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Scopello Madeleine. Les milieux gnostiques : du mythe à la réalité sociale. In: Comptes rendus des séances de
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 152e année, N. 4, 2008. pp. 1771-1789 ;
doi : https://doi.org/10.3406/crai.2008.92271
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2008_num_152_4_92271
spirituelle avec la gnose. D’autres encore ont prêté leur voix à des
voyageurs célestes, relatant leurs expériences mystiques (Zostrien,
Marsanès)20 ; d’autres enfin ont fait entendre les révélations sur le
paysage des intelligibles communiquées par des entités féminines
du panthéon gnostique (Bronté21, Hypsiphroné22, Prôtennoia23, Pistis
Sophia24).
Aucune indication précise n’est fournie dans les sources directes
sur la provenance géographique des écrivains gnostiques dont les
œuvres, écrites pour la plupart en grec au IIe et au IIIe siècles de notre
ère, ont été traduites en copte et recopiées au milieu du IVe siècle
en Égypte, pour être peu après réunies dans des codices dont très
probablement seulement une infime quantité nous est parvenue.
Auteurs et transmetteurs
Aucune information tant sur les auteurs gnostiques que sur l’ori-
gine des textes n’est par ailleurs donnée par les transmetteurs qui
traduisirent ces écrits du grec en copte. Aucun renseignement portant
sur les transmetteurs eux-mêmes ne nous est connu. Les manuscrits
conservés ne livrent qu’un modeste aperçu de ce que devait être
l’activité de traduction, de recopiage et de façonnage25 des codices
gnostiques à cette époque en Égypte. Différents traducteurs furent
néanmoins à l’œuvre pour réaliser les codices de Nag Hammadi ;
on a distingué en effet, dans les traductions du grec au copte, de
nombreuses influences dialectales mais aussi la main de plusieurs
copistes, sans compter les différences dans la réalisation des reliures.
Œuvraient-ils dans des ateliers de traduction ou plutôt individuelle-
ment ? Cette question n’est, pour l’instant, pas résolue. En ce qui
concerne le codex Tchacos, la main d’un seul copiste semble avoir
nom propre dérivé d’un adjectif, on peut l’interpréter comme « le bien connu » gnwstov~ (euj). Dans
ce sens, on remarquera la symbolique inversée de ce nom par rapport à celui d’Allogène : le familier
d’un côté, l’étranger de l’autre, constituent deux images spéculaires qui désignent des êtres privilé-
giés dans la quête de la connaissance. Mais l’on peut aussi comprendre Eugnoste comme dérivant
de gnwsthv~, celui qui connaît, le gnostique par excellence.
20. Le traité de l’Allogène rentre aussi dans ce cas ; Zostrien (NH VIIII, 1) ; Marsanès
(NH X, 1).
21. Bronté intellect parfait (NH VI, 2).
22. Hypsiphroné (NH XI, 4).
23. Prôtennoia trimorphe (NH XIII, 1).
24. Codex Askew.
25. Sur la codicologie de Nag Hammadi, voir J. M. Robinson, 1988, p. 10-22 ; pour le codex
Tchacos, voir G. Wurst (« Preliminary Codicological Analysis of Codex Tchacos »), dans R. Kasser,
2007, p. 27-33.
26. On pourra lire utilement l’« Étude dialectale » de R. Kasser, 2007, p. 35-78.
27. Principalement les œuvres d’Irénée de Lyon, d’Hippolyte de Rome, de Tertullien de
Carthage, de Clément d’Alexandrie, d’Origène et d’Épiphane de Salamine. L’hérésiologie ultérieure
réélabore des données déjà présentes chez ces auteurs.
28. Surtout l’œuvre de Plotin, en particulier l’Ennéade II. Des noms d’autres philosophes ayant
écrit et réfuté des œuvres gnostiques sont fournis par Porphyre dans la Vita Plotini 16 mais ces écrits
ne nous sont pas parvenus.
29. Nous citons dans cet article la traduction d’A. Rousseau, 1984. Voir aussi A. Rousseau,
L. Doutreleau, 1979, 1965, 1969, 1979.
30. Semetipsos adinventores sententiae quamcumque compegerint enarrantes (I, 28, 1).
31. La Règle de Vérité est rappelée par Irénée en ouverture de sa liste d’hérétiques : « pour nous,
nous gardons la Règle de Vérité selon laquelle “il existe un seul Dieu” tout puissant qui “a tout créé
par son Verbe” » (Adv. Haer. I, 22, 1). On notera l’insistance mise sur « pour nous », ce qui indique
implicitement que les gnostiques se situent en dehors de l’Église.
32. K. Holl, 1915, 1922, 1933 ; F. Williams, 1994 et 2000.
33. Adv. Haer. III, 4, 3.
36. Irénée de Lyon, Adv. Haer. I, 13, 5. Sur Marc le Mage, voir l’étude de N. Förster, 1999.
37. Irénée de Lyon, Adv. Haer. Préface (§ 2) et I, 1-9. cf. aussi la Lettre à Flora transmise par
Épiphane (Pan. 33, 3-8).
38. Irénée de Lyon, Adv. Haer. I, 13, 7.
39. Ibid. I, 13, 5.
40. Sur ce point voir M. Tardieu, 1992, p. 503-563.
41. Par exemple, le Contra Felicem et le Contra Fortunatum d’Augustin.
enserrée dans les liens du corps, tend de toutes ses forces : la tension
vers le lieu des origines est mise en scène dans le traité de l’Exégèse
de l’âme (NH II, 6) par une allégorie autour d’Ulysse, symbole de
l’âme, lequel, dans les liens de Calypso, aspire ardemment au retour
à Ithaque. Le personnage d’Hélène, éloigné de son époux Ménélas,
est lu, dans ce traité dans le même sens50.
Une géographie imaginaire structure le thème du voyage vers
la connaissance et en étaye les différentes étapes dans un conte,
riche en métaphores, intitulé Actes de Pierre et des douze apôtres
(NH VI, 1). Ayant embarqué en destination d’une ville sise au
milieu de la mer, dont le nom est « demeure, persévère dans l’en-
durance », les apôtres font la rencontre d’un étranger, marchand de
perles, puis médecin, au nom symbolique de Lithargoel, et entre-
prennent un chemin d’ascèse, parsemé d’embûches, qui aboutira à
sa ville51.
GNOSTIQUES ET SOCIÉTÉ
50. Cf. M. Scopello, 1985, p. 17-35. Les citations des passages d’Homère se trouvent dans
Ex. Âme 136, 25-137, 5.
51. Le nom symbolique de celle-ci est fourni en VI, 1 6, 24-25 : « Dans neuf portes rendons
grâce à Dieu tout en étant conscient que la dixième est le sommet » (trad. V. Ghica, 2007).
58. L’association entre spectacles et hérésies est particulièrement exploitée par Tertullien.
59. Cf. la Lettre des Églises de Vienne et de Lyon aux chrétiens d’Asie et de Phrygie, conservée
par Eusèbe de Césarée dans l’Histoire ecclésiastique V, 1, 1-63. Sur le martyre de Lyon, voir
C. Lepelley, 2000, p. 228-266, et surtout p. 251-252.
60. Adv. Haer. I, 6, 3.
61. Cette notion d’élite est bien exprimée par Basilide (Irenée, Adv. Haer. I, 24, 6) : « Peu
d’hommes sont capables d’un tel savoir : il n’y en a qu’un sur mille, deux sur dix mille. » Cf. aussi
Témoignage véritable, NH IX, 3 60, 11-14.
75. Voir Ead., 2005, p. 218-221. Les principales informations sur Marcellina sont fournies par
Irénée, Adv. Haer., I, 25, 6 ; Origène, Contre Celse V, 61 ; Épiphane, Panarion 27, 5, 91 ; Augustin,
De haeresibus ad Quodvultdeum, notice 7.
76. Voir M. Scopello, 2005, p. 229-235. On est renseigné sur Philoumène par Tertullien, De
praescriptione VI ; XXX ; De carne Christi XXIV, 2 ; Adversum Marcionem III, 11, 2 ; De anima
XXXVI, 3/VI ; Augustin, De haeresibus notice 24.
77. Voir M. Scopello, 2005, p. 226-229.
78. De praescriptione XLI, 5 : Ipsae mulieres haereticae, quam procaces ! Quae audeant
docere, contendere, exorcismos agere, curationes repromittere, fortasse an et tingere. R.-F. Refoulé,
P. de Labriolle, 1911.
79. Voir l’article de P. de Labriolle, 1911.
80. De praescriptione XLI, 6-8 : Nunc neophytos conlocant, nunc saeculo obstrictos, nunc
apostatas nostros ut gloria eos obligent quia veritate non possunt (…) Itaque alius hodie epis-
copus, cras alius ; hodie diaconus qui cras lector ; hodie presbyter qui cras laicus. Nam et laicis
sacerdotalia munera iniungunt.
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81. Par exemple, dans l’Exégèse de l’âme (NH II, 6) et l’Authentikos Logos (NH VI, 3).
82. Voir M. Scopello, « Titres au féminin dans la bibliothèque de Nag Hammadi », dans
M. Scopello, 2005, p. 127-153.