Vous êtes sur la page 1sur 17

Quand l'éthique a besoin d'institutions

Pour une infrastructure de régulation


des agents publics plus efficace 1
Yves Boisvert, Pierre Bernier,
Luc Bégin et André Lacroix

Nous souhaitons proposer ici une stratégie d'atténuation des


risques de collusion illicite, corruption, fraude et détournement
des fonds publics, qui se veut inédite au Québec, congruente et en
même temps réaliste. C'est parce que nous ne croyons pas que les
problèmes politico-administratifs que la population québécoise
découvre un peu plus chaque jour puissent se résoudre seulement
par des amendements législatifs et encore moins par de simples
codes de conduite ou par de sommaires sensibilisations à l'éthique
que nous proposons un projet de type institutionnel, la révision de
l'infrastructure des régulateurs indépendants que sont les hauts
fonctionnaires du Parlement.
Une telle proposition table d'abord sur les institutions existantes.
Elle plaide pour une plus grande intégration et une plus grande
coordination institutionnelles, lesquelles appelleront inévitablement
un changement de culture et une formation minimale des agents
publics. Nous avons retenu une approche institutionnelle en raison de

1. Une version préliminaire de ce texte a été publiée dans Le Devoir du 9


novembre 2012, sous le titre« L'urgence d'une infrastructure éthique renforcée».
232 Marchés publics à vendre

l'éclairage des études portant sur les scandales politico-administratifs 2


et les infrastructures de régulation des agents publics canadiens et
québécois 3, qui nous ont toutes démontré que ce sont ces dispositifs
qui ont été les plus efficaces pour cerner les inconduites, déterminer
les facteurs de risque et offrir un fonctionnement institutionnel per­
mettant aux pouvoirs publics d'atténuer ces risques.
Nous présenterons donc ici un plan d'action simple et concret
qui repose sur l'intégration et la coordination des différents dispo-
sitifs indépendants de l'appareil étatique dans une nouvelle logique
institutionnelle à même de mieux gérer les facteurs de risque 4 qui
ouvrent trop souvent la porte à des tentations de transgression chez
les agents publics. Notre proposition s'inscrit dans le prolongement
de la conception propre à la philosophie politique de Michael Walzer
selon laquelle tout système démocratique requiert des garde-fous
pour rester sain et préserver comme objectif la primauté de l'intérêt
public 5 et s'inscrit en faux contre la vision de certains politologues
qui soutiennent que la démocratie ne peut être régulée que par le
processus électoral et qu'elle ne saurait tolérer une surveillance trop
importante et contraignante de la part de fonctionnaires, occultant
ainsi les impératifs de l'État de droit.
Nous croyons pour notre part, au contraire, que le développement
d'une administration publique professionnelle et indépendante
constitue un passage obligé pour pérenniser une vie politique placée
sous le signe de l'éthique dont elle est indissociable. Et que pour
ceux qui, comme nous, plaident pour la mise sur pied d'une telle
administration publique professionnelle et compétente, il va de soi
qu'elle constitue un indispensable pare-feu contre les dysfonction­
nements éthiques de nos démocraties. Tout système démocratique
doit ainsi engendrer des institutions qui seront autant de garde-fous
administratifs, juridiques et éthiques. En ce sens, le présent texte se

2. Y. Boisvert ( dir. ), Scandales politiques. Le regard de l'éthique appliquée,


Montréal, Liber, 2009; P. Lascoumes et C. Nagels, Sociologie des élites délin­
quantes. De la criminalité en col blanc à la corruption politique, Paris, Armand
Colin, 2014.
3. Y. Boisvert ( dir. ), Éthique et gouvernance publique. Principes, enjeux et
défis, Montréal, Liber, 2011 .
4. Nous entendons par la notion de facteurs de risque tous les éléments qui,
dans l'environnement du travail, ont une incidence directe ou indirecte sur la
production d'opportunité de transgression. Ces facteurs peuvent être divers
structurels, culturels, gestionnaires, politiques, économiques, etc.
5. M. Walzer, Raison et passion. Pour une critique du libéralisme, Strasbourg,
Circé, 2003.
Quand l'éthique a besoin d'institutions 233

veut une réponse essentiellement institutionnelle aux dysfonction­


nements actuels de nos démocraties et vise à compléter- d'autres
points de vue en cette matière.

La dimension institutionnelle en éthique appliquée


En nous plaçant dans une perspective institutionnelle, nous nous
éloignons de ce qui a souvent été proposé en éthique appliquée au
Québec. Plutôt que de nous acharner sur la capacitation des acteurs 6
et le développement de leur compétence éthique 7 ou leur volonté de
s'autoréguler 8, nous nous sommes plutôt tournés vers le système de
référence propice à mener de telles réflexions. Cela nous a amenés à
déplacer le regard des acteurs individuels aux instances de régulation
ayant des responsabilités et visées normatives, que l'on peut aussi
appeler institutions médianes 9.
L'approche privilégiée dans ce texte invite par conséquent à
prendre ses distances à l'endroit de l'individualisation de l'éthique
qui néglige ainsi le contexte d'action 10 et, en situation de crise, se
contente de tracer le profil des transgresseurs. L'approche institu­
tionnelle s'éloigne de cette logique de détection des déviants pour
se tourner plutôt vers le cadre structurel qui crée un environnement
de travail sain ou non, qui détermine si les agents publics peuvent
ou non assumer pleinement leur fonction de façon autonome et res­
ponsable. Elle se concentre d'abord sur les« failles institutionnelles»
qui ont engendré les occasions de transgression 11•

6. A. Lacroix, « Praxis et pragmatique de l'intervention. Aider, accompagner


et réfléchir plutôt que contrôler», dans L. Bégin, L. Langlois et D. Rondeau
( dir.), L'éthique et les pratiques d'intervention en organisation, Québec, Presses
de l'université Laval, 2015, p. 61-83.
7. L. Bégin, «La compétence éthique: la comprendre, la valoriser», dans
L. Bégin ( dir.), Cinq questions d'éthique organisationnelle, Montréal, Nota bene,
«Éthique», 2014, p. 173-216.
8. Y. Boisvert et al., Petit manuel d'éthique appliquée à la gestion publique,
Montréal, Liber, 2003.
9. D. F. Thompson, «The institutional turn in professional ethics», dans
Ethics & Behavior, vol. 9, n° 2, 1999, p. 109-128; L. Bégin, « L'éthique appliquée,
en théorie et en pratique», dans D. Benoit ( dir.), L'éthique en communication,
Sarrebruck, Éditions universitaires européennes, 2011, p. 17-47.
10. A. Lacroix, art. cité.
11. S. S. Simpson et N. Leeper-Piquero, «Low self-control, organizational
theory and corporate crime», Law and Society Review, vol. 36, n° 3, 2002,
234 Marchés publics à vendre

Ce type de réflexion institutionnelle suggère des réaménagements


normatifs, procéduraux et structuraux, et met l'accent sur le design
des instances régulatrices, ainsi que sur les principes qui les guident
et les mécanismes d'intervention pour s'acquitter de leurs responsa­
bilités 12• On cherche ce faisant à pallier les principales insuffisances
de soutien éthique de ces instances, en s'appuyant sur les propres
assises de celles-ci, pour amorcer le travail de transformation des
contextes d'action afin de réduire les transgressions et encourager
les actions positives 13•

Pour une révision structurée


du design institutionnel
Lorsqu'on analyse la mission des différentes institutions indé­
pendantes, on ne peut qu'approuver le souci du législateur de baliser
les pratiques des agents publics pour prévenir les risques éthiques
inhérents à notre régime politique : tricherie électorale, détourne­
ment des fonds publics, dissimulation d'informations publiques
importantes, influence abusive sur les décideurs publics, conflits
d'intérêts, etc. C'est donc pour protéger nos institutions et notre
vie démocratique que les parlements d'Ottawa et de Québec ont
décidé de créer des institutions indépendantes visant à réguler le
comportement des agents publics, en accord avec les plus récentes
recherches de l'OCDE. Sheila Fraser, à l'époque où elle était véri­
ficatrice générale du Canada, a marqué l'imaginaire politique des
Canadiens en montrant, à travers ses multiples rapports 14, à quel
point ces institutions indépendantes pouvaient jouer un rôle central
dans l'assainissement de la gouvernance publique et le relèvement
des standards éthiques des agents publics. En 2003, son rapport sur
le scandale des commandites a fait prendre conscience que notre

p. 509-548; D. Weinstock, « Du bon usage des commissions d'enquête et des


rapports qui en émanent», Éthique publique, vol. 13, n° 1, 20ll, p. 225-232.
12. W. W. Powell et P. J. Dimaggio ( dir.), The New Institutionalism in
Organizational Analysis, Chicago, The University of Chicago Press, 1991;
R. Hardin, « lnstitutional morality», dans R. E. Goodin, The Theory ofInstitutional
Design, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 126-153.
13. L. Bégin, « Design institutionnel et intervention éthique», dans E. Rude­
Antoine et M. Piévic ( dir.), Un état des lieux de la recherche et de l'enseignement
en éthique, Paris, L'Harmattan, « L'éthique en contextes», 2014, p. 90-101.
14. Voir le site< oag-bvg.gc.ca>.
Quand l'éthique a besoin d'institutions 235

démocratie ne pouvait se fier uniquement au sens moral des titu­


laires de charges publiques. Les Canadiens ont pris conscience que
le comportement des élus, des fonctionnaires et des administrateurs
publics devaient à tout le moins être normés et contrôlés par des
instances indépendantes et efficaces.
Pourtant, s' il est vrai que ces institutions indépendantes
devraient jouer un rôle central dans la régulation des compor­
tements des agents publics, force est d'admettre que leur forme
actuelle ne favorise pas toujours l'exercice optimal de leur pou­
voir 15. Tant à Québec qu'à Ottawa, ces institutions ont maintes fois
déçu 16 : faute de ressources, il leur est parfois difficile de mener à
bien tous les mandats prévus par la loi qui officialise leur création
et précise leur rôle; le manque de conviction et de volonté de la
part de leurs responsables semble également parfois en cause. On
peut rapidement évoquer quelques exemples québécois et cana­
diens qui illustrent à quel point elles ne sont pas aussi efficientes
qu'elles devraient l'être ou, pis encore, que certaines d'entre elles
sont contre-productives voire problématiques
1) À Ottawa, le dossier le plus récent concerne l'ex-commissaire à
l'intégrité du secteur public du gouvernement fédéral, Mme Christiane
Ouimet, qui a été accusée de ne pas avoir assumé adéquatement sa
fonction de responsable de la gestion du mécanisme de divulgation.
On lui a reproché le refus à maintes reprises de recevoir les plaintes
et d'enquêter sur ces allégations, ou encore d'avoir bâclé les enquêtes
ouvertes par son équipe 17• La vérificatrice générale du Canada, Sheila
Fraser, avait été mandatée à l'époque pour faire une vérification du
travail du commissariat et elle avait conclu que ce dernier n'assumait
pas ses responsabilités institutionnelles et, plus grave encore, avait
un mode de gestion autoritaire fondé sur l'intimidation. Ce dossier
ne fut pas le seul considéré comme problématique. En 2003, c'est
l'ex-commissaire à la protection de la vie privée du Canada, George
Radwanski, qui se faisait accuser par différentes institutions <l'outrage
au Parlement, fabrication de faux documents, manquement à.ses
responsabilités d'administrateur général, abus du trésor public, abus

15. L. Bégin, « La régulation de l'éthique des élus : analyse de la situation


québécoise», dans J. -Y. Naudet ( dir. ), Éthique et politique, Aix-en-Provence,
Presses universitaires d'Aix-Marseille, « Centre d'éthique économique», 2014,
p. 123-146.
16. Voir à ce sujet A. Robitaille, « Une CPAC ?», Le Devoir, 17 septembre 2014.
17. Rapport de la vérificatrice générale du Canada sur le commissaire à
l'intégrité du secteur public du Canada, Ottawa, décembre 2010.
236 Marchés publics à vendre

de son pouvoir discrétionnaire, frein à la capacité du commissariat


de fonctionner, etc. 18•
2) À Québec, comment ne pas être aussi surpris, voire déçu,
lorsque le 15 septembre 2014 la directrice générale des élections
par intérim du Québec, Lucie Fiset, est venue dire à la commis­
saire Charbonneau que son institution n'était pas intervenue pour
contrôler le financement des partis politiques avant 2009, même si
cela faisait plus de quinze ans que des plaintes avaient été déposé·es.
Pour Mme Fiset, « l'aspect sanction, l'aspect coercitif, n'était pas une
priorité 19». Le commissaire Renaud Lachance s'est dit découragé
de voir cette institution ne pas agir promptement face à des alléga­
tions de transgression pour vérifier la véracité de ces dénonciations
et les sanctionner au besoin. Pour sa part, André Larocque, ancien
sous-ministre délégué à la Réforme électorale et parlementaire (1977-
1985 ), et en partie à l'origine de la création du directeur général des
élections (DGE), affirmait devant la commission Charbonneau que
« pendant trente-sept ans, les DGE qui se sont succédé n'ont jamais
exercé le pouvoir qu' ils avaient». Pour lui, le DGE a dilapidé son
indépendance et il s'est asservi aux partis politiques 2°.
Après de tels ratés, il semble aller de soi qu'il faille revoir le design
institutionnel de ce réseau particulier de hauts fonctionnaires: Nous
restreindrons toutefois ici notre réflexion et notre proposition au cas
du Québec sans pour autant oublier qu'il faudrait faire de même à
l'échelle fédérale. Cette proposition repose sur quatre actions com­
plémentaires et elle devrait contribuer à renforcer considérablement
l' infrastructure de l'éthique de l'État québécois. C'est dire qu'elles
ne prétendent pas tout régler. Il faut plutôt y voir un désir d'ouvrir
le débat sur l'importance de mettre en place un cadre de référence
administratif permettant de coordonner les actions institutionnelles.
Ce cadre pourra donc certes souffrir d'un certain nombre d'exceptions
et de reformulations, mais il nous est apparu bien refléter l'essence
même des actions à entreprendre pour baliser et encadrer l'action
des agents publics et des élus.

18. Rapport de la vérificatrice générale du Canada sur le Commissariat à la


protection de la vie privée du Canada, Ottawa, septembre 2003.
19. Voir F. F. Messier sur le site web de Ici Radio-Canada, « Le DGEQ a long­
temps privilégié la réflexion à l'action dans la lutte contre le financement illégal»,
15 septembre 2014.
20. A. Larocque, Remettre le citoyen au cœur de la démocratie, m émoire
déposé à la CEIC, 10 juillet 2014.
Quand lëthique a besoin d'institutions 237

Un cadre institutionnel
pour pérenniser l'éthique
Pour élaborer ce cadre institutionnel, nous avons d'abord cherché
à tabler sur les institutions existantes, convaincus de leur raison
d'être, de leur bien-fondé et de leur importance. Nous avons ensuite
voulu en identifier les failles pour leur proposer des correctifs, ce qui
nous amène à suggérer des améliorations et quelques compléments.
Il en résulte une démarche qui aiderait à coordonner le travail des
institutions qui composent une infrastructure en bonne partie déja
existante et à en améliorer l'effectivité." Nous sommes conscients
néanmoins que cette infrastructure constitue seulement une partie de
l'équation dont les deux autres éléments sont la formation à l'éthique
des agents publics, comme le réclament bien des chercheurs, et un
changement culturel au profit de l'intérêt public. Nous formulerons
nos propositions comme un cahier de charges qui renvoient à autant
de mesures à prendre pour répondre aux défis soulevés par les scan­
dales à l'origine de la création de la commission Charbonneau par
le gouvernement québécois de Jean Charest.

Créer une commission sur l'éthique


et la réforme des institutions démocratiques
La première démarche de notre cahier de charges sur laquelle
nous souhaitons insister est la création d'une commission parle­
mentaire spéciale sur l'éthique et la réforme des institutions démo­
cratiques. Sa mission serait de débattre au Parlement des mesures
que nous développerons dans les sous-sections suivantes. Cela nous
semble être la manière la plus indiquée pour amorcer les travaux
relatifs à la mise en place d'une infrastructure éthique renouvelée et
adéquatement coordonnée. Pour faire face à ce que nous pouvons
qualifier d'échec retentissant de volets entiers de l'éthique politi­
co-administrative québécoise, nous croyons que nos parlementaires
doivent en effet, dans le cadre d' une commission parlementaire
spéciale, réfléchir de manière transparente et non partisane aux
moyens de renforcer ce que l'OCDE a appelé !'«infrastructure de
l'éthique 21 ». L'objectif de cette commission serait de s'assurer que
nous sommes dotés d'une infrastructure de régulation éthique qui

21. OCDE, L'éthique et le service public, PUMA, note de synthèse n° 1, février


1997.
238 Marchés publics à vendre

permette de protéger efficacement l'intérêt public contre les dérives


politiques et les déviances administratives.

Mobiliser les autorités gardiennes de l'éthique publique

Six hauts fonctionnaires sont nommés par le Parlement à la tête


d'institutions qui visent à renforcer sa fonction de contrôle sur le
pouvoir exécutif et l'administration publique: le vérificateur général,
le directeur général des élections, le commissaire au lobbyisme, le
président de la Commission de la fonction publique, le président de
la Commission d'accès à l'information et le commissaire à l'éthique
et à la déontologie, chargé des titulaires de poste électif. La mission
de chacune implique une dimension structurante de l'éthique,
en raison de leur rôle déterminant dans la conduite des affaires
publiques. Il serait ainsi souhaitable que l'on donne aux membres
de cette commission parlementaire spéciale les moyens nécessaires
pour revoir chacune des lois qui régissent ces institutions: mission,
principes constitutifs, processus de surveillance, méthodes de tra­
vail et mécanismes de coordination de l'information au service du
Parlement et, à travers lui, de la population dans son ensemble. Et
ce, avec l'obligation de rendre ces institutions plus efficaces dans
la poursuite de leur mission, notamment par l'introduction dans
leurs normes de pratique (inspection, vérifièation, audit) de l'exi­
gence d'évaluer les risques de malversations ( corruption, collusion
et autres stratagèmes concussionnaires) de même que l'efficacité
des dispositifs organisationnels chargés de les prévenir. Le résultat
recherché étant de les impliquer directement dans l'assainissement
de la culture démocratique et la reconstruction du lien de confiance
à l'égard de nos institutions, aujourd'hui miné par l'illusion d'un
contrôle global effectif.
Le vérificateur général est assurément un acteur central qui doit
pouvoir travailler dans les meilleures conditions pour garantir à
la population que les ressources publiques sont utilisées de façon
optimale pour donner une plus-value sociale et contribuer au bien
commun. On devrait par conséquent débattre de la pertinence
d'élargir sa mission pour qu'il puisse également se pencher sur toutes
les organisations financées à l'aide d'argent public, ce qui inclut les
sociétés d'État, les agences, les organismes publics et les organismes
à but non lucratif financés à plus de 50 % par l'État. De même, cette
autorité désignée par le Parlement devrait aussi avoir pour mandat
de superviser la vérification des comptes des instances municipales
Quand l'éthique a besoin d'institutions 239

afin d'y introduire davantage de rigue4r, en insistant non seulement


sur l'aspect formel de la conformité des dépenses mais également
sur l'optimalisation des ressources publiques engagées par ce palier
d'administration et le bon fonctionnement des dispositifs éthiques
dans la gestion des affaires publiques qui relèvent de ses compétences.
Cette mesure constitue un préalable nécessaire à toute réflexion sur
l'accroissement souhaitable de la décentralisation politique sur le
territoire québécois.
Le directeur général des élections doit quant à lui collaborer avec
cette instance parlementaire spéciale afin d'exposer ses vues sur les
effets déontologiques des nouvelles normes juridiques qui réduisent
les dons individuels, les avantages d'une réduction des dépenses
électorales autorisées et la nécessité d'interdire certaines activités
(par exemple, les campagnes de publicité agressive dans les médias).
Il devrait aussi proposer un scénario d'augmentation du financement
public et l'élimination des déductions fiscales liées au financement
des partis politiques. Le DGE expliquerait alors aux membres de la
commission parlementaire pourquoi, comme l'a révélé la commission
Charbonneau, il n'a pas pris au sérieux sa responsabilité d'enquêter
sur les allégations de transgressions de la loi sur le financement des
partis politiques. Il devrait ensuite établir un plan de travail per­
mettant de rectifier le tir et faire en sorte que cette mission centrale
qui lui est confiée soit maintenant considérée comme une priorité
en démontrant que son organisation s'est engagée à être efficace
dans la lutte contre le financement illégal des partis politiques. À
ce niveau, il faudrait regarder du côté de la France et s'inspirer de la
Commission nationale des comptes de campagne et de financements
politiques qui a une approche d'enquête plus agressive et n' hésite pas
à transférer au procureur de la République compétent tout dossier
concernant des irrégularités de nature à contrevenir aux dispositions
du code électoral.
Il serait essentiel que le DGE débatte aussi de la pertinence de
proposer un système d'imputabilité et de sanction des élus en général,
et des chefs de partis en particulier, en matière de financement des
partis politiques. Il s'agit donc par là de mettre fin à la spirale de
déresponsabilisation qui renvoie les déviances du côté des bénévoles
des partis qui travaillent de façon indépendante et sans obligation
de rendre des comptes. Or, ce n'est qu'en augmentant la part de
responsabilité des dirigeants élus ou nommés d'un parti et en l'ac­
compagnant de sanctions exemplaires pour ceux qui ne respectent
pas la loi qu'on y arrivera.
240 Marchés publics à vendre

Cet aspect fondamental a été négligé au Québec au cours des


dernières années, faute de leadership en ce sens des politiciens,
bien qu'il soit déterminant pour entretenir la confiance de l'opinion
publique en la démocratie. Nul doute que les chefs de partis, s'ils se
voyaient plus souvent menacés de perte d'éligibilité, intensifieraient
naturellementles contrôles exercés sur les agents et que les appareils
des partis prendraient les moyens pour pourchasser tout individu
besogneux ou affairiste qui s'autoproclamerait leur représentant
«spécial»! C'est pourquoi il serait aussi bon que le DGE ait une équipe
capable d'évaluer les meilleures pratiques qui existent dans les autres
pays de l' OCDE, en assurer la diffusion sur le plan national et évaluer
le coût réel d'un système de financement public qui s'inspirerait des
pratiques de certains États scandinaves.
En ce qui a trait au commissaire au lobbyisme, il faudrait rapi­
dement revoir la loi sur l'encadrement du lobbyisme comme cela
aurait dû être fait il y a déjà quelques années si l'on se reporte aux
prescriptions contenues dans la loi constitutive de cette autorité. On
doit rendre les agents publics davantage responsables du respect de
la loi ( obligation de tenir un registre des rencontres et de le remettre
au commissaire chaque année, obligation d'exiger un numéro d'en­
registrement des lobbyistes, etc.).
Cette attente n'est pas irréaliste puisqu'elle est au cœur des
cultures politiques de pays comme la Suède. Là-bas, ce sont les agents
publics qui sont dans l'obligation de tenir minutieusement à jour le
bilan de leur agenda afin qu'il soit facile de connaître au besoin leurs
rencontres et échanges. La loi devrait également élargir son champ
d'application à l'ensemble des organisations dont la source principale
de financement est publique. Il n'est pas normal que le réseau de la
santé ne soit pas encore assujetti à cette loi, alors qu'il représente
un gigantesque marché public pour de nombreuses entreprises. Il
faudrait de plus resserrer les définitions de ce que constitue une
démarche de lobbyisme afin de s'assurer que certaines rencontres
dites privées n'échappent plus aux normes actuelles. Il faut s'assurer
qu' il n' y a pas d'abus par rapport au «Règlement relatif au champ
d'application de la Loi sur la transparence et l'éthique en matière
de lobbyisme», qui permet à certaines catégories de personnes et
organismes d'échapper à la qualification de lobbyistes et donc à
l'application de la loi à leur égard. Après plus de douze ans à tenter
de sensibiliser, informer et soutenir les acteurs qui font des activités
de lobbyisme, il faut maintenant prévoir des sanctions plus sévères
en cas de non-respect de la loi. Le commissaire doit par conséquent
Quand l'éthique a besoin d'institutions 241

être plus actif en matière de surveillance et de contrôle des activités


problématiques, voire illicites dans les secteurs névralgiques de
l'activité gouvernementale. Pour prendre ce virage essentiel qui lui
donnera plus de visibilité et de crédibilité, le commissaire aura besoin
d'une augmentation du nombre de ses enquêteurs spécialisés.
Enfin, il faudrait revoir les règles d'après-mandat des titulaires
de charges publiques afin de contrôler de façon plus rigoureuse la
manière dont les élus quittent leur fonction et réintègrent la société
civile. Notamment les passages directs de titulaires de charges
publiques vers des entreprises privées qui font ou ont fait affaire avec
l'État, ou encore avec le service, ministère ou organisme public auquel
ils collaboraient. On a ainsi vu de nombreux anciens ministres faire
librement le saut vers une carrière privée sans que le commissaire
puisse émettre le moindre commentaire. La régulation de l'après­
mandat est assurément le talon d'Achille du régime actuel.
Le président de la Commission de la fonction publique devrait
également être interpellé. Il conviendrait de faire de cette commis­
sion le centre névralgique de l'éthique de l'appareil administratif
gouvernemental. Il faudrait notamment s'assurer de la mise en place
d'une division qui serait responsable de l'éthique et de l' intégrité
de tous les fonctionnaires de l'État ( cette unité viendrait remplacer
l'actuel responsable de ce dossier sensible qui relève, de façon« ana­
chronique» pour ainsi dire, du ministère du Conseil exécutif). Cette
nouvelle entité assumerait la coordination de toutes les démarches
éthiques qui se mettent en place dans les différents ministères et
organismes publics. Elle aurait notamment la responsabilité de gérer
le réseau de « répondants en éthique» du gouvernement, instauré
au début des années 2000 dans la foulée de l'adoption de la loi sur
l'administration publique, et en assumerait le leadership afin de le
rendre enfin efficace. Cette commission au mandat élargi, et dont les
crédits proviendraient désormais de l'Assemblée nationale, devrait
aussi s'assurer que tous les gestionnaires publics ont une formation
initiale et continue en éthique de qualité, et non en laisser le soin
aux ministères et organismes sectoriels.
De son côté, le président de la Commission d'accès à l'information
doit revoir la Loi sur l'accès à l'information qui autorise beaucoup
trop d'exceptions et mettre en place une stratégie d'intervention pour
contrer les manœuvres des organismes publics afin de la contourner.
Une société d'État qui a une posture de monopole, par exemple,
ne pourrait plus se prévaloir de la clause du secret commercial et
de la protection contre la concurrence. L'esprit de la loi, faut-il le
242 Marchés publics à vendre

rappeler, est de rendre la vie publique la plus transparente possible..


La Commission d'accès à l' information doit donc établir un dia­
gnostic des stratégies de contournement qui se développent dans
nos organisations publiques, notamment la tendance à rechercher
de plus en plus les conseils «oraux» plutôt qu'écrits·ou à produire
des versions épurées de toutes les informations stratégiques qui
circulent à l'interne. Il faut qu'elle développe un plan d'action pour
sensibiliser les agents publics à l'importance de respecter le principe
de transparence. Ce travail de sensibilisation est essentiel car l'admi­
nistration québécoise est loin de présenter la culture d'ouverture et de
transparence qui caractérise de plus en plus les pays démocratiques;
Il importe aussi que la Commission d'accès à l'information
incite les organismes publics à dévoiler, sur leurs sites internet, le
maximum d'informations qui ont un intérêt public avant même que
les citoyens, journalistes ou groupes d' intérêts entreprennent de
longues démarches pour y avoir accès. Cette logique proactive doit
être soutenue et perçue comme une forme de reddition de comptes
par nos administrations publiques contemporaines. La commission
devrait également s'assurer que toutes les formes de partenariats et
de relations public-privé soient assujetties à la loi, ainsi que les orga­
nismes à but non lucratif financés par l'État. D'autre part, elle devrait
avoir la responsabilité de superviser la mise en œuvre d' un plan
d'action pour développer un «État ouvert et transparent» ( selon les
préceptes de l'open government 22 ) couvrant l'ensemble des appareils
publics sous juridiction des lois votées par l'Assemblée nationale. Le
président de la Commission d'accès à l'information doit enfin pou­
voir compter sur une équipe de spécialistes qui saura indiquer les
meilleures pratiques d'utilisation des technologies de l'information
pour proposer des actions concrètes au gouvernement.
Pour finir, le commissaire à l'éthique et à la déontologie, chargé
des titulaires de poste électif, une autorité instituée récemment il faut
le reconnaître, devrait mettre en place rapidement une équipe de
formation en éthique pour tous les élus et veiller à l'accréditation
de tout fournisseur de services aux élus et aux agents publics dans
ce domaine. De plus, ce commissaire devrait avoir la responsabilité
d'obliger les élus à suivre une formation annuelle sur différents volets
de sa loi ou sur les enjeux d'éthique que soulève l'actualité nationale
et internationale. Les pressions provenant de multiples sources corn-

22. D. Lathrop et L. Ruma (dir.), Open Government: Transparency,


Collaboration and Participation in Practice, Sebastopol, O'Reilly Media, 2010.
Quand l'éthique a besoin d'institutions 243

portent des risques pour l'exercice de leurs responsabilités publiques.


Il est donc important qu'il ait le pouvoir de sanctionner beaucoup
plus sévèrement les élus déviants.
Le commissaire à l'éthique devrait également pouvoir intervenir
auprès des élus et des chefs de partis politiques afin de les rendre
encore plus responsables de leur personnel politique ( regroupé géné­
ralement sous l'appellation de« cabinet politique»). Tout comme il lUi
faut déterminer des règles strictes et des sanctions sévères lorsqu'elles
ne sont pas respectées par ce personnel dont le statut est variab.le et
l'encadrement déontologique généralement lacunaire, notamment
en matière de conflits d'intérêts, bris de confidentialité, ingérence
dans les affaires administratives, utilisation de biens publics, entre­
tien d'affaires personnelles ou concernant des proches pendant et
après le mandat.

Créer trois instruments


institutionnels liés au Parlement
En contexte d'austérité, comme l'est actuellement le Québec,
toute proposition visant à augmenter ou même simplement parfaire
la mission de l'État peut sembl�r à plusieurs des plus audacieuses.
Toutefois, les ajouts que nous suggérons devraient aussi avoir pour
effet de faire épargner le trésor québécois en prémunissant l'État et ses
administrations contre d'éventuelles fraudes et malversations. Nous
proposons ainsi l'institution d'un commissaire à l'intégrité des mar­
chés publics, un commissaire à la gestion des dénonciations éthiques
et un comité permanent d'éthique et de gouvernance publiques. Dans
ces trois cas de figure, nous croyons nécessaire d'éviter la judiciari­
sation, sans pour autant l'exclure, ainsi qu' un régime de sanctions
(pénales ou administratives) proportionnées lorsque cela pourrait
devenir nécessaire, afin de favoriser la prévention, le dialogue, la
coordination et la transparence plutôt que la confrontation.
L'État québécois doit d'abord disposer d'une autorité qui aurait
comme mission de surveiller le respect de l' intégrité de tous les
marchés publics qui relèvent des ministères, réseaux parapublics,
organismes publics, entreprises publiques et municipalités. Nommé
par l'Assemblée nationale, le commissaire à l'intégrité des marchés
publics serait mandaté pour proposer des règles resserrant les
critères et processus de passation, notamment les ententes de
gré à gré, et assurerait l'audit des contrats ou conventions de gré à
gré utilisés sur le territoire. L'organisme interviendrait dans les dif-
244 Marchés publics à vendre

. férentes organisations publiques et comme soutien aux entreprises


privées, nationales ou étrangères, soucieuses de se conformer aux
standards québécois de réponse à la commande publique. Cette
autorité devrait également veiller à l'équité dans certains marchés
publics stratégiques afin de s'assurer que les conditions d'appels
d'offres et le processus d'évaluation des propositions soient faits de
façon irréprochable au profit de l'intérêt public d' une part et de la
libre concurrence de l'autre.
Pour faciliter le travail de ce commissariat, on pourrait s'inspirer
de l'approche australienne qui oblige tous les organismes publics
à se doter d' un plan de contrôle des fraudes et de la corruption,
incluant l'adhésion obligatoire, préalablement à tout marché public,
à un « pacte anticorruption et collusion» assorti de sanctions. Le
commissaire pourrait alors axer son travail d'audit sur la vérification
de l'application adéquate de ce plan et de la qualité des stratégies
d'atténuation des risques eu égard aux évolutions concussionnaires
affectant les marchés publics 23•
Ensuite, il est essentiel que le législateur québécois adopte rapi­
dement, à l'instar des conventions internationales de lutte contre la
corruption, une loi spécifique qui reconnaîtrait les droits et les devoirs
du « dénonciateur éthique» portant sur les actions conduites en
milieu organisationnel. Ce dispositif législatif doit servir à organiser
la réception des signalements, internes ou externes, concernant une
démarche ou une pratique organisation.nelle, un acte actuel, en pré­
paration ou appartenant à un passé récent, jugé immoral ou illégal
et assurer la protection du dénonciateur éthique ( whistleblower) qui
agit dans le respect des lois et de l'éthique publique.
À l'instar des lois organiques prises aujourd'hui par la plupart des
parlements sous régime politique comparable, le dispositif québécois
devrait donc comporter deux aspects : 1) la désignation d'une auto­
rité, le commissaire à la gestion des dénonciations éthiques, chargée
de recevoir et analyser ces alertes éthiques, enquêter ou coordonner
et superviser les investigations qu'elle demande à des organes régu­
lateurs ou de sécurité publique attitrés de mener, et rendre compte
du suivi; et 2) l'instrumentation de l'entité qui, en première ligne, a

23. Voir sur cet aspect névralgique la partie rv, « Vulnérabilité chronique des
marchés publics», du rapport de Pierre Bernier, professeur associé à l'École natio­
nale d'administration publique, rendu public en octobre 2014 par la Commission
d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la
construction (pièce: 246P-2153).
Quand l'éthique a besoin d'institutions 245

responsabilité de protéger les dénonciateurs éthiques et leur fournir


assistance en cas de préjudices à leur endroit du fait de cette initiative,
inspirée par les valeurs collectives promues pour l'exercice d'une
« citoyenneté responsable».
Ce commissaire ferait directement état des résultats de ses actions
au Parlement. Il devrait également disposer d'un pouvoir de recom­
mandation publique visant à assurer, dans la durée, le bon fonctionne­
ment de ces procédures au service de l'éthique appliquée. Il est crucial
en effet que tout mécanisme instauré pour favoriser la dénonciation
éthique portant sur les malversations de nature organisationnelle
et la protection des sonneurs d'alarme soit structuré de façon claire
et précise et comporte des modalités de fonctionnement simples,
adaptées à l'évolution constante des prévarications, et maîtrisées par
toutes les parties prenantes. De même, par souci de justice et d'équité,
la protection en milieu organisationnel, public ou privé, et les recours
possibles devant une juridiction spécialisée pour réparation doivent
être garantis non seulement pour les dénonciateurs éthiques dans
le cas de représailles, mais aussi pour les personnes, physiques ou
morales, qui ont été ciblées par la dénonciation.
Il reste que dans le cas spécifique des marchés publics, ces ins­
truments d'action publique qui visent une collaboration, volontaire
moyennant rétribution, d'entités de droit public et privé - dans
un cadre convient-il de le rappeler dont les standards, les règles et
les pratiques sont régis par des normes et procédures édictées par
la puissance publique -, le législateur québécois devrait imposer
l'obligation pour les personnes morales impliquées de se doter du
dispositif prescrit par la loi pour fin de dénonciation éthique, intra
et extra-organisationnelle. La demande ou l'offre de corruption au
détriment de l'intérêt public pouvant survenir à différents stades de
cette procédure qui s'avère la plus exposée aux concussions - celui
de la constitution de la commande publique, de la recherche d'un
opérateur, de l'administration du contrat ratifié, de la rétribution pour
services conformes ou prestations rendus - et émaner d'acteurs de
différents statuts, aussi bien nationaux qu'internationaux.
Dans une telle perspective, le législateur, soucieux de corriger
l'important retard de la loi en ce domaine, aussi bien dans le sec­
teur public que privé, pourra avantageusement se référer à diverses
expériences étrangères concluantes. Le questionnement structurant
de Pierre Bernier dans le présent ouvrage qui traite de ce dispositif,
devenu certes incontournable, pourra utilement le guider sur les
aspects essentiels d'une loi instaurant ce droit nouveau et les moda-
246 Marchés publics à vendre

lités de son exercice 24.


La troisième mesure que nous proposons est la création d'un
comité permanent d'éthique et de gouvernànce publiques sous l'égide
de l'Assemblée nationale. Ce comité permanent formé des autorités
gardiennes de l'éthique publique nommées par le Parlement devrait
s'assurer de la cohérence, de la complémentarité et de la collaboration
dans la durée de leurs institutions afin d'offrir aux citoyens de nou­
velles garanties en matière d'intégrité, de probité et de responsabilité
des titulaires de charges publiques à tous les niveaux institutionnels.
Le comité aurait aussi la responsabilité d'évaluer la qualité de la gou­
vernance de toutes les organisations membres de ce cercle fermé des
hauts fonctionnaires du Parlement. Cela devrait raffermir la crédibilité
de ces institutions qui a été entachée au gouvernement fédéral par
les errances passées des commissaire à l'intégrité et commissaire
à la protection de la vie privée 25 • Le comité déposerait un rapport
annuel de ses activités à l'Assemblée nationale qui devrait mettre en
lumière les caractéristiques des défis éthiques rencontrés au cours
de la période par l'appareil étatique, les progrès réalisés dans les
secteursjugés à risques et comporterait des recommandations pour
conforter les succès et vaincre les nouveaux écueils identifiés. Un tel
comité serait obligé statutairement de tenir une séance publique
d'information à l'intention notamment des membres de la tribune
de la presse pour s'assurer de la compréhension de ses constats
et faciliter ainsi la diffusion de ses recommandations et leur juste
appréciation par les citoyens.

Intégrer l'éthique dans la mission


de la Commission permanente des institutions
Dans un souci de pérenniser le travail fait à l'occasion d'une
telle commission spéciale sur l'éthique et la réforme des institutions
démocratiques, il faudrait institutionnaliser les résultats des travaux
réalisés par cette commission parlementaire spéciale. Il s'agirait donc
d'amender à cette fin le règlement de l'Assemblée nationale afin
d'intégrer« l'éthique et la réforme des institutions démocratiques»
dans le mandat de la Commission permanente des institutions. La

24. Voir ici même P. Bernier, « La "dénonciation éthique" : un dispositif de


contrôle nécessaire dans le cadre des marchés publics», p. 201.
25. Rapport de la vérificatrice générale du Canada sur le commissariat à la
protection de la vie privée du Canada, Ottawa, septembre 2003.
Quand l'éthique a besoin d'institutions 247

fonction de contrôle détenue par l'Assemblée nationale et le rôle


des députés qui l'exercent doivent re1:,sortir consolidés-de façon
permanente de ce chantier visant à réunir des conditions optimales
pour mettre fin à la crise qui afflige la société québécoise en matière
d'éthique publique. Le véritable défi d'une telle démarche est de
permettre aux Québécois de pouvoir compter sur une infrastructure
de régulation des comportements des agents titulaires de charges
publiques (élus ou nommés) qui soit efficace pour protéger rios
idéaux démocratiques et promouvoir la justice et l'intérêt public. Ces
gardiens de l'éthique publique sous l'égide de l'Assemblée nationale
ont un rôle central pour améliorer la conduite de nos agents publics
et pour réintroduire dans la durée l'éthique au cœur de la culture du
service public au Québec.

En conclusion, le programme et les réformes que nous propo­


sons paraîtront bien sûr fort ambitieuses à quiconque connaît de
près les contraintes administratives auxquelles sont confrontés les
titulaires de charges publiques. Elles le paraîtront également à ceux
qui sont soucieux de restreindre le rôle de l'État, de même que les
crédits alloués aux mesures administratives et aux contrôles de ce
dernier. Elles ne nous en apparaissent pas moins nécessaires dans
le contexte démocratique qui est celui du Québec, mais aussi celui
de plusieurs démocraties occidentales. L'évolution de nos sociétés
qui a progressivement entraîné l'effacement des frontières entre les
sphères privée et publique et augmenté par la même occasion les
brouillages normatifs ainsi que la difficulté de plusieurs titulaires
de charges publiques de distinguer entre leur intérêt personnel et
professionnel et celui de l'État a en effet rendu la mise en place de
telles institutions non seulement souhaitable, mais presque inévitable.
Nous ne croyons pas pour autant que tout doit être fait en même
temps. Mais l'adoption d'un cahier de charges orientant la mise en
place d'une telle infrastructure permettrait de rassurer l'opinion
publique, tout en garantissant les meilleures pratiques et une plus
grande transparence, de même qu'une reddition de comptes plus
efficace. C'est un tel tribut que nos démocraties doivent payer pour
prétendre à une démocratie en santé dans le contexte social actuel.

Vous aimerez peut-être aussi