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2-0668
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine
Acrosyndromes vasculaires
P Humbert, JC Risold
L a fréquence des acrosyndromes vasculaires est telle que le médecin doit être capable de les appréhender dans
leur aspect clinique et étiologique. Le phénomène de Raynaud représente le trouble vasomoteur paroxystique
le plus fréquemment observé dans la population générale. C’est un signe clinique d’appel devant faire rechercher
une maladie systémique sous-jacente, notamment lorsqu’il est bilatéral ou implique plusieurs territoires vasculaires.
L’érythermalgie est beaucoup plus rare et son diagnostic ne pose en général pas de difficulté tant les accès de
rougeur, accompagnés d’un phénomène douloureux et d’une chaleur de l’extrémité des membres sont
caractéristiques. L’acrocyanose représente un handicap pour bon nombre de patients et malheureusement, l’enquête
étiologique dans ce cadre reste le plus souvent négative. Quant aux engelures, elles témoignent d’une hypersensibilité
au froid survenant au cours des saisons froides, tout particulièrement lors de l’exposition à un temps froid et humide.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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Par localisation acrale, on entend les doigts, les
Introduction orteils, mais aussi le nez, les oreilles, les lèvres, voire
la langue, les seins et la verge.
On décrit trois phases qui se succèdent
Les acrosyndromes vasculaires bénéficient chronologiquement. La phase syncopale (fig 1) qui
aujourd’hui d’un regain d’intérêt en raison des consiste en une vasoconstriction des artérioles
moyens d’exploration disponibles, et notamment digitales, précède la phase asphyxique (fig 2), puis la
des explorations fonctionnelles non invasives, telles phase résolutive ou érythémateuse.
que la capillaroscopie et les examens échodopplero-
graphiques artériels et veineux. La plupart des Déroulement de la crise du phénomène
acrosyndromes vasculaires représentent un de Raynaud [6]
handicap fonctionnel pour les malades. Ils
■ La phase syncopale est brutale, parfois
représentent aussi un signe d’appel permettant de 1 Phase syncopale du phénomène de Raynaud.
précédée de paresthésies ; elle est caractérisée par
dépister plus précocement une maladie
un aspect exsangue du territoire impliqué. Elle peut
sous-jacente ; les étiologies qui peuvent en être à
durer de quelques minutes à un quart d’heure et
l’origine sont nombreuses.
s’accompagne de douleurs plus ou moins vives
annonçant la phase d’asphyxie.
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■ La phase d’asphyxie correspond à une couleur
Phénomène de Raynaud cyanique des téguments avec paresthésies et
douleurs pulsatiles des extrémités.
■ La phase hyperhémique est caractérisée par
Le phénomène de Raynaud a une prévalence l’installation d’une couleur rouge vif des téguments
estimée de l’ordre de 5 % de la population adulte [10]. avec sensation de chaleur et de cuisson intense. Elle
Ce syndrome touche plus fréquemment la femme témoigne d’une vasodilatation réactionnelle
jeune. On doit distinguer les phénomènes de postischémique.
Raynaud bilatéraux ou impliquant plusieurs Certaines formes cliniques sont incomplètes avec
2 Phase asphyxique du syndrome de Raynaud.
territoires vasculaires et les phénomènes de des formes syncopales pures, des formes
Raynaud unilatéraux. Dans le cas de phénomène de cyanotiques prédominantes, des formes avec vise à recueillir à la fois les antécédents personnels et
Raynaud bilatéral, il faudra envisager l’existence érythermalgie secondaire. familiaux, notamment la recherche d’une maladie
d’une pathologie sous-jacente, alors que dans le cas Le diagnostic d’un phénomène de Raynaud est auto-immune, la notion de facteurs de risque
d’un phénomène de Raynaud unilatéral, une avant tout un diagnostic clinique porté sur la (tabagisme, prise médicamenteuse, activité
pathologie vasculaire locale, locorégionale ou description des phases précédemment décrites. professionnelle…) et des signes cliniques associés,
régionale est plus systématiquement envisagée. Lorsque l’interrogatoire ne permet pas de retenir tels que des arthralgies ou une photosensibilité…
formellement le diagnostic, on peut procéder à L’examen clinique sera un examen non
‚ Aspects cliniques l’immersion des mains dans l’eau froide pour tenter seulement orienté sur les extrémités impliquées,
Il s’agit d’un acrosyndrome vasculaire de reproduire une crise. mais également un examen général (tableau II). Il
paroxystique déclenché par le froid. Cette notion de L’interrogatoire est une étape longue et permet de caractériser la gravité du phénomène de
froid n’est pas exclusive, certains phénomènes de importante de la prise en charge clinique et Raynaud en recherchant des troubles trophiques,
Raynaud pouvant être déclenchés par les émotions. étiologique du phénomène de Raynaud (tableau I). Il mais également de détecter les signes cliniques
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Perfusion de nitroprusside
Perfusion de lidocaïne 6 Capillaroscopie d’acrocyanose.
Perfusion de prostaglandine
5 Artériographie révélant un arrêt circulatoire de On a pu incriminer le rôle du système
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l’artère cubitale, dans le cadre du syndrome du sympathique, mais aussi des récepteurs à l’histamine
« marteau ». Acrocyanose et, de façon plus globale, l’intervention de troubles
psychoaffectifs. Il faut souligner ici la plus grande
diagnostiques cliniques classiques. Certaines fréquence observée d’acrocyanose chez des femmes
Elle survient le plus souvent chez l’adolescente ou atteintes d’anorexie mentale.
manœuvres dynamiques tendant à reproduire les la jeune femme. Elle correspond à une coloration
compressions vasculaires dans différentes positions allant du bleu foncé au rouge, uniforme, ‚ Traitement de l’acrocyanose
du bras peuvent être effectuées. La classique permanente, des doigts, voire de l’ensemble de la
manœuvre d’Adson qui combine une inspiration Le traitement est purement symptomatique,
main, mais aussi des pieds, du nez et des oreilles.
forcée, une extension du rachis cervical et une aucun médicament n’ayant fait la preuve de son
Cliniquement, les doigts apparaissent froids,
rotation de la tête du côté examiné, permet soit de efficacité dans ce trouble vasomoteur. Il convient de
œdématiés avec fréquemment une hyperhidrose.
reproduire le syndrome de Raynaud, soit d’observer privilégier les protections contre le froid, l’arrêt du
L’acrocyanose est favorisée par le froid ou les
l’abolition d’un pouls. tabac le cas échéant et de favoriser l’activité
émotions. Contrairement à certains phénomènes de
Des examens complémentaires, comme une physique et sportive. Une amélioration spontanée
Raynaud bilatéraux, il n’existe jamais d’ulcérations
échographie artérielle couplée à un échodoppler est possible au cours du temps. Il sera parfois porté
pulpaires ou de sclérose cutanée, ni même de
peuvent mettre en évidence une lésion une attention toute particulière à l’hypersudation
gangrène digitale. En revanche, une fragilité cutanée
athéromateuse de l’artère axillaire ou de l’artère palmaire qui, à elle seule, peut représenter un
peut être observée sous la forme de fissures,
sous-clavière. La mesure de la pression systolique handicap social et professionnel pour lequel des
notamment en hiver. D’un point de vue des formes
digitale en pléthysmographie évite parfois d’avoir thérapeutiques médicales ou chirurgicales peuvent
cliniques, l’acrocyanose peut se présenter sous
recours à l’artériographie pour le diagnostic être proposées.
forme de taches mouchetées témoignant d’une
d’artériopathie digitale (fig 5). inhomogénéité de la circulation cutanée.
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Fréquemment, les patients qui en sont atteints,
‚ Traitement du syndrome de Raynaud présentent des marbrures ou cyanose des membres Engelures
Il n’est pas formellement indispensable de inférieurs. Il a été proposé par ailleurs
proposer une thérapeutique devant tout l’individualisation d’une forme clinique particulière
phénomène de Raynaud lorsque la gêne est regroupant acrocyanose et manifestations Les engelures, acrosyndrome cutanéovasculaire
modérée. Des conseils concernant l’exposition au fonctionnelles d’insuffisance veineuse des membres idiopathique bénin, sont des manifestations
froid, la contre-indication de certains médicaments inférieurs sous le terme d’acroïodèse [1]. cliniques stéréotypées liées à une hypersensibilité au
comme les dérivés de l’ergot de seigle et les L’absence habituelle de pathologie sous-jacente, froid et se distinguent ainsi des gelures [4, 13]. Les
bêtabloquants, seront à prodiguer. Certains l’inconfort modéré que procure l’acrocyanose font périodes les plus propices à la survenue d’engelures
médicaments ont une certaine efficacité, mais les qu’actuellement on considère qu’aucun examen sont l’automne, l’hiver et le printemps, tout
effets secondaires ne sont pas négligeables paraclinique n’est formellement indispensable. particulièrement lors d’un temps froid et humide. Les
(tableaux V, VI). Aucun examen complémentaire n’est nécessaire femmes sont plus que les hommes sujettes à cette
Dans les cas de phénomène de Raynaud sévère, pour en préciser le diagnostic. La capillaroscopie affection qui n’épargne pas non plus les enfants.
s’accompagnant notamment de troubles trophiques péri-unguéale peut révéler une stase capillaroveinu- Les engelures comportent dans leurs manifesta-
des extrémités, des perfusions d’iloprost laire (fig 6). tions cliniques une composante douloureuse des
(Ilomédinet), analogue de la prostacycline, sont extrémités, avec parfois sensation de brûlures,
mises en œuvre. En dehors des interventions ‚ Physiopathologie de l’acrocyanose [1] d’engourdissement ou de prurit. Les lésions, qui sont
chirurgicales portant sur les gros axes vasculaires De mécanisme encore mal connu, l’acrocyanose de survenue aiguë, comportent des papules, plaques
lorsqu’il s’agit d’un phénomène de Raynaud découle, dans la grande majorité des cas, d’un état ou tuméfactions superficielles, érythémateuses et
unilatéral ou encore la cure d’un anévrysme artériel, constitutionnel d’hypersensibilité au froid. violacées, infiltrées parfois. La peau apparaît lisse,
le traitement chirurgical a peu de place dans le L’hypothermie constatée témoigne d’un luisante et froide au niveau de la face d’extension
traitement du phénomène de Raynaud. Dans abaissement du débit sanguin cutané d’origine des doigt, mais aussi des orteils, des talons et du nez.
certains cas, une sympathectomie thoracique, voire vraisemblablement artériolaire. De plus, la cyanose L’épiderme habituellement lisse peut devenir
une sympatholyse chimique seront envisagées. pourrait témoigner d’une stase veinulocapillaire. hyperkératosique. Des évolutions vers la fissuration,
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Infection bactérienne récidivante
Érythromélalgie Infection virale
Syphilis
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dystrophie sympathique réflexe (impatience des
dans l’eau froide...) peut conduire au développement
membres inférieurs) ou le syndrome de douleur Remarques
de macération, d’ulcération, de nécrose, voire
complexe régionale. Celui-ci survient après un
d’infections.
traumatisme, les douleurs sont le plus souvent
‚ Mécanismes permanentes. Les acrosyndromes vasculaires représentent des
La température cutanée de ces malades est Les sensations douloureuses de l’érythromélalgie variétés cliniques différentes [2, 11]. Ils touchent par
inférieure à la température normale, en dehors des peuvent faire évoquer une neuropathie, et d’ailleurs définition les extrémités et notamment celles des
poussées, suggérant un phénomène permanent certains cas surviennent associés à une neuropathie. membres supérieurs et inférieurs. Leur présentation
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aspect tronçonné. Il correspond à une thrombose
capillaire. anses capillaires longues pouvant atteindre 800 µm.
Capillaroscopie
Les dystrophies capillaires mineures (capillaires La polyarthrite rhumatoïde montre dans 50 %
sinueux, tortueux, en feuille de fougère) sont des cas une image évocatrice : capillaires ramifiés,
La capillaroscopie permet de confirmer certains pathologiques lorsque leur nombre dépasse 15 % microvasculite non spécifique, plexus veinulaires très
diagnostics, tel celui d’acrocyanose. L’indication des anses visibles. visibles : l’ensemble réalise l’image dite en
essentielle est le phénomène de Raynaud bilatéral, Les anses ramifiées n’existent pas chez l’adulte « candélabre ».
le plus souvent isolé ou associé à un autre sain. Elles sont non spécifiques. Elles témoignent Dans le syndrome de Gougerot-Sjögren, la
acrosyndrome, en particulier l’acrocyanose. La d’une néogenèse capillaire pouvant succéder à un présence de mégacapillaires peut orienter vers une
capillaroscopie péri-unguéale oriente l’enquête processus ischémique. sclérodermie systémique.
étiologique. Les microanévrysmes sont des dilatations très La périartérite noueuse ne montre pas
localisées de l’anse capillaire (diamètre inférieur à d’anomalies caractéristiques.
‚ Capillaroscopie du sujet normal (fig 7) 15 µm). Ils sont dépourvus de spécificité, mais
■ Morphologie capillaire : capillaires en épingle à ‚ Indications complémentaires
souvent rencontrés chez le diabétique.
cheveux, réguliers ou discrètement sinueux. Parfois, Il s’agit d’affections générales pouvant s’associer à
les sinuosités sont très marquées et peuvent être Espaces péricapillaires un phénomène de Raynaud, mais les anomalies
qualifiées de dystrophies mineures. Les hémorragies spontanées sont anormales : pouvant rendre la capillaroscopie suspecte ne sont
■ Densité : environ 10 à 14 capillaires par points rouges ou brunâtres siégeant au sommet des pas caractéristiques, si l’on excepte peut-être le
millimètre linéaire. anses. diabète. Ce sont :
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■ l’athéromatose, Les anomalies capillaroscopiques ont une valeur complexe et onéreuse, ce qui est important tant pour
■ la maladie de Buerger, prédictive vis-à-vis d’une connectivite, en cas de le malade que pour le budget de la santé.
■ certaines maladies iatrogènes (en particulier phénomène de Raynaud encore isolé cliniquement.
des bêtabloquants),
■ certaines pathologies professionnelles (engins L’acrocyanose : ne pas confondre avec
vibrants, chlorure de polyvinyle).
‚ Limites de la capillaroscopie
péri-unguéale
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Conclusion
Toute référence à cet article doit porter la mention : P Humbert et JC Risold. Acrosyndromes vasculaires.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 2-0668, 2002, 6 p
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