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Jules Verne, Voyage au centre de la terre, chapitre XXXVII (extrait), 1867.

Introduction : Jules Verne, célèbre auteur du XIXe, est à l’origine d’un véritable monde, cristallisé dans sa
collection de « Voyages extraordinaires », sous-titrée de manière parlante « Voyages dans les mondes
connus et inconnus », qui regroupe plus de soixante romans, parmi lesquels un de ses plus connus
: Voyage au centre de la Terre (1864). Jules Verne se base sur les avancées scientifiques importantes de
son siècle pour déployer une littérature que l’on pourrait qualifier de précurseur de la science-fiction – ce
terme émerge seulement début XXe. Le but est d’écrire le « roman de la science », mais aussi de faire par-
là même naître une nouvelle forme d’émerveillement : celui qui vient de cette science. Il s’agit finalement
en un sens de « remplacer le merveilleux des fées par un autre, celui de l’humanité pensante et savante »
(Marc Soriano). La part du rêve reste donc fondamentale dans son œuvre : l’extraordinaire de la science est au service
de l’imagination.

Nous sommes ici au chapitre 38 du roman, qui en contient 43 puis 45 lors de sa réédition de 1867. Suite à la découverte
d’un parchemin codé, rédigé en caractères runiques islandais, le professeur Otto Lidenbrock est parti, avec
son neveu Axel à la recherche d’un passage qui les mèneraient jusqu'au centre de la Terre, via l'un des
cratères d'un volcan éteint d'Islande, le Sneffels (l'actuel Snæfellsjökull). Dans cet extrait, qui est la fin du
chapitre, Jules Verne fait référence à une avancée scientifique qui secoue son époque : la découverte de l’ « homme
antédiluvien », terme qui qualifie alors les récentes découvertes paléontologiques à Moulin-Quignon, remettant en
question l’origine biblique de l’homme située alors à seulement -4000 ans. C’est le début de la préhistoire. La descente au
centre de la terre représente donc un voyage dans le temps passé.

Problématique : comment JV intègre-t-il la science dans la fiction pour prendre position dans un débat
essentiel pour la science de l'époque ?
Annonce du plan :
Ce texte suit un mouvement en trois temps.
Premier mouvement : Premier paragraphe, ce mouvement représente la fin du discours du professeur
Lidenbrock qui se croit revenu dans son Université de Johannaeum en Allemagne, devant ses étudiants car il a
adopté « un ton doctoral ». Commenté [U1]: Vision de la science comme source de plaisir,
d’émerveillement.
Deuxième mouvement : 2e et 3e paragraphes, Axel, le narrateur, donne son point de vue sur la situation.
Troisième mouvement : dernier paragraphe, l’auteur termine son chapitre par une vue d’ensemble et une Commenté [U2]: La découverte scientifique, ici paléontologique, est
ce qui donne vie au professeur (animer, du latin animare, de anima,
réflexion qui doit ramener le lecteur au récit. souffle vital) C’est ce qui donne sens, c’est l’essence même de ce
personnage.
Commenté [U3]: Usage de présentatif dans cette phrase : « c’est »
et de démonstratif « cet » : le professeur a pris le fossile et le
1 Personne ne souriait, mais le professeur avait une telle habitude de voir les visages s’épanouir pendant manipule, il semble le présenter à ses étudiants.
Commenté [U4]: Le terme renvoie directement à la découverte de
Moulin-Quignon, faite la même année que celle de l’histoire et
résumée en début de ce chapitre.
2 ses savantes dissertations ! Commenté [MJDD5]: Première occurrence du champ lexical de la
paléontologie : rend le récit plus réaliste, permet à JV de prendre
parti.
Commenté [U6]: Il confond la plaine d’ossements dans laquelle il se
trouve avec l’amphithéâtre dans lequel il enseigne habituellement. Il
3 « Oui, reprit-il avec une animation nouvelle, c’est là un homme fossile, et contemporain des mastodontes est dans une posture savante, d’enseignant. Aussi, idée qu’ il est
tellement touché par cette découverte qu’il ne sait plus où il se
trouve.
Commenté [U7]: Enumération d’interrogations indirectes. Insiste sur
4 dont les ossements emplissent cet amphithéâtre. Mais de vous dire par quelle route il est arrivé là, comment ces le champ des possibles ouvert par cette découverte. Sorte de
métaphore du récit entier : les découvertes scientifiques apportent
autant de questions que de réponses et sollicitent l’imaginaire.
Commenté [MJDD8]: Première occurrence du champ lexical de la
géologie, massif aussi : idem, réalisme.
5 couches où il était enfoui ont glissé jusque dans cette énorme cavité du globe, c’est ce que je ne me permettrai
Commenté [U9]: Adverbe, connecteur logique qui ouvre la
prétérition: il affirme qu’il n’est pas en mesure d’expliquer comment
cet homme préhistorique est arrivé au centre de la Terre mais il le
fait dans la phrase suivante
6 pas. Sans doute, à l’époque quaternaire, des troubles considérables se manifestaient encore dans l’écorce Commenté [U10]: Champ lexical de la géologie massif dans cette
phrase : caution scientifique à son discours.
7 terrestre ; le refroidissement continu du globe produisait des cassures, des fentes, des failles, où dévalait Commenté [MJDD11]: Gradation : de plus en plus larges=de plus en
plus profondes=de plus en plus lointaines dans le passé=ouvre sur
l’homme antédiluvien

8 vraisemblablement une partie du terrain supérieur. Je ne me prononce pas, mais enfin l’homme est là, entouré Commenté [U12]: Nouvelle prétérition : le personnage ne peut pas
s’empêcher d’extrapoler, lien encore entre science et imaginaire.

9 des ouvrages de sa main, de ces haches, de ces silex taillés qui ont constitué l’âge de pierre, et à moins qu’il n’y Commenté [U13]: L'« âge de la pierre » est désormais une
expression désuète, et on lui préfère l’une de ses subdivisions :
Paléolithique, Mésolithique ou Néolithique

10 soit venu comme moi en touriste, en pionnier de la science, je ne puis mettre en doute l’authenticité de son Commenté [U14]: Rappelle de la caution scientifique du professeur,
placé juste avant l’affirmation de la valeur antédiluvienne du fossile
humain. On voit ici comment JV prend parti dans la controverse
scientifique de l’époque.

11 antique origine. » Commenté [U15]: On entend ici la voix de JV qui prend partie pour
« l’homme antédiluvien ».

12 Le professeur se tut, et j’éclatai en applaudissements unanimes. D’ailleurs mon oncle avait raison, et de Commenté [U16]: Métaphore lexicalisée, « éclater en
applaudissements ». Montre qu’Axel constitue un auditoire entier à
lui tout seul, ce qui renvoie à l’idée de la l4 de l’amphithéâtre. Duo
Savant/Elève.

13 plus savants que son neveu eussent été fort empêchés de le combattre. Commenté [U17]: Insiste encore sur la validité de la découverte de
l’homme-fossile.
Commenté [U18]: Référence à nouveau à la controverse liée à la
découverte de Moulin-Quignon

14 Autre indice. Ce corps fossilisé n’était pas le seul de l’immense ossuaire. D’autres corps se rencontraient à Commenté [U19]: Insiste encore sur la validité de la découverte de
l’homme-fossile.
Commenté [U20]: Pléonasme : répétition de mots ayant le même
sens. Donne ici de l’importance à l’étendue de l’ossuaire.
15 chaque pas que nous faisions dans cette poussière, et mon oncle pouvait choisir le plus merveilleux de ces Commenté [U21]: Avec « immense » « chaque pas », insiste sur
l’étendue, Comme si l’immensité de l’ossuaire manifestait à la fois
l’immensité de la découverte de l’homme antédiluvien et son
caractère indéniable ;

16 échantillons pour convaincre les incrédules. Commenté [U22]: Dans cette même idée, la poussière métaphore
de l’ignorance précédent la découverte. Idée de brouillard, néant,
d’où émerge la découverte capitale. Ou idée du temps qui est passé,
transformant presque tout en poussière. Idée d’ancienneté.
Commenté [U23]: Terme scientifique, après la description d’un
paysage malgré tout romanesque, ramène vers la science.
Commenté [U24]: Antithèse qui met en avant l’aspect irréfutable de
la thèse du savant.

17 En vérité, c’était un étonnant spectacle que celui de ces générations d’hommes et d’animaux confondus Commenté [U25]: Lexique de la « raison » l12, de la « vérité », en
soutient au lexique scientifique. Ces locutions forment une forte
d'interface lexicale entre science et fiction.
Commenté [U26]: Adjectif mélioratif, qui qualifie autant le paysage
18 dans ce cimetière. Mais une question grave se présentait, que nous n’osions résoudre. Ces êtres animés sous leurs yeux (métalepse : le récit se commente lui-même) que la
découverte de l’homme fossile en elle-même.

19 avaient-ils glissé par une convulsion du sol vers les rivages de la mer Lidenbrock, alors qu’ils étaient déjà réduits

20 en poussière ? Ou plutôt vécurent-ils ici, dans ce monde souterrain, sous ce ciel factice, naissant et mourant
21 comme les habitants de la terre ? Jusqu’ici, les monstres marins, les poissons seuls, nous étaient apparus Commenté [U27]: Opposition de deux interrogations directes Ce
monde inconnu, ce voyage au centre de la Terre semble se
transformer en un voyage dans le temps (cf stratigraphie)

22 vivants ! Quelque homme de l’abîme errait-il encore sur ces grèves désertes ? Commenté [U28]: Exclamation, insiste sur l’importance de la
découverte. Il se souvient du combat des animaux préhistoriques,
l’ichtyosaurus et le plésiosaurus, auquel ils ont assisté depuis leur
radeau lorsqu’ils traversaient cette mer, relaté dans le chapitre 33.
Commenté [U29]: Question rhétorique. Ils vont rencontrer un géant
de 12 pieds qui garde un troupeau de mastodontes, ils vont s’enfuir
effrayés dans le chapitre suivant. Ici, cette fin de chapitre annonce le
suivant, dans la pure tradition feuilletoniste.

CONCLUSION :

On voit donc dans cet extrait comment Jules Verne se base sur la réalité des avancées scientifiques de
son temps - seulement une année sépare la découverte de la mâchoire à Moulin-Quignon de la publication du
récit, qui d’ailleurs se situe la même année que cette découverte paléontologique (1863). Cette association de la
science et de la fiction marque le style de Jules Verne, la fiction gagnant en réalisme grâce à l’évocation de la
science et celle-ci gagnant en profondeur grâce à l’exploitation du champ des possibles qu’elle ouvre à
l’imaginaire. Au XIXe, d’autres associations entre science et littérature existent, comme la poésie scientifique ou
le naturaliste de Zola.
Bien que Jules Verne ait longtemps été considéré comme un auteur mineur – classé auteur de science-
fiction ou auteur de littérature de jeunesse, son œuvre est d’une grande portée. En effet, il est l’un des auteurs
les plus traduits au monde (en deuxième ou cinquième position selon les classements, en 174 langues), a
inspiré un des premiers grands films de l’histoire du cinéma, Le Voyage dans la lune de George Méliès, et est
encore source d’inspiration, comme on peut le voir avec le succès qu’a rencontré la récente mise en scène de
Vingt Mille Lieues sous les mers à la Comédie Française,

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