :

(i) c’est un terme de couleur comme ceux étudiés dans la première partie : blanc,
bleu, jaune, gris, noir, vert, rouge. Nous avons ajouté à ce groupe des unités
qui y ressemblent (et qui sont souvent considérées comme assimilables) mais
qui diffèrent au niveau de la complexité structurelle de la forme. Elles ne
sont pas simples mais construites par conversion : orange, rose, violet, brun,
marron. Nous les avons toutefois traitées conjointement puisqu’elles peuvent
toutes, de manière identique, servir de N1275 ;
(ii) c’est le terme générique couleur. Couleur N2 est la structure la plus facile
pour désigner de la couleur. Il n’y a en effet aucune restriction ni sur le réfé-
rent de N2, ni sur la propriété chromatique sélectionnée puisqu’à l’énoncia-
tion de couleur, l’interprétation ne peut être entachée d’aucune ambiguïté.
Par ailleurs, plusieurs variantes sont disponibles : cheveux couleur de blé
mûr, couleur blé mûr, voire l’omission complète cheveux blé mûr. Chaque
séquence ressemble au résultat d’une des autres OC disponibles, mais seul
le dernier exemple relève vraiment d’une conversion, dont il suivra régu-
lièrement les règles. Par contre, la séquence couleur blé mûr ne s’apparente
qu’en surface à rouge opéra, puisque sémantiquement la relation entre les
deux constituants divergent. Avec couleur, la relation d’origine normalement
investie par la préposition de est toujours établie, ce n’est pas une comparaison
au même titre que rouge opéra (comme nous le définissons ultérieurement).
En comparaison des séquences [TdeC + de + N2], même si la préposition
signifie l’origine, celle-ci n’est pas compositionnelle comme dans la séquence
rouge de fer. Ce n’est pas non plus une comparaison comme vert d’eau. Cette

275 Nous l’avons également appelé TdeC à la suite de Dubois & Grinevald, pour ne pas
qu’il y ait de confusion sur la catégorie grammaticale de cette unité : elle peut être
catégorisée soit comme nom soit comme adjectif.

376
analyse montre que les séquences introduites par couleur ne sont semblables
sémantiquement à aucune autre, c’est pourquoi nous postulons qu’elles ne
forment pas des unités lexicales (même si elles y ressemblent)  : elles sont
construites en syntaxe et désignent de la couleur sans en dénommer une.

En ce qui concerne le N2, comme les exemples l’ont illustré tout au long de la
démonstration, il peut référer à tout type d’entités  : des animaux, des végétaux
(fruits, légumes, fleurs, arbres), des métaux, des pierres (semi-) précieuses, des
artefacts ou au contraire des objets plus abstraits, comme des symboles. Les indi-
vidus (ou marques) et lieux ne sont pas non plus exclus.

La description des OC a débuté avec l’AS parce que elle se distingue des deux
autres d’abord par le matériel utilisé qui peut appartenir à la syntaxe puis par
l’instruction sémantique instruite qui est principalement de l’ordre de l’origine
et non de la comparaison. Le plus souvent la séquence résultant est le nom d’un
colorant (la relation de conversion N/Adj. semble alors inversée : elle se fait
à partir du nom du colorant à l’adjectif chromatique). Noms propres (que des
toponymes) et noms communs sont possibles. Lorsqu’un toponyme (jaune de
Naples) est utilisé, l’origine est locative : le colorant/vient de/a été inventé/à
Naples. L’origine sera compositionnelle lors de l’emploi d’un nom commun
(rouge de fer, noir d’ivoire) : le colorant est à base de fer ou d’ivoire. Il est in-
téressant de noter que cette structure est la moins productive, ce qui s’explique
justement par le domaine spécifique (peinture professionnelle). Un locuteur
lambda ne crée pas un nom de colorant. Selon Dubois & Grinevald (2003), la
complexité du matériel utilisé reflète justement la complexité du domaine de
pratique de la dénomination.
En marge de ces noms de colorant figurent dans le corpus quelques unités qui
bien que partageant la même forme [TdeC + de + N2] s’en distinguent. Elles
intègrent un nom commun comme N2 qui ne peut pas être le composant d’un co-
lorant : azur dans bleu d’azur ou eau dans vert d’eau. Souvent ces séquences sont
synonymes d’unités sans la préposition ou même issues de conversion : vert eau,
azur. Au regard des deux types d’instruction sémantiques possibles (comparaison
d’un côté et origine de l’autre) et de la synonymie des différentes séquences, un
choix a dû être fait par la langue pour signifier une des deux relations. Il s’avère
qu’une comparaison est établie, la préposition de étant un reste d’emplois désuets,
comme dans des yeux de chat où de signifiait « comme ».
Des combinaisons [TdeC + Adj.] sont aussi à classer comme résultat d’un
assemblage syntaxiforme.

377
L’adjectif peut être formé sur une base toponymique : rose mexicain. Selon les
définitions consultées, une comparaison se fait avec un objet du lieu mentionné.
Selon Dubois & Grinevald, la notion d’origine est moins encyclopédique, plus
facile à recalculer qu’avec un [TdeC + de + Toponyme].
L’adjectif peut aussi être formé sur un nom commun. Malgré la similitude de
surface (rouge tyrien/rouge incendiaire), tous les exemples ne sont pas issus d’un
assemblage syntaxiforme. La dichotomie nom propre/nom commun se révèle un
critère pertinent permettant de distinguer deux traitements distincts : l’un du ressort
de la syntaxe, l’autre dans le domaine de la construction de mots. Alors qu’il est cer-
tain (cf. notamment les tests de dislocation) que lorsque l’adjectif est construit sur
un nom propre (rose mexicain), la combinaison [TdeC + Adj.] est une et une seule
unité lexicale construite par une opération de construction de mots, c’est beaucoup
plus difficile à estimer lorsque la base est un nom commun (rouge incendiaire, vert
marécageux). La synonymie de certaines séquences avec des unités issues de com-
position (rouge incendiaire/rouge incendie, vert empire/vert impérial) indique qu’il
est envisageable de les considérer comme des unités lexicales. Cependant d’abord,
la dislocation n’est pas impossible (Incendiaire, le rouge de sa robe !), et ensuite,
la comparaison régulièrement instruite par l’OC n’est pas établie comme dans bleu
incendiaire, vert pisseux où les couleurs signifiées par N1 ne sont pas celles du
référent de la base de l’adjectif. Dans ce cas-là, l’adjectif sert à évaluer la couleur
(de même que clair, foncé, mat le feraient) et ce procédé se réalise en syntaxe.
Lorsqu’une unité issue d’une composition est parallèle à une suite [TdeC + Adj.],
les deux traitements sont possibles selon la visée de l’acte illocutoire. Si le locu-
teur insiste sur l’évaluation, il se sert de la syntaxe ; s’il compare de façon neutre,
il a recours à la morphologie. Il est toutefois visible que la frontière entre les deux
domaines est fragile, d’où parfois a difficulté de certifier le domaine de traitement.

La deuxième OC est la composition. Elle associe d’un point de vue formel et


sémantique deux unités lexicales (rouge et opéra) pour en créer une troisième
inédite (rouge opéra). C’est la seule OC qui peut sélectionner comme N2 un
référent appartenant à chacune des classes citées ci-dessus. Elle est de fait la moins
contrainte : référentiellement, elle construit avec des noms de référents concrets
ou abstraits et linguistiquement, elle accepte aussi bien les noms propres que les
noms communs. Elle établit une relation comparative entre la propriété du référent
du N2 (brique) et celle du référent du nom recteur (robe), dans la séquence par
exemple Cette robe rouge brique.
La troisième et dernière OC, la conversion établit la même relation que la com-
position mais est beaucoup plus contrainte puisqu’elle ne peut sélectionner ni nom

378
abstrait ni nom propre. En outre, il résulte de cette OC une unité monolexicale :
aucun TdeC en N1 n’est nécessaire, comme abricot, myrtille.

L’objet du troisième chapitre était de déterminer ce qui distingue les deux OC,
puisqu’elles établissent toutes deux une comparaison. Nous avons alors proposé
qu’à chaque entité soit associé un ensemble de propriétés inhérentes (spontané-
ment associées) et latentes (potentiellement associées). Elles s’organisent sur une
échelle, que nous avons dénommé gradient de propriétés. L’observation de nos
exemples montre que la langue a recours à un support sémantique matérialisé par
un TdeC en N1 lorsque la couleur est une propriété latente du référent : rouge
opéra, rose layette, marron kiwi. Pour permettre un calcul pragmatique en termes
de couleur, ce contexte est le seul outil « sauvant » l’interprétation chromatique.
Corrélativement, la non-nécessité de ce contexte montre que la propriété n’est
pas latente mais inhérente, puisque la seule mention du nom du référent l’active.
Schématiquement, sur le gradient, elle se situe au-dessus des autres propriétés
également attribuées à cette entité.
Comme la conversion est apte à désigner des propriétés chromatiques mais aus-
si des propriétés formelles ou comportementales, la présence de deux propriétés
au même niveau sur le gradient se traduit linguistiquement par une ambiguïté, ce
qui arrive surtout entre des propriétés de forme et des propriétés de couleur : un
pantalon carotte, un visage endive.
L’avantage de la notion de gradient et de l’idée d’une organisation de pro-
priétés de typicité inhérente ou latente telle que nous l’avons défini (en refusant
d’utiliser la notion de stéréotypie), permet d’expliquer comment une relation
pragmatique entre la propriété chromatique d’un référent auquel elle ne serait pas
« normalement » spontanément associée est toutefois re-calculable. Pour associer
rose à bonbon, il faut que de façon latente, un bonbon puisse être conceptualisé
comme rose. Par contre, il serait difficile de dire qu’un bonbon est stéréotypique-
ment rose. De même, ceci permet d’expliquer pourquoi *brun téléphone n’est pas
une couleur : l’entité téléphone ne possède pas comme propriétés associables ou
potentiellement associables celle d’être marron.

Le dernier point de ce chapitre concernait le nom propre, que la composition et


l’assemblage syntaxiforme sélectionnent au côté de nom commun. Nous nous
sommes demandé si cette similitude d’emploi autorise à les assimiler, ce qui irait
à l’encontre de la dichotomie traditionnelle les isolant.
Gary-Prieur (1994) développe l’hypothèse d’une notion de contenu qui forme-
rait le sens du nom propre. Elle stipule qu’un ensemble de propriétés est associé

379
aux noms propres, parallèlement aux traits sémantiques des noms communs. Les
propriétés peuvent concerner l’œuvre de l’auteur, des choses singulières qui lui
sont propres, etc. La combinaison rouge Tiepolo s’explique alors de la même fa-
çon que rose sparadrap : une comparaison est établie avec un rouge particulier
associé au peintre Tiepolo, comme le rose au référent sparadrap. Cette notion de
contenu s’applique également aux toponymes, comme l’illustre les métaphores
sur ce type de noms. Ainsi bleu Bahamas est interprétable de la même manière
que rouge Tiepolo et rose sparadrap. Il est associé au référent Bahamas, le sable,
la mer, les vacances, les cocotiers. Le support sémantique (indispensable compte
tenu de la variété de propriétés associables au nom propre) précise alors la couleur
dont il est question : au bleu est associée de suite la couleur de la mer.
Il est d’ailleurs remarquable que dans les ouvrages dictionnairiques de
Mollard-Desfour, le nom propre tend à perdre sa majuscule initiale : preuve de sa
démarginalisation et de la tendance à l’assimiler aux noms communs.

Avec ce travail, de nombreux outils ont été réunis pour expliquer les différentes
façons de dénommer la couleur en français soit au moyen de termes existants soit
en construisant des unités. Cependant, cette étude est incomplète puisque nous
nous étions donnée des restrictions comme par exemple la présence dans l’unité
lexicale construite d’une occurrence pouvant être par ailleurs catégorisée comme
substantif. Elle s’avère toutefois une base solide pour de prochaines analyses.
Il serait, entre autres, particulièrement intéressant de mener des études davan-
tage centrées sur les constructions potentielles d’adjectifs chromatiques. Le cas
des adjectifs évaluatifs pourrait, par exemple, approfondir la description de la
graduation associée aux TdeC : argenté, abricoté, aciéreux vs argent, abricot,
acier. Une telle analyse pourrait en plus, d’une part rendre compte des différents
suffixes signifiant une évaluation comme notamment -é, -eux (Colette mentionne
par ailleurs des roses abricotines dans le sens de abricoté) et d’autre part mettre
en relief la différence entre farineux (consistance) et aciéreux (couleur) ou argenté
(couleur) et citronné (goût). Le même suffixe sélectionne des propriétés différentes
(chromatique, consistance et goût) selon les référents. Une explication grâce au
gradient de propriété serait-elle appropriée ? Par ailleurs, il est remarquable que
les suffixes évaluatifs négatifs du type de –asse ou –âtre ne s’appliquent pas aux
unités construites : *abricotasse, *argentâtre. Chercher les raisons d’un tel blo-
cage pourrait apporter de nouvelles données aussi bien dans l’étude du lexique des
termes chromatiques qu’en morphologie constructionnelle.
Parallèlement aux questions liées à l’activation de propriétés différentes par un
même suffixe, se pose la question des divergences de possibilités de production

380
selon les domaines de qualité : pour quelles raisons le domaine lexical des cou-
leurs est-il constructionnellement si productif ? Le fameux « cyprès forme bou-
teille » de Van Gogh (Guillemard, 1998) reste en effet de l’ordre de l’hapax.
Pour revenir et finir sur le monde chromatique, la description que nous venons
de proposer mettait en relief l’existence de systèmes mais aussi de déviances au
système, comme les contre-exemples le signalaient. Cependant selon nous, ils ne
remettent pas en cause tout le système. Ils témoignent surtout du pouvoir ou de la
mainmise du locuteur lorsqu’il construit une unité : il suit certes un système (et ses
règles) qui permet une compréhension générale mais peut s’autoriser quelques dé-
viances (dans les limites prescrites par l’entendement général) qui sont le signe de
la mouvance de la langue. Le domaine de la couleur est pour cela une illustration
parfaite tant il offre et offrira toujours276 aux locuteurs des possibilités de produire
de nouvelles unités. Remarquons d’ailleurs que cette aptitude linguistique n’est
pas disponible de façon égale dans toutes les langues : face aux langues orientales
qui semblent friandes de ces constructions sur base comparative, peu d’exemples
sont disponibles (semble-t-il) en anglais, en allemand ou en polonais par exemple.
Il serait, de fait, intéressant de mener une comparaison horizontale de diverses
langues afin de définir comment elles dénomment de nouvelles couleurs, surtout
s’il n’est pas permis d’être aussi « créatif » qu’en langue française.

276 Compte tenu du grand nombre de couleurs encore non désignées.

381
Bibliographie Générale

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(DMC) = GUILLEMARD, Colette, Le Dico des mots de la couleur, Seuil, Paris,
1988.
(DVLF) = Dictionnaire Vivant de la Langue Française, dictionnaire en ligne,
(http://dvlf.uchicago.edu)
(GRE) = REY, A, dir. Le Grand Robert de la Langue française, CD-ROM PC
version 2.0, Paris, 2005.
(Lar.) =Le Larousse, dictionnaire en ligne, (http://www.larousse.fr/dictionnaires/
francais)
(Le bleu) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2002 Rééd.), Le dictionnaire des
mots et expressions de couleurs du XXème siècle. Le bleu, Paris, CNRS éditions
(Édition originale 1998).
(Le rose) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2002), Le dictionnaire des mots et
expressions de couleurs du XXème siècle. Le rose, Paris, CNRS éditions.
(Le blanc) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2008), Le dictionnaire des mots et
expressions de couleurs du XXème siècle. Le blanc, Paris, CNRS éditions.
(Le rouge) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2009 Rééd.), Le dictionnaire des
mots et expressions de couleurs du XXème siècle. Le rouge, Paris, CNRS
éditions (Édition originale 2000).
(Le noir) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2010 Rééd.), Le dictionnaire des
mots et expressions de couleurs du XXème siècle. Le noir, Paris, CNRS
éditions, (Édition originale 2005).
(Le vert) = MOLLARD-DESFOUR, Annie (2012), Le dictionnaire des mots et
expressions de couleurs du XXème siècle. Le vert, Paris, CNRS éditions.
Matériau pour l’histoire du vocabulaire, 2e série, t. 6, Paris, 1975.
(NPR) = Le nouveau Petit Robert, CD-ROM (1996), Version électronique du
Nouveau Petit Robert, Dictionnaire analogique et alphabétique de la langue
française, Paris, Éditions Le Robert.
(PR) = Le nouveau Petit Robert, Le Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, (1987), Paris, Éditions Le Robert.

393
(TLF) = Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du
XXe siècle (1789–1960), 16 vol., Éditions du Centre National de la recherche
Scientifique, (t. 1–10), Gallimard, (t. 11–16).
(TLFE) = Le Trésor de la langue français, dictionnaire en ligne (http://www.cnrtl.fr/).
(RE) = Le Robert électronique DMW, (1994), Disque optique compact CD-ROM,
Paris, Dictionnaires le Robert.
Trouvez le bon mot, Votre vocabulaire de poche, (2009), Paris, Éditions Le Robert.

394
Annexes
Annexe I – Liste des exemples utilisés
dans le texte

Partie 1 – Le lexique chromatique non-construit


Chapitre I – Le nom de couleur, une catégorie à part
1) Elle a une robe bleue
2) Le bleu de sa robe me plaît beaucoup
3) Il est très rouge parce qu’il a couru longtemps
4) Le ciel était plus bleu hier
5) *Mon pull est plus bleu
6) Il nous faut du rouge
7) Il nous faut du calme/du courage/de la tendresse
8) Il a un calme étonnant/Un courage qui m’étonnera toujours brûlait en lui/
Une maman a une tendresse sans fin pour son enfant
9) Un rouge étonnant éclairait le ciel
10) *Il y a des calmes que je ne supporte pas/*Ma mère ne nous a jamais fait
de(s) tendresses
11) Il m’a fait des tas de gentillesses/Il y avait des saletés partout
12) Il a utilisé quelques rouges
13) Il a utilisé plusieurs rouges
14) Il a utilisé deux rouges
15) Le ciel est magnifique avec tous ces rouges différents
16) *C’est une autre saleté dans cette pièce
17) *Il a une autre bonté depuis qu’il a eu ce grave accident
18) C’est un autre rouge que je veux
19) Il y a beaucoup de tendresse chez cette femme
20) On trouve en lui beaucoup de courage
21) Il y a une telle force dans ces propos
22) *Il y a de la mollesse dans ce matelas
23) Il y a tant de charme dans ce paysage
24) Il y a du rouge dans ce tableau
25) Il est d’un calme étonnant/Elle est d’une tendresse qui me ravit
26) C’est un homme d’une grande prudence/On trouve partout des hommes
d’une gentillesse incroyable

397
27) *C’est d’une grande prudence qu’est cet homme/*C’est d’une gentillesse
incroyable qu’on trouve partout des hommes
28) Il est très calme/Elle a beaucoup de tendresse
29) C’est un homme très prudent/On trouve partout des hommes très gentils
30) La table est d’un bois vert
31) Cette robe est d’un rouge flamboyant/C’est une robe d’un rouge flamboyant
32) Cette moquette est d’un rouge étonnant/C’est une moquette d’un rouge étonnant
33) Cet homme est d’une grande noblesse/Cet homme est très noble
34) C’est une femme d’intelligence médiocre/C’est une femme peu intelligente
35) Cet enfant est d’un calme relatif/Cet enfant est assez calme
36) Une robe d’un rouge étonnant
37) Que de gentillesse ! = Quelle gentillesse ! = Quel haut degré de gentil-
lesse ! =Il est très gentil !
38) J’ai rarement vu autant de gentillesse ! = Je n’ai jamais vu une telle
gentillesse !
39a) Quel rouge ! vs 39b) Que de rouge dans ce tableau !
40a) Il y a beaucoup de rouge dans ce tableau
40b) Il y a une grande quantité de rouge dans ce tableau
41a) Il y a beaucoup de gentillesse dans ses propos
41b) ?Il y a une grande quantité de gentillesse dans ses propos
42) Que de rouge dans ce tableau, ici, et ici et encore là !
43) *Que de rouge sur son visage !
44a) Que de rouge dans la nouvelle collection d’été de la Redoute = 44b)
La nouvelle collection d’été de la Redoute est très rouge
45a) *Que de rouge sur son visage vs 45b) Son visage est très rouge
46) Esteban est très rouge
47) Le ciel est très bleu
48) ?Cet éléphant est très gris
49) ?Ce pull est très orange
50a) Un ciel très bleu/Des eaux très bleues
50b) Il a couru, il est très rouge
50c) L’herbe est plus verte en Irlande qu’en Angleterre
50d) Il a les dents plus jaunes que les miennes
51a) ?Un pull très rouge
51b) ?Des chaussures très marron
51c) ?Les éléphants d’Afrique sont plus gris que ceux d’Asie
51d) ?Cette armoire est plus rose que celle-là
51e) ?Quelle voiture rouge !

398
52a) Quel ciel bleu ! Quelle eau bleue ! (Milner, 1978 : 304)
52b) *Quel papier bleu! *Quel ciel blanc ! (Milner, 1978 : 304)
53a) Pierre est très français
53b) Peter, cet immigré britannique, est très français
54a) Quel ciel très bleu ! 
54b) « + le ciel est bleu, + il fait beau »
55a) ?Un ciel très bleu clair
55b) ?Une prairie très vert émeraude
56a) ?La robe de Marie est très bleue (Whittaker, 2002 : 206)
56b) ?Le livre est très blanc (Whittaker, 2002 : 206)
57a) Elle a des cheveux très blonds/très bruns/très noirs (Kleiber, 2007a : 22)
57b) Elle a des yeux très gris/très verts/très bleus (Kleiber, 2007a : 22)
57c) Elle a une peau très blanche (Kleiber, 2007a : 22)
57d) Elle a des dents très blanches (Kleiber, 2007a : 22)
57e) Il a un sang très rouge (Kleiber, 2007a : 22)
58) Il est en colère
59) Le lait est chaud, le thé encore plus et la soupe encore beaucoup plus,
elle est même bouillante
60a) « Ce site internet est très orange » (www.google.fr)
60b) « Un taboulé de quinoa très vert » (www.google.fr)
60c) « Les lunettes très très bleu ciel » (www.google.fr)

•  Corpus d’illustration très


1. Blanc
a) «  Pichon maltais très blanc avec nœuds rouges  » (http://fr.fotolia.com/
id/16320534, consulté le 29.06.13)
b) « Bonnet ancien fait main bon état très blanc Poupée poupon collection »
(www.ebay.de, consulté le 29.06.13)
c) « Plage de sable très blanc » (www.tripadvisor.de, consulté le 29.06.13)
d) «  Granulat de marbre très blanc, provenant d’une carrière en Grèce »
(http://www.hellopro.fr, consulté le 29.06.13)

2. Bleu
a) « Lentille bleu très bleu sur yeux marron  » (www.forum.doctossimo.fr,
consulté le 29.06.13)
b) « C’est très bleu tout ça [une robe de Michelle Obama]  » (www.people.
premiere.fr, consulté le 29.06.13)

399
d) « L’arrivée prochaine de manettes bleues et rouge pour sa console (…) un
bleu « euh » très bleu et un rouge, « euh » très rouge » (http://www.gamalive.
com, consulté le 29.06.13)
e) «  Mon regard très bleu  » (http://www.flickr.com/photos/30907260@
N04/2894810386, consulté le 29.06.13)

3. Jaune
a) «  Madrid : la devanture jaune, mais alors très jaune du vaca veronica de
madrid » (www.tripadvisor.de, consulté le 29.06.13)
b) «  bout des ongles très jaunes, que faire ?  » (http://forum.doctissimo.fr,
consulté le 29.06.13)
c) «  Ces personnages [Les simpsons] très jaunes, ils sont aussi très drôles »
(www.pointblog.fr, consulté le 29.06.13)
d) «  L’or titré en 22K est très jaune  » (www.ma-bague-de-fiancailles.com,
consulté le 29.06.13)
e) « puis deux photos d’elle [femelle python royal], encore très jaune » (www.
reptilic.com, consulté le 29.06.13)
f) «  il [le bébé] refuse le sein ou le biberon ou est toujours somnolent ; il perd
beaucoup de poids (plus de 10% de son poids à la naissance) ; ou, il est très
jaune » (http://www.ncbi.nlm.nih.gov, consulté le 29.06.13)

4. Noir277
a) « Un mascara très très noir » (www.forum aufeminin.fr, consulté le 29.06.13)
b) « khol très noir et qui tient bien » (www.bladi.net, consulté le 29.06.13)
c) «  Bonnet en laine d’alpaga très noir  » (www.leboncoin.fr, consulté le
29.06.13)
d) « Maillot de bain très noir » (www.frost.moyblog.net, consulté le 29.06.13)
e) « La teinture abysse est bleu foncé en fait. Sur la plupart des armures elle fait
très noire, sur d’autres elle fait limite violet » (www.forums.jeuxonline.info,
consulté le 29.06.13)

277 Cf. note 55.

400
5. Vert
a) « À la deuxième place [du concours], j’ai nommé @lealanis ! C’est très vert,
mais ça rend bien, les vêtements s’accordent très bien entre eux  » (www.
amoursucre.com, consulté le 29.06.13)
b) « Ukyon avait donc les cheveux très longs et très verts  » (www.kaiba-co-
pr-battle.forumsactifs.com, consulté le 29.06.13)
c) « Un paysage très vert et fleuri  » (www.promovacances.com, consulté le
29.06.13)
d) « Dax (40) buste très vert de l’empereur Baracalla  » (www.flicker.com,
consulté le 29.06.13)
e) « bonjour petite question la couleur en haut très vert ou turquoise. Merci »
(www.vivelesrondes.fr, consulté le 29.06.13)

6. Marron278
a) «  Site de rencontre gratuit pour rencontrer une femme brune-aux-yeux-très-
marron, rencontres gratuites » (www.meetcrunch.com, consulté le 29.06.13)
b) «  Bonjour, voila mon chti problème. J’ai la peau mate et je bronze très facile-
ment du corps : je suis vraiment très marron » (www.forum.aufeminin.com,
consulté le 29.06.13)
c) « [dans un aquarium] Mes plantes sont très marron et mes cailloux aussi »
(www.aquaportail.com, consulté le 29.06.13)

7. Orange
a) «  Un repas très orange  » (www.skynet.be/lili…/detail_repas-tres-orange?,
consulté le 29.06.13)
b) «  Si le feu était orange même très orange, tu ne l’as pas grillé  » (www.
Fr.answers.yahoo.com, consulté le 29.06.13)
c) « mais il faut bien reconnaître que celle-là [une petite grenouille toute orange]
elle est très… orange » (www.fou-de-voyage.com, consulté le 29.06.13)
d) « Toujours idem que pour la phase Citron et orange mais couleur de fond très
orange » (www.batraciens-reptiles.com, consulté le 29.06.13)
e) «  S’il n’y a pas assez de dioxygène, la combustion est alors incomplète, la
flamme est très orange  » (www.pignolos.pagesperso-orange.fr, consulté le
29.06.13)

278 Cf. note 56.

401
f) «  27 janv. 2011 – Peut-être que megaupload va changer sa charte
graphique : c’est un site très orange quand même  » (www.degroupnews.
com, consulté le 29.06.13) 
g) « perso il m’arrive d’avoir la langue orange de temps à autre. Elle est vrai-
ment très orange pas juste un peu mais vraiment très orange » (www.forum.
doctissimo.fr, consulté le 29.06.13)
h) « 2 mars 2011 – Variété de tomates moyennes régulières très orange » (www.
dafal.fr, consulté le 29.06.13)

8. Unités polylexicales
a) « Prenez celui [un restaurant] en bas de chez moi. Il vient d’être remis à
neuf, et est vraiment sympa  : design, très lumineux et cosy, avec un mé-
lange de coins canapés et de chaises en hauteur, dans un univers très « vert
pomme  » axé sur la diététique, la nature, le frais  » (www.grandmath.
canalblog.com, consulté le 29.06.13)
b) « Le polo vert pomme est très vert pomme » (www.forum.metalorgie.com,
consulté le 29.06.13)
c) « L’eau de ma piscine est très vert anis et trouble » (www.bricolage.linter-
naute.com, consulté le 29.06.13)
d) « Pour moi, l’ « habillage » était évident : du tissu à fleurs roses en majorité
sur fond très bleu azur »  (www.alittlemarket.com, consulté le 29.06.13)
e) « Nintendo officialise l’arrivée en France de Kirby Mass Attack en nous
distribuant des images à la teinte très rose bonbon » (www.jeuxactu.com,
consulté le 29.06.13)

61a) Il a les yeux très rouges vs 61b) Il a les yeux un peu rouges.
62a) Il a les yeux très rouges = 62b) Il n’a pas les yeux (qu’) un peu rouges
63a) Ta voiture est très rouge (quand même) ! = 63b) Ta voiture est un peu rouge
(quand même) !
64a) Cette collection est très rouge = 64b) Que de rouge dans cette collection =
64c) *Quel rouge, cette collection !
65a) Ses yeux sont très rouges ≠ 65b) *Que de rouge dans ses yeux !
66a) Sa voiture est très rouge ≠ 66b) *Que de rouge sur sa voiture !

•  Corpus d’investigation pour l’analyse de très


a1) « Ma fille Sarah a les joues très roses voire rouges » (http://www.babyfrance.
com, consulté le 29.06.13)

402
a2) «  C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux très rouges dès que je bois
plus de 5 bières » (http://forum.hardware.fr, consulté le 29.06.13)
a3) « J’ai les dents très jaunes alors que je les lave minimum 2 fois par jour et
que je ne fume pas » (forum.aufeminin.fr, consulté au 29.06.13)
a4) «  Avant la remise en service de ma Celine 9 [une piscine], je dois régler un
gros souci ; à savoir que j’ai une eau très verte avec algue (vase) partout
(…) » (http://www.montage-waterair.com, consulté le 29.06.13)
b1) « vers 16h avec un yaourt et une banane très verte ou un peu de pain
complet » (forum.espace-musculation.com, consulté le 29.06.13)
c1) «  Dans les films asiatiques, les héroïnes ont la peau très blanche » (http://
forum.aufeminin.com, consulté le 29.06.13)
c2) « Mais certaines filles sont très très belles avec une peau très blanche » (fo-
rum.doctissimo.fr, consulté le 29.06.13)
c3) «  C’est ce qui explique que la peau très blanche des bébés soit extrêmement
sensible au rayonnement des ultraviolets » (www.doctossimo.fr, consulté le
29.06.13)
d1) « Une urine très jaune signifie que vous êtes déshydraté et que vous ne bu-
vez pas assez d’eau  » (http://www.web-docteur.com/172.htm, consulté le
29.0613)
d2) «  J’ai les cheveux très noirs » (www.yabiladi.com, consulté le 29.06.13)
d3) « Pour ma part j’ai les yeux (très) verts, mais comme je suis très myope,
j’eusse préféré qu’ils fussent moins verts mais de meilleure qualité » (http://
fr.answers.yahoo.com, consulté le 29.06.13)
d4) «  Grâce au système de blanchiment Laser, il est désormais possible de rendre
vos dents très blanches en une seule séance et en 1 heure » (www.estheti-
ca.fr, consulté le 29.06.13) vs d5) « Par contre, ses 2 frères ont les dents
très blanche (dents de lait) » (http://forum.magicmaman.com, consulté le
29.06.13)
e1) «  Avez-vous d’autres méthodes pour garder un linge très blanc ? » (forum.
aufeminin.com, consulté le 29.06.13) vs e2) « Je le [mon linge] trouve très
gris » (http://www.linternaute.com, consulté le 29.06.13)
e3) «  Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions (beau
temps), car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel très bleu  »
(fr.questmachine.org, consulté le 29.06.13)
e4) « Maintenant s’étend devant nous une immense prairie très verte, avec des
carrés de terre noire (…) » (Flaubert, Notes de voyages)
f) «  La queue du lézard est très orange  » (http://www.geckocavern.com,
consulté le 29.06.13).

403
•  Corpus très - Transformation 1
a1) Ma fille Sarah a les joues un peu roses
a2) C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux un peu rouges 
a3) J’ai les dents un peu jaunes 
a4) (…) à savoir que j’ai une eau un peu verte
b) (…) un yaourt et une banane un peu verte 
c1) (…) les héroïnes ont la peau un peu blanche
c2) ?Mais certaines filles sont très très belles avec une peau un peu blanche
c3) ?C’est ce qui explique que la peau un peu blanche des bébés 
d1) Une urine un peu jaune signifie que vous êtes déshydraté et que vous ne
buvez pas assez d’eau
d2) ?J’ai les cheveux un peu noirs
d3) J’ai les yeux (un peu) verts
d4) ?Il est désormais possible de rendre vos dents un peu blanches vs d5) ?(…)
ses 2 frères ont les dents un peu blanches (dents de lait)
e1) ?Avez-vous d’autres méthodes pour garder un linge un peu blanc ? vs e2) Je
le [mon linge] trouve un peu gris
e3) Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions
(beau temps), car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel un peu
bleu
e4) Maintenant s’étend devant nous une immense prairie un peu verte,
avec des carrés de terre noire (…) 
f) La queue du lézard est un peu orange

67a) *Que de jaune sur les dents de cet homme !


67b) *Que de vert sur cette banane !
67c) *Que de bleu dans le ciel !

•  Corpus très - Transformation 2


a1) Ma fille Sarah a les joues qui sont devenues très roses
a2) C’est vrai que j’ai tendance à avoir les yeux qui deviennent très rouges 
a3) J’ai les dents qui deviennent très jaunes 
a4) (…) à savoir que j’ai une eau qui devient très verte
b) (…) *une banane qui devient très verte 
c1) (…) les héroïnes ont la peau qui devient très blanche
c2) ?Mais certaines filles sont très très belles avec une peau qui devient
très blanche

404
c3) *C’est ce qui explique que la peau des bébés est devenue très blanche
d1) Une urine qui devient très jaune signifie que vous êtes déshydraté et que
vous ne buvez pas assez d’eau
d2) ?J’ai les cheveux qui sont devenus très noirs
d3) *J’ai les yeux qui sont devenus très verts
d4) Il est désormais possible que vos dents deviennent très blanches vs d5)  (…)
*ses 2 frères ont les dents qui deviennent très blanches (dents de lait)
e1) ?Avez-vous d’autres méthodes pour que le linge devienne très blanc ? vs e2)
Je [mon linge] trouve que mon linge est devenu très gris
e3) Il n’y a pas forcément de liaison entre ciel bleu et hautes pressions (beau
temps), car les éclaircies passagères donnent aussi un ciel qui devient très
bleu
e4) Maintenant s’étend devant nous une immense prairie qui était devenue très
verte (après ces pluies torrentielles)  
f) La queue du lézard est devenue très orange (après cette maladie)

68a) ?L’eau a tellement jauni qu’elle est verte/marron maintenant.


68b) Hier l’eau était un peu verte et aujourd’hui elle est très verte
68c) L’eau est très verte par rapport à hier
69a) L’eau est très jaune
69b) L’eau est très marron
70a) L’eau de ce lac est plus verte que celle de celui de Genève
70b) L’eau est moins marron ce matin
70c) L’eau de mes tortues est un peu jaune depuis une semaine
71a) Pierre est très beau, mais Esteban l’est encore plus
71b) L’eau de ce lac est très verte, mais celle de l’étang à côté de chez moi l’est
encore plus
71c) Je n’aurais jamais cru que de l’eau puisse être si verte
72) « Chaque palette est ouverte, si une banane un peu jaune est découverte,
c’est toute la palette qui est recalée et classée impropre à la vente ! » (www.
tortue.com, consulté le 29.06.13)
73) *Que de jaune sur cette banane !
74) Bleu azur est plus bleu que bleu roi
75) Ma voiture est plus bleue que la tienne
76) Des yeux si bleus, je n’aurais jamais cru que cela puisse exister
77a) Ces yeux sont d’un vert étonnant
77b) La queue de ce lézard est d’un orange surprenant
77c) Il est surprenant de voir un lézard avec une queue de cette couleur

405
78) Il est très triste
79) *Son visage, quel rouge !
80a) Ce tableau est très rouge (!) ≈ 80b) Quel rouge, sur ce tableau !
81a) Que de vert en Irlande ! = 81b) Il y a beaucoup de vert en Irlande
81c) L’Irlande est très verte
82a) *Que de rouge sur cette moquette!
82b) La moquette est très rouge
82c) Que de rouge sur cette moquette bariolée !
82d) Cette moquette bariolée est très rouge !
83a) *Que de rouge dans ce sang !
83b) Ce sang est très rouge.
84a) *Que d’orange sur la queue du lézard ! = 84b) La queue du lézard est
très orange
85) *Que de jaune sur ses dents !
86a) *Que de gris dans le ciel !
86b) * Que de blanc dans le ciel !
86c) ?Regarde le ciel, que de rouge !
86d) ?Regarde le ciel, que de rose !
87) Que de rouges dans ce tableau !
88) Que de rouge ! = Que de/étendues/rouges ! = Que de « choses » rouges !
89a) *Que d’orange sur la queue du lézard !
89b) Que d’orange sur sa queue !
90) Que de marron !
90a) Ta voiture est très rouge !
90b) Ta robe est très bleue !
91a) Ta voiture est très rouge !
91b) Ta robe est très bleue !
92a) Elle est très rouge, ta voiture !
92b) Elle est un peu rouge, ta voiture !
92c) Elle est rouge rouge ta voiture !
92d) Ta voiture est très rouge, tu aurais pu la choisir plus claire/moins pétante/
plus discrète/verte/blanche
93a) Le rouge/La tendresse est immatériel(le), impalpable
93b) On ne peut toucher, manipuler ni la tendresse, ni le rouge
94) *Une couleur/*Une tendresse ronde, plane, géométrique…
95a) C’est gentil d’être venu
95b) *C’est peureux de ne pas être venu
96a) Il y a du sable = Il y a une quantité indéterminée de sable

406
96b) Il y a du rouge = Il y a une quantité de rouge indéterminée
97a) Il y a de l’acajou
97b) Il y a du bois
97c) Il y a de la matière bois
98a) Il y a du rouge
98b) Il y a de la couleur
99a) Il y a un peu de sucre sur la table
99b) Il y a un peu de rouge dans ce tableau
99c) vs *Il y a un peu d’amis qui viennent
100a) Un ruisseau de sang
100b) Un nuage de fumée
100c) Une traînée de bleu
100d) Un fond de rouge
100e) Une touche de blanc
101a) Il ne me reste plus qu’un cube de glace
101b) Il y a dans la vitrine un très beau cube en glace
102a) Il ne m’en reste plus qu’un cube, de glace
102b) Il y en a un de très beau en glace, de cube
103a) Je vois une tache grise dans le ciel
103b) Je vois une tache de gris dans le ciel
104a) Ne vois-tu de gris au fond du ciel ? Si, j’en vois une trainée
104b) Ne vois-tu pas une tache au fond du ciel ? Si, j’en vois une grise (Van de
Velde, 1995 : 153 )
105a) Elle a du courage
105b) *Elle a du courage étonnant
105c) Elle a un courage étonnant
105d) Une table de bois blanc
105e) Une table d’un bois ravissant
105f) *Une table de bois ravissant
106a) Une robe vert clair
106b) Une robe d’un vert vilain
107a) J’ai bu du vin
107b) *J’ai bu du vin délicieux
107c) J’ai bu un vin délicieux
108a) J’ai vu du bleu
108b) J’ai vu un bleu épatant
108c) ?J’ai vu un bleu clair
109) La table est en bois = La table est de bois

407
110a) J’ai vu cette robe en bleu
110b) *J’ai vu cette robe de bleu
111a) La table est en bois
111b) *La table est bois
111c) La fille est en bleu
111d) La fille est bleue
112a) J’ai vu ce livre en bleu
112b) J’ai choisi cette robe en bleu
113a) Elle a choisi sa robe en bleu clair
113b) Elle a choisi sa robe bleu clair
114a) Elle a vu cette robe bleu clair
114b) Elle a vu cette robe en bleu clair
114c) C’est cette robe bleu clair qu’elle a vue
114d) C ‘est bleu clair qu’elle a vu cette robe (et non vert turquoise)
114e) Elle a vu bleu clair cette robe
115) ?Je préfère les yeux en vert
116a) Je veux le livre bleu
116b) Je veux le livre en bleu

Chapitre II – Le lexique nominal


1a) «  La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre
épais d’un pouce, d’un ton roussâtre ou brun » (Le Monde, 1.8.97)
1b) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une couleur roussâtre ou brun
1c) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’un coloris roussâtre ou brun
1d) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une nuance roussâtre ou brun
1e) La coiffure de ces moines musulmans consiste en un bonnet de feutre épais
d’un pouce, d’une teinte roussâtre ou brun
2a) Je voudrais cette écharpe en couleur
2b) *Je voudrais cette écharpe en coloris
2c) *Je voudrais cette écharpe en nuance
2d) *Je voudrais cette écharpe en teinte
2e) *Je voudrais cette écharpe en tons
3) Je voudrais ces deux couleurs-là

408
4) Une robe d’une couleur rouge
5) Une robe d’une nuance sang de bœuf
6) Il a vu des chemises dans des couleurs rouges
7) *Il a vu des chemises dans des nuances sang de bœuf
8a) En « additionnant » (= mélangeant) du bleu et du jaune, on obtient du vert
8b) En « additionnant » (= mélangeant) une nuance de bleu et une nuance de
jaune, on obtient une nuance de vert
9a) Ma voiture est de deux couleurs ( : vert et jaune)
9b) ?Ma voiture est de deux nuances
9c) Ma voiture est d’une nuance de bleu et d’une nuance de vert
9d) Ma voiture est de deux nuances de vert
10a) *Je veux de la nuance
10b) *Il y a de la nuance sur la table
11a) *Cette robe est d’une nuance bleue
11b) Cette robe est d’une (certaine) nuance de bleu
12) Le bleu a des nuances, et l’une d’entre elles est la couleur de cette robe
13) *La nuance de cette robe est bleue
14a) Le chat angora est une sorte de chat
14b) Le chat est une sorte d’animal
14c) Le rouge est une sorte de rouge
14d) Le rouge sang est une sorte de couleur
15a) ?Le chat angora est un chat 
15b) ?Le rouge sang est un rouge
16) Le chat est un animal
16b) Le rouge est une couleur
17a) Le chat angora est un chat qui a de longs poils
17b) Le rouge sang est un rouge très vif.
18a) *Une robe de nuance
18b) Une robe de nuance de bleu
18c) Une robe de couleur
19a) « Et Intrawest joue gros pour tout refaire : les équipements sont rénovés,
on reconstruit rues et maisons, en donnant aux « condos » (immeubles à
appartements) une apparence de résidence privées, on invente même un
« vieux »  village, le tout dans des tons mariant le blanc et le pastel, dont
le célèbre rose-ananan (rose bonbon) » (Le Monde, 2.1.97)
19b) Et Intrawest joue gros pour tout refaire : les équipements sont rénovés,
on reconstruit rues et maisons, en donnant aux « condos » (immeubles à
appartements) une apparence de résidence privées, on invente même un

409
« vieux »  village, le tout dans des couleurs/nuances/teintes mariant le
blanc et le pastel, dont le célèbre rose-ananan (rose bonbon)
20a) « Il s’appelle chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement
parfumé de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept tons de
peau » (Le Monde, 12.3.98)
20b) Il s’appelle chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement parfumé
de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept [*couleurs/*teintes]
de peau
20c) Il s’appelle chez Dim « Nu absolu » ou « souffle d’air », discrètement parfu-
mé de fleurs blanches et « Blush » de Gerbe, décliné en sept nuances de peau
21a) «  Les papiers sont d’une grande variété, du ton [de la couleur] ivoire au
vert léger et n’ont rien à voir avec la pauvreté des papiers d’aujourd’hui ».
(Le Monde, 3.5.97)
21b) « Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou
de métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent,
avec parfois l’irruption d’un rouge vif ou d’un ton [d’une couleur/d’une
teinte] aubergine, mais toujours uniformément unis : l’imprimé est
banni » (Le Monde, 10.3.97)
21c) les tons jaune paille vs *les nuances jaune paille
22a) Elle voulait une robe deux tons
22b) Elle voulait une robe rouge deux tons
23a) « La planche de bord délaisse le bleu lavande pour un élégant ton [couleur]
muscade et les boutons de commande virent au jaune anis  » (Le Monde,
21.9.98)
23b) La planche de bord délaisse le bleu lavande pour d’élégants tons muscade
et les boutons de commande virent au jaune anis
23c) ?La planche de bord délaisse le bleu lavande pour d’élégantes couleurs
muscade et les boutons de commande virent au jaune anis
24a) «  Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec
parfois l’irruption d’un rouge vif ou d’un ton [couleur] aubergine, mais
toujours uniformément unis : l’imprimé est banni » (Le Monde, 10.3.97)
24b) Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec
parfois l’irruption d’un rouge vif ou de (différents) tons aubergine, mais
toujours uniformément unis : l’imprimé est banni
24c) *Dans les couleurs des modèles exposés sur les présentoirs de verre ou de
métal, où le noir, le blanc, le gris, le beige et le bleu marine dominent, avec

410
parfois l’irruption d’un rouge vif ou de (différentes) couleurs aubergine,
mais toujours uniformément unis : l’imprimé est banni
25a) «  Le sol est en marbre blanc, les murs peints dans des tons [*couleurs]
crème. » (Le Monde, 25.8.97)
25b) «  Dans ce grand salon, deux pianos, une bibliothèque, des meubles aux
tons [*couleurs] acajou » (Le Monde, 20.7.98)
25c) «  Dans les hauteurs, autour d’une sorte de cour intérieure au contraire
très clame et reposante, aux tons [*couleurs] jaune paille, l’ensemble des
loges et des bureaux a été disposé sur deux étages » (Le Monde, 27.1.98)
26a) «  En regardant les rideaux mauves et les fauteuils avachis recouverts de ce
tissu d’un rose écœurant et usé, la moquette d’un autre ton de rose (…) »
(Sabatier)
26b) «  Deux ou trois tons de gris de perle, harmonieusement fondus, le noyaient
d’un bout à l’autre, et sur ce fond vaporeux passaient lentement des
nuages » (Gauthier)
26c) «  Il ne remarqua point la flétrissure des joues couperosées sur les pom-
mettes, et auxquelles les ennuis et quelques souffrances avaient donné des
tons de brique » (Balzac)
26d) En regardant les rideaux mauves et les fauteuils avachis recouverts de ce
tissu d’un rose écœurant et usé, la moquette d’une autre [nuance] de rose
(…)
27a) *Je le voudrais en ton
27b) Je le voudrais en couleur
28a) Je voudrais un ton plus clair
29b) Je voudrais une nuance plus pastel
30a) Je voudrais cette robe dans des/les tons pastel
30b) Je voudrais cette robe dans des/*les couleurs pastel
30c) Je voudrais cette robe dans des/*les nuances pastel
31a) Je voudrais cette robe dans des/les tons clairs
31b) Je voudrais cette robe dans des/*les couleurs claires
31c) Je voudrais cette robe dans des/*les nuances claires
32a) J’aime la couleur de cette voiture
32b) J’aime le coloris de cette voiture
33a) Il y a tellement de couleurs disponibles pour ce modèle
33b) Il y a tellement de coloris disponibles pour ce modèle
34a) Une robe en couleur
34b) *Une robe en coloris
35a) Une robe en différentes couleurs

411
35b) une robe en différents coloris
36a) J’aime la couleur de ces yeux
36b) *J’aime le coloris de ces yeux
37a) *Le coloris des cheveux
37b) La coloration des cheveux
38a) Je voudrais ce pantalon d’une couleur plus claire
38b) ? Je voudrais ce pantalon d’un coloris plus clair
38c) Je voudrais ce pantalon dans un coloris plus clair
39a) Je le voudrais d’une seule couleur
39b) Je le voudrais dans une seule couleur
39c) Je le voudrais en une seule couleur
39d) Je le voudrais en un seul coloris
40) « Les premières images sont dominées par des couleurs neutres ; les der-
nières par des teintes plus vives, comme dans la salle de dessin, dominée
par un tableau monochrome bleu qui l’adoucit et donne une profondeur à
l’espace » (Le Monde, 11.1.97)
41a) «  Canon a ainsi divisé sa densité par quatre afin d’obtenir des pastels de
teinte variable, en superposant jusqu’à trois gouttes sur un même point »
(Le Monde, 1.2.97)
41b) Canon a ainsi divisé sa densité par quatre afin d’obtenir des pastels de
couleur variable, en superposant jusqu’à trois gouttes sur un même point.
42a) *La couleur de gris
42b) * La teinte de gris
42c) La couleur grise
42d) La teinte grise
42e) (Le) Gris est une couleur
42f) (Le) Gris est une teinte
43a) une peau de couleur vs *une teinte de couleur
43b) une touche de couleur vs *une touche de teinte
43c) une traînée de couleur vs *une traînée de teinte
44a) La teinte de cette couleur me plaît beaucoup
44b) Cette couleur a une teinte qui me plaît
45) Ses yeux ont une jolie nuance de vert
46a) *Le ciel se teinte
46b) Le ciel se teinte de rose
47a) *De teinte or vs de couleur or
47b) *Une robe en teinte vs une robe en couleur
48) La teinte de ces lentilles de contact est étonnante

412
49a) Le ciel se teinte de rose
49b) Les feuilles se teintent à l’arrivée de l’automne
50) La teinte des cheveux

Chapitre III– Le lexique verbal


1a) Le temps a jauni le papier
1b) Le papier jaunit
2a) Malina teint ses cheveux
2b) *Les cheveux teignent
3a) L’automne colore les feuilles d’un vert tendre
3b) *L’automne colorie les feuilles
4) Ce dessin/Le (motif du) canard se colorie bien (à cet âge-là)
5) Ces feutres colorient bien/mieux que ceux-là
6a) Le raisin teint les doigts
6b) La cochenille teinte en rouge/bien
6c) Les reflets du soleil colorent la mer d’orange
7a) J’ai déjà mangé
7b) J’ai mangé une soupe
8a) Il teint toute la journée
8b) Il a teint toute sa vie
9a) La cochenille teint (bien)
9b) L’indigo teint
10a) *Il teinte ses lunettes avec le soleil
11a) *La mer se colore avec les reflets du soleil
10b) Ses lunettes se teintent au soleil (c’est lorsqu’elles sont au soleil qu’elles
se teintent)
11b) La mer se colore des reflets du soleil
12a) Des reflets rouges teintent/colorent le ciel
13a) Le jus de raisin teint les doigts
12b) Le ciel est coloré par les reflets du soleil
13b) Les doigts sont colorés par la cochenille
14) *Le dessin est (bien) colorié par les feutres
15a) Le coton est facilement teint
15b) Le ciel est coloré les soirs d’été
15c) La mer est teintée de rose au soleil couchant
15d) Le dessin est bien colorié

413
16a) Le coton se teint facilement
16b) Le ciel se colore les soirs d’été
16c) La mer se teinte de rose au soleil couchant
16d) Ce dessin se colorie facilement
17a) On peut bien teindre ce tissu
17b) On peut facilement colorier ce dessin (à cet âge-là)
18a) Le vent couvre la route de feuilles
18b) Elle orne la table de fleurs
19a) *Le vent couvre la route
19b) *Elle orne la table
20a) Julie colore son jean/ses cheveux
21a) Le coucher de soleil colore le ciel
20b) Le soleil/Du rose colore le ciel
21b) La honte colore les joues de Malina
20c) Le ciel se colore (de rouge) à cause/avec le soleil
21c) Les joues de Malina se colorent (de rouge) à cause de la honte
20d) ?Le ciel se teinte à cause du soleil
22a) Malina se teint les cheveux
22b) Malina lui teint les cheveux
23a) Le ciel se colore
23b) *Malina se colore
24a) Ses joues se colorent
24b) L’eau se colore peu à peu
25) Julien noircit les cases
26) Julien rougit
27a) L’infection rosit/rougit le blanc de ses yeux
27b) Le blanc de ses yeux rosit/rougit
28) Quant au gazon du tramway, ajoute-t-il, s’il jaunit, ce n’est pas grave.
Il reverdira en septembre
29) L’emploi d’un anti-mousse ternirait et jaunirait la surface du marbre
30a) Le feu rougit
30b) L’herbe verdit
31a) La mousse verdit le toit
31b) Le vieux toit verdit
32a) Julien verdit les volets
32b) *Les volets verdissent
33a) *Malina rougit son mur
33b) *Julien jaunit le canard de son dessin

414
34a) «  Bleuissez avec le curseur la partie à sélectionner » (entendu dans
un cours d’informatique) 
34b) « Je bleuis et désature les teintes de la tour pour créer l’illusion d’éloi-
gnement  » (http://lueurscaptives.free.fr/S/Martin/martin.htm, consulté le
23.06.13) 
35a) « Enfin, nous verdirons l’intérieur de l’école par l’ajout de plantes vertes »
(lu sur le programme de réaménagement d’une école)
35b) «  Verdissons notre électricité grâce au soleil et à l’APEVES  » (http://
groupes.sortirdunucleaire.org/Verdissons-notre-electricite-grace, consulté
le 29.06.13) 
36a) «  Ensuite, tu reportes les indications de l’énoncé dans les cases, par
exemple tu noircis les cases impossibles et tu mets une croix dans les cas
certains » (http://fr.answers.yahoo.com/question, consulté le 29.06.13)
36b) « Je n’en finissais pas d’écrire, je noircissais des dizaines de pages et je
sentais que cela me faisait du bien » (B. Fauren, Camille, books.google.de,
consulté le 29.06.13)
37) «  [En parlant de linge] laver, rendre propre 5. En province, une femme de
chambre doit savoir blanchir et repasser le linge fin. Balzac, Les Illusions
perdues, 1843, p. 693 » (s. v. BLANCHIR, TLFE).

38) *Julien se jaunit les dents en fumant


39) Esteban se noircit les dents pour se déguiser
40) *Le colonel a fondu trois sucres dans son café
41) Julien se jaunit les dents pour se déguiser
42a) Malina se blondit les cheveux
42b) Nicolas se noircit les cheveux
42c) *Malina se rougit les cheveux
42d) *Malina se bleuit les ongles
42e) *Malina se rougit les ongles
43) « Mon hibiscus est suicidaire. Bien que fraîchement taillé, rempoté,
il jaunit au moindre verre d’eau que je lui propose »
44) « Le plastique vieillit mal (il jaunit et devient cassant), et vous ne pourrez
pas garder très longtemps votre cage »
45a) Ils vont tout faire pour que le fait que Malina rougisse (de honte) passe
inaperçu
45b) * Ils vont tout faire pour que la honte qui rougissait Malina passe inaperçue
46a) C’était terrible ; au fur et à mesure, Thomas bleuissait (de froid)
46b) *C’était terrible ; au fur et à mesure, le froid bleuissait Thomas

415
47) Malina rougit de honte
48) Thomas bleuit de froid
49a) *Le froid bleuit Thomas
49b) *Le soleil noircit/brunit Malina
50a) Le froid bleuit les doigts de Thomas
50b) Le soleil noircit la peau de Malina en quelques heures
50c) La honte qui rougissait déjà ses joues le fit baisser la tête
51) Malina se colore les cheveux en rouge
52a) Les dents jaunissent à force de fumer
52b) Les dents se jaunissent à force de fumer
53a) Malina se colore les cheveux
53b) *Ses cheveux se colorent
54a) C’est une tulipe ⊃ C’est une fleur
54b) C’est l’homme qui a assassiné quelqu’un ⊃ C’est l’homme qui a tué
quelqu’un
54c) C’est une fleur écarlate ⊃ C’est une fleur rouge
54d) C’est la lumière qui rougit le donjon ⊃ C’est la lumière qui colore
le donjon
55a) «  On croit encore dans beaucoup d’écoles qu’il suffit d’étendre des
teintes aériennes, de les nuancer tantôt d’azur et tantôt de gris pour
exprimer la grandeur des espaces (Fromentin, Maîtres autrefois,
1876).Par delà la balustrade (…) il y a un bois sans âge qu’avril a seu-
lement nuancé d’un vert plus jeune et plus tendre  (Guéhenno, Journal
« Révol. », 1938). » (TLFE)
vs 55a’) (…) suffit d’étendre des teintes aériennes, de les colorer tantôt d’azur
et tantôt de gris (…) (Fromentin, Maîtres autrefois, 1876).Par delà la
balustrade (…). (…) a seulement coloré d’un vert plus jeune et plus tendre
55b) «  Hortense, ainsi prévenue, reconnut alors l’artiste à la rougeur qui
nuança son visage (Balzac, Cous. Bette, 1846). Les teintes fraîches et
pures qui nuancent ses joues et son col [d’Hersilie dans les Sabines
de David] lui donnent les couleurs de la vie (Gautier, Guide Louvre,
1872). » (TLFE)
vs 55b’) Hortense, ainsi prévenue, reconnut alors l’artiste à la rougeur qui colora
son visage. Les teintes fraîches et pures qui colorent ses joues et son col
55c) « De grands arbres séculaires, dont les cimes se nuançaient de teintes
safranées (Gautier, Fracasse, 1863). Les collines se nuancent de gris,
de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre, arêtes vives (Fromentin, Voy.
Égypte, 1869). La lumière est précisément le contraire de celle de

416
l’Île-de-France, cette dernière enveloppante et comme matérielle où le
moindre objet se nuance de mille teintes grasses (Gilles de La Tourette,
L. de Vinci, 1932). » (TLFE)
vs 55c’) (…) les cimes se coloraient de teintes safranées. Les collines se colorent
de gris, de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre, arêtes vives(…) le
moindre objet se colore de mille teintes grasses.
56a) « Quelques hêtres (…) plus printaniers que leurs frères, commencent à
se nuancer sur la masse noire de la plantation qui borde l’étang (M. de
Guérin, Journal, 1833).Un jet de soleil pénétra le bois : les troncs des
bouleaux, annelés et lisses, blanchirent ; tout le fourré se nuança (Martin
du G., Devenir, 1909) » (TLFE)
vs 56a’) Quelques hêtres (…) commencent à se colorer (…) tout le fourré se
colora
56b) «  (…) Les verdures se nuançaient à l’infini. Pergaud, De Goupil, 1910 »
(TLFE)
vs 56b’) (…) Les verdures se coloraient à l’infini.
57) Assassiner : c’est « tuer quelqu’un volontairement »
58) rougir = se colorer de/en rouge.
59a) «  La pluie, l’humidité, l’abandon et l’absence de lumière au fond de
cette étroite coupure, avaient peu à peu fait déteindre les façades et
couler le badigeon » (Gautier, Italia, Voyage en Italie) (TLFE)
vs 59a’) La pluie, l’humidité, l’abandon et l’absence de lumière au fond de cette
étroite coupure, avaient peu à peu fait (se) décolorer les façades et
couler le badigeon
60a) « Le soleil a décoloré les rideaux »
60b) « Le soleil a déteint les rideaux »
61a) « Le séjour (…) d’une feuille dans l’alcool décolore complètement
les chloroplastes (Plantefol, Bot. et biol. végét.,t. 1, 1931). Ce que je
reproche à l’été, c’est son impitoyable lumière qui décolore tout ce
qu’elle touche (J. Green, Journal, 1928–1934, 1938) » (TLFE)
vs 61b) *Le séjour (…) d’une feuille dans l’alcool déteint complètement les
chloroplastes
61c) *Ce que je reproche à l’été, c’est son impitoyable lumière qui déteint
tout ce qu’elle touche
62a) «  Cette lessive décolore le linge » (PR)
vs  62b) ?Cette lessive déteint le linge 
63a) «  Or celui-ci [un pigment bleu] est instable et se décolore en quelques
années » (http://www.pourlascience.fr, consulté le 29.06.13)

417
63b) «  Le ciel s’écroule, (…) le ciel se décolore (…) le ciel est trop sombre »
(Nana Mouskouri, Adieu Angelina)
63c) «  Pourquoi les feuilles de vigne rouge se décolorent-elles en rouge
(…)  ?  » (Nouveau cours complet d’agriculture théorique et pratique,
Vol.4, books.google.de, consulté le 29.06.13)
63d) «  Le ciel rouge du soir qui annonce le beau temps n’est donc une indica-
tion certaine que si le ciel est sans nuages et ne se décolore pas » (www.
Alertesmeteo.com, consulté le 29.06.13)
63e) «  Au secours, ma veuve noire [un poisson] se décolore » (http://forum.
doctissimo.fr, consulté le 29.06.13)
63f) «  Le caméléon dissout dans l’eau donne une liqueur verte qui, par
l’ébullition, devient rouge et décolore le sulfate d’indigo. (…) Le produit
distillé ne décolore pas l’indigo, mais le liquide le décolore instantané-
ment » (Bulletin universel des sciences et de l’industrie. 1 : bulletin des
sciences mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques, band
16, p. 202, books.google.de, consulté le 29.06.13)
63g) «  L’herbe ainsi mouillée se décolore  » (Cours complet d’agriculture
Théorique. Pratique, Économique et de médecine, Francois Rozier,
Leopold. p. 677, books.google.de, consulté le 29.06.13)
63h) «  Le papier peint s’est décoloré » (s.v. DÉCOLORER, PR)
63i) «  Décolorer ses cheveux à l’eau oxygénée  » (http://teemix.aufeminin.
com, consulté le 29.06.13)
64a) «  Vêtement pour enfants. Ne décolore pas au lavage » (http://www.bbla-
la.com, consulté le 29.06.13)
64b) «  Si le vêtement est décoloré par la transpiration » (http://depiedencap.
leforum.eu, consulté le 29.06.13)
64c) «  Mais j’ai l’impression que le savon et la javel ont décoloré par endroit
le T-shirt » (http://www.toutpratique.com, consulté le 29.06.13)
64d) «  T-shirt homme décoloré » (http://www.clochtard-crasvat.com, consulté
le 29.06.13)
64e) « 29.01.2012 – Le linge, les rideaux voire les peintures de carrosseries qui
seraient décolorés par son effet nocturne « dévastateur » en font partie »
(http://tatoufaux.com, consulté le 29.06.13)
64f) «  Peinture qui se décolore (…) Je possède un break Opel Astra 2,2 DTI
Fashion année 2003, de couleur Rouge, et au fil du temps j’ai vu la cou-
leur pâlir de plus en plus, au point de devenir presque rose (…) » (http://
opel.discutbb.com, consulté le 29.06.13)

418
65a) «  Attention lors du séchage de vos vêtements qui déteignent » (http://
www.10-trucs.com, consulté le 29.06.13)
65b) «  J’ai acheté il y a quelques temps des supers belles ballerines mais le
souci c’est qu’elle déteigne [sic] sur mes pieds ou mes bas du coup je les
mets plus » (http://www.onenparle.org, consulté le 29.06.13)
65c) «  La teinture et le fini des billes sont très durable [sic] et elles ne
déteindront pas dans votre cou  » (http://www.bidzshop.com, consulté
le 29.06.13)
66a) Le soleil a fait déteindre le linge
66b) ?Le soleil a fait décolorer les rideaux vs 66b’) Le soleil a décoloré
les rideaux
67) «  (…) Les couronnes de lauriers et de chênes déteignent, à la pluie sur
le front et les joues des fillettes, qui deviennent horriblement livides. »
(A. France, Pierre Nozière, 1899) (TLFE)
68a) Marie se teint les cheveux
68a’) *Marie se déteint les cheveux
68b) J’ai teint mon jean en noir
68b’) *J’ai déteint mon jean
69) Marie se décolore les cheveux
70a) Le jean a déteint
70b) Le soleil déteint les rideaux
70c) Marc a fait déteindre son jean
71a) L’eau peut rougir/Le linge peut jaunir
71b) *Le pantalon rougit/*Le pull jaunit
71c) *Ma mère a réussi à dérougir le pantalon que j’avais accidentellement
coloré.
72) J’ai acheté un produit pour déverdir les volets
73a) ?Le tronc de l’arbre déteint avec l’hiver
73a’) Le tronc de l’arbre se décolore avec l’hiver
73b) ?La peinture de ma voiture déteint avec le soleil
73b’) La peinture de ma voiture se décolore avec le soleil

419
PARTIE 2 – Le lexique chromatique construit
Chapitre I – É
 laboration du corpus : Problèmes
et critères adoptés
1a) Il y a des tilleuls le long de la route vs 2a) Il [le tee-shirt] est Tilleul/Vert,
taille 48 (http://www.vivelesrondes.com, consulté le 2.08.13)
1b) Les pommes sont dans le panier vs 2b) Le corps de la chenille de 1er
stade est vert pomme terne (http://www.linguee.fr, consulté le 2.08.13)
1c) Je suis allée à Naples vs 2c) Tout ce qui est jaune sur le scan est
jaune de Naples (http://modelisme-naval-bois.lebonforum.com, consulté
le 2.08.13)
3a) Cette couleur est la couleur (bleue + rouge +jaune + verte + orange +
violette + indigo + lie de vin) (rouge Tiepolo + bleu Bahamas + jaune de
Naples + rose mexicain)
3b) Cette robe est d’une couleur (bleue + rouge +verte+abricot) (rouge
Tiepolo + bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain) ravissante
3c) Cette robe est de couleur (bleue + rouge + verte + abricot + prune)
(rouge Tiepolo + bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain)
3d) Cette robe est (bleue + rouge + verte + abricot + prune) (rouge Tiepolo
+ bleu Bahamas + jaune de Naples + rose mexicain)
4a) Elle est de quelle couleur ? Jaune de Naples
4b) ?Elle est jaune comment ? De Naples
4c) Elle est de quelle couleur ? Vert pomme
4d) ?Elle est vert comment ? Pomme
4e) Elle est de quelle couleur ? Rose mexicain
4f) ?Elle est rose comment ? Mexicain
5) Il est d’un courageux
6) *Il est d’un tel courageux
7) «  Un carrick cannelle à cinq collets » (E. & J. Goncourt, Journal, 1851)
8) «  Des courtines de soie émeraude » (J.-K. Huysmans, Là-bas, 1891)
9) «  Il porte un pantalon de Tergal noir brillant, à plis et pinces, n’a pas
ôté son cuir gris à soufflets, il est dessous en chemise blanche à rayures
grenade, pistache, avec cravate-polyester-vert-wagon raide comme une
arme offensive » (L. Lang, Les Indiens, 2001) (Frantext)
10) «  Des oriflammes de soie cramoisie, pourpre, cerise, rose, grenat,
vermillon, carmin : tous les tons de rouge » (A. Malraux, Les conqué-
rants, 1928)

420
11) «  Peu importe la veine, ce qui coule est vermillon » (Disiz, Le poids d’un
gravillon, 2012)
12a) «  Aujourd’hui, c’est journée rouge chez Pshiiit. Enfin, pas tout à fait
rouge, je dirai plutôt framboise » (http://pshiiit.com/tag/vernis-framboise,
consulté le 2.08.13)
12b) °Sa robe est plus framboise que groseille, elle est plutôt fraise d’ailleurs !
13a) «  Dans les couleurs : noir, blanc, corail (plus foncé/flashy que la veste qui
est assez saumon) » (www.carolinedaily.com, consulté le 2.08.13)
13b) °Mais arrête, c’est déjà assez saumon!
14a) Un ticket restaurant
14b) Un problème cheveu
15a) J’ai les cheveux longs
15b) Une lotion spéciale pour problème cheveu
16) Il est médecin
17) Il a un fils médecin
18) Il a un fils petit
19a) des procès et donc des verbes : Il court plus qu’il ne marche
19b) des objets et donc des substantifs : Ma jupe est plus rouge que la tienne
19c) des propriétés d’objet et donc des adjectifs : Elle est plus rouge que verte
ta voiture
20a) Plutôt courir demain que de me dépêcher maintenant !
20b) J’aimerais plutôt un chien qu’un chat
20c) Elle préférerait une chemise plus légère que celle en coton
21a) Esteban est plus montagne que mer
21b) Elle est plus café que thé
22) J’ai acheté de la cannelle
23a) ?Ce pull est assez saumon
23b) ?Ce pull est assez jaune
24) Mais arrête c’est déjà assez jaune !
24a) ?Cette tapisserie est trop brique, elle ne me plaît pas !
24b) Cette tapisserie est trop jaune, elle ne me plaît pas !
25a) ?Elle est moins brique, la tienne !
25b) Elle est moins jaune, la tienne !
26) « et la couleur est sublime avec du chocolat, du noir, du kaki! » (Viveles-
rondes.com, consulté le 2.08.13)
27a) « Chausson beige voiture chocolat » (www.billesdeclown.com, consulté
le 2.08.13)
27b) «  Maxi jupe chocolat » (www.mayssa.com, consulté le 2.08.13)

421
28a) «  Bonjour, vous devriez regarder comment irait une couleur moins vive
que le framboise, qui tendrait vers le bordeaux, presque couleur brique,
et le chocolat c’est une bonne idée bon courage » (http://forums.france5.
fr/la-maison-france5/Decoration/encore-conseils-couleurs-sujet_1788_1.
htm, consulté le 2.08.13)
28b) «  Je pense qu’il faudrait un ton plus froid que le groseille pour équilibrer
les harmonies » (www.decomoderne.fr, consulté le 2.08.13)
28c) «  Ajoute le brun petit à petit en très petites quantités afin de ne pas dépasser
le stade du brique » (fr.answers.yahoo.com, consulté le 2.08.13)
28d) «  Les grenadine et menthe font un cocktail rafraîchissant » (Les pièces de
la maison, Catalogue de Corona peinture)
28e) «  Le vert met en valeur le brique » (Couleurs et harmonies, catalogue de
Corona peinture)
29a) RoseA → rosâtreA
29b) OliveA → olivâtreA
30a) *Briquâtre, *briquasse
30b) *Saumonâtre, *saumonasse
30c) *Ivoirâtre, *ivoirasse
30d) *Coraillâtre, *coraillasse
30e) *Bouton d’orâtre, bouton d’orasse
31a) °Orangeâtre
31b) °Marronasse
31c) °Mauvâtre, mauvasse
32a) Une robe tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
32b) Des robes tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
32c) Un chapeau tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
32d) Des chapeaux tilleul/vert pomme/rose mexicain/jaune de Naples
33a) Un chapeau vert [vεr]
33b) Deux chapeaux verts [vεr]
34a) crème dans « de monotones hôtels crème à colonnades de stuc » (P. Morand,
Londres, 1933) (Frantext)
34b) brique dans « Ces étoffes rouge-brique (…) qui sont une marque distinc-
tive dans les tableaux des Le Nain  » (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis)
(TLFE)
35a) vert/verte vs grenat/*grenate
35b) mignon/mignonne vs marron/*marronne
36a) Une robe grenat
36b) Une robe couleur de grenat

422
37a) Un chapeau vert, des chapeaux verts/une robe verte, des robes vertes
37b) Une robe vert pomme
37c) *Une robe verte pomme
37d) Une robe couleur verte de la pomme
37e) Une robe verte couleur de pomme
38) Une robe marron
39a) «  Chevaux pies » (V. Hugo, L’homme qui rit, 1869) (Grevisse)
39b) «  Tuniques jonquilles, violettes, amarantes, oranges » (J. et J. Tharaud,
Rabat, 1921) (Grevisse)
39c) «  On dit que la robe est noire-pie » (M. Diffloth, Zootechnie, races bovines,
1922) (Grevisse)
39d) «  Des oies vermillonnes » (J. Giraudoux, Suzanne et le pacifique, 1921)
(Grevisse)
39e) «  La giroflée marronne aime le vent de mer » (J. Jammes, Clairières dans
le ciel, 1916) (Grevisse)
39f) « Des jeans carottes » (Le Monde, 17.2.82)
40a) « La beauté d’une robe verte pomme » (http://www.autopromopro.com,
consulté le 2.08.13)
40b) «  Robe verte pomme grany smith  » (http://www.flickr.com, consulté
le 2.08.13)
40c) « Veste en velours violette prune » (http://leboncoin.fr, consulté le 2.08.13)
41) °Une tapisserie jaune de Naples
42) °Une jupette bleu Bahamas
43a) « Le tout sans retirer les mains de sa veste couleur rouille » (J.B. Nacray,
La vie duraille, 1985) (DMC)
43b) « Costume de sport gris et rouille » (s. v. ROUILLE, NPR)
44) Un jean vert canard !
45) « Parallèle et face au bar, à gauche, une longue banquette en moleskine vert
printemps longeait quatre tables en formica » (J. Teulé, Darling, 2007)
46) Une robe est framboise, plutôt framboise que cerise, presque framboise
(Noailly)

Chapitre II – L
 es opérations constructionnelles
de termes de couleur
1b) *Cette couleur est la couleur (claire + foncée+ vive + sombre + pâle +
mate + terne + lumineuse + criarde + verdâtre + …)
2a) *La couleur est bleue vs La couleur est claire

423
2b) *Cette robe est d’une couleur (qui est) bleue vs Cette robe est d’une
couleur (qui est) claire
3a) Cette robe est de couleur bleue
3b) Cette robe est bleue
4a) Ce meuble est de style Louis XV
4b) Ce meuble est Louix XV
4c) *Le style de cette commode est Louis XV
5a) Max est de nationalité allemande
5b) Max est allemand
5c) *La nationalité de Max est allemande
6) «  Donne chute de moquette neuve bleu roi » (www.donnons.org, consulté
le 2.08.13)
7a) «  La collection connaît ensuite quelques trous d’air. robe en maille
et collant tricoté coordonné rose sparadrap (aïe. […]), pantalon vert
pistache » (http://news.madame.lefigaro.fr, consulté le 2.08.13)
7b) Un rose sparadrap lui ornait le menton
8a) « Jupe à rayures vert prairie » (de.dewanda.com, consulté le 2.08.13)
8b) Il aimait se promener dans de vertes prairies
9a) «  Un ciel gris d’acier » (http://louis-antoine83.over-blog.com, consulté le
2.08.13)
9b) « Sac Rose Mexicain - Tissé Et Tressé En Nylon » (www.primeminister.
com, consulté le 2.08.13)
9c) «  HERMES Paris made in france Sac « Kelly » 32 cm en veau Epsom rose
Tyrien, piqué sellier blanc » (www.artfact.com, consulté le 2.08.13)
9d) «  Il porte un ruban noué dans ses cheveux et revêt sur sa robe jaune de
Naples une étoffe rouge rayée de bandes de bleu violet » (http://jeanpier-
relebihan.over-blog.com, consulté le 2.08.13)
10a) Quel je m’en foutiste, cet étudiant !
10b) Deux boit-sans-soif sont venus hier, ils m’ont vidé le bar
11a) Je n’aime pas les j’m’en foutiste
11b) Un boit-sans-soif est un ivrogne
12a) «  Le bleu de Prusse est une couleur synthétique créée accidentellement
par le peintre Heinrich Diesbach au début du dix-huitième siècle » (www.
timbresrares.over-blog.com, consulté le 2.08.13)
12b) «  D’épais nuages d’un gris d’étain défilaient au-dessus des têtes tandis
que Harry, Ron et Hermione, assis à la table du petit déjeuner étudiaient
leur emploi du temps » (J. K. Rowling, Harry Potter et la coupe de feu,
2000)

424
12c) «  Ses coloris [d’une fleur] vont du jaune au violet en passant par le rouge
tyrien (rouge-pourpre) et le rose » (www.jardindepapounet.fr, consulté le
2.08.13)
12d) «  L’été, de petites péniches adéquates, en acier, carrées ou rondes,
promènent sur le canal des Anglo-Saxonnes qui, exposées au soleil,
prennent une couleur de crevettes ébouillantées  » (M. Depussé, Les
morts ne savent rien, 2006) (Frantext)
13a) «  Comme c’était le dimanche, les bœufs étaient à l’étable et les laboureurs
sur le pas de la porte, dans leurs habits de fête, c’est-à-dire en gros drap
bleu de Prusse, de la tête aux pieds » (G. Sand, Le meunier d’Angibault,
1845) (Frantext)
13b) «  De simples rayures gris d’étain pour une décoration design avec
ce papier peint » (www.papierspeintsdirect.com, consulté le 2.08.13)
13c) «  revendications multiples préadultes, fuite de la capitale, descente, l’air
pur, « la vraie vie », alternatives artisanales, mauve et rose tyrien, le bon-
heur, le paradis, cette maison-ci, puis éclatement encore, chacun pour soi,
naissance de la première jolie fillette » (J.-L. Lagarce, Derniers remords
avant l’oubli, 1988) (Frantext)
13d) «  Ils portent des vêtements couleur de poussière, et quand ils se couchent
sur le sol, quand ils s’enroulent dans la couverture qui leur sert de man-
teau, ils disparaissent  » (A. Jenni, L’Art français de la guerre, 2011)
(Frantext)
14a) «  Nuage gris d’acier  » (http://ossiane.blog.lemonde.fr/category/le-gris,
consulté le 2.08.13)
14b) «  Plan de travail en résine de synthèse gris acier » (www.leroymerlin.fr,
consulté le 2.08.13)
14c) «  Lily joue de son regard acier et de sa crinière pour nous envoûter  »
(http://www.puretrend.com, consulté le 2.08.13)
15a) « Trois musiciens aux chemises de satin bleu électrique du plus mauvais
goût » (Giraud, La coupure, 1966) (Frantext)
15b) Vert marécageux (Mollard-Desfour)
15c) Bleu royal (Pantone® book of color, Mollard-Desfour) // bleu roi
15d) « Le bleu nocturne de la robe » (R. Martin du Gard, Les Thibault, 1936) //
« gaze bleu-nuit » (P. Loti, Mme. Chrysanthème, 1887) (Frantext)
15e) «  Des livres flamboyants de couleurs primaires  : bleu éclatant, rouge
incendiaire, jaune solaire » (S. King, Minuit 4, 1990)
15f) Vert impérial (=vert empire) (www.pourprechroma.com, consulté
le 2.08.13)

425
15g) Jaune impérial (www.pourprechroma.com, consulté le 2.08.13)
15h) « Du vert pisseux d’Hollywood » (Renaud, Dans ton sac, 1991)
16) Cette robe est d’une couleur Adj
17a) Ce foulard est bleu (clair+foncé+sombre+vif+pâle)
17b) *Ce foulard est d’un bleu clair
17c) Ce foulard est de couleur (claire + foncée+ sombre + vif + pâle)
17d) *Ce foulard est de couleur ravissante.
17e) Elle est de couleur verdâtre, laiteuse, cendrée
17f) *Etre de couleur lumineuse, terne, fade
17g) Être d’une couleur (qui est) lumineuse, terne, fade
17h) *Être de couleur incendiaire, marécageuse, pisseuse
18a) « explosant les étoiles dans un feu d’artifice fait de bleu, du bleu incen-
diaire de tes yeux » (www.douleuramoureuse.free.fr, consulté le 2.08.13)
18b) Un brun marécageux, un jaune pisseux, un blanc pisseux
19a) Le rouge de sa robe était incendiaire
19b) Le vert de son pantalon était pisseux
20) Incendiaire, le rose de ses cheveux !
21a) *Le rouge incendiaire
21b) *Le vert marécageux
vs 21c) Le rose mexicain/Le rose indien
21d) Un rouge incendiaire vs *Un rose mexicain
22a) *Il est tellement mexicain, ce rose !
22b) *C’est quoi comme rose ? Mexicain
22c) *Un rose très mexicain
22d) *Un rose très indien
23a) *Être d’une couleur mexicaine
23b) *Être de couleur mexicaine
24a) Saumon/rose saumon/couleur saumon
24b) Lavande/bleu lavande/couleur lavande
24c) Corail/rose corail/couleur corail
25a) °Elle portait une robe fromage MacDo
25b) °Elle avait une chemise Ketchup
26a) Une fille bête
27a) Un air bête
28a) Une histoire bête
26b) Une fille [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête
27b) Un air [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête
28b) Une histoire [ayant le comportement d’une/similaire à une] bête

426
29a) La bête vit dans les bois
29b) J’aime les bêtes

Chapitre III – Hypothèse d’un gradient de propriété


1a) °Une chemise mangue
2a) °Une voiture myrtille
1b) °J’aimerais bien la chemise mangue plutôt que celle ananas !
2b) °J’ai une voiture myrtille
3) Cette jupe rose sparadrap ne va pas bien avec ce pull rouge
4) La peinture de ma chambre est saumon
5) Cette fille là-bas est rouge comme une tomate
6) Quelle fille bête !
7) C’est une fille bavarde comme une pie
8) J’aime bien sa chemise chauve-souris
9) Julie a acheté une robe en forme de citron
10a) Une question chien
10b) Une question vache
10c) Une fille bête
10d) Un regard cochon
11a) «  Un effet, un succès bœuf » (s. v. BOEUF, PR)
11b) « Un jeu de rôle bien bourrin » (s. v. BOURRIN, PR)
11c) « Des peintres cochons » (Ch. Baudelaire, Pauvre Belgique, 1908) (s. v.
COCHON, TLFE)
11d) « Il y a des chances pour qu’on ne les revoie pas demain matin, faisait
Félicien exalté et en suçotant son mégot, l’œil vache  » (B. Cendrars,
Bourlinguer, 1948) (s. v. VACHE, TLFE)
11e) «  Il venait de lui surgir dans la tête [au proviseur] une idée vache  »
(R. Queneau, Les enfants du limon, 1938). (s. v. VACHE, TLFE)
12a) * Il est fourmi
12b) * Il est écureuil
13) Une robe rose cochon
14) «  Une chemise aux manches chauve souris » (s. v. CHAUVE-SOURIS, PR)
15a) Des pommes paille
15b) Un chapeau melon
15c) Une jupe portefeuille, cloche, corolle, ballon, pivoine (Noailly)
15d) Une robe trapèze, sac, cage, tente, cheminée (Noailly)

427
15e) Des manches gigot, ballon, chauve-souris (Noailly)
15f) Des talons aiguille, bobine (Noailly)
16a) « Le gilet de tricot cachou (…) disparaît sous un dolman saphir » (Colette,
L’Envers du Music-hall, 1913) (Le bleu)
16b) « Une Andalouse (…) faisait flotter deux foulards, l’un caroubier, l’autre
cerise, qu’elle tenait du bout des doigts » (A. Gide, Journal 1889–1939,
1939) (Le rouge)
16c) « Le talent de Mad Carpentier [la couturière] a créé une collection très
personnelle. Un bleu pervenche adoucit un bleu ardent. Ailleurs, un violet
et un bleu bleuet se marient, tandis que l’aigue-marine et le coquelicot
s’opposeront » (L’œuvre, 10.3.1941) (Le bleu)
16d) « J’avais mis ma robe hirondelle. Les autres femmes d’ici sont en bleu
foncé et, je dois le dire, sans chic » (P. Morand, L’Europe galante, 1925)
(Le noir)
17a) Julien baissait son visage endive
17b) Julien baissait son visage endive, prêt à vomir si le manège ne s’arrêtait
pas/Julien baissait son visage blanc endive
17c) Julien baissait son visage endive, au nez aquilin et aux orbites saillantes/
Julien baissait son visage en forme d’endive
18a) Une robe poire
18b) Une jupe pivoine
18c) Une cravate ficelle
18d) Un pantalon carotte
19a) Rouge tomate : « Samia émerge la première, drapée dans une maxi-
serviette rouge tomate  » (Fr. Lasaygues, Vaches noires, hannetons et
autres insectes, 1985) (Le rouge)
19b) Tomate : « Une femme (…) entre en tenant d’une main une valise de
paille et un cabas, de l’autre main un garçon d’une dizaine d’années qui
porte lui-même un panier recouvert d’un foulard tomate » (M. Butor, La
modification, 1957) (Le rouge)
20a) « Le visage bizarrement allongé des convives, le flacon caca d’oie d’un
moutardier apparaissait, d’une couleur indécise, flottant entre le violet et
le vert prune, noyé qu’il était par l’ombre tombée d’une bouteille (…) »
(J.-K. Huysmans, En ménage, 1881) (Frantext)
20b) « Pauvre Madame C..! Vous avez protégé père des conséquences straté-
giques d’un acte inconsidéré, en l’abritant sous votre jupe prune à raies
rouges » (R.-V. Pilhes, La Rhubarbe, 1965) (Frantext)
21a) °Un pull nectarine fera l’affaire

428
21b) Un pull nectarine très mûre fera bien l’affaire
22) *Une jupe pomme
23) *Une robe cochon(NE
24) *Un caillou dur comme le jade
25a) Ma sœur a des gants canari
25b) Esteban préférerait la peinture poussin pour la cuisine
25c) Le fermier d’à côté nous a montré ses poules caille
25d) J’ai vu une vache pie
25e) Julie a une voiture tourterelle
26a) Mais si, tu peux y aller, mon canari !
26b) Bon, tu fais tes devoirs maintenant mon poussin !
27a) La voisine est encore entrain de caqueter !
27b) Les deux gamines jasaient comme leur mère !
27c) Les deux amoureux roucoulaient sous les arbres 
28a) Elle est voleuse comme une pie
28b) Le chef d’orchestre n’a pas mis sa veste queue-de-pie
28c) Les policiers américains ont des voitures pie
29) °des chaussures marron kiwi
30) « Les voiles des barques qu’on voit à l’horizon sont plutôt couleur d’ocre
ou jaune saumon que blanches  » (V. Hugo, L’Archipel de la Manche,
1883) (Wikisource)
31) « Je me les présentais [le duc et la duchesse de Guermantes] tantôt de
nuances changeantes, comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail ou il
passait du vert chou au bleu prune… » (Marcel Proust, Du côté de chez
Swann, 1913) (DMC)
32a) ROSE ÉMOTION « Surtout ne glissez pas le peignoir rose-émotion
dans vos bagages : les chambres [du Negresco] sont vérifiées avant votre
départ ! » (Elle, 23.7.1979) (Le Rose)
32b) ROSE ENFANCE/BLEU VERTU « Mais des barbouzeux frétillent car,
badinant du tutu, entrent deux petites filles, rose enfance et bleu vertu,
pour baller la séguedille et le montulevoitu » (R. Rabiniaux, L’Honneur
de Pédonzigue, 1951) (Le Rose)
32c) «  La chambre d’amis venait de devenir nursery. Tous les meubles sur le
palier. Le lit de ma mère mis au rebut. La coiffeuse par Ruhlmann reven-
due à vil prix. Et ce qui avait été épargné du mobilier repeint en rose-
crétin » (J. Vautrin, Baby Boom, 1987) (Le Rose)
33) «  Assise sur un banc, rue de la Folie-Régnault, c’était une clocharde
édentée, vêtue d’une robe de chambre caca d’oie, poussant une voiture

429
d’enfant pleine de hardes diverses, et répondant au sobriquet de la
Baronne. » (G. Perec, La Vie mode d’emploi : romans, 1976) (Frantext)
34) «  Tout simple, mousseux, moelleux, il [un peignoir] est délicieusement
enveloppant. Blanc éclatant pour une belle mine, ou rose douceur pour la
bonne humeur, il est le luxe de l’après-bain » (Elle, 16.8.1982) (Le rose)
35a) La ville de Bordeaux est très connue
35b) La bataille de Magenta fut une bataille sanguinaire
35c) Corinthe est une ville de Grèce, où sont produits de fameux raisins secs
35d) On a servi un bon bordeaux dans ce restaurant
36a) «  La robe raisin de Corinthe, le grand chapeau chancelant » (Colette,
La femme cachée, demi-fous, 1924) (Le rouge)
36b) «  Pour les toilettes élégantes (…) : gris ramier, raisin de Corinthe, mar-
ron (…) » (La mode illustrée) (Le rouge)
36c) «  Le velours restera tout à fait en faveur et j’en ai vu de ravissants dans
tous ces tons nouveaux, dont nous raffolons : corinthe, améthyste (…) »
(Fémina, août 1926) (Le rouge)
37a) Les Pierre sont des êtres stables
37b) Un Bernard a téléphoné
37c) Cette musique, c’est du Bach
37d) Ils s’en repentiront lui et son Audrey
37e) Une gamine, cette Nella
38a) Paul arrive
38b) Le/x/qui est appelé Paul arrive
38c) *Comment s’appelle Kirk Douglas ?
38d) *Les Albert n’ont pas de nom
39a) Laforgue vient de découvrir Laforgue
39b) Goethe est devenu Goethe
39c) Une coiffure Louise Brooks
40) « Tu rêvais de Byzance
Mais c’était la Pologne
Jusque dans tes silences » (Renaud, Petite conne, 1986)
40b) J’ai vécu 5 ans en Pologne
41a) Le parti mitterrandien
41b) Le parti mitterrandiste
42a) *Brun van dyckiste
42b) *Rouge tiepoliste
42c) *Vert véronésiste/véroniste
43a) Je veux un service à thé brun van dyckien

430
43b) Je veux un service brun Van Dyck
44a) Un ton très gaullien
44b) Un ton très de Gaulle
44c) *Un ton de Gaulle vs 44c’) Le ton de Gaulle
44d) Un ton gaullien
45) «  La scène tourbillonne entre Rubens, Carpaccio et Le Titien, se clôt en
plein Véronèse. Ici ou là des rouges zeffireliens » (L’Express, 25.2.1987)
(Le rouge)
46a) Une robe moutarde
46b) Une robe jaune moutarde

431
Annexe II – Corpus supplémentaire
[très + TdeC]

Ce corpus illustre qu’il existe en réalité de nombreux exemples de combinaisons


de l’adverbe très avec un TdeC, qu’il soit simple ou complexe d’un point de vue
constructionnel.

1. Très + TdeC simple


1.1. Très blanc
« cherche enduit très très blanc pour enduit cellulaire » (http://www.forumconstruire.
com/construire/topic-165790.php, consulté le 30.06.13)
«  les UV quand on est très blanc ?  » (http://www.jeuxvideo.com/forums/1-51-
23823350-1-0-1-0-les-uv-quand-on-est-tres-blanc.htm, consulté le 30.06.13)
« Une texture ferme, très proche d’une fabrication artisanale, caractérise ce fon-
dant très blanc, qui, outre son utilisation en glaçage classique permet la réalisation
de pièces montées en choux ou en sucre coulé » (http://www.meilleurduchef.com/
cgi/mdc/l/fr/boutique/produits/gre-fondant_blanc.html, consulté le 30.06.13)
«  le lingot du Nord (label rouge), gros, allongé et très blanc. Le coco, gros et
blanc, consistants mais non farineux  » (http://www.supertoinette.com/fiche-
cuisine/357/haricots-a-ecosser.html, consulté le 30.06.13)
« dans la nécropole punique, (…) creusé à travers un grès tendre, très blanc et
très friable [Sarcophage en marbre blanc orné de peinture trouvé à Carthage] »,
Delattre, Alfred Louis (http://www.persee.fr, consulté le 30.06.13)

1.2. Très jaune

« 16 mois et teint très jaune mais pas le blanc des yeux » (http://forum.doctissimo.
fr/sante/sante-enfant/jaune-teint-mois-sujet_164384_1.htm, consulté le 30.06.13)
« bonjour, mon « figaro » est malade depuis hier. il a commencé par vomir son
repas, puis depuis hier, il vomit très souvent des petites quantités de (bile ?)

432
très jaunes et liquides. Il est amorphe, d’un calme suspect et je m’inquiète un
peu ! » (http://forum.aufeminin.com/forum/f599/__f461_f599-Mon-chat-vomit-
liquide-tres-jaune.html, consulté le 30.06.13)
«  Une PS3 Slim très jaune  » (http://www.ps3gen.fr/mod-ps3-slim-flasheur-
article-10225-1.html, consulté le 30.06.13)

« Eau très jaune » (http://www.forumaquario.org/t25852-eau-tres-jaune, consulté


le 30.06.13)

« Une urine très jaune signifie que vous êtes déshydraté et que vous ne buvez pas
assez d’eau » (http://www.web-docteur.com/172.htm, consulté le 30.06.13)

« [une paire de tongs] Très très jaune » (http://nupied.blogspot.com/2010/08/tres-


tres-jaune.html, consulté le 30.06.13)

« [photo de champs de pissenlit] C’est très jaune » (http://amnesix.net/?p=2101,


consulté le 30.06.13)

« Jaune comme un coing : très jaune, au teint bilieux » (http://dictionnaire.rever-


so.net, s. v. COING, consulté le 30.06.13)

«  Oui elle est très jaune, mais elle est belle, lumineuse comme un soleil et
rayonnante au doigt !  » (http://www.iconoclastique.com/Shop/product.php?id_
product=138, consulté le 30.06.13)

« 1e beau chapon de 4 kg du Gers, à la graisse très jaune » (http://www.marmiton.


org/recettes/recette_chapon-au-vin-de-paille_11729.aspx, consulté le 30.06.13)

« Au plus fort de l’été, le gazon est très jaune et sec comme du foin » (http://www.
designvegetal.com/gadrat/g/gazon/gazonpb1.html, consulté le 30.06.13)

«  L’Or pur à 999,9‰, dit Or Fin, est bien sur très jaune, et son alliage à
750‰ avec du cuivre et de l’argent donne une couleur jaune, légèrement plus
pâle  » (http://www.mon-joyau.com/content/8-bijoux-or-jaune, consulté le
30.06.13)

« alors voila je vous montre ma manucure en vernis jaune très jaune de chez
claire’s  » (http://www.youtube.com/watch?v=DhPKNdec4Fk, consulté le
30.06.13)

« feuille gaufrée [de plante] très jaune du type « Big daddy » » (http://www.hosta.
be/Fr%20hostacatalogus/F%20fr.htm, consulté le 30.06.13)

433
« Pain a base de mais avec une mie très jaune » (http://www.moulins-antoine.fr/
farine-traditionnelle.php, consulté le 30.06.13)

« Une rose d’une couleur très jaune pâle » (http://www.fond-ecran-image.com/


galerie-membre,fleur-rose,rosetroisboutons2jpg.php, consulté le 30.06.13)

1.3. Très rouge


«  Fesses très rouge et couches lavables  » (http://puericulture.forumactif.com/
t15852-fesses-tres-rouge-et-couches-lavables, consulté le 30.06.13)

« Il [bébé] est très rouge (…). Et le teint de votre tout-petit deviendra plus rosé »
(http://www.famili.fr/,il-est-tres-rouge, consulté le 30.06.13)

«  Le Pont rouge vraiment très rouge (…) La nouvelle rambarde affiche un


rouge vif qui perpétue la tradition fidèle au nom de ce pont  » (http://www.
lindependant.fr/2012/02/25/le-pont-rouge-vraiment-tres-rouge,119489.php,
consulté le 30.06.13)

« Bonsoir, ce soir, le ciel était très rouge » (http://www.cidehom.com/question.


php?_q_id=2757, consulté le 30.06.13)

1.4. Très vert


«  taboulé de quinoa très vert  » (http://cuisine.elle.fr/Elle-a-Table/Recettes-de-
cuisine/Taboule-de-quinoa-tres-vert-1539138, consulté le 30.06.13)

« Un mur vert très vert [avec beaucoup de lierre] » (http://graine-de-jardin.cen-


terblog.net/1-le-mur-vegetalise-un-mur-vert-tres-vert, consulté le 30.06.13)

« Grands cercles ou demi-cercles de gazon très vert » (http://www.vertdure.com/


fr/cercle-gazon-tres-vert.aspx, consulté le 30.06.13)

«  Nailart très vert  » (http://weheartit.com/entry/26725515?pgx=EntryBoxed,


consulté le 30.06.13)

«  Un univers [décor de jeu] très vert  » (http://www.jeuxvideo.com/videos-


editeurs/0001/00014128/wiki-pc-univers-tres-vert-00006812.htm, consulté le
30.06.13)

434
2. Très + TdeC construit
2.1. Très + TdeC complexe monolexical
2.1.1. Très marron

«  Qu’est-ce qui est petit et très marron ?  » (www.jeuxvideo.com, consulté le


30.06.13)
« - C’est très marron disons. – Oui couleur havane  » (www.twitter.com/
GHABAULT, consulté le 30.06.13)

2.1.2. Très mauve

« L’oréal Endless Kissable Lipcolour Lipstick, très mauve » (http://www.amazon.


com/LOreal-Endless-Kissable-Lipcolour-Lipstick/dp/B001KYNXFY, consulté le
30.06.13)
« Dimanche très mauve et très violet. Mais oui c’est mon étole adagio » (http://
byfeemauve.blogs.marieclaireidees.com/archive/2011/02/27/journee-tres-mauve-
et-violet.html, consulté le 30.06.13)
« J’ai une amie qui fume des joints tous les jours, mais elle n’a pas les yeux rouges
mais très très mauves en dessous, comme un gros coquard » (forum.doctissimo.
fr, consulté le 30.06.13)
« C’est pas très-très mauve [couleur de la peinture de la chambre], je trouve, et
puis… » (forum.aufeminin.com, consulté le 30.06.13)
« Lavande plus très mauve » (www.aujardin.org, consulté le 30.06.13)

2.1.3. Très orange

«  Un repas très orange  » (http://www.skynet.be/lili-fr/famille/dossier/855226/


un-repas-tres-orange, consulté le 30.06.13)
« Toujours idem que pour la phase Citron et orange mais couleur de fond très
orange » (www.batraciens-reptiles.com, consulté le 30.06.13)
« S’il n’y a pas assez de dioxygène, la combustion est alors incomplète, la flamme est
très orange » (pignolos.pagesperso-orange.fr/…/4e_ch4.htm, consulté le 30.06.13)

435
« 27 janv. 2011 – Peut-être que megaupload va changer sa charte graphique : c’est
un site très orange quand même » (www.degroupnews.com, consulté le 30.06.13)
«  perso il m’arrive d’avoir la langue orange de temps a autre. elle est vrai-
ment très orange pas juste un peu mais vraiment très orange » (forum.doctissimo.
fr/…/langue-orange-bizarre, consulté le 30.06.13) 
« 2 mars 2011 – Variété de tomates moyennes régulières très orange » (tomodori.
com/…/cataloguecadres, consulté le 30.06.13)

2.2. Très + TdeC complexe polylexical


2.2.1. Très bleu ciel/roi/de Prusse
« Les lunettes très très bleu ciel » (http://leslunettestrestresbleuciel.tumblr.com,
consulté le 30.06.13)
«  Moi je compte m’en faire une de ce style très bleu roi, et avec des manches
bien ballon, c’est trop mignonnn [sic] » (http://lesfeestisseuses.xooit.com/t13743-
Robe-pour-femme-enceinte.htm, consulté le 30.06.13)
« En grossier c’est un procédé de tirage qui donne une image très cyan depuis
un néga, très bleu de Prusse  » (http://www.bistro-photo.fr/forum/le-materiel/
cyanotype/5/?wap2, consulté le 30.06.13)

2.2.2. Très rouge bordeaux/vermillon


« Au rayon boucherie, américain nature : haché de bœuf (très rouge-bordeaux),
pas l’hachis de cheval !!!  » (http://www.meilleurduchef.com/cgi/mdc/forum/fr,
consulté le 30.06.13)
« RESULTAT, au départ très rouge bordeaux ; la couleur [du savon à base sorbet
mûres] est parti petit à petit. il sent très bon, est très très doux, fait une mousse
onctueuse, ma fille peut l’utiliser sans problème sans avoir de crises d’eczéma »
(http://mesproduitsdebeautfaitmaison-letis.blogspot.com/2009/11/savon-adoucis-
sant-miel-sorbet-mures.html, consulté le 30.06.13)
« Si quelqu’un a des graines, même peu, de capucines roses ou Princess of India
(très rouge vermillon sur feuillage vert franc), je prends ! » (http://www.aujardin.
org/capucines-t119125.html, consulté le 30.06.13)

436
2.2.3. Très vert pomme/sapin/menthe/olive
«  Il vient d’être remis à neuf, et est vraiment sympa  : design, très lumineux et
cosy, avec un mélange de coins canapés et de chaises en hauteur, dans un univers
très « vert pomme » axé sur la diététique, la nature, le frais » (http://grandmath.
canalblog.com/archives/2006/12/28/3538238.html, consulté le 30.06.13)
«  très vert pomme cette targa  » (http://www.touscollectionneurs.com/forum,
consulté le 30.06.13)
« En même temps, mon vert à moi fait très vert pomme sur la simu il peut être anis
et moins flashy » (www.deco-moderne-fr.com, consulté le 30.06.13)
« Ayant acheté la laine sur le net, je la croyais vert anis, elle était très vert pomme »
(http://petitemademoizel.fr/blog/tag/tricot/page/2/, consulté le 30.06.13)
«  Bon, ok, il [un buste de Batman] est plus d’un vert éteint, kaki normalement
le Sauron que de ce vert très …vert pomme » (http://www.marvelscustoms.net/
t1023p15-buste-sauron, consulté le 30.06.13)
«  Une vue d’extérieur (très vert pomme) du magasin Prixbas de Mulhouse  »
(http://logos.over-blog.com/20-index.html, consulté le 30.06.13)
« Je ne m’attendais pas à cette couleur très vert sapin, j’imaginais un kaki plus
doux » (http://kleinclau.canalblog.com/tag/laine/p20-0.html, consulté le 30.06.13)
«  1 fil de Renaissance Dyeing vert tendre + 1 fil d’un reste de mohair Berger
du Nord très poilu, très vert sapin  » (http://feuillenlaine.canalblog. com/
archives/2010/01/11/16472402.html, consulté le 30.06.13)
« D’habitude j’suis pas très vert menthe mais là ! Chapeau pour la couleur (…) »
(http://www.26in.fr/forum/227,vt18627.html?postdays=0&postorder=asc&s-
tart=3390, consulté le 30.06.13)
« Pour ma part (…) il [un vernis] est très vert olive » (http://www.maviediscrete.
com/2011/09/opi-touring-america-33.html, consulté le 30.06.13)
«  c’est en effet très vert olive (la prochaine fois essaie de mettre les photos en
direct sur le forum en passant par servimg.com ou casimages.com, c’est plus
facile pour tout le monde  » (http://deco-design.fr-bb.com/t7976-reamenager-
ma-salle-de-bain-a-moindre-frais, consulté le 30.06.13)
« Feuille A4 très vanille - réf 109898 à 7.95 € les 40 feuilles Feuille A4 très vert
olive - réf 109991 à 6.25 € les 24 feuilles » (http://scrapbooking-peinture-art.over-
blog.com/article-32544304.html, consulté le 30.06.13)

437
Annexe III– Corpus additionnel

«  Le soleil éclate en cent étoiles scintillantes à travers le branchage mouvant du


pommier dans le vent devant la fenêtre, constellations blondes, fauves, cuivre,
dorées, jaune paille, orangées, ocre, sable et isabelle pâle, multipliant les rayons
droits, centrés, courts, aigus et vifs comme un trille ; l’été des Indiens a gommé la
palette des verts : oubliés le tilleul, l’amande, l’émeraude, céladon, pomme, bou-
teille, olives, nuances reposantes dans l’accablement d’août, le feuillage des érables
s’ensemence de garance, carmin, cinabre, corail, écarlate et coquelicot, brique et
ponceau, tango, bordeaux, cramoisi, sanguine et rubis, les glacis, riches de rouges,
grenats, pourpres ou vermeils, donnent au monde une chair incarnate sous un ciel
au bleu surnaturel où le vent jette sa transparence laminaire et sèche de sorte que se
tordent les branchages devant la lumière solaire et la diffusent en fragments trem-
blants, bain, ivresse, furie ; existe-t-il une idée ou des mots qui vaillent cette minute
d’éblouissement ? » (M. Serres, Les cinq sens, 1985)

Le corpus ci-dessous n’est pas présenté dans un but lexicographique : il est loin
d’être exhaustif et ne donne pas la définition des occurrences (en d’autres termes
il n’explique pas quelle est la propriété du référent du N). Ce n’est pas non plus
la liste des exemples utilisés dans le travail de thèse. Loin d’être l’énumération
complète de tout le lexique chromatique, sont rassemblés ci-dessous de nombreux
termes chromatiques, qui vont appuyer (illustrer et justifier) notre travail en confir-
mant la variété d’expressions chromatiques ainsi que la productivité florissante :
certaines occurrences semblent en effet inédites, ce qui n’empêche pourtant pas
l’interprétation.
Ce corpus est composé en majorité d’exemples recensés dans les ouvrages dic-
tionnairiques de Mollard-Desfour auxquels nous renvoyons pour un supplément
d’informations. Nous n’avons choisi dans les listes terminologiques qu’elle pro-
pose seulement quelques exemples qui servent simplement à illustrer ce que nous
évoquons dans notre thèse. La mention de l’ouvrage duquel est tiré l’exemple
suit la phrase d’exemple (cf. bibliographie pour les références exactes des vo-
lumes). Les références bibliographiques des exemples sont celles mentionnées par
Mollard-Desfour : nous n’avons gardé que l’auteur, le titre de l’ouvrage et la date
de parution. Nous avons étoffé avec le corpus que nous avions utilisé dans nos
travaux antérieurs à l’aide de Frantext, Le Monde, Chroma.fr, le dictionnaire de C.
Guillemard, littérature personnelle et différents ouvrages dictionnairiques….
Chaque liste d’exemples appartient à un paragraphe qui illustre un fait
linguistique propre défini dans le titre. Nous avons tenté de répéter au minimum

438
les exemples qui pourraient apparaître dans deux catégories, cependant quelques
cas de récurrences peuvent apparaître.

1. Exemples illustrant la composition


1.1. En position adjectivale
1.1.1. Avec un nom commun
Cette liste illustre principalement la grande liberté des constructions quant à
la variété du type de référents dont la propriété est activable par une composi-
tion et au caractère inédit de l’occurrence construite. Nous avons sous-divisé
en sous-catégories selon la catégorie syntaxique (nominale ou adjectivale) ain-
si que selon le type de noms (commun ou propre), même si cette dichotomie
s’avère sans conséquence pour cette opération constructionnelle.
«  Le flacon de Fumigalène est là, sur l’étagère, à côté des sachets de tilleul et de
thé. Sur l’étiquette, un profil démodé happe avec délice une volute de fumée blanc
neige » (Ph. Delerm, La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, 1997)
(Le blanc)
«  Ordinateurs Hauts en couleur. Blanc zen, vert écolo279 ou gris urbain… Pour
s’affranchir de la monotonie, rien de tel qu’une cure de polychromie. Claviers et
écrans grisâtres appartiennent au passé  » (L’Express Mag, n°2888, 9.11.2006,
« A.M. L, Ordinateurs. Hauts en couleur ») (Le blanc)
« Car il avait un visage de charme, et son veston allait bien, et il portait un gilet
fantaisie de soie rayée, perle et gris fer, un modèle que Reine avait vu chez Charvet,
et une cravate gorge-de-pigeon qui répondait à la musique »  (L. Aragon, Les Voya-
geurs de l’Impériale, 1947) (Le blanc)
« Le jeune enfant bonheur en bleu barbeau, Pourtant le vieil honneur seul était beau,
Le jeune enfant bonheur portait flambeau, Mais le vieillard honneur seul état beau »
(Ch. Peguy, Quatrains, 1914) (Le bleu)
« La miraculeuse créature [une mésange] peinte de bleu céleste, rehaussée de vert
saule et de jaune jonquille » (Colette, En pays connu, 1949) (Le bleu)

279 Comme certaines phrases possèdent deux exemples, l’ordre alphabétique n’est pas
toujours respecté. Nous n’avons pas non plus tenter, pour les mêmes raisons, de les
classer dans des sous-catégories.

439
« Je roulai pendant une demi-heure dans un vaste marais asséché, un désert fertile
d’argile blanc, creusé de drains, rayé par des lignes d’osier jaune. Le ciel, là-dessus,
se tendait, bleu drapeau » (R. Vercel, Capitaine Conan, 1934) (Le bleu)
« Le muletier s’assit à table en face du grand-père. C’était un grand blond, de front
dégarni, avec un nez un peu canard, et des yeux bleu-faïence  » (H. Pourrat, Les
Vaillances, forces et gentillesses de Gaspard des Montagnes, la Tour du Levant,
1931) (Le bleu)
« (…) Poterloo s’est arrêté au milieu de la route où le coton du brouillard s’effiloche
en longueur, il est là à écarquiller ses yeux bleu horizon, à entr’ouvrir sa bouche
écarlate » (H. Barbusse, Le Feu, 1916) (Le bleu)
« (…) elle portait une robe en crêpe Georgette bleu jacinthe plissée et trop serrée à
la taille par une ceinture de velours grenat » (R. Sabatier, Trois sucettes à la menthe,
1972) (Le bleu)
« Après Montaquier, je pourrai débarrasser la ville de tous les salauds. C’est ce que j’ai
pensé. Dans mon regard, le tondu aux yeux bleu javel a dû le sentir. Il a encore craché :
« On te règlera ton compte, t’en fais pas ! » » (V. Thérame, Bastienne, 1985) (Le bleu)
«  De quoi réveiller tous les fantasmes contenus depuis des lustres. Leur rappeler
ces nuits miraculeuses. Un certain fumeur de Gitanes aux yeux bleu lagun280  »
(E. Hanska, Les Amants foudroyés, 1984) (Le bleu)
« Vous aimerez voir dans votre miroir la brosse soyeuse vous faire des cils immenses
et brillants, dans la couleur que vous préférez : noir magnétique, bleu océan, vert
forêt, bleu comme le ciel » (Prima, sept. 1990) (Le bleu)
« Des gants lavables (…) Même des bleu-vierge281, qu’il y en a. » (Colette, Julie de
Carneilhan, 1941) (Le bleu)
« Ce printemps et cet été, la mode est aux imprimés. (…) Les couleurs s’appellent
blanc écru, rouge framboise, bleu Delft, violet évêque, vert menthe  » (Le Point,
15.3.1976) (Le bleu)
« Comme prévu, et comme papa, il [Anthony Delon] est très beau. L’œil bleu-vert lac
bordé d’une forêt de cils, les dents blanc neige, le cheveu noir blouson, les épaules
rondes, juste ce qu’il faut » (Elle, 29.7.85) (Le noir)
« Robicek se renfrogna en observant l’icône de chargement tournoyer inlassablement
au centre de l’écran noir charbon » (M. Dantec, Babylon Babies, 2003) (Le noir)
« Les pigeons avaient la tête de l’emploi. Deux reflets noir suie » (D. Picouly, « Tête
de nègre », Le Monde, 17.8.1996) (Le noir)

280 Comme la couleur bleu vert du cocktail alcoolisé de ce nom.


281 Comme la couleur du manteau de la vierge. 

440
« On remplit [les chariots métalliques] de spaghettis, de biftecks sous cellophane, une
bouteille de Pschitt orange, quatre rouleaux de papier W.C. rose bonbon et un liquide
pour faire la vaisselle dans la joie » (P. Cauvin, Monsieur Papa, 1976) (Le rose)
« Couleurs fluorescentes, créatures déjantées, animations survitaminéess sur fond
rose bubble gum. Sur le site Ssssplash.fr, l’internaute en prend plein les yeux  »
(Stratégies, 10 mars 2000, in wwww.ssplash.com » (Le rose)
« La maison, basse et large, accolée au talus avec l’idée de se garer du vent et des
hommes (…), recouverte de vieilles tuiles rose-chair (…) » (E. Triolet, Le premier
accroc coûte deux cents francs, 1945) (Le rose)
« Petit garçon d’honneur, Marine chemise en col froncé et pantalon blanc (Agnès B.)
dans les bras de sa maman en tailleur-minijupe « rose dentifrice », dont la veste et
les manches sont soulignés de « scoubidous » (Marie-Claire, 1994) (Le rose)
« Il se laissa couper les moustaches et affubler d’un pardessus couleur de banane
qui lui descendait à la cheville, d’un chapeau sport du même ton, qu’il portait très
en arrière, d’une paire de souliers en daim très clair et d’une cravate rose fesse sur
fond de chemise verte » (M. Aymé, Le Vin de Paris, 1947) (Le rose)
« Elle n’avait pourtant pas beaucoup de poitrine sous son tee-shirt rose jambon »
(R. Forlani, Gouttière, 1989) (Le rose)
«  En rose pétale, vert céladon (…), tous [des sacs à dos] sont ornés d’une bande
irisée, et sont parfaits de midi à minuit… » (Madame Figaro, 12.2.2000) (Le rose)
«  Plus que jamais on voit la vie en rose. (…) Rose pétard ou rose buvard ? Les
vitrines de la capitale donnent le ton. Et nous ? On va les imiter » (Madame Figaro,
27.5.200) (Le rose)
« Jupe moulante en maille fine monté en sur élastique, 300 F. Existe aussi en noir, per-
venche, vert sapin, chocolat, marine, rose loukoum » (Le Point, 21.9.1987) (Le rose)
« Dans les années vingt se développe un nouveau principe : les sous-vêtements coor-
donnés (…) et offert dans des couleurs plus variées : rose, bleu ciel, mauve, jaune
pêche, corail, ivoire, champagne, saxe, cyclamen, vert pomme, jade et noir (…) »
(B. Fontanel, Corsets et Soutiens-gorge. L’épopée du sein de l’Antiquité à nos jours,
1992) (Le rose)
« Gamme générale très claire : bleu pastel, rouge vif, vieux rose, vert mousse, jaune
d’or (…) pour un tableau » (Ch. Dubos, Journal, t. 4., 1928) (Le rose)
« Je trouvais sur la table une dizaine de volumes aux fraîches couleurs de bonbons aci-
dulés : des Montherlant vert pistache, un Cocteau rouge framboise, des Barrès jaune
citron, des Claudel, des Valery d’une blancheur neigeuse rehaussée d’écarlate » (S. de
Beauvoir, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958) (Le rouge)
« Elle tricote des foulards, jaune moutarde, vert irlandais, rouge pompier. Des couleurs
vives et criantes quoi ! » (M. D’Amour, Michel, gai dans le village, 1989) (Le vert)

441
«  son corsage à grands revers et à grandes basques, tout reluisant d’énormes
boutons d’acier, était rouge sang » (A. France, Les Dieux ont soif, 1912) (Le rouge)
« La petite fille était en crème avec des gants rouge sang de bœuf » (J. Renard, Journal :
1887–1910,1910) (Le rouge)
« D’abord un petit tailleur BCBG bien cintré. Ensuite ça se gâte : un fourreau d’enfer
rouge vampire, en panne de velours bien moulant  » (Le nouvel Obs, 16.10.97
(Le rouge)
« De prime abord, sa couleur vert alien n’est pas des plus rassurantes. Pourtant, ce
shampoing-Masque est un délice » (Le Figaro Madame, « Un masque pour cheveux
gras », 10.4.2008, madame.lefigaro.fr-Claire Mabrut) (Le vert)
« Trouvé chez lui Marie Laurencin (exquise dans une sorte de sweater très ouvert,
gris et vert-artichaut) et Sert, venu pour lui annoncer son succès » (A. Gide, Journal :
1889–1939, 1939) (Le vert)
«  toute une série de couleurs plus foncées : Bordeaux, brique, mordoré, bleu roi,
marine, prune, vert bouteille » (La mode illustrée, 1909) (Le rouge)
«  Aux robes de drap beige clair ou beurre on mettra des cols, des revers, des
parements de velours vert buisson, ou vert myrthe (…) » (La mode illustrée, 1902)
(Le vert)
« Elle avait voulu en avoir le cœur net avant l’échéance, là voilà sens dessus des-
sous, le visage horrifié, les membres tremblants ; elle erre dans la rue, par cette nuit
solitaire, et s’en va gémir sa douleur, sur un banc vert cadavre de la place Saint-
Esteban » (J. Kolkelberg, Maruschhka, 2004) (Le vert)
«  Devant nous défilent successivement des boys-scouts, ou je ne sais quoi d’ana-
logue, en jersey bleu, jaune serin et vert chou  » (A. Gide, Journal : 1889–1939,
1939) (Le vert)
«  C’est devenu tellement moche. La cuisine, ils l’ont repeinte en vert-clinique.
Y compris le plafond. En gardant le carrelage jaune. Une horreur ! » (Juju, « Rolling
Cow », La famiglia, 21.7.2001) (Le vert)
« Les teintes grège (naturelle), beige, (…) vert cresson, seront en grande faveur »
(La Mode illustrée, 1905) (Le vert)
« Découvrez vert cyprès l’une des 3400 couleurs de peinture de Benjamin Moore ;
faitout vert cyprès ; Toile vert cyprès ; tablier vert cyprès (…) (« Provence tradition-
nelle et contemporaine », www.carrelages-brutal.fr) (Le vert)
« 3000 pièces de draps en couleurs unies ou mélangées en 5/4, 4/4 et 5/8 de largeur
pour faire des redingotes : 4000 de drap bleu national, 2000 de drap blanc et 1000
de drap vert-dragon » (Annales de Bretagne et des pays de l’ouest. Anjou, Maine,
Touraine, vol. 97, 1990) (Le vert)

442
« Chasse à la pluie quotidienne (ou presque) avec cette tenue de combat tout terrain.
En gabardine de coton imperméable vert écolo, doublée de drap de laine » (Le point,
16.9.1985) (Le vert)
« (…) des classeurs, des présentoirs publicitaires, des garnitures de bureau, des
cartonniers en toile rouge sombre ou vert empire avec des filets à l’or fin (…)  »
(G. Pérec, La vie mode d’emploi, 1978) (Le vert)
« Trop cuit, il se décompose tout de suite et donne un vert extraterrestre à une eau de
cuisson, dégageant une forte odeur » (Libération, 25.11.1995) (Le vert)
« de petits autobus vert forêt » (G. Roy, La détresse et l’enchantement, 1984) (Le vert)
« Une cravate en soie vert fougère barrait sa chemise rayée d’un gris plus pâle que
le costume » (Ph. Delaroche, Caïn et Abel avaient un frère, 2000) (Le vert)
«  Sa jupette vert gazon fendue sur cuisses nues vous donne des fourmis dans les
doigts ! » (Fr. Lasaygues, Vache noire, hannetons et autres insectes, 1985) (Le vert)
« Mais d’un bon faiseur alors le costard, la tenue de retraité garde-champêtre. Veste
d’antilope, false de cheval, bottes briquées, le petit chapeau vert-gestapo avec la
plume de perdrix. Il part en week-end » (A. Boudard, La Cerise, 1963) (Le vert)
«  Brunet fait une scène, prétend que si on ne lui achète pas un foulard vert
grenouille, il ne pourra pas bien travailler » (H. de Montherlant, Le Démon du bien,
1937) (Le vert)
« Mamie est dans tous ses états. Elle cherche partout sa protégée, qu’elle finit par
retrouver, en jaune canari, au milieu de la tribu des chapeaux vert grenouille. D’une
poigne énergique, elle la ramène à la volière pépiante » (Fr. Schneider, La femme de
Loth, 1999) (Le vert)
«  Vert huître il est devenu. Sur le coup, je me suis dit –« Et merde, je me le suis
tué ». Mais quand j’ai vu qu’il claquait des dents, ca m’a rassuré. –« Plus de peur
que de mal ! » » (JYD, Guitoune, héroine médicaine, Acte I, Atramenta, 15. 3. 2011,
InLibroVeritas.net) (Le vert)
« Coloration d’après l’insecte vivant : tête blanc crème à vertex vert if coupé d’une
bande crème se prolongeant jusqu’à l’occiput. Yeux crème à 5 stries vert if (…) »
(Muséum national d’histoire naturelle, Mémoires du Muséum national d’histoire na-
turelle : Zoologie, vol. 30, 1964) (Le vert)
«  Habillés de vert laurier, vert basilic et vert anis, la célèbre maison Le Creuset
inscrit ces mini-cocottes dans une nouvelle dimension ultra tendance » (Wikio Shop-
ping, Coffret de trois mini cocottes Green mini’s Le Creuset, 2011) (Le vert)
« Pompon, un vieux qui dort dans le square d’en face, Il porte un costard gris pas
trop cradingue, ses charentaises et ses éternelles chaussettes vert laitue » (E. Hanska,
Fascination, 1986) (Le vert)

443
« Je choisissais une pomme grise aux touches vert lichen, celle qui me semblait la
plus mûre » (C. Châtry, Les Rubans roses, 2007) (Le vert)
«  Le lendemain, j’allumai dès mon réveil le téléphone cellulaire, espérant voir
sur l’écran vert luciole la petite enveloppe indiquant qu’un message attendait »
(Ph. Espérandieu, Aux temps d’importance, 2010) (Le vert)
« Je cherche une robe ou une tunique de couleur de couleur vert émeraude ou vert
lutin, je ne sais pas vraiment comment s’appelle ce vert précisément » (Umidasu,
Forum, 6. 10. 2010, vive les rondes) (Le vert)
«  (…) les murs sont tendus de soie verte. Blanche hésite sur la nuance, le terme
exact : vert d’eau ou vert lotus ? – Vert jade, répond Damien. Vert d’eau fait Plouc,
tu perds dix points. – Avec ces spots minables, tu m’excuseras… » (M. Braudeau,
Sarabande, 2006) (Le vert)
« Ambiance jaune canari-vert perruche pour cet authentique « bar à lait », reliquat
de l’ancien régime communiste, à honorer désormais tel un monument historique »
(Michelin, Escapades en camping-car : Europe, 2011) (Le vert)
«  Je me regardais agir avec perplexité, je dévisagerais en silence cette inconnue
pour savoir s’il y avait vraiment tout cela dans ces yeux dont les incertaines couleurs
se diluaient du gris pâle au vert marais » (J. Stemberg, L’anonyme, 1982) (Le vert)
«  Je détaillais sa tenue, elle était parfaite  : pantalon de flanelle grise, veste vert
marécage » (Ch. De Rivoyre, La mandarine, 1957) (Le vert)
« Je porte ici un modèle de la collection Petit Bateau hiver 2000–2001 : un pyjama
pour fille, rayé rouge et écru, qui existe aussi en gris et en écru, beige et bleu Pana-
ma, vert palmier et beige …de 2 à 18 ans. 205 à 255 FF » (Afrique magazine, n°178)
(Le vert)
« Rouge vin, vert pin. Robe en lin belle allure » (Marie-Claire, mars 1984) (Le vert)
« Une jeune file se promenait dans l’allée de cyprès, les cheveux noirs, une casaque
vert pré sans manches (un cadeau de Lucia, sa nouvelle amie), une jupe étroite
vert pin qui soulignait ses formes… » (J. Federspiel, Géographie du plaisir, 1992)
(Le vert)
« (…) Chapeau vert olive, habit vert Lincoln avec rayures vert de mer, chemise vert
pois, chaussettes vert épinard » (P. Larousse, G. Moreau, Revue universelle : recueil
documentaire universel et illustré, vol. 15, 1905) (Le vert)
«  Chemise d’homme en satin bleu lagon, qui existe également en rouge vif, vert
salade, ivoire et noir » (Le Point, 29.10.1984) (Le vert)
« Avec ce jeune homme barbu [Georges Lucas], tennis effondrés, chemise à carreaux,
shetland vert wagon et Levi’s maronnasse, le glamour hollywoodien en prend un
vieux coup ! » (Le Point, 8.9.1980) (Le vert)

444
« M. Vo-Chon est confortablement enveloppé dans une robe ouatée de bleu de ciel,
qui descend sur des pantalons vert pomme pas mûre (…) » (E. Vedel, Lumières
d’Orient, 1901) (Le vert)
«  De grandes jupes espagnoles rose radis, vert salade, rouge pomme d’amour  »
(Colette, La jumelle, 1938) (Le vert)
« Essayez aussi [dans les salles de bains] les teintes de bonbons sucrées ou acidulés :
jaune citron, rose guimauve, vert anis, vert mentholé…Osez les nuances vives : vert
salade, vert gazon, turquoise flashy, violet (…) » (Réponses Bain, n. 72, « Styles &
Ambiances », « Attitude », 2004) (Le vert)
« Les nuances rose pastel et bleu de Delft, rose ibis et bleu océan, cerise et prune,
vert émeraude ou vert salade, jaune citron, orange, améthyste, violet prélat, reflètent
une adorable lumière sous le bleu du ciel (…) » (Le Flambeau, vol. 1, partie 1, 1915)
(Le vert)
« Modes robes du soir en mousseline de soie vert sirène » (« Robes du soir », SilkTM.
com, china-wedding-dress) (Le vert)
« Mais le valet de chambre vêtu d’une queue-de-pie bleu roi parle, lui » (J. Semprun)
(DMC)
« Juste un peu d’anticerne sous les yeux bleu océan » (Libération, 22.10.97) (DMC)
« Il réapparaît (…) avec une chemise jaune souci » (San Antonio, En peignant la
girafe, 2011) (DMC)
« Des roses, des lis et de ces petits chrysanthèmes dits « boules », jaune soufre »
(G. Conchon, L’apprenti gaucher, 1967) (DMC)
« Le soleil se levait rouge feu, dans un poudroiement de cendre » (H. Troyat, Les
Dames de Sibérie, 1963) (DMC)
« Jouez avec les treillis (…), bois naturel pour un clin d’œil au Japon, rouge laque à
la chinoise, bleu Majorelle » (Le Nouvel Observateur, juin 97) (DMC)
« Mme Valéry, exquise dans une robe Empire en velours vert mousse, les cheveux
deux fois serrés par un ruban » (A. Gide, Journal 1889–1939, 1939) (DMC)
« Celui qui était apparu dans la timonerie (…) lui avait semblé déguisé dans une
friperie d’emprunt, grosse veste élimée où manquaient des boutons, cache-nez de
tricot vert-poireau » (R. Vercel, Jean Villemeur, 1950) (DMC)
« Il a fallu (…) que je me détachasse du petit port méditerranée, des thoniers, des
maisons plates, peintes, rose bonbon fané, bleu lavande, vert tilleul  » (Colette,
Prisons et Paradis, 1932) (DMC)
Mollard-Desfour cite également vert asperge et vert avocat sans donner d’exemples.

445
Guillemard (DMC) cite (sans préciser la catégorie grammaticale ni donner
d’exemples) : bleu atoll, bleu blazer, bleu faïence, bleu drapeau, jaune banane,
jaune pamplemousse, rouge grenade282, vert purée d’avocat (d’un nuancier indus-
triel), un sac vert verre.

1.1.2. N2 = Nom propre


a) Le référent est un individu
« Kyo habitait avec son père une maison chinoise sans étage : quatre ailes autour
d’un jardin. Il traversa la première, puis le jardin, et entra dans le hall : à droite et
à gauche, sur les murs blancs, des peintures Song, des phénix bleu Chardin (…) »
(A. Malraux, La Condition humaine, 1993) (Le bleu)
« Pour les toilettes élégantes (…) : (…) marron (…) bleu Nattier, bleu lavande, pour
la ville » (La Mode illustrée, in DDL 33,1906) (Le bleu)
« Le trépied de notre sybille, c’était un fauteuil bas rose Pompadour, celui où je l’ai
peinte avec son petit garçon Anne-Jules (…) » (J.-E. Blanche, Mes modèles, 1928)
(Le rose)
« On ne peut qu’être fasciné par l’audace de Demy qui met dans la bouche de Danièle
Darrieux les phrases chantées « Tu me prends pour une conne » ou « J’emmerde les
bourgeois », dans celle de Piccoli affublé de cheveux roux et d’un costume vert Babar
(…) » (Tout Demy sur Christoblog, 3.1.2011) (Le vert)
« (…) Chapeau vert olive, habit vert Lincoln averc rayures vert de mer, chemise vert
pois, chaussettes vert épinard » (P. Larousse, G. Moreau, Revue universelle : recueil
documentaire universel et illustré, vol. 15, 1905) (Le vert)
« Jouez avec les treillis (…), bois naturel pour un clin d’œil au Japon, rouge laque à
la chinoise, bleu Majorelle » (Le Nouvel Obs, juin 97) (DMC)
«  Et tandis qu’elle donnait son manteau du soir, d’un magnifique rouge Tiepolo
(…), Oriane s’assura du scintillement de ses yeux… » (Proust, Sodome et Gomorrhe,
1921) (DMC)

Mollard-Desfour cite aussi rouge Valentino et rose ou rouge Tiepolo.


Dans le DMC, on trouve bleu Klein, gris Velasquez.

282 Elle remarque qu’il faut différencier rouge grenade qui établit une comparaison avec
le fruit de rouge de Grenade qui désigne la couleur des murs de l’Alhambra.

446
b) Le référent est une marque/un nom de produit

« La firme lorientaise s’était déjà distinguée en présentant la gamme de vêtements de


mer matelassés (…) bleu roi à doublure jaune, très seyante, et la veste de quart (…)
jaune en haut, bleu gitanes, en bas, moins réussie mais extraordinairement visible
d’un ponton à l’autre ! » (Le Monde Loisirs, 12.1.1985) (Le bleu)283
« (…) comme ce tulle chair souligné de perles « poids plume » ou ce cardigan en
tweed rose stabilo brodé » (Le Monde, 28.1.1990) (Le rose)
«  Pour les godillots, les préférences sont les Doc Martens hautes. Les mêmes en
taille réduite que celle des punks (…) mais rose tagada ou crocodile » (Le journal du
Dimanche, 1.9.1996) (Le rose)
« Frigo américain année 1957 rouge coca-cola » (Offres Le bon coin, Meuse, www.
leboncoin.fr) (Le rouge)
« Les yeux cachés derrière des lunettes d’aviateur à pont de cuir rouge éosine, une
belle femme blonde, en pantalon cuir fuchsia ouvre la portière » (A. Franco, Sauve-
toi, Lola !, 1983) (Le rouge)
« On se retrouve sur la plage ! J’ai un parasol rouge Mac Do » (kawette !Le forum
des amoureux de la Kawasaki ER-6N/F & versys) (Le rouge)
« Puis une jeune fille s’est approchée de moi, bonnet rouge Mac Do sur la tête, elle
parlait anglais » (« Mimine en Chine », «  Le pouvoir d’un occidental », mimine.
uniterre.com) (Le rouge)
« Des douzaines d’îles magnifiques y émergent de la Mer d’andaman, avec leurs fa-
laises recouvertes d’arbres, projetant ainsi un arc-en-ciel de contrastes sur la teinte
vert Perrier de la baie » (www.asian-oasis.com/french/june.html) (Le vert)

c. Le référent est un lieu

« Ce printemps et cet été, la mode est aux imprimés. (…) Les couleurs s’appellent
blanc écru, rouge framboise284, bleu Delft, violet évêque, vert menthe » (Le point,
15.3.1976) (Le rouge)
«  Les préférences vont aux tons cuivre, vert olive, rose Bengale, langouste (…)
aubergine » (La mode illustrée, 1906, in DDL 33) (Le rouge)

283 Gitane sans -s dans le DMC : « Mulhouse(…), fraîchement repeinte en bleu gitane,
rose ou vert pistache, dans la tradition alsacienne, n’en demeure pas moins une cité
austère » (Le Nouvel Observateur, juin 1997), ce qui illustre, de même que la présence
de trait d’union, la liberté du locuteur.
284 Emploi de framboise également en conversion.

447
« Je porte ici un modèle de la collection Petit Bateau hiver 2000–2001 : un pyjama
pour fille, rayé rouge et écru, qui existe aussi en gris et en écru, beige et bleu
Panama, vert palmier et beige … de 2 à 18 ans. 205 à 255 FF » (Afrique magazine,
n°178) (Le vert)
« soies légères aux transparences de cristal (…) bleu Danube » (E. Zola, Au bonheur
des dames, 1883) (DMC)
« Dans mon pantalon blanc, T-shirt bleu Méditerranée (…), j’avais l’air d’un gar-
çonnet » (M. Tremblay, Le cœur éclaté, 1993) (DMC)

Mollard-Desfour cite rouge bikini sans donner d’exemples.


Guillemard cite bleu Wedgwood (= bleu Delft285), bleu Bahamas, bleu Capri,
bleu Corfou.

1.1.3. Nom propre communisé


Seul Mollard-Desfour fait la différence de la majuscule (ce qui ne reste que
relatif puisqu’elle dépend d’une différence typographique)  : cette marque du
nom propre, peut disparaître et ceci pour la plupart des anthroponymes en com-
position selon cette linguiste. Aucune règle n’est connue. Le locuteur est maître
de sa décision.
« Peugeot 306 S 16.94. rouge lucifer, 3 P, tts options, factures, 100 000 km, 60 000
F (…) » (Contact Vienne, petites annonces, 24.6.1998) (Le rouge)
« Doc gynéco c’est le molasson total. Ses chansons, c’est sexe, foot, la rue : tout ce qui
intéresse les pré-ados. Le CD est rose barbie, et sur la photo, il y a une chambre d’ado,
avec skate-board pour ceux qui n’auraient pas compris » (Libération. Portraits. Doc
Gynéco. Le prince des lascars, 25.03.1998) (Le rose)
« Un tabouret vert shrek et un tapis vert shrek flashy » (Elo-Dodie, 2007, elododie.
canalblog.com) (Le vert)
«  (…) mon costume d’un tartan vert, bleu et noir, celui du régiment écossais de
Montréal ; et mon pantalon vert forêt, mon chandail à col roulé vert véronèse  »
(A. Maillet, À la mémoire d’un héros, 1975) (Le vert)

Mollard-Desfour cite de même rouge Tiepolo/tiepolo, vert Céladon/céladon,


brun Van dyck/van dyck.

285 Les deux désignant la même couleur que bleu faïence.

448
1.2. En position nominale (avec pour N2 un nom
commun ou un nom propre)
« On n’en finit pas de définir la nuance exacte de ce ripolin, intermédiaire entre tous
les gris. Gris-perle est trop clair. Gris souris, trop foncé » (H. Bazin, La Tête contre
murs, 1949) (Le blanc)
« L’écriture d’un bleu fanal, pressée, dentelée, intrépide, du Ventoux alors enfant,
courait toujours sur l’horizon de Montmirail qu’à tout moment notre amour
m’apportait, m’enlevait » (R. Char, La Parole en archipel, 1962) (Le bleu)
« Moi, c’est Sulphart que je préfère. Il est vêtu d’une capote ancien modèle, bleu
foncé, avec une grande poche rapportée d’un joli bleu hussard » (R. Dorgelès, Les
croix de bois, 1919) (Le bleu)
«  Le vert roseau (…), le vert palmier (…), le violet évêque, et deux nuances de
demi-teinte, volubilis et centaurée (…), le bleu de Sèvres (…) très en faveur en ce
moment » (La Mode illustrée, 1902, in DDL 33) (Le bleu)
« Le studio présentait, dans l’ameublement, les tentures et les œuvres d’art, un admi-
rable et délicat échantillonnage de verts, depuis le vert jade jusqu’au vert Bosphore,
en passant par le vert émeraude, le vert lumière, le vert océan et le vert bouteille »
(G. Duhamel, La Passion de Joseph Pasquier, in Chronique des Pasquier, t.10,
1945) (Le bleu)
« Ahhh ! Je pus reconnaître le noir scarabée des yeux du fils de mon ami juste avant
qu’il ne pousse un cri de surprise et de peur » (V. Dubois, « Avez-vous l’heure ? »
lfkl.edu.my/lfkl) (Le noir)
«  Voici une douillette tenue d’hiver. Dehors, du porc retourné dans des couleurs
superbes, des roux chauds, du gris flanelle, des bleus profonds, des verts forêt, des
bordeaux gouleyants (…) » (Le Point, 4.10.1976) (Le rouge)
«  Le talent de Mad Carpentier [la couturière] a créé une collection très person-
nelle. Un bleu pervenche adoucit un bleu ardent. Ailleurs, un violet et un bleu bleuet
se marient, tandis que l’aigue-marine et le coquelicot s’opposeront  » (L’œuvre,
10.3.1941) (Le rouge)
« Huit couleurs, du rose-dragée au vert safari pour cet appareil [photo] compact qui
fait un malheur » (L’évènement du jeudi, 31.12.1986) (Le rose)
«  Les tons pastellisés que l’on obtient aujourd’hui : gamme de bleus pâles, des
roses coquillage, des parmes (…) conviennent à toutes les carnations » (Carrefour,
2.1.1952) (Le rose)
«  Comment marier vos vernis à ongles aux couleurs vives de l’été ? Aux jaunes
d’or, rose shocking, vert prairie, violet et indigo des cotonnades indiennes ou robes
folkloriques d’Amérique du Sud ? » (Elle, 19.7.1976) (Le rose)

449
«  Parmi les nouvelles nuances (…) : menthe (vert pale), aveline (l’ancien rose
praline), silène (vieux rose pâle), récif (beige brun), buffle (marron)  ; les verts
rainette286, gui ; les gris taupe, raton, plomb » (La Mode illustrée, 1907) (Le rose)
«  Regardez la pochette [du disque de D. Dekker] et vous avez tout compris : un
éclaboussement de couleurs pimpantes, des roses fluo, des verts287 chewing-gum, des
jaunes tropicaux et des bleus piscine » (Actuel, oct. 1981) (Le vert) 
«  Le décor [des services de vaisselle] est presque toujours à fond coloré avec
réserves pour sujets peints polychromes ; les fonds préférés sont le bleu foncé, le
bleu gris, le vert empire, l’orangé et le rouge étrusque » (G. Fontaine, La Céramique
française, 1965) (Le rouge)
« C’est bien un vert Hulk, ou vert Cetelem, ou vert Géant Vert… en tous cas vert
gazon, pas vraiment ce que j’aurais voulu » [couleur de laine] (« Le blog de Barjo-
laine », 5 sept. 2010, barjoblog.canalblog.com) (Le vert)
« Au moment où j’écris, je n’ai en tête que ce bal qui fut donné à Alexandrie par une
jeune fille de la « Société » et où elle invita ses amies à condition qu’elles fussent
habillées en vert ; et le vert nil était la couleur à partir de laquelle s’étaient certai-
nement ordonnées toutes les autres : le vert bouteille, le vert prairie, le vert d’eau,
le vert véronèse, le vert lézard, le vert pistache, le vert amande, le vert pomme, le
vert-de-gris, le vert serpent (…) » (J. Grenier, Lettres d’Égypte, suivies d’Un été au
Liban, [1950] 1962) (Le vert)
« Les pétales vont du blanc candi au rouge cerise » (Libération, 14 février 1996)
(DMC)
«  Moi, je suis Lacroix, le couturier, j’adore (…) le vert chartreuse  » (Christian
Lacroix, Madame Figaro, 1996) (DMC)
«  L’œil revient à cette nue d’un vert émeraude et d’un bleu de cobalt  » (Marc
Lafargue) (DMC)
« Il est probable que l’introduction en masse des pamplemousses sur le marché fran-
çais depuis la fin de la dernière guerre aboutira à la reconnaissance de cette couleur
[le jaune pamplemousse] à côté de celle d’autres fruits exotiques, comme le jaune
banane, plus assourdi, ou le jaune citron, plus acide »  (s. v. PAMPLEMOUSSE,
Guillemard, 1998 : 306) (DMC)
« Elle [la palette de Cézanne] comportait (…) trois verts : le vert Véronèse, le vert
émeraude et la terre verte » (T-L. Klingsor, Cézanne, 1939)

286 Notons l’accord de vert.


287 Cf. note 286.

450
1.3. Composition et deux couleurs possibles
comme support sémantique 
Ci-dessous, nous présentons quelques exemples de noms pouvant soit être utilisés
en composition, soit en conversion. Ce ne sont que quelques exemples choisis
arbitrairement. Dans certaines notes dans le paragraphe sur la conversion figurent
d’autres exemples.
ACIER bleu ou gris : « (…) Elle avait les yeux aussi bleu acier que ceux de Mona
étaient noisette. Et pas de rouge à bouche, pas de maquillage dégradé luisant autour
des yeux » (R. Forlani, Gouttière, 1989) (Le bleu)//« La marée était basse et, devant
nous, il n’y avait qu’un golfe gris acier de boue et de coquilles d’huîtres  » (J.-B.
Pouy, La Clef des mensonges, 1988) (Le bleu)

ANTHRACITE gris ou noir : « Les troncs des hêtres, des tilleuls, étaient des gris
anthracite » (S. Germain, La pleurante des rues de Prague, 1992) (Le noir) // « Beauté.
Poudre Black Star noir anthracite pour lustrer les sourcils, 260 F (39,64 euro)  »
(Le monde, 08.09.2001) (Le noir)

BITUME brun ou noir : «  Couleurs – Jaune d’or, rouge capucine, rouge coquelicot,
brun bitume, (…) ocre, pourpre rosé, vert olive (…)  » («  Cerises aux oiseaux  »,
Décoration sur porcelaine, zoom n° 20, passionceramique.com) (Le noir)//«  Ce
calvaire breton dont les trois crucifiés deviennent 3 robinets laissant échapper des
gouttes de sang noir bitume » (D. Morvan, « Des fées contre la dureté du temps »,
Ouest France, 10.12.1998) (Le noir)

BORDEAUX marron ou rouge : «  (…) Les rangées de petites boîtes à lettres sur
les murs d’une boueuse couleur marron-bordeaux288 (…) » (E. Triolet, Le premier
accroc coûte deux cent francs, 1945) (Le rouge)//« Costume tailleur pour l’été. En
cheviotte rouge Bordeaux » (La mode illustrée, 11 avr. 1909, in DDL 16)

BRIQUE marron, rose ou rouge : « J’enfile mon pyjama marron brique et je me glisse
entre les draps » (R.-V. Pihles, La Rhubarbe, 1965) // « Et des reflets dansaient sur
les murs laqués, rose brique, nus jusqu’à la frise de liserons chocolat, qui ondulait
sous la corniche » (R. Martin du Gard, Les Thibault, Épilogue, 1940) (Le rouge) //
« Les rats-taupes forent leurs galeries dans le sol rouge brique » (Le comportement
des animaux, 1994)

CERISE rose ou rouge : « Les manches étaient doublées d’un rose cerise, qui est si
particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo » (M. Proust, La prisonnière,
in °A la recherche du temps perdu, 1922) (Le rouge)// « (…) [Elle] dit dans un sourire
faux la mère prudente et méfiante de Julia Berner, tandis que celle-ci, la tête ceinte

288 Mollard-Desfour note aussi brun-bordeaux.

451
d’un châle napolitain rouge cerise, me regardait derrière son dos, désespérément »
(M. Havet, Journal 1919–1924, 2005) (Frantext)

ÉBÈNE brun ou noir : « Illuminé par le fard à paupières poudre duo 99, brun
ébène et ivoire (Saint-Laurent)  » (Télé 7 jours, 15.9.1990) (Le rouge)//«  Voilà
ce qu’il pensait.Courtial, il se teignait les tiffes en noir ébène et la
moustache, la barbiche il la laissait grise  » (L.-F. Céline, Mort à crédit, 1936)
(Frantext) (noir ébène sans exemple dans le DMC)
GRENAT rose ou rouge : « J’irai saluer le jardin. Les mirabelles ont des taches
rose-grenat. J’en goûte la chair » (G. Bienne, Le silence de la ferme, 1986) // « Je lui
ai expliqué que ça désignait quelqu’un qui passait son temps à raconter des craques
pour le plaisir. Alors là, d’un coup, j’ai vu la figure de Sandra devenir pas rouge,
non, grenat ! –Je l’avais jamais vue de cette couleur » (Fr. Séguin, L’arme à gauche,
1990) (Le rouge)
LAGON bleu ou vert : « Chemise d’homme en satin bleu lagon, qui existe également
en rouge vif, vert salade, ivoire et noir » (Le point, 29.10.1984) (Le vert) // « Une
expression loufocoidale peinte sur la frimousse, Butch Cassidy renifla la culotte vert
lagon de Victoire. C’était un modèle string, doux sur la peau, climatisant, absorbant
et très échancré » (J. Vautrin, Bloody Mary, 1979) (Le vert)
LAYETTE bleu ou rose : « Tassée au fond du lit, magnifiquement nue, elle vivait
cette méprisable aurore. Un mauvais mousseux, bu au frais des sœurs Pomme, pétil-
lait au fond de ses prunelles bleues… Bleu layette, elles aussi, mais de ce bleu des
layettes qu’a feutrées et ternies une année de pipi-au-lit mal lessivé » (H. Bazin, La
Mort du petit cheval, 1950) (Le bleu)//« Qu’il se pare exclusivement de rose layette,
comme feu Barbara Cartland, se coiffe de chapeau « perchoir à oiseaux », crée par
Fred Sathal, l’excentrique reste, avant tout, quelqu’un qui se veut hors de la norme »
(L’Express, Le Magazine, 28.9.2000) (Le rose)
NUIT bleu ou noir : « À la scène comme à la ville, Rima arborait un blouson de daim
bleu nuit et une mine de suicidaire  » (A. Vergne, L’Innocence du boucher, 1984)
(Le noir)//« Elle était grande (…), ses cheveux (…) étaient d’un noir nuit profond »
(G. Duhamel, Le combat contre les ombres, in Chronique des Pasquier, t. 8. 1939)
(Le noir)
PAON bleu ou vert : « Et cette grande, qui parle au barman ? – En bleu paon, avec
un sautoir jusqu’aux genoux ? » (R. Martin de Gard, Les Thibault, Le pénitencier,
1922) (Le bleu)//« La vitre, quelque chose à la fois d’opaque et de transparent (…)
vert paon, ce qui chatoie et joue » (P. Claudel, Conversations dans le Loir-et-Cher,
1935) (Le bleu) 
PERROQUET bleu ou vert « (…) et l’inévitable panorama de Naples, la mer bleu per-
roquet, le ciel bleu noir, le Vésuve couleur chaudron (…) » (Bl. Cendrars, Bourlinguer,
1948) (Le bleu)//« La dédicace à Lucien serait, à mon avis, mieux à sa place à Nancy,
sous des persiennes vert perroquet » (G. Genette, Bardadrac, 2006) (Le vert)

452
PETROLE bleu ou vert « Crête de tifs bleu pétrole. Un nez retroussé plein de taches
de rousseur.Une bouille ronde. Pas vraiment jolie, mais elle a toujours une frite
pas possible  » (Fr. Lasaygues, Vache noire, hannetons et autres insectes, 1985)
(Le vert)//«  En arrivant devant la petite maison petite en vert pétrole, comme il
sortait de voiture, Tyler vit un rideau se soulever au coin d’une des fenêtres  »
(R. Lappert, Le chant des perdants, 2001) (Le vert)
TIEPOLO rose ou rouge : « Les manches étaient doublées d’un rose cerise, qui est si
particulièrement vénitien qu’on l’appelle rose Tiepolo » (M. Proust, La prisonnière,
in °À la recherche du temps perdu, 1922) (Le rouge)//« Et tandis qu’elle [la duchesse]
donnait son manteau du soir, d’un magnifique rouge Tiepolo, lequel laissa voir un
véritable carcan de rubis qui entourait son cou » (M. Proust, Sodome et Gomorrhe,
in À la recherche du temps perdu, 1922) (Le rouge)

Dans le DMC, on trouve rose et bleu aquarelle, vert et bleu océan.

2. Exemples illustrant la Conversion


Les occurrences répertoriées ci-dessous illustrent les possibilités innombrables
(mais systématisées dans et par la langue) de l’opération constructionnelle de
conversion. Ressort de cette liste la variété des domaines desquels peut venir le
référent qui possède la propriété chromatique. Sont présentées des occurrences en
position adjectivale et nominale.

2.1. En position adjectivale

« Il se donnait des airs de vieux sage, avec barbe et cheveux longs poivre et sel »
(J.-Cl. Izzo, Chuormo, 1996) (Le blanc)
«  Car il avait un visage de charme, et son veston allait bien, et il portait un gilet
fantaisie de soie rayée, perle et gris fer, un modèle que Reine avait vu chez Charvet, et
une cravate gorge-de-pigeon qui répondait à la musique » (L. Aragon, Les Voyageurs
de l’Impériale, 1947) (Le blanc)
« J’héritais de trois chemises à poches plaquées et pattes d’épaules, d’un short et
trois paires de chaussettes, le tout de la même couleur bleu de chauffe289 » (J. Joffo,
Un sac de billes, 1973) (Le bleu)

289 Bleu de chauffe est le nom de la salopette bleu des ouvriers.

453
« Miro vint se frotter en ronronnant contre ses jambes gainées d’un collant myosotis »
(B. Beck, La Lilliputienne, 1993) (Le bleu)
« (…) Elle avait les yeux aussi bleu acier que ceux de Mona étaient noisette. Et pas
de rouge à bouche, pas de maquillage dégradé luisant autour des yeux » (R. Forlani,
Gouttière, 1989) (Le bleu)
«  Visage triangulaire aux pommettes hautes à moitié mangées par des mèches
aile-de-corbeau (…)  » (J.-L. Benoziglio, Tableaux d’une ex, 1989) (Le noir) //
« enhaillonnés de longues redingotes aile de corbeau, de lévites funèbres »
(L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris, 1939) (Le noir)
«  Ils ressortaient en pleine violence dans le ciel… sur les murs cachous290… Ils
jouent gonflé, cambré, musclé, ils jouent costaud les Écossais… » (L.-F. Céline, Mort
à crédit, 1936) (Le noir)
«  Dans les tons de chocolat, encre, noir et rouge  » (Le Nouvel Observateur,
1.10.1997) (Le noir)
« Selon que les nuages étaient blanc gris ou blanc blanc, l’eau en devenait bleu clair
ou encre de Chine » (J. Giraudoux, Siegfried et le Limousin, 1922) (Le noir)
«  J’avais mis ma robe hirondelle. Les autres femmes d’ici sont en bleu foncé et,
je dois le dire, sans chic » (P. Morand, L’Europe galante, 1925) (Le noir)
« Elle évoqua sa vie de pensionnaire : - la couleur de la ceinture change selon les
classes : verte, aurore, violette comme la mienne » (H. Pourrat, les Vaillances, fracas
et gentillesse de Gaspard des Montagnes. La Tour du Levant, 1931) (Le rose)
«  Sous le feutre bois-de-rose, la sueur commençait à ruisseler sur le front de
l’élégant » (A Bastiani, Le pain des Jules, 1960) (Le rose)
« La nuit était claire. Des toiles d’araignées bleues traînaient au ciel. La mer était
doucement phosphorescente, d’un bleu ardoise avec des reflets crevette au creux des
vagues » (Vl. Volkoff, Le Bouclage, 1990) (Le rose)
«  Pour les godillots, les préférences sont les Doc Martens hautes. Les mêmes en
taille réduite que celle des punks (…) mais rose tagada ou crocodile » (Le journal du
Dimanche, 1.9.1996) (Le rose)
« Ce rasta, ce juif qui osait porter un corset et se donner des airs d’officier de cavale-
rie en pleine affaire Dreyfus, ce sauteur qui frisait la correctionnelle à tous les coins
de rue, avec ses souliers vernis, ses guêtres saumon, ses cravates cuisse de nymphe
émue, ses gilets vert pomme, son monocle et ses tonneaux de brillantine sur la
tignasse pour jeter de la poudre aux yeux des gogos, entre nous, les six balles dans sa
peau vireuse, il ne les avait pas volées » (R. Crevel, Le Roman cassé, 1935) (Le rose)

290 Notons l’accord « déconseillé ».

454
«  Les teintes les plus douces et les plus suaves : (…) azur, ciel d’avril, nymphe,
ivoire, paille, perle, rose-pêcher. Blanc pur, etc. » (La Mode illustrée, 1904, in DDL
33, s.v. nymphe) (Le rose)
« L’habit en rose. Un jean à la Birkin, un fichu pour ne pas être nue, un plissé dragée,
le ton est donné » (Elle, 15.2.1993) (Le rose)
« Des skieurs à tête verte, à tête jaune, des enfants rouges (…) Des écharpes citron,
des gants groseille ; des jarrets garance, des chandails capucine…el les bas fleur-
de-pêche aujourd’hui, demain pistache, après demain jonquille, du vieux monsieur
anglais à moustaches blanches… et la dame âgée toute en laine rose (…) » (Colette,
Belles Saisons, 1945) (Le rose)
« Illogiques ces fauteuils et ces poufs recouverts de soie bouton d’or ou groseille » 
(Ch. Kunstler, L’Art au XIXè siècle en France, 1954) (Le rose)
« Un jeune homme en toque de velours noire, en jupe hortensia, les joues crayonnées
de rouge comme une page d’album de Watteau (…) » (M. Proust, Le Côté de Guer-
mantes, 1, in À la recherche du temps perdu, 1920) (Le rose)
« Violon (…) vernis pelure d’oignon » (Catalogue Thobouville-lamy, 1932) (Le rose)
« Les cris, les meurtres, les tortures, les pillages, tout s’est endormi maintenant sous
la tranquillité d’une petite ville castillane à maisons praline, à portails bleu pâle,
pistache » (P. Morand, Air indien, 1932) (Le rose)
« (..) Les cotons imprimés rose thé291 et framboise  » (Maison Madame Figaro,
printemps 1998) (Le rose)
« toute une série de couleurs plus foncées : Bordeaux, brique, mordoré, bleu roi,
marine, prune, vert bouteille » (La mode illustrée, 1909) (Le rouge)
« Et des reflets dansaient sur les murs laqués, rose brique, nus jusqu`à la frise de
liserons chocolat, qui ondulait sous la corniche » (R. Martin du Gard, Les Thibault,
Épilogue, 1940) (Le rouge)
« Coiffée d’un fabuleux bonnet à ruches noires et brandissant un parapluie cœur de
cendre » (J.-K. Huysmans, L’Oblat, 1955) (Le rouge)
« Le soleil à son déclin mettait sur les nattes crème des reflets framboise » (P. Benoit,
L’Atlantide, 1919) (Le rouge)
« Quand il revint vers l’appartement (…), le ciel se colorait de framboise » (R. Sabatier,
Les fillettes chantantes, 1980) (Le rouge)
« Jolie madame, je vous ferai des modèles qui ne seront qu’à vous et pour vous…Pour
le matin, un jogging maille velours taupe et fuchsia » (B. Beck, Une Lilliputienne,
1993) (Le rouge)

291 La rose thé est une rose rose très pâle ainsi dénommée par analogie à la couleur du thé.

455
« Avec ses jeans rouge. Son blouson de cuir garance, ses santiags violettes, son petit
bonnet en angora mauve, ses lunettes de soleil canari de marque Porsche, Cathi, elle
me fit penser à une loubarde de luxe » (A. Franco, Sauve-toi, Lola !, 1983) (Le rouge)
«  Une fin de crépuscule, ardoise et grenadine  » (A. Arnoux, Rhône, mon fleuve,
1944) (Le rouge)
« Beauvillé créateur par tradition. Mathilde de Beauvillé existe en 3 tailles [pour les
nappes]. Coloris (…) grenadine, menthe, vanille, orgeat, saphir, rubis, émeraude,
ambre et hématite » (Madame figaro, 20.12.1997) (Le rouge)
«  Les préférences vont aux tons cuivre, vert olive, rose Bengale, langouste (…)
aubergine » (La mode illustrée, 1906, in DDL 33) (Le rouge)
« Longue combinaison azur (1090 F env.), caftan matelassé, ou robe de jersey cou-
lant sur le corps (2050 F env.) s’illuminent en framboise, lie-de-vin, brique ou bleu
azur (trente coloris). Superbe ! » (Madame Figaro, 3.1.1998) (Le rouge)
« Dans un appartement aux moulures nombreuses, le rose peut être introduit dans les
panneaux ; tapissés de damas fraise, ils ressortent sur les boiseries peintes en blanc
cassé » (Maison Madame Figaro, printemps 1998) (Le rouge)
«  Un mur d’un rouge brunâtre, presque sang caillé, et qui rongé ici et là par la
salpêtre ressemblait à une chair d’écorché avec ses ulcérations et ses veines mises à
nu » (P. Combescot, La sainte famille, 1996) (Le rouge)
« Le boy décroche les tentures velours sang-de-gazelle » (P. Jacques, Déborah et les
anges dissipés, in Guillemard dico couleur, 1998) (Le rouge)
« Les étains arborent des patines vert lichen ou cul de bouteille » (I. Sigg, L’île du
toupet, 2010) (Le vert)
« Cela avait fait une énorme tâche noire au milieu de toutes ces chemises poivron
vert, blanc noix de coco et jaune canari (…) » (Ph. Labro, Des bateaux dans la nuit,
1982) (Le vert)
«  Ce ne sont que des teintes vanille, fraise, pistache, vert angélique, onctueuses
couleurs de confiture en train de cuire » (« Au musée Carnavalet. Les élégantes de
kiraz », Lovendrin, 7.6.2008) (Le vert)
« Il est dessous en chemise blanche à rayures grenade, pistache, avec cravate-polyes-
ter-vert-wagon raide comme une arme offensive, il a les joues cramoisies » (L. Lang,
Les Indiens, 2001) (Le vert)
« … Les préférences vont aux tons cuire, vert olive et vert tige, rose Bengale,
langouste, œuf de cane, cendre de Vésuve, aubergine » (La Mode illustrée, 1906)
(Le vert)
« Il suffit de verser l’eau bouillante dans un bol, d’y ajouter une cuillère de ce liquide
doré, translucide, qui aussitôt versé diffuse un nuage verdâtre, pois cassé » (Ph. Delerm,
La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, 1997) (Le vert)

456
« La mèche napoléonienne, et le masque de Ludwig, la veste en tweed purée de pois »
(Le Point, 21.2.1977) (Le vert)
«  Le pull cagoule et le pull marinière sont en acrylique, laine et mohair, tricotés
maille jersey. Coloris : melon, anis et lichen » (Elle, 5.11.1984) (Le vert)
«  Canapé Polo, création Hans Hopfer. (…) Tissu Strass 100% coton, 4 coloris :
mimosas, olive, pêche, écru. Cuir vachette pleine fleur teintée à l’aniline, 4 coloris :
mastic, bouteille (…) » (Le Nouvel Observateur, 11.9.1982) (Le vert)
« Aux robes de drap beige clair ou beurre on mettra des cols, des revers, des parements
de velours vert buisson, ou vert myrthe (…) » (La mode illustrée, 1902) (Le vert)
«  C’était une clocharde édentée, vêtue d’une robe de chambre caca d’oie, pous-
sant une voiture d’enfant pleine de hardes diverses, et répondant au sobriquet de la
Baronne » (G. Pérec, La vie mode d’emploi, 1978) (Le vert)
« Les feuilles [de papier à lettres] ocre, pourpres, eucalyptus marchent très bien,
ainsi que le violet colchique, le sauge, le camélia, le volubilis, le jaune mangue,
l’orange clémentine, le vert menthe, le rouge cerise  » (Le Figaro-magazine,
14.12.1985) (Le vert)
«  Il s’approcha, attiré par la vue de ces cartonnages en papier bleu-perruquier
et vert-chou gaufrés, sur toutes les coutures, de ramages d’argent et d’or, de ces
couvertures en toiles couleur carmélite, poireau, caca d’oie, groseille, estampées
au fer froid, sur les plats et le dos, de filets noirs » (J.-K. Huysmans, À rebours,
1884) (Le vert)
« (…) Dépouiller Mona de sa robe-blanche ou citron vert ou jaune paille- sans rien
en dessous, et (…) masser beaucoup bien bien le corps de sa « chérie » » (R. Forlani,
Gouttière, 1989) (Le vert)
« Les feuilles [de papier à lettres] ocre, pourpres, eucalyptus marchent très bien,
ainsi que le violet colchique, le sauge, le camélia, le volubilis, le jaune mangue,
l’orange clémentine, le vert menthe, le rouge cerise  » (Le Figaro-magazine,
14.12.1985) (Le vert)
« Moitié menthe, moitié grenade, un cocktail qui a du pep ! Robe en coton rayé à
vaste capuchon, poche manchon, manches larges » (Elle, 14.6.1976) (Le vert)
« La mer diabolo-menthe, Dans les reflets ruineux d’un juke-box, où deux petits
nuages flambaient comme des beignets de pomme Golden sur la plage déserte  »
(B. Chambaz, Entre-temps, 1997) (Le vert)
« Broadway avec ses poubelles, son asphalte fumant et mou, ses autos vermouth,
pernod et cassis » (A. Bosquet, Une mère russe, 1978) (Le vert)
« Elle est joliment laide celle-là, avec ses cheveux carotte » (E. Zola, Au bonheur des
dames, 1883» (DMC)

457
« Robe de chambre chaudron » (M. du Gard, TLF) (DMC)

« Sur les tapis de chanvre cochenille, j’ai posé, entre deux fenêtres, un miroir »
(Idelette de Bure, Rouge ou la proie du peintre, 1994) (DMC)

« Toi avec ton costard fraise écrasée, tu filerais des convulsions à la plus blindée des
vaches » (J. B. Nacray, La vie duraille, 1985) (DMC)

« Elle a des yeux grain de café, sombres et doux » (F. Hébrard, Félix, fils de Pauline,
1993) (DMC)

« Hua Hun : pavillons maisons de poupée jaune d’œuf, sang de taureau, servant
de pavillon d’accueil à la famille royale  » (Le Nouvel Observateur, mai 1996)
(DMC)

« Vieille dame débonnaire, affublé d’un haut chapeau moka, la grand-mère égrène
gâteries et caresses. » (L.-R. des Forêts, Ostinato, 1997) (DMC)

« Elle portait un grand canotier en paille vernie pain brûlé » (P. Combescot, Les
filles du Calvaire, 1991) (DMC)

« Il ne faudrait pas te formaliser si un « ado » (…) cheveux mauves et crête tango,
t’accueillait d’un « salut mec ! » » (F. Hébrard, Félix, fils de Pauline, 1993) (DMC)

«  Ah mon cher Théo. Si tu voyais les oliviers à cette époque-ci !…Le feuillage


vieil-argent et argent verdissant contre le bleu » (V. Van Gogh, Lettres à son frère)
(DMC)

On trouve aussi dans le DMC : améthyste, arc-en-ciel, azalée, béryl, caille, camélia,
caviar, chevreuil, coquille d’œuf, myrtille, orseille, ocre, quetsche, rhubarbe, potiron.

« Des cheveux acajou » (NPR)

« Je viens de recevoir des gouttes de pluie sur mon chapeau, il est abricot, et c’est une
couleur qui ne pardonne pas » (V. Hugo, Les travailleurs de la mer, 1866) (Frantext)

« Alors qu’elle dit doucement, alors dans ce cas-là, pourquoi ne mettriez-vous pas
votre veste amarante avec la jupe plissée verte et jaune que je vous ai vue un jour de
bal un quatorze juillet » (R. Queneau, Zazie dans le métro, 1960) (Frantext)

«  Palefrenier des Indes ou du Soudan au teint sombre et à la peau anthracite  »


(Libération)

« Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une
eau caca » (L.-F. Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932) (Frantext)

«  Ses collègues d’après c’qu’elle m’a dit. Raynette, c’est la grande bringue café-
au-lait, sapée cuir. Peaux de bêtes et queue de renard.» (Fr. Lasaygues, Vache noire,
hannetons et autres insectes, 1985) (Frantext)

458
« Téléphone sur la glace au-dessus du lavabo, avec le rouge à lèvres fraise-des-bois
de Zaza » (E. Hanska, Les amants foudroyés, 1984) (Frantext)

« (…) Un vrai Chinois, avec ses yeux retroussés et sa veste velours groseille, le profes-
seur de chinois des filles Gauthier » (E. & J. Goncourt, Journal, t.2, 1865) (Frantext)

« Les murs sont encadrés d’un rose presque lie-de-vin » (Catalogue Corona)

« Des bas mandarine » (NPR)

« [Mallarmé avait] une ingénuité virile de chèvre-pied au pardessus mastic  »


(Le Figaro)

«  Une teinte cannelle, franchement safran ou miel sous le plafond blanc  »


(Catalogue Corona)

« D’abord moutarde ou violettes, les Twingos sont aujourd’hui revenues à des coloris
plus sages » (Le Nouvel Observateur) (DMC)

« Le fils portait une redingote olive » (H. de Balzac, Un début dans la vie, 1845)
(Frantext)

« Des gants paille » (NPR)

«  Ses deux yeux gris éteint [sic], sa moustache pie (…) offraient je ne sais quoi
d’éraillé » (H. de Balzac, La Rabouilleuse, 1843) (Frantext)

« Rien en saurait rendre cette inexplicable nuance poussière » (V. Hugo, Les travail-
leurs de la mer, 1866) (Frantext)

«  Une robe prune si foncée qu’elle paraissait noire  » (J.-K. Huysmans, Là-bas,
1891) (Frantext)

« Costume de sport gris et rouille » (NPR)

« La lilliputienne (…) se précipita dans l’escalier sans essayer son nouveau costume
et en oublia ses gants rubis aux extrémités ciel » (Beck) (Le bleu)

« Le gilet de tricot cachou (…) disparaît sous un dolman saphir » (Colette) (Le bleu)

« Des robes saumon » (NPR)

« De vieilles photos sépia » (NPR)

« Des vêtements tabac » (NPR)

« Des gants tilleul » (NPR)

« Rachel a des taches de rousseur mauves, des yeux turquoise et des lèvres noires »
(F. Garat, Merle, 1996) (Frantext)

459
« [Ce] velours de Gênes dont le fond ventre de biche292 est broché d’arabesques roses
(…) » (Le monde, déc. 1996)
« Un toit de toile géranium, posé à droite, sur un carré de nuit » (Gide) (Le rouge)

Voici une liste d’autres adjectifs issus de conversion. Ils sont en effet définis
comme adjectif invariable dans différents lexiques qui ne fournissent en revanche
aucun exemple :

banane293 mûre sauvage prunelle


capucine muscade puce
café papaye réséda
chaume péridot sable294
cognac pétunia soufre295
feuille morte porto topaze
jacinthe296 poussin tourterelle
mangue297 primevère verveine

2.2. En position nominale


« Éric vit alors apparaître, dans une mandorle rouge, un homme jeune, dont on
oubliait aussitôt le pantalon et le blouson de blue jean, si troublante était sa tête
d’un ivoire cadavérique, nimbée d’une barbe noire, brève et drue (…) » (V. Volkoff,
Le Bouclage, 1990) (Le bleu)
« La terre de la faïence de Sceaux est fine, d’une couleur variant du chamois au rose
pâle ; l’email très régulier est d’un blanc laiteux et brillant (…) » (G. Fontaine, La
Céramique française, 1965) (Le bleu)
« Elle était mise toute en bleu dont on trouvait toutes les nuances : ardoise, saphir,
azur, jusqu’au mauve et au lavande. Sa robe arachnéenne, sa démarche dansante, ses
pommettes hautes, sa luminosité, elle, elle… « Je l’aime, je l’aime »… » (R. Sabatier,
Les Fillettes chantantes, 1980) (Le bleu)

292 Guillemard ajoute à titre d’anecdotes que les frères Goncourt ont utilisé la dénomina-
tion ventre de puce en fièvre de lait pour désigner une couleur incertaine.
293 En composition également : jaune banane.
294 Cf. la citation au début de cette annexe.
295 En composition également : jaune soufre.
296 En composition également : bleu jacinthe.
297 En composition également : jaune mangue.

460
« La gamme infinie des noirs, du jais à l’ébène et à l’ivoire calciné » (A. Arnoux, Roi
d’un jour, 1956) (Le noir)

«  Un éclair illumine le groseille, l’émeraude, le caramel des pauvres vitraux de


quatre sous » (A. Arnoux, Pour solde de tout compte, 1958) (Le rose)

« Quand j’ai commencé à faire ce que je voulais dans la couture, il n’y avait plus de
couleur du tout sur la palette des teinturiers. (…) les nuances « cuisse de nymphe »,
les lilas, les mauve pâmoison. Les hortensias bleu tendre, les maïs, les pailles,
tout ce qui était doux, délavé et fade, était en honneur. (…) Il y eut des crêpes de
Chine orange et citron » (P. Poiret, En habillant l’époque, 1925, in J. Régnier, Les
Couleurs, 1994) (Le rose)

«  Une Andalouse (…) faisait flotter deux foulards, l’un caroubier, l’autre cerise,
qu’elle tenait du bout des doigts » (A. Gide, Journal : 1889–1939, 1939) (Le rouge)

« Les feuilles [de papier à lettres] ocre, pourpres, eucalyptus marchent très bien, ainsi
que le violet colchique, le sauge, le camélia, le volubilis, le jaune mangue, l’orange
clémentine, le vert menthe, le rouge cerise » (Le Figaro-magazine, 14.12.1985) (Le vert)

« Le bon roi Makoko s’est assis, (…) sa peau d’un noir vineux tirant sur le cassis »
(G. Fourest, La négresse blonde, 1909)

2.3. Quelques rares cas de conversion de nom propre


Le passage de nom propre à nom commun n’est supposé que par l’absence de ma-
juscule. Il se justifie toutefois au regard de l’existence de l’antonomase.
« L’essentiel, ce sont ces couronnes d’œillets rouges, ce drapeau rouge à une fenêtre,
l’andrinople et le garance du nouveau bonnet-turban de Miou-Miou, son écharpe
vermillon, ses socquettes et ses gants framboise  » (Télérama, 24.2.1988) (s. v.
ROUGE)//« un grand panneau, de style japonais sur fond andrinople » (J. Jacqué,
Andrinople, le rouge magnifique, 1995) (Le rouge)

« Le velours restera tout à fait en faveur et j’en ai vu de ravissants dans tous ces tons
nouveaux, dont nous raffolons : corinthe298, améthyste (…) » (Fémina, août 1926, in
DDL 16) (Le rouge)

« Dans les années vingt se développe un nouveau principe : les sous-vêtements coor-
donnés (…) et offert dans des couleurs plus variées : rose, bleu ciel, mauve, jaune
pêche, corail, ivoire, champagne, saxe, cyclamen, vert pomme, jade et noir (…) »

298 Pour raisin de Corinthe : « La robe raisin de Corinthe, le grand chapeau chance-
lant » (Colette, La femme cachée, demi-fous, 1924, In DDL 16)

461
(B. Fontanel, Corsets et Soutiens-gorge. L’épopée du sein de l’Antiquité à nos jours,
1992) (Le rose)
«  Robe châtelaine en taffetas pompadour299 genre empire  » (Fémina, 15.9.1901)
(Le rouge)

3. Exemples de concurrences d’emplois en


composition et en conversion
Ces quelques exemples illustrent des occurrences qui apparaissent soit en compo-
sition soit en conversion.
BLEUET : « Le talent de Mad Carpentier [la couturière] a créé une collection très
personnelle. Un bleu pervenche adoucit un bleu ardent. Ailleurs, un violet et un bleu
bleuet se marient, tandis que l’aigue-marine et le coquelicot s’opposeront » (L’œuvre,
10.3.1941) (Le rouge)//« Pâté d’encre bleuet ! Et rouge remontrance ! » (Pichette)
CARAMEL : « Rone Kiss Mélody Jaune caramel  » (www.priceminister.com) //
« Une photographie représente deux bambins à la peau caramel » (Le Monde, 1997) 
CERISE : « Du seuil du grand pont, je regarde chaque soir cette Turquie à minarets
qui se découpe si bien sur le rouge cerise du couchant » (Cl. Farrère, L’Homme qui
assassina, 1907) (Le rouge)//« Son chapeau de paille s’adorne d’un ruban de velours
cerise, qui jure avec sa robe mauve, achetée sans doute dans ce magasin de Segré
qui s’est fait une spécialité des couleurs sucette » (H. Bazin, Vipère au poing, 1948)
(Le rouge)
COQUELICOT « Il était allé s’acheter une combinaison de motard en cuir à bourre-
lets bleus avec une ceinture rouge coquelicot » (H. Guilbert, Des aveugles, 1985) (Le
rouge)//« J’en avais l’année dernière ! Des rubans Louis XV pékinés, faille et satin,
ivoire et coquelicot » (Colette, Claudine à l’école, 1900) (Frantext)
CRÈME : « Les teintes claires, bleu pâle, blanc crème, rose tendre, brûlaient avec
une douceur de veilleuse » (E. Zola, Au bonheur des dames, 1883) (Le blanc) //« Des
voitures passaient, surmontées d’un petit toit de voile crème » (A. Vialatte, Les fruits
du Congo, 2011) (Le blanc) 
ÉPINARD : « Ah, Louise ! Que je découvresur ma gauche, à deux mètres, dans un
tailleur vert épinard et un chemisier jaune (…) » (L. Lang, Mille six cent ventres,
1998) (Le vert)//« Vis-à-vis du couloir, un Anglais en tenue de golf, homespun gra-
nité épinard et terre de Sienne, ouvrit un guide de Karlsband et ignora le reste du
monde » (M. Dekobra, La Madone des sleepings, 1925) (Le vert)

299 Voir rose pompadour.

462
GUIMAUVE  : «  Il y a les mémés charentaises, réfugiées dans leur châles au
crochet, avec anglaises argentées et peau rose guimauve, qui vous racontent
comme personne, en se shootant au Earl Grey et s’empiffrant de madeleines,
comment elles cassaient du poulet sous le Front pop  » (7 à Paris, 4.4.1990)
(Le rose)//« Dieu qu’il faisait doux ce soir là ! L’air était étrangement transparent.
Pieds nus le fantôme d’Ava Gardner traversa la moquette couleur d’herbe. Le ciel
était guimauve et l’envie de vivre la plus forte » (J. Vautrin, La Vie ripolin, 1986)
(Le rose)
LAVANDE : « Pour les toilettes élégantes (…) : (…) marron (…) bleu Nattier, bleu
lavande, pour la ville » (La Mode illustrée, in DDL 33, 1906) (Le bleu) // « Clau-
die dansait avec un jeune poète qui portait un pantalon de velours lavande, un
sweatshirt blanc, et un anneau d’or à une oreille » (S. de Beauvoir, Les Mandarins,
1954) (Frantext)
MENTHE : « Les feuilles [de papier à lettres] ocre, pourpres, eucalyptus marchent
très bien, ainsi quele violet colchique, le sauge, le camélia, le volubilis, le jaune
mangue, l’orange clémentine, le vert menthe, le rouge cerise » (Le Figaro-maga-
zine, 14.12.1985) (Le vert)//« Moitié menthe, moitié grenade, un cocktail qui a du
pep ! Robe en coton rayé à vaste capuchon, poche manchon, manches larges » (Elle,
14.6.1976) (Le vert)
PÊCHE : « Dans les années vingt se développe un nouveau principe : les sous-
vêtements coordonnés (…) et offert dans des couleurs plus variées : rose, bleu ciel,
mauve, jaune pêche, corail, ivoire, champagne, saxe, cyclamen, vert pomme, jade et
noir (…) » (B. Fontanel, Corsets et Soutiens-gorge. L’épopée du sein de l’Antiquité
à nos jours, 1992) (Le rose) // « Canapé Polo, création Hans Hopfer. (…) Tissu
Strass 100% coton, 4 coloris : mimosas, olive, pêche, écru. Cuir vachette pleine
fleur teintée à l’aniline, 4 coloris : mastic, bouteille (…) » (Le Nouvel Observateur,
11.9.1982) (Le vert)
PERLE : « Car il avait un visage de charme, et son veston allait bien, et il portait
un gilet fantaisie de soie rayée, perle et gris fer, un modèle que Reine avait vu chez
Charvet, et une cravate gorge-de-pigeon qui répondait à la musique »  (L. Aragon,
Les Voyageurs de l’Impériale, 1947) (Le blanc)//« Les vols, en accent circonflexes,
des mouettes gris perle, montaient s’engloutir dans ces ténèbres blafardes » (P. Hamp,
Marée fraîche, Vin de Champagne, 1908) (Le blanc)
PISTACHE : « Et puis quantité de chalets…toute la plage…chalets baroques…
style « allemand frivole »…et de toutes les couleurs…surtout framboise et vert
pistache…pas de baigneurs du tout, volets rabattus » (L.-F. Céline, Rigodon, 1961)
(Le rouge)//«  Les cris, les meurtres, les tortures, les pillages, tout s’est endormi
maintenant sous la tranquillité d’une petite ville castillane à maisons praline, à
portails bleu pâle, pistache » (P. Morand, Air indien, 1932) (Le rose)
SANG DE BŒUF : « La petite fille étai en crème avec des gants rouge sang de
bœuf » (J. Renard, Journal : 1887–1910, 1910) (Le rouge)//« Il faut que ca fasse

463
« intime, relax, réaliste », surtout pas « officiel, coincé, agressif », il pense à ma robe
de chambre à rayures noires, « très photogénique », je peux garder la cravate et la
chemise sang de bœuf dessous » (L. Lang, Mille six cent ventres, 1998) (Le rouge)
TOMATE : « Samia émerge la première, drapée dans une maxi-serviette rouge
tomate  » (Fr. Lasaygues, Vaches noires, hannetons et autres insectes, 1985) (Le
rouge)//« Le modèle d’un grand portrait aux harmonies de perroquet féroce (fond
bouton d’or, robe vert-apidistra, livre tomate à la main) : sa femme » (A. Gide, Jour-
nal 1889–1939, 1939) (Le rouge)
VÉRONIQUE  : «  Comme tous les Pasquier, j’ai les yeux bleu-véronique  »
(G. Duhamel, Le notaire du Havre, in Chronique des Pasquier, t. 1, 1933)
(Frantext)//«  Une robe légère (…) portant les lys violet sur un fond véronique,
sous laquelle on voyait sa combinaison pervenche  » (P.  Vialar, La Mort est un
commencement, 1947) (Le bleu)

4. Exemples illustrant l’assemblage syntaxiforme


Ce paragraphe présente des occurrences issues d’assemblage syntaxiforme : avec
un nom propre comme N2 ou un nom commun, ces derniers étant séparés en
dénomination de colorant ou non. Suivent des exemples du deuxième type de
séquences issues d’assemblage syntaxiforme : un adjectif est le dernier membre
de l’assemblage, ceci de nouveau divisé selon que la base est un toponyme ou un
nom commun ; ces derniers exemples se situent à la limite d’une construction en
syntaxe ou en paramorphologie.
Le peu d’exemples (hormis pour [TdeC  +  de  +  Nom commun] ≠ nom de
colorant) illustrent ce que nous avons montré : ce sont des termes spécialisés qui
apparaissent peu en contexte non spécifique (comme ceux de nos sources).

4.1. [TdeC + de+ N]


4.1.1. N = Toponyme
« Plus loin, les murailles (…) étaient veinées, jaspées, grenées, variant sans cesse
dans des tons vert d’Égypte, bleu turquin ou rouge antique  » (R. Sabatier, Les
Enfants de l’Été, 1978) (Le rouge)
« (…) La suspension, les cadres dédorés des chromos (il y avait un Christ à barbe
blonde écartant les plis de sa tunique (elle aussi autrefois bleu de Prusse et mainte-
nant épinard) pour montrer du doigt son cœur ensanglanté, rose pâle et entoure de
rayons) (…) » (Cl. Simon, Les Géorgiques, 1981) (Le vert)
Guillemard cite blanc d’Espagne, blanc de Meudon, blanc de Troyes, noir d’Espagne.

464
4.1.2. N ≠ Toponyme
4.1.2.1. [TdeC + de +N] = Nom de colorant
Nous ne présentons que quelques exemples parce que la construction de ces unités
relève essentiellement du domaine spécialisé de la peinture.

Blanc de bismuth = blanc de fard (DMC)


Vert d’oxyde (DMC)
Vert d’iris (DMC)
Jaune de chrome (DMC)
Jaune de cadmium, rouge de cadmium (DMC)
Blanc de Baryte (DMC)
Bleu d’émail (= Bleu d’ampois = bleu de smalt) (DMC)

«  L’œil revient à cette nue d’un vert émeraude et d’un bleu de cobalt  » (Marc
Lafargue) (DMC)

4.1.2.2. [TdeC + de +N] ≠ Nom de colorant


Cette liste est plus longue que la précédente, parce que les N servent de termes de
comparaison comme en composition ou en conversion. Ceci intéresse davantage
notre propos puisque les séquences construites ne relèvent plus d’un domaine spé-
cialisé ; cependant elles sont toutefois à considérer un peu à l’écart dans la mesure
où la productivité semble finie, les constructions étant apparemment figées.
« Elle avait des cheveux bleu d’encre300 » (L. Aragon, Les voyageurs de l’impériale,
1947) (Le noir)
«  Vêtus de bas épais, d’une culotte de velours brun ou bleu de mer, crevée aux
genoux » (J. de Pesquidoux, Le Livre de raison, t. 2, 1928) (Le bleu)
« Encore un hommage aux années 60 avec l’œil de biche bleu des mers du sud (…) »
(Cosmopolitain, janv. 1983) (Le bleu)301
« Au-dessus du reps grenat des banquettes généreusement semées de pivoines bleu de
Prusse, brillaient les parois de glace sur lesquelles courait un extravagant lacis vert d’eau
qui emprisonnait dans l’agitation de ses courbes des fragments circulaires ou ovales du
même cabinet vus par réflexion » (J. Green, Journal, 1935–1939, 1939) (Le bleu)

300 Elle cite noir d’encre pour qualifier des cheveux ou la barbe, mais ne cite pas d’exemples.
301 San Antonio, cité dans le DMC, utilise des traits d’union : « Et qu’aperçois-je dé-
licatement posé sur un capitonnage de velours bleu-des-mers-du-Sud ? Devinez  »
(San-Antonio, En peignant la girafe, 1980).

465
« (…) J’aperçus (…) un front couvert de suie, des cheveux roux foncé par la transpi-
ration, et deux yeux vert de mer, deux yeux devenus fous, deux yeux dont les pupilles
dilatées avaient presque mangé le blanc » (P. Mille, Barnavaux et quelques femmes,
1908) (Le bleu)
« Comme échappée d’un ghetto russe, cheveux d’un noir de jais ajustés en bandeaux,
forte de hanches, Helena Rubinstein portait la robe serrée de la gitane qui, à la mi-
cuisse, se déploie en volants » (H. Biancotti, Le pas si lent de l’amour, 1995) (Le noir)
« La chaîne libyque, avec ses lumières roses et ses ombres d’un bleu de saphir, fer-
mait l’horizon »  (T. Gautier, Le roman de la momie, 1858) (Frantext)
« Devant la maison familiale, jusque dans les années cinquante, pas une semaine ne
s’écoulait sans que passe un enterrement d’enfant - petit cercueil blanc de neige et
cordons blancs du corbillard tenus par des compagnons du disparu.  » (C. Bobin,
Prisonnier au berceau, 2005) (Frantext)
« Le remuement écumeux de mer en ruban gris pâle, la plage gris de fer, houleuse
sous la bruine sablonneuse, s’épousent et se remplacent tour à tour » (A.-M. Garat,
István arrive par le train du soir, 1999) (Frantext)

4.2. [TdeC + Adj.]


4.2.1. Base toponymique
« Taffetas bleu turquin. Drap bleu turquin » (Ac. 1935) (Le bleu)
« Elle est seule devant son cahier rose indien » (M. Lange, Les Cabines de bain,
1982) (Le rose)
« J’ai frappé à la porte peinte en rouge basque [près du pont du Gard] » (J.-B. Pouy,
RN 88, 1992) (Le rouge)
«  Elle tricote des foulards, jaune moutarde, vert irlandais, rouge pompier. Des
couleurs vives et criantes quoi ! » (M. D’Amour, Michel, gai dans le village, 1989)
(Le vert)
« Tous deux arboraient un chapeau mou : gris celui de Lister, d’un vert tyrolien302
celui de Carillo » (J. Semprun, Autobiographie de Federico Sánchez, 1978) (Le vert)
« Quant à Ginette elle-même, elle porte un maillot rose mexicain » (M. Tremblay,
Le cœur éclaté, 1993) (Le rose)
Guillemard cite bleu persan ou rouge persan, rouge chinois, bleu antillais.

302 Donné par Mollard-Desfour comme synonyme de vert du Tyrol, vert Tyrol.

466
4.2.2. Base non toponymique
Lors de notre analyse, nous avons insisté sur la bivalence de statut de ces unités à
la limite entre le domaine syntaxique et le domaine constructionnel d’unités lexi-
cales. De fait, comme résultat de combinaison syntaxique, la productivité est très
élevée : les exemples ci-dessous ne sont donc qu’un infime échantillon.
«  Ordinateurs Hauts en couleur. Blanc zen, vert écolo ou gris urbain…Pour
s’affranchir de la monotonie, rien de tel qu’une cure de polychromie. Claviers et
écrans grisâtres appartiennent au passé  » (L’Express Mag, n°2888, 9.11.2006,
A.M. L, Ordinateurs. Hauts en couleur) (Le blanc)
« Costard bleu électrique, pompes en daim, cravate mode. L’œil clair et le poil dru,
blond jaune, bien court » (B. Blier, Les Valseuses, 1972) (Le bleu)
« Les plus beaux, les plus mystérieux vitraux sont les plus sombres (l’un surtout vers le
fond du chœur, d un bleu nocturne relevé seulement de quelques éclats de vermillon) »
(J. Gracq, En lisant, en écrivant, 1980) (Le bleu)
Des livres flamboyants de couleurs primaires  : bleu éclatant, rouge incendiaire,
jaune solaire » (S. King, Minuit 4, 1990) (Le bleu)
« J’ai noté, à la présentation Biorapid, les nouvelles gammes de couleurs pour les
repas du matin : bleu glacial pour les boissons, vert d’eau pour les « compacts-fruits »,
rose marbre pour les pains protidiques » (L’Express, 29.12.1979) (Le rose)
« Plus loin, les murailles (…) étaient veinées, jaspées, grenées, variant sans cesse
dans des tons vert d’Égypte, bleu turquin ou rouge antique  » (R. Sabatier, Les
Enfants de l’Été, 1978) (Le rouge)
« Des foulards rouge incendiaires » (Le rouge)
«  Ce ne sont que des teintes vanille, fraise, pistache, vert angélique, onctueuses
couleurs de confiture en train de cuire » (« Au musée Carnavalet. Les élégantes de
kiraz », Lovendrin, 7.6. 2008) (Le vert)
« Bien sûr impossible de passer à côté du fard à paupières vert marécageux  »
(wwww.forumfr.com)

 xemples avec couleur (avec ou sans


5. E
la préposition de)
Ce paragraphe illustre la « stratégie facilisante » : les compléments montrent que
tout est possible grâce à ce segment.
«  La grande pièce centrale, aux murs terre de Sienne, le plafond en nattes
mais, encadrées largement et coupées, à l’endroit qu’occuperaient les solives,

467
de nattes semblables couleur caroubier » (A. Gide, Le retour du Tchad, 1928)
(Frantext)
« Une belle fille au teint abricot, aux cheveux gras, couleur d’encre à stylo, et, qui
je crois n’avait jamais quitté le boulevard Saint-Michel que pour aller montrer ses
jambes aux Folies-Bergère » (L.-P. Fargue, Le Piéton de Paris, 1939) (Le noir)
« Chaque printemps, ils [des buissons de lilas] refleurissent, mauves comme il se doit,
couleur de vieille dame permanentée, dans un espace vague qu’on a tout le temps de
déguster (…) » (Philippe Delerm, Le trottoir au soleil, 2011)
« Il a les yeux amande de couleur zan » (Zikou, « Mon histoire », textesgais.com)
(Le noir)
« Il [Claes Oldenburg] crée des sculptures « gags », rigides ou molles, en acier ou en
vinyle, couleur bonbon fondant » (Le Point, 5.9.1977) (Le rose)
« Il se laissa couper les moustaches et affubler d’un pardessus couleur de banane
qui lui descendait à la cheville, d’un chapeau sport du même ton, qu’il portait très
en arrière, d’une paire de souliers en daim très clair et d’une cravate rose fesse sur
fond de chemise verte » (M. Aymé, Le Vin de Paris, 1947) (Le rose)
« Son chapeau de paille s’adorne d’un ruban de velours cerise, qui jure avec sa robe
mauve, achetée sans doute dans ce magasin de Segré qui s’est fait une spécialité des
couleurs sucette » (H. Bazin, Vipère au poing, 1948» (Le rouge)
« Il vit soudain s’arrêter au bord du trottoir un taxi couleur coccinelle » (G. Duhamel,
La passion de Joseph Pasquier, 1945) (Le rouge)
« La couleur salade talonne le fameux rouge bordeaux et on dira désormais « vert
Hermès » comme on dit depuis des années « rouge Hermès » (Cosmopolitain, janv.
1983) (Le rouge)
« Été 2009 : un été couleur menthe à l’eau » (Cosmopolitain, 5. 2. 2009)

6. Exemples illustrant la multiplicité de


constructions possibles
Ci-dessous apparaissent quelques exemples d’unités qui peuvent être sélection-
nées par les trois opérations constructionnelles. Pourraient être ajoutés tous
les exemples de conversion auxquels il est généralement possible d’apposer
un TdeC  ; en revanche l’emploi en assemblage syntaxiforme [TdeC + de +
N] n’est que rarement possible puisqu’il résulte soit d’un emploi désuet éta-
blissant une comparaison soit d’un emploi spécialisé désignant un pigment
colorant.

468
ACIER : L’unité entre dans les trois constructions et en plus accompagnée de diffé-
rents supports sémantiques « A la sortie d’Orense nous franchissons le Mino que nous
longeons jusqu’à Rivadavia, avec d’impressionnantes découvertes sur le fleuve d’un
bleu d’acier et la sierra de Gestoso » (A. T’Serstevens, L’Itinéraire espagnol, 1933)
(Le bleu)//« Sa longue robe de chambre bleu acier à ramages argentés jetait des reflets
et sa chevelure noire, déployée, semblait très lourde sur sa tête » (R. Sabatier, Trois
sucettes à la menthe, 1972) (Le bleu)//« Dans son air ébloui d’or pâle, le rayonnement
discret d’une jupe d’argent, d’un corsage cerise, d’une culotte gris d’acier, d’une botte
de cuir fauve, d’une perle pendue à un ruban bleu qui brille sur une joue blonde, se
mêle à la sonorité même des boîtes d’harmonie pour environner d’une ombre com-
plice la paix ouatée des vies qui se déroulent dans la sécurité et le confort » (E. Faure,
Histoire de l’art. L’Art moderne, 1921) (Le bleu)//« Jean-Louis Scherrer. Tunique en
guipure acier sur pantalon en organza lamé » (Marie-Claire, mars 1995) (Le bleu)

AZUR : « La mer étincelait ainsi qu’une gitane sous ses volants d’azur où scintille
le fer » (P.-J. Toulet, La Mer étincelait, in Les Contrerimes, 1920) (Le bleu)//« Le
ciel bleu-azur, est vide et propre, le grand silence est parcouru de frissons que lui
donnent les coups de feu, les rafales de mitraillettes, venant maintenant d’en bas »
(E. Triolet, Le premier accroc coûte deux cents francs, 1945) (Le bleu)//«  (…) Et
là-haut la lumière azur et or du 6 octobre continuait à chanter (…) » (J. Romains, Les
Hommes de bonne volonté, 1932) (Le bleu)
CORBEAU : « Des cheveux bleu corbeau  » (J. Giraudoux, Simon le pathétique,
1926) (Le noir)//« Elle avait de beaux cheveux noir de corbeau » (L. Guilloux, Le
pain de rêves, 1942) (Frantext)//« dans ses cheveux noir-corbeau, les quelques
fils blancs faisaient très distingués » (E. triolet, Le premier accroc coûte deux cent
francs, 1945) (Frantext)//« Tatie Hélène ressemble à yaya, en plus large, les cheveux
sont teints en noir corbeau et crêpés très haut sur la tête » (D. Belloc, Néons, 1987)
(Le noir)
FUMÉE : « D’obliques pluies sifflantes occupaient le ciel gris fumée » (J. Malègue,
Augustin ou le Maître est là, t. 2, 1933) (Frantext)//« Elles sont d’un bleu sourd entre
une mer vert amande et un ciel d’un gris de fumée » (J. Green, Journal, 1943–1946,
1946) (Le noir)//« De vastes étendues vertes sous un ciel qui tourne au gris, presque
au noir de fumée » (J. Green, Journal, 1943–1946, 1946) (Le noir)
PERVENCHE  : «  C’était une blonde adolescente, maigre et charmante, aux fins
cheveux ondulants comme de petits flots (…) les yeux d’un bleu de pervenche, un
nez délicat aux narines palpitantes » (R. Rolland, Jean-Christophe, les Amies, 1910)
(Le bleu)//« Bébé l’Ange vient aussi de recevoir le Bon Dieu. Sans problème, on ne
lui donne sans confession…Pourtant ce beau môme à la chevelure blonde bouclée, la
bouche en cœur, les yeux pervenche, un vrai petit pastel XVIIIe a tué père et mère »
(A. Boudard, Les Enfants de chœur, 1982) (Le bleu)
RÉGLISSE : « Un pauvre veston élimé, couleur réglisse » (A. Gide, Les Caves du
Vatican, 1914) (Frantext)//« Une planche de livres courait, épousant tous les angles,

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le long des murs peints à la chaux et décorés d’une frise ocre égyptien et noir
réglisse » (J. Aroux, Les Gentilshommes de ceinture, 1928) (Le noir)//« La fillette
de sucre candi, aux nattes de réglisse, prend notre main pour nous conduire au
club des papillons » (M. Leiris, La règle du jeu, 3, Fibrilles, 1966) (Le noir)//« Laf-
cadio voulut s’élancer  ; le geste qu’il fit pour ouvrir la portière laissa couler le
veston réglisse à ses pieds » (A. Gide, Les caves du Vatican, 1914) (Le noir)//« Le
protège-slip noir, lancé sur le marché en avril (Alldays Black) pour répondre aux
besoins des 20% de femmes adeptes de la lingerie réglisse » (M.-E. Luquet, « Le
noir nouveau est arrivé… Douceur du noir au quotidien », alterma.com) (Le noir)

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