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Paul Ricœur

ou la liberté selon l'espérance


Collection dirigée par ANDRÉ ROBINET
Couverture dessinée par JEAN FORTIN

DU MÊME AUTEUR

La Prédication de Jésus et la nôtre, Société nouvelle de publications


protestantes, 13, rue Puits-Gaillot, Lyon, 1962.
Une foi adulte pour le temps présent, Ed. Oberlin, Strasbourg, 1962.
L'Echelle des âges, Ed. du Seuil, Paris, 1968.

En préparation :
Regards neufs sur le Troisième Age, Ed. du Seuil.

TOUS DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION


ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS.
© ÉDITIONS SEGHERS, PARIS, 1971.
PHILOSOPHES
DE TOUS LES TEMPS

Paul Ricœur
ou la liberté selon l'espérance
Présentation, choix de textes
biographie, bibliographie
par
MICHEL PHILIBERT
Professeur de philosophie à l'Université
des Sciences sociales
de Grenoble

avec des pages inédites


de PAUL RICŒUR

ÉDITIONS SEGHERS
AVERTISSEMENT

La première partie, Le penseur responsable, cherche moins à dire


ce que dit Ricœur qu'à montrer comment il le dit ; elle s'attarde
sur la manière dont il réinterprète les philosophies antérieures et
la rattache à la foi qu'il professe.
La seconde partie, Mouvement de l'œuvre, analyse, suivant l'ordre
chronologique de leur composition, celles des œuvres de Ricœur
qui jalonnent son entreprise maîtresse, une philosophie du vouloir.
Le commentaire s'y efface au profit du résumé, de la paraphrase
et de la citation.
La troisième partie, Le témoin de la mort de l'Université, évoque
la réflexion de Ricœur sur l'enseignement, et l'engagement auquel
elle l'a conduit. Sans céder à l'anecdote, cette partie, plus courte,
est aussi plus facile.
Une brève Reprise finale renonce à placer entre guillemets la
plupart des phrases de l'auteur qu'elle cite ou, plutôt, phagocyte ;
elle permet de soupçonner comment, dans l'œuvre du philosophe,
l'architecture gouverne la thématique.
Le lecteur déjà introduit à la philosophie ou à la pensée de Ricœur
lira cet opuscule suivant l'ordre. Le lecteur moins familier avec les
philosophes, s'il trouve la première partie, la plus abrupte, énigma-
tique ou rebutante, pourra commencer par la troisième et revenir de
là à la seconde et à la première. Toute lecture d'ailleurs, et celle de
l'œuvre de Ricœur sans doute plus encore que celle de ce mince
commentaire, n'exige-t-elle pas, quelle que soit l'entame, des allers et
des retours ?
I. LE PENSEUR RESPONSABLE

Ouvrons le dernier livre


Où Ricœur fait le point • paru de Paul Ricœur : Le
Conflit des interprétations. La première phrase en annonce le
dessein : « Mon propos est ici d'explorer les voies ouvertes à la
philosophie contemporaine par ce qu'on pourrait appeler la greffe
du problème herméneutique sur la méthode phénoménologique
(p. 7). » L'annonce du propos s'appuie, on le voit, sur une récapitu-
lation. L'auteur a commencé par la méthode phénoménologique ; il
s'est mis à l'œuvre philosophique avec l'outillage forgé par Husserl.
Mais avant Ricœur, avant Husserl, le problème herméneutique, —
multiplement né de l'exégèse des textes, de la réflexion sur le pouvoir
signifiant du verbe, de la philologie, et des sciences historiques, —
était devenu déjà problème philosophique. Or sa propre pratique de
l'exégèse, sa méditation de l'histoire des religions, sa rencontre avec
la psychanalyse et le structuralisme, l'étude encore de la linguis-
tique, ont contraint Ricœur à épouser le problème herméneutique,
à en élaborer l'unité, à lui chercher enfin, pour en surmonter les
contradictions internes, une structure d'accueil dans la phénoméno-
logie. Annoncer son propos, c'est donc en même temps pour lui
faire le point en un moment de son parcours. Opération d'autant plus
nécessaire que sont plus nombreux les fils tenus, et plus élevés les
enjeux de la partie : celle-ci figure une péripétie majeure de la
philosophie réflexive, et son succès commande la restauration d'une
ontologie.

Où l'auteur, fâcheusement, néglige son style •


Avant de l'expliquer, avant d'aller plus loin, avouons un moment
d'agacement. On veut ici rendre hommage à une pensée dont l'am-
1. Ed. du Seuil, 1969.
pleur, dont l'honnêteté, dont la force nous paraissent aujourd'hui
et depuis longtemps, sans égales. On se plaira à relever maints traits
qui l'expriment avec un bonheur communicatif. Et il faut que cette
première phrase, celle par laquelle un auteur se présente au lec-
teur, nous offre cette négligence d'une greffe qui ouvre des voies
à l'exploration ! On voudrait rappeler à l'ordre ces images qui se
surimposent fâcheusement l'une à l'autre.
L'agacement ne paie pas. Constatons plutôt à notre tour : que
la forme doit être la forme de l'esprit. Non pas la manière de dire
les choses, mais de les penser (Jean Cocteau). Cherchons plutôt
quelle nécessité intérieure, plus forte que le souci du style —le style
ne saurait être un point de départ ; il résulte — amène d'entrée de
jeu, sous la plume de Ricœur, ces deux images maîtresses, ces deux
maîtresses rivales, qui nous font voir dans le philosophe l'une un
explorateur et l'autre un jardinier. Au moment où l'auteur se
reprend, se rassemble et s'oriente, ce n'est pas le hasard qui les pré-
sente toutes deux à sa pensée ; c'est bien plutôt tout naturellement
qu'il les y retrouve, fidèles compagnes de sa route. Prenons ce
biais pour l'approcher.

Des histoires d'explorateur • L'teur image de l'explora-


accompagne ses
premiers pas, nous la trouvons aux premières pages de son premier
livre; il y rapprochait Gabriel Marcel et Karl Jaspers une philo-
sophie du mystère et une philosophie du paradoxe.
L'ouvrage commence par cet aveu : « Il fait une expérience
étrange celui qui, ayant un jour reçu le choc philosophique décisif
de la pensée de Gabriel Marcel, retourne à l'œuvre qui l'a une pre-
mière fois éveillé, après un long périple parmi les autres philosophies
modernes dites existentialistes. Cette nouvelle lecture est pour lui
une seconde découverte, comme si le choc nouveau qu'il en reçoit
ne l'atteignait pas au même point de lui-même que la première
rencontre (p. 13). » Au fond Le Conflit des interprétations aurait pu
commencer par un pareil aveu : il fait une expérience étrange celui
qui revient à Husserl après avoir suivi Heidegger, celui qui revient
1. Gabriel Marcel et Karl Jaspers, Ed. du Temps Présent, 1947. Repris au
Seuil en 1948.
à Descartes après avoir médité Freud, Nietzsche et Marx. En fait cet
aveu, s'il n'inaugure pas Le Conflit des interprétations, ne s'y fait
pas longtemps attendre : « Si l'on pose en termes ontologiques le
problème de l'herméneutique, de quel secours est la phénoméno-
logie de Husserl ? La question nous invite à remonter de Heidegger
à Husserl et à réinterpréter celui-ci en termes heideggeriens »
(p. 12)... Mais patience. Nous reviendrons sur ce jeu de la réinter-
prétation des philosophes les uns à la lumière des autres.
Ricœur a donc institué un dialogue — communicatif et non
point polémique — entre Gabriel Marcel et Jaspers, penseurs appa-
rentés. Ce dialogue même qui les rapproche accuse aussi leurs diffé-
rences ; il dégage le rythme propre à chaque œuvre. « Cette diffé-
rence de rythme se dégagera peu à peu du dialogue lui-même.
G. Marcel et K. Jaspers y apparaîtront comme deux explorateurs
que séparent parfois d'énormes blocs de rochers qu'ils ne contour-
nent pas par le même côté, ou qu'ils essaient de franchir sous
des angles différents d'attaque ; soudain ils se rencontrent au
tournant le plus inattendu, saluent le même paysage dans un lan-
gage identique, bien qu'ils soient déjà tournés vers une autre
difficulté et vers un autre mode de résolution (p. 15). »

Les grands philosophes sont des explorateurs •


La métaphore de l'exploration pour désigner la philosophie n'offre
rien sans doute de très original. Péguy déjà l'utilise dans sa Note
conjointe : « Ces grandes philosophies sont d'immenses et d'heu-
reuses et profondes explorations... » Sa constance chez Ricœur n'en
est pas moins remarquable.
Observons au passage que la même année où Ricœur signe seul
ce livre sur deux auteurs, il signe avec Mikel Dufrenne un autre
livre consacré au seul Jaspers. Chacun des deux livres marque ainsi
la rencontre de trois esprits. L'institution du colloque à trois, comme
l'usage des trilogies et des triptyques, signale une allure de Ricœur
qui marquera son œuvre d'un bout à l'autre et vient de plus loin
que la rhétorique scolaire. On le verra : Ricœur se rend-il en visite
chez Kant, chez Descartes, chez Hegel, il ne va jamais seul. Husserl
l'accompagne, ou Spinoza, ou Kierkegaard.
Filant la métaphore • Non, la métaphore de l'explora-
tion n'est pas neuve. Mais peu de
gens peut-être l'ont prise autant que Ricœur au sérieux. La Réalité,
ou le Monde, ou l'Existence, ou l'Etre, comme on voudra dire, cons-
titue le terrain que tous nous devons parcourir. Tantôt nous allons
au hasard, suivant le caprice ou plus souvent la foule. Tantôt nous
cherchons à nous orienter, à conduire notre voyage, à voir clair en
nos actions pour marcher avec assurance en cette vie ; alors nous
devenons, peu ou prou, philosophes. A cette fin, nous prenons
connaissance des récits que les autres nous ont laissés — ou nous
font — de leurs explorations antérieures ; nous apprenons leurs
techniques d'approche, leur empruntons du matériel d'observation
et d'escalade, nous les suivons sur le terrain.
Certains amateurs de philosophie demeurent au refuge, suivant
à la jumelle les courses des champions, comparant leurs styles,
engageant des paris, entichés de leurs favoris. D'autres s'attachent
à un guide, à une école, à une technique, et refont toujours les
mêmes courses, vers les mêmes sommets. Suivre tour à tour deux
explorateurs, comme Ricœur a fait Marcel et Jaspers, et beaucoup
d'autres ensuite, permet de progresser à la fois dans la connaissance
des procédés propres à chacun d'eux, et dans la maîtrise du terrain.

L'histoire de la philosophie et la philosophie •


Ricœur a enseigné plusieurs années, à Strasbourg, l'histoire de la
philosophie, avant d'occuper à l'Université de Paris une chaire de
philosophie. Nous ne dirons pas seulement que des historiens profes-
sionnels de la philosophie il est, plus qu'un Bréhier, un Hyppo-
lite, un Guéroult, comme un Gilson, un des plus créateurs. Nous
dirons aussi que de tous les philosophes originaux il est l'un de ceux
qui ont avec le plus de patience, d'humilité, et de profit, refait le
plus grand nombre de courses classiques, en suivant la trace des
explorateurs d'autrefois ; l'un de ceux qui ont suivi comme coéqui-
piers le plus grand nombre d'expéditions montées par leurs contem-
porains, avant d'en diriger eux-mêmes.
Se perdre pour se trouver • àTrop longtemps dévoué
l'écoute des autres, et
comme à force de les entendre et de les répéter, l'historien de la
philosophie souvent n'a plus grand-chose à dire pour son propre
compte. On peut-être n'eut-il jamais rien à dire, et s'est-il fait
historien quand il l'a compris ? Trop peu longtemps, trop peu
dévoué à l'écoute des autres, le philosophe créateur en revanche
est souvent un mauvais historien de la philosophie. Il déforme à
l'excès les auteurs qu'il commente, les déchire ou les tire à soi.
Encore arrive-t-il qu'outrant jusqu'à la caricature les traits de ses
adversaires, il nous en laisse des portraits plus criants que les pâles
décalcomanies d'historiens médiocres. Mais enfin les portraits que
trace un grand philosophe de ses prédécesseurs ressemblent plutôt
à leur auteur qu'à leurs modèles. On croit trop facilement peut-être
que ce qui se perd ainsi du côté de l'exactitude, de la fidélité
historique, on le récupère en originalité et en invention. Parce
que bien souvent, on doit le constater, plus le philosophe est grand,
plus il déforme ceux qu'il touche, on croit pouvoir conclure : plus
il déforme, plus il est grand ; on conseille : déformez, vous grandirez ;
n'écoutez personne, ne prêtez à autrui ni attention ni respect, soyez
vous-mêmes. Et si les grands philosophes l'étaient en dépit de leurs
faiblesses, et non pas à cause d'elles ? S'il fallait se prêter à autrui, et
se perdre chez les autres, pour se trouver enfin soi-même ?

Intentions et tentations • L'exemple de Ricœur mon-


tre justement que plus ou
mieux le philosophe écoute l'autre philosophe, plus il devient soi-
même. Son attention à l'autre nourrit, loin de l'exténuer, sa créa-
tion de soi. Dans « l'histoire de la philosophie et l'unité du vrai »,
Ricœur a formulé la théorie de ce paradoxe après l'avoir vécu.
L'historien « accepte au départ de se dépayser, de se placer sous la
loi d'autrui et de conduire son investigation comme un exercice de
communication et, si j'ose dire, de charité ». Accomplissant cette
intention, l'historien rencontre la tentation de renoncer à affirmer
1. Dans Histoire et vérité, Ed. du Seuil, 1955.
la vérité pour son propre compte. C'est une tentation inverse, et
peut-être aussi périlleuse, que court le philosophe quand son enga-
gement dans sa propre pensée le ferme à la lecture des autres. « On
sait combien les grands philosophes se sont mépris sur leurs devan-
ciers et leurs contemporains... Le progrès d'un philosophe dans son
propre système le rend progressivement aveugle à l'histoire, indis-
ponible à autrui. » Répétons-le : c'est en dépit de cette obturation
qu'ils sont grands. Et la grandeur de Ricœur paraît, à l'inverse, dans
l'ouverture toujours croissante, à mesure qu'il chemine, de son
accueil. « La recherche de la vérité, ajoute-t-il dans le même texte,
est tendue entre deux pôles : d'une part une situation personnelle,
d'autre part une visée sur l'être. D'une part j'ai quelque chose à
découvrir en propre... une question que nul ne peut poser à ma
place... Et pourtant, d'autre part, chercher la vérité veut dire que
j'aspire à dire une parole valable pour tous, qui s'enlève sur le fond
de ma situation, comme un universel ; je ne veux pas inventer, dire
ce qui me plaît, mais dire ce qui est. Du fond de ma situation, j'as-
pire à être lié par l'être. Que l'être se pense en moi, tel est mon
vœu de vérité. »

De la communication, et du philosopher en
commun • C'est dans cette perspective que l'histoire de la
philosophie, comprise comme mémoire des gran-
des philosophies singulières, trouve sa signification philosophique :
« car sur ce chemin qui monte de ma situation en direction de la
vérité, il n'est qu'une voie de dépassement, la communication. Je
n'ai qu'un moyen de sortir de moi-même : c'est de me dépayser en
autrui. La communication est une structure de la connaissance
vraie » ; l'histoire devient « le chemin du philosophe de soi à soi.
L'histoire de la philosophie est œuvre de philosophie comme détour
de la clarification de soi ».
Au fond le philosophe qui devient sourd aux autres s'intéresse
trop à soi-même ; et l'historien de la philosophie qui n'est que cela
s'intéresse trop aux autres. C'est en cherchant l'être à travers les
autres que comme par surcroît je me trouverai, je deviendrai moi-
même. « Ainsi le travail de compréhension de l'histoire de la
philosophie et la création philosophique originale apparaissent-ils
comme les deux faces d'une unique recherche de l'être. »
Ricœur nous conduit par là vers une définition intersubjective
de la vérité, exprimant « l'être en commun des philosophes. La
philosophia perennis signifierait alors qu'il existe une communauté
de recherche — un philosopher en commun — où tous les philo-
sophes sont en débat avec tous par le truchement d'une conscience
témoin, celle qui cherche à neuf, hic et nunc ». Et il enchaîne sur
une remarque capitale pour comprendre sa propre pratique. « Dans
ce débat les philosophes du passé ne cessent de changer de sens :
cette communication qui les sauve de l'oubli et de la mort fait affleu-
rer des intentions et des possibilités de réponse que leurs contem-
porains n'avaient pas vues. » Nous ne trahissons pas Ricœur en
précisant : « Que leurs auteurs mêmes n'avaient pas vues. »

Alpinisme et philosophie • Conclure de tout cela que


puisqu'il a fait plus de cour-
ses avec les autres que la plupart des philosophes originaux, pressés
de s'exprimer, n'ont la patience d'en faire, Ricœur connaît le terrain
mieux qu'eux ne serait peut-être pas faux, mais un peu abrupt.
Disons qu'il connaît bien les diverses ressources du métier, sans
être l'esclave d'une technique particulière, et sait laquelle adopter
selon les exigences variées du parcours. Disons que pour avoir suivi
plusieurs guides, attentif sans doute à leurs gestes professionnels et
admirateur de leur talent, mais non moins attentif à la configura-
tion du terrain et non moins admirateur des paysages que chaque
approche découvre, il sait parfois mieux que chacun de ses guides
quel temps gagne tel raccourci, ou quel spectacle promet tel
détour ; quelle différence offre telle variante, ou quelle identité dis-
simule au contraire un système de faces et de cheminées que ses
prédécesseurs n'ont connues qu'isolément.
De là naît la possibilité de transposer, dans l'attaque d'une nouvelle
face, un procédé éprouvé ailleurs ; de refaire un itinéraire qu'un
autre eut le mérite d'ouvrir, mais en l'améliorant ici ou là par
une variation de parcours ou un changement de technique. De là
la possibilité non pas seulement de refaire après avoir beaucoup
suivi ; non pas seulement d'innover, après avoir beaucoup refait ;
mais de reprendre une formule ancienne. Le plus original chez
Ricœur, ce n'est ni la réitération, disons le travail d'historien de la
philosophie, ni l'invention personnelle (car en un sens s'abandonner
à sa pente constitue pour chacun une façon relativement peu ori-
ginale d'être original), mais le mouvement de reprise créatrice par
lequel le philosophe crée non pas en dépit du travail de l'historien
mais en le prenant pour tremplin. Il est grand temps de passer aux
exemples.

Prête-moi tes outils • Il a volé l'outil, disait Alain de


Maurois. Husserl de Ricœur en
aurait pu dire autant. Le Volontaire et l'Involontaire, thèse de
doctorat de Ricœur et première partie de la Philosophie de la volonté
qui constitue son projet majeur, résulte de l'interaction, dans l'es-
prit de l'auteur, d'un mouvement de pensée emprunté à Gabriel
Marcel, et d'une méthode de description empruntée à Husserl. « La
méditation de l'œuvre de Gabriel Marcel est en effet à l'origine des
analyses de ce livre ; toutefois nous avons voulu mettre cette pensée
à l'épreuve des problèmes précis posés par la psychologie classique
(problèmes du besoin, de l'habitude, etc. ) ; d'autre part, nous avons
voulu nous placer à l'intersection de deux exigences : celle d'une
pensée alimentée au mystère de mon corps, celle d'une pensée
soucieuse des distinctions héritées de la méthode husserlienne de
description (p. 18). » Mais une fois enrôlée au service d'une intention
dont l'origine et la visée lui demeurent étrangères, la méthode
husserlienne va changer de « sens ». Parce que je dois participer
à mon incarnation comme mystère, passer de l'objectivité à l'exis-
tence, la méthode descriptive, à l'intérieur du livre, « sera entraînée
par un mouvement de dépassement qui paraît finalement étranger au
génie propre de la psychologie husserlienne (ibid). » C'est la méthode
et non la doctrine de Husserl qui est retenue. « Ce type de pensée
que Husserl a appelé phénoménologie peut prêter sa lucidité aux
intuitions évanouissantes du mystère corporel (p. 19). »

1. Aubier-Montaigne, 1949. Nous suivons la pagination d'une réimpression


de 1967.
Prenons la suite de la Phi-
La philosophia perennis • losophie de la volonté avec
L'Homme faillible. Si respectueux qu'il soit de l'originalité de
chacun, Ricœur discerne les accords profonds que leur commune
visée de l'être réalise entre les philosophes : « Eros, l'âme philoso-
phante, est donc pour Platon l'hybride par excellence, l'hybride du
riche et de la pauvresse. Descartes, et surtout Kant, ne disent pas
autre chose dans leurs discours sensés sur l'imagination : l'enten-
dement sans intuition est vide, l'intuition sans concept est aveugle.
La lumière de l'imagination est leur synthèse : l'hybride platonicien
annonce l'imagination transcendantale (p. 29). » « Par ce glisse-
ment de la fragilité au vertige et du vertige à la chute, le mythe
platonicien annonce la méditation kierkegaardienne (p. 31). » « Cette
dialectique du signifier et du percevoir, du dire et du voir, paraît bien
absolument primitive. Sur ce point coïncident la première des Recher-
ches logiques d'Husserl et les premiers chapitres de la Phénoméno-
logie de l'esprit de Hegel (p. 45). » « Aristote recueille ici la décou-
verte de Platon dans le Cratyle, le Théétète et le Sophiste, où pour la
première fois la distinction du nom et du verbe est reconnue dans
sa signification profonde (p. 49). » « C'est à nous de réfléchir sur
le quadruple pouvoir du verbe et d'y retrouver, avec la tradition
qui va de saint Thomas à Descartes et Malebranche, l'electio, le
liberum arbitrium... bref, ce que cette tradition a appelé la volonté
dans le jugement (p. 51). » « Avoir plusieurs volontés d'une même
chose : Descartes retrouvait ici une affirmation qui est au centre
du traité de l'Interprétation d'Aristote : des mêmes sujets et des
mêmes attributs il est possible d'affirmer et de nier (p. 52). » « En
fait, certes, le pouvoir politique apparaît lié au mal — une première
fois parce qu'il n'apporte un remède aux passions que par le
moyen de la violence corrective, ainsi que l'ont vu toutes les
philosophies pessimistes de l'individu, de Platon à Rousseau, Kant
et Hegel... (p. 136). » « Que l'homme ne soit intelligible que par
participation à une certaine idée négative du néant, nous le savions
avant Descartes, depuis le mythe platonicien de Poros et de Penia ;
que l'homme soit cette négation même, nous l'avons appris de Hegel
1. Aubier-Montaigne, 1960.
à Sartre (p. 153). » « Ainsi la philosophie conçue comme éthique
présuppose non seulement la polarité abstraite du valable et du non-
valable, mais un homme concret qui a déjà manqué la cible ; tel est
l'homme que la philosophie trouve au début de son itinéraire :
l'homme que Parménide entraîne dans son voyage au-delà des
Portes du Jour et de la Nuit, celui que Platon tire de la caverne sur le
chemin escarpé du Soleil, celui que Descartes arrache au préjugé et
mène à la vérité par la voie du doute hyperbolique; l'homme, tel
que la philosophie le prend au début de son itinéraire, est égaré et
perdu ; il a oublié l'origine (p. 159). »

Expliquer Descartes par Kant, Hegel et Hus-


serl • Nous empruntons au même livre trois exemples de ce
travail de réfection auquel Ricœur se livre sur les philo-
sophes auxquels il demande, pour ainsi dire, de collaborer à sa
recherche propre. Dans L'Homme faillible, comme nous le dirons
plus à loisir dans notre seconde partie, Ricœur cherche la faillibilité
dans la disproportion ; mais où chercher la disproportion ? « C'est ici
que se propose à nous le paradoxe cartésien de l'homme fini-infini.
Disons tout de suite que la liaison que Descartes établit entre ce
paradoxe et une psychologie des facultés est absolument égarante »
(p. 22). On doit renoncer à lier le fini à une faculté ou fonction et
l'infini à une autre. Mais Descartes ici doit être corrigé plutôt que
récusé ; il mérite au double sens du mot d'être repris. « Aussi bien
Descartes lui-même, au début de la IV Méditation, prépare-t-il la
voie à une saisie plus ample et plus radicale du paradoxe de l'homme,
lorsqu'il embrasse du regard la dialectique d'être et de néant sous-
jacente au jeu des facultés elles-mêmes (je suis comme un milieu entre
Dieu et le néant) (p. 22). » L'idée d'intermédiaire demeure pour-
tant elle-même égarante si l'on reste dupe de la métaphore spatiale ;
l'homme n'est pas un lieu ontologique, quelque part entre l'ange et
la bête ; il est intermédiaire parce que mixte, et mixte parce qu'il
opère, hors de lui et en lui, des médiations entre tous les niveaux de
la réalité. « C'est pourquoi nous n'expliquerons pas Descartes par
Descartes, mais par Kant, Hegel et Husserl : l'intermédiarité de
l'homme ne peut être découverte que par le détour de la synthèse
transcendantale de l'imagination ou par la dialectique entre certitude
et vérité ou par la dialectique de l'intention et de l'intuition, de la
signification et de la présence, du Verbe et du Regard (p. 23). »
La distinction d'un
Comment garder l'impulsion • entendement fini et
d'une volonté infinie, si on l'interprète comme plusieurs formules de
Descartes le suggèrent dans un sens purement quantitatif, succombe
à la critique de Spinoza. Mais aussitôt Ricœur demande : « Comment
garder l'impulsion de la distinction cartésienne du fini et de l'infini
en l'homme, sans retourner à une philosophie des facultés, sans
mettre le fini dans une faculté et l'infini dans une autre ? (p. 43). »
Réponse : en cherchant dans la dialectique husserlienne du dire et
du voir une plus juste compréhension du paradoxe cartésien de l'in-
fini et du fini, puis en refaisant et complétant l'analyse dans le lan-
gage hégélien de la Phénoménologie de l'esprit. Aussitôt dit, aussitôt
fait. On est conduit alors à une réflexion sur le Verbe, qui trouvera
chez Aristote son point de départ, mais devra toujours à Descartes
son impulsion. Reconnu par Aristote, le quadruple pouvoir du verbe
qui lui permet d'exprimer, au sujet des mêmes significations nomi-
nales, une négation fausse, une affirmation fausse, une affirmation
vraie et une négation vraie, équivaut à ce que Descartes appelle
la volonté dans le jugement ; lors même qu'elle suit la lumière et
l'entendement, la volonté demeure responsable de son affirmation,
en ce qu'il a dépendu d'elle de prêter ou non attention à cette
lumière. « Par là même nous est restituée la dialectique cartésienne
de l'entendement et de la volonté dont nous avions dû récuser l'inter-
prétation littérale. C'est Descartes lui-même qui indique la voie
d'une seconde lecture de la IV Méditation, où serait dépassé le
sens purement quantitatif du fini et de l'infini (p. 52). » Nous pou-
vons, écrit en effet Descartes à Gassendi, avoir plusieurs volontés
d'une même chose. C'est retrouver l'affirmation d'Aristote dans le
traité de l'Interprétation : des mêmes sujets et des mêmes attributs
il est possible d'affirmer et de nier, bien plus, d'affirmer ce qui n'est
pas comme étant, de nier ce qui n'est pas comme étant, d'affirmer
ce qui est comme étant et de nier ce qui n'est pas comme n'étant pas.
La volonté multiple des mêmes choses excède la finitude de l'enten-
dement ; c'est donc finalement entre Faire et Recevoir que se joue
la dialectique de l'Infini et du Fini. « L'analyse cartésienne nous
ramène ainsi à cette puissance d'affirmer que le traité de l'Interpré-
tation nous a enseigné à mettre dans le verbe et que saint Thomas
et Descartes nous apprennent à situer dans le moment volontaire
de l'affirmation (p. 53). »
J'ai conscience d'imposer à mon lecteur une certaine ascèse. Il
voudrait savoir ce que pense Ricœur, où le mène sa réflexion sur
le Verbe, ce qu'apporte la dialectique du Faire et du Recevoir à la
compréhension de la faillibilité de l'homme. Je lui en dis trop peu
pour qu'il s'y retrouve. Je lui demande de refréner son impatience,
toute légitime qu'elle soit, et de s'arrêter avec moi à considérer l'atti-
tude de Ricœur à l'égard des auteurs. Ce détour finalement lui
gagnera du temps.

Rapprocher les lignes d'analyse d'Aristote •


Après l'exemple de Descartes, examinons celui d'Aristote. La « re-
prise » qu'en fait Ricœur joue dans l'économie de L'Homme faillible
un rôle plus marginal que sa reprise de Descartes. Mais l'attitude
qu'elle révèle chez Ricœur est la même. Aristote, « par une admi-
rable analyse », nous met au seuil de la réflexion décisive ; mais
ce seuil, il ne l'a pas franchi. Ricœur, le franchissant, nous expli-
que pourquoi Aristote ne l'a pas fait. Ce qui l'intéressait dans la
possibilité de nier tout ce qu'on affirme, d'affirmer tout ce qu'on
a nié, c'est l'opposition de l'affirmation et de la négation comme
accès à la logique de la contradiction, et non pas le pouvoir même,
terrible et admirable, de l'affirmation humaine. « Cette méditation
sur le pouvoir, sur la puissance de juger, révélée par le verbe,
Aristote ne l'a pas faite (p. 51) », et c'est Ricœur lui-même qui
la conduit en rapprochant Aristote et Descartes. Mais avant de se
tourner vers la volonté dans le jugement, de la façon que nous avons
indiquée à l'alinéa précédent, Ricœur consacre encore à Aristote
une note en bas de page. Elle mérite notre attention : « Aristote
a aussi amorcé cette analyse, dans l'Ethique à Nicomaque, III, par
l'étude du volontaire et de l'involontaire dans les actions, de la
délibération et de la préférence dans le choix des moyens ; mais
cette théorie du jugement pratique reste confinée dans l'éthique et
ne communique pas avec l'étude du verbe menée par ailleurs dans le
cadre de l'Organon. Rapprocher ces deux lignes de l'analyse, c'est,
selon nous, faire apparaître la corrélation noético-noématique entre
le pouvoir d'affirmer (noèse) et la sursignification du verbe (noème) »
(note 6, p. 51).
On trouve ainsi —Ricœur du moins, trouve ainsi —chez Aristote,
de quoi dépasser Aristote. On peut en rapprochant deux lignes
d'analyse qu'Aristote n'a pas reliées l'une à l'autre, élaborer avec des
thèmes aristotéliciens, sans trahir l'esprit d'Aristote, — et exprimer
en termes husserliens —, une doctrine que Ricœur seul discerne —
et dont on hésite à dire si elle lui appartient, ou à Aristote ; mais
dont il est clair que la question de savoir à qui l'attribuer préoc-
cupe moins Ricœur que sa docilité inventive au territoire qu'il
explore.

Le dégagement de la philosophie kantienne •


Notre troisième exemple de traitement sera celui de Kant. Dans
L'Homme faillible il n'est nullement marginal. « Ce n'est pas par
hasard que notre anthropologie du fini et de l'infini rencontre Kant
à ce stade de son développement (p. 58). » Ricœur vient d'affirmer
que la réceptivité de la perception est irréductible au discours, et que
la pensée déterminante l'est à la réceptivité ; toute philosophie qui
refuse ainsi l'idéalisme absolu et l'empirisme radical retrouve le pro-
blème de la synthèse, dans l'imagination transcendantale, entre les
règles de la dicibilité et les conditions de l'apparition, soit en termes
kantiens entre les catégories et l'intuition pure. « Faisons donc route
quelque temps avec Kant », déclare une première fois Ricœur (p. 56) ;
pourtant, bien que Kant ait eu conscience qu'il y avait moins dans le
schème que dans la catégorie, bien qu'il ait entrevu qu'une genèse
radicale des concepts purs devait être cherchée du côté d'une dialec-
tique notionnelle réglée par l'entendement, « il n'a pas exploré
cette voie (p. 62) ». Mais à sa suite Ricœur cherche dans l'imagina-
tion transcendantale le terme médiateur dans l'ordre théorique entre
entendement et sensibilité, entre parole et regard : simple étape
dans l'élaboration d'une anthropologie philosophique qui se poursuit
ensuite au plan pratique et au plan de l'affectivité.
Tous les aspects de finitude pratique susceptibles d'être compris
à partir de la notion transcendantale de perspective se résument dans
la notion de caractère, tous les aspects d'infinitude pratique suscep-
tibles d'être compris à partir de la notion transcendantale de sens
se résument dans la notion de bonheur : enfin la notion de respect
fournira le terme opératoire de la synthèse pratique. La notion de
respect jouera ainsi au plan pratique un rôle symétrique à celui
que joue l'imagination transcendantale au plan théorique. La dispro-
portion du verbe au point de vue, du sens à la perspective, est
l'aspect théorique de la disproportion humaine ; son aspect pratique
se révèle entre l'infinitude du bonheur et la finitude de mon carac-
tère. C'est alors à nouveau Kant qui va orienter vers les notions de
personne et de respect la recherche de la synthèse pratique. Mais
comme plus haut Ricœur concevait la possibilité de rapprocher deux
lignes d'analyse qu'Aristote avait abordées indépendamment l'une de
l'autre, de même ici Ricœur va nous montrer dans deux régions de
l'œuvre de Kant des analogies qui s'y trouvent en effet mais que
personne, sans excepter Kant lui-même, n'avait remarquées ni
exploitées.
Repartons de la quête d'une synthèse pratique. Si je ne pense
caractère et bonheur que sur l'idée d'homme, qu'est-ce que je pense
en pensant homme ? Une forme qui d'emblée prescrit une synthèse.
Quelle synthèse ? Celle d'une fin de mon action qui serait en même
temps une existence ; une fin à laquelle se subordonnent tous les
moyens, une fin en soi, dont la valeur ne soit subordonnée à rien
d'autre — et en même temps une existence, une présence avec la-
quelle on entre dans des relations d'échange. « Les indications de
Kant à cet égard sont très instructives, elles le sont d'autant plus
qu'il n'a pas spécialement médité sur la symétrie entre la synthèse
de la chose et la synthèse de la personne, tant il est préoccupé
de réduire la personne à un simple exemple de la loi... Les êtres
raisonnables, dit-il, sont appelés des personnes, parce que leur nature
les désigne déjà comme des fins en soi (p. 88). » La personne est
d'abord l'idéal de la personne, la synthèse pratique, à faire être, de
la raison et de l'existence. Elle se constitue « dans un sentiment
moral spécifique que Kant a appelé le respect... Il y a ainsi une
similitude frappante entre la situation du respect dans la philosophie
pratique de Kant et celle de l'imagination transcendantale dans la
philosophie théorique. C'est de l'imagination transcendantale que
procède la synthèse de l'objet ; c'est dans l'imagination transcen-
dantale que se rencontrent les deux pôles de l'entendement et de la
réceptivité. C'est aussi du respect que procède la synthèse de la
personne comme objet éthique (p. 89). » De là un nouveau « Fai-
sons donc route quelque temps avec Kant, nous réservant d'élargir
par la suite la perspective étroitement morale de l'analyse du
respect (p. 90). »
Effectivement Ricœur va développer la symétrie annoncée, mon-
trer que le respect est la condition de la synthèse dans la personne
de la même manière que l'imagination était la condition de la
synthèse dans l'objet ; puis il discutera une objection, à laquelle
Kant n'échappe pas entièrement, bien qu'on trouve en lui « l'amorce
de cette remontée qu'il nous faudra poursuivre ensuite sans lui
(p. 93) ». C'est toujours, on le voit, l'alpiniste qui parle. Mais
avant ces développements que nous ne suivrons pas ici s'insère une
note en bas de page, assez analogue à celle que Ricœur consacrait
auparavant à Aristote. Nous la citons tout entière, en dépit de la
dificulté qu'elle peut offrir au lecteur qui l'abordera hors de son
contexte, et en raison de sa portée méthodologique, ou plus exacte-
ment, de l'attitude qu'à nouveau elle révèle chez Ricœur.

Libre usage du kantisme : où Kant, opéré des


« Je suis très
végétations, respire plus librement • conscient de
déplacer ici la pointe de l'analyse kantienne du respect ; pour
Kant, le respect est respect de la loi et la personne n'en est
qu'un exemple : j'use donc librement du kantisme en mettant
directement en rapport d'intentionalité respect et personne. Mais
en trahissant l'orthodoxie kantienne, je crois dégager la philo-
sophie kantienne de la personne qui est esquissée dans les Fonde-
ments et qui est étouffée dans la Critique de la Raison pure, entière-
ment consacrée à élucider la synthèse de la volonté et de la loi dans
l'autonomie. Les Fondements esquissent un développement qui se
laisse difficilement réduire à la simple recherche du fondement de
l'autonomie et qui vise à restituer une certaine plénitude à la
réflexion morale, en sens inverse de la formulation nécessaire à
l'élaboration du pur impératif formel. C'est à cette recherche de
plénitude que répondent les formules successives de l'impératif
catégorique qui ont recours successivement à l'idée de nature, puis
de personne, puis de règne. Qu'il y ait là bien autre chose qu'une
simple illustration de la règle formelle, mais la contrepartie possible
du formalisme, Kant lui-même en propose l'idée. Toutes les maxi-
mes, dit-il, ont : 1) une forme qui consiste dans l'universalité...
2) une matière, c'est-à-dire une fin... 3) une détermination complète
de toutes les maximes par cette formule. Le progrès se fait ici en
quelque sorte selon les catégories, en allant de l'unité de la forme
de la volonté (de son universalité) à la pluralité de la matière (des
objets, c'est-à-dire des fins) et de là à la totalité ou l'intégralité
du système. Cette précieuse indication, que Kant limite aussitôt en
posant que cette progression sert seulement à rapprocher la raison
de l'intuition et par là du sentiment, est une invitation à considérer
la philosophie de la personne, non comme une illustration, mais
comme le passage de la forme à la matière en direction de la
détermination complète de toutes les maximes, laquelle n'est atteinte
qu'avec l'idée d'un règne des fins (note 7, p. 90). »

Où le jardinier rejoint enfin l'explorateur et


où ils ont beaucoup d'hybrides • Ricœur n'aurait au
fond nul besoin,
dans un ouvrage comme L'Homme faillible qui n'est pas un essai
d'histoire de la philosophie, de nous annoncer qu'il use librement du
kantisme, et de quasiment s'excuser de n'en pas suivre la lettre.
C'est un droit que nous ne songeons pas à lui contester. Mais
c'est qu'en s'éloignant de la lettre de Kant, Ricœur n'a pas le
sentiment d'obéir seulement à la contrainte plus forte de l'évidence,
magis amica veritas, ou au désir de faire « du Ricœur ». Il pense,
et il le souligne, dégager le kantisme de certaines entraves, l'opérer
d'adhérences qui en ont en quelque sorte freiné la libre expansion et
gêné la croissance. Il a conscience de faire, si l'on ose dire, plus Kant
que Kant. Socrate accouchait ses interlocuteurs des pensées dont leur
esprit était gros. Ricœur accouche les auteurs de pensées qui sont les
leurs, mais que pourtant leur projet même, dans sa perspective finie,
les a empêchés d'exploiter eux-mêmes. Ou bien peut-être préférons-
nous dire que ces pensées n'étaient pas, ne sont pas les leurs, puis-
qu'ils ne les ont pas vraiment formulées ? Mais n'est-ce pas aussi une
étrange manie que nous avons de nous considérer comme les proprié-
1. BOUDDHA par André Bareau 40. ROUSSEAU par C. Salomon-Bayet
HEGEL par Kostas Papaioannou 41. LUKACS par A. Henri Arvon
3. CONFUCIUS par Daniel Leslie 42. LE SENNE par André-A. Devaux
4. LEIBNIZ par André Robinet 43. SAUSSURE par Georges Mounin
5. KIERKEGAARD par G. Gusdorf 44. BUBER par Robert Misrahi
6. SPINOZA par Robert Misrahi 45. BULTMANN par André Malet
7. UNAMUNO par Alain Guy 46. DANTE par M. de Gandillac
8. SENEQUE par P. Aubenque et 47. IBN KHALDÛN par Mohamed-
J.-M. André Aziz Lahbahi
9. JAURES par André Robinet 48. ORTEGA Y GASSET par Alain
10. NICOLAS DE CUES par G. Bufo Guy
11. EPICTETE par Joseph Moreau 49. JANKÉLÉVITCH par Lucien
12. CALVIN par Jean Boisset Jerphagnon
13. BACHELARD par Pierre Quillet 50. NIETZSCHE par J. Delhomme
14. MONTAIGNE par Marcel Conche 51. BRUNSCHVICG par M. Deschoux
15. S. TH. D'AQUIN par Stan. Breton 52. ERASME par P. Mesnard
16. BAYLE par Elisabeth Labrousse
17. HERACLITE par Jean Brun 53. TEILHARD DE CHARDIN par
18. SIMONE WEIL par Fr. Heidsieck André Combes
19. PLATON par G. Rodis-Lewis 54. WITTGENSTEIN par Gilles-
20. MAIMONIDE par Sylvain Zac Gaston Granger
21. ERGSON par André Robinet 55. GARAUDY par Serge Perottino
22. GABRIEL MARCEL par Jeanne 56. GURVITCH par Jean Duvignaud
Parain-Vial 57. HUME par Jean Pucelle
23. SARTRE par Colette Audry 58. MARCUSE par André Nicolas
24. DESCARTES par Pierre Mesnard 59. ECKHART par Fernand Brunner
25. BAKOUNINE par Henri Arvon 60. ABELARD par Jean Jolivet
26. CONDILLAC par R. Lefèvre 61. FOURIER par René Schérer
27. EMPEDOCLE par Jean Brun 62. SCHELLING par Claude Bruaire
28. CAMUS par André Nicolas 63. JUNG par Edmond Rochedieu
29. GRAMSCI par Jacques Texier 64. MERLEAU-PONTY par Xavier
30. HUSSERL par Daniel Christoff Tilliette
31. GIORDANO BRUNO par Emile 65. COMTE par Angèle Kremer-
Namer Marietti
32. BERDIAEFF par Alexis Klimov 66. LEVI-STRAUSS par Catherine
33. WILLIAM JAMES par A. J. Reck Backes-Clément
34. LUCRECE par Marcel Conche
35. BERKELEY par Jean Pucelle 67. LÉNINE par Henri Arvon
36. RUSSELL par Philippe Devaux 68. MAHOMET par Roger Arnaldez
37. JASPERS par A. Kremer-Marietti 69. GEULINCX par Alain de Lattre
38. MELANCHTHON par J. Boisset 70. WRONSKI par Philippe d'Arcy
39. VICO par Jules Chaix-Ruy 71. NABERT par Paule Levert
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