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TZITZIS & PROTOPAPAS-MARNELI & MELKEVIK (Eds) Mythe Et Justice Dans La Pensée Grecque (LA FR) (KW Law)
TZITZIS & PROTOPAPAS-MARNELI & MELKEVIK (Eds) Mythe Et Justice Dans La Pensée Grecque (LA FR) (KW Law)
Stamatios Tzitzis
Maria Protopapas-Marneli
Bjarne Melkevik
ISBN 978-2-7637-8767-1
© Les Presses de l’Université Laval 2009
Tous droits réservés. Imprimé au Canada
Dépôt légal 3e trimestre 2009
www.pulaval.com
TABLE DES MATIÈRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
S. TZITZIS, M. PROTOPAPAS-MARNELI, B. MELKEVIK
3. Mythe et mathématiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Christina PHILI
STAMATIOS TZITZIS
Directeur de Recherche CNRS/UMR7891 et Directeur adjoint de l’Institut de
Criminologie de Paris
MARIA PROTOPAPAS-MARNELI
Directrice du Centre de Recherche sur la Philosophie Grecque, de l’Académie
d’Athènes
BJARNE MELKEVIK
Professeur à la Faculté du droit/Université Laval
1
Qui appartient ou qui vient de la physis, de l’ordre naturel des choses.
INTRODUCTION 3
2
C’est la thèse d’Héraclite.
4 MYTHE ET JUSTICE DANS LA PENSEE GRECQUE
3
E.N. 1129 a 25-26
Première partie :
ILIAS ARNAOUTOGLOU
Chercheur, Centre de Recherche sur l’histoire du droit grec
*
Dans l’article, nous utiliserons les abréviations suivantes: Bechtel (1917) =
Bechtel, Fr. (1917), Die historische Personnennamen des Griechischen bis zu
Kaiserzeit, Halle; Effenterre (1974) = van Effenterre, H. (1974),
«Thémistodikè» dans le volume Mélanges d’histoire ancienne offerts à
William Seston, 481-488, Paris; Parker (2000) = Parker, R. (2000),
«Theophoric names and the history of Greek religion», in Hornblower, S. & E.
Matthews (eds), Greek Personal Names. Their value as evidence, 53-80,
London (Proceedings of the British Academy 104); Rudhardt (1999) =
Rudhardt, J. (1999), Thémis et les Hôrai. Recherche sur les divinités grecques
de la justice et de la paix, Genève; Svenbro (1993) = Svenbro, J. (1993),
Phrasikleia. An anthropology of reading in ancient Greece, traduit par J.
Lloyd, New York [première édition: Svenbro J. (1988) Phrasikleia.
Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris]. L’article constitue une
version élaborée de la communication «Onomastique et droit. Le cas des
anthroponymes à deuxième terme – thémis », faite dans le cadre de la 7e
Rencontre des historiens grecs du droit (Komotini, 22-24 octobre 2004) et il a
été publié dans l’Annuaire du Centre de Recherche de l’Histoire du Droit Grec
39 (2005) 31-53 sous le titre «Anthroponymia kai dikaio». Je remercie Mme J.
Roques-Tesson pour la traduction française.
8 ILIAS ARNAOUTOGLOU
1
Cf. la discussion sur la contribution de l’étude des anthroponymes à l’histoire
sociale de l’antiquité, in McLean, B. H. (2002), An introduction to Greek
epigraphy of the Hellenistic and Roman periods from Alexander the Great
down to the reign of Constantine (323 B.C. – A.D. 337), 74-111, Ann Arbor,
Michigan.
2
Pour le cas néohellenique, voir Droulia, L. (1985), «He éthimike paradosi stin
onomatodosia kai o Diaphotismos. Ena paradeigma apo tin Achaïa», Mnemon
10, 187-201.
3
Quoiqu’il en soit, l’anthroponyme Misthodikos figure dans un sortilège du IIIe
siècle à Athènes (CIA App.29.9) et celui d’Anenklétos est attesté sur un
monument funéraire du début du IVe siècle (IG ii2 5980) mais également plus
tard, à l’époque romaine [Sparte (IG v (1) 53 et 54, Smyrne (ISmyrna 299,
763), Amathonte dans l’île de Chypre (SEG 39.1522), Acmonia en Phrygie
(SEG 40.1195)]. L’anthroponyme Hypodikos apparaît dans la Corinthe du
début du VIe siècle [AJA 30 (1926) 448] et à Chalcis en Eubée à la fin du Ve
siècle av. J.-C. [FGrH 239 A 46].
ONOMASTIQUE GRECQUE ET DROIT 9
4
J’ai exclu les anthroponymes à premier terme en thémis(t) – tels que les noms
Thémixenos, Thémisthagoras (-tagoras, -stagoros), Thémistharétos,
Thémistandros, Thémistogénès, Thémistodamos (-demos), Thémistodikè,
Thémistodoros, Thémistokléas (-klès, -kleus), Thémistokleia, Thémistokypra,
Thémistopolis, Thémistônax (-anax), Thémistès, Thémistia, Thémistion,
Thémistios, Thémistis, Thémistiôn, Thémistola, Thémistolas, Thémistô,
Thémistôn, car ils constituent une catégorie spécifique qui se réfère plutôt à la
déesse Thémis (gén. Thémistos) – cf. Parker (2000: 56 sq) – et sur lequels je
me pencherai dans un de mes prochains articles. Analyse linguistique des
termes thémis/thémistai chez Fränkel, E. (1913), «Graeca-Latina», Glotta 4,
22-49 et notamment 22-31, ainsi que chez Chantraine, P. (1953), «Réflexions
sur les noms des dieux helléniques», L’Antiquité classique 22, 65-78. Sur le
culte de Thémis, voir Stafford, E. J. (1997), «Thémis. Religion and order in
archaic polis» dans l’ouvrage de Mitchell, L. G. et P. J. Rhodes (eds) The
development of the polis in archaic Greece, 158-167, London; Berti, I. (2001),
«Il culto di Themis in Grecia ed in Asia Minore» ASAA ser. 3 (1), 79, 289-298
et Berti, I. (2002), «Epigraphical documentary evidence for the Themis cult:
prophecy and politics» Kernos 15, 225-234. Cf. également les remarques à ce
sujet de Rudhardt (1999).
5
Cf. Effenterre (1974: 482). Son étude se fonde sur un échantillon de 150
anthroponymes, formes composées de thémis et dikè, y compris des
anthroponymes présentant le premier terme thémist-.
10 ILIAS ARNAOUTOGLOU
6
Fraser P. M. et E. Matthews (eds) (1987-2005) Lexicon of Greek Personal
Names, vols. I-IV, Oxford. Je n’ai pas pris en compte les noms Abroth[émis?]
[ILaodikeia am Lykos 68 (141/2 A.D.)], Anthémis, Panthémis, Euryth[émis?]
[SEG 50.1042. Métaponte, première moitié du IVe siècle av. J.-C.] et
Axiothémis (?) (Kymè, SNG Aulock 7694). Dans l’échantillon des noms
composés en – thémis sont inclus également les variantes dialectales et
orthographiques (par ex. Hegésithémis-Hagésithémis, Hiérothémis-
Heirothémis, Kléothémis-Kleuthémis, Phannothémis-Phanothémis,
Xeinothémis-Xénothémis). Dès la parution de l’article en grec, cinq cas
d’anthroponymes en – themis avaient été publiés: Apollothémis (Maionia en
Lydie, EA 39 (2006) 103 no. 2); Damothémis (Melos, Koumanoudes, Attikes
epigraphai epitymbioi. Prosthekai, 1996b); Istrothémis (Apollonia Pontica,
SEG 52. 690C); Stasithemis (Xanthos en Lycie, REG 118 (2005) 329-366);
Skydrothemis (Sinope, Tacite Hist. iv 84).
7
Cf. Pomeroy, S. B. (1997), Families in Classical and Hellenistic Greece, 68-
69, Oxford.
8
Cf. Dém. 43 (Contre Macartatos) 74: «Après que j’eus obtenu en justice la
mère de cet enfant, quatre fils me sont nés et une fille. Et voici les noms que
j’ai donnés à mes fils: à l’aîné, celui de mon père, Sosias; il est normal d’en
user ainsi, j’ai donc donné ce nom à l’aîné; au second que voici, celui
d’Euboulidès que portait le grand-père maternel de cet enfant; au suivant, le
nom de Ménesthée qui était celui d’un proche parent de ma femme; au plus
jeune, celui de Callistratos, celui du père de ma mère.» (traduction L. Gernet,
Les Belles Lettres) Cf. également Dém. 39 (Contre Boetos A) 27 et
ONOMASTIQUE GRECQUE ET DROIT 11
13
Cf. également les tentatives d’interprétation de Ruiperez, M. S. (1960),
«Historia de Themis en Homero», Emerita 28, 99 – 123 et van Effenterre, H.
et H. Trocmé (1964), «Autorité, justice et liberté aux origines de la cité
antique», Revue Philosophique de la France et de l’étranger 154, 405-434.
Voir également Ruzé, Fr. (1997), Délibération et pouvoir dans la cité grecque
de Nestor à Socrate, 30 et 97. Paris (Histoire ancienne et médiévale 43).
14
Cf. Rudhardt (1999: 20): «Au singulier il existe une exigence qui s’impose à
l’esprit des hommes, les autorisant ou non à exécuter certaines actions… La
locution prend parfois un sens plus fort: la conduite normale devient conduite
recommandée ou imposée par les convenances.»
15
Il convient de signaler ici la thèse de Rudhardt (1999: 23) selon laquelle la
thémis demeure une puissance qui influence de façon décisive la conduite
humaine mais ne se transforme pas en un ensemble distinct de règles. Bien sûr,
la thèse ci-dessus laisse ouverte la question de savoir comment cette puissance
se transforme en règle, éventuellement par le biais d’une pression sociale ou de
l’intégration de procédures.
ONOMASTIQUE GRECQUE ET DROIT 13
Perspective chronologique
Le témoignage le plus ancien d’un anthroponyme en -thémis
figure dans le catalogue des olympioniques pour l’année 732 av. J.-
C.: il s’agit d’Oxythémis qui était arrivé premier à l’épreuve de
course du stade et était originaire de Coronée17. Cependant, la
plupart des témoignages d’anthroponymes de cette catégorie
proviennent de Chypre. Ils apparaissent dans les inscriptions en
écriture syllabique et datent de la fin du VIIe ou du début du VIe
siècle av. J.-C. Au VIe siècle av. J.-C., des anthroponyme en –
thémis sont attesté en outre à Athènes, dans les îles de l’Egée
(Théra, Chios, Samos) et dans des colonies de Chalcidique [Sanè
(colonie d’Andros), Mendè (colonie d’Erétrie)] ainsi que dans la
mer Noire [Olbia (colonie de Milet)]. Au Ve siècle, des
anthroponymes analogues apparaissent en outre à Milet (et dans ses
colonies au bord de la mer Noire, Istros, Nymphaion), en Eubée, à
Paros, à Argos et à Cyrène. Alors qu’au IVe siècle, les sources se
multiplient, des anthroponymes analogues sont également
répertoriés dans des îles de l’Égée (Délos, Amorgos, Péparéthos,
Rhodes, Kéos), en Asie Mineure (Kolophon, colonies des Milésiens
(Cyzique, Sinope), Phasélis, Érytrée, Prokonésos), à Marseille
(colonie des Phocéens), en Thessalie (Larissa), en Macédoine et en
Thrace (Maronée).
16
Cf. également Gioffredi, C. (1962) «Su i concetti di themis e dike in Omero»
BIDR 3e ser. 4, 69-77. Vlachos G. K. (1984), Politikès koinoniès ston Omero,
191-203, Athènes. L’auteur est convaincu que le terme thémis correspond au
droit de la période mycénienne; en effet, dans la mesure où nous savons qu’il y
avait une écriture mycénienne, nous devons admettre également l’existence
d’un droit mycénien.
17
Moretti, L. (1957) Olympionikai I vinctori negli antichi agoni olimpici, no 12,
Roma, considère qu’il s’agit de Coronée en Arcadie et non de la ville
homonyme de Messénie ou de Thessalie.
14 ILIAS ARNAOUTOGLOU
18
Cf. Hagesithémis (1 cas), Hagnothémis (1), Alkithémis (1), Amphithémis (1),
Anaxithémis (10), Androthémis (2), Antithémis (1), Apollothémis (3),
Aristothémis (2), Basilothemis (1), Daithémis (1), Damothémis (5),
Deisithémis (1), Delothémis (2), Diothémis (1), Eothémis (1), Ergothémis (1),
Hermothémis (4), Euthémis (5), Euxithémis (3), Eurythémis (1), Zenothémis
(2), Hegesithémis (1), Herothémis (2), Theothémis (1), Hierothémis (1),
Eirothémis (1), Isothémis (1), Kaikothémis (1), Kallithémis (4), Kleisithémis
(4), Kleothémis (2), Kleuthémis (5), Lesbothémis (1), Mandrothémis (1),
Menothémis (3), Metrothémis (1), Nikothémis (2), Pasithémis (4), Pratothémis
(1), Prexithémis (1), Timothémis (6), Hypsithémis (2), Phanothémis (2),
Philothémis (4), Chrysothémis (4).
19
Cf. Akestothémis (2 cas), Diaithémis (1), Dieithémis (3), Ellothémis (1),
Eslothémis (1), Eurythémis (1), Zoôthémis (2), Kyprothémis (3), Onasithémis
(3), Timothémis (1), Philothémis (1).
20
Cf. Aristothémis (1 cas), Kleuthémis (7), Polythémis (1).
21
Cf. Akestothémis (1 cas), Apollothémis (3), Zénothémis (3), Hérothémis (1),
Théothémis (1), Kallithémis (2), Pheggothémis? (1), Chrysothémis (5).
22
Cf. Aristothémis (2 cas), Ménothémis (1), Oxythémis (1), Pasithémis (2),
Chrysothémis (3).
23
Cf. Oxythémis (3 cas).
24
Cf. Agnothémis (1 cas), Apollothémis (3), Dionysothémis (1), Euxithémis (1),
Zénothémis (2), Hérothémis (1), Idanthémis (1), Hiérothémis (1), Istrothemis
(1), Kyprothémis (1), Ménothémis (1), Molpothémis (2), Xeinothémis (2),
Sôthémis (1). On notera que l’anthroponyme Dionysothémis ne figure pas dans
le volume IV de LGPN.
25
Cf. Amphithémis (4 cas), Anaxithémis (4), Androthémis (1), Apollothémis (16),
Aristothémis (1), Boulothémis (1), Damothémis (3), Diothémis (2), Hellothémis
ONOMASTIQUE GRECQUE ET DROIT 15
37
Cf. Effenterre (1974: 485) qui hésite entre l’interprétation selon laquelle ils
sont théophores ou reflètent une «régularité mensuelle».
38
Deux témoignages indirects sur le rapport entre des oracles et l’obtention
d’une concorde à l’intérieur des cites sont sauvés dans une réponse d’oracle du
Ve siècle av. J.-C. à Dodone: quand les Corcyréens demandèrent à quelle
divinité ils devaient sacrifier et consacrer leurs prières pour parvenir à la
concorde et vers 190 av. J.-C.; dans le vote honorifique pour Antiochus III
(IIasos 4 II, 54), il est mentionné que le dieu archégète (Apollon) avait
ordonné qu’ils vivent «dans la concorde».
39
Cf. Burkert, W. (1985), Ancient Greek Religion, 116, Oxford et Fontenrose, J.
(1978), The Delphic oracle, Its responses and operations with a catalogue of
responses, Berkeley.
40
Cf. Parker (2000: 59-60). Effenterre (1974: 484) inclut dans la catégorie des
théophores les noms Akestothémis, Lesbothémis et Molpothémis, en supposant
18 ILIAS ARNAOUTOGLOU
44
Cf. Effenterre (1974: 485) qui considère que Pyrgothémis est à rattacher aux
«greniers, silos». Je pense toutefois, pour ma part, que le premier terme est à
rapprocher du verbe pyrgoô, qui signifie «j’élève»; cf. l’anthroponyme
Pyrgotélès attesté à Rhodes au début du 1er siècle av. J.-C. (SEG 39. 732 III
12).
45
Cf. toutefois Effenterre (1974: 483-84) qui soutient que nombre de ces
anthroponymes sont des «formations banales».
46
Il convient de signaler l’anthroponyme gréco-scythe Idanthémis, qui est attesté
sur un vase dans l’Olbia du VIe siècle av. J.-C. Selon les scholiastes, il
combine le thème scythe Idan-, connu dans la région (cf. Hérod. 4. 76) et le
deuxième terme – thémis, qui apparaît dans la région.
20 ILIAS ARNAOUTOGLOU
47
Effenterre (1974: 484) se demande si l’anthroponyme ne doit pas être attribué
à une divinité guérisseuse.
48
IG xii (3) Suppl. 1302, 54 (Thera, 2e siècle av. J.-C.).
49
IIlion 10, 9 (Assos, 77 av. J.-C.).
50
Effenterre (1974: 485) observe que le premier terme Boulo- ne s’accompagne
que du thème – thémis. Il est probable que l’anthroponyme soit lié à l’épithète
cultuelle Boulaios ou/et Bouleus de Zeus et appartienne par conséquent aux
théophores au sens large du terme.
51
Voir IDidyma II 205; 218I; 231; 232A; 236; 340; 342; 390B; 391B; Milet I (3)
125, 41; 126; 127, 32.
52
Cf. Vial, Cl. (1984) Délos indépendante, 44 (stemma) Paris (BCH Suppl. 10),
IG xi (2) 144A, 33 et IG xi (4) 1288.
53
Voir Milet I (3) 122 I, 103; IDidyma II 432; 452, 10-11.
ONOMASTIQUE GRECQUE ET DROIT 21
54
Voir SEG 19. 578 II, 15.
55
Voir ASAA n.s. 25-26 (1963-64) 169 no. IX a, 56; TCal 88, 107.
56
Voir FdXanthos 7 nos 60-61, 92; IKaunos 351, 5-6; IMylasa 366; JÖAI 5
(1902) 198; Petersen – Luschan, Reisen II, 87-88; REG 118 (2005) 329-366;
SEG 28.1220; 44.1219B, 20; TAM ii 194; 247; 261; 280; 375; 516; 601a, 5;
615; 627; 765.
22 ILIAS ARNAOUTOGLOU
STAMATIOS TZITZIS
Directeur de Recherche CNRS, Directeur adjoint de l’Institut de Criminologie,
Université PAtnhéon-Assas/UME 7184
1
Cf. l’article 3 des conventions de Genève de 1949. Il comprend des principes
humanitaires minimaux ayant une valeur morale, principes que l’on peut
opposer aux violences faites entre parties dans un conflit interne.
2
Voir, J.PICTET, Développement et Principes du Droit Internationale
Humanitaire, Paris, A.Pedone, 1983; Le Droit International Humanitaire : Les
Dimensions Internationales, Paris, A.Pedone, 1986.
24 STAMATIOS TZITZIS
3
Cf ;E.KANT, Leçons d’Ethique, Paris Classiques de poche1997 p. 123-124 : «
Les lois morales expriment des ordres…elle peuvent être considérées comme
des commandements de la volonté divines. Elles n’ont pourtant pas leur
origine dans ce commandement : si Dieu ordonne ceci ou cela, c’est parce qu
ce sont là des lois morales et que sa volonté s’accorde elle – même avec ses
lois morales..».
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 25
4
E.KANT, Métaphysiques des Mœurs. Première Parties, Doctrine du Droit,
paris, Vrin, 1986, p.99 : «..Les lois qui obligent, et pour lesquelles une
législation extérieure est possible, s’appellent des lois externes…De ce nombre
sont celles dont l’obligation peut être reconnue a priori par la raison, même
sans législation extérieure, et qui bien qu’extérieures sont des lois naturelles ».
5
Cf.E. KANT, Métaphysique des Mœurs, op. cit., p. 96. « L’obligation est la
nécessité s d’une action libre sous un impératif catégorique de la raison ».
6
Il est caractéristique que pour les Stoïciens les hommes possèdent la même
nature que Dieu. Toute activité divine (qui est celle de la nature universelle) est
d’une parfaite rationnalité Or comme l’homme s’y accomplit, car il fait partie
de la nature universelle dont la rationalité conicide avec la beauté morale.
C’est pourquoi il doit se conformer à la droite raison comme obéissance au
juste. Voir LONG et SEDLEY, Les Philosophes Hellénistiques, v. II Les
Stoticiens, Paris GF Flammarion, p. 454, 2001.
7
Cf., CICERON, De la République, III, 22,33.
26 STAMATIOS TZITZIS
1. Justice et cosmos
Le droit fait partie de l’ordonnancement du monde qui est un
cosmos c’est-à-dire un ensemble harmonieux des choses reflétant
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 27
8
Héraclite soutient notamment : « toutes chose naissent et meurent selon ce
logos-ci » frg I, p.145, éd de la Pléiade. Le logos est également au cœur des
philosophies stoiennes tant de la Grèce et de Rome. MARC-AURELE résume
caractéristiquement l’importance du logos qui est géniteur (spermatikos) dans
le cosmos en ces termes : « La substance universelle est docile et plastique. La
raison qui la gouverne n’a aucun motif en soi de faire du mal », Pensées, livre
VI, 1 c f ; »VI, 5 pour le logos spermatikos, Pensées livre ; IV, 14 ; 21
9
HERACLITE, frg. XVI p.141 Les Présocratiques, éd. de La Pléiade, 1989.
10
HERACLITE frg L, p. 157, op. cit., l’ordre cosmique, l’ensemble des
symétries et des proportions de l’univers qui assurent un ensemble beau et
harmonieux de l’Etre.
11
FrgVIII, p.137 éd. de la Pléiade.
12
Frg. II a, p. 146, éd. De la Pléiade.
13
HERACLITE, frg.CXXIII, p.173 éd de la Pléïade
28 STAMATIOS TZITZIS
14
Au sens de la construction ordonnée, de la poièsis
15
MARC-AURELE résume magistralement ces idées dans le passage suivant :
« Toutes choses s’enchaînent entre elles et leur connexion est sacrée et
aucune…n’est étrangères aux autres, car toutes ont été ordonnées ensemble et
contribuent ensemble au bel ordre du même monde » Pensées, Livre. VII, §9.
et en suite il établit le rapport entre la justice l’être et sa vérité : « Un, en effet,
est le monde que composent toutes choses, un Dieu répandu partout ; une
substance, une loi, une raison commune à tous les êtres intelligents, une
vérité », ibidem.
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 29
16
Cf. ARISTOTE, Physique 196 a 24. MARC-AURELE, précise que le noûs du
tout est sociable ( koinonikos), Les Pensées, L l. V§30.
17
Cf. Aetius, 2, 3, 2(DK 67 122) Voir aussi DEMOCRITE, La Vie et son Œuvre.
Les Fondements de la Théorie Atomiste ‘en grec), Grèce, Zètros, éd 2004,
p.279.
18
Cf. ARISTOTE, Traité du Ciel, I, 1, 268 a 10.
19
ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, 1132 b 21
20
Les Présocratiques, op. cit., frg V, p. 589.
30 STAMATIOS TZITZIS
21
Archa kai pantôn genna : Le commencement et la naissance du tout. Ces
paroles sont extraites d’un hymne à la nature attribué aux Pythagore, mais ce
poème appartient au 4ème ou au 5ème siècle après J.C. Il est de tendance
gnostique, voir Anthologie des Anciens Hymnes Helléniques, Grèce, Zètros,
2005, p. 402 (en grec).
23
C’et pourquoi, l’existence appartient à ceux qui ne sont pas encore nés comme
aussi à ceux qui sont déjà morts. Ainsi Empédocle remarque-t-il que « Jamais
il ne viendrait à la pensée d’un sage
Que le temps de la vie, au sens usuel de vie,
Avec tout son cortège et de maux et de biens,
Pourrait à lui tout seul constituer l’existence ;
Qu’avant d’être assemblé qu’après’s’être dissous,
Les mortels ne sont rien. », frg. XV, p. 378-379, éd de la Pléïade.
23
Pensées, livre l. IV, §14 : » Tu as été formé comme partie. Tu t’évanouiras
dans ce qui t’a donné naissance ou plutôt tu seras repris dans sa raison
génératrice par transformation » ; § 21 C’est que, comme ici bas les corps,
après avoir suscité quelques temps, se transforment et se décomposent pour
faire place à d’autres cadavres ». ;
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 31
24
L’andapodosis désigne la restitution en échange THUCYDIDE, La Guerre du
Péloponnèse, 4, 81. mais aussi l’action de payer en retour d’où le paiement
d’une dette et au sens figuré la récompense ou le châtiment ARISTOTE,
E.N.,5,5,7. La valeur de l’antapodosis comme châtiment rétributif, nous le
trouvons dans l’idée de timôria et de tisis. Pour l’idée de timôria comme
sanction pour l’effusion du sang voir EURIPIDE, Oreste, v. 400 ; 425. Voir
aussi, PLATON, Gorgias, 472 d ; La République, 579 a. Pour la Tisis voir
HOMERE, Iliade, 22, 19 ; Odyssée, 1, 40 ; 2, 76. HERODOTE, L’Enquête, 7,
8 ; 8, 76.
25
Du verbe antipaschein, éprouver à son tour ou en retour la pareille (en bien ou
en mal) Cf. SOPHOCLE, Philoctète, v. 584. ARISTOTE, Ethique à
Nicomaque, 8,13, 8, où le philosophe l’entend au sens de réciprocité en
matière pénale et où il comment cette loi pythagoricienne comme fondement et
finalité du châtiment.
26
ANAXIMANDRE, frg.1, p. 39, éd La Pléiade, op. cit.
27
C’est pourquoi la Dikè comme justice rétributive, immanente à la physis, est
inévitable
32 STAMATIOS TZITZIS
28
Ibid ; frg. II, p. 39.
29
ARISTOTE Physique, IV, X 218, a 33.
30
Les Présocratiques, op. cit., frg. XXXIII, p.580.
31
PHILON, De l’Indestructibilité du Monde, 52, 54.Cf., PLATON, Timée, 37 e.
32
Frg. XCIV, éd. de La Pléiade, p. 167,
33
Frg.VIII, p.137, éd., La Pléiade.
34
Ibidem
35
Ibidem
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 33
36
Ibidem
37
Ibid, frg.XXX, p.153 Héraclite va jusqu’à considéré que le feu (assimilé au
logos) est doué de conscience et cause de l’ordonnance de toute choses», op.
cit., frg. LXIV, p. 160-161.
38
L'ôra désigne une période du temps cf., XENOPHONE, Mémorables, 4, 7,4;
ou bien une période déterminée du temps comme l’année, voir SOPHOCLIE,
Œdipe Roi, v. 156, HERODOTE, L’Enquête, 2, 4. Elle désigne en plus la
saison, EURIPIDE, Cyclope,v. 506. Dans sa conception anthropomorphique,
l’Ora représente la Jeunesse, messager d’Aphrodite, PINDARE, Néméennes.8,
1.
39
Clôthô, Lachésis et Atropos. Voir HESIODE, Théogonie, 904.
40
Anthologie des Hymnes.op. cit. p. 412.
41
Cf. les paroles de Médée qui qualifie Thémis de potnia (auguste) et de
euktaian (gardienne des vœux) ; voir EURIPIDE, Médée, v. 160 et 169.
42
A Athènes elles portent les noms de Avxô, Thallô et Karpô. Etudiées toujours
en liaison avec tout ce qui se pousse (phyein) et porte des fruits. Voir
HESIODE, Théogonie, 901 ; Oeuvres et Jours, 75, HOMERE, Iliade, 5, 749 ;
8, 393 et 433.
34 STAMATIOS TZITZIS
3. Justice et Vérité
L’être pour Parménide est immuable et stable. Or l’idée
d’une justice rétributive immanente aux cycles rythmiques
ontologiques ne saurait y avoir droit de cité.. Ici, il faut surtout
étudier la conception de la justice et de son rôle en fonction de
l’alèthéia. En effet, Dikè, aux nombreux châtiments détient les clés
43
Cf. HESIODE, Théogonie, 910-3.
44
Anthologies des Hymnes …op. cit. p.42.
45
L’hybris figure la faute ontologique, c’est-à-dire qu’elle est commise
indépendamment de la volonté humaine, alors que le péché tire son origine de
la volonté de l’homme. L’l’hybris comme faute ontologique se distancie du
péché qui désigne la faute théologique.
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 35
46
« De la nature », p; 255, Les Présocratiques, édition de La Pléiade, op.cit..
47
Ibid., p. 255.
48
Il ne faut pas oublier que étymologiquement la dikè est de la même famille que
le verbe deiknymi, montrer, faire apparaître aux yeux.
49
Le chréon qui signale la présence indispensable de la justice dans le Temps qui
lui sert, pour la plupart de temps de catalyseur
50
Frg. XXXVII, p. 247 éd. La Pléiade.
51
Cf. les paroles du coryphée dans Hippolyte d’EURIPIDE, v.1255-56 : « Hélas!
voici consommés de nouveaux malheurs! Au sort (moiras) et au destin
(chréôn) nul moyen d’échapper ».
52
Frg.XXX, p.245; éd. La Pléiade.
36 STAMATIOS TZITZIS
53
. C’est-à-dire qui possède un logos, un noûs et une pronoia.
54
frg.VI p.260
55
1, 25, 3 (DK 28 A32) DEMOCRITE, Sa Vie et son Oeuvre, Athènes, éd
Zètros, Athènes, 2004, p.277.
56
DK 28A32
57
Selon le témoignage de Stobée, I, 79, 1-12.
58
De Fato, 17,39 D.K 68 A66, voir DEMOCRITE, op. cit., p ; 282.
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 37
4. Du cosmos à la polis
La justice (dikè) vise le maintien de l’ordre socio-politique.
Avec la pudeur (aidô), elles constituent les fondements de la polis
dès l’époque archaïque60. Notamment, la première en est le pilier
moral et la seconde le pilier politique61, ce qui révèle une société
institutionnellement bien organisée62.
Dans ce cadre, la justice assume des fonctions analogues à
celles qu’elle exerce au niveau du cosmos. Elle vise à maintenir la
cohésion sociale et l’équilibre dans les rapports entre citoyens
(synallagmata). À la manière de l’hybris cosmique, il existe
également une hybris humaine, la démesure qui nuit aux
synallagmata. Elle intervient chaque fois qu’il y a un dépassement
de la mesure par les citoyens, à savoir une violation du prépon (le
convenable), de ce qui est juste dans la nature des choses. Une
étroite corrélation existe entre l’hybris cosmique et l’hybris
59
Cicéron assimile le destin à l’heimarmenè. Par ce terme, il entend
l’ordonnancement du monde et ses causes à effets. En plus il fait de ce destin
la vérité du monde qui est suit l’écoulement des choses éternelles de la nature,
Voir, De la Divination, 1, 125-126. Ne s’agit-t-il pas d’une assimilation du
destin à chaque dévoilement de l’être : alèthéia, destin conforme aux normes
de l’être ?
60
Cf. PLATON, Protagoras, 322 c.
61
Au sens grec du mot, ce qui se rapporte aux affaires sociales de la cité.
62
Cf. HESIODE, Oeuvres et Jours, v.192-193 ; HOMERE, Iliade 112 et suiv.
38 STAMATIOS TZITZIS
humaine car toutes les deux portent atteinte à ce qui pousse (phyei),
la physis, commencement et totalité dans choses dans leurs
éternelles tranformations et leur surgissements 63. Dans ce sens-là,
l’une et l’autre témoignent de la transgression du droit « naturel »
Le conseil de Solon aux Athéniens 64 illustre bien cette
situation. Solon voit dans l’hybris politique, la démesure engendrée
dans les affaires de la cité et l’esprit de l’injustice (adikos noos) des
gouvernants. Mais il discerne la soif excessive pour l’argent qui
entendre le koros, l’orgueil ou l’insolence65. Le châtiment est
inévitable, sous forme de grands malheurs. Car le koros engendre, à
son tour, l’hybris et fait appel à l’atè ; une fois que les fondements
de la justice sont ébranlés par la violation des principes de droit qui
assurent le bon ordre de la cité. Solon attire, lui aussi l’attention, sur
l’inévitable de la punition, vu que la Dikè détient un rôle
inextricablement rétributif (apotisomenè) dans le temps catalyseur.
C’est le moment où advient Némésis dispensatrice des
peines, pour sanctionner l’hybris des mortels 66. Elle est décrite
comme la fille de Dikè, et sa présence dans l’univers punitif
confirme le caractère ontologique de la sanction. Eschyle, dans une
tragédie perdu dont un petit fragment nous est parvenu, fait d’elle la
justice qui assume la punition de ceux qui veulent châtier au nom
des morts 67.
63
Selon le témoignage de Sextus Empiricus, Contre les Professeurs, IX, 332, in
A.A.LONG – D.N SEDLEY, Les Philosophes Hellénistiques, op. cit, p.241 : «
Les philosophes stoïciens supposent qu’il y a une différence entre le ‘tout’et
l’ensemble’. En effet, ils disent que le ‘tout’est le monde, alors que
l’‘ensemble’est le vide extérieur pris avec le monde.C’est pourquoi ils disent
que le ‘tout’est fini, puisque le monde est fini, mais que l’‘ensemble’est infini,
puisque le vide extérieur au monde l’est ».
64
Hyppothèkè pros Athènaious, 2S =2D =4W, voir Poésie Lyrique, Athènes
Zèbres, vol 2,2000, p. 202-203(en grec).
65
Pour le rapport entre koros et hybris et l’até : châtiment envoyé par les
dieux,sous forme de grands malheur, voir aussi ESCHYLE, Les Perses,v. 821
et suiv. :Agamemnon, v.374 et suiv.…Cf. PYNDARE, Olympiques 13, 10.
66
Anthologie….op. cit. p. 339.
67
Les Phrygiens ou La Rançon d Hector, « Némésis est plus forte que nous et
c’est la Justice qui assume la colère du mort ». Tragiques Grecs, Eschyle.
Sophocle, La Pléiade,1977, p. 981.
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 39
68
Cf., HOMERE, Iliade, 1, 238 ; Odyssée, 11, 186
69
Anthologie.op. cit, p.392-393. Cf..PINDARE, Olympiques.12, 1 et suiv ; cf
aussi les aproles de Pélée dans Médée, v. 1081-82: « O destin( moira), au
terme suprême de la vieillesse, de quelle infortune m’as-tu enveloppé ! »
70
Anthologie, op. cit, p.392. LUCIEN, La Nécromancie, 16
71
Cf.EURIPIDE, Hippolite, v. 818-820 : « O fortune-s’exclame Thésée-, de quel
poids tu t’es abattue sur moi et ma maison, souillure mystérieuse infligée par
quelque génie vengeur ! ».
72
Cf.EURIPIDE, Médée, v.1333 : « Le génie vengeur attaché à ta personne, c’est
sur moi que l’ont lancé les dieux ».Il s’agit des paroles qu’adresse Jason à
Médée.
73
Cf. les parole du chœur dans Médée, v. 1258-1260 : « Va donc, lumière née de
Zeus, retient-là, arrête-la (Médée), chasse de la maison la misérable
sanguinaire Erinys suscitée par les génies du mal ». Cf.aussi l’imprécation de
40 STAMATIOS TZITZIS
85
Cf.EURIPIDE, Hippolyte, v.1290-1293. Ici, Artemis s’adresse à Thésee en ces
termes : »Sous la terre, au fond du Tartare, que ne vas-tu cacher ta honte, ou
dans les airs, changeant de vie, prednre ton vol pour échapeer à la misère ? »
86
Cf. HESIODE, Théogonie, 720 et suiv. Le Bouclier d’Héraclès (Scutum) v.
254-255.
87
Elle est composée de trois pièces :Agamemnon, Les Choéphores et Les
Euménides.
42 STAMATIOS TZITZIS
Epilégomènes
La justice mythologique nous révèle la nature et le caractère
du dikaion qui est conçu, depuis l’aurore de la pensée antique,
comme pacificateur des discordances de l’être dues à sa portée
dialaetique. Cette entreprise est décrite dans un langage poétique
qui trouve son expression dans le mythos et ses images dans la
conception de la justice à multiples visages anthropomorphiques.
88
ESCHYLE, Les Choéphores, v. 306-308 : Le coryphée, en s’adressant aux
Erinyes, remarque à ce sujet : Parques, que, de par Zeus, tout s’achève dans le
sens où se porte aujourd’hui le Droit ( to dikaion métabainei »)
FIGURES ANTHROPOLOGIQUES DE LA JUSTICE 43
89
Au sein de la polis, de la cité grecque.
90
Voir notamment le livre V de l’Ethique à Nicomaque
44 STAMATIOS TZITZIS
91
En effet, pour Aristote l’être et le droit se disent de plusieurs manières.Cf.,
Ethique à Nicomaque, 1129 a 24-26 ; Métaphysique, Z, 1,1028, a 10 et suiv.
3
MYTHE ET MATHÉMATIQUES
CHRISTINA PHILI
Professeur à l’École Polytechnique d’Athènes, Docteur d’État,
Membre corr. de l’Académie Internationale d’Histoire des Sciences,
Université Technique d’Athènes
I. Introduction
Le titre de notre article pourra probablement surprendre le
lecteur, cependant au début de notre civilisation1, ces deux entités
nettement disjointes, s’allient par une sorte d’affinité.
Dans son livre Le Rôle des Mathématiques dans les Progrès
des Sciences 2, Samuel Bochner, mathématicien renommé du 20e
siècle, tâche de mettre en évidence cette alliance. En se basant sur
un extrait où apparaît la «définition» du mythe, il remarque que, s’il
remplace le mot mythe par le mot mathématiques, cette définition
reste valable. Le fragment suivant explicite, d’un livre3 sur le réveil
1
V. F.R.S. Lord Raglan, How Came Civilization? London 1939; W. McNeill,
The Rise of the West Chicago. University of Chicago Press 1970; Peoples and
Places of the Past. Washington. National Geographic Society 1983; A.
Marshack, The Roots of Civilization 2nd ed. Mount Kisco, N.Y.: Moyer Bell
Limited 1991.
2
S. Bochner, The Role of Mathematics in the Rise of Science. Princeton.
Princeton University Press. 1966.
3
H. Frankfort, The Intellectual Adventures of Ancient Man. Chicago 1946 p. 8.
46 CHRISTINA PHILI
4
En ce qui concerne les mathématiques v. R.J. Gillings, Mathematics in the
Time of the Pharaohs Cambridge MIT Press 1972; v. aussi The Mathematics
of Ancient Egypt, Dictionary of Scientific Biography New York Scribner 1978
vol. 15 pp. 681-705.
5
O. Neugebauer, The Exact Sciences in Antiquity Princeton. Princeton
Unversity Press 1951; New York Dover 1969 et B.L. Van der Waerden,
Science Awakening I New York Oxford University Press 1961; v. également J.
Friberg, «Mathematik» Reallexikon der Assyriologie 7. 1987-1990, pp. 531-
585; D. Schmandt-Besserat, Before Writing: From Counting to Cuneiform
Austin: University of Texas Press 1962; E. Robson, Mesopotamian
Mathematics 2100-1600 B.C: Technical Constants in Bureaucracy and
Education. Oxford, Oxford University Press, 1998.
6
S. Bochner, op. cit. p. 14.
7
Comme nous l’avons déjà mentionné, cette définition se réfère au mythe. C’est
à dire «Le Mythe est une forme de poésie qui …».
8
S. Bochner, op. cit. p. 17.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 47
9
Les Grecs avaient une aisance naturelle à penser par des symboles. Ils sont les
premiers à utiliser des lettres de l’alphabet comme numéros.
10
D.H. Fowler, The Mathematics of Plato’s Academy: A New Reconstruction.
Oxford. Clarendon Press 1987;
11
F. Lasserre, The Birth of Mathematics in the Age of Plato Larchmont New
York. Larchmont New York. American Research Council 1964. Y. aussi
H.D.F. Kitto, The Greeks London Penguin 1951; G.E.R. Loyd, Early Greek
Science: Thales to Aristotle New York. Norton 1970; Magic, Reason and
Experience Cambridge University Press 1979.
12
Critias 11a.
13
V. Ch. Phili, Juriprudence’s elements in Lavdakian and Atredian Myths.
Festschrift für Kostas Beys dem Rechtdenker in Attischer Dialektik. Athen
2003 pp. 1255-1271.
14
Eschyle, Prométhée Enchaîné 551.
48 CHRISTINA PHILI
15
Iliade VI. 153.
16
Peut être que son nom est formé par redoublement de la racine sophos.
17
Apollodore 1,9,3.
18
Pausanias 2,5,1.
19
Iliade VI. 153.
20
Theog. 703.
21
Cf. Sisyphe s’évade. St. Radt (éd). Tragicorum Graecorum Fragmenta.
Göttingen 1984. Eschyle fr. 220.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 49
22
Cf. Sa rivalité avec le fils d’Hermès, Autolykos.
23
Iliade VI. 153.
24
Odyssée XI. 593.
25
Le mot limites ici signifie bornes, et Aristote dans sa Métaphysique définit ce
qu’il entend par limite : «Est dit limite l’extrême de chaque chose, premier
terme à l’extérieur duquel rien ne peut se trouver et à l’intérieur duquel on
trouve tout et qui est aussi la forme d’une grandeur ou de ce qui a une
grandeur ». Aristote, Métaphysique 1022 a 4-6.
26
Aristote, Physique 227 a 11-12.
27
Idem 228 a 29.
28
B. Bolzano formule le concept de la continuité, inspiré d’une source ancienne
philosophique en même temps que mathématique. Le célèbre principe de
continuité de Leibniz, ayant comme titre Principium quoddam generale …
« Lorsque la différence de deux cas peut être diminuée au-dessous de toute
grandeur donnée in datis ou dans ce qui est posé, il faut qu’elle puisse se
trouver aussi diminuée au-dessous de toute grandeur donnée in quaesitis ou
tout ce qui en résulte ». G.W. Leibniz, Math. Schriften éd. Gerhardt. t. III. P.
50 CHRISTINA PHILI
52 cf. Principieun quoddam generale. Math. Schriften éd. Gerhardt tom. VI. p.
129.
29
En comparant l’ensemble des nombres rationnels et la droite, Dedekind veut
conclure la continuité de la droite.
30
P. Dugac, Histoire de l’Analyse. Autour de la notion de limite et de ses
voisinages préface J.P. Kahane. Vuibert Paris 2003.
31
R. Dedekind, Stetigkeit und irrationale Zahlen. Branschweig Vieweg. 1872.
p.18
32
Euripide, Orestes 5.
33
Son nom évoque la richesse.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 51
34
Son royaume comprenait la Phrygie, le Plateau de Ida et le champ de Troie.
35
Platon, Ethyphron 11e.
36
Olymp. I, 55.
37
Plutarque Eth. 607f.
38
Pindare Olymp. I. 60.
39
Odys. XI. 582.
40
Article Infini, Encyclopedia Universalis p. 992.
41
Plusieurs siècles plus tard, Saint Thomas d’Aquin va identifier l’infini du Dieu
de la Bible.
52 CHRISTINA PHILI
42
Article Infini Encyclopédia Universalis p. 995.
43
Aristote, Physique 207 b8.
44
Idem 266 b, 3.
45
Il s’agit du fameux «lemme d’Eudoxe» énoncé plus tard par Euclide, Eléments
X, 1.
46
Article Infini Encyclopédie Universalis p. 995.
47
C. Boyer, The History of the Calculus and its conceptual development New
York 1949 p. 24.
48
V. p. ex. Fl. Cajori, The purpose of Zeno’s Arguments on Motion Isis III 1920
pp 7-20; History of Zeno’s arguments on motion, American Mathematical
Monthly 22 (1915) pp. 1-5, 39-47, 77-82, 109-115, 143-149, 179-186, 215-
220, 253-258, 292-297. V. également G.E.L. Owen, Zeno and the
mathematicians, Proccedings of the Aristotelian Society V. 58 1957-58 pp.
199-1222; B. L. van der Waerden, Zenon und die Grundlagenkrise der
Griechischen Mathematik. Math. Annalen 8d. 117 1940 pp. 141-161 et F.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 53
V. Prométhée et le nombre
Prométhée, fils de Japet (Iapétonidès) et d’Asie52 ou bien de
Clyméné, fille de l’Océan, appartient à la race des Titans qui,
52
L. Séchan, Le mythe de Prométhée. Paris 1951.
53
Nous ne devons pas passer sous silence que du sanscrit prâmathyus, dérivé du
mot pramantha, « celui qui obtient le feu par le frottement » nous obtiendrons
l’interprétation qui converge vers la légende du héros eschylien. cf. A. Kuhn,
Die Herabkunft des Feuers und des Göttertranks. Berlin 1859 ; M. Bandry,
Les mythes du feu et du breuvage céleste. Revue germanique 1861 p. 358.
54
Les élèves de Pythagore se divisaient en deux classes : auditeurs et disciples.
Au Moyen-Age, le terme commence à désigner celui qui est versé dans la
science mathématique, le mathématicien.
55
Theog. 565.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 55
63
H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker. 1er Bd. 2e Aufl. Berlin 1906.
64
Nous n’abordons point ici la découverte de l’irrationalité v. Aristote, Premiers
Analytiques 14 a 26.
65
Nicomaque de Gérase dans son Introduction arithmétique admet deux
nombres, l’intelligible et l’épistémologique, qui est l’objet de l’arithmétique v.
Nicomaque de Gérase, Introduction arithmétique trad. Par J. Bertier, Paris
Vrin 1978, I. VI 1 et 2.
66
Ibidem I.IV. 2.
67
Ibidem I.V. 3.
MYTHES ET MATHEMATIQUES 57
VI. Conclusion
Les symboles dans les mythes créent la supposition selon
laquelle les vérités qu’ils proclament, ont une valeur universelle et
invariable72. Selon le mythe donc, les trois héros qui se sont
révoltés contre Zeus Sisyphe, Tantale et Prométhée, ont subi le
châtiment sévère du Père des Dieux. Malgré cette punition, ces trois
martyres de nos héros peuvent cacher des concepts mathématiques
fondamentaux qui même au sommet des mathématiques grecques
constituaient des questions sacro-saintes. Les concepts de la limite,
de la continuité et du nombre, cristallisés et élucidés au XIXe siècle,
étaient implicitement évoqués dans ces mythes.
Nous avons tâché de présenter ce passage des mythes aux
notions scientifiques qui ont désormais défini le cadre
mathématique. Pourtant ce cadre demeurera une sorte de rêve sans
prise directe sur la véritable réalité73.
68
Idem 1. VI. 1.
69
«dépourvu de matière» Nicomaque de Gérase, op. cit. 1. VI. 1.
70
Idem.
71
Idem.
72
S. Bochner, op. cit. p. 17.
73
Platon, République VII, 533 B.
Page laissée blanche intentionnellement
4
LE VOYAGE D’APOLLON
AU PAYS DES HY PERVORÉENS
OU LA FA SCINAT ION
D’UN MYTHE CULTUREL
IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
Université d’Athènes – Faculté des Lettres,
Département de Langue et de Littérature Françaises
L’Hyperborée perdue
Nous sommes très conscients que n’existe point d’Hyperborée
au-delà des monts Ripées, même si ses bleues frontières
se déplaçaient de plus en plus au loin,
selon les découvertes les plus récentes des géographes.
Aujourd’hui c’est attesté :
le pays, d’où nous venaient les cygnes et les cailles,
où les dignes vierges Laodiké et Hyperokhé préparaient
pour les dieux
les prémices des fruits, les enveloppant avec attention
dans la paille du froment et du papier fin,
c’était de la pure imagination.
Et maintenant on se demande
où peut-il bien émigrer Apollon chaque hiver
sur son char attelé de cygnes et de griffons,
jouant sa lyre dorée, tandis que nous, durant des mois
et des mois,
attendions en vain son retour en mars,
60 IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
1
Yannis Ritsos, Pierres. Reprises. Balustrade (en grec), Athènes, Editions
Kedros, 1972, p. 82, [notre traduction]
LE VOYAGE D’APOLLON 61
2
Mircea Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, pp. 16-17.
3
J.Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Paris, R. Laffont,
1982, p. 1027.
62 IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
4
Edith Hamilton, La mythologie, Verviers, Les Nouvelles Editions Marabout,
1978, pp. 74-75.
5
Jean Malaurie, « Les routes polaires. Le mythe du Pôle Nord : les
Hyperboréens, Apollon, la licorne de mer et l’étoile polaire », Pôle Nord 1983,
Paris, CNRS-EHESS.
LE VOYAGE D’APOLLON 63
6
« La disparition du continent d’Hyperborée », au site
électronique :http ://www. Atlantide-energies.com.
7
Pind.., Olymp. III.
8
« ripaia orè », première mention connue dans Alcman, poète qui vivait à
Sparte vers 650 avant J.-C., cité dans R. Dion, « La notion d’Hyperboréens, ses
vicissitudes au cours de l’Antiquité », Bulletin de l’Association G. Budé, n° 1,
1976, p. 143.
64 IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
9
Lionel Casson, Travel in the Ancient World, (en grec), Athènes, MIET, 1996,
p. 67.
10
Ibid, p.129.
11
Lionel Casson, Travel in the Ancient World, (en grec), Athènes, MIET, 1996,
p. 129.
12
Ibid.
13
Hellanicus, Fragm. Hist. Grec. II, p. 58.
14
Fragm. 113, cité par Fréderic de Rougemont, Le peuple primitif, sa religion,
son histoire et sa civilisation, Genève, Joel Cherbuliez, 1857, p. 166.
LE VOYAGE D’APOLLON 65
15
Robert Graves, Les Mythes grecs, Paris, Fayard, 1967, p. 70.
16
I. Kakridis, Mythologie grecque (en grec), Athènes, Ekdotiki Athinon, 1986, t.
2, p. 335.
66 IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
17
Hécatée, Fragm. Hist. Grec., t. II, p. 388 sq., cité par F. de Rougemont (voir
note n° 14), p. 167.
LE VOYAGE D’APOLLON 67
18
J.Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Paris, R. Laffont,
1982, p. 332
19
Ibid, p. 333.
68 IPHIGENIE BOTOUROPOULOU
20
J. Malaurie, ibid.
21
J.Chevalier, A. Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Paris, R. Laffont,
1982, p. 515.
22
Jean Richer, Géographie sacrée du monde Grec (en grec), Athènes, Editions
Kyvéli, 2001, p. 65.
LE VOYAGE D’APOLLON 69
23
Ernest Renan, « La Prière sur l’Acropole », O. C, Paris, Calmann-Lévy, 1947,
t. II, p. 759.
24
J.-P. Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, Paris, F. Maspero, 1982, p.
227.
Page laissée blanche intentionnellement
5
L’ÉLÉMENT EMPIRIQUE
DANS LE MYTHE DE SISY PHE
KERASSENIA PAPALEXIOU
Docteur en Philosophie
1
Sisyphe est le fondateur des Jeux Isthmiques en l'honneur de Mélicerte dont il
avait trouvé le tombeau dans cette région de l'isthme de Corinthe. Mélicerte –
fils d’Ino et de frère de Sisyphe, Athamas – a été sauvé de noyade par un
dauphin qui l’a transporté sur son dos et l’a déposé sur la côte maritime près de
Corinthe. Sisyphe, voulant remercier Poséidon pour avoir sauvé le fils de son
frère, a instauré la tradition des Jeux Isthmiques, un grand événement sportif
de l’antiquité. En général, voir Odyssée, XI, 593, Iliade, VI, 153. L’étymologie
du nom de Sisyphe n’est pas d’origine grecque, ce qui démontre l’interaction
et la coexistence des éléments indoeuropéens et méditerranéens dans la
mythologie grecque. Réminiscences historiques, histoire archaïque,
vénérations ancestrales ont trouvé chez les Grecs un terrain commun dans le
besoin de créer une mythologie. Voir Alb. Lesky, Histoire de la Littérature
Grecque Antique, trad. en grec Ag.Tsompanakis, Thessalonique, 1964, p. 37.
72 KERASSENIA PAPALEXIOU
2
Les sœurs de Mérope étaient les Pléiades: Maïa, Célaéno (Sélène), Astérope,
Taygète, Électre, Alcyone.
3
L’interprétation allégorique des mythes est également fondée sur l’étymologie
des noms principaux comme moyen de déchiffrer leur signification, selon
Héraclite. Voir: Ernst Cassirer, Langage et mythe, à propos des noms de dieux,
Les éditions de minuit, Paris 1973, pp.10, 11, 55; I. Kakridis, Mythologie
Grecque, vol.1, Ekdotiki, Athènes 1986, p. 247. Les propositions
d’interprétation et les "théories" mythologiques sont nombreuses et
proviennent des écoles différentes. Voir: F. W. Schelling, Philosophie de la
mythologie, traduction de S. Jankelevitch, Aubier, Editions Montaigne, Paris
1945, pp. 30, 265; Jean Pépin, Mythe et Allégorie, Aubier Edition Montaigne
1958, pp. 41, 423.
4
Voir F. W. Schelling ibid., et J.Pépin, ibid., pp. 33, 479.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 73
8
Voir en général, sur ce sujet, la critique de McDowell adressée à Sellars dans
«Transcendental Empiricism», trad. en grec N. Psaromiligos, Deucalion, Juin
2003, Stigmi, Athènes, p. 65.
9
Le terme de "données sensibles" (sense-data) dans l’empirisme et dans la
philosophie analytique a une signification notionnelle particulière. De
nombreuses opinions différentes ont été exprimées au sujet de la possibilité
d’analyser les sense-data. Voir à ce sujet: A. J. Ayer, Foundations of Empirical
Knowledge, Macmillan, London, 1940. Le rôle déterminant a été joué par la
critique formulée par J. L. Austin dans Sense and Sensibilia, 1959, Oxford
U.P., 1964, et par la suite par W. Sellars dans Empiricism and The Philosophy
of Mind, Harvard University Press, 1997. Un intérêt exceptionnel représentent
les dimensions de l’analyse du mythe qui pourraient être atteintes à la base de
l’empirisme de J. Locke, où le savoir provient autant de l’extérieur (sensation)
que de l’intérieur (réflexion), et l’analyse gnoséo-théorique s’appuie sur cette
relation entre les expériences interne et externe. L’environnement de
l’empiriocriticisme serait également bénéfique (Ε. Mach, R. Avenarius) pour
une première estimation d’une expérience, loin des théories métaphysiques.
L’approche existentialiste serait aussi intéressante dans la mesure où elle fait
apparaître l’essence des choses à travers d’une expérience subjective
primordiale qui nous offre le premier matériel créé par une théorisation
générale et forme ainsi un certaine type de savoir.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 75
10
Aristote lui-même fait référence à l’exactitude de la perception sensorielle de
"kath’ekasta": «ek ton kath’ekasta gar to katholou. Touton oun ehein dei
aisthisin, auti d’esti nous», Éthique à Nicomaque, 1143b,4-6 et «H men
empeiria ton kath’ekston esti gnosis», La Métaphysique, 981a15. Aristote et
Platon ont été parmi les premiers qui ont nettement distingué le savoir
individuel – fondé sur l’expérience – du savoir universel, fondé sur l’intellect.
Ces expériences externes individuelles ne sont pas obligatoirement
perceptibles pour nous en tant que réalité existante, étant donné que nous
avons ici une énonciation mythique.
11
Soit l’expérience de la beauté, soit l’expérience érotique du savoir, surtout
chez Platon.
12
Voir Κ. Despotopoulou, Essais et Discours, Estia, Athènes 1983, p. 25.
76 KERASSENIA PAPALEXIOU
13
Voir J. P. Vernant, Le mort dans les yeux, Hachette 1985, trad. en grec G.
Pappas, Alexandria, 1992, p. 99.
14
En général, à ce sujet, voir M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la
perception, Gallimard, Paris, 1945.
15
Philèbe platonicien parle des pathologies (irritations) qui n’affectent que le
corps, et de celles qui traversent le corps et affectent aussi l’âme en provoquant
un tremblement. Le cas de Sisyphe concerne ces dernières: «Thes ton peri to
soma imon ekastote pathimaton ta men en to somati katasvenymmena prin epi
tin psyhin diexelthein apathy ekeinin easanta, ta the di’amfoin ionta kai tina
osper seismon entithenta idion te kai koinon ekatero», Philèbe, 33d 2-6.
16
La force de persuasion du mythe dans la tradition antique est soulignée par
Aristote dans La Métaphysique, 1074b 1-6.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 77
17
Le terme empirique provient de la racine indoeuropéenne per (peira,
peirasthai, poros – expérience, mais aussi periculum, danger). L’expérience
implique donc le passage par une voie imprévisible, en accumulant des
éléments nouveaux pour la perception de l’homme.
78 KERASSENIA PAPALEXIOU
18
Voir Βruno Snell, Die Entdechung des Geistes. Studien zur Entstehung des
eurapaischen Denkens bei den Griechen, Vandenhoeche & Ruprecht,
Gottingen 1975, trad. en grec D. Iakov, éd. M.I.E.T., Athènes, 1997, p. 59.
19
Nous n’avons certainement pas à faire ici à une problématique liée à la
réception du naturel qui est à la base de la relation sujet-objet, comme c’est le
cas chez Κant, par exemple.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 79
20
Nous ne sommes pas ici face à un cas classique d’une virilité qui cherche à
s’affirmer (le modèle si fréquent dans la mythologie mondiale). Sisyphe aime
la vie et haït la mort, et cherche à l’éviter par des moyens qui sont à sa
disposition. Une problématique liée à la réception du naturel qui est à la base
de la relation sujet-objet, comme c’est le cas chez Κant, par exemple, serait
très intéressante à examiner si ce fondement philosophique primaire favorisait
le développement de ce genre de concepts.
21
G.Bachelard a élaboré une approche épistémologique de cette problématique
en poursuivant une forme de dialogue entre l’expérience et le discours. Voir La
dialectique de la durée, P.U.F., Paris, 1936, et «Critique préliminaire du
concept de frontière épistémologie», in Actes du 8e Congres international de
philosophie, Prague, 1936, pp. 3-9.
80 KERASSENIA PAPALEXIOU
22
Voir S. Sambursky, The physical world of the Greeks, Routledge and Kegan
Paul, London, 1987, pp. 4, 185.
23
Les sophistes sont considérés précurseurs de cette opinion (Protagoras:
«pantοn hrimatοn metron anthrοpon einai», Platon, Théétète, 152a ).
24
Le signifié dans l’explication du mythe a été le sujet de remarquables études
qui figurent dans les référencées bibliographiques. Nous mettons l’accent sur
F. W. Schelling, Philosophie de la mythologie, op.cit., pp. 9,16.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 81
2. Approche gnoséologique
Le lien de l’empirique avec la problématique gnoséologique
constitue la question fondamentale dans l’histoire de la philosophie.
Dans les moments d’apogée de son histoire (empirisme,
philosophie analytique), la réduction du contenu gnostique des
idées proposées en données empiriques a été considérée comme une
garantie de leur validité, et la formation des notions logiques à la
base d’interprétation du matériel empirique soutenait la certitude du
savoir acquis.
L’évaluation de l’élément empirique dans le mythe contribue
à son approche gnoséologique dans un premier temps, cette
approche ne saurait tout de même pas rester indépendante d’une
évaluation plus générale des éléments psychologiques, poétiques,
anthropologiques et autres du mythe, ni mobiliser des méthodes qui
atteignent le savoir scientifique. La plénitude la sensibilité du
mythe, sa dimension apolloniaque et poétique encadrent
parfaitement l’empirique. L’empirique est désormais possible à
connaître; et pour cette raison il contribue définitivement à
l’approche gnoséologique du mythe.
La préoccupation principale de l’approche gnoséologique –
que nous entreprenons ici dans une tentative par définition
incomplète et imparfaite puisque fondée exclusivement sur
82 KERASSENIA PAPALEXIOU
25
Nous n’approfondissons pas ici le thème des différenciations définitives du
rôle et de l’importance de l’expérience chez Descartes, Hume, Locke, ou chez
Kant, Leibniz, Wittgenstein.
26
Par opposition à Kant, qui articule ces catégories selon les concepts a priori du
génie, et non pas selon les données résultant de l’expérience. Les concepts
empiriques résultent de l’expérience, et les concepts purs – du génie.
27
Ce temps n’est pas l’éternité des dieux, ni le temps terrestre des mortels non
plus, c’est le temps qui sera défini par les philosophes comme l’image mobile
d’une éternité immobile. Voir J. P. Vernant, L’Univers, les Dieux, les
Hommes, Récits grecs des origines, Editions du Seuil, 1999, trad. en grec T.
Dimitroulia, Patakis, Athènes 2001, p. 81.
28
Ν. Kazantzakis dans Lettre au Gréco fait à plusieurs reprises référence à la
nature de la Grèce, ses montagnes, ses rivières, ses côtes maritimes et ses
vallées qui sont "personnifiées" et parlent à l’homme en langage presque
humain, ne l’oppriment pas et ne lui apportent pas de souffrance, en devenant
ses amis.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 83
29
Voir Marshall Clagett, Greek Science in Antiquity, Collier-Macmillan LTD,
London, second edition, 1966, p. 41. Nous pourrions faire une référence
détaillée à la relation théorie-expérience qui est à la base de la notion du terme
théorie selon Heidegger. Le terme théorie provient du verbe théoro (théa, vue
+ oro, regarder), c’est-à-dire, voir l’apparence d’une chose. La théorie est
donc une vision, en tant qu’acte à la base de laquelle nous concevons
l’apparence d’une chose, d’un être, cet acte ayant un rapport spécifique avec
l’expérience. À ce sujet, voir M.Heidegger, « Wissenschaft und Besinnung»,
Vortage und Aufsatze, 3e édition 1967, Νeske Pfullingen, trad. en grec N.
Sevastakis, Erasmos, Athènes 1990, pp. 23-28.
30
Voir E. Cassirer, Langage et Mythe, op.cit., p. 84.
84 KERASSENIA PAPALEXIOU
31
H. G. Gadamer, Vernunft im Zeitalter der Wissenschaft. Aufsatze, Surhrkamp
Verlag, Frankfurt am Main 1976, trad. en grec L. Anagnostou, éd. Nisos,
Athènes 1997, p.166.
32
Le Discours offre le fil conducteur au sujet de l’expérience, selon Im. Kant,
«L’origine probable de l’histoire de l’humanité», publié dans Berlinissche
Monatsschrift, Janvier 1786, trad. en grec E. Papanoutsos, Essais, Dodoni,
Athènes 1971, p. 53.
33
Sans avoir une vision husserlienne de la conscience, évidemment,
l’intentionnalité de la conscience (intentionalitat), représente la condition pour
évaluer un phénomène et un principe fondamental de la gnoséologie.
34
Voir Bruno Snell, op.cit., p. 265. La connaissance de la nature est
empirique/pratique dans le temps du mythe, selon l’opinion connue de F.
Bacon, De sapienta reterum liber ad inclytam academian Cantabrigiensem,
London, 1609.
L’ELEMENT EMPIRIQUE DANS LE MYTHE DE SYSIPHE 85
Événement interne
Un des objectifs primordiaux du mythe de Sisyphe était
l’évaluation de l’expérience d’un châtiment à travers d’une
description d’un vécu humain. Il s’y trouve un sens mis en
expectative, le sens de comprendre à la base de la répétition de
l’acte. Ce sens se dégage grâce à la réalisation d’une expérience
tragique. L’empirique fonctionne ainsi comme éclaireur apportant
le lumen naturale. Cet élément d’éclaircissement appartenant à
l’empirique, ce pas subjectif particulier, se trouve intensément au
cœur de l’événement interne du mythe.
Cet événement interne est la descente de Sisyphe de la
montagne, qui fonctionne comme une deuxième réalité dans la
conception philosophique du mythe. La relation de Sisyphe avec la
nature grecque (symboliquement, la vie et la survie dans un pays de
montagne) délimite le cadre de cette deuxième réalité, dans laquelle
s’installe Sisyphe. Nous avons ici des observations suivantes: a) La
perception du monde est fondée sur une acceptation de l’empirique
et sur une incorporation du sensible. b) La relation de Sisyphe avec
le naturel se réalise à travers un crescendo de l’ascension et forme
un fond empirique qui servira de base pour une nouvelle
personnalité vivant dans cette deuxième réalité et correspond à la
réalité mythique. c) La nouvelle optique qui se crée s’offre en tant
qu’objet d’un traitement par l’imaginaire35. À travers sa dynamique,
cette deuxième réalité constituera un noyau fertile du discours
philosophique (Platon) et poétique (Homère, Hésiode, Palamas,
Elitis) dans la pensée grecque et fonctionnera comme une sorte de
forme prélogique de la pensée ayant indubitablement des
caractéristiques philosophiques et littéraires. d) La possibilité que
Sisyphe s’installe dans cette deuxième réalité donne un sens, un
accomplissement et une lumière à la vie humaine. La condition de
cette possibilité est un Sujet activement libre36 dramatiquement
35
À ce sujet, voir l’introduction de G.Durant, Les Structures Anthropologiques
de l’imaginaire, P.U.F., Paris 1963, pp.11-56, 409-431.
36
La liberté, dans le sens ontologique du terme, donc en tant que condition
impérative de l’existence humaine. La relation concrète de Sisyphe avec les
dieux (châtiment) a contribué dans la prise de conscience de sa liberté
86 KERASSENIA PAPALEXIOU
38
Platon, Philèbe, 35a 3-4: «O kenoumenos imon ara os eoiken epithymei ton
enantion i pashei; kenoumenos gar era plirousthai».
88 KERASSENIA PAPALEXIOU
APOSTOLOS STAVELAS
Docteur en Philosophie
1
L’histoire de la descente d’Orphée aux Enfers est citée au départ par Prodicos
de Samos et le pythagoricien Cécrops, Hérodikos de Périnthe et Orphée de
Kamarina. Voir à ce propos Clément d’Alexandrie, Stromates, 1.21.134 et les
remarques dans le dictionnaire de la Souda.
2
L’approche étymologique des noms d’Orphée et d’Eurydice est liée à la vision
d’Orphée comme héros-artiste: K. L. McKinley, Reading the Ovidian Heroine.
«Metamorphoses» Commentaries 1100-1618, Brill, Leiden – Boston – Köln
2001, p. 62.
3
E. Liakopoulos, Les mystères orphiques et la métaphysique grecque ancienne,
2e éd., Smili, Athènes 2006, p. 255-256. (en grec)
4
C’est la poursuite de la vie qui est attribuée comme peine à Orphée, pour
qu’agisse le châtiment de la privation d’Eurydice.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 91
5
M. Geymonat, P. Vergili Maronis Opera, Paravia, Torino 1973, et J. Kinsley,
The works of Virgil, Oxford University Press, Oxford 1967.
6
Identifié à Dionysos Zagreas, qui est un surnom d’Hadès.
92 APOSTOLOS STAVELAS
7
S. Seltzer-Sackman, Remembering Orpheus resurrecting Eurydice: a depth
psychological analysis of the intersections of myth, biography, and culture,
Ph.D. dissertation, Pacifica Graduate Institute, 2004, UMI 3173608, p. 141.
8
McKinley, 104.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 93
9
P. Diel, Le symbolisme dans la mythologie grecque, Hatzinikoli, Athènes
2004, p. 143. (en grec)
10
E. Noort & Eb. Tigchelaar, Sodom’s Sin, Brill, Leidein – Boston 2004, p. 133-
134.
94 APOSTOLOS STAVELAS
11
L’interdiction est triple: parler, voir et toucher; Virgile, Géorgiques, 4.487 et
Culex, 289-293.
12
Sh. Santos, Poetry of Two Minds, Life of Poetry Series, University of Georgia
Press, Georgia 2000, p. 10.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 95
13
K. Kerényi, La mythologie des Grecs, Librairie Estia, 5e éd., Athènes 2005, p.
523. (en grec)
96 APOSTOLOS STAVELAS
14
Horace, Ars Poetica, 391-393.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 97
15
Ir. Finel-Honigman, The Orpheus and Eurydice Myth in Camus’s «The
Plague», Classical and Modern Literature 1.3 (1981), p. 211.
16
Aristée Agreus, fils d’Apollon et de Cyrène.
17
M. Detienne, The myth of ‘Honeyed Orpheus’; R. L. Gordon, Myth, Religion,
and Society, Cambridge 1981, p. 100.
98 APOSTOLOS STAVELAS
18
Sackman, 427.
19
Ovide, Métamorphoses, 10.62-63.
20
Guthrie considère que l’ajout du personnage d’Eurydice à la place d’Agriopè
dans l’histoire de la descente aux Enfers ou sa fixation est due aux
grammairiens alexandrins et au caractère romantique des textes littéraires de
l’époque: W. K. C. Guthrie, Orphée et la religion grecque ancienne, Institut du
Livre – A. Kardamitsa, Athènes 2000, p.79. (en grec)
21
Sackman, 151-152.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 99
22
Genèse, 19.26.
23
Un chat est enfermé dans une boîte fermée hermétiquement et isolée qui
contient un matériel radioactif, un compteur Geiger et un mécanisme réglé
pour libérer un poison si un photon vient frapper sur le système. Selon
Schrödinger, le chat dans la boîte n’est ni vivant ni mort mais existe
simultanément dans ces deux états possibles. Ces deux états possibles
s’effondrent en un seul (le chat est soit mort, soit vivant) dès que le phénomène
est observé par un observateur. Mais jusque là, l’état du système contient
simultanément les deux possibilités. Cette expérience imaginaire a été
proposée en 1935 par Erwin Schrödinger pour examiner l’indéfinition
quantique sur un phénomène macroscopique.
100 APOSTOLOS STAVELAS
24
L. Locke, Eurydice’s Body: Feminist Reflections of the Orphic Descent Myth
in Philosophy and Film, Ph. D. dissertation, Department of Folklore and
Ethnomusicology. Indiana University, November 2000, UMI 9993636, p. 35.
25
T. Dawson, «The Orpheus complex», Journal of Analytical Philosophy,
45(2000), p. 257-258.
26
Santos, p. 9.
27
Diel, p. 140.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 101
28
I.Th. Kakridis, Mythologie grecque, Ekdotiki Athinon, t. 3, Athènes 1986, p.
296. (en grec)
29
Ibid.
102 APOSTOLOS STAVELAS
30
Diel, p. 142.
31
Platon, Le Banquet, 179d, Guthrie, 79.
MYTHE ET SYMBOLISME D’EURIDYCE 103
32
G. S. Kirk, Myth. It’s Meaning and Functions in Ancient and Other Cultures,
University of California Press, Cambridge Berkeley and Los Angeles 1970, p.
259.
33
C’est aussi ce qui se passe dans le cas d’Aristée.
104 APOSTOLOS STAVELAS
34
Sackman, 92.
35
Ibid., p. 95.
Page laissée blanche intentionnellement
Deuxième partie :
GOLFO MAGGINI
Université de Ioannina, Grèce
1
Hans-Georg Gadamer, Interroger les Grecs. Etudes sur les Présocratiques,
Platon et Aristote, Montréal, Fides, 2006, p. 49.
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 111
2
Nietzsche, vol. I, Paris, Gallimard, 1971, p. 149-171 (désormais sous le sigle
NI).Ce qui certes nous surprend ici c’est le silence gardé par Heidegger sur une
autre figure de la justice qui se situe elle aussi au «début» (Beginn) de la
métaphysique, à savoir, la mesotès aristotélicienne. Sans doute, ceci a affaire à
la ligne directe qui noue le «début » platonicien à la «fin» de la métaphysique
occidentale chez Nietzsche en vue de l’insertion du projet métaphysique dans
l’histoire de l’être (Seinsgeschichte).
3
NI, p. 152.
4
Sur la distinction entre «Anfang» et «Beginn» chez Heidegger, ainsi que sur le
sens singulier du «retour à l’origine» opéré par Heidegger: M. Zarader,
Heidegger et les paroles de l’origine, Paris, Vrin, 1990, p. 257-266 et R.
Schürmann, Le principe d’anarchie Heidegger et la question de l’agir, Paris,
Les Editions du Seuil, 1982, p. 144-58.
5
Parmenides, Gesamtausgabe, vol. 54, Klostermann, Francfort 1992, p. 141
(désormais sous le sigle GA 54).
112 GOLFO MAGGINI
6
NI, p.196.
7
Nous tenons à dissocier ici le terme de Herausdrehung de celui d’Umdrehung
synonyme de l’inversion (NI, p. 182). Voir à cet égard: J. Derrida, Eperons.
Les styles de Nietzsche, Paris, Flammarion, 1978, p. 63.
8
Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis), Gesamtausgabe, vol. 65, Francfort,
Klostermann, 2003 (1986), p. 61, 96, 384, 386, 390-91, 412.
9
La «justice» comme mode temporel de la répétition (Wiederholung) est traitée
notamment dans les Beiträge zur Philosophie (1936-38) ainsi que dans le cours
de 1937 sur la doctrine de l’Eternel Retour du Même chez Nietzsche. Cf. G.
Maggini, «La première lecture heideggérienne de l'Eternel Retour", Dialogue.
Canadian Philosophical Review ΧΧΧΙΧ (1999), pp. 25-52.
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 113
10
Cf. Peter Trawny, «Ueber die ontologische Differenz in der Kunst. Ein
Rekonstruktionsversuch der „Ueberwindung der Aesthetik“ bei Martin
Heidegger“, Heidegger Studies 10 (1994).
11
Nous tenons à signaler qu’à partir du milieu des années trente, la technè,
qualifiée par J. Taminiaux de «correctif majeur» de la dérive subjectiviste de
l’analytique existentiale, se voit liée avec le commencement initial de la
philosophie ainsi que la possibilité de sa répétition: «Pourquoi cette contrainte
à la technè et à la mise-en-œuvre? Parce que l’être, dont les noms initiaux sont
phusis, logos, dikè est de nature foncièrement polémique» (Lectures de
l’ontologie fondamentale. Essais sur Heidegger, Grenoble, Jérôme Millon,
1993, p. 283, 286).
12
Introduction à la métaphysique, Paris, Gallimard, 1980, p. 166 (désormais sous
le sigle I.M.). A ce sujet : B. Romano, Tecnica e giustizia nel pensiero di
Martin Heidegger, Milano, 1969, p. 199-218.
114 GOLFO MAGGINI
13
I.M., p. 167 (souligné dans le texte). Comme le remarque J. Taminiaux: « La
tragédie, elle-même mise-en-œuvre de l’affrontement alèthéique de la technè à
la dikè, ne fait donc que célébrer jusqu’à ses plus extrêmes limites la necessité
ontologique dont se soutient cet affrontement» (Le théâtre des philosophes. La
tragédie, l’être, l’action, Grenoble, Jérôme Millon, 1993, p. 212).
14
Hölderlins Hymne «Der Ister», Gesamtausgabe, vol. 53, Klostermann,
Francfort, 1993, p. 123.
15
Les Hymnes de Hölderlin: La «Germanie» et «Le Rhin», Paris, Gallimard,
1988, p. 122.
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 115
16
Ibid.
17
Le concept de polemos n’est pas d’importance mineure pour les questions
critiques qui jalonnent l’interrogation heideggérienne à l’époque. Ainsi, P.
Lacoue-Labarthe renvoie l’idée d’une mimèsis originaire fondatrice de
l’historialité au polemos (L’imitation des modernes. Typographies II, Paris,
Galilée, 1986, p. 194).
18
NI, p. 152.
116 GOLFO MAGGINI
19
NI, p. 494.
20
NI, p. 490. Cf. «Heidegger refuse expressément de voir le concept de justice
chez Nietzsche comme une appropriation de la dikè héraclitéenne» (Reiner
Schürmann, Le principe d’anarchie. Heidegger et la question de l’agir, op.cit.,
p. 234). La démonstration historique enverrait aux réflexions consacrées à la
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 117
justice dans l’œuvre publiée de Nietzsche qu’il s’agit de mettre de côté afin de
saisir la destination historiale (geschichtlich) de sa pensée présente notamment
dans son œuvre posthume. Ainsi, des ouvrages majeurs ou se déploie la pensée
nietzschéenne de la justice – la seconde des Considérations Intempestives,
mais aussi Humain, trop Humain ou bien La Généalogie de la Morale – sont
écartés de la lecture heideggérienne ou bien lus à la lumière des fragments
posthumes.
21
Nietzsche, vol. II, Paris, Gallimard, 1971, p. 12 (désormais sous le sigle NII).
22
«Beide Versuche (Hegels und Nietzsches) sind nicht ursprünglich genug, weil
sie nicht von der Frage befeuert und getragen sind, durch die das anfängliche
griechische Denken sich selbst überwachsen muss zu einem anderen Anfang»
(Grundfragen der Philosophie, Gesamtausgabe, vol. 45, Francfort,
Klostermann, 1992, p. 221).
23
Vom Wesen der Wahrheit: Zu Platons Höhlensgleichnis und Theätet, GA 34,
Francfort, Klostermann, 1997 (1988), p. 121, 327. Sur les sens et les
connotations multiples de la Geschichte dont celui de l’alèthéia comme dé-
voilement: M. Inwood, « Truth and Untruth in Plato and Heidegger » dans C.
Partenie-T. Rockmore (ed.), Heidegger and Plato. Toward Dialogue, Evanston
Illinois, Northwestern University Press, 2005, p. 87-88.
118 GOLFO MAGGINI
24
«Wenn wir dort dieses Wort dikè, worin für die Griechen zugleich anklingt das
deiknumi, zeigen, weisen, und das dikein, werfen, durch «Fug» übersetzen,
dann fällt uns das bekannte Gegenwort «Un-fug» sein. Aber der hier gemeinte
«Fug» ist nun nicht bloss das Gegenwesen zu irgendeinem von uns
vorgestellten «Un-fug». Im Fug denken wir das weisende, zeigende,
zuweisende, und zugleich einweisende «werfende» Fügen…» (GA 54, p. 137).
25
D. Janicaud, La puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, p. 275.
26
Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Paris, 1986, p. 394 (désormais sous le
sigle Chemins). Pourtant, ce geste risque de mettre en place une téléologie de
l’histoire, même si c’est de façon inverse (M. Haar, «Structures hégéliennes
dans la pensée heideggérienne de l’histoire», Revue de métaphysique et de
morale 1 (1980), p. 54 et D. Janicaud, La métaphysique à la limite. Cinq
études sur Heidegger, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 131.
27
Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1980, p. 92.
28
E.C., p. 89. Cf. J. Sallis, «La différence ontologique et l’unité de la pensée de
Heidegger», Revue Philosophique de Louvain, 76 (1967).
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 119
29
Concepts fondamentaux, Gallimard, Paris, 1985, 103. Aussi: NII, p. 195-203 et
GA 55, p. 342. Au sujet de la position à nouveaux frais de la question de la
différence ontologique dans le cours de 1941 sur les Concepts fondamentaux:
J. Greisch, La parole heureuse. Martin Heidegger entre les mots et les choses,
Paris, Beauchesne, 1987, p. 116 et G. Kovacs, «The Ontological Difference in
Heidegger’s Grundbegriffe», Heidegger Studies 3-4 (1987/88).
30
Heraklit, Gesamtausgabe, vol. 55, Francfort, Klostermann, 1994, p. 386.
31
Pour une présentation détaillée des fragments d’Héraclite traités par Heidegger
durant sa longue confrontation avec les philosophes présocratiques: P. Emad-
K. Maly, Heidegger on Heraclitus: A new Reading, New York, Edwin Mellen
Pr, 1986, p. 9-68. En ce qui concerne spécifiquement le cours de 1943/44, voir
la présentation et le commentaire succincts de M. Frings dans «Heraclitus:
Heidegger’s 1943 lecture held at Freiburg University», Journal of the British
Society for Phenomenology 21 (1990).
120 GOLFO MAGGINI
32
Voir à ce propos: Eliane Escoubas, «Logos et tautologie: La lecture
heideggérienne d’Héraclite et de Parménide» dans Phénoménologie et logique,
Paris, Vrin,1996, p. 297-307.
33
GA 55, p. 196-99, 83-84. Cf. GA 54, p. 31, 114. Dans le Dialogue avec le
Japonais (1953-54), Heidegger revient au cours sur Héraclite pour le qualifier
d’achèvement d’un long cheminement amorcé avec le cours de 1934 sur la
Logique (Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1981, p. 93,
désormais sous le sigle A.P.). A ce sujet : Michel Haar, Le chant de la terre.
Heidegger et les assises de l’histoire de l’être, Paris, L’Herne,1980, p. 109-21.
34
GA 55, p. 240. Pour une critique de la réduction du logos et de l’epistémè grecs
à la lumière de son interrogation sur la technique moderne: F. Volpi,
«Seinsvergessenheit oder Logosvergessenheit ? Die Diagnose der Gegenwart
nach Ηeidegger», Philosophisches Jahrbuch 70 (1962-63).
35
GA 55, p. 210-211, 188, 219-220, 239, 316-317.
36
Ibid, p. 218. Une continuité s’établit en effet entre la logicisation du logos
originaire et la métaphysique de la volonté (p. 199).
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 121
37
GA 55, p. 278-9. Voir à ce sujet : D. Franck, «De l’alétheia à l’Ereignis « dans
J.-F. Mattéi (éd.), Heidegger. L’énigme de l’être, Paris, Presses Universitaires
de France, 2004, p. 108-9. Pour un traitement exhaustif du rôle et de la
signification de Hölderlin pour la pensée heideggérienne de l’histoire dans les
années trente et quarante et tout particulièrement dans les cours sur les
Présocratiques: Suzanne Ziegler, Heidegger, Hölderlin und die Alétheia.
Martin Heideggers Geschichtsdenken in seinen Vorlesungen 1934/35 bis 1944,
Berlin, Duncker & Humblot, 1991, p. 270-372.
38
GA 55, p. 31, 43, 50-51, 79, 114, 242; cf. GA 54, p. 242. C’est ici que se situe
la mécompréhension essentielle d’Héraclite que Nietzsche partage avec Hegel
(GA 55, p. 30).
39
GA 55, p. 185.
40
L’expression est de J. Derrida dans Politiques de l’amitié, Paris, Galilée, 1994,
p. 380.
41
GA 55, p. 266-70. Aussi au sujet du fragment 50: «Logos» (1951), E.C., p.
249-78. Pour un commentaire pénétrant de ce propos : K. Held, «Der Logos-
Gedanke des Heraklits» dans Durchblicke. Martin Heidegger zum 80.
Geburtstag, Francfort, Klostermann,1970.
42
Le rapport homologique du logos originaire au logos de l’âme est qualifié de
«recueillement ajointé» (fügsames Sammeln) (GA 55, p. 295). Ce rapport sera
aussi qualifie de «recueillement de l’homme historial» (Gesammeltheit des
geschichtlichen Menschen) (p. 291). Le logos entendu comme recueillement
122 GOLFO MAGGINI
comprend en lui le litige (Streit) qui est tout autre que l’opposition logique
(Widerspruch) (p. 112-9, 133).
43
Sur la portée et le rôle des « mots fondamentaux », situés à l’autre bout de la
pensée énonciative de l’étant, dans la pensée heideggérienne de l’Ereignis :
Wolfgang Ullrich, Der Garten der Wildnis. Eine Studie zu Martin Heideggers
Ereignis-Denken, München, Wilhelm Fink, 1996, p. 127-31.
44
Sur la physis chez Héraclite d’après Heidegger: M. Haar, Le chant de la terre.
Heidegger et les assises de l’histoire de l’être, op.cit., p. 109-114. Voir aussi :
J.Beaufret, Dialogue avec Heidegger, vol. I, Paris, Εditions de Minuit,1974, p.
38-44.
45
«…waltet hier die physis selbst als die Fügung, armonia, der Fuge, in der
Aufgehen und Sichverbergen wechselweise die Gewährung ihres Wesens
einander zureichen» (GA 55, 141). Cf. «Aletheia» dans E.C., p.326-32. Marle
Zarader transcript la «Fügung» aussi bien comme ajointement que comme
harmoniè (Heidegger et les paroles de l’origine, op.cit., p. 290).
46
«Das Wider- und Gegenspannende zum Wesen der Fügung selbst gehört» (GA
55, p. 147). Ce «Widerspannende» est désigné aussi comme «différence»
(Unterschied), d’où la coappartenance de la différence ontologique et du
«litige» dans le fragment 72 (GA 55, p. 320-324). Au sujet du renvoi du logos
à la différence ontologique: «Logos» dans E.C., p. 268, 276. Cf. « Seminaires
de Thor » dans Questions IV, p. 364 (Diels/Kranz : fragments 1, 2, 72).
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 123
47
Comme le remarque Eliane Escoubas: «la connexion de Geschichte et
d’alèthéia, c’est bien dans le Parmenides qu’elle se met en œuvre de façon
flagrante pour Heidegger» («Heidegger: la question romaine, la question
impériale. Autour du “tournant”» dans Heidegger. Questions ouvertes, Paris,
Collège International de Philosophie/Editions Osiris, 1988, p. 180). Pour
Escoubas, une continuité s’instaure entre les deux volumes de Nietzsche et le
cours de 1942/43, de sorte que celui-ci puisse constituer la culmination de la
pensée de la Kehre chez Heidegger.
48
«…hat die iustitia einen ganz anderen Wesensgrund als die dikè die aus der
alèthéia west» (GA 54, p. 59). Pour une lecture de Parménide qui l’envisage
comme l’accomplissement du rapport établi par Heidegger entre historialité et
alèthéia: M. Frings, « Parmenides : Heidegger’s 1941-42 lecture held at
Freiburg University », Journal of the British Society for Phenomenology 19
(1989), M. Foti, « Aletheia and oblivion’s field: On Heidegger’s Parmenides
Lecture» dans A. B. Dallery, C. E. Scott (ed.), Ethics and Danger. Essays on
Heidegger and Continental Philosophy, New York Albany, State University of
New York Press, 1992.
124 GOLFO MAGGINI
49
GA 54, p. 78-9. Nous assistons ici au début d’une interrogation qui se
déploiera notamment au cours des années ’50 et ’60 en mettant au premier plan
le rapport de la technique moderne à la langue. Voir notamment : A.P., p. 145,
253. A ce sujet: F. Chiereghin, Der griechische Anfang Europas und die Frage
der Romanitas. Der Weg Heideggers zu einem anderen Anfang“ dans Hans-
Helmuth Gander (Hrsg.), Europa und die Philosophie, Francfort,
Klostermann,1997 et G. Seubold, Heideggers Analyse der neuzeitlichen
Technik, München, Karl Alber Verlag, 1998, p. 247-59.
50
GA 54, p. 30-42. Entre deux étapes consécutives de l’analyse du concept de
fausseté – lathon et falsum – intervient un développement sur le lien entre la
vérité – aleteia mais aussi certitude, rectitude – et sa contre-essence (lèthé,
pseudos, falsum) (p. 42-50). La vérité sauvegarde le voilement par son aidos
[aidos/Scheu] (p. 112).
51
GA 54, p. 57. A ce sujet: G. Haeffner, Heideggers Begriff der Metaphysik,
München, Kohlhammer, 1974, 84-87 et O. Pöggeler, Neue Wege mit
Heidegger, München, Karl Alber Verlag, 1992, p. 243.
52
Comme le remarque J.-L. Nancy : « Si le droit romain se substitue à la
philosophie, ou lui impose son masque, c’est peut-être aussi bien que la
métaphysique à Rome et à partir de Rome, se met à s’énoncer par le droit. Il y
aurait ainsi, intimement tissé dans le discours grec de la métaphysique, un
discours latin: le discours juridique« (L’impératif catégorique, Flammarion,
Paris, 1992, p. 37). Voir aussi : B. Cassin, « Grecs et Romains. Les paradigmes
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 125
60
Chemins…, p. 426-7.
61
Ibid, p. 447. Cf. Questions IV, p. 200-201, E.C., p. 15. Quant à ce sujet: C.
Scott, «Adikia and catastrophe: Heidegger’s “Anaximander Fragment”»,
Heidegger Studies 10 (1994), p. 140.
128 GOLFO MAGGINI
62
Les philosophes préplatoniciens, Paris, Editions de l’éclat, 1994, p. 150-151.
La justice correspond chez Nietzsche à la volonté créatrice, à la justification
esthétique du devenir: La philosophie à l’époque tragique des Grecs. Ecrits
posthumes 1870-73, Paris, Gallimard, 1975, p. 228-38. L’équivalent artistique
de la dikè présocratique serait àa chercher dans la tragédie grecque: «Mais le
plus admirable, dans ce poème de Prométhée qui est par sa pensée
fondamentale, l’hymne par excellence de l’empiète, c’est la profonde
aspiration eschyléenne à la justice…tout cela rappelle avec la plus grande force
ce qui fait le centre même et le principe de la conception eschyléenne du
monde, qui voit trôner la Moira, la justice éternelle, au-dessus des dieux et des
hommes» (La naissance de la tragédie, Paris, Gallimard, 1970, p. 66; souligné
dans le texte), Pourtant, c’est sur le primat de l’œuvre posthume sur l’œuvre
publiée de Nietzsche que la lecture heideggérienne va s’ordonner.
63
Qu’appelle-t-on penser?, Paris, Presses Universitaires de France 1992 (1959),
p. 125. Cf. « Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ? » (E.C., p. 131-3).
64
Chemins…, p. 426.
ONTOLOGIE ET JUSTICE CHEZ LES PRESOCRATIQUES 129
65
Concepts fondamentaux, op.cit., p. 137 (nous soulignons).
66
Chemins…, p. 439. Cf. GA 55, p. 385.
67
«La volonté, cette libératrice, est devenue ainsi une malfaitrice, et sur tout ce
qui peut souffrir elle se venge de ne pouvoir en arrière venir…Contre le temps
et contre son «Cela fut» le contre-vouloir de la volonté» (Ainsi parlait
Zarathoustra, Œuvres Complètes, vol. VI, Paris, Gallimard, 1982, p. 160).
68
La généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1975, p. 267-8, 286-7. Pour un
commentaire approfondi du geste reducteur a l’égard de Nietzsche dans
Qu’appelle-t-on penser?: W. Müller-Lauter, «Der Geist der Rache und die
ewige Wiederkehr. Zu Heideggers später Nietzsche-Interpretation» dans
Redliches Denken – Festschrift für G.-G. Grau, p. 112 et Joan Stambaugh,
Untersuchungen zum Problem der Zeit bei Nietzsche, La Haye, Martinus
Nijhoff, 1959, p. 163-6. Pourtant, chez Nietzsche, l’opposition entre le sens
affirmatif de la justice et celui, réactif, du ressentiment est clairement aperçu à
partir de l’écart absolu entre morale et justice: J. Simon, «Moral oder
130 GOLFO MAGGINI
n’est que le dernier écho. Le cours de semestre d’été 35 avait déjà opéré une
remontée décisive via Sophocle vers Parménide…» (« Aristote et
Heidegger… », op.cit., p. 213).
72
Voir sur ce point les remarques fort élucidantes de Jean-François Marquet:
«Quinze regards sur la métaphysique dans le destin de l’histoire de l’être» dans
Maxence Caron (dir.), Heidegger, Paris, Les éditions du Cerf, 2006, p. 534-5.
73
GA 66, p. 383. La corrélation de la phusis avec l’alèthéia chez les Grecs n’a
pas conduit à une interrogation intense sur l’être de l’alèthéia, mais ceci ne
doit pas être envisagé comme une insuffisance ou bien comme un échec : W.
Patt, Formen des Anti-Platonismus bei Kant, Nietzsche und Heidegger,
Klostermann, Francfort, 1997, p. 263-4.
74
Ibid, p. 370-371.
132 GOLFO MAGGINI
78
«Nicht der Heraklitismus bringt Nietzsche in den geschichtlichen Wesenszug
zum Anfang, sondern jenes Denken, demzufolge die Frage nach dem Sein des
Seienden sich auflöst in die unbeschränkte Vormacht des Seienden im Ganzen
als sich selbst beständigendes und bestätigendes “Leben”, das auf keinen
“Wert” mehr abschätzbar, sondern nur lebbar ist» (GA 66, 1997, 385). Comme
le remarque H.-G. Gadamer, Heidegger s’oppose à la lecture d’Héraclite et de
Parménide par les philosophes de l’idéalisme allemande et les néo-kantiens
dont la «Problemgeschichte» fut axée sur les concepts d’être et de devenir: «In
repeated attempts, Heidegger undertook to overcome this idealist
misconception of the beginnings of Greek philosophy, a misconception fully
developed in Hegel’s metaphysics and, in another way, in Neo-Kantian
transcendental philosophy which failed to recognize its own Hegelianism. In
particular, he was bound to find provocative the complex problematic created
by the concept of identity itself, and by its inner connection with the concept of
difference» («Heidegger and the History of Philosophy», The Monist 64, 1981,
p. 438).
Page laissée blanche intentionnellement
8
MYTHE ET JUSTICE:
LE CAS DE PALAMÈDE
THERESE PENTZOPOULOU-VALALAS
Professeur de Philosophie, Université de Thessaloniki,
Membre Associé de l’Académie d’Athènes.
1
Le mot d' Hésiode résonne, du fond des âges, de façon prophetique: «....il est
mauvais d'être juste, si l'injustice doit avoir les faveurs de la justice» (Les
Trauvaux et les jours, 270)
136 THERESE PENTZOPOULOU-VALALAS
alors peser lourdement sur l'innocent. Tel fut le cas de Socrate, tel
fut le cas de Palamède2.
C'est à un des rhéteurs les plus brillants du monde hellénique,
à Gorgias qui, avec son étonnant talent de prosateur et d'orateur a
fait également preuve d'un esprit philosophique aussi profond
qu'intuitif que nous devons un chef d’œuvre de prose attique: la
Défense de Palamède, texte qui nous est parmenu intégralement3.
Le personnage mythique du héros – dont la légende est
indépendante des récits homériques – et son sort tragique ont donné
à Gorgias l'idée d'imaginer et mettre par écrit une défense que son
héros, plaidant lui-même sa cause, aurait présenté devant le
tribunal. Son procès aurait pour fond la guerre de Troie. Mais
voyons qui était Palamède.
Héros mythique, fils de Nauplios et de Clymène, il aurait
prits part à la guerre des dix ans contre les Troyens. Son nom qui
n'est pas cité par Homère ni dans l’Iliade, dont les épisodes relatés
remontent à la dernière année du siège, ni dans l’Odyssée, figure
dans le cycle des épopées pré-homériques4. Grâce à Apollodore5
nous connaissons le récit mythique dans ses grandes lignes. En
voici un résumé des antécédents à la plaidoirie, mise sur scène par
Gorgias.
Sur le conseil d’Ulysse, Tyndare, le père d’Hélène, face à la
foule des prétendants à la main de sa fille, leur avait fait prêter
serment qu’après le: choix de celle-ci les autres devraient venir en
2
Sur le parallélisme du texte de l’Apologie de Socrate et de celui de la Défense
de Palamède consulter J. Coulter, «The Relation of the Apology of Socrates to
Gorgias’ Défense of Palamedes and Plato’s Gritique of Gorgianic Rhetorik»,
Harvard Studies in Classical Philology, vol. 68, 1964 pp. 269-303.
3
In H. Diels-W.Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, II, Zurich 1966,
Gorgias 82 [ 76] B 11a Trad. franç. J. P. Dumont, Les sophistes. Fragments et
témoignages. PUF, Paris 1969 pp. 90-102.
4
Kypria epi, fr. VII in Homeri Opera, vol. V, Oxonii 1905. Il s'agit des poèmes
épiques du cycle troyen qui se réfèrent aux héros et aux épisodes de la guerre
de Troie durant les neuf premières années. Les poèmes homériques relatent les
épisodes de la denière année.
5
Apollodore Epitomé, III 6-8 (=Apollodori Bibliotheca Epitoma, The Loeb
Classical Library I-II, 1956).
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 137
6
Voir les fragments 462-468 de la tragédie perdue de Sophocle, Odysseus
ménoménos, in Sophocles, Fragments, trad. Hugh Lloyd Jones, The Loeb
Classical Library, 1996.
7
Apollodore, Epitomé, VI 7-11.
138 THERESE PENTZOPOULOU-VALALAS
8
Voir Tragicorum graecorum fragmenta, E. Nauck, p. 542= Polyaen. I.
Prohoem. 12. Cf. frag. 588.
9
Consulter l'article Palamedes, E. Wüst in RE p. 2500-2512 et en particulier, 6-
12.
10
Aeschyle, Palamède, fr. 98 (182) in Trag. graec. fr., E. Nauck, Cf. Sophocle,
Fragments, fr. 432 et 479.
11
Il n'est aucunement possible que l'accusé ait commis l'acte de trahison. Gorgias
use avec bonheur de l'idée du vraisemblable. Sur l'utilisation de l'eikos par
Gorgias consulter A. Tordesillas, «Palamède contre toutes raisons. La
naissance de la raison en Grèce», Actes du Colloque de Nice, mai 1987, P.U.F.,
Paris 1990 pp. 241-255. Le pragmatisme de Gorgias éclate en pleine lumière.
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 139
aurait été caché dans ses affaires par celui qui voulait lui nuire; les
présumées preuves étant fabriquées, l'accusé doit être disculpé.
Voilà ce qu'un avocat de la défense aurait soutenu. Or, Gorgias suit
un tout autre chemin. Il laisse de côté les faits relatifs au cas
particulier, pour s'élever à l'idée de trahison en général. La Défense
de Palamède est la défense de tout homme indûment accusé de
haute trahison. D’où l'énormité de sa tâche.Il lui faut avancer des
arguments valant pour toute accusation de trahison, valables donc
pour tout lieu, tout homme, toutes circonstances. Du cas particulier
il passe bien au cas général. C’est dans ce passage du particulier au
général que l'on reconnaît un premier signe du pasage du mythique
au réel. À partir du moment où une analogie entre un cas mythique
et un cas historique peut s'établir, à partir de ce moment le mythe
cède la place à la réalité.
Gorgias fonde la défense de Palamède sur une distinction qui
sera désormais utilisée dans tous les procès criminels. Il s'agit de la
distinction entre la possibilité et la motivation, c'est-à-dire la
volonté. C'est la fameuse distinction entre moyen et mobiles. En
effet, l'opposition de boulestai et de dynastai est l'opposition entre
les fins et les moyens. C'est à Gorgias qu'il faut faire remonter l'idée
qu'il ne suffit pas de pouvoir faire un acte; il faut aussi que la
volonté se joigne à la possibilité. Dorénavant l’argument sera repris
et reproduit dans tout cas analogue. C'est un vrai art combinatoire
que Gorgias va déployer quand il fera du couple «vouloir-pouvoir»
le point nodal de son argumentation. En effet, quatre cas peuvent se
présenter: pouvoir et vouloir; ne pas pouvoir et ne pas vouloir;
pouvoir mais ne pas vouloir; vouloir mais ne pas pouvoir. En
d'autres termes: on peut avoir les moyens mais ne pas vouloir trahir;
ou inversement avoir la volonté de trahir mais pas les moyens. Or,
Palamède n'avait ni les moyens (il ne pouvait pas) mais aussi ni
l'intention (il ne voulait pas) de trahir. Pour fair valoir l'absence des
moyens celui-ci procède à une analyse détaillée des possibilités. On
doit connaître la langue de l'ennemi ou alors employer un
interprète. Palamède n'entend que le grec; un interprète éventuel n'a
jamais été présenté par l'accusateur. De même, il faut bien qu'il y ait
rencontre pour qu'il y ait échange de gages et d'argent. Mais qui
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 141
13
On- me genomenon [5]. Gorgias semble respecter ici l'opposition de ce qui est
et de ce qui n'est pas. Le non-être ne peut se réduire à l'être.
14
C'est la distinction bien connue que Palamède introduit dans son discours
quand il s'adresse à Ulysse: sur quoi fonde-t-il son accusation? Eidos e
doxazon;[ 22].
15
Gorgias suit toujours le procédé des antithèses: qui lui est cher sophia – mania.
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 143
16
To de doxazein koinon apasin kai peri pantôn [24]. La formule porte le sceau
du réalisme de Gorgias. Quoi qu'au regard du philosophe la justice est
reconnue en tant que haute valeur, éthique il sait qu' au regard du juge le vrai
est souvent mis de côté par la force de la doxa.
144 THERESE PENTZOPOULOU-VALALAS
17
« Mais, toi Persès, écoute la justice, ne laisse pas en toi grandir la démesure.
La démesure est chose mauvaise pour les pauvres gensã; les grands eux-
mêmes ont peine à la porter et son poids les écrase». Hésiode, Les travaux et
les jours, 200, trad. fr.
18
La justice triomphe de la démesure; dike d’hyper hybreôs ischei.
19
Nous renvoyons ici à l'étude classique de T.G. Rosenmeyer, «Gorgias,
Aeschylus and Apate», American Journal of Philology 76 (1955), pp. 225-260.
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 145
20
La question de l'interprétation du Traité et l'interrogation sur un scepticisme
radical de Gorgias sont trop vastes pour être évoquées ici. Les travaux, entre
autres, de M.I. Untersteiner (I Sofisti, Torino 1949, transl. Kathleen Freeman,
The Sophists, Oxford 1954), C. Calogero (Studi sull' eleatismo, Firenze
21977), Barbara Cassin (Positions de la sophistique Paris, 1986), W. Bröcker
(«Gorgias contra Parmenides», Hermes 86 (1958) pp. 425-440), H. J. Newiger
(Untersuchungen zu Gorgias' schrift Uber das Nichtseiende, Berlin / New
York 1973), E. Dupréel (Les Sophistes. Protagoras, Gorgias, Prodicus,
Hippias, Neuchâtel 1948) témoignent de la diversité dans l'approche
interprétative de la question.
MYTHE ET JUSTICE : LE CAS DE PALAMEDE 147
JEAN FRERE
Centre Léon Robin, Paris
EUGENIE VEGLERIS
Consultation philosophique, Paris
L'horizon de la justice
La Justice ne va pas sans l'Injustice qu'elle a pour but de
combattre. L'originalité des conceptions mythiques, qu'elles
relèvent du mythe traditionnel ou du mythe platonicien, est double.
D'une part, ces deux conceptions donnent au couple
Justice/Injustice un fondement à la fois divin et humain1. D'autre
part, elles élaborent toutes deux une généalogie de la justice
humaine en décrivant l'histoire de sa naissance et de son élaboration
progressive.
1
Tel n'est pas le cas de l'analyse rationnelle que fait Platon de la Justice. Dans
ce cas, en effet, il ne s'agit pas de fonder par les origines historiques divines,
mais de fonder en raison en relation avec les Idées.
152 JEAN FRERE ET EUGENIE VEGLERIS
La nature de la Justice
Dans les Poèmes d'Hésiode2 comme dans le Protagoras3 de
Platon, la justice est accordée par Zeus 4. Mais la nature de la justice
n'est pas conçue de la même façon chez Hésiode et dans le
Protagoras.
Dans les mythes d'Hésiode, la justice (dikè) est qualité
éthique. Elle désigne la "juste mesure" dans l'action qui s'oppose à
toute forme de "démesure". Elle est cette saine ligne d'existence que
l'effort et la lutte des hommes (eris) se doivent de suivre : paysans,
citadins, ainsi que chefs. Le Poète Sage se fait ici le conseiller de
tous.
Dans le mythe du Protagoras, la justice (dikaiosunè) est
avant tout vertu politique. Sa naissance comporte plusieurs étapes.
Au point de départ, et pour remédier à leur possibilité de se léser
mutuellement, Zeus accorde également à tous les hommes le
respect (aidôs) et le sens du juste (dikè). De ces deux principes
découlent ensuite l'amitié (philia) dans la cité ainsi que les lois
(nomoi). Enfin, l'amitié et les lois engendrent la vertu politique de
la justice (dikaiosunè), et aussi toutes les grandes vertus à
dimension sociale : la piété (hosiotès), la tempérance (sôphrosunè)
et le courage (andreia). Si tous les hommes participent
naturellement à ces dons divins, il revient à des maîtres sages
2
Théogonie, Les travaux et les jours.
3
Protagoras, 320c-324c.
4
Dans les Travaux et les Jours, apparaît aussi la déesse Justice, fille de Zeus, v.
256.
MYTHE TRADITIONNEL ET MYTHE PLATONICIEN 153
••••••••••
LES MYTHES HESIODIQUES
5
Travaux, 217-218.
6
Ibid., 191-191.
MYTHE TRADITIONNEL ET MYTHE PLATONICIEN 155
7
Ibid., 275-285.
8
Ibid., 219-224.
156 JEAN FRERE ET EUGENIE VEGLERIS
mettent leur cité en péril, ils se trouvent punis par leurs concitoyens
et farouchement châtiés par Zeus, qui détruit leurs remparts, leur
armée et leur flotte au milieu des mers.
Le poète prête à Zeus un œil qui voit tout ce que les hommes
conçoivent et font. Zeus sait ce que valent les comportements
qu'enferment les murs d'une cité. Aussi, tout homme a intérêt, pour
les autres et pour lui-même, à surveiller autant ses intentions que
ses actions. La justice humaine implique la justice des dieux.
••••••••••
LE MYTHE PLATONICIEN DU PROTAGORAS
La préhistoire de la justice
Pour démontrer que la vertu politique peut s'enseigner,
Protagoras emprunte la voie du mythe. Mais si certains des
personnages divins évoqués par le mythe du sophiste sont ceux dont
parlait Hésiode, le rôle de ceux-ci et sens de l'histoire racontée sont
tout autres.
Zeus vient de former les animaux et les hommes et
d’inventer une série de dons qui leur permettront de survivre. Il
charge Epiméthée de répartir ces dons de sorte que tout animal ait
ce qu’il lui faut pour subsister et se défendre. Distrait, Epiméthée
pourvoit les animaux et, lorsque le tour des hommes arrive, il
s’aperçoit qu’il n’a plus rien à distribuer. Pour remédier à cette
omission, Prométhée vole le feu d’Héphaistos et la science des arts
d’Athéna. Ainsi, les hommes se trouvent-ils dotés d’une double
énergie, l’une physique –le feu – et l’autre mentale –l’ingéniosité.
Pourvus de la sorte, les hommes se mettent à célébrer les dieux, à
fabriquer des vêtements et à bâtir des villes. Mais ils n’arrivent pas
à se relier entre eux et, faute de liens, ils se lèsent réciproquement et
se trouvent ainsi exposés au péril de disparaître.
Inquiet du sort des hommes, Zeus, par l'intermédiaire
d'Hermès, leur donne à tous le respect (aidôs) et la la justice (dikè)
afin qu'il y ait, dans les cités, de l'ordre (kosmos) et des liens
créateurs d'amitié (desmoi philias sunagôgè). À la différence du
MYTHE TRADITIONNEL ET MYTHE PLATONICIEN 157
La prévention de l'injustice
Il reste que tous ne font pas cet effort, pas plus qu'ils ne
reçoivent l'éducation qui convient. Du coup, par tempérament
personnel et/ou par ignorance, des hommes commettent des
injustices et se nuisent mutuellement. Surgit alors la nécessité de
punir avec raison (kolazein meta logou) des hommes qui agissent
injustement (tous adikountas).
La punition raisonnable ne frappe pas à cause du passé, car
ce qui est fait est fait (to prachtèn ouk an agennêton theiè), mais en
prévision de l'avenir. Sa finalité est de faire en sorte que ni le
coupable ni les témoins de son acte ne soient tentés de
recommencer. Cette façon d'envisager la punition est
inextricablement liée à l'idée que la vertu peut s'enseigner : le
châtiment vise l'intimidation (apotropè)9. Protagoras pense que
cette manière de voir se trouve dans toutes les cultures, comme est
inné chez tous les hommes le penchant à la justice et au respect.
La justice, telle que Protagoras la présente dans ce mythe,
suppose la présence d'une législation qui soumet également tous les
citoyens aux lois édictées par la cité. Parmi ces lois, il y a celles qui
définissent les peines proportionnellement aux actes injustes. La
subordination aux lois a lieu à travers l'enseignement de celles-ci,
administré aux jeunes à la sortie de l'école. La justice selon ce
mythe est une vertu politique et une institution politique : elle
relève de la conduite des individus les uns vis-à-vis des autres tout
en étant le produit d'une discipline organisée par la cité. Une cité
qui enseigne la justice est en même temps une cité qui fait du
châtiment une mesure préventive des injustices. De telles idées
n'effleurent pas Hésiode, qui s'intéresse au comportement
individuel et qui ne conçoit le châtiment que comme ce que mérite
le coupable.
9
Protagoras, 324a-b.
MYTHE TRADITIONNEL ET MYTHE PLATONICIEN 159
••••••••••
LA VERTU ET LA JUSTICE
Dans les mythes d'Hésiode, la justice humaine inspirée des
dieux consiste dans le comportement qui respecte la "juste mesure".
En ce sens, elle se confond avec la conduite vertueuse sans
constituer une vertu particulière. Quand même le lien entre la
justice et la cité est évoqué, c'est surtout l'attitude individuelle qui
intéresse Hésiode. En revanche, le mythe de Protagoras ouvre la
voie au repérage rationnel d'une multiplicité de vertus, les unes
liées à la justice vertu politique, les autres non. Parmi les vertus
associées à la justice et, comme celle-ci innées à tous les hommes,
figurent la tempérance (sôphrosunè) et la conformité à la loi divine
(to hosion). Parmi les vertus indépendantes de la justice et propres
seulement à certains individus ou à certains groupes d'individus
figurent la sagesse (sophia) et le courage (andreia). Ces deux vertus
peuvent exister elles-mêmes indépendamment l'une de l'autre,
puisqu'un individu peut être courageux sans être sage ou sage sans
être pour autant courageux.
Le principe et la conduite
Pour Hésiode comme pour Protagoras, mais aussi pour
Platon, le terme de dikè recouvre le principe de la justice, que ce
principe soit une puissance divine (Dikè, fille de Zeus chez
Hésiode) ou une ressource divine innée en nous (dikè associée à
aidôs) chez Protagoras-Platon.
Page laissée blanche intentionnellement
10
LE MYTHE DE PROTAGORA S
SUR LA JUST ICE
CONSTANTIN DESPOTOPOULOS
Membre de l’Académie d’Athènes
INTRODUCTION
LES CONDITIONS DE VIE DE L’HOMME PRIMITIF
Le mythe anthropologique de Protagoras (Platon,
Protagoras, 321b-322b) présente les hommes comme moins bien
dotés par la nature que les autres animaux en capacités de
subsistance (321c) ; mais il les montre aussi dépassant très tôt cette
infériorité en acquérant une technique pour se procurer des
ressources vitales, don merveilleux de Prométhée, le symbole de
l’essence supra-humaine de l’esprit humain : «Se demandant quel
salut trouver pour l’homme, Prométhée dérobe à Héphaïstos et
Athéna, avec le feu, la connaissance habile […] et en fait don à
l’homme» (321d ; cf. 321d-322a). Ainsi l’acquisition de la
technique est-elle présentée comme un exploit de l’inventivité des
premiers hommes, mais avec la suggestion d’une source
transcendante. Cependant, cet acte philanthropique de Prométhée
est aussi qualifié de «vol» de la connaissance habile d’Héphaïstos et
d’Athéna, et donc de perturbation de l’ordre du monde puisque,
grâce à l’acquisition d’un tel bien, les hommes participent à ce qui
auparavant n’appartenait qu’aux dieux et que, en l’utilisant, c’est-à-
dire en faisant usage de la technique, ils apportent au monde un
changement conforme à leur propre volonté, et donc en violation du
rythme du monde institué par les dieux.
162 CONSTANTIN DESPOTOPOULOS
I
LA VIE PRESOCIALE DE L’HOMME
ET L’ABSENCE DE L’ART POLITIQUE
L’acquisition préhistorique par l’homme d’une technique de
subsistance n’incluait pas la politique. Dans le langage du mythe, il
est dit d’elle : «Elle était en effet auprès de Zeus. Il n’avait pas été
donné à Prométhée d’accéder à la citadelle où il résidait. Car les
gardes de Zeus étaient terribles» (321 d-e).
1
Voir dans C. Despotopoulos, Études de littérature et de philosophie, le
chapitre intitulé «Les œuvres et le destin de Prométhée selon Eschyle», éd.
Ellinika Grammata, Athènes 1998 (en grec).
164 CONSTANTIN DESPOTOPOULOS
2
Démocrite présente, mais comme une rumeur («on dit»), un mode de vie
similaire des hommes primitifs, mais un caractère différent : «On dit que ceux
des hommes qui naquirent à l’origine, vivant dispersés une vie sans règles et
sauvage, en vinrent aux pâturages et se portèrent vers l’herbe la plus salutaire
et les fruits produits naturellement par les arbres» ; et «pratiquant uniquement
l’affection mutuelle, ils vivaient leur vie en groupes à la manière de troupeaux,
allant sur les pâturages, nourris en commun par les fruits des arbres et les
herbes». Ainsi les ancêtres des hommes sont-ils réputés vivre une vie dispersée,
mais aussi regroupée, et surtout pratiquer l’amitié réciproque, et non pas se
quereller ni être en conflit. Selon Démocrite, donc, qui invoque la rumeur, le
régime de vie des hommes primitifs semble être un régime non pas de propriété
commune mais de nourriture commune d’hommes sans propriété, dans un esprit
d’affection mutuelle. Cet esprit d’affection mutuelle caractérise aussi, selon
Platon, les premiers ancêtres des hommes de son temps : «Étant peu nombreux,
ils avaient plaisir à se retrouver» (Lois, 678c) ; «premièrement, ils s’aimaient et
avaient des sentiments de bienveillance les uns envers les autres» (678e) ; «ils
étaient bons pour ces raisons, et aussi à cause de ce qu’on appelle la
simplicité» (679c).
166 CONSTANTIN DESPOTOPOULOS
3
La valeur de ces deux biens éthiques avait déjà été vantée dans des œuvres de
poètes grecs antérieurs à Protagoras : par les deux grands, Hésiode et Homère,
mais aussi d’autres, tel Tyrtée et Solon. Selon Hésiode, notamment, la justice
n’existe que chez le genre humain et est un élément qui distingue l’homme des
autres animaux (Les travaux et les jours, 278-280).
LE MYTHE DE PROTAGORAS 169
4
L’accès en trois étapes de l’humanité à une société de plus en plus large, de la
«maison» au «village» et du «village» à la «cité», prévu par Platon, non pas de
manière dogmatique mais comme simplement probable (Lois, 681 a 4), a été
adopté par Aristote, qui l’a mis en avant avec insistance (Politiques, 1252b 9-
31) ; et même, bien des siècles plus tard, par le philosophe allemand Hegel
(Grundlinien der Philosophie des Rechts, 1821, §§ 158-360).
170 CONSTANTIN DESPOTOPOULOS
CONCLUSION
Telles sont les réflexions que nous inspire le mythe de
Protagoras selon Platon. N’oublions pas la sentence classique de ce
célèbre sophiste : «L’homme est la mesure de toute chose», qui fait
de l’homme le sujet auto-posé de la pensée de toute chose.
N’oublions pas, en particulier, sa sentence fameuse, agnostique :
«Pour ce qui est des dieux, je ne peux savoir ni s’ils sont, ni s’ils ne
sont pas». La mention, donc, par ce même sophiste, de dieux tels
que Zeus, Hermès, Héphaïstos ou Athéna, voire d’un être
surhumain comme Prométhée, doit être imputée simplement au
langage symbolique de la fiction, c’est-à-dire être entendue sans
prétention à une réflexion logiquement responsable, mais comme
une licence poétique, et plus précisément une licence mythologique,
et être interprétée comme suggérant les réalisations de l’inventivité
et de la sensibilité des hommes, dans le dépassement de leur
subjectivité existentielle.
Cette appréciation critique de la contribution du mythe
anthropologique de Protagoras à la philosophie de l’Histoire et du
Droit est une expression non pas d’irrévérence mais plutôt
d’honneur, au service de la réputation de ce grand sophiste, c’est-à-
dire de ce penseur plein de sagesse, glorieux rejeton de la Grèce du
Nord.
11
LA JUSTICE
DANS LA TRAGÉDIE GRECQUE
CHARA BACONICOLA
Professeur au Département d’Études Théâtrales, Université d’Athènes
1
D’après Jacqueline de Romilly, le terme même de nomos (loi), dans son
acception propre, apparaît en vertu du développement de l’écriture et de la vie
politique (La loi dans la pensée grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1971, pp.
11-3), bien que son usage servît également à désigner des traditions, des façons
de vivre ou des règles de principe (v. ibid., p. 15).
174 CHARA BACONICOLA
2
V. Euripide Suppliantes, 311.
3
V. Médée, 494.
4
V. Euripide Suppliantes, 65.
5
V. Eschyle Suppliantes, 384.
6.
7 V. Troyennes, 284.
8
Tel est, par exemple, le décret de Créon qui interdit, dans Antigone,
l’enterrement de Polynice.
9
Sur le statut des femmes, v. Sue Blundell, Women in Classical Athens,
London, 1998.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 175
10
La critique a même entrevu cette justice indirecte et latente chez le Zeus qui
punit Prométhée, et qui, malgré sa cruauté explicite et incontestable, tient à
installer un ordre humain, nécessaire à la vie collective (v. Stephen White,
«Io’s world: intimations of theodicy in Prometheus Bound»), dans The Journal
of Hellenic Studies, vol. 121, 2001, p. 130 («The justice of Zeus displayed in
PD is stern and sometimes severe. But it is never arbitrary, vindictive or
malicious. The arrogant, impious and violent are punished harshly, but always
for transgressing ordinances that an Attic audience could find just and
humane»).
11
Eschyle Suppliantes, 402-4.
12
Ibid., 437.
13
Bacchantes, 39-42.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 177
14
Bacchantes, 1302-5.
15
«Le temps, parfois lentement, comme nous l’avons vu dans la structure des
Bacchantes, ne révèle pas la justice des dieux, mais leur pouvoir, leur force,
leur présence incontournable. La «justice» dionysiaque ressemble plutôt à celle
qui règne dans l’apeiron d’Anaximandre», nous dit Luc Van der Stockt («Le
temps et le tragique dans les Bacchantes d’Euripide», dans Les Etudes
Classiques, t. 67, no 2-3, 1999, p. 179).
16
Bacchantes, 1346 et 1448.
17
Cf. Walter Otto, Dionysus, Mythos und Kultus, 1933 (en grec: Dionysos,
Mythos kai Latreia, Athènes, Ekdoseis tou Eikostou Prôtou, 1991, trad.
Theodôros Loupasakès, p. 106 et ailleurs).
18
Euménides, 754-61.
178 CHARA BACONICOLA
19
Bacchantes, 1374.
20
Oreste, 163-5.
21
Ibid., 417.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 179
22
Ajax, 766-75.
23
Ibid., 132-3.
24
C’est Ajax lui-même qui avoue être fier, ce que répèteront plusieurs
personnages de son entourage: voir ibid., 205, 212, 222, 96, 766, 770 etc.
25
Ibid., 66-7.
26
Ibid., 79.
27
Albert Machin écrit à propos de l’attitude déconcertante d’Athéna qui est bien
loin de donner une leçon morale convaincante: «Cela est d’autant plus vrai que
la déesse, dans tout ce début, ne fait pas preuve seulement de puissance, mais
de cruauté. (…) Mais pourquoi le poète avait-il besoin d’une Athéna injuste et
cruelle? Pour humilier peut-être encore plus Ajax. Peut-être aussi, pour que
l’on voie dès le début en lui, plus qu’un coupable, un persécuté» («Ajax, ses
ennemis et les dieux», dans Les Etudes Classiques, t. LXVIII, 2000, p. 7).
180 CHARA BACONICOLA
28
Sept contre Thèbes, 1071-2.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 181
29
Philoctète, 314-6.
30
Ibid., 1035-6.
31
Ibid., 1048-51.
32
Phéniciennes, 469-72.
182 CHARA BACONICOLA
même chose était également pour tous belle et sage, les humains ne
connaîtraient pas la controverse des querelles. Mais il n’existe pour
les mortels rien de semblable ni de pareil, sauf dans les mots: la
réalité est différente» 33. Etéocle met en lumière la dynamique de la
subjectivité qui, seule, est en mesure d’attribuer à un fait une valeur
positive ou négative, selon le cas. Cette optique détache le nom
(onoma) de l’action (ergon) qui lui correspond au niveau
sémantique. En outre, en refusant à un acte sa qualification
traditionnelle, Etéocle refuse en même temps au langage sa fonction
communicative.
Au niveau des rapports intersubjectifs, Médée est une
tragédie exemplaire: tout d’abord, les dieux y sont pratiquement
absents (la parenté de la Colchidienne avec le dieu Hélios ne joue,
ici, qu’un rôle accessoire, tout comme Hécate que Médée ‘choisit’
pour auxiliaire34), et ensuite son nœud tragique se concentre
principalement autour d’un acte ‘privé’: une trahison conjugale. Le
vocabulaire de l’injustice purement humaine est riche: le verbe
adikein/adikeisthai se répète incessamment 35, en alternance avec les
mots ‘juste’ (dikaios) et ‘injuste’ (adikos)36, ‘justice’ (dikè)37 et
Thémis38.
Pourtant, il ne faut pas perdre de vue le fait que, dans la
tragédie grecque, on ne suit jamais une discussion purement
théorique et désintéressée sur ce sujet, vu que la tragédie n’arrive
jamais – et ne s’intéresse jamais – à nous donner des cours de
philosophie, mais plutôt, dirions-nous, à nous montrer
indirectement les lacunes logiques de tout système philosophique
(moral ou autre). C’est ainsi que même un homme sage peut se
tromper. Thésée, dans les Suppliantes d’Euripide, critique Adraste
pour son mauvais choix de beaux-fils, en lui jetant à la face que «le
sage ne devrait pas accoupler les choses justes avec des choses
33
Ibid., 499-502.
34
Médée, 396-7 et 406.
35
V. ibid., 26, 165, 221, 309, 314, 692.
36
Ibid., 724 et 580. Cf. ibid., 267 (endikôs), et 1121 (paranomôs).
37
Médée, 219, 261, 411, 537, 764, 802, 1298, 1316, 1390.
38
Ibid., 160, 208, 1054.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 183
39
V. Euripide Suppliantes, 223-4.
40
Troyennes, 1030-2.
41
Hécube, 798-801. Cf. D.W. Lucas, The Greek Tragic Poets, New York,
Norton Library, 1964, pp. 234-5.
42
Hécube, 864-7.
184 CHARA BACONICOLA
43
Troyennes, 884-8.
44
Ibid., 282-7. A propos de la complexité du caractère d’Ulysse dans la tragédie,
v. Pietro Janni, «Euripide, Troiane 281 sgg.», dans Quaderni Urbinati di
Cultura Classica, no 21, 1976, pp. 97-102.
45
À propos des lois non écrites les plus fondamentales, v. Jacqueline de Romilly,
La loi dans la pensée grecque, p. 42.
46
«En somme, ce qui ressortit de la loi non écrite relève de la morale et de la
solidarité humaine», écrit Jacqueline de Romilly (La loi dans la pensée
grecque, p. 38).
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 185
47
V. Euripide Suppliantes, 670-2.
48
Iphigénie en Tauride, 1021.
49
V. à titre d’exemple, Sarah B. Pomeroy, «Images of Women in the Literature
of Classical Athens», dans l’ouvrage collectif Tragedy, London & New York,
Longman, 1998, ed. by John Drakakis & Naomi Conn Liebler, pp. 217-8.
50
Hécube, 714-5 (Pou dika xenôn;). Constantinos Savva Yialoukas signale la
triple injustice commise contre Polydore: «Hecuba saw in the murder of
Polydorus the violation of a law of general validity which in the case of
Polymestor took three concrete forms: disrespect towards human life, violation
of the law of xenia and denial of the burial due to a dead person» (The conflict
186 CHARA BACONICOLA
Agamemnon, à son tour, exprime son horreur pour celui qui tue
l’étranger qui est logé chez lui. «Il m’est pénible de juger les torts
d’autrui; cependant, il le faut. Car il serait honteux, ayant pris cette
affaire en main, d’en rejeter la charge. Mon avis, si tu veux le
savoir, c’est que ni mon intérêt ni celui des Achéens ne t’ont poussé
à tuer ton hôte, mais le désir de garder l’or en ta maison: tombé
dans le malheur, tu tiens le langage qui sert ta cause. Chez vous,
tuer un hôte est peut-être sans importance; chez nous, qui sommes
Grecs, c’est un acte honteux. Comment, donc, t’absolvant,
échapperais-je au blâme? Je ne pourrais. Tu as osé commettre une
action infâme; supporte maintenant un traitement hostile»51.
De son côté, la séduction d’Hélène est désapprouvée par tout
le monde, puisque Pâris non seulement a enlevé l’épouse d’un autre
homme, mais qu’il l’a enlevée alors qu’il profitait de l’hospitalité
de Ménélas: il sera traité d’hôte félon (xeinapatès)52. La même
qualification recevra également Jason de la part de Médée, puisqu’il
a trompé le roi de Colchide et sa propre femme53.
Le devoir sacré de protéger son hôte coïncide au statut
d’inviolabilité auquel a droit tout homme qui arrive dans un pays
étranger, indépendamment de son origine. Mais dans Hélène,
Ménélas, dès son arrivée en Égypte, rencontre une vieille femme
qui le conseille de disparaître car il court un danger mortel: le roi
Théoclymène hait les Grecs. Ménélas lui répond sans hésitation:
«Je suis là en tant qu’étranger qui a naufragé, donc ma personne est
inviolable» (asyléton genos)54. Pourtant, le roi Égyptien, tout
comme le roi Thoas en Tauride, poursuit et met à mort les Grecs
qui pénètrent dans son pays55. On pourrait supposer ici qu’en
Égypte et en Tauride les mœurs ou les lois qui ont affaire aux
étrangers ne sont pas les mêmes que celles des cités grecques. Mais
56
Iphigénie en Tauride, 465-6.
57
Les sous-entendus religieux et culturels de ce drame ne sont pas les seuls à
mettre en doute les idées traditionnelles. Dans Héraclès, par exemple, c’est
Thésée, au moment où il soulage moralement le héros malheureux, et où il
l’assure de sa protection, qui exprime cette idée ambivalente: «Quand on a la
faveur des dieux, les amis sont inutiles. Il suffit de la protection qu’il plaît à la
divinité de nous accorder» (1338-9). Cf. Michael R. Halleran, «Rhetoric,
Irony, and the Ending of Euripides’Heracles», dans Classical Antiquity, vol. 5,
no 2, October 1986, p. 181.
58
Iphigénie en Tauride, 8.
59
Médée, 386-8.
60
Eschyle Suppliantes, 397.
61
Ibid., 387-9, 399-401, 474-7 et ailleurs. Cf. [Chara Baconicola, Moments de la
tragédie grecque, t. II]: Chara Baconicola, Moments de la tragédie grecque,
Athènes, 2004, Kardamitsa, pp. 93-111 (chap. «Le droit du suppliant et l’asile
politique dans la tragédie grecque»).
188 CHARA BACONICOLA
62
Hélène, 1002-3.
63
Eschyle Suppliantes, 698-703.
64
Cf. [Stéphanos I. Délicostopoulos, Genèse du droit et poésie grecque
ancienne]: Athènes-Komotinè, Sakkoulas, 1996, pp. 107-43.
65
Antigone, 175-91. Cf. ibid., 177.
66
Ibid., 203.
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 189
67
Ibid., 213.
68
Cf. Jacqueline de Romilly, La loi dans la pensée grecque, p. 29.
69
Antigone, 454 et 461 respectivement.
70
Ibid., 450-7.
71
V. ibid., 743 (critique d’Hémon), 1270 (critique du chœur). Cf. Mary Whitlock
Blundell, Helping Friends and Harming Enemies, Cambridge, Cambridge
University Press, 1989, p. 126.
72
V. Antigone, 853-5 et 872-5 (critique du Chœur), et 924 (aveu ambigu
d’Antigone: «ma piété m’a valu le renom d’une impie»).
190 CHARA BACONICOLA
73
Felipe-G. Hernandez Munoz, «Le conflit tragique entre Créon et Antigone et
son reflet dans la langue de Sophocle», dans Les Etudes Classiques, t. LXIV,
1996, pp. 157-8.
74
Cf. Jacqueline de Romilly, La loi dans la pensée grecque, p. 75.
75
V. à ce propos, C. Carey, «Nomos in Attic rhetoric and oratory», dans The
Journal of Hellenic Studies, vol. CXVI, 1996, pp. 33-46.
76
Cf. Jacqueline de Romilly, La loi dans la pensée grecque, p. 85 («Ainsi, au
nom de l’utilité et de la préservation humaine, les vertus propres à maintenir
l’ordre de la cité prennent une place essentielle»).
LA JUSTICE DANS LA TRAGEDIE GRECQUE 191
77
Reiner Schürmann, Des hégémonies brisées, Mauvezin, Trans-Europ-Repress,
1996, p. 40.
78
William Storm, After Dionysus. A Theory of the Tragic, Ithaca & London,
Cornell University Press, 1998, p. 43.
79
V. Iphigénie en Tauride, 559.
80
V. Euripide Electre, 1051 et Oreste, 194.
81
V. Phéniciennes, 524-5. Cf. Chariclia Baconicola-Ghéorgopoulou, L’absurde
dans le théâtre d’Euripide, Athènes, Université Nationale et Capodistriaque
d’Athènes, 1993, pp. 394-6.
Page laissée blanche intentionnellement
12
ÉLÉMENTS DE DROIT PÉNAL D ANS
LA TRAGÉDIE GRECQUE ANC IENNE
ATHANASIOS STEFANIS
Chercheur,
Centre de Recherche sur les Littératures grecque et latine, Académie d’Athènes
1
Bien que Dionysos soit associé à la loi (891), déjà dans son Prologue
explicatif, il se déclare sans détour pour l’usage de la violence: «…contraintes
de porter ma livrée orgiaque (skeuên t’echein ênagkas’orgiôn emôn)» (34), «il
faut que malgré elle (kei mê thelei) cette ville comprenne» (39), «contre eux je
mènerai mes troupes de ménades (xynapsô mainasi stratêlatôn)» (52). (Les
traductions utilisées ici sont celles de la Collection des Universités de France).
2
Les Bacchantes 216: «j’appris le récent fleau de la cité (klyô de neochma
tênd’ana ptolin kaka)». Il s’agit d’informations qui lui viennent de tiers et non
pas d’une perception personnelle des événements, comme le souligne fort
pertinemment J. R. March, «Euripides’Bakchai: a Reconsideration in the Light
of Vase-Paintings», BICS 36 (1989), 45. En ce qui concerne le point de vue
selon lequel Penthée transforme graduellement en perception personnelle tout
ce qui lui a été transmis quant aux événements survenus durant son absence,
voir V. Leinieks, The City of Dionysos. A Study of Euripides’Bakchai, Stuttgart
1996, 217 et R. P. Winnington-Ingramm, Euripides and Dionysos. An
Interpretation of the Bacchae, London 19972, 45-46.
3
Il vaut la peine de noter que la question de la probable activité érotique des
femmes de Thèbes, provoque des réactions immédiates, comme celles de
Tirésias: «Ce n’est pas à Dionysos de forcer les femmes à la modération dans
le culte de Kypris (ouch o Dionysos sôphronein anagkasei / gynaikas es tên
Kyprin)» (314-315), ou celles du Messager, «témoin visuel»: «et non pas, ainsi
que tu les peins,… cherchant à l’écart l’amour dans la fôret (ouch ôs sy phês…
thêran kath’ylên Kyprin êrêmômenas)» (686-688), de plus, ces deux
personnages, semblent attribuer ce point de vue, qui cependant se fonde sur
des informations, à Penthée lui-même.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 195
question est implicite dans la pièce pour des raisons purement dramatiques:
d’ailleurs, comme on le sait, le monologue de Penthée fonctionne comme un
second Prologue explicatif et semble avoir pour objectif de montrer tant le
caractère impulsif du jeune roi que sa détermination à ne pas permettre la
diffusion du nouveau culte, élément décisif pour le déroulement de la pièce.
Cette attitude semble aller à l’encontre des tergiversations dont il fait montre
par la suite quant à la question de son déplacement sur le Cithéron, de même
que du dilemme qui le tracasse (se rendre sur le Cithéron seul, accompagné,
avec ou sans armes, travesti, etc.). Pour notre cas, donc, Penthée mentionne
qu’il était absent de Thèbes, mais dès qu’il fut informé de ce qui survenait dans
la cité, il a immédiatement donné l’ordre d’arrêter les femmes qui avaient
abandonné leurs demeures afin de s’adonner au culte du nouveau dieu, en ne
souffrant aucun retard, retard qui entraînerait une procédure plus prudente de la
part d’un dirigeant plus chevronné: à savoir attendre d’être de retour dans la
cité, s’informer plus exactement sur place de la situation, se faire
éventuellement conseillé avant de prendre une décision puis de procéder à la
prise des mesures requises. Il manifeste la même précipitation dans la suite de
ses déclarations: (a) faire arrêter le reste des femmes qui se sont rendues sur le
Cithéron, (b) capturer l’étranger, qui semble être responsable de tout ce qui se
produit dans la cité. Un peu plus tard, lors d’une explosion de colère dirigée
contre les deux vieux Bacchants, il ordonnera de détruire le lieu où Tirésias
rend ses oracles.
6
De plus, elles sont organisées en trois thiases commandés par sa mère et les
sœurs de celle-ci (680-682). L’intensité dramatique que constitue le fait pour
Penthée lui-même d’entendre prononcer les noms de ces trois femmes, qui en
tant que parentes le concernent davantage, remplit de scepticisme quant à la
question du marquage des vers 229-230 par un obèle.
7
C’est le même terme qu’Euripide emploie dans les Phéniciennes 21, où Jocaste
informe qu’en dépit de l’interdiction formelle faite à Laïos d’avoir des enfants,
ELEMENTS DE DROIT PENAL 197
(op. cit.) sur la façon dont Penthée voit Kadmos et Tiresias, qui sont, toutefois,
les seuls à vouloir réellement adorer le nouveau dieu, sans autre incitation, est
quelque peu excessive: «what he (scil. Pentheus) sees is two decrepit anciens
prepared once more to enter the sexual lists» (p. 28), à partir du moment où le
roi considère que les cérémonies bachiques ne sont que le prétexte à commettre
des actes de luxure. Nous pensons que Penthée n’adresse cette accusation
qu’aux seules femmes, en fonction des informations qu’il possède jusqu’alors
(consommation de vin, préférence donnée à Aphrodite plutôt qu’à Dionysos),
sinon, il n’hésiterait pas à faire emprisonner les deux vieillards où à les en
menacer, tout en mentionnant la raison.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 201
12
Il n’en est même pas question par la suite, dans la mesure où Penthée semble
désormais porter son intérêt sur le prisonnier étranger et sur l’instruction qui
suivra.
13
À partir de ce moment, la puissance divine de l’étranger – qui ridiculise
Penthée – commence à se manifester lors de la scène de l’enchaînement du
taureau, dont s’occupe curieusement le roi lui-même (en dépit de l’ordre
expresse qu’il avait donné précédemment (509-510), «Enfermez-le
(katheirxat’auton) près d’ici au fond des écuries (hippikais pelas phatnaisin),
que son œil ne voie plus que d’épaisses ténèbres!»): «Avisant un taureau, dans
l’étable (pros phatnais) où j’étais prisonnier (ou katheirx’êmas agôn), il
[Penthée] tenta d’entraver ses genoux, ses sabots (tôde peri brochous eballe
gonasi kai chêlais podôn)» (618-619).
202 ATHANASIOS STEFANIS
14
Ici l’ambiguïté qui domine dans la formulation du vers renvoie à la procédure
juridique de dikê ou graphê eirgmou (à ce sujet, voir É. Karabélias, Études
d’histoire juridique et sociale de la Grèce Ancienne, Athènes 2005, 263).
15
Ta de timêmata: zêmia, phygê, atimia, thanatos, desmos, stigmata, stêlê
(Pollux 8, 69). Voir A. R. W. Harrison, The Law of Athens, vol. II. Procedure,
Indianapolis 19882, 177, 241-244, Karabelias, op. cit., 262. Les termes, se
rapportant à la punition d’emprisonnement, mais aussi de captivité, qui se
répètent dans le texte, sont: eirgô (443), katheirgô (509, 618), eirktê (497,
549), horkanê (611) – deô (439, 444, 504, 505), desmeuô (616), desmos (444,
447, 518, 634, 643, 1035), desmios (226, 259, 355, 792), desmios brochos
(615), brochos (545, 619). Leinieks, op. cit., 210-216, attribue cette tactique de
Penthée à sa «propension à l’emploi de la violence». (En ce qui concerne le
sens «primitif» du terme desma, voir Homère, Hymne à Hermès, où Apollon
lie les mains d’Hermès à l’aide de liens d’osier très serrés (kartera desma
agnou, 409-410). En ce qui concerne le terme eirktê qui désigne la prison (cf.
Hérodote 4, 146, Thucydide 1, 131), son emploi (au pluriel) par Xénophon,
Mémorables 2, 1, 5, présente un intérêt car il prend le sens de la partie
intérieure de la maison, des appartements destinés aux femmes, à savoir du
ELEMENTS DE DROIT PENAL 203
1. La décapitation:
241 «… en lui tranchant le col (trachêlon sômatos chôris
temôn)».
Ce vers nous indique la punition que Penthée se propose d’infliger19
à l’étranger, s’il l’arrête, car il le considère comme l’instigateur de
l’état dans lequel se trouvent les femmes de Thèbes. C’est lui qui
initie les femmes (neanisin, 238) aux cérémonies bachiques, tout en
entretenant des relations20 avec elles jour et nuit. Néanmoins, la
peine capitale se justifie-t-elle pour ce délit? Nous y reviendrons.
2. La pendaison:
«Est-il point digne de la potence, quel qu’il soit, cet
intrus qui m’insulte et me brave ? (taut’ouchi
kaghonês est’ axia, hybreis hybrizein, hostis estin ho
xenos)».
Ensuite, Penthée va porter son intérêt sur deux éléments que
colporte l’étranger à propos de Dionysos: (a) qu’il s’agit d’un dieu,
(b) qu’il s’agit du fils de Zeus, sauvé dans la cuisse de son père.
Pour Penthée, toutefois, il est évident que l’embryon que portait
Sémélé en son sein, fut frappé par la foudre en même temps que sa
18
Cf. Souda t 150 4IV 508 Adler) Ta tria tôn eis thanaton: oti tois eis thanaton
katakritheisi tria paretithoun, xiphos, brochos, kôneion.
19
L’objectif de Penthée est de neutraliser le comportement bachique de
l’étranger qui constitue une source d’imitation pour les adorateurs (240-241):
«je lui désapprendrai de frapper le sol de son thyrse (pausô ktypounta thyrson),
et de laisser flotter ses longs cheveux au vent (anaseionta te komas)». Les vers
493 (menace de Penthée de couper les boucles de l’étranger), et 495 (demande
impérative que l’étranger lâche son thyrse) sont en relation avec ce thème. En
ce qui concerne la décapitation du roi, réelle cette fois-ci, voir 1137, 1139,
1170, 1214, 1239, 1277, 1284 (mentions de la tête coupée de Penthée).
20
Sur le sens de «avoir commerce avec une femme», que le verbe syggignetai
(237) possède entre autres, voir Platon, Politique 329c, Xénophon, Anabase 1,
2, 12 (cf. aussi Hérodote 2, 121).
ELEMENTS DE DROIT PENAL 205
mère, car cette dernière avait prétendu, faussement d’après lui, que
c’était le fruit de son union avec Zeus. C’est la version à laquelle
croient les sœurs de Sémélé (26-31) et pour laquelle elles sont
punies par Dionysos. Ces deux derniers éléments que colporte
l’étranger sont donc les «terribles» propos qui méritent la
pendaison: ce sont eux qui constituent son hybris, et non pas son
comportement précédent relatif à la fréquentation jour et nuit des
femmes et leur initiation aux cérémonies bachiques (237-238),
comportement pourtant pour lequel il fut immédiatement proposé sa
décapitation, dans le cas où il serait arrêté eisô … têsde stegês
(«sous mon toit», 239). En revanche, N. R. E. Fisher (Hybris. A
Study in the Values of Honour and Shame in Ancient Greece,
Warminster 1992, 444) considère comme probable que ces deux
vers se rapportent «aux activités du jeune étranger (233-245) et
concernent tout autant l’initiation des jeunes femmes aux
cérémonies bachiques immorales que la propagation d’histoires
impies à propos de dieux», en se référant pour cette appréciation à
Jeanne Roux (commentaire des vers 246-7), position déjà défendue
par J. G. J. Hermann (voir Paley, op. cit. 413).
3. La lapidation:
356 «…pour que je le condamne à mourir lapidé
(hôs an leusimou dikês tychôn thanê)».
Ce type de peine renvoie au délit d’offense envers la société, au
délit de sacrilège. Ceci ressort des vers 353-354 qui précèdent: hos
eispherei noson kainên gynaixi kai lechê lymainetai («qui vint,
parmi nos femmes, porter le mal nouveau qui corrompt nos
foyers»21. D’ailleurs, la lapidation, punition qui remonte à la
21
Le verbe lynainetai signifie «salir, souiller» et fait partie de la catégorie des
termes, tels que lyma, kathairô, katharos, miainô, miaros, dont le sens
d’origine était purement physique (saleté materielle-nettoyage qui la supprime)
et qui acquirent un sens religieux dans la pensée religieuse; voir L. Gernet,
Recherches sur le développement de la pensée grecque et morale en Grèce.
Étude sémantique, Paris 20012, 247. Néanmoins, l’expression lechê lymainetai
désigne un délit sexuel et renvoie à syggignetai du vers 237, comme nous le
notons plus bas.
206 ATHANASIOS STEFANIS
4. La réduction en esclavage:
511-514 «... Et quand à tes complices, à ces femmes que tu
conduis parmi nous, je vais, ou bien les vendre à
l’enchère (diempolêsomen), ou plutôt... au métiet à
tisser je les occuperai (eph’ histois dmôidas
kektêsomai)».
Le roi s’en prend aussi aux femmes du Chœur: il va menacer – sans
que cela soit suivi d’effets, semble-t-il 22 – de réduire en esclavage
les complices de l’étranger, le thiase que Lydos a amené avec lui; il
pense soit à les vendre soit à les occuper pour son compte sur les
métiers à tisser23, en tant qu’esclaves domestiques.
5. Sur l’impiété:
L’accusation que Penthée formule à l’encontre de Tirésias, comme
quoi celui-ci voudrait imposer le nouveau dieu à des fins lucratives,
constitue un cas à part:
255-257 «Car tu veux, en prônant ce Dieu nouveau aux
hommes (ton daimon’ anthropoisin espherôn neon), te
faire bien payer (misthous pherein) pour l’observation
des présages ailés ainsi que des victimes!».
Il s’agit d’une accusation très grave, à laquelle la prison dont il le
menace ne pourrait suffire, puisque, conformément au cadre
juridique, ce délit entraîne la peine de mort. Rappelons le cas de
22
En revanche, le Chœur des femmes étrangères a peur de la peine de la mise
aux fers brandie par le roi (os em’en brochoisi …tacha xynapsei, 545-546),
tandis que dès qu’il est informé de la mort de Penthée par le Messager, il
s’exclame (1035): «la crainte d’être chargée de chaînes ne me fait plus
trembler (ouketi gar desmôn hypo phobô ptêssô)».
23
Les femmes de Thèbes s’adonnaient aux mêmes travaux dans leurs oikoi avant
de se rendre sur le Cithéron (118, 1236).
ELEMENTS DE DROIT PENAL 207
24
En effet, la loi interdisait l’introduction des cultes étrangers. Flavius Josèphe
dans son deuxième discours Contre Apion (chap. 37, 262-267) se réfère à la
punition sévère prévue par les lois d’Athènes en cas d’impiété. Après avoir
rappelé le cas de la condamnation à mort de Socrate et les poursuites contre
Anaxagore, Diagoras et Protagoras, il souligne que même les femmes qui
avaient commis le crime d’impiété n’échappaient pas à la peine de mort tout en
rapportant l’exemple d’une prêtresse qui, au IVe siècle av. J.-C., avait introduit
des mystères phrygiens: «En effet, ils mirent à mort la prêtresse Ninos parce
qu’on l’avait accusée d’initier au culte de dieux étrangers (oti xenous emyei
theous); or la loi chez eux l’interdisait, et la peine édictée contre ceux qui
introduisaient un dieu étranger (kata tôn xenon eisagontôn theon) était la
mort». Voir aussi J. Rudhardt, «La définition du délit d’impiété d’après la
législation attique», MH 17 (1960) 87-105.
25
Pour ce qui concerne l’emploi du participe eispherôn ou eisêgoumenos dans le
texte de l’accusation portée contre Socrate, voir E. de Strycker & S. R. Slings,
Plato’s Apology of Socrates (Mnemosyne, Bibliotheca Classica Batava 137),
Leiden 1994, 84-85. Ici, dans l’«accusation» que formule Penthée contre
Tirésias, les termes employés sont espherôn (256) mais aussi eisagôn (260).
Cf. Rudhardt, op. cit., p. 93.
208 ATHANASIOS STEFANIS
26
«Ah, trêve des leçons! N’es-tu point satisfait d’avoir fui ta prison (desmios
phygôn)? Vais-je t’y renvoyer?». Ici, Penthée renonce à toute exigence de
punition contre l’étranger: il a compris que la situation a pris un autre tour,
dorénavant plus dangereux et que l’étranger ne saurait être rendu responsable
du comportement agressif des femmes sur le Cithéron. Il considérait l’étranger
coupable de suborner les femmes et de les initier au cours de «cérémonies
bachiques», qui servaient de prétexte à un comportement immoral. Les paroles
du Messager l’ont convaincu que ces soupçons n’étaient plus fondés.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 209
27
Cf. 487, dolion.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 211
28
En ce qui concerne, ici, le sens du mot geras, un passage de l’Iliade en rapport
avec la transmission du pouvoir royal, nous éclaire. Juste avant que ne
s’engage le duel entre Énée et Achille, ce dernier s’adresse au héros troyen en
ces termes: «Énée, pourquoi viens-tu te poster si loin en avant des lignes?
Serait-ce que ton cœur te pousse à me combattre dans l’espoir de régner sur
tous les Troyens dompteurs de cavales, avec le rang qu’a aujourd’hui Priam
(timês tês Priamou)? Mais, quand tu me tuerais, ce n’est pas pour cela que
Priam te mettrait son apanage en main (ou toi touneka ge Priamos geras en
cheri thêsei)? Il a des fils, il est d’esprit solide – ce n’est pas une tête folle»
(Chant 20). De même, dans l’Odyssée, c’est ce terme qui détermine le trône
d’Ithaque (Chant 11, 175 et 184, Chant 15, 522). Enfin, dans son
«Archéologie», Thucydide se référant aux royaumes de la période homérique
qui existaient avant l’instauration de tyrannies dans la plupart des cités, note
qu’il s’agissait de «royautés héréditaires aux prérogatives déterminés (epi
rêtois gerasi patrikai basileiai», 1, 13, 1).
29
Le verbe didonai (ici, de même qu’au vers 44) est employé au présent pour
indiquer que le résultat de l’action demeure (E. R. Dodds, Euripides Bacchae.
Edited with Introduction and Commentary, Oxford 19602, 97).
30
Pratique habituelle durant la période archaïque, où la femme transmet le
pouvoir via son mariage; voir L. Gernet, «Mariages de tyrans», Anthropologie
de la Grèce ancienne, Paris 1968, 344-359. Kadmos apparaît ici sans
descendance mâle: ses trois filles sont appelées, par conséquent, à conserver et
à transmettre leur lot familial à leurs fils.
31
Au contraire de Priam, qui dans l’Iliade (voir ci-dessus, note 28) conserve ce
privilège, en dépit du fait qu’il soit âgé et qu’il ait des descendants.
212 ATHANASIOS STEFANIS
32
Ceci est valable aussi dans le cas d’Aristée (1227), époux d’Autonoé et père
d’Actéon (victime, lui aussi, d’une colère divine, comme va le devenir aussi
son cousin, Penthée). S’agissant d’Ino, on ne lui mentionne pas d’époux, ni du
fait qu’elle aurait eu, dans le passé, comme ses sœurs, des enfants.
33
C’est ainsi que les spécialistes de cette tragédie comprennent le sens du vers.
D’autres (les plus nombreux) rapportent, dans leurs traductions, le pronom
personnel au datif, êmin, à gynaikas, d’autres à dômata. Verdenius, «Cadmus,
Tiresias, Pentheus. Notes on Euripides’Bacchae 170-369», Mnemosyne 41
(1988) 250, signale le fait que toutes les femmes ont abandonné la ville, en
renvoyant aux vers 35-36. Winnington-Ingram, op. cit. (note 2), traduit le vers
comme suit: «that our women have left our homes» (p. 45).
ELEMENTS DE DROIT PENAL 213
34
Certes, le sens littéral du vers est: «les femmes ont abandonné les demeures «à
notre grand regret, à notre grand déplaisir» (étant un datif éthique)».
35
Anecdota Graeca (Bachmann) I 116 (Recueil de mots utiles) Apelipen: apelipe
men ê gynê ton andra legetai, apepempse de o anêr tên gynaika. outôs
Menandros. Ibid. I 128 Apoleipsis: sêmainei men kai allôs to apolipein, idiôs
de ot’an ganetê ton andra apolipê. Legetai de chrêmatizein pros auton
apoleipsin.
36
Cf. Andromaque 597-605, exerêmousai domous…exekômasen (voir Souda e
1611, II 305 Adler, et Hésychius e 83, II 120 Latte, exekômasen:
exeporneusen).
214 ATHANASIOS STEFANIS
37
Voir P. T. Stevens, Euripides Andromache. Edited with Introduction and
Commentary, Oxford 1971, 209, 217 et M. Lloyd, Euripides Andromache with
Introduction, Translation, and Commentary, Warminster 20052, 165.
38
Les vers 233-234 (…ôs tis eiselêlythe xenos, / goês epôdos Lydias apo
chthonos) renvoient à deux passages parallèles: à Hippolyte d’Euripide (ar’ouk
epôdos kai goês pephych’ode, 1038) à propos des accusations lancées par
Thésée contre son fils qu’il soupçonne d’avoir séduit sa femme Phèdre, «après
avoir déshonoré l’auteur de ses jours (ton tekont’atimasas) (1040). Et au texte
de Platon, Ménon 80b: ei gar xenos en allê polei toiauta poiois, tach’an ôs
goês apachtheiês («dans une ville étrangère, avec une pareille conduite, tu ne
serais pas long à être arrêté comme sorcier»), où «apagein is the regular term
for summary arrest», Plato’s Meno. Edited with Introduction and Commentary
by R. S. Bluck, Cambridge, 1961, 270. Peu avant, Ménon avait analysé le
comportement de Socrate en disant à ce dernier: «En ce moment même, je le
vois bien, par je ne sais quelle magie et quelles drogues, par tes incantations, tu
m’as si bien ensorcelé (goêteueis me kai pharmatteis kai atechnôs katepadeis)
que j’ai la tête remplie de doutes» (op. cit. 80a).
39
La leçon stegês (que l’on trouve dans les deux manuscrits L et P, dans lesquels
le texte est sauvegardé), dans l’expression eisô têsd’…stegês, détermine
ELEMENTS DE DROIT PENAL 215
l’intérieur de son oikos, du palais royal, comme un peu plus haut, dans
l’expression pandêmoisi stegais, il désigne la prison d’État (cf. 593, stegas
esô). En revanche, l’expression eisô têsde…chthonos (cf. l’édition de J. Diggle,
Oxford 1994), ne peut avoir d’autre signification que «l’intérieur de la terre»,
ce qui semble incompréhensible. En ce qui concerne Penthée «“house”
signifies more than domestic space or means of punishment. It is a symbol of
his authority» (Ch. Segal, Dionysiac Poetics and Euripides’Bacchae, Princeton
19972, 89).
40
Voir A. R. W. Harrison, The Law of Athens, vol. I. The Family and Property,
Indianapolis 19882, 33, note 1, et E. Cantarella, «Gender, Sexuality, and Law»,
The Cambridge Companion to Ancient Greek Law (éd. M. Gagarin, D. Cohen),
Cambridge 2005, 240-241.
216 ATHANASIOS STEFANIS
maison pour m’outrager (kai eme auton hybrisen eis tên oikian tên
emên eisiôn)…».
Penthée, donc, de façon abstraite, et après avoir
précédemment associé de manière évidente l’étranger aux activités
érotiques illégales des femmes de Thèbes (223, 237), se réfère à un
«droit» théorique de l’époux, ou plus généralement du kyrios d’une
femme, celui de pouvoir tuer, sous certaines conditions, l’homme
qu’il surprend en train de commettre l’adultère avec celle-ci, sans
subir les conséquence juridiques de son acte. Arrivé à ce point, il
nous faut souligner que le roi semble considérer comme allant de
soi qu’il a la tutelle des femmes de son oikos, et c’est effectivement
le cas (voir 43-44 et 213), mais aussi qu’il a celle de toutes les
femmes de Thèbes, ce qui n’est naturellement pas le cas. Comme
nous l’avons noté plus haut, relativement au vers 217, le roi
déclare: «nos femmes ont abandonné les dômata» en assumant
inconsciemment le rôle de kyrios de toutes les femmes de Thèbes.
En passant sous silence la situation réelle, il apparaît considérer
sans distinction toutes les femmes assujetties à sa tutelle.
Ainsi, Penthée, en position de kyrios des femmes de la cité,
prend quelques mesures: la première mesure est contre les femmes
qu’il veut ramener dans la cité et enfermer en mettant fin à leur
kakourgos41 bakheia.
Les soupçons de Penthée quant au comportement immoral
des femmes sont-ils toutefois fondés? Déjà, dans son Prologue,
Dionysos employait l’expression parakopoi phrenôn pour qualifier
l’état des femmes: cependant c’est dans les mêmes termes que
Phèdre est qualifié dans Hippolyte 238 (parakoptei phrenas); elle
est devenue folle42 en raison de l’amour qu’elle éprouve pour son
41
Cf. dans la loi athénienne le terme kalourgoi, qui recouvre aussi les coupables
de moicheia, contre lesquels peut s’appliquer la procédure d’apagogê (voir M.
H. Hansen, Apagoge, Endeixis and Ephegesis against Kakourgoi, Atimoi and
Pheugontes. A Study in the Athenian Administration of Justice in the Fourth
Century B.C., Oxford 1976, 19).
42
Voir aussi le commentaire de W. S. Barrett, Euripides Hippolytos. Edited with
Introduction and Commentary, Oxford 1964, 205-206, lequel mentionne
«mental derangement». Cf. aussi la note 38 ci-dessus.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 217
43
Le Chœur, toutefois, prône la consommation de vin (380-385, 421-423), tandis
que du récit du Messager, il ressort que le dieu offre de manière miraculeuse
une source de vin aux bacchantes du Cithéron (707).
44
Les Bacchantes 693. En ce qui concerne les filles de Prœtos (Lysippé, Iphinoé
et Iphianassa), qui emanêsan…oti tas Dionysou teletas ou katedechonto,
Apollodore mentionne que genomenai emmaneis eplanônto…met’akosmias
hapasês dia tês erêmias etrochazon (Bibliothèque 2, 2, 2).
218 ATHANASIOS STEFANIS
47
Cf. aussi Dodds, op. cit., 130, qui note que le Serviteur entre sur scène par la
porte de droite, c’est-à-dire comme venant ek tês poleôs. En ce qui concerne le
sujet des entrées de la scène, voir R. Seaford, Euripides Bacchae with an
Introduction, Translation and Commentary, Warminster 20012, 148-149 et D.
Kovacs, Euripidea Tertia (Mnemosyne, Bibliotheca Classica Batava 137),
Leiden-Boston 2003, 124. La conviction de Penthée est que l’étranger se
trouve encore dans la cité et que c’est là que l’on doit mener les recherches.
Voir l’expression ek domôn, qu’emploie Dionysos au vers 32, et le
commentaire de Seaford, op. cit., 149.
ELEMENTS DE DROIT PENAL 221
ATHENA BAZOU
Chercheur,
Centre de Recherches sur les Littératures grecque et latine, Académie d’Athènes
1
Arist. Eth. Nic. V 1129b29-30.
2
Eth. Nic. V 1129a26 sq.
3
Resp. IV433d, 435b, 441c, 442cd.
4
Ibid. IV 444cd.
5
L’analogie entre équilibre des forces dans le corps et l’État remonte à
Alcmaeon de Croton (D.-K. 24B4), d’après qui la maladie correspond à la
monarchie, comme la santé correspond à la isonomia (égalité des droits) dans
226 ATHENA BAZOU
l’État. Les germes de cette conception se trouvent déjà chez Hésiode, Héraclite
et Empédocle. Voir M.S. Hurwitz, «Justice and the Methaphor of Medicine in
the Early Greek Thought», dans K.D. Irani, M. Silver, Social justice in the
ancient world, Greenwood Press, 1995, pp. 69, 70, 72.
6
Plat. Grg. 468e-470e, 477bc, 477e-478e, 479cd, 480ab.
7
Ibid. 478d6-7.
8
Melet. De nat. hom. 29, 24-25, éd. Cramer.
LE SENS DE LA JUSTICE 227
9
Ibid. 46, 14-25.
10
Def. Med. CXXX (XIX, p. 383, 10-384, 9, éd. Kühn); trad. D. Gourevitch dans
«L’esthétique médicale», LEC LV, 1987, pp. 267-268. Concernant le rapport
entre la justice et la beauté dans la médecine grecque, voir De plac. Hipp. et
Plat. VII, 1, 30 (p. 434, 22sq., éd. De Lacy, CMG V 4, 1, 2). Aussi l’important
article de J. Pigeaud, «L’esthétique de Galien», Metis VI, 1-2, 1991, 7-42.
11
Aristote (Eth. Nic. I 1129a34) conclut que la notion de «juste» signifie
nomimon (légal, conforme à la loi) et ison (égal). L’emploi du mot dans le sens
de nomimon n’est pas traité dans la présente étude ; il est courant mais sans
importance particulière pour la médecine grecque ancienne, d’après nous. Voir
P. Apostolidès, Hermeneutiko lexiko pasôn tôn lexeôn tou Hippokratous,
Athènes, éd. Gavriélidès, 1997, p. 202 et K. Métropoulos, Glôssarion
Hippokratous : (Idiai kat’Erôtianon kai Galénon), Athènes, 1978, p. 86.
12
s.v. dikaion (p. 32, 3-17, éd. Nachmanson).
228 ATHENA BAZOU
13
Ibid., p. 32, 15-17.
14
De art. 10, 2-3 (p. 102, éd. Littré IV).
15
Galien (De hum., XXXIII ; XVIIIa, p. 369, 7-8, éd. Kühn) en commentant le
passage en question (Hipp. De art. 10, 2-3) parle du corps égal (ison). Erotien
(s.v. dikaion ; p. 32, 3-6, éd. Nachmanson) d’autre part, comprend ici le mot
«juste» comme homoion (semblable).
16
Hipp. De art. 10, 5-7 (p. 102, éd. Littré IV).
17
Ibid. 69, 40-41 (p. 286).
18
Ibid. 62, 29-31 (p. 266); trad. p. 267.
19
De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 12 (p. 592, 32-594, 4, éd. De Lacy, CMG V 4, 1,
2).
LE SENS DE LA JUSTICE 229
20
In Hipp. De fract. I, 4 (XVIIIb, p. 337-338, éd. Kühn). Le passage commenté
par Galien est le Hipp. De fract. 1, 6-7 (p. 412-414, éd. Littré III). Voir aussi
Ibid., p. 413, n. 21.
21
Hipp. De art. 7, 26 (p. 90, éd. Littré IV).
22
Ibid. 7, 33 (p. 92).
23
Hipp. De fract.7, 22 (p. 442 Littré III ; trad. p. 443).
24
Hipp. De art. 62, 42 (p. 268, éd. Littré IV).
25
Gal. De usu part. X, 13 (p. 105, 22-23, éd. Helmreich).
26
Gal. De hum. XXXIII (XVIIIa, p. 369, 7-8, éd. Kühn).
27
Ibid. XLVIII (p. 382, 8-9).
230 ATHENA BAZOU
28
D’après les conceptions médicales de l’antiquité, le tempérament est le
mélange des qualités premières (chaleur, froideur, humidité, sécheresse) dans
le corps, dont l’équilibre assure la santé et le déséquilibre entraîne la maladie.
Les qualités premières, notion assez abstraite, s’actualisent sous la forme des
quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune et bile noire) dans le corps.
29
Elle (l’eucrasia) ne se trouve pas exactement à mi-chemin entre les extrémités ;
mais elle consiste autant que possible dans la symétrie) ; il en va de même avec
la justice ; elle n’est pas non plus l’égalité dans la quantité mais selon la nature
propre et la valeur de l’individu. Gal. De temp.VI (p. 24, 16-22, éd.
Helmreich).
30
In Hipp. De fract. I, 2 ; XVIIIb, p. 335, 10, ed. Kühn; Ibid. II, 3; p. 423, 8-10.
31
s.v. dikaion ; p. 32, 6-10, éd. Nachmanson.
32
De art. 7, 25-26 (p. 90 Littré IV; trad. p. 93).
33
s.v. dikaion ; p. 32, 10-13, éd. Nachmanson.
34
De fract. 1, 1-3 (p. 412 Littré III; trad. p. 413).
35
Ibid. 7, 20 (p. 442; trad. p. 441).
36
s.v. dikaion ; p. 32, 13-15, éd. Nachmanson.
LE SENS DE LA JUSTICE 231
III. Mais d’où provient la justice du corps, son état juste ? Pour la
conception médicale grecque, elle provient de la justice de la
nature. Le papyrus médical connu comme l’Anonymus Londinensis
du IIème siècle après J.-C., porte que, d’après Asclépiade, la nature
conserve la justice (térétikè kathestéken tou te dikaiou…)38. Le
corpus hippocraticum regorge de références à la nature juste, sage
et technicienne. Grand admirateur d’Hippocrate, Galien, au IIème
siècle après J.-C., justifie cette conception. Hippocrate déclare la
nature juste, Galien en fournit les preuves; il attribue le dogme de la
justice de la nature au Père de la médecine39 qui, comme Galien le
dit, premier de tous les médecins et de tous les philosophes, fut
aussi le premier à apercevoir les actes miraculeux de la nature40.
Galien prétend que si l’on veut apprendre de quelle sorte est
la justice de la nature, il faut lire Platon, selon qui le magistrat-
artiste vraiment juste doit toujours viser à (apovlepein) l’égal selon
la valeur41. D’après les doctrines philosophiques, poursuit-il, la
justice consiste dans la distribution des qualités à chacun non pas
selon la loi mais selon sa nature propre. Il en va de même pour la
justice dans le corps. La forme juste (dikaion …schèma) est celle
qui conserve la forme et la position propres à chaque membre du
corps42. La nature est la plus juste (dikaiotatè), parce qu’elle aussi,
tout comme la justice platonicienne, a pour mission de distribuer les
37
De art., 7, 33 (p. 92, Littré IV).
38
36.49, éd. Diels.
39
Gal. De usu part. I, 22 (p. 59, 20-22, éd. Helmreich); Ibid. II, 16 (p. 116, 9-
10) ; Ibid. III, 10 (p. 172, 15-17); Ibid. V, 9 (p. 277, 26-27) ; De nat. fac. I
(XII, p. 122, 6-10, éd. Helmreich, SM III ) ; De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 27
(p. 596, 25, éd. De Lacy, CMG V 4, 1, 2).
40
De nat. fac. I (XIII, p. 128, 23-129, 3, éd. Helmreich, SM III ).
41
De usu part. XVI, 1 (p. 377, 13-17, éd. Helmreich). Voir aussi Plat. Leg. VI
757b sq.
42
Gal. In Hipp. De fract. II, 3 (XVIIIb, p. 423, 5-10, éd. Kühn).
232 ATHENA BAZOU
43
Gal. De usu part. V, 9 (p. 277, 27-278, 2, éd. Helmreich). Voir aussi Gal. In
Hipp. De art. IV, 36 (XVIIIa, p. 720, 10-13 éd. Kühn).
44
Gal. De usu part. XI, 2 (p. 116, 12-17, éd. Helmreich). Voir aussi Ibid. VI, 4
(p. 308, 13-15) et XIII, 2 (p. 238, 3-6).
45
J. Boulogne, «L’Epode de Galien. Une célébration au merveilleux» dans O.
Bianchi, O. Théenaz, Conceptions et représentations de l’extraordinaire dans
le monde antique. Actes du colloque international, Lausanne, 20-22 mars
2003, Bern-Berlin…, Peter Lang, 2005, p. 313.
46
De usu part. V, 9 (p. 277, 26-27, éd. Helmreich); Ibid. XVI, 4 (p. 388, 16-18).
47
Ibid. XVI, 1 (p. 376, 9-10).
48
Gal. De dieb. decr. XI (IX, p. 823, 3-4, éd. Kühn); De nat. fac. I (XIII, p. 129,
1-3, éd. Helmreich, SM III); De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 26 (p. 596, 24, éd.
De Lacy, CMG V 4, 1, 2).
49
De usu part. V, 13 (p. 285, 4-5, éd. Helmreich): Ibid. XI, 2 (p. 116, 14) ; Ibid.
XI, 8 (p. 134, 26-27 et p. 135, 22-23); Ibid. XVI, 14 (p. 432, 23-24) ; Ibid.
XVII, 1 (p. 444, 16-17) et ailleurs.
LE SENS DE LA JUSTICE 233
50
De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 22sq. ( p. 596, 5sq., éd. De Lacy, CMG V 4, 1,
2).
51
De usu part. XIV, 13 (p. 329, 12-13, éd. Helmreich); Ibid. XVII, 1 (p. 443, 21-
22).
52
Galien précise que d’après Hippocrate aussi c'est la Nature qui est la cause
créatrice des êtres vivants, donc le Créateur du monde physique (De plac.
Hipp. et Plat. IX, 8, 27 ; p. 596, 28-29, éd. De Lacy, CMG V 4, 1, 2).
53
Gal. De usu part. V, 13 (p. 285, 4sq., éd. Helmreich); Ibid. IX, 17 (p. 50,
10sq.).
54
Ibid. III, 10 (p. 171, 7-9) ; Ibid. V, 8 (p. 277, 27- p. 278, 12) ; Ibid. VII, 22 (p.
439, 19-23); Ibid. XVI, 1 (p. 376, 3-5); Ibid. XVI, 2 (p. 378, 19-20); Ibid. XVI,
6 (p. 399, 5-6).
234 ATHENA BAZOU
55
Ibid. VI, 7 (p. 316, 2-8).
56
Ibid. VI, 4 (p. 308, 1-27). Voir aussi J. Pigeaud, «L’esthétique de Galien»,
Metis VI, 1-2, 1991, 10-11.
57
De usu part. XVII, 1 (p. 441, 10-25, éd. Helmreich) ; Ibid. XVII, I (p. 444, 7-
17).
58
J. Boulogne, «L’Epode de Galien. Une célébration au merveilleux» dans O.
Bianchi, O. Théenaz, Conceptions et représentations de l’extraordinaire dans
le monde antique. Actes du colloque international, Lausanne, 20-22 mars
2003, Bern-Berlin…, Peter Lang, 2005, p. 314.
59
De usu part. XI, 7 (p. 130, 13-28, éd. Helmreich); Ibid. XVII, 1 (p. 445, 1-2) et
ailleurs.
LE SENS DE LA JUSTICE 235
60
Ibid. XI, 8 (p. 135, 13sq.).
61
Ibid. XI, 8 (p. 135, 20sq.).
62
Les deux sectes principales étaient celle qui d’une part regroupait, les
Platoniciens, les Stoïciens et les Aristotéliciens et celle d’autre part que
soutenaient les disciples de Leucippe et de Démocrite. D'après la première
secte toute la substance du monde est continue et peut être altérée. C'est la
secte du vitalisme, des humoralistes qui croyaient aussi à la notion de la nature
qui crée le corps. La deuxième secte, soutenue par les atomistes, professait que
la substance du monde ne peut pas être altérée. Le corps, d'après Démocrite et
ses sectateurs, est un ensemble composé d'atomes qui, à un moment donné, se
sont réunis par hasard. Entre les différents atomes il y a, selon eux, des pores
ou de petits blancs; quand ces pores sont symétriques, la santé prévaut; quand
au contraire ils ne sont pas tous symétriques, mais que les uns sont plus grands
que les autres, naissent les maladies dans le corps. Voir De usu part. VII, 14
(p. 415, 10-27, éd. Helmreich) ; Ibid. XI, 8 (p. 135, 10-20).
63
De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 10-11 (p. 592, 22-31, éd. De Lacy, CMG V 4, 1,
2).
236 ATHENA BAZOU
64
De usu part. IX, 8 (p. 27, 19-27, éd. Helmreich).
65
De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 12 (p. 592, 32-594, 4, éd. De Lacy, CMG V 4, 1,
2). Voir aussi De usu part. XVI, 1 (p. 375, 14sq., éd. Helmreich).
66
De usu part. VI, 20 (p. 370, 6-8, éd. Helmreich).
67
Gal. De dieb. decr. XI (IX, p. 823, 5-6, éd. Kühn).
68
Gal. De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 27 (p. 596, 25-26, éd. De Lacy, CMG V 4, 1,
2).
69
Gal. De plac. Hipp. et Plat. IX, 8, 26 (p. 596, 23-24). Voir aussi Hipp. Epid.
VI, 5, 1.
LE SENS DE LA JUSTICE 237
70
De usu part. XVII, 1 (p. 447, 22-448, 3, éd. Helmreich).
71
P. Moraux, «Galien comme philosophe: la philosophie de la nature», dans
Nutton V. (éd.), Galen. Problems and Prospects, Londres, Wellcome Institute
for the History of Medicine, 1981, p. 101.
72
Gal. Quod. an. virt. XI (p. 73, 10-12, éd. Müller, SM II).
73
Le débat philosophique sur le caractère inné ou acquis des qualités morales
chez l’homme, comme la bonté et la méchanceté, le caractère juste ou injuste,
a intéressé également les médecins grecs anciens. D’après les Stoïciens d’un
coté, tous les hommes sont bons de nature mais sont ensuite pervertis par ceux
qui vivent avec eux. De l’autre coté, les Épicuriens soutenaient que tous les
hommes sont méchants de nature et donc incapables d’acquérir la vertu (Gal.
De plac. Hipp. et Plat. V, 5, 8 ; p. 318, 12-16, éd. De Lacy, CMG V 4, 1, 2).
Beaucoup de médecins enfin croyaient à la prédominance de la nature,
éventuellement modifiée sous l’influence de l’éducation et des exercices.
Galien fournit l’exemple d’Aristide le juste qui, à la question de la manière
dont il était devenu juste, répondit que la nature avait joué le rôle le plus
important mais que lui aussi par la suite avait contribué à renforcer ce que la
nature lui avait donné (De an. aff. dign. et cur. VII, 10 ; p. 26, 6-11, éd. De
Boer, CMG V 4, 1, 1). D’après Mélétius, le médecin, toutefois, la part la plus
importante de la responsabilité pèse sur l’individu lui-même. Être juste ou non
relève finalement de la responsabilité des hommes eux-mêmes (eph’hémin).
Ceux qui ont une héxis (habitude, voire condition physique) juste, agissent
aussi de manière juste. Les études et les exercices agissent sur les habitudes et
238 ATHENA BAZOU
les transforment ; les habitudes par la suite règlent les actions qui en
dépendent. Il suffit donc de se soumettre à l’étude et aux exercices qui
promeuvent la justice pour obtenir les habitudes et le comportement justes (De
nat. hom. 29, 28-30, 8, éd. Cramer).
74
Voir supra, n. 6, 7.
75
Quod an. virt. IX (p. 67, 2-16, éd. Müller, SM II).
76
La théorie n’est pas nouvelle. Les Pythagoriciens définissaient des normes
diététiques dont le but premier était d’assurer la santé du corps mais dont le
vrai but était d’atteindre la vertu de l'âme. Dans le corpus hippocraticum
également, certains écrits (De l'ancienne médecine, Du régime) donnent des
prescriptions diététiques pour l’amélioration de la condition mentale de
l’homme. Plutarque dans ses Préceptes de santé remarque l'importance du
maintien de la bonne santé physique pour le bien-être spirituel. Et chez Galien
de nombreux passages sont consacrés à la diététique et à son rapport avec
l'âme ; par exemple dans son traité sur l'Hygiène, ou dans le traité Que les
facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps où, à plusieurs reprises, il
réduit la médecine à l'alimentation et à la diététique, remède, selon lui, à toute
maladie.
LE SENS DE LA JUSTICE 239
77
Quod an. virt. X (p. 72, 3-4, éd. Müller, SM II).
240 ATHENA BAZOU
78
De med. I (p. 20, 18-20, éd. Heiberg, CMG I 1) ; trad. J. Jouanna (J. Jouanna,
C. Magdelaine, Hippocrate. L’art de la médecine, Paris, GF Flammarion,
1999, p. 248, n. 5).
79
Hipp. Jusj. VI (p. 5, 2, éd. Heiberg, CMG I 1) ; trad. J. Jouanna (J. Jouanna, C.
Magdelaine, Hippocrate. L’art de la médecine, Paris, GF Flammarion, 1999, p.
71).
80
Voir le commentaire du mot dikaios (juste) associé à hosios (pieux) par H. von
Staden («Character and Competence. Personal and Professional Conduct in
Greek Medicine» dans H. Flashar, J. Jouanna, Médecine et morale dans
l’antiquité [Entretiens sur l’antiquité classique, XLIII], Vandoeuvres
(Genève), Fondation Hardt, 1997, pp. 184-5), d’après qui le mot dikaios se
réfère toujours au comportement envers les autres personnes, tandis que hosios
renvoie au comportement envers les dieux. L. Edelstein (The Hippocratic oath,
Baltimore, The John Hopkins Press, 1943, pp. 32-36) soutient que le Serment
est issu d’un milieu pythagoricien du IVème siècle av. J.-C. ; il interprète par
conséquent la référence à la justice suivant les doctrines pythagoriciennes, lui
donnant un sens plus large : «…The recommendation of justice epitomizes all
duties of the physician towards his patients in the contacts of daily life, all he
should do or say in the course of his practice ; it gives the rules of medical
deportment in a nut-shell» (p. 36).
81
K. Deichgräber, «Die ärztliche Standesethik des hippokratischen Eides»,
Quellen u. Studien z. Geschichte d. Naturwissenschaften u. d. Medizin, III,
1932, p. 4, n. 5 (d’après la citation de L. Edelstein, The Hippocratic oath,
Baltimore, The John Hopkins Press, 1943, p. 36).
82
Quod opt. med. IV, 1 (p. 292, éd.- trad. V. Boudon-Millot, Galien I, Les Belles
Lettres).
LE SENS DE LA JUSTICE 241
83
Ibid. IV, 3.
84
Voir e.g. les phrases qui suivent immédiatement les références à la justice et au
médecin juste dans les traités hippocratiques Sur le médecin (I, p. 20, 21-22,
éd. Heiberg, CMG I 1) et le Serment (VI, p. 5, 3-4, éd. Heiberg, CMG I 1)
mentionnées ci-dessus. De même dans le traité galénique Sur le diagnostic et
le traitement des passions de l’âme (VIII, 3, p. 28, 14, éd. De Boer, CMG V 4,
1, 1), où Nikon, le père de Galien, est qualifié de dikaios te kai chrématôn
einai kreittôn (juste et au dessus des questions d’argent). D’après une autre
lecture du passage, Galien ne parle pas de son père mais d’un de ses maîtres,
un platonicien, élève de Gaios.
85
Quod opt. med., III, 9 (p. 291, éd.- trad. V. Boudon-Millot, Galien I, Les
Belles Lettres).
Page laissée blanche intentionnellement
14
LES NOTIONS DE JUST ICE
ET DE JUSTESSE DANS LA
THÉOLOG IE PLATON ICIENNE
DE PROCLUS
E. MOUTSOPOULOS
Membre de l’Académie d’Athènes
***
1. Pour des raisons de méthode, mais aussi, pour la commodité de
l’enquête, il semble indiqué d’intervertir ces deux occurrences pour
accorder la priorité à celle du livre V de la Théologie. Elle répond à
l’acception traditionnelle, plus générale, du terme en cause, inséré
dans le chapitre 24, pp. 87, 15 et suiv. de l’édition Saffrey-
Westerink, qui traite du mythe du Protagoras platonicien.
Rappelons brièvement l’essentiel du contenu du récit originel1
avant de procéder à son exégèse proclusienne. On est d’emblée
introduit dans le devenir de la création à laquelle ce n’est pas une
divinité «subalterne», le «démiurge» intelligent2 du Timée, qui
préside, mais bien les dieux de l’Olympe et, en particulier, Zeus en
personne. Le récit de la construction de l’âme du monde
est présupposé3. On en est à la formation des êtres vivants. Leur
tour arrive précisément au moment (opportun, le kairos), fixé par le
destin (heimarménè). Ils reçoivent leurs formes respectives à
l’intérieur de la terre grâce au mélange, pour le moins, des
quatre éléments empédocléens 4, avant d’émerger à la lumière du
jour. Les deux frères, Prométhée et Épiméthée, sont chargés de les
équiper pour en assurer la survie. Sur sa demande, Épiméthée
entreprend le travail, son aîné consentant à en inspecter le résultat.
Les aptitudes, physiques et autres, auraient été convenablement,
équitablement et judicieusement réparties entre les espèces afin
d’en empêcher la disparition à cause des intempéries ou de leurs
frictions mutuelles. Or, sa sagesse étant limitée, Epiméthée aurait
épuisé ses ressources à équiper les espèces «déraisonnables»,
1
Cf. Platon, Protag., 320 d - 328 d; Timée, 31, b. Cf. E. Moutsopoulos, La
création de l’homme, Les origines de l’homme, Univ. de Nice, Sophia-
Antipolis, Publ. de la Fac. des Lettres, n. s., no 46, pp. 125-132.
2
Cf. Timée, 34 b - 37 c; Lois, V, 790 e et suiv. Cf. Idem, Mouvements de sons,
de corps et d’âmes, Philosophia, 31, 2002, pp. 104-109
3
Cf. Timée, 28 a-b. Cf. Idem, Hasard, nécessité et kairos dans la philosophie
de Platon. Hasard et nécessité dans la philosophie grecque, Athènes, Académie
d’Athènes, 2005, pp. 65-69; Nécessité et intelligence, dans le Timée et les Lois,
Philosophia, 37, 2007, pp. 48-59.
4
Cf. EMPED., fr. A 28-52 (D.-K.16, I, 287, 34 - 293,23). Cf. E. Moutsopoulos.
Le modèle empédocléen de pureté élémentaire et ses fonctions, Giornale di
Metafisica, 21, 1999, pp. 125-130
LES NOTIONS DE JUSTICE ET DE JUSTESSE 245
5
Cf. Protag., 321 c : aloga, «privés de raison» (cf. infra, et la n. 9).
6
Cf. ibid., 320 c: akosméton.
7
Cf. ibid., 321 c.
8
Cf. ibid., 321 e. C’est l’art du tissage, dont l’instrument par excellence est
la navette. Cf. Moutsopoulos, Un instrument divin: la navette, de Platon à
Proclus, Kernos, 10, 1997, pp. 241-247.
9
Cf. Protag., 321 c (cf. supra, et la n. 5; cf. infra, et la n. 26).
10
Cf. ibid., 322 a-b.
11
Cf. ibid., 322 c-d.
12
Cf. ibid., 322 d.
13
Cf. ibid., 322 c-d.
246 E. MOUTSOPOULOS
14
Cf. ibid., 322 d; 323 a.
15
Cf. ibid.
16
Cf. ibid.
17
Cf. ibid. dikaiosynè au lieu de dikè.
18
Cf. ibid. : sôphrosynè au lieu de aidôs; 324 e - 325 a.
19
Cf. ibid., 323 a; 323 b (cf. Phèdre, 250 b : dikaiosynès kai sôphrosynès).
20
Cf. ibid., 324 a; 324 c.
21
Cf. Apol., 37 a; Protag., 345 d; 358 c; Tim., 86 d; Rép., I, 336 e; II, 360 c.
22
Cf. Théét., 146 c; 206 b; Phil., 37 d.
23
Cf. E. Moutsopoulos, Épistémologie et ontologie dans le Théétète platonicien,
Athéna, 64, 1961, pp. 230-238.
24
Cf. Idem, Erreur et solitude in IDEM, Parcours de Proclus, Athènes,
C.I.E.P.A. - Paris, Vrin, 1993, pp. 14-15.
Cf. Proclus, Théol. plat., V, p. 87, 15-21 (S.-W.); p. 90, 4; 11-12; 15; 22-23,
(cf. Platon, Timée, 31 c; 41 d-42 d).
25
Cf. Proclus, Théol. plat., V, p. 87, 15-21 (S.-W.); p. 90, 4; 11-12; 15; 22-23,
(cf. Platon, Timée, 31 c; 41 d-42 d).
LES NOTIONS DE JUSTICE ET DE JUSTESSE 247
26
Cf. ibid., p. 87, 22-24 (S.-W.) ; cf. Platon, Protag., 321 c. Cf. supra et les notes
5-9.
27
Cf. Théol. plat., p. 87, 24-25 (S.-W.).
28
Cf. ibid., p. 87, 6-13 (S.-W.).
29
Cf. ibid., p. 88, 1- 4 (S.-W.), cf. Platon, Rép., X, 596 e - 599 b.
30
Cf. Théol. plat., p. 88, 4-5 (S.-W.).
31
Cf. ibid., p. 88, 8-11 (S.-W.).
32
Cf. ibid., p. 88, 12-13: (S.-W.); p. 84, 2-3; 10.
33
Cf. ibid., p. 88, 13-14: (S.-W.).
34
Cf. ibid., p. 88, 17: (S.-W.).
35
Cf. ibid., p. 88, 24-25: (S.-W.); p. 89, 7 (S.-W.). cf. Platon, Protag., 322 d. cf.
supra, et la n. 12.
36
Cf. Théol. plat., p. 88, 27-28 (S.-W.).
248 E. MOUTSOPOULOS
37
Cf. ibid., p. 88, 24: (S.-W.) : aretèn.
38
Cf. ibid.: mè diéirémenôs.
39
Cf. ibid., p. 88, 23-26 (S.-W.). Cf. infra, et la n. 45.
40
Sur la «premier éclectisme» français dont le chef de file fut François
Thurot (1768-1837), cf. E. Moutsopoulos, Néophyte Bambas et sa position au
sein de la pensée grecque du XIXe siècle, Université d’Athènes, Discours
officiels, 1969-1970, pp. 267-282.
41
Cf. Procli Diadochi, in Platonis Parmenidem commentaria éd. Victor Cousin,
in Œuvres de Proclus (6 vols.,) Paris, 1820-1827; Hildesheim, Olms,
19612. Cf. V. Cousin, Cours de philosophie sur le fondement des idées
absolues du vrai, du beau et du bien, Paris (1818; 1836; 1845), 1953.
42
Cf. Théol. plat., p. 88, 24-26 (S.-W.). Curieusement, ceci rappelle de près le
tout début du Discours de la méthode cartésien.
43
Cf. E. Moutsopoulos, La pensée et l’erreur, Athènes, 1961, pp. 92-43; Idem,
La connaissance et la science, Athènes, Éd. de l’Université, 1971, pp 134-141;
Idem, Le vrai et les catégories affiliées, L’homme et la réflexion, Paris, Vrin,
2006, pp. 238-242.
LES NOTIONS DE JUSTICE ET DE JUSTESSE 249
44
Cf. supra, et la n. 41.
45
Cf. supra, et la n. 39.
46
Cf. Théol. plat., I, p. 30, 21 (S.-W.)
47
Cf. ibid., p. 31, 12-13 (S.-W.); (cf. Platon, Parménide, 131 a - 133 a; 144 b
et suiv.; 157 b - 158 b; 160 d 161 a; cf. Sophiste, 264 e).
48
Cf. ibid., p. 31,3 (S.-W.); (cf. Phèdre, 246 b - 250 b).
49
Cf. ibid., p. 31,5 (S.-W.); (cf. Banquet, 209 e - 212 c). Cf. E. Moutsopoulos,
De la perception à la contemplation du beau dans le Banquet de Platon,
Philosophia, 35, 2005, pp. 64-71.
50
Cf. Idem. L’évolution du dualisme platonicien et ses conséquences pour
le néoplatonisme, Diotima, 10, 1982, pp. 179-181.
51
Cf. Idem, Mouvement et désir de l’Un dans la Théologie platonicienne,
Diotima, 28, 2000, pp. 70-74.
52
Cf. Idem, L’idée de multiplicité croissante dans la Théologie platonicienne
de Proclus, Néoplatonisme et philosophie médiévale, Louvain, Brépols, 1997,
pp. 59-65; L’Un et la fonction architectonique et épistémologique des hénades
dans le système de Proclus, Diotima, 28, 2000, pp. 75-76; The Participability
of the One through the Henads, Elementa (Amsterdam - Atlanta, Ga.), 69,
1997, pp. 83-93; Proclus comme lien entre philosophie ancienne et moderne,
Actualité de la philosophie grecque, Athènes, Lettres Grecques, 1997, pp. 372-
385; Idem, Les structures de l’imaginaire dans la philosophie de Proclus, 2e
éd., Paris, L’Harmattan, 2006, pp. 7-11 et 255-256.
250 E. MOUTSOPOULOS
53
Cf. Théol. plat., I, p. 30, 11-17 (S.-W.).
54
Cf. supra, et les notes 48 et 49.
55
Cf. Théol. plat. I, pp. 30, 19 et suiv.
56
Cf. E. Moutsopoulos, La notion de controverse, Philosophia, 33, 2003, pp. 21-
25.
57
Théol. plat., I, p. 30, 21 (S.-W.).
58
Cf. Platon, Politique, 284e; cf. Plotin, Enn., VI, 8, 18, 44.
LES NOTIONS DE JUSTICE ET DE JUSTESSE 251
CHRISTOS TEREZIS
Professeur de Philosophie, Université de Patras
Introduction
Les questions concernant la justice occupaient une place
centrale dans les études du monde grec ancien depuis la tradition
philologique d’Homère et l’Hésiode. Ces questions étaient liées non
seulement au mode d’existence et de fonctionnement du corps
social et de sa constitution politique mais aussi aux interrogations et
recherches ontologiques. Ce second aspect est surtout dominant
dans la philosophie présocratique. Mais, dans tous les cas, la justice
était définie comme une force qui garantissait l’équilibre entre les
puissances opposées, et qui conservait l’ordre, ayant, d’une certaine
manière, la valeur et la fonction d’une loi naturelle. Le sens de la
justice est une des questions préférées de Platon, qu’il étudie dans
les dialogues comme Gorgias, République, Politique et Lois. Le
philosophe explore, dans plusieurs de ces œuvres, les fondements
métaphysiques de la notion de justice1. Et Proclus, qui est un
philosophe néoplatonicien (412-485), se situe de façon
systématique dans cette même lignée.
1
Voir Ada Neschke- Hentschke, Platonisme Politique et Théorie du Droit
Naturel, Vol. I, Louvain La Neuve, Louvain-Paris 1995.
254 CHRISTOS TEREZIS
2
La dépendance-subordination du monde physique au monde métaphysique
constitue chez Proclus un lieu commun, et apparaît au niveau ontologique
aussi qu’au niveau gnoséologique et moral. Son livre Sur le premier Alcibiade
de Platon, qui est dit œuvre d’annotation, mais qui est en réalité une œuvre
systématiquement théorique, forme un cas indicatif de cette dépendance. Est à
souligner le fait que la dépendance en question est aussi un engagement
d’ordre épistémologique.
LA FONDATION METAPHYSIQUE DE LA JUSTICE 255
3
Voir Théologie Platonicienne, IV, 43. 24-44. 7: « Autre est la science qui est
en nous, autre celle qui est dans la lieu supracéleste;... Source de toute la
connaissance intellective c’est une divinité... C’est en effet vers cette puissance
uniforme de toutes les connaissances, que les âmes s’élèvent pour rendre
parfaites leurs propres connaissances». Le passage cité constitue un exposé
clair de ce que l’on a mentionné dans la citation précédente.
4
Voir Platon, Phèdre, 274 d-e.
256 CHRISTOS TEREZIS
5
Voir à titre indicatif à l’œuvre de Proclus Commentaire sur le Parmenide de
Platon, 1089. 17- 1239. 21, où les catégories ontologiques traditionnelles
correspondent à des dieux. Ici la Philosophie et la Théologie ne sont pas
autonomes en tant que filières théoriques, mais s’entrelacent et se superposent
dans un système essentiellement uniforme.
6
Voir Théologie Platonicienne, IV, 44. 8-12. Cf. Commentaire sur le
Parmenide de Platon, 944. 6-18. Il existe une différence fondamentale entre
ces deux œuvres de Proclus: dans la première il est souligné que la science, la
sagesse et la justice acquièrent leur existence dans la région des dieux
intellectives, alors que dans la seconde il est noté que cela a lieu dans la région
des dieux intelligibles-intellectives.
7
Voir, Théologie Platonicienne, IV, 44. 13-14. Cf. Plotin, Ennéades, Ι 2 (19), 6.
16-17, et 22-23. Plotin attribue à l’auto-justice les caractéristiques de
l’indivisible et de l’insécable.
8
Voir, Platon, Phédon, 75 c-d.
LA FONDATION METAPHYSIQUE DE LA JUSTICE 257
9
Voir à titre indicatif, Théologie Platonicienne, III, 83. 20-99. 23. Eléments de
Théologie, pr. 7-13, pp. 8. 1-18. 6. Cf. J. Trouillard, La mystagogie de Proclos,
éd. Les Belles Lettres, Paris 1982, pp. 187-206.
10
Voir à titre indicatif, Commentaire sur le Parménide de Platon, 785. 4-799. 22
et 978. 21-983. 18. Commentaire sur le Timée de Platon, IV, 94. 4-103. 31. Cf.
H. D. Saffrey, Recherches sur le Néoplatonisme après Plotin, éd. J. Vrin, Paris
1990, pp. 173-200.
11
À propos de la triade hiérarchique: «intelligibles-inelligibles intellectives-
intellectives», qui constitue le théologique correspondant de la philosophique
triade hiérarchique: « Être-Vie-Intellect», cf. Élements de Théologie, pr. 101-
103, pp. 90. 17- 92. 29. Cf. aussi W. Beierwaltes, Proklos, Grundzügen seiner
Metaphysik, Frankfurt am Main 1979, pp. 93- 118. P. Hadot, Porphyre et
Victorinus, I, Paris 1968, pp. 213- 246 et 260- 272.
258 CHRISTOS TEREZIS
12
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 16- 20. Il s’agit d’une application typique
du système productif triadique: « manence-procession-conversion». Elements
de Théologie, pr. 25-33, pp. 28. 21-42. 7. Cf. aussi E. R. Dodds, Proclus, The
Elements of Theology, Oxford 1963, pp. 212-223.
13
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 16-20. Proclus se réfère aux hiérarchies
en tant qu’on caractérise le terme supérieur comme monade. Cf. aussi, In
Platonis Timaeum commentaria, I, 444. 16-447. 32.
14
Ici il s’agit de l’application de la phrase célèbre de Proclus : « Chacun est tout,
mais selon son mode propre», Eléménts de Théologie, pr. 103, p. 92. 13-29.
LA FONDATION METAPHYSIQUE DE LA JUSTICE 259
15
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 22-23. Concernant la situation de la non
transition des entités métaphysiques, cf. Commentaire sur le Parménide de
Platon, 1039. 1-1189. 28. Cette non transition se contient à la perspective de la
théologie apophatique.
16
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 23-24. Pour le sens qui obtient le terme
«conversion» au système de Proclus, cf. Eléménts de Théologie, pr. 15-17, pp.
16. 30-20. 20. Cf. aussi J. Trouillard, L’Un et l’âme selon Proclos, Les Belles
Lettres, Paris 1972, pp. 78-106.
17
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 25-26. Cf. aussi Elements de Théologie,
pr. 122, p. 108. 11-22 et pr. 136, p. 120. 26. Quelque chose pareil observe le
chrétien Denys l’Aréopagite à Noms divins, ΙΧ 10, P. G. 3, 917 a.
260 CHRISTOS TEREZIS
18
A propos de la relation de l’objet morale avec les données ontologiques, cf.
Sur le Premier Alcibiade de Platon, 319. 15-337. 26, où on se réfère et aux
sens qu’on traite au texte ci-dessus.
19
Au système de Proclus l’«Être» constitue l’entité métaphysique après l’Un – le
premier principe – et les hénades – les seconds principes. C’est un archétype
productif universel qui fournit à toutes – physiques et métaphysiques – entités
l’idiome de l’essence. Cf. Théologie Platonicienne, III, 26. 2- 28. 21 et 100. 1-
102. 6. Cf. aussi S. Gersh, From Iamblichus to Eriugena, Leiden 1978, pp.
141-151.
20
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 44. 26-45. 2. Ici il s’agit d’une application
indirecte du principe de Proclus: «Tout ordre a son origine dans une monade
qui procède en une multiplicité qui lui est coordonnée et tout ordre est tissu
d’une monade vers laquelle il se convertit» (Éléments de Théologie, pr. 21, p.
24. 1-33 ).
LA FONDATION METAPHYSIQUE DE LA JUSTICE 261
21
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 45. 2-4. Il s’agit ici d’une forme de causalité
non pas sous le sens de la production mais sous celui de l’ordonnance. Pour
une considération globale du sujet, cf. J. Trouillard, « Les degrés du poein chez
Proclos», Dionysius, 1977, pp. 69-84.
22
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 45. 4-6. Avec ce texte, un caractère logique et
facultatif est attaché à l’action divine tandis qu’un caractère rigide et
nécessaire est exclu.
23
Pour une considération globale de la question de la relation de l’essence avec
l’énergie dans la pensée néoplatonicienne, cf. S. Gersh, From Iamblichus to
Eriugena, pp. 27-45.
262 CHRISTOS TEREZIS
24
Cf. Éléments de Théologie, pr. 7-12, pp. 8. 1-14. 23 et pr. 56-64, pp. 54. 4-62.
12.
25
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 45. 7-10. Une priorité ontologique de
l’essence sur la connaissance est donnée sans doute, mais c’est par la
connaissance que l’essence obtient un sens et une mobilité. Il s’agit d’une
variation de la thèse que Proclus exprime dans l’œuvre Commentaire sur le
Parménide de Platon, 844. 1-2.
26
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 45. 10-13. Pour une considération globale du
sujet, cf. W. Beierwaltes, Proklos, Grunduzüge..., pp. 118-163.
27
Cf. Théologie Platonicienne, IV, 45. 13-15. Quant à la manière d’agir des
dieux intelligibles où on se réfère ici, cf. op. cit., III, 59. 8-65. 10.
LA FONDATION METAPHYSIQUE DE LA JUSTICE 263
Conclusions
Selon tout ce que nous avons examiné, nous aboutissons aux
constatations suivantes:
• Proclus transfère la question de l’action morale du
niveau anthropologique au niveau métaphysique. De
cette façon, il la rend ontologique en lui donnant des
qualités qui ne sont pas influencées par les
particularités des actions humaines et par les
déviations des passions humaines. La vivante action
humaine se met alors en marge et les conditions d’un
sujet hyperbatologique se forment, c’est-à-dire d’un
permanent critère d’évaluation du système des vertus.
Certes, dans d’autres de ses textes le philosophe
examine aussi la façon dont les actes humaines se
manifestent au sein de l’environnement social et
politique. Pourtant, il les évalue toujours en se basant
sur leur conformité ou non-conformité avec les critères
métaphysiques.
Il présente la justice possédant des caractéristiques qui, au
début, ne lui sont pas proches de façon rigoureuse. Mais à son
dynamocratique système métaphysique, où les entités se joignent à
des réciprocités puissantes, chaque chose contient toutes les autres.
Comme ça elle se rend multivalente quant à l’essence, l’énergie et
ses fonctions, en excluant n’importe quelle signification univoque.
La justice est en même temps science et sagesse et n’importe quoi
d’autre à la région métaphysique. Ses supérieurs, elle possède
comme qualités ou prédicats, tandis que ses inférieurs comme
essence. L’exemple ontologique que le philosophe propose est
holistique.
À travers la réciprocité des entités-qualités, il édifie un
système dialectique cohérent et rationnel. Les entités s’enferment
l’une dans l’autre ou s’entre-pénètrent et de cette façon elles ne
maintiennent pas une présence autonome, définie par soi-même et
réglé par soi-même dans la région métaphysique. Les compositions
sont dominantes, sans conduire pourtant à des confusions qui ne
264 CHRISTOS TEREZIS
Mythe et modernité
Page laissée blanche intentionnellement
16
LA NOTION DE JUSTICE DANS
LES LUMIÈRES NÉOHELLÉNIQ UES
ADAMANTIOS K ORAÏS-BENJAMIN
DE LESBOS
ROXANE ARGYROPOULOS
Dir. de Recherches,
Centre de Recherche sur la Philosophie Néohellénique
1
G. P. Henderson, The Revival of Greek Thought, 1620-1830, Albany N. Y.,
1970, C. Th. Dimaras, Les Lumières néohelléniques (en grec), Athènes,
Hermis, 1977, Paschalis M. Kitromilidès, Les Lumières néohelléniques. Les
idées politiques et sociales (en grec), Athènes, Fondation culturelle de la
Banque Nationale, 1996. Cf. Panayotis Kondylis, Les Lumières
néohelléniques. Les idées philosophiques (en grec) Athènes, Themélio, 1988.
268 ROXANE ARGYROPOULOS
2
Dans le sens où il est utilisé par Pufendorf au XVIIe siècle, par Turgot et
Condorcet au XVIIIe, par Benjamin Constant au siècle suivant et par John
Rawls dans les débats contemporains sur les théories de la justice. Cf. Georges
Gusdorf, La conscience révolutionnaire. Les Idéologues, Paris, Payot, 1978,
pp. 116-118.
3
Assurément, nous nous trouvons devant ce que Diego Quaglioni a appelé la
conception pré-moderne de la justice. Cf. Diego Quaglioni, A une déesse
inconnue. La conception pré-moderne de la justice, traduit de l’italien par
Marie-Dominique Couzinet, Paris, Publications de la Sorbonne (Philosophie),
2003. L’auteur démontre que les enjeux de toute tentative de définition de la
justice sont compris dans l’alternative entre une conception pré-moderne selon
laquelle le droit est droit parce qu’il est juste et une conception dite moderne
qui réduit la justice à la simple conformité au droit positif et selon laquelle le
droit est juste parce qu’il est droit.
LA NOTION DE JUSTICE 269
4
Platon, République, livre IV, 427e et suiv. Ici, la justice est considérée comme
une vertu cardinale de la même manière que la prudence, la sagesse, la
tempérance.
5
Constantin Despotopoulos, Aristote sur la famille et la justice, Bruxelles,
Ousia, 1983, p. 88.
6
Aristote, Politique 1283a 38-39 : «koinônikèn gar aretèn einai famen tèn
dikaiosynèn».
7
C. Despotopoulos, Aristote sur la famille et la justice, p. 91.
8
Démètre Katartzis, L'Art juridique (en grec), in Oeuvres complètes, éd. C. Th.
Dimaras, Athènes, Hermis, 1970, pp. 263, 266. Cf. C. Th. Dimaras, «D.
Catargi,“philosophe grec”», dans La Grèce au temps des Lumières, Genève,
Droz, 1969, pp. 26-36.
9
D. Katartzis, L'Art juridique (en grec), p. 396. Étant donné que le droit qui
prévalait dans l'espace grec était le droit romain-byzantin, la notion de justice
est comprise également dans cette perspective. La définition de la justice,
corrélative à cette conception du droit, est fournie par Justinien dès les
premières lignes des Institutes, manuel officiel de droit rédigé au VIe siècle
après J.-C. : « La justice est la volonté constante et perpétuelle d’attribuer à
chacun ce qui lui est dû. La jurisprudence est la connaissance de ce qui est de
l’ordre des choses divines et humaines, la science du juste et de l’injuste».
10
Roxane D. Argyropoulos, «Aristote selon D. Katartzis», The Historical
Review/La Revue Historique 2 (2005), pp. 53-65. Dans ses projets pour la
270 ROXANE ARGYROPOULOS
14
L'œuvre morale et politique de Koraïs est immense, tandis que Benjamin de
Lesbos a répandu les idées philosophiques des Lumières dans les Académies
du Sud-Est de l'Europe. Ce dernier occupa pendant les premières années de la
Révolution grecque de 1821 plusieurs postes administratifs et pris part à la
rédaction du nouveau code pénal.
15
Sur le concept de liberté dans la pensée néohellénique du dix-huitième et dix-
neuvième siècle, voir l'ouvrage collectif, Anna-Kéléssidou-Galanou-
Athanassia Glycofrydi-Léontsini-Roxane Argyropoulou, Le concept de liberté
dans la réflexion néohellénique (en grec), premier volume, préface de E.
Moutsopoulos, Athènes, Académie d'Athènes, 1996.
16
Roxane D. Argyropoulos, La pensée morale et politique néohellénique (en
grec), Thessalonique, Vanias, 2003, pp. 143 et suiv.
17
Tous les deux restent prochent aux théories des Idéologues, v. Roxane D.
Argyropoulos, «La pensée des Idéologues en Grèce», Dix-Huitième Siècle
26(1994), pp. 423-434.
272 ROXANE ARGYROPOULOS
18
P. M. Kitromilidès, «“Témoin occulaire de choses terribles”. Adamantios
Koraïs observateur de la Révolution française», Dix-Huitième Siècle 39(2007),
p. 269-283.
19
Quant à la pensée politique de Koraïs, on peut consulter l'article récent de
Ioannis D. Evrigenis, «A Founder on Founding: Jefferson's Advice to Koraes»,
The Historical Review/La Revue Historique 1(2004), pp. 157 et suiv.
20
Adamantios Koraïs, Prolégomènes aux auteurs grecs de l'Antiquité (en grec),
v. 2, préface de Emm. N. Frankiskos, Athènes, Fondation Culturelle de la
Banque Nationale, 1988, p. 35.
21
Ibid., p. 384.
22
Ibid., p. 549.
23
Ibid., p. 661. Les sophistes, précise Koraïs, confondent toute idée de la justice.
24
Maria Protopapas-Marnéli, «L'influence de la philosophie stoïcienne sur
l'œuvre d'Adamantios Coray», Historical Review/La Revue Historique, à
paraître.
25
A. Koraïs, Prolégomènes aux auteurs grecs de l'Antiquité, v. 2, pp. 578, 665,
672.
LA NOTION DE JUSTICE 273
26
Ibid., p. 695.
27
A. Koraïs, Prolégomènes aux auteurs grecs de l'Antiquité (en grec), Athènes,
Fondation culturelle de la Banque Nationale, 1995, v. 4, p. 104. Ce passage est
tiré de l'introduction de la seconde édition de 1823 de la traduction de l'œuvre
de C. Beccaria Dei delitti e delle pene. Cf. Ines di Salvo, «L'opera “Dei delitti
e delle pene” di C. Beccaria nella traduzione di A. Koraïs», Studi Bizantini e
Neogreci, a cura di P. Leone, Galatina 1983, pp. 561-574.
28
Christian Godin, Questions de philosophie. La justice, Paris, éditions du temps,
2001.
29
A. Koraïs, Prolégomènes aux auteurs grecs de l'Antiquité, v. 2, p. 404.
30
Ibid., p. 405.
31
Ibid., p. 673.
274 ROXANE ARGYROPOULOS
32
Ibid., v. 4, p. 107.
33
Ibid., p. 108.
34
Ibid., p. 570. Cf. R. D. Argyropoulos, La pensée morale et politique
néohellénique, pp. 118-119.
35
Ibid.,v. 2, p. 574.
36
P. M. Kitromilidès, «Koraïs, lecteur de Bentham» (en grec), in Koraïs et Chios
(en grec), v. 1, pp. 285-308. Sur les positions de l'utlilitarisme en général, v.
Will Kymlicka, Les théories de la justice;une introduction, traduit de l'anglais
par Marc Saint-Upéry, Paris, La Découverte/Poche, 1999, pp. 30 et suiv.
37
A cet égard, Koraïs se rappelle également de Xénophon qui, à l'exemple des
Perses, avait instauré à Athènes des écoles de justice, v. Prolégomènes aux
auteurs grecs de l'Antiquité, v. 2, p. 591.
LA NOTION DE JUSTICE 275
38
Adam Smith, The Theory of Moral Sentiments to which is added a Dissertation
on the Origin of Languages, Londres, A. Strahan, 1792, tome. I, p. 294.
39
Pour le rôle de la notion de sympathie chez Smith, v. Jean Mathiot, Adam
Smith. Philosophie et économie, Paris, PUF, coll. «Philosophies», 1990.
40
A. Koraïs, Prolégomènes aux auteurs grecs de l'Antiquité, v. 4, p. 109.
276 ROXANE ARGYROPOULOS
41
Ibid., p. 111.
42
Ibid., p. 409.
43
Ibid., p. 345.
44
Bernard Groethuysen, Philosophie de la Révolution française, Paris, Gonthier,
1956, pp. 160-161.
45
R. D. Argyropoulos, La pensée morale et politique néohellénique, pp. 63 et
suiv.
LA NOTION DE JUSTICE 277
46
Benjamin de Lesbos, Éléments d'Éthique (en grec), introduction-édition
critique-notes-commentaires Roxane D. Argyropoulos, Athènes, Centre de
Recherches Néohelléniques-Fondation Nationale de la Recherche, 1994, f.
101.
47
Platon, Phédon 69a.
48
Benjamin de Lesbos, Éléments d'Éthique, f. 101.
49
François Quesnay, Le droit naturel, chapitre 1, dans Eugène Daire,
Physiocrates, Quesnay, Dupont de Nemours, Mercier de la Rivière, l'abbé
Baudeau, Le Trosne. Avec une introduction sur la doctrine des Physiocrates,
des commentaires et des notices historiques, Première partie, Genève, Slatkine
Reprints, 1971, pp. 41 et suiv. Cf. Georges Gurvitch, L'idée du droit social,
Paris 1932, réédition Darmstadt, 1972, p. 237.
50
Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, v.
9, Stuttgart-Bad Canstatt, Freiderich Frommann Verlag, 1966, nouvelle
impression en facsimilé de la première édition de 1751-1780, p. 89.
278 ROXANE ARGYROPOULOS
51
Benjamin de Lesbos, Éléments d'Éthique, ¨101. Cf. Roxane D. Argyropoulos,
Benjamin de Lesbos et la pensée européenne du XVIIIe siècle (en grec),
Athènes, Centre de Recherches Néohelléniques-Fondation Nationale de la
Recherche, 2003 (Bibliothèque-Histoire des idées-2), p. 113.
52
Benjamin de Lesbos, Éléments d'Éthique, f. 98.
53
Ibid., f. 100.
54
Ibid., f. 98.
LA NOTION DE JUSTICE 279
PERIKLES VALLIANOS
Professeur de Droit et Politique, Université d’Athènes
1
Hegel, 1971b: 509.
2
Avineri 1973
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 283
3
Hegel 1971a: par. 474
4
Hegel 1971a: par. 475
5
Hegel 1967: 491-492
284 PERIKLES VALLIANOS
6
Shklar 1974; Shklar 1973a
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 285
7
Shklar 1976
8
Hegel 1967: 629-641
9
Shklar 1973b: 268
286 PERIKLES VALLIANOS
10
Shklar 1973b
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 287
11
Hegel 1971b: 507
12
Butler 1958
13
Avineri 1971 ; Avineri 1972
288 PERIKLES VALLIANOS
14
Shklar 1974: 615
15
Hegel 1971b: 496-516
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 289
16
Hegel 1971b: 505
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 291
17
Holland 1998; Jacobs 1996
292 PERIKLES VALLIANOS
18
Hegel 1971a: par. 519
19
Hegel 1967: 496
20
Hegel 1969
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 293
21
Sourvinou-Inwood 1989
294 PERIKLES VALLIANOS
22
Burns 2002
23
Guthrie 1971: 126-127
24
MacKay 1962: 174
296 PERIKLES VALLIANOS
25
Saunders 1934
26
Will 1958: 514
27
MacKay 1962: 167
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 297
28
Sourvinou-Inwood 1989: 137
298 PERIKLES VALLIANOS
lui fait valoir non sans mordant, le dèmos est du côté d’Antigone.
Le peuple le blâme de sa rudesse envers elle et Tirésias, même s’il
se tait, effrayé par sa force. Pour Sophocle (un Athénien), Créon est
devenu un tyran puisqu’il n’interprète plus et ne représente plus la
conscience collective.
Mais pour Hegel, le caractère tyrannique de Créon est d’une
autre texture. Il n’est pas intéressé par les credo démocratiques de
Créon: nous savons parfaitement que Hegel n’est pas démocrate, ni
au sens sophistique dans le cadre de la cité antique, ni au sens
contemporain libéral, anglo-saxon. Pour lui, donc, l’abus de Créon
est d’un autre ordre, purement philosophique. En la personne
d’Antigone, Créon attaque et malmène une autre manifestation de
la loi universelle unique dont il fait lui-même partie. La loi
terrestre, les coutumes familiales ancestrales sont, elles aussi, une
dimension de la cité, l’une de ses composantes organiques.
Quiconque les foule aux pieds porte préjudice à l’essence de la
communauté, lui ôte de son contenu vivant (de la même manière
qu’en déshonorant la dépouille de Polynice et par le meurtre
d’Antigone il commet un crime contre son propre sang, sa nièce).
L’État (idéal) est une synthèse des contraires (raison et sentiment,
homme et femme, public et privé), et non pas le rejet de l’un par
l’autre.
En outre, Créon ne comprend pas que la loi politique qu’il
entend représenter n’est pas non plus un produit purement humain,
une convention artificielle sans racine métaphysique. L’ordre social
est ou doit être, lui aussi, une émanation de l’universel, l’image du
Logos universel, une «imitation» de l’agencement harmonieux des
choses dissemblables et contraires que constitue la globalité du
Tout. Cette conception, qui reflète la position antique d’Héraclite
selon laquelle les lois humaines «sont toutes nourries par une loi
divine», résume précisément la conception théorique de l’ordre
politique de Hegel. La Constitution de l’État, nous avertit-il dans la
Philosophie du droit, n’est pas une construction d’une commission
d’experts (comme le pensaient les Lumières individualistes), mais
la «réalisation objective» de l’esprit. La Constitution d’un peuple
n’est pas écrite par quelques-uns conformément à des principes
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 299
29
Hegel 1969: par. 273
300 PERIKLES VALLIANOS
30
Hegel 1971b: 509
31
Hegel 1967: 491
32
Markell 2003: 25-26
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 301
33
Markell 2003: 21
302 PERIKLES VALLIANOS
34
Hegel 1967: 489
35
Markell 2003: 20
36
Kelly 1976b
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 303
37
Habermas 1999
38
Taylor 1999
304 PERIKLES VALLIANOS
39
Taylor 1975
40
Kelly 1976a
41
Kelly 1976b: 54-57
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 305
BIBLIOGRAPHIE
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Realphilosophie», Philosophy and Public Affairs, vol.1, no 1, 96-
119.
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Avineri S. (1973), «The Instrumentality of Passion in the World of
Reason: Hegel and Marx», Political Theory, vol 1, no 4, 388-398.
Burns T. (2002), «Sophocles’ Antigone and the History of the Concept of
Natural Law», Political Studies, vol. 50, 545-557.
Butler E. M. (1958), The Tyranny of Greece Over Germany, Boston,
Beacon.
42
Kelly 1976b: 61, 62
43
Jones 1950
JUSTICE COSMIQUE ET DROIT POLITIQUE 307
YANNIS PRELORENTZOS
Professeur adjoint de philosophie moderne et contemporaine,
Université de Ioannina
I. Introduction
Kostas Papaïoannou (Volos 1925 – Paris 1981),1 est surtout
connu au public français par ses travaux sur Hegel 2 et Marx et le
marxisme.3 Cet élève et ami fidèle de Raymond Aron,4 compte
1
Pour son curriculum vitae, cf. Alain Pons, «Kostas Papaïoannou» in
Dictionnaire des Philosophes – Encyclopaedia Universalis, Albin Michel,
Paris, 1998 ; et François Bordes, «Le rire de Kostas Papaïoannou» in Laurie
Catteeuw et François Bordes (dir.), L’Amitié, les Travaux et les Jours. Cahier
Costas Papaïoannou, Didier Sedon/Acedia, Paris, 2004, pp. 135-150. Sur le
travail de classement de la bibliothèque du philosophe, cf. L. Catteeuw, «La
création du fonds Papaïoannou», ibid., pp. 151-154.
2
Cf. K. Papaïoannou, Hegel, Éditions Seghers, Paris, 1962. Cf. aussi son édition
française des textes hégéliens essentiels concernant la philosophie de
l’histoire : Hegel, La Raison dans l’histoire. Introduction à la Philosophie de
l’histoire, traduction, introduction et notes, U.G.E., 10/18, Paris, 1965. Cf.
aussi sa postface intitulée «La raison et la croix du présent. Note sur les
fondements de la politique hégélienne» à Hegel, Écrits politiques, trad. Jacob
et Quillet, Champ Libre, Paris, 1977.
3
En ce qui concerne ses textes écrits en grec, cf. Les fondements du marxisme,
en cinq volumes (1954, 1958, 1959 et 1960), dont deux furent réédités en un
volume, avec d’autres textes sur Marx, sous le titre Le marxisme comme
idéologie (introduction Yorgos Karabelias, Ekdoseis «Communa», Athènes,
1988) et deux autres furent réédités en un volume sous le titre L’État et la
philosophie. Le dialogue de Marx avec Hegel II (introd. Yorgos Karabelias,
Enallaktikes Ekdoseis «Communa», Athènes, 1990). Quant à ses textes en
français, cf. De Marx et du marxisme, préface de Raymond Aron, Gallimard,
310 YANNIS PRELORENTZOS
coll. «Bibliothèque des sciences humaines», Paris, 1983. Cf. aussi Les
marxistes (anthologie commentée), J’ai lu, Paris, 1965 ; nouvelle édition
augmentée sous le titre Marx et les marxistes, Garnier-Flammarion, coll.
«Science», Paris, 1972 ; réédition avec une préface de Philippe Raynaud,
Gallimard, coll. «Tel», Paris, 2001. Cf. aussi L’idéologie froide. Essai sur le
dépérissement du marxisme, Jean-Jacques Pauvert, coll. «Libertés», Paris,
1967. Cf. aussi la réédition de ses traductions préfacées et annotées des Écrits
de jeunesse de Karl Marx et d’un écrit de Fr. Engels, avant-propos d’Alain
Pons, Quai Voltaire, coll. «La République des Lettres», Paris, 1994. Selon
Nikos G. Sergis, De Marx et du marxisme est la critique mineure exercée par
Papaïoannou au marxisme, sa critique majeure étant contenue dans Les
fondement du marxisme (cf. De la philosophie de l’histoire à l’histoire de la
philosophie. Kostas Papaïoannou face au «nihilisme de l’esprit», (en grec),
Nissides, Thessalonique, 2006, p. 28 ; cette étude est la version remaniée et
augmentée d’une thèse de doctorat de philosophie soutenue à l’Université de
Ioannina)
4
Cf. Nicolas Baverez, Raymond Aron. Un moraliste au temps des idéologies,
Perrin, coll. «Tempus», 2006 (1e édition Flammarion, 1993), pp. 412, 507, 509
et 514. Cf. aussi Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, Éditions du Seuil/La
Découverte, 1998, coll. «Points. Essais», Paris, vol. II, pp. 281-282 ; François
Bordes, «Le rire de Kostas Papaioannou» in L. Catteuw et F. Bordes (dir.),
L’Amitié, les Travaux et les Jours. Cahiers Costas Papaïoannou, Didier
Sedon/Acedia, Paris, 2004, p. 144 ; et Serge Audier, La pensée anti-68. Essai
sur les origines d’une restauration intellectuelle, La Découverte, coll.
«Cahiers libres», Paris, 2008, p. 56. Cf. aussi la préface de Raymond Aron à
De Marx et du marxisme de Kostas Papaïoannou, op. cit., pp. 7-27.
5
Cf. Ph. Raynaud, «préface» in K. Papaïoannou, Marx et les marxistes, op. cit.,
p. ΧVΙ. Sur le trajet intellectuel et politique de ces trois philosophes grecs à
Paris, cf. Panayotis Noutsos, «L’intelligentsia grecque à l’étranger. Les cas de
Papaïoannou, de Castoriadis et d’Axelos» (en grec), Nea Hestia (Athènes), no
1790, juin 2006, pp. 1127-1146. Sur K. Papaïoannou en particulier, cf. du
même, La pensée socialiste en Grèce (en grec), Ekdoseis Gnossi, Athènes, vol.
IV, 1994, pp. 117-119 et 530-534.
6
Cf. La genèse du totalitarisme. Sous-développement économique et révolution
sociale (en grec), Éd. Centre d’Études Sociales, Athènes, 1958 ; seconde
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 311
13
Cf. par exemple Masse et histoire, op. cit., pp. 44, 57, 59-60, 73 et passim.
14
Cf. par exemple Masse et histoire, op. cit., pp. 64, 102, 103 et 196 ; et Cosmos
et histoire, p. 37 et passim.
15
Cf. Masse et histoire, op. cit., pp. 67-68.
16
Cf. ibid., p. 44.
17
Cf. ibid., pp. 58 et 75.
18
Cf. par exemple ibid., pp. 58, 75 et 118.
19
Cf. par exemple ibid., p. 196 et Cosmos et histoire, op. cit., pp. 60-62.
20
Cf. par exemple Cosmos et histoire, op. cit., pp. 62-65.
21
Cf. Masse et histoire, op. cit., pp. 44-47.
22
Cf. ibid., pp. 70-71 et 73-74.
23
Cf. ibid., pp. 94 et 143.
24
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 124.
25
Cf. Masse et histoire, op. cit., pp. 38-39 et 43.
26
Cf. ibid., pp. 43-44, 45, 54 et 68.
27
Cf. ibid., ibid., pp. 77-78.
28
Cf. par exemple Cosmos et histoire, op. cit., p. 70.
29
Il ne serait pas inintéressant de comparer le jugement de Papaïoannou sur
l’évolution de Goethe à celui de Maurice Blanchot formulé vers la même
époque ; selon le premier, «le Goethe révolté de l’Urfaust et de Goetz se livre,
après la publication du premier Faust, à la société et retourne à l’ordre
antitragique du classicisme, le point culminant de son évolution étant les
allégories d’Iphigénie ou du second Faust (où Faust, un héros de Marlowe, se
transforme en une sorte d’entrepreneur saint-simonien ayant la conscience
calviniste d’une innerweltliche Askese, et où Méphisto [...] est devenu une
sorte de Diabolus ex machina» (cf. Masse et histoire, op. cit., pp. 164-165).
Selon Blanchot, «nous comprenons mieux maintenant le mot du jeune Goethe:
«Pour moi, il ne saurait être question de bien finir», certitude qui
l’accompagne durant toute sa jeunesse jusqu’au jour où il découvre la
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 313
40
Cf. par exemple ibid., pp. 146-149 et 120.
41
Cf. ibid., pp. 109-111 ; Cosmos et histoire, op. cit., p. 60 ; et «L’homme et son
ombre» in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à l’humanisme européen, op.
cit., pp. 193-194.
42
Cf. «La mort de Socrate» (fragment d’une introduction au Phédon de Platon)
in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à l’humanisme européen, op. cit., p.
24, note 3.
43
Cf. ibid., p. 28.
44
Maurice Blanchot croit trouver dans La Mort de Virgile de l’écrivain viennois
Hermann Broch la réponse à cette question qu’il pose en des termes dont la
communauté d’inspiration avec celle de Papaïoannou est frappante: «Comment
les puissances irréconciliables qui divisent le monde humain peuvent-elles
s’affirmer en un tout où se révélerait la loi secrète de leur contrariété
incessante ?» (Le livre à venir, op. cit., p. 165). Nous ne pouvons pas
entreprendre ici une comparaison systématique des vues de Papaïoannou
durant sa période humaniste à celles de Blanchot dans ses ouvrages
magnifiques de critique littéraire ; nous croyons que ce rapprochement
s’impose et qu’il puisse se révéler très fructueux. La parenté de certains
aspects au moins de leur pensée n’est sans doute pas étrangère au fait qu’ils
étaient tous les deux férus de la littérature et de la philosophie allemandes. Sur
les trois périodes (humaniste, marxiste, léniniste) en lesquelles nous pouvons
diviser l’œuvre de Papaïoannou, pour des raisons purement méthodologiques,
cf. N. Sergis, De la philosophie de l’histoire à l’histoire de la philosophie, op.
cit., pp. 22-24 ; cf. aussi du même, «Le léninisme versus l’humanisme ?
Opposition sans conciliation dans l’évolution de la théorie de K. Papaïoannou»
(en grec), Nea Hestia, no 1790, juin 2006, pp. 1106-1108.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 315
49
Cf. ibid., p. 107 (souligné par nous).
50
Cf. ibid., pp. 102-103.
51
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 28 et note 24. Papaïoannou
renvoie ici à Agamemnon (v. 177) d’Eschyle.
52
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 114. Sur le rôle de la Dikè dans la pensée
grecque, notamment dans la tragédie, cf. ibid., pp. 217-224.
53
Cf. Cosmos et histoire, op. cit., p. 41. Papaïoannou se réfère systématiquement
à Eschyle à propos de l’expérience de pathos-mathos ; cf. par exemple Masse
et histoire, op. cit., p. 111 et, dans un contexte différent, ibid., p. 216: «la “loi
de l’oligarchie”, bien avant d’être formulée par R. Michels, était, pour toutes
les masses qui fécondèrent l’histoire, une expérience cruelle, un pathos-mathos
eschylien, une source d’inquiétude permanente qui les conduisit à poser les
questions les plus radicales concernant [...] le sens de l’existence humaine».
54
Papaïoannou qualifie de prophètes, en Grèce ancienne, Héraclite et Eschyle
(cf. ibid., p. 110), Solon (cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 33), et
Socrate (cf. «La mort de Socrate» in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à
l’humanisme européen, op. cit., pp. 32-33). Il met également en valeur «la
responsabilité prophétique de la philosophie» (cf. Masse et histoire, op. cit., p.
108) et commente la prophétie du déclin dans Les Lois de Platon (cf. ibid., pp.
72-73). Parmi les prophètes modernes, Papaïoannou exalte Saint-Just (cf. ibid.,
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 317
p. 38), Hölderlin, Rimbaud et Nietzsche (cf. son texte «Chasse, patrie, espace»
(1970) in L. Catteeuw et F. Bordes (dir.), L’Amitié, les Travaux et les Jours.
Cahier Costas Papaïoannou, op. cit., pp. 62-64), ainsi que Marx (cf. La
consécration de l’histoire, op. cit., pp. 146-147). Il parle également du
«substrat prophétique et éternel de tout grand art et de toute grande
philosophie» (cf. Masse et histoire, op. cit., pp. 188-189). Pour un usage
similaire de la notion de la prophétie, cf. Le livre à venir de Maurice Blanchot.
55
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 117.
56
Cf. ibid., p. 141: «On pourrait soutenir que l’axe de la philosophie de la
vieillesse de Platon est son effort désespéré et historiquement condamné de
remplacer la puissance unificatrice et antihiérarchique de la communauté
archaïque régie par la théâtrocratie par des mythes totalitaires, imposés d’en
haut par une organisation hiérarchique». Pour un aperçu des vues de
Papaïoannou sur la fonction du mythe, à travers l’étude de diverses catégories
de mythes dans différentes civilisations – une des problématiques les plus
importantes et les plus intéressantes de l’ensemble de son œuvre – cf. N.
Sergis, De la philosophie de l’histoire à l’histoire de la philosophie, op. cit.,
pp. 202-234.
57
Cf. Jean Duvignaud, Sociologie du théâtre. Sociologie des ombres collectives,
P.U.F., coll. «Quadrige», Paris, 1999 (1e édition 1965), partie II, ch. I:
«Théâtre et anomie» et ch. II: «La personnalité criminelle».
58
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 100.
59
Cf. K. Papaïoannou, «Chasse, patrie, espace» (1970), in L. Catteeuw et F.
Bordes (dir.), L’Amitié, les Travaux et les Jours. Cahier Costas Papaïoannou,
op. cit., pp. 58-59: «Le monde de Shakespeare n’est plus la loi implacable qui
trace, par le fer et par le feu, la ligne de partage entre l’être qui «sauve» et
318 YANNIS PRELORENTZOS
65
Ibid., p. 105 ; cf. aussi ibid., p. 172, où il parle de l’«impuissance <de la masse
élisabéthaine> de trouver en elle la force pour dépasser la fluidité et le
caractère transitoire de son époque» ; cf. aussi ibid., p. 102.
66
Cf. Cosmos et histoire, op. cit., pp. 65-66.
67
Papaïoannou ne se réfère guère à la comédie et nullement à la tragi-comédie,
qui visait à remplacer la tragédie en France au début du XVIIe siècle et qui a
connu son âge d’or de 1628 à 1637 (cf. Georges Forestier, Passions tragiques
et règles classiques. Essai sur la tragédie française, P.U.F., coll. «Perspectives
littéraires», Paris, 2003, première partie, ch. 1: «Acte de décès. Une tragédie
devenue tragi-comédie») ou, selon d’autres chercheurs, de 1631 à 1642 (cf.
Roger Guichemerre, La tragi-comédie, P.U.F., coll. «Littératures modernes»,
Paris, 1981, p. 24 sqq. Sur l’origine et l’évolution de la tragi-comédie
française, cf. l’étude classique de H. Carrington Lancaster, The French Tragi-
Comedy, its origin and development from 1552 to 1628, Baltimore, 1907).
320 YANNIS PRELORENTZOS
fonde pas sur des mythes mais sur des allégories ; les héros
tragiques et les aventures tragiques ne sont pas des formes nées
d’une expérience tragique primordiale et «originale» et d’une
activité générant des mythes, mais des produits d’une culture
humaniste: des figures acquises, dérivées, puisées dans la Bible,
chez Euripide, chez Sénèque, ou dans l’héroïsme de la grandeza
espagnole».68 En effet, pour des raisons historiques bien connues, la
société française du XVIIe siècle était régie par la discipline, l’ordre
et une hiérarchie très stricte. Comme alors la question de la justice
était résolue d’en haut69 – et non d’en bas, par la spontanéité de la
masse70 – et comme cette société organisée avait neutralisé la vie
psychique des masses,71 les conflits caractérisant la grande tragédie
française semblent à Papaïoannou conventionnels, fictifs et
abstraits ; selon lui, ils ne pouvaient pas concerner vraiment
l’existence concrète du public de ce théâtre, qui était d’ailleurs bien
limité.72
68
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 100 ; cf. aussi ibid., p. 135, où Papaïoannou
explique comment, dans la Renaissance, «les mythes grecs, privés de leur
contenu historique, concret et substantiellement inégalable, ont été transformés
en allégories didactiques comme celles à travers lesquelles est éduquée Marie
de Médicis dans le tableau de Rubens». Auparavant, il avait qualifié l’homme
selon le classicisme et le rationalisme de «personnage allégorique désincarné,
comme une sorte de homunculus artificiel» (cf. ibid., pp. 36-37).
69
Cf. ibid., p. 134: «l’absence d’une [...] puissance unificatrice venant d’en bas et
capable d’animer d’un seul esprit tous les degrés de la hiérarchie sociale fut
compensée par l’application de la discipline rationaliste».
70
Le couple des concepts opposés «d’en haut»-«d’en bas» et la critique
systématique du pouvoir et de la hiérarchie sociale qui ne s’appuient pas sur
les masses jouent un rôle capital dans Masse et histoire ; cf. pp. 134, 141, 218,
220, 224, 225, 234, 235 et passim. Cf. en particulier ibid., p. 216: «les chefs
n’apparaissent que lorsque la vie et la puissance des masses s’éteignent et
l’État ne commence que là où disparaît l’homme».
71
Cf. par exemple ibid., p. 133, où Papaïoannou qualifie la société française
classique de «première société européenne qui a su neutraliser la masse créée
par la décomposition explosive du moyen âge, vaincre les forces centrifuges et,
ainsi, se hiérarchiser et s’organiser» ; cf. aussi ibid., p. 140, où il met en
évidence le rôle joué par la théorie cartésienne des passions de l’âme dans la
«neutralisation du dynamisme psychique de la masse».
72
Cf. ibid., p. 100: «Un public limité dans les dimensions d’une caste
hiérarchique fermée n’a nul besoin – et n’est sans doute pas capable – de se
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 321
75
Cf. K. Papaïoannou, Masse et histoire, op. cit., pp. 92-93.
76
Cf. ibid., pp. 133-134 (souligné par nous).
77
Cf. ibid., p. 92.
78
Cf. Alain Pons, «Avant-propos», in K. Papaïoannou, La consécration de
l’histoire, op. cit., p. 9.
79
Cf. l’étude mentionnée de Georges Forestier, Passions tragiques et règles
classiques ; cf. aussi du même, «Les passions dans la tragédie» in Figures de
la passion, Éd. Musée de la musique, 2001. Cf. aussi Erich Auerbach, Le culte
des passions. Essais sur le XVIIe siècle français, op. cit., pp. 35-49: «Racine et
les passions» (1926) et pp. 51-81: «De la passio aux passions» (1941). Cf.
aussi John Lyons, «Le démon de l’inquiétude: la passion dans la théorie de la
tragédie», XVIIe siècle, 1994, pp. 787-798. En ce qui concerne plus
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 323
86
Cf. à titre d’exemple: a) S. Jones, Passion and Action. The Emotions in
Seventeenth-Century Philosophy, Oxford University Press, 1997. b) Remo
Bodei, Géométrie des passions. Peur, espoir, bonheur: de la philosophie à
l’usage politique, trad. Marilène Raiola, P.U.F., coll. «Pratiques théoriques»,
Paris, 1997. c) Pierre-François Moreau (dir.), Les passions à l’âge classique,
P.U.F., coll. «Léviathan», Paris, 2006. d) P.-F. Moreau et Ann Thomson (dir.),
Matérialisme et passions, E.N.S. Éditions, coll. «La croisée des chemins»,
Lyon, 2004. Cf. aussi quatre articles (deux sur Descartes, un sur Senault et un
sur Malebranche) du volume collectif suivant: Bernard Besnier, P.-F. Moreau
et Laurence Renault (dir.), Les passions antiques et médiévales, P.U.F., coll.
«Léviathan», Paris, 2003.
Sur les passions de l’âme selon Descartes, cf. l’étude monumentale en deux
volumes de Denis Kambouchner, L’homme des passions. Commentaires sur
Descartes, Albin Michel, «Bibliothèque du Collège International de
Philosophie», Paris, 1995. Cf. aussi Carole Talon-Hugon, Les passions rêvées
par la raison. Essais sur la théorie des passions de Descartes et de quelques-
uns de ses contemporains, Vrin, coll. «Philosophie et Mercure», Paris, 2002.
Parmi les études nombreuses consacrées à la théorie spinozienne des affects
durant les douze dernières années, cf. a) Pierre Macherey, Introduction à
l’Éthique III de Spinoza. La vie affective et Introduction à l’Éthique IV de
Spinoza. La condition humaine, P.U.F., coll. «Les grands livres de la
philosophie», Paris, 1995 et 1997 respectivement. b) Fabienne Brugère et P.-F.
Moreau (dir.), Spinoza et les affects, Presses de l’Université de Paris-
Sorbonne, coll. «Groupe de Recherches Spinozistes. Travaux et documents»,
Paris, 1998. c) Yirmiyahu Yovel (dir.), Spinoza by 2000. The Jerusalem
Conferences, III. Desire and Affect: Spinoza as Psychologist, Little Room
Press, New York, 1999. d) Chantal Jaquet, Pascal Sévérac et Ariel Suhamy
(dir.), Fortitude et servitude. Lectures de l’Éthique IV de Spinoza, Éditions
Kimé, Paris, 2003. e) Antonio R. Damasio, Looking for Spinoza: Joy, Sorrow
and the Feeling Brain, Harcourt, Inc., 2003. f) Chantal Jaquet, L’unité du
corps et de l’esprit. Affects, actions et passions chez Spinoza, P.U.F., coll.
«Quadrige. Manuels», Paris, 2004.
87
Cf. K. Papaïoannou, Masse et histoire, op. cit., p. 38: «Descartes ne pouvait
considérer “la passion et l’enthousiasme, les sources extra-rationnelles de la
vie psychique en général” que comme des “idées confuses”, comme des
manifestations de cette “imagination” qui, dans le système de Malebranche, se
présente comme la source de toute perception fausse». Cf. aussi ibid., p. 140:
«L’analyse cartésienne de la passion, la réduction de la passion à des
catégories psychologiques clairement distinctes, à des hiérarchies de qualités,
mérites et facultés ne pouvait aboutir qu’à une telle neutralisation du
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 325
91
Cf. ibid., p. 94.
92
Cf. par exemple ibid., p. 219, où il affirme que «la fiction abstraite de la
représentation parlementaire et du contrôle parlementaire» a doté «les masses
de l’Europe occidentale, qui, depuis le XVe siècle, avaient perdu toute
possibilité politique, religieuse ou symbolico-mythique de participer à la vie
historique», d’«un schéma commode leur permettant de perdre tout souci
essentiel et tout pathos-mathos concernant les aventures dramatiques de
Thermidor, de 1848 ou de la Commune parisienne».
93
Cf. ibid., p. 60.
94
Cf. ibid., pp. 169-170.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 327
95
Cf. ibid., p. 174.
96
Cf. ibid., pp. 234-235.
97
Cf. ibid., p. 234. Sur la critique exercée par Papaïoannou à Le Bon et à Sighele
pour le même motif, cf. aussi «L’homme et son ombre» in K. Papaïoannou, De
l’humanisme grec à l’humanisme européen, op. cit., p. 213.
328 YANNIS PRELORENTZOS
98
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., pp. 41-42.
99
Cf. ibid., pp. 55 et 90 ; cf. aussi K. Papaïoannou, «Platon le lucide» in De
l’humanisme grec à l’humanisme européen, op. cit., pp. 62 et 64-65.
100
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 34.
101
Cf. ibid., p. 19 et note 6.
102
Cf. ibid., p. 33. Le caractère foncièrement cosmique de la justice est évident
dans ce que Papaïoannou appelle «second moment de l’“histoire” du verbe
poétique, le moment tragique-prophétique. La parole laudative n’a plus ici
pour objet les hommes individuels et leur “gloire”, mais la Loi suprême du
monde prophétiquement annoncée, dans la crainte et le tremblement, comme la
puissance terrifiante du Destin qui protège l’Être contre les existants. Prendre
conscience de l’inviolabilité de l’Être dans et par l’expérience de
l’anéantissement, accepter cette fatalité de la destruction et reconnaître en elle
la Justice (Dikè) en tant que condition de possibilité de toute existence: voici le
pathos-mathos, la “sagesse apprise par la souffrance” qu’enseignait la tragédie.
[...] La communion avec la Justice cosmique n’était pas encore la paisible
sophrôsyne platonicienne, mais ce que les prophètes grecs, de Solon à Eschyle,
appelaient phronein, cet état de tension extrême où l’homme dépasse ses
propres épouvantes pour consentir à cette “grâce bienveillante des dieux”» (K.
Papaïoannou, «Chasse, patrie, espace» in L. Catteeuw et F. Bordes (dir.),
L’Amitié, les Travaux et les Jours. Cahier Costas Papaïoannou, op. cit., p. 57).
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 329
103
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 34 ; cf. aussi ibid., p. 19 et note 6:
commentant la multitude de significations du terme cosmos en grec,
Papaïoannou précise qu’une de ces significations est la suivante: «univers ou
totalité des êtres et constitution politique fondée sur la loi», en renvoyant à
Hérodote (I, 65), ainsi qu’à Euripide et à Platon.
104
Cf. «Platon le lucide» in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à l’humanisme
européen, op. cit., p. 39.
105
Cf. «Le problème de l’humanisme au ΧΧe siècle» in K. Papaïoannou, De
l’humanisme grec à l’humanisme européen, op. cit., p. 127. Cf. aussi La
consécration de l’histoire, op. cit., pp. 35-36: «Pour Eschyle, qui vivait dans
un monde où l’“antique nature titanique” se faisait encore sentir dans la vie
immédiate, seule la terreur sacrée qu’inspire la Justice pourrait maîtriser les
forces centrifuges qui menaçaient l’ordre de la cité. Seule une terreur plus
forte peut juguler le deinon qu’incarne l’homme» (souligné par nous).
330 YANNIS PRELORENTZOS
106
Cf. ibid, pp. 33-34.
107
Cf. ibid, pp. 46-47.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 331
108
Cf. «Platon le lucide» in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à l’humanisme
européen, op. cit., pp. 40-41.
109
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 32.
332 YANNIS PRELORENTZOS
IV. La méthode
Papaïoannou adopte à travers toute son œuvre la distinction
essentielle de l’herméneutique philosophique entre l’explication,
recherche des causes, et la compréhension, recherche du sens, de la
signification.111 L’auteur auquel il renvoie dans Masse et histoire à
propos de cette distinction, comme l’avait fait Sartre d’ailleurs dans
le même contexte,112 est Karl Jaspers (Psychopathologie
générale) ; 113 ailleurs, il renvoie à Dilthey, parfois en corrélation
avec Jaspers.114
La différence essentielle entre les sciences naturelles et les
«sciences sociales et, plus généralement, anthropologiques-
historiques», consiste, selon Papaïoannou, dans le fait que, dans les
premières, l’unique type de relations que nous essayons de
concevoir entre les phénomènes que nous étudions sont les relations
causales (afin de formuler des règles de l’évolution ou des
tendances et afin de trouver par la suite des lois) ; ici «nous tenons
110
Cf. ibid., pp. 32-33 (souligné par nous). Pour d’autres analyses sur la Loi juive,
cf. ibid., pp. 59, 73-74 et 77.
111
Cf. par exemple Masse et histoire, op. cit., pp. 183-184 et 187 ; et Cosmos et
histoire, op. cit., p. 22.
112
Cf. J.-P. Sartre, Carnets de la drôle de guerre. Septembre 1939-Mars 1940,
nouvelle édition augmentée, Gallimard, Paris, 1995, p. 176 et note 1.
113
Cf. K. Papaïoannou, Masse et histoire, op. cit., p. 187, note 130. Papaïoannou
estime tout particulièrement l’«ultime philosophe allemand», comme il appelle
Jaspers (ibid., p. 76) ; cf. la discussion de thèses de Jaspers ibid., pp. 76-78 et
192 ; Cosmos et histoire, op. cit., p. 34 ; et «L’homme et son ombre» in K.
Papaïoannou, De l’humanisme grec à l’humanisme européen, op. cit., pp. 165,
188, 190, 199, 216, 223 et note 23.
114
Cf. «L’homme et son ombre» in K. Papaïoannou, De l’humanisme grec à
l’humanisme européen, op. cit., pp. 221 et 223.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 333
les phénomènes pour des choses et nous ne voulons les voir que
comme telles».115 Dans les secondes, par contre, «il n’existe aucune
définition «naturelle» ou «objective» de l’homme qui nous permette
de savoir toujours et partout où finit la réalité humaine et où
commence la région des facteurs négligeables, où finit la vérité
humaine et où commence l’arbitraire humain».116
Papaïoannou reconnaît que les deux catégories de science ont
le même objectif: «trouver et formuler des relations causales».
Cependant, il ne peut que constater que dans les sciences humaines
«nous trouvons des relations causales isolées et, de plus, nous ne
pouvons pas affirmer leur régularité ; [...] nous ne réussissons que
très rarement à passer de l’explication causale à la formulation de
lois, auxquelles nous ne pouvons d’ailleurs aucunement donner une
expression mathématique».117 En effet, «la coexistence humaine est
une totalité d’états et de processus qualitatifs» et la condition de
possibilité de l’expression des rapports sociaux dans de systèmes
d’équations différentielles serait leur transformation en des
continuités quantitatives, ce qui est impossible.118
Cela ne signifie pas que la recherche de Papaïoannou nie de
part en part les explications causales. Au contraire, son objectif
explicite ici est la constitution d’une «théorie objective», puisqu’il
considère comme nécessaire la fondation objective de «la recherche
sur la masse révolutionnaire et, plus généralement, sur les rapports
entre la masse et l’histoire».119 Mais en quoi consiste une théorie
objective des masses et quelle est sa tâche ? «Ce sera une théorie
des conditions objectives de l’apparition et du développement de ce
115
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 175.
116
Ibid., p. 176.
117
Cf. ibid., pp. 180-181.
118
Cf. ibid., p. 181. Cf. «L’homme et son ombre» in De l’humanisme grec à
l’humanisme européen, op. cit., p. 223, où Papaïoannou exalte la thèse
fondamentale de l’Essai sur les données immédiates de la conscience (1889)
de Bergson, selon qui «l’adaptation à la recherche psychologique de concepts
et de méthodes puisés dans les sciences physiques et mathématiques ne ferait
que déformer et détruire la nature même du phénomène psychique et d’en
rendre ainsi impossible toute compréhension substantielle».
119
Cf. Masse et histoire, op. cit., p. 174.
334 YANNIS PRELORENTZOS
120
Cf. ibid., pp. 174-175.
121
Cf. ibid., p. 183.
122
Cf. ibid., pp. 183-184.
123
Cf. ibid., p. 183.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 335
l’histoire qui forment des représentations sur leur existence sans les
soumettre à la critique. Les hindouistes, par exemple, rendaient
compte de la différenciation de la société en castes hiérarchiques en
s’appuyant sur les particularités anatomiques de Vishnou et certains
«sociologues» américains contemporains de Papaïoannou
considéraient les Etats-Unis comme une «société sans classes».
Pour parer à des «théories» pareilles, Papaïoannou soutient que
«l’existence des castes et des classes s’inscrit dans une «réalité
objective» indépendante de toute fabulation subjective» en se hâtant
toutefois de souligner qu’il ne s’agit pas là de la «seule réalité
humaine», car «les “fabulations” des hommes [...] constituent elles
aussi une puissance également active historiquement que la
puissance de la “réalité objective”».124
Mais quelle partie de l’étude de Papaïoannou concernant les
masses ne peut aucunement être soumise à des explications
causales et pourquoi ? Selon lui, «la masse n’est pas une notion
quantitative, mais une catégorie qualitative» ; 125 par conséquent, «là
où nous rencontrerons la qualité, nous serons obligés de sortir des
frontières de l’explication causale et de la théorie “objective” dans
une région dans laquelle ce qui est en jeu n’est pas seulement notre
jugement mais notre bonne foi, notre sérieux et la responsabilité sur
lesquels seulement peut se fonder la science, non seulement en tant
que connaissance mais en tant que “vertu majeure”».126
Un peu plus loin, Papaïoannou indique ce qui se trouve en
dehors du cercle de la théorie objective, c’est-à-dire ce qu’il nous
est impossible d’étudier de l’extérieur: «à l’intérieur de l’aventure
historique, où l’homme se présente avec sa propre réalité
authentique, il n’y a plus d’objets qui se lient entre eux à travers
des relations causalement explicables mais des ensembles de faits
psychiques et de processus subjectifs que nous comprenons ou
interprétons en trouvant en eux une continuité de sens et une unité
logique».127
124
Cf. ibid., p. 176.
125
Cf. ibid., p. 173.
126
Cf. ibid., p. 181.
127
Cf. ibid., p. 183 (souligné par nous).
336 YANNIS PRELORENTZOS
128
Cf. à titre indicatif les trois questions successives posées par Papaïoannou dans
le passage suivant: «Pouvons-nous comprendre aujourd’hui dans toute sa
profondeur le sens et la signification hautement humaine de ces symboles
tragiques et de ces formes mythiques à travers lesquels ces masses ont pris
conscience de leur attitude ambivalente envers la société organisée et
l’histoire ? Pouvons-nous imaginer comment ces masses ont trouvé en elles la
puissance qu’il fallait pour garder intacte leur expérience historique [...] ?
Pouvons-nous concevoir la signification humainement victorieuse de cette
vigilance psychique constante de ces masses … ?» (ibid., p. 215). Cf. aussi
ibid., p. 100: «Il suffit de comparer les mythes autour desquels se sont
articulées les trois espèces de théâtre dont nous avons parlé <tragédie grecque,
théâtre élisabéthain et théâtre classique français> pour comprendre le sens le
plus profond de la théâtrocratie <dont parle Platon dans Les Lois> et les
différences qualitatives radicales qui existent entre les possibilités créatrices
des trois types de public qui leur correspondent» (souligné partout par nous).
Pour d’autres passages de Masse et histoire où Papaïoannou vise la
compréhension (et non l’explication) et cherche le sens, cf. à titre indicatif
ibid., pp. 96-97 et 102.
129
Cf. ibid., pp. 103-104: «Dans cette incapacité de la masse élisabéthaine de
formes des mythes, dans son incapacité de mettre en valeur sa propre
expérience historique, nous devons attribuer la disparition brusque non
seulement du théâtre mais aussi de cette masse elle-même. Car, de quelle autre
manière pourrions-nous interpréter le fait que ce théâtre …».Cf. aussi ibid., p.
53: il soutient que le héros kafkaïen, en interprétant le passé, «donne un sens à
sa propre place dans le monde» (souligné par nous).
130
Cf. ibid., p. 184.
131
Cf. ibid., p. 188: «Ce qui se passe au niveau de l’individu, qui ne se connaît
soi-même que dans la mesure où il rompt son isolement narcissique, se passe
également, de nos jours, au niveau de toute notre civilisation».
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 337
132
Cf. ibid., p. 184.
133
Cf. ibid., pp. 178-179 (souligné par nous).
134
Cf. ibid., p. 184: «Toute interprétation exige de la vertu et de l’audace, puisque
son but et sa source ne sont autres que l’homme. Nous risquerions de nous
perdre dans une foule de connaissances fragmentaires, si nous n’avions pas,
vigilante, en nous cette idée supra-empirique de l’homme en tant que totalité
englobante supérieure. Nous ne réussirons à fonder ou à transcender une
construction herméneutique que si nous nous référons constamment à cette
idée qui exprime le besoin impératif et invariablement insatisfait de l’homme
de se considérer soi-même comme une unité».
338 YANNIS PRELORENTZOS
135
Cf. ibid., pp. 147-148.
136
Cf. ibid., p. 184.
137
Cf. ibid., pp. 184-185, en particulier p. 185: «On ne nous dit rien de la
psychologie de ceux à qui s’adressait la “poésie prolétarienne” d’Hésiode».
138
Cf. ibid., p. 187: «Une telle compréhension [de la «continuité de sens» qui
existe entre les luttes révolutionnaires du Dème et, d’une part, sa nouvelle
orientation religieuse et, de l’autre, la constitution idéologique de la tragédie]
serait sûrement facile, si nous pouvions en rester au niveau du homo sum,
humani nil a me alienum puto, à savoir au niveau de la simple
reconnaissance».
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 339
139
Cf. ibid.
140
Cf. ibid., p. 163: «Nous devons ressentir jusqu’au bout (et cela est possible,
car nous vivons sous les mêmes constellations et nous avons les mêmes
expériences) la phrase de Saint-Just : «Ce qui produit le bien général est
toujours terrible, ou paraît bizarre lorsqu’on commence trop tôt» pour
comprendre cet élément de la passion jamais vu dans la philosophie classique
européenne contenu dans la conception hégélienne de la négativité [...] pour
ressentir l’abîme qui sépare de l’esprit de la société ancienne ces hommes avec
lesquels commence notre propre histoire. Nous devons ressentir toute l’érosion
du monde précédent impliquée dans la phrase de Saint-Just» (souligné par
nous).
141
Cf. ibid., p. 188.
340 YANNIS PRELORENTZOS
142
Cf. ibid., p. 187 (souligné par nous).
143
Ibid. (souligné par nous).
144
Cf. ibid., p. 188.
145
Cf. ibid., pp. 185 et 187.
146
Cf. ibid., p. 188 et note 131.
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 341
aider notre propre effort ? Elle nous aide, car, en s’appuyant sur
elle, «nous pourrons voir, sans risquer, comme dirait Platon, de
nous aveugler, le grand art et la grande philosophie sur leur base
éternelle, prophétique – ainsi que l’impératif d’une action
historique authentique et responsable».147
Mais comment est-il possible de considérer les formes
historiques comme nos expériences propres ? Reconnaissant la
difficulté de la tâche, Papaïoannou recourt à la technique
psychothérapeutique dite «projective».148 Dans ce cadre, il
considère même La naissance de la tragédie de Nietzsche comme
une «première “projection-découverte” qui a mis en péril les
fondements des valeurs “humanistes” et de la “fausse santé” du
XIXe siècle».149
Nous sommes maintenant à même de comprendre que la
défense de l’herméneutique philosophique par Papaïoannou est
compatible avec (et implique) la critique sévère des interprétations
grossières, comme celle de Marx – mais aussi d’une série d’autres
penseurs150 – suivant lequel la maturité de l’homme commence
147
Cf. ibid., pp. 188-189.
148
Cf. ibid., pp. 53-54: «le héros kafkaïen du XXe siècle, ayant perdu son identité,
[...] terrifié de sa propre réalité, [...] se tourne vers le passé, non pas pour
admirer les “progrès” réalisés, ni pour retrouver le ravissement d’une
quelconque préhistoire “enfantine” ou la patrie mythique que les classicistes et
les romantiques ont décelé en Grèce et au catholicisme du Moyen-Âge, mais
parce qu’il a appris à considérer les formes historiques comme ses expériences
propres, comme le matériau d’une “technique projective” à travers
l’interprétation duquel il découvre son propre moi et donne un sens à sa
propre situation dans le monde. La “technique projective” comme “diagnostic
de la personnalité globale” se présente dans la psychothérapie contemporaine
comme une fonction dans un système de “défense”, de dépassement des
conflits. Dans ce sens, nous pourrions dire que notre autodiagnostic, depuis la
Naissance de la tragédie de Nietzsche jusqu’à Waste Land de T.S. Eliot et les
dernières œuvres de Picasso, se fait à travers un système de “projections” dans
l’ensemble de l’histoire universelle».
149
Cf. ibid., p. 54.
150
Cf. La consécration de l’histoire, op. cit., p. 75: d’après saint Augustin la
religion révélée «suppose une histoire, une série de gradations où chaque
époque constitue la condition nécessaire de l’étape suivante, [...] l’évolution de
l’humanité, qu’on peut comparer aux divers âges de la vie et qui fait que
342 YANNIS PRELORENTZOS
V. Conclusion
Nous sommes conscients du fait que les analyses de
Papaïoannou sur le mythe tragique et la justice dans le cadre de sa
philosophie de l’histoire et notamment de sa théorie sur le rôle
créateur des masses historiquement actives s’inscrivent dans une
ligne de pensée d’inspiration romantique qui a déjà été critiquée:
«Cette idéologie valorisante du théâtre et de la cité grecque est
profondément romantique dans ses assises: elle domine la réflexion
de jeunes idéologues révolutionnaires allemands frustrés d’action
qui subliment dans l’image d’un “ressort d’harmonie” le passé
d’une cité hellénique rassemblée dans une brûlante communion
civile et esthétique, communion dont l’homme peut, dans l’avenir,
retrouver les principes. [...] Image d’une réconciliation de l’homme
avec l’esprit et l’âme d’un peuple, d’une identité de l’“en deçà” et
de l’“au-delà”, qui, selon le jeune Hegel de Tübingen, alors proche
d’Hölderlin et de Schelling, n’a été rompue que par le
christianisme. L’harmonieuse relation de l’individu et de la
communauté civique, l’active participation du citoyen à une cité, où
la religion du peuple soit immanente à son existence, définissent
l’idéal moral et esthétique d’où l’on peut tirer l’idée d’un accord
profond entre le théâtre, la mythologie qu’il représente et la société
ramassée en une totalité vivante154».
Nous sommes également certains que, étant donné le
changement des standards concernant la précision requise dans le
cadre des sciences humaines, les recherches récentes des hellénistes
peuvent déceler et dénoncer des inexactitudes dans les détails de
153
Cf. ibid., pp. 181-182.
154
Cf. Jean Duvignaud, Sociologie du théâtre, op. cit., pp. 232-236, en particulier
p. 233.
344 YANNIS PRELORENTZOS
155
Cf. Pierre Vidal-Naquet, Mémoires, 2. Le trouble et la lumière (1955-1998),
Éditions du Seuil/La Découverte, coll. «Points. Essais», Paris, 1998, p. 168.
156
Cf. K. Papaïoannou, «La fondation du marxisme» (1961) in De Marx et du
marxisme, op. cit., p. 39: «Bergson disait que tout système philosophique a une
intuition fondamentale que le philosophe n’a fait ensuite que développer de
façons diverses en l’appliquant à une multitude de cas particuliers. Cette
observation paraît remarquablement juste en ce qui concerne Marx, et le centre
de perspective de sa doctrine est incontestablement constitué par l’idée des
“forces productives”».
157
Nous nous référons au rôle fondamental de la multitudo dans la philosophie
politique de Spinoza, en particulier dans son Traité politique. Cf. notamment
a) Alexandre Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, Les Éditions de
Minuit, Paris, 1969, surtout la troisième partie. b) Du même, Anthropologie et
politique au XVIIe siècle. Études sur Spinoza, Vrin-Reprise, Paris, 1986, en
particulier pp. 49-153. c) Le premier numéro de la revue Studia Spinozana,
MYTHE TRAGIQUE ET JUSTICE 345
PANAYIOTIS NOUTSOS
Professeur de philosophie sociale et politique à l’Université de Ioannina
1
1991: 24
2
Liakos 2005: 103
348 PANAYOTIS NOUTSOS
3
Cf. Noutsos 1989: 121-130
WALTER BENJAMIN : HISTOIRE, MYTHE ET JUSTICE 349
4
1940: 693-704
5
Liakos 2005: 103
6
Cf. Psychopedis 1999: 377-385
7
Löwy 2001: 113
350 PANAYOTIS NOUTSOS
ΒΙΒLIOGRAPHIE
Anderson, B., Imagined Communities. Reflections on the Origins and
Spread of Nationalism, London 21991.
Liakos, A., Pôs stochastékan to ethnos autoi pou éthelan na allaxoun ton
kosmo? (en grec), Athènes 2005.
Noutsos, P., «Rosa Luxemburg. Determinisme économique ou activisme
politique?», Dôdônè, partie III, 18 (1989) 131-144.
Psychopedis, K., Kanones kai antinomies stèn politikè (en grec), Athènes
1999.
8
1940: 697/690
9
Anderson 1991: 161