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Essai de grammaire de la

langue française : des mots à


la pensée. Tome 1 / Jacques
Damourette et Edouard
Pichon

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Damourette, Jacques (1873-1943). Auteur du texte. Essai de
grammaire de la langue française : des mots à la pensée. Tome 1
/ Jacques Damourette et Edouard Pichon. 1930-1956.

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Des Mots à la Pensée

n88 MOTS à LA PBntB.


Essai de Grammaire
de la Langue Française
1911-1927

v TOME PREMIER,
illustré de plus de 2.5oo exemples

COLLECTION
DES LINGUISTES CONTEMPORAINS
J. L. L. D'ARTREY, Directeur
17, RUE DE LA ROCHEFOUCAULD, PARIS.ge
A MONSIEUR JEAN WEBER
AGRÉGÉ DE L'UNIVERSITÉ

Qui a bien voulu s'intéresser à notre plan d'étude, et qui,


sur plusieurs points, a activement contribué à l'élaboration
de nos idées, nous dédions très affectueusement cet Essai.
JJVRE PRËMIIÎR

INTRODUCTION
CHAPITRE PREMIER

NATURE DE LA GRAMMAIRE

SOMMAIUE:

1. Nature de cet essai. -— 2. Les points de vue des différents linguistes.


S. Position mentale du problème du langage. — 4. Démarcation entre la
grammaire et la lexicographie. — 5. Le domaine de la grammaire est plus
-t
vaste que celui de la logique.

1. — Le lecteur nous trouve sans doute bien hardis de prétendre em-


brasser dans un seul ouvrage, si étendu soit-il, l'ensemble d'une science
aussi vaste que la grammaire française. Nombreux, certes, sont les tra-
vaux de détail qui ont été publiés sur les différentes questions appartenant
à ce domaine. Il nous a semblé pourtant qu'il y aurait quelque utilité à
essayer de grouper synthétiquement les notions acquises, en un ouvrage
qui ne fût pas strictement scolaire.
Il ne s'agit pas ici d'une synthèse hâtivement faite d'après les travaux
d'autrui. Bien que nous n'ayons pas négligé de nous entourer, à l'occa-
sion, des lumièresdes nombreux et savants linguistes qui ont étudié la
langue française, nous pouvons néanmoins dire que ce n'est pas leurs tra-
vaux qui constituent le fond de notre ouvrage. Attelés depuis l'année 1911

;
à la confection du présent Essai, nous nous sommes attachés à rassembler
une quantité importante de matériaux on rencontrera, dans le Livre pre-
mier et dans le Livre II, un certain nombre de théories très générales, mais
toutes sont étayées sur des faits concrets, car elles ne sont que la synthèse
d'études de détail qui figureront, dans la suite de l'ouvrage, avec un grand
nombre d'exemples justificatifs.
2. Comme l'a bien marqué Ferdinand de Saussure (1), la linguisti-
que en est encore à ses premiers pas. Son véritable objet est de pénétrer,
par l'étude du matériel linguistique et du fonctionnement des langues,
dans la vie même de l'esprit humain. Or, jusqu'ici, la plupart des écoles
linguistiques ont négligé
ce point de vue capital pour s'attacher à des
connaissances spéciales de moindre intérêt
La grammaire des pédagogues n'était
:
pas une science, mais une sorte
(1) F. de Saussure. Court de linguistique générale. Introduction. Chapitre I.
de discipline normative (l'expression est de Saussure) donnant des règles
A observer.
La philologie envisageait l'étude de telle langue particulière du point
de vue étroit de la critique des textes.
La grammaire comparée, très féconde comme moyen,, se croyait un but,
et raisonnait artificiellement sur les langues comme sur des entités abs-
traites et fixes.
Si nous répudions ces différents points de vue, quel va donc être le
nôtre ? Sera-ce celui, très récent, de Saussure ? Pour cet auteur, la langue
doit être envisagée objectivement comme un système de signes ayant et
une valeur sociale et une fixité relative qui le rendent scientifiquement,
étudiable (2). La science de la langue ne serait alors qu'une branche de
v la sémiologie .est-à-dire de la science la plus générale qui étudierait la
vie des signes (de quelque nature que soient ces signes) au sein de la
vie sociale.

3. — Quelque intéressante que soit cette conception, ce n'est pourtant


pas celle que nous avons prise pour guide dans notre étude. Ce qui nous
semble le plus important dans le problème linguistique, c'est qu'il n'y a
pas une voie par laquelle on.puisse pénétrer plus avant dans l'analyse de
la pensée. En effet, en partant de la conception sémiologique même de
Saussure, on nous concédera bien que, parmi les signes extérieurs par
lesquels peut se manifester la pensée, le langage est celui qui la serre du
plus près. Nous croyons même qu'il existe un très grand domaine de
pensée qui serait impossible sans le langage. C'est qu'à côté du langage
extérieur, il existe un langage intérieur, sur lequel, dans ces dernières
années, les neurologistes ont beaucoup insisté, mais auquel on n'a peut-être
pas suffisamment fait sa place dans les ouvrages propremenllinguisliques.
Un chat pourra penser à tel chien donné qu'il connaît soit au moyen
du souvenir visuel que lui a laissé ce chien, soit au moyen du souvenir
auditif de son aboiement, soit au moyen du souvenir olfactif de son odeur, ,
soit même au moyen d'une idée formée par l'association de ces différen-
tes images sensorielles. Cette idée purement sensible d'un chien donné *
:
pourra même, à l'occasion, lui tenir lieu, dans une suite de pensée, de
représentation d'un chien quelconque venant à craindre qu'un chienne *
vienne lui dérober sa viande, il se le figure tout naturellement avec les
caractères sensibles du chien qui lui est le plus familier. Mais ce chat
n'aura en aucune façon l'idée générale de chien.
Outre ce mode de pensée animale, l'homme possède une pensée stricte-
ment humaine, et ceci précisément grâce au langage. L'idée que consti-
tue l'association des images auditive, motrice, et secondairement visuelle
et graphique du mot chien est la véritable idée générale de chien. On
voit que, dans ce second mode de pensée, les différentes images ne valent
plus par leur représentation directe, mais par les associations soit déjà
effectuées soit possibles, dont ces images sont susceptibles. C'est en ce
(2) Saussure.Op. cit.Introduction. Chapitre III,§ 3.
ns que l'on peut dire avec Saussure quq
le vocable chien est un signe ;
nais outre que nous nous efforcerons de montrer plus loin (§ 74) que ce
igné n'a rien d'arbitraire, nous devons insister sur le fait qu'il est signe,
on
même,
seulement à
du sujet parlant ceux qui l'écoutent, mais à l'intérieur
du sujet parlant, qui, sans ce signe, ne pourrait posséder l'idée
correspondante.
Ce que nous avons dit d'une idée encore aussi encombrée d'éléments
sensibles que celle de chien est vrai a fortiori d'une idée aussi purement

,
spirituelle que celle de désintéressement. L'on n'imagine pas de quelle
façon pourrait être pensée, dans ses exactes limites, l'idée qu'exprime ce
vocable autrement que par ce vocable lui-même.

l'étudions.
Le langage, s'il n'est pas toute la pensée, est du moins de la pensée,
et c'est comme tel que nous

éléments:
4. — A ce point de vue, n'importe quel parler laissera voir en lui deux
d'une part un matériel idées pouvant s'accroître indéfiniment,
d'autre part un certain nombre d'idées directrices servant au classement
sommaire des idées-matériaux et à leur mise en œuvre dans le discours.
Ce n'est pas la fonction de la grammaire de faire un inventaire complet
de ce que possède comme matériel de pensée un parler donné. Cet inven-
taire, toujours forcément incomplet, puisqu'il s'enrichit à chaque instant
par le fonctionnement mental même des gens qui parlent la langue consi-
dérée, est du ressort de la lexicographie.
Les idées directrices ci-dessus définies sont au contraire la chose même
qu'étudie la grammaire.
5. — Or, ce système d'idées directrices est ce qui règle tout le fonction-
nement de la partie dite logique de l'esprit. Mais, si toute la logique est
dans la grammaire, toute la grammaire n'est pas dans la logique.,
En effet, les notions générales charpente du langage sont loin d'être
toutes conscientes. Nous nous sommes précisément efforcés, depuis 1911,
d'extraire du grand nombre des faits que nous avons colligés, l'essence
de ces notions générales inconscientes sur lesquelles repose toute la textu-
re du français ;et nous pouvons dire en somme que, pour nous, le prin-
cipal travail du grammairien fcst d'amener à la conscience les notions
directrices d'après lesquelles une nation ordonne et règle inconsciemment
sa pensée.
D'ailleurs, il semble bien que les grammairiens des XVIIe et XVIIIe siè-
cles aient au moins quelque tireur de cette conception, et qu'elle soit im-
pliquée dans ce passage de la grammaire de Port-Royal (1) :
« Si la parole est un des plus grands avantages de l'homme, ce ne doit

« perfection qui convient à l'homme ;


« pas être une chose méprisable deposséder cet avantage avec toute la
qui est de n'en avoir pas seule-
« ment l'usage, mais d'en pénétreraussilesraisons, et de faire par scien-
<' ce, ce que les autres font seulement par coustùme. »

(1) Grammaire de Port-Royal. Edition de 1676. Préface de Lancelot, p.4.>


CHAPITRE Il

LA CONSTITUTION EXTÉRIEURE
DIS LA LANGUE FRANÇAISE

SOMMAIKE :
6. L'idiome mode de pensée spécifique caractérisé par un système taxiéniati-
que donné. — 7. Seuls, les nationaux peuvent faire une bonne grammaire
nationale, point de départ possible pour des grammaires comparées. — 8. La
grammaire française doit être indépendante de la latine. — 9. Le langage
caractère mental propre à établir la classification interne du genre humain.
10. Rapports généraux entre le parler et la race. — 11. Morcellement d'un

;
tiques ;
idiome originel. Les dialectes. Les lingualités. — 12. Regroupements linguis-
langue et patois cœnédialectes et dialectes. —r 13. Possibilités de
ressemblances purement sémantiques entre idiomes communément classés
dans des familles linguistiques différentes. — 14. Nation, nationalité, patrie.
— 15. Influence des patois les uns sur les autres. — 16. Intérêt supérieur
des langues. — 17. Influence de la langue sur les patois.
18. La race française. — 19. Rapports entre le parler français et la race
française. — 20. Les lingualités romanes du domaine français. — 21. Réduc-
tion des parlers francimands à l'état de patois. — 22. Réduction des parlers
-
occitains et des parlers catalans du Roussillon à l'état de patois. — 23. Ré-
duction des patois bas-bretons à l'état de patois. 24. Réduction des par-
lers basques à l'état de paloi&. — 25. La réduction des parlers flamands à
l'état de patois retardée par la germanophilie des Flamingeants. — 26. Si-
tuation du français en Suisse alémanique et en Alsace thiaîchante. —
27. Constitution de la langue nationale. Les souches. — 28. La dangereuse
chimère de certains félibres. — 29. Triomphe du français sur le latin.

-
6. Comme il a été dit au § 4, l'objet de la grammaire, c'est l'étude
des idées directrices qui servent de charpgnte au langage. Ces notions,
nous lesappelons taxièmes, par opposition aux idées n'ayant pas de valeur
spéciale dans la texture du langage, que nous appelons sémièmes(cf.
infra, Livre II, § 59). --
Le caractère le plus profond d'un idiome se traduira par son système
taxiématique, c'est-à-dire par le nombre et la nature de ses taxièmes et
les connexions qu'ils auront entre eux. Il faut a priori s'attendre à ce que
chaque idiome ait un système taxiématique propre, différent de celui de
tous les autres, et l'on verra dans la suite de cet ouvrage qu'on peut tenir
eette assertion pour surabondamment prouvée. Le grand caractère com-
des sujets parlant un même idiome, c'est qu'ils portent tous en eux,
mun inconsciente d'ailleurs, un même système de notions
d'une façon surtout
d'après lesquelles s'ordonnent toutes les pensées qu'ils viennent à formu-
ler en langage (1). Un parler est donc
essentiellement un système de
pensée et tel est le facteur le plus indéniable de ces profondes différences
de mentalité que l'on observe de
peuple à peuple. Du Tremblay a écrit (2):
Il en est des peuples entiers comme des particuliers, leur langue est
«
la vive expression de leurs mœurs, de leur génie et de leurs institutions,
«
et il ne faudrait que bien examiner ce langage pour pénétrer toutes les
«
« pensées
de leur âme et tous les mouvements de leur cœur. »

,.,.
Mais il ne va pas assez loin, car la langue, commune à tout un peuple,
donne en réalité beaucoup plus d'indications sur le caractère de ce peu-
ple que sur celui de l'individu particulier qui la parle. La formation d'un
peuple et celle de sa langue ne sont que deux aspects d'un même fait.
« La parole », ~,
dit Joseph ae Maistre 'on. « est éternelle, et toute langue
« est aussi
ancienne que le peuple qui la parle. » Toutes les étapes du
génie national transparaissent dans des étapes correspondantes de la vie
nationale. C'est pourquoi on ne peut pas concevoir que l'idiome ne soit
pas dans son ensemble parfaitement adéquat à la pensée globale du peu
pie qui le parle :», dit l'Encyclopédie (4), « qu'à cet égard, il n'y a point
« Il est évident
«de langue qui n'ait toute la perfection possible et nécessaire à la nation
»,
«qui la parle. » — « Les mots ajoute-t-elle, « sont les signes des idées,
«et naissent avec elles, de manière qu'une nation formée et distinguée
«par un idiome, ne saurait faire l'acquisition d'une nouvelle idée, sans
«faire en même temps celle d'un mot nouveau qui la représente. »
Les Encyclopédistes, quand ils décrivaient ainsi l'adéquation d'une lan-
gue au génie de la nation correspondante, semblent d'ailleurs, comme le
montre la dernière phrase citée, n'avoir eu nettement en vue que les élé-
ments sémiématiques. Leur idée gagne en généralité et en intérêt à être
appliquée au système taxiématique, qui nous donne des vues beaucoup
plus profondes sur la qualité intellectuelle spécifique d'une nation, puis-
qu'il nous permet de savoir quelles sont, parmi toutes les notions humai.
nes, celles qui lui ont inconsciemment paru dignes de devenir les pierres
angulaires de son édifice linguistique.
La richesse d'une langue en formes grammaticales est toujours l'image
de sa richesse de pensée. Tous les cas historiques où l'on connaît deux
formes montrent, pour ces deux formes, deux
nuances de sens. Il serait
donc gratuit de prétendre
que des langues aient pu posséder pendant un
long temps une surabondance de formes absolûment
synonymes. L'exem-
ple de l'histoire de la conjugaison indo-européenne
en grec et en germa-
(1)Cecisous réserve seulement de différences individuelles inévitables, mais d'im-
portance
infime par rapport à la concordance générale du système taxiématique.
(2) Du Tremblay. Traité des -" ----..-- ----------"1.---
Lanflues. chaD. 22.anud EncvclonédiA s. v. Tdintismu.
~----I[" --, -,1""-- -."-,¡-"-r--.
(3) Joseph de Maistre. Les Soirées de Saint-Pétersboura. --"VII.V.
2d F.ntrfilÎAn TomA T n 12R
(4) Encyclopédie, - --.., 1 - --..-. - --.- -, t'- ---.
s. v. Langue.
nique est frappante à cet égard. En présence des très diverses formes de'
passé que possédait le fonds indo-européen, le grec et le germanique tien-
nent des conduites exactement adéquates à leur état de civilisation le'
grec conserve toutes les formes (eXuov, ëXuoa, Xéluy.a., iXilûxtw,etc.), en les
:
utilisant chacune pour une nuance sémantique définie. Le germanique
primitif, au contraire, parce qu'incapable de concevoir des nuances aussi
fines, ne conserve qu'un seul passé (5) : son prétérit, à peu près homolo-
gue, morphologiquement, du parfait grec. Il faut arriver jusqu'au moyen
allemand pour voir cette expression du passé jugée insuffisante, et pour
qu'apparaisse la forme Ich habe gcmacht.
En somme, l'idée essentielle que nous prions le lecteur de bien vouloir
accepter, celle sur quoi est construit l'édifice de notre grammaire, c'est
que l'unité réelle du groupe formé par ceux qui parlent la même langue
consiste en ce que leur pensée, au moins dans ce domaine supérieur que

:
le langage seul peut atteindre, est guidée, d'ailleurs en grande partie in-
consciemment, par un même système intellectuel le système taxiémati-
que propre ou grammaire propre de leur langue. C'est ce que M. E. de
Michelis voit très bien lorsqu'il écrit (6) :
« La partie de la langue qui touche le plus à l'esprit et est le plus enra-
« cinée dans le fond de la pensée, c'est sa forme intérieure, c'est les
« catégories morphologiques et syntactiques qui ont discipliné et organisé
« l'intelligence dans un sens spécial. Ici également, chacun trouve la con-
« firmation de ce fait dans son expérience personnelle, car on sait très
« bien que rarement on arrive à se rendre tout à fait maître d'une langue
« étrangère et à se plier à son mode spécial de concevoir. »
La pensée d'un locuteur quelconque est donc constamment coulée sur
le moule de la grammaire de la langue qui lui sert à penser. Chacun des
mots, chacun des tours qui viennent former son discours comportent la
mise en œuvre des différents mécanismes de pensée qui composent le
système taxiématique de cetidiome.
Il faut donc, pour qu'un esprit saisisse réellement tout le contenu sé-
mantique d'un discours, qu'il ait, dès l'infantile époque de sa formation,
été modelé selon le système taxiématique de l'idiome dans lequel la pen-
sée de son interlocuteur s'exprime.
Tel est la véritable raison de ce fait bien connu (7) qu'il est absolûment
impossible de jamais comprendre parfaitement un idiome autre que le
sien propre.
Tel est aussi le secret de la valeur éducative des langues étrangères à
condition qu'elles ne soient enseignées qu'à un âge où l'esprit de l'enfanta
déjà solidement constitué dans les formes intellectuelles de son idiome

(5) « Le germanique s'est créé une place à part au milieu des langues indo-européen-
nes par l'excessive pauvreté de sa conjugaison, qui ne connait que trois temps. » (H.
d'Arbois de Jubainville, dans la Revue historique, 1886. Tome I, p. 15).

:
(6) E. de Michelis. L'Origine degli Indo-Europei. Turin, 1903, Chapitre IV, § II, p. 147
(7) Cf. Le proverbe italien Traduttore, traditore.
maternel ne se laissera pas adultérer par des contaminations allogènes (8).
ID marque essentielle de l'esprit français », dit quelque part (9) Re-
« La
c'est den'être bien compris qu'en France. » Rien de plus juste, r
nan
mais « Allemand, un Anglais, un Italien ou tout autre étranger aurait
un
émettre mutatis mutandis la même assertion, car, comme dit
,;\
pu
Racan (10) : ';'
Toutes les langues ont des grâces particulières, qui ne se laissent
«
«
goûter qu'à ceux qui les possèdent originairement et parfaitement. »
Un idiome peut donc se définir : un mode de pensée spécifique.

7. -
Or, au § 5, nous avons marqué que la tâche du grammairien était
d'amener en entier dans le champ de la conscience le système taxiéma- ,l

tique qui baigne en grande partie dans l'inconscient.


Dès lors, il nous semble à peu près indispensable que le grammairien
possède en lui-même les éléments inconscients sur lesquels il va projeter
la lumière. Il va sans dire qu'il devra demander aux paroles de ses com-
-
patriotes et aux textes de la littérature nationale le matériel objectif sur
lequel il travaillera. Mais ces locuteurs, ces écrivains auront précisément
pensé dans son idiome même, et c'est dans les ressources intuitives de
sa connaissance naturelle de cet idiome que son intelligence trouvera, au
moins en grande partie, les éléments de la construction synthétique cons-
ciente à laquelle il devra aboutir.
Pour faire la grammaire française que nous concevons, il fallait donc
être Français. Nous le sommes. Il serait à souhaiter, selon nous, que des
nationaux des différents pays s'efforçassent de construire, suivant la même
méthode, les grammaires respectives de leurs idiomes. Quand auraient été
rendus conscients les différents systèmes taxiématiques des langues des
principaux peuples civilisés, il deviendrait possible d'édifier une gram-
maire comparée, non plus phonétique et morphologique, mais bel et bien
sémantique, ce qui serait d'une portée beaucoup plus grande pour la pen-
sée humaine. Dans de pareilles études, il deviendrait licite de faire porter
la comparaison sur des idiomes n'ayant pas de parenté matérielle, car,
comme nous aurons l'occasion de le dire plus loin, les véritables analo-

,
gies grammaticales (analogies des systèmes taxiématiques) ne sont pas
toujours parallèles aux analogies" morphologiques. Hardy (1) affirme que
« le français, qui vient du latin, a les allures de la langue grecque, et que
« 1anglais, qui dérive en grande partie du français, a essentiellement les
tournures latines », et qu'il est

Il impossible de ne pas voir dans ce


« «
;.

que est d'ailleurs à remarquer que les langues mortes se prêtent beaucoup mieux
Jamais nel'atteindra
les11vivantes cet emploi pédagogique. L'élève qui fait une version grecque serre
leplus 9u'il peut,à plus
AifoSaVa..
fait
à :
s'approcher. Celuiqui
d'ailleurs intuitivement qu'analytiquement, le sens de son texte.
tout fait effort fécond vers un idéal asymptote dont même
hellénistes, latinistes, hébraïsants, etc., ne font jamais que
ditinne à ceci
près une version allemande est exactement dans les mêmes con-
que le premier Allemand venu a la science infuse en cette matière.
(9) Renan. Essais de morale et de critique,
p. 57.
(10) Racan. Lettre à Chapelain du 25
(1) Henri Hardy. La langue nationale
de* Franpon, 1876.
-----,.--
octobre 1654. Œuvres. Tome I. D. 349.
« phénomène l'expression du caractère national des deux peuples. » Cette
question de l'analogie du français et du grec, pendante depuis Henri
Estienne (2), mérite quelques commentaires. Nous ne pensons pas qu'il
y ait une réelle conformité entre les systèmes taxiématiques respectifs du
français et du grec. Mais ce qui rendrait en effet plus particulièrement
intéressante la comparaison entre ces deux langues au point de vue que
1
nous venons d'indiquer, c'est qu'ayant été parlées par les deux plus affinés i
des peuples historiquement connus, elles sont en possession des systèmes
taxiématiques les plus riches et les plus fins (3).
8. — Il faut éviter, dans l'étude de la grammaire française, de se laisser
aller à la propension naturelle que l'on a à trop assimiler les tournures
de notre langue à celles de la langue latine. C'est là un péril qui a été très
bien aperçu par nos grands grammairiens du XVIIIe siècle. Chesneau du
Kiarsais (1676-1756) écrit (1) :
« Comme nos grammairiens ont commencé d'apprendre la langue rela-
«tivement à la langue latine, il n'est pas étonnant que, par un effet du
«préjugé de l'enfance, ils aient voulu adapter à leur -propre langue les
«notions qu'ils avaient prises de cette grammaire, sans considérer que,
«hors certains principes communs à toutes les langues, chacune a d'ail-
« leur? ses idotismes et sa grammaire. »
L'Abbé d'Olivet (1682-1768) se demande de même (2) pourquoi les
grammairiens plus anciens calquaient « leurs grammaires sur les grec-
« ques et les latines qui ont si peu de rapport avec le françois P »
Et Condillac (1715-1780) lui-même affirme (3) que « nous avons com-
« pliqué notre grammaire parce que nous l'avons voulu faire d'après les
« grammaires latines. »
La même opinion se retrouve chez l'Abbé Girard (1677-1748) auteur
des Vrais Principes de la Langue françoise.

9. — Comme nous l'avons dit au § 3, le langage est la partie propre-


ment humaine de la pensée des hommes. Il en découle que chaque hom-
me aura en réalité son parler propre, et que c'est seulement par ces pro-
cédés d'abstraction généralisatrice sans lesquels il n'y a pas de science
possible que l'on pourra, de notre point de vue, concevoir des par-
lers collectifs. Toutefois, il suffit que cette réserve soit faite une fois
elle ne jouera plus de rôle dans le développement ultérieur de ce travail,
;
(2) Henri Estienne. Conformité du langage françois avec le grec.
(3) Il va d'ailleurs de soi qu'en ce qui concerne le grec, la grammaire propre de cet
idiome ne pourra être faite dans les conditions les meilleures, puisqu'il n'y a plus
d'Hellènes. On peut néanmoins espérer que, de la collaboration des hellénistes appar-
tenant à des nationalités différentes, pourront sortir des connaissances grammaticales
encore plus étendues que celles que de longs siècles d'études hellénistiques nous ont
déjà léguées.
(1) Chesneau du Marsais. Œuvres'. Tome V, p. 140.
(2) Abbé d'Olivet. Remarques sur la langue françoise. Lettre à Messieurs de l'Acadé-
miefrançoise,p.IV.
(3) Condillac. Principes de la grammaire françoise, p. 327.
qui a pour but l'étude d'un idiome parlé couramment par plus de qua-
rante millions d'hommes.
L'homme étant essentiellement l'animal qui parle, il est naturel de
prendre la langue comme critère de classification, zoologique pourrait-on
dire des différentes variétés du genre humain. Mais il nous faut analyser
près maintenant à quoi correspond au point de vue des groupements
de
collectifs la notion de langue.
10.- Y a-t-il un rapport entre le parler d'un groupement humain et
sa race, c'est-à-dire l'ensemble des caractères qu'il possède en commun
et par hérédité?
Ce qu'il importe de noter, c'est qu'un homme, de même qu'il hérite
des particularités somatiques de ses ancêtres, hérite, suivant les mêmes
lois, de leurs particularités mentales. Les intéressants travaux qu'ont pour-
suivis de nos jours les charactérologistes ont mis objectivement en évi-
dence que les facteurs héréditaires jouaient, à coup sûr, un certain rôle
dans la formation des divers esprits humains. Ces savants n'avaient en
général en vue que l'hérédité familiale, mais l'hérédité mentale une fois
admise comme une réalité scientifique, il est légitime de l'étendre à des
collectivités plus nombreuses, au moins en ce qui concerne des traits*
qui, comme leur idiome, caractérisent ces collectivités dans leur entier.
Nous ne sommes donc pas portés à admettre que le rôle de l'hérédité
soit strictement nul en ce qui concerne la formation du parler de l'indi-
vidu. Pourtant, un enfant, séparé des siens dès le berceau et transplanté
en terre étrangère avant d'avoir pu recevoir aucune empreinte linguisti-
que, parlera la langue du pays où il sera élevé. Mais nous croyons qu'il
ne la parlera pas sans lui faire subir d'imperceptibles déformations cau-
sées par son hérédité allogène. Cet individu isolé ne pourra, certes,avoir
de parler que s'écartant très peu du type commun du pays, car il ne trou-
vera nulle part hors de lui-même d'appui à ses innovations.
Qu'au lieu d'un individu, ce soit une race entière qui adopte une lan-
gue forgée par une autre race, elle pourra, alors même qu'il n'y aura plus
chez elle aucun sujet gardant le souvenir conscient de la langue abandon-
née, déformer beaucoup plus la langue reçue que ne le pouvait l'individu
isolé, car il suffira qu'elle acquière quelque indépendance vis-à-vis des
peuples dont elle aura adopté la langue pour redevenir un milieu se suffi-
sant à lui-même et capable par conséquent d'innovations irrépressibles.
C'est à juste titre que M. Jullian dit (1) :
« Race et langue sont deux faits parfaitement séparables. Que d'hom-
«mes parlent l'arabe, qui n'ont pas dans les veines une goutte de sang
«sémitique 1 Les peuples de l'Antiquité étaient aussi capables de désap-
¡
«prendre leur langage que le sont ceux de maintenant. Peut-être même
«1étaient-il davantage : car la fidélité au parler maternel est soutenue
«aujourdhui par le sentiment du patriotisme et des traditions littéral.
« res. »
1
(1) Camille Jullian. Histoire de la Gaule. Tome 1. ». 180.
Mais si la race et la langue sont deux faits scientifiquement séparables,
il ne s'ensuit pas qu'ils soient sans rapport aucun l'un avec l'autre. Bien
au contraire, toute race qui adopte le parler d'une autre race le modifie
profondément dans sa phonétique et sa syntaxe, conformément à ses
organes et à son esprit propres. C'est pourquoi M. Jullian a raison d'écri-
re (2) que « le vocabulaire d'une langue révèle mal son caractère propre. »
Son système taxiématique le révèle autrement mieux.
En somme, contrairement aux idées des comparatistes de l'époque
héroïque, la correspondance phonétique de deux idiomes et leur possible
explication par un même parler antérieur n'implique pas du tout que
les peuples parlant ces deux idiomes soient de races apparentées. Mais le
fait qu'ils aient divergé à différents points de vue, et principalement au
point de vue taxiématique, prouve au contraire que les peuples les par-
lant avaient une hérédité mentale notablement différente.
D'autre part, des idiomes n'appartenant pas aux mêmes cases de la
classification linguistique matérielle pourront avoir dans leur système
taxiématique des ressemblances telles qu'elles dénonceront un apparen-
tement réel entre les peuples parlant ces idiomes.
11. — Le problème qu'il nous faut approfondir maintenant un peu
davantage, c'est celui du morcellement d'un parler originel en plusieurs
parlers dérivés.
« Ascoli (1) fut un des premiers qui eurent l'idée féconde que les diffé-
« rences phonétiques des langues de même souche étaient dûes soit au con-
« tact de langues d'autres familles, soit à l'habitude, bien des fois sécu-
« laire, d'une langue indigène chez les peuples qui adoptèrent une lan-
« gue importée. C'est ainsi qu'il mit en lumière, dans le sanscrit védique,
« Finfluence des langues dravidiennes de l'Inde, comme celle des langues
« celtiques dans certains parlers de l'Italie. »
En effet, serait-il possible à des peuples d'une même descendance, dit
M. de Michelis (2), de transformer la langue originairement commune en
autant de langues très différentes, d'engendrer de nouvelles langues ou
pour le moins des dialectes très nettement divisés ? Il ne le semble pas,
répond-il, à moins de supposer que c'est dans la langue-mère elle-même
et dans ses dérivés qu'existe une exceptionnelle virtualité de différencia-
tion. Les idiomes de la famille sémitique, qui étaient déjà séparés les uns.
des autres, alors que propablement l'unité indo-européenne durait encore,
sont encore actuellement si peu différents qu'on peut les regarder comme
de simples dialectes dans une période d'évolution avancée. Comment ne
pas voir un rapport étroit entre ce fait et celui du type quasi-homogène de
1" race sémitique? Comment ne pas appeler leur unité linguistique
comme
preuve accessoire de la preuve anthropologique de leur unité de sang
(2) Op. cit.. Tome II, p. 363.
(1) V. Salomon Reinach dans la Revue celtique. Tome XXVIII, 1907, p. 80.
(ii E. de Michelis. L'origine degli Indo-Europei, ch. IV, p. 144.
des langues polynésiennes, continue M. de Michelis, si ressemblan.,
Le cas
bien les peuples qui les parlent, localisés dans des îles, ne comillu.
tes que
niquent pas entre eux, est un cas non moins typique. De même pour le&
langues turco-tartares. D'autre part, les travaux sérieux de savants comme
Bleeck et Schweinfurth ont montré qu'il n'était pas exact de prétendre,
comme on l'a longtemps fait, que les langues des peuples illettrés varias-
sent de génération à génération et même des vieux aux jeunes. On peut
donc, ajoute M. de Michelis, affirmer avec Broca que l'altération sponta-
née des langues est relativement peu rapide et peu variée, que si un idio-
me continue à être parlé par les
descendants de ceux qui l'ont créé, les
différences ne deviennent jamais très profondes.
Ceci nous amène à distinguer deux ordres de différences entre les par-
lers dérivés d'un même idiome.
Appelons cet idiome l'idiome originel. Aux parlers qui en sontdérivés,
l,

nous donnons le nom de dialectes.


I
Parmi ces dialectes, il en est qui ne présentent entre eux que ces diffé-
rences toujours peu profondes qui naissent dans un ensemble humain d6
race homogène usant du même parler. L'idiome originel, dans cette partie
du domaine sur lequel il régnait, se trouvait parlé par des hommes étroi.
tement apparentés. Entre eux, pourtant, il ne pouvait pas ne pas y avoir
ces différences de sang qui existent dans une même race d'individu à
individu. De canton à canton, ces différences se trouvaient accentuées le
jour où le relâchement des liens politiques venant à raréfier les commu-
nications, des liens consanguins particuliers se créaient dans un canton
donné en même temps que s'y constituaient des habitudes linguistiques
locales.
Les différences de ce premier ordre ne restent jamais que fort petites
à.l'intérieur du groupe, les différents dialectes ont en général même
;
syntaxe, mêmes cadres grammaticaux et grandes ressemblances phonéti-
ques. Un tel groupe de dialectes s'appelle une lingualité et les différences
de la même lingualité s'appellent couramment différences dialectales.
L'unité de la lingualité résulte en somme de l'identité de réaction du
peuple à la langue héritée ou acceptée par lui.
Entre deux dialectes pris dans deux lingualités différentes, se voient les
différences du second ordre, celles qui procèdent de l'origine ethnique
différente des peuples ayant parlé l'idiome originel (cf. supra, § 10). Nous
leur donnons le nom de divergences idiomatiques.
« On peut », dit M. de Michelis (3), « établir en général le principe
« suivant. Quand une langue passe d'un peuple à un ou plusieurs peuples
« étrangers, elle se modifie plus ou moins profondément, soit selon leurb
« capacité phonétique, en grande partie dépendante de la
race, soit selayj -r
« la nature de leurs idiomes' traditionnels, dépendants., aussi.
eux
| « partie des attitudes naturelles originelles,
partie des habitudes acqui-
« ses, se renouvelant de génération en génération.»•
(3) Michelis. Loe. cit.,
p. 148.
C'est aux différentes couches ethniques qui ont constitué le peuple
anglais que la lingualité britannique doit ses divergences idiomatiques
avec la lingualité basse-allemande à laquelle elle se rattachait dans le
principe: plus oumoins combinés avec
« Comme les Anglo-Saxons (4) se sont
«les populations celtiques originelles de cette contrée, ils ont naturelle-
«ment adopté un certain nombre de racines celtiques dans leur langue.
«Elles ont été tellement assimilées pour leur forme et leur prononciation
«avec les racines anglo-saxonnes, qu'il est difficile de les reconnaître
« comme venant d'une source étrangère. »
Quant à la part du danois et à celle encore plus grande du français,
elles sont bien connues.
12. — A mesure qu'un nouvel ordre historique se dégage de la désa-
grégation qui avait entraîné la dislocation du domaine de l'idiome origi-
nel, un regroupement linguistique s'effectue. Tel dialecte prend le pas
sur tous ceux de sa. lingualité. Tous les individus du pays de cette lingua-
lité parlent alors ce dialecte dès qu'il s'agit de rapports sociaux présentant
quelque importance ou quelque solennité, et tous le parlent depuis l'en-
fance, sans aucune peine ; c'est pour eux un parler maternel ;
leur dia-
lecte propre ne réapparaît qu'en dehors de ces circonstances. Encore ceci

;
n'est-il vrai que dans les campagnes. Dans les villes, le dialecte domina-
teur règne en maitre le dialecte propre est ignoré. Dans ces conditions
le dialecte dominateur sera la langue dont les autres dialectes seront les
patois.Par exemple, dans la lingualité britannique, l'anglais (originelle-
ment le mercien des environs d'Oxford) (1) est devenu la langue le nor-
thumbrien, l'écossais des Lowlands, l'eastern et le western Midland, etc.,
;
ne sont plus que les patois.
Dans d'autres lingualités, la dispersion, le morcellement historique
persistant, seuls les littérateurs et les savants ont conscience de l'unité de

;
la lingualité ; ils créent alors artificiellement, en empruntant à chaque
dialecte, un parler commun c'est cette xowY¡ que nous appellerons un
eoenédialecte; mais les dialectes peuvent alors persister dans toute leur
force. Par exemple, dans la lingualité haute-allemande, l'allemand clas-
sique est le cœnédialecte, mais le souabe, le bavarois, le françonien, le
saxon, le suisse alémanique, l'autrichien, etc., restent des dialectes de
plein exercice (2).
Cette différence entre les pays à patois et les pays à dialectes avait été
nettement vue dès le XVIIIe siècle par les Encyclopédistes.
« Si une langue », disaient-ils (3), « est parlée par une nation
composée

,
(4) Morell. Gramrmr o/ the English Lanquaae. P. 51.
(1) Cf. Victor Henry. Précis de grammairecomparée de l'anglais et de l'allemand, § 4,
(2) L'un de nous a rencontré en 1913 à Heidelberg un jeune Viennois de 18 ans,
M. BX, qui,ayant terminé ses études secondaiies, venait étudier la philosophie à Hei-
delberg. Ce jeune homrne ne savait, en dehors des morceaux appris par cœur, parler
.que l'autrichien. Il Inonnait en allemand classique et ne comprenait pas couramment
.ce parler.
s.
(3)Encyclopédie, v.Langue,
égaux et indépendants les uns des autres, tels
de plusieurs peuples et
«
qu'étaient anciennement les Grecs tels que sont aujourd'hui les Ita-
liens et les Allemands, avec l'usage général des mêmes mots et de la
«
«
«
«
ternes également légitimes, constituent
:
même syntaxe, chaque peuple peut avoir des usages propres sur la pro-
nonciation ou sur la terminaison des mêmes mots ces usages subal-
les dialectes de la langue natio-
«
nale. Si, comme les Romains autrefois, et comme les François aujour-
«
«
«
;
d'hui, la nation est une par rapport au gouvernement, il ne peut
avoir dans sa manière de parler qu'un usage légitime tout autre qui
s'en écarte dans la prononciation, dans les terminaisons, dans la syn-
y
«
«
«
«
;
taxe, ou en quelque façon que ce puisse être, ne fait ni une langue à
part, ni un dialecte de la langue nationale c'est un patois abandonné
à la populace des provinces, et chaque province a le sien. »
D'ailleurs, les conquêtes d'une langue peuvent ne pas s'arrêter aux
limites de sa lingualité. Elle peut, au cours de l'évolution historique, en-
vahir les lingualités voisines, et réduire à l'état de patois les dialectes de
ces lingualités. Par exemple, l'anglais a envahi et subjugué entièrement
le domaine de la lingualité brittonique en Grande-Bretagne. Le comique
est mort à l'heure actuelle, et le gallois ne vit plus qu'à l'état de patois (4).
Pour être complets, il faut noter qu'un cœnédialecte peut aussi étendre
son influence sur une lingualitédinerente de la sienne, mais il ne peut,

allemande..
bien entendu, conquérir de positions qu'analogues à celles qu'il a dans
sa propre lingualité, et moins solides encore, par exemple l'allemand clas-
sique (qui est formés d'éléments haut-allemands) dans la lingualité basse-

-
13. Dans les §§ précédents, on voit que, jusqu'ici, nous avons classé
les parlers d'après l'origine en quelque sorte matérielle de leur vocabu-

;
laire et de leurs flexions grammaticales. Ces considérations sont à la base

etc.
de la notion de lingualité telle que nous l'avons définie c'est en effet le
point de vue,le plus commode pour classer les langues de l'Europe il y
;
a des langues romanes, qui viennent du latin des langues germaniques,
qui procèdent d'un prégermanique hypothétique,
Mais il est loin d'être prouvé que la comparaison des systèmes sémanti-
quesdes différents idiomes, lorsque l'étude particulière de ces systèmes-
1aura rendue possible, mène aux mêmes cadres de classification que la
:
comparaison formelle dont nous sommes tenus jusqu'ici d'user exclusi-
vement.
Dans le corps du présent ouvrage, l'on
aura parfois l'occasion,de mon-
trer des cas particuliers dans lesquels on peut déjà saisir desanalogies
à
de distribution sémantique entre idiomes appartenant desfamilles lin-

(4) S
guistiques différentes, mais pourtant voisins et pouvant être
les exemples que, pour le développement de ce § général,
gènes.Nousavonsenà des domaines étrangers, sont sujets à être amendés
obligésd'emprunter
comme tels
notts avons été
les indi-
particulier évité de préciser, à propos de l'anglais, par
actuelsavec l'irlandais, faute d'une documentation suffisante. ses cappart»-
hantés par un esprit commun, soit dû à quelque idiome disparu, soit dû
à une parentéde racedéfiant par son ancienneté l'analyse historique, soit
tnême dû simplement à des rapports de voisinage.
14. — Si la ressemblance formelle entre idiomes n'a pas autant de
valeur qu'on le pensait autrefois, l'identité delangue a par contre une
valeur psychologique et sociale sans pareille. En effet, si l'on adopte les
vues que nous avons émises dans les §§ précédents, on devra penser que

;
les hommes parlant la même langue (au sens que nous accordons à ce
mot) sont sensiblement de même race ils ont les mêmes traditions, les
mêmes conceptions sémantiques, la même littérature, la même science.
C'est ce groupe, et ce groupe seul, qui mérite, par conséquent, le nom
de nation et la nation ainsi définie représente bien l'unité d'où doit par-
tir la classification la moins arbitraire du genre humain (1). L'importance
extrêmede la nationalité ainsi comprise, importance qui repose sur une
foule de faits non point imaginaires et muables, mais réels et constants,
en fait, dans les grands pays de l'Europe occidentale, le principal support
de l'idée de patrie dans ce qu'elle peut avoir de plus noble et de plus
solide (2).
15. — A l'intérieur d'une lingualité, nous avons posé les patois comme
provenant chacun indépendamment de l'idiome originel. Mais on aurait
tort de croire que chacun d'eux ait pu avoir, même en tant que simple
patois, une évolution absolument isolée. Bien au contraire, tous les lin-
guistes modernes, et les romanistes en particulier, nous ont montré qu'au
cours de l'histoire les patois voisins réagissaient sans cesse les uns sur
les autres, et qu'il était souvent difficile de débrouiller quel était, au point
de vue historique, le comportement originel propre d'un patois donné.
16. — Si les patois influent déjà les uns sur les autres, quelle ne sera
pas l'influence de la langue sur les patois qu'elle a domestiqués ?
« Outre qu'elle est presque toujours, de par ses origines premières, plus
« proche que toute autre des patois en question, elle exerce sur le dévelop-
« pement de tous les parlers auxquels elle se superpose une action per-
« manente, d'autant plus efficace que ces parlers sont plus semblables
cc à elle-même (1).»

(1) Cf. « Mais, me dira-t-on, la frontière dont vous parlez n'est qu'une frontière lin-
<guistique, et c'est peu. — Je pense, au contraire, que c'est énorme. La langue est
<le signe le plus manifeste, le plus évident, sinon d'une race, tout au moins d'un*
«mentalité, dune sensibilité, d'une façon spéciale de comprendre et de sentir la vie.
«La langue est la preuve même de l'originalité du groupe humain qui la parle et.
«cette originalité est à la fois la condition et la justification d'une existence indépen-
*dnnte. »
(Jules Destrée. Wallons et Flamands, l, pp. 14-15).
(2) Il n'y a à tirer de cette théorie aucune conclusion politique. En effet, la notion
d'Etat
à leurs ressortissants une police destinée à permettre le maximum de bien-être et ;
est indépendante de celle de nationalité. Il y a des Etats qui se bornent à offrir
ceux-mêmes qui sont le serviteur et le défenseur d'une nationalité donnée peuvent être.
dans l'intérêt de celle-ci, amenés à prendre des sûretés territoriales dans les limites où
les tendances envahissantes et oppressives des voisins le rendent nécessaire.
(1) G. Millardet. Linguistique et dialectologie romanes. Problèmes et Méthodes, I, 6,
p.100.
Les premiers linguistes n'ont, bien entendu, porte leur attention que
les langues et les cœnédialectes, qui se présentaient les premiers 1
sur
leurs investigations, et dont il fallait au moins ébaucher la classification
et l'étude pour défricher le champ de la linguistique.
Réagissant contre
tendances, M. Gilliéron et ses élèves portent surtout leur attention sur
ces
les dialectes et les patois, et traitent les langues de « langues stagnantes»,
entendez parlers stagnants.
Rien ne nous paraît plus inexact que l'épithète de stagnante que M. Gil.
liéron (2) donne aux langues. La langue est, dans le domaine sur lequel
elle règne, l'outil de pensée de tous les hommes n'appartenant pas au
bas peuple et d'une bonne partie de celui-ci. C'est en elle, comme nous
;
serons appelés à le constater maintes fois, que se reflètent les nuances les
plus fines de la pensée des élites elle arrive ainsi à acquérir, dans son
système taxiématique, une richesse intellectuelle et affective incompara-
blement plus grande que celle des patois. Elle est un document d'une
inappréciable valeur pour pénétrer dans le système de pensée d'un peu-
ple jouant un rôle dans l'humanité, alors que les patois « ne peuvent
« servir qu'à la communication des rudiments de pensées entre de minus-
« cules groupes sociaux d'un intellect le plus souvent borné (3). »
A notre point de vue, l'étude d'une languie est donc d'un intérêt infini-
ment supérieur à l'étude des patois, et nous n'envisagerons le recours aux
patois qu'en tant qu'ils sont susceptibles d'éclairer notre religion sur im
aspect obscur de la langue.
17. — D'ailleurs, M. Gilliéron lui-même reconnaît l'influence que les
langues sont capables d'exercer sur leurs patois. C'est lui qui qualifie le
français de « tuteur des patois de la Gaule romane (1). » Cette influence
constante de la langue sur ses patois, nous ne saurions mieux la dépein-
dre que M. Millardet, qui écrit :
« C'est la langue officielle qui comble les vides des vocabulaires beso-
« gneux, qui répare les systèmes morphologique détraqués, prête la forte
« armature de sa syntaxe à la phrase souvent inconsistante et floue du
« patois, etc.
« Sans l'intervention de cette gendarmerie centrale — protectrice dan-
« gerereuse pour la libre vie individuelle de chacun, mais protectrice tout
« de même — l'anarchie minerait irréparablement la racaille turbulente
« et aveugle des patois. Imprévoyante, toujours à court d'avances, cette
« tourbe miséreuse se dispute sans vergogne les allocations de toute natu-
« re que déversent les guichets officiels : terminologie savante ou prétèn-
« due telle, suffixes, bouts de phrases, prononciations même soi-disant

k
« distinguées, tout lui est bon dans sa course vers une vie plus relui-
« sante (2). »

(2) Gilliéron. fîAnÂnlnni**Vk/%#6


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(1) Gilliéron. La- ---
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(3) G. Millardet. Linolliflfinnl!
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Linguistique et dialectologie romanes, I, 5.
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Les patois ne vivent donc auprès des langues que dans un véritable état
de servitude, et le terme naturel de cette évolution, c'est leur mort. En
effet, outre l'influence qu'elle exerce sur les patois, outre l'emprise abso-
lue qu'elle prend sur ia penséedes élites dans les pays à patois, la langue

unique :
arrive à étendre de plus en plus le domaine dans lequel elle est le parler
très reculée par exemple est l'époque où' le castillan a envahi
toutes les provinces centrales de l'Espagne en en faisant disparaître les
anciens parlers locaux.
18. - « Des populations primitives et si mal connues de la France, aux
« temps paléolithiques et néolithiques, provient probablement la plus
« grande partie du sang qui, aujourd'hui, coule dans les veines des Fran-
«çais. — En France, les conquérants indo-européens, c'est-à-dire,
«d'abord les Ligures, après eux les Celtes du groupe gaulois, puis les
«Romains, enfin les Francs, ont été des guerriers vraisemblablement peu
« nombreux (1). »
Cette phrase concise d'Arbois de Jubainville indique avec justesse la
constitution de la race française. Le début des temps historiques n'est pas
chez nous de beaucoup antérieur à la conquête romaine. Nous ne pou-
vons pas entrer ici dans les discussions que les celticistes de profession
ont eues au sujetdu rôle des Celtes en Gaule. Pour nous, nous nous con-
tenterons, comme point de départ, de l'état où se trouvait la Gaule à la
veille de la conquête de la Province. Nous appelons Gaulois tout ce qui
remonte à cette époque, sans distinguer dans ce fonds prélatin ce qui a
pu appartenir à des races différentes. En fixant ainsi le sens du mot Gau-
lois, on peut dire que les Français actuels sont, au point de vue race,
essentiellement gaulois.
M. Camille Jullian s'est attaché à montrer que les Gaulois avaient une

;
unité religieuse, morale, linguistique même (2). Quoiqu'appuyée sur de
bons arguments, cette conclusion est encore sujette à discussion mais
ce qui est certain, c'est que les Romains sont arrivés dans un pays de civi-
lisation au moins égale à la leur. Nombreux sont les domaines dans les-
quels les Gaulois excellaient. Pour l'étamage, l'argenture, l'émaillerie, la
construction des machines aratoires, la corroierie, le charronnage, la
tonnellerie, la matelasserie, la brosserie, le costume même, ils ont donné
des leçons aux Romains. Ce développement industriel est déjà la marque

;
d'une activité mentale évidente. Certes, le bagage littéraire laissé par les.
Gaulois est nul mais on peut peut-être penser que les Druides, conserva-
teurs des connaissances intellectuelles de l'élite gauloise, tenaient à ce
que ce savoir en quelque sorte ésotérique ne se transmit qu'oralement.
Il est d'ailleurs indiscutable que les Anciens ont appréciél'originalité de
l'esprit gaulois, ses aptitudes à l'éloquence et à l'ironie (3). « Sauf, bien
« entendu, les Hellènes, aucune population méditerranéenne n'eut autant

(1) H. d'Arbois de Jubainville. Les Celtes, préface, p. IX.


(2) C. Jullian. Histoire de la Gaule, Tome II, pp. 336 et 368.
(3) C. Jullian. Loc. cit. Tome III, pp. 359 et 360.
qu'elle [la Gaule] le goût de grouper des idées et de jouer des mots (4). »
«
Nereconnaît-on pas là la nation française ? M. Jullian (5) conclut que ce
qu'il d'origillal dans le Gaulois, ce qui les distingue des autres peuples ,
de l'Antiquité,
y a
c'est son tempérament intellectuel qui le rapproche étran-
l'Hellène, dont il apparaît comme le successeur nécessaire ;
ï.et
gement de
de fait laFrance a succédé à la Grèce comme conductrice de
la civi*
isation humains.
La conquête romaine ne semble pas avoir été importante au point de
numérique. H. d'Arbois de Jubainville évalue à 35.000 le nombre des
vue
soldats de César, et ils sont loin de s'être tous établis en Gaule. L'infiltra-

gngue latine envahi les classes


;
ion romaine en Gaule s'est bornée à quelques fonctionnaires, quelques
;
oldats, presque pas de marchands bref, elle a été minime (6). Mais la
a dirigeantes de la Gaule les basses clas-
es ont conservé beaucoup plus longtemps le gaulois, au moins comme
atois. Victor Henry (7) écrivait :
la France du Nord, du moins dans les campagnes reculées, le
« Dans
« gaulois
paraît s'être maintenu jusqu'au VIe siècle et même pardelà. »
Si l'on a peine à croire à une survie aussi longue des dialectes gaulois,
au moins faut-il admettre avec MM. Jullian (8) et Nyrop (9) qu'ils ont
vécu jusqu'au IVe siècle, et le lecteur nous concèdera bien dès maintenant
qu'il est invraisemblable que des parlers qui, pendant trois siècles, ont
existé dans notre pays concurremment avec la langue des conquérants
romains, n'aient exercé sur le latin parlé en Gaule aucune influence.
D'ailleurs les fraulois, à peine entrés dans l'Empire, y jouent un rôle pré-
pondérant, donnant à la basse latinité ses meilleurs poètes, ses meilleurs
orateurs, ses professeurs les plus renommés, et même maints hommes
d'Etats et plusieurs empereurs.
Sur ce, arrive l'invasion germanique, représentée principalement par
les Francs, issus de ces peuples bas-allemands dont les Néerlandais sont
les représentants actuels. Il importe d'insister sur le « faible contingent
« des peuples germains dans la masse de la population française (10). »
M. d'Auriac estime les Francs à une population totale de 15.000 âmes
au plus (11). L'appoint franc ne peut donc avoir modifié que d'une manière
infime le sang des habitants de la Gaule. Cette influence des Francs en
matière de race a dû être d'autant plus minime qu'à partir du moment

(4)Ibid.,TomeII.p.380.
(5)Ibid.,Torne.11,P.433.
11
:
(6) Les travaur anthropologiques les plus récents mènent aux mêmes conclusions.
Témoin M. Pittard, qui écrit
« Ensuite viendra la conquête romaine. Quelle a été son
action ethnogénique p Je la crois,
Pittard. Les races et l'Histoire, 2cpour ma part, quasiment nulle. »
partie, ch. III, p. 157.
(7) V Henry. Dictionnaire étymologique des termes les plus usuels du breton
n.
derne.Introduction, XX. mo-
1
Jullian. Histoire de la Gaule. Tome II, p. 370, note 1.
(8) C.

1 (10) Jules d'Auriac, La nationalité


(11) et française. I.
2. n.18.
(9) Ch. Nyrop. Grammaire historiaue de la lanaue française. Tome I.
n.
.LesWisigolhs les Burgondes paraissent avoir eu une importance démo-
graphique
5. 8 3.
.,.. -, u -.

moindre encore, cf. ibid., pp.24-25.


où leur suprématie politique a été un fait incontestable, ils se sont consi-
dérés comme constituant une noblesse, et ont évité jusqu'à un certain
point les mésalliances (12).
Il serait faux de vouloir rapporter à une origine germaine tous ceux

:
qui portent ces noms francs rendus si français que leur lointaine naissance
germanique étonne Louis, Charles, Thierry, Jou.ffroy, Gautier, Girault,
Béranger, Renaud, Roland, etc. Il est simplement advenu que des paysans

;
gaulois ont, par politique, donné à leurs enfants des noms francs qui
les plaçaient sous le parrainage de leurs suzerains et qu'ultérieurement,
ces prénoms, passés dans l'usage, ont continué à être donnés à une épo-
que où leur origine était oubliée, et sont souvent ensuite devenus des
noms de famille.
Même en admettant qu'avant la conquête franque, il y ait déjà eu en
Wallonie et en Picardie une infiltration qui augmente un peu le contin-
gent germanique dans ces provinces, on ne peut accorder grande impor-
tance à ce contingent au point de vue race. Les envahisseurs germains
étaient des barbares qui subjuguèrent un peuple civilisé. Leurs aventures
sanguinaires accaparèrent la scène historique. Les traditions intellectuelles
eurent peine à se perpétuer. Et, quand cette malheureuse époque se ter-
mina, les Francs n'avaient en somme rien laissé à la France que leur nom.
Mais en bouleversant les institutions et les mœurs romaines, ils avaient
libéré l'esprit gaulois du joug romain, préparant ainsi la naissance de la
nation française.
Quelle qu'ait été la nature de son action, l'invasion franque est un
moment capital de notre histoire, « car c'est de cette heureque date la
composition de notre nation, et elle ne s'est plus modifiée ethnologique-
ment depuis ce temps (13). »
Dès lors, a-t-on le droit d'affirmer, comme on l'entend communément
faire, qu'il n'y ait pas de race française ? Outre que sa mentalité hérédi-
taire, notoire dans le monde entier, la caractérise et l'individualise déjà,
les arguments matériels même en doivent faire admettre l'existence. Pla-
çons-nous au moment où la dynastie carolingienne vient de renouer la
tradition de la culture latine, et où la langue française se manifeste pour
la première fois par les Serments de Strasbourg, véritable acte de nais-
sance de notre nation. Chacun de nous, en comptant en moyenne 3 géné-
:
rations par siècle, a dû avoir à, cette époque environ quatre milliards
d'aïeux on juge aisément, par l'extrême grandeur de ce nombre, combien
de personnes doivent être nos ancêtres par plusieurs lignes différentes, ce
qui implique pour nous un nombre considérable de cousins au degré
carolingien. Or, dans quelles conditions les alliances ont-elles dû avoir
lieu depuis cette époque ? Chez les petites gens, il semble qu'on doive
surtout envisager les mélanges de proche en proche. On se mariait dans
son village A ou dans un village voisin B, mais l'homme issu en B d'un

(12)Julesd'Auriac.Loc.cit.,III,13,p.129.
(13) J. d'Auriac. La Nationalité française, I, 2, p 23.
indigène d'A pouvait se marier en C, situé de l'autre côté de B, et
ainsi
proche proche. Le brassage pouvait ainsi s'étendre fort loin si aucun
de en
accident ne l'arrêtait. Mais la frontière linguistique a dû être un gros
obstacle car, indépendamment des légitimes motifs patriotiques qu'il ne
faut probablement pas- faire entrer en ligne de compte pour les époques
inue nous envisageons, l'extrême incommodité de la vie conjugale entre
ersonnes parlant des idiomes différents a dû, dans une très forte mesure,
fompêcher les alliances avec les étrangers. D'autre part, dans les hautes
idasses, qui ont dû avoir plus de relations de province à province comme
cela a encore lieu aujourd'hui, le brassage d'un bout à l'autre de la France

t
; la
a dû être plus actif mais, dans majorité des cas, des raisons politiques
sociales ont dû intervenir puissamment pour contenir ce brassage dans *

es limites du domaine national.


Le nécessaire cousinage que nous indiquons tout à l'heure relie donc
e plus fréquemment des Français à des Français, et il semble bien qu'on
puisse en conclure légitimement à l'existence d'une race française au
moins pour autant que la notion de race est liée à celle de parenté.
19. — Les travaux des grammairiens et des lexicographes, au cours
du XIXo siècle et dans le commencement du XXo, ont eu pour résultat
;
d'établir d'une manière solide l'hypothèse que presque tout le matériel
de la langue française était latin cette hypothèse a été établie sur une
abondance de preuves concordantes telle qu'elle est aujourd'hui inatta-
quable, et il y a longtemps que personne n'a cherché à l'attaquer sérieu-
sement.
Mais, dit M. de Michelis (1), « si le latin a pu, en peu de siècles, engen-
«drer quatre langues aussi différentes que l'italien, l'espagnol, le fran-
«çais et le roumain, avec tous les dialectes qui s'y rattachent, cela dé-
«pend, du commun consentement des linguistes, des réactions modifica-
«trices variées qu'il a subies de la part des idiomes italiques, celtique,
« ligure, étrusque, ibère, antérieurement parlés en Italie, Espagne, Gau-
«le, Pannonie. »
Bien mortes, certes, sont les tentatives des celtomanes qui voulaient
substituer le celtique au latin dans le rôle de substratum matériel du
français. Nous ne prétendons en rien ressusciter des conceptions aussi
antiscientifiques. M. Brunot a reproché à juste, titre aux celtomanes (2)
;
d'avoir jeté le discrédit sur les études celtiques elles-mêmes on pourrait
aussi leur reprocher d'avoir, par la réaction légitime qu'ils ont provo-
quée, détourné les savants de porter leur attention sur les influences

:
prélatines dans le français. M. Nyrop (3), par exemple, se borne à citer

-- -
comme d'origine gauloise une trentaine de mots alouette, arpent, ba-
choue, bec, beurre, bétoine, bouleau, braie, brais, breuil, bruyère, bou-
gette, chemin, cervoise, claie, lieue, saie, vautre, vouge chêne, écoufle,
;
(1) E. de Michelis.
)
*
»3)
- ':l'
L'Origine deali
.:;...-1 ~, P..-.
lrido-Eurouei. IV. D. 145.
F. Brunot. Précis de grammaire historianc de la lanaue française. 8 3.
Ch. Nyrop. Grammaire historique de---la-.-- «,-,-,-"--,
-- -- h. 3.
1 -, V* -.
langue française. Tome I, § 4, p. 5.
grève, jarret, matras, quai, ruche, truand, vassal, vergne. Il faudrait
peut-être y joindre un certain nombre de vocables d'ordinaire rejetés de
la langue littéraire, mais qui s'emploient dans la conversation courante,
ou au moins dans le parler local de certains pays de France. M. Nyrop (4)
veut bien concéder en outre qu'il a pu y avoir contamination entre un
mot latin et un mot gaulois, par exemple pour orteil et pour craindre,
mais il pense que « hors du vocabulaire, il y a très peu de traces d'une
« influence celtique sur le français. » Sous la réserve,qu'au terme celti-
que, il faut substituer celui de gaulois avec le sens que nous avons défini
§ 18, nous pensons qu'il y a plus de vérité dans cette affirmation d'Henri
Hardy (5) : -
« Le celtique ne nous a pas laissé un grand nombre de mots ;
il a fait

:
« mieux, il nous a laissé sa prononciation, son esprit et son caractère. »
Avec lui (6), on peut dire « Langue romaine, bouche gauloise. »
Le latin auquel il faut remonter pour expliquer les langues romanes
n'est pas le latin classique : ;
« Des langues nouvelles (7) se dégagèrent du latin dégénéré au lieu
«d'aller vers la mort, il se retrouva transformé, rajeuni, capable d'une
«nouvelle et glorieuse vie, sous le nom nouveau de roman. Aussi bien le
«
«il
nom primitif ne lui convenait plus. Le vieux latin avait pu venir d'une
«contrée de l'Italie et fournir la matière sur quoi on avait travaillé, mais
avait été élaboré à nouveau par les peuples dont l'empire avait fai);
,
«des Romains, il était leur œuvre et portait leur caractère. »
M. Brunot n'accepte point l'opinion de Darmesteter (8), qui semble
admettre l'unicité du roman dans tout le domaine de l'Empire. Nier la
distinction des parlers provinciaux équivaudrait, comme le dit fort bien
M. Bonnet (9) à l'affirmation d'un miracle. Il est bien probable qu'il a
existé un gallo-romandont le système phonétique et le système taxiéma-
tique ont été grandement influencés soit directement par le gaulois coexis-
tant, soit même, après la mort du gaulois, par les habitudes héréditaires
des locuteurs de Gaule. D'ailleurs, comme le dit fort bien M. Jullian (10),
« ne reste-t-il pas la survivance la plus forte et la plus visible d'un latin
« gallo-romain, d'un latin propre aux seuls pays celtiques, ne reste-t-il
« pas la langue française elle-même P»
Nous aurons maintes fois l'occasion dans le cours de cet Essai d'attirer
l'attention du lecteur sur des faits dont la « constance » :
gauloise, pour
parler comme René Quinton, est l'explication la meilleure la chute des
voyelles atones, le traitement des consonnes médianes, celui de, [k t], lfe
passage de [m :] à [u], la constitution des voyelles nasales pures, la trans-

(4)Loc.cit.,§5,p.6.
(5) H. Ilarily. La langue nationale des Français, 1876, pp. 1 et 2.
(6) Loc. cit., p. 29.
(7) F. Brunot. Histoire de la langue française, dans l'Histoire de la Littérature fran-
çaise de Petit de Julleville, Tome 1, pp. LIV-LV.
(8) Darmesteter. Cours de grammaire historique, p. 7.
(9) Bonnet. Le latin de Grégoire de Tours, p. 41.
(10) C. Jullian. Histoire de la Gaule. Tome VI.Chap. II, 4, p. 121.
agement
des
ves »,
-

(
(
(
«
de
etc.
de

Comment
cette
tournures
les cadres
ne
,
formationde [w] initial germanique en [g], le système vicésimal, le dé-
la putation numérative, le tour c'est. que., la concordance
la négation double, la syntaxe des propositions relati-
actualités,

contrée n'ont jamais perdu les habitudes, les pratiques, les


du vieux langage gaulois, qu'elles se sont maintenues dans
verbaux et grammaticaux fournis par les Romains, et trans-
« mises ensuite au français né dans ces mêmes cadres, et qu'en définitive

« notre
« âme, aux
langue doit son
«

point supposer (11), devant de tels faits, que les hommes

originalité, et pour ainsi dire son esprit et son


influx gaulois descendus à travers les mots et les phrases jus-
« qu'à l'âge de maintenant ? »
L'influence des Gaulois sur la constitution du français, que nous fai-
saient prévoir toutes les notions générales que nous avons exposées au § 10,
est donc indéniable. Celle de l'élément germanique semble avoir été beau-

:
coup moindre. C'est aux Francs que l'on pourrait retourner ce que M.
Nyrop dit des Gaulois leur influence a été purement vocabulaire, nulle
part on ne peut relever d'influence nette du germanisme sur le système
taxiématique du français (12) ; la seule innovation phonétique que le ger-
manique ait apporté, le phonème [h], n'a eu qu'une vie éphémère. Quant

;
aux mots germaniques eux-mêmes, ils sont, dans notre vocabulaire,
introduits plus nombreux que les mots gaulois mais, à ce.qu'il nous
semble, le déchet au cours du temps a été plus grand sur la partie franci-
que du vocabulaire français que sur les autres constituants de ce vocabu-
laire, comme si les mots germaniques étaient frappés d'une particulière
caducité. :

20. — L'idiome originel que nous avons à considérer dans le problème


de la naissance des parlers de Gaule, c'est en somme le latin.
A l'heure actuelle, la limite occidentale des patois romans se présente
au départ de Gravelines comme une ligne formant l'axe de la Manche.
Elle laisse en pays français les îles de Sercq, d'Aurigny, de Guernesey et
de Jersey, bien que ces îles aient cessé d'être de mouvance française de-
puis 1204. 'Elle atteint la côte bretonne dans le département des Côtes-du-
Nord à l'Est de Plouha, traverse la Bretagne obliquement du Nord au Sud
et de l'Ouest à l'Est, et aboutit à l'Océan à l'Est du Morbihan, dans le
département auquel ce golfe a donné son nom, traverse ensuite la baie
de la Vilaine en une ligne virtuelle, reprend terre
au Croisic pour laisser
le bourg de Batz
en pays non roman, puis est représentée de nouveau par
une ligne virtuelle, qui laisse Noirmoutiers, Yeu, Ré et Oléron en pays
roman. Cette limite reprend terre à l'embouchure de l'Adour, laissant les

(11)Ibidem.
(12) Quand M, Nyrop vient nous dire (loc. cit., Tome I, § 7, p.9)
poséstelsàl'imitation
posants, quePiarreront ou Evêquemonl sont peut-être dûs, vu l'ordreque des noms com-
de leurs com-
de types germaniques tels
tionànous
ilne que Petersbrunnen, Bischoffsberg,
convainc pas, car il est bien plus simple de rapporter ce type de composi-
des syntagmes latins, tels que Petri font, Episcopi
morts.
pays de Labourd et de Soule en dehors du domaine roman, et atteint la
frontière espagnole, où elle cesse de nous intéresser.
La limite orientale des patois romans quitte la mer du Nord aux envi-
rons de Gravelines, se dirige vers le sud et très légèrement vers l'est jus.
qu'aux environs de Saint-Omer, qu'elle laisse en pays roman, puis elle
accomplit un long parcours sensiblement dirigé de l'ouest à l'est, pendant

;
lequel elle franchit la frontière politique entre la république française et
le royaume belge frôle la banlieue sud des villes de Courtrai, de Bruxel-
les et de Tirlemont, et aboutit à la frontière néerlandaise au nord de Visé.
Puis, faisant presque un angle droit, elle prend une direction nord-sud,
laisse Verviers et Malmédy en pays roman, pénètre dans le grand duché
de Luxembourg où elle passe à l'est de Clairvaux, puis, longeant sensible-
ment la frontière entre la Belgique et le Luxembourg, entre sur le terri-
toire français, donne au domaine la région de Metz et de Château-Salins,
ainsi que plusieurs vallées du versant oriental des Vosges, passe à distance
à peu près égale entre Belfort et Mulhouse, puis, pénétrant en Suisse,
englobe au domaine roman toute la partie nord du canton de Berne,
coupe le lac de Bienne, descend à travers le canton de Fribourg en lais-
sant cette ville au domaine germanique, donne au domaine roman tout
le canton de Vaud, coupe le Valais entre Sion et Louèche, et atteint la
frontière italienne, où elle cesse de nous intéresser.
Dans le domaine roman ainsi délimité, y a-t-il lieu de distinguer des
lingualités ? Nous pensons que oui.
Certainement le latin avait abouti dans chacun des points de la Gaule
.romaine à un dialecte spécial, et tous ces dialectes formèrent et forment
encore aujourd'hui, en tant que patois, un dégradé linguistique à peu
près continu, ou du moins dans lequel les limites des différents phéno-
mènes de détail ne se recouvrent pas :
« D'un bout à l'autre du sol national », dit Gaston Paris (1), « nos
« parlers populaires étendent une vaste tapisserie dont les couleurs variées
« se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées. »
Il semblerait donc que l'on ne dût admettre en France l'existence que
d'une seule lingualité : c'est la conclusion à laquelle Gaston Paris abou-
tissait (2).
« Ces mots» [langue d'oui et langue d'oc] « n'ont de sens qu'appli-
« qués à la production littéraire. — On le voit bien, si on essaye, comme
« l'ont fait il y a quelques années deux vaillants et consciencieux explora-
« teurs, de tracer
de l'Océan aux Alpes une ligne de démarcation entre
« les deux prétendues langues. Ils ont eu beau restreindre à un minimum
« les caractères critiques qu'ils assignaient à chacune d'elles, ils n'ont
« pu empêcher que tantôt l'un, tantôt l'autre des traits soi-disant pro-
« vençaux ne sautât par dessus la barrière qu'ils élevaient, et réciproque-
« ment. L'ancienne muraille imaginaire, la science, aujourd'hui mieux

(1) Gaston Paris. Parlers de France, p. 3.


(J)Ibid.
armée, la renverse, et nous apprend qu'il n'y a pas deux Frances,
(
qu'aucune limite réelle ne sépare les Français du Nord de ceux du
(
Midi. »
Quelle que soit l'autorité de ce grand linguiste, nous préféron<Pconser-
t {

:
K

la division du domaine gallo-roman en deux lingualités principales


ver francimande (3) et la lingualité d'oc
la lingualité d'oui ou lingualité
L, lingualité occitaine.
I Tout d'abord, ce beau dégradé que Gaston Paris voit dans les domaines
d'oc et d'oui, il serait facile de l'étendre aux lingualités voisines. Certains
auteurs rattachent le patois niçois au groupe provençal, d'autres au grou-
pe de la région côtière génoise. Le roussillonnais, qui est du catalan,
doit
avoir bien des points communs avec son voisin le bas-languedocien.
Quant à la frontière entre la lingualité catalane et l'aire aragonaise de la
lingualité espagnole, M. Griera (4) nous apprend qu'elle diffère, au moins
dans sa partie nord, où elle n'a pas été historiquement remaniée, selon
qu'on prend pour critère tel ou tel fait phonétique. Faut-il dire pour cela
?
qu'il n'y a pas de lingualité catalane Puis de proche en proche, que la
lingualité espagnole ne se distingue pas de l'occitaine, elle-même indis-
cernable de la francimande ? De telles conclusions seraient abusives. Il
est certain que, quand un idiome originel se répand sur une aire géogra-
phique, il y a, tant qu'il n'y a pas eu de remaniement historique d'origine
politique ou littéraire, voire à la fois politique et littéraire, un dégradé
continu de dialectes locaux et « comme une chaîne continue de rapports
« linguistiques spéciaux qui court, pour ainsi dire, parallèlement à celles
« de leurs positions géographiques (5). » Cette constatation mise en avant
par Schmidt sous le nom de Wellenstheorie (6), s'applique même à des
groupes aussi vastes que celui des langues indo-européennes. Mais elle no
nous paraît aucunement justifier l'abandon de la notion de lingualité. En
effet, toute notion scientifique est forcément schématique, puisqu'il n'y
a de science que du général, et qu'en matière de sciences expérimentales,
on ne peut ranger les faits dans des groupes généraux qu'à condition de
les rattacher à des types schématiques. De ce qu'il n'y a aucun symptôme
particulier qui soit commun à rigoureusement tous les cas de fièvre typhoï-
de, doit-on en conclure que la fièvre typhoïde n'est pas une entité clini-
?
que De ce que les biologistes ne se sont pas mis d'accord sur un carac-
tère diacritique permettant de classer à coup sûr un être intérieur dans
le règne animal ou dans le règne végétal, doit-on en conclure
que la
(3) La linguistique a besoin de trois termes différents pour désigner : 1° ce qui est
;
(propre
oui 30
: ; ;
au dialecte de l'Ile-de-France ; 20 ce qui est propre à l'ensemble des dialectes
ce qui concerne l'ensemble des parlers nationaux. Les trois termes que nous
avons choisi sont 1° francien 30 français. Le
actuellement admis par tous les linguistes dans cet emploi. Nousterme
20 francimand de francien est
do empruntons le terme
francimand au parler d'oc, ce qui est assez naturel, les Provençaux ayant précisé-
rnent
créé ce terme parce que mieux placés pour concevoir l'ensemble de la lingualité
ancimande que les indigènes du pays d'oui, qui sont plongés en elle.
(4) Griera. La frontera catalano-aragone$a. 1914.
(5) A. Nctet. Les origines indo-européennes. Livre 1. Chan. III.
8 56. Tome 1. n. 6Z.
(6) J, Schmidt. Die Verwandschaftsverhâlïnisse der indoger/anischen Sprachen, 1872,
Michelis,loe. cit.
notion même de règne biologique doive être abandonnée ? Evidemment
non.
Depuis le moyen âge, le pays d'Oc et le pays d'Oui ont eu conscience de
faire, jusqu'à un certain point, contraste l'un avec l'autre. Ils ont eu long-
temps des institutions assez différentes, et le pays d'Oc semble même avoir
possédé, dans le vieil occitain littéraire, un cœnédialecte à lui.
D'ailleurs, il semble légitime de ne pas considérer comme de même lin-
gualité des parlers tels que ceux qui s'en servent ne se comprennent
point les uns les autres. Conon de Béthune, qui était artésien et qui par-
lait le dialecte de son pays natal, pouvait dire :
« Encor ne soit ma parole françoise,
a Si la puet on bien entendre en françois (7). »

Mais il est probable qu'il n'eût pu se faire comprendre de personnes ne


connaissànt qu'un dialecte occitain. De même Mistral pouvait écrire :
« Et quand moi-même je courais les assemblées de félibres, mes dis-
« cours et mes chansons étaient aussi écoutés et aussi bien compris à
« Béziers, à Carcassonne, à Toulouse, à Pau, à Albi, etc., qu'à Montpel-
« lier, à Marseille, à Toulon, à Nice et àAix (8). »
Mais il n'aurait pu en dire autant de Paris, detroyes, de Liège,
d'Amiens, de Caen, de Rennes, de Poitiers, de Bourges, de Dijon ou de
Metz.
Nous dinstinguons donc
1° Une lingualité francimande, comprenant les patois franciens, cham-
penois, wallons, picards, normands, haut-bretons, poitevins, berrichons,
bourguignons et lorrains. On peut y rattacher aussi le groupe formé par
les patois savoyards, dauphinois, et romands de Suisse dont Morf (9) a
voulu faire une lingualité spéciale dite franco-provençale. Partout ailleurs
qu'au sud, la lingualité francimande a pour limites celles mêmes du do-
maine roman. Au sud, elle est séparée de la lingualité occitaine (sous les
réserves indiquées plus haut) par une ligne qu'ont précisée il y a long-
temps déjà MM. Tourtoulou et Bringuier et qui, quittant la rive nord del
la Gironde en aval de Lussac, remonte vers le nord-ouest en laissant Limo-
ges en pays d'Oc, atteint les environs de Montluçon, puis redescend vers
le sud-est, traverse le Rhône au nord de Valence et suit en gros les limites
sud du département de l'Isère. Entre ce point des Alpes et le nord du
Valais, la lingualité d'oui se trouve donc en contact avec une lingualité
autre que la lingualité d'oc : la gallo-italienne. En effet, « l'Emilien, le
« Lombard avec Milan et Bergame comme centres », dit M. Meyer-Lüb-
ke (10), « le génois et le piémontais sont réunis sous le nom de gallo-ita.

(7) Quenes de Bethune. Chanson, III, w. 10-jLl, p. 74.


(8) F. Mistral. Oupinioun sus l'unificaciu de la Grafio occitano in la Cigalo lengadou-
cianodu21mai1913,p.2.
(9) H. Morf Mundartenjorschung und Gcschichte eu/ romanischen Gebtei, in
Bulletin de dialectologie romane. Tome 1. pp. 1 à 17.
(10) Me-yer-Lübke. Grammaire des langues romanes. Tome I, § 6, p. 13.
.
lien, attendu que leur système phonétique présente avec les patois fran-
« çais particulier ü de ù, et !
une série de concordances, en provenant
,,«
« les
voyelles nasales. »
2" La lingualité occitaine, comprenant les patois limousins, auvergnats,
guyennais, languedociens et provençaux. On y rattache aussi le groupe des

se trouve : la
patois gascons, à qui certains voudraient" donner l'autonomie. L'oceitain
ainsi toucher à quatre autres lingualités romanes la franciman-
de la gallo-italienne, avec le comté de Nice comme territoire contesté,
la

Houssillon..
l'espagnole, dont il est séparé en gros par ligne des Pyrénées.et catalane.
3° La lingualité catalane, qui, outre le domaine étendu qu'elle possède
dans le territoire du royaume d'Espagne, occupe en France la province
de
A nous qui distinguons la lingualité d'oui d'avec celle d'oc, est il permis
d'esquisser une explication de cette différenciation à l'intérieur de la France?
D'après ce que nous avons dit au § 18, la race des Français du sud diffè-
re bien peu de celle des Français du nord. Ce n'est donc pas dans un fac-
teur de race proprement dite qu'il faut chercher l'explication de la diffé-
rence si nette entre les parlers d'oc et ceux d'oui. C'est bien plutôt dans
des circonstances historiques. Dès l'époque ancienne, le royaume franc,
qui avait son assiette dans la partie nord de la Gaule, a pris une solidité
politique beaucoup plus grande que les autres et éphémères royaumes ger-
mains constitués en Gaule. Or, quand une race étrangère en petit nombre if"
se disperse en conquérante sur une grande surface, elle s'efforce de main-
tenir au moins sa cohésion morale, sans quoi l'hégémonie lui échappe-
;
rait aussi devient-elle un élément de centralisation politique, et, par
conséquent un agent de libération du pays par rapport aux anciennes
influences dominatrices. Les Francs ont eu sur le pays d'Oui une action

;
de présence, ils lui ont, jusqu'à un certain point, donné conscience de
lui-même et de son unité ainsi libérés du joug romain, il a pu s'évader
plus vite de la norme romaine, et c'est pourquoi les parlers d'oui ont pu
avoir à beaucoup de points de vue une évolution plus rapide, dont l'ac-
tuelle avance de la langue française sur les autres langues romanes, à
bien des égards comparables à notre français du XVo siècle, nous est le
témoin et le garant.
21. — La lingualité francimande doit être rangée dans ce que nous
avons nommé les pays à langue, car l'un des dialectes de cette lingualité
a pris la prédominance sur tous les autres et les a réduits au rang de
patois. La nation française s'étant historiquement constituée par extension
progressive du pouvoir d'une royauté énergique ayant son siège à Paris,
c'est le francien, c'est-à-dire le dialecte de Paris et des environs qui est

>
devenu la langue française. 4
La prédominance du francien sur les autres dialectes francimands est

gnage de Conon de Béthune(1), si souvent invoqué


(1)QuesncsdeBclhune.Chanson
:
sensible dès le XIIe siècle, comme le montre surabondamment le témoi-

III,v,14,p.75. v v

': ;.
- I
« Ne cil ne sont bien àpris ne cortois
« S'il m'ont repris, se j'ai dit mot d'Artois,
« Car je ne fui pas norris à Pontoise. »

et celui de Garnier de Pont-Sainte-Maxence (2) :

« Mis langages est buens, car en France fui nez. »

Au XIIIe siècle, la France est déjà la grande nation, et nous verrons-

Europe;
au chapitre III quelle extension le parler de la cour de France a déjà en
et comme ce parler est le francien, la prédominance du francien.
sur les autres dialectes francimands s'accuse, de ce fait, de plus en plus
'a l'intérieur du pays d'Oui.
MM. Nyrop et Brunot nous apportent le témoignage de Jean de Meung-
qui, n'étant pas de Paris, mais d'un point aussi rapproché que Meung-
sur-Loire, s'excuse pourtant, dans sa traduction de Boèce, de la rudesse et
de la sauvagerie de son parler :
CI Sim'escusedemon langage
v « Rude malostru et sauvage;
« Car nés suis pas de Paris. »

De même, quand Adenet le Roi veut dire que la reine Berthe parlait bielb
le français, il dit qu'on l'aurait crue née à Saint-Denis-en-France (3). Ber-
trand de Bar, écrivant vers 1215, n'emploie pas un dialecte champenois,
imis le francien (4). Dès le XIVe siècle, la langue française s'est substi-
tuée aux dialectes provinciaux pour les chartes et les contrats privés, et

lectale francimande a disparu :


]-OIl peut admettre en gros qu'à la fin du XIVe siècle, toute littérature dia-
le francien, devenu la langue française
règne comme telle, sans conteste, sur les autres dialectes francimandst-
devenus des patois.
Il existe même maintenant toute une zône extra-francienne de pays
d'Oui dans laquelle les parlers locaux ont complètement succombé. Cette
fcôue semble s'étendre au sud-ouest jusque vers Tours, ce qui donne quel-
quefois prétexte aux Tourangeaux, voire aux Angevins, pour prétendre
que le meilleur français se parle chez eux. Il ne se rencontre à vrai dire
aucun linguiste pour soutenir cette opinion, mais elle est tellement répan-
due en France même en dehors de la Touraine et de l'Anjou qu'il est
utile d'en signaler la flagrante inexactitude. M. Nyrop vient encore ici à
notre secours, en nous apportant l'autorité du premier Balzac, à qui peu
s'en faut que la Touraine, si proche dé Paris, n'en paraisse aussi éloignée
que le'Rouergue ; et celui de Mlle de Gournay, qui écrit :
« Le nœud de la question, en cela, pour des gens considérez, gît seule-

(2) Garnier de Pont-Sainte-Maxence Vie de saint Thomas Becket.V.Nyrop. Gram-


maire historique de la langue française, T. 1, § 16, et F. Brunot. Histoire de la langue,
Jrançaite, dans l'Histoire littéraire de Petit de Julleville. pp. 459 sqq.
(îJ) Adenés li Rois. Berte aus grans piés, 154.
(4) Chr. Nyrop.. Loc. cit. - - -
ment à sçavoir si ces dictions se prononcent uniformément, non pas en
«
«
«
«
la Cour, c'est-à-dire en France
estre le poëte
;
Picardie, en Vendosmois, en Auvergne, en Anjou, mais à Paris et à
pour ce que un escrivain ne doit pas
angevin, auvergnac, vendosmois ou picard, ouy bien le
«
poëte français (5). »
L'histoire de la langue et l'autorité des écrivains sont donc ici absolu-
ifinit d'accord pour indiquer Paris comme le conservatoire naturel de la
langue française. A vrai dire, comme nous le verrons au § 27, la langue
française, en devenant nationale, n'a pas pu ne pas être influencée par-
les parlers qu'elle subjuguait.

22. — Très anciennement déjà, la langue française étend ses conquêtes


hors de sa lingualité dans les régions soumisesau pouvoir de l'Etat fran-
çais. S'il faut en croire M. Giry (1), c'est dès le XIVe siècle,que le français-
se substitua dans les actes aux dialectes occitains. Depuis cette époque,
notre langue ne cesse de fortifier sa situation dans le Midi de la France,.
et à l'heure actuelle, elle y est presque aussi solidement implantée que
dans le domaine francimand. Nous verrons au § 28 combien artificiels
sont les efforts des résurrecteurs d'un cœnédialecte occitain. Le comté
de Nice qui, comme nous l'avons vu au § 20, est au point de vue patois-
territoire contesté entre l'occitain et le gallo-italien, était dominé jus-
qu'en 1860 par la langue italienne. Le niçois a gardé ses positions en
tant que patois, mais il n'a pas fallu cinquante ans au français pour évin-
cer complètement l'italien de ses positions de langue dominante.
De même, après l'annexion de la Corse à la France (1768), le français
est très rapidement devenu la langue dominante de cette île, le corse
étant réduit à l'état de patois. Il n'est d'ailleurs pas douteux que la cons-
cience qu'a prise la Corse d'avoir joué un rôle éminent dans l'histoire de
France en nous donnant Napoléon a grandement contribué à la rattacher
définitivement à notre patrie.
Le français est également la langue régnante dans le Val d'Aoste et les
vallées adjacentes, dites vallées. vaudoises, encore que ces vallées soient
situées sur le versant italien des Alpes.
Le parler, la race, les mœurs des indigènes du pays d'Oc et du Roussil-
lon étaient assez proches du parler, de la race et des mœurs des indigènes
du pays d'Oui pour que la conquête de ce terrain par le français ait été

;
relativement facile. Mais la langue française n'a pas arrêté là son expan-
sion elle est devenue la langue maternelle des bourgeoisies indigènes de-
la Bretagne, du pays basque français et de la Flandre.
23.— La lingualité francimande confine à l'ouest, sur une ligne que
nous avons précisée au § 20, à la lingualité basse-bretonne. Cette dernière-
est essentiellement constituée par les dialectes trécorois, léonard, cor-

Loc. cit., § 68, p. 90.


(5) Chr. Nyrop.
(1)Giry. Manuel de diplomatique, pp. 467 sqq., apud F. Brunot. Loc. cit., Tome 11,
et
p. 462 Nyrop.Loc. cit., §16.
nouaillais et vannetais, qui représentent plus d'un million de sujets |9
parlants. Elle appartient au groupe linguistique brittonique, qui est le,|1|
rameai^ méridional de la branche dite celtique de la famille indo-euro-jSI
péenne. On admet d'ordinaire que les parlers gaulois ont suivi en Breta- il
gne la même évolution que partout ailleurs, et que les parlers
brittoniques
y ont été secondairement introduitsvers les temps mérovingiens par des
11
Bretons venus de la Grande-Bretagne. Cette immigration n'est pas niable, J
mais M.Jullian (1) ne pense pas qu'on doive lui attribuer « tous les élé- 1
« ments celtiques de notre Bretagne », car la preuve- « n'est pas faite que
•I
« toute trace gauloise eût disparu du pays. » Il est donc très possible i.;-

d'admettre que l'apport des VIe et VIIe siècles, constitué d'ailleurs par des y
hommes de race peu différentede la race armoricaine originelle, n'ait pas
altéré entièrement le fond ethnique de la Basse-Bretagne, et que, par l';
conséquent, ce fond ethnique puisse être considéré comme aussi peu £
aberrant de la race française que celui des autres provinces de notre pays. 1
Voilà qui aura facilité l'intronisation de la langue française en Basse- if
Bretagne. 1
1
En Bretagne bretonnante, la bourgeoisie des villes a pour parler usuel
le français, et nous connaissons bien des personnes qui, élevées dans des 1
villes de cette région, ignorent absolument le patois bas-breton qui se
parle dans la banlieue même de ces villes. Chez les paysans mêmes, la
connaissance du français se répand de plus en plus, grâce à l'influence,
sur ce point bienfaisante, de l'école primaire. Et même, il y a [ilus : pen-
dant le déroulement de l'Histoire de France, la limite même entre les
patois haut-bretons, qui sont fr&ncimands, et les patois bas-bretons, qui
sont brittoniqucs, a reculé au détriment de ceux-ci, et bien qu'un fait
de ce genre ne puisse se juger que sur d'assez longs laps de temps, il y
a tout lieu de croire qu'elle reculera encore.

24. - La lingualité euscarienne ou basque n'offrait pas une grande


résistance, car ne se rattachant à aucune autre lingualité, elle ne trouve
en dehors d'elle aucun point d'appui pour combattre la force conqué-
rante des parlers ayant acquis le rang de langues.
Aussi la
situation du français dans la partie du pays basque qui nous
est politiquement soumise est-elle sensiblement la même qu'en Basse-
Bretagne, mutatis mutandis, et en tenant compte de
ce que les Basques
sont moins de cent cinquante mille.
25. — Entre la région de Gravelines et celle de Visé, c'est à lalingua-
lité basse-allemande que la lingualité francimande confine au nord. Cette
lingualité appartient au rameau germaniquue occidental de la branche
germanique des langues indo-européennes. Pour se rendre compte des
facteurs qui ont pu favoriser l'influence du français sur la partie occiden-
tale de ce domaine, il convient de se souvenir de deux faits.

(1) C. Jullian. Histoire de la Gaule. Tome VI. Chap. II, § 3, p. 115, note 1.
D'abord, c'est d'un parler bas-allemand, et même probablement plus
spécialement apparenté aux parlers néerlandais, qu'usaient les Francs.
1
D'autre part, la Flandre, qui n'est que la moitié sud des Pays-Bas, sem-
blc conserver la trace du substrat gaulois qui lui est commun avec les
,
pays d'Oui et d'Oc. La prononciation
[u] de la lettre u est courante dans 1

1
ces régions.
La langue française occupe en fait de fortes positions d'une part dans
la Flandre française, d'autre part dans la Flandre belge. Mais ces posi-
tions sont différentes. En Flandre française, sensiblement même situation
qu'en Basse-Bretagne. Dans la Flandre belge, avant le mouvement politi-
que dit flamingant, la bourgeoisie avait résolument adopté comme langue -
de culture la langue française (1), langue officielle du royaume belge, et le -
lfamand ne fonctionnait guère à cette époque que comme un patois. Les
influences germaniques, malheureusement renforcées par l'occupation
allemande pendant la guerre de 1914-1918 et qui n'ont pas désarmé de-
puis la commune victoire de la France et de la Belgique, ont compromis
la suprématie de notre langue et rendu quelque vigueur aux parlers fla-
mands, qui trouvent d'ailleurs un appui dans la langue hollandaise à
laquelle ils sont presque identiques.
La réduction définitive des parlers flamands à l'état de patois du fran--
çais en est malheureusement retardée.*
26. — A l'Est, entre la région de Visé et le Valais, c'est à la lingua-
lité haute-allemande que confine la lingualité francimande. Dans le do-
maine de cette lingualité, deux régions sont soumises, très inégalement
d'ailleurs, à l'influence du français, la partie thiaîchante de l'Alsace et
la Suisse alémanique.
De positions analogues à celles qu'il a dans les pays laissés à l'Etat
allemand par le traité de Versailles, le cœnédialecte officiel de la Haute-
Allemagne n'a jamais pu en conquérir ni en Alsace, ni en Suisse. Dans
ces derniers pays, la plèbe ignore à peu près complètement le cœnédia-
lecte en question. La bourgeoisie, bien que connaissant suffisamment

:
l'allemand officiel pour participer à la culture littéraire et scientifique >
allemande, ne le possède pas comme un parler maternel cela lui est, il
est vrai, commun avec les milieux bourgeois de bien des provinces res-
tées politiquement allemandes. Mais tandis que, dans ces provinces, l'al-
lemand officiel a, jusqu'ici étendu progressivement ses positions et tendu

:
Alsace ;
à restreindre celles des dialectes, il n'en est ainsi ni en Suisse, ni en
en Suisse, il est stationnaire en Alsace, il recule.
L'habitude qu'ont les bourgeois de la Suisse alémanique et de par- la
»

tie thiaîchante de l'Alsace de se servir couramment d'un dialecte local.


influe sur le comportement du français dans ces régions.
En Suisse, les familles bourgeoises alémaniques, qui, appartenant a
(1) «Néanmoins, à côté de celle langue [lo flamand], tous ceux qui avaient en flan. --
dre culture supérieure ont toujours parlé le français. »
Cutes une
'<
Destrée. Wallons et Flamands, I, p. 21).
\,:
un Etat bilingue, jugent utile d'acquérir la culture française, l'acquiè-
rent sous la forme non pas d'un dialecte, mais de la langue française
-elle-même, parler, maternel et usuel des familles romandes. Desorte que
ces éléments démographiques devenus bilingues se trouvent en posses-
sion comme parlers oraux d'un dialecte haut-allemand et de la langue
française. Cette situation est bien propre à leur faire sentir l'état de gêne
où se trouve la population alémanique, forcée de recourir toujours, pour
les manifestations de sa culture intellectuelle, à des parlers acquis, tan-
dis que la population romande possède pour parler maternel une grande
langue de culture. Ce sentiment ne pourra que développer, sans qu'aucune
-
.pression extérieure intervienne, l'expansion du français en Suisse.
En Alsace, les positions du français, qui résultent de son expansion
progressive depuis 1648, sont évidemment plus fortes. Néanmoins, la
N force du parler local en tant que parler usuel de la bourgeoisie empêche
malheureusement celle-ci de rejeter dès maintenant ce patois par dessus
bord et d'adopter définitivement comme unique langue maternelle, la
langue française.
Il semble paradoxal que nous invoquions le même fait comme favori-
sant la diffusion du français en Suisse et comme l'entravant en Alsace
mais ce paradoxe apparent est dû à ce que la langue française cherche
;
activement et légitimement à acquérir dans l'Alsace, province de l'Etat
français, une situation infiniment plus forte que celle qu'elle est con-
tente de gagner passivement dans la Suisse alémanique.
Tout permet d'ailleurs d'espérer que les Alsaciens, étant donné- leur
Attachement non douteux à la patrie française, comprendront tous
l'énorme importance qu'il y a pour elle à voir sa langue régner en maî-
tresse sur tout le territoire, et s'efforceront de plus en plus activement
vdc réaliser cet idéal.

- 27. — Cette importance, nous l'avons expliquée au § 14. D'ailleurs


les Français peuvent se flatter que nulle autre langue nationale ne pos-
sède chez elle de plus fortes positions que celles du français en France. 1

;
La langue française, avons-nous déjà dit, c'est le dialecte francien pro-
tiïu au rang de langue mais cette langue, qui est l'unique but de notre
étude dans le présent ouvrage, n'a pas acquis le rang éminent qu'elle
-occupe dans la culture de l'humanité sans s'être complétée par des acqui-

;
sitions plus ou moins lointoinement étrangères. A vrai dire, elle n'a
jamais laissé altérer son génie propre elle reste francienne dans la géné-
ralité de son système taxiématique. Mais, à ce point de vue, elle est,
•comme la définition même des lingualités nous l'apprend, si voisine des

gnage d'un fait grammatical français :


autres parlers francimands qu'ils pourront toujours être appelés en témoi-
c'est pourquoi, nous ne nous
interdisons pas de recourir, au moins pour les périodes anciennes, dans
lesquelles existe une littérature dialectale, — périodes qu'au surplus nous
n'étudions qu'en tant qu'elles éclairent la langue de nos jours,
-exemples empruntés à des parlers francimands non franciens.
- à des
Au point de vue vocabulaire, la langue française, subconsciemment
n
soucieuse de conserver le plus d'unité possible, a fait des emprunts d'au-
tant moins nombreuxaux autres parlers qu'ils étaient plus éloignés d'elle. ;
Si doncnous classons les vocables français suivant les souches auxquelles i

ils appartiannent. nous devrons, à côté de la souche authentique, c'est-


à-dire1*ensemble des vocables venus directement au francien par la
voie pli»nétique, faire une placepluslarge aux souches dialectales, issues
des autresparlers francimands, aux souches alio romanes, issues des au-
tres lingiAlités romanes, et aux souches néo-latines, faites de vocables
1

tirés du latia, par influence plus ou moins savante, à des époques vam-
bles de notre histoire, qu'aux souches véritablementétrangères, telle
que l'anglaise, l'allemande, l'arabe ou autres.
La ractae francique et la racine gauloise occupent une place à part,
-car en vertu de ce qui a été dit aux §§ 10 et 19, elles doivent être placées
dans lecadre même du francien à côté de la raèine latine, dans la sou-
che authentique.
Quanti la souche hellénique, que la langue savante a beaucoup déve-
loppée à partir du grec classique, elle ne fournit malgré tout qu'un con-
tingent de mots incapables d'altérer le caractère du francien, et qui,
d'ailleurs, ont, la plupart du temps, une extension presque internationale.
La multiplicité des souches que nous venons d'énumérer ne doit pas
faire croire au lecteur étranger que le français soit une langue sans homo-
généité, car la prédominance de vocables de la souche authentique et de
la souche fiéo-latine est telle que le français ne peut pas être considéré
comme un langage à vocabulaire mixte du type de l'anglais.
28. — De plus en plus rares sont les personnes qui, en France, n'ont
pour langue maternelle que leur patois, et l'on peut prévoir le temps
très proche où tout paysan saura le français dès sa petite enfance. Il ne
faut pas être bien vieux pour avoir constaté par soi-même la rapidité de

:
la décroissance des patois. Cette décadence équivaut à un triomphe de la
notion (le patrie en ce qu'elle a de plus élevé elle cimente en effet de
façon définitive notre unité nationale sans pourtant toucher en rien aux
franchises intellectuelles des différents pays de France. Tout homme
ayant au cœur l'amour de cette superbe entité qu'est la France doit s'en
réjouir.
Certes, les patois sont à la fois de précieux témoins pour les linguistes
et de charmants symboles du parfum spécial du terroir pour ceux qui
aiment leur pays natal.
Qie l'on s'attache à les conserver, comme' des reliques un peu vieillot-
tes,da£)s des chansons ou dans des usages rustiques, cela Ë'st compréhen-
sible et parfois touchant. Mais le patois ne reste aimable
que s'il demeure
dans ~n humble condition. Il en est ainsi
par exemple de ces dialogues
dont nous parle M. Joseph de Pesquidoux (1), où les
anges parlent en
0)
du
Joseph de Pesquidoux. Noël en Armagnac noir, dans la Revue des Deux Mondes
16 décembre 1921, p. 908.
français à des pasteurs qui patoisent, de la même façon que, dans le
théâtre hindou, les hauts personnages s'expriment en sanscrit tandis que
les rôles moins nobles sont écrits en prâcrit.

aux parlers régionaux :


On peut certes aller plus ou moins loin dans l'intérêt que l'on porte
nous voyons, parmi les patriotes les plus éclai-
rés, d'excellents esprits, tels queM. Charles Maurras, qui s'attachent à.
maintenir, et à développer même, les positions des patois occitains. Soit.
Mais ce qu'il faut selon nous éviter à tout prix, c'est de s'exposer à voir
un jour se dresser en France une langue de haute culture en face de la
langue française. « Il n'y a pas de honte, pour un bon Provençal, à recori-
,
«naître que la noble langue d'oc, si riche qu'en soit le passé, si puissan-
« tes qu'en soient les possibilités poétiques ou musicales futures, n'est
«point l'égale du français d'oui (2). »
,
: Mistral dans la charmante fantaisie poétique intime qu'il a intitulée
a été l'initiateur involontaire de ce dangereux mouvement ;
-
Mireille,
mais on ne trouve pas sous sa plume d'expression ridicule comme celle
de M. Pèire Jèpo, qui parle du « triomphe du verbe d'oc sur son frère
« Caïn le francimand (3) », et il n'aurait certainement pas écrit que « les
« véritables félibres, patriotes avant tout, font passer avant toute autre,.
. « la politique occitaine (4) », phrase qui implique nettement que la pa-
trie du scripteur n'est pas la France, mais une problématique nationa-
lité d'Oc.
Problématique. En effet, les efforts de ces félibres-là restent vains. On
peut sourire du mal qu'ils se donnent pour essayer d'unifier la graphie
de patois phonétiquement distincts (5). Mistral (6) lui-même les détour-
nait d'une entreprise aussi vaine, quand il écrivait :
« L'unification absolue de notre graphie demanderait l'abolition des
«dialectes — et cette abolition ne pourrait se faire que par l'influence
«d'une capitale politique où régnerait notre langue. La force des
«choses empêchera toujours cela — et c'est perdre son temps que de*
-
«vouloir agir contre la nécessité. »
Combien plus absurde encore est l'idée émise par M.Jèpo (7) d'unifier-
la graphie des parlers occitains avec celle des parlers catalans, qui n'ap-
partiennent même pas à la même lingualité, et quise laisseraient à peu
près aussi difficilement ramener au type occitain que l'italien, le castil-
lan ou le français lui-même.
29. — Le français n'avait pas seulement à triompher des dialectes
concurrents, mais encore de son père même le latin, qui prétendait con-

(2) Ch. Maurras, Action française, 24 décembre 1922.


(3) Pèire-Jèpo. La Snnto Estello, in la Cigalo lengadonciano du 21 mai J913. p IL
(4) Id. La lengo d'oc e lous grands quoutidians, in ibid., février 1913, p.130.
(5) Id. L'unificaciu de la grafio en Catalounho, in ibid., mars 1915, pp. 147-148.
(6) Mistral Opinioun-,sus l'unificaciu de laGrafio occitana, in laCigalo lengadouciano
du 21 mai 1913, p. 22.
(7)Loc.cit.
server les fonctions de langue officielle longtemps après sa mort. Le fran-
çais s'est imposé peu à peu dans les actes privés et dans les chartes locales.
A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, à partir surtout du XIVe
siècle, l'administration royale s'en sert le plus ordinairement. Mais il
faut savoir grand gré aux efforts de ceux qui, tels que Geoffroy Tory (8),
ont, vers 1520, mené campagne pour chasser le latin de ses dernières
positions officielles en France, et surtout au roi François lor qui, par
l'ordonnance de Villers-Cotterets (10 août 1539) conféra définitivement
au français la situation de la langue officielle (9) :
(110) « Et afin qu'il n'y ait cause de douter sur « l'intelligence desdits
s

«
arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si claire-
« ment,
qu'il n'y ait ni puisse avoir aucune ambiguité ou incertitude
« ne lieu
de demander interprétation.
(111) « Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelli-
« ge'nce des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons doresnavant
« que tousarrests,
ensemble toutes autres procédures, soient de nos
« cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soit de registres,
« enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments et autres quel-
« conques actes et exploicts de justice, ou qui
en dépendent, soient pro-
« noncés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel fran-
« çois et non autrement. »

(8) J Tell. Les Grammairiens français, I, p. 4.


(9) Ordonnance de Villers-Coterels, dans Isambert, Deciusy et Armel. Recueil géné-
ral des anciennes lois françoises, 1828. Tome XII, p. 622. —
CHAPITRE LIT

L'ORGANISATION INTERNE DE LA LANGUE FRANÇAISE

SOMMAIRE
«

SO.
-
Unité réelle et divisibilité scientifique de la langue française. SI. Jus-
qu'à quel point il est légitime d'appeler le passé en témoignage pour l'étude
du français d'aujourd'hui. — 32. Etapes et paliers historiques du français.
français de nos jours.

-
38. Divisibilité du
disances. — 36. Les parlures.
39. Le mauvais français.
-- — Si. Les usances. — 85. Les
37. Les jargons. — 38. Le français normal.
iO. L'orthographisme. — 41. L'intolérance
linguistique. — i2. Le prétentionnisme.

30. — Dans le chapitre précédent, nous nous sommes efforcés de défi-


nir la langue française, sujet du présent ouvrage, et nous avons fixé ce
qu'on devait considérer comme rentrant en elle et ce qu'au contraire on en
devaitexclure.
Lalangue française ainsi définieaune unité réelle, ence que les divers
à
éléments quila composent sont chaque moment à la disposition d'un
Français quelconque idéalement conçu comme ayant la connaissance par-
faite des ressources de sa langue et désirant les mettre en œuvre toutes.
Mais ce Français est une identité imaginaire. Un Français réel est, d'une
part, si cultivé soit-il, hors d'état de connaître de façon complète toutes
les ressources de la langue française, et. d'autre part, dans la vie courante,
il ne passe pas tout son temps à s'efforcer demettre en œuvre tous les maté-
riaux linguistiques français, même connus de lui.
Par conséquent, encore qu'il soit légitime de la considérer scientifique-
ment comme absolument une, la langue française peut cependant, à un
point de vue plus particulier, être envisagée comme formée par l'enchevê-
trement d'habitudes personnelles différentes. Chaque Français a son parler
propre, et si tous ces parlers sont partie intégrante de la langue française,
néanmoins se laissent-ils ranger en groupes un peu artificiels, mais scienti-
fiquement utiles à considérer.
La langue nationale étant ainsi envisagée comme une collection de par-

1ers personnels, nous verrons ces parlers se grouper d'après les circonstan-
ces de temps, de lieu, de profèssion, de classe sociale, etc.
Soit un procureur vivant au xvne siècle et habitant Amiens. Ilestcertain
que son-parler, dont il pourra nous avoir laissé la trace écrite, rentrera &
la fois dans legroupe des parlers personnelsfrançais du xvu* siècle, dans
le groupe des parlera personnels français des gens de loi, dans le groupe
des parlers personnels français de la bourgeoisie, et éventuellement, s'il
appartient à un milieu où l'on ait desliabitudes linguistiques un peu petite-
chapelle, dans le groupe des parlers personnels français de ce milieu
fermé..

31. — Le facteur temps nous


intéresse moins directement que les autres.
Certes, il n'est pas de formule plus exacte que celle qui représente la na-
tion comme l'ensemble des morts et des vivants. Les générations françaises
d'autrefois ont laissé, parvoie d'hérédité, de tradition orale et de transmis-
sion écrite, une trace profonde dans notre vie intellectuelle, laquelle n'est
que la continuation de la leur. Mais nous ne disposons pas, pour étudier
leur parler, de tous les même moyens que pour étudier celui de nos con-
temporains. Aussi avons-nous décidé de prendre pour sujet de notre Essai
la tranche temporelle de la langue française qui s'étend de 1911 jusqu'au-
jourd'hui.
Même pour une semblable étude, les textes des époques antérieures doi,
vent être allégués a chaque instant, parce qu'étant la base même du parler
d'aujourd'hui. Les inférences que nous en tirerons au point de vue du sys-
tème taxiématique qu'ils manifestent seront naturellement d'autant plus
difficiles, d'autant plus risquées, que nous aurons affaire à des textes plus
.anciens. Le lecteur s'apercevra, nous l'espérons, de la prudence que nous
avons toujours eue dans l'utilisation des textes antérieurs à notre époque.
Le témoignage du passé d'une langue est toutefois indispensable à qui
veut étudier soii système taxiématique. Eneffet, il sert bien souvent de
moyen de contrôle, voire de moyen de découverte, pourl'explicationd'un
taxième donné. Et d'autre part, il apporte quelquefois des systèmes taxié-
matiques encore parfaitement compréhensibles, mais que presque tous les
Français d'aujourd'hui ont perdus, et sur l'utilité desquels le grammairien
peut légitimement attirer l'attention des littérateurs, philosophes ou
savants pouvant avoir besoin de la nuance de pensée fournie par ces tours.
32. — Les Serments de Strasbourg (14 février 842) sont, dans l'état ac-
tuel des connaissances paléographiques, l'acte de naissance de la langue
française. Le développement de cette langue nous mène jusqu'à un premier
palier, sis aux XIIe et XIIIe siècles :
justement Littré (1), « est l'âge classique
CI Le douzième siècle », dit très

« de l'ancienne littérature, et le treizième siècle est à tous égards la con<


timinlion du douzième. »

:
«
A cette époque, le français s'est constitué
un système taxiématique cohé-
lc111 qui constitue le vieux français la déclinaison bi-casuelle du nom,
'remalliée suivant un plan nouveau différent du plan latin, en est le trait le
plus frappant.

(1) Liltré. Dictionnaire de la Langue Française. Préface. Tome I, p XXII.


La présence d'unedéclinaison à deux cas dans les parlers de France, tant
francimands qu'occitains, pourraient faire penser que ces parlers étaient
en retard sur ceux d'Italie et d'Espagne, qui avaient déjà perdu toute décli-
naison. Pareille conclusion serait pourtant abusive, et c'est à bon droit que
Littré écrit (2) :
« En fait et au point de vue historique, la bonne condition, la condition
«féconde, la condition vraiment adaptée aux circonstances sociales, fut
«celle des langues à deux cas ou langues intermédiaires. Je ne veux pas
«dire qu'elles eurent l'avance parce qu'elles étaient langues à deux cas, je
«veux dire au contraire qu'elles furent langues à deux cas parce qu'elles
«eurent l'avance. Cette organisation d'une demi-latinité, tandis qu'ailleurs
;
« la latinité commençait à se désorganiser, est le témoignage d'un état so-
it cial qui prend les devants sur le reste de l'Occident témoignage en plein
«accord avec l'établissement du régime féodal qui a toutes ses racines dans
«la Gaule devenue France et qui. fut la vraie et grande reconstitution après
«la chute de l'Emnire. »
Ce système de pensée s'effrite déjà au XIV"siècle en même temps qu'évo-
lue l'esprit national. La période qui s'étend entre le premier quart du
XIVe siècle et les environs de 1040 doit être considérée comme intercalaire
entre le palier vieux-français et le palier français-classique. Cette période
intercalaire est en réalité une période de grand travail ; le XIVe et le XVe siè-
cles, sous leur apparence de décomposition, contiennent ce progrès im-
mense : la réduction définitive des parlersnon franciens à l'état de patois,
et l'absorption concomitante des éléments locaux utiles par la langue fran-
çaise elle-même. Même au point de vue du développementpurement interne,
ces deux siècles recèlent déjà le germe de nouvelles ressources taxiéma-
tiques.
Le XVIe siècle et le début du XVIIe ont une langue d'une bouillonnante
exubérance qui prépare l'époque classique. -
Lepalier français-classique est caractérisé par la régularisation du sys-
tème taxiématiquè et l'émondement du vocabulaire. Cette régularisation et
cet émondement, à quoi les grammairiens ont gravement contribué, a été
utile en son temps, pour parer au débordement désordonné des ressources
de la langue, et les chefs-d'œuvre du siècle de Louis XIV sont l'éclatante
justification du traitement sévère appliqué à la langue par Vaugelas et ses
émules.
Malheureusement, Voltaire et ses caudataires, bien souvent en désaccord
avec les philosophes et les grammairiens telsque Dumarsais, Beauzée, Con-
dillac, Olivet, le Président de Brosses, ont cru habile, pour continuer l'am-
vre des émoudeurs du printemps, d'empêcher en été aucune feuille de re-
pousser sur l'arbre :
« Peut-être», dit l'abbé d'Olivet (3), « a-ton faiteomme ces médecins, qui,
« à force de saigner et de purger, précipitent leur malade dans un état de
« foiblesse, d'où il a bien de la peine à revenir. »
Introduction, pp. XXXVI sqq.
(2) Littré. Histoire de la Langue française.
(3) Abbé d'Olivet. Remarques sur Racine, XIII, p. 195.
La langue classique duXVIIIe siècle apparaît en somme comme l'aspect.
le plus pauvre qu'ait revêtu la langue française dans son évolution histori-
que. Le chercheur qui voudra établir la filière historique
d'un taxième en
français aura souvent beaucoup plus de peine à en trouver des exemples à
cette époque qu'à nulle autre.
Le XIXe siècle rompt délibérément avec la traditiondu XVIIe siècle. On
se trouve du même coup en pleine périodeintercalaire,mais on tombe
d'emblée dans un bouillonnement comparable à celui du XVIe siècle. C'est

; la
qu'en réalité. la période intercalaire s'est ouverte dès fin de l'époque
louis-quatorzienne le XVIIIe siècle a été, dans l'évolution naturelle de la
langue, la préparation du XIXe siècle, et les agréables pastiches linguis-
tiques de Voltaire ne masquent qu'imparfaitement ce fait.

;
Faute de recul, il nous est difficile de caractériser exactement le premier
quart du XXe siècle il semble néanmoins que s'y fassent jour maintes ten-
dances évolutives qui sont le témoin de la vitalité propre du français, et
qui sont de nature à navrer M. Thérive, qui souhaite que la langue fran-
çaise, à l'instar de Gribouille, se précipite dans la mort pour conserver
la vie.

; :
Les tendances que l'on peut relever dans les écrits français de nos jours
semblent assez contradictoires les unes avec les autres les uns aiment les
archaïsmes, les autres les néologismes les uns ne reculent pas devant des
périodes interminables faites de membres plus ou moins ingénieusement
emboîtés, les autres au contraire aiment les ;
phrases sèches et sans verbe
les uns aiment les provincialismes, les autres les fleurs de l'asphalte pari-
sien. Mais qui nous dit que la synthèse de tout cela n'est pas en puissance
et que nous ne soyons pas sur le bord d'un nouveau palier ?
33. 4— Comme nous venons de le dire, la langue littéraire de nos
jours possède des ressources multiples. C'est que. prise dans son ensemble,
elle utilise tous les matériaux constitutifs de la langue française.
Nous avons indiqué, au § 30, les modes suivant lesquels il sera utile de
grouper les parlers personnels. C'est ce point qu'il nous faut reprendre et
développer maintenant.
Il y a des habitudes locales. Dans chaque province, les habitants, lors-

:
qu'ils parlent le français, donnent à cette langue un certain nombre de ca-
ractères particuliers propres à la province nous appelons usance la langue
considérée telle qu'elle est parlée en un lieu donné.
Il y a des habitudes professionnelles. Les termes techniques qui dési-
gnent les actes, les outils, les produits d'un mode de l'activité humaine
sont assez souvent ignorés du gros de la nation, et ainsi se caractérise la
disance, qui est la langue considérée telle qu'elle est parlée par les gens
d'un métier donné.
Il y a des habitudes caractéristiques de tel ou tel niveau social. Dans

;
chaque classe, les individus recourent aux vocables et aux tournures qui
sont consacrées par les mœurs de cette classe leur parler suffit ainsi, bien
souvent, à faire reconnaître au premier abord le degré d'affinement auquel
leut famille est parvenue. Nous appelons parlure la langue telle qu'elle
est parlée par les gens d'un niveau social donné.
Il existe enfin des milieux qui recourent, soit par intérêt, soit par fan-
taisie, soit par traditions particulières, à des tours ou à des vocables incom-
préhensibles pour les non initiés. Nous appelons jargon la langue telle
qu'elle est parlée par les membres d'un cénacle de ce genre.
Nous ne voudrions d'ailleurs pas clore cet essai declassificationsans
avoirencore une fois attiré l'attention du lecteur sur son caractère forcé-
ment schématique. De même que la langue commune absorbe et assimile
sans cesse des éléments qu'elle emprunte à ces usances, à ces disances, à
ces parlures et à ces jargons, de même usances, disances, parlures et jar-
gons se font couramment des emprunts les uns aux autres.
34. — L'usance d'un pays de France, c'est le français qu'on y parle. Elle
se distingue dans la masse commune dela langue par des restes dialectaux,
mais aussi, la plupartdu temps, par des habitudes de langage contractées
sur place après la transformation même du dialecte en patois.
C'est ainsi que dans une ville comme Bordeaux, le dialecte aquitain lo-
cal, non seulement réduit à l'état de patois, mais encore, dans un aussi
grand centre urbain, pratiquement disparu, s'est trouvé remplacé par
l'usallce bordelaise.
Or, cette usance a son caractère propre dans la langue française. La tra-
a
dition linguistiquede Paris,depuis son acceptation parles Bordelais, subi

;
l'empreinte locale, et tendrait à redevenir un dialecte isolé si le français de
Paris lui-même était un dialecte mais le français est maintenant une lan-
gue unitaire, véhicule de l'âme d'une nation entière, et maintient de ce fait
les usances dans le cadre de la langue, dont elles ne peuvent s'écarter que
peu.
Il y a lieu de ne pas confondre la souche dialectale avec l'usance. Soit par

riode dialectale, les Franciens ont connu par les. Picards :


exemple un terme du dialecte picard désignant un objet que, dès la pé-
le francien
aura dès cette époque emprunté le terme picard, et ce terme, de souche
picarde, aura appartenu d'emblée à la langue française devenue' natio-
nale.

:
Plaçons-nous maintenant à l'époque où le francien envahit la Picardie et
y conquiert le rang de langue quelques termes franciens peuvent tarder à
s'introduire, quelques objets employés en Picardie peuvent n'avoir eu en
Ile-de-France ni usage ni nom. Il survivra donc dans le français tel qu'il
sera parlé en Picardie un certain contingent de termes picards avec les
adaptations phonétiques tout juste nécessaires pour les faire rentrer dans
le cadre de la langue. Ce contingent caractérise l'usance picarde. -
Les usances constituent d'ailleurs des parties intégrantes de la langue
française, et à chaque instant la volonté d'un écrivain, la survenance d'un
événement historique, la fantaisie d'une mode peuvent faire brusquement
entrer dans le vocabulaire général un terme qui, depuis un ou plusieurs
siècles, était confiné dans une usance.
Le passage suivant, emprunté à M. Brunot (t), qui est Lorrain, donnera
bien au lecteur l'idée du rôle actuel des usances dans la langue française
été élevé dans une famille parlant exclusivement français, et j'ai
:
u J'ai
ignoré jusqu'à ces derniers temps le nom français d'un reste de pomme
«
«
à demi-mangé ou d'une tige de chou. Je n'avais entendu appeler le
pre-
«
mier que nâchon, le second que crôche, même dans les promenades du
«collège. Aujourd'hui encore je serais fort embarrassé de traduire exacte-
« ment
d'autres noms de choses de la campagne, par ex. mokolte (bouquet
de noisettes) ; je sais ce que c'est qu'une lessive qui chabiQllqlle, ou que
«
« du
il
chanvre qu'on cerise, me serait impossible de donner l'équivalent
français de Paris. Les gens des villes quittent le patois,
« de ces termes en
« mais leurs
enfants et petits-enfants gardent longtemps après les termes
«
patois qui se rapportent à la vie paysanne, — pour ne parler que de ceux-
« là, —
même quand ils ont leurs équivalents dans la langue officielle.
«.
Pour ma part, j'ai constaté que j'use en parlant de plus de deux cents
«
lotharingismes. »
Ainsi, M. F. Brunot, ne disposant sur ce point que de l'usance lorraine,
a été longtemps sans posséder l'idée générale de trognon. Mais en revan-
che, celui qui ne connaît que le matériel le
plus usuel de la langue com-
mune et qui ignore que le français dispose des vocables nâchon et crôche
manque d'une richesse qui pourrait lui être éventuellement très utile pour
préciser sa pensée.
Le même fait de la vie courante peut d'ailleurs être exprimé par des
vocables différents dans les différentes usances. Chez soi, l'on a souvent à
parler de remettre un objet à la place qu'il doit occuper dans les buffets,

des vocables très différents :


placards ou armoires. Or, nous avons entendu exprimer ce fait usuel par
Madame A, ainsi que Madame E et Mon-

ranger;
sieur P, ses enfants, tous trois nés dans la banlieue nord de Paris disent
Madame AJ et son fils Monsieur CA, tous deux Bourguignons,

;
Madame H, Poitevine, et son fils Monsieur D, né à Paris d'un père pari-
sien et élevé à Paris, disent serrer Madame CB, du Mans, dit ramasser;
Monsieur CC, de Vienne, dit placer et nous a rapporté que sa femme, sté-
phanoise, disait retirer et qu'en pays romand, on disait couramment ré-
duire ; Madame DS, élevée en Artois et vivant actuellement à Cannes, dit
plier. A vrai dire, tous ces vocables ont légitimement droit au rôle qu'on
leur donne et l'usage de termes différents dans les différentes régions de
la France indique seulement que le même fait y est vu sous des aspects
différents. Si l'on remet à la place qu'il doit occuper dans une armoire un
mouchoir que vient de rapporter la blanchisseuse, c'est légitimement qu'on

;
peut dire qu'on le range,car on le met à son rang dans la piledes mou-

;
3.
choirs semblables qu'on le serre, car on l'enferme en un lieu où il restera

;;
en bon état à la disposition exclusive de son possesseur qu'on le l'amasse.
car il devient partie constitutive d'un amas qu'on le place, car on le met
précisément à la place qu'il doit occuper qu'on le retire, car on le met
(1) F. Brunot. Histoire de la Langue française, dans l'Histoire littéraire de Petit de
JnllevUle Tome 1, Paris 1896,
p. XXXVII, note
dans une retraite ; qu'on le réduit, car on le met dans un endroit où il
occupera le miiiiftiuin de place et où il cessera de vous encombrer et
enfin qu'on le piie,car il faut qu'il ait des plissoigneusement faits pour
;
que la place qu'il tiendra soit la plus petite possible, et pour qu'il s'y
abîme le moins possible en attendant d'être employé. Le bon écrivain
saura se servir de toutes ces ressources et choisir précisément le vocable
qui lui conviendra pour présenter le fait à son lecteur sous le jour où il
voudra le lui faire concevoir. Loin de se combattre, les usaiices se prêtent,
à l'intérieur de k langue française, un mutuel appui.
Au point de vue Syntaxe, le patois a certainement tendance à imposer sa
syntaxe au francs parlé dans le même pays. Mais cette influence est ac-
ceptée ou rejeléc )1Ilt. la pariure bourgeoise selon qu'elle estou non en con-
cordance avec legénie de la langue littéraire. Le vulgaire du bas pays van-
netais (2) dit enfrançais se nager parce que le verbe bas breton de même
sens (en em angellal)est réfléchi. C'est un usage auquel les Français culti-
vés. fussentils de c~ pays même, ne se plient pas.
De même, les Méridionaux emploient très souvent la forme j'aimai,
peu usitée à Paris, parce que la forme homologue est usuelle dans leurs
patois. Mais c'est là une habitude que les classes cultivées ne répudient
pas, car elle leur permet de conserver une ressource classique de la parlure
littéraire.
Comme nousl'avons dit au 113, des parlers appartenant à des familles
linguistiques différantes peuvent avoir entre eux des ressemblancesséman-
tiques. Les usaiices les plus proches des territoires lingualitaires étrangers
nous offriront donc des ressemblances sémantiques avec les parlers étran-
gers avoisinants,
Un bel exemple de ce fait nous est fourni par l'extension sémantique du
verbe pOllvoir. On s&it que les langues germaniques ne possèdent pas l'idée
générale de pouvoir, Le haut-allemand par exemple, que l'on peut prendre
pour type, distingue l'idée de lconnen (avoir la puissance physique ou mo-
ralede.) de celle de diirfen (avoir la possibilité sociale de.). Les usaiices

demiidée diirfen, et
:
wallonne et lorraine font la même scission sémantique, mais par un pro-
cédé formel tout à fait différent en Wallonie, pouvoir est confiné dans la
c'est savoir qui possède le domaine lconnen ; en Lor-
:
raine, au contraire, pouvoir est confiné dans la demi-idée kônnen, et c'est
-

oser qui possède ledomaine dürfen. Exemples


Les expulsés n'osenl emporter que deux mille francs argent liquide.
(M.BY,deMet*,Je17avril-1919).
c'est à dire : « nonL la permission d'emporter que. »
A ce moment-là, j'ovais mal au pied, je ne savais pas courir après le car.
(MadameBZ.cieLille,juillet1914).
c'est-à-dire : « je ti'ovais pas la possibilité physiologique déxeourir après le
tramway. »
(2) J. Loth. Coniribution à la lexicographie
langes H. d'Arboisde Jubainville, p. 199. 1
et à l'étymologie celtiques, dans les Mé-
D'ailleurs, bien que ces locutions s'emploient dans la
bonne bourgeoisie
du pays, les personnes les plus cultivées et les plus soucieuses de bien
dire, prennent soin de les éviter. C'est qu'elles sont équivoques, les verbes
savoir et oser appartenant au français commun avec les sens respectifs de «

«
posséder la technique », et « avoir l'audace » (3).
35. — Ladisance d'un métier, c'est l'ensemble des locutions et vocables
français qu'emploient les gens du métier pour parler en termes précis de
leurs occupations professionnelles.
Les diverses disances des paysans et des artisans possèdent un arsenal
extrêmement nombreux, dans lequel le parler littéraire est allé chercher
quantité de locutions pittoresques dontl'origine est d'ailleurs souvent ou-
bliée maintenant de beaucoup

;
.de
ce matériel verbal est d'origine populaire :
ceux qui les emploient. La plupart de
la souche authentique en cons-
titue le principal fonds seuls, les quelques métiers non pratiqués dans
l'Ile-de-Franceont constitué leurdisance avec un matériel provincial. Mais,
dans l'un ou l'autre cas, le français possède là des ressources aussi pré-
cieuses au point de vue technique qu'au point de vue esthétique.
L'esthétique de la langue française a beaucoup moins à se louer des
nouvelles disances nées parmi les ouvriers d'usine et les mécaniciens de
divers ordres. Les métaphores quel'on en a tirées sont encore réputées fran-
chement vulgaires.
Les savants eux-mêmes n'ont pas toujours eu la main heureuse, car, s'il
étaitlégitime de fabriquer des néologismespour les idées nouvelles, il ne
l'était pas d'en créer pour doubler sémantiquement des vocables déjà exis-
:
tants pneuinoconiose ne dit rien de plus que cailloute. qui est le. nom de
la même maladie chez les piqueurs de mules de la Touraine et de l'An-
jou (1).
Les fautes isolées qui ont pu être commises dans l'établissement arbi-
traire de telle ou telle terminologie technique ne justifient d'ailleurs en
rien la déraisonnable aversion que certaines gens affichent à l'égard des
disances. Formées par des générations successives de gens compétents, elles
ont acquis une précision à laquelle le français commun, s'il prétendait se
substituer à elles, n'atteindrait pas, même au prix de longues périphrases.
(3) D'ailleurs,même dans la parlure littéraire, savoir a, dans les tours conditionnels,
le sens de pouvoir, ex. :

Je ne les vouldroye. donner


Pour nul or qu'on me seust offrir
(Charles d'Orléans. BalladeL., p. 103).
Il étoit une fois une petite fille do village, la plus jolie qu'on eût su voir.
(Perrault. Le petit chaperon rouge).
Jamais un lourdaut, quoy qu'il fasse
Ne sçauroit passer pour galant
(La Fontaine. F.ables choisies. IV. 5. L'Ane et le petit Chien).

et les locutions comme


Peux ma leçon).
: :
Cf. L'étroite parenté du haut-allemand entre kônnen (pouvoir) et kennen (connaître),
ich Icann meine Lektion (je sais ma leçon, littéralement je
.(1) Brissaud. Histoire des expressions populaires relatives à l'anatoniie, à la physiolo-
9ie et à la médecine, 1892, apud Brunot. Loc. cit., Tome VIII, p. 814.
Aussi est-il à espérer que longtemps encore les tribunaux, résistant aux
suggestions de journalistes trop peu instruits, rendront leurs décisious
-dansladisance juridique convenable. A. vouloir pousser à l'extrême les
«
principes suivant lesquels les jugements devraient être rédigés dans le
parler des salons et des rues, on enarriverait à demander que les maillé-
tmaticiens renonçassent à s'exprimer en algèbre.
36. — La parlure d'une classe sociale, c'est l'ensemble des habitudes
syntactiques et vocabulaires qui la caractérisent entre les autres.
Les différences linguistiques entre les classes sociales ont ceci de fort
important qu'elles sont le principal signe de ce complexe indéfinissable
<¡ue l'on appelle la distinction. En général, les gens cultivés et dont la vie
intellectuelle est relativement afiinée ont un parler linguistiquement plus
intéressant, parce que plus riche en nuances taxiématiques et sémiéma-
tiques. Toutefois, comme nous aurons l'occasion de le dire au S 38, cer-
taines tournures traditionnellement répudiées par les personnes distinguées
procèdent du génie même de la langue française et seraient pour elle un
enrichissement le jour où les gens capables de s'en scrvirle plus utilement
renonceraient à la fausse honte qu'ils ont à les employer. En somme, il
-en est des parlures comme des usances ; la langue française peut tirer de
chacune d'elles les ressources utiles, et n'y doit pas faillir.
Il serait par trop schématique de distinguer un nombre déterminé de
parlures françaises, car les divers étages de la société interfèrent. Néan-
moins, il existe aux deux extrémités de l'échelle deux parlures bien défi-
nies : la parlure bourgeoise et la parlure vulgaire.
La parlure bourgeoise a pour conservatoire les familles de robe, les fa-
milles dans lesquelles se rencontrent en nombre des professeurs, des offi-
ciers, des prêtres, des médecins, des notaires, des avocats, des avoués, des
ingénieurs, des artistes, des savants, des diplomates ou d'autres hauts
fonctionnaires, et les familles nobles vierges de toute mésalliance étran-
gère. 1
L'on voudra bien remarquer que nous avons parlé ici de familles et non
pas d'individus, la qualité sociale du parler de quelqu'un dépendant beau-
coup plus du milieu dans lequel il vit que de la profession qu'il exerce.
Tel officier sorti du rang et ayant brillamment conquis ses grades par son
talent militaire, conservera pourtant une parlure vulgaire ou semi-vul-
gaire, tandis qu'au contraire, tel commerçant, fils et frère d'intellectuels,
-et tel fils de famille sans aucun mérite personnel conserveront les tradi-
tions linguistiques des hautes classes. Où éclate la vérité de ce caractère
familial de la distinctioniinguistique, et où l'on en trouve aussi le secret,
•«'est dans le fait que c'est les femmes qui la conservent le plus pure. C'est

;
bien les hommes qui, par le mode de leur activité sociale, ont donné son
rang à la famille mais ils coudoient toutes sortes de gens, et se prêtent
-dans leur jeunesse à un relâchement de leurs habitudes linguistiques. Les
femmes au contraire sont relativement préservées des contacts extérieurs.
En fin de compte, la parlure bourgeoise est un affinement linguistique
spontané.C'est naturellement, par la force de l'habitude, que l'on fait les
efforts articulatoires qui donnent aux divers phonèmes leur caractère de
netteté. C'est naturellement aussi que viennent à la bouche des tournures
syntactiques, plus ou moins variées il est vrai suivant la richesse intellec-
tuelle de l'individu parlant, mais toujours conformes aux normes littérales.
Et c'est ici le lieu de s'inscrire formellement en faux contre les asser-
tions des auteurs qui vont affirmant au monde que dans la France d'au-
jourd'hui il y ait un écart sensible entre le langage écrit et le langage
parlé.
Tout ce qui s'écrit se parle.
Peut-être hésitera-t-on à admettre dans un écrit certaines locutions fa-
milières qu'on ne croira pas soutenues par des précédents suffisants, mais
il n'est pas une phrase écrite qui ne puisse, au moins dans certaines cir-
constances, venir spontanément à la bouche d'un Français de bonne com-
pagnie.
La parlure de la plèbe urbaine se caractérise au contraire par une pro-
nonciation relâchée et une syntaxe souvent vague.
La mollesse articulatoire résulte d'une sorte de paresse dans la tension
des muscles qui concourent à l'articulation (1).
Les voyelles, du fait du manque de tension des parois musculaires des
cavités résonnantes, voient leur timbre s'altérer et devenir crapuleux (2) ;

;
les groupes de consonnes se réduisent jusqu'à nuire à la valeur sémantique
des vocables certaines consonnes enfin se déforment par mouillure (3).
Par exemple, les mots terminés par une consonne suivie de [r] ou de [1]
perdent leur [r] ou leur [1], même devant voyelles ou à la fin de la phrase,
alors que dans le parler négligé des bourgeois, ils ne les perdent que de-
vant les consonnes, ex. :
Ah, la la.. ça au vingtième sièque. dit Gaspard.
(René Benjamin. Gaspard, p. 44).
Nous, on va s'batte
(Ibid. p. 13).
J'y ai chauffé sa trompette à l'aufoutil
(Ibid).

Le suffixe
lis], ex. :
- isme et le suffixe — isle se confondent regrettablement en
rhumalÏsset journalisse.
Les princ's i sont capitalisses;
L'travailleur il est exploité.
Ça, c'est la mort du socialisse.
(Mac Nab. L'expulsionr des Princes).
Tu vois çni-Ià.., c't un journalisse.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 12).

(1) Nisard. Etudes sur la langue populaire ou patois de Paris, p. 131.


(2) Rousselot. Principes de phonétique expérimentale, pp. 403 et 859.
(3) Rousselot. Ibid., pp 583, 601, 602. Rousselot et Laclote. Précis de prononciatior
Irançaise, pp. 67 et 68.
:
Le second k d'un mot comme casquette [k à s k è t (œ)] devient semblable
à un y dur ou ch allemand doux. Cf. la graphie cassiette, ex. :

?
C'est-il pasque t'as une cassiette et un galon
(R. Benjamin. Gaspard, p. 12).

L'indigence de la syntaxe est également un trait de la parlure vulgaire,,


mais il est à remarquer que l'intelligence et la culture suppléent bien plus
vite chez un individu à ces défauts de syntaxe qu'à la mollesse articulatoire
qui ne va pas jusqu'à gêner la pensée.
La pauvreté du vocabulaire est un signe certain d'insuffisance de culture.
Le vulgaire va même quelquefois jusqu'à identifier des vocables tout à fait
différents, mais que sa paresse d'articulation et son ignorance étymologi-
que l'amènent à confondre amnistie et armistice sont par exemple confon-
dus en un vocable armislie auquel s'attache l'idée vague de cessation de
tourments, ex

La
Il ne vient pas demain, c'est l'armislie.
, (Madame O. Le 10 novembre 1924).

parlure vulgaire passe communément pour le berceau desnéologis-


nies. Cette opinion est vraie pour une grande part. L'un des caractères de
la parlure vulgaire, c'est d'être touffue et désordonnée. Les broussailles qui
poussent dans cette friche croissent au hasard, trop nombreuses pour l'es-
pace qu'elle occupent. Çà et là, elles portent une jolie fleur, mais elles ne
deviendront des arbrisseaux donnant régulièrement de belles fleurs, voire
des fleurs doubles, qu'à condition d'être acceptées et cultivées dans les
jardins de la bourgeoisie.
D'ailleurs, la parlure vulgaire est aussi le refuge des archaïsmes, ainsi
que nous aurons l'occasion de le montrer maintes fois dans le couraUt de
cet ouvrage. Ces archaïsmes représentent les déchets du parler cultivé :
c'est d'anciens tours abandonnés des lettrés pour leur manque de précision
et remplacés par de meilleurs outils de pensée.
37. — Le jargon d'un milieu fermé, c'est l'ensemble de ses habitudes
particulières qui en rendent le parler inintelligible pour les non initiés.
Ces divers jargons ont une extension bien différente, en rapport d'ail-

;
leurs avec le but auquel ils sont adaptés. Les uns sontdestinés à cacher vo-
lontairement l'expression de pensées mauvaises tel l'ancien argot des
coesmes et des mercelots (I), telle la langue verte du XIXe siècle, tel l'ar-
got des apaches d'aujourd'hui. Aussi possèdent-ils un vocabulaire assez
complet et assez changeant pour pouvoir espérer dépister la police.
Les autres, au contraire, sont surtout l'affirmation d'une unité collective
faite de souvenirs et de traditions communes. Il se constitue ainsi au hasard
de la vie journalière un matériel fantaisiste et souvent évocateur de cir-

(1) V. La Vie généreuse des Mercelots, Gueuz et Boesmiens., par M. Pechon de Ruby.
Lyon, 1596, publié dans Variétés historiques et littéraires, Tome VIII, pp. 147 sqq.
constances particulières. Chaquejou ril s'accroît, mais l'usure en est ra-
lentie par le souci qu'ont les gérérâlions de conserver le lien corporatif.
Tel est par exemplel'argot de l'Ecole Polytechnique.
Beaucoup de jargons sont moins complets. Dans certains milieux pro-
fessionnels, on prendra l'habitude d'emprunter une métaphore au lexique
de la disance : tels les étudiants en médecine qui appellent le travail en
commun une anastomose ou la cohabitation une symbiose. En ce sens, le
jargon peut être pour une locution l'intermédiaire entre le confinement
dans la disance et l'emploi dans la langue générale.
Dans maintes familles, on se sert d'un certain nombre de termes nés de
circonstances familiales. Dans la nàtre, par exemple, un tabouret de pieds
contenant un réservoir à eau cliaude s'appelle un alcindor, un poupard de
carton dépourvu de bras commeon en vendait encore naguère s'appelle un
père-françois.
Les jargons du type appelé communémentjavanais, qui ne sont que des
déformations phonétiques de la langue commune conformément à des rè-
gles conventionnelles (telles le hrgvnfi des garçons bouchers) ressortissent
à peine à la linguistique. Il arrive toutefois qu'un vocable déguisé issu de
ces jargons reprenne isolément place sinon dans la langue commune, du
moins dans le parler de la plèbe.

38.— Comme nous l'avons indiqué ci-dessus au §33, la diversité des


habitudes des différents Français n'altère en rien l'unitéfoncière de là lan-
gue. Certes nous n'avons pu légitimement marquer semblable différence
que parce qu'il est en France beaucoup d'individus qui ne disposent, dans
leur parler personnel, que d'une partie des ressources de leur langue. Il est
à vrai dire impossible de concevoi r un seul homme qui possède la totalité
de ces ressources. Mais tous cetiic qui voudront se servir du français soit
dans un but didactique, soit dans un but esthétique, ou gui simplement
se piquerontd'élégancedans laconversation, devront s'efforcer de posséder
le plus possible des éléments divers de la langue, tant lexicographiqueis
que grammaticaux.
On conçoit donc qu'il existe anft manière particulièrement recommanda-
ble de parler, et que dans l'établissementde cettenorme,lesgrammairiens
doivent avoir un rôle éminent. G'eSt en ce sens que la grammaire, qui, dans
son principe, est une science, deviendra par son application l'art de bien

:
parler et partant de bien écrire. Loin de nous latfuhséederevenir à la
vieille définition l'art de parlerai d'écrire correctement. Le grammairien
a
n'a pas le droit d'édicter des dogirjes arbitraires basés sur des idées priori.
En revanche, il a le devoir de dresser l'inventaire scfigneux des richesses de
la langue française, de préciser la nature de ces richesses et la manière dont
elles peuvent être utilisées, bref, de présenter aux écrivains, dans une sa-
vante ordonnance, le répertoire sémantiquedans lequel ils auront à puiser.
L'essentiel des règles du parler normal a très bien été vu dès le XVIe siè-
cle par Henri Estienne. Il compare ceux qui, ne trouvant pas d'emblée le
terme propre dans le français, vont incontinent le demander aux langues
étrangères à ces « mauvais mesnagers qui. pour avoir plustost faict, em-
et pruntent
de leurs voisins ce qu'ils trouveroyent chez eux s'ils vouloient
« prendre la peine de le cercher (1). » A plus forte raison, ajoute-t-il, faut-
il se garder d'employer par mode une locution étrangère aux lieu et place
d'une locution française vivante. Il faut accepter toutes les ressources gram-
maticales et lexicogrnphiques de France,-celle de toutes lesparlures, de
toutes les disances, de toutes les usances, etles épuiser toutes avant de re-
courir à l'emprunt aux langues étrangères :
« Avant donc que de sortir de notre pays (je di comprenant tous ses
«confins) nous devrions faire nostre prouffit de tous les mots et toutes les
« façons de parler que nous y trouvons, sans reprocher les uns aux antres,
« ce mot-la sent sa boulie,. ce mot-la sent sa rave, ce mot-la sent sa place Mau-
« bert (2). »
- Les
règles du parler normal sont les mêmes et dans le domaine lexico-
graphique (ce'qui revient à dire sémiématique) et dans le domaine gram-
matical c'est-à-dire taxiématique.
Elles se résument toutes dans le principe de la hiérarchisation des
richesses.
Employer de préférence les ressources indigènes du Parisis, mais si la
nuance sémantique à exprimer ne s'en accommode pas, recourir sans hésiter
;
aux usances, et, au besoin, aux patois francimands, voire aux occitains. N'al-
ler qu'à la dernière extrémité jusqu'àl'emprunt étranger avoir soin dans
ce dernier cas de l'habiller le mieux possible à la française pour éviter un
discord trop criard. Comme dit Henri Estienne. « il faut que nous en fa-
« cions tout ainsi que d'aucunes viandes apportées d'ailleurs. que nous cui-
« sinons à nostre mode, pour y trouver goust, et non à celle du pays dont
elles viennent (3). »

nuance
;
De même, employer de préférence les ressources de la parlure bourgeoise,
qui d'ailleurs est dans l'ensemble la plus riche en nuances mais si la
sémantique à exprimer ne s'en accommode pas, recourir sans hési-
ter à la parlure vulgaire.
De même encore, employer de préférence les ressources de la langue
commune, mais si la nuance sémantique à exprimer ne s'en accommode
pas, recourir sans hésiter aux disances. qui fourniront non seulement les
locutions techniques adéquates, mais bien souvent aussi des métaphores
particulièrement expressives.
De même, employer de préférence les ressources de la langue générale,
mais si la nuance, sémantique à exprimer ne s'en accommode pas, recourir
avec prudence, dans la mesure où l'interlocuteur est ou a été mis en état
de comprendre, aux jargons, depuis les plus relevés et les moins étroite-
ment confinés jusque, si nécessaire, aux plus abjects et aux plus abscons.
En somme, posséder, pour forger et ciseler sa pensée, le jeu le plus com-
plet d'outils linguistiques. Lalangue française bien sue offre, pour ce faire,.
(1) Henri Estienne. Conformité du langage françois avec le grec. Préface, p. 22.
(2) Ibidem., p. 32.
(3) Henri Estienne. Loc. cit., p. 33.
toutes les ressources exigibles, surtout si l'on se souvient qu'elle est essen-
tiellement vivante et dans son lexique et dans sa grammaire. Dans le do-
maine sémiématique. aux vocables que donneraitledictionnaire le pluscom-
plet. celui qui engloberait toutes les usances, toutes les dlances, toutes les
parilires, tous les jargons, ilest toujours légitime d'ajouter, si besoin de
nouveaux vocables formés suivant le génie national (V. illfra.S121), Dans le-
domaine taxiématique, aux mécanismes inventoriéspar la grammaire la,
plus consciencieusement faite, il est toujours légitime d'ajouter, si besoin,
de nouveaux mécanismes grammaticaux formés suivant le génie national'
(V. injrapassim),
;
Telles sont les recettes à suivre pour bien parler notre langue non seu-
lement chaque français pourras'y conformer sans abdiquer en rien sa per-
sonnalité propre. maisencore il y trouvera le moyen de la développer et de
la manifesterdans les conditions les meilleures.
Un point particulier sur lequel nous croyons bon d'illsisler, c'est celui
des rapports de la graphie avec la prononciation. Ce n 'csl pas ici le lieu de
discuter, comme nous le ferons plus lard(V. Livre III. Chap. VII), la va-
leur de la graphie officielle qui se fait appeler ur/hographc. Mais au moins
tant il ici proclamer qu'elle ne saurait prétendre à l'{'gelllt'r la prononcia-
tion. Tous les bons grammairiens, depuis Meigretjusqu'à M. lirunot>e sont
élevés contre le dogme anti-scientifique qui voudrait que l'on prononçât
comme on écrit. t.es tenants decedogmeabsunien'ontpourtantpascncoie
capitulé et elle est encore d'actualité, la querelleentre Meigret et
(iuillaime
des Autels (4). Celui ci allait disantque. contrairement à ceux qui « veu-

«
:
« lent reigler l'escripture selon la prononciation, il semblerait plus COII--
« venantreigler la prononciation selon l'escripture pour ce que la pro-
nonciatiouuzurpée de tout le peuple auquel le plus grand nombre est
« des idiots, et indoctes, est plus facile à corrompre que l'escripture pro-
« pre aux gens sçavants. » Il vaut mieux, ajoutet-il, « prononcer tout ce
t.
« qui est escri » A quoi Meigret riposta vivement et spirituellement que,
si 1on adoptaitles vues de Guillaume des Autels, celui-ci, voyant un pein-
tre lui avoir fait sur son portrait de longues oreilles d'âne qu'il méritait
d'avoir, aurait dû diligemment se faire entrer en la tête ces belles et amples
oreilles, d'après la même loi par laquelle il voulait forcer tout le
monde
à prononcer les lettres superflues qu'onqnes langue de bon Français ne-
prononça.
39. —
Les principaux ennemis du français normal sont les gensqui,
pour avoir acquis, sans culture intellectuelle i-éelle,iiii lourd bagage de
connaissances pratiques, secroient en état d'avoir pleinement conscience
de tous les mécanismes grammaticaux. Il veulent châtrer notre idiome na-
tional en le privant systématiquement de tout ce que leur insuffisante
compétence ne leur permet pas de comprendre. Ces troporgueilleuses-,

ÇQlse (le Pelil de Jullevillc, Tome 111, p. 764.


de
(4) V. Brunot. Histoire de la Langue française, dans VHistoire ln Littérature fran-
V. Nyrop. Grammaire historique de la Langue française, Tome I, p. 119.
gens vendraient, sans étude spéciales préalables, avoir la claire intelligence
de tout un système taxiématique dont on n'arrive que péniblement par les
plus patientes études à rendre conscients les ressorts les plus grossiers. On
conçoit quelles déformations peut faire subir à la langue celui qui préten-
dra eu exclure ce qu'il n'aura pas compris. Encore est-il bien heureux que
souvent il croie avoir l'intelligence de ce qu'il ne saisit en réalité pas, car,
sans cette providentielle illusion, on frémit de penser à quel degré de pau-
vreté il aurait rêvé de réduire notre langue !
Les gens chez lesquels on est le plus exposé à rencontrer des habitudes
linguistiques vicieuses sont ceux dont l'instruction, ayant dépassé lestade
de l'école élémentaire, n'a pourtant jamais pris le caractère secondaire, et
qui, partant, ne savent pas qu'ils ne savent pas.
C'est parmi eux que sévissent le
plus souvent l'orthographisme, l'in-
tolerance linguistique et le prétentionnisme.
40. L'orAhûgca.pbiste veut qu'onrègle sa
prononciation sur la graphie
il

;
officielle (I) :il ne laisserait pas passer une seule fois le mot
;
sans en faire
sonner rl finale les liaisons facultatives sont pour lui obligatoires en
mentaire (2) » k ui r z é 1 é mâ : tè
instaurant même de nouvelles que l'usage proscrit, il dit : « le cours élé-
:r : r]. 11ne manque pas de pronon-
cer le p de dompter et de compter ; mais il se refuse à prononcer un [a]
dansgagner, oÙ il met un [à] sous prétexte « qu'il n'y a pas d'accent cir-r
conllexe. » Il veut qu'on prononce Laure [16 : r], sous prétexte qu'on
écrit par au, sans que, d'ailleurs, il soit possible de comprendre pourquoi
au représenterait, plutôt [6] que [à], Et le
plus triste c'est qu'il a réussi

rs :
à nous imposer déjà soigner [s w à n é] ; obscur [o b s k u : r] ; adversaire
[àdvè è r], etc. au lieu de [s6n é], : v
[osku j], [à è rs è : r],
etc. Ses ravages ne s'arrêteraient pas là, si l'on ne se rendait pas enfin
compte du danger. Il faut s'attacher à maintenir les bonnes prononciations
quand on en trouve encore des traces vivantes. On s'acharnera à dire arc-
t:
boulant [à : r b tu â ] ; festoyer [f è : t w à y éj reine Claude ;
i:
[r è : n g 1 6 : d] ; arsenic [à r s de n i] ; hennir [h à n r] ; gemme
[j à m], etc. A plus forte raison, évitera-t-on des prononciations comme
poiYllcl [p w à fi è] ; poignard [p w n à : r] etc., qui sont à juste titre
considéréescomme des indices de mauvaiseéducation.

41. -L'intolérant
qu'il
linguistique prétend chasser de la langue française
même celles qui simplement
les tournures ne comprend pas, ou ont
l'heur delui déplaire. i

(1) Molière.ridiculise ce :
genre de personnages dans l'Impromptu de Versailles
Vous faites le Poëte, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, mar-
quer cet air Pédant qui se conserve parmy le commerce du beau monde, ce ton
de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuyé sur toutes
les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus severe orthographe..
v (Scène I)
-
(2) Pour la transcription phonétique, voy. § 159.
Tel Voltaire qui écrit (1) :
« Le style barbare des anciennes formules, commence se glisser dans
à
« les
papiers publics. On imprime que Sa Majesté aurait reconnu qu'une
telle province aurait été endommagée par des inondations. »
«

femme
« elle a
:« Elle a l'air méchante », le reprit en lui disant
: ; :
Tel aussi ce passant qui, entendant l'un de nous, encoreenfant, dire d'une

; « On ne dit pas
l'air méchante on dit elle a l'air méchant car air est un substan-
:
« tif masculin. »

42. — Le prétôJiitLonniste est celui qui, plutôt que de dire la bonne tour-
nure française qui lui vient naturellement à la bouche, veut, pour faire le
bon compagnon, employer une tournure qu'il ne possède ni par finesse
instinctive, ni par subtilité scientifique.
Tel Marcel Proust, tel aussi M. Henri Barbusse, qui confondent les « im-
»
parfaits du subjonctif avec les « passés définis » : Marcel Proust, par
exemple écrit :
«
« Puis elle eût découvert mon besoin permanent de les déranger j'eus été
celui pour qui l'on se cache de tout.
(M. Proust. A la recherchedu Tempspsrdu. Tome V. Vol. III, p. 83).
;
au lieu de « j'eusse été (1) » ; on pourrait, si l'on était en veine d'indul-
gence, soutenir queProust n'a fait qu'employer là une forme archaïque
en effet. l'évolution phonétique naturelle des plus-que-parfaits subjonctifs
:
latins conduisaient aux formes jemangeas, je dormis,que l'on entendait
encore au XVIIIe siècle dans la bouche des dames, au témoignage de Hes-
taut (2). Pareille indulgence serait injustifiée. Il y a toutes les chances de
penser que cette tradition n'est pas arrivée jusqu'à Proust et qu'il confond
purement et simplement l' «imparfait du subjonctif » avec le « passé
défini f>.
Une confusion analogue se rencontre sous la plume de M. Henri Barbusse
quand il écrit :
Il nous occupa, sans que d'abord nous nous en défiâmes, autant que n'importe
queltiers. 1
(H. Barbusse. Le Revenant. Une heure d'Oubli. No 90, p. 28).

défiassions ;
Le contexte indique en effet à l'évidence que M. Barbusse a voulu dire
la confusion est d'autant plus fâcheuse que sans que suivi de
l'indicatif a un sens en français, et un sens tout différent de celui que l'au-
teur veut exprimer.
Les braves gens qui, sans avoir plus que Proust ni que M. Barbusse
l'usage instinctif de l' « imparfait du subjonctif » et du « passé définioou

(1) Réponse de VÓltaire à M. l'abbé d'Olivet, in Abbé d'Olivet. Remarques sur la


langue françoise, 284.p.
(1) M. André Gide. (Prétextes, p. 227) relève la même faute dans l'Hiver en Médita-
tion de M. de Bouhélier, qui écrit : « Sij'eus nié les talents de ce poète. » Cf. Livre V.
(2) Restau
pp. 570-571.
t.
Principes généraux et raisonnés de la grammaire françoisc, chap. XVII,
«
:
antérieur nt s'abandonnent du moins à leur génie naturel, auraient tout
bonnement eu recours à un tour voisin, assavoir respectivement «('J'aurais
été. » — et « Sans que nous nous en défiions [d é f i y y ô :]. » Ils ne s&
seraient de cette façon qu'approchés de l'idéal où tendent Proust et M. liar-
busse, mais ils n'auraient pas eu le ridicule de croire, en le manquant
lamentablement, l'avoir atteint.
Si le prétentionnisme est blâmable, la préciosité, au contraire, est un
procédé littéraire tout à fait légitime. Comme le prétentiollllisme, elle va
chercher ses richesses en dehors du domaine intuitif naturel, mais elle ne-
les met en œuvre qu'après les avoir pleinement assimilées et comprises.
Avoir naturellement à sa disposition une grande variété de ressources,
c'est être fin. Les finesses instinctives, mortes ou naissantes, les précieux
les muent en subtilités exquises. Les prétentionnistes, au contraire, les
défigurent odieusement.

«
CHAPITRE IV

L'EXPANSION DE LA LANGUE FRANÇAISE

SOMMAIRE

Les Frances d'outre-mer.


AS.
-
Uh. Le français langue de
— 45. D'une langue auxiliaire internationale.
culture humaine.

43.

appelé la France.
De plus,
;
:.'
— Nous avons vu en Europe la langue française régner sur un bloc
continu de territoires comprenant, outre le territoire politique de la répu-
blique française, le val d'Aoste et les vallées adjacentes, la Suisse romande,
une partie du Luxembourg, la Belgique et les îles de
Jersey, Guernesey,
Sercq et Aurigny. C'est ce bloc qui, du point de vue linguistique, doit être

la langue française est parlée par une partie importante de la


population des colonies de la république savoir non seulement les fonc-
tionnaires résidant temporairement dans les colonies, mais encore les fa-
milles créoles, les populations métisses, et, en ce qui concerne les vieilles
colonies, les nègres eux-mêmes. Dans ces vieilles colonies se sont même
créés des patois indigènes dérivés de la langue française.
Mais, à côté de cette mère patrie et de ses dépendances politiques, il est
encore dans le monde d'autres Frances.
La plus importante est le Canada. Ou donne le nom de Canadiens à un
peuple dont la langue maternelle est le français (1), et qui occupe une
vaste région comprenant toute la province du Bas-Canada (ou de Québec),
une partie de celle du Haut-Canada (ou d'Ontario), et la partie septen-
trionale de celle du Nouveau-Brunswick. Le parler canadien est partie in-

;
tégrante de la langue française, dont il constitue une usance. Cette usance
n'a subi que dans le détail l'influence de la langue anglaise elle tient la
plupart de ses caractères des usances normande, percheronne, sainton-
geoise, qu'ont apportées avec eux les colons français de jadis. Elle semble
destinée à prendre de plus eu plus d'importance dans l'ensemble de la
langue française, étant donné la vitalité manifestée par le peuple canadien,
qui est passé depuis 1763 de soixante mille à seize ceut cinquante mille

(1) Il convient de réserver, conformément à l'usance


du pays, le nom de Canadiens
inLeMondelangue française du Canada. Cf. Robert de Roquebrune, La défense du rail.
auxgens de
nouveau, numéro spécial sur le Canada, p. 82, note.
âmes (2). Outre ce bloc compact, des groupes de Canadiens sont répartis
dans le reste du Dominion au milieu de gens de langue anglaise par les-
quels ils ne se laissent pas assimiler.
Le français est également la langue maternelle de quelques îlots de po-
pulations représentant en Louisiane la descendance fidèle des colons fran-
çais d'autrefois.
A l'île de France, que les Anglais ont maintenant baptisée île Maurice,
la situation de la langue française est, mis à part les fonctionnaires et
quelques colons anglais, la même que dans nos vieilles colonies le fran-
çais est la langue des créoles du pays et des populations métisses, et les
:
nègres se sont constitué un patois à partir de lui. L'on sait d'ailleurs que
les habitants de cette île ont hautement réclamé, lors des remaniements
politiques qui ont suivi la guerre de 1914-1918, leur réunion à la répu-
blique française.
Mentionnons enfin que la langue française est le parler tant officiel
qu'usuel de la république de Haïti.

«
44. -
parlent, ont :
«Trois langues seulement, depuis qu'il y a des hommes, et qui
mérité d'être appelées universelles la la romaine
grecque,
« et la française. L'on a pu dire que la grecque, toute vibrante du chant
« des déesses et des cigales, fut celle de la beauté, tandis que la langue
« romaine, formée par l'effort ambitieux des juristes et des soldats, fut
« celle de l'autorité. La langue française, elle, futla langue de la grâce et
« de la raison réconciliées dans son harmonie et dans sa clarté. C'est son
« miracle continuel. Nous l'avons dû sans doute à
l'origine à l'heureux ac-
« cord du celte et du latin. »
Ainsi parlait le marquis de Flers dans son discours du 25 octobre 1921,
à la séance publique annuelle des cinq Académies, et il exprimait élo-
quemment la vérité.
A la civilisation païenne, dominée par l'hellénisme et représentée en
Occident par la langue latine, succéda, lors des invasions germaniques, un
état d'anarchie affreux et de sombre barbarie, qu'il convient d'appeler
Moyen-Age, parce qu'il est historiquement intercalé entre deux époques
civilisées. Or, en 842, apparaît la première manifestation de
la nation qui
mènera l'Occident vers le nouvel ordre de choses, et qui restera le centre
vital de cet ordre une fois établj. Les Serments de Strasbourg, acte de
naissance de la France, sont aussi l'acte de décès du Moyen-Age en Occi-
dent.
Il est établi, depuis Mas de Latrie (1), que le française eu au XIII"siècle
une expansion mondiale. C'est un fait sur lequel M. Nyrop (2) insiste au-
jourd'hui, comme Littré(3) y a insisté autrefois. Rappelons seulement
que c'est en français qu'ont écrit Brunetto Latini, Martin Canale, Marc
1---
(2) A. Siegfried. Le Canada, les deux races. Cliap. L, p. 2.
(1) Bibliothèque de l'Ecole des Charles, 2e Série, Tome II, p. 544.
- (2) Nyrop. Grammaire historique de la langue française, Tome I, § 23.
(3) Littré. Histoire de la langue française, III, §2, Tome I, p. 317.
raïlf» 1
Paul, Rusticien de Pise, Jean d'Antioche, Philippe de Novare, le Mo-
etc.
Dans toute l'Europe, ainsi qu'à Jérusalem et à Chypre, les gens de qua-
lité voulaient que leurs enfants apprissent le français. Il était la langue of-
ficielle de la Cour d'Angleterre, où les Normands l'avaient introduit, et l'on
sait l'énorme contingent de mots français que la langue anglaise conserve
encore. Cette expansion d'ailleurs n'a plus rien qui doive nous surprendre
depuis que les historiens, et tout récemment encore M. Boissonnade (4),
nous ont montré quel rôle prépondérant la France avait joué dans la poli-
tique internationale de cette époque. Dès cette époque, Paris était, comme
le fait voir M. Nyrop (&), « la capitale littéraire et scientifique de l'Europe. »
Il l'est resté.
L'expansion de la langue française au XVIla siècle est encore plus connue.
Les raisons en sont les mêmes. C'est dans une France politiquement très
puissante que, avec le concours conscient du Roi, c'est-à-dire d'un roi qui
a mis toute sa conscience dans l'exercice du métier essentiellement natio-
nal de roi, apparaît toute une floraison de génies qui font briller la France
d'un éclat incomparable. L'impulsion fut si forte que la prépondérance de
notre langue se prolongea pendant tout le XVIIIe siècle.
Depuis cette époque, la langue française, toujours tenue par les hommes
pour la plus claire et l'une des plus belles, était restée la langue diploma-
tique. Par un inexplicable oubli de notre dignité nationale, les négociateurs
français du traité de Versailles nous ont, après notre victoire, laissé essuyer
la plus douloureuse des défaites, en permettant qu'une autre langue fût
admise elle aussi à faire foi dans les actes diplomatiques officiels. Et contre
ceci, l'Académie française s'est élevée hautement par la bouche de Robert
de Fiers (6) :
« Que l'on nous prive detel avantage économique ou de telle zône con-
« testée, nous en avons l'habitude et nous te prenons avec une bonne grâce
« parfois excessive, mais que l'on cherche à nous évincer lorsqu'il s'agit
« d'un privilège que le monde nous a reconnu et que le temps n'a jamais
« entamé, c'est à quoi nous ne saurions nous résigner en silence. »
L'avènement de l'anglais comme langue diplomatique auxiliaire n'a mal-
heureusement pas été la seule atteinte qu'aient reçue les positions de la
langue française dans le monde. Il n'est pas douteux que les Ottomans,
malgré leurs protestations d'amitié vis-à-vis de nous, n'aient grandement
entamé, dans ces derniers temps, la situation traditionnelle de la langue
française dans ce qui leur reste d'empire.
Malgré tout, la langue française garde, au point de vue intellectuel, sa
prépondérance universelle. En maiiits pays, elle gagne du terrain, témoin
1 empressement que lui marque l'élite de l'Amérique latine. Et les Français,
dont la langue est au programme de l'enseignement secondaire de presque
toutes les najtions, peuvent rester le peuple le moins polyglotte du monde,
(4) Boissonnade. Du la Chanson de Roland.
(5)Nyron.Loc.cil. nouveau sur
(6)R.deFiers.Loc.cit.
y
et c'est heureux, car, comme l'a dit très justement Rem de Gourmont (7):
« Le peuple qui apprend les langues étrangères, les peuples étrangers
«n'apprennent plus sa langue. »
Au milieu de l'indéniable désarroi moral où se trouve plongée Inhuma-
nité depuis 1918, la France, malgré son état relatif de désorganisation,
moindre d'ailleurs que celui de beaucoup d'autres nations, reste, pour h
coordination des forces de civilisation humaine la nàtion directrice. Un
nouveau moyen âge n'apparaîtrait comme possible que si les différents
facteurs déchaînés par les conceptions des Wilson et des Lénine et par les
appétits ethniques indisciplinés: venaient à triompher d'une France affai-
blie par la dépopulation, seule maladie grave dont notre patrie soit en réa-
lité atteinte.
45. — Parmi les rivales possibles de la langue française, il en est de
sottes, et méprisables, ce sont les langues artincielles. Le rôle que le
génie accumulé d'une longue suite de générations humaines a eu, et
inconsciemment et consciemment, dans la constitution cles langues
naturelles et la partque l'inconscient prend encore à l'élaboration de la
forme linguistique de la pensée ont une importance trop capitale pour
- de fabriquer -
qu'il soit possible - des outils linguistiques
-
satisfaisants
-
en- s'en
passant absolument, comme le font forcément les langues artificielles.
Le souci d'« économie » qui guidait M. Couturat dans la création de sa
langue internationale (t), et qui consistait à ne conserver dans cette langue
que les répartitoires communs à tous les parlers humains, aboutiraitnon
seulement à priver les malheureuses gens condamnés à s'exprimer dans
cette langue utopique de toute cette originalité de conception,eu grande
partie affective, qui donne leur couleur aux pensées exprimées dans les
langues naturelles, mais encore à réduire leurlangage, au pointde vue pu-
rement représentatif, à un étatsqtielettiqtjequemêii-ie la pluspauvredes
langues naturelles ne réalise pas. D'ailleurs, c'est le plus spécieux et, par-
tant, le plus dangereux des sophismes que de venir prétendrecjiiftl'adop-
tion d'une langue internationale faciliterait la diffusion mondiale et l'en-
chaînement international des pensées ayant une valeur universelle. Si le
morcellement de la Terre entre des nationalités trop petites et politique!-
ment trop instables nuit au développement du patrimoine intellectuel de
l'humanité, rien en revanche n'est plus profitable à ce développement
que la coexistence de langues nationales diverses représentant chacune
une culture fortement étayée.
Nous avons tenu à prendre déjà position sur cette question des langues
artificielles le jour où M. Couturat est venu présenter à la Société française
de Philosophie l'Ido comme « une langue internationale auxiliairerépon-
dant aux besoins de la science et de la logique (2). » M. Jean Weber qui
collaborait à cette époque à nos travaux (collaboration que lescirconstan-
(7) R. de Gourmont. L'Esthétique de la langue française, chap. VII, p, 79. :
(1) Bulletin de la Société française de philosophie, février 1912, p. W.
(2)Ibid.,p.47.
ces ont rendue tropéphémère), et qui se trouvait membre de cette
Société,
exprima éloquemment. après entente avec nous, des opinions toute voisi-
nes de nos conceptions actuelles sur ce point (3). Il y aurait d'ailleurs de .:
notre part de l'injustice à ne pas reconnaître que dès cettte époque M. La-
chelier, se rencontrant avec nous, soulignait l'importance du rôle de l'in-
conscient dans l'évolution du langage (4), et que, plus anciennement en-
core, Bréal, dans son Essai de Sémantique (5), écrivait, avec son habituelle
"igueur d'expression, qu'une langue artificielle était une « camisole de
force»pour l'esprit. ,
Que si l'on croit utile de doter l'humanité d'une langue auxiliaire que
chacun apprenne, en plus de la sienne propre, pour entrer plus aisément
en rapport avec les étrangers, c'est le français qui semble avoir le plus de
droits à se voir attribuer ce rôle.
(3) Ibid., pp. 69 sera.
(4)Ibid.,p.68.
--

(5) Michel Bréal. Essai. de Sémantique, chap. XXVI, p. 272.


LIVRE 11

ESQUISSE DE LA STRUCTURE GÉNÉRALE


DU FRANÇAIS
CHAPITRE PREMIER

LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DU LANGAGE


-

SOMMAIRE

46. Continuité du langage à travers les temps. — 47. Le langage issu du cri ;
double valeur subjective et objective du cri. — 48. Valeur représentative du
langage s'opposant à la valeur affective du cri. ^— 49. La notion de factif, —
50. Le couple locuteur-allocutaive. — 51. Rôle de l'allocutaire. — 52. Le plan
locutoire dans le français contemporain. — 53. Le langage de l'enfant en
tant qu'il permet de saisir l'issue du langage hors du plan locutoire. —
54. Apparition du délocuté. Le plan délocutoire. —55. Résumé du processus
de constitution du langage. — 56. Apparition des factifs délocutoires.
57. Pas de langage sans jactivosité, Définition du factif.
-
;
46. — La grammaire de chaque idiome implique le fait de parole dans
sa plus grande généralité aussi est-il impossible, même dans une gram-
maire spécifiquement française, de ne pas se poser le problème de la
définition des traits constitutifs essentiels du langage en général, et celui
par conséquent de l'origine dudit langage.
La méthode historique ne nous est pour cela que d'un faible secours
aussi loin que nous plongions dans le passé, nous trouvons du langage
;
et toujours du langage. La grammaire comparée elle-même n'a pu déga-
ger que quelques grandes notions, mais vagues et indécises. De sorte
que ces disciplines n'ont guère eu pour résultat utile que de nous faire
apercevoir l'extraordinaire antiquité du matériel linguistique que nous
employons.-Loiii que le langage ait un caractère artificiel, arbitraire et
conventionnel, on y voit les formes et les conceptions de chaque parler
et de chaque époque n'être que les résultats de l'évolution naturelle des
formes et des conceptions du parler et de l'époque antérieurs. Tout par-

;
ler humain nous apparaît ainsi comme un fait de nature, dont les prigi-
nes se perdent dans la nuit des temps et il nous faut concevoir que du
cri de l'homme primitif encore plongé dans l'animalité ancestrale jus-
qu'au français d'aujourd'hui, une évolution insensible et continue s'est
poursuivie, sans qu'une création arbitraire en soit jamais venue rompre
la ligne.

47. — Force nous est de penser par conséquent, à moins d'admettre


- une intervention surnaturelle, que 'e langage procède du cri. Et pour-
;
tant, entre le cri et le langage, il y a un abîme apparent. L'émission de
sons ne suffit pas à constituer la parole le langage est avant tout quel-
que chose de psychique. Le cri n'est que le produit de la réaction vocale
de l'animal à une impression.

:
Envisagé du point de vue de la finalité, tout cri a pourtant déjà deux
valeurs la première purement subjective, en ce qu'il complète, en l'acti-
vant, la passion ressentie par l'animal ; l'autre au contraire objective en
ce qu'il aide, en impressionnant les autres vivants, l'action du crieur sur

;
eux. Ainsi l'animal, en criant dans la fureur, exhale cette fureur même,
mais menace aussi celui qu'il attaque en criant dans la douleur, il

;
complaît à sa douleur même et commence déjà à l'apaiser, mais il apitoie
aussi ceux qui l'écoutent en criant dans le désir, il exalte ce désir même,
mais il réveille aussi l'instinct sexuel de ses congénères de l'autre sexe ;
en criant dans la volupté, il ajoute à cette volupté même, mais il fait
aussi vibrer son conjoint d'une volonté adéquate.

48. — Il y a donc lieu de reconnaître au cri une valeur communicative

:
toute directe et toute affective. Cette puissance communicative n'est qu'un
phénomène de sympathie les signes extérieurs d'une émotion sont aptes
à en faire ressentir une analogue à l'auditeur, c'est ainsi que le cri prend
une valeur génératrice d'émotion chez autrui. Borné à cette valeur com-
municative purement sympathique, le cri, a donné chez l'homme nais-
:
sance à un art la musique.
Mais le langage a une valeur communicative d'une autre sorte, qui
est proprement représentative: même la plus simple interjonction n'a de
caractères linguistiques qu'en ce qu'elle est, au moins inconsciemment,
interprétée par l'esprit de l'auditeur comme représentant une émotion
donnée chez l'émetteur.
C'est là qu'à côté du rôle de l'être qui émet des phonèmes (le locu-
teur), apparaît le rôle de celui qui les perçoit (l'allocutaire). Non pas
:
qu'il faille penser qu'entre le cri affectif et l'interjection représentative,
il y ait un abîme, bien au contraire la valeur représentative d'un cri
s'élabore naturellement dans l'esprit de l'allocutaire, à partir de sa va-
leur effective sympathique involontaire. L'allocutaire qui s'abandonne
d'abord sans intervention intellectuelle à rçssentir en lui l'écho de l'émo-
tion qui avait donné, chez le locuteur, naissance au cri, arrive ensuite,
par le jeu naturel même de son psychisme, à rapporter intellectuellement
ment quelque chose de plus qu'une vibration sympathique
interprétation, c'est-à-dire en somme déjà compréhension.
:
à l'émetteur l'émotion primitive cause de la sienne. Il y aura dès ce mo-
il y aura

Mais le langage proprement dit ne commence à exister que lorsque


l'émetteur d'un son le destine essentiellement à un allocutaire, avec la
volonté de provoquer une réaction appropriée de celui-ci, c'est-à-dire en
somme d'être compris. Ce qui suppose que le locuteur a constaté anté-
rieurement chez autrui l'aptitude. à être impressionné de façon détermi-
née par
;
un son
viennent donc
; donné les habitudes du locuteur et sa mémoire inter-
le mot est un cri fixé, auquel sont associés des souve-
nirs, et dont la production est non seulement volontaire, mais intention-
nelle.

;
Intention, plus ou moins consciente, chez le locuteur, de provoquer une
réaction donnée de l'allocutaire compréhension plus ou moins parfaite,
par l'allocutaire, de l'état d'âme et de ;
l'intention du locuteur voilà donc
les deux termes-définissant le langage.

49. — Le langage ainsi défini, il faut se demander quels ont pu être


ces mots primitifs dont sont issus par développement et complication
croissante tous les parlers humains, ce qui se ramène à chercher quel est
le caractère logique général commun à tous les parlers possibles. Ce ca-
ractère doit être contenu dans le français même que nous parlons, car il
doit imprégner toute phrase, la plus simple comme la plus complexe.
La vieille conception classique, et qui convient à l'immense,majorité
des phrases françaises, définit la phrase un ensemble gravitant autour
d'un verbe. Mais il y a des phrases sans verbe, dites phrases nominales (1).
Kpetacaw yap (ïaaiXEÛç. Le roi est plus fort
Homère. Ilinde, A 83).

Et le français lui-même en offre de nombreux exemples. (Ex, :

A la droite du comte Martin-Bellème, M. Berlhier d'Ejz?lles. Intime et scbre


déjeuner d'affaires.
(Anatole France. Le Lys rouge, p. 349).
Jamais une pareille assemblée de ministres hors du conseil et de la présence
du roi, beaucoup moins personne admis à délibérer avec eux.
(Saint-Simon, Mémoires. Tome II. Ch. XXVII, p. 331).
« Tous dans le boyau !
» cria un adjudant.
(R. Dorgelès. Les croix de Dois. Ch. XI, p. 212)..

:
D'autres phrases sont réduites à un seul mot c'est un appel (Jean .) ;
une question (Quoi P) ; une réponse réduite à sa plus grande simplicité
(Oui) ; une exclamation (Zut 1)
Y a-t-il un caractère commun à toutes ces façons de s'exprimer ? Oui
certes, et cela même : qu'elles sont des façons de s'exprimer, c'est-à-dire
d'énoncer que l'esprit du sujet parlant est le siège d'un phénomène, et
que celui-ci doit réagir sur l'esprit d'un autre être. Nous désignerons

:
sous le nom defactif, c'est-à-dire expression d'un fait, cet élément cons-
titutif fondamental du langage toute phrase est ou un factif simple, ou
un ensemble de mots groupés dans une idée factive, ou un système plus
ou moins complexe construit autour d'un factif.
Cette notion, qu'une langue aussi évoluée pourtant que le français con-
temporain laisse si facilement saisir, on aurait pu, même sans cette aide

(1) Sur la phrase nominale, A. Meillct. Introduction à l'Etude des langues indo-euro-
Peennes,pp.340sqq.
1
empirique, la conclure de spéculations abstraites sur l'origine du langage.
Car, en vertu même de ce qui a été dit au § 48, il n'y a langage que quand
entre enjeu là représentation d'un fait nouveau survenu dans l'espritdu
locuteur: représentation que l'allocutaire tend à acquérir, et le locuteur
à communiquer,
Nous pouvons donc dire, en une formule nette et satisfaisante, que le
cri est devenulangage quand il a pris une valeur factive.
Cette transformation (qui n'a d'ailleurs d'existence que comme con-
cept scientifique, et partant schématique) se produit le jour où l'émet-
teur ayant aperçu l'impression produite par son cri sur l'auditeur le
répète intentionnellement dans le but d'en obtenir le résultat déjà cons-
taté. Le cri d'appel du mâle cherchant sa femelle, le cri de guerre de
l'agresseur bondissant sur sa victime,
— pour reprendre les exemples cités
plus haut, — sont déjà des factifs, du moment qu'en les proférant, le
sujet parlant en attend un effet connu dé lui, la venue de sa compagne,
l'effroi ou la surprise de son ennemi.
50. - De tout ce qui vient d'être dit, il résulte que le langage suppose

;
toujours deux termes psychiques, indispensables à sa production et insé-
parables l'un de l'autre d'une part l'individu qui parle, le locuteur ;
d'autre part, celui auquel il s'adresse, l'allocutaire.La réaction de l'allo-
cutaire à l'apostrophe du locuteur a été nécessaire pour que celui-ci se
rendît compte de son pouvoir de parole et passât du cri au factif.
Mais l'allocutaire, pour le locuteur, ce n'est que la portion du monde
extérieur sur laquelle la parole peut avoir une action. Et le locuteur,
bien entendu, ne sait jamais au juste jusqu'où s'étend son action linguis-
J tique. Ayant vu sa parole agir sur ses congénères et sur son chien, peut-
être même sur les dieux, puisqu'ils l'ont exaucé l'autre jour, il lui prête
une sorte de puissance magique et mystérieuse, et le voilà qui parle aux
étrangers et aux objets inanimés. Mais, dans ces cas mêmes, il y a un
allocutaire présent dans l'esprit du locuteur, et ils ne font pas exception
à la loi générale.
Le couple locuteur-allocutaire existe toujours et dans tout langage.
Quel que soit le perfectionnement du langage, et quel que soit le pro-
grès qui, de la simple réaction impressive à un phénomène, le fait passer
à l'expression d'un jugement raisonnable établissant des rapports entre
des entités substantielles, ces premiers éléments seront toujours une con-
dition nécessaire de sa constitution. La présence d'une personne qui parle
et d'une personne qui écoute est obligatoire pour la plus élevée comme
pour la plus humble des conversations, et c'est à bon droit que la tradi-
tion grammaticale désigne le locuteur sous le nom de première personne,
et l'allocutaire sons le nom de secondepersonne. Dnns son étatprîmordial,

; ;
le langage ne connaît que ces deux personnes, le monde extérieur n'y
figure pas rien n'est proprement conçu ni jugé à son endroit domaine
encore inexploré, il n'a de rôle qu'indirect, en ce qu'il peut être la cause
des réactions émotives dès deux personnes. Ces réactions émotives seules.
;

-
sont, dans cet état primitif, la matière réelle du langage et les deux per-
sonnes ne se font sentir l'une à l'autre que des nuances plus ou moins
:
grossières de leur état émotif. L'attention se centre autour de l'état d'âme
de la personne qui est en train de parler c'est pourquoi nous disons d'un
pareil langage qu'il est construit sur le plan locutoire.
M. — Le rôle de l'allocutairè pouvait n'être que purement passif, car
le locuteur, bien souvent, attendait moins de lui une réplique verbale
qu'une manifestation d'obéissance. Mais un grand pas a été franchi le
jour où J'allocutaire s'est montré apte à devenir lui-même locuteur.
En effet, nous parlons à nos animaux domestiques, surtout à nos chiens,
et dans une certaine mesure ils nous comprennent en réagissant d'une
manière appropriée à des émissions vocales déterminées. Mais ils ne ré-
pondent pas, il n'y a pas de langage. Car le subjectif à deux termes, locu-
teur-allocutaire, qui est la condition sine qua non du langage, n'est réelle-
ment constitué que lorsque les deux termes sont réversibles et se conçoi-
vent comme tels. Non seulement d'ailleurs le milieu psychique nécessaire
à la production du phénomène linguistique est alors complet, mais en-

s'étend à un groupe : ;
core fe langage prend une valeur sociale, dépasse le pouvoir de l'individu,.
famille, tribu, peuplade il y gagne en richesse,
en stabilité, en pouvoir expressif, car ce sont des intelligences multiples.
qui s'emploient à en augmenter lesvmoyens.
Ce rôle si important de l'allocutaire, que nous venons d'exposer dans
sa généralité, n'a bien entendu, pu se développer dans sa plénitude que
dans des stades linguistiques beaucoup plus évolués que celui que nous
désignons maintenant. Sur le plan locutoire, on peut concevoir l'allocu-

;
taire comme répétant d'abord ce qu'il entend, pour bien montrer qu'il

;
l'a perçu tel le camarade qui répond pihouit à son camarade qui vient
de lancer le même cri pour le retrouver dans les bois tel aussi le signa-
leur qui répète les signaux pour montrer au signaleur qui les lui envoie
qu'il les a bien saisis. A la limite d'expressivité du plan linguistique locu-
toire, l'allocutaire aura pu réagir à un factif par un factif différent, ré-
pondre à une exclamation de douleur par un cri pour donner courage, à,
une exclamation de colère par un humble murmure de soumission.
52. — n n'est pas de langue qui ait entièrement renoncé à sa slruc- I
ture locutoire ancienne. Les interjections, les vocatifs, les impératifs, en
sont les plus beaux exemples dans le français contemporain. Nous serons.
éllHenés, au cours de ce travail, à mettre en lumière, chaque fois que nous
les rencontrerons, les mécanismes du français qui appartiennent
au plan
locutoire. Mais les interjections, particulièrement caracléiisliqnes, valent
que nous nous y arrêtions dès maintenant un moment. La nature ancienne

:
et le rôle grammatical des interjections ont été reconnus par plusieurs
Rnimmairiens
« Le premier coup d'oeil jeté sur les langues », dit Beauzée (1), « mon-
CI) Encyclopédie, s. v. Mots.
«vocabulaire ;
«tre sensiblement que le cœur et l'esprit ont chacun leur langage.
(de celui du cœur) « est court il se réduit aux seules
» Lé

; »
«interjections. Elles désignent dans celui qui s'en sert une affection, un
«sentiment elles ne l'excitent pas dans l'âme de celui qui les entend,
melles ne lui en présentent que l'idée. Je donnerais à ce premier ordre
«de mot le nom d'affectifs, pour le distinguer de ceux qui appartien-
«nentau langage del'esprit,etque jedésignerais parle titre d'énonciatifs, »
Le même auteur (2) nous apprend que « l'interjection étant considérée
« par rapport à sa nature », dit l'abbé Régnier (p. 534), « est peut-être
«la première voix articulée dont les hommes se soient servis. » Ce qui
n'est « que conjecture chez ce grammairien est affirmé positivement par
« M. le Président de Brosses, dans ses observations sur les langues pri-

«
:
«mitives, qu'il a communiquées à l'Académie Royale des Inscriptions et
«Belles-Lettres « Les premières causes », dit-il, « qui excitent la voix
humaine à faire usage de ses facultés, sont les sentiments ou les sen-
«sations intérieures, et non les objets du dehors, qui ne sont,pour ainsi
«dire, ni aperçus ni connus. Entre les huit parties d'oraison, les noms
«ne sont donc pas les premiers, comme on le croit d'ordinaire, mais
«ce sont les interjections, qui expriment lasensation du dedans, et qui
«sont le cri de la nature. L'enfant commence par elles à montrer qu'il
«est tout à la fois capable de sentir etde parler. Le langage d'un en-
«fant, avant qu'il puisse articuler aucun mot, est tout d'interjections.
« La peinture d'aucun objet n'est encore entrée en lui par les por-

:
«tes des sens extérieurs, si ce n'est peut-être la sensation d'un tou-
«cher fort indistinct il n'y a que la volonté, ce sens intérieur qui nait
;
«avec l'animal, qui lui donne des idées ou plutôt des sensations, des
aaffections ces affections, il les désigne par la voix, non volontaire-
«ment, mais par une suite nécessaire de sa conformation méchanique et
« de la faculté que la nature lui a donné de proférer des sons. Cette fa-
«culté lui est commune avec quantité d'autres animaux (mais dans un
« moindre degré d'intensité) ; aussi ne peut-on pas douter que ceux-ci
de
«n'aient reçu de la nature le don la parole, à quelque petit degré
«plus ou moins grand (3) (proportionné sans doute aux besoins de leur
« économie animale, à la nature des sensations dont elle les rend suscep-
«tibles ; d'où il doit résulter que le langage des animaux est vraisembla-
«blement tout interjectif, et semblable en cela à celui des nouveaux-nés,
«qui n'ont encore à exprimer que leurs affections et leurs besoins). »
53. — Le Président de Brosses vient de nous dire Panalogie qu'il con-
cevait entre le langage des animaux et des hommes primitifs et celui des
enfants. Mais les enfants grandissent et c'est précisément dans le déve-
loppement de leur langage que nous allons saisir sur le vif comment le
langage a pu passer du plan locutoire à un état plus avancé.

(2) Ibid., sub verbo interjection.


(3) Tout ce passage a été repris et développé par le Président de Brosses dans son
Traité de la formation méchanique des langues. Chap. VII, §§ 68 sqq.
On ne doit, à vrai dire, user qu'avec de grandes précautions des élé-
ments fournis par le langage des enfants pour la construction d'hypothè-
ses touchant l'origine du langage. Et les
conclusions qu'on en pourrait

:
lirer ont même été entièrement récusées. Tous les siècles de langage que
;
J'enfant a derrière lui sont, dit-on, ineffaçables on ne peut nier cette
considérable hérédité mais il paraîtra que la considération même des

de l'humanité primitive doivent avoir de grandes analogies :


lois de l'hérédité conduirait à penser que le langage de l'enfance et celui
et ceci en
vertu de la loi de patrogonie. Il est vraisemblable que le langage, qui,
au degré où il mérite vraiment ce nom, est la propriété exclusive du

:
genre humain, n'est apparu phylogénétiquement qu'après l'individuali-
sation de ce genre ce qui s'accorde avec son apparition ontogénétique
relativement tardive dans le courant de la seconde année de la vie extra-
utérine.
Naturellement, l'enfant reçoit du dehors un langage tout fait, et les
différents stades de pensée sont pour lui des stades d'assimilation du lan-
gage de son entourage. C'est en cela que l'enfant diffère de l'espèce,
pour qui ces stades de pensée ont été des stades d'élaboration véritables,
et combien plus lents 1 Sous cette réserve évidente, et riche de consé-
quences, la comparaison entre le langage de l'enfant et le langage
primitif paraît légitime. -
Or, l'enfant qui commence à parler ne parle que par factifs. Sous l'in.
flucnce du milieu qui l'entoure, il arrive rapidement à désigner des objets
du monde extérieur. On l'entend appeler Maman, Papa, mais il n'em-
ploie ces mots que factivement, non pour désigner une espèce substan-
tielle, mais pour faire naître un phénomène, celui de l'apparition de la
personne appelée. Cet emploi factif se retrouve encore dans les expres-
sions vocatives de nos langues, pour lesquelles les langues anciennes pré-

:
sentaient les formes les plus simples de la déclinaison. Nous entendons
encore l'enfant dire dodo, lolo, selon qu'il désire dormir ou boire (1).
Quand tu balbutiais à peine, je devinais ce que tu voulais. Si tu disais (ipûv,
bon, je t'apportais à boire; si tu demandais tLiX¡LtLOCV, je te donnais du pain, et
tu n'avais pas plus tôt dit XiXXXOCV que je te prenais, te portais dehors et te tenais
accroupi.
(Aristophane, Les Nuées,vers,1381-85).
Et là encore ce sont des emplois exclusivement factifs. Plus tard quand,
son intelligence s'éveillant, il commence à discerner, de par le langage
de son entourage, la liaison qui existe entre les images sensorielles diver-

(1)
:
ses des choses et les sons articulés, nous le voyons désigner du doigt les
différents objets en criant avec satisfaction leur nom cheval 1 ou dada 1
AtaOuv6Mv6g aou TidtvTa TpauXîÇovcoç, 6Tt ",coh¡ç,
t

el ILÉ'" ye Ppûv eItcoiç, lyà yvoù; àv itteiv iiréayov*.


8'&valTrçaavroç -tix6", aoi yipwvav8Erirov,
xaxxav 8'&v oùxè'cpOvjçcppicat, xiy(L ).a6d>v 0ûpaLC
èlUcpepov &'" xat irpoOc^djjiïiv ae,
: ;
selon le mot employé devant l'enfant par ses parents Jacqueline ! cous-
!
sin ou leur qualité gros ! Et ces emplois sont encore des emplois pure-
ment factifs, qui ne sont que l'affirmation du rapport existant par exem-
ple entre la suite phonétique [c (œ) v à 1] et l'animal qu'il désigne, c'est-
à-dire en somme la création de l'idée de cheval.
C'est là la première amorce d'une évolution de la plus grande impor-
tance vers l'identification des êtres du monde extérieur.
54. — Le factif originel, en tant qu'il traduit une affection plutôt

;
qu'une volition, devient vite l'expression.non seulement d'un état d'âme,
mais de la cause extérieure qui l'a fait naître le fonctionnement social
du langage donne nécessairement le pas au second terme sur le premier :
c'est cette cause, la même pour tous les locuteurs, qui semble être le sup-
port permanent de l'impression communiquée tantôt à l'un, tantôt à
l'autre. Le vocable énoncé à son sujet devient en quelque sorte sa pro-
priété.
Voilà donc les faits extérieurs entrés dans le langage aux côtés du

;
locuteur et de l'allocutaire. Il n'y a plus seulement dans le monde, celui
qui parle et ce à quoi il parle il y a aussi ce dont il parle, le délocuté
(troisième personne des grammairiens classiques). Ce délocuté n'est à
vrai dire à l'origine conçu que comme phénoménal plutôt que comme
substantiel.
Dans les phrases nominales les substantifs retiennent, en plein français
contemporain, de la valeur factive, parce que représentant des causes de
possibilités phénoménales.
Peu à peu cependant, la substance du délocuté pourra se dégager des.
notions phénoménales qui l'encombrent primitivement. Le locuteur con-
cevra que lui-même et l'allocutaire font partie de ce monde dont ils par-
lent. Il s'y situera, ainsi que le témoin auquel il s'adresse. De subjectif,
le langage tendra à devenir de plus en plus objectif. Il évoluera du plan
locutoire vers le plan délocutoire (1).
Dans le plan locutoire, le centre du discours était la personne qui parle

(1) « L'évolution linguistique a donc consisté surtout dans la multiplication indéfinie


« de ces formes légèrement différenciées qui, recevant des circonstances leurs fonctions
« initiales, ont servi aux premières manifestations du langage articulé et analytique,
« et succédé aux cris amorphes et synthétiques que l'interjection représente encore
« dans les langues actuelles. » (Paul Regnaud. Dictionnaire étymologique de la langue
allemande. Préface, p. II).
La distinction entre le plan locutoire et le plan délocutoire a été entrevue par M.
Raoul de la Grasserie. Cf. cette phrase de son Essai de Sémantique intégrale, I, 1, p. 15 :
« au-dessous se trouve le langage exprimant les sentiments et les volontés, surtout
« ceux primitifs et réflexes, par exemple employant l'interjection, le vocatif, l'impéra-
« tif, et qu'on peut appeler le langage spontané et impulsif, le langage biolofliquc. »
L'auteur oppose dans ce passage le plan loculoiie, sous le nom de langage biologique,
au plan délocutoire qu'il appelle langage psychologique. Mais il a, selon nous, grand
tort de faire rentrer dans le même ordre de classification le langage soeiologique, c'est-
à-dire le parler qui diversifie ses modes d'expression suivant les circonstances sociales.
Ce parler ne se distingue du parler ordinaire par rien d'analogue à ce qui sépare le
locutoire du délocutoire. Un esprit aussi pénétrant que celui de M. de la Grasserie n'a
pu commettre une aussi grave confusion que parce que, quoiqu'ayant eu le mérita
d'entrevoir d'intuition la différence du locutoire au délocutoire, il n'avait néanmoins
* pas clairement et distinctement vu l'essence réelle de ce qui les distinguait logique-
ment. -
et
réagit au milieu extérieur ou du moins sur cette portion sensible à sa
,oix qu'est l'allocutaire. Dans le plan délocutoire,. le centre du discours
estla chose dont on parle (nous ne disons pas la personne, car il n'est
plus désormais utile de lui prêter de la perception) et dont le discours
raconte l'histoire. "v
Situé lui-même dans le1 plan délocufoire, c'est-à-dire se concevant dé-
sormais comme l'une des substances du monde dont il parle, le locuteur
s'extériorise et se dénomme au moyen de formes spéciales dites de'la
première personne, et que nous désignerons sous le nom de locutif; l'al-
locutaire de même, en tant qu'on parle de lui, qu'il est délocuté, s'énonce ,.

par les formes de la seconde personne, que nous dénommerons allocutif.


Mais, dans le cas général, on parle de substances extérieures, siège d'un
drame auquel le narrateur, sans se mettre en scène, assiste en simple
spectateur : ces substances s'expriment par les formes de la troisième
personne, ou délocutif. Comme on le voit, il y a une différence essen-
tielle entre ce que nous avons appelé le plan locutoire et ce que nous
dénommons ici le locutif. Appartiennent au plan locutoire les modes
d'expression où le locuteur, sans se nommer, se pose comme le centre
du monde linguistique (interjections, impératifs) ; appartiennent au locu-v 1

lif les modes d'expression ou le locuteur, se désignant lui-mêmé et se


plaçant sur le plan délocutoire, raconte sa propre histoire comme celle
d'un être à part(formes de la première personne des pronoms et des ver-
bes).

55. — Nous pouvons maintenant considérer dans son ensemble le


processus de la constitution du langage. 1.
Les cris par lesquels se trahissaient à l'origine les réactions de l'hom-
me aux faits intérieurs ou extérieurs n'étaient que l'extériorisation lOCll-
toire de ses états d'âme. Même dans le langage actuel, d ailleurs, il va
sans dire que la présence du locuteur est toujours impliquée dans la phrase.
L'intervention, réelle ou simplement conçue, d'une seconde personne,
ou allocutaire, écoutant les cris, les interprétant, et devenant bientôt le
but auquel ils s'adressent, les transforme en des factifs, qui sont le pre-
mier état du langage. Le langage est créé le jour où deux personnes con-
versent, et l'allocutaire est aussi nécessaire que le locuteur à l'exercice ,
du langage, et aussi omniprésent que lui dans la phrase.
étendant de plus' en plus son domaine, et devenu un moyen d'expres-
sion et d'exposition, le langage prend des caractères de plus
en plus
grande clarté, et l'on peut voirl'assertion phrastique ne plus se réduire
;l la simple réaction à
un fait brutal, mais devenir l'expression de liens,
de rapports entre diverses substances. C'est là la constitution habituelle
de 1immense majorité de
nos phrases actuelles. L'on affirme ces rapports
a partir de la personne ou de la chose dont on parle, le délocuté, C'est
;
donc le point de
du langage
phrase que
vue déloeutoire qui fait le fond de la logique actuelle
et l'on ne fait intervenir le locuteur et l'allocutaire dans la
pour parler d'eux, c'est-à-dire comme des cas particuliers du
délocutif, personne indifférenciée. Le locutij et l'allocutif de la langue
actuelle sont délocutoires.
56.—Mais l'antique factif locutoire ne peut pas suffire à l'expression
d'idées aussi diverses et aussi nettes. Nous voyons, concurremment
avec lui, et dans des emplois beaucoup plus fréquents, apparaître
le factif délocutoire. Comme son aîné, il signale un phénomène
produit, mais il indique en même temps les rapports des choses à propos
desquelles le phénomène se produit, et les réactions de ces choses les unes
sur les autres.
:
Il assure donc, conjointement, deux rôles différents aperception d'un
fait nouveau dans le contenu psychique du locuteur (émouvement, v. ht-
fra, § 105), et expression de rapports déterminés entre les substances, les
qualités et les modalités impliquées dans le phénomène (circonstancement,
v.infra, § 105). Le factif de ce nouveau type logique, c'est le factif verbal
délocutoire, c'est-à-dire le a verbe à un mode personnel. »
57. — En résumé, toute expression de la pensée est une factivosité ;
tout langage, comme toute pensée se compose de l'appréhension succes-
sive de faits nouveaux. Ces faits peuvent être des états d'âme par lesquels
on se sente modifié, des événements extérieurs auxquels on rapporte ces
modifications, ou, au degré le plus abstrait, des jugements par lesquels
on conçoive, entre entités substantielles, des rapports qui, pour perma-
nents qu'ils puissent être estimés, constituent pour l'esprit un fait nou-
veau au moment où il les appréhende. Etats d'âme, événements extérieurs,
jugements abstraits ne sont donc au regard de notre logique interne,
qu'une seule notion, la notion de factif.
Nous définirons donc le factif : un terme ayant la pleine puissance de
poser un fait comme existant.
CHAPITRE II

LES RËPARTITOmES

SOMMAIRE

58. L'idéeret-l&-mot. Leur adéquation. — 59. Les sémièmes et les taxièmes.


Chaque langue particulière caractérisée par un système taxiématique propre.
flexions, struments, auxiliaires. —
— 60. Différentes espèces de taxiomes ;
61. Pexièmes ; pexiomes. — 62. Tableau de la classification des idées fran-

répartitoires grammaticaux.
des phases.
-
çaises et de leurs modes d'expression. — 63. Le mot et le vocable. — 64. Les
65. Division des répartitoires : des physes et

58. — Nous avons, dans le chapitre précédant, en définissant d'une


part le factif, d'autre part les plans locutoiré et délocutoire, montré quels
sont les éléments essentiels sans lesquels le langage ne peut exister. Com-
ment ces éléments vont-ils se différencier, s'agencer et entrer en jeu P
Pour faire comprendre de quelle façon la plus raisonnable et la plus
plausible on peut, à partir des cris émotifs émis par les animaux, conce-
voir l'origine du langage, nous avons été amenés, dans le précédent cha-
pitre, à en faire ressortir le caractère affectif constant.
Le caractère affectif est ce qui unit le langage au cri inarticulé, mais
c'est le caractère représentatif qui l'en distingue. Car il n'y a pleinement
langage que lorsque les sons émis par le locuteur sont interprétés par
l'allocutaire comme représentant la réaction du locuteur à un fait.
Un animal, si intelligent soit-il, mais qui ne jouit pas du langage, n'a
de représentations mentales que s'il peut les faire reposer directement
:
sur ce que lui ont fourni ses sensations perceptions actuelles, images
sensorielles reconstituées par le souvenir, créations imaginatives faites

:
de dislocations et deréassociations d'éléments sensoriels. De telles repré-
sentations sont dites concrètes. Elles ont une valeur directe le souvenir,
la perception actuelle, voire la création imaginative (Tune odeur donnée,
Par exemple, ne fournissent à l'esprit que la représentation mentale de
cette odeur même.
La naissance des représentations abstraites
ou idées est au contraire
inséparable de celle du langage. A la base de celui-ci est, nous le savons,
-l'opération de l'esprit par laquelle un certain cri tel que « ouf » est
interprété comme décelant chez l'émetteur un certain état d'âme qui se

ble vertu, générale et particulière. Vertu générale : :


reflètera chez l'interprétateur. Une pareille opération mentale a une don-
le cri y devient un
factif, comme il a été dit au chapitre Ier. Vertu particulière il y a créa-
tion dans l'esprit d'une représentation correspondant au genre spécial
d'états d'âme provoquant le jaillissement de ce factif là, « ouf » et non
d'un autre. Et si nous admettons que ce soit quand il est brusquement
soulagé que notre homme crie « ouf », nous aurons assisté à la création
de la première représentation mentale de la notion de soulagement brus-
que. Et cette représentation mentale ne saurait recevoir aucun nom plus
approprié que « ouf », puisque ce factif la recouvre exactement dans les
limites qu'elle a à cette période-là, et qu'il n'en est en somme pas
différent. >
La représentation ainsi créée est dite représentation abstraite ou idée,
et s'oppose exactement, par certains de ses caractères, à la représentation
concrète ci-dessus définie. En effet, elle ne procède nullement de la valeur
directe de la perception ou du souvenir sensoriels qui y
donnent lieu,
mais d'une valeur indirecte qu'ils ont en outre. La perception de la suite
phonétique [m f] ou le souvenir de cette suite évoqué dans l'esprit n'ont
ici de valeur qu'en ce qu'ils créent non pas la représentation mentale de
la suite phonétique [m f], mais bien la représentation mentale d'un soula-

: ;
gement brusque. Le corps auditif du mot et, après l'invention de l'écri-
ture, son corps visuel ne sont que le support de l'idée celle-ci est plus
profondément enclose dans le mot elle est, si l'on ose ainsi parler, plus
dans son âme que dans son corps.
Le corps mémoriel du mot n'est que le symbole de la représentation
donnée, mais il en est le symbole nécessaire et
générateur.
L'idée est née avec le mot dans l'opération mentale fondamentale ci-
dessus décrite. Créés ensemble et par une même opération de l'esprit, ils
ne sont que deux aspects indissociables d'une même chose (car il va de
soi que le mot, en tant que suite de sons n'évoquant, comme, par exem-
ple, pour une oreille étrangère, qu'une suite de sons, n'est pas un mot).
De la même façon qu'ils sont nés ensemble, ils évoluent ensemble, insé-

;
parablement. Extensions, restrictions, modifications, changements de
conception les louchent en même temps toutce qui suivra, dans le
cours du présent ouvrage, seira l'illustration de cettevérité.
« Ce qu'il y a de sûr », dit très justement Joseph de Maistre, «c'est
« que tout peuple a parlé, et qu'il a parlé précisément autant qu'il pen-
« sait et aussi bien qu'il pensiait ; car c'est une folie égale decroire qu'il
« y ait un signe pour une pensée qui n'existe pas, ou qu'une pensée man-
« que d'un signepour se manifester (1). »
59. — Le nombre des idées croissant rapidement et le langage les uti-
(1) Joseph de Maistre. 'Soirées de Saint-Pétersbourg, 28 entretien,
p. 129.
;
lisant d'une manière toujours plus étendue et plus variée, des différen-
ciations se sont opérées les mots ne se sont plus distingués seulement
par leur contenu mental, propre à chacun d'eux et individualisé, mais
par leurs aptitudes à s'associer et les rôles respectifs qu'ils pouvaient
jouer dans ces constructions. Et c'est là que vont se montrer à nous,
pour la première fois, les différences spécifiques entre les divers idiomes,
différences qui désormais vont régir toute la grammaire.
D'une part, en effet, nous voyons toutes les langues répartir leurs mots,
suivant leurs fonctions, entre un certain nombre de « parties du dis-
coursM, mais chacune les conçoit et les caractérise à sa façon, et lors
même que les divisions paraissent analogues dans leur ensemble, on
découvre, par un examen plus attentif, des différences profondes d'un
système à l'autre. D'autre part, chaque langue, dans le perfectionnement
de son mécanisme associatif, est amenée à dégager un certain nombre
d'idées comme essentielles à la construction du discours, et comme ayant
par là une valeur très générale et très différente de celle de toutes les
autresidées.Cesidées, que nous appellerons taxièmes, paraîtront si essen-
tielles à la langue considérée qu'elle en fera comme des repères par rap-
port auxquels le contenu du discours devra être exactement défini. Mais
chaque langue aura ses taxièmes à elle, et au choix de ceux-ci se recon-
naîtra son génie propre.
On donnera le nom de sémièmes aux idées qui, dans une langue don-
née, n'ont pas été choisies comme taxièmes.

;
Les sémièmes représentent, bien entendu, l'immense majorité des idées.
Ce sont des idées libres, à sens plein et individualisé ce travail de clas-
sement et de perfectionnement fonctionnel qu'a été l'évolution gramma-
ticale de la langue n'a eu sur elles d'autre effet que de les répartir dans
les différentes espèces linguistiques, et de leur attribuer par conséquent
les rôles et les aptitudes propres à chacune de ces espèces.
Nous appellerons sémiome le corps d'expression du sémième, le mot

:
par lequel il se rend. Tout sémiome est caractérisé à nos yeux par deux
cléments 1° par son sémième, c'est-à-dire par l'idée qu'il contient
2° par sa fonction grammaticale, c'est-à-dire par le rôle qu'il est apte à
;
jouer dans la phrase.
Quand nous disons:
Nous l'avons eu, votre Rhin allemand.
Si vous oubliez votre histoire,
Vos jeunes filles, sûrement,
Ont mieux gardé notre mémoire ;
Elles nous ont versé votre petit vin blanc.

la différence entre mémoire et vin est


une différence sémiématique le
Emplacement de ces mots l'un par l'autre donnerait à la phrase un sens
:
(A.,de Musset. Le Rhinallemand).

stupide et choquant pour l'intelligence il ne l'empêcherait


;
:
pas de de-
meurer parfaitement claire et compréhensible dans son absurdité c'est
que si ces deux sémiomes ont des sémièmes complètement différents, ils
n'en appartiennent pas moins à une même espèce linguistique que les
grammairiens ont appelée « nom » ou « substantif », et qu'ils ont à co
titre les mêmes fonctions dans la construction des phrases.

; ;
Au contraire, si la permutation porte sur les mots mémoire et sûrement,
le discours n'a plus aucun sens il n'est même pas absurde il est inin.
telligible : c'est que les deux sémiomes diffèrent etpar leur sémième et
par leur espèce linguistique. -
Il y a donc dans tout sémiome non seulement un sémième, mais un
élément d'ordre taxiématique, celui par lequel il appartient à une espèce
linguistique et non à une autre. Cet élément taxiématique peut faire corps
avec le sémième et n'être révélé par aucun signe particulier dans la forme
du sémiome ; c'est le cas pour les mots mémoire et vin du précédent

:
exemple ; mais il se peut aussi qu'il soit indiqué par un détail apparent
ainsi le mot sûrement est affecté d'une terminaison ment qui nous y
:
fait reconnaître tout de suite l'espèce verbale que les grammairiens ont
dénommée « adverbe, »
Nous saisissons, ici, la formation d'un taxiome, c'est-à-dire du mode
d'expression d'un taxième par un corps phonique propre.

; :
60. — Il y a différents genres de taxiomes. Ce sont 1° les flexions. —
La flexion n'est pas un vocable elle n'a pas d'existence indépendante et
ne parait dans le discours qu'intimement unie au sémiome : aussi est-ce
à juste titre que les dictionnaires ne contiennent pas les flexions, dont le

:
rôle est purement grammatical. Les désinences personnelles des verbes
j'aim-ais, nous aim-ions ; la terminaison féminine des noms
:
hau-te,
for-te sont des exemples de flexions.
2° Les struments. Nous désignons par cette appellation les taxiomes-
formant vocablesindépendants. Dans l'exemple de Musset précédemment
cité, les « pronoms » nous, vous, elles, l' (le), les « adjectifs possessifs »
»
votre, notre, l' « adverbe mieux sont, d'après notre définition, des stru-
ments. Tous ces mots, en effet, se rapprochent par un caractère commun
ils font partie du matériel constructif du discours, ils expriment des idées
:
simples, cardinales, classées et servant à classer les autres. Ces taxiomes
proviennent d'ailleurs souvent d'anciens sémiomes, dont le sémième pro-
pre s'est effacé, perdant, si l'on peut dire ainsi, sa substance sémiémati-
:
que pour n'en conserver que la forme, d'autant plus commode pour ce
rôle nouveau qu'elle est plus vide cette transformation a obnubilé l'an-
cien sémième, et fait naître, par un progrès d'abstraction, un taxième
désormais fixé dans un taxiome. De même que l'on voit des sémiomes

:
devenir,taxiomes en passant d'une langue à une autre, de même l'inverse
»
peut se produire ainsi de l' « adjectif indéfini qualiscumque auquel le
latin donne un rôle strumental, le français a fait quelconque, qui est redevenu
un adjectifordinaire dont le sémième est dégagé de toute idée taxiématique.
3° Les auxiliaires. - L'auxiliaire est un sémiome ayant une pleine
existence sémiématique en général, mais qui se trouve temporairement

:
dégradé, parce que, vu sous un certain aspect, son sémième devient
taxième. Dans cet exemple

C'est par cette subtilité de conscience qu'il a trouvé le moyen, en ajoutant la


fourbe à la simonie, de
faire avoir des bénéfices sans argent et sans simonie.
(Pascal. Provinciales. Lettre XII).

le verbe avoir est employé successivement comme taxiome (auxiliaire)


et comme sémiome.
D'ailleurs les mêmes taxièmes selon les circonstances selon les ressour-
ces de la langue et selon l'époque de leur évolution demeurent indifféren-
ciés dans les sémiomes dont ils affectent seulement la fonction, ou sont
exprimés par des struments, des auxiliaires ou des flexions.

61. — Il y a enfin un certain nombre d'idées qui, nécessairement, ne


sont pas indépendantes, mais qui, cependant, sont trop particulières pour
trouver leur place dans les éléments taxiématiques de la langue. Ce sont
lespexièmes, dont le mode d'expression ou pexiome est représenté par
ceux des affixes qui sont formatifs de nouveaux vocables jusque dans la
langue actuelle, et qu'on peut désigner sous le nom d'affixes vivants (t).
L'affixe vivant est comparable à la flexion en ce qu'il n'existe pas à l'état
:
libre c'est une flexion sémiématique.

;
Le pexième n'existe que si le sentiment linguistique du sujet parlant le
distingue nettement du sémième auquel il est joint sinon, le vocable

;
dérivé ne l'est plus qu'historiquement. Le pexiome-u se distingue du
sémiome ventre dans ventru c'est de la dérivation vivante. Le sentiment
linguistique actuel ne perçoit plus de rapport de dérivation entre lin et
linge, c'est de la dérivation mdrte, qui ne relève plus que de la science
étymologique. Il arrive parfois qu'un élément formatif change complète-
ment de nature. L'ancien taxiome flexionnel-bus du mot omnibus est,

veaux vocables :
par exemple, pris à présent pour un pexiome, et sert à former de nou-
auto-bus, aéro-bus. Le fait que ce soit une ancienne
flexion ne paraît d'ailleurs jouer aucun rôle dans ce phénomène il n'y : a
là que la dislocation d'un sémième accompagnée de la dislocation paral-
lèle de son sémiome, dont une partie devenue ainsi pexiome laisse échap-
per la notion d'un pexième nouveau. Nous appelons ce procédé disloca-
tion dérivascente.

(1) Ainsi
bles à que le fait justement remarquer Saussure, l'emploi de métaphores sembla-
celles-ci ne suppose pas qu'on veuille, en effet, dire que la langue est un orga- 1
nisme vivant et il serait exagéré de bannir, par trop vouloir être exact, des façons de
parler consacrées et commodes. Dire que le langage, produit naturel d'organismes vi-
vants, est vivant, n'est pas une image outrée (Cf. Cours de linguistique générale, p. 19,
note)
62. — Le tableau suivant donne un résumé de la classification des
idées de la langue.

1 IDÉES EXPRIMER
A

A. Faisant partie des B. Ne faisant pas par-


notions fixées par tie des notions
la grammaire. fixées par la gram-
maire.
(TAXIÈMES)

, mode d'expression
TAXIOMES
: (SENIIÈMES)

mode d'expression
SEMIOMES
:
Permanents :
STRUMENTS VOCABLES non
Libres
Formes Occasionnels : STRUMENTAUX
AUXILIAIRES
phoniques
Syncli- PEXIOMES
FLEXIONS
tiques Affixes vivants
I

Les groupes taxiématique (A) et sémiématique (B) contiennent l'un et

;
l'autre des membres libres et des membres synclitiques : les struments
et les auxiliaires sont des taxiomes libres les vocables non strumentaux,
des sémiomes libres. Les flexions sont des taxiomes synclitiques, les
affixes des sémiomes synclitiques.

63. - Les mots contenant une flexion sont de ce fait, porteurs et d'un
sémième qui leur est propre et d'un taxième attaché à leur flexion. Aussi
existe-t-il différents mots contenant le même sémième, et se différenciant
seulement par des flexions différentes, c'est-à-dire au point de vue séman-
tique par des taxièmes différents. Tous ces mots ayant un sémième com-
mun sont dits appartenir au même vocable, et leur ensemble ne donne
lieu qu'à un seul article de dictionnaire. C'est ainsi que cheval et chevaux

;
sont deux mots du vocable cheval ; aimer, aimons, aimeriez, aimant.,.
sont des mots du vocable aimer vais, allons, irai., sont des mots du
Il
vocable aller.
peut néanmoins arriver qu'une flexion fasse acquérir au mot qu'elle
crée amer. d'indépendance pour que te séiritèvne mêmede ce mot soit
atteint et cesse d'être identique au sémième du mot générateur. C'est par
exemple le cas de la terminaison-raent. Cette terminaison ne contient
proprement en elle qu'un taxième, très général, à savoir l'idée même de
la catégorie affonctive (v. infra, § 70). Pourtant un affcxnctif comme bon-
nement ne se range pas dans le même vocable que l'adjectif bon, les sé-
mièmes de ces deux termes n'étant pas superposables.

64. — Les taxièmes, une fois reçusdans la grammaire en tantqu'idées


d'une importance particulière et propres à soutenir l'édifice du discours,
y fonctionnent, nous l'avons dit au § 59, comme des repères, des occa-
sions de classement. Les idées taxiématiques perpétuellement présentes-
dans l'esprit du locuteur, y demeurent comme des questions implicites
posées à propos de tout ce qu'il énonce. Ces questions comportent, soit
une simple réponse par oui ou par non, soit, — les taxièmes se classant
eux-mêmes en systèmes, — des alternatives plus nombreuses et diversi-
fiées. Sans doute, nous ne voyons pas se constituer ainsi une dichotomie
linéaire conduisant la pensée de la plus haute généralitéau cas considéré ;
s
les systèmes cntre-croisent et jouent simultanément. Néanmoins, il
existe certaines hiérarchies entre les questions posées. Ainsi, une fois
conçues el, définies les espèces linguistiques, certaines questions seront
applicables au sémantisme des unes et ne le seront pas au sémantisme des
autres, et, d'une manière générale, plus le rôle d'une espèce linguistique
sera considérable dans la phrase, plus le nombre des taxièmes mis en jeu
à son sujet sera grand.

:
Ainsi sont créés, pour chaque taxième ou groupe de taxièmes des
systèmes de classement. Nous les nommerons des répartitoires le nom-
bre, le genre., la voix, la personne, etc., sont des iépartitoires que l'on
retrouve dans un grand nombre de langues anciennes ou modernes. La
richesse grammaticale d'une langue se mesure au nombre de ses réparti-

versa.
toires, son génie se lit dans leur nature. Chaque idiome groupe de manière
spéciale et propre ses idées et ses modes de structure grammaticale, et en
forme un système de répartitoires qui le caractérise vis-à-vis des autres
idiomes, et qui constitue sa logique vivante et réelle (Voy. § 6). Il n'est
pas au monde deux idiomes qui répartissent de manière identique leurs.
différents éléments; ce qui est l'expression libre et purement sémiéma-
tique chez l'un peut être l'objet d'un répartitoire chez un autre, et vice-

La logique linguistique, tant dans le domaine vocabulaire que dans le,


domaine grammatical, même dans l'intérieur d'une langue, varie de
région à région, de milieu social à milieu social, de famille à famille,
d'individu à individu. A plus forte raison, varie-t-elle d'un idiome à un
autre. Il est cependant des affinités basées soit sur un certain nombre de
traits communs de civilisation matérielle et une intercommunication acti-
ve : les. peuples européens modernes, par exemple, arrivent, parleur con-
tact incessant, à réagir jusqu'à un certain point les uns sur les autres am
point de vue des conceptions mentales intimes;- soit sur un développe-

généraux :
ment avancé de l'esprit : unesorte de conformité des rapports psychiques
;
ainsi on a pu signaler des rapprochements intéressants entre

:
le grec ancien et le français moderne — soit sur une communauté lin-
guistique originelle ainsi tous les idiomes indo-européens, ou, de plus
près, tous les idiomes romans présentent de nombreux traits répartito-
riels communs.
S'il y a des dissemblances et des ressemblances dans le domaine répar-
titoriel d'idiomes contemporains, on peut en dire autant des idiomes
dérivés les uns des autres, ou d'un seul idiome considéré à différentes
époques de son évolution.

;
Pour étudier un système taxiématique, il faut se cantonner à l'étude
d'un idiome donné, à une époque déterminée encore ne peut-on le faire
avec fruit que sur son propre idiome.
Avant de risquer des comparaisons et de fonder sur elles des raisonne-
ments, il faut, on ne saurait jamais assez le répéter, procéder à l'obser-
vation directe des phénomènes de l'idiome que l'on parle, en faisant
abstraction des idées empruntées à l'étude d'autres idiomes. Cela est
d'autant plus nécessaire que souvent les répartitoires actuels contiennent
des traces notables des répartitoires anciens, bien que l'économie géné-
rale du système soit devenue différente. Il faut donc bien se pénétrer du
fait que les vestiges des états antécédents qu'on trouve dans les états
subséquents peuvent y présenter une valeur toute nouvelle, et que, pour
s'être servi d'un matériel préexistant, un idiome n'a pas entièrement
conservé le génie des idiomes antérieurs, mais a imprimé à ce matériel
son cachet propre. Par exemple, pour unir dans des emplois concurrents
des formes se rapportant étymologiquement au subjonctif et à l'optatif
indo-européens, le latin de l'époque classique n'en a pas moins réalisé un

:
répartitoire modal cohérent contenant une unité subjonctive adéquate à
sa logique c'est dans les auteurs de cette époque qu'il faut en rechercher
la vraie nature. La constatation des faits anciens, l'histoire des formes,
servent grandement à étudier l'évolution de la logique, mais c'est l'em-
ploi actuel des formes, et non leur origine, qui peut instruire sur leur
nature actuelle.

-
65.
répartitoires
Les systèmes grammaticaux que nous désignons sous le nom de
doivent nécessairement contenir autant de modes d'expres-
sion qu'il y a d'idées classées dans le même groupe taxiématique, ou, si
l'on veut, de réponses possibles à la question implicite posée par ce
taxième ou groupe de taxièmes ; aussi chaque répartitoire contient-il un
nombre défini de cases dans lesquelles peuvent se présenter les mots qui
en comportent l'expression. Nous donnons à ces cases le nom de physes.
Une physe est donc une idée taxiématique s'opposant à une ou plusieurs
idées taxiématiques de même ordre qui lui font pendant dans un réparti-
toire. Il y a, par exemple, dans le répartitoire de genre, deux physes : le
;
masculin et le féminin dans celui de personne, trois physes : le locutif,
l'allocutif et le délocutif, etc.
Au point de vue de leur structure intime, les répartitoires se distinguent
en deux groupes :
1° Les répartitoires dans lesquels le vocable considéré doit choisir entre
les diverses physes pour entrer résolument dans l'une d'elles. C'est, par
»
exemple, le cas du « genre dans l'immense majorité des substantifs. Il
est diphysé, et chaque concept se range délibérément dans la physe mas-
culine ou dans la physe féminine. Un tel repartiLoire est dit intervoca-
bulaire.
Les vocables ainsi répartis peuventêtre des vocables isolés, comme loi,
temple, ou des vocables liés entre eux par un sémantisme commun, et
distingués seulement par une idée taxiématique comme taureau, vache.
2° Les répartitoires dont les physes sont ouvertes aux mots. d'un même
vocable. Dans chaque physe, le vocable a un aspect spécial appelé phase.
Par exemple, petit et petite sont les phases, masculine et féminine, du
même vocable. Ceci est la règle générale pour l'adjectif en français. Dans
ce cas, le répartitoire est dit intravocabulaire.
On a pu voir, par l'exemple du « genre », qu'un même répartitoire peut
être mixte, c'est-à-dire tantôt intervocabulaire, tantôt intravocabulaire
selon les cas auqucls il s'applique. On verra par la suite qu'il en est qui
appartiennent exclusivement à un type ou à l'autre.
Un répartitoire intravocabulaire a, sur un répartitoire intervocabulaire,
l'avantage de plier toutes les idées à entrer dans son cadre de répartisse-
ment, d'où des nuances et une souplesse nouvelles. Aussi la langue sem-
ble-t-elle avoir une tendance générale à intravocabulariser ses répartitoi-
res.
La naissance, la disparition, les modifications, les fusionnements et les
dislocations des divers répartitoires ; l'augmentation ou la diminution
du nombre de leurs physes, sont autant de faits d'un intérêt puissant pour
pénétrer l'évolution du génie d'un idiome.
C'est ainsi qu'on peut voir certains répartitoires faire éclater leurs ca-
dres. Le cas suffit d'abord à marquer les différents rapports complémen-
taires. On juge utile de préciser ensuite davantage au moyen de particules
postposées, puis préposées. C'est aujourd'hui ces prépositions qui assu-

en nombre indéfini :
ment à elles seules l'expression de ces rapports, etles prépositions sont
le répartitoire de cas a craqué et a été remplacé par
un répartitoire plus souple, d'une richesse pratiquement illimitée, le ré-
partitoire de rayon (1).
Les différents idiomes n'ont pas tous les mêmes répartitoires. De même,
le nombre des physes des répartitoires
communs varie. Par exemple, le
(1) En abandonnant presque entièrement l'ancien répartitoire de cas pour celui plus
souple de rayon, le français a cependant conservé une déclinaison, réduite à deux grou-
pes de struments : les « pronoms personnels » agglutinatifs et certains articles (articles
notoires, v. infra, Livre VI). Nous verrons, par l'étude détaillée de ces formes, que les
cas français ne recouvrent pas, quant à leur emploi, les cas latins. Dans notre nomen-
clature nous ne leur en conservons pas les
noms, que nous remplaçons par ceux de
« genre », triphysé en grec, en latin et en haut-allemand, n'est plus que
diphysé dans les langues romanes et les idiomes celtiques modernes ; en
anglais, il se monophyse, c'est-à-dire disparaît, chez tes « nom& ou subs-
tantifs » et les « adjectifs qualificatifs. »
Il est très important de remarquer que la variation du nombre des
pbiyses modifie la nature même du répartitoire, puisque toute physe an-
cienne laisse son domaine à partager entre ses voisines, qui N'altèrent en
s'enrichissant (par exemple, le masculin et le féminin français se parta-
gent les dépouilles du neutre latin) ; tandis qu'au contraire, toute pJWyse
nouvelle se taille un domaine aux dépens de ses voisines, qui s'altèrent
em s'appauvrissant (par exemple, l'apparition de toute préposition nou-

(cas correspondant au rayon de) ; assomp-tij (cas correspondant au rayon à).


subsomptif (cas du « sujet »), rectisomplif (cas du complément « direct »), désompii)
La déclinaison des substantifs strumentaux agglutmalifs vient, pour une grande partie
•des formes, de la déclinaison latine :
Délocutif AL)OCUT!F I.OCVTIF

Singulier
l(lela
il'
&

Au.
ettl.
Maseulin

I) lui,y
Féminin

——
tu
te, loi
je
me, moi

S. ils
eu
ke,toi nie,moi
Pluriel
H.,,
1:).
les
elles
——
vous
vous
lion..
nous

lelesla
l'I"
A leur, y vous noua-
Au contraire, la déclinaison de l'article notoire n'emprunte rien au latin, étant
¡fine des formes contractées de l'article le, les, avec les prépositions de, à :
j
S-
Masculin Féminin
Sin.gulie"

Jl'luriel
H.
A. dir
au
(dela)
(à la)

IXdes
A.
R', 0 ..,

aux
Nous considérons du, au, des, eaux, non comme de simples combinaisons phonéti-

:
une spécialisation qui s'est développée dans la langue;
ques, mais comme des formes flécbies., pour la raison qu'eHes n'existent que dans le
où les struments à et de donnent du rayon aux adjectifs strumentaux le, les.
casC'est
;
il n'en a pas toujours
éié ainsi autrefois, il suffisait que à et de se trouvassent auprès de te, tes, que ceux-ci
fussent substantifs ou adjectifs, pour que la contraction se fit mécaniquement ex. :
Du diire foiie serait (ce serait me folie de le dire). (Rutebeuf. La vie de Sainte Eli-
sabethT 660).
* Et se- tu. te pués tant pener
qu'au. véoir puisses assener,
Tiv vodras moult eutentis estre
A tes yex saouler et pestre.
(Et si tu peux te donner tant de peine que tu puisses arriver à le- voir, tu voudras
être bien attentif à saouler et repaitre tes yeux).
(Guillaume de Lcwrrrs. Le Roman de la Rose, 2948).
D'eus vient te, fol apensement
Dont naist li maus consentement
Qui les esmuet as œuvres faire
i
Dont il se déussent retraire
(Jean de Meung. Le Romtllft. de la Rose, 17987)
(C'est d'eux que vient la folle pensée d'où, naît la capitulation morale qui les déter
*
mine à accomplis les actions dont ils auraient dû s'abstenir).
On ne pourrait plus employer de telles contractions en fraaçaà» moderne.
velle ou le développement d'emploi d'une quelconque des anciennes res-
treint les emplois des voisines).
Il arrive, ainsi que nous aurons l'occasion de le constater plus d'une
fois dans la suite de cet ouvrage, qu'une analyse sémantique fine permette
de dissocier des notions différentes dans ce qui avait été jusque là conçu
comme un même répartitoire.
Les vocables obéissant aux répartitoires intravocabulaires ne sont ja-
mais dotés, en français, d'une phase neutre, c'est-à-dire qui s'applique-
rait dans les cas où le sémantisme de la phrase dispense de poser à leur

;
sujet la question que comporte le répartitoire considéré. C'est alors tou-
jours une phase déterminée qui se présente elle jouit du privilège d'être
employée aussi bien comme symétrique des autres phasfcs que comme
symbole d'indifférence du taxième. Nous la nommerons phase indiffé-
renciée.
CHAPITRE III

LES CATÉGORIES

SOMMAIRE

66. Les quatre catégories. — 67. Catégorie jactive. — 68. Catégorie substan.
tive. — 69. Catégorie adjective. — 70. Catégorie affonctive. — 71. Essai de
définition adéquate des catégories non substantivales. — 72. Les catégories
constituent un répartitoire. — 73. Genèse probable du répartitoire de caté-
gorie. — 74. Le signe n'est pas arbitraire.

66. — On a vu que nous concevions toute phrase comme contenant de


la factivosité, c'est-à-dire* comme exprimant l'aperception d'un fait nou-
veau dans le psychisme du locuteur. Les mots qui sont directement affec-
tés à l'expression de ce fait nouveau sont dits appartenir à la catégorie
factive.
Mais la phrase présente en général ce fait nouveau d'une manière com-
plexe et riche, de sorte qu'à côté des factifs interviendront des mots desti-
nés à préciser ce que nous pourrions appeler le contenu du fait. L'étude
analytique dont nous rendons compte dans les livres suivants nous a ame-
nés en fait à classer tous les termes de la langue française en quatre caté-
gories.
Le répartitoire de catégorie porte en somme surtout surla différence
entre le phénomène et la substance, le passager et le permanent, le dyna-
mique et le statique. Aussi lefactif, qui marque les phénomènes, et le
substantif, qui exprime les substances, sontils les deux catégories cen-
trales.
A
; :
ces deux catégories se rattachent l'adjectif, qui exprime les qualités
applicables aux substances l'affonctif. qui exprime les modalités appli-
cables tant aux phénomènes qu'à la façon dont se présentent les qualités,
ou même les substances, dans le déroulement desdits phénomènes. Les
catégories adjective et affonctive sont les catégories juvantes.

67. — Au chapitre premier, nous avons dégagé la nature du factif et


nous l'avons défini comme le terme toujours central; parfois unique, de
toute phrase, portant assertion d'un fait, psychique ou physique (§ 57).
Nousn'y reviendrons donc pas.
68. — Tout fait suppose changement, et le changement ne se conçoit
pas en dehors d'êtres qui en soient l'occasion. De
là la notion de subs-
tance, dont le schème, pour employer l'expression de Kant, est la perma-
nence du réel dans le temps (1). En effet, comme le remarque Condil-
lac (2) « les qualités que nous démêlons dans les objets paraissent se
«
réunir hors de nous sur chacun d'eux, etnous ne pouvons en aperce-
«
voir quelques-unes, qu'aussitôt nous ne soyons porté à imaginer quelque
«
chose qui est dessous, et qui leur sert de soutien. En conséquence,
« nous
donnons à ce quelque chose le nom de substance, de stare sub,
« être
dessous. De substance, on a fait substantif, pour désigner en géné-
((
ral tout nom de substance. » >
Cette notion de substance dont l'exacte définition philosophique a fait
couler tant d'encre, est à notre époque, à n'en pas douter, l'une des plus
fortement ancrées dans notre esprit et par conséquent l'une des principa-
les clefs de la structure de notre langue. Si quelques traces du plan locu-
toiresubsistent encore, dans lesquelles elle ne joue point, en revanche
l'immense majorité des faits de langage appartiennent actuellement au
plan délocutoire, où elle joue un rôle capital. Le factif, en effet, y appa-
raît essentiellement comme marquant les rapports de substances entre
elles, à tel point que, si la phrase primitive était, à n'en pas douter, uni-

:
ment constituée par un factif et des substantifs compléments
Exemple
:
quement factive, il faut considérer la phrase actuelle comme essentielle-

Albe vous a nomme.


(Corneille. Horace, II, 3).
Albe, (substantif) vous, (substantif) a nommé, (factif).

:
Avant d'en venir à la définition du substantif, il faut observer toute
l'extension de la notion substantive dès qu'une chose prend assez d'in-
dividualité pour devenir dans notre esprit l'objet d'un classement, c'est-
à-dire pour devenir un concept, la voilà substance. Les phénomènes mê-
me, dès que, au lieu d'être énoncés comme faits nouveaux, ils sont conçus
en bloc comme ayant de l'existence, deviennent des substances en même
temps qu'ils deviennent des concepts. Aussi pouvons-nous dire, en notant
d'ailleurs que, suivant le cas, le substantif pourra être de l'ordre des
taxiomes ou des sémiomes :
On appelle substantif un terme représentant un concept.
Dans le plan locutoire, l'esprit, tout attaché au phénomène, néglige
ces concepts. Mais dans le plan délocutoire, il leur donne au contraire
h première place, au point que le factif peut n'apparaître que pour
marquer les rapports qu'ils ont entre eux.
La substance, que le substantif représente, est essentiellement, comme

(1) Kant. Critique de la Raison Pure, trad. Tissot, 2e partie, division L Livre II.
chapitre!.
l
(2) Principes de la Grammaire françoise, seconde partie, chap. I.
-
il vient d'être dit, quelque chose de permanent, que l'esprit n'envisage
pas, quand il l'évoque et le fait fonctionner en tant que substance, com-
me sujet aux atteinte& du temps.
Le fait, au contraire, dont le factif est le mode d'expression, se déroule
essentiellement dans la durée.
Cette opposition logique entre fa permanencede la substance et l'acci
dence du fait est très importante.
69.- L'esprit perçoit des modifications semblables ou analogues dont
les différentes substances sont le siège. Ainsi se forme chez lui la notion
que si le monde est peuplé de substances, c'est-à-dire d'êtres permanents
et demeurant identiques à eux-mêmes dans leur réalité profonde à tra-
vers la durée, ces êtres sont doués d'attributs mouvants et changeants
ceux-ci présentent cependant une certaine fixité, de sorte qu'ils peuvent
;
:
être imaginés comme des enveloppes des substances, applicables tantôt
à l'une tantôt à l'autre c'est là, si l'on veut, une sorte d'abstraction au
second degré, et il n'est pas douteux que notre logique actuelle ne se
représente ainsi les choses, — ce qui ne veut pas dire du tout, comme
nous le verrons plus loin, qu'elle ait accédé à cette notion par la voie
a priori que nous esquissons. — De là, un mode de classement plus
poussé et qui apporte dans l'expression des idées une aisance et une clarté
plus grandes. C'est le rôle des termes de la catégorieadjective. La qua-
lité, comme nous l'avons vu au § précédent, supposant pour l'esprit une
substance à laquelle elle est attachée, l'adjectif n'apparaîtra- qu'en union
avec un substantif. Selon la nature de la qualité qu'il fera apparaître
dans ce substantif, l'adjectif sera un sémiome ou un taxiome. Nous don-
nerons donc la définition suivante :
On appelle adjectifun terme représentant une qualité applicable à un
substantif.
70. — En, exprimant des faits au moyen de factifs aussi divers que l'on
veuille, des substances au moyen de substantifs, également variés, des
qualités au moyen d'adjectifs aussi différents que possible, l'esprit ne se
sent pourtant pas encore satisfait.
Pour obtenir l'adéquation entre l'image linguistique et le fait objectif
qu'elle représente, la pensée doit être complétée par l'adjonction de ter-
mes qui donnent des indications sur la façon dont s'agencent entre eux
ces faits, ces substances et ces qualités. Ces termes dont nous préciserons
plus tard l'extrême souplesse d'emploi, sont les affonctifs.
On appelle affonctifun terme représentant une modalité s'appliquant
à l'agencement des termes linguistiques entre eux.
71. — Nous nous sommes efforcés de donner ci-dessus des catégories
les .définitions les plus adéquates possibles. Néanmoins, il importe do
remarquer que la forme habituelle des définitions, précisément en ce
qu'elle ne définit que des substantifs, ne convient qu'aux substances.
Ainsi qu'il a été dit au § 68, tout ce qui devient concept devient subs-
tance. La qualité, la modalité, le fait même, considérée comme des
choses
eu soi au
sujet desquelles on puisse apporter des assertions, ou qui soient
capables- de jouer un rôle dans lesdites assertions, sont des substances. Il
n'est dionc pas pleinement exact de dire que la catégorie adiective repré-
sente res qualités, l'affective les modalités, la factive les faits. Notre
esprit, qui n'est capable de s'arrêter qu'aux substances, ou plutôt qui
jiar son arrêt crée les substances, se sert pourtant constamment, pour

:
faire jouer ces substances dans les combinaisons mentales,, d'une coulée
vivante de pensée insaisissable cette coulée, ce sont les trois catégories
non substitutives. C'est dire que chacune d'entre elles ne saurait être con-
venablement définie que par un terme lui appartenant, l'adjeetive par un
adjectif, l'affonsctive par un affonctif, la factive par un factif. Obligés,
pour parler d'elles, de les réduire à une dénomination, suhstantive, nous
en altérons notablement, par cela même, la signification. Cette notion
nous semble assez: importante pour que nous priions le lecteur de nous
laisser la lui. éclairciir pour le cas particulier de chacune des catégories
non substantives.
Le factif représente avons-nous dit, un fait, un phénomène. Mais ce
nom même de phénomène donne à ce dont il est question une individua-
lité substantielle que le factif ne lui confère pas. Lancer (substantif ver-
bal), le lancement (substantif nominal) sont des faits - mais quand on
dit il tance, le factif lance ne représente pas autre chose que l'action aper-
çue dans sa durée même, à un point de vue tel qu'elle ne peut être envi-

;
sagée alors comme quelque chose au sujèt de quoi une assertion soit pos.
sible. La notion conceptuelle de lancement est absente de il lance l'évé-

;
nement y est raconté, mais non conçu. C'est tesujetlançant (il) qui est
conçu, et comme agissant d'une certaine façon spécifique mais de la
notion d'un phénomène abstrait lancer, il n'est pas question dans la
phrase.
Une phrase telle que « Le factif est un fait » définit donc inexactement

;
la catégorie factive. Dans une bonne définition, il ne faudrait pas laisser
entrer le concept de fait, qui est substantiel la nécessité de cette élimi-
nation nous mène à une expression telle que le factif fait. Mais ceci ne
suffit pas encore, car il ne faut pas que le factif, qui ne représente rien
de substantiel, intervienne comme sujet dans la définition..Cette défini-
tion ne peut admettre, comme sujet du verbe qui y entrera, qu'un simple
exposant de l'explicitation de la réalité du fait, comme est il dans il pleut
(V. infra, livre Y). La définition adéquate comportera donc
un verbe im-
personnel englobant le terme à définir, « factif » dans sa factivité.. Et
comme le verbe à sémantisme le plus général est le verbe faire, nous arvi-
vans à concevoir que la définition la plus adéquate serait il fait factif,
phrase dans laquelle nous voulons qu'on comprenne le. terme factif
com-
me représentant le contenu sémiématique même du verbe auquel il est
allié; de la même façon que, dans une expression comme il,faitnuit, le
rnot nuit ne représente aucunement l'entité substantielle la nuit, mais
seulement le contenu sémiématique du phénomène faire nuit, dont le
verbe faire n'est en quelque sorte que l'exposant phénoménal général,
(V. infra, livre IV et livre V),
;
De même l'adjectif ne représente pas une qualité ce serait le rendre
1
;
substantiel que de leconcevoir ainsi. C'est la blancheur par exemple, qui
est urie qualité blanc n'en est pas une. La neige est blanche, l'hermine
est blanche, l'ivoire est blanc, -mais - c'est seulement
-
en donnant à cet de
attribut conime artificiellement isolé le pouvoir de devenir lui-même le
sujet d'une assertion qu'on en fait cette sorte spéciale de substance qu'on

:
appelle la qualité. La neige a de la blancheur, en ce qu'elle est blanche.
Phrase qui, en revenant au cas général, se transposera la substance a
la qualité, en ce qu'elle est telle. Et dans cette formule, la catégorie adjec.
tke n'est pas superposable au terme qualité, mais au terme telle..
Mais même ceci admis, il faut observer que l'on ne peut définirl'adjec-
tif par une phrase de la forme l'adjectif est tel, car le mode d'identifica.
tion par le verbe être ne convient qu'à l'identification des attributs aux
substances qui les possèdent, et des substances entre elles. L'adjectif,
quand il s'y montre, ne peut être qu'attribut et non sujet. Une assertion
faite d'un substantif comme sujet, du verbe être comme copule et
d'un adjectif comme attribut n'est, pas réversible. Et si l'on voulait
absolument faire de l'adjectif le sujet d'une assertion, il faudrait y. em-
ployer un passif du verbe être. Ce qui revient à dire que l'adjectif, pas
plus qu'aucun des non-substantifs, ne,peut être sujet. Force nous est donc,
dans une définition se voulant adéquate, de lui laisser son rôle d'attribut.

: :
En effet, ce que la catégorie adjective représente n'est pas onl'est. On
est blanc, on est triste. Et, en généralisant on est aajectif. C'est cette
dernière expression qui nousparaîtrait, au point de vue rigoureux, la
définition la plus exacte de ce que représente la catégorie adjective.
Lemême raisonnement que nous venons de faire pour le factif et l'ad-
jectifs'applique à l'affonctif, qui représente la modalité non pas conçue
commedistincte et ayant une existence, mais aperçue dans son fonction-
rement modificateur.
D'oû nous conclurons que les définitions les plus adéquates des caté-
:
factif..
gories grammaticales sont en somme données par les phrases suivantes
Le substantif est.
On est adjectif.
Il fait
Ça. se passe à l'affonctive.
Cesconsidérations ont une portée singulière, car en ne considérant que
des substances, c'est-à-dire de la pensée en arrêt, on négligerait lés élé-
ments vivants de la pensée en travail. Nous touchons là dudoigt une
mérité qui ressortira detoutes les. pages de cet ouvrage : quetoute logique
non rigoureusement moulée sur la grammaire est une logique fausse,
artificielle autant que stérile.
72. — Tellessont les catégories que l'analyse-du français permet d'éta-
1
des vues a priori :
blir pour cette langue. Cett classification n'est pas dictée à l'esprit par

:
c'est l'étude de la langue qui nous y a conduits. Il
n'est pas de phrase qui ne s'y ramène. Exemple
J'avais seize ans, et je sortais du collège, quand une belle dame de notre con-
naissance me distingua pour la premièrefois.
(Musset. Il ne faut jurer de rien. Acte 1, Se. I).

Je (substantif) avais (factif) seize (adjectif) o/is (subst.) ci (affonctif)


je (subst.) sortais (fact.) du (adj.) collège (subst.) quand (affonct.) une
(adj.) belle (adj.) dame (subst.) de (aff.) notre (adj) connaissance (sub.)

:
me (sub.) distingua (fact.) pour (aff.) la (adj.) première (adj.) fois (sub.).
De même

Je ne sais pas quand je me guérirai de ma maladresse, mais je suis d'une


cruelleclourderic.

suis.
(Musset. Il fouiqu'une portesoit ouverteoufermée. Scène I).

::
Substantifs
Adjectifs
Je, me, maladresse, étourderie.
ma, une, cruelle.
Affonctifs : ne, pas, quand, de, mais.
Factifs : sais, guérirai,
Elles sont le premier et le plus capital de tous les répaililoircs de la
langue.
Ce répartitoire est d'une telle généralité et il est enfoncé à une telle
profondeur dans l'inconscient qu'il n'existe pas de système taxiématique
coordonné pour l'exprimer en entier. Si, dans le verbe, où, comme nous
le verrons, des mots de catégories différentes sont unis dans un même
vocable, les flexions comportent, entre autres taxièmes, le tâxième de
catégorie, il n'en est pas de même dans le reste du matériel linguistique.
Les taxièmes de catégories restent alors implicites dans les sémièmes
mêmes.

73. — Les répartitoires ne sont que les modes de classement qui exis-
tent dans la pensée des parleurs d'une langue donnée à une époque don-
née. Aussi, comme nous l'avons dit au § 64, ne doit-on considérer les
l'épartitoires d'une langue comme parfaitement cohérents que si on les
envisage à une époque donnée, voire dans un milieu donné, et, à la
limite de la rigueur, chez un parleur donné. La pensée d'un peuple étant
chose vivante et chose modifiable, chose perfectible et chose corruptible,
ii va de soi que les conceptions répartitorielles, et la conception catégori-
que en particulier, sont appelées à subir bien des modifications au cours
de l'histoire.
Des survivances d'époques anciennes, des esquisses de systèmes nou
veaux peuvent se présenter comme des faits en apparence aberrants
l'histoire aide à les déceler.
Il va sans dire que les catégories linguistiques ont dû être d'autan
moins nettement différenciées que le langage était plus près de son ori
gioe, c'est-à-dire la pensée plus radimentaire. Il faut donc se représeniej
le factif primitif comme mal différencié, portant en puissance, en mêJne
temps que le développement délootstoire du factif, celuides motions af.
fonctives, adjectives et substantives.
L'affonctif était en puissance dans le cri indifférencié qui n'était que
le résultat pour ainsi dire réflexe de l'état d'âme de l'animal. Mais à ce
stade le cri ne s'adressait pas encore à autrui. Il appartenait donc au
monde affectif. Le cri avait donc ainsi le caractère affonctival avant la
lettre.
Mais, ainsi qu'il a été dit au § 58, si le caractère affectifest cequi unit !
le langage au cri inarticulé, le caractère représentatif est ce qui l'en dis-
Hngue. Le jour où le cri émotif, originairement affonctival, est interprété
par l'allocutaire, il prend une valeur représentative et il devient un factif.
Ce n'est pas à dire que toute valeur affective ait disparu du langage.
Bien au contraire, la valeur représentative, factive, du terme n'a pu que
se surajouter à sa valeur affective comme cri.

;
La notion de la troisième personne, transportant le langage sur le plan
délocutbire, fait naître la notion de sujet or, le sujet est forcément un
substantif : Kant dit avec beaucoup de justesse que la substance est cc 1
qui peut être sujet (1). Mais la substance semble n'avoir été conçue
d'abord qu'au point de vue purement sémiématique, et, dans les langues
à déclinaisons (surtout celles qui, comme le sanscrit ou le latin, sont
dépourvues d'articles), chaque cas d'un substantif constitue, au point de
vue taxiématique, un véritable affonctif tout prêt à être accolé au factif.
Le sujet lui-même est exprimé en quelque sorte par un affonctif, puis-
qu'il possède une flexion propre. Cela est si vrai que bien souvent la
:
distinction, dans les cas obliques, est demeurée difficile entre un cas
substantival et un affonctif légitime humi, noctu ont été successive-
ment considérés comme l'un et comme l'autre.
Dans les idiomes à déclinaison qui, comme le grec et le haut allemand,
ont un article, le substantif reçoit quelques nouveaux caractères qui,
taxiématiquement le distinguent davantage de l'affonctif, mais il continue
à porter, dans chacun de ses cas, la marque adjective-affonctive de son
rôle nécessaire dans le discours. Il faut arriver à des idiomes qui, comme
la langue française, n'ont plus de déclinaison nominale pour que la caté-
gorie substantive ait plein droit de cité dans la grammaire.
Il est un fait très important pour l'étude de la logique propre de notre
langue, fait d'autant plus important qu'il a pour lui des preuves histori-
ques et des preuves actuelles, c'est celui de la différenciation tardive des
catégories substantive et adjective, si on veut arriver à un état où elles
soient bien nettement établies. Nous nous proposons d'apporter, au mo-
ment de l'étude détaillée de ces différentes catégories, les arguments mo-
tivant cette manière de voir. D'ailleurs, à concevoir le
développement du
langage comme nous l'avons fait jusqu'ici, ce fait est tout-a-fait normal.
S
(1) Kant. Critique de la Raison Pure, trad. Tissot, § 144, se édition, p. 140.
fn effet, dans les -objets du monde extérieur, ce qui frappe l'esprit, c'est
surtout une de leurs qualités. Si plusieurs qualités sont perçues à la fois,
lu même répartition qui s'est faite à propos del'ordre phénoménal entre
les différents affonctifs, dont l'un devenait factif tandis que les autres se
renforçaient dans leur rôle affonctif, se fait, dans l'ordre substantiel,
entre la qualité principale et les qualités accessoires. La qualité conçue
comme caractéristique en vient à désigner la substance elle-même et
passe au rôle substantif, tandis que les autres qualités, restant adjectives,
se renforcent dans ce rôle. Dès lors, une qualité permanente étant conçue
comme le signe d'une substance, tout va venir en assurer la fixité une :
;
association permanente va s'établir entre la substance et la qualité qui
semble à l'esprit lui être la plus essentielle établie d'une part dans le
sémièmemême du substantif, cette permanence va se marquer de plus

qui paraît avoir créé le répartitoire de genre :


en plus dans le système taxiématique. C'est un premier pas dans cette voie
dans une langue comme
le latin, seule la présence d'un genre fixe permet de distinguer le subs-
tantif de l'adjectif, qui ont une apparence extérieure et des flexions com-
munes. C'est encore dans le sens d'une détermination taxiématique que
jouera le mécanisme de l'adjectif appelé article dont on peut suivre le
développement progressif depuis les plus anciens monuments du français
jusqu'à nos jours.
L'évolution probable du factif par rapport aux autres termes du lan-
gage nous apparaît donc maintenant dans son aspect total.
En première analyse, le factif nous est apparu comme l'énonciation
d'un fait brut, susceptible de modalités (affonctif).
En seconde analyse, ç'a été l'affirmation d'un rapport entre substan-
ces (substantif).
En troisième analyse, c'est l'attribution, à une substance, d'une qua-
lité (adjectif).
Ce travail progressif de l'expression des idées, s'est accompagné de
l'évolution de la langue du plan locutoire au plan délocutoire.

74. — C'est donc vraisemblablement par des acquisitions successivès,


depuis un état de relative grossièreté, jusqu'à un état d'intuitive finesse,
que la vie mentale et la vie linguistique, qui en est le reflet, se sont
créées. Le langage est le produit d'une pensée vivante et en mouvement.
Tout s'y passe selon les lois du psychisme, ce qui s'oppose à la conception
(le l'arbitraire du signe.

testée par personne :


Cette conception n'a jamais été, d'après Ferdinand de.Saussure, con-
« Ainsi (1), dit-il, l'idée de « soeur »
n'est liée par

f( fiant ;
« aucun rapport intérieur avec la suite des sons s-ô-r qui lui sert de signi-

il pourrait être aussi bien représenté par n'importe quel autre' :


« à preuve les différences entre les langues etl'existence même de langues

(1) F de Saussure. Cours de linguistique générale. Première partie, chap. I, ! 2,


p. 102,
« :
différentes le signifié « bœuf » a pour signifiant b-ô-f d'un côté de
« la frontière, et o-k-s (Ochs) de
l'autre. » La faute que nous paraît cou.
tenir ce raisonnement de Saussure est de croire à l'équipollence absolue
de deux vocables appartenant à des langues différentes, comme Ochs et

;
bœuf. Jamais l'extension de deux sémièmes dans deux idiomes différents
n'est exactement la même jamais deux vocables ne se recouvrent absolu-
ment quant à leur domaine sémantique. Les idées auxquelles ils corres-
pondent sont donc différentes, et l'on peut dire en toute certitude que
jamais à une idée claire, distincte et identique à elle-même n'ont corres-
pondu deux signes linguistiques.
Ne faut-il pas craindre que Saussure, malgré sa qualité de Romand et

:
la clarté pénétrante, indéniablement toute française, de son esprit, n'ait
jusqu'à un certain point subi les inconvénients du bilinguisme porter
en soi une sorte de système de pensée en cote mal taillée, intermédiaire
entre ceux des deux idiomes que l'on parle usuellement, et forcer ces
deux idiomes à entrer bon gré mal gré dans ce même système, de sorte
qu'on leur prête forme à forme et signe à signe une identité sémantique
qu'ils n'ont en réalité pas chez la masse des indigènes unilingues qui
parlent chacun d'eux?
A l'intérieur d'un même idiome, le signe représentant une idée donnée

? :
n'est-il bien lié « par aucun rapport intérieur à l'idée qu'il repré-
sente » Voulant s'expliquer sur ce point, Saussure dit encore « Le mot
« arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que
« le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas
« qu'il n'est pas au pouvoir de l'individu de rien changer à un signe
« une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu'il
« est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel
« il n'a aucune attache réelle dans la réalité. »
Que les idées humaines n'aient de valeur que relative et par rapport
aux hommes, ou qu'au contraire elles leur apportent du monde une con-
naissance en soi et douée de valeur objective absolue, c'est une question

;
métaphysique qui dépasse celle que nous traitons ici ; mais il est certain
que les mots ne représentent que les idées qu'ils sont, comme il a été
dit au § 58, le corps de celles-ci, et qu'il y a par conséquent une contra-
diction logique à croire que chaque mot ne soit qu'arbitrairement et for-
tuitement le représentant de telle idée plutôt que de telle autre.
Que si l'on veut aller plus loin, il ne faudra plus se demander si le
mot convient à l'idée, mais si l'idée convient au monde extérieur. Et ceci
n'aboutit à rien moins qu'à poser la question de la réalité du monde exté-
rieur. En effet, si ce monde n'est qu'une conception de notre esprit, l'es-
prit créateur lui donne forcément une expression adéquate à sa concep-
tion ; et si ce monde a une existence propre, la perception qu'en aura
l'intelligence pourra s'étendre jusqu'à en saisir totalement une des pro-

: ?
priétés et pourquoi celle-ci n'aurait-elle pas son expression adéquate La
variabilité du signe ne montrerait alors qu'une chose que les esprits,
dans des conditions différentes, saisissent des propriétés différentes du
monde extérieur.
Il est intéressant, sur ce sujet, de voir un esprit absolutiste, convaincu
de l'origine divine du langage, comme Joseph de Maistre, combattre avec
passion l'idée de l'arbitraire du signe, chère aux philosophes du XVIII*
siècle, et affirmer le caractère naturel et par conséquent obligatoire des
mots :Nulle langue n'a pu être inventée, ni par un homme qui n'aurait pu
«
«se faire obéir, ni par plusieurs qui n'auraient pu s'entendre (2). »

«
Et plus loin
« Les
:
langues ont commencé ;
mais la parole jamais, pas même avec
l'homme Lorsqu'une nouvelle langue se forme, elle naît au milieu
d'une société qui est en pleine possession du langage et l'action, ou ;
«

;;
«le principe qui préside à cette formation ne peut inventer arbitraire-
«ment aucun mot il emploie ceux qu'il trouve autour de lui ou qu'il
«appelle de plus loin il s'en nourrit, il les triture, il les digère il ne ;
«les adopte jamais sans les modifier plus ou moins. On a beaucoup parlé
«de signes arbitraires dans un siècle où l'on s'est passionné pour toute
«expression grossière qui excluait l'ordre et l'intelligence mais il n'y
a
« point de signes arbitraires, tout mot a sa raison (3). »
;
Remarquons encore ce passage :
« Observez, s'il vous plaît, ce que mot seul d'étymologie est déjà une

:
«grande preuve du talent prodigieux de l'antiquité pour rencontrer ou
«adopter les motsles plus parfaits car celui-là suppose que chaque mot
«est vrai, c'est-à-dire qu'il n'est point imaginé arbitrairement Ne
« parlons donc jamais de hasard ni de signes arbitraires. »

« La parole est éternelle, et toute langue est aussi ancienne que le peu-
ple qui la parle (4). »
Nous pensons, nous aussi, que le langage, en un sens, préexistait à sa
forme humaine et que la vie animale présentait des faits de langage. Nous
pensons que les langues ont un caractère naturel et nous conclurons
avec Renan (5) : 1

« Les appellations n'ont point uniquement leur cause dans l'objet ap-
« pelé., mais dans l'objet vu à travers les dispositions naturelles du
«sujet appelant. Jamais, pour désigner une chose nouvelle, on ne prend-
«le premier nom venu et si, pour désigner cette chose, on choisit telle
«ou telle syllabe, un tel choix a sa raison d'être. La raison qui a déter-
«miné le choix des premiers hommes peut nous échapper mais elle a ;
;
«existé. La liaison du sens et du mot n'est jamais nécessaire, jamais
«arbitraire toujours elle est motivée. »
(2) Joseph de Maistre. Soirées de Saint-Pétersbourg, 2e entretien, D. 105.
(3) Jbid., pp. 120-121. 1
(4) Ibid., pp. 124, 125, 128.
(5) Renan. De l'origine du langage, chap. VI, 7e édition, pp. 147 à 149.
CHAPITRE IV

LES CLASSES

SOMMAIRE

75. Les trois classes. — 76. Classe strumcntale. — 77. Classe verbale. La syn-
catégorisation. — 78. Classe nominale. — 79. Les classes opposées deux à
une. — 80. Les classes constituent un répartitoire,
de la classe nominale.
- 81. Priorité probable

75. — Le répartitoire de catégorie, examiné au chapitre précédent,


n'est pas le seul que le français applique à l'ensemble de ses mots. L'étude
attentive de la langue nous en a fait reconnaître un autre, s'étendant com-

:
me le premier à toutes les espèces grammaticales et contribuant concur-
remment avec lui à les définir nous le désignons sous le nom de répar-
titoire de classe. -
Nous distinguons trois classes:
1° Les struments, c'est-à-dire les taxiomes existant dans le langage à
;
l'état libre
2° Les verbes, c'est-à-dire les sémiomes libres jouant dans la phrase
un rôle constructif;
3° Les noms, c'est-à-dire les sémiomes libres susceptibles d'être assem-
blés par l'intermédiaire des struments et des verbes.
Nous allons reprendre en détail, compléter et préciser chacune de ces
définitions provisoires.
76. — La notion de - strument s'est offerte à nous dès le chapitre II,
lorsque nous avons établi la distinction fondamentale entre les sémiomes,
exprimant des sémièmes ou idées non classées grammaticalement, libres,
-à pleine valeur significative, et les taxiomes exprimant des taxièmes ou
idées de classement utilisées par la grammaire pour servir de repères et
de cadres aux autres idées. Les sémiomes et taxiomes synclitiques, n'exis-
tant pas dans la langue à titre de mots indépendants, n'ont pas à nous
occuper ici.Mais il est bien évident que la première classe que nous avons
à reconnaître est celle des taxiomes libres, c'est-à-dire des mots faisant
partie du matériel grammatical fixé de la langue.
Si d'ailleurs on se rappelle que le progrès du procédé analytique dans
t-:., .ri.-
les langues de l'Europe occidentale tend à substituer dans des rôles
chaque jour plus nombreux les taxiomes libres aux taxiomes synclitiques
(flexions), on concevra l'immense importance et la grande vitalité de

;
cette classe. En fait, bien peu de phrases peuvent se passer de lui emprun-

;
ter des termes et elles ne le peuvent qu'à la condition de rester élémen-
taires autant que laconiques aucun discours suivi, aucun énoncé de
pensée de quelque envergure n'est possible dans ces conditions.
C'est cette nécessité du strument dans la construction de la phrase qui
nous a fait lui donner son nom (strumentum, de struo, je construis). Nous
nous en tiendrons donc à cette définition, nécessaire et suffisante
On appelle strument un terme .n'exprimant que du taxième.
:
77. — Parmi les sémiomes formant mots indépendants, il est aisé
d'individualiser immédiatement un autre groupe, dont la personnalité
extrêmement accusée a de tout temps frappé les observateurs : c'est la
classe des verbes. Nous lui laissons son nom traditionnel qui répond à
une conception très nette dans tous les esprits.

;
Le verbe ne doit pas être confondu avec le factif. Il est le mot central
retenant les autres termes dans son attraction mais il n'est pas seul à
pouvoir exprimer un événement, un phénomène. Ily a des factifs qui ne
sont pas des verbes, par exemple les « interjections. » Il y a des formes
verbales qui ne sont pas des factifs, par exemple les « infinitifs » et les
« participes. »
Ce qui caractérise le verbe, c'est d'être un sémiome pourvu d'un pou-
voir construçtif, capable de mettre divers sémièmes en rapport logique
les uns avec les autres à travers son propre sémième. S'il présente un
fait, c'est avec la faculté de le montrer susceptible de modalités, ou d'en
faire un épisode des relations que les substances ont entre elles, ou encore
d'y mettre en lumière l'attribution d'une qualité à une substance. Le
verbe a donc, par rapport aux modalités, aux qualités et aux substances,
une véritable valeur constructive, quoique d'un ordre différent de la
valeur constructive taxiématique des struments. Chaque strument repré-
sente un taxième ou un groupe de taxièmes que lui seul peut exprimer.
C'est donc par son sémantisme, par son idée même, qu'il est constructif.
La valeur constructive du verbe, au contraire, n'est pas propre à chacun
des verbes qui se distinguent les uns des autres par des sémièmes diffé-
rents : elle est commune à toute la classe verbale, dont elle est le grand
caractère taxiématique commun et constant. Nous l'appelons la puissance
le
nodale et nous aurons plus tard à en étudier en détail fonctionnement.

:
Dans la classe verbale, le vocable groupe dans son unité des mots appar-
tenant à des catégories différentes aimons (factif),aimer (substantif),
aimant' (adjectif) font partie d'un même vocable. Ce phénomène, que
nous appelons la syncatégorisation, ne se rencontre que chez les verbes
et est la particularité la plus apparente qui les distingue des autres voca-
bles. J.
Nous donnerons donc du verbe la définition suivante :
On appelle verbe un sémiome pourvu de puissance nodale.
78. - Reste enfin le troisième groupe, qui nous parait tout d'abord
constitué par élimination et qui comprend les sémiomes libres dépourvus
de puissance nodale. Il nous faut montrer que ce groupe forme lui aussi
une classe homogène, ayant son unité logique, et justifier l'appellation
générale de « noms
ranger.
» que nous appliquons aux termes qui viennent s'y
Cette appellation, comme celle du verbe, appartient à la grammaire
traditionnelle, qui en fait généralement le synonyme pur et simple de
celle de « substantif. » Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Les gram-
mairiens ont longtemps formé une seule espèce du substantif et de l'ad-
jectif qualificatif, groupés sous la désignation commune de « noms. »
Cette vue, combattue par les philosophes du XVIIIe siècle, a commencé
dès lors à tomber en défaveur. Cependant plusieurs grammairiens de
cette époque, Du Marsais, l'abbé Fromant, l'abbé d'Olivet (1) soutien-
nent encore l'ancienne opinion. Tout en admettant la légitimité de la
distinction entre substantifs et adjectifs, ils conservent la dénomination
qui explique ce qu'ils ont de commun. Restaut dit (2) : « Tout ce que
« notre âme peut concevoir et se représenter par une simple vue, et sans
« en porter aucun jugement, est exprimé dans le discours par un nom.

« sont des noms. — Il y a deux sortes de noms


« nom adjectif. »
:
« Ainsi Dieu, ange, homme, cheval, grand, petit, rouge, aimable, etc.,
le nom substantif et le

Cette explication revient à dire que ce qui est, sans plus, nommé, est

:
exprimé par un nom. Et c'est peut-être là la meilleure définition que l'on
pourrait donner du nom une simple vue de l'esprit sur une perception
ou une conception. Le nom serait le mode d'expression des représenta-
tions en tant qu'elles ne sont que cela.
Cette idée est déjà cohérente, mais il y a lieu de l'étendre encore, et de
constater qu'elle englobe normalement tout ce qui n'est ni strument
ni verbe, c'est-à-dire non seulement les substantifs ordinaires et les adjec-
jectifs qualificatifs, mais les adverbes de manière et les interjections. Car
qu'est-ce qu'un adverbe de manière, tel que lentement, fortement, agréa-
blement, etc., sinon le nom d'une modalité au même titre que lent,
fort, agréable, etc.., sont les noms de qualités P Et qu'est-ce qu'une inter-
jection, telle que ouf, patatras, etc., sinon l'expression d'un fait brut,
conçu en bloc, sans qu'aucune des substances, qualités ou modalités qui
peuvent y jouer un rôle en soient dégagées, — c'est-à-dire la représenta-
tion pure d'un fait, son nom, au sens le plus banal du terme (voir § 58) ?
Nous apercevons maintenant toute l'extension et l'homogénéité de la
(1) Abbé Fromant. Réflexions sur les fondemens de l'art de parler ou Supplément
s.
à la grammaire générale, II, 2, pp. 390 sqq.
Du Marsais. Encyclopédie v. Adjectif.
Abbé d'Olivet. Essais de grammaire, I, 1, p. 99.
Voir également Wailly. Principes généraux et particuliers de la langue françoise,.
10e édition, p. 4.
(2) Restaut. Principes de la Grammaire françoise, 98 édition, 1765, chap. Ill.
classe nominale. Elle comprend tous les termes qui forment en quelque
sorte la matière passive du discours, que le locuteur met en œuvre et
combine en de multiples assemblages par le moyen des struments et des
verbes.
Nous pouvons conclure par la définition suivante :
On appelle nom un terme n'exprimant qu'un sémième (3).

79. — Il nous est aisé maintenant de marquer les caractères par lesquels
chaque classe se distingue des deux autres.
Les struments, exclusivement taxiématiques, s'opposent, aux noms et
aux verbes, qui expriment des sémièmes.
Les verbes, pourvus de puissance nodale et syncatégorisés, s'opposent
aux struments et aux noms, à qui font défaut ces facultés.
Les noms, enfin, représentations pures, matériel passif du langage, s'op-
posent aux struments et aux verbes, en ce qu'ils n'ont aucun rôle cons-
tructif, ni propre comme chaque strument, ni général comme tout verbe.
D'autres remarques permettent d'ajouter encore quelques traits à ces
caractères distinctifs.
Ainsi nous verrons au cours de cette étude que dans la classe strumen-
tale, un même mot peut être de catégories différentes, et cela même par-
fois simultanément. La séparation entre les catégories est au contraire plus
nettement accusée dans les classes verbale et nominale.
Il peut arriver que, grâce à des artifices de langage, des mots provenant
d'autres classes et même des locutions entières soient employées en fonc-
tion de noms, voire de struments. Jamais il n'en est de même pour la
classe verbale. Seuls les verbes sont aptes à la fonction verbale.
Du fait que l'esprit perçoit des représentations brutes avant d'y aperce-
voir des rapports, les conceptions nouvelles seront d'abord des noms. Cette
affirmation théorique est pleinement confirmée par l'étude des faits, car
nous verrons (chap. VIII) que la classe nominale est la seule par où la
langue puisse faire des acquisitions sémantiques vraiment nouvelles.
L'enrichissement de la classe nominale se fait, soit par élaboration de

second procédé seulement ;


termes nouveaux, soit par dérivation ; celui de la classe verbale, par le
celui de la classe strumentale, par un pro-
cessus tout différent de dénaturation fonctionnelle des sémièmes (voir
infra, chap. VIII).

80. -
Un exemple de phrase française va montrer la façon dont nous
concevons la répartition des classes :
Midi. roi des étés, épandu sur la plaine,
;
Tombe en nappes d'arpent des hauteurs du ciel bleu
Tout se tait : l'air flamboie et brûle sans haleine
;
La terre est assoupie en sa robe de feu.
(LecomtedeLisle,Poèmesantiquest Midi).

(3) Il
doit être bien entendu qu'il ne s'agit ici que du sémième exprimé par le corp.
du mot. Des taxièmes accessoires peuvent certes lui être adjoints par des taxiomes
Nous analysons : ; ;
Midi, nom ; roi, nom des, strurnent.; étés, nom épandu, (du vocable

; ;
épandre), verbe ; sur, strument ; la, strument ; plaine, nom ; tombe,
;;
verbe en, strument ; nappes, nom
des, strument ; hauteurs, nom ; ; ;d' (de), strument ; argent, nom
du, strument ; ciel, nom bleu, nom
;
; ; ; ;
tout, strument ; se, strument ; tait, verbe l' (le), strument ; air, nom
flamboie, verbe et, strument ; brûle, verbe sans, strument ; haleine,
nom
;
la, strument ; terre, nom est, verbe ; assoupie (du vocable assou-
pir), verbe ; en, strument ; sa, strument ; robe, nom de, strument ;
feu, nom.
Autre exemple :
;
La femme est obligée d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge-
à propos de résider le mari est obligé de la recevoir et de lui fournir tout ce qui
est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état.

; ; ;
la et de lui
;
; ;; ; ; ;
(Code Civil, art. 214).

tout ce qui pour les de ; la ; selon ses et ;


;
; ;
Slruments : La ; d* (de) ; avec le ; et ; de ; le ; où ; il à ; de ; le ; de ;

son.
:; ; ; ; ; ;
habiter suivre ; juge résider est obligé ; ;
: ;
Verbes es,t ; obligée
recevoir fournir est.

vie ;
Noms femme
;
facultés état.
; ;
mari ; partout ; propos ; mari nécessaire besoins ;

Les classes constituent donc en. somme, comme nous l'avons dit au

;
commencement de ce chapitre, un répartitoire général s'appliquant à
tous les mots de la langue quels qu'ils soient, de même que le, réparti-
toire de catégorie.
Il est possible,— et ceci sera l'objet du chapitre suivant — d'envisager
les diverses catégories dans chaque classe ou les diverses classes dans cha-
que catégorie. Ceci nous amène à remarquer qu'en vertu du phénomène.
de la syncatégorisation (v. supra, § ?7) le répartitoire de catégorie, inter-
vocabulaire dans la classe nominale et sous réserve, dans la classe stru-
mentale, est intravocabulaire dans la classe verbale.
81. - Les classes étant, ainsi définies, il est évident que celle qui répond
à la forme la plus élémentaire de la pensée est la nominale. Lorsque le
cri, à partir de sa valeur purement émotive, évolue vers quelque chose
de proprement linguistique, le factif locutoire ainsi constitué est à l'évi-
dence nominal, puisqu'il n'y a aucune construction dans semblable paro-
le. Il semble donc légitime d'admettre que la classe nominale est la plus
ancienne des trois classes linguistiques, ou, plus exactement, que c'est à
des mots que nous classons maintenant parmi les noms que ressemblaient
logiquement le plus les mots du langage à son sortir de l'animalité. Ce
à
n'est pas dire que le plan locutoire n'ait pas de représentants en dehors
de la classe nominale. Nous verroas plus loin que l'impératif, quoique
nettement verbal, est pourtant locutoire.
,

;
synclitiques y annexés, mais ces taxièmes ne servent pas à le lier logiquement au
du discours ils n'ont de valeur laxiéninliquc qu'à son éé,ard même.
reste
CiiAiTiurc V

1; :
LESESSENCES LOGIQUES

SOMMAIUlî

82. Les douze essences logiques. -— 83. Factif nominal.


minal. — 85. Adjectif nominal. - - Substantif no-
84.
86. Affonctif nominal. — 87. Factif ver-
bal. — 88.Substantif verbal. — 89. Adjectif verbal. — 90. Affonctif verbal.
— 91. Factif slrumetital. — 91.Substantif Correspondance
strumental. — 93. Adjectif stru-
des essences logi-
mental. — 94. Affonctif strumenial. — 95.
ques et des ancicnnes parties du discours. — 96. Caractère franeigène du
système des essences logiques. — 97. Les essences logiques, occasion de nou-
veaux progrès.
82. — Les deux répartitoires de catégorie et de classe, étudiés aux cha-
pitres III etIV-ci-dessus, sont-complèlement indépendants l'un
del'autre,
comme nous l'avons déjà dit, et se combinent en croisantleurs pliyses. -
à
Nous-sommes ainsi amenés considérer, comme résultat de celledollble.
classification,douze espèces diIlerentes de termes,auxquelles nous don-
nonsle nom d'essences logiques et dont le tableau ci-aprcsindique laré-
partition:

CLASSES
1 VERBE
NOM STRUMENT

FACTIF FACTIF FACTIF

O*•—
j
$"1?ACTIF
NOMINAL VERBAL STRUMENTAL

W
M
cce
£
H
o SUBSTANTIF
SUBSTANTIF
:
SUBSTANTIF SUBSTANTIF

2 NOMINAL VERBAL STRUMENTAL


O
''A
H ADJECTIF ADJECTIF ADJECTIF
5 ADJECTIF
W NOMINAL VEHBAL STRUMENTAL
H ,
Z
S j
g AFFONCTIF AFFONCTIF AFFONCTIF
AFFONCTIF
NOMINAL VERBAL STRUMENTAL
Le français possède-t-il effectivement ces douze essences ? En d'autres
termes, chaque classe comporte-t-elle les quatre catégories chaque caté-
et
?
gorie les trois classes C'est ce que nous allons examiner dans les paragra-
phes qui suivent.
83. — En combinant la définition du factif (§ 57) et celle du nom (§78),
on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle factif nominal un terme ayant la pleine puissance de poser
d'une manière purement sémiématique un fait comme existant.
Or, en examinant ce passage :
GALATHÉE. — Enfin, ce mariage. qui devait faire notre bonheur. est devenu
tout à flit impossible 1
Daadenboeuf (à part). — V'lan ! J'allais le dire 1
(Labiche. Mon Isménie. Se. XX).

:
nous voyons que le terme v'lan répond à notre définition c'est en effet un
pur sémiome exprimant l'effet que vient de produire sur l'âme de Darden-
bœuf la nouvelle de la rupture de son mariage.
Donc, il y a des factifs nominaux en français.

84. — En combinant la définition du substantif (§68) avec celle du nom


(178), on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle substantif nominal un terme représentant un concept sémié-
matique pur (ne servant ni à l'expression d'un taxième, ni à la formation
d'un vocable syncatégorique).
Or, en examinant cette phrase :
Et Dieu dit : Que la lumière soit 1
(Bible. La Genèse. I. 3, trad. Genoude).

nous voyons que les termes Dieu, lumière, répondent à notre définition.
Donc il y a des substantifs nominaux en français.
85. — En combinant la définition de l'adjectif (§69) avec celle du nom
(1 78), on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle adjectif nominal un terme représentant une qualité pure-
ment sémiématique ne servant ni à l'expression d'un taxième ni à la for*
mation d'un vocable syncatégorique applicable à un substantif :
Or, en examinant ce passage :
Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comm.e eux sont frileux et comme eux sédentaires.
,

(Ch. Baudelaire. Les Fleurs du Mal, Les chats).

nous voyons que les termes fervents, austères, mûre, puissants, doux, fri-
leux, sédentaires, répondent à notre définition.
Donc, ily a des adjectifs nominaux en français.
86. — En combinant la définition de l'afTonctif(§70) avec celle du nom
(| 78), on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle affonctifnominal un terme représentant une modalité sémié-
matique pure s'appliquant à l'agencement des termes linguistiques entre
eux:
Or, en examinant ce passage :
Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons
Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique.
(P. Verlaine. Amour, Lucien Létinois. Œuvres. T. Il. p. 91).

nous voyons que le terme doucement répond à notre définition.


Donc, il y a des affonctifs nominaux en français.
87. — En combinant la définition du factif (§ 57) avec celle du verbe
(| 77), on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle factifverbal un terme pourvu de puissance nodale, faisant
partie d'un vocable syncatégoriquc et ayant la pleine puissance de poser un
fait comme existant.
Or, si nous considérons cette phrase :

Et cela seul me conférait un évident avantage.


(Claude Farrèrc. Fumée d'Opium, p. 115, l'Eglise).

nous voyons que le terme cO/lférail répond à notre définition.


Donc, il y a des factifs verbaux en français.

88. — En combinant la définition du substantif (§68) avec celle du


(
verbe 77) on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle substantif verbal un terme faisant partie d'un vocable syn-
catégorique, pourvu de puissance nodale et représentant un concept.
Or, si nous considérons cette phrase :
Aimer de bonne fonne foi n'est point un ridicule.
(Colin d'Harleville. Les mœurs du jour. Acte II, se. 11).

nous voyons que le terme aimer répond à notre définition.


Donc, il y a des substantifs verbaux en français.

89. combinant la définition de l'adjectif (§ 69) avec celle du verbe


— En
(f77) on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle adjectifverbal un terme faisant partie d'un vocable syncaté-
gorique, pourvu de puissance nodale, et représentant une qualité sémiéma-
tique applicable à un substantif.
Or, si nous considérons des phrases comme la suivante :
Jadis, aux premiers temps féodaux, dans la camaraderie et la simplicité du
camp et du château-fort, les noblesservaient le roi de leurs mains, celui-ci
pourvoyant à son logis, celui-là apportant le plat sur sa table, l'un le dèstiabillant
le soir, l'autre veillanl à ses faucons et à seschevaux.
(Taine, Les origines de la France contemporaine. l'Ancien Régime, Livre Il. Cliap. I.
Tome 1, p. 134).
-
nous voyons que les termes pourvoyant,apportant,déshabillant,veillant,
répondent à notre définition.
Donc, il y a des adjectifs verbaux en français.

90. — En combinant la définition de l'affonctif (S 70) aveccelledu verbe


(S 77), on obtient la nouvelle définition suivante:
On appelle affonctif verbal un terme faisant partie d'un vocable syncaté-
gorique, pourvu de puissance nodale, et représentant une modalité sémié-
matique s'appliquant à l'agencement des termes linguistiques entre eux •
y
Or, si nous considérons les vers suivants :
Ma grand'mère, un soir, à sa fête,
De vin pur ayant bu deux doigts,
Nous disait en branlant la tête :
Que d'amoureux j'eus autrefois.
(Béranger, Ma Grand'mère. Chanson).

nous voyons que le terme en branlant répond à notre définition.


On pourrait, à vrai dire, alléguer que nous ne sommes pas ici en pré-
sence d'une forme synthétique, indépendante, véritable affonctif, mais plu-
tôt d'un groupe en fonction d'affonctif formé par un adjectif verbal précédé
»
de la « préposition en.
Cependant la constance de cette juxtaposition, la fréquence de la tour-
nure, le caractère spécial qu'y revêt la forme verbale employée, la position
proclitique de en qui fait de cette particule une manière de flexion, justi-
fient notre façon de voir et nous permettent de conclure que, cet ensemble
ayant une valeur propre indépendante de ses composants, le français pos-
sède bien un affonctif verbal.

91.— En combinant la définition du factif (S 57) avec celle du stru-


ment (S 76), on obtient la nouvelle définition suivante :
On appelle factifstrumental un pur taxiome ayant la pleine puissance
de poser un fait comme existant.
Or, si nous examinons des phrases comme les suivantes :

Je traversais la plaine.
Mais. je ne puis parler. tant je suis hors d'haleine 1
-Il t'a poursuivie P
— Oui.
(P. J. Barbier. JeaitnedArc. Acte I,Se. VI).
Jecrois que voici M. Choulette.
(A. France, Le Lys Rouge, p. 130).

Nous voyons que les termes oui et voici répondent ànotre définition.
En effet, le mot olli tient la place d'un factifnon sémiématiquement ex-
'primé et marque une attitude de l'esprit vis-à-vis du fait considéré. Il est
à un factif ce qu'un pronom (substantif strumental, voir au paragraphe
suivant) est à un substantif. Il tient la place de toute la phrase interroga-
tive précédente et pose comme existant le fait mis en question. De même,
voici équivaut à toute une phrase et pose l'arrivée de M. Choulette comme
existante.
Donc, il existe des factifs strumentaux en français.

92. — En combinant la définition du substantif (S 68) avec celle du


strument (S 76), nous obtenons la nouvelle définition suivante
On appelle substantif strumental un terme représentant un concept
:
taxiématique.
Or, si nous considérons cette phrase :
Crois-iu que je l'aie séduite? qu'elle(Musset,
ait réfléchi et que j'aie réfléchiP
André del Sttrlo. Acte I, Se. III).

nous voyons que les termes je, tu, elle, 1'(la) répondent à notre définition.
Us expriment en effet les concepts des personnes substantielles, locutive,
allocutiveet délocutive, physesdifférentes d'un des principaux répartitoires
grammaticaux.
Donc, il y a des substantifs strumentaux en français.

93. — En combinant la définition de l'adjectif (S 69) et celle du stru-


ment (§ 76), on obtient la
nouvelle définition suivante :
On appelle adjectifstrumental un terme représentant une qualité taxié-
matique applicable à un substantif.
Or si nous considérons cette phrase :

Quand les sangles des lits sonores


Gémissent sous nos poids unis,
Narguant les amateurs d'aurores,
Je voudrais des soirs infinis.
(Paul Marrot. Lechemindu rire, p. 25. L'Ombred'autrui).

nous voyons que les termes les, des, nos, répondent à notre définition.
En effet ce sont des adjectifs qui ne confèrent aux substantifs près des-
quels ils sont placés que des déterminations d'ordre taxiématique.
Donc, il y a des adjectifs strumentaux en français.

94. — En combinant la définition de l'affonctif (§ 70) avec celle du stru-


ment (% 76) nous obtenons la nouvelle définition suivante
On appelle affonctif strumental un terme représentant une modalité,
:
taxiématique s'appliquant à l'agencement des termes linguistiques entre
eux.
Or, si nous considérons cette phrase:
Mus les sciences se rapportent à l'homme, comme la médecine, par exemple,.
moins elles peuvent se passer dereligion.
(Joseph de Maistre, Les Soirées de St-Pétersbourg,-

définition. Xe entretien, tome II, p.217.

nous voyons que les termes plus, comme, à, par, moins, de répondent à
notre
Donc, il y a des affonctifs strumentaux en français.
b
95. — La classification quenous proposons dans le présent chapitre
correspond donc bien aux réalités de la langue. Les deux répartitoires qui
la constituent par le croisement de leurs physes n'ont d'ailleurs pas été
déduits par nous d'une logique arbitraire et a priori, mais dégagés par
l'observation des faits, au cours de recherches dirigées tout d'abord par les
concertions traditionnelles.
Désormais donc nous ne désignerons plus les termes de la langue fran-
çaise que d'après notre classification en douze essences logiques.
Le tableau suivant indique la correspondance des essences logiques et
des anciennes parties du discours.

1
NOM VERBE STRUMENT

Factif Verbal Factif Strumental


h FactifNominal
-
G VERBEAUXADVERBES,
FORMES OUI,
7* NON, SI, VOICI,
INTERJECTION
C
dPEcRdScaOmNNmEuiLLTECS
VOILA

z Substantif Nominal Substantif Verbal Substantif


NOM VERBE A strumental
mD
ou SUBSTANTIF L'INFINITIF PRONOM
C/3

hg Adjectif Nominal Adjectif Strumental


Adjectif Verbal ARTICLE, ADJ.
g ADJ.
a
3< PARTICIPE PRONOMS DE
QUALIFICATIF NOMBRES

Affonctif Verbal Affonctif Strumental


5 Affonctif Nominal
IZ PARTICIPE
PRÉSENT
,
ADVERBE (partim).
CONJONCTION
ADVERBE (partim)
PRÉCÉDÉ de EN PRÉPOSITION

correspondances ci-après :
Réciproquement, les dixparties du discours ont dans notre système les

ARTICLE. Adjectif strumental.


NOM ou SUBSTANTIF. Substantif nominal.
,1 ADJECTIF qualificatif. Adjectif nominal.
pronominal. Adjectif strumental.
PRONOM. Substantif strumental.
ERnE
VERBE Infinitif. Substantif verbal.
$ Modes personnels. Factif verbal.

PA
RTICIPE (Seul. Adjectif verbal.
i Précédé de en. Affonctif verbal.
Affonctif nominal.
ADVERBE' 1

« strumental.
Factif «
CONJONCTION. Affonctif strumental.
PREPOSITION. « «
INTERJECTION. Factif nominal.

96. La classification des mots dans les douze essences logiques ne



vaut, bien entendu, que pour la langue française, par l'étude de laquelle
nous y sommes arrivés. Remonte-t on
seulement au latin qu'il est impos-
sible d'en retrouver l'exact équivalent.
Nous avons dit plus haut que le substantif latin apparaissait plutôt
comme un vocable formé d'une collection de mots différenciés encore pres-
que affonctifs : les cas. D'autre part, si en latin déjà le verbe contenait des
catégories extra-factives telles que l'infinitif, il semble bien que l'infinitif
ne soit pas de formation très ancienne. La grammaire comparée établit en

mation très diverse ;


effet que les infinitifs des diverses langues indoeuropéennes sont de for-
ce caractère hétérogène décelant l'infinitif comme
une conception taxiématiquepostérieure à la période dite indo-européenne
commune (1).
Nos factifs strumentaux enfin sont de formation francigène (2). Le latin
ne parait pas avoir eu de conception superposable à notre factifstrumental.
Nous ne prétendons point du tout tracer ici même l'esquisse du ou des
répartitoires qui tenaient dans la mentalité latine la place de nos réparti-
toires de classe et de catégorie. Nous avons seulement voulu montrer, à
propos des premiers répartitoires que nous avons rencontrés combien les
systèmes taxiématiques de langues différentes, même dérivées l'une de
l'autre, pouvaient différer.

97. — Du croisement des deux répartitoires de catégorie et de classe, le


français tire donc, le lecteur peut maintenant s'en rendre compte, —

des ressources d'expressions cohérentes et complètes. Pourtant, quelles que
soient l'ample richesse et la satisfaisante ordonnance de ce système, le fran-
S
(1) Cf. Brugmânn. Abrégé de Grammaire comparée des langues mdo-européenne.,
..l'iil!.
, française, § 431 sqq.
V. Henry. Grammaire comparée du grec et du latin, § 115, V. 130, III ; — 150, IV.
A. Meillet et J. Vendryes. Traité de grammaire comparée des langues classiques,
§ 03 à 508.
(2) Nous plaçant exclusivement point de vue de la grammaire française, nous
au
appelons francigènes les formations étrangères au latin et se montrant dans la langue

ançaise,
sans nous astreindre toujours (ce qui serait de la grammaire comparée) à
examiner si on en trouve d'analogues dans les langues voisines plus ou moins appa-
fonlées à la nôtre. Francigène s'oppose simplement à latinigène, terme qui s'appli-
que à ce que le français a hérité du latin.
çais ne s'y borne pas. En effet, l'esprithumain. apercevant continuellemen
de nouveaux rapports entre les choses, déborde constamment les cadre
CHAPITRE VI

LES COMPLÉMENTS

SOMMAIRE

--
98. La syntaxe est inséparable de la morphologie. 99. Réceptacle et complé-

;
ment. — 100. La valence, la rection. — 101. Les trois modes de collation de
la valence. — 102. Emboîtement des valences. 103. Les liages le SUPPOF-
lement. — 10U. Les différentes espèces de liages. Le rayon. — 105. L'émouve-
ment, le circonstancement. — 106. Les modes de complémentation : la dia-
plérose, l'épiplérose, et l'antiplérose. — 107. Le répartitoire d'adjacence. —
111. La référence. — 112. Les clausules : clausules étanches
jusives. — 113. Les sous-phrases
;
108. La circonjacence. — lOf). La coalescence. — 110. L'ambiance. —

: clausules dit-
sous-phrases endodynamiques ; sous-phra-
ses adynamiques.

98. — Le langage est, avant tout, chose psychique ; tous ses phénomè-
nes sont dominés par des raisons sémantiques, si bien qu'en dernière ana-
lyse aucune partie de la grammaire ne peut être examinée avec fruit que
du point de vue du problème mental qu'elle pose. Ce serait donc de notre
part une faute de méthode que de vouloir envisagerséparément la morpho-
logie et la syntaxe, celle-ci étant la raison d'être même de celle-là.
Pour nous, qui cherchons dans l'étude de la langue le secret de sa logi-
que vivante, tout l'effort de la grammaire aboutit à dégager et à définir les
idées taxiématiques surlesquelles sont établis les répartitoires qui règlent le
fonctionnement de la pensée. Peu importe que ces idées soient exprimées par
des taxiomes synclitiques, des taxiomes libres ou encore parle simple agen-
cement des termes, puisque ces procédés divers concourent au même résul-
tat. La morphologie et la syntaxe ont donc à nos yeux des rapports si étroits
que nous ne saurions les séparer l'une de l'autre, et que nous en poursui-
vons l'étude conjointe dans toute la suite de cet ouvrage.

99. — Les mots appartenant aux différentes essences logiques que nous
avons définies s'associent les uns aux autres pour constituer des phrases.

les mots de la phrase n'étaient ;


Depuis la plus haute antiquité, les grammairiens ont remarqué que tous
pas sur W.mème pied certains d'entre eux
dépendent de certains autres etles complètent. Certains mots jouent donc
le rôle de réceptacles et corrélativement certains autres le rôle de complé-
ments. Nous affecterons systématiquement le suffixe-decte(1) au réceptacle
le suffixe -plérome (2) au complément et le suffixe -plérose aux variétés de
la complémentation (3). 1

100. — On donne le nom de valence à la notion logique introduite dans


l, discours par une catégorie, une classe ou une essence données. Nous dé-
signons systématiquement chaque valence par le nom de la catégorie de la
classe ou de l'essence à laquelle elle se rapporte suivi du suffixe -osilé.
Nous avons vu au S 57 que toute expression de la pensée comportait de
la factivosité, c'est-à-dire l'appréhension de faits nouveaux. Considérons
par exemple une phrase connue :
Le Roy des animaux en cette occasion
Montra ce qu'il estoit.
(La Fontaine. Fables choisies. II, IL Le Lion et le Rat).
L'on aperçoit d'emblée que toute cette phrase exprime l'appréhension
d'un fait nouveau. La factivosité constitue la valence globale de la phrase
entière. Comme d'autre part elle existe plus particulièrement dans le factif
montra, nous devons concevoir que ce mot impose sa factivosité à l'ensem-
ble. Nous donnons le nom de rection à ce phénomène d'imposition de va-
lence, le nom de régent au mot qui imposé sa valence, le nom de régimes
à ceux qui se la laissent imposer. Nous affecterons systématiquement le
suffixe -craie (1) au régent, le suffixe-dmète (2) au régime et le suffixe
-dmèse (3) aux variétés de la rection.
Lephénomème rection se reproduit d'ailleurs dans les différentes parties
;
de la phrase. Il est facile de voir, par exemple, que l'ensemble le roi des
animaux joue globalement un rôle substantiveux dans cet ensemble, le
substantif dominant roi est le régent, les autres mots sont ses régimes. En
définitive, toute phrase se réduit à unehiérarchisation et
à un emboîtement
de valences, la valence du factif principal dominant et absorbant toutes les
autres.
101. — Au S précédent, nous avons défini la notion de valence en fonc-
tion de celles de classes, de catégories ou d'essences logiques. Mais la lan-
gue a des ressources, plus étendues, pour exprimer une valence donnée,
que le simple emploi de la catégorie ou de l'essence logique correspondan-
trois moyens :
tes. En réalité, la langue, pour exprimer une valence donnée, dispose de

1° employer un mot de la ou des essences logiques correspondantes. Ce


procédé s'appelle l'ipsivalence.

(1) Du grec SéxtYjç « celui qui reçoit. »


(2) Du grec 7c^pwti.a « complément. »
(3) Du grec TcVrçpwaii; « action de compléter. »
(1) Du grec xpàTOç « force, supériorité. »
(2) Du grec 8a|i.dÇ<n>, parfait 8£8ji.Y)xa * dompter. »
(3) Du grec 8|j.vjaiç « action de dompter. »
20 employer un mot d'essence logique autre. Ce procédé s'appelle l'équi-
valence.
ao employer un groupe de mots qui par leur réunion constituent un
complexe ayant la valence voulue. Ce procédé s'appelle la convalence..

:
Voici, par exemple, la valeur adjectiveuse exprimée :
la par un ipsivalent
Le ciel blafard verse sur la baie sa blancheur torride.
(Claude Farrère. Famée d'opium. Faï-Tsi-Loung, p. 15)

p par un équivalent :
mais la vraie gaieté peuple, à fond d'insouciance et d'inconscience,je ne
l'acquerrai sans doute qu'avec les années.
(IvéonFrapié. LaMaternelle. Il, p. 49)
3° par un couvaient :

L'homme que Trograchavail guéri de la calvitie s'approcha en disant.


(Guillaume Apollinaire, Le Pocte assassiné. XVIII, p. 136)
On aperçoit ici que de quelque façon que la valence adjectiveuse soit ob-
tenue, elle est chaque fois subordonnée à une substantivosité avec laqueller
elle forme un ensemble suuslantiveux. 'L'jpsivalellt, l'équivalent et le con-
fient fonctionnent donc de la même façon comme régimes d'un régent
suljslantiveux (ciel, gaieté, homme).

102. — Au point de vue de la rection, la phrase, dont l'ensemble est


:
toujours factiveux, se compose de valences se régissant, c'est à-dire en
somme s'englobant les unes les autres. Exemple
Sans que rien de tangible eût pu faire soupçonner chez lui un changement si
rapide, Uoussard, ayant pris conscience de sa situation, s'assura de la sécurité
extérieure en dirigeant successivement vers les quatre coins de l'horizon les
pointes blanches de ses oreilles rousses.
(Louis Pergnud. De Goupil à Margot. La Conjuration du Murger, p. 119)
Cette phrase doit sa factivosité générale au factif verbal assura qui la
régit toute. La valence de ce factif verbal régit directement cinq masses de
Valence :
Sans que rien de tangible eût pu faire soupçonner chez lui un change-
1"

aient si rapide.
2°Roussard,ayantprisconsciencedesasituation. *

3"se.
4° de la sécurité extérieure.

blanches de
ses oreilles
La masse de valence
i-ousses.
50 en dirigeant successivementvers lesquatre coins de l'horizon les pointer

:
1°) Sans que rien de tangible eût pu faire soupçon-
le" chez lui un changement si rapide est affonctiveuse par convalence du
ftit du groupe strumental sans que (v. infra). A l'intérieur de cette masse
"Illcntielle, est englobée unefactivosité, masquée par rapport à celle du
factif principal assàra: à savoir la factivosité du factif verbal eût pu. La
valence de ce factif verbal régit directement deux masses de valence
a) riendetangible.
:
~) faire soupçonner chez lui un changement si rapide.
La masse de valence a) rien detangible est substantiveuse par ipsivalence
du fait du substantifstrumentalrien dont la substantivosité régit le cou-
valent adjectiveux de tangible.
La masse de valence (J) faire soupçonner chez lui un changement si ra-
pide est subtantiveuse par ipsivalencedu fait du substantif verbal faire. La
valence de ce substantif verbal régit directement la masse de valence soup-
çonner chez lui un changement si rapide.
La masse de valence soupçonner chez lui un changement si rapide est
substantiveuse par ipsivalence du fait du substantif verbal soupçonner. La
valence de ce substantif verbal régit directement les deux masses de va-
lence :
a) chez lui, affonctiveux convalent du fait de l'aflonctif strumental chez
(v.infra).
b) un changemenl si rapide. La masse de valence b) un changement si
rapide estsubtantiveuse du fait du substantif nominal changement que son
article un confirme, comme il sera dit ultérieurement, dans sa valence
essentielle substantiveuse. Cette valence substantiveuse régit directement
les deux masses de valence un et si rapide.
Dans la masse de valence si rapide, rendue adjectiveuse ipsivalenlielle-
• ment par
l'adjectif nominal rapide, il y a un afTonctiveux ipsivalent si que
cet adjectif régit.
La masse de valence 2°) Roussard, ayant pris conscience de sa situalion
est substantiveuse par ipsivalence du fait du substantif nominal absolu-
ment ipsivàlent Roussard. La valence du substantif nominal régit directe-
ment la masse de valence ayantpris conscience de sa situation.
La masse de valence ayant pris conscience de sa situation est adjecliveuse
par ipsivalence du fait de l'adjectif verbal ayant pris. La valence de cet
adjectif verbalrégit directement le substantif nominal conscience qu'il en-
globe absolument et auquel il ôte toute valence, même subordonnée, par
le processus de la coalescence (v. infra). La masse de valence verbo-adjecti-
veuseayantpris conscience ainsi constituée régit leconvalent de sa situa-
tion, affonctiveux du fait de l'affonctif strumental de. A l'intérieur de ce
le
convalentaffonctiveux, régent substantiveux situation assuré dans sa
substantivosité essentielle par l'article sa régit la valence adjectiveuse de
cet article.
3°) se est un substantif strumental ipsivalent.
La masse de valence 4") delasécurité extérieureest aflonctiveuseparcon-
valence du fait de l'affonctif strumental de. A l'intérieur de cette masse, le
substantifnominal sécurité, assuré dans sa substantivosité essentielle par
son article la, régit les deux adjectifs ipsivalents la et extérieure.
La masse de valence 5°) en dirigeant successivement vers les quatre coins
de l'horizon les pointes blanches de ses oreilles rousses est affonctiveuse
verbal en dirigeant. La valence verbo-
par ipsivalence du fait de l'affonctif
affonctiveuse de cet aflonctif verbal régit directement les trois masses de
valence
8)
:
successivement,
t) vers les quatre coins del'horizon,
O les pointes blanches de ses oreilles rousses.
S)Successivement est un afTonctif nominal ipsivalent.
La masse de valence s) vers lesquatre coins de l'horizon est affonctiveuse
parconvalencedufait de l'affonctif strumental vers. A l'intérieur de ce
corivalent atTonctiveux, le substantif nominal coins, assuré dans sasubstan-
tivosité essentielle par son article les, régit les trois masses de valence :
c) les, adjectif strumental ipsivalent.
d) quatre,adjectif strumental ipsivalent.
e) de l'horizon, convalent afTonctiveux à l'intérieur duquel un substantif
nominal régit l'article qui l'assure dans sa substantivosité essentielle.
La masse de valence Ç) les pointes blanches de ses oreilles rousses est subs-
tautiveuse du fait du substantif nominal pointes, assuré dans sa substanti-
vosité essentielleparson article les. Ce substantif nominal régitdirectement
les trois masses de valence :
f) les, adjectif strumental ipsivalent. -

g) blanches, adjectif nominal ipsivalent.


h) de ses oreilles rousses, convalent afToncliveux à l'intérieur duquel
le substantif nominal oreilles, assure dans sa substantivôsité essentielle par
l'article les, régit ledit article et l'adjectif nominal roltsses.

103. — La question dela valence n'épuise pas celle de la complémentation.


Du point de vue de la pensée discursive, la langue apparaît comme suscep-

gurent :
tible de marquer des rapports logiques ou liages entre les entités qui y fi-
rapports des substances entre elles, rattachement des qualités aux
substances, application des modalités à l'agencement des entités linguisti-

: ; :
ques. Dans tout liage, entre deux entités, l'esprit considère une des entités
comme principale c'est le support l'autre comme accessoire c'est l'ap-
port. Nous affecterons systématiquement le suffixe-rrhize (1) au support,
le suffixe-dumène (2) à l'apport, et le suffixe-dèse (3) aux variétés du sup-
portement.
104. — L'extrême diversité des liages laisse à la distinction des différen-
tes espèces de liage un caractère sémiématique. Néanmoins, la langue n'est
Pas sans opérer un certain repérage à travers cette diversité.
Et d'abord, le liage d'identité, syndèse, occupe dans la texture de la lan-
gue une place tout à fait à part. On est habitué dans la logique classique à
ne considérer que les rapports d'identité qui peuvent s'établir entre substan-

(1) Du grec ~<x « racine, origine, souche. »


(2) Du grec Soûaevoç
« lié. »
(3) Du
grec 8icrtç « action de lier.»
:
ces, entre substances et qualités une qualité est actuellement congruente
à une subtance ; une substance est entièrement contenue dans une autre
substance,ou interfère du moins avec elle pour une partie de son expres-
sion logique. C'est seulement grâce à la conception de pareils rapports que
les propositions constitutives des syllogismes se succèdent. La logique for-
melle déductive n'est ainsi qu'un vaste corollaire du principe d'identité
«A = B, B = G,donc A=C. » C'est aussi ce principe qui est le ressort de
l'élément déductif du raisonnement mathématique. Le seulliage syllogis-
tique est donc la syndèse qui commande ce qu'on appelle l'accord gram-
matical (accord des adjectifs avec les substantifs et des verbes avec leurs
sujets).

; :
Les syndumènes, en tant qu'ils se réfèrent à une substance-support (ce
qui semble être constant), sont donc de trois ordres 1° factifs ; 2° subs-
tantiveux 30 adjectiveux. Nous discuterons plus loin la question de sa-
voir jusqu'à quel point le factif verbal supporté par son sujet doit ou non
être considéré comme impliquant un adjectif vrai syndumène d'icelui (cf.
livre V).
.Les syndumènes substantiveux s'appellent des encorsures (4). Nous leur
appliquerons le suffixe -schète.
Les syndumènes adjectiveux auront le sufïite -thète.
Nous affectons le suffixe-dote aux syndumènes considérés en général.
Il nous paraît d'ailleurs que, quelque rôle hautement singulier que le
liage syndestique ait dans le fonctionnement de l'esprit humain, il n'en
constitue pas moins un cas très particulier des possibilités générales des
liages. Certes, les liages entre substances et qualités sont toujours dessyn-
dèses, mais les liages où entrent des modalités n'en sont jamais. Quant
aux rapports que le langage établit entre les substances, ils n'impliquent
souvent aucune interférence, aucune identité totale ni partielle des subs-
tances entre elles, encore qu'un rapport très précis et très net entre ces
substances soit indiqué. La syndèse n'est donc qu'un cas particulier du

:
liage. Le rôle éminent qu'elle occupe dans le langage exige toutefois qu'on
l'oppose aux dichodèses qui se définissent tous les'liages qui ne sont pas
de la syndèse. La dichodèse conduit à un apport appelé dichodumène. Les
dichodèses subissent une double répartition du fait des deux ordres de
mots qui concourent à leur expression, à savoir les verbes et les préposi-
tions.
Les prépositions sont une collection de struments dont chacun exprime
un liage relativement simple appelé clinée. On donne le nom de réparli-
toire de rayon à la distinction de ces différents liages (cf. supra, S 65).
D'autre part, chaque verbe est susceptible d'exprimer par lui seulun
»
liage spécifique appelé visée entre son « sujet et son « objet »,de sorte
que la collection entière des verbes français forme une sorte de répartitoirc
qui est dans l'ordre sémiématique ce qu'est le répariitoire de rayon dans
l'ordre taxiématique.
(1) Du verbe encorser « incorporer, »
Entre le sujet et les compléments indirects introduits par une préposi-

:
tion, s'établit un liage qui est le résultat de l'alliance entre la clinée et le
sémième du verbe c'est la menée. Le sujet, en tant seulement qu'il sert
de support à l'objet et aux compléments indirects, s'appelle repère.

l'appelons about. Dans le cas général, la visée est une dichodèse :


Quant au complément principal auquel aboutit la visée verbale, nous

:
répond au complément direct des grammaires classiques nous l'appelons
l'about

syndèse ;
alors ayance. Mais certains verbes, comme devenir, ont pour visée une
;
l'about est alors un « attribut du sujet » nous l'appelons
étance. Ces questions, indiquées seulement ici pour la compréhension de
certains passages du livre IV, seront reprises en détail, à propos du verbe,
au livre V.
La puissance de liage du verbe ne se borne d'ailleurs ni à la visée ni aux
menées. Il est en outre capable de donner des apports syndestiques aux
différentes substances qui jouent, comme sujet, comme objet ou comme
compléments indirects, un rôle dans le fait qu'il exprime. On donne le
nom de nœud verbal à l'ensemble des liages qui se trouvent ainsi s'entre-
croiser dans l'idée même du verbe. On comprend maintenant en quoi con-
siste cette puissance nodale que nous avions, au S 77, donnée comme ca-
ractéristique de la classe verbale. L'étude détaillée des faits dont nous
avons tiré cette notion générale sera faite au Livre V.
Nous pensons éclairer cet exposé un peu aride en donnant quelques
exemples.
SïNDÈSE.
tenait entre ses doigts un rubanjaune.
Il
(Jean de Tinan. L'exempledeNinon de Lenclos, amoureuse, XIV, p. 84).
Syndèse entre ruban etjaune.
La misère estundur linceul.
(Goudeau. Fleurs du Bitume. Le Gibet de misère, p. 118).

claire..
Syndèse entre la misère et un dur linceul.
Il est vray, jusqu'icy j'ay crû la chose claire.
(Molière. Amphitryon. J. 2).
Syndèse entre la chose, et
VISÉE.
Gnouf a traversé la rue.
(Alexandre Arnoux, La nuit de Saint-Barnabe, p. 70).
v'sée entre Gnouf et
la rue.
CLINÉE.

Perrette sur sa teste ayant un Pol au lait


Bien posé sur un coussinet,
Pretendoitarriversans encombreà la ville.
(La Fontaine. Fables choisies. VII. 9. La laitière et le Pot au lait).
Clinée entre le pot et le lait.
MENÉE.

Cettefois. il s'était levé et avait couru vers la porte.


(E. Pérochon. Nène, p. 137).
Menée entre il et la porte.

105. - Nous avons vu que le caractère nécessaire de la factivosité, donc


de la parole, était le sentiment que quelque chose de nouveau venait d'ap-
paraître à l'esprit du locuteur en tant que ce sentiment se communiquait à
l'allocutaire pour le toucher affectivementetl'informer représentativemenl
à ce phénomène nous donnons le nom d'émouvement. A mesure que la
:
factivosité ajoute à sa valeur affective primitive une valeur plus nettement
représentative, se dégagent progressivement des circonstances jouant un
rôle dans le fait qui donne lieu à l'émouvement. A l'émouvemènt s'ajoute
alors le circonstancement, qui est l'aperception d'un certain nombre de
modalités venant teinter la factivosité principale. Dans les phrases ayantla
construction syntactique la plus fruste, phrases qui répondent probable-
ment aux plus anciens modes de pensée linguistique, chaque terme con-
serve comme une sorte de factivosité secondaire, de sorte qu'il s'agit beau-
coup plus d'émouvements jetés les uns auprès des autres comme satellites
d'un émouvement principal que de liages posément indiqués dans un phé-
nomène ayant une unité factive. Ex. :

Sur quoi une vieille lui cria, patatra, Monsieur de Nevers.


(Leroux. Dictionnaire comique. s. v. Patatra).
Ali lIe beau cachemire !. !. !
ah 1 lejoli bracelet Dieu les belles dentelles t
(Labiche. La Cagnotte. I. 6).

— Au revoir voisine.
- Bonjour voisin.
(Ibid.V.1).
Voyons, du calme ! (Ibid. V. 7).
Juste 1
ciel mon ami, quelle comparaison !
(Id. La Perle de la Canebière. Scène 1).

Le factif prend d'autant plus de relief qu'il se distingue davantage des.


affonctifs. Une première ébauche de circonstancement se dessine déjà
quand cette différenciation entre le factif réceptacle et ses compléments
affonctifs est devenue nette, ex. :
Prenez vite et cachez la bien.
(A. Bisson et J. Berr de Turique. Château historique, I, 4).

C'est à l'intérieur d'ensembles afîonctiveux que les substantifs appa-


raissent auprès des factifs et particulièrement auprès des factifs nominaux
qui n'ont pas de puissance de visée, ex. :
:
Priez pour moi je suis mort, je suis mort.
(Béranger. Le Mort Vivant. Chansons, p. 8).
Fi des coquettes maniérées 1
Fi des bégueules du grand ton ! (Id. Jeannette, p. 105).
Mais au fur et à mesure que le sentiment linguistique affirme la notion
brute du circonstancement primitif pour arriver à celle de nœud verbal,
la préposition vient en quelque sorte agglomérer sa force ligative à celle
du verbe, et le lien logique de menée se constitue. A la conception rec-
liounelle :
Le curé de Bazeille (régime) — est mort (régent) — pour son pays (ré-
gime affonctiveux).
(P. Déroulède. Le curé de Bazeille, dans le Livre d'Or de la Patrie, p i53).

on superpose la conception supportemeutale :


curé de Bazeille (support) est mort pour (lien de menée) son pays
Le
(écart,v.1443.)
semble donc bien que le répartitoire de rection et celui de supporte-
Il
ment, encore qu'indépendants l'un de l'autre à l'heure actuelle, soient sor-
tis par voie de différenciation logique de la notion plus vieille et plus
brute de complémentation.
L'évolution qu'il nous semble apercevoir comme probable correspond
à ce que Bréal (t) appelle la genèse de la « force transitive » :
« Comme les pierres d'un édifice », dit-il, « qui pour avoir été jointes
«longtemps et exactement, finissent par ne plus composer qu'une seule
« masse, certains mots que le sens rapproche s'adossent et s'appliquent
« l'un à l'autre. Nous nous habituons à les voir ainsi accolés, et en vertu
« d'une illusion dont l'étude du langage offre d'autres exemples, noussup-

« posons quelque force cachée qui les maintient ensemble et les subor-

« sidant en certaines espèces de mots. » Et plus loin :


« donne. Ainsi s'établit dans les esprits l'idée d'une « force transitive » re-
« La phrase, en cette
« nouvelle période du langage, se compose de mots qui sont les uns régis-
« sants, les autres régis. La syntaxe confisque à son profit la signification

« individuelle des flexions. »

106. — Dans la langue d'aujourd'hui, les répartitoires de rection et de


supportement se combinent de trois façons qui constituent les trois modes
de complémentation.
Dans le premier mode, appelé diaplérose, qui correspond à la souplesse

:
la plus grande du circonstancement, les deux notions de rection et de sup-
portement restent indépendantes l'une de l'autre le diaplérome est d'une
part le diadmète d'un premier terme qui est son diacrate ;
d'autre part,
le diadumène d'un autre terme qui est
sa diarrhize, ex. :
Le petit chat est mort
(Molière. L'Escoledes Femmes. II. 5.

(1) Michel Bréal. Essai de Sémantique, chap. XX, pp. 209 et 220.
Mort est le diadmète de est, diacrate, et le diadumèue de chai, diarrhize.
Mais j'avais cru le testament valable.
(Ed. Estaunié. Le labyrinthe. XII, dans la Revuedes deux Mondes du 15 mai 192 i
p. 241).
Valable estlediadmètede avais cru,diacrale, et
le diadumène testa- de
ment, diarrhize. Nous réservonssystématiquement
plérose.
le
préfixe-dm dia- àla
Dans le second mode de complémentation, appelé épiplérose, il y a un
-support-régent ou épidecte et un apport-régime ou épiplérome, exemple :
Le fils du roi vint à passer.
(Nous étions dix filles à marier, chanson populaire).
floi est l'épiplérome de fils, épidecte. Nous réservons systématiquement
le préfixe-épi à l'épiplérose.
:
Dans le troisième mode de complémentation appelé antiplérose, il y a
un support-régime le soutien, qu'on pourrait aussi bien appeler antirrhize
qu'antidmète, et un apport-régent, l'anticrate qu'on pourrait aussi bien
appeler anlidumène. Ex. :
Le roi boit1
(Acclamation traditionnelle pour le roi de la Fève)
Roi est l'antirrhize (soutien) de boit, anticrate.
Je pense, donc je suis.
(Descartes. Discours de la Méthode. IV, p. 43, col. 2).
Je est l'antirrhize (soutien) la première fois de l'anticrote pense, la se-
conde fois de l'anticrate suis.
LE VIEUX MONSIEUR.
JUSTIN. — Absent, le
- Et le Mari ?
mari !
(A. Bisson et J. Berr de Turique. — Château Historique. 1. 1).

l'antirrhize (soutien) d'absent, anticrate. Nous réservons sys-


Le mari est
tématiquement ie préfixe-anti à l'antiplérose.
107. — Nous avons distingué, dans les précédents, deux phénomènes
dans la complémentation : la réction et le supporteraient. L'englobement
de la valence du régime par celle du régent peut être plus ou moins étroite.
C'est un nouveau répartitoire qui va se présenter à nous, celui d'adjacence.
:
Nous distinguons trois adjacences. La première est le mode naturel
d'union des termes dans la phrase ordinaire nous l'appelons circonja-
:
cence. La seconde est caractérisée par une sorte de pénétration mutuelle
du régime et du régent nous l'appelons coalescence. La troisième est
-caractérisée au contraire par l'attache très lâche du régime au régent:
nous l'appelons ambiance. Nous réservons systématiquement le préfixe
-- -
ana à la circonjacence, le préfixe cala à la coalescence et le préfixe
.amphi à l'ambiance.
108. — Dans la circonjacence, la valence du
régime n'est englobée dans
celle du régent qu'autant qu'il le faut pour que le rapport de rection soit
parfaitement marqué. L'anadmète est donc en somme le régime type, par
opposition à la catadmète, qui, comme nous le verrons, a sa valence pres-
que étouffée par celle du régent, et à l'amphidmète, dont la valence reste
assez indépendante pour qu'elle ne soit qu'à peine un régime.
Sans prétendre justifier dès maintenant la notion générale de circonja-
CCllce, qui résulte d'une étude patiente des faits de la langue, nous allons
du moins donner quelques exemples d'anadmètes.
L'affonctif est anadmète du verbe quand, dans les formes composées de

:
ce verbe, il succède aux deux composants sans s'intercaler entre eux, mais
sansêtre séparé d'eux par une pause, exemple

Le
turel.
langage s'est formé naturellement ; sa première qualité sera toujours le na-
(A. France. Luvie lillèruire,l,esérie,p.300).
Le substantif nominal est anadmète du verbe quand on le voit, pourvu
de son article, marquer une des substances qui viennent prendre part à
l'action verbale, exemple
Des Lupeaulx montra donc à l'espion un visage calme et grave.
(II. de Balzac. Les Employés. Œuvres, t. XI, p. 239).

Dans cet exemple, les trois substantifs Des Lupeaulx, espion et visage
contrent trois anadmèles du verbe.
L'adjectif nominal rapporté directement par le verbe au substantif sup-
port est, ainsi que nous le verrons, anadmète de ce verbe, ex. :

Et le petit page était présent.


(Beaumarchais. Le mariage de Figaro. II. 1).

L'adjectif nominal épithète placé après son substantif régent est anad-
mète de ce substantif, ex. :

J'ai sauté sans réflexion sur les couches, où je me suis même un peu foulé le
pied droit.
(Beaumarchais. Le mariage de Figaro. IL 21)

jalousie..
même, le convoient formé par une préposition et un substantif est,
De
dans la même position, anadmète du substantif régent. Ex. :
Nous avons la clé de la
(Beaumarchais. Le Barbier de Séville. III. 12)
Si c'était une leçon de danse, on vous passerait d'y regarder.
(Ibid).

L'affonctif régi par un adjectif le précédant est anadmète de cet adjec-


tif, etc. :

Certain Renard Gascon, d'autres disent Normand,


Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille
Des raisins,murs apparemment,
Et couverts d'une peau vermeille.
(La Fontaine. Fableschoisies. III. il.
Le Renard et les Raisins).

lecteur qui a le sentiment linguistique du français, peut apprécierai.


Le
sément la différence considérable qu'il y a entre mûrs. apparemmenl, c'est
à-dire « mûrs d'une façon apparente », et apparemment mûrs, qui signifie-
rait « vraisemblablement mûrs. » Le tour employé par La Fontaine donne
sa pleine valeur indépendante à l'affonctif et insiste sur l'apparence mani-
feste de maturité qu'avaient dans cette circonstance les raisins l'autre
tour attribuerait aux raisins une qualité conçue dans une modalité dont
:
elle serait inséparable.

109. — La coalescence est une adjacence dans laquelle il y a union in-


time entre le régime et son régent. D'une part, la valence du régime est
presque étouffée, dans le déroulement de la pensée, par celle du régent,
mais, d'autre part, le régime arrive par l'intimité même de son union avec
son régent, à fondre en quelque sorte son sémième dans le sémièmede son
régent, au point qu'un nouveau sémième, complexe, se constitue.
Voici quelques exemples de catadmètes :
Dans les temps composés des verbes, la forme extrafactive du verbe
principal est catadmète de l'auxiliaire. Ex. :
Comme vous voudrez, répondit la princesse, j'ai pris mon parti.
(H. de Balzac. Les secrets de la princesse de Cadignan Œuvres, tome XI, p. 105).

Le substantif nominal, comme il sera dit plus loin, estcaladmèledu


verbe dans les locutions du type avoir faim, rendre grâce, rendre gorge,
faire attention.
Certains de ces pauvres bougres ont soifde réhabilitation.
(Capitaine Z. L'armée de la guerre, p. 196).
Mademoiselle Brochot fit preuve d'intelligence.
(F. le Borne, dans le Petit Parisien
du 29 juin 1924, p. 4, col.4).
Le factif nominal peut également être catadmète du verbe dans des ex-
pressions telles que faire dodo, faire fi, etc.
Ex :

Y a M. Félix qui veut faire caca par terre.


(G. Courteline. Coco, Coco et Toto, M. Félix, p. 77)
VQUS avez paru faire fi de mes prévisions. 1
,
(Hené Boylesve. L'Enatit à la baltlstrade. I. 5, p.82).

Les adjectifs nominaux et strumentaux placés avant leurs substantifs


régents sont catadmètes de ces substantifs, ex :
Il faudra de ces choses, dont on ne mange gueres et qui rassasient d'abord
quelque bon haricot bien gras, avec quelque Paté-en-pot bien garny de marrons.
;
(Molière. L'Avare. III. 1).
La mort d'Henri Il précipita les choses.
(Jacques Bainville. Histoire de France. IX, p. 156).

Les adjectifs nominaux et certains adjectifs strumentaux sont capables


d'être catadmètes d'adjectifs qu'ils précèdent immédiatement. Nousxurin-
trerons ultérieurement que dans ce cas, ils sont variables en « gerjrô »,
mais non pas en « nombre. » Ex :

La ;
Fourbe, a de l'esprit la Sotte est toute bonne.
(Molière. Le Misantrope, Il 4.)

éventail;
Un parasol à mille nervures, qui tournait dans une jolie main ambrée ; un

équipage.
une longue branche de fleurs fraîche cueillie complétaient le gracieux
(Claude FalTère. La Bataille, p. 20S).
M. Brizet, maître verrier, frais levé, bouclait la ceinture de son veston de chasse.
(Pierre Hamp. Vinde Champagne, p.98).
v
Une seule balle, bon Dieu t c'est quand même trop fort. Elle était fine bonne,
celle-là.
(Georges Duhamel. Vie des Martyrs.
Nuits en Artois, p. 203).
Il ôta gravement son képi et découvrit un crâne si ras tondu, qu'il n'y avait
plus là qu'un espoir de cheveux.
(René Benjamin. Gaspard, p. 25).

L'affonctif, quand il se trouve dans les formes composées du verbe entre


l'auxiliaire et l'auxilié, est catadmète de ce verbe. Ex :

Il a été rudement saigné.


(Madame de Sévigné. Lettre du 10 février 1673).
Car si, au Sud, catholiques et protestants, personnifiés par Montluc et des
Adrets, sont toujours restés en présence, l'Ouest, en partie calviniste an seizième
siècle, a vu la défaite de la Réforme.
(Jacques Bainville. Histoire de France. IX, p. 163).
Après l'attentat de Maurevel, il avait encore pris des mesures pour la pro-
tection des calvinistes.
(lbid, p. 467).

L'affonctif régime d'un adjectif nominal et placé avant cet adjectif en


est catadmète. Ex :

Elle serait pour vous ce qu'elle a été déjà pour les lecteurs du livre, une pen-
sée éminemment morale et religieuse.
(Plaidoirie de Me Senard pour Flaubert dans le
procès de Madame Bovary dans Madame Bovary, p.411).
Dans son trop vaste empire, les difficultés ne manquaient pas. -
(Jacques Bainville. Histoire de France. VIII,jp. 144).
110. -1A inverse de la coalescence, l'ambiance est une adjacence plus
lâche que la circonjacence. Le régime y figure comme une circonstance ac-
cessoire dontl'omission ne moditierailessentiellement ni le rôle du régent
dans la phrase, ni le sens général de celle-ci. Le plus souvent d'ailleurs,
ilfautuneffort spécial d'analyse pour indiquer quel est le support de ce
complément flottant, qui ne fait pas partie de l'édifice logique de la phrase,
mais qui s'y présente comme un organisme indépendant dans un milieu
qui l'enveloppe et le soutient.
On y entend chanter un coq qu'on ne voit pas, chose extrêmement dé.
sagréable.
(V. Hugo. Les Travailleurs de la mer.
1. 1. 4, tome 1er, p. 27).

L'ensemble chose extrêmement désagréable est un complément ambiant.

;
Il flotte dans l'atmosphère sémantique de la phrase sans concourir à son

:
organisation il pourrait y occuper des places très diverses, sans que le
sens fût modifié de façon bien appréciable
« Chose extrêmement désagréable, on y entend chanter un coq qu'on
ne voit pas. »
« On y entend, chose extrêmement désagréable, chanter un coq qu'on
ne voit pas. »
« On y entend chanter, chose extrêmement désagréable, un coq qu'on
ne voit pas. »
« On y entend chanter un coq que, chose extrêmementdésagréable, on
ne voit pas. »
Un tel complément, amphidmète du factif principal, est cependant assez
lâchement englobé par la valence de ce factif pour ne se soutenir qu'au
moyen d'une sorte de factivosité propre. Le complémentambiant est tou-
jours plus ou moins factiveux. Souvent même il est locutoire, comme c'est
le cas pour les vocatifs.
Il est évident, d'après ce que nous venons de dire, quelesaffonctifs, tout
particulièrement, sont susceptibles de devenir des compléments ambiants.
Dans ce cas, le lien qui les unit au verbe est extrêmement lâche et ils sont
présentés comme une circonstance générale, dans l'ambiance de laquelle
se déroule la phrase (d'où le nom choisi pour cette adjacence). Ex. :

contraires.
Visiblement, elle passait, en écoutant mon mémoire, par les sentiments
(A. France. Balthazat.M. Pigeonneau,
les plus
p. 48 )

Ce même rôle peut être assumé par un convalent affonctiveux. Ex. :

Sans mentir, si vostre ramage


Se rapporte à vostre plumage
Vous êtes le Phœnix des hostes de ces bois.
(La Fontaine. Fables choisies. I. 2. Le Corbeau et le Renard).

;
Une amphidmète très fréquente est constituée par un adjectif ou par
un substantif apport syndestique d'un des termes mais il n'est pas alors
;
présenté à vrai dire que comme une circonstancesecondaire, invoquée pour
explication ou à titre de renseignement surajouté sa liberté de position et
les pauses qui l'encadrent le caractérisent. Ex. :
Furieuse. elle vole, et sur l'autel prochain
Prend le sacré cousteau, le plonge dans son sein,
(liacine. Iphigènie en Aulide. V. fi).
Mon père, ce héros au sourire si doux,
Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous
Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,
Parcourant à cheval le soir d'une bataille
Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.
(V. Hugo. La légende des siècles. lre série,
XIII. 1, tome II, p. 173).
Tu me dis cela, à moi?
(A. de Musset. Lorenzaccio. II. 3).

De même avec un convalent :

L'Asne, qui gousloitjorll'autre façon d'aller,


Se plaint en son patois.
(La Fontaine. Fables choisies. Ill. 1.
Le Meumier, son Fils et l'Asne).

Les amphidmètes du verbe peuvent être, du fait du nœud verbal, don-


nés comme apports aux différentes substances jouant un rôle dans le fait
verbal. Il ne s'agit plus, comme dans la circonjacence, d'une qualité que le
verbe attribue à l'un de ses régimes, mais d'une qualité qui est déclarée se
trouver occasionnellement alliée à celui-ci au moment où le fait verballe
touche. Ex. :

Mil huit cent onze, ô temps où des peuples sans nombre


Attendaient, proslernés sous un nuage sombre,
Que le sei- eût dit oui !
(V. Hugo. Les Chants du Crépuscule. V. Napoléon, p. 255).

Le
daient ; la phrase les représente prosternés dans celte attente ;
fait essentiel sur lequel le poète insiste, c'est queles peuples atten-
c'est une

;
circonstance accessoire, un détail saisissant mais sans action sur le phéno-

:
mène principal de plus,une nuance très nette est marquée par l'interven-
tion du factifdans le rattachement de cette qualité ce ne sont pas des
peuples prosternés pour une raison quelconque, qui attendent, mais des
peuples pour qui cette prosternation est une circonstance, une attitude,
non nécessaire mais actuellement effective de l'attente.
Les compléments ambiants locutoires sont marqués par un caractère
plus fortement factiveux et une indépendance plus grande dans la phrase.
Nous les trouvons naturellement auprès des impératifs, comme substan-
tifs supports, ex. :

Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moy.


(Racine. Athalie, Il. 5).

Le
:
complément ambiant peut se rencontrer, placé au début de la phrase,
sans rattachement régulier au reste l'esprit, tout plein de l'idée d'une
substance qui domine le fait à énoncer ou qui l'enveloppe, en jette l'ex-
pression sous bonne force substantiveuse tout à trac avant d'aborderl'ex,
posé de la pensée discursive: jaillissement spontané ayant à lui seul une
valeur factiveuse, et ayant aussi, à l'évidence, une valeur locutoire, puisque
cette substance est ainsi jetée sans rôle défini dans la phrase, — même si
elle doit y jouer un rôle logique subséquent, — comme une sorte d'excln.
mation du locuteur. Ex. : *

Torcy, on a vu que je n'avais jamais eu aucun commerce avec lui


tSaint-Simon. Mémoires. Rome VII, Chap. XIII, p. 138).
Lesoldat, la vie s'écoule de lui.
(Ch. Henry Mlrsch, Le Crimede Potru, soldat, p. 19).
Hier, à table, ce n'aurait pas été mon gamin qui disait ça, que j'aurais pris
la porte. Lui, je me suis retenu simplement de lui envoyer une paire de gifles.
Tristan Bernard. Amants et voleurs. Le Poignard Malais, p. 272).

Bien que ces compléments soient soutenus dans la suite de la phrase


par un support syndestique substantif, ils apparaissent, au moment de
l'éjaculation locutoire de l'idée substantielle, comme dépourvu de rôle
précis dans la construction grammaticale qui suit.

111. — Les termes composants des phrases françaises peuvent être en-
visagés au point de vue de leur référence, c'est-à-dire de la faculté qu'ils
ont de prendre part à des liages, soit comme supports, soit comme ap-
ports. La faculté d'être support s'appelle la 'sufférence, celle d'être apport
l'afférence.
112. — On appelle clausule une masse de valence (simple ou conva-
lente) qui, quelle que soit sa valence globale par rapport aux membres
de la phrase, est intérieurement centrée autour d'un substantif dépourvu
de puissance nodale, c'est-à-dire nominal ou strumental (ce substantif pou-
vant d'ailleurs, dans certains cas particuliers constituer à lui seul la clau-
sule).

;
La question de l'afférence du substantifcentral de la clausule importe
peu pour la classification des clausules car ce serait seulement d'une fa-
çon tout à fait artificielle et non étayée par les faits que l'on pourrait dis-
tinguer entre l'anerence propre de ce substantif central et l'afférence glo-
bale de la clausule, qui est la justification du rôle complémentaire de cette
clausule. Cf. :

col.1).
Il est représenté le plus fréquemment couvert d'une peau de lion et armé d'une
massue.
(J. Trousset, Nouveau dictionnaire encyclopédique, s. v. Hercule, t. III, p. 264,

et:
De la peau du Lion l'asne s'étant vestu
Estoit craint par tout à la ronde.
(La Fontaine, Fables choisies, V, 2t, l'Asne vestu de la peau du Lion).
Lesclausules de lion,du lion sont ici évidemment toutes des apports
du substantif peau. Et l'on pourrait d'autre part soutenir que le substan-
tif lion contracte pour son compte des rapports avec le substantif peau.
Mais ces rapports sont difficiles à préciser du fait que dans la première de
ces phrases,
la substance d'un lion ne se montre pas clairement.
Aussi est-ce sur la question de la sufférence du substantif central que
doit se faire, d'après la leçon des faits, la classification des clansules.
Quand la sufférence se limite aux bornes de la clausule, c'est-à-dire
quandlesubstantif ne peut devenir le support de termes étrangers à la

,
clallsule, la clausule est dite étanche. Ex. :

o surprise 1 plus de nappes salles, une table nette, des mets acceptables, à
peine quelque odeur de cuisine et une réception (l'enfant prodigue.

l'rmtique.
Les
iliiiti q ue.
(Ed. Kstaunié. L'Infirme aux mains de Lumière. 111, p. 63).
nobles. qui ont le titre de prince du Saint-Empire portent. la couronne à
(H. Gourdon de Genouillac. L'Art Héraldique. 111, p. 151).

On aperçoit que lesclausulesd'enfantprodigue, de prince du Saint-Empire


sont étanches, car si les termes enfant et prince peuvent respectivement
porter l'un l'adjectif prodigue, l'autre la clausule du Saint-Empire. ils se-
raient incapables, ainsi que nous le verrons ultérieurement, de supporter
aucun apport étranger à leurs clausules.
Quand la sufférence au contraire ne connaît pas de limitation, la clau-
sule est dite diffusive. Ex. :

Le vent vase lever, les hirondelles s'éveillent, la feuille du myrte est envolée !
(G. Flaubert. La Tentation de Saint Antoine. IV, p.167). -

Dans pareille tournure, on pourrait non seulement ajouter au terme


myrte un complément intérieur à la clausule, mais encore lui faire jouer
le rôle de support dans des membres de phrases contigus. Ex. :

Enfin vous l'emportez, et la faveur du roy


Vous éléveen unrangquin'étoitdùqu'à inoy,
Il vous fait gouverneur du prince de bastille.
(Corneille. Le Cul. T, 3).

113. appelle sousphrase un complément à l'intérieur duquel


— On
figure un phénomène avec son circonstancement.
Nous avons vu au § 56 que la factivosité principale de la phrase compor-
tait toujours de l'émouvement, c'est à-dire l'aperception d'un fait nouveau
dans le contenu psychique du locuteur : ceci représente en somme l'aspect
valentiel du phénomène.
Mais dès que la notion phénoménale cesse d'être absolument brute, le
phénomène commence à pouvoir être conçu comme comportant du cir-
constancement, c'est-à-dire l'expression de rapports déterminés entre les
Inasses de référence impliquées dans le phénomène. Cela représente en
somme l'aspect supportemental du phénomène. *
Un phénomène ne peut se montrer en sous-phr£*se,c'est-à-dire à
l'intérieur
d'un complément, qu'à condition que son émouvetnent n'entre pas en luite
avec celui de la factivosité principale de la phrase, car une phrase ne peut
comporter qu'un seul émouvement, valence régente dans laquelle vien-
dront s'englober toutes les valences complémentaires.
Cette condition se réalise de deux façons.
1* Si le phénomène central de la sous-phrase est exprimé par un factif,
c'est-à-dire par un terme ayant un émouvemerU propre, ce factif sera in.
clus dans un convalent introduit par un strument ayant pour rôle spécial
de masquer l'émouvement : cette sous-phrase par manquement est dite
sous-phrase endodynamique. On l'appelle aussi subordonnée. Ex. :
Cendron ne savait s'il devait rire ou pleurer.
(A. de Chateaubriant. La Brière. 1. 3, p. 67).
Nous avions l'air de nous ennuyer, et pourtant je doute que deux êtres se soient
jamais senlis si proches ? <
(Ed. Estaunié. L'infirme aux mains de lumière. III, p. 55).
phénomène de la sous-phrase peut n'être donné qu'au point de vue
2° Le
circonstancement. La sous-phrase est alors ditesous-phrase adynamique.
Le mécanisme des sous-phrases adynamicjues diffère suivant qu'elles
sont nominales ou verbales.
Quand elles sont nominales, l'ordre des termes, les pauses qui, éven-
tuellement, les séparent, et le ton de phrase sont les seuls signes du rap-
port de circonstance qui est mis entre eux. Ex. :
Unpoignard à la main l'implacable Athalie
Au carnage animoit ses barbares soldats.
(Racine. Athalie. 1. 2).
Délicate, l'œL.l sombre etcreux sous le bandeau noir plaqué à sa tempe maigre, le 1

profit sec, on la voyait encore volontiers en manches blanches.


(Colette Yver. Le Feslindes Autres, dans la Revue des Deux Mondes, du 1er juil-
let 1924, p. 19).
Quand elles sont verbales, elles sont centrées, autour d'un extrafactif
verbal (substantif, adjectif ou affonctif verbal), c'est-à-dire d'un terme
ayant précisément pour rôle de représenter le phénomène en tant qu'il est
une substance, une qualité ou une modalité. Ces termes possèdent de ce
fait la puissance nodale du verbe, c'est-à-dire son pouvoir de circonstance-
ment, alors qu'ils sont privés d'émouvement. Ex. :
et, comme il la retournait, examinait l'écriture, voilà que sa figure se mit
à changer, à blêmir, à revêtir un air de erreur.
(A. de Chateaubriant. La Brière. II. 2, p. 146).
Devant son feu, toute la soirée, il se recorda la querelle, grattant et regrettant
cette plaie, cousant une pensée à une autre, et se marmonnant des choses.
(lbid.,p. 151).
en même temps que sur le seuil, tout prèsde lui, s'éclairait par la rousine
de l'intérieur, un visage de détresse, presque de démence, le visage de Théotiste,
*' horriblement pâle sous le châle danslequel elle se serrait engrelottant.
- (lbid., p. 152).
CHAPITRE VII

LA NEGATION

SOMMAIRE

négation française n'est pas un taxième simple. — 115 Le discordan-


114. La
--
tiel..- 116. Le jorclusif. 117. Alliance du discordantiel et du forclusif
pour former la négation. 118. Indépendance réciproque du discordantiel
et du forclusif. — 119. Caractère véritable de la négation en français.

114. -Il nous semble intéressant de parler dès maintenant d'une no-
tionqui joue un rôle capital dans la logique commun.. la négation
Il ne s'agit bien entendu pas d'étudier ici dans le détail les moyens mis
en œuvre par la langue pour exprimer la négation, non plus que son évo-
lution historique, dont l'étude est inséparable de celle de ses moyens
d'expression. Ce dont nous voulons fixer ici les grands traits en quelques
mots, c'est l'état présent de la question dans le sentiment linguistique de
la langue que nous parlons. Force nous sera peut-être, dans un pareil
exposé, d'être un peu dogmatiques, encore que nous nous efforcions d'évi-
ter le plus possible cet écueil.
La notion même denégation, qui semble êtreà la base de toutes les
logiques, et qui a servi depuis l'antiquité à classer les propositions et à
fixer les règles de leur enseignement déductif, n'est pourtant pas, au
moins sous la forme simpliste où on le conçoit consciemment d'ordinaire,
un facteur réel de la pensée.
Dès la langue grecque, pour fonder l'idée générale de négation, il fallait
abstraction de la différence entre les emplois respectifs de où et de jrfi. Les
grammaires grecques ne nous indiquent d'ordinaire, pour savoir quand

;
employer l'un ou l'autre, que des règles empiriques assez vagues appuyées
sur des exemples de tel ou tel type de phrase il est pourtant impossible
d'admettre que la distinction entre où et p.Y¡ ne répondit pas à quelque
différence réelle dans le sentiment linguistique des Hellènes. Mais nous
avons, semble-t-il, perdu à jamais tout moyen de reconstituer une distinc-
tion sémantique si intéressante.
Le français, au contraire, ne constitue pas un matériel mort, mais une
langue pleinement vivante, et si
nous arrivons par l'étude des textes écrits
et du langage oral d'autrui à reconstituer les taxièmes de la négation, notre
propre sentiment linguistique sera là pour nous avertir que nous avons en
en effet touché juste.
Si nous examinons des phrases négatives françaises du type le plus ordi.
naire, nous les voyons constituées ainsi :
Depuis une heure que je cherche ma casquette, je ne peux pas me rappeler où
je l'ai mise.
(Courteline. LesLinottes, II, p. 61).
Nous respirons, notre cœur bat, nous n'y pensons pas, nous ne sentons rien.
(Gil Robin. La Femme et la Lune. VI, p. 05).
Quand elles sont méritantes, je ne néglige jamais l'occasion de récompenser
mes servantes.
(Thomas Raucat. Honorable Partie de Campagne. V, p. 113).

La négation y est donc, ainsi que chacun de nous le sait depuis l'école
élémentaire, constituée par deux morceaux, d'une partl'affonctif ne, d'autre
part les affonctifs pas, rien, jamais. Certes, dans le parler vulgaire, l'on
entend des phrases comme :

parles en un petit peu, pour voir, du nez du général Suif. — Quand je te


disque j'en parierai pas.
(Courteline. Coco, Coco el Tolo. Le nez du général Suif, p. 65).

Mais il y a lieu de se demander s'il ne s'agit pas d'un écrasement phoné-


tique de ne : on trouve dans les mêmes bouches le ne employé souvent par
ailleurs :
C'est pas mon tour. Il y a Bouffionx qui n'a pas encore pris.
(Roland Dorgelès. Les Croix de Bois. XV, p. 299).

et en admettant même que l'omission du ne fût un phénomène sémantique,


il faudrait penser, puisque les mêmes locuteurs emploient ce ne dans
d'autres cas, qu'ilne s'agit que d'une omission réelle de la notion du ne
par l'esprit. Et cela nous enseigne en tout cas que le taxième qu'exprime
la
pas,rien,jamais est plus voisin de la négation brute de logique clas-
sique que ne l'est le taxième de ne.
Voilà donc le français en possession d'une négation en deux morceaux
-
,ne pas,ne-jamals,ne i,Leti. - :
L'explication qu'on en donne le plus ordinairement est purement histo-
rique : la négation originelle, nous enseigne-t-on, était ne. Comme cette
négation se trouvait réduite à un monosyllabe, voir même au seul pho-
nème [n], on a pris l'habitude de la renforcer par des vocables de valeur
essentiellement affirmative, tels que pas, rien,jamais, et progressivement,
au cours de l'histoire, la valeur de négation se transporta du premier mor-
ceaune sur le second morceau pas, rien, jamais. L'on pourrait, semble-
4-il, d'après cette thèse, prévoir l'époque où le ne, devenu parfaitement
inutile, disparaîtrait. Cette explication purement historique ne nous éclaire
nullement sur la nature des taxièmes de ne et de pas, rien, jamais dans le
115. — Les emplois de ne sont de trois genres :
1° Les emplois avec pas, rien,jamais, etc. pour constituer une négation
banale. C'est ceux dont il a été question jusqu'ici. 2° Les emplois avec que
pour former une négation dont est seule exceptée la chose introduite par
que, ex. :

Claudia ? fit le père. C'est vrai, elle n'a que moi et il m'en coûte de la quitter.
1 et
(Jacques Bainville. Jaco Lori. V, p. 114).
(y
3" Divers emplois isolés dans la subordonnée. C'est ces derniers qui vont
nousdonner la clef du problème. En effet, l'étudedétaillée que nousavons
faite de ces divers emplois de ne dans la subordonnée nous ontamenés à
penser que ne y exprimait toujours une discordance entre cette subordon-
née et le fait central de la phrase. C'est pourquoi nous avons donné à ne le
nom de discordantiel. Par les quelques rapides considérations qui vont
suivre, le lecteur va pouvoir se rendre compte des divers ordres de cas où
l'esprit perçoit cette discordance et l'exprime.
Le cas le plus clair peut-être, c'est la présence de ne après les compara-
tifs d'inégalité. Il est évident qu'il y a en pareil cas une discordance entre
la qualité envisagée et l'étalon (échanlil. cf. infra L. IV, ch. XVII, S 655-
r2lj) auquel on la rapporte. Aussi est il de règle d'employer ne dans ce cas :
Le besoin de rendre insolence pour insolence lui avait fait prendre des formes
hautaines et désobligeantes qui, jointes à sa légèreté et à sa distraction, lui ont
fait plus d'ennemis qu'il n'en méritait.
(Mme de Boigne. Mémoires. VI, 10, p. 230).
Il lance le disque, qui va tomber à trois pieds plus loin que ne l'avait lancé
Euphorion.
(A.. Laurie. L'Ecolier d'Athènes. VII, p. 92).

jamais vu de singe qui ressemblât plus à l'homme qu'il ne ressemblait


Je n'ai
lui-même à un singe.
(F. Sarcey, Etienne Moret, p. 6).
1,

Et il est juste qu'il en soit ainsi, parce que l'âme de saint François était plus
belle que n'est la mienne.
(A.. France. Le Lys rouge. XIX, p. 224).
A. la bonne heure 1 Faut
pas me croire plus moule que je ne suis, mon vieux
Constant.
(Gyp. Une panne bienfaisante).
Il a plus de génie qu'il n'en a l'air.
(R. Doylesve. Nymphes dansant avec des Satyres. Le Miracle de Saint-Vaisseau).

Un cas particulier du discordantiel après les comparatifs d'inégalité est


son emploi après la locution à moinsque. Ex. :
Car que faire en un giste à moins que l'on ne songe ?
(La Fontaine. Fables choisies. II, 14. Le Lièvre etles Grenouilles).
t
Le discordantiel s'emploie aussi dans les propositions complétives gou-
vernées par des verbes exprimant la crainte, la précaution et l'empêche-
ment. Ex :
A) CRAINTE :
Je tremble qu'Athalie, à ne vous rien cacher,
Vous-même de l'Autel vous faisant arracher,
N'achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
Et d'un respect forcé ne dépouille les restes.
(Bacine. Athalie. I. 1.).

;
M. de Talleyrand, dans son discours au Roi, avait dit élégamment que les bar-
rières étaient des appuis la Cour craignoit qu'elles ne fussent des obstacles.
- (Madame de Boigne. Mémoires. IV. 7, t. I, p. 302).
Son petit cousin se présentait au cercle. Il craignait qu'il ne fût blackboulé.
(A. France. Le Lys rouge. XII, p. 172).

Dans la crainte, il y a discordance entre le désir du sujet de la princi-


pale et la possibilité qu'il envisage.

B) PRÉCAUTION :
,
:
Mettez-vous là, vous dis-je et quand vous y serez,
Gardez qu'on ne vous voye,etqu'on ne vous entende.
(Molière. Le Tartuffe, ou l'Imposteur. IV. 4).
ils avaient à veiller sur le feu et à prendre garde qu'il ne s'éteignît.
(Clément Huard. La Perse antique et la civilisation
iranienne. 111, p. 188).
Dans la précaution, il y a discordance entre les efforts que fait le sujet
et le danger qui subsiste en dépit d'eux.
G) EMPÊCHEMENT : 1;

Je couvrois ces matières-là d'un galimatiasphilosophique, comme d'un nuage,


qui empèclioit que les yeux de tout le monde ne les reconnussent pour ce qu'elles
etoient.
(Fontenelle. Dialogues des Morts anciens avec
des Modernes. IV. Platon, Marguerite d'Ecosse.
-
N
Œuvres, t. I, p. 157).
Il y a un arbre qui empêche qu'on ne voie chez vous.
(Madame E, le 12 mai 1920).
Dans l'empêchement, il y a discordance entre le phénomène qui devrait
se produire et la force qui l'empêche.
Le discordantiel en subordonnée complétive se rencontre dans des con-
ditions un peu différentes quand le verbe central de la phrase est touché
par une
négation.
;
Nepascraindrepeut avoir deux sens l'on dit': « Louis ne craint pas
qu'Elisabeth parte » pour exprimer que Louis aurait du déplaisir à ce
qu'Elisabeth partît, mais que ce départ est improbable ; il y à dans ce cas
concordance entre ce que désire Louis et ce qui se passera probablement
aussi, pas de discordantiel. Mais la même phrase peut aussi vouloir dire
;
qu'Elisabeth va probablement partir, mais que Louis se moque qu'elle
parle ou non. Là non plus, il n'y a pas de discordance. Ex. :
Mais les bossus de la pensée ne craignent point que les passants viennent
frôler par superstition leur malformité porte-chance.
(Aragon. Une vague de rêves, p. 14).
Après ne pasempêcher, tantôt le discordantiel apparaît, tantôt il manque,
et il nous a semblé qu'on le rencontrait plus souvent quand le subjonctif
de la subordonnée avait un sens présent. Ex :
Cela n'empêche pas qu'il ne soit mon ami.
(Melle EG, le 4 décembre 1920).

A
:
la vérité, nepas empêcher est une négation très grossière. Cela peut
avoir deux sens ou bien « avoir une volonté ou tendance d'opposition,
mais impuissante. » Dans ce premier cas, la réalisation du fait est inadé-
quate à cette volonté, donc discordance et emploi de ne. — Ou bien « ne
manifester aucune opposition. » Il n'y a alors pas d'inadéquation entre le
fait et la volonté d'empêchement, puisque celle-ci n'existe pas, et il n'y a
pas ne. Le discordantiel apparaît donc ici comme un mécanisme très fin
qu'emploie l'esprit pour se défendre contre la grossièreté et l'insuffisance
de la conception brute de négation.

Après ne pas douter, on peut également rencontrer ou non le discordan-


tiel. Ex :

Avec le discordajitiel :
On ne douta point que la fée n'eût encore fait là un tour de son métier.
(Perrault. La Belle au Bois dormant, p. 42).
sa parfaite connaissance de Venise, grâce à laquelle je ne doutais pas qu'il
ne m'eût découvert un logis à ma convenance.
(H. de Régnier. L'Entrevue, p. 39).
•••
Mais quand le duc, pour me présenter, eut dit mon nom à M. de Bréanté.
celui-ci voyant que ce nom lui était absolument inconnu, ne douta plus dès lors
que, me trouvant là, je ne fusse quelque célébrité.
(M. Proust. A la recherche du temps perdu, t. IV, p. 110).
Ces suicides en famille sont des crimes. Et je ne doute pas qu'ils ne fassent
horreur
h
aux mères qui sont mères avant tout.
(Clément Vautel. Mon Film, dans Le Journal du 30 juin 19i6, p. 1, col. 6).
:
Sans le discordantiel
Je ne doutai point
que l'amour causât ces douleurs.
(A. France. La vie en fleur, p. 34).
y
Parce qu'ayant créé de la beauté, vous aussi ne doutez pas qu'il ait un soleil
pour regarder votre âme.
(Estaunié. L'infirme aux mains de lumière. p, 182).
on ne peut douter qu'ils .soient pleins.
(A. Arnoux. La nuitde Saitit-Bai-tiabé, p. 75).

Le tour comportant le discordantiel semble plus fin. Ne pas douter im-


:
plique précisément un doute, sans quoi on dirait savoir. Il y a discor-
dance entre ce doute réel, d'ailleurs marqué par le subjonctif, et l'affir.
mation principale, qui vient prétendre qu'on ne doute pas. Le discordan-
tiel apparait donc, et ceci d'autant plus facilement que le fait est futur,
un fait futur étant douteux par essence.

;
On rencontre aussi le discordantiel après ne pas désespérer parce que ne
pas désespérer est loin d'être le contraire de désespérer c'est seulement
garder un très faible espoir, tout juste assez pour qu'il n'y ait pas déses-
poir. Il reste donc une discordance entre le désir que l'on a de l'événement
exprimé dans la subordonnée et l'impossibilité irréductible de cet événe-
ment. Ex. :
Que si. on travailloit encore à faire imprimer des livres grecs avec tra-
duction Françoise à costé, ce que je ne désespère pas que l'on fasse quelque
ne
la
jour.
(Méthode grecque de Port-Royal. Préface, p. XV).

Comme on le voit, dans tous les cas d'emplois après principale négative,
le discordantiel intervient pour corriger l'illégitime brutalité de la néga
tion.
Un des rôles les plus intéressants du discordantiel, c'est celui de son
emploi après avant que. En effet, il est indéniable que cet emploi est en
progrès. Très rare avant le XVe siècle au témoignage de Gorlefroy CI) il est
rare encore au XVI' siècle (2) et dans la période classique, mais se déve-
loppe considérablement au XIXe siècle et s'épanouit au XXe. A vrai dire,
le tour comportant avantque sans le discordantiel persiste dans la langue,
mais, ce qui est précisément très intéressant, c'est qu'il semble bien qu'il
yait une nuance sémantique assez nette entre les phrases renfermant ne
et celles qui ne le renferment point. Quand ne n'est pas présent, la phrase
ne marque qu'une pure succession chronologique de faits conçus comme
sans durée et sans qu'il soit indiqué si le fait nouveau met fin ou non à
l'état de fait antérieur. Ex. ;
On se lassa de me persécuter avant quejefusse lasse de souffrir.
(George Sand. Lettre du 10 octobre 1825, dans la Revue des Deux Mondes du
15 avril 1926, p. 789).
Le baron, un matin, entra dans la chambre de Jeanne avant qu'ellefutlevée.
(G. de Maupassant. Une Vie. IV, p. 88).

(1) E. Godefroy. Dictionnaire de l'ancienne langue française. s. v. Ainçois.


(2) E. Huguet. Dictionnaire de la langue française du XVIe Siècle, s. v. Ainçois et
Avant.
Cette commission se réunira aujourd'hui même, à 15 h. 30, afin que des dé-
cisions puissent être prises par la Conférence avant qu'elle se sépare.
(Communiquéofficiel du 26 janvier 1921).
Il dut sonner deux fois à la porte, avant que la domestique se montrât, affairée
et gémissante.
(P. Bourget. Le Dansettr mondain. III, dans la Revue des Deux Mondes du
loi- mars 1946, p. 36).

Il n'a plus reparlé ce soir-là, et est monté se coucher avant qu'on se soit mis à,
table.
(H. Dorgelès. Les Croix de Bois. VI, p. 141).

Au contraire, la présence de ne marque l'importance particulière dela.

lée avant l'intervention du fait nouveau ;


condition exprimée par avatilqiie. Elle insiste sur la durée qui s'est écou-
elle implique la plupart du temps
que ce fait nouveau met fin à l'état de fait antérieur. C'est dire qu'elle
marque la discordance entre le fait nouveau et le fait principal, là encore.
le discordantiel mérite bien le nom que nous lui avons donne. Ex. :

J'entends sonner la dernière heure


De mil huit cent cinquante huit :
L'année, avant qu'elle ne meure
Veut encor faire un peu de bruit.
(A. de Vatliaire. Epines fleuries. Trente et un décembre mil huit cent cinquante
huit).
Avant que tu ne t'en ailles,
Pâle étoile du matin,
Tourne devers le poète,
Dontles yeux sont pleins d'amour,

Tourne ton regardque noie


L'aurore dans son azur.
(Verlaine. La bonne chanson. V, t.
p. 125).
1,

Silence et les mains au dos


distribution ne soit complète.
! L'on ne commence pas à manger avant que la
(Léon Frapié. La Maternelle. p. 29). 1,

Avant que les négociations de paix ne soient ouvertes officiellement, et tandis;


que l'on doute encore si l'on ne devra pas rouvrir les hostilités, Victor-Emma-
nuel, déférant à une invitation de Napoléon III, se rend à Paris, pour visiter
l'Exposition universelle où la reine Victoria et le prince Alberllonlprécédé.
(M. Paléologue. Cavour, dans la Revue des Deux Mondes dulftl" novembre 1925,
p.157).

IcUres.
••
pellerai
entrevu la mort. Je sais comment elle est et je crois que je ne l'ap-
J'ai
plus, avant qu'elle ne vienne me chercher.
(M. Dekobra. La Madone des Sleepings, p. 299).
Tout à l'heure encore, avant que tu n'arrives, je métais mis à trier quelques
(M. AC, le 25 mai 1926).
C'est à côté de l'emploi du discordantiel après avantque qu'il faut placer
19)6).

:
son emploi après queouun pronom relatif inclus dans une phrase dont le
faitcentral soit négatif, comme dans
Sij'étais de toi, mon frère, j'irais m'en assurer de mes yeux, et je n'aurais
point de repos que je n'aie contemplé une chose si merveilleuse.
(Anatole France. Thaïs, p. 270).
ou dans cet exemple oral :
J'espère bien pouvoir être rentré que Madame ne soit arrivée.
(Monsieur P. le 17 janvier 1927).

car ces phrases équivalent à peu près à « je n'aurai pas de repos avant
d'avoir contemplé. » « j'espère pouvoir être rentré avant que Madame ne
soit arrivée. »
On sent aisément aussi la discordance dans des phrases comme
11
:
faut bien qu'on sache gré à quelqu'un de se prêter aux goûts différents des
sociétés et l'on ne peut pas lui en savoir gré qu'on ne lui en suppose de contraire
qu'il sacrifie.
(Voisenon. Histoire delaFélicité, p. 63).

car la phrase est très voisine de : « A moins qu'on ne lui en suppose de


contraire. »
Nous avons à peu près indiqué maintenant, de façon sommaire, les prin-
cipaux emplois de ne dans les propositions subordonnées, et le lecteur a pu
se rendre compte que cet affonctif indiquait nettement la notion de discor-
dance. Mais il faut bien se garder de croire que le discordantiel soit dans
tousses emplois gouverné mécaniquement par tel ou tel tour de phrases.
Ce qui prouve qu'il s'agit d'un taxième réellement vivant et agissant dans
l'esprit des Français, c'est qu'il se rencontre aussi dans les circonstances
sémantiques analogues à celles des tours indiqués, même quand la cons-
truction grammaticale est différente. Ex. :
A) En analogie avec à moins que :
Hormis que le printemps n'arrive bientôt, je ne sais pas ce que nous allons
faire.
(L. Hémon. Maria Chapdelaine. II, p. 37).
EtN. m'a promis la place, sous la réserve que, fait très improbable, un sien
interne ne se trouvât pour la réclamer.
(Lettre de M. P à M. DU, le 12 juin i923).
Cette phrase, écrite au courant de la plume, a été remarquée à la relec-
ture.
B) En analogie uoec craindre :
Mon unique frayeur est qu'il ne vous punisse.
(Destouches. L'Ambitieux et l'Indiscret. IV. 8, t. III, p. 335).
A me voir si sage (ou si léger) la peur la prenait que je ne l'aimasse moina.
(Ft. Radiguet. Le diable au corps, p. 206).
C) En analogie avec ne pas douter :
Croyezmoy, plus j'y pense et moins je puis douter
Que sur vous son courroux ne soit prest d'éclater,
*
Et que de Jézabel la fille sanguinaire
Ne vienne attaquer Dieu jusqu'en son sanctuaire.
l.
(Racine. Alhalie* 1).
On ne peut se dissimuler que ce genre d'impertinence n'ait assez de grâce.
(Mme de Boigne. Mémoires. II. 6, p. 178).
On ne peut nier qu'à la suite.de cette contrainte, l'Empereur ne fut tout à fait
efliacicux pour elle.
Ibid.111.5.p.239).
non pas certes qu'il mette en doute que le temple ne soit reconstruit,
mais il désirerait avoir une garantie solide que cette place, qu'il veut acheter, lui
sera vraiment réservée.
(Jérôme et Jean Tharaud. Un Royaume de'Dteu.M, p. 72).
Il ne faut pas nier qu'il n'y ait un grand intérêt à montrer le rôle des glandes
endocrines dans beaucoup de troubles de croissance.
(M. AM, le 16 avril 1920).
Je ne serais pas étonnée que vous n'eussiez raison.
(Melle CT, le 21 imi 1923).
D) En analogie avec avant que :
Il a !
le temps, d'ici à ce que tu ne meures
(MadameE, le 15 février 1923).
Laveille qu'il ne change, il est arrivé très tard pour mettre ses observations
en ordre.
Mlle EH, le 10 roar* 1925).
Dire que çà c'est là et que çà restera jusqu'à ce que je ne l'emporte 1
(Madame BK, le 9 septembre 1925).

-
Après attendre, s'attendre, le parler de nos jours développe un nouvel
emploi du discordantiel, qu'on peut considérer en faisant la transition
entre l'emploi après ne pas douter et celui après avant que. Ex. :

Mère, ne t'expose pas aux outrages du maître. N'attends pas que, t'arrachant
à moi, il ne te tratne indignement.
(A. France. TltdiS, p. 83).
On s'attend d'un moment à l'autre à ce que M. le Marquis ne paisse.
(M. Proust. A la recherche du temps perdu, t. IV, p. 244).
En attendant que leur maison ne soit construite, ils se sont mis à habiter avec
leurs parents.
(Madame E, le 23 juin 1923). -

Notre conception du discordantiel ferait attendre qu'on le rencontrât


dans les subordonnées subjonctives introduites
par sans que. Pareil emploi
d'ordinaire sans discordantiel :
n'est pas classique. Les auteurs qui se conforment à la norme écrivent

ILne sçait que par ouïr dire


Ce que c'est que la cour, la mer, et ton empire,
Fortune, qui nous fais passer devant les yeux

, Des dignitez, des biens, que jusqu'au bout du monde


On suit sans que l'effet aux promesses réponde.
(La Fontaine. Fables choisies. VII, 11. L'Homme qui court après la Fortune et
Homme qui l'attend dans
son lit).
Comment ! J'entendrais dans la rue
Dans l'air, aux volets des maisons
Fourmiller la tendre saison
Sans qu'elle soit pour moi venue.
(Comtesse de Noailles. Les Forces Eternelles. Le ciel est d'un blanc, p 121),
Celles-là, il ne peut pas les porter une fois sans qu'elles soient toutes déchirées.
(Mme DW, le 22 septembre 1955).

Mais il y a un très grand nombre d'exemples dans lesquels conformément


ànotre attente, on trouve le discordantiel après sans que. Nous n'en cite-
rons ici que quelques-uns.
Les cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter sans que l'on n'en
soit ému.
(Mme de Sévigné. Lettre du 23 août 1675).
on ne peut pas néanmoins les restreindre à une seule cour, ni les ronfer-
mer en un seul pays, sansque mon livre ne perde beaucoup de son étendue et
de son utilité, ne s'écarte du plan que je me suis fait.
(La Bruyère. Les Caractères ou les Mœurs de ce Siècle, tome I, p. 29). I
cela n'arrivoit point sans combat et sans qu'on ne vît avec peine et quels
scrupules il se laissoit aller.
Saint-Simon. Mémoires, t, VII, chap.XXVIII, p. 360).
les autres noirs, qu'on ne saurait regarder prenant leur repas sans qu'ils
ne se croient tenus à vous en offrir une part.
(P. Mille. L'Illustre Parlouneau, p. 193).
Ainsi, grâce à la mobilité du seuil, les débits pourront varier énormément
sans que la glycémie ne se modifie.
(L. Ambard. Physiologie normale etpathologique des llei/IS. p. 109).

116. constitué par des


— Le second morceau de la négation française,
t
mots comme rien jamais, aucun, personne, plus, flllère, etc. (i), s'applique
aux faits que le locuteur n'envisage pas comme faisant partie de la réalité.
Ces faits sont en quelque sorte forclos, aussi donnons-nous à ce second
morceau de la négation le nom de forclusif.
Les emplois du forclusif sont de quatre genres :
1° Les emplois avec ne pour constituer une négation banale, ex. :

Je n'ai jamais vu, en effet, un homme tomber de sommeil comme ce brave


type.
(Léon Daudet. La mystérieuse semaine, dans
l'Action Française du 12 septembre 1927, p. 1, col2).
i-ien, tu seras là, mon père.
Je ne lui dirai rien, p è re.
(Victor Hugo. Hernani. III. 7).
Personne, jusque-là, n'avait vu M. des Lourdines se mettre en colère.
(A. de Chateaubriant. Momieur des Lourdines. I. 2, p. 26).

2* Les emplois n'ayant une valeur de « négation pleine » auprès d'un


substantif, d'un adjectif ou d'un affonctif sans verbe.

(1) Pas appartient à ce groupe, mais comme il possède des pouvoirs particuliers lie
surnégation (ex. : « çà n'est pas rien », « je ne fais pas que de la peinture »), nous ne le
prendrons pas comme type dans ce rapide exposé. Le lecteur en trouvera dans les
livres suivants l'étude détaillée.
3° Les emplois aftirmatifs dits purs d'un type archaïque.
4° Les emplois dans lesquels apparaît la nuance spéciale de forclusion
qui est caractéristique de ce genre de strument. Ces derniers emplois sont
ceux sur lesquels notre attention doit être attirée, car ils nous donnent la
clef du taxième des struments forclusifs.

:
Quand le fait subordonné dépend d'un fait phrastique central pleinement
nié, on rencontre des phrases comme

Je ne veux point qu'il me dise rien.


(Molière. Le Bourgeois gentilhomme. V. 6)
M. Brooke n'est pas de ceux qui se plaignent jamais.
(P. J. Stahl. Les quatre filles du docteur Marsch. XIII, p. 200).

EIXE. -
Lui (attristé). — Que vas-tu chercher ?
Ce n'est pas moi qui vais chercher rien.
(Paul Raynal. Le Tombeau sous l'Are de Triomphe. II).
il n'est pas probable que j'opère jamais plus.
(Paul Bourget. Le sens de la mort, p. 132).
Que je n'apprenne pas qu'on a rien volé chez l'habitant, ni bétail, ni volaille,
ni fourrage.
(J. & J. Tharaud. Un Royaume de Dieu. X, p. 234)
On aperçoit aisément que les idées touchées par jamais, rien, sont comme
expulsées du champ des possibilités aperçues par le locuteur. Que Covielle

:
dise quelque chose à Mme Jourdain est un fait qu'elle se refuse à envisager
comme possible parce qu'il lui déplaît elle en scotomise en somme la pos-

:
sibilité. Les plaintes de M. Brooke n'appartiennent pas à la réalité conçue
par le personnage qui parle il neseplaintjamais. Aller chercher des com-
plications est un fait qu'Elle nie être sien. Une opération ultérieure du chi-
rurgien est forclose du monde probable tel que ce chirurgien l'aperçoit. Il
pense qu'il n'opérerajamais plus. Enfin, voler chez l'habitant est un fait
que l'officier se plaît à considérer déjà comme inenvisageable puisqu'ill'a
interdit.
Ces emplois en subordonnée dépendant d'un fait central négatif condui-
sent tout naturellement à l'emploi du forclusif dans des subordonnées dé-
pendant d'un verbe, ou d'un adjectif, dont le sémantisme entraîne la même
forclusion que le faisait ci-dessus la négation. Ex. :
A..
— Après des verbes :
Je défiois ses yeux de me troubler jamais.
(Racine. Andromaque. 1, I).
Argine, il me défend de lui parler jamais.
(Id.Iphigênie.V.1).
1
Je préviendrai la honte
De descendre jamais des grandeurs où je monte
(Destouches. L'Ambitieux et l'Indiscret. I. 7).
Après dix-huit mois de soins, elle en reste encore ébranlée, au point que nous-
OYons
d peut-être renoncer à l'espoir dejamais avoir d'enfant.
(Roger Martin du Gard. Jean Barois. I. 1. p. 87). -
Prosper de Boisclos demeurait pour moi une énigme que je désespérais deja-
mais résoudre.
(H. de Régnier. Le divertissement provincial. III, p. 302).
M. d'Escampette, courtois et amoureux, se garda de rien objecter.
(II. Falk. lielpliégor. Les Histoires Drôles, no 22, p. i5).
C'est chose fort intéressante que de confronter les emplois dudiscordan-
tiel et ceux du forclusif après les différents verbes, mais cette étude dépas-
serait les limites de cet exposé sommaire.
Après les verbes défier, défendre, prévenir, renoncer, désespérer et garder,
le forclusif, dont nous venons d'avoir des exemples, exclut le fait subor-
donné des possibilités futures, mais la langue connaît un tour plus hardi
encore et particulièrement intéressantjprtf pointde vue psychologique après
le verbe se repentir, c'est du passé qu'un fait qui a réellement existé est af-
fectivement exclu. Ex. :

« L'affaire Dreyfus, dit-il, c'est pour moi un livre qui est désormais clos. » Il
dut se repentir jusqu'à sa dernière heure de l'avoir jamais ouvert.
(J. Marsillac. Esterhazy est mort, in Le Journal du 18 août 1923, p, 1, col, 2),
Le langage est pour celui qui sait endécliiffrerles images un merveilleux
miroir des profondeurs de l'inconscient. Le repentir est le désir qu'une
chose passée, donc irréparable, n'ait jamais existé ; la langue française, par
le foiclusif, exprime ce désir de scotomisation, traduisant ainsi le phéno-
mène normal dont la scotomisation, décrite en pathologie mentale par
M. Laforgue et l'un de nous (1), est l'exagération pathologique.
Cy.
- Après des substantifs.
Et cependant, la supposition. que ces gens dont les regards inconnus me
frappaient. pourraient jamais transpénétrer entre leurs parcelles ineffables
l'idée de mon existence., cette supposition me paraissait renfermer en elle une
contradiction.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu, t, II, p. 312).
Certes, si elle avait les goûts que je lui avais crus, cet empêchement de jamais
les satisfaire devait être aussi incitant pour elle qu'il était calmant pour moi.

d'inaptitude à s'amuser de rien. (Ibid, tome VI, vol. 1, p. 241).


Vouloir être seul dans un compartiment, c'est signe d'égoïsme, d'orgueil, et
(Jules Renard. L'OEil clair. Agréments de voyage).
Nous avons encore la peur ou du moins le sentiment de l'obus. Et cette indiffé-
rence à rien d'autre.
(Jean Paulhan. Le guerrier appliqué. I, p.. 55).
C. — Après des adjectifs.
Tout aurait trahi ces habitudes régimentaires qu'il est impossible au soldat
de jamais dépouiller, même après être rentré dans la vie domestique.
(H. de Balzac. Le médecin de campagne, I, t. XIII, p. 307).

(1) E. Pichon et R. Laforgue. La notion de Schizonoïa, in Le Rive et la Psychana-


lyse, pp. 207 et 208.
Je suis très contrariée que vous ayez jamais entendu parler d'elle.
(Stahl et Lermont. Jack et Jane, VIII, dans le Magasin d'Education et de Récréa-
lion.1882.Iersemestre,p.209).
rien faire sans donner le maximum de leur force. '-
Car c'était un de ces hommes qui sont constitutionnellement incapables de
(L. Hémon. Maria Chapdeleine. IV, p. 57).

C'est aussi à côté des emplois dépendant d'un fait central négatif qu'il
faut mettre ceux dans lesquels le forclusifesten subordonnée dans un
ensemble phrastique contenant sans, ex. :
signalant simplement la situation, sans donner d'interprétation qui pussent
tendre à rien envenimer.
(Lettre de M. El. à M. P, le 20 août 1924).
Si l'on a biensaisi l'idée que nous nous faisons de la fonction mentale
du forclusif, onne sera pas surpris de le voir aussi jouer dans des interro-
gations ou dans des subordonnées dépendant d'elles, etc. :
A) Dans l'interrogation directe :

Sans doute elle n'avait pas ressenti l'ivresse rêvée. Mais l'éprouve-t-on jamais ?
(A. France. Le [,ys.,'ouge, p. 29).
Stéphane Mallarmé est mort. — Notre cœur est empli de tristesse. Comment
parlerais-je aujourd'hui de rien d'autre ?
(A. Gide. Prétextes. In memoriam, p. 251).
B) Dans l'interrogation indirecte :

Demande aux hôtes de ces bois


Silaguidelaplusfidèle
N'est pas la pente naturelle,
Plus sage que toutes les lois :
Et si jamais dans leurs tanières
Ils eurent la démangeaison
De venir chercher tes lumières,
Ou t'emprunter de la raison.
(Chaulieu. Ode contre l'Esprit, in Poésies, p. 31)
Platon verra, lui, si j'invente,
Si je dis rien d'exagéré.
(G. Nouveau. Valentines. Avant-propos, p. 32)
C) En subordonnée dépendant dune principale interrogative.
Tu crois ?
que cela s'est atténué jamais
(Mme A, le 1er janvier 1913)
La forclusion est décelable dans tous ces exemples. Thérèse pense
qu'éprouver l'ivresse rêvée est hors des possibilités dece monde. Parler
d'autre chose que de la mort de Mallarmé est impossible à M. A. Gide au
moment où il écrit. Que les hôtes des bois aient la démangeaison de venir
emprunter de la raison à l'homme, c'est exclu. Platon peut voir que l'exa-
gération est étrangère au dire de Germain Nouveau. Enfin, Madame A croit
que le phénomène dont elle parle a toujours été aussi fort.
Le forclusif se rencontre aussi dans les conditions quand elles sont pré-
sentées comme improbables. Ex :
Que mes yeux changent d'orbites si je donne jamais mon consentement.
(Garni. Le Fils de Roméo. Les Histoires drôles, no 4, ; p. 24)
On jeûnerait tout le temps si ça servait jamais.
(Ch. Péguy. Le mystèredo. la charité de Jeanne d'Arc, p. 26)
Les dieux l'ont retiré des mortelles allarmcs,
Et, si rien à présent peut troubler son bonheur,
C'est de te voir pour lui répandre tant de larmes.
(Racan. StaTICes. Consolation à Monseigneur de Bellegarde. tome 1, p. 200)
On le rencontre après les comparatifs et les superlatifs. Ex :

Elle s'éloit trouvée impuissante et ces deux seigneul's, peu à peu revenus
eux et leurs femmes mieux et plus familièrement que jamais, auprès du roi.
(Saint-Simon. Mémoires, tome 11, chaip. XXVII, p. 328)
La France offre au monde le plus magnifique exemple 4e forces morales et de
vertus civiques qu'un peuple aitjamais donné.
(Georges Leygues. Déclaration ministérielle, 25 septembre 1920, dans Lejournal)

Entre le roi et les deux seigneurs dont parle Saint-Simon, un état de fa-
miliarité atteignant à un autre moment le degré qu'il avait à l'époque dont
parle la phrase est chose exclue de la réalité. De même, un peuple offrant
au monde un plus magnifique exemple de forces morales et de vertus que
la France est chose que M. Georges Leygues ne connaît point. Quand on
trouve le forclusif auprès d'un comparatif d'égalité comme dans l'exemple
sui vant :

Je vous aime et vous estime autant que je n'aijamais fait.


(Mlle Marie-Madeleine de la Vergne, plus tard Mme de Lafayctte, apud Emile
Magne. Mme de Lafayetle en ménage. 11. p. t)3)

le forclusif est en réalité le correctif d'uneaffirmation mathématique trop


absolue. Mlle de la Vergne veut faire entendre à son aJloclltaire que, quoi-
qu'elle l'ait aimé toujours autant, il y a plutôt dans son. affection une dif-
férence en plus au profit du moment actuel.

Le forclusif se rencontre après trop.Ex :


Et vous étiez trop angoissée, trop faible, trop désespérée, pour pouvoir jamais
plus refléter autre choses qu'angoisse, faiblesse et désespoir.
(G. Duhamel. Vie des Martyrs. Carré et Lerondeau, p. 35)
Ceux-là se trouvaient trop compromis pour avoir rien à ménager.
(Mme de Boigne. Mémoires."V. 2, p. 18)
Pouvoir désormais refléter autre chose que l'angoisse, la, faiblesse et le
désespoir, il faut y renoncer. Ménager quelque chose quand on est déjàsi
compromis, ce serait folie.
De même, dans la subordonnée introduite par sans- que. Ex :

Et pourtant l'inextinguible flamme brûlait au-dedans (Pelle sans que plus rien
la nourrit.
(F. Mauriac. Le désert de l'amour IX, p.166)
Nous avons maintenant à peu près indiqué de façon sommaire les princi-
paux emplois du forclusifdans les cas où il n'est ni pleinement négatif, ni
;
pleinement affirmatif. ni associé à ne mais il faut se garder de croire que
le forclusif soit dans tous ses emplois gouverné mécaniquement par tel ou
tel tour de phrases. Ce qui prouve qu'il s'agit d'un taxième réellement vi-
vant et agissant dans l'esprit des Français, c'est qu'il se rencontre aussi
dans les circonstances sémantiques analogues à celles des tours indiqués,
même quand laconstruction grammaticale est différente. Ex :
A) Analogie avec l'emploi après comparatif.
C'est cc qu'on a jamais écrit de plus touchant.
Proust. A la Recherche duTempsperdu.
(M.
t. VI, vol. 2, p, 103).
etle poil de mon ventre passe en beauté tout ce qui s'est vujamais.
(Colette. Dialogues de Bêles. Le premier feu).
15.Analogie avec l'emploi après superlatif.
Cest-ft-dire qu'il porte en lui, — rien qu'en lui, — la petite part de bonheur
qu'il puisse jamais atteindre.
(René Boylesve. Tu n'esplus rien, p. 173).
Il avait engagé celle-là [une automobile] dans un chemin que seules les char-
rettes à bœufs des indigènes de France ont jamais fréquenté.
(Pierre Mille. L'Illustre Partouneaut p. 68).
C) Analogie avec l'emploi après si :

Et tu sais bien, Louis Antoine, que c'est toi, toi et pas un autre, qui seras
jamais mon mari.
(Maurice Maindron. L'incomparable Florimond.
Vp.29).
c'està*dire, à peu près, « si j'ai jamais un mari, ce sera toi. »

117. — En somme, il semble bien que


titué deux taxièmes plus fins que
la langue française se soit cons-
l'antique taxième latin dénégation l'un, ;
le milieu ;
13discordantiel, qui marque une inadéquation du fait qu'il amplecte avec
l'autre, le forclusif, qui indique que le fait amplecté est exclu
du monde accepté par le locuteur.
Les phénomènes exprimés par les verbes ne seront niés
— autant du
moins que la langue française est capable de les nier
— que par la conver-
gence de la notion de discordance et de celle de forclusion. Ex :

n'en fi"nirai
Je n'en. finirai jainais.
jamais.
(Alfred Jarry. Ubu roi. III. 8). 1

En finir n'appartient pas à la réalité temporelle que j'aperçois, et d'autre


Part cela serait en discordance avec cette réalité. Je ne perçois aucun signe
qui permette de pronostiquer que j'en finisse (forclusif). Bien plus, que
j'enfinisse serait
en discordance avec toute l'ambiance dans laquelle je
baigne (discordantiel). La première condition
est déjà grossièrement une
:
négation ; c'est ce qui nous explique que le vulgaire puisse à la rigueur
dire « J'en finirai jamais », mais, en réalité, cette forclusion du faitne
suffit pas à parfaire la négation. Pour bien nier, il faut non seulement que
j'affirme que le fait n'apparaît pas dans mon champ de connaissance (for-
clusion), mais encore que par une sorte de contre-épreuve, je le perçoive
comme incompatible avec tous les faits qui sont dans ce champ (discor-
dance). La langue française arrive donc à nier un fait exprimé par un verbe,
mais seulement par une sorte de détour, et ce que la négation gagne ainsi
en finesse, peut-être le perd-elle en force.
Aussi bien, la notion brute de négation est-elle souvent trop grossière
pour se plier aux nuances de la pensée. Même sous la forme délicate que
:
lui donne en français la convergence des deuxtaxièmes de forclusion et (te
discordance, elle a souvent encore trop de raideur mais la langue y pare
encore, car, nous l'avons vu plus haut, la présence ou l'absence de ne dans
la subordonnée corrige souvent l'insuffisante finesse et l'excessive brutalité
de la négation principale.

118. —Un des points sur lesquels nous attirons le plus l'attention du
lecteur, c'est l'indépendance qu'ont conquise l'un vis-àvis de l'autre le
taxième de forclusion et celui de discordance. Nous venons de les voir se
conjuguer l'un à l'autre à l'intérieur d'une même proposition pour faire né-
gation. Mais l'on peut les rencontrer aussi l'un à côté de l'autre sans que
l'idée négative en résulte. Ex. :
Et la discipline y régnait, impérieuse autant et plus qu'elle n'avait jamais fait
dans aucune armée du roi de Prpsse.
(Claude Farrère. Les condamnés à mort. I. 3, p. 13).
Dans ce type de phrase, le forclusif amplecte bien le fait subordonné
seul, mais le discordantiel marque la discordance de ce fait non avec la
réalité générale, mais avec le fait principal. De sorte que le fait subordonné
n'est pas nié, ou s'il l'est, ne l'est que conditionnellement, car la disci-
pline a régné très impérieusement dans les armées du roi de Prusse, mais
elle n'y a jamais régné aussi impérieusement qu'elle ne régnait dans les
organisations américaines dont parle M. Claude Farrère.
La façon dont nous avons vu s'unir le forclusifetlediscordantiel pour
former une négation nous permet de comprendre maintenant le rôle de
ne dans la locution ne. que. Le membre de phrase introduit par que
joue formellement auprès de ne un rôle analogue à celui que jouait tout-à-
l'heure le forclusif, mais ce qu'il exprime représente précisément la seule
chose avec quoi le fait amplecté par ne ne soit point en discordance :
N'ayez donc pas peur, méchants que vous êtes !
Je n'aime que vous, je ne suis qu'à vous.
(PaulGéraldy. ToietMoi.VIII,.p.42).
Vous êtes le seul objet qui ne soit pas en discordance avec mon amour,
*
le seul objet qui lui convienne. A vous est la seule situation qui ne soit pas
en discordance avec mon être. Ce que n'est pas forclusif, il est uniceptif-
notre interprétation des faits linguistiques français, on pourrait ohjec-
qu'auprès des adjectifs et des substantifs, leforclusif sert couramment,
ter
«t dans le meilleur usage, à représenter seul la
négation. Ex. :

Les hiboux
Partageaient la clarté et pesaient sur la terre
Comme les pas jamais lassés d'un solitaire
Plus pâle que nature et dormant tout debout.
(Paul Eluard. Denise disait aux muveilles, dans Littérature,
15 octobre 1923, p. 33).

De même, en dehors de la présence d'un verbe :

l'on considérait les apothicaires comme des gens au-dessous de rien.

:
Ils disent
(G. Droz. Janine gênante.
Une

« Nous avons servi notre modèle


p. 64).

Qui nous avait prescrit de-mourir pour le bien.


111,

De servir une cause, et lui rester fidèle,


Et de considérer le reste comme rien.
(Montesquiou. Les Offrandesblessées. CXXIII).
Le charme est profond d'abord qui nous vient de la première imagination
d'un amour dejamais ou de demain.
(J. de Tinan. Penses-tu réussir ! VIII, p. 230).

Mais faire cette objection serait avoir en tête a priori l'idée théorique de
la négation. En réalité, la notion exprimée ici est purement la notion for-
clllsive. Nous avons indiqué plus haut comme quoi elle était grossièrement
assez proche de ce qu'on appelle communément la négation. Au surplus,
le taxicme de discordance, qui ne s'applique qu'à des phénomènes, n'a-t-il
rien à faire ici. Un amour de jamais, c'est un amour situé dans un temps
étranger au champ de connaissance du locuteur. Des gens au-dessous de
rien, c'estdesgens qu'on fait affectiyement être encore moinsconsidérables
qu'unechose assez infime pour être déjà étrangère au champ de connais-
sance du locuteur.

françaises, quant à la négation ? Ceci :


Que nous enseigne donc l'analyse impartiale et objective des phrases
la négation, telle qu'on la conçoit
communément au point de vue rationnel et que nos habitudes scolaires,
à
voire scolastiques, nous l'ont léguée, est peu près étrangère aux concep-
tions vivantes qui tissent en langage la pensée des Français. Cette négation
classique, sion voulait la retrouver en français, ne serait exprimée que par
le seul vocàble
non. Mais employé comme factif strumental, il n'est que la
représentation intellectuelle abrégée d'une phrase antécédente. Ex. :
— Et savez-vous qui est-ce qui prêtait àla petite semaine ?
MfinAUD.
— Non.
LA HOUSSOTE.
(Meilhac et Halévy. La Roussote. l,-fi)

-
—Quand te verrai je ? Tu ne vas pas rester à Paris ? -
Non.

:

(Rémy deCourmont. Un coeur virginal. XI, p. 164)
cesl-à-dire
(( jene vais pas y rester. »
Quant aux emplois de non auprès d'un adjectif du type
Les prêtres non assermentés seront punis du bannissement.
(Malet du Pan apud, Taine. Les origines de la France contemporaine. La Révolu-
tion. 1.Il. I, t. III, p. 288)
ils reculent à l'évidence dans le parler de nos jours devant ceux depas, ja-
mais, signalés plus haut (voy. l'exemple de Paul Eluard).
Restent les exemples où non joue le rôle d'un préfixe
moi, etc. ex. :
: le non-être, le non-

Mais il n'y a aucune raison péremptoire pour admettre la non-contemporanéité


des deux infections.
(E. Dupré et P. Ribierre. Maladies du péritoine, dans le Traité de Médecine
Gilbert-Thoinot, t. XVIII, p. 184)
mais on sent qu'ici, non à un rôle presque sémiématique et, en tout cas.

-
purement rationnel.

119. -Il nous semble donc établi que la notion de négation est en réa-
lité absente de la pensée-langage du français de nos jours, mais cette cons-
tatation d'un désaccord entre la logique linguistique et la logique ration-
nelle scolaire n'aurait qu'un médiocre intérêt si elle ne nous révélait l'exis-
tence en français de deux notions vivantes, fines, toutes riches d'affect, qui
assurent et qui dépassent le domaine de la négation, savoir le taxième de
discordance et celui deforclusion.

tr
ti
• «••—
- L -
CHAPITRE VIII

L'ENRICHISSEMENT VOCABULAIRE

SOMMAIRE
1

120. Définition des Irois modes d'enrichissement de la langue: matériel, es-


sentiel et sémantique. — 121. Enrichissement matériel par emprunt. — 122.
:
L'enrichissemenl matériel original par création. — 123. Enrichissement ma-
tériel original par dérivation.. — 124. Enrichissement essentiel l'afflux. —
125. Principes de la classification des essences logiques d'après leurs capaci-
tés d'enrichissement. — 126. Les essences logiques au point de vue de la
généresctnce. — 127. Les essences logiques au point de vue de l'increscence.
—- 128.
Les essences logiques au point de vue de la variabilité. — 129. Les:
classes envisagées du point de vue de l'enrichissement vocabulaire. -

120. exposé la théorie des essences logiques au point de-


— Après avoir
vue de leur nature sémantique et de leur utilisation dans l'organisation
de la phrase, il ne reste plus qu'à envisager la manière dont leurs cadrer
se remplissent.
Le français a perdu beaucoup de vocables et en a acquis beaucoup, ce
qui ne doit pas étonner, car seule une pensée immobile correspondrait a
un vocabulaire et à une grammaire immobiles. Une langue dont on se sert.
incessamment dans tous les domaines de l'activité humaine doit au con-
traire avoir un matériel sans cesse en réfection, tant au point de vue taxié-
matique qu'au point de vue sémiématique.
Il y a lieu de considérer à cet égard trois modes d'enrichissement de la -
langue.
t0 Enrichissement matériel, ou acquisition, par la langue, de vocables.
nouveaux.
2° Enrichissement essentiel. C'est celui par lequel l'une des essences lo-
giques neçoit en son sein un vocable ou une locution originaire d'une autre-
essence, mais qu'un usage fonctionnel constant est arrivé à convertir com-
plètement en un vocafele de l'essence en question. ,.

3° Enrichissement sémantique pur.Celui-ci, dont l'étude ne regarde pas


la grammaire proprement dite, est celui par lequel un vocable, sans chan-
<
ger d'essence ni se renouveler, étend le domaine de son sémième à de.
sens nouveaux.
-
121. Au point
quiert des vocables
de vue de l'enrichissement matériel, la langue ac-
:
par deux voies principales
1* l'emprunt à d'autres idiomes, source toujours ouverte, mais qui ne
présume en rien de la vitalité de la langue ;
2° l'enrichissement original, par lequel la langue se forge de nouveaux
mots.
Les emprunts à une nation étrangère sont tous fortementteintés du carac-
tère que la nation qui emprunte prêle à la nation à qui elle emprunte (1).
Ce qui transparait à travers les vocables allemands empruntés par notre
langue, ce dont l'image les imprègne constamment, ce sont les Allemands

:
tels qu'ils sont apparus à notre peuple aux premières occasions qu'il a eues
de les voir de près ce sont ces soldats grossiers et pillards, cruels et bru-
taux, qui servaient au XVIe siècle, comme mercenaires, dans toutes les
armées ou bandes armées d'Europe.
Les voici qui arrivent, chargés de leur havresac, se mettre à la solde de
tous les fauteurs de trouble qui déchirent la France au temps des Guerres
de Religion, et peut-être même déjà au temps des ambitions de la Maison
de Bourgogne. Grandsbuveurs de schnaps, ils dérobent le bien du paysan
français, et en rient entre eux en s'appelant schnapphans, Jean-qui-chipe,
mais le Français qui a subi le dommage voit désormais dans le chenapan
un sinistre larron sans pudeur ni vergogne.
;
Ceux d'entre eux qui sont à cheval sont appelés par les leurs relier, ca-
valier pour le Français, cette circonstance distinctive, qu'ils ne saisissent
pas, disparaît :le reître reste, à pied ou à cheval, un soudard d'une gros-

:
sièreté barbare et d'une cruauté froide. Il y en a qui s'attachent à amuser
leurs compagnons ceux-ci que leurs plaisanteries font éclater d'un gros
;
rire épais, les trouvent luslig, c'est-à-dire gais et un loustic est doréna-
vant, pour les Français, un grossier plaisant.
Les vocables castillans sont imprégnés d'une sorte de morgue farouche
palabre, de palabra, en castillan « parole », en français, « suite de discours
:
<
aussi longs que vains » ; habler de hablar, en castillan « parler \) en fran-
:
çais « mentir pompeusement » capitan, en castillan, « capitaine »,en
français « tranche montagne. »
Les vocables italiens ont pris une sorte de platitude grimaçante : don-
zelle, de l'italien dOllzella, doublet de demoiselle, a désigné d'abord une
femme de distinction puis une sauteuse ; estafier, de l'italien staffiere,
et
d'abord valet arméallantà pied, puis spadassin souteneur.Rodomont,qui
dans Bojardo et Arioste est vaillant, allier et insolent et qui n'est pour nous
;
qu'un fanfaron etun vantard pédant, de l'italien pedante. d'abord celui qui
enseigne, puis celui qui fait parade de science.
! ,
Et la correction hypocrite des vocables anglais Nous n'en voulons comme

-
glais de ;
illustration que le soin qu'on prend de désigner les cabinets par le motan-
water-closets on dirait qu'on a moins de peine à salir son langage

* (1) V. l'intéressante étude consacrée à la question de la dégradation des mots étran-


il186sqq.-
gers par M. Nyrop, dans sa belle Grammaire historiquede la langue française, Tome IV,
en feignant de parler la langue d'une nation étrangère, surtout empreinte si
de « respectability. »
Les vocables empruntés à un idiome étranger vivant sont donc toujours
péjoratifs. Après avoir cité un certain nombre de mots venus récemment
t
du hautallemand, M.Ferdinand 13runo (2) note que la langue populaire
en a quelques autres, tous préprisants : chonmaque, choufflick, etc. C'est
que toute nation a rang, dans le cœur des Français, après la France,

:
cite loyautéd'Anglais, aimable comme unAnglais ;à
Les noms mêmes des peuples étrangers ont un sens péjoratif. M. Nyrop
termes ironiques Es-
pagnol, dans l'argotde Paris, vermine, emploidû dessouvenirsde voyage;
;
;
grec, au XIIIe siècle, traître à partir du XVIIIe, tricheur. Le Prussien s'est
mis à être employé pour désigner le derrière (3) à la fin du XVIIIe siècle.
Cf. d'autre partfaire un prussien de temps (Bourget. Cruelle énigme, p. 10).
A la même époque le pluriel prussiens désigne le mal de Naples.
Echappent à ces lois les vocables d'emprunt aux langues mortes classi-
ques, grec et latin, car ces langues ne fonctionnent plus que comme des
arsenaux de syllabes significatives, sans qu'aucun peuple soit directement
conçu derrière eux.
;
Le vocable même d'emprunt diffère aux idiomes vivants, on emprunte
des vocables tout faits (havresac, l'edingote, etc.) tout au plus aptes ensuite

:
à la dérivation. Avec les radicaux des langues mortes classiques, on forge
des vocables qui n'ont jamais existé dans ces langues ex. grec : siphono-

:
phore, hodographe, cathode, anion, érythromélalgie, poliomyélite, podo-
phtalme, etc. latin locomotive, acupuncture, fébrifuge, etc. hybrides
automobile, calorimètre, thermolabile, etc.
:
Nous ne parlons, bien entendu, ici, que des emprunts explicables par
nécessité de nouveau terme.
Il est en effet purement grotesque, et c'est en même temps un manque
de dignité de désigner par un mot emprunté à une langue étrangère une
chose qui a déjà un nom français. Il est affligeant d'entendredes niais dire
lift pour ascenseur et un vapeur est aussi ridiculement dénommé steamer
que pyroscaphe. Michel Bréal (4) constate que « selon qu'un idiome est
« considéré comme supérieur ou inférieur, on voit ses termes monter ou
« descendre en dignité. » Par exemple, un patois cédant devant une langue,
voit le discrédit frapper ses mots. Dans le patois de la commune de Vion-
naz (Bas Valais, Suisse), dit M. Gilliéron (5) « à mesure qu'un mot français
« est adopté, le vocable patois, refoulé et abaissé, devient vulgaire et tri-

(2) Histoire de la langue française, in Histoire de la Littérature Française de Petit de


Julleville, Tome VIII, p. 811, note 1.
(3) Cf. aussi le rapprochement péjoratif contenu dans le titre d'ouvrage ci-dessous :
Bibliotheca scatologica, ou Catalogue raisonné des livres traitant des vertus et gestes
,

de très noble et très ingénieux Messire Luc (à Rebours). ouvrage traduit du prutsièn
(catalogue de l'éditeur Jannet, 1856, p. 25).
(4) Essai de Sémantique, 28 édition, p. 31.
(5)Id.Ibid-
« Nial. Autrefois, la chambre s'appelait païlé : depuis que le mot chambre
« est entre au village, païlé désigne un galetas (6). »
« En Bretagne n, dit l'abbé Rousselot, « les jardins s'appelaient courtils,
« maintenant que l'on connaît le motjardin, une nuance de dédain s'est
« attachée à l'appellation rustique. » C'est donc avouer une infériorité que

:
de substituer des vocables étrangers à ceux de sa langue, et les gens de
bon sens ont toujours protesté contre une pareille imbécillité l'Académie
espagnole (7) proteste contre « l'invasion des néologismes barbares et ab-
« surdes de vocables exotiques, dont la rudesse et la dureté répugne tant
« aux oreilles espagnoles. » Il est légitime à l'Académie espagnole de vou-
loir maintenir la pureté de la langue castillane. Agir de même est un de-
voir pour la France.

122. — L'enrichissement original comprend lui-même la création et la


dérivation.
Nous disons en premier lieu ::
création. La langue populaire fait éclater
chaque jour davantage cette vérité nous en voulons pour exemples des
substantifs nominaux comme trictrac pour désigner un jeu gnaf pour ;
; ;
désigner un cordonnier, sans doute à cause du bruit du chcgros que tire
cet artisan bibi pour désigner un petit chapeau de femme ex.

goût.
(Huguette Garnier :
Avec la différence — c'est bien convenu — je m'achète un petit bibi à mon
Smoking in Le Journal du 23 janvier 1920) ;

:
Le

un adjectif nominal comme gnole avec pour signification « veule, ava-


chi, flétri, décati » ; un affonctif nominal comme ric-rac. Pour les factifs
nominaux, on peut dire que la création est leur mode habituel de forma-
tion. Nous nous bornons à en citer un à l'éclosion et au succès temporaire
duquel nous avons assisté le factif nominaltsoin-tsoin, à la mode à Paris
vers 1919 et 1920. comme réponse ou commentaire aux paroles d'une per-
sonne d'une préciosité penchée et ridicule.
;
Nous savons certes bien que l'opinion que nous émettons ici
passe au-
près de beaucoup de linguistes pour surannée qu'ils posent en principe
pas de vocables sans étymologie. Nous leur concédons qu'il faut s'entou-
:
:
rer de toutes les garanties avant d'affirmer l'origine ex nihilod'un vocable,
parce qu'on peut souvent y être bien trompé témoin le factifnominal aïe,
phonétiquement dérivé du subjonctif d'adjnvare; le substantif nominal
mic mac qu'on rapporte à l'allemand mischinasch de mischen « mêler » ;
l'affectif nominal cahin-caha venu. pour Littré, du bas-latin qua hinc, qua
Mac, etc.
Mais les étymologistes auront beau multiplier ces trouvailles, et réduire
chaque jour davantage le domaine de la création réelle, nous n'en devrons
pas moins admettre celle-ci, car chaque Français sent en soi le pouvoir
(6) Remarquer que galetas lui-même est un mot étranger qui désignait un palais à
-Constantinople (la tour de Galata).
(7) Gramatica castcllana, p. 295, note 1.
de donner du sens à des syllabes spontanément venues se présenter à lui
sans qu'il les ait auparavant jamais entendu employer par un autre, du

illustre la première fois :


moins comme terme indépendant. Sa mimique du visage et des bras en

;
la signification mais s'il a une seconde fois l'oc-
casion de l'employer dans le même milieu, l'idée y est déjà entrée elle a
déjà donné âme à ce corps vocabulaire nouveau.

: ;
De semblables créations peuvent se borner à un milieu restreint d'autres
fois elles s'étendent à la langue commune à Paris en particulier, la vogue
arrive à mettre ainsi en quelques mois dans la bouche de tout le monde un
terme absolument dépourvu d'ancêtres légitimes et radicalement inconnu
auparavant. La vie de ces termes ne dépasse souvent pas la durée de 1 MÎ
vogue, soit au plus trois à quatre ans en y comprenant la période de dé-
;
clin mais s'ils doublent ce cap, les voilà intronisés dans la langue.
De ce que le vocable créé n'a pas d'ancêtre légitime dont il soit tiré par
transformation phonétique, par emprunt ni par dérivation, faut-il en con-
conclure que c'est n'importe quels phonèmes que son instinct linguistique
a fourni au premier Français dont ce terme a jailli ? Evidemment non.
Bréal (Loc.cit. Livre 1, ch. 111) a magistralement décrit la loi d'irradia-
tion : c'est l'acquisition, par unaffixc, d'un sens propre qu'il a emprunté
à certains des mots dans lesquels il entrait. C'est par exemple, le cas,
selon lui, du suffixe latin-sco, d'abord suffixe verbal banal, qui a pris peu
à peu la valeur inchoative pour s'être trouvé dans des mots comme ado-
lesco, (loresco, senesco, etc. Elle est, cette belle loi, d'une portée encore
plus générale que ne l'avait supposé son illustre énonciateur : en effet,

:
chaque syllabe amène, dans la formation des mots nouveaux, outre sa
valeur onomatopéique toujours jeune, une lourde hérédité c'est la valeur
que lui ont communiquée tous les mots français dont elle a fait partie.
Ainsi, la langue n'a pas perdu la faculté créatrice qui a présidé à la for-
mation même du langage, et ces mots, comme dit M. Maeterlinck (t)
« sont les derniers échos de cette voix commune et anonyme qui a donné
« un nom aux arbres et aux fruits, au pain et au vin, à la vie et à la
« mort. »

de phonèmes ne vaut pas que pour les termes nés par création ;
L'utilisation de la masse de signification dont sont chargés les groupes
elle a
aussi son application dans le domaine du sens figuré, où un vocable entier
est pris d'une manière imagée, non en raison de son sens primitif, mais
en raison de son aspect extérieur. Par exemple, en désignant les animaux
anciens dont les recherches paléontologiques ont fait découvrir les restes,
les naturalistes leur ont donné des noms tirés, selon l'usage, du grec
plésiosaure, ichthyosallr", mastodonte, etc. L'imagination populaire (en-
:
tendez ici peuple au sens le plus large du terme, le corps entier de la na-
tion), frappée de l'aspect d'énormité pesante de ces animaux fossiles ne
pouvait manquer d'en faire l'application figurée à tout être grand et trop
gros. A-t-elle choisi, pour ce faire, lé plus épais de ces animaux fossiles >

(1) Le double jardin, p. 57.


1
Non, elle a pris celui du nom de qui les syllabes étaient le plus chargées
de sens. Que le nom de mastodonte vienne du grec |ia<rr<5<; « mamelle et»
l'animal, cela n'est pas entré en ligne de compte:
dSoú, (o'Sdvroç) « dent », et désigne une conformation spéciale des dents de
la première partie du
vocable a évoqué l'idée de masse et, jointe à la seconde partie, composée

:
de phonèmes pesants et longs, elle a donné naissance à une image
exacte on appelle un homme grand, gros et lourd, un mastodonte, et
même dans le sentiment linguistique populaire, le terme de maslondontc,
appliqué à l'animal ainsi dénommé, est conçu comme s'il lui avait été
donné en raison de la convenance des phonèmes qui le composent à la
masse imposante de l'animal. S'il n'y avait pas une telle convenance à
l'origine de ce nom, le sentiment linguistique l'y a maintenant établie, et
le poète Paul Marrot était dans le vrai quand il nous citait le mastodonte
comme adéquatement nommé.
-
123. —Lesccond procédé d'enrichissement vocabulaireoriginal est la dé-
rivation. Il existe un certain nombre d'affixes, d'un emploi vivant, qui ont un
sens très défini qui rend clair d'emblée le nouveau vocable formé. C'est ce
sens, cette idée que contient l'affixe, que nous avons appelé pexième (ci.
supra, 61). De tels affixes servent à créir des vocables nouveaux, dits déri-
vés : prendre, reprendre, tousser, IOli.sjol.:r.
On peut d'ailleurs étendre la signification du terme dérivation et l'appli-

:
quer aussi à la composition, ou association de plusieurs vocables pour en
former un nouveau tente-abri, aide-de-camp.

emprunt ;
On appelle vocable primaire un vocable formé par création ou par
vocable secondaire un vocable formé par dérivation.
Il n'y a pas lieu d'entrer ici dans la décomposition étymologique d'un
terme reçu tout fait du latin, ou emprunté à une langue moderne. Par
exempletrèjle et redingote sont en français des vocables primaires. Seuls,
sont vocables secondaires ceux dont le sentiment linguistique possède en-
core les éléments indépendants, prêts à de npuvelles combinaisons.
Il faut observer que la dérivation change parfois l'essence des vocables,
, par exemple, le substantif nominal empêchement tire son origine du verbe
empêcheretd'unsuffixequi, pris isolément, n'appartient à aucune essence;
le substantif nominal gagne-petit tiresonorigine d'un verbe et d'un adjectif
nominal coalescent. Ici, l'enrichissement matériel amène avec lui un enri-
chissement essentiel.

124. — Le mode propre de l'enrichissement essentiel, par lequel un vo-


cable ou une locution originaire d'une autre essence passe, en vertu d'un
usage fonctionnel constant, à une essence nouvelle (supra S 120, 20), c'est
l'afflux.
distinguer entre l'équivalence et l'afflux, non que ces deux
Il. y a lieu de
procédés soient étrangers l'un à l'autre, mais parce qu'ils appartiennent à

ancienne équivalence :
deux époques différentes du même processus. L'affiux est le résultat d'une
quand cette équivalence se produit très Créquem-
ment, le sentiment linguistique commence à en perdre la notion, et c'est
alors que l'afflux est opéré. C'est dire qu'entre l'essence d'origine et l'essence
d'arrivée, le pont a pu être coupé.
Deux états peuvent alors se présenter ;: 1° les deux valences peuvent

;-
substantif nominal
mental
;-
coexister indépendamment l'une de l'autre rire, substantif verbal, le rire,

;
pendant, adjectif verbal, pendant, afTonctif stru-
une femme riant, adjectif verbal une figure riante, adjectif
;
nominal, etc. Un phénomène général dans ce cas est la spécialisation de
la valence d'arrivée
;
par exemple le manger s'est restreint au sens spécial
d'aliments et ne signifie pas l'action de manger engénéral une figureriante
n'est pas la figure d'une personne qui rit, mais une figure gaie et joviale.
2° La valence d'arrivée se conserve seule, alors que le mot n'est plus en
usage dans l'essence primitive ; par exemple, on dit le plaisir, mais on ne
:
dit plus plaisir à quelqu'un,la forme plaireayant prévalu comme subs-
tantif verbal.
Quand le pont est coupé, l'afflux reste, mais l'équivalence n'est plus
possible, et on se trouve en présence d'un fait historique, d'une étymolo-
:
gio le substantif nominal le rire provient du substantif verbal rire le
partir ne se dit plus. Les communications sont néanmoins, dans bien des
;
.cas, restées établies. Par exemple, le substantif nominal et l'adjectif nomi-
nal sont l'objet d'échanges équivalentiels incessants, qui peuvent entraîner
afflux ; l'affonclif strumental reçoit, par afflux, des vocables d'origine no-
:
minale ou verbale plein les mains, moyennant unprix débattre,à etc.
L'invariabilité de l'adjectif verbal vu dans les équivalents d'affonctif stru-
mental, comme dans vu la rareté des denrées, indique un phénomène d'af-
flux.
L'affiux n'introduit matériellement rien dans la langue. Il n'y produit
pas moins un enrichissement basé qu'il est sur la constatation toujours
progressive de nouveaux rapports.

125. — Le mode actuel d'enrichissement vocabulaire des diverses es-


sences logiques va nous permettre de préciser encore davantage la nature
même de ces essences.
Trois points de vue sont à envisager à ce propos ,
1° La génèrescence
:
— Une essence est dite féconde quand des voca-
bles peuvent naître
y par création (vocables primaires). Elle est dite stérile
au cas contraire.
26L'inerescence. — Une essence est dite artificieuse quand des voca-
bles peuvent naître
y par dérivation (vocables secondaires). Elle est dite
inerte au cas contraire.
3® La variabilité.
— Une essence est dite variable quand ses vocables
Peuvent comprendre plusieurs mots. Elle est dite invariable dans le cas
contraire.

126. qui concerne la générescence, nous devons remarquer


— En ce
que, une fois mis de côté les vocables de la souche authentique (cf. S 27) -
:
les vocables de nouvelle création et ceux empruntés aux langues étrangères

;
doivent être considérés sur le même pied en effet, le sentiment linguis.
tique considère comme inexistant ce qui ne lui est pas connu l'introduc.
tion d'un vocable étranger dans la langue est donc une véritable création.

cence, une caractéristique commune :


Les essences de la classe nominale ont, au point de vue de la généres-
c'est forcément un sémième pur
que l'esprit saisit comme acquisition. C'est ce qu'il a fait dès l'origine du
langage, c'est ce qu'il continue à faire. Donc, dès que l'on admet qu'il y a
encore dans la langue des acquisitions nouvelles pargénérescence, la classe
nominale, celle des sémièmes purs, en sera certainement le théâtre, et,
qui plus est, le seul théâtre. En effet, la classe strumentale, formée de
taxièmes, idées fixées, se trouve par cela même, du premier coup, exclue
de la fécondité.
Nous ne pensons pas qu'il y ait de verbe véritablement générescent.
Considérons par exemple les deux verbes vrombir et vrondiller. Tous
deux comportent la série complète des « temps de verbe » : il vrombissait,
il vrondillait, nous vrombirions, nous vrondillerions, etc.
Dans un verbe de création nouvelle, il n'existe aucun « temps » dans le-
quel on puisse localiser plutôt que dans un autre la création linguistique.
Le jour où, d'aventure, une forme verbale nouvelle quelconque vient à être
employée, tout le verbe auquel elle appartient virtuellement se trouve créé
ipsofacto. Si l'on tenait absolument à isoler ce qu'il y a de proprement gé-
nérescent dans le verbe, il faudrait recourir à un factif dépourvu de fa-
culté de conjugaison, c'est-à-dire à un factif nominal et décomposer par
exemple les verbes vrombir et vrondiller en des locutions comme. faire
vrombisse, 9 faire vrondille. En effet, le facteur véritablement verbal a tou-
jours, comme les autres catégories verbales, un caractère secondaire, puis-
que, outre le corps phonétique nouvellement créé, il comporte toujours le
corps phonétique flexionnel qui existait antérieurement à lui dans le maté-
riel de la langue.
-
a
11y plus. Lors de la création du verbe, on peut le faire rentrerdansles
cadres flexionnels soit au moyen de la conjugaison en -el', soit au moyen
de la conjugaison en -il'. Le choix de l'une ou de l'autre de ces conju-
gaisons, absolument équivalentes au point de vue taxiématique, constitue
donc un élément pexiématique. Le mot vrombir comporte l'élément créa-
»
teur primitif, le pexième « seconde conjugaison et la flexion du substan-
tif verbal. Le mot vrondillerai comporte un autre élément créateur primi-
tif, un autre pexième (la « première conj ugaison ») et la flexion de lallP
personne du singulier du futur de l'indicatif.

: :
Le verbe peut donc être regardé comme stérile.
Nous avons donc toute une classe féconde le nom et deux classes entiè-
res stériles le verbe et le strument.

127. — En ce qui concerne l'increscence, la répartition ne se fera plus

;
toujours aussi simplement, par classes. Les essences verbales, à vrai dire,
seront toutes ici sur le même pied et nous les y verrons encore dans le
maine de la variabilité comme nous les y avons vues dans celui de la
nérescence l'état de syncatégorisation des catégories verbales explique
:
jjfisammentcefait.
Un simple coup d'œil jeté sur une liste des verbes français suffit à mon-
terqu'il en est de secondaires : trembloter, toussailler, etc. Toute la classe
l'baIe est donc artificieuse:
Par contre, la classe strumentale est, dans son ensemble, inerte, les
exièmes ne s'associent en général pas aux taxièmes.

;
En ce qui concerne la classe nominale, on aperçoit d'emblée que le subs-
IIlif et l'adjectif sont artificieux ex : balayage, balayure ; osseux, ossu.
Le factif nominal, par contre, est notoirement inerte.
L'affonctif est inerte aussi. Il ne faut pas s'en laisser imposer par la ter-
linaison -ment qu'il porte si souvent. Cette terminaison ne contient en
Ilot en elle que l'idée affonctive, qui est une idée purement taxiématique :
le est donc un taxiome et non pas un pexiome. On ne concevrait d'ailleurs
asqu'unc essence artificieuse ne disposât que d'un seul et unique pexiome,
;
domaine séiniématique étant par définition indéfini.

es grammairiens les plus anciens :


128. — La variabilité est une propriété des essences logiques vue par
on lit par exemple dans Varron (1) :
Quom verborum declinatuum généra sunt qualtuor, unum quod tempora
ulsignificat neque habel casus, ut ab lego legis, leget, alterum quodcasus
labelnequetemporaadsignijicat,utablegolectio etlector tertiumquoa ;
label utrumque et tempora et casus, ut ab lego legens, lecturus ; quartum -
'/lod neutrumx habet, ut ab lego lecte et lectissime. » On voit que l'ingé-
nieux Hornain avait confondu l'increscence et la variabilité ; les grammaires
n'ont pas attendu jusqu'aujourd'hui pour rétablir la distinction entre ces
peux procédés.

ia classe verbale toute entière possède la même caractéristique :


Comme nous l'avons vu plus haut pour la générescence et l'increscence,
elle est va-
riable. C'est ce qui apparaît du premier coup d'œil pour les adjectifs ver-
aux (fait,faite, faits) et pour les factifs verbaux (je fais, je faisais, etc.)
On doit étendre aussi
cette considération au substantif verbal et à l'affonctif
verbal qui, dans leurs
« temps composés », possèdent des formes diffé-
rantes (être aimée,enétantpartis, etc.)
Les classes strumentale et nominale secomportent ici d'une manièrecon-,
:
;
VQll.,; ; il, ils) et adjectif (égal, égaux
variables: faclif et affonctif.
;
cordante deux de leurs catégories sont variables: substantif (cheval,che-
mon, mes) les deux autres sont in-

lall
r
129.
— En
somme, en
;
ce qui concerne la générescence, la répartition se
par classes entières : d'un côté le nom, qui est fécond de l'autre le
Animent et le verbe, qui sont stériles.
)

..,

(1)larron.Delingualatina,VI,36.
Au point de vue de l'increscence, les classes verbale et struinentait,
tent homogènes, le verbe tout entier artificieux, le strument tout enti
inerte. Mais la classe nominale est brisée en deux blocs, d'une part sut
tantif et adjectif, qui sont artificieux, d'autre part affonctifetfactif,(
: inertes.
sont

;
Au point de vue de la variabilité, la classe verbale seule reste homogè
étant toute entière variable la classe nominale et la classe strumenl

;
sont brisées, toutes deux de la même façon le substantif et l'adjectifs
variables l'affonctif et le factif sont invariables.

V
LIVRE 111

PHONÉTIQUE
CHAPITRE PREMIER

ROLE DE LA PHONÉTIQUE EN GRAMMAIRE

SOMMAIRE

130. Aperçu général sur le rôle de la phonétique en grammaire. — 131. Loi


de sysémie homophonique. — 132. Limites de cette loi. — 133. Charge sé-
mantique. — 134. Liberté d'hétérophonie (diaphonie hétérosémique),
135. Le rôle sémantique de la phonétique est en progrès.
-
v
130. — Puisque, en considérant la grammaire telle qu'elle a été définie
dans les livres précédents, le véritable but des études grammaticales est
UN but psychologique, 1B phonétique ne doit-elle pas en
P
être exclue Ré-
fléchir un instant sur cette question, c'est y répondre non. En effet, tout
dans le langage étant tourné vers l'expression sémantique, les moindres
faits phonétiques concourent directement à cette expression. Il convient
donc de faire sa place à la phonétique, au moins en tant qu'elle est indis-
solublement liée à la sémantique.
C'est donc uniquement sous cet aspect que la phonétique va être étu-
diée ici.
Tout le long de cet ouvrage, on verra que la forme orale de la langue est
quelque chose de plus essentiel que la forme écrite. C'est en réalité en
parler oral que se déroule et se formule la pensée. La langue écrite s'efforce
seulement de serrer du plus près possible ce parler et n'y réussit pas tou-
jours parfaitement. Donc, k part quelques cas exceptionnels, la parole a
la supériorité
sur le langage écrit. v
Il peut paraître paradoxal de soutenir cette thèse, quand il est reconnu
de tout le monde
que le langage des livres comporte en général plus de
finesse et de précision que celui de la conversation. C'est qu'à la vérité,
h principale différence qui les sépare est non
pas que l'un soit écrit et
l'autre oral, mais bien
que l'un est mûrement réfléchi, tandis que l'autre
l'st impromptu. Et entendre lire
un livre par son auteur prendra infini-
ment plus de valeur qUê le lire simplement soi-même des yeux. L'énon-

texte écrit:
Clahon orale
a des éléments significatifs que rien ne marque dans un
la durée et la qualité des phonèmes, l'intensité relative des
syllabes, la liaison entre les
mots, la rapidité du débit, la mélodie phras-
tique. la distribution même des
pauses ne sont que très imparfaitement
indiquées par I& graphie. Et pourtant il n'est aucun de ces éléments qui
n'ait une valeur significative très importante.
131. - :
Les sens des vocables homophones ont une irrésistible tendance
à se confondre pour créer une idée nouvelle plus générale c'est la sysé-
mie homophonique.
Dans l'ordre taxiématique, on verra que le taxième de que s'est consti-
tué par convergence de ceux de quod, quam, quæ, et que celui de si pro-
cède de ceux de sic et de si.
Dans l'ordre sémiématique, de même, beaucoup de vocables procèdent
de deux vocables latins. Il est très difficile de distinguer sémantique-
ment délié < delicatum de délié <
deligatum, et impossible d'isoler
dans vouer ce qui revient à votare et ce qui revient à vocare.
Ce processus n'est pas arrêté. Il arrive que deux mots étant encore
classiquement considérés comme deux vocables différents, l'on rencontre
certains emplois qu'il soit impossible d'imputer à l'un de ces deux voca-
bles plutôt qu'à l'autre.
:
Quelquefois, la confusion est voulue il y a calembour. Exemple :
Assez mal vit qui namendc
Bonnes femmes ou estes vous ?
Amendez vous, amendez vous
Amande douce, amande.
(Les Cris de Paris, fol. 12, recto).
De même, dans le jargon du théâtre, le régisseur s'appelle amendicr
(vocable exactement homophone, à Paris, à amandier), parce que c'est
de lui que viennent les amendes.
Mais, quand ce calembour est entré dans l'usage, on en oublie l'origine

I :
plaisante, et la sysémie s'accomplit. L'homme le plus en colère et qui
songera le moins à plaisanter s'écriera « Tu raisonnes comme un tam-
bour défoncé », c'est-à-dire « tu raisonnes très mal », ce qui se réfère à
une sysémie entre raisonner et résonner, née chez des sujets pour qui ces
deux mots étaient absolument homophones.
Mais le plus souvent, la sysémie se fait sans intervention de la cons-
cience.
t,
Faut-il écrire « laisser quelqu'un en plan », comme on le fait souvent,

Exemple:
ou bien, comme le fait M. Tristan Bernard, « laisser quelqu'un en plant»

C'est admirable 1 Et moi je reste ici, en planl1


(Trislan Bernard. Le Poulailler, acte III, Théâtre, t. III, p. 187).
C'est une question à laquelle il est impossible de répondre logiquement.
Quelle qu'ait été l'origine primitive de la locution, la sysémie est en voie
d'accomplissement dans le sentiment linguistique actuel.
De même, il est impossible de savoir s'il faut écrire « piquer un phare »
ou « piquer un fard », car certainement, quand cette locution vous vient
à la bouche, c'est que l'éclat subit du visage vous a fait penser à la fois
à la couleur de joues très fardées et à l'illumination brusque d'un phare.
(Cf. piquer un soleil).
Charles Perrault fait porter à Cendrillon des pantoufles de vair, mais
les images d'Epinal lui donnent des pantoufles de verre 0). Il n'est pas
certain que la version des images représente une déformation de celle de
Perrault.
11 peut arriver que la sysémie se fasse entre un adjectif et un substantif,

:
On dit en plaisantant
on a dit
:
parce que les substantifs jouent souvent le rôle d'adjectifs et vice-versa.
« Elle est lente comme un œuf de pou. » De même,
« Cette femme est gourde »,
(gurda), pour exprimer l'engour-

«
Cel homme est gourde. »
:
dissement de son esprit, ce qui a été le point de départ de la sysémie avec
gourde (cucurbita) d'où « Cet homme est une gourde », et même
,
:
Mais si, au contraire, on se trouve en face de deux formes homophones,
comme pieux, substantif pluriel, et pieux, adjectif singulier, ou comme
porte, troisième personne du présent de l'indicatif du verbe porter, et
porte, substantif féminin, la sysémie ne s'effectue pas, car jamais le sen-
timent linguistique n'est appelé à s'apercevoir de l'homophonie, vu que

cas où elle se montre. Et ceci n'est pas une vue de l'esprit ;


la fonction de la suite phonétique est absolument différente dans les deux
il nous sem-
ble que l'on en a le sentiment intérieur direct. Ce n'est en quelque sorte
que par réflexion que l'on se rend compte que le mot porte (janua) se com-

suite phonétique i[pô t


pose des mêmes phénomènes que le mot porte Cfert), Et si, ayant pensé la
r (œ)] comme corps de l'idée de janua, l'esprit
vient, par association mécanique subconsciente, à voir surgir dans ce mê-
me corps l'idée de fert, il ressent une sensation de décalage brusque, de
changement de perspective, que l'on ne saurait mieux comparer qu'à
l'impression que l'on ressent quand, brusquement, on se met à voir en
avant la face que jusque là, on voyait en arrière, de l'image purement li-
néaire d'un cube transparent.
H est de même difficile de décider s'il faut écrire « faire voir à quel-
qu'un le vert en fleur » ou « le verre en fleur. »
Le vocable chant, pour désigner celle des faces d'un parallélépipède rec-

vocable champ
par mp.
;
fangle dont les côtés sont le plus inégaux, a disparu par sysémie avec le
au point que la locution de champ s'écrit maintenant
-

à
:
Cette sysémie s'étend encore plus loin, puisque l'un de nous, ayant
C'Hlcndu chanter dans le récit d'une procession « Dieu s'avance à travers
ks [c :] », est encore à se demander si le texte porte champ

Sotit pour lui évoquées à la. fois. '., .,


ou chant,
chose d'ailleurs assez indifférente, puisque dans le fait les deux choses,

à
Il est absolument impossible de rattacher à debens ou de ab ante le
1Uot devant dans la phrase suivante
:
(1) Le [v è : r (de)] (verre), quand son [œ] instable n'entre pas en exercice..
se trouve vocable
rigoureusement homophone aux vocables [v è : r] (vair, vert,vers,ver, etc).
Madame l'a fait devant partir.
(Mme CD, le 6 décembre l'J20).

Citons encore la sysémie possible entre tant et temps. On trouve écrit

:
en temps que et en tant que, et de même entre tant alterne avec entre
temps. Exemple
Entre tant, Bébanzigue se vit invité aux noces. du fruitier de la rue Lcmarle-
Thibaull.
(J. P. Toulet,Béhanzigue, p. 52).
L'affonctif partant procède étymologiquement de par tant, mais son
- sens actuel le
:
fait tout aussi bien rattacher mentalement au verbe part;; ;
partant, c'est-à-dire « en partant de ce que je viens de vous dire, en
prenant pour point de départ ce que je viens de vous dire. » Il y a donc
sysémie entre cet affonctif strumental et l'affonctif du verbe partir.
L'ancien verbe duire avait à la fois le sens de « conduire
d' « instruire »,
»
et celui
« dresser. » Entre ces deux sens, on trouve tous les inter-
médiaires, de sorte que l'on peut légitimement penser que l'idée de duire
était unique dans l'esprit des Français. Or, il est infiniment probable
qu'il provenait de la sysémie de deux homophones [d il i : r (œ)], l'un
issu de dücere (cf. luire < * lüccre pour lücëre), l'autre issu de * dôcéi-a
pour dÕcëre (cf. nuire < * nôcërë pour nôcërë).
L'on pourrait multiplier ces exemples.

132. — La loi de sysémie homophonique ne s'applique qu'aux cas où


les formes menacées d'éventuelle convergence sont de même essence logi-
que et ne sont pas englobées chacune pour son compte dans un système
taxiématique intravocabulaire d'où l'on ne puisse les isoler.
On ne s'étonnera donc pas de ne pas voir la sysémie s'effectuer entre
tendre (tendere) et tendre (tenerum), geindre (gemere) et gindre (junio-
rem), pêcher (piscare) et pêcher (persicarium), guerre et guère, etc.
Il importe d'ailleurs de remarquer qu'en ce qui concerne les substan-
tifs nominaux, la différence de genre, qui est une différence taxiématique
importante, suffit pour empêcher la sysémie, ex. le somme (somnUlH)
reste sémantiquemcnt différent de la somme (summam).
D'autre part, il est bien certain que, le processus sysémique ici décrit
ayant pour origine l'homophonie, ne s'étend pas aux cas dans lesquels
deux mots sont homographes sans être homophones, tels par exemple,

;
que la manne [m à n (œ)], sorte de panier, et la manne [m à : n (oc)],
nourriture d'origine divine la casse [k à s], sorte de casserole, et la casse
[k a : s] action de casser, etc.
Il existe, d'ailleurs beaucoup plus d'homographes non homophones que
l'on ne serait tenté de le croire a priori (l) ,"'car quand la connaissance

(1) ï.c 8septembre 1923, au malin, l'un de nous demande à Mme A. : « Y a-t-il 11
?
votre avis une différence de prononciation entre la première personne du pluriel il"
présent de l'indicatif du verbe peindre et celle du verbe peigner » Il n'ajoute aucune
t
que l'on a d'un
vocable provient de la lecture, on a tendance à lui donner
une prononciation identique à
celle du vocable homographe que l'on
connaît par la tradition linguistique légitime, la transmission orale. C'est
ainsi que, bien qu'ayant eu longtemps l'habitude de prononcer bailler
(donner) comme bâiller, et sable (émail noir du blason) comme sable
(arena), nous pensons que les prononciations [b à y é] et [s à b 1 (de)],:
historiquement, sont meil-
que nous avons entendues, et qui se justifient
leures. Il n'y a donc pas d'homophonie réelle entre [b à y é] (donner) et
[b à : y é] (faire un bâillement), non plus qu'entre [s à : b 1 (ôe)](émail
xioir du blason), et [s à : b1(de)] (silice en grains)

133. — De ce que la sysémie ou la tendance sysémique n'appartiennent


pas proprement au conscient, il n'en faudrait pas conclure qu'elles soient
étrangères à l'utilisation esthétique de la langue"Tous les grands poètes
français ont ignoré les lois du rythme du vers français, au moins sous
leur forme scientifique, ce quhne les a pas empêchésde les
appliquer gé-
nialement, De même, tout le pouvoir évocateur des suites phonétiques
entre en jeu dans la poésie, et à ce point de vue,on ne doit même plus se
restreindre à la trop étroite loi de sysémie lionlophonique. Les suites
phonétiques, les syllabes, les phonèmes même, ont, outre leur valeur ono-
matopéique éventuelle, une valeurmnésique provenant de tous les mots
desquels ils ouil'ailpatlie, el
noussommes persuadés quecellecharge sé-
mantique est constamment présente dans le subconscientdu sujet par-
lant. C'est à travers ces éléments, que l'intellect conscient ne perçoit pas,
que nous entrons en communion avec le génie du poète.

sémantique qu'il faut chercher le secret du charme de la rime.


C'est en particulier, comme nous le verrons plus bas, dans la charge

C'est également la charge sémantique qui permet de créer de nouveaux


vocables tirés en' apparence du néant.

134. -' Nous avons vu que l'homophonie à l'intérieur d'une même


Paso de la classification grammaticale imposait la sysémie. Là divergence
grammaticale entre locutions ayant une origine pourtant commune leur
permet de devenir éventuellement hétérophones. Cf. il peut être et peut-
être (§769) ; voyons, impératif, et voyons, interjection (§ 765) l'autre
fois et autrefois; notre dame et Notre-Dame (§ 4.261..
;
Cettediaphonie hétérosémique peut se produire nonseulementquand,
comme pour il peut être et peut-être, les deux termes vont se ranger d'ans
des essences logiques différentes, mais
encore à l'intérieur de la même
essence logique, quand les deux termes sont amenés à exprimer destaxiè,
nies différents. C'est ainsi que, dans le parler de. Paris, .le vocable plus
sest fragmenté en plusieurs termes ayant chacun leur phonétisiriepropre.
unepart,l'affonctif de forclusion plus;(v, infra,LivreVl) aun [1] et

ln1 répC?nd
:
iUl;(geStion,- Après avoir prononcé plusieurs fois, alternativement cesdeux mots, Mme A.
textuellement
'lns Pignons de peindre.
»
« On dit plus longtemps è dans peignons de peigner
C'estabsolumentnotre avis. ,. que
un [z] instables, de sorte qu'en français normal, il peut se réduire à [p u]
» :
dans la conversation courante, ex. : « Je n'en ai plus [j n 5 n é p u].
D'autre part, l'affonctif plus, en tant que formateur des commensura.
tifs (§ 659), a un [z] instable, mais un [1] stable, de sorte que sa forme

sonne, est en français normal


[sè1p1uIè].
:
la plus réduite, qui se montre devant an adjectif débutant par une con-
[p 1 u], ex. : « C'est le plus laicl»

Enfin, l'affonctif plus, en tant quemarquant la quantité de façon indé.

m'enplus » [donm â:
pendante (Cf. Livre VI) possède un s qui tend à être stable, ex. : « Donne
p1u s]. :

:
Peut-être, enfin, en certains cas, la diaphonie hétérosémique peut-elle se
produire pour une différence sémantique purement sémiématique.
135. — Tout le long de cet Essai, nous aurons l'occasion de montrer
qu'il y a des répartitoires dont le mode d'expression est purement phoné-
tique. Telle nuance sémantique ne sera marquée que par une pause, une
liaison, etc. (Y.injra, passim).

ex.
Loin que ce procédé de discrimination linguistique soit en régression,
il semble que la langue française ait tendance à le développer,de plus on
plus, témoin de la disparition des toursdons lesquels des phénomènes pho-
nétiques purement mécaniques se montraient sans raisons sémantiques,

Et quanque nous cuiderôns qui lui plaise, nous nous devons esforcier bastive-
ment don penre.
(Joinville. Histoirede SaintLouis, 41).
Nous dirions aujourd'hui « de le prendre », la crase du étant réservée
»
au cas du « génitif de l'article.
La lettre que Tibere, vieil et malade, envoyoit au sénat.
(Montaigne» Essais,
8, tome II, p. 329).
111,

La philosophie politique aura bel accuser la bassesse et la stérilité de mon


occupation.
(Ibid., p. 338).
On dirait aujourd'hui « vieux et malade », « aura beau accuser les
formes de liaison vieil, bel étant réservées au cas d'adjectif adjectiveux
»,
-épicatadmète;
,
V
CHAPITBE Il

LE MATÉRIEL PHONÉTIQUE DU FRANÇAIS


SES ÉLÉMENTS, SES INDIVIDUS

SOMMAIRE

136. Les individus phonétiques. — 137. Les phonèmes, les éléments plwnéti-
ques. — 138. Délimilation des individus phonétiques. — 139. Système de
transcription. — 140. La valeur sémantique appartient à l'individu phonéti-
que et non au phonème. — 141. Caractère général des individus phonéti-
ques. — 142. Glottaison, tympanisation. — 143. Clausion. — lU. Striction.
— 145. Naso-communication.Clausives.
— 146. Motion. — 147. Individus phonétiques
dans leur état premier. A. — 148. B. Laryngo-Clausives, — 149.
C. Nasifluentes, D. Strictives. — 151. E. Laryngo-Strictives. — 152.
— 150.Clauso-Strictive.
V. Motive,
— 1!i3. G. — 154. H. Tympaniques, — 155. L.
Rhino-Tympaniques. — 156. J. Semi-voyelles.

136. - Les anciens grammairiens pensaient que l'analyse phonétique


du langage était terminée quand on y avait distingué un certain nombre
de phonèmes bien définis, qu'il suffisait de classer d'après leur parenté

;
phonétique et de représenter chacun graphiquement par une lettre. Cette
première étape de la phonétique en est restée la base c'est elle qui nous
à fourni le substratum de notre classification actuelle.
Mais il y a longtemps déjà que l'on s'est aperçu que la rencontre de
deux phonèmes différents modifiait ces phonèmes. Dans bs, par exemple,

;
le b ne se présente pas avec les caractères acoustiques qu'il a à la finale ou
devant voyelle mais l'idée que les phonèmes étaient des éléments indé-
composables était à cette époque assez ancrée dans l'esprit des linguistes-
pour qu'ils aient cru tout expliquer en disant qu'à un phonème, s'en
de
substituait alors un autre. Pour eux, la rencontre b et de s donnait ps.
On a vécu longtemps sur ces idées simplistes. Mais il est bien établi à
1licure actuelle que les modifications qu'impose au phonème le voisinage
d autres phonèmes sont de nature plus fine : certes, le premier phonème
du groupe [b s] n'est pas identique à un [b] final, mai& il ne l'est pas
non plus à un [p]. Il y a donc en réalité dans la langue beaucoup plus de
Phonèmes articulatoirement et.acoustiquement différents que ne le pen-
Sil'ont les anciens auteurs.

Part, et représentée par une notation spéciale :


Est-ce à dire que chacune des nuances phonétiques doive être étudiée à
? non ce qu'il importe de
définir, c'est les unités dont les indigènes ont conscience comme différen-
tes les unes des autres, et qui jouent un rôle tant dans la phonétique
historique que dans la détermination sémantique. Nous donnons là ces
unités le nom d'individus phonétiques.
137. — Lorsque l'ouïe se trouve en présence d'un mot parlé, tel par
exemple que le mot abri, elle y distingue d'emblée et d'instinct un certain
nombre d'unités qui lui paraissent au premier abord acoustiquement indé-
composables, en l'espèce [à], [b], [r],[i]. Ces unités sont les phonèmes.
Leur individualité, qui ne résulte aucunement de considérations plus ou
moins complexes touchant leur articulation, mais bien du sentiment
acoustique immédiat que nous venons de définir, a été nettement indiquée
par Saussure (1).
Mais on peut aller plus loin. L'analyse acoustique minutieuse du lan-
gage d'autrui par une oreille exercée, l'inspection attentive des mouve-
ments articulatoires de son propre langage, et l'emploi d'appareils enre-
gistreurs permettent au linguiste de se rendre compte que chaque phonè-
me est décomposable en plusieurs phénomènes physiologiques. Nous ver-
rons plus loin que ces phénomènes se réduisent à un petit nombrede
types, constituant les éléments phonétiques de la parole.
Le phonème ainsi défini, il devient évident que le premier phonème de
balle, le second de abri, le dernier de Job donnent à l'auditeur, comme
le remarque excellemment Saussure, l'impression qu'ils sont semblables.
Ces phonèmes rentrent donc dans ce que Saussure appelle une même
espèce phonétique, l'espèce [b].
A vrai dire, cette impression de similitude ne suffirait pas à définir
scientifiquement l'individu phonétique. Ce n'est qu'une impression pure-
ment acoustique. Or, le regretté abbé Rousselot, que nous aurons à citer
maintes fois au cours de cet exposé, a excellemment fait la critique de
l'ouïe comme instrument d'appréciation phonologique. Il a montré que

mais ce qu'il avait voulu prononcer ;


celùi qui parle entendait le plus souvent, non pas ce qu'il prononçait,
et que celui qui écoute ramenait à
des sons de lui connus même les sons étrangers prononcés par l'interlo-
cuteur.
Par les méthodes d'investigation linguistique dont nous avons parlé
plus haut, et dont Gaidoz, Havet, Marey ont été les initiateurs, on constate
que les phonèmes appartenant à une même espèce phonétique ne sont pas
en réalité identiques dans leurs éléments phonétiques, mais diffèrent
selon qu'ils sont précédés ou suivis de telle ou telle articulation. Il existe
beaucoup plus de phonèmes différents que la première impression audi-
tive ne le laisserait supposer.

138. — Mais la science grammaticale, quelle que soit la finesse de son


analyse, n'a pas licence de négliger cette impression d'identité sur laquelle
repose la notion d'espèce phonétique définie au § 53. Les phonèmes que

(1) Saussure. Cours de linguistique générale. Principes de Phonologie, chap. I.


sos
méthodes nous ont permis d'isoler ne doivent donc être considérés
que comme les composants de ces espèces. Les phonèmes de chaque espè-
ce présentent un
certain nombre de traits communs qui individualisent
l'espèce et l'isolent des espèces voisines. Chacune de ces espèces fonctionne
donc pour le sentiment linguistique, comme un tout indivisible, et
c'est pourquoi, au terme d'espèce phonétique proposé par Saussure, nous
avons préféré celui d'individu phonétique.
Chaque individu phonétique se délimite d'ailleurs scientifiquement de
]a façon la plus précise par les deux lois suivantes :
I. - Un même individu phonétique, placé dans les mêmes conditions
phonétiques de voisinage, se présente toujours sous la forme du même
phonème.
II. — Toutes choses égales d'ailleurs, un même phonème ne peut re-
présenter deux individus phonétiques différents.
Il existe en somme pour chaque individu phonétique un état type cor-
respondant à la situation où l'influence du voisinage nous paraîtra mini-
ma. Le phonème ainsi déterminé s'appelle état premier de l'individu
phonétique. Les autres phonèmes sous la forme desquels cet individu
phonétique peut se présenter s'appellent ses étatsseconds (1).,
C'est ainsi que [b] est à son état premier dans robe [rô b], et se pré-
sente à des états seconds dans obtenir [6 b t de n i:
r] ; abcès [à b s è :];
gobe-mouche [g b b m m c].
139. — Puisqu'un même individu phonétique, placé dans les mêmes
conditions phonétiques de voisinage, se présente toujours sous la forme
a
dumême phonème, il n'y aucune utilité à représenter chaque phonème
;
par une transcription graphique différente. Il suffit d'avoir un signe, et

]
un seul, pour chaque individu phonétique ce système est même celui qui
est le plus conforme au sentiment linguistique. Chacun des signes du
système de transcription que nous avons adopté correspond à un individu
phonétique et non à un phonème.
CLAUSIVES
-
[k comme dans loque
t] -- vote
f. ] -
[

[g] -
P lape
LA.UYNGO-CLt\USIVES
- -- vague
[d
NASIFLUENTES n —
[b - [] l
--
code

[]
] robe

[n] -
ligne

[] - -—'reine

STFICTIVES c
m pomme

[s] -- -- poche
bosse

.(1) La notion d'état premier et d'état, second d'un phonème remonte grammai-
l'lens hindous. Les savants auteurs des Prâtiçâkhyas avaient déjà décrit aux certains états
seconds d'individus phonétiques sous les noms d'abhinidhânas, yamas, adhispararças, etc.
(,Ï. P. Kirste. Etude
(IrIS, Tome V, sur les Priltiçilkhyas, in Mémoires de la Société de Linguistique de
p. 81.
[rJà
LARYNGO-STRICTIVES
[
[
f]
jz1 ]
-- -- greffe
âge
[
1 v] -- -- rase rêve
MOTIVE [1 — -
heure
CLAUSO STRICTIVE ]
—— balle
TYMPANIQUES lla:] ]
-- -- palte

[â] l
cage
-- -- froide
[â:]
6]
l pâle
[
;[à:] -- -- botle

S\ô ]
[ :] -- --
loge
pot

m
( :][tu
ô
-- -
tôle

coudre

[œ]
IOlive
i

j [œ :]
- -- œuf
l[dé] —
-- -- preuve
pieu
i :] [œ gueuse
l
:]
[111 -- -- hutte

lj[[èè:]]
[n
l
cure
-- -- fraise
bec

f[é'•]
( [é l
-- -—J™liié

)[
,Li:] -- --tic
RH1NO-TYMPÀMQUES à]
[5:
i J

fille
-- - chanvre

bombe
:]
[ôe
[ë:]
-- --
bruIL

SEMI-VOYELLES [y
[H
]] peintre
-- --
paille

[w]
huile

140. — La répartition des phonèmes entre les individus phonétiques


- - oui

est loin d'être la même pour toutes les langues. Saussure fait remarquer
avec juste raison, que certaines langues peuvent avoir le sentiment de cer-
taines différences qui, dans d'autres, n'ont pas de signification linguisti-
que. Le français, par exemple, confond, dans le domaine de l'individu

(1).
phonétique [k], le phonème palatal avancé de cul [k u], et le phonème
vélaire de cas [k a], que d'autres savent ranger sous le chef de deux indi-
vidus phonétiques différents
Or, c'est uniquement sur la base des individus phonétiques que la pho-

(1) Saussure Loc. cit., p. 73.


nélique peut servir à des distinctions grammaticales et lexicographiques.
Il est donc compréhensible que l'oreille s'éduque tout spécialement dans
III
distinction desindividus phonétiques. Aussi, comme le fait remarquer
l'abbé Rousselot, arrive-t-elle à distinguer des nuances très fines dès que
le sémantisme est en
jeu, tandis qu'elle laisse passer des différences gros-
sières quand, au sein d'un même individu phonétique, se produisent des
1

écarts de phonème n'influant pas sur le sens.

141. — L'élément indispensable de la parole, c'est l'émission expira-


toire de l'air. Les courants d'air produisent par leurs passages, leurs ar-
rêts, leurs résonnances dans les cavités de l'appareil vocal, des bruits spé-
cifiques. Ces éléments qui viennent brocher sur l'émission expiratoire
ont un début, appelé implosion, une durée, appelée interplosion, une

ellel auditif durant l'intcrplosion sont dits sistants ;


terminaison appelée déplosion. Les éléments phonétiques qui ont un
c'est ceux qui
n'interrompent pas le courant d'air expiratoire. Les autres sont dits
momentanés.
D'ailleurs, il importe de remarquer que toutes les articulations physio-
logiquement possibles sont loin d'être utilisées dans une langue donnée.

142. — La
c'est le son vocal proprement dit. Les sons glottiques sont faibles et se-
:
glottaison est un bruit continu produit à travers la glotte
raient à peine audibles sans le renforcement qu'ils acquièrent dans les
cavités du pharynx, de la bouche et éventuellement du nez.
Dans certains phonèmes, le conducteur-résonnateur, au lieu d'avoir un
rôle banal de renforcement, façonne en quelque sorte le timbre des sons.
Les ventricules laryngés, toutes les parois du pharynx, de la bouche, et
éventuellement du nez, prennent une position étroitement déterminée
ils constituent un tympanon spécial : il y a tympanisation.
:
Il nous semble intéressant d'indiquer dès maintenant que le tympanon
qui doit être considéré en français comme l'état neutre de la bouche est
le tympanon d' [de]. Nous décrirons donc ultérieurement
comme état pre-
mier des consonnes l'état dans lequel elles explosent dans le tympanon
d'un [œ], qu'il s'agisse d'un [œ] voisé ou du tympanon d'un [œ] viT-
tucl([de] muet).
Lesphonèmes comportant tympanisation se déroulent selon trois modes
auxquels nous donnons le nom de modes de duison. Il y a trois modes
de duison le mode heurté, le mode tenu et le mode filé.
:
Dans le mode heurté, la durée totale est la plupart du temps brève
'attaque est relativement rapide (1) l'intensité
;
a atteint très tôt son

;
;
Maximum, elle s'y maintient, puis le son s'arrête brusquement.
Dans le mode tenu, la durée totale est plus longue l'attaque est molle,
tnoins rapide, mais quand l'intensité a atteint son maximum, elle s'y

jI;t(jO importe d'ailleurs de remarquer qu'aucune voyelle française ne s'attaque avec


II
"squerie des voyelles de certaines autres langues, le haut-allemand par exemple.

P*
maintient, au besoin même par un renouvellement actif du souffle jus-
qu'à l'arrêt, quiest brusque.
Dans le mode filé, la durée totale est plus longue encore ; l'attaque est
molle et lente, et l'intensité, vers la fin du son, diminue progressivement
peu à peu jusqu'à devenir nulle.
143. — La clausion est l'établissement d'un barrage fermant absolu-
ment le canal buccal en un lieu quelconque de son trajet. L'air s'accumule
en arrière de la barrière et sort avec une sorte de bruit d'éclatement quand
la déclausion se fait. L'accumulation de l'air et l'augmentation de pres-
sion qui en résulte exigent une force de clausion plus grande à mesure
qu'on approche de la déclausion ; quand elle atteint son maximum, c'est
la prédéclausion.

;
La clausion est dite dure quand l'obstacle est réduit au point de plus
grande pression elle est ditemouillée quand il s'étend, mais avec une
pression moindre, à des régions adjacentes.
144. -La striction est l'établissement dans le conducteur résonnatcur
d'un défilé par lequel l'air passe avec un bruit continu.
Il y a des phonèmes dans lesquels la striction se resserre progressive-
ment jusqu'à aboutir à une clausion.
145. — La plupart des phonèmes se produisent le voile du palais relevé,

:
le rhino-pharynx et les fosses nasales exclus par conséquent du chemin
de l'air expiré c'est les phonèmes buccaux. Mais il y a aussi des phonè-
mes dans lesquels l'abaissement incomplet du voile établit une commu-

pelle la naso-communication ;
nication entre les cavités bucales, bouche et arrière-bouche, et les cavités
nasales, rhino-pharynx et fosses nasales. Pareil élément phonétique s'ap-
pareils phonèmes les phonèmes nasaux.
146. — La motion est une succession rapide d'occlusions et de réou-
vertures légères du conducteur-résonnateur en un lieu donné. Les clau-
sions et les strictions élémentaires qui la composent ont une durée trop
courte pour donner à l'oreille une impression propre, l'on ne perçoit
qu'une vibration indécomposable. C'est pourquoi la motion doit être con-
sidérée comme un élément phonétique indépendant.
147. — Nous allons maintenant décrire les individus phonétiques dans
- leur état premier.
A. - CLASSE DES CLAUSIVES
Les clausives sont constituées par un unique élément phonétique, la
clausion.
Le français en connaît trois.
I. - [k]
La clausion se fait entre le dos de la langue et la partie supérieure du
voile du palais.
II.-[t]
La clausion se fait entre le dos de la pointe de la langue et la partie
médiane de la gencive supérieure.
III.-[p]
La clausion se fait entre les deux lèvres.
;
D'ordinaire la clausion des clausives est assez forte mais pendant

aclif de la part des muscles expirateurs extrinsèques ;


l'inlcrplosion de ces phonèmes, la glotte est fermée, et il n'y a pas d'effort
la déclausion est
très brusque. Mais on peut obtenir des effets sémantiques par le renfor-
cement de la clausion, par la moindre brusqueri6 de la déclausion ou
même par la prononciation à glotte ouverte, qui exige l'issue d'un souffle
après la déclausion, avant toute voyelle suivante éventuelle (1). C'est à
une altération emphatique de ce genre que se réfère l'exemple suivant :
C'est la princesse de Guermantrs, dit ma voisine au monsieur qui était avec
elle, en ayant soin de mettre devant le mot princesse plusieurs p indiquant que
celle appellation était risible.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. 111, p. 38).
B. — CLASSE DES LARYNGO-CLAUSIVES
148. — Les laryngo-clausives sont constituées par deux éléments pho-
nétiques : une clausion et une glottaison. En français, les deux éléments
phonétiques sont absolument synchrones tant dans leur implosion que
dans leur interplosion et que dans leur déplosion. La coexistence de la
clausion donne d'ailleurs à la glottaison des caractères particuliers la
colonne vibrante qui s'écoule de façon continue à travers le larynx vient
:
s'accumuler en arrière de l'obstacle buccal. Ce phénomème s'appelle la
suslaryngation.
D'ailleurs, dans les laryngo-clausives, la force articulatoire de la clau-
sion et le volume d'air émis sont moindres que dans la clausive corres-
pondante.
Le français compte trois laryngo-clausives :
IV. [g]
qui a le même lieu de clausion que [k].
-
qui a le même lieu de clausion que
-
V. [dl
[t].
-
VI. [b]
qui a le même lieu de clausion que [p].
C. - CLASSE DES NASIFLUENTES
149.
-
Les nasifluentes sont constituées par trois éléments phonétiques
une clausion, une glottaison, une naso-communication.

0) Ce type aspiré
ouU, en général
« », exceptionnel en français et ne s'y montrant que pour un effet
burlesque, est le type normal des clausives allemandes.
La naso-addition se fait d'abord, puis l'implosion simultanée de la clau.
,
sion et de la glottaison. A la fin de l'individu phonétique, déplosion simili.
tanée des trois éléments phonétiques.
La naso-communication, du fait qu'elle s'allie à la clausion, fait que
l'air s'écoule à travers le nez et s'échappe par les narines pendant la clan.
sion, qui n'est que buccale. Le nez fonctionne donc,comme un défilé de
striction, encore qu'il n'y ait aucune striction active. Ce phénomène s'ap.
pelle la nasifluence.
D'autre part, la glottaison des nasifluentes prend un caractère spécial
du fait que la vibration, quand elle monte du larynx vers lesparties supé-
rieures, trouve accès dans les fosses nasales, de sorte que le nez possède
une seconde fonction, celle de caisse de résonnance.
Le français possède trois nasifluentes :

VII. -[fi] «

Le lieu de clausion de [n] est dans le palais, un peu plus en avant que
celui de l'état premier de [k]. Mais, outre les éléments ci-dessus étudiés.
il comporte une mouillure.

VIII. — [n]
Nasifluente non mouillée ayant le même lieu de clausion que le [t].
IX. [m]-
»
Nasifluente non mouillée ayant le même lieu de clausion que le [p].

D. — CLASSE DES STRICTIVES

150. —Les strictives sont constituées par un seul élément phonétique,


la striction.
Le français en connait trois.

Le défilé de
X. - [c]
striction est constitué par la langue et le palais. La pointe
de la langue s'est soulevée et retirée en arrière. Le dos de la langue, qui
touche le palais par ses parties latérales, s'est creusé dans sa partie mé-
diane de manière à former un canalventre le palais et lui. Ce canal de
striction aboutit dans une caisse de résonnance antérieure agrandie par
la projection des lèvres en avant, en forme de pavillon, ce pavillon labial
formant en somme un second défilé de striction.
XI. - [s]
Le défilé de striction se fait entre les mêmes organes qui concourenl à
>
la clausion du [t]. Il est beaucoup plus serré que celui du [c], mais il est
unique, les lèvres restent dans leur position ordinaire.
XII. -[f]
Le défilé de striction est constitué par la face postérieure de la lèvre
inférieure et les dents supérieures.

E. — CLASSE DES LARYNGO-STRICTIVES

151.— Les laryngo-strictives sont constituées par deux éléments pho-


nétiques : une striction et une glottaison. Ces deux éléments phonétiques
sont simultanés, mais avec peut-être une légère précession du début de
la flottaison sur celui de la striction. La force articulatoire des laryngo-
slrictives est moindre que celle des strictives. Le volume d'air émis est
moindre que dans les strictives, plus grand que dans les clausives.
]français connaît trois laryngo-strictives :
XIII. -[j]
Mêmes lieux de striction que [c]. - „

XIV.[ZI
Même lieu de striction que [s].
XV. -[v] i

Même lieu de striction que [f].

F. — CLASSE DE LA MOTIVE

152. -
La morale est un individu phonétique constitué uniquement
par une motion.
XVI. -[r]
C'est à [r] que s'applique par dessus tout cette observation de l'abbé
Rousselot:
« La région d'articulation a moins d'influence sur le son que. le
mode
même d'articulation »(1).
En effet, les usances des diverses provinces de France connaissent pour
1' fr] des lieux d'articulation très différents
et, cependant, les phonèmes
u
ainsi émis viennent tous
phonétique [r].
se ranger pour une oreille française dans l'indi-
Toutefois, là comme ailleurs, la prononciation qui doit être réputée la
meilleure est celle de la bourgeoisie parisienne. La langue y est étendue
sut le plancher de la bouche, et la motion se fait au niveau de la luette
comme dans le gargarisme. Dans la parlure plébéienne de Paris, les pa-
rois du canal cessent de vibrer et l'[r]devient
une strictive uvulaire.
(1) Rousselot. Principes de Phonétique expérimentale, p. 879.
G. — CLASSE DE LA CLAUSO-STRICTIVE

153. -- La clauso-strictiveestconstituée par trois éléments phonéti.


ques : une clausioncentrale,une striction latérale et une glottaison. Ces
trois éléments sont simultanés.

XVII.— [1]

La barrière de clausion se fait entre le dos de la pointe de la langue et


la gencive supérieure, légèrement en arrière du lieu d'articulation du [t],
Cette clausion n'occupe que la partie médiane de la bouche, l'air s'écou-
lant sur les côtés au contact des bords de la langue.

H.---CLASSE DES TYMPANIQUES

ments phonétiques :
154. —; Les tympaniques ou voyelles buccales comportent deux élé-
une glottaison et une tympanisation, inséparables
l'une de l'autre dans le temps:

;
- En général, le tympanon des voyelles françaises comporte un ou plu-
sieurs défilés en outre, du fait que le tympanon est une caisse de réson-
nance, la langue et les parois molles de la bouche vibrent. En français,

-
la vibration des voyelles n'atteint pas d'embléeson amplitude- maxima.
De même, le défilé ne s'établit et ne se relâche que progressivement. Il y
a, au milieu du son vocalique, un laps de temps pendant lequel le défilé
est à peu près stabilisé.
Les voyelles se distinguent en brusques et en tendres (1).1
:
son
Lesvoyelles brusques ne sont susceptibles que d'un seul mode de dui-
le mode heurté, qui leur est propre. Nous leur décrirons pour état
premier l'état qu'elles ont sous ictus devant consonne, ex. il telle,
[i t è-t].
:
Les voyelles tendres, qui peuvent prendre le mode tenu et le mode
filé ont, à leur état premier, c'est-à-dire à l'ictus devant consonne, le
mode filé, ex. : la tête [1 à t è : t]. i1
Les voyelles se distinguent en outre les unes des autres par un timbre
spécifique, dont la constitution physique n'est d'ailleurs pas encore éta-
blie d'une façon parfaitement claire. Au moins peut-on, au point de vue
de la forme du tympanon, distinguer les voyelles en trois séries et en trois
tranches à partir d'une voyelle hors série, l' [à], comme l'indique le
tableau ci-dessous :
(1) La notion de duison, distinguant des voyelles brusques et des tendres répond cn
somme,grosso modo, à celle de quantité distinguant des voyelles brèves et des longue
mais les termes de brève et de longue nous paraissent devoir être abandonnés, puisque
la question de durée est loin d'être le seul facteur du déroulement des voyelles.
1
Voyelle
liminaire

tre tranche
voyelles
ouvertes
2etranche
voyelles
fermées
3"tranche

série voyelles
surfermées
VOYELLE HORS-SÉRIE

[a]

[o]

[Ó]

[u»]["]
oiivcrgenle
:
[œ]

[œ]

série
[à]

uvergente

XVIII. — [à] et XIX. — [à :]


[èj

[é]

[']

série
ivergente

Le tympanon d' [à] et d' [à :] comporte un défilé peu étroit entre la


langue et le palais. La distance du point culminant de la langue aux inci-
sives étant d'environ 50mm. et au palais d'environ 20.

XX. - [a] et XXI. — [â :]


La tympanisation de 1' [a] diffère de celle de l' [à] en ce que la langue
qui, dans [à], affleurait anx dents.inférieures, se retire légèrement, ne
touchant plus que les gencives, tandis que le dos forme un dôme un peu
Plus accusé. L'orifice interlabial se rétrécit légèrement dans le sens trans-
versal.

XXII. --[Ó];
[à]; [à:]
XXIII. —
XXV. -[Ó:]
XXIV.
XXVI. — [m] ; XXVII.- [m:]

A mesure quel'on avance dans la série ouvergente de la tranche des


v°yelles ouvertes à celle des voyelles surfermées, les piliers du voile se
l'aPPl'Ochent, la distance du point d'articulation linguale au palais dimi-
1111c,
sa distance aux incisives augmente, et l'orifice interlabial se rétré.
c'il de plus
en plus en s'arrondissant et en se projetant en avant.
-[de]
XXVIII. ;; XXIX. --
[de:]
XXX.[dé]
XXXII. — [u]; XXXI. [,cfe:l
XXXIII. — [u :] (2)

A mesure que l'on avance dans la série uvergente de la tranche des


voyelles ouvertes à celle des voyelles surfermées, les piliers du voile se
rapprochent, la distance du point d'articulation linguale au palais dimi-
nue, sa distance aux incisives diminue également, et l'orifice interlabial
se rétrécit de plus en plus en s'arrondissant et en se projetant en avant.
XXXIV. — [è]
XXXVI. — [é]
;; XXXV. — [è:]
[é:]
XXXVIII. — [i] ; XXXVII.—
XXXIX. -li :]

A mesure quel'on avance dans la série ivergente de la tranche des


voyelles ouvertes à celle des voyelles surfermées, les piliers du voile se

nue;
rapprochent, la distance du point d'articulation linguale au palais dimi-
sa distance aux incisives diminue, et l'orifice interlabial se rétrécit
de plus en plus dans le sens vertical, mais en s'élargissant d'une commis-
sure à l'autre.
Comme le montre cette description, dans chaque série, les voyelles, "à
mesure qu'on s'avance de la première vers la troisième tranche compor-
tent un défilé plus étroit. En outre, la force de l'occlusion bucco-nasale

;
au moyen du voile est plus grande, le voile touche plus haut la face posté-
rieure du pharynx enfin, le débit d'air et la vitesse du courant d'air sont
plus grands.

I. — CLASSES DES RHINO-TYMPANIQUES

éléments phonétiques
communication.
:
155. — Les rlifrio- tympaniques ou voyelles nasales comportent trois
une glottaison, une tympanisation et une naso-
La tympanisation se fait dans les mêmes conditions que pour les voyelles
buccales, mais le tympanon bucal des voyelles nasales françaises ne ré-
pond que grossièrement à celui des voyelles buccales. On peut admettre

(2) Ilserait
intéressant d'étudier de près la question de l'[u]. On sait que les langues
qui possèdent ce son sont relativement rares. Il semble qu'il existât en grec (cf.A.
Meillet. Histoire de la langue grecque, p. 90) ; on a été amené à le supposer en toklia-
rien (Journal Asiatique, 1911, 1, p. 463). Il a probablement existé dans certaines langues
germaniques, et actuellement le haut-allemand connaît un son qui lui ressemblp <1°
près. Il existe en bas-breton. On l'a signalé en écossais comme l'indique ce passage de
Gilles du Guez :«
Ye shal prononce. o, as ye do in englyssh, and v after the Skollcs,
as in this worde gud. » (An Introductoric for to lerne to rede, to pronounce and 10
spekc french treiuly, p. 899). Dans le domaine roman, il se rencontre dans toute la
France, dans l'Engadine, le Piémont, l'Emilie et certains points du Portugal, c'cst-à-<lire
d'après les idées communément admises (Nyrop. Grammaire historique de la lanf/lie
française, Tome I, pp. 186 et 187), dans les pays qui ont été habités par des Celtes.
;:]
Notons qu'il existe également en Alsace un [u] dérivé de [m], de même qu'en français
[u] dérive de [ui :] latin tandis que dans les autres dialectes haut-allemands, [UI:
aboutit à au. Le son [u existe aussi en néerlandais.
l'abbé Rousselot et contrairement à M. Grammont (1) que les tympa-
aiCC
noiis de [a :1,
[ô :], [œ :], [ê :], sont respectivement voisins de ceux de
[a], [o], [de], [è], quoique n'y étant pas tout à fait semblables. D'ail-
leurs le tympanon buccal servant de point de départ théorique à l'articu-
lalion étant supposé exactement le même que pour la voyelle nasale cor-
respondante, l'abaissement du voile du palais produirait toujours un
changement assez important dans la disposition de la langue et des autres
organes buccaux pour que les voyelles nasales différassent sensiblement,
même quant à leur tympanon buccal, des voyelles proprement buccales.
La naso-communication, dans les voyelles nasales, agrandit le tympa-
non buccal de l'étendue des fosses nasales, mais sans qu'il y ait nasi-
fluence. Il semble, d'ailleurs, que le tympanon nasal ne soit pas absolu-
ment identique dans sa forme pour les différentes voyelles nasales (2).
La naso-communication est en français exactement simultanée à la
tynipanisation ; elle commence et cesse aux mêmes instants qu'elle, de
sorte que les voyelles nasales françaises ne comportent aucune phase de
i
vibration nasale postvocalique. De telles voyelles nasales sonlel tes nasales
pures et semblent assez caractéristiques du domaine francimand, l'exis-
tence d'une résonnance nasale postvocalique dans les rhino-tympaniquei
étant le trait principal de l'accent du Midi (3).
- Toutes les voyelles nasales françaises sont tendres (4).
Au point de vue purement auditif, si l'on s'efforce de reproduire de
façon purement buccale le son d'une voyelle nasale, la réalisation la plus
approchée ne s'obtient pas avec la voyelle buccale articulatoirement cor-
respondante. C'est ainsi que le son buccal le plus voisin de [à] est [ôl
et que le sowbuccal le plus voisin de [ê] est [à]. Cf. la double forme
[à m t à], [a m t ê :]. De même Mlle A U, ayant à l'âge de deux ans et
demi imparfaitement saisi le mot pyjama [p i j à m à] et tendant à lui
attribuer une terminaison plus fréquente en français disait [p i j àm :]. ë
Le français cpmpte en somme quatre voyelles nasales :
deux ouvergentes,
XL. -
[â:]
XLI. — [ô :]

; p.
'«l'hysiologic,p.8.
l
Rousselot. Principes de phonétique expérimentale, pp. 720 et 1129
(1)
prononciation française, pp. 41sqq. '-
Maurice Grammont. Le Vers français,
Précis de
233.
(2) Magdelcine Simonard. La Voix travaillée. suivant les lois de la Physique et de

Les voyelles nasales semblent assez caractéristiques d'un fonds prélatin particulier,
(',i)
je ioiuls gaulois. Telle semble être du moins l'opinion de M. Meyer-Lübke et de M. F.
i)yt-'mture (.
:'lI.lIol (Origines de la langue française, introduction à l'Histoire de la langue et de la
française de Petit de Julleville, p. LXIII). En tout état de cause, il est à
icinarquer que parmi les langues romanes, le français et le portugais connaissent seules
es. voyelles nasales et que les nasales pures du français ne semblent, dans l'Europe
occidentale,
se retrouver que dans le dialecte léonard de la lingualité basse-bretonne,
ox. : kan lur [k à : 1
u : r] (cent francs).
1
cl La différence de déroulement entre pq (en) et [5 :] (an) que nous avons observée
.ex des Havrais et que l'abbé Rousselot signale chez les Francs-Comtois (Principe. de
1, Wllétique
expérimentale, p. 716) est un fait d'usance, étranger au parler de Paria.
une uvergente,
-
XLII. [Cé :1(1)
une ivergente,
XLIII.—[ê :]
CLASSE DES SEMI-VOYELLES

156. — Les semi-voyelles comportent trois éléments phonétiques une


glottaison, une tympanisation et une striction se resserrant progressive-
:
ment.
La glottaison s'étend sur toute la durée du phonème. Les vibrations
tympaniques spécifiques sont identiques en nature et en amplitude à celles
de la voyelle correspondante au début et à la fin de l'individu phonétique,
mais, dans le milieu, elles sont d'amplitude moindre, pour ainsi dire

;
étouffées. La durée et l'intensité de cette phase d'étouffement sont maxima
dans le parler courant dans la récitation des vers au contraire, l'étouffe-
ment est moindre, la semi-voyelle ne se distinguant plus guère dans ce
cas de la voyelle que par le caractère de sa striction.
Cette striction n'est originellement que le défilé articulatoire dela

;
voyelle, mais la force articulatoire est beaucoup plus grande que dans la
voyelle la striction se resserre progressivement jusqu'à une clausion sans
appui ; puis, sans aucune période de tenue de cette barrière clausive, la
déplosion se fait non pas progressivement comme pour la striction des
consonnes strictives, mais avec la brusquerie d'une déclausion.
Le français possède trois semi-voyelles, correspondant respectivement
auxvoyelles [m], [u], [i :].
XLIV. — [w]
XLVI. -[II]
XLVI. -
y] [
Néanmoins, dans ce parler même, il peut y avoir une différence de longueur :
faim, par exemple, étant plus longs, et dans certaines bouches plus ouverts, que pin
pain el
et fin. Cette différence est toutefois assez délicate pour que le sentiment linguistique
s'y soit souvent trompé. Cf. fusiniste, tiré de fusain, sacristine, de sacristain, provigner
de provin (qui devrait s'écrire provain, venant de propaginem) etc.
(1) D'ailleurs souvent remplacée dans la parlure vulgaire par [ë],
CHAPITKE III

LA MUE

SOMMAIRE

157. Définition de la mue. - 158. Caractères distinctes de la mue et de la


flexion. — 109. L'instabilité et l'apophonie. Système de transcription.

157. - Nous avons vu plus haut, § 63, qu'un vocable, caractérisé par
SOIl unité séiniématique, pouvait contenir plusieurs mots
caractérisés cha-
1

cun par un roie taxiématique propre. Par exemple, le vocable beau com-

; ;
prendquatre mots ayant chacun un rôle fonctionnel spécial, à savoir
1" heau, bel ; 2° belle 3° beaux 40 belles.
:
Mais, à l'intérieur de notre vocable beau, nous voyons chacun des mots
re\èlirplusieurs aspects phonétiques. Le premier se montre sous la forme
de la suite phonétique [b 6 :] è
ou de la suite phonétique [b 1], différence
la même graphie, revêtent cependant aussi des aspects différents :
cpie marque la graphie elle-même. Les trois autres, quoiqu'ayant toujours
belle
est la represenlalion graphique des suites phonétiques [b è 1] et [b è 1 de]-,-
beaux est la représentation graphique des suites phonétiques [b 6 :] et
[h 6 : z] ; belles est la représentation graphique des suites phonétiques
1
lh è11, [b è 1 Ù'], [b è 1 zj, [bè œz]. Nous donnons le nom de mue au
phénomène d'alternance en vertu duquel un mot se présente sous l'as-
l'H-ctdeplusieurs suites phonétiques différentes, et le nom de muànces
à ces suites phonétiques elles-mêmes.

158. — La mue est un phénomène grammatical nettement différent de


la flexion.
En effet, la flexion a en elle-même une signification taxiématique. Dans.
la mue,
au contraire, ce n'est pas la différence phonétique entre les muan-
ces qui a par elle-même une signification taxiématique ; c'est, ainsi qu'il
sera précisé plus loin, la liberté ou la non-liberté d'emploi des différentes.
IIlllances dans une situation phrastique donnée.

159.
- :
Au point de vue de son substratum phonétique, la mue com-

:;
prend deux ordres de phénomènes
d°ux sont des alternances
1
l'instabilité et apophonie Toutes
l'instabilité fait alterner un phonème ou un
groupe de phonèmes avec zéro l'apophonie fait alterner un phonème ou
un groupe de phonèmes avec un autre phonème (1) ou un autre groupe
de phonèmes. Lorsque nous aurons à
transcrire phonétiquement un mot
:
comportant mue, nous nous astreindrons aux conventions suivantes
Le système sujet à mue sera enfermé dans une parenthèse s'il ;
nème instable. Venu, par exemple, se transcrira :
s'agit d'une instabilité, la parenthèse n'enfermera que la notation du pho-
[v (de) n u], ce qui

transcrira :
implique les deux muances [v œ n u] et [v n u] ; la, article féminin, se
[1 (à)], ce qui implique les deux muances [là] et [1].
Si, au contraire, il s'agit d'une apophonie, la parenthèse enfermera les
deux termes de l'alternance séparés par une barre oblique. Bon, par
exemple, se transcrira [b (ô :/0 n)], ce qui implique les deux muances
[bô :] etbôn].
Ce système de transcription permet d'indiquer lesdifférentes solidari-

:
tés phonétiques que comporte la mue dans ses détails, par exemple, trop
s'écrit [t r (6/6 (p))] ce qui implique les trois muances [t r 6], [t r ô] et
[trop]. Ce — cet, masculin singulier de l'article communément dit dé-
monstratif se transcriéa : [s ( (œ) (è) t)], ce qui implique les quatre

:
muances [s], [s œ], [sè t],
[s t]. Cette, féminin du même article, se
transcrira [s (è) t (œ)] ce qui implique les quatre muances [s t], [sè t],
[s t œ], [s è t de].

(1)
nord-est [n6 :r(è :
L'alternance peut se faire entre deux voyelles ne différant que par la duison, ex.
s t/è :].
:
CHAPITRE IV

APERÇU SUR LA MÉLODIE ET LA CADENCE

SOMMAIKG

160. Distinction entre la mélodie et la cadence. - 161. La mélodie. —


162. La rhèse. — 163. Les rangs de persistance des voyelles. La

-
164. L'ictus exosémantique. — 165. L'ictus endosémantique. - caducité. —
166. L'ictus
roi. 167. Effets phonétiques accessoires de l'ictus.

- -
168. Expression graphique de la mélodie et de la cadence.
pausaux. 170. Signes mélodiques. 171. Trait d'union.
- S69. Signes

160. -
L'accentuation telle qu'on l'entend actuellement comprend des
phénomènes tout à fait différents, comme le dit Stanislas Gu-Yl\rd (1) :

« mélodie du mot
« gale
;
« Le ton plus ou moins aigu qui accompagne les voyelles

;
constitue la
la quantité en est traduite par les notes de durée iné-
les ictus enfin correspondent aux temps forts de la mesure. »
Il faut donc distinguer la mélodie qui concerne la hauteur respective
dos sons successifs de la phrase et la cadence qui concerne la force respec-
tive des voyelles, dont certaines sont frappées d'un accent de pure inten-
sité appelé ictus.
Nous donnons aux voyelles frappées d'un ictus le nom de voyelles
plectiques.
161. -L'étude de la mélodie, qui est extrêmement difficile, et sur
laquelle nous ne donnerons qu'occasionnellement des indications de dé-
tail, mériterait d'être reprise en son entier et nécessiterait un long.traité.

;
Nous nous contenterons d'indiquer ici le rôle éminent que joue la mélodie
dans le sémantisme des phrases parlées c'est elle qui est chargée de mettre

;
de l'affectivité dans les phrases construites en apparence de la façon la
plus purement rationnelle c'est elle qui permet de donner sans équivo-

bles à des affirmatives ;


que un sens interrogatif à des phrases par ailleurs absolument sembla-
c'est elle, qui, en impliquant des sentiments di-
vers, àrrive à donner à des mots banaux des sens très différenciés (1) ;
c'est elle qui permet d'atténuer la rudesse des reproches, ou inversement,

(1)
Stanislas Guyard. Une particularité de l'accentuation française dans Mémoires de
a société Linguistique de Paris, Tome IV, p. 31
l
(1) Le vocable bien
en est un exemple particulièrement topique.
de transformer en impertinence une formule de ;
politesse
«
c'est elle qui
insinue le doute dans un tour affirmatif ; c'est elle qui assure à notre
langue parlée sa prééminence sur notre imparfaite notation graphique. Il
est à peine besoin de faire remarquer que les langues qui utilisent déjà
la mélodie pour la différenciation sémiématique des vocables sont privées
d'une ressource sémantique précieuse.
Nous ne saurions donc prétendre faire ici de la mélodie aucune étude,
fût-ce une simple esquisse. Nous allons au contraire fixer en quelques
mots les points essentiels de l'étude de la cadence.
162. — L'unité de cadence s'appelle la rhèse. C'est un groupement
z

;
formé d'ordinaire par un factif ou un substantif accompagnés de leurs
compléments les plus proches mais si, comme nous le verrons ultérieu-
rement dans le détail, certains compléments se voient obligatoirement
englobés dans la rhèse de leur réceptacle, certains autres peuvent, selon

:
les nécessités phonétiques ou sémantiques du débit, tantôt y être compris,
tantôt en être exclus. On peut dire par exemple J'ai parlé 1 au roi, en
deux rhèses, ou : j'ai parlé au roi en une seule rhèse.
La place et la force de l'ictus qui caractérise la rhèse sont déterminées
par des conditions de cadence intéressant les divers mots de la rhèse.
C'est seulement à ce point de vue que le mot peut être envisagé comme
élément de cadence, sans que pourtant il constitue aucunement dans la
chaîne de la langue parlée une unité réelle à cet égard.
-
163. Les voyelles d'un mot, même lorsqu'elles sont stables, n'ont
pas la même persistance, ni dans le débit rapide et négligé quant à la
:
parole, ni à l'éloignement quant à l'audition. La persistance obéit à des
lois simples les lois de caducité, qu'il nous semble que l'on peut formu-
:
ler ainsi
; ; ;
La voyelle la plus persistante est la dernière voyelle stable du mot elle
:se nomme la finale ex. : u dans confiture on dans écouvillon.
,

;
Le second rang de persistance appartient, dans le mot, à la première
voyelle stable qui suive une consonne nous l'appelons l'initiale, ex. : on
dans confiture, ou dans écouvillon.
Lesrangs suivants sont distribués aux voyelles en les comptant à par-
tir de la finale sous réserve de la constante alternance d'un temps fort et
..d'un temps faible.
N'interviennent pas dans la détermination des rangs supérieurs de per-
sistance les voyelles ayant une cause de particulière caducité. Ces voyelles

;
sont, par ordre de caducité décroissante (c'est-à-dire de persistance crois-
sante) : l'instable post-finale, ex. : e dans confiture la voyelle résultant

;
de la transformation prosodique d'une semi-voyelle du parler courant,
.ex. : i de nation la voyelle instable non post-finale, ex. : e dans canevas
la voyelle fermée premier élément d'un hiatus, ex. : é dans aléatoire, et
;
,enfin,la voyelle préinitiale, par ex. : &dans écouvillon, ex. :

— Coutez-moi bien, voire un peu.


(Courlcline Le Trainde 8 Il. h7. Il. 4).
En outre, pour des raisons déjà plus sémantiques, sont frappées égale-
ment d'une particulière caducité les voyelles des articles, des substantifs
strumentaux agglutinatifs soutiens du verbe, et la voyelle [è] de la locu-
tion c'est, ex :
Hquoi êtes-vous à Bar-le-Duc ? z'êtes frais tous lesdeux. jolis, oui.
^Courteline.Le Train de 8Il. 1*7. II. 9) </i).

Une persistance d'un plus haut degré que celle indiquée par la loi
générale est au contraire acquise aux voyelles soutiens indispensables de
consonnes, ainsi qu'aux longues. Ces voyelles ayant des causes de parti-
culière persistance prennent rang après la finale et l'initiale.
Ces lois permettent de placer, dans tout mot, au dessus de chaque
voyelle, un chiffre indiquant son rang de persistance. On constatera alors
très facilement que la défiguration minima s'obtient, si l'on veut sup-
primer l'une des voyelles, en supprimant celle à laquelle on a assigné le
plus petit rang de persistance, et ainsi de suite en remontant de rang en
rang. Le mot mademoiselle nous fournit un excellent exemple. Les rangs
:
[M
2431
à
5
s'y répartissent ainsi

d(œ) mwàzèl(œ)].
La forme [màddemwàzèlœ] existe dans les chansons, ex. :

Bonjour, Mademoiselle.
Comment vous portez-vous ?
(Je riai pas vu mon amant, chanson populaire).
L' [(œ)] final remplit là.un temps faible de la musique.
La forme [màddemwàzel] peut se rencontrer dans le parler sou-
tenu. Les chansons la connaissent aussi :
— Mademoisell' je parle à vous.
— Ma mère ma mèr' que voulez-vous ?
à marier, chanson populaire).
(J'ai tantdefilV
La forme [m àd àzè1]
mw est la forme habituelle du français nor-
mal. Elle se rencontre aussi dans certaines chansons, ex. :

Qu'on le' porte à Paris,


ChezMad'moiseU' Julie.
(Je mesuisengagé, chanson populaire).
Elle est réductible à [màmwàzèl], forme équivalente au point de
vue qui nous intéresse, ex. :

(1) ? :
Il semble bien que les nombreuses « ellipses qui se montrent dans une phrase
comme la suivante soient surtout des faits de caducité
Josselin.
— Au hasard ? Pas à moi qu'il faut dire ça. Alors, univers ? fait par
™°n,Dieu l
hasard ? Etoiles, soleil, quadrupèdes, hasard ? Harmonies de la nature, hasard ?
(J. Romains. M. Le Trouhadec saisi par la débauche. 111. 5).
Cet arrêt du conseil d'en haut
Que vous apporta Guénégaut,
Qu'en avez-vous fait, mamoiselle
Grosse tête et peu de cervelle ?
(Saint-Julien. Courriersde laFronde. T. I, p. 21).
Cette dernière forme nous semble très rarement employée de nos jours.
Nous ne l'avons entendue que comme hypocoristique.
La forme [m à m z è 1] est très fréquente dans le parler familier c'est
:
;
encore aux chansons qu'il faut demander des exemples écrits
loup mangea son âne,
Le
Pauvre mam'zell' Marianne.
(L'dne, chanson populaire, apud A. France. La vie littéraire. T. IV, p. 98).

Sur une variante avec assimilation [m à n z èl], v. infra, § 420.


Enfin la forme [m z è 1] s'entend dans la conversation courante et fami-
lière, ex. :

-(P.Oui.m'selle.
Vous savez bien à quoi vous vous engagez, lui demanda-l-elle
B. Les débats de Liane, dans l'Echo de Paris du 23 novembre 1924,
?

p1,
col.3).
Tout vocable composé dont la composition n'est plus sentie obéit aux
mêmes lois, ex. : maréchal des logis.
2 5 3 6 4
àrécà1dé:1ôji:].
1

[m
L' [é :], quoique long, a une particulière caducité du fait du caractère
proclitique de l'article des. Le vocable est réductible à :

,
[m à r é c à 116 j i :], abréviation fréquente
[m àrcàllôj i :], qui s'entend ; ;
[m à r c à 1 j i :], qui est possible
j
et [m à r i :] (margis), abréviation classique.
;
Il importe de ne pas confondre les abréviations naturelles, obéissant aux
règles de la caducité, avec les abréviations volontaires par troncature, du
début ou de la fin du mot, par exemple l'abréviation naturelle
[k à p t è : n], d'où provient l'anglais captain, et l'abréviation volontaire
pitaine, du jargon des polytechniciens. Cf. aussi, comme abréviation in-
tentionnelle :
Cipal!. Cipal !. Hein ? Cipal!.
(A. France. Crainquebille. Tableau II, se. 2).
164. — Le mot est susceptible de recevoir deux ictus l'ictus exosé.
mantique et l'ictus endosémantique.
:
L'ictus exosémantique, qui est, dans le cas le plus général, le plus fort,
tombe sur la finale, et répond à ce qu'on appelle communément « l'ac-
cent tonique » du mot, ex. :

Trez 1 fit une voix douce, un peu nasale.


(Marcel Prévost. L'automned'unefemme, Modernbibliothèquc. p. 7).

L'ictus exosémantique individualise le mot par rapport à ses voisins.


Il donne au sémième son indépendance par rapport aux sémièmes voisins.

165. — Mais ce qui confère, au sémième sa plénitude sémiématique,


c'estl'ictus endosémantique. Cet ictus tombe, selon nous, surl'initiale(1).
Néanmoins, M. Marouzeau (2) distingue dans les mots débutant par
une voyelle deux modes de cadence endosémantique ; un mode intellec-
tuel, dans lequel l'ictus endosémantique atteint la préinitiale, et un mode
affectif dans lequel il atteint l'initiale. Il nous semble y avoir là une très
précieuse indication pour des travaux plus approfondis.
Ce mode intellectuel de cadence est particulièrement apparent dans les
cas où l'on doit distinguer deux termes comme la Syrie etd'Assyrie. Dans
l'Assyrie, l' [à] initial prenant l'ictus endosémantique intellectuel, l'ordre
de persistance devient 23 1, par opposition à 3 2 1 dans la Syrie, mais,
en outre, il y a sur cet [à] initial une élévation mélodique. C'est à côté de
ces faits d'ictus intellectuel du début du mot qu'il faut ranger ceux dans
lesquels la préinitiale porte un ictus parce qu'appartenant à un préfixe
vivant auquel l'initiale n'appartient pas. Dans ce cas, l'ictus du début
prend un caractère tellement intellectuel qu'il sert en somme à détacher
le préfixe qui constitue en quelque sorte un mot à part ayant pour sé-
mième le pexième propre du préfixe, ex. : l'immoralité s'opposant à la
moralité.

de cadence endosémantique aboutissent au même résultat :


En ce qui concerne les mots débutant par une consonne, les deux modes
ces mots,
«dans la mesure où ils doivent être énoncés avec insistance, quelque va-
« leur qu'on leur attribue, affective ou intellectuelle, reçoivent toujours

« l'accent sur la syllabe initiale (3). »

De même que l'ictus exosémantique se perd quand le mot est englobé


dans une rhèse où l'on ne cherche pas à l'isoler volontairement, de même
l'ictus endosémantique se perd quand le mot déchoit de son sémième plein.
Par exemple, le mot justement
2 3 t
[j u m a : (t)]
s t de
Sc prononce en général avec toutes ses voyelles quand il signifie d'une

(1) Latrop fréquente confusion entre l'ictus endosémantique et l'ictus exosémantique


nrnene beaucoup de personnes, dont M. Meyer-Lübke (Grammaire des Langues roma-
r

nes, lome I, § 609) à dire
la flnale.Cette assertionque « l'accent tonique » français a tendance à ne plus être
euue de Philoloaie francaise. contraire à la vérité a été très bien réfutée par M. Roudet
tome XXI. PP. 297 sera.).
(2) J. Marouzeau. Langage affectif et langage intellectuel, dans le Journal de Psycho-
logie
normale et natholoaiaue. XX* année. No 6. nn. 672 son
----.--, -.
-' -1 &-1('- ---
-, pp. - - - - q --
(à) Marouteau.
Loc.eit.,p.676.
manière juste. Mais quand, perdant sa plénitude sémiématique, il prend
le sens deprécisément, par coïncidence, etc. rictus endosémantique dis.
paraît, l'ordre de persistance devient 3 2 1, et les formes [j s t de m 5 1
et [j t de m a :] peuvent apparaître.
De même, naturellement, dans le sens particulier de ainsi que vous vous
y attendez, peut prendre la forme [tu r è 1 mà :],
et seulement, dans le
sens particulier de mais, mais voilà, peut prendre la forme [s m a : ], Ceci
par disparition respective des ictus endosémantiques des syllabes [n a et
[s œ].

166. — De même que l'initialè ne reçoit l'ictus endosémantique que


lorsque des raisons sémantiques l'exigent (ainsi qu'il vient d'être dit), de
même l'ictus exosémantique est, comme tel, un ictus virtuel, c'est-à-dire
que la finale ne le reçoit en réalité que quand elle est finale de rhèse. Quand
le mot se fond dans l'ensemble d'une rhèse dont on ne fait pas ressortir
les parties, son ictus exosémantique disparaît, la finale perd ses propriétés
particulières, et la rhèse s'organise, au point de vue cadence, comme s'or-
ganiserait un mot unique. C'est ainsi que, comme le fait remarquer Sta.
nislas Guyard (1), j'ai parlé au roi se gradue alors :
4253 1
[jépàr1éô:r â] w
-enune seule rhèse.
Dans la rhèse, il n'y a donc qu'un seul ictus exosémantique effectif, l'ic-
tus roi. Cet ictus tombe en règle sur la dernière voyelle stable de la rhèse
à quelque mot qu'elle appartienne, fût-ce au point de vue logique, le plus
infime des compléments. Il faut d'ailleurs noter que certaines instables ont
acquis, dans le français d'aujourd'hui, la propriété d'entrer constamment
en exercice et de porter l'ictus roi quand elles sont finales de rhèse. Ce
sont celles des monosyllabes (2) le et ce, ex. :
Pour ce, madame la marquise,
il
Dès qu'à la ville fera noir,
De par le roisera requise
De venir en notre manoir.
(Mussel. Madame la marquise. Poésies nouvelles, p. 100).
Il est superbe, cet enfant-là!. Mettez-le à terre, je vous prie.
(Courteline. Coco, Coco et Tolo. Le petit malade, p. 49).
Cf. §185.

(1)St.Guyard.Loc.cit.,p.35.
Peut-être est-ce à une semblable construction qu'il faut attribuer la forme
(2) gié
qu'on trouve en vieux français pour je dans l'interrogation, ex. :
,.',;:
Florsd'aiglentieretlisetrose ,

En qui li filz Dieu se repose,


Queferai-gié?
(Rutebeuf. Le Miracle de Théophile. 560. Œuvres, t. II, p. 258).
t
Dans le parler de nos jours, il semble d'ailleurs que, sporadiquement, le je de 1a
tournure interrogative par inversion puisse attirer à lui l'ictus roi, et il est vroise"1*
En somme, l'ictus roi atteint en règle une finale, c'est-à-dire un lieu pos-
sible d'ictus exosémanlique. On peut donc considérer que l'ictus exosé-
inanlique a pour caractère de pouvoir devenir ictus roi. Il peut aussi jouer.
dans les vers, le
rôle d'accent accessoire, mais l'on peut soutenir que, dans
cas, il y a dissociation en deux rhèses de la rhèse unique quise montre-
ce
rait en prose.
De ce qui vient d'être dit, il ressort que dans la chaîne parlée, il n'y a
pas de véritable séparation entre les mots, les ictus endosémaiitiques et
exosémantiques qui caractérisent ces mots n'apparaissant pas constam-
ment, mais seulement pour des raisons sémantiques. Il peut dès lors ne
restercomme signe du mot, d'après l'abbé Housselot, que la particulière
intensité des consonnes finales par rapport aux consonnes médianes.

167. — L'ictus, quand il survient effeclivcment. a des effets phonétiques


sur la rhèse et, en particulier, sur la voyelle qu'il touche. Les syllabes
composantes de la rlièse sont, comme l'a remarqué excellemment Stanislas
Guyard(1), prononcées d'autant plus vite qu'elles sont plus nombreuses,
de telle sorte que la rïièse forme en quelque sorte une mesure musicale
qui finiraitsur le temps fort. D'ailleurs, dans cette mesure, les voyelles ne
perdent pas leurs caractères de duison, caractères qui, comme nous l'avons
dit et comme nous le précisons ultérieurement, ne sont pas uniquement
des caractères de durée.
Quant àla voyelle frappée de l'ictus, elle a une tendance à se prononcer
surune note plus haute et à durer plus longtemps. Ces modifications sont
d'ailleurs accessoires peir rapport à l'intensité. Une voyelle sous l'ictus est
toujours intense, mais les modifications de hauteur et de durée que l'ictus
tendrait à lui faire subir peuvent être contrariées par le ton de phrase. En
particulier, la paused'achèvement de la phrase, sans faire bouger l'intensité,
fait reculer l'élévation de tonalité jusqu'à la syllabe précédant l'ictus roi,
car dans une phrase noninterrogative, la voix ne peut rester en suspens
sur une proposition musicale inachevée.

168. —Commeil ressort de tout ce qui a été dit jusqu'ici, la pensée s'ex-
prime oralement au moyen de la succession des individus phonétiques, de
la cadence, des
paugeS et de la mélodie.
Les moyens dont dispose actuellement la langue écrite pour représenter
graphiquement ces ressources de la langue orale sont extrêmement impar-
tis. Ce sont les lettres, la séparation des mois, les signes dits Je ponctua-
liou etl'alinéa.
kn ce qui concerne les lettres, leur principal
usage est d'indiquer par
jeuisuccession, dVilleursd'une manière
assez imprécise, la succession des
Individus phonétiques Mais il la
est certain que différencedemajuscule
nliullscule etladifférencedes œils peut prendre
à
une valeur d'expression.
<],!
que ce phénomène, s'il se généralisait, préserverait ce tour interrogatif de la
luJequi ie
ladans
0,'rSt.
menacé.
«recarda-la»v.infra.
(1) Guyard.Loc.cit.,p.34.
Les signes de ponctuation ont tous, en tant qu'ils terminent des frag
ments de phrases, une valeur à la fois mélodique et pausale ; mais Uss.
laissent néanmoins ranger en deux classes, l'une mélodique, l'autre pan
sale, selon leurs fonctions principales.
169.
1

— Les signes de ponctuation pausaux sont


La virgule, lepoint-et-virgule et le point.
:
En gros, on peut distinguer en français trois ordres de pauses
Les pauses finales des phrases, ou grandes pauses, marquées d'ordi.
:
naire par le point ;
Les petites pauses oupausules, marquées d'ordinaire par la virgule;
Et les très petites pauses (pausettes) pour lesquelles la graphie actuelle
ne dispose malheureusement d'aucun signe de ponctuation, encore quele
besoin s'en fasse à chaque instant sentir.
La gamme des durées des pauses est en réalité indéfinie, et d'autre part
les usages de ponctuation ont varié beaucoup suivant les époques et varient
beaucoup plus que tous les autres usages linguistiques suivantles individus
même les plus cultivés.Cest ce qui rend très difficile l'énoncé des lois
scientifiques sur la ponctuation.
Le point-et-virgule a deux usages. D'une part, on l'emploie pour exprimer
une grande pause, à la place du point, dans des cas assez mal déterminés.
mais dans lesquels on ne veut pas mettre une trop grande séparation lo-
gique entre les deux phrases, ex. :
;
L'avoine et le blé jaunirent avant d'avoir atteint leur croissance le soleil inces-
sant brûla l'herbe et les regains de trèfle.
(Louis Hémon. Maria Chapdelaine. VII, p. 107).
IJ'autrepart, on l'emploie pour exprimer une petite pause, quand le
texte étant déjà haché de virgules, l'on veut indiquer le début d'un nou-
veau segment de phrase qui, lui aussi, comportera des virgules la petite
pause est alors certainement moins petite que les pauses voisines marquées
,
par des virgules, ex. :
:
Des recherches de Bunge, rapportées par Leenhardt, il résulte en effet que la
• ganisme à l'état adulte ;
quantité de fer contenue chez le fœtus est supérieure à celle que renferme l'or-
que cette quantité décroît ainsi progressivement, au
fur et à mesure que l'animal se développe, jusqu'à un taux à peu près constant;
que le nouveau-né semble naître par conséquent avec une réserve de fer, destinée
à subvenir aux besoins de son organisme jusqu'à ce qu'il puisse trouver dans les
aliments la quantité de fer qui lui est nécessaire.
(E. Terrien. Précis d'alimentation des nourrissons,II,
I, p. 415).
le
Un cas intermédiaire dans lequel point-et-virgule est très légitimement
employé, encore que la virgule y soit plus fréquente, c'est le cas où deux
propositions sont unies par une conjonction dite de coordination, de sorte

:
qu'il est difficile de juger, du moins a priori, s'il y a là une phrase [lvec
sous-phrase, ou tout simplement deux phrases, exemple

ments sur cet homme ;


Je voulus, en ma qualité déjugédinstruction, prendre quelquesrenseigne*
mais il me fut impossible de rien apprendre.
(Guy de Maupassant. La main. Contes du jour et de la nuit, p. 203).
170. — Les signes mélodiques sont :
points de suspension
liret.
;
Les deux points, le point d'interrogation, le point d'exclamation, les
les guillemets, les parenthèses, les crochets et le

Les deux points ont été pendant longtemps un signe pausal, mais ils
ont dépouillé ce caractère au
point qu'on les rencontre maintenant à des
endroits où il n'y a que pausette aussi bien qu'à des pausules, à des gran-
des
panses, et même à des alinéas. La fonction des deux points est actuel-
lement de précéder soit 1111 énoncé, soit une explication.
Les points d'exclamation et d'interrogation peuvent également repré-
senter des pauses des durées les plus diverses, encore que souvent l'on se
croie obligé de les rejeter à la fin de la phrase, oÙ ils se trouvent alors
au bout
d'une glose qui n'a plus rien d'exclamatifou d'interrogatif.
Les points de suspension marquent l'interruption de la phrase avant sa
terminaison logique. Si la phrase ne reprend pas, c'est que le sujet parlant
a
été interrompu par une autre personne, ou bien qu'il a laissé sa pensée
en suspens.
Si, au contraire, elle reprend, c'est que le sujet parlant a hé-
sité ou bien qu'il a voulu suspendre l'intérêt pour faire un effet.
Les guillemets encadrent des paroles attribuées à une autre personne que
celle qui parle, et supposées reproduites textuellement. Ils reproduisent
dans l'écriture une modulation du langage oral. Les guillemets servent
aussi quelquefois, mais moins classiquement, à mettre un mot en vedette;
ils sont alors les succédanés du soulignage, ou de deux pointsprécédant le
mot. Le mot doit alors être, dans la lecture, particulièrement détaché, pro-
noncé sur un ton élevé et constituer en somme à lui seul une rhèse.
Les parenthèses servent à encadrer les gloses quand celles-ci apparais-
sent comme trop en dehors du courant général de la pensée pour pouvoir
être encadrées par de simples virgules. Le membre de phrase inclus dans
la parenthèse se prononce alors en général sur une mélopée à intervalles
nuls ou minimes, ce qui est le propre des gloses.
Quand des parenthèses devraient se trouver incluses dans d'autres pa-
renthèses, on remplace les parenthèsesenglobantes par des crochets. Les
crochets servent aussi à marquer les passages dont l'autorité est moindre
que celle du reste du texte.
Le tiret a des emplois multiples très mal définis, de sorte que les diffé-
rentsscripteurs s'en servent maintenant de, façon très personnelle pour
combler tant bien que mal les lacunes qu'ils sentent dans le système de
Ponctuation du français. Un usage assez constant du tiret est d'annoncer,
dans le dialogue, qu'un nouvel interlocuteur prend la parole. Deux tirets
semploient également assez souvent dansla langue écritede nos jours avec
une valeur voisine des parenthèses.

171 trait d'union a une place assez particulière en ce qu'il sert à


— Le
reunir plusieurs mots
en un seul, c'est-à-dire à supprimer les ictus exosé-
rnaHlÎque propres des mots constituants, en ne conservant que l'ictus exosé-
rnanlique du dernier mot, ictus devenu celui du nouvel ensemble.
CHAPITRE V
-

LES ÉTATS SECONDS DES INDIVIDUS PHONÉTIQUES

>"
1
SOMMAIRE

172. Rencontre des consonnes. Le sévrement et la jointure. — 173. Rôle, de


la mue. — 174. Lois de rencontre des consonnes. Loi I. — 175. Loi II.
176. Loi III. — 177. Loi IV. — 178. Loi V. — 179. Loi VI. — 180. Loi m.
-
VIII. — 182. Remarques sur les groupes de strictives. — 183. Les
— 181. Loiterminales.
consonnes
18k. influence de L'lctus
- sur les voyelles
-- brusques. — 185.- - Influence
- de
l'ictus sur les voyelles tendres. — 186. Influence de la couverture sur les
voyelles plectiques. — 187. Influence de la cadence sur le timbre des voyelles.
— 188. Influence des voyelles sur les consonnes. — 189. Influence des
voyelles sur les voyelles.
190. Restrictions touchant l'usage des semi-voyelles. — 191. Influence des
voyelles sur les semi-voyelles. — 192. Tendance à l'épenthèse d'un [v].

172. —
Nous avons vu au § 138queles individus phonétiques étaient sus-
ceptibles de se présenter, dans le déroulement de la langue parlée, sons
des états seconds. Les conditions qui régissent l'apparition des divers états
seconds d'un même individu phonétique sont différents pourles consonnes
etpourlesvoyelles. Nous étudierons d'abord les groupes ne comportant
que des consonnes.
Le contact des consonnes peuts'opérer de deux façons :
sans empiétement :
Ou bien la première des consonnes est articulée complètement, en état
premier, la seconde ne commençant qu'après que la première est terminée,
ce mode de contact, qui comporte toujours une panse,
au moins virtuelle, entre les deux individus phonétiques, s'appelle le
sévrement (1).
Ou bien l'articulation des deux consonnes s'engrène, chacune d'entre
elles prenant un état second spécial : ce mode de contact s'appelle la join-
ture.
173.— La mue crée des conditions de rencontre en ce que deux indi-
vidus phonétiques, qui, dans une muance, sont séparés l'un de l'autre par
un troisième individu phonétique, vont se trouver, dans une autre muance,
mis en contact du fait de la disparition de ce troisième individu. Exemple:
pelé [p de 1 é] et [p 1 é].

(1) C'est ce que les grammairiens hindous dénomment sphotana (Voy. J. Kii*le-
Etudes sur les Prâtisâkhjàs, in Mémoires de la Société dé Linguistique de Paris, tollo
V,pp.100sqq.).
Il importe d'ailleurs de remarquer que, dans la pailire bourgeoise, au
moins quand il s'agit de conversations un tant soit peu soutenues, telles
qu'une
discussion sur un sujet sérieux, la place du phonème instable est tou-
jours marquée,
même dans la muance où il manque, parle fait que les con-
sonnes sont en sévrement et non en jointure. Cf. haquenée [à k 1 né et :]
acné [à k néj. C'est l'existence, de ce sévrement qui fait que, dans la décla-
mation, haquenée donne sans équivoque l'impression de trois pieds même
si l' [(œ)] instable n'entre pas en exercice (i). Aussi faut-il mettre les réci-
tants en garde contre le préjugé d'après lequel les vers ne pourraient être
déclamés justement qu'à condition de faire entrer en exercice les [de] ins-
tables intérieurs.
Dans la parlure vulgaire, au contraire de ce qui se passe dans la parlure
normale, les consonnes entrent la plupart du temps en jointure, même
dans le cas où elles sont virtuellement séparées par la place d'un phonème
instable non prononcé, [K t] dans becqueter se prononce alors de la même
manière que dans acteur (2).

174. - I.-Quand
LOI deux consonnes (1) comportant clausion et
s'arliculant au même lieu entrent en jointure, la prédéclausion et la dé-
clausion de la première disparaissent, de sorte que la clausion du second
se trouve toute faite.
Ceci s'applique d'abord au redoublement des clausives, une clausive
redoublée se trouvant en somme surtout une clausive allongée.
Ceci s'applique encore à toutes les consonnes comportant clausion et
de même lieu, quand la première comporte plus d'éléments phonétiques
que la seconde, comme [g k], [n t] [1 d], etc. ex. soldat.
Enfin ceci s'applique encore au redoublement des laryngo-clausives et des
nasilluentes. Néanmoins, selon la
remarque de M. Sievers, quand les laryn-
il
goclausives se redoublent, peut y avoir, vers le milieu de l'articulation,
une interruption de la glottaison, [d d], par exemple, devenant [dl d].
Dans la parlure vulgaire, le même groupe aboutit quelquefois à une dis-
similatiou, ex. :
Attention là-nedans ; moi, j'ai les rognons démolis,
(G. Duhamel. La Vie des Martyrs. Mémorial, p.89).
Tiens, une tite boite gentille, on va taper là-nedans.
(R.Benjamin, Gaspard, p. 63).
Là-nedans, l'plaisir, c'est d'embêter les gens.
(Ibid, p. 65).'

(1) Rousselot. Principes de Phonétiaue expérimentale. tome II, P. 981.


(2) C'est
e1 sons plébéien »
ce qui autorise la graphie becter que l'on rencontre souvent pour traduire
de « manger donné au verbe becqueter. C'est aussi probablement la
"rcG de la conjugaison je becte au lieu de je becquette. Il faut remarquer que
ï'fc*al

/ila k
gUru
premier du [t], tel qu'on le rencontre dans banqueter [b à : kit é], haquenée
nê.:] a un lieu de clausion beaucoup plus en arrière que l'état second qui
dans acteur [à k t de r], acné [h k n é].
J(§ 174, 1). Dans l'exposé de cette loi et dans les énoncés suivants, les semi-voyelles ne
d lvenl
pas être comptées parmi les consonnes.
175. — LOIIL — Quand une consonne comportant dausion précède
une autre consonne comportant clausion de même lieu, mais plus riehc
qu'elle en éléments phonétiques, il y a, au moment de l'entrée en jeu de
la seconde consonne, une brusque émission trachéale d'air, suffisante pou,,
la constitution de cette consonne.
Cette loi s'applique d'abord au cas d'une clausive suivie d'une laryng0.
clausive de même lieu. La déclausion de la clausive etl'entrés en clausiou
propre à la laryngoclausive se trouvent supprimées (d'après la LOI ï,
S 174).Il faut pourtant de l'air le
pourprovoquerdans larynx la glottaison.
Aussi sefait ilune brusque reprise d'air à laquelle suffit unpetit effort
contre la barrière de clausion pour forcer la cavité buccale à admettre en
surplus une quantité d'air assez faible, mais suffisant à. faire vibicrle
larynx. L'air continue ensuite à vibrer dans la bouche derrière la barrière
de clausion jusqu'à la déclausion. Ex. [k g], dans un coq gras.
Cette loi s'applique aussi au groupe d'une clausive suivie d'une nasi-

:
fluente. La déclausion de la clausive est alors remplacée par le phénomène
suivant au milieu du groupe, au moment où le voile du palais s'abaisse,
la poussée d'air augmente brusquement, tant vers la bouche où il se fait
une nouvelle pression contre la
barrière declausion que vsrs le nez où il
s'établit un courant d'air beaucoup plus fort qu'au débutcl'tille nasiiluente
en toute autre position. C'est cette brusque poussée d'airt|ui, en ébranlant
très fort le voile du palais à la luette, supplée à la déclausion absente et

prononciation négligée de retenir [rde n :


donne à l'auditeur le sentiment que la seconde consonne commence, ex la
tir] pour [r fe t 1 ni: r].
Ge phénomène a été étudié dès 1876 par Marey et ftosapelly, et des
cette époque, Havet a fait remarquer qu'il avait déjà été noté par les Hin-
dous sous le nom de yama.
Cette loi s'applique enfin, dans des conditions tout à fait analogues, au
groupe formé d'une laryngo-clausive suivie d'une nasiiluente et à celui
formé d'une clausive ou laryngo-clausive dentale suivie de ll]. ex. : Saint-
i
Denis [s ê : d n :], udler [u d 1 è : r].

176. LOI III. Quand deux consonnes comportantclausion se sui-


— —
vent et que le lieu d'articulation de la seconde est situé plus en avant que
celui de la première, la première n'a pas de prédéclausion, et le passage
de la clausion de la première à celle de la seconde se fait par une sorte de
t:
ir
glissement de la langue. Ex. : facture [f à k u r] ; bâcler [b a : k 1 f]
magma [m à g m à] ; admirer [à d m é] ; agglomération [à g 16m é.
r a :s y 5 :] ; bulbaire [b u 1 b è : i-1.
Ferdinand de Saussure (I),
remarquant unedifférence entre la pronon-
ciation de Ctésiphon et celle de facture, explique cette différence par une
différence de syllabalion. Le [k] et le [t] appartiennent dansfac-turc à
deux syllabes distinctes, et dans Ctésiphon à la même syllabe. La différence
auditive très justement signalée par Saussure nous semble s'expliquer par

(1) F. de Saussure. Cours de linguistique générale. Principes de Phonologie, chap. 11,

§3,pp.86sqq.
le fait que dans facture, le [k], appuyé sur la voyelle précédente, et recon-
iiaissable de ce fait dès son implosion, entre facilement en jointure avec le
tandis que dans Clésiphon, l'impression acoustique n'est nette que s'il y
j-jjt
asévrement, d'où une impression de rudesse due à la perception isolée du
bniit de déclausion du [k].
Dans le cas où, deux consonnes comportant clausion se suivant, c'est le
lien d'articulation de la première qui est plus en avant que celui de la
seconde, la jointure n'est pas possible, car l'air articulatoirc de la première
consonne ne peut pas servir à articuler la seconde. Il y a donc toujours sè-
vrcment. Ex. : aptitude [à p 1 t i t u d] (2). 40

177. — LOI IV. — Quand une clausive précède une consonne compor-
tantglottaison, la glottaison débute avant la déclausion de la clausive.
Cette loi s'applique au cas où la seconde consonne est une laryngo-clau-
sive ou une nasifluente de lieu plus reculé que la clausive. Ex. : apnée
là pné :]
avec [p m n].
Elle s'applique aussi au cas où la seconde consonne est une laryngo-
strictive. Ex. avec zèle [à v è k z è : 1], où apparaît une forme [k5z 1.
Le cas de [p 1] n'est pas pleinement élucidé.

178. -
LOI V. — Quand une consonne comportant clausion et glottai-
son précède une consonne sans glottaison, la glottaison se termine avant
la déclausion.
C'est ainsi que [d c], [d s], [b s] sont en somme respectivement :
:
[d'el. ldIS], [bPsj (1). Ex. : Mandchou [m â d c ui] la prononciation ; à
pulsation [p
u 1 sâ s y ô
négligée de médecin [m é d s ê] ; abcès [à b s è :] ; rams [r m s] (2) ;
:
179. — LOI VI. — Quand unelaryngo-clausive précède une nasifluente,
l'établissement dela naso communication se fait avant la déclausion de la
laryngo-clausive.
Un groupe comme rb n] répond donc en somme à [bmn],
[obnubilé].
ex: obnubiler

180. — LOI VII. — Quand une nasifluente précède une consonne non
nasale comportant glottaison, la naso-communication cesse avant la dé-
clausiondelanasifluente.
De pareilsgroupes ne se rencontrent guère en jointure que dans le parler
négligé. C'est à lui que nous empruntons des exemples comme
gueule [unbàngdel]-,un hommedepaille[œ nômddepâ
i ; : une bonne
duchè-
nevis [d u c è n v :] dans lesquels [n g], [m d], [n v] sont en somme res-
::y]
pectivement [ndg], [mbdj, [ndv],
(§176. 2) L'essai de jointure aboutirait fatalement, dans une bouche française, à la
chute de la première
consonne. Cf. ptisane devenu tisane.
(§ 178. 1) Ce qui
Jfindont-ils, et ne veut pas dire qu'ils soient tt c] , [t s] , [p s]. Tout au plus x
l'spara.tt tout àencore l'abbé Rousselot a-t-il montré quand la glottaison du [dj
que,
ta plus fait dans un mot comme médecin, il se distingue encore d'un [t] par
srranda faiblesse de sa clausion. (Loc. cit.. tome Il. DD. 962 saa).
(2) Cf.pour le même vocable, les graphies clamecer,clamser, elampier.
181. laryngo-strictive précède une clause

; — LOI VIII. — Quand une


ou une strictive, la glottaison se termine avant la destriction.
ége canonique
: :
C'est dire qu'en prononciation négligée, les groupes [j k]. [v t], [j s] dans

fv't].Ij°s](0-
la chambre où je suis
[â:jkânènik]
[1 à câ br
vive tendresse [vi v ta :drè s] ;
m j s q i], sont respectivement [j k],

1
182.
— Il est
à'remarquer dans le groupe [c v], contrairement à ce qui

:
se passe dans la plupart des groupes français, c'est la première consonne
qui a tendance à empiéter sur la seconde [c v] dans cheval[c v à 1], cheveu.
(c v oé]sonnecouramment [c'v] etla prononciation [ci v] n'appartientqu'à
Autre remarque :
certaines usances non franciennes. s
Dans le redoublement des laryngo strictives. il peut
arriver, comme dans celui des laryngo-elansives, que la glottaison dispa-
raisse dans le milieu de l'articulation, [z z] répondant alors à [z.z]. Cf. par
la prononciation des gazes
-iexeii-iple àpansement [dég a :zz à p5:smTi;]
-quand on joint les deux [z].
183. — Pour terminer l'étude des états seconds des consonnes, il est
bon de mentionner ce qui concerne les consonnes terminales.
Nous donnons ce nom aux phonèmes consonnantiques qui se trouvent
les derniers phonèmes en exercice d'une muance d'un mot. Ex. le [l] de
[ t]
net nè et de nette [n è t], l' [l] de bal [h à 1] et de balle [b à 1].
Ace point de vue comme à bien d'autres, il est utile de distinguer les
finales en deux ordres comprenant chacun deux sous ordres :

:
Les finales protégées sont celles qui sont suivies d'une ou plusieurs con-
sonnes stables. Elles comprennent les finales couvertes, c'est-à-dire sans
voyelle instable postfinale, et les finales recouvertes, c'est-à-dire avec
voyelle instable posfinale. Par exemple, l'[è]defiel [fyè1] est une finale
couverte; l'[è] de bielle [b y è 1 (de)] est une finale recouverte.

:
Les finales détégées sont celles dans lesquelles il n'y a aucun individu pho-
nétique stable après la finale. Elles comprennent les finales nues,c'esl-à-
dire sans instables postfinales, et les finales découvertes, c'est-à-dire avec
rè]
consonne postfinalc, par exemple, l' [è] defrai[f est une finale nue;
tTè1 depouletlp m 1 è(t)] est une finale découverte.
Ainsi que le montrent nettement les tracés palataux pris par l'abbé Rons-
selot, ainsi d'ailleurs que la simple auscultation attentive de la langue
parlée l'indique déjà, la place d'un [(œ)] instable est toujours marquée, a
la fin d'un mot, même alors qu'iln'est pas en exercice, par le fait que la
consonne terminale a une plus grande force articulatoire. Le [k] de COl/lie
-est nettement plus fort que celui de coq. En effet, le premier, celui

pour sa
:
de ccque, explose dans un [de] chuchoté, car l'émission de l'air continue un
instant après l'explosion le second, au contraire, celui de coq, se sert
déclausion de l'extrême fin du courant d'air, et il n'explose que
dans le tympanond'[de] qui est, comme nous l'avons dit, la position iudif-
j 181 (1) A ce point que, dans la parole très négligée, [j i q i]se réduit à [c Il il-
fcrenciée du phonétisme français. Les consonnes de recouverture sont donc
sensiblement plus fortes que les consonnes do couverture.
Le pénétrant grammairien Du Marsais avait déjà aperçu cette différence,
car il écrit (1):
«

(l
« Les
;
syllabes qui sont terminées par des consonnes sont toujours suivies
d'un son foible, qui est regardé comme unemuet c'est le nom que l'on
donne à l'effetde la dernière ondulition ou du dernier trémoussement
«de l'air sonore, c'est le dernier ébranlement que le nerf auditif reçoit de
« cet
;
air je veux dire que cet e muet foible n'est pas de même nature que
l'e muet excité à dessein, tel que l'e de la fin des mots vu — e, vi — e, et
«
«tels que sont tous les e de nos rimes féminines. Ainsi il y a bien de la dif-
«férence entre le son foible que l'on entend à la fin du mot Alichel, et le
«dernier du mot Michelle, entre bel et belle, entre coq et coque, entre Job
« et
robe, balet balle, cap et cape, Siam et âme, etc. »

sident à la jointure des consonnes :


Nous sommes loin de prétendre avoir épuisé ici l'énoncé des lois qui pré-
mais il
nous semble que ce que nous
en avons dit suffise aux besoins phonétiques d'une grammaire conçue sur-
tout sur un plan sémantique.
184. — La cadence exerce une influence importante sur l'état.des voyel-
les.
Les voyellesbrusques, n'étant susceptibles que d'un seul mode de dui-
son, no subissent cette influence que quant à leur durée. Plecliques, elles

allonger ;
soiftnettement brèves, sauf si lescirconstances de déclamation viennentles
même en ce cas, leur longueur ne les empêchepas de finir brus-
quement, c'est-à-dire de conserver le mode heurté.
Non plectiques, elles semblent avoir une durée d'autant moindre que la
thèse est plus longue et qu'elles sont plus éloignées de la plectique sui-
vante.
185.
,.
— Parmi les voyelles tendres, il lieu de distinguer outre les
y a
voyelles plecliques. les voyelles proplectiques, c'est-à-dire celles qui oc-
cupent la syllabe immédiatement antérieure à la plectique, et les voyelles

:j ;
paraproplectiquesc'est-à-dire les autres voyelles non plecliques ; par
exemple l'[a:] de limande,[l i mâ d est plectique JT6 :] de amirauté

-.
là m i r ô : té] est proplectique ; le premier[a]desentiment [sa: ti m a : j est
paraproplectique.Sousréserve que l'on considère ces mots comme frappés
de leur ictus exosémanlique et de lui seul'. Si un ictus endosémantique
intervient, la voyelle qui le porte devient plectique et la précédente pro-
plectique.
:
Kn ce quiconcerne les plecliques les voyelles tendres finales protégées
sont lilées et très longues. Les voyelles tendres détégées sont tenues et
assez longues. Par exemple, l'[è] de œillère [deyè
chalumeau [c à 1 u m 6:] est tenu (L).
:r]
est filé l'[ô]de ;
§ 183. (1) Du Marsais. Œuvres, tome IV, p. 375, s. v.
Consonne,
.- 1" -
8 ioo. (i).Cependant f
dans la bouche de non nomnre ae rançais, 'IItes voyeiies
'1'1 "'----,---
tenares
détégées suivies d'un e muet graphique sont prononcées sur un mode filé incomplet.
Ex.. : [b
ui :1, boue (mode filé) en regard de [kui :],
coût (mode tenu).
Les voyelles tendres proplectiques nous semblent, acoustisqucment, être
plutôt des tenues que des filées, mais si leur durée est évidemment infé.
rieure à celle des tendres plectiques filées, elle est certainement supérieure
à celle des tendres plectiques tenues, cf. par exemple gâteuse [g à : t cé : z]
et gâteau [g à : t ô :] ; mon père [m ô : p è : r] et mon rang [m ô r à :]. :
Les voyelles tendres paraproplectiques sont tenues et, quoiqu'ordinai-
rement moins brèves que les brusques, notablement plus brèves queles
tendres tant plectiques que proplectiques. Par exemple, l'[è] de le même
chemin [1 de m è : m c de m ê :] est notablement plus court que celui dole
:
même pont [1 de m è : m p Õ :] .L'[Ó] de rose de France [r o z d de fia:si,

ce sens, l'accent endosémanlique ;


au sens de « rose qui vient de France » peut porter, pour mieux préciser
étant alors plectique, il est, comme le
remarque très justement l'abbé Rousselot (2), plus long que 1'[Ó :1 para-
proplectique de rosede France, sorte de mot composé désignant une variété
spéciale de la rose.
186. — Les voyelles françaises ne se rencontrent pas toutes en toute

:;
position. Il est probable que ces restrictions sont dues à deux ordres de
causes il peut exister tout d'abord des impossibilités phonétiques propre-
ment dites mais il peut se trouver aussi que telle voyelle ne se trouve
absente de telle position que parce qu'historiquement, tel groupement
pourtant parfaitement possible pour une bouche française ne s'est pas
trouvé se constituer.
Quoiqu'il en soit, on ne trouve actuellement en français ni [œ] ni [ô] en
à
finale détégée, lexception duseul [de] instable entrant en exercicecomme
plectiqueàlafindelarhèse.Cf.[Pui:rsdemàdàmœlàmàrki:/,|
et[Métélœàtè:rjœvmpri:]S 166.
On ne trouve pas non plusd'[é] en finale protégée. Comme seule excep-
tion, indiquons l'artifice parlequel certaines personnes, dont l'un de nous,
é
distinguentparlerai-je[p à r 1 de r :)]dejeparlerais-je[p à r 1 de r è : j],
alors que la prononciation [p à r 1 de r è : j] est de beaueoup la plus fré-
quente dans les deux cas.
Les trois voyelles fermées [é], [6], [dé ] ne se rencontrent jamais en
finale protégée par un [r] ou un groupe débutant par [r]. Nous ne connais-
sons pas d'exception à cette loi en francien.
Les voyelles brusques ne se rencontrent jamais en finale protégée sous
les couvertures [r], [j], [z], [v] et [v r],
C'est dire qu'en pareille posi-
tion, les voyelles sont toujours tendres, par conséquent, si une voyelle
brusque se trouve par quelque nécessité syntaclique placée dans cette
position, elle prend pour ainsi dire comme état second la voyelle tendre
correspondante, ex. : le [é :] :]
ou le [è de parlerai-je en regard de
l' [é] de je parlerai [j
depà 1de r ré] tandis que le [è :]
de parle-
je
rais
,
est resté tendre, et n'a subi d'autre altération que de passer du
mode tenu au mode filé (cf.S185). Nous dirons donc que, devant les cou-
vertures [r], [j], [z], [v] et [v r]. les voyelles sont serves àla
tendreté.
(2) Rousselot. Principes de Phonétique expérimentale, tome II, p. 999.
*
Les voyelles rhino-tympaniques, les voyelles fennecs (t) et l' [à] non
précédéde [w] sont toujours tendres à la finale protégée. Ces voyelles
reçoivent de ce fait le nom de voyelles empêchées par opposition aux
voyelles désinvoltes qui peuvent à
la finale être soit tendres soit brusques.
Les lois qui régissent la duison des voyelles désinvoltes plectiques sui-
vant la constitution de leurcouverture sont beaucoup plus complexes, et
ilne nous paraît pas utile de les détailler ici. Toutefois, il est important
leur maximum de briéveté qu'en position protégée :
de signaler ce fait général que les voyelles brusques ne peuvent atteindre
l' [à], de pape
[p à p], par exemple, est beaucoup plus bref quecelui de plat [p là].

187. — La cadence, dont nous avons vu l'influence sur la duison des

voyelles vers leur pôle de différenciation maxima :;


voyelles, influe sur leur timbre même. L.'ictus en effet tend à porter les
l' [a] et l' [à] s'éloi-
gnent l'un de l'autre plus qu'en toute autre position les voyelles ouver-
tes ont en général leur maximum d'ouverture (1), les voyelles fermées
leur maximum de fermeture, et les voyelles surfermées sont sujettes à
revêtir, principalement en finale détégée, un état second,ultra-fermé.qui
n'a d'ailleurs pas grand intérêt sémantique et sur lequel nous n'insiste-
rons pas.
En position non plectique au contraire, les voyelles se caractérisent
moins nettement. Ce phénomène est sensible surtout pour les voyelles
ouvertes, qui sont sujettes à prendre alors un état second moins ouvert,
dit état moyen. L' [è] en particulier revêt l'état moyen devant la plupart
des voyelles autres que lui-même. D'ailleurs, les voyelles tendres en posi-
tion non plectique semblent, dans la bouche de beaucoup de personnes,
capables de conserver leur timbre propre mieux que les voyelles brusques.
Nous avons vu que l' [ô] ne pouvait exister à la plectique détégée. Ceci
amène entre [6] et [6] des alternances qui nous intéressent en ce qu'elles
peuvent revêtir un caractère sémantique. Des mots composés comme
:
Indo-Chine [ê do c i n], hydrothorax [idrôtôràks] reprennent
[6] lorsque l'on place sur l' [o] terminal du premier composant un ictus

« Il n'y avait pas seulement hydrothorax [id 6


: tr
:
propre à faire plus consciemment sentir la composition du mot, par ex. :
r
tôraks], mais hy-
dropneumothorax [i d r ô : p n de m ô : 6 à k s]. » Quand de pareils
mots composés se réduisent par abréviation à leur premier composant,
l' [à] devient plectique et se transforme en [6]. Cf. par exemple une
auto [6 t 6 :], une photo [f Õ t 6 :1, en regard de : une automobile
t
[o 6m Õ b 1], i une 'photographie [f ô t o g r à :]. fi
188. -Les voyelles ne sont pas sans exercer une influence sur les
consonnes qui les avoisinent.
On peut dire, d'une manière générale et un peu grossière, que les

§ 186. (1) [é] n'entre pas en ligne de compte parce qu'il n'y a pas d' [é] protégé.
S 187. (1) Sous réserve des conditions particulières imposées la nature de la
par
e'( IHYerlure. Par exemple l' [6 :] de or est moins ouvert que l' [6] de botte.
voyelles ont une tendance à communiquer le caractère glottal àla portion
adjacente des consonnes. Cette influence ne se fait pas sentir pour les
consonnes comportant une clausiojd. Elle est assez sensible dans le cas
où une consonne comportant striction suit la voyelle. Bosse, parexem-
ple, sonnant [b ô z s]. Elle est tout à fait sensible enfin pour les [1] et
les [r], pendant lesquels la tympanisation de la voyelle peut se prolonger
au point que l'on peut dire que, pendant un [r] intervocalique comme
celui de carat [k à rà], l' [à] ne cesse pour ainsi dire pas..
Les rhino-tympaniques ne prolongent en général pas leur naso-comnm-
nication pendant le cours des consonnes. Des prononciations comme mon

y
;
pain [m ô : m p ê :] mon père [m ô : m p è : r] ; mon bien [ m ô : III
i]
b ê :] ; mon prix [ru Õ e p r n'existent que dans l'usance occitaine.
Mais dans les groupes ûù la rhino-tympanique est suivie d'une consonne
clausive ou laryngo-clausive elle-même suivie d'une consonne clausive,
laryngo-clausive, strictive ou laryngo-strîctive, il arrive que, dans la pro-

:
nonciation rapide, la meo-communication empiète sur la consonne subsé-
;
quente, exemple mon petit [m ô : m p t i] un psychologue [cê : m p s-
i k b 15g].

ne précédente une influencecapitale :


La duison de la voyelle exerce sur le mode d'articulation de la conson-
les consonnes qui précèdent les
voyelles tendres se terminent d'une façon beaucoup plus douce que celles
qui précèdent les voyelles brusques. Et même, comme les tendres plecti-
ques détégées, qui sont tenues, ne diffèrent en longueur que très peu des
brusques en même position, c'est le caractère de la consonne qui est alors
le critère le plus pratique pour reconnaître si la voyelle est tendre ou
brusque. Cf. [p] dans peau [p 6 :] et dans pot [p 6].
Hk timbre de la voyelle influe sur le lieu d'articulation des consonnes.
Cette variation locale, à peu près nulle pour [p], à peine sensible pour
[t], est importante pour [k]. En effet, il varie depuis la région vélaire
jusqu'à la région palatale antérieure. Nous allons donner ici l'ordre dans
lequel il nous semble qu'on devrait ranger les voyelles pour avoir un lieu.
d'articulation de plus en plus antérieur :
Pour [t] : [œ] — [6] — [ce] [u] — [ô :J et la :] — [ô] et [IUJ
— [a] — [œ] - [à] — [e :] —
— [è]
Pour [k] : [6], [a :], [Õ) et [m] -- -[i]
- et té].
[à] et [à]
1.
[œ :] — [è], lé :1
et là] — [ce] — [œ] - [i] et [é] — et lu].
Les résultats obtenus par l'abbé Rousselot avec son palais artificiel ne
diffèrent guère de ceux-ci. Il fait remarquer en outre qu'à partir de [à], le
msemouille.
^89- - Les voyelles redoublées se distinguent des voyelles tenues en ce
que, dans les tenues, l'intensité sonore ne s'abaisse ni ne se relève jamais
*

;
que de petites quantités et progressivement, de façon que l'oreille ait le
sentiment d'une approximative constance tandis que, dans les redou-
lMes, l'intensité sonore réaugmente brusquement aprèsavoir beaucoup
diminué.
Deux voyelles de timbre différent se succèdent engénéral par le pro-
cessus qui vient d'être indiqué pour les voyelles redoublées. Néanmoins
Ir" voyellessurfermées lw] et [u] semblent avoir une tendance, surtout
à
: t r b] ; : à
[bui wà à o
: :
quand elles sont tendres, développer entre elles et la voyelle subséquente,
un stade semi-consonnantique, ex. Cl. ta as de la boue à ta robe
et uncoup latête [kui 1 à1à è t :t] (1).
pour la voyelle surfermée [i], il ne s'agit plus d'une tendance, mais.
bel et bien d'une semi-voyelle constituée, et ceci quelle que soit la duison

entre un [i] et une voyelle subséquente. Exemple


piller [p i y é] (2).
:
de l' [i]. C'est une loi de phonétique française que jamais il n'y
i
a
contact
plie.r [p r y é] connue:

Tout i prévocalique dans l'intérieur d'un mot se transforme (sauf le


eus étudié, infra, § 190) en uni [y], exemple : la nation [n a : s yô], pieujp
[pyru :], etc. La prononciation [i y] sera dans ce cas, en dehors des ..-

vers, un occitanisme (3), et, mêmedans la récitation des vers, il est


souvent plus élégant de ne recourir qu'à la semi-voyelle prosodique que
nous avons décrite § 156. De même pour l' [u] etpour l' [UI], exemple r.
une lueur [1 q œ ; r] ; nous tuons [t q ô :] ; je jouais [j w è :] (4).
Le poète apothicaire en a fait sa tisane.
(Tristan Corbière. tes Amours Jaunes. Raccrocs, Le Fils de Lamartine et de
Graziella).
La transformation de l' [i] en [y] se fait souvent aussi pour l' [i] final
des proclitiques, ex. : elle y été [é 1 y àê t é] ; c'est moi quiad pris ton
a
cariif[k7ép ri1](ô).
Dans la prosodie médiévale, on rencontre des exemples de qui est comp-
tant pour un pied. Cf. dans desdécasyllabescoupés 6-4 :
Al jugement le conte quiest de Montfort.
4

(GérarddeRoussillon,p. 289,y.pcnult). ,
Par le Conseil F.olcon qui .est moitsenez.
298,V.6).*
;
p
(Ibidy

190. — Les semi-voyelles françaises ne se rencontrent pas en toute-1


position.
;

(1) Mais ly mauvais couwars,iNPcréans ci JalHs


Doit en entivite avoir depis en pis.

:
(Roman de Flngties Capet, 3. 809).

éI :1.
ô s'entend souvent après [é] et même après [è]..
v5;1au'lieudey[1inlersitiel
flé
12.1 Dans l'usance belge, le

et[pwà t].
exLéon
(a) Andry de Boisregard (Suite des Réflexions critiques
¡U/JUIIC sur l'usage présmt de la
francoise. p. 271). nous apprend qu'il en était ainsi dès son temps (1693).
(4) L'o est quelquefois sujet à la même apophonie. Cf. les prononciations Noël
[n 0 è 1] et fia w t lj. C.aussi les trois prononciations [p ô è : tl.[p w è : t]
(5)
1011
FhuM à
île«ac 4e imi, ce [k] abmrtit mëme souvent un [kl mouillé, mais qui».
que beauomp d'auteurs lereprésentent par le même qu , se distingue en générât.
Les semi-voyelles [w] et [q] ne se rencontrent jamais qu'immédiate.
ment avant une voyelle. C'est dire qu'elles ne sont jamais ni composante
initiale d'un groupe consonnantique, ni consonne de couverture.
Lasemi-voyelle [y] constitue à elle seule une couverture, ex.: œil [œ: y]
bille [b i : y (oè)]. Mais elle ne peut entrer dans la constitution d'une
couverture qui contienne autre chose qu'elle. Elle peut être la composante
initiale d'un groupe, mais seulement quand ce groupe se trouve réalisé
[par la mise d'un [œ] instable. C'est dire qu'il y a toujours sévrement.
Ex. : pailleter [p à y 1 té].
Après les groupes consonnantiques se terminant par un [r] ou un [1],
il tend à ne plus exister de semi-voyelle. A côté de mots comme ouvroir
r
;[uiv wà r] : -, r
croix [k w à :] ; trois [t wa r :] ; froid [f r w a],
etc., qui ont conservé dans toutes les bouches la prononciation ancienne,
on voit une grande hésitation se produire pour un mot comme groin, que
les uns prononcent [g w
:],
r ê:]àla façon ancienne, mais que d'autres
prononcent [g r uiê [g r à ê :J et même [g r m w ê :] et [g r 6 w e:].
Cf. les vers suivants dans lesquels ce vocable écrit d'ailleurs grouîn,
compte pour deux pieds :
Ton auberge comme ta face
Est hure pour la bonne grâce
Etgrouin pour la propreté.
(V. Hugo. FranceelBelgique. -11 sept. 1839, p. 19).
Tous les deux, fouillantla pâture
De leur art. à coups de grouins.
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. Raccrocs. Idylle coupée).
La substitution de 1' [i] à l' [y] est plus facile, parce que l'existence
constante de [y] interstitiel après cet [i] fait qu'en réalité; l' [i] ne se
substitue pas à [y], mais s'y surajoute, de sorte que si l' [y] a un rôle
significatif, l'addition de l' [i] n'y change rien Aussi la langue actuelle

:
fait-elle constamment cette addition, aux cas phonétiques ci-dessus indi-

: :;
qués, pour les subjonctifs, les « imparfaits », les « conditionnels » et le

[trâ:b1iyé:]
un ouvrier [m v r i y é] ; vous ouvriez
suffixe -ier. Exemples
riy

pà zàvã tn].
(UI v é :] ; vous trembliez nous craindrions
[k r ê : d r i y Õ :], etc. L'ancienne prononciation [y é] n'appartien
qu'à certaines usances. Ex. :
: l ?
Environtroissemaines Vousnetrembliezpasavant [vwn ? rãmb y é
(M. AA., le 24 novembre 1920).
Elle s'est rencontrée en vers jusque dans le courant du XVIIe siècle
exemples - ;
En vous offrant les vœux du moindre ouvrier du monde.
(Frnnçois Poumcrel, arquebusier. Quatrains au roi sur la façon des harque-
buses el pistolels. 1031.dans Variétés historiques el littéraires, tome VI, p t34).
Le Peuplier qui du Pô rend les bords honorés.,
(Tristan t'Hctmite. Lo lyre, p. 70).
*
:
nettement par sa mouillure du [k] représentant que. Cf. les prononciations respectives
de Emile qu'emmène Paul aux sens dè Aemilius qui abducit Paulum et Aemiliu*
quem abducit Paulus.
Le sanglier y parait dont le crochet fatal
A terrassé de Mars le glorieux rival.
(Ibid.,p.73).
Amour en trahison
D'une meurtriere espée.
Mais non pas sans raison,
De mon bon-heur l'esperance a coupée.
(H. d'Urfé. L'Astrée. 1, 3, tome I, p. 150).
Mais vous, trêve plutôt à votre politique !
Elie n'est pas fort bonne, et vous devriez tâcher.
(Molière. L'Etourdi, I, 2).
On est venu lui dire, et par mon artifice,
Que les ouvriers qui sont après son édifice
Avoient fait par hasard rencontre d'un trésor.
(Ibid).
Le Sanglier rapellant les restes de sa vie,
Vient à luy, le découst, meurt vangé sur son corps,
(La Fontaine. Fables choisies. VIII, 27. Le loup etle Chasseur).

:
L'ancienneté de la diérèse est pourtant attestée d'autre part par des
exemples comme

Por ce si devriiez entendre


Arevcngieretà dcflendre
La terre de prosmission.
(Rutebeuf. La Complainte d'Outre-Mer, 21, t. 1. p. 108).
Vous estes ouvrier parfait.
Un maistre, on le cognoist parfait
A son ouvrage.
(Farce des Femmes qui jont escurer leurs chaulderons, dans Ancien Théâtre fran-
çois, tome II, p. 97).

De quoy servent tant de pilliers


A leurs robes à si grans manches,
Tant jours ouvriers que dimenches,
Ces grans bonnetz et ces chapeaulx.
(Moralité des Enfans de Maintenant, in ibid, t. III, p. 16).

191. — Le timbre de la voyelle subséquente influe sur celui de la semi-


vnyelle.
Pour chaque semi-voyelle, l'oreille peut distinguer une variété surfer-
ttée et une variété ultra-fermée.
Le [w] surfermé s'entend devant [à], [de] et [6]. Le [w] ultra-fermé
partout ailleurs.
Le [q] surfermé s'entend devant [à], [6], [œ] et [è].Le [q] ultra-fer-
Inépartout ailleurs.
Le [y] surfermé s'entend devant [à] et [ô]. Le [y] ultra-fermé partout
fleurs.

192. Le [v], qui est la consonne qui s'écrase le plus facilement dans

la caducité,
est également celle qui se développe le plus souvent dans les
hiatus. Cf. le [v] de pOfwoir, parvis; emblavure, développé dans l'hiatus
laissé par la chute d'un [d]. Cf aussi infra, § 271, le [v] des féminins
comme chowve, bistrove. Dans la conversation courante de nos jours
les [w] ont au début du mot une tendance à développer un pareil [vi
épenthétique, ex. :

Ben, reste dans ta vouate, mon vieux.


(R. Benjamin. Gaspard, p. 23).
J'en rapporterai dla peau, voui d ln peau.
(Ibidp.73).
CHAPITRE VI

LES MUANCES

SOMMAIRE

193, - La mue de contiguïté. — 194. Cas des mots francs. - 195. Cas parti-
culiers des mots francs possédant un état construit différencié. — 196. Cas des
mois serfs. — 197. Détermination sémantique de la situation constructive.
- 198.Assurance d'hiatus.
199. La mue de débit. — 200. Quels facteurs agissent sur la mue de t' lèe]
instable. — 201. Le balancement des [de] muets. — 202. Voyelles instables
dans le débit. — 203. Consonnes instables dans le débit. — 20k. Semi-
voyelles instables dans le débit.

193. — Au point de vue de son utilisation dans la langue, la mue se


divise en mue de contiguité et en mue de débit.
La mue decontiguitéestcelle qui résulte du contact entre les mots. En
effet, dans la phrase française, il n'y a pas d'arrêt forcé entre les mots.
Le mode d'attaque toujours relativement doux des voyelles françaises (v.

supra, § 142, note 1) permet aux consonnes qui terminent le mot précé-
dent de s'appuyer, à moins d'une pause significative, sur la voyelle du
mot suivant, les mots formant ainsi, entre deux pauses significatives, une
chaîne ininterrompue dans laquelle leur sémantisme seul permet de les
isoler.
Dans cette chaîne, les mots en oontact peuvent ou non être unis par
des phénomènes de
mue. Les motssont donc sujets, dans leur contact avec
tes mots subséquents, à deux ordres de
muances, les unes ligatives., les
autres séparatives.
Les mots français se divisent, au point de vue de la mue de contiguïté,
enanotsfrancs et mots serfs. Lesmots francs sont beaucoup plus nom-
breux
que les mots serfs.
— Tout mot franc peut vis-à- vis du mot suivant, se trouver dans
194.
,"Ois situations différentes réglant l'apparition de
muances précises. Ces
Valions sont:
toLa situation libre,dans laquelle le mot peut facultativement revêtir
ses niuances ligatives
ou ses muances séparatives.
lr|uar\celigative.
3U
2"-asituationconstructive..dans laquelle il est obligé de prendre une

dans
La situation obstructive, laquelle il est obligé de prendre une
"fianceséparative.
Les mots francs n'ont en général de muances ligatives différenciées que
:
dans deux cas la liaison et l'élision.
La liaison est l'union entre un mot terminé par une consonne instable
et le mot suivant commençant par une voyelle. Elle se marque par la
mise en exercice de l'instable. Ex. : Un méchant homme [oo:m é cà :
t6L'élision
m].
est l'union entre un mot terminé par une voyelle instable et

en repos de l'instable. Ex. : Une petite histoire [pœ titist à


le mot suivant commençant par une voyelle. Elle se marque par la mise
w : rj,

195. — Toutefois, certains mots francs possèdent, en général par apo-


phonie, une muancespéciale pour la situation constructive. Cette muance
s'appelle l'étatconstruit.Par exemple, l'adjectif [v y (de : (z) è y)] ne
prend la muance [v y è y] que dans la situation constructive devant
voyelle, alors que la muance [v y œ : z] est réservée aux liaisons que
l'on peut faire devant voyelle en situation libre. La muance [v y œ :] sert
à la fois dans la situation constructive devant consonne, dans la situation
libre sansliaison, et dans la situation obstructive.
:
Exemples
::].
Situation constructive Un vieil habit [ru : v y è y à b i], un vieux cha-
: ::
peau [œ vydé càp6
Situation libre Un homme vieux avant l'âge [vydé zàvâ H
: : :j]. : : :j]
ou [vydé àvâ 1â
Exemple. :
Quand nous mourons,
Vieux ou bambin.
On vend le corps au carabin.

:
Situation obstructive Un vieux aucune
»
(Béranger. Les Bohémiens, p. 378).
[ce: v y dé : à v de : g1], au
sens de « un vieux qui est aveugle (par opposition à un vieil aveugle, qui
désigne un aveugle qui est vieux).
De même les formes [bè1], [m 6 1], [b6n], etc.
C'est à la même catégorie de mots francs qu'appartient un mot tel que

construit. Exemples :
trop [t r (6/6 (p) )], puisque la muance [t r Õ] est uniquement un état
:
Situation constructive trop grand [t r 6 g r a :], trop ennuyeux

: :
[t r 6 p à : n y i y dé :].
Situation libre j'en ai trop à dire [t r 6 p à d i: r] ou [t r6 à d i: r]•

plus me défendre :
Situation obstructive Ils sont trop à me vouloir du mal. Je ne pllis
[t r 6 à m v ui 1 w à : r]

196. — Les mots serfs ne sont susceptibles que des situations construc-
tive et obstructive. La situation libre leur est interdite. Ils connaissent
donc l'état construit et l'état clos.
Le groupe des mots serfs est uniquement constitué de struments, tels
les articles, les noms de nombre, le pluriel tous, 'les affonctifs stru-
que
meIltauX comme plus, ne, etc.

Deux états construits :


Les noms de nombre six, dix, nehf, ont, par exemple trois muances :
le prévocalique [s i], [d i], [n œ] et le précon-
soimantique [s i z], [d i z], [n èe v].

Cf. par exemple


Ir.dix août [1 de d
:is
lin état clos [sis], [dis], [n ài f].
dix hommes [d i z b m], dix chevaux [d i cv 6 :] et
m :1.
L'adjectif strumental pluriel tous possède de même deux états construits
[t ui :] et [t m : z], et un état clos [t m :s].

197. — Les.situations constructive, libre et obstructive ont, dans la


langue, un rôle syntactique bien déterminé.
Pour qu'il y ait situation constructive entre deux mots, c'est une condi-
tion nécessaire, mais non suffisante, qu'ils appartiennent à la même rhèse.

Voici quelques exemples particulièrement importants :


1° Entre l'épicatathète, (cf. infra, § 468) et son régent. L'article est un
cas particulier d'épicatadmète :

Eul-ill'intuition [1 ë : t q i s y ô :] de mon projet ?


(Ed. Estaunié.L'Infirme aux mains de lumière. V. p. 123).
11 la couvrait debaisers et des plus tendresadorations [t fi : d r oè z à d ô r à :
s y Õ :] -
(R. de Gourmont. Un cœur virginal, 11, p. 45).
2° Entre le catarrhème (cf. infra, § 609 et § 610) et son régent. La pré-
position est un cas particulier de catarrhème. Il en est de même pour
l'affonctif strumental ne.

Mon bisaïeul., bégaya-t-elle, trop émue [t r ô p ému :] aussi.


(A. de Chateaubriant. La Brière, 11, 3, p. 177).
et non sans une [sa : z un] grande envie de rire.
(Ibid, p. 183).
Attentif aux jeux extraordinaires de ce visage, il n'écoutait [n é k ui t è :] que
«une oreille distraite.
(1bid).
:p Entre les substantifs strumentaux dits agglutinatifs et leur régent
verbal (cf. infra, Livres V et VI)
;
ousavez [vui z à vé:] unfrèreexquis.
(Ed. Estaunié.L'Infirmeauxmains de lumière,V, p. 125).
Oserais-je [ô:zr è : j] la formuler.
(Ibid,IV,p.108).
Sorti de l'eau, c'était [s è t è : t] un long fouet visqueux.
(R. de Gourmont. Un cœur virginal, XII, p. 175).
4° Entre le verbe auxiliaire et le verbe auxilié (Cf. Livre V).
eût été [ti t é t é] une fille à tolérer deux fois un sot compliment,
Si Rose
1 (Ibid, p.13).I,
r
Persuadéd'ab>rd' que j'étais arrivé [j è-t ë z à r i v éllrop en avance.
(E. Eslallnié. L'Infirme aux mains de Lumière, I, p.11),

5° Entre le verbe être et sa dianadote (étance Cf. § 443), au moins dans


la parlure bourgeoise.

Mais toi. lu es un homme !. [t u è oè : n ô m].


z
(Ai. de Chateaubriant. La Brïère, II,3, p. 175).
Sa marche était allègre [è t è : t à 1 è : g r].
(Ed. Estaunié.L'infirme aux mains de lumière, I, p. 28).
6° En dehors de ces cas, dans
:
untout potaulait
[étàzuni];bel
t: ; un certain nombre de locutions
[pô o 1è potàeau [pô tà ô:]
et bon [bè1ébô:], etc.
; formant
Etats-Unis

La situation constructive peut avoir une valeur sémantique. Elle consti.


tue même souvent à elle seule tout le taxiome propre du tour en question.
Quand la situation constructive prend une valeur sémantique propre, la
situation obstructive se substitue dans le tour opposé à la situation libre

des mots n'ayant pas d'état construit propre. Exemple :


pour éviter l'équivoque possible due à la similitude des muances ligatives
la construction
ligative de un savant aveugle [œ : s à v a : t à v œ : g 1], au sens de (fun
aveugle qui est savant » entraîne l'obstruction séparative dans un savant
: :
aveugle [œ : s à v a àvœ g1] au sens de «un savant qui est aveugle. Il
Une pausette ou même une pause ne suffisent pas à créer une situation
obstructive. Dans les exemples ci-dessous, la situation obstructive est net-
tement imposée par le fait que la liaison ferait croire à une situation
constructive. d'où changement absolu de sens :
infectés.
L'ictère est assez rare dans les kystes liydaliqucs du foie, suppurés ou
L'ictère
(Quénu. dans les kystes hydaliques du foie, in Revue de Chirurgie,
mieux

10 août 1910, p. 245).

[supuréIDlnyœë : fèkté]. suppurés ou, pour cm


Le sens pst «
ployer une expression plus compréhensive et convenant mieux aux faits,
infectés. » Il ne faut évidemment pas lire [m y œ z è : fèkté], ce qui
signifierait « infectés d'une meilleure façon. » De même, dans la phrase:
C'est pourtant par ce côté qu'André Weill et nous avions abordé le problème
(L. Ambard. Physiologie normale etpathologique des reins, p.111).
:
qu'on doit lire [â:drévè:yé njuu
1 à
v y 6], l'absence de liais011
montre qu'il s'agit du substantif strumental indépendant nous (hoin°'0'
(hoillOIO«
gue de moi) et non du substantif strumental agglutinatif nous
gue de je).
lcs
198.-
décrire
Les phénomènes de mue de contiguïté tels que nous venons de
peuvent être entravés par ce que les grammairiens classiques
appellent l'h aspirée, que M. Nyrop appelle h disjonctive et que nous
appelons assurance d'hiatus. Nous la transcrivons par [hl.
L'assurance d'hiatus, bien qu'elle soit d'un ordre tout différent, fonc-
tionne dans la langue comme un individu phonétique, car il existe
des
vocablesquiJne se distinguent les uns des autres que par la présence ou
absence de cette nuance, ex. : aine [è : n(de)] et haine [h è : n (œ)J.
L'action de l'assurance d'hiatus s'effectue de la façon suivante :
Si le mot précédent se termine par une voyelle stable, l'hiatus est natu-
rellement assuré. Ex. : un joli hameau [œ: o1 àm j i ô :] ; un joli
aspect [œ : j 5 1 i à s p è].
Si le mot précédent se termine par une voyelle instable, cette voyelle
estmise obligatoirement en exercice, assurant ainsi l'hiatus. Ex. : une
f'I//,(' honte [p u : r œ ô : t] ; la haine [1 à è : n].
Si le mot précédent se termine par une consonne instable, cette con-
sonne est mise obligatoirement en repos, ce qui assure l'hiatus, ex. : un
petit, hameau [œ : p œ t i à m ô :] ou [œ : p t i à m 6 :].
lieste le cas d'un mot se terminant par une consonne stable. A la vérité,
dans ce dernier cas, le français littéral omet de marquer l'hiatus. Cette

;
prononciation traditionnelle se maintient dans, des locutions toute faites
telles que par hasard
se fait
mais, dans le parler usuel, la nécessité de l'hiatus
tellement sentir que, la plupart du temps, on fait suivre la consonne
d'une voyelle destinée à assurer l'hiatus. Cette voyelle est tout naturelle-
ment la voyelle [de], en vertu de ce qui a été dit § 142. Un vers tel que :
L'œil haut, la croupe en mouvement.
-
(Auguste Barbier. ïambes et Poèmes, L'idole, p. 37).

:
semblerait faux si, pour pouvoir compter un pied entre le [y] de œil et
1 1Ó :] de haut,
on ne supprimait dans le compte des pieds l' [eel ins-
table de mouvement [1 œ : y œ Ó : l'a k r m p a : m tu : v mS :]
II semble qu'historiquement, l'assurance d'hiatus ait succédé àun pho-
nème expiratoire fort du type de l'it du haut-allemand. D'ailleurs, les
IIsancrs wallonne, lorraine, normande et saintongeoise conservent encore
celte h (1). C'est probablement à ce stade phonétique qu'il faut remonter
pour expliquer les prononciations figées du type de [p à r à z à : r] pro-
cédant directement de [p à rrà z à : r]. Les savants qui s'occupent de
grammaire historique pensent que cette h expiratoire ne procède pas de
I hlatine, tombée dès le début de l'Empire, mais qu'elle a été introduite
Çn Canle par les Francs, et que ce n'est que secondairement qu'elle
a été
II"posée à des vocables de la racine latine comme haut [h 6 (t)] al- <
tum ; hérisson, [h é r
piccin.
is :]
ô rs :
< hericionem ; herse [hè ..(œ)] hir- >
-
semble que certains savants, à l'époque où a commencé à
se consti-
(1) Ch. Nyrop. Grammaire historique de la langue française, Tome I, § 487.
tuer par emprunt la souche hellénique du français, aient essayé de repré.
senter par une h ayant une réalité phonétique l'esprit rude initial des
vocables grecs. Mais il reste que de faibles traces de cette tentative, telle
r
i
mot héros [h é r 6 : (z)] s'opposant à héroïque [é ù i k (de)] et à héroïne
[é r6 n (de)] ; et dans l'immense majorité des cas, les vocables de la
souche hellénique ne représentent pas l'esprit rude par une assurance
d'hiatus.
D'ailleurs, dans le français normal actuel, l'h expiratoire a disparu et
a été remplacée par l'assurance d'hiatus telle que nous l'avons décrite
ci-dessus.
Il ne nous semble pas que l'assurance d'hiatus soit aucunement en
décroissance dans le parler de nos jours (2). Assez nombreux en effet sont

:
les vocables dans lesquels elle s'entend plus constamment aujourd'hui
qu'autrefois. Exemples
Heureuse et glorieuse à bon droit l'on estime
Pour avoir enfanté cet héros magnanime.
(Montchrestien. Hector, Acte V,p. 56).
plus d'huguenots et point de vrais personnages en aucun genre ni état.
(Saint-Simon. Mémoires, T. VII, ch, XXXI, p. 416).
Dans certains noms géographiques comme Hanovre, Hongrie, Hollande,
il y a eu, au moment où disparaissait l'h expiratoire, tendance à ne la
remplacer par rien. De là les expressions eau de la reine d'Hongrie, toile
'd'Hollande, données par la quatrième édition du Dictionnaire de l'Acadé-
mie, en regard de la Hongrie, la Hollande. De là aussi l'usage archaïque
de prononcer le roi d'Hanovre. Cf.
Remarquez que personnellement un seigneur du dernier ordre comme ce
Hohenzollern, de plus protestant, et qui a dépossédé mon cousin le roi d'Hano-
vre n'est pas pour me plaire, ajouta M. de Cliarlus auquel le Hanovre semblait
tenir plus à cœur que l'Alsace-Lorraine.
(M. Proust. A la recherchedu Tempsperdu. Tome V. Vol. 2, p. 215).
elle était par sa mère nièce de la reine de Pologne, de la Reine d'Hongrie,
de l'Electeur Palatin.
(Ibid, p. 222) (3).

(2) L'omission de l'assurance d'hiatus dans les vers ci-dessous nous paraît être une
simple plaisanterie destinée à créer une rime équivoquée :
Raoul, ton souvenir m'harcèle,
Je suis ta petite Marcelle.
!
(Jean de Tinan. Penses-tu réussir I, p. 36).,
(3) Il est à remarquer que Marcel Proust met ces deux phrases dans la bouche de

:
M. de Charlus, personnage dont la prononciation est censée volontairement archaïque ;
il semble qu'il y ait eu pour les expressions du genre de toile d'Hollande, Peine dHon-
grie, trois étapes graphiques de Hongrie, d'Hongrie, et de nouveau de Hongrie qUI
répondent probablement aux prononciations [d œ 'Õ:], [d ô :] et [d œ Õ :]. Il va de
soi que les époques ont dû interférer, puisque l'établissement de l'assurance d'hiatus
dans le stade [d de ô :] implique le souvenir de l'état primitif [d de rô :] et la sensa-
tion d'un manque dans [d u :]. Les premières éditions du Dictionnaire de l'Académie
française (sub verbis eau et toile) n'admettent que reine de Hongrie, toile de Hollande,
à une époque où déjà Regnard écrit :
Cela ne vaut-il pas mieux que de l'eau de la reine d'Hongrie ?
(Regnard. Les Chinois, III, 5).
Au XVIII* siècle, l'Académie admet reine d'Hongrie, toile d'Hollande, et mémo toile
comme hameçon, qui, d'après les dictionnaires et l'usage an-,
[n mot
Gien,
la
n'a
langue
pas
parlée
n'est pas unique.
:
d'assurance d'hiatus
:
[ce à m sô :]
(4) en prend constamment une dans
(aulieu d' [œ n :
à m s ô :]), et ce cas

Le parler de nos jours tend donc à imposer à certains vocables une assu-
rance d'hiatus, et il semble bien que cette
modification phonétique se
fasse sous l'empire d'impulsions affectives subconscientes, l'assurance
d'hiatus communiquant une sorte d'âpreté aux vocables qu'elle affecte.
Cf. l'assurance d'hiatus que nous avons imposée au vocable Hongrie au.
retrnrd du haut-allemand Ungarn et du tchèque Uhry.
Lassurance d'hiatus de nouvelle création peut d'ailleurs toucher des-
mots dont l'orthographe ne comporte pas d'h. Ex. :

lenlulemenl du premier hibou.


(Joseph de Pesquidoux. Le livre de Raison, dans fa Revue des Deux Mondes du
45mars IU22, p.430).
Le ululement du cho/lfln. peu à peu, hantait mes nuits et mes jours. 4
(H. Bordeaux. La Chartreuse du reposoir. lil, in ibid, p. 261).
D'autres auteurs, soucieux de marquer l'assurance d'hiatus, écrivent
une h, ex. :
te hululement monotone des oiseaux de nuit.
(J. & J. Tharaud. La Randonnée de HambitDioirf, m ibid. p. 282)
les hululements des femmes auprès du cadavreroyal.
(Manrice Barres. Unjardin sur l'Oronle. VU, in ibid. 1e1' avril 19-22, p 504)
Le feu, l'acier mortel, les hululements criblent -
L'antiquesilence de l'air,
(Comtesse de Noailles. Les Forces Eternelles. 1. Aux soldats de 1917, p.»28)-
De même, le vocable uhlan [h u : 1 a :] a une assurance d'hiatus, des
l'aveu même du dictionnaire de l'Académie (5).
Le cas le plus frappant d'assurance d'hiatus de création purement fran-

dedire :z]
çaise est celui des mots onze [h ô : z (de)] et onzième [h 5 : z y è : m (èe)1.
[hô :z è:
et [hô y m] aulieu d' :
[ô z] et
[Õ :
z y è : m 1, déjà ancien, ne s'est définitivement établi qu'après l'épo-
que classique, mais actuellement il ne souffre plus d'exception que la

'il
locution bouillon d'onze heures. Ex..
:

on n'aime pas à faire partie du onzième bureau.


(L. Barlhou. Le Polilijtie. 1T. ï. p. 40).
Outre cerôle vocabulaire, l'hiatuspeut acquérir véritable rôletaxié-
un


d'Hollande
Hongrie
Buff

<i'/7
11
jusqu'à l'édition de 1878 (la dernière). Si l'on en croit le P.
se rencontre
était de bon ton au XVIIle siècle de n'élider l'e devant Hollande et devant
que dans la préposition de : la Hollande, la Hongrie, à côté de Du fromager

On Vin d'Hongrie. (Buffier. Grammatre françoise, § 870). Peut-être donc


Mar Proust, quoiqu'il

Ii.
fasse dire à M. de Charlus le roi d'Hanovre aurait-il mis ausst
rériitcu
le Hanovre dans la bouche de M. de Charlus comme il l'a fait dans son
pronra

(i) •••icellcs, après
avoir mordu enl'ameçon, s'allument d'un double fen.
DESM0TSALAPENSÉE.
(Larivey. Le Fidelle. II. 5, dans Ancien Théâtre français. Tome VI, p. 351Y.
(5) Actionnaire del'Académiefrançaise,7eédition,SV.uhlan,tome
- II,p. 900.
l é -.
matique. Pour mieux détacher un nom propre, un factif nominal subs.
tantivé, un numéro (6), on omettra la liaison. Ex. :
C'est une énorme pierre présentant
du sol d'un peu plus de un mètre.
laforme d'un ovale allongé qui est élevée
(A. Bouvenne. Poitiers ancienel moderne, p. 99).
On ne peut pas dire que Ingres nous rendit le dessin des anciens.
(A. France. La vie enfleur.XVI p. 200).
Les béliers prolongés de chaînes et reliés à des portiques mobiles, se tel'lni.
naient en un chef de bronze ou de fer et étaient manœuvrés au ahan de cent
guerriers, poussant à la fois.
(Léon Daudet. Sylla et son Destin. 11, p. 30).
Un administrateur. — Où sont les nouveaux blessés>
Un infirmier d'exploitation. — Dans la salle trois et dans la salle un [s à 1 à; <ï: :].
(Entendu le 9 mars 1915, à l'Hôpital annexe de la rue de la Glacière).
Les semi-voyelles du début des mots ont un comportement un peu spé-
cial. Celles qui sont partie intégrante d'un groupe dérivant d'une

tiguité, comme des voyelles. Exemples :


voyelle latine sont en général traitées, au point de vue de la mue de con-
l'huile [1 q i : 1 (œ)], l'huissier
[1 q i s y é], l'yeuse [1 y dé : z (œ)], l'hièble [1 y è : b 1] (7), etc.
Les autres ont au contraire une tendance à être traitées comme des
consonnes. Il est classique de dire la yole [1 à y Õ 1 (œ)], le yacht
[1 (œ) y àk], et les prononciations la ouate [1 à w à t (œ)], la hyène
[1 à y è n (œ)], sont en concurrence avec les prononciations [1 w à t (œ)],
préférée par l'Académie et [1 y è n (œ)] seule mentionnée par elle. Ex. :
les plaines marécageuses coupées de forêts épaisses, séjour de l'antilope, de
la hyène.
(J. & J. Tharaud. La Handonnée de Samba Diouf, dans la Revue desdeux MOII-
des du 15février 1922, p. 724).

199. — La mue de débit est celle qui, indépendamment de la décom-


position de la phrase en mots, règle la mise en exercice ou en repos des
différents phonèmes instables.
Lesseules instables qui soient incontestablement tolérées par la mue de
débit sont les [œ] muets. Pour les autres instables, on peut discuter s'il
s'agit de mue ou de caducité. Nous commencerons donc par quelques
indications sommaires sur la phonétique des [oe] muets, qui à elle seule
requerrait un petit traité.

200. — Nous avons déjà précisé les lois de la mue de l' [de] instable en
tant que cette mue appartient à la contiguité (situations mutatives, assu-
rance d'hiatus).
(6) C'est peut-être à cette tendance que [h ô : z] a dû originellement l'assur:lIIce
d'hiatus qu'il a maintenant complètement absorbée en tant qu'élément vocabulaire.
(7) On dit le huit de cœur, le huit Aoat, le huitième, mais ce traitement coupon-
peut dire y
[1 qit : t:
è m fo è y] etnon [1q it è : fi:
y m y] ni [à1q 10
m j m : r]) est probablement dû à ce que huit est un nombre. Cf. supra un et onze
il
tique (qui d'ailleurs n'est pas une assurance d'hiatus puisque dans la conversation on
En ce qui concerne le débit, nous allons voir s'intriquer de façon ana-
logue, dans le déterminisme de la mue, les facteurs phonétiques et les
facteurs sémantiques i
Comme point de départ de notre étude, nous pouvons admettre que,
dans le cas général, l' [de] instable est en repos et qu'il n'entre en exercice
que dans la minorité des cas. C'est un des caractères les plus vicieux des
usances occitaines que l'abus de la prononciation des [(de)]. Comparer
par exemple la phrase suivante, entendue à Cannes le 28 décembre 1921

[ô:"n œ t de dem d de ànd pàd yd-,ni-.ràyè


dans la bouche d'un garçon du pays (treize ans environ) :
&, Ree m n
:
[ô :ntde m : :
avec la prononciation parisienne, qui eût été
d à dpà d Yde i:ràvèkn
n ui].
Les principaux facteurs sémantiques qui amènent la mise en exercice
de 1' [de] ressortissent à la cadence endosémantique et à la décomposition
du mot en ses éléments significatifs. Par exemple, Madame H., faisant la
lecture à haute voix du Bon apôtre de Ph. Soupault, p. 191 :

[làrvu:lUplut :1àrèevu:vye:dpàrè
« La revue ou
Ó
:
plutôt la Revue vient de paraître », prononce
t r].
et elle : explique
:

La première fois, avec un petit r, la seconde fois avec un grand la :


«
revue ou plutôt la Revue. »

f
[1 à p r œ my è:
àà è
w -v k(Ê : rfwà, àvèk p è: làsgô:
œ : tit
grâ:,làrvu:uiplutô:làrdevu:j.r, d

(16 Octobre 1923).


Dans le balancement même des [de] muets, les facteurs sémantiques
peuvent jouer à chaque instant.

201. -
Ce balancement se produit quand plusieurs syllabes contenant
des [de] muets viennent à se suivre, ex. :

Eh 1 sais-je ce que je dois faire ?


France. Le Crimede Sylvestre Bonnard, p. 299).
(A.
Maintenant que je ne clicrc/ie que ce que je puis vraisemblablement trouver.
(Ibid, p. 302).
D'ailleurs, dans la conversation rapide, plusieurs [(œ)] consécutifs peu-
vent être écrasés, des groupes de trois consonnes ou même quatre con-
sonnes se constituent ainsi, ex. :
:
J'ai fait la visite avant que vousne veniez. [jefèlàvizitavâ kvuinvnyé:].
(M. P. le 7 avril 1922).
Toutefois cette possibilité n'est pas illimitée, et, la plupart du temps,
les groupes de plus de deux
consonnes sont évités par la mise en exercice
des [œ] instables de deux en deux. C'est
ce phénomène que nous appe-
lons balancement des [œ]. Encore
que les remarques faites au sujet de ce
balancement
par M. Nyrop (1) soient très fines et exactes dans leur en-
(1) Ch. Nyrop. Grammaire historique de la langue française, Tome I, § 294.
semble, il ne nous semble pas qu'on puisse donner des règles aussi abso.
lue& que celles qu'il propose. Rien n'est plus souple que le balance-
ment des [de], dans lequel, d'ailleurs, des facteurs sémantiques, intellec-
tuels ou affectifs, conscients ou inconscients, interviennent à chaque ins-
tant. Nous, attirerons seulement l'attention sur les points suivants, qui
nous paraissent particulièrement importants.
A.—- L' [cfe) instable qui termine les mots est plus instable que tous
les autres r jamais dans; le français normal, cet [(œ-)]. n'entre en exercice
quand il est possible de s'appuyer sur un autre. Il n'y a guère que le vul-
gaire qui s'appuie quelquefois sur cet [œ] instablepostfinal, exemples :
C't un bon vieux, qu'aime qu'on, ait des godasses à sa mesure. et qui goûte la
soupe el,'premier.
(R. Benjamin. Gaspardt p. t&).
fi à stu p oè f p r oè m y é].
Ah ! c'est d'la veine d'tomber comme ça r
tlb'iâ, p. 27).
:
[d 1 à v è n oè d t 5 b éF. :
Il va même jusqu'à s'appuyer sur des [(œH que la graphie officielle
ne reconnaît pas, ex. :
-Allons. les mecs ed'la rue ! (Jbidp. 36).

[m è k oi d1 à r u :]1.
Cette particulière instabilité de l' [œ] post-final peut même prendre
une intéressante valeur de différenciation sémantique. Quand deux voca-
bles dont le premier se termine par un [de] instable post-final viennent à
s'unir pour former un vocable nouveau, il arrive que, pour marquer l'op-
position avec 1' [de]1 instable post-final et conformément à la loi des [de]

[6 : tr f à
œ w : (z)] ; Notre-Dame [nb tr
intérieurs, l' [œ] devienne stable. Comparer par exemple, autrefois
à
ded m (de)] ; les Quatre-
[f è:
:
Temps [k à t r oe t à (z)] ;: quatre-vingts [lt à t r œ v ê : (z)] ; fièvre
jaune :n
y vF&) ô (œ)] avec une autre fois [un6 t f w à] ; : tt :]
notre dame [nôtdàm]
i :: ;
à
le Fleurus 64-20 [sw sa: k v
y
[f è : v i ô 1 mâ 6 t], exemple
;t l:
une mesure à quatre temps [àkà â
àt e:
; une fièvre joliment haute
;

Et c'était les Qualre-Temps ! [k à t r oè t a :].


(Madame A.,le 22 septembre d922).
B. — Le ce, article des convalents (v. infra, Livre VI), c'est-à-dire celui
qui est si souvent sam de que, a un [de] particulièrement instable. Cette
particulière instabilité ressort du fait que 1* prononciation [s de k] est
inusitée. L'exempte ci-dessous :
Je crois" en vérité, que Mademoiselle Jeanne me demande ce queje lis.
(A. France, Le Crime de Sylvestre Bonnard, p. 290).

se lirait [.,. m à : dsk j1 iL et non


de [. mârdsdekjdeli].
C. — L'affonctif strumental ne a un {êe] nettement plus instable que
celui des struments auprès desquels il se trouve ^L'ordinaire. C'est ainsi
que la prononciation [j n œ] est étrangère à l'usance normale. C'est
ainsi que l'exemple suivant :
Ma lettre finit par ie rejoindre, je M"taM où.
(Pierre Louys.Préface à Fumées d'opium dùClaude Farine, p. X).
se lirait [j de n s é ui] et non [j n œ s é m].
D. — Enfin, dans la tournure interrogative inversée, l' I(oe)] du subs-
tantif strumental je a une instabilité toute particulière. Dans ce cas, je ne
se prononce toujours Ij n de], de sorte que la différence du balancement

lui pardonner

de [j œ n], [j n de] prend, au moins àParis, une valeur taxiématique. La

:
phrase suivante «Devant tant de Tepentir, comment pourrais-je ne pas
: a
se lirait fpun rè j nœp :] et non [p m : r è :
j de n pà-1.
Tout ce que nous venons de dire sur le balancement des {(œ)l ne s'ap-
plique bien entendu qu'à la prose. Certes, dans la déclamation desvers,
on peut quelquefois marquer le pied par un simple sévrement comportant
une voyelle chuchotée virtuelle, comme nous l'avons dit supra, § 173,
mais bien souvent Ton préfère l'indiquer plus nettement par la mise en
exercice réelle de Y {(œ)1 : dès lors, la déclamation des versmeten exer-
cice beaucoup plus d" J&J instables que la conversation courante et le
débitoratoiredelaprose.
Ces remarques ne concernent d'ailleurs que la prosodie classique. Nos
auteurs anciens ne se faisaient pas faute d'indiquer graphiquement la mise
en repos de 1J [(œ)l quand ils ne voulaient pas qu'il fût compté dans les
pieds des vers (2). Exemples : (,

mostres, n'i puez ballir


Se tal
Ne te façon amanantir.
(Béroul. Le roman de Tristan, 4, 311).
Si entendrai à moi rescorre,
Seje l'puis fère.
{LtI complainte RutebeuJ, 136. T. 1, p. 19).
D'autre part, el sunl. franches nées..
(Jehan de Meun. Le Roman de la Rose, 14.079),
Qu'el voille autre ami porchacier,
.,.
fît qvTeVml' fait fors peur ohacier
OH dont el vwt e&tre estrange.
ii,
(Ibidem, 413-15).
,
Sy leur fra ou, qui me croyra,
Ung bien petit plusd'avantagé.
(Misteredusiege d'Orléans, 49.132).
La même liberté est habituelle dans les chansons, ex. :
Bell' pomm' d'or à la révérence,
a
II n'y qu'un roi en France.
(Chanson pour compter au jeu de cache-cache).

(2) Cette
;
indication graphique n'était pas nécessaire aux césures ou les règles de
excluaient régulièrement l'e dit féminin du compte des pieds ex. :
Là fu gnnt la bataille si corn dist ii escris.
l'art

» (LaChanson du éhevalier au cygne, 3634). -


De même, M. Paul Fort, dans ses vers, ne s'astreint pas non plus à
faire compter l' [œ] instable pour un pied. Cf. la strophe suivante, qui
est évidemment en vers de douze pieds :
Et ne voyez-vous pas que les hommes seraient dieux, s'ils voulaient m'écoutor,
laisser vivre leurs sens, dans le vent, sur la terre, en plein ciel, et loin d'eux j
Ah t que n'y mettent-ils un peu de complaisance. Tout l'univers alors (récom.
pense adorable 1) serait leur âme éparse, leur cœur inépuisable. Poètes
(Paul Fort. Les Hymnes du Feu. La Vision harmonieuse, dans d'Aujour-
d'hui, Tome 1, p. 91).
202. — L'instabilité apparaît en somme comme une caducité portée à
son maximum et acceptée par la conscience. Quand, dans le débit rapide,
un locuteur ne laisse leur plénitude qu'aux individus phonétiques les plus
persistants et réduit les autres à des chuchotements, à des résidus phoné.
tiques mal caractérisés ou même à néant, c'est un phénomène de caducité.
Consciemment, à moins d'un effet de réflexion, le locuteur croit avoir
prononcé l'intégralité du mot.
Le jour où les phonèmes caducs sont si souvent réduits à néant que la
conscience accepte cette réduction comme un élément fonctionnel licite
de la langue, il n'y a plus caducité, mais instabilité
Relativement nombreux sont les cas dans lesquels des individus phoné-
tiques autres qu' [œ] ont acquis en français l'instabilité. Mais alors que
nos vieux grammairiens n'hésitaient le plus souvent pas à reconnaître ce
fait de langage (1), l'orthographisme mène aujourd'hui beaucoup de gens
à ne vouloir considérer que comme un effet blâmable de la caducité ce
qui, depuis de longs siècles, a été accepté par la langue française comme
partie' intégrante de son système si souple d'instabilité. Exemples
[é] instable, dans déjà [d (é:) j à]. Ex. : :
A Berlin, ils ont d'jà la frousse.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 25).
Il a d'jà été à Laënnec.
(Mme CE., le 1er octobre 1924).
[è] instable dans c'est [s (è) (t)]. Ex. :
Tu vois çui-là. c'l un journalisse.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 12).
l' [(è)] ne peut ici se mettre en repos que dans les cas où la contiguité
amene le [t] instable classique à entrer en exercice.
[è] instable de cet [s (è) t] et de cette [s (è) t (œ)]. Exemples :
Mais j'veux le connaître, moi, c't oiseau-là.
(Ibid, p. 12).
Tiens, essaye, c'te capote.

[i] de il [(i) (1)] et de ils [(i) (z)]. Exemples : (lbid, p. 19).

Voilà : Marchand d'escargots, l'avait d'abord été aux — z — llalles.


(Ibid, p. 11).

(1) Cf. Restaut. Principes généraux et raisonnés de la grammaire françolse, chap-


XVII,p.563. :
tu vas tout d'même pas comparer. Lui, l'est poli il sait vous dire les choses.

; (Ibid,p.46).
Quoi, tu vas pas pleurer z'ont des jumelles, les cochons, ils t'verraient.
(Ibid,p.418).
Même balancement que ci-dessus entre l'instable vocalique du parler
nt-gligé et l'instable consonnantique classique. ..,
[m] de nous [n (ui) (z)] et de vous [(v) (m) (z)], réductible à [n z] et
à [v z] devant voyelle, de même qu'à [n m] et à [v m] devant consonne.
Ex.

- Est-ce pas, mam'selle, v's êtes de Paris ?


(lbill, p.178).
[u] de tu [t (u)]. Ex. :

T'arrives à point, Burrette, emmène-moi.


(lbirl, p. 13) (2).
Pis tu causeras si t'sais causer, quand l'auras travaillé.
(lbid, p. 29).
De nos jours, le français normal admet fort bien, dans la conversation
courante, la muance [t] devant voyelle (tu as [t à] (2), mais non devant
consonne (tu sais [t u sé].
— La prononciation [t s è ] est vulgaire).
[w à] dans voilà (3) [v (w à) 1à]. Ex. :
Le viti déjà 1 Mais n'te presse pas !
(Ibid, p. 13).
203. — Les consonnes ne sont pas exemptes d'une pareille caducité
tendant vers l'instabilité.
L' [r] et l' [1] terminant un groupe consonnantique post-final s'éclip-
sent dans la parlure normale devant consonne, ex. votre sœur :
j
au lieu de [ vè11de S d r : r] :
[v 6 t s œ :r] ; cela va le rendre fou [r a : d f m]. Dans la parlure vul-
gaire, il s'éclipse même à la pause Je vais te le rendre [jvè11de â
(Cf. § 36).
d] r :
L' [1] de celui [s (œ 1) q i] s'éclipse très souvent dans la conversation
courante, même dans la parlure normale (1), ex. :
Tu vois çui-là. c't un journalisse.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 12).

(2) Sur cette prononciation au XVIe siècle, cf. Gilles du Guez. An introductorie for to
tpche french, p. 900.
(3) En réalité, l'instable de voilà procède de l'e de la forme collatérale vela
1, Sur ma foy, monseigneur, dist le seigneur de Ligny, vela ung jeune gentil
:
homme qui sera à mon oppinion gentil galant s'il voit.
»
(Le loyal serviteur, IV, p. 33).
i,Mais comme [v œ 1 à] est une muance aujourd'hui désuète, la muance [v 1 à] a été
ncorporée
au vocable voilà.
§ 203. (1) Bien
bourgeoises,
1 que cette éclipse de l' [1] s'entende très souvent dans les bouches
on ne la trouve marquée dans les exemples écrits, que pour des person-
nages du vulgaire, parce que les auteurs ne se servent pas d'une figuration phonéti-
que autre que l'orthographe pour représenter les paroles des personnages censés
parler un français normal.
JDemême1* [1] de quelque [le è (1) ex.* :

Vaut mieux qu'on naisse : l'aquéquechose à garder.


Ubid,p.33).
Danscertains autres -G&S:, l'éclipse de l' Il] est plus exclusiveinent 'lui.
rgaire, ex. :
Qué canctremar ces frères-là, avec leurs bourrins.
(/bid., p. 43).
Le bon usage connaît également des [r] instables dans certains mots
tels que parce que [p à (r) s (œ) k (œ)] réduit souvent à [p à s k]. Ex.
— C'est-il pasque t'as une cassielte et un galon ?
(lbid, p. 12).

La préposition sur n'est sujette dans la parlure bourgeoise à perdre son


Ir] que devant la muance [1] de l'article masculin le (2), ce qui crée en
somme un article contracté [sul], fonctionnant, taxiématiquemcnt,
la
-exactementde même façon que les articles du et au, ex. :
Sul.'Boni du Nord un bal yest donné.
(Challson populaire).
L'écrasement des [v] intenocanques -est un phénomène banal de cadu.
cité, ex. :

-- L'a. é. ou.
Qui ça ?
u ?

- Guillaume
BMrel. ijes>a.«.ou.as?
(Théodore
!
Chanson,dans le Bulietiiides Armées
<le la République, No 99; 20-22 mai 1915).
H semble que cet écrasement tendtt, dans l'ancienne langue, vers une
instabilité véritable dans lesubstantif strumental vous, ex. :

N'estsichelis,nesiaies,
Cuin vous seréssous alés. î
Nus ours, quant il est bien betés.

(JetaalU de Meung, Le Romande la Rose, 10170).


Je sui tout prest, sîre, s'ous plaist.
(Miracle de la Nativité de Nostre Seigneur Jhesu Crist, G27).
Laissons-le là. sou m'en croyez.
( .1 ert n G
t(.Jel'n ode rd les
Godard, Les Def-gttisez.
I)etz, V. 2, dans Ancien Théâtrefrançois. Tome VII. p. 437).
Simonne, qu'ous avez de biaux oiseaux 1
Simonne, qui MOttsJcs donnez ? a
(La Comédie de Chansons. III, 1, hi ibid. T. IX, p. 171).

•(2)
mais
Eu réalité, la forme [s u 11 ne contient. hislorlqucimeut pas la préposition
la forme collatérale sus. Cette forme, que l'on trouve souvent anciennement, ex, :
si"
un clinslclqtie on âppeile Taillebourc, qui siet sus une maie rivicrc que
l'on appelle Carenle.
(Joinville. HistoiredeSaintLouis. 100).
-est encore couramment employée chez le vulgaire en loule po..dUoll, Dans la bourgeoisie
même. un certain nombre <i<; personnesl'iulmettententonteposition îlevjtnt
les noms

•Citait là, sus la cuisse I:suzt;].


-des parités dl1 CfHp". ex. :

(M. CF., le"7 octobre 192.1).


Cette suppression de lyl s",entend encorecouramment dans la «onverea-
tion courante normale actuelle pour la locution
l'if vous plait, composée
des quatre mots (s(i)], [(i) <1)], {(T) (m) (z)1, (p è
1 (t)J, etqui peut revê-
tir les muanoes (s i v m p i è] (mwasace de l'usage releva et
[8 y m p 1 è] (3) (muance familière).
Certaines articulations consonnantiques ne disparaissent, au moins dans
le parler actuel, que lorsque les roots dont elles font partie sont
englobés »
dans certaines locutions, ex. :
:r
:'
lis [1 i : s] en face de fleur de lis [f 1œ d œ 1 i :]
Le GhTist (1 de k r i s t] en face de Jésus-Christ m
Anlt 16 1 t] en face de le bourg d'Ault il œ b m : r d 6 :].
;
fjéz kr i
Batz [bats] en face de le bourg de Batz [1 œ b m : r d œ b a :].
est [è s t] en face de nord-est [n o r è :].
ouest [w è s t] en face de nord-ouest [n o r w à :], etc.

204. — Le parler français normal, tant de la conversation que de la


déclamation en prose, ne connaît pas, en dehors des cas particuliers étu-

voyelle subséquente :
diés § 190, de voyelle surfermée en hiatus à l'intérieur d'un mot avec
ainsi l'on prononce toujours hors des vers (d'après
§ 189), rouet [r w è], lueur [1 q œ : r], confiance [k ô f y a : s]. C'est

:
seulement en vertu du § 190 qu'on dit renflouer [r a : f 1 ui é], engluer
[âg1ué](1).
Dans la métrologie des vers, certaines des semi-voyelles en pareille
position peuvent compter pour un pied, pied que l'on pourra faire sentir
soit par l'apophonisation en une voyelle décidée, soit simplement par la
prononciation spéciale signalée § 156.
11 n'y a
pas, dans l'usage classique, de loi générale qui permette de
distinguer à coup sûr ces semi-voyelles. C'est uniquement une question
de cas particuliers, l'autorité des auteurs réputés classiques faisant loi
pour les vocables déjà employés par eux. Néanmoins, on peut donner
quelques indications générales, que voici :
1° Les [y] procédant d'un ancien [1] mouillé, étant d'origine conson-
nantique, ne peuvent jamais faire pied. Ex. : meilleur [m è y œ : r].
2° Dans les vocables de la racine latine de la souche authentique, le
groupe semi-voyelle + voyelle procédant d'une unique voyelle latine ne

(3) La muance [s i 1 v ui p 1 è] est un orthographisme. La muance [s m p 1 è], que


1 on
rencontre encore assez souvent, procède non pas de s'il vous plaît mais du tour
rU
j:,oust.
1
i,"?archaïque se vous plaist ; on l'eût jadis écrite s'ous plait ; elle est exactement
à la muance très fréquemment employée [s t œ p 1 è] qui procède de se te

r
§
II/l{
204. (1) La

"v llement
originellement distinctes:
:
prononciation normale du groupe « consonne + 1 ou r + ui/w ou
+ voyelle Il est donc en somme 1° avec la semi-voyelle si le groupe semi-voyelle +
vo>Qile est issu historiquement d'une voyelle unique,
ex. : groin [g r w S:], croix
(f r y i], Blois [b 1 w a-]. — 20 avec la voyelle si les syllabes ont été
SOIlt.Individuels
coi.n)e disent : :
éblouir [é
clouer [k 1 ui é] delclou, gruau [g ru 6:] de gru.Les échanges
et exceptionnels. Certains disent [g r m ë :] (voy. § 190) certains par
i : r], mais sans doute l'apparition du groupe [b 1 w]
.(-t-tle un but sémantiqueb 1 wprononciation vraiment étourdissante.
peut en aucun cas être compté pour deux pieds. Ex. : pied [p y é] ; huile
:
[qi 1(de)] ;loi [1wà]. ';
3° Dans les vocables de la souche néo-latine, le groupe semi-voyellc+

: : ;
voyelle procédant de deux voyelles latines contiguës compté en général
pour deux pieds. Ex. science [s (y/ i y) â s (de)] ruine [r (q/u) i:
n (de) ] (2).
En dehors de ces trois cas, pas d'autre règle que l'imitation des auteurs
antérieurs.

(2) La prosodiemaintient en somme très probablement là, pour tous les cas, un état
ancien qui n'a été, dans le parler courant, maintenu qu'après les groupes conson-
nantiques en [1] et en [r], du fait de difficultés phonétiques particulières.
CHAPITRE VII

L'ORTHOGRAPHE

SOMMAIRB

205. Genèse de l'orthographe française. — 206. La lecture. - 207. Lecture des


consonnes instables post-finales. — 208. Règle de Littré. — 209. Doubles
lettres. — 210. La duison des voyelles découvertes d'après la consonne insta-
ble. — 211. Règle du minimum de lettres. — 212. La lettre a. — 213. La let-
tre b. — 214. La lettre c. — 215. Lct-lettre d. — 216. La lettre c. — 217. La
lettre f. — 218. La lettre g. — 219. La lettre h. — 220. La lettre i.
221. La lettre j. — 222. La lettre k. — 223. La lettre 1. — 224. La lettre m.
--
225. La lettre n. — 226. La lettre o. — 227. La lettre p. — 228. La lettre q.
— 229.
La lettre r. — 230. La lettre s. — 231. La lettre t. — 232. La lettre u.
— 233.
La lettre v. — 234. La lettre w. — 235. La lettre x.' — 236. La lettre
y. — 237. La lettre z. — 238. Faut-il faire une réforme de l'orthographe?

205. — La graphie de la langue française n'est pas officiellement libre.


Il est généralement admis que la graphie adoptée par l'Académie française
est de meilleur aloi que les autres graphies possibles. Aussi porte-t-elle le
nom d'orthographe et l'enseignet-on tant aux enfants qu'aux étrangers. Il ,
y aurait lieu de discuter si un pareil dogmatisme est utile

a à coup sûr de profondément ridicule, c'est de porter de


; mais ce qu'il y
pareilles questions
sur le terrain administratif. Pourtant un ministre n'a pas craint de prendre
le26 février 1901-un arrêté sur l'orthographe !
L'importance sociale qu'a prise l'orthographe oblige le grammairien à
s'occuper d'elle. Ce qui lui impose plus fortement encore ce devoir, c'est le
péril orthographiste que nous avons défini aux §§ 39 et 40 et contre lequel
tous les amis de la langue française doivent se liguer pour lutter. ;..
Nous ne prétendons pas ici donner une histoire de l'orthographe française.
Une pareille entrepriseexigerait
pour chaque question particulière un vé-
ritable traité, avec études comparées des différentes prononciations provin-
ciales et justifications historiques. Il est toutefois important, pour com-
prendre l'incohérence de l'orthographe, incohérence d'ailleurs encore plus
apparente que réelle, de se représenter les vicissitudes qui ont présidé à sa
fonnation. :"
*
Le fond de l'orthographe française est
une notatioftphonétique plus ou
moins approximative datant à peu près du XIie siècle. Cette ancienneté est
lapremière source des divergencesentre l'orthographe et-la prononciation.
son évolution naturelle. C'est
En effet, la langue continué depuis lors
a
Cequi nous explique,
par exenple. que ai, eau, aim. an représentent respec-
tlVement,[è], [6:], [ê:], [S:],etc.
a
uautre part, dès le XIVe siècle est apparue une tendanceqm pds toute
-"', '., :.
son ampleur auXVIe siècle: rapprocherartiifciellement lagraphie français
de la graphie du latin. Pource faire, on a introduit trois ordres de lettre
parasites:
Le premier ordre comprend celles représentant un son latin que l'évolu
tion phonétique avait laissé tomber. Exemple, le d de advenir au lieu d
avenir. Les lettres de cet ordre ont souvent réussi à s'imposer à la pronon
ciation. Aussi bien, tout injustifiées qu'elles sont, procèdent-elles d'un tée]
savoir.
Le second et le troisième ordre, aucontraire, proviennent de véritables
méprises. Le second ordre comprend les lettres que l'on a replacées à coiéde
lettres françaises représentant précisément l'évolution du son mêmeq)18
figurait en latin la lettre réintroduite. Exemple : p dans nepuea au lieu de
neveu L'Académie a, en général, au XVIIe siècle, chassé ce second ordre de
lettres de l'orthographe française, (pais elles subsistent dans maint nom
propre, où les orthographistes ne craignent pas de sedonner le ridicule de
les prononcer. A côté des Innombrables Lefebere qui prononcent correcte.
:
a été transmise par méprise la prononciation :
mentleur iiomll de f è -v r ((5e)],il se trouve beaucoupdepersonnesàqui
[1 œ f é bu r (œ)] liceàla
forme ronde da v, et nous ne sommes pas sûrs qu'il ne se rencontre
pas des orthographistes pour oser, même avec le v pointu, prononcer
f r
[1ôe èbv (de)].
Le troisième ordre d'altératiou graphique pédantesque a consisté
dontil dérivait : tels
à mo-
delerun vocable sur un vocable ne pas [p
poids w à;(i)]
auquel ou a imposé led de pondus alors qu'il vient de peiisum, el legs
[1 ê : (z)J qui s'écrivait lais et qu'on a modelé sur legare alorsqu'il estle
déverbal de laisser.
206. -Il à
est certain qu'à moins d'avoir affaire des instituteursdéplora-
blement orthographistes qni les reprennent à tort, les enfants, dès qu'ilsont
compris le but de la lecture, identifientles mots d'une façon en grande
partie inconsciente,ettendent par conséquent,dequelque façon qu'ils soient
écrits,à les prononcer comme la langue orale les leur a déjà fait connaître.
Néanmoins, pour exposer didactiquemeut la question de l'orthographe,
on est forcé de faire de la graphie des mots une analyse plus consciente,
analyse qui sera d'ailleurs utile aux étrangers soucieux d'apprendre à bien
parler le français.
Le nombre des individus phonétiques du français étantde beaucoup supé-
rieur au nombre des lettres, beaucoup d'individus phonétiques son
représentés non par une seule lettre, mais par un groupe de lettres.
ainsi que nous allons le voir. C'est pourquoi le premier principe de
lecture devra être de savoir diviserle moten coupures représentant les dif-
férents individus phonétiques on groupes d'individus. On évitera ainsi des
erreurs grossières. Il est certain que oi représente très souvent [w a], maIS
ce groupe oi, malgréles apparences, ne se rencontre pas dans des mots
comme poignard, La Trêmoille, etc. qui doivent se couper:
fi—-à:—r—(zéro)].
p — o — ign — a — r — d
[p^-ô—
et
y rm-o
rj.— — ér -m - ni 1!- y - (&)].
Cf. aussi Vailly(V

Nous
res
- ai
:

- y) [v è r 1 i] et Mailly (M —

allons donner dans les §§ suivants quelques indications sommai-


a ill
qui puissent éviter aux étrangers de trop grossières erreurs de lecture.
— —y}

pour ce, nous


suivrons l'ordre alphabétique des lettres, et quand il sera
nécessaire d'envisager des groupes de lettres, nous les étudierons à pro-
pos
de la première des lettres du groupe.

207. — Néanmoins, il nous paraît utile de donner encore quelques


indications générales propres à aider à la lecture du français.
Les lettres consonnantiques de la fin des mots
représentent beaucoup
plus souvent dans les mots de la souche authentique des phonèmes insta-
bles que des phonèmes stables.
Les phonèmes [b], [d], fig}, [s], [f] ne se rencontrant pas comme ins-
tables post-finaux, les lettres b, d, g, s, /, quand elles représentent des
phonèmes instables, représentent toujours [p], [t], [k], [z], [v], c'est-
à-dire que les clausives en cette situation ne comportent jamais de glottai-

an grand enfant [M g à - r -t :
son, tandis que les strictrves en comportent toujours, ex.
à fà (t)].
un sérieux ennui [œ : s é r y œ : z à : n q i].
: :

208. —Littré (1) a fait remarquer qu'après un [r] stable post-final,


les lettres écrites ne représentaient même pas un phonème instable elles :
la rnort inévitable [1àm6
un port incommode [éé po: e k0m
:: ri :. it :0
ont une valeur proprement nulle, exemple :
r név à b1 (ie)]
du lard immangeable [dulà
: :rê: â:jà:bl
m
d (èe)]

un mors étroit [Ce m 6 : r é t r w à (t)], etc.,.


(œ)]

Pourtant, un phonème instable peut se rencontrer après [r] post-final


dans deux cas:
1° Quand ce phonème instable a une valeur taxiématique ; c'est le cas
du [(/.)] du pluriel,
ex. :
:fr:zàr :: è
de lourds anneaux [d (œ) 1ui
de forts empêchem£nts [d (de) b
n6 (z)]
zâ p : c (oe) mS (z)]. :
2° Quand le mot est uni
au terme suivant en une locution toute faite,.

rats [1à 6rt6:râi]


ex. ;
lamort aux m
de part en part [d t
(<3e) r]
pàr à:pà :
Bourg-en-Bresse[brark5.:brè:s (oa] (2).

(1)Liltré. Dictionnaire de la lanoue francaise. nassim.


(2) Le [f] qui a persisté dans la locution serfarbitre [sèrfàrbitr
ddûprobablement d'nne prononciation [s è r f] avec [f] stable qui s'entend (œ)] pro- -'
('s encore
la bouche de certains. Sinon, on aurait un [v]. Cf. nerrf ans [re & Y à r (z)].
On conçoit que dans ces cas, la prononciation reprenne le type général
"hez les sujets qui ont le sentiment linguistique de l'indépendance des
composants. Aussi peut-on très légitimement lire :
[1àmô :r6:râ:] r]
[d
[bui :râ:brè:s
(de) pà :ra :pà :
(&)]•
De même, on entend, avec l'affonctif fort, des prononciations comme
fort ennuyeux ô [f rtâ: i
n ycfe(z)] ; cependant, dans les provinces
où cet affonctif a continué à s'employer usuellement sans le caractère

nonce pas de [t] : fort ennuyeux [fô


nonciation semble la plus recommandable
dans certains milieux, ex. :
;
artificiel et un peu littéraire qu'il a le plus souvent à Paris, on ne pro-
:râ:nqs'entend
iyce(z)]
elle d'ailleurs
et cette pro-
à Paris

Françoise sera fort ennuyée : : i


[fÓ ra IlII Yé:].
(M.CH.,le6avril1920).

209. — A l'intérieur d'un vocable, on ne rencontre jamais, dans les


mots de souche authentique, un phonème redoublé. Il faut donc pronon-
cer:
unabbé[ce nàb
attirer[à
:
ti:r
é(r)]
é]
aller[à1é(r)]
n
l'honneur [16 œ : r]
un pommier [œ : p ô m y é]
un charron [œ cà 5 : :r :].
Les vocables d'emprunt tendent à se réduire de la même façon, :
ex.

à à:ré:]
ladiarrhée[1 dy
irritable[irità:b1(de)]
attraction [à tràksy
attitude [à t i t u d (œ)]

Dans ce genre de vocables, la prononciation avec la double consonne

::
s'entend souvent, mais il semble que la réaction orthographique y soit
pour quelque chose Restaut (1) prononçait syllabe [s i 1 à b (œ)], M,
Paul Passy (2) écrit
« Sous l'influence de l'orthographe, les formes de ce genre tendent
à

itt r t :
« se multiplier. On entend prononcer [g r à m m è : r], [i 1 1 u z y Õ
:]>

« [1 r :],
é à u r] et même [àddé à pourconserver l'h 1 Ces
qui
« formes sont surtout communes chez les gens de peu d'éducation
« s'efforcent de « parler bien. » Et Marcel Proust (3) se moque des jeu-

(1) Principes généraux et raisonnés de la grammaire françoise, chap. XIV, p. 471.


(2) Paul Passy. Petite phonétique. S 151. c. 56. note 1.
(3) M. Proust. A -
la recherche .-.
du -temps -perdu, Tome IV, p. 45.
qui, quittant la prononciation naturelle de leur enfance, affec-
nes filles
i
tent la prononciation [ê : t è 11 j a : t] en la croyant
bonne.
étonnement qu'elles sont devenues femmes si en
«
On remarque avec
décrétant qu'une personne est intelligente, elles mettent deux 1 au
«
mot intelligente. »
Cette règle ne s'applique bien entendu pas aux cas où les deux lettres
«

semblables appartiennent à deux vocables différents, ni non plus à celui


où l'une d'elles appartient à un élément taxiématique ou pexiématique
pourvu d'une individualité sémantique, ex. :
je mourrai [j (de) m m r r é]
je courrai [j (œ) k m r r é]

irrationnel[irrâ:syônè1]
(en regard de je pourrai [G (èe) p ui : r é)]
[i11égà1]
illégal
surrénal[surrénal]
Sile sentiment de l'individualité des deux parties du mot a disparu, la
double consonne disparaît aussi, ex. : innocent [i n Õ s à : (t)].
,
210. — Il semble que, la plupart du temps, la duison des voyelles
découvertes dépende du phonème qui les découvre.
La voyelle a plus de chances d'être brusque, quand elle est suivie de t
(et accessoirement de p, c, b, d, g) plus de chances au contraire d'être
tendre, quand elle est suivie de s (ou accessoirement de z ou .r) ou quand
elle porte l'accent circonflexe, qui est souvent la trace d'un ancien s, ex. :

unpet[fie :pè(6/6t)]
un pot [fie : p
(t)]
:f :r :
unforet [fié 6 è(t)]
maislapaix [1àpè (z)]
:: é à::
unmois [fie mw (z)]
laforêt[1àfèrè:
undépôt[fie d p6 (t)]

211. — Nous verrons dans les §§ suivants qu'un grand nombre de


lettres françaises n'ont absolument
aucune valeur phonétique. Les ortho-
giaphistes tendent souvent à rétablir ces lettres. Ecoutons à ce propos
M. Maurice Demaison (1).
« Elles lisent mal, les lectrices. Quelques-unes bredouillent et ânonnent;
« toutes écorchent les mots. Elles ne savent plus
prononcer les noms
« 1effet de l'instruction universelle

; ;
«propres; elles disent Crahonne, Longvy, Sainte-Ménehoulde. C'est
depuis que tout le monde lit, per-
(1 sonne ne sait plus lire

« apprenaient le français ;
on apprend sa langue par les yeux. Nos pères
par lesoreilles le moindre paysan savait qu'on
« dit Long-houy, Crâne, Crânelle, Sainte-Menou.
»

d) M. Demaison. Croquis de Paris. La lecture du communiqué, 7 octobre


1914, p. 52.
de pareils barbarismes
u Comme l'a remarqué M. Anatole
:
Il est hélas trop vrai que beaucoup d'instituteurs primaires propagent
France, si on n'apprend pas encore
« aux enfants à compter sur leurs doiktes, c'est que la science des instilu.
« teurs primaires est encore neutralisée par la délicieuse ignorance des
« mères et des nourrices » (2). « On entend à Paris des gens ornés de gants
« et peut-être de rubans violets dire : sette sous,, cinque francs : le mal.
« heureux sait l'orthographe, hélas l et il le prouvem (3).
Ce qu'il faut aller proclamant, au risque d'entraîner dans certains cas
particuliers des erreurs de détail, c'est qu'en général, et avant toute étude
d'une question, il faut entre plusieurs prononciations d'un même vocable,
réputer pour bonne celle qui fait sonner le moins de lettres (4).

212. — Quand elle forme à elle seule une coupure, la lettre a peut re-
présenter soit les sons [à], [à:], soit le son [a :]. Des considérations his-
toriques pourraient quelqufois indiquer lequel des deux sons prononcer
mais les grammaires historiques ne précisant la plupart du temps pas
;
dans quelles circonstances les voyelles latines ont donné soit [àL soit [a.],
il y a bien des cas dans lesquels l'usage seul peut faire connaître la pro-
nonciation) ex. :
[à] : r
à]
unplat[œ;p1à(t)]
il aura [i 16

un sac [œ : a à k]
la patte [1 à p à t (œ)}
un chameau [è : c à m 6
[à :]
r
gratter [g à é(r)] t
le suffixe — abbe [à : b
:1

(œ), comme dans aimable


[èmà:b1(de)1
1

lagare[1àgà:r(oe)]
la cave à k à v (œ)]
[1 :

réparer [répà:ré(r)J
:] un fa[œ:fâ:]

unglas [œ :
H (z)]
unas [cé nà s]
g :
: :
esclave
:
casser [kâ sé(r)]
:
[èskIa v(œ)} 1

le suffixe — ation [a s y ô :], comme dans temporisation


:
: i :
;[tâ pôr zâ syô:]
:

Quand après l'a, une lettre consonnantique telle qu'n ou s a disparu, ou

(2) Rémy de Gourmont. Esthétique de la langue française. La Déformation, p. 123.


(3)Jbid.,p.124.
-l'alsgrave : « ---
(4) Cf. ce passage de
- - Wnan so ever two consonantis come to gether,
-.. -r
vI
whiche the first belongeth to the vowel that goeth before, and the nexl to the yowel
«
« folowyng the fyrst of theni only shatbe. lefl unsounded, as sauldain, luicter, dicton,
«adjuger, digne, multitude, despens, respit, shalbe sonnded soudain, luiter, diton, (lJu.
«ger, digne, multtmdc, despens, Tcspit, and so of ail suche olher.»
(L'esclaircissement de la langue française. p. 23).
bien quand a procède du groupe aa, on met
d'ordinaire un accent cir.
conflexe sur la lettre a, et l'on prononce [â :], ex.
:
âme [& m(de)]<anme
pâte [p a : t (œ)] <
paste
:

âge [a : j (de)] <


aage < eage
bâiller [b a : y é (r)] < baailler
Cf. cependant les formes du type vous aimâtes [v m z è : m à t ( (de) z)],
ilaimât [i 1 è : m à (t)], prononcées toujours avec un [à] et plus souvent
avec un [à] brusque qu'un [à :]
tendre.
Il ne faut d'ailleurs pas établir un rapport nécessaire entre ce fait gra-
phique et ce fait d'histoire phonétique. En effet, l'on a pris l'habitude,
pour mieux marquer l' [à:], de mettre des circonflexes sur des a dans
des mots ou a n'avait jamais été suivi d'aucun phonème ensuite amui, ex.: -
grâce [g r à : s (œ)] < gratia ; crâne [k r à : n (œ)] <.
xpavfov, ten-,
danee que l'on voit porter plus loin dans certaines « fautes »
d'orthogra-

:
phe. Beaucoup de gens écrivent le Hâvre (1) au lieu de le Havre, parce
qu'on dit [1 œ hà v r (œ)]. De même, nous avons recueilli dans une
rue de Paris l'inscription suivante :
J.-B. BARREAU
Mâçon
(Enseigne, 27, rue Descartes, recueillie le 1er juin 1923) qui répond à
la prononciation [m a : s ô :].
Et d'autre part, il y a des mots qui devraient historiquement porter le
circonflexe et qui ne l'ont pas, bien que leur prononciation normale com-,
porte un [a :], ex. :
gagner [g a : n é (r)] < gangner (2).
La coupure ae n'existe que dans les mots d'origine étrangère. Dans les
vocables de souche néo-latine, elle s'écrit le plus souvent par la ligature
X, et se prononce d'ordinaire [é], ex. : caecum [s é : k Õ m]. Dans les
mots allemands, elle s'écrit en séparant l'a de l'e et on prononce [è],
è
t
ex. : Haeckel [è k 1]. En néerlandais, elle s'écrit de même et se pronon-
ce [a :], mais cette particularité étant communément ignorée en France ;
on dit plus souvent Maeterlinck[m è è
è r1 :k] que [m a : rlë:k].
La coupure aen vaut [a :] dans Caen [k a ].
t
:
La coupure ai
sonne le plus fréquemment [è] ou [è :], ex. :
m bai [b è]
laid [1 è (t)]

s»rcelui,deardee.
de(1)
de
V'/sce.'
Au

(2)Lasouci
disant
vrai,
dans
le nom complet de cette ville, que l'Académie orthographie Le Havre
il n'y a pas plus de raisons de ne pas mettre d'accent sur l'a de Havre que
Prononciation
---
[g à ft é], que quelques orthographiste9 préconisent parunsoi-
nllllques de purisme, n'a donc pour elle ni l'usage populaire, ni les considérations
véritables.
,',', :.:':: Monimirail [m ô
laide[1èd(de)] ;"
un traitement [œ : t r
: m irè 11 (Mont-m
è t (de)m';
à (t)]
-
-, ,.
i-r-ai
-"
;
è:]
:>J
:
:] unebaie [un(de)b
è:]

unelaie[un(de)1 :
r:
frais[f è (z)]
t
l'.
;

;
l'air[1è:r] 1

lahaine [1àhè n.(oe)]:


.", ,
jedaigne- [j (de) d è : n (œ)] (d — ai — gn — e)
: :
traînant [trè nâ (t)]
La prononciation [é] se rencontre à la première personne des « passés
simples » de la première conjugaison et de tous les futurs. Sa présence dans
lésfuturs et dans j'ai [j é], fait que, malgré sa bien moins grande fré.
quence vocabulaire, elle se trouve aussi répandue dans la langue parler
que la
prononciation [è] ; ex. :
Je mangeai [j (de) m à : j é]
; ré]
[j â:j
Je mangerai [j (de) m à : j (de)
J'aimangé ém é].
La prononciation [é] se rencontre aussi dans quelques autres mots :
00»le6]
unqiiai [œ : k é]
Je sais [j(oe) s é (z)]
Cf.
Mais il y a des jours, tu sais,
je
où mesenslas,agacé.
- (Paul Géraldy. Toi et Moi. Nerfs, p. 7).
La coupure ai sonne [é :] dans :
gaie[gé :]
gaieté, gaîté [gé é] :t
gaiement, gaîment [g é : m à : (t)]
«

La coupure ai représente [(èe)] dans plusieurs formes du verbe faire


jefaisais[j(de)f(de)zè (z)] :
t

nous faisons [n m
faisant [f (de)zà
f:(t)ex.
(de) z 0 :
-
(z) ]

:
;1. un faisan [i% fzà
Elle représente [de] dans

:..-une-'faisane [u n (de) f de z à n (œ)]


un faisandeau, [œ:fdez&:d6:]
-

'p faisander [fdezS:d<(r)]


pisant-

et dans l'usage de
;., :
La coupure ai peut aussi valoir

[dwè
certaines

: r].
personnes à la plectique
t
i
M$iS!cette prononciation est peut-être une contagion analogique

-
[à], ex. : dOUflirière [dw àry.è r(ta)}
pape le verbe souhaiter [s w à t é (r)},ai vaut [à] àla nonfpleçtique,

,
[j (ce) s w à t (de)] à côté de [j{de)sw è (de)]. Cf. fouetter ; et
rièreenfacededouaire
loinsub
: :
saint[sê (t)]
:
saint [s(e (è n)]
ignetill,§
pour a et i se succédant sans appartenir à la même cpupur§,\.plus

Les coupures aim et ain valent [e


lafaim[làf?:]

contraindre [kô:trê:dr(de)]
:
Paimbœuf[pê bdef]
lemaintien [1(di)mê:tyê:]
Les Coupures am et an représentent
:],ex.

[a ex.
:

:
222.
douai-
.-
:
même. : je iOuhaittt.
de

te dam [1 (œ) da:]


leban[1(de)bà
un champ [œ :câ:]
unchant [œ:câ:(t)]
CésarFranck[frâ k]
lalampe[1à1â:p(oe)]
:
la mante [1 à m à : t (de)]
:
la,'framboise [1 à f r â b w à : z (œ»)
fr : i:
la franchise [1à 5 c z(de)]
Sur les cas où m et n appartiennent à la fois à deux coupures, v. infra
subm et n, §§ 224 et 225.
Pour ao, il faut distinguer si la coupure se compose d'ao seulement,
d'aonoud'aou.
la coupure ao, on peut donner une règle assez simple, mais il faut
Pour
segarder de la croire absolue. Voici cette règle : devant n (et éventuelle-
ment m), ao vaut [à] ou [à], ex. :

LeLaonnois [1(de)1à n (z)]
Craonne [k r à n (de] ou [k r a ; n (de)]
n
une paonne [u n (de) pà (de)]
; 1 ? :
un paonneau [m : p à n 6 :]

..0,',,',
Devant une autre lettre qu'm ou n, la prononciation est [6 :] ou [ô]r
ex. ;
Le Saosnois [1 (de) s 6
Aoste [6 s t (œ)]
extraordinaire
:

;:
n w à (z)]
[èkstrôrdinè:r (de)]
Ce n'est que si l'on veut faire ressortir le préfixe extra qu'on peut
prononcer [èkstràôrdinè:r (de)]
-
mais dans ce cas a et o ne
sont pas dans la même coupure.
Cf. les deux prononciations d'aoriste : [b r i s t (de)] et [à à r is t (de)].
La seconde se justifie parce que l'a est significatif :
La coupure a6 parait par contre représenter toujours (6 :], ex. :

La Saône [1 à sô
n (de)]:

La coupure aon équivaut le plus souvent à [a :], ex. :

Laon [1a:]
Un paon [ffi : pa:]
Un faon [ffi f à :]:
Sur le caractère classique de ces prononciations, cf.

il ressembloit au pan, qui, après avoir regardé ses pieds, baisse inconti-
nentla queue.
(Furetière. Le Roman bourgeois, p. 61).
Le Pan se plaignoit à Junon.
(La Fontaine. Fables choisies, 11, 17. Le Pan se plaignant à Junon).
Mere Lionne avoit perdu son fan.
(Ibid, X, 12. La Lionne et l'Ourse).
Dans flan, l'o a même disparu de l'orthographe.

:
Le vocable taon se prononçait autrefois, au moins dans certains mi-
lieux, [t ô :], comme en font foi le dicton « Quand pend-on l'enfant ? »
que l'on avait fabriqué pour faire retenir la prononciation de Caen, paon,
taon, Laon, faon, la prononciation recueillie par nous dans la bouche de
M. CG. et l'exemple suivant :
Ou vont faire la guerre aux taons
Plus importuns que hannetons.
(Scarron. Le Virgile travesti, I, p 69; Col. 2).
Il a été ramené au cas général, dont il ne semble d'ailleurs pas avoir
eu de raison historique des'écarter.
A côté de taon citons Saint-Laon [s ê : 1 ô :], qui se prononce toujours
avec [ô :] en face de Laon [L à :], nom de ville.
Cf. la mélopée qu'on dit lorsqu'on berce les enfants pour les-amuser,
en les tenant qui par les épaules et qui par les pieds :
Din don
Carillon
Pour Madame de Saint-Laon.
(Chanson populaire).
La coupure aou, se prononce [ml ou [m :], ex. :

saoul [sui]
Août [m : (t)]
Sur la prononciation de ces mots, cf. :

Le mois d'Aousl bouillonnoit d'une chaleur esprise.


(Uonsard. Sonnets pour Hélène, H, 25, T. I, p. 330).
Je vous payray, luy dit elle,
Avant l'Oust. foy d'animal.
(La Fontaine. Fables choisies, 1. La Cigale etla Fourmy).
Au bout de la semaine, ayant disné son sou,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou.
(Ibid, III, 17. La Belette entrée dans un grenier).
Le nom du mois d'Août subit quelquefois la diérèse. Le nom propre

aujourd'hui avec a et ou en deux coupures :


Raoul, qui se prononçait autrefois [r w], se prononce presque toujours
[r à m 1] ; mais cette pro-
nonciation nouvelle est très probablement un orthographisme (3).
La coupure au peut représenter quelquefois [ô], [6:], plus souvent
[6:], ex. :

[6] Auch[ô c]
è:
l'holocauste [1 b 1 Õ k à s t (de)]
mauvais [môv (z)]
[ô:] :
saur [so r]
t
unetaure[un(de) 6 (de)]:r
:r :r
l'aurore [1ô 6 (de)]
j'aurai [j ô : r é]
un taureau [œ : t ô : r 6 :]
[6 :]
:
un sarrau [M : s à : r 6 :]
haut[h6 (t)]
blockhaus [ b 1 ô k 6 : s]
6
:
pauvre [p : v r (œ)]
gauler[g6 1é(r)]
La coupure aun ne se rencontre pas dans les mots français. Dans les
mots bas-bretons, l'usage est de prononcer [fié :], ex. : Salaiin [s à 1 Œ :]
La coupure ayn vaut [ê :], ex. : Blayn [b 1 ê :]
Sur ay, v. infra y, § 236.

:
213. — Pour b, deux alternatives ou bien il représente [b], ou bien
il a une valeur phonétique absolument nulle : ex. :
[b] ballot [b à 1 (6/ôt)]
râble [r à : b 1 (de)]
habit [à b i (t)]
jujube [j u j u b (de)]
nabab [n à b à b]

(3) Sur la variété de prononciation de la coupure aou et le peu de confiance que l'on
oott accorder à la graphie
Picards.
pour régler la prononciation, cf. les noms de trois villages

I :
Caours [k 6:1 (en patois [k cfe :])
r]
.Naours [nô:r]
Daours dm -
.1
Le b quiescent se rencontre surtout à la fin des mots, : ex. :,:".,.
radoub[ràdui]
plomb[p15:]
LeDoubs[1(œ)dui:]
b
De pareils
;
sont tellement nuls qu'on les a souvent supprimés. Cf.
tout de go, où go est le déverbal dé gober cf. aussi radouer, doublet
canadien de radouber, ex. :
Ça prit troisgrandes semaines pour lui radouer le fond de cale. ;'
(L<9Ui& Fréchette. Tom Caribou, dans Le MondeNouveau, 1/15 août, 1923,p.54).
- t)ans les mots de la souche néo-latine, lorsque b précède une autre
lettre consonnantique, l'usage le plus général actuel, du moins dans la
bourgeoisie, est de le faire sonner [b], mais cet usage a pour origine un
orthographisme, comme en font foi toutes les graphies ci-dessous :
Serveiz Dieu de vostre sustance.
(Rutebeuf. Complainte ou conte de Nevers, 124. T. T, p. 71).
Car ce qui est oscur, font il cler devenir.
(Id. Li diz des Cordeliers, 89, p. 220).
Ne la retient Nonoslenlé
N'autre justice.
(Id. Du Pharisian, 34, p. 24.1).

C'est-à-dire, nous explique Jubinal, le nonobstant des arrêts, que l'au-


teur personnifie.
Car or est clere, or, est oscure.
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose. 4810).
Oscurcir la convient et fuire.
(Ibid,4814).
Sonieusement y ovier.

c'est-à-dire : « soigneusement y obvier.


(Mislere du Siège d'Orléans, 18189).

ostiné,dit-elle..
Je yvois deux grans ostacles et empeschemens.
¡: (Le Romant de Jehan de Paris, p. 30).
Tu"es bien
(Nicolas de Troyes. Le Grand Parangon des Nouvelles Nouvelles, II, p. 230).
La bonne prononciation ne se rencontreplus guère que dans le vul-

comme :
gaire. La tradition la maintient néanmoins, même chez les gens cultivés,
dans certaines chansons,
Ainsi périss'nt les enfants obstinés [ô s t i né].
(Lepont du Nord).
.., ,¡. ,.,'
Envertu des principes que nous
- ,"'
avons énoncés au § 40, il y aurait à
s'efforcer de rendre la vogue à la prononciation sans [b]. Dans un bon
enseignement de la lecture, le b doit être considéré comme ne servant
qu'à assurer la prononciation de l's, quisans cela représenterait simple-
ment un signe équivalent àl'acceiit circonflexe. Cf. Cosne [k 6 : n (de)]
La coupure bb vaut d'ordinaire [b], ex. :
l'abbé[1 bâ é] ,. -..
',., ,-, -'
deux b ne
Cette règle ne concernant bien entendu pas les cas où les
de la même le premier d'entre eux appartenant par
seraient pas coupure,
exemple à un préfixe consciemment compris, ex. :
subbrachien [subbràkê ( :
,.
,. - -

214. — La coupure c peut représenter [s], [k], [(k)], [g], accessoire-


ment [c], ou n'avoir pas de valeur phonétique.
[s] est la prononciation ordinaire de c devant les lettres e, i, y,a?, et œ
non suivi d'u.
cent [s a : (t)]
[làsitrui:y
la citrouille (de)]
un cygne [Ce : s i n Cèe)]
le caecum [s é : k b m]
le tronc cœliaque [s é : 1 y à k (èe)]
[k] est la prononciation ordinaire de c devant toutes les autres lettres,
y compris œ suivi d'u.
la canne [1 à k à n (èe)]
:
un col [Se k61]
un cœur [Ce : k de : r]
la cuisine [làkqizin (èe)]
,
l'action [1 à k s y ô :]
la rancœur [1 à r a : k de : r]
La prononciation [g] se rencontre dans un certain nombre de mots,
tels que:
second [s (de) g ô : (t)]
zinc [z ê : g]
reine-claude [r è : n (de) g 1 6 : d (œ)]
gicler [j i g 1 é (r)] -

témoin l'ancienne graphie segond, ex. :


pour son segond et grand
-- -
..;amy. -

(Branthôme. Recueil des Dames, II, Tome XII, p. 23).


et les dérivés tels que zingueur [z ê: gde:r]. Ces mots étaient plus
nombreux autrefois. Le bon usage voulait que l'on prononçât secret
t[s de g è (t)] et Claude [g 1 6 d (de)]. Cf. la graphie segret,
r : :
ex.
à
Ordictestrestout loysir
Segretement tous vos peschez.
(Moralité de Charité, dans Ancien Théâtre françois. Tome III, p. 423).
Il faudroit foncer
Dix escus, pour vous annoncer
Le vray segret et la nouvelle.
(R. Belleau. La Reconnue, IV, 6, in ibid. T. IV, p. 410).

Ces prononciations, pour autant qu'elles aient été conservées tradithm.


nellement (1) sont à recommander (2).
La prononciation [c] a été conservée sporadiquement par certaines per-
sonnes dans des mots italiens. On entend encore quelquefois dire violon-
celle [vyô15 cè
cèl(de)].
: 1 (œ)], et l'on a dit autrefois vermicelle [v è r m i-

Quand il termine un mot c représente souvent [(k)], ex. :

un croc [œ k r (ÓfÕk)]
:
l'arsenicàrsdeni(k)]
blanc [b 1a (k)]

le respect [1 (de) r è s p è (k)]


Enfin, c est absolument nul dans certaines positions. Ex.
dutabac[du
l'estomac
tàbà]
[1èstô à]
m
:

Cf. Le dérivé tabatière, fait à une époque où le sentiment linguistique


ne connaît évidemment pas du tout de [k] dans tabac.
De même, à la fin des mots après r, ex. :

un marc [œ : m à r]
un porc [œ : pô r] :
Cf. la graphie mar, ex. :

« pour le droit de mar d'or. »


(Archives de la Seille-Inférieure février 1629). Apud Le Correspondant du 25 juil-
let 1922, page 306.
Il est souvent difficile, tant pour c que pour toute autre lettre conson-
nantique, de décider si la lettre est absolument quiescente ou si, dans
certaines liaisons, elle peut se développer en un phonème ligatif. La règle
essentielle de prononciation est de ne point prononcer ce genre de lettres
en dehors du cas de liaison.
Ce peut être décomposable en deux coupures
e, i, et y, ce valant alors naturellement lk s], ex. :
; !i

c'est la règle devant

k :i :
l'accès [1 à sè (z)]
l'accident [1 à ks dâ (t)]

(1) Comme par exemple dans les patois du Bas-Maine. Cf. Dottin. Glossaire des Patois
du Bas-Maine, p. LXXXIV.
1 6 : d] font une distinction entre [k 1 6 : d (de)],nom d'homme, et [g 1 o
nom de femme.
:
(2) Certaines personnes, probablement sous l'influence de la prononciation [ r è : n g
d (&)].
des cas
de ne
exceptionnels,
faire qu'une
pour
coupure et
des raisons sémantiques
de prononcer [k], ex. :
:
Devant les autres lettres, cc n'est partagé en deux coupures que dans
la bonne règle est

accumuler [à k u m u 1 é (r)]
acclamer [à k 1 à : m é (r)]
accroître [à k r w à : t r (de)]
ç, qui n'est originellement qu'une ligature graphique représentant M,
vaut [s], ex. :
lafaçon[1 àfàs :] ô
jetançais[j(de)tà:sè:(z)
Certains noms propres ont conservé l'ancienne graphie cz, ex. Pinczon.
[pc :sô:] :

coupure ce, d'ailleurs rare, vaut toujours [s], ex.


La
:
douceâtre [d m sà t r (œ)]
:

Les mots qui la présentent sont des restes de l'hésitation qui s'est ma-
nifestée dans la notation du son s venant de c latin. Cf. dessiller en face
deciller.
La coupure ch est la façon française de beaucoup la plus usuelle de
représenter [c], ex. :
un chameau [œ : c à m 6 :]

Foch[fôc]
:
un vacher [ce v à c é]

à c
lacloche[1 k1ô (de)]
un chirurgien [œ
i]
le préfixe arichi-[à r c
:cir r
u j yë:]
les bronches [1 è : b r ô : c (de) (z)]
lacachexie [làkàcèksi:]
La coupure ch se prononce plus rarement [k], ex. :
le varech [1 (de) v à r è k]
:
l'aurochs [16 6ks]
rétr
y(ê:/èn)]
chrétien[k
la chiromancie [1 k
:
un archange [dé : n à r kâ j (de)]
à ir â:si:]
ôm
la bronchopneumonie [làbrôkôpndétmôni]
un chœur [dé : k de : r]
Remarquer que ch devant une lettre consonnantique sonne toujours [k].
Dans certains mots anglais, dont la graphie n'a
pas été francisée, ch est
Auvent prononcé [te], ex. :

un speech [® : s p i c] t
Mais ce fait exceptionnel ne peut être considéré comme un fait de

la langue, ce ch est ramené à [c], ox.


un lunch [œ : 1 œ :c] ,
:<
grammaire française. D'ailleurs, dès que ces mots vieillissent un peu dans

du punch [d u p ô : c]
la sandwich [1 à sâ d w i c] : -
Ch peut aussi être absolument nul, ex. :
l'almanach [1 à 1 m à n là]
La coupure c'h, qui se rencontre dans des noms bas-bretons, et qui a
en bas-breton la valeur de ch allemand, ne se prononce pas du tout en
français, ex. :
,.,' Ploumanac'h [p mm n l
Penmarc'h [p ê : m à : r]
à à] -

Le Marc'hadour [1 (de) m à r à d ui : r]
La coupure cq vaut ordinairement [k], ex. :

Le Pecq [1 œ p è k]
Ce groupe peut aussi être absolument quiescent, ex. :

Leclercq [1 de k 1 è : r]
La coupure cqu représente [k] dans les mêmes conditions que qu, ex. :
acquérir [àké ri:r]
Sur cz, v. supra.
215. — La coupure d représente le plus souvent l'individu phonéti-
que [d], ex. :
ladanse[1àdâ (de)]
adieu [à d y de]
:s
David [d à v d] i
la
mode[1 m à 6d
(oe)]
A la fin de certainsmots, d représente [(t)], ex. :
froid [fr â
w (t)]
grand[grâ:(t)]


Il peut aussi être absolument nul, ex. :
unnœud [ce ndé]
lourd [1ui
:
:r]
,
L'orthographisme a fait rétablir le [d] dans des mots comme
j
adjoint[kd .w..ël::.(t)]..

ciennes
Voit
:
dont la bonne prononciation était [à j w ë : (t)]. Cf. les graphies

le conte Sauvaige qui lui amonestoit.


,),t
-
an-

(Le Romand6Hugues Capet, i981),


El lorsje feis tourner vers le su. V ,
(Laudonnière. Histoire de la Floride, p. 62).

.,.",
vers la mer du Su.
(Ibid,p.222).
i: r]
;",

:
pour advenir, la bonne prononciation
solides positions
[à v (de) n a encore de

Cependant ilavint qu'au sortir des Forests


Ce Lion fut pris dans des rets.
(La Fontaine. Fables choisies, II, lt. Le Lion et le Rat).
Il avint qu'au Hibou Dieu donna genilure.
(lbid, V, 18. L'A.igle et le Hibou).
Même dispute avintentre deux voyageurs.
(Ibid, IX, 1. Le Dépositaire infidèle).
L'Académie autorise l'orthographe avenir, que l'on doit préférer en
écrivant.

216. — La coupure e sans accent représente en principe soit un [de],


stable ou instable, soit une voyelle stable.
Elle représente [de] dans les cas suivants :
1° A l'intérieur d'un mot quand l'e est séparé de la lettre vocalique
suivante par une seule lettre consonnantique, ex. :
[(èc)] lever [1 (ce) v é(r)]
mener [m (de) n é (r)]
tenir [t (de) n i:r] **

un caleçon [6e : k à 1 (œ) s Õ :]


[de] è
un brevet [ôê : b r œ v (t)]
un brelan [œ : b r œ 1 a :]
penaud [p de n ô :]
Ss peut servir simplement à éviter la prononciation [z]. Dans ce cas,
l'e précédent se prononce [de] et non [è], ex. :

:
ressentir [r (de) sâ t i : r], composé de re et de sentir
Hessons-sur-Matz [r de s Õ : su r m : â:]
Bressuife [b r de s q i : r (de)]
è
Ménessier [m n (de) s y é]
Ilennessy [è n (œ) si]
Et pour certains : cresson [k r de s 5 :]
2° A la post-finale (1' [de] est bien entendutoujours instable dans
ce cas),
e est soit la dernière lettre du mot, soit suivi de s, valant [(z)], soit

(!Hais
ceci uniquement à la 3° personne du pluriel des verbes) suivi de
valant [(t)], ex. :
r
verte [vôt
la tarte [1 à t à r t (de)]
(œ)]
[i â:j
trois hommes [t r w à : z ô m (èe) (z)]
ils mangent m (de) (t)]
La coupure e représente dans tous les autres cas une voyelle stable autre
qu' [œ], à savoir principalement à l'intérieur d'un mot devant un grou.
pe de lettres consonnantiques et à la finale, et, pour certains, dans le
suffixe -eUer [è 1 y é]. La voyelle stable en question peut être [è], [é]
ou [à].
m est un cas particulier. Cette prononciation se rencontre dans deux
cas:
1° avant nn, mm, ex. :

la femme [1
lagemme[1à àm(oe)] j
à f à m (de)], en face de

hennir [h à n i : r]
u~(Hïemme~03 : d i 1 è m Cœ)].

et tous les adverbes en -emment [à m a : (t)]


Cette prononciation [à] résulte probablement de la dénasalisation d'un
ancien [â:]. En effet, dans le français ancien, existait un phénomène
d'infection nasale des voyelles devant [n] et [m], infection qui existe à

était représentée autrefois par des graphies comme


Or dit li rois a la roïne
:
l'heure actuelle dans beaucoup d'autres langues. Cette infection nasale

Comne le félon nain Frocine


Out anoucié le parlement.
(Béroul. Le roman de Tristan, 470).
Sor loi- eulz a toz conmandé 1
Que cil qui ainz te porra prendre
S'il ne te prend, fera le pendre.
(Ibid, 1032).
Li Rois ne le prent pas, cui douce France est toute,
Qui tant par aintne l'arme que la mort n'en redoute.
(Hutebeuf. Li diz de la voie de Tunes,30. T. I, p. 162).
Plus ainms Dieu que home qui cmprent leil voiage.
(Ibid, 45, p. 163).
Granment n'a mie que la fame
A un chevalier, gentiz dame,
Estoit en ce païs en vie.
(Id. Du Secrestain et de la Famme au Chevalier, 65, T. II, p. 116).
puis dit au chevalier kejà li fius à cel vilain n'averoit sa fille à fenme.
(Li contes dou roi Constant l'empereur, p. 9).
Ceste hesonane est bonne et crasse
Ne voiz-tuconme elle se fait ?
:
(Miracle de l'enfant donné au Diable, 143).
Vous ne savez conment il m'est,
Dame, mais je le vous diray.
(Ibid. 158).
Les graphies officielles très nombreuses du type de année, honneur, etc.-
sont jc
témoignage persistant de cet ancien état de choses. Sur l'ancien-
neté de la confusion des lettres e et a en. semblable position, cf. :
Quinze citaz en oscle, estre Provence,
Li dorai en Viane, estrc Valence.
(Gérard de Rossillon, p. 385).
Cf. l'original occitain :

Ilii dara e Viana, Aria e Valensia.


(P.238).
L'image ressembloit à la vierge pucele
Qui le doux Jhesu-Christ nouri de sa menunelle,
(Saint Alexis, rédaction monorime du XIVe siècle, vers 62).
Et plus char sur eulx comme pouldre c'est grant habondance volailles empan-
liées.
(Psautier du xv siècle. Psaume LXXVII, p. -106).
C'est un des plus beaux apennages de sa couronne.
(Furetiere. Le Roman bourgeois, p. 337).
J'ay des Cavales en Egypte qui conçoivent aubannissement des chevaux qui
sont devers Babylone.
(La Fontaine. Fables choisies. Vie d'Esope, p. 33).
2° Après [w], comme dans

la couette [1 à k w à t (de)]
je fouette [j (de) f w à t (œ)]
nous fouettons [n w uif à tô
(z)]
Peut-être dans ce cas, l' [à] a-t-il son origine dans les syllabesnon
plectiques. Nombre de personnes font encore l'apophonie, je fouette
[j (œ) f w è t (œ)] J ;
nous fouettons [n m f w à t ô : (z)] et inversement la
prononciation [f w à] pour fouet [f w è (t)] existe dans des usances pro-
vinciales.
Un vocable
deux catégories que nous venons d'étudier

Il faut gratter leur coine.


;
comme couenne [k w à n (oe)] appartient à la fois aux
cf. la graphie

(Adrien de Montluc. La Comédie des Proverbes. HI, 5, dans Ancien Théâtre fran-
Çois.T.IX,p.80).
De même Rouennais [r w à n è (z)], rouennerie [r w à n (œ)
:
ri:],
Couenne [j
w à n (de)] etc.
[è] ou [è :] est la prononciation ordinaire, à l'intérieur des mots, dans
les cas ci-dessus définis (1). Néanmoins,
quant l'une des deux lettres con-
sonnantiques est sans valeur phonétique, la prononciation peut être [é].
Par exemple dans Belfort [b é f ô r]
: : et devant les deux s qui servent (
a évit.er la
prononciation [z] après le préfixe dé, ex. :
dessouder [d é s m d é (r)]
Du cas général, voici quelques exemples
: ,
Un tesson [fié : t è s ô :]
(1) Cf.
i1 y é].
pourtant la prononciation [oe] dans Gennevilliers [j de n v
la personne [1 à
unsellier
unterrein
sè 1y é] •
[œ:tè:reetc.,rr
[€e :
p&rs.6n(&)] V

A la finale, e sonne toujours [è] enfinale couverte ou recouverte, ex..


du sel [d sè1]u
laselle[1àsè1 ;

En finale nue ou découverte, c'est-à-dire quand e est suivi d'une con-


sonne instable ou d'une lettreconsonnantique sans valeur phonétique
propre (2), le timbre de la voyelle dépend de la
nature de la lettre con-
sonnantique ; ed vaut [é], ex. :
:
unpied[Ce py (t)] é
Ef vaut[é],ex. :
laclef[1àk1é]
unbief [œ byé] :
Eh ne se rencontre que dans le factif nominal eh qui se prononce [è]
quand il est seul et [é] dans eh bien [é b (y) ê :]
Epvaut[è],ex. :
un cep [œ sè] :
La prononciation assez répandue [s è p] est un orthographisme.
Ervaut[é],ex. :
: S :jé]
unboulanger [œ bui1
premier [p r à m y (é/èr)]
primer [pri é (r)]
;
m ;

Es ne constitue de voyelle stable qu'en monosyllabe. Cette voyelle est


alors [é :] dans la prononciation courante, et le plus souvent [è dans :]
la déclamation, ex. :
les[1 é:(z)et[1 è:(z)]
:: :
mes[mé rz)]et[mè (z)]
:
tes[té (z)]et[tè (z)]
des[dé:(z)]et[dè:(z)]
ces[sé:(z)]et[sè:(z)]
ses[sé :(z)]etsè:(z)(3).
Est vaut [è],ex. :
ilest[i1è(t)]
et des noms propres comme Forest [f ô r è
Bouvest [bruv è
:
:
(t)]
(t)]

(2) On
consonne comme une coupure, par exemple :
pourrait aussi considérer, dans çe dernier cas, le groupe formé par l'e et la
clef, c-l-ef [k 1 éj.
(3) La prononciation [é : (z)] est aussi la bonne pour la préposition les et l'arme
insomptif pluriel, es, qu'on écrit aussi, respectivement, lez et lèS|,et è*.
1
un pouletî
ungilet[œ:ji1è(t)];
glt sauf dans
[66:p ui
,,'
é
;
laconjonctionet{é](4) vaut [è],ex.
^(t)^ ',.H' ""::"H"
:

pjZ :
vaut [é:], ex.
annez [fié né:]: :
vousavez [vuizàvé (z)]
é
chez[c (z)]: Bouchez [b m c é :], etc.
et des noms propres :
Quand l'e porte un accent grave ou aigu, la forme de cet accent est
régie par les règles suivantes :
Accent grave, si la syllabe suivante contient un e représentant [œ] sta-
ble ou instable.
Accent aigu dans tous les autres cas, ex. : fidèle, éviter, élève, fée,
été, (5).
La coupure è vaut [è], [è :], ex. :

:
i
p
je pèlerai [j (oe) è1 (de) ré]
l'avènement [1 à v èn (de) mâ (t)]
un pène [œ : p è : n (œ)]
La coupure é vaut le plus souvent [é] ou [é :], ex.
l'étang[1é à
l'élan[1é1à
t :

la créature[1àk éà u
à b 6 té]
r t :r
la beauté [
l'opéra[16pé rà]
1
: :

Néanmoins, beaucoup de personnes prononcent [è] les é quand une


syllabe suivante contient un [è], ex. :
l'élève[1è1è v(de)] :
l'événement [1 è v è n (de) m a : (t)]
Enfin, il faut signaler que é a autrefois servi à indiquer que [de] devait
être stable, ex.
:

Sans moy, ce vaillant chef, que vous m'avez ravy,


Fust péry le prémier, et tous l'auroient suivy.
(Corneille, Médée, II, 2).
Cette graphie a été conservée dans l'orthographe de quelques mots,
dans lesquels même l' [de]
a pu devenir instable ultérieurement,ex. :
un réverbère [œ : r (œ) v è r b è r (œ)]
C'est dans les mêmes conditions historiques que pour l'a (§ 212), et

(4) Surcette prononciation spéciale de et, v. Livre VI.


v5) Certains noms propres ont. conservé l'orthographe archaïque
par é, làoules noms
OIrnnuns
c j (œ)]..;.'
ont l'accent grave. Cf. Liège [1 y è : j (de)] et liège [1 y è :
sous les mêmes réserves, que l'on voit e prendre un accent circonflexe. Au
point de vue de la prononciation, elle est d'ordinaire [è :], ex. :
latête[1à è tà :t(de)]
la grêle [1 g r è : 1 (de)]
grêler [g rè : 1é(r)]

Quelquespersonnes prononcent [é:] les ê quand la syllabe suivante


contient un [é] ou un [i], ex. :
:
arrêter [a ré t é (r)]
la bêtise [1 à b é : t i z (<3e)]
La coupure ean vaut [a :], ex. :
Jean [jâ:]
La coupure eau vaut toujours [ô :] à la plectique, ex. :
r
un renardeau [œ : (œ) nà d :] r6
un veau [fié : v 6 :]
un seau 1re : s6 :]
(6).
Quand la voyelle n'est pas plectique, eau peut valoir [ô :] ou [ô], ex.:
poireauter [pwàrôté(r)]
chapeauter [càp6
beaucoup [b 6 : k ui (p)]

(r)]

La coupure ée vaut [6:1, ex. :


f
la fée[1à é:]
oubliée [m b 1 i y é :]
une assiettée [unàsyèté:]
je créerai [j (de) k ré r é] :
Eh devant une voyelle est d'ordinaire sans aucune valeur phonétique,
ex.:
Sainte-Menehould
m-e-n-ehould
[m-œ-n-lli]
Les Ecrehoux
E-c-r-ehou-x
[é-k-r-w-(z)]
La coupure ei vaut [è :] (7), ex. :
la peine [1 à p è : n (œ)j
lareine [1àrè n(de]
veineux [v è : n
:
de : (z)]

(6) Le vocable cheau < catellum, restreint à l'usance paysanne et à la disance dos
le
chasseurs, se prononce plus souvent [c y 6 :], voire [c y ô], d'où la graphiechto.
(i) Sous la même réservequepour l'é dans arrêter.
La coupure ey vaut [è] ou [è :], ex. :

Volney[v o1 è]
11
laSeyne[1àsè n(de)}:
Les coupures eim et ein valent [ë :], ex. :

: :]
feint[fS (t)
Reims [rê s] -
plein[p1(ë:/èn)]
terrein [tè:rë:]
peintre [pë:tr (œ)]
éreinter [érê:té(r)
Les coupures em et en valent soit la :], soit [ë :].
[a :] peut actuellement être considéré comme le cas général, ex. :.-

,
en [â:]

Lens
:
lent[1â (t)]
t1â:s]
ui 1â:]
Doullens [d
t :t
latente[1à â (de)]
enfermer [â:fèr é(r)] m
Remarquer:
emmancher
em-m-an-ch-e-r
[â:mâ:cé (r)] i

ennui
en-n-u-i
:
[3 nqi]
en face de
Emmanuel
E-mm-a-n-a-e-l
à è
[èm nq 1]
ennemi
e-nn-e-m-i
[èn(de)mi]
On prononce [ë :] dans les cas suivants :
1° Toujours à la plectique après semi-voyelle et après e quand il n'y a
pas de lettre consonnantique subséquente, ex. :
unchien [M e yê
unlien [fié:1y5:]
unParisien [fié:pàrizyë:]
-


un Européen [l!nœrôpéë:] -

Saint-Ouen [s ë : t w ë :]
Bêgoucn[b w ég ê:] 1

Ecouen [é k w ê :]
La prononciation Rouen [r w a :] est universelle, mais probablement
soit la prononciation, soit la graphie sont-elles d'origine dialectale.
Après semi-voyelle ou [é], mais en dehors des cas. ci-dessus indiqués,
on a tantôt [e :] tantôt la :], ex. :
[ê :]

[S
il vient [i v y ê (t)]

:]
unbienfait[œ
lafiente[1à
:fybyâ:tê:(oe)]
fè(t)]
1
émollient [é m6 y a : (t)]
l'inconvénient [1 ê : kô : v é n y a : (t)]
Hésitation entre [a :] et [ê :] l'ingrédient [1 ê : g ré d y ê (t)]
[1ê g : rédyà:(t)1- : ou

2° Dans beaucoup de vocables d'origine non francimande ex. :

Agen j
Suffren [s u f
[à c:]
r ê :]

Magenta [m à j ê : t à]
Il en est ainsi notamment pour la prononciation française de tous les en
originairement bas-bretons, ex. :
Trébeurden [tré bœrd ë:]
,
»
:t : r
Penmarc'h [p ê : m à : r]
Penthièvre [pë yè v (œ)]
De même, le bon usage veut qu'on prononce toujours [ê :] le en ou le
em qui se voient à la fin des composés de lingualité germanique, ex. :
[f rstê: è:r]
i ::
Furstémberg u b
Wissembourg [v sê b ui r] :
Oldenbourg [Õ 1 dê b m : r]
De même Nuremberg [nu ê bè r : :r]
3° Enfin, dans un certain nombre de mots de souche néo-latine, l'usage
-
hésite :
mensuel [m ê : à st :syÕ]
sqè1] ou [mâ sq è1]
a:s t sy
la menstruation[1 me: rua: ou [m rua: Õ:
j :s n
la gentiane [1à ê yà (œ)] ou [j il : s y à n (de)].
Dans certains mots où l'usage classique voulait en en une seule coupu-

:i ê
re, prononcée [ê :] ; beaucoup de gens ont pris l'habitude de prononcer
en deux coupures [èn], ex. :
l'hymen [1 m :] ou [1 m n] i è
| l'abdomen [1 bdom à ë
:] ou [1 m àbdo èn]
Cf.
L'écrevisse sera. vive, dans l'eau bouillante,
Cardinaliséeencarmin,
Et, morne enterrement, l'huîtreglisse vivante
Au sépulcre de l'abdomen.
(Emile Goudeau. Poèmesironiques, p. 171).
Ici l'on voit un cirque et le peuple romain,
Des Sabines en pleurs l'involontaire hymen.
(Delille. L'Enéide de Virgile. Livre VIII, p. 783, col. 1).
La coupure es ne se rencontre que dans de rares vocables à la place d'à
ou d'é. Elle vaut [è :], [é :] ou [é], ex. :
Festoyer [fè :t à é
w y (r)]
Estaires [è : t è : r Cœ)] ou [é t è : r (de)]
Estrées-Saint-Denis [é :tr :s :d
é ê (de) ni]
Solesmes [s à 1 è : m (de)]
La coupure eu a deux sortes de prononciations
[èe :], ou [de], [de :], et la prononciation [u], [u
::].
la prononciation [de],

En phonétique normale, on prononce soit [de], [de :],


soit [de], [ce :]
quand la voyelle dérive d'ô ou d'Õ/iL latin (8), ex. :
[de] neuf [n de f] < nÕvum
seul [s de 1] <
sôlum
gueule [g de 1] <
gUlam
[œ :] cœur [k de : r] cor<
fleur [f 1 de : r] <
flôrem
[ce]. il meut [i m ce (t)] < môvet •«*

un neveu [ce : n (de) v ce] <


nepôtem
[dé :] la meule [1 à m de : 1 (de)] môlam<
oiseuse [w à z ce : z (de)] <
otiôsam
deux [ d ce : (z)] duos<
Au contraire, on prononce [u] ou [u :] quand eu procède d'un u latin
précédé d'une voyelle protonique amuie (9), ex. :
[u] eu [u] < habùlum
[u :] eue [u :]
Mais la similitude de graphie et l'influence des prononciations dialecta-
les ont depuis si longtemps créé la confusion, qu'il y a des cas pour les-

heureux [de : r de : (z)] au lieu de [u


:
quels une prononciation contraire à la normale ci-dessus définie s'est
maintenant imposée. On dit par exemple
:
,
r ce : (z)] < heur<C augü-
riu,n(10).
feu [f ce] au lieu de [fu] < fatûtum

(8) Nyrop. Grammaire historique de la Langue française, Tome I, §§ 177 et 182.


(9)lbid.,fi186.
(10) Dans le vulgaire beaucoup de gens ont conservé la bonne prononciation
lu
[
: r tfe : (z)]. Les puristes la recommanderont.
j
tu jeûnes [t u dé : n (de) (z)] au lieu de [t u j u : n (de) (z)] <Cje/u.
:
jias et inversement, non seulement on dit, mais on écrit
:
des mûres [d é mu : r (de) (z)] au lieu de [m de : r (de) (z)] < moras.
On peut se demander si ces prononciations anormales ne sont pas dues
A la confusion avec les mots :
heure [œ : r (de)] < horom
feu [f<t>] < fÕcum
jeune [j de n (de)] < jûvënem .-
mûre [m u : r (è)] < matûram
Mais c'est certainement l'orthographisme qui a agi dans un cas comme
:
celui de Eure, prononcé maintenant [de r (de)] par beaucoup de per-
sonnes, alors que la bonne prononciation est [u : r], ainsi que le témoi-
gnent les rimes de Voltaire (11), Eure, nature, structure.
La coupure eun vaut [œ :1, ex. :
à jeun [à
j Se :]
La coupure ew ne se rencontre que dans des mots étrangers, ou on lui
impose la prononciation française [èe] ou [de], ex. :
New-York [n œ y ô r k] ou [n dé : y b r k]
Newton (n oe : t ô :]

senter [(v)] ; ne représenter aucun phonème.


:
217. — La coupure f peut avoir trois valeurs représenter [f] ; repré-

1° [f] ; cas de beaucoup le plus fréquent, ex. :


la fève [1 à f è : v (œ)J
le soufre [1 (de) s m f r (de)]
l'œuf [1 de f],
l'agrafe [1 à rà
g f (œ)]
2°[v], ex. :

neuf ans [n de v à : (z)]


3° valeur nulle, ex. :
neuf personnes [ndepè rsôn (œ) (z)]
un cerf [lé : s è r]
la clef [1 à k1 é]
les œufs [1 é : z cfe : (z)]

218. — La coupure g peut représenter [j], [g],[(k)] ou n'avoir aucune


valeur phonétique.
[j] est la prononciation ordinaire devant les lettres e, i, y, ex. :
ungeste [de è (de)]
lagifle[1à 1(&)]
:j
jif st
un gyroscope [ôe:jirôskèp(de)]
1 i.
(11) Apud Nyrop. Loc. cit., § 269.
[g] est la prononciation de la coupure g devant toutes les autres lettres,,
:
ex.
lagare[1àgà :r(de)]
la gomme [1 à g b m (œ)]
u t
auguste [5g s (oe)]
lagrenouille r
[1àg denuiy
A le fin des mots, on voit g représenter un [k], ex. :

un joug [œ : j m (k)]
le sang [1 (de) sâ (k)]
long [1 ô : (k)]
: .
En principe après [r], g ne représente rien, ex. :
bourg [b m : r]
Nuremberg [nurê :bèr]
g ne vaut rien non plus dans des mots comme:
un doigt [œ : d w à (t)]
:
vingt[vê (t)]

Longwy [1ô : i]
Etrœungt [é t r fié :]
w
prononciation [dj], qui s'entend dans quelques mots anglais com-
La
me gin [d j in], n'appartient en réalité pas à notre système de graphie.
La coupure ge vaut [j], ex. :
ungeai [fié è] :j
un pigeon [œ : p i j ô :]
la gageure [1 à g à j u : r (œ)]
Le ridicule orthographisme [g à j de : r], qu'on entend dans la bouche
de certaines personnes d'éducation insuffisante résulte d'une faute de cou-
pure:
g-a-g-eu-r-e
au lieu de g-a-ge-u-r-e
- -

[g] Enghien[â
unghetto[œ
::ggêè:]tt6]
Gh vaut [g] ou ne vaut rien, ex. :

valeur nulle Malbrough [m à 1 brui]


Le Ranelagh [1 (de) r à n (de) là]
La coupure gn est la notation la plus courante dans la langue de nos"
jours pour représenter [n], ex. :
un gnon [œ : fi ô :]
un agneau [œ : n à n 6 :] -,
digne [d i n (èe)]
Quelquefois gn représente [n], ex., :
unsignet [fié :sinè(t)]
et, dans la bouche de certaines personnes
magnifique [m à n i f i k (de)]
:
maligne [mà1 in
(de)]
Cf. les graphies :

Lors que se rencontrant sous la main de l'oiseau


Elle sent son ongle maline.
(La Fontaine. Fables choisies, V. 15. L'Oiseleur, L'Autour et l'Alouette).
L'exposition était manifique
(M. CI. Lettre du 3 juin 1841).
G et n peuvent aussi être contigus sans être de la même coupure, ex. :

ignifugé [i g n i f u j é]
s
gnostique [g nô t i k (œ)]
La coupure gu représente [g], ex. :
..;
la guise [1 à g i : z (de)]
il guettait [i g è t è (t)]
la bague [1 à b à g (de)]
Elle peut aussi ne rien valoir du tout, ex. :
Longuyon [1 ô : y 5 :]

;
La prononciation [g w] du groupe gu ne s'entend que dans des mots
d'origine espagnole ou hispano-américaine copiée sur la phonétique espa.
gnole, elle n'appartient en réalité pas au système graphique français, ex. :
l'alguazil[1à1gwà :zi1]
Viguiane [1 i g w à n (de)]
:
La suite graphique gu donne d'ailleurs lieu à une difficulté distinguer
les mots où g et u sont de la même coupure ou de deux coupures conti-
guës. Dans les mots ci-dessous par exemple, g et u appartiennent à deux
coupures différentes :
Guise
g-u-i-s-e
[g q i : z (de)]
aiguille
ai-g-u-i-ll-e
q
[è g i : y (de)]
aiguiser
ai-g-u-i-s-e-r
[è g (u/q) i : z é (r)]
De même :
orgueil
o-r-g-ue-il
[b r g de y]
orgueilleux
o-r-g-ue-ill-eu-x
r
[5 gdeycfe (z)] :
219. — Abstraction faite des coupures dans lesquelles h n'est pas la
première lettre et qui sont étudiées ailleurs, on peut dire que la lettre h a
trois rôles :
1° Ou bien elle n'a aucune valeur phonétique, ex. :

it
l'hémolyse [1 é m o 1 i : z (œ)]
l'héritier [1 é r y é]
déshabiller [dézàbiyé
(r)]
le thé [1 (de) é] t
le whist [1 (de) w i s t]
le rhumatisme [1 (de) rumàtism
le catarrhe [1 (de) k à t à : r (de)] (1).
(de) ]
2° Ou bien elle représente l'assurance d'hiatus, ex.
:
:

la hanche [1àhâ
c(oe)]
le hibou h ibui]
[1 œ
je hais œ h [j è (z)]
et de même à l'intérieur d'un mot :
enhardir [a : à r d i:
r] et non pas [è n à r d i: r]
surhausser [s u : r œ ô : s é (r)] ou [s u : o : s é (r)] et non pas
[s u : r 6 : s é (r)] qui serait un orthographisme.
Ou bien elle est le reliquat d'une époque où et v n'étant pas distincts

d'i et d'u ; elle servait au début des mots à éviter les prononciations [j] et
[v]. On doit donc considérer dans ces mots une coupure hu et une cou-
pure hi, valant respectivement [y] et [q], ex. :
huile [q i : 1 (de)] et non * [v i 1 (de)] :
hièble [y è : b 1 (œ)] et non *
[j è : b 1 (de)]
Il semble y avoir eu, au moins dans certaines parties de la France, hési-
tation pour ces cas entre la graphie hu et la graphie w, ex. :
Souvent t'ai wi veu ferir
Etles grans presses départir
Sovent as hui ma gent laidie.
(Guillaume de Palerne, 2 135 - 2 137).
Lire les deux fois [q i].

f
(1)
ex.
fondues,
Vous,
:
Dans le mot géhenne
— gêne, les deux voyelles se sont très anciennement con-
pour qui cent cœurs, chaque jour, , !
Souffrent mille cruelles gehennes.
(La Révolte des Passemens, anno 1661,dans Variétés historiques et littéraires,
orne
T T, p. 245).

ar6
Où la scansion exige que l'on prononce [j è
panière : n (de)]. Ce n'est que récemment et d'une
artificielle que certains ont cru devoir établir une différence sémantique entre
~"c
n
[j è : n (œ)} et géhenne [j é è n (de)j. Cf. le nom de lieu Lenharrée [US : é r :]
220. — La coupure i a quatre valeurs :
1° Elle vaut [i] ou [i :1, ex.
[i] uncri[œ k : r1ii](t)]
:
lit[55
un
unfit :fi1]
:

une ride [u n (de) r i d (œ)]


unbidet[Ce b
citer[sité(r)
: idè
la mitre [1 à m i t r (iè))

[i:] i:
mis [m (z) ]
tir :ti:r]
un [œ
larive [1àri:v(<3b)]
virer [v i:ré(r)]
2° Elle vaut [y], :ex.
lafièvre[1àfyè:vr (<5e)]
:

piétiner [p y é t i n é (r)]
iouler [y m 1 é (r)]
3° Elle vaut [i y], ex. :

un sanglier [œ : s â : g i y é]
ri
1

trier [t yé(r)]
plier [p 1 i y é (r)]

:
Noter la succession d'un i valant [i y] et d'un i valant [y] dans les im-
parfaits comme
Nous criions [n ra kriyyô (z)]
i : :
vouspliiez
4°Ellevaut[y/iy],ex. :
[vlup1 yyé (z)]
• ;
l'expiation[lèkspya:syô:]et prosodiquement [lèkspiyà:syô:]
la science [1 à fc y 5 : s (<3e)] et prosodiquement [1 à s i y a : s (ôe)J
scier [s y é (r)] et prosodiquement [s i y é (r)]
l'Ionie [1 y 6 ni.:] et prosodiquement [1 i y ô n i:]
Cf. :
Les violettes æIonie
Fleurissent sous ton pied charmant.
(Leconte de Lisle. Poèmes alltiques. Hélène, 111, p. 98).
L'accent circonflexe sur i a les mêmes origines historiques que pour a
et pour e (§§ 212 et 216), d'où la prononciation originelle [i :] qui, dans
certains mots s'estréduitedepuis à ex. [il,
Ji:1 uneîle[uni:1(<3e)]
-
,; -
ladîme[1àd
un
i:
gîte[fef:ji:t
(de)] m
(&)]
-

abîmer[àb i: é(r)]
m
ifi(t)]
qu'ilfît[k
une huître [unq itr
(00)]
:
;
Certaines gens, chez qui survivent davantage les traditions historiques,
étendent l' [i :] à plus de mots, tandis qu'au contraire, certains autres
en
restreignent le domaine.
Il va de soi qu'il faut prononcer la coupure is comme t dans les noms
propres qui ont échappé à la réforme graphique supprimant les s muettes,
ex.:
Fismes [f i m (de)]
:

Peu de personnes ont conservé la bonne prononciation [r (de) j i : t r (œ)]


du vocable registre, plus communément prononcé, par un orthographisme-
vicieux, [r (de) j i s t r (œ)]
La coupure ie vaut [i :], ex. :
lapie[1àp
jecrierai[j (de)
i kri:ré]
La
pour représenter [n], ex. :

Et la mouche prendra ryraigne..,


coupure ign a longtemps été en concurrence avec la coupure gtt.

L'aigle aura l'asne pour compagne,

(Larivey. Les Tromperies. 11, 3, dans Ancien Thédtre françois. Tome VII,pp.36-
37).
Cilqui d'un bossu s'accompagne
Fait un semblable et pareil gain
Que fait la mouche avec ryraigne.
(Ibid, 111, 2, p. 62).
L'Académie a, on ne sait pourquoi, laissé subsister cette notation dans
un certain nombre de mots. Le danger est alors que l'on réunisse l' [i] à
la coupure "précédente, lisant par exemple :
Montaigne
: M-on-t-ai-g-n-e

comme donner
d-ai-gn-e-r
au lieu de M-on-t-a-ign-e
Dans certains mots, le bon usage
prononciation correcte, ex. :
a, ¡ ,
jusque de nos jours, conservé la
:"
Philippe de Champaigne [c à : p à n (de)]
Montaigne [m ô : t à n (de)]
ô
l'encoignure [1 a : k n u : r (de)]
:
un poignet [oe p Õ fiè (t)]
Un moignon [œ : m Õ n 5 :]
un poignard [ce : p ô n à : r]
la poignée [1 à p ô n é :]
[jS:p6fi(de)]
j'empoigne
nous oignons [n ui z 6 fi
1
Õ : (z)]
unoignon[dàabfiô
:

Cf.:
Unsacrificateurm'empoigne
Et sur moi se met en besogne.
(Scarron. Le Virgile travesti, II, p. 96, col. 1).
L'orthographisme a malheureusement triomphé d'une manière quasi
définitive pour beaucoup d'autres vocables, tels que :
saigner [s è : fi é (r)]
baigner [b è : n é (r)]
l'araignée [1 à r è : fi é :]
:t :
lachâtaigne[1àcâ è fi(oe)]
soigner [s w à fi é (r)]
éloigner [é1wà é(r)]fi
Comme témoins de la bonne prononciation, cf. :
Ce fut aussi une loi que fit Héliogabale que la vefve ne se remariast d'un an
après la mort du mary, affin qu'ell' eust le loisir de le plourer toute l'année, et
de penser sogneusement d'en prendre un autre.
(Branthôme. Recueil des Dames, II, Tome XII, p. 73).
Ainsi donc me plaist-il de vivre
Eslogné des soins de la cour.
(La chasse et l'Amour, Anno 1627, dans Variétés historiques et Littéraires,
Tome I, p. 72).
car il avoit appris à jeusner à l'eau et à la chastagne.
Il semble que la graphie Sardagne, dans un exemple comme
Lerendez-vous de toute la flote estoit en Sardagne à la Rade de Calary.
:
(Furetière. Le Roman bourgeois, p. 254),

(Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France, S. Louys. Tome II, p. 746).


soit un exemple de l'erreur inverse, la forme originelle étant
Sardaigne
S-a-r-d-ai-gn-e
[s-à-r-d-è :-n-(œ)] < Sardinia.
La coupure il à la fin des mots vaut [y] (autrefois [Â]), ex. :
:
le travail [1 (de) t rà v à y]
le soleil [1 (de) s Õ 1 è : y]
le seuil [1 (de) s de : y]
le cercueil [1 (de) s è r kde : y].

;
L'orthographe a, en général, conformément à la prononciation, réduit
ouil final à ou, ex. : genou, pou elle a pourtant laissé subsister, pour le
mot [f (de) n ui], la graphie fenouil, dans laquelle il ne vaut rien.
Il faut prendre garde de confondre ces cas avec ceux où t et Z appar-
tiennent à deux coupures différentes, ex. :
un poil
p-oi-l
[p w à1]
Montmirail

[mô m : irè
m-ont-m-i-r-ai-l
1]
La coupure ill vaut [y], ex. :
la bouteille [1 à b m t è : y (de)]
[ r
la grenouille 1àg denu-i ::ry (&)]
la bouilloire [1àbuiywà (<3e)]

pour ce son, qui était autrefois [X](1), l'on a longtemps hésité entre
différentes graphies, ex. :
Car chassié fut comme un soullon.
(Villon. Ballade finale du Grand Testament).
par ainsi la rivière de Bièvre, ayant sa descharge près Chaliot, ne regorgea
dans les faux bourgs Sainct Marcel et Sainet Victor.
(Inondation du Faux Bourg S. Marcel anno 1625, dans Variétés historiques et
lillèraires, T. Il, p. 229).
Nous verrons plus loin que la graphie II a été régulièrement conservée
après i.
Dans certains cas, où il y avait anciennement [9 y] l'on a conservé

::gràrzègiyyé]é]
illipour marquer le son [y], ex. :
un marguillier[œ m
un groseillier[ru
: :Ó
un quincaillier [M k ê : kà y é]
un joaillier [œ : j w a : y é]
Cette prononciation est sans doute celle qui a amené des graphies com-
me celle du nom propre Chevaillier [c <3e v à 1 y é] >
[c <3e v à y é]. Il
est très admissible de ramener un pareil non à la prononciation [c de v à
1 y é]. (Cf. le
nom commun chevalier) ; mais la lecture ch-e-v-ai-ll-i-er est

.',
vraisemblablement un orthographisme.
Il faut d'ailleurs remarquer que, dans le cas où [y] a une valeur taxié-
matique ou pexiématique actuelle, [Â.y ldevient [y y] au lieu de [y]. Il
faut alors considérer ill-i comme contenant deux coupures, ex. :
1

nous bataillions [n m : b à t à y y ô : (z)]


nous émerveillions [n uizè èrvèyyô
m
un coquillier [œ : k à k i y y é]
:
(z)]
Les coupures im et in valent [ê :], ex. :
Joachim w [j àcë:]
(1)
encore recommandée par Littré n'est plus conservée que
La prononciation [Â]
dans des
:
usances. La prononciation [y] est d'ailleurs déjà ancienne à Paris, au moins
Oz le vulgaire, Cf. chez Vadé qui écrit en langage poissard
Conv'nez qu'on n'peut gueres entrer
Dans de plus meyeure famille.
(Vadé. Chanson sur le mariage de M. le Dauphin. Tome II, p. 133).
Maurice nous est allié -
Par la gloire et sa vayence.
(ibid).
:
unbassin [œ bà
:
quint[kê (t)]
se:]
vingt[vê :(t)] :
lezinc[1(<3e)zê g]
unsphinx [00 :
: :jsf :ë ks]
unlinge[fie 1ê (<3e)]
l'absinthe [1 à b s ê : t (de)]
latimbale[1 àtê: à
un nimbe [5ê : n ê : b (œ)]
b 1(œ)]
tinter[tê :té(r)]
Néanmoins dans le mot Juin, dont la prononciation est assez flottante
la plupart des Parisiens donnent àla coupure in la valeur [ce :] ,

Juin [jq6b :]

Les exemples de rimes anciennes en [oé :] sont assez nombreux, ex. :

Ceux de Meung perdirent leur pont


Le XV. jour dejeuing,
Et lequel y n'arresta sont
Pas deux heures, ce dit chascun.
(Mislel'e du siège d'Orléang, 19818-19821).
Vendredi septième dejuing
Mené fut devant le commun.
Les Molz dorez de Grognet, Apud Anciennes Poésiesfrançaises, T. VIT, p. 13, note).
Mais ils ne permettent pas toujours de décider entre la prononciation

:
[j q œ :] et la prononciation [j œ :], que l'on entend dans certaines
usances, et qui est attestée par des graphies comme
Le jour seiziesme, après le moys de jung
Renditl'esprit, l'an mil cinq cens et ung.
(Complaintes el epitaphes du roy de la Bazoche, 637, in ibid, Tome XIII, p. 413).

221. — La coupure j vaut [j], ex. :

Janvier [j a : v y é]
un jardin [œ : j à r dê:]
je [j(œ)]
jouer [j w é (r)]
:
jurer [j u r é (r)]
déjà [déjà]
-

222. — La lettre k, en principe étrangère au francien, n'existe que dans


des mots d'emprunt, où il vaut [k] ou [(k)], ex. :
un kilomètre [ce:kilômètr (de)]
le kaolin [1 (<5e) k à à 1 ê :]
la karyokinèse [làkàryôkinè z (èe)]
le Danemark [1 (<5e) dàn (m) m àrk]
:
233.
lourd [1ui r]
- :
Au début du' mot, 1 vaut [1], ex. :

lever (oe) [1 vé(r)]


leliège[1(œ)1yè :j(œ)]
l'intérieur des mots, la coupure 1 peut soitvaloir [1], soit valoir Hl)]
A
ne rien valoir du tout, ex. :
soit
[1] unbalai[œ
la chaleur
:bà1è]
[1 à cà r]

[(1)]
unpoulain [œ
elle [è (1 (œ)
:)] ptu1 1 de :
ë :1

(
cela[s (os)1)à]

valeurnulle : celui [s ( (de) 1) q i]


ils[i(z)]
Beljorl[bé 6 :f :r]
[ti ô
moult [m m : (t)]
Thibault b
Le Merlerault [1 (œ) mèrlderô:]
,

le Crould [1 (èe) k r m]
Cf. :
Pauvres gens, où sont-ils f
Les voilà bien lotis. -
(Meilhac et Halévy. La Périchole, III,
:
of).

A mots, VI connaît quatre valeurs


la fin des
1° La valeur [1], ex. :
un bal [œ b 1]
un fil [œ : f 1]
:i à
un col [œ : k ô 1]
2° La valeur [(1)], ex. :
il
[i(1)](1)
3a La valeur [y], ex. :
un linceul [œ : 1 ê : s œ : y] (2)
Choiseul [c w à z de : y]
cf- :
Vous n'emportez du monde qu'un linceul
Voyre tout seul, de ce n'ayez jà dueil,
Car votre orgueil ne vous garantira
Qu'i soit ainsi on voit le cas à l'œil,
;
Car d'autre acueil n'aurez que ung cercueil
Pour tout recueil, où vostre corps sera.
IX(L Exclamation des Os Sainct Innocent, dans Anciennes Poésies jrançoises. Tome
lx)P.75).
Pour les détails de la prononciation du mot il, voy. Livre VI.
(1)
(2)mots
les 1-1 prononciation parisienne [13 : :
s dé y] parait résulter d'une confusion htm
en — euil, linceul venant de linteolum où l'[l] n'a pas de raison de s'ttn
mouillé L'orthographe représente donc probablement une prononciation ancienne.Pour
Mais le Masque de fer soulevait le linceul,
Et la captivité le suivit au cercueil.
(A. de Vigny. La Prison, p. t30).
Et tous deux enveloppèrent le corps de Jésus:Christ en des linceuils avecC
des aromates.
(Le Tourneux. L'Année chrétienne. T. V, p. 102).
4° La valeur [(y)], qui procède de [(£)]•
le mil [1 (de) m i (y)] <milium. (Cf. mil [mil] < mille).
gentil [j a : t i (y)]
un fusil [œ : f u z i (y)]
un sourcil [œ : s m r s i (y)]
Pour les adjectifs comme gentil l' [(y)] entre obligatoirement en exer.
cice dans l'état construit. Au contraire, pour les substantifs du type fusil,
un très grand nombre de personnes n'utilisent jamais l' [(y)] et la pro.
nonciation est dès lors [f u z i].
L'orthographisme a fait rétablir l' [1] dans quelques mots, ex. :
un péril [œ : p é r l] i
[1]
:
un cil [il s 1] i
Sur la prononciation correcte de péril, cf. :
Mais l'Oiseau qui nargue le péril
Avalera leurs plombs comme des grains de mil.
(T. Derème. La Verdure dorée. XVIII, p. 33).

prononciation vicieuse avec [1] à des mots comme


un gril [fié : g ri]
:
Il importe de lutter avec soin contre ceux qui tendent à étendre cette

le mil [1 (de) m i]
le grésil [1 (de) g réz i]
La coupure II vaut soit [1], soit [y].
Il représentant [y] correspond toujours à un ancien [ÂJ. En général
la graphie ill a été substituée systématiquement à la graphie II après a, e,
o, et u. On rencontre pourtant encore quelques vocables isolés, nom;
propres surtout, qui ont conservé la graphie II, ex. :
Courseulles [k m r s œ : y (de)]
Creully [k r dé : y i]
Jully[ju
Pully
: yi]
[p u : y i]

Sully[su:yi]
Rully [r u : y i]

Sur la prononciation de ce dernier, cf. :


Pour mander qu'on est accueilli
Et traitédes mieux à Sulli,

chevreuil < capreolum l'orthographe oUe-même a été contaminée. Cf. le nom du


chimiste Chevreul. V. Nyrop. Grammaire historique de la langue française, Tome 1"
S891.
La chose vous est trop notoire,
Illustre marquis de Cltilli.
Puis la chanson rôti, bouilli,
En est preuve si péremptoire,
Que l'on peut, sans avoirfailli
Contre les maîtres de Sulli,
N'en rafratchir point la mémoire.
(Chapelle. Lettre au marquis d'Effiat, p. 239).
L'hypothèse d'une rime de [1 i] avec [y i] est moins probable qu'une
lime avec consonne d'appui, d'autant qu'elle serait seule de son espèce
dans la strophe. De plus, la prononciation [s u : y i] est attestée par
ailleurs (1). La prononciation [sulli],
malheureusementassez répandue
aujourd'hui, est un pur orthographisme. Cf. de même pour Pully la gra-
phie parallèle Puilly.
Après i, [y] < [Â) se représente constamment par II sans que la gra-
phie distingue aucunement entre [1] et [y], ex. :
[1] tranquille [trâ:
k 1(oe)] i
mille [mil (de)]
:i j
un village [ffi v 1à (oe)]
lafille[1àfi:y(oe)]
lagrille[1àgri:y(œ)]
[y]

ilbrille[ibri:y(oe)]
unbillard [œ b yà : i :r]
Originellement, la différenciation entre ces vocables est nette quand
II, qu'on a substitué par influence purement savante à l, procède d'une l
:
latine n'ayant aucune raison historique de se mouiller, la prononciation
est [1].
Quand, au contraire, Il procède d'une [1] mouillée historiquement
dérivée de [1 y], [k 1], etc. la prononciation est [y]. Dans la parlure
normale, cette distinction s'est maintenue à peu près intacte, bien que
quelques mots comme anguille [â : g i 1 (de)] soient déjà largement con-

i:
taminés. Chez les personnes moins instruites [y] a gagné encore plus de
terrain, et l'on entend des prononciations comme [p u p y] au lieu
de [p
up 1 i ].
Sur la bonne prononciation de anguille, cf. :

Jem'envoysdisneràlaville
Je vous laisse un pasté danguille.
;
(Farce du Pasté et de la Tarte, dans Ancien Théâtre françois. Tome II, p. 66).
Exceptionnellement, dans certains noms qui ont conservé une graphie
très archaïque, [y] est représenté
par la coupure lli, ex. :
Callies [k à y (de)]
224. La coupure m peut représenter [m] ou n'avoir aucune valeur

Phonétique,
ex. :
[m] lamer [1àmè :r]
unami [œ:nà i] m
(1) V. Girault-Duvivier. Grammaire des Grammaires, 1, 2, Tome I, p. 50.
:
l'âme[1à m(cfe)]
l'album[1à1b6m]
valeurnulle :
damner [d à : n é (r)]
:
condamner [k 5 d à n é (r)l
t:
l'automne[15 6 n(de)] ou [15 6 (œ)] tn
Nous avons vuau § 216 que les voyelles précédant m et n avaient
historiquement été nasalisées. Cette prononciation s'est, dans le bon usa.
ge, maintenue pour lemot maman [m à : m S :], dans lequel il faut par
conséquent considérer l'm comme appartenant à deux coupures (mam.
man). Cf. plus loin § 236, le rôle très fréquent de l'y. Il est vraisemblable
que le maintien de la première nasale tient ici à ce que les mots enfantins
sont le plus ordinairement composés de syllabes redoublées. Cf. dodo,
Tdada,lolo(1).
La coupure mm vaut [m], ex. :
la flamme [1 à f1à m (de)]
la gomme [1 à g m (de)] 6
:
le sommeil [1 (de) s Õ m è : y]
un sommet [dé : s Õ m è (t)]
Toutefois, la dénasalisation ne s'est pas effectuée et les deux m doivent
par conséquent être considérées comme appartenant à des coupures diffé-
rentes dans les mots commençant par les préfixes em ou im (2), ex. :
emmailloter [a : m à y Õ t é (r)]

1.,
: à àzi é
emmancher [a : m à : c é (r)]
emmagasiner [â m g n (r)]
immangeable [ê : m a : j à : b 1 (de)]
Nul doute que l'évolution phonétique n'ait là été contrariée par la
nécessité sémantique de l'individualité du préfixe.

225.
.:'

lettre m.
-
Le cas de la lettre n est absolument parallèle à celui de la

Coupure n
Valeur [n] le niveau [1 (œ) n vÓ i :]
i:
la neige [1 à n è : j (œ)]
unir [un r]
lalaine[1à1è :n(oe)]n]
le lichen [1 de 1 i k è
valeur nulle ils parlent [i p à r (de) (t)]

loi
(1) De la même façon, lolo reste [16 16] et ne devient pas [1 b 1 6] suivant la
ordinaire des [o].
4-
est :pour le préfixe em-tandis que pour le préfixe im-,
(2) La règle est absolue ,

este^a ,'
savante, beaucoup de mots connaissant la prononciation [i m m],
est d'importationsavante,
immuable [i m m q à b 1 (de)] ; là encore la non réduction à [m] simple
au sentiment du préfixe. ,
Simple n appartenant à deux coupures différentes :
:
du nanan [d u nâ n à :], mot enfantin
enivrer [a : n i v r é (r)]
enamourer [à : n à m ui : r é (r)], mots comportant le
préfixe en.
Coupure nn valant [n] :
une année [u n à né :]
un dindonneau [ôé : d ê d6 6 :] :n n
une canne [u n (de) kà (de)]
Double n appartenant à deux coupures
ennoblir [a
:
: n6b1i:r]
226. -La[w]. coupure
Ex.
o représente [ô], [o:], [6], [6:],[(6)], [UI],
{ur :] ou
[6] unsoc [M
:
:sàt
kl
la botte [1 à b6 (de) 1
la monnaie [1 à mô è :j n
[b:] :
l'or [1 6 r'l
:r]
lamort [1àmb
[â:k6:r(de)]
encore
laloge[1à1à (oe)]
adorer [à d6 é(r)]
:j
::srir
ô]
[ô] unsirop [œ
::
un pot [œ p 6 (t)]
:
lesos [1é zô (z)]
larose [1àr6:z(de)]
oser [6:zé(r)]
[(6)] Lanvollon [1v (6) 1 ô :]
à :
Montsoreau [m ô : s (6) r ô :1
[ui] Genthod [j a : t ui]
Chamonix [c à m m n i :]
et la graphie pudibonde coïon au lieu de couillon [k m y ô :]
[m :] l'oille[1m (de)]
La Trémoille
:y[làtrémui:y (de)]
[w] Roanne [r w à n (œ)]
Le Huelgoat [ldeqèlgwà
(t)]
On rencontre dans l'orthographe la graphie ô dans les mêmes condi-
tions que les graphies d, ê, â (§§ 212, 216, 220), ex. :
:6
un hôte [fé n 6 : t (œ)] < hoste
la côte [1 à k : t (œ)] < coste
un rôle [fil : r 6 1 (de)l < roole
la côtelette [1 à k ô t (de) 1 è t] < costelette
i
rôtir [r 5 t : r] <
rostir -
Comme pour à, l'accent circonflexe de ô est souvent purement fantni.
siste,ex. :
la tôle [1à t6 (œ)] < taule, forme dialectale de table
: 1
rôder [r 6 : d é (r)] < rauder
ô [6:] < latin o
un pylône [œ : p i 16 : n (œ)] < lituojv
un cône [œ : k 6 : n (œ)] < x~o~
le côlon [1 (œ) k ô 1 ô :] < x6Àov

Eviter bien entendu de prononcer l' s dans les vocables où il a été main-
tenu au lieu d'avoir été remplacé par l'accent circonflexe, ex. :
Lhoste [1 ô (œ)] :t
Rosny [r 6 : n i]
Saint-Jean-de-Losne [L ô : n (œ)]
La ligature œ, quand elle forme à elle seule une coupure, vaut [é] ou
[è], ex. :
l'œdème [1èdè m(oe)]
cœliaque [s é : 1 y à k (œ)]
:
La coupure œu a la même valeur que eu, ex. :
un bœuf [œ : b œ f]
l'œuf [1 œ f]
un nœud [œ : n dé]
un cœur [œ : k œ r]
lasœur [1àsde r] :
Récemment encore, tous les oe qui ne s'écrivent pas par la ligature
prenaient le tréma, et l'on prononçait à peu près universellement [wà].

comme :
Actuellement, on a conservé oë pour représenter [w à] dans des mots

la moëlle [1 à m w à 1 (œ)]
Noëllet [n w à 1 è (t)]
On a conservé aussi la graphie Noël, quoique la prononciation [n ô è 1]

ait prévalu.
On a introduit oé, oè, oe dans certains mots. Dans les uns, d'origine
grecque et dans lesquels il y avait originairement deux syllabes, la pro-
nonciation [ô è] est admissible, quoique la prononciation [w à] ait en-
core de fortes et légitimes positions, ex. :
« Je crois vous avoir vu à dîner chez elle le jour où elle a fait cette sortie à ce
M. Bloch qui avait dit de je ne sais plus quel poite (poète) qu'il était sublime. »
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. IV, p. 175).
D'ailleurs, [ô è] tend lui-même à se réduire phonétiquement à [w è]
On entend couramment les prononciations [p w è : t] et [n w è 1], de
sorte que l'orthographisme [p b è : t], que l'on a substitué à [p w à : tl
est déjà, en partie vaincu par les tendances phonétiques qui l'ont ramené à
i[p w è : t], en attendant la reconstitution de [p w à : t]. Cf. l'évolution
parallèle du groupe oi de [ô i] à [w è] et à [w à].
Mais on prononce encore universellement : -

un poêle [cè : p w à : 1 (de)]< pensile


<
un poêle [fie : p w à : 1 (de)] pallium
la poêle [1 à p w à : 1 (de)]< patellam
et il faut maintenir les bonnes prononciations
un goéland [œ : g w à 1 à :]
la goélette [làgwàlèt (de)]

:
qui commencent à être menacés par les orthographismes [g ô é 1 a :] et
[g 6 é 1 è t (de)]t Tristan Corbière scande correctement
Un gros navire sur leur grève,
Sur la grève des Kerlouans,
Aussi f/oéland que les goélands.
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes, Gens de mer. Les Naufrageurs).
Enfin, pour les mots d'origine allemande, dans la plupart desquels on
a pris l'habitude de prononcer
[dé] à l'allemande, on écrit maintenant
oe sans tréma ni ligature, ex. :
Goethe [g œ : t]
Dans le parler de l'époque dite classique, la coupure oi représentait
i[w è], au moins à la Cour.La prononciation dite de la ville progressant
à travers le XVIIIe siècle et s'imposant vers la fin de celui-ci, distinguait
oi valant [w a] et oi valant [è]. On se mit. alors à substituer ai à oi pour
prononcer [è] et à conserver oi pour représenter [w a]. Néanmoins, quel- J

ques vocables ont échappé à ce triage, ex. :


[rè
d(de)]
àr è:
roide
le
harnois[1(de) n (z)]
-

,.,'-
vOn écrit aussi raide, harnais)
Vitry-le-François [frà:s è:(z)
Sur la bonne prononciationde ce dernier nom. Cf. :
Dès l'année 1830, Leroux, pharmacien à Vitry-le-Français, en cherchant un
succédané du sulfate de quinine, découvrit dans l'écorce du saule une substance.,
(Germain Sée. Etudes sur l'ucidesalicylique,inBulletindel'AcadémiedeMédecine,
26juin1877, p. 689). -

Néanmoins, dans l'immense majorité des cas, oi représentesoit [w al ,-

',
ou [w à :], soit [w à] ou [w à :]
Le cas général est [w à] ou [w à :], ex. :
:[wà]
: à
la loi [1 à 1w à]
undoigt[ifé dw (t)J
la soif [1 à S'W à f]
àt à
[wà:]lefoie[1(de)fwà:]
t
latoile[1 w 1(de)}
:
la moiteur [1 à tri wà. de

i"
'rl >,
lanoix [1ànwà (z)] :
la voile [1 à v w à : 1 (oe)]
la poire [1 à p w à : r (de)]
Dans la parlure normale, après [r], on trouve toujours la prononce.
tion [w a], sauf si une raison sémantique, par exemple le sentiment du
:
suffixe oir, maintient [w à]. Cf. l'ouvroir [1 ui v r w à : r], à côté do
[w a] le roi [1 (œ) r w à]
r
ledroit[1(de)d w (t)] â
froid[fr â w (t)]
froide [f r w a d (de)]
droite [d r w à t (œ)]
[làfrwédutr
la froidure (œ)]
[w à :] la croix [1 à k r w à : (z)]
croire [k r w à : r (œ)]
croiser [k r w à : z é (r)]
En outre, certaines personnes prononcent [w à] quand le groupe est
découvert et situé après une labiale [p], [b], [m] ou [v], ex. :
un poids [œ : p w à : (z)]
un bois [œ : b w à : (z)] à côté de je bois [j (de) b w à]
un mois [êé : m w a : (z)] à côté de moi [m w à]
la voix [1 à v w à : (z)] à côté de la voie [1 à v w à :]
Les coupures om et on valent [Õ :], ex. :
Riom [r y ô :]
leplomb[1(de)p1ô:]
le carton [1 (œ) k à r t ô :]
prompt [p r ô : (t)]
rond [r ô : (t)]
'donc [d 5 : (k)]
un gong [œ : g ô g] :
la pompe [1 à p ô : p (de)]
le monde [1 (œ) m Õ : d (de)]

:f1é(r)]
bomber [b ô : b é (r)]
gonfler[gô
La coupure on vaut [(œ)] dans Monsieur [m (de) s y ifc :1

La coupure ou vaut soit [ui], soit [ui :], ex. :


M un sou [œ : s m]
un loup [œ : 1 m]
tout [t m (t)]
un bouc [dé : b m k]
laboucle[1àbuik1(de)]
un couloir k m 1 w à : r]
[fié :
*
lui :] la roue [1 à r tu :]
le goM 11 (de) g ui : (t)]
unjour [œ
rouge [r ui j
:: j :
ui r]
(œ)]
je bouche [j (œ) b m : c (de)l
crouler [k r m : 1 é (r)]
La coupure oy a la même valeur que oi. Sur la possibilité
qu'y, dans oy,,
appartienne à deux coupures, v. infra, § 236.
Oz dans certains mots savoyards peut constituer une coupure ne valant
rien, ex. :
Dubouloz [d u b m 1]

227. — La coupure p peut soit valoir [p], soit valoir [(p)], soit ne rien
valoir du tout, ex. :
[p] la pomme [1 à p ô m (de)]
répéter [répété (r)]
je jappe [j (œ) j à p (œ)]
]
[(p) trop [t r (6/6 (p) )]
beaucoup [b ô : k m (p)]

valeur nulle: un hanap [ffi : à n à (p)]


un loup [œ : 1 m]
le sirop [1 (œ) s ir
6 :]
un drap [œ : d r à]
compter [k ô : t é (r)]
sculpter [sku1 é(r)] t
le cheptel [1 (œ) c (de) t è 1] (1).
La coupure ph vaut [f], ex. :
la philosophie [1 à fi1 6 z 6 fi:]
un siphon [œ : s i f ô]
i
un sylphe [œ : s 1 f (œ)]
Joseph [j 6 : z è f]

228. — La lettre q ne se rencontre jamais qu'à la fin des mots ou de-


vant u.
A la fin des mots, elle représente le plus ordinairement [k], à l'opposé-
de c qui représente plus souvent [(k)], ex. :

un coq [œ : k à k]
Néanmoins q représente aussi quelquefois [(k)] ; Cf. par exemple ::
cinq heures [s ê : k de : r (de) (z)] ,
cinq francs [s ê : f r à : (z)] .-

Il peut aussi ne rien représenter du tout, ex. :


Leclerq [1 œ k 1 è : r]

(l) Il n'y a pas à tenir compte de la ridicule prononciation [c è p t è 1], qui n'ap--
Partientqu'aux orthographistes.
A l'intérieur des mots, q peut faire coupure avec l'u subséquent ou
faire une coupure à part.

: :
un quadrille [œ : k à d ri y (œ)]
quémander [k é mâ d é (r)]
qui [k i]
quinte [k ê : t (œ)]
la quotité [1 à k b t i t é]
Au lieu de quu, on écrit qû, ex. :
:
la piqûre [1 à p i k u r (œ)]
La prononciation [k w] du groupe qu devant a ne se rencontre que
dans les mots pris directement au latin ou à une langue étrangère, ex. :
une équation [un kw é â:s :] yô
aquatique [àkwà tik
adéquat [à d é k w à (t)]
(de)]
un Quaker [fié : k w à k r (œ)] ou [k w à k è : r]
Cette prononciation, en réalité extra-française est d'ailleurs répartie
très capricieusement suivant les sujets parlants. Si l'on n'entend pour
ainsi dire jamais équateur [é k à t de : r], on entend souvent quadrilatère
:
[k à d r i 1 à t è r], quadrillé [k à d r i'y é], quaternaire [k à t è :r n è :r],
quasi [k à : z i], etc., là ou d'autres prononcent [kwàd 1à è ri t :r],
{kwàd y ri é], trè
[kwà è n : r], [k w à : z i], etc.
Q et u peuvent aussi appartenir à des coupures différentes. Q vaut alors
[k], ex. :
équidistant[ékq d
une quintette
i istà:
[oe:kuë:tèt
(t)]
(œ)]
et même dans la bouche de certaines personnes :
t
l'équateur [1 é k q à t œ : r]
un quatuor [œ : k qa q o : r]
Comme on le voit, l'usage est très flottant. Quand il y a une hésitation
possible, la prononciation [k] doit être préférée, parce que la plus fran-
çaise.

:
229. — La lettre r a trois valeurs valeur [r], valeur [(r)], valeur
nulle, ex. :
[r] un radis [œ : r à d i (z)]
un haricot [œ : à r i k 6 (t)]

[(r)]
:
un père [œ : p è : r (de)]
finir[fini
léger
r]
[1éjé(r)]
valeur nulle
chanter[cS :té: (r)]
un gars [fié : g a : (z)]
Monsieur [m (de) s y de :]
La prononciation [r] semble avoir depuis le XVIIIe siècle gagné beau-
coup de terrein sur
la prononciation [(r)]. En particulier, tous les subs-
tantifs verbaux en ir se prononcent [i i] au lieu de Ii (r)]. Cette remise
de l' [r] en vigueur l'a même amené dans des mots qui étymologique-
ment n'y avaient point droit, comme velours < villosum, et chez le vul-
gaire [n (de) v de : r], [6 : 1 y œ : r] pour neveu, au lieu.
230. — La coupure s doit être envisagée au début des mots, dans le
corps des mots, à la fin des mots.
Au début des mots, la coupure s vaut [s], ex. :
le sang [1 (œ) s a : (lt)]
la serpe [1 à s è r p (œ)]
la Suisse [1 à s m s (de) 1
Dans le corps des mots, la coupure s vaut [z] entre deux lettres voca-
liques, ex. :

la rasade [1 à r à : z à d (d1) 1
raser [r a : z é (r)]
l'asile [1 à z i 1 «b)]
peser [p œ z é (r)l
léser [1 é : z é (r)]
:
la brise [1 à b ri z (de)l
la rose [1 à r 6 : z «b)l

:
la ruse [1 à r u : z (de)]
Toutefois, il faut observer
1° Que la prononciation [s] se rencontre entre deux lettres vocaliques
quand il y a composition sentie, par exemple quand l'une des deux lettres
vocaliques n'appartient pas au même composant que l' [s], ex. :
resonger [r (de) s ô : j é (r)]
resouper [r (de) sui p é (r)]
la dysenterie [1 à d is ri:].
a : t (de) *
2° Que la prononciation [z] se rencontre, dans quelques mots, ailleurs

r
qu'entre deux lettres vocaliques, ex. :
s
l'Alsace[1à zà (de)]
transiger [tr : ij
â z é(r)]
t :i i
latransition [1à râ z syô:]
balsamique [bà1zàm k (œ)]
latransaction [làtrâ:zàksyo:]
subsister u
[s sté
bzi (r)]
persister [pèrzist.é(r)]
Dans tous les autres cas, la coupure s vaut,[s], ex. :
ï
verser [vè rsé(r)] t
sé(r)]
valser[và1
d-apei-sil[dupèrs i
vaste [v à s t (œ)]
le reste [1(de) rèst (œ)]
A la fin des mots, la coupure s peut valoir soit [s], soit [(z)], soit avoir
une valeur nulle, ex. :
![s] un os [Cé
[œ n
:: âà:s]s]
n
un as
lis [fê:1i:s]
l'aloès[1à1ôè:s]
un

Vénus [V é:nu: s]
[Mars]
unours [Uenmrsl
Mars

unpois [œ:pwà(z)]
[[(z)]
:: :(z)
unpas[ilpà (z)1
deschiens [dé cyê J

des enfants [d é : z a f à : (x) t


des cours [d é : k m : r (z)]
Valeur nulle, surtout après r :
un cours [œ : k m : r]
un mors [œ : m 6 : r]
un vers [œ : v è : r]
lia coupure se ne se rencontre que devant e et i. Elle vaut [s], ex. :
scier [s y é (r)]
s :r
descendre [dè à d (de)]
et quelquefois [s s], quand on veut mieux indiquer la présence du suffixe
inchoatif, ex. :
la convalescence [1àkÕ và1è: ssil:s
(œ)]
La coupure ss, qui ne se rencontre que dans le corps des mots entre des
lettres vocaliques, vaut toujours [s], ex. :
ressentir [r (de) s â : t i : r]
la messe [1àmè (œ)]
la chasse [1àcà (œ)]
ss
la grosseur [1 à g r 6 : s de : r]
Cf. quelques mots étrangers qui ont cette coupure à la fin, comme
un mess [êé : m ès]
:
ri
un kriss [êé : k s], etc.
Les coupures sch et sh sont d'origine étrangère. Elles valent le plus
souvent [c], ex. :
un schelling [êé : c (œ) le:]
un shampoing [ôé : c â : p w ê :]
contra
Cf.
Scheveningue [s k è v (de) nê
Schiedam [s k i : d à m]
: g (œ)]

231. — La lettre t représente le plus généralement [t], ou à la fin des


mots [(t)] ou rien, ex. :
[t] tt:t
latête[1à è (œ)]
porter [p6r é(r)]
t
laitatte[1nà (de)
net[nèt]
t :i
latheiere [1a eye r(œ)J
lezénith[1(de)zén t]
[(t)] plat[p1à(t)]
un point [œ : p w ê : (t)]
un bizuth [œ : b i : z u (t)]
nulle un port [œ : p ô : r]
valeur
:
l'art[1à r]
couvert [kuivè :r]
Devant la lettre i, la coupure t peut représenter :
[s]. Il en est ainsi
1° Dans tous les substantifs nominaux en-tion, sauf si tion est pré-
cédé de la lettre s, ex. :
l'abstraction [làbstr'aksyë:]
la portion [1àpô r
yôs :]
r :s :]
laration [1à a yô
mais ladigestion[1àd è yo
la combustion [1àkô bu
ij s:t s:]t :]

2° Dans la plupart des substantifs nominaux en-tie

i r is r si:]
l'inertie [1 nè s -1
la suprématie [1à up émà
mais la partie [1àpà rti:]
la dynastie [1 à d i n à s t i :]
s risti:]
et, après s,
la sacristie [1à àk
3° dans les verbes en -tie,., ex. :

balbutier[bà1bu syé(r)]
initier [inisyé(r)]
On trouve au contraire [t] dans les noms en-tier, ex.
altiet-[à1 yé t :càrkutyé] :

un charcutier [œ
un bénitier [œ : b é nit y é]
et également dans tous les flexions d'un verbe qui, a l'infinitif, n'a pas
(l' [y] après le t,
ex. :
:
nous portions [nui pô yô rt
: rt
vous partiez [vra pà yé
::
(z)]
(z)]
La présence d'un h sans valeur phonétique n'est pas un empêchement,

rèstô àsi
absolu à la prononciation [s], ex. :
la chrestomathie [k r è s t Õ m à t i :] ou [k m

232. — La coupure il a six Valeurs : ;

4°Elle vaut [u], [u :] ou [en)], ex. :


[n] nu [n u]
:
un but [56 b u (t)]
ut[u t.]
t:
la bulle [1 à bu (œ)]
un cruchon [ce k r u c Õ :]
[u:]
:f : :
perclus [p è r k 1 u (z)]
un fut [œ u (t)]
unmur [fie
-r
: u
m :]
la ruse [1 à u : z (de)
r]

r
un curé [SI : k u : é]
[(u)] tu es [t (u) è : (z)]
2° Elle vaut [ô], dans la terminaison étrangère uni [ô m], ex. :
à
un album [63 : n 1 b ô m]
un pensum [œ : p e : ôm] s
r
du rhum [d u ôm]
3° Elle* vaut [q] ou [(q)], ex. :
q] Guise [g q i : z (à-,)]
de l'huile [d .(de) 1q i 1 (de)] ou [d (de) 1 q i : 1 (œ)]
is
je puisse [j (de) pIl (èe)]
Juin [j q Se :]

Cf..
aiguiser [è g q i : z é (r)]
Cf. :
Prends donc la royauté de César et de Gaise
La couronne se dore et le poignard s'aiguise.
:
(V. Hugo. Cromwell. V. 8).
[(q)] i
etpuis[ép(q) (z)]
puisque [p (q) i s k (œ))

(Un garde expulseun auditeur).


L'expulsé. — J'ai rien dit. Mais pisque » j'ai rien dit.
«
A. France. Crainqu e liVe tableau, p. 39).

4° Elle vaut [u,/xll, ex. :


une ruade [u n (de)'r (n/q) à d (ds)]
tuer[t(u/q)é(r)]
laruelle[làr(u/q)è1(de)]
la ruine [1à r (u/q) i : n (de)]
:
lanuance [1àn(u ij) â s(de)J
50 Elle vaut
(q i) dans Curaçao [k q i rà s ô :]
lin réalité, dans ce dernier vocable, on ne peut pas précisément dire que
IIreprésente [n i]. Il faut plutôt dire que le vocable portugais a été francisé
CI1
aiirasseau [k q i r à s ô :] (probablement sous l'influence de cuirasse),
tandis que les officiels s'obstinaient dans la graphie portugaise Curaçao.
liaValeur nulle, entre v et i surtout dans des noms propres, ex. :
Vuillemot [v i 1 m Ó (l)]
Teslevuide [t è : t (œ) v i d (œ)]
Quand u se trouve entre g et ill, il peut en résulter des difficultés de
lecture. Le mot aiguille, dont la prononciation primitive est [è g u : y (de)]
(en bas-latin aCllcula, cf. italien aguglia, castillan agllja, provençalaguho),
:
devait être épelé
ai-g-u-ill-e
On a pris l'habitude de le lire :
ai-g-u-i-ll-e
d'où laprononciation presque universelle [è g q i: y(œ)].
Le comble de l'orthographisme, auquel il faut espérer que l'on n'arrivera
pas,seraitd'épeler :
ai-gu-i-ll-e
et de prononcer comiquement [è g i : y].
L'accent circonflexe sur u a la même origine historique que pour a, e,i,0
:]
(S212,216,220, 226). mais la prononciation originelle [u a pu, dans
certains mots se réduire à [u], ex. :
fu:] lmîr [mu :r] <meiir<maturum
mûre [m u : r (de)] <. meure < maluram
r :
brûler [b u 1é(r)]<.brusler
: t
vous fuies [v tu fu (de) (z)]
vous reçûtes [v m r (de) sut(de)(z)]
Les rapports du tréma avec l'u procèdent historiquement du fait que
pendant très longtemps l'u et le vont été une seule et même lettre. Quand
ily avait doute, le tréma soit
u
queue [1 à k dé :] et non. [1 à kè v de ]
;
sur l'a, soit sur la lettre vocalique voisine,
indiquait que cet avait une valeur vocalique on écrivait par exemple la
cf. dans l'orthographe actuelle
aiguë [è
[pwà16 v (de)]. 1
g u :] et non [è g (de)], Pouilloüe de Saint-Mars [p wà ui] et non

La coupure ue était une ancienne notation pour [de]. Cette notation a été
conservée après etg
c pour que l'on prononce [k de], [g de] les graphies
1
ceu, [Jeu auraient conduit *
aux prononciations. [s de], [j .œ]). Ex. :
orgueil
or-g-ue-il
[o-r-g-'œ-:-y]
recueil
r-e-c-ue-il
[r- (oe)-k-de':-y]
Dans certains noms propres, la graphie ue a subsisté même après d'au,
très lettres que c et g. Elle a, la plupart du temps, donné naissance à des
prononciations orthographistes contre lesquelles la lutte est devenue difft.
cile. La bonne prononciation a pourtant encore ses tenants, témoin l'cm.
ployé que l'un de nous a entendu, le 22 juillet 1913, annoncer aux voya-
geurs le nom de la gare de Rueil : [r dé : y].
Les coupures um, un valent [fié :], ex. :
: :
un [(fié fié (n)]
brun [b r (fié :1 u Il)]
un parfum [fie : p à r f fié :]
emprunter [à : p r fife : té (r)]
:
humble [fié b1(de)]
Dans certains mots d'emprunt ayant conservé une physionomie très la-
tine, un se prononce [5 :], ex. :
unguéal [ô : g q é à 1]
unciforme [Õ : s i f ô r m (œ)]
Cette prononciation existait même autrefois pour la finale um. cf. facto-
tum [f à k t ô t ô :]> faclolon.
Actuellement cette terminaison se prononce plutôt [i) m], -i. supra.
233. — La lettre v représente [v], ex. :
unlJeall [œ :vô:]
la vache [1 à v à c (de)]
avoir [à v w à : r]
:
larave[làrà v(00)]
234. — La lettre west
étrangère an francien. Dans les patois franci-
mands où elle existe, et conséquemmentdans les toponymeset patronymes
français des régions correspondantes, elle se prononce ici [w]. là lIt), ex.
Walteau [w à t 6 :]
IVimereux [q i m (de) de] r
Quand w se trouve devant oe ou oi, un unique [w] se trouve en somme 1

noté deux fois, ex. :


La Woèvre [1 à w à : v r (de)]
Woippy [w àpi]
Dans les patronymes et toponymes officiels de 1Alsacethiaichanle, on
prononce [v] comme dans le patois du lieu, ex. :
Wissembourg [vise : b m : r]
Wihr-au-Val [v i : r 6 : v à 1]
prononciation, ceci
On rattache les mots étrangers à l'une ou à l'autre
d'une manière assez arbitraire, puisqu'à côté de :
un water-proof [cê
untramway [fi :trà : w à t è r p r m f]
mw è]
prononce couramment
On
:
un wagon lm vago:]au lieude[w àgô
Le nom du banquier Law se prononce [l à : s].
235. — La lettre x doit être envisagée comme ayant une valeur diffé-
à
rente suivant qu'on a affaire des vocables franciens ou francimands de
souche populaire, ou bien à des vocables empruntés, des souches helléni-
queou néo-latine.
Dans les cas des vocables du premier de ces deux groupes, la lettre x
forme une coupure qui représente soit [s], soit [z], soit [(z)], soit [c], ex. :
[s] soixante [s w à sâ t (œ)]
Auxerre [ô s è : r (dB)]
:
Bruxelles [b u è1(œ)]rs
Sainl-Maixelll [se:m èsâ: (t)]
Houxel [r m s è 1]
Xainlrailles [se: trâ: c y(de)]
[sà:sè
Auxi-le-Châleau [Ó : s i 1 (de) à : t 6 :]
Sanxay
Sur la bonne prononciation, cf. les graphies anciennes :
E li false la broigne de Saint-Maissellz.
(Gérard de Roussillon, 345).
L'autrier i. jor jouer aloie
Devers l'Auçoirrois Saint-Germain.
(Rutebeuf. La despaloison de Challot et du Barbier. 2. T. II, p. 8).
Ce Pelart est un chanoine d'Aucerre.
(Restif de la Bretonne. Mes Inscriptions, § 293, p. 7.)
[z]
ii :: :
:zyè m(de)]
deuxième[clj(db
sixième [s zyè m(de)]
dixième[d zyè m(de)]
affreux[àfr(cfe:(z)]
[(z)]
:[se
mieux[my(dé (z)]
Saint-Yrieix
Dans certains pluriels :
: t i r y è (z)]

toujours après au, sauf dans sarraus et landaus;


toujours après eu, sauf dans alleus et bleus, enfin après ou dans les mots
bijoux, cailloux, choux, genoux, hiboux, joujoux, poux, ex. :
ô
de beaux chevaux [d (oe)'b : c (œ)"v Ó : (z)]
Ce sont de
pures fantaisies graphiques dûes à la confusion de la lettre x
avec une ancienne ligature us. Cf. :

Progné me vint enlever les moreeaas


Caracolant, frisant l'air et les eaus.
(La Fontaine. Fables choisies, X, 6. L'Araignée et l'Hirondelle).
Je ne scay bonnement ausquels donner le prix.
(Ibid. XII, 3. Du Thésauriseur et du Singe).
Quand nous nous mélons d'estrejalous, nous le sommes vingt fois plusqu'y
Sicilien. (Molière. Le Sicilien. ScèneXV). n
On n'a pas, seulement, remarqué l'adresse de l'Autheur dans le chois ùeCc
Personnage.
(Lettt-e écrite sur la Comédie du Misantrope, dans les Œuvres de Molière, Tome
V, p. 54).
la mystérieuse corbeille, chaque jour plus remplie, dont on devinait, sous
ses amples sarrans, la forme magnifique.
g

(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. Tome 1, p. 78).


.,- ceux qui, au jardin de ton père, nés de la fleur des citons.
genous et pous.
(P. J. Toulel. Béhanzigue, p. 152. Béhanziguc a dit).
[c] Dans des toponymes et patronymes lorrains, ex. :
Maxéville [m à c é v i1
(de)]
Xon [c o :]
Dans le second groupe de mots, x à lui seul représente non pas une,

[ks] se rencontre :
mais deux coupures. Il représente alors soit [k s], soit [g z].
soit entre deux voyelles dont la première n'est pas
un e, ex. :
ii
axile [à ks 1 (de)]
oxygène [6 ks j è : n (de)]
s :s
luxation [1uk a y5 ]
onyxis [ô n i ks i: s]
:
Hésitation pour certains mots comme :
oxalique [6 g z à 1 i k (ce)] ou [6 k s à 1 i k (de)]
Soit entre une voyelle et une consonne ou semi-voyelle, ex. :
extraire [è k s t r è : r (èe)]
extirper [è k s tir p é (r)]
è
sexuel [s k s il è 1]
Soit enfin à la fin du mot, avec ou sans [(de)], ex. :
connexe [k 6 n è k s (œ)]
luxe [1 u k s (de)1
anthrax [à : t r à k s]
[g z] se rencontre : soit à l'initiale:
Xavier [g z à v y é]
f
xylophage [g z i 1ô à : j (de)]
Hésitation pour certains mots comme :
xylol [g z i 1 à 1] ou [k s i 10 1]
if
xiphoïde [g z ô i d (œ)] ou [k s i fô d (da)]i
Soit entre deux voyelles dont la première est e, ex. :
exemple [è g z a : p 1 (de)]
exact [è g z à]
hexagonal[è gzàg0nà1]
examen [è g z à m ë :]
Pans la plupart de ces vocables, le groupe consonnantique a depuis très
longtemps une tendance à se réduire à [s], principalement devant con-
sonne, et ne se maintient que soutenu par la graphie ;
souventmême, il
semble avoir été artificiellement rétabli par orthographisme. Cf. :
Tant cum amor puet escuser.
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose, 4777).
avecqu'un grand regret de tous les nostres, et une joye eslresme de tous
les
..oo'
huguenotz.
(Branthôme. Recueil des Hommes, I, II, 20. T. V, p. 202).
Tous les Perses, comme dit Zenophon, ne trouvoient parmy eux aucun vice
plus blasmable que ceste maudicte ingratitude.

I
(Id. Discours de M. de la Noue, T. IX, p. 307).
Même de nos jours, le parler vulgaire, la conversation rapide dé la bour-
geoisie, et le parler des puristes connaissent la prononciation par [s], ex. :

-
Gérard Que je vous aime enfin.
Marianne, pâtitée. Quelexquis mot
? !
;
Gérard. — Quoi ? Quel Esquimau Qui ça ?
Marianne. — Je veux dire Je vous aime, quel mot exquis 1
(Pierre Veber. Théâtre incomplet. L'Extra. Se. IX).
et la réclame bien connue : Le K.K.O.L.S.K. est S.ki.
c
Devant la lettre s et devant la lettre précédante ou i,
l'élément [3]
étant assuré par ces lettres respectives, l'x ne vaut que [k], ex. :
à
i
l'exsudat [1 è k s u d (t)]
exciter [è ks t é (r)]
l'excès [1 è k s è : (z)]
On le prononce de même [k] dans le mot espagnol
Xérès [k é r è : s]
pour se rapprocher de la prononciation de la jota.
La coupure xh n'existe que dans les noms propres wallons, où elle re-
présente le son représenté en bas-breton par ch, en castillan par En j.
parlant français, ou bien on la prononce [k], ou bien on ne prononce pas la
r du
tou t,ex. : -

xhrouet [k r m è] ou [r m è].
236. — La lettre y peut, comme la lettre x, être une lettre double on
a alors avantage à la décomposer en deux i appartenant l'un unecou- à
;
Pure, l'autre à une autre.
Elle peut, d'autre part, valoir un simple i, c'est-à-dire ne participer qu'à
une coupure.
Comme lettre simple, elle entre dans trois, coupures
^prononciations sont général identiques "à celles de im et in. Ex.
en
:i,
y, ym et yn, dont
:
Coupure y.
[i] Passy[p àsi]
un cylindre [Gê
:s i 1ë : d r .<&)]: ,.'
,
[i :]
ii i (&)]
lasibylle[1.às b 1(de)]
le chyle [1 (de)*c : 1

i: r (de)]
l'analyse [1 à n à 1 i : z (œ)]
la myrrhe [1 à m
[é], dans le mot érysipèle [é r é z i p è 1 (de)]
[y] l:
yole[yo (&>)]
yeux [y do (z)]
à:
mayonnaise [m à y ô n è : z (de)]
Blaye[b1 y]
[i y] t
Amphitryon [a : fi r i yÕ :]
: : ri :]
un embryon [ffi nâ b yô
fy/i y] l'yeuse, que certains prononcent [(y/i y) oé :
:
D'autres furent semés ainsi croissent l'yeuse,
Qui redouble des bois l'horreur religieuse
Le châtaignier couvert de ses fruits épineux.
:

;
z (de)] ; ex.

(Delille. Les Gèoryiques de Virgile. Livre II, p. 125, col. 1).


Le vent ride, sous l'yeuse
Le sombre miroir des eaux.
(V. Hugo. Les Contemplations, II, 13, T. I, p. 357).

i
j'yvais[j vè:]
:
Le strument y se prononce suivant les cas [i], [y] ou [i y], ex..

tu y es u y è :] ou d'une façon plus négligée, [t i y è :]


[t
j'y allais [j iy à1è]ou yà è] [j l
Coupure ym = [ê :], ex. :
le thym [1 (de) te:]
k

'.
:
le corymbe [1 (de) ô r ê : b (de)]
la sympathie [1 à së p à t i :]
Coupure yn = [e :], ex. :
anodyn [à n ô d (ê i n)]
un lynx [dé : 1 ê : k s]
la synthèse [1 à s e : t è : z (de)]
laryngé [1 à r e :j
é]
De même, les terminaisons ay, ey, oy, uy suivies ou non d'e valent
[è], [è], [w a], [q i], comme s'il y avait i, ex. :
Epernay [è p è r n è]
Saint-Germain-en Laye [1è:]
ô
Volney [v 1n è]
Belloy [b è 1 w à]
Leroy [1 da. r w a]
Roye [r w à :]
Huy [q i]
Alluye [à 1 qi :
La lettre double y peut voir son premier i engagé dans les coupures ay,
oy et uy, ex. :
un crayon [56 : k r è y Õ :]
payer [pèyé(r)]
j
que je paye [k (de) (àJ)"p è : y (ee)]
noyer [n w à y é (r)]
soyeux [s w à y ce : (z)]
ennuyeux [a : n q i y de : (z)]
[j
jefuyais (oe)'fq y (z)]i è:
La limite est souvent difficile à établir entre le cas
où il faut épeler i-i et
celui où il faut épeler i.
Pour oy, il faut considérer que la prononciation n'était peut-être pas ori-
ginellement identique dans les mots ayant î, ë ou e en latin, et dans les


mots ayant û, ô ou ô. D'autre part, il se peut que le groupe [w èJ> [w a],
originairement dérivé d'unevoyelle latine, se soit réduit à [ô] en position

(de)]. frjf1-;
proplectique devant [y], comme il aurait pu le faire,devant une autre con-
sonne. (Cf. les prononciations poitrine [p ô r n (oè)],
[m à d (de)m à z è 1
ti Mademoiselle

Pour uy, il y a hésitation dans certains mots, comme tuyau [t n y 6 :]


ou ILil i y Ó :]. Ce vocable paraît venir du germanique tuda (Cf. provençal
et castillan lwlel). et avoir eu pourformes anciennes tuel, tuau. La pro-
nonciation [t u y Ó :] (1) semble donc plus recommandable que la pronon-
ciation [t q i y Ój, Certaines personnes ont d'ailleurs conservé la pronon-
ciation [t u 6 :] (2), qui doit être fort ancienne.

dans le vocable gruyère [g uè


le mot bruyère [b r u y è : r(oè)]
r :,
D'ailleurs, cette valeur nulle de l'y après u se rencontre aussi, à Paris,
r (oè)] et, dans maintes provinces, pour
]
qui s'y prononce [b r u è : r (ee) (3)
237. — La lettre z représente [z], [(z)], ou n'a pas de valeur phoné-
tique, ex. :
zut [zut]
[z]
azur [àzu r] : :é
[(z)]
latopaze[làtèpà z(de)]
vous allez [v m
valeur nulle duriz[d u
z
ri].
à1 : |
(z)], (Cf. 216)

238. — De cet exposé, pourtant très sommaire, il ressort que la graphie


oflicielle de la langue française est fort imparfaite, puisqu'elle est tièssou-
vent impuissante à marquer des différences qui pourtant existent dans le
parler.
Comme il a été dit au S132, elle écrit de la même façon des mots de pro-
nonciation différente, comme manne [m à n (de)] et manne [m a : Q(œ)]
casse [k à : s (œ)] et casse [k à s (de)], nous peignons [p è n ô : (z)] et
,
nous peignons [p è : n ô : (z)], je
bouche [j (de) b ui : c (00)Jet la bouche
ll à b
[b w à (z)] et je bois [b
: w à(z)].
:
m c (de)], il est louche [1 ui c (œ)] et une louche [1 m c(de)] ; dit bois

(1) Relevée chez Madame AD et chez Madame CJ.


(2) Relevée chez Madame AJ.
(3) Relevé chez Madame CK.
La graphie, officielle n'est pas seulement insuffisante,elle est souvent
dangereuse, par l'orthogràphisme qu'elle engendre.
Pourtant, il ne faut pas toucher sans prudence à un édificeaussi ancien
et aussi vénérable que le système de graphie de la langue française. Certes,
une réforme absolue de l'orthographe, comportant 47 lettres pour les
47individus phonétiques, et un système approprié à la notation des insta-
bles et des apophonies, serait une œuvre scientifiquement parfaite. Mais
elle demanderait une très longue et très consciencieuseélaboration, et il
faudrait qu'en la faisant, on se rappelât que l'orthographe, en raison de
ses rapports historiques originels avec la phonétique du latin et des autres
racines du français, est loin de ne marquer que ce que la masse des Fran-
çais, même cultivés, yperçoit consciemment. Nombreux sont ceux qui,
interrogés, répondraient très sincèrement qu'ils prononcent peau comme
pot, alors que pourtant eux-mêmes font un [6 :] tendre dans le premier et
u.n [6] brusque dans le second.
En outre, une refonte totale ne serait pas dépourvue d'inconvénients
tant esthétiques que pratiques. Que l'onconsidère seulement la difficulté
que les Français de l'avenir auraient à lire, après une brusque rupture de
tradition, tousnos livres, écrits pourtant dans leur langue maternelle.
Il semble donc que la meilleure conduite à tenir réside dans une solu-
tion moyenne. Il faut que l'orthographe française continue à évoluer,
comme elle a fait jusqu'ici ; le mal serait qu'on voulût considérer la gra-
phie comme une sorte d'institution d'Etat sur laquelle les pouvoirs pu-
blics eussent le droit de légiférer. Un ministre nous a-déclaré un jour (1)
qu'il serait permis d'écrire quatre vingts un, sans s'apercevoir qu'il s'en
prenait précisément là à une règle d'orthographe des plus intelligentes,
puisque correspondant à un usage oral lui-même représentatif d'une im-
portante différencelaxiémalique.
;
Que l'on revienne donc à considérer l'orthographe comme une pure col-
lection d'habitudes de bon ton que l'on tolère que chacun y -apporte,
comme en son vêtement, son cachet particulier, et que l'Académie ne
passe, en cette affaire" que 'comme une compagnie d'hommes distingués
dont on estime les avis sans se croire pour celaobligé de les suivre tou-
jours. Plus éclairée que les pouvoirs publics, elle n'a d'ailleurs jamais pré-
tendu qu'au rôle que nousvoudrions lui voir jouer. Ne voyait-on pas, en
pleine période classique, les Précieuses (2) introduire dans la graphie des
simplifications souvent heureuses et les grammairiens de Port-Royal écrire
un peu plus tard ces paroles que nous ne désavouerions point (3) :
« Tout ce que l'on pourroit faire de plus
raisonnable, seroit de ietran-

« ny à l'analogie des langues, comme on a déjà commencé de faire


« conservant celles qui sont utiles, y mettre de petites marques qpi
:
« cher les lettres qui ne servent de rien ny, à la prononciation ny au sens,
et
fissent
« voir qu'elles ne se prononcent point, ou qui fissent connaître les diverses
« prononciations d'une même lettre. n
(1) Cf. l'arrêté ministériel du 26 février 1901.
(2) voy. Somaize. Le Dictionnaire
- des
- - .8
Preneuses,- ---
iome -I, p.179.
(3) Grammaire générale et raisonnée de - Port-Royal, I, 8, p. 23.
Sil'on nous permettait de donner quelques conseils sur la réforme que
l'on pourrait utilement adopter dès maintenant, voici ceux que nous for-
mulerions :
1° Pour les voyelles, régulariser et étendre l'usage des accents, Ó pourrait
utilement être distingué de à et d de à. Nous répétons que pour la ques-
tion de duison, il faudrait apporter une grande prudence et une grande
érudition pour l'étude de chaque cas particulier. Sinon, s'abstenir.
2°Supprimer les consonnes dépourvues de toute valeur phonétique. On
écriraitdonc :
ràlnxànà, là clé, le bié, l'éritiér, l'uile, l'encognllre, le pognel, le pognard,
l'ognon, condànér, là fldme, là gome, le someil, le somèt, daller, l'ànée, le
clindoneau, le lou, le sirÓ, donlér, sCllllér, le chelèl, etc.
3° Noter le vrai phonème instable, comme on faisait d'ailleurs autrefois
dans bien des cas. On écrirait par exemple grant, sanz (préposition), le
sanc, et au pluriel granz, enfanz, roiz.
Beaucoup de ces graphies ne feraientd'ailleurs, à l'accent près, que re-
produire des graphies usitées jadis.
4° Trouver un moyen de distinguer à la fin des mots la consonne stable
de la consonne instable.
« Ce qui ne soit dit que pour exemple », comme disaient Messieurs de
Port-Hoyal (4).

(4)Loc,cU.
LIVRE IV

LE NOM
CHAPITRE PREMIER
;

DU NOM EN GÉNÉRAL

SOMMAIRE ;
239. Rappel de la définition du nom. — 240. Rôle du nom, sémiome pur,
dans l'économie générale du langage. — 241. Impuissance constructive du
nom. — 242. Aperçu historique sur l'évolution des flexions nominales.
243. Equivalence nomineuse et convalence. — 244. Fécondité de la classe
-
-
nominale. — 245. L'artificiosité de la classe nominale. 246. Nécessité d'étu-
dier les catégories nominales une à une.

239. — Par le terme de nom nous désignons une classe, qui s'oppose,
dans notre tenninologie, aux deux autres, verbe et strument, et qui, comme
elles, comprend les quatre catégories logiques que nous avons admises.
Nous considérons donc comme des noms : 1° les substantifs nominaux
(« noms ou substantifs ») ; 2° les adjectifs nominaux (« adjectifs qualifica-
»
tifs ») ; 3° les aflfonctifs nominaux (« adverbes pro parte) ; 4° les factifs
nominaux (« interjections »).
Nous avons exposé an S78 les raisons de cette manière de voir. Nous y
renvoyons le lecteur, et nous nous bornons à résumer dans la formule sui-
vante tous les éléments résultant de notre étude antérieure :
On appelle nom la classe, féconde par nature, à laquelle appartiennent
tous lessémiomes non pourvus de puissance nodale, et par conséquent ex-
clusivement propres à l'expression pure d'un sémième.

240. — Cette pureté sémiématique de la classe


nominale et cette récep-
tivité générale et exclusive qu'elle a de tous les termes nouveaux (qui place,
au point de vue de l'acquisition des idées, les autres classes sous sa dépen-
dance), lui donnent un intérêt sémantique particulier. En ellet, l'esprit
humain ne progresse que par l'aperception de nouveaux sémièmes. Les
taxièmes ne sont jamais que des sémièmes amenés par progressive abs-
traction, par distillation quintessenciée, jusqu'à une extrême généralité,
revêtus de laquelle ils deviennent les pivots sémantiques de la structure
même de la langue. Cet apprivoisement, cette compréhension progressive
et cet affinement laborieux, nécessaire à une idée pour qu'elle soit reçue
dans le monde des taxièmes, impliquent que toute idéenouvelleiestsémié-
rnatique, même si elle doit devenir taxiématique ensuite. C'est ce besoin
prééminent de l'expression sémiématique dans la langue qui fait que, ob.

: :
jet constant des préoccupations de l'esprit, le nom est la classe grammuti.
cale qui contient à la fois l'essence la plus ancienne du langage le faciif
nominal, et la dernière acquisition de la langue le substantif nominal.
-
2'41. Mais celle importance sémiématique du nom a pour contre-
phrase :
partie sa nullité au point de vue de la construction supportementale de la
les autres classes grammaticales doivent servir le nom comme les

;
ouvrières servent la reine dans la ruche. Nous avons en effet vu que le non
n'avait pas de valeur constructive de classe, comme le verbe et que la
classe nominale n'était pas composée de termes construclifs. comme la
classe strumentale. Aussi, bien que, aussi loin que nous remontions dans
le passé explorable, nous voyions les langues indo-européennes déjà pour-
vues de verbes et de struments, pouvons-nous cependant avancer, en ayant
pour nous de très fortes probabilités, que le nom a dû être la classe lin-
guistique la plus anciennement connue par le langage, ou plutôt que les
essences indifférenciées dont est ultérieurement sortie la notion de classe
se rapprochaient plus, par leur indifférenciation même, de la classe nomi-
nale que d'aucune des deux autres.
Il va de soi que quand nous parlons ici du nom, il faut entendre ce vo-
cable dans sa plus grande généralité, car, pour le substantif nominal, nous
avons bien au contraire toutes les raisons de croire que c'est, du moins
sous sa forme parfaite et pleinement substanliveuse, le dernier acquêt de
notre langue.
La classe nominale est, venons nous de dire, celle des sémiomes purs.
C'est direque le nom ne peut pas servir à indiquer un liage entre deux
termes. Ilne possède pas ce que Bréal appelait la force transitive. Dans
notre système terminologique, nous disons : 11nepeutpas être lien. Dans
une langue où il n'y aurait que des noms, l'écoulement de la pensée ne
pourrait se saisir lui-même que par la juxtaposition de telle ou telle masse
de signification à telle ou telle autre. Dans cet état de la pensée, point de
complémentation supportementale, mais seulement cette sorte d'ambiance
d'un genre tout grossier qui préexistait, comme l'a dit si justement Bréal,
au développement delà force transitive.
Cet état mal dégrossi de la pensée, que, dès leur aurore, les langues
indo-européennes semblent avoir déjà dépassé, paraît pourtant être
celui de bien des langues parlées de nos jours. Telle par exemple la langue
chinoise (1) ; une phrase comme sin hi thièn, littéralement « saint aspirer
ciel », n'est proprement composée que de noms. Nul mot n'y a de valeur
lconstructive ; loin qu'un rapport logique bien défini soit marqué entre les
idées que ces mots expriment, le sens phrastique global ne résulte que de
la juxtaposition des idées. La phrase exprime tant bien que mal tout ce
qui peut résulter dans l'esprit, de l'association des idées qu'elle nomme.
Nul doute que, lorsque nous disons que cette phrase contient les divers
sens:
(1) V. Michel Bréal, Essai de sémantique, ch. XXVI.
i
Il est saint d'aspirer au ciel
Saint celui qui aspire au ciel
LeSaintaspireau ciel,etc.
hous ne nous livrions à une analyse qui n'est pas dans l'esprit du locuteur
chinois. Dans l'association représentative des trois idées, l'esprit des Chi-
nois, dont leur langue ne peut être qu'un reflet exact, ne ressent pas le
besoin de distinguer les diverses suites logiques définies que nos habitudes
supérieures d'abstraction et de précision nous forcent à concevoir et à ex-
pliciter.

valeur constructive :
Les trois mots qui composent la phrase en question n'ont donc aucune
ce sont des noms, et le mode de complémentation
qui les unit. qui n'est à vrai dire qu'indifférencié, et comme tel presque
uniquement rectiounei, est cette ambiance originelle et grossière qui a dû
préexister dans nos langues, si l'on en croit le génie pénétrant de Michel
Bréal, à l'éclosion de la force transitive. Mais ce serait une faute que de
croire que la pensée linguistique ait progressé et progresse régulièrement
dans le cours de l'histoire. M. Przyluski (2), après nous avoir dit qu'en
chinois « certains mots, sans changer de forme, peuvent être employés
«comme noms ou comme verbes, comme verbes ou comme adjec-
«
tifs, etc. », ajoute: «Eu était-il de même en chinois archaïque ? Il ya
« des
raisons d'en douter. Certains faits semblent indiquer qu'à une épo-
très reculée, les racines n'étaient point absolument fixes et immua-
« qufe
« bles ; elles étaient susceptibles de diverses transformations suivant le
rôle qu'elles devaient jouerdanslaphrase. »
« sens qu'onleur donnait et le
Ainsi le chinois possédait autrefois un système flexionnel et l'a perdu.Nous
verrons plusieurs fois, au cours du présent ouvrage, qu'une notion taxié-
matiquepeut continuer à vivre dans l'esprit sans être, en un cas particu-
lier, indiquée par rien, a condition que, dans dautres cas. elle ait encore
a

son expression (cf~ indicatif j'aime


j J
-"" -

subjonctif j'aime, au regard de nous


aimons nous aimions et de je peux je puisse). Mais quand un répartir

il disparaît en quelques générations du sentimeut linguistique


l'irliome en question se trouve parlé par un peuple dont la pensée puisse
;
toire est arrivé à perdre toute expression soit phonétique, soit syntactique,
et, si
s'accommoder d'un pareil manque et dont le génie ne fasse aucun effort
pour créer quelque répartitoire nouveau susceptible de combler la lacune,
ilya une perte sèche. Il faut donc considérer le langage comme un des
miroirs les moins infidèles de cette succession de civilisations et de barba-
res par où passent les peuples et les hommesqui les constituent.
D'ailleurs, dans le domaine"linguistique indo-européen, si les langues
ce domaine ont déjàdes noms, des verbes et des
les plus anciennes de
struments, leur mode de complémentation n'est pourtant pas encoresorti de
ambiance pré-supportèmenlale. Si, exemple, nous plaçant à l'aurore
de la langue
par
grecque,nous considéronsune de ces phrases homériquesoù
Uneforme verbale se] fait complémenter par une forme casuellede subs-
(2) Przyluski, Langues sirw-thibétaines, in Les Langues dumonde, p. 376.
tantif nominal accompagnée d'un vocable qui sera plus tard préposi «
tion », nous voyons qu'aucun de ces trois mots n'est en réalité dégagé de
la noroinosité originelle.
Soit pat* exemple cette phrase d'Homère :
Mexà Se Sjxwfjaiv è'ewrev
(Iliade, chant VI, v. 375).
Certes, le verbe è'enrev y présente déjà quelques caractères verbaux. Cette
formeà sens factif est en effet capable de donner, sur le fait nouveauqu'elle
représente, des renseignements de personne et de nombre. Mais, mis à
gart leur groupement en tiroirs (3) présentant des formes qui diflrrent
uniquement par ces dits caractères de personne et de nombre, les diverses
formes verbales appelées par exemple présent, aoriste, parfait, oplutif

;
présent, subjonctif présent, etc. n'ont entre elles aucune liaison néces-
saire. Chacune d'elles a son sémième propre et, s'il est exact que les sé-
mièmes des tiroirs qui seront ultérieurement considérés comme d'un
même verbe sont parents entre eux, du moins n'ont-ils pas de connexion

;
nécessaire, Un aoriste n'implique pas nécessairement qu'il y ait un présent
ou un parfait CQrrespondants et réciproquement à un parfait unique
peuvent répondre deux ou trois présentsdifférents, pourvus d'infixésou
d'interfixes qui les nuancent et les différencient. L'union entre les tiroirs
estdoçjc sémiématique et non taxiématique (4). Il n'y a pas encore de con-
jllgaisolZ, donc pas encore de verbe au sens où nous l'entendons.
Mais il y a plus. Il est un autre point, plus grave, par lequel le « verbe»
de la langue homérique échappe absolument à la définition que, ne nous
attachant qu'à la description du français d'aujourd'hui, nous avons don-
née du verbe : il n'a pas de véritable puissance nodale. Il exprime un fait
brut, n'appelant pas de complémentation nécessaire. La langue ne de-
mande pas encore que la substance-siège de l'action (soutien) soit explici-
tement exprimée; à plus forte raison ne conçoit-elle pas encore le fait
comme comportant nécessairement un repère, une visée et conséquem-
mentun about, terme d'arrivée de cette visée. Le verbe marque un émou-
vement, point encore de circonstancement proprement dit. Nous sommes
dansune phase où le langage ignore la circonjacence. "Kenrev, il dit, ou plu-
:
tôt il donna de la voix. C'est un fait qui existe en soi, et pour son sujet
implicite, mais qui n'est pas conçu nécessairement comme appelant des
apports extérieurs.
Dès lûrs le pré-substantif nominal 8[j.MY)c~ n'est qu'une sorte de circons-
tance alTonctîvale juxtaposée au fait, et l'amplectant tant bien que mal. Les

;
suivantes (Sfjuoaî) n'y jouent pas un rôle indépendant et personnalisé elles
n'y sont pas directement vues mais impliquées dans une brume d'affonc-
;
(3) Nous donnons le nom de tiroirs du verbe à ce qu'on appelle communéme
« temps de verbe », anglais « tense », c'est-à-dire à l'ensemble des mots
ne se distinguent sémantiquement que par des circonstances de personne et
verbaux
de
qui
n
bre, eJt..
Veux, veux, veut, voulons, voulez, vèulcnt est un tiroir
Volo, vis, vult, volumus, vultis, volunt est un tiroir.
;
(4) V. à ce sujet, A. Meillet. Aperçu d'une histoire de la langue grecque, pp, 35 sqq.
il6. C'est dans un milieu plurielde suivantes (8|x<«Mftaiv) que le person.
re pn
question donna
énétrédansce milieu.
d d la
de (")
l voix (è'eirav) et par conséquent
, cette voix a

Ouant à l'affonctif strumental ¡LE.OC, il ne gouverne nullement le locatif-


;
)t)Jf pluliel 8jj.o)T,atv il n'est pas non plus un affixe du verbe 2eirav : c'est
,, véritable aftonctif indépendant, brochant surle tout, ambiant pour tout
dire (ij), qui
cimente et lie le mélange entre le personnage parlant et les
suivantes auxquelles il s'adresse. C'est dire qu il
n'a, lui non plus, aucune
valeurconstructive(fi).
La « force transitive »
est donc encore a peine a so i aube dans pareille
phrase. Et si les verbes et les struments y ont déjà leurs caractères séman-
tiques internes qui font que les premiers ont la faculté de nuancer taxié-
mati(|iiemeiit, de façon encore assez pauvre d'ailleurs, l'expression des phé-
nomènes, tandis que les seconds commencent à donner un aspect spécial
àl'expression de certaines idées simples. ils sont du moins dépourvus les
uns etles autres
de tous leurs critères d'ordre constructif. En ce sens, ils
sont encore desnoms. puisque les caractères les pins importants et les
plus spécifiques du verbe et du strument, ceux qui nous ont parus dignes
de servir à définir ces classes, les caractères externes ou constructifs, leur
manquent encore. Les caractères sémantiques internes par lesquels ils se
mollirent déjà en état de virtualité verbale ou strumentale n'ont encore
guère eu de répercussion à l'extérieur : aussi la circonjacence, adjacence
où le snpportement apparaît le plus nettement, n'est-elle pas née, et la
seule adjacence qui fonctionne est-elle l'ambiance, si l'on peut légitime-
ment donner le même nom à ce système unique et grossier, et notre am- à
biance actuelle, à la fois affinée et restreinte par la concurrence des deux
autres adjacences.
D'ailleurs, comme nous le verrons aux chapitres 11, IV et V, le nom est
assez pauvre en flexions, et les flexions qu'il possède ne suffisent pas à sa-
turer le sémantisme de ses répnrtitoires.
242. — Ce caractère rudimentaire et pour ainsi dire atrophique des
flexions du nom en français est la meilleure preuve qu'elles n'y consti-

(ô) Ce caractère ambiant de la « préposition » dans la langue homérique ressort,


Mire autres faits, de celui-ci : qu'elle peut, aussi bien qu'avant le substantif normal
cnsualisc,se placer après lui (anastrophe),
,(G) Lrs difficultés
que nous rencontrons pour faire comprendre, même d'une manière
"iipnrlaite le mode de pensée qui se cache derrière les expressions du chinois ou du
frec homérique
nous
:
montrent une fois de plus quel caractère de profonde vérité ren-
jnno|0célèbre proverbe italien Traduttore traditore. Ces divergences dans les modes
epensée sont particulièrement frappantes entre le français et des langues relative-
ment éloignées de lui
comme le chinois dans l'espace ou le grec homérique dans le
;
cmPs mais
secs voisins
nul doute qu'elles n'existent aussi entre les langues que parlent des peu-
et contemporains les uns des autres : moins grossières à la vérité, en ce
qu'elles portent moins sur les grandes et fondamentales directives de la logique,
mais aussi importantes peut-être
n,l,lllcps chez des peuples à la viepar
leur nombre, et par le rôle qu'acquièrent les
mentale riche et complexe. Une langue artificielle
à
iposée au monde entier serait donc, comme nous l'avons dit au § 45, une entreprise
fiel/0 fOIs vaine, parce qu'essayant de réduire des divergences irréductibles, et crimi-
1,1-ilesparce que s'efforçant de détruire une diversité de pensée qui constitue l'un des
ferments pour les progrès mentaux dé l'humanité civilisée, (par la moisson
iI'lIn'es que Peut faire germer dans une civilisation nationale l'effort d'interprétation
d'une
plus
'10ns^© étrangère oui. jamais absolument comprise, n'en sera pour cela qu'un
s Illtle excitant pour l'intelligence).
tuent que la survivance, et pour mieux dire le vestige d'un état très
cien.Lés langues antiques, et spécialement le latin, d'où la nôtre ell;
issue, possédaient un ample système de flexions nominales, affecléeslias
seulement à l'expression de la sexuisemblance et de la quanlitude, illaisè
celle duTôle complémentaire et même, pourraiton dire, catégorique(i„
mot dans la phrase. Et la grammaire historique nous montre que pluson
remonte haut dans le passé de ces langues jusqu'aux approches duiroilc
commun probable dont ellessonttoutes sorties, plus ce système devient
complexe et riche, répondant sans doute au jeu de répartitoires prîmitifs
aujourdhuiabolis.
A cette époque reculée, chaque sémième nominal était en quelque sotte
* syncatégorique. Il avait sa forme factive locutoire (vocatif), vaguement

parente, par sa simplicité radicale et les règles d'accord, de la forme fac.


tivelocutoire du verbe (impératif). Il avait de multiples formes aflonc-
tives.dontcertaines, fixées et individualisées en dehors de la conception
d'ensemble de la déclinaison, ont donné naissance aux adverbes authen-
tiques de la période classique. -

Plus nous nous approchonsde l'époque actuelle, plus nous voyons cesys-
tème flexionnel du nom s'appauvrir, se fractionner, s'effacer. Le développe-
ment desslruments appelés prépositionsamène même la langue populaire
à-confondre et à brouiller les cas. Le vieux français arrête un momenteette
décomposition et systématise en un nouveau répartitoire (sujet-régime)
les débris du système casuel. Ces dernières traces semblent tendre à dis-

répartitoires qu'elles servent à traduire ne se sont pourtantnullement


:
paraître à leur tour, et aujourd'hui même nous constatons que les flexions
conservées, n'ont plus toujours une grande netteté morphologique les

effacés, pas plus que le répartitoire de différenciation complémentaire n'a


souffert de la substitution du système des prépositions à celui des cas.
Le nom prend donc de plus en plus un caractère amorphe. Une plus
grande spécialisation de chaque classe grammaticale s'opère de jour en
jour.
243. — Les différentes essences nominales peuvent être remplacées par
des équivalents ou des convalents. Le couvaient est plutôt, en général, celui
d'une catégorie tout entière que celui d'une essence, mais comme la classe
nominale forme en quelque sorte dans le répartitoire de classe la physe
indifférenciée, il est naturel qu'un convalent, possédant le caractère caté-
gorique à l'état fruste ettransitoire, se trouve par là-même rapproché sur-
tout de là classe nominale. De même que celle-ci, au pointdevuede
l'enrichissementvocabulaire, 'est, par sa simplicité et sa primitivHé
mêmes, le domaine dans lequel naissentrégulièrement et iiorm.«ilen-ler,Les
termes nouveaux, de même aussi, et pour les mêmes raisons, elle est celui
dans lequel les convalents, sortes de créations momentanées de la IangUc,'
doivent théoriquement/se former. Tout convalent ressortit donc plntôta
la classe nominale.
Considérons des phrases un peudéveloppées ne contenant pas de noms*
elles contiennent infailliblement des convalents : ex :
0ii sait tout souffrit. peut tout oser.
(Vauvenargues,Réflexions et maximes. DLIX, p. 300).
Nous
gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes que d'essayer
deP'u litre ce que nous ne sommes pas.
de P (LaRochefoucauld,Maximes. CCCCLVIl, 114). p.
244. --Nous avons traité, aux SS 122 et 129, de la fécondité de la classe
JOOlillale, qui est l'un de ses caractères dominants. Nous avons même
^conduits à admettre, qu'aucune acquisition vraiment nouvelle ne pou-
yait être faite que parla classe nominale, toute idée non encore admisepar la
langue se présentant d'abord sous un aspect
sémiématique.
Tous les jours nous avons sous les yeux des exemples de ce phénomène,
que ce
soit par emprunt aux langues étrangères (8 126), par élaboration
des ressources significatives offertes par les racines des langues mortes, ou
par création
directe que la générescence joue. Et toutes les catégories de la
classe nominale en sont le siège, quoique avec une intensité plus ou moins
grande et un comportement différent.
Le factif nominal doit à sa simplicité primitive d'être certainement
l'essence logique où l'improvisation, le jaillissement loculoire direct,
donne le plus facilement naissance à des formés nouvelles.
L'immense majorité des faclifs nominaux n'ont pas d'autre origine que
génércscente, et, à chaque instant de la langue, le répartitoire des factifs
nominaux reste indéfini et illimité; chaque Français, à l'occasion, glissera
dans son discours un factif nominal destiné à y donner plus de mouve-
ment et de couleur, sans s'embarrasserde savoir si l'usage etle dictionnaire
luien fournissent leprécédent. Ainsi, pour faire image, en parlant de la
chute d'un corps dans l'eau, l'un dira « plouf »,
l'autre dira « ploc », et
bien d'autres associations de phonèmes seraient possibles. Il semble bien,
par contre, que dans ce domaine l'emprunt aux langues mortes ne joue
jamais et que l'emprunt aux langues vivantes ne joue que rarement. Des
expressions comme « bravo »définitivement acquis à la langue, « ollé »,
répété par les amateurs de danses espagnoles, « out » [a m t] usité au jeu de
tennis, sont cependant des exemples de ce dernier processus. A. citer égale-
«
mentle factif allô », si couramment employé dans les appels téléphoni-
ques.
Acôté des factifs nominaux propremenls dits, il faut signaler les re-
frains comme
un des domaines les plus vivants de la générescence. Chaque
auteur de chanson, en effet, peut, encore à l'heure actuelle, créer des re-
frains comme lari-laridé
:
ou lllrlÙtolllaille. Or ces refrains sont, fonction-
nellcment, quelque chose de très archaïque ce sont les derniers repré-
sentants de ces factifs accessoires qui, dans le stade purement factiveux du
langage, servaient à
accompagner et, dans une certaine mesure à modifier
lesfactifs principaux, et qui possédaient
en germe les virtualités affonc-
tivcs. Ex.
:
Malbrough s'en va-t-en guerre,
Mironton, mironton, mirontaine,
Malbrough s'en va-,t-en guerre,
Ne sait quand reviendra (ter)
(La Chanson de Malbrougti)
La création directe existe aussi. pour le substantif nominal.
C
Mironton,mironton, mirontaineestun mouvement surajouté" au p]iéllQ"
mène du départ de Malbrougli en guerre, et qui donne à ce phénoniènQ.
unetonalitéspéciale.

Ilne faut certes pas confondre avec elle les cas d'afflux de faclifs uomi
naux à la catégorie substautive, tels queglouglou, patapouf, que la liuiguc
connaît aussi, probablement en premier lieu, comme factifs.
Mais des termes comme bibi ou gnon n'ont probablement jamais étéfine'

;
des substantifs. Il semble qu'un terme comme « mamamouchi » soii la
pittoresque imitation improvisée d'un vocable étranger et les « palotîns»
d'Ubu paraissent bien sortis par formation spontanée du cerveau d'\Ured
Jarry. Au surplus, combien d'auteurs, pour désigner leurs personnages
ne leur confèrent-ils pas des « noms propres », bien souvent issus de leur
seule invention littéraire?
De plus, la double forme que le rhythme des chansons n'impose le plus
souvent qu'aux factivo-affoi)ctivetix dont il a été question plus liaut, peut

;
quelquefois toucher les substantifs nominaux. Dans ces cas, celui dessubs-
tantifs qui est spécial à la chanson a un sens mal défini il n'a de suffixe,
ni vivant, ni même mort, de sens déterminable : il ya bien une sortede
générescence.
Ex.
Mon père m'adonné
Des rubans, des rubennes
Mon père m'a donné
;
Des rubans salinés.
(Chanson enjantine s'accompagnant de gestes rituels, à titre de jeu).-
I.arôde,larôde
Qui n'a pieds ni piaudes (1) *
Qui n'a qu'une dent
Et qui mange tous les petits enfants.
(Alfred Jarry, Les Minutes de Sable Mémorial, Hatdernablou, acte II, se. 4,
p. 129).
L'adjectif nominal se
comporte à peu près comme le substantif nominal,
quoiqu'il soit le plus souvent formé par iucrescence. Le français d'aujour-
d'huiconçoit en effet l'adjectif comme une catégorie juvante, et la tire vo-
lontiers par dérivation des concepts existants. Cependant un adjectif
comme « hurf » [h u r f] semble bien le témoin d'unefaculté d'invention
directe s'appliquant à cette catégorie.
L'aubnctif nominal, abstraction faite de ces factiyo-affonctiveux que
nous avons vu apparaître dans les refrains des chansons, est peut-être l'es-
sencelogique la moins féconde de la classe.
(1) Acôté de l'explication qui fait de piaudesune formegénérescente en correspon-
dance rythmique avec pieds, on pourrait à vrai dire envisager ,une autre explication,
parfaitement correcte qùoiqué non décisive. La voici ; piaude procéderait d'une forme
italienne ou occitaine * pioda, piodo, qui serait la descendante d'une forme latine
d'origine ombrienneplôta. Cette hypothèse est soutenable enthéorie, puisque M. Er-
nout, (Les éléments dialectaâxduvocabulaire latin, p. 216)apporte à côté de la forme
romaine plauta, d'où descendent les formes romanes ital. piota, dauph. plota, grandi Pr0N''
plauto, la forme ombrienne plota. Sémantiquement, l'écart ne serait pas trop sl*
puisque l'adjectif plautùs signifiait « qui a les pieds plats », et que l'italien piota
gnifie a plante du pied. »
245. — Deux classes grammaticales contiennent des essences artifi-
ieuses,
;
c'est-à-dire' capables de s'enrichir par increscence ou dérivation
leverbe, dont toutes les catégories le sont le
:
nom, dont seulement cer-
taines catégories possèdent cette propriété, (v. § 129).
C'est dire que le verbe est artificieux ; tandis que si l'on examine le nom
àcet égard, on voit qu'il n'y a pas là une caractéristique de la classe en-

:
tièr6, mais, seulement de plusieurs des essences qui en font partie.
Dans le verbe, tout se passe d'une manière uniforme les mêmes pexièmes
s'étendent à toute la classe, et cela d'une manière constante. Rien de tel
dans le nom ou aucontraire, chaque essence a sa façon propre de se com-
:
porter les pexièmes sont
différents pour chaque catégorie. Par exemple,

:
d'un primitif pâle, on forme un dérivé verbal pâlir, à l'aide du même

; :
pexième pour toutes-les formes : factif vous pâlissez, vous pâlissiez, vous
pâlirez, etc. ; substantif pâlir adjectif pâlissant, pdli, Du même primitif,
on forme
:
des dérivés nominaux, à l'aide de suffixes tous différents les uns
desautres : substantif pâleur ; adjectif pâlot.

246. —C'est en somme aujourd'hui dans la classe nominale que les


catégories sont le plus nettement tranchées, puisqu'ellesn'ont ni vocabu-
laire commun, ni fonctions communes, ni système taxiématiqne les unis-
sant.
La
sera donc de le faire catégorie par catégorie
présent livre.
; le
manière la plus aisée et la plus fructueuse d'étudier en détail nom
c'est l'ordre adopté dans le

Nous devons toutefois y apporter en débutant une légère dérogation. En


effet, les flexions nominales présentent les mêmes caractèrespour les deux
catégories de l'adjectif et du substantif, les seules de la classe qui soient
variables. D'autre part nous avons vu que, quoique se rapportant à des
répartitoires bien définis, les flexions n'en sont pas pour le nom l'expres-
sion unique ni suffisante. Force nous est donc de consacrer tout d'abotd à
l'étude de ces flexions unchapitrespécial, concernanUla morphologie des
essences variables de la classe nominale, avant d'étudier la nature logique
de chacune des catégories du nom et les répartitoires qui s'appliquent à
elles.
CHAPITRE Il

DES DSSKNGES VARIABLES


MORPHOLOGIE DU NOM

SOMMA.IBE

247. Nécessité d'étudier la morphologie des essences variables du nom.


248. Les quatre figures des essences vbriables du nom. — 249. Délimilalion
duprolbcme de la morphologie sexuisemblantielle. — 250. On peut arbitrai.
rement choisir comme point de départ la figure masculine ou la féminine.
251. Aperçu sur l'évolution historique de la morphologie nominale. Les

nale sexuisemblantielle du français.


— 255. Type
-
pur. —256. Type naïf. — 257. Type jaune.
--
féminins grand et fort. — 252. Exposé du système général de flexion nomi-
253. Type petit. 254. Type gros.
258. Vue géné-
rale sur le féminin des noms à figure masculine apophonique. — 259. Type
sot. — 260. Type léger. — 261. Type beau. — 262. Type mou. — 263. Type
vieux. — 264. Type bon. — 265. Type paysan. — 266. Type fin. — 267. Type
plein. — 268. Type brun. — 269. rype bleu. — 270. Type coi. — 271. Type
vrai. — 272. Conclusions générales sur la tendance actuelle de la langue
quant à la formation du féminin nominal. — 273. Phases féminines du
suffixe -eur. — 274. Les flexions sepuiscmblantielles sont en progrès dans la
:
langue. — 275. Inlervocabularisation du répartitoire de sexuisemblance poul-
les substantifs -
le suffixe-esse. 2rô. Il n'y a pas d'autre suffixe vivant mar-
quant uniquement la sexualité. — 277. Les dénominations à forme mascu-
line ne conviennent pas aux femmes. — 278. Phase féminine des noms com-
posés.

:
279. Tout pluriel nominal français se termine par un (z). — 280. Cas géné-
ral de flexion nominale quantitudiixide du français les pluriels additifs. —
281. Origine historique du (z) du pluriel. — 282. Genèse des pluriels muta-
tifs. — 283. Œuf, bœuf et mœuf. — 284. Os. — 285. Aïeul. — 286. OEil. —
237. Ciel. — 288. Listel. — 289. Type ail. — 290. Type cheval. — 291.
Conclusion de l'étude morphologique des pluriels'nominaux. — 292. Phase
plurielle des noms composés. — 29$. Insuffisance des flexions à exprimer les
taxièmes touchant le substantif nominal et l'adjectif nominal.
247. — Avant d'étudier le fonctionnement sémantique des divers termes
de la classe nominal, il et-l utile de savoir de quelles ressources morpho-
logiques cette classe dispose, c'est à-dire quels sont les taxiornes syncli-
tiques attachés à ses termes.
Bien entendu, ce système de flexions ne touchera que les essences no-
minales qu'au e 1-28, nous avons définies comme variables, c'est-à-dire le
substantif nominal et l'adjectif nominal.
248. — Les essences variables du nom sont susceptibles de deux ordres
de flexions, correspondant respectivement à ce que les grammaires usuelles
appellent le genre et le nombre.
Il nous a paru préférable de substituer à ces dénominations, quelque
traditionnelles qu'elles fussent, celles de sexuisemblance et de quanlilude,
sur lesquelles nous nous expliquerons plus complètement en traitant de
la nature logique du substantif nominal etdesrépartitoiresqui s'y rap-
portent ainsi qu'à l'adjectif nominal. Qu'il suffise de dire ici que les an-
ciens termes ont le grave défaut de créer une confusion entre des idées
grammaticales très particulières et des notions beaucoup plus générales
appartenant à l'ordre de la pensée philosophique et scientifique. Le genre,
pour nous, demeure surtout, dans une classification, le groupe constitué
par une collection d'espèces voisines, et le nombre conserve le sens qu'il a
en arithmétique.
Remarquons immédiatement que ni les flexions de sexuisemblance ni
celles de quantitude ne suffisent à l'expression complète de ces réparti-
toires sémantiques. Dans la très grande majorité des cas, la sexuisem-
blance n'est pas marquée, dans les substantifs nominaux, par une flexion,
mais elle peut être rendue apparente par un adjectif strumental ou une
épithète nominale. De même, l'aide des struments est indispensable pour
la différenciation exacte et adéquate des taxièmes de la quantitude.

masculin et le féminin ;
Les flexions de la sexuisemblance se répartissent en deux phases, le

singulier et le pluriel.
celles de la quautitude en deux également : le

Ces deux répartitoires s'entrecroisent de façon à donner quatre phases,

; ; ;
que nous pouvons appeler les figures des essences variables du nom. Ces
figures sont le masculin singulier le masculin pluriel le féminin singu-
;
lier et le féminin pluriel.
Mais, dans cette combinaison, la flexion de sexuisemblance précède
constamment celle de quantitude : c'est sur la phase de sexuisemblance
que se greffe la flexion de quantitude. De telle sorte qu'il nous parait ra-
tionnel d'étudier d'abord les flexions de sexuisemblance.

249. — L'immense majorité des substantifs nominaux a une seule


sexuisemblance, comme il sera ditau chapitre suivant. Aucuneflexion n'in-
dique donc la physe du répartitoire à laquelle ils appartiennent. Nous
n'avons conséquemment pas à en traiter ici. Nous ne devons nous occuper,
et uniquement au point de vue morphologique, que des noms pour les-
quels le répartitoire devient intravocabulaire et se traduit dans chacune des
deux phases par un aspect extérieur spécial du corps phonétique du vo-
cable. Nous nous occuperons donc de la totalité des adjectifs nominaux,
plus un groupe de substantifs nominaux dont la nature réellement subs-
tantielle sera discutée ultérieurement.
250. — Il est classique de partir, dans l'exposé des formes de la sexui-
semblance, du masculin et d'en déduire le féminin. C'est là une méthode
arbitraire qui ne correspond qu'à des faits de la langue écrite. Pour la
langue orale, il serait quelquefois
assez difficile, ne connaissant que le
;
masculin, d'indiquer avec exactitude le féminin il y a des féminins difly,.
rentsàpartirde masculins phonétiquement analogues par exemple de r
r
grand [g a : (t)], on tire grande [g r a : d (œ)J, de saint [s ê : (t)], qui a
un phonème instable final semblable, on tire sainte [sert (de)].On pour,
à partir du féminin serait dans ce cas plus aisée ;
rait aussi bien conclure à * [g r a : t (de)]et à * [s ê : d (œ)]. L'explication
mais dans d'autres cas
elle pourrait aussi donner lieu à des difficultés du même genre. Par
exemple, de deux féminins phonétiquement analogues comme honnête
t t
[6 n è : (de)] et prêle [p r è: (<fe)], on pourrait conclure aux deux mas-
culins [6 n è : t (de» *[p r è : t (œ)] ou* [6 n è : (t)], [prè (t)]. :
Cet inconvénient égal de partir d'une des phases du répartitoire de
sexuisemblance ou de l'autre est d'autant plus inévitable qu'historiquc.
ment, les formes françaises peuvent venir de formes latines qui ne se sont
confondues ou différenciées que dans la langue française même
« Nous avons », dit M. Nyrop (1), « constaté dans le développement des
:
« adjectifs deux phénomènes, qui semblent contraster singulièrement l'un
« avec l'autre. On a d'un côté l'évolution des adjectifs uniformes, parla-
« quelle est créée une nouvelle forme soit au féminin, soit au masculin
fort balourde bénigne
:
«
« fort forte balourd balourde bénin bénigne

« est appauvrie d'une forme


chauf chauve
:
« et de l'autre côté, l'évolution des adjectifbiformes, par laquello la Langue

lare large vuit vuide

;
«
« chauve large vide
« Ces deux tendances ne sontcontradictoires qu'en apparence elles ont
« pour but, comme l'a très bien dit M. Morf (Romania, XVI, 283) de réunir
« à un groupe de flexions considérable des flexions plus ou moins isolées.»
Il est donc, à tous points de vue, indifférent de partir d'une phase sexui-
semblantielleou de l'autre, pourvu que l'ou indique les correspondances le
plus nettement possible.
251. — Le latin avait des adjectifs dont le masculin et le féminin étaient
:
semblables. Le français en a conservé plusieurs ex. imbecillis "> imbécile ;
;
il a même ramené phonétiquement des adjectifs, dont le masculin elle
féminin étaient différents en latin, à une forme épicène ex. : tranquillus,
tranquilla > tranquille. Mais il ne tolère cette similitude que pour les ad-
jectifs terminés par \.œ' instable. Beaucoup d'adjectifs uniformes latins
avaient donné en français des adjectifs à terminaison cousonnantiquestable
ou instable, dont le masculin était, conséquemment, semblable au féminin,
;
ex. : mortalis > mortel fortis > fort. Le français moderne s'est débarrassé
de tous ces adjectifs, sauf de grand, qui est resté dans certaines locutions,
et defort, qui n'est resté que dans une locution.
Ce n'est pas que la forme féminine grande soit apparue dans le vieux
français plus tard que les autres formes analogiques tels que forte, etc. On
la trouve dans des textes très anciens :
(1) Grammaire hittorique de la langue française. T. II, 1 390.
t
Force perdent e viarxïe:
Puroc oürell pour grande.
(Saint Brandall, 240).
Puroecaicirefrigerie i1
De si grande menuscrie. ,,'
(Ibid,U63).
Les dis surit grandes, lescinquante menues.
(Turold. La Chanson de Roland, 3656)..
Est grande la dessevrance
Deceledont jemepais.
(Gautier d'Espinal. Chanson IV, 21, p. 7).
Les deux formes ont coexisté pendant des siècles :
Dont si grant joie atent.
(Ibid.V,9,p.9).
Si ferciz trop grant charitei
(Rutebeuf. La povreléi Rufebuef6,Tome 1, p. 1).
Grans est Nostre Sires et grande est sa vertus.
(PsautierdeMetz.CX.LVF,5).
Vous pnisereiz yawes en grant joie.
(Ibid.CantiqueL,4)..
Toutes faestes grandes et petites, bénisseiz à Nostre Signcur
(Ibid. Cantique VII, 14).
Huez Cappés ly bers ot au cucr grande joie. -
(Le Roman de Hugues Capet, t358).
Grant joie en ot ly roys, et ce fut bien raison
- (Ibid. 6.341)-
Mais ung frans escuiiers à Fedry s'adrecha
Qui de la grant bataille ly dit et devisa
(Ibid.3.593).
: Le poète paraît employer l'une ou l'autre forme selon le besoin de la
cadence. Il emploie la double série également dans les afTonctifs en ment:
Vecliy le connestabre et dez aultrez gralllnent.
(lbitl. 3.694).
Mais j'en seray haï par vous bien qrandement.
(Ibid. 3.719).
De même iiixve siècle:
En t'amour et crainte de Dieu
Es nobles flans Cesar conceue,,
Des petits et grans, en tout lieu,
A très grande joye reccue.
, (Villon. Le dit de la naissance Marie, p. i06).
Et sçaches qu'en grand pauvreté
Ne gist pas trop grand loyaullé
(Id. Grand Testament XIX, p. 27).
Apvès venoit le capitaine, que portoit une grant banière de taffetas bleu.
(Le Roman de Jehan de Paris, p. 84).
Les locutions où grand au féminin est encore reçu dans la langue clas-
sique de nos jours peuvent se diviser en :

:
Locutions pouvant prendre l'article et être traitées comme des subs-
tantifs nominaux ordinaires mère-grand, grand mère, grand tante, grand
ville, (désignant Paris), grand messe, grand rue, grandplace, grandroute,
etc.,ex.
Que ne fait-on pas pour estre grand'Dame P
(Molière. Le Bourgeois gentilhomme. Acte V. Se. dernière).
Si le roy m'avoit donné
Paris sa gl'alld'Ville.
(Id. Le ltfisantrope. 1, 2).
depuis la sainte Chapelle jusqu'à la grand'chambre.
(Saint Simon. Mémoires, T. VI, ch. 26).
Mais cette grandfaim, cette grand'soif, on sent bien qu'elle est symbo.
lique comme la corne d'abondance.
(A. France. La Vie littéraire. 3e Série. Le Poète de la Bresse, p. 160).
Ces animaux, loup, poisson ou grnnd'hèle à tête d'homme.
(Ibid. 40 Série. Contes et Chansons populaires, p. 76).
Le galop soudain des étoiles,
N'étant que cf qui deviendra,
Se mêle aux hennissements mâles
Des centaures dans leurs haras
Et des graivïplaintes végétales.
(G. Apollinaire. Alcools. Le Brasier, p. 105).
Qui veut acheter un beau jeune cochon de ma grand'race?
(Louis llémon. Maria Chapdelaine, 1. p. 10).
Phrase mise par l'auteur dans la bouche d'un paysan canadien appelé
Hormisdas Bérubé.
Embarrassée et novice elle ressemble à la grand'rue d'un bourg, le jour de la
fête patronale.
(Jules Romains. Puissances de Paris, p. 27).
Ces locutions coexistent dans le français actuel avec l'emploi régulier,

;
auprès des mêmes mots, en position d'épithète antérieure, du féminin mo-
derne grande au point de vue sémantique, il y a bien entendu une diffé-
rence sensible entre ces locutions toutes faites, archaïsmes figés dans leur
spécialisation, et les tours coalescents normaux librement formés.
Ex. : Une grande mère, une grande tante, une grande place, une grande
ville, la grande chambre, celte grande faim, etc.
28 Locutions ne prenant pas l'article, et employées dans des tours
divers :
Grand est épidmète d'un substantif nominal coalescent au verbe, ex. :
avoient gr'and'peine à faire faire place.
(Saint-Simon. Mémoires.T. VI, ch. 261, p. 391).
à
Comme beaucoup d'enfants intelligents, elle eut gratidpeine apprendre à lire.
(A. France. La Vie Littéraire. 4e Série, Madame Ackermann, p. 2).
-. mes pieds saignent dans mes petits souliers déchirés etj'ai grand'faim.
(Id. Balthazar. Abeille, chap. VIII, p. 190).
Dans ces locutions, grand n'est guère remplaçable par la forme grande.

;
Cette différenciation entre l'emploi de grand et celui de grande semble
d'ailleurs récente elle n'était pas encore fixée au XVIIe siècle, ex. :
J'ai grande peur que cela ne fasse pas un bon effet.
(Mademoiselle. Mémoires. 1. 29, T. III, p. 170).
i
Tout ce que je sais, c'est qu'elle me fit grande pitié.
(Ibid. 1. 23. T. Il, p. 439).
Il eut si grande peur de sa colère qu'il se pendit.
Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France. (Raoul. T. I. p. 399) (1).
Cf. :
Lagrande-mère d'Agib fut ravie de le revoir.
Galland. Les Mille et une Nuits, exVie Nuit. Tome 11, p. 251, 1, 6).
B) Grand a une valeur quantitative (Cf. emploi strumenteux, livre VI),
ex. :
Que la maison Colivaux fût à vendre ou bien non, cela ne représentait pas
grand'chose à mon esprit.
(R. Boylesve. L'enjanl à la balustrade. 1, I).
Je ne les avais pas lavés à assez grand eau (g r à t ô :)
(Madame O. le 20 juin 1921).
11 faut se garder de laver ces lésions là à grand'eau (g r à : t ô :)
(M. DH, le 16 octobre 1923).
:
Comme je vous le disais tout-à-l'heurs, ne jamais laver à grand'eau (g r 3 16:)
(Id. Eadenx die).
Il faut remarquer que ces locutions se sont cantonnées dans des sens
spéciaux, où grand n'apparaît plus comme un adjectif ordinaire. C'est
évident pour les locutions du type 2", les unes (A) coalescentes, les autres
(B) voisines de la strumenlalilé.

composés que des substantifs nominaux avec des épithètes :


Quant aux locutions du type 1°, ce sont plus souvent des substantifs

;
mère n'est pas une grande mère, mais une aïeule la grand tanle n'est
La grand

pas une grande tante mais la sœur ou la belle sœur du grandpère ou de

;
la grand'mère ; la grand roule n'est pas une grande route, c'est une route
nationale, ou pavé du roi, reliant deux localités importantes la grand

;
rue n'est pas une grande rue, c'est la rue principale, ou au.moins ancien-
nement telle, de la localité la grand ville n'est pas seulement une grande
ville, c'est Paris; la grandmesse n'est pas seulement une grande messe,
c'est la principale des messes, celle que célèbre régulièrement, chaque
;
dimanche, le curé de là paroisse, avec une solennité particulière la grand
place est la principale place du pays, son vieux centre traditionnel, et non
pas seulement une grande place. Les magnifiques places de la Concorde
et de l'Etoile, sont de grandes places, ce ne sont pas des grands places (2).

(1) Cet exemple a d'autant plus de valeur que cet auteur ne laisse pas d'employer la
forme féminine grand.
Ex. : Mais la Grand Bretagne ou Angleterre en avoit esté un membre (de
l'Empire) (Ibid. Charlemagne. T. I, p. 252).
(2) La rédaction de cette phrase,' en mettant sous notre plume des grands places nous
amène à observer que, dans ces cas, grand s'est si bien soudé à son subtantif que l'em-
ploi de de pour des, de règle avec une catathète (v. Livre VI), n'est pas possible ici.
M. Meyer-Lübke (Grammaire des Langues romanes, Tome III), fait à propos de
grand une remarque qui montre combien il est imprudent de vouloir tirer de son
:
propre crû des explications sur des finesses d'une langue autre que sa langue mater-
nelle. Cet auteur écrit en effet « Si le français moderne, dit Catherine le Grand, c'est
« purement et simplement parce que le Grand est une formule qui est ajoutée au nom
« des princes remarquables sans que celui qui parle se représente avec précision le
« sens originaire et le rapport grammatical de cette formule avec le nom propre. a
Le féminin archaïque fort s'est conservé seulementdans lalocution:Ello
se fait fo-rt, ex. :
FRANÇOISE. — je me faisJOli de vous y conduire.
(Turnèbe. Les Contens I. 5. dans Ancien Théâtre jrançois, T. Vif, p. 131).
La tournure Elle sefaitforte existe couramment, ex. :
Si vous la désirez, je me faisjorte d'elle.
(L. C. Discret. Alizon. V.4, dans Ancien Théâtre Jrançois. T. 'VIII, p. 490).
Je me fais forte que, puis le temps Abel,
Bergiers ne firent réveil si honorable.
(Le Banquet du Boys, dans Anciennes Poésies francoises, T. X. p. 208).
Je me faisforte de vous faire trouver six heures de lucidité parfaite par jour.
(Mme Carraud, Lettre à Balzac du 8 avril 1833, dans la Revue des Deux Mondes.
du ler février 1D23, p. 644).
En tout cas, pour ce qui est de Puget, de bonnes autorités locales se font jorlex
de démontrer que ce buste n'est pas de Puget.
(Louis Bertrand. Louis XIV, in ibid, 4juillet 1923, p. 23).
11 va sans dire qu'au pluriel la graphie ils sefontfort, elles se font fort,

au lieu deforts, n'a aucune raison d'être. C'est donc à tort que, pour se
conformer a la décision injustifiée de certains grammairiens, certains se
croient obligés d'écrire :
Les solliciteurs s'adressaient à certains fonctionnaires du ministère de la jus-
tice, lesquels, moyennant finance,se faisaient fort de faire obtenir la naturalisa-
tion des étrangers qui craignaient de se la voir refuser.
(L'Echo de Paris, i juin 1926, p. 2, col. 3).
252. — Le
système général deflexions nominales de sexuisemblancedu

:
français n'est que la généralisation d'une différence formelle héritée du
:
latin puriun > pu r ; puram > p u : r (de). Addition d'un [ <3e] instable à
la phase masculine, tel est le procédé général du français pour former la
phase féminine de ses noms, tel est celui auquel notre langue tend àrame-
ner tout son système de flexions de sexuisemblance. De ce système, nous ne
saurions essayer de faire la synthèse avant de l'avoirexaminé dans le détail.
L'examen des diverses formes que l'adjectif nominal est susceptible de
revêtir nous conduit à prendre comme étalon l'état construit du mascu-
lin ; ex. : l'adjectif beau-bel-belle [b 6 : b è 1-b è 1 (de)] a pour état cons-
truit du masculin la rnuance bel [b è 1], qui apparaît dans le tour un belen-
:
fant [œ :b è1 a : fa (t)].
Pour les substantifs variables et pour les adjectifs rebelles à la catad-
mèse. nous nous guiderons d'après l'analogie pour les rattacher à tel ou
tel groupe.
Cette affirmation dogmatique est stupéfiante : jamais on ne s'exprime ainsi en fran-
çais actuel. M. Meyer Lübke a sans doute trouvé cette expression exceptionnelle chez lo
prince de Ligne, d'ailleurs né à Bruxelles. M. Abel Bonnard écrit en effet : Charles
<4« Ltgme vécrat aussi à la cour de TImpératrice de Russie, de celle qu'il a appelée Ca-
therine le Grand.
(Abel Bonn-ard. Le Prince de Ligne. Revue des Deux Mondes, 1er août 1926, p. €69).
Cela n'est en toutcas, qu'un artifice de style pour dire que la femme considérée a
des qualités masculines, mais manque des charmes, tant physiques que moraux, que de-
va-ail comporter son sexe. L'auteur de la Grlunlnairc des Langues romanes, qui montre
Une constante préooeupation de distinguer les phénomènes de syntaxe de oeut de sty-
listique a perdu une bonne occasion de le faire.
En effet, pour les substantifs nominaux, il n'y a pas de cas de liaison
obligatoire. Aussi est-il arrivé bien souvent que la forme de liaison soit
tombée et ait disparu, surtout si elle était apophonique, c'est-àdire de
compréhension difficile par le vulgaire en l'absence d'un usage cou-
rant. C'est pourquoi des vocables comme cerveau [s è r vô :],
vaisseau
[v è : s 6 :1. jumeau [j u m 6 :]
n'ont plus leur forme de liaison, si tant
est qu'ils aient jamais eu une forme spécialisée comme telle, mais for-
ment des féminins cervelle [s è r v è 1 (&)] vaisselle [v è : s è 1 (de)] jumelle
(j u m è 1 (de)] comme s'ils l'avaient encore.
Notre mode de classification à partir de la forme de liaison prévocalique
du masculin nous conduit d'emblée à deux grands groupes selon que cette
forme se termine par une consonne ou par une voyelle. Le premier groupe
se divise en quatre sous groupes selon que la consonne terminale de l'état
construit est une consonne instable, une consonne stable nue, une con-
sonne stable découverte ou une consonne faisant partie d'un groupe apo-
phonique soit cinq genres à examiner un à un. Nous avons cru bon d'en
ajouter un sixième comprenant les mots terminés par un suffixe spécial,
mais très répandu, qui possède pour le féminin des formes particulières.
253. — PREMIER GENRE. a
La Phase masculine pourphonèmeterminalune
consonne ou un groupe de consonnes instables entrant en exercice dans la
liaison.
Deux sous-genres :
Premier sous-genre. La phase féminine se forme par stabilisation de
cette consonneou dece groupe de consonnes et addition d'un [(cfe)] instable.
Brusque dans la muance masculine originelle, la voyelle reste brusque au
féminin, à moins qu'elle ne s'y trouve sous une couverture qui la rende
t
serve à la tendreté (V,S 86), auquel cas elle devient mécaniquement filée
(| 154 d'après la loi exprimée au § 185). Ex. :
petit [p (de) t i (t)] fém. petite [p (de) t i t (de)]
exact [è g z à (k t)] » exacte [è g z à k t (de)]

:
complet [k ô : p 1 è (t)] » complète [k ô : p 1 è t (œ)]
simplet [se p 1 è (t)] » simplette [se
gentil [j a : t i (y)]
p
1 è t (de)]

» gentille [j a : t i : y (de)] (I)


Tendre dans la muance masculine originelle, la voyelle reste tendre au
féminin si la tendreté du masculin ne résultait pas d'une servitude. Il y à
seulement lieu de remarquer que, conformément aux lois de la duison des
voyelles, la voyelle tendre, tenue au masculin parce qu'elle est découverte,
devient régulièrement filée au féminin, parce qu'elle y est recouverte :
:
émouvant [é muivâ
:
:
haut [h ô (t)] fém. haute [h ô t (œ)l :
(t)] fém. émouvante [é m m v à t (de)]
franc [f r â (k)] fém.fi-anque [f r à k (de)]
: :
niais [n y è (z)] fém. niaise [n y è z (de)]
:
:
: : :
français [f r â s è (z)] fém. française [f r à s è : z (00))
(1) Dans la prononciation de la plupart des Parisiens, la recouverture [y (00)] asservit
U
1 voyelle a la tendreté. (V. inîra. § 263).
Cf. le vocable d'origine verbale
commis [k ô m i:
(z)] fém. commise [k ô m i z (de)] ::
Éx. :
aux noces. du fruitier de la rue Lemarle-Thibault avec sa première
commise.
(P. J. Toulet. Béhanzigue, Béhanzigue est de noce)
Remarquons qu'après un [r] stable, la consonne instable terminale du
masculin, quoique disparue depuis longtemps (§ 208) fonctionne au point
de vue de la formation du féminin comme si elle existait encore. Il y a
alors une brusque au féminin conformément à la règle, parce que la voyelle
n'était tendre au masculin que par servitude de position.
:
fort [f o r] fém.forte [fort ]
(dB)

254. — Second sous-genre. La phase féminine se forme :


f en substituant à la consonne terminale instable du masculin une con-
sonne stable autre ;
2° en ajoutant un\(âs)instable.
Les règles de duison de la voyelle sont les mêmes qu'au premier sous
genre.
muscat [m u s k a (t)] fem. muscade [m u s k a d (de)]
froid [f r w a (t)] fém. froide [f r w à d (œ)]
: :
faux [f 6 (z)] fém. fausse [f Ó s (de)]
:
gros [g r 6 (z)] fém. grosse [g r 6 : s (œ)]
:
yras [g r à : (z)] fém. grasse [g r à s (œ)]
:
épais [è p è (z)] fém. épaisse [è p è: s (œ)]
:
frais [f r è (z)] fém. fraîche [f è (œ)] r :c
:
blanc [b 1 û (k)] fém. blanche [b 1 à
c (à-,)]
[g : :
grand

:
r :
r â (1)] fém. grande [g r à d (œ)]
révérend [r è vè â (t)] fém. révérende [r é v é r â d (de)]
rond [r ô (1)] fém. ronde [r 5 : d (œ)]
:
Ex. : Le Brigand près de sa briqande
Hennit d'amour au joli Mai.
(G. Apollinaire, Alcools, Schinderhannes, p. 122).
Les adjectifs doux, roux, dont le féminin [d m s (œ)] douce, rousse
[rui s (de)] a indéniablement une brusque devraient d'après l'étymologie

;
avoir au masculin une voyelle tendre, tenue. De fait, ils l'ont encore dans la
prononciation de beaucoup de personnes mais beaucoup d'autres aussi pro-
noncent [d ni (z)], [r m (z)] ce qui fait rentrer la forme de la phase féminine

: ,
de ces adjectifs dans le cas général. On peut donc penser que la pronon.
ciation archaïque était [tu : (z)], fém. [ui s (de)] que la prononciation la
plus récente est [ui (z)], féminin [ui s (de) et que la prononciation ar-
chaïque a vécu plus longtemps au masculin parce que la différence entre
une tenue et une brusque est acoustiquement minime, et n'a guère jamais
été sentie consciemment, ni révélée au sentiment linguistique (1).
.,' (1) D'autres préféreront penser que la duison du masculin importe peu, le féminin
Le problème capital posé par ce sous-genre est dans le changement de

(je ia langue va nous eu apporter


:
nature de la consonne lorsqu'on passe du masculin au féminin. L'histoire
immédiatement la solution elle résulte
je révolution phonétique naturelle, qui tété différente pour la forme mas-
culine et pour la forme féminine latines.
Le premier changement possible nous fait passer de [(k)] ou [(z)] à [c] :
c'est que la terminaison latine cani, scam aboutit phonétiquement en fran-
çais à [c (<3e)]. tandis qu'au masculin — scum aboutit à [(z)], aependant
que - cum appuyé sur une consonne précédente autre que s ou que k lui-
même, aboutit à [(k)].
Ex.

fb 1à c (œ)] blanche
:
;
bas-latin, blallcam, fém. blancam. français, [b 1 à : (k)] blanc, fém-
: bas-latin, friscum, fém.friscam, français [f r è : (z)]
frais fém. [f r è c (œ)] fraîche.
Le second changement possible nous fait passer respectivementdes clau-

:
[1 ô (k)] long, fém.[15
:
:
sives et des laryngo-strictives aux laryngo-clausives et aux strictives. Ex. :
g (œ)] longue
:
[g r fi (l)] grand, fém. [g r à d (œ)] grande
[g r 6 : (z)] gros fém. [g r ô : s (de)] grosse
C'est que, d'après la loi exposée au S 207, les consonnes instables post-
finales ne sont jamais ni des laryngo-clausives ni des strictives. De telle
sorle que, quand une consonne d'un de ces deux ordres s'est trouvée post-
finale et s'est instabilisée, elle a été remplacée parla clausiveou la laryngo-
strictive correspondante. A des masculins en [(k)], — [(L)] et — [(z)] se
trouveront donc correspondre ainsi des féminins en [g (de)], [d (œ)] et
[s(œ)]. L'ancienne langue écrivait d'ailleurs dans ce cas le masculin par c
ou t, conformément à la prononciation (yrant. lonc), et c'est la Renais-
sance qui. par pédantisine, a rétabli dans la graphie le g ou le d.
Après un [r] stable, le phonème instable du masculin a depuis long-

1»langue.r
temps disparu, en vertu de la règle de Littré (S 208), mais fonctionne au
point de vue de la formation du féminin eomme s'il subsistait encore dans

Ex. b à v à r, bavard, fém. bàvà d(de) bavarde.


:

Dans ce mode de formation du féminin, qui convient en particulier aux


nombreux adjectifs formés avec le suffixe ard, seule la graphie ancienne
art nous apporte le témoignage direct que le phonème terminal a été un
[l] 02). La fréquence de
ce suffixe ard a entraîné quelquefois le vulgaire à le
nerecevant sa, qualité que de la servitude à la brusquerie qui tend à frapper, en fran-
c.s contemporain, le [m s]. Néanmoins, les prononciations [p m : s (oè)]
consonnage
¡'¡¡ce et [t m : s] tous très en usage, indiquent que la phonétique française ne répu-
té pas à la terminaison (m : si avec voyelle tendre.
(2) Ce [t] est même passé au féminin dans [v è:r] vert, féminin [vèrt (.œ)]
''«fliî.Aux premières époques de notre langue, cet adjectif, qui procède d'un adjectif
6 troisième déclinaison (viridem), était uniforme, avec pour phonème post-final (pro-
ablement point
que encore instable à cette époque) un [t], en vertu d'une évolution pho-
((:C)j
[
naturelle. Suivant l'analogie des adjectifs du type haut, haute il a pris un
au féminin. Néanmoins le féminin [V è r d (de)l verde, formé sur [v è : r (t)]
croire inclus dans des adjectifs dont il est absent. M. Nyrop signale avarde
et ignarde, et rappelle le passage bien connu 'où Labiche a obienu un iret

p. 80,note).
comique si vif avec le féminin bizarde (3). Cf.
a
les testes des femmes acaristres, bigeardes, criardes, dyablesses.

Cabinet des Estampes, N*


(Recueil des plus illustres proverbes, Bibl. nal.
2.239. (Apud Variétés historiques et lillérairts. T.

Pour {b u lo : r] butor, on ne peut, faute d'en connaître l'étymologig


avec certitude, savoir s'il a eu jadis, un [l] terminal. En tout cas, son
féminin est [bu tord (de)] butorde, Ex. :
IX,

Oiiy, butorde ; on appelle ainsi le lieu où l'on met les habits.


(Molière. La Comtesse d'Escarbagnas. Scène IL,
Le vocable [t y è : r (z)] tiers rentre dans le cas particulier ici étudié,
mais avec cette particularité que la locution Tiers-Eial [ty è : r z é i à]
nous montre encore en exercice le phonème instable du masculin. — Le
féminin est très régulièrement [t y è r s (œ)] tierce.
255. — Second GUNivE. -- Laphasemasculine a pour phonème ierm '/lai
uneconsonnestable.
Deux sous-genres.
Premier sons-genre. — La phase féminine se forme par simple addition
dun [(cb)] instable. La duison de la voyelle ne change pas en passant du
masculin au féminin (car, même au point de vue phonétique pur, les con-
ditions de servitude ou de liberté restentles mêmes).
:
Ex.
:
[p r i y ob r] prieur fém, [p r i y oè : r (œ)] prieure
[pu
[su:
:r]purfém. [pu:r(de)] pure
[su: (oe)]sure
r] sur fém. r

t
[à m è : r] amer fém. [à m è : r (œ)] amère
[n è t] net fém. [nè (de)] nette

comme [g r a : d (œ)] grande sur [g r à : (0] grand, a existé concuremment jusqu'au


milieu du XVIIe siècle. Ex. :
car la pluie qui avoit batu les blez de lonc temps les avoient fait germer
par deaus, si que il n'i paroit que l'herbe vert.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, 131).
Sur l'orbe verte estut devant sun tref
(Turold. La Chanson de Roland, 671).
Sur l'herbe verde et sor lesjons
Fait bon boivre a hanap d'argent.
(Courtois d'Arras, 104).
(3) Christophe Nyrop, Grammaire Historique de la Langue Française, t. II, § 410,
p. 285.
Le tambour. — Vingt francs ! Sufficit t. C'est égal. l'idée est bizarde 1
(Labiche. Les Noces de lionchencœur, Il. 1),

indique l'ancienneté de cette forme :


M. Huguet, dans le Dictionnaire du xvie siècle, s. v. Atome, cite un exemple qui nous

de belles petites atomes el bisardes franfcluches


(Pli. de Marnix, Differ. de la nelig.).
[m à t] mal fém. [m à t (de) mate
(g rè k] grec fém. [g r è k (ee)] grecque
[t u r k] turc fém. [t u r k (de)] turque
* [p 11 b 1 i k] public fém. [p u b 1 i k (de) publique
[s u p é r y de : r] supérieur fém. [s u p é r y œ : r (de)] supérieure
[kôlônel] colonel fém. [k ô 1 c) n è 1 (de)] colonelle
i 1
[rival] rival fém. (r và (de)] rivale
[p i k pô k è t] pickpocket fém.[pikpôkèt(de)]pickpockette
Ex. La majore de son ambulance, naturellement 1
(Lucie Delarue-Mardrus. Le Pain blanc. VI, p. 60).

256. - sousgenre. — se
Laphase féminine formepar subs-
titution d'une autre consonne à la consonne stable terminale du masculin, puis
addition d'un [(œ)] instable. La duison de la voyelle ne change que quand

i[b
intervient une servitude phonétique.
[s è k] sec fém. [sèc(de)]sèche.
:
rè f] bref fém. [b r è v (de)] brève.
Le premier changement possible, qui concerne uniquement l'adjectif
fait passer de [k] à [c].
sec, ci-desslls cité, nous
Comme dans le deuxième sous-genre du premier genre, le [c] procède
dllftlatindelafinalecam. Quant au [k] du masculin, il procède du k
lalin dans la terminaison cum, mais, contrairement au cas du S 253, il est
ici resté stable parce que s'appuyant sur un autre k : bas-latin siccllIn,
f
français sèk]sec.
Le second changement possible provient de ce que le vdu latin s'est
maintenu comme [v] dans la terminaison vam en raison de la présence
(Ici'[de] instable terminal procédant de l'a latin, tandis que dans la ter-
minaison Vllm, ce V, devenu absolument terminal", s'est changé en lf].
Kx. Latin novuni, féminin novam, français [n da f] neuf, féminin
[11 œ (œ)] neuve.

:
v

:
:
! La voyelle du féminin est dans ce cas toujours filée en vertu d'une servi-
tudephonétique.Cette correspondance masculin [f] féminin [: v (de)] a
pris une importance considérable dans la langue
par l'apport que lui a
apporté le suffixe if fréquent formateurd'adjectifs nominaux. Les quelques

I" ai :
i
adjectifsde ce type que le français avait hérités du latin (ex. [n a f]naïf,
la
v (èe)] naïve) ayant au féminin [i : v (œ)] cette forme est devenue
formeféminine du suffixe luitucme, au même titre que [i f] est sa forme
IIHISClilille (1). De sorte que tous les adjectifs nominaux que le français
formeavec
ce suffixe — et il en forme tous lesjours — viennent se ranger
Mécaniquement,
Posent sens-groupe. Il
ment formé.
a :
ail point de vu« de la formation de leur féminin, dans le
y plus aucun nom en /, même le plus récem-
ne peut avoir en français de féminin taxiéinatique qu'en
-!v (&)].C'est
ainsi qu'on appelle plaisamment, dans la conversation une
3o(Vt forme 1-v i v] voyelle hrusque donnée par Nyrop (G H L F, T. II, § 447,
>P-306) est étrangère i l'usage d'aucun pays de lîngualité frandmande et est même
avec
~!'!")icHon absolue avec ta loi § 186.
grosse fille « une grosse palapouve », parce qu'un gros garçon dans i
r'
même cas est appelé « un gros patapouf. » C'est ainsi aussi que le mot
bœufy qui, employé1 éadjectivement,
d ne peut avoir pour féminin
r ot
son corres
pondant sémantique vachedont le sens adjectival est très différent, rec

:
dans la conversation un féminin bœuiJe, que nous avons entendu plus
d'une fois Il a une vanité boeuve, Cf. un aplomb bfBuf, un effet bœuf La
même analogie, jouant en sens inverse a fait reformerles masculins [v œ fi
veuf et [j Il i f]juifsur les féminins [v de : v (de)], veuve et [j u i:v (œ)]
juive (i).
Dans quelques vocables àsuffixe if,1'[f] s'est amui sans que la forma.
tion du féminin change.
Ex. [b a : 5 i] bailli, fém. [b a : y i:v (œ)] baillive (3).

257. — TROISIÈME GENRE. — La phase masculine a pour phonème terminal


un [(,&)]découvrant une consonne dans la liaisonprévocalique.
La phase féminine est semblable à la masculine. Ex. :

[6 n è
b: t
[pr b (de)] probe
(de)] honnête
[j 6 n (de)] jaune
:
[r ui : j (de)] rouge
st
[ju (oe)] juste
258. — QuATMÊME GENRE. — La phase masculine se termine par une apo-
phonie.
La phase féminine se forme alors en ajoutant simplement un [(d?)jà
l'étatconstruit du masculin.
Si la voyelle finale est brusque dans cette forme, elle est brusque ail fé-
minin. Si au contraire elle est tendre, elle reste tendre au féminin. Mais
au féminin, les lois phonétiques la font filée, alors qu'elle n'est que tenue
dans l'état construit du masculin.
Ex. [b (Õ : ô n)] bon fém. [b ô n (de)] bonne
[s (ê : è : n)] sain fém. [s è : n (èe)] saine
Bien que la loi que nous venons de donner s'applique à tous les noms
variables du quatrième genre, et que le reste soit plutôt une questionde
lexicographie, il nous paraît utile d'étudier une à une les apophoniespos-
sibles.
Il en est beaucoup de latinigènes, c'est-à-dire provenant de révolution

(2) Dans l'ancienne langue, la forme [v œ : v (œ] veuve s'est même souventréglan em-
ployée au masculin sans modification morphologique, l'adjectif veuve, veuve se
alors sur l'analogie du type tendre, tendre. Ex. :
Sien ot, i, fil, et la dame morut. Si demoura Bauduins veves.'
(Ernout. Chronique. Ch. VI, p. 48).
(3) D'autres se sont reformés des féminins conformes à leur nouveau phonélisrt1^
les féminins jolive, apprentive, ont cédé la place à jolie, apprentie. Ce changementdu
flexion s'explique peut-être par l'influence analogique des adjectifs verbaux passifs di
type fini, finie.
des formes dans le passage du latin au français; les unes sont
différente
dues
:
à la vocalisation de 1'[1]. ce sont
[( 6 : è 1)], [(6 :
:
à 1)], [(m ol)J. [(*
à la nasalisation des voyelles ce sont :
: è y)]

les autres
[(ii : à n)], [(5 : ô n)], [(ë : i n)], [(,ë : è n è : n)]
[(m : uu)].

:
On remarquera que, dans toutes ces apophooies, la forme sans consonne
terminale présente une voyelle tenue la voyelle,en effet,est tendre du
faitdu phonème suivant qu'en setransformant elle a incorporé. Au con-
traire, dans la forme avec consonne terminale, la voyelle n'est tendre que
dans [è : n], écrit aine ou eine, parce que, dans ce cas, la voyelle, même
sans
incorporation de la consonne terminale, est déjà phonétiquement is-
sue d'une
diphtongue de l'ancien français.
La chute d'un [r] ne rend pas la voyelle tendre, témoin l'apophonie
lié è r)] ex. [s ë : gu 1 y é] singulier.
Il est enfin une apophonie purement francigène faisant alterner un [6]
détégé avec un [6] protégé par une consonne terminale. Nous la trouvons
sous les deux
formes [(6 o t)] et [(6 ô p)]. Il s'agit là tout bonnement
de vocables à consonne instable terminale du type petit,petite, mais l'im-
possibilité phonétique d'un [6] terminal en français fait apparaître un [6]
dans les cas où le [t] instables'amuit. Cet[6] ne représentant qu'une seule
voyelle originelle, reste brusque.

1
259. — Première apophonie. —Masculin en [(6 ôt)], [(6 ô p)], fémi*
nin en [ô t (&)] ou [ô p (ôb)] ,
exemples:
[s Ó ô t)] sot fém. [s o t (de)] sotte(unsot incident [Cà: s6 t ë : s idâ:)].
[v y è y (6 ô t)] vieillot, fém. [v y è y à t (de)] vieillotte.
i
[1 n (6
[s à1 (Ó
i
ô t)] linot, fém. [1 n ô t (œ)) linolle.
6 p] salop (t) fém. [s à 1 6 p(<te)) salope.
[i d y (Ó b 1)] idiot fém. [i d y b t (œ)] idiote. )
[k à g (ô ô t)] cagot fém. [k à g ô t (à)) cagote.
Nous verrons plus loin que ce mode de formation du féminin a la force
l'attirer à lui des noms en [Ó] nu, comme [kukô], coco féminin [k ô k 6 t
en [ô :] apophonique comme [(b ded ô :)] bedeau féminin
A)] cocotle, ou
t
vulgaire: [b dB* dô (de)]bedolle, v. infra, § 261.

260.
— Seconde apophonie. — Masculin en [(é
exemples:
è i-)], :
féminin en [è r (œ)]

eU
U; Il se
i1,1 »
produit facilement dans le sentiment linguistique de certaines personnes
confusion entre ce vocable et le vocable très voisin [s à 1 6 : (t)] salaud, fém.
: d (de)] salaude, ex. :
Que voulez-vous faire de cette vilenne salavde, cette esdentée.
(Agrippa d'Aubigné.LesAventures du
BarondeFaeneste, XIV, p. 106).
tant ce. salop 1 était chamarré d'argent.
(Verlaine. Mes Prisons, IV, T. IV, p. 406).
[1 e : j (é :r
è r)] léger fém. [1 è : j è (db)] légère
g 1 y
[s : gu y (é è r)] singulier fém. [s ê gu1 è : r (œ)] singulière
[b ui 1 à : j (é è r)] boulanger fém. [b m 1 3 :j
é : r (de)] boulangère
[b m c (é è r)] boucher fém. [b m c è : r (da)] bouchère

261.
:
— Troisième apophonie. — Masculin eu [6
féminin en [è 1 (dB)] écrit-elle. Exemples
:
è I)] écrit eau,el-

[b (6 : è 1)] beau, bel, fém. [b è 1 (de)] belle


[n m v (Ó : è 1)] nouveau, nouvel, fém. [n ui v è 1 (de)] nouvelle
[j u m (ô : è Y)]jumeau, [j u m è 1 (de)] jumelle
[c à m (ô : è 1)] chameau [c à m è 1 (de)] chamelle
La forme masculine avec consonne terminale n'apparaît plus, bien
en.
tendu, dans la langue contemporaine qu'à l'état construit :
Mon bel eiifant[m
Un nouvel ami
: :f
ô bè1àà
rœ :n vè1à il
w m
C'est dire que les vocables comme chameau, agnean ne sont classés ici
qu'en vertu de leur analogie formelle et historique, sans que leur mascu.
lin soit véritablement apophonique.

tè:t
Cette remarque que nous rappelons ici pour le cas particulier a déjà été
|
posée comme une observation d'ordre général au 253. Nous signalons
cependant les locutions chapel en tête [càpèlâ: (œ)) pour

t
[s(db) mè r(de) mà è1â è rt :t :t
signifier « avec son chapeau sur la tête », et se mettre martel en têtt
(de)] pour signifier « se créer du

;
tourment. » La seconde de ces locutions a sans doute pour origine une filia-
tion historique directe la première, d'emploi limité à certains milieux
étroits, ne procède peut-être que d'une restauration archaïque à la blague,
ou d'une imitation de sa congénère.
Cette alternance entre elet eau ne s'est établie, sous la présente forme,
qu'entre le xvie siècle et le xvire siècle. En vieux français eau ne se rencon-
trait qu'au sujet singulier et au régime pluriel, parce que, dans ces deux
formes, l's subséquent entravant 17 en avait entraîné la vocalisation. Si

donc :
nous prenons pour exemple l'adjectif beau, la déclinaison masculine était

singulier pluriel
sujet, beaus bel
régime, bel beaus
Mais dès cette époque, le féminin était belle (du latin bellam). Aprèsls
disparition du cas-sujet, au singulier historique bel s'est superpose ur

:
singulier analogique beau refait d'après le pluriel, et c'est alors que le sys
tème actuel masculin beau-bel féminin belle s'est trouvé, constitué (t).

(1) Il y a eu beaU e
d'ailleurs une période d'hésitation où le singulier analogiques'est
essayé de s'emparer d'un certain nombre d'emplois dont en définitive, il ne p
rendu mattre, ex. :
Il la fit avant pisser dans un beauurinai de cristal.
(Branthôme. Recueil des Dames, 11, T. XL, p. 203).
La
des
:
forme bel, en dehors de l'état construit, ne se montre plus que dans
locutions figées TouL cela est bel et bon.U l'a
bel et bien flanqué par
terre,
Notre eau, provenant de « bas latin ouvert + l a été primitivement une
iriphthongue, dont les derniers tenants se rencontrent au xvi* siècle, puis
une
diphthongne disparue elle-même au cours du xvne siècle. La voyelle
actuelle [6 :] en a du moinsgardé une tendreté certaine.
Mais, la.conscience ignorant évidemment, du moins pour la plupart des
loculeurs. cette tendreté, il se peut qu'elle disparaisse quand une nécessité
de distinction sémantique ne la maintient pas (2). Aussi, comme le
suffixe
eau-elle a peu de vie, de même que la langue dit [capoté] chapeau-

[Màk 6 à :
ter, [pwarète] poireauter, etc. la plèbe de Paris dit macrotage
rt
j (œ») au lien de maqwerellage [m à k (de) r è 1 à : j (œ)] ,
de même les paysans de Sarcelles forment un féminin bedolle à partir de
[bood ô :] bedeau (3).

de eau dans les patois :


On trouve encore des traces nombreuses de l'ancienne poîyphthongaison
le haut breton a gardé le triple son sous la
l'
forme [y à ui] avec Victus sur [à]. Le double son [y ô :] commence s'en-
tendre à quelques lieues. de Paris et s'étend sur maintes provinces le bour-
guignon et le poitevin ont [yâ] ; le picard a, selon les lieux [yô] ou [y ds].
; r

Dans la parlure littérale elle-même l'apophonie [(yô : è 1 (de)] est reçue


pour l'adjectif Morvandiau, morvandelle, d'origine dialectale (4).

,
262. — Quatrième apophonie.. — Masculin en Hw ô 1)] féminin en
[61(de)] exemples:
[f (ui ô 1)] fou, fol
[m (ui ô1)] mou, mol »
fém. [f è 1 (de)] folle
[m ô 1 (de)] molle
Devant une autre consonne et après un o ouvert bas-latin, 17 s'était voca-
lisée. Le mécanisme de l'établissement du masculin apophonique actuel
est le même que pour le cas précédent. Mais, sans doute parce que la

Il est certain que l'image articulatoire de seau [s 6 :] n'est pas superposable


(2)
celle de sot [s 6]. Même celui qui, à l'analyse, est incapable de les distinguer avouera
si on le prie de faire abstraction de toute théorie, qu il n'a pas le sentiment d'une
identité. Cet instinct, qui répugne à l'homophonie de vocables dont il ne fond ni ne
confond le sérnantisme, suffit à. conserver, dans. les cas où une homophonie est à
craindre, une différence do prononciation minime.
t
(3) M. Nyrop signale d'ailleurs un féminin [b da d 6 : d (de)] bedeaude, qui désigne
lacorneille emmantelée, comparée du fait de son aspect extérieur, à un bedeau sous
1habit de ses fonctions.
(4) La parlure littérale semble admettre
une apophonie [ô :] féminin [à 1 (00)1 pour
esquimau, féminin esquimale, à côté d'esquimaude entendu quelquefois. La langue
a
parlée par ailleurs refait, sur le pluriel marsupiaux, le singulier marsupiau au lieu
aféminin,marsupiale
-aupial. Mais ce dernier persiste l'emploi adjectiveux,
d--

La kangourou est un
:
seul
n'a pas de rival
dans et partant, au
marsupiau. L'os marsupial. La poche marsupiale. Ex. :
Voilà le marsupiau qui remplit sa poche.
(Mlle(-T.,le15avril1929).
On va transformer cette poche
en une poche de marsupiau.
(M. BQ.rleit décembre19Î4).
y
diphlhongue composée de deux voyelles très proches, a été réduite depuis
fort longtemps, la voyelle n'est pas tenue mais brusque. Lemotmou, pour-
tant, dans des emplois d'emphase, et surtout d'emphase burlesque, garde
un [m :] tenu sur lequel vient s'écraser un [m :] prolongé et peu vigou,
reux.
:
Ex.

i
Caramel mou III est mou, mais il est bon.
m èz 1è b Õ :].
[Kà ràmà1mm m
è
(Cri d'un marchand de caramels, Saint-Quay, 1908).
Comme son homologue en [è 1], la forme en [ô 1] tend à se spécialiser
dans le rôle decatadmète. La première édition du Dictionnaire de l'Acadé-
mie (t694), quoique ne donnant que l'orthographe fol, nous est garante
qu'on prononçait déjàfou (1).11 faut cependant lire certainement [f 6 Il
dans les vers suivants de La Fontaine.
Un Jol alloit criant par tous les carrefours
Qu'ilvendoit la sagesse,
(La Fontaine. Fables choisies, IX, 8. Le Fou qui vend la sagesse).
Mais cela peut être, chez cet auteur, aussi bien qu'une survivance d'un
ancien usage, un moyen d'éviter un hiatus. Dans la langue de nos jouis, la
forme fol, ne se rencontre guère hors de l'état construit que dans le pro-
verbe : Souvent femme varie
Bien fol est qui s'y fie.
Maison sait le caractère toujours archaïque des proverbes. Des auteurs
de notre temps ont certes écrit :

De cette chair,
0 Femme, ô femmes, qu'est la vôtre
Dont le mol péché qui s'y vautre
M'est si chair.
(Verlaine. Chair. La bonne crainte, T. III, p. 431).
Balancé voluptueusement par lesmoiseffluves de ta lenteur majestueuse,. tu
déroules, au milieu d'unsombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues
incomparables.
(Comte de Lautréamont. Les Chants de Maldoror, I, 9, p. 29).
Un rien de poil Jol au menton.
(Georges Duhamel. Vie des Martyrs. Le sacrifice).
Elle rira. de me voir rivaliser en bonds, en voltes, en tourbillonnements Jols
avec les feuilles. (Colette. Dialogues de bêtes. Le premier feu).
Je vous entends, Destin, j'irai paisible et lasse
Sanslefol tremblement qtii
soulevait mon cœur.
(Comtesse de Noailles. Les Vivants et Les Morts. Destin imprévisible;.
De même avec molt :
Qu'aimais-tu dans ta vie adolescente et fraîche ?
La course dans les prés, le mol parfum des pêches.
(Ead. Ibid. Bénissez cette nuit).
»
Le fouet dit « clac deux fois seulement, et par miracle, je pense, lechat
bondit sur le parquet, plus mol et plus élastique que la balle de laine qui nous
sert de joujou. (Colette. Dialogue de bêtes. Le voyage).

(1) « l,
po L E, adj. (On prononce fou, et plusieurs l'escrivent ainsi). »
Mais il s'agit à l'évidence de la restauration d'une forme obsolète sous
l'influence de la tendance plus ou moins consciente vers un fin effet séman-
tique.Cf.S509.
pour l'exemple de M. Duhamel, la restauration est d'autant plus aisée
que l'adjectif
follet s'emploie dans le même sens. Dans celui de Lautréa- s

mont, il est possible qu'il y ait influence de lasexuisemblance hésitante de


effluves (de molles effluves), cf. infra S 334. Cf. aussi l'emploi que cer-
taines personnes font desol,sur un ton de blague. C'estce que M. Philippot
appelle la restauration ironique (2).

263. — Cinquième apophonie. — Masculin en [(œ) : dé : z è y)], fé-


mininen[è: y (de)].
Ce groupe ne comprend que l'adjectifvieux-vieille, féminin vieille. L'apo-
phonie provient de la
vocalisation de 1'[1] mouillée devant consonne (1). Ici
c'est la forme du cas-sujet vieux,qui, sans subir même le retranchement
de son[(z)] de liaison postfinal a concurrencé, dans l'emploi masculin sin-

sente-t-il trois formes :


gulier, la forme-régime régulière[vieil]. Aussi le masculin singulier pré-
:
[v y de :], [v y dé z], [v y è y]. Mais l'emploi de
ces formes est nettementtranché. Des deux formes des liaisons, la forme
[v y è y] est l'état construit, tandis que la forme [v y ce : z] sert uniquement
à la liaison en situation libre.

Ex. :
Un vieil ami [C, -yyèyà i]
m
mais du vieux aujeune [d u v y de : z6 : j de n] ou.[d u v y œ : 6 j œ n].
On dirait plus difficilement aujourd'hui qu'autrefois :
qu'un beau, grand et vieux arbre jette de ses racines
ni plus ni moins
quelques gentils et verts arbrisseaux.
(Branthôme. Recueil des flommes. 1. 1. 5.Tome I,p. 171).
Aux traces de son sang, un vieux hôte des bois
llenard fin, subtil et matois.
(La Fontaine. Fableschoisies, les Mouches et le Hérisson).
Le vieux évêque Belloy, prélat vénérable, qui avait remplacé M. de Belzunce à
Marseille.
(Thiers, Histoire du Consulat, L. XII, p. 352, col. i)(2).
vieil meuble de ruelle où il parle procès et dit des nouvelles.
La Bruyère. Les caractères ou les Mœursde ce siècle. De l'Homme. T. If, p. 95®).
La tendreté du féminin s'explique sans doute par une tendance phoné-

1
tique de la recouverture [y (de)] à rendre la voyelle serve à la tendreté.
|
(V. supra. 253, note 1).
264.— ôn)] féminin en
[Ú ,
n (da)] :
Sixième apophonie. — Masculin en [Õ:
exemples
[b (ô : ô n)] bon n
fém. [b6 (do)].bonne

•C § 262. (2) Lettre de P. Philippot à Chr. Nyrop,


la Langue française, T. II, addition au § 323,
apud Nyrop. Grammaire historique
p. 415.
§263. (1)

:
Christophe Nyrop. Loc. cit., T. II, 8 354.
W En dehors même de la liaison, la forme vieilt'est maintenue jusque dans le*
siècle
[1y(ô : ôu)]lion » [lyôn(de)]lionne
[p y (ô : o n)] pion [p yô n (de)] pionne
[s i m (ô ôn)] Simon
»
i n
[s mô (de)] Simone
Exemples : »

Sa Majesté Lionne un jour voulut connoistre


De quelles nations le Ciel l'avoit fait naistre
La Fontaine, Fables choisies, VII, 6. La Cour du Lion).
Et l'on entendait la fillette rire de la gorge comme une pigeonne.
(Marcel Prévost. Les demi-vierges, Mod. Bibl. p. 64).
Cette apophonie procède de ce que le groupe o bas latin ouvert ou fermé
(c'est-à-dire ô et Õ — il latins) + consonne nasale finale se réduit en fran-
çais à [ô:]
265. -
[àn(de)].
Septième apophonie. — Masculin en [(a : * à n)] féminin eu

Il est difficile d'apporter un exemple d'état construit, mais si l'on plaçait

i t à
un adjectif en [a] en position voulue, la forme apophonique s'imposerait :
-..

un paysan accoutrement [p é zànàkui


montre dans les groupes masculin-féminin : r
;
dem L'apophonie se
<

Ex. : paysan, paysanne; courtisan, courtisane catalan, catalane.


266.
, :
— Huitième apophonie. — Masculin en [(6 : i n)], féminin en
[i n (de)] exemples
[d i v (ê : i n)] divin fém. [divin (de)] divine
i :f
(le divin enfant [1 de d i v n â â:])
[f (ê : i n)] fin fém. [f in (de)] fine
:
[à r j 3 t (ê : i n)] argentin fém. [à r j S : t i n (de)] argentine.
[1 à p (ê : i n)] lapin fém. [lapin (de)] lapine
[s u p (ê : in)] supin fém. [supin (de)] sapine
Cette apophonie procède de ce que l't bas-latin (t latin) + consonne nasale
;
finale se réduit en français à [ê] [i n (de)] devient alors le féminin ape-
phonique naturel des mots en [ë :] comme tout à l'heure [ô (de)] celui t
des mots en [ô]. Et l'on voit apparaître des féminins comme [d i n (de)]
dine, [s à k r i s t i n (de)] sacristine, de daim, sacristain.
Le sens étymologique du mot copain, doublet de compagnon, étant géné-
ralement perdu et son féminin compagne n'étant plus saisi comme appa-
renté, il tend à s'y substituer une forme vulgaire copine.
Il faut rapprocher de ce groupe les adjectifs-malin. bénin, masculins re-
faits sur les féminins maligne, bénigne (cf. supra, 250) où, dans l'état actuel
de la langue écrite. le féminin paraît développer un [n].qui n'est pas duns
le groupe apophonique du masculin et qui, d'ailleurs n'apparaît pas dans
le parler usuel, qui dit [m à 1 i n (de)] : ex. :
Oh 1 tu es plus maline que les autres, toi.
Pierre Veber. Théâtreincomplet. La Dame à la Mode. Se. l.
*
267. — Neuvième apophonie, — Masculin en [(ë : è : n)] ou [(ê :/ è n))
féminin respectif en [è : n (de)] ou [è n (de)].
Exemples : : n)]plein fém. [p 1
: è:n)]sain»
[p 1 (ë è pleine
[s (ê
:

[cy(ë: è chien
è 1

[sè:
[cyè
] : n (de)
n(de) saine
n(&)]chienne
y : èn)] »
11)] »
[m (ê mien è
[my 11(de) mienne
Dans le principe, la différence de duison est d'origine historique.
Dans les mots écrits ain, ein, oùl'[è] de l'état construit du masculin ainsi
que du féminin procède en général d'une diphtongue ancienne, cet [è] est
long. L'apophonie est[ê : c : n)] au masculin, et le féminin est en
[è : n (de)] C'est le cas des mots où [ë :] provient de ënou ln finaux latins
(d'où ein), ou bien dean final latin non précédé d'une consonne palatale
(d'oùain).
*
Ex. lat.plénum, vieux français [p1èin], français [ple :] féminin, plë-
nain.[p1éin03). [p1è n]. :
Lat. sanum, vieux français. [saiu], français [së
:
[sainde],[sè n](1).
féminin sanam :
Dans les mots écrits en ou 1'[e], d'ailleurs toujours précédé d'un [y], n'a
jamais été diphtoagué dans le diachronisme français, cet [è] est bref.
L'apophonie est [(ë : è n)] au masculin, le féminin est en [è n (dfe)J. C'est
le cas des mots où [ë :] provient de ën final latin, ou de an final précédé
d'une consonne palatale.
*
Ex. latin më(u)m vieux français [m y è n] français [m y ë] ; auquel le
français donne pour féminin [m y è n].
*
Latin canem vieux français [c y è n], français [c y ë :], auquel le français
donne pour féminin [cy c n].
Mais il va sans dire que la science de l'étymologie des divers vocables est
absolument étranglée au sentiment linguistique actuel. Aussi les diffé-
rences phonétiqnes ne se maintiennent-elles que par la transmission in-
consciente de la tradition orale, et sont-elles sujettes à des actions analo-
giques qui rendent trop absolu l'exposé schématique que nous venons de
tracer.
Les adjectifs nominaux cn-éen-[ éë :] formés par étymologie savante
sur des prototypes latins ou macaroniquesen-eanus n'avaient pas de raison
d'être écrits par en plutôt que par ain. Dans la prononciation, ils hésitent

Ex. européenne :
au féminin entre [è : n (de)], et [è n (de)].
r
[de ô p é è : n (de)] ou [de'r o p é è n (cb)].
Le motnain devrait, étymologiquement, avoir pour féminin [n è: n(de)].
Cette forme, indiquée dans d'anciens dictionnaires (cf. Grand vocabulaire
français. Ouvrage du xvm*siècle, s. v. nain) s'entend encore quelquefois
c'est même celle que donne un ouvrage assez récent : le Dictionnaire géné-
;
| :
ral de la langue française, d'Hatzfeld, Darmesteter et A. Thomas. Mais la
prononciation [n è n(de) est infiniment plus répandue sans doute est-ce
(1) Aucun de nous n'a jamais entendu la forme [s è n] avec voyelle brève donnée
PM Nyrop (G H L F, T. II, § 449, 6° p. 308) ; n'étant en contradiction avec aucune loi
Phonétique du français il se peut qu'elle existe dans certaines usances régionales. Au
moins est-elle étrangère à Paris et aux provinces circonvoisines.
une cause psychologique qui a entraîné ce raccourcissement du mot dési-
:gnant une personne de taille anormalement petite.

[u
268.
n (&)]. Exemples :
— Dixième apophonie. — Masculin en [(&a : u n)] féminin en

,
[k ô m (a, : un)] commun fém. [k ô m u n (m)] commune
[ô p ô r t (a : u11] opportun » [ôpôrtun ]
: rt
[ë p0 (m ; un)] importun
[br (lé : u11)] brun
: 6 (œ)]t brune
» [brun (de) opportune
[ê p r u n (dB)] importune
»
[i m m (ce : un)] immun [i m m u n (&)] immune
»
Cette apophonie procède essentiellement de la réduction de ùn bas-latin
(latin ou franç.) final à [fié].
Dans toutes les apophouies procédant d'une dénasalisation il faut prendre
comme forme normale, pour le présent exposé, la pleine dénasalisation,
encore qu'on entende souvent des formes de liaison retenant la voyelle
nasale dans la prononciation de beaucoup de gens.

269.— CINQUIÈME GENRE. — La phase masculine a pour phonème termi-


nal une voyelle stable.
Premier sous-genre : La voyelle stable terminale est [é] [œ] [u]. Laphase
féminine se forme alors par simple tenue de la voyelle :
Ex. [g é] gai fém. [g é :] gaie (1).
[b 1db]bleu [b 1 cb :] bleue
:
[vâ t r u] ventru
».
» [vâ t u : r :]
ventrue
Ces noms ont eu autrefois leur [œ] final comme tous
les autres. Mais
cet [oel s'est fondu dans la voyelle précédente, en rallongeant.
:
270. — Second sous-genre La voyelle stable terminale est [à], [a], [o].
Laphase fémininese formealorspar addition d'un[t] stable et q'uh [à]
instable.
Ex. [k w à] coi fém. [k w à t (de)] coite
[g à g à] gaga » .[g à g à t (ee)] gagate
<Cf. Oui, je sais, elle est très rapiale, interrompit la princesse.
(Marcel Proust. A la recherche du temps perdu, t. IV, p. 58).
A côté de ces noms, plaçons [p à r t i z a :] partisan, féminin
Ip à r t i z a : t (œ)] partisante. M. Nyrop, malgré sa profonde science de

è
la langue française, ne peut pas, étant étranger, connaître l'usage con-
rant comme nous Français qui y sommes plongés. Aussi est il excu-
sable d'écrire que Ninon de Lenclos a formé le féminin partisante et n'a

:
pas trouvé d'imitateurs. La vérité est que cette forme est d'un emploi abso-
ment courant « Je n'en suis pas partisante», voilà une phrase quechaque
Français a certainement bien souvent entendue dans la bouche des femmes
'.qui l'entourent, ex. :

phonique :
(1) Dans beaucoup de provinces dont la Bourgogne, l'adjectif gai
[g é], féminin [g
a un féminin 8p01
Elle ne doit pas être partisante des farines lactées.
(Mme E. le 22 mai 1920).
Suzanne en est tout-à-fait partisanle.
juin 1920).
(•Mme H. le 25
Et il est probable que Ninon de Lenclos n'a pas forgé cette forme, mais
l'a écrite parce qu'elle l'employait en parlant et qu'on l'employait déjà à
cette époque, couramment,autour d'elle.
A côté de partisanle, se place quidanie féminin de quidam (prononcé
i
[k d&:])(!). ex.
L'autre plaide par devant rofficialetjure qu'il n'a jamais fait cela à laquidanlê
qui veut couvrir son honneur du manteau de mariage.
(Crcspin. L'OEconomie, A, 1611 dans Variétéshistoriquesetlittéraires. T. X. p. lî).
Si la voyelle est [a] ou [Ú], ces voyelles ne pouvant être brusques proté-
gées, le [t] ne pourra s'ajouter qu'à condition que la voyelle devienne res-
pectivement à ou 6, de sorte que le féminin est alors apophonique.
Ex.gaga,que l'un de nous prononce [g à g â], mais en lui donnant
cependant pour féminin [g à g à t (de)] -
[t i p6] typo » t
[k 6 k6] coco fém. [k ô k ô' t (&)] cocotte
[t i p6 (de)] typote

271. — Troisième sous-genre. — La voyelle


stable terminale est [è], ti)~
fm), ex. :

[h à r d i] hardi fém. [h à r d i:] hardie


[j61i]joli » [jô1i:]jolie
[v r è] vrai » [v r è :] vraie
[f 1 ui] flou » [f 1 m :] floue
glle (l'hallucination) peut être élémentaire ou complexe, isolée ou en rapport
avec d'autres, intense ou faible, précise ou presque pas objectivée ou floue.
(Ph. Chaslin.Séméiologie et Clinique mentales, p 127).
l'intestin grêle apparaît à l'écran comme une masse assez floue.
(Blamoutier, Lesmouvementsantipéristaltiques normaux et pathologiques de l'in-
testin. Thèse de Paris, 1924, p. 19).

:
Mais il y a quelquefois addition de [t (œ)] comme pour le second sous-
genre. La langue classique connaît
ril
[fàv0 t
favori [f à v6 ri (œ)] favorite
[béni]bénit[bénit(de)]bénite(1)
La yajoute:
conversation courante
[1 uj] loup (terme hypocoristiqne), fém. [1
ui t (œ)] toute
[1 uti 1iu] loulou (terme hypocoristique), fém. [1 w lUi t (de)] louloute

§ 270. (1) Cf. Le phénomène phonétique inverse :


et quatre religions mundiatwes, pour demander pardon à Dieu des faux ser-
inons qu'ils ont faits.
(Le Purgatoire des Bouchers, début du xvne siècle, dans Variétés historiques
T
littéraires, V,
l,
et
p. 266).
Sur ce mendiant-rnendiane, cf. ornement-ornemaniste,, printempa.printanitr, etc.-
§ 271. (1) Béni, adjectif verbal,
a pour féminin bénie. V. Livre V.
.t
[c ui] chott (terme hypocoristique), fém. [c ui (èe)] choute
[p 6 n è] poney, fém. [p à n è t.(de)] ponelle
i i
[r k i k i] rikiki, fém. [r k i k it (de)] rikikile
Ex. : Regarde la rikikile de pelile barque.
(Mlle AU,le 18juillet1922).
D'autres fois, il y a addition d'un [v]. Le point de départ de cette analu-
gie est peut-être le mot [1 ui] loup (nom d'animal), qui, malgré son or.
,\ thographe, finit par une voyelle absolument nue, sans [p], mais dont le
féminin [1 m : v (de)] est directement hérité du latin (lupam). On dit

hypocoristique chou ;
de même quelquefois [cui : v(oe)]chouvc comme féminin du terme
et nous avons entendu l'intéressante forme
[b i s t r 6 : v (de)] bistrove.
Nousavonsété unpeu longs,parce que nous sommes entrés un moment chez
- une bistrove.
(Mme E, le 12 juin 1918).

272.— Ces trois sous-genres procèdent en réalité de la même tendance


en général, toutephase fémininedunerépartition sexuisemblantielle intra-
:
vocabulaire se termine par un [dé] c'est-à-dire, de façon plus grossière, que
la voyelle finale de cette phase est protégée. Les féminins par simple allon-
gement des noms à terminaison vocalique sont la seule exception à cette
tendance; aussi cette exception tend-elle à se réduire, exactement dela
même façon que tendent à disparaître, dans le parler du vulgaire et des
enfants, les subjonctifs présents dont la dernière voyelle stable n'est pas
protégée.
Cette tendance progressive de la langue est manifeste pour des formes
comme favorite, coite. Au xvi' siècle en effet, nous trouvons encore
Quand le roi crache, la plus fauorie des dames de la cour tend la main.
:
(Montaigne. Essais. 1, 22 Tome I, p. 79).
aussi ne peult l'homme recepvoir divinité, et art de vaticiner, sinon que
la partie qui en luy p!us est divine (c'est Nouç et Mens) soit coye, tranquille, pai-
sible.
(Rabelais, 111, 13. T. 1, p. 396).
La langue moderne veut toujours favorite et coite: La forme bénite, figée
dans eau bénite (cf. l'orthographe pain bénit) et combattue par tout le
groupe analogique des adjectifs verbaux passifs en i, ie, ne paraît pas en
progrès. Ce n'est que par plaisanterie qu'on emploie quelquefois guérite
et réussite pour guérie et réussie, mais cela ne fait pas contre notre lhèbc,
t
car nous n'avons jamais prétendu que la formation en louchât les adjec-
tifs verbaux passifs, dont les féminins tendent peut être au contraire a
s'effacer.
La question du choix de la consonne épenthétique est intéressante, mais
;
peu claire : [z] est rare cependant la forme bleuse est quelquefois em-
ployée, par manière de blague, comme féminin de bleu, en raison delà

;
banlieusard [v] est plus fréquent
§
:
fréquence d'adjectifs nominaux en eux, euse : cf. bleusaille, bondieusard,
sa particulière caducité, sa facilité
d'épentlièse (V. supra 192) doivent être des circonstances aidant à le con-
-x
covoir comme un individu phonétique propre à l'attache de flexions dont
iln'est pas partie intégrante. De plus l'analogie de loup-louve a dû agir
pour les féminins, celle de dois-doive, meux-meuve, etc. pour les subjonc-
tifs. Mais en règle la consonne choisie est un [t]. Nul doute que des adjec-
tifs comme gaga, rococo, s'ils devenaient capables d'être catadmètes n'ac-
quissent pour ce faire un état construit avec [t] terminal, de sorte que si
nous ne notons pas de [(t)] au bout de ces masculins, c'est faute que cet
individu phonétique ait occasion de se manifester. En réalité c'est un [(t)]
que le peuple de France, qui tend à ne plus connaître de finales que décou-
vertes ou recouvertes, attribue virtuellement comme découverture à la
plupart des finales nues. Témoin des dérivés comme clouter, cloutier. en
face du vocable plus ancien clouer ; ou même comme ferblantier parce que
l'ancien [(k)] deferblanc, que la langue actuelle ne met plus jamais en
exercice, s'est effacé complètement du sentiment linguistique populaire.
Même phénomène pour caoutchouc qui donne caoutchouter, caoutchoutier,
cf. aussi, supra, bedotte, et poireauter, chapeauter, zyeuter, queuter, se
pieuler, etc.
273. — SIXIÈME GENRE. Nous sommes contraints de faire une place à
part aux formations féminines diverses, et extrêmement aberrantes, qui
correspondent au suffixe masculin [de : r] eur.
Ces formations sont au nombre de trois :I[œ :z (œ)] euse, [r i s (de)]
rice, [dè r è s (m» eresse avec la variante [6 r è s (de)] oresse (1). La troi-
sième de ces formations doit être étudiée à part ainsi qu'il sera vu § 276.
La diversité se réduit donc à j[cfe :z (m») d'une part, [r i s (œ)] de l'autre.
Cette diversité provient de ce qu'il y a en réalité deux suffixes ayant leur
masculin en [de : r].
1° Le suffixe vivant [de : r] provenu par la souche authentique du latin
falorem]. De ce suffixe, le féminin purement francigène est en -ellse. Ex. :
[b m d de* : r] boudeur, fém. [b m d œ : z (œ)] boudeuse
:
[m S : t œ i] menteur, fém. [m a : t ce : z (de)] menteuse

fpô
[polis
t dè
[m à s œ : r] masseur, fém. [m à s œ : z (de)] masseuse
r de : r] porlellr, fém. [p o r t cè : z (de)] porteuse
: r] polisseur, fém. [p ô 1 i s dj : z (de)] polisseuse
[p a : s de :r] panseur, fém. [p a : s d; : z (èe)] panseuse
Cf. chasseuse : L'horreur des bois, la Chasseuse Doris,
Passe de loin Dircé, Nice et Cloris.
(Malfilàtre, Narcisse, ChantIV, p.112).
à côté de chasseresse, employé surtout dans la locution Diane chasse-
resse, bien que d'ordinaire les formes en -esse soient plutôt employées
substantiveusement. Cf. infra §275).
:
-° Le suffixe mort [t <3B r] provenu par voie savante du latin -lorem. De
ce suffixe, le féminin, emprunté du latin, est [tris (de)]. Ex. :
(1) Il ne s'agit ici que du féminin, des noms ayant le suffixe [ds : r] marquant la
:
Qualité d'agent. Tous les noms se terminant par la suite phonétique [de r] mais non
Par le suffixe, ont un féminin régulier en-cure. Ex. : supérieur, supérieure. V. ci-
lCSSUS, § 256, [-de (00)),
: r
à
[à m t de : r] amateur, fém. [à m à t r is (de)] amatrice
r ]
[6 r à t de : r] orateur, fém. [6 r à t i s (œ) oratrice
:r tit
[ô d :r tè tris
r
de :r] auditeur, fcm. [ô d i t i s (de)] auditrice
[p ô è k t œ : r] prolecteur, [p 6 k (œ») protectrice
i
t
Je : v a : t de : r] inventeur, [ë : v a : t r s (œ)] inventrice
ti
[tu <3b : r] tuteur, [t u r s (de)] tutrice (2)
Après avoir protégé la France dans tout le cours des négociations pour la paix
elle a été la véritable promotrice de la Sainte-Alliance.
(Comtesse de Boigne. Mémoires. 5e partie, ch. VII, p. 85).
Détrempée dans tant de larmes, son âme était devenue une molle argile sous
le rude pouce d'une sculptrice à laquelle le marbre même n'aurait pas résisté.
(Barbey d'Aurevilly. Une Ilisloire sans nom, p. 149).
Des supins en -SUfll, le latin tirait des dérivés en -sorem français (par voie
savante) [s da : r] -seur.
Le latin donnait à ces vocables des féminins en strix (defenstrix), el dans
quelques cas particuliers, en trix (expultrix). Le français est très embar.

:
rassé. La langue technique obstétricale a retenu expultrice, mais c'est un
cas tout à fait isolé en général les féminins en -lrice ou en -strice pour des
vocables latinigènes en -seUl' sont inexistants. La tendance de la langue est
de former[s ris (da)] qui est à [s de : r] comme [t ris :
(œ)] est à [tde r].
Cette formation est entrée dans la langue usuelle pour les deux féminins
[suksèsris s i
(œ)] et [p r é dé è s r s (œ)]. couramment employés
encore qu'on se refuse, par préjugé littéraire assez sot, à les écrire.
Le féminin isolé ambassadrice est directement tiré de l'italien ambascia-
drice.
Les deux domaines ci-dessus indiqués sontloin d'être étanches, car le
sentiment linguistique ne sait pas distinguer à coup sur les vocables de la
souche néolatine des vocables de la souche authentique.D'une part, la
correspondance [t de : r t r i s (œ)] tend à devenir mécanique et à s'ap-
pliquer à des mots de la souche française. Débiteur, celui qui débile,formé
du verbe débiter et du suffixe eur doitlogiquement faire débiteuse, par op-
position au vocable latinigène débiteur, celui qui doit, féminin débitrice.

:
Or, si le deuxième vocable n'a jamais pour féminin débitense, le premier
en revanche a quelquefois pour féminin débitrice nous avons bien sou-
vent entendu appeler débitrice les employées qui, dans les magasins de
nouveauté, ont pour charge unique de débiter, par opposition aux vendeu-
ses. D'autre part, le féminin tend à être en j[cb : z (de)] toutes les fois
qu'on peut décomposer le vocable en un verbe français plus le suffixe vi-
vant [da : r].
Inventeuse est au moins aussi fréquemment usité dans la langue parlée
actuellement, qu'inventrice, parce qu'inventeur n'est plus rapporté au latin
inventor, de invenia, mais au verbe français inventer.
Enfin, aux vocables les plus indéniablementlatinigènes et dont le fémi-
nin est notoirement [r i s (de)], on forme quelquefois un féminin péjoratif
en euse : une acleuse est une mauvaise et méprisable actrice.
(2) Le mot impératrice, qui sert de féminin à empereur, est emprunté directement
du latin, et serait le féminin réel d'un vocable savaulimpérateur, cf. infra, 1 83. Cf.
item cantatrice concurremment avec chanteuse.
274. — Loin d'être eu
régression, les flexions sexuisemblantielles pa-
raissent en progrès. La langue moderne forme chaque jour de nouveaux
féminins. Ex. :
je ne sais ce qui me gêne le plus de l'admiration benête de mes voisins, du
jeii factice et sans art des acteurs, ou des informes
pièces qu'on nous sert nu-
jourd'hui. (A. Gide. Prétextes. Lettres à Angèle).
La parole expire de l'humble vieillarde agenouillée.
(Id. Nouveaux Prétextes. Journal sans dates).
je voudrais savoir où est la mère vaironne et si elle s'occupe de ses petits.
(E. Pérochon. Nêne, p. 149).
Les petites amies de ces Messieurs devenaient taboues comme les ministres
eux-mêmes.
(Léon Daudet, L'Action Française, 12 juillet 1919).
Chère Madame,
Vous seriez gentille de me dire franchementsi cela vous gêne de me rappor-
ter le petit bois de lit, car le temps passe et je n'ai rien pour recevoir la future
rejdonne.
(Mme 1. Lettre à Mme II., le 5 avril 1920).
En signalant de son côté cet intéressant phénomène, M. Nyrop cite un

admises classiquement
actuels (t).
;
certain nombre de formes anciennement employées, et qui n'ont pas été
plusieurs d'entre elles reparaissent dans les auteurs

Amatrice (Amyot et J. J. Rousseau) (2); Autrice (Mercure de Juin 1726.


Dicliônnairp nèologique de l'abbé Desfontaines. 1725) ; Bourelle (3)
(A. d'Aubigné et Satire Ménippée) Partisane (Commines) ; Peintresse (4)

taire) Tyra/me (Desportes, Boisrobert, LaMénardière) ;


(Calvin et J. J. Rousseau) et une peintre (La Fontaine) ; Professeuse (Vol-
; Vainqueresse (5)
(R. Garnier) ; Médecine (Ancien Théâtre français, xvie siècle) ; LOllve-Cer-
vière (Bestiaire de Ph. de Thaun) Pigeonne (au figuré, Pellisson (6) ; Hatte
;
(Ysopetde Lyon. Marot, La Fontaine) (7) Hossignolle (Voltaire) Animale
(Molière).
On pourrait en ajouter beaucoup d'autres ex. : ;
Le chacal se mêle avec le chien et produit avec lui. J'ai obtenu, dans mes ex-
périences, des métis de la chacale avec le chien, comme de la chienne avec le
chacal.
(Flourens. Note à Buffon, éd. Garnier. T. II, p. 489).

(1) Chr. Nyrop. Loc. cit., II, § 436 à 440.


(2) Afin que je l'instruisisse en la pureté de ma langue, dont elle se mon-
trentamatrice.
1.
(Tristan l'Hermite. Le page disgracié, Ch. XLV, p. 210).
(3) Et cet esprit divin hoste d'un corps humain
En est chassé dehors d'une bourrelle main.
(Montchresticn. I.a Revue d'Escosse. Acte V, p. 108).
(4) Alors vint la belle painclresseen sa maison.
(Nicolas de Troyes. Le Grand Parangon des Nouvelles, XX, p. 90).
(5) Moy qui ne sentis onc quelle douce allegresse
Espanouit les sens d'une atne vainqueresse
Je n'en sçaurois coucher pour la comparaison.
(.Montchresticn. Hector. Acte IV, p. 57).
cf- aussi S 273.
(6) Cf. supra.
(?) Sur rate,
S 264.
cf. aussi infra, S 338.
Ces monstres si dangereux, le requin et sa requine, sont forcés de s'approcher
(Michelct. La Mer, II, 11, p. 230).
Que la mère phoque ou la mère lainantine m'apparaisse sur son rocher.
(Ibid., 13, p. 257).
Etje serai pareille à ces oiselles tristes, captivées par des enfants, et (lui
épuisent leur mélancolique maternité à couver la terre.
(Villicrs de 1Isle Adam. /,,'E've Juture, VI, 10).
Dans ce cas-là évidemment, on invile le pasteur et la pastrice.
(M. DU., le 26 septembre 1926). Cf. aussi s 338.
i
Elle.était chez une sculptrice (s k u 1 tr s) qui a fait une médaille d'elle (8).
(Mme E, le 19 août 192o).
La langue forme aussi de nouveaux masculins, ex. :
Cher bncchmt de la beauté mystérieuse et passionnée.
(Baudelaire. Petits poèmesenprose, XX.X1I. Le thyrsc, p. 105)
La flexion sexuisemblantielle paraît donc prendre une importance con-
sidérable en français. La tentative bizarre qu'ont faite certaine gens d'in-
troduire dans le français des adjectifs invariables en sexuisemblance a

comme :
échoué devant le génie permanent de la langue. Des tours peu naturels
« Elle est rigolo » cèdent la place à « Elle est rigololte (9). »
Cette princesse, c'était une vraie dingotte [d è : g ô t].
(M. OV., le 24 décembre 1925).
Et l'adjectif chic luimême auquel on a voulu dénier un féminin, s'en
forme un très légitime :
La chique matière 1 Quelle pâte 1 on en fait ce qu'on veut ! -
(Capitaine Z: L'armée de la guerre, p. 182).
TOURTEROT (saluant) — Mademoiselle. lbas à Poupardin). Chique, très chique.
(Labiche. Deux Papas très bien. (1844). Scène IV).
275. — Une tendance très intéressante du français moderne, c'est l'iu-
tervocabularisation définitive du lépartitoiredesexuisemblance en
ce qui
concerne la catégorie subslantive du nom. Nous montrerons au ch. IV que
toutes les espèces substantielles du français se répartissent entre la physe,
féminine et la physe masculine du lépartitoire de sexuisemblance. Ex. un
râteau, une lampe. Toute espèce substantielle a une sexuisemblance. Dans
ces conditions, la langue est amenée réciproquement à concevoir la sexlli-
semblance comme un spécifique suffisant pour séparer deux espècessubs-

péennes, sinon du langage lui-même ;


tantielles bien différentes, et ceci depuis les origines des langues indo-euro-
le français étend cette notion en
effet, lorsqu'il se trouve en présence de deux substances absolument sem-
;
blables, au sexe près, il se refuse à les classer dans la même espèce subs-
tantielle et les exprime par deux vocables différents. Entre des termes ap-
parentés entre eux, comme prince et princesse, par exemple, ilya.in»
même titre qu'entre des termes hétérogènes comme mâle et femelle (1)

(8) Cf. §273.


(9) Il est d'ailleurs fort probable que le mot rigolo est formé du verbe rigoler avec

naturellement : un rigolot individu [œ:rig 1ètë:dividu].


le suffixe-of, et que l'absence de [t] instable final provient simplement du non-emplo*
de ce mot en situation constructive. Voudrait-on l'employer ainsi qu'on dirait très
&
§ 275. (1) Il n'est pas sans intérêt de remarquer que ces mots, qui désignent (10 lil
lU5 qu'une différence taxiémalique
: mais la différence sémiématique est
pointant générale pour être exprimée par un pexiome. De sorte que
assez
lalangue résout ladifficultéen donnant
aux vocables une partie commune,
représentant leur communauté générique, et en ajoutant au féminin une
partie propre créant la différenciation spécifique. Ce pexiome, c'est le suf-
fixe
vivant [è s (de)] -esse qui procède vraisemblablement du
bas-latin -issa,
lui-même issu du bas-grec irea (2).

XVi" siècles, :
Ce suffixe était originairement réservé aux substantifs. Vers lesXve et
la différenciation a été moins nette chez les auteurs de ces

féminin des adjectifs les plus légitimes


Exemples : :
époques, le suffixe-esse se rencontre sporadiquement comme formateur du

àl'encontre des immodérées et ch'u'mel'esses blandices de la volupté.


(Montaigne, Essais, III, 13).
Cf. aussi l'exemple de Montchrcslien, § 274, note 5.
Il nous en reste les adjectifs féminins charmeresse, enchanteresse, venge-
resse, chasseresse, pécheresse (3) qui sont en raison de leur forme quasi-
subslantive, à peu près incapables d'être employés en situation construc-

dans une locution figurée, l'adjecliveux féminin maîtresse


femme. »
:
tive dans la langue d'aujourd'hui. Il nous reste aussi, comme catadmèle
« une maîtresse

Au xix" siècle encore, Alfred de Vigny a osé éérire :


Et prévoyait-il, le prophète orthodoxe, que de son tempsmême croîtrait et se
multiplierait à l'infini la monstrueuse famille de ses sophismes, et que parmi les
petits de cette tigresse race, il s'en trouverait un dont le
cri serait celui-ci :
(Slello, ch. XXXII).
Mais aujourd'hui cette tournure manquerait de naturel. Dans l'état ac-
tuel de la langue, on peut poser :
1° que le suffixe [è s (èe)] -esse ne forme plus aucun féminin d'adjectif.
Ceci est si vrai que même les substantifs adjectiveux dont le féminin subs-
tantival est en -esse perdent ce suffixe quand ils sont employés comme ad-
jectiveux :
La pieuvre est traître.
(V.Hugo. Les travailleurs de la Mer,2e partie, IV, 3. T. III, p. t03).
C'est y tué d'aujourd'hui ? Oh hen, alors, y a pas de dommage. Mais la cha-
leur est « traître. (René Boylesve, VEnfant à la Balustrade, IV, II).
»

façon la plus absolue et la plus générale les êtres de l'un et de l'autre sexe, sont des
adjectifs substantivés, qui, en tant qu'adjectifs, sont susceptibles des deux sexuisem-
blances
; une mâle audace; le bout femelle. Ce simpleexemple suffit à faire ressortir
[a grande différence que la langue établit entre la sexualité, idée d'ordre sémiéma-
lquc, et la sexuisemblance, idée d'ordre taxiémalique.
(2) La nature vraiment sémiématique de l'idée exprimée
façon
par le suffixe-esse apparaît
e particulièrement claire dans un exemple de Rabelais, cité par Nyrop, Gram-
"iflireHistorique de la Langue Française, t. II, § 426, p. 292 ; Rabelais, IV, ch. 64,
eXêlnple dans lequel chattemilesse, vocable féminin, désigne la femme ayant les
lnmcs caractères spécifiques, sexe excepté, que l'homme auquel s'appliquerait le
nOln de chattemitte, également féminin..
t,';"¡Jcresse,
fi
(3) Ces mots sont même exclusivement adjectifs
en français contemporain :
liqueur enchanteresse, Diane chasseresssc, trêve pécheresse, mais une
0)0 de charmeuse, une vieille pêcheuse.
voix
Elle se débattait, cette Hindoue séduisante, parmi les traîtres eaux. 1

(Vie Parisienne, No du 17 mai 1919, p. 430).


Le parasite se substitue progressivement à la cellule hôle.
(Job et. Hirtzmann. L'évolution d'Amoeba dysenteriae in Bulletins et Mémoires de

;
la Société médicale des Hdpitaux, 11 octobre 1918, p. 929).
Cf. de même les substantifs ivrogne, ivrognesse drôle, drôlesse diable;
diablesse, dont le féminin est ivrogne, drôle, diable dans l'emploi adjocti-
veux. (Une femme.ivrogne. Une drôle d' histoire. Cettepetitefille est diable)
20 A) que le suffixe [è s (00)] -esse règne en maître pour la formation du
féminin des substantifs dans le cas du troisième genre (§ 257) de notre
classification. C'est que, sans lui, il y aurait entre la phase masculine et
la phase féminine une identité dont l'adjectif nominal ne souffrait pas,
mais que le substantif nominal, au contraire, ne souffrirait pas. Ex. :
maîtrefém.maîtresse
âne
bougre
centaure
»»
fém. ânesse
bougresse
centauresse
moine » moinesse

chanoine
comte
» chanoinesse
comtesse
ogre
pape
Plffre
»
»
ogresse
papesse
piffresse
» w
diable » diablesse peintre » peintresse
drôle
druide » » drôlesse
druidesse
poète
prêtre
»

»
poétesse
prêtresse

félibre»
faune » faunesse prince » princesse
félibresse prophète » prophétessc
hermite. » hèrmitessc tigre » tigresse
traître
hôte
ivrogne
ladre
» » hôtesse
ivrognesse
ladressevidame
vicomte
»
»
traîtresse
vicomtesse
vidamesse
» »
maire 3 mairesse

que. Exemple :
tous féminins attestés dans la parlure littéraire classique ou post-classi-

Ici repose la"grande poétesse Renée Vivien (Pauline Mary Tarn),décédéele


48 novembre 1909.
(Recueilli le 29 juin t923 au cimetière de Passy'l.
La parlure de la conversation courante use très fréquemment de typesse,
féminin de type. L'argot nous donne en outre :
gOllce, féminin gonzesse ;
grèle, » grelesse ;
oncle (concierge de prison), fém. onclesse.
Mais la tendance universelle du français est de ne plus avoir de finales
que découvertes ou recouvertes. D'où le traitement des finales couvertes
comme des recouvertes, c'est-à-dire des substantifs nominaux du deuxième
genre comme ceux du troisième. Llown. quaker. ont pour féminin littérai-
rement reconnu clownesse et quakeresse. La langue parlée emploie couram-
ment chefesse comme féminin de chef. L'argot connaît dabesse féminin de
dab. Mais pour l'argot, il est à vrai dire difficile de décider si lemotest
[d à b] ou [d à b (dB)]. A vrai dire [d à b (œ)] paraît répondre mieux aux
faits cf. le dab
dePierre [1 d à b 6a d p y è : r]. De sorte que ce féminin
aitient plutôt au troisième genre qu'au deuxième.

Se
al

e0
La langue
,esse,
lesse,
:
d'avant l'époque classique avait osé maints autres féminins
parmi lesquels M. Nyrop cite aiglesse,jugesse, libl-airesse, mer-
miresse, hypocritesse, siresse (4) féminins d'aigle, juge, libraire,
merle, mire, hypocrite, sire. Cf.
Dieu plaist, je voy la l'abbesse
Et avec lui la prieuresse.
(Miracle de la nonne, qui laissa son abbaïe, 1034).
Le travail stérilisant des pédants ayant réussi à séparer pendant trop
longtemps la langue écrite de la langue parlée, a arrêté l'essor littéraire,
et par conséquent
l'expansion normale, de ces formations naturelles et
utiles. A l'iieureactuelle, bien que la langue écrite soit redevenue très pro-
chedo la langue parlée, le mode de formation du féminin par-esse pour les
substantifs à finale couverte ou recouverte est encore plus répandu dans
lalangue parlée que dans la langue écrite. Dans la réalité, il n'est pour
ainsi dire pas de substantif nominal masculin àfinale recouverte ou même
simplement couverte désignant un être sexué qui ne soit susceptible d'un
féminin pexiomatique en -esse. La langue de la conversation courante, pour

denlistesse, philosophesse ou vautouresse. Exemples :


peu qu'elle ait besoin d'une précision de sexe, forge des vocables comme

La femme d'un ministre s'appelle, d'un vilain mot, la « ministresse. »


(L. Barthou. Le Politique, 11, 3, p. 114).
Celte sirène, c'était une espèce de phoquesse.
(M. CL., le 22 juillet 1924).
1
Cf. de même cette conversation entre une petite fille de cinq ans et deux
adultes:
Mlle AU. Maint'nant on s'rait des loups. Moi je s'rais une louesse [1 w è s

et toi un loup.

— Une quoi serais-tu ?


M. P.

— Une louesse [1 w ès], la femme d'un loup.


Mlle AU.

— Ah oui 1 une lou-esse [1 m ès], je comprends.


Mme A.
Mlle AU.
— J'n'ai pas dit une lou-esse [1 m ès], j'ai dit une louesse [1 w
èsl.
(21 janvier1923).
En fait, loup [1 m] n'a aucune instable finale, (cf. S 227).
La valeur substantiveuse du suffixe -esse est telle que bien des adjectifs
substantivés du troisième ou même du deuxième genres dont le féminin
adjectivaltaxiématique était semblable, au moins à un [(œ)} près, à leur
Masculin, sont obligés de prendre le pexiome-esse quand ils sont employés
comme substantiveux.
:
Exemples : Du deuxième genre pair, féminin adjectiveux paire, fémi-
niIl substantiveux
pairesse.
Du troisième
genre :
borgne fém. substantiveux borgnesse
W)Sursiresse, v.aussiinfra § 424.
mulâtre » mulâtresse
nègre - » négresse
sauvage -
» sauvagesse
suisse » Suissesse
Ex.
Elles se tiennent parla main, tournant, fouettées d'éclaboussuresfrénétiques1
avec des rires de sauvagesses qui vont faire un bon repas.

:
(Jules Renard. L'Ecornifleur', XXXVII, p. 79)
On dit de même au Quartier Latin une Russesse, Cf. aussi :
Les deux Boches et les deux Bochesses saluèrent sans respect cet invisible peu
accueillant.
(Léon Daudet. Le retour au bercail, dans l'Action Jrançaisedu23juin 1020).
B) Un cas particulier est celui des substantifs masculins en [de : r] -elll',
Le suffixe -esse ne s'y applique que dans la mesure où les formes suf.
fixelles féminines propres au suffixe [de : r], à savoir[['db:z(de)] -euscet
is
[r (de)] -rice, sont inapplicables.
:
Pour l'application du suffixe-esse comme pour celledesformes suffixales
propres, il faut distinguer 1° le suffixe vivant [de : r] qui, en prenant
[è s(de)] donne |[(de) r è s (de)] -eresse ; 2° le suffixe savant [tdfe : r] -leur
qui, en prenant [è s (de)] donne [t 6 : r è s (de)l -toresse.
Le suffixe -eresse était très répandu dans l'ancien français. Mais partout
remplaçable par-euse, il a, comme élément formateur vivant, disparu de
la langue actuelle. Lexicographiquement, il subsiste quelques mots eu
-eresse que M. Nyrop (Grammaire Historique de la Langue française, t. Il,
S 430, p. 294) classe très justement en juridiques (bailleresse, fenderesospe,
demanderesse, venderesse), techniques (champarteresse, écumeresse. taille-
resse) et bibliques (pécheresse).
Quant au suffixe [6 : r è s (œ)] -oresse, on ne l'emploie guère que dans
les cas où le féminin en -rice est impossible ou malaisé, c'est-à-dire
io pour les substantifs nominaux en -leur qui non seulement ne sont pas
:
rattachables à un verbe français en -ter, mais qui n'expriment même plus,

;
pour le sentiment linguistique actuel, l'idée d'un agent :
Ex. docteur, doctoresse auteur, autoresse. Ce féminin repris à l'anglais
(authoress) fait concurrence à autrice que le XVIIle siècle a lancé.
Cf. :
Ce qui prouve que les doctoresses sont contentes de leur sort, c'est que plus
d'une a poussé sa fille dans la même profession, et nous avons déjà des doctos
resses de seconde génération.
(P. le Gendre. La Vie du Médecin, dans Traité de la Pathologie médicale et Thé-
rapeutique appliquée. Tome 1, page 77).
La famille était représentée par Mme Vve Edouard Pilatte, le docteur et la doc-
toresse René Pilatle.
(l/Eclaireur du Soir, Nice, 27 mars 1925, p. 2, col. 2).
Dans ce dernier exemple, le rédacteur désigne très légitimement la
femme du docteur René Pilatte sous le nom de « doctoresse René Pila'te »
médecine. Rien conséquent de
parce qu'elle-même est doctoresse en par
COli}mun avec les expressions allemandes telles que FrauDoktor (Dame
Docteur) pour désigner la femme d'un docteur.
Surauloresse,cf. :
Une nouvelle auloresse dramatique, la femme d'Hugo Stinnes.
(Le Masque de Fer. Echos, dans le Figaro du 16 juillet 1923, p. 1, col. 2).
2° pour les substantifs nominaux en -selt" quand on n'ose pas employer
la forme naturelle en -srice. On dirait ainsi, très facilement, proJesso-
reste (4) ; précursoresse pourrait aussi être avancé par ceux qui recule-
raient devant la forme naturelle précursrice. Pour ceux des vocables en
eurdont le féminin n'est pas incontestablement admis, on recourt d'ail-
leurs quelquefois à la solution qui consiste à faire précéder le vocable par
l'article féminin sans en changer la morphologie, ex. : sa professeur, une
auteur,etc.
Dans un voyage que Brossette fit de Lyon à Paris en 1811, il fut conduit, le
4 juin, par un officier du duc d'Orléans, M. de Chatigny, chez Mlle Deshoulières,
filleltc de la célèbre auteur.
(Deltour. Les ennemis de Racine, II, 8, p. 295).
L'inconvénient est que dans la tournure ne comportant pas l'article, la
différence sexuisemblantielle disparaît, ex. :
elle était porteur d'une lettre de recommandation pour mon secrétaire.
(Stendhal. Vie de Henri lirulard. VIII. T. I, p. 91).
On ne voit pas bien pourquoi Stendhal n'a pas écrit porteuse, qui eût été
très naturel.
C) D'autres fois, le suffixe -esse s'attache même à des substantifs nomi-
naux d'autres genres que le troisième ou le deuxième, et qui seraient sus-
ceptibles de formations féminines taxiématiques. Larron, dont le féminin

;
larronne est très naturel, a aussi un féminin larl'onnesse, qui l'a emporté
en littérature patron a, à côté de patronne, un féminin d'un sens un peu
spécial, patronnesse (5). La langue préclassique a eu chevaleresse,paonesse,
lionesse, etc. Mais ces formes ont vite disparu, parce que les formes cheva-
lière, paonne, lionne se distinguent suffisamment du masculin.
Terminons par quelques remarques sur des cas particuliers.
Diaconesse est formé, non sur diacre, mais sur le radical étymologique
grec. Déesse est formé, non sur dieu, mais sur le radical étymologique la-
tin (8). De même notaresse est fait sur le latin notarius et non sur le fran-

(4)Si Voltaire aêtre


pu dire pro/esseuset c'est d'après la règle du
le sentiment linguistique,
§ 273 in fine, parce
que ce mot peut
fesser.
rattaché par au verbe français pro-
(5) Cf. dans Branthôme le féminin sporadique baronnesse ; ex. :
^ais ilz s'attachaient aux marquises, comtesses, baronnesses et grandes dames.
(Recueil des Hommes. 1. I. IL T. I, p. 318).
Bien que le castillan dise baronesa et qu'il existe un italien baronessa à côté de
U,ïona
b
soit
comme féminin de baronne, il ne faut pas penser que le français baronnene
italianisme ou un hispanisme, car on le rencontre plusieurs fois dans la
OUrun Landry, ex. :
Je vis une baronessebien grant dame, laquellel'on disoit qu'ellese fardoit.
(Le Livre pour l'Enseignement de ses Filles. LUI, p. tH).
(8) Le vieux français a d'ailleurs connu dieuesse.
(
çaisnolaÍre(9). Dogaresse, féminin de doge, est pris directement à l'ita.
lien.
Abbesse, qui provientde abbéesse, féminin de abbé, garde à cause de
cela, dans le parler de beaucoup de personnes, une voyelle tendre
[à b è :s (œ»). D'autres, surtout soucieuses de marquer le suffixe, dont
elles ontla sentiment, prononcent [à b è s (<3e)l.
Enfin, dans duchesse, archiduchesse,lesuffixe-esse se superpose à un
féminin taxiématique. (Duc. archiduc. pourraient faire, comme féminin
* duche, » archiduclie, comme sec fait sèche (10).

:
Comme concurrents sporadiques du suffixe -esse en tant que pexiome
féminisant des substantifs nominaux, citons -me héros, héroïne czar
czarine (tt).
;
276 - Nous avons étudié longuement la désinence -esse encore que
cette désinence soit, comme nous l'avons fait observer au début du § 275,
un suffixe (pexiome) et non une flexion.
Si nous avons commis cette faille contre la rigueur logique, c'est parce
que cesuttixe, seul entre tous les pexiomes, n'a pour contenu sémantique
que l'idée de sexualité.
Au contraire, il n'est pas un seul des autres suffixes qui ne porte en lui
quelque chose de plus que cette idée. Aussi les couples sémantiques for-
més de deux vocables substantiveux nominaux de même famille, mais se
distinguant par un pexiome différent de -esse. (Ex. Canard-cane, cochon-
coche, dindon dinde, gigolo-gigoletle, gouverneur-gouvernante, mulet-mule,
poulain-pouliche, sylphe-sylphide) n'intéressent-ils pas du tout le problème
de la morphologie sexuisemblalltielle. A plus forte raison les couples sé-

chapitre-ci..
mantiquesformés de vocables hétérogènes (lièvre-hase, cerf-biche, taureau-
vache,j,-ère sœur, etc.) ne doivent-ils en aucune façon être étudiés dans ce

277. — La facilité avec laquelle le français, soit par le procédé flexion-


nel, soitpar le procédé suffixal, sait former des féminins différenciés de-
vrait vraiment détourner les femmes adoptant des professions jusqu'à ces
derniers temps exclusivement masculines de ridiculiser leurs efforts méri-
toires par des dénominations masculines écœurantes et grotesques, aussi
attentatoires au génie de la langue qu'aux instincts les plusélémentairesde
l'humanité. N'y en a-t-il pas qui s'intitulent sur leurs cartes de visite:
« Mailp-eGisèleillai-lin, avocat », et d'autres qui se font adresser leur cor-
respondance au nom de Mademoiselle le Docteur Louise llenalldier? Le

(9) Svtaireate existe concuremment, ex. :


la couronne de la notairesse qui dormait sous un globe.
- (R. Dorgelès. Les Croix de Bois. Ch. I, page 10).
,
(10) Cf. Sacheise, féminin de sac, sorte de moine.

:
(11) Ce suffixe-ine est-il identique au suffixe-in qui joue, en haut-allemand, te rÔl*
qu'a - tase en français Konig, Konigin ; Professor, Professorin ; Lehrer, Lehrertn ;
Gral, Qrajiru, etc. ?
Le larme allemand Prinzessfn nous montre une superposition de féminins compa'
rable k celle du français ducheste.
bon sens populaire a jusqu'ici cette extraordinaire entreprise on
résisté à
dH couramment une avocate, une doctoresse, mais il est à craindre que la
;
ténacité des intéressées n'emporte le morceau, et que cet usage ne finisse
par s'introniser dans
la langue française. Une plus juste conception de leur
véritable place et de leurs légitimes aspirations, en même temps que le
respect de leur langue maternelle, devrait au contraire leur conseiller de
renoncer au préjugé bizarre en vertu duquel beaucoup d'entre elles croient
recevoir une marque de mépris quand on leur donne un titre à forme fé-
minine. A moins que leur féminisme ne soit une conception contre nature
et la négation non de l'inégalité mais de la différence des sexes, cette pré-
tention barbare va contre leur but même. Ne se rendent-elles pas compte
que, bien au contraire, au point de vue social même, elles ne font, en lais-
sant obstinément à leur titre sa forme masculine auprès de leur nom fé-
minin et de leur appellation féminine de Madame ou de Mademoiselle, que
se proclamer
elles-mêmes des monstruosités, et que, dans une société où
il deviendra normal de les voir exercer les métiers d'avocat, de médecin,
d'écrivain, il sera naturel qu'il y ait pour les femmes se livrant à ces mé-
tiers des dénominations féminines comme il y en a pour les brodeuses ou
les cigarières ?
Nous avons par exemple maintenant des femmes qui jouent le rôle de

:
plantons dans les administrations militaires, et c'est très légitimement
qu'on dit, ainsi que nous l'avons entendu
Au bas de l'escalier vous trouverez des plantonnes.
(M. DZ, le2 novembre 1926).

278. — Terminons en disant un mot du féminin des noms composés.


Il y a deux cas:
1° Ou bien on a le sentiment de la valeur des composants, et on les
traite en conséquence. C'est ainsi que, dans un adjectif nominal composé,
quand le composant dépendant est un adjectif coalescent de l'adjectif no-
minal principal, il variera en sexuisemblance. De même qu'on dit une
porte grande ouverte (v. infra § 556), on dit le plus ordinairement « la
population basse-bretonne. »
;
Je vais me marier, dit l'Ingénu en courant et au bout d'un quart d'heure, il
était déjà chez sa belle et chère basse-breile qui dormait encore.
(Voltaire. L'Ingénu. Ch. V. Œuvres. T. VIII, p. 430, col. t).
On entend de même dire une nouvelle née, comme une nouvelle venue.
Nous avons même entendu une fois le féminin mortenée ; cf. l'ex. S 558.
2° Ou bien on n'a plus le sentiment de la valeur des composants. Le
nom composé est alors devenu un nom comme tous les autres qui ne
prend plus de flexion qu'à la fin. C'est ainsi que la langue traite les mots
nouveau-né, féminin littéral nouveau-née; mort-né, féminin littéral mort
:
née, cf. aussi
Caché parmi ces populations bas-bretonnes.

| (Albert Vandal, l'Avènement dé Bonaparte, éd. Nelson, t. Il, p. 437).


Cf. 556.
279. — Le système des flexions de quantitude dans la langue française
de, nos jours est extrêmement simple. Il est en effet tout entier dominé par
une loi d'une absolue généralité et qui ne souffre aucune exception, à sa*
voir que tout nom pluriel se termine par un z instable.
Et le [(z)] a une force de liaison plus grande que tous les autres phonè-
mes instables, et ceci pour deux raisons :
D'une part, il est plus connu qu'eux. Un plébéïen, un homme peu cul-
tivé (c'est-à-dire des hommes à vocabulaire restreint) peuvent n'avoir en-
tendu un vocable que sous saforme non liée, toujours de beaucoup plus
fréquente, et ignorer quel phonème il s'adjoint dans la liaison. Si ces hom-
mes ont eux-mêmes l'occasion (situation libre) ou l'obligation (situation
constructive) de faire cette liaison, ils seront exposés à faire entrer en
exercice n'importe quel phonème, le plus souvent un [t] (cuir) ou un [z]

:
(velours) parce que ce sont les deux phonèmes instables terminaux les plus
fréquents en français. Au pluriel point de confusion possible le phonème
instable est toujours un [(z)].
D'autre part, le [(z)] de liaison du pluriel a une valeur significative. A.
lui seul, bien souvent, il indique le pluriel dans la langue parlée. Par ex.
si l'on prononce, en liant, les deux phrases suivantes :
:
Venez, enfant insupportable
: :f :t :s rt :
[Vàné â â e upo à b1].
Venez, enfants insupportables.
[V èné:â:tâ:zê:suportà:bl].
Seule la substitution du [z] au [t] marque, dans le second cas, qu'on parle
à plusieurs enfants.
C'est pour cette double raison — impossibililé d'erreur de liaison, et
surtout valeur sémantique — que le (z) de liaison du pluriel entrera en
exercice beaucoup plus souvent que n'importe quel autre phonème insta-
ble final. Certes, dans la situation constructive, la liaison, étant obliga-
toire, se fait aussi bien avec un singulier qu'avec un pluriel :
è' :à
Ex. le long abducteur [1 1ô k bduk ds t :r]
les longs espoirs [1 é : 1 ô : z è s p w à : r].
Mais, dans l'état libre, la différence apparaît nettement. On entend bien
plus souvent, au pluriel, des formes liées comme [1 é : m ô : z é 1 é : c Ó : z]

à
:s r : frcé
les mots et les choses [dé è pâ zà :] des serpents affreux,

ô
comme [I*de m télàcô :z]
[d é : m w z â : t y é] des mois entiers qu'au singulier des formes lices
:sèr â:tàfr :]
lemoietlachose, [êê
un serpent affreux, [55 : m w à z à : t y é] un mois entier.
p œ

Après [r], la règle de Littré ne doit être entendue, comme nous l'avons
|
dit 208, que des cas où le phonème instable ne porte pas en lui de valeur
sémantique spécifique. Elle ne s'applique donc pas au [(z)] du pluriel.
Ex. On dit uniquement [66 : k ô : r é t r à : j é] un corps étranger mais
: : r tr :jé]
on peut dire [dé kô é â des corps étrangers, prononciation
un peu archaïsante, ou [d é k ô r z é t r â j é], des corps étrangers, pronon-
dation aujourd'hui courante faisant ressortir le caractère pluriel du subs-'
tantif(1).
Même la langue parlée a tendance à aller plus loin. Les adjectifs stru-
|
mentaux ou nominaux catadmètes sont, on le sait (v. 109) en situation
constructive avec les substantifs nominaux auxquels ils sont épinglés. C'est
dire qu'au pluriel, quand ces substantifs nominaux commencent par une
voyelle, le [(z)] final de ces adjectifs entre en exercice et s'appuie sur cette
voyelle. Ex. : de grands enfants, [d dbg à zà â r : :f :] mes enfants,
[m é : à : à:].
z f
A la suite de ce fréquent contact, ledit [(z)] tend à se détacher de l'ad-
jectif pour se fixer sur le substantif, et donner ainsi à ce substantif une
phase plurielle à [z] initial. De les heures [1é : z dé : r], les longues heures:
:
[1 é 15 :
g z de : r], on tire z'heiii-es [zde : r], ex. :
En effet, dit le notaire., il est neuffe-s-heures.

Entendez :
[n .of fz 09 : r].
(Balzac. Eugénie Grandet. T. V, p. 23).

Ces trains sont bien mal commodes comme z'heures [k ô m z de r].


:

:
(Mme E, le 2 février 1918).

r r s :r r r].
L'Administration donnait ordres sur z'ordres sans aucune efficacité
[ô d de u zô d
(Mlle J, le 8 mars 1920).

:
Au cours de la guerre, nous avons entendu souvent Mme H en lisant le-
communiqué dire des conlre-z-altaques [ko: t r di z à t à k].
Toi, tu serais marchande de zoettfs w u [t àt srè: àrcà-.
m ddce cb:].- z
:
(Mlle AU., le 2 août 1920).
Cf. aussi dans le parler populaire courant Une femme à z'yeux bleus
[à z y de : b 1 ca : ]
De là des dérivés commezyeuter, formé à partir d'une forme [z ycfe : (z)].
Ex. :
:
Gaspard dit « Console-toi en zyeutant les autres. »
(René Benjamin. Gaspard, p. 34).
De là aussi les prononciations comme [k à t z à : r], [s à : z 6 m],
[q i z ô : t r], pour quatre arts, cent hommes, huit autres.
La même agglutination du [z] du plurielse produit assez souvent aussi
dans la langue parlée, avec les adjectifs nominaux situés après leur sup-
port, mais non immédiatement auprès de lui, ex. :
il est pris de convulsions, d'abord z'oculaires, puis généralisées.
mai 1924).
(M. DH, le 8
C'est dans ces vicissitudes, le plus souvent z'inconscienles d'ailleurs, qu'il faut
chercher l'explication des aspects du caractère.
(M. EA, le 26 mars 1927).
C'est des suites phonétiques [k 5 : v u 1 sy Õ : z ô ku 1 è : r], [v i sis i-
(1) La prononciation avec le [z] au singulier est un orthographisme, on ne l'entend

:
d'ailleurs que dans la bouche de certains primaires encore tout fiers de savoir lire.
C'était, dans notre famille un des sujets de moquerie jugés les plus savoureux et les
suis chargée du cours élémentaire» [km :rzélé :tè
plus burlesques à l'égard de certaine instutrice (Mme K) que de l'imiter disant
m& r]. « Jtt :
tud zë :k Õ : s y à : il que 1 inconscient des locuteurs respectifs, tous
deux professeurs de renseignement supérieur, a détaché les formes
[z 6 k u 1 è : r], [z S : k ô : s y à : t] qui leur sont échappées dans leur
cours.
Cf. avec un adjectif composé :
On voit apparaître des symptômes gastro-z-intestinaux.
(M. EB, le 23 octobre 1925).
280. — Ce que nous avons dit jusqu'ici s'applique, sans exception au-
cune, à toutes les formations nominales plurielles du français de notre
temps. Entrons maintenant dans les distinctions à établir au sein deces
formations plurielles.
Il y a d'abord un cas général, qui englobe la très grande majorité des
noms et au regard de qui les divers cas particuliers que nous aurons à
étudier dans la suite sont numériquement insignifiants. La loi de ce cas
général est la suivante :
Le plurielse forme en ajoutantun [(z)] à la muanceprêconsonantique du
singulier.
Ex. Enfant, [a : fâ:] devant
loi, [1 w à] devant consonne, pluriel [1 w à (z)] lois.
:
consonne, pluriel [à : fà (z)] enfanls.
croix, [k r w à :] devait consonne, pluriel [k r w a : (z)] croix.
croc, [k r6 :] devant consonne, pluriel [k r 6 : (z)] crocs.
Bien entendu, cette loi s'applique au cas où le dernier phonème de la
muance préconsonantique du singulier est un [z] ou un [s :]
Ex. [f i : s]fils pluriel [f i : s (z)] fils.
i
[g a : z] gaz pluriel [g : z (z)] gaz.
Toutes les observations orales faites par nous, nous ont fait entendre :
[mé :fi:s zémé :fi:y] : : sfi
mes filsetmes filles, [dé gà zzà k-
A y a :] des gaz asphyxiants, Ex. :

On incriminait aussi la respiration de gaz irritants [d œg il: iri


zz la:]
ou de poussières.
(M. AG, le 20 janvier 1922) (1).

(1) Aurochs, vocable terminé par une s, étant plus connu par la lecture que par
l'audition, et ayant été plus souvent lu au pluriel qu'au singulier, a été pris pour le
pluriel du mot auroch, ex. :
Quand les Atrébates poussèrent le cri de guerre, il ne coiffa pas le casque à
cornes d'Auroch.
(A. France. Clio. Komm l'Atrébate, p. 46).
La présence actuelle de l'auroch dans les forêts de la Lithuanie.
(Jacques de Morgan. L'Humanité préhistorique. II, p. 71).
ils se voient revêtus de la dépouilled'un auroch.
(René de la Pagerie. Le Tourment du Passé, dans la Revue des Deux Mondes du
1, janvier 1923, p. 77).
l'admirable auroch qui parait aussi vieux que le monde.
*
(Marcelle Tinayre. Choses vues en Norvège et en Suède, in ibid., t5 mai 1923,
p. 368).
Actuellement, même bien des gens qui savent que l'étyraologie exige qu'oia écrive
Le début peut se faire par les plexus utérins [nlcksu:sxutéré:]
(Id. Le 24 mars 1922. lisant une question rédigée par un camarade).
Il va sans dire que nous n'avons pas à nous occuper, dans un chapitre
de morphologie, des fantaisies orthographiques qui font que l'on repré-
sente ce [(z)] tantôt par la lettre s {trous, prés, l'eimi. etc.) tantôt par la
lettre x (feux. hiboux, chameaux), tantôt par rien du tout (fils, gaz).
En résumé, ces pluriels du cas général se forment, on le voit, par simple
addition du [(z)] caractéristique à la muance préconsonantique du singu-
lier. Aussi les appelons-nous pluriels additifs (2). Ce mode de formation
du pluriel a une force analogique immense : c'est lui qui permet de for-

:
mer le pluriel de tel vocable nouveau dont on n'a pas encore eu l'occasion
d'entendre ni d'employer le pluriel Ex. bolchevik [b ô 1 c é v i k] pluriel
bolcheviks [b ô 1 c é v i k (z)].
281. — Les quelques cas particuliers où la formation du pluriel est plus
complexe sont explicables par l'histoire de la langue.C'estdonc mainte*
nant, avant de les étudier, le lieu de rappeler quelle est l'origine de ce [(z)
i
terminal, qui, dans le cas général, caractérise à lui seul le plu ici des noms
variables en français.
Presque tous les noms variables du français conlempotain sont les cas-
régimes de la déclinaison du vieux français, c'est-:l-dirc les dérivés phoné-
tiques des accusatifs latins. Or, abstraction faite des accusatifs neutres
dont on ne rencontre que quelques rares traces dans l'ancicnne langue (1),

aurochs au singulier comme au pluriel et qui ont adopté cette orthographe pronon-
cent constamment [6 : r 6 k] tant au singulier qu'au pluriel dans l'usage parlé, ex. :
et auprès de ces pierres, on a retrouvé des débris de cornes semblant bien
avoir appartenu à un aurochs [6 : r o k]. (M. CO., le 6 janvier 1924).

:
allongement de la voyelle finale [d u k] duc, pluriel
*
défi, pluriel défis.
[défi:]
* :
[d u k] ducs ;
(2) Outre son [(z)], le pluriel du cas général a été caractérisé longtemps par un
[d é f il
Cet allongement a persisté jusqu'à la fin du xvme siè-
cle (cf. Brunot, Histoire de la Langue française, in Histoire littéraire de Petit de
Julleville, t. VI, p. 859, et Nyrop, Grammaire historique de la Langue française, t. II,
§ 367, p. 254). On en rencontre encore les traces de nos jours.

§ 281. (1) Pour les pluriels en e (arme, brace, carre, chaucemente, doie, paire, ses-
tière < arma, braccliia, carra, calceamenta, digita, paria, sextaria, v. Nyrop, Gram-
maire historique de la Langue française, t. II, § 263, p. 190). Ex. :
Et il li lot si faitement
Com sellenist apertement
Tot nu à nu entre sa brace.
(Guillaume de Palerne, 1149).
Matidite soit la soie brace
Quil nous a mis en tel effroi. (Ibid.,0178).
Contre lui cort, brace tendue,
Del palefroi l'a mise jus. (Ibid.,8.602).

(Cf. dans le même texte :


L'une tient l'autre par la doie.
Puis s'enlreprendrent par les dois. (7.954).
(Ibid., 7080).

etdescendi li cos sour le heaume, et li fendi bien III doie.


(Li contes du noi Flore et de la bielle Jehnne, p. 133).
si avons tant conquesté kc nous avons priès de Vie livres de meuhle; kc en
deniers, ke en vaselemente d'argent, (lbId 129).
,
Le seul survivant de ce groupe de pluriels est mille < milia.
tous les accusatifs pluriels latins sont terminés en s. C'estde cette s ter-
minale que notre [(z)] formateur du pluriel est le résidu phonétique (2).
282. — Cequi vient d'être dit suffit à expliquer la genèse des pluriels
additifs. Mais il faut en outre remarquer que, dans >bien des cas, le déve-
loppement phonétique aura été différent, du fait de cette [s] terminale,
pour l'accusatif singulier et l'accusatif pluriel. Telle consonne, présente
au singulier, aura disparu au pluriel, derrière l' [s] terminale, par simple
:
chute ou par vocalisation. La voyelle finale précédant la consonne chue ou
; :
vocalisée peut-en être altérée à son tour par la vocalisation, dès l'époque
de celle-ci, c'est-à-dire dans le courant du xii* siècle par la simple chute,
dès que l' [s] plurielle se réduisant à [(z)] découvre la voyelle car alors les
voyelles [ô],[dî] et quelquefois [à] devenues découvertes se ferment sui-
vant les lois phonétiques.
Il y a donc eu entre la disparition de la déclinaison et la réduction de
t [s] du pluriel à [(z)] d'une part, et la généralisation de l'action analogi-
que d'autre part, une époque pendant laquelle on avait une vaste classe de
:
plurielsmutatifs qui se déduisaient du singulier par 1° suppressionde la
consonne terminale, 20 changement éventuel de la voyelle finale, 3° addi-
tion d'un [(z)] après la voyelle.
Ex. [s è r f] plur. [s è : r] (cervom, cervos)
* [ku1] » [k u : (z)] (culum, culos)
[b de f] [b
» dé : (z)] (bovem, boves)
[c (de) và1] » [c (de) v 6 : (z)] (caballum-caballos)
a
;
Il y tout lieu de croire que cette époque était commencée à la fin du
inv* siècle et il est d'autre part certain qu'elle n'a pris fin que longtemps
après que les humanistes avaient inventé de rétablir, dans l'orthographe
du pluriel, une lettre étymologique représentant la consonne tombée.
Dans la langue contemporaine, l'immense majorité de ces pluriels mu-
tatifs oat été réduitsà la règlegénérale duS280. Cette réduction s'est
faite :

agneaux ; ; ; ; ;
a) Soit paT généralisation de la forme plurielle (t) ; ex* : [à n ô :] agneau,
[b r Ó) broc, brocs [c (,à) v db]cheveu,cheveux [s è : r] cerf,
;
; ;; ; ;
cerfs ; [k r 6] croc, crocs [k u] cul, culs [k 1 è : r] clerc, clercs [k 1è[
clef, clefs [d r à] drap, draps [f u z i]fusil, fusils [j a : t i] gentil, gen-
tils ; [m w àyA] moyeu, moyeux [p à : r] part, parts [p 6 : r] porc,
t ;
porcs ; [p (de) i]petit,petits etc. avec disparition des formes singu-
lières [à n e 1], [b r ô k], [c (da)« v è 1], [s è.r f], [k r ô k], [k u 1], [k 1 è r k].
à
[k 1 è f], [d r à p], [f u z i Ã], [j à : t i 9], [m w y de 1], [p à r t],
r
Jp ô k],[p'de t t]. i
(2) Le [s] terminal stable se trouve encore dans deux larmes :[j :s]
4
,,[m de r s] mœurs, mais [j & : s] n'appartient qu'à la parlure vulgaire, ex. :
gent et
C'est des gensses que l'artillerie est leur vrai bonheur.
(B. Benjamin. Gaspard, p. 21t).
et [m de r s] est exclu du parler des puristes. Il ne semble d'ailleurs pas s'agir
;
d'une survivance pure et simple,
ceux ; [t m : s] tous
mais
;plutôt d'une
; ;
[d ce : 8 deux [t r w i : s] trois [s i s] six [d i
[s ce :s]
reviviscence. Cf. Livre VI s]
dix-
§ 282. (1) A ceci près que la tendreté caractéristique de la voyelle finale du pluriela
souvent disparu.
; ; ;
b) Soit par généralisation de la forme singulière ex. : [à r k] arc, arcs ;
; ; ;
[b è k] bec, becs [c è f] chef, chefs ; [k Õ : s è y] conseil, conseils [g r è kj
grec, grecs [ô : t è 1] hôtel, hôtels [ui r s] ours, ours [p à rk] parc,
; ; ;
parcs [s è k] sec, secs [t i y di 1] tilleul, tilleuls [v i f] vif, vifs, etc.
avec disparition des formes plurielles [à : r], [b è :] ou [b é :], [c è :] (2),
[k o : s dé :], [g r è :] ou [gré:], à
[6 : t dé :], [ui : r], [p : r], [s è :],
i
[t ydfe:],[v i:].
Mais l'action analogique n'a envahi les divers vocables qu'un à un, indi-
viduellement. Aussi ne faut-il pas être surpris que certains pluriels muta-
tifs aientvécu jusqu'à nos jours. L'un de nous a toujours entendu son père,
r
M. AB, néen 1836,prononcer [sè f]cerf au singulier et [s è : r] cerfs.
Telle est encore la prononciation de Mesdames CM et CN. M. V., pro-
fesseur de quatrième au Collège Rollin, prononçait encore en 1903 [p ô r k]
porc au singulier, mais [p ô : r] porcs au pluriel, [m r s] ours au singulier
mais [m : r] au pluriel (3). Littré (1874) dit que lepluriel états rime avec
t:
las, appas, ce qui implique la prononciation [c à (z)] états en regard du
singulier é t à (t). L'un de nous, enfin, prononce encore [ffi : c à] un chat,
i
d é : c : (z)]des chats.
L'action analogique n'a pas parfait son œuvre. Elle n'a pas pu faire dispa-
raître tous les pluriels mutatifs. De ce groupe jadis nombreux, il persiste
des lambeaux, dont l'un même, formé par les pluriels en [6 t (z)] des ad-
jectifs nominaux en [à 1], est assez important pour orienter autour de lui,
dans son domaine particulier, une petite force analogique centripète,
comme nous le verrons ci-dessous. Il nous reste donc à étudier dans le dé-
tailles pluriels apophoniques du français de maintenant.

283. — Première apophonie. - Singulier [&' f] pluriel [ce : (z)]. Ce


groupe comprend les deux substantifsnominaux [d.' f] oeufpluriel[cé : (z)]
:
œufs et [b A f] bœuf, pluriel [b ce (z)] bœufs. Peut-être faut-il y
joindre le terme grammatical, presque oublié, de mœuf, mœufs.

;
Pour bœufs, tiré de bôves, d'après les lois phonétiques connues (vs final

;
donne s qui donne [(z)] en français moderne o bref tonique donne eu)
orthographique n'a jamais été prononcée au pluriel à l'époque où l'on ne
If
souciait pas de restituer des lettres étymologiques, elle ne s'y est jamais
écrite. Ex. :
Et gaaingnièrentassez proies de bues, de vaches et debufles et autres bestes à
mult
;M grantplanté.
ult grant planté.
(Villehardouin. Conquête de Conlfantinople, 443).
*
Pour ÕVtÍ, il faut plutôt considérer ôvôs, refait au moment de la dis-
parition du neutre, d'où une forme régulièreanalogue à celle de bœufs.,Au

:
(2) Dans chef-d'œuvre, la prononciation ancienne n'avait pas de [f], le mot chef
é:cè: chefs.
è: r]
étanten situation constitutive avec les mots d'muvre. Aussi dit-on en français
d'aujourd'hui [S : c è d èIM: v r] un chef-cl'œllvre [d
: c tif] un chst. [d 6 : c è f] des
d v creç
:t
chefs-d'œuvre, au regard de
(3) La prononciation [s 1 1 : d r 6 d 6 : z a : r], qui s'est maintenue - jus-
ques et y compris nos jours, ne doit pas être alléguée comme un fait # de survivance
des pluriels mutatifs, -mais comme une simple persistance phonétique, car [à r (&»).
qu'on écrit Arb, n'est plus compris comme le pluriel d'arc, qu'il est pourtant
tymologiquement.
sujet de la non prononciation de Vforthographique, même remarque que
pour bœufs. A côté du singulier où l' [f] est écrit, on ne le trouve pasau
pluriel.
Sim'aistDiex et Saint Remi
Troverois un œf de frémi.
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose, 14572).
Lors font deux oes et les ceuvent.
(Lettre de Prestre-Jehan, in Œuvres complètes de Rulebeuf, t. III, p. 359).
Si con de vaches et de bués
De brebis, et de lait et d'ués.
(Le Roman du Renard, 4945-6).
[
Le français ne souffrant pas de finale découverte en de].on a les pluriels
[b dl :(z)], Icb :(z)] à côté des singuliers [b <5b f]. [de f].
On trouve encore des traces, dans les usances provinciales, de semblables

:
pluriels apophoniques d'adjectifs. Couramment à Nancy, les soldats du
26e de ligne, d'origine lorraine, en 1894-1895, disaient Ales neufs habits.
[m è : n œ : z à b i] ; en 1910, nous avons entendu desjeunes filles nor-
mandes (Mlles II. et S.) chanter une chanson qui commençait ainsi :
Quand j'avais mes p'tits sabots neufs [n œ :]
Je m'en allais garder mes bœufs [b cb.].
C'étaitaussi la prononciation ancienne de Paris :
Item, je laisse à mon barbier
Les rongneures de mes cheveux,
Pleinement et sans destourbier ;
Au savetier, mes souliers vieutx,
Et au fripier, mes habits tieulx
Que, quant du tout, je les délaisse,
Pour moins quilz ne coustèrent neufs
Charitablement je leur laisse.
(Villon. Petit Testament, XXXI, p. 16).
De deux paires de souliers neufs,
Etdeprèsdedemi-centd'oeufs.
(Scarron. Le Virgile Travesti, 1, p. 72, col. 1).
284. — Seconde Apophonie. — Singulier [à s], pluriel [ô : (z)]. C'est le
substantif os [ô s], os [6 : (z)] qui constitue seul ce groupe. Cette formation
apophonique, a pour preuve le consentement unanime de tous les Pari-
siens d'origine ou même de tous les Français qui, habitant Paris depuis un
certain temps, se sont défaitsde leur prononciation provinciale. Il y a donc
là un phénomène actuel à enregistrer, mais l'histoire de la langue ne nous
donne aucune indication. En effet, si la prononciation du pluriel [ô : (z)].
est attestée historiquement, et par le temps présent par les rimes ci-des-
sous: Je verrai, déclinant les limbes et leurs portes,
S'élançant de mes os
Un rosier diriger sa marche sûre et forte
Vers le soleil si beau.
(Comtesse Mathieu de Noailles. Les Vivants et les Morts, l'Amitié)^
Le bonheur, si criblé de balles et d'entailles
Que ceux qui l'ont connu dans leur chair et leurs os
Viennent rêver le soir sur les champs de bataille
Où gisent les héros.
(Ibidquem'importeaujourd'hui.)-
et
:
par le nom et la pratique du jeu Le chien de M. le Curé n'aime pas les
[6]), nous ne connaissons aucun indice de la date de la prononcia-
o? (les
tion du singulier [os].Littré (1), qui représente un état à peine vieilli de la
langue, nous donne, comme bonne prononciation, sg. [6]. plur. [Ó : (z)] et
comme prononciation provinciale [ô : s] qui est encore une prononciation
provinciale denos jours (2). 11. ne mentionne pas la prononciation actuelle
du singulier [ôs] qui est pourtant presque universelle et que signalent
lïatzfeld et Darmesteter (3) Serions-nous donc ici en présence d'une apo-
? ?
phonie de création récente Pourquoi non Pour le moment nous ne pou-
vons que constater l'usage sans l'expliquer (4).
285. ----Ti-oisièiiieApophoitie. — Singulier[ôe 1], pluriel [dé:(&)]. ne ce
groupe autrefois étendu (t), il lie persiste qu'un seul pluriel [à y de (z)]
aïeux, au regard dusingulier [à y de 1] aïeul. Encore le pluriel [à y dé 1 (z)]
aïellis existe-.t-il aussi. Sur la répartition sémantique entre ces deux formes'
plurielles. V. infra, S 354.
286. — Quatrième Apophonie. — Singulier [dee : y], pluriel [y dé : (z)].
11 yavait autrefois un groupe assez étendu de noms en [dé y] avec pluriel

eti[cb : (z)]. Ex. : écueil, orgueil. Ces pluriels procèdent de la vocalisation


dc l'[1] mouillée et
s'expliquent aussi facilement que ceux duS285 (1). De
cc groupe le français contemporain a conservé une seule forme.
; :
Singulier [de : y] oeil pluriel [y de (z)] yeux.
Et dans cette forme il y a un [y] initial qui fait difficulté. Ce [y], dont
on ne peut donner pour le moment
d'explication satisfaisante, est la seule
difficulté à l'évolution réglllière,dll mot à partir de ôcûlôs. Les phonèmes
constituant ce mot donnent en français :
o bref tonique libre eu
c isolé médial, devant u, tombe, mais mouille 17
u bref (o fermé) posttonique, libre, pénultième, tombe
ls finale donne us.
Mais ce dernier changement (ls en us)n'est pas encore arrivé au xie siè-
cle, où 17 n'est pas encore vocalisé (2) ; on rencontre donc régulièrement
au xi" :
siècle

5 284. (1) Littré. Dictionnaire de la Langue française. S. V. os.


(2) Le Maisll'e.
— Je suis content que
ainsi soit.
Disons toujours O.
Pcrnel. ?
— Et quel os est-ce de mouton ?
(Fal'ce de Pernel qui va à l'escolle, dans Ancien Théâtre françois, t. II, p. 369).
(3) Hatzfeld, Darmesteter et A. Thomas. Dictionnaire général de la Langue fran-
Mise.S.V.
(f) Comme nous ne prétendons pas avoir lu tout ce qui regarde le français, nous
sel'lons heureux d'apprendre
que cette étude a été entreprise et menée à bien.
§ 285. (1) Cf. Nyrop. Grammaire historique de la Langue française, t. II. §§ 316-318.
§ 286. (1) cf. ibid. :
§§ 319-320. Le substantif nominal [s è r k de y] cercueil a
"lurne
m ,, <
été refait par analogie sur le pluriel fs è.r k cfe (z)l sarcophagos.
(2) G. Paris. La vie de saint Alexis. Préface 101.
-
p.
Soventes feiz lor veit grant dol mener
Et de lor oilz molt tendrement plorer.
(La vie de saint Alexis, 49).
Au xue siècle au cours duquel la vocalisation se produit, nous trouvons
des formes avec ou sans vocalisation :
Guadez le bien, ja nel verrai des oilz(3).
(Turold. La Chanson de Roland, 316).
Pluret des oilz,sa barbe blanche tiret.
(lbid., 4.001).
Vairs out les oeilz e rouit fier lu visage.
(Ibid283).
Pleure des oelz et si père autresi.
(Rédaction interpolée de saint Alexis, 719).
N'i a un sol qui de pitié
n'en ait des euilz le vis mollié.
(Béroul. Tristan, 3450) (4).
Tant me délit en la dolce semblance
De ses vairs euz et de son cler viaire.
(Blondels de Neele, XIII, 26, p. t66).
Deus ! si mar fu de meseus esgardée
La dolce riens qui false amie a nom.
(Renais de Goucfi. VIII, 25, p. 115).
Au xiti* siècle la vocalisation est un fait accompli. Nous trouvons en
concurrence des formes avec ou sans,[y] initial. Néanmoins Villehardouin
:
écrit encore en préfixant parfois i (5) S665 ielx ; ss 182 et 3t3 ialz ; mais
S146 els : S 271 oels. Joinville vocalise toujours, mais il hésite entre yeus
et eus :
Je ne voz onques retourner mes yex vers Joinville.
(Histoire de saint Louis, 122).
si que par les eux et les oreilles mete l'on lou cuer dou malade si plain de
la verraie cognoissance.
(Id. Credo, 850).
Les textes contemporains ou postérieurs au Roman de la Rose ne con-
naissent plus guère que ieiin, qui devient régulier au xiv* siècle, encore

:
que postérieurement on trouve sporadiquement œils, et même longtemps
après dans un passage très sérieux, Rabelais écrit
Huy me suis-je vestue pour les œilz de mon père ?-
:
(Rabelais. Livre IV. Epistre au cardinal de Chastillon).
Cette forme œils est d'un emploi constant dans l'Heptaméron. L'appan-
tion de [y] se manifeste donc chronologiquement, mais ne s'explique pas
Tout au plus peut-on proposer l'hypothèse d'un tranfert de la mouillure
au débutdu mot parce que cette mouillure disparaissait dans la vocalisa.

(3) Nous devons considérer ici que oaz contient rapprochant


un son vocalique se
au moins de [œ] ; car il assonne dans cette laisse de Roland avec estoet, poet, soer,>
pr.ozdeem ; fieus, coer, laisse où on netrouve pu d'assonance en o seul ni on
mais où onremarque jieus.
(4 Cf. dans lemême texte
le son [y].
: Desuiz lermant (v. 1452) où l'i représente sans doute

(5) — Mais comment prononçait-il P


Je l' m. Ce transfert aurait pu être aidé par la sensation de manque
tion
^usée d'autre part par la fusion du [w] ou [q] devocalisation dans 1'fdb]
dérivedeo(6).

287. — Cinquième Apophonie. Singulier [è 1], pluriel[[cfe:(z)].

[1 y cfe :
;
Ce groupe ne comprend plus à l'heure actuelle que [s y è 1] ciel,
(z)] deux œ, bas latin è ouvert, tonique, donne ie Is final donne
lisjie + u se réduit à [y de] ieu. Donc caelos > cieux [s y dé : (z)].
;
Nous lisons dans Ch. Nisard, Etudes sur le langage populaire ou patois de
(6)
Paris « Bèze remarque que, de son temps, le peuple de Paris se servait encore du
, singulier
suranné (singulari obsoleto) ieul pour œil. Le vieux français ne dit
pas ieul, mais ueil ». Cf. Bèze. De franc. linguœ recta
pronuntiatione, p. 58.
«
Le [y] serait
La forme singulière sporadique yeu est sans doute refaite sur le pluriel :
d'ailleurs aussi difficile à expliquer au singulier qu'au pluriel.

Je n'en mangy, par mon Dieu,


Plus qu'il en tient dans mon yeu.
(La Comédie de chansons, III, 1, dans Ancien Théâtrefrançais, t. IX, p, 161).
Pour aider à l'explication éventuelle de ce [y], nous nous sommes souvenus qu'il
yavait un autre vocabla où 8, ouvert, ionique, libre, a développé devant lui un [y].
C'est le substantif locum, lieu, cf fôcum, feu.
Au xiiie siècle, on trouve encore leu (Lantin de Damerey. Lexique du Roman de
la Rose). Mais cependant, au xii6 siècle déjà, on trouve chez le Châtelain de Coucy
(II v. 45) :
Por Deu vos pri qu'en quel liu
que je soie. •
Mais il faut remarquer que le sire de Coucy est picard. La comparaison du fran-
çais cl du picard (et des dialectes apparentés) nous montre leu en français et liu en
picard au début du xnie siècle. Nous empruntons les exemples suivants à Villehar-
douin et à Henri de Valenciennes, son continuateur, qui écrit dans un dialecte
différent :
Singulier, sujet :
dont li leus estoit appelez Chalcidoines.
(Villehardouin, 134).
et fu H lius
Il li. us nommés
nomm é s desoz Salenyke.
(Henri de Valenciennes, 689).
Régime :
en quelque leu que il.alassent.
quant il virent liu et tans.
(Villehardouin. 13).
(Henri de Valenchiennes, 539).
Pluriel, sujet :nomé

Et furent Bleu en trois yglises.
(Viliehardouin, 232). (H. de Valenchiennes manque).
Régime:
- Fu navré en deux leus mult durement.
(Villebardouin, 359).

Moriaus funavrésen deus lius.
(Henri de Valenchiennes, 509).
A la fin du xiiie siècle, Joinville écrit toujours lieu, et au Xlye siècle, c'est la forme
générale :
« baron, qui deussent garder le lour,pour bien emploier en lieu et en
Li
tems.se pristrent donner les granzmangiers
à et les outrageuses viandes. »
(flistoire de saint Louis, 170).
pour lieu
à
La forme avec [y] devant [di] est donc définitivement établie la fin du xne sièdle,
comme pour yeux. Pour lieu, on pourrait penser que l' [y] procède de
Et encore deux coëxiste-t-il avec [s y è 1 (z)] ciels. Sur la réparlition du
sémantisme entre ces deux formes plurielles, v. infraS351.
288. — Sixième Apophonie. Singulier [è 1]. pluriel [6 : (z)].
Ce groupe apophonique autrefois très étendu, et dont les fonues
de liaison masculines singulières bel,nouvel, martel, chapel (cf. SlIpl'as
S261) sont les témoins, s'est aujourd'hui réduit à un seul voeablc;lit;
terme techniqued'architecture, le substantif nominal [listel] lisle/,
pluriel [1 i s l 6 : (z)] lisleaux.
Aucune des apophonies pluriellesque nous avons étudiéesjusqu nel ici
touchait, dans la langue contemporaine, plus d'un ou deux vocables. An
total. les six transformations apophoniques étudiées touchent en toutet
pour tout sept noms, à savoir
;: ;
a ;
OEul, œuf ; bœuf, boeitfs os, os aïeul, aïeux œil, yeux ; ciel, cieux:
lislel, listeaux.
Les deux groupes apophoniques qu'ilnous reste à étudier maintenant
ont gardé, dans la langue de nos jours, un peu plus d'étendue.
289. —
Septième Apophonie. Singulier [à y] (t) pluriel [6 : (z)] Cette
apophonie paraît avoir louché jadis tous les substantifs (2) nominaux en
ail (3).qui, dans l'ancienne langue étaient beaucoup plus nombreux qu'ils
ne le sont mailllcllallt. Mais, d'autre part, plusieurs d'entre eux sont reve
nus, par analogie, au pluriel additif ; et d'autre part ceux qui sont entres
dans la langue plus récemment n'ont jamais eu de pluriel qu'en ails. Dans
la langue de notre temps. la situation est la suivante pour trente-cinq subs-
tantifs nominaux étudies :
a. Quinze ne nous montrent de pluriels qu'en ails. Ils se décomposent
ainsi:
Un vocable français latinigène : mail.
Trois vocables de formation francigène :

la contamination de la forme française leu par la forme picarde liu. Mais cette
explication convient-elle à yeux? Ou bien n'est-elle même pas la bonne pour lieu,
et y a-t-il, pour le développement d'un [y] dans lieu et dans yeux, une cause com
P
mune qui nous échappe encore Nous posons le problème sans oser le résoudre.de
On pourrait d'ailleurs, pour expliquer yeux, former avec Darmesteter (Cours
Grammaire historique de la Langue française, T. II, p. 73) une autre hypothèse
le développement phonétique régulier analysé ci-dessus mène non à eu-s, mais a
eu-u-s, puisqu'il doit y avoir, outre l'eu qu'ô latin suffit à engendrer, un peut-être
u prove-
nant de la vocalisation de l'l précédant l's. C'est cette diphtongue eu-u,
plus anciennement triphthonguée, et plus ou moins cachée sous les graphies ell',
eux (euus) qui, obsolète en français, se serait transformée dans la bouche deicas. in's
pères, en yell. La forme singulière ieul serait une forme analogique refaite sur
Cf. aïeul, aïeus.

;
(1) Nous n'indiquons pas la duison de la voyelle du singulier, car )elle est trfcJ
variable suivant les sujets. Beaucoup la font encore brusque d'autres l'attendrissen
conformément à la tendance des groupes terminés en [y] à devenir serfs à *
tendreté. «
(2) Il n'y a pas d'adjectifs nominaux en ail.
.i-
(3) Pour le substantif mail, du latin malleum, qui s'emploie dès le xie siècle,
ne connaissons pas la forme plurielle maus, mais c'est peut-être faute soit de tro\:;,
»
suffisamment cherchée, ou bien faute que le pluriel du vocable mail se
écrit à l'époque où il avait la forme maus (c'est-à-dire, selon les présomptions, en i'
la XIIe et le xve siècles). Peut-être la possible confusion avec maux, pluriel de 7,1r
a-t-elle rendu la forme maus, comme pluriel de mail, particulièrement caduque-
Deux
formés avec le suffixe ail : attirail, encornait (en poursuivant les
Seiches, on trouverait probablement pour ces deux-ci des pluriels en
:
diwO
formé par troncature d'unverbe en ailler : détail.
Un
Un vocable
Unit vocables d'emprunt
d'Oc) ;; ; ; :
argotique : gail, cheval.
bercail (normand) ; aiguail, camml (patois
bnrail (italien) rail (anglais) ; sérail (turc) ; caravansérail (per-
san) //atï(annamite ce
mot désigne, dans la langue des Marsouins,un
caporal indo chinois).
Deux vocables d'origine inconnue : dail, faulx, lame de faulx, vocable
:
appartenant d'ailleurs surtout à l'usance du Pays d'Oc -chantait, tëx. :
Sur un tertre de gazon bleu des jeunes femmes à chandails. jaune, vert, cerise.
(P. Morand, Tendres Stocks, Clarisse, p. 39).

:
ment de pluriels qu'en ails épouvantait
;
poitrail portail ; tramail(ou trémail). Ex. :
; :
b. Sept ont notoirement eu un pluriel en aux, quoique n'ayant actuelle-
éveillait gouvernail ; plumait ;

où l'on suspendait aussi les filets de pèche, tramails ou verveux.


(E. Pérochon. Les Gardiennes, I,
2, p. 28).
Cependant, le vulgaire emploie encore quelquefois le pluriel éventaux
et nous avons entendu, dans la bouche d'un jeune homme cultivé l'ar-
;
chaïsme suivant, que le caractère de l'entretien au coursduquel il se ren-
contra ne permet pas de croire le résultat d'une affectationartificielle :
Cesporlaux latéraux sont très souvent les plus beaux dans lescathédrales ogi-
vales.

c. Deux ont double forme plurielle :


(Monsieur T, le 17 novembre 1920).
à
travail, pluriels [tr vÓ (z)] tra-
vaux et [t r à v à y (z)] travailsail, pluriel aulx [6 : (z)] et [à : y (z)] ails.
Corailtend à se ranger dans cette catégorie, témoin cette enseigne, située

la Place de Grève :
rue du Temple, à droite après avoir dépassé la rue de Braque, envenantde
« Camées, corails. »
Sur la répartition du sémantisme entre les deux formesplurielles, v. in-
fra S 356.
d. Onze n'ont ni n'ontjamais eu de pluriel qu'en aux. Six sont de l'usage
actuel, bail, corail, émail, soupirail, vantail, vitrail.
trouvèrent les vantaux gisant à terre en mille éclats, et l'assaillant qui
ils
s,'"
essuyait le front, debout au milieu des débris.
(Alexandre Arnoux. Abisag ou l'Église transportéeparlaJo\t ch. XXVIII).
Cinq sont pei^employes actuellement :
courait (4), fermait, frontail, venlail, venlrail.
grammaires scolaires disent communément que bestiaux est le plu-
Les
riel de bétail. Ce n'est vrai ni
quant à la forme ni quant au sens (cf. infra,
S 351).
Le vocable
nous employé ;
foirail, champ de foire, n'a jamais été entendu ni vu par
au pluriel nous n'osons donc avancer si le pluriel est en
(4) Dont le pluriel est attesté par le nom propre Ducouraux.
[à y (z)] ails ou en [ô : (z)] aux (5). Mais nous ne commettrons pas la faut
d'affirmer que ce pluriel n'existe pas ; de ce que nous n'avons pas eu ,oc.
casion de l'entendre, il ne résulte pas qu'il soit inexistant. Il est Ilé,,
sûr que ce substantif nominal, comme tous ses congénères français ,,
capable, quand le sémantisme l'exige, d'avoir un pluriel. La chosesuiqUoj e

nous ne nous prononçons pas, c'est la forme de ce pluriel. 1

De même nous n'avançons rien au sujet du pluriel du mot balailque


nous avons trouvé chez un auteur contemporain au sens de battant de
cloche :
Mon batail de fer frappe ma panse qui retentit.
(Alexandre Arnoux. Abisag ou l'Eglisetransportéepar la foi, ch. III).
290. -lluitième apophonie, Singulier [à 1]. pluriel [6 : (z)].
Si nous avons gardé cette apophonie pour la fin, c'est non seulement
parce qu'elle s'applique à un nombre considérable de vocables, mais en.
core parce que nous la croyons encore vivante et encore pourvue d'une
réelle force d'expansion analogique. Savoir quelles sont les limites de
cette sphère particulière d'action analogique par rapport à la sphère géné-
rale d'action analogique des pluriels additifs, c'est là la question intéres-
sante posée par cette apophonie. Nous allons essayer de la résoudre à la
lumière des faits.
Dans le cas où il s'agit 'd'une double l finale latine, tout est clair au :
:
singulier l'lne se vocalise pas, et l'a, entravé par la double l, reste un [à]
;
en français caballam,> cheval [c (<3e) va 1] au pluriel, l'Ise vocalise du
fait de l's subséquente et il vient la diphtongue [à w] réduite ensuite à
[6 :] : caballos > chevaux [c (œ)'v o : (z)].
Dans le cas beaucoup plus fréquent où il s'agit d'une l simple, les gram-
mairiens historicistes nous donnent au contraire beaucoup moins de pré-

:
cisions : au singulier 17 ne se vocalise pas,mais l'a, libre, devient [è] en
français hospitale > hôtel [6 : t è 1]. Mais au plurielles lois phonétiques,
telles qu'on les voit énoncées dans l'ouvrage de M. Nyrop, feraient attendre
[6 : (z)]. Or, on a historiquement soit [è (z)], par chûtes de 1'[1] (Nyrop,
Grammaire historique de la Langue Française, t. I, S 344, p. 333), soit
:
[[dé (z)], forme dont M. Nyrop (T. II, SS 306 et 308, pp. 221 et 222) cons-
tate l'emploi (ieux, hôleux, crimineux) et qu'il a l'air de considérer comme
naturelle en dépit de ses énoncés phonétiques du tome 1 qui feraient
attendre uniquement [6 : (z)] aux, puisqu'en son chapitre de l'influence
de 17 sur les yoyelles (t. I, 2e partie, 1. II, ch. XV, pp. 240 sq) il ne
donne [db] eu commerésultante possible d'altération de voyelle par voca-
lisation d'l qu'au cas de groupes originels latins ël et ïl. D'ailleurs, qu'ils
aient jamais eu, en fait, un pluriel en-aux ou qu'ils n'en aient pas eu, les
noms variables en-el n'ont pas à nous occuper ici, car ils se sont refait des
pluriels additifs en-els [è 1 (z)] et n'ont pas de trace d'aucun pluriel Bluta-
tif, ni en [cfej, ni en [è], nien [6] (1).
vocabl:
(5) Le hasard d'une recherche nous fait aussi découvrir dans Littré le
badail, sorte de filet, dont le pluriel ne nous est donné ni par Littré ni par auc
des autres lexicographes consultés qui signalent ce vocable.
_.10.
§ 290. (1) Cf. Pourtant le substantif nominal pluriel !e< univirsauœ peut-être ralll-
seuls capables d'avoir hérité directement du gallo-roman
Les noms un
luriel en [Ó : (z)] sont donc ceux qui avaient dans ce parler un a tonique
final
suivi de deux l. On aperçoit par là combien leur nombre doit être

al ne nous en fournit que cinq :


restreint. En fait, le dépouillement d'un dictionnaire des rimes françaises
en
val, vocable authentique (vallem)
cheval, vocable bas-latin (caballum), étal, vocable francique (stall) ; et enfin
cristal (crystallum) et métal (metallum) qui n'ont pas à entrer eu ligne de
compte ici, parce que réempruntés au latin par voiesavante.
C'est donc la langue française elle-même qui, sur ce petit noyau, a bâti
par
analogie le grand nombre de ses pluriels en-[ ô : (z)] -aux sur singulier
en [à
Il-al. Et ce qui a surtout contribué à la constitution de ce groupe
analogique, c'est l'appoint formidable que lui a apporté le suffixe adjec-
tivo-nominal-al, emprunté au latin dès le vieux français, et qui, dès cette
époque, a pris par analogie pour forme plurielle la forme-aux, qu'il a
toujours gardée depuis. Ce rôle dominant du très vivant suffixe adjectivo-
nominal-al dans la question fait que nous devons, pour en examiner l'état
actuel, étudier à part les adjectifs et les substantifs.

forme pluriel du suffixe-al. Exemples :


A. Adjectifs. Comme nous venons de le dire, c'est [ô : (z)] qui est la

un argument en faveur de l'unitéralité hémisphérique des centres de cha-


cun des nerfs faciaux supérieurs. -
(Vedel, Giraud et Siméon, Paralysie totale dufacial supérieur in Revue Neul'olo-
gique. Octobre 1922, p. 1274).
ces lésions provocatrices ont porté sur les nerfs jaciaux dans l'aqueduc de
Fallope.
(E. Feindel.Analyses, in ibid. Novembredécembre 1918, p. 236). -
Parfois l'atteinte de l'oreille est mentionnée, mais toujours au cours de zonas
faciaux.
(Emile Baudouin. Les troubles moteurs dans le zona. Thèse de Paris, 1920, p. 18).
Ceci constitue une source de recrutement et d'expansion analogique
remarquable pour les pluriels en-[ô : (z)] aux. En effet la langue française
ne peut point former d'adjectif nominal en al qu'elle ne lui donne un plu-
riel en aux. Et c'est à chaque instant et dans tous les domaines, qu'elle
forme des adjectifs nominaux en al. Que l'anatomiste forge sagittal, hymé-
Hdl,l'histologiste basal, le grammairien adjectival, le critique mondain
alhwal, le plaisantin loufocoïdal, ou que le polytechnicien, dans son argot,

de ces adjectifs nominaux :


fabrique couverlural (2), dans aucun cas il n'y a hésitation sur le pluriel
:
ce pluriel est à coup sûr sagittaux, hyménaux,
basaux, adjectivaux, alluraux, loufocoïdaux, couverturaux.
Et les quelques pluriels d'adjectifs nominaux en [à 1 (z)] als qu'on ren-
contre dans la langue sont des créations artificielles, des grammairiens
tagnialistes. Ce sont
eux qui ont reculé devant des pluriels peu usités
lh,ii,je primitivement à universel
lUanhquement ; et le couple formel matériel-matériaux, qui joue
comme bétaU-bestiaux.
(2) Ce vocable l'un de nous a entendu maintes fois employer en 1914 par de
que
îeines
'e
pQ,ytochnique
uvrir de ridicule
:
lieutenants d'artillerie que la mobilisation avait touchés élèves de l'Ecole
signifie à peu près « ridicule ». La langue française courante dit « se
L'acte de se couvrir de ridicule devient pour le polytechnicien,
»
e (1 couverture
».
d'où l'adjectif couvertural.
comme ballcaux, navaux, frugaux, glaciaux et ont osé les proscrire parce
qu'ils n'avaient personnellement pas eu l'occasion de les entendre dans
la société étroite sur laquelle ils avaient décidé de se régler. L'autorité de
ces grammairiens, assez forte pour proscrire, du moins de l'usage de cor-
tains disciples moutonniers, lesdits pluriels, n'a pas été assez forte pour

;
priver un lot d'adjectifs nominaux français de la faculté d'avoir un pluriel
que tout adjectif nominal français possède aussi des pluriels comme,
bancals, navals, frugals, glacials sont-ils apparus. Ils n'ont cependant à la
longue, pas pu résister à l'analogie de tous les autres adjectifs nominaux
français enal, et, en pratique, la plupart des pluriels adjectivo-nomillilux
en [6 : (z)]aux proscrits par décret arbitraire ont repris droit de cité dans
la langue.

:
Lesadjectifs nominaux auxquels ilaplu à certains dedénierun pluriel eu
aux sont les douze suivants bancal, fatal, final, frugal, glacial, local, ma-
chinal, malÏnal, natal, naval, pénal, tribal. Ex. :
Quant aux complices, les ordres machinais de l'empereur les exécutèrent.
-(À. Jarry, Messaline. II, VII, p. 210).
Sur ces douze, il en est neuf qui ont déjà abandonné leur pluriel arti-
ficiel en afs pour reprendre leur pluriel naturel en aux :
Final, frugal, glacial, local, machinal, matinal, natal, pénal, tribal, plu-
riel : finaux, frugaux, glaciaux, locaux, machinaux, matinaux, natal/X,
pénaux, tribaux (3).
Ex. :
Ils sont tous matinaux, les patrons de Tenon
(M. U. 19 février 1920).
Supposons qu'il s'agisse de ce que nous appellerions aujourd'hui des délits
pénaux, ou pénals si tu aimes mieux.
(M. CO, le 3 septembre 1920).
Et tout naturellement se dessinent des figures d'ancêtres communs, auxquels
on rapporte l'invention de ces rites communs à des clans divers, de ces rites
tribaux.
(A. Moret et G. Davy. Des Clans auxEmpires, 1 5, p. 95).
Les trois autres pluriels adjectivo-nominaux en-als ont la vie plus dure.
Certes, la plupart des Français d'aujourd'hui ayant à employer le pluriel
defatal, disent [f à t ô : (z)] fatallx, ex. :
Ces trèfles nous sontjataux.
(M. Q. le 3 juillet 1920).
Ils ne font en cela que suivre l'exemple des auteurs préclassiques :
donc, dis-je, qu'on a observé plusieurs fois estre jataux et funestes.
(Brantbôme. Recueil des hommes. 1, II, 20, t. V, p. 128).
Quant à la mule (comme les lieux sontfalaux), elles'alla rendre à la croix ho-
sanière du cimetière S. Mexcnt.
(Agrippa d'Aubigné. Les Aventures du baron de Faenesle, 111, 7, p. 149).

ne mentionne pas même la forme locals, morte avant la révolution;


(3) Littré, dans son immortel dictionnaire, se tait au sujet de matinal,
il
pénal
recomman
il ;
de dire glaciaux, frugaux, nataux, plutôt que glacials, Irugals, natals ; et quoiq
mentionnant comme préférable la forme finals, avoue que finaux gagne du terrai"
Mais cependant fatals s'écrit encore, ex. :
On m'a raconté qu'au dernier conseil, tenu le dimanche, ces Jatals papiers,
;
dont la teneur avait été discutée et convenue le mercredi précédent. se trou-
vèrent sur la table mais au moment de les signer, toutes les mains semblèrent
se paralyser.
(Mme de Boigne. Mémoires, 7e partie, ch. XXI, tome III, p. 244).
L'anurie est de règle dans les cas fatals.
(J. Rouillard, dans la Presse médicale du 12 juin 1920, p. 390).
Quant à bancals [b à : k à 1 (z)] et [navals] n à v à 1 (z) ils règnent à peu
près sans partage, encore que navaux ait pour lui la haute autorité de
Mme de Sévigné. Cf.
Ce patriarche observateur, contemporain des premières époques de notre globe
suspendu, sourit de pitié, quand il assiste aux combats navals des nations.
(Lautréamont. Les Chants de Maldoror. I, 9, p. 28).
Il faut croire que c'est une habitude des médecins militaires et navaux de don-
ner de l'ipéca dans la coqueluche.
(Mme E. le 31 août 1923).
Le mot navaux a été prononcé avec cet air de blague de quelqu'un qui
sait qu'il fait une «faute », mais il n'en traduit pas moins, selon nous,.
une résistance intérieure contre la forme navals.
Aucun des grammairiens dogmatistes de France ne connaît, pour l'ad-
jectif banal, d'autre forme masculine plurielle que banaux. C'est la seule
forme donnée par le Dictionnaire de l'Académie (T ed. s. v). Cependant
M. Nyrop mentionne le pluriel banals, qu'on trouve en effet en concur-
rence avec banaux dans la langue écrite de notre temps, nous ignorons
sous quelle influence (4).
Exemples :
1°Banaux.
Marc osa balbutier quelques mots banaux, et, pour cacher sa rougeur, vida
un second verre d'un autre vin.
(Frédéric Boutet. Réalité, in Le Jonrnal, 1i fév. 1920).
L'ulcus a des points de départ multiples, banaux en eux-mêmes.
(Fr. Moutier, apud G. Hayem et G. Lion, Maladies de l'estomac, p. 384).

L'exemple allégué par M. Nyrop :


(4)
beaucoup de jeunes filles nous arrivent. ayant reflété d'horribles et surtout
debanalsinconnus.
(Jules Bois. Une nouvelle douleur, Paris t900, p. 71).
l'exemple relevé par M. Nyrop lui-même dans les œuvres de Lavedan
La lole lâchée dans les mois oreillers.
;
su!'ivî>re la possibilité d'une autre explication. Il nous parait en effet analogue à

(H. Lavedan, Sire, p. 102).


la
:
"Il pluriel
singulier :;
nans ces deux cas, on semble faire spécialement pour
banal, fol, mol sur
catadmèteprévocaliqua
additif calqué sur son état construit masculin prévocalique
[b à n à 1 ê : k ô n u], banal inconnu, on fait
mécaniquement, par addition du [z] instable caractéristique, un pluriel [b à n à 1z S :
* ô n u], banals inconnus
oreillers [môlzôréyé]. Et de même et sur mol oreiller [m ô 1 ô r é y é], mols
toutes
ces
facilement catadmètes (même devant consonnes,
formes plurielles sont peut-être
Cf. l'ex. de Mme de Boigne, fatals
plus
Papiers) parce que laissant subsister la trace d'un état construit entre l'adjectif et 1*
substantif. (Cf. § 262). -
Différents auteurs ont considéré le rhumatisme comme une septicémie à ma-
nifestations articulaires due à des microbes banaux (streptocoque et staphyi,>
coque en particulier) de virulence atténuée.
(H. Grenet,Sur la nature et la spécificité durhumatisme articulaire aigu, in Ga-
zette des Hôpitaux, Année 1920, ne 1, p. 8).
En dèhors des accidents toxiques que nous connaissons bien, et qui sont ba-
naux. (M. CU. le 27 septembre 1927).
2' Banals.
Dans une chambre pauvre et triste. aux meubles banals et indispensables.
(Baudelaire. Curiosités esthétiques. VII, p. 401).
elles germent avec une remarquable facilité sur les milieux nutritifs les
plus banals.
et
(A. Ricliaud. Précis de thérapeutique de pharmacologie, 1, 7, p. 102).
As-tu le rire triste et les larmes sincères.
Le mépris sans effort, l'orgueil sans vanitéP
Fuis-tu les cœurs banals et les esprits faussaires
Dans l'astle du rêve et de la vérité.
(Maurice Rollinat, Les Névroses, Les Ame", l'Introuvable, p. 39).
:
Je suis lassée de tout de moi comme des autres.

-
0 mon rêve 1 et des lits banals où tu te vautres
(Emile Goudeau. Poèmes ironiques. Idéal).
Les créatures surnaturelles qu'elles avaient été un instant pour moi mettaient
encore, même à mon insu, quelque merveilleux dans les rapports les plus ba-
nals que j'avais avec elles.
(Marcel Proust. A la recherche du temps perdu, t. II, p. 439).
Nous avons montré, en des communications précédentes, la fréquence de l'as-
sociation du paludisme et des troubles intestinaux spécifiques ou banals.
(E. Job et L. llirtzmann, Paludisme etembiase, in bulletins etMémoires de la So-
ciété médicale des hôpitaux, 26 décembre 1919, p. 1139.
La forme banaux est d'ailleurs indéniablement celle de l'usage parlé de
la grande majorité des Français de maintenant.
On trouve également quelquefois, pour l'adjectif souvent substanlivé
idéal, le pluriel idéals à côté du pluriel régulieridéaux, de beaucoup le plus
employé. Ex. :
1* Idéaux.
Nous voulons maintenir l'unité à travailler au développement de nos idéaux
communs.
(Paul Boncour, apud. Le Petit Parisient 31 décembre 1920).
Il semble donc bien que le totem soit parfois représenté dans les esprits sous
la forme d'une collection d'êtres idéaux, de personnages mythiques qui sont
plus ou moins différents des ancêtres.
(A. Moret & G. Davy. Des clans aux Empires. 1. 5, p. 93).
2° Idéals.
Les doigts idéals retenaient un gant couleur perle, mis plusieurs fois sanS-
doute. (Villiers del'Isle-Adam, l'Eve Julure, I, X).
Dugas va plus loin et affirme que les idéals de la pudeur humaine se déve-
loppent en même temps que l'homme, et prennent des formes de plus en pIns
neuves et affinées.
(A. Van Gennep, dans sa traduction d'Havelock Ellis. Eludes de PsycholuUie'
sexuelle, 1.1, p. 126.
B. Substantifs. Pour les substantifs il est beaucoup moins certain
que les nouveaux admis prennent le pluriel en -aux.
Certes, il n'est pas exact qu'il y ait dans la langue plébéienne de Paris,
une tendance générale à redonner un pluriel en [à 1 (z)] ais aux substantifs
nominaux qui ont depuis toujours un pluriel en [6 : (z)] aux. M. Nyrop
admet l'existence de cette tendance sur la foi de l'exemple suivant (Nyrop,
Grammaire historiquede la Langue française, t. V, § 298, p. 215).
Tous les matins, j'en jetle un coup
Dans les journal,
(A. Bruant, Dans la Rue, p. 188).
Mais que valent les productions de Bruant pour représenter exacte-
ment la langue de la plèbe de Paris ?
La forme en [à 1 (z)], qui obéit à l'analogie générale indiquée § 280 est
assez fréquente dans la bouche des jeunes enfants, ex. :

àt j : :c àl, i à dl
Y a toujours deux chevals, puisqu'il y a deux trous
[y w w rd" v pisk y d ; t r ui :]
(M. CP. le 4 mars 1924).

en -aux est ou non possible :


Pour les substantifs nouveaux, il est difficile de prononcer si le pluriel
un substantif de formation réceute récital,
fait au pluriel récitals. Nous avons entendu la phrase suivante :
Tu vois, il ne se contente pas de faire de la radioscopie bêtement, il raconte
aussi des récilaux.
(M. BA. le 4 décembre 1923).

,
Cette phrase a été dite sur un ton plaisant, la forme [r é s i t Ó :] peut
donc y être une plaisanterie
de l'action analogique.
mais elle n'en prouve pas moins la possibilité

A tout prendre, le pluriel en [6 : (z)] aux reste le cas général, le pluriel

pluriel dans la langue de nos jours :


en [à 1 (z)] als le cas particulier. Deux substantifs nominaux ont un double

pal pà1, pluriel ]p 6 : (z)] paux et [p à 1 (z)] pals.


val va1 » [v ô : (z)] vaux et [v à 1 (z)] vals.
Cf. pour paux cet exemple de la moitié du XVIIe s.
Nous fusmes attaquer cette maison, et commençasmes cette exécution en fai-
sant brûler quelques paux secs, qui faisoient une palissade devant la porte.
(Tristan l'Hermite. Le page disgracié. 2e partie, ch. L, p. 402).
Quatorze substantifs nominaux n'ont, du moins dans la langue de main-
:
tenant, de pluriels qu'en [à 1 (z)] als aval, bal, cal, caracal, carnaval, cha-
cal, cantal, choral, festival, narval, nopal, récital, régal, serval.
Ces pluriels anormaux nous semblent explicables par trois ordres de
faits :
a) L'emprunt: Durant tout le Moyen-Age, la langue française assimilait
assez les mots d'emprunt pour les plier aux règles des pluriels mutatifs :
tous les vocables en al empruniés par le français avant la prétendue Re-
naissance ont donc des pluriels en aux. Au XVIO siècle, on commence à
s'efforcer, souvent par un pédantisme sot qui a encore ses tenants à notre
époque, de conserver aux mots d'emprunt étranger leur physionomie
exotique au sein même des phrases françaises : on n'ose pas encore des
;
pluriels résolument barbares comme soli, soprani, prime donne que des
grammairiens en délire ont voulu nous imposer depuis mais déjà l'on
-se permet carnavdls, madrigals, bocals, canals nopals, réals (5). Il faut
près d'un siècle à la langue pour éliminer ces formes et faire triompher
madrigaux, bocaux, canaux, réaux.seuls employés en françaisdepuis
l'époque classique. Mais les pluriels carnavals et nopals survivent, tristes
épaves d'un juste naufrage. :'
Si l'emprunt est plus récent encore, c'est-à-dire s'il est contemporain de
l'époque dite classique ou postérieur à elle, le pluriel en als apparaît en
général seul. C'est le cas de ces noms d'animaux exotiques caracal, chacal,
-narval, serval. pluriel caracals. chacals,rtarvals, servals, Il est à remar-
quer que le vocable orignal qui désigne l'élan d'Amérique, a cependant
suivi l'analogie, ex. :
à
alors que les orignaux se mettent tous queue queue
4^5 t.
(Denys. Description de l'Amérique, t. II, pp. sqq (6)apudBuffon, III,
<p.337).
est
Cal ;
aussi un vocable d'emprunt C'est une forme introduite assez
récemment dans la langue et calquée directement, par abrasement de la
finale, sur le latin callus, lequel d'ailleurs, avec la graphie calus et la pro-
nonciation [k à 1 u (z)]. a longtemps été seul employé par le français, et
-est encore un concurrent redoutable pour cal, qui, victorieux dans la di-
sance des pathologistes, est de beaucoup moins employé que calas dans la
conversation courante.
C'est peut-être de façon analogue qu'il faut expliquer les trois pluriels
.chorals. festivals, récitals. Ce sont trois termes modernes tous trois, réci-
tal étant de beaucoup le plus récent. Tous trois appartiennent à la disance
-des professionnels dela musique : peut-être sont-ils d'origine italienne ou
influencées par l'italien. L's du mot festival. à lui seul marque que ce
mot n'est pas de la souche authentique.
On trouve encore le pluriel pétrinals, ex. :
Il y avait au mur des casaques de buffle raccornies de la sueur qui les avait
trempées, des vestes courtes, de larges feutres à panache, des mousquets et des
pétrinals.
(II, de Régnier. Le bonplaisir, VII, p. 98).
Il pourrait s'expliquer par l'emprunt, s'il était vrai, comme le pense
0Penguilly,apud Littré, quepétrinal vienne de l'espagnol pedernal « pierre
..à fusil.H Mais il est bien plus probable que la véritable étymologie est
«elle que donne Ambroise Paré : poitrine ; un mousquet péli-ittaltou poi-
(5) Duez va
r :
jusqu'à donner les formes signais et fanais 1 Mais il est seul à le5
donner. Quant à la forme arsenals, qu'il- donne aussi, ce n'est peut-être qu'une
graphie de la prononciation [à s de nà (z)l car le vocable écrit tantôt arsenac,
tantôt arsenal devait se prononcer * [à r s œ nà].
(6) Dans le maintien de la suite phonétique fa 1] au pluriel de balmoral, l'origine
probablement ex casu (cf. infra 583 et 600) de cesubstantif entre probablement en
digne de compte, ex. :
Un lot de baltnorals divers, fins de séries
(Catalogue des soldes d'été du Printemps, 1923, p. 15).
trinal) étant celui que, pour tirer, l'on appuie contre la poitrine au lieu de
le mettre en joue. La forme régulière du pluriel, qu'il n'a pas plu.
M. de Régnier de choisir est d'ailleurs attestée par l'exemple suivant que
nous empruntons à Littré ;
Les capitaines de picorée et de petriRauz.
(A. d'Aubigné.
l
Histoire, II, 87).
a
b) La troncature : La langue française (v. infia) possède, et possédé à\
un plus haut degré encore, la faculté de former des substantifs nominaux
en supprimant toute désinence verbale à l'indicatif présent d'un, verbe
donné.
Ex. : la frappe, tu frolk, le réveil, le détail, etc.
Mais ces substantifs nominaux ne sont compréhensibles, pour ceux qui
ne les ont encore jamais entendus, qu'à condition que la suite phoné-
y
tique, composant le verbe reste reconnaissable. Aussi les substantifsen
al appartenant à ce groupe conservent-ils au pluriel la suite phonétique
[à 1], qui fait penser aux verbes dont ils dérivent, ex. :
Victor a raison, iln'y a rien de fatigantcomme touscea trimbals.

;
C'est ainsi que s'expliquent : ;
(Mme A. 29 mai 1924).
bal, bals de baller, danser aval, avals de
à valoir régal,régals de régaler, composé de galer, faire TipaiUe.
Pour bal, la forme plurielle mutative bans a tentéde s'introduire à 1a-
faveur de l'analogie. Littré nous apprend qu'il en a trouvé quelques
exemples aux XIIIe et XIV. siècles et cite le suivant, que M. Nyrop répète
après lui : .1
Danses, baus et carolesveïssiez commencer (Berte, XI).
Mais la tendance analogique phonétique a été moins forte que la ten-
dance analogique lexicographique qui travaillait à laisser reconnaissable,
dans le substantif par troncature bal, la suite phonétique constitutive du -
verbe baller. La forme baus n'a laissé aucune traçedans le parler d'aujour-
d'hui.
Pour régal et aval, la forme en [ô : (z)] paraît ne s'êtrejamais constituée,.,
même à l'état sporadique.
Régal pourrait être classé dans le groupe a), comme emprunté de l'ita-
lien regab. Nous croyons plutôt, avec Littré, qu'il s'agit du substantif

:
nominal tiré par troncature du verbe regaler. La langue a hésité entre le&.
forme régal et régale Littré cite en effet ces deux exemples de Molière
Mais quoy ? partir ainsi d'une façon brutale
Sans me dire un seul mot de doruceùr pour regale.
(Moflière,Amphitryon,T,4).
Il ya quelque chose dans la teste qui m'empesche de prendreplaisir à tous-
2)..,
ces beaux regales.

détailler,ettailledetailler(7).
(7) Que légale,
(Molière. Les Amants MagniflqlUl, II,

1' [oe], soit employé par


-5
Sur cette hésitation, cf. détail, substantif nominal tiré par troncature d*

Molière au masculin et mon Ag.


féminin, implique avec
toutefois au moinsl'influence râu substantif italien regala. CLJ*
errne IM musique m finale, pl. cil. ifnales. -:
Cette hésitation n'a d'ailleurs pu que favoriser l'adoption du pluriel,
[régal (z)], semblable dans la prononciation courante à [r é ga1 (de z)],
au lieu de [r é g 6 : (z)].
C'est probablement parce qu'interprétant, consciemment ou non, le
substantif étalcomme tirépar troncature du verbe beaucoup plus usité
étalerqu'un auteur contemporain a écrit :
Entre les étals des marchandes.
(Pierre Hamp, Marée Fraîche, p. 30).
c) L'origine onomastique. Un « nom propre » qui, par une sorte d'em-
ploi génitif, devient un « nom commun » ne peut avoir de pluriel que
semblable le plus possible à son singulier, puisque l'emploi même du
pluriel pour un ex casu (Cf. infra, § 583) est déjà une hardiesse
Ex. : un cantal, des cantals.
:
Pour terminer, disons que nous croirions être de mauvaise foi si nous
ne mentionnons pas l'influence qu'a pu avoir, pour la création et l'adop-
tion définitive du pluriel en [à 1 (z)] als, l'existence d'un pluriel homophone
déjà existant, en-aux. L'on ne saurait nier départi pris cette influence, quand
on constate que sur les quatorze substantifs nominaux en-al qui font
leur pluriel en-als, il y en a cinq dont le pluriel en [ô] serait plus ou moins
:
parfaitement homophone à un pluriel déjà existant baux,caracos, scha-
kos, coraux, cerveaux. C'est peut-être à cause du pluriel déjà existant con-
certos que huit personnes dînant ensemble, s'interrogeant sur le point de
savoir comment elles désigneraient plusieursdes instruments baptisés con-
à
certai. répondirent toutes concertais; cause d'étaux, pluriel d'élau, que
M. Pierre Hamp, dans l'exemple ci-dessus, donne étals pour pluriel à étal.
Toutefois il faut avouer que, contrairement à ce qui se passe pour les
adjectifs, il est difficile d'affirmer que pour les substantifs, la force expan-
sive analogique du couple singulier pluriel [à J]-al-[Ó : (z)]-aux soit encore
,
notable (8).
Si l'on avait occasion de donner un pluriel à archal, floréal, mistral,
n'est-ce pas-als qui serait choisi? De même, si l'on avait occasion de don-
ner un pluriel au nom des espèces chimiques ayant le suffixe des aldé-
hydes, -al, qui sert aussi aux pharmaciens comme suffixe des spécialités
hypnotiques (véronal, hYPllal, dyal), ce pluriel serait vraisemblablement
:
en-als
Le véronal de la maison Ravelin est le meilleur des vér.onals.

291. — La conclusion de l'étude morphologique du pluriel


nominal
français contemporain est donc la suivante :
Les
:
essences variables du nom ne disposent, pour la formation du plu-
riel,que d'un seul procédé vivant l'addition d'un [(z)] à la nuance pré-
consonantique de la figure singulière. C'est par ce procédé que se forme
mécaniquement le pluriel de tout substantif ou adjectif nominal pénétrant
v(8) C'est par pure plaisanterie que l'argot de l'X généralise ces pluriels au point
;
de réformer des singuliers en [à 1] sur tous les pluriels en [6], même ceux en
[6 (z)] ots : Ex. le métrai, le tablai — un gigal-harical, des gigots-haricots.
:
dans la langue, sauf des adjectifs nominaux terminés par le suffixe vivant
[à !]<!/, parce que ce suffixe possède une figure plurielle propre -16 : (z)]
-aux.
292. — Les règles pour la formation du pluriel dans les noms compo-
sés sont trop souvent, dans les grammaires, compliquées et confuses. On
s'aperçoit rapidement qu'elles ne donnent que desrecettes orthographiques
et qu'elles ne tiennent pas compte du langage parlé. Pour celui-ci, il ne
se présente que deux cas :
1* Ou bien on a conscience de la valeur des composants, et alors on les
traite en conséquence, soit d'une manière traditionnelle, soit d'une ma-
|
nière analogique (cf. 279 la forme [dékô: trdi zà tàk])..
2° Ou bien on a perdu cette conscience, et alors, on traite le groupe
comme un seul mot.

: :
sition gentilshommes, bonshommes
nière ordinaire
;
Il peut arriver alors qu'on ait traditionnellement un pluriel à sa dispo-
faute de quoi on le forme à la ma-

Par l'histoire comme est décrite, je contemple ces vieux genlilhomines gauloys
armés de toutes pièces.
(La chasse au vieil grognard (1622) dans Variétés historiqueset littéraires. Tome
III, p. 30).
Il faut avoir vécu avec le troupier, avec le « type », avec les « bo/t'/wlIlmes Il,
pour comprendre ce que c'est que le peuple français.
(Capitaine Z. L'Armée de la Guerre, p. 112).
Qu'mon capitaine sfasse pas dé mousse, dit Gaspard, mais qu'il m'envoie les
bon'hommel un à un.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 18).
Rapportons ici l'intéressante lettre écrite à M. Nyrop par M. E. Philip-
pot (t) Je puis vous confier que je me suis parfois surpris — et j'en ai
: «
« surpris d'autres — prononçant les « chemins de fer z'étrangers » avec
« un magnifique cuir. » M. Nyrop rapporte à ce propos un long exemple
de Gyp (Jaquette et ZOllZOU, p. 245), où un enfant repris par son père sur
sa mauvaise prononciation, lui reproche à son tour de dire « ch'mins d'fer
z'algériens. »
On peut donc dire que tous les composés qui sont arrivés à ne présen-
ter au sentiment linguistique qu'une idée unique, hors le cas de pluriels
pris directement au vieux langage, forment leur pluriel à partir du sin-
gulier par l'adjonction d'un [z] final instable, sans modification intérieure.
293. — Ici s'arrête l'étude de la morphologie du nom. Mais ce serait

;
folie que de voir, dans ces flexions pauvres et incomplètes, l'image detous
les taxièmes qui touchent les essences variables du nom ici, comme partout
ailleurs, les taxiomes synclitiques sont devenus très insuffisants à l'expres-
sion des répartitoires existants;des taxiomes libres, en grand nombre,
interviennent pour compléter cette expression. Dans les chapitres suivants,
nous allons examiner quels sont, en réalité, au point de vue sémantique,

(1) Nyrop. Op. cit., Tome Il. Addition au 5 327.


debeaucoup le plus intéressant pour la grammaire, les répartitoires qui
le
touchent substantif nominal et l'adjectif nominal. Par cette étude et
par elle seulement, nous pourrons concevoir clairement et consciemment
les notions logiques en partie inconscientes qui répondent, dans l'esprit
la
français, aux substantif et adjectif nominauxde langue française.
CHAPITRE 111

NATURE LOGIQUE DU SUBSTANTIF NOMINAL

SOMMAIRE

29h.
:-
Définition du substantif nominal. L'idée de substance.- .295. Examen

:
général des répartitoires s'appliquant au substantif nominal
semblance. — 296. D) La quantitude, Son premier aspect
A) La sexui-
la blocalité. —
297. Second aspect de la quantitude : la putation. — 298. C) L'assiette. —
299. D) La personne. — SOO. Evolution historique des répartitoires touchant
le substantif nominal.
— 301. Substantif nominal non substantiveux.
294. — Complétée par les différentes notions acquises au
chapi-
tre VIII du Livre II, la définition du substantif nominal peut être for-
mulée ainsi :
On appelle substantif nominal un vocable fécond, artificieux et
variable, représentant un concept sémiématique pur. (Cf. §§ 84 et 125).
Le vrai substantif nominal, tel que le français le conçoit, comporte
l'affirmation d'une réalité définie, d'une substance stable, d'une person-
nalité indentifiable.
De toutes les essences logiques, le substantif nominal, à l'état gramma-
tical
parfait où le français d'aujourd'hui le possède, est certainement la
plus récente.
Le latin n'était encore que sur le chemin de ce substantif nominal doué
à la fois d'indépendance individuelle et de permanence sémantique.
L'idée substantielle qui
se laisse apercevoir à travers les divers cas d'un&
déclinaison latine,
y est toujours mélangée à l'idée taxiématique affonc-
llve qu'apporte ledit
cas ; et la déclinaison du nom-substantif latin est >
en quelque sorte une collection de fonctionnaires affonctiveux adaptés à
divers besoins constructifs, mais déjà groupés taxiématiquement
pour
posséder en commun la teinte sémantique d'une même espèce substan-
tielle.
En français même, l'individualisation et la permanence substantielle
des substantifs nominaux
sont d'acquisition récente. Nous verrons plus
IOln,
en effet, les mécanismes les plus nets de caractérisation sémantique
se créer progressivement au cours de l'histoire de
de la substantivosité
notre langue, et n'avoir atteint leur netteté qu'à
une époque extrêmement
approchée de la nôtre.
La notion du substantif nominal vraiment substantiveux procède
avant tout du mode actuel d'organisation de l'expression du fait phrasti.
que tout entier. Le mode de pensée le plus primitif ne concevait ce hit
nous l'avons dit, que comme modifiant l'état psycho-sensoriel du locu.
teur. C'est le stade locutoire ; ex. : ouf 1 Dès que le langage prend une
valeur représentatoire, narrative, délocutoire en un mot, les faits arrhent
à se classer en groupes naturels, à l'intérieur desquels ils ne se dis*in.
guent les uns des autres que par des modalités diverses. Ex. : en latin.
ninguet ; jam ninguit ; ninguebat.

;
En outre l'esprit a naturellement tendance à donner au fait délocutoire
un siège ce siège, c'est forcément quelque chose qui n'a plus l'esscn.
tielle fugacité des réalités phénoménales jusque là seules conçues c'est ;
quelque chose sur quoi l'esprit se repose, s'appuie (1) ; aussi, même si

:
l'affirmation qu'on porte sur lui est une affirmation d'inexistence, ce
quelque chose at-il pourtant une certaine permanence c'est une subs-
tance. Une substance, dit Kant. c'est ce qui peut être sujet (2).
Et aucune définition ne nous paraîtra plus juste. De sorte que si, au
milieu de tout cet arsenal de quasi-affonctiveux qu'est la déclinaison
d'une langue sans article, telle que le latin, il est un cas qu'on peut déjà
considérer comme substantiveux : c'est le nominatif. Ex. Currebat
usinas. Asinus joue là déjà, auprès de currebat, un rôle à peu près sem-
blable à celui que nous avons défini en français sous le nom de sou-
tien (f106).
Le substantif nominal, toutefois, n'est pas pleinement constitué du
fait que la substance accède au rôle de soutien. Pour qu'il ait sa pleine
individualité, il faut que le fait puisse être conçu comme établissant des
liages entre substances, et que partant les substances puissent accéder
au rôle de repère (§ 104) ainsi qu'aux divers rôl(s d'apports possi-

(1) Ne l'appelons-nous pas soutien ? (§ 106).


(2) Kant, Critique de lu liaison Pure, Analytique Transcendantale, L. I, cli. II,
tionI inJine.
Cette tendance de l'esprit à concevoir à chaque phénomène un siège doué d'une
Sec-

certaine permanence lui vient probablement du sentiment d'une continuité de person-


nalité à travers tous les états d'âme qu'il traverse. Moi, et l'écoulement du temps,
c'est-à-dire le changement de mes états d'âme et le souvenir que je garde des amiens,
sommes les deux termes ultimes que l'annlyse psychologique ne peut pas réduire : ces
géuiale-
deux termes sont les composants du fondamental je pense auquel Descartes a
ment ajoute,'pour en faire comprendre la valeur primordiale, un je. suis qui 11es'
pourtant qu'une tautologie. C'est dans le terme moi, qu'est sans doute puiséel'ana-
logie sur laquelle s'est fondée l'idée, depuis devenue si générale, de substance.
Quand I\1\nt. du caractère de nécessité de l'idée de substance pour son esprit d'hom-
me cultivé, conclut au caractère a priori de cette notion, il fait cette faute si fréquente
vivante, met en garde :
chez les théoriciens de la logique, et contre laquelle l'étude de la grammaire, lofïiqnfc
il conclut de la généralité, do la simplicité, de la nécessite
actuelle d'une notion pour notre esprit, au caractère primordial do cette notion.
Nous disions à l'instant que la permanence moi qui, à travers le temps, est n'in'P prunoi-
dialement conçue, était la première et la plus essentielle des substances. Cela !"
que nullement que l'idée générale de substance ait préexisté au sentiment du 111°,1:
La permanence moi n'existe, à l'état primordial, que comme concevant et non 1»'
comme se concevant en tant qu'objet, que substance. Voilà pourquoi l'existence P1
1"
mordiale de cette substance dans l'esprit humain, quoiqu'étant probablement
inier jalon analogique vers la construction plus ou moins consciente du concept (~Í
substance, n'est pourtant nullement contradictoire avec le caractère tardif, démoli
par la grammaire, de l'époque de complet dégagement de ce concept.
blés du fait des pouvoirs de liage constituant la puissance nodale du
verbe.

295. — Examinons maintenant quels sont les caractères grammati-


caux du substantif nominal en valence substantiveuse.
Un cliien regarde bien un évêque.
(Proverbe).
Dans un sang odieux elle a reçu la vie.
(Voltaire, Sophonisbe, IV, 2).
Un dragon jaune et bien qui dormait dans du foin
(Musset, Premières Poésies, Don Paez, II, p. 14).
Quant aux filles, on les met au couvent
flYme, Les origines de la France contemporainl'Ancien Régime, II, 3, T. I,
p.
P. 2H).
Les femmes fort maigres et seiches sont dangereuses à advorter.
(Ambroise Paré, t. Il, p. 625).
Les substantifs nominaux y sont, nous le voyons, répartis en deux
groupes distincts et bien définis. Les uns (chien, évêque, sang, dragon,
join, couvent) sont masculins, c'est-à-dire expriment des substances de
sexe masculin ou comparées par la langue à des êtres mâles ;
les autres
(vie, filles, femmes) expriment des substances du sexe féminin ou compa-
rées par la langue à des êtres femelles. Le répartitoire qui établit ces
deux groupes a reçu de nous le nom de répartitoire de sexuisemblan-
ce (t).
Toutes les espèces substantielles conçues par le français dans le monde
nominal sont, une fois pour toutes, classées dans une des deux physes
de ce répartitoire. Leux sexuisemblance leur est inhérente, et ne varie
jamais. La table, la bouillotte, la composition, la mort, la lune, n'appa-
raissent à un Français que comme de sexuisemblance féminine, et ne
peuvent, dans les contes fantastiques ou les allégories, être personnifiées
que sous forme d'êtres femelles. De même l'encrier, l'assassinat, le
problème, le sucre, l'estomac sont fixp., dans la sexuisemblance mas-
culine.

296.
— La répartition de sexuisemblance classe les espèces substan-
tielles elles-mêmes
en deux groupes. L'espèce substantielle une fois
connue et située dans le répartitoire de sexuisemblance la langue aura à
prendre, dans cette espèce, le quantum de substance qu'il lui conviendra
d'exprimer au moment considéré. Mais nous allons voir que la notion
très générale de quantité se présente de façon tout à fait différente suivant
qu'il s'agit du substantif ou des autres catégories :
lu, - Il s'agit d'un substantif. Entre toutes les qualités qu'elle peut
0)Le sens très général du mot «genre,», et spécialement ses sens philosophique
[)'HSique
I)l
s'opposant à « espèce », nous a conduits à renoncer à ce vocable pour
1
<u•!s,Kiicr
le répartitoire en question. Le mot de sexuisemblance, que nous avons choisi
il?'U-:,|eln remplacer,
nous paraît exprimer la notion essentielle qui se dégage à prp-*
vue de la considération de ce répartitoiie.
comporter, la substance comporte forcément la quantité. C'est elle-nfim
qui subit les variations de quantité ; la substance, en effet, c'est ce qui
se mesure. Ex. : Un pied ; du vin, des pommes, trois rois. C'est bien le
pied qui est un, le vin qui est pris en mesure indéterminée, les pommes
qui sont les éléments constituants du groupe de pommes, les rois qui
sont trois. Ce premier aspect de la notion de quantité est dit quantité
immédiate.
:
2°. — Il s'agit d'un adjectif, un affonctif ou un factif. Les indications
de quantité qui les accompagnent ne peuvent les touchor directement
vu qu'ils ne constituent pas des êtres et ne peuvent conséquemment
recevoir aucune qualité. Les indications, dites de quantité médiate,

:
portent en réalité sur les concepts substantiels répondant aux ternies
auxquels elles sont attachées. Par exemple, si je dis il est infiniment

;
bon, cela signifie que sa bonté est infinie, si je dis : il sue abondamment,
cela signifie que sa sudation est abondante si je dis très aimablement,
cela signifie que l'amabilité envisagée est considérable.
Dans tous les cas, par conséquent, c'est une substance qui, en réalité,
possède la quantité, mais cette quantité peut s'exprimer médiatement ou
immédiatement.
C'est ce premier aspect de la quantité, la quantité immédiate ou
quantitude (t), absolument caractéristique des substantiveux, qui est
la base des répartitoires quantitatifs touchant le substantif nominal.
Le latin n'avait pas encore réalisé, dans l'ordre linguistique, la syn-
thèse de l'idée de quantitude. En effet, il distinguait deux ordres de subs-

l'expression de la quantité immédiate :


tances, qu'il traitait de façon tout à fait différente au point de vue de
les premières, que nous appelle-
rons substances nombrières étaient les espèces substantielles essen-
tiellement décomposables en individus. Ex. : bos, un bœuf. A celles-ci

:
seulement le latin donnait une expression flexionnelle de quantitude :
elles seules avaient régulièrement un singulier et un pluriel bos, boves;
elles seules, surtout, prenaient la série des stiuments tot, quot, pauci,

: ;
mulli, etc. Les secondes, que nous appellerons substances massières,
ne se décomposaient pas en individus elles n'avaient d'ordinaire que
le nombre singulier aurum (2). Elles prenaient une autre série de stru-
ments de quantitude, tantum. quantum, parum, paulum, multum, etc.
suivisdu génitif (3).
La langue française a dégagé de la flexion plurielle du latin tout ce

Quantitude estle nom que nous donnons à la notion communément appels


(1)
« nombre» grammatical. En effet, le vocable « nombre» appartient en propre à la
disance des mathématiques et le sens qu'il a dans ces sciences ne recouvre Pas-
exactement la notion dont il s'agit ici.


; ;
(2) Certains raassiers latins ont pourtant un pluriel, mais celui-ci n'exprime à
vrai dire rien de plus que le singulier caeli, cf. français les eaux, les deux v. plus
loinL.IV,ch.V.
(3) Arsène Darmesteter (Cours de grammaire historique de la langue franf«IS>
t. II, p.6, 11 et 13), emporté sans doute par des' habitudes de grammaire
distingue illégitimement en français les « noms communs
»
«noms de matière (massiers).
» banaux (nombriers)
-
u'O/l
qOIHlIlC
pouvait ;
en tirer elle s'est aperçue que cette flexion servait en
à marquer une discontinuité, tandis que tous les cas de continuité
ressorLÍssaicnt au singulier. Quand les Romains disaient aurum, de l'or,
comme quand ils disaient bos, un bœuf, ils considéraient chaque fois
unc
certaine quantité de la substance envisagée, ici de l'or, là du bœuf,
sanc aucune
brisure. Bancs, des bœufs, c'était au contraire de la subs-
tance bœuf en plusieurs blocs distincts. C'est du moins ce que la langue
française, au cours de son développement, a retenu du sémantisme de
la flexion
plurielle des substantifs nominaux latins (4).Le répartitoire
urtu duquel chaque substantif français a deux formes, dont l'uné
en
,est pourvue d'un [(z)] final, est le répartitoire de
blocalité : quand le
français dit du mouton comme quand il dit un mouton, quand il dit
du pain comme quand il dit un pain, le français considère des substances
sans aucune brisure (5) : c'est la phase continue. Des moutons, trois
pains sont la phase discontinue.

297. — Il faut bien pourtant que soit marquée la différence entre la


considération d'une quantité-masse et la considération d'un nombre.
Ceci est le rôle, en français, d'un autre répartitoire, qui n'a pas, comme
la blocalité, d'expression flexionnelle, mais une expression strumentale :
le répartitoire de putation. Dans la putation massive, on distingue seu-
lentenl s'il y a de la substance considérée. Ex. : du mouton. Dans la

posable en individus :
puiaiioll numérative, l'espèce substantielle est considérée comme décom-
un mouton, des moutons. La putation massive ne
connaît donc la substance que dans sa blocalité continue ;
la putation
numérative seule connaît les deux blocalités, continue et discontinue.

BLOCvLITE PUTATION

du mouton 1 MASSIVE
CONTINUB
CONTINUE ————————————————————————
un mouton )
>
; NUMÉRATIVE
DISCONTINUE des moutons
-le grand avantage du système français
sur le système latin, c'est que
le répartitoire de putation, intervocabulaire
en latin (des substances nom-
brières
y devient intravocabulaire (un bœuf, du boeuf
les espèces substantielles
;
comme bos s'opposant à des substances massières comme aurum) ,
un bois, du bois). Toutes
peuvent être conçues sous l'un et l'autre as-

; ;
pools : les substances originellement nombrièies peuvent se présenter
ïous l'aspect massif (de la poire du boetzf acheter du franc, bouffer du
(4) Sous réserve de quelques pluriels archaïques (les cieux, les eaux, les airs) dont
plane la noie 2, etqui seront étudiés au chapitre V.
:
-

i0
j
(5) Il
"mtun do soi qu'il s'agit ici de brisure logique, actuellement introduite comme
varAlc
1"rs dans la pensée du pain, ce peut être, au point de vuel matériel,
miches ou plusieurs bribes de pain, sans que pourtant la justesse de notre
DcnS('-°ensoit atteinte
en rien.
curé, faire de la bicyclettte, etc.) ; les substances originellement mas
sières prennent de même l'aspect numératif (un verre, des faïences, des
ors éteints, les vins les plus réputés, les cuivres d'un orchestre) par di.
vers mécanismes que nous étudierpns au chapitre V ; enfin, comble de
souplesse, les substances originellement les plus nombrières peuvent, à
partir de leur aspect massif, se reformer un mjmératif ayant pour base
une nouvelle unité singulative.
Un cœur, c'est un viscère, et, par une vague analogie de forme cl un

une courbe déterminée ;


vieil usage symboliste, c'est ùne certaine figure plane ayant pour limite
mais, dans les jeux de cartes, il y a des caries

;
qui sont garnies de semblables figures : avoir de ces cartes, en jouer
s'appelle avoir du cœur, jouer du cœur n'en avoir qu'une, c'est avoir

appelées cœurs;
un cœur, la carte en question portât-elle dix des figures originellement
et en avoir deux, quatre, beaucoup, c'est avoir deux
cœurs, quatre cœurs, beaucoup de cœurs.
298. — Ni la sexuisemblance, ni la blocalité, ne suffisent à assurer
la substantivosité actuelle d'un substantif nominal. En effet, elles lui
sont indissolublement attachées et ne le quittent pointmême lorsqu'il
n'est pas en valence substantiveuse. Ceci s'applique, pour les répartitoires
de quantitude, à la blocalité : une élable à bœufs. De même, pour la
sexuisemblance : un corsage à raies blanches.
Pour que le substantif soit actuellement substantiveux, il lui faut
mettre en outre de l'assiette, c'est-à-dire un certain degré de détermi-
nation touchant l'identité permanente de la substance.
Si nous considérons quatre phrases parallèles comme
a) Phénomène dont on n'a jamais donné d'explication
:
b) Phénomène dont on n'a jamais donné une explication
c) Phénomène dont on n'a jamais donné cette explication
d) Phénomène dont on n'a jamais donné l'explication,
nous constatons que, dans ces quatre phrases, le substantif nominal
explication apparaît chaque fois avec une nuance de définitude particu-
lière, et que la définitude va en croissant d' (a) à (d)..
En (a), explication est d'assiette illusoire. On indique simplement
que le phénomène n'a pas été expliqué, et l'explication en est envisagée
comme hors du monde réel.
En (b) l'explication est d'assiette transitoire, c'est-à-dire que l'espèce
substantielle des explications est conçue comme réelle, et que par con-
séquent il aurait été ou il sera possible qu'un individu de cette espèce
soit choisi comme convenant à la solution du problème envisagé.
En (c), explication est d'assiette présentatoire, c'està-dire que dans

a été arbitrairement choisi,et dénommé :


l'espèce substantielle des explications, l'un des individus, en dehors du
problème actuel, en dehors même de toute condition de congruencc.
« cette explication ». On cons-
tate ensuite, par (c), que cette explication n'a pas été donnée connue
convenant au phénomène envisagé.
En (d), explication est d'assiette notoire. Dans l'espèce substantielle
des explications, il en est une qui, dans
l'Absolu, répond au phénomène
envisagé. C'est l'explication du phénomène. Le tout est de la trouver et
de la donner. La phrase (d)
exprime qu'on ne l'a pas fait.
Nous disons, on le voit, que le substantif nominal a de l'assiette dès
qu'il joue son plein rôle substantiveux. En outre, l'entité de la substance
peut être, quant à son identité permanente, envisagée de quatre façons
lOiuine déterminée absolument dans un ensemble déterminé (assiette
:
nOloire) ; comme repérée dans un ensemble mal limité (assiette présen-

ni aucune circonstance (assiette transitoire);


laloire) ; comme réelle, mais n'étant encore déterminée par aucun signe
enfin comme d'existence
imaginaire ou à tout le moins douteuse (assiette illusoire).
(

299. — Il y a, à vrai dire, un quatrième répartitoire qui, caractéristi-


que de tous les substantifs, se trouve nécessairement toucher le
substantif
nominal. C'est le répartitoire de personne.
C'est aux trois notions délocutoires de locutif, d'allocutif et de délo-
culif, que se ramène actuellement le lépartitoire de personne. Il va sans
dire que, par la définition même de la notion de personne (cf. supra § 54),
celle notion ne saurait s'appliquer de façon propre et immédiate qu'aux
substantifs. Le substantif strumental est le seul domaine où puissent se
différencier, à côté du délocutif, le locutif et l'allocutif. Le substantif
nominal, lui, est toujours délocutif.

;
Les autres essences logiques personnisées n'ont de la personne qu'en
tant qu'elles reflètent celles des substantifs
que communiquée.
elles n'ont donc de personne

Mais la personne, à l'encontre de la sexuisemblance, de la partition et


de l'assiette, qui ont des marques propres pour chaque substantif nomi-

substantif est invariablement la même :


nal, n'en comporte aucune. C'est que la personne contenue dans tout
le substantif nominal ne touche
le répartitoire de personne que par une de ses physes, la physe délocutive.
Il n'a donc besoin d'aucun signe de discrimination à cet égard.

trois marques caractéristiques:


300. — Nous venons de voir qu'actuellement la substantivosité avait
c'est là le caractère du substantif nominal
contemporain : mais il n'en a pas toujours été ainsi. Les signes caracté-
ristiques actuels sont eux-mêmes d'époque différente.
En ce qui concerne la sexuisemblance, nos substantifs ont subi peu de
changement. Ce répartitoire, avec une physe de plus, la physe neutre,
fiaitdéjà établi en latin, avec son intervocabularité, caractéristique des
substantifs. Avoir « un genre » fixe est le plus important des caractères
suhstantiveux du « nom substantif » latin. Mais le répartitoire à deux
Pliyses est constitué dès les origines du français.
Los répartitoires de putation et d'assiette sont, eux, des répartitoires
Nouveaux et n'ayant que tout récemment acquis leurs caractères défini-
es. Ces deux répartitoires sont comme liés l'un à l'autre dans leur mode
dexpression, qui réside dans des adjectifs strumentaux, qui constituent
un groupe souvent décrit sous le nom d'articles, et auquel on peut laisser
sans inconvénient ce nom traditionnel, si on l'étend, comme l'a très
bien fait l'abbé Stcard (1), à tous les termes capables à la fois de conférer
la putation et l'assiette.
A mesure que nous remontons dans l'histoire de la langue, nous ren.
controns des substantifs nominaux de plus en plusnombreux sans arti-
cles, la quantitude étant en ce cas réduite à la blocalité seule, et l'assiette
restant sans autre expression que ce qu'on peut inférer du contexte.
Ainsi, au XIe siècle, la Vie de Saint Alexis, qui contient 625 vers

;
présente 43 exemples de substantifs non articulés là où la langue actuelle
exigerait un article ex. :
Bons fu li siecles al tens ancienor
Quer Jeil i ert e justise et. amor
(str. 1)
Tant aprist lelres que bien en fut guarniz
(str. 7)
Au XIIie siècle, Joinville (Histoire de saint Louis), en offre 170 exemples,
ce qui est relativement moins, cet ouvrage occupant 206 pages petit in-4°
dans l'édition donnée chez Didot par Natalis de Wailly. Ex. :
et dou remenant de l'avoir au mort font aumosnes S 34).
L'endemain de feste saint Bertheini l'apostre, trespassa de cest sieclc li boas
roys Loys (S 759).
Au xv" siècle, le Roman de Jehan de Paris (124 pages) en caractères
elzéviriens assez gros, (éd. Anatole de Montaiglon) en présente encore
67. Ex. :
Et son ost estoit allé par aultre chemill, affin que le roy d'Angleterre ne les
apperceust (p. 35).
Au XVIe siècle, le Traité contre l'astrologie qu'on appelle judiciaire, de
Calvin (28 pages in-12 en très petits caractères, éd. P.-L. Jacob chez
Gosselin) en présente 63 ; ex. :
Voici, ils seront comme paille, et le feu les consumera (p. 120).

n'a pas l'extension de son emploi actuel ex. ::


Au XVIIe siècle même, on pourrait trouver de nombreux cas où l'article

Et vous luy fait un beau sermon


Pour l'exhorler à palience.
(La Fontaine. Fables choisies, 111, 5. Le Renard etle Bouc).
Ainsi, la substantivosité a reçu des caractères grammaticaux de plus
en plus précis.
301. - Que le substantif nominal vienne à prendre d'autres valences
que la substantiveuse : le mode de détermination sous lequel la substance

(1) L'abbé Sicard (1742-1822) a présenté dans ses Elemens de Grammaire


appliqués àla Langue française, les vues les plus justes sur l'article. V. particmioi
ment sa Première partie, ch. V, qui aurait légitimement pu servir de modèlo 111%

grammairiens du XIXC siècle.. Cf. aussi Beauzée, Grammaire générale, L. II, ch.
et particulièrement p. 383, le tableau de tout le système des articles.
est :
établie s'efface bien entendu
; ;
il cesse d'avoir de l'assiette la consi-

discontinu peut garder quelque intérêt :


dération de sa quantité passe au second plan seul l'aspect continu ou
il peut garder éventuellement
quelques caractères de blocalité (une étable à bœufs) ; mais il existe
quelque chose d'indissolublement lié à l'espèce substantielle elle-même,

:
et qui persiste alors même que cette espèce n'est évoquée qu'à titre pu-
rement sémiématique et sans rôle substantiel actuel c'est la sexuisem-
blance.
C'est pourquoi nous l'étudierons la piemière.
CHAPITRE IV

SEXLJISEMBLANCE DU SUBSTANTIF NOMINAL (t)

SOMMAIRE

302. Place de la sexuisemblance parmi les répartitoires du substantif nomi-


nal. — 303. Le répartitoire de sexuisemblance dans le substantif nominal.
peut pas être conçue comme un simple acci-
— SOU- La sexuisemblance nesexuisemblance
dent phonétique. — 305. La ne peut pas être expliquée suf-
fisamment par la méthode historique. — 306. La sexuisemblance doit être
envisagée comme un problème essentiellement sémantique. — 307. Nature
du sentiment linguistique naturel de sexuisemblance. — 308. La sexuiscm-
blance, correctif de la délocutoriété.
309. Le masculin, physe indifférenciée. — 310. Substantifs primaires lati-
nigènes à sexuisemblance héritée. — 311. Substantifs primaires latinigènes

- ;
à sexuisemblance refaite. — 312. Substantifs primaires d'origine étrangère.
313. Substantifs primaires générescents francigènes.

:
314. Substantifs secondaires la sexuisemblance pexiématique. — 315.
Sexuisemblance intra-suffixale. ,— 316. Diminutifs proprement dits. —
317. Familles métaphoriques les pullisemblants. — 318. Raison sémantique
du changement de sexuisemblance dans certains diminutifs. — 319. Suffixe
quantitatif ain-aine. — 320. Noms d'outil.
321. Sexuisemblance inter-suffixale. — 322. Les suffixes de l'action. —
323. Les suffixes de la qualité. — 32/t. Les suffixes diminutifs à une seule
forme. — 325. Les suffixes de la quantité. — 326. Autressuffixes. — 327.
Conclusions à tirer de l'étude de la i,exuisemblance inter-suffixale. — 328.
Substantifs secondaires par troncature. — 329.Sexuisemblance des équiua-
lents et convalcnts substantiveux.
330. Etude de* doubles sexuisemblances : couples de vocables de sexui.
semblance différente se correspondant morphologiquement. — 331. Termes

différenciation sémantique. — 333. Amour ;


homophones restés vocables différents en raison de leur. sexuisemblance
différente. — 332. Substantifs nominaux à sexuisemblance hésitante sans
délice. — 334. Gens. — 335.
Diasémie sexuisemblantielle. — 336. Voile. — 337. Conclusions à tirer de
l'étude de la diasémie sexuisemblantielle. — 338. Relation du sexe et de la
sexuisemblance.

302. — L'étude de la langue nous a conduits à reconnaitre au subs-


tantif nominal trois caractères nécessaires, inhérents à son essence la
quantitude, l'assiette, la sexuisemblance (v. supra §§ 295 à 298). Une
:
(1) Importante a été la part de M. Jean Weber dans l'élaboration de ce chapitre.
La théorie des pullisemblants est originellement sienne.
réflexion s'impose immédiatement à l'esprit - c'est que tandis que les
deux premiers auraient pu être prévus a priori selon les voies de la logi-
que commune, il n'en est pas de même du troisième.
En effet, nos conceptions philosophiques traditionnelles nous auraient
tout naturellement conduits à faire rentrer dans une définition de la
substance les attributs de mesure et de connaissance qui correspondent
à la quantitude et à l'assiette.
Elles ne nous auraient nullement préparés à classer les substances
nominales en deux phalanges nettement distinctes, l'une masculine,
l'autre féminine, selon les exigences du répartitoire de sexuisemblance.
Nous sommes donc dès l'abord plutôt embarrassés pour nous former
une conception nette du sens, de la raison, de l'utilité de ce troisième
caractère. Et pourtant la grammaire nous enseigne qu'il est aussi insépa-
rable que les deux autres, sinon même plus, de l'idée que notre langue
s'est formée du substantif nominal. C'est ce qui fait de l'interprétation
de la sexuisemblance un problème particulièrement difficile mais aussi
particulièrement attachant en même temps que fécond pour la compré-
hension du génie du français.
Tous les substantifs nominaux français sont masculins ou féminins r
c'est là un fait incontestable et incontesté. L'imagination nationale a été

elles-mêmes une analogie avec l'un des deux sexes ;


jusqu'à ne plus concevoir de substances nominales que contenant en
de sorte que la

;
sexuisemblance arrive à être un mode de classification générale de ces
substances par rapport à cette notion taxiématique et générale, la
sexualité proprement dite n'est même plus maintenant qu'un cas parti-
culier.
Ce système n'est pas, nous le savons, spécial au français. La grammaire
comparée nous apprend même que loin d'être une sorte de fantaisie ou
d'invention puérile réservée à quelques langues seulement, il correspond
à une préoccupation constante et générale des langues les plus perfection-
nées, parlées par les peuples doués des facultés mentales les plus vives.
Pourquoi précisément les langues les plus élevées, pourquoi le français
a-t-il adoptécette comparaison constante plutôt que toute autre ? Quelle
est la loi qui préside à la répartition des substantifs nominaux entre les
deux physes du répartitoire ?
Un examen détaillé de la question peut seul nous fournir une réponse,
sinon définitive, du moins permettant de tirer la question de son obscu-
rité première, et de nous donner une idée générale intéressante sur la
signification du répartitoire de sexuisemblance.

303. genre » est la marque la plus ancienne de la substan-


— Le «
tivosité. A une époque où le substantif nominal tel que le connaît le
français d'aujourd'hui, était loind'être encore complètement dégagé,
le
« genre» était le seul signe de discrimination des substantifs et des
adjectifs. Tel était l'état latin. La déclinaison marquant le cas et le
Nombre était commune aux noms ayant le sens substantif ou le sens
adjectif. La seule différence taxiématique apparente entre ces deux caté.
gories, le seul moyen de les reconnaître l'une de l'autre, était que la pre.

comme :
mière avait un genre intrinsèque, la seconde non. Dans une phrase

Ratio aulem nihil aliud est, qtimn in corpus liumanum pars divini spiritus mena
(Sénèque.LettresàLuciliustLXVI).
seul le genre de corpus et de spiritus nous avertit que ce sont eux les
substantifs et que humanus et divinus sont des adjectifs. En effet, si
nous remplacions spiritus par anima, il faudrait faire passer divinus à
une autre flexion de genre, tandis que si nous changions divinus contre
cœlestis, spiritus n'en serait point affecté.
Dans bien des phrases françaises, tant que la nécessité absolue de la
présence de l'article ne s'est pas établie, le même état a pu se présen.
;
ter ex. :
Soventes feiz lor veit yranl dol mener
(La vie saint Alexis, 4n).
Moult ot fel!on cuer et amer
(Li romans de Dolopatlios, 9, 344).
Tu es à Paris, tu as ton preccpteur Epislcmon, dont l'un par vives el vocales
instructions, l'aullre par louables exemples, te peut endoctriner.

De même dans de nombreuses expressions proverbiales comme


Bonne semence fait bongrain
:
(Habelais, II, 8, Tome 1, p. 215).

Et bons arbres portent bons fruits


(Bible Cuyot, 140. Xlll* S. Apud Leroux de l.incy,
Livre des Proverbes Jrançais. SérieNo tl).
On n'aura ja bon asne vieulx.
(Proverbe du XS. apud ibid)
Petite brebielle toujours semble jeunette.
(Gabr.NUuni» r. Trétor des Snilfllces. XVie S. Apud ibid.)
où de nos jours encore, la langue est restée archaïque et garde la sexui-
semblance comme seule distinction entre le substantif et l'adjectif ;
ex. : Faire contre mauvaise fortune bon cœur.
De plus, même dans le cas général, celui où le substantif nominal est
précédé d'un article, celui-ci est dans la plus stricte dépendance de son
épidecte. En effet si l'on peut dire que l'article confère l'assiette et con-
tribue à la collaboration de la quantitude, il n'en va pas de même pour
la sexuisemblance.
Dans l'expression de celle-ci, l'article joue un rôle purement passif.
En somme, l'article ne subit aucun accord d'assiette, puisque c'est lui

qui sans lui en serait dépourvu ;


qui est expressément chargé de conférer l'assiette au substantif nominal,
il ne subit d'accord de quantitude que

;
partiel, puisqu'il y a une partie — et la plus moderne — du répartitoire
de quantitude que lui seul peut exprimer mais il subit un accord total
et passif dans le domaine de la sexuisemblance, car une sexuisemblance
donnée est invariablement attachée à la nature de l'espèce substantielle
dont le substantif nominal est le sémiorne. Mais il en est souvent la
seule marque extérieure. En effet, sauf un assez petit nombre de subs-
tantifs corrélativement masculin et féminin l'un de l'autre, la forme
d'un substantif n'indique que bien rarement sa sexuisemblance.
Les formes des langues anciennes (thèmes et flexions) étaient souvent
attachées à l'un des genres. A mesure que la déclinaison a disparu pour
faire place au système actuel d'articles et de prépositions, l'importance
des désinences a diminué. La sexuisemblance est bien encore dans le
substantif, mais rien ne l'y désigne, de sorte qu'en dernier lieu, c'est
l'article qui est la seule marque d'une sexuisemblance contenue séman-
tiquement dans le substantif nominal.
Tout autre adjectif d'ailleurs subirait le même traitement et jouerait
le même rôle, ce qui montre bien que l'article n'a ici aucune action
propre. Même lorsqu'il introduit des équivalents ou des convalents
substantivpux, il n'est pas possible de dire que c'est lui qui leur confère
la sexuisemblance. Elle leur est donnée en dehors de lui par l'acte mental
qui conçoit la substantialité. Lorsqu'on substantive un adjectif nominal
dans des expressions telles que le vieux, un vieux, la substance est cons-
tituée d'une part par la conception de la qualité de vieillesse comme
distinctive d'un être dont elle est le caractère connu et reconnaissable,
d'autre part par la sexuisemblance de cet être. La sexuisemblance peut
subsister indépendamment de l'article dans les conditions ordinaires
où un substantif nominal pourrait se passer d'article (p. ex. des gestes
de petit vieux). Bref, l'article reçoit la sexuisemblance et ne la confère
pas.
Le substantif nominal n'est pas la seule essence logique sensible au
rrpartitoire de sexuisemblance. Le substantif strumental est également
affecté par lui, ainsi que les adjectifs de toutes classes, et même que
certaines formes complexes du verbe (p. ex. les passifs). Mais il y a
une grande différence dans la manière dont ces diverses essences se com-
portent sous ce rapport.
Dans le substantif nominal, la sexuisemblance est une propriété fon-
damentale inséparable du concept envisagé, invariable, indépendante de
tout élément extérieur, faisant partie du sémantisme même du vocable.
C'est le séinième de chaque substantif nominal qui est masculin ou
féminin.
Le substantif nominal ne reçoit pas la sexuisemblance ; il la commu-
nique. s
Toutes les qualités en effet qu'une substance est apte à s'attacher sont,

strumental ou verbal, prend la teinte sexuisemblantielle du substantif


c'est en quelque sorte une manière de s'unir à lui plus étroitement, de
:
fin français, sensibles à sa sexuisemblance. L'adjectif, qu'il soit nominal,

faire de son propre sémième l'accessoire et le prolongement de celui de

; ;
son réceptacle. L'adjectif a une aptitude à la sexuisemblance et non une
sexuisemblance propre il reçoit toujours celle qu'il revêt et des tours
?
tels que : « Etes-vous forte Je le suis M, montrent qu'il ne la commu-
nique pas.
Rappelons la distinction que nous avons faite des vocables en pri.
maires et secondaires (cf. § 123). Les substantifs primaires sont ceux
formés par création ou par emprunt, les substantifs secondaires sont
ceux formés par dérivation, c'est-à-dire par l'association d'un sénÜème
et d'un péxième. Dans une telle combinaison, la sexuisemblance est
déterminée par îe dernier des membres de l'association.

;
Si le péxiome est un préfixe, la sexuisemblance est celle du sémiome
qui le suit si le pexiome est un suffixe, c'est la sexuisemblance de ce
suffixe qui l'emporte. Il résulte de cette constatation que les substantifs
secondaires à préfixes suivent la loi des substantifs primaires dont ils
dérivent, et qu'au contraire les substantifs secondaires à suffixes reçoi-
vent la sexuisemblance inhérente à leur suffixe. Le problème de la dé-
termrnaition de la sexuisemblance se pose donc directement : 1°. — Pour
les substantifs primaires ou à préfixes, 2°. — pour les suffixes formateurs
de substantifs, qui devront être considérés à ce point de vue comme
assumant toute la force substantive.
304. — Qu'est-ce en somme que la sexuisemblance ? Pourquoi est-
?
-elle dans la langue
D'après certains, elle est le résultat d'un simple accident phonétique
« Les morphèmes du genre naturel, dit M. Brugmann (1), ne dési-
:
«gnaient pas au début uniquement les sexes, et ce n'est pas à la suite
:
«d'une sorte de transposition poétique des qualités masculines et fémini-
« nes des êtres vivants aux choses qu'ils ont pu s'étendre
;
ce point paraît
« certain. Pour le neutre, un passage de ce genre est a priori exclu le
«rapport de neut. - o - m à masc. nom. - o - s, acc. - o -m
«.montre que la forme en - o - ni n'a exprimé à l'origine qu'une atti-
«tude passive et inerte de l'objet désigné par le nom. De même par
«, rapport au masculin, c'est aussi une sorte de déchéance ou de recul de
«l'individualité de l'idée exprimée par le substantif que marquaient à
« l'origine - a - et - (i) ië - (cf. jugÓ m- et * juga dans le même
«paradigme). Les morphèmes ne sont devenus caractéristiques du sexe
;
« féminin que dans un nombre de cas relativement petit et cette exten-
« sion vient très probablement de ce que, dans tel ou tel substantif formé
h au moyen de ces morphèmes et désignant un être femelle, chez qui cette
« signiûcattion, comme par ex. dans mater, existait déjà de par la racine,
« la signification a réagi sur le morphème, comme par ex. gr. yuvrç,
« got, qino, v. sl. zena, etc (« femme ») ou cela vient de ce que des mots
« comme elîuâ - « jument », mlq Vié - « louve » avaient primitivement
;
« un sens collectif ou abstrait et ont pris dans la suite le sens de l'indi-
« vidu femelle correspondant à l'individu mâle ou enfin les deux cau-
a ses ont agi à la fois. Ensuite se sont produites encore des innovations
(J) K. Brugmann. Abrégé de grammaire comparée des langues inde-européennes,
Trad. française § 439.
analogiques de différentes sortes, portant particulièrement sur la for-
«
« me ;
dans la relation d'épitliète et de prédicat, les noms et les pro-
noms, les substantifs et les adjectifs ont été assimilés quant à leurs
«
«
morphèmes. Dans l'adjectif se sont établies d'abord sans doute les for-
mes en -a comme neiiâ et sa comme formes propres au genre féminin,
<(

(,
et cela en premier lieu dans les cas où le substantif lui-même auquel
l'adjectif était attribué était un thème en -d. »
«
l ne telle explication, donnant une valeur énorme aux phénomènes
d'irradiation, devait, semble-t-il, avoir de quoi séduire Michel Bréal, qui
a montré le premier toute l'importance de ces phénomènes. Mais l'illus-
tre linguiste, plus soucieux de la vraisemblance que du brillant des théo-
ries linguistiques, ne s'est pas rallié à celle-ci. C'est au contraire à
ce pro-
pos qu'il dénonce le danger des explications « passe-partout ». On est trop

allant l'appliquer à des domaines où la chose n'a que faire et Bréal ne


pense pas que l'inspiration de M. Brugmann ait été heureuse à ce pro-
;
souvent tenté d'étendre à l'excès ce qui a éclairci un domaine donné en

pas
« à
: « Nous ne voulons pas nier, dit-il (2), que le phénomène qu'il place
l'origine de son développement [du genre] ne soit un fait dont il
« existe
réellement des exemples dans nos langues. Il arrive effectivement
«qu'un suffixe, par sa présence dans certains mots d'un sens bien carac-
«térisé, contracte à la longue quelque chose de ce sens. Mais c'est là,
« quelque prouvé qu'il soit, un fait d'importance secondaire, qui n'a ja-
des conséquences bornées. Comment l'erreur causée par
« mais eu que
«quelques mots aurait-elle pu produire une déclinaison féminine »
Ainsi Bréal se refusait à considérer un phénomène aussi fécond dans le
?
domaine vocabulaire comme capable d'engendrer un répartitoire aussi
général que celui de sexuisemblance. Et ce qui corrobore son opinion,
c'est le fait que, si la sexuisemblance n'existe que dans un nombre res-
treint de langues, le genre, basé sur une classification ou sur une autre
existe dans un nombre considérable de langues comme nous le verrons
au § 306. Les grammairiens de jadis, qui n'avaient pas les mêmes moyens
d'investigation que les savants actuels, paraissent pourtant avoir rencon-

classement des substances inhérentes à l'esprit humain :


tré beaucoup plus juste quand ils voyaient dans le genre une nécessité de
« Il était assez
« naturel, dit Beauzée (3), de partager. les noms en un certain nombre
« de classes, distinguées entre elles par la différence des natures qui
« constituent l'idée détermmatrve des noms. » Basée sur quelque analto"
gie que ce soit, la quantité et la diversité de ces classifications exclut, à
l'origine, toute explication d'origine phonétique.
305.
— Une seconde hypothèse serait que, après avoir joué ou non un
rôle dans la lointaine mentalité des peuples primitifs, le répartitoire de *
sexuisemblance se fût transmis mécaniquement, à l'état de simple sur-
vivance, dans les langues arrivées à un état plus complet d'évolution la
:

(2) Mémoires de la Société de Linguistique de Paris, Tome VU.


.(a) Beauzée.Grammairegénérale. III,V,I.
répartition des substances asexuées dans les physes masculine et fémi.
nine serait un mode de classement hérité des anciens âges, mais actuelle.

tion serait purement et simplement d'ordre historique ;


ment dépourvu de toute vie réelle dans l'esprit des locuteurs. La ques.
l'origine du
substantif ou l'influence de la forme ou du sens expliquerait tout. C'est
à cette manière de voir que se rallie M. Nyrop quand il dit (1) : « Ce fait
« très simple, très naturel, n'a pas contenté tout le monde, et on s'est
« livré à des spéculations philosophiques ou plutôt à des rêveries qui
« n'ont rien à voir avec la science. » Cette phrase vise surtout M. Raoul
de la Grasserie qui a exposé des idées générales sur la sexuisemblance
dans une étude parue dans la Revue Philosophique de France et de
l'étrange,. sous le titre de : Idée de sexualité dans le langage (2).
Certes, il est tout à fait légitime pour un historien de la langue fran-
çaise de tâcher d'exposer tous les faits d'un point de vue historique. Les
romanistes comme M. Nyrop prennent pour point de départ fixe le latin,
Mais partir du latin est, en l'espèce, se placer à une époque bien cam.
mode pour donner de la sexuisemblance française une explication histo-
rique sans pourtant résoudre ni même aborder le véritable problème psy-
chologique que pose le « genre » tant en latin qu'en français.
Nous saisissons ici la première occasion que nous avons de montrer
l'insuffisance de la méthode historique. Précieuse dans bien des cas, elle
est pourtant impuissante à tout expliquer, et n'est pas fondée à préten-
dre absorber toute la linguistique. En effet, choisir une époque donnée
comme origine des temps est toujours chose arbitraire. Et si les faits de
cette époque, au-delà de laquelle les documents historiques ne permettent
souvent pas de remonter, ne nous donnent pas la solution d'un problème,
ce n'est pas ailleurs que dans le langage vivant de maintenant, au mi-
lieu du psychisme duquel nous nous mouvons, qu'il faut rechercher, par
une méthode analytique, des éclaircissements complémentaires. Rappe-
lons-nous d'ailleurs, qu'il n'a pas suffi au français d'avoir reçu du latin
le genre, mais qu'il lui a fallu de plus, et cela exige un bien plus grand
effort, le conserver et le transformer pour en faire, par l'élimination du
neutre, le répartitoire actuel de sexuisemblance.
306. — Au surplus, à supposer même que la loi d'irradiation, l'ana-
logie, ou tout autre mécanisme étymologique permissent de rendre
compte, dans chaque cas particulier, des causes qui ont fait classer tel
substantif comme masculin, tel autre comme féminin, ce procédé simple-
ment historique, serait encore absolument impuissant à nous rendra
compte de la nature actuelle et du rôle actuel du répartitoire de sexui-
semblance dans le français actuel.
Nous ne saurions trop répéter que le langage étant avant tout psychi-
que, ses problèmes, quels qu'ils soient, même les plus matériels de la
phonétique la plus brute, se posent sur le plan sémantique et ne se posent

(1) Nyrop. Grammaire historique de la langue française. Livre VIII, chap. I.


(2) Apud Nyrop, ibidem..
;
vraiment que sur celui-là. Tout ce qui se dit a un sens aucun phéno-
mène linguistique n'existe, ne se maintient, ne se transforme ou ne
disparaît que pour une raison sémantique. Vouloir expliquer un fait de
parole, quel qu'il soit, en faisant abstraction de sa valeur d'idée est une
lourde erreur.
La sexuisemblance existe en français. Elle a dans le parler, donc dans
la pensée, de chaque Français un rôle de tout instant. Savoir comment
Kl ou tel substantif se trouve être féminin ou masculin est un problème
secondaire. Le problème essentiel, le problème sémantique est de savoir
ce qu'est pour le
psychisme du locuteur français la sexuisemblance, pour-
quoi son langage comporte du masculin et du féminin, et ne comporte
pas d'autre classement général des substances prises en soi.
C'est pourquoi, tout en reconnaissant l'intérêt de la méthode histori-
que lorsqu'il s'agit d'entrer dans le détail des faits, nous la croyons par
définition impuissante à nous donner une réponse générale, et nous
n'écarterons pas a priori les suggestions apportées, après Bescherelle (1)
et nombre d'anciens grammairiens, par M. Raoul de la Grasserie. "Leur
théorie commune est, en somme, que notre répartitoire a conservé une
valeur actuelle et vivante.
« La catégorie grammaticale du genre »,
dit M. L. Adam (2), « s'en-
«
tend de l'ensemble des phénomènes par lesquels se manifeste dans le
langage, un concept ontologique primitif qui est la division en plu-
(i

:
«sieurs classes, de la masse des noms représentant tes divers êtres. On
«distingue dans telle langue, un genre animé, et un genre inanimé,
J( parce
;
qu'à l'origine, les êtres ont été classés par tel groupe humain en
«vivants et en non-vivants dans telle autre langue, un genre andrique
«et un genre métandrique, parce que tel autre groupe a réparti primi-
«tivement les êtres en deux classes dont l'une comprenait les hommes,
;
«tandis que l'autre se composait des femmes, des animaux des deux
«sexes et des choses proprement dites dans une troisième langue, un
:
«genre masculin, un genre féminin et un genre neutre parce que les
«ancêtres ont partagé les êtres en trois classes les êtres mâles, les êtres
«femelles, les êtres sans sexe. »
Selon le même auteur, toute classification analogue fait défaut
Océanie, chez les Papous, les Négritos, les indigènes australiens, et dans
:en
les idiomes malayo-polynésien's ; en Asie : en chinois, dans les idiomes

CIl mandchou, en japonais, dans les idiomes finno-ougriens ;


hppevboréens. à l'exception du kotte, en turc, en mongol, en tongouze,
en Afrique
et en Amérique, dans un certain nombre des idiomes y parlés.

; : :;
Connaissent (3) au contraire des classifications de genre en Amérique,
un certain nombre d'idiomes en Océanie, le polynésien en Afrique,
un grand nombre des idiomes y parlés les idiomes chamito-sémitiques,

(1) Bescherelle aîné et jeune et Litais de Gaux. Grammaire nationale, §§ X. sqq.


(2) L. Adam. Le
genre dans les diverses langues, 1883.
;
W) L. Adam. Loc. cit.
A. Meillet
voir aussi Les Langues du Monde, sous là direction de
et de M. Cohen, passirn.
ceux du Soudan et de la Guinée, le bantou, le hottentot ; en Asie, les
;
idiomes tchétchénolesghiens, le mundâ, le mon-khmer, l'annamite, les
idiomes sémitiques et dravidiens en Europe, le basque et les idiomes
indo-européens. -

Il y a lieu tout d'abord de remarquer que les langues à qui tout réparti-
toire de genre fait défaut, ne peuvent pas faire rentrer la notion des sexes
naturels dans leur système taxiématique : il est absolument stupéfiant
pour un Français, quand il examine une grammaire ou un lexique bon-
grois" de voir que « lui » se dit de la même manière que « elle », que
rien ne permet d'évoquer un sexe que l'emploi exprès d'un terme nomi-
nal dans le sémième duquel soit incluse l'idée de mâle ou de femelle,
comme si l'absence de « genre » dans ces langues était réellement due
non à un manque d'aperception des sexes puisque l'idée en est sémiéma-
tiquement exprimée, mais à une négligence à l'égard d'une différence
sur laquelle la plus grande partie de notre vie sociale, artistique et litté-
raire est basée. Les Hongrois, qui se vantent que la flexibilité de leur
langue leur permet de traduire littéralement les nuances les plus fines des

:
littératures étrangères ne possèdent même pas de mots simples pour
traduire ce titre d'un roman bien connu Elle et lui (4).
Examinons maintenant sur des exemples concrets toujours d'après les
indications de M. Adam, les diverses notions auxquelles peut répondre
le « genre », conçu comme nous venons de l'indiquer, dans les langues
qui en sont pourvues..

; :
L'iroquois a deux genres l'andtique, qui comprend les hommes et
les dieux le métahdrique, qui comprend les femmes, les animaux,
mâles et femelles et les choses proprement dites.
Le caraïbe divise les substantifs d'une manière un peu différente. Ses
genres sont le masculin ou arrhénique qui comprend tout ce qui est
mâle, et le neutre ou métarrhénique qui comprend tout ce qui ne l'est
pas, c'est-à-dire cequi est femelle et ce qui n'a point de sexe.
Le poul place dans dans un genre anthropique les hommes et les fem-
mes, dans un genre métanthropique les animaux mâles et femelles et
les choses.
D'autres langues distinguent l'animé et l'inanimé.
En nahuatl, la notion vitaliste du genre se complique de la division

; :
des êtres vivants en deux groupes suivant qu'ils sont ou non doués de
raison et d'intelligence d'où trois genres l'animé rationnel ; l'animé
irrationnel, l'inanimé.
En algonquin, il y a également distinction entre le genre animé et le
genre inanimé. Mais dans l'animé, on place, outre les animaux, les ar-
bres, les pierres, le soleil, la lune, les étoiles, le tonnerre, la neige, la
glace, le blé, le pain, le tabac, le traîneau, le briquet, etc.
« Cette distinction
générique est, dit M. L. Adam(5), absolue et fon-

(4) Cf. I. Kont. Petite grammaire hongroise. 1908. Docteur Jules Theisz. Dietiortnoire
français-hongrois. Budapest, 1902.
(5) L. Adam. Loc. cil. Nous lisons dans le même ouvrage : « Dans les idiomes <
« la famille bantou, les êtres ont été divisés en un nombre de classes qui
vane
1-
(il,
damentale, car elle régit le pluriel des noms, l'expression de la poses.
«
((
sioii, les pronoms démonstratifs, les verbes et les adjectifs. »
Les langues dravidiennes possèdent le genre animé et le genre inanimé

:
ft subdivisent le groupe animé en masculin et féminin. Mais ce double
répartitoire n'y paraît pas très ancien le Révérend Robert Caldwell met
ce
développement morphologique de l'expression du sexe, non sur le
compte d'une influence aryenne, mais sur le compte d'un progrès men-
tal des Dravidiens eux-mêmes ; il est pourtant très possible que l'influen-
ce du
sanscrit et du prâcrit se soit fait sentir chez des peuples qui

religion ;
paraissent avoir emprunté aux Aryens de l'Inde leur civilisation et leur
ce qui tendrait à le prouver, c'est que la nouvelle répartition
qu'ils connaissent ne paraît pas seulement sexuelle, mais sexuisemblan-
ticlle : c'est ainsi que chez les gens instruits, les mots tamils sûriy-an
et sândir-an (le soleil et la lune) sont, conformément à leur étymologie
«anscrite du genre masculin (6).
Les langues slaves, qui, comme toutes les langues indo-européennes,
connaissent la division en mascuUn-féminin-tieutre, ont d'autre part une
dhision en animé et inanimé, qui a son maximum d'extension en russe,
mais qu'on rencontre aussi en tchèque et en serbe (7).
Or, le neutre des langues indo-européennes paraît avoir répondu origi-
nellement à la conception de l'inanimé. Telle est l'opinion de Bréal qui
:
écrit « L'existence du neutre », quoique moins développé que les deux
autres genres, « montre que les ancêtres de la race avaient conçu, à côté
de la division sexuelle, une autre division reposant sur le principe de

:
«

« la nature animée ou inanimée (8). » Il semble donc que dans les lan-
gues slavës se produise une reformation du neutre le neutre historique
était devenu insuffisamment significatif, et beaucoup d'objets inanimés se
trouvant masculins et féminins, il se reforme, sous le nom d'inanimé,.

«doiizo a seize, et cette division produit des effets grammaticaux pratiquement sem-
«blahles à ceux de la catégorie du genre. Les noms y sont invariablementl affectés
"cie préfixes indiquant la classe à laquelle ils appartiennent. A ces préfixes corres-
«pondent, autant de pronoms de la 3c personne, autant de pronoms relatifs, autant
fl';i(ljectifs possessifs, etc. Il
Mitrp. chose que des idées de genre
envisagées.
;
D'ailleurs, comme le fait plus loin remarquer l'auteur, il y a dans cette classification
des différences de nombre y sont également
(6) Caldwell. A comparative grammar of the dravidian languages. 2e éd. 1875,
Part. III, section I, 1.

Ouyéviteb. Petite grammaire p.


(7)Fuchs. Grammaire russe, 21. — Mazon. Grammaire tchèque, § 26. — Lanux.
Grammaire
et serbe, p. 10. — Maillet et Mme Willmann Grabowska.
Polonaise §§ 41 et 90. En polonais, la distinction indiquée Ici ne touche
"nthropique-mêtanthropique. Cf. à ce sujet
h""? la déclinaison polonaise, 1918.
gloires —
:
1ue le masculin singiilier, le masculin pluriel connaît une distinction spéciale en
Konrad Drwiecki. Le genre personnel
Entre les mains des peuples cultivés, les répar-
en apparence les plus illogiques peuvent donner des nuances intéressantes.
'Iesl. ainsi
que, grâce a son répartitoire anthropique,métanthropique, du masculin
Purinl (Meillet et Mme Willmann-Grabowska, loc. cit., § 41,
p. 29), le polonais peut,
sans ('quivoque, employer le même mot
que) ot celui de
Czechi (les son pays (pluriel métanthropique). Ex. : Nom pluriel anthropique
Tchèques). Nom pluriel métanthropique : Czechy (La Bohême). — A rappro-
:
pour le nom d'un peuple (pluriel anthropi-

cher 'e télugu et le gônd qui, à l'opposé dés autres langues dravidiennes, mettent le
féminin singulier
au genre inanimé aussi bien s'il s'agit de reines ou de déesses que
.} tînmes ordinaires (Caldwell, Loc cit.).
(8) Mémoires de la
Société de Linguistique de Paris. T. VII.
une sorte de nouveau neutre qui reprend tout le sémantisme d'inerte
que le neutre avait, aux yeux des Slaves, laissé perdre.
Cette simple énumération des différentes répartitions de « genre » dans
diverses langues prouve, ainsi que nous l'avons dit au § 304, que la con.
ception des genres n'est pas accidentelle, mais est inhérente à une gran-
de quantité de groupes mentaux humains. L'hypothèse d'une valeur
significative ancienne de tels répartitoires nous paraît donc hors de doute.
Il est certain, d'autre part, que quelle que soit la valeur actuelle de ce

:
répartitoire dans le sentiment linguistique du français, l'ancien réparti,
toire indo-européen en est la source c'est un point qu'il faut accorder
sans réserve aux partisans de la doctrine soutenue par M. Nyrop et les
autres linguistes qui partagent cette opinion.
307. — Ce point acquis, demandons-nous quel sentiment actuellement
vivant anime le répartitoire de scxuiserriblance du français.
La sexuisemblance çst en somme une qualité première de la substance,
inséparable de cette substance, inhérente à elle, apport permanent et es-
sentiel qui la caractérise.
Cette propriété fondamentale, le locuteur la conçoit par rapport à lui-
même, à la propre conception qu'il a de soi en tant que prototype des
autres substances. Quel que soit le système de genre utilisé, le locuteur
met à la base de sa classification lui-même et le groupe des êtres qu'il
suppose semblables à lui-même, et il y oppose les autres groupes par une
sorte d'inférence sur leur psychisme. Pour concevoir les êtres du monde
extérieur comme des substances, il leur imagine une âme ou une ma-
nière d'âme.
La répartition des substantifs français en masculins et féminins nous
indique que le critère que le locuteur adopte pour classer les substances
en semblables à lui et dissemblables à lui, c'est sonpropre sexe. L'im-
portance du sexe dans les relations entre les êtres humains est telle qu'une
pareille répartition n'est pas pour nous étonner.
Cette répartition n'a évidemment pas un caractère purement intellec-
tuel. Elle a quelque chose d'affectif. C'est que l'affectivité ne peut jamais
être bannie de l'activité mentale. Il y aurait même danger à vouloir l'en
bannir tout à fait. L'anglais croit posséder une classification plus réaliste
des substances parce qu'il a des genres correspondant exactement aux
catégories mâle, femelle et chose. Mais lui-même ne peut accepter tout a
fait cette règle qu'il s'est donnée. La littérature et même le simple lan-
félni.
gage courant ne se refusent pas à attribuer les genres masculin ou
nin, même à des choses inanimées. On dit couramment, en parlant dun
paquebot : « She is arrived ». Les Américains appliquent la même forme
en parlant d'une automobile. Nous lisons dans The Chicago Tribune,
7 août 1918 :
Our Couutrytln lier inlcrcoùrsc wilh loioign nations niaysliealwayslu'111
;
the riglit but our country right or wrong.
(Stephen Dccalur).
Les exemples littéraires abondent. Citons (1) :
Tiie jasmine. tlirowing wide her élégant sweets (Coopel).
(Le jasmin, répandant au loin ses élégantes senteurs).
Kcmenibrance wakes wilh iill her busy hain (Goldt'Ulitb).
(La souvenance s'éveille avec tout son cortège aliairé), etc.
L'anglais paraît donc avoir non pas perdu, mais négligé ses genres et
ainsi créé une sexuisemblance plus sémiématique que taxiématique. En
réalité, les substantifs y conservent toujours dans leur sémième l'apti-
tude sexuisemblantielle et évoquent pour l'esprit quelque chose de va-
guement mâle ou femelle.
Le neutre des langues anciennes n'était pas un neutre rationnel, intel-
lectualisé comme le prétendu neutre de l'anglais. Il constituait véritable-
ment une troisième physe à côté du masculin et du féminin. Mais il pa-
raît avoir été arrêté dans son développement. Le grec et le sanscrit em-
ployaient avec un sujet pluriel neutre un verbe au singulier (2). Les lan-
gues romanes, les langues brittoniques et gaëliques ont renoncé au neu-
tre. Il semble en somme que, du moins dans nos civilisations européen-
nes, l'on tende à se borner à un système purement sexuisemblantiel, en
somme plus cohérent, puisqu'appliquant partout la métaphore de sexe.
Le français n'hésite pas à tout personnifier. 11 a banni le neutre et tout
ce qui pouvait lui ressembler. Et la langue marche de plus en plus déli-
bérément dans cette voie. C'est ainsi que les prescriptions qu'on lisait
naguère dans les grammaires classiques, et qui prescrivaient de rempla-

:
cer son, sa, par en quand il s'agissait d'objets sans vie et qu'on chan-

:
geait de proposition (Exemple
commodités » ; et non
J'ai visité cette maison, j'en apprécie les
« J'apprécie ses commodités ») ne répondent
plus à rien dans la langue actuelle, qui les ignore. De même, les différen-
ces d'ordre lexicographique qu'on faisait entre des parties du corps ou

;
(bouche, gueule ;
des fonctions semblables, selon qu'il s'agissait d'hommes ou d'animaux
mourir, crever, etc.) tendent à s'effacer de plus en
plus les seconds termes prennent une acception basse et péjorative, tan-
dis que l'usage des premiers s'étend.
Le haut-allemand parait conserver avec plus de soin ces mêmes diffé-
rences : manger par exemple s'y dit essen en parlant des gens, et fressen
en parlant des bêtes. Et ces puérilités, fort observées, nous assure-t-on,
dans l'usage courant, n'étonnent qu'à moitié de la part d'un peuple qui a
conservé l'antique système du genre à trois physes.
Ainsi définie, considérée comme une métaphore de tous les instants et
non comme une division positive des êtres, la sexuisemblance peut être

Lugné-Philippon. The new english grammar. 2e éd., 1911, p. 32.


(1)
W « Les formes en -a », dit M. Brugmann (loc. cit.) « ne sont originairement ni
des collectifs singuliers ni des collectifs pluriels, mais simplement des collectifs
«qui, suivant les besoins, ont pris tantôt la valeur du singulier, tantôt celle du plu-
' ricl ». C'est ainsi qu'il explique qu'en indo-iranien et en grec, le neutre pluriel se
Prosente lié avec un verbe au singulier. Qu'on adopte cette séduisante explication sur
origine du neutre pluriel ou qu'on voie dans tout le neutre un genre ontologique
ancien, le fait de ne pas avoir établi postérieurement l'accord du verbe montre, dans
les langues anciennes les plus cultivées,
doute à la tendance précoce de une indifférence à l'égard du neutre, liée sans
ces langues à passer du genre à la sexuisemblance.
dan
étudiée comme moyen expressif et il sera intéressant de voir
quelles conditions la langue s'en sert.
Nous avons accordé sans réserve à M. Nyrop que tout notre matériel
générique nous venait des temps passés, mais ayant montré quelle diffé
rence séparait le genre de la sexuisemblance, nous devons accorder
M. Raoul de la Grasserie et à ses prédécesseurs que la langue ne porte pas
la sexuisemblance comme un poids mort.
C'est à partir du moment où la sexuisemblance a remplacé le genre
trois physes que nous pouvons dire avec M. de la Grasserie (3) :
« On masculinisera les objets et les êtres qui sont supposés posséder
les qualités viriles et on féminisera les autres (4). »
et avec l'abbé Sicard (5) :
« De cette distribution est né le précieux avantage de tout
animer dans
« la langue, comme tout est animé dans la nature, et cet avantage, non
(t moins grand, de
répandre, dans le discours, les charmes de la variété

;
« d'où naissent les grâces et l'harmonie du style, »
Retenons cette remarque elle est juste et profonde. La métaphore est
essentielle au langage. C'est par elle que l'univers, au lieu de demeurer
pour nous un immense passif centré, sur notre unique réalité, s'est peu
plé d'activités indépendantes, dont la nôtre n'est qu'une au milieu d'au.
tres. Le langage est un fait de psychisme social.
Comme nous l'avons dit aux §§ 274 et 275, la métaphore de sexe prend
une telle importance qu'elle paraît conférer à elle seule une individualiti
substantielle particulière aux substantifs qu'elle touche.
Princesse est, en vérité, un vocable différent de prince.
La sexuisemblance est tellement nettement une comparaison avec 1
sexe que les vocables français féminins en arrivent à ne pouvoir au figure
être comparés qu'à des femmes. D'où de curieux phénomènes morpholo.
giques comme le suivant :
une hypothèse de travail aimable et commode, d'ordinairesans danger
parce qu'elle ne prend personne en traîtresse.
(Joliannet. Eloge du Bourgeois français, ch. IV, p. 108).
Parce que l'hypothèse, être féminin, ne peut être qu'une traîtresse el

non un traître.
avantl
308. — De cette étude, nous croyons donc pouvoir conclure, —
d'entrer dans l'étude particulière des divers critères de classement des
substantifs nominaux en masculins et féminins, — que la sexuisemblance

(3)Loc.r,it. 1.

(4) C'est bien, ce feuillage 1 C'est vaporeux. Ça doit être féminin.


Je ne sais pas comment ça s'appelle, mais ça doit être du féminin.
(Un jeune Français d'environ 25 ans, à l'Hôtel Cosmopolitain, à Cannes, le
31 décembre 1921).
(5) Abbé Sicard. Eléments de grammaire générale appliquée à la langue français-
(Première partie,chap.UI.
temps
a

:
st en français contemporain un répartitoire profondément vivant, que
langue introduit hardiment dans ses formations les plus récentes.
Et voici l'idée générale qu'il nous est permis de nous faire sur la signi-
cation de ce répartitoire par le sentiment linguistique français d.s notre

Ladivision des espèces substantielles nominales en masculines 6't fémi..


nines équivaut en somme, pour chacun des deux sexes, à une division des
choses en semblables au locuteur et en dissemblables de lui. Mais les
choses semblables à un locuteur mâle seront précisément les dissembla-
bles d'un locuteur femelle. Il faut donc bien, quand le locutif, repré-
sentant délocutoire du locuteur, s'assimile une qualité, c'est-à-dire une
chose d'ordinaire délocutive, qu'il fasse prendre à cette qualité position
dans la notion du semblable à lui ou du dissemblable de lui. C'est
pourquoi il faut que les adjectifs qui s'épinglent au locutif prennent la
sexuisemblance semblable au sexe du locuteur, ceci sans préjudice de
la nature non sexuisemblantielle du locuteur en tant qu'il est pure-
ment subjectif. Ex. :
1- Ah ! je me sens pardonnée ! dit-elle
(H. île Balzac, Un ménagede garçon, Œuvres, t. VI, p. 307).
Margot. - Je suis prêle.
(G. Courteline et P. Wolff. La Cruche, Acte 1, Se. XI).
En somme, dans le rapport de parole entre le locuteur et l'allocutaire,
c'est la question de sexe qui, comme dans tous les autres rapports sociaux,
est primordiale pour les interlocuteurs. Mais dans notre civilisation essen-
tiellement amoureuse de la métaphore, mode d'expression vivant et fé.
cond, toutes les choses du monde extérieur apparaissent comme suscepti-
bles de passer au locutif ou à l'allocutif, de devenir des personnes. C'est
cette personnalité qu'exprime la sexuisemblance, en rangeant les choses
en deux compartiments que le locuteur conçoit respectivement l'un com-
me contenant ce qui est semblable à lui, l'autre ce qui en est dissembla-
ble. La sexuisemblance du substantif nominal est donc la transposabilité
dans le monde intérieur (personnalité) dont jouissent les éléments du
monde extérieur.
Elle fonctionne donc comme le correctif de la délocutoriété quasi per-
pétuelle de notre langue actuelle. Sur le plan délocutoiré, le locutif et
l'allocutif représentent en effet la transposabilité dans le monde extérieur
(chosalité) dont jouissent les deux éléments du monde subjectif, locu-
teur et allocutaire. Dans une langue assez intelligente pour avoir réduit
liu minimum, dans ses modes d'expression, les brumes dela locutoriété,
la sexuisemblance représente la part nécessaire du sentiment poétique et
esthétique, voire religieux. Elle fait revêtir à ce sentiment une forme sous
laquelle il
ne peut plus nuire aux précisions intellectuelles, mais qui en
même temps l'introduit à chaque instant dans le langage, qu'il anime et
qu'il vivifie. Sans revenir le moins du monde à la locutoriété initiale, elle
prête du moins aux diverses parties du monde délocuté les qualités de
vie qui ne se rencontrent de façon directe que dans les deux termes (locu.
teur et allocutaire) de cette locutoriété (1).
309. — Nous considérons désormais comme admis que le répartitoire
de sexuisemblance est le mode d'expression de la personnification des
choses.: Mais comment la langue procède-t-elle au placement de chaque
chose dans la métaphore masculine ou la métaphore féminine ?

nos investigations :
Tout d'abord, une considération générale doit dominer l'ensemble de

Le masculin, avons-nous dit, est la physe indifférenciée du répartitoire


de sexuisemblance. En d'autres termes, seront classés dans le masculin
non seulement les substantifs nominaux dont le sémième se teinte, pour
une raison quelconque, d'une idée de masculinité, mais d'une manière
générale tous ceux qu'une cause particulière ne fait pas classer ou main-
tenir dans le féminin.
Toute une série de faits viendront, au cours des paragraphes qui sui-

:
vent, corroborer l'énoncé de ce principe. Mais il nous apparaît dès

;
l'abord sous la forme de la loi grammaticale bien connue le masculin
l'emporte sur le féminin en d'autres termes, lorsqu'un vocable
sensible au répartitoire de sexuisemblance doit s'accorder avec plusieurs
substantifs nominaux de sexuisemblance différente, il se met à la phase
masculine.
Il est aisé d'apporter de nombreux exemples de cette règle :
pour les bonnes sentences, propos et dilz naturelz et moraulx qui dedans sont
mis et inserez.' ;,
(Clément Marot. Préjace du Roman de la Rose, édition de 1527, apud l'édition
Méon, Tome I, p. 40).
:
J'ay passé plus avant les arbres et les plantes
Sont devenus chez moy créatures parlantes.
(La Fontaine, Fables choisies (H, 1). Contre ceux qui ont le goust difficile).
Clairville et Rosalie s'étaient flattés de vous avoir pour témoin de leur mariage.
(Diderot. Le Fils naturel ou les Epreuves de la vertu, 1, 2).
Avant que la balle, la bannière etl'anneau fussent arrivés, le duc Guillaume
assembla, en conseil de cabinet, ses amis les plus intimes, pour leur demander
avis et secours.
(\ugustin Thierry. Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands.
Livre III. TomeI, p. 222).
Les peuples et les générations qui arrivent les derniers en date dans l'histoire
littéraire du monde.
(Saint Marc Girardin. La Fontaine et Les Fabulistes.XXXVIIe leçon, p. 381).
et à coup sûr, vos Jruits et vos roses ont plus de sève et plus de parfum que
tous ceuxdel'école flamande et hollandaise.
(Arsène Houssaye, Louis XV, p. 252).

:
(1) Ce qui est curieux, c'est que, quand la personne se conçoit à son tour, comme
chosable (= délocutoire), elle emploie pour se chosifier ce qu'elle a donné aux choses
pour les personnifier la sexuisemblance.
Ex. je suis contente.
C'est que pour se chosifier, la personne n'a pas de meilleur moyen que de se conce-
voir elle-même, comme un cas particulier du groupe des choses semblables à elle.
il est certain que, sousl'empire des besoins et des émotions naturels,. les
nrctH'<*''s Grecs placèrent la
famille et la cité sons la garde vigilante et redou-
table d'tUé, du Serment et de l'Imprécation.
(J. Girard. Le Sentiment religieux en Grèce. T. 3, p. 97).
LA FÉE. — Et votre bon papa et votre bonne maman 1
TYLTYL. — Ils sont morts.
(Maurice Maetcrlinck. L'Oiseau Bleu, I, 1).
Debout sur une table en bois noir, l'apôtre agitait les bras, renversait la tète,
évoquait les splendeurs de l'amouret de la paix universels.
(A. t'Serstevens. Un Apostolat, II, I, p. 465).
Sous les ordres du grand aumônier, M. de Lamothe Houdancourt. quarante
ecclésiastiques, gentilshommes, secrétaires, èeuyers, valets de chambre, musiciens,
médecins et une dizaine de femmes de chambrefrançais devaient se rendre à Londres
avec la jeune souveraine.
(L. Batiftol. La duchesse de Clievreuse, p. tiR).

:
Ail début du tabès, un certain nombre d'organes deviennent parfois doulou-
reux à la pression la sensation douloureuse semble même y acquérir une inten-
sité et un caractère spéciaux.
(J. Déjerine et André Thomas. Maladifs de la moelle épinière. p. 588, dans le
Trailé de MédecinedeGilbert et Thoinot, Tome XXXIV, éd..de 1909).
Nous reproduisons ci-dessous une observation de symphyse rhumatismale et
tuberculeuse siégeant à la fois sur le ventricule et l'oreillelle droits.
(Robert Largeau. L'insuffisance ventriculaire droile. Thèse Paris, 1924, cliap. V,
p.98).
La température et le pouls redeviennent normaux.
(M. CR. Le 19 novembre 1920).
Un groupe de substantifs nominaux les uns masculins, les autres fémi-
nins et unis entre eux dans un rôle grammatical commun, n'a évidem-
ment pas de sexuisemblance définie. Il est conçu comme masculin, et
régit le masculin, parce que le masculin, physe indifférenciée, accueille
non seulement les masculins proprement dits, mais tout ce qui est amor-

:
phe au point de vue de la sexuisemblance. C'est ainsi que, dans l'exem-
ple que voici

:
A récole des Chartps, le premier, c'est une fille.
(Mme A, le 31 octobre 4921).
la locutrice a employé la phase indifférenciée masculine le premier,
parce qu'à cet instant du déroulement de la phrase, on ne savait pasen-
core s'il allait s'agir d'un garçon ou d'une fille. Cf. :
Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne souffre qu'à regret qu'un autre t'entretienne.
(Hacine, Andromaque, IV, 5).
Un autre, masculin indifférencié, car le sens est « une autre personne
quelconque » et non pas spécialement une femme. Mais Hermione, en
Se l'appliquant, marque que Pyrrhus, trop occupé d'Andromaque, ne
voit même plus la féminité des autres femmes, elle particulièrement.Il
les confond dans la tourbe
« des autres » (aliorum).
'e lilhiasique est souvent une femme de.30 à 35 ans.
(M. AG. le 3 mars 1923).
11 n'y aurait
que les femmes ayant des enfants qui seraient élecleurs.
(M. D. le 2t avril 1923).
Le malade est le plus souvent une jeune fille.
(M.G.le26avril1923).
A part Frornenlill, le seul auteur — il faut mettre cela au masculin
bien parlé du Sahara, c'est cette vague Russe musulmane, tu sais, Isabelle -
qui ait
Eberhardtl11 faut la lire avec piété en savourant.
(M. GF, le 18 avril 1927).
M. CF. voulait dire qu'en cette matière la prééminence d'Isabelle
Eberhardt s'affirmait non seulement sur les autres femmes de lettres
mais sur tous les auteurs des deux sexes, Fromentin à part.
Cette tendance se trouve poussée à l'exagération dans l'exemple suivant:
Mlle CQ. — Ils ont acheté une auto, ces Messieurs.
M. P. ?
—Gomment Ces Messieurs
cette maison-là ? ?Il y a donc plusieurs Messieurs dans
Mlle CQ. — Mais non, je dis Messieurs, parce que je compte Monsieur et Ma-
dame.

De même : (Le 10 avril1922).

Eux aussi, ils aiment bien les bons plats, ces Messieurs Godet.
(Mlle DW, le 13 avril 1925).
Cf. Les pancartes des Compagnies de transport en commun contenant
des avis « à MM. les voyageurs », alors que lesdits avis visent aussi bien
les femmes que les hommes.
Ce serait à notre avis une erreur que de se figurer que cette loi impli-
quât dans l'esprit des locuteurs français une plus grande noblesse de la
sexuisemblance masculine, ou du sexe mâle, comparable à celle qu'ima-
ginent certaines langues en distinguant le genre andrique et le métandri-
que. Bien au contraire, il semble que le français préfère la sexuisemblan-
ce féminine dans l'expression des idées les plus fines, les plus poétiques,
les plus touchantes (1), et considère le masculin comme la sexuisemblan-
ce banale, incolore, indifférenciée en un mot, et par conséquent la plus
habituelle.

310. — En règle générale, les substantifs primaires (c'est-à-dire ceux


ne comportant pas de pexiome, au moins reconnaissable) ont conservé
:
leur sexuisemblance originelle. Toutefois, deux séries de faits sont venus
modifier ce plan l'une d'ordre général, la disparition du neutre et par
conséquent la distribution de ses résidus entre les deux physes conser-
vées ; l'autre, d'ordre particulier, la révision de certaines sexuisemblan-
ces, que la langue n'a plus jugées conformes à sa conception des choses
ou à ses harmonies intimes.
#

Examinons d'abord la disparition du neutre.


Dès ses plus lointaines origines, le français a rejeté et détruit le neu-
tre. Cette aversion, qui lui est commune avec les langues celtiques et les
langues romanes, est une manifestation particulièrement intéressante du

(1) Cf. à ce sujet l'opinion de Vaugelas qui parle de « l'inclination de notre languit
qui se porte d'ordinaire au féminin plutôt qu'à l'autre genre. » (Vaugelas, Remarq» *
sur la langue française, Article Amour, t. II, p. 108).
génie propre à ce groupe de langues, et qui les différencie au milieu de la
famille indo-européenne.
Le français a donc fait passer à l'une des deux physes.de son réparti-
toire les substantifs neutres du latin, ainsi que ceux empruntés à des lan-
gues étrangères.
Le latin, d'ailleurs n'observait pas toujours ses genres classiques « On
trouve », dit Auguste Brachet (1), « dans Plaute, dorsus, aevus, collus,
:
gutturem, cubitus, etc. » On ne peut pourtant pas croire que la destruc-
tion du neutre ait été un fait accompli en latin, au moment de l'invasion
de la Gaule par les Romains. En effet, ainsi que le fait remarquer Arsène
Darmesteter (2), plusieurs substantifs français ne s'expliquent phonéti-
quement qu'à partir de neutres latins : « Pour les neutres à radical ter-
«miné par n si le latin populaire en avait fait des masculins, l'accusa-
;
«tif aurait été en -inem" d'où en français une terminaison avec un e fi-
«nal : examen aurait donné essame et non essaim nomen, nome au
«lieu de nom. C'est donc le roman, après la chute de la flexion, et
«non le latin populaire, du temps que la déclinaison était encore vivante,
« qui les a transformés en
masculins. »
Les neutres latins sont en somme, en règle générale passés au mas-
culin, dont le français a fait la physe indifférenciée de son répartitoire
de sexuisemblance. Quant aux pluriels neutres, en a, ils ont été pris pour
des féminins, et il en résulte que la sexuisemblance des substantifs
français tirés de neutres latins est, en dépit de la première apparence,
plutôt héritée que refaite..
311. — « Un seul neutre latin», dit Darmesteter (1) « est devenu
« directement féminin en français sans passer comme les autres. par
« la forme du pluriel : c'est mer. Il est à croire que le latin vulgaire
« des Gaules a employé de bonne heure maris (au lieu de mare) comme
« féminin. »
A vrai dire, peu importe de savoir si la forme d'où le français a tiré
ce vocable était mare ou, comme l'a supposé Darmesteter, maris. L'essen-
tiel, c'est qu'il est passé au féminin dans notre langue, alors qu'il
demeurait masculin dans d'autres langues romanes (2). Et il semble
difficile d'expliquer cette modification autrement que pardes besoins
métaphoriques conformes à l'esprit national, la mer ayant été conçue par
nos ancêtres, de même que par nous, comme quelque chose de féminin.
La mer est d'aspect changeant comme une femme, journalière,
d'humeur mobile comme une jolie capricieuse, attirante et dangereuse

;
comme une beauté perfide. Le citadin qui lui consacre ses vacances est
amoureux d'elle elle est l'amante et la meurtrière du marin qui pour- ;
(1) A. Brachet. Grammaire historique de la Langue française, p. 156.
(2) A. Darmesteter. Traité de la Formation de la Langue française. 4 542.
(1)Loc.cit.,§543.
l'iiillnn, le vocable
wramâtica de la lengua
;
(2)L'italien et le portugais ont ici le masculin le roumain, le féminin. En cas-
est des deux sexuisemblances : c'est ce que l'Académie espagnole
castcllana) appelle le genre ambigu (ambiguo).
rait compter les littérateurs, interprètes du sentiment populaire, qui l'ont
ainsi représentée ?
La mer, qui est une femme, se platt à les relever.
(Michelet, La Mer, IV, 1, p. 316).
Les psychanalystes nous assurent d'ailleurs que, chez tous les peu.
ples sur lesquels ont porté leur investigation, la mer est dans le rêve
un symbole fréquent pour représenter la mère. Ceci n'implique-t-il pas
une tendance métaphorique à donner à la mer la sexuisemblance fémi-
nine P Cette tendance a dû être renforcée en français parl'homophonie

:
è
naire [m è r] du mot mère [mè :r
entre le vocable mer [m : r] et la muance de beaucoup la plus ordi.
(œ)].
Il ya au moins un second neutre latin qui est devenu féminin en fran.
çais sans passer par une forme plurielle. C'est jument. Le pluriel jumenta
a, en effet, donné jumente, vocable qui a existé, témoin le pluriel
jumentes (avec une seconde marque du pluriel, la première n'étant plus
comprise) cité par Godefroy, s-v° Jumente.
Jumentes H, buflesses Il et un ronsin d'estable.
(1314. Titres de la maison dAutriche. Arch. P. 1354 Pièce 823).
Mais jument provient bien, lui, de jumentum.
Ce vocable jument a été employé au masculin au moins jusqu'au
milieu du xve siècle, au sens latin de « bête de somme ». Cf. les exemples
suivants cités par Godefroy (Dictionnaire de l'Ancienne Langue française
s. v. jument) :
(Elle) tint par lo frain lojument de Liberlia
(Dial. S. Greg. p. 12. Foerster).
li
Li jemanz ferres Il de vante et jumanz defTerres I. de paiage.
(1294, Péage de Dijon. niche), 9873, Fo 22).
Luiprindrentungjument
(4 Nov. 1444. Injorm. par Hug. Balverne. fo 16 r". Chambre des Comptes de
Dijon, B 11881. Arch. C-d'Or).
Cf. aussi ces deux exemples recueillis par nous
Bestes et tous jllmens, serpens et oisels empenneis.
:
(Psautier de Metz, CXLVIII, 10).
Je suis fait comme unjument enver ti et.devant ti, et avès suis avec ti.
(Ibid. LXXII, 22).
Il semble d'ailleurs qu'à l'époque même de ces emplois masculins,
jument eût déjà la sexuisemblance féminine au sens de « femelle du
cheval». Cf. l'exemple ci-dessous, cité par Godefroy (Loc cit., supplé-
ment s. v. Jument) :
et
Trois biestes Il poulerions unejument.

;
Cf. aussi l'exemple suivant recueilli par nous-mêmes
Apriès passa li Samaritains et cevauçoit unejument.
:
(Janvier 1211. C'est li escris dame Emmelot Le Paree chir., A. Tournai).

(Chronique d'Ernoul. Chap. VIII, p. 79).


Cette sexuisemblance a dû triompher définitivement le jour où le
vocable jument s'est cantonné dans ce sens spécial.
La langue française ne se considère donc aucunement comme liée par
»
les notions de te genre de la langue latine. Elle ne conserve la sexuisem-
blance latine que si elle s'en accommode, et nombreux sont les vocables
d'origine latine auxquels elle a résolument imposé une sexuisemblance
francigène. Ex. : aestatem (fém) > été (masc.) ; soricem (masc.) >
souris (fém.) ; vallem (fém) > val, (masc).
Parfois même ces revisions s'imposent à tout un système de mots,.
comme dans le passage au féminin de tous les substantifs formés avec
le suffixe or > eur (Ex. : calorem masc. > chaleur fém), et de presque
tous les noms d'arbre, ex. : fraxinum, fém. > frêne, masc. ; alnum,
fém. >
aulne, masc., etc. (3).
La réfection des sexuisemblances, même pour les vocables d'origine
latine,n'est pas un phénomène terminé dans le français moderne. Elle
continue à s'opérer de nos jours. Ainsi le substantif effluve <
effluvium,
masculin d'après les dictionnaires, s'emploie plus souvent au féminin
dans la langue parlée, (v. infra § 46). Certains auteurs ont même adopté
résolûment la sexuisemblance féminine. Ex. :
Cet ait* est traversé d'eflfuves variées que nous ignorons.

:
(C. Flammarion. La Morl et soit mystère, p. 66).
L'auteur ajoute en note « Prière à l'imprimerie de laisser ce mot au
« féminin. Je pense comme Victor Hugo sur ce point. et sur bien..
« d'autres. »
Il est tout naturel que, dans cet ordre d'idées, la parlure vulgaire,
ignorante des étymologies et des règles, plus facilement accessible aux
suggestions de l'instinct linguistique, soit en avance sur la parlure bour-
geoise, plus érudite, plus respectueuse de la tradition. En fait, c'est bien
ainsi que les choses se passent et le peuple donne souvent à des vocables
dès sexuisemblances nouvelles que n'admettent pas les classes instruites.
Nous aurons à revenir plus loin sur ce phénomène, qui donne lieu à la.
formation de toute une série de substantifs à double sexuisemblance.
Selon beaucoup d'auteurs, ces revisions de sexuisemblance s'opèrent
exclusivement sous l'influence de causes phonétiques. Ainsi les subs-
tantifs commençant par une voyelle, devant laquelle les phases mascu-
line et féminine des articles sont généralement homophones (4), et se
terminant par une consonne stable, suivie ou non d'un [œ] instable,
auraient une tendance, de par,cette forme même, à devenir des fémi-
nins. Tel serait le cas d'effluve. La langue vulgaire ferait de même
pour appel, alcool, ouvrage, etc.

Cependant iliccm. fém. > yeuse, fém. Mais n'y a-t-il pas ici conservation de
(3) Cf.
ta sexuisemblance féminine, comme s'accordant mieux avec l'aspect de cet arbre.
- yeuse, naturellement rapprochée, par une comparaison habituelle, de l'autre chêne,
f' rouvre, parait par rapport a lui plus petite, plus gracieuse, plus douce et comme
minine. Mais cf. aussi picearn. fém. > pessc. fém. ; et vergne, qu'on trouve au-
"liisculin et an féminin.
(4) Sur
un, aucun, v. infra, § 352, note 9 et Livre VI.
Quand même nous consentirions à admettre que dans ces phénomènes,
la forme des vocables jouât un rôle, le fait de concevoir comme féminin

pas un phénomène purement phonétique ;


un mot parce que son aspect extérieur est celui d'un féminin, ne serait
il révèlerait au contraire l'ac.
tion toujours sensible du répartitoire présent dans l'esprit du locuteur
il manifesterait un besoin de classement cohérent, uneconception définie
des harmonies de la langue. Ce ne serait donc qu'un cas particulier du
travail sémantique beaucoup plus ample et varié auquel se livre le senti-
ment linguistique de la nation dans la revision des scxuisemblances.
Lorsque nous voyons soricem, masc. engendrer souris fém., il faut bien
convenir que l'étymologie et les raisons phonétiques ou analogiques mili-
taient pour le maintien du masculin, et que ce sont les convenances
poétiques et métaphoriques de l'esprit français qui ont fait préférer le
féminin. La nécessité d'une distinction avec souris (subrisum) qu'on
pourrait invoquer comme cause de passage de souris (soricem) au fémi-
nin, est aussi une cause psychique.

312. — Nous n'avons traité jusqu'à présent que de l'héritage latin.


Les mêmes règles s'appliquent aux vocables tirés, dès les origines du
français, d'autres langues. En principe, les masculins et les neutres sont
passés au masculin dans notre langue et les féminins sont restés fémi-
nins. Mais il y a de nombreux cas de sexuisemblances refaites. Peut-être
même le français en a-t-il usé plus librement encore vis-à-vis de ces voca-
bles que vis-à-vis de ceux d'origine latine.
Quant aux mots importés des langues étrangères à toutes époques de
notre histoire, ils ont été traités d'après les mêmes lois, en tenant compte
de la façon toujours un peu cavalière dont notre langue tend à se corn.
porter à leur égard. Lorsque ross (masculin), « coursier », devient en
français rosse fém., l'avilissement du sémième s'accompagne de la revi-
sion burlesque de la sexuisemblance, procédé assez semblable à celui qui
fait appeler une femme sans grâce un laideron et un homme sans solidité
morale ni dignité sociale une gouape. Lorsque riding coat, neutre, de-

:
vient en français redingote fém., le nouveau vocable prend la sexuisem-
blance de vocables voisins par le sens veste, jaquette, cotte.
Dans les emprunts faits aux langues étrangères, le caractère de physe

;
indifférenciée dévolu au masculin joue très fréquemment lorsque les mots
ainsi importés sont conservés tels quels il s'agit alors non d'une fran-
cisation, mais d'une admission temporaire qui laisse au vocable considéré
son exotisme. L'emploi de la sexuisemblance masculine s'impose pour
faire ressortir ce caractère tout provisoire de l'emprunt.
Ex. : le diastasis cf. grec i\ Slàtreastç, « l'écartementM. le taxis cf. grec
V;xa^iç « l'arrangement» ; le fascia lata cf. lat. «
fascia(fém.) bande-
lette ». Le dernier exemple montre que notre langue ne recule pas devant
cette masculinisation même si la locution à masculiniser comporte un
adjectif épithète féminin. Les botanistes français disent d'ailleurs cou-
ramment le « betula alba » parce que la langue française dit « le bou-
leau ». Item, le « quassia amara. »
Les exceptions que l'on rencontre quelquefois, telles que dans la ter-
minologie médicale « la phlegmatia alba dolens » (nom usuel d'un genre
de phlébite) indiquent simpement que le locuteur au lieu de traiter l'ex-
pression comme un exotisme réservé, se place sur le plan d'idées ordi-
naire et songe déjà à donner droit de cité à son néologisme d'importation.
313. — Les substantifs primaires générescents devraient, théorique-
ment, nous être d'un grand secours pour l'étude de la répartition séman-
tique des sexuisemblances, car il est évident qu'en ce qui les concerne,
la langue était bien libre de choisir la sexuisemblance convenant le plus à
son génie métaphorique.
Mais les substantifs ainsi formés ex nihilo sont peu nombreux, et leur
origine est fréquemment contestée par les étymologistes. Nous ne som-
mes donc point là sur un domaine qui puisse nous fournir des éléments
d'appréciation incontestables et formels.
En fait, il semble que, dans cet ordre d'idées, il faille en revenir à la
conclusion que nous avons énoncée au § 74, en conformité avec l'opinion
de Renan. Le langage est essentiellement naturel. La liaison du mot à la
chose, quand bien même elle n'est point déterminée pour des raisons
d'héréditéou de dérivation, est toujours motivée. Dans cet acte de créa-
tion, la collation de la sexuisemblance a une importance primordiale, et
elle non plus n'a pas été faite au hasard. Quel que soit le groupe de sylla-
bes choisi, le fait même de lui attribuer une sexuisemblance a été l'élé-
ment principal de son admission dans la famille des vocables ayant droit
de cité dans la langue. Cette sexuisemblance lui a assigné une place défi-
nie ; elle l'a classé.
Sans doute, la langue, pour accorder cet état-civil au nouveau vocable a
obéi à son instinct métaphorique général et à sa conception intime des
deux physes du répartitoire ; il semble que des raisons assez précises
-d'analogie, de parenté sémantique soient également intervenues. Le gnon
catégorique et brutal, est masculin, et cette sexuisemblance convient par-
faitement au sémième ; il devient ainsi en même temps le frère du coup,
du ramponneau, du soufflet, du marron et du pain, mais leur sexuisem-
blance les différencie nettement de la taloche, de la tape, de la claque, de
la calotte, de la gifle, de la mornifle, de la bourrade, de la bufle, de la
beigne et de la bâfre, leurs sœurs. La cliche, harcelante comme une fem-

qui s'accorde avec son sens;


me acariâtre, est féminine et reçoit de ce fait une aptitude métaphorique
mais elle est en même temps la réplique
burlesque de la colique, et le fait d'avoir même sexuisemblance souligné
ta parenté des sémièmes. La frousse est féminine
comme ses sœurs, la
Peur, la crainte, la venette, la panique, l'horreur, la terreur, Yêpouvante

:
et la trouille. Mais leur sexuisemblance les oppose à leurs frères moins
nombreux

314.
le trac, le taf et Yeffroi:

— Passons maintenant à l'étude des substantifs nominaux secon-


daires, c'est-à-dire formés par la langue, au cours de son développement
à l'aide de ses procédés propres de dérivation. Ces fabrications, où se
manifeste avec sa plus grande puissance l'esprit particulier de la langue
sont spécialement intéressantes au point de vue qui nous occupe.
Nous examinerons d'abord la sexuisemblance pexiématique, c'est-
à-dire celle que les pexiomes suffixés imposent aux substantifs nominaux
secondaires dont ils sont éléments composants.
Mais les cas où les substantifs nominaux reçoivent leur sexuisemblance
du suffixe qui concourt à les former sont de deux ordres bien différents,
suivant que le suffixe a deux formes, l'une masculine et l'autre féminine,
ou qu'il n'a qu'une forme dont la sexuisemblance est alors absolument
déterminée.
Pour les suffixes qui possèdent deux formes, l'une masculine, l'autre

partie du pexième. Elle lui est surajoutée comme une flexion nous ;
féminine, on ne peut à la vérité pas dire que la sexuisemblance fasse

l'appellerons sexuisemblance intra-suffixale, car elle est à ces pexio-


mes ce qu'un répartitoire intra-vocabulaire serait à des vocables indé-
pendants.
Nous désignerons par contre sous le nom de sexuisemblance inter-
suffixale celle des pexiomes à une seule forme.

; :
315. — Les suffixes formateurs de substantifs nominaux, qui se ran-

;
gent dans la première de ces deux séries sont les suivants et-ette ; eau-
elle ot-otte ; in-ine ; on-onne ; oir-oire ier-ière ; eur-euse ; teur-trice.
Il y alieu de mettre tout d'abord à part les cas dans lesquels la sexui-
semblance intra-suffixale sert à la création d'un seul vocable, mais avec
deux formes sexuisemblantielles, c'est-à-dire avec une sexuisemblance
intra-vocabulaire. C'est le cas quand les substances désignées respective-
ment par le substantif nominal que termine un suffixe masculin et par
le substantif nominal que termine le suffixe féminin correspondant sont
des êtres vivants distingués seulement par la différence de sexe.
Ex. : un oiseau, une oiselle (terme poétique = la femelle d'un oiseau)
un mercier, une mercière,
un blanchisseur, une blanchissense,
Un acteur, une actrice.
La raison qui a présidé à la distribution des sexuisemblances est ici
le sexe lui-même.
Mais qui dit sexuisemblance intrasuffixale, ne dit pas forcément
sexuisemblance intravocabulaire pour les vocables formés avec les suf-
fixes en question. Par exemple, le suffixe ot-otte a une sexuisemblance
intra-suffixale, mais d'une part au substantif îlot ne correspond pas de
forme féminine, * iloite, et d'autre part, les substantifs nominaux culot
et culotte formés respectivement avec les figures masculine et féminine
du même pexiome, sont deux vocables bien distincts. L'étude du mode
de distribution des formes masculine et féminine du suffixe va donc dans
ce cas être d'une remarquable utilité pour essayer de saisir la clef de la
répartition mentale des idées sexuisemblantielles dans l'esprit français.
Parmi les suffixes à sexuisemblance intrasuffixale que nous avons cités
plus haut, nous pouvons dès maintenant isoler un groupe très net de
suffixes diminutifs eau-elle, ot-otte, et-ette, in-ine ; auxquels on peut
joindre on-onne, dont le sens est moins nettement diminutif (1).

316. — Les diminutifs proprement dits


se forment purement et
simplement avec la figure pexiomatique correspondant à la sexuisemblan-
ce du substantif nominal
primitif.
Exemples :
un pan — un panneau,
une tour — une tourelle,
un bac — un bachot,
une main — une menotte,
un coq — un cochet,
une hache — une hachette,
un fagot — un jagotin,
une botte — une bottine,
un pied — un peton,
Dans la langue contemporaine, le sémantisme de la diminution pure
est à peu près uniquement dévolu au très vivant suffixe et-ette ; mais il
reste vrai que dans les substantifs nominaux que la conversation peut
improviser au moyen de ce suffixe, la figure employée est toujours celle
qui correspond à la sexuisemblance du substantif nominal initial. C'est
ainsi qu'on appellera aisément une petite chaise, une chaisette, une
petite bouche, une bouchette, un petit guéridon, un guéridonnet, un pe-
tit pigeon, un pigeonnet, etc.
Exemples : Une dancelle
Avenant et mutt belle
(îeute pucelle.
Rotlchele riant. (Colin Muset. Chanson 1. 14).
Elle avoit. les levreles vermcllcttes plus que n'est cerise ne rose. et avoilles
/wtmelefes dures. (C'est d'Aucasin et de Nicolette, p. 259).
I/autr'ierparunnmlinet.
Pardcjosteunjardinet.
Vair œil ot, bouche riant,
lîinumenton,bellf»gorgete,
C'iintnrele bionséant
Biaxbrascibelemainetle.
Biaxpiezetbelejanbete
(Pfutollrelle, apud Monmerqué et Fr. Michel, Théâtr-e français au Moyen-Age,
P-34).
0) Combinés deux à deux ces suffixes peuvent donner des suffixes composés. Les

; ;
l"'incipaux de ces suffixes composés sont : mon (= eau + on), elot (= eau + ot),
yel (= eau + et), inet (= in + et), onneau (= on + eau), onnet (= on + et). Ex. :
gruynelot, enfantelet, nigaudinet, jambonneau, cordonnet
!'II'lw, barbeau ; grume, grumeau
Jfllnbon corde, cordon.
;
à partir de :
enfant, enfanteau ; nigaud, nigaudin ; jambe,
Vomanierelle
Joliette
Simple. plaisans, faitisselle,
M'en donne desir.
(tchannot de Lescuiel. Chanson XII, p. 26).
Dites à vos brebietles :
Fuyez-vous en, camusottes
(Konsard. Ecloyuc VI, T. IV, p. 117).
L'un apporte une clwisetle,
BeIrque mon cœuraime,
-. Pour asseoir Madam' dedans.
Bell' que mon cœur aime tant !
(Chanson populaire).
317. — Mais il y a une autre notion que la notion diminutive pure,
et qui est aussi importante pour l'esprit et aussi répandue dans la langue.

; :
C'est celle de la famille constituée par le père, la mère et l'enfant, ou
plus généralement, par le père, la mère et leur petit le pigeonnet était
un petit pigeon, un pigeon de petite taille mais le pigeonneau est un
petit de pigeon, le petit d'un pigeon. Nous verrons ultérieurement
(1. VII) que c'est le suffixe vivant -eau qui s'est dans la langue française
de nos jours, spécialisé dans la formation des noms de petits d'animaux
mais d'autres suffixes qui étaient en concurrence avec lui autrefois, ont
;
servi à la formation de certains substantifs nominaux bien établis dans
la langue, tels que levraut, ourson, oisillon, chaton, biquet. Et ce qui
nous intéresse ici, ce n'est pas quel est le suffixe, mais comment il agit
sur la sexuisemblance.
Les petits d'animaux ne sont le plus souvent conçus que comme tels,
sans acception de sexe. Il est rare que l'on ait à parler d'oursonnes, de
chatonnes, de levraudes, d'agnelles, de souricelles. La plupart du temps,
ils sont confondus, par un fait de sexuisemblance indifférenciée, parmi
les oursons, les chatons, les levrauts, les agneaux, les souriceaux. Cette
indifférenciation habituelle de la sexuisemblance du petit chez les êtres
vivants eux-mêmes (cf. pour l'espèce humaine, un bébé) va grandement
faciliter le passage métaphorique de la relation de parent à petit aux
substances inanimées. La sexuisemblance du pullisemblant (1) sera alors
le masculin, sexuisemblance indifférenciée, quelle que soit la sexuisem-
blance du parent.

pipeau;;
Ex. : un drap, un drapeau
une pomme, un pommeau
;; ;;
une bande, un bandeau
la terre, le terreau
une pipe, un
la tonne, le
tonneau une barre, un barreau, etc.

; :
et avec d'autres suffixes que eau
; ;
cruche, un cruchon ; ; ;
Une balle, un ballot une île, un îlot une porte, un portillon
;
une carafe, un carafon
une ceinture, un ceinturon une bouteille, un bouteillon, etc.
une.
une chiffe, un chiffon

:
Quelquefois, quand deux substantifs primitifs se ressemblent à la
sexuisemblance près, l'image de la famille est complète l'arc a poui

(1) Latin, pullus, « le petit d'une espèce animale quelconque » (cf. poulet, poulain),
; ;
femelle l'arche ils ont pour enfant un petit arc, un arceau. L'arc est

;
géométrique et militaire l'arche est plus matérielle, et d'une substance
lourde l'archet d'ailleurs, leur autre fils, ressemble à sa mère par sa
tendre robustesse.

:
Mais le jeune homme devient vite un chef de famille ;
il est alors plus

; ;
grand et plus important que sa mère
rigide par la tension
ment
un cordeau est une corde devenue
un tombeau est une tombe couverte d'un monu-
un coteau est une côte conçue de manière indépendante, comme
une éminence dominant la plaine voisine.

; : ;
Le suffixe on semble tendre à se spécialiser dans ces formations aug-
mentatives secondaires cf. la balle et le ballon la saucisse et le
saucisson ; la caisse et le caisson, etc.
Dans quelques espèces animales, le mâle n'a reçu de nom différencié
qu'en tant que fils de sa mère dont, dans ces espèces ignorantes de la

le dindon (2), et avec un suffixe aberrant :


morale humaine, il devient d'ailleurs souvent l'amant. Ex. : la dinde,
la cane, le canard.
Ce qui marque bien l'acception primitive, ce sont les cas où les mas-
culins ainsi formés par dérivation à partir du féminin sont réservés au
mâle châtré, (ex. : la coche, le cochon) (3) ou bien sont appliqués à des
groupes d'hybrides où le mâle est stérile (ex. : la mule, le mulet) ; car
dans l'un et l'autre cas, l'individu désigné par le substantif masculin
dérivé est incapable de procréer, et n'a par conséquent dans la famille,
même vieux, que le rôle de fils de sa mère (cas du cochon seul) ou de
frère de sa sœur (cas du cochon et du mulet).
De même le poulet, que ce soit un cochet, un chapon ou même une
poulette, ne s'appelle ainsi qu'en tant qu'il est un produit de la poule,
produit uniquement destiné à être mangé.

318. — Telle est la ligne générale des métaphores adoptées par la


langue en matière de diminutifs et de pullisemblants. Quand dans ces
domaines, apparaît une différence de sexuisemblance qui échappe à ces
règles, elle est en général très facile à expliquer par une raison séman-
tique. Un cigare, par exemple, a pour diminutif normal un * cigaret,
et ce terme est si naturel qu'on pourrait le lancer dans la circulation

(2) Le vocable dindon tend à éliminer la vieille forme masculine le dinde. Si cette
forme décline, c'est sans doute en vertu de la répugnance qu'a le français, pour qui
,le sexe suffit a différencier deux espèces substantielles, à avoir
une forme commune
Pour le masculin et le féminin d'un genre substantiel. De même qu'il attache un
suffixe aux féminins, princesse, drôlesse, négresse, pour les différencier des.mascu-
lins prince, drôle, nègre, de même, dans le même but et par un procédé inverse, il
différencie le masculin dindon duféminin dinde.
(3) A la vérité, coche
terme d'ensemble
pour
:
a maintenant cédé la place à truie le cochon sert souvent dé
l'espèce zoologique entière (ex. : un troupeau de cochons) quoi-
que le terme officiel pour cet emploi soit porc Porc n'a d'emploi réel dans la conver-
sation que pour désigner laviande de l'animal (un ràti de porc), et encore dit-on,
toujours Je savais pas si c'était du lard ou du cochon ». Mais le sens le plus
« ne
Précis de cochon est bien celui de mâle porcin châtré, par opposition au mâle entier
sens pullaire de cochon se retrouve danscochon de lait, qui
*Min s'appelle verrat. Le
désigne le petit de l'espèce. Ce petit s'appelle aussi, mais plus rarement, porcelet,
PuHaire-diminutif Le pullaire simple pourceau est devenu lé nom biblique et
1tonque de l'espèce zoologiqueenhère..
pour désigner de petits cigares
cigare, plus féminine a ; mais la cigarette, plus différente du
cause de sa moindre violence, et d'ailleursdesti
née primitivement aux dames, ne pouvait être que de sexuisemblance
féminine.
De même le civet, ragoût fait avec des cives (oignons) ;
la culotk
vêtement couvrant le cul, ne sont pas des diminutifs purs et simples
et c'est pourquoi leur sexuisemblance diffère de celle de leurs primitifs.

319. — Le suffixe quantitatif ain-aine prend sa forme et sa sexuisem-


blance masculines quand il s'agit d'un nombre juste (ex. : un huitain),
sa forme féminine quand il s'agit d'un nombre vague, donné à l'estime
(une huitaine). (Cf. contra semaine, mais le sentiment linguistique ne
décompose plus ce mot en septim + ana).

320. — Les suffixes à sexuisemblance intrasuffixale qui ne sont ni


diminutifs ni pullisemblants ni quantitatifs restent à étudier.
Oir-ioire (1), ier-ière, eur-euse, teur-trice, en sont les principaux
exemples.
Comme, en vertu de ce qui a été dit au § 315, nous excluons d'ici
tout ce qui a un sexe naturel, c'est en général d'outils qu'il s'agit.
Un outil, caractérisé, indépendant devient un être presque semblable

; ;
Ce sera tantôt le masculin, et tantôt le féminin
théière un battoir, une passoire
:
à un animal, auquel il est tout naturel de donner une sexuisemblance.
un compotier, une
un moteur, une balayeuse. Il semble
vraiment qu'ici le français nous montre nettement l'espèce de poésie
instinctive qui le guide dans ses créations.
Il existe des cas dans lesquels nous. arrivons à apercevoir consciemment
ce symbolisme métaphorique. Un moteur communique la puissance et
l'action à toutes les machines sans force propre qui lui obéissent ces
machines, la balayeuse, la perceuse, la moissonneuse, etc. ne peuvent
;
rien sans lui.
Les noms féminins de toutes les machines-outils sont particulièrement
suggestifs. On dirait qu'ils ont pour prototype la pondeuse, c'est-à-dire
la poule, être éminemment féminin, dent la fécondité foncière se mani-
feste par un acte indéfiniment répété. La pondeuse n'est pas encore un
appareil. Mais la couveuse mécanique, rivale de la femelle de l'oiseau,
a été imaginée ;f elle ne pouvait être que féminine. Et les balayeuses,
ébarbeuses, raboteuses, faucheuses, moissonneuses, perforatrices, etc.
qui font toujours la même chose quand une puissance extérieure féconde
leur passivité, ne pouvaient aussi être que féminines. Par contre, Ie
curseur, le viseur, le refnorqueur, objets indépendants, portant en eux-
mêmes leur utilité, devaient être masculins. Si l'on imagine une viseuse,
on concevra une machine qui vise, automatiquement, sous l'influence'
toujours masculin, -oire t0"]0'*
(1) Dans les vocables de souche populaire, -oir est
féminin, oire suffixe masculin n'est pas un suffixe vivant, mais un emprunt savan
au latin oritun. Ex. : ciboire, laboratoire.
;
d'une force indifférente combien ce sens serait différent de celui du
visenr, appareil libre, dont il faut savoir se servir, et qui semble, à
chaqne action nouvelle, participer de la liberté de l'homme qui le
manie-
Il existe par contre bien des cas dans lesquels il nous est encore im-
possible de saisir pourquoi le masculin a été choisi pour tel vocable, le
témirnn pour tel autre. Cf. une théière, une soupière. une cafetière, mais
unsucrier, un cendrier, etc. Il est souhaitable que cette question soit
reprise ultérieurement par les chercheurs.

321. — Avec les suffixes à une seule forme, nous allons trouver une
sexuisemblance appartenant véritablement au pexième. Dans le monde
deces suffixes, en effet, la sexuisemblance est intersuffixale.

Ici la sexuisemblance appartient véritablement au pexième ;


Passons donc maintenant à l'étude de la sexuisemblance intersuffixale.
chaque
suffixe implique par son sémantisme même une physe sexuisemblantielle ; -
il est rangé dans cette physe et n'en sort jamais. Ce n'est qu'en allant
de suffixe à suffixe, ou, pour parler du domaine sémantique, de pexième
en pexième, que l'on peut changer de physe
sexuisemblantielle. Le suf-

nominal pont ;
fixe -age, par exemple, est aussi résolument masculin que le substantif
le suffixe -aison aussi résolument féminin que le subs-
tantifnominal marge.
Les pexièmes étant d'ordinaire des idées d'un ordre assez général,
l'élude de leur sexuisemblance propre va être de nature à nous éclairer
très efficacement sur les grandes directives qui président, dans l'imagi-
nation de notre peuple, à la répartition des sexuisemblances. Mais il
nous semble que pour étudier la sexuisemblance pexiématique intersuf-
fixale d'une façon utile, il faut essayer de grouper les suffixes en petits
troupeaux présentant un sémantisme analogue, pour que la comparaison
des sémantismes masculins et féminins soit plus claire et partant plus
féconde.

322.
- Que si nous envisageons d'abord le groupe des pexièmes
servant à former, à partir d'un verbe, des substantifs nominaux mar-

groupe trois suffixes masculins :


quant l'action ou son résultat, nous serons appelés à placer dans ce

nins : ade, ance, tion, aison et ure. Ex. lavage, lavement, lavis
:
;
age, ment et is ; et cinq suffixes fémi-
bour-
rade,vilirance, vibration, pendaison, levure.
Quand les trois substantifs nominaux, en -ment, -age et -ure peuvent
tire formés à partir du même verbe, celui
en -ment exprime toute la
PhénoménaJité, celui en -age plus particulièrement le point de vue
actif, celui en -ure, plus particulièrement le point de
vue passif, le résul-
tat. N'y a-t-il
pas là un moyen de présenter le même sémième d'une part
dans
son indifférenciation, qui doit normalement conduire à la sexuisem-
blance masculine, d'autre
part sous deux points de vue symétriques,
*ssez analogues à l'idée fondamentale d'activité du mâle et de passivité
;
de la femelle et n'est-il pas dès lors naturel que l'on voie figurer les
suffixes age et ment dans la sexuisemblance masculine, le suffixe are
dans la féminine ?
Serait de mauvaise foi celui qui nous ferait dire ici que -ure et ment
n'ont pris leur sexuisemblance qu'en raison de leur sens. Certes, les
suffixes latins -aturam et -mentum devaient plus aisément conduire qui
au masculin, qui au féminin. Mais ce qui importe, c'est la coïncidence
des idées d'activité et de passivité avec la répartition sexuisemblantielle
latinigène, car ce que nous analysons, c'est l'état mental synchronique
de la langue d'aujourd'hui, quelle qu'ait été son histoire antérieure. Au
surplus, il se peut que ce soit leur sexuisemblance qui ait fait prendre à
ces suffixes un sens respectivement actif ou passif.

;:
Le suffixe -aison et ses doublets savants en -tion sont plus abstraits
que le suffixe -ment ils comportent moins de phénoménalité, moins
d'activité par conséquent la durée actuelle de l'acte de répartir, et tous
les mouvements, tous les changements que ce phénomène implique sont
;
;
bien exprimés par le vocable de répartissement ; ils y sont présents la
répartition, c'est le phénomène envisagé abstraitement non pas dans sa
durée, mais par rapport à ses antécédents et à ses conséquences aussi,
souvent ce vocable peut-il arriver à désigner presque uniquement le
résultat du phénomène.
Sa sexuisemblance féminine s'accorde avec cet emploi ; et cette con-
venance apparaît surtout sensible dans ce domaine tout spécial réservé

; :
au suffixe -aison, et dans lequel il connaît peut-être ses emplois les plus
vivants, à savoir l'expression de ces époques que caractérise une évolution
naturelle ou humaine la lunaison, la floraison, la fçiiichaison, l'olivai-
son, la fenaison car ces tranches vagues de temps ne sont pas directe-
ment conçues comme des activités volontaires et déterminées, mais
comme des sortes de manifestations cycliques et fatales de l'évolution
féconde du Monde et de la Vie.
Le suffixe -ance ne se rattache au groupe que nous étudions que parce
que l'adjectif dont il procède, l'adjectif en -ant, est l'adjectif verbal. Mais
en réalité, c'est un suffixe marquant la qualité exprimée par un adjec-
:
tif la vibrance est la qualité de ce qui est vibrant. Aussi est-il féminin
comme tous les suffixes de qualité, qui feront l'objet du paragraphe sui-
vant.

péjorative (parce que d'emprunt à la lingualité d'Oc) est féminin il


procède de l'adjectif verbal passif féminin, au même titre que des subs-
;
Le suffixe -ade enfin, comme le suffixe -ée, dont il n'est que la forme

tantifs comme perte, voûte, route, (du latin perditam, volutam, ruptam) ;

;
là encore, l'étymologie même nous montre que le sens essentiel est un
sens passif une échappée est avant tout le résultat du fait que quelqu'un
s'est échappé, que quelque chose a échappé; une escapade est ce même
résultat quand, au lieu d'être noble comme l'échappée poétique, ou
terrible comme l'échappée de l'instrument aveugle qui est venu blesser
celui qui s'en servait, il est ridicule et piteux.
plus compréhensiblement encore a été dévolu à un suffixe féminin le
domaine particulier, et si vivant, dans lequel le suffixe -ée, s'ajoutant
-
à un
substantif nominal primitif, désigne le contenu de la chose que
désignait ce substantif. (Ex. : assiéttée, cuillerée, potée, année, pelletée,
etc.) L'idée d'une grossesse, d'une portée, est directement évoquée par
l'imagination.
Il nous reste à expliquer le suffixe -is, celui de fouillis, de lavis, de
dégueulis, de cassis (au sens de caniveau), etc. Il est masculin et pour-
tant il exprime un résultat, comme le suffixe féminin -ure. Cette diffé-
rence de sexuisemblance, qui semble au premier abord paradoxale, s'ex-
plique très aisément si l'on examine de près la nuance fine de significa-
tion qui est entre is et ure. Le suffixe -ure ne marque pas le résultat
d'un phénomène en tant que séparé de ce phénomène lui-même ;
il

;
contient encore de la phénoménalité, mais en tant que la phénoménalité
comporte de la passivité il évoque pour nous la continuelle passion
subie par l'objet et le continuel accroissement des sous-produits d'un
phénomène la lavure de vaisselle, c'est l'eauqui se salit, se charge

le long des parois de la vaisselle ruisselante ;


des détritus de mangeaille, et s'écoule au fur et à mesure du lavage,
la lavure, c'est pour les
orfèvres et les monnayeurs le nom de l'opération par laquelle ils séparent

nom de l'or tel qu'il se présente lors de cette séparation


le terme de lavure englobe au même moment ces deux sens et né lés
;
l'or de certaines impuretés auxquelles il est mêlé, mais c'est aussi le
et en réalité,

distingue pas.
Le suffixe -is marque au contraire un résultat acquis en tant qu'entité
bien définie et limitée, ou tout au moins le procédé réglé qui conduit à
ce résultat. Témoin le lavis (1).
En résumé dans ce premier groupe de suffixes :
Appartiennent au masculin les suffixes qui présentent le phénomène
avec la notion représentative de sa durée phénoménale (2) en général
(-ment) ou du point de vue de l'activité (-age) et celui qui présente le
résultat du phénomène comme acquis, et constituant un être précis et
limité dégagé du phénomène dont il est issu (-is).


Appartiennent au féminin les suffixes qui présentent le phénomène
— avec la notion représentative de sa durée phénoménale mais du
:
point de vue de la passivité (-ure, -ade, -ée). — 23 de façon abstraite et
substantielle en dehors de sa durée phénoménale (-lion, -aison).-
ou 3° comme une qualité prédicative actuelle du sujet (-ance).

;
sons sémantiques
"eux suffixes étant originellement
lHdlS, inétisse..: V. infra, ch. XIII.
;
0) Pour-is comme pour -age, il est évident que la langue a fait un choix pour rai-
adjectiveux, cf. sauvage champis, champisse;
elle avait en effet à sa disposition les deux sexuisemblances, ces

(2) Il faut dire


^présentation l'idée que les substantifs nominaux en -ment, -age, -ure, évoquent par
de la durée phénoménale, mais non pas qu'ils présentent le
Phénomène dans
sa durée, car l'expression proprement dite, directe, de.la durée phé-
noménale n'est possible, dans le domaine substantiveux, que par le substantif verbal.
323. — Nous placerons dans un secondgroupe les suffixes exprimant

:
la qualité, ou quelque chose qui s'en rapproche, soit trois masculins
-at, -é, -isme, quatre féminins -té, -esse, -ise, -eur (1).
Les nuances sémantiques qui peuvent exister entre les suffixes -té
-esse, -ise, -eur ne nous intéressent pas, car elles n'entraînent aucune
différence de sexuisemblance. Ces quatre suffixes expriment tous les
quatre la qualité proprement dite, et tous les quatre, pour cette expres-
sion absraite, ont la sexuisemblance féminine. Ex. : la cherté, la finesse,
la bêtise, la rougeur.
Le suffixe -isme peut certes être envisagé comme un suffixe de qualité,
le boulangisme étant la qualité du boulangiste, le simplisme celle du

:
simpliste. Mais ce point de vue ne jette qu'un jour très partiel sur le
sens pourtant très homogène, de ce suffixe il exprime de grands mou-
vements biologiques ou sociaux de cause mal définie (géotropisme, péri-
tonisme, bolchevisme, purisme). Mais là sexuisemblance qui est ici n'est
pas le féminin comme pour le suffixe -aison : c'est le masculin. Et ceci
s'accorde bien avec le sens du suffixe -isme, qui ne présente pas les
tendances qu'il désigne comme le résultat nécessaire et quasi rythmique
du jeu des forces naturelles et universelles comme le faisait -aison, mais
comme la traduction de quelque force particulière, de quelque principe
vital, de quelque volonté tantôt obscure et rudimentaire tantôt avouée
et proclamée mais toujours impliquée dans le suffixe. Le géotropisme
de la racine suppose chez la plante une recherche obscure, le péritonisme

(1) Le cas du suffixe féminin -eur est d'autant plus intéressant qu'il dérive d'un
suffixe masculin latin -or ;
il s'agit donc ici d'une sexuisemblance pexiématique re-
faite. Les langues romanes, en général, ont au contraire conservé la sexuisemblance
héritée pour ce suffixe. Ainsi se comportent l'italien, le castillan. (11 y a une certaine

vocables de cette formation ;


hésitation chaz les anciens auteurs espagnols, cf. Diez, Grammaire des Langues ro-
manes, T. II, p. 16) et le portugais ; le roumain paraît avoir pris beaucoup moins de
ceux qu'il a conservés, et qu'il termine en -oare (ex. :
culoare < colorem) sont du féminin. (J. Rizo, Vocabulaire français-roumain et rou-
main-fronçais. Paris, 1904) ; en provençal, c'est le féminin qui l'emporte. Il est uni-
versel en français. Ex. :
Sire, Dius vous rende gueredon de l'ounour que vous m'avés fete (Chronique
d'Ernoul, ch. IV, p. 27). — Et toute l'aiue et le conseil que nos vous porons
donner, nos le vous ferons, sauves nos honnoursJlbjd. XI. p. 137).

aux noms en -eur leur « genre classique


« erreur, horreur, humeur, mœurs; honneur;
:
« A partir,du xv* siècle », dit Darmesteter (loc. cil., § 555) « on essaya de
rendre
on fait masculins à cette époque ardeur,
déshonneur; etc. » Cette réaction n'a
en trouve du masculin et du féminin
NOURRICE. —
:
jamais pu s'imposer en bloc à tous les vocables en -eur. Chez les mêmes auteurs, on
C'est un bien lourd erreur d'ajouster de la foy
A qui prédit pour nous ce qu'il ne void pour soy.
ANDROMACHE.
— C'est une !/mnd'/urellr de fermer les oreilles
Quand le ciel parle à nous avecques des merveilles.
(Montclirestien. Hector, p. 18).

une lourde erreur. »


:
Cet exemple nous semble très démonstratif quant à l'usage de Montchrestien, car
il eût pu dans les deux cas mettre l'autre sexuisemblance sans gêner son vers « C'est
- « C'est un bien grand fureur. ». Et la symétriesubstantifs-
aurait même été plus parfaite s'il eût attribué le même genre aux deux
stylistifple

« Honneur, déshonneur et labeur sont restés pourtant masculins. » ;


Mais dans honneur
(et son dérivé déshonneur) et labeur, le français ne sent plus de suffixes c'est donc
pour lui des substantifs primaires. Le suffixe -eur des substantifs abstraits est enti*
rement féminin.
V
suppose de la part du péritoine un travail de réaction à quelque excita-
tion pathologique, le bolchevisme enfin est l'adhésion volontaire aux
doctrines et au parti de Lénine.
Et c'est en raison de cet élément actif qu'il implique que le suffixe
.isme nous éclaire sur l'homogénéité et la nature de la notion sexuisem-
blantielle masculine en français d'aujourd'hui.
Les suffixes -at et -é qui sont respectivement le descendant par voie
savante et le descendant par voie populaire du même suffixe latin (atum,
4° déclinaison), appartiennent tous deux à la sexuisemblance masculine.
Nous n'en serons pas étonnés si nous considérons qu'ils n'expriment pas
du tout une qualité abstraite. Le suffixe -at désigne une dignité, c'est-à-
dire une qualité codifiée, réglementée, légalisée, comportant des préro-
gatives et des pouvoirs effectifs. Ex. : le maréchalat, le bâtonnat, l'inter-
nat. Le suffixe -é a un sens plus matérialisé encore, puisqu'il forme le
nom du fief, du bien terrien dans la possession duquel réside la dignité
nobiliaire ou ecclésiastique. Ex. : le duché, le comté, l'crrchiprêtré,
l'archidiaconé. -
Ce n'est pourtant qu'à une époque récente qu' -é est redevenu mas-
culin. Sans doute confondu avec le suffixe -tas, qui avait, à côté des
formes en -té (bonitatem > bontet > bonté) donné les formes en -eé
(sanctitat.cm > saintedet > sainteet > sainteé), il est passé au féminin
et yest resté jusqu'au XVIIe siècle.
li roys avoit donnei anshoirs ln conlesce de Bouloingue, qui mode esloit
novcllemenl, la contée de Danmartin en GOllcrc.
(Joillvillc. Histoire de Sailll-Louis, 60).
Ainsi finit la duché d'Aquitaine.
(Mézeray, Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Charlemagne. Tome I,
P.221).
faire une place d'armes en lieu si voisin de la comté de Bourgogne.
(Saint-Simon. Mémoires. T. IV. chap. II, p. 25).
,..non seulement le Roi le retint prisonnier à la Bastille, où il croupit douze
ans durant, mais encore lui fit ôter la propriété de la Comté d'Auvergne.
(Hardouin de Péréfixe. Histoire du roi Ilenri-le-Grand, III, p. 256).
Cf. de nos jours, probablement par archaïsme :
Je crains de conquérir trop vite ma comté.
(A. Gassier. Artevelde, Il, 3).
Le Dictionnaire de l'Académie admet pour comté et duché, le masculin
!'t k féminin, dans
sa première édition (1G94) ; la troisième édition (1742)
lait comté seulement du masculin et, à l'article duché, dit :
« Quelques-uns disent, une Duché..pairie, et c'est dans cette seule

qu'à la 6° édition (1835) qui la remplace par celle-ci :


phrase qu'on peut employer ce mot nu féminin », phrase conservée jus-
« L'expression
<( duché-pairie est ordinairement employée comme substantif masculin ;
<( quelques-uns l'emploient

11 tJne duché- pairie.


» On lit déjà dans Saint-Simon :
comme substantif féminin. Un duché-pairie.
là ils lui procurèrent des lettres en décembre d'érection nouvelle
pir 1648,
du duchè-pairie de Hohan (2).
A
(Saint-Simon. Mémoires. T. Il. chnp. XIX, p. 337).
Quant à vicomté, ce vocable est encore du féminin dans la dernière
édition de l'Académie (1878) mais on trouve les deux sexuisemblances
dans la même page de Saint-Simon.
.la mouvance de ses terres du vicomté de Turenne.
(Saint-Simon. Mémoires. T. III. chap. V, p. 45).
M. de Bouillon fit envoyer des troupes dans celle vicomté (ibid).
Vicomté marque donc aussi la tendance populaire vers le masculin, et
le peu d'usage de ce vocable paraît seul avoir empêché son évolution de
s'achever.
Le féminin s'est également maintenu dans la locution la Franche-
Comté, pour désigner le Comté de Bourgogne, parce que cette locution
est devenue un nom propre, condition très favorable à la conservation
des archaïsmes (3).
En résumé dans ce second groupe de suffixes :
Appartiennent au féminin tous les suffixes exprimant la qualité de
façon abstraite (-té, -esse, -isse, -eur). Appartiennent au contraire au
masculin ceux qui la présentent comme le résultat d'une tendance active
plus ou moins consciente d'elle-même (-isme), ou d'une dignité définie
conférant un pouvoir d'activité"(-at) et celui qui ne désigne que le bien
matériel qui sert d'enseigne et de support à cette qualité légalisée et au-
thentifiée (-é).

324. -
Les suffixes diminutifs à.une seule forme, constituent un troi-
sième groupe. Iche et ole (cf. barbiche, banderole) n'ont pour ainsi dire
pas de sexuisemblance propre, en ce que, féminins, ils ne s'attachent
qu'aux substantifs nominaux qui sont déjà de sexuisemblance féminine.

;
(cf. pourtant un al'véole, mais ce vocable de souche néo-latine ne con-
tient originellement pas le suffixe français oie conçu secondairement
comme le contenant, il a une tendance nette à passer au féminin, dès
Buffon. Il tend ainsi à rejoindre la forme authentique de son primitif
auge).

(2) A vrai dire, le même auteur a écrit ailleurs :


et y précéderont, ainsi qu'en tous autres lieux, les ducs et pairs, quand
leurs duchés pairies seraient moins anciennes que celles des ducs et pairs. (Saint-
Simon. Mémoires. T. V. chap. 2, p. 24).
Mais on peut se demander si lasexuisemblance adoptée par lui n'est pas toujours,
pour duché-pairie, celle du composant !e plus proche de l'adjectif épinglé, duchéq11rcs-
; :
tant toujours masculin. Pour de pareilles attirances, plus communes en latin
français cf. chez le même auteur
M. et Mme la Duchesse d'Orléans avertis vinrent chez Madame la Duchesse
cn

(t. V, chap. 13, p. 163).


(3) Observons que l'exemple que nous avons de comté féminin chez Saint-SilUOll
s'applique précisément au comté de Bourgogne, ce qui peut faire supposer, dans c
cas particulier, l'influence de la locution Frunche-Comté.
Le suffixe féminin -on, en rapport avec le suffixe biforme -on-onne étu-
diée plus haut, est beaucoup plus intéressant.
Tout d'abord, nous voyons ce suffixe s'attacher aux prénoms féminins
pour former des diminutifs qui sont également de sexuisemblance fémi-
:
nine, dans la parlure littéraire aussi bien que dans la parlure vulgaire.
la Madelon en est un exemple désormais célèbre. Item Marion, Loui-
son, Marthon, tante Lison (Maupassant, Une vie, passim), Suzon, Margo-
ion, Fanchon, Jeanneton, etc. Mais ces diminutifs désignant spécifique-
ment des filles ou des femmes, et impliquant à vrai dire quelque chose
d'un peu cavalier, prennent facilement, dans le parler hypocoristique,
la sexuisemblance masculine. « Mon petit Suzon », dit-on souvent. Ceci
en vertu du même phénomène qui fait que c'est un terme
particulière-
ment affectueux, et très familier aux mères, que d'appeler un garçon
« ma
petite fille, ma chérie, ma nique, ma belle », et une fille « mon
chéri, mon gros ». On met ainsi en évidence les qualités d'ordinaire ré-
putées féminines qui peuvent se trouver chez l'humain du sexe masculin.
On va chercher dans le cœur du petit garçon où elles sont moins profon-
dément cachées, voire dans le cœur de l'homme dont on est amoureuse,
les qualités de douceur et de tendresse qui sont si apparentes chez la fem-
me qu'elles sont évocables par la sexuisemblance féminine. De même on
montre chez la fillette ce fonds d'activité joyeuse qui est classiquement
l'apanage des mâles. Et, en mettant ainsi en évidence dans chaque sexe
les qualités dont une vue superficielle avait fait la caractéristique appa-
rente de l'autre, l'on fait saisir les profonds éléments communs, ceux par
lesquels les cœurs des deux sexes de l'humanité sont, en dehors de la
guérilla amoureuse, capables de communion affective fraternelle.
v.
Attaché, non plus aux noms propres, mais aux substantifs nominaux
banaux, le suffixe -on, comme sexuisemblant masculin, peut avoir cette

:
nuance hypocoristique par exemple quand un oncle appelle sa nièce en
bas âge, pleine de vivacité sémillante « mon petit niéçon aimé ». D'au-
tres fois, au contraire, il y a moins inversion sexuisemblantielle qu'omis-

ne veut pas considérer que ce qu'on désigne est une femme :


sion de la sexuisemblance : on reste dans l'indifférencié parce que l'on
un laide-
l'on, un souillon (1), un louchon, n'exercent plus aucune attirance sexuel-
le (2) et on leur inflige l'extrême honte de se voir retirer les attributs
grammaticaux de leur sexe. Quelquefois même, l'inversion sexuisem-

:
blantielle donne une impression intermédiaire aux deux que nous venons
d'analyser une fillette qui se salit devient un petit salisson, et sous ce

(1) Souillon masculin paraît s'être originairement rapporié aux hommes, ex. :
Vous l'eussiez pris pour un souillon (Scarron. Virgile Travesti. Il. p.101,col. I).

bouillon au féminin:-
il s'agit d'Hector. Réciproquement, La Fontaine, pour désigner une femme, met
Je pestois de bon cœur contre cette souillon (La Fontaine. Ragotin V. 16).
Cf. une laideron dans l'exemple de George Sand de la note 3.
(2) Cf.le masculin un bas-bleu (une femme pédante), beaucoup plus insultant
qu'une bOl-bleu, qui s'entend aussi quelquefois. -
reproche, dont on veut lui faire honte et qui prétend la retrancher du
gracieux et séduisant sexe féminin, on cache pourtant une sorte d'indul-
gence pour ce qu'il y a de naturel et d'humain dans ces fautes vénielles
*Tune enfant.
Ces nuances d'ailleurs en raison de leur délicatesse même sont fragi-
les, et pas toujours respectées. La parlure négligée les escamote souvent
ou bien elle fait passer résolument au féminin le vocable qui désigne une
;
femme, disant une laideron (3), une petite louchon, ce qui atténue gran-
dement l'insulte ou bien elle transpose le vocable en -on au profit du
:
;
sexe mâle, et recrée un vocable en -onne pour le sexe féminin un lou-
chon désigne souvent un homme qui louche et on entend appeler une
femme qui louche une louchonne (4).

ex.:Cf. aussi l'hésitation sexuisemblantielle entre un trottin et une trottin,


C'était une petite apprentie, un Irotlin de modiste.

Une Irotlin, qui surprend ma contemplation, me jeltc en riant


't'es beau 1 »
:
(Alplunsc Allais. La petite coquette, Les Histoires Drôles. No T, p. 30).
« Oui, va,

(II. Duvernois. Morte la bête. La Fugue, p. 38). »


325. — Un quatrième groupe est celui des suffixes de la quantité. En
ayant éliminé ain-aine, qui a trouvé sa place dans les suffixes à sexui-
semblance intra-suffixale, nous y trouvons seulement -illion et -aille. Le
premier qui est masculin, a un sens arithmétique extrêmement précis,
puisqu'il équivaut à exprimer 10(3+3n), n étant le nom'de nombre au-
quel le suffixe -illion vient s'ajouter. Le second qui est féminin, exprime

et oubliées, et où le nombre précis de celles-ci importe peu de la mar-


maille, de la canaille, de la truandaille, etc.
:
une collection dans laquelle les individualités composantes sont fondues

326. — Il nous reste maintenant un certain nombre de suffixes isolés,


dont le sens est infiniment plus étroit et le domaine sémantique plus par-

laideron n'est pas aussi décisif qu'unlaideron, la femme y paraît encore,


:
(3) Une
«x.
;
Elle est jaune comme un cierge pascal, et ses grands yeux ne me disent rien
du tout et puis toujours si mal habillée. Décidément c'est une laideron. (G.
Sand — Consuelo. T. I, p. 10).
(4) Pour tatillon, tatillonne, cité par M. Nyrop (Grammaire historique de la langue
française, T. III, § 665, p. 332), le cas est un peu différent. Ce vocable est en effet
beaucoup plus souvent employé adjectiveusement que substantiveusement, et nous
avons vu plus haut et redirons plus bas que l%djectif nominal, dont la sexuisemblance
est purement communiquée, s'accommode moins aisément de formes aberrantes dans
son système de flexions sexuisemblantielles.
A côté de tatillon, placer grognon. Ex. :
.sa physionomie grognon pétillé (sic) de malice.
(F. Sarcey. Etienne Moret II, p. 122).
ticulier, et qui par conséquent sont de nature à nous éclairer beaucoup
moins sur le génie profond de la langue. Jetons cependant sur eux un.
rapide coup d'œil.
La chimie possède les suffixes masculins -lire, -île, -ate, -al, -ol, -ont,
-ène, -ide, dont la sexuisemblance n'est masculine, vraisemblablement,
,
que par indifférenciation. Pourtant, certains suffixes chimiques ont
échappé à cette indifférenciation et ont exigé pour eux la sexuisemblance
féminine : tel le suffixe -ine, qui sert à former le nom de certaines subs-
tances industrielles (la brillantine), et celui de ces substances alcaloïdien-
nes végétales (la morphine, la dionine, la digitaline, l'aconitine, etc.)
qui sont par leur puissance thérapeutique étonnante, de véritables fées,
et dont la séduction surnaturelle devient parfois dangereuse. Tel aussi le
suffixe -ase, qui désigne ces ferments chimiques, les diastases,.dont pa-

;
raît ne pas s'épuiser le pouvoir de reproduire indéfiniment les mêmes
réactions et le suffixe -ose, qui sert à. former les noms des sucres (1).
La zoologie oppose son masculin -idé aux féminins -idées et -acées de
la botanique.
La médecine applique les suffixes masculins -ème (ex. : blastème) à.
des formations tissulaires, -orne à des tumeurs, choses limitées et maté-
rielles (jibrome, carcinome). Plus abstraites sont les maladies inflamma-
toires avec leur suffixe féminin -ite (bronchite, phlébite), et ces grandes
affections multiformes à suffixe féminin -ose (névrose, dermatose) sortes
de matrices infiniment fécondes d'où peuvent provenir toutes sortes de
manifestations morbides.
-ia qui sert à former le nom de certaines plantes (ex. : gardénia),-la
qui sert à baptiser certains instruments de musique demi-automatiques
(ex. : pianola), -ana qui désigne un recueil d'anecdotes concernant tel
homme célèbre, sont latins par leur origine réelle ou leur aspect, et sont
masculins en vertu de ce qui a été dit au § 312.
Les péjoratifs -ouille et -asse, féminins, font penser à de grosses fem-
mes dégoûtantes, mais dont l'abondance d'appas ne permet pas d'oublier
le sexe.
Enfin, le suffixe très vivant -aie, qui, ajouté à tout nom d'espèce végé-
tale, désigne un lieu planté de végétaux de cette espèce, évoque une re-

327.
:
production en quelque sorte indéfinie, comme dans un moule, du même:
type d'être Ex : une oseraie, une jonc-haie, une chênaie.
— Que si maintenant nous essayons de tirer la leçon de ce que
i
:..
k* suffixes nous ont appris concernant les directives que la langue
Pour se guider dans ses métaphores sexuisemblantielles, nous arrive--
a'";
aux :
conclusions suivantes : A. — Elle a tendance à langer dans
§
)(' masculin
blnnts (§ 317)
]},< le
1° tout ce qui est indifférencié. Cf..
; et les désexualisés (§ 324).
- 309) ; les pullisem-
2° tout ce à quoi elle
une âme active, c'est-à-dire une source d'activité indépendante et.
Hllprévisible (cf. -age,-ment, § 322
; -isme § 323 ; et les noms d'ins-

(1) Ici, d'ailleurs, l'usage hésite et la sexuisemblance masculine est souvent préférée-
(/'
'1 saccharose,
le glucose, etc.) malgré l'autorité de l'Académie (1878).
trument en -ai,. et -eur § 320) ; — 3° tout ce qui est figé dans une
délimitation précise, méthodique et en quelque sorte matérielle* (cf.
-ai", § 319 ; -is § 322 : -at, -é,
323 ; -ome, § 326).
§

B. — Elle a au contraire tendance à ranger dans le féminin


ce qui représente une substance immatérielle connue comme purement
: 1° tout

abstraite, en dehors de tout phénomène (ex. : -tion, -aison dans pendai.


son 5, 322 ; -ance § 322 ; -esse, -ise, -té. -eur § 323). 2° Tout ce qui est
en train de subir une activité exogène (cf. -ure, -ade, -ée dans échappée,
§ 322).
— 30 Tout ce qui évoque une fécondité, en quelque sorte méca-
nique capable seulement de répéter indéfiniment un même type d'activité

-aille § 325
-aie § 326).
; -ase, suffixe des diastases ;
productrice (cf.-aison dans lunaison, § 322 -ée dans assiettée § 322 ;
-ose au sens médical ;
328. — Mais la dérivation pexiomatique n'est pas la seule qu'utilise le
français pour la formation de ses substantifs nominaux secondaires. Il
procède aussi fréquemment par troncature d'un thème verbal, dégageant
en quelque sorte du verbe le substantif nominal implicite qui en est
imaginé comme le point de départ (cf. § 126). Dans ces sortes de forma-
tions, la langue était entièrement libre d'adopter l'une ou l'autre
physe du répartitoire. En fait elle a formé des substantifs nominaux des

masculins
féminins
::
deux sexuisemblances ; ex. :
galop, oubli, trouble, change, etc.
visite, baisse, chasse, relève, etc.
« Au moyen-âge, dit M. Nyrop (1), la formation masculine était pré.
(» pondérante.
Petit à petit, le féminin a gagné du terrain, et de nos
« jours, il tend à remplacer le masculin. Ex. : boxe, casse, épate, etc.
«Les formations masculines modernes sont plus rares et n'appartiennent
«pas à la langue populaire. Ex. : bou (du sucre qui a bouilli), déblai,
«remblai, déport, report, etc., tous termes techniques. »
» :
On peut souscrire à ces paroles, à la réserve du refus du caractère
«populaire aux termes techniques ce n'est peut-être pas la même
partie du peuple qui les forme, mais on n'a pas non plus affaire à des
termes formés « savamment », en dehors de l'instinct linguistique com-
mun.
Pour rendre compte de la répartition des sexuisemblances dans ces
substantifs formés par troncature, il faudrait examiner chaque cas sépa-
-
rément. D'une manière générale, il est toujours possible d'imaginer le

;
vocable ainsi tiré du verbe comme en exprimant l'action phénoménale
ou le résultat passif selon le point. de vue choisi, le masculin ou le
féminin étaient également possibles. Mais, en outre, des actions d'ana-
logie et des attractions sémantiques ont pu se produire. Ainsi la casse

;
nous paraît légitimement féminine, parce qu'elle traduit surtout le ré-
sultat passif de l'acte de casser tandis que la boxe justifierait plutôt.
(1) Grammaire historique de la Langue française, III, §§ 540 à 543.
-sa
sexuisemblance par analogie avec les noms généraux d'arts ou de
sciences, la médecine, la musique, la gymnastique, et elle forme classe
avec la danse, l'escrime, la course, lapêche, la chasse, etc. Le chant

;
par contre est masculin, comme impliquant un acte, un geste, et non
plus un ordre général d'activité il forme classe avec le cri, le saut,
le bond, l'appel, etc.
Un cas particulier intéressant nous est fourni par le double substantif
nominal relâche. Le verbe relâcher a donné en effet deux substantifs
nominaux absolument homophornes [r (œ) 1 à : c (œ], l'un, masculin,
qui marque le repos, la cessation dans quelque passion ou de quelque
occupation, l'autre, féminin, qui marque un arrêt dans le voyage d'un
navire, ou bien le port où cet arrêt se produit (1).

329. — Dans la formation des substantifs nominaux par équivalence


ou convalence, le rôle du masculin comme physe indifférenciée est con-
sidérable. Il explique toute une série de faits :
A. — Les équivalents ou convalents substantiveux d'origine factivale
ou affonetivale sont tous masculins. Point d'exception quand la valence
substantiveuse est occasionnelle. Ex. :
Il répondit un « oui», net et clair.
»
Il lança un « Fous-moi la paix retentissant.
Tu m'agaces avec les « pourquoi » incessants.
Point d'exception non plus quand il y a équivalence ou convalence
d'une façon plus permanente. Ex. :
Pour un oui ou pour un non.
Le pourquoi et le comment des phénomènes.
Le bien du pays.
Soucieux du qu'en dira-t-on.
Etre sur le qui-vive.
si les capucins eux-mêmes se mettent en tète qu'un bon tiens terrestre vaut
mieux que deux célestes lu l'auras, je ne vois pas du tout ce qui peut conter,
o.

soutenir et maintenir dans la discipline les hommes qui travaillent au fond des
mines.
(Clément Vautel, Mon Film, in Le journal, 4 mai 1920).
C'est seulement quand la locution à centre originellement factival ou
adjectival a pris le caractère d'un véritable substantif nominal essentiel
que le féminin est possible (une garde-malade, une jordonne) et encore
n'est-ce que lorsque ce substantif désigne un être femelle, le masculin
lestant la règle générale (un portefeuille, un taille-crayon, un pousse-
café, etc. ; à plus forte raison pour des êtres masculins (un porte-dra-
peau, un crève-la-faim, un peigne-cul).
Certes les locutions formées avec la préposition à et l'article notoire
sont toutes féminines, mêmes si elles contiennent un substantif nominal
<lld soit absolument masculin. Ex. : à la française, à la housarde, à la

(1) Cf. Girault-Duvivier. Grammaire des Grammaires, T. 1, 2e partie, ch. I, art. I,


iL112.
Daudet, à la six-quat'deux, à la va-U'jair'joutre, à la Béchamel, à la noix
àla flan.
Mais ce cas particulier n'est pas de nature à infirmer notre loi, car la
locution formée n'est finalement pas substantiveuse, mais affonctiveuso

;
à la est arrivé à y former une sorte de strument exprimant l'affonctivosiié
en général et c'est l'affonctivosité qui est conçue par la langue comrne
une fonction essentiellement féminine.
;

C'est aussi le masculin qu'on donne aux substantiveux nominaux for.


més d'adjectifs quand ils expriment le sémième adjectival pris comme
concept dans toute sa généralité :
Ex. :
Rien n'est beau que le vrai ; le vrai seul est aimable.
(Bouleau — Epitre IX).
Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable.
(Boileau — L'Art poétique. Chant 111).
B. — Inversement, tout substantif nominal qui sort de sa valence
esentielle pour prendre une autre valence perd sa sexuisemblance, el
ne peut, s'il a besoin d'une sexuisemblance dans sa nouvelle valence, que
prendre le masculin. Ex. :
D'où vient que personne en la vie
N'est satisfait de son état.
(La Fontaine, Fables choisies, XII, 9, Le loup et le renard).
C'est que vous n'aviez rien dans la tête, et que vous y avez quelque chose el ce-
quelque chose vous n'en oseriez parler qu'à moi.
(Mademoiselle. Mémoires. If. 10. I. IV, p. 103).
Il me coupe la parole pour dire quelque chose, et es quelque chose, il sait pas le-
dire.
[imkui:plàpàrôlpui:rdi:rkèkcô:z,
i s é p à di: r]
: 1
és& k è k c Ó :z—
(Un petit garçon d'une douzaine d'années. Square Lagarde le 12 avril 1920).
Si, après avoir passé à une valence différente, le substantif nominal re-
vient à sa valence initiale, c'est avec la sexuisemblance masculine, ce
qui crée souvent des oppositions intéressantes et sémantiquement expres-
sives.
«
« pas D
a la
? — Si
— Alors
surprise, qui est si
:
Il me semble Monsieur, me dit-il. vous avoir déjà vu quelque part. Tu n'es
lui Ah 1 merde, s'écrie-t-il. Vous savez, ce merde de
pleind'éloquence. »
en 1915).
(M. F.
Voici mon bol. mes sabots, monpetit flacon d'encre. Cela semble si bon, de
retrouver ces choses à soi. res riens amis qu'on aurait pu ne jamais revoir.
(Roland Dorgclès — LesCroix de Rois. ch. VI. p. 105)
C. — Enfin, on place le plus souvent dans le masculin les substantifs
nominaux tirés des noms propres. Ex. : le douglas, un little, un aran-
duchenne, un pott, du cheyne..stoKes. Et la théorie du sous-entendu, en
vogue dans les grammaires classiques montre ici son insuffisance, car k
substantif de la locution complète est bien masculin dans le cnl-de-sac
de Douglas, un mal de Pott, du rythme de Cheyne-Stokes, mais il est
féminin dans une maladie de Little, une amyotrophie type Aran-Duchen-
lie. Item, de nombreux vocables de
l'argot de l'X' : un souriait, un ros-
io,etc.
Cependant une béchamel (1), une poubelle, une silhouette, etc.
Nous avons déjà vu plus haut le mécanisme de l'équivalence donner
naissance à des féminins, chaque fois que l'être imaginé derrière le voca-
ble ainsi transporté dans l'essence substantive nominale est réellement
une femme ou un être femelle. Ce processus s'appliquera fréquemment

des adjectifs:
dans la formation de substantifs nominaux à partir de la phase féminine
une vieille, une jolie, etc. sont aussi naturels qu'un
vieux, un fou, etc.
Grâce à la ressource métaphorique qu'offre à la longue la sexuisem-
blance, elle étend le processus adopté pour les personnes réelles sexuées
aux êtres allégoriques sexuisemblants. En d'autres termes, elle substan-
livc un adjectif au masculin ou au féminin en imaginant derrière lui une
substance susceptible d'être classée, de par ses affinités sémantiques,

comme le navire, le vaisseau, le bateau, le paquebot


consommation, une boisson verte.
;
dans l'une ou l'autre sexuisemblance. Le long-courrier est masculin
une verte, est une
La langue étend ainsi de proche en proche son système et part des
sexuisemblances acquises pour en décider de nouvelles, suivant à travers
de multiples séries le développement, l'évolution de l'idée masculine et
de l'idée féminine, à tel point que l'écheveau formé par tous ces fils.
paraît à première vue inextricable.

330. — Il nous reste maintenant à examiner quelques questions plus


spéciales et notamment celle des substantifs à double sexuisemblance:
Dans cet ordre d'idées, il nous faut tout d'abord nous arrêter à ces subs-
tantifs nominaux primaires que la langue nous présente accouplés par
paires, et dont les formes sont morphologiquement liées l'une à l'autre
comme le masculin et le féminin d'un même adjectif (ex. : grain, grai-
ne).
Ce cas est extrêmement voisin de celui qui a été examiné aux paragra-
phes 315 et suivants, ci-dessus (suffixes à deux formes) et sur bien des
points il se confond avec lui (ex. : cerveau, cervelle). D'une manière géné-
rale, la répartition des sexuisemblances s'y laisse rapporter aux idées
d'ensemble que nous avons dégagées au § 327.
Le grain est simplement un objet déterminé, au sujet duquel on n'a-
joute rien de plus, c'est la chose prise dans son sens général (\. 1° ou 3°);
celte même chose ne prend le nom de graine qu'en tant qu'elle est capa-
hle de reproduire la plante (B 3°).
La cervelle est une masse blanchâtre conçue comme passive (B. 2,; cf.

'1) La.sexuisemblance de béchamel s'explique par ce


lin;
II.
que ce substantif nominal aura
originellement « à la façon de
de l'expression à la Béchamel qui signifiait
« la béchamel » était un
BÚchaOlel H. mais qui n été comprise ensuite comme si
MJMIO de préparation des niels. Et finalement béchamel » substantif nominal féminin
, devenu le nom d'une sauce. «
mot :
les locutions, surtout négatives et toujours péjoratives, où on emploie
n'avoir pas de cervelle, tête sans cervelle, cervelle de linotte) ; et
comme comestible (de la cervelle de mouton). Le cerveau, organe noble
ce

passe pour le siège de la conscience et la pensée (A. 2°).L'aubépine est


une espèce végétale; ce sont ses fleurs, ses branches, prises en quantité in-
déterminée, soit sur pied, mais en masse et sans compter les pieds, soit
en
guirlandes et en bouquets (B. 3°) (1). L'aubépin, au contraire, est l'uni.
té : c'est un arbuste de cet espèce et un seul (A. 3°). Ex. :
Bel aubespin verdissant,
Fleurissant,
Le long de ce beau rivage,
Tu es veslu jusqu'au bas
Des longs bras
D'une luinbrunclic sauvage. ,
(Ronsard. Odes. IV, 19, T. Il, p. 273).
Nous ne pouvons donner ici la liste complète des substantifs nominaux
de ce genre. Ils sont trop. Maintes et maintes fois, la langue a développé
ainsi deux formations parallèles. Il est évident que toute doctrine abso.
lue est impossible pour une classification reconnue par nous-mêmes
essentiellement imaginative et impressive, comme l'est celle de la sexui-
semblance. Aussi les aperçus que nous venons de donner ne peuvent-ils
passer que pour desindications. D'autres fois, c'est une analogie plus par.
ticulière que l'on saisit pour expliquer la répartition du sens entre les

: :
deux formes sexuisemblantielles. D'autres fois aussi, il arrive que l'ins.
tinct profond de la langue nous échappe encore c'est le cas pour platin.
platine un platin désignant, sur la côte royannaise, l'un de ces rochers

peu près uniforme, horizontale ou en pente très douce ;


du bord de la mer dont la partie supérieure est aplatie en une table à
une platine
désignant le disque plat qui sert, dans un microscope, de support à la

:
préparation. ; ou, dans l'usageplébéien, cet organe plat et étalé si utile
aux bavards la langue.

331. — De véritables substantifs primaires, les uns masculins, les au-


tres féminins, peuvent également être rigoureusement homophones (1).
Ce phénomène peut se produire du fait que deux substantifs d'origine
différente et de sexuisemblance diverse ont, au cours de leur évolution
phonétique, acquis l'homophonie. Il est certain que, puisqu'il s'agit là
d'une sexuisemblance héritée, on ne saurait y chercher l'esprit actuel qui
préside à la répartition des sexuisemblances. La seule chose que l'on
puisse et que l'on doive remarquer au sujet de ces couples substantif,
c'est que l'homophonie ne tend pas à réaliser ici entre les homophones
la confluence sémantique, car, du fait de la diversité de sexuisemblance,
cette homophonie ne peut être considérée comme s'accompagnant di1

:
(1) Cf. aussi en pharmacie de la teinture d'aubépine.
(1) Les frères Bescherelle et Litais de Gaux, grammairiens, dont la renomnica
-
modeste ne répond pas au grand mârite, apportent, de ces substantifs nominaux à
deux sexuisemblances, 416 exemples littéraires
:
cette identité de fonctions grammaticales qui est la condition nécessaire
delasysémie.Ex.
MASCULIN FÉMININ

la : j (oe)3 Ange, être surnaturel Ange, poisson


(dugrec,àfïtkov, (du gaulois ambica) (1)
bas-latin angelum) *

[Ú : n (œ)] Aulne, arbre (du latin Aune, mesure (du vieux


alnus) haut allemand elina, bas-
latinalena)
à rb (de)]
[b Barbe, cheval de Barbarie Barbe, ensemble des poils
(de l'italien barbero) du menton (du latin bar-
bam)
[b à rd (œ)]
;
Barde, trouvère celte
(du celtique bas-bre-
ton barz)
Barde, cuirasse, enveloppe
(de l'arabe bardahel, cou-
verture)
[bè rs(oe)] Berce, oiseau (origine Berce, planle
inconnue) (origine inconnue)
cè:il(de)] Chêne, arbre, (du gaulois; Chaîne, suite de maillons.
bas-latin caxanum) (du lutin catenam).
[k ô c (de)] Coche, véhicule (origine Coche, 1* truie
germanique, probable- 2° entaille
ment deux vocables à (vocables tous deux d'ori-
l'origine) gine celtique)
[d ri : y (&)] Drille, soldat, compagnon, Drille, porte-foret (de l'an-
gaillard (du vieux glais io drill, percer)
haut allemand drigil)
[1 i : v r (de)] Livre, ouvrage de l'es- Livre, poids, monnaie
prit (du latin librum) (du latin libram)
fin à s k (de)] Masque, déguisement Alasqlle,sorcière. femmeru-
(de l'italien maschera) sée (du provençal masco)
[m 6 : 1
(œ)] Môle, massif de maçonne- Môle, tumeur du placenta
rie (du latin molem) (du latin molam)
[mui f1(de) Moufle,to système de poulies Moufle, pièce d'habillement
2° petit vaisseau,
four de petites di-
mensions,
ou du germanique:
(du latin manupolam.

bas-latin muffulam)
(origine inconnue)
[niui 1(OB)] : Moule, vaisseau pour mouler Moule, mollusque,
1 (du latin modulum) (du latin musculum)
[m ui s (de)] Mousse, aide de matelot Mousse, plante
(de l'espagnol mozzo) (de l'allemand AIoos)
(1) Etymologie proposée par l'un de nous (M. Edouard Pichon).
[Õ : b r (œ)] Ombre, poisson Ombre, absence delumière
(origine inconnue) (du latin umbram)
[p à : j (de) PlIge, jeune domestique Parle, suiface couverte
noble (origine inconnue) d'écriture.
(du latin paginam)
[p à 1 m (œ)J Palme, mesure Palme, 1°brandie de pal.
(du latin palmum) mier (du latin palmam)
2° sorte de navire
(origine inconnue)
[pâ:t(de)] Parité (argot), personnage Pente, inclinaison
quelconque envisagé en (de*penditam)
tant que pouvantêtre
victime d'un vol avec ou
sans meurtre.
[ p à : r] Part, accouchement Pari, partie
(du latin partum) (du latin parlem)
[plan (èe)] Plane, arbre Plane, 1° outil (dérivé du I

(du latin platanllln) verbe planer, aplanir)


2° adjectif plan,
substantivé au féminin j
[p 1 a t i n «Iè)l Platine, métal (1) Platine. petit plateau
(de l'espagnol platina) (diminutif de plaie:
petite chose plate).
[ pw à : 1 (œ)] Poile, 1° étoffe tenue dans Poêle, ustensile de cuisine
les cérémonies (du la- (du latin patellam)
tin pallium)
2° appareil de chauf-
fage (du latin pensile)
[p Õ : t (œ)] Ponte, homme qui mise au Ponte, action de pondre
jeu (de l'espagnol (du verbe pondre)
PUlltO)
[rè:v (de) Rêve, acte de rêver Rêve, sorte d'impôt (peul.
(déverbal de rêver, du être d'une forme dialoc-
*
latin re-aesluare) tale issue du bas-latin
roga)
[s a t i : r (de)] Salyrc, chèvrepied Satire, poème
(du grec aâ-cupoç) (du latin saluram)

Ex. :
(1) Platine, métal, issu d'un vocable espagnol féminin, a été féminin en français.

;
Les matières métalliques dont l'auteur examine ensuite les propriétés en par-
ticulier sont au nombre de quinze savoir, l'arsenic, le cobalt, le bismuth. le
nickel, le manganèse, le régule d'antimoine, le zinc, le mercure, l'étain, Ifr
plomb, le fer, le cuivre, l'argent, l'or et la platine.
(Journal de Médecine, t782, t. LVII, p. 401).
Mais il est devenu masculin par analogie avec tous les autres métaux.
ISibtn 1 Somme, quantum de Somme, total
sommeil dormi d'af- (du latin summam)
filée (du latin
somnum)
[5 m :
ri (z)] SOlLris. sourire
(du latinsubrisum)
Souris, petit rongeur
(du latin soricem)
[t m : r]
TOllr, outil pour tourner Tour, bâtiment très haut
acte de tourner par rapport à son aire
(du grec x6p-voç, de base
latin tornus ; et (du latin lurrim)
déverbalde tourner)
[t r y Õ : f(ce)] Triomphe, cérémonie triom- Triomphe, atout
pliale (du latin (déverbal de lriompher)
triumphum)
lv à : z (èe)] Vase, vaisseau Vase, fange (du néerlandais
-
(du latin vas) wasIJ)

332. — Très souvent, la double sexuisemblance procède, simplement


d'un travail de revision encore insuffisamment accompli par la langue,
sur un substantif primaire unique. Dans ce cas, nous voyons seulement
coexister deux habitudes, dont l'une, ancienne, tend à perdre du terrein,
l'autre, nouvelle, tend à progresser. Il n'y a pas, à proprement parler,
sexuisemblance double. En général, chaque sujet parlant ne connait et
ne pratique lui-même pour cet ordre de substantifs nominaux, qu'une
seule sexuisemblance. Mais l'usage varie de locuteur à locuteur. D'ail-
leurs, le travail est plus ou moins poussé par la langue et tous les degrés
se présentent, depuis le cas extrême où la sexuisemblance primitive ori-
ginelle est tout à fait oubliée (ex. : mer) jusqu'à celui où la sexuisem-
blance nouvelle francigène, n'est encore aux yeux des grammairiens
dogmatiques qu'une incorrection, (ex. : chrysanthème, fém.) en passant
par tous les intermédiaires.
C'est que dans un répartitoire qui représente une division impressive,
il y a certainement un certain flottement. Sans doute, la plupart des
Français sont d'accord sur la sexuisemblance des vocables de la langue
rien ne frappe plus, dans la manière de parler français des étrangers,
;
que les méprises qu'ils commettent à cet égard. Nous nous souvenons

1898, une pièce intitulée :


d'avoir vu jouer, à un théâtre de marionnettes, au Touquet, en juillet
Lafleur et l'Anglais au Mont Vésuve, où l'uni-
que acteur parlant, pour faire l'Anglais, ne changeait pas son ordinaire
voix. picarde, mais se contentait de changer avec une régularité parfaite
la sexuisemblance de tous les substantifs nominaux, et de
ne jamais se
servir de substantifs strumentaux agglutinatifs à l'assomptif, ce qui don-
hait des phrases de ce genre : «Allons, ma garçon, donnez à moi ma
chapeau et
mon canne pour aller faire un promenade qui fera de la bien
à ttioi.
» Cette sorte de comique nous rappelle aussi l'étonnement des
enfants français quand ils voient des images -étrangères où les souris
sont costumées enhommes et les chats en femmes.
Mais les hommes vivant à des époques différentes ou dans des milieux
différents sont amenés à ne pas concevoir exactement de la même façon
les choses qui les entourent.
Aussi voyons-nous la sexuisemblance de bien des substantifs hésiter
ou changerdans les monuments écrits de la langue.
Ainsi idole. du neutre grec e'£8<o).ov, a été très longtemps des deux
sexuisemblances.
A mailz de fer e a cuignees qu'il tindrent
Fruissent les ymagenes et trestutes les ydeles.
(Turold. La chanson de Roland, 3664).
Et s'il nel fait, il guerpirat ses deus
Et Un ses ydeles que il soelt adorer.
(Ibid. 2619).
Il prend l'Idole, et le jettant de grande force par terre, il le met en pièces.
(Patru. Apologue de l'Idole. 3e lettre à Olinde, 1659).
La langue s'est décidée pour le féminin comme dans image, statue
et 'divinité.
Les noms des prières étaient autrefois féminins
Soventdisoit entre ses denz
:
Sa credo et sa paternostre.
(Le Roman du Renard, 20703).
Nous disons aujourd'hui, le credo, et le terme la patenôtre, qui ne se
dit plus qu'en plaisantant, a été remplacé par le pater.
De même hydre s'est longtemps rencontré au masculin, ce qui répond
à la forme masculine üôpoç existant en grec à côté de la forme féminine
fjôpoc. Ex. :

Le jeune Alcide à qui j'avois voué ma vie entreprit quelque temps aprèsd'aller
couper les testes d'un Hydre.
(Tristan l'Ermite, Le page disgracié, 28 partie, ch. XLIX, p. 397).
Littré nous apprend que la sexuisemblance masculine se rencontre
encore dans La Fontaine, Raynal et Victor Hugo.
Sur anthrax, actuellement masculin, cf. :
le médecin dit aujourd'hui que c'est une entraxe pour laquelle on sera obligé
de recourir à une petite opération chirurgicale.
(Lettre de la comtesse Mollien à Mme de Boigne, 21 août 1850, apud Mme de B.
t. III, p. 284).
Ongle a été féminin (lat. ungula) jusqu'au XVlle siècle :
Lorsque se rencontant sous la main de l'oiseau
Elle sent son ongle maline,
(La Fontaine. Fables choisies. VI, 15. L'Oiseleur, l'Autour et l'Alouette).
On trouve des exemples anciens de silence au féminin.
et ses gens autour de luy en si belle silence.
(Le Roman de Jehan de Paris, p. 46).
Veillez vous pour vo salut taire
Par une amoureuse silence.

Once (animal) a été masculin :


(Arnoul Greban. LeMystère de la Passion, 227).

La biche et le chevreuil se trouvent sans danger


Près du cervier cruel, et de l'once léger.
(Tristan l'Hermite. La Lyre, p. 72).
Buffon lui donne encore cette sexuisemblance :
M. Perrault dit que l'once de Caïus est bien plus petit que les tigres disséqués
par MM. de l'Académie des sciences.
(Buffon. La Panthère,l'Once et le Léopard. Tome IV, p. 182, col. 2).
Il est à regretter que la sexuisemblance féminine ait triomphé, car la
masculine permettait de différencier l'once, animal, de l'once, mesure
de poids (du latin uncia), quil est et à toujours été du féminin.
Nous n'avons pas la prétention d'énumérer ici tous les substantifs
nominaux ayant manifesté de ces hésitations historiques. Elles ne nous
intéressent en effet qu'en tant qu'elles subsistent de notre temps, ce qui
n'est le cas que d'une minorité.
Epiderme pouvait être féminin d'après lmôtpp.(ç ou masculin si on le
rapportait à derme (du neutre 8épp.a). L'Académie a adopté la sexuisem-
blance masculine. Mais, de nos jours encore, le féminin s'entend très
souvent ; il a pour lui l'autorité de Molière (1).
Darmesteter (2) nous apprend que Régnier, Urfé et Rotrou ont donné
à pleur la sexuisemblance féminine. De fait malgré l'usage officiel, c'est
cette sexuisemblance que lui donnent naturellement beaucoup de Fran-

-
çais, peut-être sous l'influence du sufixe -eur (cf. chaleur, etc.), peut-être
par analogie avec larme.
Steppe hésite encore, à l'heure présente, entre les deux sexuisemblan-
ces. La sexuisemblance académique est la masculine bien que ce vocable
soit emprunté à, un féminin russe.
Les écrivains modernes ne se font d'ailleurs pas faute d'être les inter-
prètes du sentiment de beaucoup de leurs contemporains en faisant
correspondre la sexuisemblance avec leurs sentiments intimes :
Il lui lança, avant tout combat, ses effluves paralysantes, engourdissantes. »
(Michelet. La Mer. IL 9, p. 202 (3).
,
(1) Cf. Littré. Dictionnaire de la Langue française. s. Vo épiderme.
(2) Darmesteter. Cours de grammaire historique de la Langue française, T. II,
P55.
(3) Cet auteur paraît d'ailleurs avoir une particulière tendance à
n'accepter les
scNuisernblances généralement admises qu'à condition qu'elles répondent à son senti-
iiiont propre. Sinon, il en change sans scrupule, ex. :
Ce n'est qu'au second regard qu'on commence à découvrir son iris mystérieuse
« irrisation »1.
[au sens d'
(Ibid. Il. 8, p. 195).
Que tout cela est supérieur au poulpe ou à la méduse, qui présentent à tout
menant de molles tentacules de chair.
(Ibid.II.II,p.223).
Elle avance pourtant, la cyclone.
(Ibid. III. 3, p. 297).
un couloir tout embaume è distance des essences précieuses qui exhalaient
sans cesse du cabinet de toilette leursefjluues odorijéranles.
(Marcel Proust, A la Recherche du Temps Perdu. T. II, p. 73).

féminin ;
L'auteur obéit ici à une tendance très répandue de faire ce vocable
dans l'exemple suivant, il proteste contre la sexuisemblance
académique, au nom d'un sentiment intime égalément partagé par
beaucoup.
Il n'y a que Odette, pour trouver des chrysanthèmes si belles ou plutôt
vOU:o, si
beaux puisqu'il parait que c'est ainsi qu'on dit maintenant.
(Ibid.p.151).
Cf. encore :
la première pHale de la fleur vers laquelle il navigue.
(Ibid.p.314).

n'a pas été gêné par ses souvenirs classiques


•rcéirixXov sont du neutre.
:
Dans les trois exemples précédents, un auteur « bien nourri de lettres»,
efflllvillln, OCve"fjlL<X et

Les partisans des explications purement phonétiques ne manqueront


pas d'invoquer, pour le changement de sexuisemblance d'effluve, chry-
santhème et pétale, la terminaison à forme féminine de ces mots. Pareille
explication se heurte à des exemples rigoureusement contraires, tels quo
seigle resté masculin et chanvre, féminin chez La Fontaine et masculin
pour le français de nos jours (4).
Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème
Elle vid un Mananten couvrir maints sillons.
(La Fontaine. Fables choisies, I, 8. L'Hirondelle et les Petits Oyseaux).
L'arabe est assez peu connu pour que les mots qu'on en tire soient
des sortes de générescents :
ambre dorée, inconsistante et mystérieuse.
(M. Proust. A la recherche du temps perdu, T. Il. p. 316).

:
De même, l'étymologie grecque (xolx.tx(Jv) n'empêche pas colchique,
officiellement masculin, d'aller quelquefois au féminin
Ni vous, pleur de minuit, droite et triste colchique.
(Comtesse de Noailles. Les Forces éternelles, Novembre, p. 256).
Pour certains, octave, terme de musique, est masculin :
le sifuet du marchand de tripes et la corne du tramway firent résonnerl'air
à des octaves différents.
(M. Proust.A la recherche du temps perdu. Tome VI, vol. I, p. 186).

vons encore à notre époque :


Ivoire a longtemps hésité entre les deux sexuisemblances : nous trou-

1
(4) L'hésitation
a aujourd'hui supplanté complètement le féminin, so rencontre
:
entre les deux sexuisemblances était très ancienne le masculin qui
en effet dès lo
XIIIe siècle (cf. Litlré. Dictionnaire de la Langue Française, s. v. chanvre).
I !
El vous (Mes echomes devant Innrn connu i un piano à queue qui baille de
joutes ses ivoires et qui attend l'ébranlement en lui des déices.
(Pierre Drieu la Hochclle. Les Oliriès,in Littérature, n° 4, juin 1919, p. 12).
Mais peut-être l'auteur a-t-il mis ivoires au féminin en tant
ces
qu'elles sont des touches. Il s'agirait alors d'une ébauche consciente de
différenciation sémantique, cf. infra § 335.
Le rude Hiver et le hardi Printemps sont bien dans la sexuisemblance

la sexuisemblance féminine ;
masculine, mais il paraît à bien des gens que l'Eté fertile est mieux dans
aussi n'hésitent-ils pas à lui rendre celle
que l'imagination antique lui avait donnée, aestas étant du féminin.
premièrement pour remercier Dieu de sept étés grasses dans la détresse de
le Royaume.
tout
(Claudel. L'Anitoncejaite à Marie. Prologue).
Quant à l'automne, il est trop naturel d'y voir une belle femme mûre
pour que ce vocable n'ait pas été souvent employé au féminin. S'appuyant
sur les exemples de l'édition de 1798, d'ailleurs maintenus en 1835, du

règle suivante :
Dictionnaire de l'Académie Française, Girault-Duvivier (5) en infère la
l'adjectif nominal y épinglé sera au féminin quand il
suit immédiatement le substantif nominal automne, au masculin partout
ailleurs, c'est-à-dire s'il le précède ou s'il le suit à intervalle. Nous ne
savons si cette,règle a jamais été bien rigoureusement observée. Girault-
Duvivier apporte les deux exemples suivants :
Je me représente celle autonne délicieuse, et puis j'en regarde la fin avec une
horreur qui me fait suer les grosses gouttes.
(Mme de Sévigné).
Une santé dès lors florissante, éternelle -.
Vous ferait recueillir d'une automne nouvelle
Les nombreuses moissons.
(J.-B. Housscau.)
L'emploi du féminin a en réalité plus d'étendue. Cf. :
Les siècles n'ont rien qui l'étonné
Et même en sa dernière automne
Il mêle à ses lauriers les roses du printemps
(Le Brun. Odes. V. 3. T. I,p. 179)
L'automne solennelle était venue, à son heure, faire agoniser la campagne.
(Lucie Delarue-.\lardl'us, Le Château tremblant, VII).
L'aulomne est morte, souviens-t'en.
(G. Apollinaire. Alcoots. L'Adieu, p. 70).
En tout cas, l'Académie autorise encore l'une ou l'autre sexuisem-
blance dans ses éditions les plus récentes, et on les entend couramment
employer l'une et l'autre selon que parle tel ou tel Français (6).

Girault-Duvivier. Grammaire des Grammaires. le éd. 1822, T. I., p. 96).


(5)
(6) Il faut se garder de prendre pour un changement de sexuisemblance les tour-
nures, où, en vertu d'une construction syntactique, l'article masculin se trouve en
:
contact avec un substantif féminin qu'il n.'articule en réalité pas. Aussi, ne saurions-
n?us approuver M. Nyrop quand cet éminent linguiste dit (Nyrop. Grammaire Histo-
ri«jue de la langue française. III, § 691).
« Couleur est masculin dans quelques locutions toutes faites telles que : couleur
Après-midi, malgré son origine convalentielle, qui devait le faire
classer dans la physe indifférenciée, vient très nettement au féminin.
Comment résister à cet entraînement sémantique quand les sœurs aînée
et puînée de l'aprèsrmidi, la soirée et la matinée, l'entraînent dans le
cortège de la journée (7).

;
Automobile, vocable récent, n'tapas encore trouvé une place définitive
dans le répartitoire de sexuisemblance il nous semble que le féminin
est à Tépoque actuelle plus usité que le masculin, ex. :
.l'automobile collée au virage.
(A. Arnoux. La nuit de SaintBarnabe, o. 32).
De même pour auto.
Une place particulière paraît devoir être faite aux vocables pour
lesquels l'usage vulgaire diffère nettement de l'usage bourgeois et litté-
raire.Souvent, un effetcomique est tiré dans un langage châtié, do
l'emploi de la sexuisemblance vulgaire.
M. Henri Bauche (8) donne à cet égard une liste assez longue de cas
de ce genre,parmi lesquels, en dehors des vocables que nous avons déjà
cexaminés ou que nous reprendrons plusloindans d'autres ordres d'idées,
,

roous retenons les mots :


Alcool, éther,éventail, hippodrome, hôtel, obstacle, obus, omnibus,
opéra, ouvrage, ulcère, usage, ustensile (9).
Nous avons entendu en effet employer au féminin les mots alcool,
éther, 'éventail, hôtel, omnibus, opéra et ouvrage, mais nous sommes
persuadés que dans leur changement de sexuisemblance des raisons sé-
mantiques sont intervenues.
Pour hippodrome, obstacle, obus, ulcère, usage, ustensile, n'ayant ja-
mais entendu nous-mêmes leur sexuisemblance classique altérée par des
locuteurs du vulgaire, nous ne pouvons que laisser à M. Henri Bauche
la responsabilité de son affirmation (10).

«
«
« elles s'emploient aussi adjectivement après les substantifs
N d'un couleur de
:
de feu, couleur de rose, couleur de chair, couleur d'eau, couleur d'or, couleur de
citron, etc. Ces combinaisons ont dû être regardées comme des expressions neutres;
Je vous trouve les lèvres
feu surprenant (Molière. L'impromptu de Versailles. Se. III). Des
souliers couleur de rose Il.
«
De telles tournures, qu'il faut rapprocher de celles comme «Je vous -trouve d'un
hête. ; cela est d'un fort. », seront étudiées plus loin.
(7) Le jour, le soir, le matin, masculins, évoquent des idées voisines, mais non
empreintes de ce sentiment de la durée, do l'écoulement du temps, qu'éveillent lu
matinée, l'après-midi, la soirée. Très souvent la langue conserve volontiers ou crée
côte à côte des sémièines proches parents, dont les sexuisemblances différentes illi
créent des ressources métaphoriques d'autant plus abondantes et diverses, selon
l'inspiration du moment et le sentiment du locuteur.
(8) Henri Baucne.- Langage poputaire, p. 87.

l
ordinaire contemporain une forme spéciale de liaison pour le masculin :
(9) Nous verrons au livre VI que les deux articles un et aucun ont dans l'usage
[6 : k œ : n]. Mais dans usance de mainte province et même dans la parlure de
[œ : n],
certaines 'fractions de la plèbe de Paris, on entend la forme de liaison masculine [u 11 I>
le : k u n],identique à la forme de liaison du féminin. De sorte qu'il ne faut pas
se hâter de venir classer, sansplus ample informé dans le féminin des
obstacle-ou usagesimplement parce qu'on aura entendu prononcer n [u àstà:
vocables comme
kM
ou lu n u z à : j].
(10) Il est à remarquer qu'un certain nombre de ces vocables,comme ulcère et
Enfin, ouvrage semble bien avoir des raisons de sémantique affective
pour passer au féminin. Le vulgaire lui donne toujours cette sexuisem-
blance et certains auteurs l'ont employée aussi pour effet littéraire ex. :
Comme il avait ainn le travail bien fait, l'ouvrage bienfaite.
:
(Oh. Péguy. Le Mystère de la charité de Jeanne d".l: l', p. 108).
333. — Toutes les grammaires classiques consacrent une mention
spéciale à amour, délice et orgue, d'après elles masculins au singulier
et féminins au pluriel.
S'il en était ainsi, nous devrions renvoyer cette étude au chapitre dé
la quantitude, afin de ne l'aborder qu'après avoir réuni tous les éléments
d'un problème touchant un jeu combiné de deux répartitoires. Mais nous
noyons cette manière de présenter les choses inexacte ou tout au moins
;
forcée, et nous estimons possible d'élucider tout de suite la question
pour deux de ces mots, amour et délice quant à orgue, nous le réser-
vons pour le chapitre suivant, parce que son sémième est, en fait, modifié
par l'intervention des répartitoires de quantitude, et que ce phénomène
se rattache à un ordre de faits dont nous n'aurons à parler qu'en étudiant
la quantitude eu général (v. infra § 355). i,
Amour est tout simplement un substantif nominal qui a changé de
scxuisemblance, et pour lequel l'usage n'est pas encore tout à fait fixé.
Il rentre dans les cas examinés au § 332.
Sa sexuisemblance latine était le masculin (amor, masc.). Pourtant if
est presque toujours féminin avant le XVIe siècle (1), et il l'est encore
fréquemment après :
comme tu sçais qu'à In bonne et sincère amour Ci-t crainte perpétuellement
annexée.
(Rabeluis, IV, 3).
à
mais la violetitetiiiiotit,qtié je porte .niessubjoctscll'extresmc envie que
j'ay dadjouster ces doux beaux lilires à celuy de Itoy nie font treuver tout aysé
et honorable.
(lienri IV. Lettre du 4 novembre 1596).
Vous ne pouvez aimer que Aune amour grossière.
(Molière. Les Jemmessavantes,IV,2).
Nous nous aimons d,uneamourJraternelle.
(La Fouaine. Ihujulm le Roman comique, V, 13).
ou
Œdipe a pour sou peuple une amour fraternelle.
(Voltaire. Œdipe, III, 4).
L'usage moderne emploie le plus généralement le masculin, et il est
inutile d'en citer des exemples, qui sont innombrables. Toutefois, l'on

Ils/ensile, sont signalés par Darmesteter (loc. cit., p. (2) comme ayant déjà eu iino

ç.281).
sOMiisemblanoe hésitante au xvii6 siècle. Voici une nouvelle preuve du caractère sou-
archaïque de la parlure vulgaire.
Veut
Il) Cf. amour masculin au xive siècle dans l'exempla suivant :
CXWUt.
Madame, le grant amour que j'ny à vous. me fait à vous venir dire un grnnt
conseil (Le chevalier de la Tour-Landry. Le livre pour l'enseigltemmt de ses filles,

Co texte n'étant pas en picard le est à coup sûr l'article masculin.


entend encore le féminin ; cet archaïsme se rencontre, comme tout au-
tre, soit dans la littérature à titre de recherche, soit dans la parluro
vulgaire:
Vous me détestiez bien. Las ! Votre âme fermée
N'avait su rien me dire, et mentait sous le fard
De je ne sais quel rouge emprunté au hasard
Aux vieux coffrets perdus de noire amour Janée.
(Goudeau. Poèmes Ironiques. Le Disparu).
Tout ça n'vaut pas l'amour
La vraie amour, la belle amour.
(Chamoll)
Au pluriel, le féminin a résisté, dans la langue littéraire, plus long-
temps que le masculin. Ex. :
Jeunes amours, si vite épanouies,
Vous êtes l'aube et le matin du cœur.
(V. Ilugo. Les Contemplations, 1, Il. Tome I, p. 5'»)-
Fugitives amolll's. rudes ambitions.
Après elles laissaient des vapeurs de génie.
-
(Goudeau. Poèmes Ironiques. Songe, mensonge).

singulier;
Mais le masculin pluriel est apparu au même moment que le masculin
on en trouve des exemples dans les auteurs depuis le XVIIe siè-
cle, et il tend à s'installer. Ex. :
Mais ces amours pour moy sont trop subtilisez
Je suis un peu grossier, comme vous m'accusez.
;
(Molière. Les Femmes Sçavantes,IV, 2).
Puisqu'il n fst plus de vrais amours
Contez-nons ceux des anciens jours.
(Romance recueillie de la bouche de Mme H. née en 1849, qui la tenait de sa
mère, Mme M. née en 1819).
Mais on revient toujours
A ses premiers amours
(Etienne. Romance de Joconde (2).
Alors, ô ma beauté 1 Dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés 1
(Ch. Baudelaire. Les Fleurs du Mal. Une Charogne, p. 129).
Tel est l'upa, —le manchenillier, si vous le voulez. Cerliins amours tiennent de
son ombre.
(Yilliers de l'Isle-Adam.L'Evejulure, IV, 3. p. 192).
Souvenirs de folie ancienne
Et souvenirs d'amours défunts.
(Goudeau. Poèmes Ironiques. Lendemain de fête).
La mainte fois meurtrière laissait grâce dans son cœur, assez infini pour la
générosité, à tous les amours passés. (A. Jarry. Messaline, 11, 4, p. 184).
elle prit des dispositions pour célébrer de même sorte, dans l'ordre de ses
futur* amours, mais sans renoncer aux antérieurs époux, une pluralité de justes
et indissolubles noces. (Ibid.p.185).

(2) Les frères Bescherelle et Litais de Gaux, op. cit., p. 62 et 63 en donnent vingt
autres exemples en vers et en prose. 1
Je me résignai à souffrir un de ces grands amours qui rendent l'amour plus
parmi les hommes.
noble pai-mi
,oble
(J. Il. Rosny aîné. Le Silencieux, V. p. 61).
Les amours des sauterelles sont, parait-il,1rescurieux.
(\1. W., le 47 mai 1920).
En conséquence, il nous semble qu'amour hésite simplement entre la
sexuisemblance masculine et la féminine de la même façon qu'automo-
bile ou après-midi, et qu'il n'y a pas lieu de faire intervenir la notion
do quantitude dans cette question.
Il est une acception dans laquelle amour est et a toujours été masculin
c'est lorsqu'il désigne soit le dieu Amour, soit des angelots qu'on a
:
coutume de nommer des amours. C'est l'ébauche d'un phénomène de
diasémie sexuisemblantielle.
Dans le parler de nos jours, il semble qu'une diasémie sexuisemblan-
tielle d'une autre nature se dessine, amour masculin tendant à désigner
l'amour sexuel comportant un élément charnel, tandis que amour.fémi-
nin, terme plus littéraire, se cantonne dans l'acception générale, ex. :
Faussée l'amour filiale et faussée l'amour li-alet-itellefatissées les amours
amicales.
(Ch. Péguy. Le Mystère de la Charité de Jeanned'Arc, p. 70)
Le cas de délice est légèrement différent. La double sexuisemblance
dont il est affecté correspond à l'état latin. En réalité, il y a deux subs-
tantifs distincts, l'un délice masc. de delicium neutre, et l'autre féminin,
organiquement pluriel, délices, de deUcias, fém. Il n'est donc pas exact
de dire que ce féminin pluriel soit en relation grammaticale directe avec
le masculin singulier. On rapporte d'ailleurs quelques exemples du mas-
culin pluriel.
pour aller jouir en paix de nox délices communs.
«(;urz de Balzac. Livre IV, Lettre 9.Apud Littré).
le brave Jules n'a aucune envie de connaître les délices verrouillés de la

prison préventive.
(H. de Régnier. Le divertissement provincial. 2c partie, p. 219).
el du féminin singulier, ex. : -

d'autres, des cœurs blessés


Fuyant le lit vidé de l'aflciewle délice.
(Goudeau. Poèmes Ironiques. Le Jeu).
334.
-Il nous faut dire quelques mots également de gens, que les
grammaires classiques nous représentent comme pourvu à la fois des

:
deux sexuisemblances, et communiquant la féminine aux adjectifs qui
leprécèdent, la masculine à ceux qui le suivent.
Gens est aujourd'hui, à proprement parler, un pluriel sans singulier.
Son lien étymologique
avec le féminin gent, mot tombé dans un oubli
presque absolu, n'est d'ordinaire plus perçu par le sentiment linguis-
tique.
1\
l'ancienne langue, cf. des exemples comme
l'appui de la féminité constante du substantif gent, gens dans
D pour ce cuidont les gens Joies
il
(pliant ont véules comctes
l^u ci soient porles princes fetes.
(Jchan de Mcung. Le Roman de la Rose, 19102).
Et jusque dans le XVIIIe siècle :
Ces petites bonnesgens sont exlrèmementaimées du public.
(\dncRnc LeCouvreur. Lettre, 38, p. 102).
u ha tendance de la langue »> dit Darmesteter (1), « à: considérer gens
« comme synonyme de hommes et par suite à le faire masculin, a été
«assez forte pour imposer ce genre nouveau à tous les déterminants dû
<« grenu,
excepté dans le cas particulier où gens était précédé d'un déter-
re minant à forme féminine recoDnaÍssable. Là l'union de
l'adjectif avec
« le substantif était trop intime pour que l'usage nouveau triomphât de
M-
l'usage ancien,, et c'est ainsi que s'est constituée la règle moderne où
«{ les (Mleïiraiiiaainfcs de gens sont maseuiilFms,
qu'ils le suivent ou le pré-
te cèdent, excepté quand il est immédiatement précédé d'un adjectif à
(t double forme, avec lequel il est intimement Hé par le sens.
Enj ce
u seul cas, l'adjectif et les autres déterminatifs qui précèdent se mettent
uau féminin. Ex. » :
La triste ingénuité qui luit dans le regard
l
titaa oLttiilas (lQus donx ci isibles.
Lesse
»
les honnêtes gens et « TOillllc& les vieilles gens ». D'après cette règle,
:
du Noailles,.. Les- l'orces. EltH'/tellt/?:r. Feruae Les nobles yeux.,., p. 216).
EfEecUrvernent, le Dictionnaire de l'Académie permet de dire «< Tous

les adjectifs stnamentasufx ne prennent le féminin que quand il est for-


mellement évident que l'adjectif nominal est lui-même au féminin. Il

:
est à présumer que la langue ira plus loin et généralisera le masculin

;
en deux étapes 1° masculin des adjectifs strumentaux
vieilles gens 20 masculin des adjectifs nominaux : : * tous
* tous les

les vieux
gens.

vicieux.:
Cette évolution paraît en puissance depuis longtemps
Fuys Ipus vices et toutes gens
(Antoine de la Sale. Jelian de Saittti-é. V, p. 21').
Moy et tous mes gens sommes prest
A vostre voloir ncomplir.
(Mislere du Siege .d'Orléans, 14237).
Mais Monsieur. mit de tels gens en campagne ou.il fut découvert.
(Saint-Simon. Mémoires, T. If, ch. X.VII, p. 205)
t:
Il y a certains bonnes gens [s è r é b ô n j à :] qui gagnent cinquante franc*
par jour à pousser une voilure.
(M» liY., te 15; mah 1926).
Toutefois ïl y a encore aujourd'hui des personnes dont l'usage est plus
archaïque que cehii même de
FAcadémie et qui mettent les adjectifs
struraentaux au féminin, même dans le cas où gens est précédé d'une
catadmète à simple forme. Ex. :
(1) Darmesteler. Traité de la formation: de la langue française, § 554, t.
ELLE. —
Lur. - [dàs;tiut1é:zônè:tjâ:
Onze heures et quart, ce n'est pas tard.
Non c'est rhcape de toutes les honnêtes gens.
].
(Dialoguede deux personnes paraissantde classe bourgeoise, dans le tramway 8
Moutrougc-Garedel'Est,, le 26 novembre 4921),

335. - Certains substantifs nominaux, originellement simples, ont


donné naissance à des doublets dont les deux termes diffèrent par leur
scxuisemblance et aussi par leur sens. Le processus de cette évolution

blance d'un substantif donné ;


semble comporter, au point de départ, une hésitation sur la sexuisem-

;
puis, le génie de la langue opère une
dissociation, et tire du sémième primitif deux sémièmes jumeaux d'un
état semblable à celui où se trouve aujourd'hui effluve (v. §§ 332 ci-des-
sus), la langue a fait sortir un état comparable à celui de page, masc..
(jeune serviteur) opposé à page, féminin (feuillet d'un livre), sans toute-
fois que la différence soit aussi grossière, car la parenté des deux voca-
bles reste toujours perceptible.
AIDE. - Ici les deux substantifs quoique apparentés, ne sont peut-être

;
pas d'origine absolument identique. Le premier, le masculin est un nom

:
d'agent, c'est celui qui aide il a la sexuisemblance de son sexe naturel,
et d'ailleurs a son féminin propre, du même sens un aide, une aide.
Le second, le féminin essentiel, est le nom qui exprime de façon abstraite
ce qu'exprime phénoménalemeut le verbe aider. Il est féminin comme
les substantifs en -tion, du séinanlisme desquels il est fort proche.

:; ;
AIGLE a pu être longtemps féminin dans tous ses emplois, conformé-
ment à l'étymologie latine aquila mais cet oiseau, fort et actif, a
bien peu de qualités féminines
curremment avec le féminin dès une époque ancienne :
aussi bien trouve-t-on le masculin con-

Fors tant qu'il me bailla ses réglés,


Et s'en foï plus tost c'uns eyles.
(Jeban de Meung Le Roman de la Iiose. 4274).
Mais le féminin se lit encore, au xvne siècle, dans un passage où le
contexte n'indique pas qu'on ait affaire à la femelle de l'oiseau :
L'Aigle, Reine des airs, avec Margot la Pie
Différentes d'humer, de langage et d'esprit.

fom.se.
(La Fontaine. Fables choisies, XII, IL L'Aigle et la Pic).
Dans les milieux vulgaires et dans certaines usancesprovinciales, il
arrive que le vocable aigle,comme non d'espèce animale, soit encore
laissé à la sexuisemblance féminine. C'est ainsi que l'un de nous, le 14
décembre 1917, a entendu M. N., médecin bordelais, dire une aigle

La règle actuelle de la langue littéraire est que la sexuisemblance est


le masculin quand il s'agit d'un oiseau réeL Mais le féminin à subsisté
sans rival dans les expressions héraldiques ou symboliques.
Ex. : L'aiglenoire n'a battu de5 aîles largement que lorsqu'elle a eu pour PCI-"
"Choir la flèchede Strasbourg.
(Péladan. La guerre des Idées, Prévisions et Méfiances, ch. VII).
Onvoit aisément qu'ici la sexuisemblance féminine est choisie pour
l'expression de
l'abstrait, du symbolique par opposition au concret, au
réel.
CAGE
— Cage peut arriver à prendre occasionnellement la sexuisem-
blance masculine quand il procède de la locution lit-cage. Dans cette
locution, il était adjectivé totius substantiœ (cf. infra §584) et c'est à
partir de cette adjectivosité qu'il est redevenu substantif, ex. :
-
;Je t'avaisdit que je te donnerais le lit de la chambre de bonne, mais il esttout
cassé alors je le donnerai le petit pliant que j'ai acliclé l'année dernière, le
petit cage.
(Mme A., le -16 décembre 1923).
CARTOUCHE. — L'explication de la double sexuisemblance est difficile ;
un cartouche, c'est un ornement de sculpture allongé et saillant destiné
à recevoir un signe graphique ou un symbole ; c'est aussi, et de même,
la courbe oblongue et fermée qui renferme les hiéroglyphes composant
un mot égyptien. Unecartouche, c'est ce dans quoi est enfermée la balle
d'un fusil, avec la poudre destinée à la chasser.
Le mode actuel de répartition des sexuisemblances de cartouche n'avait,

:
d'ailleurs, pas encore force de loi au XVIIe siècle, témoin l'exemple ci-
dessous
il avoit escrit au dessus, en une cartouche, le nom de celuy qui estoit.
représenté avec le nom de celuy dont il descendoit.
(Tristan-LHermite, Le page disgracié, 2° partie, ch. XXXV, p. 345).
Au sens de « carte de congé délivrée à un soldat », cartouche est tou-
jours resté de sexuisemblance hésitante, jusqu'au moment où il est sorti
de l'usage.
- CHAHUT.
— Au féminin, d'après Littré, c'est une danse au cours de
laquelle le désordre apparent n'est que l'effet d'un rythme musical et
d'une mimique gesticulatoire régulière ayant un caractère artistique.
Au figuré, pour exprimer un désordre réel et un bruit incoordonné, le
vocable est devenu masculin, cf. bacchanale et bacchanal.
CLOAQUE.
; -
Au féminin, il désigne un égoût en terme d'histoire an-
cienne c'est un latinisme (cloaca). Au masculin, il désigne tout lieu où
s'accumulent des immondices diverses.

:
COUPLE. — Au féminin, ce substantif nominal.n'exprime rien de plus
que le nombre deux conçu dans le répertoire nominal une couple de
jours, c'est deux jours, et voilà tout. Au masculin, le sens est moins gé-

;
néral etmoins,abstrait : un couple se compose de deux êtres n'ayant
pas le même rôle dans lé groupe de deux le cas d'un mâle et d'une
fèmelle est le plus frappant : un couple de serins (1).
-- Li masle vet o sa femele,
Ci a couple avenant et bele
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose. 19.206).

(1) L'ancienne langue ne connaissait que l'hésitation sexuisembiantieIle, mais,


n'avait
,
pas encore su en tirer la fine utilisation sémantique que nous venons de
»
décrire, ex.:
Nous aurons l'occasion de revenir sur ces notions et de les comparer
avec la notion d'une paire quand nous
parlerons des conceptions séman-
tiques reposant sur le nombre deux.
CORNETTE. — Au féminin, c'est une coiffure de forme spéciale
masculin, un porte-étendard de cavalerie. Mais si l'on remarque que
au ;
] t'icndard lui-même s'est appelé plus anciennement une cornette, on
SCia
appelé à classer cornette masculin à côté d'enseigne, de trompet-
te. etc. (Voy. enseigne, et cf. § 583).
CRÊPE
dolé). Un crêpe, c'est un tissu crêpe ;
est originairement un adjectif (lat. crispus, crispa, crêpé, gon-
une crêpe, une pâtisserie crêpe.
ESPACE. — Au masculin, le sens est le plus général possible ; au fémi-

ii marquer un espace entre les mots :


nin, l'espace dans le langage des typographes est ce petit outil qui sert
outil, qui, on le voit, constitue
une sorte de matrice propre à reproduire des espaces
(masculins) à vo-
lonté.
ETUDE. — Au témoignage de Malherbe, il s'était établi dans certains
milieux, de son temps, une distinction sémantique entre étude, mascu-
lill, action d'étudier, et étude, féminin, pièce affectée à cette occupation.
Cf. office.
EXEMPLE. - Est masculin. Mais il devient féminin dans l'emploi très

del'imiter exactement
ple d'écriture.
; un belexemple de grammaire ;
particulier où il désigne un échantillon calligraphique propre à être re-
produit à un nombre indéterminé d'exemplaires par des élèves soucieux
une belle exem-

ENSEIGNE pose la même question que posait tout à l'heure cornette.


L'enseigne (fém.) est un signe servant à attirer l'attention des gens sur
quelque chose dont on veut qu'ils soient frappés, et qu'ils compren-
nent la nature. Le jeune officier de marine qui porte une enseigne
s'appelle un enseigne de vaisseau. Il s'agit là de tournures ex casu
(tf. § 583) du même genre que celle qu'emploie le monsieur qui, vou-

l'our se rendre au Palais-Royal, dit au receveur :


Jallt payer sa place et celle de sa femme dans un autobus qu'il a pris
« Deux Pal'ais-
Hoyal. » A côté des expressions un enseigne, un cornette, un trom-
l'cllc etc., il faudrait alors placer les noms des fêtes qui, inversement,

demment masculin. Ex. :


sont féminins encore que le vocable qui sert à les dénommer soit évi-
la Saint-Jean (et toutes les fêtes de saints
sans exception), la Toussaint, la Noël, c'est-à-dire à peu près :
celle de
Saint-Jean, celle de Tous-saints, celle de Noël (2). Même pour ces locu-
tions d'origine casuelle, la nature du tour s'oblitère très rapidement,
et elles sont conçues comme contenant une véritable substance fémi-
nine, ex.
: tout çà
n'est que de la Saint-Jean auprès dece que je vais
dire. A plus forte raison la nature casuelle du tour s'efface-t-elle pour

Contre
(2) mi-aoât, la mi-juin, la
""'(.mps, cette explication purement
casu'elle, cf. la
1 etc.
les masculins un enseigne, un cornette, un trompette qui désignent bel
et bien des mâles de l'espèce humaine.
FOUDRE.
— Passé au féminin pour désigner le phénomène physique
toujours un peu mystérieux pour l'imagination populaire du vulgaire,
des enfants, et des poètes, il est resté dans son genre masculin originel
pour désigner, au figuré, un homme tout plein de qualités viriles. Le
foudre., gros tonneau, masculin également, est un vocable d'autre ori.
gine (alld Fuder, tonneau).

:
FOURBE ne doit pas être classé dans la présente liste. C'est un subs-
tantif nominal féminin seull'adjecif substantivé peut être mis au mas-

:
culin : un fourbe, mais une femme peut être de même appelée une
fourbe cf. aide.
GREFFE. — Le vocable le plus ancien, qui signifiait stylet, et aussi
greffon, était quelquefois féminin, quoique dérivé du latin graphium,

;
comme beaucoup de vocables venus de neutres latins (cf. folium, une
feuille). Mais ce premier vocable est mort il a laissé le verbe greffer,
d'où nous sont venus par troncature les deux vocables greffe,l'un mas-
;
culin, qui a un sens bien codifié appartenant à la langue du droit
service d'écritures officielles annexé à un tribunal l'autre féminin,
:
désignant abstraitement l'opération d'arboriculture exprimée par le
verbe greffer (3).
GUIDE. — Dérivé par troncature du verbe guider, est toujours mascu-
lin quand il désigne un être humain du sexe mâle destiné à guider les
voyageurs. Il est toujours féminin quand il désigne une longe de cuir
attachée à la bride d'un cheval et servant à le conduire.
Quand il désigne d'une façon générale les indications écrites ou ora-

;
les propres à faire connaître un chemin à suivre, il est masculin dans la
langue de nos jours ex. : le guide Joanne. Il a longtemps été féminin
ên toutes acceptions. Ex. :
Je sçais aller par tous chemins
Sans demander aucune guide.
(Le Varlet à louer, fin du XVIe siècle in Anciennes Poésies françaises.
T. I, p. 78).

les vertus c'est la prudence;


J'ay trouvé véritable le dire d'un ancien, que le commencement de toutes
que c'est elle qui, comme la guide, doit mar-
cher devant et faire ouverture aux autres, et qu'où elle n'est point, elles
demeurent comme aveugles.
(Guillaume du Vair. La Constance et Consolation es Calamitez publique3-
III, p. 197).
Cf. aussi La Guide des Chemins de France, par Charles Estienne, 1501,
cité dans une note du même passage des Anciennes Poésies françoises-
GARDE. — Substantif nominal primitif, est purement et simplement
féminin. C'est par un sens dérivé qu'il arrive à s'appliquer à la troupe
qui garde une personne, un lieu ou une institution. De ce vocable féllii.

(3) Hatzfeld, Darmesteter et Thomas. Dictionnaire général de la Langue française.


S V., Greffe.
]thl'dérive le verbe garder qui, à son tour, par troncature, donne un
,luIre substantif, garde, qui prend certes le masculin quand il désigne
un être
humain mâle (un garde champêtre), mais qui prend aussi le
féminin s'il s'agit d'une femme (4). (« J'ai pris une garde pour veillér

ne se
:
aup'es de ma chère malade. ») La question serait donc très simple si elle
compliquait x
1" du fait que le nom des corps de troupe appelés la garde avec un
adjectif nominal épithète devient le point de départ de formation ex

;
easU.
ex. un garde française, un garde-républicaine. Cf. un cenl-Suisser
:
c'est-à-dire un des Cent-Suisses un quinze-vingt, c'est-à-dire un des
quinze-vingts ; un chevau-léger, c'est-à-dire un homme du corps de
troupe appelé les Chevaux-Légers. Un garde-française, se disant unique-
ment des soldats d'une arme disparue, est resté le terme en usage les
rares fois où l'on a à l'employer. Mais l'expression un garde républi-
caille, attestée par de vieux Parisiens qui ont vu 1848 et 1871, a absolu-
ment disparu devant un garde-républicain, expression non casuelle où
apparaît le second substantif garde et non le premier.
2" du fait de l'existence de substantifs nominaux composés, dans les-
quels garde est le verbe garder. Ex. •. un garde-malade, un garde-fou,
un gai-de-mites, etc. L'Académie elle-même a sanctionné la confusion
en écrivant au pluriel, gardes-malades comme si c'était les gardes qui
fussent malades !
HYMNE, quand il désigne un chant guerrier, essentiellement viril, est
tout naturellement du masculin. L'hymne d'église, qui est féminine,
est en effet quelque chose de plus tendre, et de plus en accord avec le
charme mystique des édifices et de la liturgie du culte catholique. Ex. :
L'ardent Magnificat,l'hymne belle entre toutes,
Devenu Requiem du mort et du vivant,
Ne se déroule pas, s'enroule sous les voûtes,
Ainsi qu'un oriflamme, en un coffret fervent.
(Montesquiou. Les Offrandes blessées. CXVI).
HÉLIOTROPE est, nous disent les grammaires, masculin s'il désigne une
plante, féminin s'il désigne une pierre précieuse, sorte particulière de
Jaspe. N'y a-t-il pas, dans le premier de ces sens même, un flottement
scxuisemblantiel ?
INTERLIGNE: est masculin, mais il est féminin quand il désigne la min-
ce lame de fonte que les imprimeurs emploient pour l'espacement des
lignes. Pour l'explication sémantique de
ce fait, cf. supra :. espèce.
LOUTRE est féminin. C'est par tournure ex casu (cf. supra, enseigne)
qu'on l'employait au XVIIIe siècle pour désigner un chapeau ou un man.,
clion fait de la fourrure de la loutre. Cf. dans un sens analogue
castor.
un :
— La manche, enveloppe; contient et protège le membre su-
MANCHE.

(4) Cf. aigle au féminin pour désigner la femelle de l'aigle. § 338.


:
périeur comme la mère fait le foetus le manche est la partie d'un ins.
trument par qui l'activité de la main se transmet à cet instrument, qui
semble à chaque action nouvelle participer à l'activité de l'homme qui
le manie.

à coup sûr et correctement un certain résultat :


MANMUVRE. — La manœuvre est le procédé qui permet de reproduire
le manœuvre est l'ou-

MÉMOIRE. ;
vrier dont l'activité se manifeste par des travaux manuels indifférencié.
— La mémoire est une faculté abstraite le mémoire est un
écrit, chose matérielle, propre à ramentevoir à autrui une suite de faits
qu'on tient à ce que sa mémoire n'oublie pas.
MODE.
— Le mode est un terme extrêmement général. Ce vocable ori-
ginairement masculin, a eu très tôt une tendance à passer au féminin.
Il*a été un certain temps employé indistinctement aux deux sexuisclIL-
blances, et enfin chacune des sexuisemblances s'est installée dans des
emplois déterminés. C'est ainsi que mode dans le sens de manière
d'agir n'est revenu au masculin de modus que récemment :
Il entend si peu cc qui luy manque, qu'il use et se sert comme nous des
paroles propres au vcoir, et les applique d'une mode toute sienne et particu-
lière.
(Montaigne. Essais. II, 12).
Ce n'est que dans la sixième édition de son Dictionnaire (1835) que

:
l'Académie indique le masculin dans cet emploi. Le féminin a survécu,
en dehors de ses emplois principaux, dans la locution vivre à sa mode.
Mais le rôle principal du féminin la mode, celui dans lequel il s'est
retranché et où il règne absolument en souverain, c'est de désigner cet
« usage passager qui dépend du goût et du caprice » (Littré s. v.). La
mode, on le voit, ne peut être personnifiée que par une femme.
NAVIRE dont on trouve des exemples féminins très fréquents dans
tous les siècles antérieurs au xvnC siècle et même dans le cours de celui-
ci:
Au cinquième jour. découvrismes une navire marchande faisant voile 1t
horche. vers nous.
(Rabelais IV, 4).
De même que l'ancre empêche que la navire ne soit emportée.
(Bossuet, dans Gandar. Choix de Sermons de la Jeunesse de Bossuet, p. 131
apud. Littré).
,
paraît avoir traversé à la fin du XVIIC siècle et au xvme, une période pen-
dant laquelle sa sexuisemblance dépendait de son sémantisme. En effet,
l'Académie, dans ses quatre premières éditions, échelonnées de 1694 à
1762, donne le féminin pour l'expression particulière la navire Argo,
le masculin pour tous les autres emplois. Dans la langue de nos jours,
le féminin ne se rencontre plus dans aucun cas.

:
Une OEUVRE est chose abstraite et surtout indéfinie
chose définie, ayant des limites précises
; un œuvre est
découvrir la pierre philoso-
phale, c'est le grand œuvre, et cette découverte effectuée, il sera termina
OFFICE, dans son sens général, est masculin, ce qui est sa sexuisem-
fiance latinigène. Les auteurs classiques (5) l'emploient au féminin pour

h cuisine.
désigner la pièce où l'on serre les mets et la vaiselle. Ex. :
On communiquait par une petite office pratiquée derrière cet escalier, avec
(H. deBalzac.
zac. Ursule Mirouët.
Même dans ce sens, plusieurs le font masculin.
Mii-ouël. T. V, P. 18).
Y, p.

OnDRE. — Une tentative de diasémie sexuisemblantielle s'était des-


tinée autrefois. Ordre était masculin dans son sens général, et fémi-
:
;
nin quand il s'agissait du sacrement de l'ordre
*"les sept sacremens de saincte Eglise c'est assavoir : au sainct batesme,
en la saincte confirmation, en la vraye penitence, au sainct sacrement de l'au-
tel, aux sainctes ordres, au sainct ordre de mariage et en la saincte onction.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. T. IX, p. 39).
et j'en veux à ces trompeurs, pour autant qu'ils me firent perdre ma
manuelle, quand j'allai quérir les petites ordres.
(Béroalde de Verville. Le moyen de parvenir. T. III, § 35, p. 138).
L'ORGE, quand elle est sur pied, est une chose vivante, qui foisonne
sur des champs entiers, et porte en elle le pouvoir de foisonner davan-
tage ; l'orge, au contraire, quand il n'est plus que du grain, est une

mise à fermenter pour faire de la bière


perlé. Ex. :
:
substance inerte, indifférenciée qui n'est bonne qu'à être mangée ou
ex. : de l'orge mondé, de l'orge

liraich signifie l'orge germé, le malt.


(Amédée Thierry. Histoire des Gaulois.. Introduction. T. I, p. 98, note).
Çà, l'orge tout seul, pour une bouillie, ça n'est pas très bon.
(Madame E., le 9 septembre 1923).
PAGODE, qui désigne originairement et principalement un temple
bouddhiste, taoïste ou shintoïste, a hésité entre les deux sexuisemblan-
ces ; le masculin, employé par les Jésuites dans leurs relations et donné
par Richelet et la première édition du dictionnaire de l'Académie
féminin, que l'Académie donne à partir de sa deuxième édition, ce en
; le

minine ;
quoi elle est suivie par Littré. Mais, dans ce sens, la sexuisemblance fé-
a absolument prévalu la masculine ne s'entend plus jamais.
Mais pagode a désigné aussi, aux xvne et XVIIIe siècles, ces magots
à tête mobile dont on orne les étagères. Dans ce sens, il est mascu-
lin dans nos meilleurs classiques.

; :
nières différentes
;
elle y entra et vit venir à elle cent pagodes vêtus et faits de cent ma-
les plus grands avaient une coudée de haut, et les plus
petits n'avaient pas plus de quatre doigts les uns beaux, gracieux,agréa-
is les autres hideux et d'une laideur effrayante. Ils étaient de diamants,
fl'émeraudes, de rubis, de perles, de cristal, d'ambre, de cofail, de porce-
!:lJne, d'or, d'argent, d'airain, de bronze, de fer, de bois, de terre.
(Mme d'Aulnoy. Serpentin-Vert).
Le grand bonze Césarin, continua le roi, a offert des sacrifices
au Pagode.
(Voisenon. Le Sultan Misapouf et la princesse Grisemine, p. 18).

(5) Girault-Duvivier. Grammaire des Grammaire,. T. I, p. 109.


Le masculin s'explique ici très aisément. Les petits bonshommes de
porcelaine, de jade, de bronze, ou de telle autre substance, que l'on ap.
pelle pagodes étant la représentation d'êtres humains, et devenant eux.
mêmes dans les contes des êtres animés susceptibles d'avoir l'un ou
l'autre sexe, leur sexuisemblance spécifique globale ne peut être que
l'indifférenciée, la masculine.
Et ceci est si vrai que quand ces petits magots représentent des fem.
mes, Mme d'Aulnoy n'hésite pas à les appeler d'un nom pourvu d' un
suffixe féminin.
Voici, Madame, cent pagodines qui sont destinées à l'honneur de vous ser-
vir ; tout ce que vous voudrez au monde s'accomplira, pourvu que vous res-
tiez parmi nous.
(Mme d'Aulnoy. Serpentin-Vert).
La pagode, édifice de culte dont le style architectural est précieux et
contourné et dans laquelle se déroulent des cérémonies d'un charme
bizarre, est féminine.
-
D'ailleurs, le pagode, en tant que dieu, reçoit probablementson nom
de la pagode, temple, l'acception « temple » étant l'acception origi-
«
nelle du mot pagode. » Le pagode, dieu, serait donc une, expression
née par adjectivation ex casu et ressubstantivation (cf. infra § 583). Cf.
enseigne, trompette, paillasse, etc.
PAILLASSE. — Paillasse est originellement un substantif féminin, mais
par substantivation d'un adjectivé ex casIl (cf. infra, § 583), il se cons-
titue un substantif masculin paillasse, qui désigne un pitre de foire
ordinairement habillé d'une toile à paillasse.

;
PARALLÈLE dans son sens indifférencié (comparaison) est masculin'
faire un parallèle entre Bossuet et Massillon mais la parallèleest fémi-
nine comme la droite, et la parallèle de départ l'est comme la tranchéii.
PÈGJRE. Argotique aux deux sexuisemblances, mais davantage au

masculin. Le'pègre est un voleur. La pègre est l'ensemble des pègres.
PENDULE. — La pendule contient le pendule, qui en est l'âme et Je
principe d'activité, comme le dit très justement M. de la Grasserie.
D'aucuns voient dans la pendule une tournure d'originecasuelle ayant
pour pointde départ l'horloge, mais l'influence analogique de l'horlocjc
aurait été d'autant plus incapable d'imposer la sexuisemblance féminine
que la sexuisemblance de ce vocable lui-même est très flottante dans
l'usage parlé.
PÉRIODE, — La période est de la durée ; le période est un point du
temps, caractérisé par tel ou tel trait particulier.
chercher à abattre les distinctions des ducs étoit vouloir abattre sa pro-
pre ambition, puisque cette dignité en étoit nécessairement le dernier période.
(Saint-Simon. Mémoires. T. VIII, ch. V, p. 49).
L luxe est, je crois, au dernier période où il peut aller.
(Boursault. Lettres nouvelles (1699), p. 125).
POISSE. — Argotique dans les deux sexuisemblances, mais davantage
au
masculin. La poisse est la misère, en tant qu'on ne peut s'en dépê-
Ircr, qu'elle colle à vous comme de la poix. Le poisse est un voyou
malhonnête, un voleur, dont les mains collent au bien d'autrui comme
si elles étaient enduites de poix.

source, etc.est féminin comme eux :


POSTE. — La poste, substantif nominal comparable à perte, route,
il désigne originellement une
institution par laquelle ont été posées de place en place des relais pour
faciliter les communications. Le poste est plus précis, plus étroit c'est
un seul lieu ou au figuré un emploi, où l'on a posé le ou les hommes
;
propres à l'occuper.

;
POURPRE. — La pourpre est un mollusque ;
c'est uneteinture qu'on
on tire c'est aussi une couleur, mais quand cette couleur est considérée
comme l'insigne d'une dignité (la pourpre cardinalice, la pourpre im-

est toujours quelque chose de matériel :


périale), c'est-à-dire prise dans un sens abstrait. Le pourpre au contraire
c'est une couleur, mais plus
sidérée simplement en qualité de couleur ;
précise (rouge violacé, et non pas simplement rouge en général) et con-

; c'est un petit poisson qui ap-


proche de cette couleur c'est un émail de blason (le violet) ; c'est enfin
une éruption livide, ecchymotique, désignée plus ordinairement aujour-
d'hui sous le nom de purpura.
QUADRILLE. La quadrille est un jeu, le quadrille est une danse. Tout

essai d'explication métaphorique de ces deux sexuisemblances nous
échappe ici.
RÉGLISSE est incontestablement féminin quand il désigne la plante
Ujlycyrihiza glabra) ; mais l'immense majorité des Français le font
masculin au sens de suc officinal, extrait de cette plante, malgré qu'en
aient l'Académie, Littré, Hatzfeld et Darmesteter, et conformément a
ropinion de Bescherelle (6) et de Poitevin (7).
ItEMISE.
— Une remise est le lieu où l'on remise
les voitures
un substantif nominal essentiellement féminin, et l'expression vieil-
:
c'est
lie un remise pour désigner un carrosse de louage, était une tournure
d'origine casuelle : cf: § 583.
HOCHER.
— Rocher est un substantif masculin, mais il estadjectivé
tatius. substanliœ dans la locution une bouchée-rocher, qui désigne un
bonbon au chocolat parsemé vers sa surface de petits fragments d'a-

tantivant cet adjectivé, disent


cf. supra cage.
:
mande qui lui donnent un aspect rocailleux. Certains enfants, resubs-
une rocher. (Collège Rollin 1899-1907),

— Le scolie des géomètres a plus de précision et de rigueur


SCOLIE.
rçnf; la scolie bavarde et souvent diffuse des grammairiens.

;
-
SERPENTAIRE.
— Le serpentaire est une constellation qui est censée
représenter un homme domptant un serpent la serpentaire est une

(6) Bescherelle frères et Litais de Gaux. Grammaire Nationale, Ns XXXVIII.


ri) Poitevin. Dictionnaire de ialanguefrançaise, s.v. reglisse,
plante, et les plantes herbacées sont plus ordinairement de sexuiscm.
blance féminine que masculine.
SOLDE.
— La solde est la paye des gens de guerre, qui en reçoivent
acceptions;;
le nom de soldats. Ce vocable était autrefois féminin dans toutes ses

le masculin
l'Académie dans son édition de 1762, n'accepte pas encore
mais dans son édition de 1798, elle admet le solde avec le
sens de complément d'un paiement, de différence du débit au crédit.
Et, dans ce sens, la langue de nos jours emploie en effet toujours le
masculin. Le masculin marque donc ici une somme isolée, qui parf<n
définitivement et une fois pour toutes un compte, tandis que le féminin
exprime un paiement périodique et indéfiniment renouvelable sous U
même forme.
SUPERBE. — La superbe est un substantif féminin. Tout au plus
pourra-t-on occasionnellement substantiver le masculin de l'adjectif
nominal superbe. V. supra, fourbe.
TRIOMPHE. — Le triomphe est ou bien une cérémonie joyeuse destinée

;
à souligner une victoire, ou bien, au figuré, la joie qu'occasionne une
victoire la triomphe était, dans l'ancienne langue, l'atout des jeux de
cartes, c'est-à-dire cette couleur dont chaque carte pourra à sa surve-
nance, être l'occasion d'un triomphe sur l'adversaire. Le vocable triom-
phe est d'ailleurs désuet en ce sens, de sorte qu'il n'y a plus aujollr.
d'hui, pour lui, qu'une sexuisemblance : le masculin.
TROMPETTE. — La trompette est un instrument, le trompette, le ca-
valier chargé d'en jouer. Ex. :
Voilà en somme le sac de Rome, que j'ai recueilly des Espaignols. et
mesmes d'un vieux trompette françois qui avoit esté à feu M. de Bourbon
alots, et estoit aux gages de l'empereur et du visce-roy, estant iceluy trom-
pette aagé de soixante ans ou plus, et qui avoit veu tout le mystere.
(Branthôme. Recueil des Hommes, I, I, II, Tome I, p. 321).
A peine il achevoit ces mots
Que luy-mesme il sonna la charge.
Fut le Trompette et le Héros.
(La Fontaine. Fables Choisies. II, 9. Le lion et le Moucheron).
cf. enseigne.
A la liste de ces doublets, il convient d'ajouter quelques vocables
dont le sémième paraît en voie de réaliser le même phénomène de scis-
siparité sous l'influence d'une divergence entre l'usage plébéien et
l'usage bourgeois.
AIR, féminin dans le langage du peuple lorsqu'il désigne l'atmos-
phère, demeure masculin pour traduire l'aspect extérieur, l'allure d'un
personnage.
ARGENT, est fréquemment mis au féminin, dans les mêmes milieux,
quand il signifie monnaie, pécune, mais reste masculin lorsqu il
indiqué le métal. Ex. :
L'argent que nous avons gagnée
Ell nous servira pour notre ména-a-ge ;
L'argent que nous avons gagnée,
Eli' nous servira z'à nous marier.
(Chantons pour passer le temps. Chanson populaire).
ApPEL est constamment du féminin, pour les locuteurs du vulgaire.
lorsqu'il s'agit de désigner la formalité militaire ou judiciaire de l'é-
noncé des noms pour constater les présences. Nous ne lui avons jamais
connu cette sexuisemblance dans un autre cas. On peut même se de-
mander si l'on ne se trouve pas en présence d'un vocable spécial propre
à la parlure des classes non cultivées, l'appelle semblable à la casse,
la relève etc. comme processus de formation, et tiré du verbe appeler
comme notre vocable littéral appel. Les mêmes locuteurs qui disent
couramment : « l'appel est faite », disent tout aussi constamment
«
battre le rappel. »
ECLAIR. — Nous assistons très nettement à la naissance d'un subs-
tantif éclair fém. (peut-être conçu orthographiquement éclaire comme
la plante de ce nom), pour désigner le genre de pâtisserie bien connu.

culin pour la bourgeoisie ;


LÉGUME est toujours du féminin pour le vulgaire (8), toujours du mas-
mais celle-ci par citation d'une locution

:
vulgaire, a admis le mot légume fém. pour désigner des personnages
officiels « les grosses légumes. »
POISON, originellement féminin (potionem fém.), l'est resté pour le
bas peuple, tandis qu'il passait au masculin dans l'usage cultivé. Mais,
comme pour le vocable précédent, la bourgeoisie fait souvent emprunt
au vulgaire de l'expression figurée « une poison » pour désigner une
femme désagréable.
336. — Il nous reste enfin à traiter du substantif nominal voile ou
plutôt des deux substantifs voile masc. (étoffe servant à cacher un objet
ou tissu léger couvrant le visage) et voile fém. (toile offerte au vent). Il
est difficile d'oser rattacher ce cas, soit à celui des vocables du § 331
(type page) soit à celui des vocables du § 335 (type mémoire). Les clas-
ser comme d'origine différente serait méconnaître qu'en latin classique
ils sont déjà indiscernables par nos moyens d'investigation scientifique
actuels, sous la forme vëlum, du « genre » neutre, et que jusqu'au
n¡o siècle la sexuisemblance féminine apparaît à peu près seule dans
les deux sens du terme. Mais les classer comme de la même origine se-
rait méconnaître qu'il y avait eu en latin deux vocables vëlum, l'un
pour * vex-lum, dérivé de vehere, l'autre pour * ves-lum dérivé de la
même racine que vestis, et que cette double origine a bien dû avoir
une influence ultérieure, puisque, chose remarquable, le français a
opéré sa répartition sexuisemblantielle de façon absolûment identique

(8) Le vulgaire a ici, comme il arrive souvent, conservé l'usage ancien, cf. :
••• il croit dans son jardin de bonnes légumes. (La Bruyère. Caractère de
ophraste, T. I., p. 105).
La note de l'édition de la Bibliothèque elvévirienne dit
~s
l que légume est au féminin
toutes les anciennes éditions, et même dans celle de Coste (1731).
à l'étymologie latine primitive :* Ves-lum = le voile ;*
vex-luin
la voile. M. de la Grasserie oppose la voile du navire, féminine
=
qui est de grande étendue, au voile, masculin, réduit aux dimensions

une certaine ironie. que M. Nyrop (1) rapporte cette opinion. et pour-
tant lui qui s'est vanté, eà son § 66& de pouvoir nous dire de quelle,
:
petites,, mais nettes de l'étoffe qui couvre le visage. Ce u'est pa$sans

manière scientifique s'explique la double sexuisemblance de voile, il M


contente dans son § 726 de nous assurer « que le genre masculin est
dû à une réaction étymologique qui a rapproché le mot de vëlum » sans
nous, expliquer aucunement pourquoi cette réaction., qui avait autant
de chances de toucher le domaine de * vex-lum que celui de vesr-lum, *
puisque tous. deux sont neutres en latin, s'est précisément bornée en
définitive au domaine de * veslum : M. Nyrop ne résout pas le pro.
blème, il l'escamote.
337. — De cette étude des substantifs nominaux primaires homopho-
nes à gexuisemblances diverses, pouvons-nous tirer des conclusions

;
d'un ordre aussi général que celle que nous a fournies l'étude de la
sexuisembîance des suffixes ? Evidemment non et cela se comprend :
les pexièmes sont des idées d'une étendue déjà grande, pour avoir pu
s'exprimer par ce moyen quasi-flexionnel que sont les affixes c'est
pourquoi l'étude de leur sexuisemblance. a pu nous ouvrir d'aussi larges
;
horizons sur l'orientation des métaphores sexuisemblantielles. du fran-
çais. Déjà parmi eux, ceux dont le sens était restreint à une science,
0tI à quelque branche isolée de l'activité, nous ont donné de moindres
renseignements. Or, dans les substantifs primaires, aucune liaison, au-
cune idée générale, rien que des vocables isolés.
C'est pourquoi l'étude de la sexuisembtance diverse des substantifs
nominaux primaires homophones ne peut nous faire apercevoir que des
oppositions particulières, sans portée générale. La langue crée ses mé-
taphores de façon vraiment poétique, c'est-à-dire adaptée aux nécessités
des antithèses plus ou moins particulières qu'elle veut souligner.
D'autre part, les substantifs nominaux primaires non générescents
ont, dès l'origine de la langue française une sexuisemblance héritée,
qu'jls tiennent de leur étymoïogie et de leur histoire. S'ils viennent 3
prendre une double sexuisemblance, il y a donc toujours une des deux

;
physes qui est héritée, l'autre qui est francigène. Cette dernière, pour
s'établir, doit déployer un effort linguistique énorme aussi n'envahit-
elle que Je domaine où le génie de la langue l'appelle impérieusement ;
mais hors de ce domaine étroit, tout le domaine du vocable originel,
même dans ses parties les plus indifférenciées au point de vue sexuisem-
blance, garde la sexuisembïance originelle.
Souvent d'ailleurs la possibilité d'une double sexuisemblance n'est
elle-même donnée à la langue que par une hésitation d'origine histo-
rique, Iatinigène, et le sémantisme n'intervient qu'ensuite, pour opérer

(1) Cf. Nyrop. Grammaire historique de La langue française, T. m, 9 669, p. 335.


le tri des emplois d'abord indifférents, de l'une ou l'autre sexuiserik-
hlallce. Chanvre >
par exemple, remonte soit au féminin classique
cannabem, soit au. masculin plus rare cannabum. De même orge re-
monte soit au neutre primitif singulier hordeurn, soit à hordea, neutre
pluriel interprété comme un féminin singulier. De là Les deux sexui-.
semblances, masculine et féminine : c'est-à-dire., en somme, deux
vocables. Or deux vocables ne restent jamais, synonymes ;
la langue
française est trop intelligente pour conserver une surcharge improduo
live qui ne serait qu'un embarras et non une richesse. Elle tend donc
à répartir les emplois des. deuxvocables, et c'est alors que le séroan-
lisme intervient, comme nous l'avons vu, pour mettre en antithèse,.
dans ce domaine particulier, l'orge sur pied qui est plus féminine»
avec l'orge en grains, qui est plus masculin..

338. — C'est, la notion de sexe, dont l'importance est primordiale


ri singulière dans. la vie humaine, que représente métaphoriquement,
à notre avis, la notion grammaticale de sexuisemblance. Jusqu'à quel
point, pourtant,, y a-t-il superposition d'une idée. à l'autre dans. notre
langue Ou. pour être plus clairs,, comment tous les êtres sexués se
répartissent-41s actuellement dans les cadres sexuisemblantiels ?
Pour juger la question, il faut d'abord se pénétrer de cette notion
que la sexuisemblance n'étant pas. une notion scientifique, mais intui-
tive et poétique." n'a pas pour base la notion scientifique, de sexe, dans
toute son extension biologique, mais bien uniquement les réactions, im-
pressives différentes provoquées par l'un ou l'autre sexe. Ce sont donc
avant tout les sexes de l'espèce humaine qui sont le point de départ de
la métaphore sexuisemblantielle.

sornblance y est conforme ;


Chez les animaux,. toutes les fois, que le sexe est distingué, la sexui-
il n'y a pas un nom réservé à un animal
mâle qui ne soit masculin, pas un nom réservé à une femelle qui ne soit
féminin (1). Mais la notion de sexe est souvent négligée.
Il faut qu'il s'agisse d'une espèce intimement connue de l'homme soit
pour des raisons sentimentales (comme l'espèce canine) soit pour des
raisons utilitaires (ce qui est le cas pour les autres espèces domestiques,
et les espèces sauvages françaises particulièrement connues comme ;
combattre) ; ou bien d'une espèce dans laquelle le mâle ait, de façon
frappante, un aspect différent de la femelle (ex. : le lion,, la lionne le
paon, la paonne, etc.) pour que la langue recoure au répartitoire de
;
sexuisemblance.
Dans les autres espèces le sexe des animaux. n'est pointchose. con-
sidérée par la grammaire. Ce n'est pas à dire que les noms des animaux
de ces espèces soient forcément classés dans la physe indifférenciée du
répartitoire de sexuisemblance, ïemasculin. Car un autre facteur que le
sexe rée.1 de l'animai intervient pour en déterminer la sexuisemblance :

(1) C'est cequi rencfc si déconcertante pour un Français une expression ctmnw 1*
haut allemand dos. Weib.
langue ;
le mâle et la femelle sont trop peu différents pour être opposés par la
mais l'imagination poétique prête à l'espèce entière un carac-
tère propre à la faire concevoir comme composée d'êtres comparables à
la femme ou comparables à l'homme. Une souris, qu'elle soit mâle ou
femelle, s'en va, pimpante, trottinante, avec de petits yeux semblant

:
refléter la coquetterie et un petit museau pointu et vif qui grignote
gracieusement on la range dans la sexuisemblance féminine ;
un élé-
phant quel que soit, son sexe, s'avance pesamment et lourdement, sem-

pensées :
blant incarner à la fois la force sûre d'elle-même et les vastes et calmes
on le range dans la sexuisemblance masculine. Et, dans les
fables, l'animal de cette espèce n'intervient jamais qu'avec un sexe-et un
rôle social conforme à sa sexuisemblance : la souris est la mère du sou-
riceau ; elle n'est jamais représentée comme étant son père. C'est qu'une
expression lourde et discordante comme une souris mâle, universelle-
ment reçue dans le parler didactique, est beaucoup plus rare dans les
œuvres littéraires, parce qu'impropre à l'anthropomorphisation de l'ani-
mal (2).
Il arrive d'ailleurs de plus en plus souvent que l'on ait besoin, dans
la langue courante et dans les ouvrages littéraires récents, de préciser
le sexe d'un animal (3). Aussi le nombre des espèces du premier genre
tend-il à se développer aux dépens du nombre de celles du second genre.

la physe indifférenciée, masculine :


La chose est particulièrement commode quand le nom spécifique est de
un rat, un tigre désignent ces es-
pèces dans leur généralité en même temps que les individus mâles ;
pour désigner les femelles, on forme très aisément les termes rate et
tigresse. Ex. :
Je vous ordonne donc à tous. de vous procurer le plus clandestinement
possible chacun vingt rats ou vingt rates pleines si Dieu le permet.
(Balzac. Un ménage de garçon. T. VI, p. 21*5).
En réalité, c'était une vieille pinsonne qui avait terminé sa carrière
sexuelle, et avait pris en partie un plumage de mâle.
(M. DT., le 29 juin 1926).
Cf. aussi § 274.
Les espèces dont le nom spécifique est féminin sont celles qui offrent
le plus de résistance, et il faut de l'audace pour appeler sautereau, sou-
riçon, fouin, les mâles respectifs de la sauterelle, de la souris et de la
fouine. Tourterau, même, terme connu et accepté de la langue littérale,
ne s'emploie guère qu'au figuré.
.(2) Cf. pour cet emploi :
rare
Il est plus noble que le paon pythagorique,
Le dauphin, la vipère mâle ou le taureau.
1
(G. Apollinaire. Alcools. Le Larron, p. 82).
(3) Quelquefois, — et ceci marque bien la nuance d'attitude d'esprit qu'il y a
entre ces deux modes de répartition des sexuisemblances, — l'espèce conserve un nom
*
;
scxuisemblant commun dans le style noble, tandis que chaque sexe prend sa sexuisem.
blance propre dans la langue pratique courante : Ex. : cf. la eolombe, mais le
pigeon, la pigeonne le pourceau, mais le rerrat, la truie, le cochon.
Cf. pourtant :
Muzilanor crut y réussir en confiant la jeunesse d'Aphanor à un Salaman-
dre de ses Amis.
(Voisenon. Aphanor et Bellanire, p. 234).
Mais dans cet emploi, le changement de sexuisemblance est facilité
d'une part parce qu'il s'agit d'un être fantastique, ce qui autorise des
fiardiesses qu'on hésiterait à se permettre s'il s'agissait de la bête ap-
pelée salamandre.

blance ne s'accorde pas avec le sexe


est-il d'autant plus significatif
;
Pour les êtres humains, il est beaucoup plus rare que la sexuisem-

: aussi quand ce discord existe,


nous l'avons vu, à propos du suffixe
-on, être pris comme signe de ce qu'il y a de spécifiquement humain,
de commun aux deux sexes de l'humanité et, d'autres fois, pour les
femmes, comme signe de mépris pour leur carence de qualités sexuel-
les. Ce discord se rencontre encore dans des mots comme la vigie, la
smtinelle, une ordonnance (dans le sens de : soldat employé au service

la nature physique de l'individu


Cf. en parlant d'un homme
;
d'un officier). Dans ce cas on ne veut plus prêter attention au sexe, à

: on ne veut plus voir que sa fonction.

Monsieur, la maladie de Parkinson que vous avez vue ce matin demande


ce qu'elle doit faire, si elle doit rester ici ce matin.
(M. CS., le 5 novembre 1920).
La sentinelle ne 'connaît que sa consigne, et le discord sexu-sexuisem-
blantie] donne au vocable une particulière noblesse, que n'a pas, par
exemple, le terme factionnaire qui exprime une idée voisine. C'est pour
mieux marquer le caractère exceptionnel et partant la force de ce dis-
cord que la langue tend à en réduire l'emploi aux vocables qui l'exi-
gent. Sentinelle, par exemple, n'a aucune tendance à passer au mascu-
lin (4) ; mais l'ordonnance, vulgaire domestique, n'est plus conçu par
la société moderne comme ayant une fonction militaire sacrée
M. René Benjamin, peut-il écrire, de façon tout à fait conforme à l'u-
;
aussi

sage actuel :
Je ne puis séparer dans mon esprit les paroles tranquilles de ce Dunker-
quois, (tu récit dramatiqueque deux heures après, dans le train qui
m'emmenait, j'entendis de la bouche d'un ordonnance, qui accompagnait
sa maîtresse, une femme d'officier.
(René Benjamin, Sous le ciel de France, p. 83).
Comme dans tout ce qui touche à la sexuisemblance, nous nous trou-
vons ici sur le terrain de l'imagination et de la hardiesse littéraire.

:
Appliquer à des êtres sexués la sexuisemblance opposée peut être l'oc-
casion d'effets de toute nature nous avons vu § 324 ce procédé aboutir
à l'expression d'une tendresse enjouée ou, tout au contraire, d'un dé-

sévérité militaires;
dain sexuel ; nous le voyons ici au service de la discipline et de la
la langue s'en sert également pour infliger son

:
1"
(4)
1,, la
l'osé de plus d'un homme:
Sentinelle ne désigne d'ailleurs pas identiquement un homme. Il désigne
fonction : être en sentinelle. — 20 le matériel humain qui l'assure, fût-il com
une sentinelle double.
mépris aux invert.is (une tapette, une tante) ; ou simplementaux person-
tt&gets de mauvaise conduite (une fripouille, une canaille, une crapule,
désignent le plus souvent des hommes ; un chameau s'appliquera plutôt
à une femme) ; ou encore aux poltrons et aux paresseux (une poule-
muuifMe, une gouape).
Si, accidentellement, un être humain se trouve désigné par un subs-
tantif nominal dont le
genre ne s'accorde pas avec son sexe, ilpeut ar-
river que les adjectifs nominaux appliqués à ce substantif ne prennent
-
point sa sexuisemblance, mais celle qui correspond au sexe de l'être hu-
main désigné ex. -
On ne saurait trop vous dire comment les deux trésors sont mignonnes.
,
à
(Madame H., Monsieur AC., lettre du 15 août 1919).
On demande un mannequin, grande, taille 44.
(Annonce dans l'Intransigeant du 21 janvier 1923, p. 6, col. 2).
.etelle,comme elle -espère que le gouvernement nouveau fera quelque chose
la voilà tout de suite partisan déterminée de ce gouvernement.
pour
(Joseph Turquan. Madame Junot, Duchesse d'Abranlès, ch. XIII, p. 384).
M. Turquan s'en est ainsi tiré parce qu'il n'a osé ni partisane ni par-
lisante. (Cf. supra, § 270 et 274).
Il arrive même que, pour marquer le sexe, on donne résolument la
sexuisemblance féminine à des masculins terminés par [(de)], de tels
vocables pouvant 4tre considérés comme leur propre féminin si on les
rapproche des adjectifs du type honnête, ex. :
Sur le tombeau de Vange Manche
Aux cheveux noirs, aux pâles yeux,
Le lys liturgique-se penche,
Se penche en regardant les cieux.
(Félix Jeantct. Les Plastiques. Amours enfantines, p.50).
'Voir passer sur ses yeux, vos ailes, ô belle ange 1
(Lacretelle. Les Cloches, IX, p. 81).
Une génie donc, Tayant aperçue de nuit., en demeura incendiée d'admi-
ration, et fit part de sa découverte à un génie mâle.
{P. J. TouleLBéhaazigue. En Franco-Chine, p. 64).
De même, aigle au féminin pour désigner la femelle de l'animal.
M. Nyrop (5) assure que cet emploi est ,absolûment vieilli, On l'entend
pourtant encore quelquefois. Cf.
LEscarbot indigné
VGle au de l'Oyseam, fracasse en son absence
anâd
Ses oeufs, ses tendres oeuff,, sa plus douce esperanoe ;
Pas un seul ne fut épargné.
1/Aigle -estant de retour et verçant ce ménage,
Retnplit le ciel de cris, et pour comble de rage.
Ne sçait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
(La Fontaine. Fables choisies, II, 8. L'Aigle et l'Escarbot (6).

(5) Ch. Nyrop. Grammaire historique de la Langue française, Tome III, § 726.
^6) Mais cet auteur lait parfois aigle du féminin sans gjue le contexte indique
T1 serait certes encore plus conforme au génie de la langue de former
le féminin avec le suffixe-esse, cf. §§ 274 et 275 : aiglesse a en effet existé
autrefois.

qu'il s'agisse spécialement de la femelle. Cf. l'ex.


Non, dit l'Aigle. Tant pis, reprit le
§
triste oiseau,
:
335 Cf. contra

Je crains en ce cas pour leur peau


C'est hazard si je les conserve.
Comme vous estes Roy, vous ne considérez
Qui ny quoy : Rois et Diéu mettent, quoy qu'on leur die,
Tout en mesme catégorie.
(La Fontaine. Fables choisies. V. 18. L'Aigle et le Hibou). ;
S39. Vue générale sur le système quantitudinal louchant les substantifs nomi-
naux français. — 340. Le répartitoire de putation. — 341. Le répartitoire,
de blocalité. — 342. Les trois physes quanti ludinales résultantes.
La physe discontinue énumérative.
344- Constitution historique du système taxiomatique quantitudinal. Essai
du taxiomc uns. — 340. Idiomes dans lesquels le répartitoire masse-nom-
bre n'est pas strictement intervocàbulaire : le singulatif et le collectif des
langues brittoniques. — 346. L'idée désomptive en germe dans le génitif.
;
347. La désomption.
tique
- 348. La désomption acquiert un domaine taxioma-
histoire de cette acquisition. — 349. Faits analogues en haut-alle-
mand et en italien. — 350. Intravocabularisation définitive du répartitoire
masse-nombre. — 351. Remarques sur l'expression taxiomatique de la pu-
tation et de la blocalité.
352. Domaines particuliers dans lesquels la. langue use de ressources

:
spéciales. Vocables dépourvus de singulier. — 353. Matériel et Matériaux
bétail et bestiaux. — 354. Massifs pluriels cieux, travaux, aulx, vam,
;
aïeux. — 355. Orgues. — 350. Pluriels désignant un ensemble formé de
parties solidaires. — 357. Noms Pluriels des fêtes. — 358. Gens. — 859.
Epinards, confitures, cristaux.
à
360. Expression de la quantitude nulle par des taxiomes non forclusifs. —
S61. Taxiomes forclusifsservant de
la négation substances tant massives que
numératives. — 362. Changements d'unité numérative.

339. — Nous avons vu aux §§ 296 et 298 qu'une des principales ca-
ractéristiques du substantif nominal était d'avoir de la quantité immé-

plexe. Un double répartitoire assure cette expression ;


diate ou quantitude, et que l'expression de cette quantitude était com-
les deux parties
en sont la putation et la blocalité. La putation est une invention de la
;
langue, comme il appert au premier coup d'œil de son mode d'expres-
sion, qui se fait au moyen d'articles la blocalité, s'exprimant par des

;
flexions, n'est pourtant pas la continuation pure et simple d'un ancien
'état de choses
:
encore moins est-elle la trace archaïque et en voie de
disparition d'une ancienne modalité linguistique le développement
croissant du [(z)] du pluriel, que nous avons signalé au § 279, en est
* une preuve suffisante. En réalité, c'est l'ancien répartitoire de « nom-
bre » lui-même, adapté aux besoins nouveaux de la langue, et dont le
scinantisme général a subi les transformations nécessaires au nouveau
rôle qu'il a été appelé à jouer.
Le répartitoire de blocalité sort donc du répartitoire de « nombre »
comme le répartitoire de sexuisemblance de celui de « genre », et cette
adaptation des répart,itoires anciens aux besoins nouveaux de l'esprit est
un phénomène linguistique particulièrement intéressant et qui montre
tonte l'importance des fraits grammaticaux dans l'élaboration des nou-
velles formes de la pensée.
L'ancien répartitoire de nombre, où le latin ne distinguait pas entre
les idées d'unité et de pluralité, et celles de quantités inférieure et su.
périeure, ne pouvait suffire aux besoins de précision analytique qui se
sont fait jour à travers l'histoire de la langue. Celle-ci y a donc super-
posé le répartitoire plus fin de putation, puis elle s'est aidée de l'un et
de l'autre systèmes pour arriver à une conception tout. à fait souple de
la quantitude.
Grâce à ces nouveaux répartitoires, la langue' a pu renoncer à l'an-
cienne division des substantifs en massiers et en nombriers, que le
français le plus ancien avait héritée du latin (cf. supra, § 296) et qui
n'était basée que sur une conception grossière du monde extérieur. En
français moderne, toute substance peut être envisagée d'un point de vue
ou de l'autre. C'est-à-dire que, par le répartitoire de putation, elle peut
l

être estimée, dans l'ordre de la quantitude, suivant deux systèmes dif-


férents : ou bien l'on donne une indication sur la grandeur globale de
la masse de substance que l'on prélève sur la totalité de la substance
de l'espèce donnée (putation massive) ; ou bien l'on fournit un rensei-
gement sur le nombre des individus que l'on prélève dans l'ensemble
de cette espèce, conçue comme décomposable en unités particulières
putation numérative). Ex. :
Du bœuf, c'est une masse globale de matière bovine prélevée sur la
totalité de la matière bovine existante ou imaginaire.
Un boeuf, des bœufs, ce sont deux indications numérales marquant
un certain nombre d'individus bovins, ce nombre étant forcément 1
dans le premier cas, et n'importe quel entier supérieur à 1 dans le se-
cond cas.
Fidèle aux habitudes d'ordre et de clarté dont la langue ne se départ
pas, c'est dès que le locuteur français introduira dans son discours un
être de l'espèce substantielle qu'il apportera cette estimation.
Encore que ce ne soit pas ici le lieu de nous en expliquer complète-
ment, il nous est facile de faire pressentir que ce degré de connais-
sance que nous avons défini au § 298, sous le nom d'assiette, est de na-
ture à rendre de moins en moins nécessaire, à mesure que la chose
substantielle est plus connue et mieux définie, les indications quanti-
tudinales la concernant. Le bruit étant déterminé et défini
sans ambi-
guilé possible au moment où il
se montre sous cet aspect notoire, le
sentiment linguistique français ne croit pas utile de l'affirmer massif ou
numératif. A ce moment, le renseignement lui semble superflu ; l'esprit
sait parfaitement si le substantif représente du bruit ou un bruit.
C'est donc quand nous concevons l'espèce comme réelle,mais inter.
venant pour la première fois dans le discours et n'ayant encore de dé.
finitude ni dans son ensemble ni en aucune de ses parties, c'est-à-dire
quand nous la concevons dans Yassiette transitoire, que les notions
quantituXiinales vont pouvoir apparaître dans leur entier.
D'ailleurs, des trois degrés positifs de l'assiette, le degré transitoire
étant le moins différencié, il est naturel que nous choisissions le domaine
qui lui appartient lorsque nous voulons examiner un problème d'où la
notion d'assiette, doit, autant que possible, être éliminée.
340. — C'est donc à des substantifs à l'assiette transitoire que vont
s'appliquer les différentes pliyses du répartitoire de putation. Pour s'éle-
ver dans l'échelle de la quantité à partir d'une quantité nulle, trois
modes de pensée sont à envisager, cette triple voie constituant le répar-
titoire de putation •:
1° PUTATION MASSIVE. — Nous distinguons seulement s'il y a de !a

lons:
substance considérée ou s'il n'yen a pas. L'échelle n'a que deux éche-
pas de s'oppose à du :
II n'y a pas de doute.
(Anatole France. Sur la Pierre Blanche, ch. IV, p. 215).
Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui
des autres.
(La Rochefoucauld. Maxime XXXIV).
Rodrigue, as-tu du cœur ?
(Corneille, Le Cid, acte I, se. 5).
Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l'extérieur de la vie
sociale, lesrévoltes superficielles. Il dessine instantanément la forme mobile
de ces ébranlements. Il est Jui aussi, une mousse à base de sel. Comme la
mousse, il pétille. C'est de la gaîté. Le philosophe qui en ramasse pour en
goûter y trouvera d'ailleursquelquefois, pour une petite quantité de matière,
une certaine dose d'amertume.
(Bergson. Le Rire, chap. III, fin).
— L'espèce substantielle y est essentielle-
20 PUTATION NUMÉRATIVE.
ment conçue comme décomposable en individus, la limite de ces indivi-
Cf. un cœur normal ;
dus étant d'ailleurs parfaitement arbitraire.
un cœur droit déjà fatigué Je n'avais qu'un
:
cœur dans mon jeu, le six. Et dès lors, une nouvelle notion apparaît
opposition de l'unité à la pluralité. L'échelle a trois échelons
ou pas de.; un; etdes :
:
aucun

Elle était si sérieusement déterminée h rester physiquement vertueuse,


qu'elle ne voyait «ucan danger pour elle à des préliminaires redoutables
seulement aux femmes bien éprises.
(Balzac. Histoire des Treize. La duchesse de Langeais, Tome IX, p. 167).
Demain, chère amie, je repàrs pour Gand la superbe espagnole, qui 8
fait faire un beau vers à Boileau.
(V. Hugo. En voyage. Belgique, IX, 28 août 1837).
Elle pâlissait et avait des battements de ooeur.
(Flaubert. Madame Bovary, T. 9, p. 78).
La notion de pluralité ne suffit pas si on veut compter la quotité
eva(le d'unités encloses dans chaque cas du pluriel. L'échelle, ici, a un
nombre infini d'échelons correspondant aux nombres de l'arithmétique
(uu, deux, trois, quatre.) avec pour base l'échelon zéro :
et moi qui avais toujours zéro fouie, la classe, le professeur, la com-
position me troublèrent jusqu'an fond de mes facultés, et me firent com-
mettre huit fautes.
(Charles-Louis Philippe. La mère et l'enfant, p. 124).
Ce mode d'estimation des substances par les nombres de rarithmê-
ijquc, nous ne pouvions pas le passer sous silence, car il joue un trop
grand rôle dans la plupart des branches de l'activité mentale de l'homme
et il a trop d'intérêt philosophique pour que la grammaire ait le droit de
le négliger tout à fait en un lieu où elle traite de la quantitude. Le
nombre est la forme la plus précise et la plus scientifique de la quanti-
tude ; néanmoins, il n'en est qu'une forme et n'arrive jamais à l'absor-
ber tout entière.
Et même, pour le grammairien, la putation énumérative n'apparaît,
en français du moins, que comme un cas particulier de la putation nu-
méralive ; elle ne comporte aucun élément taxiématique nouveau.
D'une part, en effet, le nombre 1 est purement et simplement identi-
que au premier échelon de la putation numérative, comme le traduit
l'identité du taxiome un. D'autre part, les nombres entiers supérieurs
à 1 ne sont que des cas particuliers du pluriel, c'est-à-dire du discontinu.
La succession des nombres arithmétiques n'appartient donc au do-
maine taxiématique qu'en ce qu'elle comporte d'identique à la putation
numérative pure. Quant à la notion sémantique précisant de quel nom-
bre arithmétique pluriel il s'agit exactement, c'est une notion sémié-
matique ; quelle que soit son importance philosophique, la série des
nombres entiers, système défini et déterminé qui sert de base à l'arith-
métique et à toutes les sciences qui en dérivent, n'en est pas moins, par
son extension illimitée, incapable de rentrer dans une classification
taxiématique à mettre à la base de la langue.
C'est pourquoi il ne faut compterque deux physes ou répartitoire de
putation, la massive et la numérative.
Les deux putations, 'massive et numérative, n'étant en somme que
deux manières différentes de présenter la notion
commune de quanti-
tude dans son ascension du zéro vers l'infini, on verra naturellement
Appliquer à l'une et à l'autre les taxiomes chargés de marquer pure-
ment et simplement la quantité, dans toute sa généralité, selon qu'elle

[bcb(Z)l
:
est plus ou moins proche ou éloignée de zéro.
Ex. : Putation massive Beaucoup de bœuf — Pas ide bœuf [b de f].
Putation numérative : Beaucoup de bœufs — Pas de bœufs
En ce qui concerne les
moyens matériels auxquels la langue recourt
ici pour marquer la différence putationnelle, nous allons nous en ex.
pliquer.
341. — C'est en effet maintenant le moment de voir comment les
physes du répartitoire de putation, physes distinguées d'ordinaire par
leurs articles (adjectifs strumentaux) propres, vont s'accommoder des
flexions quantitudinales du substantif nominal, que nous avons étudiées
au chapitre II ; si ces flexions ont encore, dans la langue de nos jours,
uiie valeur propre qui doive nous faire admettre, au point de vue de la
quantitude, un autre répartitoire que la putation ; et, dans l'affirmative,
quel est ce répartitoire.
-
La simple considération de l'emploi respectif des figures singulière
et plurielle dans les trois types d'expression du bœuf, un bpmf, des
bœufs, nous permet de répondre à cette question de façon claire et sa-

;
tisfaisante. Nous y voyons, en effet, immédiatement que la physe puta-
tionnelle massive s'accommode régulièrement du singulier et que, dans
la physe putationnelle numérative, la figure singulière convient à l'unité

putation est ici marquée par l'adjectif strumental (du, d'une part un ;
et la figure plurielle aux nombres plus grands que 1. La distinction de

ou des, de l'autre). La figure flexionnelle nominale va donc manifester


ici ce qu'il peut y avoir de commun aux deux physes du répartitoire de
putation.
Or, nous remarquerons que le massif et l'unité (qui est numérative)
usent de la même figure flexionnelle, le singulier. Force nous est par
conséquent de considérer cette figure comme traduisant ce qu'il y a do
commun à la masse et à l'unité, savoir la singularité de la masse et la
massivité de l'unité, c'est-à-dire en un mot la continuité (v. § 296). Car
, voir
un domaine substantiel spécifique sous l'aspect putationnel massif
c'est, faisant abstraction de toute brisure possible dans ce domaine,
s'astreindre à ne le jamais considérer que comme continu, d'un seul

; :
tenant. Du pain, cela peut être en une ou plusieurs miches, en tranches,
en bribes, en miettes mais peu importe ce n'est pas ce que l'on con-

;
sidère' ; tout ce quin'est pas pain, tout ce qui vient interrompre et frag-

:
menter la substance pain est absolument négligé l'ensemble de co qui
est de cette substance est seul considéré c'est du pain.
Et de même, voir un domaine substantiel spécifique sous l'aspect pu-
tationnel numératif, c'est le décomposer en parcelles, se le représenter
discontinu. Mais le discontinu suppose le continu, car il n'est possible
qu'avec à sa base l'atome, l'unité, qui est continue. En la brisant par 1&
division, on crée de nouvelles unités, c'est-à-dire de nouvelles continui-
tés, et ainsi à l'infini.
Il faut donc admettre que le vieux système des flexions singulière et

le continu s'oppose au discontinu :


plurielle du substantif nominal traduit maintenant un répartitoire ou
nous l'appellerons le répartitoire
;
de blocalité. De ce répartitoire, le singulier traduit en général la pbysc
continue (massif et, dans le numératif, l'unité) ; le pluriel traduit au
coniraire la physe discontinue (c'est-à-dire la pluralité, qui est de la
putation numérative).
En d'autres termes, nous venons d'établir que la langue française dis-
pose bien, en
matière de quantitude, de deux répartitoires absolument
distincts, encore que concourant toujours dans l'expression quantitudi-

discontinue ;
nale : la blocalité, d'origine latine, avec ses deux physes continue et
la putation, créée par le français, avec ses deux physes

de ces deux
tifcontinu — numératif discontinu -
massive et numérative. A première vue, il semblerait que le croisement
répartitoires dût créer quatre physes résultantes numéra-
massif continu — massif dis-
:
quatrième de ces combinaisons est contradictoire en soi et pourtant;
continu. Mais l'on voit aisément, par tout ce qui vient d'être dit, que la

nous verrons qu'elle a pu être utilisée quelquefois par la langue dans


des cas spéciaux et au cours de l'évolution qui a préparé l'état linguisti-
que français actuel, et que, si on ne la rencontre aujourd'hui plus, sé-
mantiquement parlant, il en existe du moins des vestiges morphologi-
ques (v. infra, § 359).

342. — On voit que pour l'immense majorité des substantifs nomi-


naux français, la combinaison des répartitoires de putation et de bloca-

à trois seulement ::
lité n'aboutit qu'à trois physes quantitudinales positives résultantes et
la massive, la numérative continue et la numérative
discontinue. Exemples
1° PHYSE QUANTITUDINALE RÉSULTANTE MASSIVE :

Pur son seignor doit hom susfrir destreiz


E endurer e granz chalz e granz freiz
Sin deit hom perdre e del quir e del peil.
(Turold. La Chanson de Roland, 1012).
De la busche en vunt querre
Dunt le manger funt à terre.
(Saint Brandan, 450).
Or veut dç l'argent ma norrice.
(Rutebeuf. La complainte Rutebeuf. 56. Tome I, p.15).
••• por
dou pain, por dou vin à moi, por dou Jain, por de l'avainne à
non roncin.
(Id. Li diz de l'erberie. T. II, p. 61).
Et lors je demandai à boire, et l'on m'aporta de l'yaue
en un pot.
(Joinville. Histoire de Saint LOUIS. 823).
La
royne pria le roy que il y envoiast trois galies pour penre dou fruit
POur ses enfans.
(Ibid., 640).
De l'ille de Cypre
yauc
l' nous partîmes, puis que nous eûmes pris en l'ille de
fresche et autres choses qui besoing nous estoient.
(Ibid., 638).
A Dieu, mon ami, le plus doulz
Homme c'onques menjast du pain !
(Miracle de l'Evesque que l'arcediacre murtrit, 367).
Il y eut du menu peuple,, comme ay sceu depuis, fort rspouvanté
Ce
Jour.
(Commynes. Mémoireg. 1. 2, p. 16).
Et trouvant du sang à la porte de sa chamhre, l'on entra dedans.

Da mi dineros, y non consejo, c'est-à-dire


non du conseil. »
:
(La reine de Navarre. L'Heptaméron, fi, 12, Tome I, p. 123).
«Donner moy de l'argent et
(Branthûme. Recueil des Hommes, I., I. 11, T. I, p. 318).
Je sçay du Latin, assez, disoit Georgeaux.
(Noël du Fail. Contes et Discours^ d'Eutrapel, XXVI. Tome U, p. iuci).
Du Grec 1 ô Ciel ! du Grec t II sçait du Grec, ma Sœur 1
Molière. Les Femmes sçavantes, III, 3).
Quoy que pendant fout l'an libéral il nous d01.ne
Ou deS' fleura au Printemps, ou da fruit en Automne.
(La Fontaine. Fables Choisies, X. 1. L'Homme et la Couleuvre).
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit.
(Ibid., I. 9. Le rat de ville et le rat des champs).
Il me semble que ma sœur a du goût pour un jeune Troglodyte de nos
parents.
(Montesquieu. Lettres persanes, XIII, T. IV., p. 299).
Elle embrassait sa mère qui la baisait au front en. répétant : « Allons
du courage 1 du coui-age
!
courage -11 »
(Flaubert. Un cœur simple, ID, p. 35).
Déruchette était de l'allégresse, allant et venant dans la maison.
(Victor Hugo. Les Travél:iUe-uJlI, de la Mer, I. III,, 8-. Tome 1, p. 123).
Sais-tu une chose 5 J'ai quelque idée qu'il se, passe du. mystère ici.
(Musset Le Chandelier„ A. II, Se. 2).
Ceux qui vous connaissent intimement assûrent qu'il y a en vous du
rêveur.
(A. Frasmcc. Lan Vie Littérairer Ie série, dédicace, p. 1).
Je veux parler de ces vieux braves qui gardent dans le cœur et dans les
yeux la candeur de -1enlance,
- parce qu'ils nont jamais cherché
- - à- gagner
de l'argent et qu'ils n'ont connu dans la vie que le devoir, le sentiment et
le sacrifice.
(Ibid. La Réception de M. Léon Say, p. 21).
Il n'en était plus à choisir des auditeurs et, mis en verve par du maras-
quin, il déroulait ses sourires comme une riche broderie en loques.
(Id. Les Désirs de Jean Servien, XIII, p. 108).
Je sais que de la bonne besogne se. prépare f on dit que l'armée va passer
la Meuse et que la campagne sera dure.
(H. de Régnier. Le bon plaisir, p. 58).
Ils le viremt s'arrêter sur la grande place, devant l'enseigne du sieul
Lobinet, qui vendait aux bourgeois de la ville de la vitre pour leurs car
reaux en même temps qu'aux dames du miroir pour qu'elles s'y YÍsscnt.

L'allégresse sauvage roule en cascade du haut des monts


argente les profondeurs des gorges.
;
(Ibid. p. 85).
de
1léellille

(A- Gide. Nouveaux. Prétextes. Journal sans date, p. 253).


j'ai cru que mou cœur était du soleilr tant je sentais de bonheur.
Vendre des œuIs." c'est
8trat*ruer de la vie.
gagner de l'argent ;
(Cf. G. Philippe. La mère et l'enfant, p. 29).
soigner son enfant, c'est
(Ibid.,
(7&Kf., p. 66).
Plus tard, j'ai passé des années a lui jeter de l'angélus, du haut du
clocher.
(A. Arnoux. Abisag, ou l'Eglise Irvnsportée par la Foi, ch. XLV, p. 293).
2° PHYSE QUANTITUDINALE RÉSULTANTE NUMÉRATIVE CONTINUE
Ad une sepede li roveret tolir lo chicf.
:
(Cantilène de Sainte Eulalie. 22).

:
Ab u magistre. semprel mist.
(Leçon G. Paris Od un magistre sempre l'mist)
(La Vie de Saint Léger. 4).
Si fut uns sire de Rome la citet.
(La vie saint Alexis. 3).
Il avint ja en cel altre pais
Qu'unis chevaliers ot une dame amée.
(Quenes de Bethune. Chanson, VII, 2),
Or dient et content et fabloient que li quens Bougars de Valence faisoîl
guere au Conte Garin de Biaucaire, si grande et si mervelleuse et si mortel,
qu'il ne fust un seux jors ajornés qu'il ne fust as portes et as murs et as
bares de la ville à c. chevaliers et à x. mile sergens à pic et à ceval.
(Aucassin et Nicolette, p. 233).
Et desus cele tour avoit un estre où il avoit x. chambres.
(De l'ystoire Asseneth,. p. 3).
Dès que ledit duc fut désarmé, appella ung secretaire, et escripvit unes
lettres au connestable.
(Commynes. MémotPes. II,2, p. 99).
La rose et moy differons d'une chose
Un soleil void naistre et mourir la rose
: ;
Mille soleils ont vu naistre m'amour.
(Ronsard. Les Amours. 1, 96* T. I,pp. 64-55).
La lecture de son Ouvrage répand insensiblement dans une ame les semen-
ces de la vertu.
(La Fontaine. Fables choisies. Epistre au Dauphin, p. 6).
Jeanne consentit au meurtre de son mari par faiblesse, et elle eut trois
maris ensuite par une autre faiblesse plus pardonnable et plus ordinaire,
celle de ne pouvoir régner seule.
(Voltaire. Essai sur les Moeurs,, ch. LXIX, T. III, p. 246, col. 1).
Mais il semble que, dès l'antiquité, une théorie plus hardie aurait été pro-
posée.
(H. d'Artxm de Juhainville. Les premiers habitants de l'Europe. L. 1,
ch. II, 86).

Dans la rue peu. à peu déserte, lentement,


Vient art homme poussant devant lui, mon sans peine"
Une brouette avec un vague chargement.
(Lyres Françaises. François Fabié. Frères d'Armes).
3° PHYSE QUANTITUMNALE RÉSULTANTE NUMÉRATWE DISOONTlNU., :

Quant li rois ot pris Gadres et. saisis les destroiât


Pot la\ tiere garder i ot mis des Griois.
(Le roman d'Alexandre.4975).
Et par vive force montèrent des chevaliers sor les eschieles.
(Villehardouin. Histoire de la Conquête de Constantinople. 171).
Seneschaus, fist li roys, de tiex tribulations, quant elles aviennent ans
gens, ou (le grans maladies, ou d'autres persecucions, dient li saint) que ça
sont les menaces Nostre Signour.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 635).
On fit asavoir al roi Haymeri que les galyes les Sarrasins avoient pris des
Crestiens devant Cypre.
(Chronique d'Ernoul, ch. XXXII, p. 354).
Et plusieurs en ont maintesfoiz creuz des choses dont après ilz ont trouvé
le contraire.
(Beauveau. Le livre de rroilus, p. 278).
Et souvent s'entre respondoient et s'entre disoient de telles gracieuses pu-
rolles.
(Ibid., p. 182).
Il ne sembloit point homme en la bataille/mais ung diable, tant donnoit
des horribles et grans coups.
(Ibid., p. 302).

;
Car ils sailloient par où Hz vouloient, et saillirent par les bresclies de
leurs murailles, et vindrent de front aux premiers
petites montaignes, coururent sus aux pages et varletz.
mais, par des vignes el
(Commynes. Mémoires. II, 10, p. 134).
Mais il mourut des gens de bien, et en veiz en ung roolle jusques à dix-
huit.
(Ibid., VIIl-, 12, p. 618).
Or fault il entendre que monseigneur du Mayne estoit avec sept ou huyt
cens hommes d'armes au devant des ducz de Berry et de Bretaigne, qui
avoient en leur compaignie de saiges et notables chevaliers.
(Ibid.., 1. 3, p. 19).
J'ay eu ce soir des nouvelles que ung mien frere est à l'article de la mort.
(La reine de Navarre. lleptaméron. II. 12, T. I, p. 123).
Le rang de l'offensé, la grandeur de l'offense,
Demandent des devoirs et des submissions
Qui passent le commun des satisfactions.
(Corneille. Le Cid. II. 1).
On se disoit cordialement, de part et d'autre, des injures si grossières, on
faisoit des plaisanteries si amères, que j" n'admirois pas moins la matière
de disputer que le sujet de la dispute.
(Montesquieu. Lettres persanes, XXXVI, T. IV, p. 347).
Alors des piqueurs, s'avançant pas à pas, étendaient avec précaution sur
leurs corps impassibles un immense filet.
(Flaubert. La légende de Saint Julien l'Hospltalier, I, p. 107).
Ayant ainsi parlé, Sophie se tut et recommença de verser des larmes.
(Anatole France. Les Contes de Jacques Tournebroche. Mademoiselle Roxa-
ne, p. 173).
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous.
(Paul Verlaine. Romances sans paroles. Green. T. I, p. 182).
L'erreur foncière, sur laquelle a été assise la thèse germanique, c'est qu'au
cours du JX8 siècle, par des traités de partage et, dans le siècle suivant, par
des actes diplomatiques de renonciation, la Lorraine et l'Alsace auraient été
juridiquement réunies à l'Allemagne.
(J. Flach. Les affinités françaises de l'Alsace avant Louis XIV. Avant-pro-
pos, p. 11).
343. — Pour la physe discontinue énumérative, qui n'est, comme il
été dit plus haut, qu'un cas particulier de la précédente, en voici quel-
a
ques exemples.
Primos didrai uos dels honors
:
Quie il auuret ah duos seniors
(Leçon G. Paris Primes dirai vos dels honors
Que il avret od dous seinors).
(La vie de Saint Léger, 2).
Cel jorn i out cent mil lairmes ploredes.
(La vie de Saint Alexis. 119).
Uitante anz ad que prist sa fin
A saint Albeu li pcIcrin.
iSaint Brandan. 720).
Qui fut sires à la rconde
Des iiij parties del'monde.
(Li romans de Dolopathos. 127).
Et lee autres VII. chambres estoient à VII. vierges qui servoient Asseneth.
(Del'ystoireAsseneth,p.4).
Il povoit bien avoir quelques six vingtz hommes d'armes bardez.
(Commynes. Mémoires. 1.6, p. 42).
M'ille soleils ont vu naistre m'amour.
(Ronsard. Les Amours. I. 95, T. I, p. 55).
Il me faut leurs deux noms dans un cerne graver
l'our rendre de tous poincts ma figure accomplie.
(Racan. Les Bergeries. Première journée. I. 2).
Mais lorsqu'elle remarque qu'un triangle a trois côtés, son jugement est
vrai, et le sera toujours, puisque trois côtés déterminent l'idée du triangle.
(Gondillac. Traité des Sensations. IV. 6. § 13, T. III, p. 388).
Il était environ cinq heures du soir, moment auquel mon noctambule de
camarade avait coutume de penser à se lever.
(Verlaine. Confessions. II. 5, Tome V, p. 115).
Elles me disaient dans l'ombre
Que la vie est, à vingt ans,
Faite d'aurores sans nombre
Et d'innombrables printemps.
(Lyres Françaises. H. de Régnier. Le soldat).

344. — Pour rester fidèles à notre méthode ordinaire, nous allons


nous demander maintenant au moyen de quelles ressources morpholo-
giques, et suivant quelle progression évolutive historique la langue fran-
çaise a constitué son système quantitudinal.

tation que particuliers :


Al'origine, le français ne connaissait de struments collateurs de pu-
c'était la série des énumératifs, un, deux,
trois, etc., série sémiématique ordonnée, héritée du latin, où elle était
la seule ébauche de
ce qui est devenu chez nous la putation numérative.
La langue s'est efforcée de s'en créer de généraux.
Pour le numératif continu, un est !à la fois le cas particulier et le cas
-général. La langue a simplement étendu et régularisé l'usage.
En possession des marques des cas particuliers du discontinu (deux,
trois, etc.), la langue a cherché à se créer un pluriel général numératif
n'exprimant que la seule notion de pluralité. Elle ne l'a fait que lente.
ment et après quelques tâtonnements.
Nous constatons historiquement une tentative pour charger de cet em.
ploi une figure plurielle de un.
Dans un certain nombre de cas, il s'agit d'objets allant par paire :
Uns ganz de vair ai je o moi,
Qu'el aporta o soi d'Irlande.
(Beroul. Le Roman de Tristan. 2032).
Il a unes botes qui ont bien deux ou trois ans, et ont tant de foiz esté
rappareillées par le bas, qu'elles sont courtes d'un pied. Et a ungs esperons
du temps du roy Clotaire, de la vieille façon, dont l'un n'a point de molete.
(Antoine de la Sale. Les Quinze joyes de mariage. IV, p. 42).
Parmy le fons d'unes brayes breneuses.
(Villon. Ballade des langues envieuses).
vestu. d'unes chausses à la cuyssotte.
(Noël du Fail. Propos rustisques. XIV, T. I, p. 130).
Il s'agit, dans d'autre cas, de substantifs dérivant de pluriels latins, ex. :
La leaultei dou roy peut l'on veoir ou fait de monsignour Renaut de Trie,
qui apporta au saint unes lettres, lesquiex disoient que li roys avoit don.
nei aus hoirs la contesce de Boulongne, qui morte estoit novellefrnent, la
contée de Danmartin en Gouere.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, 66).
et li manda que il fust armez l'andemain d'unes armes vermeilles
qu'elle li envoiret.
- (Robert de Boron. Perceval, p. 424) (1).
Mais en ce contemple, vindrent en France unes nouvelles qui au royaulme
furent griefves et desplaisans.
(Chronique de B. du Guesclin. Chapitre XXIX. p. 18, col. 2).
unes ties belles heures garnies de fines pierres et de fin or.
(A. de La Sale. Jehan de Saintré, XLIII, p. 128).
C'estoit unes secondes nopces.
(Nicolas de Troyes. Le Grand Parangon des Nouvelles Nouvelles
voire, dit le moine, une messe, unes matines, unes vespres, bien
;
XXI).

sonnées sont à demy dictes.


(Rabelais. I. 40, Tome I, p. 122).
Mais le procédé a été étendu plus loin, c'est-à-dire à des substances
quiont toujours été considérées comme nombrières, ex. :
Or i a unes simples famés
Qui ont envelopé les cols.

, :
(Rutebeuf. Li diz des Règles. 150, Tome I, p. 231).
phrase que l'auteur s'il avait voulu parler d'une seule béguine, aurait
pu reproduire sous la forme « Or, il y a une simple femme, qui a le
cou enveloppé. »

de: qui moult désiroit


(1) Cf. auprès du même mot l'emploi de des quand il s'agit de notoire, rayon

que le veist Percevaus armez des armes qu'ele li avoit


envoiées.
Ce procédé est celui qu'a conservé le castillan, sans lui donner toute-
fois toute l'extension d'emploi du des français, ex. :
Han llegado unos estudiantes.
(Académie espagnole. Gramatica castellana. I, 1.)
Un tel moyen, entièrement mécanique, faisait trop violence au sé-
mième de un pour donner naissance à une organisation étendue. Le
français l'a abandonné. La figure plurielle de un n'apparaît plus que
dans des substantiveux comme les uns, où uns a une valeur ordinale.
D'ailleurs, il restait à créer un strument collateur de la putation mas-
sive. C'est par un seul et même procédé que la langue s'est dotée des
deux articles appropriés.
345. — Nombreuses sont les langues qui ont trouvé trop rigide pour
leur génie la distinction des substances en massières et en nombrières,
telle que nous l'avons décrite au § 296, et qui ont cherché soit à ne pas
s'y limiter, soit même à s'en affranchir entièrement.
Les langues brittoniques se sont créé un groupe spécial de substantifs
nominaux, dont la forme simple est massive à sens collectif, mais qui
peuvent flexionnellement développer une forme singulative (1) :

«
nombre :
« Le gallois '», dit M. Anwyl (2), « a deux manières d'exprimer le

« leur aspect
;
1° Quand les objets sont plus ordinairement connus sous
collectif dans ce cas, le nom collectif, traité syntactique-
« ment comme un
pluriel, est la forme indéclinée, et le singulier se tire
« de lui par
l'addition d'une terminaison singulière. » Ex. : adar (oi-
seaux), alleryn.
Il en est de même en bas-breton (3). La forme en-en est avec la forme
simple dans un rapport sémantique analogue à celui de notre numératif
continu (singulier) avec notre massif. Et, bien que Le Gonidec traduise
kaol, par exemple, par « des choux », en face d'eur gaolen, « un chou »,
la coëxisterice de la forme kaolenrwu, « des choux », nous autorise à
nous demander si l'idée « collective »,
renfermée dans kaol ne serait pas
mieux rendue en français par le massif « du chou. » Si ces idées ne se
superposent pas, du moins sont-elles très voisines, et nous croyons pou-
voir assimiler ces « collectifs » brittoniques à nos massifs.
Le gaulois semble aussi avoir possédé des mots à singulatif (4) :
;
«ytXaoovfv(centuculum herba gallis ) Dioscor. 3,120 <txo6iy)v (sambucus
(1) On
dû mettre l'article énumératif devant un substantif au singulier :
serait tenté de dire une forme numérative, à cause do l'habitude brittoniqu*
diou lôgdden =
deux souris (bas-breton) ; mais le bas-breton ajoute quelquefois la flexion ou du pluriel
à
général cette flexion singulative : kaol (chou), kaolen, kaolennou, d'où trois
aspects : massif, singulatif, pluriel.
(2) A -welsh ftrammar, S 75.
(3) Le Gonidec. Grammaire Bretonne, L. I, ch. II, p. 17.
(4) Zeuss. Gremmatica Celtica. Livre II, chap. 2, p. 301, V. aussi sur ce sujet
.,
ibid.
; praef. 3. — Item, dans le même ouvrage, au livre V, chapitre I, B. I. p.
794.
Z(\USS,
se demandant si, dans lé morphome singulatif -enn du brittonqiue, le double n
est d'origine ancienne ou purement orthographique, cite le mot gaulois Aball-on,
(lU aurait été un singulatif signifiant « un pommier, le pommier., et d'où vient
le nom de la ville française d'Avallon.
« gallis), gallois moderne ysgawen (alnus) collect. ysgaw Dioscor.

« tiqui. Venet. 1547-p. 213a


« herba Gallis) ibid. p. 215 *). »
;
« 4,171 ; titumen (artemisia herba Gallis). Apulej. Madaur ; Medici An.
?
betilolen (leg. betidolen manifolium

La ne se bornent pas les réflexions que les langues brittoniques nous


suggèrent quant à la quantitude. Ces langues emploient toujours après
les noms de nombre, leur forme dite singulière, et non pas leur forme
plurielle (5). Nous voulons bien que le singulier soit, dans ce cas, comme

;
le pensent beaucoup d'auteurs, le descendant phonétique d'un génitif
pluriel mais en tout état de cause, dans l'état actuel de ces langues,
.,et probablement pour le sentiment linguistique de ceux qui les parlent,
il y a seulement deux formes répondant, l'une au numératif discontinu
non énumératif, l'autre à tout énumératif (6).
Considérant par exemple dans le bas-breton le groupe des substantifs
possédant un « collectif » et un « singulatif », et voyant que c'est le
« singulatif » qui s'emploie auprès des noms de nombre (7), nous aper-
cevrons que, pour ce groupe de substantifs nominaux, le bas-breton a
réalisé trois formes flexionnelles répondant à peu près exactement aux
trois putations massive, numérative générale et énumérative
1° Kaol, du chou (ar c'haol, le chou, en général, l'aliment chou par
:
,
.exempIe)

:
2"° Kaolenriou, des choux.

3° Kaolen, chou ar gaolen, le chou, le pied de chou, etc. ; eur gaolen,


un chou, diou gaolen, deux choux.

-
346. — D'autre part, il semble bien que le génitif, presque entière-
ment restreint en latin à des emplois épipléromatiques ait eu dans la
période indo-européenne une large part d'emplois diapléromatiques cor-
respondant précisément à la notion massive et partitive. Le génitif au-
rait essentiellement été, dit M. Brugmann, le cas du nom « quand le
« concept verbal ne se rapporte pas à toute l'étendue du concept nomi-

(5) Y. Le Gonidec. Grammaire Bretonne, L. II, ch. III, p. 63).


-. - (quatre livres)
(6) On dit, en haut allemand, avec certains neutres : vier Pfnnd
zehntausend PJerd (dix mille chevaux), v. V. Henry, Grammaire comparée de
;
l'Anglais
et de l'Allemand, p. 249, note 2 ; avec certains masculins : vierzehn Mann (quatorze
hommes) ; drei Fusz (trois pieds). V. id. ibid., p. 256, note. — Mais ces formes, qui
sont apparemment le singulier, sont d'anciens pluriels, dérivés phonétiques réguliers
des nominatifs pluriels indo-européens, par chute de la désinence conformément aux
lois phonétiques du haut-allemand ; v. id. ibid., § 143, Il et 144, pp. 248 sqq, et W,
Braune, Althochdeutsclie Grammatik, § 238, pp. 203-204. — Il n'en est pas moins vrai
que le haut-allemand, ayant refait les pluriels Pfunde, Pferde, lItanner, Fasze, seuls
usités aujourd'hui dans toutes les locutions non énumératrices, les anciens pluriels doi-
vent, dans le sentiment linguistique, êtreconçus comme des singuliers. S'il n'en était
,pas ainsi, le haut-allemand eût réparé le dégât phonétique aussi bien sur ce terrain que
-dans tout le reste du domaine du pluriel.
blable au singulier pour exprimer, une fine nuance sémantique :
En néerlandais, on se sert de l'alternance de la forme plurielle et de la forme sem-
twintig gulden si-
gnifie une valeur de vingt florins, et twintig guldens signifie vingt pièces d'un flo-
rin. (V. Valette. Grammaire néerlandaise, XIe leçon, p. 65).
, (7)L'e,
Gon Diou lôgôden ert\ etiz paked hirié « J'ai pris aujourd'hui deux souris D, in Le
Dictionnaire Breton-Français. S. V. LôgiU.
«
nal (1) » et « que le concept nominal apparaît comme une sphère qui
«
n'est pour ainsi dire que touchée par l'action (2). » Et de fait, cet em-
ploi du génitif pour l'expression du transitoire massif se retrouve dans
:
le sanscrit, le grec, les langues slaves. Ex. : sanscrit yad dranyasyâçnatf
(s'il mange de la viande de bêtes sauvages) ; vieux-slave nasëti slanutùka
(semer des pois chiches) ; kupil zenë kalec (il acheta à sa femme des
anneaux). Les exemples grecs, également empiuntés à M. Brugmann,
feront ressortir que le génitif, dans cet ordre d'emplois où il n'exprime
que le massif, s'emploie, selon la remarque du même auteur, dans tous
les rayons casuels, ce qui a dû vite être senti comme une imperfection
logique et ce dont le français se tire en préposant
le
à de la préposition
donnant
des deux partis) Xénophon. Au lieu de l'accusatif :
rayon voulu. Au lieu du nominatif ëmimiv Ixatlpwv (il en tomba
'ASpiqaToLq 8'ly-fi[tF-
OuyaTpwv (il épousa une des filles d'Adtasle) ; icieïv o'îvoio (boire du vin) ;

:
1-TEjjt.ov 'tijç yr\ç (ils ravagèrent une partie du pays) ; Tcapoî£oç 'titç Oûpxç (ayant

;
entr'ouvert la porte ouvert de la porte). Au lieu du locatif Xoe-csà^voi;
7toT<xjioto(s'étant baigné dans un lieu du fletive) au lieu de l'instrumen-
tal : 7UTulY)|xt.oïv010(J'emplis de vin = par du vin). Les quelques génitifs

source :
diapléromatiques du latin proviennent, d'après M. Brugmann, de cette
implere aquae purae (Caton), memini aïîcujus, etc. D'autres
génitifs diapléromatiques qu'on peut trouver dans des auteurs latins,.

;
comme conferre vel armentoriim velgregum (rassembler du gros et du
petit bétail) Tacite ut quisque audaciœ habuisset (selon ce que chacun
avait d'audace) id ; dominationis aspici (acquérir du pouvoir) id., sont
généralement considérés comme des héllénismes (3). Bréal (4) voit dans
l'emploi partitif du génitif grec une preuve que le grec conservé plus
longtempsque le latin le sentiment de la valeur des cas. ir£vsiv otvoj.
a
Ô8oito;, y&locx'toç est la construction habituelle. De même, après ô'.yycivEO'
(toucher). v^ot^etv (goûter), 'tUYX<X\lEW (obtenir), Tet0<xi,, o'piyeoôai, èiti6u[isîv
(désirer).
Ce sens partitif du génitif, presque inconnu du latin classique, mais
dont le roman a pourtant hérité, ce qui indiquequ'il est peut-être abu-
sif de n'y voir qu'une imitation littéraire du grec, a reçu un grand dé-
développement en français. Le haut-allemand, au contraire, paraît avoir
laissé perdre cette source de richesse. Arcbaïquement, on trouve iss des
Brodes (Bréal. loc. cit.), mais ce tour est pour ainsi dire disparu devant
le simpliste : iss Brod. Et ce génitif partitif est si peu compris des Alle-

:
mands que Kûhner a jugé bon, pour expliquer le génitif partitif grec,
:
d'inventel' ce sous-ontendu £tci9u}jlw [âiti.OujjLCav}'CTtç m')q¡((X:;, comme si « Je
désire le désir de la sagesse » n'exprimait pas toujours une idée absolu-
ment différente de « Je désire de la sagesse », vrai sens de la phrase !

XX..
(1) Brugmann. Abrégé de Grasmairecomparée des Langues indo-européennes. Trad-
1.§529.
(2)Ibid.,§556.
(<>)Ghnssang.Grammaire latin.e, Cours supérieur, S 22C, note.
(4) Bréal. Essai de sémantique, 3e partie, chap.
:
Le rapprochement entre le français et le grec avait déjà été fait sur ce
point par Henri Hsticune (5). qui cite les exemples suivants cpayetv 'tÔVaptl,,

(il lui a desrobé sonargent) ;


(manger le pain), cpayetv toG fip-cou (manger du pain) ; £x.À£'f£ ri ^pr,jjiaTa aÙToO
ëxXe<]/e rûv XP"t}¡J.OC'tfùV aùTo5 (il lui

son argent). Mais, conformément à son idée toute latine du caractère es-
a
desrobé de

sentiellement épipléromatique du génitif, il croit utile d'ajouter que « il


n'y a point de doubte que. les Grecs. laissent à « entendre jJLépoç ouautre
mot semblable. »
Certes, c'est sacrifier à la théorie du sous-entendu, en pleine vogue à
cette époque, et qui a vécu jusqu'à nos jours, mais au moins le sous-
entendu d'Henri Estienne, s'il est abusif, n'est-il pas absurde comme
celui de Kuhner.
347. — On voit donc que, dès longtemps, le génitif a eu dans ses at-
tributions de séparer du tout une de ses parties. En substituant à ce cas
son rayon de, le français lui a transféré cette puissance.
Sur un ensemble notoire donné, plus ou moins particulier, on opère
une désomption, c'est-à-dire un prélèvement d'une quantité quelconque;
on pourrait citer de nombreux exemples à l'appui :
Del corps asaz lauez audit.

:
e dels flaiels que grand sustint.
(Leçon G. Paris Del corps asez l'aveiz odit,
Et des flaiels que granz sustint).
(Saint-Léger. 40).
Uns dels fcllums chi sta iki.
.: (La Passion. 80).
- Dont prent li pedre de ses meilors serjanz.
(La vie de Saint Alexis. 23).
En l'oriet punt asez i ad reliques :
La dent seint Pere e del sanc seint Basilie,
E des chevels mun seignor Seint Denise,
Del vestement i ad seinte Marie.
(Turold. La chanson de Roland. 2346, 49).
Blancandrins fut des plus saives paiens.
(lbid., 24).
Vii. c. cameilz, d'or e argent cargiez,
E. xx. hostages, des plus gentilz suz cel.
(lbid., 646).
Tels. iiii. cenz s'en assemblent a helmes,
E des meillors ki el camp quient estre.
(Ibi(l., 2121).
Et se tu veus, si pren du mien.
(Béroul. Le Roman de Tristan, 1184).
Cou i met de sa gent qui lui vient a plaisir.
(Le Roman d'Alexandre. 1359).
Uns des barons de Tir commença a hucier.
(Ibid., 2130).

(6) Henri Estienne, Traité de la conformité du langage français avec le grec. Livre I.
chap. 1.
Hui perdra de la gent que plus aime en cest monde.
(Ibid., 2569).
Onques del bevrage ne bui
Dont Tristans fu empoisonez.
(Crestiens de Troie. Chanson, II. 28).
Quand ce vint par nuit que li quens fu couciés, et il fu endormis, Tilbaus
-entra en l'ost à laron, et il et de ses chevaliers. ;
(Chronique dErnoul. Ch. XXX, p. 330).-
Maintet gent s'en sont départi
Qui du leur i ont départi.
(Rutebœuf. La voie de Paradis. 626. T. II, p. 193).
Bele gent, je ne suis pas de ces povres prescheurs, ne de ces povres herbiers
qui vont, par devant ces mostiers.
(Id. Li diz de l'erberie. T. II, p. 58).
Si metez de l'estront à la charrée de Troies et de l'estront à la croteuse de
Ligni : ne l'mettez en oubli.
(L'erberie apud. Ibid. T. III, p. 185).
Et ces générations ne sont mie des fius Ysrael, mais ils sont de Gos et de
Magos.
(Lettre de Prestre Jehan. apud ibid., T. III, p. 360).
Car je cuit estre mescréans, pour ce que je ne puis mon cuer ahurter à ce
que je crois ou sacrement de l'autel, ainsi comme sainte Esglise l'enseigne
et si sai bien que ce est des temptaoions l'ennemi.
;
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 46).
Jalousie, que Diex confonde,
A garnie la tor réonde
Et si sachiés qu'ele i a mis,
Des plus privés de ses amis.
(Guillaume de Lorris. Le Roman de la Rose. 3293).
mais amena de ceulx qu'il avoit amassé es marches de Picardie.
(Commynes. Mémoires. II. 1, p. 88).
Qu'est-ce cy, deviens-je des vieulx?
(Charles d'Orléans. Rondel. CLXIX).
Si envoya Jehan de Paris tousjours au roy d'Angleterre de ses biens.
(Le romant de Jehan de Paris, p. 52).
Toutesfois je sçay bien qu'à Poitiers pour lors il y avoit une femme d'un
advocat, qu'on nommoit la belle Gotterelle, que j'ay vejue, qui estoit des
plus belles femmes.
(Branthôme. Recueil des Dames. II. 1).
Si, en ce désordre, et estant logez escartez coe n8 sommes, de leurs gens
s'avançoyent ils nous leveroyent des logis au préjudice de notre réputation.
(Le prince Henri Ier de Condé. Lettre du 9 avril 1576 au comte Palatin,
apud Aumale, Histoire des Princes de Condé, T. II, p. 416).
Ce n'est pas comme on en use
Avec des Divinitez,
Surtout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles
Fait Reines des volontez.
(La Fontaine. Fables choisies VIII. 13. Tircis et Amarante). i
Ce ne sont pas de ces grands Vers pompeux,
Mais de petits Vers doux, tendres et langoureux.
(Molière. Le MisantroDe. I. 2).
11 présenta de
son eau des Barbades à Mademoiselle de Kerkabon .- ; 7 -1 -
et à mon-
.10ur son frère.
(Voltaire. L'ingénu, I, T. VIII, p. 423, col. 2).
Machère mémé — je t'envoie de cète arbre c'est très joli tu en donnera un
des deux bouts à nanou.
(Lettre de Mademoiselle AU à Madame A. 1924).
Elle est de celles auxquelles il adressa des Adieux -en vers de huit pieds.
(Jean de Tinan. L'exemple de Ninon de Lenclos. XIII).
Quand on trouve du 22, ou du 23, il y a bien des chances que la tension
reste élevée les jours suivants.
(M. X. le 27 février 1920).

348.- Le français n'a fait que systématiser cette force désomptive


de la préposition de. A mesure que l'article devenait plus obligatoire
auprès du substantif nominal, ajoutant ainsi le répartitoire de putation

singulière : :
à celui de blocalité, ce pouvoir passait au désomptif de l'article (figure
du, de la ; figure plurielle des). Il se constituait ainsi dans
la syntaxe, tout un mécanisme, d'un emploi très fréquent, devant sa
force constructive à la désomption. Mais alors que dans le concours de
'de avec un substantif précédé soit de l'article transitoire (un), soit de
l'article présentatoire (ce),soit de l'article notoire (le) lui-même lorsque
l'extension du substantif était limitée d'autre part par des compléments,

;
ce tour restait à l'état synctatique simple, au contraire lorsque le subs-
tantif était seul et pris dans toute sa généralité (notoriété générale cf.

modifié:
infra § 368), le sémantisme de la combinaison se trouvait profondément
à partir d'une entité sémiématique substantielle prise dans
toute son extension, la désomption en marquait une quantité non déter-
L minée, ce qui est la nuance sémantique apportée dans l'assiette transi-
par la putation massive
! toire
et par l'échelon discontinu de la putation
| numérative. La figure singulière du désomptif de l'article notoire pas-
sait donc, en combinaison avec la blocalité continue, à exprimer une
massivité, et en combinaison avec la blocalité discontinue, à exprimer
une pluralité transitoire.
Ce n'est que tardivement que ces formations désomptives ont défini-
tivement envahi les domaines massif et numératif discontinu, au point
d'en exclure les vieux tours plus imprécis, sans articles.
Les premiers cas de massifs légitimes introduits par l'article du da-
tent, nous l'avons vu par les exemples du § 342, au moins du xne siècle.
Les exemples suivants vont nous montrer que jusqu'au XVIIe siècle on

sans article dans des emplois analogues. Exemples


Mel e peisons equi manget.
:
trouve encore, quoique de plus en plus rarement, le substantif nominal

(La Passion. 111).


Au departir il redemande
La bele Yseut anuit viande.
(Béroul. Le Roman de Tristan. 3958).
Quand ce vint contre la saint-Remy, je fesoie acheter ma porcherie de pors
et ma bergerie de mes chastris,
tout yver.
et farine et vin pour la garnison de l'ostel
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 502).
Et elle y alla et trouva miel tresblanc comme noif et trespur et de souevc
-
oudeur.
(De l'ystoire Asseneth, p. 9).
Ce pendant quatre de ses gens lui gettoient en la bouche l'un après l'au.
ire continuement moustarde à pleines palerées.
(Rabelais. 1.21, T.1, p. 65).
sur le reproche que les Sarrazins ou Mahométans luy avoient faite (sic)
que c'estoit idolatrie d'adorer des pierres et dû bois.
(Mézeray.Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Charles Martel,
T. I, p. 198).

:
Le Philosophe fut consulté là-dessus, et comme estant Philosophe, et comme
étant un des premiers de la Republique il demanda temps, et eut recours
son oracle ordinaire c'estoit Esope.
(La Fontaine. Fables choisies. La Vie d'Esope le Phrygien, p. 29).
à
De même, les premiers numératifs discontinus introduits par l'article

:
des (v. § 342) sont du XIIe siècle, et pourtant nous trouvons des pluriels
Iransiloiies sans articulation jusque dans le XVIIe siècle. Exemples
In suamor cantomps del sanz
:
Quae por lui augrent granz aanz
(Leçon G. Paris En soe amor cantoms dels sanz,
Qui por lui avrent granz aanz.
(La vie de Saint Léger. 1).
Larges almosnes par Alsis la citet
Donet as povres ou qu'il les pot trovet.
(La vie de Saint Alexis. 19).
Ustilz i mist tant cum estout
E cum la nef porter en pout.
(Saint Brandan. 179).
J'ay ouy dire que ce jeune filz Saintré a fait faire très beaulx paremens
à merveilles.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. XXIV, p. 86).
J'ay veu princes de deux natures.
(Commynes. Mémoires. 1. 16, p. 82).
Comme le Roy Salomon, qui estoit devenu homme de bien et devot jusqu'à
faire-miracles, méditoit de se retirer dans un Monastère.
(Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Charfes le
C-auve. Tome 1, p. 344).
A partir de la fin du xvii" siècle, on peut dire que les articles du et
des sont définitivement maîtres du terrein, et que tous les cas de non-
articulation du substantif nominal relèvent d'un autre mécanisme sé-
mantique.
En somme, la désomption est un mécanisme qui est toujours resté
très vivant dans la langue, lié qu'il est au sémantisme même de de.

;
L'associativité presque illimitée des prépositions françaises permet mê-
me toutes les souplesses ex. :
Une bonneheure de flemme entretenue par de ces cigares bataviens ou
javanais dont il ne faudrait pas fumer - par trop.
(Verlaine. Quitize jours en Hollande. T. V, p. 224).
La désomption ne doit être considérée comme un mécanisme taxié-
ittatique quantitudinal du substantif nominal que lorsqu'elle porte sur
l'espèce substantielle entière,
car alors la quantité exprimée estabsolû-
ment indéterminée, et ne contient rien de plus en elle que l'idée ou
massive ou numérative-discontinue. Les exemples que nous avons don-
;
nés au § 342 sont tous de ce type ils s'opposent par là à ceux du § 347,
où l'on voit le mécanisme de la désomption s'observer n'importe où, et
principalement sur des domaines plus restreints, où le substantif no.
minai sans article ne lui faisait pas concurrence.
Voilà encore quelques exemples particulièrement topiques de massifs
et de numératifs discontinus, pour montrer que le substantif nominal a

:
acquis maintenant, dans cette tournure quantitudinale, la même sou-
plesse que dans toute autre il y accède à tous les rayons, et même à un
état complémentaireaussi fortement substantiveux que le soutien.
Exemples :
Il lui disoit, à ce que j'ai ouï dire, que depuis qu'il avoit su qu'il y
avoit de la guerre, il n'avoit fait que travailler pour pouvoir l'y aller servir.
(Mademoiselle. Mémoires. II. 22, T. IV, p. 380).
Tandis que dans la nuit noire
Luisaient en des cris stridents
Trente-deux dents.
(Paul Verlaine. Poèmes saturniens. Cauchemar. T. I, p. 20).
Dans l'interminable
Ennui de la plaine,
La neige incertaine
Luit comme du sable.
(Id. Romances sans paroles. VIII. T. I, p. 163).
Des oiseaux blancs volaient alentour mollement.
Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches.
(Id. ibid. Beams. p. 191).
Du sang et du lait coulent de leurs babines.
(G. Flaubert. La tentation de Saint Antoine. VII, p. 286).
Je la trouvai, bien des printemps,
Bien des vingt ans, bien des vingt francs,
Bien des trous et bien de la lune
Après, toujours vierge et vingt ans.
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. A la mémoire de Zulma).
Cf. aussi les exemples oraux du § 350.
Un, des et du sont donc respectivement les formes numéraires
et massive de l'article transitoire. « Quant à l'autre article,
«un et une, que nous avons appelé indéfini », dit Lancelot (1),
croit d'ordinaire qu'il n'a point de pluriel. Et il est vray qu'il n'en
<( on

«
a
:
« point qui soit formé de luy mesme ; car on ne dit pas uns, unes
comme font les Espagnols, unos animales mais je dis qu'il en a un
:
:
«pris d'un autre mot qui est des avant les substantifs, des animaux, ou
«de quand l'adjectif précède de beaux lits, etc.. Ou bien, ce qui est
u la mesme chose, je dis que la particule des ou de tient souvent au
le
«plurier mesme lieu d'article indéfini, qu'un au singulier. Ce qui
«me le persuade, est que dans tous les cas, hors le génitif. partout ou
«on met un au singulier, on doit mettre des au pluriel, ou de avant les
«adjectifs. »

(1) Grammaire de Port-Royal, éd. de 1676 lq 7


-
langue actuelle », dit M. Nyrop (2), « manger du pain veut
«
Dans la
toute généralité se nourrir de la substance qu'on appelle pain ;
; ;
dire en
<(

((
du pain est dit sans rapport à aucun pain déterminé (3). Au moyen
Mâge, il en était autrement :
mangier del pain signifiait manger une
«
certaine quantité d'un pain déterminé
pain-là
du pain, de ce pain-ci, de ce
(4). De même ele prist des flours veut proprement dire elle :
((

«ses, l'emploi était en effet indifférent


«
près mangier de pain
;
«prit quelques-unes des fleurs. On voit facilement que dans ces phra-
: manger del pain égalait à peu
Plus hisdos om ne puet de pain mangier (5)
«
(Couronnement Louis. V. 510). L'essentiel dans ces constructions c'est
«
la préposition de, qui avait, à elle seule, la valeur partitive.Donc, ce
qu'on appelle maintenant article partitif est graduellement sorti d'un
«
«
«
«
restreint dans la période du vieux français :
emploi particulier de de. L'emploi de l'article partitif était assez
on disait plus souvent
mangier pain que mangier del (ou de) pain. Il est resté facultatif jus-
«
qu'à la fin du XVIe siècle et on trouve encore des exemples en ce sens
fi
dans les classiques du XVIIe siècle. »

ces tours sont divers ;


349. — Le haut-allemand connaît des tours analogues au massif, mais
le haut-allemand n'a pas su réaliser l'unité de la
notion massive. Cf. 1° viel Geldes, vieles Geld, tour du haut-allemand

:
von allem, sie haben nur zu befehlen (2) = j'ai de tout
qu'à commander
;?
du xviii" siècle (1) : l'allemand contemporain, viel Geld ; 2° Ich habe
vous n'avez
mais 3° Hier ist Geld. Habet ihr Brod (3) = voici
de l'argent. Avez- vous du pain ? 4° Ein Glas Wetn, à côté de Ein Glas
gutes Weines.

coup plus proche de lui :


L'italien, usant d'un matériel analogue à celui du français, est beau-
« En italien et en français », dit M. Meyer-

(2)
(3) :
Nyrop. Grammaire historique de la langue française, Il, §§ 510 et 511.
Il faudrait dire en rapport avec la substance le pain, déterminée généralement
comme une
(4) Peut-être trop absolu :
entité substantielle.
quoique rares dans l'ancienne langue, nous avons vu
au § 342, quelques exemples anciens de massif et de numératif désumés sur de la
notoriété générale.
(5) Le provençal distingue encore de nos jours doù pan, désomption sur un pain dé-
terminé et de pan, massif. Cf. aussi dans certaines usances provinçiales :
(Car elle ignorait l'usage de ce que Saint-Loup appelait les articles partitifs,
et disait « avoir d'argent », « apporter d'eau). »
(Marcel Proust. A la recherchedu temps perdu. T. III, p. 20).
:
Cf. pour !e xvii6 siècle
Car les hostesses de Paris n'ont que faire de bottes : elles veulent
d'argent. -
Oi grande propriété des bottes sans cheval, 1616, dans Variétés historiques et lit-
waires.
l T. VI, p. 40).
Les hostesses qui mettent d'eau au vin, vendent de vin bas et sophistiqué
-N, qui
ne veulent faire crédit au bon compagnon.
0ean Béguin. Les Plaisantes Ephémérides. 1619, in ibid. T. IV, p. 250).
§ 349. (1) Junker. Grammaire allemande, p. 345.
1
(2) Ibid.,
p. 462.
(3)Ibid.,p.376.
Lubke (4), lorsqu'on doit indiquer que celui qui parle envisage seule.
«
« ment, comme auteurs de l'action, une partie des objets désignés par
« le substantif sujet, celui-ci est accompagné de de. Ex. : Si sono uc.
« cisi degli uomini(Bocc. Dec. Intr.) ; des érangers sont arrivés ce
« soir, etc. En français, cet emploi est d'introduction récente, la vieille
« langue l'ignore entièrement (5) ; néanmoins, il est devenu beaucoup
« plus général qu'en italien, où cependant il semble être de date plus
« ancienne. »
Nous lisons dans une méthode d'italien (6) : « L'article du, de la, des.
« dont on se sert en français pour marquer le sens partitif, ne se traduit
« pas toujours en italien par le génitif, del, della, dei. Il faut bien dis-
« tinguer, si l'on veut désigner une partie quelconque, une fraction, ou

« égard à la quantité. C'est ainsi qu'on dira


« du sel, daterai del pepe e del sale ; :
« si l'on veut simplement énoncer l'espèce, la qualité, d'une chose sans
Donnez-moi
:
poivre et
mais au contraire ce marchand
du
« vend du poivre et du sel, se traduira : questo merconte vende pepe, e
« sale. Dans le premier exemple, c'est la quantité qu'on désigne, dans
« le second c'est
l'espèce ou la qualité qu'on veut indiquer.
» Mais
Diez (7) dit que cette règle est trop fine. L'emploi ou le nom emploi
de l'article ne serait pas obligatoire. L'italien paraît donc être ici à peu
près au même stade d'évolution que le français du xv" siècle. Cf.
Troverà nel mio negozio tutto quel che le occore, del l'argenteria, dei vusi,
delle tazze, dei candelabri.
(Manuel de la Conversation Garnier, p. 186).
et :
Ecco parole che sono troppo severe.
(Ibid.,p.211).
Come 1 è questo grande artista che le dà lezioni ?
(Ibid., 216). p.
(L'italianité de ces phrases est garantie par le nom de leur auteur
G. Vitali).
:
350'. — Ce qui fait la beauté du système de quantitude de la langue
française de nos jours, c'est son extrême souplesse et son absolue géné-
ralité. C'est après avoir bien médité et pesé la question, et avoir observé
la langue tant parlée qu'écrite, que nous osons affirmer ici qu'il n'est
pas de substance nominale qu'il soit interdit à un locuteur plus 011
moins hardi de concevoir soit comme numérative soit comme massive.
Ex. :

(4) Meyer-Lübke. Grammaire des langues romanes, III, § 333.


(6) Exagéré. Cf. les exemples au § 342.
(6) Ahn. Nouvelle méthode pour apprendre la langue italienne. 1er cours, p. 76.
(7) Diez. Grammaire des langues romanes. Trad. fr. T. III, p. 41. « Les granaixiairiell'
« donnent la règle, qui est peut-être une distinction trop fine, qu'on doit emplo)CI
l'article partitif lorsqu'il peut être échangé contre alcllno ou alquanto : datemi pI/TI,!:
signifie du pain en général, datemi del pane quelque peu de pain (alquanto a
«
«
« pane). »
Dans le ytvre qu'a Edouard, il une femme qui avait quatre enfants
dans le corps :
c'est effrayant !
y a
jUmeaux, qui pesaient chacun cinq livres. Elle avait vingt livres de gosse
(Mme E. 21 juillet 1921).
La locutrice, interrogée, a déclaré avoir bien pensé gosse et non
gosses.
Eh bien, vous avez du malade en ce moment, hein ?
(M. AH., le 15 janvier 1922).
Nous allons voir que, même dans les cas où le passage d'une putation
à l'autre semblerait, aux logiciens a priori, le plus illicite, la langue
des moyens généraux pour le rendre aisé, et ceci d'une manière parfai-
a
tement satisfaisante pour l'esprit.
Pour toute substance nombrière dont l'unité se compose à l'échelle
ordinaire de la pensée populaire de parties toutes identiques, le passage
au massif est évidemment très facile, puisque l'on peut faire abstraction

tique de l'espèce substantielle :


des brisures contingentes qui divisent la matière spécifique caractéris-
un diamant, du diamant, etc.
Or il semblerait devoir y avoir difficulté, c'est quand les in-
dividus composant l'espèce sont organisés, que leurs parties, disposées
suivant un plan donné qui constitue l'espèce, ne sont point équivalen-
;
tes ex. : un encrier, un œuf, un bœuf, un gâteau, etc. En effet, com-
ment prélever des parties de ces substances, sans que l'espèce substan-
tielle s'écroule ? A cela il faut répondre que la chose n'est vraie qu"à

soient pas spécifiques ;


condition que les parties mêmes, toutes différentes qu'elles sont, ne
or, chez les êtres vivants, elles sont si notoire-
ment spécifiques que la langue ne s'y trompe point. Si tel morceau de
verre ou de métal provenant d'un encrier ne sont pas « de l'encrier »

nant d'un bœuf est encore du bœuf ;


à coup sûr au contraire, tout fragment de graisse ou de viande prove-

toute parcelle de blanc ou de jaune


d'œuf est encore de l'œuf. Dans le cas de substances organisées, hétéro-
gènes, mais spécifiques dans leurs parties mêmes, on conçoit que la
langue ne soit pas embarrassée le moins du monde pour passer au mas-
;
sif
maine qui fournit les emplois massifs usuels :
en général, c'est la partie la plus intéressante pour l'activité hu-
du bœuf, c'est de la chair
mine, c'est de la fourrure d'hermine ;
musculaire rlp. bnmif : dll rvnne- c'est, OP. la nlnmp. rlp. evpnfi : d'p. l'her-
-- c------ -- -.¡o--- ,
----- , --- -.1 ..,---, --- -- du chevreau, c'est du cuir
chevreau. Mais le massif ne se borne à cette partie que dans l'usage cou-
- ----
de

fanl ; il en peut sortir dès qu'il plaît au locuteur, qui peut très bien,
ftvec un contexte approprié, désigner par du chevreau la viande de cet
animal (1), ou bien par du chien, la fourrure de celui-ci, bien que ce
soit sa viande qu'il faille entendre dans l'expression usuelle dur comme

cest du cuir de
veau ;
du chien. D'ailleurs, quand, chez le cordonnier,
on entend dire du veau,
tandis que chez le boucher, c'est, à n'en pasdou-
ler, de la viande du même animal.
Mais arrivons au cas le plus pur, le plus général et le plus malaisé en
apparence, celui où les parties de l'unité organisée n'ont aucune spécifi-

(1) En ce sens, on dit plus ordinairement du bicot.


:
cité, le cas, par exemple, d'un encrier. Dans ce cas même., la langue
sait passer au massif elle sait que ce qui caractérise ici l'espèce subs.
tantielle, c'est la finalité qui régit l'ordonnance des parties de l'unité ;
;
quelque forme qu'il ait, 'de quelque manière qu'il soit fait, l'encrier est
toujours un encrier un locuteur haidi dirait très expressivement de
l'encrier pour désigner une masse de choses propres à recevoir de l'en-
cre, bien que dans cette masse chaque unité soit indivisible sous peine
de sortir de l'espèce substantielle. C'est en somme, quoique sous une
forme plus fine et plus absolue, le même procédé que nous avons "u
employer par le bas-breton quand il dit lôgôd pour désigner une masse
de plusieurs souris, sans vouloir s'inquiéter de la décomposition de
cette masse en unités, encore que ces unités soient organisées, vivantes,
animales.

:
Le passage des substances originairement massières à la putation nu.
mérative offre moins de difficultés encore. En effet, elles sont essentiel.
lement homogènes du vin, du verre, du fer, du plomb. D'où deux
moyens de les rendre numératives : le plus général, c'est celui qui con-
siste à isoler comme une unité une variété spécifique de la substance ;
ce procédé convient à toutes les substances massières. Ex. : « Le vin de
Malaga est un vin exquis. »
Cette petite cave était une réserve où M. de Pocancy avait rassemblé
quelques vins de choix.
(H. de Régnier. Le bon plaisir. IV. p. 66).
Ce n'est pas des vins qu'ils buvaient, ces gens-là, c'est du vin.
août 1922).
(M. AF., le 20

« Le cristal est un verre plus précieux que le verre proprement dit. »


« Le bronze de Corinthe est un bronze contenant quelque peu d'ar-
gent. » ,
« Un chlorure est un sel de l'acide chlorhydrique. »

:
D'autres fois, on prend l'habitude de désigner par le nom de la subs-
tance un objet fabriqué avec elle soit tout objet répondant à cette con-

Gien ;
dition ex. : une faïence de Gien, c'est-à-dire toute pièce de faïence de
un sucre, manière maintenant très usuelle de désigner ce que la
langue châtiée appelle un morceau de sucre, et que les gens de l'Ouest

:
appellent plus pittoresquement que le français officiel, mais moins élé-
gamment que le français usuel une pierre de sucre (2). Ex. :
Dis, mon vieux, envoie-moi deux sucres.
(M. CY., le 24 janvier 1923).
soit, beaucoup plus souvent, un objet déterminé, bien individualisé, pro-
pre à un usage spécial. Ex. : un fer à cheval, un fer à repasser un
verre. Il peut arriver alors cette curieuse chose que, de façon compara-
;
ble à ce qui a été dit pour l'encrier, le sentiment linguistique, oubliant
(2) Ce développement sémantique tend à restreindre l'emploi des expressions comme
particulièrement
une pierre de sucre, un carreau de vitre, cf. de la vitre, etc. et
l'emploi du vocable pièce, qui s'était taillé, dans le processus de singulation, une spé-
cialité étendue et presque taxiomatique : une pièce de canon, cf. d'une part du canon,
et d'autre part des bonbons, des billes, des poires, des crayons à tant la pièce. W*
infra. L. VI:
la raison première de la dénomination de l'objet, ne fasse pius résider
les caractères spécifiques de cet objet que dans sa forme ou son usage,
abstraction faite de sa matière, d'où des phrases comme celle-ci.
Une table large et longue, sans linge, chargée de couverts de plomb, de
t,erres d'étain, de cruches de grès, d'assiettes de faïence blanc.
(A. de Vigny. Stello. Ch. XXVIII).
Pour généraux qu'ils soient, ces procédés ne sont pas d'ailleurs les
seuls mécanismes employés par la langue pour passer du numératif au

pour le mieux des circonstances ;


massif ou inversement. A chaque cas particulier, la langue sait s'adapter
par exemple, elle conçoit une unité
indivisible comme susceptible de variations de quantité correspondant
en réalité non pas à sa grandeur matérielle, mais à sa valeur qualitative.
Une tête est toujours une tête, mais avoir de la tête, c'est ne pas
s'embrouiller dans le complexus de ses occupations, c'est penser tou-
jours à tout ce que l'on a à faire. Chacun ne naît qu'une fois, n'a qu'une
naissance, mais avoir une naissance distinguée, être issu d'une souche
noble, c'est avoir de la naissance. De même, avoir de la race, c'est être

figuré qu'un changement de putation devient possible ;


d'une bonne race. Ou bien c'est en passant du sens propre au sens
on dit ordinai-
rement du beurre, mais parce que le beurre est chose agréable et sans
quoi il n'est pas pour un Français de bonne cuisine, un événement
agréable ou profitable est appelé un beurre (3).
Exemple :
:
Sans répondre, je porte à mes lèvres mes cinq doigts réunis en faisceau
et je les détache avec lenteur, ce qui signifie — Un vrai beurre.
(Jules Renard. LEcomifleur. XXXIV, p. 62).
On dit de la merde, et une unité matérielle de merde est appelée
plus ordinairement un étron, ou dans un parler moins classique un
colombin, une sentinelle, qu' « une merde »
; mais, au figuré, dans le
jargon des étudiants, une composition, une question de concours qui est
complètement ratée s'appelle une merde.
De tout ceci, ce qu'il importe de retenir, ce qui marque l'extrême
souplesse, l'intelligente adaptabilité de la langue française, c'est qu'il
n'est pas de substance nominale que le français ne puisse concevoir
dans l'une ou l'autre putations. L'amalgame est tellement bien fait
entre les substances qui peut-être ont été jadis soit nombrières soit
massières, qu'il est bien souvent difficile de déterminer quelle putation
est la primitive. Entre un bois (nemus) et du bois (lignum), quel Fran-
çais d'aujourd'hui a directement conscience que l'un dérive de l'autre,
plutôt que l'autre de l'un ?

de sens :
Pour les substantifs nominaux abstraits, le problème n'a même plus
l'histoire de la langue ne permet pas de dire qu'on ait dit
une pensée, une émotion, une valeur avant de la pensée, de l'émotion,
de la valeur, ni réciproquement.

nétique
(3) Sous réserve de la possibilitéqu'en ce sens [b œ : r] ne soit la continuation pho-
Sur
de l'ancien français huer qui dérivait de bona hora comme mar, de mala hora.
mar, v. infra, livre VI.
II faut bien que la naïveté soit une décence dans une fille ignorante
puisqu'elle devient un art dans une fille qui ne l'est pas.
(Voisenon. Histoire de la Félicité. p. 77).

;
L'opposition sémantique qu'il est classique de faire ressortir entre
un' honneur, des honneurs un enntti, des ennuis, d'une part, et de
l'honneur, de l'ennui, d'autre part, n'est en réalité que la différence
taxiématique du numératif au massif.

qui honore quelqu'un ;


Un honneur, c'est une manifestation, un événement, une circonstance
de l'honneur, c'est une vertu intérieure ou

;
conventionnelle qui honore quelqu'un. — De même, de l'ennui c'est
un état continuel et le plus souvent idiopathique de dégoût de la vie
et de désœuvrement un ennui, c'est un dégoût passager, plus ou
moins vif, causé par un événement extérieur défavorable. Ex. :
je recommence à vivre et j'ai remplacé peu à peu les ennuis de l'avenir
par les ennuis de l'action et de la distraction.
(Ch. Maurras. Lettre à Mme Arman de Caillavet, apud J.-M. Fouquet. Le
salon de Mme Arman de Caillavet, p. 141).
De même que, comme nous le verrons ch. X, l'adjectif n'a jamais
le même sens suivant qu'il est placé avant ou après son substantif, mais
que cette différence de sens, toute taxiématique, est plus apparente
lorsqu'elle est associée à certains sémièmes (un homme brave — un
brave homme), de même la différence taxiématique de signification qui
existe toujours entre le massif et le numératif est, pour des sémièmes
comme honneur et ennui, rendue plus apparente que d'ordinaire. Ce
mécanisme taxiématique est donc devenu dans la langue une source
générale de richesse d'expression, car, appliqué à des sémièmes qui y

:
paraissent d'abord rebelles, il en révèle pittoresquement un aspect
inattendu. Exemples
Une autrefois, il alla se cacher dans un blé.
(Charles Perrault. Le Chat botté, p. 62).
J'eus une peur complète le jour que je manquai le renard, bien plus
grande que celle que j'eus, arrêté dans un chanvre, en Silésie (campagne de
1813), et voyant venir vers moi, tout seul, dix-huit ou vingt cosaques.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XXXIII. T. II, p. 42).
Il yaura des cortèges, des masques et du mirliton.
(F. Crommelynclt. Le cocu magnifique. III, p. 129).
Du mirliton, c'est-à-dire non pas des mirlitons (matériels), mais de
la musique de mirliton. Cf. du piano.
On parie mille francs contre vingt francs que le lièvre gagnera. On va
jusqu'à payer cent pour le lièvre. La tortue et ses amis donnent du lièvre
tant qu'on en veut à tour de bras.
(Tristan Bernard. Le lièvre et la tortue, in Les Histoires Drôles. N° 13 >
p. 14).
Il en va de même avec la plupart des historiens, parfaits conteurs si 1on
veut et abondants jusqu'à la prolixité, mais qui précisément oublient ce qui
* est le plus digne d'être connu, ce qui transforme une histoire enfin en de
l'histoire.
(Georges Polti et Paul Mousse. Traduction de Henri d'Ofterdingen, par
Novalis. Chap. V, p. 125).
Mais il fallait être là, car chaque soir les g-uiues amenaient de l'Améri-
cain.
(Michel Georges Michel. Chronique à la Rose, dans le Cri de Paris, n° 144le.
7 novembre 1924, I. 7).

351. — Encore que ce ne soit pas ici le lieu d'étudier en détail ce


qui dépend du strument, il faut que nous fassions remarquer que la
putation, en français, n'est, dans la presque totalité des cas (cf. contra,
plus bas, bétail), exprimée que par des struments. Ces strurnents sont
représentés en première ligne par l'article un, du, des, mais certains
slruments de quantité accompagnés de la préposition de (beaucoup de,
assez de, trop de, etc. voy. L. VI.) peuvent servir d'articles au substantif
nominal, et dans ce cas, la putation n'a pas d'expression articulaire.
C'est alors la flexion nominale, représentante de la blocalité, qui traduit
indirectement la putation. Si l'on considère, en effet, que la putation
massive qui, si grandement qu'elle croisse, reste toujours dans le con-
tinu, atteint l'infini par la blocalité continue, tandis que la putation
numérative est, dès qu'elle dépasse 1, dans le domaine de la blocalité
discontinue, on comprendra que les struments de quantité veulent après

à la putation massive ;
eux la forme singulière, c'est-à-dire !a blocalité continue, quand on est
la forme plurielle, c'est-à-dire la blocalité dis-
continue, dès qu'on passe à la putation numérative. Beaucoup de
bœuf, assez de bœuf, trop de bœuf, peu de bœuf c'est du boeuf tandis
que beaucoup de bœufs, assez de bœufs, peu de bœufs, ce sont des
;
bœufs (1). Ex. :

ctnplkhez M. votre fils d'imprimer, il a trop de naissance pour cela.


(Stendhal. Armance, ch. XXIV).
Quant à la blocalité, elle est exprimée par la flexion nominale. Il
y a lieu de remarquer à. ce sujet que, même dans -les cas où le [(z)]
n'entre pas en exercice, il serait un peu inexact de dire que toute la
puissance quantitudinale réside dans l'article, car le mot est une entité,
et cette entité est différente dans la pensée au singulier et au pluriel,
du fait de la possibilité du [z] instable, même quand ce [z] n'entre
pas en exercice. Par exemple, il est certain que le sentiment linguistique

:f : :r :]
conçoit différemment le mot [à : fà dansLes Enfants d'Edouard
zà à dédwà ] et dans L'Enfant de volupté = 1â à clv61 [ :f :
pté], parce qu'elle sent dans le premier cas 1identité sémantique avec.
=[lé:
u
z[à : f à : z ] dans un exemple comme Les Enfants assistés = Lié: z â f
i té
à s s :
J,et dans le second cas avec [à fà t] dans un exemple
:
:f :t : :
comme UFnfanl aux yeux bleus = [ 1â â 6 zy,<fe b1db:J.
(1) Ceci est vrai même de peu, quoique ce terme marque une quantité insuffisante,
car, au numératif, peu marque néanmoins une quantité toujours supérieure à 1.
: ;
qu'un bœuf, on ne dirait * J'ai trop peu dî boeuf on ne pourrait dire que J'ai :
l'our dire un bœuf, on dirait un bœuf sans plus. Et jamais pour se plaindre de n'avoir
t"op peu de boeufs, ou : J'ai trop peu d'un bœuf (cette dernière phrase d'ms un sena
différent). M. Victor Serard, ayant entendu M. CV. dire un bœuf [ffi : b cé :] fait -
remarquer qu'on n'entend pour ainsi dire jamais, dire du bœuf [du b cë :], et se
demande s'il n'existe pas, dans l'esprit de certaines personnes, un répartitoire [b cè s]
— [b de f] sémantiquement équivalent à oz-beel.
352. — Le système complet et suffisant constitué par les trois phases
quantitudinales résultantes que nous venons d'étudier est celui auquel
la langue s'est arrêtée et celui qu'elle est aujourd'hui capable de donner
à tous ses substantifs nominaux, que les substances qu'ils représentent
aient été originairement massières ou nombrières.
Comme néanmoins ce système, la langue n'a pu le constituer qu'avec
le matériel dont elle disposait, on comprend que quëlques domaines par.
ticuliers se rencontrent encore où il ne se soit point installé sous sa
forme pure, soit que la langue ait rencontré une résistance qu'elle n'ait
pas su franchir, soit au contraire qu'elle ait trouvé, dans une ressource
morphologique contingente, l'occasion de développer, dans un domaine
particulier, un système riche d'une finesse ou au moins d'une subtilité
deplus.
Certains vocables ne se présentent qu'au pluriel, et ce pluriel prend
aJors un aspect sémantique plus global que véritablement numératif,
sur lequel nous aurons à revenir plusieurs fois dans les §§ suivants.
Ex. : les mœurs [1 é : m de : r), populairement [lé : m œ r s], les
gens [1 é : j a :], les flueurs ou fleurs [1 é : f 1 u œ : r], les écrouelles
[1 é : z ék r ui è 1], les limbes [1 é : 1 ê : b].

353. — Il peut sembler que deux vocables comme matériel et maté-


riaux, qui n'ont dans l'usage ordinaire qu'une physe morphologique
chacun, fassent un couple grammatical à deux phases. Ceci n'est qu'une
illusion, car en réalité le sémantisme est différent, et chacun des deux
vocables cherche, quand la nécessité linguistique le lui impose, à déve-
lopper un système complet. On dit couramment dans la langue cle l'ar-
tillerie des matériels de soixante-quinze, et maints ingénieurs écrivent :
un matériau. Ex. :
,Un sociologue dirait de lui (M. Jourdain) qu'il est un matériau démogra-
phique de premier ordre.
(R. Johannet. Eloge du bourgeois français. V. p. 174).
Le meilleur matériau pour toiture.
(Annonce dans le Petit Parisien du 19 septembre 1924, p. 8).
Le sol argileux lui fournit le matériau nécessaire à la fabrication de briques.
(L. Delaporte. La Mésopotamie. T. I, p. 15).
Nota. — Pour les matériels et matériaux divers fournis aux armées par
l'intérieur, consulter les documents ci-après. Les commandants du génie
doivent renseigner les commandants du génie des unités subordonnées et
les corps de troupe sur les matériels et matériaux qui peuvent être mis à
leur disposition.
(Instruction du 17 octobre 1917 sur i'organisation du terrain à l'usage des
troupes de tentes. Imprimerie nationale. Annexe VII, p. 235).
II. — Caractéristiques des divers matériels.
.-. Y.
(Thid IT n TfW pn.tMr:Ù-
"& .----/.
Le vocable bétail n'a pas, à proprement parler,de numératif, le voca.
ble. bestiaux pas de massif. Du bétail ou des bestiaux, ce sont là deux
manières de dénommer la même chose, la première fois sous l'aspect
massif, la seconde fois sous l'aspect numératif. Mais, pour désigner
l'unité de ce système numératif, point de mot dans la langue littérale :
il faut employer la périphrase une tête de bétail, ou employer le vocable
plus général une bête. D'ailleurs, le numératif continu manquant, qui

avec le massif mais avec le numératif discontinu ;


existe dans l'usage rustique, y est en rapport morphologique non pas
on dit un bestiaut
de sorte qu'en définitive, dans l'usage actuel, le français possède là un
couple morphologique putationnel : bétail pour le massif, bestiau-bes-
tiaux pour le numératif.

maintenir : :
D'ailleurs, il semble dès maintenant que cet état ne doive pas. se

système général
la langue appliquera probablement à ce cas particulier son
dissociant les deux sémièmes elle octroiera à chacun
l'intégralité des répartitoires qu'elle chérit : bestiaux étant devenu pour
elle le nom générique des gros animaux domestiques vivant en trou-
peau, elle pourra dire : manger du bestiau, mais d'autre part, bétail

elle dira:
désignant désormais pour elle une certaine espèce de faune domestique,
On trouve dans cette contrée un bétail magnifique.
les bétails de France, le plus apprécié est celui de Normandie.
*
De tous
*
De tous
les bétails, le bétail bovin est le plus utile (1).
Il est même probable que si la langue ne se permet pas encore ces
tours, c'est parce qu'ils exigeraient du locuteur une double audace :
l'une sémantique, celle que nous venons d'analyser, qui consisterait à
donner une phase massive discontinue à un vocable qui n'en a point
l'autre morphologique qui consisterait à créer soit un pluriel * bétails
;
en contradiction avec la vieille apophonie [à y — ô (z)], soit un plu-
riel * bétaux qui risquerait d'être mal compris vu le peu de force expan-
Mve actuelle de cette apophonie (2).

(1) Si la forme un bestiau était définitivement reçue par la langue, il y aurait


dans la triade bétail-bcstiau-bestiaux quelque chose d'analogue à la triade basse-bre-
tonne kaol-kaolen-kaolennou sous cette réserve que la troisième phase n'est pas énu-
mérative en bas-breton alors qu'elle l'est en français.

absolumenl la règle commune. Le voici au numératif continu :


(2) Il n'est pas douteux qu'il a existé autrefois un substantif bestial qui suivait

Quelconque soldat ou autre qui se trouva saisy d'aucun bestial.


(Le Duc d'Anjou. Ordonnance pour le faict de la police et le règlement du
camp. 1568. dans Variétés historiques et littéraires. Tome 1,
p. 266).
:
Le voici au massif
Aussi lors le François ne s'amusoit point au trafic ny au commerce, airis
s'adonnoit seulement à labourer et cultiver sa terre, à nourrir du bestial.
(Sur les causes de l'extresme cherté qui est aujourd'huy en' France. 1586.
'n ibid., Tome VII, p. 152).

Le voici :
au pluriel
1 Plusieurs bestiaux, comme vaches, porcs et autres, ont esté trouvéz noyez
es estables où ils estoyent.
(Deluge et inundation d'eaux fort effroyable advenu es faulxbourgs S.
''0rccl à Paris 1579. in ibid., Tome IX,
p. 67).
Enfin
on peut le trouver au notoire (cf. § 364) dans un emploi dérivant du massif
••• les pauvres villageois s'enfuyans desniiez de tous leurs biens. leur
,
estial en partie emporté par la violence des eaux.
354. — La combinaison du massif avec la figure plurielle semble

;
absurde, et elle le serait en effet si le pluriel avait toujours été
véritable discontinu. Mais il n'en a pas toujours été ainsi la substance
massière a quelquefois eu la figure plurielle. Par exemple, le latin
un

cœli, masculin pluriel, ne paraît pas être dans un rapport taxiématique


de nombre avec cœlum, neutre singulier. On peut considérer ces deux
mots soit comme deux vocables différents, soit comme deux aspects
sémantiques du même vocable. La considération de la grandeur, de
l'importance, de la majesté"de l'objet considéré a pu entrer ici en jeu
pour faire attribuer la forme exprimant la quantité supérieure à quelque
chose qui n'était pourtant pas considéré sous un point de vue - nuiné-
ratif. C'est un phénomène du même genre qui a pu porter à dire vous
par respect à une seule personne, ou à peindre en plus grand les per-
sonnages les plus importants d'un tableau. Ce procédé, que les peintres
modernes ont renouvelé en plaçant ces figures au premier plan, était
jadis fort en honneur et peut-être le sentiment qui l'inspirait n'estil
pas encore complètement aboli chez les gens simples. Le vendeur d'un
bazar de la rue Hippolyte Lebas, voyant l'un de nous, vers 1882, regar-
der à l'étalage de petits soldats de plomb d'environ trois centimètres
de hauteur l'invitait à en faire l'acquisition, et conseillait d'acheter en
même temps quelques grands soldats de bois découpé de peut-être
vingt-cinq à trente centimètres de hauteur « pour faire les chefs ». La
langue française paraît avoir renoncé à des procédés aussi naïfs.
Néanmoins, c'est un vestige de cette conception qui empreint encore
les pluriels comme cieux, aulx, etc. Nous croyons même pouvoir
affirmer que toutes les formes de pluriels archaïques conservés concur-
remment avec des formes plurielles nouvelles se sont cantonnées dans
ces emplois massifs, le vrai sens discontinu n'appartenant qu'au pluriel
du nouveau type.
Tel peintre fait de beaux ciels, c'est-à-dire que le ciel de son dernier
tableau, le ciel de celui du Salon de l'année dernière spnt beaux, ainsi
la
que. plupart de ceux qu'il a peints. Tel tapissier a dans sa boutique
trois ciels de lits à vendre. Et toutes les fois que la substance ciel est

:
conçue sous l'aspect discontinu, c'est le pluriel ciels [s y è 1 (z)] qui
vient. Exemples
la mieux meublée que maison de France, tant de vaisselle d'argent, que
de tapisserie et ciels de soie d'or et d'argent.
(Branthôme. Recueil des Hommes. 1. II, 13. L. III, p. 224).
L'aurore, brossant sa palette
Kh'ol, carmin et poudre de riz
Pour faire dire — la coquette —
;
Qu'on fait bien les ciels à Paris.
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. Raccrocs. Déjeûner de Soleil).
Hélas 1 âme héroïque, oubliez-vous encor
Que les parfums, les ciels, le verbe, les musiques
Sont ligués contre vous, et qu<\ les faibles corps
Sont la barque où périt votre grandeur tragique ?
(Mme de Noailles. Les Vivçnts et les Morts. La Musique de la Nuit).
Quels désirs fous de ports et de ciels exotiques
Vous lancent inquiets par delà les Tropiques.
(Maurice Levaillant. Poésies dans la Revue des Deux Mondes du
jer mars 1924, p. 191).
C'est pour servir de fond à ces grandes figures qu'il adopte de préférence
les splendides horizons bleuissants du Guadarrama prochain, enveloppé de
ciels épiques, où se complaisent la hardiesse de son observation créatrice et
la maîtrise de son brillant pinceau.
(Pierre Paris. A l'école de Velasquez, in tbid. 15 août 1924, p. 884).
Les cieux, ce n'est pas plusieurs ciels, c'est tout simplement le
ciel présenté plus emphatiquement, comme on a par exemple à le
présenter dans la littérature religieuse ou dans l'épopée.
Ils eussent, sans nul doute, escaladé les nues,
Si cfs audacieux,
En retournant les yeux dans leur course olympique,
Avaient vu derrière eux la grande République
Montrant du doigt les deux !
(V. H'.ieo. Les Châtiments. II, 7.., l'obéissance passive, p. 64).
&
Il semble donc que le pluriel deux, marque non pas la pluralité
réelle des substances appelées ciels, mais la pluralité implicite que
renferme le ciel, dans son infinité spatiale et avec tous ses mondes
« Les distinctions des
grammairiens (1) à cet égard ont trop em-
:
:
«brouillé la question, qui heureusement est assez claire par elle-même.
«Voici la règle d'emploi de ces deux pluriels ciels est un vrai pluriel,
«indiquant en réalité plusieurs objets de ce nom, comme des ciels
«de lit, des ciels de carrière, des ciels de tableau, etc. Cieux est un
«pluriel fictif amené, non par la pluralité réelle des objets qui por-
;
«tent le nom de ciel, mais par la pluralité des objets qui composent
«un seul ciel en un mot, cieux est un vrai singulier collectif affec-
«tant exceptionnellement la forme plurielle. »
Cette analyse sémantique nous explique la différence de valeur esthé-
tique et littéraire de ciel et de cieux, le ciel étant surtout une surface
bleu ciel limitant la vue, tandis que les cieux sont beaucoup plutôt
l'immense espace que l'esprit conçoit derrière cette apparence, et dont
le spectacle de la nuit étoilée évoque plus facilement l'idée (2).
Le pluriel les sept cieux contredit la distinction faite plus haut,
mais c'est une locution archaïque et figée qui date du temps où la
différenciation entre ces deux pluriels ne s'était pas encore effectuée.
D'ailleurs, dans l'esprit des locuteurs actuels, elle ne répond pas pro-
prement à une conception numérique, mais à une conception globale,
à telle enseigne que l'on ne peut parler de cinq ou de six cieux d'entre
les sept :
Les anciens ne s'accordaient pas sur le nombre de ces ciels.
(Littré. Dictionnaire de la langue française. S. V. Ciel).
Travaux se trouve dans la même situation à côté de travail des:
:
(1) P. Larousse. Grand Dictionnaire Universel du XIXE siècle. T. IV, p. 287. s. v.
Ciel.
(2) Cf. différenciation néerlandaise hemels (ciels), hemelen (cieux). Valette.
rammairela néerlandaise,
G XIe leçon, p. 63.
travaux ne sont pas une collection de plusieurs, fois un travail (3), dans
ce dernier sens, le discontinu est travails :
Ce Ministre a eu plusieurs travails cette semaine avec le roi.
(lbid. S. V. Travail).
Ils [Le maçon et le menuisier] avaient commencé plusieurs travails ensemble
(t r à v à y à : s à : b 1) ; ils ne pourront pas venir avant lundi ou mardi.
(Exemple oral. Mme O. le 26 novembre 1921).
1Des aulx ne sont en somme pas autre chose que de l'ail, et la forme
plurielle n'est peut-être qu'un rappel de la présence de plusieurs
gousses dans une même tête d'ail, globalement prise ; quand on a une
véritable énumération à faire, quand par exemple, on veut désigner
diverses espèces du genre ail, l'on dit des ails.

;
Le pluriel de val est vaux, mais l'un et l'autre sont archaïques. On
dit plus ordinairement une vallée, des vallées et le pluriel vaux île
s'emploie plus guère que dans les locutions toutes faites par.vaux et
par chemins (4), par monts et par vaux où le sens numératif ne se sent
guère.
Il est absolument absent d'un nom de pays comme les Vaux de
Cernay où il ne s'agit que des aspects d'un même val le pluriel Vaux
exprime encore ici une pluralité implicite globale du genre de celle
:
étudiée pour cieux.
Les ingénieurs hydrographes, qui ont conservé le numératif continu
un val lui donnent pour phase discontinue la forme plurielle des
vais, ex. :
Quarante puits, nous a dit M. Deslalldres, rapporteur des eaux à l'Hôtel-
de-Ville, ont été creusés dans les vals de Loire.
(Le Petit Parisien du 6 septembre 1926, page 2, col. 1).
Sur les deux pluriels œils-yeux, v.
infra § 356. Restent les couples

;
pats-paux où aucune spécialisation ne s'est faite a cause du peu d'em-
ploi du vocable pal et aïeuls-aïeux (5) : or ce dernier, quoique la pre-
mière apparence puisse faire penser qu'il échappe à notre loi, y rentre
en réalité. Tout le monde sait que les aïeuls sont les grands-pères,
tandis que les aïeux sont les ancêtres. Ne voit-on pas que les aïeuls
,
(danslesquels la langue permet d'ailleurs de faire rentrer les bi-
saïeuls, voire les trisaïeuls vivants, mais point les grand-mères ni les

JTaf encore mes deux aïeuls ;


arrière grand'mèros), se comptent très aisément et très souvent (cf. :
j'ai le bonheur de posséder trois aïeuls),
tandis que les aieux où rentrent d'ailleurs des personnes de l'un et
l'autre sexes, sont innombrables et ne constituent par conséquent en
(3) Nous ne plaçons pas ici truvails, dans le sens de machines à maintenir immo-
biles les animaux, dérivé du bas-latin tripafium, tandis que le travail qui nous occu-
pe ici paraît être un dérivé post-verbal de travailler.
(4) Déformation fréquente de la locution par voies et par chemins, influencée par
par monts et par vaux.
(5) La graphie aïeuls n'a dû primitivement être qu'une façon plus « savante »
d'écrire le pluriel parlé [à y cfe:], d'ordinaire écrit aïeux. Ce n'est que secondaire-
ment par orthographisme et par analogie, qu'il se serait créé une prononciation
[it y <3e 1 (z)l. C'est à cette prononciation que s'applique tout ce qui va être dit sur
le pluriel aleuls.
quelque sorte plus un nombre, mais une masse. (Cf. Chacun de nous
a une masse
d'aïeux) (6).
Emile Goudeau, pour obtenir une impression littéraire de recul plus
grand encore dans le passé, a employé bisaïeux au lieu d'aïeux, mais
dans le sens d'ancêtres et non dans celui d'arrière-grands-pères. Cf.
dans le même exemple le sens de petits-neveux = descendants loin-
tains :
Et toi, vieil océan, aïeul desbisaïeux,
Apaise tes fureurs pour tes petits-neveux.
(Emile GQudeau. Poèmes Ironiques, Maman Nature).
Inversement, La Bruyère emploie aïeuls au sens actuel d'aïeux. Ex. :
Il est seigneur de la paroisse où ses aïeuls payoient la taille.
(La Bruyère. Les mœurs et les caractères de ce siècle. Des biens de fortune.
T. I, p. 288).
Mais de son temps, la différenciation sémantique n'était pas faite.
Cette indifférenciation sémantique répondait d'ailleurs peut-être à une
indifférenciation phonétique (cf. note 5).
L'inventaire des formes plurielles doubles du français étant terminé

pleinement la loi énoncée ci-dessus :


maintenant, nous sommes en mesure d'affirmer que, les faits justifient-
Toute forme plurielle archaïque
conservée concurremment avec une forme francigène nouvelle se can-
tonne dans le sémantisme continu (7).
Ces pluriels représenteraient donc, dans notre langue, le seul analogue
de ces pluriels antiques dont les pluriels neutres des adjectifs substan-
tivés du grec et du latin sont l'exemple le plus frappant ?àxaXà, le :
beau (tout ce qui est beau) ; bona, le bien (tout ce qui est bon).
355. — Le vocable orgue est un cas particulier mais qui illustre
singulièrement nos dires. Car ici la différence du pluriel archaïque au

:
pluriel normal est une différence non pas formelle, mais sexuisemblan-
tielle : et pourtant la répartition sémantique s'est faite suivant la loi
commune de beaux orgues, ce sont plusieurs beaux orgues (1) ; de
belles orgues, c'est un bel orgue, un seul, mais assez grand, assez
imposant pour valoir la peine qu'on le désigne par un pluriel continu.

le pluriel féminin était son pluriel régulier ;


Certes, il fut un temps où orgue était féminin dans tous les cas, et où
il a ensuite changé de
(6) Bien que ce soit ici un hors-d'oeuvre, il y a lieu de faire remarquer, pour éclai-
rer la religion du lecteur étranger, que tandis que le pluriel massif les aïeux est très
usité, les formes numératives aïeul et aïeuls sont à peu près bannies de la langue'
parlée (où elles sont remplacées respectivement par griand-père et grands-pères) et
réfugiées dans certains domaines littéraires où ils apportent toujours une teinte gran-
ililoquento.
(7) Nous
dire il veut le verbe et les struments du pluriel ;
comparions plus haut le collectif bas-breton, type kmol au massif. A vrai
et comme tel ne recouvre pas
absolument le massif français du type ordinaire de l'ail. Mais il nous semble absolu-
ment assimilable aux pluriels continus du type diri aulx.
8 355 (1) Cf. Vous direz cependant: <C'est un des beaux orgues que
(Domergue. Grammaire française simplifiée, p. 78).
je connatsse a
Cette phrase de Dornergue prouve que, dès le XVIIIe siècle, l'usage était à peu près
conforme à celui de maintenant.
sexuisemblance. Mais ce qu'il y a ici de tout à fait particulier, c'est
que le pluriel féminin a survécu à la disparition définitive du singulier
féminin, et qu'il s'est spécialisé, conformément à la loi générale des
pluriels archaïques, dans l'emploi continu.
On peut d'ailleurs y retrouver ce caractère de pluralité implicite et

:
globale, là l'intérieur de la substance, que nous avons décelé dans les
divers pluriels archaïques étudiés ci-dessus les grandes orgues d'une
église, c'est une forêt d'innombrables tuyaux qui ne sont que les
organes d'un même organisme.
C'est donc à tort que les grammairiens ont jusqu'ici rangé le cas
d'orgue à côté de celui d'amour, car pour ce dernier vocable, il n'y a,
comme nous l'avons dit au § 333, qu'hésitation encore persistante
entre une sexuisemblance ancienne et une sexuisemblance nouvelle,
sans différenciation sémantique spéciale entre le pluriel féminin et le
pluriel masculin, et même sans différenciation sémantique générale
bien nette, du moins dès notre époque, entre le groupement singulier
et pluriel de sexuisemblance féminine et celui de sexuisemblance
masculine.
Que si l'on veut s'expliquer pourquoi c'est aux pluriels archaïques
que, dans une pareille distribution, le sémantisme continu est attribué,
on en trouvera la raison naturelle dans le fait que ces pluriels remon-
tent à une époque où la coaptation entre la figure plurielle et la physc
discontinue n'était pas encore parfaite, tandis que les pluriels qu'on a
reformés pour les remplacer n'ont au contraire été créés qu'après que
cette coaptation était déjà accomplie.
358. — IJn cas très intéressant à étudier au point de vue de la
quantitude, c'est celui des vocables ciseaux, tenailles, bretelles, chaus-
ses, trousses, grègues, braies, yeux, fers, etc.
Tous ces pluriels désignent chacun un ensemble formé de deux par-
ties symétriques, soit que ces parties soient absolument liées (chausses),
soit qu'elles soient articulées (ciseaux,), soit qu'elles soient séparées
mais fonctionnellement solidaires (yeux).
Une bretelle est une lanière de cuir, de caoutchouc ou d'étoffe qui

!
passe sur l'épaule, et sert à porter ou à tirer quelque chose. Ex. :;
la robe de Marthe avait une bretelle sur chaque épaule ;
L'arme à la bretelle (commandement militaire) ; la bretelle du fusil
il tirait sa
voiture au moyen d'une bretelle. En ce sens, bretelle a un discontinu
du même ordre que tout autre substantif nominal. Mais l'appareil de
suspension du pantalon des hommes était autrefois constitué par deux
bretelles, soit parallèles, soit le plus souvent croisées dans le dos
l'homme portait donc des bretelles. Quand les deux bretelles ont cessé
:
d'être indépendantes, et que l'appareil de suspension a été constitué,
comme il l'est maintenant, par trois branches -divergentes unies eu
une seule pièce, cet appareil a continué à s'appeler des bretelles. Ce
pluriel désigne donc un seul objet, mais conçu comme constitué de
deux parties symétriques, comme le montre bien l'expression concur-
:
renie ; ;
une paire de bretelles c'est une manière de duel mais cette
explication ne suffit pas, car la même forme plurielle désigne non
seulement un de ces appareils, mais aussi plusieurs d'entre eux :
paire de bretelles, ce sont des bretelles (Ex. : Mes bretelles sont cas-
une
sées) ; mais plusieurs paires de bretelles, ce sont aussi des bretelles
(Ex. : On vend dans ce magasin des bretelles de toutes les qualités). En
définitive, l'expression des bretelles désigne une quantité quelconque
prélevée sur l'espèce substantielle, de sorte que dans ce cas particulier
les répartitoires de quantité ne fonctionnent pas.
De même un ciseau, instrument régulier pour ciseler, est un singu-
lier banal, qui possède un pluriel régulier des ciseaux. Mais l'appareil
constitué par deux pièces coupantes ressemblant chacune à un ciseau
et pouvant au besoin en faire J'office s'appelle une paire de ciseaux ou,
bien plus ordinairement, des ciseaux. Les deux pièces de la paire de
ciseaux peuvent être articulées soit au moyen d'une vis et d'un écrou
(ras des ciseaux à coudre), soit au moyen d'un simple pivot qui permet
le démontage aux fins de nettoyage (cas des ciseaux chirurgicaux).

remarque que pour bretelles s'applique :


Dans tous les cas, la dualité originelle reste apparente. Mais la même
plusieurs paires de ciseaux
s'appellent aussi des ciseaux, de sorte que les conclusions doivent être
les mêmes que pour bretelles.
Les mêmes observations s'appliquent aux lunettes, la lunette ayant
un axe unique (ex. : la lunette astronomique, la lunette de la guillo-
tine, la lunette des cabinets), tandis que les lunettes ont deux axes,

;
mais liés l'un à l'autre parce que répondant aux deux yeux (les lunet-
les, dans le sens de : les besicles
flllons, les pince-nez).
cf. dans l'usage vulgaire : les lor-

Les pincettes sont un appareil auquel le fait d'avoir deux branches


a valu également un nom pluriel, encore que ce ne soit en réalité
qu'une grande pince pour saisir les objets qu'on désire ne pas toucher.
Il semble au'ici le oluriel révérentiel corriere dans une certaine mesure
le caractère diminutif du suffixe. On pourrait concevoir qu'on employât

« la pincette
:
coup sûr, on dit encore avec le singulier
pour
:
encore, comme jadis, le singulier pour désigner une petite pince, et à
embrasser en pincette ou
donner un baiser sur une région qu'on pince
doucement. Ex. :
T'en fais pas, ma Nénette,
C'est moi ton Kintintin,
Qui t'embrasse en pincette
Pour chasser ton chagrin.
(Cartes postales vendues à Paris en 1918).
Enfin, le singulier semble sans usage pour ces appareils doubles, de
Montage absolument analogue aux ciseaux, qui s'appellent maintenant
lcs tenailles
et les mouchettes.
le vêtement qui recouvre la partie inférieure du corps de l'homme
u de même été désigné autrefois par des termes pluriels (chausses,
9ràgues, trousses, braies).
Un vocable d'originesingulière, tel que pantalon, avait même été
entraîné dans le mouvement. Madame H nous dit que sa mère
Madame M, née en 1819, marquait sur son carnet de blanchissage
6 paires de pantalons. Cf. à ce sujet : :
Virginie donnait à manger aux lapins, se précipitait pour cueillir des
bluets, et la rapidité de ses jambes découvrait ses petits pantalons brodés.
(Flaubert. Un cœur simple. II, p. 18).
La nourrice s'agenouille et brosse les pantalons du garçon.
(F. Crommelynck. Le Cocu magnifique. I, p. 33).
Mais, probablement sous l'influence de culotte, vocable singulier dès
l'origine parce que l'on n'a qu'un cul à couvrir, un vocable originai.
rement pluriel comme caleçon (it. calzoni) a passé résolûment au sin-
gulier. Pantalon est redevenu singulier ; et ses succédanés plébéiens
tels que falzard ne connaissent que le singulier.
La langue a d'ailleurs encore aujourd'hui tendance à faire passer à

et démontables :
la figure plurielle tous les appareils composés de deux pièces articulées
l'appareil que les médecins appellent un forceps
s'appelle usuellement les fers.
Nous osons même rattacher le pluriel yeux à ce groupe sémantique,
car nous croyons avec Noël et Chapsal (1), que l'usage tend de plus
en plus à substituer le discontinu œils au discontinu yeux dans tous
les cas où on se réfère à un singulier œil ne désignant pas une chose

:
faisant paire avec une congénère. Il est certain que tout le monde
dit des œils-de-chal, des œils-de-bœuf, des mils-de-perdrix, des œils
d'imprimerie, pour parler de plusieurs des gemmes appelées œil-de-
chat, de plusieurs des lucarnes appelées œil-de-bœuf, de plusieurs des

:
cors appelés œil-de-perdrix, de plusieurs genres de caractères typo-
graphiques. Exemples
Ajoutdns que les volutes. sont encore très développées, et que leur
« œttH est d'ordinaire légèrement en dehors de la ligne du fût ;
ce n'est
que plus tard, en Italie, que les œils des volutes se rapprochent et que
nous les trouvons même àl'intérieur de cette ligne.
(V. Laloux. L'Architecture grecque. II, 3, p. 92).
Vous me donnerez le tableau des œils, n'est-ce pas Monsieur
(M. GW, le 10 avril 1921).
?
Dans l'imprimerie, tu as quinze œils différents, où choisir !
(M. D, le 19 février 1922).
Mais il est de même indéniable que l'on entend concurremment dire
par les uns les yeux du bouillon, les yeux du gruyère, par les autres
les œils dit bouillon, les œils du gruyère. Nous croyons que cette der-
nière façon de dire est celle qui représente la tendance évolutive. 1°

:
pluriel yeux resterait alors réservé à la paire d'organes si étroitement
solidaires qui servent à voir, ou à plusieurs de ces paires fait un peu

(1) Noël el Chapsal. Grammaire française. cliap. 1er. recommandent de dire


les œils de la soupe, les œils du fromage. T.e polonais fait une distinction ana'0?11®
entre les deux pluriels de oko « œil », savoir oczy « les yeux », oka « les yeux (o
lic
œils) du bouillon ». Cf. ucho « oreille » avec pluriel uszy « les oreilles »,
« les anses ». (Meillet et H. Willinan Grabowska, § 66, p. 48).
comparable à ceux de bretelles, ciseaux, tenailles (2), bien que l'exis-
tence séparée et indépendante de chaque œil, et conséquemment la
conservation du terme un œil pour désigner chaque globe oculaire,
fasse une petite différence.

Argus aux cent yeux ;


On pourrait invoquer contre cette conception une locution comme
mais une analyse exacte nous conduit au con-

l'emploi de ses pluriels archaïques :


traire à constater que la langue obéit à la même conception dans
car de même que nos deux yeux
forment l'ensemble de notre appareil visuel, les cent yeux d'Argus for-
maient pareil ensemble, et un savant pourri parfaitement dire qu'un
insecte possède dix mille yeux, parce que ces dix mille unités sont là
encore prises globalement en tant que constituant un appareil visuel.
Ceci est si vrai que, même en dehors des cas usuels, indiqués ci-
dessus, c'est bien le pluriel œils qui tend à apparaître toutes les fois
que la notion d'un système visuel constitué d'un nombre défini d'yeux
n'est pas en jeu. Ex. :
Rodrigucz va être mon œil dans la salle Bouchut. Je compte avoir des
(J'ils comme cela dans toutes les parties du service.
(M. Y, le 2 octobre 1924).
Et même quand il s'agit d'« yeux » :
au sens propre dans des cas
comme celui du très intéressant exemple ci-dessous
Je me suis aperçu que je n'avais dessiné rien que des œils gauches.
(M. Z, le 17 février 1923).

si l'on veut parler de plusieurs des polypes


:
C'est à côté du couple (eUs-yeux qu'il nous semble falloir ranger le
couple corail-coraux. L'usage est le suivant le pluriel coraux s'emploie
vivant sur une colonie
corailière. Ex. :
Nous cueillerons des coraux délicats et nous nous couronnerons de fucus
épais.
(J. de Tinan. Penses-tu réussir! IX, p. 289).
Le pluriel corails, qui n'est pas admis classiquement s'emploie quand
on veut parler de plusieurs variétés de la substance appelée corail, tirée
du polypier coralliaire, ou de plusieurs objets fabriqués avec cette subs-
tance. Cf. l'exemple cité § 289 : « Camées, corails ».
Cette répartition,
qui pourrait à première vue paraître contradictoire avec la loi énoncée
à la fin du § 354,
se ramène en réalité à une distinction analogue à
la distinction œil-yeux,
car les coraux, polypes, font partie d'un même
ensemble vivant, la colonie coralliaire, alors que les corails n'ont entre
eux aucun lien de même nature.

(2) La distinction esquissée par le français entre le pluriel œils et le pluriel yeux
esl réalisée par le bas-breton pour le nom des membres doubles du corps. Ceux-ci en
pfit sont toujours désignés dans cette idiome (V. Le Gonidec. Grammaire bretonne.
l,ch. II, p. 19), même lorsqu'il n'y a pas utilité à spécifier le nombre 2, par
'~<*~c'h, «
ou par contradiction ann diuréac'h, les bras ; - ;;
¡'ne sorte de duel constitué par le nom du nombre 2 suivi, selon la règle basse-bre-
t'nne, de la figure singulière
» du substantif. Ex. : ar vréac'h, le bras
al lagad, l'œil
ann diou
ann daou-
Ilgad, les yeux. Mais les mêmes vocables, employés au figuré pour les choses inani-
Wes, ont un pluriel régulier. Ex.
Ondou al léaz, les ampoules ou globules: Bréc'hiou eur c'hravaz, les bras d'une civière
graisseux du lait.
;
357. Les noms des fêtes, qui marquent une succession de céré-

monies liturgiques ou au moins de réjouissances ordonnées, sont sou-

:
vent essentiellement pluriels, sans que ce pluriel implique un discon-
tinu réel les noces, les fiançailles, les épousailles, les relevailles (1)
etc. Une fête juive, misérable et austère, comme la Pâque prend,
avec la pompe chrétienne, la figure plurielle révérentielle : les pâques
on dit ainsi faire ses pâques, d'heureuses pâques,' pâques fleuries,
;
- pâques closes. Et ce pluriel à son tour se fige en un « nom propre »,
qui ne prend plus l'article et dont la sexuisemblance est masculine
Pâques.
:
;
358. — Le vocable gens, désignant un groupe de personnes, était
originairement un pluriel à sens continu, massif car il se référait à
un singulier gent désignant, non pas une personne, mais déjà une
collectivité. Le progressif abandon où ce singulier gent est tombé a
permis à notre pluriel gens de n'être plus conçu comme rattaché à
lui, et partant l'a conduit à n'être plus conçu comme un massif con-
tinu, mais comme un numératif décomposable en unités comptables :
à savoir les personnes composant la collectivité envisagée. Gens est
sémantiquement devenu un discontinu de personne, d'homme. etc.
tout comme Leute sert en haut-allemand de pluriel à Mensch et même
à Mann dans les noms composés, tout comme tûd en bas-breton sert
de pluriel à dén.
Cette évolution est déjà très ancienne en français. Exemples
Mot est fous qui croit tote gent.
:
Bien deiïse ainz avoir prové
De ces deus genz la vérité
Que je eiïse fol espoir.
(Béroul. Le Roman de Tristan. 310).
Ces deux gens qu'elle a accueilli,
Qui lui ont voué chaasté,
Avant que voie un mois passé
Je leur ferai leur veu brisier.
(Miracle de l'enfant donné au diable. 72).
E ! très doulx Diex,ces deus gens cy,
Si vous plaist, en grace tenez.
(Miracle de Saint Jehan Crisothomes. 1497).
J'ai veu, extreme' chose,
Chevalier sous trente ans
Combattre, en lice close,
Vingt et deux nobles gens.
(Georges Chastellain. Recollection des Merveilles advenues en nostre temps,
str. 23).
(1) Le suffixe -ailleparaît être essentiellement formateur de sémièmes massiers ]
ex, : de la racaille, de la marmaille. C'est en ajoutant un pluriel révérentiel II cette
idée de collectivité indistincte et de complication,globale qu'on obtient le suffixe
-ailles formateur des noms de fêtes ci-dessus indiqués. On peut remarquer d'une part
legoût spécial que la langue a pour le massif dans la formation d'un vocable com-
me gnognotte, qui ne s'emploie qu'à cette pliyse quantitudinale : de la gnognotte
mais d'autre part la propension à généraliser son système quantitudinal apparait
;
dans le mot canaille, qui d'origine essentiellement massière, forme aujourd'hui un
a
singulatif une canaille, extraordinairement méprisant du fait qu'il été tiré d'une
Il y a là vingt gens qui sont fort assurez de n'entrer point, et qui ne
laissent pas de se presser, et d'occuper toutes les avenues de la porte.
(Molière. L'Impromptu de Versailles. Scène III).
La liberté d'employer gens auprès d'un nom de nombre ne nous est
pas laissée par les grammairiens classiques (1) sauf pour le cas parti-
culier de « jeunes gens » qui est considéré comme le pluriel du mot
composé « jeune homme ». Cette distinction des grammairiens classi-
ques, encore qu'injustifiée, se réfère cependant à une observation jus-
le : « des jeunes gens » est bien le discontinu sémantique de « un jeune
homme » ; il peut s'employer en effet soit pour désigner un groupe
comprenant des jouvenceaux seulement, soit pour désigner un groupe
mixte de jouvenceaux et de jouvencelles (parce que le masculin l'em-

celles seulement ;
porte sur le féminin), mais jamais pour désigner un groupe de jouven-
tandis que de vieilles gens ne comprennent pas forcé-
ment autre chose que des vieilles. Mais ceci ne justifie pas l'interdic-
lion de dire « trois gens », « quatre bonnes gens », etc. La langue
parlée actuelle admet parfaitement ces tours.Ex. :

[1 m sà :
Il me semble qu'il y a deux gens dont tu n'as pas eu de nouvelles.
b (1) k i y à d cfe : j a : d ô : t u n à p Ú : u d n m v è I],
(Mme A., le 18 mai 1923).
C'est probablement, d'ailleurs, à sa séparation, dans le sentiment lin-
guistique, d'avec le singulier gent (fém.)que le pluriel gens doit d'avoir
pu et de pouvoir passer, dans des cas chaque jour plus nombreux,
dans la physe masculine du répartitoire de sexuiscmblance. (Cf. supra,
§ 334 et § 281, note 2).

359. — La langue utilise enfin la combinaison du massif avec le


discontinu dans quelques-uns des cas où on a réduit une substance

ces éléments premiers : :


primitivement décomposable en individus, à ne plus présenter trace de
des épinards. Il y a une nuance qui sépare cette
expression de l'expression correspondante des haricots, car, encore
qu'on mange plusieurs haricots à la fois, on pourrait prendre un hari-
cot avec sa fourchette, tandis qu'on ne pourrait pas en prendre un
épinard. La langue a pourtant une tendance très marquée à ramener

discontinu :
au cas général du massif continu ce qu'elle ne conçoit plus comme
la forme de la confiture est en progrès sur la forme des
confitures et finira par la supplanter entièrement (1).

dénomination collective où l'on ne souhaite point distinguer les individus. Cf. les
invectives plébéiennes telles que tas de cochons, tas de salauds, appliqués à un seul
homme.
§ 358. (1) Le tour classique est ici une périphrase, ex. :
Il chassa un de ses gens pour en avoir parlé fi d'autres de ses domestiques.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome V, oh. XIII, p. 162)
§ purement orthographique en vertu de laquelle les grammai-
359. (1) La distinction
res classiques veulent que l'onécrive des confitures de groseille quand on désigne la
gelée usuelle, dans laquelle les groseilles ne sont plus reconnaissables, mais des con-

encore distinctes les unes des autres, a donc une raison d'être:
fitures de groseilles quand on désigne les confitures de Bar, où les groseilles sont
il est bien vrai que
Parfois, dans la parlure vulgaire, la notion massive arrive à s'appli.
quer même à des substances discontinues très bien décomposables en
unités, -mais que l'insuffisance de sa culture rend le vulgaire inapte à
décomposer ainsi. Des cristaux, ce sont des cristaux de carbonate de
soude, et l'ensemble appelé là « cristaux » est bien décpmposable en
unités méritant le nom de « un cristal ». Mais le vulgaire ignore ce
que c'est qu'un cristal, au sens scientifique du mot. Aussi, pour elle
des cristaux, ce n'est qu'un nom do substance spécifique, comme des
coutures. Aussi, de même que l'on tend, dans tous les milieux fran-
çais, à dire de plus en plus de la confiture, le vulgaire, pour sa part,
dit-il souvent du cristaux.
360. — Pour en avoir terminé avec l'étude sémantique de la quanti-
tude du substantif nominal, il nous faut envisager comment le français
se comporte pour l'expression de la quantitude nulle.
Nous savons (v. §§ 114 à 119) que le français a dissocié l'idée néga-
tive en deux idées plus fines, celles du forclusif et du discordantiel.
Aussi la plupart des modes d'articulation négatifs du substantif nomi-
nal français comportent-ils la valeur forclusive : c'est le cas de pas de.
et de point de. de même que de aucun et de nul. Cette modalité fine
et spécifiquement française de négation est celle que l'on rencontre
dans la presque totalité des cas en français d'aujourd'hui pourtant la
langue française, dont le souple génie aime à se créer une grande va-
;
:
riété de ressources, ne dédaigne pas d'employer, dans des cas exception-
nels, un mode de négation plus brutal zéro, contrairement aux autres
articles négatifs, n'appartient pas au domaine forclusif. Il exprime pu-
rement et simplement une quantité nulle, mais il l'exprime positive,
car une négation brutale n'est pas en français, au point de vue taxié-
matique, une négation. C'est une négation non dissociée en discordan-
tielet forclusif, chose que le français n'admet, légitimement d'ailleurs,
qu'au factif strumental (1). Seule, la parlure plébéienne peut se con-
tenter de l'ancienne idée si peu subtile, qui suffit à la mathématique
aussi zéro a-t-il, hors du langage mathématique, des succédanés com-
;
me pouic, dal, nib, la peau, peau de zébie, peau de balle, qui ne gou-
vernent point le discordantiel, c'est-à-dire ne demandent point ne au-
près du verbe. Mais ce sont là des substantifs strumentaux ou strumen-
teux.
361. — Que si nous passons maintenant aux articles forclusifs soit

:
les confitures de Bar sont des groseilles en confiture, tandis que de la gelée est de la
groseille. (Cf. des confitures de cerises, mais du sirop de groseille, une glace à la
fraise, etc.). Et l'on emploierait plus volontiers le terme moderne de la confiture
pour désigner les confitures de groseille de type ordinaire que pour désigner celles
de Bar-le-Duc.

-
tances :
(1) Remarquer que zéro ne peut faire porter la négation brutale que sur des subs-
zéro faute, zérofeuille. Le français n'a aucun moyen de nier sur le même
mode brutal les taetifs verbaux, comme Panglais ou te haut-allemand par exemple le
font avec not ou nicht. C'est que le français ne veut plus accepter ta (négation; de ce
type que dans le domaine étroitement circonscrit de la quantité mathématique,
domaine qui ne saurait toucher que les substances.
simples (aucun, nul), soit composés (pas de, point de, mie de, guère
de.), nous verrons que la langue française emploie chacun de ces arti-

1° — NUL et AUCUN.
:
cles tantôt avec la figure singulière, tantôt avec la figure plurielle de la
morphologie du nom. Exemples

A. — Avec le singulier.
et ab Ludher nul plaid nimquam prindrai.
(Les Serments de Strasbourg).
Ne fud nuls om deI/son iuuent.

(Leçon G. Paris:
Qui mieldre fust donc a ciel temps.
Ne fut nuls huom del son jovent
Qui miekîre fust donc a cel temps).
(La vie de Saint Léger. 6).
N'i laissat palie ne neul ornement.
(La vie Saint Aluis.28).
Nule entrée truvent iloec.
(Saint Brandan. 631).
Par mer, n'en a corant nul dramont si isnel.
(Le Roman d'Alexandre, 1478).
Et nous conta que en la terre de Noroe que les nuiz estoient si courtes
en l'estei, que il n'estois nulle nuis que l'on ne vist la. clartei dou jour à
l'anuitier et la clartei de l'ajournée.
(Joinvillc. Histoire de Saint Louis, 493)..
Cist dons est de nulle valoul'.
(Miracle de l'enfant donné au diable. 1372).
Retournant aux faicts de Paris, il ne fault doubter que nul jour sans
perte et gaigne ne se passast, que d'ung costé que d'autre.
(Commynes. Mémoires. T. I, 9, p.. 53).
et luy gasterent tous ces heaulx acoustremens, à quoy ne sceust trou-
ver aulcun l'emede, sinon soy retirer en son hostel.
(Rabelais. II, 22. Tome I, p. 286).
Que m'avoient-ils fait P nulle offense.
(La Fontaine. Fables Choisies. VII, 1. Les animaux malades de la Peste).
Il n'oublierait à ce sujet aucun lieu ccmmUA, et il nous apprendrait com-
ment nous pourrions faire suppléer les yeux aux. oreilles.
(Condillac. Traité des Systèmes. 1, 4. T. V, p. 51).
Nul œil étincelant d'un amoureux désir
N'a vu sous ces voiles limpides
La Nymphe au corps de neige, aux longs cheveux fluides
Sur le sable argenté dormir. -
(Leconte de Lisle. Poèmes antiques. La Source, p. 140).
Elle ne découvrit rien de suspect, mais ne hasarda aucune explication.
(M. Maeteritnck. L'Hôte inconnu.. Les chevaux d'Elberfeld. II. p. 174).
B.
— Avec le pluriel.
Et tout cecy, à cause de la longue paix, et que en ceste maison ne te-
11oient nulles gens de soulde, pour soulager le peuple de tailles.
(Commynes. Mémoires. I. 3, p. 25).
Il attend son destin sans faire aucunes plaintes.
(La Fontaine. Fables choisies. IV. t. Le Uon devenu vieux).
L'Empereur Othon III, aagé seulement de 29 ans, mourut dans la ville
de Rome. Sans laisser aucuns enfants.
Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Robert. T. II
p. 474).
Il avoit quatre-vingt-deux ans quand il fut cardinal, ne prit jamais
aucuns ordres.
(Saint-Simon. Mémoires. T. IV, chap. II, p. 29).
2° — PAS DE, POINT DE, etc.
A. — Avec le singulier.
que se il n'avoient secors, il ne se poroient tenir, et ensorquetol si
n'avoient point de viande.
Villehardouin. Ilisloire de la conquête de Constantinople. 480).
Sire, je n'avoie point de miel, et tu le deis de ta bouche sainte, et il est
fet.
(De l'ystoire Asseneth. p. 9).
Ainsi sont gens qui n'ont point d'experiance.
(Commyncs. Mémoires. I. 3, p. 25).
Mais forte affection
N'a point de fiction.
(Mellin de Sainct-Gelays. Chanson. Œuvres. T. I, p. 66).
Point de réponse. Mot.
(La Fontaine. Fables choisies. VIII, 17. L'Asne et le Chien).
Dans l'état, où vous êtes, n'ayant point de chef, il faut que vous soyez
vertueux malgré vous.
(Montesquieu. Lettres persanes. XIV. T. IV, p. 302).
Mon cher ami, j'en suis désolé, mais cette rentrée sur laquelle je comp-
tais. cnHIl, je n'ai pas d'argent. 1
(Labiche. Le Misanthrope et l'Auvergnat. Se. XIII).
Oh! ben, alors, y a pas de dommage.
(R. Boylesvc. L'enfant à la balustrade. IV, II).
B. — Avec le pluriel.
On n'adopte plus aucun système, on tombe dans une autre extrémité, et
on assure qu'il n'est point de connaissances auxquelles il nous soit permis
de prétendre.
(Condillac. Traité des Systèmes. I. 3, T. V, p. 45).
Vous n'avez pas d'enfants, et vous êtes plein de bonté pour moi.
(A. de Musset. Il ne faut jurer de rien. I, 1).
Eh 1 oui, c'est tant pis pour ces dames,
Mais le mot d'ordre est bien formel
Pas de femmes.
:
(Meilhac et Halévy. Le petit duc. III, 7).

tifs n'est pas surprenante ;


Cette coexistence des pluriels et des singuliers dans les tours néga-
elle s'explique au contraire de façon très
naturelle pour qui a compris le génie qui préside en français à la né-
gation ; celle-ci n'est jamais conçue comme quelque chose d'absolu et
d'existant en soi, ce qui serait absurde (1), mais comme la privation

(1) Car dès qu'il est conçu, le Néant a une existence, puisqu'il a au moins pc".
attribut d'être pensé, et que tout ce qui est sujet, n'y eût-il qu'un seul prédicat qUl
s'y rapportât, est substance, donc existe.
d'une chose positive. Aux trois physes résultantes quantitudinales un

ves très nettes ;


fromage, du fromage, des fromages, s'opposent trois attitudes négati-
ex. :
1° Voulez-vous m'acheter un fromage, Madame ? — Non, je ne vous
achèterai pas de fromage, mais une douzaine d'œufs.
2° Le matin Jean mange du fromage, mais le soir il ne mange pas
de fromage.
3° Est-ce qu'Amiot nous a pris des fromages aujourd'hui ?
Monsieur Roussel, pas de fromages, mais il a acheté beaucoup de beurre
— Non,

et de lait.
De même, l'un de nous a eu l'occasion de s'entendre dire un jour :
— Madame Buteau m'a chargée de vous apportercela, et de vous dire
que vous n'aviez pas de tête.
(Une infirmière, le 1er juin 1920).
(Cf. Quand on n'a pas de tête, il faut avoir des jambes. Proverbe
français)

;
Dans une pareille phrase, il est certain que ce que le sujet accusé de
ne pas avoir, c'est de la tête de la tête (massif), c'est la faculté de se
rappeler en temps voulu tout ce que l'on a à prendre avec soi ou à ac-
complir ; or, celui à qui cette phrase était adressée venait de commettre
un oubli. Mais à une tête (numératif-continu) s'opposerait le même
tour morphologique pas de tête. Ex. :
Les huîtres n'ont pas de tête.
Ce qui manque aux huîtres, c'est une tête.
Il est facile de se rendre compte que, sémantiquement, dans les

respectivement:
exemples cités ci-dessus, ce dont la privation est exprimée, c'est bien

En A. — 1° un plaid, unhomme meilleur que saint Léger, un orne-


ment, une entrée, un dromon aussi rapide, une nuit sans clarté, une
valeur, un jour sans perte ni gain, un remède, une offense, un lieu
commun, un œil étincelant de désir, une explication.
2° de la viande, du miel, de l'expérience, de la fiction, une réponse,
uri chef, de l'argent, du dommage.
En B. — 1°des gens de solde, des plaintes, des enfants, les ordres.

enfants, des femmes ;


2° des connaissances auxquelles il nous soit permis deprétendre, des

comme la figure employée l'indique morphologiquement.


L'étude des faits nous amène donc, sans hésitation possible à con-
clure que, contrairement à la mathématique, pour qui la quantité nulle
est une quantité., la grammaire conçoit la négation comme ne dépendant
pas des notions de quantitude. Elle ne l'admet en effet ni dans son ré-
parliloire de putation, ni dans son répartitoire de blocalité.

362.
- Nous avons gardé pour la fin, faute de pouvoir les placer ail-
leurs sans couper la suite de notre développement, certains cas particu-
liers dans lesquels la langue veut décomposer en unités plus petites une

pas cette décomposition :


unité singulière dont le nom et la conception primitive n'impliquent
la garde française, la garde républicaine. Il

:
peut arriver que la nouvelle unité ait une sexuisemblance différente de
celle de la collectivité à analyser, c'est alors un garde française, un
garde républicaine (1). Mais ceci n'est qu'un cas particulier afférent aux
cas où la nouvelle unité est une personne avec, le sexe de qui la sexui-
semblance doit nécessairement être harmonisée (cf. supra, § 335).
Dans le cas général, au contraire, quel que soit le mode de décompo.
sition de l'espèce substantielle en unités plus ou moins arbitraires, la
sexuisemblance persiste. Ex. :
Un bœuf paissait dans le pré. — Garçon, un bœuf braisé
cœur de femme. — Je n'ai qu'un cœur dans mon jeu. — Faites-moi
Un!-
cuire une pomme de terre. — Garçon, une pomme frite — Un œuf
de poule. — Un œuf, c'est deux !
!
D'autres fois, c'est un pluriel primitivement numératif, discontinu,
que l'on conçoit comme massif pour le décomposer en unités nouvel-
: ;
les cent Suisses, bien choisis et payés pour cela, composent un corps
de troupe appelé les Cent Suisses chacun de ces Suisses se distingue
ensuite de tout autre Suisse possible en ce qu'il fait partie de ces cent
là : aussi l'appelle-t-on un cent-suisse.

qui donne son nom au corps des Chevaux-légers ;


De même, c'est la particulière rapidité des chevaux qu'on y emploie
mais chacun des sol-
dats de ce corps est ensuite appelé un chevau-léger. De même encore,
dans la parlure plébéienne contemporaine, la police des mœurs s'ap-
pelle simplement les Mœurs [1 é : m de r s], et un agent de cette police
s'appelle un mœurs [œ : m de r s].
Nous ne pouvions pas ne pas dire ici un mot de cette possibilité qui
jette une vive lumière sur la souplesse du mécanisme quantitudinal du
français, mais, de même que le passage de la garde-française à le garde-
française n'est possible que par le jeu du répartitoire de sexuisemblan-
ce, de même le passage de cent Suisses à les Cent-Suisses et à un cent-
suisse n'est possible que par l'intervention du répartitoire d'assiette.
Aussi aurons-nous à en reparler dans le chapitre suivant.

(1)Sur cette manière do parler, et son actuelle disparition dans le cas particulier
de garde républicaine, v. § 335. -..

-
ClIAPlTKE VI

ASSIETTE DU SUBSTANTIF NOMINAL

SOMMAIRE

SM. Place de l'assiette parmi les répartitoires du substantif nominal. -


Les trois degrés positifs de l'assiette, l!!ur rapport avec la notion de temps.
Loi de succession des trois degrés positifs de l'assiette.
364,

— 365. Taxiomes de l'assiette notoire. — 367. Définition de l'abstrait et


366.
du concret. — 368. Notoriété générale. — 369. Notoriété occasionnelle,
1° capitale, 2° circonstanciale. — 370. Notoriété particulière, 10 spéciale,
2° intralimitale. — 371. Synthèse de la notion sémantique de notoriété. —
372. Rapports de la notoriété avec les répartitoires de quantitude. — 373.
Certaines remarques particulières de grammairiens d'autrefois rentrent dans
notre théorie du notoire.
374. Taxiomes de l'assiette présentatoire. — 375. Présentatoriété pro-
ximale. — 376. Présentatoriété prétéritale. — 377. Présentatoriété séquen-
tale. — 378. Synthèse de la notion sémantique de présentatoriété. —$79.
Domaine sémantique restant à l'assiette transitoire. — 380. Taxiomes de
l'assiette transitoire. — 381. Rapports sémantiques de l'assiette transitoire
avec les notions d'abstrait et de concret.
382. Il existe une assiette illusoire. — 383. Collation formelle de l'assiette
illusoire par de uni directement à un strument forclusif. — 384. Collation
lormelle de l'assiette illusoire par de dans l'atmosphère forclusive. — 385.
L'assiette illusoire marquée par de apparaît-elle dans l'atmosphère discor-
dantielle ? — 386. Aperçu sémantique général sur la collation formelle de
388.387. Collation formelle de l'assiette illusoire
l'assiette illusoire par de. +-
par l'absence d'article. — L'assiette illusoire s'étend jusqu'aux extrê-
mes limites de la substantivosité.
389. Vue d'ensemble sur le répartitoire d'assiette. — 390. L'élaboration
du répartitoire d'assiette est allée de pair avec la constitution de la subs-
tantivosité.
— 391. Considérations historiques sur l'assiette notoire. — 392.
Considérations historiques sur l'assiette présentatoire. 393. Considéra-
tions historiques sur l'assiette transitoire. —
— 394. Considérations histori-
ques sur l'assiette illusoire. — 395. Le taxième d'assiette dans sa forme
actuelle est récent.

363.
— Dans les tours parallèles étudiés au § 298, la langue nous
fait saisir sur le vif l'achèvement de l'édifice logique du substantif no-
ïïiinal,

;
Toute substance appartient à une espèce substantielle
ces espèces est indéfinie
;
la diversité de
elle ne peut former aucun système clos, puis-
se ce serait arrêter la pensée que de lui interdire de nouveaux con-
cepts ; aussi l'énoncé de la nature spécifique de chaque sorte de subs-
tance nominale constitue-t-il la partie essentiellement sémiématique de
l'expression substantive nominale. Le nom, avons-nous dit, est un sé-
miome pur, c'est-à-dire qu'il exprime purement et simplement un sé-
:
mième pour le substantif nominal, ce sémième est le nom d'une
espèce substantielle.
Là s'arrêtent toutes les données sémiématiques : c'est par des don-
nées taxiématiques que l'entité logique de la substance nominale ac-
quiert la plénitude de précision qui lui permet de fonctionner dans le
déroulement phrastique d'une pensée claire et bien analysée.
Nous avons vu, au chapitre IV, la diversité des espèces substantielles
être elle-même susceptible, non par la voie scientifique, mais par la
voie métaphorique, d'une répartition taxiématique : c'est le répartitoire
de sexuisemblance.
;
Mais la pensée n'a pas en général de rôle à distribuer à la notion
d'espèce substantielle ce qui intervient dans la phrase, c'est un cer-
tain quantum de substance prélevé sur la totalité de l'espèce. C'est à
l'exacte détermination de ce quantum que servent les répartitoires de la
quantitude et le réparlitoiie d'assiette.
Ce quantum aura en effet de la quantité. Nous avons vu que dans
l'ascension vers la quantité infinie, la langue se laissait le choix entre
la progression par augmentation continue d'un bloc unique de substan-
ce (masse), et la progression par addition indéfinie de blocs distincts,
quantitudinalement similaires (nombre). C'est à l'expression de ces
conceptions que répondent les deux répartitoires de la quantitude, l'un

;
relativement subtil, la putation, qui nous renseigne sur le mode de
progression choisi l'autre plus brutal, la blocalité, qui dit si, en
résultat brut, le quantum considéré est d'un seul tenant ou constitué de
blocs substantiels séparés par des solutions de continuité.
Mais le quantum qui a à jouer un rôle dans la phrase n'est pas suffi-
samment défini par les répartitoires de la quantitude ; il a en effet non
seulement de la quantité, mais de la qualité. En effet, tous les quanta
possibles appartenant à une même espèce substantielle et ayant une

:
même quantitude connue et constante ne sont pas tous aptes à jouer
tous les mêmes rôles l'assiette est le répartitoire par lequel sont
définies les conditions plus ou moins étroites que le quantum substan-
tiel, dont l'espèce et la quantitude (1) sont déjà déterminées, doit en-
core remplir pour jouer le rôle que la pensée lui assigne.
364. — La pensée s'écoule toujours dans le temps, et dès lors les
substances se présenteront forcément à nous soit comme déjà connues
et classées par l'esprit (notoire), soit comme se classant actuellement
{présentatoire), soit comme inconnues jusqu'alors (transitoire). Dès
lors l'idée d'assiette sera absolument nécessaire à l'idée de substance.

(1) Nous omettons volontairement de mentionner ici la senuisemblance, car elle


«st donnée avec l'espèce.
« Il ne se peut jamais », dit Aristote en énonçant le principe de coût
tradiction, « qu'en un même temps une même chose soit et ne soit
point (1) ». — « Il est impossible », dit-il encore, « qu'une seule et
même chose soit, et tout à la fois ne soit pas, à une même autre chose,
sous un même rapport (2). » C'est donc pour pouvoir jouer, sans confu-
sion et sans contradiction, tout son rôle syndestique, défini par la pre-
mière phrase de cet énoncé, et tout son rôle dichodestique, défini par
la seconde phrase dudit énoncé, qu'il faut absolument que l'expression
de la substance reçoive une détermination précise quant !à
la façon
dont le locuteur entend l'employer au moment où il parle. :

On aperçoit aisément que cette détermination où le temps n'inter-


vient que par les notions de simultanéité ou d'asynchronisme des ins-
tants, mais nullement par celle de succession des instants, ni même
de position absolue d'un instant dans le déroulement du temps, est in-
dépendante de la détermination temporelle portant sur le fait où la subs-

Loucher les factifs et touchent en effet le factif verbal ;


tance joue un rôle, c'est-à-dire des répartitoires de temps qui peuvent
(v. infra, L. Y).
La détermination qu'exprime le répartitoire d'assiette indique l'état
de connaissance que les interlocuteurs ont de la substance à l'heure où
ils parlent, sans tenir compte aucunement de l'époque de la production
du phénomène dans la narration duquel ils font intervenir ladite subs-

-
tance. De fait, n'importe lequel des degrés d'assiette se combine avec
n'importe quel tiroir du factif verbal.
365. — Ces degrés d'assiette, marquant une connaissance tempo-
relle indépendante de celle exprimée par le factif, sont soumis à des
lois de succession spéciales et propres à eux seuls :
a) Un quantum de substance ne peut être transitoire qu'une fois,.
car dès sa seconde apparition, il sera soit absolument déterminé, soit.
au moins repéré par le fait qu'on en ait déjà parlé. Ex. :

tous garçons;
Il étoit une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avoient sept enfants,.
l'aîné n'avoit que dix ans, et le plus jeune n'en avoit que
sept. On s'étonnera que le bûcheron ait eu tant d'enfants en si peu de
temps.
(Perrault. Le Petit Poucet, p. 113).
J'ai fait venir une femme de chambre qu'elle avait renvoyée, et cette-
femme de chambre m'a tout dit.
(Meilhac et Halévy. La Boule. IV. 3).
(i)Un quantum de substance est présentatoire chaque fois qu'il
s'agit de le repérer dans un nouvel ensemble où on veut le détermi-
ner. Il sera donc présentatoire, soit d'emblée, ex. :

précieux au monde
la donne !
;
Tu vois bien, cette tetef cette jeune et charmante tête, cette tête qui, ce
matin encore, était ce que j'avais de plus beau, de plus cher et de plus
eh bien, cette tête, — tu la vois bien, dis —
(V. Hugo. Marie Tudor. II. 9).
? jete-
(1)Aristote. Métnphysique, trad. Barthélémy Sainl-Hitaire, III, II, 12).
(2)Ibid.IV, III, 8).
soit après avoir été transitoire, ex.:
Un loup n'avoit que les os et la peau,
Tant les Chiens faisoien.t bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau.
(La Fontaine. Fables choisies. I. 5. Le Loup et le Chien).

;
&oit même après avoir été notoire dans un autre ensemble que celui
où on le considère ex. :
Mais errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à
embrasser, c'était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté
profonde.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. I. p. 146).

;
Les bois sont d'abord notoires, grâce à l'épithète de Roussainville
qui les accompagne puis ils sont repérés à nouveau dans l'ensemble
des bois. Dans un pareil cas, la précédente notoriété de la substance,
qui ne suffit pas à la déterminer avec précision, suffit du moins à la
repérer provisoirement dans le nouvel ensemble où on la considère.
Elle reste donc alors présentatoire et ne redevient jamais transitoire.

:
D'ailleurs chaque fois qu'elle est redevenue présentatoire, elle ne l'est
en général qu'une seule fois de suite ex. :
MAISTRE DE PHILOSOPHIE.
— Est-ce la Physique que vous voulez apprendre ?
M. JOURDAIN.
— Qu'est-ce qu'elle chante cette Physique ?
MAISTRE DE PHILOSOPHIE.
— Le Physique est celle qui explique les prin-
cipes des choses naturelles et les propriétez du Corps.
(Molière. Le Bourgeois Gentilhomme. II. 6).
y)Un quantum de substance peut être notoire, soit d'emblée, ex. :

Les Loups mangent gloutonnement.


(La Fontaine. III, 9. Le Loup et la Cigogne).
soit directement après transitoriété, ex. :
Il étoit une fois un roi et une reine qui avoient mal fait leurs affaires.
Quand le roi et la reine furent bien pauvres, le roi dit à sa femme.
(Madame d'Aulnoy. Finette Cendron. p. 223).
soit après présentatoriété :
.., et là dessus
Passe un certain Craquant qui marchoit les pieds nus.
Ce Croquant par hazard avoit une arbaleste

La Colombe l'entend, part et tire * de long.


Le soupé du Croquant avec elle s'envole.
(La Fontaine. Fables Choisies. II. 12. La Colombe et la Fourmy.)
Nous avons, dans ces lois de succession, parlé de quanta de subs-
tance et non pas de substantifs, parce que ces lois s'appliquent même
si le quantum de substance est successivement exprimé par un subs-
tantif nominal et par un substantif strumental.

366. — L'assiette notoire est conférée au substantif nominal par


un adjectif strumental, l'article assessoriel notoire :
MASCULIN FÉMININ
CONTINU. — Subsomplif et ttecllsomptif Le La
Désomplif Du (delà)
Assomplif Au (à la)
DISCONTINU. — S. & R. les
D. des
A. aux
Cf. Livre VI.
Indiquons dès maintenant que d'autres adjectifs strumentaux peu-
vent marquer aussi la notoriété, maisassociée à d'autres taxièmes.
Ex. : mon, qui équivaut, chaque Français le sentira aisément, à le.
de moi (Sur ces articles notoires impurs, v. infra, 1. VI).
367. — Mais nous ne pourrons nous considérer comme possédant
de la notoriété une connaissance grammaticale véritable que quand
nous en aurons analysé et synthétisé la valeur sémantique.
Il nous apparaît d'abord, d'instinct et de par notre simple senti.
ment de la langue, que le substantif nominal précédé de l'article
le, ta, les, représente un quantum de substance au sujet duquel il n'y
a ni équivoque ni choix possible. C'est cette définitude parfaite que
nous appelons la notoriété.
Mais quel en est le mécanisme sémantique ?
L'examen méthodique du sens des diverses phrases où apparaît le
substantif nominal précédé de l'article le, la, les, nous a amenés à
considérer la notoriété comme s'acquérant de cinq manières différentes,
qu'on peut grouper sous trois chefs. Mais avant de commencer l'inven-
taire de ces cinq modes de collation sémantique de l'assiette notoire,
nous croyons utile de présenter au lecteur quelques considérations
propres à lui faciliter la compréhension de notre langage et, partant,
l'assimilation de nos idées.
Le substantif nominal est, puisqu'il est nom, un sémiome pur (voy.
§79). C'est dire qu'il ne contient à proprement parler qu'un sémième
et nous avons vu que ce sémième n'est que la spécificité substantielle.
Un substantif nominal est proprement un nom d'espèce substantielle.
Or, dans l'élocution, il peut en effet ne représenter que le sémième
spécifique. Que si, par exemple, je dis : Un roi doit connaître 'l'his-
toire du peuple sur lequel il règne, le roi dont j'entends parler est un
loi quelconque, ne devant satisfaire à aucune autre condition que
d'appartenir à l'espèce des rois. Nous appelons le substantif nominal
ainsi employé substantif nominal abstrait, parce que le sémième
spécifique du vocable substantivo-nominal est, dans ces emplois, abs-

Au contraire si je dis :
trait de toute contingence et pur de t,mt mélange.
Un roi protesta contre ces marchandages di-
plomatiques, j'entends parler d'un certain roi qui, outre ses caractères
royaux, en avait toutes sortes d'autres, comme son âge, le degré de son
intelligence, la forme de son visage, les passions de son cœur, etc. Le
vocable roi, dans cet emploi particulier, représente une substance. de
l'espèce des rois, mais pourvue en outre de beaucoup d'autres caractè-
res. Nous appelons le substantif nominal ainsi employé substantif nomi.
nal concret, parce que le sémième spécifique du vocable substantivo-
nominal est, dans ces emplois, perçu comme mêlé à.des caractères con-
tingents. ::'
Ces notions vont nous aider à comprendre les modes sémantiques de
collation des différentes assiettes, et principalement de l'assiette notoire.

; ; ;
368. — Dans un premier ordre de faits, le substantif notoire désigne
l'espèce dans toute sa généralité ex. : le coton se vend cher cette an-
née

: :
la soie est plus chère que la laine le plomb est plus lourd que
le zinc. Cet emploi a une grande extension on le trouve depuis les
plus hautes sphères de l'esprit la patrie, l'infini, la conscience jusque

:
dans la langue du commerce. Ex. : « nous ne tenons pas la quincaille-
rie. » C'est la notoriété générale. Exemples
La domnizelle delle kose non contredist
Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.
(Caniilène de Sainte Eulalie. 24).
Le mot siècle a ici le sens de monde, le bas inonde par opposition au
monde de Dieu, au paradis. Ce terme représente bien un genre tout en-
tier.

:
Qui fai lo bien laudaz enner
(Restitution G. Paris Qui fait lo bien Iodez ent iert.)
(La Vie de Saint Léger. 7).
Dans cette sorte d'axiome, il est évident que le bien est pris dans son
acception la plus générale.
Bons fut U siecles al tens ancienor.
(La Vie Saint Alexis. I).
Cet exemple est parallèle à celui de la Cantilène de Sainte-Eulalie.
Asez est melz qu'il i perdent les chefs
Que nus perduns l'onur ne la deintet.
(Turold. La chanson de Roland. 45).
Il s'agit ici de tout l'honneur, de toute la dignité, choses qu'on ne
peut perdre partiellement.
Mot sont li chien de grand servise.
(Béroul. Tristan. 1636).
C'est tous les chiens qui sont de grand service, l'espèce chien prise
en général.
Mais si estoit saupris d'amor qui tout vainc, qu'il ne voloit estre cevalers
ne les armes prendre.
(Aucassin et Nicolette, p. 234).
*
L'amour empêchait Aucassin de prendre, non pas telle ou telle espèce
d'armes, mais les armes en général, le genre tout entier.
je pry à Dieu qu'il me envoie la mort avant que je commence une telle
fav.lceté.
(Beauveau. Le Livre de Troîlus, p. 212).
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
(Charles d'Orléans. Rondel, IV).
Je mectray peine de faire un recueil de tous les mauvais tours que les
femmes ont faict aux pauvres hommes.
(Contes de la Reine de Navarre. lre Journée. lre nouvelle, Tome I, p. 1).
C'etoit un homme affable, prévenant, obligeant, attentif à plaire et à ser-
vir, et qui ambitionnoit l'amour du bourgeois et de l'artisan à proportion
autant que des personnes les plus distinguées.
(Saint-Simon. Mémoires, Tome II, chap. XXXI, p. 38).
Il s'y comporta si modestement et si bien qu'il plut au roi et au courtisan
dont il se trouva protégé à l'envi.
(Ibid., Tome II, chap. III, p. 30).
La licence, le peu de subordination, la tolérance de tout, la familiarité
affectée avec le menu, avoient gagné le soldat, le cavalier, le dragont le menu
officier et la jeunesse débauchée, inappliquée, licencieuse.
(Ibid., Tome IV, chip. XV, p. 192).
Le chancelier, second officier de la couronne et chef de la justice, n'a pu,
malgré cet éclat, déposer sa nature originelle de légiste.
(Ibid., Tome VII, chap. XIX, p. 235).
Il convient de remarquer dans cet exemple la pérennité de la subs-
tance envisagée en dehors de l'homme qui en est le représentant tem-
poraire.
Plusieurs choses gouvernent les hommes : le climat, la religion, les lois,
les exemples des choses passées, les mœurs, les manières.
(Montesquieu. De l'esprit dJes lois, XIX, IV. Œuvres. Tome II, p. 4).
Ceux qui adorent quelque chose sont frères ou certes moins ennemis que
ceux qui n'obéissent qu'à l'intérêt et prétendent avec des jouissances maté-
rielles avoir raison des instincts divins du cœur de l'homme.
(Renan. Etudes d'histoire religieuse. Préface, p. xv).
Il y eut comme une réaction en faveur des anciens cultes, qui s'exprima
par deux formes, l'orphisme et les mystères.
(Ibid. Les Religions de l'Antiquité, p. 45).
Ce dernier exemple nous montre que, quand une (Définition est donnée
dans l'assiette notoire, c'est la notoriété générale qui est mise en jeu.

».•
lit tous deux s'attirent, lui [le manchenillier] et 1 innombrable chenille.
(Villiers de l'Isle Adam. L'Eve future, IV, 3).
Il est sincère, il est courtois, et il faut respecter même ses haines,parce
qu'il est de ceux chez qui lahaine n'est que l'envers de l'amour.
(A. France. La Vie littéraire. 38 série. A. Vacquerie).
Catulle Mendès a été la démonstration la plus éclatante de l'extraordinaire
aptitude de l'Israélite à s'assimiler tous les genres.
(Le Journal de Rouen. Février 1909 apud. A. Gide. Nouveaux Prétextes).

Il disait volontiers en s'apitoyant sur sa propre classe «chez l'ouvrier


On chez le petit»,
•••

Ille pauvre
se servant du même' singulier que Racine quand il dit
(Marcel Proust. A la recherche du Temps Perdu. II, p. 316).
On aperçoit facilement qu'ici la définitude est absolue :
envisageant
tout le contenu de l'espèce substantielle, l'on n'a en effet pas de ques-
tions à se poser sur les conditions que doit remplir, outre sa nature
spécifique, le quantum de substance prélevé dans l'espèce. Le substantif

:
nominal qui possède la notoriété générale est donc abstrait, et c'est
uniquement son sémième spécifique qui le rend notoire

:
la notoriété
générale est une notoriété sémiématogène (1).
Nous pensons que les locutions comme avoir la rougeole, avoir la
fièvre ressortissent à la notoriété générale.
En ce qui concerne les maladies, l'usage normal est d'employer le
notoire s'il s'agit d'upe maladie déterminée que l'on a une fois pour
toutes et dont on épuise en quelque sorte les effets spécifiques lors-
qu'une fois on l'a contractée. On dit par exemple avoir la rougeole, la
grippe, la scarlatine, la typhoïde, la syphilis.
Au contraire, on emploie le transitoire quand il s'agit soit d'un pro-
cessus pathologique banal, soit même d'une maladie spécifique sujette à
répétition, ex. : il a une bronchite, ou de la bronchite, il a une pneu-
monie.
La parlure vulgaire fait du notoire un usage plus étendu (j'ai la bron-
chite, le rhume), mais cela est probablement lié à ce que les locuteurs
du vulgaire sont moins instruits. Au contraire, les médecins emploient

:
souvent le transitoire au lieu du notoire, principalement quand ils subs-
tituent le verbe faire au verbe avoir il a fait une rougeole. D'ailleurs,
:
même dans l'usage normal, c'est bien entendu le transitoire qui réap-
parait quand il y a une épitliète il a une scarlatine très grave. Théo-
:

vous n'aviez pas l'endocardite :
phile Gautier a suivi l'usage vulgaire dans l'exemple ci-dessous
vous étiez maigre, jaune, mal portant
dèsque vous en êtes atteint, votre figure se remplit, se colore.
(Théophile Gautier. Contes humoristiques. Le garde national réfractairc,
;
p. 316).
Est-ce parce qu'il est tout à fait étranger aux choses de la médecine,
ou bien parce qu'il plaisante ?
En ce qui concerne les symptômes, le notoire se rencontre dans un

; :
certain nombre de cas avoir la fièvre, le hoquet, le frisson, la diar-
rhée, la colique de même, vulgairement, avoir la cliche, la courante,
et d'autres locutions semblables. De pareilles locutions sont assez diffi-
ciles à expliquer (2).
369. — Dans un second ordre de faits, sans qu'il s'agisse de l'espèce
substantielle entière exprimée par le vocable substantivo-nominal, un
des individus de cette espèce est cependant suffisamment défini sans
qu'intervienne aucun complément. C'est la notoriété occasionnelle.

(1) Nous
:
n'employons jamais le suffixe -gène, dans le cours de notre ouvrage, (luC
dans son sens propre « qui est engendré par ».
(2) Une locution comme avoir la migraine se range dans ce second groupe car,
couramment, la migraine veut cnre mal de tête, et il s'agit pair conséquent dans 16
sentiment linguistique d'un symptôme plutôt que de la maladie déterminée <1110
les médecins appellent migraine.
Il y a à envisager deux cas :
1° Cette notoriété résulte de ce que l'individu donné est celui du
genre, auquel on pense le plus, parce quecelui avec lequel on a le plus

Le roi, c'est le roi de France


l'on habite.
;
4e rapport, qui est le plus important.
le préfet, c'est celui du département

:

Ex. : « On dit à Racine que le roi désirait le voir ». Nul doute qu'il
lie s'agisse du roi de
France
sionnelle constitue la notoriété capitale. Exemples :
cette première variété de notoriété occa-

Li apostolies tent sa main a la chartre.


(La Vie Saint Alexis. 75).
Jadis, l'Apôtre c'était le pape, comme pour saint Thomas, le philo-
sophe, c'était Aristote, l'apôtre, c'était saint Paul.
La roïnen'a pas fait que cortoise
Qui me rcprist, ele et ses fils li rois.
(Quenes de Béthune. Chanson. III. 8, p. 74).
C'est, bien entendu, la reine de France. Il

Et disoient que li ennemis est si soutil7 que, quant les gens se meurent,
il se travaille tant comme il puet que il les puisse faire mourir en aucune
doutance des points de la joy.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 43).
Pour saint Louis, pour Joinville, pour tous les hommes d'autrefois,
animés de la foi, qui pour eux ne pouvait être que la foi chrétienne,

fût vraiment à redouter :


l'ennemi, c'était le principal adversaire du genre humain, le seul qui
le diable.
Benissons lou Peire et lou Fil, et lou Sainct Esperit.
(Le Psautier de Metz. Cantique VII, 19).
A quel Père et à quel Fils peut-on penser en lisant un livre de piété
chrétienne ?
Le Roy,de prime face, fut tant surprins de la joye qu'il eut de ceste nou-
velle, que à grant peyne sceut il quelle contenance tenir.
(Philippe de Commynes. Mémoires. V. 10, p. 350).
La Vérité del'Ecriture nous rend ceci manifeste.
(Calvin. Quelle est la condition de vie des ames après la vie présente, p. 50).
Cela alla si loin que le roi s'en fâcha et qu'il fût. sur le point de faire
quêter Mme la duchesse de Bourgogne.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome III, chap. IV, p. 37).
M l'empereur ni les pères du concile n'avaient prévu les suites du sup-
Phce de Jean et d'Hiéronyme.
(Voltaire. Essai sur les Mœurs, chap. LXXIII, tome III, p. 255, col. 2).
Pendant plusieurs siècles,
on a employé le terme d'empereur pour
désigner le souverain du Saint-Empire, le seul
au monde qui portât alors
ce titre.
Les caractères d'imprimerie. sont pour lui des petits soldats de ploni)
qu'il fait manœuvrer aussi exactement que l'Empereur faisait manœuvrer
ses grenadiers.
(A. France. La vie littéraire. 38 série. A. Vacquerie, p. 357).
Ici, l'expression l'Empereur désigne Napoléon Ier ; depuis que le
titre d'Empereur a été pris par des souverains français, il désigne soit
l'empereur actuellement vivant (par ex. : Napoléon III quand il vivait)
soit le plus grand des Empereurs, c'est-à-dire Napoléon Ier.
De même, la Vierge, pour un chrétien, c'est la mère de Jésus
Pucelle, pour un Français, c'est Jeanne d'Arc.
; la

Il fallait voir la brasserie — nous disions la Brasserie tout court, comme


les Romains disaient la Ville en parlant de Rome, — il fallait voir la bras-
serie, le soir, sur les onze heures.
(A. Daudet. Trente ans de Paris, p. 240. La fin d'un pître).
c'est-à-dire la brasserie des Martyrs, où se réunissait la Bohême de
Murger.
Il avait en effet sur les hommes même intelligents qui ne sont jamais allés
dans le monde, une des supériorités de ceux qui y ont un peu vécu.
(M Proust. A la recherche du Temps perdu. Tome I, p. 187).

:
H. Estienne (Conformité du langage français avec le grec. I. 5), compa-
re 6 PaatIFùç, le roi de Perse, cf. aussi français le Grand Seigneur.
20 Dans un second cas, c'est le contexte antérieur qui prépare et qui
établit la notoriété du substantif en question, ex. : « Ceci se passait en
Prusse. Le roi, qui était alors Frédéric II, en fut informé. » C'est la
notoriété circonstanciale.
Exemples : La domnizelle celle kose non contredist.
(La cantilène de Sainte Eulalie. 23).
Cette demoiselle ne peut être que la sainte dont il est question depuis
le début du morceau.
Or volt que prenget muilier a son vivant,
Donc li achatet filie d'un noble franc.
Fut la pulcele de molt baIt parentet,
Filie ad un comte de Rome la citet.
(La Vie Saint Alexis. 8-9).
En tel leu nos porroit mener
Dunt griés seroit le retorner.
Laissent le chien, tornent arire.
(Béroul. Tristan. 1527).
Mais la maistre abéie de cele maison ne est mie là, ains est al pié del mont.
Là est li abbés et li couvens.
(Chronique dErnoul, chap. VII, p. 69).
Que pour voir li prodons engendra un enfant
En la dame courtoise qui moult fu avenant.
Quant li enfez fu nés, baptiziés fu CIrant.
(Rédaction monorime de la Vie de saint Alexis. XIVe siècle. 6).
Cet exemple nous donne lieu de remarquer que le notoire qui succède
dans un discours au transitoire ou au présentatoire, est généralement
déterminé dans la notoriété circonstanciale (cf. supra, § 364).
pn ceste partie nous dist l'istoire que en noble estat entrèrent les deux'
(J'cres en la ville de Lucembourg. — et avojent
adonc les bourgois encourti-
les rues jusques au chastel de riches draps.
(Jehan d'Arras. Melusine, p. 128).
En une des bonnes villes du royaulme de France y avoit ung seigneur de
bonne maison, qui estoit aux escoles.
(Contes de la reine de Navarre. II, 18. Tome I, p. 187).
Quand le mariage est consommé, le mari n'emmène pas sa femme.
(Regnard. Voyage de Laponie. Tome I, p. 67).
Ce conseil est établi pour le
gouvernement temporel et spirituel, justice
civile et criminelle. Le président est maintenant le duc de Casa.
(Villars. Mémoires de la Cour d'Espagne, p. 35).
Un Vénitien, nommé Balbi, étant au Pégu, fut introduit chez le roi.
(Montesquieu. De l'esprit des lois. XIX. 2. T. II, p. 2).
Bientôt parut, à la hauteur de l'abbaye Saint-Antoine, une troupe de cava.
Hors vêtus de rouge et de jaune, avec les bonnets et des manteaux fourrés,
d louant dans la main des sabres larges et' recourbés comme les cimeterres
des Sures. Les officiers marchaient sur le flanc des lignes.
(Alexandre Dumas, père. La reine Margot. T. II, ch. II, p. 105).
Ensuite, je m'amusais à ranger tout dans ma cabane. Je prenais mes ou-
lils ; je tâchais que les nattes fussent bien égales et les corbeilles légères.
(Flaubert. La Tentation de Saint Antoine. I, p. 3).
Mais du moment, que les articles de critique, a tort ou à raison, ont cessé
d'être des extraits et des analyses pour devenir des travaux de fond, on ne
peut trouver mauvais que l'auteur songe à donner une publicité plus dura-
ble à des morceaux qui souvent lui ont demandé plus de recherches et de
réflexion qu'un livre original.
(Renan, tftudes d'Histoire religieuse. Préface, p. 1).
Un riche industriel d'Elberfeld, M. Krall, s'était, en effet, très vivement
intéressé aux travaux de von Osten, et, durant les dernières années du vieil-
lard, avait souvent suivi, et assez souvent même, dirigé l'éducation de l'éta-
lon prodige.
(M. Maeterlinck. L'hôte inconnu. Les chevaux d'Elberfeld. III, p. 175).
Si, au point de vue syntactique, la notoriété capitale et la notoriété
circonstanciale ont un caractère commun, celui de s'établir sans l'aide
d'un épiplérome, en revanche elles diffèrent grandement au point de
vue de l'analyse mentale. Le substantif nominal est concret dans la
notoriété capitale. Dans la notoriété circonstanciale, il.est concret aussi,
en ce sens que toutes les circonstances qui servent à le définir ne sont
énoncées ni par le sémième du substantif nominal ni par celui d'aucun*

que dans la notoriété capitale:


épiplérome y annexé, mais cependant il est moins brutalement concret
toutes circonstances posées, on peut
même l'envisager comme abstrait, car on ne demande plus, alors au
quantum substantiel envisagé, dans ce cadre défini, que d'appartenir à
l'espèce substantielle dont
on énonce le nom. Nous verrons plus loin
que cette distinction n'a pas seulement un intérêt purement théorique,
Inais que bien au contraire il est des cas où la langue les distingue par
t
:
fJand le chef

370.
VI).
des tours spéciaux. (Cf. C'est

v. infra, 1.
un brigand que le chef, et c'est un bri- 1
N

— Dans un troisième ordre de faits, on détermine l'être dont


on parle au moyen de l'adjectif ou de l'adjectiveux qui y est épingle
Ex. : le roi d'Espagne, l'homme boiteux.
C'est la notoriété particulière. C'est donc celle à l'établissement
de qui un épiplérome Contribue. Mais la détermination particulière

:
qu'établit l'épiplérome peut se faire à partir d'ensembles plus ou moins
étendus

;
1° Dans un premier cas, l'ensemble considéré d'abord est l'espèce
substantielle entière et c'est dans cette espèce que l'épiplérome peut
isoler une sous-espèce qu'il caractérise entièrement et abstraitement.
Ex. : « L'homme qui trahit sa patrie mérite la mort ». L'épiplérome
adjectiveux qui trahit sa patrie distingue le groupe d'hommes en ques.
tion et le détermine dans l'ensemble de l'espèce homme. Ainsi est éta-
blie dans l'espèce homme une sous-espèce homme qui trahit sa patrie.

me avec son épiplérome un ensemble abstrait. Exemples


Voldrent la veintre li Deo inimi.
:
C'est la notoriété spéciale. Le substantif nominal qui la possède for-

(Cantilène de Sainte Eulalie. 3).


Primos didrai uos dels honors,
quie il auuret ab duos seniors.
après ditrai uos del aanz.
que li suos corps susting si granz.
(Leçon G. Paris :
Primes dirai vos dels honors
Que il avret od dous seinors ;
Apres dirai vos dels aanz
Que li sos corps sostint si granz).
(La vie de Saint Léger. 2).
Il ne s'agit pas de tout le genre honneur ni de tout le genre peine,
mais des espèces de ces genres limitées par les épipléromes adjectiveux
l'auteur veut nous parler des honneurs-que-Saint-Léger-avait-eus-dc-
:
deux-rois et des peines-si-grandes-que-son-corps-soutint.
Quant veit son regne, durement se redotet
De ses parenz, qued il ne l'reconoissent
E de l'honor del sicele ne l'encombrent.
(La Vie Saint Alexis. 40).

:
En jrevoyant son pays, en redoutant d'être reconnu par ses parents, ce
n'est pas tout le genre honneur que saint Alexis craint, c'est seulement
un espèce d'honneurs ceux du siècle, ceux d'ici-bas, car les autres,
les célestes, toute sa conduite montre qu'il y aspire.
Li rois qui Macidone tenoit en sa baillie,
Et Grese et le pais de tote Esclavonie,
Cil fu pere a l'enfant de cui oes la vie.
(Le Roman d'Alexandre. 24-26).
Cet enfant est de notoriété spéciale.
Tost s'accordèrent à ce que Buiemonz requeroit et li otroirent chascuns
sa part que ele fust seue toute qulite ; fors seulement li cuens de Toulouse
qui. disoit que sa part ne quitteroit-il jà à nului.
(Guillaume de Tyr. Des choses avenues en la terre d'Outre-Mer. V. 17.
Tome I, p. 178).
Biaus chiers fiz, je te doing toutes les benéissons que bons peres puet don.
1le"
jlCt* à fil.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 754).
lit li rois d'Engletiere avait ja tant fait as barons de France, qu'il avoit
Jor cuers, encor fuissent li cors el service le roi.
(Ernoul. Chronique, ch. XXXI, pp. 332-333).
Remarquer dans cet exemple la notoriété capitale (le roi) à côté de la
spéciale (le roi d'Angleterre).
0 tu, Dieux, juge moi et entend ma cause contre la gent non saincte vt
senz pitieit, et dou mauvais home et decevour me weilles deffendre et déli-
vreir.
(Psautier de Metz. XLII. 1).
La noblesse des bonnes meurs vault trop mieulx que la noblesse des parens.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré, chap. V, p. 22).
Entre les roys qui regnerent en Judée régna Assuere tant sur le royaume
de Juda comme sur Ethiope.
(Le parement et Triumphes des Dames, chap. VII).
Le roi et le roi d'Angleterre. en étaient également pénétrés de douleur et
d'indignation.
(Saint-Simon. Mémoires. T. VII, chap. XI, p. 118).
Exemple absolument parallèle à l'exemple d'Ernoul cité plus haut.
Les citoyens qui sont ou ont été membres du corps législatif ne peuvent
être recherchés, accusés ni jugés en aucun temps, pour ce qu'ils ont dit ou
écrit dans l'exercice de leurs fonctions.
(Constitution de l'an IV. Article 110).
On se demandait quel serait le sort de la France si une pareille tête venait
à être frappée par le boulet qui perça la poitrine de Turenne, ou par la balle
qui brisa le front de Charles XII.
(Thiers. Histoire de l'Empire. Livre IV, Tome I, p. 147, col. 2).
Alors, j'ai voulu m'instruire près du bon vieillard Didyme.
(Flaubert. La tentation de saint Antoine. I, p. 5).
11 est très-vrai que les volumes ainsi formés, si on les envisage comme
des livres, pèchent gravement contre les règles une composition régu-
lière et contre les lois de l'unité.
(Renan. Etudes d'Histoire religieuse. Préface, p. 11).
Il a la douceur des hommes qui ne cèdent pas.
(A. France. La vie littéraire. 3e série. A. Vacquerie, p. 359).
Dans cet exemple, le substantif substantiveux la douceur est assis
dans la notoriété spéciale par la clausule diffusive adjectiveuse des hom-
mes qui ne cèdent pas et, dans cette clausule, les hommes est assis à la
même notoriété par le convalent adjectiveux épipléromatique qui ne
cèdent pas.
On y voit le roi vaillant comme une épée et honnête comme l'or, qui fait
(lc grandes aumônes à la porte de son château, et le jeune homme fort
comme un taureau qui aime la princesse belle comme le jour, sage comme
une sainte et riche comme la mer (1).
Ibid. 4e série. Contes et chansons populaires, p. 75).
(1) Cette :
construction rappelle beaucoup la suivante
La royne Blanche -comme un lys
Qui chantoit à voix de sereine.
(Villon. Ballades des Dames du Temps jadis, p. 34).
De tous lés héros de cette énorme guerre qui survivront dans la mémoire
des hommes, l'un des plus purs, l'un do ceux qu'on ne saura jamais coin,
ment assez aimer, sera certainement le jeune et grand roi de ma petite pairie
(M. Maeterlinck. Les Débris de la Guerre. Le roi Albert, p. 13).
On a beaucoup écrit sur le soldat français depuis le début de cette guerre.
(Capitaine Z. L'Armée de la guerre, p. 13).
Il faut se garder de confondre, pour la collation sémantique de la no-
toriété spéciale, les adjectifs ou adjectiveux anadniètes, tels que ceux
des exemples précédents, avec les adjectifs ou affectiveux amphidmètes
caractérisés dans la langue orale par une pausule et, dans la langue
écrite, généralement par une virgule. Ces derniers ne contribuent en
rien à la collation sémantique de l'assiette et ne font que s'épingler à
un substantif assis d'autre part dans un des modes de notoriété. Ainsi,
dans cette phrase :
Elle sentait. la lutte qui se faisait en moi.
(A. de Musset. La confession d'un enfant du siècle. III, p. 177).

:
Le genre lutte est spécialisé par l'anadrnète qui se faisait en moi,
donc notoriété spéciale, tandis que dans cette autre phrase
La société, qui fait tant de mal, ressemble à ce serpent des Indes dont la
demeure est la feuille d'une plante qui guérit sa morsure.
(Ibid., chap. IV).
l'amphidmète qui fait tant de mal ne touche en rien à la notoriété
capitale de la société.

;
L'adjectif ou adjectiveux anadmète contribue grandement à la col-
lation de la notoriété spéciale ex. :
Dans la fournaise ardente, il jetait à brassées
Les canons ennemis.
(V. Hugo. Les chants du crépuscule. A la Colonne, p. 235).
20 Dans le second cas, l'ensemble sur lequel opère le prélèvement
n'est qu'un ensemble restreint que le contexte antérieur a défini.
Ex. : « Ily avait là un homme qui fumait une pipe et un autre qui
ne fumait pas. L'homme à la pipe pérorait, l'autre écoutait silencieu-
ment.. » L'épiplérome adjectiveux à la pipe distingue l'homme en
question et le détermine non pas dans le genre humain, mais dans
l'ensemble des deux hommes signalés dans le contexte antérieur.
C'est la notoriété intralimitale qu'on peut nommer ainsi parce que
le substantif qui la possède n'est déterminé, n'est notoire, que dans
les limites de l'ensemble défini par le contexte antérieur.
L'épiplérome ne suffit donc pas ici à établir la notori'été. Celle-ci
procède non seulement du sémième complexe réalisé par l'union du
substantif nominal avec son épiplérome, mais encore de l'association
de ce sémième avec des caractères contingents liés au contexte anté-
t,

est un substantif concret. Exemples :


rieur. Le substantif nominal qui possède la notoriété intralimitalo

et firent porter lor hernois devant eux et alèrent dusqu'au chastel. Si


armoient jà li chevalier par les osteux et estoient montées les dames as fc-
iiostrcs et les damoiselles au murs. Quant les damoiselles des murs le vi-
rent, si distrent toutes ensemble.
(Robert de Borron. Perceval en prose, pp. 478-79).
Ces demoiselles des murs forment un groupe notorié par le contexte
précédent où nous avons vu les demoiselles du château s'installer sur
les murs pour voir un combat.
L'endemain, je li envoiai drap pour faire une robe, et la pane de soie avec.
(Joinville. Histoire de Saint Louis 138).
Vray est que de celluy chevalier yssirent trois fils, desquels l'ainsné eut
nom en baptesme Bertrand. Le second, fils ot nom Guillaume.
ffhMnirm*
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ON

Le second fils n'est déterminé que dans le groupe des trois frères.

Au pays de Perigord, il y avoit un gentil homme, qui avoit telle dévotion


à sainct François qu'il luy semblait que tous ceulx qui portoient son habit!
dévoient estre semblables au bon sainct. Pour l'honneur duquel, il avoit
faict faire en sa maison chambre et garde-robe pour loger les dicts frères.
(Contes de la Reine de Navarre. III, 23. II, p. 46).
Ces frères forment un groupe déterminé par le contexte précédent
sont des Franciscains, et c'est comme tels qu'ils reçoivent la catadmète :
: ce

dits.
»
Je ne me trouvai pas seul avec le muletier : il y avoit deux enfants de
famille de Pegnaflor, un petit chantre de Mondogncdo qui couroit le pays,
et un jeune bourgeois d'Astorga qui s'en retournoit chez lui avec une jeune
personne qu'il venoit d'épouser à Verco. Nous fîmes tous connaissance en
peu (le temps, et chacun eut bientôt dit d'où il venoit et où il alloit. La
nouvelle mariée, quoique jeune, étoit si noire et si peu piquante que je ne
prenois pas grand plaisir à la regarder.
(Lesage. Gil Blas. Livre I, chap. 3, p. 9).
Si le groupe de personnes voyageant ensemble n'avaient pas.été déli-
mité, si l'on n'avait pas signalé un jeune couple par le contexte pré-
cédent, il faudrait une nouvelle mariée ; la notoriété est donc bien
inlralimitale.

le
Il y a ;
trois ponts de bois couverts, qui sont du quinzième siècle deux sur
lac, un sur la Reuss. Les deux ponts sur le lac sont d'une longueur
démesurée.
(V. Hugo.En voyage. Alpes. 11 sept. 1839).
On peut. voir dans la persistance de cette lutte le choc de deux volontés,
dont l'une ne succombe un moment que pour se redresser avec plus
d'énergie et d'obstination. Il y a, d'un côté, la volonté de la terre ou de
anlres, favorise la force physique et brutale ;
la nature, qui, ouvertement, dansl'espèce humaine comme dans toutes les
et de l'autre, la volonté de
l'(nlmanité ou du moins d'une partie de celle-ci, qui cherche à faire régner
d'autres énergies plus subtiles et moins animales. Les instruments de la
volonté de la terre, au lendemain de la victoire, se retournent contre elle et
arment la main du vaincu.
(M. Maeterlinck. Les débris de la Guerre. La volonté de la Terre, p. 240).

^71.— Le schéma suivant résume la classification des modes de


collation sémantique de l'assiette notoire.
Légende
ABCD. Notoriété générale.
EFGH. Notoriété capitale.
BU. Notoriétécirconslancialc.
CKLM. Notoriété spéciale.
MNJ. Notoriété intralimitale.

Cette analyse sémantique des divers cas dans lesquels le substantif


nominal entre dans la physe notoire du répartitoire d'assiette nous per-
met d'esquisser une synthèse de la signification du taxième de noto-
riété. On voit en effet que le caractère commun de tous les quanta subs-
tantiels notoires est d'être totaux, en ce sens qu'ils répondent à la tota-
lité d'un certain domaine délimité exactement et possédant seul une
certaine qualité d'être. Le substantif placé à l'assiette notoire est exac-
tement et rigoureusement déterminé.
372. — Le caractère essentiel qu'a le notoire de toujours représenter
la totalité de ce qu'enferme une définition rigoureuse rend malaisée la

:
distinction, dans cette assiette, entre le massif et le numératif continu.
Quand on dit « Il a mangé tout le pain qui était sur la table », il n'y
a plus lieu de distinguer si cette totalité notoire répond à du pain ou à
un pain.
Néanmoins, les touts notoires de la blocalité continue contiennent

;
toujours la virtualité sémantique de la distinction entre le massif et le
numératif continu et, dans certains cas, ces nuances sémantiques de-
viennent sensibles. Au transitoire, nous voyons nettement se montrer
deux aspects sémantiques différents, l'un répondant à la putation mas-
sive, l'autre à la numérative :
Un ennui, des ennuis, — De l'ennni
Un honneur, des honneurs, — De l'honneur :
Si maintenant nous revenons à l'assiette notoire, nous remarquerons
que la même opposition subsiste, le continu pouvant alors selon les cas
répondre au sens massif ou au sens numératif.
Le bandeau qui est sur les yeux de la Fortune remet l'ordre partout.
nous ne sommes plus contraints à prendre les honneurs pour l'honneur, et
les dignités pour la dignité.
(Saint-Marc Girardin. La Fontaine et les Fabulistes, XVe leçon, p. 47).
Au sens massif, le notoire représente l'espèce prise dans sa masse
totale. Ex. :
L'honneur est comme une île escarpée et sans Dords.
(Boileau. Satire. X. r. 167).
L'ennui naquit un jour de l'uniformité.
(Lamotte. Fables. IV, 5. apud. Littré).
Là, l'honneur, se mêlant partout, entre dans toutes les façons de penser
et dans toutes les manières de sentir et dirige même les principes.
(Montesquieu. L'Esprit des Lois. Livre IV, chap. 2).
L'ennui, resté fidèle à mon prestige morne,
Formidable, ironique, immobile et sans bornes,
L'ennui sur mon destin pèse de tout son poids.
(Henry Spiess. Poèmes).
Le différend fut sur le canon. M. de Rabersdorff voulait emmener tout le
sien.
(H. de Régnier. Le bon plaisir. XI, p. 161).
sa cavalerie, son infanterie, son canon passaient en colonnes.
(Le duc de la Force. Lauzun, ch. XI, p. 184 (1)).
Puisque mon' amour est en terre,
Mon os ira bien là tout seul.

Cf. aussi la locution vulgaire


monde ?»
:
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. Paria).
« C'est-il comme çà qu'on parle au

Mes yeuxont-ils du mal pour en donner au monde?


(Molière. L'Ecole des Femmes. II, 5).
Hola, Monsieur Bobinet, Monsieur Bobinet, approchez-vous du monde.
(Molière. La comtesse d'Escarbagnas. Se. 6).
Pour la preuve, ne la faites pas comme la plupart du monde la fait.
(Barrême. L'arithmétique. De la Soustraction, p. 31).
De même, dans la bouche d'un paysan canadien :
— Tit'Sèbe guérit le monde, c'est sûr.

Au sens numératif, il s'agit de notoriétés non générales


que vous me faites en venant me voir. » « L'ennui le plus grave que
:
(L. Hémon. Maria Chapdelaine. XIV, p. 216).
« L'honneur

j'aie eu cette semaine est le départ de ma bonne. »


Inversement d'ailleurs, le transitoire continu, avec une épithète peut
désigner une sous-espèce, et avoir alors, par rapport à l'intérieur de cette

;
sous-espèce un sens massif, tandis que le sens est numératif vis-à-vis de
l'espèce entière ex. :
Il est vrai que, philosophiquement parlant, c'est un honneur faux qui
conduit toutes les parties de l'état.
(Montesquieu. L'Esprit des lois. Livre III, ch. 7).
La possibilité qu'a le singulier d'exprimer le massif tandis que le
pluriel exprime forcément le numératif est susceptible de donner lieu,
en littérature, à une opposition entre le massif et le numératif par sim-

;
vocables originellement massiers, au temps où ils avaient de la peine à de-
(1) Les
venir numératifs, se formaient un numératif phrastique au moyen de substantifs
auxiliaires. Ex. : du canon, une pièce de canon
du sucre,
de la vitre, un carreau de vitre ;
un morceau de sucre (cf. § 350). Parmi ces substantifs auxiliaires, le.voca-
ble pièce était à une remarquable généralité sémantique, d'où les locutions,
es objets à 18 arrivé
francs la pièce, à 18 francs pièce. Dans ces locutions, la pièce repré-
sente le nombre 1, comme la douzaine représenterait le nombre 12.
:
pie changement de la forme quantitudinale, comme dans les phrases
suivantes
On vanta mes jugements, et jamais mon-jugement.
(Voisenon. Contes. Histoire de la Félicité, p. 87).
Le système Dd a deux lettres, a deux faces, a deux dos ; admet toutes les
-contradictions, n'admet pas la contradiction.
(Louis Aragon. Système Dd, in revue « Littérature » N° Juillet-Août, 1920,
p. 8).
373. - Une dernière remarque au sujet de la collation sémantique de
l'assiette notoire.
Les struments expriment, à chaque instant de la vie d'une langue, les

individus parlants ;
idées taxiématiques qui servent de cadre au fonctionnement mental des

:
il n'est pas permis-de voir des tropes dans certains
de leurs emplois, comme le fait Du Marsais pour admettre son expli.
cation, il faudrait admettre une évolution incroyable de ln langue entre
le XVline siècle et nos jours.
1° L'emploi notoire général au singulier : « le drap est une étoffe
solide », « le poisson se vend moins cher que la viande de boucherie »,
se développe de jour en jour davantage dans la langue populaire pari-
sienne. Du Marsais (1) y voit une « synecdoque dans le nombre ».
20 L'emploi notoire capital. Du Marsais (2) y voit une antonomase.
« Dans chaque royaume, quand on dit simplement le roi, on entend le
roi du pays où l'on est ».
H. Estienne (3) parle aussi de ce genre de notoriété quand il dit
: :
« Si deux François ou deux Espagnols parlans ensembles disent « On
« luy a faict autant d'honneur que s'il eust esté le roy, les François
« s'entrentendront touchant le roy de France, et les Espagnols touchant
« le roy d'Espagne. »
Mais c'est pour opposer « s'il eust été roy », à « s'il eust été le roy »,
opposition dans laquelle il pense que l'article intervient pour discerner
une particularité de la généralité.
1* àv el fiaotXeôç ùirfjp^ev = s'il eust esté roy ;

(en français de nos jours, on dirait plutôt


Ce en quoi nous croyons qu'il se trompe
::
2" cXVEl ô (JaaiAeùç ônlPXEV = s'il eust esté le roy
si c'eût été le roi).
dans le tour 1, roi est ad-
jectiveux, dans le tour 2, il est substantiveux, l'article sert ici purement
à substantiver.
S'il est certes vrai que l'extension du concept roi est plus générale

;
dans le premier cas, c'est qu'il y est conçu comme une qualité, ce qui
lui laisse, à titre de qualité, toute son extension abstraite au lieu que
dans le second cas, c'est une substance; or, pour qu'un homme singulier
puisse s'égaler à de la substance royale, il est nécessaire que cette subs-

(1) Du Marsais. Des Tropes, 2e Partie, IV.


<3) Ibid., 2e partie, V.
(3) H. Estienne. Conformité du lange françois avec le grec. Livre I, chap. V.
laUce soit également un roi singulier, d'une des notoriétés particuliè-
j'cs, et non pas l'ensemble notoire de toute la substance royale.
Le P. Buffier nous paraît avoir approché davantage de notre concep-
tion du notoire, car il décrit (1) sous le nom de distinction individuelle
et de totalité spécifique d'une part la notoriété spéciale (le livre que
j'estime, l'honneur de mes amis), et la notoriété capitale (« comme
quand en France on dit le Roi sans ajouter de France »— vous avez eu
mal à la tête) ; d'autre part la notoriété générale (les vices, les hommes,
le vice, l'homme).

374. —L'assiette présentatoire est conférée an substantif nominal


par un adjectif strnmental, l'article assessoriel présentatoire :
MASCULIN FÉMININ
CONTINU Ce; devant voyelle cet Cette
DISCONTINU Ces
La collaboration de l'article et des circonstances du discours s'exer-
cent, pour la collation sémantique de l'assiette présentatoire, comme
pour celle de l'assiette notoiire. On peut considérer que la présentato-
riété s'acquiert 4e trois manières.

375. — En premier lieu, si nous considérons une phrase comme :


« Venez me voiir ce soir à cinq heures dans ce salon », nous voyons

que la présentatoriété y existe en quelque sorte par elle-même. Elle ne

substantif :
s'appuie sur rien. Elle résulte seulement de l'idée même qu'exprime le
il s'agit de l'individu le plus proche dans le temps, dans
l'espace ou dans la cause quant au genre de substance en question :
Ce soir signifie « le soir d'aujourd'hui.
» — Cette nuit, c'est, selon le
contexte, celle d'hier à aujourd'hui ou celle d'aujourd'hui à demain. —

toriétéproximaie. Exemples :
Ce salon, c'est le salon où nous sommes actuellement. C'est la présenta-

Et por o fut presentede Maximilien,


Chi rex eret a cels dis sovre pagiens.
(La Cantilène de Sainte Eulalie. 12).
C'est une proximité dans le temps : Maximilien était roi des païens
au jour, au temps où on lui amène sainte Eulalie parce qu'elle ne veut
pas servir le diable.
Quant infans fut donc a ciel temps,

:
al ici lo duistrent soi parents.
(Leçon G. Paris Quant enfes fut, donc a cels temps
Al rei lo duistrent sui parent).

MÔme : (La Vie de Saint Léger. 3):


observation Les parents de saint Léger le conduisent au
dans le temps qu'il était enfant.
roi

(1) Le P. Buffier. Grammaire françoise, 322.


§
Co dist l'imagene :Fai l'home Deu venir
«
En cest monstier, quer il l'at deservit. »

: (La Vie Saint Alexis. 35).


Ici, c'est une proximité de lieu L'image miraculeuse de Jésus veut
qu'on fasse venir le saint au moutier où elle se trouve elle-même.
Bries est cist siecles, plus durable atendeiz.
(Ibid., 110).
Proximité temporelle. Ce monde, dans lequel nous vivons, passera
vite, attendez-en un plus durable.
Li emperes Caries de France dulce
En cest païs nos est venuz cunfundre.

:
1 (Turold. La Chanson de Roland. 17).
Proximité locale Marsille s'indigne que Charlemagne, empereur de
la douce France, soit venu les vaincre dans le pays même où ils sont.
Or chans, or l'aim : sem'est guerredonnée
Ceste poene, c'iert par ma bone foi.
(Gautier d'Epinal. Chanson XII, 10, p. 22).
.En (Chantantet en aimant sa dame, le poète pense que si la peine,
dans laquelle il se trouve est récompensée, ce sera à cause de sa fidélité.
Cis contes nos fait mention ki fu jadis empères de Bisanche.
(Li Contes du roi Constant l'empereur, p, 3).
Le conte qui mentionne qui est-ce qui fut jadis empereur de Byzance,
c'est ce conte-ci, celui que vous avez sous les yeux.
En, celuy temps, estoit Troye assiegée de Grecz.
(Beauveau. Le Livre de Troilus, p. 121).
Cette phrase commence le récit.
Finalement, en escrivant,
Ce soir, seullet, estant en bonne,
Dictant ces laiz et descripvant,
Je ouyz la cloche de Sorbonne.
(Villon. Petit Testament. XXXV).
En cestuy temps, qui fut la saison de vendanges, au commencement de
automne, les bergiers de la contrée estoient à guarder les vignes. -
(Rabelais.' 1. 25).
CLITANDRE. Elle veut dés ce soir faire ce mariage.
CHRISALE.
CLITANDRE.
Dés ce soir?
Dés ce soir.
/
CHRISALE. Et dés ce soir je veux,
Pour la contre-quarrer, vous marier vous deux.
(Molière. Les Femmes Sçavantes. IV, 5).
Oui, Damis, dès ce soir, je vous donne Isabelle.
(Destouches. L'Ingrat. II, 5).
Quel est cet homme? dis-je. ) 1
(H. de Balzac. Un drame au bord de la mer. Tome XV, p. 350).
Ce soir, reprit le jeune seigneur, je serai chez vous.
(Id. Maître Cornelius. Tome XV, p. 421).
Je ne puis dire qu'aujourd'hui j'écrirais ces pages telles qu'elles sont.
(Renan. Etudes d'Histoire religieuse. Préface, p. III).
Et ce quinze juillet, où j'écris ceci, près d'Etretat.
(A. Gide. Prétextes. La Normandie et le Bas-Languedoc).

;
Un cas particulier de présentatoriété proximale est celui où le subs-
tantif nominal représente le locuteur lui-même ex. :
« Dieu dont l'arc est d'argent, dieu de Claros, écoute! 1

« 0 Sminthée Apollon, je périrai sans doute


« Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant » 1
C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant.
(André Chénier. L'aveugle, vers 3).

tive, contingente:
Là, la localisation qui entraîne l'assiette présentatoire n'est pas rela-

;
elle est absolue, puisque le locuteur est toujours
contenu dans sa propre personne elle est ce qui lui est, localement et
lemporellement, toujours le plus proche.
D'autres fois, au contraire, la proximité entraînant l'assiette est toute
virtuelle, toute figurée. C'est ainsi que, dans la première phrase d'un
de leurs romans, les frères Tharaud, nous transportant par une
hardiesse de style en un point donné des Carpathes, nous montrent du
doigt, en quelque sorte, le village où va se dérouler l'action : j

Ce petit village des Carpathes posé sur le bord d'un torrent, à la lisière de
la sombre forôtj et de la grande plaine hongroise, c'est le village d'Houn-
falou.
(Jérôme et Jean Tharaud. L'Ombre de la Croix, ch. 1).
376. — En second lieu, si nous examinons une phrase comme
remarquai dans la salle un homme biun, aux grands yeux noirs, à
l'aspect étrange. Cet homme tenait sa lorgnette braquée sur une loge
:
« Je

d'avant-scène. » Nous voyons que la présentatoriété y résulte du con-


texte antérieur. A vrai dire cette présentatoriété prétéritaleestséman-
tiquement très proche de la notoriété intralimitale. Si le substantif pré-
sentatoire prétérital n'est pas notoire, c'est qu'il n'est pas déterminé

milieu d'une cohue non limitée. Exemples :


dans un tout fermé, mais seulement chargé d'un signe distinctif au

Ad une sepede li roveret tolir lo chief.


La domnizelle celle kose non contredist.
(La cantilène de sainte Eulalie. 23).

a été déterminée par le contexte précédent


tête avec une épée.
:
Cette chose à laquelle la demoiselle, sainte Eulalie, ne contredit pas,
il s'agit de lui couper la

« Et laetatus est Jonas super ederam. » Mult laetatus ço dixit, por que
Deux cel edre li donat a sun soueir et a sun repausement.
(Homélie sur Jonas).
Ce lierre que Dieu avait donné à Jonas pour son siège et son repos
a été déterminé par la citation de l'Ecriture qui précède.
Laius en carJres lenmenat.
et en fescant in ciel monstier
illo reclusdrent se. 1.
domine deux in ciel flaiel.
:
uisitet. 1. son seruu.
(Leçon G. Paris La jus en cartres l'en menai,
Et en Fescan, en ce! monstier,
, Illuoc reclusdrent sant Ledgier
Domine Dieus en cel flaiel
Visitet at Ledgicr son serf.
(La Vie de saint Léger. 30).

:
Ce fléau, pendant lequel Dieu vientvisiter son serviteur saint Léger,
est décrit dans les vers précédents c'est d'avoir été arrêté et jeté dan*
les basses prisons du moutier de Fécan (après d'ailleurs avoir été cruel-
lement mutilé).
- Toit s'en retornent sor dan Eufemien :
Alquant le prenent fortment a blastengier.
« Iceste choses nos douces nonciors.
(La Vie de saint Alexis, 64).

:
Tout le monde croyait qu'Euphémien, père d'Alexis, connaissait la
présence du saint chez lui c'est cette chose qu'on lui reproche de
n'avoir pas rendue publique.

Il a dit a ses homes :


Une puciele i vint qui est encoloree :
Onques plus bele feme ne fu de mere
« Une cose ai pensee.
Qui ceste feme aroit de cest convers gietee,
Et en la soie tiere et conduite et menee,
nee.
On en devroit bien faire roine coronee. »
(Le Roman d'Alexandre, 8435).
On sait quelle est cette femme, dont parle le roi Alexandre. C'est la
pucelle qui vient d'arriver auprès de lui et que l'auteur a décrite.
Il ot jadis ancicnement en ceste cité un empereur. Cil emperères et
non Mùselins.
(Li contes dou roi Constant l'Empereur).
car elle estoit en une tour jointe à la maison Putiphar, grant et lée
et haute. Et desus celle tour avoit un estre où il avoit X. chambres.
(Del'ystoireAsseneth).
Il est vray qu'il y eut ung roy en Albanie qui fut moult vaillant
homme. et ce roy eut nom Elinas.
(Jehan d'Arras. Melusine, p. 15).
En la. court du Roy François premier, y avoit ung gentil homme, duquel
je congnois si bien le nom que je ne le veulx point nommer. Or estoit
ce gentil homme tant honneste, beau et plein de toute grâce, que toutes
les dames de la cour en faisoient bien grand cas.
(Contes de la Reine de Navarre. II, 15).
Un loup survient - à jeun
Qui cherchoit avanture,
Et que la faim en ces lieux attiroit.
Qui te rend si hardy de troubler mon breuvage
Dit cétanimal plein de rage.
?
(La Fontaine. Fables choisies. I, 10. Le Loup et l'Agneau).
Le galand pour toute besogne
Avoit un broüet clair (il vivoit chichement)
Ce broüet fut par luy servy sur une assiette.
(Ibid. I, 18. Le Renard et la Cigogne).
Quoi ! c'est dans notre dix-huitième siècle qu'il y a eu des vampires !•••
Ces vampires étaient des morts qui sortaient la nuit de leurs cimetières
pour venir sucer le sang des vivants.
(Voltaire. Dictionnaire philosophique. S. V. Vampire).
Sans avoir rien à désavouer, on peut fort bien, en relisant des morceaux,
écrits à huit années de distance, quand ces années ont été remplies par
une pensée quelque peu active, trouver qu'on présenterait certains détails
d'une manière différente.
(Renan. Etudes d'Histoire religieuse. Préface, p. II).
M. Jean Bonnet. vient de publier en deux volumes la collection des
lettres,françaises de Calvin. Cette précieuse correspondance n'avait point
été recueillie jusqu'ici d'une manière complète.
(Ibid. Jean Calvin, p. 337).
Le clergé laisse le peuple visiter ces petits sanctuaires selon lies rites
antiques. Où donc est caché le trésor de ces vieilles histoires ?
(Id. Souvenirs d'enfance et de Jeunesse. II, 2, p 81).
Pierre Loti disait hier avec autant d'émotion que d'éloquence, combien
est poignante la détresse d'un grand nombre de veuves d'officiers tombés
sur les champs de bataille. A ces veuves, il faut joindre des centaines, de
milliers d'autres de sous-officiers et de soldats.
(H. Galli. Pour les veuves et les Orphelins de Guerre in Le Petit Pari-
sien,, 15 déc. 1919).
Un cas particulier, de présentatoriété prétéritale, usité surtout dans
la conversation familière et dans le style qui l'imite, est la formule que
nous employons quand, après avoir demandé, par exemple, nos bottines
à un domestique, nous lui disons, s'il tarde à nous les apporter : « Eh
bien, Joseph, et ces bottines P » se. les bottines que je vous avais de-

faire douter :
mandées, et de la notoriété desquelles votre retard commence à me
c'est une sorte de présentatoriétié dénotoriante. Exemple
MADAME CARBONEL.
— Eh bien, Joséphine, et ce /eu?
:
JOSÉPHINE.
— Voilà, Madame, il est prêt.
(Labiche. Le point de Mire. Acte I, Se. I).
C'est encore à la présentatoriété prétéritale qu'il faut rapporter l'em-
ploi méprisant et brutal duprésentatoire là où on attendrait le notoire,
comme si le locuteur ne daignait pas avoir une connaissance complète
île quelque chose qui touche un allocutaire inférieur ou haï. Ex. :
LE Roy.

SECOND CHEVALIER Biaux seigneurs, alez li trenchier


Tot le poing destre.
Si ferons nous, sire, briément,
Puis que vous n'en avez mercy
Jehan, agenoillez vous cy :
)
;

Sa, celle main.


(Miracle de Saint-Jehan de Crisothomes, 1258).

jours, dans l'usage familier. On dit à son chien :


Ce tour, employé dans un Miracle du XIVe siècle,est confiné, de nos
« Médor, à c'te
niche ! » et c'est par imitation du ton qu'on prend en parlant à un
chien qu'un personnage de comédie dit :
Vous avez raison, madame. A c't'appareil, photographe 1 tout de
suite1. Qui es-tu pour oser dire à une grande damé qu'elle esM belle P
(Meilhac et Halévy. Le photographe. Se. XVI).

: -
377. En tiers et dernier lieu, si nous examinons des phrases com-
as « Cet homme qui cause avec ma sœur m'a fait la,cour autrefois »,
Il Ce soir-là, je
me rendis compte que je l'aimaisH, nous voyons que le
repérage que confère l'assiette présentatoire est effectué par le moyen
de l'épiplérome épinglé au substantif.
Comme la catadmète nominale est le seul épiplérome antérieur non
strumental des substantifs nominaux, et qu'elle ne parait jouer de rôle
que minime ou nul dans la collation de l'assiette, l'on n'a guère à
considérer comme y travaillant que des épipléromes postérieurs. Ce
troisième genre de présentatoiiéte reçoit de nous le nom de présenta-
toriété séquentale par opposition à laprésentatoriété pi-étéritale.Ex.
Si salvarai eo cist mon jradre Karlo.
(Les Serments de Strasbourg).
Si sauverai-je ce mien frère Charles, ce frère repéré non seulement
parce que je vous le présente, mais encore parce qu'il est mien et
parce qu'il est Charles.
Rendet ciel fruit spiritiel
Quae deus li auret perdonat.
Leçon O. Paris Rendit cel fruit espiritel
Que Dieus li avret pardonet.
- (La Vie Saint-Léger, 35).
Ce fruit que Saint Léger rend, est encore repéré parce que c'est un
fruit spirituel et que Dieu lui en avait fait présent ;
E d'icel bien qui toz doust tons estre
Poi en perneies en ta povre herberge.
(La vie Saint-Alexis, 84).
Cebien dont tu prenais si peu dans ta pauvre demeure, est encore
repéré parce qu'il aurait dû être tout tien.
De cez paroles que vos avez ci dit,
En quel mesure en purrai estre fiz ?
(Turold. La Chanson de Roland, 145).
Ces paroles esquelles Charlemagne ne peut avoir toute confiance sont
encore repérées par le fait que le messager sarrazin les a dites.
Dunt Deu prier prent plus suvent,
Que lui mustrat cel parais
-.
U Adam, fud primes asis.
(Saint Brandan, 50).
Ce paradis que saint Brandan prie si souvent Dieu de lui montrer est
repéré par le fait que c'est celui où Adam eut d'abord son siège.
De cest amor qui tant me fait pener
Ne voi-je pas com je puisse partir.
(Renard de Couci. Chanson. III, 17).
Et à cet jor que Amis fu sanez, et li dyable an porterent sa famme, et li
brisèrent le col, an portèrent l'arme.
(Li amitiés de Ami et Amile, p. 73).
Un événement aussi remarquable que l'enlèvement de la femme
d'Ami par les diables qui, après lui avoir brisé le cou, emportèrent son
âme, s'est passé dans ce jour rendu fameux encore par le fait que cet
heureux mari fut guéri de la lèpre.
Oste ce vestement noir que tu as vestu et ce ceint de tristesse.
(De l'ystoire Asseneth, p. 8).
En ce temps que j'ay dit devant,
Sur le Noël, morte saison, ,
Lorsque les loups vivent de vent.
(Villon. Petit Testament, II).
Je sens de plus en plus que le Démon m'affole, •
Retenez ceste voix qui de ma bouche vole.
(Montchrestien. Hector, I, p. 4).
Couvrez ce sein que je ne sçaurais voir.
(Molière. Le Tartuffe ou l'Imposteur, III, 2).
Quel est, dit Candide, ce gros cochon qui me disait tant de mal de la
pièce où j'ai tant pleuré, et des acteurs qui m'ont fait tant de plaisir.
(Voltaire. Candide ou l'Optimisme, Chap. XXII. Œuvres, T. VIII, p. 299,
col. 2).
Gabr~elle portait ce corset en pointe par devant et carré par derrière que
les peintres italiens ont presque tous donnés à leurs saintes et à leurs
madones.
(H. de Balzac. L'enfant maudit, Tome XV, p. 192).
Peut-être ce genre nouveau de littérature sera-t-il envisagé dans l'avenir
comme celui qui appartient le plus essentiellement à notre époque.
(Renan. Etudes d'histoire religieuse. Préface, p. 1).
Il n'a pas cette dpreté d'analyse qui, dans l'âge de la réflexion, nous pose
en froids observateurs vis-à-vis de la réalité.
(Ibid. Les religions de l'antiquité, pp. 15-16).
Que nous sommes loins de ces dieux pélasgiques, à peine dégagés de l'uni-
vers, couverts de suie et de fumée, comme s'ils venaient de sortir des officines
de la nature. (Ibid., pp. 42-43).
Les terribles, étranges et par moments ravissantes légendes de Cologne
n'ont tout leur prix que dans ce grand centre religieux de l'Allemagne du
moyen-âge.
(Ibid. Les Vies des Saints, p. 309).
Une bonne heure de flemme entretenue par de ces cigares bataviens ou
javanais dont il ne faudrait pas fumer par trop.
(Verlaine. Quinze jours en Hollande. Œuvres complètes, T. V, p. 224).
Il y avait sur la cheminée, entre les candélabres, deux de ces grandes
coquilles roses où l'on entend le bruit de la mer quand on les applique à
son oreille.
(Flaubert. Madame Bovary, III, 5, p. 292).
Pour parler comme un discours académique du XVIIe siècle, nous dirons
que M. Octave Feuillet « a toutes les parties de son art », la composition,
l'ordonnance, et cette mesure, cette discrétion qui permet de tout dire et
de tout entendre.
(A. France. La Vie Littéraire. 3e série. Octave Feuillet, p.374).
J'aurais voulu du moins vous montrer ce spectacle assez rare et digne
-d'être considéré d'une femme parfaitement belle, faite pour charmer, insou-
cieuse de sa beauté, fuyant le monde et n'ayant de goût qu'au (travail et à
la solitude.
(Ibid. 4e série, Judith Gautier).
Il y a des hommes qui pleurent lorsque leur maîtresse les a quittés parce
qu'ils ne retrouveront plus, le soir, en rentrant dans leur chambre, ses bras
ouverts et ses lèvres tendues (qui avaient ce goût rouge des grands baisers
d'amour.
(Charles-Louis Philippe. La mère et l'enfant, p. 25).
On se rappelle l'histoire chaînante de tjcie jockey que son bureau de
recrutement avait affecté à l'infanterie.
(Capitaine Z. L'Armée de la Guerre, p. 50).
Graves, superbes,
Sculptés par le génie insensé de la mort,
Tous ces soldats raidis se sont couchés dans l'herbe,
Comme des rois, vêtus de fer, de pourpre et d'or.

l
(Lyres françaises. Henri Bataille. Aux Mères douloureuses).
La présentatoriété séquentale apparaît comme très parente de la noto-
riété spéciale, au cas où cette notoriété est assez restreinte pour ne
convenir qu'à un individu. Cf.
L'homme )
Cet homme en tmin
qui est eti soetj est
tra i ii de causer avec ma sœur r est un scélérat.
sc é lérat.
La différence réside en ce que, dans le présentatoire, l'individu dont
il s'agit est considéré comme requérant encore, en plus de ceux qui
résultent de l'épiplérome, d'autres caractères de détermination
bien parce que l'on montre du doigt ou des yeux l'individu ex « Cet
1° ou :
::
homme qui monte l'escalier est le Président du Tribunal » ; 2° ou bien
parce qu'on le confirme dans le genre substantival où l'on vient de pro-
poser de le classer. Ex. : « Pendant toute la domination allemande,
^l'Alsaced'est donnée à tâche de rester française. Il
y a là une sorte
de consécration nouvelle des droits de la France sur cette province.

(VV
Cette consécration qui a renversé toutes les objections a assuré son re-
tour définitif à la France. » On sent facilement que dans la présentato-
riété séquentale, l'épiplérome ne suffit pas à imposer l'assiette notoire,
et qu'il reste un frottement auquel essaie de suppléer la force de démons-
tration (au sens dit propre comme dans 1°), ou au sens dit figuré
comme dans 2°) de l'article présentatoire.
378. — Le tableau suivant résume la classification des modes de
collation sémantique de l'assiette présentatoire :

ri
"4)
t)j0

12
g
a
I

)
Certains
u
signes
Son caractère de proximité

[
maxima)
I dans l'espace, le temps, la cause, etc.
ressortant ressortant du
contexte antérieur
1

t
1. Présentatoriété

2.
male.
2. Présenlatoriélé
Preseizlaloi-iété
taie.
proxi-

é
prélcri-

12 dislincU fs /;

"a f exprimés dans un l 3. Présenlatoriélé séquen-


épiplérouie tale.
Tout substantif nominal établi dans l'assiette présentatoire est for-
cément en emploi concret, chose d'ailleursévidente dans tous les
exemples cités ci-dessus.
C'est ce caractère non pas fortuitement, mais essentiellement concret
de la présentatoriété qui va nous permettre de bien comprendre en quoi
ce mode de définitude diffère de la notoriété.
Comme l'exprime le tableau du § 371, tout quantum substantiel
notoire est exactement et rigoureusement défini soit par la totalité du
semième spécifique, soit par l'aire de coïncidence de ce sémième, avec
des conditions données de précellence particulière, de détermination
épipléromatique ou de circonstances phraptiques.
Au contraire il reste toujours, dans l'établissement sémantique de la
présentatoriété, un élément démonstratif échappant à toute détermina-
lion rigoureuse. Cet élément constant qui communique à l'assiette pré-
sentatoire son caractère essentiellement concret, est particulièrement

;
apparent dans la présentatoriété proximale, où il assume à lui seul la
collation sémantique de l'assiette mais il existe aussi dans les pré-
sentatoriétés prétéritale et séquentale, car, dans ces cas respectifs, ni le
contexte antérieur ni le complément postérieur ne sont suffisants à
donner sa définitude au substantif nominal : il y faut encore entre le
locuteur et l'allocutaire une certaine part d'entente tacite, de sympathie
intellectuelle, une sorte de « vous savez bien ce que je veux dire », qui
est précisément notre élément démonstratif caractéristique de la pré-
sentatoriété. Le substantif nominal placé à l'assiette présentatoire n'est
donc plus déterminé comme le substantif nominal notoire, mais seule-
ment repéré dans une multitude. Ex. :
Cet homme fléau qui avait passé dans sa vie et dans celle de sa fille
commr un vampire, et qui, de la monstruosité tombant dans l'ignominie,
avait fini par cette vileté d'être un voleur.
(Barbey d'Aurevilly. Une histoire sans nom, p. 218).
Etre un voleur est une glose surajoutée qui aide au repérage de la
vileté en question, repérage déjà amorcé par la force démonstrative de
l'article cette qui se rapporte au récit antérieur, qui a témoigné déjà de
ladite vileté.

379. — L'assiette transitoire est la situation logique d'un quan-


tum de substance à qui l'on ne demande aucune autre condition que de
spécificité sémiématique et de quantitude. Ce quantum est, ainsi, soit
occasionnellement désigné sans qu'on y revienne ultérieurement jamais,
soit susceptible de recevoir ensuite telle définitude que les interlocuteurs
voudront lui donner. Le transitoire est donc le point d'où l'on part pour
l'établissement des définitudes.
Par le fait même qu'il ne requiert pas d'autre condition que despéci-
ficité sémiématique, le transitoire présente une évidente parenté séman-

les notoriétés générale et spéciale. Cf. des phrases comme


J.,'homme est un loup pour l'homme.
:
tique avec les emplois absolûment abstraits du notoire, c'est-à-dire avec

Un homme est toujours un loup pour les autres hommes.


Ce point de voisinageentre les assiettes notoire et transitoire n'est
d'ailleurs pas particulier au français. L'Académie espagnole (1) dit en
effet que, dans une phrase comme la suivante, on peut employer indiffé-
remment un ou el :

(1) Gramâtica de la lengua càstellana. I, 1. p. 13.


Un f
<
soldado espaiïol no se rinde fécilmente à la faliga.
El C
*

:
Pour nous, les deux phrases correspondantes du français ont pourtant
une différence sensible la première, application particulière, est celle.
que tel soldat, qu'on plaindra, répondra fièrement à celui qui le plaint :
« Un soldat français sait résister à la fatigue. » La seconde, vérité géné.

:
raie, est celle que tel interlocuteur posera en aphorisme dans une dis-
cussion sur ce sujet « Le soldat français sait résister à la fatigue.
380. - Nous avons vu (§ 348) que divers adjectifs strumentaux
étaient capables d'asseoir transitoirement le substantif nominal. Mais il
en est un particulièrement important dans cet emploi, puisque, en
dehors de la puissance asseyante il ne contient que la notion de quan.
titude nécessaire à l'établissement de la substantivosité, alors que les
autres strumentssusdits contiennent en même temps d'autres *
taxièmes.
Cet adjectif strumental qui joue dans la transitoriété un rôle éminent
comparable à ceux de le et de ce pour les assiettes notoire et présenta-
toire est l'article un, féminin une. Cet article s'est constitué, dans
l'évolution de la langue, un discontinu qui, tout différent étymologi-
quement du continu, en est cependant l'équivalent sémantique exact
des. De plus, par la combinaison des répartitoires de blocalité et de
:
putation, il s'est formé une troisième phase, la massive, représentée par
l'article du. féminin de la, ce qui fait qu'un substantif nominal peut

: ;
en somme être assis transitoirement de façon absolument pure par les
formes articulaires suivantes un, une du, de la ; des.
Exemples : Ad une sepede li roveret tolir lo chief.
(Cantilène de Sainte Eulalie, 22).
Le roi commande qu'on coupe la tête de la sainte non pas avec telle
ou telle épée déterminée, mais avec une épée quelconque.
Dune, ço dixit si rogavit Deus ad un verme que percussist cel edre sost
que cil sedebat.
(Hométie sur Jonas).
C'est à un ver quelconque, dont on ne nous dit rien de plus que
Dieu ordonne de détruire le lierre sous lequel le prophète était assis.

(Leçon G. Paris :
En u monstrier me laisse intrer.
En un monstier me laisse entrer.)
(La vie de saint Léger. 16).

a satisfaire qu'à une condition


moutier.
:
Ce dans quoi le saint prie le roi Chilpéric de le laisser entrer n'aura
appartenir à l'espèce substantielle

Si fut uns sire de Rome la citet.


(La vie saint Alexis. G).
C'est la première fois que l'auteur nous parle du père d'Alexis, au
début du dévot récit.
Un port truvent, là se sunt mis
Qui fut trenched al liois bis.
(Saint Brandan. 261).

ne connaissent pas ;
Les compagnons de saint Brandan viennent de trouver un port qu'ils
l'auteur nous dit simplement que ce port était
creusé dans du liais de couleur bise.
Et par vive force montèrent des chevaliers sor les eschieles.
(Villehardouin. La conquête de Constantinople, 171).
Or ama par amours ly chevalier nouris
Une gente pucelle qui ot non Béatris.
(Le roman de Hugues Capet, 57).
Il fut jadis en France ung Roy fort sage et vaillant, lequel avoit un très
beau fill de l'eage de trois ans, nommé Jehan.
(Le Roman de Jehan de Paris, p. 3).
Je chante une beauté des beautez la première.
(Desportes. Angélique. I, p. 357).
La lecture de son Ouvrage répand insensiblement dans une ame les
semences de la vertu.
(La Fontaine. Fables choisies. Epistre au Dauphin, p. 5).
J'ai cru qu'on devoit ftrait|er la morale comme toutes les autres sciences,
et faire une morale comme une physique expérimentale.
(Helvétius. De l'esprit. Préface. Œuvres. Tome I, p. 115).
Cependant de vagues brigades,
— Zèle ou dénonciation, —
Verbalisaient chez des alcades.
(Verlaine. Parallèlement. Ballade de la mauvaise réputation. Œuvres.
T. II, p. 295).
Un candélabre, tout couvert de fleurs ciselées, brûlait au fond, et cha-
cune de ses huit branches en or portait dans un calice de diamants "une
mèche de byssus.
(Flaubert. Salambô, VII, p. 127).
Le fond est jnoir, tout le meuble l'est. Vous verrez cela sur du palis-
sandre.
(Musset. Il ne faut jurer de rien. II, 1).
Et dès la veille Françoise avait envoyé cuire dans le four du boulanger,
protégé de mie de pain comme du marbre rose, ce qu'elle appelait du jambon
(le Nev-York.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. II, p. 19).
Donc c'est fait. Nous avons pris part à des batailles.
(Lyres Françaises. Ch. Moulié. Déclaration de Principes.
21 septembre 1914).
Elle avait, depuis trois mois, suivi avec une attention passionnée et une
assurance toujours croissante les phases saisissantes de la manœuvre qui
filait illustrer nos armes d'un éclat immortel.
(Anniversaire, in Le Petit Parisien (éditorial), 11 Nov. 1919).
une porte de chambre fraîchement peinte qui coquette au milieu des
moellons pilés.
(Roland Dorgelèq, Les Croix de Bois, ch. VII, p. 151).
et si par hasard les mains s'arrêtaient un instant d'expliquer et, de
convaincre, elles se plongeaient fiévreusement dans les barbes, pour aller y
chercher un pou ou une idée.
(Jérôme et Jean Tharaud. L'Ombre de la Croix, ch. 1).
Il est très important de remarquer que, quand le substantif nominal
transitoire est introduit par la préposition de, collatrice de rayon, lo5
articles du, de la, des, disparaissent, de sorte que, dans ce rayon,le
massif et lepluriel du transitoire ne comportent pas d'articles exem-
ples: :
son.superbe manteau.
Etoit d'une couleur de carpe,
Car d'écailles d'or émaillé
Et très artistement taillé
L'étoffe étoit toute couverte.
(Scarron. Le Virgile travesti. IV, p. 161, col. 1).
C'était le caillé du lait séparé de sa séiosité par la présure qui a réuni et
coagulé la partie caseuse et qu'on fait encore sécher à une chaleur douce,
après l'avoir fait pénétrer de sel marin.
(Dictionnaire portatif de cuisine, d'office et de distillation. s. v. Fromage,
Tome I, p. 281).
Laissez mitonner le tout'jusqu'à ce que la sauce soit courte, et servez-la
pour grosse entrée qu'on garnit, ou de persil frit, ou de marinade de pou-
let.
(Ibid. Svo Longe de bœuf, p. 369).
Le fond était une mosaïque de cercles, de carrés et de losanges à formes
massives, remplis d'ornements en feuillage dans le style roman.
(J. Trousset. Nouveau Dictionnaire encyclopédique Svo Verre. T. V, p. 601 ;
col. 1).
On distingue : ; 1° les cataplasmes émollients, faits avec de l'eau chaude
et de la farine de lin (bien fraîche), de la farine de seigle ou d'orge ou Ides
feuilles de mauve cuite
;
20 les cataplasmes maluratifs, composés d'oseille

sée de 50 à 60 gouttes de laudanum ;


cuite, de crème, de savon blanc et de miel 30 les cataplasmes narcotiques
composés de farine de lin délayée avec un" forte décoction de pavot ou arro-
4° les cataplasmes antiseptiques,
composés de farine de lin, de quinquina pulvérisé, de camphre en poudre,
ou arrosés de liqueur Labarraque.
(Ibid. Syo. Cataplasme. T. I, p. 740, col. 2 et 3).
Sous Ouroukagina, les dieux rentrent en possession de propriétés que
Lougalanda s'était attribuées pour lui-même et sa famille.
(L. Delaporte. La Mésopotamie. I, II, 2, p. 68).
Les murailles de la Porte d'Ishtar sont ornées d'animaux fantastiques.
dont neuf rangées se détachent en relief sur les briques de la construction.
(Ibid., I, III, 2, p. 213).
Les vases d'argile. sont parfois couverts de peinluie.
p.
(Ibid., 217).
Néanmoins, dans la parlure vulgaire, on voit quelquefois apparaître
l'article transitoire, conformément au sentiment linguistique, ex. :
: :r i :t t :,r]
Je voulais avoir l'avis de d'autres docteurs
[j vm1'è àvwà 1àv d4d6 dôk à
(Mme CZ, le 9 janvier 1923).
381. -.-:: Encore que la question de la collation sémantique de l'assiette
ne puisse pas se poser, pour l'assiette transitoire, sous la forme de con-
ditions définies à remplir, nous croyons intéressant de faire remarquer
que, là encore, le substantif nominal peut être en emploi abstrait ou en
emploi concret, car les possibilités de construction des phrases françaises
sont un peu différentes pour ces deux genres de substantifs nominaux
transitoires. Sujet, le substantif nominal transitoire, point de départ de
la phrase, se présente toujours sous son aspect le plus général possible.
C'est dire que, toutes les fois que le contexte ne comporte pas de cir-
constances limitatrices le substantif nominal transitoire sujet est
abstrait. On dira ainsi :
Un homme aime ses enfants.
Un soldat doit mourir pour sa patrie (1).
C'est seulement quand des circonstances limitatrices interviennent que
le sens concret peut apparaître. Ex. :
Un homme a quitté cette maison il y a une heure.
Un soldat siffla.
Car là, il est évident que d'avoir quitté cette maison il y a une heure
ne peut être un caractère s'appliquant à tout individu de l'espèce subs-
tantielle des hommes, non plus que d'avoir sifflé (surtout de la façon
essentiellement concrète qu'exprime le tiroir « je sifflai ») ne peut être
un caractère de tous les soldats possibles. Le substantif nominal tran-
sitoire ne désigne donc ici qu'un individu concret, point encore défini,
c'est vrai, par autre chose que par son appartenance à l'espèce dont il
porte le nom, mais recevant déjà dans la phrase un commencement de
définitude en tant que. sujet de l'action énoncée, ce qui permettra, ulté-
rieurement, de lui donner éventuellement l'assiette présentatoire ou
l'assiette notoire (cf. supra § 365).
Objet, le substantif nominal transitoire n'apparaît le plus souvent que
comme concret.
382. — Nous avons vu le substantif nominal recevoir, au moyen de
la collation formelle d'assiette par un adjectif strumental asseyant, une
pleine substantivosité. Un des caractères du substantif en ipsivalence
est de recevoir des épipléromes circonjacents. Il semble que le substantif
non substantiveux ne possède pareille capacité que" de manière beau-
coup plus limitée.
« Dans l'usage présent de notre langue »
dit Lancelot (1) on ne doit
« point mettre qui après un nom commun, s'il n'est déterminé par un

« article, ou par quelque autre chose qui ne le détermine pas moins que

« ne le feroit un article. »
Cette remarque conserve toute sa valeur pour la langue de nos jours.
Ex. :

Le « programme
absente, de la
» d'octobre 1921 remplaçait
doctrine, qui était incertaine, par
la précision, qui était
la richesse, qui était abon-
dante, des formules, qui étaient obscures. :
(Le Temps, 23 mars 1922, p. 1, col. 2).

§ 381. (1) Pour que le sujet puisse avoir, dans de pareilles phrases, le sens concret,
il faut en général recourir à une tournure que nous aurons à étudier plus loin, le
'.tour impersonnel, ex.:
Il y a un homme qui aime ses enfants :
Il y a un soldat aui doit mourir pour sa patrie.
§ 382. (1) Grammaire générale de Port-Royal. II, 11.
Cependant, selon la remarque du même auteur, il y a un certain
nombre de cas qui paraissent contredire cette loi. Un des principaux
est celui des constructions dans lesquelles entrent des forclusifs :
« Dans les propositions négatives » dit à ce sujet la Grammaire de
Port-Royal (2), « les termes sur lesquels tombe la négation, sont déter-
« minez à estre
pris generalement par la négation tnesme, dont le

« ment avec l'article :


« propre est de tout oster ; c'est la raison pourquoy on dit affirmative.
il a de l'argent, du coeur, de la charité, de l'ambi-
« tion ; et négativement sans article, il n'a point d'argent, de cœur,

« de parler ne sont pas contraires à la règle :


« de charité, d'ambition. Et c'est ce qui montre aussi que ces façons
Il n'y a point d'injustice
« qu'il ne commette. Il n'y a homme qui sache cela. Ny mesme celle-

:
« cy, Est-il ville
dans le Royaume qui soit plus obéissante ? Parce que
« l'affirmation avec un interrogant se réduit dans le sens à une néga-
« tion. Il n'y a point de ville qui soit plus obéissante. »
Par cette intéressante remarque, la Grammaire de Port-Royal pose la
question de savoir si, en dehors des degrés d'assiette que nous avons

phrase
examinés précédemment, et qui étaient formellement donnés par des
articles, il n'y aurait pas quelque autre manière d'asseoir un substantif
nominal.
Or, si nous considérons la
« Un événement dont on n'a jamais donné d'explication » (cf. § 298),
nous apercevons en effet là un substantif figurant dans un rôle substan-
tiveux évident, mais virtuel, car il ue s'agit plus d'un quantum subs-
tantiel effectif, même quelconque, comme dans l'assiette transitoire,
mais d'une espèce substantielle abstraitement considérée comme étant
matière possible à prélèvement de quanta substantiels. L'assiette d'un
substantif nominal réalisant cette situation sémantique s'appelle
l'assiette illusoire. L'examen de la langue nous montre que les subs-
tantifs nominaux en assiette illusoire ne sont ordinairement pas repré-
sentés dans le discours ultérieur par des substantifs strumentaux ; mais,

:
encore que ce caractère différencie l'assiette illusoire des trois autres
assiettes, il n'est pas pour nous étonner en effet, le substantif strumen-
tal ne peut représenter qu'un quantum substantiel, et l'assiette illusoire
n'en a prélevé aucun sur l'espèce substantielle à laquelle elle a été
appliquée.
383. — Deux modes de collation formelle sont à envisager pour
l'assiette illusoire:
1° — L'articulation au moyen du stiument de ;
2° — L'absence de tout article.
Nous aurons l'occasion par la suite, dans l'étude de l'épinglement des
adjectifs aux substantifs et dans l'étude des struments collateurs de
quantité, de voir la préposition de jouer un rôle demi-articulaire con-
sistant soit à se placer avant un adjectif nominal que sa construction
(2)Ibid.
coalescente engageait dans un rôle quasi strumental (de bon vin, de
belles femmes, cf. §§ 490 et 530), soit, à se placer après un strument
contenant une indication de quantité, pour le relier, grâce à sa force
transitive, à un substantif et lui permettre ainsi de l'articuler (beaucoup
de monde, beaucoup d'enfants, cf. Livre VI).
C'est ce renfort demi-articulaire de de qui permet l'établissement du
premier mode de collation formelle de l'assiette illusoire.
En effet, si nous considérons les articles complexes comme a), beau--
coup de, peu de, moins de, etc. b), de bon, de grand, et. c) pas de,
jamais de, ne. plus de, etc., nous voyons que, tandis que dans les
groupes a) et b) la présence du strument réel de quantité ou de l'adjec-
tif nominal catathète fait de l'article complexe un agent d'assiette transi-
toire, dans le groupe c) au contraire, où à de ne s'allie qu'un strument

:
forclusif (1) la valeur résultante de l'article complexe est de donner
l'assiette illusoire. Exemples
Dans une heure, je n'aurai plus de fille.
(Labiche. Les Trente-sept sous de M. Montaudoin, Se. 1).
Il ne se fera jamais de confusions ni de mélanges entre ces personnalités
différentes.
(M. Maeterlinck. L'Hôte inconnu. La Psychométrie, VII, p. 66).
Et quand je dis deuxième, je ne compte pas d'entresol.
(M. P. Le 26 janvier 1923).
Il est évident que si, substituant, dans cet exemple,, le à de, on passe
de l'illusoire au notoire, on obtient un sens tout différent. Si entresol
est illusoire, on ne conçoit aucun étage comme un entresol et, par con-
séquent, il s'agit de l'étage auquel on accède par deux volées d'escalier.
Si, au contraire, entresol est notoire, c'est que l'entresol, quoiqu'on ne
l'ait pas compté dans la numération, existe et qu'on dénomme comme
(i deuxième étage » celui auquel on accède par trois volées d'escalier.
Sur un effet du même genre obtenu avec compter, cf. :

« Que de coquins dans notre ville,


Monsieur Harpin, sans vous compter 1
— Morbleu 1 cessez de plaisanter,
Un railleur m'échauffe la bile.

Déridez ce front mécontent
Que de coquins dans notre ville,
:
Eh bien, soit, je change de style,

Monsieur Ha:rjpin., en vous comptant 1»


(Epigramme (2).
384. - Ces faits nous conduisent par une pente presque insensible
à ceux dans lesquels de, article de l'assiette illusoire, n'est plus direc.
tement lié au strument forclusif, et à ceux dans lesquels il n'y a mêm(
plus de forclusif. Il faut d'ailleurs remarquer que, même en l'absence
du forclusif, l'atmosphère forclusive persiste, c'est-à-dire que les stru

(1) Cf. Livre II, chap. VII.


(2) Nous.. ne connaissons pas
Par tradition orale.
1
l'auteur de cette pièce, laquelle nous a été transmise
ments qu'on pourrait avoir à ajouter à la phrase prendraient, toutes les
fois qu'ils en seraient susceptibles, la forme forclusive. Exemples :
Je les ai écrites sans faire de brouillons.
(Nicolas Boileau. Lettre à Racine du 9 avril 1692).

probabilité ;
Voilà comment les opinions s'élèvent peu à peu jusqu'au comble de la
car vous y avez porté celle-ci, en la permettant enfin sans au-
cune distinction de spéculation ni de pratique.
(Pascal. Lettres écrites à un provincial. XIIIe lettre).
Oûy, je n'ay qu'elle de fille.
(Molière. Le Médecin Mlalgré-tuy. II, 4).
Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nostres,
Et ne croyons le mal que quand il est venu.
(La Fontaine. Fables choisies. I, 8. L'Hirondelle et les PetitsOyseaux).
Mon père n'avait d'enfant que moi.
(Chanson populaire. Sautez, mignonne, Cécilia).
Dans les trois derniers exemples, l'atmosphère forclusive est créée par
la tournure uniceptive ne. que. Pour la présence du forclusif dans de
pareils tours, cf. :
Et n'ont jamais versé que le sang des victpmes ?
(Racine. Athalie. I, 2).
Pour de conseil, je n'en pus jamais tirer.
(Saint-Simon. Mémoires, Tome III, ch. XIX, p. 233).
L'abbé Chaperon disputait avec sa servante sur sa dépense avec plus de
rigueur que Gobseck avec la sienne, si toutefois ce fameux juif a jamais eu
de servante.
(H. de Balzac. Ursule girouët, Tome V, p .22).
A celle de guerrier, il ajouterait celle de négociateur, et il serait le seul
général de la république qui aurait réuni les deux, car il n'en était encore
aucun qui eût signé de traités.
(A. Thiers. Histoire de la Révolution française. Livre XXXVIII, tome II,
p. 611, col. 2).
Je ne verrai plus sourire de garçons de café.
(Anatole France. Jocaste. I, p. 6).

-
Un garçon ouvrit en bâillant, et sans attendre de question
Ya lecinq, qu'est libre.
:
(P.-J. Toulet. Béhanzigue, p. 19. Eulalie l'entauleuse).
Atmosphère exclusivecréée par sans, cf. plus haut l'exemple de Boileau.
Mais la joie chrétienne admet malaisément d'autre forme dejoie que ia

,.
sienne.
(A. Gide. Prétextes. Lettre à Angèle).
Malaisément, par son sémantisme, attire ici l'assiette illusoire.
Il ne songeait pas à assumer d'airs prétentieux ni supérieurs.
(L. Hémon. Maria Chapdelaine. V, p. 67).
à d. qu'en
c'est-à-dire , fin d
fi de compte il'1 n'en assumait pas. 1
i

Il y a ceux qui ne cherchent pas à créer d'illusions.


(L Barthou. Le Politique. II, 2, p. 52).
Il n'arrive pas à se procurer de chameaux.
(J .-M. Carré. La vie aventureuse de Jean-Arthur Rimbaud, 2* partie, ch.
VI, p. 197).
4
Ces deux derniers exemples sont parallèles à celui de Hémon.
les sondages d'essai, méthodiquement préparés, donnaient rarement de
mécomptes.
(A. Jardé. La formation du peuple grec, p. 51).

;•
Annie, je ne l'ai jamais vue avec de col. [àvèkdùekfclj
(Mme A, le 26 septembre 1912).

mp i:siè1àdbn, ê:tn6:)
Je ne sais même pas si elle a de bonne, maintenant, (j de n s é m è :
m
(Mme A, le 26 avril 1920).
Je ne crois pas que cela ait de rapport avec la morsure.
(M. AA, le 11 juin 1920).
En réalité, au bal de l'Internat, je n'ai pas fait connaissance avec
de poule.

: (M. DA, le 5 mars 1924) (1).


c'est-à-dire je n'ai fait connaissance avec aucune poule.
;
Monsieur Boutelier s'en va comme une flèche il ne s'imagine pas qu'il
faut de bons.

La parlûre normale dirait :


(Mlle AI., infirmière, le 15 janvier 1922).
« Il ne
s'imagine pas qu'il failledes

marque :
bons. » Mais le tour populaire ici rapporté a bienplus de finesse car il
1°que les bons n'existent pas valablement puisque l'interne
ne les a pas signés (assiette illusoire de de bons) , 2° qu'il en faut véri-
Itablement (emploi de l'indicatif faut. — Sur la liberté du mœuf en
subordonnée, voir livre Y).
Il y a rarement alors de chute.
(M. BL., le 8 mars 1923).
Exemple similaire de celui de M.Jardé.
Comme çà, je n'ai pas peur d'avoird'ennuis.

Ce fleuriste eût pu dire :


(Un fleuriste ambulant, rue Gay-Lussac, le 18 janvier 1920).
Je n'ai pas peur d'avoir aucun ennui.

385. — On trouve quelquefois l'assiette illusoire à marque de dans


des phrases où il n'y a pas de forclusif, mais un discordantiel, telles
par exemple que :
Avant qu'il ne m'ait donné d'explication.
Mais il semble que de pareils emplois de l'assiette illusoire ne soient
possibles que quand au discordantiel peut s'ajouter un forclusif sans
que le sens en soit gravement altéré.
386. — En somme, l'assiette illusoire introduite par de, tout en ayant
une construction très rapprochée de l'assiette transitoire conférée par
de reliant un strument de quantité à un substantif ne constitue cepen-

(1) rapprocher de l'anecdote à nous contûo par M. AB., qui avait entendu, en 1876.
A
au coin de la rue des Martyrs et de la rue de Navarin, une jeunte femme s'excla-
mer:
« Oh ! moi, tu sais, j'en ai tant couché avec d'hommes ! »
dant pas un cas particulier de cette dernière. Elle s'en distingue en ce
que de{n'est pas forcément rapporté à un antécédent strumental, ainsi

: ; :»
qu'il appert des cas où le de ne saurait être joint directement au terme
qui exprime forclusion on peut dire « sans faire de faute »,
n'existepas de tour * « sans de faute : de même c'est quelquefois le
et il
sémième du verbeprincipal ou de la dianadote de son soutien qui crée
l'atmosphère forclusive et permet l'apparition de l'assiette illusoire il
-en est de même dans le cas signalé plus haut, où l'assiette illusoire se
;
manifeste dans l'atmosphère discordantielle au lieu de le faire dans la
Il
forclusive. y a donc là deux emplois très proches de de, mais non
deux formations identiques.
Grâce à l'extrême souplesse de la langue française, l'assiette transitoire

:
n'est d'ailleurs nullement exclue d'emplois similaires. Mais alors, le
sens est différent la substance dont on nie la présence actuelle n'en
Dit-on:
est pas moins conçue comme répondant à une réalité.
je n'ai pas de chapeau bleu, le substantif nominal illusoire

;
fait corps avec le forclusif ; la substance est absorbée par la forclusion
du strument sur l'espèce substantielle chapeau bleu, aucun prélève-
ment n'a été opéré, aucun quantum substantiel de chapeau bleu n'est
envisagé. Au contraire, je n'ai pas un chapeau bleu, phrase beaucoup

; :
plus rare, mais qui a ses indications propres, signifiera, quand elle appa-
raîtra dans la conversation, que le chapeau que j'ai (au sens que je

:
porte) n'est pas bleu ou bien qu'aucun des chapeaux que j'ai (au
sens que je possède) n'est bleu. Et encore faudrait-il distinguer, dans
:
l'emploi du transitoire, deux cas le cas sans liaison de [p a :] à [œ :];
qui est la négation de J'ai un chapeau bleu et qui, par conséquent,
exprime plutôt que le chapeau que j'ai sur la tête n'est pas bleu le
:
cas avec liaison [p à z œ :] qui crée un article complexe et qui par
;
conséquent exprime que pas un de tous les chapeaux que je possède
n'est bleu.
De même, le Fabuliste a écrit:
Il n'avoit pas des outils à revendre.
(La Fontaine. Fables Choisies. \, 1. Le Bûcheron et Mercure).
La négation porte ici sur l'article des. - Avoir des outils à revendre,

;
c'est en avoir beaucoup, en avoir en quantité commerciale. Le bûche-
;
ron n'en avait pas en pareille quantité c'est la quantitude qui doit être
nîée aussi est-il nécessaire que l'article qui l'exprime soit maintenu

:
auprès du forclusif, puisque c'est sur lui que la valeur sémantique de ce
forclusif doit tomber. Au contraire, si La Fontaine avait écrit le bû-
cheron n'avait pas d'outils .à revendre, lai négation n'eût pas été spé-
cilalement orientée vers la quantité ;; cela aurait simplement signifié
que le bûcheron n'avait en réalité aucun outil qu'il pût revendre et
peut-être aucun du tout.
;<• * Je ne vous feray point des reproches frivoles.
(Racine. Bajazet, V, 4).
L'abbé d'Olivet commente ainsi cet exemple (1) :

«
« Voilà ce que portent les anciennes et bonnes éditions de Racine
Roxane veut-elle dire à Bazajet qu'elle ne lui fera nul reproche, de
;
«quelque espèce que ce puisse être P Point du tout. Au contraire, elle
«lui en fait d'un bout à l'autre de cette scène, mais qui ne sont pas
«frivoles. Observons la différence qu'il y a entre de simple préposition
«et des article particulé, c'est-à-dire qui renferme une particule, et ici
« par
conséquent signifiede les, comme si l'on disait de ceux qui, etc.
wRoxane a donc très bien dit, je ne vous ferai point des reproches fri-
«voles, parce qu'elle a voulu dire, de ces reproches qui ne seraient que
«frivoles. Quand il s'agit d'un auteur tel que Racine, son vrai texte
«doit être scrupuleusement représenté sans la moindre altération ».

:
387. — Quant à l'assiette illusoire sans aucun article, elle peut appa-

1° Au repère :
raître dans les genres de constructions suivantes

Il n'en rev'iendroit morceau.


(La Fontaine. Fables Choisies, V, 2. Le pot de terre et le pot de fer).
Il n'est teste chauve qui tienne.
(Id. ibid., I, 17. L'homme entre deux âges et ses deux maîtresses).
Il y a longtemps, Monsieur, que lettre ne m'a fait tant de plaisir que celle
<1ont vous m'avez honoré, du 15e de ce mois.
(Vauban. Lettre à Puyzieulx. 11 avril 1702).
Jamais ifemme, je crois, ne laissa voir un si magnifique mépris du
succès.
(A. France. La vie littéraire. 46 série, p. 144. Judiith Gautier).
2° A l'ayance, à condition qu'elle soit accompagnée d'un sien com-
plément. Ex. :
Depuis n'eu joye, depuis n'eu plaisir, depuis n'eu bien, ne depuis n'eu
liesse, ne chose en ce monde qui peust pour rien me réconforter mon très
maleureux et habandonné cueur.
- (Beauveau. Le livre de Troïlus, p. 119).
et nous asseure pour tousjours que vous ne sçauriez demander chose
qui ne me pleust.
(Le Romant de Jehan de Paris, p. 123).
Il n'est jamais party de moi chose qui me contentast.
(Montaigne. Essais. II, 17. TomeJoIl, p. 30).
Je ne sçache marque qui porte plus hault le nom de son crédit.
(Ibid., 24, p. 77).
Ils ne sçauroient manger morceau qui leur profite.
(La Fontaine. Fables choisies. 11, 14. Le Lièvre et les Grenouilles).
ne.
:
Après le que de l'expression restrictive que (1) l'ayance peut être
en assiette illusoire sans article même si elle n'a pas de complément.
Exemples
»

§ 386. (1) Abbé d'Olivet. Remarques sur Racine. XLIV, p. 224.


§387.(1)V.infra.L.VI.
On ne voyoit que gens à qui on n'avoit jamais ouï proférer son nom qui
se vantoient de son amitié.
(Saint-Simon. Mémoires, T. III, ch. XII, p. 152).
Cette forêt épaisse n'est, pour ainsi dire, qu'amour.
(Voisenon. Contes. Aphanol et Bellanire, p. 260).
hélas, l'hymen aussi n'est qu'une loi de peine,
Il n'apporte, dit-on, qu'ennuis et que douleurs.
(A. Chénier. Bucoliques. L'Oaristys, p. 6).
Mais dès que j'ai goûté le vin opime que tu nous verses abondamment,
généreux Lucius, je ne rêve que luttes civiles et combats héroïques.
(A. France. Thaïs, p. 183).
Jamais une plus complète absence de recherche extérieure, n'avait permis
encore recherche d'union plus intime des mots. avec l'émotion, des sensa-
tions elles-mêmes. On n'imagine pas beauté plus fièrement déparée de tout
fard.
(A. Gide. Prétextes. Lettres à Anerèle. D. 13V
- 1"'- --
les spirilles peuvent en effet se développer dans le tube digestif sans
y jeter grand trouble.
(H. Vanheuverswyn. L'Association spirillaire au cours des dysenteries.
Thèse de Paris, 1924, p. 12).
Grand joue presque ici le rôle d'un article illusoire. Cf. supra, § 251.
2* p.
Malgré son caractère archaïque, cette tournure de l'assiette illusoire
sans article a néanmoins une importance capitale, car elle est la source

vive.
de la plupart de nos struments forclusifs : pas, point, personne. rien,
et des locutions toutes faites qui les remplacent quelquefois, et que nous
appelons forclusifs occasionnels (2). Ex. : Je n'ai rencontré âme qui

3° A l'écart (cf. § 104) dans les mêmes conditions.


Car rois ne se doit pas mesfère
Por chose c'on li sache fère.
(Rutebœuf. Le dit de Guillaume de Saint-Amor. 28. T. I, p 86).
Que malaysemcnt la puis je quitter pour passion que ce soit.
(Montaigne,tfssais. II, 17. Tome II, p. 54).
qui est une opinion si faulse, que je suis desplt qu'elle ayt jamais
peu entrer en l'entendement \d'homme qui eust cet honneur de porter le
nom de philosophe.
(Ibid. II, 16. T. II, p. 16).
Mais comme je leur (3) avois dit de ne point venir à mon dîner tant que
le roi seroit malade, je croyois qu'ils seroient assez habiles pour ne pas
jouer en lieu du monde par cet/te raison. On eut beau les chercher, on ne
les trouva pas. Je ne dormis point toute la nuit (4), et je fus levée dès sept
heures pour les envoyer chercher. Enfin, je sus qu'ils n'avoient été en lieu
du monde et que c'étoit une chose faussement inventée.
(Mémoires de Mademoiselle. T. III, p. 256).
J'avois la meilleure opinion du monde de ce traité, parce que M. le Car-
dinal, n'en avoit parlé à âme qui vive.
(Ibid. T. III, p. 219).
(2) V. infra Livre VI.


(3) Aux violons de Mademoiselle.
(4) Entendez - -
de ------
-- -
---- ---
toute la nuit.» 1
S'il me prend jamajis envie
De retourner de ma vie
A ballet ni comédie 4

Je veux bien qu'on m'estropie.


(Molière. Le Bourgeois Gentilhomme. V. Entrée I).
Il s'en prit à tout le monde, et vint de dépit se loger en ce château
écarté, pour ne plus entendre parler de femme de sa vie.
(La Fontaine. La coupe enchantée. Scène V).
remarquer qu'ici de est collateur de rayon et non article illusoire.
Quand il est introduit par sans, nous pensons qu'il faut admettre que
à
l'écart est toujours l'assiette illusoire et non en clausule étanche, car
il peut recevoir tous compléments quel'on veut, d'une façon absolu-
ment libre (5), contrairement à ce qui se passe avec les autres préposi-
tions. Ex. :
« Me
voici désemparé, désaxé, sans espoir qui me soutienne. M Cf :
« avec un
espoir qui me soutient ».
Ce cas est superposable à ceux d'assiette illusoire introduite par de.
n s'agit ici en effet d'une atmosphère forclusive (cf. sans rien, sans
nncnn espoir). D'ailleurs dès que le substantif nominal introduit par
sans en est matériellement séparé, l'article illusoire de se montre auto-
matiquement. Ex. :
Je l'ai vu souvent venir à Sarcelles, sans même de bonne.
(Mme A, le 20 juin 1921).
4° En toutes fonctions, précédé de ni, ex. :
Onques puis ne porta ne gris, ne vair, ne escarlatle, ne estriers,ne espe-
rons dorez.
(Joinville. Histoire de saint Louis, 667).
Elle n'a ny parens, ny support, ny richesse.
(Molière. L'Escole des Femmes. III, 5).
Même remarque que pour sans. Témoin cet exemple
Les urines ne contenaient ni albumine, ni sucre, ni pigments [biliaires,
ni m'ême d'urobiline.
(Louis Ramond. Les Cancers du Foie, in Conférences de clinique médi-
cale pratique. T. I, p. 167).

388. - Il faut peut-être considérer aussi comme étant à l'assiette


illusoire les substantifs placés soit dans un contexte qui, sans présenter
à proprement parler de caractère forclusif, comporte quelque chose de

vague ou de douteux, soit dans des conditions où leur valeur substan-


ce n'a pas besoin d'apparaître avec netteté.
C'est le cas des énumérations, tournures ambiantes (cf. § 110), où la
Partie sémiématique commune des différents substantifs (se. la repré-
sentation d'une substance) empêche qu'on ne se trompe sur leur carac-
tère logique, ex.
:

(5)
doute,ex.:
Excepté pour quelques locutions toutes faites dont la principale est sans

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.


(La Fontaine. Fables choisies. T. 2. Le Corbeau et le Renard).
Ouy, mais les feux qu'il jette en sortant de prison
Auroient en un instant embrasé la maison,
Dévoré tout à l'heure ardoises et goutières,
Faistes, lates, chevrons, montans, courbes, filières.
Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux,
Parnes, soles, appuis, jambages, traveteaux,
Portés, grilles, verroux, serrures, tuilles, pierre,
Plomb, fer, pIastre, ciment, peinture, marbre, verre,
Caves, puys, cours, perrons, salles, chambres, greniers,
Offices, cabinets, terrasses, escaliers.
(Corneille. L'Illusion Comique. III, 4).
Femmes, Moine, vieillards, tout estoit descendu.
(La Fontaine. Fables choisies. VII, 8. Le Coche et la Mouche).
Zouaves, tirailleurs algériens, tirailleurs marocains, Sénégalais, chasseurs
d'Afrique, spahis, goumiers, ils ont toujours été magnifiques.
(Capitaine Z. L'armée de la guerre, p. 155).
Règles, crayons et fusains étaient rassemblés au râtelier de becs métalli-
ques fichés dans la paroi du bois.
(R. Boylesve. L'Enfant à la balustrade. II, 1).
Puis ils les dépeçaient avec couteauic et scies.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 58).
Pommier, cabane et le bonheur des Flor faisaient des envieux.
(Armand Lunel. L'Imagerie du Cordier. I, p. 15).
Dans ce dernier exemple, « pommier, cabane » forment une énuméra-
tion à côté de laquelle est posé « le bonheur des Flor ». Il s'agit très
probablement, dans le sentiment linguistique de l'auteur, de deux touts
distincts, et le second de ces touts, n'étant pas une énumération, prend
l'article en vertu de la loi générale.
C'est aussi comme illusoires qu'il faut considérer les substantifs de
certaines locutions proverbiales ne ressortissent pas à l'explication par
personnification des substantifs (cf. § 370) et où la qualité contenue
dans le substantif est plus importante pour l'expression que la substance
elle-même, ex. :
car la bêtise y prospère comme crapauds en mare.
(R. Benjamin. Gaspard, p. 218).
C'est encore le cas de tournures où la substantivosité, peu mise en

» nécessairement dans tout substantif :


relief, peut être simplement représentée soit par la blocalité contenue

et faisoit craqueter un fouet, aussi bien que charretier de France.


(Montaigne. Essais. I, 22. T. I, p. 79).
Ceux qui firent faire le testament n'osèrent pas exclure la reine et ne
voulurent pas s'y mettre pour éviter jalousie.
(Saint-Simon. Mémoires. T. II, ch. XI, p. 132).
La nature entière se reflétait ainsi dans les consciences primitives en
divinités encore inconnues.
(Renan. Etudes d'histoire religieuse. Les religions de l'Antiquité, p. 16).
soit par quelque marque plus ou moins explicite de la notion de mesure
(assiette illusoire quantitative), ex. :
J'ay apperceu qu'aux bleceures et maladies, le parler m'esmeut et m8
nuit, autant que desordre que je face.
(Montaigne. Essais. III. 13. T. II, p. 480).
de voir durer leur union jusqu'à leur mort après avoir été longues
..,
(( 0iiiiées on ne sauroit plus mal ensemble.

:
La préposition de peut encore ici jouer un rôle
unc différence
entre un tour comme
:
(Saint-Simon. Mémoires. Tome II, chap. 34).
il y a certainement
une boîte de bonbons et une boîte
à bonbons, la
réalité des bonbons étant posée comme actuelle dans le
premier cas, et seulement comme possible dans le second, bien que les
groupes de bonbons et à bonbons soient l'un et l'autre des convalents
adjtctiveux. Nous sommes donc, dans des tournures de ce genre, à la
limite extrême de la substantivosité et il y a là un passage insensible de
la sufférence à la iion-sufférence (cf. § 111), c'est-à-dire de la substan-
tivosité et à la non-substantivosité.

389. — Voilà terminé l'exposé du système sémantique répartitoriel


d'assiette tel qu'il existe dans la langue française de nos jours. Nous
n'avons jusqu'ici, dans le présent chapitre, eu pour but que de saisir la
notion logique intime d'assiette telle qu'elle existe et fonctionne dans
l'esprit du locuteur français
des
de
notre temps. Si nous avons déjà allégué
exemples des siècles antérieurs, ç'a été seulement en tant qu'ils
témoignaient de l'existence, dès leurs époques respectives, de mécanis-
mes linguistiques ayant duré jusqu'à nos jours.
Nous nous sommes ainsi convaincus qu'il existait, en français de nos
jours, pour le substantif nominal, un répartitoire très homogène, l'as-
siette ayant pour rôle de parfaire la substantivosité du substantif nomi-
nal en posant les conditions régissant le prélèvement, sur une espèce
substantielle, du quantum de substance appelé à jouer un rôle dans la
[phrase. Ou bien l'espèce substantielle est conçue simplement comme le
lieu d'un prélèvement possible (assiette illusoire), on bien ce prélè-
vement a lieu. Dans ce second cas, ou bien le quantum substantiel, con-
nu eu quantitude, n'est pas autrement défini (assiette transitoire) ;
ou bien, il est défini, soit au moyen d'un repérage imparfait et concret
(assiette prèsentataire), soit par une détermination rigoureuse et par-
faite (assiette notoire).
Mais comment la langue française a-t-elle pu constituer historique-
ment ce répartitoire avec les matériaux dont elle disposait?
390.
— La place de plus en plus importante qu'a pris le complément
substantif dans le plan délocutoire a assuré le développement toujours
plus grand de la notion de substance, à tel point
que l'on peut dire
Maintenant que les substances, exprimées par les substantifs, ont, dans
tinc phrase délocutoire, un intérêt égal à celui du phénomène exprimé
par le factif. C'est de cela qu'est née la nécessité croissante dans le déve-
loppement de la laugge, de la précision toujours plus grande à donner
au substantif. Dans le stade linguistique où le factif était entouré de
substantifs mal dégagés de leur nature affonctivale primitive,
— nous
^ons vu que c'était encore là l'état d'une langue aussi développée que
le latin,
— peu importait que la substance fût aperçue d'une manière
:
un peu vague elle n'était qu'un accessoire destiné à préciser exactement
le factif ; c'était le factif lui-même qui, par contre-coup, donnait
au
substantif la détermination nécessaire à la pensée. Cette détermination
par le factif, qui est celle employée chaque fois que c'est le contexte
qui précise le sens d'un membre particulier de la proposition, et qui
n'a pas de caractère taxiématique, contient toujours quelquechose de
vague : c'est arbitrairement, avec les habitudes propres à notre langue
que nous donnons, quand nous traduisons du latin, aux substantifs de
cette langue une détermination formelle qu'ils ne pouvaient pas avoir
dans l'esprit de ceux qui pensaient dans cette langue.
Maintenant qu'il va de pair avec son régent, le substantif doit rece-
voir des précisions en dehors detoute intervention du factif. C'est à cotte
nécessité que répond le répartitoire d'assiette.
Mais le répartitoire d'assiette, dont les articles sont le mode d'expres.
sion, ne s'étant constitué qu'avec et. par la langue française, au cours

arrivé du premier coup à ses précision et cohérence actuelles d'autre


part que, dans les nombreux exemples archaïques où l'article manque
;
du développement de celle-ci, il est évident d'une part qu'il n'est pas

en des places où nous le mettrions aujourd'hui, il est un peu arbitraire


de décider quel article il faut suppléer, car il n'y a à vrai dire pas lieu
de supposer dans l'esprit de l'auteur une physe donnée d'un répartitoire
alors point ou mal constitué. Néanmoins, il y a pour nous un intérêt à
aller chercher dans les différentes sortes de ces tours anciens les racines
sémantiques de notre répartitoire actuel.
391. — L'article notoire paraît avoir pris naissance, en tant que
strument collateur d'assiette, dans le domaine de la notoriété occasion-
nelle. Dans ce domaine, en effet, les plus anciens monuments de la
langue nous le montrent déjà d'une manière à peu près constante. Dans
la notoriété occasionnelle, c'est l'épinglement même de l'article au subs-
tantif nominal* qui influe sur le sémantisme général de ce substantif
nominal; l'article n'y est pas à proprement parler une simple marque
d'assiette; il contribue là la collation sémantique de 1"assiette par son
sens même, resté plus plein, plus près du sens démonstratif de ille que
partout ailleurs. C'est probablement dans la notoriété occasionnelle que
l'article notoire a fait sa première apparition. « En tout premier lieu »,
dit M. Meyer-Lübke (1), « des noms d'objets qui se rencontrent en grand
quel-
« nombre d'exemplaires, se sont attachés ille lorsqu'en exprimant
« que chose à propos de l'un d'entre eux, on désirait attirer
l'attention
« sur lui, qu'on voulait le faire ressortir comme connu parmi les autres
« individus semblables et qu'il était de cette manière
individualisé vis-
à-vis de ceux-ci. Naturellement, l'observation peut également s'appli-
«
quer à plusieurs individus, de sorte donc que le singulier et le pluriel
«
« de la forme déterminée sont également anciens ».

III,
(1) Meyer-Lübke. Grammaire des langues romanes. Trad. française, Tome
S 142.
Cc sens démonstratif originel de l'article notoire nous explique que
]esubstantif nominal articulé par lui n'ait pas toujours été, dans les
périodes archaïques de notre langue, déterminé sémantiquement de la
façon rigoureuse dont nous avons vu qu'il l'est aujourd'hui. De cette
indétermination relative, la langue contemporaine a conservé quelques
traces, mais ce n'est que dans les cas particuliers ci-dessous :
langue actuelle. On dit encore couramment

:
:
1° La dénomination des parties du corps humain est sujette à des
emplois de l'article notoire n'appartenant plus au système général de la
J'ai mal à la jambe sans
ajouter gauche ni droite ,au lieu que la logique générale du parler de
J'ai mal à une jambe. Les positions actuel-
nos jours semblerait exiger

les suivantes :
les de ces deux tournures dans l'usage de maintenant, sont à notre avis,
le tour par le notoire est encore beaucoup plus fréquem-
ment employé, bien que le tour par le transitoire semble gagner

les constatations inattendues, mais purement objectives :


chaque jour du terrein. Le tour par le transitoire s'emploie surtout dans
« Je ne sais pas
ce que
est encore seul recevable, au contraire, dans les exclamations
j'ai mal à la jambe1 »
:
j'ai aujourd'hui : j'ai mal 'à une jambe »; le tour par le notoire
« Oh,

2° Il existe certaines locutions toutes faites, telles que n'avoir pas

plois actuels. Exemple :!


le sou, où l'article notoire se montre hors du cadre régulier de ses em-

Polisson dit le père en courroux,


Tu voudrais ma fille (bis),
Polisson1 dit le père en courroux,
Tu voudrais ma fille et tu n'as pas le sou.
(Paul Vitalis et Joseph Kelm. L'Père en Courroux, 1er copplet).

:
Ce qui prouve bien que l'article notoire n'est plus compris ici par le
génie français contemporain comme ayantune-valeur taxiématique et
ne se maintient que comme figé dans un ensemble usuel c'est que, (à
part peut-être pour le vocable rond déjà ancien) toutes les fois qu'à sou
se substitue quelque autre vocable à peu près équivalent, c'est-à-dire

transitoire qui se montre :


toutes les fois qu'on dissèque puis reconstruit la locution, c'est l'article
n'avoir pas un pêlaiid, n'avoir pas un radis.

écrivait
Cuispin.
Nérine.
encore
D'ailleurs il est constant que, même, certaines de ces locutions ont

:
été réduites à se plier à l'usage commun. On n'entend plus actuellement
dire que

--
ne pas dire un mot, alors qu'au XVIIIe siècle, Destouches

Interroge ton cœur, que dit-il P


Pas le mot.
- (Destouches. Le Curieux impertinent. Acte I,
sc. 3).
La notoriété générale et la notoriété spéciale n'ont au contraire admis
l'article d'une façon définitive et nécessaire que beaucoup plus tard.
La notoriété générale est peut-être le cas où la langue s'est le plus
volontiers et le plus longtemps passé de tout signe taxiématique :
Bons fut li siecles allena ancienor,
Quer feit i ert e justUe et OIROr, -' - ;
Si ert credance, dont or n'i at nul prot.
(La Vie Saint Alexis, 1).
Nature rit, si com moi semble,
Quant hic et hec joingnent ensemble.
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose. 22073).
Se tu as habondance de richesses, se tu as sagesse, se tu as noblesse et
toute perfection de corps, le seul orgueil, s'il est en toy, destruict toutes les
vertus.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré, chap. V).
Je doute Amour, et si je le desfie.
(Ronsard. Le Premier Livre des Amours, XII).
Et vous luy fait un beau sermon.
Pour l'exhorter à patience.
(La Fontaine. Fables choisies. III, 5. Le Renard et le Bouc).
Il semble que l'ancienne logique ait considéré un substantif pris dans
»
toute sa généralité comme un « nom propre (cf. infra, ch. VII, § 397).

bes et locutions proverbiales :


Cette absence d'article se produit encore de nos jours dans les prover-
« Contentement passe richesse », soit
qu'il y ait là une simple imitation des tours anciens ou même répétition
littérale des anciens proverbes, soit que l'imagination populaire ait con-
servé une puissance suffisante pour personnifier des entités abstrai.
tes (2).
Mais, conformément au principe général que nous avons déjà posé
au § 390, il y a toujoursquelquearbitraire à classer dans l'assiette
;
notoire les cas de substantifs acquérant un sens vaguement général sans
être accompagné d'articles c'est là en réalité un mécanisme antérieur à
l'achèvement de la construction du répartitoire d'assiette tel que nous
le connaissons aujourd'hui.
Il importe d'ailleurs de faire remarquer que, dans les emplois sans
article que le français contemporain a conservés, ni la notoriété ni la
généralité ne sont jamais parfaites. Un ouvrage intitulé Jeunesse (André
Picard), nous parle non pas de la jeunesse en général, mais d'un ou plu-
sieurs exemples particuliers, ou d'une tonalité générale, massive, ten-
dant plus ou moins ouvertement à nous suggérer une conclusion. Pour
le sujet traité en général, didactiquement, on mettrait : La Jeunesse (3).
L'article manque, de même souvent dans l'ancienne langue là où
l'usage actuel voudrait la notoriété spéciale.

(2) C'est à l'époque où la notoriété générale se passait facilement d'article tandis


que la notoriété spéciale en voulait ordinairement un que remonte la distinction
entre le cas général du désomptif, qui peut partir de n'importe quelle notoriété,
et le massif, qui ne se crée que quand la désomption p)art de la notoriété générale.
La facilité de la notoriété générale à se passer d'article nous explique que, connue
il a été dit au § 348, l'on ait d'une part toujours placé du devant le désomptif par
tant des notoriétés non générales. (Je mange du pain le plus cuit) tandis que ron

bon pain, ou du bon pain


que voilà.
; :
voit le massif revêtir successivement les trois formes pain, de pain, du pain.
Une trace de cette distinction existe encore .dans l'usage actuel, cf. J'ai mangé
mais toujours et seulement
d
j'ai mangé du bon pain
(3) Et le désomptif formel De la Jeunesse marquerait qu'il va bien s'agir (l,c
réflexions personnelles d'un caractère abstrait, mais qu'elles n'auront pas la prc'
tention d'épuiser le sujet.
Si Lodhuvigs sagrament que son fradre Karlo jurât, conservat.
(Les Serments de Strasbourg).
Il est escrit en l'anciene geste
Que Caries mandet humes de plusurs terres.

:
(Turold. La Chanson de Roland, 3743).
Travaille toi que tout vilain pechié soient osté de ta terre especialment
vileins seremens et heresie fai abatre à ton pooir.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, 753).
La même tournure s'est maintenue dans les proverbes :
Femme deshontée met son pain au four.
(Proverbe du xv° siècle. Leroux de Lincy. Le livre des Proverbes Fran-
çais. Série n° V).
Charité bien ordonnée commence par soi-même.
Mais il n'est pas certain que dans toutes ces expressions, une sorte de
pré-notoriétè ait autant existé dans l'esprit du locuteur que dans des cas
de non-articulation que nous avons relevés à propos de la notoriété géné-
rale. De fait, il est souvent difficile de décider ici quel est celui des deux
articles notoire ou transitoire qui doit être suppléé.
Si souvent l'article notoire manque dans des cas ressortissant aujour-
d'hui à la notoriété spéciale, inversement le substantif nominal en noto-

apte à des emplois qui lui sont aujourd'hui refusés. Exemple


Il s'escondil com li hom qui nel set.
:
riété spéciale et pourvu de son article était, dans l'ancienne langue,

(Saint Alexis. 65).


Il s'en défendit comme un homme, qui, en effet, n'en savait rien.
Exemple qui est loin d'être iisolé, mais répond au contraire à un type

:
d'emploi de le qui est très fréquent dans l'ancienne langue et qu'on
peut analyser comme suit dans l'espèce l'homme, l'homme qui ne sait
pas ce dont il s'agit forme une sous-espèce définissant une notoriété spé-
ciale. Mais, tandis que le français de nos jours ne donne de notoriété
qu'à cette sous-espèce conçue globalement, et veut le transitoire pour
chaque individu arbitrairement choisi sans autre condition dans cette
sous-espèce, le français de jadis admettait la conservation de la forme
notoire dans les comparaisons d'un individu concret avec un individu
abstrait quelconque de la sous-espèce. Cf. comme exemple de l'usage
moderne, les vers suivants :
Il luy falut à jeun retourner au logis
Honteux comme un Renard qu'une Poule auroit pris.
(La; Fontadne. Fables choisies et Mises en vers. I, 18. Le Renard et la
Cigogne).
De même, on voitl'article notoire apparaitre chez Rutebeuf, dans
:
l'exemple suivant, enun endroit où nous n'aurions guère l'idée de

149).
l'employer
Chevaliers i avoit teiz quatre 1
Qui seivent bien parler françois.
Li dui laissent parleir les deux.
(Rutebeuf. La Desputizons dou Croisii et dou Deseroizié. 25, T. I,
P.
c'est-à-dire « Deux d'entre eux laissent parler les deux autres ». Il faut
qu'il se soit agi, pour l'auteur, d'une détermination réciproque de cho.
que groupe de deux par l'autre groupe de deux dans l'ensemble des
quatre. Il serait, en tout cas, abusif de notre part de conclure au chaos
il
mental là où n'y avait peut-être qu'un répartitoire différent de celui
que nous concevons maintenant.
392. — L'article présentatoire aen lui-même une force démonstrative
telle qu'il n'a été considéré comme article au même titre que le notoire,
ou même quelle transitoire, quepar un petit nombre de grammairiens.
Il est difficile dans les tournures anciennes sans article, là où nos habi-
tudes actuelles nous conduisent à en suppléer un en traduisant la pensée
ancienne, de croire avoir affaire à une « suppression » de l'article pré-
sentatoire. Cependant, si nous considérons ce passage :
Après ce que li sermons fu faillis,Iji roys et sui frere en reporterent le
saint cors en l'esglise par l'aide de lour lignaige, que il durent' faire,
honnour.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, 765),
nous serons tentés d'interpréter avec Natalis de Wailly (1) :
« Après que le sermon fut fini, le roi et ses frères remportèrent je,
saint corps dans l'église, avec l'aide de leur lignage, à qui ils durent
faire cet honneur ».
De même, dans cet autre passage :
De fait, quand on aura bien regardé de près, qui sont ceux qui nous
amènent cette astrologie erratique, sinon ou gens outrecuidés ou des esprits
extravagants, qui ne savent à quoi perdre leur ébat, ou de quoi deviser ?
comme sont protonotaires damereaux, ou autres muguets et mignons de
cour.
(Calvin. Traité contre l'astrologie judiciaire, p. 134).
il aurait été bien conforme à l'esprit de l'ancienne langue de dire ces
protonotaires damereaux ; mais on doit penser que si l'auteur ne l'a pas
fait, c'est que son idée était autre.
Voici encore une phrase où aucun article n'est employé là où nous
mettrions à coup sûr l'article présentatoire :
Voilà le premier président fort fâché qui harangue près d'un quart
d'heure,qui tâche de piquer d'honneur messieurs (2) d'éviter la honte de
s'aller faire départager aux enquêtes.
(Saint-Simon. Mémoires. T. V, ch. XV, p. 189).
(1) Dans la traduction qui accompagne sa. savante édition critique de Joinville
(Didot, 1874), édition à laquelle nous empruntons les passages de Joinville cités dans
ietEssai.
(2) S'agit-il là d'une conservation de la composition du vocable monsieur. Bien

nous dirions simplement seigneur :


longtemps avant Saint-Simon, à la fin du XIVC siècle, on trouve monseigneur là ou
Là, le trouvay retrait assez solitaire, accompaigné de son très noble filz
Anthoine, monseigneur conte de Retel.
(Christine de Pisan. Le livre des Fais et Bonnes Meurs du sage roy Char-
les, 1. I, p. 211 ; col. 1).
De même au seizième siècle f"
et François monsieur de Candaule,. vostre oncle.
(Montaigne. Essais, 1. 25, T. I, p. 116).
Mais il est malaisé de dire si, dans ces cas, nous avons affailre à une complète
Mais, à côté de ces exemples où manque tout article là où nous em-
ploierions l'article présentatoire, il en est d'autres, très nombreux, où
l'ancienne langue emploie l'assiette présentatoire dans des cas où nous
ne l'oserions plus guère, et où nous emploierions aujourd'hui une autre
assiette. Nous avons vu, au § 365, que, dans le parler de nos jours, l'as-
siette présentatoire pouvait succéder passagèrement à l'assiette notoire
c'est un cas particulier de la présentatoriété prétéritale ; la notoriété
:
peut alors avoir été exprimée plus ou moins lointainement dans le con-

;
lexte. L'ancienne langue se permet souvent de ne pas l'avoir exprimée
elle emploie d'emblée un présentatoire non proximal c'est comme une
;
allusion à une substance bien connue des interlocuteurs, et qu'il faut
tii quelque sorte présenter à nouveau, comme si elle était un peu ou-
bliée, depuis le temps, antérieur au discours présent, où on en avait
parlé. La langue de nos jours ne fait plus qu'un usage restreint de ce
mode de présentatoriété ; elle a une tendance très marquée à toujours
accompagner le substantif ainsi employé d'épipléromes et à le conduire
ainsi à la présentatoriété séquentàle, tendance qui se manifeste d'ailleurs
depuis longtemps. Ex. :
Bele gent, je ne suis pas de ces povres presclieurs,né de ces povres her-
biers qui sont par devant ces mostiers, à ces povres chapes maucozues, qui
portent boîtes et sachez, et pi estendent .i. tapiz.
(Rutebeuf. Li Diz de l'Erberie. T. II, pp. 58-59).
Quant Messircs Jchans de Valenciennes oy le meschief là où nous estiens,
il vint à Monseigneur Olivier de Termes et à ces autres chieveteins de la
courte laingue.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 578).
i. e. : aux autres capitaines de la courte langue, de la langue d'oc.

En Paradis qu'ai-je à faire ? Je n'i quier entrer, mais que j'aie Nicolete
je vous dirai :
ma très douce amie que j'aim tant. C'en Paradis ne vont fors tex gens con
il i vont ci viel prestre et cil viel clop et [Cilmanke qui
lote jor et tote nuit crapent devant ces autex et en ces viés croutes, et cil
à ces vics capes creses et à ces viés tateceles vestues, qui sont nu et decaus

vont en paradis ;
et estrumelé, qui mœurent de faim et de sei et de froit et de mesaises. Icil
avec ciax n'ai jou que faire (3).
(C'est d'Aucassin et de Nicolete, pp. 242-243).
De floretes lor estendoient
Les coutcspointes qui rendoient
Tel resplendor par ces herbaiges,
Par ces prés et par ces ramaiges
soudure de l'article personnel avec le vocable suivant, ou au contraire à une
conscience de la composition suffisante pour qu'on pense à une construction analo-
gue à notre : Monsieur votre père. L'expression de Saint-Simon n'en reçoit donc
aucune explication.
(3) Noter que, dans cet exemple, le présentatoire de type archaïque a un sens
Nettement péjoratif. Ailleurs, il est admiratif. Mais presque toujours il marque
quelque chose d'extraordinaire. Il fonctionnait donc sémantiquement un peu, à
l'époque où on l'employait, comme l'allure extraordinaire de nos verbes, dont il
élait l'analogue nominal. Cf.
Quoy ! vous iriez dire à la vieille Emilie,
Qu'à son âge, il sied mal de faire la jolie ?
Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun P
(Molière. Le Misantrope, 1. 1).
Qu'il vous fust avis que la terre
Vosist emprendre estrif de guerre
Au ciel d'estre miex estelée.
(Jehan de Meung. Le Roman de la Rose. 8461-67).
Ains alés chantant et baient
Par ces jardins, par ces praiaus,
Avec ces ribaux desloiaus
Qui traïsnent ceste espousée
Par l'erbe vert à la rousée.
(Ibid., 9150-64).
S'il entroit, selon le commant
Saint Augustin, en abbaie
Qui fust de propre bien garnie,
Si cum sont ore cil blanc moine,
Cil noir, cil régulier chanoine,
Cil de l'ospital, cil du Temple.
(Ibid., 11608-13).
En sublimé, dangereux à toucher
Et au nombril d'une couleuvre vive
;;
En sang qu'on mect en poylettes secher,
Chez ces barbiers, quand plaine lune arrive.
(Villon. Ballade des Langues envieuses, p. 77).
Regarde m'en deux, trois, assises
Sur le bas du ply de leurs robes
En ces moustiers, en ces eglises.
(Id. Grand Testament. CXXXV).
Si loua merveilleusement la beaulté et le sens de la pucelle, et ne fut,
au soupper, parlé d'aultre matière, car le roy y avoit grande affection, et
mesmement comme ces vieillards, qui sont incontinent bridez.
(Le Romani de Jehan de Paris, p. 27).
Ce ne sont point de ces grands Vers pompeux
Mais de petits Vers doux, tendres et langoureux.
(Molière. Le Misantrope. I, 2).
Son fauteuil de bois uni. comme ces anciens fauteuils de château.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome II, chap. XXIV, p. 290).

TARDIVEiiJ. Des écharpes tricolores ?


;
Il ressembloit tout à fait à ces gros brutaux de marchands de bœufs.

- (Ibid., chap. XXXV p. 438).


CLARA.
— C'est pour ceLabiche.
maire de province, vous savez.
Un chapeau de paille d'Italie, II, 2).
C'est l'existence de ce tour .qui permettait jadis de substituer, par
déférence pour le lecteur, l'article présentatoire quand, sans le nommer,
on tenait à parler d'un auteur célèbre.
« Quand on cite un Auteur sur une chose que chacun sçait être de
« luy, il est plus élégant de dire cet Auteur, ce Philosophe, etc., que
« non pas lin Auteur, un Philosophe, comme si l'on craignoit que ceux
« à qui l'on parle, n'eussent pas connaissance de ce qu'on leur veut
« faire entendre. La soif outrée de l'or et de l'argent, dit le P.
Chemi-

« du devoir:
« nais (Discours sur les vœux de

« que modo rem.


Relig.), vous fait franchir la barrière
Rem, disoit cet Ancien, si possis justè ; si non, quocuin-
Ce qui est beaucoup mieux que s'il eût dit rem, disoit un Ancien.,
«sipossisjustè,etc.(4).»
«

Ce genre particulier de présentatoriété prétéritale, qui a à peu près


disparu du français, s'est au contraire développé en picard au point
d'avoir envahi une bonne partie du domaine de l'assiette notoire. L'un
de nous a, par exemple, connu à Rosières en Santerre, en 1915, un

;:
paysan que les autres personnes du village avaient, à cause de son aspect.
digne et imposant, affublé du surnom de Préfet mais ils ne disaient

::
pas, comme auraient dit les paysans du Parisis je vais chez lepréfetr
niais bien J'vasmon dech/préfet. Et de même, tandis que nous disions.
en français J'ai rencontré le curé, le paysan picard dira toujours J'ai :
rincontré ch'curé.
Si, dans les emplois que nous venons d'étudier, la présentatoriété se
rapproche sémantiquement beaucoup de la notoriété, c'est au contraire
de la transitoriété que nous la voyons se rapprocher dans les exemples
suivants, où ce prend presque le sens de un, de tel, tout en marquant la
substance alléguée d'un signe qui la rend facile à saisir et à spécialiser
pour l'auditeur.
Si ce Livre me fasche, j'en prends un aùltre ; et ne )n'y adonne qu'aux
heures où l'ennuy de rien faire commence à me saisir.
(Montaigne. Essais. II, 10, T. I, p. 376).
Môme ;dans la vie, quand c'étaient des êtres et non des œuvres d'art qui
excitaient ainsi son attendrissement et son admiration, c'était touchant
de voir avec quelle déférence elle écartait de sa voix, 'de son geste, de ses
propos, tel éclat de gaîté qui eût pu faire mal à cette mère qui avait autre-
fois perdu un enfant, tel rappel de fête, d'anniversaire, qui aurait pu faire
penser à ce vieillard à son grand âge, tel propos de ménage qui aurait paru
fastidieux à ce jeune savant..
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. I, p. 44).

où la langue de nos jours le voudrait. Exemples


Buona pulcella fut Eulalia ;
:
393. — L'article transitoire manque souvent dans l'ancienne langue là

Bel avret cotrps, bellèzour. anima.

Nous dirions : (La Cantilène de Sainte Eulalie. 1-2).


Eulalie était une belle jeune fille, elle avait un beau
corps, une âme plus belle.
Si fort sudor dunques suded.

Nous dirions : (Le Passion de Jésus-Christ, 32).


il sua une si forte sueur.
Riches hom fut de grânt nobilitet.

Nous dirions : C'était un richehomme


(La vie Saint Alexis. 3).
de grande noblesse.

(4) André de Boisregard. Suite des réflexions critiques sur l'usage présent de lm
Clngue
1 française. Paris. 1701. Article cet, p. 33).
Vent out par Deu c tost i fud ;
Mais bien grant mer out trescurud.

Nous dirions: (Saint Brandan, 439).


Grâce à Dieu, il eut bon vent et y fût tôt. mais il avait
parcouru une bien grande mer.
Car il avoit double tierceinne et menoison mout fort.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, 10).
Natalis de Wailly interprète ,: « une fièvre double-tierce et une dysen-
terie très-forte ».
Dist Jossés d'Alixandre : grant folie pensastes.

Nous dirions: une grande folie.


(Elie de Saint-Gille, 371).

Est-ce bien donc chose contraire


Que je n'ose mes maus nuncier,
Tant me douz de li courroucier ?

Nous dirions : (Jehannot de Lescurel. Chansons. XIV).


Est-ce donc bien une chose contraire, que je n'ose faire
voir mon mal, tant je redoute de la mettre en colère.
Le Roy de France remist à son obéissance grant partie des villes à l'enlour,

Nous dirions : une grande partie.


(Le Romant de Jehan de Paris, p. 11).

-
Si je voulois amasser tous les exemples qui conviennent à cet argumcnt,
ce seroit chose infinie.
(Calvin. Traité contre l'astrologie judiciaire, p. 120).
J-\ moins de vouloir archaïser, nous dirions : une i-hose infinie.

On trouve des exemples de ce manque d'articulation jusque dans le


XVIIe siècle, où toutefois la restriction paraît ne s'appliquer qu'au mas-
sif et au pluriel, c'est-à-dire aux formes les plus récemment apparues,
ex. :
Il demanda temps et eut recours à son Oracle ordinaire.
(La Fontaine. Fables choisies. La vie d'Esope, p. 29).
Ce sont qualitez au dessus de ma portée.
(Ibid. Préface).
Ce manque d'articulation ne se rencontre plus que dans des morceaux
d'un tour volontairement et évidemment archaïque, ex. :
Me vient sourire en votre doux sourire,
Me vient chagrin en vos minces chagrins,
Me vient désir en vos désirs sans freins,
Me vient lyrisme alors qu'êtes ma lyre.
Me vient délire en vos nuits de délire,
Me vient douceur en vos moments sereins,
Me vient musique en vos chants souverains,
Me vient fureur à l'heure de votre ire,
Me vient poursuite, hélas ! si vous fuyez,
Me vient tristesse alors que vous riez,
Me vient plaisir quand vous versez des larmes,
Me viendra Jour si livrez vos appas,
Me viendra Nuit si durent mes alarmes,
Me viendra Mort si ne te revois pas.
(Goudeau. Poèmes Ironiques. Mièvre sonnet)
Tout cela n'allait pas sans à-coups et sans heurts, évidemment, de ce que
les Provençaux et Languedociens nomment mistouiles et qui sont
difficultés
intercalaircs, malaisées à prévoir.
(Léon Daudet: Sylla et son Destin. VII, p. 212).
Cette irrégularité dans l'articulation ne permet pas toujours de recon-
naître si l'on a affaire à un objet non articulé, ou à un substantif en
voie de coalescence avec un verbe, ex. :
Ksopc répondit là-dessus que la lionne amie n'estoit pas la femme, qui
pour la moindre parole menaçoit de faire un divorce, c'estoit la chienne
qui enduroit tout, et qui revenoit faire caresses après qu'on l'avoit battuë.
(La Fontaine. Fables choisies. La vie d'Esope, p. 24).
La rigueur des lois modernes d'articulation ne laisse pas de place à
une semblable hésitation.
394. — Pour l'assiette illùsoire, le mode d'expression par l'absence
d'article ne paraît plus en développement, et le temps ne tardera peut-
èlie guère où il sera résolument considéré comme un archaïsme.
Au contraire, le mode d'expression de l'assiette illusoire au moyen de
1aiticle de est en progrès dans le français de nos jours. Dans bien des
cas, cités ci-dessus, le français du XVIIe siècle n'aurait pas répugné à
l'emploi de l'assiette transitoire, ex. :
L'amouY que vous luy donnez éclate dans toutes ses actions, et l'empesche
d'avoir des yeux que pour vous.
(Molière. La comtesse d'Escarbagnas, 2).
Je croiay Ini devoir un temple pour salaire
Mais je ne veux bastir des temples que pour vous.
; p.
:
(La Fontaine. UJédicace à Mme de Moiilespan du Second Recüeil des Fa-
blés 186).
Le français d'aujourd'hui mettrait certainement d'yeux, de temples.
Et même dans la langue actuelle, de pareils de s'emploient beau-

:
coup plus souvent dans la langue parlée, sur qui l'attention et la
recherche ont moins de prise, que dans la langue écrite, qui se moule
le plus souvent sur des modèles convenus datant surtout du XVIIe siè-

écrità
rIe. Point de doute que ce ne soit par une des recherches d'archaïsme,
tellement nombreuses dans ses ouvrages qu'on peut dire que rarement
il emploie tout la
fait langue
languecontemporaine, qu'AnatoleFrance
conteii-iporaine,qu'Anatole Fra nce ait

Son malheur singulier, sa gloire effroyable fut d'être charmante étant


souveraine, d'être Lesbie, Délie ou Leuconné et de ne pouvoir ouvrir ses
bras adorables sans allumer des guerres.
(A. France. La Vie littéraire. 4e série. Cléopâtre).
Après sans, dont le cas est, nous l'avons dit § 387, superposable
simantiquement à celui de de collateur d'assiette illusoire, il y a éga-
illent progrès de la tournure sans article aux dépens de la tournure
avec article transitoire. Ex. :
II y a trois ou quatre différentes opinions sur ce sujet-là, mais pas une
s«/i.s- des difficultez indissolubles.
(Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Introduction.
T J,
P. 2).
305. — Ces quelques considérations historiques nous permettent
d'affirmer que le répartitoiTe d'assiette, cette construction logique
cohérente qui contribue fort à la clarté de la pensée française, n'a été
acquis par la langue qu'au prix d'un travail d'élaboration ayant duré
des siècles et n'a été fini de constituer dans son harmonie présente,
qu'à une époque très récente.
LES SUBSTANTIFSNOMINAUXESSENTIELLEMENT UNIQUES
(NOMS PROPRES)

---' SOMMAIRE

396. Les substantifs essentiellement uniques sont essentiellement continus. -


397. Les substantifs essentiellement uniques sont essentiellement notoires.
- 398. Substantifs essentiellement uniques dans leur emploi ordinaire. —
Substantifs essentiellement uniques à. l'assiette présentatoire. —
399.
400. Substantifs essentiellement uniques à l'assiette transitoire.
: - 401.
Substantifs essentiellement uniques à la blocalité discontinue. — 402. Noms
propres employés communeusement. — 408. Cas particuliers noms de
produits.
404. Les deux sortes formelles de substantifs essentiellement uniques.
Premier groupe : noms propres s'employant au notoire sans article. — 405.
Les toponymes. — 406. Le prénom..- 407. Noms de famille d'hommes. —
408. Noms de famille appliqués aux femmes. — 409. Noms de famille appli-
qués à une famille entière. — 410 Nom* de famille comportant le strument
de. — 411. Noms de famille comportant formellement l'article.— 412: Les
noms propres du premier groupe prennent pourtant l'article notoire dans
certains cas. — 418. L'article notoire dans l'épidmèse adjective. — 414.
L'article notoire dans l'êpiplérome complexe. — 415. L'article personnel
auprès des noms propres. — 416. L'article notoire pour marquer une cir-
constance sémantique nouvelle indépendamment de la construction de la
phrase. — 417.Auprès d'un prénom. — 418. Auprès des noms de famille
appliqués aux hommes. — 419. Auprès des noms de famille appliqués aux
femmes. — 420. Les appellatifs. Leur morphologie. 421. Emplois allo-

cutifs des appellatifs. — 422. Emplois délocutifs des appellatifs seuls. —
423. Emplois délocutifs des appellatifs suivis d'un nom. 424. Limites

;
appellatifs.
Dom
426. Notre-Dame, Nolre-Seigneur ; Messire, Messer, Mons
Messieudames.
;
d'emploi entre les différents appellatifs. — 425. Prise des articles par les
-
427. Second groupe noms propres s'employant au notoire avec l'article.
428. Quels sont-ils?- 429. Leursyntaxe.
480. Locatif des noms propres.
Noms communs employés proprieusement.— 431. Noms propres collectifs. -
482:

438. Substantifs nominaux dont le répartitoire d'assiette est atypique.


Cas de l'assiette notoire.
— 484. Cas de l'assiette présentatoire.
396. — Nous avons maintenant terminé l'étude des répartitoires du
substantif nominal en général. Nous avons encore à examiner si ces
répartitoires s'appliquent bien à tous les substantifs nominaux sans
exception, et s'il n'yen a pas qui diffèrent du cas général, soit par le
mode d'expression formelle, soit même par la nature des répartitoires
susceptibles de les toucher. C'est à propos des « noms propres » que
cette question se pose avec le plus d'acuité.
Qu'est-ce donc qu'un « nom propre P » « Les noms propres », npus
répond Beauzée (1), « sont ceux qui désignent les êtres par l'idée sin-
gulière d'une nature individuelle. » Ce que nous traduirons dans notre
terminologie en disant que ce sont des substantifs nominaux dési-
gnant une espèce substantielle qu'emplit un seul individu. Rouen dé-
signe là la fois une sorte spécifique de villes ayant des caractères parli-
culiers, et la seule ville qui soit de cette sorte. De même France dési
gne une espèce bi'en tranchée de nation, et la France est la seule na-
tion réelle ou possible qui soit de cette espèce. Les « noms propres »
sont des substantifs essentiellement uniques.
-

Cette constatation évidente touchant la nature lpgique des noms


propres, nous montre qu'ils diffèrent des autres substantifs nominaux
dans le domaine du répartitoi're de blocalité. Il leur est en effet impos-
sible de s'élever, dans la putation numérative, au degré discontinu,
puisqu'il faudrait pour cela que l'on pût trouver au moins deux indi-
vidus de l'espèce envisagée alors qu'il n'yen a et ne peut y en avoir
qu'un.
»
Les « noms propres
tiellement continus.
sont donc des substantifs nominaux essen-

397. — Les autres caractères qui différencient les « noms propres »


des substantifs nominaux communs sont indissolublement liés aux
deux précédents.
D'une part, il n'y a pas lieu de distinguer, pour lesdits « noms
propres », entre l'abstrait et le concret. En effet, ce qui définit le
pèce sans aucun des caractères des individusi en particulier et ce
qui définit le sens concret c'est d'ajouter ces caractères individuels
;
sens abstrait, c'est de ne contenir que les caractères généraux de l'es-

particuliers aux caractères généraux de l'espèce. Or ici, l'espèce ne


contenant qu'un individu coïncide parfaitement avec lui, et il n'y a
pas de caractères individuels qui ne soient en même temps des carac-
tères d'espèce.

pèce le rend parfaitement déterminé :


D'autre part, le fait même qu'il n'y a qu'un seul individu dans l'es-
les noms propres sont des subs-
tantifs nominaux essentiellement notoires.
398. — Le premier emploi, le plus naturel, du substantif nominal

Tout homme a deux patries : ;


essentiellement unique est donc son emploi dans la blocalité conti-
nue, la putation numérative et l'assiette notoire ex. :
la sienne et la France.
(Dicton français).
(1) Beauzée. Grammaire générale. L. II, ch. 1, p. 236.
Aujourd'hui, je vais voir Rouen.
(V. Hugo. Franceet Belgique. 13 août 1835, p. 33).
On aperçoit facilement combien floue est ici la limite entre le subs-
tantif nominal dit « nom propre » et le substantif nominal pris dans
toute son extension abstraite. La Liberté, la naison, envisagées comme
des entités absolues et uniques, ont un rôle grammatical absolument

Jil en notoriété générale;


analogue à celui de la France. C'est qu'en effet elles sont employées
elles remplissent, au singulier, toute leur
espèce, comme le font les substantifs nominaux essentiellement con-
tinus.

399. — Bien que l'assiette notoire soit la plus naturelle aux


« noms propres », il est pourtant parfaitement possible, sans changer
nullement leur sémième, de les faire passer à d'autres assiettes.
Nous avons vu au chapitre précédent (§ 365) de quelle façon, et
avec quel sémantisme spécial, le présentatoire pouvait succéder au
notoilre. Nous n'avons donc pas lieu d'être étpnnés que les « noms
propres », primitivement notoires, puissent se mettre au présenta-
toire. Les exemples de ce genre fourmillent :
Vous dites que je devrois avoir une fille comme Mlle d'Alerac, et que vous
êtes imparfaite ! Cette Alerac est aimable de me regretter comme elle fait.
(Mme de Sévigné. Lettre du 20 septembre 1684).
mais cette répétition continuelle de combats qui se ressemblent tous,

; ;
ces dieux qui agissent toujours pour ne rien faire de décisif, cette Hélène
qui est le sujet de la guerre, et qui à peine est une actrice de la pièce cette
Troie qu'on assiège et qu'on ne prend point tout cela me cause le plus
mortel ennui.
(Voltaire. Candide ou l'Optimisme, ch. XXV. Œuvres complètes, T. VIII,
p. 403, col. 2).
Ces Mesmes sont des paysans de Mont-de-Marsan, où il en est demeuré
dans ce premier état qui payent encore aujourd'hui la taille, nonobstant la
généalogie que les Mosines qui ont fait fortune se sont fait fabriquer.
(Saint-Simon. Mémoires. T. VI, ch. XIV, p. 212).
Que cette Angleterre est abominable! Quel fléau pour l'Europe! Elle est
le boutefeu des révolutions et leur appui dans le monde entier.
(F. de la Mennais. Lettre écrite d'Angleterre le 11 février 1823, in Revue
des Deux Mondes, 15 novembre 1923, p. 424).
La même promenade, par quelque temps qu'il fît, m'amenait en ce Mont-
martre de fiançailles et me ramenait vers ces Batignolles depuis si longtemps
parentales.
(Verlaine. Confessions. I, 8. Œuvres complètes. T. V, p. 134).
Devant nous, le sable blond de la baie s'étendait jusqu'à la pointe bleuâtre
du Hourdel, où finit la terre, et jusqu'aux lignes basses de ce Crotoy qui
rtçut Jeanne d'Arc prisonnière des Anglais.
(A. France. La Vie littéraire. 2° série. Brave fille, p. 307).

•••
Yseult la Blonde, par Vivian Bell. C'était un recueil de vers français
composés par une Anglaise et imprimés à Londres. Elle lisait, indifférente,'
distraite, attendant ses visites et songeant moins à la poésie qu'à la poétesse,
cette miss Bell qui était son amie la plus agréable.
(A. France. Le Lys Rouge. I, p. 3).
On pense à l'autre métropole anglo-saxonne, à cette Londres énorme où
tant de traits nous traduisent. un même idéal d'acquisition et de respecta.
bilité.
(A. Chevriilon. New-York après trente ans, dans la Revue des Deux Mondes
du 1er avril 1923, p. 604).
Et c'est à.cette Allemagne qui viole la neutralité de la Belgique et n'a
pas respecté le Traité de Versailles que nous voulons demander de garantir
notre frontière du Rhin 1
(L'Echo de Paris du 13 mars 1925, p. 3, col. 3).
On voit aisément qu'en tous ces passages, le substantif nominal
considéré prend l'assiette présentatoire d'après les lois mêmes de la
collation de cette assiette, telles qu'elles pnt été définies au chapitre
précédent. Les exemples de Mme de Sévigné, Saint-Simon, et La
Mennais appartiennent à la présentatoriété prétéritale, les six autres à
la séquentale.
Nous avons dit plus haut que l'Ion employait autrefois le présenta-
toire pour faire allusion à une substance bien connue des interlocu-
teurs, mais qu'il fallait en quelque sorte présenter de nouveau comme
si elle avait été un peu oubliée depuis le temps que l'on en avait
parlé. Cet usage s'est maintenu avec une grande fréquence dans la
langue de nos jours pour les noms propres précédés d'une catadmète,
ex. :
— Vous la connaissez, cette brave Oriane ? Cette «brave Oriane», com-
me il eût dit cette « bonne Oriane» ne signifiait pas que Saint-Loup consi-
dérât Mme de Guermantes comme particulièrementbonne. Dans ce cas,
bonne, excellente, brave sont de simples signes de renforcement de « cette »,

:
désignant une personne qu'on connaît tous deux et dont on ne sait trop que
dire avec quelqu'un qui n'est pas de votre intimité. Bonne sert de hors-
d'œuvre et permet d'attendre un instant qu'on ait trouvé « Est-ce que
vous la voyez souvent ? » ou « Il y a des mois que je ne l'ai vue », ou « Je
la vis mardi » ou « Elle ne doit plus être de la première jeunesse ».
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. III, p. 90).
L'article présentatoire sert alors à présenter, en réalité, non le
substantif, mais sa qualité. Cet emploi se rencontre surtout dansles
tours exclamatifs :
Ce bon Folleville!. Ce cher Folleville! Embrassons-nous, Folleville
(Labiche. Embrassons-nous, Folleville. Se. II).
t
Folleville, qui est notpire, est présenté par Manicamp comme bon

:
et cher. Cette tournure n'a pas d'équivalent exact avec les substantifs
nominaux communs. On emploie plutôt quel Quelle bonne soupe 1 ;
mais ce vocable serait difficilement acceptable ici parce que laissant
supposer qu'il y aurait dans l'espèce des individus ne possédant pas
la qualité indiquée, alors que l'espèce du « nom propre
qu'un individu, et qui la possède.
»
ne contient

Quoi qu'il en soit de cet point particulier, il y a lieu de souligner


que, dans aucun des cas de présentatoriété envisagés au précédent pa-
ragraphe, il n'y a d'extension du sémième du « nom propre. » C'est
bien de Mlle d'Alérac, des Mesmes, d'Hélène, de Troie, des Batignol-
les, de Montmartre, du Crotoy, de Mlle Bell qu'il est question, et non
pas de substance qu'on leur compare et qu'on fasse rentrer par exten-
sion sémantique dans leur espèce substantielle. La guerre de Troie
n'a pas été causée parune femme que son caractère permette d'ap-
peler une Hélène, mais bien par Hélène elle-même, par la notoire
Hélène. Ce point était important à préciserpour éviter de confondre
le mécanisme taxiématique qui nous occupe ici avec celui du § 402
ci-dessous.

400. — Beaucoup plus délicat est le mécanisme par lequel les subs-
tances uniques de leur espèce vont pouvoir, en gardant leur unicité
et leur propriété rigoureuses, se mettre à l'assiette transitoire.
Considérons une phrase comme celle-ci :
je montais tristement la garde à bord d'un cuirassé qui s'appelait le
Bouvet, sur une Méditerranée d'où le Goeben et le Breslau venaient de s'en-
fuir.
(Claude Farrère. Le salut à César. IX).
On y vpit que la Méditerranée n'y est plus présentée comme une
substance simplement et posément notoire, mais comme une subs-
-
tance que l'ensemble de ses qualités permet de classer au moment
même du discours dans une espèce substantielle « Méditerranée »,
dont on sait d'ailleurs par une connaissance élémentaire, qu'elle est le
seul individu. L'effet de style consiste à remettre en quelque sorte sous
les yeux de l'allocutaire tous les éléments constitutifs d'une substance
qu'il est habitué à envisager comme notoire une fois pour toutes et
sans qu'il y ait besoin d'en analyser la nature. Onrecrée pour lui la

;
chose la plus connue, la plus usée. C'est ce qui donne à ce tour sa
force singulière mais la délicatesse de la pensée qui l'enfante est
telle qu'il est confiné dans la parlure littérale. Ex. :
combien de jugements, combien divers n'ont-ils point porté sur un
Corneille ou sur un Shakespeare, sur un Cervantes ou sur un Rabelais, sur
un Raphaël ou sur un Michel-Ange 1
(F. Brunetière. Revue des Deux Mondes. 1er janvier 1891).
Je ne parle pas des Saints de la dernière heure, abâtardis et crasseux,
d'un curé d'Ars ou d'un saint Labre, ou d'un Louis de Gonzague.
(A. France. La Vie littéraire. lre série. M. Alexandre Dumas, p. 27).
Qettoo fougue éperdue, inconsciente d'un Cinq-Mars et d'un Condé, le
prince de Marcillac ne l'avait pas, le duc de la Rochefoucauld l'aura moins
encore.
(Alfred Rébelliau. Les Moralistes in Histoire Littéraire de Petit de Julie-
ville. T. V, p. 402).
Si intéressant que soit le roman russe comme expression de l'âme et de la
pensée nationales, si révélatrice que soit à cet égard l'œuvre d'un Tourgé-
nief, d'un Tolstoï, d'un Dostoïewski, d'un Tchékow, d'un Korolenko, d'un
Gorky.
(Maurice Paléologue. La Russie des Tsars pendant la grande guerre. V. In
Revue des Deux Mondes, 1er avril 1921, p. 580).
C'est bien de Corneille lui-même, de Shakespeare lui-même, etc.
que Brunetière veut parler, et non pas de quelqu'un qu'on leur puisse
comparer; c'est bien de saint Labre et de Louisde Gonzague en per-
sonne qu'Anatole France entend nous entretenir.
C'est bien de Cinq Mars et de Condé eux-mêmes que parle M. Ré-
belliau ;,de Tourgùéneff, de Tolstoï, deDostoïewski, de Tchékov, de
Korolenko, de Gorky en personne qu'il s'agitdans l'article de M. Pa-
léologue.
»
Le « nom propre n'a encore subiaucune trace de communisation.
Le passage au transitoire massif appartient à la langue courante
est beaucoup plus aisé que le transitoire numératif. En effet, pour
il ;
unique qu'elle soit, la substance essentiellement conti'nue a une cer-
taine extension quantitudinalé ; aussi les désomptions massives y
:
sont-elles parfaitement possibles. Ex.
;
J'aime bien l'Anjou, parce que c'est de la France j'aime bien lu
Lorraine, parce que c'est aussi de la France.

401. — Enfin, c'est la blocalité elle-même qui peut, par un artifice


de pensée, se voir bouleversée. Le nombre 1 est un cas-particulier du
;
nombre en mettant auprès du substantif essentiellement unique le

;
siNgne généraldu nombre, c'est-à-dire l'article pluriel, on avive l'effet
produit par son unicité c'est le même procédé qu'au paragraphe 400,
transposé de l'assiette dans lablocalité ; c'est aussi le même effet de
vigueur emphatique, et la même limitation d'emploi plus exclusive
encore à la langue littérale. Ex. :
De Corneille aussi procèdent les Casimir Delavigne et les Ponsard. Les
drames en vers qu'écrivent encore les Bornier, les Coppée, les Parodi et
les Richepinsont cornéliens et non pas raciniens.
(Jules Lemaître. Pierre Corneille, dans l'Histoire Littéraire de Petit de
Julleville. T. V, p. 344).
L'étonnant Alidor de laplace Royale est le frère aîné desPulchérie et des
Camille.
(Id. Ibid., p. 273).

402.

;
Npus avons terminé maintenant l'étude générale des
-
L'uni'cité de la substance reste ici entière. Le sémième est resté
absolument propre. C'est pourquoi les règles officielles de la langue
littérale veulent que l's du pluriel ne figure pas dans ce cas au bout
des substantifs nominaux essentiellement uniques.

-
« noms propres » en tant qu'ils restent confinés dans leur essence
primitive mais ils peuvent être employés communeusement, c'est-
à-dire devenir le nom d'une espèce substantielle composée de plu-
sieurs individus.
Les « noms propres » ont désormais fait retour aux ressources gé-
nérales de la langue, - avec un sémièmeadmirablement riche, riche de
toute la précision de détail que comporte un individu.
Il vade soi que, dans ces cas, leur syntaxe est identique àcelles des
substantifs nominaux banaux, dont ils ne diffèrent plus. Si! d'aveii-
lure ils sont à la phase plurielle, ils prennent, dans la langue parlée,
un [z] instable qui s'exprime graphiquement par une s. Ex. :

:
Trop at contre le Roi d'Yaumons et d'Agoulans ;
Il at non li rois Charles or li faut des Rollans.
(Rutebeuf. Li diz de Puille. 23-24. T. I, pp. 170-171).
c'est-à-dire qu'il y a contre le roi trop de félons comparables à Yau-
uipn et à Agoulan, et qu'il lui faut mai'ntcnant de preux serviteurs
comparables à Holand.
qui ot nom Folques de Nuilli (cil Nuilli siel entre Laigni sor Marne et
Paris) ; et il ere prestre et tcnoit la paroisse de la ville.

Beaucoup de villages de France portent le nom de Neuilly ;


(Villehardouin. Histoire de la conquête de Constantinople. 1).

ramment, chacun d'eux est essentiellement notoire pour les gens des
et, cou-

localités environnantes. Mais ici il faut préciser de quel Neuilly il

; ;
s'agit, et dès lors l'ensemble de l'espèce substantielle des Neuillys est
envisagée et parmi eux, on distingue le Neuilly qui est entre Lagny-
sur-Marne et Paris c'est de ce Neuilly-là que Foyque de Neuilly était
originaire. Cf. les Andely s, qui se composent du Grand Andely et du
Petit Andely (infra § 405, note 1).
Ce Sathan mon enque a tumbé.
(Miracle de Saint-Jean Cl'isothomes, 725).
Un discours pathétique et dont le formulaire
Servist à certains Cicerons
Vulgairement nommez larrons.
(La Fontaine. Fables Choisies. VI, 19. Le Charlatan).
Cependant je lis dans les Cieux
Que bientôt ses faits glorieux
Demanderont plusieurs Homeres.
(La Fontaine. Fables Choisies. XII, 9. Le Loup et le Renard).
au retour de cette Expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous
le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste.
(La Fontaine. Fables choisies. Epistre au Dauphin, p. 6).
J'ai lu chez un conteur de Fables,
Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des Chats,
L'Attila, le liéau des Rats,
Rendoit ces derniers misérables.
(La Fontaine. Fables choisies. III, 18. Le Chat et un Vieux Rat).
Un Auguste aisérrifent peut faire des Virgiles.
(Boileau. Epître I).
Qu'importe la Mort aux Orphées
Si leurs tombeaux sont des autels ?
(Ecouchard Le Brun. Odes. I, 1 ; Ode sur l'Enthousiasme. T. I, p. 4).
L'Europe riait de l'autre continent en regardant Haïti quand elle a vu
apparaître ce Soulouque blanc.
(Victor Hugo. Napoléon le Petit. I, 6, p. 22).
Les étrangers de toutes les nations. faisant de l'armée une Babel.
(Thiers. Histoire de l'Empire. XXVI, T. III, p. 105, col. 2).
Elle {la critique] remplace la théologie, et si l'on cherche le docteur uni-
le
vcrsel, Saint Thomas d'Aquin du xix*siècle, n'est-ce pas à
qu'il faut songer?
Sainte-Beuvo
(A. France. La Vielittéraire. lre série. Dédicace p. V.).
M. Paul Bourget nous représente M. Adrien Sixte comme un Spinosa fran-
çais de notre temps.
(A. France. La Vie littéraire. 3e série. La morale et la science, p. 58).
Il me parla de Benjamin Constant comme d'un père, avec respect et véné-
ration. On eût dit, à l'entendre, un sage, un Solon, presque un Lycurgue.
(A. France. La Vie littéraire. lre série. Le Journal de Benjamin Constant,
p.59).
;
Dans tous ces exemples, la communisation est accomplie
un démon quelconque qui est appelé ce satan ce sont les larrons
: C'est

qui sont des cicérons ; ce sont les poètes qui se trouveront éventuelle-
ment pour célébrer la gloire du duc de Bourgogne qui seront des
homères ; c'est Louis XIV qui est un alexandre et un auguste ; c'est
un certain chat qui est l'égal du célèbre chat Rodilard, en même
;
temps qu'il est l'alexandre des chats et l'attila des rats l'auguste
qui peut faire des virgiles est un quelconque grand prince susceptible
de susciter de grands poètes. Les orphées sont les poètes en général.
Le soulouque blanc, c'est Napoléon III, la babel dont parle Thiers est

Sainte-Beuve
Sixte
;
l'armée impéri'ale ; le saint-thomas-d'aquin du XIX6 siècle, c'est
; le spinosa français de notre temps, c'est M. Adrien
le solon, le lycurgue qu'exalte l'interlocuteur d'A. France, c'est
Benjamin Constant. Il ne s'agit nullement, en réalité, d'Alexandre, ni
d'Auguste, ni de Rodilard, ni d'Attila, ni de Virgile, ni de Soulouque,
ni de Babel, ni de Saint Thomas d'Aquin, ni de Spinosa, ni de Solon,
ni de Lycurgue.
La communisation peut être moins franchement accomplie, s'il
s'agit d'une effigie représentant la personne portant le nom propre,
ou de quelque chose qu'pn lui compare. Ex. :
Je me rappelle encore qu'il y a dans notreéglise un grand Saint Georges
à l'épée auprès d'une petite cathédrale. Il me semble que tu portes dans tes
mains la forte épée du grand Saint. Et moi cathédrale, je laisse chanter
tous les petits Jésus de mon cœur.
(Charles-Louis Philippe. La Mère et l'Enfant, pp. 35-36).
Et la petite Vénus agenaise ne m'a pas trompé.
(A. France. La Vie littéraire. 4e série. Contes et Chansons Populaires, p. 67).
Enfin, il exi'ste un emploi encore plus proche de l'emploi propre,
et qui constitue le premier pas sur la voie de la communisation. C'est
celui dans lequel, sans que l'extension sémantique du nom propre
soit aucunement changée, il est distingué, à l'intérieur même de sa
personnalité, plusieurs espèces, en raison des points de vue divers
auxquels on peut l'envisager.
Dans les exemples ci-dessous, pn considère Paris comme décompo-

;
sable en une suite de villes différentes s'étant succédé dans le temps,
au même lieu de même Carthage, avec un hiatus plus réel. On con-
sidère Michelet comme composant deux personnages, l'un sénile,
impie, hantant le dessous les linges sales et caudataire de Parny,
l'autre au contraire adorable.
Nous disons que cet emploi est déjà un peu communeux en ce qu'il
prend tous les arti'cles, même le notoire pour les noms propres qui ne
le compprtent d'ordinaire pas. Ex. :
une rencontre malheureuse avec le Michelet sénile et impie, le Michelet
de dessous les linges sales de femme et de derrière Parny (l'autre Michelejt,
nul plus que nous ne l'adore).
(Verlaine. Les Poètes Maudits. T. IV, p. 27).
J'ai connu un Paris où les boutiques restaient ouvertes toute la soirée.
(Fêtes et Ponts, in Revue des Deux Mondes, 15 novembre 1921, verso de la
couverture).
Si, aujourd'hui, une Carthage neuve est sur le point de surgir à la place
de l'ancienne, c'est en partie au prestige poétique dont il a environné le
souvenir de la grande métropole africaine que nous le devrons.
(Louis Bertrand. Discours à la nation africaine, in Revue des Deux Mon-
des, 1er décembre 1921, p. 495).

403. — Un des cas particuliers les plus intéressants de communisa-


tion, c'est celui où l'on appelle du nom de la substance ce qui pro-
cède d'elle, ce qui traduit son âme. Ce tour, qui est d'origine casuelle
(cf. infra § 583), semble se développer surtout à partir du massif. Ex. :

Il y a du La Hourmerie là-dessous.
(Courteline. MM. les Ronds de Cuir, p. 61).
Le caractère médiat de cette transformation sémantique se décèle
par l'indifférenciation de la sexuisemblance. En effet, on dit « du Si-
mone, du George Sand, du Marcelle Tinayre », plutôt que * : « de la

:
Simone, — * de Ja Geprge Sand,
parez par exemple
- * de la Marcelle Tinayre. » Com-

C'est bien d'Oriane, c'est de VOriane tout pur.


(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. IV, p. 151).
avec:
Telle légende cosmique de Samoa est d'une aussi belle sonorité que du
Victor Hugo.

:
(A. van Gennep. Religions, Mœurs et Légendes. 2e série, p. 219).
Cf. cependant

Tu vas voir, c'est bien de la Louise.


(Mme A, le 4 juin 1921).
On dit de même du Rouen, du Bruges, du Venise, du Tolède, du Mar-
seille, du Lyon, de l'York,
membert, du Chantoung, pour :
du Xérès, du Beaune, du Cognac, du Ca-
de la faïence de Rouen, de la den-
telle de Bruges, de la verrerie de Venise, de l'acier incrusté à la mode
de Tolède, du savon de Marseille, du saucisson de Lyon, du jambon
d'York, du vin de Xérès, du vin de Beaune, de l'eau-de-vie de Cognac,
du fromage de Camembert, de la cotonnade de Chantpung.
Puis, le

!
« Bathilde viens donc
-
garçon servit du Dantzig dans deux petites coupes de verre.
(Anatole France. Les Désirs de Jean Sel'vien; ch. XII, p. 95).
Madame Martin dit à M. Daniel Salomon qu'elle voulait le consulter sur
un groupe d'enfants.
C'est. du Saint-Groud, Vous me direz si cela vousplaît.
(Id. Le Lys rouge, p. 9)'>'
Des œufs durs et du gruyère
Un peu d'sel dans du papier.
(Georges Baltha. Le Voyage de Fallières en Tunisie).
empêcher ton mari de boire du cognac 1 »
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. I, p. 17).
Par une nouvelle extension, le massif désignant, à partir d'un npm
propre, la production issue de la substance portant ce nom peut arri-
ver à désigner aussi une production di'gne d'en être issue, sans l'être
en réalité.
Verlaine dit, par exemple, à propos des œuvres de M. Albert Mérat :
Une presque imperceptiole bonhomie. pare encore ces strophes qui, réu-
nies, donneraient la vraie note ce que j'appellerai du Marger, infiniment
supérieur à du Miirger en vers.
(Verlaine. Les Hommes d'aujourd'hui. Albert Mérat. T. V, p. 429).
De même, dans Baudelaire
M.
:
Decamps a fait du Raphaël et du Poussin.
(Baudelaire. Curiosités Esthétiques. Salon de 1845, p. 16).
Pour ces noms de produits capitaux, la règle de la sexuisemblancc
indifférenciée n'est pas absolue. Ex. :
L'irlande peut facilement être teinte avec du thé,
1c'est-'à-dire la guipure d'Irlande.
Nous avons envisagé ces noms de produits au transitoire massif. Ils
peuvent s'employer au notoire, mais la présence de l'article même
auprès des substantifs qui', comme essentiellement uniques, ne le
prennent pas, est le signe patent de la communisation.
Les plus estimés de ceux qu'on sert sur nos tables sont ceux de Roque-
fort, de Sassenage, le Parmesan, le Brie, le Marotte, le Gruyère.
(Dictionnaire 'portatif de cúisine, d'office et de disbillation. 1772. s. v. Fro-
mage)
Le sergé Ami-Robsar et le Memphis à mosaïques égyptiennes rehaussées
d'un frappé d'or.
(Journal des Femmes. N° du 1er novembre 1835, p. 168, col. 2).
;
Rien qui dure en lui pas même la petite ardeur qu'y provoque le bour-

1
gogne.
;
-
(Henri de Régnier. Le bon plaisir. VIII, p. 121).
On ne lit pas le Francis Janimes on le
respire, on le hume.
(André Gide. Prétextes. Supplément).
De même avec l'article personnel :
Edison, se sentant en humeur de récréation, savourait paisiblement l'ex-
cellente fumée de son havane.
(Villiers de l'Isle-Adam. L'Eve future. I, 2, p. 5).
De même, au notoire pluriel, et aux transitoires singulier et plu-
riel :
« Je suis en pleine Flandre, à même les cathédrales, les Rubens, et les
YanDyck.
(V. Hugo. France et Belgique. 22 aout 1857,) p. 126).
La firme importait et exportait, en bouteilles et en cercles, les Portos,
fcherries, clarets, hocks, brandies, whiskies, Champagnesf et toutes les
choses bonnes à boire du monde entier.

Gorrége.
;
(Pierre Hamp. Vin de Champagne, p.225).
Comme modèle et comme pâte, c'est incomparable l'épaule nue vaut un
(Baudelaire. Curiosités esthétiques. Salon de 1845, p. 10).
Et puis, en descendant de l'église, à chaque pas, des Rubens,des Martin de
Fos, des Otto Vénius, des Van Dyck..
(V. Hugo. France et Belgique. 22 août 1837, p. 127).
Un Marly désigne de même un voyage à Marly.
M. de Chevreuse. profitoit tant qu'il pouvoit du prétexte de la santé de
Mme de Chevreuse, pour se dispenser des Marlys.
(Saint-Simon. Mémoires. T. IV, chap. 38, p. 430).
il était toujours très bien logé à Fontainebleau, désigné pour tous les
Marly, il jouissait des grandes entrées.
(Le duc de la Force. Lauzun. Ch. XII, p. 201).
C'est la plupart du temps par un mécani'sme de ce genre que les
« noms propres » deviennent, non plus par équivalence, mais par af-
flux, de véritables substantifs nominaux communs. L'afflux n'est là,
comme toujours d'ailleurs, qu'une équivalence confirmée
zon, c'est une actrice capable de remplir les emplois que tenait
:
une duga-
Mlle Dugazon ; une fontange, c'est un ruban pour retenir les boucles
comme en portait Mlle de Fontange. De même, fine sévigné est un
joyau placé au milieu du lien qui retient les cheveux, comme en por-
tait probablement Mme ou Mlle de Sévigné. Ex. :
Les sévigné,'c'est-à-dire les milieux en pierreries sont généralement rem-
placées par une fleur.
(Le Journal des Femmes. 26 février 1836, p. 135).

glas ;
Le douglas,c'.est le cul-de-sac péritonéal décrit par un certain Dou-
un zurlin, en argot de l'X, c'est un rideau parce que c'est le
général Zurlinden qui' en a étendu l'usage à l'intérieur de l'Ecole Po-
lytechnique ; un lebel, c'est un fusil du modèle imaginé par M. Lebel.
Le même mode de dénominaion a été systématiquement appliqué, à
titre honorifique, à la plupart des unités de la mécanique et de la phy-
sique : un joule, un coulomb, un ampère, un ohrn, un watt, un volt
(abréviation de «Volta »), etc.,.

Une pigeon, c'est une lampe essence avecfeutreintérieur du sys-
tème inventé par M. Pigeon. Ex. :
M. AC.
Mme E. -- Faut la lumière, la pigeon.
Où elle est, notre p,igeon, Louise ?
(Le 26 juin 1921).
Certainement, dans tous ces noms, la puissance casuelle a été mise
en jeu. Ceci nous donne l'occasion de remarquer que cette puissance,
indépendamment de la présence de de, est restée beaucoup plus vi-
vante dans les noms propres que dans les substantifs nomi'naux com-

:
muns. Les noms de pays ne l'ont plus que dans des locutions toutes
faites on dit la rue Montmartre, la rue Montagne, Sainte-Geneviève,

dénominations :
mais la rue de Bourgogne, la rue de Viarmes ; les noms d'homme, au
contraire, l'ont entièrement conservée pour tout ce qui concerne les
Mme Raymond Grandin (cf. i'nfra § 408), la rue Vic-
tor Cousin, le boulevard Berthier, l'avenue Hoche, l'hôtel Condé, la
maison Potin, les produits Dausse, le système Eno, le procédé Hubou,
la méthode Carpentier, l'agence Havas, le concours Lépine, le conver-
tisseur Bessemer, la société Bach, l'orchestre Colonne, (1), etc. Dans
certains cas, il peut même se créer une nuance sémanti'que très fine
entre cet ex casu et le désomptif légitime. Cf. les pastilles Géraudcl,
c'est-à-dire les pastilles qui constituent la spécialité commerciale de la
maison de pharmacie originellement possédée par un nommé Gérau-
dei ; mais les pilules de Lancereaux, c'est-à-dire les pilules dont la
formule a été imaginée par Lancereaux.
Cf. § 583.
404: — Ces vues générales sur les noms propres une fois acquises,
examinons si ces noms ne sont pas susceptibles d'une classification.

:
Dans le développement qui' précède, nous avons eu à considérer des
noms propres de deux sortes formelles bien différentes les uns qui
s'emploient d'ordinaire sans l'article notoire, comme Rouen ; les au-
tres qui en sont au contraire ordinairement accompagnés, cpmme 1a
France.
Nous allons étudier successivement chacun de ces groupes.
Les noms propres s'employant au notoire sans article comprennent

villes et certains noms d'îles :


en français tous les noms d'homme, la plupart des noms d'animaux, de
Courteline, Miraut, Morlaix, Ouessant.
Nous avons défini le nom propre au § 396 « un substantif nominal
désignant une espèce substantielle qu'emplit un seul individu. » Une
onomastique qui serait en accord absolu avec ce principe possèderait
autant de termes phonétiquement distincts qu'il y a d'individus là dé-
signer par un nom propre. Chaque homme de France aurait un nom
unique différent de celui de tpus les autres hommes, chaque lieu un
nom unique différent de celui de tpus les autres lieux. Il n'en est pas
ainsi. Il y a plus d'un âne à la foire qui s'appelle Martin, c'est-à-dire
qu'il y a plusieurs localités qui s'appellent Nogent, plusieurs hommes
qui s'appellent Jacques ou qui s'appellent Duval, voire qui s'appellent
Jacques Duval.
(1) Dans le cas spécial des hôpitaux et des lycées, l'usage permet d'employer lo
nom propre dénominatif pour désigner à lui seul l'établissement ex. : être soigne
:
à Laënnec, faire ses études à Rollin. Cf. d'ailleurs, les emplois analogues avec des
adjectifs entrer à Polytechnique, concourir pour Centrale, le bal de Normale.
Nous allons voir les raisons de cet apparent illogisme.
Mais il faut d'abord que nous remarquions que, malgré notre ré-
a
serve générale, il y pourtant des noms véritablement propres.
Dans la toponomastique, ces noms paraissent assez nombreux, encore
qu'il soit très difficile d'oser affirmer qu'en outre d'une telle ville bien
connue portant tel nom, il n'existe point quelque village ou hameau
obscur qui le porte aussi. Nous citerions volontiers Beaugency,
Nancy, Amiens, Bazas, comme exemples de noms rigoureusement pro-
pres.
En ce qui concerne l'onomastique des personnes, les noms rigou-
reusement propres doivent être beaucoup plus rares. Tout au plus y
peut-on ranger des noms comme Satan, Jupin, Odin, Mélusine, et

à l'intérieur d'une famille donnée :


quelques noms d'êtres surnaturels hypocoristiques originaux formés
Amé, Magan, Manlique, Nanou,

l'abri d'un transfert sur un individu nouveau :


Papou, Toutit, Suzouille, etc. Mais ces noms mêmes ne sont pas à
rien ne ppurrait em-
pêcher tel homme qui en aurait la fantaisie d'appeler son chien Satan
et sa fille Mélusine, ni tel enfant de recréer dans sa bouche le terme
Magan que nous n'avons jamais entendu usuellement employé que
dans la bouche d'un seul enfant, pour désigner sa grand'mère.
La règle générale est donc que la suite phonétique constituant le
nom propre soit applicable au moins en des temps et en des lieux di-
vers, à plusieurs individus. Ex. : Nogent, Jacques, Duval.

peut s'être établie par deux mécanismes :


405. — En toponomastique, cette valeur plurale des npms propres

1°Le nom était un substantif nominal commun dans une des lan-
gues parlées, aux époques historiques successives, dans le pays où il
s'implante comme toponyme. Il est alors naturel qu'il soit implanté
en divers endroits, à tous lesquels le concept de substantif nominal
convenait aussi bien. Divers lieux situés au confluent de deux rivières
ont reçu jadis le nom d'où dérive phonétiquement le français Condé,
nom qui signifiait alors « confluent. » Chacun de ces pays, dans sa
sphère, était usuellement désigné très suffisamment par ce nom, de
sorte que le nom propre apparaît ici avoir été originellement un cas
particulier de la notoriété capitale. Les progrès de la civilisation na-
tionale rendant les rapports de plus en plus fréquents, la constitution
de la France en état unique et centralisé ayant nécessité l'inscription
des localités sur des listes administratives communes où chacuneJ
devait se distinguer de toutes les autres, le nom s'est en général al-
longé d'une annexe déterminative le précisant et lui donnant un ca-
ractère rigoureusement propre. Ex. :
Condé-en-Brie, Condé-sur-Escaut, Condé-sur-Iton, Condé-sur-Noi-
Teau, Condé-sur-Vesle, Condé-sur-Vire, etc. ; Braine-le-Comte, Braine.
l'Alleud, etc., Clermont-en-Beauvaisis, Clermont-Ferrand, Clermont.
Lodèw, etc. (1).
2° L'un des lieux porteur du nom a servi de parrain à l'autre. C'est
..un usage très ancien que de transporter avec soi, comme un bagage
sacré, certains noms que l'on appliquera aux lieux où l'on hantera,
de façon que les endroits habités actuellement servent de monument
pour ramentevoir les chers lieux connus et délaissés. Chez de nos
bons amis, lesenfants ont fait ainsi du jardin de leur vieille maison
-de famille une sorte de temple où ils conservent les noms des autres
pays pù ils ont eu l'occasion de vivre et d'avoir des souvenirs frap-
pants. Un bosquet s'appelle Montmorency, une pièce d'eau Etreiai,
un bassin plus exigu Arcachon, etc.
Cet usage religieux a revêtuplusieurs formes suivant que, de son

organisation codifiée :
indépendance primitive, il s'est laissé enrégimenter dans telle ou telle

C'est pour témoigner leur particulière dévotion à Notre-Dame de


Boulogne-sur-Mer, auprès de qui ils étaient allés en pèlerinage, que
de pieux personnages, en ayant obtenu du roi l'autorisation en 1319,
firent construire & Menus-lez-Saint-Clooo une chapelle de Noire-Dame
de Boulogne, grâce à la présence de laquelle cevillage a fini par
s'appeler Boulogne-sur-Seine.
C'est pour donner à des étrangers, les Broglie, la base terrienne
nécessaire à leur élévation au duché que le roi de France a imposé
leur nom, en 1742, au malheureux bourg de Chambrais.
"Une fois ces opérations linguistiques réalisées, il se trouve y avoir

;
en fait plusieurs lieux baptisés du même nom. Mais ce nom reste
pourtant propre en effet, il n'est d'ordinaire sujet qu'là la notoriété
:
capitale. Quand on dit Neuilly, la plupart du temps on sait de quel

:
Neuilly il s'agit entre Parisiens, c'est de Neuilly-sur-Seine ou bien
si l'on craint l'équivoque, on ajoute le déterminant Neuilly-Plai-
;
sance, Neuilly-sur-Marne, Neuilly-en-Thelle, Neuilly-Saint-Front,
Neuilly-TI'Evique, Neuilly-le-Réal. Ce n'est que dans des cas relative-
ment rares que l'espèce des Neuillys est conçue dans son ensemble
,avec sa pluralité d'individus, d'autres assiettes que la notoriété capi-
tale devenant alors possibles (cf. supra, §^402). 1/1

i(l) Il est à remarquer que la plupart du temps, c'est par le nom du pays, unité
géographique répondant à des données naturelles d'ordre géologique, agricole, ethni-
que, que cette détermination se faisait. Comme, depuis 1789, les divisions admi-
nistratives ne tiennent malheureusement plus aucun compte de ces unités territo-
riales, ces noms déterminatifs ont tendance à s'effacer. Ce mouvement d'effacement
a-qu'une
été souvent hâté par des conseils municipaux composés d'hommes à l'esprit faussé,
conception étroite et primaire du républicanisme empêchait d'avoir la
conscience de la continuité de la France, et qui ont sottement demandé la radiation
officielle de ces annexes déterminatives où ils croyaient voir lesrestes de cet ancien
Régime que l'orthodoxie ordonnait d'abhorrer. A l'annexe déterminative exacte et
-élégante formée par le génie de la langue, on substituait, entre parenthèses, le nom
d'une rivière ayant arbitrairement donné son nom à un territoire administratif aux
limites systématiquement anti-naturelles appelé département. Ex : Clermont (Oise)
au lieu de Clermont-en-Beauvaisis. ; Saint-Denis (Seine) au lieu de Saint-Denis-eri*
Pronee.
406. — L'étude des faits toponomastiques va jeter une vive lumière
sur le problème en apparence plus compliqué de l'anthroponomasti-
que. Il suffira en effet de substituer au nom principal le prénom et à
J'annexe déterminante le nom de famille pour que tout ce que nous-

voici,noussemble-t-il,la
avons dit des noms de lieux se trouve vrai de point en point en
voici, nous semble-t-il, la démonstration : démonstration
;:
1° De même que les noms principaux des localités conviennent à
plusieurs d'entre elles, de même chacun des prénoms convient à un
nombre plus ou moins grand de personnes différentes.
2° La dénomination par prénoms se fait par le même mécanisme
que la dénomination des lieux. Mais, comme elle est de l'époque ac-
tuelle, et qu'à l'époque actuelle les noms propres principaux (tant
prénoms que noms principaux de lieux) sont dépourvus de significa-
tion substantivo-nominale « commune », le procédé de dénomina-
tion capitale directe (§ 405 1°) n'existe pas. Le procédé de transmis-
sion des prénoms est le procédé par parrainage, de proche en proche
(cf. § 405 2°), qu'il s'agisse, suivant l'état religieux des familles, d'un
parrain investi de cette dignité par les rites, d'une-religion donnée,

on donne par piété le nom au nouveau-né ;


le catholicisme le plus souvent ; d'un parent, vivant ou mort, dont
ou enfin d'un personnage
illustre ou divin auquel on emprunte son nom pour un enfant, en
témoignage du culte ladmiratif qu'on lui voue.
3° Dans un milieu donné, et plus étroitement encore, mais avec
plus de précision, dans un parler individuel donné, le prénom reste
pourtant bien un nom propre, car il n'y a qu'une personne et une
seule que l'on désigne par tel prénom employé seul. C'est, en plein,
la notoriété capitale. Les autres personnes portant le même prénom le
verront toujourssuivre de leur annexe déterminante, nous voulons..
dire de leur nom de famille.
4° Mais, dans les mêmes circonstances que celles définies pour le'
vocable Neuilly au § 402, le prénom peut être appelé là prendre toute
autre assiette que la notoire capitale. Ceci est même.assez fréquent,,
beaucoup de personnes continuant d'instinct à désigner par son pré-
nom tout court, un de leurs proches ou un de leurs amis en s'adres-
;
saut à telle personne pour qui ce prénom tout court évoque une autre
figure ce qui obligé à une correction où l'espèce de tous les porteurs
de ce même prénom est forcément envisagée. Ex. :
C'est ce qu'Edouard me disait tout là l'heure. — Ah 1 vous -avez vu

:
Edouard ? — Son petit Claude va-t-il bien ? — Ce n'est pas de cet.:
Edouard-là que je vous parle c'est d'Edouard Pichon,
Et cet autre Edouard qui va m'être rendu
Rappelle à mes regrets celui que j'ai perdu.
(Casimir Delavigne. Les Enfants d'Edouard. A. 1, se.2).
407. — Néanmoins, les noms, de famille ne s'emploient, pas seule-
ment avec leurs prénoms. De plus, ils ont la même forme pour les
femmes que pour les hpmmes. Ces deux faits les distinguent des sim-
pies annexes déterminatives toponomastiques, et engendrent un cer-
tain nombre de particularités grammaticales qui requièrent une étude

Considérons d'abord le nom d'un homme :


spéciale. Nous la ferons le plus brièvement possible, et en l'encom-
brant le moins possible de considérations historiques.
Louis Balandon. Il n'y
a aucun doute que, dans l'état actuel de la langue, le nom de famille
ne soit aucunement, dans ce cas, un ex-casu. Il est bien, au contraire,
la désignation directe du personnage qui le porte. La preuve en est
que Louis Balandon est couramment désigné par ses camarades, pour

simple vocable notoire capital :


qui il est le membre le plus notoire de la famille Balandon, par ce
Balandon. La langue officielle do
l'armée, des administrations publiques, la littérature et la science
même ont consacré ce dernier mode, d'appellation.
Ex. :
Dis donc, Lantibout, c'ty pas toi qu'es de chambre P
(Courteline. Le Train de 8 h. 47, VI).
On retrouve jusque dans cette dernière partie de la vie de Racine la trace
des cabales formées contre lui.
(F. Deltour. Les Ennemis de Rac,ine au XVlle siècle, lre partie, chap. VI,
p. 128).
Laënncc a le premier remarquablement décrit l'infarctus hémoptoïque.
(André Bergé. Traité de Médecine. T. III, p. 1, 255).
Dans beaucoup de provinces, s'est conservé un vieil usage, suivant
lequel le privilège de porter le nom de famille de façon capitalement
notoire est réservé à l'aîné qui, conséquemment, ne- pprte pas usuelle-
ment son prénom.Jean-Baptiste Pichon, atné de plusieurs frères, est
par exemple, appelé usuellement par tous ses proches « Pichon », et
son prénom n'apparaît que dans les pièces officielles. Les cadets,
Etienne Pichon, Alexandre Pichon, Philibert Pichon, sont appelés
usuellement « Etienne », « Alexandre », « Philibert. » Cf.
Vers ce temps-là, je me liai, je ne sais comment, avec François B-igillion.
L'aîné.se nommait Bigillion, suivant l'usage de notre province, le cadet
Rémy, humoriste, homme singulier, vrai Dauphinois, mais généreux, un
peu jaloux, même alors de l'amitié que Bigillion et moi avions l'un pour
l'autre.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XXVII, T. I, pp. 286-287).
408. — Les noms de famille ne s'appliquent pas aux femmes d'une
manière aussi directe. En fait, le nom de famille n'a qu'une forme
sexuisemblantielle, qui est masculine (1).
Dans cet état de la langue française, les femmes ne possèdent le
nom de famille qu'à titre casuel (2), le tenant soit de leur père, soit
(1) Quand.
;
formellement, le nom de famille est féminin, il suit pourtant la règle
sémantique générale il est masculin dans le sentiment linguistique. Ex. :
Alors La Guillaumette se sentit bouleversé.
(Courteline. Le train de 8 h. 47, V.).
(2) Sur l'origine génitive des noms de famille, cf. Darmesteter, Cours de gram-
nire historique de la langue française. T. II, p. 6.
de leur mari. Il faut distinguer avec soin le cas du nom du père de
celui du nom du mari.

que par l'homme :


Le patronyme est légalement possédé par la femme au même titre
c'est lui qu'elle peut, de ce chef, transmettre à ses

de son mari qu'une sorte de droit d'usage. ;


enfants naturels ou adoptifs. Au contraire, l'a femme n'a sur le nom
aussi les possibilités
d'emploi de ce nom sont-elles, en tout état de cause, beaucoup plus
restreintes pour elle.
Dans l'usage courant, l'on ne désigne pas une femme par un nom
de famille tout court. La forme masculine des noms de famille y ré- 1
pugne d'ailleurs. A la vérité, ce genre d'appellation est courant au
profession, on a voulu le mettre en vogue :
théâtre et dans certains milieux de femmes adonnées ü une même
cette tendance est déjà
ancienne. On la trouvait chez les filles d'hpnneur (3) des reines et des
princesses :
Rebours, une de ses filles, qui mourut à Chenonceaux, luy avoit fait
quelque grand desplaisir [à la reine Marguerite].
(Branthôme. Recueil des Dames. I, 5, T. X, p. 246).
Il s'agit de la fille de Guillaume Rebours, président au Parlement.
On l'employait naguère pour des personnes d'un rang inférieur et

ramment la dame de compagnie de sa mère Boisard. :


de condition demi-servile. Madame AD, née en 1796, appelait cou-

Cf. encore, dans un roman que l'auteur situe de nos jours, cette
phrase qu'il met dans la bouche d'une Madame Manchon, veuve d'un
gros industriel, parlant à sa demoiselle de compagnie nommée
Eva Lapirotte :
Lapirotte, allez secouer la cuisine qui est encore en retard.
(Ed. Estaunié. L'appel de la route in La Revue des Deux-Mondes. Ior oct.
1921, p. 521).
Cette teinte de demi-servilité était peut-être impliquée dans ce mode
de dénomination en tant qu'appliqué par la Reine là ses filles d'hon-
neur. Cf. pourtant § 410 in fine.
Ce tour s'emploie couramment à la maison d'éducation de la
Légion d'Honneur, entre élèves et de professeur à élève.
La parlure normale n'a point admis ce tour, en particulier, dans
le milieu des étudiantes, où il avait un instant paru devoir faire florès,
il a fait fiasco. D'ailleurs, la langue officielle le rejette et la littérature
ne l'admet que partiellement, pour le théâtre. Ex :
Barras est roi, Lange est sa reine.
(Clairville, Sirautlin et Koning. La fille de Mme Angot. Acte I, se. 14).
Mademoiselle Nanteuil !A vous. Où est donc Nanteuil
Nanteuil parut, emmitoufflée dans ses fourrures.
?. Nanteuil 1

(A. France. Histoire Comique, p. 132).


i
(3) Sur celle dernière tournure. Cf. infra, § 410.
Cf. aussi les vers suivants dans lesquels la Fontaine désigne par le
nom de Sévigné non pas la femme célèbre de ce nom, mais sa fille.
Sevigné, de qui les attraits
Servent aux graces de modale
-.
Et qui nâquistes toute belle.
(La Fontaine. Fables Choisies, IV, I. Le lion amoureux:).
• Il eût peut-être été moins facile à La Fontaine d'employer ce tour
s'il se fût agi d'une personne ne possédant le nom de Sévigné que du
fait de son mari.

:
D'ailleurs, une fois la tournure admise, elle souffre les mêmes
extensions qu'appliquée à des hommes
serait-elle pas digne de figurer à côté des épîtres passionnéesdes Lespi-
Ne
nasse et des Aïssé ?
(Monval. Lettres de Adrienne Lecouvrear. Préface, p. 88).
Cf. supra §401.
0
Elle arrivait, précédée d'une grande renommée, et ses premiers succès fai.
saient espérer une nouvelle Champmeslé. (Ibidp. 20).
Les noms de famille pourraient s'appliquer directement aux. fem-
mes si la conscience de leur origine casuelle disparaissait assez pour
qu'ils pussent devenir délibérément des substantifs, et acquérir,
coimme tels, des formes; sexui!sembl(anljiellies féminines comparables
à princesse vis-à-vis de prince. Mais dans l'usage actuel, ceci n'est
possible que très familièrement tant pour le nom du père que pour
celui du mari
En ce qui concerne le patronyme, cf. :
Elle mit au monde Branquette, ce jeune miracle d'amour.
(Les Fausses Prudes ou les Amours deMjme de Brancas à la suite de IWs.
foire amoureuse des Gaules. T. II, p. 344).
Branquette désigne ici Mlle de Brancas.
;
Jfjfœsslerine est venue à midi rien de grave ; bronchite surtout à droite.
(M. AC. Lettre à M. P., le 28 novembre 1922).
c'est-'à-dire Mademoiselle Koessler.
De même, nous avons connu une demoiselle Poncet que le petit
cercle de ses camarades appelait Poncctte, une demoiselle Ulmann
que ses amies appelaient de même Ulmanine.
De même avec le nom du mari :
LE PROCUREUR.
HUBERT. —
LA FEMME. —Et
- Comment est votre nom ?
moy Jeharmette lluberle
Hubert.
A cause de mon mary.
(FureeduPet, dans Ancien Théâtre françois. T. t, p. 103)..
Elle sait aussi bien que vous que Gallardonette est une vieille poison.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. IV, p. 171)
se. Madame de Gallardon.
C'était Miraine qu'elle se nommait.
(Péroèhoit. Les Gardiennes. III, I, p. 211).
Ils'agit de la femme de Mirain.
Nodier s'est servi de ce procédé pour un effet littéraire :
En notre forêt de Lions, vers le hameau de la Goupillière, tout près d'un
grand puits-fontaine qui' appartient à la chapelle Saint-Mathurin, il y avoit
un bonhomme, bûcheron de son état, qui s'appeloit Brisquet, ou autrement
le fendeur à la bonne hache, et qui vivoit pauvrement du produit de ses
fagots, avec sa femme qui s'appeloit Brisquette. Le bon Dieu leur avoit
donné deux jolis petits enfans, un garçon de sept ans qui étoit brun, et
quis'appeloit Biscotin, et une blondine de six ans qui s'appeloit Biscotine.
(Ch. Nodier. Le Chien de Brisquet).
Quand un prénom vient s'intercaler entre l'appellatif Madame ou
Mademoiselle et le nom de famille, deux cas à distinguer
patronyme, celui du nom du mari.
:celui du

Avant le patronyme, pn peut toujours bien entendu, placer le pré-


nom de la femme. Ceci est vrai des femmes célibataires. Ex : Made-
moiselle Louise Thuillier; des femmes mariées, ex : Madame Louise
Thuillier, épouse de Raymond Grandin; des femmes divorcées, ex :
Madame Louise Thuillier.
Exemple :
Ma mère, Madame Henriette Gagnon, était une femme charmante et j'étais
amoureux de ma mère.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. lIT. T. I, p. 38).
Il s'agit de Madame Beyle, mère de Henri Beyle, dit Stendhal.
Avant le nom du mari, on peut, après l'appellatif Madame, placer
soit le prénom de la femme, soit celui du mari, soit les deux, le pré-
nom de la femme précédant alors toujours celui, du mari. Ex : ,
Madame Raymond Grandin, Madame Louise Grandin, Madame Louise
Haymond Grandin.
La tournure Madame Raymond Grandin est le libellé ordinaire des
cartes de visite. Le nom de Raymond Grandin est ici dans son entier
et c'est de ce nom entier que la femme se sert comme appellation
ex casu. Elle est dame du fait de Raymond Grandin. C'est de nos
jours, à Paris, parce tour Madame Raymond Grandin que l'on désigne
ordinairement, dans le bon usage, les femmes mariées (4). Ex :
A Paris, chez la veuve Hubert Velut, rue de la Tannerie, près de la Grève.
1G28, in-8.
(Sentences et règlement donnés par Monsieur le prevost de Paris, note bi-
bliographique, dans Variétés et Historiques et Littéraires. T. VII, p. 62).
A Paris, chez la vefve Jean du Carroy, rue Saint-Jean-de-Beauvais, au Ca-
dran. M.DCXVIII.
(Incendie du Palais, in ibid. T. II, p. 159) (5).
(4) Nous n'envisageons ici le tour Madame Raymond Grandin qu'en tant qu'il est
en concurrence avec les tours Madame LouiseGrandin et Madame Louite Raymond
(,""tndin ; mais bien entendu, le tour sans (Arénom,, type Madame Grandin, reaq&
l'ès courant.
Tel est, en effet, le sentiment qu'înspira au poète, dans les derniers mo.
ments de sa vie, la muse pudique, la douce hôtesse de Luciennes, la char.
mante madame Laurent Lecoulteux.
(A. France. La Vie littéraire. lre série. M. Becq de Fouquières, p. 312).
La tournure Madame Louise Granâin n'apparaît pas dans l'usage sur
le même plan que la précédente. Pour les emplois les plus anciens, il
faut se rappeler qu'autrefois, l'usage de quel prénom que ce soit en-
tre l'appellatif et le nom de famille n'existait pour ainsi dire pas (G).
L'intercalaison du prénom de la femme ne constituait donc pas pro-
prement une appellation, mais une sorte de précision occasionnelle
donnée à titre explicatif. Exemple.
Je ne me souviens de lui que par un portrait que Mme Camille Gagnon
a maintenant dans sa chambre à Grenoble.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XIII. T. I, p. 160).
Se. Madame Romain Gagnon, née Camille Poncet.
Mme Eve de Balzac, ta helle-fille, a pris pour lever tous les obstacles d'af-
faires, une résolution héroïque.
(H. de Balzac. Lettre à sa mère. Mars 1850, apud Marcel Bouteron. Apoloyie
pour Mme Ilanska, dans la Revue des Deux' Mondes du 15 décembre 1924,
p. 820).
A ma chère fille, Madame Colette Lippmann.
(A. Dumas, fils. Dédicace de la Princesse de Bagdad. 1880).
Mme Marie Vialis le comprenait trop bien.
(Paul Bourget. La Geôle. VI. dans la Revue des Deux Mondes du 1er jan-
vier 1923, p. 37).
Le tour Madame Louise Grandin, paraissait d'ailleurs probablement
moins atypique, à l'époque récente encore où le tour Madame Ray-
mond Grandin n'avait pas l'importance qu'il a actuellement par rap-
port au tour Madame Grandin. Peut-être d'ailleurs l'usage est-il à ce
point de vue plus archaïque en prpvince qu'à Paris. Cf.
Souvenez-vous dans vos prières, de Madame Emma Emilie Mulot.
(Carie de Commémoration, 1902).
Quoiqu'il en soit, à Paris, à l'heure actuelle, dans la bourgeoisie,
c'est le tour Madame Raymond Grandin qui a la primauté. Dans les
cas d'espèce, nous n'avons vu !à Paris le tour Madame Louise Grandin
apparaître que sous l'influence de trois causes différentes, pouvant
d'ailleurs se combiner entre elles dans les cas les plus défavorables
aï L'insuffisance de culture. Le tour Madame Lou.ise Grandin est on
:
effet très répandu dans le style journalistique. Ex. :

:la vefve d'Anthoine Coùlon,


(5) Cf. avec de
A Paris, chez rue d'Escosse, aux trois Craniail-
lères. M.DC.XLIX.
(Le Hazard- de la Blanaue, in ibid.. p. 325).
(6) S'il y a quatre monsieur et madame d'Argenson, cela impatientera Ie
public et nous nous attirerons des sobriquets.
(Le Marquis d'Argenson. Lettre à son frère, 19 juillet 1744. T. IV, p. 381).
Hier matin, à dix heures, place du Marché, à Nanterre, Mme Vve Marie
Fcntaine, 72 ans, ménagère, a été brûlce vive dans la chambre qu'elle oc-
cupc à cette adresse.

jï) L'exotisme : (L'Echo de Paris du 28 février 1925, p. 2, col. 5).


les Allemands, par exemple, disent de façpn cou-
l'alite: Frau, Emma Schwinzenbein pour désigner l'épouse du nommé
Sciavinzenbein. On conçoit qu'une femme d'origine étrangère mal ac-
climatée en France, ou qu'une femme entichée de xénomanie copie
ceite tournure.
y) Le féminisme : l'un de nous entendait dernièrement l'un de ses
camarades conter que sa mère, Mme DB, n'inscrivait jamais sur ses
cartes, devant le nom de son mari, d'autre prénom que le sien pro*-
pre (7) « afin de marquer qu'elle conservait, dans le
mariage, son
indépendance, et n'était point absolument inféodée à son mari. » On
sent ce qu'a de puéril une pareille manifestation.
C'est
:
sans doute pour réagir contre cette tendance qu'.a été créé ré-
cemment le tour Madame Louise Raymond Grandin, ex. :
M. Arsène Couvreur, vivement touché des témoignages de sympathie qui
lui ont été adressés à l'occasion de l'épreuve douloureuse de la mort de
Mme Jeanne Arsène Couvreur, née Bardoux.
(L'Echo de Paris du 6 novembre 19,24, p. 2, col. 5).
Beaucoup de bourgeoisesfrançaises prennent, depuis quelques an-
nées, même en l'absence de l'appellatif Madame l'habitude de placer
le prénom de leur mari entre le leur et le nom de famille que le mé-
nage tient du mari. Elles signent, par exemple, Louise Raymond. Gran-
din au lieu de Louise Grandin. (Cf. § 585).
L'usage qui, pour désigner la femme, ajoute aux noms qu'elle pos-
sède en propre le cas possessif du nom du mari remonte d'ailleurs au
latin. Cf. :

« Comprecationes deum immorlalium quæ litu romano fiunt, expo-


«

«
:
sitae sunt in libris sacerdotum populi romani et in plerisque antU
quis orationibus. In iis scriptum est Luam Satumi, Salaciam Nep-
tuni, Horam Quirini, Virites Quirini, Majam Volcani, Heriem Juno-

Madame suivi du prénom et d'un nom de famille est, bien entendu, la seule
:
(7)
appellation possible pour les religieuses et les divorcées. Mais le nom de famille est
alors celui du père et non celui du mari. Cf. les actes de l'état civil Madame
Louise Thuillier, épouse de M. Raymond Grandin.
Plus anciennement, quand les femmes non titrées, puis non nobles, même mariées
n'avaient que le titre de Mademoiselle (cf. infra, § 423), le même usage se trouve
déjà :

feue damoyselle Magdqjeine de Monceaux, lors de son trépas veufvé


Guillaume de Ron-sard.
(Jugement du Tribunal d'Orléans du 15 février 1574, apud Rochambeau. La
famille de Ronsard. VI,
p. 308).
J'ay remis à la demoiselle Anne Chéron, femme du sieur Lebel, peintre
de l'Académie Royale, le brevet de don qu'il
a pieu au Roy d'accorder tant
Pour elle que pour ses deux sœurs.
(Kené d'Argenson. Rapports du lieutenant de police, 29 juin 1715, p. 389).
« nis, Moles Martis, Nerienemque M artis.
Plautus autem in Trncu.
« lento, conjugem esse Nerienerti Martis dicit (8). »
C'est pourquoi Monsieur Léon Baudet était parfaitement fonde à
écrire :
Le soir, il [Tifanius Ruberl raconta à sa femme Calphurnia les intrres,
sants incidents auxquels il avait assisté. les femmes se tenaient d'un
côté, dans des salons ouverts sur les jardins, jacassant de leurs petites
affaires, sous la présidence de Metella et de Calphurnia Ruber.
(Léon Daudet. Sylla et son destin. Ni, pp. 172 et 194).
409. — Même pour l'homme, ce n'est jamais que parnotoriété
ca-
pitale que le nom de famille employé seul arrive à le désigner. Dans

ment. Ex. : la famille Boucher. On dira de même :


la notoriété générale, le nom de famille est proprement le nom d'une
famille, ce qui justifie pleinement la façon dont on le désigne Couram.
les Boucher,
mais sans la marque du pluriel, là cause de l'origine casuelle primi-
tive du tour, qui s'expliquait jadis par « ceux de Boucher, ceux qui
dépendent de Boucher » ; ex. :
Elles fies robesl ont été portées par mon arrière-grand'mère qui était de
la Martinique et qui connaissait beaucoup les Tascher de la Pagerie.

L'usage est donc d'écrire :


•(RenéBoylesve. L'Enfant à la Balustrade. III, 15, p. 241).
les deux Corneille.
Néanmoins, il semble y avoir eu autrefois un certain flottement.

de famille. Exemples :
-' Sortant de la conception casuelle, certains mettaient une s aux noms
1

Madame, vous ne demeurerez jamais sans avoir des Montlucs, car il vous
en demeure encore trois, qui sont mes deux frères et mon fils.

;
(Biaise de Montluc. Commentaires. V. T. II, p. 48).
J'ai une grâce à vous demander c'est pour lesPichons.
(Voltaire. Lettre à Tronchin du 29 juillet 1757, apud F. Brunot. La Pensée
et la Langue, p. 105).
Cet usage s'est maintenu en littérature pour les noms latins les
Horaces, les Curiaces, les Gracques, les Antonins,etc.
:
Beaucoup d'auteurs se font une règle de l'employer encore pour les

de déférence :
familles souveraines, ce traitement exceptionnel semblant une marque
les Bourbons, les Stuarfs. On écrit d'ailleurs très sou-
vent les Bourbon, les Stuart, et presque toujours les Bonaparte.
Dans les exemples ci-dessous de Molière et de Racine, il est dou-
teux si la présence de l's est due ou non à l'emphase burlesque.
Si je ne suis pas né noble, au moins «ufe-jead"une raoe où il n'y a pas de
reproche, et la famille des Dandys.
(Molière. Georges Dandin. Il, S).
Regarde dans ma chambre et dans ma garde-robe

(8) Auln-Gelle. Noctes Atticae. XIII, 22.


* Les portraits des Dandins

essentiellement unique
les personnes de la
qués ; ex. :
ont porté la robe.
: tovkS
(Racine. Les Plaideurs. I, 4) (I).
pans cette acception, le nom propre, quoique n'impliquant pas du
;
tout de communisation par comparaison comme au § 402, cesse
il devient la désignation commune à toutes
d'être

famille, et tous les articles peuvent lui être appli-

Cette Qourvaisier avait avalé presque tous les lundis un éclair chargé de
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. IV).
Si par exemple une Courvoisier se trouvait manquer de chaises dans une
réception qu'elle donnait., la Courvoisier, ennuyée à l'extrême. déplorait
un pareil contretemps.

Mon entendu l'emploi de l'article notoire


aucune des nuances sémantiques indiquées au
(ibid., pp. 142,143).
féminin n'implique ici
§ 419 infra.

410. — Les noms de famille composés du strument de suivis d'un


nom de lieu donnent lieu à des obsenationsd'un ordre spécial. Ces
noms peuvent marquer soit l'origine (Jean de Meung, Blondel de
Nesle), soit la possession (Charles de Blois, le comte de Blois
à-dire qui possède Blois, dont Blois dépend). Dans le premier cas, la
soudure est le plus souvent accomplie dans la langue de notre temps :
cf. les nombreux Duval, Dupont, Dallemagne, Davignon, Dechar-
très, etc. Dans le second cas, au contraire, elle n'est d'ordinaire pas
faite (noms nobiliaires). Mais il n'y a pas là de loi absolue, de sorte
que le de n'implique pas forcément le rapport de possession nobiliaire
;
c'est-

comme trop de gens se l'imaginent.


Les questions de syntaxe ne sont d'ailleurs pas forcément connexes
de la question d'orthographe. Il va de soi que les noms dans lesquels
la soudure graphique est accomplie sont traités syntactiquement
comme s'ils ne contenaient pas de de, mais la réciproque n'est pas
tout à fait exacte.
En effet, depuis des temps reculés, il existe une tendance à confon-
dre entre eux tous les noms contenant de, comment qu'on les écrive,

les traiter tous


comme des patronymes banaux. Exemples :
et qu'ils expriment ou non un rapport de possession nobiliaire, et a

ainsi que grands Princes (disoit de Commines).


(Noël du Fail. Contes et Discours d'Eutrapel. XXVI, T. II, p. 206).
•••

U) Cf :
Nous avions aussi le gros Hélie. et les deux Monval.
(Stendhal. Vie de Henri Brûlard. XXXII. T. II, p. 28).

III plus loin par plaisanterie :


appelait
tous
les jours au tableau et en les tutoyant MM. de Monval
t Ou les Monvaux, comme nous les appelions. -
parce que par là elle cognbistroit que l'esprit de Ronsard et de du
Bellay. font en mon estomac une fontaine detrès eloquente eloquence.
(Larivey. La Constance. II, 4, dans Ancien Thédtre François. T. VI,p. 230).
Voilà de Vandy en campagne.
(Mademoiselle. Mémoires. I, 25. T. III, p. 18).
Mais de Vardes étoit amoureux à mourir de Mme de .Soissons.
(Le Palais Royal ou les Amours de Mademoiselle de La Vallière, à la suite
de l'Histoire amoureuse des Gaules. T. II, p. 61).
La Senora Molina fut montrer cette lettre au Roi qui la fit voir à de Vardes
(lbid., p. 63).
Ce fut le censeur de Sauci, l'hommes le plus vil que je connaisse. qui
servit la haine de mon ennemi.
(Restif de la Bretonne. Mes Inscripcions, p. 318).
Restif accuse l'astronome de Lalande, ami de cette demoiselle, d'avoir
cherché à le faire poursuivre pour la publication de cette lettre.
(Paul Cottin, dans son édition du précédent ouvrage, p. 68, note 1).
en 1767, le libraire de Hansy en donna encore une édition.
(Ed. Fournier. Edition du Roman bourgeois, p. 307, note 1).
Ah! monsieur, repartit de Bièvre, il sera comblé de vous recevoir.
(A. France. Les Calembours de Monsieur de Bièvre, dans les Annales du
1er avril 1923, p. 7).
Après la pièce on demanda à de Bièvre ce qu'il en pensait.
(Ibid.).
La plus poignante des émotions qui viennent d'une bibliothèque et la
leçon définitive, selon l'ex-libris de mon vieil ami de Montaiglon.
(G. Hanotaux. Bibliophiles, dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet
1923, p. 348).
le grand vainqueur de la Grande Guerre, le maréchal Foch, est ne à
Tarbes, à trois lieues du manoir familial des de Mun.
(Louis Barthou. Albert de Mun, in ibid., 15 mars 1923, p. 274) (1).
Il semble bien que cette tendance là la soudure soit plus forte quand
le toponyme commence par une voyelle. Ex. :
Pour cet effet, ils firent une assemblée de quelque noblesse, chez d'O,
homme voluptueux, prodigue.
(Hardouin de Péréfixe. Histoire du roi Henri le Grand. II, p. 83).
ce degré par où je vous vis monter dans le carrosse des d'Hacqueville.
(Mme de Sévigné. Lettre à sa fille du 3 mars 1761).
La Fontaine et bien d'autres restent fidèles au vieux D'Urfé.
(Paul Mouillot. Lè Roman, dans l'Histoire de la Littérature française de
Petit de Julleville. T. V, p. 552).
les longs ouvrages de d'Urfé.
(Ibid., p. 550).

(1)Cf.aussi:
C'est là une idée à la De Maistre..
(Albert Cahen. Ecrivains et Orateurs religieux, dans l'Histoire de la Litté-
rature française de Petit de Julleville. T. VII, p. 583).
'Mais M. Cahen semble en quelque sorte s'excuser d'employer ce tour en mettant
à De l°in'
une majuscule qui tend à l'incorporer davantage au nom propre. Cf. plus
l'hésitation de M. Mouillot au sujet de l'orthographe de « d'Urfé — D'Urfé ».
Mais à côté de cette tendance unifiante, existe une tradition diffé-
J'cnciative, qui est celle du parler normal, suivant laquelle, quand la
soudure n'a pas été orthographiquement effectuée, le de (qu'on écrit
dans l'usage avec un petit d) se supprime toutes les fois que le nom
de lieu servant de nom de famille n'est pas rattaché au prénom, aux
appellatifs Monsieur, Madame ou Mademoiselle, à un titre nobiliaire
(duc, comte, marquis, baron, chevalier, palatin, vidame., etc. (2)
ou à un nom de dignité (cardinal, marêchal). Exemples :
Il donna à M. d'Artagnan un mémoire de sa main de la disposition de ses
chevaux, qu'il donnoit à tous ses amis ou au moins à ceux qu'il croyoit
l'être. Le roi ordonna à Artagnan de le donner à Barail.
(Mademoiselle. Mémoires. 2e partie, ch. XX, t. IV, p. 323).
Cependant, M. Foucquet est allé dans la chambre d'Artagnan.
(Mme de Sévigné. Lettre au marquis de Pomponne du lundi22 décem-
c
hi 1664).
Vardes vint voir la comtesse.
(Le Palais Royal ou les Amours de Mademoiselle de la Vallière, à la suite
de l'Histoire amoureuse des Gaules. T. II, p. 61).
Les Orléans ont, suivant moi, fait une faute capitale en rentrant en France.
(E. Renan. Lettre au Prince Napoléon, octobre 1872, dans la Revue des
Deux M,ondes du 15 novembre 1922, p. 250).
Dans l'observation de MM. Long et de Gennes, où l'anesthésie est consi-
dérée comme d'origine corticale, il y a.
(Souques. Mouquin et Walter. Anesthésie. d'origine cérébrale, dans la
lievue Neurologique de février 1923, p. 157).
Demême dans l'observation de Long et Gennesr il est dit incidemment.
(Ibid., p. 158).
Cependant, ma grand'mère m'avait fait signe de monter me coucher, mal-
gré l'insistance de Saint-Loup.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. II, p.287).
,-
- en parfait mufle qu'il était, comme tous les Orléans.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. IV, p. 243).
on était heureux de se dire que Freycinet, demeuré lui-même à quatre-

(2) Lestitres nobiliaires ne correspondant plus à aucun privilège, on a' tendance


actuellement à les considérer comme partie intégrante du nom. A l'intérisur de ce
nom complexe, le nom de lieu n'a plus d'individualité substantielle. C'est pourquoi,
abord déconcertante:
Pour un Français d'aujourd'hui, une phrase comme la suivante semble au premier

L'on parla en ce temps-là de marier Mademoiselle de Piennes, fille de la


comtesse de Fiesque, avec le marquis de Guerchy, qui n'étoit qu'à. neuf
lieues de Saint-Fargeau.
(Mademoiselle. Mémoires. I, 18. T. II, p. 287).

Marquis est une fonction sociale;


Mais, à la réflexion, tout s'explique, Guerchy étant un nom propre qui pour être
pleinement substantiveux n'a pas besoin d'article. Mademoiselle a conscience qu'être
celui dont elle parle est marquis de Guerchy
comme tel citoyen est maire de Marseille, et Guerchy est à neuf lieues de Saint-
'argeau. Cf. chez la même autrice :
Ïétais assez d'avis que Préfontaine allât à
Saint-Eloi,
Arras, y ayant son frère abbé
(I( qui est un bénéfice considérable.
dre :

p. 143).
,
viaft^quatorze aBB, ai maître de sa pensée et de sa parole, réserverait à ses
admirateurs la joie de célébrer son centenaire.
(Raymond Poincaré. Discours aux obsèques de Charles de Freycinet, dana
le Temps t'fu: 20 mai 1933, p. 3, 001. 6).
Quand nous avons appris lundi dernier que M. de Freycinet venait de
s'éteindre doucement, il nous a semblé que disparaissait une clarté fami.
lière.

:
(Ibid.).
Chacun de ces deux usages peut donner lieu à des amphibologies.
La tournure différenciative peut avoir l'inconvénient de faire confon-

1° Un lieu avec l'bomme qui en tire son nom ; par exemple, dans

avancer..
ce passage de Saint-Simon :
C'est ce qui n'a été imaginé de personne, et que la cabale de Vendôme
n'a. aussi osé
(Saint-Simon. Mémoires. T. IV, chap. XV,
on pourrait entendre « lacabale qui se tient là Vendôme
s'agit de la cabale ourdie par M. de Vendôme.
3° Le nom employé directement avec le nom mis au raypn de, par
exemple, dans le passage ci-dessous
M,
-

p.
186).
alors qu'il

Les frères de Luyne ont bien plus grande occasion de détester leur sort.;
(Le Caquet des Poissonnières, dans Variétés Historiques et Littéraires. T. II,

on pourrait entendre « les frères portant tous comme nom « de Luy-


nes » alors qu'il s'agit des frères de feu- M. de Luynes, comme l'in-
dique la note suivante de l'éditeur :
:
Depuis la mort de Luynes au siège de Monheur, la situation de ses frères
était devenue telle qu'on la représente ici.
(Ibid.,note d'Edouard Fournier).
Mais ces confusions sont infiniment moins fréquentes et moins
graves que celles qu'entraîne l'emploi de la tournure unifiante, qui
risque constamment, elle, de faire croire à un nom de lieu mis au
rayon de, voire même à un nom nobiliaire d'homme mis au rayon

ment :
(te, alors qu'il s'agit d'un nom nobiliaire d'homme employé directe-
Le journaliste qui, dans le Petit Parisien du 5 novembre 1920,
parlait de l'aviateur de Romanet semblait vouloir désigner l'aviateur
du "rillage de Romanet, comme on dit « le menuisier de Sarcelles (3). »

deRomanet
,
:
(3) Le Temps a repris le même tour à l'occasion de la mort de

lieutenant aviateur de Romanet s'est tué ce matin à l'aérodrome


Le
M. Bernard Darny

do
Yillesauvage, près d'Etampes. (Le Temps, 24 septembre 1921, p. 4).
-
lisons, en effet, dans le Figaro :
Au contraire, le Petit Journal et le Figaro sont fidèles à l'usage différenciatif. Nous

; Or, qne voyons-nous dans le cas Romanet ?


(G. Ch. Bolides, in Le Figaro, 28 septembre 1921).
Dans lePetit Journal du mercredi 28 septembre, nous trouvons, de même, uri
Considérons de même la phrase suivante :
Il semblait natureL. qu'un enfant de onze ans fut évêque de Metz, et
que l'élève de La Trémoille fût premier gentilhomme de la Chambre.
(André Bellessort. Le vieux Louis-Le-Grand, dans la Revue des Deux-
Mondes, du lor octobre 1921, p. 692).
Au premier abord, on hésite entre deux interprétations
probablement, il doit s'agir de l'élève de M. de la Trémoille
:;
le plus
ou bien
alors, il s'agit d'un élève originaire de la Trémoille.Ce n'est qu'après

qu'on en vient là la véritable interprétation


nom de La Trémoille.
:
avoir constaté que ces sens étaient contradictoires avec le contexte
il s'agit d'un élève du

L'usage différenciatif est, tel que nous l'avons défini plus haut, le
bon usage (4). Certains poussent même la finesse jusqu'à éviter l'em-
ploi de de même auprès des noms de grades militaires ou universitai-
resque, plus grossièrement, on pourrait assimiler aux titres nobiliai-
res ou aux noms de grandes dignités, ex. :
M. le comte de Cauchain était lieutenant ou sous-lieutenant au 6e de dra-
gons en même temps que moi.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XLVI, T. II, p. 188).
Le général Cauchain, son oncle, avait pacifié la Vendée, je crois, et ne
manquait pas de crédit.
(lbid.).
M. de Cauchain quitta le régiment pour entrer dans la carrière consulaire.
(Ibid.).
La possible assimilation des substantifs précédant le nom propre avec
les noms de titres ou de dignités fait que les phrases du type l'aviateur
Je Romanet, l'élève de la Trémoille, sont à vrai dire beaucoup plus

:
recevables que la suivante, mise par Marcel Prpust dans la bouche
d'un homme du vulgaire
Voilà mon de Saint-Loup qui s'est amené et le cuistot en a entendu.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. T. III, p. 85).
Néanmoins, il est plus sûr de s'en tenir à la tournure différenciative.
En dehors de son mode d'expression syntactique, cette différencia-
tion trouve d'ailleurs aussi une expression phonétique. En effet, dans
les noms n'exprimant pas possession nobiliaire, le de qui, dans la
règle, porte une majuscule et s'écrit dans le même mot que le topo-
nyme originel, est, du fait qu'il est partie intégrante du nom résul-

arlicle :
intitulé
"Toute l'aviation aux obsèques de Romand.

que
Jaloux de bien écrire, s'en tire élégamment en mettant les trois fois le
Bernard de Romanet.
:
1-ans le cours de cet article, feu M. de Romanet est nommé trois fois. Le rédaa-
leur, soucieux d'une part de ne pas choquer les habitudes des lecteurs susceptibles
;le s'imaginer le de est partie intégrante du nom propre, mais d'autre part
prénom

(4) Naturellement, le de français précède toujours un nom de lieu, à l'encontre de


1, usage haut-allemand dans lequel
Patronyme.
on anoblit les gens en collant von devant leur
-
(5).
tant, susceptible de prendre l'ictus endosémantique. Au contraire
dans les noms comportant possession nobiliaire, le de qui, dans la
règle, porte une minuscule et forme mot à part, est toujours procli-
tique
Une difficulté surgit quand l'article notoire est contracté avec de
en l'article du. Saint-Simon suivait régulièrement, en ce cas, la règle
ci-dessus. Ex. :
Je reçus en ce temps une véritable affliction par l'exil de M. du CharmeZ.,
(Saint-Simon. Mémoires. T. III, chap. 20).
Le roi lui venoit d'ordonner d'expédier une lettre de cachet pour exiler
le Charmel en sa maison du Charmel.
(Ibid.).
Le maréchal de Noailles me dit l'exil du Charmel.
(Ibid.).
Il semble bien que la dernière phrase citée ne sortirait pas naturel-
lement d'une bpuche française d'aujourd'hui, car la combinaison de
la préposition de avec l'article y revêt un caractère de contraction mé-
canique étranger à la langue de notre époque. Le vulgaire dirait à
coup sûr « l'exil de du Charmel. » Pour nous, peut-être dirions-nous,
pect de l'usage ancien :
pour accommoder notre moderne besoin de précision avec le res-
« l'exil de le Charmel. » Mais il s'agirait là,
à coup sûr, d'une tournure artificielle.
D'ailleurs, la difficulté que nous venons de signaler paraît avoir
amené des hésitations dans la langue depuis une époque assez recuire,
mais à titre sporadique et sans que la règle ci-dessus en reçoive de
sérieux assauts. C'est ainsi que la reine Margot, dans ses Mémoires,

:
observe très régulièrement la même règle que Saint-Simpn, à deux
endroits près. Exemples
que le Guast estoit assez meschant d'avoir faict cette partie expresse-
ment pour le faire sortir mal à propos.
(Marguerite de Valois. Mémoires, p. 59).
Mais depuis qu'il estoit party, il avoit proche de luy le Guast.
(Ibid., p. 18).

Inventions ,
Ce sujet estant osté au Guast.

de la bouticque du Guast.
(Ibid., p. 60).

(Ibid., p. 23).
Les deux dérogations consistent la première, en suppression de l'ar-
ticle :
(5) Pour la lutte entre la préciosité consistant à appliquer là différenciation signalée
ici, et la préciosité consistant à escamoter toujours certains [(œ)] écrits. Cf. :
Dans d'autres groupes mondains, quand on parlait des Chenonvillc,
l'habitude était (du moins chaque fois que la particule était précédée d'un
:
nom finissant par une voyelle.) que ce fût l'e muet de la particule qu'on
sacrifiât. On disait « Monsieur d'Chenonville ». Chez les Cambremer,
tradition était inverse, mais aussi impérieuse. C'était l'e muet de Chenon-
ville que dans tous les cas on supprimait.
la

(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. V, vol. II, p. 40).


Et commande au gros Ruffé, instrument propre de telles malices, pour
estre amy de Guast, d'y aller voir.
(Ibid.,p.46).
La seconde, en maintien de la « particule », le nom propre étant
employé comme sujet sans être précédé d'aucun titre, comme selon
la tendance unifiante de notre temps :
coynoissoit bien que du Guast, s'attacquoit à Bussy pour ne s'oser
prendre de premier abord à luy-mesme.
(Ibid., p. 59).
Cf. :

On lui donna la ville de Saumur, où il établit gouverneur le Plessis-


Mornay.
(Hardouin de Péréfixe. Histoire du roi Henri le Grand. I, p. 74).
Je dîne tous les vendredis chez le Mans avec M. de la Rochefoucauld.
(Mme de Sévigné. Lettre à sa fille. 11 mars 1671).
Les restrictions apportées § l'emploi du nom de famille sans
408 à
appellatif ni article pour la désignation des femmes ne sont pas appli-
cables ici, los femmes ayant le même titi"jC que les hpmmcs 'à porter

viril ;
génitivemenl le nom d'un lieu, nom qui n'a rien de spécifiquement,
ex. :

Limeuil lui reprochait de faire tout le pis qu'il pouvait aux filles et de
l'avoir fait elle-même tourmenter et rechercher dès qu'il avait soupçonné:
sa grossesse.
(Le duc d'Aumale. Histoire des princes de Condé. I, 4).
J'allai dans la chambre de yandy, je la trouvai toute seule.
1, 23, T.
(Mademoiselle. Mémoires., II, p. 424).
Mlle Isabelle de Limeuil et Mlle de Vandy étaient filles d'honneur
respectivement de Catherine de Médicis, reine de
France, et de Made-
moiselle. C'est peut-être à partir de ces emplois d'origine toponymi-
que que se sont développés les emplois féminins du patronyme étudiés
au § 406, 1". Cf. Mlle Rebours, supra § 408.
Mais plus tard, par une marche inverse, les noms de famille d'ori-
gine toponymique tendant à se fondre dans la masse des patronymes
banaux et à s'assimiler à eux, l'emploi du tpponyme sans appellatif
appliqué à une femme prend un air garçonnier comme s'il s'agissait
d'un patronyme banal. Ex. :
« Tu vaux mieux qu'eux et que nous, Percy ! » -
dit l'abbé. Il appelait
toujours sa sœur par son nom de Percy comme si elle avait été un homme,
et il y avait dans cette habitude de langage un hommage de respect que
méritait cette vieille lionne de sœur.
(Barbey d'Aurevilly. Le Chevalier Des Touches. II, p. 38).
(Il s'agit de Mademoiselle de percy).

:
411. — Ce cas nous conduit à celui, infiniment plus simple, des.
noms de famille comportant formellement l'article Legrand, Le Royp
le Bec, Larue, La 'Guillaumette, etc. De quelque façon qu'ils s'pr-
:
thographient, la règle dusage est toujours la même, et elle est absolue.
Grammaticalement, ils n'ont pas d'article la syllabe [llb],[1
perdu là toute valeur taxipmatique. Aussi sont-ils traités exactement
a à],
comme les noms de famille banaux. Ex. : J'ai parlé à Le Roy, à Le
grand, à le Bec.
Je te parle de Le lloy, de Legrandt de le Bec (1).
C'est seulement chez le vulgaire, et par plaisanterie, que l'on
redonne quelquefois au composant le sa valeur articulaire (2). Ex. :
Méfie-toi au brigadier Lefèvre.
(Tristan Bernard. Le Fardeau de la Liberté. Se. I).
Méfie-toi au Fèvre.
(Ibid.).
PREMIER AGENT.
DEUXIÈME AGENT.
-- Çà, c'est encore un coup au Fèvre.
Tu vois du Fèvre partout.
(Ibid.).
412. — Les substantifs nominaux essentiellement uniques qui s'em-
ploient d'ordinaire sans l'article notoire s'en font accompagner néan-
moins dans certains cas particuliers.
Cesemplois de l'article se répartissent sous deux chefs :
1° — Ou bien pn introduit dans la phrase un élément nouveau,
étranger au substantif essentiellement unique et qui force celui-ci à
prendre l'article notoire.
2° — Ou bien, sans y être forcé par aucune circonstance sémantique
surajoutée dont l'expression vienne exiger l'article notoire, on met ce-
pendant celui-ci auprès du substantif nominal essentiellement unique,
afin de marquer une nuance sémantique nouvelle, très fine d'ailleurs,
et précisément contenue toute entière dans la présence de l'article
notoire.
413. — Sous le premier chef, rentre d'abord la présence obligatoire
de l'article notoire auprès du substantif essentiellement unique quand
une catadmète vient s'épingler à lui.
Sylla m'a précédé dans ce pouvoir suprême
Le grand César mon père en a jouy de mesme.
(Corneille. Cinna. II, 1).
Le beau Robert et la charmante Adèle,
Sans avoir aucun laid penchant
N'étaient pas bons comme Anatole.
(Elise Moreau. Le Nid de Merles, in Le Trésor Poétique, p. 227).
(1) Il en est de même des noms d'origine flamingo-néerlandaise commençant par
l'article notoire De. Ex. : De Haas (Lelièvre), De Graaf (Lecomte), ceci en dépit des
entreprises par lesquelles des porteurs de ces noms essaient, en remplaçant leur
grand D par un petit, de les faire prendre pourdes noms nobiliaires français.
:lé].
(2) De même, l'un de nous a connu, dans* un milieu militai're, un nommé Lcnc.
» :
n vcé].
veu, dont ses camarades disaient en plaisantant « Faut dire çà au Neveu Il [6 disaient
«C'est lacuiller duNeveu [IIunv Les mêmes personnages
[L n de v œ],- alors que les personnes des classes cultivées auraient dit, selon les
circonstances, [1 de n v cfe] ou [1 n œ v cfe] pour le neveu, substantif nominal
commun, mais toujours [1 de n v db] pour Leneveu, patronyme, précisément à cause
de la soudure de l'article.
C'est au § 532 que nous tenterons d'expliquer pourquoi cette épithè-
te entraine obligatoirement la présence de l'article (1).
Un adjectif nominal peut d'ailleurs suivre le substantif nominal
essentiellement unique, mais son indépendance est alors plus grande.
Il est épanadmète et ne prend pas l'article, ex. :
Malgré tant de diversions, l'image obsédante d'Anne délicieuse hantait
son cerveau.
(F. de Miomandre. Ecrit sur l'eau. Baisers dans le soir, p. 102).
L'adjectif postérieur accompagné de l'article assume lui-même une
assiette notoire qui en fait un substantiveux en apposition, ex. : Jean
le Bon, Philippe le Hardi. Ce tour est d'ailleurs assez rare et ne s'em-
ploie que lorsqu'il s'agit d'une qualité reconnue une fois pour toutes
à l'épinglataire : il n'y a plus épithète, mais surnom. (Cf. § 578).

414. — La présence de l'article est également obligatoire quand le


substantif essentiellement unique est accompagné d'un épiplérome
à
complexe destiné à faciliter l'allocutaire l'intelligence du texte, ex. :
Comme le Raskoltiikof du romancier de Moscou, le Saniel de M. Hector
Malot est jeune, intelligent, énergique.
(A. France. La Vie littéraire. 2e série. Les Criminels, pp. 75-76).
Tout de même, le surprenant contraste entre la New-York, la Philadelphie
d'il y a trente ans.
(A. Chevrillon. New-York après trente ans, dans la Revue des Deux-Mon-
des du 1er avril 1923, p. 609).
Il faut éviter de confondre ce tour avec celui étudié au § 402 ci-des-
sus, dont le sémantisme était tout différent.
Dans l'exemple d'Anatole France, où il est question du Saint Tho-
mas d'Aquin du XIX6 siècle, ce n'est pas de Saint Thomas d'Aquin lui-
même qu'il s'agit, mais de Sainte-Beuve, tandis que dans l'exemple
apporté au présent paragraphe, Anatole France entend parler

connaissance ;
effectivement de Raskolnikof, du seul Raskolnikof existant à notre
et ce n'est que pour nous rappeler que c'est Dostpïewsky
l'auteur du personnage de Raskolnikof, et pour faire un parallèle entre
cet auteur et Hector Malot qu'il ajoute un complément convalent.
D'ailleurs, l'épiplérome convalent peut être précédé d'un adjectif
anadmète, sans que le tour soit modifié, ex. :
Mais Claire, si elle était demeurée auprès de moi, serait-elle la Claire
lucide et noble que je voyais.
(Edmond Jaloux. Les profondeurs de la mer. Dans la Revue des Deux-
Mondes. 1er juin 1922, p. 81).

(1) Bienentendu, l'article disparaît quand la soudure de l'épicatathète au nom est


si forte qu'un nouveau nom propre est constitué. (Cf. § 532); ex. :
MASCARILLE.
ERASTE. — Pleust à Dieu !
Gros-René-.sçait qu'ailleurs je me jette.

(Molière. Dépit Amoureux. 1, 4).
415. — L'emploi de l'article personnel auprès du substantif nomi-
nal essentiellement unique rentre encore dans la même série séman-
tique. En effet, la qualité de possédé-par-une-dcs-trois-personnes-lin-
guistiques étant une qualité taxiématique est, par cela même, forcé-
ment coalesccnte avec son substantif épinglataire. Elle n'est donc
qu'un cas particulier d'adjectif catadmèle, et obéit par conséquent à
la loi du § 413. Cette vérité n''est masquée que par l'union constante
du taxième articulo-noloire et du laxième de possession dans les taxio-
mes mon, ton, son, notre, votre (1). Ex. :
Cela sent son Rabelais et c'en est en effet.
x

Il s'écrie
Paint Jean
:
(A. France. Le génie latin. La langue de La Fontaine, p. 71).
« Mon gentil Rabelais 1» comme Dante soupirait « Mon beau
1 »
:
France. La Vie littéraire. 30, série. Rabelais, p. 29).
(A.
Votre Xénophon, Madame, était un bien honnête homme, mais entre
nous, il pensait médiocrement.
(Id. Ibicl. Dialogue des Morts, p. 332).
Dans ce dernier exemple, le locuteur a l'air de nier la notoriété
générale de Xénophon pour le restreindre à avoir élé introduit dans
le domaine notoire par son interlocutrice.
Il ne faut pas confondre ce tour, qui présente réellement le person-
nage porteur du nom, avec celui dans lequel on parle d'un person-
nage jugé analogue. Ex. :
Il fait sonpetitPoincaré,ensomme ?
(M. DC, le 10 septembre 1922).
&6.
-
Nous passons maintenant à l'étude des cas rangés sous le
second chef du § 412. Contrairement aux tours des §§ 413, 414 et
415, qui s'appliquent aux noms de choses comme aux noms de per-
sonnes, ceux que nous allons étudier maintenant ne nous ont paru
possibles qu'avec des noms de personnes. Encore se présentent-ils de
façon différente ppur les prénoms, les noms de famille appliqués aux
hommes et les noms de famille appliqués aux femmes.
417. — Les personnes appartenant !à un groupe social relativement
restreint, dont tous les membres se connaissent bien, peuvent se dé-
signer les uneset les autres par leur prénom précédé de l'article no-
toire. Ex. :
Mais la Catherine, qui s'était baissée sur le fouger avisa ses grand'jambes
et se retira tout épeurée.
- Qu'est-ce que c'est que çà P dit-elle à la Mariette.
(George Sand. François le Champi. XVII, pp. 160-161).

(1) La
:
id'ailleurs souvent ces taxiomes en leurs éléments
nôtre,levôtre.Ex.
:
langue de jadis et le parler très analytique.de certains enfants décomposent
le mien, le tien, le sien, le
Hé, bénoite soit la corone
De Jésu-Christ qui egvirone
Levostrechief.
(L'Ave Maria Rutebeuf. 132, Tome II, p. 147).
,ti;- .1
tinuelle familiarité (2).*
Dans l'usage rustique, cette tournure s'emploie, naïvement (1), pour
marquer la sympathie ou au moins l'indulgence résultant d'une con-
Dans l'usage urbàin, celle tournure s'entend aussi, par ostensible
imitatipn de la simplicité rustique, et de ce fait même, avec cette lé-
gère nuance de blague qu'on affecte volontiers en parlant des per-
sonnes qu'on aime bien.
418. — L'entrée en scène des noms de famille charge le tableau.
Ceci tient à ce que le nom de famille est, comme il a été dit au
§ 406 une annexe déterminative, à qui son origine casuelle a laissé
jusqu'à un certain point une nature adjcctiveuse.
1° Aux hommes, cet adjectif masculin s'applique directement. Cf.
supra § 407. Aussi l'article peut-il s'y appliquer quant à eux par un
mécanisme absolument identique à celui du § 417, ex. :
Eh bien, et le Rouffiac, il ne vient pas ?
(M. AE.
— le 27 juin 1921).
20 Mais en outre, les hommes étant désignés dans la vie publique
par leur nom de famille, une nuance sémantique spéciale devient
possible de ce fait. Il peut ne plus s'agir de familiarité
moquerie subsiste, et, n'étant plus tempérée par la bienveillance,
:
seule la

devient l'expression cruelle d'un mépris singulier. Ex. :


Par exemple, tes opinions en politique n'ont commencé à prendre un
autre port que depuis les longues et interminables conversations de la
duchesse d'Abrantès.S-e Metternich y assistait probablement toujours, lui
ou son ombre.
(Mme de Berny. Lettre à. Balzac. 18 juillet 1832, in « Revue' des Deux-
Mondes». lcr décembre 1921, p. 630).
Le Barfeld m'a chargée d'une mission relative aux prisonniers de guerre.
(L. Mirai et A. Viger. L'anneau de lumière. II, dans le Petit Parisien, 23
novembre 1921, p. 2, col. 3).
C'est une jeune fille alsacienne qui parle ainsi, pendant la guerre
de 1870, d'un officier prussien qu'elle hait, tant là cause de sa natio-"
nalité que parce qu'il la poursuit de ses importunes assiduités.

419. — Les conditions dans lesquelles le nom de famille précédé de


l'article notoire peut désigner des femmes sont aussi proches de celles
convenant aux hommes que la sexuisemblance masculine du nom de
famille le permet. En effet, d'une part, le tour est possible pour les

(1) C'est. en ciuelqne sorte le


période l'emploi de l'article personnel :
premier degré du tour que porte à son plus haut
Mon Hélène, mon Hélène,
r
Môn Amour.
(A. van Kasselt. Hélène. Boléro).
(2) Dans certaines familles, les :
enfanls. appellent leur père Père au lieu de l'ap-
peler Papa. Père fait alors fonction de nom propre (substantif nominal proprieux) et
peut secondairement être affecté de l'article a la manière des prénoms. On dit alors.:
le Père au lieu de mon père, notre père. Cet usage est surtout ,rustique.
paysannes; d'autres part, il est possible pour des femmes dont la noto-
riété excessive touche au scandale.
1°Le tour, quand il s'applique aux paysannes, est l'analogue
de celui du § 417 et du § 418 1°. Mais la présence de l'article pouvant,
en l'absence des appellatifs Madame, Mademoiselle ou des prénoms,
être appelée à indiquer seule le sexe, devient incapable d'exprimer la
nuance affectueuse ou blagueuse, c'est simplement pour indiquer qu'on
parle d'une femme, qu'on désigne Madame ou Mademoiselle Michaud
sous le nom de la Michaud ou de la Michaude, d ans les conditions
mêmes où l'on désignerait son mari ou son père par le vocable de
Michaud sans l'article.
Deux tours sont en concurrence
riable ; (3) lui donner une forme
1
: a) laisser le nom de famille inva-
sexuisemblantielleféminine (1).
Cette chambre où la Sauviat avait fait porter sa fille est située au premier
étage.
(H. de Balzac. Le curé de Village. Œuvres, T. XIII, p. 615).
Il faut donc que nous autres malheureuses nous crevions
sardien offrant un petit verre sur une soucoupe à l'huissier.
?
dit la Ton-
(Id. Les Paysans. T. XVIII, p. 270).
La Fosseuse est née dans le bourg. Son père, journalier de Saint-Laurent-
du-Pont, se nommait le Fosseur. En vertu d'une coutume romaine encore
en usage ici comme dans quelques autres pays de la France, et qui consiste
à donner aux femmes le nom de leurs maris, en y ajoutant une terminaison
féminine, cette fille a été appelée la Fosseuse, du nom de son père.

La Clarandelle répondit
(
:
(Id. Le médecin de campagne, T. XIII, p. 400).
Je ne sais pas.
(E. Pérochon. Nêne, p. 46).
Il s'agit ici de Madame Clarandeau.

:
La Af(isangère, tirée de sa songerie, abaissa les yeux et reprit vivement son
tricot. Mais aussitôt ses mains retombèrent c'était Misanger qui arrivait.
(Id. Les Gardiennes, T. I, p. 8).
- Gardez votre argent, madame Misanger.
(Ibid. III, 8, p. 296).
Mirain, non plus, n'écrivait. La Miraine ne cachait pas son angoisse.
(Ibid. III, 1, p. 217).
Ces deux tours ont en commun de procéder par substantivation; ils
diffèrent en ce que le premier ne dépasse pas le stade de substantivo-
sité, tandis que dans le second, l'afflux du nom de famille dans la
catégorie substantive est achevée.
En effet, dans le premier tour, c'est l'article qui porte toute la force
substantivante, et le nom de famille conserve sa forme adjectivale, en
l'espèce invariable parce que d'originecasuelle.
Dans le second, au contraire, la famille est conçue comme une espèce

(1) Ce second procédé est malaisé si le nom de famille setermine par un [de] ins-
table, comme les adjectifs pauvre, rouge, etc. ; il est impossible si le nom de fa-
mille de l'homme a déjà une forme féminine, comme La Guillaumette. Cf. supra,
note au § 408.
contenant des Clarandeaux et des Clarandelles (cf. supra § 409), comme
il y a des chiens et des chiennes, des princes et des princesses.
Cf. d'ailleurs POllcette, Ulmanine, Branquette, Gallardonnette ; Kœss-
lerine, Brisquette et Biscotine § 408 supra.
La constance de l'emploi des appellatifs Madame et Mademoiselle
pour toutes les classes sociales dans les villes en a depuis longtemps
chassé l'un et l'autre de ces tours. Dans les campagnes mêmes, ces
appellatifs deviennent de plus en plus fréquents.
2° Par un mécanisme analogue 'à celui du § 418 2°, l'article s'appli-
que aux femmes ayant acquis une notoriété de mauvais aloi
grandes criminelles, les prostituées en vogue, etc. Ex. :
les :
;
Encore un petit mot de la Brinvilliers elle est morte comme elle a vécu,
c'est-à-dire résolument.
(Madame de Sévigné. Lettre du 22 septembre 1676).
Rien ne se faisoit alors auprès du Roi que par la faveur de la Montespan,
et rien auprès d'elie que par la Scarron.
(Suite de la France galante ou les derniers dereglemens de la Cour, à la
suite de l'Histoire amoureuse des Gaules. T. III, p. 127).
Sans doute le respect de Madame de marraine de la Matintenon, l'en
empêchoit.
(lbid., p.
75).
Le mépris que, par préjugé, la plupart des Français ont nourri
pendant un certain temps contre les femmes de théâtre leur a fait
appliquer à toutes, surtout au XVIIe et au XVIIIe siècle, cette tournure,
sans que cette désignation impliquât d'autre cause d'infamie que la
profession dramatique, ex. :
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,
N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé
En a fait sous ce nom verser la Champmelé.
(Boileau. Epître VII. A M. Racine).
Au début du XIXe siècle, ce tour semblait déjà quelque peu inju-
rieux à certains. Cf.
Si quelqu'un disait la (2) Kably, au lieu de Mademoiselle Kably, j'éprou-
vais un sentiment de haine et d'horreur.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XV, T. I, p. 265) (3).
Des dispositions d'esprit analogue pnt à la même époque amené

(2) La est en italique dans le textè de Stendhal.

donnent pas la même interprétation au tour :


(3) Dans l'exemple ci-dessous, le personnage du roman et le conteur lui-même ne

En l'appelant la Molé (comme il disait d'ailleurs très sympathiquement


la Duras), M. de Charlus lui faisait justice. Car toutes ces femmes étaient
des actrices du -monde.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. VI, volume II, p. 99).
Proust ici donne son opinion personnelle sur Madame Molé, mais tout le contexte
nous a déjà laissé entendre que, dans l'opinion de son personnage, Charlus, l'expres-
sion comportait au moins une nuance de mépris comparable à celle qui est dans
a Montespan, la Scarron.
quelques auteurs à désigner par la même tournure certaines femmes
de lettres, à qui ils ne voulaient marquer aucune considération, ex. :
Je vois la Saint-Léger, qui m'embrasse.
(Restif de la Bretonne. Mes Inscripcions. N° 188, p. 63).

:
La disparition du préjugé contre la profession dramatique a en.
trainé celle de la tournure elle est désuète actuellement. Si certains
auteurs l'emploient encore pour désigner les actrices du passé, il n'en
est aucun qui ose s'en servir pour celles du temps présent, même les
plus célèbres : on ne songerait jamais à dire * la Bernhardt, * ln
Granier, * la Bartet (la tournure usuelle est celle du § 408 1° : Gra-
llier,Bartet).
Le tour s'est conservé plus longtemps pour les cantatrices, témoin
la Patti. Cette plus longue conservation était dûe à l'influence analo-

;
gique de l'italien, la même cause enlevant d'ailleurs au tour son ca-
ractère péjoratif ex. :
Et dans ce corps brisé concentrant ton génie,
Tu regardais aussi la Malibran mourir.
(A. de Musset. A la Malibran. XXVI. Poésies nouvelles, p. 94).

dans ces dernières années, exemple Lilvinne, Chenal


Litvinne, la Chenal.
;
Pourtant, même de ce domaine restreint, la tournure a disparti
et non * lu

Il faut observer qu'à l'époque où le tour florissait pleinement pour


toutes les femmes de théâtre, il ne comportait peut-être pas autant de
malveillance que maintenant, et était peut-être conçu dans l'esprit
des locuteurs comme plus voisin du tour 1° ; les actrices auraient été
alors, partiellement au moins, désignées ainsi simplement parce que
jugées, comme les femmes du vulgaire, indignes des appellatifs hono-
rifiques, Madame, Mademoiselle.
Cf. cet exemple de Pontchartrain, à propos d'un rapport d'Argen-
son:
Le sieur du Blan, qui se présente pour l'épouser, est d'une des meilleures
familles d'Auvergne, parmi les gens de robbet. Aincy, ce mariage ne sçau-
roit qu'estre advantageux à la demoiselle Brochot, puisqu'en la fixant pour
toujours dans la religion catholique, il la détournera du dessain qu'elle
pourroit avoir de passer auprez de sa mère.
(René d'Argenson. Rapports du lieutenant de police, 9 mars 1705, pp. 166-
167).
Au surplus, si la Brochot vouloit sortir du royaume, la faire arreister.
(Note de Pontchartrain. Ibid., p. 167).
Néanmoins, il y a entre le tour 2° qui nous occupe, et
le tout 1",
une grande différence : c'est que, dans 20, nous n'avons jamais
trouvé le nom de famille que sous sa forme invariable, indifféren-
ciée, masculine.

420. — A côté du nom propre ne prenant d'ordinaire pas l'article,


il faut placer les appellatifs sire, monseigneur, monsieul',. madame,
mademoiselle, et accessoirement maître et maîtresse.
Les quatre appellatifs monseigneur, monsieur, madame et made-
moiselle sont étymologiquement formés avec l'article personnel, mais
dans le sentiment linguistique présent, la valeur taxiématique de cet
article en a absolument disparu (1). Aussi ces quatre appellatifs
peuvent-ils être assimilés à des noms propres sansarticles.
Nous verrons d'ailleurs dans les. §§ suivants, à propos de l'étude
de détail, que le degré de soudure est plus grand pour [m (œ) s y ce]
Monsieur, dans lequel l'article personnel est phonétiquement mécon-
naissable, que pour [m Õ : s è n œ : r] Monseigneur, [m à d à m (œ)]
Madame, [m à d (de) m w à z è 1 (œ)] Mademoiselle, où il est pho-
nétiquement présent.

une phase plurielle :


Chacun de ces quatre appellatifs possède, outre sa phase singulière,
: :
[m é s è fi de r (z)] Messeigneurs (2) ;
[ni é : s y œ ': (z)] Messieurs ; [m é : d à m (œ) (z)] Mesdames ;
1111 é : d (de) m w à z è 1 (de) (z)] Mesdernoiselles.
D'ailleurs, il importe de remarquer qu'au point de vue phonétique,
les trois appellatifs Monsieur, Madame, Mademoiselle, sont soumis, du
fait de leur particulière fréquence d'emploi, non seulement au jeu

Monsieur connaît au singulier trois formes :


régulier de l'instabilité, mais aux accidents de la caducité.
l'une irrégulière
[Ill à s y Lé] (quelquefois représenté par la graphie Mossieu), forme
sans doute usuelle autrefois mais réduite aujourd'hui à des emplois
d'emphase burlesque ; deux correspondant au jeu régulier de l'insta-
bilité : [m œ s y œ], forme usuelle, celle qu'impose une politesse
correcte, et [m s y de], forme négligée, un peu cavalière et surtout
enfantine. Il faut remarquer qu'aucune de ces formes même la plus
développée, ne montre le vocable [s y œ : r] sieur sous une forme
inconnaissable pour le sentiment linguistique populaire.
Madame, par le jeu régulier de l'instabilité, aurait deux formes,
dont la première [m a
d 'à m œ], d'emploi absolument exceptionnel.
La forme usuelle est dpnc [m à d à m]. Toutefois, dans les conver-
sations rapides, surtout chez les personnes articulant faiblement, le d

(1) A l'époque classique, la soudure n'était pas encore absolue, ex. :


ce grand magistrat, à qui j'en ai écrit à même temps qu'à Mme de
Mouchy, sa sœur. J'ai fait cela sur ce que madite dame de Mouchy, parlant
à Mme de Valentinoy, lui dit que le roi avait demandé à M. le Premier
Président ce qu'il pensait de ce mémoire et que mondit sr per Président ne
peut lui dire que peu de choses.
22
(Vauban. Lettre à Puyzieulx. août 1700).
(2) En parlant des évoques, la coutume veut que le pluriel de Monseigneur soit
Nosseigneurs : il en a été de même autrefois des maréchaux de France (dont chacun
:
avait en particulier droit au titre de Monseigneur, cf. infra, § 424) en tant qu'ils
instituaient le tribunal de la Connétablie. Ex.
Beaufort, Recueil concernant le tribunal de Nosseigneurs les maréchaux,
{/r, France, cité in Histoire
amoureuse des Gaules.T. III, p. 480, note 2.
s'escamotefacilement,d'où les formes lfi à là'm] et même [m à : m]
à
et [M ml.Ex. :
- Adieu, marrie Fontaine !, s'écria la portière.

:
(Balzac. Le cousin Pons. OEuvres. T. XVII, p. 483).
Dans des cas plus rares, c'est
[md à m] (3).
le premier [à] qui :
succombe

La prononciation habituelle de Mademoiselle. ne fait entrer en


exercice ni l'un ni l'autre des [oe] qui suivent le [d] et l' [1]. Les
autres phonèmes sont obligatoIres. dans le bon usage. Mais le con-
tinuel emploi du vocable empêche la syllabe la plus atone, — moi —(
d'avoir pour sa voyelle un timbre bien déterminé. A Paris, même, on
entend tantôt [w à], tantôt [o], tantôt même [w de] ou [w ô].
[M à d m w là z è 1], [M à d m ô z è 1],) [M 'à
d m w œ z el],
[Màdmwôzèl].
La forme [M à m z è 1] (quelquefois représentée par les graphies
Mam'zelle, Mamselle (4), etc.), est reçue dans des emplois familiers
analogues à ceux de [m s y cé], ex. :
Mamzelle, je suis votre serviteur.
(Vadé. Nicaise. Scène VII).

s'allonger par allongement compensatoire. Nous avons d'ailleurs


(3) L' [à] semble
: !
ble Madame ;:
l'impression que cette forme [m d à m] est particulièrement enfantine. Bien pué-
rile aussi est l'afféterie qui chez certaines femmes déforme les phonèmes du voca-
tantôt, c'est le [d] dont le point d'articulation recule exagérément
tantôt c'est l'là} qui devient un [è]. Feu Madame L prononçait si constanimenl
[m è d è m] que le surnom un PieU;exagératil' de Médéme [m é dé m] lui : ;
avait été attribué.
(4) Aune certaine époque, la parlure vulgaire de Paris avait tiré de [m à m z è 1]
:
la forIpe [m à n z è 1] avec l'assimilation dentale de la consonkie nasale au [z] qui
là suit. Ex.
Maneselle, Quand d'abord qu'on n'a plus son cœur à soi, c'est signe
qu'une autre personne l'a.
(Vadé. Lettres de la Grenouillère, p. 57).
Manselle, c'est ben domage que ce n'est pas tous les jours Dimanche
comme le jour d'hier.
(Ibid., p.
62).
Nous ne pensons pas que la forme [m à : z è 1] ait existé. Certes, on lit :
Manzelle, n'y a pas
Dit-il, mais demain
de
:
réplique,
Quittons-nous comm' çà s'pratique
Le verre à la main. —
(Vadé. La Pipe cassée. I, p. 10. Chanson de Manon Giroux).
Manzelle Giroux s'ajuste,
Met son mantelet.
(IMd.).
Pargué, j'ai beau
Dessous l'ormeau
Attendr' Maàzelle Nicole.
(Vadé. Nicaise-r-Scène XVI).
Mais il s'agit probablement là d'une graphie de [m à n
à z è 1] (peut-être par un
archaïsme plébéien [m- : n z è l]) avec omission de l'e pour bien marquer com-
ment le vefrs doit être scandé. Ce qui nous confirme dans cette opinion, c'est la gra-
phie manselle, citée plus haut (Lettres de la Qrenouillère, p. 62), et quine peut
1

:
représenter la forme impossible [m a : s è l]. Pour ces hésitations graphiques, cf.
celles de la forme [m à m z è 1],qu'on écrit encore maintenant mamcselle, mam-
selle, mam'selle, manuelle et mam'zelle. La forme [m à n z è 1] n'a d'ailleurs pns
survécu : du moins ne l'avons-noùs jamais entendue.
MARCELLE. — Et, encore une fois, perdez donc l'habitude de m'appeler
Mam'selle. Mademoiselle, ce n'est pourtant pas bien com-
MARIA. - pliqué.
Oui, mam' selle.
I,
(Auguste Villeroy. Le sentier secret. 1).
Il arrive même que ce très long vocable s'écrase par caducité au
point de se réduire 'à
[m z è 1], forme la plus courte. Cf. l'exemple
du § 163.
Les pluriels, d'emploiplus rare, sont beaucoup moins réductibles.
Les formes [m é : s y ce], [m é : d à m], [ m é : d à m w 'à z è 1]
sont les seules usitées à la mise en exercice près des [(z)] finaux (5).

421. — Les appellatifs ont deux ordres d'emploi, les uns allocutifs,
les autres délocutifs.
Allocutivement, ils peuvent s'employer soit seuls, soit unis à un
autre substantif nominal.
;
L'emploi de l'appellatif seul est la règle ex. :
Je n'ay rien fait, Monsieur, que vous n'eussiez fait en ma place.
(Molière. Dom Juan, ou le Festin de Pierre. III, 3).
J'espère, Mademoiselle, que vous voudrez bien, pendant notre séjour à
Paris, venir me voir avec votre gouvernante P
(Edmond Gondinet. Un Parisien. I, 17).
Sauf le cas d'un appel à voix haute s'adressant 'à une personne don-
née au milieu d'un groupe, l'addition du nom de famille à ce voca-
tif est le propre du vulgaire. Dans la bouche d'un homme des mi-
lieux cultivés, elle est la marque d'un désir de se mettre à la portée
du niveau d'éducation d'un interlocuteur plus grossier, ou bien elle
indique l'infériorité dudit interlocuteur. Ex. :
GEORGE DANDIN.
— Puisqu'il faut donc parler cathegoriquement, je vous
diray, Monsieur de Sotenville, que j'ai lieu de,.
MONSIEUR DE SOTRNVILLE.
-—
Doucement, mon gendre. Apprenez qu'il
n'est pas respectueux d'appeler les gens par leur nom, et qu'à ceux qui
sont au-dessus de nous il faut dire Monsieur tout court.

dais comme m'étant attaché ;


Et vous, M. Girau, vous qui êtes sur ma Seigneurie ; :
(Molière. George Dandin ou le Mary confondu. I, 4).
vous que je regar-
vous quq j'ai traité toujours avec amitié
car vous savez que je ne suis point fier avec un honnête laboureur Eh bien !
;
vous avez rejeté mes offres, mes prières.
(Mercier. Le Juge. I, 5, p. 44).
Cf. aussi :
Cependant, il (le vicomte de Vogué) ne donne, à son illustre aîné que
du «Monsieur n
ou du « Cher Monsieur », comme à un égal, voire du
« Cher Monsieur Taine », comme à un fournisseur. Nous pourrions croire
que c'était sa manière. Mais il y a quelques mois qu'il donnait du « Cher
•naître »à une médiocrité comme Armand de Pontmartin. C'est que Pont-

(5) Les variations phonétiques du pluriel Mesdemoiselles quant à [w h] — [ô] —


{w œ]
dire [m :
sont naturellement les mêmes qu'au singulier. Nous n'avons jamais entendu
é zè
m 1].
,
divergences apparentes. Voilà Vogué
4).
:
martin était de son monde, et, en somme, de son parti, malgré quelques
on n'est pas plus vicomte.
(Paul Souday : Taine et VogUé, dans le Temps du 16 octobre 1922, p. 1,
col.

:
La condescendance et la hauteur ne laissent pas de s'allier souvent
l'une à l'autre. Exemple
Touchez donc là, Monsieur Dimanche. Estes-vous bien de mes amis.
(Molière. Dom Juan ou le Festin de Pierre, IV, 3).
Le bon usage, qui considère l'appellatif seul comme poli et l'appel.
latif accompagné du patronyme comme plus cavalier a de fortes ra-
cines dans l'usage ancien. C'est ainsi que le roi Charles IX écrit :
je prie Dieu, Monsr de Mathan, vous avoir en sa sainte et digne
garde.
(Charles IX. Lettre à M. de MaLhan. Manuscrit français. N° 3, 255. Bibl.
nat., p. 2, recto).
De même, le roi Henri IV, dans ses Lettres missives (cf. Recueil de

:
lettres missives de Henri IV, publié par Berger de Xivray) appelle ses
sujets M. de Schomberg (7 Mars 1590), M. de SIe-Marie (:31 Mai 1591),
M. de Maisse (11 Mai 1592), M. de Poyaume (7 Août 1607), Madame
de Montglat (23 Novembre 1608), M. de Breves (13 Mars 1610), etc.
passim. Ex. :
Monsr de Peucharnauld, J'ay esté bien aise d'apprendre. que les choses
soyent telles que vous me mandés de la Guyenne.
(Lettre du 26 janvier 1610, op. cit., T. VII).
Ce pendant je prie Dieu, Monsr de la Bodel'ie, qu'il vous ayt en sa sainc-le
garde.
, (Lettre du 27 avril 1610. Ibid.).

:
De même aussi, Louis XIV, dans une lettre portant la suscription
suivante
A Monsrle Bret, conseiller en nos conseils maistre des requestes ordinaire
de mon hostel, Intendant et commandant pour mon service en Provence.
(Manuscrit français, iNo 8, 831. Bibl. nat.).
écrit :
le 16° janer 1688.
— Louis. (Ibid., folio 115, VO).
Je prie Dieu qu'il vous ayt MonsTle
: :
Au témoignage de Branthôme, M. de Guise l'appelait
deille, tandis que lui appelait M. de Guise Monsieur
::
Bret en sa sle garde. Escrit à Versailles
M. de Bour-

«
monsieur, à
:
Toutesfois, continuay-je à M. de Guyse luy dire Ne laissez pour cela,
vous employer pour cest honneste homme. » et depuis me
disoit souvent « Je croy, monsieur de Bourdeille (car il m'appeloit tous-
jours ainsy), que nous ferons quelque chose pour nostre homme.
(Branthôme. Discours sur M. de la Noue. T. IX, p. 282).

1 :
L'explication de cet usage, nous paraît être dans l'analyse suivante
Lorsqu'on dit mon sieur tout court, cela implique que le locuteur
veut considérer l'allocutaire comme le seigneur dont il dépend ; au
contraire, dans mon sieur de Bourdeille, sieur de Bourdeille forme.
un tout, et le locuteur marque que le sieur de Bourdeille lui appar-..
tient à lui locuteur. Dans le premier cas, le locuteur apparaît donc
comme l'inférieur de l'allocutaire, alors que, dans le second cas, il
apparaît comme son supérieur.
L'addition du prénom est relativement plus' facile que celle du nom
de famille. On l'emploie pour atténuer la solennité de l'appellatif en
parlant à des personnes très jeunes et que l'on connaît suffisamment.
Ex. :

Eh bien, mademoiselle Marianne, voulez-vous me donner une poignée de


main ?
(André Theuriet. Le don Juan de Vireloup. Une heure d'oubli. N° 59,
page 22).
L'addition d'un substantif nominal indiquant une dignité obéit 'à

dans l'exercice actuel de sa charge :


une loi spéciale. On ne la fait qu'autant que l'on parle à la personne
C'est seulement dans leur minis-
tère, pendant les séances des Chambres ou au cours de leurs tour-

M. le ministre ;
nées ministérielles, que les ministres sont appelés, dans le bon usage,
c'est seulement pendant les audiences des cours et
tribunaux que les présidents sont appelés Monsieur le président (1) ;
c'est seulement pendant les séances des assemblées quelles qu'elles
soient que ceux qui les président sont appelés M. le Président
seulement à l'intérieur de l'armée que les médecins militaires sont
;
c'est

M. le curé que dans les limites de sa paroisse


ce titre que de ses paroissiens.
;
appelés M. le major. Le titulaire d'une cure n'est appelé par tous
ailleurs, il ne reçoit

Deux cas particuliers, obéissant d'ailleurs 'à cette loi, méritent néan-
moins une mention spéciale :
1° L'ensemble dans lequel le président de la République et les ma-
réchaux de France sont appelés à jouir de leur dignité étant la nation
entière, l'addition du titre est pour eux constante et universelle. Ex. :
Veuillez agréer, monsieur le maréchal et cher collègue, l'assurance de
ma haute considération.
(Le Comte d'Argout, Ministre du Commerce et des travaux publics.
Lettre à M. le Maréchal Soult. Par;is, Novembre 1831, apud Mémoires de
Guizot. T. II, p. 507).
De même, l'Eglise catholique se considérant — son nom l'indique
— comme universelle, il est poli de donner allocutivement à tout
prêtre de cette Eglise l'appellation toute courtoise de M. l'abbé, de
même que l'usage est de désigner délocutivement ses prêtres par le
nom de l'abbé X, encore que tous n'aient pas d'abbaye.
Il faut ajouter que Mademoiselle ne se joint jamais à un titre. Les
femmes, même célibataires, qui dans le milieu restreint voulu, ont

qui n'empêche d'ailleurs nullement de les appeler délocutivement le pré-


(1) Ce
sident X. Cf. le maréchal Pétain, le duc de la Rochefoucauld, le colonel Driant, le
sergent Bobillot, etc.
droit à un titre, y voient joindre l'appellatif Madame, réservé d'ordi-
naire aux femmes mariées. (Cf. infra § 424 (2).
,
2° Les titres de noblesse ne répondant plus là aucune prérogative
effective dans l'Etat, il n'y a plus que les domestiques qui, du fait de
l'artificielle humilité que leur impose leur profession, emploient, lors-
qu'ils sont bien stylés, le tour constitué par l'appellatif suivi du
titre (3). Ex. :
curieux effet du hasard que le maître d'hôtel de Mme de Guermanles
Ce
dît toujours « Madame la duchesse » à cette femme qui ne croyait qu'à
l'intelligence, ne paraissait pas la choquer.
(M. Proust. A la recherche du temps perdu. T. IV, p. 119).
Ces règles d'emploi du tour constitué par l'appellatif joint au titre
étant d'ordre plus social que linguistique, ne sont ni connues ni ob-

vocative la plus ronflante possible ;


servées par les braves gens qui croient poli d'employer l'expression
les fournisseurs qui ont la bonne
fortune d'avoir ppur clients des personnes titrées ne manquent pas de
leur donner à tout moment du Monsieur le Duc, du Madame la com-
tesse, etc. ; les hommes d'affaires qui ont à se mettre en contact

: :
avec les milieux politiques évitent rarement le ridicule de parler aux
députés et aux sénateurs en disant Monsieur le député, Monsieur le
sénateur. Exemples
Quel honneur !
Quel bonheur !
Ah 1 monsieur le sénateur,
Je suis votre humble serviteur.
(Béranger. Le Sénateur, p. 5).

(2) Il semble qu'au xvie siècle, époque à laquelle les questions d'étiquette et de
courtoisie mondaine ont pris toute leur importance, l'emploi vocatif de l'appellatif
seul fût extraordinairement plus révérentiel que l'emploi de l'appellatif suivi du
nom ou même d'un titre. Pierre de Sainct-Julien (apud Branthôme, éd. Prosper
Mérimée et Louis Lacour. T. III, p. 245), rapportant que le roi François 1er avait
repris quelqu'un qui avait adressé la parole au dauphin Henri en disant Monsei-
gneur, ne pense pas que le roi ait voulu par là se moquer d'une marque de respect
exagéré donnée à son fils, mais croit plutôt qu'il voulait rappeler que « l'appellation
absolue de Monsieur est spéciallement deiie au désigné successeur du roy ». De
môme, Branthôme (T. VII, p. 320) conte qu'au temps de sa jeunesse, un capitaine
n'eût jamais osé se faire appeler Monsieur tout court, mais mon capitaine ou tout
au plus Monsieur le capitaine. Il loue M. de Brissac (au T. IV, p. 349) de nie s'être
jamais fait appeler Monsieur tout court que par ses domestiques. Même dans son
gouvernement de Piémont, il était communément désigné par l'expression Monsieur
le maréchal. A celle époque, l'addition du titre même enlevait donc de la majesté
à l'appellatif.
(3) L'usage, en parlant aux nobles ayant un titre, est d'employer l'appellatif seul.
:
Il arrive aux familiers d'employer le litre, mais en supprimant l'appellatif et l'ar-
ticle,ex.
Tu es donc, Marquis, de ces Messieurs du bel air qui ne veulent pas que
le Parterre ait du sens commun.
(Molière. La Critique de l'Escole des Femmes. Se. V).
Cf. l'expression « docteur » pour interpeller un médecin. Elle implique toujours
quelque familiarité. Dire au médecin : « Monsieur le docteur » est strictement vul-
gaire et implique de la servilité. Un l'absence de liens de familiarité réelle, le
bon usage veut « Monsieur » en parlant à un docteur en médecine1 comme à un
docteur ès-leltres, ès-sciences ou en droit, comme à un ministre, comme à un mar-
quis, comme à n'importe qui.
- !
Eh bien Monsieur le député, ça va, cette commission des finances
lançait le gros Lambesse en serrant à la volée la main tendue,
?
(Colette Yver. Le Festindesautres, dans la Revue des Deux-Mondes du *
l«r juillet 1924, p. 20).
C'est dans la bouche d'un grossier mercanti enrichi que l'autrice
met cette expression triviale. Le même personnage a montré sa mau-

:
vaise éducation en disant plus haut (p. 19) : « Mpi qui ai gagné des
millions. » et plus bas la femme du même dit « Vous dont lafille
est au Conservatoire, dites-moidonc ce que c'-est que ce Beethoven
dont on parle tant. »
Enfin, nous nous sommes laissé dire que la plupart des sénateurs et
députés s'adressaient à tous les anciens présidents du conseil en se
servant de la formule Monsieur le Président.
Le titre de Monsieur étant autrefois réservé 'à des personnages de
grande importance, il était d'usage d'appeler Maître ceux que leur
niveau d'instruction ou de richesse interdisaient de dénommer sans
uppellatif et qui, pourtant, n'avaient pas droit au titre de Monsieur.
C'est ainsi que, dans les milieux judiciaires, les procureurs, avocats,
notaires, etc. étaient traités de Maître par Messieurs du Parlement.
Cette appellation s'est maintenue au Palais, mais son caractère originel
à
s'est tout fait effacé, et le titre singulier de Maîtreque portent les
avocats, les avoués, les notaires passe au contraire là tel ppint pour une
sorte de privilège que quelques huissiers tentent depuis peu de s'en
parer.

places.'
Une autre trace de l'ancien usage, c'est l'appellatif maître, donné
allocutivement en province à certains paysans cossus, surtout en Nor-
mandie et dans le Maine ; exemples :

- MatV Poiret, deux


Poiret s'en vint, haut et tortu, courbé par la charrue, maigri par
l'abstinence, osseux, la peau séchée par l'oubli des lavages. Sa femme le
suivait.
(Maupassant. La Bête à Maît' Belhomme, in Monsieur Parent, p. 91).
L'épouse d'un paysan nommé maître est naturellement nommée
maîtresse, ex. :
C'est mon père, maîtresse Desmares, qui a voulu venir vous remercier de
tout ce que je vous dois.
(A. Gennevraye. La petite Louisette, ch. VI, in Magasin d'iducation et de
Hécréation, 1884, 1er semestre, p. 171).
C'est qu'elle partage avec son mari l'aisancequi lui vaut ce titre ;
lundis que les épouses respectives de l'avocat, de l'avoué et du notaire
fte participent pas à l'office public de leur mari, de sprte qu'elles sont
appelées Madame et non maîtresse, de même que leur mari est à la ,ville
appelé Monsieur.
Dans l'usage rural dont nous venons de parler, le caractère un peu
inférieur du titre de maître n'était pas complètement effacé. C'est pour-
quoi, dans ces dernières années, l'usage a perdu du terrain.
En ce qui concerne l'addition du nom ou titre à l'appellatif, maître
et maîtresse suivent, dans l'usage, des règles très analogues 'à celles

;
qui régissent Monsieur, Madame et Mademoiselle.
La règle est l'emploi de l'appellatif seul ex. :
On lui dit bonjour, maître
De grâce, accordez-nous
;
La satisfaction d'être
Un moment avec vous.
(La complainte du Juif-Errant).
Vis-à-vis des avocats, avoués et notaires, qui vivent dans un milieu
cultivé, c'est bien l'appellatif seul que l'on emploie toujours. Ex. :
Maître, vous avez la parole.
(Courteline. Un client sérieux. Se. VI., éd. Modem Théâtre, p. 20).
Mais, dans l'usage rural, qui est un usage d'ordre vulgaire, on croit
plus poli de faire suivre l'appellatif maître du nom propre de l'allocu-
taire dès que l'on connaît ce nom propre. On montre ainsi !à l'alloca-
taire la notoriété dont il jpuit auprès de vous. Ex. :
Maître Hauchecorne, voulez-vous avoir la complaisance de m'accompagner
à la mairie ? «
(Maupassant. La Ficelle, in Miss Ilarriett, p. 245).
Comme, d'autre part, les paysans, par une sorte de méfiance que des
personnes d'éducation plus raffinée se garderaient de laisser ainsi trans-
paraître, ne donnent pas du maître à quelqu'un qui leur est encore
inconnu, l'emploi allocutif de maître seul est à peu près inexistant
dans l'usage rural.

422. — Délocutivement, les appellatifs peuvent s'employer soit seuls,


soit associés aux substantifs nominaux essentiellement uniques, soit
associés à un substantif npminal commun.
Les appellatifs délocutivement employés seuls peuvent l'être par
trois mécanismes sémantiques répondant à trois modes différents de
collation de la notoriété. Ces modes peuvent être rattachés à ceux que
nous avons décrits pour le substantif nominal commun sans que
pourtant ils leur soient absolument identiques.
1° En manière d'étiquette de cour, chacun des appellatifs désigne
délocutivement d'une manière absolue un des membres de la famille

;
royale. Monseigneur, c'est le dauphin du Viennpis, fils du roi Mon- ;
une fille de France
Exemples de Monsieur
;
sieur, c'est le frère cadet du roi Madame, la femme de Monsieur ou
Mademoiselle la fille ainée de Monsieur.
:
A) désignant le duc d'Angoulême, plus tard Charles IX. Nous n'en
avons pas trouvé, jusqu'ici, d'exemples contemporains, mais Aumolc
ne fait pas difficulté d'écrire:
:
Elle [la maison régnantel comptait alors quatorze princes vivants, outra
le roi François II, savoir
Les trois frères du Roi, Monsieur (Charles IX), le duc d'Anjou (Henri III),
le duc d'Alençon.
(Le duc d'Aumale. Histoire des Princes de Condé. I, 2. T. I, p. 92, note).
B) désignant le duc d'Anjou, plus tard Henri III :
Mais il fust bien trompé, car pensant luy mesme faire cest estat et aller
en ses armées, la royne voulut que Monsieur, son bon fils, fust son lieute-
nant général
(Branthôme. Recueil des Hommes. I, II, 39. T. VI, p. 261).
Il en avoit. fait deux pareilles, que Monsieur et La Molle portoient chacun
à son chapeau, qui entretenoient, ce dit-on, leur amitié réciproque.
(Anecdotes de l'Histoire de France, en appendice aux Mémoirejs de la
Reine Marguerite, p. 199).
C) désignant François de Valois, duc d'Anjou, dernier fils de
Henri II :
où ils demeurarent près d'un an et demy, et n'en bougearent jusqu'à
ce que Monsieur s'en alla de la court.
(Branthôme. Op. cit. I, II, 22. T. IV, p. 209).
D) désignant Gaston, duc d'Orléans, frère de Louis XIII :
et la raison de cela est qu'il falloit que Monsieur reçût l'amnistie.
(Mademoiselle. Mémoires. II, 15, p. 175).
E) désignant Philippe de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIV:
M. de Chartres trouva le roi seul avec Monsieur dans son cabinet, où le
jeune prince ne savoit pas devoir trouver M. son père.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome I, ch. II, p. 13).
F) désignant le comte de Provence, plus tard Louis XVIII :
Monsieur avait dans son maintien plus de dignité que le roi.
(Mme Campai). Mémoires. I, 5, p. 235).
G) désignant le comte d'Artois, plus tard Charles X :
Le moment où Monsieur tendit les bras à sa jeune belle-fille, celui où elle
implora sa protection et où il la lui promit, frappèrent d'attendrissement.
(La duchesse de Gontaut. Mémoires. VI, p. 162).
Ce titre de Monsieur paraît n'avoir été codifié par l'étiquette qu'à
partir de l'avènement des Bourbons au trône. Auparavant, son usage
Hait moins constant. Dans le passage de Sainct-Julien, cité au § 421,
note 2, cet auteur dit que ce titre est celui du « désigné successeur *

:
du roy » et Branthôme (T. VII, p. 244), en s'indignant que M. d'Eper-
non, favori du roi, ait osé prendre ce titre, dit « On ne l'appeloità

:
la court que Monsieur. simplement, comme filz ou frère de roy. n
Exemple
Si fist Monsieur, et en particulier
Plusieurs princes.
(L'Arrest du Roy des Rommains, dans Anciennes Poésies françoises. T. VI,
P. 149).
Dans cet exemple, Monsieur désigne le comte d'Angoulême, héritier
du trône, plus tardFrançois Pl. C'est à partir de François d'Anjou-
Alençon que le titre a commencé à se fixer sur le frère puiné du roi.
Sans doute parce que pendant trois règnes, ce frère puiné s'était trouvé
être l'héritier présomptif. Le titre de Monsieur s'est trouvé de cette
sorte fixé sur le frère du roi, même lorsqu'il a cessé d'être l'héritier.
'Saint-'Simon nous ditque « Gaston, frère de Louis XII, est le premier
« fils de France qui ait été véritablement et continuellement appelé
« tout court Monsieur et qui l'aitaffecté. » (Saint-Simon. Mémoires.
T. JV, ch. XXXI, p. 359).
Madame est, bien entendu la 'femme de Monsieur, car « les fem-
« mes prennent les noms de leurs maris par une suite nécessaire. »
(Saint-Simon. Ibid).
Ex. :

0 nuit désastreuse.1 ô nuit effroyable, où retentit tout comme un éclat de


tonnerre cette étonnante nouvelle, Madame se meurt, Madame est morte.
(Boesïiet. Oraison jurtàbrc de Jlenviette-Anne d'Angleterre, duchesse d'Or.
léans, p. 56).
C'est à cette appellation délocutive singulière que Lauzun fait allu-
sion quand, pour dire à Mademoiselle qu'il souhaitequ'elle épouse
Monsieur, il lui dit :
j'ai tout oublié, je ne songe plus qu'au plaisir que j'aurai de vous
'oiæ Madone.
(Mademoiselle. Mémoires. II, 12. T. IV, p. 156).
Le titre de Madame s'applique aussi aux filles de France, et spé-
cialement 11 l'aînée de celles qui ont le rang de filles de France. Ex. :
A) désignant Elisabeth de France, filleaînée de Henri II :

Cependant je mettray ce sonnet qui fut fait à sa louange par un honneste


.gentilhomme, elleestantencor Madame, mais promise pourtant.
(Branthôme. Recueil des Dames. I, 4. T. X, p. 183).
c'esl-â-dire tétant pas encore mariée avec Philippe II, roi d'Espagne.
B) désignant, Marie-Thérèse de France, fille de Louis XIY :
Mais le mal de Madame, fille du roi, qui étoit fort malsaine et) qui, de
temps en temps, depuis cinq ans et demi qu'elle étoit au monde, avoit de
grandes maladies, redoubla.
(Madèmoiselle. Mémoires. III, 20. T. X, p. 317).
C) désignant Louise-Elisabeth de France, fille ainée de Louis XV :

Madame, fille du Roi, ayant épousé l'Infant d'Espagne, duc de Parme.


(Maréchal de Richelieu. Mémoires. XI, p. 155).
D) désignant Henriette de France, seconde fille de Louis XV, après
le mariage de son ainée qui avait pris le titre de Madame-Infante pour
marquer Jà la fois son rang -de fille de France et d'infante d'Espagne :
On m'a confié que Madame Henriette et M. le duc de Chartres s'aimoient
passionnément. Le roi tesrendra infiniment malheureux s'il marie Madame
ailleurs.
(Le Marquis d'Argenson. Mémoires, 28 septembre 1740. T. I, p. 240)
E) désignant la fille de Louis XVI avant son, mariage:
:
Leurs Majestés trouvèrent quelques consolations d'ans leur vie privée Ta
douceur de Madame et son tendre attachement pour les augustes auteurs
de ses jours.
(Mme Campan. Mémoires. XV. T. III, p. 35).
J'ai vu la reine faisant dîner Madame, alors âgée de six ans, avec une-
petite paysanne.
(Madame Vigée-Lebrun, Souvenirs, apud Taine. Origines de la France con-
tempomine. T. I, p. 69).
Item, après son mariage mais avant que le duc d'Angoulême son
mari, ne fut devenu dauphin :
Le chancelier donna la plume au Roipour signer, puis- à Monsieur [le fu-
tur Charles Xl, à Madame, à Messieurs les ducs d'Angoulême et dé Be)rry.
(La comtesse de Boigne. Métmiires. VI, 12.. T.. H, JK 202).
F) désignant la duchesse de Guise, fille de feu le comte de Paris,
chef de la maison de France depuis la mort du comte de Chambord,.
et mariée au chef actuel de la maison. Ex. :
Cette exquise pensée apparaît à chaque mot de Madame, elle- est l'étoffe-
de chacune de ses pensées.
(Baron Michel Dard, Chez nos princes. Almanach de l'Action Française
pour 1928, p. 35).
L'histoire dira de Madame que, par une rencontre unique, Elle fut tout
ensemble fille, Sœl'lT, épouse, et mère de Rois de France.
(Paul Courcourcl1. Les visïtes de la Reine. Almanach de l'Action Française.
pour 1928, p. 27).
Madame a quelquefois désigné aussi Laetitia Ramolino, femme de
Charles Bonaparte et mère de l'empereur, plus connue sous le nom de
Madame Mère ; ex. :
Le cardinal Fescli, son patron, l'avait ensuite placé, comme aumônier,.
auprès de Madame, mère de l'Empereur.

Au pluriel, Mesdames désigne


Mesdames, filles de la noble maison de France.
;
(Mme de Boigne. Mémoires. VII. T. III, p. 117).
l'ensemble des filles de France ex. r.

(Branthôme. Recueil des Dames. I. T. X, p. 253, titre).


Le roi lui allégua que Madame d'Estrades plaisait à. Mesdames.
(Le Marquis d'Argenson. Mémoires. 16 août 1755. T. IV, p. 228).
Le titre de Mademoiselle appartient à la fille aînée de Monsieur, ex.
A) désignant la grande Mademoiselle : :

! ! !
Il épouse Mademoiselle, ma foi par ma foi ma foi jurée MADEMOISELLE,
la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu MONSIEUR, Mademoiselle,

tinée au trône
MONSIEUR.
:
petite-fille de HENRI IV, Mlle d'Eu, Mlle de Domhes, Mlle de Montpensier,
Mlle d'Orléans, Mademoiselle, cousine germaine duu roi ; Mademoiselle, des-
Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne: de.
(Mme de Sévigné.
B) désignant la fille aînée de Monsieur frère de Louis XIV :
Lettre d'u 15 décembre 1670).
4
7
Aussitôt après la paix et la restitution convenue de M. de Lorraine dans
ses Etats, son mariage fut résolu avec Mademoiselle.
(Saint-Simon. Mémoires. T. I, ch. XLI, p. 403).
C) désignant par une extensipn un peu forcée la fille ainée du Ré-
gent:
Le mardi, qui étoit le lendemain de ce que je viens de raconter de Saint-
Cloud, Mademoiselle alla dîner à Marly avec M. et Mme la duchesse d'Or-
léans, sans voir personne.
(Ibid. T. V, ch. XXI, p. 271).
D) désignant, par fixation dans la branche d'Orléans, la fille de
Philippe-Egalité, sœur du futur roi Louis-Philippe :
Mademoiselle fut la dernière ramenée à la confiance, mais aussi elle le fut
complètement et à jamais.
(Comtesse de Boigne. Mémoires. 66 partie, ch. IV, p. 166, T. II).
E) désignant, par retour vers l'acception primitive, la fille du duc
de Berry, second fils de Charles X :
Mme la Dauphine emmena Mademoiselle aux eaux de Carlsbad, où elle
tomba malade.
(La duchesse de Gontaut. Mémoires, ch. X, p. 383).
Le titre de Monseigneur employé seul et délocutivement n'a été
porté couramment que par le fils légitime de Louis XIV. Ex. :

Il entra dans toutes les vues que M. le prince de Conti et lui s'ctoient
proposées, de se rendre les maîtres de l'esprit de Monseigneur et de le gou-
verner, pour disposer de l'Etat, quand il scroit devenu le maître.
(Saint-Simon. Mémoires. T. I, ch. XIII, p. 131).
On lit dans le même auteur (1) :

« Jamais Dauphin jusqu'au fils de Louis XIV n'avait été appelé Mon-
«seigneur, en parlant de lui tout court, ni même en lui parlant. On
;
«écrivoit bien « Monseigneur le Dauphin », mais on disoit « Mon-
«sieur le Dauphin », et « Monsieur » aussi en lui parlant pareille-
;
«ment aux autres fils de France, à plus forte raison au dessous. Le
«roi, par badinage, se mit à l'appeler Monseigneur je ne répondrois
«pas que le badinage ne fût un essai pour ne pas faire sérieusement
«ce qui se pouvoit introduire sans y paroître, et pour une distinction
«sur le nom singulier de Monsieur. Le npm de Dauphin le distin-
«guoit de reste, et son rang si supérieur à Monsieur, qui lui donnoit
«la chemise et lui présentoit la serviette. Quoi qu'il en soit, le roi
«continua, peu à peu la cour l'imita et bientôt après non seulement
«on ne lui dit plus que Monseigneur parlant à lui, mais même par-
«lant de lui, et le nom de Dauphin disparut pour faire place à celui
«de Monseigneur tout court. Le roi, parlant de lui, ne dit plus que
«mon fils ou Monseigneur, à son exemple, Mme la Dauphine, Mon-
«sieur, Madame, en un mot tout le royaume. »
2° Dans l'étiquette intérieure des maisons, l'usage veut jusques et

(1) Saint-Simon. Mémoires. T. IV, ch. XXXI, p. 361.


y
;
compris de nos jours, que les domestiques parlent du maître de la
maison en disant Monsieur tout court cet usage s'étend aux appella-
lil's Madame et Mademoiselle, ex. :
A cet endroit de son monologue, Marianne s'interrompit ; elle venait d'en-
tendre la sonnette de « mademoiselle ».
(M. Berlin. Voyage au Pays des Défauts, ch. I, in Magasin d'Education et
de Récréation, 1884. 2° semestre, p. 107).
L'auteur, dans cet exemple, ne désigne pas pour son propre compte

fait un effet de style indirect :


la patronne de Marianne par l'appellatif Mademoiselle tout court. Il
c'est Marianne qui est censée se dire
J'entends la sonnette de Mademoiselle. Cette intention est d'ailleurs
:
clairement indiquée par la présence des guillemets.
GEORGES. M. Dutrécy ?

CYPHIEN. — C'est ici. Mais monsieur n'est pas visible.
(Labiche. Moi. I, 1).
Le même usage est appliqué, dans les milieux nobiliaires, par les
nobles de familles non-souveraines vis-à-vis des personnes de maisons
souveraines, dont ils se considèrent comme les domestiques possibles.
Ces deux sortes d'emploi (1° et 2°) ressortissent à la notoriété capi-
tale (2).
30 L'appellatif tout court peut s'employer également lorsqu'pn parle
d'une personne devant elle et en la désignant du geste. Ex. :
qui sauve les mots de Madame, c'est que même quand elle veut s'abais-
Ce
ser à de vulgaires à peu près, elle reste spirituelle malgré tout et elle peint
assez bien les gens.
(Marcel Proust. A la recherche du Temps perdu. IV, p. 140).
Cet emploi relève de la notoriété occasionnelle circonstanciale.

423. — Les groupements formés par un appellatif et un nom propre


ont déjà été étudiés en partie à propos des noms propres eux-mêmes.
L'appellatif Monsieur se fait suivre du prénom de la personne dési-
gnée joint à son nom, ou bien de l'un seulement de ces deux termes.
Kx. :

Monsieur Pierre. Monsieur Domange. Monsieur Pierre Doinange.


L'appellatif Mademoiselle est dans les mêmes conditions
Mademoiselle Elisabeth. Mademoiselle Perney. Mademoiselle Elisa-
:
beth Perney.
Il en est de même de Madame précédant le patronyme (cas des reli-
gieuses, des divorcées, des femmes mariées nommées sur les actes de,
1éiat civil, de certaines femmes mariées écrivant ou se produisant en
public). Ex. :
Madame Lucie Félix-Faure.
Sur Madame précédant le nom du mari, v. supra § 419. Cf. :
(2) Pour l'emploi du délocutif au lieu de l'allocutif par les domestiques vis-à-visdes
litrons, et par les nobles vis-à-vis des princes de maison souveraine, cf. infra, 1. V.
Puis, quand tout son personnel sera reçu, Madame Picot prendra, seule,
son repas rapide et frugal sur un coin de table, en surveillant la servante.
(G. de Maupassant. Les Bécasses, in M. Parent, p. 220).
Les groupements formés par un appellatif et un nom de dignité
sont très- rarement employés détocuitlvement en, dehors de la présence
de la personne qu'ils désignent. Y recourir, hors certaines circons-
tances officielles, est d'anure puérile, seryile ou vulgaire. Ex. :
Tu vois, celui-là, c'est M. le Directeur, et celui-là, c'est Mi. le censeur.
(M. AF, né en 1873, le 3 octobre 1881).

tivement récent ;
L'usage d'omettre l'appellatif devant un nom de dignité paraît rela-
l'usage ancien de le n'eltre a laissé comme trace
dans le parler de beaucoup de gens l'habitude de dire M. le curé en
parlant du curé de la paroisse où l'on habite. Mais le curé forme ici
un substitut du patronyme. L'usage de l'appellatif Monsieur est plus
répandu devant un patronyme que devant un nom de dignité ou de
fonction. Il n'est toutefois d'un usage général que quand on parle de-
vant quelqu'un qui pourrait se froisser que l'on dît le patronyme tout
,

court ou que l'on croirait susceptible de prendre l'absence de l'appel-


latif pour un manque de déférence.
Reste enfin à étudier les groupements formés par un appellatif, un
article personnel et un nom de parenté.
Les groupements comprenant les articles personnels du locutif et du
délocutif sont obsolètes ou au moins,d'emploi très exceptionnel.
Le groupement comprenant mon est en déclin depuis bien long-
temps. Mademoiselle le trouve déjà trop vulgaire pour oser s'en ser-
vir à L'égard de Monsieur son père :
:
La reine se mit à rire .Je suis étonnée de vous entendre dire mon père ;
:
pourtant vous faites bien, car Monsieur monpère seroit ridicule. Je lui ré-
pondis
dire.
Cela est si commun que telles gens comme moi ne le doivent plus
(Mademoiselle. Mémoires. I, 27. T. III, p. 113).
Les groupements comprenant son sont empreints d'une telle solen-
nité que dès le XVIIe siècle, ils paraissent assez guindés pour être le
plus souvent ridicules. Ex. :
Ne blâmez pas
Virgile, Aristote, Platon;
Perrault de condamner Homère,
Il a pour lui monsieur son frère,
G., N., Lavau, Caligula, Néron
Et le gros Charpentier, dit-on.
(Boileau-Despréaux. Epigrammes. XXVIII).
Car il étoit, dit-on, fort jaloux d:un certain Muzilanor, qui était pour-
tant M. son frère, et de plus grand prêtre du soleil.
(Voisenon. Aphanor et Bellanire, p. 232).
Néanmoins, on peut être obligé de recourir à ce tour pour parler à
une personne que l'on ne connaît pas intimement du parent qu'pn
ne connaît pas du tout d'une personne qu'on connaît peu. Ex. :
Si je me suis laissé aller à plaider, c'est uniquement pour me sauver du
mépris que mademoiselle votre fille,. madame sa mère et vous, ne manque-
rez pas de concevoir tout d'abord contre moi.
(Jean Richepin. Monsieur Destrémaux. Une heure d'oubli. N° 68, p. 57).
J'espère que Madame votre mère n'a plus d'inquiétude au sujet de la
santé de Mademoiselle sa nièce.
(M. D. Lettre à Mme AV, 1921).
Avec l'article personnel allocutif, la locution est absolument cou-
rante, en ce qui concerne votre. Ex. :
Mademoiselle votre fille n'a pas encore paru ce matin ?
(E. Augier. Un bèau mariage. I, 2).
Alors, Madame votre mère vous a dit :« Cécile. »
(G. Lami. Le Bouquet de Violettes, dans les Annales. 30 octobre 1921,
p. 407, col. 1).
En ce qui concerne ton, nous ne l'avons jamais entendue. Et si on
l'entend ou qu'on la lise, ç'aura probablement été, dans l'esprit du
locuteur, une bouffonnerie.

En disant Madame votre Mère, le


;
locuteur français indique
est ma dame, c'est.'à-dire ma suzeraine à moi
:
L'usage français est beaucoup plus poli que celui du haut-allemand.
« Elle
elle est votre mère à
vous. » Tandis que le locuteur allemand, en disant Ihre Frau Mutter,
* votre dame mère, vous place, vous, en ses lieu et place, dans la
situation déférente d'un inférieur:

424. — La limite d'emploi entre Monsieur et Monseigneur a des


racines historiques. Il faut pourtant se souvenir que, dans la société
très hiérarchique d'avant 1789, l'appellatif dépendait non seulement de
la qualité de celui à qui ou de qui l'on parlait, mais encore de ce-
lui qui parlait. De notre temps, la qualité de la personne qu'on dé-
signe intervient à peu près seule.
Presque tous les nobles se sont fait donner à la campagne le titre
de Monseigneur par leurs manants.Les ducs, les princes étrangers,
le chancelier, les maréchaux de France, les évêques (1) recevaient ce
litre à la Ville. Louvois, le premier (2), fit étendre ce privilège aux
ministres.
A l'époque présente, le titre de Monseigneur n'ayant pas été réclamé
par les Maréchaux de France, qui y auraient droit, n'est plus porté,
pratiquement, que par les princes du sang de la maison royale de
France et de la; maison impérialefrançaise et par les évêques.

:
Le vocable Monseigneur pose une question de syntaxe qui lui est
propre. Renan, à* propos de la phrase suivante
Quant au supérieur général, M. Garnier, il avait plus de quatre-vingts
ans. C'était en tout un ecclésiastique de l'ancienne école. Il avait fait ses
éludes aux robertins, puis à la Sorbemne. Il semblait en sortir et, à. l'enten-

(1) Saint-Simon. Mémoires. T. IV, ch. XXXI, p. 362.


(2) Saint-Simon. Mémoires. T. r, ch. XLIII, p. 430.
dre parler de « Monsieur Bossuet », de « Monsieur Fénelôn », on se serait
cru devant un disciple immédiat de ces grands hommes.
(Renan. Souvenirs d'enfance et de jeunesse. V, p. 267).
ajoute en note (3) :
« Qu'il me soit permis à ce sujet de
faire une remarque. On s'est
« habitué, de nptïe temps, à mettre
monseigneur devant un nom
« propre, à dire monseigneur
« là une faute de français ;
Dupanlollp, monseigneur Affre, c'est
le mot monseigneur ne doit s'employer

: :;
« qu'au vocatif ou devant un nom de dignité. En s'adressant à
«panloup, à M. Affre, on devait dire monseigneur. En parlant d'eux,
« on devait dire monsieur Dupanloup
M. Du.

monsieur Affre, monsieur ou


« monseigneur l'archevêque de Paris, monsieur ou monseigneur
« l'évêque d'Orléans. »
1
Il est certain que le tour constitué par Monseigneur suivi d'un nom
propre n'a pas appartenu au bon usage avant l'époque indiquée par
Renan (4). Cf. :
comme s'exprime, dans la langue de Bossuet, le plus grand évêque de
nos jours. (M. Dupanloup. Sermon sur la prière).
(Hersart de la Villemarqué. La légende celtique et la Poésie des Cloîtres,
p. 21).
Il s'emploie couramment dans le parler actuel. Ex. :
Ce siège fut illustre par une longue suite de saints évêques depuis le
bienheureux Loup jusqu'à monseigneur de la Thrumellière, prédécesseur
immédiat de Monseigneur Duclou.
(A. France. L'Anneau d'améthyste. XV, p. 327).

deux cas à distinguer


seigneur
:
Quant à la tournure Monseigneur le suivi -d'un nom de dignité,

; 1°Le commun des gens qu'on appelle Mon-


2° les fils de France.
1° Pour les premiers jusques et y compris les petits-fils de France,
ce tour n'a d'abord été employé que dans des dédicaces écrites par
des gens d'assez petite condition, et ce n'est que tout récemment
qu'on a pris, dans certains milieux, l'habitude de l'appliquer couram-
ment aux évêques. Ex. :
Nous parlâmes de M. le Princef des fautes que l'on avoit faites pendant la
guerre de part et d'autre, et du cardinal de Retz.
(Mademoiselle. Memoires. T. III, ch. XXVIII, p. 131).
On fixa l'époque du baptême de M. le duc de Bordeaux au 1er mai.
(Mme de Gontaut. Mémoires. VII, p. 225).
Mme de Genlis représenta à M.. le duc de Chartres qu'il était essentiel de
recommander au cocher, à haute voix et souvent, d'avoir le plus grand soin
et surtout de ne fouler personne.
(Ibid. I, p. 9).
(3) Renan. Souvenirs d'enfance et de jeunesse, v. p. 267, note 1. 1

(4) La nécessité d'un pareil tour se faisait d'autant moins sentir qu'autrefois
l'usage était de désigner les évêques par le titre de Monsieur suivi du strument de
et du nom de leur siège. Ex. :
Toute la cour fut en larmes et M. de Condom pensa s'évanouir.
(Mme de Sévigné. Lettre du 31 juillet 1675).
Il s'agit ici de Bossuet, à propos de la mort de Turenne.
Le chevalier de Grave, premier écuyer, de M. le duc d'Orléans allait partir
pour l'Angleterre.
(Ibid.I,p.10).
Or, Monseigneur, c'est dans un même ouvrage, réimprimé dans le Manuel
et qui forme la première partie, que se trouvent tous les actes et tous les
passages incriminés dans le mandement de M. l'Archevêque de Lyon.
(Réponse de M. Dupin à la lettre de M. l'Evêque de Saint-Dié. 6 mars
1845, in Dupin. Manuel de Droit public ecclésiastique français, p. 520).
L'année littéraire est médiocre, l'année politique est lugubre. M, le duc
de Berry poignardé à l'Opéra, des révolutions partout.
(V. Hugo. Littérature et Philosophie mêlées. Avril 1820, p. 93).
M. l'arcllevêque de Paris a donné, il y a quelques jours, le sacrement de
confirmation dans l'église de Saint-Jean-Baptiste, à Belleville. Le vénérable
prélat a bientôt. fait connaître aux habitants de Belleville que les plans
d'une nouvelle église allaient prochainement recevoir leur exécution. Mgr
a ensuite adressé ses félicitations à
M. Pommier, maire de Belleville.
(Le Journal des Débats du 6 juillet 1853, p. 3, col. 3).
2° Pour les fils de France, l'usage du Monseigneur le remonte au
règne de Louis XIV (5). Toutefois cette règle n'a jamais été absolue.
Ex. :

Le Roi retint le gouvernement de Bourgogne pour Monsieur le Dauphin.


(Hardouin de Péréfixe. Histoire du roi Henri le Grand. 111, p. 238).
On choisit, et on fit bien, M. le duc d'Angoulêmc. Il fut décidé qu'en
septembre et en octobre, M. le comte d'Artois visiterait la Champagne et la
Bourgogne. et que dans le même temps, M. le duc. de Berry parcourrait
les provinces frontières.
(Thiers. Histoire de l'Empire. Livre XXVII, T. IV, p. 238, col. 2).
C'eût été d'ailleurs un singulier don de joyeux avènement à apporter à
M. le Comte de Chambord.
(Comte d'Haussonville. Derniers souvenirs, dans la Revue des Deux Mon-
des du 15 novembre 1924, p. 724-725).

cette prison, à laquelle M. le comte de Paris ne se serait certainement


pas opposé.
(Ibid., p. 725).
L'appellatif Sire s'applique à tous les rois et empereurs et rien qu'à
eux. Primitivement, cas sujet, et partant vocatif, de seigneur (6), il s'em-
ployait librement au temps de Saint-Louis avec des épithètes
barons de la cour appelaient couramment leroi :
mes bons sire, mes
les ;
beaus sire. Une lettre autographe (7) de Joinville nous apprend que le
roi Louis Hutin est le premier qui ait voulu être appelé sire tout court
u Sire, ne vous desplaise de ce que je, au premier parleir. ne vous
:
« ai apellez que bon signour, quar autrement ne l'ai-je fait à mes
« signours les autres roys qui ont estey devant vous, cuy Dex absoyle. »
Lors de la disparition de la déclinaison, sire, séparé sémantique-

(5) Saint-Simon. Mémoires. T. IV, ch. XXXI, p. 363.


Cf. Jehanne, m'amie, j'ay à parler à vous.
— Sire, fait-elle quand il.
(6)
v°us plaira.
(Antoine de la Sale. Les quinze joyes de Mariage: V, p. 60).
(7) Joinville. Lettre à Louis X. 856.
ment de seigneur s'est figé dans cet emploi spécial. Cette appellation,
uniquement réservée au roi, devint ainsi l'une des marques de lu
majesté singulière dont est enveloppée sa personne.
Comme, d'autre part, le roi n'est jamais désigné déloculivemem
que par ces mots : « le roi » sans aucun appellatif y préposé, sire est
devenu un appellàtif purement allocutif (8)..
Tallemant des Réaux rapporte la naïveté de Madame de Niert, qui
sur. Sire, appellatif- du roi,, formait Siresse, appellatif pour la reine :
C'étoit la fille d'un ministre de Languedoc que l'on avoit convertie je
crois que ce fut elle qui appela la Reine Siresse.
;
(Tallemant des Réaux. Historiettes. T. VIII, p. 101).

Madame ;
La limite d'emploi entre Madame .et Mademoiselle est très simple
dans le parler de nos jours. Toute femme qui est ou a été mariée est
les célibataires sont en général appelées Mademoiselle, sauf
les religieuses. Certaines vieilles personnes célibataires se font toute-

gnées par les mots :


fois appeler allocutivement Madame bien que délocutivemnnt dési-
Mademoiselle Un Tel.
Les filles de France n'pnt jamais été appelées que Madame.
Mais nous avons vu plus haut que l'aînée des petites-filles de France
était déjà Mademoiselle, et même Mademoiselle tout court, puis-
qu'étant la personne de France du rang le plus élevé qui ne fût pas
Madame.
Quant au titre de Mademoiselle, appliqué à une femme mariée, il a
subi dans le courant de l'Histoire une déchéance graduelle. Jusque
dans le XVIe siècle, il était donné aux femmes des nobles.
Le valet s'en va après son maystre et luy dist : « Monsieur, en traversant
le ch.emy.ni, j;'ay advisé le compaignon du Cordelicr, qui n'est point frere
Jehan, mais ressemble tout à fait à madamoiselle votre femine.
til homme luy dist qu'il resvoit et n'en tint compte.
» Le gen-
(La reine de Navarre. L'Heptaméron. IV, 31, T. II, pp. 124-125).
Cet usage s'étend aux femmes des présidents et conseillersde Parle-
ment. Ex. :
à Madamoiselle de Montaigne, ma femme.
(Montaigne. Lettres, VIII).
A Madamoiselle Paulmier.
(Ibid. X).
Dans ce dernier exemple, il's'agit de Marguerite de. Chaumont, épouse
de Julien Paulmier.
Au xvne siècle, les bourgeoises se font déjà appeler Madame (rf.
Madame Jourdain, Madame Peruelle) et il faut être de moindre condi-
tion pour être appelée Mademoiselle' (cf. Mademoiselle Molière); ail
XVIIIe siècle enfin, le titre de Mademoiselle pour les femmes mariées
était si décrié que Madame Roland prend pour une insulte à sa grand
mère le fait qu'on ait appelé celle-ci.Mademoiselle.

(8) Il est pratiquement détaché du substantif nominal un sire. Cf. un pauvre


sire, le sire de Coucy.
Eh mademoiselle Rotisset !» s'écrie d'une voix haute et
bonjour,
« !
froide Madame de Boi-smorel, en se levant à notre approche. (Mademoiselle
1) ?
quoi ! ma bonne maman est ici mademoiselle « Mais vraiment je suis
bien aise de vous voir ! »
(Mme Roland, Mémoins particuliers. 28 partie, p. 75).
Nous avons eu l'occasion de dire, à propos des emploisallocutifs
(§ 422) là quelles personnes s'appliquaient les appellatifs de maître,
maîtresse. Les mêmes personnes sont, bien entendu, désignéesdélocu-
tivement par le mêmeappellatif. Ex :
Mail' Belhomme, la tête renversée de côté et appuyée contre la portière,
car il était monté le dernier, gémissait toujours.
(Maupassant. La Bête à Hait' Belhomme. Loc. cit.,p. 96).
On le fit asseoir, et maître Desmares, qui restait chez lui le dimanche
alla chercher une bouteille de vin blanc du pays.
(A. Genncvraye. La petite Louisette. Loc. cit., p. 171).
Délocutivenicnt, le titre de maître pour un avocat, avoué ou notaire
sera naturellement suivi toujours du nom propre, pour qu'on sache de
qui il est parlé. Ex :
LETRINQUIER.

TACAREL.
- Pardon, Monsieur. mais je n'ai pas l'honneur de vous
remettre.
M. Tacarel. architecte. Je vous suis adressé par
— maîtt'e Toupineau.
LETRlNQUIEH.
- Mon notaire.
(Labiche. La station Champbaudet. II, 4).:
Nous avons vu au § 422 que la femme du paysan, ayant la même
situation sociale que lui, était dite maîtresse si son mari était dit maî-
tre. La femme de l'avocat, de l'avoué et du notaire n'ont au contraire
jamais cette appellation, puisque ne participant pas à l'office de leur

femme exerçant le métier d'avocat


S 277.'
:
mari. Par contre, il serait très légitime de dire, en parlant de telle
Maîtresse Maria Vérone. Cf. supra

425. — Les appellatifs peuvent prendre l'article de deux façons :


1° Pour désigner une personne*'à qui le titre de Madame est donné
par jeu ou 'à qui l'on kint ironiquement de croire qu'ilest ainsi donné.
Ex: jouer à la-Madame.
J'appelois, par contenance, une chienne courante d'une madame qui de-
meure au bout de ceparc.
(Mme de Sévigné. Lettre du 13 novembre 1675).
2° On fait précéder de l'article transitoire la désignation Madame Un
Tel quand on introduit pour la première fois dans un récit délocutoire
une personne que l'on suppose absolument inconnue de l'allocutaire. Ex:
Sy a
unM. de Potvaincour, leur ami, qui bien voulu s'en charger, dainal
la suite. eût fait d'abord les mêmes offres, comme on l'en pressa, il leur;
auroitépargné cette somme.
(René d:Argenson.Rapports du lieutenant de police. 6 juin 1702, p. 103).;
On l'accuse d'avoir arraché brusquement l'éventail d'une jeune dame
1
qui accompagnoit une madame de Montmorency, dont la fortune ne répond
pas à ce nom illustre.
(René d'Argenson. Ibid., 9 juin 1702, p. M).
Il avait aussi à voir un M. Farinet, professeur à la Faculté des Lettres.
(René Benjamin. Gaspard, p. 308).
Les règles que nous venons de donner pour Madame s'appliquent
identiquement à Mademoiselle et à Monseigneur; mais dans Monsieur
[m (œ) s y œ] l'article personnel est devenu méconnaissable phoné-
tiquement, et la seconde partie incompréhensible. C'est pourquoi ce

:
vocable est en dehors de son rôle appellatif, employé fréquemment
comme un substantif nominal banal un monsieur est parallèle séluallli-
quement là une dame et non à une Madame. Ex :
;
Mais maman, ce n'est pas ma faute c'est ce monsieur qui m'a écrit.
(Alfred de Musset. Il ne faut jurer de rien. Acte II, se. 2).
Le pluriel de Monsieur dans cette acception reste Messieurs
[m é : s y œ (z)]. Ex. : Les beaux Messieurs de Bois-Dpré, titre d'un
roman de George Sand, tandis que dans l'emploi 1°, les pluriels res-
pectifs de Madame et de Monsieur sont Madames et Monsieurs. Ex. :
Tous les plus gros monsieurs me parloient chapeau bas.
(Racine. Les Plaideurs. Acte I, sc. 1).
de quoi ne se contentent pas les monsieux, disant qu'il faut à leur
enfant une nourrice quy parle françois.
(Rôle des Présentations faites au grand Jour de l'Eloquence françoise, in
Variétés historiques et littéraires. T. I, p. 137).

426. — Le vocable Notre-Dame [nôtrdedàm (œ)] est aussi


un appellatif. Il faut le distinguer phonétiquement de la suite de vo-
cables « notre dame » [n à t (r œ) d 'à m (œ)], qui n'en est nulle-
ment un ; mais la simple union de l'article personnel avec un subs-
tantif nominal banal. Sémantiquement la locution Notre-Dame signi-
fie : 1° Dans labouche des catholiques, la mère de Jésus-Christ (cf.
la Vierge. § 369). Ex. :

Cornent Salomé qui ne creoit pas que Nostre Dame eust enfanté virgina-
lement sanz euvre d'omme, perdit les mains.
(Miracle de la Nativité de nostre Seigneur Jhesu-Christ. Titre).
2° Dans la bouche de tous les Français, les sanctuaires y dédiés.
Ex. : Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame de Bon-Secours, etc. Dans
cet ordre d'emplois, l'emploi capital désigne la cathédrale de Paris.
Ex. :

Qui discernera dans quelques années, le vrai du faux, au porche de Notre-


Dame, restauré par Viollet-le-Duc.
(J. J. Brousson. Anatole France en Pantoufles, p. 230).
Les catholiques pnt aussi l'habitude d'appeler Jésus-Christ Notre
Seigneur, alors que Dieu le père s'appelle d'ordinaire le Seigneur.
Nous ne mentionnons que pour mémoire l'appellatif Messert qui
est purement macaronique.
Exemple : Messer Gaster en est l'image.
(La Fontaine. Fables choisies. III, 2. Les Membres et l'Estomach).

mon sieur) a eu autrefois des emplois divers ;


Messire, reste du cas sujet mes sire (cf. le régime mon seigneur,
il semble néanmoins
depuis longtemps porté plus spécialement par des ecclésiastiques. Ex. :
il y fit bâtir une maison qu'il vendit à messire Paul Hurault de
l'Ilospital, archevêque d'Aix.
(Mémoire touchant le Pré aux Clercs. 1694, dans Variétés Historiques et
littéraires. T. IV, p. 171).
ICI REPOSE
dans l'espoir de la bienheureuse éternité,
MESSIRE JEROME COIGNARD
prêtre.
-
(A. France. La Rôtisserie de la reine Pédauque, p. 367).
Dans l'usage de nos jours, il reste le titre révérentiel des chanoines
et apparaît comme tel devant leurs noms sur les billets de faire-part,
affiches, épitaphes, etc.
Mons est un abréviatif désuet de Monsieur ou de Monseigneur. Il a
toujours comporté une forte nuance de plaisanterie mêlée d'un vague
mépris. Disparu absolument, il ne mériterait aucune mention si l'on

des appellations militaires telles que


Etc. (cf. infra. Livre VI).
:
n'avait pas voulu lui faire l'honneur de prétendre qu"il était la source
mon général, mon capitaine.
Dom est un appellatif réservé aux religieux de certaines congréga-
tions, par exemple les Bénédictins. Il se place devant le npm : Dom
Pierre de Saint-Romuald. Il ne s'emploie point seul et est vocativement
remplacé en général par l'appellation « Mon Père. » On donne dans les
mêmes conditions cet appellatifaux notables portugais. De même pour
les notables espagnols. (Cf. Dom Juan chez Molière) ; mais dans ce der-
nier cas, on a pris l'habitude maintenant d'écrire don à l'espagnole.
A toutes ces formations plus ou moins anciennes, s'oppose un appel-
latif nouveau plein d'une forte vitalité et qui, restreint il y a quelques

des classes sociales de plus en plus élevées :


années seulement au vulgaire, tend à s'introduire graduellement dans
l'appellatif messieuda-
mes [m é : s y de d à m (de) (z)], toujours allocutif, ou dérivant d'em-
plois allocutifs, et servant à s'adresser là une société composée de per-
sonnes des deux sexes, n'yen eût-il qu'une de chacun des deux sexes.

;
C'est donc aussi bien là [d à m (de)l qu'à [s y dé] que se rapportent :
1° l'article mes 2° la flexion plurielle [(z)], de sorte qu'on est*en pré-
sence d'un composé copulatif analogue au sanscrit Mitravarunau. Ex. :
«Messieudames, dit le guide, cet escalier descend aux oubliettes et remonte
au xue siècle.
(Marcel Arnac. Les Captifs de l'Abbaye. I, dans Le Journal du 22 juillet
1923, p. 4, col. 2).
De pareils tableaux, Messieurs damips, font apprécier la vertu.
(H. Duvernois. Mémoires d'un chauffeùr. Une heure d'oubli. N° 128, p. 21),
de cette nuit singulière, je n'ai retenu que les moments d'aveuglante
clarté, que les moments de désirs, Messieurs Dames,, et tant pijs pour vous
si jene sais pLus quels escaliers menaient d'un amour à l'autre.
p.
(L.Aragon. Paris la'nuit. Le libertinage, 196).
Bonsoir, Messieudames.
(M. DD., le 18 août 1923).

427. — Les noms propres s'employant au notoire avec l'article


manquent, par ce fait même, du principal -caractère syntactique qui
sépare le nom propre du nom commun. C'est pourquoi il devient dans
ce domaine beaucoup plus difficile de tracer une 'limite nette entre les
propres et les communs.
A côté de noms qui, dans la langue française, n'ont jamais été que
rigoureusement propres, tels que -1-a France, l'Espagne, la Loire, la
Touques, le Mans, le Locle, le Raincy, la Suze, l'Hermenault, la Tri-
a
mouille, les Batignolles, etc., il y en d'autres pour lesquels on sai-

commun ;
sitencore, plus ou moins facilement, un ancien substantif nominal
exemples, La Châtre, la Nouaille. le Monteil-au-Vicomte, etc.
d'autres, formés aveeun substantif nominal commun encore en usage
dans certains parlers. Exemples : le Havre (dont le nom complet est
le Havre de Grâce), :le Mesnil-Aubry, la Fcrté-sons-Jouarre, la Villette,
le Bocage Vendéen, la Gâtinede Poitou, la Champagne, le Gave de Pau,
le Nant-Borl'ant, la Somme, les Alpes; etc., d'autres enfin qui sont

gue de tous les Français ; :


formés avec des substantifs nominaux communs appartenant à la lan-
exemples
plet est la Chapelle Saint-Denis, cf.
la Chapelle (dont le nom com-
une forme dialectale dans la Ca-
pelle-Marival, etc.), la Roche-sur-Yon, les Ponts-de-Cé, la Margelle, la
'Châtaigneraie, la Montagne (pays sur le revers nord de la Côte d'Or),
la Plaine, le Marais, etc.
On aperçoit ici de quellefaçon lenom propre peut se développer à
partir de la notoriété capitale ou spéciale. Les derniers desnoms pro-
pres que nous venons d'étudier ne sont en effet des propres que parce
qu'ils désignent des êtres singuliers du genre de ceux qui portent des
noms comme In France, Paris, la Seine.
Le nom propre s'employant au notoire avec l'article peut aussi prove-
nir : 1°de la substantivation d'unadjectif venu d'un nom propre plus

et beaucoup de noms de :
ancien. Exemple : la Française, nom d'une bourgade près de Moissac
pays le Vermandois, le Laonnois, l'Embni-
;
le
nois, le Vixmrais, Gévaltdan, etc. à partir du nom des villes de
Vermand, Laon, Embrun, Viviers, Javols ; '2° ou même de la substan-
tivation d'unadjectifcommun. Ex. : la Méditerranée.

428. — Tous les noms de contrées et de rivières sont assujettis là


prendre l'article. Il en est de même des mers et détroits possédant un
nom en propre, ex. : la Manche, le Bosphore, les Dardanellesv etc.
Au contraire, la plupart des noms de villes appartiennent au cas du
| 404. Ceux qui sont assujettislà la prise de l'article sont la minorité..:
;
Les noms d'îles se répartissent entre les deux groupes, ex. : la Ja-
maïque, la Sicile, la Corse, la Crète, l'Irlande, etc., mais Madagas-

astronomiques
cure, Orion.
:
car, Ouessant, Bornéo, Ré, Miquelon, etc. De même pour les noms
le Soleil, la Lune, le Capricorne, mais Vénus, Mer-

Les noms propres d'hommes ne sont jamais assujettis à prendre l'ar-


ticle. Tous rentrent dans le cas du § 404 (cf. supra §§ 406 sqq.).

lèbres, auxquels on préfixe l'article :


On entend et on lit souvent des noms d'hommes plus ou moins cé-
l'Arioste, le Titien, etc. C'est là

qu'on fait toujours quand on cesse d'être naturel ;


un usage étranger, imité de l'italien. Naturellement, on a fait ici ce
en ne vpulant plus
être français, on est devenu ridicule. L'usage italien veut, paraît-il,
qu'on puisse faire précéder le patronymique pris seul de l'article il ; les
xénomanes, maladroits, l'ont mis n'importe où : non seulement ils
disent le Dante, alors que les Italiens ne mettent pas il avant un pré-
nom, mais ils ont été jusqu'à se livrer au même exercice avec les noms
français. Le snobisme de jadis, qui ne le cédait que peu à celui d'au-
jourd'hui, nous a dptés d'un certain nombre d'expressions telles que
le Poussin. Cf. :

La même frénésie désireuse qui poussait Gœthe vers l'Italie, poussait le


Dante vers la France.
(A. Gide. Prétextes. Deux conférences, p. 22).
429. — La syntaxe des noms propres à article se résume en deux
propositions très simples et d'une valeur absolue :
1° Dans les circonstances sémantiques où un nom propre non obli-
gatoirement articulé ne prendrait pas d'article, les noms propres là
article prennent l'article notoire, et cet article est sujet là la déclinai-
son, comme celui d'un nom commun. Ex. :
Le lendemain, la Grande Bretagne déclarait la guerre à l'Allemagne.
(Aug. Gauvain. Les origines de la guerre européenne. T. 3, p. 169).
Il dut évacuer le sandjak de Novi-Bazar, renoncer à la demi protection
du Monténégro, et verser une forte indemnité.
(Ibid., I, 1, p. 9).
2° Dans les circonstances sémantiques où un nom propre non obli-
gatoirement articulé prendrait un article, les noms propres à article
se comportent absolument de la même façon. Cf. les §§ 399, 400, 401,
402, 403, 413, 414 et 415.

430. — Pour l'expression du locatif, la langue française se conduit


différemment suivant que le nom propre est à article ou sans article.

:
Tput nom propre sans article prend purement et simplement le stru-
ment à, ex. à Paris, à Rouen, à Cuba, à Madagascar, à Avignon (1).

(1) La locution en Avignon que


qui n'est pas plus recommandable que la prononciation picarde [à : my
« Amiens [à à m y 8 :].
8
prônent certaines gens est un simple provincialisme
:] pour
Etant à Quimper, nous sortîmes un jour par un côté de la ville et ren-
trâmes par l'autre, après avoir marché dans la campagne pendant huit
heures environ. Notre guide nous attendait. Il va ainsi à Douarnenez.
à Quimperlé, à Brest, jusqu'à Rennes qui est à quarante lieues de là.
(G. Flaubert. Par les champs et par les grèves, p. 143).
La question est plus complexe en ce qui concerne les noms propres

;
prenant l'article. S'il s'agitde noms de ville ou de villages, la prépo-
sition locative est à et l'article reste présent ex. : au Havre, au Mes-
nil-Aubry, à la Ferté-sous-Jouarre, à la Nouvelle-Orléans, exemples :
Le meilleur des hommes !. Mais une espèce de paysan borné, qui
laboure à la Ferté-sous-Jouarre.
(Labiche. La Cagnotte. II, 1).
J'étais au Tréport, je voulais voir le point précis où finit la dune et où
commence la falaise.
(V. Hugo. En voyage. France et Belgique. 8 septembre 1837).
,. du Lude, le prince de la Roche-sur-Yon, etc.
Cf. le duc
S'il s'agit de noms de contrées, la préposition locative est en, qui s'em-
ploie en supprimant l'article, ex. :
en France, en Allemagne, en Vexin, en Artois :
C'est aujourd'hui que je rentre en-France, je serai à Dunkerque, j'aurai
tes lettres.
(V. Hugo. En voyage. France et Belgique. 1er septembre 1837).
Ensuite, il se rendit à Hambourg, y retrouva son père et le suivit en
Danemarck.
(Mme de Genlis. Les Veillées du Chdteau. Préface. T. I, p. XI).
La fameuse cataracte de la rivière du Niagara, en Canada, ne tombe que
de cent cinquante-six pieds, mais elle a plus d'un quart de lieue,de largeur.
(Ibid. T. I, note 6, p. 303).
expulsée de Suède, surveillée en Danemark, appelée en Amérique par les
socialistes, d'extrême jeunesse.
(K. Weiss. Cinq semaines à Moscou, in Le Petit Parisien, 14 novembre 1921,
p. 1, col. 6).
Pourtant les noms masculins à article ont une beaucoup moins
grande répugnance à conserver l'article dans les tournures locatives.
Ex. :
Les neiges de Noël, la bise plaintive du Vendredi-Saint, le soleil de Pâques,
sont des expressions proverbiales dans le Cotentin.
(Barbey d'Aurévilly. L'ensorcelée. XIII, p. 304).
La question devient dès lors un peu embrouillée du fait de la con-
fusion probable entre ou (= * en le) et au (= * à le) (2).
Quand le nom propre commence par une consonne et que ce n'est
pas le nom d'une contrée de France, pn emploie plus ordinairement
au que en, au moins dans l'usage littéraire. Ex. : au Portugal, au Bré-
sil, au Chili, au Japon (3).
(2) Cf. la prononciation [m j m r d i], assez fréquente à Paris, et qui, peut-
il
être, n'est pas un effet d'assimilation régressive, mais une persistance de l'article
insomptif, ou.
(3) L'emploi respectif de en, à, au, permet à la langue de.recréer des nuances
La mine de Fisclibach au Valais en fournit des masses énormes et par-
faites.
(Mme de Genlis. Les Veillées de Château. T. III, p. 320, note a).
La réception de la colonie brésilienne, à l'occasion de l'anniversaire de la
proclamation de la République au Brésil, aura lieu cet après-midi de cinq à
sept heures.

;
Cf. l'empereur du Brésil
Portugal
;
(Le Petit Parisien, 15 novembre 1921, p. 1, col. 2).
le duc du Maine, à côté de : Le roi de
le comte de Ponthieu.
L'emploi de au avait même entraîné l'emploi parallèle de à la de-
vant les noms propres féminins là article ; Voltaire et ses contempo-
rains, par exemple, écrivaient à la Chine. Ex. :
Cette même mollesse qui a perdu la Perse et l'Inde fit à la Chine, dans le
siècle passé, une révolution plus complète que celle de Gengis-Kan et de
ses petits-fils.
(Voltaire. Essai sur les mœurs et l'esprit des nations. T. III, p. 600, col. 1).
Chacun, à la Chine, a dû être attentif à ce qui lui étoit utile.
(Montesquieu: De l'esprit des Lois. XIX, 20. T. II, p. 22).
Cette tournure ne s'emploie plus actuellement que pour quelques
îles exotiques, dont, à cause du recul, on ne considère pas les parties
comme distinctes, et qui se réduisent par conséquent à une seule loca-
lité, ex. : à la Martinique, à la Guadeloupe, à la Barbade, à la Réu-
nion, à la Jamaïque, et, un peu arcfiaïquemcnt, à la Nouvelle-Calédo-
nie, à la Nouvelle-Zemble, à la Nouvelle-Zélande, à la Nouvelle-Guinéer
à la NOlwelle-llollande. Ex. :
l'fait moins froid à la Nouvelle'
Qu'à la Chapelle.
(Aristide Bruant. Dans la Rue. A la Chapelle).
431. — côté des véritables noms propres pluriels, tels que les
A
Batignolles, expressions massières qui n'impliquent pas de pluralité

utiles. Cf. par exemple à Maroc, c'est-à-dire dans la ville qu'on a pris l'habitude-
vicieuse, depuis que les journaux ont eu à s'occuper beaucoup du plus occidental

Luxembourg ;
des pays barbaresques, d'appeler Marrakech; Mais au Maroc, c'est-à-dire dans l'em-
pire du sultan de Maroc. Cf. aussi à Luxembourg, c'est-à-dire dans la ville de
en Luxembourg, c'est-à-dire dans le grand duché de Luxembourg;.
au Luxembourg, c'est-à-dire dans le palais, le musée ou le jardin du' Luxembourg.
Ex. :
:

., .,
Et comme elle est bonne fille, elle remet le billet de chemin de fer
peut-être n'a-t-elle pas envie d'aller en Luxembourg.
(P. Toulet. Béhanzique, p. 19).
Ary Scheffer est représenté au Luxembourg par deux tableauxde la pre-
mière manière.
p.428).
(Paul de Saint-Victor. Le Musée du Luxembourg, dans Paris-Gùide. T. Ir
Mademoiselle et
ses contemporains disaient, dans ce derniersens, à Luxembourg,.
locution qu'on rencontre encore dans le courant du xviiie-siècle
Je retournai à Luxembourg, où je rendis compte de mon voyage ?
(Mademoiselle. Mémoires. I, 14. T. II, p. 123).
Mais il ne reste plus tracé dé cet usage, qui serait contraire à l'expression de-
nuance sémantique que la langue a créée depuis.
sont parfaitement isolables ; :
réelle, existent des noms collectifs dans lesquels les unités composantes
on dit les Cyclades, les Sporades, les

Cuba est la plus grande des Antilles


:
Baléares, les Açores, les Bermudes, les Antilles, les Pléiades, les flya.
des, etc. et l'on pourrait très bien dire « Majorque est une Baléare
(1). » Des noms tels que les
,
Indes
paraissent faire la transition entre les deux classes, car on ne peut dis-
socier les unités (* une Inde), mais on conçoit bien une pluralité, ce
mot désignant à la fois les deux Amériques, les Antilles, Madagascar,
toutes les îles de l'Océan Indien, l'Inde, l'Indochine et toute l'Océanie.
Seule, l'Inde, c'est-à-dire l'Hindoustan, a droit à cette dénomination
mise au singulier.

;
Au locatif, on emploie aux pour les noms du type Batignolles et du
type Indes pour les noms du type Baléares, il est en lutte avec dans
les.

432. — Nous avons déjà signalé la parenté sémantique étroite qui


existe entre la notpriété capitale et la dénomination propre. Il y a plus ;
on voit fonctionner comme des noms propres des ensembles formés
à ;
d'un substantif avec épithète, parce que dans la nouvelle espèce ainsi
;
définie, un individu est nouveau prélevé comme capital ex. : Le Mont
Blanc, cest-à-dire, le plus notoire des monts blancs le Cap Vert, la
Mont Pelé, le Fleuve Jaune, la Mer Morte, etc.
Aux noms propres se rattachent aussi dans l'usage, les titres, qui
arrivent à absprber le contenu même de ce dont ils sont l'étiquette. Ex. :

: :
Le Déjeuner sur l'herbe, Une Vie, Salammbô (1), item les journaux
le Matin, l'Intransigeant ; item les navires la Marie-Louise, la Tou-
:
raine, le Bouvet ; item les compagnies d'assurances Le Phénix, le So-

:
leil, etc. Ces titres sont quelque chose de différent des noms véritables
que portent certains poèmes ex. : l'Iliade, la Henriade.
Il peut arriver qu'un individu pris capitalement dans l'espèce subs-
tantielle créée par l'addition d'un complément à un substantif nominal
reçoive le caractère d'un nom propre au point de reprendre l'assiette
transitoire de la façon particulière aux noms propres étudiée au § 400.
Ex. :

Je ne parle pas des saints de la dernière heure, abâtardis et crasseux, d'un


curé d'Ars, ou d'un saint Labre, ou d'un Louis de Gonzague.
(A. France. La Vie littéraire. lre série. M. Alexandre Dumas, p. 27).
Parmi tous les curés de la paroisse d'Ars, on capitalise feu M. Jean-
Baptiste Vianney, qui devient le curé d'Ars, et cette expression le curé

(1) De ce type de noms se rapproche Les Andelys,


dely, et du Petit Andely, qui sont chacun un Andely
Grand Andely, au Petit Andely. Cf. § 402.
; :
qui se compose du Grand An-
locatif aux Andelys, au

§ 432. (1) Cf. :


On les appelait des Marie-Louise, du nom de la régente, sous laquelle ils
avaient été levés et organisés.
(Thiers. Histoire de l'empire. Livre XXXIV, T. III, p. 666, col. 1).
d'Ars est traitée comme un nom propre au même titre que saint Labre
ou que Louis de Gonzague.
433. — Si nous avons été amenés à faire l'étude spéciale des noms
propres à la suite de celle du répartitoire d'assiette c'est que, du moins
pour les noms propres sans article, le répartitoire d'assiette ne fonc-
tionne pas absolument comme pour les noms communs. (Cf. l'exem-
ple de Marcel Proust au § 409 : une Courvoisier, cette Courvoisier, la
Courvoisier)
Avant d'abandonner la question de l'assiette, il nous reste à parler
de certains autres domaines dans lesquels le répartitoire d'assiette fonc-

Le problème se pose
présentatoire.
:
tionne dans des conditions différentes du cas général.
1° pour l'assiette notoire ; 20 pour l'assiette

Il pourrait sembler que le répartitoire d'assiette fonctionne de façon


spéciale pour les noms de mpis, les noms de fêtes tels que Noël, Pâ-
ques, la Pentecôte, etc., et pour les noms d'heures Midi et Minuit. Ces
impressions ne résistent pas à un examen tant soit peu serré de la
question.
Les noms de mois ne prennent jamais l'article et sont assimilables
à des noms propres du premier genre.
Noël et la Noël sont des expressions parallèles, dont l'emploi gram-
matical est absolumnt le même et qui ne se distinguent l'une de l'au-
tre que pour les usances, parlures pu styles dans lesquels elles se ren-
contrent.
Pâques, expression masculine singulière figée, dérivée du féminin
pluriel les Pâques (cf. § 357) ne prend jamais d'article.
La Pentecôte, la Toussaint, l'Assomption, l'Ascension, la Fête-
Dieu, etc. ont l'article et ne se composent pas différemment de la
Saint-Michel, la Saint-Jean, ni des substantifs nominaux communs ar-
ticulés (1) ; ex. :
La Trinité se passe
Malbrough ne revient' pas.
(Chanson de Malbrough. 3e couplet).
Midi, qui est masculin, et Minuit, qui est féminin, ont pris autre-
fois l'article. Ex. :
Et quand ce fut sur la Minuit,
Le roi Renaud rendit l'esprit.
(Chanson du roi Renaud. 3" couplet).
Dans la langue actuelle, ils ne prennent plus l'article. Exemples
Midi sonne. J'ai fait arroser dans la chambre.
:
(Verlaine. Sagesse. III. T. 1, p.268).
MAFFIO.
GENNARO.-- Quelque procession qui passe.
A minuit 1 C'est un peu tard.
(Victor Hugo. Lucrèce Borgia. U, 1).

d
(1) Nous ignorons
des
sur quels faits M. Meyer-Lübke se base pour affirmer (Grammaire
languesromanes. T. III, § 149) qu'on dit aujourd'hui Pentecôte sans l'article.
Néanmoins, ils peuvent bien entendu être ramenés à la règle com-
mune de la même façon que les noms propres sans article employés

masculins ;
çpmmuneusement ou que les affonctifs substantivés. Ils sont alors
ex. :
Êîle est rudement bonne la soupe, ce midi, a dit hier à mi-voix le vieux
Silvain, le vacher.
(Le Matin du £è octobre 1921).

Prenne tout le côté que l'Orient regarde ;


Amis, partageons-nous. Qu'Ismaël en sa garde
Vous, le côté de l'Ourse, et vous de l'Occident.
'i Vous, le Midy,
(Racine. Athalie. IV, 5).
Le midi est ici un
synonyme de : le sud.
N'a-t-il pas vu, rôdeur, durant les clairs minuits
Dans la lande danser les cornandons maudits ?
!. (Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. Armor. Un riche en Bretagne)i
Quand par un radieux minuit dans les campagnes du Rhône elle prend un
large mûrier pour cible.
(Paul Claudel. Protée. Acte II, Se. 1).
La question se restreint donc en définitive aux noms des jours de
la semaine, et à le lendemain, la veille.

:
semaine sont essentiellement assis dans l'assiette notoire pour d'au-
tres, ils s'assoient suivant la règle commune
:
En effet, pour certains de leurs emplois, les noms des jours de la

« Il viendra Jeudi. —
Il vient Jeudi. — Il est venu un Jeudi. Il est précisément venu ce
Jeudi-là. — C'était ce Jeudi où il a tant plu. » Ex. :
Ensi lor dura cil perils et cil travaux près de dix jorz, tant que un
joesdi matin fu lor assaus atornez.
(Villehardouin. Histoire de la prise de Constantinople, 170).
Et si fu a. i. samedi
Qu'il estaient tuit géun.
(Rutebeuf. La vie Sainte Elysabel. 628. T. II, p. 334).
C'est aujourd'hui Mercredi.
(Labiche. Moi. I, 5).
Est-ce que je ne viens pais tous les Mercredis constater l'état de votre santé.
(Ibid:)
Dame! je vais m'y promener le Dimanche.
(Ibid. II, 5).
Mais l'existence même des emplois notoires des jours de la semaine

siette un répartitoire différent du répartitoire commun


tinguer entre le notoire essentiel et le notoire formel.
:
non articulés (Jeudi), réduit le domaine du notoire formel (le Jeudi),
de sorte qu'on peut dire que les jours de la semaine ont pour l'as-
il y faut dis-

;
A) Le notoire essentiel désigne toujours a) le plus prochain des
jours devant porter le nom indiqué « Il viendra Jeudi il viendra de
Jeudi en huit. » Ex. :
Li frère Guillemin,
Li autre frere Hermin
M'amorloratermin
Je s amerai mardi.
:
(Rutebeuf. La chanson des ordres, 76. T. I, p. 207).
Le terme que prend Rutebeuf pour aimer ces bons frères est im-
muablement fixé au mardi suivant, de la même façon que le perru-
quier légendaire doit toujours raser gratis le lendemain.
Dont, se il vous plait, nous les assaurons vendredi ».
«
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 262).
Merqùedy au matin feray me gent rengier
Contre nos anemins ou camps dessus l'erbier.
(Le roman de Hugues Capel.3274).
Je vous invite. à vous trouver au château d'Hildsheim jeudi prochain
sur le coup de midi.
(Augier et Sandeau. La Pierre de Touche. 1, 1).
Au fait, jeudi, c'est après demain.

(J) Ou le plus récent dans le passé qui ait porté ce nom


venu Jeudi. » Ex. :
:
(lbid.).
« Il est

C'est donc lundi passé, 7 du mois, que tout le conseil d'Etat assemblé, a
écouté M. de Crosne.
(Voltaire. Lettre à M. Damilaville, 11 mars 1763).
B) Le notoire formel désigne, lui :
a) soit la répétition constante et générale du fait
Jeudi. » Ex. :
: « Il vient le

On se réunissait chez Leconte de Lisle le Samedi, chez Banville le Jeudi,


en des soirées toutes à des conversations d'art et de poésie.
(Verlaine. Confessions. Œuvres complètes. T. V, p. 141).
Les dimanches, tout parfumés d'encens, se consumaient en offices dans
une allégresse langoureuse.
(A. France. Les désirs de Jean Servien. XXIV, p. 179).
P) soit une notoriété donnée par le cpntexte précédent (notoriété
circonstanciale), ex. :
Il mourut un Vendredi,
Dernier jour de son âge
S'il fût mort le Samedi
;
Il eût vécu davantage.
(Lhanson de M, de la Palisse).
Al samadi lur vient uns mès,
De la part Deu saluet-les.

;
Assez i ot parlé e,t avant et arrière
(Saint Brandan, 405).
mais la somme del conseil si fu teljs
que il ratorneroient lor afaire l'endemain, qui semadis ere, et le diemen-
che tote jor, et le lunedi iroient à l'assaut.
ï
(Villehardouin. Histoire de la conquête de Constantinople, p. 240).
Toute celle semaine fumes en festes et en quarolles, que mes freres li sired
de Vauquelour, et li autre riche home qui là estoient, donnèrent à mangier,
chascuns li uns après l'autre, le lundi, le mardi, le mercredi et le jeudi.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 110)-*
Et fut par ung mardy, à l'eure d'un mengier,
C'au merquedy aprez, au point de l'esclarier
Véysiez lez bourgoisd'armez aparillier.
(Le roman de Hugues Capet. 3647).
Ung merquedy y vindrent prendre herbergison :
Le jeudi au matin espouser devoit-on.
(Ibid. 5935).
y) soit une notoriété résultant de l'adjectif ou de l'adjectiveux atta-

Juliette s'est cassé la jambe ;


ché au nom du jour (notoriété spéciale) : « Il est venu le Jeudi où
il est venu ici le Jeudi saint. » Ex. :
Acordei fu que li roys descenderoit à terre le vendredi devant la Trinitei.
(Joinville. Histoire de Saint Louis, p. 150).
On excepte de cette règle les Dimanches de l'Avent et depuis la Septuagé-
sime jusqu'au Dimanche de Quasimodo.
(Offices de l'Eglise. Lecofîre, éd. 1876, p. v).
L'ancienne langue, par suite du manque de régularité de l'articu-
lation, était beaucoup moins absolue dans ces emplois. Ex. :
s
Et tuit accorderont que il nous venroient assaillir vendredi.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 262).
Nous dirions ici : le Vendredi.
Demain, à l'égard de le lendemain ; hier, à l'égard de la veille, se

à-vis de celui-ci à la notoriété formelle :


comportent comme le jour de la semaine à la notoriété essentielle vis-
« Il viendra demain
venu hier ; il viendra le lendemain de Noël, etc. Ex. :
; il est

En cel isle anuit entras


E ta feste demain isras.
(Saint Brandan. 426).
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne
Je partirai.
(V. Hugo. Les Contemplations. IV, 14. T. II, p. 49).
On entend le bruit de l'orgie qui se prolonge jusqu'au lendemain.
(A. Jarry. Ubu roi. I, 7. Indication scénique).
Ici encore, l'ancienne langue pouvait employer le notoire essentiel :
Il leur dit qu'ils s'alassent coucher, et que demain au bon matin il y au-
roit pensé et leur feroit responce.

Dans cette phrase, le français d'aujourd'hui dirait :


(Le romant de Jehan de Paris, p. 29).
le lendemain.
L'ancienne langue articulait aussi quelquefois directement demain ;
ex. :
Puis al demain terre veint. (Saint Brandan. 964).
Nous diripns ici aussi, le lendemain.
Dormir en vont dusqu'el demain.
(Guillaume de Palerme. 5061).

:
En résumé pour ce groupe de vocables, la physe notoire est coupée
en deux il y a un notoire essentiel ou sans article pour la notoriété
capitale, un notoire formel, articulé pour toutes les autres notoriétés.
L'existence des locutions : Samedi prochain, Samedi dernier ne doit
pas faire croire que le notoire essentiel puisse convenir à l'expression
de la notoriété spéciale, car, dans ces locutions, l'addition de l'adjectif
n'étend en rien le domaine d'emploi possible du vocable sans article.
Samedi peut désigner le dernier samedi écoulé avant aujourd'hui ou
le prochain Samedi à passer après aujourd'hui. L'addition des adjec-
tifs prochain et dernier ne sert qu'là marquer la distinction entre ces.
deux cas possibles d'emploi sans article.
Les locutions de Samedi en huit, de Samedi en quinze, de Samedi en
trois semaines, etc. (alias vulgairement, et peut-être même provin-
cialement : Samedi enjiuit, Samedi en quinze, etc. sans de) ne prou-
vent non plus rien contre la limitation indiquée par nous, car elles
n'apportent aucune extension à la possibilité d'emploi sans article,
puisque le Samedi qui y figure et qui sert de point de départ au re-
pérage temporel n'est et ne peut être que le dernier Samedi écoulé
ou le prochain Samedi 'à s'écouler.
434. — Le répartitoire de présentatoriété se présente dans des con-

un temps :
ditions particulières ppur plusieurs substantifs nominaux indiquant
matin, après-midi, soir, nuit, semaine, année, etc. Cha-
cun de ces vocables, précédé de l'article présentatoire et non suivi de
;
ci ni de là, ne peut guère désigner que la présentatoriété proximale. Ce
matin, c'est le matin d'aujourd'hui ce soir, le soir d'aujourd'hui ;
main ;
cette nuit, la nuit d'hier à aujourd'hui ou celle d'aujourd'hui à de-
cette année, l'année qui s'écoule. Ex. :
Cette nuit en longueur me semble sans pareille.
(Molière. Amphitryon. 1, 2).
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses.
(Marceline Desbordes-Valmore. Elégies. Les roses de Saadi, p. 81).
La température estivale s'est continuée, cette année, fort avant dans l'au-
tomne.
(Simonne B. La Femme et le Foyer, dans les Annales, 30 octobre 1921,
p. 412, col. 1).
:
Ce siècle avait deux ans Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte.
(V. Hugo. Les Feuilles d'Automne. I, p. 13).
La phrase suivante, qui contient une amphibologie, ne se dirait pas
en français de nos jpurs.
Cette année le Dimanche de Pâques échut au 7. avril.
(Saint-Simon. Mémoires. T. V, ch. XXXII, p. 419).
Il semblerait qu'il y eût là un cas de présentatoriété proximale, appli-

Mme A, entendant lire cette phrase s'écria aussitôt :


cable à l'année la plus proche, celle même où le locuteur se trouve.
« En voil'à une
drôle de chose. Il dit donc échut pour échoit ? » C'est qu'en effet, dans
le sentiment linguistique français d!aujourd'hui, cette année implique
sibien une idée présente (= ouan) que Mme A, mise ainsi dans le
,
présent, croyait à une forme verbale anormale. Le français de main-
:
teûoant dirait « Cette année-là. »Pour autoriser « cette année » au
sens passé, il faudrait actuellement une présentatoriété prétéritale, un
qpntexte antérieur.
Un auteur contemporain a pu écrire, à la rigueur :
Néanmoins,
un grand espoir nous soulevait. Cet état d'Ame je l'ai connu à
chaque veille d'offensive, mais rarement aussi intense que cette année.

pour désigner une année passée ;


(Jean de Pierrefeu. G. Q. G. Secteur 1. T. I, p. 263).
mais ce tour, quoiqu'éclairé ici par
lé contexte, est d'un usage extrêmement rare.
., De même, dans les vers célèbres de Lamartine

0 lac, rochers muets1grottes 1


:!
forêt obscure
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir
Gardez de cette nuit, gardez belle nature,
Au moins le souvenir.
(Méditations poétiques. XIV. Le Lac).
Encore qu'un an se soit passé entre la nuit dont il parle et l'invo-
cation qu'il formule, le poète vous y transporte pour ainsi dire de
nouveau pour prier la Nature d'en garder l'empreinte inaltérable.
En général, ppur retrouver les possibilités ordinaires du présenta-
etc.
;
.:
toire, il faut ajouter là. Le tour cette année-là, cette nuit-là, en
voit ses emplois élargis il prend une généralité qui est refusée dans
le cas général là un tour tel que cet homme-là.

;
L'addition de ci ne ferait au contraire pas sortir de la présentato.
riété proximale cette année-ci, cette semaine-ci, signifient l'année, la
semaine que nous vivons. Cf. cet mpis-ci, ces temps-ci, ces jours-ci,
dans lesquels l'usage rend ci obligatoire. Ppur ces vocables à signi-
fication temporelle, l'opposition de ci et de là est particulièrement
marquée et c'est ce qui explique le tour formé par l'article présen-
tatoire et la particule ci, à peu près sortie dans le cas général, de
l'usage parisien parlé, soit au contraire ici très vivant.

:
La même répartition de sens des formes présentatoires s'applique
aux noms des jours de la semaine et aux dates ce samedi, c'est-à-dire
aujourd'hui samedi ; ce 19 Septembre, c'est-à-dire aujourd'hui
19 septembre. Ces deux tours, qui ont autrefois très fréquemment servi
pour dater les lettres sont beaucoup moins employés dans l'usageac-
:
tuel, encore que bien des gens y restent fidèles. Cette manière de da-
ter ce 19 Septembre est actuellement, sous la plume de la plupart,
remplacé par cette autre le 19 Septembre, et l'on peut ajouter à l'une
ou à l'autre de ces expressions le millésime de l'année. Mais, à vrai
tiques de la langue française diront :
dire, ceux qui voudront mettre en œuvre toutes les ressources séman-
le 19 Septembre 1921, parce
qu'alors la détermination est complète (cf. § 371) ; mais ce 19 Septem-
bre, parce qu'alors, en l'absence de l'indication de l'année, c'est un
élément démonstratif proximal qui supplée à l'incomplétude réelle de
la détermination (cf. § 378).
CHAPITRE VIII

ROLES GRAMMATICAUX DU SUBSTANTIF NOMINAL

SOMMAIRE

435. Lesubstantif nominal peut sortir de sa valence.


declausules nominales. - 486. Les divers genres

Le substantif nominal dans la complémentation des factifs nomi-


-

anec article et préposition. — 438. Compléments ambiants :


naux. — 437. Compléments circonjacents : constitués par une clausule
1° clausules
sans prépos-ilioii comme compléments allocutifs (vocatif). — 439. 2° Clau-
sules sans préposition comme complément délocutif (exclamatif). — 440.
30 Clausules avec préposition.
441. Le substantif nominal factiveux. — 442. De diverses clausules com-
me compléments d'un substantif nominal factiveux.
Le substantif nominal dans la complémentation des verbes.
443. Vue d'ensemble sur l'organisation du nœud verbal.
-
Le réceptacle est un factif locutoire. — 444• Compléments constitués par
des clausules avec article. — 445. Cas particulier : le vocatif. — 446. Com-
pléments constitués par des clausules sans article.
Le réceptacle est un factif délocutoire. — 447. Substantif nominal sou-
bassement. — 448. Substantifs nominaux avances et écarts. — 449. Dias-
chètes : constituées par des clausules avec article.
diaschètes et leurs supports. 1° sexvisemblance. --450. Rapports entre les
451. 2° quantitude. —
452. 3° assiette. — 453. Diaschètes de substantifs strumentaux. — 454.
Diaschètes de substantifs verbaux.
455. Dianathètes : 1° constituées par une clausu.le sans préposition. —
456. 2° constituées par une clausule avec préposition. — 457. Diamphithète.
458. Le substantif nominal catadmète d'un verbe.
459. Le substantif nominal diamphiplérome : 1° allocutif. —460. 2° délo-
cutif.
461. Le complément hors rayon, sorte de sous-phrase.
462. Diapléromes affonctiveux : 1° constitués par une clausule sans article
avec préposition.
463. 20 constitués par une clausule sans article ni préposition.
Le réceptacle est un extrafactif verbal.
—464. Substantif nominal dia-
plérome d'extrafactif verbal.
Le substantif nominal dans la complémentation des factifs stru-
mentaux. — 465. Complément substanliveux : 1° auprès de oui, non, si.
466. 20 auprès de voici, voilà. — 467. Compléments adjectiveux.
Le substantif nominal dans l'épiplérose. — L'épidecte est un subs-
-
tantif nominal. — 468. Epanathète ; .1° 'constituée par une clausule avec
article et préposition (le. — 469. 2° constituée par une clausule avec article
sans préposition. — 470. 30 constituée par une clausule avec article et pré-
avec préposition de. — 472. Cas particulier du précédent :
position autre que de< — 471.4° constituée par une clausule sans article
en syndèse, la
prédominance est prise par le substantif qu'introduit de. — 473. 5° Consti-
tuée par une clausule sans article avec une préposition autre que de. -
474. 6° constituée par une clausule sans article ni préposition. — 475. Jonc-
tion de substantifs nominaux sous un même article.
476. Epamphischète. — 477. Mpamphithète. — 478.Epanaschcte.
L'épidecte est un adjectif nominal. — 479. Epirrhèmes constiués par des
clausules avec préposition. — 480. Epicatarrhèmes constitués par une clau-
sule sans article ni préposition.
Le substantif nominal équivalent de strument. — 4SI. 1° d'adjectif stru-
mental. — 482. 2° de préposition.
483. Coup d'œil général sur les capacités grammaticales du substantif
nominal.

435. — Pour terminer l'étude du substantif nominal, il nous reste


à examiner quels rôles il est susceptible de jouer dans le déroulement
parlé de la langue française.
Les répartitoires du substantif nominal, que nous venons d'étudier,
représentent les éléments de classificatipn taxiématique qui convien-
nent, dans l'édifice mental français, à la substance nominale. Le der-
nier d'entre eux, celui d'assiette, a tout particulièrement pour rôle,
nous l'avons vu, d'assurer définitivement le vocable d'essence subs-
tantivp-nominale dans la valence propre à laquelle il est essentielle-
ment destiné.
Mais il y a lieu de ne pas oublier que les mots, pour rangeables
qu'ils soient toujours dans une essence donnée, n'ien gardent pas
moins des possibilités valentielles diverses, et, en particulier, que les
substantifs nominaux, guindés par les conceptions mentales les plus
hautes et les plus générales 'à la valence à laquelle ils sont destinés,
glissent avec facilité à l'adjectivosité ou à l'affpnctivosité dès que
les taxièmes des répartitoires substantivo-nominaux .cessent de les
enfermer étroitement.
436: — Le rôle grammatical du substantif nominal doit être envi-
sagé d'une part au point de vue de la rection, d'autre part au point
de vue du supportement.
Au point de vue de la rection, la seule chose à considérer est la
masse de valence constituée par la clausule en entier. Quatre genres
de clausules :
a) bonheur
(J) le bonheur
y) par bonheur
S) par le bonheur
recevant leur valence de leurs régents respectifs
a) bonheur
: »

(i) bonheur
y) par
8) par
En remarquant que bonheur n'a pas les mêmes possibilités va-
lentielles dans les deux cas, puisque sa valence dépend de son as-
siette.
L'on sera peut-être étonné que, dans les clausules par bonheur, par
le bonheur, nous attribuions le rôle de régent à la préposition, vu
que, d'une part, nous avons défini le régent comme le terme, qui
donne sa valence propre à l'ensemble, et que, d'autre part, les pré-
positions sont des affonctifs tandis que les clausules qu'elles forment
peuvent être adjectiveuses ou affonctiveuses. C'est que la valence d'un
strument n'est pas quelque chose qui lui soit propre au même titre
que l'est, par exemple, la valence d'un nom. Un strument est essen-
tiellement quelque chose de constructif, et pn peut dire que les slru-
ments de conversion, c'est-à-dire ceux qui sont uniquement destinés
à donner valence, n'ont guère de valence propre, ne pouvant s'em-
ployer seuls. Ils n'ont de valence que celle qu'ils sont précisément

introduisent. Cf. les trois convalents suivants


Je dis que vous êtes belle.
:
dans une phrase donnée chargés de communiquer au convalent qu'ils

La femme que je vis.


Il y a des gens qui se trémoussent qu'on n'en sait rien.
Dans ces convalents, le premier est substantiveux, le second est adjec-
tiveux, le troisième est affonctiveux ; et pourtant, eux dont le centre est
factif, ils ne peuvent avoir ces valences que du fait du même strument :
que. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une valence adjecliveuse ou af-
fonctiveuse, que les prépositions cpmmuniquent à la clausule qu'elles
introduisent.
Au point de vue du supportement du substantif nominal, la pré-
sence ou l'absence de la préposition n'importe plus.. Il importe seu-
lement que le substantif soit assis ou non, car seul un substantif as-
sis a une sufférence illimitée. C'est dire que seule la présence d'un
substantif rend la clausule diffusive. Mais il ne faudra pas oublier
que le substantif nominal assis illusoirement peut n'avoir pas d'ar-
ticle (1).
Dans les phrases régies par un factif nominal et même jusqu'à un
certain point, dans celles régies par un factif verbal locutoire, les
notions de rection et de supportement sont, comme nous l'avons dit
(cf. § 105) mal différenciées. C'est donc surtout là la complémentation
telle qu'elle s'effectue autour d'un factif verbal délocutoire que

:
s'applique l'analyse ci-dessus posée.
Exemples
Les dernières glaces du Grand Canal ont achevé de fondre hier, car le temps
s'est fort radouci. Le Roi est sorti en carrosse. Il a visité plusieurs fontaines
de ses jardins que les gelées de cet hiveir ont fort gâtées. Il a ordonné les
réparations nécessaires. Elles seront entreprises aussitôt que la saison le
permettra. Sa Majesté a fini sa promenade par la Ménagerie où le froid a
(1) Le nom propre étant essentiellement assis, beaucoup de noms propres possèdent
l'assiette notoire sans prendre l'article (cf. supra, chapitre VII).
fait périr plusieurs oiseaux rares qui seront difficilement remplacés. Madame
la Dauphine en montre un grand chagrin. Le soir, il y eut appartement.
(Henri de Régnier. Le bon plaisir, p. 227).
a) Clausule sans article ni préposition :
fi) Clausules avec article sans préposition: appartement.
les dernières glaces, le
temps, le Roi, plusieurs fontaines, les gelées, les réparations, la saison,
-
Sa Majesté, sa promenade, le froid, plusieurs oiseaux, Madame, la Dau-
phine, un grand chagrin, le soir.
y) Clausule sans article avec préposition
ô) Clausules avec articles et prépositions
:: en carrosse.
du Grand Canal, de ses
jardins, de cet hiver, par la Ménagerie.

:
C'est quand on lit despoèmes de poètes comme les poèmes de ces poètes
qu'on comprend — et c'est alors qu'on se dit si je pouvais recommencer
ceci, je n'aurais plus souci de moi-même.
(Exemple épistolaire d'une inconnue à M.).

437. - Quand un substantif nominal est complément d'un factif


nominal, le rapport grammatical n'apparaît nettement que si les deux
termes sont unis par une préposition (cf. § 105). C'est que le factif
nominal est encore au premier stade de la factivosité. Il n'a pas la puis-
sance nodale qui lui permettrait de mettre directement en rapport des
quanta substantiels; il ne peut avoir comme compléments que des af-
fonctifs ou des affonctiveux. La présence de la préposition est obliga-
toire. Mais le substantif s'y montre néanmoins en pleine valence, dans
les cas qui nous occupent; pour réaliser cette sienne double exigence,
la langue recourt à la clause avec article et préposition.
Bien que l'pn ne puisse pas parler ici de répartitoire de rection ni de
supportement et que le complément y apparaisse encore sous sa forme
brute, il est néanmoins évident que le répartitoire d'adjacence joue
déjà et que les substantifs nominaux peuvent être unis d'assez près au
factif nominal pour être qualifiés de compléments circpniacents, ex :
Sire, merci de la roïne 1
(Bèroul. Le roman de Tristan, 1096).
Hé ! franche riens, en qui j'ai ma fiance,
Merci por vostre honor !
(Renaud de Couci. Chanson. XII, 16, p. 123).
Auvar dou sot, s'il ne me baise !
(Adam de la Halle. Li gieus de Robin et de Marion, 522).

Fy du larron.— Fy du
— FyFy du desleal garnement.
menteur.
Fy du faulx trahitrysenchanteur

— du plus mauvais seducteur


Qui soit dessoubz le firmament.
(Arnoul Greban. Le mistere de la Passion, 20851-57).

:
et, ayant remarqué les mines que faisoit ccst Escossois, il commença
à crier «Tru, tru pour Jehan d'Escosse et son bagaige ! »
(Bonaventure des Périers. Les nouvelles Récréations et joyeux devis).,
Nouvelle, GXXIV, Tome II, p,
",I.!
373).
Gardez-vous sur vostre vie
D'ouvrir que l'pn ne vous die,
Pour enseigne et mot du guet,
Foin du Loup et de sa race.
(La Fontaine.•Fables choisies. IV, 15. Le Loup, la Chevre et le Chevreau).
Grammercy de son passe-port.

Adieu donc :
(Ibid. VI, 14. Le Lion malade et le Renard).
fy du plaisir
Que la crainte peut corrompre.
(Ibid. I, 9. Le Rat de ville et le Rat des Champs).
L'aime-t-il ? — Hélas 1 oui. Maugrebleu de la masque.
(Destouches. L'enfant gllté. Scène VI).

A la santé des amoureux ;


Buvons un coup, buvons en deux,
Buvons aussi au roi de France,
Merde pour le roi d'Angleterre
Qui nous a déclaré la guerre.
(Chanson populaire).
Nargue à toutes les villes
Etnargue à tous les rois 1
Barons, nargue au saintS-père,
Et nargue à l'empereur !

Nargue à Satan, burgraves !


Burgraves, nargue à Dieu t
(V. Hugo. Les Burgraves. lre partie, I, 1).
Hélas pour lui 1 M. Lasserre n'est point bête.
(A. Gide. Nouveaux Prétextes. Journal sans date).
:
-Elle accepta, puis dit
eux.
Zut aux champignons. S'ils jouent à cache-cache, je me lasse avant
(R. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 114 (1).

438. — Lorsque le substantif nominal est joint directement à un


factif nominal, l'absence de puissance nodale de ce dernier laisse le
complément dans un simple rapport d'ambiance.
Il y a lieu de distinguer si le factif nominal est adressé par le locu-
teur là l'être représenté par le substantif nominal complément, ou est
adressé à un allocutaire autre que lui. -
Dans le premier cas, le substantif npminal est un complément
ambiant locutoire allocutif: c'est ce que l'on appelle un vocatif, ex. :
Ahi ! culvert ! malvais hom de put aire !
(Turold. La Chanson de Roland. 763).
Dame, por amor Deu, merci !
( Beroul. Le roman de Tristan. 93).
Ha 1 resplendissant jame,
Tendre et piteuse famé,
Quar entent ma proière.
(Rutebeuf. Le miracle de Théophile. 501, 3. Tome II, p. 256).

(1) Zut aux champignons, c'est-à-dire pour les champignons. C'est aux champignons
que je dis zut. Pareille tournure est toute différente d'une locution comme : Chic
aux pommes 1 dans laquelle aux pommes représente un renforcement du factif chic,
une sorte d'assaisonnement de l'exclamation. Pareil complément peut passer pour
coalescent.
Adieu, ma dame de pris.
(Jehannot de Lescurel. Chansons XXXII).
Ha ! ingrates chansons 1 ha 1 malheureuses Muses 1
Rompez-moy par despit fleutes et cornemuses,
Puis qu'aujourd'huy les nains sont plus heureux que nous.
Ronsard. Les Sonnets divers. XCIII. T. V, p. 362).
Adieu, Madame. — Adieu, Monsieur.
(Molière. Le Tartuffe ou l'Imposteur. II, 4).,
Bonsoir, Monsieur Bazile.
(Beaumarchais. Le barbier de Séville. III, 12).
Adieu, vénérable fauteuil où je me suis renversé tant de fois gorgé de
mets succulents 1 Adieu, bouteilles cachetées, fumet sans pareil de venaisons
cuites à point ! adieu, table splendide, noble salle à manger.

:
(Musset. On ne badine pas avec l'amour. II, 2).
Tout à coup, une voix de femme s'écrie — Emile ! Ah ! Emile 1
(René Benjamin. Sous le ciel de France, p. 201).
Complément allocutif ambiant d'un factif, le vocatif no comporte
pas nécessairement la présence d'un article, et celui-ci ne lui confère
que des précisions sémantiques sans jouer à son égard un rôle de stru-
ment collateur de valence. Ex :
Hola ho, l'homme, ho, mon compere, ho l'amy, un petit mot, s'il vous
plaist.
(Molière. Dom Juan ou le Festin de Pierre. III, 1).
Les dieux qui me formâtes,
Je ne vis qu'en passant ainsi que vous passâtes.
;
(G. Apollinaire. Alcools. Cortège
p. 37).
Mais bien que l'article ne serve pas ici de collateur, de valence
substantiveuse, le vocatif n'en est pas moins toujours substantiveux.
Et ceci qu'il soit ou non pourvu d'article.
On peut dire qu'en quelque sorte le substantif nominal au vocatif a
une double valence.
En effet, le vocatif est la représentation explicite de l'allocutaire qui

ler à des phénomènes et à des modalités


::
n'est, en dehors de la présence du vocatif, qu'implicitement présent,
et l'allocutaire ne peut être que substantiel on ne saurait en effet par-
les interlocuteurs sont des
personnes, au sens où nous avons défini ce terme (v. § 50).
Le vocatif, l'allocutaire étant connu du locuteur au moins comme
tel, est donc un locutoirement substantiveux.

439. — Dans le second cas, le substantif nominal est un complé-


ment ambiant délocutif; nous l'appellerons l'exclamatif. Ex :
Li marinier- escrierent : « Çà, la galie pour le roy requeillir. »
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 621).
Hareu ! le leu! le leu 1 le leu 1
(Adam de la Halle. Li gieus de Robin et de Marion. 596).
Helas ! helas ! les rains, le dos 1
(Farce du Pont aux Asnes. 256).
Le quart dict : Ma femme me l'escorchera, mais non tout. 0 le beau mot.
(Rabelais. III. 18. T. I, p. 417).
Aht1 quelle conf
Ah usion f
confusion 1
(Molière. Les Précieuses ridicules. Scène XVII).
Ah, Ah! quelle grossièreté1
(Destouches. La fausse Agnès. I, 7).
Fi, les vilains hommes qui boivent de çà1 Donnez m'en encore pour trois
sous, disait une brave Allemande.
(Voltaire. Lettre au comte d'Argental. Mai 1761).
1
Entends-tu le carillon qu'ils fontP Paf! les portes clip, clap1 les assiettes,
les plats, les fourchettes, les bouteilles 1 Il me semble que j'entends chanter.
(A. de Musset. Le chandelier. II, 2).

:
Il était si mal venu, disait la mère, et ressemblait si peu à un être humain
que lej gros Eugène, qui n'avait que dix-huit mois et qui parlait à peine,
s'écria en l'apercevant Oh! la bebête1

Elles se pâmaient à trente mètres :


(Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie. T. I, p. 28, IV).
Ah !. !
un Anglais
(René Benjamin. Sous le ciel de France, p. 36).
Frr. Pangg! Une bombe! Pangg. pangg. une seconde Re-papangg. 1
une troisième1
(Ibid., p. 219).

- :
cœur
et quand il s'éveillait le matin, l'amère pensée, aussitôt, lui pinçait le
Mince, le billard.
(R. Dorgelès., Les Croix de Bois. XVI, p. 323).
Saprelotte, dit-il, quelle jolie propriété.
(R. Boylesve. Le meilleur ami, p. 149).
La présence simultanée de l'exclamatif et du vocatif auprès d"un fac-
tif nominal n'est pas rare; ex :
Au matin pour commencement
Je crie du laict pour les nourrices,
Pour nourrir les petis enfans,
Disant ça tost le pot nourrice.
(Les Cris de Paris. Fol. 2).
Oh !le bon siècle, mes frères,
Que le siècle où nous vivons !
(Les grandes vérités, chanson populaire).
!
Ah le bel oiseau, maman,
Qu'Alain a mis dans ma cagel
-Ah! le bel oiseau, maman,
Que m'a donné mon amant !
(Chanson populaire).

440. - Le substantif npminal complément ambiant d'un factif no-


minal est quelquefois précédé d'une préposition. La différence de ce
complément ambiant avec un complément circonjacent (cf. supra § 437)
se manifeste par une différence de construction ou par une pause. Ex. :
Ha, ha, au lièvre1 je le voy.
(Miracle de la femme du roy de Portigal. 63).
Mamjmelles,, quoy ! toutes retraîctes ;
Telles les hanches que les tettes.
Du sadinet, fy !
(Villon. Les Regrets de la belle Heaulmière, p. 39).
Sus1 sus1 à l'ennemi!
(P.-J. Barbier. Jeanne d'Arc. I, 10).
Zuttaubergerf
(Labiche. La fille bien gardée. Scène III).
Fréquente avec l'exclamatif, cette tournure n'est pas sans exister
au vocatif. Ex. :
Hau de la nef, hola hau, qui nous hellfe ?
(J. Parmentier. Chant royal, apud Littré. Dictionnaire de la langue fran-
çaise.s.Y. héler).
Ohé! del' boutique!

Ce dernier exemple est en patois picard. En français


tique.
:
(L'enfant prodigue au Théâtre des Marionnettes du Touquet. Juillet 1898).
dei la bou-

substance:
Nous avons dit au § 438 que le vocatif impliquait toujours une
la personne de l'allocutaire locutoirement substantiveux. Il
est à remarquer que, dans le cas des vocatifs indirects étudiés au pré-
sent §, cette substance est constituée non pas par le substantif nomi-
nal, qui ne s'identifie pas à l'allocutaire, mais par la clausule entière
(y compris préposition et article). Cette clausule, de nature affonc-
tivo-adjectiveuse, est ici substantivée par son emploi vocatif même.
« De la nef », « de la boutique » sont des expressions qui s'adres-
sent ü ceux de la nef, à ceux de la boutique. Et ces clausules reçoi-
vent une substantivosité locutoire en tant que représentant les grou-
pes de personnes constituant respectivement l'allocutaire dans cha-
cune des deux phrases.

441. — Ainsi que nous l'avons déjà dit (cf. § 105) les substantifs
nominaux compléments ambiants d'un factif nominal ont quelque
chose d'encore factiveux eux-mêmes. Aussi n'est-il pas surprenant
de leur voir prendre très facilement le rôle même de factif.
Cette évolution peut se faire à partir du vocatif quand celui-ci
s'isole en un simple appel. Ex. :
Galjmard
entre en appelant
Jeannette! Jeannette!
(Labiche. Un garçon de chez Véry. Se. I).
Le plus ordinairement, elle se fait à partir de l'exclamatif. Mais
entre l'exclamatif, qui est délocutif, et le vocatif, qui est allocutif, la
limite n'est pas si tranchée qu'on pourrait le croire. En parlant d'une
personne devant elle, on peut l'asspcier plus ou moins ouvertement
au discours, et quoique se parlant officiellement 'à soi-même, parler
sinon à elle, du moins pour elle.
Toutes les transitions entre l'exclamatif et le vocatif, nous sont
données par l'exemple suivant. Monsieur Chilpéric Barbarin arrive

arrivent:
à l'improviste chez ses neveux Montclair. Il les attend au salon. Ils

La porte s'ouvrit, et trois personnes entrèrent en s'exclamant :


«Mon oncle!
— Mon
— Cher oncle !
bon oncle )
Chil Bonjour, oncle Chil.
(H. de Noussanne. Le Château des Merveilles, ch. II, p. 15).
Il est évident que la première de ces exclamations est purement
exclamative. Elle échappe au locuteur et exprime sa surprise
s'y adresse qu'à lui-même. Dans la seconde « mon bon oncle ! », le
: il ne

locuteur a déj'àeu le temps de prendre conscience de la présence de

tendu de l'oncle, et en parlant pour ce témoin :


l'oncle, il s'exclame certes, mais en sachant très bien qu'il est en-
nous sommes à peu
près à mi-chemin de notre route. Nous pourrions dire qu'il y a là

;
exclamatifvocativescent. L'expression suivante, « Cher Oncle Chil «
n'a plus que peu de caractères exclamatifs la suppression même de
!
tout article (même le présentatoire. Cf. ce bon Folleville, § 374) est
ici (v. infra) un signe de vocativité. C'est un vocatif exclamativi-
gène. Enfin l'expression oncle Chil attachée à Bonjour est un voca-
tif légitime, bonjour ayant résolûment engagé la conversation et élevé
définitivement l'oncle Chilpéric au rang d'allocutaire.
Le substantif nominal devient factiveux dès que l'absence de tout
factif auprès de lui retire au discours son centre factival spécialisé
de complément de factif, le substantif nominal devient alors lui-
:
même le centre de l'émouvement. Ex. :
Paix! nous vous garderons, le Monde,
Et vous deffendrons contre tous.
(Farce des gens nouveaulx. 190).
Chaudronnier, Chaudronnier.
(Les Cris de Paris. Fol. 5. VO).
« Paix! », lui dit Brisquette.
(Ch. Nodier. Le chien de Brisquet).
Je suis un berceau
Qu'une main balance
Au creux d'un caveau
Silence, silence!
:
(Verlaine. Sagesse. Il. V. Tome I, p. 271).
Les gardes obéissent, la chapelle se vide. Etonnement du roi, qui arrive
et ne voit personne.
(G. Lacour-Gayet. Louis XIV. La monarchie absolue dans Lavisse et Ram-
baud. Histoire générale du IVe siècle à nos jours. T. VI, chap. IV, p. 204).
Ce procédé est assez fréquent pour avoir donné naissance, par'
voie d'afflux, là de véritables factifs nominaux, merci par exemple.
(Cf. infra § 757).
Les exemples cités ci-dessus (paix, silence) se rapportent d'ailleurs
à des substantifs nominaux très souvent employés factivement. Mais à
cet emploi pn peut aussi faire accéder des substantifs nominaux quel-
conques, et l'expression prend alors une énergie un peu farouche que
le banal emploi d'un factif verbal n'aurait pas permise. Qu'on se
figure en effet combien la présence des mots je serai avant le mot de
matelot eût retiré de sa vigueur là la phrase ci-dessous, placée par
l'auteur dans la bouche d'un mousse dont le père s'test perdu en mer.
j'ai ma revanche.
Moi,
Quand je serai grand — matelot 1 -
(Tristan Corbière. Lesamours Jaunes. Gens de Mer. Le Mousse).
La nature factiveuse du substantif nominal peut, dans de sembla-
bles emplois, être soulignée par l'adjonction d'un préfixe vivant ne
convenant qu'à du factiveux ou à du verbal, ex. :
Alors demain, re-Verdurin.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. V, vol. III, p. 214) (1).
Dans son emploi factiveux, le substantif nominal peut d'une ma-
nière similaire à celle que nous avons vue au § précédent, être pré-
cédé d'une préposition, qui forme alors avec lui une clausule facti-
veuse. Ex. :
Par foyl dont lo-jou c'on maint
Walet ains qu'il voist empirant.
i
(Adam de la Halle. Li Jus Adan ou de la Feuillie. 340).
Al'uis, à l'uis qui n'a d'argent!
(Rutebeuf. La vie Ste Marie UŒgiptianne. 102. Tome II, p. 267).
Par ma foy, dist-il, nous sommes affolez. Ha ! pauvres gens.
(Rabelais. I. 33. Tome I, p. 104).
1
Au secours à L'aidet
(P.-J. Barbier. Jeanne d'Arc. III, 2).
1
Excellent Excellent! je
n'en demande pas plus long. Dans la trappe.
(Alfred Jarry. Ubu roi. III, 2).

-vertu de ce procédé :
Toute une série de factifs nominaux essentiels, se sont formés en
Parbleu, palsambleu, etc. (cf. infra § 756).
Ce n'est pas ie seul cas où le substantif nominal se factive en fai-
sant partie d'un convalent. Ainsi, il peut se factiver avec un cortège
d'épipléromes. Le cas le plus simple est celui où il est accompagné
d'un adjectif strumental épicatadmète (article). Ex. :
Du sel, du sel, j'en ai assez.
(Les Cris ae Paris. Fol. 6. ro).

-
Nonatncourt.
FADINW.
- - A-t-on apporté un myrte pour moi
Un myrtel. pour quoi faire?
?
(Labiche. Un chapeau de paille d'Italie. I, 6).
'Non, mais des fois!. dit
le poilu en lisant ces fariboles.
(Capitaine Z. L'Armée de la guerre, p. 100).
1 1
Mais, il y a aussi des groupes plus compliqués. Ex. :
Ou non et en l'enor dou Pere et dou Fil et dou Saint-Esperit, un Dieu
tout-poissant.
(Joinville. Credo. 770).

(1)
Te dans des phrases comme :
L'argument donné ici est peut-être trop absolu. Nous avons en effet entendu
Alphonsine,j'ai bêtement usé mes deux bouillottes. Apportez-moi de la rleau.
IM :)
1 M. P.le J8 octobre 1927).
e'est-à-dire de rouvelle eau. Mais à vrai dire, il semble qu'en disant « de la r'eau »>
on ne veuille pas attirer l'attention sur la non-identité entre le premier quantum
G'eaa employé et le nouveau quantum demandé, mais au contraire sur l'identité de la
substance, Il faut encore de l'eau, il faut qu'Alphonsine en rapporte.
Mais nous avons si bien sassé,
Le sang bieu 1
que tout est passé,
Gros et menu, par l'estymyne.
(Dialogue de Messieurs de Mallepaye et de Baille Vent. Pièce attribuée à
Villon. 270).
Anis fleury, mon bel anis.
(Les Cris de Paris. Fol. 8, va).
A mes belles selles de boys. ,
(fbid., fol. 9, ro).
Pas un seul petit morceau
De modehe ou de vermisseau.
(La Fontaine. Fables clwisies. I, 1. La Cigale et la Fourmi).
NONANCOURT.
— Toute la noce est en bas. Huit fiacres. -
BOBIN.
— Un coup d'œil magnifique.
(Labiche. Un chapeau de paille d'Italie. VI. 1).
Pas un sou, pas même de quoi prendre le train pour Paris.
(A. Daudet. Trente ans de Paris, p. 258. Jack).
Ne pas craindre de peindre un héros médiocre, et le peindre sans ironie^.
preuve d'un grand courage Littéraire.
(A. Gide. Prétextes. Quelques livres).
Autour d'elles, les meubles suyeux et fatigués, la petite table, le petit
poêle, une grosse marmite de fonte accrochée à la crémaillère.
(Albert Thierry. Le garde-malade, in La nouvelle Revue Française. 1er marsr
1922).
Comment se fait-il que, dans ses emplois factiveux, le substantif.
nominal puisse être accompagné de l'article, que nous avons vu plus,
haut être précisément chargé de l'assurer dans son ipsivalence subs-
tantivo-nomineuse ? Et à quelle fonction sémantique répond ici la
présence ou l'absence de l'article?
La différence sémantique qui existe entre le substantif factiveux.

au début du présent chapitre :


avec ou sans article est très claire, et découle de ce qui a été exposé
c'est seulement quand il est présenté
sans article que le substantif est véritablement factiveux ; alors seu-
lement, il est pleinement imbu de la valence factive. Ex. :
LE MARQUIS.
— Ycrème ?
a-t-il assez de pommes ein Normandie pour tarte à lat
Tarte à la crème, morbleu, tarte à la crème
DORANTE. ;— Eh bien, que veux-tu dire, tarte à la crème?
l
LE MARQUIS.
— Parbleu, tarte à la crème, chevalier.
DORANTE.
— Mais encore ?
LE MARQUIS.
— Tarte à la crème.
DORANTE.

LE MARQUIS.
-
Dis-nous un peu tes raisons.
Tarte à la crème.
(Molière. La Critique de l'Escole des Femmes. Se. 6).
Ce passage si hautement et si justement célèbre se réfère à celui-ci r
Je pretens que la mienne, en clartez peu sublime,
Mesme ne sçache pas ce que c'est qu'une Rime
Et s'il faut qu'avec elle on jouë au Corbillon,
Et qu'on vienne à luy dire, à son tour, qu'y met-on?
Je veux qu'elle reponde, une tarte à la crème.
(Molière. L'fiscole des Femmes. Acte I. Se. I).
On voit que, dans le passage de la Critique cité ci-dessus, tarte à la
crème n'est qu'un refrain contenant toute la mésestime où le marquis
tient l'Ecole des Femmes. Il n'ty a aucune tarte à la crème, 'aucun
quantum substantiel de cet,te espèce, qui spit appelé à jouer un rôle,
même éventuel, dans ce qu'exprime le dialogue. Le passage de

marquis ; il a dû lui paraître un peu forcé ;


l'Ecole des Femmes où il est question de tarte 'à la crème a déplu au
la plaisanterie n'y est
pas fine, le comique y est obtenu par un effet grossier. Aussi tarte à
la crème devient-il, par une généralisatiton caricaturale, le symbole,

;
l'emblème, l'étendard où le marquis enferme tout le mauvais goût
qu'a, selon lui, Molière tarte à la crème a pris une valeur factive :
expression du mépris qu'un homme poli ressent pour les œuvres litté-
raires d'un goût grossier.
Quand, au contraire,l'article est là, la factivosité réside plutôt
dans la construction même de la phrase. Est-il seul, le substantif
nominal se présente plutôt comme l'esquisse d'une phrase nominale
que comme un factiveux per se. Il garde quelque chose de substantif,
en ce qu'il est présenté comme soutien ou about possible des phéno-
mènes qui pourront arriver dans le milieu défini par le contexte et par
le substantif factiveux lui-même. Un passage de Molière, aussi célè-
bre que celui de tout à l'heure, va nous apporter un exemple excel-
:
lent
TOINETTE. sont tous des ignorans. C'est du poulmon que vous estes
— Ce malade.
ARGAN.
TOINETTE.
— Du poulmon? ?
Oûy. Que sentez-vous
ARGAN.

Je sens de temps en temps des douleurs de teste.
TOINETTE.
— Justement, le poulmon.

A^gan. — Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.
— Le poulmon.
ARGAN.
— J'ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.
— Le poulmon.
ARGAN.
— Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE.
— Le poulmon.
ARGAN.
— Et quelquefois, il me prend des douleurs dans le ventre, comme
si c'estoit des coliques.
T,OINETTE.
AUGAN.
— Le poulmon. Vous avez appétit à ce que vous mangez
Oüy, Monsieur.
?

TOINETTE. Le poulmon. Vous aymez à boire un peu de vin?
ARGAN.
— Oüy, Monsieur.
— poulmon. Il vous prend un petit sommeil après le repas,
TOINETTE.
— Le et ?
vous estes bien aise de dormir
ARGAN.
TOINETTE.

- le
Oûy, Monsieur.
poulmon, vous dis-je.
Le poulmon,(Molière.
Le Malade Imaginaire. III. Se. 10).
On sent qu'il fallait absolument l'article. Ne pas le mettre, à quel
sens absurde aurait-ce conduit ? Aurait-il fallu croire qu'avoir des
douleurs de tête, un voile devant les yeux, des maux de cœur, des
coliques, tout en gardant son appétit et en aimant bien le vin fussent
les signes constituants d'un phénomène morbide appelé poumon
Ou bien aurait-il fallu penser que le faux médecin ne voyait que du
?
poumon comme remède possible là un pareil mal ? Le poulmon a une
vient tout l'effet comique :
valeur bien différente, celle-là même que l'auteur a voulue, celle d'où
c'est le poumon, la substance poumon dans
toute sa substantivosité, que Toinette affirme péremptoirement et in-
variablement être le support de tous les phénomènes morbides décrits
par le malade.
Quand nous traiterons de l'interrogation (v. infra L. V.) nous ver-
rons qu'elle nous fournit maints cas particuliers de ce genre de facti-
vation. Il est amusant de souligner que nous en trouvons déjà un
dans le passage de l'Ecole des Femmes si violemment critiqué par le

répondre :
marquis. Qu'y met-on ? demandera-t-on. Et la femme idéale devra
Une tarte à la crème. Une pareille réponse, prise en soi,
est factive, et sature en effet la factivosité qui rayonne de l'interro-
gation, factivosité incluse ici dans que P Mais toute factiveuse qu'elle
est, cette expression une tarte à la crème ne l'est pas par soi-même ;
elle l'est seulement parce qu'elle fixe, qu'elle polarise la factivosité in-
terrogative qui rayonne de que. En elle-même, elle représente bel et
bien le quantum substantiel complet d'une vraie et réelle tarte à la
crème qu'il faudra mettre dans le corbillon. Cet emploi articulé s'op-
pose donc, de façon conforme là nos vues, à l'emploi inarticulé (tarte
à la crème) du passage de la Critique de l'Ecole des Femmes.
Le substantif factiveux sans article est pleinement imbu de facti-
vosité ; avec article, il garde quelque chose de plus substantiel, il
fonctionne comme le support virtuel de phénomènes qu'on a énon-

M. Rivot est mort s'appellera :


cés, qu'on va énoncer ou qu'on suggère. Un entrefilet annonçant que
« Mort de M. Rivot. » Un entrefilet
donnant de nouveaux détails sur les circonstances du décès s'appel-
lera : « La mort de M. Rivot. » Ex. :
Mort de M. Jacques Hébrard.
On annonce la mort de M. Jacques Hébrard, frère de M. Adrien Hébrard,
directeur du Temps.
Malade depuis quelques années, M. Jacques Hébrard, âgé de 56 ans, vivait à
Barcelone, et c'est là qu'entouré de sa famille il vient de succomber après
une douloureuse maladie.
(Le Journal. 9 Novembre 1927, p. 3, col. 3).
La mort du général Gomez.
Mexico, 8 novembre. — Le cadavre du général Gomez a été transporté à
Mexico, où ont eu lieu les obsèques.
Le général Gomez, qui a été l'un des chefs de la récente rébellion mexicai-
ne, a, on le sait, été fusillé vendredi soir, à Vera-Cruz. Il mourut courageu-
sement.
(Ibid., col. 2).
La mort de M. Jacques Hébrard est annoncée pour la première fpis.
Celle du général Gomez était attendue, et même sue du lecteur.
Ce qui commande ici la présence de l'article, ce n'est pas la noto-
riété en tant qu'elle s'oppose aux autres assiettes, car chaque homme
n'ayant qu'une mort, la mort de M. Jacques Hébrard, future ou pas-
sée, est en tout état de cause aussi notoire que celle du général Go-
mez. L'article apparaît non en tant que donnant une assiette parti-
culière, mais en tant que donnant de l'assiette, pour que la substance
ait de la sufférence. On peut ainsi donner des détails sur la mort du
général Gomez.
Quelquefois, l'aspect sous lequel apparaît un substantif factiveux
-
varie à mesure qu'on le répète :
- :
Eh1 quoi, nous dit-il, qu'est-ce qui vous afflige?

-Mais, mon colonel, tout ce qui se passe


— Bah
des événements ? Pas le moins du
I
?
1 qu'est-ce que ça peut faire monde
les défaites des Roumains.
Croyez-vous que cela changera la face
! Toutes ces. victoires de Boche,

voyez-vous, autant de pets de lapin


D'abord ahuris par cette assurance, nous éclatâmes de fureur
— Pet de lapin 1 Et la prise de BucarestP
:
de lapin1
— Pet ?
— Et les approvisionnements formidables Les récoltes de Valachie Les
pétroles ?
?
—Pets de lapin, vous dis-je. On tue du Boche pendant ce temps. Le front
occidental tient ferme, il demeure intact, donc l'Allemagne n'a rien obtenu.
Car c'est là que se décidera la guerre.
Et le bon colonel Pénelon. montait dans sa voiture en répétant, d'un air
déjà moins convaincu :
« Pet de lapin, pet de lapin1 »

:
(Jean de Pierrefeu. G. G. G. Secteur 1. Il. 6. T. I, p. 201).
La prise de Bucarest est affirmée être un pet de lapin ce pet de
lapin,
- adjectiveux, est un apport à la prise de Bucarest, mais qui
comporte en lui, par sa factivosité, l'émouvement de l'assertion il
représente le prédicat dans son entier.
:
Mais peu à peu, pet de lapin se transforme en un refrain factiveux
comparable au tarte à la crème de la Critique de l'Ecole des Femmes.
(Cf. aussi § 390).

442. — Une fois qu'il est passé au rôle factiveux, le substantif no-
minal peut recevoir des compléments et des substantifs nominaux
peuvent lui être rattachés comme là un factif nominal essentiel.
Il pourra donc avoir des compléments circpnjacents. Ex. :
!
Pais de par Dieu pais ! il est temps.
(Miracle de
-'
l'enfant donné au diable. 298).

Mon denier me fust


!
Et encore, se j'eusse dict :
«La main sur le pot » par oe dict,
demouré.
(La farce de Maistre Pierre t'athelin. 406)..
Pain d'espice pour le cueur î (Les Cris de Paris. Folio 15, 7°).
Honneur aux dames ! C'est raison.
(Roger de Collerye. Le Blazon des Dames. 1 ; p. 123).
Amoy, Monsieur, à moy de grâce, à moy, Monsieur
Un Livre, s'il vous plaist, à vostre Serviteur.
(Molière. Le Bourgeois gentilhomme. Ballet final. I" entrée).
Silence au camp la vierge est prisonnière.
(Casimir Delavigne. Ahsséniennes. V).
Honneur à Charles-Quint ! — Honneur à Charlemagne !
(Victor Hugo. Hernani. IV, 5).
Gloire à notre France éternelle 1
Gloire à ceux qui sont morts pour elle 1
(Id. Les chants du crépuscule. III. Hymne, p. M),
Le substantif factiveux pourra également avoir des complément!
ambiants, soit allocutifs (vocatifs), soit délocutifs. Ex. :
1° ALLOCUTIFS :
Pourtant, arrière, cagotz ! Aux ouailles, mastins
Hors d'icy, caphards ! -

(Rabelais. III. Prologue. Tome I, p. 354).


Paix! la Bichonne I
(Ch. Nodier. Le chien de Brisquet).
Polonais, à la baïonnette 1
C'est le cri par nous adopté.
(Casimir Delavigne. La Varsovienne).
Silence, ma fille t
(Labiche. Un chapeau de paille d'Italie. I, 6).
A la porte tout le monde t
(A. Jarry. Ubu roi. I, 3).
2° DÉLOCUTIFS. Ex. :
DONA LUCREZIA.
— Ciel ! Gennaro I
GENNARO.
— Lui-même. 1
(V. Hugo. Lucrèce Borgia. Ill, 2).
Il arrive souvent que le substantif nominaldéjà muni d'épipléro-
mes formant avec lui un cpnvalent factiveux reçoive des complé-
ments de tous genres. Ex. :
Frere, dit un Renard adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle.
Paix generale cette fois.
(La Fontaine. Fables choisies. II, 15. Le Coq et le Renard).
Générale est épiplérome de paix et cette fois est un affonctiveux
complément du factiveux paix générale.
Il est à noter, ainsi qu'on l'a vu par plusieurs If.des exemples ci-des-
sus, qu'entre un factiveux et son complément ambiant, il parait sou-
vent douteux s'il y a vraiment complémentation, ou si les deuxter-
mes ne sont pas plutôt placés à côté l'un de l'autre sans qu'pn puisse
déterminer quel est le complément et quel est le réceptacle. Dans ce

terme qui peut être considéré comme le réceptacle :


cas, c'est, à moins d'indication sémantique contraire, le premier
en effet, c'est
dès son apparition que naît l'émouvement, auquel les termes subsé-
quents ne font qu'apporter les précisions, ce qui est la caractéristique
des compléments.

443. — Avant d'entrer dans l'étude de détail des différents rôles


du substantif nominal comme complément d'un verbe, nous nous.
permettrons de donner un tableau sommaire des conceptions aux-
quelles l'étude des phrases françaises nous a conduits quant à l'orga-
nisation du nœud verbal.
Le verbe constituera le régent de l'ensemble, mais il lui faudra, au
moins en ce qui concerne les factifs verbaux délocutoires, un support :
le régime qui sert de support est ce qu'on appelle couramment le su-
:
jet. En tant qu'il a ce rôle antipléromatique (cf. supra § 106), nous
l'appelons soutien. Ex. « Le roi mange des pommes. » Soutien
leroi.
:
Le verbe établit en outre un certain nombre de liages, les uns di-
chodestiques, les autres oyndesttiques. Le « sujet » joue le rôle de
support dans le lien spécifique du verbe ou visée, et dans tous lia-
ges dichodestiques accessoires, ou menées, et reçoit de ce fait le
nom de repère.
Les autres substantifs nominaux de la phrase, en tant qu'ils sont
les apports dichodestiques du repère s'appellent les issues. Ex. »
« Le jardinier a donné un coup là son chien avec un râteau. » Issues :
un coup, son chien, un râteau.
Le repère et les issues, substances intervenant dans le fait phasti-

Dans la phrase ci-dessus, les partenaires spnt donc


coup son chien un râteau.
:
que, constituent ce que nous appelons les partenaires de ce fait.

; ; ;
le jardinier un

à lui seul et qui est en quelque sorte son liage spécifique ;


Parmi les liages du nœud verbal, il en est un que le verbe assure
ce liage
s'apppelle la visée, et l'issue qui y est apport s'appelle l'about.
Par exemple, dans les phrases :
La modiste vend des chapeaux
- Cette défense devient une attaque,
les apports des chapeaux, une attaque sont respectivement les abouts
de vend et de devient.
Ces deux phrases se distinguent l'une de l'autre en ce que dans la
première la visée est une dichodèse, dans la seconde au contraire une
syndèse.

;
Les verbes ayant pour visée une dichodèse (verbes ayanciers)
conduisent à un abput non consubstantiel au soutien cet about s'ap-
pelle l'ayance. C'est dire que la notion d'ayance correspond gros-
sièrement là celle de « complément direct », alias « objet. » Des cha-
peaux, dans la phrase ci-dessus, est une ayance.

duisent à un about consubstantiel au soutien


l'étance.
;
Les verbes ayant pour visée une syndèse (verbes étanciers) con-
cet about s'appelle

:
Nous verrons au Livre V que les notions d'ayance et d'étance n'épui-
sent pas le concept d'about. Dans des phrases comme « Ton vin sent
la rose, « Lucien crève la faim », les compléments la rose, la faim
sont des abouts évidents sans être proprement étances ni ayances.
Mais pour en expliquer exactement la fonction, il faudrait une étude
de détail du nœud verbal, qui n'est pas de notre sujet en ce livre-ci.
Nous appelons diadote un diaplérome apporté par le verbe comme
syndumène à un support donné. Les diadotes substantiveuses s'appel-
lentdiaschètes, lesdiadotes adjectiveusesdiathètes.
L'étance est une diadote. Et, comme elle est régime circonjacent,
nous l'appellerons,en vertu du sens que nous avons attribué § 10 au
préfixe ana-, une dianadote.La dianadote en effet se définit. : un
diaplérome circonjacent donné par le verbe comme syndumène à un
support donné.
Outre la visée, le nœud verbal comporte d'autres dichodèses, pour

:
l'expression desquelles le concours d'une préposition est nécessaire.
Ce sont les menées, et les issues qui y sont apports s'appellent les
écarts (grosso modo les compléments indirects et circonstanciels).
Ex. : « Le menuisier arrive de la ville voisine avec son père. » Ecarts:
la ville,' son père.
La différenciation entre rection et supportement est particulière-
ment intéressante en ce qui concerne les écarts. En effet, le complé-

d'un partenaire et, d'autre part, régime d'un verbe ;


ment est dans ce cas un diaplérome parce qu'il est d'une part apport
mais, tandis
que le régime est constitué par la clausule entière, l'apport n'est
constitué que par le substantif assis. C'est ainsi que dans l'exemple
ci-dessus, la clausule avec son père a, du fait du mot avec, régent de
son père, une valeur affoncliveuse. L'affonctiveux avec son père régi
t)af le factif arrive marque une modalité de l'arrivée. Au contraire,
la relation de supportement est établie entre le menuisier (repère)
et son père (écart). C'est le substantif assis sonpère qui est l'apport
du substantif assis le menuisier, car le menuisier et son père jouent
chacun leur rôle dans un phénomène qui est envisagé en fonction du
menuisier repère.. 1
Enfin le nœud verbal peut comporter un faisceau de syndèses acces-
soires, les greffes, par lesquelles le verbe apporte des syndumènes à
ses partenaires. Ces syndumènes, que nous appellerons greffons,
sont des diapléromes, puisqu'ils ont pour régent le verbe et pour
support un partenaire. Les greffons rentrent donc dans la définition des
diadotes, et se répartissent d'une part en diaschètes et en diathètes,
selon qu'ils sont substantiveux ou adjectiveux, d'autre part en
dianadotes et diamphidotes selon qu'ils sont circonjacents ou am-
biants. (Cf. supra §§ 107 sqq.). Nous appelonséchoites les gref-
fons dianadotes.
En ce qui concerne les dianadotes, la question se ppse de savoir re-
connaître celles qui sont étances de celles qui sont greffons. Nous y
reviendrons plus tard.

;
444. — Le factif verbal locutoire n'a pas de soutien ce caractère
lui est commun avec les factifs nominaux. Mais, comme, de par sa
valeur lpcutoire même, il s'adresse forcément à l'allocutaire, celui-ci,
implicitement contenu en lui, sert de repère, de sorte que l'impératif
reçoit une ayance et des écarts comme tous les autres factifs verbaux.
Dn trouve donc, auprès de l'impératif, des substantifs en fonction
d'ayance, ex. :
faites.vost almosnes.
(Homélie sur Jonas).
Cumpainz Rollant. l'olifan car sunez.
Si l'orrat Carles, fera l'ost returner.
(Turold. La Chanson de Roland. 1059).
Sire, or mandez le nain dev.n :
Certes, il set de maint latin.
., (Bèroul. Le Roman de Tristan. 636).
Maintien les bones coustumes de ton royaume, et les mauvaises abaisse.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 743).
Brise et confroisse lou bras dou pechour et dou très mauvais.
(Le Psaubier de Metz. IX, 39).
Reprenez ce larron souspir
Qui s'est emblé soudainement,
Sans congié ou commandement,
Hors de la prison de Désir.
(Charles d'Orléans. Chanson XLII).
Revere tes précepteurs. fuis les compaignies de gens esquelz tu ne veulx
point resembler, et les grâces que Dieu te a données, icelles ne reçoipz en
vain.
(Rabelais. Il. 8. T. I, p. 216).
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chiméne.
(Corneille. Le Cid. I, 6).
Excusez mon impatience.
(Diderot. Le fils naturel ou les épreuves de la vertu. II, 4).
Chante-nous, ami, la colère c*Achille et l'assemblée des rois.
(Anatole France. Clio. Le chanteur de Kymé, p. 33).
Figurez-vous un Claude Gérard blond.
(René Boylesve. Le meilleur ami, p. 72).
Comme on y devait s'y attendre, tous ces substantifs sont en
clausule avec article sans préposition.

en clausule avec article et préposition :


On trpuve aussi près des impératifs, des substantifs nominaux écarts,

En dulce France, seignurs, vos en irez ;


De meie part ma muiller saluez.
(Turold. La Chanson de Roland. 361).
Ne convoite'pas sus ton peuple, ne le charge pas de toute ne de taille, se
ce n'est par ta.grant nécessité.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 743).
Tu qui est mou Dieu, met les ensi com une roe tournant, et comme
estoulle et pailleau venL
(Le Psautier de Metz. LXXXII, 12).
Logiez-moy entre voz bras
Et m'envoiez doulx baisiers (1).
(Charles d'Orléans. Chanson XXXI).
Retournons (dist Grandgousier) à nostre propos.
(Rabelais. I, 13).
Ne fuyez
:
pas, Jason, de ces funesteslieux,
C'est à moy d'en partir recevez mes adieux.
(Corneille.Médée. HI.3).
Ruine-toi. Avilis-toi. Roule-toi dans la fange. Je ne m'y oppose plus.
(Diderot. Le père de famille. II. ô)-

(1) Nous rappelons que les exemples de l'ancienne langue ne sont jamais allégués
qu'à titre documentaire et comparatif. Il n'y a donc aucune conclusion à tirer de
l'absence d'article avant doux baisers. Pareil tour est très archaïque aujourd'hui.
Ne crachez pas dans, les fleuves, parce que les fleuves sont sacrés,
(Anatole France. Clio. Le chanteur de Kymé, p. 19).
Viens! le soleil te parle eu paroles sublimes
Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
:
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le néant divin.
(Leconte de Lisle. Poèmes antiques. Midi, p. Wq).
De grâce. Mère Ubu, ne me parle pas de ee bouffre.
(Alfred Jarry. Ubu roi. III, 1).
- T'en fais pas.pour la croûte, répondit-il doucement.
(Roland Dorgelès. Les Croix de Bois, p. 71).
Naturellement, ayances et écarts peuvent être présents concurrem-
ment. Ex. :
E reis celestes, par ton comandement
Enfant nos done qui seit à ton talent.
(La vie Saint Alexis. 5).
Garde la foi à tes seignors, et done aide à tes compaignons et à tes amis.
(Li amitiez de Ami et Amile, p. 41).
:
Et touz les princes de ceulz qui ont dit Metons lou sainctuaire de Dieu
en nostre possession et lou possidons.
(Le Psautier de Metz. LXXXII. II).
Met leurs princes tous en telle manière comme je dis, car ilz dirent pour-
seons par héritage le saintuaire de Dieu.
(Psautier du xve siècle. LXXX. II. 11).
Cache pour ceste nuict ta corne, bonne lune.
(Ronsard. Les Amours. Second livre. Sonnet 24. T. I, p. 168).
Ah1 ne fay point ce tort à la sincère vie
Que, loin des voluptez où l'âge nous convie,
Mon esprit amoureux des nobles sentimens.
S'est tousjours proposée en tous ses mouvemens
(Saint Amant. Moyse sauvé. 118 partie. T. II, p.. 302).
Fuyez, ou redoutez le comble des horreurs.
Avec vous à Samos conduisez Erixène.
(Crébillon. Idominée. III. 5).
Ne faites point de changement, soit par faute de mémoire, soit par capri-
ce, aux chants que je vous enseigne.

Les syndèses se forment dans les conditions ordinaires ;


(Anatole France. Clio. Le chanteur de Kymé, p. 19).
c'est-là.-dire

:
qu'à ses partenaires le factif locutoire peut greffer, en échoites, des
diaschètes. Exemples
PHILAMINTE.
CHRYSALE.
-- Mettez, mettez, Monsieur, Trissotin, pour mon gendre.
Pour mon gendre mettez, mettez, Monsieur Clitandre.
(Molière. Les Femmes sçavantes. V. III).
Vous m'avez fait aimer votre personne et vos lettres. Faites-moi votre
cofreàpôndant.
(Voltaire. Lettre à M. Jacob Vernet. 14 septembre 1733).
Accepte-moi pour ta servante.
(Emile Augier. Sapho. III. 3).

à
Comptez sur moi, mon cher Berger, comme sur votre meilleur ami.
(Voltaire. Lettre M. Berger. 26 février 1735) (2).
(2) On d'ailleurs au Livre VI qu'on ne peut pas faire une assimilation abso*
lue entre verra
comme et bas prépositions.
Dans la phrase ci-dessus, prise brute et en dehors de son contexte,

diaschétique indirecte du partenaire moi.


comme sur votre meilleur ami peut à la vérité être interprété ou bien
comme présentant un écart, ou bien comme présentant une échoite
En effet, si l'on admet que le meilleur ami de Berger soit un indu
vidu donné, bien connu, appelé par exemple Martineau, et que l'on
interprète la phrase de Voltaire comme signifiant
Comptez sur moi comme sur Martineau.
:
votre meilleur ami est évidemment écart, puisqu'en rapport dicho
destique avec l'écart moi.
Au contraire, si l'on admet, que la phrase de Voltaire signifie
Comptez sur moi comme étant votre meilleur ami, votre meillew
:
ami est échoite diaschétique, puisqu'il est en syndèse avec l'écart moi
Or le contexte nous semble indiquer que cette seconde interpréta
tion est la bonpe.
445. — Le vocatif, prend, auprès de l'impératif, une importance
toute particulière. Un factif locutoire, qui ne fait à vrai dire que tra-
duire une émotion de l'âme, n'a point de soutien, ne reçoit pas cc
soubassement qu'est la substance à laquelle on rapporte un récit fait
sur le plan délocutoire. Mais l'impératif, plus que les factifs locutoi-
res non verbaux, et aussi plus que les factifs verbaux délocutoires,
implique conscience de la présence de l'allocutaire, puisque l'ordre ou
le désir que contient tout impératif a pour but d'associer un allocu-

:
taire au phénomène qu'on veut faire naître, et le vocatif esti précisé-

:
ment chargé .d'expliciter cette présence on peut donc considérer le
vocatif comme le support de l'impératif. Exemples
Di nos, propliete, chi t'o fedre ?
(LaPassion de Jésus-Christ. 47).
Oz mei, pulcele :
celui tien ad espos
Qui nos redenst de son sanc precios.
(La vie Saint Alexis. 14).
Seignurs, ci entrez en dutance.
(Saint Brandan. 920).
Amis, amifs, regarde moi.
• :
Ci sui venue devant toi
Oevre tes bras, reçoit mon cors.
(Guillaume de Palerme. 1133).
Sire, remenbre toi et aies sovenance de David et de toute sa debonaireteit.
(Psautier de Metz. CXXXI. 1).
Hault juge, ne regarde pas
Mon pesché, mon cruel trespas.
(Arnoul Greban. Le Mïstere de la Passion. 1755).
Amy, mettez vos piéz icy ;
Car je vueil le moyen trouver
Moy mesmes de les vous laver,
Car j'aperçoy qu'estes très las.
(Gringore. La vie monseigneur sainct Loys. 376).
Ma fille, aimez-moi donc toujours.
., : (Mme de Sévigné. Lettre du 31 mai 1671).
Parlez, ne vous contraignez plus. Dorval, prenez quelque confiance en
votre ami.
(Diderot. Le Vils naturel ou les épreuves de la vertu. III. 2).
Lucile, réfléchis.
(Labiche. Les Vivacités du Capitaine Tic. II. 7).
Terre au sein verdoyant, mère antique des choses,
Toi qu'embrasse Océan de ses Ilots amoureux,
Agite sur ton front tes épis et tes roses 1
0o fils d'Hypérion, éclaire un jour heureux
Courbez, 6 monts d'Hellas,
!
d 'Hellas, vos prophétiques crêtes
crêtes 1l
Lauriers aux larges fleurs, platanes, verts roseaux,
Cachez au monde entier, de vos ombres discrètes,
Le Cygne éblouissant qui flotte sur les eaux. -
(Leconte de Lislei. Poèmes antiques. Hélène. I, p. 83).
Homme de votre âge, fermez çà 1 cria l'autre.
(Courteline. MM. les Ronds de Cuir. 2etableau I).
Attends un peu, mon bonhomme, je vais t'obliger à nous parler de_lui.
(René Boylesve. Le meilleur ami, p. 41).
Elle vous a mis une pioche et un fusil entre les mains, et creuse bonhom-
me, et marche bonhomme et crève bonhomme.
(H. Dorgelès. Les Croix de Bois. VIII, p. 171).
Les diadotes placées auprès de l'impératif sont comme npuées par
lui à ce support implicite ou explicite, qui se révèle ainsi véritable
repère. Voici deux exemples contenant des dianadotes étances :
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Eprises ue rien et de tout étonnées,
Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans môme savoir qu'elles sont pardonnées.
(Verlaine. Romances sans paroles. IV. T. I. p. 157).
Soyez, Seigneur, soyez notre unique amour, afin que nous puissions estre
le votre.
(L'Année Chrétienne. 1706. T. XII, p. 142).
Isa nature vocative du support de l'impératif explique que le latin,

de ce support. Exemple
Macte hoc porco esto.
:
dans sa période archaïque, ait donné le vocatif pour cas à l'attribut

(Caton. oc re rustica. 139 (1).


446. — La puissance nodale du factif locutoire donne à la phrase
assez de souplesse pour que les substantifs nominaux compléments
de l'impératif s'y montrent, lorsqu'ils sont en clausule étanche, dans
les valences qu~ils sont dans ces conditions capables d'assumer. On
les rencontre donc avec une valence affonctiveuse. La clausule est
alors munie d'une préposition.

(1) Apud M. Bréal et A. Bailly. Dictionnaire étymologique latin. s. v. magis. En


Crée et en latin, on trouve des exemples d'attributs au vocatif non seulement auprès
de l'impératif, mais auprès de la seconde personne de l'optatif grec ou du subjonctif
i.'in dans les emplois où ces modes sont sémantiquement proches de l'impératif. Pour
le grec, Meillet et Vendryes (Traité de grammaire comparée des langues classiques,
§ 784) citent deux exemples de Sophocle, Laurand' (Manuel des Etudes
latines. grecques et
111, § 384) en cite un de Théocrite. Pour le latin, Meillet et Vendryes (loc.
cit.) citent un exemple de Properce et un de Caton. Le même exemple de Tibulle
est allégué par Laurand (VI, § 291) et par Meillet et Vendryes. Ces derniers avancent
qu'en latin pareil tour serait un hellénisme, mais ils n'en apportent pas la preuve.
1 bas.
Conduis ta barque avec prudence,
Pêcheur, parle
Jette tes filets en silence.
(Scribe. La Muette de Portici. Barcarolle).
On les trouve aussi, sans préposition, en valeur adjectiveuse, épin-
glés !à l'ayance. La présence ou l'absence de l'article ou de ses subs-
tituts permet seule alors de 'déterminer la valence du complément.
Ex. :
Mais, mon Frere, il me vient une pensée. Faites-vous Medecin vous-mesme.
(Molière. Le Malade imaginaire. III, 14).
Nous avons ici une échoite adjectiveuse de l'ayance. C'est comme
une diamphidote que l'on doit considérer le substantif nominal en
clausule sans préposition lorsqu'il ne s'applique pas d'avance à
l'individu désigné, mais qu'il lui est appliqué par l'exclamatipn même.
Cf. par exemple, CÔS deux phrases.
a) Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.
(Mme d'Aulnoy. L'Oiseau bleu).
et
Lis avec moi, bourreau ;
6) Viens, tête sans cervelle,
lis donc.
(Regnard. Le Distrait. V, 7).

:
En a) nous avons affaire à un repère près de l'impératif, c'est-à-
dire à un vocatif proprement dit on s'adresse là un oiseau par es-
sence ; en ) nousavons affaire à un syndumène du repère Léan- :
dre applique occasionnellement la qualité de bourreau à l'allocutaire
Carlin, support implicite de l'impératf lis. — Les rapports d'équi-
valence et de convalence du substantif nominal avec l'adjectif nomi-
nal sont traités en détail au ch. XIII.

447. — C'est comme régime d'un factif verbal délpcutoire que le


substantif nominal joue le rôle grammatical le plus riche.
SOUBASSEMENT.
Nous donnons le nom de soubassement au substantif qui est à la
fois soutien et repère. Ex. :
Voldrent la veintre li Deo inimi.
- - (La cantilène de Sainte Eulalie. 3).'
, après ditrai uos del aanz.

(Leçon G. Paris :
que li suos corps susting si granz.
Après dirai vos del aanz
QueH sos corps sostint si granz).
(La Me de Saint Léger. 2).
*

Dons fut li siecles al tens ancienor.


(La Vie Saint Alexis. 1).
Ben sout que le Scripture dit.
(Saint Brandon. 23).
Seignor, ce fu en cel termine
Que li doz tens d'esté define
Et yver revient en saison.
(Le roman du Renart. 750).
Le Saint-Esprit vueille descendre
En ton ame.
(Le Martire S. Estiene. 24).
Ma povreté est assouvie,
S'en brief temps ne treuve ung servant.
(André de la Vigne. Moralt..; de l'aveugle et du boiteur. 17).
Le seul souvenir de nos maux,
Qui jà vers nous ont fait leur tour,
Ou de ceux qui viendront un jour
L'apprehension incertaine
Empoisonne la vie humaine.
I.
(Jodelle. L'Eugène. 1).
0 fatale nouvelle, et qui me désespere
Ton oncle te l'a dit et le tient de mon pere.
(Rotrou. La Sœur. I. 1).
Mon mari ne me dit jamais ses secrets.
(Dufrcsny. Le double veuvage I. 6).
Cette guerre qu'on allait entreprendre contre la France exigeait des fonds.
(Daru. Histoire de Bretagne. VII. T. III, p. 93).
De l'autre côté, à vingt-cinq ou trente mètres de la drague, les plaines ra-
ses qui mènent à Draveil s'étendaient sans un soldat.
(Alphonse Daudet. Robert Helmont, p. 171).
Qu'un bon festin est donc rapide!
(Jérôme et Jean Tharaud. L'ombre de la Croix, p. 96).
Voici maintenant en quoi consiste l'hypothèse aussi simple qu'étrange de
Fitzgerald-Lorcntz.
(Ch. Nordmann. Sur l'Espace et le Temps selon Einstein dans la Revue des
Deux-Mkmdes. 15 septembre 1921, p. 320).
!
Minuit un pauvre pdtre crie dans un désert glacé.
(Guillaume Apollinaire. Le Roi-Lune, dans le Poète assassiné, p. 170).
448. — AYANCES :
si cum om per dreit son fradra salvar dift.
(Les Serments de Strasbourg).

:
et se. 1.fist son mistier.
(Leçon G. Paris Et sanz Ledgiers fist son mestier).
(La Vie de Saint Léger. 14).
Pois vait li enfes l'emperedor servir.
(La Vie Saint Alexis. 8).
Les bons augureors a fait querre d'Espaine.
(Le Roman d'Alexandre. 92).
Vestu ot. I. clavain dont la maile est'polie.
(Grandor de Douai. La Conquête de Jérusalem. 375).
Vos avez tort, pere, de moy
BIasmer, et perdez vostre paine.
(Le mystere de Robert le Diable. 17).
J'ay bien mengé deulx ou trois bons arpens
De mes meubles, sans gaigner une maille.
(Farce du Pou d'Acquest. 7),
!
Ha que malheureuse est qui sert
Maintenant, et servant qui pert
Son bien, sa peine et sa jeunesse.
(Remi Belleau. La Raconnue. I, 1).
Dessus ces fantasques tableaux -.
Je mettray ces riches peintures,
Dont parmy les races futures
Tous les traits seront trouvez beaux.
(Scudéry. Le Tombeau de Théophile, in Œuvres complètes de Théophile..
T. I, p. 9).
Est-ce à cause de la fête, ou si vous avez quelque sujet particulier de vous
réjouir ?
(Dancourt. Les Bourgeoises de qualité. II).
Si l'on m'avait demandé ici ma fortune, mon nom et l'histoire de ma
vie, je n'y serais pas entré.
(A. de Vigny. Chatterton. II. 4).
Rien ne peut dépeindre l'indicible mépris avec lequel Monteclain regarda
M. de Montaleu.
(Frédéric Soulié. Julie XVI, p. 125).
Tu me montras les longues sentes
Qui glissent entre les palmiers,
Et tes cachettes innocentes
Dans la forêt de bananiers.
(Maurice Simart. Au chant des Palmes, dans Miscellannées. Mai 1912, p. 8).
Mais il est vrai que l'ennemi n'avait pas encore reçu son artillerie
lourde..
(Charles Le Goffic. Dixmude. VI, p. 79).
Puis elle se remit à faire ses additions sous le regard attendri de son
ami.
(Clément Vautel. Les Folies bourgeoises. VI, p. 67).
ENTREJETS ; (Nous donnons ce nom aux substantifs qui supportent
.un substantif verbal diaplérome d'un factif verbal délocutoire).
doc près. 1. a preier.

:
poble ben fist credre in deu.
(Leçon G. Paris Donc prist Ledgiers a predier :
Lo puople bien fist creidre en Dieu).
(La Vie de Saint Léger. 31).
Lor dous enfanz volent faire asembler.
(La vie Saint Alexis. 9).
A l'entrant d'esté, que li tens s'agence,
Que j'oï ces oisels sor la flor tentir.
(Blondels de Neele. Chanson I. 2, p. 141)..
Tant qu'en une manoque virent
Ourer un preudomme d'eage,
A genous devant une ymage.
*
(Jean Bodel. Li Jus de Saint Nicholai. 19).
Tu li as fait venir la boce. '-
(Le martire S. estiene. 260).
Jà voy (1), venir I estrange homme.
(La Vie Mgr S Fiacre. 261).

:
(1) Voy, c'est-à-dire je vois.-
il est brave et furieux, comme celuy qui faict souvent de son regard
tomber les hommes tous morts à terre.
(Odet de Turnèbe. Les Contens. I, 2).
Fait-on marcher pour rien un messager d'amour ?
(Claude de Lestoille. L'intrigue des Filous. II, 2)
Ah ! Madame, arrêtez. Quoi ! ne pourrai-je pas apprendre
Qui fait couler les pleurs que je vous vois répandre ?
(Crébillon. Rhadamisthe et Zénobie. IV, 2).
Entends-tu, bel oiseau, le rauque sifflement
De la bise du nord qui raie incessamment
Et fait chanter la gi-rouette,.
(Théophile Gautier. Le Bengali. Poésies complètes. T. l, p. 114).
L'affaire Pictompin voit augmenter chaque jour son fatal retentissement..
(E. Chavette. Le Procès Pictompin.5e Audience, p. 5).
(E. Chavette. Le Procès de Pictompin. 5° Audience, p. 55).
Ah ! pour avoir brisé les ailes du Vautour,
Sous l'héroïque effort fait cesser nos alarmes,
0 vous qui reviendrez, vous aurez tout l'amour
Et vous ne verrez pas nos larmesI.
(Cora Laparceric-Richcpin. Le Retour, dans Lyres Françaises, p. 153).
Vous avez fait miroiter à ses yeux votre situation éblouissante de rond-de-
cuir, vos treize mille francs de traitement.
(Auguste Villeroy. Le Sentier.secret. I, 7).
Je les regarde fuir longtemps, le cœur serré.
Moi qui jadis gardais les ruches de mon père
Et savais la chanson qui fait descendre à terre
L'essaim le plus exaspéré.
(François Fabié. L'Essaim, apud les Annales. 9 oct. 1921, p. 311, col. 1).
ENTREJET constitué par une clausule avec COMME :
J'étais presque effleuré par son admirable bras nù autour duquel Une
duvet imperceptible et innombrable faisait fumer, perpétuellement comme
une vapeur dorée, et par la torsade blonde de ses cheveux qui m'envoyaient,
leur odeur.
ECARTS : (M. Proust. A la recherche du temps perdu. T. IV, p. 61).

pro Christian poblo et nostro commun saluament.


(Les Serments de Strasbourg).
Primos didrai uos dels honors.

:
Quie il auuret ab duos seniors.
(Leçon G. Paris Primes didrai vosdels honors
Que il avrel od dous seinors).
(La Vie de Saint Léger, 2).
Por ço l'vos di, d'un son fil voil parler.
(La vie Saint Alexis. 3).
Longuement sont en cel désert.
(Bèroul. Le Roman de Tristan. 1306).
Les mangoniaus drecent en haut
Por miex desfendre de l'assaut.
(Blancandin et l'Orgueilleuse d'Amour. 1082).
Ilz dient que leur Dieu voult naistre
D'une vierge où il se bouta.
(Un miracle de Saint Ignace. 26).
Vous en mentirez par les dens.
(Farce de l'Obstination des Femmes. 64).'
Ceux-là qui, dcspendans leurs vies en rencm,
Ont prodigué leurs os aux rages du canon.
(Agrippa d'Aubigné. Les Tragiques. Livre II, p. 95).
Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf, qui brame au bruit de l'eau,
Penchant ses yeux dans un ruisseau,
S'amuse à regarder son ombre.
(Théophile. La Solitude. T. I, p. 176).
L'encens naît sur ces rivages.
(Le Brun. Ode au Soleil. Odes. L. III, ode 6, T. I, p. 114).
En parlant ainsi, il avait conduit la jeune paysanne vers une tonnelle
qui occupait l'angle du jardin.
(E. Souvestre. En Quarantaine. Le Traîneur de Grèves, p. 67).
L'argent qui vient du diable estordinairement de mauvais aloi.
(Le bibliophile Jacob. Curiosités infernales. Les Diables. IX, p. 110).
Les raisons permanentes de rupture entre les deux grands groupements
politiques européens étaient contre-balancés par la crainte presque univer-
selle des calamités d'une guerre générale.
(A. Gauvain. Les Origines de la Guerre européenne. 1. I, p. 5).
Les plus monstrueuses puissances ne prévaudront jamais contre les forces
idéales qui sont le bonheur, la gloire et la seule raison d'être de l'homme.
(Maeterlinck. Les Débris de la guerre. La journée du Drapeau belge, p. 47).
C'est ainsi qu'il se trouva dans la région, des chemins de fer, des canaux,
des lignes d'électricité dont les tronçons allaient se trouver séparés.
(Raymond Poincaré. Chronique de la Quinzaine, dans la Revue des Deux.
Mondes. 1er novembre 1921 ; p. 231).
Au point de vue de l'établissement des dichodèses, la valeur séman-
tique spéciale donnée à un substantif nominal quelconque par les ré-
partitoires touchant l'essence substantivo-nominale ne joue aucun
rôle : le repère a des dichodèses libres avec les autres partenaires,
sans considération de sexuisemblance, de quantitude ni de degré d'as-
siette. C'est-'à-dire que les substantifs mis en dichodèse par le nœud

; :
verbal peuvent se présenter à une quelconque des physes des réparti-
toires susdits exemples
Un Vieillard sur son Asne apperceut en passant
Un pré plein d'herbe et fleurissant.
(La Fontaine. Fables choisies. VI, 8. Le Vieillard et l'Asne).
Le repère un vieillard, et l'ayance un pré se trouvent concorder en
sexuisemblance (masculine), en quantitude (putation numérative, blo,
calité continue) et en assiette (transitoire).
Cet hymen se dissoud. La Dame entre en un lieu
Où cent vierges ont pris pour époux le vray Dieu.
(La Fontaine. Poëme de la Captivité de St. Male. T. II, p. 411).
Le repère cent vierges diffère en sexuisemblance(féminine), quan-
titude (putation numérative, blocalité discontinue) et assiette (transi-
toire) de l'ayance le vrai Dieu, qui est de sexuisemblance masculine,
de blocalité continue et d'assiette notoire.
L'une et l'autre combinaison, avec tous les intermédiaires, se ren-
contrent à tout moment de la langue.
449. — Nous rappelons qu'en matière de syndèse, le point de dé-
part n'est plus forcément le repère. Un partenaire quelconque peut
être amené là voir sa substance être identifiée par une greffe, dans
les conditions particulières du phénomène exprimé par la phrase, à
une autre substance pleinement substantiveuse. Que la substance
syndumène soit liée à son support par la visée même d'un verbe
étancier ou par une greffe, nous disons qu'elle est la diaschète de
ce support auquel on l'identifie.
A) Les diaschètes sont par définition substantiveuses, c'est-'à-dire

1° DIASCHÈTE DU REPÈRE :
qu'elles seront toujours assises. Ex. :

et en effet, ils sont des hommes.


(La Bruyère. Les Caractères et les Mœurs de ce siècle. De l'homme. T. Il,
p. 97).
A garder les moutons elle était occupée,
Voici qu'elle devient la gardienne des rois.
(Montesquiou. Les Offrandes blessées, IV).
2° DIASCHÈTE (GREFFON) DE L'AYANCE :
On la savait une femme fort estimable.
(René Boylesve. L'enfant à la balustrade. II, 4, p. 103).
3° DIASCHÈTE (GREFFON) DE L'ENTREJET :
Celui qui porte, au front, des débris de squelettes,
En guise d'un bandeau, digne d'être le sien,
Fait sembler des oeillets, des lis, des violettes,
Elagabal, Néron, Tibère, Domitien.

4° DIASCHÈTE (GREFFON) D'UN ÉCART :


(Montesquiou. Les Offrandes blessées. LXII).

Il use. de tout avec cette réserve et cette droiture de sens qui ont fait de lui
un des oracles de la critique ancienne.
(Amédée Thierry. Histoire des Gaulois. Introduction. T. I, p. 11).
Ma douce enfant, vous voyez en moi le plus dévoué de vos esclaves.
(Jarry. Ubu enchaîné. II. 1, p. 172).
Le passant ne soupçonnait pas en ce vieux prêtre un peu courbé, d'allure
discrète et de mine effacée, un maître de la science.
(Un savant français, in Revue des' Deux Mondes, le lor janvier, couverture.,
p. 2).
A vrai dire, c'est assez arbitrairement que l'on peut décider ici
lequel des deux substantifs syndestiquement unis est le partenaire et
lequel est la diaschète. Aucune analyse n'atteint jamais la souplesse
de la langue, qui trouve ici moyen d'unir syndestiquement écartun
et une ayance jouant par ailleurs tous deux le rôle de partenaires
dans le nœud verbal.
B) Les diaschètes sont susceptibles de s'attacher d'une part selon
le mode ambiant (diamphischètes), ou le mode circonjacent (dia-
naschètes) d'autre part selon le rayon direct ou l'un des rayons in;
directs. Ex. :
1° DIANASCHÈTE DIRECTE :
d
La prudence est la mère de la sûreté.
(Proverbe).
Cette dianaschète est une étance. Les dianaschètes du repère sont
.fin général des élances.

diaschètes du repère qui fussent des greffons, comme :


Mais peut-être pourrait-il, à la rigueur, exister en français des
« Précédé par
sa réputation, Varineau arriva à Budapest le plus grand grand mé-
decin d'Europe », c'est-à-dire en tant que le plus grand médecin d'Eu-
rope, considéré comme le plus grand médecin d'Europe. De ce tour,
nous n'avons toutefois pas d'exemple. Sur les critères de la distinc-
tion de la dianadote-étance et de la dianadote-éèhoite v. infra § 455.
2° DIANASCHÈTE INDIRECTE :

Vous l'eussiez pris pour un souillon.


(Scarron. Virgile travesti. II, p. 101, col.. 1).
3° DIAMPIIISCIIÈTE DIRECTE :
Je l'estime plus, rofre capitaine des gardes, que tous les souverains du
-monde.
(Mademoiselle. Mémoires. II. 5. T. IV, p. 212).
Je mourrai mademoiselled'psgrigncn, dit-elle simplement au notaire.
(H. de Balzac. La i'ieille fille. T.VII, p. 126).
40 DIAMPHISCIIÈTE INDIRECTE :
Cette année même, il doit perdre, avec le duc d'Orléans, un tout puissant
protecteur.
(A. Augnslin-Thierry, Augustin Thierry d'après ses papiers de famille, in
Revue des Deux Mondes. I01' janvier 1922, p. 194).
Le contexte indique nettement qu'il faut entendre :
« en la per-
sonne du duc d'Orléans. » Il s'agit ici d'une diamphisciiète indirecte
de l'ayance.
450. — Il est normal que le support et sa diaschète soient de même
sexuisemblance, et c'est ce qui arrive quand le discours exprime une
identité absolue ; exemples :
D'altre part est Turgis de Torleluse ;
Cil est uns quens, si est. la citet sue.
(Turold. La Chanson de Roland. 917).
Ertaus de Nogent fu U bourgois dou monde que li cuens créoit plus.
(Joinville. Histoire de Saint-Louis. 90).
Le second bien du mariage espirituel est le bien de foy.
(Miracle de la femme du roy de Porligal. Sermon liminaire, p. 149).
Par la lecture qu'on fit on trouva qu'il faisoit la marquise de Créqui sa
lêgalrice universelle.
(Saint-Simon. Mémoires. T. V, ch.. XIII, p. 161).
Le chat est un domestique infidèle, qu'on ne garde que par nécessité, pour
l'opposer à un autre ennemi domestique encore plus incommode, et qu'on ne
peut chasser.
(Buffon. Histoire naturelle. Le Chat. III, p. 667, col. 1).
Elle s'appelait Zanetta, pouvoit avoir seize ans, et Courlandon la disait
-sa nièce.
(H. de Hégnier. Le bon plaisir, p. 28).
Ce n'est pas que la non-concordance de sexuisemblance du support
:
et de sa diaschète soit une chose rare bien au contraire, elle appa-
rait très souvent dans la langue. Si l'esprit du locuteur n'est occupé

:
que d'un discours purement rationnel, il n'en est nullement gêné.
Exemples
La quatrième [ génération l, qui est le père du comte de Lémos vivant à
l'avénemenl de Philippe V, étoit gendre du duc de Gandie et vice-roi du
Pérou.
(Saint-Simon. Mémoires. T. II, chap. 15).
L'oreille est l'organe qui perçoit les sons.
(E. Caustier. Anatomie et Physiologie animale et végétale. lre partie,
chap. XII, 4).
Ici, la raison est pleinement satisfaite. C'est à un point de vue es-
thétique seulement que l'on peut sentir le vice créé par la non-iden-
tité de sexuisemblance ; il semble !à ce point de vue que l'esprit dç>ive

;
faire un plus grand effort d'abstraction pour mettre en rapport aussi
étroit deux substances de qualité aussi différente leur image en est
moins confondue. Dès que la pure raison le cède à l'imagination, la
différence de sexuisemblance entre deux termes devient plus ou moins
pénible selon les sentiments esthétiques personnels, là moins pour-
tant qu'elle n'ait précisément un but sémantique déterminé.
Dans l'exemple de Buffon allégué plus haut, l'auteur place un subs-
tantiveux de sexuisemblance masculine (domestique) comme diaschète
à un substantif de même sexuisemblance ; s'il avait voulu exprimer
pie, là la chèvre il aurait pris une diiaschète féminine
est une servante utile. »
:
cette pensée avec une métaphore analogue en l'appliquant, par exem-
* « La chèvre
-

La différence de sexuisemblance marque en général un contraste,


voulu chez l'écrivain, spontané dans la parole courante. Exemples :
Nostre Sires est ma force et ma loenge.
Psautier de Metz. IV. 2).
(Le
Ce seroit une sotte arrogance de nous estimer la plus parfaicte chose.
(Montaigne. Essais. II. 12).
Tu es une drôle de fille. Veux-tu te faire mon confesseur ?
(Musset. On ne badine pas avec l'amour. II. 5)..
Tu le crois une brute parce qu'il ne comprend pas bien les sonnets de
Rossetti.
(A. France La vie littéraire. 30 série. Edouard Rod, p. 272).
Ce roi est une femelle.
(Michelet. L'Insecte. III. 25, p. 384).
Les pierreries s'éteignent autour d'eux et les roses ardentes apparaissent
les souillures et les débris décomposés qu'elles étaient.
(Maeterlinck. Alladine et Palomides. IV).
La différence de sexuisemblance des deux diaschètes souillures et
débris exprime ici le désordre de la réalité matérielle en regard de la
parfaite harmpnie du rêve.
Son art n'apparaît plus alors qu'une admirable et éblouissante imposture,
(A. Gide. Prétextes. Quelques livres, p. 191).
Cette dame, par son caractère acariâtre et sa vertu irritée, se rendait
le fléau de M. le maréchal.
(H. de Régnier. Le bon plaisir, p. 9).
Et elle fIa Francel est plus que jamais un grand pays.
(11. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 7).
Elle a l'air le désordre même.
(MmeE, 15 août 1919).
C'est naturellement quand le support est, non seulement sexuisem-
blant, mais encore sexué que le contraste de sa sexuismblance avec

:
celle de sa diaschète prend toute sa valeur. Qu'on compare à cet égard
les deux phrases suivantes
A)
A peine il achevoit ces mots,
Que luy-mesme il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héros.
(La Fontaine. Fables choisies. II. 9. Le Lion et le Moûcheron).
B) 1

:
Commençant par la France, il fit assembler un Concile national à Chartres,.
dans lequel il fut choisi pour Chef généralissime de cette expédition mais il
le refusa et se contenta d'en estre la trompette.
(Mézeray. Abrégé chronologique de l'Histoire de France. Louis dit le jeune..

;
T. II, p. 564).
En A), il s'agit d'un individu qui remplit une fonction déterminée
dévolue obligatoirement à un homme la diaschète lui est entière-
ment appliquée, dans toute son étendue.
En B), il s'agit d'une métaphore, la diaschète ne contient qu'une
comparaison ; elle n'est appliquée au sujet que dans la mesure utile !à
l'image, la différence de sexuisemblance souligne et renforce l'expres-
sion métaphorique.

451. — Si, en somme, dans les rapports de sexuisemblance entre les


partenaires et leurs diaschètes, la langue marque une liberté très grande
dans ses constructions, et si la concordance ou la non-concordance
n'expriment dans ce domaine que des nuances, en revanche les pos-
sibilités sont beaucoup plus limitées en ce qui concerne les rapports de
quantitude. La quantitude est en général la même dans le support et
la-diaschète. Exemples :
Mon nom doit être pour vous un sujet d'horreur.
(G. de Maupassant. Contes du Jour et de la Nuit. Le père).
Les gueux, les gueux
Sont les gens heureux;
Ils s'aiment entre eux.
Vivent les gueux!
(Béranger. Les Gueux, p. 21).
Nous nous trouvons ici dans des limites très étroites et qui sont ra-
rement franchies.

:
Plusieurs diaschètes 'à la blocalité continue peuvent se rapporter à
un support de la blocalité discontinue c'est que l'ensemble de ces
diaschètes forme une discontinuité. Ex. :
;
Les diverses espèces de farine dont les boulangers font leur pain, sont la
pure fleur de farine pour le pain mollet la farine blanche d'après la fleur,
pour le pain blanc.
(Encyclopédie. Article Pain).
Le support et sa diaschète peuvent facilement n'avoir en commun
que la blocalité. Ex. :
Il est prouvé que le cristal est de la glace sublimée, et que le diamant est
du cristal sublimé.
(V. Hugo. L'Homme qui rit. III. 6. T. III, p. 64).
Il peut arriver qu'il y ait différence de quantitude si le substantif
continu a, sémantiquement, un sens collectif qui implique, à titre sé-
miématique, une idée de discontinuité analogue à celle que contient
mathématiquement le substantif de blocalité discontinue qui lui sert
de contre-partie. Ex. :
Dix mille escus en or chez soy est une somme assez.
(Molière. L'Avare. I. 4).
Un de ces peuples est les Tursdnes.
(H. d'Arbois de Jubainville. Les Premiers Habitants de l'Europe. I. 5. § 3).
Ces pratiques d'étiquette et d'autres qui vont suivre étaient le vieux céré-
monial antérieur à Henri VIII, qu'Anne essaya pendant un temps de faire
revivre.
(Victor Hugo. L'Homme qui rit. VIII. 1).
Ces directives étaient la sagesse même.
(G. Hanotaux. Une grande libéralité américaine dans la Revue des Deux
Mondes du 15 février 1925, p. 787).
En dehors de ces cas restreints, les autres non-concordances ne
sont guère que des artifices littéraires employés dans un but déterminé.
Exemple :
Il faut m'aimer. Je suis ces Fous que tu nommais. «
(Verlaine. Sagesse. IV. 5).
L'auteur fait parler ici la Trinité, et souligne ainsi l'impénétrabilité
de son mystère.
Alors un sentiment nouveau de liberté commence de se lever en moi et
me parcourt. Il devient des milliers et des milliers d'idées.
(Jean Paulhan. Le guerrier appliqué. La double attaque. II, p. 153).
Cette vapeur de l'aube. s'élève peu à peu en ondulant au dessus de la
terre endormie et semble ainsi les rideaux flottants dont se protège encore
son matinal repos.
(Gérard d'Houville. Le Séducteur. IV, p. 31).

452. — La syndèse paraît pouvoir associer librement des substantifs


nominaux de toutes les assiettes. Mais la combinaison des diverses
physes du répartitoire d'assiette donne lieu à des différences séman-
tiques importantes.
Deux substantifs mis en syndèse par un nœud verbal peuvent être
pris tous deux dans un sens abstrait, pris tous deux dans un sens
concret, ou qui dans le sens abstrait, qui dans le sens concret. Exa-

:
minons d'abord ce dernier cas.
Soit cette phrase « Le chef est un brigand. »
A) :
Premier sens. Exemple « Une rébellion à main armée a éclaté
à Naples. a) Le chef est un brigand », c'est-à-dire que celui qui fonc-
tionne comme chef de l'émeute est un brigand déjà connu comme
tel. Mon assertion, d'un ordre très certain d'ailleurs, vous apporte
comme connaissance nouvelle la superposition de la qualité de chef !à
:
un déjà-brigand, et non la superposition de la qualité de brigand à
un déjà-chef. Elle est très voisine de l'assertion- « a' Un brigand est
le chef de cette émeute. »
Elle en diffère pourtant, car le chef, en a), est repère. Et c'est lé-
gitimement qu'il est repère, puisque le point de départ de la pensée
est qu'il y a un chef à l'émeute et que le problème est de déterminer
à quel quantum substantiel cette fonction se superpose, c'est-à-dire
appartient.

traite:
Dans ce genre de syndèse, ce qui est repère, c'est une notion abs-
à savoir purement et uniquement l'unité notoire, dans une
espèce substantielle donnée, au cas de la circonstance en question
(notoriété circonstanciale, cf. § 369, 2°) ; et la syndèse pose cette no-
tion abstraite sur le substratum constitué par un individu concret que
certains de ses caractères ont déjjà fait classer dans une espèce subs-
tantielle autre. Ici une unité appartenant là l'espèce substantielle chef,
et notoriée en tant que notion abstraite pure dans le cadre circons-
tancial d'une certaine émeute, est déclarée devoir être superposée à
un individu connu comme ayant, entre autres traits, les caractéristi-
ques de l'espèce substantielle brigand. Cette syndèse va donc de l'abs-
:
trait au concret, c'tast la syndèse concrétante.
B) Second cas. Exemple « Le chef est un brigand, voilà mon opi-
nion ! », c'est-'à-dire que je vous fais connaître que l'individu notoi-
rement connu comme étant le chef, est un brigand. Mon assertion,
qui a le caractère d'une opinion, plutôt que d'une certitude, vous
apporte comme connaissance nouvelle la superposition de la qualité
de brigand à un déjà-chef. Le chef est là très naturellement repère,
puisque son individualité connue et identifiée (notoriété capitale tou-
jours concrète cf. § 369 1°), est le point de départ de la pensée, et que
le problème est de déterminer dians quelle espèce substantielle cette
substance individuelle peut être rangée, outre l'espèce chef où on sait
qu'elle se range déjà.
Dans ce second genre de syndèse, plus fréquent et en quelque sorte
plus naturel que le premier, ce qui est repère, c'est un individu con-
cret, que certaines de ses caractéristiques ont déjà fait classer dans
une certaine espèce substantielle. Ici, le chef, en tant que personne
tielle brigand. Cette syndèse va du concret à l'abstrait;
concrète, est déclaré présenter les caractéristiques de l'espèce substan-
elle part en
effet de la personnalité connue qu'on est si habitué 'à npmmer le chef
que cette appellation en laisse concevoir tous les traits concrets, même
ne caractérisant pas un chef. Et de cette personnalité concrète, il abs-
trait les caractères convenant à l'espèce substantielle brigand. C'est la
syndèse abstrayante.
La syndèse concrétante et la syndèse abstrayante sont d'un emploi
fréquent. La syndèse unissant .un repère concret et une diaschète éga-

Soit par exemple cette phrase :


lement concrète paraît beaucpup plus rare. Elle n'en existe pas moins.
« Ce jeune homme est le roi. » Par
cette assertion, je puis vous faire connaître que ce jeune homme qui
est sous vos yeux et que je vous fais repérer par mon geste est iden-
tique, en tant que personne concrète, avec le roi (notoriété capitale)
que vous connaissez d'iautre part commepersonne également concrète.

ces deux notions concrètes :


La nouvelle connaissance que je vous apporte est la superposition de
la syndèse biconcrète, comme la syn-
dèse concrétante, fournit une information plutôt qu'une opinion.
Le liage qui conduit d'un repère abstrait à une diaschète égale-

encore : on peut cependant le trouver. Soit cette phrase :


ment abstraite, syndèse biabstraite, paraît beaucoup plus rare
« Le bonheur
est la liberté. » On pose là l'identification de deux substances dpnt
l'extension est entièrement comprise dans la dénomination même, ce

:
qui est le caractère des substances abstraites. Mais ce tour est peu na-
turel et, généralement, la langue ne s'en sert pas elle le remplace
par celui qui consiste à faire du repère l'épampischète d'un substan-
tif strumental : « Le bonheur, c'bst la liberté. »
Au point de vue de l'abstraction et de la concrétion, les degrés

: ;
d'assiette du substantif nominal présentent les caractères suivants
Sont abstraites la notoriété générale, la notoriété spéciale
:
il faut
y ajouter la notoriété circonstanciale en tant que, toutes les circons-
tances déterminantes étant posées, on ne demande plus au quantum
substantiel, envisagé dans ce cadre défini, que d'appartenir à l'espèce

d'assiette pourront constituer des supports :


substantielle dont on énonce le nom. Ces divers cas du répartitoire
1° dans des liages biabs-
traits ; 2° dans des liages iconcrétants ; et des diaschètes : 1° dans

:
des liages biabstraits ; 20 dans des liages abstrayants.
Sont concrètes la notoriété capitale, la notoriété intra-limitale et
tous les genres de présentatoriété. Il faut y ajouter la notoriété circons-
tanciale, en tant que toutes les circonstances qui servent !à la définir
ne sont énoncées ni par le sémième du substantif nominal ni par ce-

répartitoire d'assiette pourront constituer des supports


liages concrets
:
lui d'aucun épiplérome y annexé. C'est-à-dire que ces divers cas du

; 1° dans des
2° dans des liages abstrayants ; et des diaschètes :
1° dans des liages biconcrets ; 2° dans des liages concrétants. Exem-
ples:
Tout ainsi que les Pensées sont les Portraits des Choses, de mesme nos
Paroles sont-elles les Portraits de nos Pensées.
(Molière.Le Mariage forcé. Scène V).
Pour moi, je tiens que la braverie et l'ajustement est la chose qui réjouit
le plus les filles.
(Id. L'Amour médecin. I. 1).
Mais sa raison n'est pas maintenant la maîtresse.
(Id. L'Estourdy. I. 9).
et que Monsieur le Receveur ne sera plus pour vous Monsieur le donneur.
l(TEscarbagnas.
(Id. La comtesse VIII).
Se.
Le bonheur de vous plaire est ma suprême étude.
(Id. Le Tartuffe ou l'Imposteur. IV. 5).
De tous les enfans que le ciel m'avoit donnés, il ne m'a laissé qu'une fille,
et cette fille est toute ma peine.
(Id. L'Amour médecin. I. 1).
La fausse science est l'excrément de la vraie.
(V. Hugo. L'homme qui rit. III. 6. T. III, p. 70).
Dea était l'aube, cette femme était l'aurore.
(Ibid. III. 7. T. III, p. 75).
Le tyran est cet homme. qui s'empare à son profit et dispose à son gré de
la force collective d'un peuple.
(Id. Napoléon le Petit. Conclusion. I. 2, p. 238).
L'épique, le lyrique et le dramatique amalgamés, le roman est ce bronze.
(Id. William Skakespeare. II. 4, p. 165).
Ce sourire, Déruchette l'avait. Disons plus, Déruchette était ce sourire.
(Id. Les Travailleurs de la Mer. T. III, 1. T. IV, p. 94).
Les hommes sombres sont les hommes fidèles, et il existe une honnêteté
dans l'enfer.
(Id. L'Homme qui rit. V. 1. T. III, pp. 224-225).
Nous commandons et voulons comme reine et sœur que notre dit lord
Fermain Clancharlie, nommé jusqu'à ce jour Gwynplaine, soit votre mari.
(Ibid. VII. 4. T. IV, p. 132).
Son naturel était la pose.
(Tristan Corbière. Les Amours Jaunes. Epitaphe).
Ses nouvelles observations sur les abeilles. sont restées le trésor abondant
et sûr où vont puiser tous les apidolosues.
- (Maeterlinck.- La vie des Abeilles. I. 2, p. 9).
La langue est ainsi la forteresse avancée qui protège au Canada le domaine
catholique.
(André Siegfried. Le Canada. III).
La politique canadienne est un champ clos de rivalités passionnées.
(Ibid. I).
Notons bien que cette opposition latente à tout ce qui représente la France
moderne est spécialement le fait de l'Eglise.
(Ibid. IV).
La terre est le désir, et le ciel est le désert. ,.
(Paul Claudel La cantate à trois voix, p. 69).
Le substantif nominal au transitoire ne peut pas a priori être con-
sidéré comme toujours abstrait ni comme toujours concret. Toutefois
tous les genres de liages ne sont ni également aisés, ni même pos-
sibles. Après étude de la question, il nous semble que l'on puisse for-
muler les deux règles suivantes :
1° Comme diaschète, le transitoire est de préférence abstrait, c'est-à-
dire que les liages abstractifs (i. e. abstrayants ou bi-abstraits) sont
seuls aisés.
2° Comme support, le transitoire a tendance là entrer dans des lia-
ges abstractifs (i. e. abstrayants ou bi-abstraits) si la diaschète est no-
toire, dans des liages concrétifs (i. e. concrétants ou bi-cpncrets) si
la diaschète est présentatoire. Exemples :
1°TRANSITOIRES DIASCHÈTES :
Repère notoire. Liages bi-abstraits :
Si l'amour est au crime une assez belle excuse,
Il en peut bien servir à la petite ruse,
Que sa ilamme aujourd'huy me force d'approuver.
(Molière. L'Estourdy. Il. 2).
Ses moindres actions luy semblent dies miracles.
(Id. Le Tartufe ou l'Imposteur. 1. 2).
Quoy, le beau nom de Fille est un titre, ma Sœur,
Dont vous voulez quitter la charmante douceur ?
(Id. Les Femmes Sçavantes. I. 1).
je crois, sur votre parole, la métempsycose une erreur ridicule.
(Voisenon. Le sultan Misapouf et la princesse Grisemine. lre partie, p. 6).
L'insomnie est un sévice de la nuit sur l'homme.
(V. Hugo. L'Homme qui rit. IV. 1. T. III, p. 129).
La mort est une force.
(Id. William Skakespeare. Conclusion. I. 1).
Le genre humain est une bouche, et j'en suis le cri.
(Id. L'Homme qui rit. 7. T. IV, pp. 245-246).
Ma vie n'est pas une chose cachée.
(lbid. IV, 8. T. III, p. 208).
Toute sa vie est un sacrifice total à l'être innombrable et perpétuel dont
il fait partie.
(Maeterlinck. La vie des abeilles. I, 7, p. 22).
#
Liages abstrayants :
Elle s'est pliée, non sans quelques résistances peut-être, mais complètement,
,à l'évolution qui, depuis trente ou quarante ans, a fait de l'Eglise une mo-
narchie absolue et centralisée.
(André Siegfried. Le Canada. II).
Repère présentatoire. Liages abstrayants :
Et ce lien sacré où ils aspirent, n'est-il pas un témoignage de l'honnesteté
de leurs intentions.
(Molière. Les Précieuses Ridicules. Se. IV).
Cette cassette est donc un important mystère?
: (Id. Le Tartufe ou l'Imposteur. V, 1).
Une ouverture s'était faite ce jour n'était pas du jour, c'était de la
lueur.
(V. Hugo. L'homme qui rit. IV, 8).
On croyait d'abord que cet Etat était une monarchie.
(Michelet. L'Insecte. III, 25, p. 384).
Ces paroles éloquentes ne sont probablement autre chose qu'une explica-
tion évhémériste de la croyance au séjour occidental des morts sous le
sceptre mythique de Krones.
(H. d'Arbois de Jubainville. Les premiers habitants de l'Europe. Livre I,
ch. II, § 5).
Pouah ! fit-il, cette bière est une drogue.
(Claude Farrère. L'Homme qui sort de l'homme, in Le Petit Parisien,
6 avril 1920).
Le liage biconcret n'est toutefois pas impossible. Ex. :
Cette feuille, ajouta le shériff, est un parchemin de chancellerie qui porte
le filigrane du roi Jacques deuxième.
(V. Hugo. L'Homme qui rit. V, 1. T. III, p. 220).
2° TRANSITOIRE REPÈRE. Diaschète notoire. Liages biabstraits.
Une louable défiance est l'attribut du sage.
(V. Hugo. L'homme qui rit. III, 2. T. IV, p. 23).
Liages abstrayants.
Diaschète présentatoire. Liages biconcrets :
Ce liage est évidemment possible. On peut, en effet, imaginer des
phrases comme la suivante : :
« Y a-t-il au monde un homme qui
puisse dire je commande aux
mers P Oui, un roi est cet homme : le roi d'Angleterre. «
Liage concrétant :
On peut de même imaginer une phrase comme :
Y a-t-il un animal aussi généreux que brave ? Un lion est cet ani-
mal. »
Quand le repère et sa diaschète sont tous deux transitoires, le liage
est le plus souvent bi-abstrait, exemples :
Ah ! qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire.
(Molière. George Dandin ou le Mary confondu. I, 1).
J'appelle un chat un chàl, et Rolet un fripon.

Ebenezer pensif murmura : Un oncle n'est pas un père..


(Boileau. Satire I).

(V. Hugo. Les Travailleurs de la Mer. IV, III, 2. T. III, p. 233).


Une cathédrale est une enseigne.
(Id. L'Homme qui rit. III, 3. T. III, p. 26).
Un mari n'est pas un maître, c'est unesclave soumis et tendre.
(Labiche. La Sensibive. I, 1).
Mais il peut quelquefois être abstrayant. Ex. :

;
La Durande avait la plaie qu'aurait un homme coupé en deux ; c'était un
tronc ouvert laissant échapper un fouillis de débris semblable à des entrailles.
;
Des cordages flottaient et frissonnaient
; des chaînes se balançaient en gre-
lottant les fibres et lesnerfs du navire étaient à nu et peindaient. Ce qui

; ;
n'était pas fracassé était désarticulé des fragments du mailletage du dou-
;
;
blage étaient pareils à des étrilles hérissées de clous tout avait la forme de

;
la ruine une barre d'anspec n'était plus qu'un morceau de fer une sonde
;
n'était plus qu'un morceau de plomb un cap-de-mouton n'était plus qu'un
morceau de bois une drisse n'était plus qu'un bout de chanvre un touron
;
n'était plus qu'un écheveau broUtillé; une ralingue n'était plus qu'un fil
dans un ourlet partout l'inutilité lamentable de la démolition.
(V. Hugo. Les Travailleurs de la Mer. 11, I, 2. Tome II, p. 147).

que tout cap-de-mouton est devenu simple morceau de bois mais, ce


qui est plus conforme à la description, qu'en regardant l'épave, tel
;
Il faut considérer ce liage comme abstrayant si l'on entend non pas

cap-de-mouton n'apparaît plus que comme un simple morceau de


bois.
substantif strumental, exemples :
453. — Le substantif nominal peut aussi servir de diaschète à un

Sire,jôs tienpormonseignor
Et il est vostre niés, ç'oi dire.
(Béroul. Le Roman de Tristan. 424-425).
Je suis i. bacelers et povres mal noris.
(Le Roman d'Alexandre. 2.006).
Je cuidai qu'il fust un hermites
Et il est uns faus ypocrites.
(Rutebeuf. Du Secrestain et de la jamme au chevalier. 281, T. II, p. 124).
Sire, fait me sire Thiebaus, je suis uns povres hom.
(Istore d'Outre-Mer, p. 165).
Je vous pry, la joye de mon cueur, que vous ayc toute nue entre mes
bras, car c'est la chose au monde que plus jei desire.
(Beauveau. Le livre de Troilus, p. 182).
Or, nous dicte qui elle est, et vous serez bien mon amy.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. 1111, p. 15).
Or, luy dict que la princesse d'Eboly, vefvq de Ruy Gomez (que j'ay veu
une très belle famé, elle estoit de la Casa de Mendoza), traistait fort l'amour
avec Antonio Perez.
(Branthôme. Recueil des Hommes. 1, 1, 25. T. II, p. 141).
Empedocles disoit estre les dieux, les quatre natures desquelles les choses
sont faites.
(Montaignê. Essais. II, 12).
Se. les quatre natures, etc. sont les dieux.
Il est ce que tu dis s'il embrasse leur foy,
Mais il est mon époux, et tu parles à moy.
(Corneille. Polveucte. III. 2).
- ,,- ----, -,-
Hélas ! ce Juif jadis m'adopta pour sa fille.
(Racine. Esther. III, 4).
Les Coffres-forts me sont suspects. Je les tiens justement une franche
amorce à Voleurs.
(Molière. L'Avare. I, 4).
Je vous croyois la beste
Dont à me diffamer j'ai veu la gueule preste.
(Id. La princesse d'£lide. I, 2).
Celuy que vous aymez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma
fille, et vous nq seriez pas faschée de la voir la femme d'un autre.
(Id. L'Amour médecin. I, 1).
Chaque instant de ma vie est chargé de souillure,
Elle n'est qu'un amas de crimes et d'ordures.
(Id. Le Tartuffeou l'Imposteur. III, 6).
LUCAS. Avec votre parmission, Monsieu le Médecin, laissez là ma
— Femme, je vous prie.
SGANARELLE.
— Quoy, elle est votre Femme ?
(Id. Le Médecin malgré luy. II, 2).
C'est la verité.
(Diderot. Le neveau de Rameau, p. 25).
La propriété, c'est le vol.
?
(P..J. Prudhon. Qu'est-ce que la propriété p. 1).
Après tout, je serai une reine, c'est peut-être amusant.
(Musset. Fantasio. II, 1).
« M. de Ronchaud, disait-il, eût été dans d'autres temps un orateur comme
il est un poète et un historien de l'art.
(Lamartine. Cours familier de Littérature. apud A. France. La vie litté-
raire. lro série, p. 218).
Les affaires, c'est bien simple, c'est l'argent des autres.

Lydie.&
(A. Dumas fils. La Question d'argent. II, 7).
Hercule a eu de la même femme qu'Hérodote appelle une schuese de larda.
nos, un fils de qui est descendue la seconde race, la race assyrienne, des
rois de
(H. d'Arbois de Jubainville. Les premiers habitants de l'Europe. I, IV, § 11).
ce bon géant qu'on disait un ogre au seul aspect de ses moustaches.
(Maupassant. Une Vie. IX, p. 190).
Je crus voir que Maître Mouche m'estimait un pauvre homme.
(A. France. Le Crime de Sylvestre Bonnard, p. 208).
M. Zola, qui est un philosophe comme il est un savant
(Id. La Vie littéraire. Ire Série. La Terre, p. 234).
Je le tiens un rare esprit et un habile écrivain.
(Ibid. 4° série. Maurice Barrés, p. 225).
Bien qu'il n'eût ni la prudence, ni la vue claire de César, César l'estimait
comme son meilleur lieutenant.
(Ibid. 48 Série. Cléopâtre, p. 124).
Hélas ! Chacun de nous se croit le centre de l'univers.
(Id. Le Jardin d'Epicure, p. 92).
Or il a douze ans : il est un grand garçon qui vient d'être reçu le premier
au certificat d'études primaires.
(Ch.-L. Philippe. La mère et l'enfant, p. 23).
Sans doute ne parvint-elle pas tout de suite à cette analyse sûre et dégagée
qui devait faire d'elle — qui pratiquait si bien — la plus délicieuse théori-
cienne de l'amour.
(Jean de Tinan. L'Exemple de Ninon de Lenclos. IX, p. 57).
Qui, parmi les neutres, ne la croyait la puissance invincible ?
(Alfred Capus. Le Figaro du 5 décembre 1918).

substantif verbal. Exemples :


454. — Le substantif nominal peut aussi servir de diaschète à un

Il [Albéroni] dit au colonel Stanhope qu'il croyoit de la prudence de faire


quelquefois des réflexions sur les variations du gouvernement d'Angleterre.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome X, chap. IX, p. 116).
Dans cette phrase, le substantif nominal massif de la prudence est
diaschète du substantif verbal de faire. (Cf. infra. Livre V).
Du moins, mordre était la prétention d'Ursus.
(V. Hugo. L'Homme qui rit. Premier chapitre préliminaire. T. I, p. 13).
Frémir est une façon de vivre.
(R. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 7).
Tous les exemples apportés depuis le § 447 nous montrent que pour
remplir le rôle de partenaire ou de diaschète, qui sont tous deux ex-
clusivement substantiveux, le substantif nominal est nécessairement
accompagné d'un article, ce qui nous confirme dans l'idée qu'il faut
la présence d'un article pour que le substantif nominal substantiveux
français soit véritablement constitué.
455. — Le substantif nominal est souvent employé adjectiveuse-
ment. Il figure alors non plus comme diaschète, mais comme dia-
thète.
La limite entre l'emploi du substantif nominal articulé et du subs-

;
tantif nominal inarticulé paraît être différente en haut-allemand de ce
qu'elle est en français il semble que cette langue apporte plus de

:
raideur dans la distinction entre l'iadjectif et le substantif. Cf. Les
phrases suivantes
Le titre de comte. — Der Titel eines Cra/en.
(Junker. Nouveaux Principes de la langue allemande, p. 340).
Ma sœur resta veuve. — Meine Scliwesler blieh eine Witwe.
Je suis gentilhomme. — Ich bin ein Edelmann.
(Ibid., p. 337).
Il est Français de naissance. — Er ist von Geburt ein Franzos.

: :
Cf. aussi l'anglais
(Ibid., p. 393).
He îs an Englishman (il est anglais), semblable
à l'allemand
:
Er ist ein Englander, contrairement aux langues ro-
manes : italien : Egli è Inglese ; castillan El es Inglés ; portugais :
Elle é Inglez.
De même que nous avons au § 443, réparti les diaschètes en dianas-
chètes et diamphischètes, nous distinguerons les diathètes en diana-
thètes (attributs, proprements dits des grammaires classiques) et diam-
phithètes.
La fonction de dianathète est accessible au substantif adjectiveux. Du

;
§ 443 il résulte que la dianathète (c'est-à-dire la dianota adjectiveuse)
s'attache en général 'à un support par greffe voici des exemples de ces
dianathètes-grcffons, ou échoites :
On luy dict que la princesse d'Eholy. traictoit fort l'amour avec
Anthonio Perez, que j'ai veu secretlaire majour du roy Philippe.
(Branthôme. Recueil des Hommes. I, I, 25, tome II, p. 141). ,
Quoiqu'il me parût froid, noir, bizarre et farouche,
Je me comptois toujours compagne de sa couche.
(La Fontaine. Le Florentin. Scène IX).
Souffrez, lui déclare Déroulède, que je me considère prisonnier.
(J. et J. Tharaud. La vie et la mort de Déroulède, p. 127).
C'est seulement pour la dianathète du repère qu'une nouvelle ques-
tion se pose, car on peut alors avoir affaire à une étance pu à une
échoite. Exemples :
A. — ETANCES :

Je suis Souris; vivent les Rats.


Jupiter confond les Chats.
(La Fontaine. Fables choisies. II, 5. La Chauve-souris et les deux Belettes)^
Il rencontra l'évêque qui se désolait de vieillir sans passer Cardinal.
(Pierre Hamp. Vin de Champagne, p. 245).
Cette pensée m'ouvre, me déchire brusquement avant que j'aie eu le temps
deréfléchir — à peine est-elle idée.
(Jean Paulhan. Leguerrier appliqué, p. 00).
B. — ECHOITES :
Voulez-vous venir garde chez moi ?
(A. Gennevraye. La petite Louisette, ch. VIII).
Il était à Rosny soldat auxiliaire.
(Jean Paulham. Le guerrier appliqué, p. 72).
Il y a entre le sens de la dianathète-étance et celle de la dianathète-
échoite une différence logique nette. Si par exemple nous comparons
la phrase de M. Pierre Hamp 'à celle de Gennevraye, nous voyons que
le verbe passer, dans le sens où l'emploie M. Hamp, appelle naturelle-
ment une dianadote du soutien, tandis que le verbe venir au contraire
;
n'en appelle pas. La structure de la phrase de Gennevraye n'est pas
gravement altérée quand on supprime garde quand on supprime car-
dinal dans la phrase de M. Hamp, passer prend un sens tout différend

Mais il y a plus ;
et tout le phénomène phrastique est bouleversé.
la preuve que nous sommes ici en présence non
pas d'une distinction logique arbitrairement introduite par nous dans
l'interprétation de la langue, mais bien d'une nuance existant réelle-
ment dans le sentiment linguistique, c'est qu'on peut trouver des cri-
tères grammaticaux pour reconnaître l'étance de l'échoite du repère.
D'une part, on peut, sans altérer le sens de la phrase, intercaler
en tant que devant l'échoite du repère (Voulez-vous venir en tant que
garde chez moi ? Il était à Rosny en tant que soldat auxiliaire) ; on
ne le peut pas devant l'étance.
D'autre part, entre l'étance et le verbe étancier, aucun autre com-
plément circonjacent ne peut s'intercaler (1) ; entre le verbe et
l'échoite du repère, cette intercalaison est au contraire possible.
M. Paulhan a très élégamment tiré parti de cette possibilité en pla-

:
çant soldat auxiliaire à une place où il n'y a pas d'équivoque sur sa
nature d''échoite. Dans a Il était soldat auxiliaire à Rosny », soldat
auxiliaire serait compris comme une étance.
Pour l'ancienne langue, où les substantifs nominaux ne reçoivent
pas régulièrement l'article, la différence entre une diaschète et un
;
substantif inarticulé jouant le rôle de diathète n'est pas visible exem-
ples :
Co dist Rollans : «Vos receif jo frere. »
(Turold. La Chanson de Roland. 1376).
Ci rois Flores d'Ausai prit à fenme la fille au prinche de Braibant, ki
molt fu gentius fenme et de grant linage ; et molt estoit bielle pucielle cant
il l'espousa.
(Li Contes dou roi Flore et de la belle Jehane, p. 86).
Beau sire Dieu, comme c'est grant chose et difficile d'avoir ainsi conti-
nuellement son cueur, son affection et son entcncion sans relascher fichées
en Dieu et ès choses divines et espirituelles.
(L'lnternelle Consolacion. II, 26, p. 121).

(1) L'intercalaison d'un complément ambiant est toujours possible. Ce complément


ambiant se reconnnaît dans la langue parlée à ce qu'il est entre deux pausules, dans
la langue écrite à ce qu'il est entre deux virgules.
Ce manque de différenciation apparaît surtout dans les diadotes indi-

et qui n'existent presque plus maintenant ;


rectes introduites par à dont la langue faisait autrefois un grand usage
ex. :
Oz mci, pulccle : celui tien ad espos
Qui nos redenst de son sanc precios.
(La Vie sàint Alexis. 14).
Ensi fu esliz li cuens Baudoins de Flandres et de Hennauut à empereor, et
li jorz pris de son coronement à trois semaines de Pasques.

je te donnay autrefois à ennemy.


;
(Villehardouin. llistoire de la conquête de Constantinople. 261).
Or va, lùy dict-il, je te donne, Cinna, la vie à traislre et à parricide
(Montaigne. Essais. I, 23. T. I, p. 94).
que

Pour moy, je tiens Madame, à sensible bonheur,


L'action où pour vous a volé tout mon cœur.
(Molière. La Princesse d'Elide. I, 3).
Comme nous l'expliquerons plus longuement au chapitre XIII, le
substantif nominal a deux façons de s'adjectiver.
Dans le premier procédé (adjectivation totius substantiae), qui est ce-
lui auquel appartiennent tous les exemples cités ci-dessus, la substance
que contient le substantif nominal est elle-même adjectivée, mise
qu'elle est en syndèse avec la substance épinglataire.
,
;
Dans le second prpcédé (adjectivation ex casu) le substantif nomi-
nal est adjectivé sans qu'en réalité sa substance le soit en vertu d'un
tpur qui procède probablement d'anciennes possibilités casuelles, cette
substance est mise en dichodese avec la substance épinglataire. Exem-
ples :
- Un cheval pour votre laquais
c'est bien grand seigneur, mon ami.
?
(A. Dumas père. Les Trois Mousquetaires ;
reprit en hésitant la procureuse ; mais
Tome II, chap. II).
Dans un certain nombre de locutions formées avec c'est, le substan-

:
tif nominal, quoique précédé d'un article, n'est pas proprement la dias-
chète du sujet. Si je dis « Cette année, les grands chapeaux, c'est la
mode », je n'entends pas dire qu'il y ait une identité absolue entre
cette substance matérielle les grands chapeaux et cette substance im-
matérielle la mode, mais seulement que les grands chapeaux rentrent
dans la mode. Je ne dirais en effet pas : « Les grands chapeaux sont
la mode » ; mais « les grands chapeaux sont à la mode. » La présence
de ce, strument que nous étudierons plus bas, apporte du vague dans
;il
l'identification
la mode est le repère. Les locutions :
n'est plus très aisé de distinguer qui de ce ou de
»,
« C'est la mode u c'est la

;
peine » etc. se figent et deviennent analogues. des locutions du type
c'est beau, c'est triste les clausules la mode, la peine, etc., sont de ce
fait adjectiveuses dans leur ensemble, comme le prouve l'emploi ordi-
naire des struments quantitatifs de la série très, si, aussi, plutôt que
de ceux de la série beaucoup, tout, autant, ex :
Cette bibliothèque de la Salpêtrière, c'est si bien, c'est si chic, c'est
sila paix.
(M. DE., le 14 février 1923).
Il est aisé de voir que, dans cet exemple, ce n'est pas la bibliothèque
même de la Salpêtrière qui est identifiée à la paix, mais bien la tran-
quillité qui y règne.
Ces chapeaux-là, cetteannée,c'est très lamode.
(Mme A., le 31 mars 1923).
Ces cols-là, c'est commode, et puis c'est très la mode.
(Ead., le 21 février 1924).
Ce n'était pas très la peine.
(M. DF., 19 février 1924).

sulesadjectrveuses diadotes. Exemples


1° CLAUSULES AVEC ARTICLES.
:
456. — Le substantif nominal peut aussi être enclos dans des olau-

jevous souhaite de tout mon cœur en repos et dans ce pays.


(Chapelle. Lettre à Molière, dans les Œuvres de Chapelle et Bachaumont,
p. 201 (1).
Ces enfants, choisis de la figure la plus agréable, avoient de longs cheveux
flottant sur leurs épaules.
(Fénelon. Télémaque. Livre IX, pp. 164-165).
La France enguerre est pleine d'horreurs et de beautés. Les liorreurs sont
de l'ennemi. Les beautés sont d'elle.
(R. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 7).
Le cuisinier dont j'ai parlé roula sur sa tête un turban de coton jaune qui
me parut pour un roi.
CIbid., p. 43).
Dans ce pays, de la figure la plus agréable, de l'ennemi, pour un roi
sont des clausules adjectiveuses et sont comme telles les diadotes de
vous, ces enfants, leshorreurs, un turban. Elles équivalent approxima-
tivement à présent, beaux, étrangères, royal.
A l'intérieur de la clausule, le substantif figure .en valence substanti-
veuse.. La sufïéreaace ddffusive qu'il possède de ce fait fait donc qu'outre
le supportement établi entre le partenaire et la clausule entière, il
existe un supportement entre le partenaire et le substantif même qui
•estoon-tenu à l'intérieur de la clausule.
2° "CLAUSULES "SANS ARTICLES:
Urs,donc, Lantibout, c'ty pas toi qui es de chambre?
(Georges Courteline. LeTrain de 8 h. 47. Vï, p. 35).
De chambre est une clausule adjectiveuse diadote de qui, et cham-
bre n'étant point articulé ne contracte pas de supportement en dehors
de laclausule. Dans cette tournure,chambre n'est donc pas proprement
-adjectiveux par lui-même, le tour est différent de celui que nous appe-
lons dmnathèleindirecte.
*457.—Nous supra § 456, remploi du substantif nomi-
avçwis -vu
nal comme adjectiveux diatbétique dans la reirconjacelloo. Il peut éga-
(1) Cf. Ce qui fait que je voussouhaite encore davantage ici, c'est que. les
beaux jours. sont autrement beaux àla campagne qu'à la ville ». Ici,
«
substantif
causalisé, joue le même rôle que jouerait l'ensemble d'un substantif nominal et de
la préposition l'ôirtroduisant.
lement, dans l'ambiance, prendre la fonction diamphithétique (cf. infra
§ 494), c'est-à-dire celle d' « attribut « non point directement transmis
par la puissance nodale, mais conféré à l'occasion de son intervention.
Naturellement, n'étant point ici substantiveux, il sera toujours dépour-
vu d'article. Exemple :
Bonjour, Madame : aimez-moi hermitc, commevous m'aimiez ours.
(J.-J.. ltousseau. Lettre à Mme d'Epinay. Avril 1757).
458. — Nous avons vu (§ 109) que le substantif nominal pouvait se
trouver comme catadmète d'un verbe, exemples :
Petit poisson deviendra grand
Pourveu que Dieu luy preste vie.
Mais le lascher en attendant
Je tiens pour moy que c'est folie.
(La Fontaine. Fables choisies. Y. 3. Le petit Poisson et le Pescheur).
D'autres causaient chemins de fer, libre échange.
(Flaubert. L'éducation sentimentale. 2° partie, chap. II, p. 193).
Le désir de tirer vengeance le sauvait.
(11. Boylcsve. L'Enfant à la balustrade. III. 1).
Nous ne rappelons ici cette construction que pour mémoire. En effet,
ces compléments apportant au verbe une modification systématique,
nous les examinerons avec plus de fruit dans l'étude du verbe lui-
même. Nous renvoyons donc le lecteur au Livre V.
Il y a lieu toutefois de faire remarquer ici comment se présente le
substantif nominal pour entre dans ces tours. Il est, on le voit, abso-
lument dépourvu de tout article, ce qui lui ôte le plus possible de son
caractère substantiel, et ne laisse en quelque sorte subsister que le sé-
miome qui verra son sémième s'englober dès lors le plus facilement
du monde dans le sémième verbal.
Une différence sémantique nette s'établit dès lors entre le tour conte-
nant ce substantif coalescent au verbe et le tour contenant une ayance..
Ex. :
Cela peut lui faire mal, mais cela ne peut) pas lui faire de mal.
(M. AS, le 16 novembre 1921)

;
L'articulation de l'ayance est ici représentée par le de signe de l'as-
siette illusoire tout Français comprendra que cette phrase signifie :
«Cela peut lui causer de la douleur, mais non pas nuire ai sa santé. »
459. — Nous avons déjà parlé (§-.§ 107 et 110) des compléments
ambiants et nous avons vu dans le présent chapitre (§§ 438, 445, 446,
465, 466) le rôle du substantif complément locutpire de factifs lo-
cutoires. Nous avons alors indiqué que,. selon que le factili était adressé-
là l'être représenté par ce complément ambiant ou non, ce complé--
ment locutoire était allocutif (vocatif) ou délpeutif. On trouve des
substantifs nonminaux jouant le même rôl'e auprès d'un factif verbal
délocutoire.
s
Exemples de eempléments locutoires allocutif (vocatifs)
Ileli, heli, per que m'gulpist ?
:
(La Passion de Jésus-Christ. 79).
Heli, comme on le sait, signifie « mon Dieu. »
Chambre, dist-elle, je mais n'estras parede,
Ne ja ledice n'iert en ter demenede.
(La Vie Saint Alexis. 29).
« Bel sire Guenes », dist Marsilies li reis,
« Je ai tel gent, plus bele ne verreiz !.»
(Turold. La Chanson de Roland. 563).
!
Cheles Brandan, par quel raisun
?
Gettes-mei fors de maisun
(Saint Brandan. 343).
Bons rois, fet-il, .i. damoisiax
Estoit jadis riches et biax,
Nobles hons et de haut paraige.
(Li romans de Dolopathos. 4838).
Amour, voulés-vous accorder
Que je muire pour bien amer ?
(Jehannot de Lescurel. Chansons. IV, p. 16).
Vaillans bergiers, chacun s'avance
A son troppeau songneusement,
Et servons Dieu devotement,
Chacun selonc nostre simplesse.
(Arnoul Greban. Le mistere de la Passion. 5732).
Ami lecteur, puisqu'il a pieu à Dieu que cest escrit soit tombé entre tes
:
mains, je te prie ne sois si paresseux ou téméraire de te contenter de la
lecture du commencement ou partie' d'icelui mais à la fin d'en apporter
quelque fruit, prens peine de lire le tout.
(Bernard Palissy. Récepte véritable. Au lecteur, p. 17).
Bref, ô MELON succrin, pour t'accabler de gloire,
Des faveurs de Margot je perdray la memoire
Avant que je t'oublie et que ton goust charmant
Sois biffé des cahiers du bon gros SAINT-AMANT.
(Saint-Amant. Le Melon. T. I, p. 208).
Tu es donc bien glorieux, Milon, d'avoir porté un bœuf sur tes épaules
aux Jeux Olympiques ? (Fontenelle. Dialogue des Môrts. II. T. I, p. 10).
0 révolutionsI j'ignore,
Moi le moindre des matelots,
Ce que Dieu dans l'ombre élabore
Sous le tumulte de vos flots.
(V. Hugo. Les Chants du Crépuscule. V. Napoléon II, p. 264).
Pauvre âne, mon vieil âne, à qui l'on prit la peau
Pour tendre le tambour retentissant au large,
Où donc es-tu? Voici la flamme du drapeau,
Palpitante et claquante aux souffles de la charge:
;
Ton cuir est noir de coups, et le beau régiment
Glorifié s'avance en rhythmant ses pas lestes
Ef cependant, pauvre âne, où sont tes humbles restes?
Dans quel charnier profond gis-tu confusément ?
Chat maigre, chat nerveux, à quil'on prit lafibre
Pour doter d'un soupir l'âme inerte du bois,
Je sens courir le long de l'instrument qui vibre
Un frisson de ta vie intense au bord des toits.
(Paul Marrot. Mystères Physiques. Il. 3, p. 72).
»
Le lecteur remarquera que, dans cet exemple, chacun des trois vo-
catifsemployés se trouve auprès d'une personne différente du factif
verbal.
Thérèse, je vous assure que même cela, c'est difficile, c'est terrible.
(Ch. Vildrac. Le Paquebot Tenatily. n. 1, 1).

460. — Les substantifs nominaux diapléromes ambiants' délocutifs


de factifs verbaux délocutoires sont de deux ordres :
1° Ils peuvent apparaître comme simplement détachés de la
phrase, mais sans perdre leurs rapports réguliers avec le factif central.
Le détachement peut se faire soit au début de la phrase, ex. :
Sa femme, ses enfants, sa vie. tout, il le donnerait pour ce morceau
d'étoffe.
(H. Lavedan. Servir. I. 2).
J'avais senti que ces feuilles jaunes, je pourrais les regarder traversées par
la lumière, dans leur suprême beauté.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. I, p. 381).
soit, plus souvent à la fin de la phrase, ex. :
Hélas! que j'en ai vu mourir, de jeunes filles.
(V. Hugo. Les Orientales. XXXIII. Fantômes, p. 379).
Au fait où est-elle, la panthère?
(Henry Kistemaeckers. L'Occident. I. 4).
J'en ai, moi, des reins.
(P. Decourcelle et A. Maurel. La rue du sentier. I. 4).
Je vais lui dire deux mots au patron.
(Henri de Rolschild. La Rampe. II. 1).
Ces compléments, cluoiqu'ambiants, sont trop intimement liés à la
phrase pour échapper à son caractère délocutoire général. (Cf. § 110).
2° Au contraire, la substance peut être jetée exclamativemcnt par
l'esprit sous son plein aspect substantiel, mais sans rien qui indique
un lien avec la phrase, même si elle doit y jouer subséquemment un
rôle (cf. § 110). Ce jaillissement spontané a, 'à T'évidence, une valeur
locutoire. D'autre part, la substance se montre pleinement substanti-
veuse, dans une clausule avec article sans préposition. Ex. :
Le maréchal de Bellefonds, le vieux Villars, Mme de St Géran, M. et Mme
de Castries, il ne sortoit point de chez eux.
(Saint-Simon. Mémoires. Tt I, chap. XLI, p. 412).
La paix chez soi? morbleu, on ne l'a que quand on est le serviteur ou
le maître.
(Diderot. Le neveu de Rameau, p. 45).
Le bonheur, mais cela tient, dans les deux pages d'une lettre de chez soi,
dans un fond de quart de rhum.
(R. Dorgelès. Les Croix de bois. \I,
p. 132).
Une armée qui serait toute composée de tels hommes, rien ne pourrait
lui résister.
(Capitaine Z. L'armée de la guerre, p. 153).
N'empêche que les choses qui Varrivent, tu t'y résignes assez facilement.
(Tristan Bernard. Le Danseur inconnu. 1. 7).
Les porteurs de soupe, chacun tirait,de son côté au retour.
(Jean Paulhan. Le guerrier appliqué, p. 67).
Toute une ceinture de douros pour dépenser à la guerre, il avait.
(lbid., p. 92).
Or j'avais rêvé que M. de Charlus avait cent dix ans et venait de donner
une paire de claques à sa propre mère. Madame Verdure, qu'elle avait
acheté cinq milliards un bouquet de violettes.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. V, vol. 3, p. 40).
Moi, en ce moment-ci, je me sens beaucoup mieux,. le cœur,, je ne souffre
plus.
(M. CL, le 12 février 1926).
Ce qui distingue d'ordinaire ces compléments locutoires des am-
biants simplement délocutoires, c'est que ceux-ci ont la marque du
rayon, tandis que ceux-là ne l'ont point. Mais ce criterium manque
pour les ambiants en syndèse avec le repère ou l'ayance, et dès lors,
la différenciation est plus difficile, du moins dans la langue écrite,
car, dans la langue parlée, l'élan éjaculatoire qui caractérise le com-
plément lpcutoire se distingue bien facilement de la tournure beau-
coup plus calme dans laquelle il n'y a que complément ambiant dé-
locutoire placé en tête. Ex. ;
Li chans des Psaulmes et dou 'Psautier, il embelit les armes, il appelle
et semont les aingres en aydc, il enchesse les dyaubles, il boute fuer toutes
tenebres, il fait sainctes les persones, a l'orne pechoùr est receration de
cuer, il oste et affaicc les pechieiz.
(Le Psautier de Metz. Prologue. 180).
Les gros larl'ons, les pendera l'en point ?
(Farce de Pou d'Acquest. 22).
Une bonne institution, elle change le jugement et les mœurs.
(Montaigne. Essais. II. 17. T. II, p. 55).
Ce portrait que, tantôt je vous avois donné,
Pour le gage d'un cœur le plus passionné,
Malgré, tous vos serments, parjure, à la même heure,
Vous l'avez mis en gage.
(Regnard, Le Joueur. V. 8).
Le droit divin, il n'y a que ça!
(Flaubert. Bouvard et Péruchet. VI).
Cette fille ou ce fils, mais je l'aurais entouré de la même tendresse em-
poisonnée.
(Henry Bernstein. Le Secret. III. 3).
3° Quelquefois, 1''ambiant est en syndèse avec une substance impli-

phrase. Exemple :
cite qui n'est autre que le concept du phénomène général de la

Il étendit les mains, les coudes rapprochées du corps — ce geste oriental


de déprécation, que t'aime tant.
(P. Mille. La baignoire, in Le Journal, 7 juillet 1924, p. 2, col. 6).
C'est auprès de ce genre de compléments qu'il faut placer les subs-
tantifs introduits par les struments pour, quant à, comme, etc. en
syndèse avec un autre substantif placé dans un rayon différent ;
exemples :
,
Pour l'Homme aux Rubans verts, il me divertit quelquefois avec ses brus-
queries et son chagrin bourru.
(V lière. Le Misanthrope. V. 4).
Pour les après-dînées, je les livrois totalement à mon humeur oisive et.
nonchalante.
(J .-J. Rousseau. Les Confessions. II. 12. T. I, p. 342, col. 1).
Quant à Pécuchet, la chute de la royauté confirmait trop ses prévisions
pour qu'il ne fût pas content.
(Flaubert. Bouvard et Pécuchet. VI, p. 193).
J'aime Bidi, — Khoda me paraît unbon sire, —
Et quatit à Kiclwtàn, je n'ai rien à lui dire.
(Musset. La Coupe et les Lèures. Dédicace).
Comme un tyran gorgé de viandes et de vins,
Il s'endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
(Ch. Baudelaire.Xes Fleurs du Mal. Le reniement de Saint Pierre. CXLIII"
p. 327).
Quant à l'influence anglo-saxonne, elle se manifeste ouvertement sous une
double forme, anglaise et américaine.
(A. Siegfried. Le Canada. XIII).
Mais souvent, le complément locutoire délocutif, ne trouve aucun
substantif auquel pouvoir se rapporter syndestiqueinent ; il n'a plus

biant, presque factiveux, exemples :


alors aucune tendance vers la circonjaccnce et reste purement am-

Comme à l'ame de li, le garda Diex par les bons enseignemens de sa mere.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 71).

:
Pour le petit Marquis, qui me tint hyer, longtemps, la main, je trouve
qu'il n'y a rien de si mince que toute sa Personne et ce sont de ces Mérites.
qui n'ont que la Cape et l'Epée.
(Molière. Le Misantrope. V. 4).
La dame dont ici j'ai dessein de parler
Etait de ces beautés qu'on ne peut égaler:
Sourcils noirs, blanches mains, et pour la petitesse
De ses pieds, elle était Andalouse et cgmtesse.
(Musset. Don Paez. I).
Cf. :
Monsieur Cacolel, s'il vous plaît?
(Meilhac et Halévy. Tricoche et Cacolet. II. 8).

461. — Nous avons vu, dans la première partie du § précédent


(alinéa 2°), qu'une substance pouvait être jetée dans la phrase sous
son plein aspect substantiel, et pourtant sans lien défini avec les au-
tres éléments phrastiques. Cette substance garde, dans le déroule-
ment de la pensée, sa personnalité : elle reste taxiématiquenient subs-
tantiveuse, elle a un article.
Que si, pourtant, sonsémième s'y prête (par exemple s'il est tem-
porel ou spatial), elle pourra, de ce fait, englober le phénomène
phrastique dans l'ambiance de ce sémième. Et dès lors,, elle prendra,
malgré sa substantivosité taxiématique, une sorte affonctivosité
sémiématogène.Un substantif nominal dans ce rôle est dit com-
plément hors rayon. Exemples :
Trenta très anz e alques plus
Des que cara près in terra fu.
(La Passion de Jésus-Christ. 2).
Set ans tuz pleins ad estet en Espaigne.
Caries li reis, nostre emperere magnes,
(Turold. La Chanson de Roland. 2).
D'enz de sale uns vetres avalat,
Que vint a Caries lé galops et les salz.
(lbid.731).
Brengain s'en ist les sauz par l'us.
(Béroul. Le roman de Tristan. 528).
Amadas tout I. an. languist.
(Li Rornans d'Amadas et Ydoine. 824).
Puis s'en tourna le grand chemin
Droit vers Bourgongne à .1. matin.
(Ibid. 1597).
Vien t'en en ma chambre le pas.
(Miracle de l'abbesse grosse. 291).
Bien sovent et plusour foiz m'ont wairrieit dès ma jonesce nii anemius,
se puet dire Israël.
(Le Psautier de Metz. CXXVIII, 1).
Car vous m'avez mainte saison
Fait douleur à tort endurer.
(Charles d'Orléans. Ballade XLV).
Qui plus P Où est le tiers Calixte,
Dernier décédé de ce nom,
Qui quatre ans tint le Papaliste.
(Villon. Ballade des seigneurs du Temps jadis, p. 35).
Un jour que son mary s'en estoit allé devers l'Evesque, elle luy demanda
congé d'aller aux champs, disant que l'air de la ville luy estoit contraire.
(La reine de Navarre. L'Heplaméron. I. 1, T. I, p. 3).
Il étoit une fois un homme qui avoit de belles maisons à la ville et à la
campagne.
(Perrault. Contes des Fées. La barbe bleue, p. 1).
J'ay leu, dis-je, en certain auteur,
Que ce Chat exterminateur,
Vray Cerbere, estoit craint une lieuë à la ronde.
(La Fontaine. Fables choisies. III, 18. Le Chat et un vieux Rat).
Chevilly. fit sortir de sa place Ravignan, maréchal de camp, la nuit,
avec deux mille cinq cents hommes.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome V, chap. XXIII).
Ses parents ont esté du temps sans soubçonner que ce voyage fût une
évasion.
(René d'Argenson. Rapports du lieutenant de police, p. 4).
Un après dîner, j'étois là, regardant beaucoup, parlant peu, et écoutant le
moins que je pouvois.
(Diderot. Le neveu de Rameau, p. 2).
La nuit, tous les chats sont gris.
(Proverbe français).
Deux ans, il fut sous une pluie de faveurs.
(A. France. Le lys rouge, p. 45).
Selon la coutume du temps elles couchèrent beaucoup de nuits ensem-
ble.
(Jean de Tinan. L'exemple de Ninon de Lenclos. X, p. 67).
Je me souviens qu'un matin d'avril ou de mai mon père me fit monter
avec lui dans sa voiture pour aller à la campagne.
(R. Boylesve. L'Enfant à la balustrade. I, 1).
Les yeux de M. Fesquet se fixèrent sur moi à la manière de ces chats qui,
apercevant leurs pareils sur le toit voisin, suspendent leurs pas et demeu-
rent un long moment immobiles avant de faire un mouvement nouveau.
(lbid. II, 9).
mais le temps que je la rejoigne les ours s'étaient sauvés.
(Louis Hémon. Maria Chapdelaine. XV, p. 237).
La construction directe des compléments de temps n'est pas réser-
vée uniquement aux vocables temporels. Elle peut en toucher d'au-
tres quand ils prennent occasionnellement une valeur sémantique ana-
logue :
L'éclair d'une seconde, Sylla débattit s'il poursuivrait l'holocauste suici-
daire.
(Léon Daudet. Sylla et son Destin, chap. II, p. 52).
A la vérité, le substantif nominal taxiématiquement substantiveux
forme ici là lui seul une sorte de sous-phrase -1 sous-phrase nominale
flpue, sèche et adynamique (v. infra § 784).

462. — Le substantif nominal est apte à entrer dans la composi-


tion de compléments non-substantiveux. Pour y entrer, il se dépouille
de tout article. La préposition qui l'accompagnera absorbera et obnu-
bilera complètement sa valeur substantielle. Ce qui réalise ce que
nous avons appelé au § 436 la clnusule sans article avec préposition.
L'ensemble ainsi obtenu sera donc pleinement et purement un con-
valent affonctiveux :
Et le cuer mi destraint si
Vostre grant dessevrance,
Que se n'en avez merci
Par tens ert en .11. parti.
(Gautier d'Espinal. Chanson IV, 60, p. 8).
Molt crut tos li enfes et en grant biauté.
(Li Contes dou roi Constant l'Empereur, p. 12).
Jalousie et Fol Avis,
Firent que me courrousai
A elle, par quoi eschis
Fui d'elle, et en tel esmai

8)..
Que de duel mourir cuidai.
(Jehannot de Lescurel. Chansons. III).
Si prieray Dieu de bon cueur
Pour l'ame du bon feu Cotard. ,
Mais quoy 1 ce sera doncq par cueur
Car de lire je suys faitard.

,..
(Villon. Grand Testament. V, p. 22).
Lors la triste dame cheut en terre de douleur.
(Le Violier des Histoires romaines. L. XXIX, p; 202).
de dépit, il prend l'Idole, et le jettant de grande force contre terre,
il le met en pièces.
(Patru. Apologue de l'Idole. 36 lettre à Olinde.' 1659. Préface du T. I. de
la Fontaine, p. 8).
Après avoir cheminé longtemps avec grand travail.
(Id. Apologue du Vieillard et de la Mort. 48 lettre à Olinde. 1659. totd.,
P.
Cecy n'est point un conte à plaisir inventé.
(La Fontaine. Fables choisies. IV, 2. Le Berger et la Mer).
De bon-heur pour ce Loup qui ne pouvoit crier
Près de là passe une Cigogne.
t/bid. III, 9. Le Loup et la Cigogne).
Un Asnier, son Sceptre à la main,
Menoit en Empereur Romain
Deux Coursiers à longues oreilles.
(Ibid. Il, lb. L'Asne chargé d'Epongés et l'Asne chargé de sel).
Tantost l'un en Thealre affronte l'Acheron.
(Ibid. VI, 19. Le Charlatan)'.
Avec grand bruit et grand fracas,
Un. torrent tomboit des montagnes.
(lbid. VIII, 23. Le Torrent et la Rivière).
Bientôt, il écoute en silence le récit qui intéresse Zuléma.
(Flnrian. Gonzalve de Cordoue ou- Grenade reconquise. Livre ni, T. III,,
p. 78).
On m'avait fait lever avant jour, ce qui me brouille toujours toute la
matinée.
(Stendhal. Vie de Henri Brulard. XXXII, T. II, p. 42).
Du Christ avec ardeur Jeanne baisait l'image.
(Casimir Delavigne. Les Messén-iennes. I, 5).
Conformément à l'usage suivi pour les inscriptions cunéiformes des Perses,,
les nombres sont presque toujours figurés en chiffres dans les textes pehlevis.
(Pihan. Exposé des signes de numération. Numération pehlevie, p. 48).
L'hébreu, par exemple, peut, en un sens, être considéré comme plus ancien
que l'arabe.
(Renan. Histoire générale des langues sémitiques. I, 3, p. 94).
La drogue ne lui octroyait pas l'ivresse, l'ivresse normale, qui vous cloue
délicieusement mais irrésistiblement à terre.
(Claude Farrère. Fumée d'Opium, p. 196. Les deux âmes de Rodolphe Haf-
ner).
Il y a ici équivalence avec un affonctif de lieu tel que là.
Sur un bout de papier à lettre,
En hdte, avait été tracé
Un nom, une date peut-être
La pluie avait tout effacé ! ;
(Eugène Lcmercier. La. Tombe anonyme, in Lyres Françaises).

463. - Le substantif nominal peut même s'employer affonctiveu-


sement, dans certains cas, sans strument introducteur et, bien en-
tendu, sans article. Ex. : « se lever matin. » Exemples :
Je vay baiser vos yeux et vostre beau tetin
Cent fois, pour vous apprendre à. vous lever matin.
(Ronsard. Les Amours. II, 18, T. I, p. 165).
Bbnjour, comperc ; quel vent vous pousse si matin par ces quartiers P
i
(Larivey. Les Jaloux. V. 1, dans Ancien neâtre jrançois. T. VI, p; 75).
MARTINE.
— Qui m'a osté jusqu'au Lic.t que j'avois 1 1
SGANAKELLE.
— Tu t'en lèveras(Molière.
plus matin.
Le Médecin, malgré-luy. I,1:).
On remarque ici que l'affonctiveux s'est même formé un cornmen-
suratif, comme l'aurait fait un affonctif véritable
jra § 725) (1). De même avec si :
: cf. plus tôt (v. in-

FLORVEL.
— C'est toi, d'Héricourt ?
D'HÉRICOURT. Oui.
FLORVEL. — St — matin 1
D'HÉRICOURT. — Si matin ?
FLORVEL.
— A peine est-il midi.
(Colin d'Harleville. Les Mœurs du Jour. Acte I, se. 1).
J'allais atteindre la fenêtre, lorsque, patatras ! l'échelle s'est décrochée,
et je suis tombé pile, c'est-à-dire sur la figure.
(Jules Moineaux. Le Canard à trois becs. II, 4, p. 45).
Il est descendu République.
(Un client du restaurant dit Taverne du Nègre, boulevard Saint-Denis, le
20 mars 1923).
Et même en notoriété occasionnelle :
Tout le monde est servi, plate-forme ?
(Un receveur de la ligne S. 30 ans environ, le 5 avril 1923).
L'ancienne langue employait ce tour dans des cas où nous ne
l'employons plus. Ex. :
Somme, je veulx que ce soit le livrede mon escholier.
(Montaigne. Essais. I. 25, T. I, p. 124).

servé une expression analogue :


Nous dirions actuellement en somme, quoique nous ayions con-
somme toute. Cet exemple et tous les
précédents cités dans le présent §, montrent une survivance casuelle Si
côté du développement du répartitoire de rayon.
Deux siècles après la décadence du répartitoire de cas en français,
nous trouvons encore sporadiquement desexemples de casrégimes
dans des diapléromes. Exemlpe :
Nenny dea, mon amy (respondit Hippothadée) si Dieu plaist.

Dieu merci. C'est-il Dieu possible


(Rabelais. III. 30. T. I, p. 465).
La langue actuelle a elle-même conservé des expressions comme
?
Pour de semblables survivances
:
dans le domaine épipléromatique, voy. infi'a§§ 468 et 476. Ex. :
C'lCst-Ïl Dieu possible que vous voilà ? madame Nozière e
(Anatole France. Le petit Pierre. XXX, p. 286).
Voici d'autres exemples encore :
L'offensive se déclenche. Ces braves gens sont arrêtés pile, partout, se font
massacrer sans réussir à avancer plus qu'aux autres attaques.

;
(Jean de Pierrefeu. G. Q. G. Secteur I. T. 11, p. 30).
Il fait sa ponction l'enfant meurt pile.
(M. CF., le 2 août 1924).

(1) Il est intéressant


partir à un moment quelconque de la matinée
:
:
pour le lecteur étranger d'observer la grande différence féman-
tique entre partir le matin et partir matin., Partir le matin (cf. suprq, § 460),c'est
partir matin, c'est partir tôt dans
la matinée, et cela implique une notion chronologique sujette :à 1k commensurfiliori.
On dirait ainsi « Pierre est parti plus matin que Louis ». Un tour analogue serait
impossible^vec«leœalin.»
on pouvait partir après souper, arriver correct pour la messe et être
revenus flèche pour déjeuner le lendemain matin.
(Louis Fréchette. Tom Caribou, dans Le Monde Nouveau. l0f-15 août 1923,
p. 49).
Usance canadienne.
Elle a encore toussé chien cette nuit.
(Mme E., le 20 février 1923).
Cette tournure affonctiveuse est loin d'être générale et de pouvoir
être employée pour tous les substantifs nominaux. Elle se confine au
contraire dans des locutions toutes faites. Un groupe très important
est représenté par les substantifs servant à nommer des lieux
peuvent s'employer tous ainsi à condition d'être suivis du nom pro-
; ils

pre qui complète la dénominatipn. Ex. : « Il demeure rue Montmartre,


Révolte, hôtel Crillon
Martin, etc. » Exemples
;:
boulevard Poissonnière, avenue Trudaine, place Clichy, route de la
je l'ai rencontré pont de l'Aima, porte Saint-

Elles allèrent, comme il était convenu, visiter la galerie, via del Moro.
(A. France. Le lys rouge, p. 174).
Venez me voir en mon domicile, àl'Etat-Major, place Vendôme.
(Id. Les désirs de Jean Servien. XXXII, p. 230).
Martial s'emporta, cria, sacra, finit par partir en claquant les portes et
en jurant qu'il remettrait pas les pieds quai Malaquais.
(L. Dumur. Les défaitistes. V, p. 193).

— Allons, ne creusons pas trop, se répétait-il, presque tout haut, en


retournant chez lui, quelques rues plus loin.
(F. de Miomandre. Ecrit sur de l'eau. Baisers dans le soir, p. 109).
Des survivances casuelles plus cachées se rencontrent aussi, par
exemple celle signalée supra § 455.

jectiveux la substance elle-même, c'est-à-dire en disant ::


Dans l'exemple d'Alexandre Dumas y cité, en substituant à l'ad-
« mais c'est

cherait davantage du sens en disant :


bien un grand seigneur », on dénaturerait la phrase on se rappro-
« c'est bien d'un grand sei-
gneur », on est donc amené à penser que grand seigneur représente ici
un cas oblique.
464. — Le substantif nominal joue, auprès des catégories non lac..
tives du verbe., le même rôle diapléromatique qmauprès du factif ver-
bal & la réserve de la fonctionde soubassement circonjacent, cf. infra
Livre V) ; il y a lieu de se poser à ce propos la question de savoir
quelle est la nature du repère du substantif verbal, et quel est le rap-
port du substantif avec l'adjectif verbal qui lui est épinglé. Nous
n'examinerons pas pour le moment ces questions. Le lecteur trouvera
ces points discutés au livre V, où nous avons placé une monographie
du substantif verbal et de"l'adjectif de la même classe.
465. — Les factifs strumentaux n'étant, dans lia plupart des cas, que
la représentation des propositions ayant pour centre un factif verbal, les
rapports complémentaires auprès de ces factifs sont les mêmes qu'au-
près des factifs verbaux. Nous allons tout d'abord donner des exem-
ples concernant les factifs exprimant l'affirmation ou la négation, savoir
oui, si et non.
1° Compléments circonjacents :
Mme A. — Plus on va, moins les femmes se marient tôt.
M. P. — Et plus les hommes si.
(Le 19 septembre 1921).;
Les hommes sont évidemment le sputiende si.
1

Mais il n'a point pardonné à M. le curé. Au sacristain si. Pourquoi ?


(Verlaine. Mémoires d'un Veuf. Pierrot gamin. III. T. V, p. 312)..
Au sacristain est ici écart de si..
Les compléments étudiés dans les exemples ci-dessus sont presque
identiques aux compléments circonjacents des verbes que les factifs
strumentaux représentent.
2° Au contraire, dans les exemples qui vont suivre, il y a une pause,
et le complément n'est qu'ambiant. Ex. :
STÉPHANE. Mais j'en ai la. la.
— La certitude?
JACQUES.

STÉPHANE.
— Non, le. le.
JACQUES.
— Le pressentiment ?
STÉPHANE.
— Non, la. la.
JACQUES.
— L'assurance absolue ?
STÉPHANE.
— Oh ! non ! l'idée. l'idée très nette.
(P. Gavault et G. Berr. Moins Cinq 1 I. 17).
PIERRE TAILLEFER. - Avant de se battre, on aura des jours et des jours
à ne rien faire que marcher.
HENRI. Oui, un métier de brute, et peut-être la mort au bout.
-—
(Abcl Hermant. Sylvie ou la curieuse d'amour. II. 10).

JACQUES.
coûte 1 -
LA COUTURIÈRE. ça rapporte, la mauvaise conduite 1
Ça dépend. aux femmes, oui. Mais aux hommes, ça leur
-

(P. Gavault et G. Berr. Moins Cinq.. I. 7).


CARONIS.
- Un qui a eu de la veine, le caporal Barron. Toute une ceinture
de douros., il avait. Il ne lui restait pas ensuite trente francs, il a été
nettoyé par la première balle.
TOLLERON.
— Bérard, non. Il mettait tout de côté, il a été volé.
(Jean Paulhan. Le guerrier appliqué. Force de Polio. III, p. 92).
3° Dans une troisième série d'exemples, le factif strumental et le
substantif nominal ne font que Se servir de glose mutuelle, et l'on
pourrait supprimer l'un d'entre eux sans que le sémantisme ait beau-
cpup à en souffrir. Il y a donc de la factivosité en djeux endroits, et
dans le factif strumental, et dans le' substantif nominal. Il y a lieu
seulement d'observer que l'émouvement est plutôt déclenché par le
premier terme apparu dans la phrase, comme il a été dit au § 442 in
fine, ex.:
STÉPHANE.
— Ah ! Monsieur Coulanges, on ne saura jamais combien nous
vous devons.
COULANGES.
— Mais toujours la même chose. vingt francs.
STÉPHANE. louis. ça !e vaut.
— Ah oui, un (P. Gavault et G. Berr. Moins Cinq. III, Il).;
CHARLES.
— Mais tonnerre
!.
1. Si vous n'avez plus de maîtresses, vous
ROGER.
-
avez une Jtename
Ah 1 oui. ma femme.
(André Picard. Jeunesse. I. 7).
GASTON.
-
m'ennuie, là !
MARGUERITE.
S'il ne s'agissait que de littérature ! C'est le littérateur qui
Paul Coudray ?

GASTON.
— Chti, Paui Goudray, puisqu'il faut l'appeler par son nom.
(Alexandre Bisson et J. Berr de Turique. Château historique. II, 11).
GENEVIÈVE.
— et le père Chauveau vient vous présenter sa note.
CLAUDE.
— Le père Chauveau ?
GENEVIÈVE.
— Oui, le charbonnier. (Ibid. II, 13).
jjE MMTBE BE .PHILOSOPHIE.
écrire il
:- Sont-ce des Vers que vous luy voulez
M. JOURDAIN.
— Non, non point de Vers.
(Molière. Le Bourgeois gentilhomme. II. 4).
Dans tous ces emplois (§ 465, 1°, 2°, 3°), le substantif nominal a un
sens pleinement substantiel, et sa présentation est en effet la présenta-
tion articulée.
Auprès des factifs strumentaux exprimant la négation ou l'affirma-
tion, le complément ambiant vocatif a la même extension qu'auprès
des factifs nominaux, il pourra être muni ou non d'un article, ainsi
qu'il a été dit § 438, ex. :
E cil respunt : « Oïl, sire, asez bien. »
(Turold. La Chanson de Roland. 646).
Sire, estiez vos donc el pin ?
— Oil, dame, par Saint Martin.
(Béroul. Le roman de Tristan. 475).

-
UNUS MILITUM.
LONGINTJS.
- Longin frere, veus-tu guainner P
Oil, bel sire, n'en dotez mie.
(Le mystère de la résurrection du Sauveur. 93).
LE Elu.
LA DAME.
-- Et si ne sçay se c'estes vous.
Oil, par foy, mon ami douls.
(Miracle de l'enfant donné au diable. '664).
Et ainsi me le promettez J* Oy, ma dame, sur ma loy.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. Chap. III, p. 11).

PIERRE.
-
FLOWl\lGND. Laquais, vois-tu pas bien les mines P
Ouy, Monsieur, sont des plus fines.
(Jodelle. L'Eugène. II. 1).
1

,
CLITIDAS.
ERIPHILE.
-—
Ce n'estpas vous, madame, dont il est amoureux.
Ce n'est pas de moi P
OLiTIDAS.
— Non, Madame, il vous respecte trop pour cela, et est trop sage
pour y penser.
(Molière. Les Amants magnifiques. II, 2).
FANCHON.
— C'est donc vous, monsieur, dont mon père m'a entretenue
si souvent P
M.IDUCAP VEaT- - Oui, ma poupe., oui, mon perroquet, c'est moi-même..
(Voltaire. Les Originaux. II, 11).

:
Le lieutenant, fiers et hardis,
Lui répondit «Capitaine, oui.»
(Chanson populaire). ;
STERNAY.
— Alors, un père ne peut pas reconnaître son enfant ?
ARISTIDE.
— Si, monsieur, le jour de sa naissance.
(A. Dumas fils. Le fils naturel. III. 10).
ANDRÉE.
— Si j'ai bien compris. votre père est mort, mon enfant ?
MAURICETTE.
— Oui, Madame, il y a treize mois !
(André Picard. Jeunesse. I. 10).

se faire ici exemples :
La combinaison des compléments des différents ordres peut aussi
;
PIERRE. — Ce sont ses propres paroles ?
LE MESSAGER. paroles du roi lui-même.
— Oui, Excellence, les (A. de Musset. Lorenzaccio. V, 4).
EDGAR.

bien, je suis en butte aux sollicitations de trois
Eh !
femmes.
JACQUES.
— Vraiment ?
EDGAR.
— Oui, mon vieux, trois femmes du meilleur monde.
(P. Gavault et G. Berr. Moins cinq. I. 10).

466. — Etymologiquement, les factifs voici et voilà sont l'impé-

;
ratif de voir joint aux affectifs ci ou là. Leur constitution définitive est
d'ailleurs de date récente au xvi" siècle on trouve encore l'impératif
au pluriel, ou séparé de l'affonctif pour un autre terme (v. Livre VI).
Les substantifs nominaux diaplérpmes de ces factifs ont donc 'les mê-
mes possibilités de combinaisons que ceux placés auprès des impéra-
tifs (cf. § 443).

voici et voilà ;
exemples :
De fait, nous voyons des substantifs nominaux ayances des factifs

Velà le roy de France, à lui vous en plaindrez.


(Le roman de Hugues Capet. 6.064).
Voyla, mes dames, une histoire veritable qui doibt bien augmenter le
cueur à garder ceste belle vertu de chasteté.
(La reine de Navarre. L'Heptaméron. I. 2. Tome I, p. 16).
Monsieur, voici un petit remede, un petit remede, qu'il vous faut prendre,
s'il vous plaist, s'il vous plaist.
(Molière. Mj. de Pourceaugnac. I. 11).
Ah 1 voilà lavie,
La vie suivie,
Ah ! voilà la vie que les moines font.
(Chanson des Moines de St Bernardin).
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur, qui ne bat que pour vous.
(Verlaine. Romances sans paroles: Green. T. I, p. 182).
Voici un Français, très protestant mais en même temps très français, qui
s'établit au Canada.
(André Siegfried. Le Canada. 1, I, 3).
Nous voyons aussi des écarts, ex. :
Vous aurez cent coups d'un baston.
Tenez, voylà pourno pasté.
(La farce du pasté et de la tarte. 265).
Me voici à Chaulnes, ma chère fille.
(Mme de Sévigné. Lettre à Mme de Grignan. 17 avril1689).
Nous voici contre la maison.
(Molière. George Dandin. III. 1).
FORTUNIO.
— Landry a fait comme il lui a plu. Que Roméo possède Juliette.
GUILLAUME.
- !
Je voudrais être l'oiseau matinal qui les avertit.
Te voilà bien avec tes fredaines
(A. de.Musset. Le,chandeUer. I, 3).
!
Et voilà pour les trois généalogistes
(J .-C. Mardrus. Le Livre des Mille Nuits et une nuit. Histoire compliquée
de l'adultérin sympathique. T. XIII, p. 118).
Tiens, voilà pour le Cochon, et ça pour le Cheval et la queue du Taureau.
(Maeterlinck. L'Oiseau bleu. III, 5).

ayances et écarts. Exemples :


Nous voypns aussi la présence simultanée de substantifs nominaux

Voila, pour un jeune Homme, des Domestiques bien lugubres.


(Molière. M. de Pourceaugnac. I, 8).
LE TRAITEUR.
LES TAMBOURS.
— Hein ?
1.
Voila un exercice embêtant

LE TRAITEUR.
— Pour les voisins!.
(Labiche. Les noces de Bouchencœur. I. 1).
Voici mes mains qui n'ont pas travaillé
Pour les charbons ardents et l'encens rare.
(Verlaine. Sagesse. II, l. T. I, p. 245).
Le vocatif a naturellement son emploi habituel auprès de voici et de
voilà. Cf. quelques-uns des exemples cités plus haut et aussi :
Voila Climene, Madame, qui vient icy pour vous voir.
(Molière. La Critique de l'Escole des Femmes. Se. II).
Hé bien! te voila, traistre.
(Id. Le Tartuffe ou imposteur. V. 7).
Vous voilà, vous voilà, pauvres bonnes pensées1
(Verlaine. Sagesse. II, 12. Tome I, p. 279).
Ou, sans autre complément :
CHAMPBOURCY.
— Donnez-moi la carte !
BENJAMIN.
— Voila, monsieur. (Labiche. La Cagnotte. II, 8).
De plus, nous voyons, à la faveur des factifs voici ou voilà s'établir
entre des substantifs une syndèse (cf. § 104) où un substantif nominal
factifs strumentaux ppssèdent la puissance nodale :
fonctionne comme échoite. Ce n'est pas qu'à proprement parler, ces
le liage qu'ils
peuvent établir est une fonction de leur sémantisme taxiématique géné-
ral. L'échoite ainsi formée est souvent au rayon direct. Exemples
Le voilà un homme.
:
(Honoré de Balzac. Les ressources deQuinola. V. 6).
à
On la trouve aussi des rayons différenciés. Ex. :
La fatigue, l'abat, le voila sur les dents.
(La Fontaine. Fables choisies. II. 9. Le Lion et le Moûcheron).
MUSEROLLE (entrant, il a changé de costume).— Me voilà sous les armes.
(Labiche. Doit-on le dire? I. 14).
Voici mon front qui n'a pu que rougir
Pour l'escabeau de vos pieds adorables.
(Verlaine. Sagesse. II. I. (1), T. I, p. 245).
Tous ces diapléromes substantiveux des factifs voici et voilà (§ 466)
sont ppurvus d'un article destiné à les assurer dans la,valeur subs-
tantiveuse.

;
467. — On n'imagine pas un substantif nominal adjectiveux auprès
d'un factif nominal en effet, dans cette position, le complément est
toujours, si prêt d'être factiveux lui-même que, lorsqu'il n'est pas ar-
ticulé et qu'un rôle spécial, comme pour le vocatif (cf. supra 438) §
ne le retient pas dans sa valence essentielle, c'est factiveux qu'il de-
vient.
Au contraire, auprès d'un factif strumental, le substantif nominal
peut être adjectiveux : la valeur représentative des factifs strumen-
taux, exprimant l'affirmation pu la négation ou la valeur ligative des
factifs voici, voilà, établit entre le repère ou l'ayance du factif stru-
mental et le substantif nominal inarticulé une relation de dépendance
syndestique suffisante pour donner à ce dernier une valence adjecti-
veuse, comme dans le cas général décrit au § 582. Exemples
M. de Chcvreusc,
:
depuis la mort de M. de Chaulnes, se qualifiait duc de
Luynes, de Chaulnes et de Chevreuse. Comme je vivois dans la plus - libre
des chevau-légers, etc. où ces titres étoient
« Seigneur du duché de Chaulnes ; mais duc non. »
;
familiarité avec lui, je lui voyois souvent sur son bureau des certificats pour
et toujours je lui disois :
(Saint-Simon. Mémoires. T. VI, chap. XII, p. 186).
Ah! la voilà comtesse Sarpil
468. — Avant d'aborder l'étude des rôles du substantif nominal
dans l'épiplérose, nous ferons remarquer que les épipléromes peuvent
être affonctiveux, adjectiveux pu substantiveux.
Les épipléromes affonctiveux, qui sont des dichodumènes, portent
le nom d'épirrhèmes.
Les épipléromes adjectiveux et substantiveux sont, au contraire, des
syndumènes.Selon leur nature adjacentielle, ils se répartissent en
épicatadotes, épanadotes et épamphidotes.
Envisagés valence par valence, ces épipléromes se répartissent en
épithètes, qui seront adjectiveuses etépischètes, qui sont substan-
tiveuses.,
Les épithètes, qui sont des syndumènes adjectiveux ou épinglures
(cf. supra § 104) se répartissent en épicatathètes, épanathètes-
épamphitètes.
Les épischètes, qui sont des syndumènes substantiveux ou encorsu-
(1) D'autres strophes de cette pièce, dont celle que nous avons citée au § précédent,
quoique construites d'une façon analogue, ne présentent pas de syndèse ; de même
.la voix, bruit maussade et menteur est un dichodèse avec les reproches de la Pénir
tence, qu'elle fera entendre, tandis que le front qui n'a pu que rougir est en syn,
dèse avec l'escabeau qu'il SERA.
res (cf. supra § 104) se répartissent en épanaschètes et épamphis-
chètes (1). a
Une des constructions les plus fréquentes de la langue est de met-
tre en dichodèse au moyen de la préposition de (archaïquement et
complément déterminatif des grammaires classiques
au rôle le plus fréquent du génitif dans les langues a cas.
;
pralement, aussi à), deux substantifs nominaux articulés. C'est là le
il correspond

C'est parce que de est l'introducteur par excellence des épipléromes


du substantif nominal que, dans certains cas, la simple substitution
d'une autre préposition là de suffit à transformer cet épiplérome en
un diaplérome du verbe. C'est le cas pour à l'ennemi dans passer
sur le ventre à l'ennemi au regard de passer sur le ventre de l'ennemi.
et c'est ainsi que s'explique la différence sémantique observée par An-
dry de Boisregard (2), qui disait que passer sur le ventre à l'ennemi
impliquait une intention de nuire, qui n'était pas dans passer sur le
ventre de l'ennemi.
Les deux substantifs mis en rapport par de peuvent être de la même
sexuisemblance et à la même quantitude ou non. Exemple :
La veille au soir, le spectacle du chariot contenant cinq cadavres recueillis
parmi ceux du boulevard des Capucines avait changé les dispositions du
peuple.
(G. Flaubert. L'Education sentimentale. III. 1).
.-

:
Les combinaisons d'assiette, quoique libres en principe, sont, selon
l'espèce, plus ou moins répandues

:
A) L'épidecte et l'épiplérome sont très souvent l'un et l'autre à l'as-
siette notoire ; exemples

(Leçon G. Paris :
Li ois del cap li fai creuer.
Les uoils del quieu li fait crever).
(Saint Léger. 26).
Cum el perveng a Golgota
Davan la porta de la oiptat.
(La Passion de Jésus-Christ. 67).
Entre ledol del pedre e de la medre
Vint la pulcele qued il out esposede.
(La Vie Saint Alexis. 94).
Ensembl' od els sent Gabriel i vint.
L'anme del cunte portent en pareïs.
(Turold. La Chanson de Roland. 2396).
Si com la lune a son veoir perdu,
,; Quant la clarté del soleil ne reçoit.
-, (Gautier d'Epinal. Chanson XXIII. 20, p. 39).
Prist un anel dont il l'ot espousée
Dous pars en fist al trencant de l'espée.
(Saint Alexis. Rédaction interpolée du XIIe siècle. 158).

(1) Nous avons, pour dénommer les emplois grammaticaux, constitué une nomen-
clature néologique à base grecque très cohérente et dans laquelle l'emploi méthodi-
que des préfixes nous paraît apporter beaucoup de précision et de commodité.
-Ó*
(2) Andry de Boisregard. Suite des réflexions critiques sur l'usage présent de la
langue jrançoise, p. 6.
Et especialment cis consaus li fu donnez pour le meschef de son cors où
il estoit par plusours maladies.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 10).
Tant deprièrent Dieu par grant humilité
Et hont tant de leurs biens a povrez gens donné,
Que le dous Roi des Rois par sa sainte bonté
En regarda mout bien la leur grand charité.
(Saint Alexis. Rédaction rimée du XIVe siècle. 5).
Cy après s'ensuyvent les noms et les estas des enfants qui furent au ma-
riage de Raimondin et de Melusine.
(Jehan d'Arras. Melusine, p. 15).
Toy qui guides le cours du ciel porte-flambeaux,
Qui, vrai Neptune, tiens le moite frain des eaux,
Qui fais trembler la terre, et de qui la parole,
Serre et lasche la bride aux postillons d'yole.
(S. du Bartas. Les Semaines. lre Semaine, 1er Jour, p. 1, verso).
Desja la Discorde enragée
Sortoit des gouffres de l'enfer.
(Racan. Les Bergeries. Ode au Roy. T. I, p. 7).
Il y a une grande différence entre la beauté de l'Ouvrage et le mérite de
l'Auteur.
(Fontenelle. Vie de M. Corneille. T. III, p. 82).
Ne nous évertuons point à trouver la grandeur de la vie dans les choses
incertaines.
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles. I. l, p. 2).
Les abeilles de la ruche que nous avons choisie ont donc secoué la torpeur
de l'hiver.
(Ibid. II. 1, p. 25).
Je m'aventurai dans le val étroit des métempsychoses.
(A. Gide. Le Voyage d'Urien. Prélude).
C'est le bassin du Saint-Laurent qui demeure le théâtre de la destinée
française dans le Nouveau Monde.
(A. Siegfried. Le Canada. I).
La simplicité du ton et des manières est parfaite.
(Ibid. XXIII).

tatoire ne présente non plus aucune difficulté. Exemples


Ad un des porz qui plus est près de Rome,
:
B) La combinaison d'un épidecte notoire et d'un épiplérome présen-

Iloc arivet la nef a cel saint home.


(La Vie Saint Alexis. 40).
Granz sunt les oz de cele gent estrange t
(Turold. La Chanson de Roland. 1086).
Un brief aport, sil met ci jus
El fenestrier de cest enclus.
(Beroul. Le roman de Tristan. 2468).
Cis enfes ki chi est nés aura à fenme le fille de l'empereour de ceste ville.
(Li contes dou Roi Coustant l'empereur, p. 7).
Le commencement de cette histoire sera pris à la haute lignée des Troiens.
(Les grandes chroniques de France. Prologue. T. I, p. 3).
Saluste est mon histoire, où je ly l'origine,
Le progrés et la fin de ce grand Univers.
(Chambrun. Sonnet à la louange de l'auteur, placé en tête des Semaines de
S. du Bartas).
Ma perte vous apporte aussi peu de dommage
Qu'à moy le changement de ce berger volage.
(Racan. Les Bergeries. I. 1. 4. T. I, p. 38).
Le but principal de cette méthode c'est de former l'esprit.
(Du Marsais. Exposition d'une méthode raisonnée pour apprendre la lan-
gue latine. Œuvres. T. I, p. 1).
les délices presque insaisissables de ces journées immaculées qui tour-
nent sur elles-mêmes dans les champs de l'espace.
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles. I. 4, p. 15).
Mais si ce n'eût été la joie dei regarder le fond de la mer, et de voir
.le sang de ces- hommes, ces jeux ne nous eussent pas divertis.
(A. Gide. Le Voyage d'Urien. V).
Son étude sera le sujet de ce livre.
(A. Siegfried. Le Canada I).
.,.
Les circonstances naturelles rendent relativement facile l'accomplissement
-de ce programme. »
(Ibid. III).
C) La combinaison d'un épidecte notoire et d'un épiplérome transi-
toire est plus rare, cette dernière étant fortement concurrencée par
celle d'un régent transitoire avec un régime convalent fait d'un subs-
tantif nominal en clausule sans article avec préposition (Le soir d'une
jête. Un soir de fête). L'emploi du substantif articulé a le plus souvent

exemples de cette combinaison :


pour cause la nécessité d'ajouter un régime là ce régime. Voici des

Le soir d'une grant feste que on dut celebrer


Sont venu a la rive por lor cors esclaver.
(Le roman d'Alexandre. 316).
A la branche d'un vert pomier
La reigne lïent du destrier.
(Béroul. Le roman de Tristan. 1978).
L'anoncemens d'un angle le m'a dit.
(Saint Alexis. Rédaction interpolée du Xlle siècle. 1020).
Un tesmoingnaige li oy porter à Clerevaux, le jour d'une leste Nostre-Dame,
que li sainz roys i estoit.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 120).
et fu la plaie si large que li sans là venoit dou cors aussi comme
li bondons d'un tonnel.
(Ibid. 225).
La fille d'un haut conte fist pour son fiex requerre.
(Saint Alexis. Rédaction rimée du XIVe siècle. 11).
La gloire et la joye d'une bonne personne est le tesmoignage de sa cons-
cience.
(L'Internelle Consolaoion. I. 6, p. 15).
C'est la Nourrice d'un petit Enfant que j'ay.
(Molière. Le Médecin, malgré-luy. II. 2).
Pour juger de la beauté d'un Ouvrage, suffit donc de le considérer en
lui-même.
(Fontenelle. Vie de M.Corneille. T. III, p. 84).
Il dispose impitoyablement, mais avec discrétion, et comme soumis à quel-
cpie grand devoir, des richesses, du bonheur, de la liberté, de la vie de tout
un peuple ailé. -
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles. II. 2, p. 27),
et périodiquement, à la fin d'un couplet des instruments de musique,
ils poussaient un hurlement guttural suraigu.
(A. Gide. Le Voyage d'Urien. III).
préconisent l'école publique dont elle voudrait, au fond, faire le creu-
set d'une nation nouvelle.
(A. Siegfried. Le Canada. I).
Vis-à-vis de l'assemblée locale et du ministère responsable, dont il désigne
seulement le chef, il joue le rôle d'un président de république.
(Ibid. XVIII).
D) La combinaison

:
notoire n'est pas très fréquente
exemples assez naturels
;
d'un épidecte présentatoire et d'un épiplérome
on peut toutefois en trouver des

Apren a mespriser ces choses du monde.


(L'Internelle Consolacion. I. 1).
Outre tous ces principes particuliers de la naissance des Fables, il y en a
deux autres plus généraux qui les ont entièrement favorisées.
(Fontenelle. De l'origine des Fables).
Ces oracles des sibylles étant donc toujours en très grande réputation.
(Voltaire. Pssai sur les Mœurs et l'esprit des Nations. Introduction. 32.
T. III, p. 41, col. 2).
Cette idée de la création d'un Patriarche en France, est une idée qui n'a
point été approfondie.
(Nonotte. Les erreurs de Voltaire. I. 56. T. I, p. 502).
Ce menu fait de l'exsertion de l'organe de l'abeille mâle. nous l'admettons
évidemment puisqu'il est incontestable.
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles. V. 9, p. 233).
Cette activité des ordres religieux au Canada est très diverse.
(A. Siegfried. Le Canada. II).
Aussi ne parle-t-on jamais de supprimer cette survivance archaïque de la
vieille France.
(Ibid. II).
Ce pourrait être la fin de la puissance catholique dans ce coin du monde-
(Ibid. III).
Certes, beaucoup sont des filles sans vertu, mais dans cette immense folie
du monde, est-ce que l'amour est la pire des sottises?
(R. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 46).
E) Ce n'est que tout à fait exceptionnellement qu'on trouve la com-
binaison d'un épidecte présentatoire etd'un épiplérome également
présentatoire ; exemples :
Tenez :ceste cuisse rungiez
De ce poucin.
(Miracle de la nonne qui laissa son abbaie. 532-3).
Ainsi fait-on en ce palais de ce Roy porte-vin.
p.
(Merlin Coccaïe, 246).
Ces paroles tendres et douces de cet honorable vieillard attendrirent si fort
le cœur du roy qu'il lui dict :
(Branthôme. Recueil des Hommes. I. II. 13, T. III, p. 225).
Cette leçon de ce grand capitaine était bonne pourbeaucoup de jeunesse.
(Ibid. I. II. 23. T. IV, p. 186).
Tous ces grands yeux étonnés de ces petits polissons me réjouissent le
cœur.
(A. de Musset. Loren cio I. 2).
Cette reconstitution de ce crime célèbre consistait en une série de tableaux
vivants.
(A. Willette. Feu Pierrot, p. 172).

transitoire n'est pas non plus bien fréquente ;:


F) La combinaison d'un épidecte présentatoire et d'un épiplérome
là aussi, la tournure

des exemples :
avec substantif inarticulé apparaît facilement on en trouve cependant

Je feray enoor ce conte de deux dames de la cour qui s'entr'aymoient si


fort.
(Branthôme. Recueil des Dames. 26 partie. T. XI, p. 226).
Ce fils d'un gentilhomme corse, qui vient demander à l'ancienne royauté
l'éducation dispensée dans les écoles militaires à la noblesse pauvre.
(Thiers. Histoire de l'Empire. Livre XLIV. T.IV, p. 711, col. 2).
Dans ce vague d'un Dimanche,
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.
(Verlaine. Sagesse. II. XIII. T. I, p. 281).
Je passe trop peu de ma vie dans cet important Kharbadi pour me priver
une minute de cette présence d'un indigène notable.
(Maurice Barrès. Une enquête aux pays du Levant, dans la Revue des Deux
Mondes du 15 juin 1923, p. 726).
En raison de cette dispersion sur un territoire énorme d'un nombre relati-
vement petit d'ouvriers. il n'existe pas à proprement parler au Canada de
classe ouvrière.
(A. Siegfried. Le Canada. XXVII).
G) Avec la combinaison d'un épidecte transitoire et d'un épiplé-
rome régime notoire, nous revenons là une tournure très répandue.
Exemples :
Je vos durrai un pan de mun païs.
(Turold. La Chanson de Roland. 3207).
Car e l'tans k'il fut nés, si com la letre die
Ert i. clers de l'pais, plains de grande voisdie.
(Le roman d'Alexandre. 52)..
et li uns des Turcs porta un chevalier dou Temple à terre.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. 185).
Sire, il a là hors un grant peuple de la Grant Hermenie qui vont en Jéru-
salem.
(lbid. 556).
Il emporte une pieche de l'anel de mon doy.
(Saint Alexis. Rédaction rimée du XIV6 siècle. 41).
Par le Conseil des preudommes lui donna une partie du royaume.
(Les grandes Chroniques de France. V. 9. T. I, p. 343).
sinon, que quelcun voulust encores remarquer cela pour un reste de
l'ancienne façon de faire qui se practiquoit lorsque les papes avoient accous-
tumé d'envoyer leurs élections aux roys de France pour les agréer et confirmer.
(P. Pithou. Libertez de l'Eglise gallicane. IX).
C'est pourquoi je ferai ici une brieve description des principaux Phenome-
nes.
(Descartes. Principes de la Philosophie traduits en françois par un de ses
amis. 111.4).
La Métaphysique fournit des preuves fort solides de L'Existence de Dieu.
(Fontenelle. De l'Existence de Dieu. T. IIIJ p. 231).
Nous avons quitté nos livres parce qu'ils nous ennuyaient, parce qu'un
souvenir inavoué de la mer et du ciel réel faisait que nous n'avions plus foi
dans l'étude.
(A. Gide. Le voyage d'Urien. I).
On pourrait croire que ces avantages importants, accordés à l'Eglise, ont
pour contre-partie une certaine restriction de ses libertés.
(A. Siegfried. Le Lanada. II).
ce qui n'a pas empêché une partie de l'opinion à Québec de le trouver
tout de même un peu avancé.
(Ibid. III).

sentatoire n'offre aucune difficulté. Exemples :


H) La combinaison d'un épidecte transitoire et d'un épiplérome pré-

Nous citons ailleurs, dans une note de ce volume, l'opinion de l'abbé de


Marolles sur ce que Racan pouvoit savoir de latin.
(Tenant de Latour. Œuvres de Racan. 1857. Notice. Appendice. VII. T. I,
p. LXVI).
C'était, voilà des années, dans un gros village de cette Flandre néerlan-
daise, si nette et si gracieuse, qui plus que la Zélande même. a conservé le
goût des couleurs vives.
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles. I. 4, p. 12).
Nous arrivons à une seconde partie de ce livre, où le sujet va de lui-même
en s'élargissant.
(A. Siegfried. Le Canada. I).
I) La combinaison d'un épidecte transitoire et d'fun épiplérome tran-
sitoire, si elle n'est pas justifiée par la nécessité de fixer un complé-
ment au complément, reste lourde et ne paraît pas dire plus que le

;
tour avec substantif inarticulé, qui lui est généralement préféré de
nos jpurs. (Une femme d'un avocat une femme d'avocat). Ex. :
Vint où li vavassor l'atendent :
Qui les os enterrer commandent
En .1. cloistre d'une abéie.
(Rutebeuf. La vie Sainte Elysabel. 1219. T. II, p. 354).
Il avint c'une pierre d'ane perriere feri si le hordeis d'une tour, que li hor-
deis caï.
(Chonique d'Ernoul, ch. XVIII, p. 216).
Quand on a .1. poi alé avant, si txeuve on d. querrefour d'une voie, dont
li voie qui vient à senestre vient del Temple, et va el Sepulcre.
(Ibid., XVII, p. 206).
Toutesfois, je sçay bien qu'à Poitiers, pour lors il y avoit une femme d'un
avocat.
(Brallthôme. Recueil des Dames. 2e partie. T. XI, p. 81).
Il y avoir un bastard d'un grand seigneur, ou pour le moins fils putatif.
(Bonaventure des Périers. Nouvelles recreations et joyeux devis. XLIV. T. II,
p. 174).
Mais yoicyque arriva un jour d'une grande feste, que son pere Gargantua
faisoît un beau bancquet à tous les princes de sa court.
(Rabelais. II. 4. T. I, p. 195).
;
Une Coupable aimée, est, bientost, innocente
Tout le mal qu'on luy veut, se dissipe aisément,
Et l'on sçait ce que c'est, qu'un Courroux d'un Amant.
(Molière. Le Misantrope. IV, 2).

;
Molière avait à choisir entre un courroux d'amant ou le courroux
d'un amant, mais ni l'un ni l'autre n'eût fait le vers il a probable-
ment pu se résoudre d'autant plus aisément à cette cheville que la
tournure une femme d'un avocat paraît avoir été plus souvent em-
ployée autrefois qu'aujourd'hui.
Ils se font rôtir des tranches d'un pain blanc, qu'ils recouvrent largement
de confitures.
(R. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 39).
Dans les exemples que nous allons passer en revue maintenant, la
présence du second un est plus ou moins justifiée par les complé-
ments qu'pn a là y attacher, ou par le sens :
Com Ii chastelains de Couci .~-':"n'.

Dist en un vers d'une chançon.


(La chastelaine de Vergi. 294).
L'auteur veut en référer, non pas à unvers de chanson, mais à un-
certain vers d'une certaine chanson.
Li uns des princes de l'un des peuples devant nommez fu bien perdu trois
moys, que onques l'on n'en sot nouvelles.
(Joinville. Histoire de saint Louis. 481).

nommez ;
Ici, le second un est pleinement justifié par le complément devant.
d'ailleurs, il ne s'agit pas proprement du transitoire, mais
du groupe strumental l'Jun, dont il sera reparlé au livre VI.
Si luy vçStirent une moult riche cotte d'un drap d'or cramoisy, et par
dessus une robbe d'ung velours bleu semé de fleurs de lys d'or.
(Le Romant de Jehan de Paris, p. 119).
C'est ici la présence des compléments cramoisy, semé de fleurs de
lys d'or qui amène celle des un qui précèdent drap et velours. Le pre-
mier un, dans la langue actuelle, ne serait pas nécessaire ; le second
se défend mieux, pour que semé, qui ne diffère phonétiquement que
très peu de semée, soit bien senti comme se rapportant là velours et
non à robbe.
Si que j'ay ouy dire d'une punition d'un soldat qui avoit pris une poulle
àunvivandier.
(Branthôme. Recueil des hommes. I, I, 31, T. II, p. 237).
Le un qui précède soldat se justifie par le complément qui
avoit, etc. attaché à ce vocable soldat. Mais le premier article tran-
sitoire, celui de punition, eût pu, ce semble, être remplacé avec plus
d'élégance, au moins pour nos oreilles modernes, par l'article notoire.
Un jour que M. de Méziriac, avec deux ou trois de ses amis, lui apporta
un livre d'arithmétique dun auteur nommé Diophante, que M. de Méziriac
avait commandé.
(Racan. Mémoires pour la vie de Malherbe. T. I, p. 261).
La tournure ici se justifie pleinement. L'auteur nommé Diophante
se montre substantiellement, et doit par conséquent forcément être ar-
ticulé.
et avec une tisane d'une herbe qu'on appelle, je crois,erysimum, il le
tira d'affaire en trois semaines.

Le tour se justifie ici aussi ;


(Racine. Lettre à Boileau. 25 juillet 1687).
une tisane d'herbe n'eût rien dit de
plus qu'une tisane, de même que dans l'exemple ci-dessus un livre
d'auteur n'eût été rien de plus qu'un livre. L'herbe n'est nommée que
pour être précisée, et cette précision se fait au moyen d'un complé-
ment (qu'on appelle erysimum) qui exige la présence d'un article et
cet article ne peut, sémantiquement, être ici que le transitoire.
;
La massue, en tombant, brise une roue d'un char auprès de celui de
Télémaque.
(Fénelon. Les aventures de Télémaque. Livre XX, p. 365).

roues;
Fénelon ne pouvait penser la roue, puisque chaque char a deux
il ne pouvait pas non plus dire de char, car le substantif stru-
mental celui contenu dans le complément auprès de celui de Téléma-
que ne pouvait avoir pour support qu'un substantif assis.
Un dictionnaire d'une langue ancienne, et surtout d'une langue dégéné-
rée, paraît ne devoir être qu'une nomenclature vide de choses.
(Eloge de Ducange, prononcé à l'Académie d'Amiens en 1764, apud L. Favre,
Préjace du glossaire françois de Du Cange, p. XI).
On ne pouvait mettre le dictionnaire ; il ne s'agit pas du lexique de

; ;
la langue en question, pris abstraitement, mais d'un dictionnaire que
peut éventuellement composer un auteur d'autre part, le second ar-
ticle, celui qui précède langue, se justifie aussi il ne s'agit pas d'un

nation.
dictionnaire de langue ancienne, mais d'un dictionnaire touchant une
certaine langue caractérisée par son ancienneté et sa dégénérescence.
Toutefois, au point de vue littéraire, la phrase reste très lourde.
Si nous lisions l'histoire des Juifs, écrite par un auteur d'une autre

(Voltaire. Essai sur les Mœurs et l'Esprit des Nations. Introduction. XXXVI.
T. III, p. 48, col. 1). ,
Ici, la phrase est irréprpchablè.
Il n'y a que trois manières de subjuguer les hommes, celle de les policer
en leur proposant des lois, celle d'employer la religion pour appuyer ces
lois, celle d'égorger une partie d'une nation pour gouverner l'autre.
(Ibid. XIII, p. 112, col. 1). ,

La présence du mot une est ici parfaitement justifiée, car il faut que
la nation soit substantiellement présente pour qu'on puisse parler ul-
térieurement de l'autre partie de cette nation.
c'est une dodécathéon,fleur modeste, qui semble une promesse d'une
autre vie.
(Mme Carraud. Lettre à H. de Balzac. 19 avril 1835, dans la Revue des Deux-
Mondes du 1er avril 1923, p. 685).
Madame Carraud veut sans doute donner à l'autre vie une assiette
substantielle sans toutefois aller à la notoriété, qui lui semblerait trop
précise. D'autre part, elle ne dit pas la promesse, parce que ce n'est
pas là la seule promesse possible de survie.
Analogue au premier des exemples de Voltaire est le suivant
Un habitant d'une autre planète, qui verrait les hommes aller et venir
:
presque insensiblement par les rues. en conclurait aussi qu'ils sont inertes

sérieux.
et misérables.
(Maeterlinck. La Vie des Abeilles, I. 7, p. 20).
et y ajouter le langage héraldique, sur la foi de M. Daunou, qui n'a
point hésité à lui donner le nom d'argot dans un article d'un recueil
(Francisque Michel. Dictionnaire d'Argot. Introduction, p. VIII).
Le complément sérieux est la cause qui justifie la présence de un
devant recueil.
« Mais je parle l'argot du théâtre lyrique », dit un personnage d'une comé-
die de M. de Boissy, le Triomphe de l'Interest.
(Francisque Michel. Loc. cit., note 23 de l'Introduction, p. XXXVIII,
col. 1).
Ici encore, ce sont les compléments de comédie qui justifient la pré-
sence de l'article une devant ce vocable. Il ne s'agit pas d'un person-
nage de comédie, mais d\ln personnage appartenant là une comédie
donnée, substantiellement individualisée, et, comme telle, articulée.
Il en est de même pour l'exemple suivant :
Pépin est le nom d'un personnage d'un vaudeville intitulé « Romainville ».
(Chr. Nyrop. Grammaire Historique de la Langue française. T. IV, § 513).
A Montlouis, nous nous faisons servir une bouteille d'un rancio pimpant,
qui faisait Keats revoir les rondes et les chants au soleil.
(A. Gide. Nouveaux Prétextes. Journal sans dates).
Ce sont les compléments attachés à rancio qui justifient l'article un
placé auprès de ce vocable. C'est la même raison de présence de com-

:
pléments qui justifie l'article un devant les vocables pays et livre, dans
les deux exemples suivants
pas plus tard qu'il y a quatre ans, dans une petite gare de chemin de
fer d'un des pays de l'Europe.
(M. Proust. A la recherche du temps perdu. T. II, p. 41).
, de même qu'on dépose à la Bibliothèque nationale un exemplaire
d'un livre qui sans cela risquerait de devenir introuvable.
(Id.Ibid.,p. 185).

ticle un devant musée dans la phrase ci-dessous :


Ce semble être une raison plus purement sémantique qui justifie l'ar-

Aussi se contenta-t-il de me répondre d'un air de suffisance comme chaque


fois qu'on lui parlait d'une œuvre d'un musée.
(Marcel Proust. A la recherche du temps perdu. T. IV, p. 189).
c'est-à-dire d'une certaine œuvre exposée dans un certain musée.
Un autre exemple va nous servir 'à illustrer la règle de l'absolue né-
cessité d'un article quand le substantif nominal est encombré de com-
pléments :
A notre droite, empilée dans la même parallèle, une compagnie d'un
régiment de jeunes classes venait de mettre baïonnette au canon.
(R. Dorgelès. Les Croix de Bois, ch. XII, p. 206).
La phrase ainsi écrite n'a rien de lourd, et est parfaitement compré-
*
:
hensible. Au contraire une compagnie de régiment de jeunes classes
n'eût rien signifié une compagnie de régiment nseût rien dit de plus
qu'une compagnie; et on n'eût pas vu clairement si jeunes classes était
le complément de compagnie ou celui de régiment.
J'ai réquisitionné une cargaison de légumes d'un caboteur.
(Commandant Morache. La dernière campagne du Gaulois dans la Revue
des Deux Mondes du 15 janvier 1925, p. 432).
Il ne s'agit pas d'un caboteur abstrait, mais bien d'fun caboteur con-
cret auquel le commandant Morache note avoir réquisitipnné une car-
gaison de légumes. D'autre part, il ne dit pas la cargaison de légumes
parce que, quoique réquisitionné !à un caboteur concret, la cargaison
de légumes garde un caractère abstraite en ce qu'il aurait aussi bien
-
réquisitionné celle de toute autre caboteur qui se serait trouvé là. A tel
point qu'il n'tèst peut-être pas très sûr que d'un caboteur ne soit pas
l'écart de j'ai réquisitionné.
Je vous ai conté un cas d'une petite qui pesait 72 kilogs et) qui ensuite
n'en pesait plus que 42.
M. AM cite un cas d'obésité : il pense ce cas au transitoire ;
(M. AM., le 16 janvier 1923).

condairement que, voulant rappeler de quel cas il s'agit, et voulant


c'est se-

désigner nettement sa malade au moyen d'un convalent épiplérome,


il se trouve forcé, pour attacher cet épiplérome, de donner une assiette
à « la petite. »
Et dans l'exemple même de M. Benjamin, cité plus haut, il y a bien
des chances que l'auteur ait eu en vue non pas du pain blanc, mais un
certain pain blanc.

469. — Nous avons vu, supra §§ 455 et 463, des exemples de survi-
vance de cas dans les diapléromes. Dans le domaine épipléromatique,
il y a aussi de ces survivances, parmi lesquelles la plus importante est
celle du génitif.
On sait que l'ancienne langue française avait ramené à deux cas toute
l'ancienne déclinaison nominale latine; même à l'époque où l'on faisait

où ces cas ont encore leur valeur, exemple :


un emploi déjà très large des prépositions, on trouve des constructions

Et ceste chose ramenti-je le pere le roy qui orendroit est.


, (Joinville. Histoire de saint Louis. 25).
se. au père du roi. Mais cette forme unique répondait à deux espèces
de compléments et elle ne tarda pas à ne conserver son emploi, même
restreint, que dans le sens génitif. En effet, la tournure employée dans
l'exemple suivant:
En cette mesme année l'ost le roy Childebert se combati contre les Auver-
gnas qui reveler se voloient.

est beaucoup plus fréquente qu'une phrase comme


citée § 463.
:
(Les Grandes Chroniques de France. IV. 9. T. I, p. 269).
« si Dieu plaît

Cette tournure pù le substantif nominal épiplérome se montrait sans


>*

être en syndèse avec son épidecte est disparue de la langue en ce qui


concerne les substantifs nominaux communs, qui, pour être substanti-
veux, ont besoin d'un article. Le seul vestige que nous en voyions, c'est
d'autres formations:
quelques locutions figées, qui ne peuvent plus servir de modèles à
Le Cours la Reine, Marly le Roi, etc.
Nous verrons plus bas § 474 que la survivance casuelle avec construc-
tion directe donne au contraire lieu ü des tournures vivantes quand
la substance nominale n'esfpas assise.
Mais c'est aux constructions avec substance assise qu'il faut plutôt
rattacher la construction directe des noms propres avec survivance
casuelle, puisque nous avons admis que les noms propres équivalaient
fonctionnellement à des noms communs articulés. Or, en ce qui con-
cerne les noms propres, la tournure est très vivante; elle sert couram-
:
ment à imposer de nouvelles dénominations aux choses. On dit l'hôpi-
tal Cochon, les Pastilles Géraudel, la rue Lamartine, etc.
Le sens casuel de ces tournures se sent encore (v. supra §§ 402 et

; :
403) quand, on substitue pu intercale un substantif nommai com-
mun, ce qui ramène la préposition ainsi Hôpital de la Charité, Li-
thinés du Docteur Gustin, rue du Maréchal Foch, etc. Comme le fait
justement remarquer Bréal (1) en exposant sa loi de la survivance des
flexions, le taxième qu'exprimait une flexion ne disparaît pas avec
cette flexion. Il persistedans l'esprit de la langue. D'ailleurs, tant que
la flexipn de ce taxième, ou quelque chose qui la rappelle (de dans le
cas qui nous. occupe) persiste à l'état différencié dans un mot de la
langue, cette flexion ne dpit pas être considérée comme disparue, mais
bien les formes envisagées comme fortuitement semblables. Bréal cite
.à cetégard l'excellent exemple de l'impossibilité, réelle dans l'usage

:
français, d'employer un substantif strumentalagglutinatif à la fois
comme assomptif et comme reatisomptif, cf. supra § 65, note « Vous
savez que je vous ai toujours respecté et porté une vive affection » ;
c'est qu'à côté de fprmes communes (nous, vous, etc.), il y a dans la
déclinaison strumentale des formes différenciées (le, lui les, ;
leur, etc.) : « Vous savez que je l'ai toujours respecté et que je lui
ai porté une vive affection. nI De sorte que des formes comme vous
assomptif et vous rectisomptif, phonétiquement identiques, ne sont
pourtant pas en réalité identiques dans le sentiment linguistique.

(1) Michel Bréal. Essai de Sémantique.


D'ailleurs, cet emplpi ex casu des substantifs nominaux en épa-
nathèse ne se restreint pas aux cadres de ce qui était anciennement le
génitif. C'est plutôt au domaine du locatif que se rattachent les em-
plois dans lesquels les substantifs là sens temporel deviennent épiplé-
romes de substantifs nominaux de la même façon que nous les
voyions au § 461 devenir diapléromes de factifs verbaux
;
;
ex. :
Olivier a des vers je m'en suis douté (sic) à son air pâlot et à sa nervo-
sité la nuit.
(Mme E. Lettre à M. P, le 14 juin 1924).
La nuit dépend de nervosité.

470. — La dichodèse entre substantifs nominaux n'est pas marquée


exclusivement par le rayon de. La nécessité de précision conduit la
langue moderne à employer de plus en plus des prépositions diffé-
rentes et l'on ne peut que se féliciter d'une liberté aussi utile et en

de clarté et de nettete d'expression :


faveur de laquelle se sont prononcés, depuis longtemps, des amateurs
« A l'entrée de Rouen », dit avec
finesse Bonaventure des Périers (1), « je ne dis pas que Rouen en-

:
« trast, mais l'entrée se faisoit à Rouen. » La langue actuelle ne
ferait aucune difficulté pour dire à Ventrée à Rouen.
Ayant su, par un de ses gens, l'arrivée à Chinon d'une jeune fille qui se
disait envoyée de Dieu pour expulser les Anglais.
(H. Wallon. Jeanne d'Arc. II. T. I, p. 28).
De même, Saint-Simon écrit :
on avoit faitun prodigieux et pernicieux usage de son pari de Lille.
(Mémoires. T. I, chap. X, p. 127).
alors que nous dirions plutôt aujourd'hui : « de mon pari sur Lille )i
ou « au sujet de .»,« à propos de Lille. »
Mais on lit déjà dans le même auteur : -

de son mépris pour la faiblesse de M. le duc d'Orléans, et de sa confiance


en l'empire qu'elle avoit pris sur lui.
(Ibid. T. V, chap. XXXIV, p. 448).

:
Mais l'emploi d'une préposition autre que de n'est pas non plus une
règleabsolue l'épiplérome en de d'un substantif. exprimant un phé-
ennemis :
nomène continue à pouvoir représenter soit le repère (la crainte des

:
la crainte que les ennemis ont, épiplérome activaI). soit
l'ayance (la crainte des ennemis la crainte qu'on a des ennemis, épi-

Exemples :
plérome passival) du verbe correspondant au substantif nominal.

Seinors de Rome, por amor Deu, mercit


Aidiez m'a plaindre le dol de mon ami.
:
(La Vie Saint Alexis. 93).
Entre le dol del pedre et de la medre
Vint la pulcele que il out esposede.
(Ibid., 94).
(1) Bonaventure des Périers. Nouvelles récréations et joyeux devis. II. T. II, p. 16.
Dans le premier exemple, le deuil est causé à la mère d'Alexis par la
mort de son ami, de son fils, dans le second, le deuil est ressenti par
le père et la mère du saint.,
L'amour de la Patrie est le premier amour
Et le dernier amour après l'amour de Dieu.
(Verlaine. Bonheur. XXX. T.
II, p. 203).
C'est l'amour qu'on a pour la patrie ou pour Dieu.
Et ce dernier mot de l'amour d'Allan est lei dernier mot de l'amour des
hommes.
(Barbey d'Aurevilly. Ce qui ne meurt pas. XXII, p. 206).
C'est l'amour qu'éprouve Allan, celui qu'éprouvent les hommes.
Si le repère et l'ayance du verbe correspondant au substantif sont

exemple
Ce
:
en concurrence, l'un des deux épipléromes reçoit un autre rayon,

qui caractérisait l'amour d'Allan pour Madame de Scudmor c'était une


timidité excessive.
(Ibid. IV)
Cet emploi de deest quelquefois amphibologique, ex. :
Si le Roy m'avoit donné
Paris, sa grand'ville.,
Et qu'il me fallût quitter
L'amourde ma Mie.
(Molière. Le Misantrope. I. 2).

:
S'agit-il de l'amour d'Alceste pour son amie ou de l'amour de
l'amie pour Alceste il faut probablement comprendre leur amour ré-
ciproque.

:
Ailleurs, les substantifs sont mis en rapport par différentes préposi-
tions. Exemples
tant d'hommes si célèbres, moins recommandables encore par la supé-
riorité de leurs talents que par leur exacte probité et leur amour pour la jus-
tice.
(Mémoires pour servir à l'llistoire de l'Académie de Peinture. T. I, p. 117).
Il savoit.seconserver Madame de Maintenon par un abandon à ses volon-
tés sans réserve et sans répugnance.
(Saint-Simon. Mémoires. T. II, chap. XXXII, p. 402).

dames ? 1
Pauvre chevalier ne seras-tu jamais corrigé de trop d'ascendant sur les
(Dancourt. Les curieux de Compiègne. Se. IV).
Et si le même document qui nous dépeint sa hardiesse à Poitiers, son
aisance à la cour, sa bonne; tenue sous les armes, et ce coup d'oeil et cette
science militaire dont les plus vieux capitaines étaient surpris.
(H. Wallon. Jeanne d'Arc. Préface, p. VII).
Serait-elle obligée d'aller comme ouvrière à la journée.
(Barbey d'Aurevilly. L'Ensorcelée. V, p. 106).
simulant les ombres nettes de combats dans le ciel de quadrupèdes
néphélibates.
* (A. Jarry. MessaUne. I, 4, p. 84.
Une légende se forma, absurde et regrettable, où le nom d'un conseiller
référendaire au Conseil d'Etat, qui venait d'épouser une femme beaucoup plus
jeune que lui, était mêlé.
(R. Boylesve. Le meilleur ami, p. 57).
comme beaucoup d'hommes chez qui leur goût pour les arts se dévelop-
pe indépendamment de la sensualité.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. I, p. 227).
Moins de simplicité dans les mœurs des étudiants, de plus grands écarts
dans leurs ressources pécuniaires, la prise trop au sérieux des -divergences
politiques et la tendance de l'Administration à ne plus loger tous les internes
ont été les causes d'une transformation de la vie des internes de Paris, que
plus d'une estime regrettable.
Paul Le Gendre. La Vie du Médecin, in Traité de Pathologie Médicale et de
Thérapeutique Appliquée. T. I, p. 70).
471. — Quand un substantif nominal est suivi d'un autre substantif
nominal à lui attaché parla préposition de, on peut se trouver en face
de deux constructions en apparence semblables, mais sémantique-
ment très différentes. En effet, si les deux substantifs sont en dicho-
premier ;
dèse entre eux, le second substantif est un épiplérome adjectiveux du
il forme avec la préposition un convalent adjectiveux en
fonction d'épanathète (cf. infra chap. X et XIII) exemples :
In figure de colomb volat a ciel.
(La Cantilène de Sainte Eulalie. 25).
Rollant ferit el perrun de sardohie.
(Turold. La Chanson de Roland. 2312).
La roïne ont de soie dras :
Aporté furent de Baudas.
(Béroul. Le Roman de Tristan. 3903).
Ce fu el tans d'esté, el mois de mai, que li jor isont caut, lonc et cler, et
les nuis coies et series.
(Aucassin et Nicolette, p. 258).
Li chans des Psaulmes et dou Psaultieir. à l'ome pechour est recreation
de cuer.
(Le Psautier de Metz. Prologue. 183).
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.
(Charles d'Orléans. Rondel XIV).
Par toutes les rues où il trouvoit chiens, il leur bailloit un coup de pied.
(Rabelais. II. 22. ï. I, p. 285).
Celle-cy est un feu de paille qui s'éteint aussi aisément qu'il s'allume.
(Urbain Chevreau. Le Philosophe moral. III. 7, p. 256).
Et puis à la maison une meute de chiens à soigner.
(Diderot. Le neveu de Rameau, p. 107).
L'homme, assis sur une chaise de paille, se leva pour me saluer.
(G. de Maupassant. Contes du Jour et de la Nuit. Le Bonheur, p. 103).
et permit ainsi aux êtres de se livrer chaque jour et à peu près impu-
nément à leur œuvre de mensonge.
(M. Proust. A la recherche du Temps perdu. T. I, p. 323).
472. — Si au contraire, le rapport des deux substantifs est une syn-
:
dèse, c'est, le premier qui est adjectiveux ; il est alors l'équivalent

Voilà- nos chiennes de nouvelles ;


d'une catathète. (Cf. infra § 588). Exemples
j'ai envie de savoir des vôtres.
(Mme de Sévigné. Lettre du 8 décembre 1675).
Vous devez rendre graces au ciel de l'honneste homme de Pere qu'il vous
a donné;
(Molière. L'Avare. I. 5).
Vous n'estes, pour tout potage, qu'un faquin de cuisinier.
(Ibid. III. 2).
Allons,
Allons, vais trouver son chien d'oncle, et lui dire
je
qu'un
Ce dépit très juste en pareil cas inspire.
(Voltaire. L'envieux. I. 10).
Il y a là aussi une espèce d'homme qui se dit notaire.
(Labiche. Les Vivacités du Capitaine Me. III. 12).
Je sais un digne homme de magistrat, un bon vieillard, qui rendit le
lendemain la feuille au porteur.
(A. France. Le Jardin d'Epicure, p. 141).
On trouve dans les Mémoires de Henri Heine des portraits d'une réalité
frappante qu'enveloppe pourtant une sorte de poésie.
(Id. Le Livre de Mon Ami. Le Livre de Pierre. II. 2, p. 70).
J'ai connu jadis, dans un village du bocage, un saint homme de curé qui
se refusait toute sensualité.
(A. France. Balthazar. Le réséda du curé, p. 37).
Tu t'es encore attardé à ta saleté de brasserie, à jouer ta saleté de manille,
avec tes saletés d'amis.
(Courteline. Coco, Coco et Toto. Un coup de fusil, p. 41).
Allez me chercher du papier, demanda-t-il, c'te vache de bois mouillé
n'veut pas prendre.
(R. Dorgelès. Les Croix de Bois, chap. I, p. 12).
Mais je te jure, Bruno, que le grand escogriffe de forgeron l'a baisée à
pleine bouche.
(F. Crommelynck. Le Cocu Magnifique. III, p. 113).
L'article, s'il est présent, porte alors sur le second substantif, et,
quand la tournure arrive à son plein développement, l'article s'ac-

:
corde en sexuisemblance avec ce second substantif, marquant ainsi la
pleine substantivosité de celui-ci. Exemples

:
Dans sa jeunesse, presque enfant encore, étant entre matelot et mousse,
il avait entendu le bailli de Suffren s'écrier \oilà une jolie fille, mais
quelles grandes diables de mains rouges1
(V. Hugo. Les Travailleurs de la Mer. I. II. 2. T. I, p. 77).
J'en avais un purée de jeu!
(M.AT. Hôpital 106. Janvier 1919. Au cours d'une partie de piquet. Cette
tournure est plusieurs fois, à différents jours, revenue dans la même bouche).
Nous rsc. les Français], nous avons fait une trou du cul de loi.
(M. W, le 11 juin 1920).
473. — Avec toute autre préposition pn a affaire à la tournure dans

:
laquelle le second substantif fait partie d'un convalent épanathète.
Exemples
car quant li roys fu demourez en Acre, pour un home à armes que il
avoit en sa compaignie, cil d'Acre en avoient bien trente.
(Joinville. Histoire de Saint Louis. II).
A Jehan de Chaalons, serrurier, pour une grosse serrure à ressort fermans
à deux clefs, garnies de quatre grans crampons, et une gasche mise et assise
en l'uis par lequel l'en va des galeries de Saint-Pol es jardins d'illec, le'vingt-
huitieme jour d'octobre, 24 sous.
(Extraits des comptes royaux pour 1416, in Chronique de Charles VII. Bi-
bI. eez. T. III, p. 279).
Je me donne au diable si je ne pensoys que feust un diableteau à poil fol-
let, lequel nagueres j'avoys capiettement happé en tapinois.
(HaheJais. IV. 67..T. II, pp. 248-249).
L'Hommes à bonnes fortunes.
(Titre d'une comédie de Regnard).
L'une d'elles était Nônon Cocouan, la couturière en journée.
(Barbey d'Aurevilly. L'Ensorcelée. IX, p. 181).
Monsieur Désamhois, pourriez-vous me dire quelle est la force motrice d'un
moulin à vent, dont le meunier serait très-sourd.
(Labiche. Les Vivacités du capitaine Tic. II. 6).
et, toujours silencieuse, la taille droite et les gestets mesurés, semblait
— femme
une en bois. fonctionnant d'une manière automatique.
(Flaubert. Un cœur simple. 1, p. 7).
Juvenet n'osa prendre qu'un morceau dans le sucrier bien que, comme
tous les soldats, il appréciât le jus en fonction de sa teneur en sucre.
(P. Chaîne. Les mémoiresd'un rat. II. 4, p. 76).
Dans la boîte à ordures paternelle, il a rcpôohé deux cents coquilles de
moules, qu'il lance avec fureur sur l'ennemi.
(II. Benjamin. Sous le ciel de France, p. 23).
Un commandant en retraite, sur une croupe, abat ses mains noueuses.
(Jules Romains. Les Copains.VI, p. 714).
474. — Deux substantifs peuvent être placés directement l'un à côté
de l'autre sous le même article, en syndèse. Ils sont alors en coales-

et lequel est le réceptacle. Exemples :


cence, et il n'est pas toujours facile de dire lequel est le complément

Cette louve-chienne, de la môme portée que le loup-chien précédent, tenait


de sa bisaïeule la louve.
(Buffon. Histoire naturelle. Du chien. T. III, p. 654, col. 1).
Par l'ordre de cet Homme-Dieu
Un astre marcha dans le ciel.
(Vieux Noël).
N'est-il pas inouï que ce dindon-vautour
Pour l'aire de l'aiglon quitte sa basse-cour?
(V. Hugo. Cromwell. IV. 4).
Un certain nombre dç substantifs composés se sont formés ainsL
Néanmoins, même dans cette première série d'exemples, il semble
bien que le premier des substantifs, celui qui est voisin de l'article,
soit le plus substantiveux, et partant l'épidecte de l'autre. Quand les
deux juxtaposés sont moins intimement unis, ce rapport devient plus
clair. Le second est alors, à l'évidence, un adjectiveux épinglé là l'au-
tre ; exemple :
C'est l'image de l'injustice sublime, jetée sur la toile par le pinceau-
poète du plus suave des artistes.
(A. France. La vie littéraire. lre série. Trois Poètes, p. 159).
Mais c'était en versant à boire qu'il montrait toute sa magnificence d'ogre
bon enfant.
(Id. PierreNozière. I.9,p.
110).
Un critique, qui mériterait absolument ce nom, ne devrait être qu'un
analyste sans tendances. et n'apprécier que la valeur artiste de l'objet d'art
qu'on lui soumet.
(Maupassant. Le Roman, in Pierre et Jean, p. YI).
Puis il s'assit en me heurtant comme un cheval qui rejoint au brancard
son collègue cheval.
(J. Giraudoux. Siegfried et le Limousin. I, p. 24).
Le rapport entre les deux substantifs est ici une syndèse.
Les exemples ci-dessus nous montrent le substantif nominal ad-
jectivépar adjectivation de sa substance même, celle-ci y étant mise
en syndèse avec la substance épinglataire.
2° Mais comme, il a été vu supra § 455, le substantif nominal peut
s'adjectiver sans adjectivation réelle de sa substance, celle-ci étant
mise en dichodèse avec la substance épinglataire. Nous avons traité,
au § 455, de ce tour dans la diaplérose ; il existe aussi dans l'épiplé-
rose,ex. :

une puissante torpédo, badigeonnée en gris canon, couverte d'une noble


poussière, patinée et amochée à souhait, l'aspect très guerre (1).
(Sem. Un pénin sur le front. Sur lel front du Nord, p. 57).
Il est tenu au jour le jour une comptabilité deniers.
(Projet de nouveaux statuts pour l'Association des anciens Elèves de Sainte-
Barbe-Rollin, présenté à l'Assemblée générale du 6 février 1922).
Dans cet exemple, la discordance de quantitude marque bien la na-
ture dichodestique du rapport complémentaire.
;
Contrairement à son homologue substantiveuse étudiée supra § 469,
cette tournure non-substantiveuse est encore très vivante on l'appli-
que chaque jour à de nouveaux objets, et il nous semble même qu'elle
est en progrès, surtout dans le parler négligé et dans la langue com-
merciale, ex. :
Ils ont un intérieur province, plus que province.
(Mme E, 22 décembre 1921).
Il peut même y avoir engrènement, un pareil substantif étant com-
plémentd'un substantif ayant déjà ce même rôle, ex. :
« Du bœuf sauce câpres », c'est-à-dire avec de lasauce aux câpres.
M. F. Brunot. (La pensée et la Langue, p. 626).
signale que, dans le membre de phrase suivant
leur reddition prisonniers.
:
(Saint-Simon. XII. 179).

:
l'adjectiveux prisonniers représente une « caractéristique attribuée à
l'objet du verbe » rendre ils se sont rendus prisonniers. Cette ob-

clature par la proposition suivante :


servation, très judicieuse, se traduit dans notre système de nomen-
le substantif, épiplérome en di-
chodèse peut être le représentant d'une substance qui serait diadote
(1) Remarquer ici que l'emploi adjectiveux dichodestique du substantif nominal se
fait à l'intérieur d'une sous-phrase (cf. infra, § 799).
dans le phénomène verbal sémantiquement correspondant au substan-
tif nominal épidecte.
475. — Il arrive que deux substantifs nominaux soient articulés

unis par des conjonctions :


par un même adjectif strumental. C'est le cas général quand ils sont
et, ou, et qu'ils désignent une même
substance envisagée sous deux dénominations différentes, exemples :
Le huanacus ou lama, dans l'état de nature, est plus fort, plus vif et plus
léger que le lama domestique.
(Buffon. Histoire naturelle. Du Lama et du Paco. T. IV, p. 485).
Cela augmentera les obligations que je vous ay de l'honneur que vous me
faites de m'advoüer pour, Messieurs, votre très-humble et très-obéissant con-
frere et serviteur.
(Lettre de M. de Racan à MM. de l'Académie françoise. 1651. T. II, p. 17).
Si les deux substantifs s'appliquent !à des substances différentes, la
répétition de l'article est toujours obligatoire, ex. : 1

Nous avons fait représenter le mulet et le bardeau, afin que tout le monde
soit en état de les comparer.
(Buffon. Histoire naturelle. Le Mulet. T. IV, p. 456).
En effet, c'est l'article, en français, qui individualise une unité
substantielle concrète.
Néanmoins, on rencontrait souvent autrefois, et l'on rencontre quel-
quefois aujourd'hui des substantifs différents unis sous un même ar-
ticle au singulier. C'est que ces substantifs représentent plutôt deux

crètes dfférentes l'une de l'autre, exemples :


aspects conceptuels de la même substance que deux substances con-

où vous serez arse et bruslée pour le delit de la male plaisance et malle


chaleur que vous avez eue ailleurs.
(Le Chevalier de la Tour Landry. Le Livre pour l'enseignement de "Je*

0
filles. XXXIV, p. 76).
Soit ton habitation et demourance ès cieulx par amour et affection.
- L'Internelle Consolacion. I. 1, p. 5).
1
Et disoit souvent que le monde n'avoit encores cogneu l'émolument et
utilité qui est de porter grande braguette.
(Rabelais. II. 15. T. I,p. 252).
touchant le service et science des animaulx comme la nostre.
(Montaigne. Essais. II. 12. T. I, p. 567).
Ça n'empêche pas que l'amour
N'fasse, en son honneur et gloire,
De mon pauvre cœur un four.
(Vadé. Jérôme et Fanchonnette. Se. 1).


Et pour mieux faire paraître la noblesse et illustration des façons dont en
usait mon parrain envers mademoiselle Elise Guerrier.
(A. France. La Vie en fleur. XXI, p. 249).
Il est sur le flanc, se tourne lentement, la quille en l'air, il s'enfonce dans
un grand remous et bouillonnement.
(Commandant Morache. La dernière campagne du Gaulois, dans la Revufi
des Deux Mondes du 15 janvier 1925, p. 447).
Son intrépidité et insouciance civile valaient son intrépidité et son insou-
ciance militaire.
(Léon Daudet. Sylla et son Destin. IL p. 37).
L'adjectif est ici au singulier. Cf. pourtant le pluriel dans :
Il arrive qu'au bout d'une, ou de deux générations, une pièce de mobilier
et d'argenterie, qui passait pour ordinaire et nesollicitait pas l'attention,,
acquière, avec les années, une rareté et saveur inestimables.
(Ibid. VIII, p. 229).
Cette tournure est tpute différente de celle encore pleinement vi-
vante dans laquelle l'article est au pluriel, car alors il s'agit bien de
deux substances entièrement différentes l'une de l'autre, et assises
chacune pour son compte, ex. :
Il étoit grand mangeur, comme le roi et comme les reines ses mère et*
grand'mère.

c'est-à-dire: 1° sa
(Saint-Simon. Mémoires. T. II, ch. XVII, p. 198).
mère et 20 sa grand'mère.
En opposition avec le tour un grand remous et bouillonnement,.
existe, à titre également assez rare, un tour dans lequel la même
substance possède, pour deux adjectifs catathètes, deux articles, ex. :
L'insensible et le froid Voiture
Parloit d'amour, .comme s'il en sentoit.
(Voiture. Stances, p. 28).
Il s'agit alors d'une sorte de zeugme, se référant à un tour cpmme t
« Voiture, l'insensible Voiture, le froid Voiture, parlait d'amour, »

476.— Un des rôles complémentaires les plus importants du subs-

; :
tantif nominal substantiveux, dûment articulé, est d'être épamphis-
chète d'un autre substantif exemples
Didun lebisque de peitieus.
luil comandat ciel reis lothiers.
(Leçon G. Paris: Didon l'evesque de Peitiers
Lui l'comandat cil reis- Lodiers.
(La vie de Saint-Léger. 4).
Carles li reis, nostre emperere magnes,
Set ans tuz pleins ad estet en Espaigne !
(Turold. La Chanson de Roland. 1).
Chançons, Phelipe saluqb
Le conte sené,
Qui a France maintenue
Et resconforté.
(Gautier d'Espinal. Chanson. XVI. 33, p. 29).

i(Racine.
et sur touz autres dieux honnoroient Palas, la deesse de Sapience.
(Beauveau. Le livre de Trorlus, p. 124).
En ces entrefaites les nouvelles vindrent, que le gouverneur de la Gilicie,
Octavius, estoit décédé.
(Amyot. Les Vies des Hommes illustres de Plutarque. Lucullus. XII. Tome V,
p. 68).
d'ailleurs,'Athalie,
Mathan d'ailleuqrus, Mathan, ce prestre tacrilege
Plus méchant qu'Athalie, à toute heure l'assiege.
Athalie. I. 1).
Tel en un secret vallon,
Surle bord d'une onde pure,
Croist à l'abri de l'aquilon
Un jeune lys, l'amour de la nature.
(Ibid. II. 9).

;
Les deux plus grands, les deux plus vertueux des modernes, Catinatr
Fénelon, étoient tous deux François Henri IV, le roi que j'aime, le bon roi,
l'étoit.
(J .-J. Rousseau. Julie ou la Nouvelle Ilélolse. II. 18. Œuvres. Tome ITr
p. 129, col. I).
Les Péoniens ou Teucriens, Teucroï, ces Pélasges établis sur les côtes da
la Macédoine, paraissent identiques aux Takkars.
(H. d'Arbois de Jubainville. Les Premiers habitants de l'Europe. L. Ir
ch. IV, § 8).
Vermine, l'enfant d'hospice, s'asseyait sur la marche fraîche.
(Pierre Hamp. Vin de Champagne, p. 110).
Réjouissons-nous parce que, directeur dufeu el despoeies,
L'amour qui remplit ainsi que la lumière
Tout le solide espace entre les étoiles et les planètes
L'amour veut qu'aujourd'hui mon ami André Salmon se marie ;
(G. Apollinaire. Alcools, p. 69).
Il s'endormit, et nul de ceux qui monteront
Vers la molle colline où, cendres, il rèpose,
N'a vu sa lèvre pâle et l'orgueil de son front.
(André Lamandé. Sous le clair regard d'Athéné. Héros inconnu, p. 75).
C'est à côté des épamphischètes proprement dites que nous place-
ronsles compléments ambiants locutoires, tels que ceux dpnt il a été
parlé § 110. Nous rappelons qu'il s'agit dans ces cas d'un jaillisse-
ment de l'idéesubstantielle dans lequel il y a déjà de la factivtisité,

exemples cités § 110, nous joindrons les suivants :


sorte de préface de la factivosité délocutoire centrale de la phrase. Aux

Quelques auteurs ont assuré que Peau d'Ane, au moment que ce prince
avoit mis l'œil à la serrure, les siens l'avoient aperçu.
(Perrault. Peau d'Ane).
Les siens, ce sont les yeux d'elle, et c'est à cet elle implicite de la
préposition délocutoire que se lie syndestiquement Peau d'Ane.
Papa, sa fourchette, il embrocHait donc toujours sa viande avec la même
dent ? Il y en a une qui est beaucoup plus usée que les autres.
(M. P., 14 mars 1922).
Cette phrase contient deux ambiants locutoires, l'un, Papa, auquel

phrase ;
est lié syndestiquement l'élément il de la partie délocutoire de la

cutoire.
l'autre, fourchette, qui ne reparaît pas dans la partie délo-

:
477. — Dans la même position, mais employé sans article, le subs-
tantif nominal est épamphithète. Exemples

:
Cio fud lothiers fils baldequi.
(Leçon G. Paris Ço lut Lodiers fils Baldequi).
(La vie de Saint Léger. 3).
De l'altre part est un paien, Grandonies,
FilzCapuel, le rei de Capadoce.
(Turold. La chanson de Roland. 1614). >.
Sire, jou ai nom Sarises, fius le roi Oteer.
- (Le roman d'Alexandre. 474).
,

Au temps de Pupin, roi de Frans, fu uns anfes nez ou chastel Bericain.


(Li amitiez de Ami et Amile, p.35).
à
Et vezcy tantost un message qui nonça PutipharqUe Joseph, ami de Dieu,
venoit.
(De l'ystoire Asseneth, p. 11).
Ou temps du roy Jehan de France, filz aisné du roy Phelippes de Vallois,
estoit en sa court le seigneur de Pouilly.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. 1 ; p. 3).
,'. En icelle heure vint vers nous droit aborder une navire chargée de tabou.
Fins, en laquelle je recognu quelques passagers de bonne maison, entre
autres Henry Cotiral, compaigrion vieux, lequel à sa ceinture un grand viet-
daze portoit.
(Rabelais. V. 17. T. II, p. 322).
Un amateur du jardinage,
Demy bourgeois, demy manant,
Possedoit en certain village
Un jardin assez propre, et le clos à tenant.
(La Fontaine. Fables choisies. IV. 4. Le Jardinier er son seigneur).
Sebastien Le Prestre, Chevalier, Seigneur de Vauban, Basoches, Pierre-
Pertuis, Pouilly, Cervon, La Chaume, Epiry, le Creuset et autres lieux,
Maréchal de France, Chevalier des Ordres du Roi, Commissaire général des
Fortifications, Grand-Croix de l'Ordre de S. Louis, et Gouverneur de la Cita-
delle de Lille, nâquit le premier jour deMai1633,d'UrbainLePrôtre,
d'Aimée de Carmagnol.
et
(Fontenelle. Eloge de M. le Maréchal de Vauban. Œuvres. T. 111, p. 160).
Et les doux Kinnaras, musiciens des Dieux,
Sur les flûtes d'ébène et les vinâs d'ivoire
Chantaient de Bhagavat l'inépuisable histoire.
(Lecontc de Lisle. Poèmes antiques. Bhagavat, p. 21).
Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans. leur même saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.
(Baudelaire. Les Fleurs du Mal. LXVIII, p. 189).
La paroisse canadienne, unité primordiale de la société ecclésiastique, esti
àpeu près constituée sur les bases de la paroisse française.
(A. Siegfried. Le Canada. II).

478. — Une syndèse épiplérotique entre substances peut se faire


en circonjacence. L'un des deux substantifs est alors épanaschète de
l'autre.
Deux critères distinguent ces épanaschètes des épamphischètes.
En premier lieu, l'épanaschète succède immédiatement à son épi-
decte, alors que l'épamphischète en est séparée par une pruisule. Dans

virgule ;
les textes récents, cette pausule est constamment marquée par une
dans les textes plus anciens, la ponctuation est nulle ou in-
certaine, et c'est une des raisons pour lesquelles la différenciation en-

:
tre épanaschète et épamphischète est difficile. Voici un exemple qui
peut être interprété des deux façons
li
De ces messages, cnvoia Tbiobnuz cuens de Champaigne et de Brie deus.
(Villehardouin. Histoire de la conquête de Constantinople. 12).
:. En second lieu, l'épamphischète ne concourt pas à la collation de
l'assiette du régent, tandis que l'épanascliète y concourt.
Voici une série d'exemples d'épanaschètes :
En cel point que li rois de Hongerie passa, fu li roine li femme le. roi
Jehan morte.
(Chronique d'Ernoul. XXI, p. 410-11).
Et au regard des chevaulx, notre maistre l'escuyer m'y aidera très
voulentiers.
(Antoine de la Sale. Jehan de Saintré. Ch. XV, p. 66).
et de l'autre coste, qu'elle vôyoit combien il troubloit l'estat du roy
son seigneur et mary, et aussi que l'empereur son frere luy avoit bien
dict (Branthôme. necueil des Dames. 2e partie. T. XII, p. 83).
Elle résolut, de son costé, de quitter la Lorraine, et de se retirer en Flan-
dres, vers son oncle l'empereur (quel beau mot !) et vers son cousin le roy
Philippe, et les reines ses tantes (quelle alliance et titres) !
(Ibid., p. 113).
Aussy que M. le cardinal son oncle l'en avoit bien advertie et instruite
de l'humeur de ladicte princesse:.
(Ibid., p. 116).
Dans ce dernier exemple, l'épanaschèle aelle-même une épanaschète.
J'ay ouy faire un conte à
cour, maistresse de feu M. de Lorge le i
la cour aux anciens d'une dame qui estoit à la
ba homme.
(Ibid., p. 354).

147).
,
Elle ne pense pas que je me sois,aperceu des fredaines des escolliers nos
votstns.
(Larivey. Les Escolliers. IV. 2, dans Ancien Théâtre françois. Tome VI,
p.
elle niettoit secrettement et avec diverses excuses un amant son paret.
en la maison.
(Id. La Constance. III. 6, in ibid., p. 255).
Sur cet exemple, Mme la Dauphine qui a passé les dix. années qu'elle a
vécu en France, grosse, en couche ou malade. ne sortit point de Versailles.
(Saint-Simon. Mémoires. T. III, ch. V, p. 46).
En dernier lieu, le roi y avoit nommé une sœur du duc de Chaulnes
l'ambassadeur.
(Ibid., ch. XXII, p. 380).
Son Altesse Royale Monsieur, préoccupée de l'attitude de Ney dans èette
périlleuse circonstance, lui envoya immédiatement le comte de Bourbon-
Busset.
(Mme de Gontaut. Mémoires. V, p. 142).

;
Elle donnait souvent de petits bals et concerts auxquels toute la famille
d'Orléans était invitée Monsieur, M. le Dauphin et Mme la Dauphine y
assistaient toujours.
(Ibid. VI, p. 172).
Je prétends arriver à la cour du roi mon beau-père dans l'habillement
d'un simple aide de camp.
(A. de Musset. Fantasio. I,3).
Vous n'étiez pas des nôtres aujourd'hui, Monsieur le Professeur?
(Tolan Dorian. La Revanche de l'Aigle. I. 2).
Mon oncle Jean d'Autriche est parti, on ne sait vers quels climats.
(Ibid. III. 5)..
Le Barreau de Paris salue avec une douloureuse émotion les héros morts

le
","
pour la Patrie, acclame les merveilleux soldats qui ont donné lal'hommage
la France immortelle et Vous prie, Monsieur le Maréchal, d'accepter
de sa vive admiration,
victoire à

(Adresse du Barreau de Paris à M. le Maréchal Foch, apud Le Ministère


de la Victoire, p. 243).
fermier.
Il décima ensuite facilement le stupide troupeau de poules de son voisin
(L. Pergaud. De Goupil à Margot, p. 48).
« Tenez, fit mon ami le jurisconsulte, voici la lçttre que je reçois. »
(Maurice Demaison. Croquis de Paris. 20 juin 1915, p. 279).
C'est le début du récit. Cette épanaschète ne distingue pas un ami
des autres amis, c'est une façon de dire : « J'ai un ami jurisconsulte
-et il me disait l'autre jour.:. »
Ronsard aimait tendrement les écrivains ses contemporains.
(Pierre Champion. L'exposition Ronsard, dans la Revue des Deux-Mondes du
1er février 1925,p. 647).
Ce soir-là, un de mes cousins nous avait accompagnées : un cousin qui
-était marin et qui était en permission. Je dansaistout le temps, avec mon
.cousin le marin qui avait un petit béguin pour moi.
(Philippe P. Datz. Jours fériés, p. 155).
Aux portes de la ville, des nuées de moines prêchent en plein air, ils
-vaticinent contre les Français, ils exaltent l'archiduc le rédempteur.
(Madame Saint-René Taillandier. La Princesse des Ursins. VII, p. 127).
Il n'est pas toujours facile de savoir, dans ces cas, lequel des subs-

tère :
tantifs est l'épidecte et lequel est l'épischète. Il y a néanmoins un cri-

Quand l'un des deux substantifs concourt 'à l'établissement de l'as-


-

siette de l'autre, il faut .admettre que c'est lui l'épischète; en effet, nous
verrons à propos de l'épanathète, (§ 515) que c'est un des caractères des
-épanadotes de pouvoir concourir à conférer une assiette donnée à leurs
-épïdectes.
:
Par exemple, si le locuteur dit « Mon ami le roi », il est certain
<jue son ami n'est notoire que parce qu'il est identifié avec la personne
capitale du roi; sans cette identification, il n'aurait pu dire que
« un de mes amis — un mien ami — un ami 'à moi » :
toutes expres-
sions transitoires.
Aucontraire, le roi serait notoire même s'il n'était pas présenté
,
comme un ami du locuteur.
Donc, « mon ami » ne concourt pas à la collation sémantique d'as-
siette de « le roi », tandis que « le roi » concourt à la collation séman-
tique d'assiette de « mon ami. » -

»
Donc, « mon ami » est le réceptacle et le « roi l'épanaschète.
L'application de ce critère aux cas particuliers montrera que c'est
toujours, au moins dans la langue moderne, le second substantif qui
est épischète : nous avons affaire à des épanaschètes puisqu'elles pnt la
même place et le même rôle de collation d'assiette que les épanathètes
(cf. § 515), dont elles ne se distinguent que par leur substantivosité.
L'épanaschète et l'épamphischète peuvent facilement so rencontrer
l'une auprès de l'autre. Ex. :
Set ans tuz pleins ad estot -
Caries li reis, nostre emperere magnes,
Espaigne.
(TureML 2a chanson de Roland. I).
Le lecteur aperçoit aisément que c'estA l'épanaschète qu'il faut
rapporter les groupements formés par appeUatit^ patronyme, appel-
latif + prénom, appellatif masculin + prénom + patronyme. prénom
masculin + patronyme (cf, §§ 406, 407 et 423).
479. - Un adjectif ne peut avpir pour épiplérome qu'un épirrhème.
Deux sortes d'épirrhèmes : d'une part ceux qui doivent leur valeur
-affonctiveuse là une préposition qui en régit l'ensemble. D'autre part
.ceux qui ne doivent leur valeur affonctiveuse qu'à ce que le substabtil
nominal qui les constitue n'a pas d'assiette.

leur valeur affonctiveuse d'une préposition


Clausule avec article et préposition
:
Nous donnons d'abord quelques exemples d'épirrhèmes Recevant

Ces superbes coursiers, qu'on voyoit autrefois


Pleins d'une ardeur si noble obeir à sa voix.
(Racine. Phèdre. V. 6).
Voilà un tableau évidemment choquant par la couleur.
(Baudelaire. Curiosités esthétiques. Salon de1845, p. 32).
Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà
Pareil à la
Feuille morte.
(Verlaine. Poèmes saturniens. Chanson d'automne. T. I, p. 34).
Tout adjectif, ainsi que nous le verrons infra, chap. IX, étant né-
cessairement épinglé à un substantif, le substantif épiplérome de
l'adjectif est mis en rapport avec le substantif épinglataire de celui-
ci par un mécanisme qui nous fournit comme le premier rudiment
de ce que nous verrons pleinement développé dans la puissance mo-
-dale du verbe.
Exemples de la clausule sans article avec préposition.
Cette nuit je l'ay veuë arriver en ces lieux,
Belle sans ornemens,dans le simple appareil
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.

que, répugnante de santé et de vertu


:
(Racine. Britannicus. II. 2).
Il me semble que deux femmes me sont présentées l'une, matrone rusti-
(Baudelaire. Notes nouvelles sur Edgar Poë, dans Nouvelles Histoires
Extraordinaires, p. 1).
Le barège-de laine fond vert de mer ou bleu, avec dessin blanc, est géné-
ralement bien porté (1).
(Le Magasin des Demoiselles. 1846. II, p. 318).

(1) Pour la relation de fond avec barège, cf. supra,


vert, c'est-à-dire ayant un fond vert.
§ :
474, in fine du barège fond
480. — L'épirrhème constitué par un substantif nominal seul sans
aucune espèce d'article n'est affonctiveuxque parce que le substantif
non assis est en quelque sorte absorbé par son adjectif épidecte dont
il peut être considérécomhiçcatadmète.
Les couleurs préférées sont blanc, vert myrte, violet, écru.
v-•: (Le Magasin des Demoiselles. 1845. I, p. 223).
r une puissante torpédo badigeonnée en gris canon. --
(Sem. Un Pékin sur le frçnt du Nord, p. 57).
Il est là remarquer qu'il y a phonétiquement dans le débit une
-'grande différence et d'accent et de ton entre le groupe formé par un
,,'
adjectif épicatathète et son substantif épinglataire, et celui, graphi-
quement identique, formé par un adjectif régent, et un sien substan-
tif épicatharrème. En effet, dans le second cas (cf. l'exempleallégué),
l'ictus endosémantique initial du substantif est marqué et cette même
syllabe initiale s'élève mélodiquement, tandis que dans le premier
cas, l'épicathète faisant corps avec son épinglataire, c'est l'ictus en-
dosémantique del'adjectif qui, le plus spuvent, ressort.
C'est d'une pareille tournure que relèvent des expressions, très.
usitées dans le commerce, telles que :
« Linge entièrement cousu main. » Exemples :
Draps toile blanche fil et coton, sans couture, guirlande brodée main.
(Catalogue des Magasins de la Samaritaine pour le 22 janvier 1924 et jours
suivants, p. 2).
C'est entièrement brodé machine.
(Mme DG, le 3 novembre 1923).
Nous considérons ici cousu, brodé, comme ne mettant pas en œu-
vre la nature proprement verbale, mais se conduisant comme un ad-
;
jectif nominal, car il ne paraît pas que l'on dise) : * coudre main,
du linge *broder main un drap.
Pour certaines expressions en apparence semblables comme :v

il semble qu'on puisse dire:


Du coton similisé soie
« similiser soie », et que soie soit un
complément de verbe. Sur sa nature nous tenterons de nous expliquer
au Livre V (cf. parler affaires).

481. — Nous avons vu supra § 471 la construction de deux substan-


tifs nominaux, réunis par la préposition de, dont le second est arti-
culé. Il peut arriver que le premier de ces substantifs contienne dans
son sémième une notion de quantité et que le sémième du second soit
assez en relief pour que sa nature substantielle ne soit pas entièrement
obnubilée par son manque d'articulation.
Quoiqu'un tas de grimauds vante notre éloquence,
Le plus sûr est pour nous de garder le silence.
(BQileau. Satire IX. 47).
sa
jolie.
v
personne entière vous avait une bonhomie élevée par ungrain de
(A. "France. Le Livre de mon Ami. Le livre de Pierre. II, p. 773).
Un tas de voixd'oiseaux criait vers les sillons
Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique
(Verlaine. Amour. Lucien Létinois. XI. T. II, p. 91).
Qui plus est, si la notion de quantité contenue dans le premier
substantif paraît à l'esprit moins importante que le sémième du se-
cond substantif, et si la nature substantive de celui-ci veut apparaître
entièrement, le premier substantif cesse d'être diaplérome du factif
et devient épiplérome adjectiveux du second substantif, par le procédé
décrit au § 472, où de deux substantifs en syndèse unis par de, le
premier devient adjectiveux et épicathète du second. Le substantif
ainsi traité prend alors le rôle d'un adjectif strumental collateur de
quantité, et, conséquemment, c'est avec le second substantif, au cas
où le groupe remplit la fonction de soubassement, que s'accorde le
factif verbal. Ex. ;
Ici encore unefoule de problèmes assiègent son avenir incertain.
(A. Siegfried. Le Canada. IV).
Avec le substantif quantité lui-même, l'article n'est pas néces-
saire, ex.: s
Mon avis estqu'on la remette sur son Lit : et qu'on luy fasse prendre
pour Remede, quantité de Pain trempé dans du Vin.
(Molière. Le Médecin, malgré-luy. II. 4).
On rencontre aussi un substantif nominal, force, qui peut remplir
les mêmes fonctions articulaires sans l'intervention du strument de,
par une sorte de tour coalescent. Ex. :
Pour moy, satisfaisant mes appetits gloutons
J'ay devoré force moutons.
(La Fontaine. Fables choisies. VII. 1. Les Animaux malades de la Peste).
Ce substantif peut même assumer son rôle de strument de quanti-
tude à l'égard d'un substantif strumental, ex. :

masquarades, dances et assemblées de gentilz hommes


force (1).
;
Tant pour la grande abondance de vivres que pour les tournois,
car il s'yen trouva
(Brallthôme. Recueil des hommes. I. I. 11. T. I, p. 329).

:
(1) Il va sans dire que dans la langue actuelle, ilserait difficile de mettre en en
syndèse avec gentilshommes inarticulé. Cf. cependant, sous la plume de Barbey d'Au-
revilly(cf.§483)
1
Tous les pêcheurs de truites qui les prenaient au fil des cascatelles.
(Une Histoire sans nom,
Ce procédé a eu un développement assez important pour enrichir
p.
76).

par afflux la classe strumentale. Des expressions telles que beaucoup,


la plupart n'ont pas d'autre origine.
482. — Précédant les prépositions essentielles à et de, le substan-
tif nominal peut participer à la formation d'un convalent formant
préposition complexe et indiquant un rapport nouveau. (Cf. Livre VI).
Le substantif nominal peut alors soit être précédé de l'article ou
d'une autre préposition, soit être employé sans rien qui le précède.
Exemples: >

Il ne faut point courir parmy les chiens du commencement, peur de les


faire transporter. -
(CI. Gauchet. Le plaisir des Champs, p. 189).
Egorger les enfants presence de leurs pères.

l
(Montchrestien. La Reine d'Ecosse. Acte 1. p. 73).
Grace aux dieux mon mal-heur passe mon esperance 1
(Racine. Andromaque. V. 6).
Ses bienfaits ont tant de puissance,
Que j'aime, crainte d'être ingrat,
Sa femme par reconnoissance.
(Vadé. Il étoit tems. Se. I. T. II, p. 141).
Par là d'ssus, si vous n'et' pas fine,
C'n'est pas manqu' d'en avoir la mine.
(Vadé. Nicaise. Se. 7, T. IV, p. 21).
Qu'est-ce que la science et qu'est-ce que la richesse au prix du sourire
d'une belle enfant ?
(A. France. La Vie Littéraire. 38 série. Paul Arène, p. 50).
N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
Qui ne manqueront pas d'envier notre joie,
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.
(Verlaine. La bonne chanson. XVII. Tome I, p. 143).
C'est la chemise de jour qu'on hésite à changer, le tramway qu'on ne prend
pas, le vêtement élimé aux coudes et qu'on ne peut remplacer, la soirée qui
se passe à errer sur les pavés crainte de payer en entrant n'importe où.
1. (Estaunié. L'infirme aux mains de lumière, p. 21).
Je n'ose parler, peur du ridicule ou peur de faire des histoires.
.»,
(Philippe P. Datz. Jours fériés, p. 102).
Le substantif nominal peut alors, de la même façon qu'une prépo-

::
sition légitime, et par substitution, de que à de, entrer dans la cons-
titution de conjonctions complexes de peur que, à fin que (écrit afin
que), crainte que, etc. exemple
Je suis sorti de la maison crainte que le cœur ne me crève de la veoir
en(Larivey,
si grande misère.
La Constance. IV. 4, dans Ancien Théâtre françois. T. VI, p. 275).
483. — Au terme de cette étude de détail, il convient de jeter un
coup d'œil général sur les capacités complémentaires du substantif
nominal. Aux §§ 433 et 436, nous avons montré les possibilités for-
melles dont disposait la langue dans ce domaine. Nous allons main-
tenant chercher à avoir une vue d'ensemble du parti sémantique
qu'elle en a tiré.
Il faut considérer d'une part la valence de la clausule, d'autre part
la valence du substantif lui-même. Si la clausule débute par une pré-

veuse ou adjectiveuse (1). Mais l'inverse n'est pas exact


clausules directes qui ne sont pas substantiveuses.
:
position, elle ne peut être substantiveuse, elle est toujours affoncti-
il y a des

(1) Cette assertion toute sa rigueur qu'à condition qu'on n'englobe pas de dans
n'a En
les prépositions banales. effet, quand de est un organe de désomption, il n'est pas
collateur de rayon, et la clausule qu'il introduit peut fort bien être substantiveuse.
Cf. § 348.
Ce qui va nous donner la clef de cette dernière particularité, c'ealt
la considération de la valence propre du substantif. Cette valence ert
essentiellement liée à la présence pu & l'absence de l'article, qui as-
sure le substantif dans sa substantivosité. C'est grâce à l'article que *
la clausule devient diffusive ; c'est par conséquent grâce là
lui que
le substantif acquiert cette plénitude de sufférence qui est le carac-
tère essentiel de la substantivosité.
Toutefois, il faut se rappeler que, quelque grande ressemblance que
présentent les sentiments linguistiques des divers Français, il n'en est
pas moins des différences individuelles qui permettent aux uns de fran-
chir des barrières constamment fermées pour les autres. Chez certains,
il est des mécanismes grammaticaux qui peuvent ne pas entrer en jeu
quand ils ne sont pas absolument nécessaires à la clarté de la phrase;
tandis que chez certains autres, l'expressipn du taxième est nécessaire
en tout état de cause du jour où ce taxième a droit de cité dans sen- le
timent linguistique.
Ceci dit, nous allons citer ici un certain nombre de phrases dans
lesquelles on attendrait l'article alors qu'il n'y est pas, ou inverse-
ment :
Saint-Simon écrivait :
du Dognon, connu depuis qu'il se fut fait faire maréchal de France
pour rendre Brouage, sous le nom du maréchal Foucault.
(Saint-Simon. Mémoires. Tome VI, ch. XIX, p. 303).
Celui qui lirait cetexemple comme du français d'aujourd'hui y ferait
un gros contre-sens. En effet, le maréchal Foucault aurait, à ses yeux,
une existence substantielle préalable indépendante de celle de Du Do-
gnon. Ce maréchal Foucault serait un personnage dont Du Dognon,
quoique venant de se faire faire lui-même maréchal de France pour
rendre Brouage, aurait frauduleusement emprunté le nom. Et ce sens,
quoique tourmenté, serait celui que la phrase prendrait de notre temps.
Or, Saint-Simon veut dire ce que notre parler d'aujourd'hui exprime
par : « connu. sous le nom de maréchal Foucault. » (2)
Mais il"ne faut s'empresser de dire qu'il n'existe plus aujourd'hui de
gens capables d'écrire comme Saint-Simon. Peut-être, si la tournure
ne comportait pas d'amphibologie, serait-elle susceptible d'apparaître
quelquefois. Toutefois, la tpurnure archaïque comportant ici l'addition
d'un article, il n'y a pas beaucoup de chances qu'elle se montre fré-
quemment. ,
Au contraire, c'est avec une fréquencerelativement plus grande que
l'on trouve des substantifs sans article là où la rigueur sémantique
semblerait exiger la présence de l'article. *
-
En principe, l'article est nécessaire quand on l'on a à relier syn-

d.8135. :
(2) On pourrait se demander à la vérité s'il ne s'agit pas simplement dans Saint-
Simon d'une contraction mécanique connu sous le nom de : le maréchal Foucault,
-
destiquement au substantif un termesitué hors de la
clausule de ce
substantif, c'est-à-dire toutes les fois qu'on a à lui relier snydestique-
ment un terme qui ne lui soit pas épiplérome coalescent ou circonja-
cent. On ne s'étonnera donc pAs de trouver des exemples comme
On traîne, on va donner en spectacle funeste;
De son corps tout sanglant le misérable reste.
, :
.> (Racine. Esther. III. 8).

grande tape d'homme qui rigole, il s'écria.


Le brigadier, à la fin, se calma, et lançant dans le vantre du vieux une
(Maupassant. Le crime au père Boniface, dans Contes du Jour et de la Nuit,
p. 15).
Adèle, un instant, en femme de tête qu'elle était, essaya bien de sermonner
Boubouroche.
(Courteline. Boubouroche. VIII, p. 56).

exemples comme :
On trouverait déjà plus malaisément dans le parlerd'aujourd'hui des

Il rencontre d'abord Périandre, Locrien, couvert d'une peau de lion


qu'il avait tué dans la Cilicie pendant qu'il y avoit voyagé.
(Fénelon. Les Aventures de Télémaque. Livte XX, p. 3G4 (3).
C'est unépiplérome ambiant que l'on trouve dans l'exemple ci-dessous
Elle n'empêche pas le torpillage, mais peut coopérer au sauvetage du
:
personnel, à défaut d'escorte qui serait indispensable.
(Commandant Morache. La dernière campagne du Gaulois, dans la
Revue des Deux-Mondes du 15 janvier 1925, p. 438).
-
Maison peut se demander si escorte,étant après à défaut de, ne
peut pas de ce fait être considéré comme assis illusoirement.
La tournure dans laquelle un substantif nominal articulé est répété
sans article avant une relative épithète ambiante est courante, parce
que le substantif nominal inarticulé est soutenu sémantiquement d'une-
façon directe par le substantif articulé identique qui précède, ex. :
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre.
(La Fontaine. Fables choisies. VII. 1. Les Animaux malades dela peste).
Demême la rigueur taxiomatique n'admet pas de nos jours qu'un
,,'
substantif sans article se fasse représenter hprsde sa clausule par un
substantif strumental anaphorique. Toutefois, l'on rencontse encore
la
sous plume de certains auteurs contemporains des phrases non con-
formes à cette règle (4). ex.
Un après-midi de neige, elle en fit des pelotes et les jeta à la figure du
petit-fils de Cadette.
(F.auriac. Le baiser au Lépreux, p. 91).
De même, le calme nouveau de mon existence était ma toilette du con-
damné. Je me croyais meilleur fils parce que j'en avais un.
(Raymond I^diguet. Le Diable au corps, p. 234)..
(3) C'était vraiment ici le cas d'employer le
:
§ 468. De nos jours, on dirait, très naturellement
tour d'une peau d'un lion » étudié
«
« de la peau d'un lion », la peau
étant notoire du fait qu'un lion n'a qu'une seule peau.
(4) C'est au nom de cette règle qu'Olivet (Remarques sur Racine, XXIII, p. 206)
blâme Racine d'avoir écrit :
Nulle paix pour l'inipie. Il la cherche. Elle fuit.
(Racine. Esther. II. 8).
Mais il nous semble que ce reproche tombe à faux, car nulle est un article, illu-
soire, c'est vrai, mais un article.
TABLE DESMATIÈRES DU TOME
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PREMIER :, ',.. }

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(Les chiffres renvoient aux pages)

LIVRE PREMIER

Introduction

CHAPITRE PREMIER.
CHAPITRE Il.

-
Nature de la grammaire.
La constitution extérieure de la langue française
page's

12
9

CHAPITRE III.

L'organisation interne de la langue française 42
CHAPITRE IV. — L'expansion de la langue française 59
K

LIVHE Il

Esquisse de la structure générale du français

-Les éléments essentiels du langage.


CHAPITREn.-Lesréparlitoires
CHAPITRE PSEMIEU. 67

-Lesclasses.
77
CHAPITRE III.—Lescatégories 88
CHA.PITREIV. 98
CUAPITRRV.-Lesessenceslogiques.
VII.-Lanégation.129
103
CHAPITRE VI.Les compléments 111
CHAPITRE
CHAPITRE vocabulaire.
VIII. — L'enrichissement 147

LIVRE III

Phonétique

CUAPITIREPÉIEMIEIT. -RÔledela phonétiqueengrammaire. 159


CHAPITRB II. — Le matériel phonétique
éléments. Ses individus. du français. — Ses
165
COAPITRE

-
III.-La
VI. Les
mue.
muances.
cadence.
CHAPITRE IV. — Aperçu sur LP mélodie et la
phonétiques,
COAPITRB V. — Les états seconds des individus
179
181
190
£OAPITBB
CHAPITRE - L'orthographe.
VII.
203
219

LIVREIV

LeNom

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