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Livre Promettez:Livre Promettez 09-12-21 8:14 AM Page 10
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Les Éditions Transcontinental
TC Média Livres Inc.
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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec


et Bibliothèque et Archives Canada
Pink, Daniel H.
[To sell is human. Français]
Convaincre au quotidien : 6 techniques infaillibles pour mettre les autres dans sa poche
Traduction de : To sell is human.
ISBN 978-2-89472-679-2
1. Influence (Psychologie). 2. Persuasion (Psychologie). 3. Vente - Aspect psychologique.
I. Titre. II. Titre : To sell is human. Français.
BF774.P5614 2013 158.2 C2013-941666-8

Révision : Martin Benoit


Correction : Jacinthe Lesage
Mise en pages : Diane Marquette
Conception graphique de la couverture : Julien Sister
Impression : Marquis Imprimeur – Division Gagné

L’édition originale de cet ouvrage a été publiée en anglais par Riverhead Books sous le titre
To sell is human © 2012 by Daniel H. Pink.

Imprimé au Canada
© Les Éditions Transcontinental, une marque de commerce de TC Média Livres Inc., 2013,
pour la version française publiée en Amérique du Nord.
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 3e trimestre 2013
Bibliothèque et Archives Canada

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Daniel H. Pink

Traduit de l’anglais (américain) par Michel Le Séac’h

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Aux libraires, avec gratitude

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Table des matières

Introduction............................................................................... 11

Première partie
Renaissance d’un commis voyageur.................................. 17

Chapitre 1
Tous vendeurs à présent........................................................ 19

Chapitre 2
L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd................................... 35

Chapitre 3
Du caveat emptor au caveat venditor................................ 53

Deuxième partie
Comment être............................................................................ 73

Chapitre 4
L’accordage................................................................................. 75
Mallette d’échantillons................................................................. 93

Chapitre 5
Le brio .......................................................................................... 103
Mallette d’échantillons................................................................. 121

Chapitre 6
La clarté........................................................................................ 129
Mallette d’échantillons................................................................. 147

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Convaincre au quotidien

Troisième partie
Comment faire........................................................................... 157

Chapitre 7
Le pitch......................................................................................... 159
Mallette d’échantillons................................................................. 177

Chapitre 8
L’improvisation.......................................................................... 185
Mallette d’échantillons................................................................. 201

Chapitre 9
Le service..................................................................................... 209
Mallette d’échantillons................................................................. 223

Remerciements.......................................................................... 233

Notes............................................................................................. 235

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« La seule chose qui compte en ce monde, c’est ce qu’on peut
vendre, ce qui peut faire de l’argent… C’est marrant : toi, un
voyageur de commerce, tu ne sais pas ça ? »
Arthur Miller
Mort d’un commis voyageur

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Introduction

I
l y a un an environ, histoire de cacher un accès de procrastination
sous des airs de profonde réflexion, j’ai analysé mon emploi du
temps. J’ai allumé mon ordinateur portable, cliqué sur mon calen-
drier soigneusement synchronisé aux couleurs codées et entrepris de
reconstituer mes activités réelles des deux semaines précédentes.
J’ai catalogué réunions, voyages, déjeuners d’affaires et conférences
téléphoniques. J’ai tenté d’établir la liste de tout ce que j’avais lu et de
toutes mes conversations particulières avec ma famille, mes amis et mes
collègues. J’ai disséqué deux semaines d’activités numériques – 772 cour-
riels envoyés, 4 articles sur des blogues, 86 tweets, une douzaine de
SMS. Puis, j’ai pris du recul pour évaluer ce fouillis de données, ce por-
trait pointilliste de mes actes et, donc, en un sens, de ma personne. Et
là, ô surprise, j’ai découvert que j’étais un vendeur !
Oh ! je ne vends pas des fourgonnettes chez un concessionnaire
automobile, je ne cours pas de cabinet médical en cabinet médical pour
vanter des médicaments contre le cholestérol. Pourtant, hors sommeil,
exercice et hygiène, je consacre une bonne partie de mon temps à
essayer de convaincre autrui de se séparer d’une ressource quelconque.
Il m’arrive bien sûr d’inciter les gens à acheter mes livres, mais la plus
grande partie de mes actes n’aboutissent pas directement à faire tinter
un tiroir-caisse.
Au cours de cette quinzaine de jours, j’ai tenté d’amener un journa-
liste à abandonner un sujet idiot, un partenaire potentiel à joindre ses
forces aux miennes, une association dont je suis membre à changer de

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Convaincre au quotidien

stratégie et une hôtesse à m’attribuer un siège côté couloir au lieu d’un


siège côté hublot. De fait, la plus grande partie du temps, je suis en
quête de ressources autres que l’argent. Comment décider des étrangers
à lire un article, un vieil ami à m’éclairer de ses lumières ou mon fils de
neuf ans à prendre une douche en revenant du baseball ?
Vous n’êtes probablement pas très différent. Creusez sous les lignes
de votre agenda, examinez leurs racines, et je soupçonne que vous y
trouverez le même genre de choses. Certains lecteurs vendent sans
doute au sens littéral : ils convainquent des clients potentiels d’acheter
des assurances dommages, des services de conseil ou des pâtisseries
maison au marché du village. Mais vous passez probablement plus de
temps que vous le pensez à vendre au sens large – à haranguer des col-
lègues, à convaincre des financiers, à cajoler des enfants. Que cela vous
plaise ou non, aujourd’hui, nous sommes tous vendeurs.
Or, la plupart des gens n’aiment pas qu’on le leur dise. Vendre ?
Beurk ! Aux yeux des personnes comme il faut, la vente n’est pas un
domaine qui demande beaucoup de capacités intellectuelles ; c’est une
tâche pour débrouillards joviaux aux chaussures bien astiquées. Pour
d’autres, c’est le territoire d’individus louches aux pratiques douteuses ;
tricherie et tromperie y jouent les premiers rôles, honnêteté et loyauté
n’y font que de la figuration. Quelques-uns voient le vendeur comme
le collègue à col blanc du concierge ; il en faut, sans doute, mais le
métier est peu ragoûtant et même légèrement malpropre.
Nous nous fourvoyons, j’en suis convaincu. Ce livre est consacré à la
vente, mais il ne ressemble à aucun ouvrage sur le sujet que vous avez pu
lire (ou ignorer) jusqu’à présent. En effet, la vente sous toutes ses formes
– que ce soit en alignant des Buick dans un terrain de stationnement ou
en défendant des idées dans une réunion – a davantage changé dans les
10 dernières années qu’au cours du siècle précédent. L’essentiel de ce que
nous en savons repose sur des postulats qui se sont effrités.

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Introduction

La première partie de ce livre explique pourquoi il faut repenser de


fond en comble la vente telle que nous la connaissons. Au chapitre 1, je
montre que les avis qui proclament la mort du commis voyageur dans
le monde contemporain sont très mal inspirés. Rien qu’aux États-Unis,
un travailleur sur neuf gagne sa vie en essayant de convaincre les autres
d’acheter. Peut-être ses mallettes d’échantillons contiennent-elles des
téléphones intelligents, peut-être vend-il des expériences plutôt que des
encyclopédies, mais il travaille encore dans le domaine de la vente au
sens traditionnel.
Toutefois, le plus surprenant, c’est ce qui est arrivé aux autres travail-
leurs. Eux aussi font de la vente. Ils ne harponnent pas les clients dans les
magasins de meubles, mais ils – et derrière ce « ils », entendez « nous » –
participent à ce que j’appelle le « commercial sans vente ». Nous persua-
dons les autres, nous les convainquons, nous les influençons afin qu’ils
cèdent ce qu’ils ont en échange de ce que nous avons. Une analyse sans
précédent des activités des gens au travail le montrera : nous consacrons
jusqu’à 40 % de notre temps à faire bouger autrui. Et nous considérons
cela comme nécessaire à notre succès professionnel.
Au chapitre 2, on se demande pourquoi tant de personnes exercent
ce genre de fonction. Trois clés expliquent la transformation du travail :
l’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd. L’entreprise d’abord : les technolo-
gies qui étaient censées éliminer les vendeurs ont abaissé les barrières
pour beaucoup de petits entrepreneurs, de sorte que le nombre de gens
qui vendent s’est accru. L’élasticité ensuite : qu’on travaille pour soi ou
pour une grande organisation, on s’aperçoit de plus en plus qu’on doit
utiliser ses compétences au-delà des limites de son poste. Or, cette
extension comporte presque toujours quelques éléments de vente tradi-
tionnelle et beaucoup d’éléments de commercial sans vente. L’Éd-méd
enfin : l’éducation et la santé sont les domaines qui connaissent la plus
forte croissance. Dans ces sphères, les emplois ont pour but de faire
bouger les gens.

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Convaincre au quotidien

Si vous adhérez à ces arguments ou si vous les tolérez pour encore


quelques pages, la conclusion risque d’être dérangeante. La réputation de
la vente n’est pas vraiment irréprochable. Songez aux films, aux pièces
de théâtre, aux émissions de télévision où les vendeurs tiennent à la fois
du rapace et de l’âne. J’y reviendrai au chapitre 3, qui s’interroge en par-
ticulier sur le rôle supposé de la tromperie dans la vente. Je montrerai
comment l’équilibre du pouvoir s’est déplacé et comment nous sommes
passés d’un monde de caveat emptor (à l’acheteur de se méfier) à un
monde de caveat venditor (au vendeur de se méfier), dans lequel l’honnê-
teté, la loyauté et la transparence sont souvent le seul chemin praticable.
Nous arrivons à la deuxième partie où, m’appuyant sur des études
issues des sciences sociales, j’indiquerai les trois qualités les plus pré-
cieuses pour faire bouger autrui. Un adage a longtemps eu cours dans
les milieux commerciaux : ABC, pour always be closing (c’est-à-dire
« toujours conclure »). Les trois chapitres de la deuxième partie pré-
sentent un nouvel ABC, pour attunement, buoyance and clarity , qu’on
traduira en français par « accordage, brio et clarté ».
Le chapitre 4 est consacré à l’accordage, qui renvoie au fait de se
mettre en harmonie avec les individus, les groupes et les contextes. Je
m’appuie sur un riche ensemble d’études pour dégager les trois règles
de l’accordage et montrer pourquoi les extravertis sont rarement les
meilleurs vendeurs.
Le chapitre 5, quant à lui, traite du brio, réunion d’un esprit affirmé
et d’une apparence radieuse. Chaque fois qu’on cherche à faire bouger
autrui, on fait face à ce qu’un vendeur expérimenté appelait un « océan
de rebuffades ». Une poignée de vendeurs d’assurances et quelques-uns
des meilleurs psychosociologues du monde vous apprendront quoi
faire avant, pendant et après un entretien de vente pour vous maintenir
à flot. Et vous verrez pourquoi il est devenu essentiel, sur le nouveau
terrain de la vente, de croire en ce que vous vendez.
Le chapitre 6 présente la clarté, ou la capacité de donner du sens à
des situations obscures. On considère depuis longtemps que les

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Introduction

meilleurs vendeurs, dans la vente traditionnelle comme dans le


commercial sans vente, savent résoudre des problèmes habilement. Je
montrerai que le plus important aujourd’hui est de trouver les pro-
blèmes. Un des moyens les plus efficaces pour faire bouger les autres est
de leur révéler des problèmes dont ils n’avaient peut-être pas conscience.
J’en dirai plus sur les talents d’un régisseur et sur la manière de modeler
adroitement vos choix en la matière.
Une fois acquis cet ABC des comportements – accordage, brio et
clarté –, nous passerons à la troisième partie, qui décrit quoi faire – les
actions indispensables.
Au chapitre 7, nous verrons combien il est important de savoir
« raconter ». Depuis bien longtemps, les personnes entreprenantes
bâtissent des argumentaires courts et percutants, souvent appelés
« discours de l’ascenseur » ou pitchs. Aujourd’hui, comme la capacité
d’attention des gens est moins grande qu’autrefois (dans un ascenseur,
ne consultent-ils pas leurs téléphones intelligents plutôt que de parler
aux autres ?), cette technique est dépassée. Dans ce chapitre, vous
décou­vrirez les six successeurs du discours de l’ascenseur et la manière
de s’en servir.
Le chapitre 8 montre, lui, qu’il est essentiel de savoir « improviser ».
Il indique quoi faire si vos argumentaires parfaitement accordés, pleins
de brio et ultra-clairs tombent régulièrement à plat. Vous rencontrerez
un vétéran de l’improvisation et vous découvrirez en quoi le théâtre
d’improvisation peut renforcer votre pouvoir de persuasion.
Vient enfin le chapitre 9, dont le titre est « Le service ». Vous y décou-
vrirez les deux principes essentiels de la vente classique et du commercial
sans vente : en faire une affaire personnelle et lui donner un sens.
Pour vous aider à mettre ces idées en pratique, vous trouverez à la
fin de chaque chapitre des deuxième et troisième parties des dizaines de
techniques astucieuses empruntées à des études récentes et aux usages
qui ont cours dans le monde entier. À ces collections d’outils et de
trucs, d’évaluations et d’exercices, de listes de contrôle et de suggestions

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Convaincre au quotidien

de lectures, je donne le nom de « mallettes d’échantillons », en hom-


mage aux voyageurs de commerce d’autrefois qui allaient de ville en
ville, le sac bourré d’articles à vendre. À la fin de ce livre, je l’espère,
vous vous sentirez capable de faire bouger autrui.
De plus, et c’est tout aussi important, j’espère que vous verrez l’acte
du vendeur sous un jour nouveau. Vendre, j’ai fini par le comprendre, est
plus important et, à sa manière, plus beau qu’on ne le pense. La capacité
de faire bouger les autres pour échanger ce qu’ils ont contre ce que nous
avons est essentielle à notre survie et à notre bonheur. Elle a aidé notre
espèce à évoluer, à élever son niveau de vie, à améliorer sa vie quoti-
dienne. Elle fait partie de notre être. Comme vous le verrez si je vous ai
convaincu de poursuivre votre lecture, la vente est foncièrement humaine.

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Première partie

Renaissance
d’un commis voyageur

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Chapitre 1

Tous vendeurs à présent

N
orman Hall ne devrait pas exister. Le voici pourtant en chair
et en os, avec son nœud papillon, assis ce mardi après-midi
dans un bureau du centre de San Francisco, en train d’expli-
quer à deux avocates qu’elles ont vraiment besoin de quelques articles
pour nettoyer leurs locaux. D’un geste de prestidigitateur, il fait d’abord
jaillir de son sac ce qui ressemble à une baguette noire. D’une secousse
du poignet – « et voilà ! » –, il la transforme en un panache de plumes
sombres. Et pas n’importe quelles plumes.
« Ce sont… des plumes d’autruches mâles. Ce plumeau est le meil-
leur du marché, assure-t-il d’une voix douce mais sonore. Il est parfait
pour nettoyer les cadres des tableaux, les stores et tout objet présentant
des creux où la poussière s’accumule. » Penelope Chronis, qui dirige ce
petit cabinet spécialisé en droit de l’immigration avec Elizabeth Kreher,
son associée dans le travail et dans la vie, se redresse un peu et secoue la
tête. Pas intéressée.
Hall présente sa Kitchen Brush no 300, une solide brosse à récurer
blanc et vert. Elles en ont déjà une. Il jette sur le bureau de Penelope
une « lingette en microfibres » et une « lingette antibuée pour pare-brise
et miroirs de salle de bains ». Non merci.
Hall, 75 ans, a des touffes de cheveux blancs de chaque côté de la tête
et pas grand-chose entre les deux. Il porte des lunettes à l’ancienne et une
moustache où les poils blancs ont pris le dessus sur les bruns après des
années de bataille, dirait-on. Il est vêtu d’un pantalon marron sombre,
d’une chemise blanche à fines rayures bleues, d’un chandail noisette à col

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Convaincre au quotidien

en V et d’un nœud papillon rouge à motif en cachemire. On dirait un


professeur coquet et légèrement excentrique. Il est infatigable.
L’homme a posé sur ses genoux un cartable à trois anneaux et à reliure
en cuir contenant une bonne vingtaine de pages de photos de produits.
« Ce détachant est très simple à utiliser », assure-t-il à Penelope et à
Elizabeth en arrivant à la page blanchisserie. « Vous le pulvérisez sur le
vêtement avant de le mettre à la machine à laver. » Les avocates restent
impavides. Hall passe donc à la vitesse supérieure : les boules antimites
désodorisantes. « C’est l’article que je vends le plus, souligne-t-il. Elles
tuent les mites, les moisissures et les odeurs. » C’est seulement 7,49 $. Niet.
Alors, Hall tourne la page pour montrer une collection de brosses
pour toilettes et de nettoyeurs de cuvettes, sourit, s’arrête pour marquer
son effet et dit : « Voici mes articles romantiques. » Toujours pas de réac-
tion de la part des avocates. Cependant, quand il arrive aux éponges en
acier, il suscite un soupçon d’intérêt qui devient bientôt une vague
d’envie. « Elles sont merveilleuses, exceptionnelles. Elles servent de
tampons à gratter, mais elles se distinguent grandement de ces der-
niers : chacune d’elles contient 8 000 pouces de ruban d’acier retourné
40 000 fois sur lui-même. On peut les mettre au lave-vaisselle. C’est
seulement 15 $ la boîte de 3. » Adjugé.
Hall présente ensuite un des produits les plus coûteux, un net-
toyeur de tapis électrostatique. « Ses quatre brosses sont faites de soie
naturelle et de nylon, explique-t-il. En passant sur le sol, il crée un
courant statique qui lui permet d’enlever le sucre et le sel d’un parquet
en bois. C’est mon cadeau de mariage favori. » Il marque encore une
pause parfai­tement placée, puis ajoute : « C’est bien mieux qu’un grille-
pain. » Mesdames Chronis et Kreher craquent de nouveau.
Au bout d’une vingtaine de minutes, Hall arrive au bout de son
catalogue. Il consigne 149,96 $ de ventes dans son carnet. Il tend à ces
dames un double du bon de commande en disant : « J’espère que nous
resterons amis quand vous aurez lu ceci. » Encore quelques instants de
papotage, puis il ramasse son cartable et ses sacs, et se lève pour s’en
aller. « Merci beaucoup, dit-il. Je vous apporterai tout ça dès demain. »

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1 - Tous vendeurs à présent

Norman Hall est agent commercial chez Fuller Brush. Et pas n’im-
porte lequel. Il est… le dernier. Tout Américain de plus de 40 ans
connaît le représentant Fuller Brush, qui vend les produits de cette
auguste maison. Il fut un temps où on ne pouvait l’ignorer. Des groupes
de vendeurs nantis de boîtes à échantillons bourrées d’articles de bros-
serie arpentaient les quartiers bourgeois. Ils grimpaient les marches de
chaque perron pour annoncer : « C’est moi votre représentant Fuller
Brush. » Puis, remettant en cadeau un grattoir à légumes appelé Handy
Brush, ils tentaient de mettre, selon l’expression vite popularisée, « le
pied dans la porte ».
Tout a commencé en 1903, le jour où Alfred Fuller, 18 ans, ex-gar-
çon de ferme en Nouvelle-Écosse, est arrivé à Boston pour y faire car-
rière. « Campagnard lourdaud, mal dégrossi et maladroit, naïf et
presque inculte1 », de son propre aveu, il a été renvoyé de ses trois pre-
miers jobs. Puis, un de ses frères lui a déniché un emploi de vendeur
chez Somerville Brush and Mop Company, et le jeune Alfred a trouvé
sa vocation avant même d’avoir fêté ses 20 ans. « J’ai commencé à peu
près sans formation et je n’avais aucune qualification spéciale, dira-t-il
à un journaliste des années plus tard, mais je me suis rendu compte que
j’étais capable de vendre ces brosses2. »
Après avoir fait du porte-à-porte pendant un an pour vendre les pro-
duits Somerville, Fuller en a eu assez de travailler pour quelqu’un d’autre.
Il a donc créé un petit atelier de fabrication de brosses. Le soir, il supervi-
sait cette mini-usine ; le jour, il parcourait les rues pour vendre sa produc-
tion. À son grand étonnement, son entreprise a pris de l’ampleur. Il lui a
fallu recruter quelques vendeurs supplémentaires pour enrichir son cata-
logue et agrandir son territoire. Il a fait paraître une annonce dans une
publication intitulée Everybody’s Magazine. Au bout de quelques semaines,
le petit paysan était à la tête de 260 vendeurs et d’une affaire d’ampleur
nationale qui était en train de devenir un symbole.
À la fin des années 1930, les effectifs de Fuller dépassaient 5 000 per-
sonnes. Au cours de la seule année 1937, ses démarcheurs ont distribué
gratuitement 12,5 millions de Handy Brush. En 1948, selon le New

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Convaincre au quotidien

Yorker, 8 300 de ses représentants ont vendu des brosses à cheveux et


des brosses de ménage à 20 millions de familles aux États-Unis et au
Canada. La même année, les vendeurs de Fuller, tous des travailleurs
indépendants payés à la commission, ont fait près de 50 millions d’ap-
pels téléphoniques aux États-Unis, un pays qui comptait alors moins de
43 millions de foyers. À la fin des années 1960, grâce à son chiffre
d’affaires, Fuller Brush est devenue (en dollars d’aujourd’hui) une
entreprise milliardaire3.
Qui plus est, le représentant Fuller est devenu un personnage de la
culture populaire aussi omniprésent que peut l’être Lady Gaga
aujourd’hui. Comment le grand méchant loup tentait-il de s’introduire
dans la maison des Trois petits cochons, le dessin animé de Disney
récompensé par un Academy Award en 1933 ? En se déguisant en
représentant Fuller Brush ! Et Donald Duck a pendant un temps gagné
sa vie en vendant des brosses Fuller.
En 1948, The Fuller Brush Man, une comédie loufoque avec Red
Skelton, alors un des plus grands noms de Hollywood, contait les
mésaventures d’un colporteur faussement accusé d’un crime. Il devait
laver son honneur, trouver le coupable, séduire la demoiselle et vendre
au passage quelques brosses pour stores vénitiens. Hollywood referait
pratiquement le même film deux ans plus tard, avec la même intrigue
mais sous le titre The Fuller Brush Girl. Le rôle-titre était joué cette fois
par Lucille Ball, une vedette encore plus célèbre que Skelton. Au fil du
temps, vous auriez pu rencontrer l’homme aux brosses Fuller non seu-
lement sur le seuil de votre demeure, mais aussi dans les dessins humo-
ristiques du New Yorker, les blagues des émissions de variétés ou les
paroles des chansons de Dolly Parton.
Le représentant Fuller accomplissait un travail de virtuose. « Pour
les connaisseurs du colportage à froid, l’art d’ouvrir les portes façon
Fuller est un peu comme une représentation du théâtre Bolchoï pour
les amateurs de ballet – de la poésie pure », écrivait American Heritage.
« Entre les mains d’un habile représentant de Fuller, les brosses n’étaient
pas seulement des articles ménagers de base, mais des outils spécialisés

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1 - Tous vendeurs à présent

introuvables ailleurs4. » Sa présence permanente dans les quartiers était


par ailleurs particulièrement appréciée, et ce, pour des motifs divers.
« Les hommes* aux brosses Fuller arrachaient des dents, massaient les
tempes douloureuses, aidaient les femmes à accoucher, administraient
des vomitifs contre les poisons, prévenaient les suicides, découvraient
des meurtres, aidaient à organiser des funérailles et conduisaient des
malades à l’hôpital5. »
Et puis, soudain, le représentant Fuller Brush, l’incarnation même
du vendeur du XXe siècle, a pratiquement disparu. Songez-y. Quelle est
la dernière fois qu’un agent commercial lesté d’une mallette d’échantil-
lons a sonné à votre porte ? En février 2012, The Fuller Brush Company
a demandé à bénéficier du régime du chapitre 11 de la loi américaine
sur les faillites. Et ce qui a suscité le plus d’étonnement, c’est que l’en-
treprise ait été encore là pour demander quelque chose.
Pourtant, tôt le matin, Norman Hall quitte son domicile de
Rohnert Park, en Californie, pour prendre un autobus qui le dépose
90 minutes plus tard au centre de San Francisco. Il commence sa tour-
née vers 9 h 30 et marche de 8 à 10 kilomètres, montant et descendant
les rues pentues de la ville. « Croyez-moi, m’a-t-il dit un jour où je
l’accompagnais, je connais tous les endroits plats et les meilleures
toilettes. »
À ses débuts, dans les années 1970, des dizaines de vendeurs de
brosses Fuller arpentaient San Francisco. Progressivement, leur nombre
s’est réduit. Aujourd’hui, Hall est seul. Quand il se présente comme un
représentant Fuller, les clients sont souvent étonnés. « Sans blague ? »
répon­dent-ils. Un après-midi où je l’accompagnais, Hall s’est présenté
à un quinquagénaire responsable de l’entretien dans un magasin de
vêtements. « Vraiment ? s’est écrié l’homme. Mon père vendait des

* L’agent Fuller était presque toujours un homme, même si l’entreprise, au lancement


d’une gamme de cosmétiques dans les années 1960, a recruté un bataillon de
vendeuses surnommées les Fullerettes.

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Convaincre au quotidien

brosses Fuller en Oklahoma ! » (Hélas, ce client potentiel n’a rien acheté,


même si Hall lui a fait remarquer que le balai posé dans un coin venait
de chez Fuller.)
Après 40 ans de collaboration, Hall a un stock d’articles Fuller dans
son garage, mais ses relations avec la société mère vacillante sont mini-
males. Il est à son compte. Ces dernières années, il a vu ses clients
s’évaporer, ses commandes baisser et ses profits rétrécir. Les gens n’ont
plus de temps à consacrer à un vendeur. Ils préfèrent commander en
ligne. Et puis, des brosses ? Qui s’en soucie ? Hall s’adapte : il a réduit le
temps dédié à la recherche de clients. À présent, il ne passe plus que
deux jours par semaine à trimballer son classeur en cuir dans le quartier
commerçant de San Francisco. Quand il posera sa dernière brosse en
soies de marcassin et raccrochera pour de bon son nœud papillon, il ne
sera pas remplacé. « Je ne pense pas que les gens aient encore envie de
faire ce genre de travail », m’a-t-il dit.
Deux mois après l’annonce de la faillite de Fuller, Encyclopædia
Britannica, qui avait bâti son succès sur le porte-à-porte, cessait de
produire des ouvrages imprimés. Un mois plus tard, Avon – dont les
vendeuses sonnaient autrefois aux portes de toutes les maisons du
monde, de Birmingham à Bangkok – limogeait son PDG et cherchait
son salut dans les bras d’un repreneur. Ces dégringolades, moins sur-
prenantes qu’inéluctables, apparaissent comme le dernier mouvement
du chœur des pleureuses qui, depuis des années, annonce la disparition
de la vente.
Cette chanson, qui évoque presque toujours la pièce d’Arthur Miller
Mort d’un commis voyageur (1949), dit à peu près ceci : dans un monde
où n’importe qui peut trouver n’importe quoi en quelques clics, les inter-
médiaires du genre colporteurs ne servent plus à rien. Ils ne font que
déranger les rouages du commerce en rendant les transactions plus lentes
et plus coûteuses. Les clients peuvent effectuer leurs propres recherches et
obtenir des conseils auprès de leur réseau social. Les grandes entreprises
sont en mesure d’optimiser leurs processus d’achat à l’aide de logiciels

24

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1 - Tous vendeurs à présent

perfectionnés qui mettent les vendeurs en concurrence pour obtenir le


prix le plus bas. De même que les rangs des employés de banque se sont
éclaircis à la suite de l’implantation des distributeurs automatiques de
billets et que les standardistes ont presque été supplantées par les com-
mutateurs numériques, vendeurs et vendeuses ne font pas le poids face
aux technologies contemporaines. Puisque nous utilisons de plus en plus
les sites web et les téléphones intelligents pour trouver et acheter ce dont
nous avons besoin, les vendeurs – et l’acte de vente lui-même – vont être
relégués dans les poubelles de l’histoire6.
Norman Hall est assurément le dernier de son espèce. Et Fuller
Brush Company aura peut-être disparu pour de bon avant que vous
tourniez la dernière page de ce livre. Toutefois, n’organisons pas les
funérailles trop vite. En réalité, ces avis d’obsèques en mémoire de la
vente et de ses praticiens sont à côté de la plaque. Ce qu’on écrira sur la
vente dans la deuxième décennie du XXIe siècle tiendra plutôt du faire-
part de naissance.

La renaissance d’un commis voyageur


Au fond d’un épais rapport semestriel de l’U.S. Bureau of Labor
Statistics sur la situation de l’emploi se cache un chiffre étonnant et
significatif : un Américain sur neuf travaille dans la vente.
Chaque jour, plus de 15 millions de personnes aux États-Unis
gagnent leur pain en essayant de convaincre quelqu’un de faire un
achat7. Ces gens sont agents immobiliers, représentants commerciaux
dans l’industrie, conseillers financiers. Ils vendent des avions aux com-
pagnies aériennes, des trains aux élus locaux, des automobiles aux aspi-
rants conducteurs qui font vivre plus de 10 000 concessionnaires dans
le pays. Certains d’entre eux travaillent dans des bureaux ultrachic avec
une vue magnifique, d’autres dans de sinistres bureaux à cloisons ornés
de dessins de Dilbert et de calendriers publicitaires. Tous vendent, que
ce soient des contrats de conseil à plusieurs millions de dollars ou des
abonnements à des magazines à 10 dollars.

25

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Convaincre au quotidien

Songez-y : l’économie industrielle des États-Unis, qui reste la plus


importante du monde, fabrique pour près de 2 000 milliards de dollars
de marchandises chaque année. Or, les États-Unis ont bien plus de ven-
deurs que d’ouvriers. Les Américains adorent se plaindre de leurs admi-
nistrations obèses, mais leurs représentants commerciaux sont cinq fois
plus nombreux que leurs fonctionnaires fédéraux. La fonction commer-
ciale du secteur privé américain emploie trois fois plus de monde que
l’administration des 50 États réunis. Si les vendeurs habitaient un seul
État, celui-ci arriverait au cinquième rang en matière d’importance8.

Figure 1.1 Emplois aux États-Unis par secteur et par métier


16
14
12
10
8
6
4
2
0
Administration Administration Industrie Commerce
fédérale des États
Source : Bureau of Labor Statistics, 2012. Nombre d’emplois, en millions.

On s’étonne que la plus grande économie de la planète compte tant


de vendeurs malgré les deux « séismes » de la dernière décennie : l’im-
plosion du système financier mondial et l’explosion d’un Internet
désormais à peu près omniprésent. Comme presque tous les autres
métiers, la vente a bien sûr été prise dans le courant baissier de la réces-
sion. Entre 2006 et 2010, quelque 1,1 million d’emplois ont disparu
aux États-Unis. Pourtant, même après cet épisode, le pire depuis un
demi-siècle, la vente reste la deuxième catégorie professionnelle aux

26

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1 - Tous vendeurs à présent

États-Unis (derrière les emplois de bureau et administratifs). Qui plus


est, selon les prévisions du Bureau of Labor Statistics, les États-Unis
vont créer près de deux millions de nouveaux emplois commerciaux
d’ici 2020. De même, Internet n’a pas eu les effets prédits par beau-
coup. Entre 2000 et 2013, période au cours de laquelle l’essor du haut
débit, des téléphones intelligents et du commerce en ligne a en principe
rendu la vente inutile, le nombre total d’emplois commerciaux a aug-
menté, et la proportion des vendeurs dans la main-d’œuvre américaine
est demeurée identique : un sur neuf 9.
Ce qui est vrai pour les États-Unis l’est pour le reste du monde. Au
Canada, par exemple, les « emplois commerciaux et de services », une
catégorie statistique plus large que celle des États-Unis, représentent un
peu plus de 25 % de la main-d’œuvre. En Australie, selon les données
de l’Australian Bureau of Statistics, environ 10 % des travailleurs sont
étiquetés « vendeurs ». Au Royaume-Uni, où les catégories statistiques
sont différentes, les emplois à composante commerciale (responsables
de comptes commerciaux et de développement d’affaires, vendeurs ou
conseillers en véhicules et en pièces détachées, etc.) totalisent à peu près
trois millions de personnes sur une trentaine de millions de travailleurs,
soit là encore environ 10 %. Pour l’ensemble de l’Union européenne, la
proportion est légèrement plus élevée10. Selon les données les plus
récentes et les calculs de l’agence européenne des statistiques Eurostat,
la vente occupe 13 % de ses 200 millions de travailleurs11.
Le Japon, de son côté, employait près de 8,6 millions de travailleurs
commerciaux en 2010, dernière année pour laquelle les données sont
accessibles. C’est-à-dire que, sur les 63 millions de travailleurs de la troi-
sième économie du monde, plus de un sur huit exerce dans la vente12.
Pour l’Inde et la Chine, pays plus grands mais aux marchés moins déve-
loppés, il est plus difficile d’obtenir des chiffres. La propor­tion de ven-
deurs y est probablement plus faible qu’en Amérique du Nord, en Europe
ou au Japon, en partie parce qu’un pourcentage élevé de leurs habitants
travaillent encore dans l’agriculture13. Mais ces pays deviennent plus
prospères ; des centaines de millions de leurs citoyens vont rejoindre la

27

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Convaincre au quotidien

classe moyenne, et le besoin de vendeurs va inévitablement s’accroître.


Pour ne citer qu’un exemple, McKinsey & Company prévoit que l’in-
dustrie pharmaceutique indienne, en plein essor, va multiplier le nombre
de ses représentants : ils devraient être 300 000 en 202014.
Ensemble, les chiffres montrent que, loin de perdre en volume et
en utilité, la vente demeure une partie robuste du marché du travail
dans le monde entier. Même si les économies avancées se sont transfor-
mées – moins de marchandises « en dur » et de travaux pénibles, plus de
services spécialisés et de travaux conceptuels –, le besoin de vendeurs
n’a pas disparu.
Mais ce n’est que le début de l’histoire.

L’essor du commercial sans vente


Dans le monde entier, les collaborateurs des agences statistiques font
partie des héros méconnus de l’économie moderne. Jour après jour, ils
collectent des masses de données puis les scrutent, les analysent et les
transforment en rapports à l’aide desquels leurs concitoyens compren-
dront ce qui se passe dans leur industrie, leur marché du travail, leur
vie. Pourtant, ces fonctionnaires appliqués sont bridés par leurs budgets,
par des considérations politiques et, surtout, par la nature même des
questions qu’ils posent.
L’idée qu’un travailleur sur neuf gagne sa vie comme vendeur peut
déjà paraître étonnante, mais je me suis demandé si elle ne masquait
pas une vérité encore plus intrigante. Ainsi, je ne suis pas un travailleur
commercial au sens des catégories statistiques. Or, comme indiqué
dans l’introduction, quand j’ai entrepris de décomposer ma journée de
travail, j’ai découvert que j’en consacrais une partie non négligeable à
la vente au sens large – persuader, influencer et convaincre autrui. Et je
ne suis pas le seul de mon espèce. Les médecins vendent un traitement
à leurs malades, les avocats vendent un verdict à des jurés, les ensei-
gnants vendent aux étudiants la valeur de l’attention qu’ils prêtent à
leurs cours, les entrepreneurs harcèlent les financiers, les romanciers
font les yeux doux aux éditeurs, les entraîneurs cajolent les joueurs.

28

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1 - Tous vendeurs à présent

Quelle que soit notre profession, nous faisons des exposés devant
des collègues et nous nous présentons à de nouveaux clients. Nous
tentons de convaincre le patron de desserrer un peu le budget ou la
direc­tion des ressources humaines d’allonger nos vacances. Or, les
statis­tiques publiées n’en montrent rien.
Il en va de même pour ce qui transparaît de l’autre côté de la fron-
tière floue entre travail et vie personnelle. Beaucoup d’entre nous
consacrent une partie de leur temps libre à vendre des objets faits main
sur Etsy, des causes humanitaires sur DonorsChoose, des projets déli-
rants sur Kickstarter, etc. Et, en nombre étonnant, avec une énergie
féroce, nous nous vendons nous-mêmes sur nos pages Facebook, nos
comptes Twitter et nos profils Match.com. (Rappelez-vous qu’aucune
des 6 entités que je viens de citer n’existait il y a 10 ans.)
Selon la vision traditionnelle du comportement économique, les
deux activités les plus importantes sont la production et la consom­
mation, mais aujourd’hui, une grande partie de nos agissements
semblent destinés à faire bouger autrui. C’est-à-dire à amener des gens
à céder certaines ressources – matérielles comme l’argent liquide ou
immatérielles comme les efforts ou l’attention  – afin d’obtenir ce qu’ils
veulent. Le problème, c’est qu’aucune donnée ne vient confirmer ou
infirmer cette supposition ; il faudrait pour cela poser des questions que
les agences statistiques ne posent pas.
J’ai voulu combler ce vide. En collaboration avec Qualtrics, une
société d’étude et d’analyse de données en plein essor, j’ai fait réaliser
une enquête pour tenter de quantifier le temps et l’énergie que les gens
consacrent à faire bouger autrui, en particulier au moyen de ce qu’on
pourrait appeler le commercial sans vente – la vente dans laquelle per-
sonne n’effectue d’achat.
Cette étude, intitulée What Do You Do at Work ? (Que faites-vous
au travail ?), visait large. À l’aide d’instruments élaborés, nous avons
rassemblé des données provenant de 9 057 personnes interrogées tout
autour du monde. Les statisticiens de Qualtrics ont passé en revue les

29

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Convaincre au quotidien

réponses, écarté les questionnaires invalides ou incomplets et étudié la


taille et la composition de l’échantillon pour voir à quel point il était
représentatif de la population. Il s’est avéré que le nombre de réponses
extérieures aux États-Unis était insuffisant pour en tirer des conclu-
sions statistiquement valables ; j’ai donc restreint une grande partie de
l’analyse à un échantillon ajusté de plus de 7 000 adultes travaillant à
plein temps aux États-Unis. La validité statistique des résultats est
compa­rable à celle des sondages effectués par les grandes firmes d’en-
quêtes en période électorale (ceux de Gallup, par exemple, portent clas-
siquement sur un millier de personnes15).
Au terme de l’analyse, 2 constats majeurs se sont imposés :
1. Aujourd’hui, les gens consacrent à peu près 40 % de leur temps
de travail au commercial sans vente – persuader, influencer et
convaincre autrui sans que cela implique un achat. Dans toute
une série de professions, on consacre à peu près 24 minutes par
heure à faire bouger autrui.
2. Les gens considèrent cet aspect de leur travail comme essentiel à
leur réussite professionnelle*.
Voici quelques détails sur nos découvertes :
Nous avons d’abord demandé aux personnes interrogées de réfléchir
à leurs deux dernières semaines de travail et à ce qui avait le plus occupé
leur temps. Grosse surprise : les courriels venaient en tête de liste, suivis
par les conversations en tête à tête et la participation à des réunions.
Nous les avons ensuite invitées à réfléchir davantage au contenu réel
de ces expériences. Nous leur avons présenté une série de réponses pos-
sibles en leur demandant : « Que ce soit par la messagerie électronique, le
téléphone ou au cours d’une conversation en personne, combien de
temps avez-vous consacré à chacune des tâches suivantes : traiter des

* Les résultats complets de cette enquête, ainsi que des informations sur sa méthodologie,
sont accessibles sur mon site web www.danpink.com/study (en anglais).

30

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1 - Tous vendeurs à présent

informations, vendre un produit ou un service, etc. ? » Les répondants


ont dit qu’ils passaient plus de temps à traiter des informations.
Cependant, non loin derrière, venaient trois activités qui se trouvent
au cœur du commercial sans vente. Près de 37 % des répondants disaient
consacrer une quantité de temps significative « à former, à coacher ou à
guider les autres », 39 % en disaient autant à propos de « servir les clients »,
et près de 70 % passaient une partie de leur temps « à persuader ou à
convaincre les autres ». Qui plus est, le commercial sans vente s’est avéré
bien plus répandu que la vente au sens traditionnel. Quand nous avons
demandé aux gens combien de temps ils passaient à « vendre un produit
ou un service », à peu près la moitié ont répondu : « Aucun. »
Glissée plus loin dans le questionnaire, une question visait à recouper
cette information et à valider la réponse antérieure. En déplaçant un
« curseur » sur une échelle de 0 à 100, les personnes interrogées devaient
répondre à cette question : « Quel pourcentage de votre travail consiste à
convaincre ou à persuader les gens de renoncer à quelque chose qui a de
la valeur pour eux en échange de quelque chose que vous avez ? »
Réponse moyenne de l’échantillon : 41 %. La composition de cette
moyenne est intéressante. Un groupe important citait des proportions
de l’ordre de 15 à 20 %, tandis qu’un groupe moins nombreux, mais
significatif, se situait dans une fourchette de 70 à 80 %. Autrement dit,
beaucoup d’individus passent une quantité appréciable de leur temps à
essayer de faire bouger autrui, et, pour certains, c’est l’essentiel de leur
travail. Bref, la plupart des gens sont des motivateurs, mais certains
sont des supermotivateurs.
Fait tout aussi important, presque tout le monde considérait cet
aspect comme un des facteurs essentiels à la réussite professionnelle.
Par exemple, la tâche qui prenait le plus de temps était « traiter les
informations ». Pourtant, dans la liste des tâches les plus vitales pour
bien faire leur travail, les répondants plaçaient plus haut « servir les
clients » et « instruire, coacher ou guider les autres ». Par ailleurs, même
si « défendre des idées » avait un rang assez bas dans la liste de leurs

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Convaincre au quotidien

occupations, plus de la moitié d’entre eux y voyaient une activité


impor­tante pour leur réussite.
Le graphique ci-dessous aide à comprendre la relation frappante
entre ce que les gens considèrent comme intéressant et ce qu’ils font réel-
lement. Sur l’axe vertical figure un indice pondéré, basé sur les réponses
au sondage, qui montre le degré d’importance attribué aux tâches de
commercial sans vente. Sur l’axe horizontal figure un indice également
basé sur les réponses au sondage, qui montre combien de temps les gens
consacrent réellement à ces tâches. Le graphique est partagé en deux par
une diagonale représentative d’une parfaite corrélation entre l’impor-
tance des tâches et le temps qu’on leur consacre. Toute activité placée
au-dessous de cette ligne occupe plus de temps que son importance le
justifie : il vaudrait sans doute mieux faire autre chose. Toute activité pla-
cée au-dessus de la ligne est si cruciale aux yeux des répondants qu’ils
feraient probablement mieux de lui consacrer davantage de temps.

Figure 1.2 La matrice temps-importance du commercial sans vente


5,00

4,50

4,00
Réponse moyenne
3,50

3,00
Importance

2,50

2,00

1,50

1,00

0,50

0,00
0,00 0,50 1,00 1,50 2,00 2,50 3,00 3,50 4,00 4,50 5,00
Temps

32

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1 - Tous vendeurs à présent

Voyons où se situe le commercial sans vente. Il se positionne haut


d’après le temps qu’on lui consacre, mais plus haut encore d’après son
importance. De plus, comme le montre le graphique à la page suivante,
qui ventile les réponses par classes d’âge, plus on est vieux (et plus on a
d’expérience, sans doute), plus on dit que faire bouger les autres occupe
son temps et détermine son succès.

Figure 1.3 La matrice temps-importance du commercial sans vente


(par classes d’âge)
5,00

4,50

4,00 65+
35-54 55-65
3,50 26-34
18-25
3,00
Importance

2,50

2,00

1,50

1,00

0,50

0,00
0,00 0,50 1,00 1,50 2,00 2,50 3,00 3,50 4,00 4,50 5,00
Temps

Le sondage What Do You Do at Work ? esquisse un portrait détaillé


des travailleurs du XXIe siècle dans le pays dont l’économie est la plus
importante du monde. D’après les statistiques précédentes, on savait
qu’un Américain sur neuf travaillait dans la vente. Ces nouvelles
données révèlent quelque chose d’encore plus étonnant : les huit autres

33

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Convaincre au quotidien

aussi. Eux aussi passent leurs journées à faire bouger autrui, et leur
prospérité dépend de l’efficacité avec laquelle ils y parviennent.
Qu’il s’agisse de vente traditionnelle ou de commercial sans vente,
nous sommes tous des vendeurs à présent. Sans le réaliser complète-
ment, chacun de nous fait ce que Norman Hall a fait pendant près d’un
demi-siècle et ce que ses prédécesseurs chez Fuller avaient fait pendant
plus d’un demi-siècle avant lui. Le commis voyageur n’est pas mort. Le
commis voyageur est vivant. Le commis voyageur, c’est nous.
Cela nous pousse à nous poser la question suivante : comment est-
ce arrivé ? Comment se fait-il que tant d’entre nous aient pour métier
de faire bouger autrui ?

34

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Chapitre 2

L’entreprise, l’élasticité
et l’Éd-méd

A
u chapitre 7, vous découvrirez ce qu’est un pitch Pixar. Issue
des travaux du célèbre studio d’animation hollywoodien, cette
technique consiste à présenter en peu de mots ce qu’on veut
démontrer, en se calquant sur la structure narrative d’un film Pixar.
Afin de prêcher par l’exemple un comportement que je conseillerai plus
loin, permettez-moi d’introduire ce chapitre par un pitch Pixar.
Il était une fois une société où seules certaines personnes exerçaient
un métier commercial. Chaque jour, elles vendaient ce que les autres
s’étaient chargés de fabriquer, et tous étaient contents. Un jour, le monde
a commencé à changer. De plus en plus de gens se sont mis à travailler
pour eux-mêmes et, par conséquent, ils sont devenus des vendeurs. Les
grandes entreprises, de leur côté, ont constaté que, dans un contexte éco-
nomique volatil, la segmentation des fonctions ne donnait pas de très
bons résultats. C’est pourquoi elles ont commencé à réclamer des com-
pétences élastiques transcendant les frontières habituelles et incluant une
composante commerciale. Pendant ce temps, l’économie elle-même se
transformait : en l’espace d’une décennie, des millions de personnes se
sont mises à travailler dans l’éducation et la santé – deux secteurs qui ont
pour objectif central de faire bouger autrui. Enfin, sans nous en aperce-
voir vraiment, nous sommes pour la plupart devenus des vendeurs.
Telle est l’histoire, à la base. Pour la comprendre plus en profon-
deur, parlons pickles.

35

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Convaincre au quotidien

L’entreprise
Brooklyn Brine prêterait aisément le flanc aux plaisanteries faciles.
Comme son nom l’indique (brine signifie « saumure »), cette entreprise
vend des pickles, c’est-à-dire des marinades artisanales de légumes, et
elle est installée à Brooklyn. Dans le vocabulaire de ses collaborateurs
abondent les expressions du genre « asperges à la lavan­de », « pousses
d’ail » ou « végétaro-blogueur ». Ce type d’entreprise – 1 patron, 10
salariés, 14 variétés de pickles – commence à faire partie intégrante de
l’économie contemporaine. Au passage, la vente sous toutes ses formes
prend une importance nouvelle. Brooklyn Brine incarne la première
des trois raisons qui expliquent pourquoi nous sommes de plus en plus
nombreux à exercer des fonctions commerciales : la montée en puis-
sance des créateurs de petites entreprises.
Quand on observe les distinctions entre les très grandes entreprises
et les très petites, on se concentre souvent sur les différences de degré.
Les premières, par définition, réalisent un chiffre d’affaires plus élevé,
comptent davantage de clients et de salariés. Mais les différences de
nature comptent tout autant. Ce qu’on fait dans une très petite entre-
prise est souvent foncièrement différent de ce qu’on fait dans une très
grande. En particulier, les grandes organisations privilégient souvent la
spécialisation. Une entreprise de deux personnes n’a pas besoin de
direction des ressources humaines. Une firme de 2 000 personnes ne
peut s’en passer. Dans les grandes entreprises, la vente est souvent une
fonction spécialisée – une direction, une division, une tâche confiée à
certaines personnes afin que leurs collègues puissent se consacrer à
autre chose. Mais les propriétaires de petites entreprises n’ont pas ce
luxe. Ils doivent porter plusieurs casquettes – souvent simultanément –,
y compris celle de vendeur.
Shamus Jones, fondateur de Brooklyn Brine, se qualifie lui-même
de « capitaliste malgré lui ». Il a commencé sa carrière comme cuisinier,
s’est lassé de la restauration et s’est lancé voilà trois ans. Déjà, il prépa-
rait des conserves de légumes en saison ; il en a fait une activité à plein

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

temps. Sans la moindre expérience de la production, de l’exploitation


ou de la gestion, il a commencé par tester des recettes de marinades
dans la cuisine d’un ami restaurateur, entre 22 h et 8 h.
Le bouche à oreille a fonctionné – on trouve à présent les bocaux de
Brooklyn Brine dans les rayons des épiceries de luxe des États-Unis et de
l’Asie –, si bien que Jones consacre aujourd’hui son temps à vendre ses
produits et à faire bouger autrui. Sept jours par semaine, il rencontre des
distributeurs, raconte l’histoire de son entreprise et tente de convaincre
les magasins de stocker ses produits. De retour à sa boutique-atelier, il
encourage les salariés afin qu’ils fassent leur travail avec zèle et compé-
tence. « Je veux que tout le monde soit heureux et mette du cœur à
l’ouvrage. » Il espère gagner de l’argent, mais ce n’est pas son seul but.
« Je désire avoir une entreprise honnête, qui fabrique un produit hon-
nête », dit-il. Pour cela, il faut, à parts égales, de la vente traditionnelle et
du commercial sans vente. Ainsi va la vie d’un petit patron. Au lieu de
faire une seule chose, il doit tout faire, notamment se démener pour
faire bouger les gens.
L’économie mondiale compte bien sûr de nombreux mastodontes
d’envergure planétaire – des groupes si colossaux qu’ils ressemblent plus
à des États qu’à des entreprises ordinaires. Cependant, au cours de la
dernière décennie, on a vu se multiplier les très petites entreprises – non
seulement celles qui, comme Brooklyn Brine, proposent des produits,
mais aussi de petits établissements d’une ou deux personnes qui vendent
des services et des compétences.
Considérez ceci :
• Selon les estimations de l’U.S. Census Bureau, l’économie amé-
ricaine compte 21 millions d’entreprises « non-employeurs » sans
un seul salarié. Leurs propriétaires exercent toutes sortes d’acti­
vités : électriciens, conseillers en informatique, graphistes…
Même si ces micro-entreprises ne représentent qu’une fraction
modeste du produit intérieur brut américain, elles constituent
aujourd’hui la majorité des entreprises aux États-Unis16.

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Convaincre au quotidien

• La société d’études IDC estime que 30 % des travailleurs améri-


cains sont aujourd’hui à leur compte et qu’en 2015, le nombre de
travailleurs non traditionnels dans le monde (indépendants, sous-
traitants, consultants, etc.) atteindra 1,3 milliard17. C’est en
Amérique du Nord que leur progression sera la plus rapide,
mais plus de 600 millions de nouveaux « solistes » devraient éclore
en Asie.
• Certains experts prévoient que, d’ici la fin de la décennie, il y
aura 65 millions de plus de créateurs d’entreprise indépendants
aux États-Unis et qu’ils seront majoritaires dans la main-d’œuvre
américaine en 2020. Cela tient notamment à l’influence de la
génération des 18-34 ans, qui affirme progressivement son rôle
économique. Selon une étude de la fondation Ewing Marion
Kauffman, 54 % de cette classe d’âge désire créer sa propre entre-
prise ou l’a déjà fait18.
• Dans 16 pays de l’Organisation de coopération et de développe-
ment économiques (OCDE), dont la France, le Mexique et la
Suède, plus de 90 % des entreprises comptent aujourd’hui moins
de 10 salariés. De plus, le pourcentage de gens qui sont « en phase
de création d’entreprise ou propriétaires-gérants d’entreprise nou-
velle » est bien plus élevé dans des pays comme la Chine, la
Thaïlande et le Brésil qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni 19.
• Au cours de notre enquête, nous avons posé une question de
contrôle relative aux micro-entreprises, libellée de manière à
couvrir les nombreuses personnes qui gagnent aujourd’hui leur
vie grâce à des sources multiples : « Travaillez-vous pour vous-
même ou dirigez-vous votre propre entreprise, même comme un
à-côté ? » La réponse de 38 % des personnes interrogées a été
affirmative.
Compte tenu de ces chiffres, « au lieu d’ouvrir des yeux ronds
devant ces branchés de Brooklyn qui font pickles de tout, on pourrait
voir en eux des précurseurs de… l’économie future », écrit Adam

38

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

Davidson, éditorialiste du New York Times Magazine20. Lawrence Katz,


de l’Université Harvard, peut-être le meilleur économiste du travail de
sa génération, partage cette opinion. Il prévoit que les emplois de la
classe moyenne de l’avenir ne seront pas ceux de salariés de grandes
organisations, mais ceux d’« artisans » autosuffisants21.
Qu’on les appelle artisans, propriétaires de micro-entreprises, tra-
vailleurs indépendants ou autoentrepreneurs, ces hommes et ces
femmes sont tout le temps en train de vendre. Ils mettent des pickles
dans des boîtes pour leurs clients, bien entendu, mais, comme ils sont
responsables de l’ensemble de leur entreprise, et pas seulement d’une de
ses facettes, ils doivent aussi convaincre des partenaires, négocier avec
des fournisseurs, motiver leurs salariés. Qu’ils soient dans l’épicerie
fine, le conseil juridique ou les services paysagers, leur métier consiste
vraiment à faire bouger autrui.
Cette évolution a une cause essentielle et plutôt paradoxale : les
technologies qui auraient dû rendre les vendeurs obsolètes ont trans-
formé beaucoup de gens en vendeurs. Considérez le marché en ligne
Etsy, destiné aux petites entreprises et aux artisans. Lancé en 2005
prati­quement sans investissement extérieur, il compte à présent plus de
875 000 boutiques en ligne actives, qui vendent pour plus de 400 mil-
lions de dollars de marchandises chaque année22. Avant l’apparition
d’Etsy, les créateurs d’objets artisanaux avaient du mal à rejoindre leurs
acheteurs, mais le web – cette technologie qui semblait destinée à sup-
planter les vendeurs – a renversé les barrières qui se dressaient devant
les créateurs de petites entreprises et leur a permis de vendre davantage.
Idem avec eBay. Pour quelque 750  000 Américains, ce site est
aujourd’hui une source de revenu primaire ou secondaire23.
Par ailleurs, il est devenu moins difficile de financer la création
d’une entreprise grâce à Kickstarter, où on peut afficher une présenta-
tion de son projet créatif – film, musique, arts graphiques, mode – et
essayer de vendre ses idées à des bailleurs de fonds. Depuis la création
de Kickstarter en 2009, quelque 1,8 million de personnes ont financé
20 000 projets en leur fournissant plus de 200 millions de dollars. En

39

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Convaincre au quotidien

trois ans seulement, Kickstarter est devenu le principal organisme de


financement de projets artistiques des États-Unis, devant l’agence
culturelle fédérale National Endowment for the Arts 24.
Si le web a permis l’éclosion de micro-entreprises en grand nombre,
il se pourrait qu’avant longtemps son impact global paraisse mince en
regard de celui du téléphone intelligent. « La révolution du smartphone
est sous-estimée », assure Marc Andreessen, le capital-risqueur qui a créé
le premier navigateur web au début des années 199025. Ces miniordina-
teurs portables sont assurément susceptibles de détruire certains aspects
de la vente. On peut s’en servir pour rechercher des produits, comparer
différents magasins, et ils permettent de se passer complètement des
vendeurs. Mais là encore, leur effet net est plus créateur que destructeur.
La technologie qui rend obsolètes certains types de vendeurs a trans-
formé en vendeurs potentiels un nombre de gens plus grand encore.
L’existence des téléphones intelligents a fait naître toute une écono-
mie des applications qui n’existait pas avant 2007, année où Apple a
livré ses premiers iPhone. Aujourd’hui, rien qu’aux États-Unis, la pro-
duction d’applications est à l’origine de près d’un demi-million d’em-
plois, la plupart créés par des « entrepreneurs poids coq26 ». De même,
de nouvelles technologies comme Square, créée par un des fondateurs
de Twitter, PayHere, issue d’eBay, ou GoPayment, d’Intuit, permettent
aux particuliers de recevoir plus facilement des paiements par carte de
crédit directement sur un appareil mobile : quiconque possède un télé-
phone peut devenir commerçant.
Les chiffres sont stupéfiants. « En 1982, il y avait 4,6 milliards de
personnes sur la Terre et pas un seul abonné au téléphone portable,
rappelle Technology Review, la revue du MIT. Aujourd’hui, pour 7 mil-
liards d’habitants, le monde compte 6 milliards d’abonnements au télé-
phone cellulaire27. » Cisco prévoit qu’en 2016 il y aura dans le monde
plus de téléphones intelligents (c’est-à-dire de miniordinateurs por-
tables) que d’êtres humains – 10 milliards au total28. Et une grande
partie de l’action se déroulera hors de l’Amérique du Nord et de l’Eu-
rope sous l’effet des « cultures à dominante jeune du Moyen-Orient et

40

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

de l’Afrique29 ». Quand chacun, pas seulement à Tokyo ou à Londres,


mais aussi à Tianjin ou à Lagos, transportera sa propre boutique dans
sa poche et ne sera qu’à un clic de toutes les autres boutiques de la pla-
nète, le fait d’avoir sa propre entreprise, au moins pour une partie de
son revenu, pourrait devenir la norme. Or, un monde d’entrepreneurs
est un monde de vendeurs.

L’élasticité
Considérons maintenant un autre dirigeant d’entreprise, Mike
Cannon-Brookes. Son entreprise, Atlassian, est plus ancienne et bien
plus grande que Brooklyn Brine. Mais ce qui s’y passe fait écho aux
activités de sa petite collègue et s’y rattache.
Atlassian conçoit ce qu’on appelle des « logiciels d’entreprise » : il
s’agit de grands progiciels complexes utilisés par les entreprises et les
administrations pour gérer des projets, suivre leur avancement et favo-
riser la collaboration entre salariés. Créée il y a une dizaine d’années par
Cannon-Brookes et Scott Farquhar dès leur sortie de l’Univer­sité de
Nouvelle-Galles du Sud en Australie, Atlassian compte à présent
1 200 clients (dont Microsoft, Air New Zealand, Samsung et les
Nations Unies) dans 53 pays. Son chiffre d’affaires s’est élevé à 100 mil-
lions de dollars l’an dernier mais, contrairement à la plupart de ses
concurrents, Atlassian l’a réalisé sans un seul vendeur.
Vendre sans force de vente semble confirmer le leitmotiv de la
« mort du commis voyageur », mais Cannon-Brookes, directeur général
de la société, voit les choses autrement. « Nous n’avons pas de vendeur,
m’a-t-il dit, parce que, bizarrement, nous sommes tous des vendeurs. »
C’est là la deuxième raison pour laquelle nous sommes tous vendeurs à
présent : l’élasticité – l’étendue inédite des compétences demandée par
les entreprises existantes.
Cannon-Brookes établit une distinction entre les « produits que les
gens achètent » et les « produits que les gens vendent », et il préfère les
premiers. Voyez par exemple comment se nouent les relations entre

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Convaincre au quotidien

Atlassian et ses clients. Chez la plupart des éditeurs de logiciels d’entre-


prise, les clients potentiels sont sondés par un représentant. Pas chez
Atlassian. Là, le plus souvent, les clients potentiels prennent l’initiative
en téléchargeant une version d’essai d’un produit de la société. Certains
d’entre eux appellent le service d’assistance d’Atlassian pour se rensei-
gner. Le personnel de ce service, contrairement aux forces de vente
traditionnelles, ne cherche pas à appâter ses interlocuteurs avec des
remises à saisir très vite, il ne les harcèle pas pour qu’ils souscrivent un
engagement de longue durée. Non, il se contente d’aider les gens à
comprendre le logiciel, sachant que cette assistance précieuse et élé-
gante peut déclencher l’achat chez les indécis.
Il en va de même pour les ingénieurs de la société. Leur travail
consiste bien sûr à créer d’excellents logiciels, mais pour cela, ils ne
peuvent se contenter de « pisser du code ». Ils doivent aussi découvrir
les besoins des clients, comprendre comment les produits sont utilisés
et bâtir quelque chose de si exceptionnel et de si passionnant qu’on
aura envie de l’acheter. « Nous essayons d’épouser une philosophie
selon laquelle toute personne qui est en contact avec le client est un
vendeur à part entière », explique Cannon-Brookes.
Bref, chez Atlassian, la vente – du moins dans sa forme tradition-
nelle – n’est le travail de personne. C’est le travail de tout le monde. Et
ce dispositif paradoxal devient de plus en plus courant.
Palantir est une entreprise encore plus importante. Installé à Palo
Alto, en Californie, et disposant de bureaux partout dans le monde, cet
éditeur conçoit des logiciels utilisés par les services de renseignement, les
militaires et les administrations judiciaires pour unifier et analyser leurs
données afin de combattre le terrorisme et la délinquance. Palantir a beau
vendre pour plus d’un quart de milliard de dollars de logiciels chaque
année, il n’a pas non plus de vendeurs. Il compte sur ce qu’il appelle des
« ingénieurs de l’avant ». Ces techniciens ne sont pas les créateurs
des produits de l’entreprise – du moins pas au début. Ils sont sur le ter-
rain, en contact direct avec les clients, et veillent à ce que les produits
répondent aux besoins de ceux-ci. Ailleurs, ce genre de travail – tenir la

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

main du client, s’assurer de sa satisfaction – incombe d’ordinaire à un


directeur de la clientèle ou à un autre envoyé de la direction commer-
ciale. Mais Shyam Sankar, qui dirige les ingénieurs de l’avant de Palantir,
oppose une objection assez crue à cette démarche : elle ne fonctionne pas,
m’a-t-il dit.
Il est plus efficace, assure Sankar, « de mettre de vrais informaticiens
sur le terrain ». Ces experts peuvent alors signaler aux ingénieurs du
siège ce qui fonctionne ou pas et suggérer de possibles améliorations du
produit. Ils peuvent régler immédiatement les problèmes du client – et
surtout commencer à en détecter de nouveaux, que le client n’aurait
pas encore rencontrés. Discuter des problèmes avec le client n’est pas de
la vente en soi, mais cela fait vendre, et cela oblige les ingénieurs à ne
pas se contenter de leurs compétences techniques. Pour les aider à
acquérir ce genre d’élasticité, la société ne leur propose pas de forma-
tion à la vente. Elle ne fait pas suivre à ses recrues un savant cursus
commercial. Elle leur demande simplement de lire deux livres. L’un est
un récit des attentats du 11 septembre, pour leur faire mieux saisir ce à
quoi s’expose un État incapable d’exploiter ses renseignements ; l’autre
est le guide d’improvisation théâtrale d’un professeur britannique, pour
leur faire comprendre l’importance d’un esprit délié et de compétences
souples*.
En bref, même les collaborateurs de grandes entreprises telles
qu’Atlassian ou Palantir doivent travailler comme Shamus Jones, le
fabri­cant de pickles. Cela dénote un changement significatif dans le
fonctionnement de l’économie. Du temps où les organisations étaient
très segmentées, les compétences tendaient à être fixes. Si on était
comptable, on faisait de la comptabilité. On n’avait pas à se soucier de
ce qui ne faisait pas partie de son domaine : des spécialistes s’en char-
geaient. Il en allait de même à l’époque où la conjoncture des affaires
était stable et prévisible. Dès le début du trimestre, ou même de l’année,

* On reparlera de ce livre et de la capacité d’improvisation au chapitre 8.

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Convaincre au quotidien

on savait quel genre de travail comptable on allait devoir assurer, et en


quelle quantité. Mais dans les 10 dernières années, les circonstances qui
avaient causé l’essor des compétences fixes ont disparu.
Une décennie de concurrence effrénée a obligé la plupart des entre-
prises à se transformer en renonçant à la segmentation au profit d’un
organigramme plat (ou, du moins, plus aplati). Elles abattent autant de
travail que naguère, sinon plus, mais elles le font avec des collabora-
teurs moins nombreux chargés de tâches plus variées. Et puis, les condi-
tions ambiantes, naguère prévisibles, sont devenues tumultueuses.
Régulièrement, des inventeurs armés de nouvelles technologies et des
concurrents venus de nulle part, appliquant des modèles économiques
originaux, viennent bousculer les entreprises et reconfigurer des indus-
tries entières. Research In Motion, fabricant du BlackBerry, est légen-
daire un jour et sur la touche le lendemain. La location de vidéos au
détail est une vache à lait jusqu’à ce que Netflix lui enlève presque tout
le marché. Lancé sur des montagnes russes infernales, le cycle des
affaires lui-même se retourne presque sans crier gare, dégringolant de
hauteurs vertigineuses pour plonger dans des gouffres insondables.
Un monde d’organisations plates et de conjoncture économique
tumultueuse – comme le nôtre – punit les compétences rigides et valo­
rise celles qui sont élastiques. La tâche quotidienne de chacun est
extensible et dépasse les délimitations fonctionnelles. Les concepteurs
analysent. Les analystes conçoivent. Les vendeurs créent. Les créateurs
vendent. Et le jour où arriveront de nouvelles technologies, où les
modèles économiques en vigueur s’effondreront, ces compétences
devront s’étendre à nouveau dans des directions différentes.
Si elles deviennent plus élastiques en général, les compétences
semblent toujours inclure une qualité particulière : celle de savoir faire
bouger autrui. Valerie Coenen, par exemple, travaille comme écologiste
des milieux terrestres dans un bureau d’études environnementales
d’Edmonton, en Alberta. Son travail exige des compétences techniques
pointues, mais ce n’est qu’un début. Elle doit aussi présenter des pro-
positions à des clients potentiels, faire connaître ses services et détecter

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

les problèmes que son entreprise et elle sont capables de résoudre. De


plus, m’a-t-elle dit, « je dois être en mesure de vendre mes services à
l’intérieur de l’entreprise ».
Prenez Sharon Twiss, qui vit et travaille dans l’Ouest canadien. Elle
exerce le métier de stratège du contenu et a entrepris de reconcevoir le
site web d’une grande organisation de Vancouver. Quelles que soient
les exigences formelles de son poste, elle m’a assuré ce qui suit : « Presque
tout ce que je fais implique de la persuasion. » Elle convainc « les chefs
de projet qu’il est prioritaire de régler tel ou tel problème du logiciel »,
elle cajole ses collègues pour qu’ils se conforment à la charte créative du
site, elle forme les fournisseurs de contenus « sur la manière d’utiliser le
logiciel et de respecter les bonnes pratiques » et se démène même pour
convaincre l’équipe d’aller déjeuner là où elle le souhaite. « Si l’intitulé
de votre poste ne vous confère pas de pouvoir ou d’autorité, vous êtes
obligé de trouver d’autres moyens pour vous faire entendre », explique-
t-elle. L’élasticité des compétences commence même à influencer l’inti-
tulé des postes.
Quant à Timothy Shriver Jr., c’est un des animateurs de The Future
Project, une association qui aide les élèves des écoles secondaires ayant
un projet intéressant en les mettant en relation avec des adultes capables
de les encadrer. Son travail couvre différents domaines – marketing,
médias numériques, stratégies, communication de marque, parte­
nariats. Mais, dit-il, « le point commun est de convaincre les gens de
bouger ». Il porte le titre de directeur du mouvement.
Même ceux qui se situent plus haut dans l’organigramme doivent
étendre leurs fonctions. J’ai par exemple demandé à Gwynne Shotwell,
présidente de la société de transport spatial privée Space Exploration
Technologies Corporation (SpaceX ), combien de jours par semaine la
vente était la principale de ses charges opérationnelles et managériales.
« C’est tous les jours qu’il faut vendre », m’a-t-elle répondu.

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Convaincre au quotidien

L’Éd-méd
Larry Ferlazzo et sa femme, Jan Judson, habitent Sacramento, en
Californie. Ils ne font pas mariner des concombres, ils ne « pissent pas du
code », mais eux aussi représentent l’avenir. Ferlazzo est professeur dans
une école secondaire, et Jan Judson est infirmière praticienne – c’est-à-dire
qu’ils travaillent dans un des secteurs professionnels qui se développent le
plus vite, aux États-Unis comme dans les autres économies avancées.
Regarder les emplois que les gens occupent est un bon moyen de
comprendre ce qui se passe dans le monde du travail. C’est ce que fait
l’U.S. Occupational Employment Statistics. Deux fois par an, cet orga-
nisme publie une analyse portant sur 22 grandes catégories profession-
nelles et près de 800 métiers précis. On peut aussi comprendre l’état
actuel et les perspectives futures de la main-d’œuvre en observant dans
quelles industries ces emplois naissent. Le rapport mensuel sur l’emploi
nous l’indique. Et il révèle une tendance très marquée.
Le graphique ci-contre montre comment l’emploi a évolué depuis
le début de ce siècle dans quatre secteurs : l’industrie manufacturière, le
commerce de détail, les services professionnels et spécialisés (qui com-
prennent les métiers du droit, la comptabilité, le conseil, etc.), ainsi que
les services éducatifs et médicaux.

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

Figure 2.1 Évolution des effectifs par secteur d’industrie


aux États-Unis (2000-2012)
22

20

18

16

14

12

10
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Éd-méd Services professionnels et spécialisés
Commerce de détail Industrie manufacturière
Source : Bureau of Labor Statistics, 2012. Nombre d’emplois, en millions.

L’emploi dans le secteur manufacturier recule depuis 40 ans ; pour-


tant, à la fin des années 1990, les États-Unis employaient plus de
monde dans ce domaine que dans les services professionnels et spécia-
lisés. Voilà une dizaine d’années, ces derniers ont pris le dessus, mais
leur ascension a été de courte durée, car un autre secteur s’est envolé
comme une fusée : les services éducatifs et médicaux – ce que j’appelle
l’Éd-méd  –, dont le domaine s’étend des assistants des collèges locaux
aux propriétaires de cours de préparation aux examens, et des conseil-
lers en génétique aux infirmières du milieu libéral. Aujourd’hui, ce sec-
teur est de loin celui qui emploie le plus de monde dans l’économie
américaine et qui se développe le plus vite dans le reste du monde. Aux
États-Unis, l’Éd-méd a créé plus de nouveaux emplois depuis 10 ans

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Convaincre au quotidien

que tous les autres secteurs réunis. Et dans les 10 prochaines années,
estiment les prévisionnistes, les emplois du domaine de la santé pro-
gresseront deux fois plus vite que tout autre secteur30.
À la base, la mission de l’Éd-méd est singulière. « En tant qu’ensei-
gnants, nous voulons faire bouger les gens », m’a dit Ferlazzo, professeur
d’anglais et de questions sociales dans la plus grande école secondaire
urbaine de Sacramento. « Faire bouger les gens constitue la plus grande
part de ce que nous accomplissons dans le milieu de la santé », ajoute
son épouse.
Quand on parle éducation et santé, on pense souvent à l’attention et
à d’autres vertus immatérielles, mais ces domaines ont plus en commun
qu’on le pense avec le monde rugueux de la vente. Bien vendre consiste à
convaincre une personne de se séparer de certaines ressources, non pour
l’en priver, mais pour améliorer sa situation. C’est aussi ce que fait, par
exemple, un bon professeur d’algèbre. En début d’année scolaire, les
élèves ignorent presque tout du sujet, mais l’enseignant s’efforce de
les convaincre de fournir certaines ressources – temps, atten­tion, efforts.
S’ils le font, ils s’en trouvent mieux à la fin de l’année.
« Je ne me suis jamais considérée comme une vendeuse, dit Holly
Witt Payton, professeure de sixième année en Louisiane. Pourtant, je
vends à mes étudiants l’idée qu’ils n’ont jamais rien vu d’aussi intéres-
sant que mon cours de science », ce dont elle est elle-même fermement
convaincue. Il en va de même dans le domaine de la santé. Un kinési-
thérapeute qui aide quelqu’un à se rétablir d’une blessure a besoin que
le patient apporte des ressources – là encore, du temps, de l’attention et
des efforts –, car, si douloureux que cela puisse être, il améliorera ainsi
sa santé davantage que s’il garde les ressources pour lui. « La médecine
met en jeu beaucoup de travail de vendeur », dit un interniste qui pré-
fère rester anonyme. Il me faut convaincre les gens de faire des choses
plutôt déplaisantes31. »
Bien entendu, enseigner et guérir ne sont pas la même chose que
vendre des balais électrostatiques pour les tapis. Les résultats sont

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

différents. Une population éduquée et en santé est un bien public, une


chose estimable en soi et profitable pour tous. On ne peut en dire
autant d’un balai électrostatique ou d’un camping-car rutilant. Le pro-
cessus peut être différent aussi. « Le problème, dit Ferlazzo, c’est que,
pour faire bouger les gens de façon appuyée et durable, nous devons
créer des conditions dans lesquelles ils peuvent bouger d’eux-mêmes. »
Ferlazzo établit une distinction entre « irritation » et « agitation ».
L’irritation, dit-il, c’est « pousser les gens à faire quelque chose que nous
désirons qu’ils fassent. [En revanche], l’agitation, c’est les inciter à faire
quelque chose qu’ils veulent faire. » Au cours de sa carrière, il a constaté
que « l’irritation, ça ne marche pas ». Cela peut être efficace à court
terme mais, pour faire bouger les gens pleinement et profondément, il
faut quelque chose de plus. On ne doit pas considérer l’élève ou le
patient comme un pion sur un échiquier, mais comme un participant
à part entière.
Ce principe, faire bouger autrui, repose sur une série de capacités
différentes, en particulier les qualités d’accordage, que j’explorerai au
chapitre 4, et la clarté, objet du chapitre 6. « Il s’agit de diriger avec mes
oreilles plutôt qu’avec ma bouche, dit Ferlazzo en plaisantant. Cela
signifie essayer de découvrir les objectifs personnels des gens et avoir
assez de souplesse pour orienter ce que nous faisons en fonction du
contexte. »
L’an dernier, par exemple, à la fin de son cours de neuvième année
sur les catastrophes naturelles, Ferlazzo a demandé à ses élèves de rédi-
ger une dissertation sur celles qu’ils considéraient comme les plus
désastreuses. L’un d’eux, que Ferlazzo appelle John, a refusé. Ce n’était
pas la première fois, d’ailleurs. Rebelle depuis son entrée à l’école, John
n’avait pas rédigé grand-chose, mais il espérait obtenir son diplôme.
Ferlazzo l’espérait aussi. Il l’a dit à John en l’avertissant que ses
chances étaient minces s’il était incapable de composer une disserta-
tion. « Au cours d’une conversation précédente, il m’avait dit qu’il fai-
sait partie de l’équipe de football et qu’il adorait ce sport, raconte

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Convaincre au quotidien

Ferlazzo. Je lui ai demandé quelle était son équipe favorite. Il a paru un


peu décontenancé tant la question paraissait hors sujet ; apparemment,
il s’attendait plutôt à ce que je lui passe un savon. “Les Raiders”, m’a-t-
il répondu. D’accord. Et celle que tu aimes le moins ? “Les Giants.” »
Ferlazzo lui a alors demandé de rédiger une dissertation sur le
thème suivant : pourquoi les Raiders sont-ils meilleurs que les Giants ?
John s’est pris au jeu, a posé des « questions sensées et pratiques » et a
rendu un texte « convenable ». Puis il a demandé à rédiger une autre
dissertation, sur le basket-ball cette fois, pour compenser les travaux
dont il s’était dispensé jusque-là. Ferlazzo a acquiescé. John a rendu un
texte très honorable.
« Plus tard dans la semaine, au cours d’une réunion entre parents et
professeurs, la mère de John s’est mise à pleurer quand je lui ai montré
les deux dissertations. Elle a dit qu’il n’en avait jamais écrit une seule
auparavant », en neuf années de scolarité. Ferlazzo expli­que avoir « uti-
lisé l’agitation pour lancer un défi à John en l’incitant à décrocher son
diplôme de fin de scolarité, et ouvert les oreilles pour apprendre qu’il
s’intéressait au football ». Son but n’était pas d’obliger John à écrire sur
les catastrophes naturelles, mais de l’aider à améliorer ses capacités de
rédaction. Il a convaincu John de fournir des ressources – amour-
propre et efforts –, ce qui l’a aidé à bouger de lui-même.
Pour Mme Ferlazzo, pendant « méd » de cet « Éd », quelque chose de
similaire se produit avec ses patients. « Selon le modèle du milieu de la
santé, c’est nous les experts. Nous débarquons pour dire aux gens quoi
faire. » Au fil du temps, elle a constaté, et tant l’expérience que l’obser-
vation le confirment, que cette approche avait ses limites. « Nous
devons prendre un peu de recul et convaincre les patients de faire
quelque chose, m’a-t-elle dit. D’ordinaire, ils se connaissent mieux que
nous les connaissons. » Afin que les gens bougent d’eux-mêmes, elle
leur déclare donc : « J’ai besoin de vos compétences. » Les patients gué-
rissent mieux et plus vite s’ils interviennent dans le processus.

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2 - L’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd

La santé et l’éducation tournent l’une et l’autre autour du commer-


cial sans vente : la capacité d’influencer et de modifier les compor­
tements tout en trouvant un équilibre entre ce que les autres désirent et
ce qu’on peut leur fournir. La prépondérance croissante de ce double
secteur pourrait avoir un effet transformateur. Imaginée par le roman-
cier Upton Sinclair en 1910 et popularisée 40 ans plus tard par le
socio­logue Charles Wright Mills, l’expression « col blanc » s’est imposée
chez les experts comme dans le grand public. Aujourd’hui, alors que
des populations vieillissantes réclament plus de soins et qu’une écono-
mie complexe requiert plus de savoirs, un nouveau type de travailleur
apparaît. Nous pourrions entrer dans une économie de « blouse
blanche-craie blanche32 » dominée par le secteur de l’Éd-méd, où on
gagne sa vie essentiellement en faisant bouger autrui.
Cela signifie-t-il que votre métier est aussi de faire bouger autrui – que
l’entreprise, l’élasticité et l’Éd-méd vous ont transformé en vendeur à votre
insu ? Pas nécessairement. Pour le savoir, posez-vous ces 4  questions :
1. Gagnez-vous votre vie en essayant de convaincre autrui d’acheter
des biens ou des services ? Si vous avez répondu oui, vous êtes
dans la vente (vous le saviez probablement déjà). Si vous avez
répondu non, passez à la question 2.
2. Travaillez-vous pour vous-même ou dirigez-vous votre propre
affaire, même comme un à-côté ? Si c’est le cas, vous êtes dans la
vente – probablement un mélange de vente traditionnelle et de
commercial sans vente. Sinon, passez à la question 3.
3. Votre travail requiert-il des compétences élastiques – une capa-
cité à dépasser les délimitations des postes et des fonctions, à
intervenir en dehors de votre spécialité et à accomplir des choses
diverses et variées tout au long de la journée ? Si c’est le cas, vous
êtes presque certainement dans la vente – principalement le
commercial sans vente, peut-être mélangé à la vente tradition-
nelle, selon les moments. Sinon, passez à la question 4.

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Convaincre au quotidien

4. Travaillez-vous dans l’éducation ou la santé ? Si c’est le cas, vous


êtes dans la vente – le meilleur des mondes du commercial sans
vente. Sinon, et si vous avez répondu non aux trois premières
questions, vous n’êtes pas dans la vente.
Où vous situez-vous ? J’imagine que vous vous positionnez là où je
me suis moi-même retrouvé et que vous êtes tout étonné de faire partie
d’un secteur que vous ne pensiez pas être le vôtre. J’imagine aussi que
cela vous met mal à l’aise. Nous avons vu des films, comme Glengarry
ou Les filous, où la vente a pour moteur la cupidité et pour moyen la
tromperie. Nous avons subi les torrents verbaux de vendeurs à la com-
mission qui nous pressaient de signer sur la ligne pointillée. La vente,
même sous un vernis futuriste du genre « commercial sans vente »,
traîne une sale réputation. Si vous ne me croyez pas, nous allons en voir
une image dans le prochain chapitre.

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Chapitre 3

Du caveat emptor
au caveat venditor

Q u’est-ce que les gens pensent vraiment de la vente ? Pour le


savoir, j’ai fait appel à une méthode efficace qu’on n’utilise pas
assez : je le leur ai demandé. Dans le cadre de l’enquête What
Do You Do at Work ?, j’ai posé la question suivante aux personnes inter-
rogées : « Quand vous pensez à la vente et au fait de vendre, quel est le
premier mot qui vous vient à l’esprit ? »
La réponse la plus courante a été « argent », et les 10 réponses les
plus fréquentes comprenaient des mots comme « argumentaire », « mar-
keting » et « persuasion ». Une fois la liste passée au peigne fin pour en
retirer les noms communs, pour la plupart synonymes neutres de
« vendre », un tableau intéressant est apparu.
Ce que vous voyez à la page suivante est un nuage de mots, une
représentation graphique des 25 adjectifs et interjections les plus sou-
vent cités par les gens à qui on demandait de penser à « vente » et à
« vendre ». La taille de chaque terme représente le nombre de répondants
qui l’ont utilisé. « Insistant », par exemple, était le mot le plus fréquent
parmi les adjectifs et les interjections (et le quatrième mot le plus cité
globalement), d’où sa taille impressionnante. « Lèche-bottes », « essen-
tiel » et « important » sont plus petits, car ils ont été mentionnés moins
souvent.

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Convaincre au quotidien

Figure 3.1 Qualificatifs les plus cités

Obséquieux
Stimulant Malcommode Agaçant
Nécessaire Beurk ! Malhonnête

InsistantDur
Pénible Lèche-bottes

Essentiel
Faux Amusant
Manipulateur
Important
Moche Inquiétant

Hem !
Pouah !
Coriace
Louche
Ennuyeux Agressif
Gênant

Les adjectifs et les interjections peuvent révéler les attitudes des


gens, car ils ont souvent une composante émotionnelle dont les noms
sont dépourvus. La tonalité générale des sentiments déclenchés par les
mots « vente » ou « vendre » est claire. Sur les 25 mots, 5 seulement ont
une valence positive (« nécessaire », « stimulant », « amusant », « essen-
tiel » et « important »). Les autres, tous négatifs, se partagent en deux
camps. Quelques-uns évoquent la gêne suscitée par la vente (« coriace »,
« difficile », « dur », « pénible »), mais la plupart sont de l’ordre du dégoût.
Des mots comme « insistant » et « agressif » figurent en bonne place,
environnés d’une bordée d’adjectifs suggérant la tromperie : « obsé-
quieux », « lèche-bottes », « malhonnête », « manipulateur », « faux ».
Ce nuage de mots, une IRM linguistique de notre cerveau au
moment où il pense à la vente, renvoie une image très courante. La
vente nous met mal à l’aise et nous dégoûte un peu (« bah ! », « pouah ! »,
« hem ! »), en partie parce que nous croyons que ses pratiques tournent
autour de la duplicité, de la dissimulation et des arrière-pensées.
Pour mieux apprécier les impressions des gens, j’ai posé une ques-
tion complémentaire adaptée à ceux qui raisonnent visuellement :
« Quand vous pensez à la vente ou au fait de vendre, quelle est la

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

première image qui vous vient à l’esprit ? » (Les personnes interrogées


devaient décrire cette image en moins de six mots.) À mon grand éton-
nement, les réponses ont, dans une proportion écrasante, pris une
forme bien nette. On imaginait un homme en costume qui vendait une
voiture, le plus souvent d’occasion. Voici le nuage de mots formé par
les 25 réponses les plus fréquentes.
Figure 3.2 Réponses les plus fréquentes

Vendeur de voitures Agressif Téléphone


Vendeur en porte-à-porte
malin Cravate
Sociable
Requin
Louche extraverti
Sourire Homme
Bavard
Agaçant
Argent
Automobile d’occasion Automobile
Willy Loman

Poignée de main

Vendeur de voitures d’occasion


Professionnel

Insistant Homme en costume


costume
Mallette

Les cinq réponses les plus courantes, et de loin, étaient : « vendeur de


voitures », « costume », « vendeur de voitures d’occasion », « homme en
costume » et notre vieil ami « insistant ». (Dans les 10 premiers termes
figuraient aussi « automobile » et « automobile d’occasion ».) L’image for-
mée dans l’esprit des répondants était uniformément masculine. Le mot
« homme » fait partie des 25 premiers. Très peu de gens utilisaient la
forme neutre [en anglais, salesperson], et personne n’employait le mot
« vendeuse » [saleswoman]. De nombreux répondants insistaient sur la
sociabilité des vendeurs – « sociable », « extraverti » et « bavard » figurent
parmi les 25 mots les plus fréquents. D’autres recouraient à des images
métaphoriques ou littéraires, comme « requin » et « Willy Loman* ». Là

* Personnage principal de la pièce d’Arthur Miller Mort d’un commis voyageur.


(NdT)

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Convaincre au quotidien

encore, certaines personnes ne pouvaient s’empêcher de proposer des


adjectifs comme « malin », « louche » et « agaçant ».
Pris ensemble, ces deux nuages de mots peuvent nous aider à
dégon­fler un des mythes les plus increvables sur la vente sous toutes ses
formes. Les croyances incorporées dans la première image – la vente est
dégoûtante, car trompeuse – ne sont pas tant intrinsèquement fausses
que déplorablement désuètes. Un bon moyen pour s’en rendre compte
est de décomposer les couches de cette image.

Les « citrons » et autres sujets de mécontentement


En 1967, dans un article de 13 pages fondé sur la théorie économique
et sur une poignée d’équations, George Akerlof, alors professeur de
première année d’économie à l’Université de la Californie à Berkeley, a
entrepris d’expliquer un domaine du monde commercial où peu d’éco-
nomistes avaient osé s’aventurer : le marché de l’automobile d’occasion.
Les deux premiers journaux académiques auxquels le jeune ensei­gnant
a soumis son texte l’ont rejeté en prétextant qu’ils « ne publiaient pas
d’articles sur des sujets aussi triviaux33 ». Le troisième en a fait autant,
mais pour une raison différente. Ses relecteurs ne reprochaient pas à
l’analyse d’être triviale, mais d’être fausse.
Deux ans après son achèvement, l’article a finalement été accepté et
publié en 1970 par le Quarterly Journal of Economics. Intitulé « The
Market for “Lemons”  : Quality Uncertainty and the Market
Mechanisms » (« Le marché des “citrons” : incertitude sur la qualité et
mécanismes de marché »), le texte d’Akerlof allait devenir un des articles
d’économie les plus cités des 50 dernières années. Il a valu un prix
Nobel à son auteur en 2001.
Akerlof y mettait en évidence une faiblesse du raisonnement écono-
mique traditionnel. La plupart des analyses partent du principe que les
parties d’une transaction quelconque sont des acteurs pleinement infor-
més qui prennent des décisions rationnelles conformément à leur inté-
rêt personnel. Le domaine en plein essor de l’économie comportementale

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

a depuis lors remis en question la seconde partie de ce postulat, à savoir


que nous prenons des décisions rationnelles conformes à notre intérêt.
Akerlof s’est penché sur la première partie – le fait que nous sommes
pleinement informés. Il a choisi le marché de l’automobile d’occasion
comme « galop d’essai pour illustrer et améliorer34 » ses idées.
Les voitures à vendre, dit Akerlof, en simplifiant à l’extrême dans
un souci de clarification, appartiennent à deux catégories : les bonnes et
les mauvaises. Les mauvaises, que les Américains appellent lemons (et
les francophones, « poubelles », « tacots », « citrons », etc.), sont évidem-
ment moins désirables que les bonnes et devraient coûter moins cher.
Le problème avec les voitures d’occasion est que seul le vendeur sait de
quelle catégorie elles relèvent. Les deux parties rencontrent « une asy-
métrie des renseignements accessibles35 ». L’une est totalement infor-
mée, l’autre est au moins partiellement dans l’obscurité.
Les renseignements asymétriques engendrent toutes sortes de tra-
cas. Puisque le vendeur en sait beaucoup plus que l’acheteur sur le
produit, le client nourrit des soupçons légitimes. Que cache le ven-
deur ? Suis-je en train de me faire avoir ? Si la voiture est bonne à ce
point, pourquoi n’en veut-il plus ? Par conséquent, il n’acceptera proba-
blement qu’un prix très bas – il renoncera peut-être même carrément à
son achat.
Selon l’hypothèse d’Akerlof, le problème peut s’amplifier.
Supposons que je possède une automobile, que je sais qu’elle est en
parfait état et que je décide de la vendre. Les acheteurs me traiteront
d’emblée comme si je cherchais à leur refiler un tas de ferraille. Qu’est-ce
qu’il nous cache ? Essaie-t-il de nous embobiner ? Si la voiture est excel-
lente, pourquoi s’en débarrasse-t-il ? En tant que vendeur, je finirai
donc par accepter un prix inférieur à la valeur réelle de la voiture. Ou
alors, j’abandonnerai et je n’essaierai même plus de la vendre. « Les
transactions malhonnêtes tendent à évincer du marché les transactions
honnêtes, notait Akerlof. Les gens qui veulent faire passer de mauvaises
marchandises pour des bonnes portent un coup dur aux activités légi-
times. » Et cela n’est pas seulement vrai des automobiles, disait-il : le

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Convaincre au quotidien

même raisonnement vaut pour l’assurance, le crédit, le travail. Quand


les vendeurs honnêtes renoncent, seuls restent les charlatans, les
individus insistants qui portent cravate, mais qui recourent à des trucs
louches pour vendre leurs tas de ferraille.
Bien entendu, les particuliers et les institutions ont imaginé des
moyens de rendre le paysage commercial d’Akerlof moins dissuasif. Les
vendeurs proposent des garanties sur leurs marchandises. Les marques
fournissent une certaine garantie de qualité. Les législateurs adoptent
des lois antitromperie pour protéger les consommateurs. Et surtout, les
candidats à l’achat sont sur leurs gardes. Quand les vendeurs en savent
plus que les acheteurs, ceux-ci doivent se méfier. Ce n’est pas un hasard
si en Amérique, en Europe et en Asie nos contemporains ne connaissent
souvent que deux mots de latin : caveat emptor – à l’acheteur de faire
attention. Dans un monde de renseignements asymétriques, c’est le
principe directeur.
La réflexion dérangeante d’Akerlof a transformé la manière dont les
économistes et les gens en général considèrent les transactions indi­
viduelles et les marchés. En gardant cet exemple comme modèle,
essayons un autre « galop d’essai » intellectuel. Imaginons un monde où
l’asymétrie d’information céderait la place à une plus grande parité, où
acheteurs et vendeurs disposeraient d’un accès à peu près égal aux ren-
seignements pertinents. Que se passerait-il alors ? Inutile de chercher à
imaginer un tel monde : c’est celui dans lequel vous vivez.
Revenons aux voitures d’occasion. Aux États-Unis, l’automobiliste
qui désire acheter, par exemple, une Nissan Maxima d’occasion peut
obtenir toutes sortes de données avant même de contacter un vendeur. Il
peut trouver dans Internet la plupart des endroits où ce modèle est offert
dans un certain rayon autour de son domicile, ce qui élargit son choix. Il
peut faire appel à son réseau social ou consulter des sites web pour
connaître la réputation de tel ou tel vendeur et savoir si les clients précé-
dents de ce dernier sont satisfaits. Si le vendeur est un particulier, il suffit
d’une quinzaine de minutes et d’un moteur de recherche pour faire le
point sur sa bonne foi. Grâce à des forums en ligne, l’acheteur potentiel

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

peut savoir ce que les propriétaires de Maxima pensent de ce modèle. Des


services comme Kelley Blue Book, Edmunds.com ou AutoTrader.com*
permettent de connaître la cote des Maxima d’occasion.
Une fois que l’acheteur a trouvé une automobile qui lui plaît, une
recherche rapide en ligne sur son numéro d’immatriculation lui dit si
elle a subi des accidents ou de grosses réparations. Bien entendu, cela
ne le protège pas totalement contre les vendeurs incorrects mais, s’il est
exposé à des méthodes malhonnêtes ou s’il fait une mauvaise affaire, il
ne se contentera pas de le dire à son voisin. Il pourra en faire part à
quelques centaines d’amis Facebook, à tous ses suiveurs Twitter et aux
lecteurs de son blogue – dont certains diffuseront peut-être son histoire
sur leurs propres réseaux. La capacité de nuisance du vendeur s’en trou-
vera donc réduite.
Bref, les acheteurs d’aujourd’hui ne sont pas « pleinement infor-
més » au sens idéal supposé par de nombreux modèles économiques,
mais ce ne sont plus des victimes sans défense de la dynamique des
rensei­gnements asymétriques. Par conséquent, le premier nuage de
mots n’est pas faux, mais il est dépassé. L’opinion selon laquelle le
vendeur est obséquieux, malin et louche découle moins de la nature de
l’activité que des conditions dans lesquelles on l’exerçait, conditions
qui ont longtemps régné mais qui sont en train de disparaître.
L’équilibre s’est inversé. Si vous êtes un acheteur et si vous disposez
d’autant de données que le vendeur, mais aussi de moyens de riposte,
vous n’êtes plus le seul à devoir vous méfier. Dans un monde de parité
de l’information, le principe directeur est caveat venditor – au vendeur
de faire attention.

* Au Québec, on consulterait plutôt un site comme www.auto123.com.


(Note de l’éditeur)

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Convaincre au quotidien

Le meilleur vendeur du monde


Joe Girard semble parachuté directement du second nuage de mots. Il
est prêt à faire le nécessaire pour vous asseoir au volant d’une Chevrolet
Malibu cet après-midi même. Le meilleur vendeur du monde, c’est lui.
Je le sais parce qu’il me l’a dit. Il m’a ensuite fait parvenir un extrait du
Livre Guinness des records qui en témoigne, confirmé par un grand cabi-
net comptable. En une seule année, il a vendu 1 425 automobiles chez
Merollis Chevrolet à Detroit. Et pas par lots entiers : ce sont des ventes à
l’unité, en face à face – plusieurs voitures chaque jour pendant toute une
année. C’est un succès remarquable. Comment Joe Girard s’y prend-il ?
Son livre How to Sell Anything to Anybody (« Comment vendre
n’importe quoi à n’importe qui ») – « 2 millions d’exemplaires ! » pro-
clame la couverture – dévoile des secrets qu’il partage aussi avec les
auditeurs de ses conférences dans le monde entier. « Mon système fonc-
tionnera pour vous, je vous le garantis, à condition de le connaître et de
l’appliquer36 », promet-il.
Le morceau de choix est la « règle de Girard, ou règle des 250 »,
selon laquelle chacun de nous connaît 250 personnes assez bien pour
les inviter à un mariage ou à des obsèques. Si vous contactez un indi-
vidu, si vous lui plaisez et s’il vous achète quelque chose, il vous mettra
en relation avec les autres membres de son cercle de 250 personnes.
Certaines de celles-ci en feront autant, et ainsi de suite, en une cascade
d’influence toujours plus large. Girard nous conseille de « remplir les
sièges de la grande roue » avec autant de gens que possible, de les laisser
descendre un peu après leur achat puis de les transformer en « rabat-
teurs » en leur versant 50 $ chaque fois qu’ils nous adressent un nouveau
client. « Une Chevrolet vendue par Joe Girard n’est pas une simple
automobile, écrit-il. C’est l’entièreté d’une relation entre moi, le client,
sa famille, ses amis et ses collègues37. »
Hélas, bon nombre des techniques conseillées par Girard pour ins-
taurer cette relation méritent les adjectifs de notre premier nuage de
mots. Par exemple, si les clients potentiels disent être allés quelque part

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

en vacances, Girard affirme y être allé aussi. « Où que l’autre soit allé, je
déclare m’y être rendu, même si je n’ai jamais entendu parler de cet
endroit, écrit-il. Beaucoup de gens, des millions peut-être, ont entendu
parler de moi. Et des milliers ont été mes clients. Ils pensent en savoir
beaucoup sur moi parce que j’en sais beaucoup sur eux. Ils croient que
j’ai visité le parc national de Yellowstone, que j’ai pêché le saumon près
de Traverse City au Michigan, que j’ai une tante qui habite à côté de la
base aérienne de Selfridge38. » Faites votre choix : « malhonnête »,
«   lèche-bottes » ou « hem… ».
Girard décrit par ailleurs en 3 paragraphes, longs mais particulière-
ment intéressants, un de ses trucs favoris pour joindre des clients poten-
tiels ex abrupto. Il commence par composer un numéro pris dans
l’annuaire.
1. Une femme répond au téléphone. « Bonjour, Mme Kowalski. Ici
Joe Girard, de Merollis Chevrolet. Je voulais vous dire que la
voiture que vous avez commandée est prête. » N’oubliez pas :
c’est un appel spontané. Tout ce que je connais, c’est le nom de
la personne, son adresse et son numéro de téléphone. Cette
Mm  Kowalski ne voit pas de quoi je parle. « J’ai peur que vous
n’ayez composé un mauvais numéro, nous n’avons pas com-
mandé d’automobile », me dit-elle. « Vous en êtes sûre ? » dis-je.
« Tout à fait sûre. Mon mari me l’aurait dit. » « Attendez un ins-
tant. Je suis bien chez Clarence J. Kowalski ? » « Non, mon mari
s’appelle Steven. » « Oh ! Je suis désolé de vous avoir dérangée.
Vous êtes sûrement très occupée. »
Girard continue à la faire parler afin de trouver comment
l’appâter.
2. « Mme Kowalski, vous n’avez pas l’intention d’acheter une voi-
ture, n’est-ce pas ? » Si elle sait que son mari et elle ont le projet
de le faire, elle va probablement me le dire. Cependant, la
réponse habituelle est : « Je ne crois pas, mais il faudrait deman-
der à mon mari. » Et voilà, c’est ce que je cherchais. « Quand

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Convaincre au quotidien

pourrai-je lui parler ? » Elle va me répondre qu’il revient vers


18 h. OK, j’ai eu ce que je voulais. « Très bien, Mme Kowalski, je
rappellerai à ce moment-là, si vous êtes sûre que ça ne vous
dérangera pas au cours de votre souper. » J’attends qu’elle me
dise qu’ils ne mangent pas avant 18 h 30, puis je la remercie.
Girard passe alors à l’étape suivante.
3. Vous voyez ce que vais faire à 18 h. « Bonsoir, M. Kowalski, ici Joe
Girard, de Merollis Chevrolet. J’ai parlé à votre femme ce matin, et
elle m’a suggéré de rappeler maintenant. Je me demandais si vous
vous apprêtiez à acheter une nouvelle Chevrolet. » « Non, pas pour
le moment », répond-il. Alors je demande : « Quand commencerez-
vous à réfléchir à l’achat d’une nouvelle voiture, selon vous ? » Je
pose la question franchement, et il va me donner une réponse.
Peut-être voudra-t-il seulement se débarrasser de moi, mais ce qu’il
dira sera probablement la vérité, car c’est plus facile que de trouver
un mensonge. « Je pense que j’aurai besoin d’une voiture dans six
mois à peu près », déclare-t-il. Je termine en disant : « Très bien, M.
Kowalski. Je reprendrai contact avec vous à ce moment-là. À pro-
pos, qu’avez-vous comme voiture en ce moment ? » Il me le dit, je
le remercie et je raccroche39.
Girard note dans son fichier le nom de M. Kowalski et dans son
agenda le moment de le rappeler, puis passe au nom suivant de sa liste.
« Il y a beaucoup de Kowalski, si vous cherchez un peu », écrit-il40.
Le fait que Girard ait trouvé suffisamment de Kowalski pour deve-
nir le meilleur vendeur du monde – et qu’il continue à enseigner la
vente – semble montrer que l’asymétrie d’information et les tactiques
honteuses qu’elle permet sont loin d’avoir disparu. Cependant, il y a
encore une chose qu’il faut savoir sur Joe Girard. En réalité, il n’a pas
vendu une seule voiture depuis 1977. Il a quitté le métier voilà plus de
30 ans pour enseigner aux autres ses méthodes de vente. (Le rapport
d’audit de Deloitte & Touche certifiant ses réalisations envoyé par son

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

secrétariat est daté de 1991 et couvre une période de 15 ans qui com-
mence en 1963.)
Les techniques de Girard étaient peut-être brillantes au milieu des
années 1970 mais, 40 ans plus tard, elles ont une odeur de vieille boîte
oubliée au grenier. De nos jours, Mme Kowalski travaille. L’affichage du
numéro de l’appelant prévient les intrusions téléphoniques. Et si un
vendeur réussit à contourner les dispositifs de défense d’une personne,
celle-ci le remettra vite à sa place ; peut-être cherchera-t-elle ensuite son
nom sur Google et signalera-t-elle à ses amis Facebook l’appel impor-
tun qu’elle a reçu.
J’ai joint Girard par téléphone* un après-midi afin de lui demander
à quel point le monde de la vente avait changé depuis son départ du
showroom. Il n’a pas changé, m’a-t-il affirmé. L’effet d’Internet ? « C’est
n’importe quoi. Je n’ai pas besoin de ce machin », m’a-t-il dit. Les
consommateurs disposent à présent de données abondantes ; en quoi
cela affecte-t-il le processus de vente ? « En rien du tout. Il n’y a qu’une
manière, la mienne. » Aurait-il autant de succès dans le paysage contem-
porain que dans celui des années 1970 ? « Donnez-moi neuf mois, et je
gouverne le monde. »
Pour être honnête, je dois avouer qu’une grande partie de ce que
Girard préconise demeure valable. Il plaide avec ferveur pour le service
après-vente. « Service, service, service », m’a-t-il répété au cours de nos
conversations. Son aphorisme sur la vente efficace est un des plus clairs
qu’il m’ait été donné d’entendre : « Les gens comptent faire une affaire
loyale avec les gens qu’ils aiment. » Plus largement, toutefois, sa vision
du monde et ses tactiques font penser aux vieux films où un soldat
oublié dans une île déserte continue le combat parce que personne ne
lui a dit que la guerre était finie.

* M. Girard et son secrétariat ont décliné plusieurs demandes de rendez-vous.

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Convaincre au quotidien

Comparez son cas à celui de Tammy Darvish. Du temps où Girard


vendait des Chevrolet à Detroit, Tammy Darvish était à l’école pri-
maire. Aujourd’hui, elle est vice-présidente de DARCARS Automotive
Group, un des plus gros concessionnaires automobiles de la côte est des
États-Unis. À en juger par sa demeure, les affaires marchent bien pour
elle. Elle m’a reçu un après-midi dans son manoir de 1 500 m² dont le
vestibule ferait un fantastique terrain de basket-ball. Tammy Darvish
arbore une chevelure sombre qui lui descend sous l’épaule. Elle est
menue, amicale et à demi concentrée, quoique la partie concentrée
semble naturelle, et la partie qui ne l’est pas, le résultat d’un effort. Elle
ne correspond à aucune des images de la vente décrites par les per-
sonnes interrogées au cours de mon sondage.
Tammy Darvish a embrassé le métier selon la méthode ancienne.
Son père était propriétaire de concessions automobiles du côté de
Washington, D.C. Après avoir obtenu un diplôme en marketing auto­
mobile de l’Université Northwood, à Midland, au Michigan, elle a com-
mencé au bas de l’échelle, comme vendeuse, et a dû affronter un
scepticisme brûlant. C’était une fille de 20 ans – et la fille du patron, s’il
vous plaît – dans un monde d’hommes. Dès le premier mois, pourtant,
elle a fait plus de ventes que ses pairs et a été désignée « vendeur » du
mois. Cela s’est répété le mois suivant. Sa carrière était toute tracée.
Près de 30 ans plus tard, Tammy Darvish a vu le déclin de l’asymé-
trie d’information remodeler son métier. Autrefois, les clients allaient
de concessionnaire en concessionnaire glaner un maximum de rensei-
gnements. « Aujourd’hui, dit-elle, ils font la plus grande partie du tra-
vail avant de venir. Et dans bien des cas, ils en savent plus que nous.
Quand j’ai fini mes études, les factures des usines étaient enfermées
dans un coffre-fort. Nous ne savions pas combien coûtaient les voitures
que nous vendions. À présent, c’est le client qui me le dit. »
Quand les acheteurs sont en mesure d’en savoir plus que les
vendeurs, ces derniers cessent d’être les gardiens et les fournisseurs de
l’infor­mation. Ils en sont les conservateurs et les clarificateurs – ils
aident les gens à s’orienter dans un tourbillon de faits, de chiffres et

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

d’options. « Si un client me pose une question, dit Tammy Darvish, je


peux lui répondre : “Allons voir sur chevy.com.” Et nous trouvons la
réponse ensemble. »
« Quand vous entrez chez un concessionnaire automobile, vous vous
attendez à rencontrer un type vêtu d’une veste à carreaux et d’un panta-
lon en polyester », admet Tammy Darvish. Cependant, tout comme ces
choix vestimentaires, les pratiques douteuses qu’ils laissent présager sont
démodées. Une grande partie de nos opinions sur la vente découlent
non de la nature intrinsèque de celle-ci, mais de l’asymétrie d’informa-
tion qui a longtemps caractérisé son contexte. Quand cette asymétrie se
réduit et que le balancier part dans l’autre sens, tout s’inverse.
Ainsi, DARCARS applique une politique originale : elle embauche
rarement des vendeurs expérimentés, susceptibles d’avoir pris de mau-
vaises habitudes ou de voir les choses à l’ancienne. De même, selon
Tammy Darvish, beaucoup de formations de vendeurs sont « un peu
mécaniques » et risquent de transformer les gens en robots qui récitent
de mémoire leurs argumentaires et s’efforcent d’arracher une décision
aux clients. « Nous leur faisons plutôt suivre une formation d’une
semaine, qui ne porte pas seulement sur la vente. Nous leur parlons du
service à la clientèle et des médias sociaux. »
Sur ce terrain où les positions sont inversées, la clé de l’efficacité ne
correspond plus au stéréotype du passé – belles paroles, tapes dans le
dos... Tammy Darvish assure que les qualités qu’elle recherche le plus
sont la persévérance et l’empathie, cette dernière ne correspondant à
rien de ce qui apparaît dans nos nuages de mots.
« On ne peut pas former quelqu’un à se soucier des autres », m’a dit
Tammy Darvish. Pour elle, les vendeurs idéaux sont ceux qui se
demandent : « Quelle décision prendrais-je si cette personne, qui tente
d’obtenir un service ou d’acheter une voiture, était ma propre mère ? »
Cela paraît noble, et ça l’est peut-être. C’est ainsi qu’on vend des voi-
tures aujourd’hui. À l’époque de Joe Girard, le caveat emptor était

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Convaincre au quotidien

nécessaire. Aujourd’hui, Tammy Darvish gagne (bien) sa vie parce


qu’elle observe le caveat venditor.
Le déclin de l’asymétrie d’information n’a pas mis fin à toute forme
de mensonge ou de tricherie. Un coup d’œil aux plus récentes mani-
gances de Wall Street, de la City ou de Hong Kong le confirme hélas.
Quand le produit est complexe – avez-vous déjà lu un contrat de swap
sur risque de crédit ? – et le potentiel de gain énorme, certains s’effor­cent
de maintenir le déséquilibre d’information et d’autres optent carré­ment
pour la tromperie. Cela ne changera pas. Tant que la planète sera peu-
plée d’êtres humains faillibles, le caveat emptor restera de mise. J’y veille.
Faites-en autant. Cependant, ce n’est pas parce que certains s’engagent
dans le mauvais chemin que beaucoup le feront. Quand le vendeur n’a
plus l’avantage de l’information et que l’acheteur a les moyens et l’occa-
sion de s’exprimer, le mauvais chemin devient une voie périlleuse.
Le principe du caveat venditor s’applique bien au-delà du marché
de l’automobile et remodèle la plupart des rencontres qui impliquent
de faire bouger autrui. Prenez le voyage. Au bon vieux temps – il y a
15 ans de cela –, les agences de voyages disposaient d’un monopole de
l’information qui permettait aux moins scrupuleuses d’entre elles de
surfacturer leurs services. C’est fini. Aujourd’hui, avec son ordinateur
portable, la ménagère en sait à peu près autant qu’un professionnel sur
le prix des billets d’avion ou la qualité des hôtels. Ou encore, imaginez
que vous êtes candidat à un emploi. Vous ne maîtrisez plus les rensei-
gnements qui circulent à votre sujet, y compris ceux que vous mention-
nez sélectivement dans votre CV. Aujourd’hui encore, l’entreprise à
laquelle vous soumettez votre candidature consulte votre CV, bien sûr,
mais, comme le note CNN, elle va aussi « scruter votre profil sur
LinkedIn et Facebook, lire les horribles détails de votre blogue et inter-
roger Google pour en savoir plus à votre sujet, en bien ou en mal, tout
cela sans se déplacer41 ».
Les règles du caveat venditor gouvernent aussi le secteur en plein
essor de l’Éd-méd. Aujourd’hui, un étudiant motivé disposant d’un
accès à Internet a les moyens d’en savoir plus que son professeur sur les

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

causes de la guerre du Péloponnèse ou sur la manière de réaliser un film


numérique. Les médecins, naguère considérés comme les dispensateurs
impériaux d’un savoir spécialisé, ont maintenant toutes les chances de
recevoir des patients qui se sont informés sur leurs maux et arrivent
munis d’un épais dossier et d’une idée de traitement. Aujourd’hui, les
éducateurs et les professionnels de la santé ne peuvent plus compter sur
la quasi-révérence que leur valait autrefois l’asymétrie d’information.
Comme la balance penche de l’autre côté, ce qu’ils font et la manière
dont ils le font doivent changer. Éd-méd, prends garde !

Le conte des deux samedis


Steve Kemp est un homme en costume qui vend des automobiles d’oc-
casion. Son entreprise, SK Motors (« Where everybody rides ! »), à
Lanham, au Maryland, est implantée dans une zone sans âme de la
Maryland State Route 564, à côté d’une piste de patin à roues alignées
et d’une église baptiste. Kemp est un businessman à l’ancienne, un bon-
homme jovial, rougeaud et costaud, membre du Rotary Club local,
dont l’atelier propose des services gratuits aux enseignants de l’école du
quartier qui sont désignés « professeurs du mois ». SK Motors est un
endroit qui fonctionne suivant les vieilles méthodes. Son stock, une
cinquantaine de voitures d’occasion – de la Mercedes-Benz SL à la
Hyundai Elantra –, est rangé dans un terrain de stationnement asphalté
délimité par des drapeaux à damier. Sur le côté, une construction com-
pacte comprenant cinq pièces de plain-pied fait office de bureau.
Par un samedi matin ensoleillé, deux vendeurs, Frank et Wayne,
boivent un café dans la pièce de devant, attendant leur premier client :
comme d’habitude, cette journée sera la plus chargée de la semaine.
Frank, un Afro-Américain à la voix douce, a 74 ans, mais il en paraît
55. Il vend des voitures depuis 1985. Wayne, qui a à peu près le même
âge, est un Blanc au caractère revêche qui porte une casquette de base-
ball et une chemise à carreaux.
Voilà que se gare sur le terrain un homme en parka qui grille ciga-
rette sur cigarette, accompagné de son fils. Celui-ci doit avoir 20 ans ;

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Convaincre au quotidien

c’est un maigrichon qui tente de se laisser pousser la barbe et qui porte


une veste estampillée au nom de la compagnie d’électricité locale. Le
jeune homme a besoin d’une voiture. Il admire la Nissan Altima, qui
n’a que trois ans, mais il n’a pas les moyens de la payer 16 500 $. Il se
rabat donc sur une Ford Escort de 1993 ayant 188 000 km au compteur.
En compagnie de Frank, il prend le volant du véhicule pour un essai sur
route. Puis, tous deux reviennent au magasin pour conclure l’affaire.
Le jeune homme remplit une demande de crédit. Jimmy, le bras
droit de Steve Kemp, emporte le document dans son bureau, où se
trouve un des deux ordinateurs de l’entreprise, pour vérifier la solvabilité
du demandeur. Aïe ! Le résultat ressemble à un casier judiciaire. Ce jeune
client collectionne les défauts de paiement. On lui a saisi des automo-
biles, y compris une qu’il avait achetée chez SK Motors. Frank appelle
Steve. Ils se concertent brièvement, puis Steve entre dans la pièce.
« Nous voici au stade du woodyaiff », me souffle Steve à l’oreille.
« Ah oui ? Qu’est-ce que ça signifie ? » dis-je. « Would you if we did this ?
Would you if we did that ? » (« Est-ce que ça vous irait si nous faisions
ceci ? Est-ce que ça vous irait si nous faisions cela ? ») chuchote-t-il.
Steve est disposé à accorder un prêt – assorti du taux d’intérêt de
24 % habituel chez SK Motors et de la pose d’un dispositif de localisa-
tion sur le véhicule – pourvu que le jeune homme verse un acompte de
1 500 $. « Est-ce que ça vous irait ? » demande-t-il. Malheureusement,
l’homme n’a pas le premier sou de cet acompte. Il s’en va. Deux autres
clients passent par là, juste pour voir.
Au milieu du repas arrive un homme de haute stature qui porte un
chapeau de cow-boy et une veste au logo du distillateur Jack Daniel’s.
Il voudrait une voiture pas chère – tous ceux qui viennent là disent la
même chose – et trouve une Acura orange foncé pour 3 700 $. Il fait un
essai avec Frank. Au retour, il est prêt à acheter. Frank ne dit pas grand-
chose. Il se contente de ne pas déranger. Ils négocient le prix et s’en-
tendent sur 3 200 $. L’homme au chapeau de cow-boy repart. Il est
13 h ; SK Motors a fait sa première vente de la journée.

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

À 14 h, Wayne sommeille dans son bureau. Vers 16 h, Steve vend
une Dodge Stratus ayant 112 000 km au compteur à une femme qui
veut une voiture pour son fils adolescent. À l’heure de la fermeture, SK
Motors a vendu deux véhicules.
Un autre samedi, je visite le détaillant de voitures d’occasion
CarMax de Rockville, au Maryland. Il se trouve à une cinquantaine de
kilomètres de SK Motors sur le plan géographique, mais à des années-
lumière de ce dernier sur le plan commercial. Ici, les automobiles ran-
gées dans le stationnement des visiteurs sont plus nombreuses que
celles en vente chez SK Motors. Les voitures occupent un vaste terrain
asphalté qui ressemble au terrain de stationnement d’un aéroport, avec
ses allées signalées par des lettres pour aider les gens à s’y retrouver. La
pièce principale bourdonne comme le parquet de la Bourse : une ving-
taine de bureaux, plus de 40 vendeurs, une foule de clients.
Cependant, la plus grande différence n’est ni dans la taille ni dans le
bruit. Elle est dans l’information. Chez SK Motors, l’autre samedi,
aucun client ne paraissait avoir effectué la moindre recherche sur les prix,
les offres concurrentes ou la qualité des automobiles. Ici, la moitié des
clients brandissent des documents imprimés chez eux. D’autres tapotent
sur un iPhone ou un iPad. Et ceux qui auraient encore besoin d’un accès
Internet peuvent utiliser les ordinateurs mis à leur disposition par
CarMax. SK Motors, qui s’adresse à des clients dont le crédit est si com-
promis qu’ils doivent accepter des dispositifs de surveillance et des taux
d’intérêt astronomiques, peut encore bénéficier de l’asymétrie d’infor-
mation. CarMax a bâti son modèle économique sur la démarche inverse.
La société a été créée en 1993 avec l’ambition de réinventer la
manière dont les Américains achètent des véhicules d’occasion. Deux
décennies plus tard, elle figure au palmarès des 500 premières entre-
prises dressé par Fortune, vend plus de 400 000 voitures par an et réalise
plus de 9 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel42. Dès le début,
CarMax a bousculé les conventions qui sont à l’origine de notre pre-
mier nuage de mots. Par exemple, elle a introduit le prix fixe pour

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Convaincre au quotidien

chaque véhicule ; il est inutile de marchander. Ainsi, le client craint


moins de se faire rouler par un vendeur mieux informé que lui.
De plus, les vendeurs de CarMax – vêtus pour la plupart d’une
chemise bleue au logo de la maison et non d’un costume-cravate – sont
entièrement rémunérés par commissions. Cependant, celles-ci ne sont
pas proportionnelles au prix de la voiture. Qu’elle soit chère ou non, ils
gagnent la même chose. Le client craint donc moins qu’un vendeur
insistant le pousse à acheter un véhicule onéreux. Enfin, CarMax est
prodigue de renseignements. Comme n’importe quel client est capable
de trouver des documents sur l’historique ou l’état d’un véhicule,
CarMax les lui fournit gracieusement, offrant les attestations, les certi-
fications et les garanties requises afin de répondre au souci de qualité
exposé par Akerlof en 1967.
L’exemple le plus convaincant de cette situation s’impose de lui-
même quand on pénètre dans le magasin. Chaque vendeur est assis à
un petit bureau et fait face à un client. Sur chaque bureau se trouve un
ordi­nateur. Ailleurs, l’écran serait tourné vers le vendeur, et le client ne
verrait que l’arrière de l’appareil. Là, l’écran est disposé sur le côté, de
sorte que l’acheteur et le vendeur peuvent le regarder ensemble. C’est
l’image littérale de la symétrie d’information.
Pas de marchandage, des commissions transparentes, des clients
informés. Là encore, cela paraît lumineux, et ça l’est peut-être. Pourtant,
ce n’est pas la raison principale pour laquelle on adopte de plus en plus
cette approche. Cette raison, la voici : au cours de la journée que j’ai
passée chez SK Motors, huit clients se sont présentés ; au cours de celle
où j’ai rendu visite à CarMax, il en est venu davantage dans le premier
quart d’heure.
Comme on l’a vu, le principe du caveat venditor est devenu aussi
important que celui du caveat emptor. Que nous soyons dans la vente
traditionnelle ou dans le commercial sans vente, le mauvais chemin
devient de plus en plus difficile à emprunter, et le bon chemin – honnê­
teté, franchise, transparence – est devenu la meilleure voie à long terme,

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3 - Du caveat emptor au caveat venditor

la plus pragmatique. Pourtant, l’idée que nous sommes tous des


vendeurs demeure inconfortable pour certaines personnes, en partie à
cause de certains mythes dont je traiterai rapidement ici.
Le premier est le mythe de l’idiot. « Nous n’avons sans doute pas
beaucoup recherché les génies », écrivait Alfred Fuller, fondateur de
Fuller Brush Company, à propos de sa force de vente43. Selon ce mythe,
les gens les plus malins deviennent ingénieurs ou juristes, tandis que
ceux qui se trouvent coincés dans les portions moins favorables de la
courbe en cloche du QI se dirigent vers la vente, qui requiert bien
moins de capacités cognitives*. Il n’en est rien. Comme on le verra dans
les deux parties suivantes de ce livre, quand les tâches transactionnelles
simples peuvent être automatisées et quand la parité d’information
remplace l’asymétrie, l’aptitude à faire bouger les gens suppose des
compétences élaborées et requiert autant de créativité que le fait de
dessiner une maison, d’examiner une tomographie ou d’écrire un livre.
La deuxième croyance erronée, en raison de laquelle certains dédai­
gnent la vente, est le mythe du grippe-sou : pour être efficace, il faudrait
être cupide, et la meilleure manière de réussir, la seule peut-être, serait
de se transformer en machine à vendre. Là encore, il n’en est rien. Pour
commencer, le commercial sans vente, surtout dans des domaines
comme l’Éd-méd, n’a rien à voir avec l’argent. Selon un grand nombre
d’études, l’argent n’est pas le moteur de la majorité des professionnels
de la vente traditionnelle44. De plus, comme on le verra dans la mallette
d’échantillons à la fin du chapitre 9, beaucoup d’entreprises ont en
réalité accru leurs ventes en éliminant les commissions et en insistant
moins sur l’argent.

* Cette opinion est brillamment illustrée par un personnage récurrent de la bande


dessinée Dilbert, Kenny the Sales Weasel. Dans un des épisodes, il accompagne
Dilbert pour rencontrer le plus gros client potentiel de l’entreprise. « Raconte-moi
tout sur les spécifications techniques de notre produit, dit-il en montant dans la
voiture. J’aime être bien préparé. » Et Dilbert répond : « Notre produit est beige. Il
marche à l’électricité. » « Oh la la ! s’écrie Kenny. Cerveau surchargé ! »

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Convaincre au quotidien

Enfin, bien des gens – comme moi avant de commencer à préparer


ce livre – croient au mythe des dons naturels, suivant lequel certains
sont doués pour la vente, et d’autres non. Selon cette croyance, certains
savent de naissance comment faire bouger autrui, alors que les autres
n’ont pas de chance. Là, nous rencontrons un paradoxe. Il n’y a pas de
vendeur « naturel », en partie parce que nous sommes tous naturelle-
ment des vendeurs. Chacun de nous – car nous sommes humains –
possède un instinct de vente, ce qui signifie que n’importe qui peut
maîtriser l’art de faire bouger les autres. La suite de ce livre vous mon-
trera comment.

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Deuxième partie

Comment être

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Chapitre 4

L’accordage

E
n 1992 est sorti en salle le film Glengarry, inspiré d’une pièce de
théâtre célèbre aux États-Unis, Glengarry Glen Ross de David
Mamet, prix Pulitzer et Tony Award. La scène se passe à Chicago.
Quatre vendeurs à la petite semaine sont installés dans les locaux miteux
d’une agence de la société immobilière Mitch & Murray. Ils ne font pas
beaucoup d’affaires. Par une soirée triste et pluvieuse, leurs patrons du
centre-ville leur envoient Blake, un prédateur impitoyable au costume
impeccable, pour les secouer.
Joué par Alec Baldwin, Blake, dans une scène épique de dramatisa-
tion commerciale, enseigne la vente à ces hommes d’âge mûr. Il démarre
sur le ton de la dérision, met en doute leur virilité et les bombarde de
jurons. Puis il passe aux menaces. « Ce mois-ci, on ajoute un petit sup-
plément au concours de vente, annonce-t-il. Comme vous le savez, le
premier prix est une Cadillac Eldorado. Quelqu’un a envie du deu-
xième prix ? » Il brandit un paquet. « Le deuxième prix est un ensemble
de couteaux à steak. » Une petite pause. « Le troisième prix, c’est votre
renvoi de l’entreprise. Pigé ? »
Blake conclut sa harangue sur un vieux truc de formateur commer-
cial, en dépliant un tableau sur lequel il a tracé à la craie les trois pre-
mières lettres de l’alphabet : « ABC, explique-t-il. A pour always, B pour
be, C pour closing. Always be closing. » (« Toujours conclure. »)
Cet ABC, always be closing, est une pierre de touche de la cathé-
drale commerciale. Les vendeurs qui réussissent poursuivent leur proie
sans relâche, comme les meilleurs chasseurs de toutes les espèces. La

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Convaincre au quotidien

moindre parole et la moindre manœuvre doivent servir un but unique :


conduire la négociation à une conclusion consistant à obtenir que la
personne assise de l’autre côté de la table, comme dit Blake, « signe sur
la ligne pointillée ».
Always be closing. La simplicité du mot d’ordre le rend compréhen-
sible, son sigle (ABC ) facilite sa mémorisation. Et le conseil peut être
utile : il fixe un cap aux vendeurs dès le début d’une négociation et tout
au long de celle-ci. Toutefois, son efficacité faiblit, car les conditions
dont il est tributaire sont en train de disparaître. Si certains d’entre
nous seulement étaient vendeurs – et si les acheteurs se trouvaient face
à un choix limité et à une asymétrie d’information –, le conseil serait
raisonnable. Mais comme nous sommes tous vendeurs et que personne
ne dispose d’un avantage d’information, la prescription de Blake semble
aussi démodée que les machines à écrire électriques et les classeurs rota-
tifs qui équipent l’agence Mitch & Murray.
Puisque le paysage a changé, la navigation doit être repensée. C’est
pourquoi je présenterai dans cette deuxième partie le nouvel ABC de
celui qui veut faire bouger autrui :
A : accordage
B : brio
C : clarté
Accordage, brio et clarté (en anglais, attunement, buoyancy et
clarity) : ces trois qualités mises en lumière par une foule d’études en
sciences sociales sont désormais indispensables pour faire bouger autrui
de manière efficace dans le paysage revu et corrigé du XXIe siècle. Dans
ce chapitre, nous traiterons du A, accordage. Pour vous aider à com-
prendre cette qualité, permettez-moi de soumettre à votre réflexion une
autre lettre de l’alphabet.

La puissance, l’empathie et les caméléons


Arrêtez-vous un moment et, si une personne se trouve à côté de vous,
demandez-lui poliment 30 secondes de son temps. Puis, priez-la de faire

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4 - L’accordage

ce qui suit : « Premièrement, avec votre main dominante, claquez des


doigts cinq fois aussi vite que vous le pouvez. Puis, avec l’index de votre
main dominante, tracez un E majuscule sur votre front, là encore aussi
vite que vous le pouvez. » Sérieusement, allez-y et faites-le. J’attends. (Si
vous êtes seul, saisissez la première occasion pour faire cet exercice.)
Figures 4.1 et 4.2 Le test du E

Maintenant, voyez comment votre interlocuteur a dessiné son E. À


laquelle des deux photos ci-dessus correspond-il ? La différence peut
sembler insignifiante, mais cette lettre tracée sur le front de votre inter-
locuteur est une fenêtre ouverte sur son esprit. Si le E ressemble à celui
de gauche, la personne qui l’a dessiné l’a fait de manière à pouvoir le
lire elle-même. S’il ressemble à celui de droite, elle l’a tracé afin que vous
soyez en mesure de le lire.
Depuis le milieu des années 1980, les psychosociologues utilisent
cette technique, qu’on pourrait appeler « le test du E », pour mesurer ce
qu’ils appellent la « prise de perspective », ou prise de recul. Devant une

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Convaincre au quotidien

situation inhabituelle ou complexe impliquant d’autres personnes,


comment l’analysons-nous ? Examinons-nous la situation seulement de
notre point de vue, ou avons-nous « la capacité de nous abstraire de
notre expérience pour imaginer les émotions, les perceptions et les
motivations de quelqu’un d’autre45 » ?
La prise de perspective est au cœur de la première qualité indispen-
sable pour faire bouger autrui aujourd’hui. L’accordage est la capacité
de mettre nos actions et nos présentations en harmonie avec d’autres
personnes et avec le contexte dans lequel nous nous trouvons. Songeons
à la manière dont nous réglons la longueur d’onde sur un poste de
radio. Tout repose sur notre capacité à monter ou à descendre le spectre
en fonction des circonstances, en nous fixant sur la transmission en
cours, même si le signal n’est pas immédiatement clair ou évident.
Les études montrent que la prise de perspective efficace, l’accordage
à autrui, repose sur 3 principes que vous pouvez appliquer.

1. Augmentez votre pouvoir en le réduisant


Au cours d’une étude passionnante réalisée voici quelques années, une
équipe de sociologues dirigée par Adam Galinsky, de la Kellogg School
of Management de l’Université Northwestern, a sondé la relation entre
prise de perspective et pouvoir. Les participants ont été divisés en deux
groupes, avec comme seule différence la situation vécue par chacun
d’eux immédiatement avant l’expérience principale. Les uns avaient
réalisé une série d’exercices destinée à leur conférer une impression de
pouvoir ; les autres, des exercices destinés à leur faire ressentir de
l’impuissance.
Les chercheurs ont ensuite soumis les deux groupes au test du E.
Les résultats ont été sans équivoque : « Les participants ayant beaucoup
de pouvoir étaient presque trois fois plus disposés à dessiner un E auto-
orienté que les sujets dont le pouvoir était faible46. » En d’autres termes,
ceux qui avaient reçu ne serait-ce qu’une petite injection de pouvoir
étaient moins susceptibles (et peut-être moins capables) de s’accorder
au point de vue de quelqu’un d’autre.

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4 - L’accordage

À présent, faites un test sur vous-même, sans emprunter le front de


quelqu’un d’autre. Imaginez que vous allez manger en compagnie de
votre collègue Maria dans un restaurant chic conseillé par son ami Ken.
C’est une catastrophe. Les plats sont mauvais, le service est pire. Le
lendemain, Maria envoie à Ken un courriel qui dit ceci : « Le restau­rant
était merveilleux, tout bonnement merveilleux. » À votre avis, com-
ment Ken va-t-il interpréter ce commentaire ? Jugera-t-il le courriel sin-
cère ou sarcastique ? Songez-y un moment avant de continuer votre
lecture.
Au cours d’une expérience similaire, Galinsky et son équipe ont
utilisé une variante de ce scénario pour examiner sous un nouvel angle
le pouvoir et la prise de perspective – et ils ont obtenu des résultats
semblables à ceux du test du E. Les participants ayant beaucoup de
pouvoir pensaient en général que Ken aurait trouvé le courriel sarcas-
tique, et ceux à faible pouvoir prédisaient qu’il l’aurait trouvé sincère.
Qui a raison ? Probablement le groupe à faible pouvoir. Souvenez-vous :
Ken n’a aucune idée de ce qui s’est passé pendant le repas. À moins que
Maria soit chroniquement sarcastique, ce que l’expérience ne dit pas,
Ken n’a aucune raison de soupçonner que son amie n’est pas sincère.
Pour se dire que le courriel de Maria contenait un sarcasme, il lui aurait
fallu une « connaissance contextuelle privilégiée » qu’il n’avait pas.
Conclusion des chercheurs : « Le pouvoir conduit les individus à s’an-
crer trop fermement dans leur point de vue ; ils ne s’ajustent pas assez à
la perspective d’autrui47. »
Les résultats de ces études, qui font partie d’un corpus de recherche
plus vaste, mènent à une conclusion unique : il existe une relation
inverse entre pouvoir et prise de perspective. Le pouvoir est susceptible
de vous faire perdre la bonne longueur d’onde et de brouiller le signal
que vous recevez, de déformer les messages clairs et d’obscurcir les
messa­ges plus subtils.
Si on veut comprendre comment faire bouger autrui, cette leçon
est d’une importance énorme. La capacité d’adopter la perspective
d’autrui importait moins à l’époque où le vendeur – qu’il s’agisse d’un

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Convaincre au quotidien

vendeur payé à la commission dans une boutique d’électronique ou


d’un médecin dans son bureau aux murs tapissés de diplômes – avait
toutes les cartes en main. Du fait de son avantage sur le plan de l’infor-
mation – que celle-ci porte sur la fiabilité d’un radio-réveil ou sur le
vécu des patients atteints de la maladie de Lyme –, il était en mesure
d’imposer son autorité, voire de manipuler ses interlocuteurs. Au fur et
à mesure que cet avantage s’est atténué, le pouvoir qu’il conférait s’est
envolé. C’est pourquoi la capacité de faire bouger autrui repose désor-
mais sur une inversion du pouvoir : on doit comprendre le point de vue
de l’autre, se mettre à sa place, voir le monde par ses yeux. Or, le faire
bien impose de partir d’une position qui nous ferait exclure de l’école
de vente « ABC » façon Mitch & Murray : il faut nous dire que nous
n’avons pas le pouvoir.
Les travaux de Dacher Keltner, de l’Université de la Californie à
Berkeley, et d’autres chercheurs ont montré que les personnes dont le
statut est le plus bas sont les plus disposées à envisager une perspective
différente de la leur. Si vous avez moins de ressources, explique Keltner,
« vous allez davantage vous accorder au contexte qui vous entoure48 ».
Représentez-vous le premier principe de l’accordage comme du jiu-
jitsu persuasif : cherchez à utiliser votre faiblesse apparente comme une
force effective. Engagez vos entretiens en vous disant que vous êtes dans
une position de moindre pouvoir. Cela vous aidera à voir plus exacte-
ment la perspective de l’autre partie, puis à la faire bouger.
Ne vous leurrez pas, cependant. La capacité de faire bouger autrui
ne vous oblige pas à devenir défaitiste ou à arborer l’altruisme d’un
saint. L’accordage est plus compliqué que cela, comme notre deuxième
principe va le démontrer.

2. Utilisez votre tête autant que votre cœur


Les spécialistes des sciences sociales considèrent souvent la prise de
perspective et l’empathie comme de fausses jumelles, comme de proches
parentes non identiques. La prise de perspective est une capacité cogni-
tive ; elle concerne plutôt la pensée. L’empathie est une réaction

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4 - L’accordage

psycho­logique ; elle touche plutôt les sentiments. Toutes deux sont


essentielles, mais Adam Galinsky et William Maddux, de l’INSEAD de
Fontainebleau, et deux de leurs collègues ont constaté que l’une s’avé-
rait plus efficace que l’autre pour faire bouger autrui.
Au cours d’une expérience effectuée en 2008, ces chercheurs ont
simulé une négociation portant sur la vente d’une station-service.
Comme beaucoup de négociations réelles, celle-ci se butait apparem-
ment à un obstacle : le prix maximum envisagé par l’acheteur était infé-
rieur au prix minimum acceptable par le vendeur. Cependant, les
parties avaient des intérêts mutuels qui, s’ils étaient mis au jour,
pouvaient conduire à un accord acceptable pour les deux. On a
demandé à un tiers des négociateurs d’imaginer ce que l’autre partie
ressentait et à un second tiers d’imaginer ce qu’elle pensait. (Le tiers
restant, le groupe de contrôle, avait reçu des instructions neutres.) Que
s’est-il passé ? Les « empathisants » ont conclu bien plus d’accords que le
groupe de contrôle, mais les « preneurs de perspective » ont fait encore
mieux : 76 % d’entre eux ont réussi à mettre au point un accord satis-
faisant pour les deux parties.
Quelque chose d’analogue s’est produit dans une autre situation de
négociation mettant en jeu cette fois une série de problèmes plus épi-
neux et conflictuels entre un recruteur et un candidat à un emploi. Là
encore, ceux qui ont pris du recul ont mieux réussi leur négociation,
non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour leur interlocuteur.
« Le fait d’adopter la perspective de l’adversaire a produit de plus grands
gains communs et des résultats individuels plus profitables, ont conclu
Galinsky et Maddux. Ceux qui ont atteint le niveau le plus élevé d’effi-
cience économique, sans sacrifier leur propre gain matériel, sont ceux
qui ont envisagé une perspective différente. » De son côté, l’empathie a
été utile, mais pas au même point, « et a nui parfois aussi bien à l’intérêt
personnel qu’à la découverte de solutions originales49 ».
La vente traditionnelle et le commercial sans vente font souvent
intervenir des impératifs apparemment contradictoires – coopération
contre compétition, gain collectif contre avantage individuel. Nous

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Convaincre au quotidien

montrer trop insistants est contre-productif, surtout dans un monde de


caveat venditor, mais des sentiments trop profonds ne sont pas forcé-
ment une solution si nous les laissons submerger nos intérêts.
Il semble que la prise de perspective rende possible un équilibrage
convenable entre les deux pôles : elle nous permet de nous ajuster et de
nous accorder de manière à ce que les deux parties s’en trouvent mieux.
L’empathie peut aider à bâtir des relations durables et à désamorcer les
conflits. Dans les milieux médicaux, assure un médecin éminent, elle
« va de pair avec une réduction du nombre d’erreurs médicales, de
meilleurs résultats pour les malades, des patients plus satisfaits, des
procès moins nombreux et des médecins plus heureux50 ». L’empathie
est en soi précieuse et vertueuse mais, quand il faut faire bouger autrui,
la prise de perspective est la plus efficace de ces fausses jumelles. En fin
de compte, disent les chercheurs, il est « plus profitable de pénétrer
dans la tête des autres que de les faire entrer dans notre cœur51 ».
Suivant ce deuxième principe de l’accordage, il nous faut être
conscients que les individus ne sont pas des unités atomiques, décon-
nectées de tout groupe, de toute situation ou de tout contexte. Nous
devons donc exercer nos pouvoirs de prise de perspective non seule-
ment sur les gens eux-mêmes, mais aussi sur leurs relations et leurs
rapports aux autres. Un champ d’étude entier, l’analyse des réseaux
sociaux, est né au cours des 15 dernières années afin de révéler ces
connexions, ces relations et ces flux d’information52.
Cependant, dans la plupart des situations, nous ne disposons pas
des recherches approfondies et des logiciels étonnants utilisés par l’ana-
lyse des réseaux sociaux. Nous devons donc nous appuyer moins sur
des orientations du genre GPS que sur notre intuition. Dans le monde
de la restauration, ce genre d’accordage renvoie aux expressions « avoir
l’œil » ou « lire une table ». Il permet au serveur de comprendre rapide-
ment la dynamique d’un groupe et de s’ajuster à son style. Dans un
monde où nous devons faire bouger autrui, j’appelle cela l’aptitude à la
« cartographie sociale ». Il s’agit de la capacité à saisir une situation et à
dessiner dans notre esprit une carte des relations entre les gens.

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4 - L’accordage

« Je fais cela dans toutes les situations de vente, assure Dan
Shimmerman, fondateur de Varicent Software Inc., entreprise prospère
de Toronto récemment acquise par IBM. Pour moi, il est très impor-
tant de bien comprendre non seulement qui sont les acteurs clés parti-
cipant aux décisions, mais aussi quels sont leurs biais et leurs préférences.
Avec une carte mentale, je dispose d’un tableau complet et je peux
consacrer mon temps, mon énergie et mes efforts aux relations utiles. »
La cartographie sociale évite de négliger un acteur essentiel au cours du
processus, estime Shimmerman. « Il serait lamentable de perdre une
année à essayer de vendre quelque chose à Mary pour s’apercevoir fina-
lement que la décision appartenait à Dave. »
Cependant, l’accordage n’est pas seulement un exercice cognitif. Il
a aussi une composante matérielle, comme le montrera notre troisième
principe.

3. Imitez de façon stratégique


Les êtres humains sont des imitateurs naturels. Sans s’en apercevoir, ils
font souvent ce que font les autres en renvoyant l’image de leurs
« accents, de leurs façons de parler, de leurs expressions faciales, de leurs
comportements affichés et de leurs réactions affectives53 ». La personne
à qui on parle se croise les bras : on en fait autant. Quand on s’aperçoit
qu’on se conduit de la sorte, on le prend souvent en mauvaise part. « Le
primate copie l’homme », grince-t-on. On regarde de haut ceux qui
« singent » les autres ou qui reprennent leurs paroles « comme des perro­
quets », comme si ces actions allaient à l’encontre de la dignité humaine.
Cependant, les savants jettent un regard différent sur l’imitation. Pour
eux, elle obéit à une tendance profondément humaine ; c’est un acte
naturel qui sert de liant social et de signe de confiance. Pourtant, ils lui
attachent eux aussi une étiquette non humaine : ils l’appellent l’« effet
caméléon54 ».
Dans une étude très remarquée, Galinsky et Maddux, ainsi
qu’Elizabeth Mullen, de l’Université Stanford, ont cherché à savoir si
l’imitation renforçait l’accordage et l’aptitude à faire bouger autrui. Ils

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Convaincre au quotidien

ont utilisé les mêmes scénarios que dans l’étude précédente – la vente
d’une station-service et la négociation entre un demandeur d’emploi et
un recruteur –, mais leur ont ajouté une nouvelle dimension. Cinq
minu­tes avant le début de l’exercice, certains des participants recevaient
un « message important » qui leur donnait des instructions supplémen-
taires sur la façon de venir à bout de leur mission. Le voici.
« Les négociateurs efficaces vous conseillent d’imiter les manières de
votre interlocuteur pour parvenir à un meilleur accord. Par exemple, si
l’autre se frotte le visage, faites-en autant ; s’il se penche vers l’arrière ou
vers l’avant sur sa chaise, agissez de même. Cependant, selon eux, il est
très important que l’imitation soit assez subtile pour que l’autre per-
sonne ne remarque pas ce que vous faites, sans quoi cette technique
aura un effet totalement négatif. Évitez aussi de lui consacrer trop d’at-
tention pour ne pas perdre de vue l’objectif de la négociation. Il
convient de trouver un juste milieu, de pratiquer une imitation régu-
lière mais subtile qui ne vous déconcentrera pas 55. »
L’« imitation stratégique » s’est avérée efficace. Invités à la pratiquer –
là encore après seulement cinq minutes de préavis et de préparation –, les
participants ont obtenu des résultats remarquables. Dans le scénario de
la station-service, « les négociateurs qui imitaient les manières de la partie
adverse avaient plus de chance de parvenir à un accord bénéfique pour les
deux parties56 ». Dans le scénario du recrutement, les imitateurs faisaient
mieux que les non-imitateurs – et cela sans indisposer l’autre partie. Les
chercheurs ont intitulé leur article « Chameleons Bake Bigger Pies and
Take Bigger Pieces57 » (« Les caméléons cuisinent de plus gros gâteaux et
en prennent de plus gros morceaux »).
Les raisons de ce succès résident dans les racines mêmes de notre
espèce, explique Galinsky. Notre cerveau a été formé par l’évolution à
une époque où nous avions des liens de parenté avec la plupart des gens
qui nous entouraient et en qui nous pouvions donc avoir confiance. Par
la suite, « l’augmentation de la taille des groupes a rendu nécessaires des
contacts plus élaborés entre les gens », a-t-il dit au cours d’un entretien.
Nous avons donc recherché dans notre environnement des indices

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4 - L’accordage

pour déterminer à qui nous pouvions faire confiance. « Un de ces


indices est la certitude inconsciente que nous sommes en synchronie
avec d’autres personnes, et un moyen d’y parvenir est de calquer notre
comportement sur le leur.58 » Synchroniser nos manières et notre
expression orale avec celles de quelqu’un d’autre afin de nous com-
prendre mutuellement est un aspect fondamental de l’accordage.
D’autres études montrent l’efficacité de l’imitation. Ainsi, selon
une étude néerlandaise, les serveuses qui répètent mot pour mot les
commandes des clients obtiennent des pourboires supérieurs de 70 % à
ceux des serveuses qui les paraphrasent, et les clients des premières sont
plus satisfaits de leur repas59. Au cours d’une étude réalisée en France
auprès de vendeurs dans le commerce de détail, on a demandé à la
moitié des participants d’imiter les expressions et le comportement non
verbal de leurs clients, et à l’autre moitié de ne pas les imiter. Les clients
qui ont eu affaire aux imitateurs ont acheté dans près de 79 % des cas,
contre 62 % chez ceux qui se sont adressés aux non-imitateurs. De plus,
les premiers avaient « une opinion plus positive tant du vendeur que du
magasin60 ». À l’occasion d’une expérience menée à l’Université Duke,
dans laquelle un intervenant présentait ce qui était censé être une nou-
velle boisson énergisante, les gens qui étaient subtilement imités étaient
plus susceptibles de dire qu’ils achèteraient cette boisson et qu’elle rem-
porterait du succès61.
De même que la prise de perspective et l’empathie sont de fausses
jumelles, l’imitation a un cousin germain : le contact physique. Menées
surtout par le psychosociologue français Nicolas Guéguen, les
recherches sur ce thème sont abondantes. Plusieurs d’entre elles ont
montré que les convives laissaient des pourboires plus importants aux
serveurs qui leur touchaient légèrement le bras ou l’épaule62. Selon une
des études de Guéguen, dans les discothèques, les femmes sont plus
disposées à danser avec les hommes qui leur touchent doucement
l’avant-bras pendant une seconde ou deux en faisant leur demande. Il
en va de même quand les hommes demandent à des femmes leur
numéro de téléphone63.

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Convaincre au quotidien

Dans d’autres travaux, des collecteurs de signatures ont demandé à


des inconnus de signer une pétition, avec 55 % de succès. S’ils tou-
chaient le bras des personnes sollicitées, ce pourcentage bondissait à
81 %64. Le contact physique s’avère même utile sur notre terrain d’étude
favori : les stationnements de voitures d’occasion. En effet, les clients
potentiels évaluent bien plus positivement les vendeurs (des hommes
dans tous les cas) qui les touchent légèrement65.
Comme tous les autres comportements d’accordage, l’imitation
requiert de l’habileté. Si les gens savent qu’on les imite, ce qui est extrê-
mement rare au cours des expériences, l’effet produit peut être inverse :
ils se retournent contre vous66. Quand vous cherchez à être sur la même
longueur d’onde que quelqu’un, vous ne devez pas prétendre que vous
êtes allé là où il est allé ou que votre oncle habite la même ville que lui.
Ça, ce n’est pas de l’accordage, c’est du mensonge. Le secret est d’être
stratégique et humain, d’être stratégique en étant humain.
Gwen Martin en est bien consciente. Elle a commencé sa carrière
comme vendeuse avant de cofonder en 2007, à Minneapolis, l’agence
de travail temporaire NumberWorks qui fournit des comptables et des
professionnels de la finance à des organisations engagées dans des
projets complexes. La société est une de celles qui croissent le plus vite
dans son secteur, m’a-t-on dit. Les talents de vendeuse de Gwen Martin
y sont pour beaucoup.
À l’occasion d’une visite au Minnesota, suivie d’un entretien télé-
phonique, j’ai demandé à Gwen quelles étaient les qualités nécessaires
pour faire bouger les autres de manière efficace. À l’époque, je n’avais
pas connaissance de l’étude citée ci-dessus, et elle non plus. Elle m’a
étonné en utilisant à plusieurs reprises un mot rarement entendu dans
ce contexte : « humilité ». « Le trait le plus commun chez les gens qui
sont vraiment bons dans ce métier est l’humilité, a-t-elle insisté. Ils
adoptent une attitude du genre “je suis assis sur la petite chaise et vous
sur la grande”. » Il s’agit ici de prise de perspective par réduction du
pouvoir, la première règle de l’accordage.

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4 - L’accordage

Gwen Martin m’a aussi dit que les meilleurs vendeurs avaient une
grande intelligence émotionnelle, mais qu’ils ne laissaient pas la rela-
tion psychologique les submerger. Ils sont curieux et posent des ques-
tions qui vont au cœur de ce que leurs interlocuteurs pensent. Ils
entrent dans leur tête et pas seulement dans leur cœur, selon la deu-
xième règle de l’accordage.
Surtout, m’a dit Gwen Martin, « vous devez être d’une manière ou
d’une autre capable de vous synchroniser avec les gens, de vous relier à
eux, que ce soit avec une grand-mère ou avec un étudiant qui vient
d’obtenir son MBA ». Comment décrit-elle cette aptitude ? « Cela peut
sembler bizarre, dit-elle, mais j’appelle cela savoir faire le caméléon. »

L’avantage de l’« ambiverti »
Les meilleurs vendeurs sont des extravertis. La définition scolaire de ce
type de personnalité dit bien pourquoi : « Les individus chez qui l’extra-
version est forte sont décrits comme sociables, affirmés, vifs et en
recher­che de sensations67. » Pour faire bouger les autres, il faut entrer en
contact avec eux, et les extravertis se plaisent dans des situations sociales
où les introvertis épuiseraient leur énergie. À l’aise avec les autres, ils
n’hésitent pas à dire ce qu’ils veulent.
Cet aspect affirmé est utile, qu’on cherche à convaincre un client
potentiel de faire appel à notre agence de relations publiques ou un
étranger de changer de place dans un train. Les extravertis sont ami-
caux et sociables, et donc, plus à même d’engager les conversations
vivantes qui mènent à des relations et, peut-être, à des ventes. Enfin,
par leur nature même, ils recherchent la stimulation et dégagent une
énergie et un enthousiasme qui peuvent être contagieux tout en condui-
sant à de nombreuses formes d’influence et de persuasion. Sociable,
affirmé, vif et en recherche de sensations : tel est le profil idéal pour
faire bouger autrui.
« Les vendeurs représentent le prototype des gens sociables dans
notre culture », l’incarnation même de « l’idéal extraverti » qui modèle

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Convaincre au quotidien

la société occidentale, disent beaucoup d’observateurs68. Il n’est donc


pas étonnant que les extravertis fassent souvent carrière dans la vente,
que la plupart des manuels de vente insistent sur l’ouverture et la socia-
bilité ou que les dirigeants recherchent ce type de personnalité lorsqu’ils
recrutent une force de vente, ainsi que les études le confirment69.
L’idée suivant laquelle les extravertis font les meilleurs vendeurs va
tellement de soi qu’on en oublie une chose : à peu près rien ne prouve
qu’elle est exacte. Quand les spécialistes des sciences sociales se sont pen-
chés sur la relation entre extraversion et réussite dans la vente, ils ont
constaté qu’elle était, au mieux, fragile. Par exemple, alors que les super-
viseurs donnent souvent aux extravertis des évaluations élevées, certains
chercheurs ont découvert que l’extraversion n’avait « aucune relation
significative avec… l’efficacité commerciale [et que] l’extraversion
n’avait aucun rapport avec le volume des ventes70 ». Une des investiga-
tions les plus importantes – une série de 3 méta-analyses de 35 études
distinctes portant sur 3 806 vendeurs – a montré que la corrélation entre
vente et extraversion était pratiquement nulle. (On mesure la corréla-
tion positive sur une échelle de 0 à 1, les nombres élevés, 0,62 par
exemple, indiquant une forte corrélation, et 0, aucune corrélation. Sur
les 35 études, la corrélation entre l’extraversion et les résultats de vente
ne dépassait pas 0,0771.)
Cela signifie-t-il que les introvertis – ces personnes effacées plus à
l’aise dans un cabinet d’étude que dans un événement mondain –
parvien­nent mieux à faire bouger autrui ? Pas du tout. En fait, le tableau
qui se dégage des nouvelles études contient une révélation bien plus
surprenante.
Professeur à la Wharton School de l’Université de Pennsylvanie,
Adam Grant est un des meilleurs parmi les jeunes psychosociologues
américains. Après s’être intéressé à l’extraversion 72 dans certains de ses
travaux de recherche, il s’est demandé pourquoi un trait si largement
associé à la vente avait si peu de rapport avec le succès dans ce domaine.

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4 - L’accordage

Grant a collecté des données auprès d’une entreprise informatique


qui exploite des centres d’appels pour vendre ses produits. Il a d’abord
demandé à plus de 300 vendeurs de remplir plusieurs évaluations de
personnalité, dont une utilisée en sciences sociales pour mesurer la
position des gens sur le spectre introversion-extraversion. Cette évalua-
tion contient des énoncés comme « Je suis un boute-en-train » ou « Je
me tais devant les inconnus », par rapport auxquels les participants
doivent se noter eux-mêmes sur une échelle de 1 à 7. Leurs réponses
servent à établir des mesures numériques d’extraversion. Grant a ensuite
observé le chiffre d’affaires réalisé par l’échantillon au cours des trois
mois suivants73.
Les vendeurs introvertis, on ne s’en étonnera pas, ont fait moins bien
que les extravertis : ils ont gagné en moyenne 120 dollars l’heure, contre
125 pour leurs collègues tournés vers l’extérieur. Mais ni les uns ni les
autres n’ont fait aussi bien qu’un troisième groupe, celui des ambivertis.
Ambi-quoi ? Il s’agit de gens qui ne sont ni très extravertis ni très
introvertis74. Revenons à l’échelle de 1 à 7. Les ambivertis se trouvent à
peu près au milieu. Ils ne se situent ni dans les 1 ou 2 ni dans les 6 ou 7.
Dans l’étude de Grant, ces personnalités de l’aurea mediocritas ont gagné
en moyenne près de 155 dollars l’heure, surpassant aisément leurs homo-
logues. En fait, les vendeurs aux revenus les plus élevés (208 dollars
l’heure) présentaient un score d’extraversion de 4,0, pile au centre.

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Convaincre au quotidien

Figure 4.3 Qui vend le plus ?


160,00 $
140,00 $
Revenu moyen par heure

120,00 $
100,00 $

80,00 $
60,00 $

40,00 $
20,00 $
$
Introvertis Extravertis Ambivertis
Source : Adam Grant, Université de Pennsylvanie

Figure 4.4 Chiffre d’affaires par niveau d’extraversion


18 000

16 000
C.A (en dollars)

14 000

12 000

10 000

8 000
1 2 3 4 5 6 7
Extraversion
Source : Adam Grant, Université de Pennsylvanie

De plus, quand Grant a calculé le revenu total sur trois mois en le


rapportant au score des salariés sur l’échelle de 1 à 7, il a constaté un
fait révélateur et caractéristique : les revenus atteignaient leur maxi-
mum entre 4 et 4,5, puis diminuaient au fur et à mesure qu’on allait

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4 - L’accordage

vers les personnalités plus introverties ou plus extraverties. Les extraver-


tis faisaient à peine mieux que les introvertis, et les uns comme les
autres venaient derrière leurs collègues de la zone intermédiaire75.
« Ces constats remettent en cause la vieille croyance selon laquelle
les vendeurs les plus productifs sont extravertis », écrit Grant76. Au
contraire, le fait d’être trop extraverti peut nuire aux résultats, comme
d’autres travaux commencent à le confirmer. Deux études sur les profes­
sionnels de la vente récemment publiées par la Harvard Business Review
montrent par exemple que les meilleurs vendeurs n’aiment pas autant
la compagnie que ceux qui sont sous la moyenne et que les plus sociables
sont souvent ceux qui obtiennent les moins bons résultats77.
Selon une vaste étude portant sur les clients européens et américains,
le comportement « le plus destructeur » chez les vendeurs est l’excès de
zèle et d’affirmation de soi, qui conduit à contacter les clients trop fré-
quemment78. Autrement dit, les extravertis sont souvent victimes de leur
personnalité. Il leur arrive de trop parler et de ne pas assez écouter, donc
d’avoir du mal à comprendre la perspective d’autrui. Ils ne trouvent pas
toujours le bon équilibre entre affirmation de soi et discrétion, au risque
d’être perçus comme insistants et de faire fuir les gens*.
La réponse, cependant, n’est pas de filer vers l’extrémité opposée du
spectre. Les introvertis ont leurs propres problèmes, souvent inverses.
Ils sont parfois trop timides pour aborder quelqu’un et trop frileux
pour conclure. La meilleure démarche pour les gens placés aux extré­
mités est de calquer leur comportement sur celui des gens du milieu.
On l’a parfois noté, les introvertis sont « équipés pour réfléchir », et les
extravertis sont « équipés pour réagir79 ». La vente traditionnelle comme

* Alfred Fuller, fondateur de Fuller Brush Company, est un des rares pros de la vente
à avoir compris cela il y a longtemps. « Je m’imaginais autrefois le vendeur comme
un beau parleur capable de convaincre un bouton de porte d’acheter un produit
pour les cuivres », a-t-il écrit dans ses mémoires. Pourtant, « le type de chez Fuller
Brush n’est pas souvent un extraverti de BD… La plupart du temps, il est plutôt
timide et le cache par une confiance étudiée. »

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Convaincre au quotidien

le commercial sans vente  requièrent un équilibre délicat entre la


réflexion et la réaction. Les ambivertis parviennent à trouver cet équi-
libre. Ils savent quand élever la voix et quand se taire. Leur répertoire
plus large leur permet de s’accorder avec une palette de gens plus éten-
due, dans des circonstances plus variées. Ce sont eux qui arrivent le
mieux à faire bouger autrui, car ils sont les meilleurs accordeurs.
Cela devrait être une bonne nouvelle pour vous. Regardez de nou-
veau la courbe du second graphique. Elle représente la distribution des
introvertis et des extravertis dans l’ensemble de la population80.
Quelques-uns sont extravertis, quelques-uns sont introvertis, mais la
plupart sont ambivertis, plus proches du milieu que des bords de la
courbe, bien accordés à ceux qui les entourent. En un sens, nous
sommes faits pour vendre.

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Mallette d’échantillons

L’accordage

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Découvrez la meilleure manière d’engager
une conversation
Tout ce qu’il y a de bon dans la vie – un métier sympa, une belle his-
toire d’amour, un mouvement social irrésistible – commence par une
conversation. Se parler l’un à l’autre est la forme d’accordage la plus
puissante qui soit. Les conversations nous aident à comprendre l’autre
et à nous mettre en relation avec lui d’une manière dont aucune autre
espèce ne dispose.
Cela dit, quel est le meilleur moyen de commencer une conversa-
tion, surtout avec une personne que vous ne connaissez pas bien ?
Comment mettre rapidement votre interlocuteur à l’aise, l’inviter au
contact, bâtir une relation ? Pour le savoir, voyez Jim Collins, auteur du
classique De la performance à l’excellence et d’autres ouvrages de gestion
novateurs. Son entrée en matière favorite, dit-il, est : « D’où êtes-vous ? »
Cette formulation permet à votre interlocuteur d’innombrables
réponses. Il peut parler de ses origines géographiques (« j’ai passé mon
enfance à Berlin »), de son employeur (« je viens de la Chiba Kogyo
Bank »), ou interpréter la question d’autres manières encore (« j’habite
Los Angeles, mais je compte déménager »).
Cette question a modifié mon propre comportement. Comme
j’adore entendre les gens parler de leur travail, je leur demande souvent :
« Que faites-vous ? » Cependant, j’ai constaté que cette question pou-
vait mettre mal à l’aise ceux qui n’aiment pas leur travail ou qui

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Convaincre au quotidien

craignent le jugement des autres. Celle de Collins est plus amicale. Elle
ouvre les perspectives au lieu de les rétrécir et elle débouche toujours
sur une conversation intéressante.

Pratiquez l’imitation stratégique


Selon Gwen Martin, ce qui rend certains vendeurs extraordinaires est
leur « capacité à faire le caméléon », à ajuster leurs actes en cours de
route, en fonction des autres. Comment apprendre à vous comporter
un peu plus comme ce brave lézard et à maîtriser les techniques de
l’imitation stratégique ? Les 3 étapes clés sont l’attention, l’attente et
l’automatisme.
1. L’attention. Observez ce que fait l’autre personne. Comment
s’assied-elle ? Croise-t-elle les jambes, les bras ? S’incline-t-elle
vers l’arrière, vers le côté ? Tape-t-elle du pied ? Joue-t-elle avec
son crayon ? Comment parle-t-elle ? Vite ? Lentement ? A-t-elle
des expressions favorites ?
2. L’attente. Après avoir observé, ne vous lancez pas tout de suite
dans l’action. Laissez la situation se décanter. Si votre interlocu-
teur s’incline vers l’arrière, comptez jusqu’à 15 avant d’envisager
d’en faire autant. S’il fait une remarque importante, répétez
exactement l’idée principale, mais un peu plus tard dans la
conversation. Ne le faites pas trop souvent, cependant. Ce n’est
pas un concours où vous marqueriez un point à chaque
imi­tation.
3. L’automatisme. Après avoir un peu pratiqué l’imitation, essayez
de moins conscientiser ce que vous faites. Rappelez-vous : c’est
une chose que les humains (y compris vous-même) font naturel-
lement, de sorte que cela finira par vous venir sans effort. C’est
comme la conduite automobile. Les gestes d’un débutant sont
conscients et délibérés mais, une fois qu’il a un peu d’expérience,
il agit d’instinct.

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4 - L’accordage

Là encore, l’objectif n’est pas d’être faux, mais d’être stratégique


tout en étant humain. « L’imitation subtile se manifeste comme une
forme de flatterie, comme une danse de séduction, a noté le New York
Times. Si ce genre de comportement n’aboutit pas à un accord, c’est
peut-être simplement que le client ne veut rien acheter. »

Tirez un fauteuil
À 48 ans, Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, a déjà fait beaucoup de
choses. Il a bouleversé le commerce de détail et est devenu une des
30 personnes les plus riches de la planète. De manière plus discrète, il
a mis au point une des meilleures pratiques d’accordage que je connaisse.
Chez Amazon, comme dans la plupart des organisations, les réu-
nions sont nombreuses. Au cours des plus importantes d’entre elles, à
côté des fauteuils occupés par les cadres, les as du marketing et les
génies informatiques, Bezos en installe un de plus, qui reste vide. Il est
là pour rappeler à tous les participants que la personne la plus impor-
tante de l’assemblée, c’est le client. Le fauteuil vide est devenu légen-
daire au siège d’Amazon, à Seattle. Sa présence incite les participants
des rencontres à se mettre à la place de cette personne aussi invisible
qu’indispensable. Qu’est-ce qui lui passe par la tête ? Quels sont ses
désirs et ses soucis ? Que penserait-elle des idées que nous proposons ?
Essayez d’en faire autant dans votre monde. Si vous êtes en train de
préparer un exposé, le fauteuil vide peut représenter le public et ses
centres d’intérêt. Si vous rassemblez des documents avant d’appeler un
client potentiel, il vous aidera à imaginer les objections ou les questions
que votre interlocuteur pourrait formuler. Si vous dressez le plan d’un
cours, il peut vous inciter à réfléchir à ce que souhaitent vos étudiants.
Vous accorder aux autres en renonçant à votre point de vue afin
d’adopter le leur est essentiel pour faire bouger autrui. Vous asseoir
dans leur fauteuil est un moyen intelligent, facile et efficace pour vous
mettre à leur place.

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Convaincre au quotidien

Gardez le contact avec votre ambiverti intérieur


À Wharton, Adam Grant a découvert que les vendeurs les plus efficaces
étaient les ambivertis, qui se trouvent quelque part au milieu de l’échelle
introversion-extraversion. En faites-vous partie ?
Accordez-vous un moment pour le découvrir. Visitez le site www.
danpink.com/assessment (en anglais), où j’ai reproduit l’évaluation uti-
lisée par les spécialistes des sciences sociales pour mesurer l’introversion
et l’extraversion. Elle vous demandera environ cinq minutes, et vous
obtiendrez votre note in fine. Si vous découvrez que vous êtes ambi-
verti, vous êtes dans la moyenne. Félicitations ! Continuez.
Si le test révèle que vous êtes extraverti, efforcez-vous d’adopter
certaines des qualités d’un introverti. Par exemple, limitez vos déclara-
tions et posez plus de questions. Si vous brûlez de vous mettre en avant,
refrénez votre envie. Surtout, parlez moins et écoutez plus.
S’il s’avère que vous êtes introverti, travaillez les qualités de l’extra-
verti. Prévoyez ce que vous allez demander pour ne pas flancher le
moment venu. Aussi loufoque que cela paraisse, faites un effort
conscient pour sourire et rester assis droit. Même si vous vous sentez
mal à l’aise, exprimez-vous et présentez votre point de vue.
Pour la plupart, nous ne nous situons pas aux extrêmes, parmi les
extravertis à tous crins ou les introvertis invétérés. Nous sommes au
milieu, ce qui nous permet de nous déplacer dans un sens ou dans
l’autre le long de la courbe, en fonction des circonstances, et de décou-
vrir les pouvoirs occultes de l’ambiversion.

Conversez avec un voyageur intertemporel


Cathy Salit, que nous rencontrerons au chapitre 8, fait faire à ses acteurs
un exercice qui est destiné à renforcer leurs aptitudes à l’improvisation,
et qui peut aussi servir à affûter les capacités d’accordage. Elle l’appelle
« Conversation avec un voyageur intertemporel ». Il ne nécessite ni

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4 - L’accordage

équipement ni accessoires, juste un peu d’imagination et beaucoup de


travail. Voici comment cela se passe.
Réunissez quelques personnes et demandez-leur de songer à des
choses qu’un homme d’il y a 300 ans n’aurait pas connues : un feu de
circulation, une pizza à emporter, un portique de détection aéropor-
tuaire. Puis, répartissez les participants par groupes de deux et deman­
dez à chacun des tandems de choisir un objet. L’un jouera le rôle d’un
quidam du début du XVIIIe siècle, et l’autre devra lui expliquer la
nature et le rôle de l’objet.
C’est plus difficile qu’il n’y paraît. La perspective d’une personne
d’il y a 300 ans est extrêmement différente de la nôtre. Pour décrire, par
exemple, un Big Mac acheté au service au volant de McDonald’s, il faut
faire appel à divers concepts sous-jacents : rouler en automobile,
consommer une quantité de viande qui aurait paru extravagante voici
trois siècles, faire confiance à quelqu’un que vous n’avez probablement
jamais vu et ne reverrez jamais, etc. « Cet exercice remet en question vos
postulats sur la clarté de votre message, explique Cathy Salit. Vous êtes
obligé de faire attention à la vision du monde de l’autre personne. » Ce
que nous devrions tous faire bien davantage.

Dressez des cartes


Pour faire du chemin en mettant vos pas dans ceux d’autrui, il vous faut
des cartes. En voici 2 variétés susceptibles de montrer d’où viennent les
gens et où ils pourraient aller.

1. La carte de discussion
À votre prochaine réunion, coupez court aux commentaires avec un
plan qui peut vous aider à révéler la cartographie sociale du groupe.
Dessinez un diagramme indiquant où sont assis les participants de la
rencontre. Au début de la séance, notez qui s’exprime le premier en
inscrivant un X à côté de son nom. Puis, chaque fois que quelqu’un
parle, faites un X à côté de son nom. Si une personne s’adresse à une
autre en particulier plutôt qu’au groupe entier, tracez une ligne de l’une

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Convaincre au quotidien

à l’autre. À la fin de la réunion, vous aurez un graphique montrant qui


parle le plus, qui se tient en retrait et qui est critiqué ou cajolé par les
autres. Vous pouvez en faire autant pour les conférences téléphoniques,
qui sont si à la mode de nos jours. (C’est même plus facile, car per-
sonne ne peut vous voir.) L’exemple ci-dessous signale que la personne
qui a parlé le plus est celle dont les initiales sont JW, que beaucoup de
ses commentaires étaient adressés à AB, et que SL et KC ont à peine
participé aux échanges.
Figure 4.5 Carte de discussion

2. La carte des humeurs


Pour vous faire une bonne idée d’un contexte donné, essayez de carto-
graphier la manière dont il évolue dans le temps. Par exemple, au cours
d’une réunion où on cherche à faire bouger autrui, notez où en sont les
esprits au début de la séance, en employant une échelle de 1 (négatifs

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4 - L’accordage

et fermés) à 10 (positifs et ouverts). Vers le milieu de la rencontre, éva-


luez de nouveau l’humeur ambiante. S’est-elle améliorée ? Détériorée ?
Est-elle restée identique ? Notez le chiffre correspondant, puis répétez
l’exercice à la toute fin de la réunion. Considérez votre document
comme une carte de la météo psychologique qui vous aidera à détermi-
ner si les conditions s’éclaircissent ou tournent à l’orage.
Avec l’accordage, il n’est pas nécessaire d’être météorologue pour
savoir d’où souffle le vent.

Jouez à « miroir, miroir »


À quel point vous adaptez-vous à de légères modifications des présen-
tations ou des situations ? Cet exercice de groupe, très apprécié des
conseils en gestion du changement, peut vous aider à répondre à cette
question et à vous améliorer. Réunissez votre groupe et demandez-lui
ceci :
• Choisissez un partenaire et tenez-vous face à lui pendant
30 secondes.
• Tournez-vous tous les deux de manière à vous trouver dos à dos.
• Changez un élément de votre apparence, par exemple en enle-
vant une boucle d’oreille, en mettant des lunettes, en débouton-
nant votre chemise. Attendez 60 secondes.
• Retournez-vous et voyez si votre partenaire peut dire ce qui a
changé.
• Répétez l’exercice deux fois avec la même personne, en appor-
tant chaque fois un changement à votre apparence.
Cela fait, organisez une courte discussion avec les membres du
groupe. Quels changements ont-ils remarqués ? Lesquels ont échappé à la
détection ? À quel point faut-il être observateur et accordé dès le départ
pour bien réussir cet exercice ? En quoi cette expérience pourrait-elle
influencer le cours d’une rencontre avec un collègue, un client ou un
élève ?

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Convaincre au quotidien

Trouvez des points communs inédits


Les recherches du psychosociologue Robert Cialdini à l’Université
Arizona State, dont il sera question au chapitre 6, montrent que nous
avons plus de chances d’être convaincus par ceux que nous aimons. Et
une des raisons pour lesquelles nous aimons les gens, c’est qu’ils nous
font penser à… nous-mêmes.
Repérer des ressemblances peut vous aider à vous accorder aux
autres et les aider à s’accorder à vous. Voici un exercice qui fonctionne
bien en équipe et fournit des enseignements que chacun peut ensuite
utiliser à son compte.
Réunissez trois ou quatre personnes et posez-leur ces questions :
qu’avez-vous en commun soit avec un des membres du groupe ou avec
tout le monde ? Grattez sous la surface. Par exemple, avez-vous tous un
frère cadet ? Avez-vous visité un parc Disney au cours de l’année der-
nière ? Certains d’entre vous sont-ils des fanatiques de football, des pas-
sionnés d’opéra, des fabricants de fromage pendant leurs temps libres ?
À l’aide d’un minuteur, voyez combien de traits communs vous
parvenez à trouver en cinq minutes. Vous risquez d’être étonné. La
recher­che de similarités peut sembler insignifiante, car on méprise ce
qui ressemble à du bavardage. On a tort. Les ressemblances – les vraies
et non les ressemblances fabriquées – sont une forme essentielle des
rela­tions entre humains. Les gens sont davantage susceptibles de bouger
ensemble quand ils partagent le même terrain.

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Chapitre 5

Le brio

U
n mercredi matin, le lendemain du jour où il a vendu pour
quelque 150 $ de nettoyeurs pour tapis et de produits de net-
toyage aux deux avocates de San Francisco, l’homme de Fuller
Brush, Norman Hall, retourne à leur bureau pour livrer la marchan-
dise. Les avocates ne sont pas encore arrivées. Lui et moi nous replions
donc vers une salle de détente aménagée à l’angle du septième étage du
bâtiment. C’est un de ces espaces d’une banalité affligeante qu’on
trouve dans de nombreux immeubles de bureaux, avec un coin cuisine
et, au milieu, une table bon marché entourée de chaises bas de gamme.
Du moins avons-nous ainsi un endroit où nous installer. Et nous voilà
assis, évoquant la vie de Hall en attendant que ses clientes arrivent et
qu’il puisse leur remettre leur colis avant de poursuivre sa journée.
Au bout d’une demi-heure environ, une femme qui travaille de
l’autre côté du hall entre dans la pièce et commence à préparer du café.
Hall me signale en levant l’index qu’il désire interrompre notre conver-
sation pour bavarder avec elle.
— Est-ce vous, le nouveau bureau, là-bas ? lui demande-t-il.
— Oui, c’est nous, répond-elle en tournant la tête.
— Depuis de très, très nombreuses années, je suis en contact avec
les deux avocates qui sont ici, dit Hall. Et je comptais passer me présen-
ter. Je ne sais pas si cela peut vous intéresser. Je couvre cette partie de la
ville depuis près de 40 ans.

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Convaincre au quotidien

— Oh ! fait la femme, toujours tournée vers le mur, d’une voix qui
ne dénote pas la moindre émotion.
— Je suis sûr que vous avez entendu parler de Fuller Brush, pour-
suit Hall.
— Oui… nous… répond-elle.
Elle est mal à l’aise. Et il est clair qu’elle s’efforce d’abréger la ren-
contre. Son café va-t-il être prêt avant que Hall lui ait débité tout son
discours ?
— Je crois que nous n’avons besoin de rien, reprend-elle.
Floc… floc… floc.
— Je ne cherche pas à m’imposer aux gens, assure Hall avec la voix
calme de celui qui a tout son temps.
Floc… floc… floc.
— OK, dit la femme avec l’intonation chantante de quelqu’un qui
essaie de mettre fin à la conversation. Merci…
Hall fait mine de ne rien remarquer.
— J’ai ici le catalogue de l’entreprise, et je fournis de petits articles
de nettoyage à certains bureaux. C’est pourquoi je suis ici.
La femme se tourne et croise les bras. Son regard va et vient de Hall
à la cafetière. Hall explique que les avocates sont ses clientes depuis
15 ans et qu’il attend afin de leur remettre ce qu’elles ont commandé la
veille. Il redit qu’il travaille dans le quartier depuis 40 ans. Il répète qu’il
ne bouscule personne, qu’il n’est pas un vendeur insistant, qu’il a sim-
plement des produits qui pourraient être utiles, et qu’il lui suffirait de
quelques minutes pour les lui présenter sans lui faire perdre son temps.
Floc… floc… le café est prêt.
— Bien, dit la femme, en étirant le mot assez longtemps pour
transformer un non franc et massif en un peut-être concédé à contre-
cœur. Arrêtez-vous en repartant.

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5 - Le brio

Hall lui demande son nom. Elle s’appelle Beth. Elle sort avec sa
tasse de café tout chaud. Le silence s’installe dans la pièce. Hall attend
que Beth soit hors de portée de voix, puis il se penche vers moi. « Voilà
comment ça commence », me dit-il.
Norman Hall s’est mis à vendre des brosses Fuller parce qu’il était
sans le sou. Né à New York d’une mère qui résidait au foyer russe et
d’un Écossais qui travaillait comme représentant chez un éditeur, il a
fait une courte carrière d’enfant acteur. Après l’école secondaire, il est
entré à l’Université Cornell avec l’intention de devenir médecin. « Il est
vite devenu manifeste que ce n’était pas ma vocation, admet-il. Je pas-
sais plus de temps à jouer la comédie qu’à étudier. »
Après un temps dans l’U.S. Navy, Hall est retourné à New York
pour tenter sérieusement de devenir acteur professionnel. Les temps
étaient durs. Pour toucher un revenu régulier, il a suivi les traces de son
père et est devenu représentant chez un éditeur. Il s’est bientôt retrouvé
à San Francisco pour ouvrir un bureau de Grove Press, éditeur de Jack
Kerouac, de William Burroughs et d’Allen Ginsberg. En quelques
années, le bureau s’est effondré. Le mariage de Hall aussi. Il a ouvert un
restaurant, qui a été un échec où il a laissé ses économies. C’était au
début des années 1970. « J’en étais à mon dernier dollar, raconte-t-il.
J’ai répondu à une petite annonce de Fuller Brush, car l’entreprise
annon­çait un taux très élevé de rotation des stocks et des rentrées
d’argent rapides. »
La première semaine, Hall a failli renoncer quatre fois à cet emploi.
Bien qu’il ait été vendeur auparavant et qu’il ait donc eu l’habitude de
s’entendre dire non, le porte-à-porte lui est apparu particulièrement
brutal. Rapides et féroces, les rejets se manifestaient souvent par de la
grossièreté et des portes claquées. Cependant, chaque fois qu’il a voulu
abandonner, un des vendeurs chevronnés du bureau de San Francisco l’a
pris à part. Cet homme, Charlie, était « la quintessence du représentant
Fuller Brush », dit Hall. Il l’a encouragé, lui a dit que les rejets qu’il accu-
mulait faisaient partie du cursus normal et qu’il devrait continuer.

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Convaincre au quotidien

« À la fin de la semaine, j’ai reçu un salaire correct », se rappelle Hall.


Il a persévéré, tout en continuant à faire du théâtre et à chercher d’autres
moyens de gagner sa vie. « C’était au jour le jour, note-t-il. Toutefois, au
bout de cinq ans, j’ai fini par admettre que c’était là ma carrière et que
c’était à moi d’en faire un bon métier. » Ce n’est pas toujours facile, mais
ce qui le déprime vraiment, ce n’est pas de traîner des caisses de brosses
et de bouteilles de détachant dans les rues en pente de San Francisco ou
de franchir 8 kilomètres par jour sur ses jambes de 75 ans. C’est quelque
chose de plus profond. Chaque jour, durant ses tournées, Hall doit af-
fronter ce qu’il appelle « un océan de rejet ».
Tracez la carte de la vente et vous verrez que son trait topogra-
phique le plus évident est cet océan profond et hostile. Toute personne
qui vend, que ce soit en essayant de convaincre des clients d’effectuer
un achat ou de persuader des collègues de réaliser un changement, doit
faire face à des vagues successives de refus, de rebuffades et de rabroue-
ments. Être capable de surfer sur cet océan de rejet est la seconde qua-
lité essentielle de qui veut faire bouger autrui. Je l’appelle le brio. Hall
en est l’exemple vivant, et les sciences sociales récentes en expliquent le
concept. Si vous comprenez ses trois composantes, qui interviennent
avant, pendant et après toute tentative pour faire bouger autrui, vous
pourrez utiliser le brio de manière efficace dans votre propre vie.

Avant : le soliloque interrogatif


La partie la plus difficile de la vente, affirme Norman Hall, intervient
avant que ses chaussures bien cirées touchent les trottoirs de San
Francisco. « Sortir de chez moi et me trouver face à des gens, voilà l’obs-
tacle le plus raide. Il y a une personne inconnue et sans visage que je
dois rencontrer pour la première fois. »
La plupart des gourous de la vente et de la réussite proposent un
remède standard aux hésitations de Hall : l’automotivation. Le vendeur
doit prendre un moment pour songer à quel point il est doué et infati-
gable. Og Mandino, par exemple, dont les livres stimulants ont

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5 - Le brio

contribué à fixer la tonalité des conseils commerciaux du XXe siècle,


conseillait à chacun de se dire : « Je suis le plus grand miracle de la na-
ture [et] je serai le plus grand vendeur que le monde ait connu.81 »
Napoleon Hill, auteur de Think and Grow Rich, un des best-sellers
américains du siècle dernier, assurait que le « premier pas dans l’art de la
vente [est] l’autosuggestion, le principe par lequel le vendeur sature son
esprit d’une foi dans la marchandise ou le service qu’il propose ainsi que
dans sa propre aptitude à vendre82 ». D’Anthony Robbins aux États-Unis
à Paul McKenna au Royaume-Uni, en passant par les cours de forma-
tion à la vente, tous donnent un conseil remarquablement identique :
dites-vous que vous pouvez le faire. En déclarant votre foi inébranlable
en votre magnificence naturelle, vous gonflez un robuste canot pneuma-
tique qui vous permettra de surnager dans l’océan de rejet.
Les sciences sociales brossent un tableau plus nuancé de la situa-
tion. Les humains se parlent sans cesse à eux-mêmes – à tel point, en
fait, qu’il est possible de distinguer des catégories dans leurs soliloques
intérieurs. Certains sont positifs, comme « je suis fort », « je peux le
faire » ou « je serai le plus grand vendeur du monde ». D’autres sont
négatifs : « je suis trop faible pour terminer cette course », « je n’ai jamais
été bon en maths » ou « je n’arriverai jamais à vendre ces encyclopé-
dies ». Qu’on fasse rouler ses biceps ou qu’on courbe l’échine, ces soli-
loques tendent à être déclaratifs. Ils énoncent ce qui est ou ce qui sera.
Cependant, la personne dont vous devriez suivre l’exemple a adop-
té une autre voie. Elle s’appelle Bob le bricoleur (en anglais, Bob the
Builder). Si vous n’avez pas fréquenté les écoles maternelles dans les
15 dernières années, permettez-moi une brève présentation. Bob est un
personnage de films d’animation. Vêtu d’un casque de chantier et d’un
bleu de travail, il dirige une entreprise du bâtiment. L’émission télévisée
dont il est le héros a fait ses débuts en Angleterre en 1999 et est suivie
à présent par les enfants de 85 pays. Bob se trouve toujours pris dans
des situations inextricables qui semblent exiger le recours à la vente
traditionnelle ou au commercial sans vente. Comme nous tous, il se

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Convaincre au quotidien

parle à lui-même, mais son soliloque n’est ni positif ni déclaratif. Pour


faire bouger son équipe et se motiver lui-même, il pose cette question :
peut-on le faire ?
Permettre à cet éclair de doute de traverser leur fenêtre psychique
ferait frémir d’horreur les émules de Mandino, de Hill, de Robbins ou
de McKenna. Toutefois, les chercheurs en sciences sociales sont en train
de découvrir que Bob a raison. Oui, un soliloque positif est en général
plus efficace qu’un soliloque négatif, mais le soliloque le plus efficace ne
se contente pas de déplacer les émotions. Il déplace les catégories lin-
guistiques. Au lieu d’énoncer, il interroge.
Trois chercheurs, Ibrahim Senay et Dolores Albarracín, de l’Uni-
versité de l’Illinois, ainsi que Kenji Noguchi, de l’Université du
Mississippi du Sud, ont confirmé l’efficacité du soliloque interrogatif
au cours d’une série d’expériences réalisées en 2010. Dans l’une, les
participants étaient invités à résoudre 10 anagrammes (redistribuer les
lettres du mot « Noël » pour obtenir « Léon », par exemple). Ils ont été
répartis en deux groupes traités de manière identique, sauf dans la mi-
nute précédant la réalisation de la tâche. Les membres du premier
groupe devaient se demander s’ils pourraient résoudre les énigmes, et
ceux du second groupe, se dire qu’ils les résoudraient. En moyenne, le
groupe auto-interrogatif a résolu presque 50 % d’énigmes de plus que
le groupe auto-affirmatif83.
Au cours de l’expérience suivante, une série d’anagrammes a été sou-
mise à un nouveau groupe, mais dans des conditions un peu différentes.
« Nous avons dit aux participants que nous nous intéressions à l’écriture
manuscrite, expliquent les chercheurs. Sous ce prétexte, nous leur avons
remis une feuille de papier pour qu’ils y écrivent 20 fois un des mots
suivants : Will I, I will, I ou Will 84. » (Veux-je, Je veux, Je ou Veux.)
Le résultat a été similaire à celui de la première expérience. Les gens
qui avaient écrit Veux-je ont résolu plus de deux fois plus d’anagrammes
que ceux qui avaient écrit Je veux, Veux ou Je. La même tendance a été
constatée au cours d’expériences ultérieures. Ceux qui abordaient une

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5 - Le brio

tâche par un soliloque de questionnement à la manière de Bob le bri-


coleur réussissaient mieux que ceux qui l’effectuaient selon le mode
affirmatif.
Deux raisons expliquent ces résultats. D’abord, la forme interroga-
tive appelle en soi des réponses, parmi lesquelles on compte des straté-
gies destinées à réaliser la tâche pour de bon. Imaginez, par exemple,
que vous préparez une réunion importante au cours de laquelle vous
devez présenter une idée et mobiliser ses partisans. Vous pouvez vous
dire : « Je suis le meilleur. Ça va passer comme une lettre à la poste. »
Cela vous donnera un bref coup de fouet psychologique. Cependant, si
vous vous demandez plutôt : « Puis-je faire un exposé exceptionnel ? »,
vous vous doterez d’arguments dont l’influence sera plus profonde et
plus durable.
Vous vous répondrez peut-être : « Eh bien, oui, je peux faire un ex-
posé sensationnel. D’ailleurs, il m’est arrivé pas mal de fois de présenter
des idées dans des réunions. » Vous pourriez vous remémorer les prépa-
ratifs : « Assurément, je peux le faire. Je connais la question à fond et j’ai
trouvé d’excellents exemples pour persuader les sceptiques. » Vous
pourriez aussi vous donner des conseils tactiques : « La dernière fois, j’ai
parlé trop vite ; cette fois-ci, je vais ralentir le débit. Dans ces situations,
je me laisse parfois troubler par les questions ; là, je prendrai le temps
de respirer avant de répondre. » L’affirmation de soi est agréable et peut
vous aider, mais elle ne vous conduira pas à mobiliser les moyens et les
stratégies nécessaires pour accomplir la tâche.
La seconde raison est connexe à la première. Le soliloque interroga-
tif, disent les chercheurs, « peut inspirer des pensées sur les motivations
intérieures de poursuivre un but85 ». De nombreuses études ont montré
que les gens sont plus disposés à agir et à réussir quand leurs motiva-
tions viennent de choix intrinsèques plutôt que de contraintes extrin-
sèques86. Le soliloque déclaratif risque de passer à côté de leurs
motivations. Son pendant interrogatif, quant à lui, éclaircit les raisons

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Convaincre au quotidien

pour lesquelles ils font les choses et leur rappelle que beaucoup de ces
motifs viennent de l’intérieur d’eux-mêmes*.
La première composante du brio est donc le soliloque interrogatif.
Pouvez-vous le pratiquer ? Eh bien, posez-vous la question !

Pendant : le ratio optimal de positivité


Je suis sûr que Norman Hall est un ambiverti. Les quelques jours que
j’ai passés en sa compagnie m’ont montré qu’il n’était pas un introverti
farouche. D’ailleurs, comment aurait-il pu gagner sa vie en vendant des
brosses pendant 40 ans s’il avait eu du mal à s’exprimer ou s’il ne s’était
pas senti à l’aise devant des étrangers ? Hall n’est pas non plus un de ces
extravertis qui vous attrapent le poignet et vous tapent dans le dos. Il
est réfléchi, circonspect et, comme il le dit souvent lui-même, il fait
profil bas.
« Je déteste les représentants commerciaux du genre vendeurs de
voitures d’occasion, qui tentent de passer en force. Je ne voudrais pas
en faire partie, m’a-t-il dit. Je fais davantage profil bas dans mon travail
que dans ma vie personnelle. » Comme tous les vendeurs efficaces, Hall
est un maître accordeur. Il écoute et regarde davantage que le vendeur
des stéréotypes mais, quand il le faut, il fait entendre sa voix et défend
sa position avec vigueur. Si vous observez cette ambiversion en action,
en écoutant avec attention ce que Hall dit et ses conversations avec
d’autres, vous constaterez qu’il détient aussi la deuxième composante
du brio : la positivité.
En entendant le mot « positivité », pas mal de gens roulent des yeux,
ramassent leurs affaires et cherchent la sortie. Il a les relents d’un concept
creux défendu par des gens plus creux encore. Pourtant, bon nombre
d’études récentes attestent son importance dans beaucoup de domaines
de l’existence, y compris dans la manière de faire bouger autrui.

* Nous rencontrerons un phénomène analogue avec « l’exposé question » au chapi­tre 7.

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5 - Le brio

Considérez par exemple une négociation difficile dans laquelle chaque


partie tente de faire accepter sa position à l’autre. Il n’est pas indispensable
que les négociateurs soient désagréables et brutaux, considère-t-on tradi-
tionnellement, mais ils doivent demeurer inflexibles et impassibles.
Voici quelques années, une équipe d’experts en sciences du com-
portement dirigée par Shirli Kopelman, de l’Université du Michigan, a
testé cette proposition en simulant une série de négociations. Dans une
des expériences, le scénario suivant  a été proposé aux participants, des
cadres préparant un MBA : « Vous organisez une cérémonie de mariage.
Il y a plusieurs semaines, vous avez pris des dispositions avec une socié-
té de restauration, qui a évalué ses services à 14 000 $. À présent, vous
rencontrez sa responsable de terrain, qui a une mauvaise nouvelle.
À cause des fluctuations du marché, le devis est passé à 16 995 $. De
plus, elle a sous la main un client prêt à prendre votre place pour la
même journée si vous ne signez pas le contrat. »
À leur insu, les participants ont été divisés en trois groupes. La
« responsable de terrain » (une personne spécialement formée pour
jouer ce rôle) a donné exactement la même explication du changement
de prix à chacun des groupes et a proposé des tarifs et des conditions
identiques pour ses prestations ; cependant, elle a fait varier son ap-
proche psychologique. À un groupe, elle a présenté des émotions posi-
tives. Elle « a parlé sur un ton amical, a souri souvent, a hoché la tête en
signe d’accord et s’est montrée cordiale et abordable ». À un autre, elle
« a parlé de manière antagoniste, a eu recours à l’intimidation et s’est
montrée insistante ». Avec le dernier groupe, elle « s’est exprimée sur un
ton égal et monotone, n’a affiché que peu d’émotions et a discouru de
manière pragmatique87 ».
L’humeur de la responsable de terrain a eu un effet notable. Ceux
qui ont entendu un exposé à tonalité positive ont été deux fois plus
disposés à accepter la proposition que ceux qui ont été reçus de manière
négative, alors même que les conditions étaient identiques. Dans une

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Convaincre au quotidien

expérience similaire, où les négociateurs avaient la possibilité de


présenter des contre-propositions, ceux qui ont eu affaire à la personne
négative se sont montrés beaucoup moins généreux que ceux qui ont
transigé avec une personne positive88.
Barbara Fredrickson, de l’Université de Caroline du Nord, est la
chercheuse la plus connue dans le domaine de la positivité – vocable
qui recouvre un ensemble d’émotions incluant l’amusement, la joie,
l’intérêt, la gratitude et l’inspiration. À son avis, les émotions négatives
sont un legs de l’évolution qui sert à rétrécir la vision des gens et à diri-
ger leur comportement dans le sens de la survie immédiate (« j’ai peur,
donc je vais fuir ; je suis en colère, donc je vais me battre »). « Les émo-
tions positives ont l’effet inverse, écrit-elle. Elles élargissent les idées des
gens sur les actions possibles, ouvrent leur conscience à des pensées plus
vastes et… les rendent plus réceptifs et plus créatifs89. »
Cet effet d’élargissement dû aux émotions positives a des consé-
quences importantes pour qui veut faire bouger autrui. Considérons les
deux parties d’une transaction typique. Les émotions positives peuvent
élargir la vision que le vendeur a de son interlocuteur et de sa situation.
Là où les émotions négatives font voir des arbres, les émotions positives
révèlent des forêts, ce qui, en retour, peut aider à trouver des solutions
inattendues au problème de l’acheteur. Selon d’autres études, les émo-
tions positives peuvent élargir les répertoires comportementaux et ren-
forcer l’intuition et la créativité 90 ; dans tous les cas, elles accroissent
l’efficacité. De plus, comme on l’a vu avec l’étude de Kopelman, les
émotions peuvent être contagieuses. Ainsi, dans un entretien de vente,
les effets de la positivité s’étendent à l’acheteur et le rendent moins
hostile, plus à l’écoute des possibilités et peut-être plus désireux de par-
venir à un accord bénéfique pour les deux parties. Quand celles-ci
quittent la table satisfaites, il peut en résulter une relation durable et
une ambiance favorable pour les transactions ultérieures.
La positivité a une autre dimension importante. « Vous devez croire
au produit que vous vendez ; il faut que ça se voie », assure Hall. Presque
tous les vendeurs que j’ai rencontrés contestent que certaines personnes

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5 - Le brio

soient « capables de vendre n’importe quoi », qu’elles y croient ou non.


Cela était peut-être vrai dans le passé, à l’époque où les vendeurs dispo-
saient d’un net avantage d’information et où les acheteurs n’avaient
guère de choix, m’ont-ils dit. Aujourd’hui, cependant, croire en l’offre
conduit à mieux la connaître et, partant, à mieux la faire concorder
avec le besoin d’autrui.
La conviction authentique peut être contagieuse sur le plan psy-
chologique. Cory Scherer et Brad Sagarin, de l’Université de l’Illinois
du Nord, ont ainsi découvert qu’un juron modéré inséré dans un dis-
cours rendait celui-ci plus persuasif et renforçait la perception des audi-
teurs quant à l’intensité de l’orateur91. « Je crois en ces produits, m’a dit
Hall. Je suis certain que, si vous achetez une de ces brosses, vous en
disposerez durant des années. »
Si vous êtes de ceux qui préfèrent assaisonner leur existence de né-
gativité, tout n’est pas perdu. Rappelez-vous : quand on se prépare à
faire bouger quelqu’un, rien ne vaut le soliloque interrogatif. Par ail-
leurs, il n’est pas nécessaire de se vautrer dans la mièvrerie pour être
positif. En fait, on obtient les meilleurs résultats avec une recette parti-
culière : un ratio optimal de positivité.
Au cours d’une étude qui fait appel à des modèles mathématiques
et à la théorie de la complexité pour analyser les comportements
d’équipe92, Barbara Fredrickson et le sociologue brésilien Marcial
Losada ont demandé à un groupe de participants de prendre note de
leurs émotions positives et négatives tous les jours pendant quatre se-
maines*. Ils ont calculé le rapport entre les deux types d’émotions, puis
l’ont comparé aux scores de bien-être global obtenus par les partici-
pants en fonction de 33 critères.

* Les émotions positives, expliquent les chercheurs, comprenaient l’amusement, le


respect, la compassion, le contentement, la gratitude, l’espoir, l’intérêt, la joie,
l’amour, la fierté et le désir sexuel. Les émotions négatives comprenaient la colère,
le mépris, le dégoût, l’embarras, la peur, la culpabilité, la tristesse et la honte.

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Convaincre au quotidien

Fredrickson et Losada ont découvert que les personnes dont les


émotions positives et négatives étaient équilibrées – 1 pour 1 – ne res-
sentaient pas plus de bien-être que celles dont les émotions étaient
principalement négatives. Les deux groupes, d’une manière générale, se
languissaient. Plus surprenant encore, les gens dont le ratio positif-né-
gatif était de 2 pour 1 n’étaient pas plus heureux que ceux dont les
émotions négatives l’emportaient sur les positives. Cependant, dès que
les émotions atteignaient un certain nombre, tout changeait. Ce
nombre était 2,9013 ; pour rendre service aux lecteurs qui ne re-
cherchent pas la précision à la quatrième décimale, Barbara Fredrickson
et Marcial Losada l’ont arrondi à 3.
Donc, quand les émotions positives des gens l’emportaient sur leurs
émotions négatives selon un rapport de 3 pour 1 – c’est-à-dire que, pour
3 cas où ils ressentaient gratitude, intérêt ou contentement, ils éprou-
vaient 1 cas de colère, de culpabilité ou d’embarras –, ils étaient en géné-
ral en pleine forme. Sous ce ratio, d’ordinaire, ils ne l’étaient pas93. Les
deux auteurs ont aussi constaté que la positivité avait une limite supé-
rieure. Quand le ratio atteignait 11 pour 1, les émotions positives com-
mençaient à faire plus de mal que de bien. Au-delà de cet équilibre entre
positif et négatif, la vie devenait un festival d’obscurantisme à la Pangloss,
l’auto-aveuglement empêchant l’auto-amélioration. Un peu de négati-
vité – ce que Fredrickson et Losada appellent une « négativité appro-
priée » – est indispensable. Sans elle, « les schèmes de comportement se
calcifient94 ». Les émotions négatives offrent un retour d’expérience sur
les résultats, donnent de l’information sur ce qui fonctionne ou pas et
fournissent des pistes d’amélioration.
Hall semble avoir trouvé le bon cocktail. Il essaie, dit-il, de com-
mencer sa journée par un ou deux appels commerciaux qu’il sait devoir
être amicaux. Il recherche aussi des contacts positifs tout au long de la
journée. Par exemple, en une occasion où je l’ai accompagné pendant
trois heures, il a visité un restaurant pour prendre des nouvelles d’un
ami qui y travaillait et qui avait été malade. Dans la rue, il a arrêté un
client de longue date pour bavarder un peu. Il est entré dans une

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5 - Le brio

boutique de vêtements dont le propriétaire l’a accueilli d’un joyeux


« M. Fuller ! » et tous deux sont tombés dans les bras l’un de l’autre. Ces
expériences l’aident à continuer après les visites d’où il ressort en grom-
melant contre la grossièreté des gens.
Aux yeux de Barbara Fredrickson, le ratio de positivité d’une per-
sonne comme Hall résulte d’un équilibrage entre deux leviers concur-
rents : la légèreté et la gravité. « La légèreté est la force invisible qui vous
élève vers le ciel, tandis que la gravité est la force qui vous tire vers la
terre, écrit-elle. La légèreté mal maîtrisée fait de vous quelqu’un de fri-
vole, d’éthéré et d’irréel. La gravité mal maîtrisée vous force à vous
complaire dans votre souffrance. Quand elles sont convenablement
associées, ces forces opposées vous confèrent beaucoup de tonus95. »

Après : le style explicatif


À la fin de chaque journée, Norman Hall prend un autobus qui le
ramène par le Golden Gate vers sa femme et sa maison de Rohnert
Park, à environ une heure et demie de son lieu de travail. Certains
jours, il lit. D’autre fois, il dort. Souvent, il réfléchit. Sa manière de
réfléchir à sa journée – et en particulier d’en expliquer les pires aspects –
joue d’ailleurs un rôle important dans son succès. C’est la troisième
composante du brio.
Martin Seligman, de l’Université de Pennsylvanie, est une sommité
de la science psychologique contemporaine. C’est un des pères de la
psychologie positive, qui traite le bonheur, le bien-être et la satisfaction
avec une rigueur analytique que sa discipline a longtemps réservée au
handicap, à la débilité et au désespoir. Un de ses apports notables a été
d’approfondir notre connaissance de l’optimisme.
Seligman a abordé le sujet depuis l’autre extrémité du spectre émo-
tionnel. Il a été, dans les années 1970, le pionnier du concept d’impuis-
sance apprise. Par ses études sur les chiens, puis sur les humains, il a fait
reculer l’opinion comportementaliste dominante selon laquelle toutes
les créatures, qu’elles aient deux jambes ou quatre pattes, réagiraient

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Convaincre au quotidien

systématiquement et de manière prévisible aux récompenses et aux


punitions externes. Ses travaux ont montré que, après des expériences
prolongées au cours desquelles ils étaient privés de la maîtrise de leur
environnement, certains individus renonçaient. Même quand les
conditions revenaient à la normale et qu’ils retrouvaient la capacité de
rechercher un gain ou d’éviter une souffrance, ils demeuraient passifs.
Ils avaient appris à être impuissants.
Chez les humains, a observé Seligman, l’impuissance apprise
dépend ordinairement de leur style explicatif – leur habitude de s’expli­
quer à eux-mêmes les événements négatifs. Représentez-vous le style
explicatif comme une forme de soliloque intérieur qui intervient après
(plutôt qu’avant) une expérience vécue.
Les gens qui se résignent aisément, qui deviennent impuissants
même dans des situations où ils pourraient faire quelque chose, dé-
crivent les événements négatifs comme permanents, envahissants et
personnels. Ils pensent que les conditions négatives durent longtemps,
que les causes en sont universelles plutôt que spécifiques et que la faute
leur en incombe. Si leur patron les réprimande, ils se disent « mon pa-
tron est toujours désagréable », « tous les patrons sont des sales types »
ou « je suis nul dans mon travail » plutôt que « mon patron a vécu une
dure journée, et je passais par là quand il a pété les plombs ». Le style
d’explication pessimiste – l’habitude de se dire « c’est ma faute, il en
sera toujours ainsi, ça va pourrir tout ce que je fais96 » – est débilitant, a
constaté Seligman. Il peut amoindrir les performances, provoquer la
dépression et « transformer les revers en désastres97 ».
Au milieu des années 1980, quand le concept d’impuissance ac-
quise a eu sa place dans les cours d’introduction à la psychologie,
Seligman et quelques collègues ont commencé à se demander si la
théorie avait un versant ensoleillé. Si un style explicatif déprimant était
cause de souffrances, un style optimiste amenait-il la prospérité ? Pour
le savoir, Seligman et un de ses collègues de l’Université de Pennsylvanie,
Peter Schulman, ont recherché un domaine riche en déceptions, dont

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5 - Le brio

les acteurs subissaient quotidiennement des vagues répétées de réac-


tions négatives : la vente.
Seligman et Schulman ont fait appel à près d’une centaine d’agents
commerciaux de la compagnie d’assurances Metropolitan Life, dans
l’État de la Pennsylvanie. Ces hommes (et ces quelques femmes) occu-
paient des postes de vendeurs classiques. Ils faisaient des appels télé-
phoniques à froid pour solliciter des rendez-vous, rencontraient des
clients potentiels pour leur proposer des polices et gagnaient leur vie
avec les commissions calcu­lées sur les contrats signés. Les chercheurs
ont fait passer à tous le questionnaire d’évaluation du style d’attribu-
tion, ou ASQ (pour attributional style questionnaire ), qui leur a permis
de positionner le style explicatif de chaque participant sur le spectre
pessimisme-optimisme en fonction des réponses suscitées par une série
de vignettes. Ils ont observé les résultats obtenus par les agents pendant
les deux années suivantes, d’après le nombre de polices souscrites et le
montant total des commissions.
Les résultats ont été sans équivoque : « Les agents que leur style ex-
plicatif classait dans la moitié optimiste ont vendu 37 % d’assurances
de plus que ceux de la moitié pessimiste. Les agents du décile supérieur
en ont vendu 88 % de plus que ceux du décile inférieur 98. »
À la demande de Metropolitan Life, qui voyait environ 50 % de ses
représentants commerciaux s’en aller la première année, Seligman et
Schulman ont étudié un autre groupe formé de plus de 100 vendeurs
nouvellement embauchés. Ils les ont soumis à l’ASQ avant qu’ils
prennent leur poste, puis ils ont observé leurs progrès. Les agents clas-
sés dans la moitié pessimiste de l’ASQ ont démissionné dans une pro-
portion deux fois supérieure à celle de la moitié optimiste. Les agents
du quart le plus pessimiste avaient trois fois plus de chances de s’en aller
que ceux du quart le plus optimiste99.
Autrement dit, les gens dont le style explicatif était optimiste – qui
considéraient les rejets comme provisoires plutôt que définitifs, comme
spécifiques plutôt qu’universels et comme externes plutôt que

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Convaincre au quotidien

personnels – vendaient deux fois plus d’assurances que les autres et


restaient plus longtemps en fonction. De plus, leur style explicatif pré-
disait leurs résultats aussi exactement que les évaluations les plus large-
ment utilisées dans la profession pour embaucher des agents.
L’optimisme, on le voit, n’est pas un sentiment creux. C’est un cataly-
seur qui peut favoriser la persévérance, affermir les gens devant les dif-
ficultés et leur donner confiance dans leur capacité à influencer leur
entourage.
Norman Hall est adepte du style explicatif optimiste. Chaque fois
qu’il essuie un rejet (et il en a essuyé plusieurs au cours des appels de
prospection qu’il a faits quand j’étais à ses côtés), celui-ci est selon lui
provisoire, spécifique ou externe. Le bijoutier était occupé avec un
client et ne pouvait s’occuper de brosses. Le responsable de l’entretien
n’avait pas encore fait le point sur ses fournitures. Le patron de la bou-
tique de vêtements avait probablement un problème de trésorerie à
cause du marasme économique. Quand je l’ai interrogé sur ces rebuf-
fades, il n’a pas cillé. « Je suis un sacré bon vendeur, m’a-t-il dit. Il faut
persévérer. C’est tout. »
Hall ne porte pas de lunettes roses, pourtant. Il trouve certains clients
désagréables. Il admet que certains rejets le touchent personnellement. Il
a vécu pas mal de journées sombres, pénibles. Cependant, les événements
négatifs peuvent clarifier les événements positifs. Ils confèrent à Hall non
une faiblesse rêveuse, mais un brio endurci – un équilibre convenable
entre les forces qui le tirent vers le haut et celles qui l’entraînent vers le
bas. Son optimisme n’est pas aveugle. C’est ce que Seligman appelle « un
optimisme souple, un optimisme les yeux ouverts100 ».
La première chose que nous entendons est un halètement, suivi du
frottement de quatre pieds sur le tapis de l’entrée. Penelope Chronis et
Liz Kreher, leur chien sur les talons, arrivent pour ouvrir leur bureau et
commencer la journée. Elles sont étonnées de trouver là Norman Hall
– il n’y a pas 24 heures qu’elles ont passé leur commande –, mais ravies
de recevoir leur balai électrostatique et leurs grattoirs en inox. Il s’avère

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5 - Le brio

aussi qu’elles connaissent Beth, la femme de la salle de détente, et elles


invitent Hall à se réclamer d’elles pour asseoir sa crédibilité.
La livraison effectuée, Hall et moi longeons le couloir en direction
du bureau de Beth. À ce moment, j’ai le sentiment que ma présence
fausse le style de mon compagnon. Il n’a pas besoin d’un allié pour faire
une vente : quand il entre dans le bureau, je poursuis vers les ascenseurs.
Il est environ 11 h. Je l’attends sur le trottoir, devant le 530, Bush
Street. Tout à l’heure, Beth n’a guère montré d’intérêt pour les brosses.
Je me dis donc que Hall sera là à 11 h 05. Il n’y est pas. Et pas davan-
tage à 11 h 10, à 11 h 15 ou à 11 h 20.
Il est presque 11 h 25 quand Hall pousse la porte vitrée de l’im-
meuble et met le pied sur le trottoir. Je le regarde sans mot dire. Je me
contente de tourner les paumes vers le ciel et de lever les sourcils pour
demander : « Alors ? » Hall secoue la tête et fait vivement glisser sur sa
gorge l’index de sa main droite. Zéro vente.
Nous faisons quelques pas en silence. Puis le dernier représentant
Fuller Brush de San Francisco se tourne vers moi et dit : « Mais je crois
qu’il y a une chance pour la prochaine fois. »

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Mallette d’échantillons

Le brio

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Faites comme Bob :
pratiquez le soliloque interrogatif
La prochaine fois que vous vous préparerez à persuader autrui, reconsi-
dérez vos préparatifs. Ne cherchez pas à vous stimuler par des décla­
rations et des affirmations, regardez plutôt un épisode de Bob le
bricoleur et posez-vous une question : « Puis-je faire bouger ces gens ? »
Comme l’ont découvert les chercheurs en sciences sociales, le soli-
loque interrogatif est souvent plus efficace que le soliloque déclaratif.
Toutefois, ne vous contentez pas de laisser la question suspendue en l’air
comme un ballon perdu. Répondez-y, directement et par écrit. Dressez
une liste de cinq raisons précises pour lesquelles la réponse à votre ques-
tion est positive. Ces raisons vous rappelleront les stratégies dont vous
aurez besoin pour être efficace le moment venu. Elles vous fourniront
une base plus robuste et plus réelle qu’une simple affir­mation.
En d’autres termes, demandez et vous recevrez.

Surveillez votre ratio de positivité


C’est le nombre d’or du bien-être, la recette magique de la prospérité, le
code secret de la satisfaction : 3 pour 1. Comment procéder pour que
l’équilibre entre vos émotions positives et vos émotions négatives attei­gne
ce ratio ?

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Convaincre au quotidien

Pour commencer, vous pouvez visiter le site web de Barbara


Fredrickson (http ://positivityratio.com). Faites son « autotest de positi-
vité » – une évaluation en 20 questions qui ne vous demandera que
2 ou 3 minutes et qui vous indiquera votre ratio de positivité actuel (en
anglais). Créez ensuite un compte gratuit et surveillez l’évolution de
votre ratio dans le temps. (Vous trouverez des renseignements sur le test
dans le livre de Barbara Fredrickson Positivity : Top-Notch Research
Reveals the 3 to 1 Ratio That Will Change Your Life, qui est un excellent
ouvrage de vulgarisation.)
Par ailleurs, soyez davantage conscient de vos émotions du moment.
En fait, essayez d’afficher la liste des 10 émotions positives dressée par
Barbara Fredrickson (joie, gratitude, sérénité, intérêt, espoir, fierté,
amusement, inspiration, respect et amour) sur votre téléphone, votre
ordinateur ou le mur de votre bureau. Choisissez-en une ou deux. Puis,
au cours de la journée, recherchez des moyens d’exprimer ces émotions.
Cela vous donnera un coup de fouet psychologique, stimulera les gens
qui vous entourent et augmentera vos chances de faire bouger autrui.
Est-ce que j’en suis sûr ? Absolument.

Réorientez votre style explicatif


Les travaux de Martin Seligman ont montré que notre manière d’expli-
quer les événements négatifs a un effet énorme sur notre brio et, finale-
ment, sur nos résultats. Commencez à modifier votre style explicatif
selon des méthodes dont la science a prouvé l’efficacité. Quand quelque
chose de mauvais se produit, posez-vous les 3 questions ci-dessous et
trouvez un moyen intelligent de répondre « non » à chacune d’elles.

1. Est-ce permanent ?
Mauvaise réponse : « Oui. Je ne suis plus capable de faire bou-
ger les autres. »
Meilleure réponse : « Non. J’étais à plat aujourd’hui, car je
n’avais pas assez dormi. »

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5 - Le brio

2. Est-ce général ?
Mauvaise réponse : « Oui. Dans ce secteur, il est impossible de
traiter avec autrui. »
Meilleure réponse : « Non. Ce type-là était un idiot. »

3. Est-ce personnel ?
Mauvaise réponse : « Oui. Il n’a rien acheté parce que j’ai raté
ma présentation. »
Meilleure réponse : « Non. Il n’était pas prêt à acheter tout de
suite. »
Plus vous présentez les événements néfastes comme temporaires,
spécifiques et externes, plus vous êtes susceptible de persévérer, même
dans l’adversité. Comme certains psychologues positifs le disent, l’es-
sentiel est de contester et de dédramatiser les explications négatives. De
discuter, de décortiquer chaque explication à la manière dont un avocat
teigneux contre-interrogerait un témoin. Trouvez des failles dans le
récit de votre interlocuteur. Contestez ses prémisses. Dévoilez ses
contradictions internes. Demandez-vous quelles sont les conséquences
d’ensemble et pourquoi elles ne sont pas aussi catastrophiques qu’on
l’aurait cru à première vue.
Vous trouverez davantage de renseignements à ce sujet sur le site
web de Seligman (www.authentichappiness.sas.upenn.edu/Default.
aspx), où vous vous soumettrez à son test d’optimisme pour vous faire
une idée de votre style actuel. Consultez aussi son ouvrage classique, La
force de l’optimisme.

Essayez la stratégie « énumération et étreinte »


Un moyen pour garder votre brio consiste à acquérir un sentiment plus
réaliste de ce qui peut vous démolir. Vous y parviendrez en comptant
le nombre de rejets subis et en les célébrant. Cette stratégie compte
2 éléments : l’énumération et l’étreinte.

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Convaincre au quotidien

1. L’énumération
Tentez de compter combien de fois on vous dit non au cours d’une
semaine. À l’aide d’une des nombreuses applications gratuites offertes
pour les téléphones intelligents, évaluez le nombre d’occasions où vos
efforts pour faire bouger autrui se heurtent à un mur. (Si vous n’avez
pas envie de vous frotter au numérique, un calepin et un crayon feront
tout aussi bien l’affaire.)
À la fin de la semaine, vous serez peut-être étonné par le nombre de
« non » que le monde vous aura destinés, mais une autre chose vous
surprendra plus encore : vous tenez bon. Même pendant cette semaine
où vous avez traversé un océan de rejet, vous avez réussi à surnager. Ce
constat peut vous donner assez de volonté pour continuer et assez de
confiance pour faire mieux la semaine suivante.

2. L’étreinte
Si vous essuyez un grand nombre de « non », envisagez de faire comme
Jay Goldberg, fondateur de Bergino Baseball Clubhouse, une galerie
d’art et d’objets de collection de New York. Au début de sa carrière, il
travaillait pour un groupe-conseil dans le domaine des campagnes poli-
tiques, mais il aurait bien voulu trouver un emploi dans un grand club
de baseball. Il a donc écrit aux 26 équipes de la Major League en solli-
citant un entretien ou un stage qui lui donnerait sa chance. Vingt-cinq
clubs lui ont fait une réponse négative, et il n’a pas eu de réponse des
Yankees de New York.
Goldberg a conservé ces lettres. Quand il a lancé sa propre agence
sportive, au début des années 1990, il les a encadrées et accrochées au
mur de son bureau. « C’était ma manière de montrer que je n’avais pas
renoncé, dit-il. J’ai subi tous ces rejets, mais j’ai continué à avancer. »
Encore mieux, les représentants de certaines des équipes qui lui avaient
répondu par la négative ont eu l’occasion d’avoir leur lettre sous les
yeux en venant chez lui négocier un contrat avec un de ses clients. « Ces
lettres me font sourire chaque fois que je les regarde », dit-il. Aujourd’hui,
elles ornent toujours son bureau dans sa boutique pleine de clients ;

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5 - Le brio

elles lui rappellent chaque jour que la manière de considérer les rejets
dépend de la manière de les présenter.

Veillez à être négatif de temps en temps


À quelque chose malheur est bon. Le brio, qu’il s’agisse de ratio de
positivité ou de style explicatif, n’implique pas que le négatif soit éra­
diqué. Les émotions négatives sont indispensables à notre survie. Elles
nous permettent d’éviter que nos comportements improductifs devien­
nent des habitudes. Elles apportent des renseignements utiles sur nos
entreprises. Elles nous alertent quand nous sommes sur le mauvais
chemin.
« La vie vous donne de nombreuses occasions de ressentir de la peur,
de la colère, de la tristesse, explique Barbara Fredrickson. Sans ces émo-
tions négatives, vous perdez le contact avec la réalité. Vous n’êtes pas
authentique. Avec le temps, vous faites fuir les gens. » Aussi, accordez-
vous ce qu’elle appelle une « négativité appropriée », des moments de
colère, d’hostilité, de dégoût et de ressentiment au service d’un but pro-
ductif. Supposez que vous ne parvenez pas à convaincre un client de
renouveler un contrat annuel. Si une des causes de cette situation est
une baisse de la qualité de vos travaux, mettez-vous un peu en colère
contre vous-même. Cette fois, vous avez gâché la besogne. Utilisez cette
émotion négative comme une incitation à vous améliorer.
Envisagez par ailleurs d’y ajouter une bonne dose de ce que Julie
Norem, du Wellesley College, appelle le « pessimisme défensif ». Ses
travaux ont montré que certaines personnes gèrent leur anxiété de
façon plus efficace si elles réfléchissent à des scénarios très noirs et se
préparent mentalement au pire. Si cette approche vous paraît utile,
posez-vous une série de questions : que se passe-t-il si tout va de travers ?
Que se passe-t-il si l’impensable se produit ? Que se passe-t-il si cette
décision est la plus mauvaise de ma vie ? Ces questions sont susceptibles
de déboucher sur des réponses imprévues qui pourraient vous rasséré-
ner, voire vous dynamiser.

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Convaincre au quotidien

Envoyez-vous une lettre de refus


Même à l’époque des SMS et des tweets, les refus arrivent souvent sous
la forme d’une lettre à en-tête glissée dans une enveloppe. Personne
n’aime recevoir des lettres de ce genre. Voici un moyen de les rendre
moins cuisantes, voire indolores : coupez l’herbe sous le pied de celui
qui refuse en rédigeant la lettre vous-même.
Imaginez que vous êtes candidat à un emploi ou que vous essayez
d’obtenir de l’argent d’un investisseur. Prenez une heure et écrivez-vous
une lettre semblable à celle que pourrait rédiger la personne que vous
tentez de faire bouger. Expliquez pourquoi sa réponse est « non merci ».
Dressez la liste de ses motifs pour décliner votre offre. Ne manquez pas
d’y inclure les formules exaspérantes : « Après étude attentive… »,
« Nous regrettons de vous informer que… », « Nous avons reçu de
nombreuses candidatures… », etc.
Quand vous lirez votre lettre, elle vous fera probablement rire. Une
fois le refus exprimé par écrit, ses conséquences paraissent souvent
beaucoup moins désastreuses. Et surtout, en articulant les raisons du
refus, cette lettre est susceptible de révéler les points faibles de votre
proposition, c’est-à-dire ceux que vous devez tenter de renforcer.
Si vous êtes trop paresseux pour écrire la lettre vous-même, essayez
l’outil de rédaction automatisée (en anglais) Rejection Generator Project
(http ://ow.ly/cQ5rl). Il vous suffit de choisir votre style favori de répu-
diation et d’indiquer votre adresse électronique. En quelques minutes,
vous recevrez un missile tueur de rêves dans votre boîte de réception. Le
site est destiné aux écrivains cherchant à faire accepter un manuscrit à des
éditeurs, mais ses résultats peuvent s’appliquer à n’importe qui, y compris
à vous. Je vous souhaite de réussir dans vos projets futurs.

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Chapitre 6

La clarté

P
ardonnez-moi cette intrusion dans vos affaires personnelles, mais
permettez-moi de vous poser une question : mettez-vous assez
d’argent de côté pour votre retraite ? Si vous êtes comme la plu-
part des gens, votre réponse sera : « Euh… probablement pas. » Partout
dans le monde, mais spécialement aux États-Unis, le nombre de gens
qui ne prévoient pas suffisamment leur âge d’or se situe quelque part
entre l’inquiétant et le consternant. À peu près la moitié des foyers
américains ne sont pas préparés au jour où, arrivant à 65 ans, le chef de
famille prendra sa retraite. Les trois quarts des Américains ont moins
de 30 000 $ dans leur compte d’épargne-retraite101.
Ce n’est pas entièrement notre faute. En partie parce que l’évolu-
tion de notre cerveau date d’une époque où l’avenir était périlleux,
nous, humains, sommes peu doués pour attacher notre esprit à des
événements lointains. Nos biais nous lient au présent. Ainsi, si on nous
propose de choisir entre une récompense immédiate (par exemple,
1 000 $ tout de suite) et une récompense que nous devrons attendre
(1 150 $ dans deux ans), nous préférerons souvent la première option,
alors qu’il serait dans notre intérêt d’adopter la seconde.
Les pouvoirs publics et les chercheurs en sciences sociales ont ima-
giné quelques méthodes pour nous aider à surmonter cette faiblesse.
Une d’elles, qui rappelle l’astuce d’Ulysse se faisant ligoter au mât de
son navire afin d’écouter les sirènes, consiste à restreindre notre possi-
bilité de choisir. Nous demandons à notre employeur de déduire auto-
matiquement un montant donné de chaque paye et de le déposer dans

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Convaincre au quotidien

notre compte d’épargne-retraite. Cela nous rend vertueux par défaut,


et non par acte délibéré. Une autre méthode tend à rendre plus concrets
nos choix et leurs conséquences, en nous rappelant par exemple que les
1 150 $ dont nous disposerons dans 2 ans pourraient servir de premier
versement au moment de l’achat d’une nouvelle automobile, car celle
que nous avons ne tiendra pas le coup plus de 24 mois102.
Selon Hal Hershfield, professeur de psychosociologie à l’Université
de New York, le fait qu’il soit difficile de convaincre les gens d’écono-
miser pour leur retraite pourrait être attribuable à une cause entière-
ment différente. En collaboration avec six collègues, il a conduit une
série d’études visant à tester son hypothèse. Au cours d’une des expé-
riences, son équipe et lui ont fait porter un casque de réalité virtuelle
aux participants. La moitié de ceux-ci ont regardé leur représentation
numérique – leur avatar – pendant une minute, puis ont eu une brève
conversation avec la représentation numérique d’un chercheur. L’autre
moitié des sujets ont aussi regardé leur avatar à l’aide du casque.
Cependant, pour eux, les chercheurs ont utilisé un progiciel de vieillis-
sement du visage qui montrait à quoi ils ressembleraient à l’âge de
70 ans. Après avoir observé leur portrait de septuagénaire pendant une
minute, ces participants ont eu, comme les membres du premier
groupe, une courte discussion avec l’avatar d’un chercheur.
Ensuite, les expérimentateurs ont demandé aux deux groupes de
répartir une somme d’argent. Imaginez, leur ont-ils dit, que vous rece-
viez 1 000 $ sur lesquels vous ne comptiez pas. Comment répartiriez-
vous ce montant entre les 4 possibilités suivantes ?
1. L’achat d’un bel objet pour quelqu’un que vous aimez
2. L’investissement dans un fonds de retraite
3. L’organisation d’une fête extravagante
4. Le dépôt d’argent dans votre compte bancaire
Ceux qui avaient regardé leur image actuelle (appelons-les le groupe
« Moi à présent ») ont attribué en moyenne 80 $ à leur fonds de retraite.

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6 - La clarté

Ceux qui avaient regardé leur image future (le groupe « Moi plus tard »)
ont affecté à celui-ci un montant de plus de deux fois supérieur : 172 $103.
Pour déterminer plus précisément l’origine des différences dans les
réponses – était-ce la vision de son propre visage de vieillard ou le rap-
pel du vieillissement en général ? –, les chercheurs ont réalisé une expé-
rience similaire avec d’autres participants. Cette fois, la moitié d’entre
eux ont regardé leur portrait vieilli (« Moi plus tard »), et l’autre moitié,
le portrait vieilli de quelqu’un d’autre (« Toi plus tard »). Les résultats
ont été sans appel. Ceux qui avaient regardé leur propre image à 70 ans
ont économisé plus que ceux qui avaient vu l’image d’un septuagénaire
indéterminé. Des expériences semblables, réalisées à l’aide d’équipe-
ments moins compliqués qu’un environnement immersif de réalité vir-
tuelle, ont révélé une tendance identique. Le groupe « Moi plus tard »
économisait toujours davantage104.
Le problème de notre épargne-retraite, ont montré ces études, n’est
pas seulement notre faible capacité à comparer les récompenses immé-
diates aux récompenses futures. C’est aussi le rapport – ou plutôt
l’absence de rapport – entre notre moi actuel et notre moi futur.
D’autres recherches ont révélé que « réfléchir à notre moi futur met en
jeu des modèles d’activation similaires aux modèles neuronaux éveillés
quand nous songeons à un étranger105 ». Nous voir dans un avenir loin-
tain est si pénible que nous nous représentons souvent ce moi futur
comme quelqu’un d’entièrement différent. « Pour des gens étrangers à
leur moi futur, l’épargne ressemble à un choix entre dépenser de l’argent
aujourd’hui et le donner à un étranger des années plus tard106. »
Hershfield et ses collègues ont découvert qu’il ne suffisait pas de
tenter de résoudre un problème existant en amenant les gens à mieux
équilibrer leurs récompenses à court et à long terme, car là n’était pas le
point qui avait le plus besoin d’une solution. Leur vrai progrès a été la
détection d’une difficulté nouvelle, jusque-là ignorée : nous nous consi-
dérons comme des personnes différentes aujourd’hui et dans l’avenir.
Une fois ce problème circonscrit, ils ont pu esquisser une solution :
montrer aux gens une image d’eux-mêmes vieillissants. En parallèle,

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Convaincre au quotidien

cela a répondu à une préoccupation plus large : la définition d’une


façon d’inciter les gens à économiser davantage en vue de leur retraite.
Ce basculement conceptuel illustre la troisième qualité nécessaire
pour faire bouger autrui : la clarté, qui consiste en la capacité d’aider
autrui à considérer sa situation d’une manière neuve et plus révélatrice
et à percevoir des problèmes dont il n’était pas conscient auparavant.
Les bons vendeurs, nous dit-on depuis longtemps, sont doués pour
résoudre les difficultés. Ils sont capables d’évaluer les besoins des clients
potentiels, d’analyser leurs contraintes et d’apporter des solutions opti-
males. Cette aptitude reste importante, mais les renseignements factuels
que les vendeurs fournissent le sont moins. En effet, si je sais exacte-
ment quel est mon problème (je désire acheter tel appareil photo ou
prendre trois jours de vacances au bord de la mer, par exemple), je peux
souvent trouver l’information dont j’ai besoin pour prendre ma déci-
sion sans la moindre assistance. Les services des autres sont bien plus
précieux quand je me trompe, quand je suis dans le doute ou quand
j’ignore tout de mon vrai problème. Dans ces situations, l’aptitude à
faire bouger autrui dépend moins de la solution des problèmes que de
leur détection.

Circonscrire des problèmes


Au milieu des années 1960, deux chercheurs en sciences sociales de
l’Université de Chicago qui n’allaient pas tarder à devenir célèbres,
Jacob Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi, ont commencé à étudier un
sujet mystérieux : la créativité. Au cours d’une de ses premières investi-
gations, en 1964, Csikszentmihalyi s’est rendu à la School of the Art
Institute de Chicago pour y recruter trois douzaines d’étudiants de
quatrième année en vue d’une expérience. Il les a emmenés dans une
pièce meublée de deux grandes tables. Sur une d’elles étaient disposés
27 objets exotiques ou banals, souvent utilisés par l’école dans les cours
de dessin.

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6 - La clarté

Csikszentmihalyi a demandé aux étudiants de choisir un ou


plusieurs objets pour réaliser, sur la seconde table, une nature morte
dont ils feraient un dessin. Les jeunes artistes s’y sont pris de deux
manières distinctes. Certains ont examiné quelques d’objets, se sont
vite fait une idée et se sont empressés de dessiner leur nature morte.
D’autres ont pris leur temps. Ils ont manipulé un plus grand nombre
d’objets que les premiers, les ont examinés sous toutes les coutures, en
ont plusieurs fois modifié la disposition et ont eu besoin de bien plus
de temps pour terminer leur dessin. Selon Csikszentmihalyi, le premier
groupe essayait de résoudre un problème : comment faire un bon dessin ?
Le second essayait de circonscrire un problème  : quel bon dessin pour-
rais-je faire ?
Csikszentmihalyi a ensuite réuni les créations des étudiants en un
minisalon et les a fait évaluer par des experts artistiques qui ne savaient ni
sur quoi portait l’étude ni d’où venaient les travaux présentés. En faisant
le total des notes attribuées par ces spécialistes, Csikszentmihalyi a décou-
vert que ceux-ci considéraient le travail des détecteurs de problèmes
comme bien plus créatif que celui des solutionneurs de problèmes.
En 1970, Getzels et Csikszentmihalyi ont cherché à retrouver les
mêmes artistes, désormais sortis de l’école et gagnant leur vie, pour voir
comment ils se débrouillaient. À peu près la moitié d’entre eux avaient
complètement quitté le monde de l’art. Les autres exerçaient, souvent
avec succès, une profession artistique. De qui se composait ce second
groupe ? Presque tous étaient des détecteurs de problèmes au temps de
leurs études.
Au début des années 1980, Csikszentmihalyi et Getzels ont cons­taté
que les détecteurs de problèmes, « 18 ans plus tard, réussissaient bien
mieux – d’après les standards de la communauté artistique – que leurs
pairs » qui avaient abordé le dessin d’une nature morte selon une
démarche de solutionneurs de problèmes107. « La qualité du problème
circonscrit est un avant-goût de la qualité de la solution obtenue, a conclu
Getzels. Souvent, c’est davantage la découverte des problèmes que les

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Convaincre au quotidien

connaissances, les compétences techniques ou la maîtrise profes­sionnelle


qui distingue la personne créative des autres acteurs du domaine108. »
Même si certains universitaires ont contesté la distinction établie
par Csikszentmihalyi et Getzels entre résolution et découverte109, les
travaux des deux chercheurs ont influencé tant la conception moderne
de la créativité que la manière dont elle est étudiée en milieu universi-
taire. D’autres scientifiques ont constaté à l’occasion de recherches
ultérieures que les gens les plus disposés aux avancées créatives dans
l’art, la science ou tout autre domaine étaient des détecteurs de pro-
blèmes. Ceux-ci effectuent un tri dans de grandes quantités de données
souvent issues de multiples disciplines, expérimentent toutes sortes
d’approches, n’hésitent pas à changer d’orientation en cours de projet
et requièrent souvent plus de temps que leurs homologues pour mener
à bien leur travail.
Cette vision plus exigeante de la nature des problèmes a des impli-
cations énormes pour le nouveau monde de la vente. Aujourd’hui, tant
la vente traditionnelle que le commercial sans vente reposent davantage
sur les compétences des artistes (création, heuristique, découverte de
problèmes) que sur celles des techniciens (réduction, algorithmes, réso-
lution de problèmes). Le bouleversement décrit au chapitre 3 en est la
cause. Il y a peu de temps encore, les acheteurs qui voulaient résoudre
eux-mêmes leurs problèmes se heurtaient à différents obstacles. Ils fai-
saient donc appel à des vendeurs, qui disposaient de renseignements
qu’eux-mêmes n’avaient pas. Aujourd’hui, de même qu’il a suscité le
principe du caveat venditor, le glissement d’une situation d’asymétrie de
l’information vers une plus grande égalité remodèle ce que les acheteurs
peuvent faire eux-mêmes et, donc, ce que les vendeurs doivent faire
pour ne pas être marginalisés.
Supposons que je désire acheter un nouvel aspirateur. Voilà 10 ou
15 ans, je serais allé dans un magasin, j’aurais discuté avec un vendeur
bien mieux informé que moi et je m’en serais remis à lui pour me fournir
le produit requis à un prix loyal. Aujourd’hui, je peux me débrouiller
seul. Je peux aller en ligne et consulter les spécifications et les évaluations

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6 - La clarté

de différents modèles. Je peux afficher une question sur ma page Facebook


et solliciter les recommandations de mes amis réels et virtuels. Après
avoir cerné deux ou trois possibilités, je peux comparer les prix en
quelques clics. Et je peux passer ma commande au fournisseur dont
l’offre est la meilleure. Je n’ai aucun besoin d’un vendeur. Sauf si j’ai mal
compris mon problème.
Après tout, mon but ultime n’est pas d’acheter un aspirateur, mais
d’avoir un plancher propre. Je ferais peut-être mieux de protéger mes
fenêtres à l’aide d’écrans empêchant la poussière d’entrer dans ma
maison. Peut-être le problème est-il que mon tapis retient trop facile-
ment les saletés ; il serait alors préférable que j’en achète un nouveau
pour éviter de devoir passer sans cesse l’aspirateur. Peut-être ne devrais-
je pas acheter un aspirateur, mais adhérer à une coopérative de quartier
pour partager des appareils électroménagers, ou encore, faire appel à
une entreprise de nettoyage disposant de son propre équipement. Si
quelqu’un est capable de m’aider à atteindre mon but principal (des
planchers propres) d’une manière plus astucieuse et moins coûteuse, je
l’écouterai, et peut-être même lui passerai-je une commande. Si je
connais mon problème, j’ai des chances de pouvoir le résoudre ; si je ne
le connais pas, j’ai peut-être besoin qu’on m’aide à le circonscrire.
Ce thème finit presque toujours par surgir dans les conversations
sur la vente traditionnelle. Prenez Ralph Chauvin, directeur commer-
cial chez le confiseur italien Perfetti Van Melle, producteur des pastilles
Mentos, des gommes aux fruits Airheads et d’autres sucreries. Grâce à
sa force de vente, il place ses produits auprès de détaillants, qui les
mettent en rayon dans l’espoir que les clients les achèteront. Ralph
Chauvin dit avoir assisté à un grand changement depuis quelques
années. Les détaillants se soucient moins du nombre de rouleaux de
Mentos à commander que des améliorations qu’ils pourraient apporter
à toutes les facettes de leur exploitation. « Ils cherchent des partenaires
commerciaux objectifs », m’a dit Chauvin.
Pour cette raison, les vendeurs les plus appréciés ne sont plus les
mêmes. Ce ne sont plus nécessairement ceux qui « concluent », ceux

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Convaincre au quotidien

qui sont capables de proposer une solution immédiate et de faire signer


un contrat, dit-il. Ce sont ceux « qui peuvent réfléchir avec les détaillants,
qui leur trouvent de nouvelles occasions et qui comprennent qu’il n’est
pas nécessaire de conclure sur-le-champ ». En analysant les chiffres et en
faisant appel à leur savoir et à leurs compétences person­nelles, les ven-
deurs de Perfetti disent aux détaillants « quel est le meilleur assortiment
de sucreries pour gagner le plus d’argent ». Cela peut signifier d’offrir
cinq arômes de Mentos au lieu de sept. Et cela signifie presque toujours
de proposer des produits concurrents. En un sens, les meilleurs employés
de Chauvin considèrent que leur métier n’est pas tant de vendre des bon-
bons que de présenter des idées sur le métier de confiseur.
Il en va de même en d’autres lieux et en d’autres industries. À
Tokyo, j’ai pris place avec Koji Takagi dans une somptueuse salle de
réunion face à la gare centrale. Takagi préside le cabinet de conseils
commerciaux Celebrain. C’est un des plus grands gourous japonais de
la vente, à laquelle il a consacré plusieurs livres. À ses débuts, m’a-t-il
dit, le succès d’un vendeur était souvent déterminé par la détention de
renseignements et la capacité de les exploiter. Aujourd’hui, alors que
l’information est partout, ce qui fait la différence est « l’aptitude à for-
muler des hypothèses », à clarifier ce qui va se passer. Prenez aussi
Shyam Sankar, rencontré au chapitre 2, qui supervise les « ingénieurs
de l’avant » de Palantir, ces gens qui vendent sans être des vendeurs. La
chose la plus importante, m’a-t-il dit, est de trouver les bons problèmes
à résoudre.
Pour faire bouger autrui, il faut remplacer la résolution de pro-
blèmes par la découverte de problèmes : voilà une transformation aux
vastes conséquences. Ainsi, la Haas School of Business de l’Université
de la Californie à Berkeley propose-t-elle aujourd’hui un cours intitulé
« Découverte de problèmes, résolution de problèmes », car, dit son res-
ponsable, « une partie du rôle d’un leader innovant consiste à savoir
cadrer un problème d’une manière intéressante et… à voir en quoi il
consiste vraiment avant de se précipiter pour le résoudre ». Voilà
quelques années, le Conference Board, organisme de recherche très

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6 - La clarté

respecté émanant des milieux économiques américains, a remis une


liste de capa­cités cognitives à 155 directeurs d’écoles publiques et à
89 employeurs privés en leur demandant de les noter en fonction de
leur importance pour la main-d’œuvre contemporaine. Les directeurs
ont classé en tête la résolution de problèmes, mais celle-ci n’a été placée
qu’en huitième position par les employeurs, dont le numéro un était la
détection de problèmes110.
La détection de problèmes, en tant que moyen pour faire bouger
autrui, exploite deux qualités anciennes en les transformant. Premièrement,
les meilleurs vendeurs d’autrefois étaient doués pour obtenir de l’ informa-
tion. Aujourd’hui, ils doivent être doués pour la régir, la trier parmi des
masses énormes de données et présenter à autrui les documents les plus
pertinents et les plus éclairants. Deuxièmement, les meilleurs vendeurs de
jadis savaient répondre aux questions (en partie parce qu’ils disposaient
de renseignements que leurs clients potentiels n’avaient pas). Aujourd’hui,
ils doivent savoir poser des questions – en découvrant des possibilités, en
mettant au jour des difficultés latentes et en découvrant des problèmes
imprévus. Une de ces questions vient en tête de liste.

Déterminer des cadrages


Au milieu du XXe siècle, le grand publicitaire américain Rosser Reeves
s’est rendu célèbre pour trois raisons. D’abord, il est l’auteur de l’ex-
pression unique selling proposition  (« argument de vente unique »), qui
signifie que tout produit ou service offert sur le marché doit préciser ce
qui le distingue de ses concurrents. Ensuite, il a été un des premiers
publicitaires à produire des messages télévisés pour des campagnes
prési­dentielles américaines, dont la campagne de 1952 pour Dwight
D. Eisenhower qui comprenait le refrain chanté I like Ike préfigurant
l’argumentaire rimé dont il sera question au chapitre 7. Enfin, Reeves
est le protagoniste d’une des anecdotes les plus célèbres de l’histoire de
la publicité, qui illustre parfaitement la puissance de la clarté. À force
d’être racontée, cette histoire a perdu en précision, mais en voici les
grandes lignes.

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Convaincre au quotidien

À New York, un après-midi, Reeves et un collègue traversent


Central Park pour rejoindre leur bureau de Madison Avenue. En che-
min, ils rencontrent un mendiant assis derrière une assiette. À côté de
lui est posé un morceau de carton sur lequel quelqu’un a griffonné : « Je
suis aveugle. » Hélas, l’assiette ne contient que quelques pièces de
monnaie. La tentative de cet homme pour faire bouger autrui n’est pas
très fructueuse. Reeves sait pourquoi. À son collègue, il dit quelque
chose comme : « Je parie que je peux faire gagner beaucoup plus d’argent
à ce type en ajoutant juste quelques mots à sa pancarte. » Sceptique,
l’homme tient le pari.
Reeves se présente alors au malheureux, lui explique qu’il a quelques
compétences en publicité et lui propose une petite modification pour
accroître sa collecte. L’homme accepte. Reeves prend un marqueur et
trace quelques mots sur le carton, puis son collègue et lui s’écartent un
peu pour observer le résultat. Presque aussitôt, quelques personnes se
mettent à jeter des pièces de monnaie dans l’assiette. D’autres s’arrêtent,
bavardent avec l’homme et tirent leur portefeuille pour lui donner un
billet de un dollar. L’assiette est bientôt remplie, et l’aveugle a perdu sa
triste mine. Sentant sa chance, il rayonne.
Qu’a écrit Reeves ? « C’est le printemps et ». À présent, la pancarte
dit : « C’est le printemps et je suis aveugle. »
Reeves a gagné son pari et il nous a donné une leçon. La clarté est
affaire de contraste. En l’occurrence, la pancarte du mendiant a fait
bouger les passants dans le parc, elle a éveillé leur empathie en souli­
gnant le contraste entre leur réalité et la sienne. Robert Cialdini, de
l’Université de l’État d’Arizona, un des chercheurs en sciences sociales
les plus importants de la génération précédente, appelle cela le « prin-
cipe de contraste111  ». On comprend souvent mieux une chose
en la comparant avec une autre qu’en l’observant isolément. Les travaux
menés par Cialdini au cours des trois dernières décennies ont boule-
versé la manière dont les chercheurs analysent la dynamique des
influences sur autrui. Un de ses apports principaux est la proposition

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6 - La clarté

suivant laquelle le contraste fonctionne au sein de chacun des aspects


de la persuasion et souvent les amplifie.
C’est pourquoi la question la plus pertinente que vous puissiez
poser est celle-ci : comparé à quoi ? Vous pouvez soulever cette interro-
gation en recadrant votre offre de façon à la mettre en contraste avec les
autres possibilités, ce qui éclaire ses vertus. La littérature sur le cadrage
est vaste et quelquefois contradictoire112, mais les 5 types de cadrages
(ou frames) suivants peuvent être utiles, car ils apportent de la clarté à
ceux que vous souhaitez faire bouger.

1. Le cadrage du moins
Les recherches montrent qu’une quantité excessive d’une bonne chose
peut la transformer en mauvaise chose. Au cours d’une étude bien
connue, Sheena Iyengar, de l’Université de Columbia, et Mark Lepper,
de Stanford, ont installé des kiosques dans une épicerie fine de Menlo
Park, en Californie, et ont proposé aux passants de goûter et d’acheter
différentes confitures. Le premier kiosque présentait 24 variétés. Une
semaine plus tard, ils ont dressé un kiosque proposant six variétés seule­
ment. Comme on s’en doute, les clients ont été bien plus nombreux à
s’arrêter devant celui qui proposait un vaste choix.
Cependant, quand les chercheurs se sont penchés sur les achats
effectués, les résultats ont été si « frappants [qu’ils] semblaient contre-
dire une hypothèse fondamentale des théories classiques de la psycho-
logie sur la motivation humaine et des théories économiques du choix
rationnel ». Parmi les consommateurs qui avaient visité le kiosque pro-
posant 24 variétés, 3 % seulement avaient acheté de la confiture. Dans
le cas du kiosque où le choix était limité, 30 % avaient fait un achat113.
Autrement dit, en divisant par 4 le choix proposé aux consommateurs,
on avait multiplié les ventes par 10.
Voici maintenant une étude plus récente. On a demandé aux parti­
cipants d’imaginer qu’ils voulaient apprendre l’allemand. On les a
ensuite divisés en deux groupes. L’un devait choisir entre un cours de
langue allemande en ligne à 575 $ et un progiciel d’enseignement de

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Convaincre au quotidien

l’allemand à 449 $. L’autre avait à faire le même choix, mais, si le parti-


cipant optait pour le progiciel à 449 $, il recevait en prime un diction­
naire allemand. Dans le premier groupe, 49 % des participants ont
choisi le logiciel plutôt que le cours en ligne. Dans le second groupe,
cette proportion n’a été que de 36 %, même si l’offre était plus avanta-
geuse. « Ajouter un article peu coûteux à une offre de produit peut
entraîner une baisse de la propension des clients à payer », ont conclu
les chercheurs114. Dans bien des cas, une addition peut devenir une
soustraction.
C’est pourquoi la gestion de l’information est si importante, sur-
tout dans un monde saturé d’options. Le fait de cadrer les choix propo­
sés de manière à laisser moins de latitude aux gens peut aider ces
derniers à mieux prendre leurs décisions. Ce que Mies van der Rohe dit
à propos de la conception des immeubles est également vrai de l’apti-
tude à faire bouger ceux qui les habitent : moins signifie plus.

2. Le cadrage axé sur les expériences


Les économistes classent ce que les gens se procurent d’après les attri-
buts de leurs achats. Une tondeuse à gazon n’appartient pas à la même
catégorie qu’un hamburger ou qu’un massage. Les psychosociologues,
en revanche, classent souvent les achats en fonction des intentions.
Certains sont des achats matériels – « effectués principalement dans
l’intention d’acquérir… un objet tangible qu’on gardera en sa posses-
sion ». D’autres sont des achats d’expériences – « effectués principa­lement
dans l’intention d’acquérir… un événement ou une série d’événements
qu’on vivra115 ».
Plusieurs chercheurs ont montré que les achats d’expériences
apportent bien plus de satisfaction que les achats de marchandises.
Ainsi, les Américains et les Canadiens sondés par Leaf Van Boven, de
l’Université du Colorado à Boulder, et Thomas Gilovich, de l’Université
Cornell, qui leur ont demandé de réfléchir à leurs acquisitions récentes,
ont répondu pour la plupart que les achats d’expériences les rendaient
plus heureux que les achats matériels. Même quand les gens songent à

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6 - La clarté

leurs achats futurs, ils croient que les expériences leur apporteront plus
de satisfaction que les biens physiques116. Plusieurs facteurs expliquent
ce phénomène. Par exemple, nous nous adaptons vite aux changements
matériels. La superbe BMW neuve qui nous réjouissait tant trois
semaines plus tôt n’est plus qu’un moyen de transport pour aller au
travail. À l’inverse, la randonnée dans l’Ouest canadien demeure dans
notre esprit, et avec le temps qui passe, nous avons tendance à oublier les
menus désagréments (tiques) et à nous souvenir des joies intenses (cou-
chers de soleil sublimes). Les expériences nous donnent aussi des sujets
de conversation et des histoires à raconter, qui peuvent faciliter nos
contacts avec les autres et approfondir la connaissance de notre propre
identité, ce qui dans les deux cas accroît notre satisfaction.
C’est pourquoi une vente axée sur les expériences est davantage
suscep­tible de conduire à la satisfaction des clients et au renouvel­lement
des ventes. Donc, si vous vendez une voiture, n’insistez pas trop sur ses
sièges en cuir de Corinthe. Soulignez plutôt ce qu’elle permettra à
l’acheteur de faire : voir de nouveaux endroits, visiter de vieux amis, se
constituer des souvenirs.

3. Le cadrage de l’étiquette
Si vous avez étudié l’économie, vécu à l’époque de la guerre froide ou
joué à des jeux de société, vous connaissez probablement « le dilemme
du prisonnier ». En voici le scénario de base : A et B sont soupçonnés
d’avoir commis un délit, mais la police et le procureur n’ont pas de
preuves suffisantes pour les inculper. Ils décident de mettre les suspects
sous pression en les interrogeant séparément. Si A et B se taisent, cha-
cun d’eux ne subira qu’une peine légère : un mois de prison. Si tous
deux avouent, ils seront condamnés à six mois de prison chacun. Si A
avoue tandis que B reste coi, B fera 10 ans de prison et A sera libéré.
Inversement, si B avoue tandis que A reste silencieux, A passera 10 ans
derrière les barreaux et B sera relâché. Évidemment, A et B s’en sorti-
raient mieux s’ils coopéraient, c’est-à-dire s’ils n’ouvraient pas la bouche.

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Convaincre au quotidien

Cependant, si l’un des deux n’a pas confiance en l’autre, il avouera


peut-être, car il se dira que son partenaire pourrait le laisser tomber.
En 2004, des sociologues de l’Interdisciplinary Center d’Israël, de
l’US Air Force Academy et de l’Université Stanford ont recruté des parti-
cipants pour jouer à ce jeu, mais ils en ont changé le nom. Pour un
groupe, ils l’ont appelé le « jeu de Wall Street », pour un autre, le « jeu
communautaire ». Une manœuvre aussi innocente qu’un réétiquetage
allait-elle donner des résultats significatifs au point d’altérer les compor-
tements ? Absolument.
Dans le jeu de Wall Street, 33 % des participants ont coopéré et ont
été libérés ; dans le jeu communautaire, 66 % des sujets sont parvenus
à ce résultat mutuellement bénéfique117. L’étiquette a aidé les gens à
répondre à la question suivante : comparé à quoi ? Elle a mis l’exercice
dans un certain contexte, balisé ce qui était attendu et modifié les com-
portements dans un rapport de deux pour un.
Quelque chose de similaire s’est produit en 1975 dans trois classes
de cinquième année des écoles publiques de Chicago. Un trio de
chercheurs de l’Université Northwestern a, de manière aléatoire, réparti
les élèves en trois groupes. Pendant une semaine, les membres d’un des
groupes se sont entendu dire par leurs enseignants et leurs surveillants
que leur classe était une des mieux tenues de l’école. Les élèves du deu-
xième groupe ont simplement été poussés à prendre soin de leurs
affaires : on leur a dit de ramasser leurs saletés, de ranger leur bureau et
de garder la classe propre. Le troisième était le groupe de contrôle.
Quand les enquêteurs ont évalué le degré de saleté des classes pour le
comparer au niveau antérieur, ils ont obtenu les résultats auxquels on
pouvait s’attendre : le premier groupe était celui qui était le plus ordonné
et le plus propre. Le simple fait de lui attacher une étiquette positive –
et d’aider ainsi les élèves à se cadrer eux-mêmes en comparaison des
autres – avait amélioré son comportement.

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6 - La clarté

4. Le cadrage terni
Se pourrait-il que le négatif devienne positif quand il s’agit de faire
bouger autrui ? C’est ce que trois professeurs de marketing ont cherché
à savoir au cours d’une étude menée en 2012. Dans une série d’expéri-
mentations, ils ont présenté aux sujets des renseignements sur des
chaussures de randonnée, comme si les participants cherchaient à les
acheter en ligne. À la moitié du groupe, ils ont donné la liste de ce que
les chaussures avaient de bien : semelles orthopédiques, matériaux
imper­méables, garantie de cinq ans, etc. À l’autre moitié, ils ont remis
la même liste d’arguments positifs en la faisant suivre d’un point néga-
tif : ces chaussures n’étaient malheureusement offertes qu’en deux
couleurs. Fait remarquable, les gens qui avaient reçu cette petite dose
d’information négative se sont souvent montrés plus disposés à acheter
les chaussures que ceux qui n’avaient reçu que de l’information
positive.
Les chercheurs ont surnommé « effet défaut » ce phénomène par
lequel « l’ajout d’un détail négatif mineur dans la description par ailleurs
positive d’une cible peut conférer à cette description un effet plus posi-
tif ». Toutefois, cela ne semble fonctionner que dans deux circonstances.
Premièrement, les gens qui traitent l’information doivent être dans ce
que les chercheurs appellent un état de « faible effort », c’est-à-dire
qu’au lieu de se concentrer intensément sur la décision, ils font un peu
moins d’effort, peut-être parce qu’ils sont occupés ou distraits.
Deuxièmement, l’information négative doit suivre l’information posi-
tive et non la précéder. Là encore, la comparaison crée de la clarté. « La
logique de base est que, lorsque des individus reçoivent des renseigne-
ments négatifs de faible ampleur après avoir reçu de l’information posi-
tive, ces renseignements soulignent ou accroissent la primauté de
l’information positive118. »
Par conséquent, si vous cherchez à convaincre une personne qui ne
pèse pas délibérément chaque mot, présentez-lui tous vos arguments
positifs, puis ajoutez-y un peu de négatif. Le fait de signaler honnê­
tement un petit défaut peut faire ressortir la vraie beauté de votre offre.

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Convaincre au quotidien

5. Le cadrage potentiel
Jusqu’ici, nous avons envisagé la vente de confitures de luxe, de logiciels
d’apprentissage de l’allemand et de chaussures de randonnée… à un
détail près. Quel est le meilleur cadrage quand on cherche à se vendre
soi-même ? D’instinct, on se dit qu’on devrait recourir à un cadrage de
succès, en soulignant les contrats signés, les collaborateurs remobilisés,
les récompenses accumulées.
Pourtant, dans un article fascinant et riche d’enseignement publié
en 2012, Zakary Tormala et Jayson Jia, de l’Université Stanford, et
Michael Norton, de la Harvard Business School, suggèrent une appro­
che différente. Ce qu’il convient de faire, disent-ils, est de souligner le
potentiel. Ces chercheurs ont par exemple mis des participants dans le
rôle d’un directeur général de la National Basketball Association chargé
d’établir les contrats des athlètes. Les uns devaient proposer une entente
à un joueur aux statistiques impressionnantes, comptant cinq ans d’ex-
périence. Les autres devaient s’occuper d’une recrue qui, selon toutes
probabilités, serait en mesure d’égaler les statistiques du premier au
cours des cinq saisons suivantes. En général, les participants ont attri-
bué au premier joueur un contrat supérieur à quatre millions de dollars
pour sa sixième année, ce qui est déjà pas mal. Cependant, et c’est là le
résultat intéressant, ils ont dit qu’ils s’attendaient à verser plus de cinq
millions de dollars au débutant pour sa sixième saison.
De même, les chercheurs ont testé deux annonces Facebook diffé­
rentes pour le même comédien, Kevin Shea. La moitié des messages
avançaient qu’il « pourrait être la prochaine grande vedette », et l’autre
moitié, qu’il « était la prochaine grande vedette ». La première annonce
a généré bien plus de clics et de « j’aime » que la seconde. La leçon de
cette recherche, écrivent les universitaires, est que « le potentiel d’exceller
dans un domaine peut être préféré au fait d’être effectivement bon dans
ce domaine119 ».
Les gens trouvent souvent que le potentiel est plus intéressant que
la réussite, car il est empreint d’incertitude, soutiennent les chercheurs.

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6 - La clarté

Celle-ci peut conduire les gens à s’interroger plus profondément sur la


personne qu’ils évaluent, et ce traitement intensif peut aboutir à déga-
ger des raisons plus nombreuses et meilleures qui font de cette per-
sonne un bon choix. Aussi, la prochaine fois que vous devrez vous
vendre vous-même, ne vous basez pas seulement sur ce que vous avez
réussi hier. Soulignez aussi ce que vous pourriez accomplir demain.

Repérer une voie de sortie


Une fois que vous avez trouvé le problème et le bon cadrage, il vous
reste encore un pas à faire. Vous devez proposer aux gens une voie de
sortie. Une étude consacrée à une collecte alimentaire effectuée dans un
établissement universitaire illustre ce thème. On a demandé aux étu-
diants de désigner deux groupes de pairs : ceux qui étaient « le moins
susceptibles » de contribuer à la collecte et ceux qui étaient « le plus
susceptibles » de le faire. Puis, chacun des groupes a été dividé en deux.
Les chercheurs ont adressé à une moitié de chacun des groupes une
lettre demandant au destinataire de donner des aliments d’un certain
type, accompagnée d’une carte montrant où les déposer. Quelques jours
plus tard, ils ont joint ces étudiants par téléphone. L’autre moitié de
chaque groupe a reçu une lettre différente. Elle s’ouvrait sur la formule
« Cher étudiant » plutôt que sur le nom d’une personne précise. Elle ne
demandait pas au destinataire de fournir un type d’aliment particulier et
ne comportait pas de carte. Ces étudiants n’ont pas été rappelés.
Qu’est-ce qui a pesé le plus : les prédispositions des étudiants ou le
contenu des lettres ? Parmi les étudiants du groupe le moins susceptible
de donner qui avaient reçu la lettre la moins détaillée, la participation
à la collecte alimentaire a été de… 0 %. Leurs homologues qui étaient
plus disposés à donner et qui avaient reçu la même lettre n’ont pas fait
preuve d’une générosité tellement plus grande : seuls 8 % d’entre eux
ont fait un don.
En revanche, la lettre qui livrait aux étudiants des détails sur la
manière d’agir a eu un effet colossal. Le quart des étudiants censés être

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Convaincre au quotidien

les moins prêts à contribuer ont fait un don quand ils ont reçu la lettre
contenant un appel concret avec une carte et l’indication du lieu où
déposer les aliments. Ce qui les a fait bouger, ce n’est pas seulement la
requête, mais aussi le fait que les demandeurs leur avaient fourni une
voie de sortie vers leur destination. Riche d’une demande précise
accompagnée d’un moyen clair pour la satisfaire, le groupe le moins
disposé à contribuer a donné trois fois plus que le groupe le plus prêt à
donner qui n’avait pas reçu de consignes claires120.
Conclusion : on aura beau être transparent au sujet de ce qu’il faut
penser, les gens risquent de ne pas bouger si on ne les éclaire pas sur la
manière d’agir.
À sa manière, ce chapitre est une voie de sortie. J’espère que vous
aurez vu dans cette deuxième partie que les qualités nécessaires
aujourd’hui pour la vente traditionnelle et pour le commercial sans
vente – le nouvel ABC  – comprennent un esprit ardent, un toucher
adroit et un sens des possibilités. Vous aurez ainsi compris comment
être. Cependant, vous devez aussi savoir comment faire. Pour cela,
veuillez passer à la troisième partie après avoir examiné la mallette
d’échan­tillons exposée dans les pages qui suivent

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Mallette d’échantillons

La clarté

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Clarifiez les motivations d’autrui
grâce à 2 questions « irrationnelles »
Michael Pantalon, chercheur à la Yale School of Medicine, fait autorité
en matière d’« entretien motivationnel ». Née de la thérapie et du
conseil, puis étendue à d’autres domaines, cette technique cherche à
déclencher un changement de comportement non en promettant des
récompenses aux gens ou en les menaçant de punitions, mais en faisant
appel à leurs ressorts internes. Or, ce qu’il y a de plus efficace pour
mettre au jour les ressorts enfouis est de poser des questions.
Cependant, quand il s’agit de faire bouger autrui, toutes les ques-
tions ne sont pas égales. « J’ai appris que les questions rationnelles ne
parvenaient pas à motiver les personnes rebelles, écrit Pantalon. En fait,
j’ai constaté que les questions irrationnelles motivaient mieux les gens. »
Supposez que votre fille bredouille et bafouille, qu’elle procrastine
et renâcle, et plus généralement, qu’elle fait tout pour ne pas préparer
son examen d’algèbre de fin d’année. Si vous suivez Pantalon, vous ne
lui direz pas : « Ma petite fille, tu dois travailler. » Ni : « Je t’en supplie,
prépare cet examen. » En revanche, vous lui poserez 2 questions :
1. Sur une échelle de 1 à 10, où 1 signifie « pas prête du tout » et
10 « totalement prête », à quel point es-tu prête à étudier ?
Ensuite, demandez-lui :
2. Pourquoi n’as-tu pas choisi un chiffre plus petit ?

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Convaincre au quotidien

« Voilà une question qui prend tout le monde par surprise », écrit
Pantalon dans Instant Influence. Demander pourquoi le chiffre
n’est pas plus petit sert de catalyseur. La plupart des gens qui
refusent de faire ou de croire quelque chose n’ont pas une posi-
tion binaire, oui-non, allumé-éteint. Aussi, évitez de leur poser
une question de ce genre. Si votre client potentiel a ne serait-ce
qu’une mince envie de bouger, dit Pantalon, le fait de lui deman-
der de se situer sur une échelle de 1 à 10 peut faire apparaître un
« non » apparent comme un vrai « peut-être ».
Plus important encore, tandis qu’elle explique pourquoi elle se
note 4 au lieu de 3, votre fille commence à énoncer ses propres raisons
d’étudier. Elle passe de la défense de son comportement actuel à l’ex-
posé des raisons pour lesquelles, à un certain niveau, elle voudrait se
conduire autrement. Cela, dit Pantalon, lui permet de clarifier ses
motivations personnelles, positives et intrinsèques pour étudier, ce qui
accroît les chances qu’elle le fasse bel et bien.
Alors, sur une échelle de 1 à 10, à quel point êtes-vous prêt à essayer
la technique en deux questions de Pantalon ? Et pourquoi votre chiffre
n’est-il pas plus petit ?

Donnez-vous une secousse d’inhabituel


La clarté, avons-nous appris, dépend des comparaisons. Souvent,
cependant, nous sommes enfoncés dans nos ornières au point d’à peine
remarquer ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Cela risque
de nuire à notre capacité d’apporter la clarté à autrui. Parfois, comme
le dit Sam Sommers, psychologue de l’Université Tufts, « il faut une
secousse d’inhabituel pour nous rappeler à quel point nous sommes
aveugles à ce qui nous entoure ». Bref, accordez-vous un des 3 gestes
suivants :

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6 - La clarté

1. La minisecousse
À votre prochaine réunion, assoyez-vous à l’autre bout de la table
de conférence. En sortant du travail, empruntez un chemin diffé-
rent pour rentrer chez vous. Au lieu de commander votre mets
habi­tuel dans votre restaurant favori, choisissez le 11e plat du menu.

2. La demi-secousse
Passez une journée dans un cadre qui ne vous correspond pas. Si
vous êtes professeur, installez-vous dans le cabinet d’un ami avocat.
Si vous êtes comptable, prenez votre après-midi et passez-le avec un
maître nageur ou un gardien de parc.

3. La pleine secousse
Visitez un pays dont la culture est différente de la vôtre. Vous en
reviendrez probablement secoué, mais vos idées seront plus claires.

Devenez gestionnaire de données


Autrefois, notre problème était d’obtenir l’information. Aujourd’hui,
c’est de la gérer, d’en devenir le curateur. Pour comprendre le monde et
le faire comprendre à ceux que nous espérons faire bouger, nous devons
trouver notre chemin dans la masse de renseignements qui nous arrive
chaque jour, en choisissant ce qui est pertinent et en écartant le reste.
Hélas, nous n’avons pour la plupart aucune méthode permettant d’atta­
quer cette avalanche. Heureusement, Beth Kanter, experte en asso­
ciations, en technologies et en médias sociaux, a mis au point un
processus en 3 points pour les curateurs novices.

1. La recherche
Une fois que vous avez défini le domaine dans lequel vous aimeriez
intervenir comme curateur (par exemple, la réforme de l’enseigne-
ment au second degré, les dernières modes de la planche à rou-
lettes, les vices et les vertus des valeurs mobilières garanties par des
hypothèques), dressez la liste des meilleures sources d’information.

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Convaincre au quotidien

Prenez le temps de les consulter régulièrement. Kanter conseille d’y


passer au moins 15 minutes, 2 fois par jour. Au passage, collectez
ce que vous trouvez le plus intéressant.

2. La définition du sens
Vous aurez une vraie valeur ajoutée en créant du sens à partir des
documents que vous avez réunis. Cela peut être tout simplement
une liste annotée de liens web ou un blogue personnel que vous
alimentez régulièrement. Beth Kanter conseille de consulter cette
liste de ressources tous les jours.

3. Le partage
Une fois que vous avez récolté les bons éléments et que vous les
avez organisés de manière à leur donner un sens, vous êtes prêt à les
partager avec vos collègues, vos clients ou les membres de votre
réseau social. Vous pouvez le faire par courriel, par lettre d’informa-
tion ou à l’aide de Facebook, de Twitter ou de LinkedIn. Vous aide-
rez ainsi les autres à voir leur situation sous un jour nouveau et
peut-être à déceler des problèmes que vous pourriez résoudre.
« La gestion de contenus est en partie une forme d’art, en partie une
science, mais c’est surtout une pratique quotidienne », écrit Beth
Kanter. Consultez à ce sujet son introduction à la gestion de contenus
(www.bethkanter.org/content-curation-101).

Apprenez à poser de meilleures questions


Dans le nouveau monde de la vente, l’aptitude à poser les bonnes ques-
tions est plus importante que la capacité de fournir les bonnes réponses.
Malheureusement, nos écoles privilégient souvent l’inverse. Elles
enseignent les façons de répondre, mais pas les manières d’interroger.
Les gens du Right Question Institute (RQI) tentent d’y remédier. Ils
ont mis au point une méthode au moyen de laquelle les éducateurs
peuvent aider leurs élèves à poser les bonnes questions. Cette technique
peut aussi être utile à ceux qui ont fait leurs études au XXe siècle.

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6 - La clarté

Avant votre prochain appel de vente, ou avant la redoutable réu-


nion que vous allez tenir avec votre ex-conjoint ou avec votre insuppor-
table patron, essayez la technique de formulation de questions du RQI,
qui comprend 3 étapes.

1. La production des questions


Établissez une liste de questions en notant toutes celles qui vous
viennent à l’esprit, sans vous arrêter pour juger, discuter ou y répon­
dre. Ne vous inquiétez pas pour la présentation ; contentez-vous
d’écrire les questions qui vous passent par la tête. Transformez
toutes les affirmations en questions.

2. L’amélioration des questions


Parcourez votre liste de questions et, pour chacune d’elles,
demandez-vous si elle est fermée (question à laquelle on peut
répondre par « oui », par « non » ou par un seul mot) ou ouverte
(question qui réclame une explication). Puis, interrogez-vous sur
les avantages et les inconvénients de chacune de ces formes de ques-
tions. Enfin, remplacez quelques questions fermées par des ques-
tions ouvertes, et vice-versa.

3. La hiérarchisation des questions


Choisissez vos trois questions les plus importantes. Demandez-
vous pourquoi vous avez opté pour celles-là, puis modifiez-les une
fois de plus afin qu’elles soient très claires.
Grâce à ce processus, vous pouvez détecter trois questions puis-
santes à poser à l’individu assis de l’autre côté de la table. Elles peuvent
vous aider l’un et l’autre à clarifier votre situation et l’orientation à
rechercher. Vous trouverez davantage d’information sur le site www.
rightquestion.org (en anglais).

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Convaincre au quotidien

Lisez !
Les thèmes de ce chapitre – du cadrage des arguments à la gestion des
données, en passant par la recherche de problèmes – ont fait l’objet de
plusieurs livres. Voici 5 ouvrages qui figurent parmi mes favoris :
1. Influence et manipulation (titre original : Influence : Science and
Practice), par Robert Cialdini (First, 2e éd., 2004). Cialdini a fait
accomplir à l’étude de la persuasion plus de progrès que qui que
ce soit dans le monde. Ce livre est un classique. Vous devez le
lire. Procurez-le-vous tout de suite. Ses séminaires publics,
auquel j’ai participé, sont excellents. Vous trouverez d’autres ren-
seignements sur le site www.influenceatwork.com.
2. Idées de génie. Comment créer des messages qui marquent les esprits
(titre original : Made to Stick : Why Some Ideas Survive and Others
Die), par Chip Heath et Dan Heath (Pearson, 2e éd., 2007). Les
frères Heath sont les dignes successeurs de Cialdini. Leur premier
livre est un bijou. Il vous apprendra comment créer des messages
qui « collent » en respectant quelques principes : simplicité,
caractère inattendu, caractère concret, crédi­bilité, émotion et
histoire.
3. Switch : osez le changement (titre original : Switch, How to Change
Things When Change Is Hard), par Chip Heath et Dan Heath
(Leduc.s, 2012). Quelques années après Idées de génie, les frères
Heath ont pondu un nouveau livre, lui aussi excellent. Il est
consacré au changement qui, vous diront-ils, suppose que l’élé-
phant émotionnel et le cornac rationnel travaillent de concert.
4. Conditionnés pour trop manger. Comment l’environnement
influence votre appétit (titre original : Mindless Eating : Why We
Eat More Than We Think), par Brian Wansink (Marabout,
2010). L’inverse de la clarté est l’obscurité. Et celle-ci a une cou-
sine germaine, l’insouciance, le fait de ne pas être conscient.
Wansink montre comment, par inadvertance, nous sommes les

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6 - La clarté

victimes de la persuasion cachée qui nous pousse à trop manger


sans même que nous le sachions.
5. Nudge : la méthode douce pour inspirer la bonne décision (titre ori-
ginal : Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth, and
Happiness), par Richard H. Thaler et Cass R. Sunstein (Pocket,
2012). Ces deux enseignants ont parcouru le champ de l’écono-
mie du comportement pour révéler comment l’« architecture du
choix » peut pousser les gens à prendre des décisions plus profi-
tables pour eux.

Demandez cinq fois pourquoi


Ceux d’entre vous qui ont de jeunes enfants connaissent bien, et redou­
tent peut-être, leurs incessants pourquoi. Les petites personnes ont une
bonne raison de poser cette question. Elles essaient de comprendre
comment les choses fonctionnent dans le monde fou où nous vivons.
Les gens d’Ideo, célèbre cabinet d’innovation et de création, ont retenu
la leçon des moins de cinq ans et en ont fait une de leurs méthodes
pour résoudre des problèmes créatifs.
Les gens d’Ideo appellent cette technique « les cinq pourquoi ». Elle
fonctionne de cette manière : quand vous voulez trouver quel genre de
problème une personne rencontre, demandez-lui : « Pourquoi ? » Une
fois qu’elle a répondu, demandez-lui de nouveau : « Pourquoi ? » Et
ainsi, cinq fois de suite. Cela peut agacer votre interlocuteur, évidem-
ment, mais vous serez étonné par ce que vous rapporterez dans vos
filets. Comme l’expli­que Ideo, « cet exercice oblige les gens à examiner
et à exprimer les raisons sous-jacentes de leur comportement et de leurs
attitudes ». Et cela peut vous aider à découvrir les problèmes occultes à
résoudre en priorité.

Trouvez le 1 %
Il y a bien longtemps, à l’époque de mes études de droit, j’ai suivi un
cours intitulé « Transactions commerciales internationales » présenté

155

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Convaincre au quotidien

par un professeur nommé Harold Hongju Koh. Je ne me rappelle pas


exactement ce que j’ai appris au cours du semestre – différentes choses
sur les effets du commerce, je suppose, et aussi sur les lois anticor­
ruption. Cependant, je n’ai jamais oublié ce que le professeur Koh nous
a dit un après-midi de printemps.
« Pour chercher à comprendre la loi, nous a-t-il dit, l’important est
de vous attacher au 1 %. Ne vous perdez pas dans le fouillis des détails,
a-t-il insisté. Réfléchissez plutôt à l’essence de ce que vous explorez, au
1 % qui donne vie au 99 % restant. Comprendre ce 1 % et être capable
de l’expliquer aux autres est la marque des esprits forts et des bons
avocats. »
La clarté fonctionne selon la même logique. Que vous vendiez des
ordinateurs à une multinationale ou l’heure d’aller au lit au benjamin
de vos enfants, demandez-vous : « Quel est le 1 % ? » Si vous êtes capa­
ble de répondre à cette question et de l’expliquer, vous avez de fortes
chances de faire bouger autrui.

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Troisième partie

Comment faire

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Chapitre 7

Le pitch

À
l’automne 1853, un artisan américain du nom d’Elisha Otis,
qui avait imaginé une solution à un des problèmes de méca-
nique les plus ardus de l’époque, cherchait un endroit presti-
gieux pour en faire la démonstration.
Dans ce temps-là déjà, beaucoup d’immeubles américains étaient
équipés d’ascenseurs. Cependant, la mécanique qui faisait fonctionner ces
machines élémentaires, composée de cordes et de poulies, n’avait guère
évolué depuis l’époque d’Archimède. Un câble solide tirait une plate-
forme le long d’une tige, ce qui fonctionnait souvent très bien – sauf
quand le câble lâchait, auquel cas la plate-forme s’écrasait au sol, détrui-
sant son chargement.
Otis avait imaginé un moyen de remédier à ce défaut. Grâce à un
ressort de charrette fixé à la plate-forme et à des barres à cliquet instal-
lées à l’intérieur de la tige, si la corde se rompait, le frein de sécurité se
déclenchait automatiquement et empêchait l’ascenseur de chuter.
Capable d’engendrer des économies et de sauver des vies, l’invention
avait un potentiel énorme, mais Otis se heurtait au scepticisme et aux
peurs du public.
Otis a donc loué le principal hall d’exposition de ce qui était alors
le plus grand centre de congrès de New York. Il y a bâti une plate-forme
d’ascenseur ouverte, glissant le long d’une tige et capable de monter et
de descendre. Un après-midi, il a fait réunir des congressistes pour une
démonstration. Il a grimpé sur la plate-forme et a demandé à un

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Convaincre au quotidien

assistant de la hisser à sa hauteur maximale. Là, debout et toisant le


public, Otis a pris une hache et a tranché la corde qui retenait l’ascenseur.
La plate-forme est tombée mais, en quelques secondes, le frein
de sécurité s’est déclenché et a stoppé sa chute. Toujours debout, Otis
s’est penché vers la foule en émoi et a dit : « Tout va bien, gentlemen,
tout va bien121. »
Cela a été la première démonstration d’un ascenseur assez sûr pour
transporter des humains. (Otis, vous l’aurez compris, a ensuite fondé la
société d’ascenseurs Otis Elevator Company.) Et, ce qui importe davan-
tage pour notre propos, sa démonstration a été un moyen simple et effi-
cace de présenter un message complexe en vue de faire bouger autrui – le
premier « discours de l’ascenseur » du monde !
Dans la deuxième partie, nous avons vu comment être – les trois
qualités nécessaires pour la vente traditionnelle et le commercial sans
vente. Dans cette dernière partie, j’enseignerai comment faire en m’at-
tachant à trois facultés essentielles : l’argumentation, l’improvisation et
le service. Ce chapitre porte sur l’argumentation, ou pitch, qui consiste
en l’aptitude à distiller ses arguments pour en tirer l’essence persuasive,
comme l’a fait Otis en 1853. Pour comprendre la dynamique de ce
processus et l’objectif du pitch lui-même, rien de tel que l’analyse de la
situation à Hollywood.

Les leçons de Tinseltown*


Au cœur de l’industrie du divertissement, il y a le pitch, le résumé d’une
intrigue. Les dirigeants de la télévision et du cinéma tiennent conseil
auprès de scénaristes et d’autres créateurs qui leur soumettent des idées
pour le prochain blockbuster ou la prochaine série télévisée à succès.
Même les dessins animés passent par de telles séances. « C’est Out of
Africa qui rencontre Pretty Woman, déclare un scénariste enthousiaste

* « Ville des paillettes » : surnom de Hollywood. (NdT)

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7 - Le pitch

dans la satire hollywoodienne The Player. C’est comme Les dieux sont
tombés sur la tête, sauf que la bouteille de Coca est une actrice ! » Étant
donné que ce qui se passe derrière les murs des studios est souvent un
mystère, deux professeurs d’écoles de commerce ont décidé d’aller y
voir de plus près.
Pendant cinq ans, Kimberly Elsbach, de l’Université de la Californie
à Davis, et Roderick Kramer, de l’Université Stanford, ont observé le
processus du pitch hollywoodien. Ils ont assisté à des dizaines de réu-
nions, épluché les comptes rendus d’autres rencontres et interrogé des
scénaristes, des agents et des producteurs. L’étude122 très remarquée qu’ils
ont rédigée pour l’Academy of Management Journal constitue un excellent
guide, même pour ceux qui vivent la vidéo sur le canapé du salon.
La découverte essentielle de ces chercheurs est la suivante : la réus-
site d’un pitch dépend autant de celui qui le reçoit que de celui qui
l’émet. En particulier, Elsbach et Kramer se sont aperçus que ce rituel
élaboré recouvrait deux processus. Dans le premier, le récepteur (c’est-
à-dire le dirigeant) utilise différents indices physiques et comportemen-
taux pour évaluer la créativité de l’émetteur (c’est-à-dire le scénariste).
Les récepteurs considèrent la passion, l’esprit et l’originalité comme des
indices positifs, et l’habileté, l’intensité et la multiplicité des idées
comme des indices négatifs. Si, dans les premières minutes, le récepteur
évalue l’auteur du pitch comme non créatif, sa conclusion est faite en
pratique, même si la réunion n’est pas terminée.
Cela dit, pour les auteurs de pitchs, il ne suffit pas d’être classé dans
la catégorie créative ; un second processus est à l’œuvre. Dans les pitchs
les plus réussis, l’émetteur ne livre son idée au récepteur qu’après avoir
obtenu son acquiescement. Bref, il fait de son interlocuteur un collabo-
rateur. Plus les dirigeants – les « costumes », comme les appellent ironi-
quement leurs comparses censément plus artistiques – sont capables de
contribuer à la réflexion, meilleure l’idée devient, et plus elle a de
chances d’obtenir le feu vert.

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Convaincre au quotidien

Les réunions les plus profitables sont celles où le récepteur « est


tellement sollicité par l’auteur du pitch que le processus ressemble à une
collaboration », ont constaté les chercheurs123. « Une fois que le récep-
teur a le sentiment d’être un collègue créatif, le risque de rejet se réduit »,
dit Elsbach124. Certains des sujets de l’étude ont décrit cette dynamique
à leur propre manière. « À un certain point, le scénariste doit s’effacer
en tant que créateur et laisser [le dirigeant] projeter sur son idée ce dont
il a besoin pour redresser le récit », a affirmé aux professeurs un produc-
teur oscarisé. Cependant, a expliqué un autre, « quand le pitch est
infructueux, c’est que l’intéressé n’a pas bien écouté l’idée ou ne l’a pas
bien exploitée125 ».
La leçon est capitale : l’objectif du pitch n’est pas nécessairement de
faire bouger les autres pour qu’ils adoptent l’idée immédiatement. C’est
de proposer quelque chose d’assez convaincant pour engager une
conversation, pour transformer l’interlocuteur en participant et pour
arriver à un résultat qui plaise aux deux parties. Dans un monde où les
acheteurs ont beaucoup d’information et tout un éventail de choix, le
pitch est souvent le premier mot, mais rarement le dernier.

Les 6 successeurs du discours de l’ascenseur


L’invention d’Elisha Otis a eu un effet catalytique sur de nombreuses
industries, y compris celle du conseil. Dès que les ascenseurs se sont
répandus, des gourous comme Dale Carnegie ont conseillé de toujours
avoir un « discours de l’ascenseur » prêt. L’idée était que, si on se trouvait
dans un ascenseur avec son grand patron, il fallait être capable, entre la
fermeture des portes et l’arrivée à l’étage, de lui expliquer qui on était
et ce qu’on faisait.
Pendant plusieurs décennies du XXe siècle, le discours de l’ascenseur
a été une procédure opérationnelle standard ; mais les temps changent et
les technologies évoluent. Au XXIe siècle, cette pratique paraît un peu
éculée pour deux raisons. D’abord, les entreprises sont en général plus
démocratiques qu’elles ne l’étaient dans le monde stratifié des complets
en flanelle grise. Beaucoup de PDG, même dans les grandes entreprises,

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7 - Le pitch

siègent comme tout le monde dans des bureaux vitrés ou des espaces
ouverts encourageant le contact et la collaboration. La porte fermée est
de moins en moins la norme. Il y a 50 ans, vous et moi n’aurions pas eu
d’autre occasion que les trajets en ascenseur pour rencontrer le PDG.
Aujourd’hui, nous pouvons rôder du côté de son bureau, lui envoyer un
courriel ou l’interroger au cours d’une réunion.
Ensuite, quand le PDG du milieu du XXe siècle sortait de l’ascen-
seur pour retourner à son bureau, il n’avait probablement qu’à faire
quelques appels téléphoniques et à traiter quelques mémos. De nos
jours, chacun – le grand patron comme la plus récente recrue – doit
affronter un torrent d’information. Selon une estimation du McKinsey
Global Institute, l’Américain moyen entend ou lit plus de 100 000 mots
chaque jour126. Si on quitte son bureau le temps de boire une tasse de
café, on est accueilli à son retour par des courriels, des SMS et des
tweets, sans parler des blogues qu’on n’a pas lus, des vidéos qu’on n’a
pas regardées et, si on a plus de 40 ans, des appels téléphoniques aux-
quels on n’a pas répondu.
Nous avons aujourd’hui plus d’occasions de faire passer notre mes-
sage qu’Elisha Otis ne l’aurait imaginé. Cependant, nos récepteurs ont
bien plus de distractions que les congressistes de 1853 assemblés pour
voir Otis survivre à sa chute. C’est pourquoi nous devons élargir notre
répertoire d’argumentaires en l’adaptant à une époque d’attention limi-
tée et de caveat venditor.
Depuis quelques années, je collecte des pitchs partout où j’en
trouve. D’après mes investigations, voici les 6 successeurs probables du
discours de l’ascenseur. Je vous explique en quoi ils consistent, com-
ment ils fonctionnent et comment vous pouvez les utiliser pour enga-
ger une conversation qui aboutira à faire bouger autrui.

1. Le pitch en un seul mot


Le pitch idéal, en notre ère d’attention brève, commence par un mot…
et s’arrête là. Ce type d’argumentaire a été en partie popularisé grâce à
Maurice Saatchi, fondateur, avec son frère Charles, des agences de

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Convaincre au quotidien

publicité Saatchi & Saatchi et M&C Saatchi. Depuis plusieurs années,


Saatchi prône ce qu’il appelle le one-word equity, c’est-à-dire le concept
d’une marque résumé en un mot. Selon lui, dans un monde peuplé
d’« indigènes du numérique » – les moins de 30 ans, qui n’ont guère de
souvenirs de la vie sans Internet –, la lutte pour l’attention s’est inten-
sifiée d’une manière que personne ne prend complètement en compte.
Les plages d’attention ne sont pas seulement en train de se rétrécir, dit-
il. Elles sont presque en voie de disparition. La seule manière d’être
entendu est de pousser la brièveté à son point de rupture.
« Dans ce modèle, les entreprises se battent pour s’approprier un
mot unique dans l’esprit du public », écrit Saatchi. Leur but, et le but
de ce type de pitch, est « de définir la caractéristique qu’elles désirent le
plus associer à leur marque autour du monde, puis de se l’approprier.
Voilà ce qu’est le one-word equity127. » Si quelqu’un pense à vous, il pro-
nonce ce mot ; si quelqu’un prononce ce mot, il pense à vous.
Cette aspiration vous semble fantaisiste ? Considérez à quel point
les entreprises vont dans cette direction. À quelle société informatique
pensez-vous quand vous entendez le mot « recherche » ? Quelle société
de cartes de crédit vous vient à l’esprit quand vous entendez le terme
anglais priceless (« inestimable »)* ? Si vous avez répondu Google dans le
premier cas et MasterCard dans le second, vous apportez de l’eau au
moulin de Saatchi.
« De nos jours, seules s’imposent les idées d’une extrême simplicité,
dit-il. Elles voyagent léger et plus vite. » Bien que Saatchi exprime son
concept en deux termes reliés par un trait d’union et suivis d’un troi-
sième, il assure que la simplicité extrême exige un mot, et un seul. « Deux
mots, ce sont deux dieux, et deux dieux, c’est un dieu de trop 128. » Il est
tentant de dire du pitch en un seul mot qu’il est simpliste – ce qui est le
pire qu’on puisse dire d’un message. Ce serait mal comprendre le

* Référence à la campagne de publicité menée par MasterCard depuis 1997 dans


près d’une centaine de pays. (NdT)

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7 - Le pitch

processus de formulation de ce type de pitch et l’effet galvanisateur de son


utilisation. La réduction de votre discours à ce mot unique demande de
la discipline et impose la clarté. Choisissez le bon terme, et tout le reste
ira de soi. Par exemple, au cours de sa campagne électorale en 2012, le
président Barack Obama a construit sa stratégie entière sur un seul mot :
forward (« en avant »). Il y a un enseignement important à en retenir pour
votre propre pitch.

2. Le pitch interrogatif
En 1980, Ronald Reagan était candidat à la présidence des États-Unis,
et la situation économique était mauvaise. Il n’est jamais facile de détrô­
ner un président en place, même s’il est aussi vulnérable que Jimmy
Carter, élu en 1976. Reagan devait donc montrer que la mauvaise
gestion de l’économie par Carter justifiait un changement de président.
Dans son pitch à l’intention des électeurs, il aurait pu présenter un
expo­sé déclaratif : « Votre situation économique s’est détériorée au cours
des 48 derniers mois. » Il aurait également pu soutenir son affirmation
par une litanie de données sur l’accélération de l’inflation et l’impor-
tance du chômage. Au lieu de cela, il a posé une question : « Vous
sentez-vous mieux aujourd’hui qu’il y a quatre ans ? »
Comme on l’a vu au chapitre 5 à propos du soliloque interrogatif, les
questions contiennent souvent une énergie étonnante. Pourtant, quand
on essaie de faire bouger autrui, on a tendance à les sous-employer en
dépit des nombreuses études de sciences sociales qui disent qu’on ferait
mieux d’y recourir plus souvent. Depuis des recherches menées dans les
années 1980, plusieurs universitaires ont constaté que les questions
étaient capables, mieux que les énoncés, de persuader autrui.
Ainsi, Robert Burnkrant et Daniel Howard, de l’Université de l’État
de l’Ohio, ont testé le potentiel d’une série de pitchs brefs auprès d’un
groupe d’étudiants de premier cycle. Le sujet portait sur les étudiants de
troisième année : les universités devraient-elles les obliger à subir un exa-
men complet comme condition d’obtention du diplôme ? Quand les
chercheurs présentaient des arguments forts en faveur de cette politique

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Convaincre au quotidien

sous forme de questions (par exemple : « Est-ce que le fait de passer un


examen complet serait une aide pour ceux qui voudraient être admis au
deuxième cycle ou dans une école professionnelle ? »), les participants
étaient bien plus disposés à soutenir la politique que lorsque l’argument
équivalent était présenté sous forme d’énoncé. Cepen­dant, les questions
ne l’emportaient pas toujours. Les chercheurs ont par ailleurs constaté
que, lorsque les arguments sous-jacents étaient faibles, le fait de les pré-
senter sous forme interrogative avait un effet négatif 129.
Les raisons de cette différence remontent au cœur de la manière dont
les questions fonctionnent. Quand j’affirme quelque chose, vous recevez
passivement ce que je dis. Quand je pose une question, vous êtes obligé
de répondre, à haute voix si la question est directe, silencieusement si elle
est rhétorique. Cela demande au minimum un modeste effort de votre
part ou, comme le disent les chercheurs, « un traitement plus intensif du
contenu du message130 ». Cette analyse plus profonde peut révéler la soli-
dité des arguments forts et l’inconsistance des arguments faibles.
Dans l’exemple de 1980, la question qui a si bien fonctionné pour
Reagan aurait été désastreuse pour Carter. S’il avait tenté de soutenir
que la situation économique américaine s’était améliorée durant sa
prési­dence – alors que ce n’était pas le cas pour la grande majorité des
électeurs –, leur demander « Vous sentez-vous mieux aujourd’hui qu’il
y a quatre ans ? » les aurait poussés à réfléchir et aurait conduit la plu-
part d’entre eux à une conclusion qui n’aurait pas été celle que Carter
désirait. De même, en 2012, quand le candidat républicain à la prési-
dence, Mitt Romney, a tenté d’utiliser la question de Reagan contre
Obama, la tactique n’a pas très bien fonctionné. Des sondages ont
ensuite montré que, même si de nombreux électeurs se sentaient en
moins bonne situation que quatre ans auparavant, plus nombreux
encore étaient ceux qui disaient être dans une situation meilleure ou
identique131 ; cette ligne d’attaque s’en trouvait affaiblie.
En amenant les gens à réfléchir, le pitch interrogatif les pousse à trou-
ver leurs propres raisons d’être d’accord (ou non) avec une chose. Et quand
ils parviennent à circonscrire ces motifs, ils adoptent avec davantage de

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7 - Le pitch

force une ligne de pensée congruente et sont plus disposés à agir en consé-
quence. Aussi, conscient des éléments sous-jacents liés à la psychologie
sociale, ne devriez-vous pas renoncer au discours affirmatif au profit de la
question la prochaine fois qu’il vous faudra présenter un argumentaire à
un employeur, à un client potentiel ou à un ami hésitant ?

3. Le pitch rimé
Les avocats, en particulier ceux qui sont spécialisés en droit criminel,
ont pour métier de faire bouger autrui. Ils vendent des verdicts à des
jurés. Et leur plaidoirie – l’ultime résumé des arguments présentés au
cours du procès – joue à cet égard un rôle primordial. C’est le pitch par
excellence, qui réduit à l’essentiel des jours, voire des semaines de
travaux documentaires.
En 1995, un avocat américain nommé Johnnie Cochran a assuré la
défense de l’ex-champion de football américain O. J. Simpson, accusé
du meurtre de sa femme et de l’amant de celle-ci. Parmi les indices
présentés aux jurés se trouvait un gant taché de sang, qui avait été
découvert sur les lieux du crime et dont l’accusation disait qu’il appar-
tenait à Simpson. Pour démontrer que le gant était celui de l’athlète, le
procureur avait demandé à celui-ci de l’enfiler devant les jurés. Simpson
avait essayé, mais sans parvenir à y glisser la main. Dans sa plaidoirie,
pour affirmer l’innocence de son client, Cochran a lancé le pitch sui-
vant : « If it doesn’t fit, you must acquit. » (« S’il ne peut l’enfiler, vous
devez l’acquitter. ») Cette formule est restée célèbre aux États-Unis. Le
jury a libéré Simpson, en partie grâce à la rime (fit/acquit) de Cochran.
Disparu en 2005, ce dernier a probablement agi d’instinct, mais sa
technique est largement validée par la littérature des sciences sociales. Par
exemple, au cours d’une étude menée en 2000, Matthew S. McGlone et
Jessica Tofighbakhsh, du Lafayette College, ont présenté aux participants
une liste de 60 aphorismes en leur demandant si chacun d’eux était « une
description correcte du comportement humain132 ». Dans la liste figu-
raient des éléments rimés et d’autres modifiés pour ne pas rimer, comme
on le voit à la page suivante.

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Convaincre au quotidien

Version rimée d’origine Variante non rimée Traduction


Woes unite foes. Woes unite enemies. Les malheurs unissent
les adversaires.
What sobriety conceals, What sobriety Ce que la sobriété
alcohol reveals. conceals, alcohol dissimule, l’alcool le
unmasks. révèle.
Life is mostly strife. Life is mostly struggle. La vie est avant tout
un combat.
Caution and measure Caution and measure Prudence et mesure
will win you treasure. will win you riches. vous vaudront des
richesses.

Les participants ont noté les aphorismes de la colonne de gauche


comme bien plus corrects que ceux de la colonne du centre, alors qu’ils
disaient pratiquement la même chose. Pourtant, quand les chercheurs
ont demandé aux gens : « À votre avis, les aphorismes qui riment
décrivent-ils plus exactement le comportement humain que ceux qui
ne riment pas ? », leur réponse a à peu près toujours été négative. C’était
inconsciemment que les participants considéraient comme plus exactes
les versions rimées. Ils n’accordaient aux phrases le même degré d’exac-
titude que lorsqu’on leur demandait explicitement de distinguer la
forme et le sens133.
Que se passe-t-il ? La rime renforce ce que les linguistes et les cogni­
ticiens appellent la fluence, ou l’aisance avec laquelle notre esprit
découpe, traite et comprend des stimuli. La rime sonne bien et passe
facilement, ce qui nous paraît synonyme d’exactitude. C’est en somme
l’inverse de ce qu’avance l’expression « sans rime ni raison » : la rime
peut aller dans le même sens que la raison.
C’est en partie pour cela que le confiseur allemand Haribo, célèbre
pour ses oursons gélifiés, utilise un slogan rimé dans tous les pays où il
est présent. En français : « Haribo, c’est beau la vie – pour les grands et
les petits. » En anglais : « Kids and grown-ups love it so – the happy world
of Haribo. » Et en espagnol : « Haribo, dulces sabores – para pequeños y
mayores. »

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7 - Le pitch

Haribo exploite un savoir que vous pouvez vous aussi utiliser dans
votre travail et votre vie quotidienne. Si vous intervenez devant le
conseil de votre municipalité, résumez votre argument principal de
manière rimée ; cela donnera aux gens un moyen pour parler de votre
proposition lorsqu’ils délibéreront. Si vous êtes un travailleur indépen-
dant invité à faire une présentation devant un client potentiel, l’emploi
d’une rime peut renforcer la fluence de votre auditoire et, donc, per-
mettre à votre message de s’inscrire dans l’esprit du client pendant qu’il
est en train de vous comparer à vos concurrents. N’oubliez pas : les
pitchs qui riment sont plus sublimes.

4. Le pitch-titre
Le courrier électronique est si intégré à notre vie que, comme le disent
les chercheurs de Xerox Parc, il « ressemble désormais plus à un habitat
qu’à une application134 ». Comme pour tout habitat, cependant, plus
nous y sommes immergés, moins nous remarquons ses caractères
distinc­tifs. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous n’ont pas encore
compris que tous les messages qu’ils envoient sont des pitchs sollicitant
l’attention des gens et les invitant à faire des gestes.
L’acceptation de cette invitation, ou même la simple ouverture du
message, dépend surtout de l’expéditeur. Vous lirez plus probablement
le courriel envoyé par votre patron ou votre petite amie que celui d’une
entreprise dont vous n’avez jamais entendu parler et qui propose un
produit dont vous n’avez pas besoin. L’élément qui arrive au deuxième
rang en ce qui a trait à la manière dont le message est reçu est son objet
(le titre), qui annonce le contenu du courriel.
En 2011, trois professeurs de l’Université Carnegie Mellon ont réa-
lisé une série d’études afin de savoir pourquoi certains titres étaient plus
efficaces que d’autres. Dans une des expériences, ils ont utilisé la
« méthode de la réflexion à haute voix » : les participants, consultant
leur boîte de courriel, racontaient pourquoi ils choisissaient de lire des
messages, d’y répondre, de les transmettre ou de les effacer. Il est apparu
que leur décision dépendait de deux facteurs : l’utilité et la curiosité.

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Convaincre au quotidien

Les gens avaient toutes les chances de « lire les messages directement liés
à leur travail ». Cela n’a rien d’étonnant. Ils étaient aussi disposés à
« ouvrir les messages s’ils éprouvaient un degré d’incertitude modéré
quant à leur contenu, c’est-à-dire s’ils étaient “curieux” de découvrir la
teneur des envois135. »
L’utilité et la curiosité étaient à peu près aussi puissantes l’une que
l’autre, mais semblaient fonctionner de façon indépendante. La pre-
mière s’appliquait davantage quand les destinataires recevaient beau-
coup de messages, et « la curiosité [attirait] l’attention sur les courriels
dans des conditions de faible demande ». Une des explications de la
différence des comportements selon les conditions résidait dans la
motivation des choix. Les gens ouvraient des messages utiles pour des
raisons extrinsèques : ils avaient quelque chose à gagner ou à perdre. Ils
consultaient les autres messages pour des raisons intrinsèques : par
simple curiosité.
Des recherches ont montré que le fait d’essayer d’ajouter des motiva-
tions intrinsèques aux motivations extrinsèques avait souvent un effet
négatif136. C’est pourquoi, disent les chercheurs de Carnegie Mellon, le
titre qu’on indique en objet du courrier électronique devrait être soit
utile (Voici le photocopieur le meilleur et le moins cher), soit intrigant (Une
révolution dans la photocopie !), mais pas les deux à la fois (Le Canon
IR2545 est une révolution dans la photocopie). Si on considère le volume
de courriels avec lequel la plupart des gens doivent composer, l’utilité
l’emporte souvent sur le mystère, bien qu’il puisse être étonnamment
efficace dans certains cas de faire appel à la curiosité innée des destina-
taires avec un titre provocateur ou même l’absence de titre.
Outre l’utilité et la curiosité, il existe un troisième principe : la spé-
cificité. Brian Clark, fondateur du célèbre site web sur la rédaction
publicitaire Copyblogger, conseille d’indiquer des objets « ultraspéci-
fiques137 ». Ainsi, un titre du genre Améliorer votre swing au golf aura
moins de résultat que celui-ci : 4 trucs pour améliorer votre swing au golf
dès aujourd’hui.

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7 - Le pitch

Si je devais vous envoyer par courrier électronique un pitch sur les


cinq paragraphes ci-dessus, je m’appuierais sur les principes d’utilité, de
curiosité et de spécificité. Si je soupçonne que votre boîte de courriel
est encombrée, je l’intitulerai peut-être : 3 moyens simples mais qui ont
fait leurs preuves pour que votre courriel soit lu. Si, à l’inverse, je sais que
vous n’êtes pas assailli de messages électroniques et que vous me
connaissez déjà, j’écrirai plutôt : Quelques faits étonnants que je viens
d’apprendre à propos des courriels.

5. Le pitch Twitter
Tous les ans, le Tippie College of Business de l’Université de l’Iowa
reçoit plus de 300 candidatures pour les quelque 70 places de son pro-
gramme de MBA. Les candidats lui font parvenir leurs diplômes uni-
versitaires, les notes obtenues au test standard d’admission en école de
commerce, des lettres de recommandation et plusieurs dissertations.
En 2011, Tippie a ajouté une épreuve à son processus de sélection afin
de tester l’aptitude au pitch des futurs dirigeants d’entreprise. Cette
épreuve consiste à répondre à une question relativement banale :
« Qu’est-ce qui fait de vous un candidat exceptionnel au MBA à plein
temps du Tippie College et un de ses futurs étudiants ? » Il est demandé
aux candidats de répondre sous la forme d’un tweet – un micromessage
de 140 caractères au maximum138.
Voici donc le pitch Twitter, qui emploie Twitter comme support et
impose la concision exigée par son nombre limité de caractères. Un des
pionniers de cette forme de message est le programmeur, créateur et
investisseur Stowe Boyd. En 2008, Boyd se rendait à un congrès et pré-
voyait discuter avec quelques start-up. Pour éviter de crouler sous les sol-
licitations, il imposait à toute entreprise désireuse de le rencontrer de lui
adresser une demande par Twitter. Cette démarche, note un observateur,
est « rapide, sans douleur et cohérente. Elle coupe court au bla-bla des
directeurs de la communication et oblige les entreprises à résumer ce
qu’elles font en un maximum de 140 caractères139. » À une époque où

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Convaincre au quotidien

Twitter s’insinue de plus en plus dans notre existence, le « twitpitch » de


Boyd est devenu un élément important de tout kit de persuasion.
La marque d’un tweet efficace, comme celle d’un pitch vigoureux,
est qu’il empoigne les destinataires et les incite à pousser la conversa-
tion plus loin – en rédigeant une réponse, en cliquant sur un lien ou en
faisant suivre le message à d’autres. Les quelques chercheurs qui se sont
penchés sur ce nouveau moyen de communication ont constaté que
seule une catégorie de tweets atteint vraiment ces buts. En 2011, trois
chercheurs en informatique de Carnegie Mellon, du MIT et de Georgia
Tech ont entrepris la première étude systématique de ce qu’ils appellent
la « valeur de contenu des microblogues ». Ils ont créé un site web inti-
tulé Who Gives a Tweet et invité les utilisateurs de Twitter à noter les
messages des autres, soumettant en contrepartie leurs propres tweets à
l’évaluation d’autrui.
Après analyse de plus de 43 000 textes, les chercheurs ont découvert
que Twitter était un moyen de communication dont le conseil d’orienta-
tion d’une école secondaire pourrait dire qu’il « n’exploite pas tout son
potentiel ». Pour les lecteurs, 36 % seulement des tweets valaient la peine
d’être lus, ce qui est étonnamment bas si on considère qu’ils évaluaient les
messages de personnes qu’ils avaient eux-mêmes choisi de suivre. Selon
eux, 25 % des tweets n’avaient aucun intérêt et 39 % étaient neutres, ce
qui revenait à dire, étant donné l’abondance des distractions quoti-
diennes, qu’ils ne méritaient pas non plus d’être lus140.
Les types de tweets les moins bien notés relevaient de trois catégo-
ries : doléances (« Mon avion est en retard, une fois de plus »), moi
maintenant (« Je vais commander un sandwich au thon ») et signe de
présence (« Bonjour tout le monde ! »)141. Cependant, trois des catégo-
ries les mieux notées fournissent des enseignements sur les pitchs utili-
sant ce nouveau support. Par exemple, les lecteurs attribuaient les notes
les plus élevées aux tweets qui posaient les questions des suiveurs, ce qui
confirme une fois de plus que la forme interrogative interpelle et per-
suade. Ils aimaient les tweets qui apportaient des renseignements et des
liens, surtout si le document était nouveau et respectait une clarté du

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7 - Le pitch

genre évoqué au chapitre 6. Enfin, ils accordaient de bonnes notes aux


tweets d’autopromotion – les pitchs commerciaux par excellence –,
pourvu qu’ils offrent au passage de l’information utile142.
Cela nous ramène à l’autopromotion à l’aide de Twitter réclamée
par l’Université de l’Iowa. Le vainqueur de cette première épreuve,
John Yates, a rédigé sa présentation sous forme de haïku (en indiquant
même le nombre de syllabes de chaque ligne), afin de souligner son
expérience professionnelle acquise en Asie :
Un esprit mondial (5)
Innovant et motivé (7)
Tippie l’armera (5).
Non, ce texte ne fait pas battre le cœur, mais il est sympathique et
apporte des données pertinentes. Il a valu à son auteur d’être admis au
Tippie College et de recevoir une aide financière de plus de 37 000 $.
Capable de gagner environ 600 $ par caractère et 3 000 $ par syllabe, le
jeune Yates devrait avoir un bel avenir dans le monde de la vente.

6. Le pitch Pixar
À quelque 650 km au nord de Hollywood, sur la côte est de la baie de
San Francisco, se trouve Emeryville. Un colosse improbable de l’indus-
trie du divertissement a élu domicile dans cette petite ville de Californie.
À ses débuts, Pixar Animation Studios, idole des geeks, était la division
numérique de Lucasfilm. Trente-cinq ans plus tard, c’est un des studios
les plus prospères de l’histoire du cinéma. Depuis Toy Story en 1995,
Pixar a produit 13 longs métrages qui ont généré 7,6 milliards de
dollars de recettes dans le monde, soit le montant étonnant de 585 mil-
lions de dollars par film143. Six films de Pixar (Le monde de Nemo, Les
Indestructibles, Ratatouille, WALL-E, Là-haut et Toy Story 3) ont rem-
porté des Academy Awards du meilleur dessin animé, et ce ne sont là
que quelques-uns des 26 Oscars reçus au total par le studio.
Comment Pixar fait-il ? Son succès est attribuable à de nombreux
facteurs : la sagacité de Steve Jobs, qui a très tôt investi dans l’entreprise,

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Convaincre au quotidien

la puissance du marketing et de la distribution de Walt Disney Company,


qui s’est empressée de passer un accord de développement avec le studio
et l’a racheté en 2006, le souci du détail qui fait le renom de son armée
de techniciens et d’artistes. Il existe sans doute une raison supplémen-
taire : les scénarios eux-mêmes.
Emma Coats, ancienne scénariste du studio, a décrypté le code de
Pixar, créant du même coup le modèle d’un type de pitch irrésistible.
Selon elle, tous les films de Pixar partagent le même ADN narratif, une
structure qui fait intervenir six phrases successives :
Il était une fois _________. Chaque jour ______. Puis un jour
__________. À cause de cela ___________. C’est pourquoi
_______. Jusqu’à ce qu’enfin__________.
Prenez par exemple l’intrigue du Monde de Nemo :
Il était une fois un poisson veuf appelé Marin, qui se faisait
beaucoup de souci pour son fils unique Nemo. Chaque jour, Marin
rappelle à Nemo que l’océan est plein de dangers et l’implore de ne
pas nager au loin. Puis un jour, par défi, Nemo ignore les mises en
garde de son père et nage jusqu’à la pleine mer. À cause de cela, il
est capturé par un plongeur et se retrouve poisson d’aquarium chez
un dentiste de Sydney. C’est pourquoi Marin part en voyage pour
retrouver Nemo, appelant à l’aide au passage les autres créatures de
la mer. Jusqu’à ce qu’enfin Marin et Nemo se retrouvent, repartent
ensemble et découvrent que l’amour repose sur la confiance144.
Ce format en six phrases est à la fois souple et séduisant. Il permet
aux auteurs de pitch d’exploiter la force omniprésente des récits145 tout en
respectant un cadre qui impose concision et discipline. Imaginez-vous à
la tête d’une association sans but lucratif qui a créé un test à domicile
pour le VIH et qui cherche des gens pour le financer. Votre pitch Pixar
pourrait ressembler à ceci :
Il était une fois une crise sanitaire qui menaçait de nombreuses
parties de l’Afrique. Chaque jour, des milliers de gens mouraient
du sida et de maladies liées au VIH, souvent parce qu’ils ignoraient

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7 - Le pitch

qu’ils étaient porteurs du virus. Puis un jour, nous avons conçu un


kit VIH domestique peu coûteux permettant aux gens de se tester
eux-mêmes avec un petit prélèvement de salive. À cause de cela,
davantage de personnes se soumettent au test. C’est pourquoi les
individus contaminés demandent à se faire traiter et font en sorte
de ne pas infecter les autres. Jusqu’à ce qu’enfin l’expansion de cette
maladie redoutable ralentisse et que davantage de gens vivent une
longue vie.
On pourrait même résumer avec un pitch Pixar le livre que vous
avez entre les mains :
Il était une fois une époque où seules certaines personnes avaient
pour métier la vente. Chaque jour, elles vendaient des choses, les
autres en fabriquaient, et tout le monde était heureux. Puis un
jour, ça a changé : nous nous sommes tous retrouvés dans la vente,
et la vente s’est transformée, passant du mode du caveat emptor à
celui du caveat venditor. À cause de cela, nous avons dû tenir
compte du nouvel ABC – accordage, brio et clarté. C’est pourquoi
il nous a fallu acquérir de nouvelles compétences – « pitcher »,
improviser, servir. Jusqu’à ce qu’enfin nous comprenions que la
vente n’est pas une sinistre adaptation à la brutale culture du mar-
ché. Elle fait partie de notre personnalité, et nous y réussissons
d’autant mieux que nous sommes plus humains.
Pour voir les six pitchs en action, imaginez que vous habitez la ville
fictive de Beeston. À côté de chez vous, un pont franchit la rivière
Girona et relie votre ville à une cité plus grande, Arborville. Il menace
de s’effondrer et vous menez campagne pour qu’on construise à sa place
un pont moderne à quatre voies. Il vous faut convaincre beaucoup de
gens : l’administration municipale, les citoyens de Beeston, peut-être
aussi pas mal de monde à Arborville. Vous devrez accomplir un travail
considérable en trouvant comment financer le pont et évaluer son
impact environnemental. Il vous faudra aussi choisir un architecte, un
constructeur, etc. Chacun des six pitchs propose une manière d’engager
la conversation qui aboutira au résultat que vous recherchez.

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Convaincre au quotidien

Votre pitch Pixar pourrait être celui-ci :


Il était une fois un pont par lequel il était long et difficile d’aller de
Beeston à Arborville. Chaque jour, des gens tentaient d’emprunter
le vieux pont, mais cela leur prenait beaucoup de temps, et certains
y avaient même renoncé à cause des ralentissements et des pro-
blèmes de sécurité. Puis un jour, des citoyens se sont unis pour
financer et construire un pont moderne. À cause de cela, les gens de
Beeston ont perdu moins de temps, et leurs familles se sont senties
davantage en sécurité. C’est pourquoi ils ont été plus nombreux à
travailler et à faire leurs courses à Arborville, ce qui a favorisé
l’essor de l’économie. Jusqu’à ce qu’enfin le nouveau pont fasse tel-
lement partie de leur vie que chacun se demandait pourquoi on
avait tant tardé à le construire.
Votre pitch Twitter pourrait comporter un lien vers une vision d’ar-
tiste du pont ainsi qu’une liste de ses avantages. Les gens seraient incités
à cliquer dessus par une note du genre : Voyez à quoi Beeston et Arborville
pourraient ressembler demain et pourquoi nous devons préparer cet avenir.
Si vous envoyez de l’information à vos concitoyens de Beeston,
votre titre pourrait être : 3 raisons de réclamer un nouveau pont pour les
familles de Beeston.
Votre pitch rimé ? De l’autre côté du pont, se trouvent beaucoup
d’occasions.
Votre pitch interrogatif pourrait aider les gens à réfléchir à leur
propre expérience : faut-il vraiment qu’il soit si difficile d’aller à Arborville ?
Et votre pitch en un seul mot pourrait expliquer la raison de vos
efforts (et évoquer une des leçons indispensables de ce chapitre) :
communication.

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Mallette d’échantillons

Le pitch

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Pratiquez vos 6 pitchs
Pour apprendre et perfectionner les 6 pitchs, il y a trois moyens : prati-
quer, pratiquer et pratiquer. Voici par où commencer. (Vous trouverez
des exemplaires supplémentaires de cette feuille d’exercice, en anglais,
à l’adresse www.danpink.com/pitch.)

1. Le pitch en un seul mot


Un truc de pro : rédigez un pitch de 50 mots, réduisez-le à 25 mots,
puis à 6. Dans cette demi-douzaine de termes figure presque certai-
nement votre pitch en un seul mot.
➟ À votre tour :

2. Le pitch interrogatif
Un truc de pro : utilisez ce type de pitch si vos arguments sont forts.
S’ils sont faibles, préférez une affirmation. Mieux encore, trouvez
de nouveaux arguments.
➟ À votre tour :

3. Le pitch rimé
Un truc de pro : ne vous usez pas les méninges à chercher des rimes.
Trouvez un dictionnaire de rimes sur Internet. (Pour les anglo-
phones, j’ai ma préférence : http ://rhymezone.com).
➟ À votre tour :

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Convaincre au quotidien

4. Le pitch-titre
Un truc de pro : relisez l’intitulé des 20 derniers courriels que vous
avez envoyés. Notez combien d’entre eux font appel à la curiosité
ou au sens de l’utilité. S’il y en a moins de 10, reformulez ceux qui
ne satisfont pas à cette condition.
➟ À votre tour :

5. Le pitch Twitter
Un truc de pro  : bien que Twitter autorise 140 caractères,
limitez-vous à 120 afin que les destinataires puissent le faire suivre.
Rappelez-vous : les meilleurs pitchs sont brefs, aimables et faciles à
retweeter.
➟ À votre tour :

6. Le pitch Pixar
Un truc de pro : lisez l’intégralité des 22 règles du scénario selon
Emma Coats sur le site http ://bit.ly/jlVWrG (en anglais).
➟ À votre tour :
Il était une fois ___. Chaque jour ___. Puis un jour ___. À cause
de cela ___. C’est pourquoi ___. Jusqu’à ce qu’enfin ___.

Répondez à 3 questions capitales


Pendant que vous préparez votre pitch, clarifiez votre intention et votre
stratégie en vous assurant que vous êtes capable de répondre à ces
3 questions :
Une fois que les gens auront entendu votre pitch…
1. Que voulez-vous qu’ils sachent ?
2. Que voulez-vous qu’ils sentent ?
3. Que voulez-vous qu’ils fassent ?

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7 - Le pitch

Si vous avez des réponses fortes à ces questions, le pitch devrait


venir plus facilement.

Collectez les pitchs des autres et enregistrez le vôtre


Comment les gens s’améliorent-ils dans leur art ? Ils le pratiquent, bien
entendu, mais ils observent aussi. Le peintre visite des galeries pour voir
les œuvres d’autres artistes et analyser leurs techniques. Le chanteur
enregistre une première version d’une pièce, l’écoute plusieurs fois et se
demande comment l’améliorer. Les pitchs sont une forme d’art en soi,
de sorte que vous devriez, vous aussi, agir comme un artiste.
Par exemple, tenez un registre de pitchs. Dans un carnet ou sur
votre téléphone intelligent, notez les meilleurs pitchs que vous entendez
au cours de vos voyages dans le monde : un slogan publicitaire bien
trouvé, un ordre donné par une mère à son enfant, la requête d’un col-
lègue demandant une nouvelle mission. Cet exercice répond à deux
objectifs. Il vous fera prendre conscience des pitchs qui vous entourent
et vous aidera à discerner quelles techniques font bouger autrui et les-
quelles sont emportées par le vent.
Essayez aussi d’enregistrer vos propres pitchs. Téléphonez-vous et
laissez votre pitch sous forme de message sur votre répondeur, ou utili-
sez l’application de dictaphone de votre téléphone intelligent, puis
écoutez-vous. Ce que vous dites paraît-il sensé ? Comment est votre
intonation ? Votre débit ? L’écoute de votre voix peut être pénible, mais
c’est un moyen merveilleux pour vous exercer – et pour vous éviter des
expériences plus pénibles encore à l’avenir.

Employez un support visuel


C’est le dicton détesté de tous les écrivains : Une image vaut mille mots.
Cet adage a beau ne pas rimer, il contient une bonne dose de vérité.
Dans presque tout pitch, les principaux ingrédients sont les mots – voire
le mot –, mais vous pouvez leur donner plus de saveur avec des images.
Il vous est par exemple possible de rendre vivants les pitchs interrogatifs,

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Convaincre au quotidien

les pitchs en un seul mot et les pitchs rimés en les accompagnant d’une
photographie ou d’une image illustrant votre idée. Comme la commu-
nication numérique repose moins sur le texte que sur l’image, l’intitulé
de votre message et votre pitch Twitter devraient être reliés à un support
visuel saisissant. Vous pouvez même utiliser des accessoires. Par
exemple, si l’économiste George Akerlof, évoqué au chapitre 3, basait
un pitch sur les conséquences en cascade de l’asymétrie d’information,
il pourrait joindre à son message l’image d’une poubelle.
De même, la vidéo est un moyen d’associer l’efficacité des communi­
cations électroniques avec l’intimité d’une discussion au cours de
laquel­le on regarde son interlocuteur en face et où on entend sa voix.
Une excellente technique à ce sujet consiste à envoyer par courrier élec-
tronique de brefs messages vidéo, ce qu’il est possible de faire presque
sans effort et souvent gratuitement avec QuickTime (renseignez-vous
sur www.quicktime.com).

Familiarisez-vous avec le pecha-kucha


PowerPoint est comme la météo ou la téléréalité : tout le monde s’en
plaint, mais personne n’y fait rien. Quel que soit notre lieu de travail ou
le sujet que nous étudions, nous devons subir le verbiage de gens qui
nous assomment de bullet points dans la pénombre d’une salle de réu-
nion avant de nous dérober notre âme pour en faire des graphiques 3D.
Trois fois bravo, donc, à Mark Dytham et à Astrid Klein, deux
architectes installés à Tokyo qui ont concocté un antidote à ces abomi-
nables présentations PowerPoint. Ils ont donné à leur création le nom
de pecha-kucha*, mot japonais qui signifie « bavardage ».
Une présentation pecha-kucha contient exactement 20 diapos,
chacune apparaissant à l’écran pendant exactement 20 secondes. Les
règles sont rigides, et c’est le but. Les orateurs présentent leur pitch en

* Prononcer « petcha coutcha ».

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7 - Le pitch

précisément 6 minutes 40 secondes, puis ils se taisent et se rassoient.


Ces contraintes apportent de la clarté. Et comme les diapos s’enchaînent
automatiquement, chacun doit faire passer son message avec élégance
et célérité.
Depuis son apparition en 2003, le pecha-kucha s’est répandu
comme un virus bienfaisant et s’est métamorphosé en mouvement
inter­national. Plusieurs organisations l’utilisent pour leurs présenta-
tions internes. Astrid Klein et Mark Dytham ont même créé une fon-
dation qui organise des PechaKucha Nights dans 547 villes du monde.
Visitez l’une d’elles pour voir comment cela se passe, puis essayez vous-
même. Vous trouverez d’autres renseignements à ce sujet à l’adresse
www.pechakucha.org.

Prêtez attention à l’ordre de passage et aux chiffres


La littérature des sciences sociales est pleine de constats intéressants (et
souvent contradictoires) sur l’effet de l’ordre de passage et des chiffres.
Voici 2 règles générales assises sur de solides observations (avec des
liens vers des sites web pour ceux qui voudraient creuser la question).
1. Parlez en premier si vous êtes le titulaire,
en dernier si vous êtes le challenger.
Dans une présentation commerciale concurrentielle où une série
de vendeurs présentent leur argumentaire l’un après l’autre, le
leader du marché a plus de chances d’être sélectionné s’il parle en
premier, indiquent des chercheurs de l’Université Virginia Tech.
Cependant, pour un challenger, l’idéal est de parler en dernier
(http ://bit.ly/NRpdp6). L’étude ne montre pas clairement à
quel point cela s’applique à d’autres circonstances, mais, d’une
manière générale, ceux qui se trouvent au milieu ont plus de
chances de se faire écraser.
2. Les nombres précis sont plus crédibles
que les nombres appro­ximatifs.

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Convaincre au quotidien

Au cours d’une étude de l’Université du Michigan, on a demandé


aux participants d’estimer l’autonomie réelle de deux GPS. L’un
revendiquait une autonomie «  pouvant atteindre 2 heures  » 
;
l’autre, une durée identique, mais exprimée de manière plus fine :
« pouvant atteindre 120 minutes ». Les participants ont estimé que
la pile du premier tiendrait 89 minutes et que celle du second irait
jusqu’à 106 minutes (http ://bit.ly/yapcPA, en anglais).

Demandez aux gens de décrire


votre pitch invisible en 3 mots
Nous n’en sommes pas toujours conscients, mais nos actes et notre
manière d’être sont des pitchs en soi. Nous véhiculons un message à
propos de nous-mêmes, de notre travail, de notre entreprise, et les
autres l’interprètent.
Prenez un peu de temps pour déterminer la manière dont les gens
de votre entourage voient votre message. Trouvez 10 personnes – un
mélange de collègues, d’amis et de membres de votre famille –, puis
demandez-leur les 3 mots qui leur viennent à l’esprit quand vous leur
posez une des questions suivantes : Que fait mon entreprise ? Que fait
mon produit ou mon service ? Qu’est-ce que je fais moi-même ? Précisez
bien que vous ne les interrogez pas sur des qualités physiques (« grand,
brun et séduisant »), mais sur quelque chose de plus profond.
Une fois ces mots rassemblés, cherchez des constantes. Beaucoup
de gens sont étonnés par l’écart entre le message qu’ils pensent véhicu-
ler et ce que les autres perçoivent. Le fait d’en être conscient est un
prélude à l’amélioration.

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Chapitre 8

L’improvisation

E
n cette langoureuse matinée de fin de printemps, me voici dans
une situation absurde et compromettante. Au 14e étage d’un
immeuble de bureaux de Manhattan, je me trouve avec une
femme qui n’est pas la mienne, les yeux plongés dans les siens.
Ne me reprochez pas cette transgression. C’est la faute de mes
oreilles. Comme celles de la plupart d’entre vous, elles ont toujours
bien fonctionné, mais je n’ai jamais vraiment appris à m’en servir. En
fait, je me trouve dans cet endroit étrange, une petite salle de réunion
aux fenêtres couvertes de papier kraft, afin d’apprendre à écouter. Et
comme les 13  dirigeants qui m’accompagnent – ils viennent de grandes
entreprises comme la Bank of America ou de jeunes entreprises numé-
riques aux noms abracadabrants –, je suis là pour recevoir l’enseigne-
ment d’une experte. Elle s’appelle Cathy Salit. En 1970, à l’âge de
13 ans, elle a abandonné ses études pour créer sa propre école à
Manhattan, dans l’Upper West Side. Cela l’a conduite à une carrière de
dirigeante d’associations, puis d’actrice et, enfin, après quelques péripé-
ties, à sa situation actuelle, qui consiste en quelque sorte à chuchoter à
l’oreille des vendeurs.
Cathy Salit dirige une entreprise nommée Performance of a
Lifetime qui enseigne le théâtre d’improvisation aux employés des
sociétés – non pour qu’ils se produisent moyennant des cachets ridi-
cules dans les clubs à courants d’air de Greenwich Village, mais pour les
rendre plus efficaces dans leurs fonctions habituelles. Au cœur de son
enseignement se trouve l’écoute.

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Convaincre au quotidien

Tandis que j’attends le début de la séance, un de mes condisciples


(qui porte des lunettes et dont la lèvre inférieure recouvre celle du dessus)
me demande où je travaille. « Je suis écrivain, dis-je, engageant la conver-
sation avec une bonne humeur feinte. Je suis un indépendant. » Il se
retourne et ne me parle plus. On dirait que ce type a besoin d’aide pour
savoir écouter (ou peut-être devrais-je relire le chapitre sur les pitchs).
Quand vient le moment de former des paires pour le premier exer-
cice, je l’évite. Je me tourne plutôt vers une femme mince et élégante,
qui a à peu près mon âge. Elle est cadre supérieure dans une grande
société de cosmétiques – et elle en a bien l’air. Des talons de 10 centi-
mètres sous des pieds délicats aux ongles peints en gris ardoise. Un
pantalon havane et un fin chemisier plissé bleu. Des cheveux platine
tirés en arrière pour former un chignon de ballerine. Nous nous tenons
face à face, mon menton non rasé à quelques centimètres de son petit
nez de porcelaine. Notre première leçon, dit Cathy Salit, est « l’exercice
du miroir ». Chacun observe son partenaire dans les yeux et imite ses
mouvements, comme s’il était son reflet dans un miroir.
Ma partenaire lève lentement la main droite ; je lève donc lente-
ment la main gauche. Elle lève la main gauche et tourne sa paume vers
moi ; je lève la main droite à la même hauteur et tourne ma paume vers
l’extérieur. Elle tourne la tête à droite. La mienne, en même temps,
tourne à gauche. Nous levons la jambe. Nous haussons les épaules.
Nous plions les genoux. Toujours ensemble. Nous sommes terrible-
ment proches et légèrement mal à l’aise. Elle doit trouver pénible de se
voir imposer une telle intimité avec un inconnu négligé – en tout cas,
c’est ce que j’imagine.
Puis, Cathy Salit fait tinter une cloche du genre de celle qu’on
trouve à l’accueil du Bates Motel*, et c’est à mon tour de mener. Je mets

* Allusion au motel du film Psychose, d’Alfred Hitchcock ; Bates Motel est aussi le
titre d’une série télévisée dérivée du film et diffusée depuis mars 2013 aux États-
Unis. (NdT)

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8 - L’improvisation

les mains sur mes hanches. Ses bras minces prennent la même pose. Je
fais ressortir les coudes. Elle en fait autant. Je noue mes doigts et lève
les mains au-dessus de la tête. Elle agit de même. Je fais pivoter mon
corps dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle… Vous avez sûre-
ment compris l’idée.
Comme on l’a appris au chapitre 4, l’imitation stratégique peut
renforcer la prise de perspective. L’imitation en miroir telle qu’on la
pratique ici répond à un autre objectif. Cathy Salit nous enseigne les
techniques du théâtre d’improvisation, qui sont capitales, on va le voir,
pour quiconque désire faire bouger autrui.
La vente et le théâtre ont beaucoup en commun. Pour les pratiquer,
il faut avoir du cran. Les vendeurs décrochent le téléphone pour appe-
ler des étrangers ; les acteurs entrent sur scène devant des inconnus. Les
uns et les autres s’exposent à des rejets – portes claquées, appels ignorés
et refus en rafale pour les vendeurs, auditions ratées, public amorphe,
critiques acerbes pour les acteurs. La vente et le théâtre ont évolué selon
des trajectoires comparables.
Le théâtre, par exemple, a toujours reposé sur des scénarios. Les
acteurs sont libres d’interpréter les textes à leur manière, mais la pièce
leur indique quoi dire et, dans bien des cas, où et comment le dire. Les
pionniers américains de la vente ont cherché à reproduire la démarche
du théâtre. Titan du commerce et fondateur de National Cash Register
Company à la fin du XIXe siècle, John H. Patterson imposait à tous ses
vendeurs de mémoriser des scénarios. Avec le temps, comme le raconte
Walter Friedman, historien des affaires à l’Université Harvard, ces scé-
narios sont devenus plus détaillés, et le bref guide intitulé « Comment
vendre les caisses enregistreuses NCR » s’est transformé en un manuel
de vente de près de 200 pages146.
De plus en plus précises, note Friedman, les instructions indi-
quaient « non seulement ce que les vendeurs devaient dire, mais aussi ce
qu’ils devaient faire en le disant » et contenaient des indications scéno­
graphiques façon NCR. Les monologues concoctés par l’entreprise

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Convaincre au quotidien

étaient saupoudrés d’astérisques « signalant que le vendeur était censé


montrer du doigt ce dont il était en train de parler ». (« Cher monsieur,
cette caisse* enregistre les recettes. L’affichage* de la transaction apparaît
dans cette fenêtre* 147. ») Patterson et son équipe ont même confectionné
un Book of Arguments afin que les représentants puissent répondre aux
questions ou aux objections des clients par quelques argu­ments bien
préparés.
La méthode NCR (des minipièces de théâtre soigneusement scéna-
risées conduisant à un happy end pour le vendeur) a dominé la vente
partout dans le monde pendant la plus grande partie du XXe siècle, et
elle fait encore partie du paysage : les directions des ventes mettent au
point des processus élaborés et des formules testées en conditions réelles
pour guider leurs acteurs vers le rideau final. Les scénarios fonctionnent
bien dans des circonstances stables et prévisibles, comme celles où les
acheteurs ont peu de choix et où les vendeurs détiennent un maximum
d’information, mais ces situations, on l’a vu, sont désormais rares. Un
Book of Arguments appris par cœur a moins d’intérêt quand l’entreprise
répond déjà aux interrogations courantes dans la « foire aux questions »
(FAQ) de son site web et quand il suffit aux clients d’interroger leurs
réseaux sociaux pour découvrir la vérité.
D’une certaine façon, le théâtre préfigure ce qui va se passer dans le
milieu de la vente. Pendant des centaines d’années, sauf pour quelques
clowns et mimes, les représentations sur scène consistaient à faire réciter
par des acteurs des textes écrits par quelqu’un d’autre. Jusqu’en 1968,
d’ailleurs, une pièce de théâtre ne pouvait être jouée au Royaume-Uni
qu’après avoir été lue et approuvée par le bureau du Lord chambellan ; des
inspecteurs venaient s’assurer que les acteurs s’en tenaient au texte validé148.
Voilà une cinquantaine d’années, cependant, deux innovateurs ont
commencé à contester la prééminence absolue du scénario. La première
était l’Américaine Viola Spolin, qui a créé dans les années 1940 et 1950
une série de jeux – d’abord pour les enfants, puis pour les acteurs profes-
sionnels – centrés sur l’improvisation de personnages, de discours et de
scènes. Elle a reproduit ces exercices dans son livre Improvisation for the

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8 - L’improvisation

Theater, publié en 1963 et vite devenu incontournable dans les forma-


tions théâtrales. Grâce à son fils Paul Sills, qui a repris l’affaire familiale,
ses idées ont donné naissance à une troupe devenue légendaire, The
Second City, dont les anciens (de John Belushi à Tina Fey en passant par
Stephen Colbert) ont façonné le divertissement populaire à l’américaine
grâce à leur maîtrise des improvisations théâtrales en temps réel.
Le second innovateur est le Britannique Keith Johnstone, qui a
travaillé pendant des années au Royal Court Theatre de Londres. Las
du théâtre classique, il a créé son propre registre de techniques scé-
niques plus libres, moins traditionnelles. En 1979, il a publié ce que
beaucoup considèrent comme la première bible sur la question : Impro :
Improvisation and the Theatre. (Les fondateurs de la société Palantir,
mentionnée au chapitre 2, demandent à tous leurs salariés de lire ce
bouquin avant de prendre leurs fonctions.)
En incitant metteurs en scène et artistes à s’interroger sur les avan-
tages d’une rupture avec le scénario, Viola Spolin et Keith Johnstone
ont contribué à faire de l’impro une forme de divertissement répandue.
La vente et le commercial sans vente évoluent en suivant un parcours
analogue, car les conditions stables, simples et prévisibles favorables
aux scénarios ont fait place aux conditions dynamiques, complexes et
imprévisibles favorables à l’improvisation.
Derrière son chaos apparent, l’improvisation repose sur une struc-
ture légère qui lui permet de fonctionner. La compréhension de cette
structure peut vous aider à faire bouger autrui, surtout quand vos prises
de perspective habiles, votre optimisme contagieux et votre cadrage
brillant n’apportent pas les résultats que vous recherchez. Dans ces
circons­tances comme dans bien d’autres, vous vous en tirerez mieux en
suivant les 3 règles essentielles du théâtre d’improvisation :
1. L’écoute des offres
2. Le fait de dire « oui, et »
3. La mise en valeur de votre partenaire

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Convaincre au quotidien

1. L’écoute des offres


L’improvisation théâtrale n’est pas totalement étrangère au monde des
affaires. Des gens comme Keith Sawyer, de l’Université de Washington,
Mary Crossan, de l’Université de l’Ontario de l’Ouest, et Patricia Ryan
Madson, de l’Université Stanford, ont étudié ses dimensions et appli-
qué ses concepts au management, à l’innovation et à la création149.
Cependant, rares sont les experts qui ont envisagé l’improvisation dans
le domaine de la vente ; pourtant, comme le disait un jeune chercheur,
des vendeurs habiles dans l’improvisation « peuvent trouver des idées,
tenir compte vite et facilement des changements et communiquer de
manière efficace et convaincante pendant les entretiens de vente150 ».
Cet oubli est en partie le legs de plus d’un siècle de formation à la
vente. Depuis l’époque des scénarios soigneusement élaborés de NCR,
on enseigne aux vendeurs à surmonter les objections. Si le client ne
veut pas acheter, à vous de le faire changer d’avis, de le convaincre que
les problèmes qu’il soulève n’existent pas ou n’ont pas d’importance. La
maîtrise des objections est une phase de tout processus de vente formel,
qui vient d’ordinaire après la recherche de clients potentiels, la qualifi-
cation de ceux-ci et la présentation, et qui précède immédiatement la
conclusion. Toutefois, étant donné la modification spectaculaire de la
vente, l’idée de faire changer les gens d’avis pourrait être moins intéres-
sante qu’avant, voire moins réaliste.
Le théâtre d’improvisation ne prévoit rien pour surmonter les
objections, car il est construit sur un principe diamétralement opposé.
« Le b.a.-ba de l’impro, dit Cathy Salit, est l’écoute de ce qu’on vous
offre. » Ce premier principe dépend de l’accordage : vous laissez votre
perspective se couler dans celle de l’autre. Pour maîtriser cet aspect de
l’improvisation, vous devez repenser votre manière de considérer ce que
vous écoutez et ce qui constitue une offre.
Compte tenu de tout ce que nous écoutons chaque jour – selon
certaines estimations, nous y consacrons un quart de notre temps
d’éveil151 –, il est remarquable de voir à quel point nous négligeons

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8 - L’improvisation

cette capacité. Comme l’écrivait voilà 30 ans le philosophe américain


Mortimer Adler :
Est-ce que quelqu’un quelque part enseigne comment écouter ?
C’est absolument stupéfiant, mais il est généralement admis
que la capacité à bien écouter est un don naturel qu’on n’a pas
besoin d’exercer. Aussi extraordinaire que cela paraisse, nulle
part au sein de l’ensemble du processus éducatif on ne fait quoi
que ce soit pour aider les gens à apprendre à bien écouter.152
Il n’est donc guère étonnant que si peu d’entre nous écoutent bien.
Pour beaucoup, l’inverse de parler n’est pas écouter. C’est attendre.
Quand les autres parlent, nous partageons notre attention entre ce qu’ils
sont en train de dire et ce que nous allons répondre, et le résultat est
doublement médiocre. Certains professionnels, y compris ceux dont le
métier consiste à faire bouger autrui, ne se donnent même pas la peine
d’attendre. Selon les résultats d’une étude représentative, les médecins
sondés interrompaient la majorité de leurs patients dans les 18 premières
secondes de l’entretien ; un grand nombre de ces derniers ne pouvaient
même pas expliquer pourquoi ils consultaient153.
La formation de Cathy Salit souligne donc que, pour bien écouter,
il faut commencer par ralentir et se taire. C’est le thème d’un exercice
intitulé « silence étonnant », pour lequel j’ai été apparié à un dirigeant
d’une chaîne de télévision, mon aîné d’une dizaine d’années. Les règles :
une des personnes doit révéler à l’autre quelque chose d’important
pour elle. L’autre, sans cesser de conserver un contact oculaire avec son
vis-à-vis, doit attendre 15 secondes avant de prononcer un mot.
Le grand patron ouvre son cœur plus que je ne l’aurais cru. Après
32 ans de travail exigeant, me dit-il, il se pose des questions : doit-il indé­
finiment continuer à faire ce qu’il fait, ou ne serait-il pas temps pour lui
de fuir la jungle impitoyable des médias new-yorkais ? Ses yeux se
mouillent légèrement au fil de son discours, ce qui me met encore plus
mal à l’aise que mon be-bop vertical avec la directrice aux talons hauts.

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Convaincre au quotidien

Une fois que mon interlocuteur a fini, c’est à moi de répondre,


mais pas tout de suite. Je commence un compte à rebours mental : « 15,
14, 13... bien maintenir le contact oculaire… 12, 11… c’est très
pénible… 10… c’est pas bientôt fini, cette c… ?
Je termine enfin de compter, mais ces 15 secondes m’ont paru abo-
minablement longues et, comme dans l’exercice précédent, d’une trou-
blante intimité. C’est ce que veut Cathy Salit. Sans un certain degré
d’intimité, on n’écoute pas vraiment. On est dans la passivité et la tran-
saction plutôt que dans l’activité et l’engagement. L’écoute véritable est
un peu comme la conduite automobile sur une autoroute battue par la
pluie. La vitesse tue. Si on veut arriver à destination, mieux vaut ralen-
tir et utiliser parfois les freins. Ce qu’il y a de mieux à faire, dit-elle en
débouchant une petite bouteille de thé vert à la fin de la séance, est
« d’écouter sans attendre quoi que ce soit ».
Ainsi fonctionne le théâtre d’improvisation. Imaginez une scène
avec deux acteurs. Le premier est assis dans un fauteuil, les mains posées
sur un volant imaginaire. « Attention à bien fermer la portière », dit-il à
sa partenaire. Cette dernière n’attend rien ; elle se contente d’écouter.
Son rôle, dans une telle situation, nous dit Cathy Salit, est de « prendre
tout ce que l’autre dit, n’importe quoi, comme une offre avec laquelle
on peut faire quelque chose ». Le volant invisible et l’injonction
« Attention à bien fermer la portière » constituent une offre. L’actrice
doit accepter celle-ci et rebondir à partir de là. Peut-être sera-t-elle la
passagère d’un taxi. Peut-être jouera-t-elle une enfant assise à l’arrière
de la voiture familiale. Peut-être aura-t-elle un bras cassé et sera-t-elle
incapable d’attraper la poignée. Quoi qu’il en soit, son aptitude à écou-
ter sans préjugé permettra à la scène d’aller plus loin.
Dès lors qu’on écoute de cette manière plus intime, on commence
à entendre des choses qu’on aurait pu manquer. Et si on écoute ainsi
quand on s’efforce de faire bouger autrui, on s’aperçoit vite que les
objections apparentes sont souvent des offres dissimulées.

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8 - L’improvisation

Prenons un exemple simple. Supposez que vous collectez de l’argent


pour une association de bienfaisance. Vous demandez à votre beau-
frère de verser 200 $. Il est fort possible qu’il refuse, mais il est peu
probable qu’il dise simplement non. Selon toute vraisemblance, il
répondra : « Désolé, je ne peux pas donner 200 $. » C’est une offre :
peut-être qu’il versera une somme moins importante. S’il dit : « Non, je
ne peux pas donner en ce moment », c’est une offre aussi. Votre réac-
tion naturelle sera de vous emparer de l’expression « en ce moment » et
de demander quand ce sera possible. De toute façon, la phrase entière
est une offre : peut-être voudra-t-il donner un coup de main à l’associa-
tion en tant que bénévole. « Les offres se présentent sous toutes sortes
d’aspects », dit Cathy Salit. Cependant, la seule manière de les entendre
est de changer votre manière d’écouter, puis de modifier votre façon de
répondre.
Cela me ramène à mon exercice du miroir avec la dirigeante du
domaine des cosmétiques. Ce que nous étions l’un et l’autre en train de
faire au cours de cette séance était d’accepter une offre. Nous ne pou-
vions pas dire non. (« Pas question, madame, je ne ferai pas ce geste du
coude ! ») Une fois les règles acceptées, nous étions pris dans un ballet
étrange, mais accordé. En fin de compte, quand la cloche a sonné pour
que nous changions de rôle, nos gestes étaient si harmonieux qu’un
observateur extérieur n’aurait probablement pas pu dire qui menait et
qui suivait. C’est ce qu’exprime le premier principe de l’improvisation.
Comme le dit Johnstone, « les bons improvisateurs semblent doués de
télépathie ; tout a l’air arrangé d’avance. Cela tient à ce qu’ils acceptent
toutes les offres qu’on leur fait154. »

2. Le fait de dire « oui, et »


L’« océan de rejet » que nous affrontons tous les jours dans la vente et le
commercial sans vente dépose sur nos rivages des « non » en quantité,
mais nous en renvoyons beaucoup avec la marée en disant « non » nous-
mêmes plus souvent que nous n’en sommes conscients. Le théâtre

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Convaincre au quotidien

d’improvisation invite les acteurs à surmonter ce comportement pour


dire plutôt « oui, et ».
Comme un potier qui apprend à centrer l’argile sur un tour ou un
joueur de tennis qui découvre comment bien placer ses mains, le fait de
dire « oui, et » est une capacité essentielle pour un acteur d’improvisa-
tion. Ce deuxième principe dépend du brio, en particulier de la positi-
vité, mais celle-ci ne se limite pas à dire « oui ». « Oui, et » recèle une
force singulière, qui devient plus évidente quand on la compare à son
vilain frère jumeau, « oui, mais ».
Sous une forme ou une autre, les cours d’improvisation com-
prennent presque toujours l’exercice ci-dessous. Nous ne nous y
sommes pas livrés durant les séances avec Cathy Salit, mais elle me l’a
montré quand j’ai visité son bureau quelques mois plus tard. L’exercice
met en scène deux personnes qui prévoient un rassemblement hypo-
thétique, par exemple une réunion d’anciens élèves. L’une d’elles lance
une proposition comme : « Organisons notre réunion d’anciens à Las
Vegas. » Tous les commentaires ultérieurs de l’une et de l’autre doivent
commencer par « oui, mais ». Le dialogue prend en général une tour-
nure de ce genre :
« Organisons notre réunion d’anciens à Las Vegas.
— Oui, mais cela va coûter trop cher pour certains.
— Oui, mais ainsi seuls les gens vraiment motivés seront là.
— Oui, mais certains de nos camarades de classe n’aiment pas le
jeu.
— Oui, mais il y a d’autres choses à faire que de jouer au
black-jack.
— Oui, mais même si on ne joue pas, l’endroit n’est pas idéal pour
venir en famille.
— Oui, mais les réunions se passent mieux si les enfants ne sont
pas trop nombreux.

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8 - L’improvisation

— Oui, mais si les gens ne peuvent pas faire garder leurs enfants
chez eux, ils ne viendront pas… »
Le processus d’organisation tourne en rond sans que rien ni per-
sonne ne bouge. Puis, les participants prennent un autre chemin, où la
conjonction délétère « mais » est remplacée par sa sœur rassembleuse
« et ». La nouvelle version de l’échange pourrait ressembler à ceci :
« Organisons notre réunion d’anciens à Las Vegas.
— Oui, et si c’est trop cher pour certains, nous pourrions récolter
de l’argent.
— Oui, et si nous nous y prenons assez tôt, nous pourrions faire
une réservation groupée dans un hôtel pour obtenir une remise.
— Oui, et nous pourrions organiser des activités pendant la journée
pour les anciens qui n’aiment pas le jeu ou pour les familles avec enfants.
— Oui, et si nous sommes assez nombreux, nous pourrions nous
mettre ensemble pour payer des gardiennes d’enfants afin que les
parents puissent sortir un soir.
— Oui, et ceux qui le désireraient pourraient aller voir un spectacle
ensemble. »
Au lieu de proposer un cercle vicieux d’idées noires, l’expression
« oui, et » tire le dialogue vers différentes possibilités. Quand vous vous
arrêtez, vous avez une série d’options et non l’impression d’avoir fait du
surplace.
Les moments où dire « non » ne manquent pas dans la vie.
Cependant, s’il s’agit de faire bouger autrui, ce deuxième principe de
l’impro est la meilleure position par défaut. Ses avantages ne se limitent
pas à la vente et au commercial sans vente. « “Oui, et” n’est pas une
technique, dit Cathy Salit. C’est une manière d’être. »

3. La mise en valeur de votre partenaire


À l’été 2012, deux géants dans l’art de faire bouger autrui nous ont quit-
tés. Roger Fisher, disparu au mois d’août peu après son 90e anniversaire,

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Convaincre au quotidien

avait été professeur à la Harvard Law School et médiateur diplo­matique


indépendant. Il était coauteur de Comment réussir une négociation (1981),
le plus influent des livres jamais écrits sur la question. La contribution
emblématique de Fisher est le concept de « négociation raisonnée » (prin-
cipled negotiation), selon lequel le but de la négociation ne devrait pas être
de faire perdre l’autre partie mais, autant que possible, de l’aider à gagner.
L’idée, vite popularisée par le raccourci « gagnant-gagnant », a transformé
l’enseignement du droit et des affaires.
Auparavant, beaucoup de gens considéraient la négociation comme
un jeu à somme nulle dans lequel les parties cherchaient à obtenir la
plus grosse part d’un gâteau inextensible. Les travaux de Fisher ont
poussé de jeunes étudiants en droit et en gestion, et des personnes
moins jeunes au sein d’entreprises, à reconfigurer ces rencontres pour
en faire des jeux à somme positive dans lesquels la victoire de l’un ne
dépend pas de la défaite de l’autre. Si chaque partie considérait ses inté-
rêts réels en tenant compte de la position de l’autre afin d’imaginer des
possibilités de gain mutuel, les négociations pourraient s’achever sur
une situation meilleure pour tout le monde.
Le second géant, Stephen R. Covey, décédé à l’âge de 79 ans,
6 semaines avant Fisher, avait repris l’idée centrale de ce dernier à l’inten-
tion d’un public encore plus large. Son livre paru en 1989, Les 7 principes
de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent, s’est vendu à plus de
25 millions d’exemplaires. Le quatrième principe sur la liste de Covey est
de « penser gagnant-gagnant ». En prendre l’habitude n’est pas facile,
concède-t-il, car « la plupart des gens ont profondément inté­gré la men-
talité gagnant-perdant depuis leur naissance ». Selon lui, la seule manière
d’influencer vraiment les autres est d’adopter « une orientation d’esprit et
de cœur consistant à rechercher constamment des bénéfices mutuels
dans tous les contacts humains155 ».
L’influence de Fisher et de Covey est telle que le « gagnant-gagnant »
est aujourd’hui un classique dans les entreprises du monde entier,
même si, souvent, il relève plus de la théorie que de la pratique. Une
des explications de la déconnexion entre les paroles et les actes réside

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8 - L’improvisation

dans le bouleversement décrit au chapitre 3. Dans des conditions d’asy-


métrie de l’information, on aboutit souvent au gagnant-perdant. Après
tout, si j’en sais plus que vous, je peux obtenir ce que je veux en vous
écrasant. Et comme l’asymétrie d’information a longtemps été la carac-
téristique essentielle de la vente, nos automatismes nous conduisent
souvent dans cette direction. Toutefois, avec l’apparition de la parité
d’information (ou de quelque chose d’approchant), ces instincts issus
d’un contexte différent risquent de nous diriger vers la mauvaise piste.
Quand acheteurs et vendeurs sont à armes égales, la recherche d’une
dynamique gagnant-perdant conduit rarement à l’obtention d’un vain-
queur. En fait, elle se solde souvent par un résultat perdant-perdant.
L’impro nous offre un moyen de rafraîchir nos idées, une méthode
qui partage la vision du monde de Fisher et Covey, mais qui la réoriente
en vue d’une époque où beaucoup de gens ne prennent plus garde au
« gagnant-gagnant » si régulièrement allégué mais si rarement constaté.
Dans le théâtre tel que le pratiquent Cathy Salit et The Second City, les
acteurs doivent suivre la règle suivante : mettre leur partenaire en valeur.
Comme le savent depuis longtemps les artistes d’improvisation, le fait
d’encourager leur partenaire à briller aide le duo à améliorer son
spectacle.
En ce qui vous concerne, la mise en valeur de votre partenaire ne
vous dévalorise pas ; au contraire, elle vous élève. Cela rompt avec l’état
d’esprit binaire, à somme nulle, et lui substitue une culture de généro-
sité, de créativité et de possibilités. Ce troisième principe de l’impro
– la mise en valeur de votre partenaire – réclame et rend possibles la
clarté et la capacité à découvrir des solutions que personne n’avait ima-
ginées jusque-là.
Pour illustrer ce principe, Cathy Salit nous dit de choisir de nou-
veaux partenaires. La mienne est une quadragénaire amicale qui travaille
dans une grande société de services financiers. Pour cet exercice, inti-
tulé « Je suis curieux », nous optons pour une question controversée
propice aux oppositions (Faut-il légaliser la marijuana ? Faut-il rétablir
la peine de mort ?). Ensuite, chacun choisit son camp, l’un tentant de

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Convaincre au quotidien

faire partager son point de vue à l’autre, qui ne doit répondre que par des
questions. Celles-ci doivent être d’authentiques interrogations, et non
pas des opinions déguisées (Ça ne vous ennuie pas que seuls les imbéciles
partagent votre avis ?). Elles ne doivent pas non plus être des questions
appelant une réponse par oui ou par non (J’ai raison, n’est-ce pas ?). Si
notre partenaire viole l’une ou l’autre des règles – en exprimant une opi-
nion ou en posant une question d’un type interdit –, nous devons faire
sonner la cloche de motel pour annoncer l’incartade à tout le groupe.
Je joue d’abord le rôle du questionneur, et ma partenaire affiche
une position sur une vieille controverse de politique américaine qui fait
les gros titres de la presse le jour de notre séminaire. Je réponds à sa
première revendication par un prudent « Vraiment ? », ce qui est techni-
quement une question, mais ne respecte pas réellement l’esprit de
l’exercice. Je me reprends et pose une vraie question.
Ma partenaire répond en élargissant son argument. Me remémorant
qu’il est important de ralentir, je fais une pause, je respire profondément
et je commence ma question par : « Mais que diriez-vous de… ? » C’est un
peu mieux. Elle passe alors à un autre axe de raisonnement. Aussitôt, sans
même réaliser ce que je dis, je riposte : « Vous plaisantez ! »
Ding ! En quatre minutes à peine, me voilà exclu du jeu.
À son tour de poser les questions. Peut-être instruite par ma démons-
tration piteuse, elle se débrouille plus habilement. Chaque fois que
j’avance un argument, sa première réponse est : « Ça, c’est intéressant ! »
La manœuvre lui donne le temps de concocter une question, mais tend
aussi à rendre l’atmosphère amicale. Quand elle pose une question, je
dois m’arrêter un moment, réfléchir et offrir une réponse intelligente.
L’idée ici n’est pas de gagner, mais d’apprendre. Quand les deux
parties voient leurs rencontres comme autant d’occasions d’apprendre,
le désir de remporter une victoire sur l’adversaire a du mal à trouver
l’oxygène nécessaire. Les questions, dont on a vu la puissance à propos
des soliloques interrogatifs et des pitchs efficaces, modifient les règles de
la relation, et donc, la nature du contact lui-même. La conversation se

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8 - L’improvisation

met à ressembler davantage à une danse et moins à un match de catch.


Alfred Fuller, fondateur de Fuller Brush, en avait eu l’intuition bien
avant l’invention du théâtre d’improvisation. « Ne vous disputez jamais,
écrivait-il. Gagner une dispute, c’est perdre une vente156. »
La mise en valeur de votre partenaire, de la personne à qui vous
vendez, est devenue encore plus cruciale que du temps de Fuller.
À l’époque, les vendeurs sans scrupule n’avaient pas à s’inquiéter de
donner le mauvais rôle aux acheteurs. Souvent, ces derniers n’avaient
pas d’autre fournisseur et personne à qui s’adresser. Aujourd’hui, si
vous donnez le mauvais rôle à quelqu’un, il peut le dire au monde
entier ; si vous lui donnez le beau rôle, il peut faire de la bonne publicité
pour vous.
« Dans l’impro, vous n’essayez jamais de faire faire quelque chose à
quelqu’un, dit Cathy Salit. Ce serait de la coercition, pas de la créati-
vité. Vous faites des propositions, vous en acceptez, et il se forme une
conversation, une relation, des possibilités. »
Ainsi va l’impro, ainsi vont la vente et le commercial sans vente. Si
vous entraînez vos oreilles à entendre les offres, si vous répondez aux
autres par « oui, et » et si vous vous efforcez toujours de mettre en valeur
votre interlocuteur, de multiples possibilités verront le jour.

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Mallette d’échantillons

L’improvisation

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Comptez jusqu’à cinq
« La nature a donné à l’homme une langue et deux oreilles pour qu’il
écoute deux fois plus qu’il ne parle », disait le philosophe stoïcien grec
Épictète il y a 19 siècles. Hélas, peu de gens ont suivi cette suggestion.
Vous pouvez faire mieux qu’eux en prenant ce conseil au sérieux. Un
des moyens les plus simples d’y parvenir, en réduisant votre rapport
parole-écoute,  consiste simplement à ralentir.
Cette semaine, choisissez un jour qui sera celui de la lenteur. Quand
vous engagerez une conversation, attendez cinq secondes avant de
répondre. Sérieusement. Chaque fois. Cela vous paraîtra idiot au début,
et votre interlocuteur se demandera peut-être si vous avez toute votre
tête. Qu’à cela ne tienne : le fait d’attendre quelques secondes avant de
répondre peut exercer vos capacités d’écoute à peu près comme le fait
de déguster un morceau de chocolat au lieu de l’engloutir goulûment
peut améliorer votre palais. (Si une journée entière vous paraît trop,
commencez par faire l’exercice durant une heure.)
Lainie Heneghan, experte-conseil britannique qui plaide pour ce
qu’elle appelle « l’écoute radicale », propose des moyens pour savoir si
vous avez suffisamment ralenti. Vos interlocuteurs finissent-ils vraiment
leurs phrases ? Exposent-ils totalement leurs points de vue sans que
vous les interrompiez ? Ont-ils le temps de respirer avant que vous
commenciez à jacasser ? Aller plus lentement peut vous faire aller plus
loin.

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Convaincre au quotidien

Dites « oui, et »


Le « jeu de la publicité » est un exercice d’improvisation classique. Voici
comment il fonctionne.
Choisissez quatre ou cinq participants, puis demandez-leur d’in-
venter avec vous un nouveau produit et de concevoir une campagne de
publicité pour lui. Chaque fois que les joueurs proposent un témoi-
gnage, une démonstration ou un slogan, ils doivent commencer leur
phrase par « oui, et », ce qui les oblige à considérer l’idée précédente. Ils
ne peuvent ni réfuter ni ignorer ce que disent leurs collègues. Et ils ne
doivent pas aller au-delà. Ils doivent seulement dire « oui, et », accepter
ce que leurs vis-à-vis leur offrent et s’en servir pour bâtir une campagne
encore meilleure.
« Il y a des gens qui préfèrent dire “oui” et d’autres qui préfèrent
dire “non”, écrit Keith Johnstone. Ceux qui disent “oui” sont récom-
pensés par les aventures qu’ils vivent. Ceux qui disent “non” sont
récompensés par la sécurité qu’ils obtiennent. »

Jouez à « Un mot à la fois »


Voici un autre jeu d’improvisation classique qui a donné naissance à de
nombreuses variantes, quoique je préfère celle de Johnstone. Les règles
en sont simples. De six à huit personnes s’assoient en cercle et tricotent
ensemble une histoire. La difficulté : chacune ne peut ajouter qu’un
mot, et seulement quand c’est son tour.
Dans Impro for Storytellers, Johnstone décrit une séance au cours de
laquelle deux partenaires l’aident à créer. Il commence par le mot
« Sally ». Viennent ensuite :
— Allait…
— Devenir…
(C’est de nouveau mon tour ; j’active les choses) : Folle…
— Car…

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8 - L’improvisation

— Son…
— Père…
— Voulait…
— Mettre…
— Son…
— Cheval…
— Dans…
— Son…
— Écurie.
« Certaines de ces histoires font long feu au bout de la première
phrase, mais il en est aussi qui peuvent se compléter d’elles-mêmes »,
dit Johnstone. De quelque manière que le récit se déploie, cet exercice
est excellent pour vous aider à réfléchir vite et à tendre l’oreille à ce
qu’on vous offre.

Utilisez le pouvoir des questions


Un des exercices de Cathy Salit que j’ai le plus aimés, « Je suis curieux »,
mérite que vous le reproduisiez. Trouvez un partenaire, puis choisissez
un thème controversé avec deux camps adverses. Avant de commencer,
demandez à votre partenaire d’arrêter sa position sur la question. Vous
prendrez le parti opposé. Puis, il présente son argumentaire, mais vous
ne pouvez répondre que par des questions – jamais par des affir­mations,
des contre-arguments ou des insultes.
Ces questions doivent respecter 3 règles :
1. Vous ne pouvez pas poser de questions dont la réponse est oui ou
non.
2. Vos questions ne peuvent pas être des opinions camouflées.
3. Votre partenaire doit répondre à toutes les questions.

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Convaincre au quotidien

C’est plus difficile qu’il n’y paraît mais, en pratiquant cet exercice,
vous apprendrez à utiliser la forme interrogative pour progresser et
nouer le dialogue entre votre partenaire et vous.

Lisez ces livres


Voici quelques lectures suggérées (en anglais) sur le thème de
l’improvisation:
1. Impro : Improvisation and the Theatre, par Keith Johnstone. Si le
théâtre d’improvisation a son Lénine – un révolutionnaire intaris-
sable qui fixe les bases intellectuelles d’un mouvement –, ce ne
peut être que Johnstone. Son livre n’est pas toujours facile à lire. Il
tient autant du traité philosophique que du guide pratique.
Cependant, c’est un excellent moyen pour saisir les principes sur
lesquels repose l’improvisation.
2. Improvisation for the Theater, par Viola Spolin. Si le théâtre
d’impro­visation a son ève – une femme qui était présente au
moment de la création, même si en l’occurrence elle n’a pas eu
besoin d’un Adam et n’a pas succombé à la tentation –, ce ne
peut être que Viola Spolin. Ce livre, qui date d’un demi-siècle
mais dont l’édition mise à jour se vend encore comme des petits
pains, réunit plus de 200 exercices d’improvisation mis au point
par l’auteure.
3. Creating Conversations : Improvisation in Everyday Discourse, par
R. Keith Sawyer. Sawyer est un des meilleurs spécialistes de la
créativité. Dans ce livre datant de 2001, il s’attache à nos conver-
sations de tous les jours et montre ce que ces échanges quoti-
diens ont en commun avec le jazz, les jeux d’enfants et le théâtre
d’improvisation. De Sawyer toujours, il est bon de consulter
Group Genius : The Creative Power of Collaboration.
4. Improv Wisdom : Don’t Prepare, Just Show Up, par Patricia Ryan
Madson. L’auteure, qui a enseigné l’art dramatique à l’Université

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8 - L’improvisation

Stanford jusqu’en 2005, propose 13 maximes tirées de l’impro, uti-


lisables par les lecteurs dans leur vie professionnelle et personnelle.
5. The Second City Almanac of Improvisation, par Anne Libera.
Histoire du divertissement pour une part, guide d’improvisation
pour une autre, cet almanach décrit le raz-de-marée de l’impro
déclenché par The Second City. Il regorge d’exercices intéres-
sants, de citations provocantes et de photos de comédiens
célèbres, du temps de leur prime jeunesse.

Faites fonctionner vos pouces


Voici une activité de groupe qui peut servir à transmettre une leçon
mémorable. Outre vous-même, vous aurez besoin d’au moins deux
participants.
Assemblez tout le monde par paires, puis demandez à chaque
tandem de plier les doigts de la main droite et de mettre le pouce en
l’air. Ensuite, donnez cette instruction : « À présent, faites baisser le
pouce de votre partenaire. » Restez silencieux le temps que chaque paire
finisse le travail.
La plupart des participants croiront qu’ils doivent engager un com-
bat de pouces. Pourtant, il y a beaucoup d’autres moyens de faire bais-
ser le pouce de son partenaire : on peut le lui demander poliment,
déplier ses propres doigts et lui ramener le pouce vers le bas, etc.
La leçon ici est que, trop souvent, notre point de départ est la com-
pétition – une démarche gagnant-perdant, à somme nulle, au lieu
d’une démarche gagnant-gagnant, à somme positive, caractéristique de
l’improvisation. Dans la plupart des circonstances où on doit faire bou-
ger autrui, on dispose de plusieurs moyens pour venir à bout de la
tâche ; nombre de ces méthodes reposent sur la mise en valeur de nos
partenaires.

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Chapitre 9

Le service

A
u Kenya, si vous voulez vous rendre d’une ville à une autre, vous
devrez probablement grimper à bord d’un matatu, petit autocar
ou camionnette de 14 places qui constitue le principal moyen de
transport sur longue distance du pays. Une fois à bord, préparez-vous à
vivre des émotions fortes. Le fait de confier à un jeune mâle le volant
d’un véhicule rapide est périlleux dans n’importe quel pays, mais les
Kényans eux-mêmes disent que les chauffeurs de matatu sont particuliè-
rement déjantés. Comme inspirés par Le cas étrange du Dr  Jekyll et de
M. Hyde, ces gens par ailleurs aimables et d’humeur égale deviennent des
démons aux yeux hagards, ivres de vitesse, qui risquent leur vie et celles
de leurs passagers. C’est en partie pour cela que le Kenya affiche un des
taux de décès par accident de la circulation les plus élevés du monde157.
Dans les pays en voie de développement, la route tue aujourd’hui
autant que la malaria. À l’échelle du monde, près de 1,3 million de
personnes meurent chaque année dans des accidents routiers, qui
constituent la neuvième cause de décès. L’Organisation mondiale de la
santé prévoit qu’ils occuperont le cinquième rang en 2030, devant le
VIH/sida, le diabète, la guerre et la violence158.
Des pays comme le Kenya disposent de différents remèdes pour
contrer ce problème. Ils peuvent abaisser les limites de vitesse, réparer
les routes dangereuses et défoncées, inciter au port de la ceinture, ins-
taller des dos d’âne ou réprimer la conduite en état d’ivresse. Beaucoup
de ces mesures sont susceptibles de réduire leur macabre bilan, mais

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Convaincre au quotidien

toutes nécessitent des fonds publics ou des policiers vigilants, les uns et
les autres n’étant accessibles qu’en quantité limitée.
Aussi, à l’occasion d’une étude de terrain ingénieuse, deux écono-
mistes de l’Université Georgetown, James Habyarimana et William
Jack, ont imaginé un moyen pour modifier le comportement des fous
du volant kényans159. En accord avec les coopératives propriétaires des
véhicules, ils ont enrôlé 2 276 chauffeurs de matatu et les ont répartis
en deux groupes. Les conducteurs de véhicules dont le numéro d’im-
matriculation se terminait par un chiffre pair formaient le groupe de
contrôle, et ceux dont le numéro se terminait par un chiffre impair
parti­
cipaient à une intervention exceptionnelle. À l’intérieur des
matatus des membres du deuxième groupe, les chercheurs ont placé
cinq autocollants rédigés à la fois en anglais et en kiswahili, la langue
nationale du Kenya. Certains de ces autocollants ne contenaient que
du texte, comme ceux-ci :
Figure 9.1

Figure 9.2

D’autres incluaient des textes accompagnés « d’images explicites et


atroces de membres arrachés160 ». Et tous enjoignaient aux passagers
d’agir, d’implorer le chauffeur de ralentir, de protester bruyamment s’il

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9 - Le service

tentait des manœuvres casse-cou et de le rabrouer jusqu’à ce qu’il pilote


le matatu de manière pondérée. Les chercheurs ont surnommé cette
stratégie « protestation et réprimande ».
L’année suivante, l’équipe a constaté que les passagers des matatus
ornés d’autocollants étaient cinq fois plus susceptibles de houspiller les
chauffeurs que ceux des véhicules sans autocollants. Cependant, leurs
efforts avaient-ils fait bouger les chauffeurs ou exercé un effet sur la
sûreté de leurs trajets ?
Pour le savoir, les chercheurs ont examiné une base de données liée
aux demandes d’indemnisation reçues par les compagnies d’assurances
couvrant les matatus. Il s’est avéré que le nombre de requêtes relatives
aux véhicules décorés d’autocollants avait chuté de près des deux tiers
par rapport à l’année précédente. Les demandes associées à des acci-
dents graves (avec des blessés ou des morts) avaient baissé de plus de
50 % et, d’après les entretiens de suivi des chercheurs avec les chauf-
feurs, il était clair que cela était dû aux remontrances des passagers161.
Autrement dit, grâce à quelques étiquettes collées dans les minibus,
on avait économisé plus d’argent et épargné plus de vies qu’au cours de
toutes les tentatives antérieures du gouvernement kényan. Le méca-
nisme à l’œuvre ici (les autocollants faisaient bouger les passagers et les
passagers faisaient bouger le chauffeur) nous aidera à comprendre la
nature de notre troisième et dernière compétence : le service.
La vente traditionnelle et le commercial sans vente sont en dernière
analyse des services. Cependant, le terme « service » n’engage pas seule-
ment de sourire aux clients qui entrent dans une boutique ou de livrer
une pizza en 30 minutes, même si l’un et l’autre sont importants dans le
royaume du commerce. La définition du service est plus large, plus pro-
fonde et plus transcendante : le service vise l’amélioration de la vie des
autres et, à partir de là, l’amélioration du monde. Dans le meilleur
des cas, faire bouger les gens peut aboutir à quelque chose de plus grand
et de plus durable que de procéder à un simple échange de moyens. Et on

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Convaincre au quotidien

aura plus de chances d’y parvenir si on suit les deux leçons implicites du
triomphe des autocollants dans les matatus : on doit donner à ses actes un
caractère personnel et leur attribuer du sens.

Donnez un caractère personnel à vos actes


La vie professionnelle des radiologistes est solitaire. Contrairement à la
plupart des médecins, qui passent une grande partie de leurs journées
en contact direct avec les patients, ils se tiennent souvent assis seuls
dans des bureaux peu éclairés ou penchés sur des ordinateurs pour lire
des images produites par rayons X, scanners tomographiques ou IRM.
Un tel isolement peut provoquer une démotivation chez ces médecins
hautement qualifiés. Pire, si le travail commence à leur paraître imper-
sonnel et mécanique, leurs résultats risquent de s’en ressentir.
Voilà quelques années, un jeune radiologiste israélien, Yehonatan
Turner, s’est dit qu’il serait possible de faire bouger ses confrères afin
qu’ils accomplissent leur travail avec plus d’énergie et de compétence.
Médecin résident au Shaare Zedek Medical Center de Jérusalem, il a
pris, avec leur accord, la photo de quelque 300 personnes venues pour
une tomodensitométrie. Puis, il a invité un groupe de radiologistes, qui
ignoraient le sujet de son étude, à participer à une expérience.
Quand un radiologiste s’assoyait devant son ordinateur et affichait le
cliché d’un patient pour l’étudier, le portrait de celui-ci apparaissait auto-
matiquement à côté de l’image. Après avoir fait leur évaluation, les radio-
logistes remplissaient un questionnaire. Tous ont dit qu’ils ressen­taient
« plus d’empathie pour le client dont ils voyaient la photographie » et
qu’ils examinaient l’image de manière plus méticuleuse162. Toutefois, la
vraie force de l’idée de Turner est apparue trois mois plus tard.
Une des qualités qui distinguent les radiologistes exceptionnels des
radiologistes moyens est leur aptitude à faire ce qu’on appelle des « dé-
couvertes fortuites », à détecter sur une image des anomalies qu’on ne
recherchait pas et sans rapport avec l’affection pour laquelle le patient

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9 - Le service

consultait. Supposons que je passe une radio à l’hôpital parce que je


crains de m’être cassé le bras. La tâche principale du médecin est de
regarder si mon cubitus est fracturé. Au passage, il détecte un kyste près
de mon coude : voilà une découverte fortuite. Turner a sélectionné
81 images de scanner (accompagnées d’une photo du patient) sur les-
quelles les radiologistes avaient fait des découvertes fortuites. Trois
mois plus tard, il les a présentées de nouveau au même groupe de radio-
logistes, mais cette fois, sans le portrait. (Les radiologistes, qui exa-
minent un grand nombre d’images chaque jour et qui ignoraient ce
que Turner étudiait, ne se souvenaient pas d’avoir vu ces clichés.)
Le résultat a été stupéfiant. Turner a découvert que « 80 % des
décou­vertes fortuites n’étaient plus faites quand le fichier ne compor-
tait pas de photographie du patient163 ». Alors que l’image était la même
que trois mois plus tôt, les médecins étaient cette fois bien moins méti­
culeux et moins précis. « Notre étude met en valeur l’approche du pa-
tient comme un être humain et non comme un cas anonyme », a déclaré
Turner au Science Daily164.
Comme nous tous, les médecins doivent faire bouger autrui, mais
ils parviennent mieux à exercer leur métier, c’est-à-dire à faire aller les
gens de la maladie ou de la blessure vers la santé et le bien-être, quand
ils donnent à leur travail une tonalité personnelle. Le fait de considérer
les patients non comme des ensembles de symptômes mais comme des
humains à part entière facilite leur tâche, et aussi le traitement des
malades eux-mêmes. Cela ne signifie pas que les médecins et les infir-
miers doivent abandonner leurs listes de contrôle et leurs protocoles165,
mais que le fait de se fier sans réserve à des processus et à des algo-
rithmes qui occultent l’être humain s’apparente à une erreur médicale.
Comme le montre l’étude de Turner, l’injection d’un élément person-
nel dans le milieu professionnel peut améliorer les résultats et accroître
la qualité des soins ; depuis cette expérience, on ajoute des portraits à
des frottis vaginaux, à des prélèvements sanguins, etc.166.

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Convaincre au quotidien

Ce qui est vrai pour les médecins l’est pour nous tous. Toute
circons­tance dans laquelle nous essayons de faire bouger autrui impli­
que par définition un autre être humain. Pourtant, au nom du
professionnalisme, nous négligeons souvent cet élément pour adopter
une posture abstraite et distante. Nous ferions mieux de recalibrer
notre démarche en la rendant concrète et personnelle, pas par senti-
mentalisme, mais pour des raisons bien pratiques. Le problème général
de la sécurité routière au Kenya semble abstrait et distant ; cependant,
le fait d’amener les passagers à influencer leur chauffeur de matatu pen-
dant qu’il tient le volant rend le sujet concret et personnel. La lecture
d’une image de scanner seul dans une pièce, c’est abstrait et distant ; la
lecture de la même image assortie du portrait du patient rend le travail
concret et personnel. Dans la vente traditionnelle comme dans le com-
mercial sans vente, on réussit mieux quand, au lieu de se borner à ré-
soudre un problème, on s’attache à servir une personne.
Il est bon de mentionner que le fait d’aborder le travail de manière
personnelle a deux facettes. L’une est la prise en compte de la personne
qu’on tente de servir, par exemple celle qui a subi un examen au scan-
ner ; l’autre est l’engagement personnel derrière ce qu’on essaie de
vendre. Il m’a été donné de constater ce deuxième aspect, non dans les
pages d’une revue de sciences humaines ou dans les couloirs d’un labo
de biologie, mais sur les murs d’une pizzeria de Washington.
Un samedi soir de l’an dernier, ma femme et deux de nos enfants
ont voulu tester un nouveau restaurant, Il Canale, un établissement
italien bon marché conseillé par des amis. Nous avons dû attendre
quelques minutes pour qu’on nous place. Comme je suis affecté d’une
bougeotte incurable, je me suis mis à sautiller dans le petit hall. J’ai
stoppé net en voyant cette affiche encadrée, ornée du portrait du pa-
tron du restaurant, Giuseppe Farruggio :

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9 - Le service

Figure 9.3 Affiche du restaurant Il Canale

« J’ai besoin de votre aide !


Si vous n’avez pas été totalement satisfaits
chez Il Canale, merci de m’appeler
sur mon portable au 703-624-2111 »

Farruggio a quitté la Sicile pour les États-Unis à l’âge de 17 ans. C’est


bien sûr un vendeur. Il vend des antipasti, des linguines alle vongole et de la
pizza garantie napolitaine à des familles affamées. Toutefois, avec cette
affiche, il transforme son offre : de distante et abstraite – Washington
ne manque pas d’endroits où on sert de la pizza et des pâtes –, elle devient
concrète et personnelle. Et il réussit ce changement d’une manière spécia-
lement audacieuse. Pour Farruggio, le service ne consiste pas à livrer
un calzone en 29 minutes, mais à être littéralement à la disposition de ses
clients.
Quelques semaines plus tard, nous avons discuté des réactions ob-
tenues après la pose de l’affiche. Farruggio m’a dit n’avoir reçu que

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Convaincre au quotidien

8 appels en 18 mois. Six étaient élogieux – ou visaient peut-être à véri-


fier que quelqu’un répondait vraiment. Deux émanaient de clients
mécontents et ont permis d’améliorer le service. (Cher lecteur, merci de
vous abstenir de téléphoner à M. Farruggio, sauf dans le cas extra­
ordinaire où vous auriez mal mangé chez Il Canale.) L’important, ici,
ne réside pas dans les appels que Farruggio reçoit des clients, mais dans
ce qu’il leur communique : il y a quelqu’un derrière la pizza, et ce
quelqu’un tient à ce que ses hôtes soient satisfaits.
De même que le portrait placé à côté du cliché du scanner change
la manière dont les radiologistes font leur travail, le portrait souriant de
Farruggio accroché avec son numéro de téléphone au-dessus de la caisse
enregistreuse change l’impression produite sur les clients de son restau-
rant. Beaucoup d’entre nous aiment dire « je suis responsable » ou « je
fais attention », mais peu s’engagent si profondément dans le service des
autres qu’ils sont disposés à dire : « Appelez-moi sur mon portable. »
La manière dont Farruggio personnalise le contact est caractéris-
tique de beaucoup des vendeurs qui réussissent le mieux. Brett Bohl,
directeur de Scrubadoo.com, qui vend des blouses médicales, adresse
un mot écrit à la main à chaque client qui achète un de ses produits167.
Tammy Darvish, la concessionnaire automobile que nous avons
rencon­trée au chapitre 3, confie son adresse électronique personnelle à
chacun de ses clients en leur disant : « Si vous avez la moindre question
ou le moindre problème, contactez-moi personnellement. » Ils le font.
Et quand elle leur répond, ils savent qu’elle est à leur service.

Donnez du sens à vos actes


Moins dangereux que les matatus, les hôpitaux américains sont pour-
tant moins sûrs qu’on ne le pense. Chaque année, environ 5 % des
malades y contractent une infection nosocomiale. Les conséquences
sont atterrantes : 99 000 décès par an et un coût annuel qui peut s’éle-
ver à 40 milliards de dollars168. Le moyen le plus économique de préve-
nir ces infections est de demander aux médecins, aux infirmières et aux
autres professionnels de la santé de se laver régulièrement les mains,

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9 - Le service

mais la fréquence du lavage de mains dans les hôpitaux américains est


étonnamment faible, et les efforts accomplis pour l’augmenter sont
souvent restés inefficaces.
Adam Grant, professeur à Wharton dont les recherches sur l’ambi-
version ont été évoquées au chapitre 4, s’est mis en quête d’un meilleur
moyen pour amener les personnes travaillant dans les hôpitaux à
changer de comportement. Avec David Hofmann, de l’Université de
Caroline du Nord, il a essayé trois approches différentes pour relever ce
défi du commercial sans vente. Les chercheurs ont obtenu d’un hôpital
américain l’autorisation d’apposer pendant 2 mois des affichettes à côté
de 66 distributeurs de savon et de gel désinfectant. Le tiers d’entre elles
était axé sur l’intérêt personnel des gens, et notamment sur celui des
professionnels de la santé :
L’hygiène des mains vous évite
d’attraper des maladies.
Le tiers soulignait les conséquences pour les clients, c’est-à-dire la
finalité du travail hospitalier.

L’hygiène des mains évite que les


patients attrapent des maladies.
Les affichettes du dernier tiers comportaient un bref slogan et ser-
vaient de témoin :
Gel À L’entrée, propreté
À la sortie.
Les chercheurs ont pesé les sachets de savon et de gel au début et à
la fin de la période de deux semaines pour voir quelle quantité de ces
produits les salariés avaient effectivement utilisée. En calculant les ré-
sultats, ils ont constaté que l’affichette la plus efficace était de loin la
deuxième. « La quantité de produit d’hygiène des mains prélevée aux
distributeurs portant l’affichette sur les conséquences pour les patients
était sensiblement plus importante que celle prélevée aux distributeurs

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Convaincre au quotidien

portant l’affiche sur les conséquences personnelles ou l’affichette té-


moin », écrivent Grant et Hofmann169.
Intrigués par ce résultat, les chercheurs ont décidé de tester la ro-
bustesse de leurs constats neuf mois plus tard dans différentes unités du
même hôpital. Cette fois, ils n’ont utilisé que deux affichettes : la ver-
sion sur les conséquences personnelles et celle sur les conséquences
pour les patients. Au lieu de peser les sachets de savon et de gel, ils ont
demandé à des salariés de leur servir d’espions. Pendant deux semaines,
ces recrues, qui ignoraient la nature de l’étude, ont discrètement enre-
gistré le nombre d’« occasions d’hygiène manuelle » qui se présentaient
pour les médecins, les infirmiers et le reste du personnel soignant, et le
nombre de fois où les intéressés saisissaient ces occasions pour se laver
les mains. Là encore, l’affichette sur les conséquences personnelles ne
produisait aucun effet, mais celle faisant appel à la motivation des soi-
gnants augmentait de 10 % en moyenne le lavage des mains, et sensi-
blement plus chez les médecins170.
Les affichettes bien conçues n’élimineront pas à elles seules les infec-
tions nosocomiales. Comme l’a observé un chirurgien, Atul Gawande,
les listes de contrôle et les autres processus peuvent être hautement effi-
caces à cet égard171. Cela dit, Grant et Hofmann révèlent quelque chose
de crucial : « Nos constats donnent à penser que, dans les messages sur la
santé et la sécurité, on devrait insister non sur l’intérêt du destinataire,
mais sur celui du groupe considéré comme le plus vulnérable172. »
La mise en avant de la primauté de la motivation est une des mé-
thodes les plus puissantes – et les plus négligées – pour faire bouger
autrui. On considère souvent que les êtres humains sont motivés prin-
cipalement par l’intérêt personnel, mais nombre de recherches ont
montré qu’il leur arrive d’agir pour des raisons que les sciences sociales
qualifient de « prosociales » ou d’« autotranscendantes173 ». Cela signifie
non seulement qu’on devrait soi-même servir, mais aussi qu’on devrait
faire appel au désir de servir des autres. Le fait de donner aux actes une
tonalité personnelle est plus efficace quand on leur donne aussi du sens.

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9 - Le service

Une équipe d’universitaires britanniques et néo-zélandais a récem-


ment effectué deux expériences dans un autre contexte de commercial
sans vente. Elle a réparti les participants de manière aléatoire en trois
groupes. Le premier, le « groupe autotranscendant », a lu des données
expliquant en quoi l’autopartage est bon pour l’environnement. Le
deuxième, le « groupe égoïste », a lu un texte disant pourquoi l’autopar-
tage peut faire faire des économies. Le troisième, le groupe de contrôle,
a lu des renseignements généraux sur les voyages en automobile.
Ensuite, les participants ont rempli quelques questionnaires sans rap-
port pour occuper leur temps. Cela fait, on leur a demandé de partir et de
jeter tous les papiers qu’ils détenaient encore. Pour cela, ils avaient deux
possibilités : une corbeille à déchets et une poubelle destinée au recyclage.
Environ 50 % des personnes des groupes « égoïste » et de contrôle ont re-
cyclé leurs papiers, alors que cette proportion a atteint près de 90 % chez
les gens du groupe « autotranscendant »174. Bref, le simple fait d’évoquer le
sens de leurs actes dans un domaine (l’autopartage) les a poussés à se com-
porter différemment dans un autre (le recyclage).
Les recherches de Grant ont en outre montré que le fait de donner
du sens améliore les résultats, non seulement dans des campagnes
comme la promotion du lavage des mains et du recyclage, mais aussi
dans la vente traditionnelle. En 2008, Grant a effectué une étude fasci-
nante au centre d’appels d’une grande université américaine où, chaque
soir, des salariés téléphonent à d’anciens élèves pour obtenir de l’argent.
Selon l’habitude de la psychologie sociale, Grant a réparti les collec-
teurs de fonds en trois groupes. Il s’est arrangé pour que leurs condi-
tions de travail soient identiques, sauf pour les cinq minutes précédant
le début de leur plage de travail.
Deux soirs de suite, les membres d’un des groupes ont lu des récits
de gens qui avaient travaillé avant eux au centre d’appels et qui expli-
quaient y avoir acquis des qualités utiles (l’accordage, le brio et la clarté,
peut-être). C’était le « groupe des avantages personnels ». Un autre, le
« groupe du sens », a lu des récits d’anciens élèves de l’université qui
avaient bénéficié de bourses financées grâce aux fonds récoltés par le

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Convaincre au quotidien

centre d’appels et qui disaient à quel point elles les avaient aidés. Le
troisième groupe d’appelants était le groupe de contrôle ; ses membres
ont lu des récits sans rapport avec leur intérêt personnel ou leur mis-
sion. Après cet exercice, les travailleurs prenaient leur téléphone, avec
pour consigne de ne pas mentionner les récits qu’ils venaient de lire aux
gens qu’ils essayaient de persuader de faire un don.
Quelques semaines plus tard, Grant a consulté les résultats. Le
groupe des avantages personnels et le groupe de contrôle avaient obte-
nu à peu près le même nombre de promesses de dons que dans la pé-
riode précédant la lecture, mais le groupe du sens était passé à la vitesse
supérieure. Il avait plus que doublé « le nombre de promesses reçues
chaque semaine et le montant hebdomadaire des dons récoltés175 ».
Formateurs commerciaux, notez bien ceci : ces cinq minutes de
lecture ont plus que doublé la production. Les récits ont conféré un
aspect personnel au travail des participants, et leur contenu a donné du
sens à leur tâche. Tel est bien ce que signifie servir : améliorer la vie
d’autrui et, ce faisant, améliorer le monde. C’est le fond du service et le
secret ultime pour faire bouger autrui.
En 1970, un inconnu de 66 ans, Robert Greenleaf, ancien cadre
chez AT&T, a publié un essai qui allait être marquant. Intitulé The
Servant as Leader, cet opuscule bouleversait en moins de 40 pages les
philosophies du leadership dans les affaires et la politique. Pour
Greenleaf, les leaders les plus efficaces n’étaient pas les chefs héroïques
et énergiques, mais plutôt les personnalités plus calmes, plus humbles,
dont la motivation essentielle était de servir ceux qui étaient en prin-
cipe placés sous eux. Greenleaf a donné à cette notion le nom de « lea-
dership serviteur ». « Le leader est d’abord un serviteur, écrivait-il. Pour
devenir un leader serviteur, il faut d’abord faire appel au sentiment
naturel suivant lequel la priorité est de servir. Puis, par choix conscient,
on finit par aspirer à diriger176. »
L’idée même que des leaders se fassent les subordonnés de ceux qui
les suivent, inversant ainsi la pyramide traditionnelle, en a mis certains

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9 - Le service

mal à l’aise. D’autres, plus nombreux, se sont sentis stimulés par la


philosophie de Greenleaf. Ceux qui l’ont adoptée ont appris à « ne pas
faire de mal, [à] réagir à tout problème en commençant par écouter, [à]
accepter et à pratiquer l’empathie » au lieu de rejeter. Peu à peu, des
entreprises aussi diverses que Starbucks, TD Industries, Southwest
Airlines ou Brook Brothers ont intégré les idées de Greenleaf dans leurs
pratiques de management. Les écoles de gestion ont inclus son livre
dans leurs listes de lectures et leurs programmes. Les associations et les
institutions religieuses ont présenté ses principes à leurs membres.
Si le leadership serviteur a trouvé sa place, ce n’est pas seulement parce
que beaucoup de ceux qui l’ont essayé l’ont trouvé efficace. C’est aussi
parce que la démarche suivant laquelle il fonctionne leur a permis d’expri-
mer leurs convictions latentes à propos des autres et de leurs aspirations
personnelles profondes. La manière de diriger de Greenleaf est plus diffi-
cile à adopter, mais aussi plus transformatrice. « Voici, écrivait-il, le meil-
leur test, et le plus ardu à faire passer : ceux qu’on sert progressent-ils en
tant que personnes ? Sont-ils mieux portants, plus sages, plus libres, plus
autonomes, plus susceptibles de devenir eux-mêmes des serviteurs177 ? »
L’heure est venue d’appliquer la philosophie de Greenleaf à la vente.
On pourrait parler de « vendeur serviteur ». L’idée de départ est que
ceux qui font bouger autrui ne sont pas des manipulateurs, mais des
serviteurs. Ils servent d’abord et vendent ensuite. Et voici le test le
meilleur et le plus difficile à administrer, comme celui de Greenleaf : si
la personne à laquelle vous vendez accepte d’acheter, sa vie s’améliore-
ra-t-elle ? Après votre intervention, le monde sera-t-il meilleur qu’avant ?
Le vendeur serviteur est essentiel pour faire bouger autrui de nos
jours mais, en un sens, il était déjà présent chez ceux qui ont donné à
la vente ses lettres de noblesse. Alfred Fuller, par exemple, l’homme qui
a inspiré à Norman Hall sa vocation improbable, disait avoir compris à
un moment critique de sa carrière que son travail était meilleur, dans
tous les sens du mot, s’il servait d’abord et vendait ensuite. À partir de
ce jour, il s’est considéré comme un réformateur citoyen, un bienfaiteur
des familles, « un croisé contre les cuisines insalubres et les foyers

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Convaincre au quotidien

malpropres ». Cela semble un peu idiot, admettait-il. « Cependant,


pour réussir, un vendeur doit se sentir quelque peu engagé à ce que son
produit apporte au genre humain un bénéfice supérieur à l’argent qu’il
en retire lui-même. » Un vendeur efficace n’est pas « un commerçant
intéressé seulement par le profit », disait-il. Le véritable vendeur est « un
idéaliste et un artiste178 ».
Il en va de même de la personne véritable. Une des choses qui dis-
tinguent notre espèce des autres est notre mélange d’idéalisme et d’es-
prit artistique – notre désir d’améliorer le monde et de lui apporter des
éléments dont il ne savait pas qu’ils lui manquaient. Faire bouger autrui
n’impose pas de négliger les aspects plus nobles de notre nature.
Aujourd’hui, cela suppose même de les cultiver, et de nous rappeler
sans cesse que vendre est humain.

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Mallette d’échantillons

Le service

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Passez de la « vente en plus » au « service en plus »
« Vente incitative » (upselling) est une des expressions les plus détestables
du vocabulaire commercial. Vous allez dans un magasin de sport pour
acheter une paire de chaussures de base, et le vendeur tente de vous orien-
ter vers le modèle le plus cher. Vous magasinez un appareil photo, et on
voudrait vous convaincre de prendre aussi un kit sans intérêt, des acces-
soires dont vous n’avez pas besoin et une prolongation de garantie dont
vous ne voulez pas. Un jour, alors que je m’apprêtais à terminer un achat
en ligne, le site web concerné m’a bombardé d’une demi-douzaine
d’ajouts sans intérêt pour moi. En regardant l’adresse de la page, j’ai vu :
www.nomdelentreprise.com/venteincitative. J’ai stoppé là l’opération, et
je n’achète plus rien sur ce site.
Malheureusement, beaucoup de programmes de formation à la
vente enseignent encore à pousser les clients à acheter plus. Si leurs
concepteurs étaient malins, ils banniraient à la fois l’idée et l’expression
au profit d’une démarche plus amicale et plus efficace : le service en
plus. Cela implique de faire pour l’autre personne plus que ce à quoi
elle s’attendait ou que ce que vous aviez prévu, grâce aux petits gestes
qui transforment un contact anodin en une expérience mémorable. Ce
simple changement – passer de la vente en plus au service en plus – a
l’avantage évident d’être un comportement louable, mais il a aussi un
avantage caché : il est d’une efficacité extraordinaire.

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Convaincre au quotidien

Chaque fois que vous êtes tenté de pousser quelqu’un à acheter


plus, arrêtez-vous et mettez-vous à servir plus. N’essayez pas d’obtenir
de la personne qu’elle en fasse plus pour vous ; au contraire, augmentez
ce que vous faites pour elle.

Repensez les commissions sur les ventes


Même après avoir lu ce livre, vous pourriez encore croire que les ven-
deurs traditionnels ne sont pas des gens comme tout le monde, que les
vendeurs d’appareils électroménagers ou de dispositifs de protection du
domicile ne sont pas, à votre image, mus par un cocktail de motiva-
tions souvent généreuses. Ils sont différents. Ils fonctionnent « mécani-
quement », selon une expression fréquemment entendue. (Glissez une
pièce dans la fente, et ils exécuteront une petite danse. Une fois le temps
écoulé, mettez une autre pièce, ou la danse s’arrêtera !) C’est pourquoi
on utilise généralement les commissions pour motiver et rémunérer les
vendeurs traditionnels. C’est le meilleur – et peut-être le seul – moyen
de les faire bouger.
Et si on se trompait ? Si on payait les vendeurs à la commission
parce que… eh bien, parce qu’on les a toujours payés à la commission ?
Si la prati­que était tellement ancrée dans l’orthodoxie qu’elle a cessé
d’obéir à une vraie décision ? Si cela contrariait en réalité l’aptitude à
servir ?
C’est ce que soupçonnait Microchip Technology. Cette entreprise
de semi-conducteurs américaine qui réalise 6,5 milliards de dollars de
chiffre d’affaires par an rémunérait autrefois sa force de vente confor-
mément aux standards de son industrie : 60 % de salaire de base, 40 %
de commissions. Toutefois, voilà 13 ans, elle a aboli cette formule au
profit de la suivante : 90 % de salaire de base et une rémunération varia­
ble de 10 % liée à la croissance de l’entreprise. Que s’est-il passé ensuite ?
Le chiffre d’affaires a progressé. Le montant relatif aux ventes n’a pas
varié. Le taux d’érosion de la clientèle a chuté. Et, trimestre après tri-
mestre, Microchip a dégagé des profits, bien que son industrie soit une
des plus concurrentielles du monde.

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9 - Le service

Beaucoup d’entreprises, parmi lesquelles on compte certaines mul-


tinationales géantes, comme GlaxoSmithKline, ainsi que de petites
compagnies d’assurances de l’Oregon et de jeunes entreprises informa-
tiques anglaises de Cambridge, remettent en question la pratique des
commissions ; elles appliquent de nouvelles stratégies et obtiennent
d’excellents résultats. Elles découvrent que le fait de payer autrement
leur force de vente a de nombreuses vertus. Cela élimine le problème
des gens qui manipulent le système à leur avantage et cela encourage la
collaboration. (Si je ne suis payé qu’en fonction de ce que je vends,
pourquoi devrais-je vous aider ?) Cela évite aux cadres de perdre du
temps et de l’énergie à régler d’interminables désaccords sur les rému-
nérations. Et surtout, cela fait des vendeurs les agents de leurs clients et
non leurs adversaires, ce qui élimine un obstacle à un service complet
et authentique.
Les entreprises devraient-elles toutes renoncer aux commissions sur
les ventes ? Pas nécessairement. Toutefois, la simple contestation de
l’orthodoxie peut être saine. « Les vendeurs ne sont pas différents des
ingénieurs, des architectes ou des comptables, m’a dit un jour le direc-
teur des ventes de Microchip. Ceux qui sont vraiment bons désirent
résoudre des problèmes et servir des clients. Ils veulent contribuer à
quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. »

Demandez-vous qui fait une faveur à qui


Seth Godin, gourou du marketing et être des plus créatifs que je
connaisse, explique très bien comment se répartissent les transactions
de vente traditionnelle et de commercial sans vente. Nous les rangeons,
dit-il, dans trois catégories.
Nous nous disons : « Je te fais une faveur, mon gars. » Ou bien :
« Hé ! Ce type me fait une faveur. » Ou encore : « Personne ne fait de
faveur à personne. » Les problèmes surviennent, assure Godin, « quand
une des parties de la transaction pense qu’elle fait une faveur à l’autre,
mais que l’autre n’agit pas pareillement en retour ». Le remède à ce pro-
blème est très simple, et nous pouvons l’utiliser quand nous tentons de

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Convaincre au quotidien

faire bouger autrui : nous devrions toujours agir comme si l’autre nous
faisait une faveur.
Cette démarche se rattache à la qualité d’accordage – en particulier
au constat que vous pouvez renforcer votre capacité à prendre du recul
en abaissant votre statut. Cela montre que, comme dans le cas du lea-
dership serviteur, la manière la plus sage et la plus éthique de faire
bouger autrui est d’agir avec humilité et gratitude.

Employez la technique de
la « signalisation psychologiquement intelligente »
Vous avez probablement remarqué que plusieurs exemples de ce cha-
pitre – des matatus kényans à la pizzeria Il Canale – faisaient intervenir
des écriteaux. La signalisation fait partie de notre environnement visuel,
mais nous l’employons souvent de manière trop sommaire.
Il existe un moyen de faire mieux. Je l’appelle la « signalisation
psycho­logiquement intelligente ». En général, les écriteaux ou les affi­
ches sont destinés soit à aider les gens à trouver leur chemin, soit à
annoncer des règles. La signalisation psychologiquement intelligente va
plus loin. Elle parvient aux mêmes fins en utilisant les principes, vus
plus haut, selon lesquels on devrait donner un caractère personnel à nos
actes et leur donner du sens. Elle essaie de faire bouger autrui en expri-
mant de l’empathie pour la personne qui la regarde (c’est le volet per-
sonnel) ou en suscitant l’empathie de celle-ci de manière qu’elle
comprenne la logique de la règle affichée (c’est le volet sens).
Voici un exemple du premier genre. Il y a quelques années, je visi-
tais avec ma famille un musée de New York. Peu après notre arrivée,
plusieurs membres de la jeune génération ont annoncé qu’ils avaient
faim, et nous avons dû consacrer une partie de notre temps, limité, à
contempler le rayon des pâtisseries de la cafétéria plutôt que les tableaux
du musée. Nous y avons trouvé une queue qui ondulait le long du
comptoir comme un anaconda. J’ai grimacé, pensant que nous allions
passer là une éternité. Heureusement, j’ai repéré cette pancarte :

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9 - Le service

Figure 9.4 Affiche d’un musée de New York

Ne vous inquiétez
pas.

Cette queue avance


vraiment vite.

Mon taux de cortisol est retombé. La queue était bien moins longue
que je le craignais, et j’ai passé ce bref temps d’attente dans un meilleur
état d’esprit. En suscitant mon empathie pour les gens qui formaient la
queue (c’est-a-dire en ajoutant à mon expérience quelque chose de per-
sonnel), la pancarte avait transformé l’impression ressentie.
Au cours d’une promenade non loin de chez moi, à Washington,
j’ai été témoin d’un exemple du second genre de signalisation psycho-
logiquement intelligente. Dans un carrefour animé, une petite église
trône au milieu d’une vaste pelouse. Beaucoup de gens du quartier
viennent promener leur chien dans ce coin-là, ce qui risque évidem-
ment de se traduire par un phénomène malodorant. Pour l’éviter, c’est-
à-dire pour faire bouger les promeneurs de chiens afin d’obtenir qu’ils
changent de comportement, l’église aurait pu afficher une simple sup-
plication sur une pancarte ressemblant à celle-ci, que j’ai légèrement
retouchée :

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Convaincre au quotidien

Figure 9.5 Pancarte 1

En lieu et place, elle a choisi une autre méthode et affiché la pan-


carte suivante :
Figure 9.6 Pancarte 2

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9 - Le service

En rappelant aux gens la raison de la règle et en suscitant l’empa­


thie des propriétaires de chiens – en donnant du sens au règlement –,
les auteurs de la pancarte ont amélioré la probabilité que les gens se
comportent comme souhaité.
À votre tour : prenez une pancarte que vous utilisez ou qui se trouve
dans votre lieu de travail et retouchez-la pour la rendre plus intelligente
sur le plan psychologique. En lui donnant un côté personnel ou du
sens, vous l’améliorerez.

Traitez chacun comme vous traiteriez


votre grand-mère
Imaginer que tout scanner examiné était celui de son père : d’après ses
déclarations au New York Times, tel a été le premier moyen employé par
Yehonatan Turner, le radiologiste israélien qui a dirigé l’étude sur les
portraits, pour compenser la nature impersonnelle de son travail.
Vous pouvez vous inspirer de son conseil avec cette technique
simple pour faire bouger autrui. À toute rencontre, imaginez que la
personne en face de vous est votre grand-mère. C’est le moyen idéal
pour donner un caractère personnel à ce que vous faites. Comment
vous comporteriez-vous si la personne qui se gare dans votre espace de
stationnement n’était pas un étranger, mais votre grand-mère ? Que
changeriez-vous si le salarié à qui vous comptez demander d’accomplir
une tâche déplaisante n’était pas une recrue dont vous pourriez vous
défaire, mais la femme qui a donné naissance à un de vos parents ?
À quel point seriez-vous honnête et éthique si la personne avec qui
vous correspondez par courriel n’était pas un collaborateur occasionnel,
mais la femme adorable qui vous envoyait pour votre anniversaire des
cartes de vœux avec un billet de cinq dollars plié à l’intérieur ?
En vous débarrassant du manteau de l’anonymat et en le rempla-
çant par cette forme de relation personnelle, vous avez plus de chances
de servir de manière authentique, ce qui, au bout du compte, sera à
l’avantage de tout le monde. Si vous êtes sceptique, essayez cette

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Convaincre au quotidien

variante : traitez tout le monde comme vous traiteriez votre grand-


mère, mais dites-vous que celle-ci a 80 000 suiveurs sur Twitter.

Posez toujours ces 2 questions et répondez-y


Enfin, chaque fois que vous avez l’occasion de faire bouger quel­-
qu’un – qu’il s’agisse de vente traditionnelle, comme lorsque vous ten-
tez de convaincre un client potentiel d’acheter un nouvel ordinateur,
ou de commercial sans vente, comme quand vous essayez de persuader
votre fille de faire ses devoirs –, assurez-vous que vous êtes capable de
répon­dre aux 2 questions qui sont au cœur d’un service authentique :
1. Si la personne à laquelle vous vendez est d’accord pour acheter,
sa vie en sera-t-elle améliorée ?
2. Une fois votre interaction accomplie, le monde sera-t-il meilleur
que lorsqu’elle a commencé ?
Si vous répondez non à l’une ou à l’autre de ces questions, vous
faites quelque chose de travers.

232

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Remerciements

V
endre est humain. Écrire un livre l’est moins, en tout cas si on
s’y prend de manière aussi laborieuse que moi. C’est pourquoi
je suis heureux d’avoir eu tant de gens autour de moi.
Rafe Sagalyn, le meilleur agent littéraire du monde, a compris les
possibilités de ce livre bien avant son auteur. Ses conseils et son amitié
me sont infiniment précieux. Merci aussi à Lauren Clark pour s’être
chargée de la question sur le front international.
Chez Riverhead Books, Jake Morrissey s’est montré comme tou-
jours intelligent et pondéré, en particulier quand des gens comme moi
l’étaient moins. Geoff Kloske a injecté dans ce projet son savoir-faire
rédactionnel considérable et sa puissance d’éditeur, ce dont je lui suis
reconnaissant. Un énorme merci aussi au service de production de
Riverhead pour ses efforts héroïques quand j’ai dépassé les délais.
Elizabeth McCullough m’a aidé en gros et en détail, que ce soit en
dénichant d’obscures études à la bibliothèque de l’Université de
Virginie, en repérant des fautes de frappe que personne n’avait vues ou
en m’apprenant à présenter mes notes de bas de page. Cindy Huggett,
un des meilleurs esprits en matière de formation et de développement,
m’a aidé avec maestria à rendre utiles et cohérents mes exemples pra-
tiques. Quant à Rob Ten Pas, il a une fois de plus fourni plusieurs
illustrations éloquentes.
Mes enfants, Pink, Sophia, Eliza et Saul, ont été fabuleux, suppor-
tant avec calme que leur père écrive un autre livre. (Hélas, il a été difficile

233

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Convaincre au quotidien

de leur vendre l’idée que renoncer à des vacances, expédier les repas et
manquer des matchs de baseball avait quelque chose de magnifique.)
Mais la personne la plus importante pour moi, ici et en toutes
choses, est Jessica Lerner. Elle a lu ce livre jusqu’au dernier mot, plu-
sieurs fois, à haute voix. Comme si cela ne suffisait pas, elle m’a écouté
lire chaque page, plusieurs fois, à haute voix. Elle m’a relu, poussé et
retenu avec la combinaison étonnante de puissance intellectuelle et de
tendresse qu’elle met dans tout ce qu’elle fait. Je ne le savais pas à
l’époque, mais le pitch le plus intelligent que j’ai produit date du
moment où je l’ai persuadée de sortir avec moi, il y a 22 ans. Je ne l’ai
jamais regretté.

234

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Notes

1. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The
Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 2.
2. John Bainbridge, « May I Just Step Inside ? », The New Yorker, 13 novembre 1948.
3. « The Ups and Downs of the Fuller Brush Co. », Fortune, 1938, accessible sur http://
features.blogs.fortune.cnn.com/2012/02/26/the-fuller-brush-co-fortune-1938/ ;
Gerald Carson, « The Fuller Brush Man », American Heritage, août-septembre 1986 ;
Bainbridge, « May I Just Step Inside ? »
4. Gerald Carson, « The Fuller Brush Man ».
5. Alfred C. Fuller, A Foot in the Door, p. 197-198.
6. Voir par exemple, James Ledbetter, « Death of a Salesman. Of Lots of Them,
Actually », Slate, 21 septembre 2010, accessible sur www.slate.com/articles/business/
moneybox/2010/09/death_of_a_salesman_of_lots_of_them_actually.htm.
7. U.S. Bureau of Labor Statistics, « Occupational Employment and Wages Summary
(2011) », (statistiques résumées de l’emploi et des salaires) publié le 27 mars 2012. Voir
tableau 1, accessible sur www.bls.gov/news.release/ocwage.t01.htm. Selon ces données,
13,65 millions de personnes travaillent dans le secteur « vente et activités connexes » et
328 000 autres comme « responsables des ventes ». Cependant, cette enquête ne couvre pas
« les travailleurs indépendants ou les propriétaires de sociétés de personnes ». Si nous
supposons prudemment que seuls 10 % de ces quelque 14 millions de personnes exercent
aussi une activité de vente, cela porte le nombre à plus de 15 millions, soit à peu près
11 % de la main-d’œuvre totale. Voir « Occupational Employment and Wages Technical
Note », accessible sur www.bls.gov/news.release/ocwage.tn.htm. Voir aussi U.S. Census
Bureau, The Statistical Abstract of the United States : 2012, 131e éd., tableau 606, selon
lequel plus de 16 % des travailleurs indépendants relèvent des « activités commerciales et
administratives ». La société de conseil en économie du travail Economic Modeling
Specialists Intl. estime pareillement que la chute apparente du nombre de vendeurs serait
en partie due au passage d’un grand nombre de personnes de l’emploi traditionnel à un
statut de sous-traitant indépendant : « Les emplois dans la vente (comme d’autres emplois)
sont loin de disparaître de l’économie autant qu’ils disparaissent de l’emploi traditionnel
“couvert” – en fait, leur nombre et leur importance croissent hors de la zone éclairée par
les statistiques sur l’emploi habituelles. » L’analyse d’EMSI se trouve sur www.
economicmodeling.com/2010/09/30/the-premature-death-of-the-salesman/.

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Convaincre au quotidien

8. U.S. Census Bureau, The Statistical Abstract of the United States : 2012, 131e éd. Voir
page 300, tableaux 461 et 462, et page 18, tableau 13. Précision technique : les emplois
de la fonction publique et les emplois de l’industrie manufacturière – c’est-à-dire les
emplois groupés par secteur – sont totalisés mensuellement dans le bilan « Employment
Situation ». Les emplois commerciaux, comme indiqué ci-dessus, sont totalisés deux fois
par an dans les statistiques résumées de l’emploi et des salaires (« Occupational
Employment and Wages Summary »), qui regroupe les emplois par métier.
9. C. Brett Lockard et Michael Wolf, « Occupational Employment Projections to
2020 », Monthly Labor Review, 135, no 1, janvier 2012, p. 84-108. Voir page 88 et
tableau 1.
10. Statistique Canada, Enquête sur la population active [mensuelle], « Average Hourly
Wages of Employees by Selected Characteristic and Profession », avril 2012, accessible
sur www.statcan.gc.ca/tables-tableaux/sum-som/l01/cst01/labr69a-eng.htm ; Australian
Bureau of Statistics, 2006 Census Tables, tableau 20680, accessible sur www.censusdata.
abs.gov.au/ ; Office for (UK) National Statistics, « Labour Force Survey Employment
Status by Occupation », avril–juin 2011, accessible sur www.ons.gov.uk/ons/
publications/re-reference-tables.html ?edition=tcm :77-215723.
11. Le nombre total de personnes occupant un emploi aux États-Unis est d’environ
216 millions. Le nombre de personnes travaillant dans les fonctions commerciales est
d’environ 29 millions. Monika Wozowczyk et Nicola Massarelli, « European Union
Labour Force Survey. Annual Results 2010 », Eurostat Statistics in Focus, 23 juin 2011 ;
Vincent Bourgeais, Eurostat Media and Institutional Support, correspondance avec
l’auteur, 17-22 mai 2012.
12. Bureau des statistiques du ministère japonais des Affaires intérieures et de la
Communication, The Statistical Handbook of Japan 2011, tableau 12.3, « Employment
by Occupation », offert en anglais sur www.stat.go.jp/english/data/handbook/c12cont.
htm#cha12_1.
13. L’agriculture occupe 36,7 % de la main-d’œuvre en Chine et 18,1 % en Inde d’après
The CIA World Factbook (2012), accessible sur http://1.usa.gov/2J7bUe et http://1.usa.
gov/9doDpD.
14. Adi Narayan, « Welcome to India, the Land of the Drug Reps », Bloomberg
Businessweek, 8 septembre 2011.
15. Voir « How Does Gallup Polling Work ? », sur www.gallup.com/poll/101872/how-does-
gallup-polling-work.aspx.
16. U.S. Census Bureau, 2009, « Nonemployer Statistics », accessible sur www.census.gov/
econ/nonemployer.
17. Kaomi Goetz, « For Freelancers, Landing a Workspace Gets Harder », NPR, 10 avril
2012, accessible sur www.npr.org/2012/04/10/150286116/for-freelancerslanding-a-
workspace-gets-harder.
18. Ryan Kim, « By 2020, Independent Workers Will Be a Majority », GigaOm, 8 décembre
2011, accessible sur http://gigaom.com/2011/12/08/mbo-partnersnetwork-2011/ ;
Kauffman Foundation, « Young Invincibles Policy Brief : New Poll Finds More Than Half

236

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Notes

of Millennials Want to Start Businesses », 10 novembre 2011, accessible sur www.


kauffman.org/uploadedfiles/millennials_study.pdf.
19. OCDE (2011), Entrepreneurship at a Glance 2011, Éditions OCDE. Offert sur http://
dx.doi.org/10.1787/9789264097711-en ; Donna J. Kelley, Slavica Singer et Mike
Herrington, Global Entrepreneurship Monitor 2011 Global Report (2012), p. 12.
Accessible sur http://gemconsortium.org/docs/2409/gem-2011-global-report.
20. Adam Davidson, « Don’t Mock the Artisanal-Pickle Makers », New York Times
Magazine, 15 février 2012.
21. « The Return of Artisanal Employment », Economist, 31 octobre 2011. J’ai soutenu une
position analogue dans Daniel H. Pink, Free Agent Nation : The Future of Working for
Yourself, New York, Business Plus, 2002.
22. Les données les plus récentes d’Etsy se trouvent au www.etsy.com/press.
23. Robert Atkinson, « It’s the Digital Economy, Stupid », Fast Company, 8 janvier 2009.
24. Carl Franzen, « Kickstarter Expects to Provide More Funding to the Arts Than
NEA », Talking Points Memo, 24 février 2012, accessible sur http://idealab.
talkingpointsmemo.com/2012/02/kickstarter-expects-to-provide-more-funding-to-the-
arts-than-nea.php ; Carl Franzen, « NEA Weighs In on Kickstarter Funding Debate »,
Talking Points Memo, 27 février 2012, accessible sur http://idealab.talkingpointsmemo.
com/2012/02/the-nea-responds-to-kickstarterfunding-debate.php. Cela dit, le taux
d’échec de Kickstarter est élevé. À peu près la moitié des projets en quête de
financement n’atteignent pas leur cible. Voir Samantha Murphy, « About 41 % of
Kickstarter Projects Fail », Mashable Tech, 12 juin 2012, accessible sur http://mashable.
com/2012/06/12/kickstarter-failures/.
25. Propos tenus à l’occasion de la Wired Business Conference, New York, 1er mai 2012.
26. Michael Mandel, « Where the Jobs Are : The App Economy », livre blanc TechNet,
7 février 2012, accessible sur www.technet.org/wp-content/uploads/2012/02/TechNet-
App-Economy-Jobs-Study.pdf.
27. Michael DeGusta, « Are Smart Phones Spreading Faster Than Any Technology in
Human History ? », Technology Review, 9 mai 2012.
28. «  Cisco Visual Networking Index : Global Mobile Data Traffic Forecast Update,
2011-2016 », 14 février 2012, accessible sur www.cisco.com/en/US/solutions/collateral/
ns341/ns525/ns537/ns705/ns827/white_paper_c11-520862.pdf.
29. Dominic Basulto, « 10 Billion Tiny Screens Can Change the World », Big Think,
22 février 2012, accessible sur http://bigthink.com/endless-innovation/10-billion-tiny-
screens-can-change-the-world.
30. U.S. Bureau of Labor Statistics, Occupational Outlook Handbook, 29 mars 2012,
accessible sur www.bls.gov/ooh/home.htm. Voir aussi Anthony P. Carnevale, Nicole
Smith, Artem Gulish et Bennett H. Beach, « Healthcare », rapport du centre sur
l’éducation et la main-d’œuvre de l’Université Georgetown (21 juin 2012), qui prévoit
entre 25 % et 31 % d’augmentation du nombre d’emplois dans la santé aux États-Unis
d’ici 2020 ; accessible sur www.healthreformgps.org/wp-content/uploads/Healthcare.
FullReport.071812.pdf.

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Convaincre au quotidien

31. «  Friday Thoughts », White Coat Underground, 24 juin 2011, accessible sur http://
whitecoatunderground.com/2011/06/24/friday-thoughts/.
32. Rosabeth Moss Kanter, « The “White Coat” Economy of Massachusetts », Boston
Globe, 9 mai 2006 ; Derek Thompson, « America 2020 : Health Care Nation », Atlantic,
17 août 2010, accessible sur www.theatlantic.com/business/archive/2010/08/america-
2020-health-care-nation/61647/.
33. George A. Akerlof, « Writing “The Market for ‘Lemons’” : A Personal and Interpretive
Essay », accessible sur www.nobelprize.org/nobel_prizes/economics/laureates/2001/akerlof-
article.html.
34. George A. Akerlof, « The Market for “Lemons” : Quality Uncertainty and the Market
Mechanism », Quarterly Journal of Economics, vol. 84, no 3, août 1970, p. 488-500.
35. Ibid., p. 489.
36. Joe Girard, avec Stanley H. Brown, How to Sell Anything to Anybody, New York,
Fireside, 2006, 1977, p. 6.
37. Ibid., p. 251.
38. Ibid., p. 121, 173.
39. Ibid., p. 49-51.
40. Ibid., p. 53.
41. Doug Gross, « Are Social Media Making the Resume Obsolete ? », CNN.com, 11
juillet 2012, accessible sur www.cnn.com/2012/07/11/tech/social-media/facebook-jobs-
resume/index.html.
42. Fortune 500, classement 2012, accessible sur http://money.cnn.com/magazines/fortune/
fortune500/2012/full_list/.
43. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door :
The Life Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960.
44. Voir par exemple, John F. Tanner Jr., George W. Dudley et Lawrence B. Chonko,
« Salesperson Motivation and Success : Examining the Relationship Between Motivation
and Sales Approach », étude présentée au congrès annuel de la Society for Marketing
Advances, San Antonio, Texas, novembre 2005.
45. Adam D. Galinsky, Joe C. Magee, M. Ena Inesi et Deborah H. Gruenfeld, « Power
and Perspectives Not Taken », Psychological Science, no 17, décembre 2006, p. 1068-
1074.
46. Ibid., p. 1070.
47. Ibid., p. 1071.
48. Britt Peterson, « Why It Matters That Our Politicians Are Rich », Boston Globe,
19 février 2012. Voir aussi Michael W. Kraus, Paul K. Piff et Dacher Keltner, « Social
Class as Culture : The Convergence of Resources and Rank in the Social Realm »,
Current Directions in Psychological Science, vol. 20, no 4, août 2011, p. 246-250.

238

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Notes

49. Adam D. Galinsky, William W. Maddux, Debra Gilin et Judith B. White, « Why It
Pays to Get Inside the Head of Your Opponent : The Differential Effects of Perspective
Taking and Empathy in Negotiations », Psychological Science, vol. 19, no 4, avril 2008,
p. 378-384.
50. Pauline W. Chen, « Can Doctors Learn Empathy ? », New York Times, 21 juin 2012.
51. Galinsky et al., « Why It Pays », p. 383.
52. On trouvera une introduction accessible et de qualité au domaine de l’analyse du réseau
social dans les travaux de Valdis Krebs, offerts à l’adresse www.orgnet.com. Un excellent
livre d’introduction au sujet : Lee Rainie et Barry Wellman, Networked : The New Social
Operating System, Cambridge, MA, MIT Press, 2012.
53. William W. Maddux, Elizabeth Mullen et Adam D. Galinsky, « Chameleons Bake
Bigger Pies and Take Bigger Pieces : Strategic Behavioral Mimicry Facilitates Negotiation
Outcomes », Journal of Experimental Social Psychology, vol. 44, no 2, mars 2008, p. 461-468.
54. « L’effet caméléon évoque l’imitation inconsciente des attitudes, des manières, des
expressions du visage et des autres comportements de son interlocuteur, de telle sorte qu’on
modifie son comportement passivement et involontairement pour qu’il corresponde à celui
des autres dans son environnement social du moment. » Tanya L. Chartrand et John A.
Bargh, « The Chameleon Effect : The Perception-Behavior Link and Social Interaction »,
Journal of Personality and Social Psychology, vol. 76, no 6, juin 1999, p. 893–910.
55. Maddux et al., « Chameleons Bake Bigger Pies », p. 463.
56. Ibid., p. 466.
57. Ibid., p. 461.
58. Adrienne Murrill, « Imitation Is Best Form of Flattery – and a Good Negotiation
Strategy », Kellogg News, 16 août 2007. Accessible sur www.kellogg.northwestern.edu/
news_articles/2007/aom-mimicry.aspx.
59. Rick B. van Baaren, Rob W. Holland, Bregje Steenaert et Ad van Knippenberg,
« Mimicry for Money : Behavioral Consequences of Imitation », Journal of Experimental
Social Psychology, vol. 39, no 4, juillet 2003, p. 393-398.
60. Céline Jacob, Nicolas Guéguen, Angélique Martin et Gaëlle Boulbry, « Retail
Salespeople’s Mimicry of Customers : Effects on Consumer Behavior », Journal of
Retailing and Consumer Services, vol. 18, no 5, septembre 2011, p. 381-388.
61. Robin J. Tanner, Rosellina Ferraro, Tanya L. Chartrand, James R. Bettman et Rick
Van Baaren, « Of Chameleons and Consumption : The Impact of Mimicry on Choice
and Preferences », Journal of Consumer Research, no 34, avril 2008, p. 754-766.
62. April H. Crusco et Christopher G. Wetzel, « The Midas Touch : The Effects of
Interpersonal Touch on Restaurant Tipping », Personality and Social Psychology Bulletin,
vol. 10, no 4, décembre 1984, p. 512-517 ; Céline Jacob et Nicolas Guéguen, « The
Effect of Physical Distance Between Patrons and Servers on Tipping », Journal of
Hospitality & Tourism Research, vol. 36, no 1, février 2012, p. 25-31.
63. Nicolas Guéguen, « Courtship Compliance : The Effect of Touch on Women’s
Behavior », Social Influence, vol. 2, no 2 2007, p.  81-97.

239

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Convaincre au quotidien

64. Frank N. Willis et Helen K. Hamm, « The Use of Interpersonal Touch in Securing
Compliance », Journal of Nonverbal Behavior, vol. 5, no 5, septembre 1980, p. 49-55.
65. Damien Erceau et Nicolas Guéguen, « Tactile Contact and Evaluation of the
Toucher », Journal of Social Psychology, vol. 147, no 4, août 2007, p. 441-444.
66. Voir aussi Liam C. Kavanagh, Christopher L. Suhler, Patricia S. Churchland et Piotr
Winkielman, « When It’s an Error to Mirror : The Surprising Reputational Costs of
Mimicry », Psychological Science, vol. 22, no 10, octobre 2011, p. 1274-1276.
67. Daniel Kahneman, Ed Diener et Norbert Schwarz, éd., Well-Being : The Foundations
of Hedonic Psychology, New York, Russell Sage Foundation, 1999, p. 218.
68. P. T. Costa Jr. et R. R. McCrae, NEO PI-R Professional Manual, Odessa, FL,
Psychological Assessment Resources, Inc., 1992, p. 15 ; Susan Cain, Quiet : The Power
of Introverts in a World That Can’t Stop Talking, New York, Crown, 2012.
69. Voir par exemple tableau 1, Wendy S. Dunn, Michael K. Mount, Murray R. Barrick et
Deniz S. Ones, « Relative Importance of Personality and General Mental Ability in
Managers’ Judgments of Applicant Qualifications », Journal of Applied Psychology, vol.
80, no 4, août 1995, p. 500-509.
70. Adrian Furnham et Carl Fudge, « The Five Factor Model of Personality and Sales
Performance », Journal of Individual Differences, vol. 29, no 1, janvier 2008, p. 11-16 ;
Murray R. Barrick, Michael K. Mount et Judy P. Strauss, « Conscientiousness and
Performance of Sales Representatives : Test of the Mediating Effects of Goal Setting »,
Journal of Applied Psychology, vol. 78, no 5, octobre 1993, p. 715-722 (c’est nous qui
soulignons).
71. Murray R. Barrick, Michael K. Mount et Timothy A. Judge, « Personality and
Performance at the Beginning of the New Millennium : What Do We Know and Where
Do We Go Next ? », International Journal of Selection and Assessment, vol. 9, no 1-2,
mars–juin 2001, p. 9-30.
72. Voir par exemple, Adam M. Grant, Francesca Gino et David A. Hofmann,
« Reversing the Extraverted Leadership Advantage : The Role of Employee Proactivity »,
Academy of Management Journal, vol. 54, no 3, juin 2011, p. 528-550.
73. Adam M. Grant, « Rethinking the Extraverted Sales Ideal : The Ambivert Advantage »,
Psychological Science (à paraître, 2013).
74. H. J. Eysenck, Readings in Extraversion and Introversion : Bearings on Basic
Psychological Processes, New York, Staples Press, 1971.
75. Grant, « Rethinking the Extraverted Sales Ideal ».
76. Ibid.
77. Steve W. Martin, « Seven Personality Traits of Top Salespeople », HBR Blog Network,
27 juin 2011, accessible sur http://blogs.hbr.org/cs/2011/06/the_seven_personality_
traits_o.html ; Lynette J. Ryals et Iain Davies, « Do You Really Know Who Your Best
Salespeople Are ? », Harvard Business Review, décembre 2010.
78. Nate Boaz, John Murnane et Kevin Nuffer, « The Basics of Business-to-Business Sales
Success », McKinsey Quarterly, mai 2010.
79. Cain, Quiet : The Power of Introverts, p. 166.

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Notes

80. Deniz S. Ones et Stephan Dilchert, « How Special Are Executives ? How Special
Should Executive Selection Be ? Observations and Recommendations », Industrial and
Organizational Psychology, vol. 2, no 2, juin 2009, p. 163-170.
81. Og Mandino, The Greatest Salesman in the World, New York, Bantam, 1968, p. 71, 87 ;
en français, Le plus grand vendeur du monde, traduction Jean-Pierre Manseau, Paris, Un
monde différent, 2004.
82. Napoleon Hill, How to Sell Your Way Through Life, Hoboken, NJ, Wiley, 2010, p. 49.
83. Ibrahim Senay, Dolores Albarracín et Kenji Noguchi, « Motivating Goal-Directed
Behavior Through Introspective Self-Talk : The Role of the Interrogative Form of
Simple Future Tense », Psychological Science, vol. 21, no 4, avril 2010, p. 499-504.
84. Ibid., p. 500-501.
85. Ibid., p. 500.
86. Voir en particulier l’œuvre d’Edward L. Deci et Richard M. Ryan, par exemple Edward
L. Deci et Richard M. Ryan, « The “What” and “Why” of Goal Pursuits : Human Needs
and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry, vol. 11, no4, octobre
2000, p. 227-268. Je décris certaines de ces recherches dans mon propre ouvrage,
Daniel H. Pink, Drive : The Surprising Truth About What Motivates Us, New York,
Riverhead Books, 2009 ; en français, La vérité sur ce qui nous motive, traduction Marc
Rozenbaum Paris, Leduc.s, 2011.
87. Shirli Kopelman, Ashleigh Shelby Rosette et Leigh Thompson, « The Three Faces
of Eve : Strategic Displays of Positive, Negative, and Neutral Emotions in Negotiations »,
Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 99, no 1, janvier 2006,
p. 81-101.
88. Ibid.
89. Barbara L. Fredrickson, Positivity : Top-Notch Research Reveals the 3 to 1 Ratio
That Will Change Your Life, New York, Three Rivers Press, 2009, p. 21.
90. Barbara L. Fredrickson et Marcial F. Losada, « Positive Affect and the Complex
Dynamics of Human Flourishing », American Psychologist, vol. 60, no 7, octobre 2005,
p. 678-686.
91. Cory R. Scherer et Brad J. Sagarin, « Indecent Influence : The Positive Effects of
Obscenity on Persuasion », Social Influence, vol. 1, no2, juin 2006, p. 138-146.
92. Voir par exemple Marcial Losada et Emily Heaphy, « The Role of Positivity and
Connectivity in the Performance of Business Teams : A Nonlinear Dynamics Model »,
American Behavioral Scientist, vol. 47, no 6, février 2004, p. 740-765.
93. Barbara L. Fredrickson et Marcial F. Losada, « Positive Affect ».
94. Ibid., p. 658
95. Barbara L. Fredrickson, Positivity, p. 137.
96. Martin E. P. Seligman et Peter Schulman, « Explanatory Style as a Predictor of
Productivity and Quitting Among Life Insurance Sales Agents », Journal of Personality
and Social Psychology, vol. 50, no 4, avril 1986, p. 832-38.

241

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Convaincre au quotidien

97. Martin E. P. Seligman, Learned Optimism : How to Change Your Mind and Your
Life, New York, Vintage Books, 2006, p. 7-8. En français, La force de l’optimisme,
traduction Larry Cohen, Paris, InterÉditions-Dunod, 2008.
98. Martin E. P. Seligman et Peter Schulman, « Explanatory Style », p. 834-835.
99. Ibid., p. 835.
100. Martin E. P. Seligman, Learned Optimism, p. 292.
101. Alicia H. Munnell, Anthony Webb, Luke Delorme et Francesca Golub-Saas,
« National Retirement Risk Index : How Much Longer Do We Need to Work ? »,
Center for Retirement Research Report, vol. 12, no 12, juin 2012 ; Teresa Ghilarducci,
« Our Ridiculous Approach to Retirement », New York Times, 21 juillet 2012.
102. Voir par exemple Shane Frederick, Nathan Novemsky, Jing Wang, Ravi Rhar
et Stephen Nowlis, « Opportunity Cost Neglect », Journal of Consumer Research, no 36,
2009, p. 553-561.
103. Hal E. Hershfield, Daniel G. Goldstein, William F. Sharpe, Jesse Fox, Leo
Yeykelis, Laura L. Carstensen et Jeremy N. Bailenson, « Increasing Saving Behavior
Through Age-Processed Renderings of the Future Self », Journal of Marketing Research,
no 48, 2011, p. S23-S37.
104. Hershfield et al., « Increasing Saving Behavior ».
105. Ibid., citant Hal Erner-Hershfield, M. Tess Garton, Kacey Ballard, Gregory R.
Samanez-Larken et Brian Knutson, « Don’t Stop Thinking About Tomorrow :
Individual Differences in Future-Self Continuity Account for Saving », Judgment and
Decision Making, no 4, 2009, p. 280-286.
106. Hershfield et al., « Increasing Saving Behavior ».
107. Jacob Getzels et Mihaly Csikszentmihalyi, The Creative Vision : A Longitudinal Study
of Problem Finding in Art, New York, Wiley, 1976 ; Mihaly Csikszentmihalyi et Jacob
Getzels, « Creativity and Problem Finding », in Frank H. Farley et Ronald W. Neperud,
éd., The Foundations of Aesthetics, Art, and Art Education, New York, Praeger, 1988.
La citation elle-même se trouve dans Mihaly Csikszentmihalyi, Flow : The Psychology
of Optimal Experience, New York, Harper Perennial, 1981, p. 277 ; en français,
Vivre : la psychologie du bonheur, traduction Léandre Bouffard, Paris, Pocket, 2006.
108. J. W. Getzels, « Problem Finding : A Theoretical Note », Cognitive Science, no 3,
1979, p. 167-172.
109. Voir par exemple Herbert A. Simon, « Creativity and Motivation : A Response to
Csikszentmihalyi », New Ideas in Psychology, no 6, 1989, p. 177-181 ; Stéphanie Z.
Dudek et Rémi Cote, « Problem Finding Revisited », in Mark A. Runco, éd., Problem
Finding, Problem Solving, and Creativity, Norwood, NJ, Ablex, 1994.
110. The Conference Board, Ready to Innovate : Are Educators and Executives Aligned on the
Creative Readiness of the U.S. Workforce ? Research Report R-1424-08-RR, octobre 2008,
accessible sur www.artsusa.org/pdf/information_services/research/policy_roundtable/
readytoinnovatefull.pdf.
111. Robert B. Cialdini, Influence : Science and Practice, 5e éd., Boston, Allyn & Bacon,
2009, p. 12-16 ; en français, Influence et manipulation, Paris, First, 2004.

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Notes

112. On trouvera une bonne introduction dans Daniel Kahneman et Amos Tversky,
« The Framing of Decisions and the Psychology of Choice », Science, no 211, 1981,
p. 453-458 ; Daniel Kahneman et Amos Tversky, « Rational Choice and the Framing
of Decisions », in Robin M. Hogarth et Melvin W. Reder, éd., Rational Choice : The
Contrast Between Economics and Psychology, Chicago, University of Chicago Press,
1987 ; Erving Goffman, Frame Analysis : An Essay on the Organization of Experience,
Cambridge MA, Harvard University Press, 1974 ; en français, Les cadres de l’expérience,
Paris, Les Éditions de Minuit, 1991.
113. Sheena S. Iyengar et Mark R. Lepper, « When Choice Is Demotivating : Can One
Desire Too Much of a Good Thing ? », Journal of Personality and Social Psychology, no 79,
2000, p. 995-1006.
114. Aaron R. Brough et Alexander Chernev, « When Opposites Detract : Categorical
Reasoning and Subtractive Valuations of Product Combinations », Journal of Consumer
Research, no 39, août 2012, p. 1-16, 13.
115. Leaf Van Boven et Thomas Gilovich, « To Do or to Have ? That Is the Question »,
Journal of Personality and Social Psychology, no 85, 2003, p. 1193-1202, 1194.
116.  Ibid.
117. Varda Liberman, Steven M. Samuels et Lee Ross, « The Name of the Game :
Predictive Power of Reputations Versus Situational Labels in Determining Prisoner’s
Dilemma Game Moves », Personality and Social Psychology Bulletin, no 30, septembre
2004, p. 1175-1185.
118. Danit Ein-Gar, Baba Shiv et Zakary L. Tormala, « When Blemishing Leads to
Blossoming : The Positive Effect of Negative Information », Journal of Consumer
Research, no 38, 2012, p. 846-859.
119. Zakary Tormala, Jayson Jia et Michael Norton, « The Preference for Potential »,
Journal of Personality and Social Psychology, no 103, octobre 2012, p. 567-583.
120. Cette explication repose sur le récit de Lee Ross et Richard E. Nisbett, The Person
and the Situation, Londres, Pinter & Martin, 2011, p. 132-133.
121. Sur Otis et son invention, voir Spencer Klaw, « All Safe, Gentlemen, All Safe ! », American
Heritage, vol. 29, no 5, août-septembre 1978 ; PBS Online, « Who Made America » ? »,
accessible sur www.pbs.org/wgbh/theymadeamerica/whomade/otis_hi.html ; Otis
Worldwide, « About Elevators », accessible sur www.otisworldwide.com/pdf/
AboutElevators.pdf.
122. Kimberly D. Elsbach et Roderick M. Kramer, « Assessing Creativity in Hollywood
Pitch Meetings : Evidence for a Dual-Process Model of Creativity Judgments », Academy
of Management Journal, vol. 46, no 3, juin 2003, p. 283-301.
123.  Ibid., p. 294.
124. Kimberly D. Elsbach, « How to Pitch a Brilliant Idea », Harvard Business Review,
vol. 81, no 9, septembre 2003, p. 117-123.
125. Elsbach et Kramer, « Assessing Creativity in Hollywood Pitch Meetings », p. 296.
126. « Wordy Goods », Economist, 22 août 2012, accessible sur www.economist.com/blogs/
graphicdetail/2012/08/daily-chart-5.

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Convaincre au quotidien

127. Maurice Saatchi, « The Strange Death of Modern Advertising », Financial Times,
22 juin 2006.
128.  Ibid.
129. Robert E. Burnkrant et Daniel J. Howard, « Effects of the Use of Introductory
Rhetorical Questions Versus Statements on Information Processing », Journal
of Personality and Social Psychology, vol. 47, no 6, décembre 1984, p. 1218-1230.
Des constats plus ou moins identiques sont rapportés par Richard E. Petty, John T.
Cacioppo et Martin Heesacker, « Effects of Rhetorical Questions on Persuasion :
A Cognitive Response Analysis », Journal of Personality and Social Psychology, vol. 40,
no 3, mars 1981, p. 432-440. à propos du rôle joué par le demandeur, voir Rohini
Ahluwalia et Robert E. Burnkrant, « Answering Questions About Questions :
A Persuasion Knowledge Perspective for Understanding the Effects of Rhetorical
Questions », Journal of Consumer Research, no 31, juin 2004, p. 26-42.
130. Burnkrant et Howard, « Effects of the Use of Introductory Rhetorical Questions »,
p. 1224.
131. « CNN Poll : Are You Better Off Than Four Years Ago » ? », CNN.com, 13 septembre
2012, accessible sur http://bit.ly/OKlUAy.
132. Matthew S. McGlone et Jessica Tofighbakhsh, « Birds of a Feather Flock Conjointly
( ?) : Rhyme as Reason in Aphorisms », Psychological Science, vol. 11, no 5, septembre
2000, p. 424-428.
133.  Ibid.
134. Nicolas Ducheneaut et Victoria Bellotti, « E-mail as Habitat : An Exploration of
Embedded Personal Information Management », ACM Interactions, vol. 8, no 5,
septembre–octobre 2001, p. 30-38.
135. Jaclyn Wainer, Laura Dabbish et Robert Kraut, « Should I Open This Email ? Inbox-
Level Cues, Curiosity, and Attention to Email », Actes de l’Annual Conference on
Human Factors in Computing Systems, Vancouver, Colombie-Britannique, mai 2011,
p. 7-12, accessible sur http://kraut.hciresearch.org/sites/kraut.hciresearch.org/files/
articles/Dabbish11-EmailCuriosity.pdf.
136. Là encore, le travail capital d’Edward Deci et Richard Ryan est instructif. Pour une
présentation de leurs recherches, on se référera à leurs publications (http://
selfdeterminationtheory.org/browse-publications) ou à mon propre livre, Daniel H.
Pink, Drive : The Surprising Truth About What Motivates Us, New York, Riverhead
Books, 2009 ; en français, La vérité sur ce qui nous motive, traduction Marc Rozenbaum,
Paris, Leduc.s, 2011.
137. Brian Clark, « The Three Key Elements of Irresistible Email Subject Lines »,
Copyblogger, 26 août 2010, accessible sur www.copyblogger.com/email-subject-lines/.
138. Melissa Korn, « Tweets, Plays Well w/Others : A Perfect M.B.A. Candidate », Wall
Street Journal, 1er septembre 2011 ; Ian Wylie, « Learning the Game of Social Media »,
Financial Times, 5 septembre 2011.

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Notes

139. Sarah Perez, « Twitpitch : The Elevator Pitch Hits Twitter », ReadWriteWeb, 18 avril,
2008, accessible sur www.readwriteweb.com/archives/twitpitch_the_elevator_pitch_
hits_twitter.php.
140. Paul André, Michael S. Bernstein et Kurt Luther, « Who Gives a Tweet ? : Evaluating
Microblog Content Value », exposé présenté à l’ACM Conference on Computer
Supported Co-operative Work 2012, 11-15 février 2012, Seattle, Washington,
accessible sur www.cs.cmu.edu/~pandre/pubs/whogivesatweet-cscw2012.pdf.
141.  Ibid. J’ai exclu la catégorie « Conversation », dans laquelle les tweets rendent publiques
leurs communications avec les autres, car elle se rapporte moins au pitch.
142. André, Bernstein et Luther, « Who Gives a Tweet ? » ; voir figure 1 et tableau 1.
143. « Pixar Movies at the Box Office », Box Office Mojo, accessible sur http://
boxofficemojo.com/franchises/chart/ ?id=pixar.htm.
144. « Pixar Story Rules (One Version) », Pixar Touch Blog, 15 mai 2011, accessible sur www.
pixartouchbook.com/blog/2011/5/15/pixar-story-rules-oneversion.html.
145. Voir par exemple Jonathan Gottschall, The Storytelling Animal : How Stories
Make Us Human, New York, Houghton Mifflin Harcourt, 2012, et Peter Guber,
Tell to Win : Connect, Persuade, and Triumph with the Hidden Power of Story, New York,
Crown Business, 2011.
146. Walter A. Friedman, « John H. Patterson and the Sales Strategy of the National
Cash Register Company, 1884 to 1922 », Business History Review, vol. 72, no 4, hiver
1998, p. 552-584. Si vous vous intéressez aux évolutions anciennes de la vente en
Amérique, lisez le précieux livre de Walter A. Friedman, Birth of a Salesman : The
Transformation of Selling in America, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2004.
147. Walter A. Friedman, « John H. Patterson and the Sales Strategy of the National
Cash Register Company, 1884 to 1922 », Harvard Business School Working Knowledge,
2 novembre 1999, accessible sur http://hbswk.hbs.edu/item/1143.html.
148. « The Lord Chamberlain & Censorship », Leither Magazine, 9 mars 2012, accessible
sur www.leithermagazine.com/2012/03/09/the-lord-chamberlain-censorship.html.
149. Voir Mary M. Crossan, « Improvisation in Action », Organization Science, vol. 9,
no 5, septembre-octobre 1998, p. 593-599 ; Dusya Vera et Mary Crossan, « Theatrical
Improvisation : Lessons for Organizations », Organization Studies, vol. 25, no 5, juin 2004,
p. 727-749 ; Mary M. Crossan, João Vieira da Cunha, Miguel Pina E. Cunha et Dusya
Vera, « Time and Organizational Improvisation », FEUNL Working Paper, no 410, 2002,
accessible sur http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.881839 ; Keith Sawyer, Group Genius :
The Creative Power of Collaboration, New York, Basic Books, 2007 ; Patricia Ryan
Madson, Improv Wisdom : Don’t Prepare, Just Show Up, New York, Bell Tower, 2005.
150. Zazli Lily Wisker, « The Effect of Personality, Emotional Intelligence and Social
Network Characteristics on Sales Performance : The Mediating Roles of Market
Intelligence Use, Adaptive Selling Behaviour and Improvisation », thèse de doctorat,
University of Waikato, Nouvelle-Zélande, 2011.

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Convaincre au quotidien

151. Laura Janusik et Andrew Wolvin, « 24 Hours in a Day : A Listening Update to the Time
Studies », exposé présenté à la réunion de l’International Listening Association, Salem,
Oregon, 2006.
152. Mortimer Adler, How to Speak/How to Listen, New York, Touchstone, 1997, p. 5.
153. Judith Lee, « 10 Ways to Communicate Better with Patients », Review of
Ophthalmology, vol. 7, no 10, octobre 2000, p. 38.
154. Keith Johnstone, Impro : Improvisation and the Theatre, New York, Routledge,
1981, p. 99.
155. Stephen R. Covey, The 7 Habits of Highly Effective People, New York, Free Press,
1990, p. 207 ; en français, Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils
entreprennent, traduction Magali Guenette, Paris, First, 2005.
156. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life
Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 193.
157. Organisation mondiale de la santé, Rapport de situation sur la sécurité routière dans le
monde/Global Status Report on Road Safety, 2009, accessible sur http://whqlibdoc.who.
int/publications/2009/9789241563840_eng.pdf. Voir fiche-pays Kenya (non offerte
en version française).
158.  Ibid., p. 1-2. Voir tableau 1.
159. James Habyarimana et William Jack, « Heckle and Chide : Results of a
Randomized Road Safety Intervention in Kenya », Journal of Public Economics, vol. 95,
no 11–12, décembre 2011, p. 1438-1446.
160.  Ibid., p. 441.
161.  Ibid., p. 444.
162. Yehonatan Turner et Irith Hadas-Halpern, « The Effects of Including a Patient’s
Photograph to the Radiographic Examination », exposé présenté à la 94e Assemblée et
réunion annuelle de la Radiological Society of North America, 3 décembre 2008. Voir
aussi « Patient Photos Spur Radiologist Empathy and Eye for Detail », communiqué de
presse RSNA, 2 décembre 2008 ; Dina Kraft, « Radiologist Adds a Human Touch :
Photos », New York Times, 7 avril 2009.
163. Turner et Hadas-Halpern, « The Effects of Including a Patient’s Photograph ».
164. « Patient Photos Spur Radiologist Empathy and Eye for Detail », ScienceDaily,
14 décembre 2008, accessible sur http://bit.ly/JbbEQt.
165. Voir Atul Gawande, The Checklist Manifesto : How to Get Things Right, New York,
Picador, 2011.
166. Voir par exemple « Disconnection from Patients and Care Providers : A Latent Error in
Pathology and Laboratory Medicine : An Interview with Stephen Raab, MD », Clinical
Laboratory News, vol. 35, no 4, avril 2009.
167. Sally Herships, « The Power of a Simple “Thank You” », Marketplace Radio, 22
décembre 2010.

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Notes

168. R. Douglas Scott II, The Direct Medical Costs of Healthcare-Associated Infections in U.S.
Hospitals and the Benefits of Prevention, Centers for Disease Control and Prevention, mars
2009, accessible sur www.cdc.gov/HAI/pdfs/hai/Scott_CostPaper.pdf ; Andrew Pollack,
« Rising Threat of Infections Unfazed by Antibiotics », New York Times, 26 février 2010 ;
R. Monina Klevens et al., « Estimating Health Care –Associated Infections and Deaths in
U.S. Hospitals, 2002 », Public Health Reports, vol. 122, no 2, mars-avril 2007, p. 160-166.
169. Adam M. Grant et David A. Hofmann, « It’s Not All About Me : Motivating Hand
Hygiene Among Health Care Professionals by Focusing on Patients », Psychological
Science, vol. 22, no12, décembre 2011, p. 1494-1499.
170.  Ibid., p. 497.
171. Atul Gawande, « The Checklist », New Yorker, 10 décembre 2007 ; Gawande,
The Checklist Manifesto : How to Get Things Done Right, New York, Picador, 2011.
172. Grant et Hofmann, « It’s Not All About Me », p. 498
173. Voir par exemple Dan Ariely, Anat Bracha et Stephan Meier, « Doing Good or
Doing Well ? Image Motivation and Monetary Incentives in Behaving Prosocially »,
American Economic Review, vol. 99, no 1, mars 2009, p. 544-555 ; Stephan Meier, The
Economics of Non-Selfish Behaviour : Decisions to Contribute Money to Public Goods
(Cheltenham, Royaume-Uni, Edward Elgar Publishing Limited, 2006) ; Stephan
Meier, « A Survey of Economic Theories and Field Evidence on Pro-Social Behavior »,
in Bruno S. Frey et Alois Stutzer, éd., Economics and Psychology : A Promising New
Cross-Disciplinary Field, Cambridge, MA, MIT Press, 2007, p. 51-88.
174. Laurel Evans, Gregory R. Maio, Adam Corner, Carl J. Hodgetts, Sameera Ahmed
et Ulrike Hahn, « Self-Interest and Pro-Environmental Behaviour », Nature Climate
Change, 12 août 2012, accessible sur http://dx.doi.org/10.1038/nclimate1662.
175. Adam M. Grant, « The Significance of Task Significance : Job Performance Effects,
Relational Mechanisms, and Boundary Conditions », Journal of Applied Psychology,
vol. 93, no 1, 2008, p. 108-124.
176. Robert K. Greenleaf, Servant Leadership : A Journey into the Nature of Legitimate
Power and Greatness, 25th Anniversary Edition, Mahwah, NJ, Paulist Press, 2002, p. 27.
177.  Ibid.
178. Alfred C. Fuller (propos recueillis par Hartzell Spence), A Foot in the Door : The Life
Appraisal of the Original Fuller Brush Man, New York, McGraw-Hill, 1960, p. 87.

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