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Revue de l'Occident musulman

et de la Méditerranée

Prasse (Karl-G.), Manuel de grammaire touarègue (tahaggart)


Salem Chaker

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Chaker Salem. Prasse (Karl-G.), Manuel de grammaire touarègue (tahaggart). In: Revue de l'Occident musulman et de la
Méditerranée, n°21, 1976. pp. 187-190.

http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1976_num_21_1_1361

Document généré le 19/10/2015


COMPTES RENDUS

Karl-G. Prasse, Manuel de Grammaire Touarègue (tahaggart), (vol. 1). /-///,


Phonétique-Ecriture-Pronom, Editions de l'Université de Copenhague, 1972,
274 p. (vol. 2.X IV-V, Nom, Akademisk Forlag, Copenhague, 1974, 440 p.
(vol. 3). VI-VII, Verbe, Akademisk Forlag, Copenhague, 1973, 294 p. Un
quatrième volume, VIII-IX, Syntaxe, est en principe prévu.

La parution de cet imposant Manuel est incontestablement un grand


événement scientifique pour les etud.es berbères.
S'ajoutant à l'œuvre de Ch. de Foucauld, il nous donne pour le touareg un
niveau de connaissances incomparablement supérieur â celui des autres dialectes
berbères. On doit souhaiter que cet exemple soit suivi et, que soient bientôt
disponibles des descriptions d'ensemble analogues pour les autres grands dialectes,
notamment ceux pour lesquels nous avons déjà une documentation et un corpus
de textes importants.
En se fondant principalement sur les matériaux de Ch. de Foucauld, K.-G.
Prasse nous fournit une description complète de la langue des Touaregs de
l'Ahaggar. En fait, l'objectif de l'auteur est double : à la fois synchronique
(description du touareg tel qu'il se parle â l'heure actuelle) et diachronique
(reconstruction du système linguistique proto-berbère). Il semble d'ailleurs que la
version initiale de cet ouvrage ait eu pour titre "Grammaire touarègue historique"
(Cf. L. Galand, Annuaire de l'Afrique du Nord, 1965, p. 762). Rendre pleinement
compte de ce Manuel et donner une idée de toute sa richesse n'est certes pas une
tâche aisée.

Le volume 1 :
— Chapitre 1 (phonétique) : reprenant les conclusions de certaines de ses
études antérieures, K.-G. Prasse pose un système phonologique touareg dont
l'originalité principale se situe au niveau vocalique. Contrairement aux dialectes
berbères du Nord, qui, en principe, ne connaissent que trois voyelles
phonologiques (/a/, /if, /u/), le touareg possède plusieurs phonèmes d'aperture moyenne
et distingue deux quantités vocaliques :
Touareg Berbère Nord
i -î u-û i u
e-ê o-ô [4]*
m a
a — § * non phonologique
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La description synchronique est suivie d'un ensemble de considérations relatives à


la phonologie du proto-berbère. Le chapitre se termine par un examen intéressant
du système de versification touareg.
— Chapitre II (Ecriture) : l'auteur y fait une récapitulation fort utile des
connaissances actuelles dans le domaine des écritures libyco-berbères (libyques,
sahariennes et touarègues). Un tableau très clair des différentes formes de
l'écriture berbère complète cet inventaire.
— Chapitre III (Pronom) : cette partie est consacrée en fait à l'analyse de
tous les éléments grammaticaux autres que les désinences verbo-nominales :
pronoms personnels, déïctiques, prépositions, conjonctions et négations. Pour
chacune de ces catégories, l'auteur dégage les diverses formes attestées, leurs
emplois et leur constitution morphologique (diachronique).
On s'étonnera que le rapprochement de as ("quand") avec le nom as ("jour")
ne soit pas envisagé (p. 237-8), (Cf. kab. asmi = "le jour où"). Par ailleurs,
l'élément interrogatif —m— paraît bien être attesté en kabyle contrairement à ce
qu'écrit l'auteur (p. 217), Cf. uma, "pourquoi ? " et umi, "à qui ? ".

Le volume 2 (Nom) :
II traite essentiellement de la constitution interne des noms et des diverses
marques qui s'y adjoignent (état, genre, nombre). La classification très fouillée des
différentes catégories de noms repose sur les formes proto-berbères reconstruites
par K.-G. Prasse.

Le volume 3 (Verbe) :
II contient une analyse minutieuse des nombreux types d'affixes verbaux
(marques personnelles, modales, morphèmes dérivationnels), une étude de la valeur
et de la forme des thèmes et des différentes conjugaisons. Comme dans le volume
précédent, la diachronie (reconstruction proto-berbère) est constamment présente
et sert de fil conducteur à l'exposé. La détermination de la valeur des thèmes est
précédée d'une réflexion originale sur les bases psychologiques des oppositions
aspectuelles à laquelle on ne souscrira pas sans réserves. On notera que l'auteur,
contrairement à l'opinion assez généralement admise (M. Cohen, O. Rôssler . . .),
considère la conjugaison par suffixes des verbes de qualités comme une innovation
berbère et non comme le pendant du parfait sémitique (ou du statif chamito-
sémitique).
Sauf à se risquer dans des considérations par trop techniques, on ne peut
guère aller plus avant dans la description du contenu de ce Manuel.
On ajoutera, et cela n'est pas sans importance pour un ouvrage aussi ardu,
que le texte est d'une grande clarté typographique et que la présentation
matérielle de l'ensemble est absolument impeccable. Les nombreuses notes et
références infra-paginales viennent très heureusement préciser certaines idées de
l'auteur et les replacer dans le cadre général des études berbères.
Le Manuel de M. Prasse est incontestablement un ouvrage d'accès difficile.
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La raison principale en est, selon nous, la non-observation d'une séparation


suffisante entre synchronie et diachronie. Loin de nous toute idée de dogmatisme
structuraliste qui érigerait en principe absolu la distinction entre synchronie et
diachronie, mais, en l'occurence, l'intérêt méthodologique et pratique de la
fameuse dichotomie saussurienne est flagrant. Le mélange des deux plans fait que
l'argumentation de K.-G. Prasse n'est pas toujours aisée à suivre et nuit à la clarté
de la démonstration.
En outre, sur le plan pur de la diachronie, on peut se demander (l'auteur
n'élude d'ailleurs pas la question) si l'on est en droit de reconstruire le
proto-berbère à partir d'un dialecte particulier ? Cette reconstruction ne suppose-
t-elle pas la prise en compte systématique de toutes les données des autres
dialectes ? (d'où la nécessité de descriptions synchroniques exhaustives
préalables). On peut donc craindre que la part du touareg ne soit, malgré les précautions
de l'auteur, trop excessive dans ce proto-berbère. Certes, K.-G. Prasse a une
profonde maîtrise des faits berbères en général et, de plus, il s'appuie sur une
solide formation de comparatiste chamito-sémitisant. Son modèle de proto-berbère
a donc certainement une grande validité. Mais on regrettera que les formes
proposées ne soient pas toujours justifiées point par point et puissent souvent
paraître — sans doute superficiellement — comme assez arbitraires.
Par exemple, pourquoi sur le seul témoignage du touareg admettre une forme
4ntâ pour le pronom personnel indépendant de 3e personne de masculin singulier,
alors que l'ensemble du Berbère Nord a une forme à dentale longue, n^tta (Cf.
kab. n^tfia) ? Le problème n'est pas ignoré, mais le choix ne paraît pas
suffisamment motivé (vol. 1, p. 179-180).
Que les voyelles d'aperture moyenne aient de nos jours statut de phonèmes
en touareg ne fait plus guère de doute, mais, est-ce bien là l'état originel du
berbère ? Cela est possible, mais on en attend la démonstration.
On regrettera aussi que la description phonogique ne soit pas menée de façon
plus rigoureuse et plus "classique", avec recherche systématique des paires
minimales et étude complète de la distribution. Seule une telle procédure aurait
permis d'établir sans conteste la pertinence de certains éléments dont le statut
n'est pas très clairement dégagé dans le Manuel. Ainsi, â partir de l'unique
exemple d'opposition cité pour /o/ (vol. 1, p. 22, ihusi ~ yàhosày), on pourrait
soutenir que cette unité n'a pas d'autonomie phonologique par rapport à /u/ dont
elle ne serait qu'une variante dans le voisinage d'une voyelle plus ouverte (/à/). Par
ailleurs, et ceci nous semble capital du point de vue diachronique, le type de
description phonématique que nous préconisons aurait permis d'évaluer la
fréquence et le rendement fonctionnel de chaque phonème, données qui nous paraissent
être des indices fondamentaux dans l'entreprise de reconstruction du système
phonologique proto-berbère.
Un autre point de la description phonologique fait problème : peut-on
valablement se fonder sur les particularités de la diction poétique pour établir le
système phonologique d'une langue? La nature exacte des trois quantités que
l'auteur voudrait distinguer à partir des données métriques n'est pas nette. S'agit-il
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d'un fait propre à la langue poétique, d'une distinction seulement phonétique ou


d'une opposition phonologique (auquel cas il faudrait démontrer le caractère
distinctif des trois quantités l'une par rapport à l'autre) ?
Ces quelques critiques que nous formulons ne feront cependant pas oublier
que le Manuel de grammaire touarègue de M. Prasse constitue désormais la
référence fondamentale, tant en linguistique touarègue que pour tout ce qui
concerne la diachronie berbère.

Salem Chaker

Ghubayd Agg Alawjeli, Histoire des Kel-Denneg avant l'arrivée des Français. Publié par Karl
Prasse, Akademisk Forlag, Copenhague 1975, 195 p., 1 carte h.t.
Cette tradition historique des Iwellemmedan Kel Denneg donne la version des
"religieux lettrés" Kel Eghlal qui occupent une place très importante dans cet
ensemble politique touareg vivant aujourd'hui dans l'arrondissement de Tchin
Tabaraden, au Niger. Jusqu'ici la parole avait presque toujours été donnée aux
suzerains Kel Nan et aux imajeghen en général, appelés dans ce contexte du nom
un peu péjoratif de "guerriers illettrés". A ce titre, et sous cette réserve, cette
version est particulièrement intéressante d'autant plus qu'elle paraît en même
temps que l'ouvrage de H. T. Norris (1 ) qui apporte des éléments nouveaux sur
l'histoire des Touaregs sahéliens et en particulier sur les Kel Eghlal à partir
d'enquêtes menées chez les religieux (ineslemen) et de l'étude de textes arabes, et
qu'elle suit de peu le mémoire d'A. Marty (2) qui met bien en évidence
l'organisation pyramidale et bicéphale des Touaregs Kel Denneg, née de deux strates de
population arrivées successivement.
La tradition recueillie par Ghubayd agg Alawjeli nous donne d'abord un
inventaire et une classification des 100 tribus Kel Denneg (à l'exclusion toutefois
des tribus arabes dépendantes, incorporées depuis la fin du XIXe siècle à
l'ensemble Kel Denneg). Les critères qui distinguent les principaux groupes de
tribus d'"hommes libres" font référence à la guerre, â la connaissance de l'écriture
arabe, et dans quelques cas, â la couleur de la peau. De ce fait, les groupes sont
répartis en "guerriers illettrés'* {imajeghen appelés ici iwellemmedan et imghad), en
"guerriers lettrés" {ineslemen) et "lettrés non guerriers" appelés Kel Esaghed
{ineslemen également). Parmi les "guerriers lettrés" deux souches apparaissent

(1) Norris (H.T.), The Touaregs - Their islamic legacy and its diffusion in the Sahel.
Aris and Phillips Ltd. Warminster, Wilts, England - 1975, 234 p.
(2) Marty (A.), Histoire de l'Azawagh Nigérien de 1899 à 1911. Mémoire de l'Ecole des.
Hautes Etudes en Sciences Sociales (Direction G. Tillion) - Paris, Mars 1975, 157 p. ronéo.

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