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CHAPITRE 1

Réflexion sur l’intervention en éthique


appliquée au contexte du service public :
de l’éthique publique à la synergie
régulatoire, un modèle critique et pratique
Magalie Jutras
M.A., professionnelle DSO-ENAP

L
Yves Boisvert
Ph. D., professeur titulaire ENAP1

’objectif de cet article est d’explorer l’intervention en éthique


appliquée au contexte spécifique du service public. Nous
voulons présenter ici, ce que certains de nos collègues seraient tentés de
nommer, le modèle dit de l’ENAP. Notre texte veut démontrer comment
notre approche s’aligne directement dans le sillon de la pensée critique,
tout en restant respectueuse des principes et des valeurs qui caractérisent
le régime politique à l’intérieur duquel se déploient les organisations
publiques où l’on intervient. Nous allons donc préciser quelles sont les
assises théoriques qui guident nos interventions et présenter notre vision
de ce qu’est une intervention réussie dans le domaine de l’éthique
appliquée au service public.
Cette présentation se fera en quatre étapes. Dans un premier temps,
nous examinerons le contexte des services publics contemporains. Dans
un deuxième temps, nous exposerons le paradigme de l’éthique publique
qui nous anime depuis le début de nos interventions et qui forge la
posture critique et pragmatique qui nous habite. En troisième lieu, nous
présenterons le concept de la synergie régulatoire qui nous semble
aujourd’hui incontournable pour intervenir dans les organisations
publiques. Ces trois étapes nous permettront de mieux saisir l’arrière-plan

1. Nous remercions Maryse Tremblay pour sa collaboration.


10 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

théorique qui guide nos interventions pratiques. Finalement, nous


exposerons brièvement et sans prétention, certains éléments d’inter-
vention appliqués au contexte du service public.

CONTEXTE GÉNÉRAL DES SERVICES PUBLICS CONTEMPORAINS

Les citoyens, les différents partenaires et clientèles des services publics,


fédéraux, provinciaux et municipaux, ainsi que ceux des réseaux de
l’éducation et de la santé, s’attendent, à juste titre, à une gestion juste et
optimale des fonds publics (Desautels, 1995 ; Fraser, 2001 à 2011). Ils
sont de plus en plus exigeants en matière de transparence, d’imputabilité
et de responsabilité (Gomery, 2006 ; Villeneuve et Pasquier, 2011 ; Audria,
2008) de la part des institutions publiques et de ses agents. L’exigence
de performance éthique et de reddition de comptes s’intensifie et exerce
une importante pression sur ces derniers et les oblige à être plus vigilants
et rigoureux en amont.
Les citoyens fondent en bonne partie leur confiance à l’égard des
institutions démocratiques en référence avec cette idée de la performance
éthique (OCDE, 2000 ; Quéré, 2005 ; Roese, 2002). Dès lors, les organi-
sations publiques doivent à tout prix éviter que leurs employés se
retrouvent accusés de manquement éthique. C’est pourquoi elles sont
de plus en plus interpellées par l’idée de faire des diagnostics de leurs
risques éthiques pour bien construire leur démarche ou leur programme
éthique et ainsi développer une culture de l’éthique. Tous les agents
publics savent que l’industrie du scandale (Rayner, 2005 et 2007) s’active
très rapidement et qu’elle s’emballe à vive allure, dès que des soupçons
pèsent sur un fonctionnaire ou un gestionnaire public. Cette publicisation
des inconduites des agents publics dans les médias a un impact direct sur
la fragilisation du lien de confiance entre les citoyens et le service public.
Les acteurs publics ne peuvent plus prendre cela à la légère, ils doivent
se soucier de l’impact qu’ont leurs transgressions sur la légitimité de leurs
décisions et actions. Sinon, ils courent le risque de voir poindre une crise
de légitimité encore plus grande, c’est-à-dire une crise où les institutions
publiques elles-mêmes seraient remises en question et, par le fait même,
les fondements de notre régime démocratique (Lascoumes, P., 2011 ;
Renaut, A., 2011 ; Boisvert, 2002).
Dans ce contexte, les organisations publiques ont mis en place des
mécanismes et des dispositifs pour assurer l’éthique et la transparence de
leurs activités (codes de déontologie, guides d’éthique, déclarations de
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 11

valeurs, lignes de signalement ou formations en éthique) (Boisvert et


collab., 2011 (A)). Ces divers dispositifs se regroupent dans ce que l’on
nomme « l’infrastructure de régulation » des agents publics.
Par ailleurs, les organisations publiques vivent des changements
rapides sur le plan du travail (Battilana, Leca et Boxebaum, 2009 ;
Damanpour et Schneider, 2008 ; Bartoli et Chomienne, 2007). Les agents
publics se heurtent à beaucoup de « zones grises » et évoluent dans un
cadre normatif de plus en plus complexe et spécialisé. Ils font face à de
nouvelles réalités et à de nouveaux enjeux : mobilité du personnel, renou-
vellement de la fonction publique, arrivée du télétravail et des horaires
variables, multiplication des partenaires et sous-traitance (Mazouz, 2011 ;
Jutras et Roy, 2013). Dans ce contexte, l’efficacité, la transparence, la
saine gestion des fonds publics et l’éthique sont devenues des paramètres
indissociables et incontournables pour les services publics modernes.
Voilà autant de facteurs qui complexifient le rôle des acteurs publics dans
un service public moderne et ouvrent la porte à de nouveaux risques
éthiques (Boisvert, 2014 ; Boisvert, 2011 (B)), obligeant ainsi une trans-
formation du leadership éthique (Shapiro et Gross, 2012 ; Langlois,
2008).
Par ailleurs, les services publics modernes reposent, encore
aujourd’hui, sur des principes démocratiques fondamentaux tels que la
primauté du droit, la loyauté et l’obéissance hiérarchique (Tait, 1996 ;
Bernier, 2011). Dès lors, les principes centraux et les valeurs démocra-
tiques sont indissociables et sont manifestement mobilisés dans l’approche
d’intervention en éthique que nous décrivons plus loin. Les intervenants
qui agissent dans le contexte d’un système démocratique, basé sur la
responsabilité (ministérielle et politique) (Gomery, 2006) et sur la compé-
tence des agents publics, sont dans l’obligation de travailler dans le respect
de la culture de leur « client » institutionnel. Ils doivent notamment
s’assurer de travailler dans le respect le plus grand de l’intérêt public et
de la loyauté. Il ne s’agit pourtant pas de se faire le défenseur d’une logique
de conformité qui deviendrait aliénante et déresponsabilisante pour les
membres de l’organisation. Au contraire, il s’agit plutôt de mettre en
valeur la responsabilité des acteurs publics afin de faire en sorte que les
actions publiques convergent justement vers l’intérêt public, eu égard
aux orientations politiques légitimes soumises à l’exercice démocratique
(Michaud et collab., 2011).
12 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

PARADIGMES DISCIPLINAIRES ET POSTURE D’INTERVENTION

Les regards disciplinaires insufflent des postures d’intervention qui


teintent de manière très marquée l’ensemble de la pratique d’un inter-
venant. Ils motivent des choix de paradigme, de cadre conceptuel, de
modèles d’action, de méthodes et d’outils que les intervenants en éthique
appliquée utilisent. La philosophie, la psychologie du travail, la gestion,
la science politique, le droit, les ressources humaines, les communications
et la sociologie offrent des paradigmes singuliers et elles suscitent des
postures d’interventions particulières.
Lorsqu’on adopte un regard monodisciplinaire, on a habituellement
une ou deux stratégies d’intervention très spécifiques, alors que si l’on
adopte une approche pluridisciplinaire, on se réfère à un coffre à outils
plus garni avec une pluralité de stratégies d’intervention. Pour notre part,
nous nous inscrivons directement dans la perspective pluridisciplinaire
et nous privilégions le paradigme de l’éthique publique pour cadrer de
façon générale nos analyses et nos interventions (Boisvert, 2005 ; Véca,
1998). C’est aussi sur ce paradigme que nous alimentons la présente
réflexion.
Le paradigme de l’éthique publique se veut d’abord critique et
pratique (Honneth, 2013 ; Putnan, 2005), c’est-à-dire qu’il nous amène
d’abord à nous intéresser essentiellement à la « réalité sociale », en général,
et aux « problèmes pratiques » en particulier, et ce, en prenant soin de les
analyser en référence avec le contexte particulier qui les enserre. Puis, en
respectant la complexité des dynamiques sociales d’où émergent les
problèmes pratiques, cette pensée critique opte pour une analyse globale
des facteurs sous-jacents aux problèmes publics. Elle cherche à proposer
des pistes de résolution novatrices (Gusfield, 2009) ainsi que des stratégies
de révision des contextes sociaux et de rectification des institutions
sociales. Une intervention qui s’aligne sur l’esprit de l’éthique publique
se développe donc en deux phases : la phase analytique, que l’on nomme
souvent le diagnostic dans le jargon de l’intervention ; la phase recom-
mandation où l’on tente de proposer des alternatives favorisant la
bonification de l’action et l’amélioration des environnements institu-
tionnels.
Contrairement à la posture morale qui nous paraît de plus en plus
déphasée dans le contexte des sociétés pluralistes contemporaines,
l’éthique publique se veut plus adaptée pour aborder les problèmes
pratiques d’aujourd’hui, car elle est très respectueuse des traits dominants
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 13

de notre culture contemporaine, soit le pluralisme des valeurs et des styles


de vie. Pour Véca (1998), l’éthique publique propose justement de
s’adapter à un contexte social marqué par la cohabitation de fait d’une
pluralité de morales ; ainsi, elle doit modérer les excès d’universalité de
la morale (les travers du moralisme), afin d’ouvrir un dialogue social pour
traiter des problèmes publics (Boisvert et Jeffrey, 2003) et orienter l’action
publique du côté des voies médianes qui favorisent les compromis et les
consensus en contexte pluraliste.
L’éthique publique aborde l’analyse des phénomènes sociaux comme
des événements qui influencent la façon dont les acteurs sociaux
conçoivent la réalité sociale et lui donnent du sens. L’éthique publique
rejette ainsi toute référence à la perspective naturaliste (la pratique sociale
serait naturelle en soi) et se met en rupture avec l’horizon moraliste (la
pratique sociale serait morale ou immorale en soi). Pour reprendre Becker,
une action X ne deviendrait officiellement une déviance, que si le groupe
ou sous-groupe qui doit évaluer la qualité de la conduite, la qualifie ainsi
et décide de sanctionner l’acteur qui a eu un tel comportement. L’éthique
publique défend donc l’idée que la pratique sociale reçoit sa qualification
par le jugement collectif qu’on lui porte. Ainsi, l’éthique publique veut
amener les acteurs sociaux et politiques à faire face à leurs responsabilités,
car ceux-ci ont le pouvoir de qualifier les pratiques sociales et d’influencer
l’orientation des actions publiques qui vont interpeller ces pratiques. Ce
point a son importance, car cela va amener l’intervenant à ne jamais se
limiter à comprendre la qualification de la conduite d’un acteur public
uniquement en référence avec le profil de ce dernier ; il tentera plutôt de
comprendre cette conduite à travers ses liens avec les différents facteurs
(culturels, structurels, de gestion, etc.) de son environnement.
Quand l’éthique publique se frotte au défi de la résolution des
problèmes complexes, elle refuse les scénarios offrant des solutions
simplistes qui se ferment trop souvent à la richesse des débats sociaux.
Elle défend plutôt l’idée que ce sont ces derniers qui font émerger de
nouvelles propositions d’atténuation des risques éthiques ou de résolution
des problèmes sociaux. La richesse de ces débats, qui peuvent prendre
toutes sortes de formes, c’est qu’ils favorisent l’émergence d’une pluralité
d’idées qui peuvent être toutes très riches. Comme le dit Gusfield, on
doit sortir de la facilité des solutions monolithiques et dogmatiques qui
font vite consensus et qui adoptent passivement le paradigme dominant
(Gusfield, 2009). L’éthique publique nous encourage plutôt à accepter
de regarder chacun des problèmes publics dans sa globalité afin de les
14 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

comprendre dans toutes leurs complexités et d’explorer les différents


éléments sous-jacents.
L’éthique publique a donc la volonté de faire émerger une décision
qui favoriserait le maintien de la cohésion sociale et un juste équilibre
entre les droits particuliers et l’intérêt public. En s’inspirant de l’esprit
de Dewey, on peut dire qu’en tentant de trouver des solutions inclusives
aux problèmes publics (Dewey, 1990 et 2010), l’éthique publique s’inspire
directement de la culture démocratique. Ainsi, l’éthique publique s’inscrit
dans une logique d’aide à la décision qui s’aligne directement sur les
valeurs démocratiques : l’équité, la justice, la liberté et le bien commun.
Le rôle de ceux et celles qui participent au débat relatif à un problème
public est de fournir de l’information, des arguments et des propositions
afin d’aider les acteurs qui occupent les espaces politiques à prendre les
meilleures décisions. Ainsi, l’éthique publique fait donc la promotion
des débats élargis qui éclairent la vie de nos sociétés, elle prend position
contre les décisions politiques arbitraires qui se forgent hors des lieux de
dialogue en affirmant qu’il s’agit là d’un détournement du sens même
de ce que l’on doit considérer comme l’esprit de notre démocratie
contemporaine.
Il faut cependant faire attention et ne pas exiger que l’éthique
publique se substitue au politique (lieu d’organisation, de structuration,
d’institutionnalisation et de gestion du vivre ensemble social). L’éthique
publique n’a pas la prétention de vouloir instituer de nouveaux espaces
décisionnels en matière politique, elle doit se limiter à occuper un espace
précis dans l’infrastructure démocratique, soit l’espace réflexif et dialo-
gique qui se profile en amont de l’espace politique.
De façon plus précise, l’éthique publique s’intéresse aux questions
concernant la qualité des décisions et des conduites d’individus occupant
des fonctions sociales particulières à l’intérieur d’institutions, d’organi-
sations ou d’autres regroupements. Lorsque l’on se réfère à l’éthique
publique pour intervenir dans un contexte organisationnel, on ne se
limite donc pas à faire de la détection des inconduites individuelles ou
de l’évaluation de la compétence éthique des individus. On s’intéresse
plutôt à l’environnement producteur des facteurs qui atténuent ou
empêchent le développement de cette compétence éthique des membres
de l’organisation. Ces facteurs peuvent se situer autant du point de vue
des décisions de gestion, de la culture de l’organisation (Schein, 1991),
des sous-cultures des différents groupes professionnels qui se déploient
en son sein (Becker, 1985), que des structures de gouvernance et de
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 15

régulation. Les risques éthiques sont justement liés à ces facteurs négatifs
et ils vont souvent se révéler à travers des transgressions, des enjeux
éthiques mal évalués ou sous-estimés et des dilemmes mal résolus.
De façon plus générale, le paradigme de l’éthique publique suggère
que la finalité d’une intervention en éthique dans les affaires étatique est
de maintenir, consolider, accroître, voire rétablir la confiance du public
à l’égard des institutions démocratiques (OCDE, 2000). La posture que
suggère l’éthique publique à l’intervenant vise donc le maintien des
institutions démocratiques. Conséquemment, l’intervenant qui partage
ce paradigme aura un souci fort important pour la transparence, la lutte
à la corruption, la reddition de comptes, l’intégrité et la promotion du
bien commun. Il sera aussi très sensible à la question de l’utilisation
optimale des fonds publics et au sens du service public.

LA SYNERGIE RÉGULATOIRE : CADRE CONCEPTUEL


DE L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE DANS LE CONTEXTE
DU SERVICE PUBLIC

Notre réflexion générale s’inscrit directement dans le cadre des travaux


sur la régulation sociale (Reynaud, 2004) et nous inscrit de facto dans le
courant de recherche qui fait le lien entre les actions sociales et les
décisions des acteurs. Dans cette perspective, l’acteur ne prend jamais
une décision de façon autarcique, il le fait toujours dans une dynamique
transactionnelle. La littérature relève deux formes de régulation des
comportements des personnes (ou des acteurs) dans le service public : la
régulation basée sur le contrôle et la régulation basée sur les valeurs
(Reynaud, 2004 ; Boisvert et collab., 2003, Maesschalck, 2004 ; OCDE,
2009).
Les approches basées sur le contrôle se caractérisent par l’accent mis
sur la nature extrinsèque des contrôles, ce qui signifie qu’elles « préfèrent
des règles et procédures claires et détaillées » dans la régulation des
comportements (OCDE, 2009 : 11-12). Reynaud précise qu’on « peut
appeler « contrôle social » cette part de l’activité de la société qui consiste
à assurer le maintien des règles et à lutter contre la déviance, que ce soit
par le moyen des appareils institutionnels ou par la pression diffuse
qu’exerce la réprobation ou les sanctions spontanées qu’elle provoque »
(Reynaud, 2004 : 19).
En ce qui a trait aux approches basées sur les valeurs, elles favorisent
plutôt des contrôles de nature intrinsèque qui « stimulent la compré-
16 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

hension et l’application quotidienne des valeurs [et] l’amélioration des


compétences de prise de décision éthique à travers des sessions de
formation interactives, ateliers, codes de valeurs ambitieux, accompa-
gnement (coaching) individuel, etc. » (OCDE, 2009 : 11-12). Cette
approche mise sur l’habilitation des individus (Bégin et Langlois, 2012)
capable de faire face à leur autonomie, et ce, de façon responsable (Jouan
et Laugier, 2009 ; Jouan, 2008) et fait la promotion de l’intégrité des
personnes.
D’un point de vue pratique, l’approche basée sur le contrôle s’aligne
en quelque sorte sur le respect du cadre légal et réglementaire qui doit
assurer la cohésion collective. De son côté, l’approche basée sur les valeurs
promeut plutôt la motivation intrinsèque, elle est plus subjective, car elle
favorise une régulation autonome du comportement. Par tradition, la
gestion des conduites professionnelles et la régulation des inconduites
professionnelles se sont toujours faites dans une perspective de contrôle
(une régulation imposée de l’externe par le droit ou la déontologie). On
pourrait dire, avec Schopenhauer, qu’il y a derrière cette interprétation
une conception pessimiste, mais probablement réaliste, de l’humain :
« chacun porte en soi, au point de vue moral, quelque chose d’absolument
mauvais, et même le meilleur et le plus noble caractère nous surprendra
parfois par des traits individuels de bassesse » (Schopenhauer, 1996).
Une approche pratique dans le domaine de l’éthique du service public
s’aligne donc sur une reconnaissance de facto de cette complémentarité
régulatoire. Elle défend l’idée qu’un agent public ne peut pas agir en
référence à une seule logique régulatoire. Il doit s’ajuster à la réalité
conjoncturelle, et s’il peut agir régulièrement par conformité aux règles
qui lui sont prescrites extérieurement, il peut aussi agir par respect pour
toute la responsabilité qui lui incombe eu égard à l’autonomie qu’il a et
par respect des principes, des valeurs et des attentes signifiés qui le guident
dans ses fonctions. Dans le feu de l’action, un agent public régule son
comportement de façon à la fois hétérorégulatoire et autorégulatoire :
c’est le contexte d’action qui lui dicte son choix. Dans un contexte
d’éthique organisationnelle, l’hétérorégulation représente une approche
régulatoire où le contrôle du comportement d’un individu est extérieur
à lui-même, c’est-à-dire que le comportement souhaitable lui est prescrit
par des sources externes d’autorité (Boisvert, 2003 ; Reynaud, 2004). À
l’inverse, l’autorégulation est une approche où la régulation du compor-
tement est plutôt gérée par l’individu lui-même. C’est en fait l’individu
qui se trouve libre de ses choix et actions, lesquels sont basés sur des
valeurs personnelles et croyances, et la reconnaissance des impacts
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 17

­ otentiels de ces décisions sur son environnement (Boisvert, 2003). En


p
somme, les deux approches sont essentiellement issues de deux logiques
distinctes, mais sont généralement déployées de façon complémentaire
(Boisvert, 2011).
Relativement à cela, les organisations n’ont pas le choix de développer
des infrastructures de régulation qui tiennent compte de ces deux
logiques ; c’est ce qui nous amène à aborder la dynamique régulatoire
sous l’angle de la synergie régulatoire. En effet, comme les individus
régulent leur comportement de manière hétérorégulatoire et autorégu-
latoire, les organisations ont tout avantage à utiliser, à des degrés variables,
les deux approches régulatoires. De ce fait, elles doivent concevoir des
dispositifs qui réfèrent aux différents modes de régulation (éthique,
déontologie, cadre légal, culture organisationnelle et morale). En ce sens,
les organisations doivent faire appel à une infrastructure de contrôle des
comportements qui intègre des éléments de type hétérorégulatoire (par
exemple, un code de conduite ou une ligne de signalement) et autoré-
gulatoire (par exemple, des activités de sensibilisation aux valeurs et des
processus favorisant la responsabilisation des personnes).
En effet, tel qu’il est souligné dans les approches de la gestion de
l’intégrité (Maesschalck, 2004 ; OCDE 2009), l’existence d’une
dynamique entre les deux pôles régulatoires qui soit adaptée à la réalité
de l’organisation s’avère nécessaire afin d’assurer le bon contrôle des
comportements de ses membres. Une organisation doit donc veiller à ce
que cette dynamique s’implante entre les divers outils, instruments,
méthodes et dispositifs éthiques, c’est-à-dire entre les différents modes
de régulation des comportements. Rappelons aussi qu’aucun mode de
régulation n’est d’une pureté régulatoire telle qu’il serait uniquement
hétérorégulatoire ou autorégulatoire. Chacun des modes de régulation
dispose d’une double nature régulatoire, c’est-à-dire que chacun dispose
« à doses certes variables, des éléments autorégulateurs et des éléments
hétérorégulateurs » (Boisvert, 2003 : 28-29).
Ainsi, chaque agent public régule son comportement en fonction de
diverses combinaisons des modes de régulation. Ces combinaisons varient
selon les personnes, les situations, les mœurs et la culture organisationnelle
ambiante, les sous-cultures organisationnelles, etc. Pour ainsi dire, chaque
agent public fait appel à une « stratégie régulatoire » qui lui est propre,
mais qui constitue une combinaison opérationnelle de modes de
régulation en fonction de leur degré d’influence respective sur le contexte.
Bref, cette variété de stratégies régulatoires rappelle et souligne
18 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

l­’importance de la présence de chaque mode de régulation dans l’infras-


tructure de contrôle des comportements employée par l’organisation et,
par conséquent, l’importance d’en tenir compte lors des interventions
de nature éthique.
Les interventions éthiques dans le service public doivent donc
respecter l’esprit de la synergie régulatoire s’ils veulent créer une plus-value
réelle dans les organisations publiques. Un intervenant en éthique qui
ne respecte pas l’esprit du cadre normatif qui balise les comportements
des agents publics pourrait difficilement faire sa place dans le service
public, car on ne peut pas demander aux agents publics de se mettre dans
des postures de transgression sans les mettre en situation de vulnérabilité.
Le consultant en éthique doit éviter de mettre ses clients dans une telle
posture de fragilité. Conséquemment, même s’il s’intéresse surtout aux
stratégies d’atténuation des risques éthiques qui s’alignent sur la logique
d’autorégulation, l’intervenant en éthique doit intégrer dans son cadre
d’intervention toute la richesse de la complémentarité, de l’imbrication
et de l’interdépendance des modes de régulation. De plus, l’intervenant
en éthique appliquée est conscient que tous les acteurs de l’organisation
ne se réfèrent pas aux mêmes modes de régulation pour réguler leurs
comportements. Des études en psychologie morale ont démontré que
les cadres de référence utilisés par des acteurs sociaux varient selon les
environnements culturels qui furent à la base de la socialisation de ces
derniers (Tostain, 1999). Dans notre contemporanéité marquée par le
pluralisme des morales et des styles de vie, il faut donc faire attention
avec les schémas d’interprétation universalistes : tous les membres de
l’organisation n’ont pas les mêmes réflexes en matière de régulation, d’où
l’importance d’avoir, en contexte organisationnel, une variété de dispo-
sitifs complémentaires.
La synergie régulatoire ne peut se penser sans l’idée d’imbrication
ou d’interpénétration des différents modes de régulation. Elle signifie
que chaque mode et dispositif de régulation des comportements comporte
des éléments inhérents aux autres modes de régulation et que ce n’est
que dans une perspective systémique que l’infrastructure régulatoire fait
sens et devient opérationnelle. Cela nous conduit directement à cette
idée d’interdépendance entre les modes de régulation où l’on constate
l’influence de chaque mode de régulation sur les autres, ainsi que la
soumission de chacun d’eux à l’action produite par les autres modes de
régulation. Il ne s’agit plus ici de complémentarité palliative ni de fusion,
mais de l’impact que les modes de régulation ont les uns envers les autres,
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 19

de même que l’idée que chacun d’eux participe à la construction de


l’autre, qu’ils se nourrissent les uns des autres. Bref, les modes de
régulation interagissent dans une relation réciproque et ont besoin des
autres pour se développer et être opérant.
En regroupant des éléments auto et hétérorégulatoires dans une
infrastructure éthique, la synergie régulatoire crée un mouvement
dynamique qui fait ressortir les relations entre ces différents éléments.
Pris isolément, les modes de régulation ont un intérêt très minime. Ce
n’est que dans leur interrelation tournée vers une finalité commune que
chacun de ces modes augmente leur rôle et leur importance.
Cette idée d’une collaboration ou d’une coopération vers un objectif
unique souligne l’idée d’un travail collectif en vue de réaliser une finalité
partagée et commune des modes de régulation. La synergie régulatoire
engage donc la mise en place des instances hétérorégulatrices non pas
uniquement dans le but de réguler les comportements dans une
perspective de conformité, mais aussi dans l’optique de favoriser le
développement de la prise de conscience qu’il y a des balises comporte-
mentales qui encadrent les pratiques des agents publics, ce qui devrait
amener ces derniers à intégrer ces balises dans leurs bagages de connais-
sances et s’y référer lors des réflexions devant mener à l’action. Cette
vision rejoint la thèse d’Eirick Prairat qui aborde la question de la sanction
dans une perspective de pédagogie et de socialisation (Prairat, 2002),
c’est-à-dire dans une perspective de développement graduel de la compé-
tence éthique qui se fait à travers une meilleure compréhension de l’esprit
du cadre normatif qui nous enserre.
La synergie régulatoire, qui implique un travail visant le dévelop-
pement de l’autorégulation individuelle, reconnaît l’importance de la
connaissance et du respect des règles et des normes en présence, mais
aussi la primauté d’une appropriation positive et volontaire de celles-ci.
Bref, l’idée de la synergie régulatoire rompt avec la logique dichotomique
d’une conception bipolaire et renforce la réciprocité  des modes de
régulation : les instances de régulation externe favorisent l’autorégulation
des individus et, à l’inverse, le mouvement autorégulatoire facilite le
maintien de la cohésion collective.
20 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

ÉLÉMENTS D’INTERVENTION APPLIQUÉS AU CONTEXTE


PARTICULIER DU SERVICE PUBLIC

Tout d’abord, pour comprendre un modèle d’intervention, on doit


se positionner sur le concept d’intervention. Louise Brabant (2006) et
Alain Létourneau (2005) abordent le concept d’intervention dans les
champs respectifs des sciences humaines et de l’éthique et ils adoptent
une approche très inclusive, voire intrusive, car il y a, selon eux, une
nécessité de pénétrer dans l’organisation et de s’y fondre le temps du
diagnostic. Pour Michel Crunenberg (2004), il s’agit plutôt de choisir
de faire quelque chose dans le but de provoquer un changement. Ainsi,
l’intervenant entre dans un univers organisationnel en position X, afin
de le faire cheminer vers une position Y.
Bien que nous souscrivions à cette idée qu’intervenir c’est insuffler
un changement, nous croyons que la compréhension objective du
contexte d’intervention a une importance majeure sur le niveau d’impli-
cation que l’intervenant décidera d’adopter. Conséquemment, il est très
important que l’intervenant fasse une lecture politique poussée de
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 21

l­’environnement organisationnel dans lequel il se glissera afin de


comprendre rapidement jusqu’où son intervention pourra aller en matière
de changement. L’intervenant doit bien écouter et comprendre les attentes
et les besoins énoncés par le représentant de l’organisation, car on ne
peut pas imposer aux responsables d’une organisation, des changements
qu’ils ne désirent pas. Ainsi, l’intervenant doit demeurer modeste, il doit
éviter la posture de l’expert qui à lui seul pourrait maîtriser les solutions
pour l’organisation-cliente. L’intervenant doit donc se positionner face
au changement souhaité par les dirigeants, il doit décliner l’offre d’inter-
vention s’il n’est pas à l’aise avec la demande ou, s’il accepte la commande,
il doit fouiller dans sa boîte à outils afin de proposer une méthode adaptée
aux besoins et attentes signifiées.
Contrairement à la vision intrusive de Brabant et Létourneau, nous
pensons, comme Crunenberg, qu’il est préférable pour un intervenant
externe de se positionner en recul quant à l’organisation afin de garder
l’indépendance nécessaire pour protéger le regard critique qui le guidera
dans son diagnostic.
L’intervenant doit reconnaître de facto que le changement appartient
à l’organisation elle-même, à ses dirigeants et à ses membres et que son
rôle se limite à accompagner et à soutenir l’organisation et ses membres
dans ce processus et, souvent, il doit accepter le fait qu’il n’est qu’un
facilitateur de changement. En ce sens, l’organisation et l’intervenant
ont le devoir de bien s’entendre sur le changement souhaité. L’organisation
a aussi la responsabilité de s’assurer que l’intervenant externe a les compé-
tences requises pour les accompagner dans le processus permettant de
faire ce changement et elle doit tout mettre en œuvre pour permettre à
l’intervenant de faire son travail de soutien. Cela dit, l’intervenant doit
rester lucide, il est toujours susceptible d’être instrumentalisé à des fins
autres que le changement visé.
De manière plus concrète, intervenir implique une délibération sur
le choix des moyens les plus adaptés pour répondre aux objectifs fixés
avec le client. La légitimité et la reconnaissance des compétences parti-
culières d’un intervenant reposent notamment sur la maîtrise des
approches et des méthodes reconnues pour leur efficacité. La posture de
l’intervenant-expert est cependant de moins en moins prisée, et ce peu
importe les domaines d’intervention, et l’intervention en éthique
n’échappe pas à cette logique. Ainsi, l’intervenant en éthique doit s’ins-
crire davantage dans une posture d’accompagnement et de coaching. Son
expertise est mise au service de l’organisation ou du professionnel qu’il
22 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

accompagne. Dès lors, les solutions envisagées pour résoudre un dilemme


éthique, pour développer une culture éthique dans l’organisation ou
encore pour réduire les risques éthiques, seront portées par l’organisation
grâce aux conseils et au soutien de l’intervenant. Le rôle de l’intervenant
est donc d’aider celle-ci à les faire émerger, à les formuler et à les raffiner.

Le processus d’une intervention

À l’instar de Crunenberg, nous envisageons le déroulement d’une


intervention, qu’elle soit dans le domaine de l’éthique ou dans un autre
secteur d’activité, en cinq moments chronologiques : « avant », « début »,
« pendant », « fin » et « après ». La période « avant » l’intervention implique
de se positionner sur le marché. Il s’agit d’un moment crucial pour
l’intervenant qui doit, sur la base d’un cadre conceptuel, proposer son
approche, déterminer ses méthodes et concevoir ses outils d’intervention.
Cette première étape « avant » l’intervention nécessite donc un travail
de réflexion fort exigeant, surtout au début d’une carrière ou à l’entrée
d’une fonction de responsable de l’éthique dans une organisation. Cette
étape devient beaucoup plus aisée au fil du temps puisqu’il ne s’agit plus
de se positionner face au marché ou à son organisation, mais face à chaque
client (interne ou externe), et ce pour chaque mandat. Il s’agit alors de
s’assurer, très scrupuleusement, que la posture de l’intervenant est en
concordance avec le contexte d’intervention spécifique où il évoluera.
L’intervention « débute » avec une première rencontre. Celle-ci est
un moment d’échange fondamental où le demandeur et l’intervenant
ont la responsabilité partagée de bien formuler et cerner les attentes, les
besoins, les principaux éléments de la culture organisationnelle, les enjeux
contextuels, ainsi que les premières pistes d’intervention. Lors de cette
rencontre, le demandeur, qu’il soit interne ou externe, qu’il soit individuel
ou organisationnel, fait une première formulation de sa demande. Il
expose sa vision d’une problématique particulière. À cette étape, le
demandeur a parfois déjà une idée des pistes d’intervention possibles.
Le rôle de l’intervenant est donc de raffiner l’expression de la
demande et de détecter les véritables besoins derrière la demande
exprimée. Il doit dès lors s’assurer qu’une corrélation positive prévaut
entre les deux (Malherbe, 2007 ; Legault, 2007). En effet, il arrive qu’un
client demande un produit ou un service sans avoir pour autant défini
un besoin précis et sans avoir clairement formulé ses objectifs. La fonction
de l’intervenant à ce moment du « début » est donc de cerner et reformuler
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 23

la problématique derrière la demande et les attentes initiales, ainsi que


de présenter des idées originales auxquelles le demandeur n’aurait
peut-être pas encore songé.
Par exemple, il nous est déjà arrivé une demande initiale toute simple
qui consistait à réaliser une consultation en vue de produire un énoncé
de valeurs organisationnelles. Or, en mettant en doute le contexte et en
demandant au client de faire certaines recherches auprès de la « mémoire »
institutionnelle, nous avons constaté que deux exercices de consultation
sur les valeurs avaient déjà été réalisés au courant des deux dernières années
sans toutefois avoir débouché sur un énoncé de valeurs. Nous avons donc
proposé au client de partir des données existantes pour produire l’énoncé
de valeurs organisationnelles. Ce petit exemple démontre qu’il arrive
parfois que le client envisage un processus, alors qu’une autre solution,
peut-être plus simple, permettra d’arriver au même résultat.
Dans d’autres cas, la formulation de la problématique pourrait se
conclure sur des livrables anticipés tout autres. Par exemple, un client
peut viser le développement de la compétence éthique de ses employés
et, pour ce faire, proposer des séances de sensibilisation à la prise de
décision à partir d’une grille d’aide à la décision qui tient compte du
contexte normatif. Or, les premiers échanges avec le client ont permis de
constater que le Code de déontologie et les politiques internes de l’orga-
nisation en matière de gestion des comportements étaient largement
désuets. Dans ce contexte, nous avons suggéré au client de procéder à la
mise à jour de son cadre normatif afin d’avoir en main des règles et des
normes opérationnelles dans le processus de délibération éthique. Cet
exemple illustre comment une approche synergique de la régulation des
comportements permet, dans le cadre d’un processus initial de sociali-
sation, d’intervenir pour préciser les normes déontologiques, et ce, dans
le but de développer la compétence éthique.
Ces pistes d’intervention et ces idées nouvelles seront probablement
plus ou moins bien reçues. L’intervenant doit, à ce stade, évaluer
l’ouverture du demandeur face au recadrage proposé. Si le recadrage n’est
pas bien reçu, l’intervenant peut, le cas échéant, proposer de nouvelles
avenues ou encore, si les attentes organisationnelles heurtent son intégrité
ou vont à l’encontre de sa philosophie d’intervention, se retirer de la
démarche. Par contre, un accord trop rapide du demandeur peut être un
signal que celui-ci est très détaché du projet. Dans ce cas, l’intervenant
doit s’interroger davantage sur la volonté politique réelle du demandeur
d’aller de l’avant : est-ce une commande qui avortera inévitablement ? Y
24 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

a-t-il une réelle volonté de la haute direction d’aller de l’avant ? Est-ce


que les ressources sont disponibles ? Est-ce que des suites seront données ?
Est-ce que l’impact de l’intervention a été évalué ? Est-ce que l’intervenant
sera instrumentalisé à des fins cachées ? Est-ce de l’éthique de vitrine ?
Une ouverture trop rapide et une fermeture trop étanche cachent souvent
un malaise. L’intervenant doit alors rester aux aguets et être sensible à
ces malaises, qui peuvent surgir tant au début qu’en cours de mandat et
qui en disent long sur les conditions de réussite de l’intervention.
Selon nous, lorsque ces malaises se présentent, il ne s’agit pas toujours
de se retirer du mandat, mais plutôt de rester modeste et de proposer des
interventions à impacts limités. Par exemple, l’intervenant peut proposer
une session de sensibilisation ou des capsules de sensibilisation à l’éthique
en ligne plutôt qu’un diagnostic organisationnel sur le climat éthique
qui pourrait susciter des attentes démesurées compte tenu de l’absence
de volonté de susciter un véritable changement. La responsabilité de
l’intervenant est donc très importante ici puisqu’il doit avoir un regard
objectif du potentiel véritable de mener à terme le projet. Cela dit, peu
importe le niveau d’ouverture, il faut considérer chaque intervention
comme une occasion de développer l’éthique dans une organisation.
Autrement dit, mieux vaut une intervention modeste réussie qu’une
intervention d’envergure qui échoue ! Nonobstant ces réserves, dans bien
des cas, l’organisation fait preuve d’une « bonne ouverture », c’est-à-dire
une ouverture réaliste et calculée. Dans ce cas, l’intervention pourra être
structurante.
Lorsque l’organisation accepte la démarche, l’intervenant entre en
action, à l’étape « pendant ». Cette étape demande, comme les autres
étapes, beaucoup de vigilance, de rigueur, d’écoute, d’ouverture et d’adap-
tation, puisque la démarche sera fort possiblement modifiée en cours de
route. À cette étape, l’intervenant doit trouver les meilleurs alliés dans
l’organisation et favoriser la transversalité du dossier de l’éthique. À notre
avis, il faut à tout prix éviter de traiter le dossier de l’éthique en vase clos.
L’organisation a beaucoup de ressources internes, parfois insoupçonnées,
qui peuvent faciliter une intervention en éthique. En se joignant à d’autres
directions, à d’autres projets, à d’autres collègues, l’intervention en éthique
sera bonifiée et gagnera en crédibilité auprès des membres de l’organi-
sation et son efficacité en sera certainement fortifiée. Ainsi, une démarche
en éthique organisationnelle qui vient s’inscrire dans un projet plus large
visant un changement profond de la culture organisationnelle aura encore
plus d’impact que si elle est développée de façon isolée.
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 25

Les membres d’une organisation souhaitent voir une convergence


entre les actions de l’organisation. Conséquemment, il est toujours
souhaitable, mais pas toujours facile, de « s’attacher » avec les autres ! Par
exemple, si l’on souhaite faire une consultation sur le climat éthique de
l’organisation, il est important de vérifier s’il existe une expertise interne
en matière de consultation organisationnelle ; on peut aussi vérifier si le
service de développement organisationnel ne fait pas des consultations
parallèles avec lesquelles on pourrait mailler la démarche éthique ; on
doit vérifier si l’organisation, par son service des ressources humaines
(RH) par exemple, a déjà mené une consultation dans le domaine de
l’éthique ; il faut aussi demander au service des communications internes
de suivre la démarche afin de pouvoir préparer le matériel de diffusion
et de sensibilisation et, lorsque l’organisation a un service interne de
formation, l’intégrer à la démarche afin de s’assurer que les résultats de
la démarche puissent être intégrés dans le programme de formation. Plus
la démarche d’intervention en éthique est intégrée au travail des différents
services de l’organisation, plus il y a de chance de voir la démarche survivre
au départ de l’intervenant externe. Une approche pluridisciplinaire de
l’intervention permettra de développer une approche transversale dans
l’organisation, ce qui contribuera notamment à mobiliser et à responsa-
biliser les acteurs de l’organisation relativement à l’éthique.
L’intervenant externe doit aussi s’assurer qu’il a accès à un interlo-
cuteur approprié et disponible au sein de l’organisation qu’il accompagne.
Outre le travail de collaboration nécessaire à la logistique de la démarche
et à la responsabilisation de l’organisation face au projet, ce contact
interne permet de prendre le pouls de l’organisation tout au long du
mandat. Idéalement, l’intervenant interne sera appelé à assumer le rôle
de répondant en éthique et il sera libéré pendant la démarche afin de
pouvoir être accompagné (coaché) par l’intervenant externe. Il sera alors
prêt à porter le dossier une fois que la démarche aura bien cheminé et
qu’il aura acquis une meilleure connaissance des enjeux propres à l’éthique
organisationnelle. Cet acteur interne est souvent choisi parce qu’il occupe
une fonction stratégique qui facilite l’intégration du dossier de l’éthique.
Par exemple, dans les organisations policières, ce sont souvent les respon-
sables des services de gestion des normes professionnelles ou des services
de disciplines qui seront accompagnés pour jouer le rôle de répondant,
alors que dans le milieu de la santé, on confie souvent le dossier aux
responsables de l’éthique clinique afin qu’ils puissent élargir la portée de
leurs interventions. Cette approche d’intervention de type accompa-
gnement (coaching) se veut responsabilisante à la fois pour le porteur du
26 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

dossier de l’éthique et pour l’organisation. En effet, l’objectif ultime de


ce type de soutien externe est d’habiliter les personnes afin de rendre les
organisations autonomes.
Par ailleurs, comme le rappelle encore une fois Crunenberg, l’inter-
venant doit rester sensible aux jeux de pouvoir internes. Tout au long du
mandat, l’intervenant ou l’intervention sont susceptibles d’être instru-
mentalisés à des fins stratégiques organisationnelles ou personnelles.
L’intervenant découvrira des « nœuds » au fil de l’intervention. Devant
ces situations délicates, il devra faire preuve de vigilance, d’ouverture et
de diplomatie puisque, faut-il le souligner, tout dans l’univers des organi-
sations est question de perception et de subjectivité. Il y a toujours au
sein des organisations, des intentions plus ou moins cachées, des jeux de
pouvoir, des joutes politiques, des manifestations d’ego, des enjeux de
carrière, etc. Ces mouvements et ces tensions font vivre les organisations
et les font évoluer. Toutefois, l’intervenant ne peut percevoir ces nœuds
dès les premières rencontres. Il les découvre au fil de l’intervention. Le
défi de l’intervenant est de bien gérer cette instrumentalisation quasi
inévitable. En fait, il doit s’assurer que son instrumentalisation correspond
à ses propres valeurs. En d’autres mots, il doit veiller à ce que son instru-
mentalisation ne dépasse pas les limites de ce qu’il considère comme étant
acceptable. Il s’agit ici de l’intégrité professionnelle de l’intervenant.
Parce que les organisations publiques avec qui nous travaillons sont
soumises aux aléas de la politique, il est nécessaire de garder de la souplesse
dans les démarches d’intervention, car un changement de ministre ou
pire, de gouvernement, peut changer les règles du jeu en matière de
structure de gouvernance ou de cadre normatif. L’intervenant externe
doit alors travailler avec le répondant accompagné afin de s’assurer que
la réforme demeure cohérente et respectueuse du nouveau cadre imposé
par le gouvernement.
L’intervention se termine lorsque les étapes de la proposition sont
achevées et que l’on a le sentiment que le projet est entre bonnes mains
avec le répondant accompagné. À la « fin » de l’intervention, il est souhai-
table de proposer une rencontre entre l’intervenant, le répondant et le
demandeur afin de faire un bilan de l’intervention. Ce bilan est l’occasion
d’évaluer le processus et les outils empruntés, la qualité des interventions,
le partage des responsabilités. C’est aussi le moment de cibler les points
forts et les points faibles de l’intervention, ainsi que de donner des recom-
mandations sur les suites à donner à la démarche. Ces recommandations
auront été discutées avec le répondant et la démarche de communication
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 27

de ces dernières au responsable de l’organisation vise à faciliter le travail


à venir du répondant. Bref, il s’agit de faire une rétroaction sur l’inter-
vention et de créer des ouvertures pour les étapes à venir, et ce, dans une
perspective d’amélioration continue de l’organisation.
« Après » l’intervention, il est toujours souhaitable de réaliser une
évaluation des impacts à court, moyen et long termes. L’évaluation en
matière d’éthique est toujours difficile à faire (Jutras, 2006). Toutefois,
une évaluation, aussi subjective et imprécise soit-elle, nous apparaît tout
de même fort pertinente et constructive. D’une part, elle permet à l’orga-
nisation de faire le point et d’envisager les pistes pour poursuivre ou
réaligner la démarche et d’autre part, participe à l’amélioration de
l’approche d’intervention de l’intervenant.
Ce parcours d’intervention nous a permis de relever plusieurs défis
de l’intervention en éthique et de faire ressortir certains enjeux fonda-
mentaux auxquels l’intervenant en éthique doit être sensible. Avant de
conclure sur l’éthique professionnelle de l’intervenant en éthique, nous
allons nous pencher sur quelques exemples d’intervention en éthique
menés par des intervenants externes.

Quelques exemples d’intervention en éthique organisationnelle

L’intervenant externe spécialisé en éthique fait face à des demandes


et des situations très variables. Nous en explorons ici quelques-unes. Son
rôle est parfois de soutenir les organisations publiques dans le dévelop-
pement de leur infrastructure éthique. Il s’agit alors de favoriser une
utilisation synergique des modes de régulation, c’est-à-dire de recourir
aux modes de régulation dans une perspective complémentaire, trans-
versale et mutuellement inclusive.
Par exemple, l’organisation, avec le soutien de l’intervenant, peut
vouloir développer des stratégies et plans d’action en matière d’éthique.
Ces stratégies peuvent recourir à des mécanismes et à des dispositifs de
régulation divers et adaptés au contexte, à la culture et aux enjeux
éthiques particuliers qui interpellent l’organisation. Pour alimenter la
stratégie et le plan d’action en matière d’éthique, l’organisation et le
consultant procéderont généralement à une analyse des besoins en
matière d’éthique. La mise sur pied d’un comité de travail et l’utilisation
d’une grille d’analyse des risques éthiques peuvent être des moyens
privilégiés pour faire cette analyse.
28 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

Afin d’assurer l’appropriation par l’organisation de la démarche


éthique et pour assurer sa pérennité, l’intervenant peut accompagner
l’organisation dans l’élaboration d’un cadre de gouvernance en matière
d’éthique. Ce cadre de gouvernance où les rôles et responsabilités de
chacun (sous-ministres, gestionnaires, employés, ressources humaines,
responsables de l’éthique, etc.) sont bien définis, permettent de clarifier
les attentes de l’organisation en matière d’éthique et favorisent une
responsabilisation de ses membres.
L’organisation et l’intervenant peuvent aussi choisir de mettre en
place des formations et des outils de sensibilisation favorisant une culture
éthique dans l’organisation. Par exemple, une activité de sensibilisation
à l’éthique peut être utilisée en soutien avec le cadre de gouvernance en
matière d’éthique en venant illustrer de manière concrète les attentes de
l’organisation envers ses employés. Des séances de sensibilisation peuvent
aussi être offertes lorsque l’organisation fait face à des enjeux éthiques
difficiles à normer et à maîtriser. Les enjeux soulevés par l’utilisation des
médias sociaux par les employés illustrent très bien le type de situation
auquel font face les administrations publiques. Dans ce contexte, les
activités de sensibilisation portant sur les enjeux éthiques liés aux médias
sociaux peuvent être des outils forts intéressants pour réduire les risques
de comportements déviants associés à cette thématique.
Cela dit, les enjeux éthiques soulevés par l’utilisation des médias
sociaux par les organisations publiques, par exemple pour surveiller leurs
employés, soulèvent d’autres enjeux éthiques qui ne peuvent être traités
par une activité de sensibilisation. Ce type de situation mérite plutôt une
analyse approfondie et des balises claires permettant de bien encadrer ce
type de pratique organisationnelle qui pourrait entraîner des dérives.
Par ailleurs, lorsqu’il est question de développer la compétence
éthique (Bégin, 2014) ou d’expliquer de nouvelles normes, la formation
peut être privilégiée. L’intervenant et son client, en fonction des besoins
de l’organisation et de la clientèle ciblée, pourront privilégier différentes
formations. Par exemple, si un nouveau comité d’éthique organisation-
nelle est créé, il peut être intéressant d’offrir une formation à ces membres.
Cette formation devrait minimalement porter sur une clarification
conceptuelle de l’éthique et de ses principaux concepts, sur le cadre
normatif de l’organisation, sur les enjeux éthiques récurrents dans les
organisations publiques, sur la prise de décision en comité, etc. Sur ce
dernier point, l’intervenant pourra proposer un processus et une grille
de décision éthique adaptés au contexte particulier du comité. Par
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 29

exemple, dans le cas d’un comité d’éthique d’une municipalité, le


processus délibératif et la grille qui l’accompagne devront nécessairement
tenir compte de la proximité citoyenne ainsi que des aspects politiques
et administratifs des enjeux éthiques que le comité aura à traiter.
Si la stratégie consiste à réaliser un vaste exercice de cartographie des
risques éthiques, il peut être opportun d’offrir une formation sur les
risques éthiques aux membres du groupe de travail sur la gestion de ces
risques. Si l’organisation adopte un nouveau règlement sur l’éthique ou
un guide de conduite, il peut alors être à propos d’offrir une formation
aux gestionnaires qui seront les principaux porteurs de dossiers et qui
devront mettre en place la nouvelle réglementation.
L’intervention en éthique peut aussi s’appliquer à l’élaboration, à la
révision et à la mise en place d’outils normatifs à degrés hétérogulatoires
variables. Il peut s’agit de codes de déontologie, de politiques internes,
de guides de conduite, d’énoncés de valeurs. Les outils normatifs permet-
tront par ailleurs de clarifier les attentes organisationnelles en matière
d’éthique. Ils pourraient même contribuer à l’intégration de l’éthique
dans des profils de compétence pour les gestionnaires. Voilà autant
d’exemples d’activités auxquels l’intervenant en éthique peut recourir
dans sa pratique.
L’expertise de l’intervenant en éthique peut aussi être sollicitée pour
la rédaction d’avis éthique ou d’avis d’expertise en matière d’éthique.
Nous effectuons une distinction entre ces deux types d’avis dans la mesure
où l’avis éthique constitue une analyse d’une situation ou d’un dilemme
éthique précis. Dès lors, des outils d’aide à la décision sont sollicités et
une analyse rigoureuse de la situation s’impose. Ce type d’avis est souvent
émis par un comité d’éthique ou un répondant en éthique et sa portée
vise habituellement à soutenir une décision. La collaboration de l’inter-
venant dans ce type de situation est souvent de l’ordre de la gestion du
processus délibératif ou de l’élaboration d’outils de prise de décision
adaptés au comité et à son contexte. On peut aussi faire appel à l’inter-
venant externe lorsque aucun acteur organisationnel interne ne se sent
compétent pour traiter le dossier ou lorsqu’il est nécessaire d’avoir un
regard indépendant pour avoir un point de vue objectif. Sur ce dernier
point, il est important de préciser que certains avis peuvent avoir une
portée politique.
Dans le cas de l’avis d’expertise en matière d’éthique, il s’agit plutôt
de faire une étude sur des concepts ou des thèmes sans égard à une
situation précise. Par exemple, un client peut demander un avis d’expertise
30 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

en matière d’éthique sur le concept de conflit d’intérêts, de népotisme


ou d’utilisation des médias sociaux. Il s’agit alors de produire une revue
de littérature précise et de proposer au client une définition ou une
approche qui convient à son contexte. Le client peut aussi demander de
faire le bilan des meilleures pratiques organisationnelles dans son secteur
d’activité : par exemple, les meilleures pratiques en matière de gestion
des marchés publics ou de gestion des rapports entre les agents publics
et les lobbyistes.
Comme on l’a vu précédemment, dans bien des cas, l’intervenant
externe en éthique agit en soutien auprès de la personne responsable de
l’éthique, d’un comité d’éthique ou d’un dirigeant pour qui l’éthique
organisationnelle est inhérente à son style de gestion. Cette approche de
type accompagnement (coaching) fait partie intégrante, nous semble-t-il,
d’une approche d’accompagnement où l’autonomie du client est visée.
L’approche de type « coaching » privilégiée est alors intercommunication-
nelle, intersubjective, pluridisciplinaire et coconstructive. Elle s’assure
que les parties prenantes sortent « gagnantes-gagnantes » de la démarche
puisque chacun aura appris de l’autre dans cette expérience partagée.
Voilà très sommairement présentés, quelques exemples d’intervention
dans le domaine de l’éthique organisationnelle appliquée au secteur
public. Dans les différents contextes d’intervention, ces exemples sont
utilisés de manière à encourager la synergie régulatoire au sein de l’orga-
nisation, c’est-à-dire de telle façon que les instances de régulation externe
favorisent l’autorégulation des individus et, à l’inverse, que le mouvement
autorégulatoire vise une intégration individuelle du cadre normatif
collectif. Enfin, rappelons que dans notre contexte du service public,
outre le souci de répondre à des besoins précis de la part du demandeur,
chacune de ces interventions est aussi motivée par la volonté de maintenir
et d’accroître l’intégrité des administrations et des agents publics. Par
conséquent, elles visent la consolidation de la confiance du public à
l’égard des institutions démocratiques.

CONCLUSION

On ne saurait conclure ce texte sans interpeller l’éthique profession-


nelle de l’intervenant en éthique. Elle est au cœur de la légitimité de
l’intervenant en éthique et de ses interventions. L’éthique de l’intervenant
en éthique se déploie tant dans la construction de sa posture d’intervenant
qu’à chacune des étapes d’une intervention. Pour cette raison, le choix
des approches et des méthodes d’intervention doit avoir fait l’objet d’une
CHAPITRE 1 – RÉFLEXION SUR L’INTERVENTION EN ÉTHIQUE APPLIQUÉE… 31

réflexion et d’une analyse rigoureuse et doit régulièrement être révisé et


mis à jour. Il doit de plus faire l’objet d’une validation continue dans le
cadre de chacun des mandats.
Sans contredit, l’intervenant en éthique doit de plus veiller à ce que
les impacts de ses interventions soient positifs. Bien que l’intervenant ne
maîtrise pas l’ensemble des données du contexte, il doit s’assurer que ses
propositions d’action, ses méthodes et ses interventions ne provoquent
pas de crise ou d’effets pervers dans l’organisation. Son éthique d’inter-
vention doit lui insuffler une certaine prudence. Il doit effectuer une
analyse de risques liés à ses interventions avec le plus d’objectivité et de
détachement possible. L’intervenant en éthique doit toujours se rappeler
que l’organisation qui fait appel à ses services et à son expertise lui accorde
une grande confiance pour l’aider à dénouer une impasse, à réaliser un
projet, à insuffler un changement. Il a le devoir d’être à la hauteur de
cette confiance et, par conséquent, sa responsabilité est de proposer une
approche adaptée aux besoins de son client et à la capacité de ce dernier
à recevoir un accompagnement.
La communauté d’intervenants en éthique en est aux premières
heures de sa professionnalisation. La légitimité de cette pratique est encore
très fragile puisque les paradigmes disciplinaires sont divers et éclatés
(psychologie, philosophie, gestion, science politique, droit, médecine,
finance, etc.) et, par conséquent, les finalités d’intervention et les cadres
conceptuels sont multiples et variés. Dès lors, la qualité de la posture de
l’intervenant, la rigueur dans le processus d’intervention et l’éthique de
l’intervenant, telles que présentées dans cet article, nous semblent, pour
l’instant, la meilleure voie à suivre pour favoriser la professionnalisation
et la reconnaissance des intervenants en éthique.
Parce que nos attaches institutionnelles sont universitaires, nous
croyons que nous avons le devoir de faire des retours de théorie à la fin
de chacune de nos interventions afin de pouvoir intégrer les acquis de
connaissance produits dans ces démarches. Comme enseignant, chercheur
ou formateur, nous avons un devoir de produire de la connaissance de
pointe et de la transférer à nos étudiants, nos collègues ou clientèles
organisationnelles. Cette production de connaissance et le transfert qui
suivra peuvent prendre différentes formes, l’important est de diffuser
cette connaissance. Les intervenants universitaires ne peuvent pas faire
comme les intervenants privés, c’est-à-dire travailler en vase clos en
défendant la logique du brevet et du secret commercial.
32 PARTIE 1 – MODÉLISATION DES PRATIQUES D’INTERVENTION

Le chercheur se fera un devoir de théoriser les résultats en faisant de


l’analyse comparée, en faisant ressortir des éléments implicites de la
démarche ou en tentant de produire de nouvelles catégories d’infor-
mation. Il fera ainsi avancer la connaissance dans son champ d’expertise
et il participera à des colloques ou les soumettra à des revues arbitrées
afin de diffuser ses résultats et les soumettre au regard des pairs. Les
organisations qui décident de travailler avec des universitaires doivent
faire preuve d’ouverture et faciliter l’utilisation des résultats de l’inter-
vention à des fins de publication. Ceci est encore plus important dans le
domaine de l’intervention en éthique organisationnelle, parce que c’est
un domaine qui n’est pas encore à pleine maturité. Il est donc essentiel
que des connaissances pratiques soient diffusées le plus largement possible.

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